Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

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Unité d'Enseignement DTC 1.1 Epistémologie spécifique de la psychologie clinique Master 1 PPCPS UPJV – Département de psychologie Livret d'accompagnement du Cours Philippe SPOLJAR Courriel : [email protected] Site Internet : philippe.spoljar.free.fr

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Unité d'Enseignement DTC 1.1

Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

Master 1 PPCPS UPJV – Département de psychologie

Livret d'accompagnement du Cours

Philippe SPOLJAR

Courriel : [email protected] Site Internet : philippe.spoljar.free.fr

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1. La perspective clinique en psychologie « … l’objet de la psychologie, la personne humaine » (F. Parot, M. Richelle, Intro-duction à la psychologie. Histoire et méthodes, Paris, PUF, 2010, p. 10).

La « personne » dans le Code de déontologie des psychologues :

« La mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique. Son activité porte sur les composantes psychologiques des individus consi-dérés isolément ou collectivement et situés dans leur contexte. » (Code de déontologie des psy-chologues, Article 2, 2012).

> les traits importants :

- la dimension psychique

- l'impossibilité d'isoler une personne de son contexte

Nécessité de définir cette notion (qui appartient à plusieurs domaines), selon une perspective qui ne peut être que "constructiviste" :

- articulation entre théorie et méthodologie

- en patho-clinique, les principaux outils sont : l'entretien, l'observation, l'évaluation, la classification, l'interprétation, etc., aboutissant de façon paradigmatique à une étude de cas

Positionnement nécessaire selon les trois axes de la théorie, de l'objet, et des méthodes

1.1. La démarche clinique

« Les niais s'imaginent que les grosses dimensions des phénomènes sociaux sont une excellente occasion de pénétrer plus avant dans l'âme humaine ; ils devraient au contraire comprendre que c'est en descendant en profondeur dans une individualité qu'ils auraient chance de comprendre ces phénomè-nes. » (Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, II, Gallimard, 1972, p. 30).

La psychologie clinique est avant tout une démarche qui vise l'étude approfondie de situations singulières

1.2. La perspective de la singularité

Le corpus théorique de la psychologie clinique s'est constitué à partir :

- de la clinique des pathologies mentales, du handicap, des conflictualités humaines…

- différents référentiels théoriques : psychiatrie, psychanalyse, phénoménologie, systémique…

Beaucoup de disciplines font référence à des théories qu'elles n'ont pas elles-mêmes produites

1.3. Les sources de la discipline

1.3.1. Les références fondatrices

Trois auteurs considérés comme fondateurs de la psychologie clinique :

- Pierre Janet et la "psychologie des conduites" : critique du formalisme expérimental, analyse des situations singulières, observations circonstanciées (De l'angoisse à l'extase).

Voir C.-M. Prévost, Janet, Freud et la psychologie clinique, Paris, Payot, 1973

- Sigmund Freud et la psychanalyse :

. théorisation à partir de cas individuels

. compréhension des cas à partir de l'histoire de la personne et le sens des conduites

. attention portée aux particularités des relations avec le patient

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- Lightner Witmer : approche institutionnelle (psychological clinic pour handicapés mentaux et physiques)

Un premier organe de publication : la Revue de psychologie clinique et thérapeutique (1897-1901). Une opposition radicale aux méthodes objectivantes :

« La psychologie clinique, telle que nous la concevons, se distingue nettement de la psychologie expérimentale. La psychologie expérimentale isole et dissocie les éléments de la vie psychique. Elle suscite dans des conditions prévues d'avance, les phénomènes de sensation, de volition, d'idéation qu'elle note et qu'elle mesure à l'aide du calcul et des instruments enregistreurs. Elle conduit à des moyennes d'autant plus satisfaisantes qu'elles sont plus abstraites et plus générales. C'est pour ainsi dire la mathématique de la psychologie.

La psychologie clinique, au contraire, tout en puisant dans les recherches de laboratoire de pré-cieux renseignements, observe la vie psychologie elle-même, considérée comme un tout concret et réel. Réunissant dans une vue d'ensemble les réactions naturelles et spontanées du sujet en pré-sence des excitations de tout genre, elle en constitue un tableau synthétique, à dominante varia-ble, qui exprime son tempérament et porte la marque de son caractère. Par les influences combi-nées de l'hérédité et du milieu, elle poursuit le développement, normal et pathologique de la per-sonnalité, la tâche n'est pas de schématiser mais d'individualiser » (Revue de psychologie clinique et

thérapeutique, 1897).

1.3.2. La psychologie clinique de tradition française

La psychologie clinique correspond dans les pays anglo-saxon à des domaines d'intervention qui sont ceux désignés en France par la psychologie de la santé

En France, le terme clinique désigne traditionnellement :

- la démarche du praticien (singularité et relation)

- et sa méthode (observation non standardisée et étude de cas)

L'activité professionnelle en psychologie clinique implique au minimum :

- une attention portée à la situation globale

- une capacité à déchiffrer cette situation sans la réduire à des variables

- une aptitude à situer sa propre place et analyser les effets qu'il induit

Un praticien n'est pas forcément un clinicien

1.4. L'environnement disciplinaire

1.4.1. La psychiatrie

La psychiatrie est une discipline médicale : son objet est la maladie mentale

1.4.2. La psychanalyse

La psychanalyse vise la connaissance de la réalité psychique inconsciente :

- comme méthode d'accès aux réalités psychiques inconscientes

- comme théorie sur les phénomènes inconscients (la "métapsychologie")

Freud l'a définie ainsi :

« La psychanalyse est le nom d'un procédé pour l'investigation des processus mentaux à peu près inaccessibles autrement ; d'une méthode fondée sur cette investigation pour le traitement des troubles névrotiques et d'une série de conceptions psychologiques acquises par ce moyen et qui s'accroissent ensemble pour former progressivement une nouvelle discipline scientifique » (S.

Freud, Psychanalyse et théorie de la libido, 1922).

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Une différence entre psychanalyse et psychologie clinique à référence psychanalytique :

- le psychanalyste travaille "sur" le transfert, relativement à un "sujet"

- le psychologie clinicien travail "dans" le transfert, relativement à une "personne"

Une description de la psychanalyse mettant en relief la question épistémologique :

« La psychanalyse n'est pas un mode de connaissance scientifique, comme la neurobiologie, la psy-chologie, la psychosociologie, la génétique moléculaire, l'histoire. Certes, elle est bien un mode de connaissance qui comporte un objet, une technique, une méthode, qui requiert une rigueur, une rationalité. Mais elle est d'un autre ordre, comme le sont les arts, ou la philosophie par exemple, en tant que mode de connaissance. Cette conception permet d'éviter à la psychanalyse les réductionnismes organicistes et psychologisants qui la guettent. » (C. Barrois, « Le traumatisme »,

in D. Widlöcher (dir.), Traité de psychopathologie clinique, p. 747).

1.4.3. La phénoménologie

La phénoménologie a pour objet :

- le phénomène de la conscience

- l'apparition des phénomènes

- l'expérience vécue du phénomène de la conscience (cf. cours de Phénoménologie)

Prise en considération de la perspective de cette "conscience-là"

1.4.4. Les autres psychologies

Les "objets de connaissance" des autres psychologies sont sensiblement différents : les "fonctions psychologiques/facultés de l'âme, le comportement, la cognition, le travail, les représentations sociales, etc.

Certaines sous-disciplines de la psychologie se distinguent en fonction de leurs domaines (psychologie du travail, psychologie médicale, etc.)

Dans d'autres cas, ce sont les méthodologies qui sont déterminantes : typiquement l'approche clinique ou l'approche expérimentale, qui peuvent être présentes dans les autres champs disciplinaires.

Dans ces autres domaines de la psychologie, la question du "psychisme" y est réduite, voire le plus souvent inexistante, ce qui constitue un paradoxe, relativement aux "missions" reconnues aux psychologues par le Code de déontologie

1.5. Les domaines cliniques

Termes communs de la démarche clinique dans les sciences humaines :

- en plein : ces démarches reposent sur une rencontre avec un sujet

- en creux : elles s'opposent toutes à la démarche expérimentale

1.5.1. La clinique médicale

La perspective clinique en médecine :

- l'examen concret et complet du patient

- le primat de la vision et de la description

Elle suit la démarche canonique qui va du recueil de signes, à la constitution de syndromes puis à la désignation de la maladie (généralement suivie d'un traitement)

1.5.2. La clinique psychiatrique

Le (contre-)modèle historique : Kraeplin. Une approche positiviste :

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« Nous avons besoin de faits, pas de théories... Nous voulons tenter d'y donner une réponse [...] au laboratoire, non pas avec des idées brillantes, mais par la mesure et le calcul. » (E. Kraeplin, « Der

psychologische Versuch in der Psychiatrie », Psychologische Arbeiten, n° 1, 1895, p. 1-91).

L'autre tradition de la psychiatrie était plus proche d'une clinique médicale aménagée :

- primauté de l'écoute sur le regard

- interprétation plus symbolique des signes

- considération de l'aspect subjectif du symptôme

> l'ensemble marqué par une très grande variation des pratiques, notamment dû à un métissage des pratiques, jusqu'à certaines tensions, voire contradictions :

- en matière d'interprétation

- sur la question de la causalité (organogenèse, psychogenèse, sociogenèse)

- sur les modalités de la pratique (individualisation des relations avec le patient)

1.5.3. La clinique psychologique

1.5.3.1. Démarche, méthode et domaines

Quatre aspects fondamentaux :

1. La démarche : la prise en compte de la singularité du sujet :

« La "démarche clinique" est centrée sur l'individualité, la singularité et l'implication, permettant de découvrir l'origine et la signification des conflits et des conduites de l'être humain. » (J.-L. Pédi-

nielli, Introduction à la psychologie clinique, Nathan/Université, 1994)

> allégeance à Freud et Janet reconnaissable par les termes de "conflit" et de "conduite"

2. La méthodologie : les procédés et techniques mis en œuvre pour connaître et agir

3. Les domaines d'exercice

4. Les objectifs :

- les tâches scientifiques

- les pratiques (diagnostic, formation, expertise)

- et, éventuellement, les thérapies

1.5.3.2. La spécificité de la discipline

La situation clinique correspond à une situation de faire contrainte, la moins artificielle possible, laissant à la personne toute possibilité d'expression (verbale ou non-verbale)

Elle est donc peu apte à la reproductibilité des phénomènes et aux possibilités de prévision existant dans les sciences exactes

La référence méthodologique à des "hypothèses opérationnelles" ou à "l'opérationnalisation de variables" est un non-sens en clinique, puisque :

- ces notions ne peuvent prendre sens que dans un dispositif expérimental rigoureux,

- comme en psychique ou en chimie, où existe la possibilité de contrôler étroitement et objectivement ces variables

- où il n'existe pas d'interférence psychique (mais il existe bien une interférence instrumentale)

Différence entre démarche clinique et "terrain" clinique

Différence entre psychologie clinique et psychologie générale

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1.6. Les principales définitions

1.6.1. Définitions historiques de la clinique

Juliette Favez-Boutonier (1959) :

La psychologie clinique est : « l'étude d'une personnalité singulière dans la totalité de sa situation et de son évolution […] dans une situation d'implication réciproque » (J. Favez, « La psychologie clini-

que : objet, méthodes, problèmes », in Les cours de la Sorbonne, 1959).

