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UNIVERSITÉ DE CERGY-PONTOISE ANNÉE UNIVERSITAIRE 2016-2017 FACULTÉ DE DROIT L1 SECTION A DROIT CONSTITUTIONNEL THÉORIE DE L’ÉTAT (2 ND SEMESTRE) Cours de M. Philippe Azouaou Docteur en droit public Maître de conférences à l’UCP FASCICULE DE TRAVAUX DIRIGÉS

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UNIVERSITÉ DE CERGY-PONTOISE ANNÉE UNIVERSITAIRE 2016-2017 FACULTÉ DE DROIT L1 – SECTION A

DROIT CONSTITUTIONNEL THÉORIE DE L’ÉTAT

(2ND SEMESTRE)

Cours de M. Philippe Azouaou

Docteur en droit public

Maître de conférences à l’UCP

FASCICULE DE TRAVAUX DIRIGÉS

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Fiche n°1

Le régime parlementaire et le régime présidentiel

Le cas britannique et le cas américain

I. Notions à connaître

Régime parlementaire ; régime présidentiel ; séparation stricte / souple des pouvoirs ; checks and balances ;

constitution coutumière ; conventions de la constitution ; cabinet fantôme ; discipline de vote ; dévolution ;

amendements ; impeachment ; recall ; filibuster

II. Documents

Doc. 1 – G. Vedel, « Le régime présidentiel », in Encyclopaedia Universalis (extraits)

La classification juridique des divers systèmes constitutionnels peut s’opérer d’après des points de vue différents. Selon les cas,

certains auteurs les classent en s’appuyant sur le principe de légitimité retenu (dictature du prolétariat, souveraineté du peuple,

souveraineté nationale, par exemple) ; d’autres, en se référant au degré de mutabilité des institutions (constitutions souples ou

rigides). Cependant, encore qu’elle soit susceptible de se combiner avec d’autres et qu’elle ne recouvre qu’un aspect partiel des

systèmes constitutionnels, la classification qui est la plus fréquemment utilisée et que rappellent tous les ouvrages de droit

constitutionnel s’opère par référence au principe de la séparation des pouvoirs.

Après avoir recensé les régimes qui méconnaissent la séparation des pouvoirs, soit au profit de l’exécutif (dictature), soit au profit

du législatif (gouvernement d’assemblée, dit aussi gouvernement conventionnel), les auteurs classiques distinguaient, parmi les

régimes respectueux du principe de séparation, deux variétés :

D’une part, les régimes pratiquant une séparation souple des pouvoirs se caractérisent par le fait que, si le législatif et l’exécutif

ont des compétences et des champs d’action distincts, ils n’exercent pas moins l’un sur l’autre une influence réciproque ; cela se

réalise notamment là où les Chambres contrôlent l’action gouvernementale, peuvent renverser le gouvernement, et là où le

gouvernement participe à l’élaboration des lois, peut poser la question de confiance et, le cas échéant, recourir à la dissolution de

l’une des Chambres.

D’autre part, les régimes pratiquant une séparation stricte ou rigide des pouvoirs se manifestent en ce que chaque pouvoir, enfermé

dans des compétences et un champ d’action déterminés, ne saurait influencer activement l’autre pouvoir. Tel était notamment, au

moins d’un point de vue théorique, le régime institué en France par la Constitution de 1791. On pourrait aussi ranger parmi les

régimes de séparation rigide des pouvoirs, ceux dans lesquels l’exécutif, ainsi séparé du législatif, est de forme collégiale, ce qui

a amené certains auteurs à employer pour les désigner l’épithète « directorial », car c’est la Constitution française de l’an III qui

en fournit le modèle.

Le régime présidentiel, dans l’analyse juridique classique, est le régime de séparation rigide des pouvoirs dans lequel l’exécutif

est confié à un président. Pourtant, s’il n’était pas inutile, ne serait-ce que pour comprendre le vocabulaire, de rappeler comment

se situe et s’articule dans l’analyse juridique traditionnelle le régime présidentiel, il faut bien dire que la réalité politique qu’il offre

aux États-Unis, qui en est le modèle le plus parfait, et peut-être le seul, est très différente du schéma qu’on vient de rappeler. Les

institutions et la vie politique ne sont que partiellement dessinées par les règles constitutionnelles qui prétendent les régir. La

pratique politique a fortement transformé et déformé le système de cloisonnement entre exécutif et législatif qui fonde

juridiquement le régime et dont l’assouplissement, sinon l’effraction sont nécessaires pour la conduite des affaires nationales et

internationales d’un État. Le système de partis, d’autre part, est un élément déterminant de la réalité politique. Aux États-Unis, la

corrélation est étroite entre l’agencement vécu des pouvoirs et des forces politiques et le système de partis américain.

Enfin, les transformations et la véritable mutation qu’ont subies les régimes parlementaires à l’époque moderne, combinées avec

celles éprouvées par le régime présidentiel, ont abouti à un résultat paradoxal : le régime présidentiel à l’américaine présente

aujourd’hui certains traits que, naguère, on relevait comme caractéristiques du parlementarisme (et notamment la recherche

incessante de compromis entre législatif et exécutif), cependant que, dans le régime parlementaire anglais contemporain,

caractérisé par le leadership gouvernemental et l’inconditionnalité de la majorité, fruits l’un et l’autre du système de partis, des

observateurs politiques notent un « présidentialisme » larvé.

1. Les règles juridiques

Ce sont essentiellement les vues de Locke et de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs qui constituent le fondement même

des règles constitutionnelles gouvernant le régime présidentiel : les deux pouvoirs « politiques », législatif et exécutif, sont

indépendants l’un de l’autre, chacun exerçant ses compétences de façon autonome.

Mais c’est un accident de l’histoire qui a donné à l’exécutif la forme d’une présidence élective. En effet, les États-Unis, qui, les

premiers, appliquèrent systématiquement le principe de séparation, étaient une fédération de colonies révoltées contre leur

monarque et donc condamnées à un gouvernement républicain. Dans le même temps, la monarchie britannique, qui, sur la lancée

de la révolution de 1688 et du Bill of rights, avait fourni le modèle de la séparation des pouvoirs, commençait, en infléchissant

celle-ci, à inventer le régime parlementaire.

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Le législatif et l’exécutif

Comme tout système démocratique, un régime présidentiel comporte une ou deux assemblées élues. Dans le système américain,

la dualité des Chambres au sein du Congrès tient au fédéralisme qui veut que l’une des deux Chambres (la Chambre des

représentants) représente les citoyens des États-Unis en tant que tels et que, par suite, chaque État y envoie des députés en raison

de son importance, cependant que l’autre (le Sénat) représente les États membres eux-mêmes, ayant chacun, quelles que soient

son étendue ou sa population, un nombre uniforme de deux sénateurs. Néanmoins, la Constitution française de 1848 (cf. infra ),

dans la logique de l’État unitaire, n’avait prévu qu’une seule Chambre. L’essentiel est que le pouvoir législatif est confié dans sa

totalité à une ou deux assemblées.

L’exécutif est, quant à son origine et à sa nature, caractérisé par deux traits. En premier lieu, la désignation du président n’appartient

pas aux membres du législatif et, en fait, a lieu au suffrage universel. Sans doute, dans la Constitution américaine de 1787, la

désignation des membres du collège électoral devant désigner, à leur tour, le président incombait-elle aux législatures des États

(c’est-à-dire aux parlements locaux). Mais le double effet des révisions constitutionnelles et de l’évolution vers le suffrage

universel a abouti à ce que ce soient les citoyens qui élisent eux-mêmes les membres du collège électoral, dont le vote se porte en

principe sur le candidat du parti pour le compte duquel ils ont été élus. Finalement, dans la plupart des cas, tout se passe comme si

les citoyens élisaient eux-mêmes le président. L’essentiel est que l’investiture de celui-ci ne procède en rien des membres du

législatif (sauf le cas, rarissime, où une majorité absolue ne se dégagerait pas au sein du collège électoral et où, en vertu de la

Constitution, le choix reviendrait alors à la Chambre des représentants).

L’autre trait caractéristique de l’institution est que le président n’est pas le « chef de l’exécutif » ; il est l’exécutif. Il n’est pas

seulement chef de l’État, mais aussi chef du gouvernement au sens le plus fort du terme et réunit donc sur sa tête toutes les

compétences majeures de l’exécutif. Encore que le terme de cabinet soit souvent employé pour désigner l’ensemble des ministres,

il n’existe pas de « gouvernement de cabinet ». Le président prend conseil de ses ministres, mais décide seul. On verra plus loin

qu’il nomme et révoque à son gré les ministres.

Ainsi le régime présidentiel s’oppose-t-il sur des points essentiels au régime parlementaire : origine élective du président, étrangère

à toute intervention des Chambres ; absence de distinction entre chef d’État et chef de gouvernement ; direction « monarchique »,

sans gouvernement de cabinet.

L’autonomie de chacun des deux pouvoirs

L’autonomie de chacun des deux pouvoirs au regard de l’autre se manifeste par deux caractères, qui font de nouveau contraste

avec le régime parlementaire.

Tout d’abord, chaque pouvoir a ses compétences propres dans l’exercice desquelles l’autre n’intervient pas, sinon

exceptionnellement, par l’exercice de la « faculté d’empêcher ». Aux Chambres, donc, le pouvoir législatif et le pouvoir financier

sans partage. À la lettre, le président des États-Unis ne pourrait proposer ni la loi ni le budget et ne pourrait intervenir dans les

travaux et discussions du Congrès les concernant. Réciproquement, les tâches de l’exécutif reviennent au seul président sans

participation des Chambres : le maintien de l’ordre, l’administration, la politique étrangère, la défense nationale sont la seule affaire

du président.

Ensuite, il n’existe pas de procédures juridiques permettant à l’un des pouvoirs de mettre en cause l’investiture de l’autre. Le

président ne possède pas le pouvoir de dissoudre la ou les Chambres ; normalement, il n’exerce pas d’influence sur la durée de

leurs sessions ; les moyens habituels d’influence du gouvernement sur le parlement en régime parlementaire lui sont refusés,

notamment celui d’intervenir dans les discussions législatives. Le cabinet n’est pas un « pont » jeté entre le président et les

Chambres, puisque les ministres ne sont pas membres de celles-ci et n’appartiennent pas nécessairement à leur majorité ni même

au parti du président.

Mais, réciproquement, les Chambres ne peuvent agir contre l’exécutif. Élu pour une durée déterminée, le président ne peut être

renversé par les Chambres et n’a pas besoin de leur confiance. Les ministres sont ses agents et ne sont pas politiquement

responsables devant elles ; en revanche, il appartient au président de mettre fin à leurs fonctions.

Sans doute existe-t-il une responsabilité pénale dans la mise en jeu de laquelle les assemblées peuvent intervenir, telle que

l’impeachment prévu par la Constitution des États-Unis et qui permettrait au Sénat, sur mise en accusation de la Chambre des

représentants, de destituer le président à une majorité renforcée. Mais alors qu’en Grande-Bretagne l’impeachment a été l’une des

sources de la responsabilité politique du cabinet, aux États-Unis il a gardé son caractère pénal et, malgré une tentative faite en

1868, n’a pas dégénéré en procédure sanctionnant un simple désaccord politique.

Pourtant, fidèles en cela aux enseignements de Montesquieu, au nombre des checks and balances (« freins et contrepoids »)

destinés à assurer l’équilibre des pouvoirs, les constituants américains ont prévu des procédures par lesquelles pouvoir législatif et

pouvoir exécutif, sans intervenir activement l’un dans le domaine de l’autre, peuvent entraver les décisions l’un de l’autre. Aux

États-Unis, le Sénat est investi du pouvoir d’approuver la nomination des ministres, des ambassadeurs, des juges de la Cour

suprême et des hauts fonctionnaires ; de même, la ratification des traités n’est pas possible sans son accord à une majorité des deux

tiers. De son côté, le président possède l’importante prérogative du veto, qui lui permet de s’opposer aux lois votées par le Congrès

et qui ne peut être brisé que par un nouveau vote du texte refusé (à la majorité des deux tiers dans chaque Chambre).

On ne peut pas dire que, par nature, l’existence d’une juridiction exerçant un contrôle de constitutionnalité soit un élément

nécessaire du régime présidentiel. C’est si vrai que la Constitution des États-Unis ne prévoit nullement que la Cour suprême soit

investie de telles fonctions. C’est la Cour suprême qui, en 1803, en vertu d’un raisonnement juridique d’ailleurs exact, reconnut

aux juges le pouvoir d’accueillir « l’exception d’inconstitutionnalité » par laquelle un plaideur prétend écarter à son encontre

l’application d’une loi (ou de tout autre acte) en alléguant qu’elle est contraire à la Constitution. Mais, depuis lors, ce pouvoir de

la Cour suprême s’est incorporé au régime présidentiel américain et, malgré les excès du « gouvernement des juges » auxquels la

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Cour suprême a renoncé depuis la Seconde Guerre mondiale, a fini par en faire partie intégrante. C’est, en effet, un instrument

propre à régler les conflits juridiques qu’entraîne nécessairement un régime de séparation des pouvoirs et à assurer, d’autre part,

le « concert » du législatif et de l’exécutif. (…)

Doc. 2 – Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel

Le gouvernement parlementaire. - C’est la forme du gouvernement représentatif qui, vraisemblablement, a évolué conformément

à l’idée primitive, puisque c’est celle qui a évolué en Angleterre, son pays d’origine.

Forgé au cours du XVIIIème siècle, par de légères modifications au gouvernement représentatif du XVIIème siècle, le régime

parlementaire est passé en France en 1814 sous la Restauration, et, après des vicissitudes, a fini par s’y acclimater ; (...).

On peut donner du gouvernement parlementaire la définition suivante : C’est une forme de gouvernement, à base de régime

représentatif et de séparation des pouvoirs souple, dans laquelle une collaboration continuelle est établie entre le pouvoir exécutif

et le Parlement, composé de deux chambres, par l’intermédiaire d’un organe exécutif, qui est le cabinet des ministres, lequel

partage avec le chef de l’Etat la direction du gouvernement, mais ne peut gouverner qu’en s’assurant la confiance continuelle du

Parlement, parce qu’il est politiquement responsable devant celui-ci.

Le pouvoir exécutif est partagé entre un chef de l’Etat (monarque héréditaire ou président de la République élu) et des ministres

nommés par le chef de l’Etat et responsables devant lui, mais responsables aussi et surtout devant le Parlement, ne pouvant

gouverner, par conséquent, qu’avec la confiance du Parlement. Ces ministres forment, par leur réunion, un cabinet ou comité dans

lequel sont arrêtées les décisions gouvernementales les plus importantes, et il en résulte une solidarité entre les ministres qui rend

tout le cabinet responsable pour toute décision importante.

