Le Monde - 12 06 2020

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2 | INTERNATIONAL VENDREDI 12 JUIN 20200123

Donald Trump dans une mauvaise passeEn chute dans les sondages, le prĂ©sident amĂ©ricain mise sur la reprise de l’économie pour rebondir

washington ­ correspondant

D onald Trump atten­dait cet instant avecimpatience. Les mee­tings politiques qui

lui donnent l’occasion de galva­niser sa base Ă©lectorale repren­dront le 19 juin Ă  Tulsa, dans l’Oklahoma, a­t­il annoncĂ©, mer­credi 10 juin. Il n’a donnĂ© aucuneindication Ă  propos d’éventuel­les mesures visant Ă  rĂ©duire lesrisques de contamination alors que la pandĂ©mie de Covid­19progresse dans des Etats jusqu’à prĂ©sent Ă©pargnĂ©s.

Le prĂ©sident des Etats­Unis es­pĂšre Ă  cette occasion sortir de la posture dĂ©fensive Ă  laquelle il aĂ©tĂ© contraint depuis l’éclatementde la maladie, en mars, jusqu’aux manifestations contre les violen­ces policiĂšres dĂ©clenchĂ©es par la mort tragique de George Floyd,un Afro­AmĂ©ricain Ă©touffĂ© le25 mai par le genou d’un policier de Minneapolis (Minnesota) alorsqu’il gisait au sol, menottĂ©.

Son image a Ă©tĂ© abĂźmĂ©e par cestrois mois de crise. Selon l’agrĂ©ga­teur de sondages du site Real­ClearPolitics, son taux d’approba­tion a chutĂ© de 47 % Ă  42 % pen­dant cette pĂ©riode alors que lesavis contraires ont augmentĂ© dans la mĂȘme proportion. Lesmoyennes des mesures d’inten­tions de vote calculĂ©es par Real­ClearPolitics montrent que son

adversaire dĂ©mocrate, Joe Biden, dispose, au 10 juin, d’une avance deux fois supĂ©rieure Ă  celle d’Hillary Clinton Ă  la mĂȘme date en 2016 (8,1 points contre 3,8).

Ces rĂ©sultats sont purementindicatifs puisque les Ă©lections sejouent au niveau des Etats, maisl’ancien vice­prĂ©sident devanceĂ©galement pour l’instant son adversaire dans la majoritĂ© des Etats­clĂ©s de 2016 – le Michigan, laPennsylvanie et le Wisconsin –, tout comme dans l’ancienbastion rĂ©publicain de l’Arizona.L’écart entre les deux hommes reste cependant proche de la marge d’erreur dans de nom­breuses enquĂȘtes.

Rencontre improvisĂ©eLa cote d’alerte est donc loin d’ĂȘtre atteinte, mais Donald Trump n’est visiblement pas Ă son aise dans la sĂ©quence ouvertepar la mort de George Floyd. Le prĂ©sident a, dans un premier temps, dĂ©noncĂ© le rĂŽle majeur jouĂ©, selon lui, par l’extrĂȘme gauche dans les troubles qui ontĂ©maillĂ© les premiĂšres manifesta­tions, une accusation que rien n’est vraiment venu Ă©tayer. Il l’a reprise pourtant pour exonĂ©rer les policiers qui avaient bousculĂ© un manifestant de 75 ans Ă  Buffalo, dans l’Etat de New York,hospitalisĂ© depuis. Donald Trump s’est inspirĂ© Ă  cette occasion des affirmations d’un

journaliste de l’agence de presse russe Sputnik, qui travaille Ă©gale­ment pour la chaĂźne de tĂ©lĂ©visionprĂ©fĂ©rĂ©e du prĂ©sident, OAN (One America News), depuis qu’iltrouve Fox News parfois tropcritique. Il a ajoutĂ© que le mani­festant Ă©tait selon lui « tombĂ© plusdurement qu’il avait Ă©tĂ© poussĂ© », l’indice selon lui d’un « piĂšge »tendu aux policiers.

Donald Trump a Ă©tĂ© ensuitecritiquĂ© pour avoir privilĂ©giĂ© unerĂ©ponse strictement rĂ©pressiveĂ  la mobilisation dĂ©clenchĂ©e parla mort de George Floyd, niant Ă  rebours de l’opinion amĂ©ri­caine toute forme de racismesystĂ©mique. La Maison Blanchea laissĂ© entendre que le prĂ©si­dent pourrait prononcer undiscours consacrĂ© Ă  ce sujet, peut­ĂȘtre lors d’un dĂ©placementĂ  Dallas, au Texas, jeudi.

Une table ronde avec des figuresafro­amĂ©ricaines a bien Ă©tĂ© im­provisĂ©e, mercredi, mais Donald Trump a ouvert la discussion en annonçant la reprise de ses mee­tings, l’éventualitĂ© du dĂ©place­ment de la convention nationale d’investiture rĂ©publicaine – ini­tialement prĂ©vue en Caroline du Nord –, avant de se fĂ©liciter lon­guement des signes annoncia­teurs, selon lui, d’une reprise de l’économie. Ses interlocuteurscomptaient parmi ses thurifé­raires. « Je voudrais dire Ă  tous les mĂ©dias que j’aimerais qu’ils

cessent de mentir sur ce que [le prĂ©sident a] fait, en particulier pour la communautĂ© noire », a as­surĂ© l’un d’entre eux.

L’évolution rapide de l’opinionamĂ©ricaine sur la question des violences policiĂšres ne cesse deplacer Donald Trump en porte­à­faux. Il s’est indignĂ© du revire­ment du patron de la NationalFootball League (NFL), RogerGoodell, dĂ©sormais ouvert Ă  ceque les joueurs de la ligue profes­sionnelle de football amĂ©ricain expriment publiquement leur condamnation de ces violences.

Enfin, la National Associationfor Stock Car Auto Racing (Nas­car), qui organise un champion­nat automobile trĂšs populaire, a banni, mercredi, « la prĂ©sence du drapeau des confĂ©dĂ©rĂ©s », celui des Etats sudistes esclavagistes pendant la guerre de SĂ©cession (1861­1865), pour tous les Ă©vĂ©ne­ments qu’elle organise.

« Manque de respect »Donald Trump s’est singularisĂ© en annonçant, mercredi, surTwitter, son intention de s’oppo­ser Ă  l’hypothĂšse envisagĂ©e par lePentagone de rebaptiser lesbases militaires portant le nomd’officiers confĂ©dĂ©rĂ©s. Unebonne partie d’entre elles ont Ă©tĂ©crĂ©Ă©es au pic du mouvement ditde la « cause perdue » consacrĂ© Ă  la rĂ©habilitation des Sudistes,pendant les annĂ©es de la sĂ©grĂ©ga­tion. Les statues en hommage Ă ces hommes se sont Ă©galementmultipliĂ©es au cours de la mĂȘmepĂ©riode. Un ancien gĂ©nĂ©ral,David Petraeus, a pris publique­ment position en faveur d’unchangement de nom dans lescolonnes du magazine TheAtlantic, dĂ©nonçant l’honneurfait selon lui Ă  des « traĂźtres ».

La porte­parole du prĂ©sident,Kayleigh McEnany, a dĂ©fendu Donald Trump en assurant qu’une telle dĂ©cision revenait Ă 

« manquer de respect » vis­à­visdes militaires qui sont passés par ces bases. Le président avait dé­fendu cette mémoire sudisteaprÚs les heurts qui avaient op­posé à Charlottesville (Virginie) des suprémacistes blancs et des militants antiracistes, en 2017.

D’anciens militaires, commel’ex­ministre de la dĂ©fense JamesMattis, avaient Ă©galement criti­quĂ© la volontĂ© du prĂ©sident d’en­voyer l’armĂ©e contre les manifes­tants, un vƓu qui avait suscitĂ© unrĂ©el malaise au Pentagone.

Les difficultĂ©s rencontrĂ©es parDonald Trump n’ont cependantpas Ă©branlĂ© sa base Ă©lectorale, etrares ont Ă©tĂ© les voix au CongrĂšsĂ  condamner la thĂ©orie ducomplot popularisĂ©e par le prĂ©si­dent Ă  propos du manifestant deBuffalo. InterrogĂ©s par le journa­liste parlementaire de la chaĂźneCNN Manu Raju, de nombreuxsĂ©nateurs ont ainsi assurĂ©, mardi, n’en avoir pas eu connais­sance. Ils ont de mĂȘme refusĂ© delire la copie du message qui avaitĂ©tĂ© prĂ©parĂ© Ă  leur intention.

Comme l’a montrĂ© la teneur deson intervention lors de la tableronde de mercredi, DonaldTrump espĂšre que la reprise del’économie lui permettra d’effa­cer cette pĂ©riode dĂ©licate. L’ef­fondrement entraĂźnĂ© par la miseĂ  l’arrĂȘt du pays du fait de la pandĂ©mie peut jouer paradoxa­

lement en sa faveur, en replaçantles prĂ©occupations Ă©conomi­ques en tĂȘte des prioritĂ©s desAmĂ©ricains.

Le baromĂštre de l’institut Ipsospour l’agence de presse Reutersen atteste. Sa derniĂšre enquĂȘte, effectuĂ©e les 8 et 9 juin, montre que l’économie est redevenue lesujet de prĂ©occupation principal (20 %) devant la santĂ© (18 %), long­temps dominante, l’emploi (10 %), l’immigration (6 %) et leterrorisme (3 %). Alors que les dĂ©mocrates continuent de consi­dĂ©rer la santĂ© comme une prio­ritĂ©, ce n’est pas le cas des rĂ©publi­cains ni des indĂ©pendants.

Image favorable sur l’économieDonald Trump jouit en la ma­tiĂšre d’une image favorable. Son action pour l’économie estapprouvĂ©e par une majoritĂ© depersonnes interrogĂ©es (50 %contre 44 % d’avis opposĂ©s), toutcomme en matiĂšre d’emploi (52 % contre 42 %). En revanche, ilest minoritaire Ă  propos de lalutte contre le Covid­19 (43 %contre 52 %), de la rĂ©forme de la santĂ© (40 % contre 53 %), et plusencore sur sa « capacitĂ© Ă  unifierle pays » (38 % contre 57 %).

Donald Trump a donc toutesles raisons de se concentrersur ce domaine mĂȘme si les pré­visions de la RĂ©serve fĂ©dĂ©raleamĂ©ricaine (Fed, la banque cen­trale) communiquĂ©es mercredi10 juin ne nourrissent pas unoptimisme Ă©chevelĂ©. Pour l’ins­tant supĂ©rieur Ă  13 %, le tauxde chĂŽmage pourrait en effetdĂ©passer encore 9 % Ă  la fin del’annĂ©e, et 5 % en 2022, soit unchiffre plus Ă©levĂ© que celui dontDonald Trump avait hĂ©ritĂ© en ar­rivant Ă  la Maison Blanche (4,5 %)en 2017. La bonne santĂ© persis­tante de l’économie avait ensuitepermis d’atteindre un Ă©tiagehistorique de 3,5 %.

gilles paris

Donald Trump rentre Ă  la Maison BlancheaprĂšs s’ĂȘtre rendu Ă  l’église Saint­John, Ă  Washington, le 1er juin.BRENDAN SMIALOWSKI/AFP

Selon un agrégateur de

sondages, le tauxd’approbation

de Donald Trump a chuté de 47 %

Ă  42 % entre mars et mai

Si la cote d’alerteest loin d’ĂȘtre

atteinte,le prĂ©sident n’est

pas à son aise dans la séquence

ouvertepar la mort

de George Floyd

Des statues de Christophe Colomb ciblĂ©es par des manifestantsUne statue de Christophe Colomb a Ă©tĂ© dĂ©capitĂ©e, mardi 9 juin au soir, Ă  Boston, et une autre traĂźnĂ©e dans un lac en Virginie, dans la foulĂ©e du mouvement antiraciste relancĂ© aux Etats-Unis par la mort de George Floyd, le 25 mai. De son cĂŽtĂ©, la prĂ©sidente de la Chambre des reprĂ©sentants, Nancy Pelosi, a appelĂ©, mercredi, au retrait des statues de confĂ©dĂ©rĂ©s du Capitole, Ă  Washington. « J’appelle encore une fois Ă  retirer du Capitole les onze statues reprĂ©sentant des soldats et des responsables confĂ©dĂ©rĂ©s », a tweetĂ© l’élue dĂ©mocrate de Californie.

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« Le statu quo n’est pas tenable » au sein des Vingt­Sept sur l’asileNina Gregori, la directrice du Bureau europĂ©en sur l’asile, dĂ©fend une refonte du systĂšme

ENTRETIEN

N ina Gregori est directricede l’EASO, le BureaueuropĂ©en d’appui en

matiĂšre d’asile. Elle estime que lesflux de rĂ©fugiĂ©s vers l’Europe pourraient augmenter en raison de la pandĂ©mie due au Covid­19.

Quel a Ă©tĂ© l’impact du Covid­19 sur l’asile en Europe ?

Le nombre de demandes d’asileenregistrĂ©es en Europe a chutĂ© de 43 % en mars et de 86 % en avril, avec 8 730 demandes. A cause de lacrise, les entrĂ©es en Europe ont Ă©tĂ©pratiquement stoppĂ©es et, dans la plupart des Etats, les procĂ©du­res d’asile ont Ă©tĂ© suspendues. Leschoses sont en train de reprendre doucement. Si on regarde la situa­tion avant la crise due au Covid­19,il y avait plutĂŽt une augmentationdes demandes de protection en Europe, principalement du fait de ressortissants de pays exemp­tĂ©s de visa, comme les VĂ©nĂ©zué­liens et les Colombiens. Alors qu’ily a quelques annĂ©es, ces pays n’étaient pas dans le top 10 des de­mandes d’asile, plus de 45 600 Vé­nĂ©zuĂ©liens et 32 400 Colombiens ont dĂ©posĂ© une demande en 2019.

Comment voyez­vous la demande de protection évoluer à moyen terme ?

Les pays Ă  faibles revenus sontplus vulnĂ©rables face aux pandé­mies. Et ce sont des pays dont sonttraditionnellement originaires les principaux demandeurs d’asile enEurope, comme la Syrie, l’Afgha­nistan, l’Irak ou le Pakistan. On ne peut pas faire de spĂ©culation, maisles Etats membres doivent ĂȘtre at­tentifs au fait que cela peut faire augmenter les flux vers l’Europe.

La crise sanitaire peut­elle remettre en cause la capacitĂ© d’accueil des pays de premiĂšre entrĂ©e en Europe ?

En 2019, l’Espagne a reçu le troi­siĂšme plus grand nombre de demandes d’asile, la GrĂšce le quatriĂšme et l’Italie le sixiĂšme. Malte, qui a la plus petite popula­tion de l’UE, s’est retrouvĂ© au 15e rang. Je rejette l’idĂ©e selon la­quelle les pays en premiĂšre lignene sont pas ouverts. La situation sur le terrain dit le contraire et,bien qu’il y ait toujours des Ă©vĂ©ne­ments regrettables trĂšs mĂ©diati­sĂ©s, tels que des bateaux de mi­grants qui restent bloquĂ©s, la rĂ©a­litĂ© est que les Etats en premiĂšre li­gne font largement de leur mieux.

Je ne pense pas que le Covid­19aura un impact direct immĂ©diat sur les attitudes envers la migra­tion et l’asile. Il pourrait, cepen­dant, inciter Ă  accorder plus de va­leur Ă  la vie humaine, contrant ainsi les discours extrĂ©mistes. Dans le mĂȘme temps, ses retom­bĂ©es Ă©conomiques pourraient exercer encore plus de pression sur les finances nationales, au dé­triment des services d’asile et des structures d’accueil. Il est encore trop tĂŽt pour le dire.

Il n’existe toujours pas de cadre lĂ©gal de rĂ©partition des migrants secourus en mer MĂ©diterranĂ©e


C’est un blocage politique. DesEtats veulent un systùme obliga­toire de relocalisation, d’autres non ; certains veulent faire respec­ter le rùglement de Dublin [selon

lequel le pays d’entrĂ©e est chargĂ© d’examiner la demande de protec­tion], d’autres considĂšrent qu’il nefonctionne pas
 Il n’y a pas d’ap­proche commune sur l’asile. Ces diffĂ©rences de perception sont no­tamment liĂ©es aux positions gĂ©o­graphiques des Etats. Ceux de pre­miĂšre entrĂ©e sont soumis Ă  une forte pression. La Commission doit proposer un nouveau paquet europĂ©en sur l’asile prochaine­ment. Les Etats membres peuventtrouver un compromis.

Ce que l’UE fait ici est sans prĂ©cé­dent dans le monde. L’élaborationd’un rĂ©gime d’asile commun ju­ridiquement contraignant pour 27 pays n’a jamais Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e auparavant. Trois Ă©lĂ©ments sont essentiels pour le futur « paquet asile ». Il doit d’abord ĂȘtre juste. Lestatu quo n’est pas tenable. Tout comme les Etats membres se sontrĂ©unis pendant la crise, ce doitĂȘtre le cas ici aussi. Le fait de ne pasavoir de solution Ă©quitable nuira non seulement Ă  ceux qui fuient les guerres et la persĂ©cution, mais Ă©galement au projet europĂ©en.

Le deuxiĂšme Ă©lĂ©ment impor­tant est que ce pacte doit ĂȘtre du­rable. Nous ne savons pas com­ment Ă©voluera la sĂ©curitĂ© interna­tionale au cours des prochaines annĂ©es et nous devons donc dis­poser d’un systĂšme qui puisse s’adapter. Si ce sont actuellement les Etats du Bassin mĂ©diterranĂ©enqui sont en premiĂšre ligne, rien negarantit que ce sera le cas Ă  l’ave­nir. Un systĂšme d’asile durable estun systĂšme d’assurance pour tousles Etats membres. Enfin, il devras’agir d’un compromis. Il est clairqu’il n’y a pas de solution dont tout le monde sera entiĂšrement satisfait. Il vaut mieux avancer lentement que pas du tout.

Les Ă©quipes de l’EASO contribuent Ă  l’harmonisation des systĂšmes d’asile en Europe. Que doit­on attendre d’une telle convergence ?

L’harmonisation des procé­dures d’asile signifie que si un Afghan demande l’asile Ă  Malte, il recevra le mĂȘme rĂ©sultat Ă  sademande que s’il avait fait une de­mande en France. Aujourd’hui, le taux de protection d’unAfghan s’établit Ă  64 % en Angle­terre, mais atteint 93 % en Italie.

L’impact principal de l’harmoni­sation est qu’elle contribue Ă  Ă©li­miner ce que l’on appelle le « shop­ping de l’asile », par lequel un mi­grant cherche Ă  faire sa demande dans un Etat membre qui offre le rĂ©sultat le plus avantageux. Cela ouvre Ă©galement la porte Ă  une so­lidaritĂ© plus facile au sein de l’UE elle­mĂȘme. MĂȘme au niveau poli­tique, cela signifie que les taux de reconnaissance Ă©tant similaires, les citoyens ne pensent pas que leur pays applique aux deman­deurs d’asile des normes diffĂ©ren­tes de celles d’un autre pays.

L’UE a rĂ©alisĂ© des progrĂšs aucours de la derniĂšre dĂ©cennie. Cela est notamment dĂ» Ă  la for­mation intensive que l’EASO a dis­pensĂ©e aux fonctionnaires natio­naux ou aux documents sources qui fournissent des informations standardisĂ©es sur la situation dans les pays d’origine. Il reste, bien sĂ»r, encore du travail Ă  faire en matiĂšre de convergence.

propos recueillis par julia pascual

A AthĂšnes, la dĂ©tresse des rĂ©fugiĂ©s en voie d’expulsion de leur logementLe gouvernement a rĂ©duit la durĂ©e d’hĂ©bergement des Ă©trangers bĂ©nĂ©ficiant de l’asile

athÚnes ­ correspondance

V ous ĂȘtes dĂ©sormais res­ponsables de votre vie,vous devez quitter l’ap­

partement dont vous avez bĂ©nĂ©fi­ciĂ© durant votre demande d’asile. »Ces mots rĂ©sonnent encore cruel­lement dans la tĂȘte de Mohamed Al­Rifaie, un Syrien de 19 ans qui vit avec sa mĂšre et son frĂšre aĂźnĂ©dans un deux­piĂšces d’un quar­tier populaire du port du PirĂ©e.

Le 1er juin, l’ONG Nostos qui leuravait attribuĂ© le logement dans le cadre du programme d’hĂ©berge­ment Estia gĂ©rĂ© par le Haut­Com­missariat aux rĂ©fugiĂ©s (HCR) et fi­nancĂ© par la Commission euro­pĂ©enne, leur a ordonnĂ© de quitter les lieux. Ils avaient dĂ©jĂ  reçu unavertissement quinze jours aupa­ravant. « L’ONG nous a prĂ©venus que la police pourrait dĂ©sormais venir nous dĂ©loger. Mais nous n’avons aucune alternative, nousleur avons expliquĂ© que nous ne pouvions pas nous retrouver Ă  larue, surtout en raison des pro­blĂšmes de santĂ© de mon frĂšre »,constate Mohamed.

Son frĂšre Ahmad, 25 ans, a subiune opĂ©ration du cerveau Ă  sonarrivĂ©e en GrĂšce il y a trois ans et doit ĂȘtre suivi rĂ©guliĂšrement Ă  l’hĂŽpital. L’ONG, qui les emmĂšne habituellement chez les mĂ©de­cins, a arrĂȘtĂ© de s’occuper de leur

situation. Leur aide financiÚre demoins de 400 euros a également cessé au début du mois.

Selon une loi votĂ©e en novem­bre 2019 Ă  l’initiative du premier ministre conservateur, Kyriakos Mitsotakis, et appliquĂ©e tardive­ment en raison du Covid­19, la pé­riode pendant laquelle les rĂ©fu­giĂ©s ayant obtenu l’asile peuventrester dans les appartements mis Ă  leur disposition a Ă©tĂ© rĂ©duite de six Ă  un mois. D’aprĂšs le ministĂšredes migrations, quelque 11 200 ré­fugiĂ©s doivent ĂȘtre expulsĂ©s de ces logements sociaux, mais aussides camps et des chambres d’hέtel Ă  travers le pays.

« Qu’allons-nous devenir ? »« Ces mesures d’expulsion des rĂ©fu­giĂ©s reconnus sont en fait dans le prolongement de la ligne durechoisie par le gouvernement grec en matiĂšre migratoire, soutient Fi­lippa Chatzistavrou, professeure associĂ©e en sciences politiques Ă l’universitĂ© d’AthĂšnes. L’idĂ©e est demontrer aux rĂ©fugiĂ©s qu’ils ne sontpas les bienvenus en GrĂšce, d’avoir un effet d’épouvantail sur les can­didats Ă  l’asile mais aussi de sé­duire les Ă©lecteurs attirĂ©s par le dis­cours de l’extrĂȘme droite. »

Les ONG qui s’occupent de lagestion des appartements se re­trouvent dans la dĂ©licate situa­tion de dĂ©loger les occupants. Cer­

taines associations s’y refusentpour l’instant. C’est le cas de Soli­darity Now, qui, sur 411 locataires, affirme n’avoir eu que dix dĂ©partsdepuis le 1er juin. « Une grande ma­joritĂ© sont des rĂ©fugiĂ©s syriens vic­times de stress post­traumatique, des familles, des mĂšres seules avec enfants, des personnes en situa­tion d’handicap », commente Eva Giannakaki, en charge des ques­tions de logement pour l’ONG.

Au deuxiĂšme Ă©tage de l’immeu­ble de Mohamed Al­Rifaie, la si­tuation de la famille Nadaoui, desIrakiens, est elle aussi alarmante. Asil Nadaoui a cinq enfants, dont Maya, 5 ans, qui ne peut s’alimen­ter qu’à l’aide d’une sonde gastri­que. Son mari est, lui, paralysĂ© desjambes. « Nous devons thĂ©orique­ment partir fin juin
 Mais nousn’avons ni travail ni aide finan­ciĂšre, qu’allons­nous devenir ? », estime Mustafa, l’aĂźnĂ© de 20 ans.

Le gouvernement grec soutientque les rĂ©fugiĂ©s expulsĂ©s peuvent postuler Ă  un autre programme, « Helios », mis en place par l’OIM (Organisation internationale pourles migrations), afin de bĂ©nĂ©ficier de cours de grec et d’une alloca­tion pour leur logement. Mais il nepermet pour le moment de soute­nir que 3 500 personnes et les dé­marches administratives sont lourdes, comme le constate Nahla Salama, une Syrienne de Rakka,

qui doit quitter son studio du cen­tre d’AthĂšnes dĂ©but juillet : « Il fautd’abord signer un contrat de loca­tion pour ensuite obtenir l’aide de l’OIM. Or, les propriĂ©taires deman­dent deux loyers d’avance, une somme trop importante pour moi, et sont souvent rĂ©ticents Ă  louer aux Ă©trangers
 », soupire la jeune femme de 26 ans, veuve et mĂšre d’une enfant de 3 ans.

Les autoritĂ©s estiment pourtantque cette politique est nĂ©cessairepour faire de la place aux nou­veaux arrivants : « Les camps des Ăźles du nord de la mer EgĂ©e sont dé­bordĂ©s [environ 32 500 deman­deurs d’asile pour une capacitĂ© de6 000 places], il est indispensablede poursuivre les transferts pour les plus vulnĂ©rables et de leur faire bĂ©nĂ©ficier de ces logements », sejustifie Manos Logothetis, secré­taire gĂ©nĂ©ral chargĂ© de l’asile au ministĂšre grec de l’immigration.

Mais au lieu d’augmenter la ca­pacitĂ© d’accueil sur le continent, comme le recommande le HCR, le gouvernement veut fermer des camps : « Avec la diminution des ar­rivĂ©es sur les Ăźles ces derniers mois et l’accĂ©lĂ©ration des examens des demandes d’asile, nous pouvons envisager la fermeture de camps en 2020 », a dĂ©clarĂ© mardi le minis­tre des migrations, Notis Mita­rachi, sur la chaĂźne Open.

marina rafenberg

Le « pacte migratoire », un dossier sensible pour l’Allemagne et l’UELa Commission plaide pour une « politique rĂ©aliste » de l’immigration

bruxelles ­ bureau européen

C’ est le brouillon de cequi devait ĂȘtre l’unedes grandes priori­tĂ©s de la Commis­

sion europĂ©enne. Avant la pandé­mie de Covid­19, la nĂ©cessitĂ© de re­lancer l’économie, les dĂ©saccords sur le futur budget de l’Union oul’enlisement de la nĂ©gociation surle Brexit. Le « Pacte pour la migra­tion », annoncĂ© dĂšs son entrĂ©e en fonctions par la prĂ©sidente Ursulavon der Leyen, reste sans doute un sujet important pour les Vingt­Sept, mais la future prĂ©si­dence allemande de l’Union − le 1er juillet pour six mois − ne de­vrait pas mettre ce texte d’une vingtaine de pages, lu par Le Monde, en tĂȘte de son agenda. « Il y a bien d’autres soucis et, en outre,les positions politiques n’ont pas bougĂ© », rĂ©sume un diplomate.

AnnoncĂ©e pour le premier tri­mestre de 2020, sans doute dé­voilĂ©e officiellement Ă  la fin dudeuxiĂšme, l’initiative des com­missaires Margaritis Schinas (promotion du mode de vie eu­ropĂ©en) et Ylva Johansson (affai­res intĂ©rieures) vise Ă  rĂ©gler un dĂ©bat minĂ©, depuis des annĂ©es, par un dĂ©faut de solidaritĂ© entre les pays. Avec certains dirigeantsqui prospĂšrent grĂące Ă  leur refus obstinĂ© d’accueillir des « mi­grants » qui sont souvent des de­mandeurs d’asile et des rĂ©fugiĂ©s.

« Outils pratiques »Ce texte pourrait­il faire cesserles polĂ©miques qui ont marquĂ© l’actualitĂ© depuis 2015 ? Elles por­taient sur l’accueil des deman­deurs, les rĂšgles divergentes qui rĂ©gissent l’asile selon les Etats, le rĂšglement de Dublin qui oblige le premier pays d’entrĂ©e dans l’Union Ă  se charger de l’instruc­tion des dossiers, ou encore les mĂ©canismes de dĂ©barquement

des migrants secourus en mer. Pour Bruxelles, le moment est venu de poser les bases d’un dĂ©batserein, alors que le nombre d’arri­vĂ©es irrĂ©guliĂšres dans l’UE est Ă  son niveau le plus bas depuis 2014 et que, comme le mentionne le do­cument, « il est temps de se rĂ©fĂ©rer aux faits plus qu’aux perceptions ».

Selon ce projet de texte « confi­dentiel » actuellement en discus­sion avec les capitales, les ressor­tissants de pays tiers comptent ac­tuellement pour 4,4 % de la popu­lation totale de l’UE, la migration restera un phĂ©nomĂšne durable etelle serait parfaitement gĂ©rable dans le cadre d’un systĂšme effi­cace et rĂ©silient. En outre, soulignele texte, une Europe vieillissante et en manque de main­d’Ɠuvre spĂ©cialisĂ©e aurait intĂ©rĂȘt Ă  « attirerceux dont elle a besoin pour lacompĂ©titivitĂ© de son Ă©conomie et lemaintien de son bien­ĂȘtre ». Sur ce point comme sur d’autres, le do­cument note toutefois prudem­ment « certaines hĂ©sitations ».

La Commission prĂŽne « une po­litique rĂ©aliste, qui ne crĂ©e ni faux espoirs ni effets d’aspiration ». Tout en respectant le devoir hu­manitaire et le principe de non­refoulement, cette politique de­vrait donc souligner aussi la né­cessitĂ© d’une gestion des retours plus efficace, alors que 66 % des demandes d’asile ont Ă©tĂ© rejetĂ©es par les pays membres en 2019 et

qu’un tiers seulement des per­sonnes dĂ©boutĂ©es quittent effec­tivement le territoire.

La Commission suggĂšre trois« outils pratiques » Ă  mettre en Ɠuvre parallĂšlement : des parte­nariats internationaux « robus­tes » avec les pays d’origine ou detransit, des frontiĂšres extĂ©rieures mieux surveillĂ©es et des procĂ©du­res plus efficaces et plus rapides.

Les accords conclus avec le Ma­roc, le Niger et surtout la Turquie, devraient ainsi ĂȘtre maintenus et Ă©tendus. La Tunisie, l’Ethiopie, l’Irak, le Bangladesh ou les paysdes Balkans devraient recevoir desinvestissements et de l’argent afinde dĂ©velopper la lutte contre la mi­gration irrĂ©guliĂšre, contrĂŽler leursfrontiĂšres et rĂ©admettre leurs na­tionaux. Le Liban, l’Egypte ou la Jordanie, qui accueillent de nom­breux rĂ©fugiĂ©s, devraient bĂ©nĂ©fi­cier d’aides accrues dans le cadre de la hausse d’un budget « Asile et migration » que Bruxelles espĂšre voir passer de 12 Ă  32 milliards d’euros (sur la pĂ©riode 2020/2027).

DĂ©bat « Ă©pidermique »Aux frontiĂšres extĂ©rieures, le renforcement de l’agence Fron­tex, couplĂ© au dĂ©veloppement des techniques d’intelligence arti­ficielle − prĂ©vu, au mieux, pour2023­2025 –, devrait permettredes contrĂŽles plus efficaces et unelutte renforcĂ©e contre les rĂ©seaux qui acheminent aujourd’hui quelque 90 % des clandestins versles portes de l’Europe. Bruxelles prĂŽne aussi la gĂ©nĂ©ralisation desprocĂ©dures dites d’« asile Ă  lafrontiĂšre », Ă  savoir des mĂ©thodes d’examen rapide des demandes.

Pas de quoi, toutefois, calmer ledĂ©bat qu’un diplomate dĂ©crit comme « Ă©pidermique » sur deuxquestions­clĂ©s et indissociables : la solidaritĂ© pour l’accueil − le texte prĂ©fĂšre d’ailleurs Ă©voquer « une vraie responsabilitĂ© parta­

gĂ©e » − et les dispositions du rĂšgle­ment de Dublin, jugĂ©es insuppor­tables par les pays du Sud, l’Italie, la GrĂšce ou Malte, qui exigent unerĂ©partition de la charge.

Si la Commission Ă©voque lanĂ©cessitĂ© d’une politique « coor­donnĂ©e, harmonisĂ©e, stratĂ©gi­que », les pays du Groupe de Vise­grad − Hongrie, Pologne, RĂ©publi­que tchĂšque, Slovaquie – campentsur leur refus obstinĂ© d’accueillirtout Ă©tranger issu d’un pays tiers. L’Autriche, les Pays­Bas, le Dane­mark ont, eux, dĂ©veloppĂ© des po­litiques restrictives. Et un groupelimitĂ© (France, Allemagne, Portu­gal, Irlande, SuĂšde, Luxembourg) est prĂȘt Ă  ouvrir une discussion, tout en sachant que ces pays ont accueilli quelque 90 % des « rĂ©ins­tallations » depuis 2015. Soit envi­ron 100 000 personnes, alors que les Nations unies chiffrent les be­soins Ă  1,44 million de places d’ac­cueil pour la seule annĂ©e 2020


La Commission est donc Ă  larecherche d’un compromis que pourrait endosser la prĂ©sidenceallemande, avec diffĂ©rents scĂ©na­rios possibles (une pression mi­gratoire faible, intense ou trĂšs in­tense), qui entraĂźnerait un engage­ment Ă  gĂ©omĂ©trie variable des dif­fĂ©rents Etats membres. Il lui reste Ă  trouver la « masse critique » de pays qui accepteraient des reloca­lisations, tandis que les autres se­raient contraints de les aider fi­nanciĂšrement − et massivement.

« On pourrait accorder des dé­rogations Ă  certains et les obligeren mĂȘme temps Ă  “passer Ă  la caisse”. Mais il reste encore Ă  trou­ver les pays acceptant d’accueillir et, dans le contexte actuel, on n’y est vraiment pas », juge un expert.Avec, Ă  la clĂ©, une seule certitude : Berlin ne s’engagera pas dans une discussion qui rĂ©vĂ©lerait, unefois encore, des divisions bĂ©antes au sein de l’Union.

jean­pierre stroobants

Selon l’UE, une Europe

vieillissante et enmanque de main-

d’Ɠuvre auraitintĂ©rĂȘt Ă  « attirer

ceux dont elle a besoin »

« Un systĂšme d’asile durableest un systĂšme

d’assurance pour tous les

Etats membres »

« Le Covid-19 pourrait inciter à accorder plus

de valeur à la vie humaine »

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Page 4: Le Monde - 12 06 2020

4 | international VENDREDI 12 JUIN 20200123

Au Nicaragua, l’inaction « irrationnelle » face au Covid­19Une dizaine de mĂ©decins hospitaliers, qui alertaient sur la gestion dĂ©sastreuse de la pandĂ©mie par le rĂ©gime Ortega, ont Ă©tĂ© licenciĂ©s

V oici ma lettre de licen­ciement, et il n’y figureaucune raison valable !De toute ma vie profes­

sionnelle, je n’ai jamais eu ne serait­ce qu’un avertissement. »Maria Nela Escoto Lopez, anes­thĂ©siste de l’hĂŽpital Lenin­Fon­seca, Ă  Managua, s’étrangle d’in­dignation sur une vidĂ©o publiĂ©e mardi 9 juin sur les rĂ©seaux so­ciaux, aprĂšs avoir appris son ren­voi du jour au lendemain. « Je fais partie de ces personnes qui ont donnĂ© de la voix et qui ont rĂ©clamĂ©ce qui est juste », continue­t­elle,masquĂ©e et en blouse blanche.

Alors que la situation sanitaires’est aggravĂ©e de maniĂšre expo­nentielle au Nicaragua ces derniÚ­res semaines, une dizaine de mé­decins qui, comme elle, avaient critiquĂ© l’inaction du gouverne­ment pour lutter contre l’épidé­mie de Covid­19, ont Ă©tĂ© licenciĂ©s,mardi, des Ă©tablissements pu­blics oĂč ils exerçaient.

Tous avaient signĂ©, le 28 mai,aux cĂŽtĂ©s de 700 autres mĂ©de­cins, une lettre ouverte alertantsur la quasi­saturation du sys­tĂšme de santĂ© public « avec uneforte probabilitĂ© d’effondrement dans les prochains jours » et « unrisque de mort Ă©levĂ© pour la popu­lation », rĂ©clamant des Ă©quipe­ments de protection pour le per­sonnel mĂ©dical. « L’Etat continuede ne pas appliquer les mesuresqui permettraient de contrĂŽlerl’éruption, ignorant de maniĂšre indolente la rĂ©alitĂ© de la pandé­mie dans notre pays », ajoutaientles mĂ©decins.

« ReprĂ©sailles »Le gouvernement de DanielOrtega, au pouvoir depuis 2007et qui fait face Ă  un mouvement de contestation – rĂ©primĂ© dans lesang – depuis deux ans, a refusĂ©de confiner la population ou defermer les Ă©coles et a, au con­traire, promu des manifestationsde masse depuis le dĂ©but de l’épi­dĂ©mie. Une marche de solidaritĂ©

s’appelait mĂȘme « L’amour auxtemps du Covid­19 » 

La veille du licenciement desdix mĂ©decins, un des principaux infectiologues du pays (qui n’en compte que cinq), Carlos Quant, avait aussi Ă©tĂ© brutalement mis Ă la porte de l’hĂŽpital Roberto­Cal­deron de Managua. « Ce sont desreprĂ©sailles de la part du ministĂšrede la santĂ© », assure­t­il. Signatairede la tribune de 700 mĂ©decins, Carlos Quant fait partie du co­mitĂ© scientifique multidiscipli­naire mis en place par une dou­zaine de spĂ©cialistes de la santĂ© pour conseiller la population sur la maniĂšre de prĂ©venir les conta­minations, et trĂšs critique du manque du gouvernement.

L’Observatoire citoyen Covid­19,une plate­forme indĂ©pendantecrĂ©Ă©e pour suivre l’évolution de lapandĂ©mie, dĂ©nombrait, lui, plusde 5 000 cas et 1 000 morts au 3 juin, pour une population de 6 millions d’habitants, alors que les autoritĂ©s reconnaissaient, le 9 juin, 55 morts pour 1 354 cas.

Les mĂ©decins sont aux premiÚ­res loges de l’épidĂ©mie. L’Observa­toire citoyen recense 48 mortssuspectes du Covid­19 parmi le personnel soignant. « Dans monhĂŽpital, six membres du corps mé­dical sont morts du virus, s’indi­gne Carlos Quant, et au moins 50 % en mĂ©decine interne sont ou ont Ă©tĂ© malades. » Jusqu’à il y a un mois et demi, le ministĂšre de la santĂ© avait interdit aux mĂ©decins de porter des masques et desgants dans les hĂŽpitaux pour ne pas alarmer les patients. « C’est en­core le cas dans deux hĂŽpitauxhors de Managua », prĂ©cise l’épi­dĂ©miologiste Leonel ArgĂŒello, membre du comitĂ© scientifique multidisciplinaire.

L’épidĂ©mie touche tout le pays.Et si les hĂŽpitaux ne sont pas en­core arrivĂ©s Ă  saturation, « c’est parce que le taux de mortalitĂ© esttrĂšs Ă©levĂ© et que les lits se libÚ­rent », soupire Carlos Quant. Beaucoup de patients prĂ©fĂšrent

également quitter les lieux « pouraller mourir chez eux ».

De nombreuses vidĂ©os circulentsur les rĂ©seaux sociaux et les mé­dias d’opposition, montrant des « enterrements express », de jour comme de nuit, des cercueils sor­tant directement des hĂŽpitaux, entourĂ©s de personnel en combi­naison complĂšte et escortĂ©s par des policiers. Les vidĂ©os ont fait rĂ©agir la vice­prĂ©sidente et Ă©pouse du prĂ©sident Ortega, Rosario Murillo, qui dĂ©nonce ceux qui « prĂ©tendent crĂ©er de fausses rĂ©ali­tĂ©s en utilisant des vidĂ©os d’autres pays, en faisant croire qu’il s’agit devidĂ©os du Nicaragua ». Le couple prĂ©sidentiel n’a pas Ă©tĂ© vu hors de sa rĂ©sidence d’El Carmen depuis au moins quatre mois.

Le gouvernement justifie sa dé­cision de ne pas dĂ©crĂ©ter de confi­nement par la nĂ©cessitĂ© de proté­ger l’économie. Dans un Livreblanc rendu public fin mai, le mi­nistĂšre de la santĂ© souligne sa« stratĂ©gie d’équilibre entre la pan­dĂ©mie et l’économie », dans un pays oĂč « 40 % de la population vitĂ  la campagne et 80 % des tra­vailleurs des zones urbaines tra­vaillent de maniĂšre informelle ».

« Une chose est ne pas vouloir pa­ralyser l’économie, une autre estcelle de promouvoir des rassem­blements de masse, dĂ©nonce Car­los Quant. On aurait pu au moins fermer les Ă©coles et les universitĂ©s, prendre des mesures graduelles qui n’auraient pas signifiĂ© l’arrĂȘt total de l’économie. »

L’inaction du gouvernement estd’autant plus « irrationnelle », con­

sidĂšre l’épidĂ©miologiste Leonel ArgĂŒello, que le virus semble ne pas avoir Ă©pargnĂ© le rĂ©gime. Une vingtaine de ministres, con­seillers prĂ©sidentiels, dĂ©putĂ©s, maires ou dirigeants du Front san­diniste de libĂ©ration nationale (FSLN), le parti au pouvoir, auraient succombĂ© du Covid­19ces derniĂšres semaines. Tous se souviennent de la maniĂšre dont Edwin Castro, prĂ©sident du groupeparlementaire du FSLN, s’était mo­quĂ© de dĂ©putĂ©s de l’opposition ar­rivĂ©s masquĂ©s dans l’hĂ©micycledĂ©but mars. Trois mois plus tard, Edwin Castro Ă©tait hospitalisĂ©pendant deux semaines avec des symptĂŽmes de la maladie.

« Enterrement express »Ce fut ensuite le tour du ministre des tĂ©lĂ©communications, Or­lando Castillo – sous le coup de sanctions imposĂ©es par Washing­ton pour son rĂŽle dans la rĂ©pres­sion de manifestants et de mĂ©diasen 2018 –, et du maire de Masaya, Orlando Noguera – qui avait menĂ©d’une main de fer l’étouffement de la contestation dans sa ville –, tous deux dĂ©cĂ©dĂ©s dĂ©but juin dans des unitĂ©s hospitaliĂšres con­sacrĂ©es au Covid­19. Noguera a en outre Ă©tĂ© inhumĂ© lors d’un « en­terrement express ».

Face Ă  la situation, trente­quatreassociations mĂ©dicales ont publiĂ©un appel, le 1er juin, Ă  un confine­ment volontaire de la population « pendant trois ou quatre semai­nes », demandant des mesures « Ă grande Ă©chelle ». Un appel sou­tenu par le secteur privĂ©, mais re­lativement peu suivi. « La majo­ritĂ© de la population s’en tient aux mĂ©dias officiels aux mains du gou­vernement ou de la famille du pré­sident », regrette Leonel ArgĂŒello,qui craint que la courbe ascen­dante de cas ne se maintienne pendant au moins six mois. « La situation, alerte Carlos Quant, neva pas devenir catastrophique, mais apocalyptique. »

angeline montoya

L’enquĂȘte Palme bouclĂ©e, la SuĂšde déçueLes critiques se multiplient aprĂšs l’identification du meurtrier de l’ancien premier ministre

malmö (suÚde) ­correspondante régionale

D es témoignages contra­dictoires, un récit en dé­calage avec celui des té­

moins sur place et l’envie cons­tante d’interfĂ©rer dans l’enquĂȘte. VoilĂ  les Ă©lĂ©ments qui ont conduit,mercredi 10 juin, le procureur Kris­ter Petersson, chargĂ© du dossier depuis 2017, Ă  dĂ©signer Stig Engs­tröm comme le meurtrier pré­sumĂ© du premier ministre Olof Palme, tuĂ© en plein centre de Stoc­kholm, le 28 fĂ©vrier 1986. Trente­quatre ans que les SuĂ©dois atten­daient ce moment. Mais l’annoncea suscitĂ© un mĂ©lange de dĂ©ceptionet de colĂšre, accompagnĂ© du senti­ment d’un immense gĂąchis.

En fĂ©vrier, le procureur avaitlaissĂ© entendre qu’il pourrait pré­senter des preuves concrĂštes. Mer­credi, il a admis que les Ă©lĂ©ments Ă  charge contre le graphiste, ĂągĂ© de52 ans au moment des faits, « n’auraient pas suffi Ă  le mettre en examen », mais qu’ils auraient per­mis de l’interpeller et de le placer en dĂ©tention provisoire.

Ce ne sera pas possible. Stig Engs­tröm s’est suicidĂ© en juin 2000. NĂ©en 1934 en Inde, Ă  Bombay, oĂč son pĂšre travaillait comme ingĂ©nieur,

il est envoyĂ© en SuĂšde Ă  12 ans. Il seretrouve dans un pensionnat Ă  Stockholm, le mĂȘme qu’Olof Palme a frĂ©quentĂ© quelques an­nĂ©es plus tĂŽt. Stig Engström tra­vaille dans l’armĂ©e, puis Ă  la radio suĂ©doise, avant d’ĂȘtre embauchĂ© par la compagnie d’assurances Skandia. DivorcĂ©, puis remariĂ©, sans enfant, il est engagĂ© au Parti conservateur et Ă©volue dans un milieu oĂč la haine de Palme est la rĂšgle. En mars 2018, le journaliste Thomas Pettersson rĂ©vĂšle qu’il a appartenu Ă  un club de tir et fré­quentĂ© un collectionneur d’armes.

« SĂ»rs de rien »Hans Melander, chef du « groupePalme », composĂ© de quatre poli­ciers, confirme au Monde que lesenquĂȘteurs « ne sont sĂ»rs de rien »,mais mentionne des « circonstan­ces fortes ». Stig Engström, rappel­le­t­il, « avait des difficultĂ©s finan­ciĂšres, souffrait d’alcoolisme et du sentiment de ne pas avoir accom­pli ce qu’il aurait dĂ» ».

Le 28 février 1986, à 23 h 19, legraphiste quitte son bureau, àquelques dizaines de mÚtres dulieu du meurtre. Olof Palme est tué deux minutes plus tard.Le lendemain, Stig Engström contacte la police et le journal

Svenska Dagbladet. Il dit avoir parlĂ© avec la femme du premier ministre, Lisbeth Palme − qui dé­ment. Il identifie un suspect, « avec une veste bleue ».

Pour les policiers, il s’agit d’undes tĂ©moins que Stig Engström nepeut pas avoir vu de l’endroit oĂč ilaffirme se trouver. Il s’empresse aussi de mettre en garde les en­quĂȘteurs : il craint que les person­nes sur place l’aient pris pour letueur et que les policiers partent sur une mauvaise piste. « Si on Ă©tait conspirationniste ou cyni­que, on peut se dire que c’est trĂšsintelligent de la part d’un meur­trier », a notĂ©, mercredi, le procu­reur. Durant des annĂ©es, Stig Engström continuera de donnerdes interviews, clamant que la po­lice ne l’a pas pris au sĂ©rieux. Il té­moignera mĂȘme au procĂšs de Christer Pettersson, condamnĂ© en premiĂšre instance pour lemeurtre, puis relaxĂ© en appel.

Des policiers le voient commeune piste sĂ©rieuse. Hans Holmer,le chef de la police de Stockholm,obsĂ©dĂ© par le Parti des tra­vailleurs kurdes, l’écarte. Il faut at­tendre 2017 pour que « Skandia­mannen » − « l’homme de Skan­dia », surnom d’Engström − de­vienne le suspect principal,

quand le « groupe Palme » re­prend l’enquĂȘte Ă  zĂ©ro.

En 1994, Inga­Britt Ahlenius,haut fonctionnaire, avait siĂ©gĂ© au sein de la commission d’enquĂȘte, chargĂ©e par le Parlement d’éva­luer le travail de la police. Elle avoue sa dĂ©ception : « L’histoire netient pas. Ça ne peut pas ĂȘtre aussi simple qu’un pur hasard qui vou­drait que Stig Engström, sortant du travail Ă  23 h 29, une arme dans sa poche, croise Olof Palme dans larue et dĂ©cide de le tuer. » Pour le journaliste Gunnar Wall, auteur d’ouvrages sur le sujet, « cette con­clusion choquante est dans la li­gnĂ©e de ce qu’a Ă©tĂ© l’enquĂȘte, un immense Ă©chec pour notre sys­tĂšme judiciaire ». En SuĂšde, la criti­que est massive contre ce qui estprĂ©sentĂ© comme un « fiasco ».

Regrettant l’absence de condam­nation, le premier ministre social­dĂ©mocrate, Stefan Löfven, a af­firmĂ©, mercredi, que l’enquĂȘte pourrait reprendre si des informa­tions sĂ©rieuses faisaient surface. D’une immense dignitĂ© depuis le dĂ©but, les trois fils d’Olof Palme ont assurĂ©, pour leur part, ĂȘtre convaincus par les arguments du procureur, mĂȘme s’ils regrettent l’absence de preuves concrĂštes.

anne­françoise hivert

Le gouvernement ajustifié sa décisionde ne pas confiner

par sa volontéde protéger

l’économie du pays

Au PĂ©rou, l’oxygĂšne se vendĂ  prix d’or au marchĂ© noir

C’ est un « crime », une « trahison Ă  la patrie ». Pilar Maz­zetti, mĂ©decin et prĂ©sidente du dĂ©nommĂ© « com­mando Covid­19 » chargĂ© de la lutte contre l’épidĂ©mie,

n’a pas de mots assez durs pour qualifier la spĂ©culation sur les prix de l’oxygĂšne, tandis que le PĂ©rou est confrontĂ© Ă  une inquié­tante pĂ©nurie de gaz mĂ©dical et que pas loin de 10 000 patients sont actuellement hospitalisĂ©s. DeuxiĂšme pays le plus touchĂ© par le Covid­19 en AmĂ©rique latine en nombre de cas, aprĂšs le BrĂ©sil, le PĂ©rou a dĂ©passĂ© la barre symbolique des 200 000 mala­des et 5 903 morts au dernier bilan en date du jeudi 11 juin.

La demande d’oxygĂšne dans les hĂŽpitaux est de 40 % supé­rieure Ă  la production disponible, selon le prĂ©sident du conseildes ministres, Vicente Zeballos. Actuellement, 216 tonnes d’oxy­gĂšne sont utilisĂ©es chaque jour et il en manque 136 tonnes. Les besoins sont en constante augmentation. Le gouvernement cal­cule qu’ils seraient de l’ordre de 400 tonnes par jour, d’ici la fin du mois de juin. Des estimations qui cachent une rĂ©alitĂ© encore plus prĂ©occupante. Selon Cesar Chaname, porte­parole de la sé­curitĂ© sociale Essalud, c’est un « vĂ©ritable tsunami » qui a dĂ©ferlĂ©sur le pays, avec une augmentation exponentielle de la demandede « 500 % Ă  600 % » depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie.

La pĂ©nurie a d’abord frappĂ© la ville d’Iquitos en Amazonie – oĂčdes mĂ©decins avaient tirĂ© le signal d’alarme il y a plusieurs se­maines –, puis d’autres rĂ©gions du nord du pays. Elle touchemaintenant la capitale Lima, oĂč vit un tiers de la population et qui concentre plus de 70 % des cas de malades du Covid­19. La

semaine derniĂšre, le gouverne­ment a annoncĂ© que le PĂ©rouĂ©tait arrivĂ© au maximum de saproduction. A Lima, des imagesdiffusĂ©es sur les chaĂźnes de tĂ©lé­vision nationale montrent des fi­les d’attente de plusieurs dizai­nes de mĂštres devant des four­nisseurs spĂ©cialisĂ©s. Les ache­teurs sont prĂȘts Ă  patienter desheures, voire toute une nuit,

pour se procurer de l’oxygĂšne pour leurs parents malades. Le marchĂ© noir s’est dĂ©veloppĂ© et la spĂ©culation va bon train. Se­lon le bureau du dĂ©fenseur des droits, le prix du ballon d’oxy­gĂšne de 10 m3 coĂ»terait entre 3 500 et 6 000 soles, environ 900 Ă 1 500 euros. Un prix multipliĂ© par dix par rapport au dĂ©but de l’épidĂ©mie, dont le premier cas a Ă©tĂ© recensĂ© le 5 mars. Toute­fois, Cesar Chaname tempĂšre : « Le marchĂ© noir reprĂ©sente seule­ment 2 % Ă  3 % de l’oxygĂšne en circulation. »

Un rapport publiĂ© le 6 juin par le dĂ©fenseur des droits, WalterGutierrez, accuse le gouvernement du prĂ©sident Martin Vizcarrade ne pas avoir anticipĂ©, alors qu’il avait Ă©tĂ© informĂ© fin avril de lapĂ©nurie Ă  venir. Jeudi 4 juin, le gouvernement a enfin dĂ©crĂ©tĂ© desmesures d’urgence. L’oxygĂšne a Ă©tĂ© qualifiĂ© de « bien public » et de « ressource d’intĂ©rĂȘt stratĂ©gique ». Le dĂ©cret ordonne de don­ner la prioritĂ© Ă  l’oxygĂšne mĂ©dical sur l’oxygĂšne industriel. Mais ces dĂ©clarations arrivent tard et sont « insuffisantes », juge WalterGutierrez, pour qui il faut des « mesures contraignantes ».