Juliette Favez-Boutonier (1966) :

L'objet du psychologue clinicien est « l'être humain, en tant qu'il existe et se sent exister comme un être unique, ayant son histoire personnelle, vivant dans une situation qui ne peut être totale-ment assimilée à aucune autre. » (Juliette Favez, La psychologie clinique : objet, méthode, problèmes,

Paris, CDU, 1966).

Didier Anzieu (1982) :

« Elle est une psychologie individuelle et sociale, normale et pathologique ; elle concerne le nou-veau-né, l'enfant, l'adolescent, le jeune adulte, l'homme mûr, l'être vieillissant et enfin mourant »

J.L. Pédinielli (1994) :

« La psychologie clinique peut être définie comme la sous-discipline de la psychologie qui a pour objet l'étude, l'évaluation, le diagnostic, l'aide et le traitement de la souffrance psychique quelle que soit son origine (maladie mentale, dysfonctionnements, traumatisme, événements de vie, ma-laise intérieur » (J.-L. Pédinielli, Introduction à la psychologie clinique, Nathan/Université, 1994).

1.6.2. Définitions centrées sur la conduite

Une conduite a une unité de sens, qui lui est conférée par l'intention qui la porte, qu'il ne faut pas réduire en la segmentant.

« Analyser une conduite pour le psychologie clinicien, ce n'est pas la découper en segments et en processus élémentaires, c'est la décrire en détail et, par un jeu subtil de regroupements et de re-coupements dont les règles ne sont pas fixées de façon explicite, faire apparaître un sens qui n'était directement visible ni pour l'observateur profane, ni, a fortiori, pour le sujet conscient lui-même » (D. Lagache, « Psychologie clinique et méthode clinique », L'Évolution psychiatrique, 1949).

1.6.3. Définitions centrées sur la personne

« Si l'on se réfère à l'étymologie, la psychologie est l'étude de la psyché, c'est-à-dire de l'âme. Ce n'est pourtant pas de la métaphysique : comment alors situer cette discipline ? Contentons-nous pour l'instant de dire que c'est l'étude de la personne humaine, de ses conduites, de ses facultés intellectuelles, de son affectivité. Il y a ainsi un objet de la psychologie, l'homme considéré sous l'angle de son fonctionnement mental, de son développement affectif et cognitif, de ses condui-tes, de ses réponses à des situations expérimentales. » (E. Pewzner, Introduction à la psychopathologie

de l'adulte, p. 179 ).

1.6.3.1. Daniel Lagache (1949)

Une première définition (1949) :

« On entend essentiellement par psychologie clinique une discipline psychologique basée sur l'étude approfondie des cas individuels. En termes plus précis, la psychologie clinique a pour objet l'étude de la conduite humaine individuelle et de ses conditions […], en un mot, l'étude de la personne to-tale "en situation" » (D. Lagache, « Psychologie clinique et méthode clinique », L'Évolution psychiatrique,

1949, p. 156).

= définition encore ambiguë et trop vaste

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Une seconde définition (1969) :

« Envisager la conduite dans sa perspective propre, [de] relever aussi fidèlement que possible les manières d'être et de réagir d'un être humain concret et complet aux prises avec une situation, [de] chercher à en établir le sens, la structure et la genèse, déceler les conflits qui la motivent et les démarches qui tendent à résoudre les conflits, tel est en résumé le programme de la psycholo-gie clinique. » (D. Lagache, L'Unité de la psychologie (1949), Paris, Puf, 1969, p. 32).

Articulation de la structure et de la genèse :

- Les événements ne s'exercent pas directement sur le psychisme, mais sur une structure

- Cette structure est elle-même le résultat de l'interaction entre le psychisme et les événements et contextes de l'histoire de la personne

> Il n'y a pas de corrélation simple entre histoire personnelle et structure de personnalité :

- le sens à considérer est celui conféré par la personne aux situations qu'elle rencontre

- la vie psychique est intimement lié à l'ordre du sens, du langage, et donc du symbolique

Enjeux historiques : démarcation du champ de la médecine et ouverture au-delà du pathologique

1.6.3.2. Roger Perron (1997)

Définition centrée sur la notion de personne :

« La personne est un système, une structure, régie par des lois d'auto-régulation et qui peut être considérée comme un système de transformations. » (R. Perron, « Qu'est-ce que la psychologie clinique

? », in La Pratique de la psychologie clinique, Dunod, coll. 1997, p. 15).

- "structure" : proche de la notion de stade d'organisation

- "autorégulation" : mécanismes propres, internes et spécifiques

- "transformations" : dimension fonctionnelle des processus mentaux (primaires et secondaires)

> Appréhender la structure (abstraite) au sein de la personne (concrète), notamment en termes de processus

La psychologie clinique est la discipline qui correspond à cet "objet" (la personne) :

« La psychologie clinique se donne pour but d'expliciter les processus psychiques de transformation dont la personne est le siège. » (Ibid.)

Une « science du psychisme » (R. Perron), entre "explication" et "interprétation" :

- "expliciter" les processus

- "comprendre" la personne

1.7. Les domaines actuel de la pratique et de la recherche

1.7.1. L'extension des thématiques

Extension des thèmes :

- pathologies : handicap, marginalité, maladie somatique

- phases de développement : nourrisson, enfant, adolescent, adulte, sujet âgé

Elargissement des domaines : famille, groupe, institution, culture

Extension des lieux d'intervention : crêche, hôpital général, ase, prison

Diversification des méthodologies (à partir de la démarche clinique)

Approche singularisante des objets collectifs

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> Une interdisciplinarité de principe

1.7.2. De la psychologie clinique à l’anthropologie clinique

Exemple de démarche clinique hors champ de la psychologie

La notion d' « homme total » (M. Mauss)

Cf. Bruno Karsenti, L'Homme total: sociologie, anthropologie et philosophie chez Marcel Mauss, Paris, PUF, 1997.

La socio-anthropologie (Ecole de Chicago) :

- Les "histoires de vie"

- les "définitions de situation" : comprendre la manière dont les individus vivent et ressentent les situations dans lesquelles ils se trouvent à partir de leurs propres représentations

Cf. C. Niewiadomski, « L'événement : entre intra-psychique et socio-psychique », Pensée plurielle, 2006/3 n° 13,

p. 49-58).

L'anthropologie sociale :

- usage de l'entretien "ouvert" :

« La seule limite est l’épuisement du sujet d’expliciter à l’anthropologue sa propre vision des cho-ses. » (Olivier Douville, Monique Sélim, « Objets, méthodes et terrains de l'anthropologie et de la clinique »,

Le Journal des psychologues, n° 258, 2008/5, p. 42-48).

- prise en compte de l'implication

L'anthropologie clinique :

- quasi identité de principe avec la psychologie clinique :

« Une première manière de définir l’anthropologie clinique pourrait être : une pensée sur la pra-tique du soin auprès de l’homme souffrant » (Nicolas Duruz, « Anthropologie clinique, psychopathologie

et psychothérapie », Le Journal des psychologues, n° 258, 2008/5, p. 18).

- proximité des pratiques :

« Dans sa visée pratique, l’anthropologie clinique insiste sur la nécessité d’une clinique de l’humain concret et singulier, en situation, différente d’une clinique des fonctions dans laquelle elle risque de s’aliéner » (Nicolas Duruz, « (Idem., p. 19).

Sources historiques :

- de l'anthropologie philosophique

L. Binswanger, De l’anthropologie philosophique [Zur philosophischen Anthropologie], 1930…

… à l’anthropologie phénoménologique :

« … l’anthropologie phénoménologique nous invite à rencontrer l’homme concret et singulier, dans son expérience originaire d’être-au-monde (Id.)

La démarche clinique se situe au point de convergence entre psychologie, psychanalyse, anthropologie et phénoménologie

1.8. Bibliographie

Anzieu Didier, « Possibilités et limites du recours au point de vue psychanalytique par le psychologue clinicien »,

Connexions, n° 40, 1982.

Douville Olivier, (dir.), Les méthodes cliniques en psychologie, Paris, Dunod, coll."Psycho Sup", 2006.

Favez Boutonier Juliette, « Psychologie clinique objet, méthodes, problèmes » (1959), Les cours de la Sorbonne,

1959-1962.

Favez Boutonier Juliette, « La psychologie clinique objet, méthodes, problèmes » (1959), Les Cours de la Sor-

bonne, 1959-1962.

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Favez Boutonier Juliette, « L'objet de la psychologie clinique », Bulletin de Psychologie, 266, tome XXI, 1968, p.

449-452.

Favez-Boutonnier Jacqueline, La psychologie clinique : objet, méthode, problèmes, Paris, CDU, 1966.

Jeammet N. « Ebauche d'une méthodologie dans le champ de la recherche clinique », La psychiatrie de l'enfant, t.

25, n° 2, 1982, p. 439-485.

Lagache Daniel, « Psychologie clinique et méthode clinique », Oeuvres II, Paris, PUF, 1949.

Ohayon Annick, « La psychologie clinique en France. Éléments d'histoire », Connexions, n° 85, 2006/1, p. 9-24.

Parot Françoise (dir.), Pour une psychologie historique. Ecrits en hommage à Ignace Meyerson, Paris, PUF, 1996.

Pédinielli Jean-Louis, Introduction à la psychologie clinique, Paris, Nathan/Université, coll. "128", série "Psycho-

logie", 1994.

Prévost Claude-Marie, Janet, Freud et la psychologie clinique, Paris, Payot, 1973.

Prévost Claude-Marie, La psychologie clinique, Paris, PUF, 1991.

Revault d'Allonnes Claude, « Psychologie clinique et démarche clinique », dans C. Revault d'Allonnes (éd.), La

Démarche clinique en sciences humaines, Paris, Dunod, 1989, p. 17-33.

Widlöcher Daniel, « Pratique clinique et recherche clinique », Revue de Psychologie appliquée, t. 31, n° 2, 1981,

pp. 117-129.

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2. La psychologie « concrète »

2.1. La construction anthropologique de la personne

La multiplicité des perspectives sur la personne : sociologique, juridique, historique …

- la "personne" se distingue de multiples notions apparentées (Moi, sujet…)

- la reconnaissance de l'autre comme personne

- la personne se définit elle-même

2.1.1. Moi, Sujet, Individu, Ego, Personne, Je, Soi, Self…

Les acceptations des termes sont très variables, mais on peut schématiser ainsi (sous réserve de trouver des définitions fréquemment contradictoires) :

- le Moi (psychologie générale)

- le Sujet (psychanalyse)

- l'Ego, le Soi (phénoménologie)

- l'Individu (sociologie)

- la Personne (psychologie clinique)

- auxquels s'ajoutent des emplois plus singularisés chez certains auteurs :

. le Je (P. Aulagnier)

. le Self (D. Winnicott), etc.