L’un des ministres assume le rôle de président du Conseil ou de premier ministre, c’est lui qui dirige la politique générale du

cabinet et qui seul, en principe, peut poser la question de confiance au nom du cabinet et engager la responsabilité solidaire de

celui-ci.

La responsabilité politique des ministres devant le Parlement consiste en ce que, sur un vote de l’une des Chambres impliquant la

défiance, le cabinet peut être amené à donner sa démission. Cette responsabilité, purement politique et non criminelle, s’est

surajoutée en Angleterre, au cours du XVIIIème siècle, à la procédure criminelle de l’impeachment. C’est elle qui fonctionne

couramment aujourd’hui ; l’impeachment ne joue plus que rarement, lorsque les ministres sont traduits en Haute Cour de justice

pour crime politique commis dans l’exercice de leurs fonctions.

Quant au pouvoir législatif, il est confié à deux chambres, dont l’une au moins, la chambre basse, est élue par le peuple et dont

l’ensemble constitue le Parlement. Ce Parlement doit avoir des moyens de pression sur les organes exécutifs, tout au moins par le

refus du vote du budget.

On voit que le gouvernement parlementaire se caractérise essentiellement par la responsabilité collective du cabinet devant le

Parlement, par les liaisons et collaborations que cette responsabilité entraîne forcément entre le pouvoir exécutif et le pouvoir

législatif. Le rouage essentiel de ce gouvernement est donc le cabinet, aussi l’appelle-t-on gouvernement de cabinet tout autant

que gouvernement parlementaire et, même, cette appellation serait préférable en ce qu’elle exprimerait mieux cette vérité que ce

n’est pas le Parlement qui doit gouverner, mais le cabinet.

Doc. 3 – « La démocratie, naissance des Parlements », Site internet de l’Assemblée nationale, Les

premiers parlements

Dans le monde entier, l'institution parlementaire contemporaine est très directement inspirée du Parlement britannique, tel qu'il

s'est affirmé au XVIIIe siècle. En 1782, la Chambre des Communes contraint le gouvernement britannique à démissionner,

instaurant ainsi le principe de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement, fondement du régime parlementaire. Le

Parlement anglais a inspiré tous les régimes parlementaires. Le parlementarisme correspond à un ensemble de critères, dont celui

de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement. Les États généraux en France constituaient l'ébauche inachevée d'un

Parlement.

L'assemblée des hommes libres, l'Althing, s'est réunie pour la première fois en Islande, en l'an 960 de notre ère. Le Parlement

britannique a commencé d'exister au XIIIe siècle. Mais, on considère généralement que le parlementarisme, comme forme de

gouvernement, est né en Angleterre en 1782. Cette année-là, en effet, le Parlement impose, pour la première fois, la démission de

l’intégralité d’un gouvernement - le cabinet de Lord North - qui avait pourtant la confiance du roi. Cet " accident " de politique

intérieure britannique est de première importance pour l’histoire politique. Au-delà de ses conséquences sur l’équilibre des

pouvoirs au sein de la monarchie britannique, il est la première manifestation du principe de responsabilité solidaire d’un

gouvernement devant un Parlement. Le régime parlementaire est né : un gouvernement ne peut se maintenir contre la volonté du

Parlement. »

Le Parlement anglais : histoire d’une montée en puissance

Ce n’est pas le fait du hasard si le parlementarisme est né en Angleterre. Depuis le XIIIe siècle, l’institution parlementaire

britannique n’a jamais cessé d’accroître progressivement sa puissance face au roi. Quelques grandes dates marquent cette

évolution :

• 1215 : le roi Jean sans terre est contraint par la Grande Charte de reconnaître le droit de pétition et le droit de

consentir l’impôt à la Curia major, c’est-à-dire au conseil des vassaux du royaume.

• Dès 1265 et définitivement à partir de 1295, le conseil s’élargit et accueille deux chevaliers par comté. Il prend le nom de

Model Parliament (le parlement modèle).

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• Vers 1340, le Parlement se réunit séparément en deux chambres : la Chambre des Lords et la Chambre des communes.

Cette dernière, qui représente le "commun état", se donne un " speaker " en 1377. Le "speaker", au départ porte-parole auprès du

roi, devient un authentique président.

• La puissance du Parlement est grande dès le XIVe siècle. Il contraint, par exemple, le roi Edouard II à l’abdication en

1327.

• Dès 1462, les membres du Parlement rédigent eux-mêmes les projets de loi ("bills"). En cas d’accord entre la

Chambre des Lords et la Chambre des Communes, le roi se borne à promulguer le texte de loi ("law").

• Le XVIIe siècle est une période de tension extrême entre le Parlement et le roi. La monarchie absolue, dont les rois

Jacques Ier (1603-1625) et Charles Ier (1625-1649) entendent bien utiliser toutes les prérogatives, doit finalement céder devant le

Parlement. En 1640, ce dernier obtient du roi qu’il abandonne ses pouvoirs discrétionnaires de convocation et de dissolution du

Parlement. S’ouvre alors la période dite du Long Parliament ; convoqué par Charles Ier en 1640, il refuse les subsides, fait la

guerre au roi et, finalement, est cassé par Cromwell. Après avoir tenté – en vain – de faire arrêter les responsables de l’opposition

au sein du Parlement, le roi Charles Ier est arrêté et exécuté (1649).

• 1er mai 1660 : la déclaration de Breda met fin à la dictature installée par Cromwell, rétablit la monarchie et restaure le

Parlement dans ses droits.

• Après la révolution de 1688, le pouvoir du Parlement s’accroît encore. C’est le Parlement lui-même qui donne la couronne

au nouveau roi Guillaume II et qui, ainsi, prend la responsabilité du changement de dynastie. Le monarque est roi non par l’hérédité,

mais par la volonté du Parlement.

• En 1714, avec l’accession à la couronne de la famille de Hanovre, le pouvoir royal s’affaiblit face, d’une part, à un

Parlement toujours plus puissant et, d’autre part, à des ministres qui gagnent peu à peu en indépendance par rapport au roi.

• En 1782, le cabinet de Lord North, mis en cause sur la politique décidée par le roi, se retire collectivement. C’est la

première fois que l’ensemble des ministres démissionne, mettant ainsi en évidence le principe de solidarité, comme accessoire

indispensable au principe de responsabilité gouvernementale.

Doc. 4 – Carlos Miguel Pimentel, « L’opposition, ou le procès symbolique du pouvoir », Pouvoirs,

2004, n°108 (extraits)

« Le procès pénal des ministres n’est pas seulement l’origine historique de la responsabilité politique: c’est également la matrice

à partir de laquelle se sont dégagés les rôles respectifs de la majorité et de l’opposition, qui ne sont qu’une transposition de la

défense et de l’accusation au procès pénal […].

« La formation progressive d’une majorité parlementaire fut directement liée à la responsabilité pénale : c’est parce qu’il était

constamment sous la menace d’un impeachment que Danby, au pouvoir à partir de 1673, fut contraint d’utiliser la corruption pour

acheter un soutien permanent auprès des parlementaires. Il inaugura ainsi une technique qui culmina dans les années 1730-1750 :

Walpole fit passer la clientèle de la Couronne de moins d’un quart à un tiers de la Chambre, et stabilisa ainsi des troupes

parlementaires qui, sous le nom de Old Corps, parvinrent à rester aux affaires jusqu’en 1760. Les soutiens du ministère

bénéficiaient le plus souvent d’offices payés sur la liste civile, dont les fonctions étaient en réalité purement honorifiques: à cet

égard, on pourrait dire que la naissance d’une majorité parlementaire ne fut à tout prendre qu’une immense affaire d’emplois fictifs

! En retour, l’opposition tendit elle aussi à devenir permanente : après la « Cabale » dirigée contre Danby par quelques grands

ministrables déçus, l’opposition reprit le vieux mot d’ordre du Country Party, du «parti du pays» opposé au «parti de la Cour»,

dans le sens d’une hostilité de plus en plus systématique au gouvernement. Dans les années 1690, elle devenait permanente, et

multipliait les tentatives d’impeachment contre les ministres. Sous le règne de Walpole, le Country Party se donnait une doctrine

constitutionnelle pleinement cohérente, qui permit à Bolingbroke, son principal idéologue, d’unifier les anciens tories et les whigs

déçus, malgré la profondeur de leurs divergences idéologiques, autour d’une dénonciation systématique du système de corruption

développé par les ministres. L’opposition patriote connut son premier triomphe en 1743, lorsqu’elle força la démission de Walpole.

En 1760, elle parvint à renvoyer l’ensemble du Old Corps dans l’opposition, lors de l’accession au trône de George III, réussissant

ainsi la première alternance de l’histoire.

« À cet égard, il est capital de remarquer que, pendant les deux siècles de formation du parlementarisme anglais, depuis la

restauration de 1660 jusqu’au milieu du XIXe siècle, ce ne sont pas les partis politiques qui provoquèrent la formation d’une

majorité et d’une opposition permanentes: la réalité est exactement inverse. C’est le conflit entre majorité et opposition qui

conduisit à une reconstitution constante de la bipolarisation politique anglaise, alors que, par eux-mêmes, les anciens partis whig

et tory tendaient périodiquement à se défaire. Les tories avaient disparu en tant que force politique après 1715, compromis par les

tentatives de restauration des Stuarts: aussi c’est sous le nom de Country Party, non sous la vieille étiquette torie, que Bolingbroke

reconstitue une opposition dans les années 1730. Jusqu’au XIXe siècle, le pouvoir est constamment occupé par des whigs; mais

entre les whigs de gouvernement, peu enclins au changement, et les whigs d’opposition, plus réformateurs, le fossé idéologique se

creuse de plus en plus. Une droite et une gauche tendent ainsi lentement à se constituer au sein du vieux parti whig, et le parti

gouvernemental, à partir de la guerre d’indépendance américaine, est peu à peu qualifié de tory par ses adversaires: mais, en 1827

encore, le Premier ministre Peel n’accepte cette dénomination que du bout des lèvres. On le comprend : c’est un peu comme si les

socialistes français, après leur tournant réaliste de 1983, s’étaient vu accoler l’étiquette de parti libéral, et avaient finalement dû

l’accepter. Tout au long de la période, les partis politiques anglais sont en constante recomposition: seul le clivage entre majorité

et opposition est constant, et finit par déterminer les allégeances partisanes. Le rôle juridique de l’accusation suffit à créer la

cohésion politique de l’opposition : le modèle du procès a dicté la consistance du système de partis, et non l’inverse.

« C’est que la responsabilité, même si elle avait cessé dans les faits de déboucher sur une punition effective, restait profondément

pénale dans sa motivation: le but de l’opposition aux Communes restait de démontrer que les ministres méritaient un impeachment,

même si la perspective de leur jugement devant les lords devenait peu à peu de plus en plus lointaine15. La chambre basse restait,

encore et toujours, un organe d’accusation, et c’est comme tel qu’elle débattait des fautes commises par les ministres. Ainsi, pour

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le Country Party, la formation d’une majorité parlementaire était une entreprise doublement criminelle de la part des ministres:

non seulement elle s’opérait par la corruption, et relevait donc du détournement de fonds publics, mais elle constituait un véritable

crime d’État16. La rhétorique pénale perdura au moins jusqu’à la fin du XVIIIe siècle : lorsque Burke dénonça le ralliement de

son ancien ami Fox à la Révolution française, il rédigea un pamphlet contre lui sous la forme d’articles d’impeachment17. À cette

permanence de la pénalité symbolique, il y a une raison profonde: la position d’accusateur était la seule qui permette à l’opposition

de justifier son combat permanent contre les ministres. En cherchant de manière systématique à déstabiliser les ministres de la

Couronne, alors que seul le roi avait le pouvoir de les nommer et de les révoquer, les opposants agissaient de manière factieuse, se

comportaient en rebelles : c’était là l’argument constant de Walpole contre les attaques dont il faisait l’objet. Quiconque conteste

les agents du roi est nécessairement rebelle au roi lui-même. Aussi l’opposition, pour légitimer son attitude, n’avait pas d’autre

choix que de retourner l’argument de la trahison contre les ministres. En se faisant accusateurs publics, les opposants cessaient de

passer pour des rebelles : la fiction pénale constituait pour l’opposition la seule manière de donner à son combat un statut

institutionnel. De la même façon qu’un candidat échouant à un concours sera tenté de contester en justice la régularité des épreuves,

les ministrables malheureux accusaient leurs rivaux de trahison contre le roi. En d’autres termes, le modèle du procès permettait

de donner une place institutionnelle et légitime au conflit politique. »

Doc. 5 – Lord Philips of Worth Matravers, « La constitution du Royaume-Uni », Cahiers du Conseil

constitutionnel, 2009, hors-série

Le Royaume-Uni est presque unique en ce qu'il ne possède pas de constitution écrite. Il n'est donc pas étonnant que nous n'ayons

pas de cour constitutionnelle. Nous sommes également différents de la France et de beaucoup d'autres pays en ce que nous n'avons

pas de juridiction administrative distincte ni de Conseil d'Etat. Toutefois nous avons au cours de 800 dernières années développé

des principes de droit constitutionnel et de droit administratif, de sorte que l'on dit parfois que nous avons une constitution non

écrite. Il n'est pas facile de faire la distinction entre droit constitutionnel et droit administratif car à la vérité ils se chevauchent.

Généralement parlant, le droit constitutionnel est le droit qui régit les pouvoirs du législateur, du chef de l'Etat et du gouvernement

central, tandis que le droit administratif régit ceux des autres responsables de l'administration d'un pays. Je me propose d'esquisser

à grands traits la constitution du Royaume-Uni et l'approche qui est la nôtre des questions de droit administratif.

Si nous n'avons pas de constitution écrite, nous avons des principes constitutionnels. Au cœur de notre constitution, comme de

toute constitution, est le principe de l'Etat de droit (‘the Rule of law') : l'existence et le respect de règles qui s'appliquent à tous les

secteurs de la société. L'Etat de droit repose au Royaume-Uni sur le concept fondamental de la séparation des pouvoirs des trois

branches de l'Etat, un principe que nous devons à la France. Le premier de ces pouvoirs est le pouvoir législatif, qui vote les lois.

Le deuxième est le pouvoir exécutif, qui gouverne le pays dans le respect desdites lois. Le troisième est le pouvoir judiciaire, qui

veille à l'application des lois votées par le pouvoir législatif.

Chacune de ces trois branches de l'Etat a hérité de pouvoirs autrefois exercés par la Couronne, c'est-à-dire par notre reine ou notre

roi. Le Roi habitait autrefois le palais de Westminster à London. Il convoquait ses conseillers à Westminster. Il s'agissait à l'origine

de nobles, les Lords, élevés à la pairie par le roi. Une fois conféré à un homme, le titre était transmis lors du décès de celui-ci à

son héritier, et c'est ainsi que s'est constitué un corps de pairs héréditaires. Puis le roi se mit à convoquer également pour le

conseiller des représentants des différentes régions du pays qui n'avaient pas le titre de Lord. Ces deux corps de conseillers ont

donné naissance aux deux Chambres de notre Parlement, la Chambre des communes et la Chambre des lords. Elles se réunissent

toujours à Westminster, bien que le palais royal ne s'y trouve plus.