Avec la reprise de l’économie dĂ©cidĂ©e en juin et le redĂ©marragede certaines activitĂ©s stratĂ©giques comme le secteur minier et la mĂ©tallurgie, les besoins en oxygĂšne industriel vont de nouveau augmenter et peser sur le secteur de la santĂ©, s’inquiĂšte le bureaudu dĂ©fenseur des droits. Le PĂ©rou a annoncĂ© l’importation de gazmĂ©dical Ă  ses voisins colombien, Ă©quatorien et chilien. « Nous nesommes qu’au dĂ©but de la crise de l’oxygĂšne, estime Ciro Vargas, mĂ©decin Ă©pidĂ©miologiste et vice­prĂ©sident du CollĂšge des mĂ©de­cins, il faut agir dans les plus brefs dĂ©lais. »

amanda chaparro (lima, correspondance)

SELON UN BILAN Ă‰TABLI AU 11 JUIN, LE COVID­19 A TOUCHÉ PLUS DE 200 000 PERSONNESET FAIT 5 903 MORTS

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Page 5: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 international | 5

En baisse dans les sondages, Erdogan rĂ©primeAlors que l’opinion turque critique la gestion de la crise sanitaire, des journalistes et des dĂ©putĂ©s sont arrĂȘtĂ©s

istanbul ­ correspondante

M ilitaires, gendar­mes, policiers, jour­nalistes, médecins,députés, le régime

turc a renouĂ© avec les purges ces derniers jours, multipliant les ar­restations, les destitutions et les tentatives de restreindre la libertĂ© d’expression, du moins ce qu’il en reste. Mardi 9 juin, 414 personnes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es, des militaires surtout, pour leurs liens prĂ©sumĂ©savec le mouvement religieux du prĂ©dicateur GĂŒlen, accusĂ© d’avoir orchestrĂ© la tentative de coup d’État ratĂ©e de 2016.

La veille, la police turque a placĂ©en garde Ă  vue deux journalistes dans le cadre d’une enquĂȘte pour « espionnage politique et mili­taire ». Ismail Dukel, le reprĂ©sen­tant d’Ankara de la chaĂźne de tĂ©lé­vision TelE1, et MĂŒyesser Yildiz,du site d’information OdaTV, ont Ă©tĂ© interrogĂ©s par la police anti­terroriste. Ils sont accusĂ©s d’avoir diffusĂ© des informations sur la mort, en Libye, d’un officier turc du renseignement.

En mai, six autres journalistesavaient Ă©tĂ© placĂ©s en dĂ©tention pour la mĂȘme raison. Ils risquent dix­sept ans de prison pour avoir rĂ©vĂ©lĂ© des « secrets d’Etat ». Quatre­vingt­quinze journalistes sont ac­tuellement emprisonnĂ©s en Tur­quie selon l’AssemblĂ©e parlemen­taire du Conseil de l’Europe. La purge n’a pas Ă©pargnĂ© les dĂ©putĂ©s de l’opposition. Jeudi dernier, le Parlement turc, dominĂ© par la coa­lition formĂ©e par le Parti de la jus­tice et du dĂ©veloppement (AKP, au pouvoir) et le Parti d’action natio­naliste (MHP), a dĂ©chu de leur mandat trois dĂ©putĂ©s condamnĂ©s dans le cadre de diffĂ©rents procĂšs.

Obsession du contrĂŽleEnis Berberoglu, du Parti rĂ©publi­cain du peuple (CHP, centre gau­che, laĂŻque) ainsi que Leyla GĂŒvenet Musa Farisogullari, du Parti dĂ©mocratique des peuples (HDP,gauche, prokurde) ont perdu leur mandat et ne pourront donc plus siĂ©ger au Parlement. Dans la fou­lĂ©e, les trois parlementaires dé­chus ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s. Quelquesjours plus tard, deux d’entre eux,Enis Berberoglu et Leyla GĂŒven, ont Ă©tĂ© relĂąchĂ©s.

Depuis la crise sanitaire liée auCovid­19, le corps médical est plusque jamais dans le collimateur des autorités. Ces derniers mois,

des enquĂȘtes judiciaires ont Ă©tĂ© ouvertes contre plusieurs mĂ©de­cins dans les provinces Ă  majoritĂ©kurde de Van, Mardin et Sanliurfa,Ă  l’est et au sud est du pays. Accu­sĂ©s d’avoir suscitĂ© « la peur et la panique parmi l’opinion », une ac­cusation brandie contre tousceux qui critiquent la gestion de la crise sanitaire par le gouverne­ment, ils risquent entre deux et quatre ans de prison.

Le rĂ©gime n’est pas gĂȘnĂ© par le« deux poids deux mesures ». Autant l’opposition se fait tapersur les doigts Ă  la moindre criti­que, autant les zĂ©lotes du pouvoiren place ont toute latitude pours’exprimer, y compris lorsqu’ils appellent au meurtre.

Le 9 mai, Sevda Noyan, unecommentatrice de la chaĂźne ÜlkeTV, a dĂ©clarĂ© que sa famille « Ă©tait prĂȘte Ă  tuer cinquante personnes »pour sauver Erdogan. « Ma liste est prĂȘte. Quatre Ă  cinq de mes voi­sins y figurent », s’est­elle vantĂ©e.InterrogĂ© par des journalistes soucieux de savoir si ce genre dediscours ne constituait pas une

infraction, Ebubekir Sahin, le di­recteur du RTÜK (l’équivalent duCSA en France), a rĂ©pondu qu’il « ne fallait pas exagĂ©rer ».

La nouvelle vague de rĂ©pressionintervient alors que le Parlement turc a adoptĂ©, jeudi 11 juin au ma­tin, un projet de loi controversĂ© visant Ă  renforcer les prĂ©rogativesdes « gardiens de quartier », une police parallĂšle forte de 28 000 membres. La loi leur per­met dĂ©sormais de fouiller les pas­sants et leurs vĂ©hicules, vĂ©rifierles identitĂ©s et, au besoin, utiliser leurs armes. Un autre projet de loien cours d’examen prĂ©voit d’obli­ger les internautes Ă  se doter d’unnumĂ©ro d’identification pour ac­cĂ©der aux rĂ©seaux sociaux tels WhatApp, Facebook, Twitter,Instagram. Le gouvernement en­tend ainsi repĂ©rer plus aisĂ©ment les voix dissonantes et neutrali­ser la moindre pensĂ©e critique.

Cette obsession du contrĂŽle re­prĂ©sente l’ultime effort du prĂ©si­dent turc Recep Tayyip Erdogan pour tenter de renforcer son em­prise sur le pays. Et ce, pour une

raison. A en croire les derniers sondages, lui et son parti AKP semblent avoir perdu son pou­voir d’attraction.

Özer Sencar, le directeur de l’ins­titut de sondages Metropoll, l’a confirmĂ© lors d’une interview dif­fusĂ©e mercredi 10 juin sur la tĂ©lĂ©vi­sion en ligne Medyascope : « Selon nos derniers sondages, la popula­ritĂ© de l’AKP est tombĂ©e Ă  30 %. (
). Avec le MHP son partenaire de coalition, l’AKP est crĂ©ditĂ©e de 45 % Ă  46 % des intentions de vote en vuede la prĂ©sidentielle [prĂ©vue pour 2023]. » Avec l’ancien systĂšme parlementaire, 30 % des voix suffi­saient Ă  former une majoritĂ©.

En 2002, l’AKP a d’ailleurs rem­portĂ© les lĂ©gislatives avec 34 % des voix, ce qui a permis Ă  Erdogan, son chef, d’ĂȘtre Ă©lu premier minis­tre par le Parlement quelques mois plus tard. Mais depuis la mise en place du nouveau sys­tĂšme prĂ©sidentiel, Ă  l’initiative du numĂ©ro un, la barre a Ă©tĂ© placĂ©e plus haut. Le prĂ©sident doit dĂ©sor­mais recueillir 51 % des voix pour l’emporter. Une perte de voix de l’ordre de 1 % ou 2 % pourrait suf­fire Ă  Ă©branler son assise.

« Perte de leadership »« Les gens sont mĂ©contents d’Erdo­gan et de son gouvernement en rai­son de leur mauvaise gestion de la crise due au coronavirus. Aucun fi­let social n’a Ă©tĂ© mis en place, la po­pulation est déçue. Les enquĂȘtes d’opinion traduisent cette dĂ©cep­tion », explique Baris Yarkadas, un ancien dĂ©putĂ© du CHP (2015­2018).L’acharnement du prĂ©sident turc envers les dĂ©putĂ©s, les journalis­tes, les maires HDP et plus large­ment envers toutes les voix criti­ques est, selon lui, « liĂ© Ă  sa perte de

leadership ». Il en est sĂ»r, « Erdoganne supporte pas le fait que deux personnalitĂ©s du CHP, Ă  savoir le maire d’Ankara, Mansur Yavas, et celui d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, affichent des scores de popularitĂ© plus Ă©levĂ©s que le sien ».

Le facteur Ă©conomique est dé­terminant. « Le plus souvent en Turquie, ce sont difficultĂ©s Ă©cono­miques qui font chuter les politi­ciens. Les restrictions en matiĂšrede dĂ©mocratie et de libertĂ©s ne comptent pas aux yeux de l’électo­rat qui privilĂ©gie un pouvoir fort.En revanche, l’économie est pri­mordiale », explique Özer Sencar,de l’institut Metropoll.

DĂšs lors, l’habillage historico­re­ligieux prisĂ© par Erdogan pour as­seoir sa lĂ©gitimitĂ© ne fonctionne plus. « Evoquer la transformation de la basilique Sainte­Sophie en mosquĂ©e pouvait ĂȘtre perçu positi­vement par la population il y a quelques annĂ©es, plus aujourd’hui. L’argument est Ă©culĂ©, il n’apporte aucun point de plus Ă  l’AKP », con­clut le politologue.

marie jégo

L’Arabie saoudite peine Ă  juguler la pandĂ©mie de Covid­19Alors que le nombre de cas augmente, Riyad a annoncĂ© de nouvelles restrictions quelques jours Ă  peine aprĂšs l’allĂ©gement du couvre­feu

beyrouth ­ correspondant

E n Arabie saoudite, l’épidé­mie de Covid­19 est tĂȘtue.Alors que le processus de

déconfinement a commencé finmai, avec notamment la réouver­ture des mosquées, le rythme de propagation de la maladie nemontre aucun signe de ralentis­sement. Au contraire : 3 717 nou­velles contaminations ont été en­registrées sur la seule journée de mercredi 10 juin, un chiffre ja­mais atteint jusque­là.

Au total, 112 288 cas ont Ă©tĂ© ré­pertoriĂ©s, ce qui fait de l’Arabie saoudite le pays du monde arabele plus touchĂ© par la pandĂ©mie.Le nombre de dĂ©cĂšs est Ă©gale­ment en forte augmentation, avec 36 morts mercredi − alors que la moyenne s’établissaitautour de vingt au dĂ©but du mois − et un total de 819 dĂ©cĂšs.

Ces statistiques prennent lesautoritĂ©s de Riyad Ă  contre­pied.La Couronne, impatiente de tour­ner la page d’une Ă©pidĂ©mie qui,

couplĂ©e Ă  l’effondrement des prixdu pĂ©trole, a eu un impact dĂ©sas­treux sur l’économie locale, se re­trouve obligĂ©e d’imposer de nou­veau des restrictions.

Le couvre­feu, qui avait Ă©tĂ© levĂ©le 31 mai dans tout le pays entre6 heures et 20 heures, Ă  l’excep­tion de la ville sainte de La Mec­que, a Ă©tĂ© rĂ©tabli vendredi 5 juin Ă partir de 15 heures Ă  Djedda, legrand port sur la mer Rouge, oĂčles unitĂ©s de soins intensifs sontsaturĂ©es. Les fonctionnaires, de retour sur leur lieu de travail de­puis Ă  peine une semaine, ont Ă©tĂ©renvoyĂ©s Ă  leur domicile et lespriĂšres dans les mosquĂ©es ontĂ©tĂ© de nouveau suspendues.

Lundi 8 juin, un nouveau coupde frein a Ă©tĂ© donnĂ© dans la straté­gie de dĂ©confinement : aprĂšs que des employĂ©s de mosquĂ©es ont Ă©tĂ© testĂ©s et dĂ©clarĂ©s positifs auCovid­19, 70 lieux de culte supplé­mentaires ont Ă©tĂ© fermĂ©s. Ces me­sures de reconfinement pour­raient ĂȘtre Ă©tendues Ă  la capitale,Riyad, en raison d’« une augmen­

tation continue au cours des der­niers jours » des cas critiques se­lon le ministĂšre de l’intĂ©rieur.

La levĂ©e des restrictions se vou­lait pourtant prudente. Dans lesmosquĂ©es, pour rĂ©duire au maxi­mum le risque de contamination,les exemplaires du Coran, tradi­tionnellement Ă  disposition des croyants, devaient ĂȘtre retirĂ©s. LesfidĂšles devaient effectuer leurs ablutions − un rituel de purifica­tion − Ă  leur domicile, apporter leur propre tapis de priĂšre et res­pecter une distance d’au moins

2,5 mĂštres. En guise de prĂ©cau­tion, le gouvernement a aussi or­donnĂ© que les mosquĂ©es refer­ment leur porte dix minutesaprĂšs la fin de la priĂšre et que lesermon du vendredi ne dure pas plus d’un quart d’heure. Une amende de 1 000 riyals (235 euros)est prĂ©vue pour les rĂ©fractaires auport du masque, obligatoire enpublic. Sur Twitter, le ministĂšrede la santĂ© a mĂȘme prĂ©cisĂ©, Ă  l’in­tention des Saoudiennes, que leniqab (voile couvrant le visage Ă  l’exception des yeux) ne pouvaittenir lieu de masque que s’il Ă©tait constituĂ© de plusieurs couches detissu, solidement maintenues surla bouche et le nez.

« Pas assez de policiers »« Le problĂšme est que ces consi­gnes ne sont pas respectĂ©es », dĂ©plore un journaliste saoudien,sous le couvert de l’anony­mat. Selon cette source, « la dĂ©ci­sion de dĂ©confiner a Ă©tĂ© prise sousla pression des milieux religieux, pour lesquels le confinement en

pĂ©riode de ramadan a Ă©tĂ© difficile Ă  vivre. L’urgence de relancer l’ac­tivitĂ© Ă©conomique a pesĂ© aussi, ainsi que des considĂ©rations poli­tiques. Il Ă©tait inconcevable demaintenir les mosquĂ©es fermĂ©es au moment oĂč la Turquie, legrand rival de l’Arabie, les rou­vrait. Mais ici, ce n’est pas DubaĂŻ [un Ă©mirat qui a lancĂ© lui aussi ledĂ©confinement alors que l’épidé­mie battait son plein]. Le pays est immense, il n’y a pas assez de poli­ciers pour faire respecter les mesu­res de prudence. »

La suspension de l’oumra, le pe­tit pĂšlerinage, qui se pratique toute l’annĂ©e, reste en vigueur. Lepouvoir observe aussi un silence embarrassĂ© sur le hadj, le grandpĂšlerinage Ă  La Mecque, prĂ©vu en thĂ©orie fin juillet. A la fin mars, lesdirigeants saoudiens avaient ap­pelĂ© les candidats Ă  ce voyage sa­crĂ© Ă  suspendre leurs prĂ©paratifs, sans toutefois proclamer l’annu­lation explicite de l’évĂ©nement,qui a attirĂ© 2,5 millions de musul­mans dans le royaume l’annĂ©e

passé. Les ratés du déconfine­ment rendent son maintien en­core un peu plus improbable.

La lenteur du retour Ă  la nor­male en Arabie saoudite pĂšse aussi sur le moral des famillesde prisonniers. C’est le cas desparents de Loujain Al­Hathloul, une dĂ©fenseuse des droits des femmes, incarcĂ©rĂ©e depuis deuxans avec plusieurs autres mili­tantes fĂ©ministes. Alors que son pĂšre et sa mĂšre parvenaientĂ  lui parler environ une fois parsemaine avant la crise sanitaire,depuis un mois, aucune commu­nication tĂ©lĂ©phonique n’a pu ĂȘtreĂ©tablie avec elle.

« On a contactĂ© la prison, ni leministĂšre de l’intĂ©rieur, ni le minis­tĂšre de la justice, ni qui que ce soit n’ont pu nous renseigner, tĂ©moi­gne Alia Al­Athloul, l’une de ses sƓurs. On commence Ă  s’inquié­ter. On espĂšre que c’est juste dĂ» Ă  un manque de personnel, du fait de l’épidĂ©mie. On veut croire que cen’est pas grave. »

benjamin barthe

« Il était inconcevable

de maintenir les mosquées fermées

au momentoĂč la Turquie les

rouvrait », expliqueun journaliste

Manifestation Ă  Istanbul, le 6 juin, pour la libĂ©ration de Leyla GĂŒven, du Parti de la dĂ©mocratie des peuples (prokurde). Y. AKGUL/AFP

« Aucun filet social n’a Ă©tĂ© mis

en place, la population est

déçue »BARIS YARKADAS

ancien député du CHP

LE CONTEXTE

RÉOUVERTURERecep Tayyip Erdogan aannoncĂ©, mardi 9 juin, la levĂ©e sous conditions du confinement imposĂ© aux seniors et aux jeunes et la rĂ©ouverture, le 1er juillet,des thĂ©Ăątres et des salles decinĂ©ma. La Turquie avait levĂ©,le 1er juin, la plupart des restric-tions en vigueur pour lutter con-tre le Covid-19, qui a fait plus de 4 700 morts sur plus de 173 000 cas recensĂ©s dans le pays.BibliothĂšques, restaurants et crĂš-ches ont pu rouvrir et les dĂ©pla-cements entre les principalesvilles du pays sont Ă  nouveau autorisĂ©s. Les centres commer-ciaux et salons de coiffure ont rouvert depuis mai. Le chef de l’Etat a annulĂ© le confinement imposĂ© uniquement en fin desemaine. L’annonce soudaine,en avril, d’un premier week-end de confinement avait conduitĂ  une ruĂ©e sur les biens depremiĂšre nĂ©cessitĂ©. Erdogana prĂ©cisĂ© que la prioritĂ© Ă©taitdĂ©sormais de mĂ©nager une Ă©co-nomie fragilisĂ©e par la pandĂ©mie.

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Page 6: Le Monde - 12 06 2020

6 | PLANÈTE VENDREDI 12 JUIN 20200123

« Nous ne sommes qu’au dĂ©but de l’épidĂ©mie Â»Le microbiologiste belge Peter Piot estime que l’humanitĂ© va devoir apprendre Ă  vivre avec le Covid­19

ENTRETIEN

D irecteur de la LondonSchool of Hygiene& Tropical Medicine,le médecin et micro­

biologiste belge Peter Piot fut l’undes codĂ©couvreurs du virus Ebola, avant d’ĂȘtre Ă  la tĂȘte de l’Onusida (Programme commundes Nations unies sur le VIH­sida),de 1995 Ă  2008. RĂ©cemment nommĂ© conseiller de la prĂ©si­dente de la Commission euro­pĂ©enne, Ursula von der Leyen, pour la recherche sur le nouveau coronavirus, il a Ă©tĂ© lui­mĂȘme sé­vĂšrement touchĂ© par le Covid­19.

Quel regard portez­vous sur la maniÚre dont le monde a réagi face au Covid­19 ?

Ce que le Covid­19 nous a mon­trĂ©, c’est l’importance d’un lea­dership et d’un bon systĂšme de santĂ© publique prĂ©existant. A part Singapour, TaĂŻwan et Hongkong, tout le monde a sous­estimĂ© l’am­pleur et la vitesse avec lesquelles levirus pouvait se rĂ©pandre. Les na­tions asiatiques avaient conservĂ© le mauvais souvenir de l’épidĂ©mie de SRAS [syndrome respiratoire aigu sĂ©vĂšre] en 2003 et Ă©taient plussensibilisĂ©es. Ils ont rĂ©agi en con­sĂ©quence. Les pays qui ont immé­diatement mis en place des dispo­sitifs de dĂ©pistage ont eu le moins de dĂ©cĂšs. L’Allemagne a montrĂ© le chemin. DĂšs fin janvier, elle dispo­sait d’un test diagnostique et n’a pas attendu d’avoir beaucoup de cas pour l’utiliser Ă  grande Ă©chelle. Le Royaume­Uni a rĂ©agi tardivement et a commencĂ© Ă  par­ler de mise en quarantaine pour les voyageurs quand le nombre de cas Ă©tait en diminution. C’était trop et trop tard. En France comme outre­Manche, les stocks de masques constituĂ©s aprĂšs la pandĂ©mie grippale [A(H1N1)] de 2009­2010 ont disparu des bud­gets. Et il y a eu un sous­investisse­ment dans la santĂ© publique.

Vous Ă©voquiez le reflux de la pandĂ©mie. Pourrions­nous en ĂȘtre bientĂŽt dĂ©barrassĂ©s ?

Nous ne sommes qu’au dĂ©butde l’épidĂ©mie. Il n’y a aucune rai­son qu’aprĂšs avoir atteint cetteampleur, elle disparaisse sponta­nĂ©ment. Nous n’avons pas encoreune immunitĂ© de groupe, mĂȘme en SuĂšde, oĂč la stratĂ©gie misant là­dessus a Ă©chouĂ©. Ce n’est que dans un an ou deux ans que nous pourrons faire le bilan de la ri­poste la plus efficace.

La situation dans le monde, mais aussi Ă  l’intĂ©rieur des

frontiÚres nationales est hétérogÚne


Cette pandĂ©mie est un ensem­ble de nombreuses Ă©pidĂ©mies lo­cales. Toutes les rĂ©gions d’un paysne sont pas touchĂ©es uniformé­ment. L’action doit donc ĂȘtre lo­cale ou rĂ©gionale. La majoritĂ© des pays relĂąchent les mesures de dis­tanciation physique. Des flam­bĂ©es Ă©pidĂ©miques sont proba­bles, mais pas de grande ampleur dans l’immĂ©diat. Nous ne devons pas adopter une approche « bull­dozer » et fermer tous les pays, mais cela suppose un niveau d’in­formation en temps rĂ©el, trĂšs pré­cis et trĂšs local, sur l’épidĂ©mie.

Donc, cela implique de vivre avec le Covid­19


Oui, nous devons vivre avec leCovid­19, comme nous vivons avec le VIH. Nous devons admettreque l’éradication de ce virus n’est pas rĂ©alisable actuellement. La seule maladie infectieuse qui ait Ă©tĂ© Ă©radiquĂ©e est la variole, et nousn’en sommes pas trĂšs loin avec la polio. Mais c’est tout. Si nous ne

contrĂŽlons pas le Covid­19, le sys­tĂšme de santĂ© ne peut fonctionnernormalement. Il nous faut donc une approche de rĂ©duction des ris­ques en minimisant l’impact de cette maladie et en rĂ©flĂ©chissant Ă  ce que nos sociĂ©tĂ©s sont prĂȘtes Ă  accepter pour cela.

Il n’est pas possible de revenir aumĂȘme confinement, pas tous les deux mois
 Il a des effets secon­daires Ă©normes et des rĂ©percus­sions sur les autres pathologies : une surmortalitĂ© par infarctus du myocarde, AVC, cancer, faute d’ac­cĂšs aux soins essentiels ; il y a unfort retentissement sur la santĂ©

mentale. Sans parler des problÚ­mes Ă©conomiques. Vivre avec le Covid­19, cela signifie trouver des compromis entre la protection de la population et ne pas aggraver les problĂšmes. Il est nĂ©cessaire de modifier les comportements Ă grande Ă©chelle sur le port du mas­que, le lavage des mains et la dis­tanciation physique. Dans beau­coup de pays, l’épidĂ©mie a surtouttouchĂ© les maisons de retraite, les hĂŽpitaux, les foyers des tra­vailleurs du secteur de la santĂ© et les prisons. Nous devons concen­trer nos efforts sur ces lieux.

Comment le continent africain va­t­il faire face à la pandémie ?

Les Ă©pidĂ©mies voyagent. Il n’y apas de raison que celle­ci Ă©vitel’Afrique. Le Covid­19 s’est pas mal implantĂ©, notamment enAfrique du Sud, dans la rĂ©gion duCap, mais ce n’est pas aussi spec­taculaire qu’en Europe ou dansles AmĂ©riques. Est­ce une simplequestion de temps ? Le faitd’avoir une population plusjeune, en moyenne, que celle du

Vieux Continent pourrait jouer.Des facteurs climatiques pour­raient­ils attĂ©nuer le risque ?Nous l’ignorons. Reste que lesmesures de distanciation physi­que ne sont pas applicables dansles grands townships, commeKhayelitsha, en Afrique du Sud, Kibera, au Kenya, ou dans lesgrandes villes africaines surpeu­plĂ©es. C’est le mĂȘme problĂšme enInde. A Bombay, les cas explo­sent, certains hĂŽpitaux placentdeux malades par lit


Que vous inspire la mobilisa­tion internationale pour mettre au point un vaccin ?

Ce qui a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© accompli encinq mois est impressionnant. Des laboratoires universitaires ou commerciaux ont commencĂ© Ă  travailler dĂšs janvier. Lors du Forum de Davos [21 au 24 janvier],la Coalition pour les innovations en matiĂšre de prĂ©paration aux Ă©pi­dĂ©mies a accordĂ© des finan­cements Ă  quatre projets de re­cherche sur les vaccins. Il existe plus d’une centaine d’initatives.

Les Pays­Bas abattent des visons contaminés par le SARS­CoV­2Les autorités, qui suspectent que deux personnes ont été infectées par les mustélidés, espÚrent prévenir un rebond épidémique

L es autorités sanitairesnéerlandaises procÚdent,depuis le 5 juin et pour une

dizaine de jours, Ă  l’abattage de plusieurs milliers de visons, dont une partie a Ă©tĂ© infectĂ©e par le SARS­CoV­2. Une dĂ©cision priseen dĂ©pit des protestations des associations de protection ani­male, qui appelaient Ă  isoler stric­tement les animaux malades plu­tĂŽt que de tuer toutes les bĂȘtes, et qui provoque la perte d’une sai­son de travail dans ces Ă©levages. Tandis que l’épidĂ©mie de Covid­19dĂ©croĂźt aux Pays­Bas, la prĂ©sence persistante du virus parmi cesanimaux faisait craindre unrebond possible dans la popula­tion, les autoritĂ©s estimant que deux personnes ont pu ĂȘtre con­taminĂ©es par des mustĂ©lidĂ©s.

Courant mai, des vĂ©tĂ©rinaires etĂ©leveurs observent des pneumo­nies suspectes et une mortalitĂ© accrue dans certains Ă©levages si­tuĂ©s dans le sud­est des Pays­Bas, une des zones les plus touchĂ©espar le Covid­19. Le 19 mai, la pré­sence du virus est confirmĂ©e dans trois Ă©levages et des mesu­res sanitaires y sont dĂ©crĂ©tĂ©es. Le 28 mai, aprĂšs la dĂ©couverte d’une quatriĂšme ferme infectĂ©e, elles sont Ă©tendues Ă  toutes les vison­niĂšres nĂ©erlandaises : plus aucun transport d’animaux n’est auto­risĂ© et un dĂ©pistage obligatoire est lancĂ©. Mais entre­temps, le vi­rus a pu circuler plusieurs semai­nes dans ces milieux confinĂ©s Ă  forte densitĂ©. Au 10 juin, treizeĂ©levages Ă©taient concernĂ©s, selon le ministĂšre de l’agriculture.

Aux Pays­Bas, les Ă©levages de vi­sons vivent leurs derniĂšres heu­res. AprĂšs des annĂ©es de campa­gne contre le secteur de la four­rure, le pays a dĂ©cidĂ© en 2013 d’in­terdire toute nouvelle installationet de faire cesser l’activitĂ© des vi­sonniĂšres existantes d’ici Ă  2024. Erwin Vermeulen, de l’association Animal Rights, qui a tentĂ© en vainde faire annuler en justice la dĂ©ci­sion d’abattage, dĂ©plore les condi­tions dans ces Ă©levages. « Les vi­sons vivent dans des cages grilla­gĂ©es, les uns sur les autres, alors quece sont des animaux solitaires. » Avec la fin programmĂ©e de cette activitĂ©, plus aucun investisse­ment n’a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© ces derniĂšres annĂ©es dans les installations. Le virus est apparu au printemps auxPays­Bas, au moment oĂč les vi­

sons mettent bas et les fermes se densifient. « L’élevage de visons est saisonnier, poursuit Erwin Ver­meulen. En mars­avril, on comp­tait 800 000 femelles gestantes. Ce sont dĂ©sormais 4 Ă  5 millions d’ani­maux qui vivent dans les Ă©levages. »

Protection immunitaire fragileSelon les comptes rendus des tra­vaux du comitĂ© de gestion des zoonoses, les experts estiment que les petits ont reçu des anti­corps Ă  la naissance, mais crai­gnent que cette protection immu­nitaire dĂ©croisse au fil des semai­nes. La dĂ©couverte de transmis­sions suspectes Ă  l’homme a fini de convaincre les autoritĂ©s d’or­donner l’abattage sur toutes les fermes contaminĂ©es. Sans pou­voir l’affirmer avec certitude, les

experts du comitĂ© de gestion des zoonoses estiment « probable », auvu de l’analyse du sĂ©quençage gé­nĂ©tique du virus, que les visons aient infectĂ© au moins deux per­sonnes. Cette contamination ani­mal­homme serait la premiĂšre ainsi observĂ©e dans le monde, se­lon l’Organisation mondiale de la santĂ© – la question de l’origine ani­male du SARS­CoV­2 restant, elle, toujours ouverte. « A l’origine, on pense que le virus Ă©tait diffĂ©rent dans le rĂ©servoir animal, relĂšve So­phie Le Poder, professeure de viro­logie Ă  l’Ecole nationale vĂ©tĂ©ri­naire d’Alfort. LĂ , on parle du mĂȘme virus, passant de l’homme au vison puis du vison Ă  l’homme, sans savoir comment prĂ©cisé­ment. » Pour mieux comprendre les chaĂźnes de transmission, des

analyses sont en cours auprĂšs de la population environnante des visonniĂšres pour retracer l’arbre gĂ©nĂ©alogique du virus.

A l’échelle mondiale de la pandé­mie, ces visons contaminĂ©s res­tent une exception. « On ne voit pas d’épizootie animale de SARS­CoV­2, mais des cas sporadiques marginaux par rapport Ă  la conta­mination humaine », assure So­phie Le Poder. Pour elle, les Ă©leva­ges de visons ont agi Ă  l’instar d’autres milieux clos infectĂ©s, tels les bateaux de croisiĂšre. Cet Ă©pi­sode va­t­il accĂ©lĂ©rer la reconver­sion des Ă©levages de visons ? Les associations de protection ani­male l’espĂšrent ; les Ă©leveurs, eux, n’excluent pas de redĂ©marrer l’ac­tivitĂ© dans quelques mois.

mathilde gérard

Le conseiller de la présidente de la Commission européenne pour la recherche sur le Covid­19, à Londres, le 8 mai. HEIDI LARSON

Une dizaine d’entre elles, peut­ĂȘtre, aboutiront.

Qu’attend­on d’un vaccin contre le Covid­19 ?

Son cahier des charges com­prend quatre conditions. Le vac­cin doit dĂ©montrer qu’il protĂšge contre l’infection ou, au moins, at­tĂ©nue les effets de la maladie et ré­duit le nombre des dĂ©cĂšs. Cela im­plique des essais cliniques dansune population oĂč l’incidence duCovid­19 soit suffisante. Elle dimi­nue en Europe. Peut­ĂȘtre au Bré­sil
 Le vaccin doit aussi ne pas avoir d’effets secondaires. Avec une administration Ă  trĂšs grande Ă©chelle, des effets indĂ©sirables rares toucheraient un nombre im­portant de personnes. Une fois ces deux premiĂšres conditionsremplies, il ne faut pas espĂ©rer une autorisation de mise sur le marchĂ© avant 2021.

TroisiĂšme condition, des mil­liards de doses d’un vaccin contre le Covid­19 devront ĂȘtre produi­tes. Une capacitĂ© de production qui n’existe pas Ă  l’heure actuelle. Il faut investir pour acquĂ©rir et construire des unitĂ©s de produc­tion rĂ©pondant aux normes, avant de savoir si le candidat vac­cin va marcher. Enfin, il faut tout faire pour que tous ceux qui ontbesoin du vaccin y aient accĂšs. La collaboration internationale ACT souligne la nĂ©cessitĂ© d’un accĂšs Ă©quitable. C’est trĂšs important au moment oĂč l’on voit apparaĂźtre un nationalisme vaccinal. DonaldTrump affirme que les vaccins produits aux Etats­Unis seront ré­servĂ©s aux Etats­Unis. Il fautĂ  tout prix Ă©viter cela. NĂ©an­moins, il faudra faire des choixsur les prioritĂ©s. Cela donnera lieuĂ  des dĂ©bats trĂšs durs tant qu’il y aura une pĂ©nurie de vaccins.

Vous avez été atteint du Covid­19. Comment avez­vous vécu votre maladie ?

C’est une sale maladie, avec desaspects chroniques chez beau­coup de ceux qui l’ont eue. Ironi­quement, j’ai passĂ© la plus grande partie de ma vie d’adulte Ă  com­battre les virus, Ă  leur mener la viedure. LĂ , un virus a pris sa revan­che sur moi ! C’est quand mĂȘmediffĂ©rent quand on en fait l’expé­rience personnelle : je deviens − pour reprendre une expression nĂ©erlandaise − un « expert d’ex­pĂ©rience ». Comme cela est de­venu habituel dans la lutte contrele sida, il faut impliquer les per­sonnes touchĂ©es dans la rĂ©ponseĂ  cette maladie.

propos recueillis par paul benkimoun

« Il n’est pas possible

de revenir au mĂȘme

confinement, pas tous

les deux mois »

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Page 7: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 planĂšte | 7

Covid­19 : des avocats en quĂȘte de victimesCertains auxiliaires de justice opportunistes n’hĂ©sitent pas Ă  dĂ©marcher des malades

ENQUÊTE

A mesure que l’épidĂ©miede Covid­19, qui a causĂ©plus de 29 000 dĂ©cĂšs enFrance, semble s’étein­

dre, des familles endeuillĂ©es ou des citoyens ulcĂ©rĂ©s par la gestion gouvernementale de cette crise sanitaire demandent des comp­tes. « La judiciarisation est en place,sur le mode amĂ©ricain, notait Roselyne Bachelot, ancienne mi­nistre de la santĂ© aujourd’hui chroniqueuse sur TF1, le 28 mai, ausujet de la dimension judiciaire que prend la pandĂ©mie. Il y a des cabinets d’avocats qui se sont fait une spĂ©cialitĂ© d’aller contacter les malades ».

Dans leur quĂȘte de rĂ©ponses etde vĂ©ritĂ©, les justiciables ne sont en effet pas seuls. Pris d’une soudaine passion pour la santĂ© publique, nombre d’avocats sesont lancĂ©s dans la recherche de victimes pour ĂȘtre parmi les pre­miers Ă  dĂ©poser des plaintes en tout genre. Souvent rĂ©digĂ©es Ă  la hĂąte, celles­ci ne reflĂštent pas forcĂ©ment les prĂ©occupations desvictimes et risquent de crĂ©er delourdes dĂ©ceptions.

Olivia Mokiejewski, dont lagrand­mĂšre est morte du Co­vid­19 Ă  l’hĂŽpital aprĂšs avoir Ă©tĂ©contaminĂ©e dans un Etablisse­ment d’hĂ©bergement pour per­sonnes ĂągĂ©es dĂ©pendantes (Eh­pad) francilien, a fait l’expĂ©rience de l’empressement d’une poi­gnĂ©e de ces auxiliaires de justice. « DĂ©but avril, sur Facebook, j’aivoulu alerter mes confrĂšres sur lapropagation de l’épidĂ©mie et le dé­faut d’information dramatique dans les maisons de retraite, a ex­pliquĂ© au Monde cette journaliste de 43 ans. RĂ©sultat, j’ai Ă©tĂ© littĂ©rale­ment draguĂ©e par une demi­dou­zaine d’avocats insistant pour me rencontrer, me reprĂ©senter. »

Sites sans contenu rĂ©elD’instinct, elle a rĂ©sistĂ©. Elle s’est alliĂ©e Ă  Arnaud Noyer, rencontrĂ© Ă travers une amie commune et dont la grand­mĂšre a aussi suc­combĂ© du Covid­19 dans un Eh­pad des Alpes­Maritimes. Tousdeux ont fondĂ©, le 5 mai, l’associa­tion Collectif 9471, en rĂ©fĂ©renceau nombre de morts recensĂ©s dans les Ehpad Ă  cette date. Et, pour dĂ©poser plainte, ils ont re­crutĂ© un conseil soigneusement choisi pour « son approche humaine, sa dĂ©ontologie et ses tarifs raisonnables ».

Certains avocats sont passĂ©s Ă des mĂ©thodes plus systĂ©mati­ques en crĂ©ant des sites Internet spĂ©cifiques s’affichant comme « associations de victimes ». Des sites au look attrayant, mais dé­pourvus de contenu rĂ©el, Ă  l’op­posĂ© de ce que proposent habi­tuellement les associations devictimes. Pas de liste de revendi­cations, de communiquĂ©s depresse ou d’interpellation des pouvoirs publics
 Tout juste ydemande­t­on de rĂ©pondre Ă  un« sondage » ou de laisser un bref« tĂ©moignage ». « Ce type deprocĂ©dĂ© est un filet pour rĂ©colterles adresses mail et l’identitĂ© d’ad­hĂ©rents susceptibles de devenir defuturs clients », dĂ©crypte unavocat habituĂ© des dossiersjudiciaires de santĂ© publique quia requis l’anonymat.

Avant mĂȘme de dĂ©poser en pré­fecture les statuts de l’Association française des victimes, malades etimpactĂ©s du coronavirus­Co­vid­19 (Corona Victimes), qui le dĂ©signent comme « dirigeant no 1 », Me Jean­Baptiste Soufron, avocat spĂ©cialisĂ© dans le droit des start­up, a ainsi crĂ©Ă© un site. « Monter des associations loi de 1901 et des sites Internet, je sais faire, j’en ai montĂ© 200 », a expli­quĂ© au Monde le quadragĂ©naire, qui fut membre de l’équipe de campagne de François Hollande, conseiller de la ministre chargĂ©e de l’économie numĂ©rique Fleur Pellerin, puis secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Conseil national du numĂ©ri­que, aprĂšs avoir Ă©tĂ© journaliste et entrepreneur. Me Soufron se dit sensible Ă  la cause des victimes duCovid­19 car sa mĂšre a Ă©tĂ© touchĂ©epar une forme lĂ©gĂšre du virus.

Le rĂ©fĂ©rencement du site enpremiĂšre page sur les moteurs de recherche est essentiel pour ral­lier des victimes. « Ce serait bien sivous pouvez mentionner [son] nom, c’est par lĂ  qu’on communi­que
 », n’oublie d’ailleurs pas desuggĂ©rer cet expert du numĂ©ri­que. Sur le site de Corona Victimes ne figure aucune information concernant l’iden­titĂ© des autres membres fonda­teurs de l’association.

EbranlĂ© par la mort de sa mĂšredans un Ehpad francilien, le1er avril, aprĂšs que cette derniĂšre s’était vue refuser un transport Ă l’hĂŽpital par le SAMU, Gilles, 62 ans – qui prĂ©fĂšre conserver l’anonymat –, s’est briĂšvementfait prendre dans ce « filet », alorsqu’il cherchait Ă  rejoindre Coronavictimes (en un seul mot).Moins bien classĂ©e dans les mo­teurs de recherche, cette derniĂšreassociation s’était fait connaĂźtrepar une requĂȘte, dĂ©posĂ©e le2 avril devant le Conseil d’Etat,contre l’inĂ©galitĂ© d’accĂšs auxsoins hospitaliers.

Gilles, qui a, depuis, rejointCoronavictimes, explique avoir « contactĂ© par mail, le 8 avril » l’as­sociation de Me Soufron, puisl’avoir relancĂ©e par deux fois les jours suivants. Un mois et demi plus tard, il a finalement reçu unenewsletter lui proposant de s’as­socier Ă  une plainte contre le di­recteur gĂ©nĂ©ral de la santĂ©, Jé­rĂŽme Salomon, et de lancer un re­cours
 pour faire annuler les Ă©lections municipales. MaisGilles s’y refuse. « L’union fait, cer­tes, la force, mais il n’est pas ques­tion pour moi de m’engager dans des procĂ©dures tous azimuts que jen’ai pas choisies », confie­t­il.

D’autres avocats ont montĂ© desassociations dont les objectifssont en Ă©troite relation avec les compĂ©tences de leur cabinet.

Covid­Grand Est, l’AssociationGrand­Est des victimes du Co­vid­19, par exemple, qui se dĂ©finitcomme une « association de droit local » mais dont rien sur son site n’indique qu’elle a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e par les cabinets de Me Xavier Iochum et Me Laurent PatĂ©. « En ce mo­ment, les gens ont un besoin de droit (
), relĂšve Me Iochum. Alors, on les informe, on leur explique comment bien remplir des recon­naissances en accident du travailou en maladie professionnelle. »

Me Christophe LĂšguevaques,installĂ© Ă  Paris et qui dispose d’unassociĂ© Ă  Toulouse, se dĂ©finit, lui, comme un « activateur de jus­tice ». De longue date, il proposedu « fast droit » sous forme de procĂ©dures « standardisĂ©es » sur sa plate­forme MySMARTcab. Il contourne ainsi l’interdictionfaite aux avocats d’ĂȘtre Ă  l’initia­tive des « actions de groupe »crĂ©Ă©es par la loi de 2014 relative Ă  la consommation.

A travers « N’oublions rien »,son site consacrĂ© au Covid­19, l’avocat invite Ă  rĂ©pondre Ă  un sondage en laissant obligatoire­ment son adresse courriel. Et il propose quatre « actions collecti­ves » clĂ© en main en faveur de l’utilisation de « l’hydroxychloro­quine et de l’azithromycine etd’autres bithĂ©rapies prometteuses contre le Covid­19 », qui subissent, selon lui, « un blocage ».

« DĂ©tournement de la justice »Ces diverses initiatives sont­ellesbien conformes au code de dĂ©ontologie des avocats ? Inter­rogĂ©e, la commission des rĂšgles et usages de la profession d’avo­cat au Conseil national des bar­reaux ne dĂ©cĂšle, « en façade, riende rĂ©prĂ©hensible » sur ces sites, mĂȘme si elle considĂšre qu’il faudra « surveiller » le contenu des e­mails adressĂ©s auxadhĂ©rents pour s’assurer du « res­pect du code de dĂ©ontologie ». Mais qui s’en chargera ?

De son cabinet grenoblois,Me HervĂ© Gerbi, spĂ©cialisĂ© dans l’indemnisation des dommages corporels, observe cette hyper­activitĂ© d’une partie de ses pairs avec circonspection. « Chaquejusticiable a une histoire Ă  part, souligne­t­il. Il s’agit de sonprocĂšs, dans lequel l’avocat est lĂ pour l’accompagner. » Pour lui, le dĂ©marchage des victimes Ă  grande Ă©chelle est « un manque­ment Ă  l’obligation de dĂ©licatesse et d’indĂ©pendance qui interdit Ă  l’avocat de prendre en compte son intĂ©rĂȘt personnel ».

Un point de vue partagĂ© pard’autres dĂ©fenseurs de victimes. Un pĂ©naliste intervenant dansdes dossiers sanitaires d’am­pleur, qui a requis l’anonymat, explique : « On est en train de crĂ©er des clients qu’on agrĂšgepour inventer des causes. C’estdĂ©ontologiquement hors desclous et moralement inaccepta­ble, d’autant que ces plaintes, sou­vent rĂ©digĂ©es Ă  l’emporte­piĂšce,sont d’une qualitĂ© mĂ©diocre. »

Michel Ledoux, avocat des victi­mes de l’amiante depuis vingt­cinq ans, juge, lui aussi, ces mé­thodes « extrĂȘmement douteu­ses ». « Les avocats sont au service de l’association pour lui apporter les Ă©clairages juridiques indispen­sables, pas l’inverse », dit­il. Il s’in­quiĂšte du dĂ©calage entre les pro­messes faites aux victimes « sur lethĂšme, vous allez voir ce que vous allez voir » et les plaintes dĂ©po­sĂ©es prĂ©cipitamment par des confrĂšres totalement dĂ©pourvus d’expĂ©rience dans ce type d’af­faire. « Le rĂŽle d’un avocat est deconseiller, pas de jeter ses clients contre un mur », insiste­t­il.

Les associations qui accompa­gnent de longue date les victi­mes mettent également en gardeles familles en situation de vulnérabilité contre le démar­chage par les avocats. Ellesrecommandent notamment de

prendre son temps avant designer une convention d’hono­raires et de consulter plusieursconseils ayant dĂ©jĂ  fait preuve deleur compĂ©tence sur le sujet avant de choisir.

Selon Françoise Rudetzki, griÚ­vement blessĂ©e dans l’attentat durestaurant parisien Le Grand VĂ©four en 1983 et fondatriceen 1986 de l’association d’aideaux victimes SOS Attentats visantaussi Ă  agir auprĂšs des autoritĂ©s politiques françaises, « le rĂŽle des associations est d’écouter, d’infor­mer et de guider les adhĂ©rents afinqu’ils deviennent acteurs de leur propre parcours, pas d’en faire des victimes passives en les entraĂźnantdans des procĂ©dures judiciairesdont la conduite leur Ă©chappe ».

Michel Parigot, prĂ©sident deCoronavictimes et engagĂ© dansl’aide aux victimes de l’amiantedepuis le dĂ©but des annĂ©es 1990,pose la question directement :« Pourquoi se prĂ©senter comme association de victimes quand onest un cabinet d’avocats, sinonpour tromper ? » Pour lui, cette

« dĂ©rive » est imputable Ă  la ré­cente ouverture de la professiond’avocat « Ă  la publicitĂ© et au dĂ©marchage ». Et il estime « ur­gent que le lĂ©gislateur interviennepour la stopper ». « Les avocatsont un monopole de la reprĂ©sen­tation des victimes devant les tri­bunaux, mais il ne leur donne pasle droit d’agir par et pour eux­mĂȘ­mes, rappelle­t­il. C’est un dĂ©tour­nement de la justice Ă  des fins commerciales, qui instrumenta­lise les victimes et, au final, dĂ©sta­bilise l’état de droit. »

A la lumiĂšre de son expĂ©rience,M. Parigot attire l’attention sur les « consĂ©quences dommagea­bles » de la mainmise que tentent d’exercer certains avocats. « En re­groupant les victimes sous l’angle extrĂȘmement rĂ©ducteur de l’ac­tion judiciaire, ils empĂȘchent la crĂ©ation de vĂ©ritables associationsde victimes, capables d’agir en ma­tiĂšre de prĂ©vention et de peser surles choix de sociĂ©tĂ©. Des associa­tions ayant une rĂ©elle influence sur la politique menĂ©e – commecelles des victimes de l’amiante Ă  la fin des annĂ©es 1990 – ne pour­raient plus Ă©merger dans ce nou­veau contexte. »

A l’époque, ces associations ontpu obtenir l’interdiction de l’usagede l’amiante et la crĂ©ation d’un fonds d’indemnisation des victi­mes de ce matĂ©riau cancĂ©rogĂšne, influer sur la rĂ©glementation de protection des personnes qui y Ă©taient encore exposĂ©es, et aussi participer Ă  la gouvernance des agences de sĂ©curitĂ© sanitaire.

patricia jolly

« J’ai Ă©tĂ© littĂ©ralement

draguée par unedemi-douzaine

d’avocats insistant pour

me rencontrer »OLIVIA MOKIEJEWSKI

petite-fille d’une victimecontaminĂ©e dans un Ehpad

« C’est moralementinacceptable,

d’autant que ces plaintes sont

souvent rĂ©digĂ©es Ă  l’emporte-piĂšce »,

commente un pénaliste

Un fonds d’indemnisation proposĂ©Les dĂ©putĂ©s du groupe socialiste de l’AssemblĂ©e nationale ont dĂ©posĂ©, mercredi 10 juin, une proposition de loi visant Ă  crĂ©er un fonds d’indemnisation pour les victimes du Covid-19, qui serait financĂ© grĂące Ă  une contribution de l’Etat et de la branche acci-dent du travail de la SĂ©curitĂ© sociale. Plus ambitieux que la re-connaissance automatique en maladie professionnelle promise, fin mars, par le gouvernement, aux seuls personnels soignants et du ministĂšre de l’intĂ©rieur en cas de contamination, ce texte – portĂ© par Christian Hutin et RĂ©gis Juanico, apparentĂ©s socialis-tes – garantirait la rĂ©paration intĂ©grale de leurs prĂ©judices Ă  tou-tes « les personnes connaissant des sĂ©quelles temporaires ou dĂ©fi-nitives du fait de leur infection » ainsi qu’aux « ayants droit des personnes dĂ©cĂ©dĂ©es » du Covid-19.

PESTICIDESUn projet de collĂšge proche de vignes abandonnĂ©Un collĂšge de Gironde, dont le projet de reconstruction prĂšs d’un vignoble avait sus­citĂ© l’opposition de riverains et de parents d’élĂšves en rai­son de craintes liĂ©es aux trai­tements par les pesticides, sera finalement rebĂąti ou agrandi ailleurs, a annoncĂ© mercredi 10 juin le conseil dé­partemental. L’emplacement prĂ©vu pour accueillir ce col­lĂšge de Parempuyre jouxtait des vignobles du chĂąteau ClĂ©ment­Pichon, et devait accueillir 900 Ă©lĂšves. – (AFP.)

SÛRETÉ NUCLÉAIREEDF mis en demeure sur la centrale de GravelinesL’AutoritĂ© de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire (ASN) a mis en demeure EDF de rĂ©aliser des travaux d’ici Ă  la fin octobre sur sa centralede Gravelines (Nord) afin de pouvoir faire face Ă  une Ă©ventuelle explosion au ter­minal gazier de Dunkerque, voisin de la centrale, a an­noncĂ© l’ASN mercredi 10 juin. Un accident de ce type pour­rait entraĂźner une perte des moyens de refroidissement du combustible.

FAUNEUn ours mĂąle abattu dans les PyrĂ©nĂ©esL’ours brun retrouvĂ© mort mardi 9 juin dans les Pyré­nĂ©es portait des traces de tir par balle, a annoncĂ© le procu­reur de Foix mercredi. Une enquĂȘte a Ă©tĂ© ouverte pour « destruction non autorisĂ©e d’une espĂšce protĂ©gĂ©e », une infraction passible de trois ans de prison et 150 000 euros d’amende. – (AFP.)

PARIS 3e ‱ PARIS 7e ‱ PARIS 12e ‱ PARIS 14e ‱ PARIS 17e ‱ ATHIS-MONS ‱ DOMUS C. CIAL ‱ COIGNIÈRES ‱ HERBLAY/MONTIGNY-LÈS-C.(1)

ORGEVAL ‱ SAINTE-GENEVIÈVE-DES-BOIS ‱ SAINT-MAXIMIN ‱ SURESNES ‱ VAL D’EUROPE C. CIAL /SERRIS ‱ VERSAILLES.

(1) Magasin franchisé indépendant.

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Page 8: Le Monde - 12 06 2020

8 | FRANCE VENDREDI 12 JUIN 20200123

Macron prĂ©pare l’aprĂšs sans changer de capLe prĂ©sident de la RĂ©publique doits’exprimer dimanche 14 juin pour accĂ©lĂ©rer le dĂ©confinement

E mmanuel Macron a dé­cidé de passer à la vitessesupérieure. Trois moispresque jour pour jour

aprĂšs avoir dĂ©cidĂ© de confiner lepays pour lutter contre l’épidé­mie due au coronavirus, le prĂ©si­dent de la RĂ©publique s’adressera de nouveau aux Français, diman­che 14 juin Ă  20 heures. Une qua­triĂšme allocution depuis l’ElysĂ©edestinĂ©e non plus cette fois Ă  mo­biliser pour la « guerre » contre leCovid­19 mais Ă  accĂ©lĂ©rer le dé­confinement, alors que les mi­lieux Ă©conomiques piaffent et que l’épidĂ©mie est « contrĂŽlĂ©e », comme l’a rappelĂ© le conseil scientifique mercredi 10 juin.

Le prĂ©sident de la RĂ©publiqueconsidĂšre en effet que l’urgence Ă©conomique et sociale a dĂ©sor­mais pris le pas sur l’urgence sani­taire. L’impatience perceptible de­puis quelques jours chez les Fran­çais l’est aussi Ă  l’ElysĂ©e, oĂč l’on s’irrite du « dĂ©faitisme » manifestĂ©par certains intellectuels et de l’ef­fet ouate crĂ©e par le confinement.

Pour repartir de l’avant, Emma­nuel Macron veut, au plus vite,donner du sens Ă  la « nouvelle Ă©tape de la vie du pays » qui vas’ouvrir Ă  la rentrĂ©e de septembre et durer jusqu’à la fin du quin­quennat. D’autant que la campa­gne du second tour des Ă©lections municipales s’ouvre lundi 15 juin.

Une « nouvelle Ă©tape »« Lors de son allocution, le prĂ©si­dent va expliquer ce qu’il s’est passĂ©,saluer l’engagement des Français, revenir aussi sur les manque­ments », Ă©numĂšre un conseiller. Un prĂ©alable nĂ©cessaire avant de passer Ă  cette fameuse « nouvelle Ă©tape », dont il devrait tracer les grandes lignes avant d’en dĂ©tailler le contenu entre le second tour des municipales et le 14­Juillet.