Le sujet en psychanalyse : la division constitutive

La personne en psychologie clinique : l'expérience vécue de l'unité et de l'autonomie

La personne :

- "centre de perspective" constitué comme projection du Moi …

- … et construction anthropologique

Dans la perspective de l' "Anthropologie clinique de la médiation" (Jean Gagnepain et l' "Ecole de Rennes"), la personne se définit comme :

« […] une capacité mentale de structuration ou d'analyse des relations sociales. » (J.M. Le Bot 2010,

Le lien social et la personne. Pour une sociologie clinique, p. 72).

Elle se conçoit à partir de ces trois registres et deux niveaux d’articulation :

« 1. l'individu biologique (le corps biologique comme "support" avec son anatomie et sa physiolo-gie)

2. le sujet socialisable et socialisé, qui intériorise ou "incorpore" ce qui lui vient de son environ-nement social

3. La personne autonome, capable de construire sa propre histoire, d'en être à la fois l'auteur et l'acteur. » (Idem., p. 54-55).

Différenciation topique des perspectives privilégiées :

- Sujet / inconscient

- Personne / Préconscient

- Moi / Conscient

Spécificités (psychologique, anthropologique, épistémologique) de la personne :

- la personne est n'est pas une "réalité immédiate"

- la personne est un objet/sujet qui se définit lui-même

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2.1.2. La reconnaissance de l'autre

Une personne doit être reconnue comme telle pour être une personne

La personne est une "institution"

La notion de personne est le résultat d'une "construction" (anthropologique, psychologique, morale, sociale …)

« L’institution de la personne est un universel anthropologique » (M. Gauchet, 2009, p. 13).

2.1.3. L'auto-théorisation de la personne

La "personne" s'est constituée, historiquement et anthropologiquement dans une dynamique d'auto-théorisation de soi

L'auto-construction de la personne : la constitution de la personne par les théories et les pratiques … de la personne

La culture présente à chaque personne un miroir dans lequel elle pourra se reconnaître

2.2. La « vie dramatique » (G. Politzer)

Georges Politzer, Critique des fondements de la psychologie t. 1 la psychologie et la psychanalyse [1928], Paris,

PUF, 1994.

Une psychologie en « première personne », qui s'oppose à une psychologie impersonnelle, en "troisième personne", c'est-à-dire de la "non-personne"

La pertinence actuelle des analyses épistémologiques de G. Politzer :

« Même aujourd’hui, la valeur critique des idées épistémologiques de Politzer sur la psychanalyse, qu’il n’aura parcourue qu’en météore, reste à peu près inégalée » (E. Jalley, Le débat sur la psycha-

nalyse dans la crise en France, t. 1).

Où se situe le "vrai savoir" des faits réellement psychologiques ?

Le niveau spécifique de la "vie dramatique", celui de la "vie proprement humaine" :

« les réflexions sur cette vie dramatique n’ont réussi à trouver leur place que dans la littérature et le théâtre. » (p. 31).

La littérature mêle le réel et l'imaginaire … tout comme les théories qui sont des modélisations et des schématisations de la réalité

Cette psychologie fondamentale ne se situe pas là où l'on pourrait le supposer :

« elle a dû vivre en dehors d’elle, de même que la physique expérimentale a dû vivre d’abord en marge de la physique spéculative, officielle. » (p. 31).

L'expérimentation trouve sa légitimité dans son domaine initial : la physique. Elle apparaît plus aléatoire dans le domaine du vivant, et inadéquate dans le domaine de la psychologie, relevant d'une « posture » et d'une simple « gesticulation scientiste » (ibid.).

Un savoir essentiel sur la psyché se trouvait dans les œuvres littéraires, celles-ci s'étant trouvé "dévoyées" par la "science psychologique" :

« au lieu de pouvoir transmettre à la psychologie le thème concret qui s’était réfugié chez elle, c’est la littérature, au contraire, qui a fini par subir l’influence de la psychologie fausse : les lit-térateurs se sont crus obligés, dans leur naïveté et leur ignorance, de prendre au sérieux la « science » de l’âme » (p.12).

La même appréhension des situations psychologiques doit cependant être maintenue, en les considérant comme complexes d'événements, d'actions et de personn(ag)es :

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« Le psychologue aura quelque chose du critique dramatique : un acte lui apparaîtra toujours comme un segment du drame qui n’a d’existence que dans et par le drame. Sa méthode ne sera donc pas une méthode d’observation pure et simple, mais une méthode d’interprétation » (p. 12).

Le terme de l'analyse est l'élément dramatique : l'événement, ou l'acte, considéré à partir de la personne

2.3. L’abstraction et le point de vue formel

L' « abstraction » mise en question :

« consiste à concevoir les faits psychologiques comme des entités en soi, au sens propre du mot ; [c'est-à-dire] à les réaliser en dehors de la personne dont ils sont les manifestations. » (p. 40).

L' "approche formelle", dans l'analyse du rêve, s'avère, au mieux, très partielle, et « ne prête aucune attention à l'individualité du rêve qui est donnée par le sens » :

« commence par détacher le rêve, du sujet dont il est le rêve, et le considère non pas comme fait par le sujet, mais comme produit par des causes impersonnelles. » (p. 38)

L'abstraction élimine la subjectivité par réduction à des explications causales et des phénomènes autonomes, en dissociant le rêve du rêveur :

« Le rêve devient une collection d’états en soi, un ensemble d’états en troisième personne. Sans relation avec le sujet concret qui le rêve, le rêve est pour ainsi dire suspendu dans le vide. » (p.

38).

Le rêve lui-même est réduit à une sorte de :

« résonance qui naît par hasard et meurt quand son énergie est épuisée. » (p. 39).

Il faut donc « lui rendre son caractère de fait psychologique » (p. 39), en le rattachant au rêveur

… ce qu'il reconnaît à la démarche freudienne :

« Ce que la psychanalyse cherche partout, c’est la compréhension des faits psychologiques en fonction du sujet. » (p. 41).

Une critique partielle du mécanisme de régression de la métapsychologie du rêve :

- dans le cas de la régression temporelle, l'approche concrète est préservée :

« dans le rêve c’est l’enfant qui survit avec ses impulsions » (p. 176).

- la reviviscence de l'infantile apparaît comme une manifestation actuelle :

« le rêve apparaît, en somme, comme un retour au plus ancien passé du rêveur, comme une revi-viscence de son enfance, des tendances et instincts qui ont dominé celle-ci, des modes d’expression dont elle a disposé » (p. 135).

Le phénomène de régression garde son "caractère vivant". Il s'agit de :

« la renaissance d’une forme antérieure de la vie de l’individu, avec tout ce que la manière d’être et de vivre d’une certaine façon implique, en débordant idées, images et perception. Il ne s’agit plus de morceler des éléments qui sont au-dessous du niveau du « je », et par conséquent imper-sonnels, mais du retour du "je" tout entier à une forme plus ancienne, ou plutôt la reprise par lui de cette forme. » (p. 135).

Présence de certaines attitudes déterminées qui caractérisent l'enfant :

« la reviviscence d’une attitude à forme humaine que l’individu avait eue effectivement dans son enfance et qui reparaît dans ses rêves avec une mise en scène empruntée à sa vie présente. » (p.

141)

Page 13: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

12

Le rêve est inséparable du je, et doit le rester dans l'analyse. Il est :

« par essence une modulation de ce je, il s’y rattache intimement et il l’exprime. » (p. 39).

En procédant à ces abstractions :

« les psychologues ne se sont pas aperçus qu'ôter le je aux faits psychologiques, c'est les anéantir ; que, par conséquent, toute théorie fondée sur cette démarche ne peut être qu'une fabulation pure et simple. » (p. 45).

D'où cette définition essentielle :

« Un fait psychologique est un acte effectif de l'individu singulier. » (p. 130)

2.3.1. La pensée par classes

Un autre aspect de cette abstraction est l'utilisation de "classes de faits", plutôt que des faits singuliers

Correspond à une approche psychopathologique sans clinique

2.3.2. Etude d’une étude de cas (DSM)

Exemple d'analyse de cette abstraction reposant sur l'usage de "classes de faits"

Robert L. Spitzer, « Quelque chose d’intéressant », dans le DSM-IV-TR. Cas cliniques, Paris, Masson, 2008, p. 14-

16.

Le cas de Mr Wolfe :

- présence des traits dépressifs

- il entasse chez lui des journaux, livres et magazines, au point de ne plus pouvoir y rentrer

Commentaire phrase par phrase :

« Nombreux sont les gens à ne pas pouvoir se débarrasser d’objets auxquels ils attribuent une va-leur potentielle … »

= recherche de la généralité, pas la singularité :

« … chaque fois qu’il tombe sur un journal, un magazine ou un livre, il est incapable de les jeter à la poubelle parce qu’il peut y avoir quelque chose d’intéressant écrit dessus" »…

= aucune interrogation sur ce qu'il y aurait d'intéressant … pour le patient

= réduction par l'intérêt "classificatoire" du psychiatre

« …et si ce trait de caractère ne cause ni souffrance ni dysfonctionnement, rien ne justifie qu’on diagnostique un trouble mental »

= seul moment consensuel

« Il est vrai que M. Wolfe n’entre pas dans cette catégorie … »

= préoccupation explicite de catégorisation

« Une des hypothèses est que sa propension à entasser s’inscrive dans le cadre plus large de Per-sonnalité obsessionnelle-compulsive … »

= repérage nosographique sans perspective nosologique de la "collectionnite"

> fonctionnement tautologique entre symptomatologie et structure de personnalité

« La propension à entasser est en fait un des critères de ce trouble … »

= le signe renvoie à un critère classificatoire, plutôt qu'à un fait psychologique

« …et s’avère exister dans près d’un cas sur deux chez ces patients [obsessionnels]… »

Page 14: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

13

= perspective épidémiologique, non clinique

« …Néanmoins, aucun des autres symptômes de ce trouble, comme le perfectionnisme ou l’addiction au travail, ne semble être présent. »

= confrontation à la seule abstraction de critères catégoriels

« Les experts du Trouble obsessionnel-compulsif considèrent, en général, que les comportements de thésaurisation s’inscrivent dans le spectre du Trouble obsessionnel-compulsif. [On aurait donc une chance de cocher la case :] Ils soulignent que beaucoup de ces sujets qui amassent des objets procèdent également à des contrôles ou se plient à des rituels qui correspondent au critère de la compulsion, même lorsque la conduite d’ « entassement » est ego-syntonique. »