C'est dans la grande salle de Westminster que siégeaient les juges du Roi pour appliquer la loi en son nom. Il les nommait et

pouvait les révoquer. Leurs successeurs sont les membres d'une magistrature indépendante, à laquelle j'appartiens.

La deuxième branche, à savoir le pouvoir exécutif, est composée des ministres et des hauts responsables qui dirigent

l'administration toujours plus complexe du pays. Ici encore, le pouvoir avait été délégué par le roi, qui les désignait et qui pouvait

les renvoyer. Eux aussi sont de nos jours indépendants d'un tel contrôle.

La reine demeure le chef constitutionnel de l'Etat. Elle doit donner son assentiment aux textes adoptés par le Parlement pour que

ceux-ci puissent avoir effet de lois. Elle nomme les magistrats. Les ministres sont ses ministres. Mais ses pouvoirs sont dans une

large mesure illusoires. La manière dont elle les exerce est déterminée par d'autres.

Je me propose maintenant de vous décrire plus en détails les trois branches de l'Etat.

Le Parlement

L'aspect le plus frappant de la constitution britannique est la suprématie du Parlement. Le Parlement peut légiférer comme bon lui

semble. Les magistrats sont tenus d'appliquer les lois que vote le Parlement. Aucun principe constitutionnel ne vient entraver les

lois que le Parlement a le pouvoir de voter. A une seule exception près, sur laquelle je reviendrai, le Parlement peut adopter toutes

les lois qu'il lui plaît d'adopter, y compris celles visant à modifier sa propre composition et ses propres pouvoirs.

Les membres de la Chambre des communes sont tous élus, et des élections législatives doivent avoir lieu tous les cinq ans. La

Chambre des lords se compose de 90 pairs héréditaires, et de quelque 600 pairs nommés à vie, sur la recommandation d'une

Commission des nominations. Autrefois il fallait l'approbation des deux Chambres, celle des Lords et celle des Communes, pour

qu'un texte puisse devenir loi. Depuis 1948, la Chambre des lords ne peut s'opposer à l'adoption d'un projet de loi que pendant une

année. Une fois ce délai expiré, la Chambre des communes peut exiger que le texte soit adopté, quand bien même la Chambre des

lords y demeurerait opposée.

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Comme je l'ai dit, il existe une exception à la règle selon laquelle le pouvoir du Parlement est le pouvoir suprême. En 1972 le

Parlement a voté la loi sur les Communautés européennes qui a permis au Royaume-Uni d'adhérer à la Communauté européenne.

Cette loi a eu pour effet de faire prévaloir des lois de la Communauté européenne dotées d'effet direct sur celles du Parlement

britannique. Les juridictions sont dans l'obligation d'appliquer le droit communautaire, même lorsque celui-ci entre en conflit avec

une loi votée par le Parlement.

L'observation ne vaut pas pour la Convention européenne des droits de l'homme. Le Parlement l'a incorporée dans l'ordre national

en adoptant la Human Rights Act (la loi sur les droits de l'homme) en 1998. Cette loi dispose que si un tribunal est d'avis qu'une

loi du Parlement est incompatible avec la Convention, il peut formuler une déclaration en ce sens.

En pareilles circonstances le juge doit toutefois appliquer la loi du Parlement, et non la Convention. Le Parlement demeure l'autorité

suprême. Ce qui se produit habituellement lorsqu'un tribunal déclare une loi nationale incompatible avec la Convention, c'est que

le Parlement modifie la loi pour en assurer la conformité à la Convention, mais rien d'oblige Parlement à le faire.

Le pouvoir exécutif

Le pouvoir exécutif comprend tous ceux qui ont la responsabilité de l'administration du Royaume-Uni. Les plus importants en sont

les ministres. Le roi nommait les ministres à qui il déléguait ses pouvoirs exécutifs. La Reine nomme toujours ses ministres, mais

elle le fait sur la recommandation de son Premier ministre, le chef du parti majoritaire à la Chambre des communes. Il est de

tradition que les ministres doivent être parlementaires, afin que le Parlement puisse les tenir responsables de leurs actes.

La Parlement vote les lois et les ministres doivent les appliquer. Mais lorsqu'un parti dispose d'une forte majorité à la Chambre des

communes, le Parlement vote normalement les lois que les ministres souhaitent voir adoptées, de sorte que la séparation entre

pouvoir législatif et pouvoir exécutif est loin d'être totale. A côté des ministres, ce sont littéralement des millions de personnes qui

sont investies de la responsabilité de gérer le pays conformément à la loi. Au Royaume-Uni ces personnes sont sujettes au contrôle

des mêmes magistrats que ceux qui tranchent tous les autres litiges. Je vais maintenant vous parler un peu de ces magistrats.

Le pouvoir judiciaire

Le roi était la source de toute justice en Angleterre, mais déléguait à ses juges le soin de rendre la justice. Il leur incombait tant de

juger les personnes accusées d'infractions ou d'atteintes à l'ordre public royal que de résoudre les litiges opposant les sujets du roi.

A partir de la deuxième moitié du 13ème siècle, la pratique s'est développée de publier les décisions rendues par les juges ainsi que

la motivation de celles-ci. Ces décisions furent considérées comme étant des précédents qui devaient être suivis dans les affaires

ultérieures et de ce fait est né un corps de règles juridiques formulées par les juges. Ce que l'on a dénommé ‘la common law', pour

une très grande part toujours en vigueur aujourd'hui. La loi applicable au meurtre est, par exemple, très largement inspirée de la

common law forgée par les juges.

Bien que les juges fussent nommés par le roi et exerçassent les pouvoirs délégués par ce dernier, ils acquirent vite une indépendance

farouche. Laquelle fut entérinée par le Parlement en 1700 lors de l'adoption de l'Act of Settlement, disposant que les juges resteraient

en fonctions aussi longtemps que leur comportement ns serait pas sujet à reproche et qu'ils ne pouvaient être révoqués que si les

deux chambres du Parlement s'accordaient pour qu'il en fût ainsi.

Pendant toute notre histoire aucun juge de la Haute cour (High Court) n'a jamais été révoqué. L'indépendance du pouvoir judiciaire

est un élément crucial pour l'Etat de droit.

Je souhaiterais maintenant vous entretenir de nos récentes reformes constitutionnelles. Avant 2005, le principe selon lequel les

juges devraient être indépendants du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, bien que respecté en pratique, ne l'était pas

officiellement. Le juge de rang le plus élevé, le Lord Chancellor, était également l'un des ministres du Gouvernement les plus

élevés dans la hiérarchie ministérielle. Il était, en fait, le ministre de la Justice. Il présidait également la Chambre des lords dans

ses fonctions législatives. Il était chargé de la nomination et de la discipline des juges. Il menait à bien toutes ces fonctions sans

aucun parti pris politique, ce dont tout le monde n'avait pas forcément conscience. Il était l'antithèse même de la séparation des

pouvoirs. Il incarnait le cumul des pouvoirs.

Il existait une autre violation apparente de la séparation des pouvoirs. La juridiction de dernier ressort du Royaume-Uni est

composée de juges qui ont été élevés à la pairie pour siéger à la Chambre des lords. Ils sont connus sous le nom de 'Law Lords'.

La tradition veut qu'ils s'abstiennent de participer aux activités politiques de la Chambre des lords, mais, comme dans le cas du Lord

Chancellor, leur appartenance à la Chambre des lords est une anomalie historique.

La loi sur la réforme constitutionnelle de 2005 a modifié tout ceci. Toutes les fonctions judiciaires ont été retirées auLord

Chancellor, dont le rôle est maintenant cantonné à celui du Ministre de la Justice. Le Lord Chief Justice l'a remplacé dans ses

fonctions de premier magistrat de l'Angleterre et du Pays de Galles. Les juges sont maintenant nommés après avis d'une

commission indépendante, la Judicial Appointments Commission. Les réclamations dirigées contre les juges sont examinées par

un organisme indépendant.

L'année prochaine, le 1er octobre 2009, le Royaume-Uni aura, pour la première fois de son histoire, une Cour suprême. Un bâtiment

situé en face du Parlement est en cours d'aménagement à cet effet. Les douze Law Lords quitteront la Chambre des lords pour

devenir les juges de la nouvelle Cour suprême. Le Premier Law Lord deviendra le Président de la Cour suprême, et j'ai le privilège

d'avoir été désigné pour occuper cette fonction.

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La création de la Cour suprême constitue un changement sur le plan de la forme, et non du fond. Les Law Lords qui deviendront

les premiers juges de la Cour suprême seront dotés strictement de la même compétence que celle qui est la leur aujourd'hui. Ils

cesseront simplement d'être membres de la Chambre Haute du Parlement. A la différence de leurs homologues de la Cour suprême

des États-Unis, ils n'auront pas le pouvoir d'anéantir une disposition législative pour inconstitutionnalité, et ils ne pourront l'écarter

parce qu'elle serait contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme. Ils devront, comme aujourd'hui, donner plein

effet aux dispositions du droit communautaire qui sont d'applicabilité directe car elles l'emportent sur toute règle de droit national

contraire. Pour ce qui est de la Convention européenne des droits de l'Homme, la Cour suprême ne la fera pas prévaloir sur une loi

votée par le Parlement du Royaume-Uni qui entrerait en conflit avec elle; elle appliquera la loi, mais elle portera à la connaissance

du Parlement cette absence de conformité par voie de déclaration. La probabilité que les juges soient confrontés à une telle situation

est faible dans le mesure où, lorsqu'il propose une mesure législative, le ministre doit donner au Parlement l'assurance que la

mesure en cause est compatible avec la Convention des droits de l'Homme.

Je vous ai dit au début de cette intervention que nous n'avions aucun tribunal administratif ni Conseil d'Etat. Comment dans ces

conditions notre constitution permet-elle de contrôler le pouvoir exécutif ? La réponse est : par les juges, dans l'exercice des

pouvoirs qu'ils ont développés sous l'égide de la common law. Lorsqu'un citoyen prétendait que ses droits étaient violés par un

détenteur de l'autorité publique, il s'adressait au Roi. Le Roi demandait alors à ses juges de se saisir de l'affaire et de vérifier que

la loi était dûment respectée. C'est encore ce qui, en théorie, se passe aujourd'hui. Un citoyen, Monsieur Smith, saisit un juge de la

Couronne en vue de mener une enquête sur le comportement du Ministre de l'Intérieur, qu'il prétend frappé d'illégalité. Si le juge

décide que l'affaire mérite d'être entendue, il autorise une instance, libellée comme suit : "La Reine, ex parte Smith contre le

Ministre de l'Intérieur". Cette procédure est dite de contrôle juridictionnel, 'judicial review' en anglais. A vrai dire, une instance de

contrôle juridictionnel est une procédure accusatoire qui se développe entre le citoyen et le responsable dont il estime l'action

contraire à la loi.

Le contrôle juridictionnel est un élément crucial de notre constitution non écrite. Certains ont suggéré qu'il est si fondamental que

les tribunaux devraient refuser l'application de toute loi qui tenterait de l'interdire. Mais ce faisant, ils violeraient le principe de la

suprématie du Parlement, et les tribunaux se sont donc abstenus de le faire. Ils ont préféré interpréter les dispositions législatives

visant à limiter le contrôle juridictionnel de manière à les priver de tout effet pratique.

Lorsque j'ai commencé ma carrière de juriste il y a cinquante ans, les procédures de contrôle juridictionnel étaient plutôt rares. Les

juges montraient beaucoup de réticence à s'immiscer dans l'exercice par les responsables administratifs des pouvoirs dont ils étaient

investis. Ils sont beaucoup plus disposés à le faire de nos jours. Les décisions seront soumises à ce contrôle si l'auteur de la décision

incriminée n'a pas suivi la procédure régulière ou s'il a pris en compte un élément qui n'était pas pertinent, ou a omis de tenir

compte d'un élément qui était pertinent, ou encore a pris une décision irrationnelle à un autre égard. La théorie fondant le contrôle

juridictionnel veut que lorsqu'un responsable administratif se voit investi de pouvoirs, c'est à la condition qu'il les exerce de manière

appropriée. S'il ne le fait pas, il agit au-delà de ses pouvoirs, ou ultra vires, et le tribunal est fondé à intervenir. Je ne trouve pas

cette explication totalement convaincante. Il se peut en vérité que les juges se soient approprié le pouvoir du contrôle juridictionnel,

mais ils l'ont fait pour répondre au souhait du public et aussi du Gouvernement que les juges fassent respecter l'Etat de droit. Le

contrôle juridictionnel est donc devenu un élément capital des fondements de notre constitution non écrite qui sous-tendent l'Etat

de droit.

Il convient de souligner une évolution récente et particulièrement significative du droit constitutionnel qui a eu pour effet

d'accroître la fréquence du contrôle juridictionnel. En 1998 le Parlement a adopté la Loi sur les Droits de l'Homme (The Human

Rights Act). J'ai déjà fait référence à cette loi. Elle exige des responsables administratifs qu'ils se conforment aux obligations de la

Convention européenne des droits de l'homme et confère aux citoyens le droit à réparation financière en cas de manquement à

cette obligation. Dans de nombreux cas la Convention autorise des entraves aux droits de l'homme pour des raisons d'intérêt public,

pourvu toutefois que ces entraves soient proportionnées. Lorsqu'une contestation est fondée sur les droits de l'homme, le juge doit

souvent s'interroger sur la question de savoir si le responsable en cause s'est comporté d'une manière proportionnée à l'objectif

qu'il cherchait à atteindre. C'est la raison pour laquelle les actes des responsables administratifs sous soumis aujourd'hui à un

examen plus serré qu'autrefois.

Pour toutes ces raisons, le contrôle juridictionnel des actes du pouvoir exécutif représente aujourd'hui une part très importante de

l'activité du juge du Royaume-Uni.

Il m'a fallu couvrir beaucoup de terrain en très peu de temps. J'espère toutefois avoir réussi à vous donner une vue plus claire de

nos nouvelles dispositions constitutionnelles et de la manière dont nous essayons de faire en sorte que le pouvoir exécutif se

conforme à l'Etat de droit.

Doc. 6 : Paul Bastid, L’idée de constitution, 1985 (extraits)

Le régime britannique repose sans doute essentiellement sur la common law, qui est un droit coutumier, et sur des usages politiques

appelés conventions de la constitution. Ces deux éléments n’ont pas d’ailleurs la même signification juridique, le premier seul

pouvant être invoqué devant la justice et sanctionné par elle. Mais, à côté de cette masse énorme, un certain nombre de textes

célèbres sont traditionnellement considérés comme fondamentaux, du fait de l’objet dont ils traitent, du fait aussi de leur portée

historique et de la vénération particulière qui s’attache à eux, bien que juridiquement ils ne diffèrent pas des autres. On distingue

parmi eux des traités, des pactes, des statuts ou lois.