Emmanuel Macron, qui sou­haite impulser une relance « Ă©co­logique et sociale », doit, d’ici lĂ , re­cevoir les reprĂ©sentants de la con­vention citoyenne sur le climat et dĂ©cider de la forme qu’il donnera Ă  leurs propositions − l’hypothĂšsed’un rĂ©fĂ©rendum reste envisagĂ©e. Le prĂ©sident doit aussi prendre connaissance des contributions qu’il a demandĂ©es aux prĂ©sidents de l’AssemblĂ©e nationale, du SĂ©nat et du Conseil Ă©conomique, social et environnemental.

En attendant, Emmanuel Ma­cron n’entend pas se laisser em­porter trop loin de son port d’at­tache. En parlant de « nouvelle Ă©tape », les hommes du prĂ©sident rĂ©cusent de fait tout changement de cap. Aux yeux du chef de l’Etat,la politique Ă©conomique engagĂ©e au dĂ©but du quinquennat Ă©tait la bonne car elle avait permis, avant le confinement, de rĂ©tablir l’at­

tractivitĂ© et de faire substantielle­ment baisser le chĂŽmage. Hors dequestion, donc, de revenir sur les baisses d’impĂŽts engagĂ©es depuisle dĂ©but du mandat ou de crĂ©erune imposition sur les riches, comme le rĂ©clame la gauche.

Le chef de l’Etat ne veut pas nonplus d’un Grenelle des salaires quiaboutirait, selon lui, Ă  renforcer l’avantage de ceux qui ont un em­ploi au dĂ©triment de ceux qui vont le perdre et de ceux qui n’en ont pas. Dans le secteur privĂ©, il prĂ©fĂšre jouer sur l’intĂ©ressement et la participation, au risque de crĂ©er des frustrations dans les en­treprises qui n’auront pas immé­diatement les moyens de la ver­ser. Dans ses Ă©changes avec ses proches, l’intĂ©gration des « outsi­ders » revient comme un leitmo­tiv, de mĂȘme que la lutte contre les corporatismes, deux points qui ne sont pas sans rappeler sa campagne prĂ©sidentielle de 2017.

Signe de cette rĂ©solution, le pré­sident de la RĂ©publique a fait sa­voir qu’il n’entendait pas non plusabandonner l’idĂ©e de la retraite

par points, qui a pourtant suscitĂ© une trĂšs forte crispation socialeces derniers mois. A ses proches, ilfait valoir qu’elle serait particuliÚ­rement avantageuse pour les « premiers de corvĂ©e », les caissiÚ­res, les livreurs, les Ă©boueurs, tousceux qui ont tenu le pays pendantla crise. Il estime qu’elle a encore une chance d’ĂȘtre comprise, pourvu que du temps soit laissĂ© aux partenaires sociaux et que ses dispositions les plus clivantes,comme l’ñge pivot, soient remisessur la table de nĂ©gociation.

On l’aura compris, c’est essen­tiellement sur la mĂ©thode qu’Em­

manuel Macron devrait promet­tre du changement. AccusĂ© de concentrer les pouvoirs, il se diten petit comitĂ© prĂȘt Ă  partager laresponsabilitĂ© avec les partenai­res sociaux et les Ă©lus locaux. Pourle jacobin Macron qui promet de se « rĂ©inventer », cela Ă©quivaut Ă  une rĂ©volution copernicienne.Encore faut­il que les partenaires saisissent la balle au bond. Pas fa­cile, alors que la prĂ©sidentielle de 2022, dĂ©jĂ  dans toutes les tĂȘtes,aiguise les appĂ©tits et freine toute vellĂ©itĂ© de concorde nationale.

Alors que la question du chέmage va dominer toutes les autres, l’ElysĂ©e met en avant le modĂšle de « flexisĂ©curitĂ© » qu’il tente, depuis quelques semaines, d’impulser avec les partenaires sociaux Ă  l’occasion des plans de soutien aux secteurs en difficul­tĂ©s : sauvegarde autant que possi­ble de l’emploi contre modĂ©ration salariale et dĂ©veloppement de la formation. Une politique ouverte­ment inspirĂ©e des rĂ©formes Hartz menĂ©es en Allemagne au dĂ©but des annĂ©es 2000, qui ont permis Ă 

nos voisins de retrouver le plein­emploi aprĂšs la rĂ©unification. Pre­nant appui sur les nĂ©gociations menĂ©es par l’Union des industrieset mĂ©tiers de la mĂ©tallurgie, le pré­sident espĂšre un accord interpro­fessionnel et des nĂ©gociations par branche et par entreprise.

Partager le fardeauAvec les collectivitĂ©s locales, Em­manuel Macron se dit Ă©galementprĂȘt Ă  partager le fardeau. Il dit res­sentir ce que le gĂ©nĂ©ral de Gaulle avait Ă©prouvĂ© en 1969 et que Fran­çois Mitterrand avait compris en 1981 : l’excĂšs de tension sur le sommet conduit Ă  demander toutet son contraire au prĂ©sident de la RĂ©publique, au point de fragiliser la fonction et, avec elle, la dĂ©mo­cratie. Pour dĂ©tendre l’élastique, il se dit prĂȘt Ă  mieux rĂ©partir « lescharges et les pouvoirs », mais Ă  condition que l’élu local soit prĂȘt Ă endosser la responsabilitĂ© pleine et entiĂšre des compĂ©tences qui luiseront dĂ©volues.

En attendant, l’ElysĂ©e mise surun mouvement de dĂ©concentra­

tion pour remettre au niveau du dĂ©partement les compĂ©tences ad­ministratives qui y ont Ă©tĂ© dĂ©trui­tes au rythme des diffĂ©rentes rĂ©vi­sions des politiques publiques. EndĂ©gonflant les effectifs parisiens au bĂ©nĂ©fice du reste de la France, Emmanuel Macron espĂšre redo­rer le blason d’un Etat central vĂ©cucomme lointain et tatillon.

Mais a­t­il les moyens, Ă  cet ins­tant du mandat, de crĂ©er un large mouvement de dĂ©localisation ? Au fil de son quinquennat, le pré­sident a pu mesurer comme nom­bre de ses prĂ©dĂ©cesseurs, combience qu’il appelle « l’Etat profond » lui rĂ©sistait. La rĂ©forme de l’ENA, qu’il avait souhaitĂ©e aprĂšs le mouvement des « gilets jaunes », n’est toujours pas faite. Il veut la remettre en chantier, en rĂ©pĂ©tant Ă  ses proches qu’il est lĂ  pour « se­couer ». Avec toujours Edouard Philippe Ă  la tĂȘte du gouverne­ment ? Le prĂ©sident le rĂ©pĂšte : c’estla ligne politique qui fait le choix des hommes, pas l’inverse.

françoise fressozet cédric pietralunga

L’ElysĂ©e veut rĂ©pondre au mal­ĂȘtre d’une partie de la jeunesseLors de sa prochaine allocution, M. Macron adressera un message aux jeunes qui se rassemblent contre le racisme et les violences policiĂšres

J usqu’ici silencieux sur lemouvement de protestationcontre les violences policiùreset le racisme, Emmanuel Ma­

cron devrait s’exprimer sur le sujetdimanche 14 juin, lors de son allo­cution. L’occasion d’apparaĂźtre en pĂšre de la nation, alors que les ma­nifestations se multiplient et que certains craignent des dĂ©borde­ments lors du rassemblement qui doit se tenir samedi 13 juin, Ă  Paris,Ă  l’appel de la famille d’Adama TraorĂ©. « Le prĂ©sident va montrerqu’il est le prĂ©sident de tous les Français, qu’il considĂšre et protĂšge tous les enfants de la RĂ©publique », estime un proche soutien.

Au sein de l’exĂ©cutif, on necache plus la crainte de voir se

lever un vent de rĂ©volte au sein dela jeunesse. Si les Etats­Unis nesont pas la France, l’affaire GeorgeFloyd sert de vecteur au mal­ĂȘtre de la partie la plus jeune de la po­pulation, estime­t­on Ă  l’ElysĂ©e.

« On a fait vivre Ă  la jeunessequelque chose de terrible Ă  travers le confinement : on a interrompu leurs Ă©tudes, ils ont des angoisses sur leurs examens, leurs diplĂŽmes et leur entrĂ©e dans l’emploi. Il est normal qu’ils trouvent dans la lutte contre le racisme un idĂ©al, un universalisme », rĂ©pĂšte M. MacronĂ  ses interlocuteurs. Pour le chef de l’Etat, le confinement a Ă©tĂ©pĂ©nalisant avant tout pour lesjeunes, alors qu’il a d’abord Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© pour protĂ©ger les plus

ĂągĂ©s, davantage exposĂ©s au coro­navirus. Un paradoxe qui, si l’onn’y prend garde, pourrait dĂ©bou­cher sur un « conflit de gĂ©nĂ©ra­tions », craint Emmanuel Macron.

La maxime du dentifriceLe prĂ©sident partage les analysesde ceux qui estiment que la gĂ©né­ration de Mai 68 est responsable d’un certain nombre de maux du pays mais aussi du monde, notamment en matiĂšre d’écolo­gie. « Il ne faut pas perdre la jeu­nesse », rĂ©sume­t­on au sommetde l’Etat, oĂč l’on rĂ©pĂšte Ă  l’envi la maxime du dentifrice, qui veut qu’une fois les lycĂ©ens ou les Ă©tu­diants sortis dans la rue, il est dif­ficile de les faire rentrer chez eux.

Le risque est d’autant plus grandpour la RĂ©publique que la menacesĂ©cessionniste est rĂ©elle au sein du pays, affirme­t­on au sein de l’exĂ©cutif. Pour le chef de l’Etat, l’affaire George Floyd entre en ré­sonance avec un passĂ© colonial non encore digĂ©rĂ©. « La guerre d’Al­gĂ©rie reste un impensĂ© », aime ré­pĂ©ter le locataire de l’ElysĂ©e, qui a tentĂ© Ă  plusieurs reprises de faire Ă©voluer les mentalitĂ©s sur ce sujet mais dit se heurter Ă  l’absence d’interlocuteurs. « Il y a tout un travail Ă  faire avec les historiens, mais cela prend du temps », expli­que­t­on au cabinet prĂ©sidentiel.

De la mĂȘme façon, le chef del’Etat tient des propos trĂšs durscontre une partie des Ă©lites qui

se trompe de combat en raison­nant sur le plan des communau­tĂ©s. « Le monde universitaire a Ă©tĂ© coupable. Il a encouragĂ© l’ethnici­sation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le dĂ©bouchĂ© ne peut ĂȘtre que sé­cessionniste. Cela revient Ă  casserla RĂ©publique en deux », estime enprivĂ© le chef de l’Etat, qui soulignenotamment les ambivalences desdiscours racisĂ©s ou sur l’intersec­tionnalitĂ©. Pas question de dé­boulonner les statues au nom de la lutte contre le racisme, comme certains le rĂ©clament pour cellede Colbert Ă  l’AssemblĂ©e natio­nale. « Effacer les traces ne traitepas le traumatisme », rappelle­t­il. En revanche, il faut amplifier la

lutte contre les discriminations, notamment à l’embauche.

Quelle rĂ©ponse le chef de l’Etatpeut­il apporter sur les violences policiĂšres ? Emmanuel Macron ditne pas craindre une « FNisation » de la police. « Ce sont des citoyens comme les autres », rĂ©pĂšte­t­il. Il sedit prĂȘt Ă  faire Ă©voluer les techni­ques d’interpellation, comme leministre de l’intĂ©rieur, ChristopheCastaner, a commencĂ© Ă  le faire eninterdisant l’étranglement. De mĂȘme, il milite pour la multiplica­tion des camĂ©ras­piĂ©tons portĂ©es par les policiers. « Il faut aller vers davantage de transparence, on n’est pas encore allĂ©s au bout », dit­on au sommet de l’Etat.

f. f. et c. pi.

Le président a fait savoir

qu’il n’entendait pas abandonner

l’idĂ©e de la retraite par points

Edouard Philippe et Emmanuel Macron, à Paris, le 8 mai. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

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Page 9: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 france | 9

B onjour, c’est AgnĂšsBuzyn
 » En mars, Ă  peinebombardĂ©e candidate Ă  la

Mairie de Paris, l’ex­ministre de lasantĂ© avait fait appeler au tĂ©lé­phone 500 000 Ă©lecteurs pour lesinciter Ă  voter pour elle. Trois mois aprĂšs l’envoi massif de ce message prĂ©enregistrĂ©, la tĂȘte deliste de La RĂ©publique en marche (LRM) Ă  Paris s’apprĂȘte Ă  renouve­ler l’expĂ©rience avec, cette fois­ci, des SMS. Environ 250 000 messa­ges vont ĂȘtre envoyĂ©s dans les prochaines semaines, a annoncĂ©, mardi 9 juin, son Ă©quipe de cam­pagne. En parallĂšle, 250 000 cour­riers vont ĂȘtre postĂ©s.

Le parti prĂ©sidentiel a, en outre,prĂ©vu « une Ă©norme opĂ©ration dephoning », avec « 50 000 coups defil au minimum ». Ils viseront avant tout les adhĂ©rents de LRM,les Ă©lecteurs qui ont laissĂ© leurscoordonnĂ©es au fil de la campa­gne, et les « amis d’amis ». Objec­tif : les inciter Ă  se dĂ©placer dans les bureaux de vote le 28 juin, ou, sinon, Ă  confier une procuration au parti. « Nous voulons en rĂ©cu­

pĂ©rer 10 000 Ă  20 000 », prĂ©cise­t­on au siĂšge de la campagne. Et puisque Emmanuel Macronmultiplie les rĂ©fĂ©rences Ă  Charles de Gaulle, l’opĂ©ration a Ă©tĂ© appe­lĂ©e « l’appel du 28 juin ».

AgnĂšs Buzyn et ses colistierssavent qu’ils ne sont pas les favo­ris de l’élection municipale. AprĂšsavoir recueilli 17,3 % des voix le 15 mars, un score dĂ©cevant qui s’expliquait en partie par la concurrence des listes de CĂ©dric Villani (7,9 %), l’ancienne minis­tre de la santĂ© n’est crĂ©ditĂ©e que de 20 % des intentions de votepour le second tour, selon unsondage IFOP­Fiducial pour Le Journal du dimanche et Sud Ra­dio rĂ©alisĂ© du 2 au 5 juin, le pre­mier publiĂ© depuis la sortie du confinement.

Elle se trouve ainsi largementdistancĂ©e par ses adversaires, la maire sortante socialiste AnneHidalgo (44 %) et l’ex­ministresarkozyste, et maire du 7e arron­dissement Rachida Dati (33 %).

Limiter la casseEn juin 2019, dans le mĂȘme matchĂ  trois, l’IFOP accordait non pas 20 %, mais 37 % des suffrages dusecond tour au candidat de LRM, alors Benjamin Griveaux. Entre­temps, le mouvement prĂ©siden­tiel a connu une succession de catastrophes : la dissidence de CĂ©dric Villani, le renoncement de Benjamin Griveaux aprĂšs la diffu­sion de vidĂ©os intimes Ă  caractĂšresexuel, les confessions maladroi­tes d’AgnĂšs Buzyn au Monde surle « cauchemar » de sa fin de cam­

pagne, ses deux mois de silence,ses hĂ©sitations, enfin, Ă  rester candidate
 Compte tenu de cecontexte, « plus personne ne pensequ’AgnĂšs Buzyn va ĂȘtre Ă©lue maire de Paris », affirmait, vendredi, lasecrĂ©taire d’Etat Ă  l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes, Mar­lĂšne Schiappa, dans un messageinterne destinĂ© Ă  ses colistiers du 14e arrondissement et rĂ©vĂ©lĂ© quel­ques heures plus tard par Le Point.

Les artisans de la campagne nebaissent pas les bras pour autant. « AgnĂšs est plus combative que jamais, trĂšs prĂ©sente sur le ter­rain », assure ainsi DĂ©borah Paw­lik, sa colistiĂšre dans le 17e arron­dissement. Et Ă  dĂ©faut de rempor­ter une victoire, les macronistesentendent conserver un maxi­mum d’élus au conseil municipal.Un pari loin d’ĂȘtre gagnĂ©. Alors que le conseil de Paris compteaujourd’hui environ 50 soutiens du gouvernement sur 163 Ă©lus,leur nombre pourrait tomber autour de vingt Ă  vingt­cinq, selon diverses projections.

Pour limiter la casse, difficile des’appuyer sur AgnĂšs Buzyn,devenue l’une des personnalitĂ©s politiques les moins apprĂ©ciĂ©es des Français. Au sein mĂȘme des

sympathisants de LRM, elle re­cueille davantage d’opinions dé­favorables que favorables, selon ledernier baromĂštre d’Ipsos pour Le Point. Les stratĂšges de la cam­pagne ont donc pris une autre op­tion. Ils misent dĂ©sormais sur l’image d’Emmanuel Macron et du gouvernement.

Plan d’investissementTous les tracts, les affiches, les professions de foi soulignerontl’appartenance des candidats Ă  la « majoritĂ© prĂ©sidentielle soutenue par Emmanuel Macron ». Ce sera le message clĂ©. Des photos du chefde l’Etat et du premier ministre Edouard Philippe sont prĂ©vuessur tous les documents. Dans son tract distribuĂ© le week­end du 6 etdu 7 juin, Gaspard Gantzer, tĂȘte deliste dans le 6e arrondissement, s’affiche aux cĂŽtĂ©s du chef dugouvernement et ne mentionne mĂȘme pas le nom d’AgnĂšs Buzyn.

« Le 28 juin, les Parisiens aurontle choix entre trois candidates,dont deux, Anne Hidalgo et Ra­chida Dati, critiquent systĂ©mati­quement l’action du prĂ©sident de la RĂ©publique et de son gouverne­ment, explique Pierre­Yves Bour­nazel, l’un des porte­parole

d’AgnĂšs Buzyn. Nous, nous la soutenons. Et pour gĂ©rer la crise qui arrive, avoir une maire alignĂ©e politiquement avec la majoritĂ©prĂ©sidentielle peut constituer un atout dĂ©cisif. »

En se prĂ©sentant ainsi commeles fantassins d’Emmanuel Ma­cron Ă  Paris, les candidats rĂ©unis autour d’AgnĂšs Buzyn espĂšrentremobiliser le socle Ă©lectoral deLRM dans la capitale. Et convain­cre Ă  nouveau ceux, nombreux,qui ont votĂ© un jour en faveur duprĂ©sident et de ses Ă©quipes et s’ensont parfois Ă©loignĂ©s. Il s’agit de s’assurer que les Ă©lecteurs d’AgnĂšs Buzyn au premier tour ne la lĂącheront pas au second,

mais aussi de sĂ©duire les sou­tiens de CĂ©dric Villani, dĂ©sormaisĂ©cartĂ© de la course. Pour y parve­nir, la candidate Ă  la Mairie a re­pris dans son programme plu­sieurs projets du mathĂ©maticien,comme un plan d’investisse­ment de 5 milliards d’euros dans la transition Ă©cologique. A ce stade, cependant, environ 40 %Ă©lecteurs de CĂ©dric Villani comp­tent se reporter sur Anne Hi­dalgo, et un tiers seulement sur AgnĂšs Buzyn, selon l’IFOP.

Au­delĂ , les macronistes espÚ­rent attirer certains Ă©lecteurs centristes, en insistant sur leurs diffĂ©rences jugĂ©es « extrĂȘmes » avec la « droite dure » de Rachida Dati, selon les mots des militants. « Elle a des valeurs qui ne corres­pondent pas du tout Ă  notre vision », affirme Paul Midy, le di­recteur de campagne. Cet argu­ment se heurte, cependant, Ă  l’al­liance conclue avec la mĂȘme Ra­chida Dati dans le 5e arrondisse­ment. La maire sortante, Florence Berthout, figure de proue locale d’AgnĂšs Buzyn, y a fusionnĂ© sa liste avec celle de LR. Un accord va­lidĂ© par la direction de LRM, afin de sauver le fauteuil de l’élue.

denis cosnard

« Avoir une maire alignée politiquement

avec la majoritéprésidentielle

peut constituerun atout décisif »

PIERRE-YVES BOURNAZELporte-parole d’Agnùs Buzyn

AgnĂšs Buzyn, candidate LRM aux municipales, Ă  Paris, le 15 mars. JULIEN DE ROSA/AFP

Des photos d’Emmanuel Macron et du

premier ministre,Edouard Philippe,

sont prévues sur tous

les documents

Majorité et oppositions en accord sur la retraite des agriculteursLes députés ont voté en commission des affaires sociales une proposition de loi qui revalorise le montant minimal des pensions agricoles

L es députés de la majorité etdes oppositions viennentde réussir un tour de force :

s’entendre Ă  propos des retraites, alors qu’ils croisaient le fer sur le sujet, il y a trois mois. A l’issue de dĂ©bats en commission des affai­res sociales, ils ont adoptĂ©, mer­credi 10 juin, Ă  l’unanimitĂ©, une proposition de loi (PPL) commu­niste visant Ă  garantir aux agri­culteurs une pension minimumĂ©gale Ă  85 % du smic – Ă  conditiond’avoir accompli une carriĂšre complĂšte. Le texte poursuit ainsi un but similaire au projet de loi instituant un systĂšme universel de retraites, qui est passĂ© en premiĂšre lecture, dĂ©but mars, Ă  l’aide du 49.3. Une rĂ©forme Ă  l’ori­gine, donc, d’empoignades viriles Ă  l’AssemblĂ©e nationale et dont l’examen au Parlement a Ă©tĂ© suspendu Ă  cause du Covid­19.

Il s’agit d’un rebondissementinattendu pour cette PPL qui aenjambĂ© deux lĂ©gislatures. PortĂ©edepuis trois ans par le prĂ©sident du groupe de la Gauche dĂ©mo­crate et rĂ©publicaine (GDR), AndrĂ©Chassaigne (PCF), elle avait Ă©tĂ©approuvĂ©e en premiĂšre lecture auPalais­Bourbon dĂ©but 2017, peu avant l’élection prĂ©sidentielle. Mais son cheminement avait Ă©tĂ© stoppĂ©, un an plus tard, au SĂ©nat : le gouvernement avait alors demandĂ© un vote bloquĂ©, arguant

que la question des pensions agricoles serait traitĂ©e Ă  l’occasionde la rĂ©forme des retraites.

L’issue des discussions encommission des affaires sociales, mercredi, constitue donc un revi­rement, dont se rĂ©jouit M. Chas­saigne. Le texte adoptĂ© ne va, cependant, pas aussi loin qu’il l’aurait voulu. Les dĂ©putĂ©s de la majoritĂ© ont souhaitĂ© repousser l’entrĂ©e en vigueur de la revalori­sation. « Nous aurions voulu que ce soit dĂšs 2021, mais pour des raisons techniques, rien ne nous dit que ce soit possible, justifieOlivier Damaisin, dĂ©putĂ© LRM du Lot­et­Garonne. Du coup, nous avons optĂ© pour 2022, afin d’éviter les mauvaises surprises. »

Autre modification substan­tielle, par rapport à la version ini­tiale de la PPL : l’instauration d’un

« Ă©crĂȘtement ». Ce mĂ©canisme concerne les personnes qui, ayantcotisĂ© Ă  plusieurs caisses durantleur vie professionnelle, ont, dumĂȘme coup, droit Ă  plusieurspensions : il aura pour effet de limiter le coup de pouce financieraccordĂ© Ă  l’agriculteur afin que lemontant de pension perçu, tousrĂ©gimes confondus, n’excĂšde pas un certain seuil. Une telle mesurepoursuit un objectif d’« Ă©quitĂ© » entre ceux qui ne bĂ©nĂ©ficient que d’une seule pension et les « poly­pensionnĂ©s », explique M. Damai­sin. C’est aussi une façon de cir­conscrire le coĂ»t du dispositif. Se­lon le dĂ©putĂ© du Lot­et­Garonne, « on passe ainsi de 400 Ă  280 mil­lions d’euros » par an – « 258 mil­lions », d’aprĂšs M. Chassaigne.

« Une Ɠuvre collective »Le patron du groupe GDR re­grette, bien Ă©videmment, les cor­rections apportĂ©es par ses collÚ­gues macronistes et leurs alliĂ©s centristes car le nombre de bĂ©né­ficiaires sera, in fine, moins im­portant : 196 000, d’aprĂšs lui, alors que la mouture originelle desa PPL permettait de couvrir prĂšs de 100 000 individus supplĂ©men­taires. « Mais c’est quand mĂȘme unprogrĂšs », confie­t­il. « Il s’agitd’une avancĂ©e », renchĂ©rit Boris Vallaud (PS, Landes), car la mesuremise en place va aussi concerner

des paysans qui sont dĂ©jĂ  Ă  la retraite – ce qui n’est pas le cas dans le projet de loi relatif au sys­tĂšme universel adoptĂ© dĂ©but mars Ă  l’AssemblĂ©e.

M. Chassaigne pense queplusieurs Ă©lĂ©ments ont jouĂ© en sa faveur : « J’ai travaillĂ© avec les dé­putĂ©s de toutes les sensibilitĂ©s pourque ce texte soit vu comme une Ɠuvre collective et non pas commeune dĂ©marche partisane », dĂ©cla­re­t­il. L’élu communiste affirmemĂȘme avoir plaidĂ© sa causeauprĂšs d’Emmanuel Macron, alors qu’ils revenaient, tous deux, en avion, des obsĂšques de l’ancienministre Michel Charasse, fin fé­vrier. « Du point de vue de la majo­ritĂ©, c’est gagnant­gagnant, com­plĂšte­t­il : elle se donne une imageplus ouverte, sur un texte Ă  dimen­sion sociale, ce qui ne peut qu’ĂȘtre accueilli favorablement dans le contexte actuel. » « Il Ă©tait logiqueque cette proposition de loi soit ap­prouvĂ©e car elle rencontrait un Ă©cho fort chez des dĂ©putĂ©s provin­ciaux de la majoritĂ© », observe Ni­colas Turquois (Modem, Vienne).

La proposition de loi de M. Chas­saigne devrait ĂȘtre approuvĂ©e sansencombre lors de son examen en sĂ©ance, le 18 juin. Ce retournementde situation augure­t­il d’une vo­lontĂ© de l’exĂ©cutif de reprendre la rĂ©forme qui avait enflammĂ© le pays cet hiver ? Rapporteur gĂ©né­

ral du projet de loi relatif au sys­tĂšme universel, Guillaume Gouf­fier­Cha (LRM, Val­de­Marne) fait remarquer que la question du mi­nimum de pension pour d’autres catĂ©gories d’indĂ©pendants, no­tamment les artisans et les com­

merçants, n’est pas abordĂ©e dans le texte. Or, « il y a des attentes » en la matiĂšre, souligne­t­il : « Notre ambition de crĂ©er le systĂšme uni­versel est toujours intacte. »

raphaëlle besse desmouliÚreset bertrand bissuel

« La majoritése donne

une image plus ouverte, sur un texte Ă  dimension

sociale »ANDRÉ CHASSAIGNE

député PCF

A Paris, Buzyn mise sur l’action gouvernementale pour se relancerDes milliers de SMS appelant Ă  voter pour la candidate LRM vont ĂȘtre envoyĂ©s

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Page 10: Le Monde - 12 06 2020

10 | france VENDREDI 12 JUIN 20200123

Un an dans la vie des extrĂȘmes droites en Europe« Le Monde » a pu consulter une note sur l’évolution des mouvements populistes depuis mai 2019

T entatives d’union ratĂ©esdurant la campagneeuropĂ©enne, accentua­tion du vote en faveur

des partis populistes, globalisa­tion du nationalisme
 La chaire citoyennetĂ© de Sciences Po Saint­Germain­en­Laye publie, jeudi11 juin, une note, Ă  laquelle Le Monde a eu accĂšs. Dans ce do­cument, les chercheurs dĂ©cryp­tent l’annĂ©e passĂ©e par les extrĂȘ­mes droites europĂ©ennes.

Du scrutin de mai 2019 Ă  la pan­dĂ©mie de Covid­19, le coordina­teur, Nicolas Lebourg, historien etchercheur au Centre d’études po­litiques de l’Europe latine (CNRS­UniversitĂ© de Montpellier), et ledirecteur de l’observatoire des radicalitĂ©s politiques de la Fon­dation Jean­JaurĂšs, Jean­Yves Camus, analysent les dynami­ques et les impasses des partis de la famille des droites nationales­conservatrices comme des mou­vements nationalistes radicaux.

« PhĂ©nomĂšne dynamique »L’objectif ? Raconter que les mou­vements Ă  l’intĂ©rieur du champ de l’extrĂȘme droite sont structu­rels. « On ne peut pas parler de “vague populiste”, c’est donner les mauvaises clĂ©s de comprĂ©hension,prĂ©vient Nicolas Lebourg. Une va­gue surgit, dĂ©ferle et passe. Ce n’estpas du tout ce qu’on observe dans le champ de l’extrĂȘme droite, quiest un phĂ©nomĂšne dynamiquedepuis le XIXe siĂšcle, les dĂ©buts de la globalisation et le premier choc pĂ©trolier. »

En se plongeant dans la vie desgroupes constituĂ©s au sein duParlement europĂ©en, les auteursrelĂšvent un premier point nota­ble. Lors du mandat prĂ©cĂ©dent,les dĂ©putĂ©s du groupe Europe des nations et des libertĂ©s (ENL)– parmi lesquels siĂ©geaient no­

tamment le Front national, laLega italienne, l’AfD allemandeou encore le FPÖ autrichien – nese sont accordĂ©s que sur 69 % deleurs votes, contre au moins90 % au sein des groupes conser­vateurs, Ă©cologistes ou libĂ©raux.« L’idĂ©e d’une “vague populiste”ou d’une possible “internationalepopuliste” repose donc d’abordsur une surestimation du niveaude cohĂ©rence idĂ©ologique des partis de l’ENL », rĂ©sument les spĂ©cialistes.

Etudier les tentatives d’unionratĂ©es des droites populistes lors de la campagne pour les Ă©lectionseuropĂ©ennes de 2019 leur permetensuite de remettre ces partis Ă leur place dans l’espace politiqueeuropĂ©en. L’échec de l’ancienconseiller du prĂ©sident amĂ©ricainDonald Trump, Steve Bannon,dĂ©barquant en Europe dans l’opti­que de fĂ©dĂ©rer les partis populis­tes europĂ©ens, montre que cesderniers « restaient confinĂ©s pourl’immense majoritĂ© d’entre eux en

dehors du mainstream politique ».A contrario, si « Donald Trumpavait gagnĂ© la prĂ©sidentielle de­puis l’extĂ©rieur du Parti rĂ©publi­cain, il n’avait pu vaincre qu’une fois devenu le candidat de celui­ci, grĂące Ă  son appareil et Ă  ses Ă©lec­teurs », prĂ©cise le document.

Sans compter l’incapacitĂ© de cespartis, ensuite, Ă  constituer un groupe unique au Parlement europĂ©en et Ă  « recruter les partis qui auraient permis de proclamer qu’une Ăšre nouvelle s’ouvrait en

Europe », notamment le BrexitParty de Nigel Farage au Royau­me­Uni et le Fidesz de ViktorOrban en Hongrie.

Selon les chercheurs, unederniĂšre dĂ©confiture finit d’ancrerles nationalistes dans la marge de l’espace de dĂ©cision politique europĂ©en : le groupe IdentitĂ© et DĂ©mocratie (qui rĂ©unit notam­ment le Rassemblement national et la Lega) a Ă©chouĂ© Ă  obtenir les deux postes de vice­prĂ©sidents du Parlement europĂ©en et les deux prĂ©sidences de commission qu’il aurait dĂ» avoir au regard de ses 73 siĂšges obtenus. « Il n’a obtenu aucun poste car les autres groupes ont maintenu le cordon sanitaire Ă  son Ă©gard », rĂ©sument Nicolas Le­bourg et Jean­Yves Camus.

SuprĂ©macisme blancDes dĂ©convenues politiques quimĂšnent Ă  la deuxiĂšme partie de lanote, consacrĂ©e Ă  la « tentation terroriste » des mouvements radi­caux d’extrĂȘme droite en Europe.

Les deux chercheurs y expli­quent que « la concordance entrerecul politique et tentation terro­riste est possible » : « Le manque

d’issue politique Ă  une radicalitĂ©dont les thĂšmes (type “grand rem­placement”) sont pourtant ample­ment diffusĂ©s, et participent, demaniĂšre diluĂ©e, aux succĂšs despartis lĂ©galistes d’extrĂȘme droite,peut amener certains de ses mili­tants Ă  considĂ©rer que le passage Ă la violence devient la seule option rationnelle pour obtenir le bascu­lement auquel ils aspirent. »

Une « tentation » que le supré­macisme blanc exprime dĂ©sor­mais dans le cadre de la globalisa­tion, « quoiqu’il vomisse le “mon­dialisme” », ajoutent les cher­cheurs en s’appuyant sur plusieurs exemples parlants.

Au printemps 2020, le Mouve­ment impĂ©rial russe a ainsi Ă©tĂ© qualifiĂ© par les Etats­Unis comme relevant du « terrorisme interna­tional ». Une premiĂšre. Quelques mois plus tĂŽt, en novembre 2019,la Pologne expulsait quant Ă  elle un membre du Mouvement de ré­sistance nordique – un mouve­ment nĂ©onazi transnational. Celui­ci, aprĂšs sa sortie de prison en SuĂšde « pour un attentat Ă  l’ex­plosif contre un centre de rĂ©fugiĂ©s, s’était rendu en Pologne pour suivre un entraĂźnement paramili­taire en ayant le dessein manifeste d’imiter [Brenton Tarrent], le terroriste de Christchurch ».

Les deux chercheurs concluentque les crises sociale et politiquese mĂȘlant actuellement Ă  la crise sanitaire ne peuvent « qu’aider Ă  cette symbiose des sentiments dedĂ©classements personnels et nationaux qui contribue Ă  la dyna­mique de la droitisation ».

En rĂ©sumĂ©, « si le scrutin euro­pĂ©en de 2019 n’a aucunement Ă©tĂ© le tsunami populiste que certains avaient rĂȘvĂ© ou cauchemardĂ©, l’ac­tuelle pandĂ©mie paraĂźt en capacitĂ©de pouvoir au moins fidĂ©liser les clientĂšles acquises par les extrĂȘ­mes droites et aggraver les proces­sus de radicalisation violente ».

lucie soullier

Le plan à 130 milliards du PS pour un « rebond social et écologique »Le parti de gauche détaille, dans une note, 45 propositions pour faire face à la crise provoquée par la pandémie de Covid­19

L’ Ă©laboration des mesuresde relance post­Covid duParti socialiste (PS) aura

Ă©tĂ© longue. Des dizaines d’audi­tions, des allers et retours nom­breux entre membres de la direc­tion et dĂ©putĂ©s chargĂ©s du dos­sier
 Ce travail aura pris prĂšs d’unmois. Finalement, le plan « pour un rebond Ă©conomique, social, etĂ©cologique » se veut une rĂ©ponse immĂ©diate Ă  l’urgence provoquĂ©epar la pandĂ©mie et des mesures de moyen terme pour prĂ©parerl’avenir, panachant relance par la consommation et schĂ©ma dedĂ©veloppement prenant en compte l’urgence climatique.

Pour concocter ce plan, le PS aconsultĂ© nombre d’experts, dechercheurs, de syndicalistes, de responsables associatifs et d’éluslocaux. Le document qui enrĂ©sulte, coordonnĂ© par BorisVallaud, dĂ©putĂ© des Landes, est Ă  l’image de l’entre­deux dans lequel se trouve un parti poussĂ©par ses alliances avec Europe

Ecologie­Les Verts, la prise deconscience de ses maires degrandes villes qui ont largement verdi leur propre programme et son logiciel Ă©conomique histori­que, trĂšs classiquement keyné­sien. Son coĂ»t est chiffrĂ© Ă  130 milliards d’euros.

250 000 emplois aidĂ©sPartant du constat d’une crised’une ampleur majeure, avec un chĂŽmage en hausse vertigineuse, des plans de licenciements Ă  ve­nir et quelque 600 000 jeunes arrivant prochainement sur le marchĂ© du travail, et donc une situation sociale dramatique pour des millions de Français, lanote de quarante pages prĂ©sente 45 propositions. « Nous voulonsmontrer que nous sommes de ceux sur lesquels la France peut compter dans l’épreuve », a dĂ©clarĂ©Olivier Faure, premier secrĂ©taireet dĂ©putĂ© de Seine­et­Marne, lors de la prĂ©sentation, mardi 9 juin, Ă l’AssemblĂ©e nationale.

Le plan veut d’abord s’adresseraux victimes de la crise, ceux « quine mangent pas Ă  leur faim, ne peuvent payer leur loyer, ceux qui n’ont pas d’emploi ou craignent dele perdre », prĂ©cise la note. RĂ©duction « transitoire » du temps de travail dans les entrepri­ses touchĂ©es par une activitĂ© ralentie, revenu de base de550 euros ouverts aux jeunes, prime premier emploi, prolonga­tion des bourses Ă©tudiantes, limitation des frais bancaires pour les plus fragiles
, les systÚ­

mes d’aide d’urgence sont nom­breux et prĂ©cis. Pour revaloriserles salaires des « premiers de tran­chĂ©e », une confĂ©rence rĂ©unissantles partenaires sociaux est propo­sĂ©e pour les professions telles queles caissiĂšres, les aides­soignants ou les Ă©boueurs.

L’hĂŽpital comme les Ă©tablisse­ments d’hĂ©bergement pour personnes ĂągĂ©es dĂ©pendantes (Ehpad) doivent devenir « prioritĂ© nationale », continue le docu­ment, mettant en avant un inves­tissement annuel de 6 milliards pour les premiers et de 2 mil­liards pour les seconds et la reva­lorisation durable de leurs personnels. Afin d’aider le sec­teur associatif, notamment dans les quartiers populaires, le PS prĂ©conise la crĂ©ation de 250 000 emplois aidĂ©s.

Le deuxiĂšme axe met l’accentsur les territoires et le rĂŽle qu’ils peuvent jouer, tant dans la relance que parce qu’ils « sont enpremiĂšre ligne » de la conversion

Ă©cologique de l’économie. Le plansuggĂšre donc un investissementde 50 milliards d’euros, pour les « projets de rĂ©silience » : agrofores­terie, rĂ©novation thermique des bĂątiments, circuits courts et dĂ©ve­loppement des mobilitĂ©s dou­ces
 Deux pistes avancĂ©es retien­nent l’attention : la mise en place d’une « prime climat » pour finan­cer les travaux d’isolation desparticuliers et un « chĂšque rebondlocal », sorte d’allocation de 300 Ă  700 euros pour les plus modestes,flĂ©chĂ©e vers la consommation locale, saine et Ă©cologique.

« Hiatus »Enfin, et c’est lĂ  le volet Ă  la facture la plus classique, la recon­quĂȘte Ă©conomique. Plan de sau­vetage des petites et moyennes entreprises (PME) avec mise Ă  contribution des assureurs,protection par l’Etat des brevets et entreprises « fleurons » contretout achat par des investisseurs Ă©trangers, nationalisation des

sociĂ©tĂ©s indispensables Ă  l’indé­pendance dans le secteur sani­taire, recapitalisation des entre­prises par un pĂŽle d’investisseurs publics conditionnĂ©e Ă  des enga­gements sociaux et Ă©cologiques,plan de relance du bĂątiment et dulogement
 les mesures repren­nent bon nombre de proposi­tions de loi passĂ©es et discutĂ©es lors des niches parlementaires.

L’ensemble de ce plan derelance, plutĂŽt de qualitĂ©, laisse cependant un goĂ»t d’inachevĂ©. Certains dans la direction le reconnaissent : « On ne sent pas lapleine prise en compte de l’ur­gence face Ă  la crise d’un systĂšmedans ce qu’elle impose en termesde rupture », juge l’un. « Il y aencore un hiatus avec les discours trĂšs Ă©colos tenus depuis des mois »,remarque une autre. La direction prĂ©voit un autre plan Ă  la rentrĂ©e, pour dessiner une « autre » reprise. Les Ă©colos du PS seront alors peut­ĂȘtre plus Ă©coutĂ©s.

sylvia zappi

L’hîpital commeles Ehpad

doivent devenir« priorité

nationale », selon

le document

« On ne peut pasparler de “vague

populiste”, c’est donner

les mauvaises clés de

compréhension »NICOLAS LEBOURG

historien

Dirigeants des partis d’extrĂȘme droite europĂ©ens, Ă  Bruxelles, le 13 juin 2019. ARIS OIKONOMOU/AFP

aprĂšs son hommage au gĂ©nĂ©ral deGaulle dĂ©but juin, Marine Le Pen a une nouvelle fois mis la barre Ă  droite.Mercredi, sur France Inter, la prĂ©sidente du Rassemblement national a apportĂ© untrĂšs rare concours au parti Les RĂ©publi­cains (LR) en affirmant son soutien Ă  la candidate du parti de droite Ă  la Mairie deParis, Rachida Dati : « Si effectivement le choix est entre Mme Hidalgo et Mme Dati, moi Ă  titre personnel, si j’étais Ă©lecteur Ă Paris, je voterais largement Dati plutĂŽtqu’Hidalgo. »

Finies la critique de l’« UMPS » ou les atta­ques contre les « sƓurs jumelles » Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko­Morizet, telles que Marine Le Pen qualifiaient les candidates socialiste et UMP lors de la campagne municipale de 2014 Ă  Paris. Sixans plus tard, faute d’alliances malgrĂ© sastratĂ©gie d’ouverture affichĂ©e, la prĂ©si­dente de l’ex­Front national a donc choisi la candidate de l’ex­UMP. DĂšs le mois de fĂ©vrier, Jean­Marie Le Pen avait, lui aussi, confiĂ© sa prĂ©fĂ©rence pour l’ancienne garde des sceaux de Nicolas Sarkozy.

Marine Le Pen et son pĂšre ne votent pasdans la capitale, oĂč le Rassemblement national a officiellement soutenu Serge Federbusch, qui s’est classĂ© avant­dernier au premier tour avec 1,5 % des voix, juste devant le forain Marcel Campion.

Rachida Dati, elle, a prĂ©fĂ©rĂ© prendre sesdistances avec cet encombrant soutien. « En quoi suis­je responsable de ses propos ?,a rĂ©agi mercredi matin la candidate LR.Vous connaissez ma vie, mon nom, mon prĂ©nom : Rachida. Alors
 »

denis cosnard et l. so

Pour la Mairie de Paris, Marine le Pen choisit Rachida Dati

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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 france | 11

A Tonnay­Charente, les morts oubliĂ©s de l’EhpadSeize rĂ©sidents sont dĂ©cĂ©dĂ©s du Covid­19 entre mars et mai. Ni le maire ni le prĂ©fet n’ont Ă©tĂ© informĂ©s de la situation

D ominique Bussereaune dĂ©colĂšre pas. A demultiples reprises, leprĂ©sident de l’Assem­

blĂ©e des dĂ©partements de France (ADF) a alertĂ© sur les dysfonction­nements des agences rĂ©gionales de santĂ© (ARS) et leur inadapta­tion Ă  la gestion de la crise liĂ©e au Covid­19. AuditionnĂ©, mardi 9 juin, par une mission d’infor­mation du SĂ©nat, le prĂ©sident duconseil dĂ©partemental de Cha­rente­Maritime a Ă©voquĂ© le casd’un Ă©tablissement d’hĂ©berge­ment pour personnes ĂągĂ©es dé­pendantes (Ehpad) pour illustrer le manque de communication en­tre les ARS et les Ă©lus locaux.

L’affaire a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e par le quo­tidien rĂ©gional Sud Ouest du29 mai : seize rĂ©sidents de l’éta­blissement Les Portes du jardin,du groupe DomusVi, Ă  Tonnay­Charente (Charente­Maritime), sont dĂ©cĂ©dĂ©s des suites du SARS­CoV2 entre les mois de mars et de mai. C’est dans cet Ă©tablissement, qui compte cent vingt lits, que sont mortes un tiers des victimes comptabilisĂ©es dans le dĂ©parte­ment – quarante­huit, selon lebilan, Ă©tabli le 1er juin, par l’ARS de Nouvelle­Aquitaine. Mais ni le maire de la commune, Eric Au­thiat, ni le prĂ©sident du conseil dĂ©partemental, en sa qualitĂ© de cotutelle, ni le prĂ©fet n’ont Ă©tĂ©

informĂ©s de la situation. C’est enparcourant le site Internet de Sud Ouest que M. Bussereau en a pris connaissance.

Comment se fait­il que les au­toritĂ©s et Ă©lus concernĂ©s n’aient pas Ă©tĂ© prĂ©venus de la situationdans cet Ă©tablissement ? SollicitĂ©,le directeur de l’établissement,Gilles Bastier, renvoie sur le siĂšge national de DomusVi, un des troisplus grands groupes d’Ehpad, avec Korian et OrpĂ©a, qui repré­sentent Ă  eux seuls le dixiĂšme desplaces en rĂ©sidence mĂ©dicalisĂ©e sur le territoire. « Nous n’y som­mes pour rien. Nous sommes dans l’obligation de communiquer Ă  l’autoritĂ© de tutelle, l’ARS, ce que nous faisons, assure le respon­sable de la communication du

groupe, Ludovic Boursin, jointpar Le Monde. AprĂšs, qu’il y ait des problĂšmes de communication en­tre eux et le dĂ©partement
 »

Dans cette commune de8 000 habitants, proche de Ro­chefort, les habitants et les Ă©lussont tombĂ©s des nues. C’est parune de ses adjointes, dont un membre de la famille rĂ©sidait auxPortes du jardin, que le maire,M. Authiat, a eu connaissance, dé­but mars, d’une suspicion de cas de Covid­19 dans l’établissement.« J’ai trouvĂ© curieux que la direc­tion ne m’ait pas appelĂ© », confie­t­il. Il s’enquiert de la situation, sans obtenir de plus amples in­formations. Quelques jours plustard, un responsable de l’ARS luiindique que tous les rĂ©sidents etles personnels de l’établissement vont ĂȘtre testĂ©s.

Les personnes positives peu­vent alors soit rester sur place, soit ĂȘtre hospitalisĂ©es Ă  La Ro­chelle. Aucun Ă©tat de ces trans­ferts n’est communiquĂ© Ă  la mai­rie : onze rĂ©sidents de l’établisse­ment vont dĂ©cĂ©der Ă  l’hĂŽpital. Seuls les permis d’inhumer de ré­sidents morts Ă  l’Ehpad passent par le maire. « J’ai eu des permisd’inhumer Ă  signer, mais il n’estpas fait mention de la cause du dé­cĂšs, note M. Authiat. Aucun indica­teur qui puisse m’alerter. Je suis to­talement insatisfait de la maniĂšre

dont l’établissement a communi­quĂ©, ou plutĂŽt n’a pas communi­quĂ©. » Une version contestĂ©e par DomusVi. « Le directeur de la rĂ©si­dence a communiquĂ© avec l’en­semble des parties prenantes, as­sure M. Boursin. La mairie a Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement informĂ©e par tĂ©lé­phone. Ainsi que les familles. »

Dans Sud Ouest, la belle­filled’un rĂ©sident mort Ă  l’hĂŽpital du Covid­19 rapporte avoir appelĂ© son beau­pĂšre, dĂ©but avril, qui se plaignait de mal respirer. Trois jours aprĂšs, il Ă©tait transfĂ©rĂ© Ă  l’hĂŽpital de La Rochelle, oĂč il est mort le 18 avril. « L’Ehpad ne m’a pas informĂ©e du dĂ©cĂšs et ne m’a pas prĂ©sentĂ© ses condolĂ©ances », dĂ©plore Sophie Caillaud. Quel­ques jours aprĂšs, elle recevait par courrier la carte Vitale de son beau­pĂšre. « Sans un mot, sans unelettre, c’est ignoble », dit­elle. Le directeur de l’établissement s’est excusĂ©, reconnaissant dans Sud Ouest qu’il y avait eu un « loupĂ© ».

ArriĂšre-pensĂ©es« Il y a eu une erreur, le directeur s’en est excusĂ©, admet M. Boursin.Il y a souvent des tĂ©moignages né­gatifs, mais nous avons eu beau­coup de messages de soutien. Les Ă©quipes ont Ă©tĂ© remarquables. Je ne pense pas qu’il y ait Ă  polé­miquer. » Pour lui, les rĂ©actionsindignĂ©es qu’a suscitĂ©es cette af­faire ne sont pas exemptes d’ar­riĂšre­pensĂ©es. « Nous ne ferons pas de commentaires sur des com­mentaires, poursuit­il. C’est tropfacile de pointer un Ehpad privĂ©. Il y a des volontĂ©s politiques der­riĂšre. » ContactĂ©e par Le Monde,l’ARS prĂ©fĂšre ne pas commenter.« Il ne nous est pas possible de ré­pondre, pour cause de rĂ©serve Ă©lec­torale », avant les municipales, explique le service de presse.

Le 11 avril, c’est le directeur gé­nĂ©ral du centre hospitalier de

La Rochelle, Pierre ThĂ©pot, qui avait fait Ă©tat, lors d’un pointpresse sanitaire, de l’apparition du Covid­19 aux Portes du jardin, aprĂšs que quatre pensionnaires de l’établissement eurent Ă©tĂ© hospitalisĂ©s. A la suite de cetteintervention, l’ARS avait finale­ment signalĂ© que onze salariĂ©s etdeux rĂ©sidents avaient Ă©tĂ© dĂ©tec­tĂ©s positifs au Covid­19. Mais sansfaire Ă©tat des dĂ©cĂšs.

Egalement joint par Le Monde,le directeur de la dĂ©lĂ©gation dé­partementale Charente­Maritimede l’ARS, Eric Morival, n’est pas plus disert : « Je ne peux pas vous rĂ©pondre. A ce stade, je n’échangepas. » Force est de se reporter aux propos qu’il tenait dans lescolonnes de Sud Ouest, fin mai : « On a mis le paquet pour Ă©viter lesdĂ©gĂąts », affirmait­il, ajoutant que« les choses sont globalement gĂ©rĂ©es aujourd’hui ».

Bien qu’il assure avoir reçuaprĂšs coup des excuses du res­ponsable de l’ARS reconnaissant que l’agence avait pĂ©chĂ© par man­que de communication, M. Au­thiat juge l’affaire inquiĂ©tante. « Si je n’avais pas percutĂ©, j’ai lesentiment que personne n’aurait Ă©tĂ© informĂ©, dĂ©plore le maire. Nous Ă©tions probablement le prin­cipal point de dĂ©veloppement de l’épidĂ©mie dans le dĂ©partement, et nous ne le savions pas. Si le pre­mier maillon de la dĂ©mocratie, lemaire, n’est pas informĂ©, ni les conseillers dĂ©partementaux, c’est absolument anormal. »

« Un tel comportement estinadmissible. C’est invraisembla­ble. Je condamne le silence assour­dissant de l’ARS, s’insurge M. Bus­sereau. Cela ne fait que conforter,hĂ©las, tout ce qui m’est remontĂ©de mes collĂšgues sur les problÚ­mes qu’ils ont eus, globalement,avec les ARS. »

patrick roger

« Nous étions probablement le

principal point dedéveloppement

de l’épidĂ©mie en Charente-

Maritime et nousne le savions pas »

ÉRIC AUTHIATmaire de Tonnay-Charente

JUSTICELe DĂ©fenseur des droits ouvre une enquĂȘte sur l’affaire GabrielLe DĂ©fenseur des droitsa ouvert, mercredi 10 juin, une enquĂȘte sur l’interpella­tion brutale de Gabriel D., 14 ans, Ă  Bobigny. L’adoles­cent accuse des policiers de l’avoir frappĂ© et gravement blessĂ© Ă  l’Ɠil. Il avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© dans la nuit du 25au 26 mai alors qu’il tentait de voler un scooter. Sa fa­mille a dĂ©posĂ© deux plaintes. Le parquet de Bobigny a dĂ©jĂ  ouvert une enquĂȘte, confiĂ©e Ă  l’inspection gĂ©nĂ©rale de la police nationale. – (AFP.)

VIOLENCES POLICIÈRESChristophe Castaner reçoit les syndicatsLe ministre de l’intĂ©rieur de­vait recevoir, jeudi 11 et ven­dredi 12 juin, les syndicats de policiers pour tenter de cal­mer leur colĂšre. Tous ont tirĂ© le signal d’alarme aprĂšs les dĂ©clarations de Christophe Castaner qui a prĂŽnĂ©, lundi, la « tolĂ©rance zĂ©ro » contre le racisme dans la police et interdit plusieurs techniques d’interpellation. – (AFP.)

MUNICIPALESQuatre communes sans maire, faute de candidatFaute de candidat, quatre communes de plus de 1 000 habitants se retrouve­ront sans maire Ă  l’issue du second tour des municipales le 28 juin. Trois se situent dans l’Ain (Buellas, PĂ©ron et Pont­d’Ain), la quatriĂšme en Eure­et­Loir (Prunay­le­Gillon). Dans les communes de ce type, si aucune liste n’est enregistrĂ©e, l’élection ne peut avoir lieu. – (AFP.)

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12 | france VENDREDI 12 JUIN 20200123

A l’hĂŽpital, la course aux financementsLES MAUX DE L’HÔPITAL 4|6 La tarification Ă  l’activitĂ©, ou « T2A », fait bondir les soignants. A l’occasion du SĂ©gur de la santĂ©, « Le Monde » se penche sur les sujets qui agitent le secteur hospitalier

D epuis le 23 septem­bre 2019, StéphaneDauger est en grÚve.Une grÚve un peu par­

ticuliĂšre : dans le sillon du mouve­ment de contestation dans les hέpitaux, ce mĂ©decin, chef du ser­vice de rĂ©animation pĂ©diatriquede l’hĂŽpital parisien Robert­De­brĂ© (AP­HP) et ses Ă©quipes ont dĂ©cidĂ© d’arrĂȘter le « codage ».