= appel aux "experts" et confrontation à des catégories pour des motifs externes au cas présent

« […] l’accumulation d’objets reflète une véritable incapacité à s’investir dans une attitude adap-tée (c’est-à-dire se débarrasser de ses détritus). »

= référence non questionnée à l'adaptation, plus idéologique que clinique

> il ne s'agit de "détritus" que pour le psychiatre, pas pour le patient

> le commentateur se pose en "sujet" de référence et positionne le patient en position d'objet (conformément à une psychologie en "troisième personne")

« Qui plus est, lorsqu’il amasse journaux et livres, M. Wolfe ne suit aucune règle stéréotypée et ses agissements ne sont pas une réponse à une obsession. »

= la catégorie de l'obsession réapparaît à nouveau dans le commentaire, relativement à la question classificatoire, alors qu'elle est tout à fait étrangère au cas de Mr Wolf, comme l'indique l'auteur lui-même

= le symptôme est considéré comme une "réponse", avec en arrière-plan un modèle comportementaliste

= tout questionnement sur le sens est écarté

« L’anxiété de M. Wolfe, liée à l’idée de jeter des objets à la poubelle, fait penser à une obses-sion… »

= l'idée de la présence d'une obsession devient elle-même obsédante

« Comme M. Wolfe ne semble avoir ni ces obsessions, ni ces compulsions, à proprement parler, ces observations nous orienteraient vers la catégorie résiduelle du Trouble anxieux non spécifié (DSM-IV-TR, p. 558). »

= recours à une catégorie "résiduelle", non spécifique…

« Une autre façon d’envisager ce comportement de thésaurisation serait de le considérer comme un trait de personnalité inadapté non spécifié et de poser le diagnostic de Trouble de la personna-lité non spécifié (DSM-IV-TR, p. 839). »

= redondance du "non spécifique"

Le Suivi du cas fait état d'un autre diagnostic, manifestement plus pertinent, à partir du même référentiel DSM (pourtant censé standardiser les diagnostics) :

« M. Wolfe fut admis en hôpital psychiatrique. Il y fut établi un diagnostic de Trouble dépressif majeur et on lui prescrivit un antidépresseur dont la dose fut progressivement augmentée. »

Maintien de l'incompréhension jusqu'à la dernière ligne : assignation du signe clinique au non sens

Page 15: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

14

« Bien que M. Wolfe soit désormais en mesure d’y vivre, son appartement reste encore très en-combré par des objets qui ne lui sont d’aucune utilité. »

Cette lecture dite "scientifique" n'a fait que rendre la situation insignifiante

Cf. Politzer : la psychologie reste préscientifique pour cette raison, que :

« elle a procédé d’une manière opposée à celle dont procèdent d’ordinaire les sciences empiri-ques… La psychologie positive doit aboutir aux généralités, et encore par voie de généralisation, mais non commencer par les généralités comme le fait la psychologie « scientifique » … L’analyse des faits effectifs, c’est-à-dire des faits dramatiques, aboutit à des généralités tout à fait diffé-rentes » (p. 111-112)

2.3.3. Le je, un « centre fonctionnel » ?

Une "totalité fonctionnelle" est le résultat d'une concaténation de différentes fonctions, qui ne constitue qu' :

« un enchevêtrement de notions de classe. Or un pareil enchevêtrement, quel que soit le degré de sa complexité, n’est pas un acte, et ne suppose pas un sujet, mais [justement] un simple centre fonctionnel, car on ne peut pas, avec des éléments impersonnels, constituer un fait personnel comme l’acte, et la psychologie demeure, avec sa fausse totalité, sur le plan de l’abstraction. »

(p. 49).

Le sujet : "lieu d'inscription de l'acte", référence nécessaire pour définir des "faits psychologiques" :

« les notions de la psychologie ne peuvent pas être considérées comme les aspects d’un acte indi-viduel, parce qu’elles n’appartiennent pas au même plan que le « je » (p. 50).

Les concepts de "personne"/"je"/"sujet" (psychologie clinique) s'opposent à cette notion de "centre fonctionnel"

Mêmes critiques du côté de la phénoménologie :

« en confrontant ces fonctions avec le mouvant de l'existence, en les projetant sur ce fond, base même de cette existence, je me suis efforcé de montrer leur insuffisance à partir du moment où l'on admet des limites trop tranchées pour chacune d'elles, lui conférant ainsi trop de précision et trop de rigidité. En définitive, bien plus un concept qu'une réalité vivante. » (E. Minkowski, Traité de

psychopathologie, p. 855).

2.3.4. Mécanismes et processus

La question du statut des "processus" dans une démarche concrète

La psychologie conventionnelle cherche à définir des processus "autonomes", en termes de "mécanismes indépendants du sujet"

« La psychologie classique travaille avec des notions qui correspondent aux faits considérés en de-hors de leur relation constitutive avec la première personne et qui servent ensuite de point de dé-part aux tentatives d’explications mécaniques, où l’on n’emploie que des schémas en troisième personne. » (p. 40).

Une explication "mécaniste" demeure sur le plan des enchaînements déterministes, elle :

« est complètement immanente au plan même du processus considéré, une chose détermine sans résidu une autre, celle-ci la suivante et ainsi de suite » (p. 42).

Cette perspective est inhérente à la psychologie, depuis la naissance de la théorie associationniste et de l'approche empiriste (Hume) :

« L’association de Hume, conçue à l’image de l’attraction universelle de Newton, est quelque

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15

chose d’aveugle, qui va « de la chose à la chose », et n’implique pas un sujet. » (p. 50).

Limites de l'approche associationniste dans l'analyse du rêve, excluant la présence du rêveur :

« Le problème du rêve ne pouvait être résolu par la psychologie classique, parce qu'il ne peut l'être qu'en acceptant l'hypothèse du sens. » (p. 36)

Le rêve est un fait psychologique, parce qu'il a un « mécanisme propre », c'est-à-dire qu'il est non réductible à ses constituants élémentaires, ou à ses conditions de possibilités :

Cette "perspective propre" constitue le plan d'intelligibilité et de la validité de la psychologie clinique :

- ni "au-dessus", en référence à une idéalité transcendantale

- ni "au-dessous", en référence au substrat neurophysiologique

2.4. La perspective concrète

2.4.1. La totalité

La Gestalt : appréhension globale du sens et de la forme des actions

Elle s'oppose à la "théorie des facultés" :

« La première personne est morcelée en facultés, les faits psychologiques ne sont plus les manifes-tations du je : ils proviennent de facultés indépendantes qui ne sont et qui ne peuvent être que les entités en troisième personne. […] la psychologie moderne qui affirme avoir surmonté la théo-rie des facultés de l’âme est exactement dans ce cas. » (p. 41)

Il faut considérer ces facultés :

« […] comme les éléments d’un tout qui ne puisse se concevoir sans le sujet, c’est-à-dire comme les différents aspects de l’acte du "je". […] les psychologues ne croient même pas que les fonctions qu’ils décrivent puissent se réaliser une à une, isolées les unes des autres » (p. 49)

Ce schéma, qui « implique une rupture dans la continuité du je ne peut conduire qu'à une mytho-logie. » (p. 45)

L'acte ressortit à la psychologie concrète/clinique dès lors qu'il se réfère à un Je

La psychologie concrète peut ainsi porter sur :

« tous les faits dont cette science peut s’occuper en "première personne", de telle manière que pour tout l’être et pour toute la signification de ces faits, l’hypothèse d’une première personne soit constamment indispensable. » (p. 42).

2.4.2. La singularité

« l’acte de l’individu concret, c’est la vie, mais la vie singulière de l’individu singulier, bref, la vie au sens dramatique du mot. » (p. 51).

« L’individu est singulier, parce que sa vie est singulière, et cette vie, à son tour, est singulière par son contenu : sa singularité n’est donc pas qualitative, mais dramatique. » (p. 51).

Le particulier versus le singulier

Le prévisible et l'imprévisible

2.4.3. L’événement et son sujet

La "vie dramatique" se compose d'événements, vécus par le sujet, débordant tout schéma réactionnel :

- la part de la créativité est essentielle

Page 17: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

16

- toute réponse déborde la "question" qui est posée

- il ne peut y avoir d'événement que pour un sujet

Différence entre un "fait" et un "événement" :

- le sens d'un "fait" dépend d'un contexte

- un événement définit un contexte :

« un événement (au sens fort du terme) a un sens qui n’est pas dépendant du contexte, précisé-ment parce que cet événement lui-même détermine le contexte, le reconfigure complètement, et par-là même induit une réévaluation du sens de tous les autres faits. » (B. Pachoud, « Analyse phé-

noménologique de la notion d’événement », L’Évolution psychiatrique, n° 70, 2005).

L'analyse freudienne du rêve comme événement :

« C’est le sens du rêve que cherche Freud, écrit-il, en tant qu’événement qui concerne, et même affecte, tout le sujet […] Il ne se contente donc pas de l’étude abstraite et formelle de ses élé-ments.Il ne cherche pas un scénario abstrait et impersonnel dont les figurants sont les excitations physiologiques, et dont l’intrigue est constituée par leur promenade dans les cellules cérébrales. Et ce qu’il veut atteindre par l’interprétation, ce n’est pas le moi abstrait de la psychologie, mais le sujet de la vie individuelle, c’est-à-dire le support d’un ensemble d’événements uniques, l’acteur, si l’on veut, de la vie dramatique et pas non plus le « sujet de l’introspection » ; en un mot, le moi de la vie quotidienne ».

« on ne se réfère pas à une cause vide de sens et de contenu ; mais à un sujet qualifié précisément par les événements, et qui est tout entier dans chacun de ces événements. »

2.6. Bibliographie

Jalley Emile, « Psychanalyse, psychologie clinique et psychopathologie », dans R. Samacher (dir.), Psychologie

clinique et psychopathologie, Paris, Bréal, 1998.

Jalley Emile, Le débat sur la psychanalyse dans la crise en France, t. 1. Onfray, Janet, Reich, Sartre, Politzer...,

Paris, L'Harmattan, 2011.

Meyerson Ignace (dir), Problèmes de la personne, Centre de recherches de psychologie comparative, Paris et La

Haye, Mouton, 1973.

Politzer Georges, Critiques des fondements de la psychologie : la psychologie et la psychanalyse [1928], Paris,

PUF, 1994.

Ricoeur Paul, « Approches de la personne », Esprit, mars-avril 1990, rééd. in Lectures 2, Paris, Seuil, coll. "La cou-

leur des idées", 1993.

Ricoeur Paul, « Meurt le personnalisme, revient la personne... », Esprit, janvier 1983, rééd. in Lectures 2, Paris,

Seuil, 1993.Jalley Emile, La crise de la psychologie à l’Université en France, Paris. L'Harmattan, 2004.