Les traités sont l’acte d’union avec l’Ecosse (qui date de 1707), qui subsiste encore intégralement de nos jours, et l’acte d’union

avec l’Irlande, qui date de 1800 mais qui ne vaut plus, et avec de nombreuses modifications, que pour la partie Nord de l’île.

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La rubrique des pactes renferme la Grande Charte de 1215, le Bill des droits de 1688 et l’Acte d’établissement de 1701. Ces actes

se caractérisent en ce que le prince y intervient comme partie contractante, vis-à-vis de laquelle la nation apparaît avec une

personnalité distincte et indépendante.

La Grande Charte est un compromis passé par le roi Jean sans Terre avec ses barons révoltés, qui se comportent comme des

belligérants. S’il est célèbre, c’est qu’il a avant tout pour objet de garantir la liberté individuelle en établissant des règles tutélaires

pour l’accusation et le jugement des sujets : nul ne pourra être arrêté, détenu, lésé dans sa personne ou dans ses biens, sauf par le

jugement de ses pairs et selon la loi. Il vise aussi le principe du consentement de l’impôt : aucune aide ne sera levée sans l’avis du

commun conseil du royaume, sauf dans trois cas spécifiés qui se rapportent au droit féodal de l’époque et qui appartiennent au

passé.

L’acte de 1688 est un pacte passé par les deux chambres avec Guillaume d’Orange, qui bouleverse l’ordre successoral au profit

de ce dernier et qui énonce en treize articles tous les droits violés par Jacques II. Il est donc fait défense au monarque de suspendre

les lois, de dispenser de leur exécution, d’instituer des tribunaux d’exception, d’infliger des amendes excessives, de restreindre le

droit de pétition des sujets ou la liberté de la parole dans le Parlement, d’intervenir dans les élections parlementaires. On renouvelle

l’interdiction de voter des impôts sans le concours des deux chambres et on y ajoute la défense d’entretenir sans le même concours

une armée permanente.

L’acte de 1701, qui transporte définitivement la royauté dans la maison de Brunswick-Hanovre, contient huit articles obligeant

éventuellement “quiconque viendra à occuper le trône“. S’il vise certains objets de circonstance, il formule aussi le principe

important de l’inamovibilité des juges.

Les statuts ou lois sont les actes votés par les deux chambres régulièrement constituées et qu’a sanctionnés la Couronne. Parmi

les textes qui méritent certainement de figurer dans l’ordre constitutionnel en raison de leur contenu, il faut ranger la «Petition of

rights» de 1628. C’est la constatation écrite de règles coutumières faite par les communes, acceptée par le roi Charles 1er. Son

objet du reste n’est pas différent de celui du «Bill of rights» de 1688, qui n’a fait que confirmer ou compléter ses dispositions. Il

faut mentionner également «l’Act Habeas Corpus» de 1679.

Il résulte de tout cela un manque de cohérence et de rigueur qui est le propre de ce qu’on appelle la constitution anglaise. Toujours

est-il que ses sources sont multiples et que certaines sont écrites.

Doc. 7 : Loi sur le Parlement de 1911 (Parliament Act)

Considérant qu'il apparaît nécessaire de définir par la loi les relations entre les deux assemblées du Parlement,

Considérant qu'il est désirable de substituer à la Chambre des lords telle qu'elle existe actuellement une seconde chambre issue

de la volonté populaire au lieu de l'hérédité, mais qu'une telle substitution ne peut être réalisée immédiatement,

Considérant que le Parlement devra limiter et définir les pouvoirs de la nouvelle seconde chambre par un texte réalisant cette

substitution, mais qu'il est désirable de réduire dès maintenant par la présente loi les pouvoirs actuels de la Chambre des

lords.

La très excellente Majesté du roi donne force de loi, sur l'avis et avec le consentement des lords spirituels et temporels et

des communes, réunis dans le présent Parlement, et par l'autorité de ce dernier, à la loi dont la teneur suit :

1 - Pouvoirs de la Chambre des lords en ce qui concerne les projets financiers

1. Si un projet financier (Money Bill) préalablement adopté par la Chambre des communes et transmis à la Chambre

des lords un mois au moins avant la fin de la session, n'est pas voté sans amendement par la Chambre des lords dans le mois

qui suit cette transmission, ce projet sera, à moins que la Chambre des communes n'en décide autrement, présenté à Sa

Majesté et deviendra une loi du Parlement au moment de la signification de l'approbation royale, nonobstant l'absence de

consentement de la Chambre des lords.

2. Un projet financier signifie un projet de loi qui, selon l'opinion du Speaker de la Chambre des communes, ne contient que

des dispositions relatives à l'ensemble ou à l'une des matières suivantes, à savoir : imposition, abrogation, remise,

modification ou réglementation des impôts ; la création, la modification ou la suppression pour le règlement des dettes ou

pour d'autres buts financiers, de charges pour le Fond consolidé ou sur les ressources votées par le Parlement ; les

autorisations de crédits ; l'affectation des fonds publics, leur perception, détention, paiement et la vérification des comptes ;

l'émission, la garantie ou le remboursement de tout emprunt ; ou les matières accessoires relatives à ces questions. […]

2 - Restriction des pouvoirs de la Chambre des lords en ce qui concerne les projets autres que les projets financiers

1. Si un projet (Public Bill) (autre qu'un projet financier ou un projet contenant des dispositions augmentant la durée maximum

de la législature au-delà de cinq ans) adopté par la Chambre des communes en trois sessions successives (du même Parlement

ou de Parlements différents), et transmis à la Chambre des lords durant chacune de ces sessions un mois au moins avant la fin de

la session, est repoussé par la Chambre des lords durant chacune de ces sessions, ce projet sera présenté à Sa Majesté dès son

troisième rejet par la Chambre des lords, à moins que la Chambre des communes en décide autrement, et deviendra une loi du

Parlement au moment de la signification de l'approbation royale, nonobstant l'absence de consentement de la Chambre des lords,

à condition que deux ans se soient écoulés entre la date de la seconde lecture de ce projet à la Chambre des communes durant la

première de ces sessions et la date à laquelle ce texte sera voté par la Chambre des communes durant la troisième de ces

sessions. […]

6 - Sauvegarde des droits et privilèges actuels de la Chambre des communes

Aucune disposition de cette loi ne pourra diminuer ou définir limitativement les droits et privilèges actuels de la Chambre des

communes.

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7 - Durée de la législature

Cinq ans seront substitués à sept ans pour la durée maxima de chaque législature telle qu'elle a été fixée par la loi de 1715 fixant

cette durée à sept ans.

Doc. 8 : Loi du 11 novembre 1999 sur la Chambre des Lords

Loi dont l'objet est de restreindre le nombre des membres de la chambre des Lords siégeant en vertu de la pairie héréditaire, de

prendre les dispositions nécessaires en ce qui concerne l'inéligibilité à la chambre des Communes et de régler les questions

connexes.

Qu'il soit promulgué comme suit par Sa Majesté la Reine, par et avec le conseil et le consentement des Lords religieux et laïcs et

des membres de la chambre des Communes, rassemblés en en ce Parlement, et de par leur autorité,

Article premier - Exclusion des pairs héréditaires

Nul ne sera membre de la chambre des Lords en vertu d'une pairie héréditaire.

Article 2 - Exceptions à l'article premier

(1) L'article premier ne s'applique pas à ceux qui y font exception conformément au règlement de la chambre.

(2) 90 personnes font exception à l'article premier, mais les titulaires de l'office de Earl Marshall [Chef du protocole] et de Lord

Grand Chambellan (Great Chamberlain), y faisant également exception, ne sont pas comptés dans ce nombre.

(3) Une personne exemptée de l'application de l'article premier est exemptée à vie (sauf si une loi du Parlement prévoit le

contraire).

(4) Le règlement prévoit le remplacement des personnes exemptées de l'application de l'article premier, et dans le cas où :

a) la vacance suit un décés survenu après la fin de la première session du prochain Parlement après celui où cette loi a été votée,

et

b) la personne décédée était exemptée à la suite d'une élection,

le remplacement exige la tenue d'une élection partielle.

(5) Une personne peut être exemptée de l'application de l'article premier par ou en accord avec le règlement préparé en prévision

du vote ou de la première mise en application de cet article.

(6) Toute question concernant une personne exemptée de l'application de l'article premier est réglée par le secrétaire général du

Parlement, dont l'acte est irréfragable.

Article 3 - Levée de l'inéligibilité concernant la chambre des Communes

(1) Le titulaire d'une pairie héréditaire n'est pas interdit en vertu de cette pairie de

a) voter aux élections à la chambre des Communes, et

b) siéger et d'être élu à cette chambre.

(2) Le paragraphe 1 ci-dessus ne s'applique pas aux personnes exemptées de l'article premier en application de l'article 2.

Doc. 9 : Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome 1, « Du pouvoir exécutif »

Les législateurs américains avaient une tâche difficile à remplir : ils voulaient créer un pouvoir exécutif qui dépendît de la majorité,

et qui pourtant fût assez fort par lui-même pour agir avec liberté dans sa sphère.

Le maintien de la forme républicaine exigeait que le représentant du pouvoir exécutif fût soumis à la volonté nationale.

Le Président est un magistrat électif. Son honneur, ses biens, sa liberté, sa vie, répondent sans cesse au peuple du bon emploi qu'il

fera de son pouvoir. En exerçant ce pouvoir, il n'est Pas d'ailleurs complètement indépendant: le Sénat le surveille dans ses rapports

avec les puissances étrangères, ainsi que dans la distribution des emplois; de telle sorte qu'il ne peut ni être corrompu ni corrompre.

Les législateurs de l'Union reconnurent que le pouvoir exécutif ne pourrait remplir dignement et utilement sa tâche, s'ils ne

parvenaient à lui donner plus de stabilité et plus de force qu'on ne lui en avait accordé dans les États particuliers.

Le Président fut nommé pour quatre ans, et put être réélu. Avec de l'avenir, il eut le courage de travailler au bien public, et les

moyens de l'opérer.

On fit du Président le seul et unique représentant de la puissance exécutive de l'Union. On se garda même de subordonner ses

volontés à celles d'un conseil: moyen dangereux, qui, tout en affaiblissant l'action du gouvernement, diminue la responsabilité des

gouvernants. Le Sénat a le droit de frapper de stérilité quelques-uns des actes du Président; mais il ne saurait le forcer à agir, ni

partager avec lui la puissance exécutive.

L'action de la législature sur le pouvoir exécutif peut être directe; nous venons de voir que les Américains avaient pris soin qu'elle

ne le fût pas. Elle peut aussi être indirecte.

Les Chambres, en privant le fonctionnaire public de son traitement, lui ôtent une partie de son indépendance; maîtresses de faire

les lois, on doit craindre qu'elles ne lui enlèvent peu à peu la portion de pouvoir que la Constitution avait voulu lui conserver.

Cette dépendance du pouvoir exécutif est un des vices inhérents aux constitutions républicaines. Les Américains n'ont pu détruite

la pente qui entraîne les Assemblées législatives à s'emparer du gouvernement, mais ils ont rendu cette pente moins irrésistible.

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Le traitement du Président est fixé, à son entrée en fonction, pour tout le temps que doit durer sa magistrature. De plus, le Président

est armé d'un veto suspensif, qui lui permet d'arrêter à leur passage les lois qui pourraient détruire la portion d'indépendance que

la Constitution lui a laissée. Il ne saurait pourtant y avoir qu'une lutte inégale entre le Président et la législature, puisque celle-ci,

en persévérant dans ses desseins, est toujours maîtresse de vaincre la résistance qu'on lui oppose; mais le veto suspensif la force

du moins à retourner sur ses pas; il l'oblige à considérer de nouveau la question, et, cette fois, elle ne peut plus la trancher qu'à la

majorité des deux tiers des opinants. Le veto, d'ailleurs, est une sorte d'appel au peuple. Le pouvoir exécutif, qu'on eût pu, sans

cette garantie, opprimer en secret, plaide alors sa cause, et fait entendre ses raisons. Mais si la législature persévère dans ses

desseins, ne peut-elle pas toujours vaincre la résistance qu'on lui oppose? À cela, je répondrai qu'il y a dans la Constitution de tous

les peuples, quelle que soit, du reste, sa nature, un point où le législateur est obligé de s'en rapporter au bon sens et à la vertu des

citoyens. Ce point est plus rapproché et plus visible dans les républiques, plus éloigné et caché avec plus de soin dans les

monarchies; mais il se trouve toujours quelque part. Il n'y a pas de pays où la loi puisse tout prévoir, et où les institutions doivent

tenir lieu de la raison et des mœurs.

Doc. 10 – Constitution des États-Unis du 17 septembre 1787 (extraits)

Préambule

Nous, le peuple des États-Unis, en vue de former une union plus parfaite, d'établir la justice, d'assurer la paix intérieure, de

pourvoir à la défense commune, de développer la prospérité générale et d'assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à

notre postérité, nous ordonnons et établissons la présente Constitution pour les États-Unis d'Amérique.

Article premier [Département législatif]

Section 1 [Congrès]

Tous les pouvoirs législatifs accordés par la présente constitution seront attribués à un Congrès des États-Unis, qui se

composera d’un Sénat et d’une Chambre des Représentants.

Section 2 [Chambre des représentants]

[1] La Chambre des Représentants sera composée de membres choisis tous les deux ans par le peuple des divers États, et les

électeurs dans chaque État devront posséder les qualifications requises des électeurs de la branche la plus nombreuse de la

législature de l’État1. (…)

[5] La Chambre des Représentants désignera son président et ses autres agents ; et elle aura le pouvoir exclusif de mise en

accusation devant le Sénat.

Section 3 [Sénat]

[1] Le Sénat des États-Unis sera composé de deux sénateurs de chaque État, choisis par le peuple de cet État pour six ans2 ; et

chaque sénateur aura une voix. (…)

[4] Le vice-président des États-Unis sera président du Sénat, mais n’aura pas de droit de vote, à moins d’égal partage des voix.

[5] Le Sénat désignera ses autres agents, ainsi qu’un président pro tempore pour remplacer le vice-président en l’absence de

celui-ci ou quand il exercera les fonctions de président des États-Unis.

[6] Le Sénat aura le pouvoir exclusif de juger toutes les mises en accusation. Quand il siégera à cet effet, ses membres prêteront

serment ou feront une déclaration solennelle. Quand le Président des États-Unis est jugé, le président de la Cour suprême présidera.

Et nul ne sera déclaré coupable sans l’accord des deux tiers des membres présents.