DerriĂšre le mot technique, c’est Ă l’un des cordons de la bourse que s’est attaquĂ© le professeur, copré­sident du Collectif inter­hĂŽpitaux,en refusant de faire remonter les informations correspondant Ă  son activitĂ© mĂ©dicale. Ces fameux« codes » dĂ©terminent ensuite lesrecettes versĂ©es par l’Assurance­maladie aux Ă©tablissements. Les pressions de sa hiĂ©rarchie admi­nistrative n’y ont rien changĂ© : lui comme la majoritĂ© des services deRobert­DebrĂ©, et d’autres en France, poursuivent cette grĂšve.

L’action vise l’une des clĂ©s degestion des hĂŽpitaux les plus con­testĂ©es : le systĂšme de tarification Ă  l’activitĂ©. La « T2A ». Prononcez ce sigle et vous obtenez la mĂȘme rĂ©action chez les mĂ©decins : un

long soupir. « La seule chose qui compte aujourd’hui, c’est de faire toujours plus d’activitĂ©, d’avoir plus de malades pour ramenerplus d’argent », dĂ©nonce StĂ©phaneDauger, qui voit revenir cette logi­que, aprĂšs la parenthĂšse de la crise sanitaire du Covid­19.

« Il n’y a pas d’alternative »HĂŽpital entreprise, politique du chiffre, course Ă  la rentabilitĂ©, con­currence entre Ă©tablissements
 Les critiques pleuvent depuis des annĂ©es sur ce systĂšme d’allocationdes moyens dĂ©ployĂ© au dĂ©but des annĂ©es 2000. Son avenir est de nouveau sur la table : il figure parmi les chantiers Ă  l’ordre du jour des discussions du SĂ©gur de lasantĂ©, ouvert par le gouvernementle 25 mai, qui doivent aboutir Ă  unerĂ©forme d’ici Ă  la mi­juillet.

Pourquoi cette pierre d’achoppe­ment dans le monde mĂ©dical ? Faire dĂ©pendre les financements de l’activitĂ© de l’hĂŽpital : l’idĂ©einitiale paraĂźt pragmatique. Son principe est simple, derriĂšre des si­gles complexes. L’activitĂ© de l’hέpital est classĂ©e, selon le profil du patient, son diagnostic, les actes

mĂ©dicaux rĂ©alisĂ©s
 Ce sont les « groupes homogĂšnes de mala­des » (GHM). Il y en a environ 2 600aujourd’hui. Pour chaque groupe, on Ă©value un coĂ»t moyen de prise en charge, puis un tarif lui est attri­buĂ© par l’Etat. C’est ce tarif qui est reversĂ©, ensuite, par l’Assurance­maladie Ă  l’hĂŽpital. Pour 2020 parexemple, un accouchement par voie basse sans complication est payĂ© 2 012,72 euros, une transplan­tation cardiaque du niveau de sé­vĂ©ritĂ© le plus Ă©levĂ©, 72 146,14 euros.

« Il n’y a pas d’alternative », dĂ©fen­dait le ministre de la santĂ© Jean­François Mattei, en 2004, dans le gouvernement de Jean­Pierre Raf­farin. Sans rencontrer de rĂ©sis­tance, il dĂ©ploie alors progressive­ment le mĂ©canisme, dont les jalons Ă©taient posĂ©s depuis quel­ques annĂ©es dĂ©jĂ , en mĂ©decine, enchirurgie et obstĂ©trique pour les sĂ©jours hospitaliers. A l’orĂ©e des annĂ©es 2000, il y a urgence Ă  ré­pondre aux maux des systĂšmes definancement prĂ©cĂ©dents, alors que le « trou de la SĂ©cu » ne cesse de se creuser. Le plus ancien, le « prix Ă  la journĂ©e », ne permet pasd’endiguer l’augmentation des dé­penses et incite mĂȘme Ă  l’inflationdes sĂ©jours. La dotation globale, dĂ©ployĂ©e dans les annĂ©es 1980 – soit une enveloppe attribuĂ©e par l’Etat Ă  chaque Ă©tablissement – ré­vĂšle assez vite d’autres limites.

Reconduite d’annĂ©e en annĂ©e demaniĂšre relativement figĂ©e, la dotation pĂ©nalise les hĂŽpitaux les plus actifs, enfermĂ©s dans cette enveloppe, tout en donnant Ă  l’in­verse une rente aux mieux pour­vus historiquement. Son Ă©volu­tion n’est pas exempte des « jeux de pouvoirs locaux et des nĂ©gocia­tions politiques pour obtenir des rallonges », rappelle le chercheur Pierre­AndrĂ© Juven, coauteur d’un ouvrage sur les rĂ©formes de l’hĂŽpi­

tal public, La Casse du siĂšcle, publiĂ©en avril 2019 (Ă©d. Raisons d’agir).

Rapidement, la tarification Ă  l’ac­tivitĂ© monte en puissance, avec untournant sous l’ùre Sarkozy : elle est gĂ©nĂ©ralisĂ©e en 2008, pour at­teindre 100 % du financement en mĂ©decine, chirurgie, et obstĂ©tri­que. Certains domaines, comme lapsychiatrie ou l’activitĂ© de soins de suite et de rĂ©adaptation, restenten dehors, avec des systĂšmes d’en­veloppes ou de forfaits.

« Au dĂ©part, la T2A apporte unebouffĂ©e d’oxygĂšne et des gains d’ef­ficience dans les hĂŽpitaux », rap­pelle Laurence Hartmann, cher­cheuse en Ă©conomie de la santĂ© auConservatoire national des arts et mĂ©tiers. Au grĂ© des ajustements, l’algorithme Ă  l’activitĂ© ne cesse d’ĂȘtre Ă©toffĂ©, avec des groupes et sous­groupes tarifĂ©s dans la grille, pour coller au mieux aux subtili­tĂ©s des parcours des patients. Des services spĂ©ciaux se dĂ©veloppent dans de nombreux hĂŽpitaux pour « optimiser le codage ». Une « boĂźtenoire », Ă©trille­t­on chez les mĂ©de­cins, peu enclins, souvent, Ă  rem­plir cette tĂąche administrative.

SystĂšme « ubuesque »Les effets pervers de la machine moderne apparaissent assez vite : peu Ă  peu, de nombreux « tarifs » versĂ©s par l’Etat ne suivent plus lescoĂ»ts rĂ©els que doit dĂ©bourser l’hĂŽpital pour accomplir cette activitĂ©. « Cela dĂ©rape dĂšs les annĂ©es 2010 », reprend Laurence Hartmann, qui y voit un « dĂ©voie­ment » du mĂ©canisme initial : « Lespouvoirs publics vont moduler les prix et utiliser la T2A pour rester dans les clous de l’enveloppe de l’Ondam [Objectif national des dé­penses d’Assurance­maladie] ».

« Avec cette distorsion, la T2Apousse Ă  une productivitĂ© sans fin dans les hĂŽpitaux, pour essayer de maintenir les finances Ă  flot », souli­gne Pierre­AndrĂ© Juven. Les Ă©ta­blissements sont nombreux Ă  en­chaĂźner des plans de redresse­ment, Ă  tenter de rĂ©duire les coĂ»ts, sans jamais rĂ©ussir Ă  pĂ©daler assez vite. « Cela crĂ©e aussi des patients rentables et d’autres trop coĂ»teux », ajoute­t­il, car certains sĂ©jours sontmieux remboursĂ©s que d’autres.

Les anecdotes sont légion chezles médecins pour brocarder les petits travers et grandes dérives

que provoque le systĂšme. Pour ce manipulateur en radiologie de 43 ans en CHU, qui souhaite rester anonyme, « on en est arrivĂ© au point de devoir dissuader ceux qui veulent aller uriner avant l’exa­men », lĂąche­t­il. Le chronomĂštre tourne : pas question de laisser la machine vide cinq minutes, sous peine de se faire remonter les bretelles. IRM, scanner, radiogra­phie
 l’imagerie mĂ©dicale est un secteur « qui rapporte » Ă  l’hĂŽpital. « Il faut remplir les plannings au maximum, rĂ©duire les temps d’examens
 » Au point parfois de faire des choses « limite » dans ce systĂšme « ubuesque », juge­t­il, comme faire revenir le patient une autre fois, officiellement « pour des raisons techniques », officieusement parce que seuls deux actes sur trois sont rembour­sĂ©s, dans tel ou tel examen.

D’autres racontent aussi com­ment ce « carcan » tarifaire en vient de facto Ă  orienter certaines prioritĂ©s. « Le bloc opĂ©ratoire concentre beaucoup d’attention de notre administration, car l’activitĂ© chirurgicale gĂ©nĂšre une grande partie de recettes », raconte Marc Leone, un chef du service d’anes­thĂ©sie­rĂ©animation Ă  l’hĂŽpital Nord de Marseille. RĂ©sultat : « Nos anesthĂ©sistes­rĂ©animateurs sont challengĂ©s pour faire le maximum d’endoscopies car, d’une part, l’acti­vitĂ© est bien rĂ©munĂ©rĂ©e mais, en plus, c’est un pourvoyeur de pa­tients potentiels pour la chirurgie. »

Opposant de la premiĂšre heurede la T2A, AndrĂ© Grimaldi, profes­seur Ă  la Pitié­SalpĂȘtriĂšre Ă  Paris, lerĂ©pĂšte inlassablement : « On a voulu utiliser la T2A pour une acti­vitĂ© pour laquelle elle n’est pas faite,estime­t­il. On l’a fait exprĂšs, pourfaire rentrer l’hĂŽpital dans une lo­gique commerciale. » Selon le dia­

bĂ©tologue, si la T2A peut ĂȘtre perti­nente en chirurgie, lĂ  oĂč l’on peut facilement « quantifier, mesurer, avec une activitĂ© standardisĂ©e et programmĂ©e », « cela ne marche pas dans toute une partie de la mé­decine, particuliĂšrement les mala­dies chroniques, qui sont Ă©voluti­ves ». Il prĂŽne un retour dans ce casĂ  un systĂšme de dotation globale, ou encore Ă  un « prix Ă  la journĂ©e »quand cela est pertinent, comme en soins palliatifs.

A d’autres Ă©tages de l’hĂŽpital,chez les administratifs, on porte un discours plus nuancĂ© sur le sortĂ  rĂ©server Ă  cette T2A. « On se trompe de cible », entend­on Ă  laFĂ©dĂ©ration hospitaliĂšre de France. « On sent bien cette volontĂ© de fairede la T2A le bouc Ă©missaire facile,estime Camille Dumas, directeur des affaires financiĂšres aux Hospi­ces civils de Lyon. On s’en sortira peut­ĂȘtre politiquement, mais ce n’est pas sa suppression qui va sau­ver l’hĂŽpital public. »

55 % des recettesPour le gestionnaire, si l’outil n’est pas parfait et nĂ©cessite des adapta­tions, il donne tout de mĂȘme « un peu de libertĂ© et de souplesse aux hĂŽpitaux, avec la possibilitĂ© d’aller chercher des recettes pour denouvelles activitĂ©s ». Pour lui, le problĂšme se trouve avant tout dans cet Ă©cart entre les tarifs ver­sĂ©s par l’Etat et les coĂ»ts. « On peut sacrifier l’outil, mais si l’enveloppe reste insuffisante, rien ne va chan­ger », dĂ©fend le responsable.

La T2A est sur la table du SĂ©gur dela santĂ©, et le gouvernement a dĂ©jĂ les idĂ©es bien arrĂȘtĂ©es. Ce systĂšme a « dĂ©montrĂ© toutes ses limites », a estimĂ© Edouard Philippe, le pre­mier ministre, le 25 mai, prĂŽnant un « systĂšme plus intelligent », « plus respectueux de la qualitĂ© des soins », « moins ancrĂ© sur la nĂ©ces­sitĂ© de multiplier les actes pour dé­gager des recettes ». Pas question non plus de tout changer : il faut rĂ©duire sa part en dessous de 50 %,a­t­il avancĂ©, rappelant ainsi l’une des promesses de campagne du candidat Macron. Pour y arriver, il a Ă©voquĂ© l’augmentation de la « part Ă  la qualitĂ© ».

Reste Ă  savoir comment cela vaĂȘtre mis en musique. « C’est assez facile Ă  formuler, a reconnu le pre­mier ministre, plus difficile Ă  met­tre en Ɠuvre ». Dans le monde mé­dical, on reste sur ses gardes. Chez les dĂ©fenseurs de la T2A comme chez ses dĂ©tracteurs, on souligne que ce mode d’allocation ne repré­sente dĂ©jĂ  que 55 % des recettes des hĂŽpitaux publics. Toute une partie du financement demeure sous la forme de dotations, pour les missions d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, ou encore la recherche, l’enseigne­ment. « Cela ne pourra passer que par un schĂ©ma de paiement plus sophistiquĂ©, avec une combinaison de diffĂ©rents mĂ©canismes », estime Laurence Hartmann, qui cite pĂȘle­mĂȘle la T2A, le financement Ă  la qualitĂ©, au forfait, Ă  la dotation


Les premiĂšres tentatives pour ré­pondre aux effets pervers de la T2A, enclenchĂ©es en 2018 par AgnĂšs Buzyn, alors ministre de la santĂ©, vont en ce sens. Difficile d’en dresser le bilan Ă  ce stade : pour les maladies rĂ©nales chroni­ques, la mise en place d’un forfait global Ă  l’annĂ©e pour un patient, avec des indicateurs de qualitĂ©, n’acommencĂ© Ă  s’appliquer qu’en janvier. Quant au diabĂšte, les dis­cussions achoppent entre le mi­nistĂšre et les professionnels pour s’accorder sur une alternative.

Les mĂ©decins s’en souviennent :ce n’est pas la premiĂšre fois qu’un gouvernement fait des promesses sur la question. Le candidat Fran­çois Hollande dĂ©nonçait, en 2012, « l’idĂ©ologie dogmatique de l’hĂŽpi­tal­entreprise » et s’engageait Ă  « re­dĂ©finir le mode de financement de l’hĂŽpital ». En pratique, rien n’a bougĂ© ou presque. En toute fin de mandat, un ancien dĂ©putĂ© socia­liste avait rendu un rapport sur le sujet, prĂŽnant un systĂšme « trans­formĂ© » et « modulĂ© lorsque nĂ©ces­saire ». Un certain Olivier VĂ©ran.

camille stromboni

Prochain Ă©pisode Quel modĂšle d’hĂŽpital pour demain ?

A l’hĂŽpital Henri­Mondor de CrĂ©teil (Val­de­Marne),le 5 juin 2019.STÉPHANE DE SAKUTIN/AFP

« On l’a fait exprĂšs, pour faire

entrer l’hîpitaldans une logique

commerciale »ANDRÉ GRIMALDI

diabĂ©tologue Ă  l’hĂŽpital de la PitiĂ©-SalpĂȘtriĂšre

Peu Ă  peu, de nombreux

« tarifs » versĂ©spar l’Etat ne

suivent plus lescoûts réels quedoit débourser

l’hîpital

du lundiau vendredi

11H–11H5

FlorianDelorme

L’espritd’ouver-ture.

franceculture.fr/@Franceculture

Enpartenariatavec

CULTURESMONDE.

©RadioFrance/Ch.Abram

owitz

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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 france | 13

La rĂ©ussite« Ă  gĂ©omĂ©trie variable » des cours Ă  distanceLa continuitĂ© pĂ©dagogique promise aux Ă©lĂšves n’a pas toujours Ă©tĂ© tenue, selon des familles

ENQUÊTE

A lice, collégienne en ré­gion parisienne, a« mené un effort cons­tant durant tout le

trimestre ». C’est en tout cas ce qui s’est dit d’elle lors de son troisiĂšme– et dernier – conseil de classe. « CetroisiĂšme trimestre, c’est du vent, lĂąche l’élĂšve de 3e. D’ailleurs, on a pratiquement tous eu la mĂȘme apprĂ©ciation. » ElĂšve assidue, Alice, 15 ans, « rumine depuis des semaines », confient ses parents, cadres supĂ©rieurs, sur un ton « sans filtre » qu’ils ne lui connais­saient pas. « Elle est en boucle sur sa prof de français qui annule les “visio” en derniĂšre minute, le prof d’histoire qui ne maĂźtrise pas le numĂ©rique
 Tout est devenu l’ob­jet de critiques », se dĂ©sole Guillaume, son pĂšre. L’annoncede la suppression des Ă©preuves dubrevet a eu raison de sa motiva­tion. « Chaque soir, quand on luidemande comment s’est passĂ©e sa journĂ©e, elle nous rĂ©pĂšte qu’elle esten vacances
 comme ses profs ! »

« Aux abonnĂ©s absents »Chez Laurent et CĂ©line, qui ont deux enfants au lycĂ©e, Ă  Bordeaux,l’enseignement Ă  distance fait aussi l’objet de dĂ©bats animĂ©s autour de la table du dĂźner. Pour lecadet, en 2de, cela a « Ă  peu prĂšs fonctionnĂ© » jusqu’à PĂąques. « En­suite, je n’ai pratiquement plus eu de contact avec la classe », dit­il. L’aĂźnĂ©, en 1re, a vĂ©cu l’« inverse » : peu d’échanges au dĂ©but, une « tonne de devoirs » depuis mai. « Comme si on pouvait rattraper le temps perdu ! » « On a Ă©crit au lycĂ©e,la direction nous a rĂ©pondu que l’équipe faisait au mieux, racon­tent les parents, restaurateurs. Nosfils ne sont pas les plus Ă  plaindre. Ce mieux, il faut s’en contenter. »

CĂ©cile, deux enfants eux aussilycĂ©ens, Ă  Paris, pense au contrairequ’il faut « pointer ce qui coince. On nous a rĂ©pĂ©tĂ©, au dĂ©but du confinement, que tout Ă©tait prĂȘt. Cen’est pas honteux de tĂ©moigner que

ça n’a pas toujours Ă©tĂ© le cas ». Son aĂźnĂ©e, en terminale, rĂ©sume la pé­riode : « Deux mois et demi de con­finement, et six profs sur huit aux abonnĂ©s absents. » Ses deux ensei­gnants « trĂšs impliquĂ©s » ont, dit­elle, « fait le job du dĂ©but Ă  la fin ».

Dans les rangs des fĂ©dĂ©rations deparents d’élĂšves, on reconnaĂźt en­tendre « monter » des tĂ©moigna­ges de ce type. Un peu toujours les mĂȘmes, d’ailleurs : sur des ensei­gnants qui ont mis la « barre haut au dĂ©but » et qui, aprĂšs quinze jours d’école Ă  distance, n’ont plus donnĂ© signe de vie. Sur d’autres qui ont « bombardĂ© » leurs classes d’exercices, y compris pendant les vacances ou un 1er­Mai. Sur d’autres, encore, qui ne rĂ©pondentpas aux sollicitations des Ă©lĂšves
 « Cela n’efface en rien les “bravos” et les hommages rendus aux pro­fesseurs, nuance GĂ©rard Pommier, prĂ©sident de la PEEP. Mais il y a desexceptions pour confirmer la rĂšgle. Et ces exceptions sont toujours vé­cues comme trop nombreuses. »

Selon un sondage IFOP rĂ©alisĂ© enavril, 75 % des familles se sont di­tes satisfaites du dĂ©roulement de l’enseignement Ă  distance. Autant se sont senties capables d’accom­pagner leur enfant, et plus de 8 sur10 affirment que celui­ci a Ă©tĂ© en contact avec un enseignant « au moins une fois par semaine ». En creux, on entraperçoit la part, trĂšs minoritaire et nĂ©anmoins audi­ble, des expĂ©riences problĂ©mati­ques. « Evidemment que la pĂ©riode a Ă©tĂ© difficile, mais il ne faudrait pasque ces retours­lĂ  soient l’arbre qui

cache la forĂȘt, indique au Monde Jean­Michel Blanquer, le ministre de l’éducation. La France est l’un des pays qui a le mieux rĂ©ussi, pendant le confinement, Ă  mainte­nir un lien avec les Ă©lĂšves et Ă  leur Ă©viter de dĂ©crocher. La relation entre l’école et les familles en est ressortie plutĂŽt renforcĂ©e. Je veux lerĂ©pĂ©ter : la mobilisation des ensei­gnants est restĂ©e remarquable. »

C’est aussi ce que met en avant laFCPE. « Souvent, les parents qui nous interpellent mĂ©langent la dĂ©motivation de leurs enfants et celle, supposĂ©e, des enseignants, note Jean­AndrĂ© Lasserre, Ă  Paris. Ils veulent croire que si leurs en­fants travaillent moins, c’est que l’offre scolaire n’est pas Ă  la hau­teur. Quand les attentes sont for­tes, la dĂ©sillusion peut l’ĂȘtre aussi. »

D’un Ă©tablissement Ă  l’autre, onle reconnaĂźt : les « dysfonctionne­ments » existent, mais Ă  la marge. « Et ils ne sont pas une surprise, in­dique Philippe Vincent, secrĂ©taire

gĂ©nĂ©ral du syndicat de proviseursSNPDEN­UNSA. Comme dans toutes les entreprises, on connaĂźt les personnels plus fragiles. Ceux qui ont un problĂšme de santĂ© ou des difficultĂ©s familiales ; ceux quisont mal Ă©quipĂ©s ou mal Ă  l’aise avec le numĂ©rique. »

Les chercheurs le disent : lapĂ©riode, inĂ©dite, a mis en lumiĂšre et exacerbĂ© des difficultĂ©s qui lui prĂ©existaient. Braquer les projec­teurs sur des personnels plus ou moins investis, plus ou moins geeks, inĂ©gaux face Ă  la crise, Ă  l’anxiĂ©tĂ©, Ă  la maladie
 « L’expé­rience du confinement a Ă©tĂ© brutaleet trĂšs diversement vĂ©cue, observe Bruno Devauchelle, du laboratoireTechnĂ© de l’universitĂ© de Poitiers, qui travaille sur le dĂ©veloppement du numĂ©rique dans les sciences del’éducation. Les fragilitĂ©s person­nelles ajoutĂ©es Ă  l’absence d’accom­pagnement ont pu en pousser cer­tains Ă  se mettre en retrait. »

Sans compter les quelquesautres qui, « presque par principe »,disent les proviseurs, refusent l’installation Ă  la maison d’outils de liaison avec leur Ă©tablissement. Un ou deux, « pas plus », sur une Ă©quipe de 140 dans telle citĂ© sco­laire du Val­de­Marne. Trois ou quatre sur 120 dans ce lycĂ©e mar­seillais. Deux qui ont « totalement disparu de la circulation », trois ou quatre qui ont « travaillotĂ© » dans ce grand Ă©tablissement parisien.

Dans son collÚge de Montauban(Tarn­et­Garonne), le plus gros de

l’acadĂ©mie de Toulouse, le princi­pal JosĂ© Jorge a vite repĂ©rĂ© qu’une« portion non nĂ©gligeable » de l’équipe (prĂšs d’un cinquiĂšme) pourrait « plonger » faute de ma­tĂ©riel et de compĂ©tences numĂ©ri­ques. Pour y remĂ©dier, il a multi­pliĂ© les temps de formation.

« Faire au mieux »« Nos premiĂšres analyses identi­fient un bon quart de la profession qui Ă©tait dĂ©jĂ  acculturĂ©e aux tech­nologies numĂ©riques. Ces ensei­gnants s’en sont plutĂŽt bien tirĂ©s pour recrĂ©er, mĂȘme Ă  distance, unedynamique de classe et inventer d’autres façons de travailler », ex­plique Pascal Plantard, professeur d’anthropologie des usages nu­mĂ©riques Ă  l’universitĂ© Rennes­2.

Il suit depuis trois ans, en Breta­gne, une cohorte de 1 800 collé­giens et une autre de 1 000 ensei­gnants. « Environ la moitiĂ© des professeurs ont tĂątonnĂ© pour faire au mieux, poursuit le chercheur ; leur capacitĂ© d’adaptation mĂ©rited’ĂȘtre applaudie. Les problĂšmes se concentrent sur le quart restant : des enseignants qui, d’ordinaire, n’ont pas d’usage ou un usage a minima du numĂ©rique en classe (un tableau blanc interactif, des diaporamas). Eux ont rencontrĂ© le plus de difficultĂ©s. »

Au point de « dĂ©crocher » ? Leverbe, jusqu’à prĂ©sent rĂ©servĂ© auxĂ©lĂšves, heurte de plein fouet lemonde enseignant. « On joue sur la corde de la culpabilitĂ© mais,

parmi nos collĂšgues, beaucoup doivent encore prendre soin de leurs proches, quand ils ne sont paseux­mĂȘmes tombĂ©s malades », fait observer Claire GuĂ©ville, porte­parole du SNES­FSU. « Le dĂ©bat se focalise sur les profs rĂ©calcitrants, poursuit­elle, mais, vu l’énergie dé­ployĂ©e collectivement pour rĂ©pon­dre au dĂ©fi du confinement, il fau­drait plutĂŽt saluer un miracle ! »

« Soyons honnĂȘtes : aucun profn’était prĂȘt Ă  vivre ça, assure, sous couvert d’anonymat, une ensei­gnante en Seine­Saint­Denis. A unmoment ou Ă  un autre, on s’esttous retrouvĂ©s en difficultĂ©. Mais c’est un tabou que de dire qu’on n’yarrive pas
 » Certains l’assument, pourtant. « Que le lien d’apprentis­sage ait pu ĂȘtre altĂ©rĂ© durant la pĂ©riode, c’est une Ă©vidence, tĂ©moi­gne Thibaut Poirot, professeur d’histoire­gĂ©ographie en lycĂ©e. Nous avons laissĂ© des enfants sur le bord de la route, c’est un fait. Mais peut­on rendre responsables d’inĂ©galitĂ©s amplifiĂ©es par le confi­nement des enseignants Ă  qui on ademandĂ© de faire tenir le systĂšmequel qu’en soit le prix ? »

« Quoi qu’on fasse, le succĂšs de lacontinuitĂ© pĂ©dagogique est Ă gĂ©omĂ©trie variable, souligne aussiMarc Charbonnier, enseignant enlycĂ©e Ă  ChĂątenay­Malabry (Hauts­de­Seine), ne serait­ce que parceque le “à distance” ne pourra jamais remplacer ce qui se joue, enclasse, dans la relation directe aux Ă©lĂšves. » MĂȘmes rĂ©serves d’AmĂ©lieHart­Hutasse, enseignante dansun collĂšge en CĂŽte­d’Or. Semaine aprĂšs semaine, elle a rĂ©ussi Ă  maintenir ses rendez­vous « enaudio » avec ses quatre classes – y compris avec les Ă©lĂšves habitanten zone blanche. « Rarement avant 11 heures », concĂšde­t­elle.Mais sur la qualitĂ© du lien main­tenu, cette militante du SNES­FSUreste prudente : « Qu’est­ce que les Ă©lĂšves auront rĂ©ellement appris ? Jen’ai aucune certitude sur la valeurpĂ©dagogique de cette continuité  Il faudra le vĂ©rifier. »

C’est ce qu’a prĂ©vu l’éducationnationale. Si les Ă©preuves de find’annĂ©e, pour le bac et le brevet,ont Ă©tĂ© annulĂ©es, le ministre del’éducation s’engage Ă  « accompa­gner les professeurs pour leur permettre d’évaluer les besoins desĂ©lĂšves, Ă  tous les niveaux, dĂšs la rentrĂ©e ». A l’automne auront lieu les Ă©tats gĂ©nĂ©raux du numĂ©rique Ă  l’école. L’occasion de tirer un bi­lan de ce qui s’est jouĂ©, le meilleurcomme le moins bon.

mattea battaglia

« Je ne suis pas maĂźtresse d’école, c’est sĂ»r, mais j’ai jouĂ© un rĂŽle »De nombreux grands­parents ont endossĂ© un rĂŽle de professeur pour leurs petits­enfants pendant et aprĂšs le confinement

TÉMOIGNAGES

M a grand­mÚre est forteen histoire et en fran­çais, mon grand­pÚre

prĂ©fĂšre les maths, la SVT et la techno. » Dimitri, 12 ans, aura appris beaucoup de choses pen­dant le confinement. Et, entre autres, que ses grands­parentsfont d’excellents rĂ©pĂ©titeurs. Con­finĂ© en Bretagne avec ses parents et son petit frĂšre, ce collĂ©giend’un Ă©tablissement privĂ© du 12e arrondissement de Paris s’est vite senti noyĂ© sous la masse desdevoirs Ă  faire « Ă  distance », qui « arrivaient de partout », parfois par mail, parfois sur la plate­forme numĂ©rique du collĂšge.

Un dimanche, sur Facetime, sesgrands­parents paternels lui ont proposĂ© de l’aider. Depuis, AndrĂ© et Lucette se rĂ©partissent les

matiĂšres. Ils disposent des identi­fiants de leur petit­fils sur l’espacenumĂ©rique de travail du collĂšge. « On s’y met Ă  9 h 30, on regarde ce qu’il y a Ă  faire et on organise la journĂ©e en fonction, explique Dimitri, qui a rĂ©pondu Ă  un appel Ă  tĂ©moignages sur Lemonde.fr. Avant, je ne faisais pas l’histoire­gĂ©o, la techno et la SVT parce que jene comprenais pas ce qu’il fallaitfaire, parce qu’il y en avait trop. Maintenant, on en vient Ă  bout. »

Avec la fermeture des Ă©coles, le16 mars, et jusqu’à aujourd’hui – le dĂ©confinement scolaireconcernant toujours une mino­ritĂ© d’élĂšves –, les parents se sont retrouvĂ©s Ă  jongler entre tĂ©lĂ©tra­vail, gestion des tĂąches mĂ©nagÚ­res et devoirs des enfants. Pour certaines familles, faire assurer« l’école Ă  la maison » par les grands­parents a Ă©tĂ© la solution.

Charlotte, qui prĂ©fĂšre garderl’anonymat, s’est retrouvĂ©e confi­nĂ©e dans son trois­piĂšces de Boulogne­Billancourt (Hauts­de­Seine) avec son conjoint et ses jumeaux, RaphaĂ«l et Laura, en classe de CP. « Mi­avril, ma fille m’a confiĂ© qu’elle n’y arrivait pas, ra­conte sa mĂšre, Michelle, qui vit surle bassin d’Arcachon. J’ai proposĂ©de leur faire faire une sĂ©ance de lec­ture sur Facetime. On a essayĂ©, pas forcĂ©ment trĂšs convaincues
 Et ça a incroyablement bien marchĂ© ! »

« Les petits sont appliquĂ© »Les enfants ont rendez­vouschaque jour avec leur grand­mĂšrepour des sĂ©ances de deux heureset demie : l’un le matin, l’autrel’aprĂšs­midi. « Les petits jouent lejeu, constate Michelle. Ils sont concentrĂ©s, appliquĂ©s, ils ont compris que ce temps avec leur

mamie Ă©tait un temps d’école et non un temps pour s’amuser. »Pour Charlotte, ce soutien a toutchangĂ©. « Au dĂ©but du confine­ment, je venais de prendre un nou­veau poste, raconte­t­elle. Je gé­rais l’école par à­coups. Entre deuxappels, je disais “ok les enfants, on a une heure pour faire les devoirs”. Mais ça ne fonctionnait pas. Il fautpouvoir y consacrer du temps longet ĂȘtre structurĂ©. » Le rythme sur Facetime a changĂ© depuis la re­prise « en prĂ©sentiel », deux jours par semaine, mais les enfantscontinuent Ă  voir leur grand­mĂšre les deux jours restants.

Pour les grands­parents qui sesont improvisĂ©s « professeurs » Ă  distance, assurer le suivi du travail scolaire a Ă©tĂ© l’occasion de maintenir un lien mis Ă  l’épreuve par le confinement. « Le contact quotidien avec eux a dĂ©veloppĂ©

d’autres choses », explique AndrĂ©, le grand­pĂšre de Dimitri. Un lien journalier qui n’est pas le mĂȘme que celui des seules vacances sco­laires. « On sent qu’eux aussi ontapprĂ©ciĂ©, ajoute AndrĂ©. Ils nous le disent et leurs parents aussi. Et ça, c’est extrĂȘmement gratifiant. »

Les grands­parents rapportenten effet avoir « appris des choses »,tant dans l’usage des outils numĂ©riques que sur les program­mes scolaires. Ils disent s’ĂȘtre sen­tis « utiles », voire « honorĂ©s » defaire progresser leurs petits­en­fants. « Je ne suis pas maĂźtresse d’école, c’est sĂ»r, dit ainsi Michelle.Mais je vois bien, maintenant que l’école a repris, qu’ils ne sont pas enretard sur le programme. Et je sais que j’ai jouĂ© un rĂŽle là­dedans. »

Avec une plus­value certaine parrapport aux devoirs faits par les parents : « Ma fille me dit qu’ils

sont plus disciplinĂ©s avec moiqu’avec elle, ils font moins la comé­die », avance Claude Philiponnet, mĂ©decin du travail Ă  la retraite quia fait « l’école Ă  la maison » depuis Aix­en­Provence (Bouches­du­RhĂŽne) pour deux petits Pari­siens. « Les devoirs Ă  la maison sont une source importante de tension entre parents et enfants, abonde le pĂ©dagogue Philippe Meirieu. Pour les parents, l’échec dans les devoirs est comme une mise en cause de leur autoritĂ©. »

Les grands­parents, par leur « re­lation affective » avec leurs petits­enfants, sont des personnes« tierces » essentielles dans l’édu­cation, avance le pĂ©dagogue. « Ilssont Ă  une place qui leur permetd’apprendre des choses aux enfants, sans entrer dans un bras de fer si ça ne fonctionne pas. »

violaine morin

« Soyons honnĂȘtes : aucunprof n’était prĂȘt

à vivre ça », assure une

enseignante deSeine-Saint-Denis

35 %C’est la part d’enseignants qui continuent de faire cours Ă  distance, estimait-on au ministĂšre de l’éducation le 10 juin. Environ 5 % des en-seignants sont « excusĂ©s pour maladie, empĂȘchĂ©s de reprendre le tra-vail pour cause de fragilitĂ© ou pour un autre motif. Cela ne veut pas dire que ces 5 % ont dĂ©crochĂ© ». Il n’empĂȘche : « Quelqu’un qui ne fait pas son travail est sanctionnable », a affirmĂ© le ministre sur RTL, mer-credi soir. 60 % des professeurs ont repris le travail « en prĂ©sentiel ».

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Page 14: Le Monde - 12 06 2020

14 | france VENDREDI 12 JUIN 20200123

L’attribution d’un HLM : un systĂšme discriminantSelon une Ă©tude publiĂ©e jeudi 11 juin, plus un mĂ©nage est pauvre, moins il ade chances d’obtenir un logement social

I l s’agit là d’un paradoxe. Alorsque la vocation premiùre dulogement social est d’ac­

cueillir les mĂ©nages les plus mo­destes, plus on est pauvre, moins on a de chances d’en obtenir un. C’est la cinglante conclusion Ă  la­quelle aboutit l’enquĂȘte, publiĂ©e jeudi 11 juin, menĂ©e par six asso­ciations Ă  partir des donnĂ©es ex­traites du systĂšme national d’en­registrement de la demande de logement social, de l’analyse des dossiers de 96 mĂ©nages, en prin­cipe prioritaires, mais victimes de cette logique de refus et d’entre­tiens avec des travailleurs sociaux.

« AprĂšs avoir Ă©tĂ© broyĂ©es par lemĂ©canisme opaque et sĂ©lectif d’at­tribution, les familles pauvres qui pensent avoir enfin franchi la der­niĂšre Ă©tape sont bloquĂ©es par la chertĂ© des loyers qui, bien que so­ciaux, sont encore trop Ă©levĂ©s pour elles », analyse Michel Platzer, vice­prĂ©sident de ATD Quart Monde, partenaire, pour cette enquĂȘte, du Secours catholique, de SolidaritĂ©s nouvelles pour le logement, de la Fondation AbbĂ© Pierre, d’Habitat et humanisme et de SolidaritĂ© DALO. Depuis 1973, le nombre de demandeurs d’un logement socialn’a pas cessĂ© d’augmenter – plus de deux millions depuis 2018 –, tandis que leur situation finan­ciĂšre s’est dĂ©gradĂ©e : 51 % des can­didats appartiennent au quart de la population aux revenus les plusbas, contre 25 % en 1978.

Dans son rapport, publiĂ©en 2017, la Cour des comptes cons­tatait que le taux d’attributions d’un logement social aux famillesdisposant de moins de 500 eurospar mois et par unitĂ© de consom­mation n’était, en 2015, que de 19 %, contre 26 % pour l’ensemble des mĂ©nages demandeurs, sept points d’écart qui constituent uneforme de discrimination fine­ment analysĂ©e par cette enquĂȘte. Les auteurs estiment Ă  224 000 lenombre de familles bloquĂ©es pen­dant des annĂ©es sur la liste d’at­tente sans qu’aucune proposition leur ait Ă©tĂ© faite ou, pire, ayant Ă©tĂ© refusĂ©es Ă  la toute derniĂšre Ă©tapedu long parcours d’attributionpar le bailleur social, qui a, de droit, le dernier mot.

« C’est dĂ©courageant »Moussa (le prĂ©nom a Ă©tĂ© changĂ©), 32 ans, français d’origine ma­lienne, est intĂ©rimaire dans les travaux publics, notamment pour Eurovia, filiale de Vinci spé­cialisĂ©e dans les chantiers rou­tiers. Il gagne entre 2 300 et 2 600 euros par mois. Depuis 2016, il habite le 14e arrondisse­ment de Paris, dans une sous­pente de 2,5 mĂštres carrĂ©s dĂ©cla­rĂ©e « impropre Ă  l’habitation » par arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral. Prioritaire par dĂ©finition pour accĂ©der Ă  un loge­ment social, solidement soutenu par la Fondation AbbĂ© Pierre, il a dĂ©jĂ  essuyĂ© quatre refus en com­mission d’attribution, Ă  Nanterre, Courbevoie et Bois­Colombes (Hauts­de­Seine), alors que son dossier Ă©tait classĂ© deuxiĂšme destrois candidats sĂ©lectionnĂ©s. « Je ne comprends pas, tĂ©moigne­t­il.Il manque toujours un papier, onoublie de me tĂ©lĂ©phoner, on m’in­vente une dette locative
 C’est dé­courageant, car, Ă  chaque fois, j’ai l’espoir, mais rien ne se passe. »

AprĂšs quatre ans et demi d’hé­bergement, Ă  cinq (grands­pa­rents, parents et fils) dans une chambre d’hĂŽtel, la famille A., arrivĂ©e d’ArmĂ©nie en Bretagne en 2012, avait rĂ©ussi Ă  rĂ©unir tou­tes les conditions exigĂ©es pour ac­cĂ©der Ă  un logement social – titres de sĂ©jour, bourse d’études pour le fils –, mais s’est vu refuser un ap­partement par le bailleur social,qui a jugĂ© trop incertaines les ressources de la mĂšre, en CDD comme femme de mĂ©nage. « Cette

attitude nous a dĂ©concertĂ©s, car lesressources couvraient largement leloyer et, surtout, il y avait des ap­partements vides disponibles », se souvient Marie­Annonciade Petit, chargĂ©e des relations publiques pour Habitat et humanisme. Pour rassurer le bailleur, l’association a signĂ© le bail et la famille a pu em­mĂ©nager en 2018.

La rĂ©ticence des bailleurs so­ciaux s’explique par leur souci de ne pas prendre de risque d’impayĂ©de loyer. Alors, dĂšs qu’ils sentent que les finances sont fragiles, qu’une dette de loyer a pu ĂȘtre contractĂ©e auparavant, ils refer­ment la porte. Par ailleurs, la pré­sence d’enfants proches de la ma­joritĂ©, qui fera bientĂŽt chuter lemontant des allocations familia­les et des aides au logement, ou la prĂ©caritĂ© des emplois les rendent frileux. Le risque financier n’est pourtant pas un critĂšre lĂ©gal de prise en compte du dossier, et il cache parfois des motifs moins avouables, comme l’origine des demandeurs : « J’ai entendu des phrases comme : “Avec un Como­rien, c’est toute la famille qui ar­rive.” », raconte Mme Petit. Un can­didat qui ose refuser le logementqu’on lui propose prend, lui, le ris­que de voir son dossier enterrĂ©.

Le lĂ©gislateur a bien tentĂ©, et ceĂ  plusieurs reprises, de forcerl’ouverture des portes des HLM aux cas les plus difficiles. La loi surle droit au logement opposable (DALO, du 5 mars 2007), un statut accordĂ© au demandeur qui oblige l’Etat Ă  le reloger dans les six mois,laisse toujours 54 360 « mĂ©nages DALO » sans solution. « Nous avons bien un accord dĂ©partemen­tal avec les bailleurs sociaux de l’Ile­de­France pour qu’ils mettent Ă  la disposition des associations et des personnes hĂ©bergĂ©es 2 000 loge­ments par an, mais ils n’en propo­sent que 1 000 et beaucoup d’entre eux ne jouent pas le jeu et refusent nos candidats », dit Odile PĂ©cout, travailleuse sociale pour Solidari­tĂ©s nouvelles pour le logement.

En 2009, la loi de mobilisationpour le logement et la lutte contrel’exclusion oblige Action Loge­ment (ex­1 % logement) Ă  rĂ©server un quart de ses attributions aux publics prioritaires, ce qui n’a ja­mais Ă©tĂ© fait. La loi relative Ă  l’éga­litĂ© et Ă  la citoyennetĂ©, du 27 jan­vier 2017, a, elle, instaurĂ© l’obliga­tion faite aux bailleurs de rĂ©ser­ver, hors quartiers prioritaires de la ville, 25 % des attributions aux 25 % des demandeurs les plus mo­destes ; 18,7 % des demandeurs en ont profitĂ© sur le plan national, mais seulement 15 % Ă  Nice ou 11 %en Ile­de­France.

Un obstacle majeur est le loyertrop Ă©levĂ© des logements sociaux qui se libĂšrent. Leur montant est dĂ©connectĂ© de la situation des de­mandeurs, ainsi victimes, selon lerapport, « d’exclusion Ă©conomi­que ». Les six associations Ă  l’ori­gine de l’enquĂȘte demandent, entre autres, la revalorisation de l’aide personnalisĂ©e au logement et une nouvelle politique des loyers sociaux, Ă  ajuster aux res­sources des candidats pour parve­nir Ă  une « quittance adaptĂ©e ». Une possibilitĂ© dĂ©jĂ  envisagĂ©e parles lois ELAN (2018) et « Ă©galitĂ© etcitoyennetĂ© », mais trĂšs peu usi­tĂ©e, sauf Ă  Rennes.

isabelle rey­lefebvre

Une vaste enquĂȘte pour mieux comprendre et amĂ©liorer les soins palliatifsLes rĂ©sultats viendront nourrir le prochain plan national d’accompagnement de la fin de vie

E n entraĂźnant la mort deplusieurs milliers de per­sonnes ĂągĂ©es, l’épidĂ©mie

due au coronavirus a posĂ© de ma­niĂšre aiguĂ« la question des soins palliatifs. Les structures existant en France pour accompagner ces fins de vie Ă©taient­elles suffisan­tes ? Ont­elles pu fonctionner cor­rectement ? Sur ce point, l’heure du bilan exhaustif n’est pas en­core venue. Mais l’état des lieux des structures et ressources en soins palliatifs rendu public, jeudi 11 juin, par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), tombe Ă  point nommĂ©, tant ce sujet est revenu dans l’actualitĂ© avec la crise sanitaire.

Cette enquĂȘte, premiĂšre dugenre, a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e en ligne en oc­tobre 2019, auprĂšs des deux prin­cipaux types de structures char­gĂ©es de l’accompagnement des fins de vie : les unitĂ©s de soins pal­liatifs (USP), services hospitaliersconstituĂ©s de lits allouĂ©s aux soinspalliatifs ; et les Ă©quipes mobiles de soins palliatifs (EMSP), Ă©quipes pluriprofessionnelles qui accom­pagnent la prise en charge des fins de vie Ă  l’hĂŽpital, en Ă©tablisse­ment mĂ©dico­social ou Ă  domicile.L’étude comporte deux volets : lepremier, quantitatif, recense le nombre de lits et de ressources humaines ; le second, qualitatif,reflĂšte le ressenti des Ă©quipes quant Ă  leurs conditions d’exer­cice quotidien. Le taux de rĂ©ponse est de 85 % parmi les 158 USP, et de75 % des 408 EMSP que compte le territoire national. Une participa­

tion satisfaisante et géographi­quement bien répartie, qui per­met, précise le CNSPFV, de consi­dérer cet état des lieux comme « représentatif de la situation moyenne française et de la situa­tion moyenne région par région ».

Pour toutes les Ă©quipes d’USP etd’EMSP, la difficultĂ© la plus fré­quente signalĂ©e est un manque depersonnel, notamment de mĂ©de­cins. On compte en moyenne 1,5 mĂ©decin et 7,5 infirmiĂšres pour10 lits d’USP (une USP dispose en moyenne de 12,5 lits), et 0,7 mĂ©de­cin et 1 infirmiĂšre d’EMSP pour 100 000 habitants. Relativement homogĂšne Ă  l’échelle des rĂ©gions, cette rĂ©alitĂ© n’en cache pas moins de fortes inĂ©galitĂ©s dĂ©partemen­tales en ce qui concerne le nom­bre de lits dĂ©volus aux soins pal­liatifs. Une autre Ă©tude du CNSPFVrĂ©vĂšle ainsi que 27 dĂ©partements ne disposent mĂȘme pas d’un lit d’USP pour 100 000 habitants, contre 9,4 lits Ă  Paris.

InterrogĂ©es quant Ă  la « pres­sion » ressentie dans leur exercice quotidien, les Ă©quipes d’USP l’ont qualifiĂ©e de « gĂ©rable » Ă  54 %, « li­mite » Ă  37 % et « ingĂ©rable » Ă  9 %. La situation est plus dĂ©licate dans les EMSP : elle n’est vĂ©cue comme « gĂ©rable » que pour 42 % des Ă©qui­pes rĂ©pondantes, alors qu’elle est « limite » pour 52 % et « ingĂ©rable » pour 6 % d’entre elles. « Globale­ment, les EMSP apparaissent donc comme plus en difficultĂ© de fonc­tionnement que les USP », soulignele CNSPFV. La raison principale en est l’augmentation rĂ©cente de leur

activitĂ© extra­hospitaliĂšre. AprĂšs que fut promulguĂ©e, en 2005, la loi garantissant le droit Ă  l’accĂšs detoutes les personnes en fin de vie aux soins palliatifs, il est apparuque l’accĂšs Ă  cette pratique restaitproblĂ©matique dans les structu­res mĂ©dico­sociales, notamment dans les Ă©tablissements d’hĂ©ber­gement pour personnes ĂągĂ©es dé­pendantes (Ehpad). Les pouvoirs publics y ont donc encouragĂ© l’in­tervention des EMSP, et certainesde ces Ă©quipes mobiles ont passĂ© convention avec plusieurs dizai­nes d’Ehpad, afin de les aider Ă  gé­rer les fins de vie de leurs rĂ©si­dents. Soit une nette augmenta­tion de leur activitĂ© clinique, alors mĂȘme que leurs dotations « n’ont guĂšre augmentĂ© depuis 2012 ».

Pistes d’amĂ©lioration« Quand vous ĂȘtes une petiteĂ©quipe de soins palliatifs et que vous avez sous votre responsabilitĂ©une centaine d’Ehpad, Ă  quoi s’ajoutent les patients Ă  domicile, et que vous ĂȘtes “mobile” mais que vous ne disposez pas de voiture, c’est assez kafkaĂŻen », rĂ©sume le docteur VĂ©ronique Fournier, qui prĂ©side le CNSPFV depuis sa crĂ©a­tion, en 2016. Et de pointer un autre problĂšme, relatif cette fois aux USP : « On leur demande, par exemple, de prendre des personnes en fin de vie en sĂ©jour de rĂ©pit, le temps que la famille se repose. » Certaines Ă©quipes soulignent le risque de ne plus pouvoir accom­pagner leurs patients jusqu’à la mort, faute de places suffisantes.

Quelles mesures envisager pourenrayer ces dysfonctionnements ?« La prioritĂ© est de mettre autourd’une table les diffĂ©rents acteurs concernĂ©s, et de voir ensemble ce qu’il est rĂ©aliste de faire », rĂ©pondprudemment le docteur Fournier. Les Ă©lĂ©ments fournis par cette enquĂȘte devraient permettre de poser les jalons d’une rĂ©flexion,notamment dans le cadre du prochain plan national d’accom­pagnement de la fin de vie et dessoins palliatifs. Lequel se fait at­tendre : prĂ©vu pour succĂ©der auplan 2015­2018, il devait ĂȘtre lancĂ© en 2019, avant d’ĂȘtre repoussĂ©en 2020
 puis d’ĂȘtre Ă  nouveau ajournĂ© du fait de la crise.

A quelque chose malheur Ă©tantbon, l’épidĂ©mie a peut­ĂȘtre mon­trĂ© quelques pistes d’amĂ©lioration.En touchant majoritairement les personnes ĂągĂ©es, elle a mis Ă  l’épreuve les dispositifs existants. Pour certains, ce fut l’occasion de rĂ©vĂ©ler leur efficacitĂ© : dans la ré­gion du Grand­Est, cruellement at­teint par le Covid­19, le rĂ©seau de soins palliatifs, qui avait Ă  gĂ©rer une bonne centaine d’Ehpad, est ainsi globalement parvenu Ă  maß­triser la situation. « L’épidĂ©mie a aussi permis Ă  de nombreux soi­gnants de vaincre la peur que leur inspiraient les soins palliatifs. Ils ont Ă©tĂ© mis en demeure d’accompa­gner leurs patients en fin de vie, et ça s’est plutĂŽt bien passĂ©, remarquele docteur Fournier. Il faut tirer parti de cette expĂ©rience, et en dé­gager les bonnes pratiques. »

catherine vincent

Prison avec sursis et inéligibilité requises contre le maire de SanaryFerdinand Bernhard était jugé pour plusieurs infractions liées à sa fonction

marseille ­ correspondant

L es choix que j’opĂšre sonttoujours faits pour servirau mieux les intĂ©rĂȘts de lacommune. Il arrive que je

me trompe mais dans ce cas­lĂ , je ne me suis pas trompĂ©. » Devant le tribunal correctionnel de Mar­seille, le maire (divers droite) de Sanary­sur­Mer (Var), Ă©lu depuis 1989, s’est dĂ©fendu d’avoir mé­langĂ© intĂ©rĂȘts publics et fins pri­vĂ©es. Ferdinand Bernhard, 68 ans, Ă©tait jugĂ© pour plusieurs infrac­tions liĂ©es Ă  sa fonction : prise illĂ©gale d’intĂ©rĂȘts, dĂ©tournement de fonds publics et favoritisme.

Evoquant « un professionnel de lavie publique qui sait trĂšs bien ce qu’il fait », le procureur Etienne Perrin a brocardĂ© « un serviteur quis’est servi », « le pivot d’un systĂšme »qui se serait ancrĂ© dans cette com­mune balnĂ©aire. Le magistrat a re­quis, mercredi 10 juin, trois ans de prison avec sursis, une amende de100 000 euros, une privation des droits civils, civiques et de fa­mille – dont ceux de vote et d’éligi­bilitĂ© – pendant cinq ans.

« Comment apprĂ©cier les attein­tes Ă  la probitĂ©, s’est interrogĂ© M. Perrin. Le voleur passe en com­parution immĂ©diate car c’est gravemais lĂ  c’est plus grave car il y a dis­simulation, car les fonctions et les responsabilitĂ©s qui lui sont con­fiĂ©es ont Ă©tĂ© totalement dĂ©voyĂ©es, sans Ă©tat d’ñme. » Et pour souli­gner cette gravitĂ©, le procureur a requis la confiscation du terrain sur lequel M. Bernhard, un chirur­gien­dentiste aux revenus confor­tables, a construit quatre maisons dont la sienne, un ensemble Ă©va­luĂ© Ă  prĂšs de 1,5 million d’euros.

Cette opĂ©ration immobiliĂšrecompose l’un des pans de ce dos­sier. L’élu avait impliquĂ© les servi­ces de l’urbanisme et les services techniques de Sanary­sur­Mer dans l’instruction de son permis de construire. « Ce n’est pas un pri­vilĂšge, n’importe quel administrĂ© peut solliciter les services et bĂ©nĂ©fi­cier d’une pré­instruction », a­t­il soutenu, reconnaissant juste que les choses Ă©taient allĂ©es un peu plus vite pour lui. En guerre avec des opposants, il savait que son projet serait attaquĂ©. « J’ai une seule obsession : ĂȘtre dans la lĂ©ga­litĂ©. » A ses fonctionnaires, il lance donc : « Regardez ce que le plustordu des tordus pourrait trouver. »

« Promotion canapĂ© »En juillet 2010, le conseil munici­pal vote une procĂ©dure de dĂ©clara­tion d’utilitĂ© publique en vue de l’expropriation de terrains, ce qui permettra de faire passer une canalisation d’assainissement mais aussi de desservir son ter­rain et le dĂ©senclaver. Un projet deliaison portĂ© par la commune bien avant son Ă©lection, se dĂ©fend l’élu pour lequel « cette voie n’avaitaucun intĂ©rĂȘt » pour lui, disposantdĂ©jĂ  d’une servitude de passage.

Ce « mĂ©lange d’intĂ©rĂȘts person­nels Ă  ceux de la commune », cet « arbitraire » qu’il dĂ©nonce dans son rĂ©quisitoire, le procureur le souligne aussi dans « l’ascension fulgurante au sein de la mairie » d’une attachĂ©e territoriale deve­nue sa compagne Ă  l’étĂ© 2009. « Iln’est pas question d’ĂȘtre indiscret, avait campĂ© d’emblĂ©e la prĂ©si­dente du tribunal CĂ©line BallĂ©rini. Mais c’est le fond de notre dossier. »RecrutĂ©e dĂ©but 2009 comme con­

trĂŽleuse de gestion, cette compta­ble avait Ă©tĂ© nommĂ©e, en aoĂ»t sui­vant, Ă  l’un des deux postes de col­laborateur de cabinet, avant defaire fonction de directrice gĂ©né­rale des services en 2011. Son sa­laire avait quasiment doublĂ©.