Spitzer Robert L., DSM-IV-TR. Cas cliniques, Paris, Masson, 2008.

Page 18: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

17

3. Une « science de la personnalité » Texte de référence :

Jacques Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité [1932], Paris, Seuil, 1975, rééd.

coll. "Points", 1980.

- théorisation de la notion de personnalité

- déploiement d'une démarche clinique : le cas "Aimé"

- articulation théorico-clinique

Il s'agit de « saisir la personnalité dans un plan qui lui est propre », associant les notions de personnalité normale et pathologique

Considération du « système des relations humaines », dans lequel « des significations subjectives sont à l'œuvre »

Dans la suite de G. Politzer et anticipant D. Lagache, "comprendre la personne" =

- appréhender les significations sociales et individuelles

- s'opposer à tout autre mode de détermination conçu comme exclusif :

« De même en effet que ce n'est pas nuire aux déterminations physico-chimiques des phénomènes vitaux que de relever leur caractère proprement organique et de les définir par là, de même n'est pas négliger la base biologique des phénomènes dits de personnalité que de tenir compte d'une co-hérence qui leur est propre et se définit par ces relations de compréhension, où s'exprime la com-mune mesure des conduites humaines. » (p. 14).

3.1. Une définition des phénomènes de personnalité

Proposition d'une « définition objective des phénomènes de personnalité » (p. 42), en évitant de s'appuyer sur les critères traditionnels de l'"unité de la personne" :

- le sentiment de la "synthèse personnelle"

- "l'unité psychologique" donnée par la conscience individuelle

L'exemple des "personnalités multiples" : il demeure une logique d'ensemble, une unité de fond sous-jacente aux contradictions apparentes (cf. Binet, Janet, Freud)

« Cet ordre dans lequel s'impose à toute étude psycho-clinique la réalité de la personnalité […] dans ses structures objectives, apparaît sous la domination d'une genèse sociale de la personnali-té » (p. 42).

3.1.1. La triple forme de la personnalité

Définition de la personnalité selon trois perspectives :

1 – Le « développement biographique » rend compte d'un « enchaînement typique de réactions » :

ce "développement biographique" « se traduit pour le sujet par les modes affectifs spécifiques sous lesquels [la personne] vit son histoire »

2 – La présence en chacun d'une « conception de soi-même », une « image idéale du Moi » : l' « instance de l'idéal »

3 – une « certaine tension des relations sociales »

Les trois perspectives de l'histoire biographique, des images idéales se substituent aux critères du sentiment et de la conscience de l'unité personnelle :

« Cette synthèse, nous l'appelons personnalité, et nous tentons de définir objectivement les phé-

Page 19: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

18

nomènes qui lui sont propres, en nous fondant sur leur sens humain » (p. 14).

Cf. cette autre définition qui ne fait que juxtaposer des caractéristiques générales :

« On peut définir la personnalité comme l'organisation dynamique des aspects intellectuels, af-fectifs, volitionnnels, physiologiques et morphologiques de l’individu. » (E. Pewzner, Introduction à

la psychopathologie de l'adulte, Armand Colin, 1995, p. 179).

3.1.2. Comportement objectif et éprouvé subjectif

L'analyse de la personnalité implique :

« une différenciation claire entre ce qui est subjectivement éprouvé et ce qui peut être objecti-vement constaté » (p. 36).

Ces deux manifestations de la personnalité partagent les mêmes significations : nécessité d'une approche globale

3.2. Une étude de cas approfondie : "Aimée"

Conséquences méthodologiques de cette position épistémologique :

- "ne plus choisir", afin d'échapper aux simplifications abusives

- et considérer « la psychose prise dans sa totalité et non dans tels ou tels accidents qu'on peut en abstraire », c'est-à-dire :

« le phénomène morbide saisi comme dérèglement d'une conduite vitale de l'organisme humain en tant que sa dimension est essentiellement sociale, c'est-à-dire prise dans les significations » (p.

311)

Le cas Aimé (présentation du cas p. 149 à 205, et de l'analyse p. 207-303)

3.2.1. La méthode d'observation

Le contexte initial :

- l'étude personnelle d'une quarantaine de cas, dont une vingtaine relève du cadre des psychoses paranoïaques

- approfondissement et publication d'un cas unique

- observation quotidienne de la patiente, pendant un an et demi, et « complété cet examen par tous les moyens que nous offraient le laboratoire et les enquêtes sociales » (p. 151)

3.2.2. Le moment de la décompensation

La tentative de meurtre :

« A 8 h du soir, Mme Z. une des actrices les plus appréciées du public parisien, arrivait au théâtre où elle jouait ce soir-là. Elle fut abordée, au seuil de l'entrée des artistes, par une inconnue qui lui posa cette question : "Êtes-vous bien Mme Z. ?" L'interrogatrice était vêtue correctement d'un manteau dont les col et poignets étaient bordés de fourrure, gantée et munie d'un sac ; rien, dans le ton de la question, n'éveilla la méfiance de l'actrice. Habituée aux hommages d'un public avide d'approcher ses idoles, elle répondit affirmativement et, pressée d'en finir, voulut passer. L'incon-nue, alors, dit l'actrice, changea de visage, sortit vivement de son sac un couteau tout ouvert et, le regard chargé des feux de la haine, leva son bras contre elle. Pour parer les coups, Mme Z. sai-sit la lame à pleines mains et s'y sectionna deux tendons fléchisseurs des doigts. Déjà les assistants avaient maîtrisé l'auteur de l'agression. » (p. 153).

Les accusations portées par Aimée :

« Depuis des années, elle [l'actrice] aurait fait contre elle "du scandale". Elle la nargue et la me-nace. » (p. 153).

Page 20: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

19

Séjour de deux mois en prison et internement à Sainte-Anne.

Rapport du Dr Truelle :

« la dame A. est atteinte du délire systématique de persécution à base d'interprétations avec ten-dances mégalomaniaques et substratum érotomaniaque » (id.).

3.2.3. Éléments d'anamnèse

Aimée à 38 ans au moment de l'attentat, employée des chemins de fer, en poste à Paris. Son mari est resté en province. Son fils est élevé par son mari.

3.2.3.1. Le premier internement

Séjour en maison de santé pendant six mois, six ans avant l'attentat. L'avis d'internement du Dr Chatelin indique :

« Troubles mentaux qui évoluent depuis plus d'un an ; les personnes qu'elle croise dans la rue lui adressent des injures grossières, l'accusent de vices extraordinaires, même si ces personnes ne la connaissent pas ; les gens de son entourage disent d'elle tout le mal possible, et toute la ville de Melun est au courant de sa conduite que l'on considère comme dépravée. Aussi a-t-elle voulu quit-ter la ville, même sans argent, pour aller n'importe où… » (p. 155).

Le certificat de sortie reprend les mêmes termes :

« Fonds de débilité mentale, des idées délirantes de persécution, des interprétations, des propos ambitieux, des hallucinations morbides, des exaltations et des incohérences par intervalle. Elle croyait qu'on se moquait d'elle, qu'on proférait des injures à son égard, qu'on lui reprochait sa conduite : elle voulait fuir aux États-Unis. » (Id.).

3.2.3.2. La guérison

Une phase de guérison spontanée apparaît peu après son arrestation :

- Aucun soulagement ne suit immédiatement l'acte. Elle reste agressive

- 15 jours après l'attentat, elle continue à s'emporter contre les journalistes, « ce qui peut me nuire pour ma future carrière de femme de lettres et de sciences" » (p. 172)

- 25 jours après, au début de son incarcération, tout le délire tombe en même temps : elle devient capable de relater, voire même d'analyser partiellement ses troubles mentaux

> elle manifeste une intégrité intellectuelle complète et éprouve une certaine honte au souvenir des thèmes délirants

Persistent, après cette phase de guérison :

- un thème délirant relatif à son fils : « J'ai fait cela parce qu'on voulait tuer mon enfant » (p. 157)

- certaines amnésies et méconnaissances, portant sur les acteurs du délire

- une angoisse devant la perspective du divorce : « prononcé contre elle, en effet, il entraînerait sa séparation d'avec son enfant. Cet enfant paraît être l'objet unique de son souci. » (p. 158)

3.2.3.3. Thèmes et histoire du délire

Les premières manifestations délirantes apparaissent vers l'âge de 28 ans, alors qu'elle se trouvait enceinte :

- visée par les propos de ses collègues et des passants

- signes de jalousie

- affects dépressifs : « Pendant mes grossesses j'étais triste, mon mari me reprochait mes mélancolies. » (p. 159)

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- quelques passages à l'acte agressifs :

« elle crève à coups de couteau les deux pneus de la bicyclette d'un collègue. Une nuit elle se lève pour projeter un broc d'eau à la tête de son mari ; une fois, c'est un fer à repasser qui sert de pro-jectile » (p. 159).

Les thèmes paranoïaques sont déjà présents : persécution, grandeur, jalousie, érotomanie

3.2.3.4. Les maternités

Première grossesse :

- accouchement d'une petite fille mort-née

- fixation d'un élément délirant :

« Elle [son amie] a téléphoné peu après l'accouchement pour prendre des nouvelles. Cela a paru étrange à Aimée ; la cristallisation hostile semble dater de là. » (p. 160).

Seconde grossesse (Aimé a 30 ans) :

- retour de l'état dépressif, manifestations anxieuses

- interprétations (menaces portant sur son enfant)

- souhait d'aller se cacher aux Etats-Unis :

« Elle avoue qu'elle aurait abandonné son enfant, et explique à propos de sa famille : [...] "Ils ont fait un complot pour m'arracher mon enfant que je nourrissais et m'ont fait enfermer dans une maison de santé." C'est peu après qu'elle est internée dans la clinique, avec diagnostic de délire d'interprétation » (p. 160).

- conviction d'une « haute destinée à accomplir »

3.2.3.5. L'actrice

Aucune relation autre que fortuite entre Aimée et l'actrice :

« Un jour, dit-elle, comme je travaillais au bureau, tout en cherchant comme toujours en moi-même d'où pouvaient venir ces menaces contre mon fils, j'ai entendu mes collègues parler de cette actrice ; Je compris alors que c'était elle qui nous en voulait » (p. 160).

Une coïncidence apparente :

« Autrefois, au bureau, j'avais mal parlé d'elle. Tous s'accordaient à la déclarer racée, distinguée… J'avais protesté en disant que c'était une putain. C'est pour cela qu'elle devait m'en vouloir. » (p.

164).

3.2.3.6. Le "système moral" d'Aimée

Importance du "système moral de la patiente", dont la patiente a fait elle-même un "exposé" :

« Tous ces personnages artistes, poètes, journalistes, sont haïs collectivement comme grands fau-teurs des malheurs de la société. "C'est, écrit-elle, une engeance, une race" ; "ils n'hésitent pas à provoquer par leur vantardise le meurtre, la guerre, la corruption des mœurs, tout ceci pour se procurer un peu de gloire et de plaisir. […] Ils vivent de l'exploitation de la misère qu'ils déchaî-nent » (p. 166).