[7] La sentence dans les affaires d’impeachment ne pourra excéder la destitution et l’incapacité de tenir et de bénéficier de

toute sanction honorifique, de confiance ou rémunérée relevant des États-Unis. Toutefois, la partie déclarée coupable n’en sera

pas moins responsable et sujette à accusation, procès, jugement et punition, conformément à la loi. (…)

Section 5 [Pouvoirs et obligations des chambres]

[1] Chaque chambre sera juge des élections, pouvoirs et qualifications de ses membres, et la majorité constituera dans chacune

un quorum suffisant pour délibérer ; mais un nombre inférieur pourra s’ajourner d’un jour à l’autre et être autorisé à contraindre à

la présence les membres absents, de telle manière et sous telles pénalités que chaque chambre pourra déterminer.

[2] Chaque chambre peut établir son règlement, punir ses membres pour conduite contraire au bon ordre et, à la majorité des

deux tiers, prononcer l’expulsion de l’un d’entre eux. (…)

Section 6 [Indemnité, immunités et incompatibilités]

(…) [2] Aucun sénateur ou représentant ne pourra, pendant la durée de son mandat, être nommé à une fonction civile relevant

des États-Unis, qui aura été créée ou dont le traitement a été augmenté durant cette période ; et aucune personne exerçant une

fonction relevant des États-Unis ne pourra devenir membre de l’une ou l’autre des chambres, tant qu’elle continuera à remplir cette

fonction.

Section 7 [Procédure législative et veto]

[1] Toutes propositions de lois concernant la levée d’un impôt devront émaner de la Chambre des représentants ; mais le Sénat

pourra proposer ou consentir des amendements, comme les autres propositions de loi.

[2] Chaque proposition de loi adoptée par la Chambre des représentants et par le Sénat devra, avant d’acquérir force de loi, être

présentée au Président des États-Unis ; si celui-ci l’approuve, il la signera ; sinon, il la renverra, avec ses objections, à la chambre

dont elle émane, laquelle consignera lesdites objections intégralement dans son procès-verbal et procédera à un nouvel examen de

la proposition. Si, après ce nouvel examen, les deux tiers des membres de cette chambre s’accordent pour faire passer la proposition

1 Cette disposition est complétée par les 15ème (26 février 1869-30 mars 1870), 19ème (4 juin 1919-26 août 1920) et 24ème (27 août 1962-4 février 1964)

amendements. 2 Réforme opérée par le 17ème amendement (13 mai 1912-31 mai 1913). Avant la Constitution disposait : « choisis pour six ans par la législature de chacun ».

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de loi, elle sera transmise, avec les objections l’accompagnant, à l’autre chambre, qui l’examinera de la même manière à nouveau,

et si les deux tiers des membres de celle-ci l’approuvent, elle aura force de loi. Mais en pareil cas, les votes des deux chambres

seront comptés par ‘oui’ et par ‘non’, et les noms des membres votant pour et contre le projet seront consignés au procès-verbal

de chaque chambre respectivement. Si une proposition n’était pas renvoyée par le Président dans les dix jours (dimanches non

compris) après qu’elle lui ait été présentée, elle deviendrait loi, comme si le Président l’avait signée, à moins que le Congrès, par

son ajournement, n’en empêche le renvoi, auquel cas la proposition n’aurait pas force de loi.

[3] Chaque ordre, résolution ou vote pour lequel le concours du Sénat et de la Chambre des représentants peut être nécessaire

(sauf en matière d’ajournement) devra être présenté au Président des États-Unis ; et avant de devenir exécutoire, il devra être

approuvé par lui, ou, s’il le désapprouve, être voté à nouveau par les deux tiers du Sénat et de la Chambre des représentants suivant

les règles et les limitations prescrites pour les propositions de loi. (…)

Article II [Département exécutif]

Section 1 [Nomination du Président]

[1] Le pouvoir exécutif sera confié à un Président des États-Unis d’Amérique. Il occupera ses fonctions pendant un mandat de

quatre ans et, conjointement avec le vice-président, dont le mandat sera de même durée, sera élu de la manière suivante :

[2] Chaque État désignera, de la manière décidée par sa législature, un nombre d’électeur, un nombre d’électeurs égal au

nombre total de sénateurs et de représentants auquel il a droit au Congrès ; mais aucun sénateur ou représentant, ni aucune personne

tenant des États-Unis une fonction de confiance ou rémunérée ne pourra être désigné comme électeur.

[3] [Les électeurs se réuniront dans leurs États respectifs et voteront par scrutin pour deux personnes, dont l'une au moins ne

devra pas habiter le même État qu'eux. Ils feront une liste de toutes les personnes ayant recueilli des voix et du nombre de voix

réunies par chacune, laquelle liste ils signeront, certifieront et transmettront, scellée, au siège du gouvernement des États-Unis, à

l'adresse du président du Sénat. Ce dernier, en présence du Sénat et de la Chambre des représentants, ouvrira tous les certificats,

et les votes seront alors comptés. La personne ayant le plus grand nombre de voix sera le Président, si ce nombre représente la

majorité du nombre total des électeurs désignés, et si plusieurs personnes ont obtenu cette majorité et ont un nombre égal de voix,

la Chambre des représentants, par un scrutin, choisira immédiatement l'une d'entre elles comme Président ; et si aucune n'a

obtenu la majorité, la chambre susdite choisira alors le Président, de la même manière, entre les cinq personnes de la liste les

mieux placées. Mais, pour le choix du Président, les votes seront comptés par État, la représentation de chaque État ayant une

voix; le quorum nécessaire à cette fin sera constitué par un ou plusieurs représentants des deux tiers des Etats, et la majorité de

tous les États sera nécessaire pour un choix. En tout cas, après le choix du Président, la personne ayant le plus grand nombre de

suffrages des électeurs sera le Vice-président. Mais s'il restait deux ou plusieurs personnes ayant le même nombre de voix, le Sénat

choisirai, le Vice-président parmi elles au scrutin]3 (…)

[5] Nul ne sera éligible aux fonctions de Président s'il n'est citoyen de naissance, ou citoyen des États-Unis au moment de

l'adoption de la présente Constitution, s'il n'a trente-cinq ans révolus et n’est résidant aux États-Unis depuis quatorze ans.

[6] En cas de destitution, de mort, de démission ou d’incapacité du Président à s'acquitter des pouvoirs et devoirs de sa charge,

ceux-ci seront dévolus au Vice-président. [Et le Congrès pourra, par une loi, pourvoir au cas de destitution, de mort, de démission

ou d'incapacité à la fois du Président et du Vice-président en désignant l’agent qui fera alors fonction de Président, lequel agent

remplira ladite fonction jusqu'à cessation de l'incapacité ou élection d'un Président]4.

[7] Le Président recevra, à échéances fixes, pour ses services, une indemnité qui ne sera ni augmentée ni diminuée pendant son

mandat, et il ne recevra, pendant cette période, aucun autre émolument des États-Unis ou de l'un des États.

[8] Avant d'entrer en fonctions, il prêtera le serment ou prononcera la déclaration solennelle qui suit : « Je jure (ou déclare)

solennellement que je remplirai fidèlement les fonctions de Président des États-Unis et que, dans toute la mesure de mes moyens,

je sauvegarderai, protégerai et défendrai la Constitution des États-Unis. »

Section 2 [Pouvoirs du Président]

[1] Le président sera commandant en chef de l’armée et de la marine des États-Unis, et de la milice des divers États quand

celle-ci sera appelée au service actif des États-Unis; il peut requérir l'opinion, par écrit, du principal agent de chacun des

départements exécutifs, sur tout sujet relatif aux responsabilités de ses services, et il aura le pouvoir d'accorder des remises de

peine et des grâces pour délits contre les États-Unis, sauf dans les affaires d'impeachment.

[2] Il aura le pouvoir, sur l'avis conforme (with the Advice and Consent) du Sénat, de conclure des traités, pourvu que deux

tiers des sénateurs présents donnent leur accord ; et il présentera au Sénat et, sur l'avis conforme de ce dernier, nommera les

ambassadeurs, les autres ministres et les consuls, les juges de la Cour suprême, et tous les autres fonctionnaires des États-Unis

dont la nomination n'est pas autrement prévue par la présente Constitution, et qui seront établis par la loi; mais le Congrès peut,

s'il le juge opportun, investir par une loi le Président seul, les cours de justice ou les chefs de départements, de la nomination de

tels fonctionnaires inférieurs.

[3] Le Président aura le pouvoir de pourvoir à toutes vacances qui viendraient à se produire dans l'intervalle des sessions du

Sénat en accordant des commissions qui expireront à la fin de la session suivante.

Section 3 [Obligations et pouvoirs du Président]

Il informera périodiquement le Congrès de l'état de l'Union, et recommandera à sa réflexion telles mesures qu'il estimera

nécessaires et opportunes; il peut, dans des circonstances extraordinaires, convoquer les deux chambres ou l'une d'elles et, en cas

de désaccord entre elles en ce qui concerne le moment de leur ajournement, il peut les ajourner à tel moment qu'il juge convenable;

il recevra les ambassadeurs et autres ministres; il veillera à ce que les lois soient fidèlement exécutées, et commissionnera tous les

agents des États-Unis.

Section 4 [Impeachment]

Le Président, le Vice-président et tous les agent civils des États-Unis seront destitués de leurs fonctions sur mise en accusation

(impeachment) et condamnation pour trahison, corruption ou autres hauts crimes et délits (Treason, Bribery, or other high Crimes

and Misdemeanors). (…)

3 Voir le 12ème amendement. 4 Voir les 20ème et 25ème amendement.

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12ème amendement à la Constitution (9 décembre 1803 - 25 septembre 1804) [Élection du Président et du Vice-président]

Les électeurs se réuniront dans leurs États respectifs et voteront par scrutin pour le Président et le Vice-président dont l'un au

moins ne sera pas habitant du même Etat qu'eux; ils nommeront sur leurs bulletins la personne pour laquelle ils votent comme

Président et sur des bulletins distincts la personne pour laquelle ils votent comme Vice-président, et ils dresseront des listes

distinctes de toutes les personnes pour lesquelles on aura voté pour la présidence, et de toutes les personnes pour lesquelles on

aura voté pour la vice-présidence, et du nombre de voix de chacune d'elles, lesquelles listes ils signeront, et certifieront, et

transmettront, scellées, au siège du gouvernement des États-Unis, à l'adresse du président du Sénat; ce dernier, en présence du

Sénat et de la Chambre des représentants, ouvrira tous les certificats, et les votes seront alors comptés. La personne ayant le plus

grand nombre de voix pour la présidence sera le Président, si ce nombre représente la majorité du nombre total des électeurs

désignés; et si personne n'a une telle majorité, alors, parmi les trois personnes ayant le plus grand nombre de votes pour la

présidence, la Chambre des représentants choisira immédiatement le Président, par scrutin. Mais, pour le choix du Président, les

voix seront comptées par État, la représentation de chaque État ayant une voix; le quorum nécessaire à cette fin sera constitué par

un ou plusieurs membres des deux tiers des États, et une majorité de tous les États sera nécessaire pour un choix. [Et si la Chambre

des représentants, quand le droit de choisir lui échoira, ne choisit pas un Président avant le quatrième jour de mars suivant, alors

le Vice-président agira en qualité de résident comme dans le cas du décès ou d'autre incapacité constitutionnelle du Président]5.

La personne ayant le plus grand nombre de voix pour la vice-présidence sera Vice-président, si ce nombre représente la majorité

du nombre total des électeurs désignés; si personne n'a une majorité alors, parmi les deux mieux placés sur la liste, le Sénat choisira

le Vice-président; le quorum nécessaire à cette fin sera constitué des deux tiers du nombre total des sénateurs, et une majorité de

ce nombre total sera nécessaire pour un choix. Mais aucune personne inéligible, de par la constitution, aux fonctions de Président

ne sera éligible à celles de Vice-président des États-Unis.

20ème amendement à la Constitution (2 mars 1932 - 6 février 1933) [Entrée en fonction des membres du Congrès et du

Président]

SECTION 1 : Les mandats du Président et du Vice-président prendront fin à midi, le vingtième jour de janvier, et les mandats

des sénateurs et des représentants à midi, le troisième jour de janvier, des années au cours desquelles ces mandats auraient pris fin

si le présent article n'avait pas été ratifié; et ces mandats de leurs successeurs commenceront alors.

SECTION 2 : Le Congrès s'assemblera au moins une fois l'an, et cette réunion commencera à midi, le troisième jour de janvier,

à moins que, par une loi, il ne fixe un jour différent.

SECTION 3 : Si, à la date fixée pour le commencement du mandat du Président, le Président élu est décédé, le Vice-président

élu deviendra Président. Si un Président n'a pas été choisi avant la date fixée pour le commencement de son mandat, ou si le

Président élu ne remplit pas les conditions, alors le Vice-président élu fera fonction de Président jusqu'à ce qu'un Président

remplisse les conditions; et le Congrès peut, par une loi, pourvoir au cas où ni un Président élu, ni un Vice-président élu ne

rempliraient les conditions en désignant qui fera alors fonction de Président, ou la manière selon laquelle une personne qui fera

fonction de Président sera choisie, et ladite personne agira en cette qualité jusqu'à ce qu'un Président ou un Vice-président remplisse

les conditions.

SECTION 4 : Le Congrès peut par une loi pourvoir au cas de décès de l'une des personnes parmi lesquelles la Chambre des

représentants peut choisir un Président lorsque le droit de choisir lui est dévolu, et au cas de décès de l'une des personnes parmi

lesquelles le Sénat peut choisir un Vice-président lorsque le droit de choisir lui est dévolu. (…)

22ème amendement à la Constitution (21 mars 1947 - 27 février 1951) [Nombre de mandats présidentiels]

SECTION 1 : Nul ne sera élu aux fonctions de Président plus deux fois, et nul, s'il a occupé les fonctions de Président, ou agi

en qualité de Président, pendant plus de deux ans d'un mandat pour lequel quelque autre personne était élue Président, ne sera élu

aux fonctions de Président plus d'une fois. Mais cet article ne s'appliquera pas à toute personne ayant occupé les fonctions de

Président quand cet article fut proposé par le Congrès, et il n'empêchera pas quiconque pourrait occuper les fonctions de Président,

ou agir en qualité de Président, durant le mandat au cours duquel cet article deviendrait exécutoire, d'occuper les fonctions de

Président ou d'agir en qualité de Président durant le reste de ce mandat. (…)

25ème amendement à la Constitution (6 juillet 1965 - 23 février 1967) [Nomination du Vice président ; incapacité du

Président]

SECTION 1 : En cas de destitution, décès ou démission du Président, le Vice-président deviendra Président.

SECTION 2 : Quand il y aura une vacance dans les fonctions de Vice-président, le Président présentera un Vice-président qui

entrera en fonction après confirmation par un vote majoritaire des deux chambres du Congrès.

SECTION 3 : Quand le Président transmet au président pro tempore du Sénat et au président de la Chambre des représentants

une déclaration écrite aux termes de laquelle il est incapable d'assumer les pouvoirs et devoirs de ses fonctions, et jusqu'à ce qu'il

leur transmette une déclaration écrite du contraire, ces pouvoirs et devoirs seront assumés par le Vice-président en qualité de

Président par intérim.