Sur le long banc des prĂ©venus,le maire et son ex­compagne se sont assis aux deux extrĂ©mitĂ©s. Lorsqu’elle parle de lui, elle em­ploie l’expression « l’autoritĂ© ».« J’ai mĂ©ritĂ© ce poste ! C’est impen­sable que je sois recrutĂ©e pour autre chose que pour mes qualitĂ©s professionnelles et ce que j’avais pu prouver », martĂšle­t­elle. D’ail­leurs Ă  l’entendre, la relation sentimentale n’aurait dĂ©butĂ© qu’aprĂšs sa nomination au postede collaborateur de cabinet. Inter­rogĂ©e en 2015 par les gendarmes, elle avait nĂ©anmoins reconnu de­voir un accĂšs aussi rapide Ă  ce poste – et au troisiĂšme salaire le plus haut de la commune – Ă  sa re­lation avec le maire.

« On est dans une relation detravail et notre vie privĂ©e est acces­soire, elle n’a pas Ă  s’immiscer dansla vie professionnelle », abonde Ferdinand Bernhard pour qui « on peut les sĂ©parer sans se priver du

bonheur d’ĂȘtre ensemble ». Une peine de six mois de prison avec sursis, une amende de 50 000 euros et deux ans de priva­tion des droits civils, civiques et defamille ont Ă©tĂ© requis contre l’ex­directrice gĂ©nĂ©rale des services.

Personne ne conteste les capaci­tĂ©s professionnelles de cette an­cienne compagne du maire, ni le travail fourni, mais le procureur rappelle que le second poste de collaborateur Ă©tait, un temps, oc­cupĂ© par une prĂ©cĂ©dente petiteamie de M. Bernhard. « Est­ce que les fonctions de collaborateur decabinet n’ont pas Ă©tĂ© un moyen de gratifier des personnes pour les re­lations intimes qu’elles avaient avec vous ? », demande le magis­trat. Pour l’élu, « c’est vraiment faire un raccourci de la vie publi­que que d’imaginer cela » et c’est« indĂ©cent et malvenu qu’on puise considĂ©rer qu’une femme a sa car­riĂšre du fait d’une relation ».

Face Ă  des rĂ©quisitions qu’il aqualifiĂ©es de « demande de mise Ă  mort politique et de mise Ă  mort patrimoniale », Me Julien Pinelli a rĂ©clamĂ© la relaxe de Ferdinand Bernhard qui « n’a jamais, ne se­rait­ce que tentĂ©, de violer la loi ». « La promotion canapĂ©, a­t­il expliquĂ©, c’est offrir Ă  quelqu’un une ascension professionnelle pour laquelle elle n’a pas les capaci­tĂ©s. Ici, je n’ai pas entendu une courtisane mais quelqu’un qui a gagnĂ© ses galons par son travail. »

Le maire a été réélu haut la mainau premier tour des municipales et, au tribunal, il a déclaré vivre, auvu et au su des habitants de Sa­nary, avec sa secrétaire. Le juge­ment sera rendu le 7 septembre.

luc leroux

Le procureur dénonce dans

son réquisitoirele « mélange

d’intĂ©rĂȘts personnels

de l’élu Ă  ceux de la commune »

Le législateur atenté à plusieurs

reprises de forcerl’ouverture des portes

des HLM aux casles plus difficiles

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Page 15: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 15

Au BrĂ©sil, une dĂ©bĂącle Ă©conomique inĂ©diteLes experts prĂ©voient pour 2020 un plongeon de 6 % Ă  10 % de la richesse nationale. Du jamais­vu

rio de janeiro ­ correspondant

L e BrĂ©sil n’en est pas Ă  unecrise prĂšs. FrappĂ© de pleinfouet par la pandĂ©mie deCovid­19, en proie aux cir­

convolutions politiques de sonprĂ©sident, Jair Bolsonaro, le gĂ©ant sud­amĂ©ricain doit aussi faire face Ă  un crash Ă©conomique d’unegravitĂ© sans prĂ©cĂ©dent.

Les perspectives sont trĂšs som­bres : le ministĂšre de l’économie table dĂ©sormais sur un recul duproduit intĂ©rieur brut (PIB) de 4,7 % en 2020. Des prĂ©visions dra­matiques, mais qui paraissent bien optimistes Ă  une majoritĂ© d’instituts d’études et d’écono­mistes. Ces derniers prĂ©voient plutĂŽt un plongeon de 6 % Ă  10 % de la richesse nationale cette an­nĂ©e : une rĂ©cession jamais enre­gistrĂ©e dans l’histoire du BrĂ©sil.

La vague du Covid­19 a provo­quĂ© un ralentissement gĂ©nĂ©ral de l’économie, notamment aprĂšs les mesures de restrictions mises en place par les autoritĂ©s locales, maires ou gouverneurs, qui ontfait fermer, depuis la mi­mars, la plupart des commerces et activi­tĂ©s non essentielles. Les mesures ont Ă©tĂ© particuliĂšrement strictesdans l’Etat de Sao Paulo, Ă©picentrede l’épidĂ©mie et poumon Ă©cono­mique du pays, qui gĂ©nĂšre un tiers du PIB national.

On manque encore de donnĂ©esofficielles pour connaĂźtre l’inci­dence de la pandĂ©mie sur le chέmage et la pauvretĂ©. Mais, dĂšs lami­mai, la trĂšs sĂ©rieuse Fonda­tion Getulio Vargas (FGV) a publiĂ©des chiffres inquiĂ©tants : d’aprĂšs elle, 40 % des entreprises des sec­teurs du commerce, de l’indus­trie, des services et de la construc­tion auraient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© contraints de licencier tout ou partie de leur personnel Ă  cause de la crise. Plus d’un mĂ©nage sur deux a vu l’un deses membres touchĂ© par le chέmage ou une baisse de salaire. PrĂšs de huit BrĂ©siliens sur dix di­sent aujourd’hui limiter leursachats aux biens essentiels.

La situation est d’autant plusdifficile que la crise frappe un pays « Ă  peine remis de la granderĂ©cession de 2016­2017, avec un chĂŽmage fort, supĂ©rieur Ă  11 %, et des inĂ©galitĂ©s trĂšs creusĂ©es, oĂč lesdeux tiers de la population viventdans la pauvretĂ© ou la prĂ©caritĂ© », insiste Monica de Bolle, Ă©cono­miste et professeure Ă  l’universitĂ©amĂ©ricaine Johns­Hopkins. Sur­

tout, selon elle, « le BrĂ©sil est mal­heureusement dirigĂ© par un gou­vernement passif, qui a niĂ© des semaines durant la gravitĂ© de la pandĂ©mie, ainsi que son impact sur l’économie, et qui rĂ©agit aujourd’hui de maniĂšre totale­ment improvisĂ©e ».

« Aucun projet structurĂ© »La seule mesure forte prise par le pouvoir d’extrĂȘme droite de Jair Bolsonaro est une aide d’ur­gence mensuelle de 600 reais (109 euros). « Mais le gouverne­ment a adoptĂ© cette mesure Ă  contrecƓur, sous pression de la sociĂ©tĂ© civile et du Parlement. Aujourd’hui, il n’a plus aucun projetstructurĂ© sur la façon d’aider l’éco­nomie Ă  faire face Ă  la rĂ©cession », dĂ©nonce Mme de Bolle. Le minis­tĂšre de l’économie a d’ailleurs annoncĂ©, mardi 9 juin, que l’aide

d’urgence serait encore versĂ©e pour deux mois de plus, mais qu’elle ne serait que de 300 reais.

La situation n’est pas prĂšs des’amĂ©liorer : alors qu’une bonne partie de la planĂšte vit Ă  l’heure du dĂ©confinement, le BrĂ©sil est enpasse de devenir le principal foyeractif de l’épidĂ©mie, avec prĂšs de 40 000 victimes et 772 000 cas re­censĂ©s au 10 juin. Les menaces de destitution ou de coup d’Etat nerassurent pas les investisseurs.Selon l’agence Reuters, les inves­tissements directs Ă  destination du pays se sont rĂ©duits Ă  peau dechagrin au mois d’avril : 234 mil­lions de dollars (207,8 millionsd’euros), le plus mauvais rĂ©sultat mensuel depuis 1995.

Le gouvernement brésilien vadonc devoir faire face seul, et ce, alors que les caisses se vident. Une étude publiée par le journal

Folha de S.Paulo et coordonnĂ©e par l’économiste renommĂ© Mar­cos Lisboa anticipe un dĂ©ficit re­cord des comptes publics pour2020, supĂ©rieur Ă  1,2 trillion de reais, et une dette qui devrait sansnul doute exploser et dĂ©passer la barre symbolique des 100 % duPIB (contre 76 % avant la crise).

Pour ne rien arranger, une lutteoppose deux camps au sommet

de l’Etat. D’un cĂŽtĂ©, l’ultralibĂ©ralministre de l’économie Paulo Guedes, qui souhaiterait dĂ©rĂ©gu­ler davantage encore le marchĂ© du travail et poursuivre un vaste plan de privatisations. De l’autre, l’aile militaire, reprĂ©sentĂ©e par Walter Braga Netto, ministre­chef de la Casa Civil (Ă©quivalent de chefde cabinet du prĂ©sident), qui mi­lite pour un grand programme dedĂ©penses d’investissement dans les infrastructures, conçu commeun « plan Marshal brĂ©silien », et chiffrĂ© Ă  300 milliards de reais.

Pour le moment, Jair Bolsonaroa donnĂ© raison Ă  son ministre de l’économie. « Un seul homme dé­cide de la direction de l’économie au BrĂ©sil : il s’appelle Paulo Gue­des », a­t­il dĂ©clarĂ©, fin avril. De­puis le dĂ©but de la crise, le chef de l’Etat nie la gravitĂ© de la pandĂ©mieet appelle Ă  une rĂ©ouverture to­

A Hongkong, les milieux d’affaires s’alignent sans ciller sur PĂ©kinLes menaces de riposte amĂ©ricaines n’inquiĂštent pas vraiment la place financiĂšre, dont l’activitĂ© est intrinsĂšquement liĂ©e Ă  la Chine

hongkong ­ correspondance

L es banques et tous lesacteurs importants dela place financiĂšre de

Hongkong, qui ont toujours privi­lĂ©giĂ© la neutralitĂ© politique, sont dĂ©sormais contraints de choisir leur camp. D’un cĂŽtĂ©, PĂ©kin, qui va imposer Ă  Hongkong une loidraconienne de sĂ©curitĂ© natio­nale dans les mois Ă  venir ; de l’autre, Washington, qui a promis des mesures de rĂ©torsion Ă  cette atteinte Ă  l’autonomie du terri­toire chinois, en lui enlevant son statut « spĂ©cial » garanti par le Hongkong Policy Act de 1992. Or, tout indique que les milieux d’af­faires, tant hongkongais qu’occi­dentaux, optent pour PĂ©kin, sans hĂ©sitation ni Ă©tats d’ñme, sous couvert de pragmatisme.

Mercredi 10 juin, le secrĂ©taired’Etat amĂ©ricain, Mike Pompeo, a d’ailleurs accusĂ© HSBC de faire des « courbettes intĂ©ressĂ©es » Ă  la

Chine, et l’énorme fonds d’inves­tissement britannique Aviva In­vestors (250 milliards de dollars d’actifs, soit 220 milliards d’euros)s’est dĂ©clarĂ© « mal Ă  l’aise » et « mé­content » quant Ă  la prise de posi­tion des banques HSBC et de Stan­dard Chartered, toutes deux favo­rables Ă  la future loi chinoise. « UnmarchĂ© financier a besoin, avanttoute chose, de stabilitĂ© politique.Peu importe par quel moyen elleest obtenue », commente, pour sa part, Fabrice Jacob, prĂ©sident deJK Capital Management, Ă©tabli Ă Hongkong, dont tous les fondsont gagnĂ© 10 % en dix jours.

AprĂšs que le Parlement chinoisa annoncĂ©, le 21 mai, qu’il se saisi­rait d’une loi sur la « protection de la sĂ©curitĂ© nationale » Ă  Hongkong, la Chine a dĂ©ployĂ© desĂ©missaires pour tenter de persua­der le monde entier du bien­fondĂ© de sa mesure. Celle­ci est « principalement vouĂ©e Ă  ramener l’ordre », un argument doux aux

oreilles du camp de l’argent dansl’ex­colonie britannique, qui rĂȘve de retrouver une stabilitĂ© sociale et politique disparue depuis un an, afin de continuer de prospé­rer. L’ancien chef de l’exĂ©cutifhongkongais (de 2012 Ă  2017), C. Y. Leung, tout dĂ©vouĂ© Ă  PĂ©kin, avaitd’ailleurs publiquement inter­pellĂ© HSBC sur sa position.

« Un atout formidable »Pour ou contre la loi de sĂ©curitĂ© nationale ? HSBC a vite tranchĂ©,Hongkong et la Chine ayant re­prĂ©sentĂ© 75 % de ses profits en 2019. Le 3 juin, la banque a mis en ligne une photo de son direc­teur Asie­Pacifique, Peter Wong, en train de signer une pĂ©tition fa­vorable Ă  la dĂ©cision de PĂ©kin
 Un peu plus tard, un porte­parole de Standard Chartered se dĂ©cla­rait « convaincu que la loi de sĂ©cu­ritĂ© nationale [pouvait] maintenir la stabilitĂ© sociale et Ă©conomique de Hongkong Ă  long terme ».

Quelques jours avant, Li Ka­shing, le plus cĂ©lĂšbre des tycoons,avait ouvert la danse des allĂ©gean­ces Ă  PĂ©kin, en Ă©tant le premier Ă  se dĂ©clarer « favorable » Ă  la loi de sĂ©curitĂ© nationale. Les autres sonttombĂ©s comme des dominos. Sir Michael Kadoorie, qui partage avec Li Ka­shing le monopole de l’électricitĂ© Ă  Hongkong, les grou­pes Swire Pacific (Cathay) et Jar­dine Matheson (HĂŽtels Manda­rin) lui ont emboĂźtĂ© le pas.

« Personne ne crache dans lamain de celui qui le nourrit, c’est aussi simple que cela. Si vous tenezĂ  vos affaires en Chine, vous res­pectez l’autoritĂ© chinoise. Il n’y a pas de question morale là­de­dans », rĂ©sume un banquier euro­pĂ©en. D’autant qu’aucune place chinoise – ni ShanghaĂŻ ni Shen­zhen ni mĂȘme Singapour – n’esten mesure de concurrencer sé­rieusement Hongkong, son Ă©co­systĂšme bien rodĂ© et bien rĂ©gle­mentĂ©, son cadre juridique fondĂ©

sur la common law (le droit coutu­mier), son trùs faible taux d’impo­sition, son vivier de talents inter­nationaux, ses infrastructures et, surtout, son accùs presque direct à la manne de capitaux chinois.

Selon le discours qui prĂ©vautparmi les acteurs de la place fi­nanciĂšre, la Chine a d’ailleurs, elleaussi, grand besoin de Hongkong,et n’a donc aucunement l’inten­tion de la sacrifier. « Une zone dol­lar en territoire chinois, c’est un atout formidable et la Chine y tientbeaucoup ! », affirme l’un d’eux. D’ailleurs, si la Bourse a d’abord dĂ©crochĂ© de 5 % lors de l’annonce du projet de loi, elle s’est, depuis,amplement remise.

Dans ce contexte, les mesurespunitives amĂ©ricaines qui, selonle prĂ©sident Donald Trump, de­vaient faire « trĂšs mal », n’inquiÚ­tent personne. MĂȘme si les dĂ©tailsne sont toujours pas connus, la menace ressemble Ă  du bluff. In­terpellĂ©, mercredi, au Parlement

local sur les consĂ©quences Ă©ven­tuelles de ce changement de la po­litique amĂ©ricaine Ă  l’égard de Hongkong, le secrĂ©taire au com­merce et au dĂ©veloppement Ă©co­nomique, Edward Yau, a soulignĂ©que les exportations Hongkon­gaises vers les Etats­Unis qui bé­nĂ©ficiaient de privilĂšges doua­niers au titre du statut spĂ©cial ne reprĂ©sentaient que
 0,1 % du to­tal des exportations.

« Les gesticulations de Trump nesont qu’un show Ă©lectoral. Les Chi­nois ne sont pas dupes », juge M. Ja­cob. En revanche, depuis le vote auSĂ©nat amĂ©ricain, en mai, de nou­velles mesures de contrĂŽle des en­treprises chinoises cotĂ©es Ă  Wall Street, les 146 entreprises chinoi­ses concernĂ©es, et les 1 300 mil­liards de dollars qu’elles portent, risquent de migrer de New York Ă  Hongkong, sur les traces d’Ali­baba. Un cadeau inespĂ©rĂ© pour la place financiĂšre asiatique.

florence de changy

Devant un magasin,à Rio de Janeiro (sud­est du Brésil), le 2 juin. PILAR OLIVARES/REUTERS

« Les deux tiersde la population

vivent dans la pauvreté

ou la précarité »MONICA DE BOLLE

Ă©conomiste et professeure Ă  l’universitĂ© Johns-Hopkins

tale de l’économie. AprĂšs des se­maines de conflits avec les maireset les gouverneurs, il semble pro­che de remporter son pari : face Ă  l’étendue de la rĂ©cession, plu­sieurs Etats, dont Sao Paulo et Rio de Janeiro, ont amorcĂ© une re­prise graduelle des commerces et activitĂ©s non essentiels.

Tout cela ne signifie cependantpas le retour de la croissance. La reprise sera lente, voire trĂšs lente. Quand bien mĂȘme la pandĂ©mie marquerait le pas, le BrĂ©sil ne re­trouvera pas avant plusieurs an­nĂ©es sa situation d’avant­corona­virus (dĂ©jĂ  bien morose
). D’ici Ă  la fin de son mandat, en 2022, Jair Bolsonaro pourrait donc bel et bien ĂȘtre rĂ©duit Ă  devoir gĂ©rer lacrise. Un comble pour un hommequi s’est vantĂ© de ne « rien com­prendre » Ă  l’économie.

bruno meyerfeld

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18 | Ă©conomie & entreprise VENDREDI 12 JUIN 20200123

Le plan de soutien de l’Etat au BTP ne convainc pasLe secteur estime que les mesures, insuffisantes, sont Ă  « contretemps »

C e n’est pas faute d’avoir es­sayĂ© d’attirer l’attention.Mardi 9 juin encore, la

veille de la prĂ©sentation enconseil des ministres du projet deloi de finances rectificative, le troisiĂšme depuis le dĂ©but de lacrise sanitaire, les fĂ©dĂ©rations du bĂątiment et des travaux publics s’offraient des publicitĂ©s pleine page dans les journaux pour sup­plier « monsieur le prĂ©sident de la RĂ©publique » « d’aider le BTP ». « Il ya urgence : aider le BTP, c’est sauverl’emploi partout en France. »

Certes, la plupart des chantiersont repris. Mais voir les grues et tunneliers tourner de nouveau « ne signifie pas la fin des problÚ­mes pour nos entreprises », insis­tent­elles. La crise a engendré des surcoûts. Qui va les payer ? Sur­tout si les commandes ne sontpas relancées dÚs à présent, elles craignent des faillites en cascade.

Le gouvernement sait le secteursensible. Le BTP en France repré­sente 2 millions d’emplois, 11 % duproduit intĂ©rieur brut, une multi­tude de PME rĂ©parties sur tout le territoire et de puissants lobbys. Il a donc essayĂ© d’y mettre lesformes, en prĂ©sentant, mercredi 10 juin, un « plan de soutien au secteur », avec des « mesures d’ur­gence pour soutenir la reprise d’ac­tivitĂ© ». Les fĂ©dĂ©rations n’ont pas marchĂ©. « Un projet extrĂȘmementdĂ©ceptif », « qui n’empĂȘchera pas l’effondrement rapide du secteur »,commente la FĂ©dĂ©ration natio­nale des travaux publics. « Le gou­vernement avait annoncĂ© (
) unplan de soutien du BTP (
) Force

est de constater qu’il n’en est rien
 ou presque ! », complĂšte saconsƓur du bĂątiment.

Il y a d’abord cette question ré­currente posĂ©e depuis la reprise des travaux : qui, du donneur d’ordre ou de l’entreprise, rĂ©glerales surcoĂ»ts liĂ©s Ă  la crise sani­taire ? Evidemment, comme par­tout, il a fallu commander des masques et du gel hydroalcooli­que. Mais sur un chantier commecelui du mĂ©tro du Grand Paris, Ă  SĂšvres (Hauts­de­Seine), des per­ceuses, des meuleuses, des bou­lonneuses, ont dĂ» aussi ĂȘtre ra­chetĂ©es pour Ă©viter les Ă©changes entre ouvriers. Une grue immobi­lisĂ©e pendant deux mois, ce sont aussi des frais de location supplé­mentaires. Et que dire de la baissede productivitĂ© liĂ©e aux mesures de distanciation physique ? Les estimations varient, mais le sur­coĂ»t moyen est estimĂ© Ă  10 %. Or, les entreprises refusent d’acquit­ter seules la facture.

VƓu d’exemplaritĂ©Le sujet a Ă©tĂ© abordĂ© Ă  l’Assem­blĂ©e, le 2 juin, et Bruno Le Maire, leministre de l’économie et des fi­nances, avait assurĂ© que « les moyens de prendre en charge ces surcoĂ»ts » seraient examinĂ©s. Lamesure prĂ©sentĂ©e par le gouver­nement mercredi est en rĂ©alitĂ© unvƓu d’exemplaritĂ©. Il est ainsi de­mandĂ© aux maĂźtres d’ouvrage d’Etat de nĂ©gocier « rapidement » la prise en charge « d’une partie des surcoĂ»ts directs » sur ses chan­tiers, de maniĂšre que tous suiventderriĂšre. Les coĂ»ts indirects, eux,

seront évalués par un comité de suivi. Ce travail servira de baseaux négociations futures.

Vient ensuite une sĂ©rie de me­sures dites de « soutien Ă  la re­prise ». Parmi elles, le renforce­ment du dispositif de garantie de l’Etat Ă  l’assurance­crĂ©dit pour pallier la rĂ©ticence des assureurs Ă  couvrir des entreprises suscep­tibles de faire faillite. « Une me­sure importante qui, on l’espĂšre, aura un impact sur les entreprises du BTP », insiste l’entourage de M. Le Maire. C’est le mĂȘme dis­cours employĂ© pour prĂ©senter le dispositif de remises de chargessociales aux entreprises de moinsde 50 salariĂ©s, ou encore les aides au recrutement des apprentis. Cesdispositifs valent pour tous, mais le BTP est directement concernĂ©.

Quant au milliard d’euros sup­plĂ©mentaires versĂ© Ă  la dotation de soutien Ă  l’investissement local– cette enveloppe dont disposent les prĂ©fets pour soutenir les inves­tissements des collectivitĂ©s, qui passera Ă  1,6 milliard d’euros –, l’annonce avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© faite fin mai par le premier ministre, Edouard Philippe, dans son plan d’aide aux collectivitĂ©s locales.

Ce projet est surtout « Ă  contre­temps », souligne enfin la fĂ©dé­ration des travaux publics. Pourelle, ce n’est plus de « reprise »qu’il doit ĂȘtre question, mais de « relance ». Or, avec un plan de re­lance de l’économie annoncĂ© Ă  larentrĂ©e, et pas avant, elle craintque les nouveaux chantiers ne dĂ©marrent qu’en 2021.

Ă©meline cazi

Lactalis va baisser le prix du lait payé aux éleveurs en 2020Exaspérés, certains producteurs ont décidé de saisir le médiateur

L es éleveurs laitiers fran­çais font grise mine. Lacrise liée au coronavi­rus a soudain assombri

les perspectives. En janvier, ils se frottaient les mains, anticipant une nouvelle hausse du prix du lait en 2020. Las, la pandĂ©mie a bousculĂ© le jeu. Et certains indus­triels ont alors changĂ© de dis­cours. A l’exemple du poids lourd Lactalis.

« Sur les cinq premiers mois del’annĂ©e, le prix du lait payĂ© au pro­ducteur est supĂ©rieur Ă  celui payĂ© en 2019. Mais au second semestre, le prix moyen sera en baisse et nous sommes sur un repli enmoyenne sur l’ensemble de l’an­nĂ©e », dĂ©clare Emmanuel Besnier, prĂ©sident du conseil de sur­veillance de l’entreprise familiale mayennaise, qui revendique le ti­tre de premier groupe laitier mondial. Son chiffre d’affaires a tutoyĂ© la barre des 20 milliards d’euros en 2019. Cette inversion de tendance n’est guĂšre du goĂ»tde certains Ă©leveurs qui tra­vaillent pour Lactalis. En particu­lier ceux regroupĂ©s au sein de l’Organisation des producteurs delait Grand Ouest (OPLGO), soit prĂšs de 1 300 agriculteurs qui ontdĂ©cidĂ© de saisir le mĂ©diateur desrelations commerciales agricoles.

« DĂ©jĂ  fin 2019, nous n’avions passignĂ© d’accord cadre et nous som­mes allĂ©s en mĂ©diation. Nousavons trouvĂ© un accord tempo­raire pour le premier trimestre 2020 avec une formule de prix qui tient compte des coĂ»ts de produc­tion de l’éleveur et de l’évolution des marchĂ©s. Mais en avril­mai, Lactalis nous a dit que le prix Ă©tait

dĂ©connectĂ© de la rĂ©alitĂ© Ă©cono­mique et ils ont appliquĂ© un prix imposĂ© », explique le prĂ©sident de l’OPLGO, Jean­Michel Yvard.

Les Ă©leveurs, qui avaient tou­chĂ© en moyenne 330 euros la tonne de lait en 2019, ont perçu 333 euros au premier trimestre2020, puis 326 euros en avril et,pour finir, 315 euros en mai et juin. « Les Etats gĂ©nĂ©raux de l’ali­mentation devaient apporter unerĂ©ponse Ă  la crise laitiĂšre de 2015 avec la prise en compte des coĂ»tsde production des Ă©leveurs. Il y a euun dĂ©but de rĂ©ponse en 2019. Mais lĂ , on nous ramĂšne Ă  la rĂ©a­litĂ© du marchĂ© international. C’est exaspĂ©rant d’ĂȘtre mis en concur­rence avec des producteurs qui nerespectent pas les mĂȘmes rĂšgles »,affirme M. Yvard.

La crise due au coronavirus,aprĂšs avoir frappĂ© la Chine, est ar­rivĂ©e au moment crucial du pic deproduction laitiĂšre saisonniĂšre en Europe. « Fin mars, dĂ©but avril,tout le monde Ă©tait trĂšs inquietavec le pic de collecte de lait », sou­ligne BenoĂźt Rouyer, directeur de la prospective Ă©conomiquedu Centre national interprofes­sionnel de l’économie laitiĂšre. D’autant qu’en face, les rĂ©seaux

de distribution Ă©taient boulever­sĂ©s avec, d’un cĂŽtĂ©, la grande dis­tribution Ă©coulant des volumesinĂ©dits de lait, de beurre, deyaourts et d’emmental rĂąpĂ©, et, de l’autre, des cantines, des res­taurants et des marchĂ©s en plein air contraints de fermer, mettant Ă  mal les fabricants de fromagestraditionnels. En parallĂšle, les circuits d’exportation Ă©taient euxaussi bousculĂ©s et les cotationsinternationales des produits lai­tiers perdaient de la valeur.

Trouver un terrain d’ententeL’interprofession a immĂ©diate­ment rĂ©agi en dĂ©bloquant 10 mil­lions d’euros pour inciter les agri­culteurs français Ă  rĂ©duire leur production. En parallĂšle, Bruxel­les a acceptĂ© de dĂ©bloquer 30 mil­lions d’euros afin de financer lestockage privĂ© de produits laitierspour absorber d’éventuels trop­pleins. Finalement, les cours nesont pas descendus au niveau du prix d’intervention (prix auquel Bruxelles s’engage Ă  acheter) et les industriels comme Lactalis n’ont pas sollicitĂ© ces aides.

« Ce qui nous a rassurĂ©s, ce sontles moyens colossaux mis en place par les Etats­Unis pour soutenirleur secteur agricole. MĂȘme si la production laitiĂšre n’a pas baissĂ© outre­Atlantique, on constate un rebond des cours depuis fin avril,dĂ©but mai », explique M. Rouyer.En outre, les exportations de pro­duits laitiers français qui avaientsubi un retrait en janvier et fé­vrier, liĂ© Ă  la situation chinoise, sesont redressĂ©es en mars. Finale­ment la filiĂšre laitiĂšre a, dansson ensemble, plutĂŽt mieux

passĂ© la pĂ©riode de crise sanitaire que d’autres secteurs. « Mainte­nant, on va entrer dans la crise Ă©co­nomique, avec la problĂ©matiquedu prix dans la grande distributionet le risque d’un retour du discourssur la lutte pour le pouvoir d’achat.Nous allons voir quelle sera la position de la grande distribu­tion », explique M. Besnier.

Lactalis n’est pas le seul groupe,Ă  rĂ©agir Ă  ces anticipations en baissant le prix du lait. D’oĂč la rĂ©action de France OP Lait, qui fé­dĂšre diffĂ©rentes organisations deproducteurs, et a aussi saisi le mé­diateur fin avril. « PrĂ©textant de la crise du Covid­19, de nombreux in­dustriels n’ont pas respectĂ© les ac­cords ni les contrats en imposantunilatĂ©ralement et brutalement des rĂ©ductions de prix. Certains en profitent Ă©galement pour reporter aux calendes grecques la mise en conformitĂ© de leurs relations com­merciales avec les organisationsde producteurs conformĂ©ment aux exigences de la loi Egalim », s’est Ă©mue France OP Lait.

Dans sa rĂ©ponse, mi­mai, le mé­diateur incite les acteurs Ă  trouverun terrain d’entente avant lesnouvelles nĂ©gociations commer­ciales entre industriels et distri­buteurs fin 2020, au risque de sanctions financiĂšres. « Si l’onveut garder des Ă©leveurs en France,il faut donner une rĂ©ponse en ter­mes de valeur et de prix. La crise du Covid a crĂ©Ă© un trou d’air, mais il faut remettre de l’opti­misme dans la filiĂšre », conclut Marie­ThĂ©rĂšse Bonneau, vice­prĂ©sidente de la FĂ©dĂ©ration natio­nale des producteurs de lait.

laurence girard

Les éleveurs ontperçu 333 eurosla tonne de lait

au premier trimestre 2020,

contre 315 eurosen mai et juin

C’est maintenant acquis, le grand gagnant de la crise sanitaire mondiale est le monde de l’Inter­net. Pendant le confinement, le tĂ©lĂ©travail et le commerce en li­gne se sont installĂ©s durablement dans le quotidien et la culture de tous les pays. Le Nasdaq, la Bourse amĂ©ricaine des valeurs technologiques, vole de record en record. Et les stars du secteur, les Google, Apple, Facebook, Amazonou Microsoft (Gafam) dĂ©passent dĂ©sormais toutes allĂšgrement les 1 000 milliards de dollars (880 milliards d’euros) de capita­lisations faisant d’elles les entre­prises les plus chĂšres du monde.

Il n’est donc pas Ă©tonnant que labataille de la livraison de repas Ă  domicile par Internet dĂ©clenche elle aussi sa pluie de milliards. Mercredi 10 juin, la sociĂ©tĂ© nĂ©er­landaise Just Eat Takeaway a an­noncĂ© qu’elle allait acheter son homologue amĂ©ricaine, Gru­Hhub, pour 7,3 milliards de dol­lars en actions. Pas mal pour une entreprise dont les ventes de re­pas dĂ©passent Ă  peine le milliard et qui ne gagne pas d’argent. Cela ne l’a pas empĂȘchĂ©e d’ĂȘtre convoi­tĂ©e aussi par le gĂ©ant du secteur, Uber Eats, leader aux Etats­Unis. Une acquisition qui a achoppĂ© non pour des raisons de prix, mais de risque d’action antitrust.

C’est donc finalement le nĂ©er­landais Takeway qui rafle la mise. La sociĂ©tĂ©, fondĂ©e en 2000 dans un dortoir d’universitĂ© par Jitse Groen, s’offre ainsi un accĂšs Ă  l’immense marchĂ© amĂ©ricain, ainsi qu’en Australie, au BrĂ©sil et au Canada. Devenu milliardaire Ă  42 ans, il utilise la valorisation boursiĂšre de sa sociĂ©tĂ©, de plus de 12 milliards d’euros, pour faire le

ménage dans le secteur. Il avait déjà acheté, en 2018, les opéra­tions de Delivery Hero en Allema­gne, puis celle de son concurrent britannique Just Eat, en 2019. Il est maintenant en lutte frontale avec Uber Eats dans le monde et DoorDash aux Etats­Unis.

Course pour la survieMais un seul petit dĂ©tail sĂ©pare encore ces ambitieuses start­up des Gafam aux 1 000 milliards de dollars : aucune ne gagne d’argent. Et, Ă  vrai dire, personne ne peut affirmer avec certitude que ce mĂ©tier sera rentable un jour. La concentration actuelle revĂȘt donc des allures de course pour la survie. Celle­ci dĂ©pend fi­nalement de deux facteurs : le niveau de concurrence et le mo­dĂšle Ă©conomique.

La concurrence est d’autant plus forte que d’innombrables start­up locales tentent leur chance sur le mĂ©tier de mise en relation entre restaurateurs et clients. Pour se distinguer, il faut investir des millions en publicitĂ© sur Google ou Facebook, alors que la guerre des prix ruine la rentabilitĂ©. Afin d’y Ă©chapper et de conquĂ©rir plus de restaurants, certains, comme Deliveroo ou Uber Eats, construisent leur ré­seau de livreurs. Mais le coĂ»t de celui­ci est considĂ©rable, et les entreprises peinent Ă  accorder un salaire et une protection dé­cente Ă  leurs livreurs, d’oĂč la multiplication de conflits so­ciaux. Finalement, chacun espĂšre ĂȘtre le dernier debout pour em­porter la mise, comme cela a Ă©tĂ© le cas avec Booking.com dans l’hĂŽtellerie. C’est le pari de Takeaway et d’Uber.

PERTES & PROFITS | JUST EAT TAKEAWAYpar philippe escande

Bataille de livreurset pluie de milliards

CONJONCTURELa Fed prĂ©voit une baisse de 6,5 % du PIB des Etats-Unis en 2020La RĂ©serve fĂ©dĂ©rale amĂ©ri­caine (Fed) a promis, mer­credi 10 juin, de continuer Ă  soutenir l’économie pendant plusieurs annĂ©es aprĂšs la crise provoquĂ©e par la pandé­mie de Covid­19, qui devrait se solder par une chute du produit intĂ©rieur brut (PIB) de 6,5 % en 2020 et porter le taux de chĂŽmage Ă  9,3 % en fin d’annĂ©e. – (Reuters.)

MÉDIASDenis Olivennes nommĂ© directeur gĂ©nĂ©ral de « LibĂ©ration »Denis Olivennes a Ă©tĂ© nommĂ© directeur gĂ©nĂ©ral et cogĂ©rant du journal LibĂ©ra­tion, en remplacement de ClĂ©ment Delpirou, selon un courriel interne envoyĂ© par la direction jeudi et consultĂ© par l’Agence France­Presse. Il quitte donc la prĂ©sidence de CMI France, le groupe de mé­dias français du milliardaire tchĂšque Daniel Kretinsky (ac­tionnaire indirect et minori­taire du Monde), qu’il assurait depuis dĂ©but 2019.

INTERNETAmazon suspend l’accĂšs de la police amĂ©ricaine Ă  son logiciel de reconnaissance facialeAmazon a annoncĂ©, mercredi 10 juin, un moratoire d’un an sur l’utilisation, par la police amĂ©ricaine, de son logiciel de reconnaissance faciale, alors que des manifestations de masse se dĂ©roulent aux Etats­Unis pour dĂ©noncer la bruta­litĂ© policiĂšre contre les per­sonnes de couleur, aprĂšs la mort de George Floyd, le 25 mai Ă  Minneapolis (Minne­sota) – (Reuters.)

Des liens inquiétants entre chÎmage et suicide

L e lien entre travail et suicide rĂ©sonne particuliĂšrementdans l’actualitĂ© puisque la crise sanitaire se double d’unecrise Ă©conomique et sociale. » C’est ainsi que Fabrice Len­

glart, Ă  la tĂȘte de la direction de la recherche, des Ă©tudes, de l’évaluation et des statistiques (Drees), et prĂ©sident dĂ©lĂ©guĂ© de l’Observatoire national du suicide (ONS), a prĂ©sentĂ©, mercredi 10 juin, le quatriĂšme rapport de l’ONS.

La relation de cause Ă  effet n’est pas Ă©vidente. « Le chĂŽmagepeut dĂ©tĂ©riorer la santĂ© mentale, mais une mauvaise santĂ© men­tale peut, Ă  terme, limiter la participation au marchĂ© du travail, la recherche et l’obtention d’un emploi », rappelle l’ONS. Et pour­tant, les chiffres sont lĂ  : 30 % des chĂŽmeurs songent sĂ©rieuse­ment au suicide, contre 19 % des actifs en poste, et « le risque dedĂ©cĂšs par suicide des chĂŽmeurs est supĂ©rieur Ă  celui des actifs en emploi, en particulier chez les hommes entre 25 et 49 ans ».

La perte d’emploi a une incidence sur tous les domaines de lavie (famille, relations sociales) et des effets dĂ©lĂ©tĂšres sur la santĂ© du chĂŽmeur (troubles du sommeil, alimentation dĂ©sé­quilibrĂ©e, moindre activitĂ© physique, comportements addic­

tifs). « Le chĂŽmage entraĂźne une dĂ©té­rioration de la santĂ© mentale pouvantaller de l’anxiĂ©tĂ© Ă  la dĂ©pression, voire,dans sa forme la plus dramatique, ausuicide », peut­on lire dans le rapport.

Le psychiatre Michel Debout, coau­teur du document, alerte les pou­voirs publics sur l’urgence de propo­ser des accompagnements psychi­ques aux demandeurs d’emploi. Ildistingue diffĂ©rents types de sui­cide : « le suicide retrait », qui clĂŽt unepĂ©riode d’isolement et de dĂ©sociali­

sation provoquĂ©e par le chĂŽmage et qui pourrait ĂȘtre Ă©vitĂ© par une proposition de formation ou d’emploi, mĂȘme prĂ©caire ; « lesuicide protestation », qui manifeste l’opposition Ă  tout ce qui aconduit au licenciement ; enfin, « le suicide sacrifice », qui estaussi un acte de dĂ©nonciation, pour faire bouger les lignes.

L’acte suicidaire n’est pas qu’un problĂšme avec soi, mais unerĂ©ponse Ă  la sociĂ©tĂ©. « C’est bien Ă  “l’ĂȘtre social” que s’adresse la violence gĂ©nĂ©rĂ©e par la perte d’emploi, les licenciements, les plans sociaux et les dĂ©pĂŽts de bilan », souligne M. Debout. Vu lesperspectives Ă©conomiques, la baisse du nombre de morts par suicide rĂ©vĂ©lĂ©e par le rapport (9 300 en 2016) est fragile. « HĂ©las,cette Ă©volution est en cours d’inversion rapide. On constate dĂ©jĂ  une remontĂ©e des actes suicidaires avec la crise », affirme Jean­Claude DelgĂšnes, prĂ©sident fondateur du cabinet Technologia, spĂ©cialisĂ© dans la prĂ©vention des risques psychosociaux.

anne rodier

LA PERTE D’EMPLOI A UNE INCIDENCE SUR TOUS LES DOMAINES DE LA VIE ET DES EFFETS DÉLÉTÈRES SUR LA SANTÉ

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Page 19: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 horizons | 19

En IsraĂ«l, sur les traces du colon bĂątisseurZe’ev Hever, entrepreneur au passĂ© terroriste, est le principal constructeur des colonies dans les territoires palestiniens. L’Etat israĂ©lien s’apprĂȘte Ă  lĂ©galiser son « Ɠuvre », en annexant une partie de la Cisjordanie Ă  partir du 1er juillet

jérusalem ­ correspondant

T oute sa vie, le « roi » des colonsisraĂ©liens, Ze’ev Hever, a at­tendu ce jour. VoilĂ  trente ansque le patron d’Amana, l’entre­prise de bĂątiment des colons,construit en Cisjordanie occu­

pĂ©e, peuplant de centaines de milliers de juifs son empire de caravanes et de pavillons Ă  tuiles rouges. A compter du 1er juillet, le gou­vernement de Benyamin NĂ©tanyahou s’est engagĂ© Ă  lĂ©galiser son Ɠuvre, accomplie en violation du droit international. Avec le sou­tien de Washington, M. NĂ©tanyahou a promisde rompre avec le rĂ©gime d’occupation en vi­gueur depuis la victoire militaire de 1967 pour annexer la vallĂ©e du Jourdain et les colo­nies en Cisjordanie. Il entend appliquer la« souverainetĂ© » israĂ©lienne sur ces terrespromises au peuple juif par la Bible. A 66 ans,M. Hever, que tout le monde surnomme« Zambish » en IsraĂ«l, pourrait exulter. Pour­tant, il se tait. Il Ă©tudie les cartes des implan­tations. Il laisse son propre camp se diviser sur le projet d’annexion conçu par M. NĂ©tan­yahou et ses alliĂ©s amĂ©ricains.

Une partie des colons rejettent le « planTrump », qui envisage encore la crĂ©ation d’unEtat palestinien, mĂȘme rĂ©duit Ă  presque rien.Ils craignent aussi que ce programme ne lescontraigne Ă  abandonner certaines de leursconquĂȘtes. Ils veulent tout, tout de suite, ou bien rien. Et Zambish, homme de rĂ©seaux etd’argent, est leur relais au sein de l’Etat. Un hĂ©ros pour beaucoup, un traĂźtre pourd’autres, qui l’accusent de comploter avec M. NĂ©tanyahou afin de brader leur terre.

Ze’ev Hever n’a pas toujours Ă©tĂ© ce notable,cet homme d’antichambre Ă  la voix forte et aux maniĂšres respectueuses, que les puis­sants admirent. NĂ© dans une famille reli­gieuse, il est issu du creuset d’HĂ©bron, colonieultraviolente, oĂč un petit noyau d’idĂ©ologuess’établit dĂšs 1968, aprĂšs la guerre des Six­Jours,Ă  l’ombre du tombeau des Patriarches (la mos­quĂ©e d’Ibrahim pour les musulmans). Adoles­cent, il y prĂ©pare son service militaire dans une acadĂ©mie religieuse, puis gravite dans l’entourage du rabbin Moshe Levinger, au seindu Bloc de la foi, le Gush Emunim, qui se veut le fer de lance de la reconquĂȘte du « grand IsraĂ«l », du Jourdain Ă  la MĂ©diterranĂ©e.

« MENEUR D’HOMMES »Zambish, grand garçon bien bĂąti, un peu voĂ»tĂ©, Ă  la barbe noire broussailleuse et auxbeaux yeux sombres, ne craint pas defaire le coup de feu. Il suit son camaradeYehuda Etzion lorsque celui­ci contribue Ă former, en 1979, un rĂ©seau vouĂ© Ă  l’actionviolente et secrĂšte, Hamakhteret hayehudit,« la rĂ©sistance juive ». En juin 1980, il se jointĂ  l’un des commandos envoyĂ©s poser desbombes sous les voitures des maires de troisgrandes villes palestiniennes.

En juillet 1983, des membres du rĂ©seausont les auteurs d’une fusillade dans l’uni­versitĂ© islamique d’HĂ©bron (3 morts, 33 bles­sĂ©s). Zambish n’était pas de cette Ă©quipĂ©e­lĂ .Il a Ă©tĂ© auparavant « grillĂ© » par le Shin Bet, leservice de renseignement intĂ©rieur israé­lien. Les agents ont trouvĂ© une bombe, que son commando avait Ă©chouĂ© Ă  placer sous levĂ©hicule du maire de BethlĂ©em trois ansplus tĂŽt, et que Zambish avait cachĂ©e prĂšsd’HĂ©bron. InterrogĂ©, ce dernier reste muet.Mais les agents finissent par prendre sescamarades la main dans le sac, une nuitd’avril 1984, alors qu’ils posent des bombessous des bus arabes, Ă  JĂ©rusalem. « Zambishne faisait pas partie de la direction dugroupe, mais il Ă©tait influent et il connaissaitcertains de leurs plans », estime aujourd’hui Yaakov Peri, l’un des enquĂȘteurs, qui prit parla suite la direction du Shin Bet.

Leur procĂšs fait grand bruit. Zambish estcondamnĂ© Ă  onze mois de prison. YehudaEtzion y passe cinq ans pour avoir planifiĂ© ladestruction du dĂŽme du Rocher, le troisiĂšmelieu saint de l’islam. « Zambish a montrĂ© sescapacitĂ©s de meneur d’hommes durant sadĂ©tention parmi eux », assure au Monde un ancien responsable du mouvement colon,soucieux de demeurer anonyme. Une fois sortis, « nous avons continuĂ© d’agir chacunselon nos moyens, qui sont complĂ©mentai­res », prĂ©cise, pour sa part, Yehuda Etzion. A69 ans, le vieux radical milite encore pour laconstruction du « troisiĂšme temple » juif surle mont du Temple (ou l’esplanade des Mos­quĂ©es), et mesure avec admiration le cheminparcouru par son compĂšre Zambish.

En 1989, celui­ci est Ă©lu secrĂ©taire gĂ©nĂ©rald’Amana, une association qui finance, grĂące Ă sa compagnie commerciale de bĂątiment, le conseil de Yesha, reprĂ©sentant des colonies auprĂšs de l’Etat. « Zambish n’avait pas de titrede chef ou de gĂ©nĂ©ral, mais il a Ă©tĂ© le plus in­fluent d’entre nous depuis au moins vingt ans,

dit l’ex­responsable du mouvement colon. Nos institutions venaient Ă  lui pour obtenir des prĂȘts, elles sont devenues dĂ©pendantes de lui, parce qu’il avait accĂšs Ă  l’argent. » Son objectifdĂ©clarĂ© : hĂ©berger, Ă  terme, 1 million de juifs enCisjordanie. Il se tient aujourd’hui Ă  mi­che­min : les colons sont environ 450 000 en Cisjordanie, et 200 000 autour de JĂ©rusalem.

Zambish, mariĂ© et pĂšre de sept enfants,conserve de ses annĂ©es de terrorisme le goĂ»t du secret : il ne donne pas d’interviews Ă  lapresse. Son obsession : les « avant­postes », ces colonies construites loin dans les territoi­res palestiniens, au mĂ©pris du droit interna­tional et, souvent, de la loi israĂ©lienne.« Amana choisit le lieu, le moment appropriĂ©,le type d’avant­poste Ă  construire et fournit l’argent », rĂ©sume Dror Etkes, l’un des plusfins observateurs de la colonisation, qui la combat au sein de l’ONG de gauche KeremNavot. Par la suite, Zambish nĂ©gocie avec legouvernement pour qu’il tolĂšre et lĂ©galise Ă©ventuellement le nouveau bĂąti.

Cette influence, le leader colon l’a acquiseauprĂšs d’Ariel Sharon, ministre de la cons­truction au dĂ©but des annĂ©es 1990. « Zam­bish est, dans une trĂšs large mesure, une crĂ©a­ture de Sharon, qui est tombĂ© amoureux delui. C’était le genre de type qu’il a toujours ad­mirĂ© : jeune, fort et bien bĂąti, vĂ©tĂ©ran d’uneunitĂ© de combat, religieux, efficace et courantles collines », estime Ehoud Olmert, succes­seur de M. Sharon Ă  la tĂȘte du gouverne­ment, aprĂšs l’attaque cĂ©rĂ©brale qui le plon­gea dans le coma en 2006.

Nombre de colons n’ont jamais pardonnĂ© Ă Zambish cette amitiĂ©, qui les a pourtant ser­vis. Ils soupçonnent celui­ci d’avoir acquiescĂ© secrĂštement au retrait de l’armĂ©e et Ă  l’évacua­tion des colonies de la bande de Gaza, dĂ©cré­tĂ©es par M. Sharon en 2005. Zambish, lui, est demeurĂ© fidĂšle. « Ton dĂ©sengagement du che­min que nous avons parcouru ensemble, pen­dant tes deux derniĂšres annĂ©es au pouvoir, Ă©tait difficile et pĂ©nible. Les questions restent sans rĂ©ponse, la douleur est immense, et tout sera recouvert d’un grand amour », dĂ©clare­t­il Ă  la Knesset, en 2014, aprĂšs la mort de

M. Sharon, qu’il appelle encore « notre pĂšre ». Zambish ne s’est cependant jamais enfermĂ© dans un seul camp. Depuis les annĂ©es 1990, il a frĂ©quentĂ© tous les gouvernements israé­liens, de droite comme de gauche. Ses alliĂ©s aiment Ă  rappeler que Yitzak Rabbin lui avait fait montrer les cartes sur lesquelles se nĂ©go­ciaient les futurs accords d’Oslo, signĂ©s en 1993. Zambish y est hostile, mais il proposedes ajustements et tire le meilleur parti d’un processus qu’il ne peut contrecarrer, en mili­tant notamment pour la construction de rou­tes reliant les colonies aux grandes villes.

Le travailliste Ehoud Barak (au pouvoir de1999 Ă  2001) lui donnait l’accolade, lorsqu’ille croisait Ă  la cafĂ©tĂ©ria du Parlement. Ses successeurs, Ehoud Olmert et Benyamin NĂ©tanyahou, respectent son savoir­faire et samĂ©moire des chemins de traverse de Cis­jordanie, saisissante selon ses proches. Il les parcourt Ă  pied ou en 4 × 4, parfois seul et avec prudence, lorsqu’il s’approche de cer­taines colonies, parmi les plus radicales.

« IL PÈCHE PAR FIERTÉ »« Pendant des annĂ©es, j’ai pris des jeunes[colons] qui faisaient de l’auto­stop au bord des routes, mais depuis un an, je vois la ragedans leurs yeux et parfois je ne m’arrĂȘte plus,pour Ă©viter une situation dĂ©plaisante », dit­il publiquement dĂšs l’étĂ© 2012. ContestĂ© par certains radicaux d’HĂ©bron, il a quittĂ© saville pour s’établir auprĂšs de l’une de sesfilles, d’abord dans une caravane puis dans une belle maison de pierre jaune, juchĂ©e surune colline d’El­Azar (centre), dans un quar­tier illĂ©gal au regard du droit israĂ©lien.

« Zambish partage sans aucun doute notreidĂ©ologie, reconnaĂźt Daniella Weiss, 75 ans,son aĂźnĂ©e au sein du Gush Emunim. Mais iln’a pas d’école, pas de rabbin, pas de groupe oĂčles choses peuvent ĂȘtre exposĂ©es et discutĂ©es. IlpĂšche par fiertĂ©, par hubris ! » Cette critique est commune : Zambish exerce le pouvoir en solitaire, supervisant jusqu’aux plus petitestĂąches. « MĂȘme auprĂšs de ses amis les plus proches ou des gens en qui il a confiance, il garde ses plans secrets. Nombre de gens qui

travaillaient avec lui ont fini par le quitter,parce qu’ils n’avaient pas de place pour gran­dir », dit l’ancien responsable du mouvementcolon dĂ©sireux de rester anonyme.

C’est l’une des rares ressemblances entreZambish et Benyamin NĂ©tanyahou. Lesdeux hommes se connaissent depuis lepremier mandat de M. NĂ©tanyahou, en 1996. Ils se savent indispensables l’un Ă l’autre. Mais Zambish, sans formation uni­versitaire, indiffĂ©rent Ă  l’argent pour lui­mĂȘme, ne parle pas la mĂȘme langue que lepremier ministre, cet homme du monde,peu portĂ© sur la religion, plus prĂ©occupĂ© de la grande histoire du peuple juif et de sesdroits que des basses rĂ©alitĂ©s de la terre.

Depuis cinq ans, M. NĂ©tanyahou a su satis­faire son alliĂ©, en tolĂ©rant le dĂ©veloppement de colonies agricoles, gourmandes en terre, dans le nord et l’est de la Cisjordanie. Il a aussiautorisĂ© une hausse spectaculaire des cons­tructions depuis 2018. Ce rapport de force pousse les colons Ă  durcir encore leur posi­tion Ă  l’approche de la date promise de l’an­nexion. « NĂ©tanyahou craint avant tout d’ĂȘtre contestĂ© par sa droite. Il n’a pas d’autre choix que de garder Zambish heureux. C’est lui quidĂ©cide, in fine, si “Bibi” est encore l’un des leurs, si les colons doivent rester derriĂšre lui »,estime le journaliste Anshel Pfeffer, biogra­phe du premier ministre.

DĂ©but juin, s’estimant tenus Ă  l’écart desnĂ©gociations avec l’administration amĂ©ri­caine, les colons ont lancĂ© une vaste campa­gne d’affichage pour critiquer le planTrump. Washington a fait savoir son dĂ©plai­sir. M. NĂ©tanyahou a lui­mĂȘme dĂ©noncĂ© l’in­gratitude de ses alliĂ©s, qui risquent degĂącher « une occasion historique ». Au fond, les colons craignent que leur premier minis­tre se contente d’annexer quelques terres symboliques, ou qu’il abandonne sa pro­messe Ă©lectorale, lancĂ©e alors qu’il luttait pour demeurer au pouvoir, au fil de trois Ă©lections lĂ©gislatives en Ă  peine un an.