La stigmatisation des autres femmes :

« Les courtisanes (les séductrices) sont l'écume de la société, elles en sapent les droits et la démo-lissent. Elles font des autres femmes les ilotes de la société et croulent leur réputation. » (id.).

Analyse compréhensive de cette haine :

« On voit dès lors la valeur (le sens) de sa persécutrice pour la malade : C'est le type de la femme

Page 22: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

21

célèbre, adulée du public, arrivée, vivant dans le luxe. Et si la malade fait dans ses écrits le pro-cès vigoureux de telles vies, des artifices et de la corruption qu'on leur impute, il faut bien sûr souligner l'ambivalence de son attitude ; car elle aussi, voulait être une romancière (et même par-tir aux États-Unis pour cela, en abandonnant son fils), mener une grande vie, avoir une influence sur le monde, etc. » (p. 164).

3.2.3.7. L'errance sexuelle et la phase érotomaniaque

Souhait d' « aller aux hommes » pour satisfaire « la grande curiosité qu'elle avait des pensées des hommes » (p. 168)

Déploiement du motif érotomaniaque

3.2.3.8. Articulations psychopathologiques

Recherche des éléments primitifs :

« Ces phénomènes élémentaires désignent des symptômes où s'expriment primitivement les fac-teurs déterminants de la psychose et à partir desquels le délire se construirait selon des réactions affectives secondaires et des déductions par elles-mêmes rationnelles. » (p. 207).

Les mécanismes générateurs du délire :

- les illusions

- les interprétations

- les erreurs de mémoire

Les traits de personnalité marqués :

- les ruminations et obsessions

- un besoin de direction morale

- des sentiments d'étrangeté :

« Pendant mon allaitement, tout le monde était changé autour de moi… Mon mari et moi, il me semblait que nous étions devenus étranger l'un à l'autre » (p. 208).

- une grande anxiété et cauchemars nombreux.

- les phénomènes de déréalisation impliquent la nécessité d'interpréter cette réalité (telle que vécue)

3.2.3.9. Les rêves et les états oniroïdes

Les états oniroïdes :

- maintien de la perception du monde extérieur

- mais avec une double altération :

. les perceptions sont réfractées

. le seuil de la croyance est abaissé

Importance du rôle joué par les rêves :

« Cet état morbide spécifique commence au réveil, dure parfois assez longtemps et se traduit par une objectivation des contenus du rêve et par la croyance à la réalité des images qui viennent en fait du rêve : la malade par exemple vit, plusieurs heures après son réveil, dans cette crainte de la confirmation de la mort de son fils, mort qu'elle a vu en rêve. » (p. 210).

3.2.3.10. Fatigue psychique et erreurs

Les états de fatigue psychique favorisent les erreurs, mais celles-ci possèdent toutefois un caractère orienté :

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22

« c'est une signification personnelle qui vient orienter la transformation portant sur telle ou telle phrase entendue, une image entrevue, le geste d'un passant, ou bien encore une ligne de texte auquel le regard s'accroche dans la lecture d'un journal » (p. 211).

Les illusions et interprétations sont toujours en lien avec des significations sociales/personnelles :

« A y regarder de près, on voit que le symptôme ne se manifeste pas à propos de perceptions quel-conques, d'objets inanimés et sans signification affective par exemple, mais tout spécialement à propos de "relations de nature sociale" : relations avec la famille, les collègues, les voisins, etc. »

(p. 211).

S'y manifeste un déterminisme psychique :

« Ces états d'insuffisance fonctionnelle du psychique frappent électivement les activités complexes et les activités sociales » (p. 212).

3.2.3.11. La personnalité psychasthénique selon Janet

La notion de psychasthénie permet de rendre compte de la cohérence d'une partie des symptômes, et de leur étiologie

Traits psychasthéniques repérables dès l'enfance :

- lenteur et inertie

- puis « indolence professionnelle » et « ambition inadaptée »

3.2.3.12. Les illusions de mémoire

Autre source explicative : les "illusions de mémoire", qui réduisent la part manifeste des illusions perceptives et interprétations délirantes, comme dans cette situation :

« un jour de l'année 1927, précisait la malade, elle avait lu dans Le Journal un article de l'un de ses persécuteurs, qui annonçait qu'on tuerait son enfant parce que sa mère était médisante (Ai-mée), et qu'on se vengerait d'elle, etc. En outre, elle y avait vu une photographie qui était celle de sa maison natale, en Dordogne. L'enfant y passait alors ses vacances et, dans le jardin proche, son image facile à reconnaître le désignait aux meurtrier » (p. 162).

L'interprétation juste est permise grâce à un contexte clinique "ouvert", une discussion « à bâtons rompus » :

« Oui, c'est comme au temps où j'allais au journal acheter des numéros remontant à un ou deux mois auparavant. Je voulais y retrouver ce que j'avais lu, par exemple qu'on allait tuer mon fils et la photo où je l'avais reconnu. Mais je ne retrouvais jamais ni l'article, ni la photo, dont je me sou-venais pourtant. A la fin, la chambre était encombrée de ces journaux » (p. 213).

Une description essentielle de la posture clinique et des dommages induits par les démarches trop directives :

« Les plans d'interrogatoire, dont certains se targuent d'apporter le bienfait à la psychiatrie, n'ont finalement que peu d'avantages auprès de gros inconvénients. Celui de masquer les faits non re-connus ne nous paraît pas moindre que cet autre inconvénient qui est d'imposer au sujet l'aveu de symptômes connus. » (p. 212).

3.2.3.13. Interprétations rétrospectives

Passage des illusions de la mémoire aux interprétations rétrospectives :

Elle dit « se souvenir d'avoir vu, sans y prendre garde, tout d'abord un dessin d'une campagne d'in-formation contre la tuberculose, représentant un enfant menacé par une épée suspendue au-dessus de lui. C'est seulement quelques mois après (elle en a un souvenir distinct du premier fait) qu'elle a compris que ce dessin visait la destinée de son fils » (p. 216).

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23

En substance, quatre phénomènes inducteurs du délire, relevant de mécanismes psychasthéniques :

- des états oniroïdes marqués par l'angoisse

- des perceptions incomplètes

- des illusions de la mémoire

- des interprétations de ces phénomènes premiers

Ces éléments explicatifs restent insuffisants :

« Les phénomènes dits primitifs, pour être primaires dans le temps, et même, déclenchants, n'ex-pliquent pas la fixation et l'organisation du délire. » (p. 217).

3.2.3.14. La psychose : "processus réactionnel" ?

La présence originaire d'un « conflit vital » et de « traumatismes affectifs »

Les relations et figures essentielles dans son développement :

- Le lien avec sa mère : « nous étions deux amies […] j'aurais dû rester auprès d'elle »

- La similarité mère-fille : une culture familiale de la suspicion

- Les sœurs, en particulier l'aînée qui possédait une "autorité maternelle"

- L'oncle, très âgé, qui deviendra l'époux de la sœur aînée

- Le "premier séducteur" :

« Don Juan de petite ville et poétereau de chapelle "régionaliste", ce personnage séduisit Aimée par les charmes maudits d'une allure romantique et d'une réputation assez scandaleuse » (p. 244).

. une réaction sentimentale typique :

« Pour en avoir fait, nous dit-elle, ce que j'en avais fait dans mon esprit et dans mon cœur, il fal-lait que je sois séduite à un point extraordinaire » (p. 244).

. le "tourment sentimental" (caractère sensitif) :

« Elle se voue entièrement à son idole, en étant néanmoins consciente d'être déçue, et paraît se complaire dans une ardeur toute en rêve : elle s'y isole, "écartant, dit-elle, tous ceux qui se fus-sent offerts comme partis convenables" » (p. 225).

. puis le revirement de l'amour à la haine

- L'amie intime, une « intrigante raffinée » :

«son image inversée dans le miroir. Des deux amies, l'une était l'ombre de l'autre et tout préparait donc Aimée à subir les séductions de cette femme. » (p. 226).

Le mariage, la "jalousie de projection"

La sœur aînée :

« Les plus nobles intentions jointes à cette immunité redoutable dont jouit, tant pour soi-même qu'auprès des autres, la vertu frappée par le malheur, telles sont les armes irrésistibles avec les-quelles ce nouvel acteur intervient dans la situation » (p. 230).

- le veuvage

- l'autorité et la domination

- la place d'Idéal

- l'ambivalence d'Aimée, décelable par :

« […] le contraste très frappant entre les formules hyperboliques, laudatives, par lesquelles elle

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24

rend hommage aux bienfaits de sa sœur, et le ton glacé qu'elle utilise pour l'exprimer » (p. 232).

« Aimée n'a jamais pu supporter les droits pris par sa sœur dans l'éducation de son enfant. Le point remarquable, c'est que la patiente n'émet jamais de tels aveux que dans des moments où son at-tention, se porte quelque chose d'autre, ce qui permet à ces aveux de se glisser en quelque sorte spontanément hors de son contrôle » (p. 232).

« reconnaître l'aveu de ce qui est très fortement nié, à savoir, dans le cas présent, ce grief qu'Ai-mée impute à sa sœur de lui avoir ravi son enfant, reproche où il est frappant de reconnaître, pré-cisément, le thème qui a systématisé le délire » (p. 233).

La cristallisation du délire :

« C'est avec le trauma moral de l'enfant mort-né, qu'apparaît chez Aimée la première systématisa-tion du délire autour d'une personne (un support, une incarnation), personne à qui pourront être imputées toutes les persécutions qu'elle subit. Cette sorte de cristallisation du délire s'est pro-duite avec une soudaineté sur laquelle le témoignage spontané de la malade ne laisse pas de doute ; et elle s'est accomplie sur l'amie d'autrefois (Mlle C. de la N) » (p. 233).

La conjonction entre hasard et nécessité :

Il faut voir là « un rapport plus profond entre la personne de la persécutrice et ce conflit moral (secret) où vit Aimée depuis des années. Cette personne ainsi désignée a été pour Aimée à la fois l'amie la plus chère et la dominatrice qu'on envie ; elle apparaît donc bien comme un substitut de la sœur elle-même. » (p. 233).

3.2.3.15. Le lien (dérivé) à l'objet

Le choix détourné de l'objet de la haine

« Elle substitue à l'objet qui s'offre directement à sa haine, un autre objet, qui a provoqué chez elle des réactions analogues par l'humiliation éprouvée et par le caractère secret du conflit, mais qui a l'avantage d'échapper à la portée de ses coups » (p. 234).

Description du mécanisme :

« Aimée ne cessera de dériver sa haine sur des objets de plus en plus éloignés de son objet réel, mais aussi de plus en plus difficiles à atteindre. Ce qui la guidera dans le choix de ces objets, ce sera toujours la conjugaison de coïncidences fortuites et d'analogies affectives profondes. » (p.