SECTION 4 : Quand le Vice-président et une majorité des principaux fonctionnaires des départements exécutifs ou de tel autre

corps que le Congrès peut déterminer par loi transmettent au président pro tempore du Sénat et au président de la Chambre des

représentants une déclaration écrite aux termes de laquelle le Président est incapable d'assumer les pouvoirs et devoirs de ses

fonctions, le Vice-président assume immédiatement les pouvoirs et devoirs de ces fonctions en qualité de Président par intérim.

Par la suite, quand le Président transmettra au président pro tempore du Sénat et au président de la Chambre des représentants une

déclaration écrite aux termes de laquelle aucune incapacité n'existe, il reprendra les pouvoirs et devoirs de ses fonctions, à moins

que le Vice-président et une majorité des principaux fonctionnaires des départements exécutifs, ou de tel autre corps que le Congrès

peut déterminer par loi, ne transmettent dans les quatre jours au président pro tempore du Sénat et au président de la Chambre des

représentants une déclaration écrite aux termes de laquelle le Président est incapable d'assumer les pouvoirs et devoirs de sa charge.

Le Congrès devra alors décider d'une solution, s'assemblant à cette fin dans les quarante-huit heures s'il n'est pas en session. Si,

dans les vingt et un jours après réception de la dernière déclaration écrite, ou, si le Congrès n'est pas en session, dans les vingt et

5 Voir le 20ème amendement.

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un jours après que le Congrès a été requis de s'assembler, le Congrès décide par un vote des deux tiers des deux chambres que le

Président est incapable d'assumer les pouvoirs et devoirs de ses onctions, le Vice-président continuera à assumer ces fonctions en

qualité de Président par intérim; dans le cas contraire, le Président reprendra les pouvoirs et devoirs de ses fonctions.

Doc. 11 – James Madison (1751-1836), « Le Fédéraliste, N°51 », in A. Hamilton, J. Jay, J. Madison, Le

Fédéraliste[The Federalist Papers, 1787-1788], trad. David Mongoin Dès lors, à quel moyen allons-nous enfin recourir, afin de maintenir dans la pratique la répartition nécessaire des pouvoirs entre

les différents départements, telle qu’elle est prévue par la Constitution? La seule réponse qui puisse être donnée, c'est que, tous les

remèdes extérieurs étant considérés comme inadéquats, le vice doit être extirpé en aménageant la structure intérieure du

gouvernement de telle sorte que ses diverses parties constitutives servent, par leurs relations mutuelles, au maintien de chacune

d’elles à leur place respective. Sans m’engager dans un traitement exhaustif de cette idée importante, je vais risquer quelques

observations générales, qui la jetteront peut-être dans une lumière plus claire, afin de pouvoir former un jugement plus juste des

principes et de la structure du gouvernement prévue par la Convention.

Il est également évident, que les membres de chaque département doivent être aussi peu dépendants que possible de ceux des

autres quant aux émoluments attachés à leurs fonctions. Si le magistrat exécutif ou les juges n’étaient pas indépendants de la

législature à cet égard, leur indépendance dans tous les autres domaines serait purement nominale.

Mais la grande sécurité contre une concentration progressive de plusieurs pouvoirs dans le même département, consiste à

donner à ceux qui administrent chaque département les moyens constitutionnels nécessaires et les motivations personnelles pour

résister aux empiétements des autres. Les moyens de défense doivent être, dans ce domaine, comme dans tous les autres,

proportionnés aux dangers d’une attaque. L’ambition doit arrêter l'ambition. L'intérêt de l'homme doit être lié aux droits

constitutionnels de l’office (place). C’est peut être une critique de la nature humaine que de tels dispositifs soient nécessaires pour

contrôler les abus du pouvoir (government). Mais qu’est ce que le pouvoir lui-même, sinon le plus grand critique sur la nature

humaine? Si les hommes étaient des anges, aucun gouvernement ne serait nécessaire. Si les anges gouvernaient les hommes, ni les

contrôles externes ni les contrôles internes sur le gouvernement ne seraient nécessaires. Lors de l'élaboration d'un gouvernement

qui doit être exercé par des hommes sur des hommes, la grande difficulté réside en ceci : vous devez d'abord permettre au

gouvernement de contrôler les gouvernés, et ensuite le contraindre à se contrôler lui-même. La dépendance à l’égard du peuple

est, sans aucun doute, le premier contrôle sur le gouvernement, mais l'expérience a enseigné à l'humanité la nécessité de précautions

auxiliaires.

Ce système, consistant à suppléer par l’opposition et la rivalité des intérêts à l’absence de meilleurs motifs, se retrouve dans le

cours de toutes les affaires humaines, privées comme publiques. On le retrouve particulièrement présent dans toutes les

distributions subalternes du pouvoir où la finalité constante est de diviser et de conformer les différents offices de telle sorte que

chacun soit un frein pour l’autre – que l’intérêt privé de chaque individu soit la sentinelle des droits publics. Ces inventions de la

prudence ne sont pas moins nécessaires dans la distribution des pouvoirs suprêmes de l’État.

Mais il n'est pas possible de donner à chaque département un pouvoir d'auto-défense identique. Dans un gouvernement

républicain, l'autorité législative prédomine nécessairement. Le remède à cet inconvénient consiste à diviser la législature en

différentes branches, et de les rendre, par des modes d'élection et des principes d'action différents, aussi peu reliées l’une à

l’autre que la nature de leurs fonctions communes et leur dépendance commune à la société l’admettront. Il peut même être

nécessaire de se prémunir contre le danger des empiétements par d’autres précautions. Comme le poids de l'autorité législative

Doc. 12 – Julien Boudon, « Le mauvais usage des spectres. La séparation “rigide” des pouvoirs »,

RFDC, 2009

(…) On affirme souvent que la séparation des pouvoirs aux États-Unis est double, à la fois verticale et horizontale. La première

serait due à la structure fédérale de l’Union américaine, qui répartirait le pouvoir entre le gouvernement fédéral et les États fédérés.

La seconde tiendrait à la séparation, dans le sens le plus général, des organes du gouvernement fédéral. Seule cette dernière sera

ici commentée. Contre la présentation habituelle, on tentera de prouver que l’indépendance organique est sujette à caution, tandis

que la séparation des fonctions est un leurre. Le régime américain suppose au contraire une collaboration incessante des pouvoirs

sauf à risquer la paralysie de la machine gouvernementale.

A. La désignation et la destitution des organes

(…) De façon générale, les constitutionnalistes français mettent l’accent sur le mode de désignation des organes : chacun est

nommé selon une voie particulière dans laquelle les autres ne peuvent intervenir (…).

De prime abord, cette présentation apparaît fallacieuse. Deux illustrations suffiront ici. D’une part les juges fédéraux, comme

tous les « officiers » civils des États-Unis, sont, aux termes de l’article II, section 2, clause 2, nommés par le président avec

l’assentiment du Sénat. Autrement dit, l’organe exécutif et l’une des deux assemblées de l’organe législatif sont associés pour

désigner les membres du département judiciaire. Comment peut-on soutenir qu’aucun pouvoir « ne dépend complètement d’un

autre pour son existence » (l’adverbe est remarquable) ? Mais il y a plus. Les manuels de droit constitutionnel passent souvent

sous silence une disposition capitale de la Constitution : il est entendu que le président des États-Unis est élu au suffrage universel

indirect, avec tous les inconvénients attachés au collège des grands électeurs mais il est moins connu que, si les grands électeurs

ne parviennent pas à dégager une majorité absolue au sein de ce « collège », alors le président sera élu par la Chambre des

représentants parmi les trois candidats arrivés en tête. L’article II, section 1, clause 3, modifié par le XIIe amendement, sert de

voie de secours ou plutôt il est devenu une voie de secours car les Pères fondateurs pensaient que le collège électoral parviendrait

rarement à dégager une majorité absolue ; seul le bipartisme a mis en échec cette volonté initiale, plus libérale que démocratique

(…). On comprend la gêne, convertie en silence, des partisans de la séparation « rigide » des pouvoirs : de quelle rigidité et de

quelle indépendance parle-t-on lorsque l’exécutif peut être désigné par l’organe législatif (tout comme dans un régime

parlementaire) ?

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Ces observations ne sont cependant pas définitives. Elles présupposent que l’indépendance disparaît dès lors qu’un organe est

nommé par un autre organe, que l’organe ainsi nommé restera fidèle à son commettant, que ce soit par amitié, reconnaissance ou

intérêt. Ce premier sentiment doit être atténué. L’indépendance tient d’abord à l’irrévocabilité de l’organe, quand bien même il

serait nommé par un organe rival (…). Madison mettait ainsi en avant l’inamovibilité des juges pour rendre compte de leur

indépendance malgré un processus de désignation hautement politique (Le Fédéraliste, n° 51, Paris, Economica, 1988). Et il est

vrai que de nombreux juges à la Cour suprême ont pu décevoir les présidents qui les avaient nommés : on pense à Warren nommé

par Eisenhower ou à Souter désigné par Bush père. Qu’en est-il de l’organe exécutif ?

Esmein n’hésite pas à affirmer que le chef de l’État dans un régime parlementaire (républicain) est lui aussi inamovible ou

irrévocable : « alors même qu’il est nommé par le Corps législatif, il ne peut être révoqué par lui, et cela suffit pour assurer en

droit l’indépendance qu’exige le principe de la séparation » (...). On accepte la leçon d’Esmein en ce qui concerne la désignation

de l’organe exécutif suprême : en effet, la désignation par un autre organe ne prouve rien – l’indépendance dépend du statut de

l’organe plus que de son mode de désignation (…). Autrement dit, l’indépendance d’un organe n’est pas anéantie s’il est nommé

par un autre organe mais seulement s’il est révocable ad nutum par cet autre organe. C’est là où le bât blesse : on doute de la

pertinence de la démonstration d’Esmein relativement à l’inamovibilité ou l’irrévocabilité du chef de l’État dans une république.

(…) Peut-on affirmer que le chef de l’État dans un régime parlementaire républicain est tout autant irresponsable et irrévocable

qu’un roi dans une monarchie parlementaire ?

Esmein ne cesse d’assimiler l’un à l’autre pour les besoins de la cause. Or il y a une grande différence : un roi peut bien ê tre

renversé au terme d’une révolution mais il ne peut être destitué selon les voies du droit, sauf à ruiner la continuité de l’exécutif et

de l’État (…). Rien de tel dans une république : le principe de légitimité étant tout entier dans le peuple souverain, aucun organe

ne peut échapper à une éventuelle sanction, le plus souvent remise aux représentants « immédiats » du peuple, c’est-à-dire au

Parlement. Le chef de l’État dans un régime républicain peut toujours être destitué ou révoqué, et c’est là une convergence entre

la France et les États-Unis. Un Président de la République n’est jamais inamovible ou irrévocable ; est toujours prévue une issue

de secours constitutionnelle, pour « haute trahison » (ainsi c’était le cas en France avant la révision de février 2007) ou pour

« trahison, corruption, hauts crimes et délits » aux termes de l’article II, section 4 de la Constitution des États-Unis. Objection !

s’écrient les thuriféraires d’Esmein : il s’agit là d’une responsabilité exceptionnelle et pénale, tandis que celle du gouvernement

est ordinaire et politique (…). Cette défense est vaine pour deux raisons. D’une part l’argument de la nature de la responsabilité

est creux : la mise en cause des gouvernants par d’autres gouvernants, c’est-à-dire par des organes politiques, obéit à des

mécanismes politiques ou en partie politiques, quand même on pourrait arguer d’une apparence pénale (…). D’autre part on

rappellera que la naissance du régime parlementaire en Grande-Bretagne résulte du détournement de la procédure d’impeachment

: la responsabilité pénale a été transformée en responsabilité politique, ce qui montre bien la porosité entre les deux sphères.

Il est étonnant que les constitutionnalistes français s’aveuglent à ce point sur le mécanisme d’impeachment aux États-Unis.

Selon l’article II, section 4 de la Constitution, sont visés tous les « officiers » civils des États-Unis, à commencer par le président,

le vice-président et les juges fédéraux. Les incriminations prévues ont un vernis pénal mais sont tellement vagues qu’elles

autorisent une grande liberté herméneutique. Le Congrès, organe ô combien politique, est seul juge de la qualification juridique

des faits (on a constaté la plasticité de l’interprétation lors de l’affaire Lewinsky) – la Chambre des représentants met en accusation

à la majorité simple (article I, section 2, clause 5), tandis que le Sénat juge à la majorité des deux tiers (article I, section 3, clause

6). Surtout, la peine est limitée : elle ne peut aller au-delà de la destitution et de l’interdiction d’exercer toute fonction fédérale à

l’avenir – peines éminemment politiques –, sans préjuger des suites judiciaires qui pourraient frapper la partie déclarée coupable

(art. I, section 3, clause 7). On soulignera l’indiscutable convergence avec la Ve République : le mandat d’un organe politique, le

Président de la République, peut être écourté par un autre organe politique, le Parlement, pour une incrimination qui ne tente même

pas de camoufler sa nature politique. Si l’impeachment ou la responsabilité pour « manquement aux devoirs de la charge » ont

pour conséquence la destitution du Président américain ou du Président français, peut-on continuer à affirmer qu’ils sont

irrévocables ou inamovibles ?

Cette convergence pose un sérieux problème à Esmein et à ses épigones, problème qu’ils éludent. L’impeachment a été

transposé de la Grande-Bretagne aux États-Unis, or la première est une monarchie qui réserve l’impeachment aux ministres du roi

(puisque celui-ci est irresponsable et inviolable), tandis que les seconds forment une république. Pourtant, la Constitution

américaine prévoit un mécanisme de destitution du chef de l’État qui la rapproche des régimes parlementaires républicains telle la

France. Autrement dit, l’élément républicain l’emporte sur l’élément parlementaire et complique l’analyse : comment admettre la

similitude du statut du président américain et du président français alors qu’il s’agit dans le premier cas d’un régime présidentiel

reposant sur la séparation rigide des pouvoirs et dans le second cas d’un régime parlementaire reposant sur la séparation souple

des pouvoirs ? Pourtant, les auteurs en viennent à nier la lettre constitutionnelle : « aucun des pouvoirs ne peut mettre fin à

l’existence d’un autre », soutiennent Vlad Constantinesco et Stéphane Pierré-Caps, tandis que Jean Gicquel et Jean-Éric Gicquel

assurent que « le président est indépendant du Parlement, qui ne peut mettre en cause sa responsabilité politique » (…). Le

mécanisme d’impeachment adopté outre-Atlantique a indéniablement une origine britannique. Dès lors, pourquoi ce qui est devenu

« politique » en Grande-Bretagne ne pourrait-il le devenir aux États-Unis ? L’exemple de l’impeachment du Président Johnson en

1868 montre qu’on a frôlé une telle transformation (…). Et, en tout état de cause, l’impeachment, s’il n’a jamais été prononcé

contre un président, peut servir de menace conduisant à la démission de celui-ci, c’est-à-dire à la même conséquence que

l’impeachment prononcé par le Sénat : ce fut le cas de Nixon en 1974 à la suite du Watergate.