Quant Ă  Zambish, il s’est laissĂ© photogra­phier dĂ©but juin, la mine soucieuse, devant une carte des colonies. « Il est pour l’annexion,veut croire un interlocuteur de confiance. C’est la maniĂšre des gens pragmatiques qui ont fondĂ© l’Etat d’IsraĂ«l. David Ben Gourionavait acceptĂ© le plan de partition [de la Pales­tine sous mandat britannique, en 1947],quand les idĂ©ologues le refusaient. Il disait :“Prenons un petit morceau et nous le dĂ©velop­perons. Un jour nous aurons tous les territoi­res que nous voulons, le futur sera avec nous.” » Mais dans ce jeu de poker menteur, Ze’ev Hever se tait, comme Ă  son habitude.

louis imbert

Ze’ev Hever, dit « Zambish », Ă  JĂ©rusalem, le 18 juin 2017. YONATAN SINDEL/FLASH90

« C’EST  â€œZAMBISH” QUI DÉCIDE, IN FINE, 

SI BENYAMIN NÉTANYAHOU EST ENCORE 

L’UN DES LEURS, SI LES COLONS 

DOIVENT RESTER DERRIÈRE LUI Â»

ANSHEL PFEFFERjournaliste, biographe

du premier ministre

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Page 20: Le Monde - 12 06 2020

20 | CULTURE VENDREDI 12 JUIN 20200123

Spike Lee mĂšne la guerre des hĂ©ros fatiguĂ©sLe rĂ©alisateur militant a bĂąti une fable autour de quatre vĂ©tĂ©rans afro­amĂ©ricains qui retournent au Vietnam

DA 5 BLOODS

C hantre inlassable et ra­geur de la cause noireaux Etats­Unis, SpikeLee – qui a failli cette an­

nĂ©e prĂ©sider le jury du Festival de Cannes – divulgue son nouveau film sur la plate­forme Netflix Ă  compter du 12 juin. Da 5 Bloods sedĂ©couvre sous les feux d’une ac­tualitĂ© tragique, alors qu’une va­gue de manifestations et de trou­bles traverse les Etats­Unis, consé­cutivement Ă  l’étranglement mortel d’un homme noir, George Floyd, par un policier blanc lors deson arrestation le 25 mai. Ce lieu commun de la violence racisteamĂ©ricaine, Lee l’avait dĂ©jĂ  filmĂ©en 1989 dans le mĂ©morable Do the Right Thing (1989), oĂč le meur­tre d’un jeune Noir, semblable­ment tuĂ© par l’effet d’une stran­gulation portĂ©e par un policier blanc, entraĂźne la rĂ©volte d’unquartier de Brooklyn, Ă  New York. Plus que quiconque conscient de cette rĂ©currence, Lee a d’ailleursrĂ©itĂ©rĂ© son geste voici quelques jours en publiant sur son compte Twitter un montage percutant qui relie trois morts d’hommesnoirs par Ă©touffement, celle fic­tive de Do the Right Thing, lesdeux autres, bien rĂ©elles et fil­mĂ©es par des tĂ©moins, Ă©tant cellesde George Floyd et d’Eric Garner, en 2014 Ă  Staten Island, victime d’un plaquage ventral.

Titrant ce court film L’histoirecessera­t­elle de se rĂ©pĂ©ter ?, le rĂ©a­lisateur nous rappelle au passageque c’est toujours Ă  l’histoire, si cen’est exclusivement Ă  cette part maudite de l’histoire amĂ©ricaine,que se confronte obsessivement son cinĂ©ma depuis bientĂŽt qua­rante ans. Da 5 Bloods, cela n’éton­nera personne, n’y fait pas excep­tion. Cinquante ans aprĂšs les Ă©vé­nements, quatre vĂ©tĂ©rans afro­amĂ©ricains retournent auVietnam pour y retrouver le corpsde leur officier et ami, mort aucours d’une mission. Mais il s’agitaussi de remettre la main sur le trĂ©sor de guerre qu’ils ont dĂ» en­terrer sur place au cours de cette mĂȘme mission. Une malle rem­plie de lingots d’or, dĂ©pĂȘchĂ©e par la CIA aux indigĂšnes qui combat­taient le Vietcong.

Romanesque flamboyantPas grand­chose ne se passera comme prĂ©vu, eu Ă©gard Ă  la mo­rale que Spike Lee semble vouloir confĂ©rer Ă  sa fable, le groupe de­vant Ă  cet effet exploser en cours de route. Il s’agit en l’occurrence de deux choses. Montrer d’abord que les soldats noirs amĂ©ricains, aliĂ©nĂ©s par un Etat qui n’a jamais rĂ©ellement fait cesser la sĂ©grĂ©ga­tion dans la vie civile, se sont trompĂ©s de guerre. Rappeler en­suite que les idĂ©aux de lutte et de solidaritĂ© des annĂ©es 1970 se sont Ă©moussĂ©s, y compris au sein de la communautĂ© noire au profit d’un individualisme dissolvant. Si l’on perçoit assez clairement cettedouble intention, les moyens em­ployĂ©s par Lee pour l’administrer

manquent toutefois de la tenue adéquate pour le faire avec le mi­nimum de complexité requis.

Spike aura ici pĂ©chĂ© prĂ©cisĂ©mentpar oĂč on l’aime. Ce goĂ»t toujours limite du romanesque flam­boyant, du baroque, de l’impuretĂ© du rĂ©cit. Il semble qu’on soit passĂ© cette fois­ci de l’autre cĂŽtĂ© du kitsch. Quelque part entre Le Tré­sor de la Sierra Madre (1948), de John Huston, et Apocalypse Now (1979), de Francis Ford Coppola – Ă  propos duquel les rĂ©fĂ©rences Ă©cra­santes abondent –, le cinĂ©aste compose un rĂ©cit largement em­pĂȘchĂ© par ses propres faiblesses.

Qui tiennent Ă  l’aspect monolithi­que et trop souvent sommaire despersonnages, Ă  la fusion ratĂ©e du grotesque et du sublime par quoiLee rejoint Hugo dans la dĂ©fini­tion du romantisme, Ă  la prolifĂ©ra­tion des intrigues secondaires, quifinissent par faire perdre de vue laligne du rĂ©cit.

Entrons dans le dĂ©tail. Deux desmembres du quatuor n’existent simplement pas comme person­nages, c’est dĂ©jĂ  fĂącheux. Les deuxautres, Paul (Delroy Lindo) et Otis (Clarke Peters), en sont rĂ©duits Ă  il­lustrer une partition antagoniqueentre l’ĂȘtre noir aliĂ©nĂ© par le sys­

tĂšme blanc (Paul, Ă  moitiĂ© para­noĂŻaque, est devenu trumpiste) et l’homme cultivant encore l’idĂ©al combatif de sa jeunesse. Les re­tours en arriĂšre sur les scĂšnes de guerre sont, quant Ă  eux, problé­matiques pour deux raisons : une certaine platitude, Ă©crasĂ©e si be­soin Ă©tait par le petit Ă©cran, etl’écart d’ñge incongru entre les quatre acteurs et l’interprĂšte de l’officier qui Ă©tait Ă  leurs cĂŽtĂ©s, en l’occurrence Chadwick Boseman (alias Black Panther), qui pourrait ĂȘtre leur fils. Ajoutez Ă  cela un JeanReno incertain en crapule fran­çaise grand style, une MĂ©lanieThierry expiant le passĂ© colonia­liste de sa famille en devenant dé­mineuse, le fils mal­aimĂ© de Paul, la fille cachĂ©e d’Otis, le cancer ca­chĂ© de Paul dĂ» Ă  l’agent orange, l’amante vietnamienne dĂ©voilĂ©e d’Otis
 Une barque dĂ©cidĂ©ment un peu trop pleine pour voguer.

Portraits en miroirReste l’omniprĂ©sence de Marvin Gaye et des traits d’humour qui portent parfois, telle cette che­vauchĂ©e des Walkyries qui remé­more l’attaque des hĂ©licos d’Apo­calypse Now, mais rĂ©sonne ici sur l’image d’un pauvre rafiot danslequel un soldat noir tente de vo­ler une paire de chaussures sus­pendue Ă  un fil. C’est peu. Faut­il en infĂ©rer que le film de guerre ne

sied pas Ă  Spike Lee ? On pourrait l’imaginer, aprĂšs la mĂ©saventure similaire du Miracle Ă  Santa Annaen 2008, qui relate lui aussi, avecune certaine dĂ©sinvolture et forceressorts mĂ©lodramatiques, l’im­plication et le sacrifice de soldats afro­amĂ©ricains sur le front ita­lien en 1944. Autant dĂ©centrerson regard du propos sur lequel lefilm voudrait nous contraindre Ă  nous appesantir, pour aller cher­cher ailleurs, sur un chemin de traverse, une bonne raison de s’allĂ©ger et de s’émouvoir.

Ce serait, en l’espĂšce, l’entrĂ©edans la vieillesse d’un cinĂ©maamĂ©ricain postclassique qu’onaurait pu croire Ă©ternel, puisque procĂ©dant lui­mĂȘme d’une re­naissance. Ce cinĂ©ma dont Lee (63 ans) partagerait aujourd’hui leterritoire avec un Clint Eastwood (90 ans), un Martin Scorsese

Cinquante ans aprĂšs les Ă©vĂ©nements, d’anciens soldats veulent retrouver la dĂ©pouille de leur officier mort au cours d’une mission. DAVID LEE/NETFLIX

Spike Lee aura ici péché

prĂ©cisĂ©ment paroĂč on l’aime.

Il semble qu’onsoit passĂ© cettefois-ci de l’autre

cÎté du kitsch

(77 ans) ou un Quentin Tarantino (57 ans). Chacun d’entre eux cou­rait dĂšs l’origine derriĂšre un ci­nĂ©ma dĂ©sirĂ© mais moribond, qu’ilaura relancĂ© Ă  nouveaux frais. L’ñge d’or hollywoodien pour le nĂ©oclassique Eastwood. L’auteu­risme europĂ©en pour le torturĂ© Scorsese. Le cinĂ©ma bis pour le maniĂ©riste Tarantino. Le cinĂ©mamilitant pour le vibrion afro­amĂ©ricain Spike Lee. Aujourd’huiĂ©loignĂ©s de ces sources comme deleur jeunesse, ils se retournent sur leur propre crĂ©ation pour y re­jouer leur carte favorite, celle de lacontinuitĂ© dans la rupture. Leurs hĂ©ros vieillissants, dĂ©barquant pour solder des affaires dĂ©clinan­tes, sont autant de portraits en miroir, tour Ă  tour drĂŽles, pathĂ©ti­ques et cruels. En ce sens, les per­sonnages principaux de Space Cowboys (2000), The Irishman(2018), Once Upon a Time
 in Hol­lywood (2019) et Da 5 Bloods sont frĂšres : leur victoire nous Ă©meut,mais elle a l’amertume inexora­ble du temps qui passe et qui la re­tourne en dĂ©faite.

jacques mandelbaum

Film américain de Spike Lee. Avec Chadwick Boseman, Delroy Lindo, Clarke Peters, Giancarlo Esposito, Paul Walter Hauser, Jean Reno, Mélanie Thierry (2 h 35).

« Autant en emporte le vent » retirĂ© de la plate-forme de streaming HBO MaxEn plein mouvement de protestation contre le racisme et les vio-lences policiĂšres visant les Noirs aux Etats-Unis, le film « Autant en emporte le vent » (1939) a Ă©tĂ© retirĂ© de la plate-forme de streaming HBO Max. Le long-mĂ©trage est considĂ©rĂ© par de nom-breux universitaires comme l’instrument le plus ambitieux et ef-ficace du rĂ©visionnisme sudiste. Il prĂ©sente une version romanti-que du Sud et une vision trĂšs Ă©dulcorĂ©e de l’esclavage, avec notamment du personnel de maison dĂ©peint comme satisfait de son sort et traitĂ© comme des employĂ©s ordinaires. « Autant en emporte le vent est le produit de son Ă©poque et dĂ©peint des prĂ©ju-gĂ©s racistes qui Ă©taient communs dans la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine », a commentĂ©, mardi 9 juin, un porte-parole de HBO Max. Maintenir ce film dans son catalogue « sans explication et dĂ©nonciation de cette reprĂ©sentation aurait Ă©tĂ© irresponsable ». La plate-forme prĂ©voit de remettre le film en ligne mais avec une contextualisa-tion pour restituer l’Ɠuvre dans son Ă©poque.

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Page 21: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 culture | 21

Les histoires naturelles de Jochen LempertA Ivry­sur­Seine, le CrĂ©dac a rouvert et prolonge jusqu’à l’étĂ© l’exposition consacrĂ©e au photographe allemand

PHOTOGRAPHIE

L e Centre d’art contem­porain d’Ivry­sur­Seine(Val­de­Marne) a rouvertavant la grande majoritĂ©

des musĂ©es parisiens, encore fer­mĂ©s, et l’occasion est belle d’aller y faire un tour. Anciennement installĂ© au pied du mĂ©tro de la Porte d’Ivry, le terminus de la li­gne 7, le CrĂ©dac est parti prendre de la hauteur il y a une dizaine d’annĂ©es dans l’ex­Manufacturedes ƒillets, devenue un pĂŽle culturel, avec un thĂ©Ăątre et une Ă©cole d’art. En attendant qu’une signalĂ©tique plus entreprenantevienne guider les visiteurs, on peut se perdre un peu sur le che­min, les yeux en l’air, car la baladeest architecturale, parmi les en­sembles modernistes du quartier jusqu’à l’ancienne usine, elle­mĂȘme une cage de verre des an­nĂ©es 1910, Ă  la vue imprenable.

L’Allemand Jochen Lempert ena fait un « Jardin d’hiver », uneserre pour ses photographies sai­sies comme autrefois il captait in­sectes et oiseaux. La lumiĂšre in­tense des lieux, avec laquelle lesartistes invitĂ©s doivent toujourscomposer, devait de fait ĂȘtre une lumiĂšre d’hiver, plus douce pourles tirages, non encadrĂ©s, qu’il adirectement fixĂ©s au mur ou po­sĂ©s dans des vitrines.

Le confinement en a dĂ©cidĂ©autrement, et l’exposition, initia­lement prĂ©vue du 24 janvier au5 avril, vient de rouvrir et est pro­longĂ©e jusqu’aux premiers joursde l’étĂ©. Une chance pour ceux quiseraient passĂ©s Ă  cĂŽtĂ© du travail de ce photographe peu montrĂ©, donc peu connu en France.

NĂ© en 1958 et installĂ© Ă  Ham­bourg, Jochen Lempert est d’abordun scientifique : c’est en tant qu’or­nithologue qu’il emploie la photo­graphie, qui fut un outil, avant queles processus de fabrication des images ne prennent le pas sur sa pratique, au dĂ©but des annĂ©es 1990. Restent le goĂ»t des expĂ©ri­

mentations de laboratoire sur pa­piers sensibles et les formules des rĂ©vĂ©lateurs et fixateurs de ses tirages argentiques en noir et blanc. Reste aussi l’Ɠil du biolo­giste, qui attrape le rĂ©el.

Son regard, c’est dĂ©jĂ  l’utilisationpresque exclusive du 50 mm, une optique au plus proche de la vue humaine. Un regard modeste qui tranche avec la monumentalitĂ© de ses compatriotes de l’Ecole de DĂŒs­seldorf, Thomas Struth, Thomas Ruff, Andreas Gursky ou encore Bernd et Hilla Becher. N’usant ni du zoom ni du grand­angle, son observation des mondes vĂ©gĂ©tal, animal et minĂ©ral s’articule d’ailleurs toujours avec l’humain d’une façon ou d’une autre.

Chercher l’humain dans laphoto en devient presque un jeu, car cette prĂ©sence est discrĂšte. Le photographe recourt Ă  des leurresvisuels de toute nature. PoĂ©tiquesparĂ©idolies, oĂč l’on croit deviner

les trois salles de l’exposition.L’agencement est une orchestra­tion sur mesure, comme lorsque les fils d’une toile d’araignĂ©e appa­raissent telles des portĂ©es musica­les dĂ©nuĂ©es de notes, tandis qu’à cĂŽtĂ©, deux cerises aux queues pa­rallĂšles prennent des airs de notessuspendues. Ces mĂȘmes cerises sauvages sont accrochĂ©es dans

une autre salle, mais ni au mĂȘme format, ni dans le mĂȘme contexte,ni avec le mĂȘme cadrage : l’artisteen a coupĂ© une au cutter comme ilaurait taillĂ© le cerisier.

Un petit miracle de la naturechasse l’autre, mais c’est le rap­prochement des photos par Ă©chosformels ou conceptuels qui crĂ©e des narrations imprĂ©visibles. Ici un jeu de troncs et de souches, lĂ  un rĂ©bus visuel de coquilles, cara­paces et enveloppes en tout genre, de la coccinelle Ă  une voi­ture vue depuis son atelier. Un hippocampe, une feuille, un hip­pocampe feuillu, une sculpturede Jean Arp qui semble avoir re­mĂ©langĂ© toutes ces formes. Le dé­tail de fleurs aux pieds d’unenymphe de Botticelli cĂŽtoie un clichĂ© au ras de pĂąquerettes Ă  la mĂȘme Ă©chelle, mais foulĂ©es par un pneu de voiture.

Partout, l’Ɠil cherche aussi Ă  Ă©lu­cider la nature de l’image. Jochen

Lempert brouille les pistes, no­tamment en jouant sur le graindes tirages, qui ressemblent par­fois Ă  des dessins : les papiers sontinsolĂ©s ou trempĂ©s dans de l’eausalĂ©e, et les images extraites du rĂ©el basculent volontiers dans de semi­abstractions. Dans une ma­gnifique sĂ©rie, deux oiseaux mĂȘ­lent leurs becs et leurs blancheurs surexposĂ©es dans d’infinies varia­tions. Avec un simple photo­gramme de sable, le micro devientmacro par projection mentale, les grains ressemblant Ă  une vue du cosmos dans une nuĂ©e de points blancs. Chez Jochen Lempert, mĂȘme l’humour se distille de ma­niĂšre minimaliste.

emmanuelle jardonnet

« Jardin d’hiver. Jochen Lempert », jusqu’au 27 juin, Ă  La Manufacture des ƒillets, 1, place Pierre­Gosnat, Ivry­sur­Seine. EntrĂ©e libre, sur rĂ©servation.

« Swans (Stock­holm) » (2018),de Jochen Lempert. JOCHEN LEMPERT/ADAGP, PARIS 2020/COURTESY PROJECTESD (BARCELONE)ET BQ (BERLIN)

A la basilique de Saint­Denis, s’initierau travail de la pierre dans les rĂšgles de l’artDes ateliers sont proposĂ©s pour dĂ©couvrir les mĂ©tiers de la restauration architecturale

REPORTAGE

B im, bim, bim, bim. » Ci­seau dans une main, mas­sette dans l’autre, Alice et

HĂ©loĂŻse, 9 ans, taillent avec appli­cation le cube en pierre de Saint­Leu posĂ© sur un Ă©tabli. DĂ©livranceMakingson et FrĂ©dĂ©ric Thibault, tailleurs professionnels, se pen­chent sur leur Ă©paule pour les gui­der dans leur travail. Non loindes fillettes, deux dames s’ini­tient au travail du fer, en compa­gnie de Mathieu Bonnemaison et de Bakary Yatera, forgerons.

Ils sont une dizaine, adultes etenfants, Ă  avoir ignorĂ© le ciel me­naçant de ce dĂ©but juin pour par­ticiper aux ateliers de dĂ©couverte des mĂ©tiers de la restauration proposĂ©s sur le parvis de la basili­que de Saint­Denis (Seine­Saint­Denis). OrganisĂ©es par l’associa­tion Suivez la flĂšche et la mairie, ces sĂ©ances, sur rĂ©servation (et avec masque), visent Ă  associer la population au projet de recons­truction de la flĂšche de la tour nord de l’édifice. Haute de 85 mÚ­tres, elle avait Ă©tĂ© dĂ©montĂ©e pierre Ă  pierre en 1847, Ă  la suited’une sĂ©rie de tornades qui en avait fragilisĂ© la base, et n’avait ja­mais Ă©tĂ© rebĂątie depuis.

Comme pour Notre­Dame deParis, les spĂ©cialistes se sont af­frontĂ©s pour savoir s’il fallait re­

monter Ă  l’identique le clocherou s’orienter vers une crĂ©ationcontemporaine. Voire laisser l’édifice amputĂ© de sa tour Nord. AprĂšs des annĂ©es de tergiversa­tions, le projet de remontage « Ă  l’ancienne » a reçu l’aval de l’Etat,qui a signĂ© une convention­cadre avec l’association Suivez la flĂšche, le Centre des monuments natio­naux et le diocĂšse en 2017.

Contrairement Ă  Notre­Dame, letravail ne se fera pas au pas de course. Les responsables ont optĂ© pour le temps long, dix ans envi­ron, en utilisant les outils et les matĂ©riaux de l’époque de sa construction, au XIIe siĂšcle. Et ils ont choisi de faire Ɠuvre de pĂ©da­gogie : outre ces ateliers, ouverts jusqu’au 22 octobre, oĂč l’on dé­couvre les savoir­faire des arti­sans, l’histoire de la nĂ©cropole desrois de France est prĂ©sentĂ©e Ă  l’aide de cartes et de maquettes. Par la suite, explique Benjamin Masure, coordinateur du projet,des formations Ă  visĂ©e d’inser­tion seront assurĂ©es sur le chan­tier pour des jeunes dĂ©sireuxd’acquĂ©rir ces compĂ©tences.

Retrouver les gestes de l’époqueA partir du moment oĂč dĂ©marre­ront les travaux, en 2022, une structure en belvĂ©dĂšre, avec rampe d’accĂšs et ascenseurs, serainstallĂ©e pour permettre aux

curieux d’aller observer, Ă 40 mĂštres de hauteur, les opĂ©ra­tions. Payant, ce parcours dedĂ©couverte permettra de partici­per au financement du projet,Ă©valuĂ© Ă  25 millions d’euros. Leprincipe a Ă©tĂ© expĂ©rimentĂ© auchĂąteau de GuĂ©delon (Yonne)qui, depuis vingt ans, reçoit enmoyenne 300 000 visiteurs par an, venus dĂ©couvrir la construc­tion d’une forteresse mĂ©diĂ©valeavec les techniques et les outilsdu Moyen Age.

« Au­delĂ  de l’enjeu patrimonialet touristique, le projet a un objec­tif fĂ©dĂ©rateur pour les SĂ©quano­Dyonisiens, trĂšs attachĂ©s Ă  leur ba­silique, que l’on peut voir de tous les quartiers de la ville », souligne le maire (PCF), Laurent Russier. Lamairie, la rĂ©gion et l’Etat appor­tent leur contribution, mais « des mĂ©cĂšnes sont sollicitĂ©s pour avan­cer les frais du parcours de dĂ©cou­verte », prĂ©cise l’architecte du projet, FrĂ©dĂ©ric Keiff.

« C’est un privilĂšge de pouvoirtravailler comme on le fait ici et de partager avec le public », confie le forgeron Mathieu Bonnemaison, qui explique avec passion son tra­vail de taillandier (fabricant d’outils pour creuser la pierre). Il s’inspire de gravures anciennes pour reproduire les instrumentsqui Ă©taient utilisĂ©s au Moyen Age et retrouver les gestes des arti­sans de l’époque.

Serrant contre elles le pavĂ©portant l’initiale de leur prĂ©nomsculptĂ©e de leur main, Alice etHĂ©loĂŻse Ă©coutent DĂ©livrance Makingson Ă©numĂ©rer les grandschantiers de restauration – No­tre­Dame, le pont Neuf, Bastille,Versailles – auxquels il a parti­cipĂ© depuis vingt­cinq ans qu’ilopĂšre dans la rĂ©gion. Lui se dit heureux de transmettre au pu­blic son « amour du minĂ©ral »,comme son collĂšgue FrĂ©dĂ©ric Thibault, intarissable sur lesvoĂ»tes sur croisĂ©e d’ogive, typi­ques de l’architecture gothiqueinventĂ©e ici, Ă  la basilique deSaint­Denis, avant d’essaimer Ă travers l’Europe.

sylvie kerviel

Basilique de Saint­Denis, rĂ©servation sur Exploreparis.com.Groupes de 10 personnes maximum, gratuit (1 h 30). Jusqu’au 22 octobre.

La reconstructionde la flĂšchede l’édifice, dĂ©montĂ©e

en 1847, débuteraen 2022

ARTSUne Ɠuvre attribuĂ©eĂ  Banksy, volĂ©eau Bataclan, retrouvĂ©e en ItalieVolĂ©e en 2019 au Bataclan Ă  Paris, une Ɠuvre attribuĂ©e au street­artiste Banksy, rĂ©alisĂ©e sur une porte de l’établisse­ment en hommage aux victi­mes des attentats de novem­bre 2015, a Ă©tĂ© retrouvĂ©e dans le centre de l’Italie. L’opĂ©ration a Ă©tĂ© menĂ©e Ă  la demande de la police fran­çaise et en prĂ©sence de poli­ciers français. Selon le quoti­dien La Repubblica, la porte a Ă©tĂ© retrouvĂ©e dans une ferme de la campagne des Abruz­zes. RĂ©alisĂ©e au pochoir et Ă  la peinture blanche, l’Ɠuvre reprĂ©sente un personnage fĂ©minin Ă  l’air triste. Elle avait Ă©tĂ© peinte sur l’une des sor­ties de secours, situĂ©e der­riĂšre le Bataclan, dans le pas­sage par lequel de nombreux spectateurs du concert des Eagles of Death Metal s’étaient Ă©chappĂ©s pendant l’attaque terroriste. – (AFP.)

SPECTACLEUne cinquantaine d’artistes donnent rendez-vous au publicĂ  La Villette cet Ă©tĂ©A partir du 1er juillet, dans le cadre de « l’étĂ© culturel et apprenant » lancĂ© par le ministre de la culture, une cinquantaine d’artistes, de toutes disciplines (le choré­graphe Angelin Preljocaj, le fondateur du ThĂ©Ăątre Ă©ques­tre Zingaro Bartabas, la dan­seuse Anne Nguyen, le magi­cien Thierry Collet, etc.), se

dĂ©ploieront sur le site deLa Villette Ă  Paris pour pré­senter leur travail au public. Tous les espaces extĂ©rieurs et intĂ©rieurs (Grande Halle, Folies, etc.), accessibles gra­tuitement, seront mis Ă  dis­position pour des ateliers de dĂ©couverte des coulisses de la crĂ©ation. En collabora­tion avec le Centre Pompi­dou, des Ɠuvres Ă©phĂ©mĂšres seront rĂ©alisĂ©es par huit ar­tistes dans les espaces de la Grande Halle, en utilisant les matĂ©riaux provenant des rĂ©serves du site de La Villette pour une collection intitulĂ©e« Les Moyens du bord ».Par ailleurs, le traditionnel festival de cinĂ©ma en plein air, du 24 juillet au 22 aoĂ»t, aura pour thĂšme cette annĂ©e « Grandeur nature ».

CINÉMALa rĂ©alisatrice afro-amĂ©ricaine Ava DuVernay au comitĂ© directeur des OscarsLa rĂ©alisatrice afro­amĂ©ri­caine Ava DuVernay, connue pour ses prises de position et Ɠuvres antiracistes, a Ă©tĂ© Ă©lue, mercredi 10 juin, au co­mitĂ© directeur de l’AcadĂ©mie des Oscars. Avec 26 femmes et 12 personnes de couleur sur 54 gouverneurs, la com­position du comitĂ© qui dirige l’AcadĂ©mie n’a jamais Ă©tĂ© aussi diversifiĂ©e, selon les mĂ©dias spĂ©cialisĂ©s. L’Acadé­mie a Ă©tĂ© critiquĂ©e ces derniĂšres annĂ©es pour son manque de diversitĂ©, parmi ses membres mais aussi dans le choix de ses nommĂ©s et vainqueurs. – (AFP.)

des visages dans les plis de vĂ©gé­taux butinĂ©s, photogrammes lu­diques, comme cette petite fou­gĂšre fantomatique rĂ©vĂ©lĂ©e par la lumiĂšre de l’écran d’ordinateursur laquelle elle est posĂ©e. MĂ©du­ses et sacs plastiques ondulant de concert sous l’eau, vrai­faux en­chaĂźnements de photos.

Echos formels ou conceptuelsLorsque aucune trace de prĂ©sencehumaine n’est dĂ©tectable, il fauten savoir plus sur l’espĂšce ou lelieu montrĂ© sur l’image. Un mo­deste plantin sur un chemin ? Cette plante, qui se dissĂ©mine par le piĂ©tinement humain, a Ă©tĂ© sur­nommĂ©e « pied de l’homme blanc » par les Indiens d’AmĂ©riquedu Nord, oĂč elle a Ă©tĂ© importĂ©e par les premiers colons. La photo est prise sur un de ces chemins dela colonisation, Ă  Vancouver.

Le photographe a déployé prÚsde 150 photos de tout format dans

L’observation desmondes vĂ©gĂ©tal,

animal et minĂ©rals’articule

toujours, chez Jochen Lempert,

avec l’humain d’une façon

ou d’une autre

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Page 22: Le Monde - 12 06 2020

22 | télévision VENDREDI 12 JUIN 20200123

HORIZONTALEMENT

I. Ne fera pas beaucoup d’effet, mĂȘme rĂ©duit en poudre. II. VĂ©nus est la pre-miĂšre Ă  l’allumage. Solide rapproche-ment. III. Trop malin pour ĂȘtre bien aimĂ©. Grecque. S’use sous nos pieds. IV. Pousse au dĂ©part. Lentilles. Sem-blable. V. Noter trĂšs sĂ©vĂšrement. Points en opposition. VI. Manifesta-tion enfantine. AccaparĂ©e. VII. BrisĂ© pour rĂ©sister. PiĂšce de la charrue. Contre tout. VIII. RejetĂ©e globale-ment. Mis Ă  sa place. Golfe prĂšs de Marseille. IX. Risque de lĂącher Ă  tout moment. MĂ©tal jaune et mou. X. Dif-ficile de lui rĂ©sister.

VERTICALEMENT

1. Insensible aux rigueurs du temps, elle va durer. 2. Pour une bonne prĂ©sentation. Suiveur hĂ©rĂ©tique. 3. Expulsas les gaz. Le prix Ă  payer pour s’exprimer. 4. Mesure chez Mao. Pianiste français. Fut capitale chez les Nippons. 5. Prend l’eau de tous les cĂŽtĂ©s. Gens de bonnes compagnies. CitĂ© d’Abraham. 6. Victimes d’un dĂ©lit de sale gueule depuis Moustaki. 7. Voit l’avenir aprĂšs ouverture. 8. Per-sonnel. Evite de sortir une nappe. A sa place Ă  table. 9. TrĂ©sor Ă©gyptien. Faci-lite la traction. Structure d’entreprise. 10. Se nourrit d’herbe tendre. En arri-vant au bout de la succession. 11. En feu. Grand ensemble. 12. Enrichit notre vocabulaire.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 135

HORIZONTALEMENT I. DĂ©liquescent. II. Erebus. Pamir. III. Proie. Solive. IV. Lens. Materas. V. Ane. Sac. Salo. VI. It. HaĂŻra. Ter. VII. Se. Seul. Si. VIII. Amour. Etes. IX. Nuirez. Espar. X. Tentaculaire.

VERTICALEMENT 1. Déplaisant. 2. Errent. Mue. 3. Leone. Soin. 4. Ibis. Heurt. 5. Que. Sa. Réa. 6. Us. Maïs. Zc. 7. Sacrée. 8. Spot. Autel. 9. Calés. Lésa. 10. Emirat. Spi. 11. Nivales. Ar. 12. TrésoriÚre.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

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GRILLE N° 20 - 136PAR PHILIPPE DUPUIS

SUDOKUN°20­136

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4 7 9

6 3 8 7

7 2 6 9 4 5 3Realise par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)

4 9 1 2 6 7 8 3 5

5 6 8 9 3 1 2 7 4

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6 5 3 1 7 2 9 4 8

9 7 4 6 8 5 3 1 2

8 1 2 3 4 9 7 5 6

DifficileCompletez toute la

grille avec des chiffres

allant de 1 a 9.

Chaque chiffre ne doit

etre utilise qu’une

seule fois par ligne,

par colonne et par

carre de neuf cases.

CHEZ VOTRE MARCHANDDE JOURNAUX

Chaque jeudi,l’essentielde la presseĂ©trangĂšre

L’AMÉRIQUESE RÉVOLTE

Face Ă  unprĂ©sidentqui attiselesdivisions, les manifestationscontre les violencespoliciĂšreset le racismeaux États-Unissemblentpartiespourdurer

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DT

No 1545 du 11 au 17 juin 2020courrierinternational.comFrance : 4,50€

RÉCIT MA LUNE DE MIELAVEC UNE INTELLIGENCEARTIFICIELLE

GRÈCE — PLUS DURE SERA LA CRISEALGÉRIE— LE RAPPEUR SOOLKING,VOIX DU HIRAK

AVEC UNE INTELLIGENCE

V E N D R E D I   1 2   J U I N

TF121.05 La Chanson de l’annĂ©eDivertissement prĂ©sentĂ©par Nikos Aliagas.23.05 La Chanson de l’annĂ©eDivertissement prĂ©sentĂ©par Nikos Aliagas.

France 221.05 Candice RenoirSérie. Avec Cécile Bois,Raphaël Lenglet, Yeelem Jappain (Fr., 2017 et 2016).23.40 Basique, le concertEmission musicale.Avec Claudio Capéo.

France 321.05 Famille, je vous chanteDocumentaire de Mireille Dumaset Alain Chaufour (Fr., 2018, 110 min).22.55 La Vie secrÚtedes chansonsLes papas chanteursMagazine musical présentépar André Manoukianet Wendy Bouchard.

Canal+21.05 VenomFilm de Ruben Fleischer.Avec Tom Hardy, Michelle Williams (EU, 2018, 110 min).22.55 Gemini ManFilm d’Ang Lee. Avec Will Smith,Clive Owen (EU-Ch., 2019, 115 min).

France 520.55 La Maison France 5Magazine présentépar Stéphane Thebaut.22.25 Silence, ça pousse !Magazine présentépar Stéphane Marie et Carole Tolila.

Arte20.55 Un cƓur pour ma filleFilm de Steffen Weinert. Avec Christoph Bach, Maggie Valentina Salomon (All., 2019, 90 min).22.25 ZZ Top. That Little Ol’Band from TexasDocumentaire de Sam Dunn(RU, 2019, 95 min).

M621.05 NCISSĂ©rie. Avec Mark Harmon,Emily Wickersham, Pauley Perrette(EU, 2018).23.30 NCISSĂ©rie. Avec Sean Murray,Michael Weatherly (EU, 2016).

Hannah Gadsby, humoriste de la différenceLe nouveau spectacle de la comédienne australienne dynamite tranquillement patriarcat et sexisme

NETFLIXÀ LA DEMANDE

SEULE-EN-SCÈNE

C est par ses adieux austand­up, qu’elle prati­quait depuis une di­zaine d’annĂ©es en Aus­

tralie, qu’Hannah Gadsby s’est faitconnaĂźtre du public international.La comĂ©dienne lesbienne, origi­naire de l’üle de Tasmanie, bien connue en son pays pour son hu­mour impitoyable contre le sexisme et l’homophobie, annon­çait, dans Nanette, mis en ligne en 2018 sur Netflix, renoncer Ă  cetype de spectacle. « Quand cet hu­mour [l’autodĂ©rision] vient de gens maintenus dans les marges, ce n’est pas de l’humilitĂ©, mais de l’humiliation. » Mais, trois ansaprĂšs le carton de son spectacle,qui lui a valu rĂ©compenses, louan­ges de la presse et prolongations, Hannah Gadsby se risque au « dif­ficile deuxiĂšme album ».

Quoi de mieux pour ce faire, etpour impliquer pleinement le pu­blic, que d’ajouter un obstacle Ă  ce retour trĂšs attendu ? Hannah Gadsby, experte de la montĂ©e en tension, commence donc par dé­rouler, en un prĂ©lude hilarant, le plan dĂ©taillĂ© de son spectacle. Au menu : de l’humour d’observa­tion, autour des diffĂ©rences de vo­cabulaire entre l’anglais amĂ©ri­cain et l’anglais australien

– moins accessible Ă  un tĂ©lĂ©spec­tateur français ; une histoire d’anatomie dont le dĂ©cor est celui du parc canin oĂč elle promĂšne son chien Douglas ; un mauvais diagnostic chez un gynĂ©cologue ;un hameçon tendu Ă  ses haters sur les rĂ©seaux sociaux ; une ra­pide leçon sur la reprĂ©sentationdes femmes dans les peintures de la Renaissance italienne ; la rĂ©vé­

lation de son autisme de « haut ni­veau » ; le dĂ©montage de l’argu­mentaire des antivaccins ; et uneblague sur l’humoriste Louis C.K.

Puissant et subversifAlternant anecdotes du quotidien et punchlines bien senties, la co­mĂ©dienne procĂšde Ă  une « gentillemise en boĂźte du patriarcat » et re­lĂšve, avec l’ironie piquante qui ca­

ractĂ©rise son Ă©criture, l’omnipré­sence du regard masculin, qui nomme, diagnostique ou domine l’art et l’histoire de l’art. C’est drĂŽle, politique, bouleversant et dĂ©stabilisant, sans glisser dans lepathos. « Une blague, c’est essen­tiellement une question avec une rĂ©ponse surprenante. Mais ici, une blague est une question que j’ai in­sĂ©minĂ©e artificiellement. La ten­

sion, c’est mon travail, ironisait Hannah Gadsby dans Nanette. C’est moi qui vous stresse, vous ĂȘtesdans une relation abusive. »

La puissance du spectacled’Hannah Gadsby tient Ă  la rĂ©ali­sation brillante de toutes les pro­messes annoncĂ©es et Ă  son Ă©cri­ture dense, qui ne laisse pas de ré­pit au tĂ©lĂ©spectateur. Tout s’em­boĂźte Ă  merveille dans ce show subversif, mĂ©thodiquement mis en scĂšne, comme un cri en faveur de l’affirmation de soi et du droit, pour tous, Ă  la diffĂ©rence.

« Ce spectacle est une comĂ©dieromantique », risque d’entrĂ©e de jeu celle qui excelle Ă  tourner en ridicule toutes les idĂ©ologies dis­criminantes, autant qu’à ques­tionner la portĂ©e politique de l’humour ou Ă  casser les codes classiques du stand­up. C’est aussile rĂ©cit et une belle invitation Ă  la rĂ©silience, pour celle qui a grandidans une Tasmanie oĂč l’homo­sexualitĂ© n’a Ă©tĂ© dĂ©pĂ©nalisĂ©e qu’en 1997, fut victime d’un pas­sage Ă  tabac homophobe, de viol et s’est pratiquement retrouvĂ©e Ă la rue avant de connaĂźtre le succĂšssur les planches. « Mon cerveau m’emmĂšne dans des endroits oĂč personne d’autre ne vit. » On est ra­vis d’ĂȘtre du voyage.

mouna el mokhtari

Douglas, écrit et joué par Hannah Gadsby (2020, 72 min).

AprĂšs « Nanette » (2018), « Douglas » est le deuxiĂšme spectacle d’Hannah Gadsby. NETFLIX

Boires et dĂ©boires d’Amy Schumer, comĂ©dienne de stand­upDans « Crazy Amy », dont elle est aussi la scĂ©nariste et coproductrice, l’actrice incarne une journaliste new­yorkaise

OCS MAXVENDREDI 12 - 20 H 40

FILM

A vec Crazy Amy, JuddApatow ajoute à sa cas­quette de producteur

celle de rĂ©alisateur, mais cĂšde Ă  une femme, Amy Schumer, les clĂ©sdu vĂ©hicule. Comme Kristen Wiig dans Mes meilleures amies (2011), de Paul Feig, cette comĂ©dienne de stand­up, qui a construit son per­sonnage public en parlant de sexe avec une frontalitĂ© candide, est l’actrice principale, la scĂ©nariste et

la coproductrice du film. Elle en donne le ton, elle en fait le charme,elle en est l’argument commercial.

Amy, la journaliste new­yorkaisequ’elle interprĂšte, enchaĂźne jour­nĂ©es de travail harassantes et soi­rĂ©es alcoolisĂ©es, pour gĂ©nĂ©rale­ment finir dans le lit d’un inconnuqu’elle se fait un devoir de quitteravant l’aube, souvent dans un saleĂ©tat, mais sans Ă©tats d’ñme. Les choses changent quand sa rĂ©dac­trice en chef (Tilda Swinton, excel­lente en dominatrice perverse cas­tratrice) l’envoie portraiturer unmĂ©decin du sport aux mƓurs trĂšs

conventionnelles (l’excellent BillHader) qui, en la sortant de son milieu, va rĂ©tablir les connexions de son cortex sentimental.

Le film porte la marque de sonauteur, qui n’a pas seulement eu letalent de solliciter Amy Schumer, mais aussi celui d’avoir trans­formĂ© son Ă©nergie en une matiĂšrecinĂ©gĂ©nique. On y retrouve les qualitĂ©s des productions Apatow : dialogues qui claquent, Ă©toffĂ©s parun ping­pong gaguesque de rĂ©fé­rences Ă  la culture pop, attention minutieuse Ă  tous les personna­ges, y compris les plus pĂ©riphĂ©ri­

ques (comme le rappeur Method Man qui joue un mĂ©decin africain relĂ©guĂ© par l’hĂŽpital amĂ©ricain au rang d’aide­soignant), dont les singularitĂ©s font le relief du film


On reconnaĂźt aussi cette plati­tude caractĂ©ristique de la mise enscĂšne d’Apatow, cette saveur par­fois un peu douceĂątre, emblĂ©mati­que d’une vision traditionaliste dumonde et de la famille. Mais la ren­contre avec Amy Schumer en re­lĂšve le goĂ»t. Tout se passe comme si le rĂ©alisateur et son actrice­scé­nariste confrontaient leurs points de vue, comme si chaque scĂšne ré­

sultait d’une forme de nĂ©gocia­tion, voire de bras de fer.

Si cette comĂ©die romantiquetend, comme le veut le genre, vers une forme d’apaisement (l’amour, l’ouverture Ă  l’autre
), elle ne bas­cule jamais dans la miĂšvrerie de l’idĂ©al familialiste amĂ©ricain, et s’arrĂȘte toujours juste avant, de maniĂšre abrupte, suspendue au­dessus du vide.

isabelle regnier

Crazy Amy, de Judd Apatow.Avec Amy Schumer, Bill Hader, Brie Larson (EU, 2015, 125 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 €.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

RĂ©daction 67-69, avenue Pierre-MendĂšs-France, 75013 Paris. TĂ©l. : 01-57-28-20-00

Abonnements par tĂ©lĂ©phone au 03 28 25 71 71 (prix d’un appel local) de 9 heures Ă  18 heures. Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71. Par courrier Ă©lectronique : [email protected]. Tarif 1 an : France mĂ©tropolitaine : 399 €

Courrier des lecteursPar courrier Ă©lectronique : [email protected]

MĂ©diateur : [email protected]

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durablement, porteur de l’Ecolabel europĂ©en sous le N°FI/37/001. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier

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Page 23: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 carnet | 23

SociĂ©tĂ© Ă©ditrice du « Monde » SAPrĂ©sident du directoire, directeur de la publicationLouis DreyfusDirecteur du « Monde », directeur dĂ©lĂ©guĂ© de lapublication,membre du directoire JĂ©rĂŽme FenoglioDirecteur de la rĂ©daction Luc BronnerDirectrice dĂ©lĂ©guĂ©e Ă  l’organisation des rĂ©dactionsFrançoise TovoDirection adjointe de la rĂ©dactionGrĂ©goire Allix, Philippe Broussard, EmmanuelleChevallereau, Alexis Delcambre, BenoĂźt Hopquin,Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot,CĂ©cile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (EvĂ©nements)Directrice Ă©ditoriale Sylvie KauffmannRĂ©daction en chef numĂ©riqueHĂ©lĂšne BekmezianRĂ©daction en chef quotidienMichel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws,Franck Nouchi (DĂ©bats et IdĂ©es)Directeur dĂ©lĂ©guĂ© aux relations avec les lecteursGilles van KoteDirecteur du numĂ©rique Julien Laroche-JoubertChef d’édition Sabine LedouxDirectrice du design MĂ©lina ZerbibDirection artistique du quotidien Sylvain PeiraniPhotographie Nicolas JimenezInfographie Delphine PapinDirectrice des ressources humaines du groupeEmilie ConteSecrĂ©taire gĂ©nĂ©rale de la rĂ©daction Christine LagetConseil de surveillance Jean-Louis Beffa, prĂ©sident,SĂ©bastien Carganico, vice-prĂ©sident

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Le Carnet

AU CARNET DU «MONDE»

DĂ©cĂšs

L’École normale supĂ©rieure - PSLEt l’A-Ulm,

font part du décÚs de

M. Yash Kumar BHATI,doctorant

au département de chimie,

survenu le 24mai 2020, Ă  Paris.

Un hommage lui a Ă©tĂ© rendu Ă l’ENS le 3 juin.

Les obsĂšques auront lieu le 12 juinau cimetiĂšre du PĂšre-Lachaise, Ă Paris.

La communautĂ© normaliennes’associe Ă  la douleur de sa famille.

The École normale supĂ©rieure - PSLAnd A-Ulm, the ENS alumni

association

are deeply saddened to announcethat

Mr. Yash Kumar BHATI,a PhD student

in the department of chemistry,

passed away on may 24, 2020, inParis.

A tribute was paid to him at theENS on 3 june.

The funeral will take place on 12June at PĂšre-Lachaise cemetery inParis.

The ENS community expressestheir sincere condolences to hisfamily.

M. Jacques Delors,son Ă©poux,MmeMartine Aubry,

sa fille,M. Jean-Louis Brochen,

son gendre,Mme Clémentine Aubry,

sa petite-filleet M. Edouard Fouré,Augustin, Olympe,

ses arriĂšre-petits-enfants,Mme Jacqueline HousseauxEt toute sa famille,

ont la douleur de faire part du décÚsde

Mme Marie DELORS,née LEPHAILLE,

survenu à Lille, le 5 juin 2020,dans sa quatre-vingt-dix-septiÚmeannée.

Les funĂ©railles religieuses onteu lieu en l’église de Fontaine-la-Gaillarde, le mardi 9 juin, dans laplus stricte intimitĂ© familiale, suiviesde l’inhumation dans la sĂ©pulture dela famille.

Une pensée pour son fils,

Jean-Paul,

décédé en 1982.

La famille tient Ă  dire toute sareconnaissance aux mĂ©decins etpersonnels soignants de l’hĂŽpitalSaint-Vincent-de-Paul, Ă  Lille, pourleur grande humanitĂ©.

Le prĂ©sident de l’École pratiquedes hautes Ă©tudes,Le doyen de la Section des sciences

historiques et philologiques,Les directeurs d’études et les

maßtres de conférences,Les étudiants et auditeurs,Le personnel administratif,

ont la tristesse de faire part du décÚs,survenu le 6 juin 2020, de

AlainERLANDE-BRANDENBURG,

ancien titulairede la direction d’études« Art et archĂ©ologie

duMoyen Âge occidental ».

Ils s’associent à la douleur de lafamille.

Marie-Christine Labourdette,prĂ©sidente de la CitĂ© de l’architectureet du patrimoine,directrice des MusĂ©es de France de2008 Ă  2018,BenoĂźt Melon,

directeur de l’Ecole de Chaillot,ses prĂ©dĂ©cesseurs,L’ensemble des Ă©quipes de l’Ecole

de Chaillot et de la Cité,

ont la tristesse de faire part du décÚsde

M. AlainERLANDE-BRANDENBURG.

Enseignant Ă  l’École de Chaillot de1979 Ă  1993, son cours « Histoire del’architecture romane et gothique,suivi de l’architecture civile etmonastique » a passionnĂ© desgĂ©nĂ©rations d’étudiants. Cet Ă©ruditd’exception entraĂźnait ses Ă©lĂšves surle terrain et les incitait Ă  publierleurs travaux de recherche dans leBulletin monumental. Certainsdeviendront enseignants grĂące Ă  lui.

Il laisse Ă  Chaillot et auxarchitectes qui sont passĂ©s oupasseront par l’École, un ouvrage derĂ©fĂ©rence, co-Ă©crit avec son Ă©pouse,Anne-BĂ©nĂ©dicte, «Histoire del’architecture française. Du MoyenÂge Ă  la Renaissance».

Alain Erlande-Brandenburg restera« le roi des Ă©tudes sur l’art gothiqueet les cathĂ©drales » pour l’Ecole deChaillot, qui lui a rendu un hommagelĂ©gitime avec la publication d’unvolume de MĂ©langes « Materiamsuperabat opus » en 2006.

Les enseignants, les Ă©lĂšves et lespersonnels de l’Ecole et ceux de laCitĂ© s’associent Ă  la douleur de sonĂ©pouse et de sa famille.

Rennes. Saint-Cast-le-Guildo.

Mme Léon Faure,née Martine Berthoux,Ses enfants,Ses petits-enfantsEt ses arriÚre-petits-enfants,

ont la grande tristesse de faire partdu décÚs du

docteur LĂ©on FAURE,

survenu le 7 juin 2020,à l’ñge de quatre-vingt-douze ans.

La cĂ©rĂ©monie religieuse aura lieule 12 juin, Ă  11 heures, en l’égliseSaint-Germain, Ă  Rennes.

A

Mathieu SARDA

parti le 8 juin 2020,à l’ñge de quarante et un ans.

Mathieu, nous t’aimions et terespections tant. Tristesse et dĂ©sarroisubmergent aujourd’hui FranceInter, la chaĂźne pour laquelle tu astant donnĂ©.

Nous ne t’oublierons pas.

Nous nous associons Ă  la peine detous les tiens.

Tes collĂšgues et amisde France Inter.

[email protected]

Courcelottecommune de Dompierre-en-Morvan(Cîte-d’Or).Boulogne-Billancourt

(Hauts-de-Seine).

Patrick,son Ă©poux,Chrystelle,

sa filleEt toute la famille,

ont la douleur de faire part du décÚsde

Chantal LARGILLIÈRE,née BRADIER,

survenu à Garches (Hauts-de-Seine),à l’ñge de soixante et onze ans.

La cĂ©rĂ©monie religieuse seracĂ©lĂ©brĂ©e le samedi 13 juin 2020,Ă  14 h 30, en l’église de Dompierre-en-Morvan, suivie de l’inhumationau cimetiĂšre du village.

Chantal repose Ă  l’espace funĂ©rairede Semur-en-Auxois, 9, avenuePasteur.

Christian, Denise, Serge, Jean Luc,Pascal et Aude,ses enfants,Son gendre,Ses belles-filles,Ses petits-enfants,L’ensemble de la famille,

ont la douleur et le chagrin de fairepart du décÚs de

Mme Josiane PhilippeLATOUCHE,

née THEODORE,

survenu à Paris, le 8 juin 2020,à l’ñge de quatre-vingt-quatre ans.

Elle rejoint son Ă©poux,

Serge LATOUCHE,

dans l’éternitĂ©.

La cĂ©rĂ©monie religieuse aura lieule vendredi 12 juin, Ă  10 h 30, enl’église Notre-Dame-de-la-NativitĂ©,9, place Lachambeaudie, Paris 12e.

L’inhumation aura lieu aucimetiĂšre parisien d’Ivry, dans laplus stricte intimitĂ©.

Pauline de MaziÚres,née Cheremeteff,Catherine,

sa fille,Sarah et Niels,

ses petits-enfants,Ses proches,Ses amis, et compagnons de route,

ont la tristesse de faire part du décÚsde

M. Jean, Patrice DEMAZIÈRES,

survenu à Rabat (Maroc), le 8 juin2020, à l’ñge de quatre-vingt-dix ans.

Anne Rosenberg,sa compagne,Fabien, Matthieu, Clément, Adrien

Onimus, Myriam et Daniel Suchet,ses enfants,Nathalie Hoang, Delphine Laugier,

Stéphanie Cheron et Aline Aurias,ses beaux-enfants,SolÚne, Mathias, Thomas, Ernestine,

LĂ©on et Elias,ses petits-enfants,Ses frĂšres et sƓurs

et leurs grandes familles,

ont la tristesse d’annoncer le dĂ©cĂšsde

Jean-Louis ONIMUS,

survenu le 8 juin 2020, Ă  son domicile.

Les obsĂšques auront lieu levendredi 12 juin, Ă  16 h 15, aucimetiĂšre parisien de Pantin.

[email protected]

Michel Lescure,sonmari,Frédérique Larmagnac,

sa fille,Nicolas et Caroline Larmagnac,

son fils et sa belle-fille,Marin, Hugo et CĂ©limĂšne,

ses petits-enfants,Nadine Sausset,

sa sƓur,

ont la profonde tristesse d’annoncerle dĂ©cĂšs le 8 juin 2020, de

Michelle SAUSSET-LESCURE.

7, rue du Bourg Neuf,41000 Blois.

Dominique et Marie-ChristineSchwartz,son frùre et sa belle-sƓur,Jean-Laurent et Shaheen Schwartz,Nathalie et Olivier Sambourg,

son neveu, sa niÚce et leurs conjoints,Chloé et Elsa,

ses petites-niĂšces,Adam,

son petit-neveu,

ont la douleur de faire part du décÚsaccidentel de

Jean-Marie SCHWARTZ,ENS Saint-Cloud 1967,agrégé, docteur, HDR

enmathématiques pures,ancien directeur de recherche

au CNRS,

survenu à Paris, le 29mai 2020,à l’ñge de soixante-treize ans.