234).

L'organisation de l'inaccessibilité de l'objet :

« Durant des années, le délire apparaît donc comme une réaction de fuite devant l'acte agressif ; de même le départ d'Aimée loin de sa famille, de l'enfant qu'elle aime. » (p. 234).

Les poussées délirantes coïncident avec les événements affectant le "conflit vital"

Le sens du passage à l'acte :

- une impasse dans l'élaboration des mécanismes de fuite

- la maladie "objectivée :"

« A l'heure même où quelques instants plus tôt la malade pensait encore qu'elle allait être auprès de son fils, elle accomplit la violence fatale sur une personne irresponsable, en laquelle il faut voir le symbole de "l'ennemi intérieur", de la maladie elle-même de la personnalité » (p. 237).

Page 26: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

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3.3. La compréhension du sens

3.3.1. Les étapes de l'analyse

« Comprendre le sens » :

- replacer un phénomène psychique « à son niveau propre » (cf. Politzer, Lagache, etc.)

- accéder à une « rationalité humaine » :

« donner leur sens humain aux conduites que l'observe chez le malade, et aux phénomènes men-taux qu'il présente. » (p. 309).

La démarche s'appuie simultanément :

- sur des significations sociales :

fait état de « rapports significatifs, que fonde l'assentiment de la communauté humaine » (p. 309).

- et sur des critères objectifs :

« leur application à la détermination d'un fait donné peut cependant être régie par des critères purement objectifs, ce qui implique notamment l'effort de se préserver des illusions de la projec-tion affective » (p. 310).

3.3.1.1. La compréhension du comportement

Un modèle basé sur l'observation des signes « très extériorisés, très typiques, très globaux » d'un organisme :

« Nous observons la conduite d'un organisme vivant : et cet organisme est un être humain. En tant qu'organisme il présente des réactions vitales totales, qui, quels que soient leurs mécanismes inti-mes (biologiques…), ont un caractère dirigé vers l'harmonie (la cohésion) de l'ensemble ; en tant qu'être humain, une proportion considérable de ces réactions prennent leur sens en fonction du milieu social qui joue dans le développement de l'animal humain un rôle primordial » (p. 247).

Une considération très proche de D. Lagache, reposant sur la notion de conduite :

« La "conduite" est au centre de l'étude de cas. Elle est définie comme l'ensemble des opérations, matérielles ou symboliques, par lesquelles un organisme en situation tend à réaliser ses possibili-tés et à réduire les tensions qui menacent son unité et le motivent » (D. Lagache, La psychologie : conduite, personnalité, groupe, 1951, p. 311).

Définition du désir comme cycle de comportement :

« Nous définirons par exemple le désir par un certain cycle de comportement. Ce cycle se caracté-rise par certaines oscillations organiques générales, dites affectives, ensuite par une agitation mo-trice qui, selon les cas, est plus ou moins dirigée, par certains fantasmes enfin, dont l'intentionna-lité objective sera, selon les cas, plus ou moins adéquate ; quand une expérience vitale donnée, active ou subie, a déterminé l'équilibre affectif, le repos moteur et l'évanouissement des fantas-mes représentatifs, nous disons par définition que le désir a été assouvi et que [par définition] cette expérience était la fin et l'objet du désir » (p. 311).

3.3.1.2. La compréhension de la psychose

Application de ce schéma à la pathologie :

La psychose paranoïaque se présente « comme un tout, positif et organisé, et non comme une suc-cession de phénomènes mentaux élémentaires, issus de troubles dissociatifs » (p. 310).

L' "assouvissement" correspond à la "sanction de l'événement" : une « punition »

3.3.1.3. La compréhension de la guérison

Page 27: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

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Caractéristiques de la guérison

- elle apparaît soudainement, "les thèmes tombent d'un seul coup"

- elle se produit après l'incarcération, et non pas après le passage à l'acte :

« La malade a "réalisé" son châtiment : elle a éprouvé la compagnie de délinquants divers, par une brutale prise de contact avec leurs faits, leurs coutumes, leurs opinions et leurs exhibitions cyni-ques à son endroit. Elle a également pu constater le blâme et l'abandon de sa famille, de tous, à l'exception de ce voisinage carcéral qui lui inspire la vive répulsion. » (p. 250).

Aimée s'est frappée elle-même : aboutissement du désir d'autopubition

Cette finalité rend compte du sens du délire, parfois explicite dans les thèmes délirants : les persécuteurs menacent l'enfant "pour punir sa mère"

Le motif de la punition : la haine

3.3.1.4. Les identifications itératives et leur "valeur" affective

Le processus d' « identification itérative » (p. 296) : de la sœur aînée à l'actrice

La double valeur du "prototype" :

- la "puissance affective" : celle de l'objet originaire

- la "valeur représentative" (au sens de l'idéal)

= l'objet d'une envie ambivalente

« ce type de femme qui la persécute, c'est exactement ce qu'elle-même rêve de devenir. La même image qui représente son idéal est aussi objet de sa haine » (p. 253).

Une valeur symbolique de suppléance : ce que la patiente frappe, c'est son "idéal extériorisé", dérivé par le mécanisme d'identifications itératives

Le délire ne cède que lorsque Aimé en a compris l'achèvement (l'assouvissement du désir)

3.3.2. Personnalité et délire

Le mécanisme fondamental du délire coïncide avec les traits saillants de la personnalité de la patiente

- déploiement de la haine et de la culpabilité

- tendances psychasthéniques et sensitives congruentes aux mécanismes d'autopunition

Dans une personnalité équilibrée : les incidences des événements (non traumatiques) sont rapidement compensées

Dans cette personnalité pathologique : tout ce qui favorise les mécanismes autopunitifs sera retenu et fixé

« Les effets (grands ou petits) de ces mécanismes, semblent ici subir une véritable sommation » (p.

254).

> continuité structurelle entre normalité et pathologie

La constitution infantile de la personnalité

Cf. S. Freud, « Remarques psychanalytiques sur l'autobiographie d'un cas de paranoïa (Dementia paranodes). Le

Président Schreber » (1911), Cinq psychanalyses, Paris, P. U. F., 1954, 13ème éd. 1989, p. 263-324.

3.3.3. Théorie de la personnalité et structure du comportement

Les "structures de personnalité" :

- se définissent par des processus spécifiques

Page 28: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

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- se manifestent par des comportements et des représentations (conscientes et/ou inconscientes)

- aux niveaux des différentes instances (notamment du Moi et de l'Idéal)

Une lecture doublement psychanalytique et phénoménologique :

« Ces fonctions vitales sociales, que caractérisent, aux yeux de la communauté humaine, des rela-tions de compréhension directes, et qui dans la représentation du sujet sont polarisées entre l'idéal subjectif du moi et le jugement social d'autrui, ce sont celles-là même que nous avons défi-nies comme fonction de la personnalité. Pour une part importante, les phénomènes de la person-nalité sont conscients et, comme phénomènes conscients, révèlent un caractère intentionnel. Tout phénomène de conscience a en effet un sens dans l'une des deux portées que la langue donne à ce terme : de signification et d'orientation » (p. 247).

Le sens sous-jacent l'intention révèle que le psychisme humain ne fait pas que se soumettre à des déterminations exogènes et endogènes (sociales ou biologiques).

Il se déploie dans un ordre – symbolique - qui est celui du langage

Chez l'humain :

- la culture a remplacé la nature

- le langage a supplanté le geste

- le désir a évincé l'instinct

3.3.3.1. La "structure réactionnelle"

On peut parler de structure (de personnalité) réactionnelle, suivant ces conditions :

- Le psychisme possède une certaine autonomie. Cf. processus primaires/secondaires (Freud) ; lois d' "auto-régulation" (R. Perron)

- L'histoire détermine la personnalité, mais seulement partiellement, en suscitant des mécanismes réactionnels

3.3.3.2. La "constitution acquise"

Structure et "constitution"

L'opposition traditionnelle de l'inné et de l'acquis mise en question par la notion de "personnalité réactionnelle"

> la notion freudienne de "disposition acquise". Chez Aimée :

- l'arrêt évolutif de la personnalité est déterminé par ses conditions concrètes d'existence familiale

- ensuite :

« cette psychose se déclenche sous l'influence d'une situation vitale dont l'action spécifique se dé-finit par la similitude avec le complexe pathogène initial » (p. 402).

= il y a toujours un mode singulier (une dialectique) d'appropriation des événements (par une structure de personnalité)

> ce qui constitue l'objet de l'investigation, puis de l'élaboration (patho-)clinique :

- histoire et événements

- structure et personnalité

Page 29: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

28

3.4. Les « complexes familiaux »

Nature particulière de l'humain en tant qu'être social

« Les complexes familiaux dans la formation de l'individu. Essai d'analyse d'une fonction en psychologie », Paris,

Encyclopédie française, t. VIII, 2ème partie, section A : la famille, 1938, rééd. Navarin, 1984.

« Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu'elle nous est révélée dans l'expérience psycha-

nalytique » (1936, 1949), Ecrits, Paris, Seuil, coll. "Le champ freudien", 1966, p. 93-100.

La culture remplace et tient lieu de nature

3.4.1. Manque et négativité

L'être humain, n'est pas, par essence, un être social : il l'est, dans la mesure où "il n'est pas autre chose"

L'organisation culturelle vient occuper la place d'une carence (cf. Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté, 1947).

A partir d'un constat de rupture dans la continuité évolutive, il est possible :

- soit d'y voir la possibilité ultérieure d'y établir la culture

- soit d'y considérer essentiellement les carences instinctuelles de l'humain à sa naissance, en soulignant l'absence de régulations prédéfinies et la discontinuité dans cette évolution

Le "négativité" spécifique à l'humain :

- il reçoit ses déterminations propres "de l'extérieur", au titre d'obligations sociales et culturelles

- celles-ci le contraignent à des renoncements (pulsionnels)

3.4.2. La néoténie

La détermination négative de l'humanisation

Son cadre biologique est la prématuration spécifique (néoténie) :

- retard et lenteur du développement

- archaïsmes anatomiques

- non fermeture de la boîte crânienne

- absence de coordination motrice et morcellement des perceptions, etc.

L'hominisation apparaît comme une "foetalisation" : « L'homme est, du point de vue corporel, un fœtus de primate parvenu à maturité sexuelle » (Lacan)

La culture pallie à ces carences structurelles : naissance des institutions (famille, éducation, etc.)

3.4.3. La causalité identificatoire

Une forme de causalité spécifique, propre au psychisme humain : la « causalité identificatoire », qui s'oppose :

- à l'idée d'un développement continu, instinctuel et organique

- à l'idée d'un développement par imitation

> constitution par identification et du rôle causal de la forme

Une altérité constituante > dépassement des modèles binaires (interne/externe ; individuel/collectif ; inné/acquis, etc.)