Non seulement le président peut être désigné par la Chambre des représentants, mais il peut être destitué par le Congrès. On

peut en dire autant des juges : nommés par le président avec l’accord du Sénat, ils peuvent être destitués selon la procédure de

l’impeachment. L’indépendance organique n’est donc pas aussi absolue et définitive que ce que les juristes français prétendent.

La séparation « rigide » des pouvoirs aux États-Unis est ébranlée ; elle est anéantie dès lors qu’on examine le partage des fonctions.

B. L’intrication des fonctions

(…) Dans le régime présidentiel, annoncent Jean et Jean-Éric Gicquel, les organes « s’absorbent dans leur fonction respective

et s’isolent l’un de l’autre, soit une collaboration minimale » (…). De leur côté, Pierre Pactet et Ferdinand Mélin-Soucramanien

notent que, sous réserve de « quelques aménagements » qui « doivent demeurer mineurs », le régime présidentiel emporte « qu’un

organe ne doit, en principe, jamais interférer dans l’exercice des fonctions dévolues à l’autre : le Président ne peut participer à la

fonction législative, les assemblées ne peuvent intervenir dans le fonctionnement de l’exécutif » (…). Une autre partie de la

doctrine s’écarte de cette interprétation. Ainsi Bernard Chantebout met l’accent sur le « partage des fonctions » et sur leur

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interpénétration : « C’est par une simplification abusive qui conduit à une interprétation tout à fait erronée qu’on décrit la

Constitution américaine comme conférant au Président la fonction exécutive, au Congrès la fonction législative et à la Cour la

fonction judiciaire. Dans le système de freins et de contrepoids, qu’elle a mis en place, la Constitution s’est au contraire efforcée

d’éviter une spécialisation de ce type, et elle a défini le rôle de chacun des organes de manière à ce que, empiétant sur le domaine

privilégié des autres, il puisse les paralyser » (…).

De fait, quand on examine attentivement la Constitution américaine, une conclusion s’impose : les fonctions ne sont pas rendues

étanches, les organes ne sont pas enfermés dans l’exercice d’une seule fonction. Les fonctions sont partagées, comme le note

Bernard Chantebout, ou plutôt « balancées », sans que la balance exclue toute spécialisation. Les trois fonctions sont balancées

entre plusieurs organes. Si on commence avec la fonction législative, on devra concéder que la Cour suprême intervient en la

matière depuis qu’elle s’est arrogée le contrôle de constitutionnalité des lois fédérales lors de l’affaire Marbury v. Madison de

1803 (…). Le président participe lui aussi à la fonction législative : il peut recommander des lois, surtout il est doté du droit de

veto sur les bills du Congrès (Constitution des États-Unis, article I, section 7, clause 2 et article II, section 3, clause 1). Si l’on

passe ensuite à la fonction exécutive, on soulignera que le Sénat est incontestablement associé à l’exécution : il doit approuver les

traités négociés par le président et les nominations aux emplois publics fédéraux (Constitution des États-Unis, article II, section 2,

clause 2). Enfin, concernant la fonction judiciaire, elle est parasitée tant par l’organe législatif que par l’organe exécutif : d’une

part le Sénat est érigé en juge lorsqu’il se prononce sur les impeachments, de l’autre le président fait œuvre juridictionnelle lorsqu’il

accorde des grâces (Constitution des États-Unis, article I, section 3, clause 6 et article II, section 2, clause 1).

On ne peut se montrer exhaustif ici. On se focalisera sur l’empiétement le plus net (…) : le veto. La doctrine constitutionnelle

française, secouée pourtant par Michel Troper, a bien du mal à admettre ce que les Américains avouaient dès 1787 : par le veto, le

président est fait co-législateur. Aux termes de l’article I, section 7, clause 2 de la Constitution, toute proposition de loi (bill) votée

par les deux Chambres du Congrès devra être « présentée » au Président. Trois hypothèses alors : le Président signe le projet qui

devient une loi (« shall become a law ») ; le Président refuse de signer le projet et le renvoie devant le Congrès mais son obstruction

peut être surmontée si chacune des Chambres se prononce à la majorité des deux tiers en faveur du texte qui devient une loi («

shall become a law ») ; le Président garde le silence et ne renvoie pas le texte durant les dix jours qui suivent la « présentation »

du bill (et non son vote par le Congrès) – celui-ci devient une loi comme si le texte avait été signé (« shall be a law, in like manner

as if he had signed it »), à moins que le Congrès ne s’ajourne. Cela interdit au président un quelconque renvoi, de sorte que le bill

ne deviendra pas une loi (« it shall not be a law ») : c’est ce qu’on appelle le pocket veto.

La procédure exige que le président soit toujours sollicité – dans tous les cas de figure, le projet de loi doit lui être « présenté

». Et cela fait du président un co-législateur : la véritable association du président à la législation réside dans la « présentation »

préalable, qui le met en mesure de refuser sa signature. Dans la plupart des hypothèses, le président manifestera une volonté, soit

qu’il approuve le bill en le signant, soit qu’il le désapprouve en le renvoyant aux Chambres avec ses observations. La situation

n’est alors pas douteuse. Mais le Président peut aussi rester passif. Pour éviter qu’il paralyse la machine législative à bon compte,

c’est-à-dire sans prendre position, la Constitution dispose que l’écoulement d’un certain délai est synonyme d’approbation : au

bout de dix jours, dimanches exceptés, la proposition de loi devient une loi comme si le Président l’avait signée, bel exemple de

fiction juridique. C’est la seule circonstance où une loi sera promulguée et entrera en vigueur sans signature présidentielle. Mais

si le Congrès s’ajourne dans l’intervalle, la présentation exigée du bill au Président reprend tout son intérêt : la proposition de loi

ne deviendra pas loi. Le pocket veto est une arme redoutable surtout en fin de session parlementaire : comme dans toutes les

démocraties occidentales, l’agenda législatif est aux États-Unis particulièrement chargé dans les derniers jours de la session.

Il reste que le veto s’entend d’abord, dans 60% des cas, de l’opposition formelle du Président à un bill voté par les deux

Chambres du Congrès. À la convention de Philadelphie, le débat a porté sur le caractère absolu ou relatif du veto présidentiel et,

au cas où le veto relatif serait privilégié, sur la majorité nécessaire pour surmonter le veto. Les Fédéralistes les plus convaincus,

Wilson et Hamilton en tête, militaient pour un veto absolu : il leur semblait que c’était le seul moyen d’assurer l’indépendance du

chef de l’exécutif. C’est un échec patent puisque la proposition ne reçoit aucun vote favorable. Aux yeux des délégués, il fallait

bien un check sur le législatif, et le remettre à l’exécutif, sans que celui-ci, incarné dans un seul individu, puisse bloquer

définitivement la volonté des assemblées. Le veto devenait donc relatif (« qualified »), le Congrès pouvant le surmonter («

override »). Toute la question était de savoir à quelle majorité ? Les deux Chambres sont ici à égalité, de la même manière que

pour le vote du bill. Deux seuils ont été débattus : 2/3 et 3/4. Un seuil élevé avait naturellement la préférence des Fédéralistes

puisque, rendant le veto d’autant plus difficile à surmonter, il s’approchait du veto absolu. La Convention va d’abord dans leur

sens avant de se déjuger (…). La cause du revirement est que le Président serait trop puissant : avec le soutien d’un quart seulement

de l’une des deux Chambres, il pourrait paralyser le Congrès ; il lui suffirait de corrompre quelques sénateurs pour atteindre cette

minorité dans la Chambre haute (qui comptera initialement 26 sénateurs).

Le veto relatif est le fruit d’un compromis : la balance des pouvoirs impose que les actes du Congrès puissent être contrariés,

tandis que les principes républicains imposent que le corps législatif, présumé le meilleur représentant de la volonté du peuple, ne

puisse être définitivement paralysé par un exécutif monocéphale ressemblant furieusement à un monarque, voire à un tyran. Le

mécanisme dessiné par la Constitution de 1787 articule en quelque sorte deux checks : le premier du Président sur les bills du

Congrès, le second du Congrès sur le veto du Président. Le veto relatif invite à la discussion et incline au compromis, tandis qu’un

veto absolu est une arme de destruction massive – il est dissuasif au stade de la menace, mais il interdit tout compromis. En

revanche, un veto surmontable, et encore plus à la majorité des deux tiers dans les deux Chambres, oblige les deux départements

à chercher un terrain d’entente, et c’est seulement en dernier ressort que l’arme du veto sera utilisée. D’une part le Congrès doit

engager des pourparlers car il aura toujours du mal à atteindre la double majorité des deux tiers au cas où le Président opposerait

son veto (environ 4 % des vetos sont surmontés). D’autre part le Président doit compromettre parce que les partis américains ne

connaissent pas la discipline de vote de leurs homologues européens et sont prêts à contredire un président pourtant d’une couleur

politique identique à la leur.

Les pouvoirs législatif et exécutif sont, négativement, dotés de la faculté de se paralyser l’un l’autre et ils doivent, positivement,

collaborer pour gouverner (…). Il n’y a pas de clôture fonctionnelle aux États-Unis : il y a une spécialisation fonctionnelle, qui se

traduit par un monopole de l’initiative (Le Président peut recommander des lois (article II, section 3) mais il n’en a pas l’initiative,

qui est réservée au Congrès…) mais les frontières sont poreuses et franchies par des facultés d’empêcher réciproques. La

spécialisation n’est pas synonyme de monopole et de prison : d’une part, si les organes sont spécialisés, c’est-à-dire s’ils sont

principalement compétents pour une fonction identifiée, cela ne signifie pas qu’ils sont exclusivement compétents; d’autre part,

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ils ne sont pas enfermés dans leur fonction principale ou « naturelle » – ils peuvent s’en échapper et envahir, sur le fondement d’un

titre constitutionnel, les fonctions des autres organes.

La spécialisation des organes dans une fonction se traduit en anglais par l’expression « the bulk of » : la fonction législative

est pour sa plus grande part confiée au Congrès, la fonction exécutive est pour sa plus grande part confiée au Président (…), la

fonction judiciaire est confiée pour sa plus grande part aux cours fédérales et notamment à la Cour suprême. Mais cela ne signifie

pas que les organes ne sont pas contrariés dans l’exercice de leurs fonctions ; la balance interdit toute clôture des domaines

d’activité. Les organes peuvent pénétrer dans le domaine « naturel » d’un autre sous une forme à la fois négative (les facultés

d’empêcher tel le veto) et positive (ainsi la ratification par le Sénat des propositions présidentielles). C’est ainsi qu’il faut

comprendre la célèbre assertion de la Cour suprême dans l’arrêt United States v. Nixon de 1974 : « En concevant la structure de

notre gouvernement et en divisant et répartissant les attributs de la souveraineté entre trois branches égales, les constituants ont

cherché à mettre sur pied un système complet, mais les pouvoirs séparés n’ont pas été conçus pour agir dans une absolue

indépendance » (…)

Aux États-Unis, les pouvoirs sont séparés car distingués à la fois organiquement et fonctionnellement, mais ils ne sont pas

indépendants les uns des autres ni organiquement ni fonctionnellement. Ils ne le sont pas organiquement parce que les juges à la

Cour suprême, comme tous les juges fédéraux, sont nommés par le Président avec l’accord du Sénat, parce que le président peut

être désigné par la Chambre des représentants dans nombre d’hypothèses, parce que tous les Officers, y compris le président et les

juges, sont passibles de destitution sur impeachment. Ils ne le sont pas fonctionnellement parce que le Congrès et le président

peuvent pénétrer dans leurs sphères d’action « naturelles ». Le président peut signer une loi ou bien lui opposer son veto ; le Sénat

peut tant approuver que refuser les traités et les nominations. De son côté, la Cour suprême peut paralyser une loi du Congrès en

la déclarant inconstitutionnelle ; elle peut aussi contrarier des prétentions présidentielles (ainsi celles de Nixon lors du Watergate).

La séparation « rigide » des pouvoirs n’est pas seulement un concept creux ; c’est un concept inutile pour décrire le droit positif,

surtout quand on prétend en faire une clé pour appréhender le système constitutionnel des États-Unis. (…)

Doc. 13 – Élisabeth Zoller, « L’invention de la présidence moderne », Pouvoirs, 2014, n°150

(…)

DU PRÉSIDENT, HOMME DE PARTI, AU PRÉSIDENT, HOMME DE LA NATION

Avant Roosevelt, le gouvernement américain n’était pas centré sur le président, mais sur le Congrès. Il n’était présidentiel que

dans les livres6 et non dans les faits. Dans la Constitution de 1787, l’exécutif n’a que peu de pouvoirs, sauf en cas de guerre quand

le président devient commandant en chef sur le modèle de George Washington pendant la guerre d’Indépendance. En temps de

paix, son rôle consiste à faire exécuter les lois et à contenir, de concert avec le Sénat, les « factions »7 dont les constituants

redoutaient la violence à la Chambre des représentants, l’organe directement élu par le peuple8. Là gisait le véritable pouvoir dans

l’État. Woodrow Wilson l’avait fort bien compris quand, en 1885, il qualifia le système politique américain de « gouvernement

congressionnel »9. À l’époque, le problème était l’inadéquation de ce gouvernement avec les besoins d’un État moderne parce

qu’il n’était pas efficace. Car, dans cette enceinte formée, comme Wilson le disait, de « comités composés de toutes sortes

d’hommes, des imbéciles et des astucieux, des compétents et des malins, des honnêtes et des négligents »10, la voix du peuple

n’arrivait pas à se faire entendre. Elle ne trouvait pas forme juridique dans des lois parce que le Congrès manquait d’un leader qui,

comme un Premier ministre dans un régime parlementaire, aurait pu l’inscrire dans un programme de gouvernement.

Wilson était convaincu que le vice du système était constitué par la foule des petites baronnies qui peuplaient le Capitole.

Comparant l’impuissance de ce système de gouvernement avec l’efficience du système de Westminster, il relevait : « Dans le

régime congressionnel, le gouvernement se fait par comités ; dans le régime parlementaire, il se fait par un cabinet de ministres

responsables. »11 Autrement dit, alors qu’au Royaume-Uni le Parlement est dirigé par un leader responsable, aux États-Unis le

Congrès n’a pas de leader parce que tout s’y fait en comités et qu’il est impossible d’assigner une responsabilité à quiconque. Le

remède consistait donc à dégager un leader qui soit responsable devant l’opinion, tel un Premier ministre en Grande-Bretagne, et

le candidat désigné pour occuper cet office était bien sûr, dans son esprit, le président. Quand il parvint à la présidence des États-

Unis en 1914, Wilson s’efforça de mettre en pratique ses idées et il s’attela à la réforme des partis en étendant l’influence du

président pour en faire un chef de parti. Ses efforts ont représenté un moment important dans l’évolution des États-Unis vers l’État

moderne, mais ce n’est pas lui qui les y a finalement conduits, c’est Franklin D. Roosevelt.