Homme libre, il a toujours prĂ©fĂ©rĂ©l’honneur aux honneurs et refusĂ© lesdĂ©corations, suivant en celal’exemple de sa mĂšre, HuguetteSchwartz, rĂ©sistante de la premiĂšreheure.

Homme de science brillant, il aconsacrĂ© aux mathĂ©matiques puresles premiĂšres annĂ©es de sa carriĂšreau CNRS, avant de s’attacher Ă l’organisation de la recherche enFrance, dĂ©fendant sans relĂąche larecherche fondamentale au sein dela direction gĂ©nĂ©rale du CNRS.

Homme engagĂ©, vice-prĂ©sidentuniversitaire de l’Unef en mai 1968,il est toujours restĂ© fidĂšle Ă  sesidĂ©aux en menant une vieassociative trĂšs active.

Les obsÚques ont eu lieu aucrématorium du cimetiÚre du PÚre-Lachaise, Paris 20e, ce 11 juin 2020.

Cet avis tient lieu de faire-part.Marie Cécile TRICON,ancienne infirmiÚre chefà la Compagnie générale

transatlantique,

nous a quittés le jeudi 4 juin 2020,dans sa quatre-vingt-treiziÚmeannée, en la résidence, Champ deMars, Paris 15e.

La famille remercie le personnelde l’établissement pour ses soinsattentionnĂ©s.

La cĂ©rĂ©monie religieuse seracĂ©lĂ©brĂ©e le vendredi 12 juin, Ă  10 h 30,en l’église Notre-Dame-des-Champs,91, boulevard du Montparnasse,Paris 14e.

La cĂ©rĂ©monie pourra ĂȘtre suivie Ă l’adresse : Paroisse Notre-Dame desChamps - youtube.

L’inhumation aura lieu le mĂȘmejour au cimetiĂšre du Montparnasse,Paris 14e.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Contact : Colette [email protected]

DĂ©bats

Le Théùtre de la Villeet

Télérama

vous invitent Ă 

l’Urgence des alliances5 jours de dĂ©bats

du 15 au 19 juin 2020.Pour comprendre l’impactde la pandĂ©mie du Covid-19et proposer des solutionspour l’aprĂšs via la culture

dans 5 domaines :Santé, environnement, sciences,

Ă©conomie, Ă©ducationĂ  suivre en direct sur

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l’ENS Paris-Saclay,l’Institut français

et le Rectorat de Paris

informations et réservations :Télérama.fr

Hommage

SĂ©verine Lepape,directrice du musĂ©e de Cluny,musĂ©e national duMoyen ÂgeEt Thierry CrĂ©pin-Leblond,

directeur du musĂ©e national de laRenaissance, chĂąteau d’Ecouen,Les Ă©quipes du musĂ©e de Cluny

et dumusée de la Renaissance,

rendent hommage à la mémoire de

AlainERLANDE-BRANDENBURG,

conservateuraumusée de Cluny (1967)

et aumusée de la Renaissance,conservateur en chef

des deuxmusées nationaux(1981-1987),

directeur dumusĂ©e nationalduMoyen Âge (1991-1994)

et directeur dumusée nationalde la Renaissance (2000-2005),

disparu le 6 juin 2020

et s’associent à la douleur de lafamille.

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Page 24: Le Monde - 12 06 2020

24 | IDÉES VENDREDI 12 JUIN 20200123

La surmortalitéen Seine­Saint­Denis

confirme ce quela recherche avait déjà

constaté, les minorités ethno­raciales

souffrent d’inĂ©galitĂ©s et de discriminations

en matiÚre de santé, rappelle la sociologue

ENTRETIEN

SolĂšne Brun est sociologue,chercheuse postdoctorante Ă l’Institut Convergences Migra­tions, coordinatrice scientifiquedu dĂ©partement Integer (inté­gration et discrimination) de

cet institut. Ses recherches portent sur lesinĂ©galitĂ©s ethno­raciales en France et lesrapports sociaux de race dans la famille.Avec le dĂ©mographe Patrick Simon, elle vient de publier un article intitulĂ© « L’in­visibilitĂ© des minoritĂ©s dans les chiffres du coronavirus : le dĂ©tour par la Seine­Saint­Denis », paru dans la revue en ligne De Facto, Ă©ditĂ©e par l’Institut ConvergencesMigrations.

Pour vous, on ne doit pas ignorer la dimension ethno­raciale de la pandé­mie. Vous vous intĂ©ressez, pour cette raison, Ă  la Seine­Saint­Denis, oĂč la population est largement composĂ©e d’immigrĂ©s et de descendants d’immi­grĂ©s. Quel est l’impact du Covid­19 dans ce dĂ©partement ?

L’Insee publie chaque semaine desdonnĂ©es et des analyses qui font le dĂ©compte des dĂ©cĂšs en fonction de lacommune oĂč ils se produisent. Ainsi, du 1er mars au 27 avril, il y a en Seine­Saint­Denis une surmortalitĂ© de 128,9 % par rapport Ă  la mĂȘme pĂ©riode en 2019. Avec mon collĂšgue Patrick Simon, nous avons voulu aller plus loin, car la pandĂ©mie a provoquĂ© une rapide saturation des hĂŽpi­taux en Seine­Saint­Denis, des malades ont donc Ă©tĂ© hospitalisĂ©s dans d’autresdĂ©partements et, pour certains, y sont morts. Nous avons analysĂ© des donnĂ©esbrutes, mises Ă  disposition par l’Insee, qui portent sur la mortalitĂ© en fonction du lieu de rĂ©sidence. Sur cette base, nous avons pu constater qu’entre le 1er mars et le 19 avril, la Seine­Saint­Denis enregistre le plus fort taux de surmortalitĂ© en Ile­de­France. Elle y atteint 134 %, alors que dansles Hauts­de­Seine, elle est de 114 %, et de 99 % pour Paris.

Pour la tranche d’ñge la plus Ă  risque,les personnes ĂągĂ©es de 75 Ă  84 ans, cetaux est de 188 % en Seine­Saint­Denis,

de 150 % pour les Hauts­de­Seine et de 137 % pour Paris. Les chiffres compilĂ©spar l’Insee concernent cependant l’en­semble des dĂ©cĂšs, et pas uniquementceux liĂ©s au Covid­19. La comparaison avec 2019 nous permet de mesurer des Ă©carts que l’on peut raisonnablement at­tribuer Ă  la pandĂ©mie.

Pourquoi est­il pertinent, selon vous, de s’intĂ©resser aux inĂ©galitĂ©s ethno­raciales pour expliquer la surmortalitĂ© en Seine­Saint­Denis ?

La question des inĂ©galitĂ©s ethno­racia­les n’est que rarement prise en comptepar la recherche en France. De fait, laproduction de statistiques ethno­racia­les est fortement encadrĂ©e et limitĂ©edans le pays, et les chercheurs sont leplus souvent contraints d’utiliser desdonnĂ©es d’approximation, comme lepays de naissance ou le pays de nais­sance des parents. La pandĂ©mie actuellen’échappe pas Ă  cette rĂšgle, et mĂȘme lesrares donnĂ©es disponibles, comme lepays de naissance des personnes mor­tes, n’ont pas Ă©tĂ© mises Ă  disposition parl’Insee.

Cependant, la Seine­Saint­Denis n’estpas seulement le dĂ©partement le plus pauvre de France mĂ©tropolitaine, c’estaussi celui qui compte la plus grande pro­portion d’immigrĂ©s et de descendantsd’immigrĂ©s. Les immigrĂ©s forment 30 % des rĂ©sidents du « 93 », contre 9 % ailleursen France. De plus, 50 % des moins de 18 ans de Seine­Saint­Denis sont des des­cendants d’immigrĂ©s, d’aprĂšs l’Institut Paris RĂ©gion. La surmortalitĂ© dans un dé­partement oĂč se concentrent les minori­tĂ©s laisse donc Ă  penser que les immigrĂ©s et leurs descendants sont particuliĂšre­ment exposĂ©s Ă  la pandĂ©mie.

La recherche devrait pouvoir Ă©tudier lerĂŽle et l’effet des discriminations dans la crise actuelle, d’autant que des travauxrĂ©alisĂ©s Ă  l’étranger attestent de l’intĂ©rĂȘt d’une telle dĂ©marche. Aux Etats­Unis, par exemple, une Ă©tude a dĂ©montrĂ© que lespatients noirs qui se prĂ©sentent Ă  l’hĂŽpi­tal avec des symptĂŽmes du Covid­19 ont moins de chances que les patients blancs Ă  symptĂŽmes Ă©quivalents d’ĂȘtre testĂ©s et d’ĂȘtre pris en charge.

Disposons­nous d’études rĂ©alisĂ©es avant la crise qui tendent Ă  confirmer que les minoritĂ©s pourraient ĂȘtre plus vulnĂ©rables face Ă  la pandĂ©mie ?

Plusieurs travaux ont en effet Ă©tabli delongue date l’existence en France d’inĂ©ga­litĂ©s et de discriminations ethno­raciales en matiĂšre de santĂ©, et permettent d’af­firmer que les immigrĂ©s et leurs descen­dants sont en moins bonne position pour affronter le Covid­19.

Par exemple, une Ă©tude publiĂ©e en 2019par les dĂ©mographes Michel Guillot, My­riam Khlat et Matthew Wallace a dĂ©mon­trĂ© que les hommes descendants d’immi­grĂ©s maghrĂ©bins risquent davantage demourir entre 18 et 65 ans que la popula­tion majoritaire, mais aussi que les des­cendants d’immigrĂ©s d’Europe du Sud, Ă  niveau d’éducation comparable.

En outre, les immigrĂ©s voient leur santĂ©se dĂ©grader plus rapidement que le reste de la population. Des facteurs socio­éco­nomiques expliquent en grande partiecette diffĂ©rence, mais aussi l’expĂ©rience de discriminations, comme en attesteune enquĂȘte quantitative et qualitativepubliĂ©e en 2012 dans la Revue europĂ©ennedes migrations internationales.

GrĂące Ă  un rapport de SantĂ© publiqueFrance, on sait Ă©galement que le diabĂšte et le surpoids, qui peuvent entraĂźner une plus grande mortalitĂ© chez les patients atteints par le Covid­19, sont plus rĂ©pan­dus dans les milieux moins favorisĂ©s, mais aussi chez les personnes d’origine maghrĂ©bine.

Enfin, diffĂ©rentes enquĂȘtes qualitatives,Ă  plus petite Ă©chelle, ont Ă©tudiĂ© l’effet dela discrimination ethno­raciale dans le domaine de la santĂ©. Par exemple, Pris­cille Sauvegrain, sociologue et sage­femme, a mis en Ă©vidence le fait qu’à Ă©tat de santĂ© et Ăąge Ă©gaux, les femmes catĂ©go­risĂ©es comme noires ou « africaines » ac­couchaient beaucoup plus par cĂ©sarienneque les autres femmes en France, en rai­son de prĂ©jugĂ©s ethno­raciaux portantsur leurs caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©tiques, anatomiques et physiologiques. La socio­logue DorothĂ©e Prud’homme a pour sapart Ă©tudiĂ© les effets de la racialisation sur les patients roms dans les servicesd’urgence. Au moment oĂč les soignants font preuve d’un grand courage, il ne s’agit pas de les pointer du doigt, mais simplement de rappeler que, si le racismeexiste dans notre sociĂ©tĂ©, il n’y a pas deraison pour que la santĂ© y Ă©chappe.

Plus gĂ©nĂ©ralement, quel Ă©tait l’état desantĂ© de la Seine­Saint­Denis avant lapandĂ©mie ?

Les indicateurs de santĂ© de la popula­tion y sont gĂ©nĂ©ralement sous la moyenne nationale, en particulier en ce qui concerne les facteurs de comorbiditĂ©associĂ©s au Covid­19. On y trouve des fortstaux de diabĂšte, d’asthme, de maladiescardio­vasculaires, comme le rapporte l’Observatoire rĂ©gionale de santĂ© (ORS).

L’offre de soin est Ă©galement plus limi­tĂ©e dans ce dĂ©partement qu’ailleurs dans la rĂ©gion, la densitĂ© mĂ©dicale y est plus faible pour la mĂ©decine de ville, les placesen hospitalisation y sont Ă©galement moins nombreuses (ORS). Sur le plan Ă©co­nomique, la Seine­Saint­Denis souffre aussi, avec une pauvretĂ© et un chĂŽmage inĂ©galĂ©s en France mĂ©tropolitaine.

L’effet dĂ©lĂ©tĂšre sur la santĂ© de la prĂ©ca­ritĂ© est bien documentĂ©. Les ouvriers vi­vent moins longtemps que les cadres, et

en moins bonne santĂ©. On sait Ă©galementque les personnes dĂ©favorisĂ©es ont moins recours aux soins. Dans le « 93 »,inĂ©galitĂ©s sociales et inĂ©galitĂ©s ethno­ra­ciales s’entremĂȘlent. Il me paraĂźt urgent de pouvoir isoler l’effet de chacun de ces phĂ©nomĂšnes sur la santĂ©, mais il faudraitpour cela disposer de donnĂ©es concrĂštes. Sans statistiques solides, nous sommes rĂ©duits Ă  n’émettre que des hypothĂšses : on ne pourra pas mesurer les inĂ©galitĂ©s ethno­raciales ni l’ampleur des discrimi­nations dans la prĂ©sente crise sanitaire, etle domaine de la santĂ© en gĂ©nĂ©ral, sansune mise Ă  disposition de donnĂ©es qui permettent d’identifier les populations racialisĂ©es comme non blanches. Et, sans outils de mesure robustes, il est trĂšs com­pliquĂ© de lutter efficacement contre les discriminations.

Peut­on croire que la crise sanitaire a eu un impact sur les relations entre police et populations minoritaires ?

Avec le confinement, la crise sanitaires’est accompagnĂ©e d’une restriction des dĂ©placements et de l’accĂšs Ă  l’espace pu­blic. Cette situation a crĂ©Ă© un renforce­ment du contrĂŽle et de la pression poli­ciĂšre sur les quartiers populaires et surles populations racialisĂ©es comme non blanches. En Seine­Saint­Denis, le tauxde verbalisation pour non­respect de confinement a Ă©tĂ© presque trois fois plusĂ©levĂ© que la moyenne nationale (17 %, contre 6 %).

On a donc une verbalisation dispropor­tionnĂ©e (d’ailleurs dĂ©noncĂ©e par un col­lectif d’associations et de syndicats), quireflĂšte en rĂ©alitĂ© davantage la prĂ©sence etle contrĂŽle policiers exceptionnels dansce dĂ©partement que l’importance des in­fractions au confinement, dont il a Ă©tĂ© re­connu par le prĂ©fet de la Seine­Saint­De­nis lui­mĂȘme qu’il avait Ă©tĂ© bien respectĂ©.La pĂ©riode du confinement a Ă©tĂ© une pé­riode dans laquelle de nombreux cas de brutalitĂ© policiĂšre ont Ă©tĂ© signalĂ©s, sou­vent filmĂ©s par les habitants. Les soup­çons d’incivisme ont ainsi largementvisĂ© les populations pauvres et non blan­ches, quand les infractions au confine­ment des Parisiens rejoignant leurs mai­sons secondaires ou des Français sur laCosta Brava ont suscitĂ© moins d’émoi.Les violences policiĂšres et le racisme nesont pas des faits nouveaux, mais le con­finement a Ă©tĂ© une nouvelle fois l’occa­sion d’en mesurer l’ampleur, commel’écrit le sociologue JĂ©rĂ©mie Gauthier,dans la revue De Facto.

propos recueillis parmarc­olivier bherer

DU 1ER MARSAU 27 AVRIL, IL Y A EU EN SEINE-SAINT-DENIS UNE SURMORTALITÉ DE 128,9 % PAR RAPPORT À LA MÊME PÉRIODE EN 2019

YANN LEGENDRE

SolÚne Brun « Les immigrés et leurs

descendants sont en moins bonne position

face au Covid-19 »

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Page 25: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 idées | 25

Jay S. Kaufman et Joanna Merckx La rĂ©action biologiqueau Covid-19 n’est pas une question d’appartenance racialeSi les minoritĂ©s ethniques sont davantage touchĂ©es par le virus, les scientifiques doivent considĂ©rer cette disproportion comme le rĂ©sultat d’inĂ©galitĂ©s sociales, et non comme la manifestation de diffĂ©rences biologiques, relĂšvent les deux Ă©pidĂ©miologistes canadiens

Nous en apprenons chaque jourun peu plus sur le virus SARS­CoV­2 et sur la maladie Covid­19qu’il provoque. Notre compré­

hension des facteurs de transmission, de l’infection et de la maladie reste limi­tĂ©e, et, malheureusement, des interpré­tations erronĂ©es circulent.

Au Royaume­Uni comme aux Etats­Unis, les mĂ©dias et les revues mĂ©dicalesse font largement l’écho du nombre dis­proportionnĂ© de victimes du SARS­CoV­2 parmi les minoritĂ©s ethniques etles migrants. Bien entendu, cette dis­proportion s’explique en grande partie par les diffĂ©rences socio­économiqueset les inĂ©galitĂ©s professionnelles. Car ce sont ces segments de la population quiconduisent les bus, qui font le mĂ©nagedans les hĂŽpitaux, qui livrent les courseset qui s’occupent des personnes ĂągĂ©esdans les maisons de retraite. En rĂšgle gé­nĂ©rale, ce sont eux qui occupent un tra­vail qui ne leur permet pas d’échapperau virus, et des logements oĂč s’isoler desautres est plus difficile.

Au Royaume­Uni, la revue mĂ©dicaleThe Lancet s’est intĂ©ressĂ©e au trĂšs grandnombre de professionnels de la santĂ©noirs et d’origines asiatiques, morts duCovid­19 dans le pays – poussant le gou­vernement Ă  enquĂȘter sur cette inĂ©ga­litĂ© choquante. Aux Etats­Unis, les don­nĂ©es rĂ©vĂšlent Ă©galement des inĂ©galitĂ©scriantes. Les groupes afro­amĂ©ricains etlatinos sont bien plus touchĂ©s que lesautres segments de la population,

comme l’a montrĂ© une Ă©tude rĂ©alisĂ©epar un centre de recherche indĂ©pendant(APM Research Lab), et la maladie seconcentre dans les quartiers qu’ils habi­tent, selon un article publiĂ© par deux chercheurs de l’universitĂ© Harvard (Jar­vis T. Chen et Nancy Krieger). Au Royau­me­Uni et aux Etats­Unis, ces injusticessont connues car des donnĂ©es ont Ă©tĂ©collectĂ©es et analysĂ©es.

Sociologie du racismeAlors que chaque pays a son approchepour dĂ©finir les catĂ©gories dĂ©mographi­ques comme l’« appartenance ethni­que » et la « race », la France s’oppose fer­mement Ă  l’utilisation de ce genre d’éti­quettes pour catĂ©goriser officiellement les individus. L’absence de classificationraciale permet d’éviter une interprĂ©ta­tion fallacieuse, courante au Royaume­Uni et aux Etats­Unis, selon laquelle cer­taines inĂ©galitĂ©s que l’on observe indi­queraient l’existence de prĂ©dispositionsgĂ©nĂ©tiques, comme le rappelle un arti­cle publiĂ© par la journaliste scientifi­que Angela Saini (« Stereotype threat »)dans The Lancet, le 23 mai.

Malheureusement, que ce soit dans lesmĂ©dias ou les milieux scientifiques, il esttrĂšs courant d’entendre que la rĂ©actionbiologique Ă  l’infection semble diffĂ©rerselon l’appartenance raciale. La sociolo­gie du racisme n’a rien d’agrĂ©able, et, au lieu de regarder les choses en face, les gens se tournent vers les vieux mythes des diffĂ©rences raciales pour expliquer

l’injustice. La pression monte sur les pays europĂ©ens autres que le Royaume­Uni : certains souhaitent que ces pays ré­coltent des donnĂ©es sur les inĂ©galitĂ©s ethnoraciales face au Covid­19. Ce seraiten effet un bon moyen de comprendre latragĂ©die sociale liĂ©e au virus, mĂȘme s’ilfaut se garder de croire que ces catĂ©go­ries ont quelque chose de biologique.

Nos connaissances actuelles sur lapandĂ©mie reposent sur des donnĂ©escollectĂ©es auprĂšs de cas testĂ©s positifs. Or, le fait de tester ou non une personnedĂ©pend principalement de la prĂ©senceou non de symptĂŽmes, mais aussi d’in­nombrables barriĂšres, linguistiques et gĂ©ographiques, toutes Ă©troitement liĂ©esĂ  des facteurs socio­économiques et dé­mographiques.

Ainsi, lorsqu’on mĂšne des Ă©tudes surles malades du Covid­19 pour observerleurs caractĂ©ristiques, on prend en con­sidĂ©ration, non pas tous les malades,mais seulement la partie Ă©mergĂ©e del’iceberg – une partie fortement dĂ©for­mĂ©e par les dĂ©terminants sociaux destests. Certains chercheurs estiment

nĂ©anmoins que l’origine ethnique pour­rait constituer un facteur de risque chezdes enfants pour lesquels a Ă©tĂ© diagnos­tiquĂ© un syndrome inflammatoire post­infectieux associĂ© au SARS­CoV­2 (unsyndrome trĂšs rare, rĂ©cemment dĂ©cou­vert). ConnaĂźtre l’origine ethnique desmalades n’amĂ©liorera pas notre com­prĂ©hension de l’étiologie et de la gĂ©nĂ©ti­que de ce syndrome en particulier, ni duCovid­19 en gĂ©nĂ©ral.

Ces chercheurs motivent leur intĂ©rĂȘtpour la question en invoquant le nom­bre disproportionnĂ© d’enfants issus deminoritĂ©s qui ont Ă©tĂ© hospitalisĂ©s au Royaume­Uni avec ce syndrome. Or l’ex­position au virus et les tests dĂ©pendentfortement des hiĂ©rarchies raciales dans la sociĂ©tĂ©, et ces inĂ©galitĂ©s en disent plussur nous que sur le virus.

Des stĂ©rĂ©otypes archaĂŻquesOn croit Ă©galement Ă  tort que ces inĂ©gali­tĂ©s indiqueraient l’existence de diffĂ©ren­ces gĂ©nĂ©tiques ou de gĂšnes uniques. Le gĂ©nome humain Ă©tant Ă  prĂ©sent sé­quencĂ©, nous savons que la quasi­totalitĂ©des variations gĂ©nĂ©tiques humaines se produisent Ă  l’intĂ©rieur des groupes ra­ciaux, et non d’un groupe Ă  l’autre. Bien entendu, comme la « race » est une cons­truction historique et sociologique, sadĂ©finition (arbitraire) diffĂšre d’un pays Ă  l’autre, mais, quelle que soit la dĂ©finitionretenue, les recherches montrent que, s’il existe bien des diffĂ©rences entre les personnes, la race et l’origine ethnique sont de fort mauvaises catĂ©gories pourexpliquer ces diffĂ©rences.

De surcroĂźt, au XXIe siĂšcle, alors quel’extraction d’ADN est devenue une opé­ration routiniĂšre et que n’importe qui peut ĂȘtre gĂ©notypĂ© Ă  moindre coĂ»t, cescatĂ©gories sont dĂ©pourvues de toutepertinence. A notre Ă©poque, lorsqu’onveut Ă©tudier la gĂ©nĂ©tique, c’est aux gÚ­nes que l’on s’intĂ©resse. Nous ne pou­

vons plus recourir à des catégories duXIXe siÚcle basées sur des mythes et desstéréotypes archaïques.

Si certaines variantes ou mutations gé­nĂ©tiques paraissent rĂ©ellement jouer un rĂŽle important dans l’épidĂ©mie de Co­vid­19, les scientifiques exploreront cettehypothĂšse en collectant et en analysant les gĂ©notypes de personnes qui sont ma­lades et de personnes qui ne le sont pas. Ils ne feraient que se fourvoyer en pre­nant en compte l’appartenance ethniquedes individus. Le lien simpliste que l’onfait entre la « race » et la gĂ©nĂ©tique relĂšve d’une croyance populaire erronĂ©e, mais il ne lĂšvera pas le mystĂšre mĂ©dical du Co­vid­19 – il n’a, de fait, jamais levĂ© aucun mystĂšre par le passĂ©. Historiquement, ce lien s’est avĂ©rĂ© ĂȘtre une sinistre impasse, et c’est la raison pour laquelle la France a choisi d’interdire la collecte de donnĂ©es « raciales ». Mais c’est une arme Ă  double tranchant car, si d’un cĂŽtĂ©, il dĂ©courageles mythes biologiques, de l’autre, il dis­simule les rĂ©alitĂ©s sociales.

Traduit de l’anglais par Valentine Morizot

Jay S. Kaufman est professeur au dĂ©partement d’épidĂ©miologie, biostatistiques et santĂ© au travail Ă  l’universitĂ© McGill (MontrĂ©al, Canada) ; il est l’un des rĂ©dacteurs en chef de la revue scientifique « Epidemiology », publiĂ©e par l’International Society for Environmental Epidemiology ; Joanna Merckx est directrice des affaires mĂ©dicales au laboratoire bioMĂ©rieux Canada Inc. Les opinions exprimĂ©es sont les siennes et sont sans lien avec sa fonction chez bioMĂ©rieux. Elle enseigne l’épidĂ©miologie des mala-dies infectieuses Ă  l’universitĂ© McGill

LE LIEN SIMPLISTE ENTRE « RACE » ET GÉNÉTIQUE RELÈVE D’UNE CROYANCE POPULAIRE ERRONÉE ET N’A JAMAIS LEVÉ AUCUN MYSTÈRE MÉDICAL

Juan Guaido Marquez Sauvons le Venezuela ensemble !Le prĂ©sident par intĂ©rim autoproclamĂ© du Venezuela appelle Ă  la formation d’un gouvernement d’urgence nationale afin de convoquer des Ă©lections libres et de dĂ©finir un plan de sauvegarde du pays

Selon les Nations unies, plus de9 millions de Vénézuélienssouffrent actuellement de la faim.La crise migratoire en cours

constitue l’exode le plus important del’histoire contemporaine, aprĂšs celui de la Syrie. Plus de 5 millions de personnes ont quittĂ© le pays depuis 2014. Pendantce temps, la dictature criminelle de Nicolas Maduro, impliquĂ©e dans le trafic de drogue et le terrorisme [selon la justice amĂ©ricaine], sourde Ă  la crisesocio­économique et au dĂ©sastre sani­taire, refusait les dons internationaux denourriture et de mĂ©dicaments, condam­nant nombre de mes concitoyens Ă  mourir. MĂȘme en pleine pandĂ©mie de Covid­19, ce rĂ©gime ne souhaitait pasaccepter l’aide internationale.

Ma prioritĂ© est de mettre fin Ă  la souf­france du peuple vĂ©nĂ©zuĂ©lien le plus rapidement possible. Nous, les VĂ©nĂ©zué­liens, ne mĂ©ritons pas de mourir defaim ou Ă  cause d’une pandĂ©mie.C’est pour cette raison que nous avonsrĂ©ussi Ă  faire en sorte que le rĂ©gimelaisse entrer dans le pays l’aide humani­taire de l’Organisation panamĂ©ricainede la santĂ© (OPS) pour s’attaquer au Covid­19, et nous remercions la com­

munautĂ© internationale qui a beaucoupƓuvrĂ© en ce sens.

Ceci dĂ©montre pleinement notrevolontĂ© politique de trouver des solu­tions adaptĂ©es aux problĂšmes desVĂ©nĂ©zuĂ©liens. Nous sommes dĂ©terminĂ©sĂ  mettre fin Ă  cette grave crise en ras­semblant largement ceux qui, commemoi, ont chevillĂ©s au corps les intĂ©rĂȘts du peuple vĂ©nĂ©zuĂ©lien, celui restĂ© au pays comme celui de la diaspora.

La solution ne peut ĂȘtre que politiqueToutefois, la rĂ©alitĂ© est la suivante : unenarcodictature s’est saisie des institu­tions et confisque tous les pouvoirs auVenezuela. EffrayĂ© et intimidĂ©, le rĂ©gimede Nicolas Maduro n’a ni la capacitĂ© ni l’intention de mettre fin Ă  la crise Ă©cono­mique, sociale, sanitaire et politiquedont il est lui­mĂȘme responsable.

Je dirige un gouvernement par intĂ©rimreconnu par plusieurs pays, dont la France, par le Parlement national et par la sociĂ©tĂ© civile. Afin de parvenir Ă  undĂ©nouement de crise et Ă  trouver une so­lution structurelle, nous proposonsqu’un gouvernement national d’urgencevoie le jour. Ce gouvernement compte­rait avec la participation de tous les sec­

teurs politiques et sociaux du pays. Il ex­clurait toute personne impliquĂ©e dans des violations aux droits humains. Ce gouvernement national d’urgence serait principalement chargĂ© de rĂ©soudre la situation humanitaire, de garantir lasĂ©paration des pouvoirs et de gĂ©nĂ©rer lesgaranties nĂ©cessaires pour la tenued’élections lĂ©gislatives et prĂ©sidentielleslibres, justes et transparentes.

Mais la solution dĂ©finitive ne peut ĂȘtreque politique. Les dĂ©clarations de Jean­Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires Ă©trangĂšres, lors de la confé­rence des donateurs en solidaritĂ© avecles rĂ©fugiĂ©s et les migrants vĂ©nĂ©zuĂ©lienstenue en mai, vont dans ce sens. Selon leministre Le Drian, la communautĂ© in­ternationale doit redoubler d’efforts

pour créer les conditions nécessaires àune solution politique au Venezuela.

Nous appelons la communautĂ© inter­nationale Ă  ĂȘtre particuliĂšrement vigilante sur les efforts de Nicolas Maduro pour mettre dĂ©finitivement finĂ  la dĂ©mocratie au Venezuela. Il compteen effet organiser de nouvelles Ă©lections lĂ©gislatives cette annĂ©e. Ces Ă©lections, Ă l’instar de celles de 2018, promettentd’ĂȘtre une nouvelle mascarade. Il nes’agira en aucun cas d’un processus Ă©lec­toral libre et Ă©quitable.

PremiĂšrement, les principales forcespolitiques ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©es illĂ©gales et leurs dirigeants sont emprisonnĂ©s, en exil ou dĂ©clarĂ©s politiquement inĂ©ligi­bles. DeuxiĂšmement, il n’existe pas de registre Ă©lectoral fiable qui puisse garantir le droit de vote Ă  tous les VĂ©né­zuĂ©liens Ă  l’intĂ©rieur et Ă  l’extĂ©rieur du pays. TroisiĂšmement, le rĂ©gime empĂȘ­che toute observation Ă©lectorale interna­tionale. Enfin, l’autoritĂ© compĂ©tente en matiĂšre d’élections, le Conseil national Ă©lectoral, n’est pas neutre. Il n’est pas garant de la bonne tenue ou de la trans­parence des Ă©lections.

Mon gouvernement, et les principauxpartis politiques vĂ©nĂ©zuĂ©liens qui y sont reprĂ©sentĂ©s, ont toujours encouragĂ© et continueront Ă  encourager la tenue d’élections libres afin de rĂ©tablir la dé­mocratie au Venezuela. Nous sommesdonc en faveur de la tenue d’élections dans le pays en 2020, Ă  condition qu’ellessoient organisĂ©es en toute transparence, selon le cadre juridique prĂ©vu par notre

Constitution, et à condition que les élec­tions présidentielles exigées par la Constitution depuis 2018 soient aussicélébrées. En accord avec toutes les par­ties, des observateurs internationaux doivent également pouvoir veiller libre­ment sur le scrutin.

Nous sommes bien conscients que lerĂ©gime de Nicolas Maduro n’a pas la volontĂ© politique, ni la volontĂ© humani­taire, de donner au peuple vĂ©nĂ©zuĂ©lien la possibilitĂ© de voter lors d’électionstransparentes, libres et Ă©quitables. Nous rĂ©itĂ©rons donc que la seule façon de met­tre fin Ă  cette crise sans prĂ©cĂ©dent est la formation d’un gouvernement nationald’urgence qui se chargerait de convoquerces Ă©lections libres et de mettre en Ɠuvre un plan de sauvegarde du pays.

Nous devons sauver ce Venezuela, qui aété gravement touché par la misÚre et la corruption, et nous devons le faire avecla participation de la plus grande repré­sentation de la nation. Voilà la seule am­bition du gouvernement par intérim :reconstruire le Venezuela ensemble. Nenous décourageons pas et continuons àtravailler avec toute notre bonne volontépour sauver notre peuple et notre pays.

Juan Guaido Marquez est reconnu comme « président par intérim »de son pays par les Etats-Unis,la France et plus de cinquante pays

LA RÉALITÉ ESTLA SUIVANTE : UNE NARCO-DICTATURE S’EST SAISIEDES INSTITUTIONS ET CONFISQUE TOUS LES POUVOIRS AU VENEZUELA

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Page 26: Le Monde - 12 06 2020

26 | 0123 VENDREDI 12 JUIN 20200123

P etit dialogue sino­amé­ricain rapporté par leFinancial Times. A unporte­parole du dépar­

tement d’Etat qui, la semaine der­niĂšre, Ă  Washington, dĂ©nonçait les restrictions des libertĂ©s impo­sĂ©es Ă  Hongkong, un fonction­naire du ministĂšre chinois desaffaires Ă©trangĂšres, Ă  PĂ©kin, ré­pondait d’un Tweet vengeur : « Je n’arrive plus Ă  respirer. »

En deux mots, la rĂ©plique rap­pelait cette vĂ©ritĂ© : la politiqueĂ©trangĂšre, c’est de la politiqueintĂ©rieure – et vice versa. La capa­citĂ© d’un pays Ă  dĂ©fendre ses inté­rĂȘts et Ă  promouvoir ses valeursĂ  l’extĂ©rieur dĂ©pend aussi de sasituation intĂ©rieure. Les imagesdu policier blanc Ă©crasant la nu­que d’un homme noir, menottĂ©et jetĂ© Ă  terre Ă  Minneapolis,dans le Minnesota, avaient fait letour du monde. La derniĂšre phrase prononcĂ©e par GeorgeFloyd – « je n’arrive plus Ă  respi­rer » – avant de succomber sousla pression du policier Ă©tait deve­nue le symbole universel de lapersistance du racisme dans la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine. Le fonction­naire chinois avait beau jeu dedire Ă  son collĂšgue du dĂ©parte­ment d’Etat : vous n’avez pas deleçon de morale Ă  nous donner.

L’image de Minneapolis l’em­porte sur toute autre rĂ©alitĂ©. Elle gomme allĂšgrement le fait que le policier va ĂȘtre jugĂ© pour meur­tre. Elle ne dit rien de l’indĂ©pen­dance de la justice (mĂȘme si elle est permĂ©able Ă  l’argent), de la li­bertĂ© de la presse ou du droit de manifester aux Etats­Unis – tout ce qui n’existe pas en Chine. Mais c’est ainsi, l’image commande. Elle va peser sur l’aptitude des Etats­Unis Ă  incarner la dĂ©mocra­tie et Ă  dĂ©noncer, chez les autres, l’autocratie. Elle va devenir l’undes Ă©lĂ©ments de la bataille que se livrent PĂ©kin et Washington pour dominer le siĂšcle. La politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine passe par Minneapolis. Et, en se dĂ©solidari­sant de la grande vague de mani­festations contre le racisme qui asuivi la mort de George Floyd, Do­nald Trump a dĂ©gradĂ© un peu plus l’image de son pays – pour le plus grand plaisir de PĂ©kin.

En son temps, un autre prĂ©si­dent rĂ©publicain, Dwight Eisen­hower, avait diffĂ©remment rĂ©agi. C’était en 1957, Ă  un moment clĂ© de la lutte des Noirs amĂ©ricains pour l’égalitĂ© civique, rapporte l’historienne Mary L. Dudziakdans le New York Times. LĂ  encore,l’épisode ne fut pas sans consé­quences pour la politique Ă©tran­gĂšre amĂ©ricaine alors tout occu­pĂ©e Ă  la guerre froide opposant les Etats­Unis Ă  l’URSS. Gouver­neur de l’Arkansas, l’un des Etats du sud du pays, le dĂ©mocrateOrval Faubus refusait d’appliquer une dĂ©cision de la Cour suprĂȘme sur l’interdiction de la sĂ©grĂ©ga­tion scolaire. Faubus avait mobi­lisĂ© la garde nationale locale pour empĂȘcher neuf Ă©coliers noirs de faire leur rentrĂ©e au lycĂ©e publicde la capitale de l’Etat, Little Rock. Image forte : des soldats blancs enarmes contre des enfants noirs avec leur cartable.

A Moscou, la presse soviĂ©tiques’en empare, publie, commente, stigmatise. A l’ONU, le reprĂ©sen­

tant des Etats­Unis, John FosterDulles, s’inquiĂšte : « Nous perdonsdes votes, notre politique Ă©tran­gĂšre est en ruines. » Les images de Little Rock – mais ce sera vraidurant toute la lutte des NoirsamĂ©ricains pour l’égalitĂ© civique, dans les annĂ©es 1960 – Ă©branlent nombre de pays, particuliĂšre­ment africains, que Washingtonveut rassembler dans le campantisoviĂ©tique. Eisenhower rĂ©a­git, renvoie la garde nationaledans ses foyers et dĂ©pĂȘche desparachutistes de la 101e divisionaĂ©roportĂ©e pour escorter les en­fants noirs dans l’école.

Trump est incapable d’un pareilgeste. Il a façonnĂ© l’image des Etats­Unis d’aujourd’hui : plus de110 000 morts du Covid­19, des dizaines de millions de chέmeurs, un prĂ©sident qui appellel’armĂ©e Ă  « dominer » la rue amé­ricaine thĂ©Ăątre de manifestations antiracistes. Dans la bataille idĂ©o­logique en cours entre la Chine et les Etats­Unis, entre l’autocratieet la dĂ©mocratie, le prĂ©sident offre Ă  Xi Jinping, son homologuechinois, le portrait d’un pays af­faibli, divisĂ©, en proie Ă  de vieuxdĂ©mons, ceux­lĂ  mĂȘmes queTrump s’emploie Ă  raviver Ă  des fins Ă©lectorales. L’impact stratĂ©gi­que n’est pas nĂ©gligeable. Commes’ils « sentaient » les Etats­Unis diminuĂ©s, la Chine, la Russie etl’Iran ont multipliĂ© ces trois der­niers mois les provocations Ă  l’adresse de Washington – en merde Chine, Ă  Hongkong, en MĂ©di­terranĂ©e, au Venezuela.

CapacitĂ© de sĂ©ductionLa diplomatie de l’image ne dit pas tout. Elle ne rend pas comptede la puissance intouchĂ©e desEtats­Unis – Ă©conomique, techno­logique, monĂ©taire, culturelle. L’économie amĂ©ricaine a crĂ©Ă©2,5 millions d’emplois en mai. A ceux qui gambergent sur le softpower perdu du pays, on rappel­lera que les chefs communistes chinois envoient leurs enfants Ă  Harvard, oĂč a Ă©tudiĂ© la fille deXi Jinping, pas Ă  PĂ©kin, Moscou niTĂ©hĂ©ran.

Mais le lien entre les patholo­gies intĂ©rieures des Etats­Unis etleur aptitude Ă  projeter leur pou­voir Ă  l’extĂ©rieur demeure. Est­ce un hasard si, au plus fort des temps sombres que les Etats­Unistraversent au dĂ©but des annĂ©es1970, quand se cumulent Ă©meu­tes raciales et manifestationscontre la guerre du Vietnam, la politique Ă©trangĂšre change ? Il yavait une prioritĂ©, le feu Ă  la mai­son : la guerre froide glisse vers la dĂ©tente (relative) avec l’URSS.

Barack Obama l’avait compris. Ilpensait qu’il fallait rĂ©parer la dé­mocratie amĂ©ricaine Ă  l’intĂ©rieur avant d’en vanter les valeurs Ă  l’ex­tĂ©riexur. Il jugeait que la capacitĂ©de sĂ©duction d’un des pays les plus riches du monde dĂ©pendait aussi des performances de son systĂšme d’assurance­santĂ©. Le maintien du leadership des Etats­Unis sur la scĂšne internationale, jugeait­il, supposait de panser certaines des plaies du pays. Do­nald Trump, son successeur, s’em­ploie, lui, Ă  y verser du sel. Pour se faire rĂ©Ă©lire en novembre, il diviseles Etats­Unis – la peur des uns contre la colĂšre des autres.

A prĂšs l’urgence sanitaire, la Franceentre en convalescence sur le planĂ©conomique. Face au choc provo­

quĂ© par l’arrĂȘt brutal de l’activitĂ© pour endi­guer la pandĂ©mie de Covid­19, les prĂ©vi­sionnistes tĂątonnent en Ă©laborant des scĂ©narios instables. Seule certitude : le dé­crochage s’annonce violent et la rapiditĂ© dela reprise difficile Ă  Ă©valuer.

Dans ses prĂ©visions publiĂ©es mercredi10 juin, l’OCDE anticipe un affaissement de la richesse nationale situĂ© entre 11,4 % et 14,1 %, selon l’apparition ou non d’une se­conde vague de Covid­19 au cours de l’automne. La France devrait ĂȘtre ainsi l’un des pays oĂč la rĂ©cession sera la plus sĂ©vĂšre. Un confinement particuliĂšrement strict et une exposition plus forte aux secteurs les

plus touchĂ©s par l’arrĂȘt de l’activitĂ© (aĂ©ro­nautique, services, tourisme, luxe) expli­quent l’ampleur du recul.

Les nouvelles rassurantes se sont pour­tant multipliĂ©es ces derniers jours. Le dé­confinement se rĂ©vĂšle moins compli­quĂ© que prĂ©vu. Les foyers de contamina­tion restent isolĂ©s et sous contrĂŽle. Dansles hĂŽpitaux, les services de rĂ©anima­tion se vident peu Ă  peu. MĂȘme si les me­sures barriĂšres au virus restent contrai­gnantes, la consommation commence Ă repartir, tandis que la production et leschantiers redĂ©marrent.

Les stigmates laissĂ©s par le confinementsur l’économie sont pourtant dĂ©jĂ  visibles, mĂȘme si les mesures de chĂŽmage partiel etde soutien aux entreprises financĂ©es par ladette publique ont jouĂ© leur rĂŽle d’amor­tisseur. NĂ©cessaires, ces dispositifs ne se­ront pas pour autant suffisants pour tota­lement absorber le choc.

Surtout, ils ne seront pas tenables dans ladurĂ©e. Selon le budget rectificatif prĂ©sentĂ© le10 juin par le gouvernement, la dĂ©pense pu­blique en France en 2020 va reprĂ©senter les deux tiers de la richesse produite, « un ni­veau jamais atteint au cours de ces soixante­dix derniĂšres annĂ©es », souligne le Haut Con­seil des finances publiques, tandis que le dé­ficit dĂ©passera 11,4 % du PIB. L’Etat ne pourrapas soutenir Ă  bout de bras salariĂ©s et entre­prises beaucoup plus longtemps.

La bonne nouvelle, c’est que la grandemajoritĂ© des Français n’a pas eu Ă  subir Ă  cestade une baisse substantielle de ses reve­nus. L’épargne accumulĂ©e pourrait s’élever Ă  une centaine de milliards d’euros d’ici Ă  lafin de l’annĂ©e. Mais, avec la peur grandis­sante du chĂŽmage, rien ne dit que ce mate­las de prĂ©caution sera utilisĂ© pour consom­mer et donc soutenir le carnet de comman­des des entreprises.

Or, si la demande ne repart pas rapide­ment, on risque d’assister Ă  une vague de faillites et de licenciements. Le gouverne­ment table dĂ©jĂ  sur 800 000 suppressionsd’emplois d’ici Ă  2021. La situation estd’autant plus prĂ©occupante que beaucoup d’entreprises n’ont plus de marges demanƓuvre. Depuis 2008, la faiblesse destaux d’intĂ©rĂȘt les a incitĂ©es Ă  s’endetter plusque de raison, Ă  commencer par les plus fragiles d’entre elles. Sans les politiques monĂ©taires accommodantes des banques centrales, un grand nombre auraient dĂ©jĂ  dĂ» disparaĂźtre. Ce n’est pas en s’endettant encore plus avec la bĂ©nĂ©diction de l’Etat qu’elles surmonteront leurs difficultĂ©s. Trier le bon grain de l’ivraie sera inĂ©vitable.

Le paradoxe de cette rĂ©cession, c’est que laspirale de la dette fait Ă  la fois partie de la so­lution et du problĂšme. Mais aprĂšs l’urgence, il faudra bien sortir un jour de cette impassequi, de crise en crise, fragilise durablement l’économie au lieu de la renforcer.

L’IMAGE DE MINNEAPOLIS VA 

PESER SUR L’APTITUDE DES Ă‰TATS­UNIS 

À INCARNER LA DÉMOCRATIE

LA DETTE, SOLUTION ET PROBLÈME DE LA CRISE

INTERNATIONAL | CHRONIQUEpar alain frachon

Quand Trumpdévalue son pays

CHINE, RUSSIE ET IRAN ONT MULTIPLIÉ 

LES PROVOCATIONS Ă€ L’ADRESSE 

DE WASHINGTONTirage du Monde datĂ© jeudi 11 juin : 127 941 exemplaires

E N V E N T E C H E Z V O T R E M A R C H A N D D E J O U R N A U X

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Page 27: Le Monde - 12 06 2020

Cahier du « Monde » No 23459 datĂ© Vendredi 12 juin 2020 ­ Ne peut ĂȘtre vendu sĂ©parĂ©ment

2|3DOSSIERv SPINOZA : L’« ÉTHIQUE » REDÉCOUVERTEv Une nouvelle traduction, fondĂ©e sur un manuscrit inĂ©dit, paraĂźt. Retour sur l’histoire et l’influence d’un texte philosophique majeur

4|5LITTÉRATUREHĂ©lĂšne Gestern,Daniel Grenier,Akwaeke Emezi,Elena Ferrante

6HISTOIRE D’UN LIVREv « Le DĂ©tour », de Luce d’Eramo

7ESSAISL’art menacĂ© de la conversation, selon Sherry Turkle

8CHRONIQUESv LE FEUILLETONCamille Laurens a trouvĂ© bien long « Isabelle, l’aprĂšs-midi », de Douglas Kennedy

9POLARDominique Manotti ravive l’ambiance dĂ©lĂ©tĂšre des annĂ©es 1970 dans « Marseille 73 »

10RENCONTREAnna Hope : « Ecrire, une forme de puissance »

raphaële botte

U n tout petit bonhommea fait de TimothĂ©e deFombelle l’un des plusgrands noms de la litté­rature jeunesse fran­çaise. Tobie Lolness,

13 ans, 1,5 millimĂštre de hauteur, vivantdans les arbres avec son peuple minus­cule, Ă©tait le hĂ©ros des deux premiers ro­mans de l’écrivain nĂ© en 1973 (La Vie sus­pendue et Les Yeux d’Elisha, GallimardJeunesse, comme tous ses livres pour les jeunes, 2006 et 2007), qui lui valurent des traductions et prix littĂ©raires Ă  tra­vers le monde. Vango (2010­2011) – uneautre saga en deux tomes –, puis Le Livre de Perle (2014), notamment, ont confirmĂ© quel formidable auteur de ro­mans d’aventures pour les jeunes adoles­cents (mais pas seulement) est TimothĂ©e de Fombelle.

C’est Ă  nouveau cette veine qu’il creusedans Alma. Le vent se lĂšve, premier tome d’un triptyque annoncĂ©, dans lequel il se confronte Ă  la traite nĂ©griĂšre et au com­bat pour l’abolition de l’esclavage. Son

hĂ©roĂŻne est la jeune Alma. « Chez les Oko, le mot “alma” signifie “libre”. Mais ce genre de libertĂ© n’existe dans aucune autrelangue. C’est un mot rare, une libertĂ© im­prenable, une libertĂ© qui remplit l’ĂȘtre pourtoujours. » Elle a 13 ans quand l’histoirecommence, en Afrique, dans une prairie sauvage. Une nuit, son petit frĂšre, tenaillĂ©par l’envie d’explorer le monde, s’enfuit, et elle part Ă  sa recherche. Nous sommes en 1786 et le danger est de taille pour ces enfants noirs. Au mĂȘme moment, en Eu­rope, Joseph, un autre adolescent, embar­que Ă  bord d’un navire nĂ©grier.

Le romancier tresse son intrigue sur lestrois continents du commerce triangu­laire, et conjugue aventure, fresque histo­rique et rĂ©cit initiatique. Son architec­ture, si prĂ©cise, est l’une des forces dutexte. Comme dans Victoria rĂȘve (Galli­mard, 2012), chaque chapitre s’achĂšve parles mots qui ont servi de titre. Pour le romancier, c’est peut­ĂȘtre une contrainteafin de dompter sa crĂ©ativitĂ©. Pour lelecteur, cela crĂ©e des effets poĂ©tiques qui l’accompagnent dans l’aventure.

Si TimothĂ©e de Fombelle, qui a dĂ©cou­vert l’histoire de la traite Ă  13 ans, alors qu’il vivait en Afrique, s’est beaucoup do­cumentĂ© afin d’écrire Alma, le savoir qui transparaĂźt dans les pages est au servicede la prĂ©cision et de la concision : pas question que le lecteur s’ennuie. Le rythme cousine avec celui des grands

feuilletons du XIXe siĂšcle Ă  la Dumas. Bien sĂ»r, les destins des hĂ©ros vont secroiser, mais les mystĂšres sont si fournis qu’il semble impossible d’imaginer les rebondissements Ă  venir.

L’auteur parvient surtout Ă  aborder latraite nĂ©griĂšre avec une ampleur rare pour un roman jeunesse. D’autres ont bien sĂ»r dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© ce sujet, mais en sa­crifiant souvent le romanesque Ă  la vo­lontĂ© bienveillante de faire des lecteurs des abolitionnistes convaincus. Chez Fombelle, l’indignation de ses lecteurs n’est pas l’objectif. Il avance, concentrĂ©

sur la puissance de son rĂ©cit, et c’est une arme bien plus redoutable. Jamais ses hé­ros ne virent Ă  l’archĂ©type. Tous existent,souffrent, vibrent, empĂȘtrĂ©s dans leursdestins et leurs secrets.

On croise ici certains thĂšmes de prĂ©di­lection de l’auteur. Ainsi, en quittant sa vallĂ©e, Alma laisse son enfance derriĂšre elle, comme l’ont fait les inoubliables To­bie et Vango. Mais rencontrer Alma, c’est d’abord trembler Ă  ses cĂŽtĂ©s dans les ca­les sombres et puantes de la Douce­Amé­lie, c’est pleurer en Ă©coutant le chant desa mĂšre, c’est aussi accepter de se sentir

dĂ©sarmĂ© face Ă  l’absurditĂ© de la mons­truositĂ© humaine. C’est rencontrer une hĂ©roĂŻne libre et inoubliable. Et grandir Ă ses cĂŽtĂ©s. A tout Ăąge.

TimothĂ©e de Fombelle libĂšre les jeunes esclavesAvec « Alma. Le vent se lĂšve », l’auteur jeunesse ne fait pas que conjuguer aventure, fresque historique et rĂ©cit initiatique. Il aborde surtout la traite nĂ©griĂšre avec une justesse rare

Une illustration de François Place extraite d’« Alma ». GALLIMARD JEUNESSE

alma. le vent se lĂšve, de TimothĂ©e de Fombelle, illustrĂ© par François Place, Gallimard Jeunesse, 400 p., 18 €, numĂ©rique 13 €. DĂšs 11 ans.Signalons, du mĂȘme auteur, la parution de Le Jour oĂč je serai grande. Une histoire de Poucette, photographies de Marie Liesse, Gallimard Jeunesse, 32 p., 14,50 €. DĂšs 3 ans.

Si l’auteur s’est beaucoup documentĂ© afin d’écrire « Alma », le savoir qui transparaĂźt dans les pages estau service de la prĂ©cision et

que le lecteur s’ennuie

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Page 28: Le Monde - 12 06 2020

2 | Dossier Vendredi 12 juin 20200123

Spinoza : l’« Ethique » redĂ©couverte

Une nouvelle traduction du

maĂźtre ouvrage du philosophe

néerlandais paraßt, fondée sur

le manuscrit inédit retrouvé au Vatican

en 2010.Une histoire

rocambolesque, pour un texte qui

donne Ă  penser depuis quatre

siĂšcles

LES SPÉCIALISTES trouvent souvent insolite la mobilisa­tion de Spinoza par une pensĂ©e critique contemporaine qui, d’Althusser Ă  Toni Negri et Mi­chael Hardt – lesquels lui ont empruntĂ© le concept de « mul­titude », titre de leur best­seller paru en 2004 (La DĂ©couverte) –,l’érige en apĂŽtre de l’athĂ©isme ou de la rĂ©volution. Ils remar­quent que, ce faisant, ces Ă©loges reprennent, sur un mode positif, les reproches adressĂ©s autrefois Ă  Spinoza par ses contempteurs. « AthĂ©isme », « sĂ©dition », « gĂ©omĂ©trisme » : autant de jugements qui, affir­mait le philosophe AndrĂ© Pes­sel (Dans l’Ethique de Spinoza, Klincksieck, 2018), ont fini par faire « disparaĂźtre Spinoza sous le spinozisme ».