Le sujet humain entretient un rapport négatif avec sa propre réalité

3.4.4. Subjectivité, négativité, discontinuité

Une conception discontinuiste du rapport entre sujet et environnement

Page 30: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

29

L'instance du sujet, négatif du Moi (social)

Le psychisme se constitue dans lien à la culture

3.5. Le « stade du miroi »

Emergence du sujet, "en creux", à partir des identifications à l'autre :

- "genèse" du sujet : à partir du dehors

- "naissance" à partir de lui-même : l'expérience spéculaire

3.5.1. L'expérience du miroir

L'expérience du miroir dans la tradition psychologique (Wallon, Zazzo) et la genèse du Moi :

Cf. H. Wallon, « Comment se développe chez l'enfant la notion de corps propre » (1931).

- un problème de (re-)connaissance de la réalité

- référence à une capacité (cognitive) et à une finalité spontanée, "naturelle" et adaptative

L'enjeu pour l'enfant est de réussir à "unifier son moi dans l'espace", en surmontant ses insuffisances initiales pour reconnaître ensuite son image dans le miroir

Vs Lacan : cette reconnaissance :

- ne débouche sur aucun progrès

- ne soutient aucune maturation physiologique ou psychologique

> soutient la "fonction du Je", qui ressortit à une quête identitaire

Cette image de soi est reconnue plus tôt chez certains primates, mais ne suscite aucun intérêt

Vs : l'enfant investit cette image comme corrélat de ce qu'il éprouve

Une sorte d' "expérimentation" sur le rapport entre perception externe et interne, plutôt qu'un stade situé dans une progression cognitive

Une expérience générique (Cf. Winnicott et la perception du visage de la mère), associé à un contexte (humain) toujours existant, qui répond aux modalités suivantes :

1. Reconnaissance d'une image comme sienne

2. Adresse du regard à l'autre parental

3. Jonction entre l'image et les paroles prononcées par les adultes

L'importance du contexte tient à la valeur du "comportement signifiant" de l'autre, également en position de miroir

Un premier "renoncement" : la représentation de sa propre réalité par quelque chose d'autre

L'essence de l'expérience du miroir :

- le premier rapport à soi est fondamentalement un rapport à une altérité

- aucun dépassement n'est envisageable

- apparaît une caractéristique propre à l'humain : la séparation d'avec soi (l' "aliénation")

= une "déficience" constitutive de l'humain constitue la condition de l'institution de la subjectivité

3.5.2. La Gestalt

La psychologie retient de l'expérience spéculaire le résultat d'une progression

La psychanalyse s'intéresse au fait que l'enfant se cherche dans le miroir

Cette activité possède le sens d'une recherche de soi, emprunte d'une certaine captation (fascination)

Page 31: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

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L'extériorité consiste d'abord en un monde de formes qui façonne la personne dans cette forme particulière d'une extériorité à soi-même.

L'autre est en soi = l'extérieur est "à l'intérieur" de manière essentielle, et non occasionnelle

Le sujet se constitue dans ce monde de formes qui le fascinent

La prégnance de la forme et de l'image dans la construction du sujet existe déjà dans le monde animal

Référence à la théorie de la Gestalt et à la phénoménologie de Merleau-Ponty.

Notion de totalité signifiante indépendamment de toute procédure de composition

La primauté de la forme dans l'analyse du stade du miroir :

« C'est que la forme totale du corps par quoi le sujet devance dans un mirage la maturation de sa puissance ne lui est donnée que comme Gestalt, c'est-à-dire dans une extériorité où certes cette forme est plus constituante que constituée, mais où surtout elle lui apparaît dans un relief de sta-ture qui la fige et sous une symétrie qui l'inverse, en opposition à la turbulence de mouvement dont il s'éprouve l'animer. » (J. Lacan, « Le stade du miroir … » Ecrits, Seuil, 1966, p. 95).

3.5.3. L' "aliénation" primordiale

Identification de l'imago dans laquelle l'enfant se reconnaît. A la fois :

- constitution psychique à la faveur de cette captation spéculaire

- et simultanément perte de sa possibilité d'unité réelle

L'assomption subjective :

« L'assomption jubilatoire de son image spéculaire par l'être encore plongé dans l'impuissance mo-trice et la dépendance du nourrissage qu'est le petit homme à ce stade infans, nous paraîtra dès lors manifester en une situation exemplaire la matrice symbolique où le je se précipite en une forme primordiale, avant qu'il ne s'objective dans la dialectique de l'identification à l'autre et que le langage ne lui restitue dans l'universel sa fonction de sujet » (Ibid. p. 94).

D'où la constitution paradoxale de la "liberté" :

« sa liberté se confond avec le développement de sa servitude » (J. Lacan, « Propos sur la causalité

psychique », Ecrits, Seuil, 1966, p. 182).

Pour devenir sujet, l'enfant doit s'aliéner à son image

La fonction du pronom personnel "je" = la reprise et le déploiement dans le langage

Cette "aliénation" est inhérente au processus même de la subjectivation …

… qui se poursuit dans la prolifération des identifications secondaires

Le langage peut être considéré comme un "organe" en tant qu'il construit et maintient la relation d'un individu (un organisme vivant et parlant) à son milieu

Le langage insère le sujet dans un système qui renvoie d'abord à lui-même :

« Le registre du signifiant s'institue de ce qu'un signifiant représente un sujet pour un autre signi-fiant »

Fictionalité du Moi : l'image spéculaire est ce que l'enfant n'est pas, mais dont il n'a pas d'autre possibilité que de croire qu'il l'est

Une « topique transindividuelle » du sujet : le psychisme se déploie dans des registres qui n'appartient à aucun individu

Un inconscient hors de la sphère de la représentation

Page 32: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

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L'inconscient "structuré comme un langage"

Métaphore et métonymie : mécanismes à l'œuvre dans les formations de l'inconscient :

« Il y a une structure homogène dans les symptômes, les rêves, les actes manqués et les mots d'es-prit. Il s'y joue les mêmes lois structurales de condensation et de déplacement qui sont les lois de l'inconscient. Ces lois sont les mêmes que celle qui créent le sens dans le langage » (J. Lacan, Les

formations de l'inconscient (Le Séminaire, Livre V, 1957-1958), Seuil, 1998)

3.6. Bibliographie

Lacan Jacques, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu'elle nous est révélée dans l'expé-

rience psychanalytique » (1936, 1949), Ecrits, Paris, Seuil, coll. "Le champ freudien", 1966, p. 93-100.

Lacan Jacques, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Thèse de doctorat de méde-

cine, 1932, Paris, Seuil, 1975, rééd. coll. "Points", 1980.

Lacan Jacques, « Les complexes familiaux dans la formation de l'individu. Essai d'analyse d'une fonction en psy-

chologie », Paris, Encyclopédie française, t. VIII, 2ème partie, section A : la famille, 1938, rééd. Navarin, 1984.

Page 33: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

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Sommaire

1. LA PERSPECTIVE CLINIQUE EN PSYCHOLOGIE

1.1. La démarche clinique 1.2. La perspective de la singularité 1.3. Les sources de la discipline

1.3.1. Les références fondatrices 1.3.2. La psychologie clinique de tradition

française 1.4. L'environnement disciplinaire

1.4.1. La psychiatrie 1.4.2. La psychanalyse 1.4.3. La phénoménologie 1.4.4. Les autres psychologies

1.5. Les domaines cliniques 1.5.1. La clinique médicale 1.5.2. La clinique psychiatrique 1.5.3. La clinique psychologique

1.5.3.1. Démarche, méthode et domaines 1.5.3.2. La spécificité de la discipline

1.6. Les principales définitions 1.6.1. Définitions historiques de la clinique 1.6.2. Définitions centrées sur la conduite 1.6.3. Définitions centrées sur la personne

1.6.3.1. Daniel Lagache (1949) 1.6.3.2. Roger Perron (1997)

1.7. Les domaines actuel de la pratique et de la

recherche 1.7.1. L'extension des thématiques 1.7.2. De la psychologie clinique à l’anthropologie

clinique 1.8. Bibliographie

2. LA PSYCHOLOGIE « CONCRETE »

2.1. La construction anthropologique de la personne 2.1.1. Moi, Sujet, Individu, Ego, Personne, Je, Soi,

Self… 2.1.2. La reconnaissance de l'autre 2.1.3. L'auto-théorisation de la personne

2.2. La « vie dramatique » (G. Politzer) 2.3. L’abstraction et le point de vue formel

2.3.1. La pensée par classes 2.3.2. Etude d’une étude de cas (DSM) 2.3.3. Le je, un « centre fonctionnel » ? 2.3.4. Mécanismes et processus

2.4. La perspective concrète 2.4.1. La totalité 2.4.2. La singularité

2.4.3. L’événement et son sujet 2.6. Bibliographie

3. UNE « SCIENCE DE LA PERSONNALITE »

3.1. Une définition des phénomènes de personnalité 3.1.1. La triple forme de la personnalité 3.1.2. Comportement objectif et éprouvé

subjectif 3.2. Une étude de cas approfondie : "Aimée"

3.2.1. La méthode d'observation 3.2.2. Le moment de la décompensation 3.2.3. Éléments d'anamnèse

3.2.3.1. Le premier internement 3.2.3.2. La guérison 3.2.3.3. Thèmes et histoire du délire 3.2.3.4. Les maternités 3.2.3.5. L'actrice 3.2.3.6. Le "système moral" d'Aimée 3.2.3.7. L'errance sexuelle et la phase

érotomaniaque 3.2.3.8. Articulations psychopathologiques 3.2.3.9. Les rêves et les états oniroïdes 3.2.3.10. Fatigue psychique et erreurs 3.2.3.11. La personnalité psychasthénique selon

Janet 3.2.3.12. Les illusions de mémoire 3.2.3.13. Interprétations rétrospectives 3.2.3.14. La psychose : "processus réactionnel" ? 3.2.3.15. Le lien (dérivé) à l'objet

3.3. La compréhension du sens 3.3.1. Les étapes de l'analyse

3.3.1.1. La compréhension du comportement 3.3.1.2. La compréhension de la psychose 3.3.1.3. La compréhension de la guérison 3.3.1.4. Les identifications itératives et leur

"valeur" affective 3.3.2. Personnalité et délire 3.3.3. Théorie de la personnalité et structure du

comportement 3.3.3.1. La "structure réactionnelle" 3.3.3.2. La "constitution acquise"

3.4. Les "complexes familiaux" 3.4.1. Manque et négativité 3.4.2. La néoténie 3.4.3. La causalité identificatoire 3.4.4. Subjectivité, négativité, discontinuité

Page 34: Epistémologie spécifique de la psychologie clinique

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3.5. Le "stade du miroir" 3.5.1. L'expérience du miroir 3.5.2. La Gestalt 3.5.3. L' "aliénation" primordiale

3.6. Bibliographie

SOMMAIRE