Comme Wilson, Roosevelt avait saisi que la voie des réformes passait par une modernisation du système des partis américains.

Mais, moins doctrinaire, plus pragmatique, il pensait que Wilson avait poursuivi une chimère en essayant de créer un parti de

gouvernement. Dès les premières années de sa présidence, Roosevelt comprit que l’enracinement local des partis aux États-Unis

rendait vaine la tentative d’en faire de grands partis nationaux. L’échec de ses efforts, lors de la « purge de 1938 »12, pour renouveler

les cadres conservateurs de son parti fermés aux idées nouvelles et pour en faire un vrai parti de gouvernement uni derrière sa

politique le conforta dans sa conviction qu’il n’arriverait pas à changer ces cadres en profondeur pour qu’ils envoient au Congrès

des élus qui penseraient à autre chose qu’au bacon, au « bout de gras » qu’il faut apporter aux électeurs pour être réélu, autrement

dit qui penseraient à l’intérêt national avant de songer d’abord à leurs États et à leurs intérêts locaux. La présidence moderne qui

mènerait les réformes ne pouvait pas être aux mains d’un chef de parti, pensait Roosevelt ; elle devait être entre les mains d’un

6 Comme celui du visionnaire Walter Bagehot qui avait pressenti l’évolution à venir à partir de l’exemple d’Abraham Lincoln, cf. Walter Bagehot, The English

Constitution, préface de Miles Taylor, Oxford, Oxford’s World Classics, 2001, p. 14-25 7 James Madison, « Lettre n° 10 », in Clinton Rossiter (dir.), The Federalist Papers, NewYork (N. Y.), New American Library, 1961, p. 77 8 Les sénateurs, initialement désignés par les législatures des États, n’ont été élus directement par le peuple dans les États qu’à partir de 1913 avec l’adoption

du dix-septième amendement à la Constitution fédérale. 9 Woodrow Wilson, Congressional Government, Boston (Mass.), Houghton, Mifflin & Co., 1901. 10 Ibid., p. 186-187. 11 Ibid., préface, p. xv-xvi. 12 La « purge de 1938 » est le qualificatif que la presse a donné à la tentative de Roosevelt aux élections de mi-mandat de faire battre quelques notables parmi

les plus endurcis du parti démocrate, hostiles à la politique du New Deal et établis surtout mais pas seulement dans les États du Sud (Maryland, Nebraska,

Géorgie, Caroline du Sud, Rhode Island, Caroline du

Nord, Virginie) pour faire élire à leur place des candidats acquis à la nouvelle politique. Son échec fut cuisant ; sur douze États, le Président ne retourna la

situation à son avantage que dans deux, New York, son propre État, et l’Oregon.

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leader national. Le président devait être le président non pas d’une majorité aussi large soit-elle, mais le président de tout le peuple,

bref, l’homme de la nation.

En 1934, quand Roosevelt entra à la Maison Blanche, le président n’était pas, de tradition, l’homme de la nation ; le président

était d’abord l’homme d’un parti. Des trente et un présidents qui l’avaient précédé, trois seulement avaient échappé à cette fatalité

: George Washington, héros mythique de la guerre d’Indépendance, Abraham Lincoln, légendaire sauveur de l’Union, et Theodore

Roosevelt, le cousin de Franklin, courageux réformateur abandonné par son propre parti pour avoir gouverné en passant au-dessus

de lui et en s’adressant au peuple. Le génie de Franklin D. Roosevelt consista à donner au président les moyens de s’arracher à

l’emprise des partis. (…)

LA PRÉSIDENCE INDÉPENDANTE DES PARTIS

Roosevelt n’était pas contre les partis en tant que tels. Il croyait que « l’existence d’au moins deux partis, effectivement

distincts, est un élément sain et nécessaire […] et que, tels qu’ils sont organisés au niveau national, dans les États, dans les localités,

les partis sont des instruments utiles pour présenter les problèmes, les expliquer, pour permettre à tous les intérêts de se faire

entendre et, accessoirement, pour parfaire les qualités de ceux qui briguent des fonctions publiques »13. Mais il savait qu’une large

fraction des cadres de son parti était contre lui et contre la politique du New Deal. Du coup, la doctrine du « parti de gouvernement »

sur laquelle Wilson comptait pour faire la force du leadership présidentiel vis-à-vis du modèle parlementaire anglais s’est révélée

inadaptée aux besoins du moment et Roosevelt l’a remplacée par celle du « gouvernement sans parti ».

Du gouvernement de parti au gouvernement sans parti

Roosevelt est arrivé au pouvoir parce qu’il avait une vision de l’avenir. Il était porteur d’un message d’espoir pour le peuple

américain avec un programme si riche, si nouveau, qu’il ne se situait pas au niveau législatif, mais au niveau constitutionnel. Fixer

comme tâche au gouvernement fédéral « d’aider à établir une déclaration de droits économiques et un ordre économique

constitutionnel » constituait une véritable révolution. C’était bel et bien une nouvelle Constitution qu’il promettait. Il ne le cachait

pas puisqu’il précisait dans ce même discours programmatique du 23 septembre 1932 : « La foi dans l’Amérique, la foi dans notre

tradition de la responsabilité personnelle, la foi dans nos institutions, la foi en nous-mêmes, exigent que nous reconnaissions les

nouveaux termes du vieux contrat social. »14.

Le programme du New Deal impliquait bien plus qu’une régulation en surface des conditions de la concurrence et du commerce

entre États. Les propositions de Roosevelt en faveur d’une déclaration de droits économiques supposaient une intervention du

gouvernement fédéral dans l’économie qui, au-delà du commerce, pénétrerait dans le droit de l’entreprise, dans celui du travail,

dans le droit syndical, donc dans le droit des États15. Ce programme bouleversait de fond en comble le principe initial du

fédéralisme américain, un gouvernement national faible doté des seuls pouvoirs énumérés dans la Constitution.

À ce titre, les idées de Roosevelt étaient incompatibles avec celles du parti démocrate dont le saint patron était Jefferson qui,

contre les fédéralistes partisans d’un gouvernement national fort, avait défendu les droits des États, la liberté individuelle et un

rôle limité du pouvoir fédéral16. Leur mise en œuvre impliquait une transformation radicale des idées les plus fortes de son parti.

Il y a consacré une énergie infatigable, sans relâche. « Aucun président ne s’est plus battu que [lui] pour laisser la marque de ses

idées sur son parti. »17. Certes, il y est arrivé au bénéfice d’un réalignement des partis qui, pour dire les choses très vite, a fait du

parti démocrate un parti libéral et du parti républicain un parti conservateur. Mais le changement a pris des années (la purge de

1938 fut entreprise pour parvenir à ce résultat avec, on l’a dit, un succès limité).

Le résultat est que, sous ses deux premiers mandats, le Président n’avait pas de majorité au Congrès, en tout cas pas une

majorité comme on l’entend en régime parlementaire, et qu’il a dû mener ses réformes, non avec un parti de gouvernement comme

Wilson, mais avec des coalitions qui n’étaient jamais les mêmes, qui variaient selon les textes. Roosevelt a fait naître un système

politique qui n’est pas majoritaire mais consensuel, dans lequel le président travaille à persuader que ce qu’il souhaite, lui et son

équipe, est dans l’intérêt de tous, même de ceux dont il dépend.

L’affaiblissement des partis que Roosevelt initia en refusant de suivre les « traditions insensées » du sien et en l’obligeant à

changer de doctrine n’a fait que s’approfondir. Il est devenu irréversible dans les années 1960 quand les électeurs prirent le contrôle

des primaires et exigèrent de désigner eux-mêmes librement les candidats du parti aux élections18. Plus le contrôle des partis sur

l’électorat s’est relâché, plus le leadership présidentiel s’est imposé pour mettre en forme de programme politique les préférences

de l’opinion. Par sa maîtrise de la communication et la relation exceptionnelle qu’il entretenait avec les médias, par la franche

simplicité avec laquelle il savait parler à ses concitoyens au cours de ses causeries au coin du feu, Roosevelt a pratiqué ce leadership

avec un art consommé que peu de présidents ont su égaler après lui. Le leadership, qui n’était auparavant qu’une qualité

personnelle, est devenu la marque d’une nouvelle institution.

L’invention de la présidence administrative

Dans l’esprit de Roosevelt et de son équipe, le programme du New Deal n’était pas un épisode sur lequel une autre majorité

pourrait revenir pour lui substituer une autre politique lors d’élections futures. Ce programme était appelé à se pérenniser. Le

rapport Brownlow (1937) qui présenta la réforme projetée n’en fit pas mystère : « Notre volonté nationale ne doit pas seulement

s’exprimer par le biais de la décision électorale, moment bref et exaltant, mais aussi au moyen d’une administration compétente

qui, jour après jour, applique avec constance et détermination ce que la nation a décidé de faire. »19. Le nouveau contrat social

annoncé n’était, comme on l’a dit, ni sur le fond ni sur la forme de nature législative, il était de nature constitutionnelle. Il

garantissait de nouveaux droits ; il devait donc transcender les vicissitudes de la politique.

13 « Address at Jackson Day Dinner », 8 janvier 1940, in Franklin D. Roosevelt, Public Papers…, t. 9, op. cit., p. 28. 14 « Campaign Address on Progressive Government at the Commonwealth Club, San Francisco, California », 23 septembre 1932, in Franklin D. Roosevelt, Public Papers…, t. 1, p. 742, 751-752 (nous soulignons) 15 Les différences entre le mouvement progressiste du début du xxe siècle et le programme du New Deal sont bien expliquées par Morton J. Frisch, Franklin

D. Roosevelt : The Contribution of the New Deal to American Political Thought and Practice, Boston (Mass.), Twayne Publishers, 1975, p. 78. 16 Sidney M. Milkis, Political Parties and Constitutional Government, op. cit., p. 79. 17 Raymond Clapper, « Roosevelt Tries The Primaries », Current History, octobre 1938, p. 16 18 Sur cette prise de contrôle, cf. Élisabeth Zoller, « La candidature à la Maison Blanche », Pouvoirs, n° 138, septembre 2011, p. 107-117. 19 President’s Committee on Administrative Management, Administrative Management in the Government of the United States, US GPO, Washington (D. C.),

janvier 1937, p. 47.

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Tout aurait été si simple si le Président avait pu constitutionnaliser les droits économiques et sociaux du New Deal dans un

amendement à la Constitution fédérale. Un temps, son administration y pensa, surtout après les invalidations en série décidées par

la Cour suprême en 193520, mais elle y renonça parce que la Constitution fédérale est trop rigide pour pouvoir s’ajuster rapidement.

Face à la difficulté de rassembler une majorité des deux tiers dans chaque chambre du Congrès pour faire adopter le texte et de

trouver une rédaction adéquate, et vu le nombre d’années qu’il faut attendre pour qu’il soit ratifié par les États, l’administration a

choisi la seule voie qui s’offrait à elle, la voie législative. La stratégie était risquée car elle pouvait être annulée du jour au lendemain

à la faveur d’un changement de majorité. Aussi bien un nouveau problème surgit-il : comment faire pour assurer la permanence

de la réforme, pour mettre ces nouveaux droits à l’abri des vicissitudes de la politique ? La solution consista à en confier la mise

en œuvre à des agences qui pour certaines sont indépendantes, pour d’autres non, mais qui toutes gravitent autour de la présidence.

En combinant le pouvoir exécutif au pouvoir administratif, le gouvernement du New Deal changea la nature du leadership

présidentiel. De politique et contingent qu’il était sous la présidence de Wilson parce que lié à un parti de gouvernement, il est

devenu institutionnel et permanent parce que lié à une structure stable, l’administration. Le Président reçut de vastes délégations

de pouvoirs qui lui permettent de gouverner sans devoir constamment rechercher la coopération des membres du parti élus au

Congrès et celle des États, autrement dit qui lui permettent de gouverner sans parti, par voie de décrets (executive orders). Au

XIXe siècle, Lincoln avait montré la voie quand, en 1863, il publia la Proclamation d’émancipation dans laquelle unilatéralement

il arrêta : « Toutes les personnes tenues pour esclaves dans les États en rébellion contre l’Union sont, et seront, à jamais libres. »

Mais c’est au XXe siècle que le mouvement a pris son plein essor, avec Theodore Roosevelt qui affecta d’immenses parties du

domaine public fédéral à la création de parcs nationaux, Harry S. Truman qui supprima par décret la ségrégation raciale dans

l’armée, Lyndon B. Johnson qui obligea les agences fédérales à pratiquer une politique d’égalité des chances dans leurs offres de

contrat public en permettant aux petites entreprises des minorités de concourir, Ronald Reagan qui força les agences fédérales à

soumettre tout projet de règlement à une analyse « coût-efficacité », Bill Clinton qui préserva de l’exploitation commerciale

d’immenses pans du domaine public en les plaçant sous le régime des monuments nationaux ou qui bannit toute discrimination

pour orientation sexuelle dans l’armée. Ces initiatives présidentielles ponctuelles ont initié des lames de fond qui ont bouleversé

la société. Le 29 janvier 2014, dans son discours sur l’état de l’Union, Barack Obama a inscrit ses pas dans ceux de ses

prédécesseurs quand, face à l’obstruction des républicains, il a annoncé qu’il légiférerait par décrets pour lutter contre les inégalités.

Aux États-Unis, la recherche de l’unité entre les pouvoirs exécutif et législatif est devenue accessoire. Face à un individualisme

de plus en plus fort dans la population que les partis sont devenus impuissants à contenir, et encore moins à guider, l’objectif n’est

pas d’unir les deux pouvoirs mais, au contraire, de les tenir séparés et d’unir la politique présidentielle à l’administration sous le

contrôle du Congrès. La force de la présidence moderne ne réside pas dans un parti comme en régime parlementaire, mais dans

une administration entièrement dévouée à l’intérêt public. La difficulté est que seuls des hommes d’exception ont la fortitude de

gouverner sans parti et de lâcher les « traditions insensées », même lorsque la constitution leur en donne les moyens. L’histoire l’a

prouvé tant aux États-Unis après Roosevelt qu’en France depuis 1958, mais ici encore plus cruellement qu’outre-Atlantique.

20 Sur ces péripéties, cf. le passionnant récit de Jeff Shesol, Supreme Power : Franklin Roosevelt vs. The Supreme Court, New York (N. Y.), W. W. Norton &

Co., 2010.

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Doc. 14 – Le processus de l’élection présidentielle américaine