Spinoza serait­il « de gauche » ?Celui qui revendiquait la libertĂ© de philosopher pour les philoso­phes la voulait­il tant que cela pour le peuple ? L’Allemand Wolf­gang Bartuschat, qui a consacrĂ© de nombreux livres Ă  Spinoza, trouve partiales ces lectures poli­tisĂ©es. Elles font fi « de la mĂ©ta­physique comme de la mĂ©thode du philosophe », explique­t­il au « Monde des livres ». Jusqu’au milieu du XIXe siĂšcle, l’Allema­gne a Ă©tĂ© la premiĂšre terre d’élec­tion du spinozisme, inspirant notamment Leibniz, Mendels­sohn, le romantisme, l’idĂ©alisme, puis Marx comme Nietzsche. AprĂšs quoi, son empreinte s’ef­face. MĂȘme l’école de Francfort, cette influente thĂ©orie impré­gnĂ©e de marxisme et de sociolo­gie, l’a plutĂŽt nĂ©gligĂ© jusqu’à il y

a peu, avec Martin Saar, proche des idées foucaldiennes.

Le creuset françaisDans le monde anglo­saxon,

Spinoza, longtemps considĂ©rĂ© comme un mĂ©taphysicien extra­vagant, bĂ©nĂ©ficie depuis les an­nĂ©es 1990 d’un retour en grĂące (lire l’entretien page suivante), comme en tĂ©moignent les tra­vaux de Steven Nadler (Spinoza, Bayard, 2003), Richard Popkin (Histoire du scepticisme. De la fin du Moyen Age Ă  l’aube du XIXe siĂšcle, Agone, 2019) ou Jona­than Israel, auteur des LumiĂšres radicales. La philosophie, Spinoza et la naissance de la modernitĂ© (Amsterdam, 2005).

La France, elle, constitue un foyer des Ă©tudes spinoziennes grĂące aux magistrales lectures et

traductions de l’Ethique par Mar­tial GuĂ©roult (Spinoza, Aubier­Montaigne, 1968, 1974), Pierre­François Moreau, Bernard Pautrat, Gilles Deleuze (Spinoza et le problĂšme de l’expression, Mi­nuit, 1969) et tant d’autres. Au sein de ce creuset s’est opĂ©rĂ© l’al­liage entre le marxisme et Spi­noza. Il fut initiĂ© par le philoso­phe communiste Jean­Toussaint Desanti (dans son Introduction Ă  l’histoire de la philosophie, Edi­tions de La Nouvelle Critique, 1956) puis repris par Louis Althusser et ses disciples, en particulier Etienne Balibar et Jacques RanciĂšre.

Charles Ramond, de l’univer­sitĂ© Paris­VIII, auteur de QualitĂ© et quantitĂ© dans la philosophie de Spinoza (PUF, 1995), s’étonne de cette mĂ©tamorphose de l’auteur

du TraitĂ© politique en subversif, quasi­prĂ©curseur de l’altermon­dialisme et libre­penseur. « C’est exactement le contraire, dit­il au “Monde des livres”. Spinoza sou­tient que le message unique et constant des Ecritures, de tous les prophĂštes de l’Ancien Testament comme du Christ, est parfaite­ment clair : “Les ignorants seront sauvĂ©s par l’obĂ©issance.” »

UltramodernitĂ©Si le spinozisme s’impose

comme la philosophie de l’ultra­modernitĂ©, selon lui, c’est sur­tout par sa volontĂ©, hĂ©ritĂ©e de Descartes, de rĂ©duire le rĂ©el Ă  la quantitĂ© et Ă  l’ordre gĂ©omĂ©tri­que. Spinoza professerait un « conservatisme paradoxal ». Conservateur, il l’est parce que, pour lui, « ce qui est rationnel

dure, et que son but est de construire des systĂšmes politi­ques si solides et durables que rien ne puisse les renverser ». Maisil est aussi dĂ©mocrate car, « bien loin d’appuyer la politique sur des “valeurs”, il ne l’appuie que sur des “comptes”, et par excellence sur les comptes dĂ©mocratiques ».

Pierre­François Moreau, quantĂ  lui, se souvient, amusĂ©, d’un dĂ©bat tĂ©lĂ©visĂ© de 1977 oĂč l’on mĂȘlait le spinozisme Ă  l’autoges­tion, chĂšre Ă  Michel Rocard et alors en vogue Ă  gauche. La mo­dernitĂ© dĂ©modera toujours plus vite ses notions que la « boĂźte Ă  outils » spinozienne, oĂč elle puise pour les penser. n. w.

Lire l’intĂ©gralitĂ© de l’entretien avec Charles Ramond sur Lemonde. fr/livres

analyse Spinoza est­il vraiment un précurseur de la gauche critique ?

nicolas weill

O n peut sans exagĂ©rer par­ler d’évĂ©nement, lorsquec’est en France que paraĂźtune Ă©dition de rĂ©fĂ©rencede l’Ethique, Ɠuvre ma­jeure de Benedictus de

Spinoza (1632­1677) Ă  laquelle le philoso­phe a consacrĂ© prĂšs de treize annĂ©es (de 1662 Ă  1676). Il la considĂ©rait comme l’exposition par excellence de sa pensĂ©e, mais dut renoncer Ă  la publier de son vivant. Dans sa correspondance, Spinoza parle des rumeurs rĂ©pandues par « cer­tains thĂ©ologiens » prĂ©tendant que son li­vre montrerait « que Dieu n’existait pas ». AprĂšs son dĂ©cĂšs, ses Ɠuvres complĂštes, dont l’Ethique, sont finalement publiĂ©es, en 1677, grĂące Ă  un groupe soudĂ© d’admi­rateurs et de disciples, en latin et en nĂ©er­landais, sous les titres respectifs d’Opera Posthuma et de De nagelate schriften.

Les manuscrits autographes ont dis­paru. Seules les variantes entre ces deux

sources ont depuis constituĂ© la base des Ă©ditions scientifiques de ses Ɠuvres.L’historien de la philosophie Pierre­Fran­çois Moreau, traducteur de la nouvelle version de l’Ethique (les NĂ©erlandais Fokke Akkerman et Piet Steenbakkers en ont Ă©tabli le texte latin), ne trouve Ă  cela rien d’étonnant. Depuis le XVIe siĂšcle, la destruction du manuscrit Ă©tait de mise aprĂšs publication.

133 feuillets copiés à la mainQuoique excellent latiniste, Spinoza

n’utilisait pas un latin exclusivement « classique ». Son cercle n’a pas manquĂ© d’intervenir dans son Ă©criture afin de la retoucher, Ă  l’occasion. Jusqu’à prĂ©sent, ilĂ©tait difficile, voire impossible, de loca­liser ces interventions et de jauger leurĂ©tendue, sinon par conjectures. Long­temps, l’édition de l’Ethique due Ă  l’éruditallemand Carl Gebhardt (Opera, 1925) a fait foi, qui recourait Ă  cet expĂ©dient. Or, en 2010, l’historien nĂ©erlandais LeenSpruit, aidĂ© par l’Italienne Pina Totaro,dĂ©couvre 133 feuillets copiĂ©s Ă  la main, non reliĂ©s et sans nom d’auteur, dĂ©posĂ©sĂ  la BibliothĂšque apostolique vaticane(Rome). On s’aperçoit qu’ils contiennent le texte de l’Ethique. La trouvaille vachanger la donne et rĂ©inscrire l’histoirede ce monument philosophique dans les romanesques circuits de l’Europe savante du Grand SiĂšcle, Ă  la veille des LumiĂšres.

Le protagoniste en est, cette fois, unAllemand luthĂ©rien, Ehren­fried Walther von Tschirn­haus (1651­1708), futur ma­thĂ©maticien et physicien. Il parcourt le continent enquĂȘte de savoir et rĂ©side aux Pays­Bas de 1669 Ă  1675. Ce jeune baron bombarde Spi­noza de lettres et de deman­des d’éclaircissements. A laveille de son dĂ©part d’Amster­dam, en mai 1675, Tschirn­haus sait que l’Ethique est en passe d’ĂȘtre publiĂ© mais ne peut attendre. Un ami du phi­losophe, Pieter van Gent, eneffectue promptement une copie Ă  son intention, supervisĂ©e par le philosophe. Elle a la forme d’un manus­crit de travail de la taille de nos actuelslivres de poche. Tschirnhaus, qui croise Leibniz Ă  Paris, sollicite de Spinoza, par lettre, la permission de lui montrer cette copie. Spinoza, mĂ©fiant, refuse.

A Rome, en 1677, Tschirnhaus fait la

connaissance d’un Danois, protestantconverti au catholicisme. Niels Steensen,Ă©galement connu sous le nom de NicolasStĂ©non (1638­1686), a Ă©tĂ© un anatomiste de renom, qui avait lui­mĂȘme frĂ©quentĂ© Spinoza bien plus tĂŽt que Tschirnhaus, Ă  l’universitĂ© de Leyde (Pays­Bas). Ses dis­sections ont prouvĂ© l’inexistence de la fameuse « glande pinĂ©ale » par laquelleDescartes croyait pouvoir articuler l’ñmeau cerveau – thĂšme Ă©voquĂ© dans la cin­quiĂšme partie de l’Ethique. Mais StĂ©non a dĂ©laissĂ© la science pour la thĂ©ologie.

Il tente avec l’ardeur du nĂ©ophyte, quoi­que en vain, de convaincre l’aristocrateluthĂ©rien du nĂ©cessaire retour au gironde l’Eglise romaine. Dans ces circonstan­ces, il reçoit ou subtilise le manuscrit anonyme possĂ©dĂ© par Tschirnhaus, qui ypuise son contre­argumentaire. StĂ©non reconnaĂźt aussitĂŽt la patte spinozienne et, en fidĂšle prosĂ©lyte, le livre Ă  l’Inqui­sition, laquelle s’empresse de mettre l’ouvrage Ă  l’Index. La dĂ©nonciation auSaint­Office et l’explication qui l’accom­pagne ont Ă©tĂ© tout rĂ©cemment prĂ©sen­tĂ©es et traduites par StĂ©phane Ferret dans la revue Philosophie (n° 145,mars 2020, Minuit, 160 p., 13 €).

« Ecarts lexicaux »Quel type de modification entraßne ce

matĂ©riau d’époque ? Tout d’abord le repé­rage d’une soixantaine d’« Ă©carts lexi­caux » entre les sources latines, dĂ©sor­mais au nombre de deux. Pour Pierre­

François Moreau, grĂące Ă  cemanuscrit, on peut voir le« dernier Spinoza » (de 1675 Ă 1677) devenir plus incisif. Ilpermet aussi de rectifier descorrections introduites parles Ă©diteurs des Opera pos­thuma. Ainsi Spinoza avait­ilĂ©crit en 1675 (Ethique IV, cha­pitre V de l’Appendice) qu’ilĂ©tait impossible, sans intelli­gence, de mener « vie digned’ĂȘtre vĂ©cue » (vita vitalis). LesĂ©diteurs de 1677, gĂȘnĂ©s par laredondance, l’avaient corrigĂ©en « vie rationnelle » (vitarationalis).

AbandonnĂ© dans les coursives duSaint­Office, le « manuscrit du Vatican » a surgi, en 2010, alors que l’entreprise d’édition et de traduction de Pierre­Fran­çois Moreau et Piet Steenbakkers Ă©tait dĂ©jĂ  en cours, retardant leur travail d’une dizaine d’annĂ©es. MĂȘme si la ver­sion des Opera posthuma reste fiable Ă 

leurs yeux, une confrontation avec le « manuscrit du Vatican » s’est imposĂ©e,tant il est vrai qu’on n’avait jamais dis­posĂ© jusque­lĂ  d’un texte aussi proche des volontĂ©s de Spinoza. Du patient

Ɠuvres iv. ethica. Ă©thique, de Spinoza, texte Ă©tabli par Fokke Akkerman et Piet Steenbakkers, traduit du latin par Pierre­François Moreau, Ă©ditĂ© par Pierre­François Moreau et Piet Steenbakkers, Ă©dition bilingue, PUF, « EpimĂ©thĂ©e », 696 p., 32 €.

labeur de comparaison entre les troissources à présent disponibles naßt la pré­cieuse édition que nous avons enfin en­tre les mains, définitive, au moins pour quelques décennies.

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Page 29: Le Monde - 12 06 2020

0123Vendredi 12 juin 2020 Dossier | 3

Quatre portraits de Spinoza, quatre Ɠuvres d’imagination : il n’existerait pas de portrait sur le vif du philosophe. De gauche Ă  droite et de haut en bas : gravure colorisĂ©e, non datĂ©e ; gravure extraite d’« Icones virorum », de Friedrich Roth­Scholtz, 1725 ; gravure sur bois du XIXe siĂšcle, colorisĂ©e ; peinture de Francisco Fonollosa, XXIe siĂšcle.RUE DES ARCHIVES/TALLANDIER. WORLD HISTORY ARCHIVE/ABACA. AKG-IMAGES. PRISMAARCHIVO/LEEMAGE

« Le grand profanateur de la “tradition sacrĂ©e” humaniste »L’universitaire amĂ©ricain Yitzhak Melamed, spĂ©cialiste de Spinoza, Ă©voque la modernitĂ© et l’importance renouvelĂ©e de sa philosophie

Quelle est la place de Spinoza dans la pensée américaine contemporaine et dans le monde anglo­saxon en général ?

L’hostilitĂ© de la philosophieanalytique anglo­amĂ©ricaine Ă  lamĂ©taphysique a Ă©tĂ© dominante. Mais les choses ont changĂ© du tout au tout depuis vingt outrente ans. Spinoza reprĂ©sentantle mĂ©taphysicien de la moder­nitĂ© par excellence, il n’est pas surprenant que la rĂ©cente re­montĂ©e en puissance de la mĂ©ta­physique comme discipline phi­losophique centrale se traduise par un intĂ©rĂȘt exponentiel pour Spinoza.

Actuellement, Spinoza mobiliseĂ©normĂ©ment les historiens de la philosophie comme les philoso­phes (en mĂ©taphysique et, dans une certaine mesure, en Ă©pisté­mologie, Ă©thique et thĂ©orie politi­que). Le naturalisme de Spinoza jouit d’une grande faveur dans le discours philosophique actuel en AmĂ©rique du Nord. Mais le tempsde la dĂ©couverte de sa critique de l’humanisme et de son sens de­meure Ă  venir.

Quelle influence la dĂ©couverte, en 2010, Ă  la BibliothĂšque vaticane, d’une copie manuscrite de l’« Ethique » aura­t­elle sur la rĂ©ception de Spinoza et sur votre lecture en particulier ?

Je pense qu’il est encore troptĂŽt pour le dire. Les diffĂ©rences entre le manuscrit du Vatican et les Opera posthuma [la premiĂšreĂ©dition de 1677, l’annĂ©e mĂȘme dela mort de Spinoza] semblentassez minimes. Cela dit, il y a encore bon nombre de notionscentrales chez Spinoza dontnous n’avons simplement qu’une idĂ©e. D’infimes varia­tions dans le manuscrit du Vati­can pourraient se rĂ©vĂ©ler fort uti­les pour comprendre commentl’Ethique s’est constituĂ©e.

propos recueillis par n. w.

Lire l’intĂ©gralitĂ© de cet entretien sur Lemonde. fr/livres

Cinq ruptures et une fidĂ©litĂ©Ce que contient l’« Ethique » et qui en fait un des livres indĂ©passables de la philosophie occidentale

roger­pol droit

P ourquoi, depuis 1677, l’Ethiquede Spinoza n’a­t­elle cessĂ© d’ĂȘtrelue, scrutĂ©e, commentĂ©e, de gé­nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, par des

lecteurs trĂšs dissemblables ? Qu’a doncd’inĂ©puisable cet Ă©trange livre­univers,organisĂ© comme un traitĂ© de gĂ©omĂ©trie qui veut Ă©lucider nos passions et notresalut en ce monde ? RĂ©pondre en dĂ©tail occuperait quelques volumes. En sché­matisant Ă  l’extrĂȘme, cinq points peu­vent indiquer des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse.

La rupture premiĂšre tient en trois motsde latin : Deus sive Natura. Le terme cen­tral, sive, brise avec des siĂšcles de mĂ©ta­physique et de thĂ©ologie. Dieu « ou bien, si tu prĂ©fĂšres », la Nature. Dieu, « c’est­à­dire » la Nature. Pas de diffĂ©rence, l’un et l’autre s’équivalent. Dieu n’est donc plus

pur esprit, sĂ©parĂ© du monde. Il est l’uni­vers, dont nous sommes une partie, et toute chose est en lui. Cause de soi, il est sans autre. Au revoir Platon, le Penta­teuque, toutes les pensĂ©es de la sĂ©para­tion absolue.

AthĂ©isme ? Oui, en un sens, si l’on com­pare la doctrine aux anciennes transcen­dances. Mais rien n’est si simple. Carcette Ă©quivalence proclamĂ©e possĂšde une autre face : la Nature est presque di­vinisĂ©e, puisque la rĂ©alitĂ© physique toutentiĂšre, y compris nos corps et nos pen­sĂ©es, Ă©quivaut dĂ©sormais Ă  la substance unique et infinie.

Une deuxiĂšme rupture s’ensuit, pasmoins bouleversante : Dieu­la Nature se trouve dĂ©pourvu de volontĂ© libre, et nous Ă©galement. Chaque Ă©vĂ©nement dé­coule nĂ©cessairement des propriĂ©tĂ©s intrinsĂšques de la substance infinie, comme les propriĂ©tĂ©s gĂ©omĂ©triques dutriangle dĂ©coulent de sa nature propre. Personne n’est Ă  l’origine de ses propres actes, pas plus Dieu que le petit dĂ©lin­quant, ou le grand hĂ©ros. Si les hommes

se croient libres, c’est qu’ils ne savent pasce qui les dĂ©termine. Par ignorance, ils s’attribuent un pouvoir de dĂ©cider, pure illusion, et forgent la chimĂšre d’une « vo­lontĂ© » de Dieu.

Faut­il en conséquence dire adieu àtout jugement moral, à toute action de

justice ? Pas complĂštement. Une rupture no 3 sauve les tribunaux, l’ordre public,les chĂątiments, alors mĂȘme que les fon­dements anciens de la morale se trou­vent ruinĂ©s. BlĂąmer le criminel est vain, puisqu’il n’est pas responsable de son

crime, si le libre arbitre est un fantĂŽme. Mais on peut l’emprisonner pour l’em­pĂȘcher de nuire. Personne ne considĂšre l’orage comme librement responsable de la grĂȘle, malgrĂ© tout on protĂšge les rĂ©coltes. Les dĂ©sirs des criminels sont nuisibles, mĂȘme s’ils n’en sont pas

responsables.Car le désir mÚne toutes les

affaires humaines. Ce dĂ©sir– nouvelle rupture avec latradition – est une plĂ©nitudeet non un manque, unepositivitĂ© et non la marqued’une privation. Ce qui im­plique un renversement ca­pital : un homme ne dĂ©sirepas une femme parce qu’elleest belle, il la trouve belleparce qu’il la dĂ©sire. Nos

Ă©lans, nos jugements ne sont pas façon­nĂ©s du dehors, ils Ă©manent du dedans. Est­ce Ă  dire que nous sommes enchaß­nĂ©s Ă  jamais Ă  nos travers, que nos actes sont conditionnĂ©s et mĂ©caniques ? Pas du tout. L’Ethique explique comment

la joie, la bĂ©atitude, l’éternitĂ©, le salut sont possibles


Par quelle voie ? La connaissance descauses qui nous dĂ©terminent. Ce savoir rend libre, mais en un sens neuf, aux antipodes de l’arbitraire et du caprice.Rupture ultime avec la rĂ©vĂ©lation et les peurs. Par la raison et la connaissancedes causes, le sage­savant se dĂ©fait des illusions, vains espoirs, rancƓurs absur­des, passions tristes. Il comprend que la rĂ©alitĂ© est perfection : rien n’y man­que. Alors ses pensĂ©es, donc sa vie, parti­cipent de l’éternitĂ©.

L’incomparable prouesse de Spinoza,dans l’Ethique, est d’avoir conjuguĂ© ces mutations radicales en quelques dizai­nes de pages. VoilĂ  pourquoi on ne cesse de le lire et de l’interprĂ©ter. Son paradoxeultime est sa fidĂ©litĂ© Ă  l’idĂ©al antique d’une vie philosophique placĂ©e sous le contrĂŽle absolu de la raison. Il ne rompt pas avec ce rĂȘve, et le porte au contraireĂ  son paroxysme. Pour quitter cethorizon, il faut attendre Schopenhauer,Freud, et plus encore Nietzsche.

Sommes­nous enchaĂźnĂ©s Ă  jamais Ă  nos travers, nos actes sont­ils conditionnĂ©s et mĂ©caniques ? Pas du tout. L’« Ethique » explique comment la joie, la bĂ©atitude, l’éternitĂ©, le salut sont possibles


E N T R E T I E N

É C L A I R A G E

P rofesseur de philosophieĂ  l’universitĂ© Johns­Hop­kins (Baltimore), YitzhakMelamed, nĂ© en 1968 en

IsraĂ«l, s’est imposĂ© comme un des spĂ©cialistes majeurs de la phi­losophie de Spinoza. Son travail tĂ©moigne du renouveau des Ă©tu­des spinoziennes et de la popula­ritĂ© retrouvĂ©e de la mĂ©taphysiqueoutre­Atlantique. Il est notam­ment l’auteur de Spinoza’s Meta­physics. Substance and Thought(« La mĂ©taphysique de Spinoza. Substance et pensĂ©e », 2013, non traduit) et prĂ©pare un ouvragesur l’importance de Spinoza pourl’idĂ©alisme allemand (Fichte, Hegel, Schelling).

Poursuivant un geste inaugurĂ© en France par des penseurs marxistes d’aprĂšs­guerre comme Jean­Toussaint De­santi, Louis Althusser et ses disciples – notamment Etienne Balibar –, Spinoza est devenu une sorte d’emblĂšme de la radicalitĂ©. Pensez­vous que cette lecture de Spinoza en tantqu’apĂŽtre de la modernitĂ© soit cohĂ©rente avec l’Ɠuvre ?

Absolument. L’antihumanismequ’Althusser a vu en Spinoza s’ytrouve effectivement (bien quecela nĂ©cessite de savoir prĂ©cisé­ment ce que nous entendons par « antihumanisme »). Althusser n’a cependant, Ă  mon avis, pasassez pris la mesure de la profon­deur et de l’audace que recĂšle l’antihumanisme de Spinoza, surtout Ă  cause de sa surditĂ© Ă la dimension profondĂ©ment

religieuse de ce philosophe. Par« humanisme », j’entends, moi,une conception qui met l’accent sur la centralitĂ© ou, si vous prĂ©fé­rez, le rĂŽle constitutif de la pers­pective humaine. Cette idĂ©e quele point de vue humain serait lamesure de toute chose a eu sesdĂ©fenseurs dans la philosophie ancienne et moderne.

Pour moi, Spinoza est le grandprofanateur de cette « traditionsacrĂ©e ». Quelques antihumanis­tes (Hume, par exemple) dĂ©fient l’humanisme en dĂ©niant le carac­tĂšre unique de l’ĂȘtre humain parrapport au reste de la nature.D’autres insistent sur la margina­litĂ© de l’homme par rapport au divin. Spinoza semble attaquerl’humanisme sur deux fronts Ă la fois. Chez lui, le naturalisme comme l’infinitĂ© de Dieu ravalentl’homme Ă  une place plutĂŽt mo­deste. J’ai beaucoup de sympathiepour Marx, mais une certaine lecture marxiste de Spinoza de­meure insensible Ă  sa pensĂ©e reli­gieuse et, pour cette raison, perdbeaucoup du potentiel icono­claste de son antihumanisme.

Dans « Spinoza’s Metaphysics », vous affirmez que le philoso­phe a dĂ©sormais remplacĂ© Kant ou Hegel en tant que « bous­sole de la modernitĂ© ». En quoi ? Est­ce parce que, selon vous, il s’agit d’un penseur qui prend la religion au sĂ©rieux ?

Tout Ă  fait. La religion ne va pasdisparaĂźtre. On peut certes rem­placer les religions tradition­nelles par une religion sĂ©culiĂšreinventĂ©e par la modernitĂ© : le na­tionalisme, le culte de l’art, certai­nes variantes du marxisme, etc. Mais le type de religiositĂ© que le spinozisme propose combine la profondeur de la tradition et l’ab­sence de superficialitĂ©, tout en Ă©tant la plus libĂ©rĂ©e des illusions anthropocentriques et anthropo­morphiques. C’est dĂ©jĂ  beaucoup.Bien sĂ»r, certains peuvent conti­nuer Ă  ajouter foi Ă  des faribolescomme l’homo noumenon kan­tien [l’homme considĂ©rĂ© comme une fin en soi et « au­dessus de tout prix »]


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0123Vendredi 12 juin 2020 Critiques | Littérature | 5

Le jour et la nuit Ă  New YorkA la fin des annĂ©es 1960, Jonathan Rosen Ă©tudie la littĂ©ra­ture Ă  New York tout en se rĂȘvant Ă©crivain. Entre universitĂ©et petits boulots, il suit les jolies filles dans la rue avec sonappareil photo. Un jour, il fait la connaissance d’un dandyquinquagĂ©naire, Josef Eisenstein, qui, en quelques mots,sĂ©duit la jeune femme que Jonathan n’osait pas aborder. EtvoilĂ  que Rosen se retrouve dans l’atelier d’artiste d’Eisens­tein en train de faire l’amour pour la premiĂšre fois. Eisens­tein lui apprend comment s’y prendre en matiĂšre de sĂ©duc­tion et, peu Ă  peu, Jonathan tombe sous sa coupe, tout enne pouvant se dĂ©faire cependant de l’idĂ©e qu’Eisenstein,bibliophile aussi fascinant qu’inquiĂ©tant, cache un secret.

Quand il apparaĂźt qu’un serial killer, « l’Ecor­cheur », sĂ©vit dans la ville, Rosen refoule sessoupçons jusqu’à ce que, vingt ans plus tard, lepassĂ© le rattrape de la maniĂšre la plus inatten­due. Le lecteur se laisse prendre et surprendrepar cet opulent premier roman sur les forces dudestin, Ă  mi­chemin entre thriller et rĂ©citd’éducation. pierre deshusses Dans la peau (Unter der Haut), de Gunnar Kaiser,traduit de l’allemand par Yasmin Hoffman, Fayard, 510 p., 24 €, numĂ©rique 17 €.

Routard d’un Ă©tĂ© lointainSubrepticement, les annĂ©es 1970, avec leur lot de vĂ©cupersonnel et passionnel, sont devenues « de l’Histoire ».Une distanciation qui profite Ă  l’analyse, mais qui dĂ©sin­carne son objet. Entre les deux, le roman d’Einar MarGudmundsson (nĂ© en 1954), son deuxiĂšme traduit en fran­çais aprĂšs Les Rois d’Islande (Zulma, 2018), tente une syn­thĂšse : profiter de la distance temporelle pour mieux cernerla pĂ©riode, recrĂ©er l’ambiance en puisant dans ses propressouvenirs de jeunesse. En rĂ©sulte une narration capricieuseet fĂ©brile, une sorte de recherche du temps perdu doublĂ©ed’une quĂȘte de l’espace perdu : AthĂšnes, Rome, Paris
 Et laNorvĂšge, oĂč le narrateur s’était rendu le temps d’un Ă©tĂ©,sans but prĂ©cis, si ce n’est de « devenir Ă©crivain ». A prĂ©sent,il y revient en pensĂ©e, au grĂ© de rencontres fortuites avecses amis d’antan. Il revit sa jeunesse, avec l’omniscience decelui qui, commençant une histoire, en connaĂźt dĂ©jĂ  la fin.

Un Ă©tĂ© norvĂ©gien est l’instantanĂ©, tout en mou­vement, d’une gĂ©nĂ©ration en quĂȘte d’action,proie facile d’égarements idĂ©ologiques, crĂ©duleet irresponsable, dĂ©sarmante dans sa bonne foi.EmportĂ© par ce tourbillon, le lecteur respire Ă pleins poumons l’air d’une Ă©poque qu’il n’apeut­ĂȘtre pas connue.

elena balzamo Un Ă©tĂ© norvĂ©gien (Passmyndir), d’Einar Mar Gudmundsson, traduit de l’islandais par Eric Boury, Zulma, 336 p., 21 €.

L’hĂ©roĂŻne du singulier « Eau douce », du NigĂ©rian Akwaeke Emezi, se cherche. Les esprits qui narrent son histoire ne l’aident guĂšre

Quels démons piquent Ada

gladys marivat

I ls s’appellent FumĂ©e et Ombre, Asu­ghara ou Saint Vincent. Ce sont desesprits qui, selon la cosmogonie del’ethnie igbo, au Nigeria, forment la

personnalitĂ© et l’avenir des enfants, dansle ventre de la mĂšre. La tradition veut qu’ils s’effacent aprĂšs la naissance. Mais quelque chose a vrillĂ© pour Ada. Ils sontrestĂ©s dans son corps et sa tĂȘte. « Il Ă©tait clair qu’elle allait devenir folle », affirmentces esprits. La suite leur donnera raison. BĂ©bĂ© Ă©trange qui ne marche pas, mais« rampe comme un serpent » et hurle trĂšs fort, Ada traverse une enfance brisĂ©e, en­tre une mĂšre dĂ©pressive partie travailler Ă  l’étranger et un pĂšre mĂ©decin dĂ©vorĂ© par l’échec de sa carriĂšre. TrĂšs vite, elle se mutile, encouragĂ©e par les multiples voix qui lui dictent ses actes.

Les esprits sont les narrateurs d’Eaudouce, premier roman trĂšs remarquĂ© auxEtats­Unis Ă  sa parution, en 2018. Son auteur, Akwaeke Emezi, nĂ© au Nigeriaen 1987 d’un pĂšre nigĂ©rian et d’une mĂšre malaisienne, se dĂ©finit comme noir,trans et non binaire, et se vit comme Ă©tant plusieurs. Dans Eau douce, qui tire une part de sa puissance et de sa singula­ritĂ© de sa biographie, Akwaeke Emezi fait le choix de mettre de cĂŽtĂ© la vision occi­dentale de la sexualitĂ© et des troubles de la personnalitĂ© au profit du regard ances­tral igbo. Un peu Ă  la maniĂšre de son compatriote Chigozie Obioma dans La PriĂšre des oiseaux (Buchet­Chastel, 2020, lire « Le Monde des livres » du 3 janvier), oĂčun esprit narrateur igbo sonde le carac­tĂšre aliĂ©nant d’une histoire d’amour.

Loin du continent africainEt si les esprits qui habitent Ada

n’étaient pas une manifestation de sa folie, mais des recours qui l’aident Ă  s’ac­cepter ? C’est l’une des questions stimu­lantes que pose Akwaeke Emezi dans ce roman d’apprentissage hors norme. A16 ans, l’hĂ©roĂŻne paraĂźt reprendre le contrĂŽle de sa vie. Elle part Ă©tudier aux Etats­Unis. Loin du continent africain, lespuissances igbo enragent, leur pouvoir s’amenuise. La transplantation d’Ada en Virginie agit pareillement sur le genre duroman, qui, dans sa deuxiĂšme partie, joue avec les codes du campus novel et duroman de l’acculturation. Le passagemontrant Ada se faisant lisser les

cheveux « jusqu’à ce qu’ils soient dĂ©finis etraides comme des baguettes » fait assuré­ment Ă©cho Ă  la scĂšne du salon afro­amé­ricain dans Americanah, le roman phé­nomĂšne de Chimamanda Ngozi Adichie(Gallimard, 2015). Plus loin, lorsque Adas’étonne que la fille qui tient le fer Ă  lisserchante en chƓur les publicitĂ©s qui pas­sent Ă  la tĂ©lĂ©, cette derniĂšre lui rĂ©pond : « Ne t’en fais pas (
). Quand tu auraspassĂ© un moment ici, toi aussi tu chante­ras tous les jingles. »

Akwaeke Emezi distille quelque chosed’inquiĂ©tant, de lĂ©gĂšrement Ă©trange qui vient dĂ©construire l’univers d’innocence heureuse et aseptisĂ©e des universitĂ©s amĂ©ricaines, d’une maniĂšre qui n’est pas sans rappeler La Couronne verte et Les Re­venants, de Laura Kasischke (Christian Bourgois, 2008 et 2011). Ada change, « en­dossant le rĂŽle d’une fille normale Ă  la fac ».Des deux expĂ©riences qu’elle aura avec leshommes, l’une se soldera par un viol, l’autre par une relation toxique, loin des images cauteleuses des bals de promo.

C’est en accouchant d’un esprit quel’hĂ©roĂŻne parviendra Ă  surmonter son traumatisme. Asughara est un « og­banje », une crĂ©ature de Dieu qui exerce ses pouvoirs sur les mortels, et nuit pour le plaisir. « J’étais la fureur sous sa peau, la

peau faite arme, l’arme brandie sur la chair. J’étais lĂ . Plus personne ne la tou­cherait jamais », prĂ©vient­il.

Excùs de fantasmagorieSous son emprise, Ada change d’appa­

rence, devenant une mangeuse d’hom­mes sans scrupule. La derniĂšre partie du rĂ©cit bascule dans une grande noirceur, Ă©touffante, au risque de nous perdre par excĂšs de fantasmagorie. Toutefois, il est impossible d’abandonner Ada qui, par ses blessures, son indĂ©cision et ses vai­nes tentatives, Ă©voque une hĂ©roĂŻne de roman de formation classique – on penseĂ  Judith Earle dans PoussiĂšre, de Rosa­mond Lehmann (Plon, 1929). Ou Ă  ces personnages aux vies spirituelles inten­ses que la littĂ©rature gothique dĂ©peintcomme folles. « Le monde dans ma tĂȘte a toujours Ă©tĂ© bien plus rĂ©el que celui du de­hors », conclut Ada dans une de ses rares et lucides interventions.

Rituel nocturne prĂšs de Benin City, au Nigeria, en 1982. PETER MARLOW/MAGNUM PHOTOS

eau douce (Freshwater), d’Akwaeke Emezi, traduit de l’anglais (Nigeria) par Marguerite Capelle, Gallimard, « Du monde entier », 256 p., 20,50 €, numĂ©rique 15 €.

Le charme un peu passĂ© d’Elena FerrantePortraits de femmes ciselĂ©s et Naples en toile de fond. Le talent est lĂ , guĂšre la surprise

florence noiville

F rantumaglia. C’est ainsique la mystĂ©rieuse Ă©cri­vaine italienne ElenaFerrante avait intitulĂ© sa

rĂ©flexion sur la crĂ©ation roma­nesque : un texte subtil et pleind’élan, sous­titrĂ© L’écriture et ma vie (Gallimard, 2019), oĂč elle revenait notamment sur les grandes figures littĂ©raires fĂ©mi­nines qu’elle affectionne, VirginiaWoolf, Anna Maria Ortese, Elsa Morante
 Dans le dialecte napo­litain jadis utilisĂ© par sa mĂšre, ce terme Ă©trange dĂ©signe « des mor­ceaux qui font du bruit dans latĂȘte et vous mettent mal Ă  l’aise ».

Ce mal­ĂȘtre « frantuma­gliesque », indistinct et diffus,Ferrante nous en livre un bel Ă©chantillon dans son nouveau ro­man, La Vie mensongĂšre des adul­tes. DĂšs l’incipit, il est lĂ  qui trou­ble et paralyse Giovanna, la jeune narratrice. « En rĂ©alitĂ©, je ne suis

rien, rien qui soit vraiment Ă  moi, rien qui ait vraiment commencĂ© ou vraiment abouti : je ne suisqu’un Ă©cheveau emmĂȘlĂ© dont per­sonne ne sait, pas mĂȘme celle quiĂ©crit en ce moment, s’il contient le juste fil d’un rĂ©cit, ou si tout n’estque douleur confuse, sans ré­demption possible. »

Dans la tĂȘte de Giovanna,12 ans, ces « morceaux » com­mencent Ă  s’entrechoquer le jouroĂč elle intercepte une conversa­tion qu’elle n’aurait pas dĂ» enten­dre, et au cours de laquelle sonpĂšre, discutant Ă  mi­voix avec sa mĂšre, assĂšne tout de go que Gio­vanna est laide. Pas Ă  cause de l’adolescence ou de quelque in­gratitude passagĂšre, mais parcequ’elle est, dit­il, en train de pren­dre les traits de sa sƓur, Vittoria.Or, d’aussi loin que Giovanna sesouvienne, cette tante, Zia Vitto­ria, « alliance parfaite de la lai­deur et du Mal », a toujours pro­voquĂ© chez ses parents le dĂ©goĂ»t et la peur. Pourquoi ? La jeune fille l’ignore, mais, aprĂšs un mo­ment de dĂ©sespoir, elle se per­suade que son seul salut estd’aller voir Ă  quoi ressemble

rĂ©ellement cette Zia Vittoria dontla photo a disparu dans les al­bums de famille et qu’elle n’a pas vue depuis longtemps.

Regard sur le mondeAprùs L’Amour harcelant, Les

Jours de mon abandon ou la cĂ©lÚ­bre tĂ©tralogie de L’Amie prodi­gieuse (tous chez Gallimard, 1995, 2004, et 2014­2018), La Vie men­songĂšre des adultes est le hui­tiĂšme roman traduit d’Elena Ferrante. On y trouve, comme toujours chez cette talentueuse dentelliĂšre, des portraits fĂ©mi­nins dĂ©coupĂ©s et ciselĂ©s – celui deGiovanna et de ses deux amies, mais aussi et surtout celui de cette tante, qui jure comme uncharretier en n’épargnant per­sonne, mais dont le charme agit immĂ©diatement sur sa niĂšce.

Au point que Vittoria devientbientĂŽt indispensable pour des­siller son regard sur le monde, lestrahisons des adultes, les hypo­crisies de ses parents et les se­crets de sa famille. (« Vittoria di­sait que j’avais des ƓillĂšres,comme les chevaux, je regardaismais ne voyais pas (
). Regarde,

regarde, regarde, martelait­elle. »)Comme toujours aussi chez

Elena Ferrante, Naples est lĂ , enarriĂšre­fond dĂ©crĂ©pit et sublime, avec ses murs bleus ou jaunĂątres et ses chiens hurlant derriĂšre laCinquecento de Zia Vittoria, dansles ruelles lĂ©preuses de la ville.Cela suffit­il Ă  Ferrante pour trou­ver et tirer « le juste fil d’un rĂ©cit » ?En dĂ©pit de ces ingrĂ©dients fami­liers, quelque chose ne « prend » pas dans ce roman d’initiationpourtant lancĂ© Ă  grand renfort demarketing, en novembre 2019, par l’éditeur romain e/o et dĂ©jĂ  achetĂ© par Netflix. On ne s’atta­che ni ne s’émeut rĂ©ellement. Et l’on reste finalement Ă  la porte, oscillant entre le doute, le regret et la frantumaglia.

la vie mensongĂšre des adultes(La vita bugiarda degli adulti),d’Elena Ferrante,traduit de l’italien par Elsa Damien, Gallimard, « Du monde entier », 416 p., 22 €, numĂ©rique 16 €.Signalons, de la mĂȘme autrice, la parution en poche de L’Amour harcelant, traduit par Jean­NoĂ«l Schifano, 224 p., 7,50 €.

“C’est un recueil passionnant et joyeux. VoilĂ un livre qui m’a Ă©patĂ©.”

François Busnel,France 5 “La Grande Librairie”

“Une telle excursion offre relief et profondeur,confĂšre poĂ©sie autant qu’espiĂšglerie, sous laplume d’un Ă©rudit de premiĂšre.”

Antoine Perraud, La Croix

ALBERTO MANGUEL

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0123Vendredi 12 juin 2020 MĂ©lange des genres | 9

POÉSIE

Tout un monde de nuagesLe temps ne passe pas, il aide Ă  faire passer. Il y a dĂ©jĂ  bien desannĂ©es, Enza Palamara Ă©tait frappĂ©e d’un deuil trĂšs doulou­reux puis, comme s’il fallait qu’elle fĂ»t atteinte Ă  son tour, elleĂ©tait tombĂ©e gravement malade. La vocation de cette univer­sitaire sensible avait toujours consistĂ© Ă  recueillir les motsdes poĂštes. A cheminer avec eux Ă  la recherche de ces « passages secrets » entre poĂ©sie et peinture.Et voilĂ  qu’elle se retrouvait dans un terrible vide, sans possi­bilitĂ©, sans capacitĂ© de lire, les phrases empĂȘchĂ©es, enfermĂ©edans l’impouvoir. Sur des carnets, de sa main gauche, elleavait alors commencĂ© Ă  Ă©baucher des dessins dont, peu Ă  peu,elle Ă©tait parvenue Ă  recueillir l’essence. Ecrire, rĂ©Ă©crire, deve­nant ainsi une tentative de traduction. Elle poursuit cette

quĂȘte, commencĂ©e avec Rassembler les traitsĂ©pars (Orizons, 2008). Dans ce nouveau« cahier d’heures », elle est « Errante/ par lesnuages ». Au creux des images, dans l’em­brouillement des lignes, se rĂ©vĂšle un autre Ă©tatde conscience, d’appartenance au monde queles mots maintenant accompagnent. Et « Leschemins/ s’ouvrent/ lĂ©gers ». Ainsi passent lesnuages. xavier houssin Ce que dit le nuage, d’Enza Palamara, PoĂ©sis, 192 p., 19 €.

Magique marivaudage

B A N D E D E S S I N É E

Les violences racistes des années 1970 ? TrÚs sale ambiance, que Dominique Manotti rappelle crûment dans « Marseille 73 »

Au temps honni des ratonnades

abel mestre

C e sont des crimes racistesoubliés, voire occultés. DansMarseille 73, passionnant polar,Dominique Manotti revient sur

les agressions et les meurtres de Magh­rĂ©bins qui ont eu lieu dans le sud dela France au dĂ©but des annĂ©es 1970. En 1972, les circulaires Marcellin­Fonta­net imposent aux immigrĂ©s d’avoir un contrat de travail et un logement dĂ©cent pour pouvoir rester lĂ©galement sur le territoire français. Cette volontĂ© de rĂ©gu­ler l’immigration s’explique par la fin des« trente glorieuses » et la hausse du chέmage. C’est aussi le moment de la nais­sance du Front national. L’un des grou­puscules Ă  l’origine de ce parti, les nĂ©o­fascistes d’Ordre nouveau, lance Ă  cemoment­lĂ  une campagne contre « l’im­migration sauvage », avant d’ĂȘtre dissous Ă  l’étĂ© 1973.

Sur le pourtour mĂ©diterranĂ©en, lacolĂšre monte. Dix ans aprĂšs la guerred’AlgĂ©rie (1954­1962), la sociĂ©tĂ© mĂ©ri­dionale est encore fortement marquĂ©epar le conflit, avec, Ă  la fois, une forte population pied­noir et de nombreuxtravailleurs nord­africains. Du jour au lendemain, des milliers d’entre ces der­niers deviennent expulsables. En signede protestation, une manifestation est organisĂ©e Ă  Grasse, en juin 1973, par les travailleurs tunisiens. HervĂ© de Fontmi­chel, maire centriste de la ville, ne l’ac­cepte pas et fait intervenir les forces de l’ordre. Dans la soirĂ©e, des habitants se mettent Ă  « chasser » les immigrĂ©s. La « ratonnade de Grasse » commence.

Une affaire pour ThĂ©odore DaquinLoin d’ĂȘtre un incident isolĂ©, cette nuit

de violence dĂ©clenche une sĂ©rie d’atta­ques xĂ©nophobes dont l’épicentre se si­tue Ă  Marseille. En six mois, plus de cin­quante MaghrĂ©bins sont tuĂ©s, dont une vingtaine dans la citĂ© phocĂ©enne. C’est ledĂ©cor du roman de Manotti, qui s’inspirede cet Ă©pisode historique en mĂȘlant per­sonnages rĂ©els et hĂ©ros de fiction.

On retrouve dans Marseille 73 le per­sonnage fĂ©tiche de l’autrice, ThĂ©odore Daquin. Il vient de boucler une grosseaffaire (Or noir, Gallimard, 2015, premier volume de ces prĂ©quelles aux romans ayant rendu cĂ©lĂšbre le hĂ©ros de Manotti),mais goĂ»te peu aux plaisirs de la

CanebiĂšre. L’ambiance macho etsurtout la menace de voir sonhomosexualitĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e au grandjour le poussent au dĂ©part. Le ra­cisme, qui infuse partout, le dé­goĂ»te. « Daquin jette un dernierregard sur le Vieux­Port Ă  sespieds, l’eau glauque, immobile, les

quais dĂ©serts, pas un bruit, pas un mouve­ment, la vie est suspendue. La ville ne res­pire plus. (
) Elle attend, elle pue le sang. »

Il lui faudra rĂ©soudre une ultime en­quĂȘte. Un jeune d’origine algĂ©rienne a Ă©tĂ© tuĂ© en pleine rue, quelques heuresaprĂšs l’enterrement d’un traminot Ă©gorgĂ© par un dĂ©sĂ©quilibrĂ© arabe. La justice et la police veulent Ă©touffer

l’affaire. Pas Daquin ni ses hommes, qui devront enquĂȘter en sous­marin pour contourner l’influence des anciens com­battants et sympathisants de l’Organi­sation de l’armĂ©e secrĂšte (OAS, groupeterroriste d’extrĂȘme droite opposĂ© Ă  l’indĂ©pendance de l’AlgĂ©rie) parmi lesforces de l’ordre.

Comme son hĂ©ros, Manotti travaille « Ă l’ancienne ». Phrases courtes, ultra­des­criptives, fil rouge politique
 Les livres de cette agrĂ©gĂ©e d’histoire, colaurĂ©ate duGrand Prix de littĂ©rature policiĂšreen 2011 pour L’Honorable SociĂ©tĂ© (avec DOA, « SĂ©rie noire »), s’inscrivent dans l’hĂ©ritage du nĂ©opolar français. Notam­ment des romans de Didier Daeninckx (Meurtres pour mĂ©moire, Gallimard, 1983), qui ont contribuĂ© Ă  faire connaĂźtre les ratonnades d’octobre 1961 Ă  Paris, et ceux de FrĂ©dĂ©ric H. Fajardie (1947­2008)pour la description d’une police raciste et corrompue. Une veine devenue rare,que l’on prend plaisir Ă  retrouver.

marseille 73, de Dominique Manotti, Les ArĂšnes, 384 p., 20 €, numĂ©rique 15 €.

macha séry

H iver 1748, dans l’ouestde la Virginie. Le froid,la faim, les attaques deloups ou d’ours, sans

compter la variole qui rĂŽde, les hussards français et les tribus in­diennes qui massacrent colons et trappeurs
 Les chances de survie dans ces montagnes enneigĂ©es sont, comme les tempĂ©ratures,rudement basses.

Pour Della, une sang­mĂȘlĂ© quis’est Ă©chappĂ©e d’un sordide bor­del, le bĂ©bĂ© qu’elle vient de mettreau monde dans une cabane cer­nĂ©e par les congĂšres n’aura proba­blement que quelques jours Ă  vi­vre. « Vaut mieux pas trop comp­ter que la vie prenne racine dans ces contrĂ©es. »

Reathel, le voyageur en perdi­tion qui a tuĂ© l’homme avec lequelDella s’était enfuie, prend vite conscience que la jeune mĂšre est recherchĂ©e. MissionnĂ©s par un mĂ©decin militaire, deux frĂšres mercenaires, une brute borgne et un adepte de l’opium et du lau­danum, la traquent. Car l’enfant deDella, comme tous les enfants de prostituĂ©es, a Ă©tĂ© promis Ă  Black

HĂ©catombe pionniĂšreL’homme est Ă  la fois un loup et un ours pour l’homme dans la glaciale AmĂ©rique anglaise. Alex Taylor, cruel

Tooth, le chef des Shawnees, afin qu’il Ă©pargne Fort Bannock, un casernement anglais oĂč, les routesde ravitaillement Ă©tant coupĂ©es, les rĂ©serves s’amenuisent tragi­quement. Pourtant Reathel, jeune veuf dont la femme et le fils ont Ă©tĂ© emportĂ©s par la maladie, va escorter l’énigmatique Della dans son pĂ©riple vers la libertĂ©, au prix d’une terrible hĂ©catombe.

Sang et jus de tabacTandis qu’un grĂ©sil glacial s’abat

sur ces Ă©tendues sauvages et qu’une ourse furieuse suit Ă  la trace ceux qui s’aventurent dans les sentiers escarpĂ©s, les esprits s’échauffent, les mousquets pĂ©ta­radent. Le blanc de la neige sera tachĂ© du jus noir du tabac et du sang de pionniers Ă©chouĂ©s enenfer. Avec ce thriller proche de l’épure, le styliste du Verger de marbre (Gallmeister, Grand Prix du roman noir Ă©tranger deBeaune 2017) signe un cruel ro­man d’aventures rappelant le film The Revenant, d’AlejandroGonzalez Iñarritu (2016).

le sang ne suffit pas (Blood Speeds the Traveler), d’Alex Taylor, traduit de l’anglais (Etats­Unis) par Anatole Pons­Reumaux, Gallmeister, 316 p., 23 €, numĂ©rique 16 €.

N O I R H I S T O R I Q U E

A Marseille. RIJASOLO/RIJASOLO/RIVA PRESS

P O L A R H I S T O R I Q U E

MORT BRUTALEMENT À L’ÂGE DE 49 ANS, en fĂ©vrier, le scĂ©na­riste et coloriste Hubert a laissĂ© deux albums posthumes, dont cette fable joliment Ă©crite sur le thĂšme du genre. L’action se dĂ©roule pendant la Renaissance italienne, dans une petite ville qu’un curĂ© fanatique entend soumettre au joug de la pudi­bonderie. Sa sƓur, Bianca, ne veut pas du mariage arrangĂ© que sa famille bourgeoise a prĂ©vu pour elle. Sa marraine lui confie alors une tunique magique, une « peau d’homme » lui permet­tant de voyager incognito dans le monde du sexe opposĂ©, et faire ainsi la connaissance de Giovanni, son futur Ă©poux. L’homosexualitĂ© dissimulĂ©e de ce dernier ne sera pas la plus curieuse des dĂ©couvertes que va faire l’hĂ©roĂŻne devenue hĂ©ros. Prise de conscience de la sexualitĂ©, libĂ©ration des mƓurs, tyrannie de la morale religieuse, acceptation de la marginalité  Soutenu par le trait faussement innocent de Zanzim, ce mari­vaudage fantastique rĂ©examine des questionnements Ă©ternels, pour mieux porter le fer dans l’épiderme de l’époque actuelle. frĂ©dĂ©ric potet Peau d’homme, d’Hubert (scĂ©nario) et Zanzim (dessin), GlĂ©nat, 160 p., 27 €, numĂ©rique 19 €.

GLÉNAT

Terres et cieux rebellesDes dĂ©esses capricieuses, un dragon mĂ©lomane et uneconfrĂ©rie d’assassins
 Le premier tome de l’ambitieux cyclede l’AmĂ©ricaine Jenn Lyons est rĂ©solument Ă©pique. Le FlĂ©audes rois raconte l’histoire d’un adolescent dĂ©racinĂ©, Kihrin,musicien le jour et voleur la nuit. RecherchĂ© par de puissantsmages, Ă  la suite d’une invocation dĂ©moniaque Ă  laquelle iln’aurait pas dĂ» assister, il devient la cible d’une machinationpolitique. Pour fuir l’empire de Quur et son destin, Kihrinembarque dans une aventure ponctuĂ©e de meurtres et de tra­hisons. Ce faisant, il s’engage dans un face­à­face douloureuxavec son passĂ©, sur fond d’apocalypse, de prophĂ©tie sanglanteet de rĂ©bellions cĂ©lestes. Dans cet exigeant roman d’epicfantasy portĂ© par une narration Ă  trois voix, l’autrice subver­

tit astucieusement les canons du genre et bĂątit ununivers dense, peuplĂ© de personnages vibrants,dĂ©licieusement cruels et attachants. MalgrĂ©quelques circonvolutions accessoires, Le FlĂ©au desrois propulse Jenn Lyons dans la liste des auteurs Ă suivre. elisa thĂ©venet Le FlĂ©au des rois. Le chƓur des dragons, tome I (The Ruin of Kings. A Chorus of Dragons I), de Jenn Lyons, traduit de l’anglais (Etats­Unis) par Louise Malagoli, Bragelonne, 696 p., 25 €, numĂ©rique 13 €.

FANTASY

Magie du jeuDans l’empire des Sicles, secouĂ© par des intrigues politiques,oĂč la mĂ©fiance divise les peuples, MoĂŻra peine Ă  trouver saplace. A la mort de son pĂšre, la jeune princesse, intuitive ettĂ©mĂ©raire, se lance sur les traces de son frĂšre disparu. Unemission diplomatique devenue une quĂȘte intime Ă  la dĂ©couverte des forces qui traversent le monde. Au contactde mystĂ©rieux voyageurs Ă  la peau tatouĂ©e, sa vie bascule.EnrĂŽlĂ©e dans un jeu de stratĂ©gie oĂč l’expertise des carto­graphes se conjugue Ă  la puissance des principes cĂ©lestes,

MoĂŻra s’affirme. Dans ce roman ingĂ©nieux, Ă  l’orĂ©ede la fantasy classique, LĂ©o Henry rĂ©alise un subtilpas de cĂŽtĂ©. L’intrigue dĂ©ploie ses ailes avecdĂ©licatesse, en trois mouvements millimĂ©trĂ©s.Une exploration initiatique de soi et de l’autre.L’auteur français sculpte avec poĂ©sie un univers oĂčle murmure devient la plus puissante des armes.Une incursion rĂ©ussie sur les terres impitoyablesdes dragons. e. th. Thecel, de LĂ©o Henry, Folio, « SF », inĂ©dit, 304 p., 8,50 €, numĂ©rique 8,50 €.

Kristell GuĂ©vel-DelaruePrĂ©face d’Alain Fischer

Se vacciner contre les idées reçues

En librairie20 € ‱ 208 pages

presses.ehesp.fr

Collection « VADEMECUM PRO »

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Page 36: Le Monde - 12 06 2020

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