Comment Le Web Change Le Monde(livre integral)

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Comment le web change le monde

L’alchimie des multitudes

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SOMMAIRE

V

Sommaire

Introduction

1

Première partie

Le web d’aujourd’hui

1 Les jeunes et le web : ensemble, dans les nuages 17

2 De la dynamique relationnelle 35

3 Les techniques discrètes du web d’aujourd’hui 51

Deuxième partie

L’alchimie des multitudes

4 Les webacteurs, créateurs de valeur 85

5 L’alchimie des multitudes 117

Troisième partie

Ce que cela change

6 Une économie de la relation peut-elle être rentable ? 151

7 Vers l’entreprise liquide ? 179

8 Les multitudes et leurs médias 203

9 Le web de demain 231

Postface

, par Antoine Sire 245

Notes

249

Remerciements

265

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Introduction

« Never mistake motion for action. »

Ernest H

EMINGWAY

D

ES

INTERNAUTES

AUX

WEBACTEURS

Le nombre d’utilisateurs de l’internet croît si vite que bien-tôt, au début de l’année 2009 peut-être, il devrait corres-pondre au quart de la population mondiale

1

. Encore faut-iltenir compte de toutes les zones qui échappent à la mesurefaite depuis les pays développés, de la vitesse de pénétrationdes technologies de l’information et de la communication(TIC) en Chine et en Inde et du fait que l’accès par le biaisdes téléphones mobiles s’accélère. Mais le nombre d’inter-nautes n’est qu’une pâle indication. Ce qui a le plus changé,c’est ce que nous faisons sur et avec l’internet dont noussommes en train de devenir les vrais acteurs.

Au milieu des années 1990, les premiers internautess’émerveillaient de toutes ces informations brusquement dis-ponibles, de leur facilité d’accès grâce aux premiers moteursde recherche, et de la puissance de la communication par lecourriel. Ils commençaient à acheter en ligne, à faire des ren-contres, à chercher l’âme sœur, à suivre des conversations degroupe. Progressivement, par petites touches, ils se sont mis

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à participer. Les outils pour le faire sont devenus courants,simples à manier. Les logiciels gratuits de création de blogs(ces fameux journaux personnels en ligne) leur permettentde créer leurs sites et de s’exprimer aussi bien directementqu’en laissant des commentaires sur les blogs des autres. Ilspublient leurs photos sur Flickr.com ou Snapfish.com, parexemple, pour que leurs amis les voient. Pour les vidéos fami-liales et autres, ils ont maintenant YouTube.com et Daily-motion.com. Les sites de réseaux sociaux enfin – MySpace,Facebook, Bebo et les autres – comptent leurs utilisateurs endizaines de millions.

Ils sont loin ces internautes un peu passifs, qui consom-maient sans réagir l’information qui leur était proposée surdes sites réalisés par des spécialistes. Les utilisateurs du webd’aujourd’hui proposent des services, échangent des informa-tions, commentent, s’impliquent, participent. Ils et elles pro-duisent l’essentiel du contenu du web. Ces internautes enpleine mutation ne se contentent plus de naviguer, de surfer.Ils agissent. Nous avons décidé de les appeler « webacteurs ».Ce livre leur est consacré.

Pour bien comprendre ces nouveaux acteurs, il faut mar-quer la distinction entre l’internet et le web. Les deux sontsouvent confondus, par facilité de langage, et du fait de leurindissociable proximité. L’internet est le réseau informati-que mondial qui nous permet d’accéder à nos courriers élec-troniques ou à des sites web par exemple. Le web, ou

worldwide web,

est une des applications majeures permises parl’internet. C’est un système qui permet de consulter, avec unnavigateur, des pages mises en ligne sur des sites

2

. Nousavons donc d’un côté un ensemble d’ordinateurs connectésentre eux et de l’autre un ensemble de documents modi-fiables, également connectés entre eux.

L’internet est le réseau, le web une de ses applications lesplus populaires. Les premiers utilisateurs étaient d’aborddes voyageurs, passant grâce à ce réseau de site web en siteweb, sans être trop capables d’y faire autre chose que d’yrecueillir les informations disponibles. Mais ces sites sontdevenus de plus en plus ouverts aux utilisateurs, et de plus

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en plus simples à créer et à développer, même pour des néo-phytes. Ainsi, avec le temps, les utilisateurs sont-ils passésdu statut de voyageurs de l’internet (internautes) au statutd’acteurs du web, façonnant tous ces sites à leur manière,proposant services et contenus qui leur sont propres, com-mentant ou discutant les informations disponibles. En sesimplifiant, le web est devenu une plateforme plus ouverteaux utilisateurs, alors que l’internet s’est lui-même ouvert àdes débits croissants, permettant d’accéder à des contenus età des services plus « riches ». Un autre rapport devenaitpossible, et c’est ainsi que sont nés les webacteurs, ces inter-nautes qui s’impliquent sur les sites qu’ils visitent, quandils ne les créent pas eux-mêmes. L’attitude n’est pas lamême. Les internautes consultent Wikipedia.org, l’encyclo-pédie en ligne, les webacteurs écrivent des articles ou corri-gent ceux dans lesquels ils trouvent des erreurs.

La mutation est profonde, mais elle est arrivée commepar surprise, sans que nous nous en rendions bien compte.

C

OMMENT

EN

EST

-

ON

ARRIVÉ

?

S’abaisser pour conquérir est une tactique souvent oubliéedans la stratégie, notamment dans celle de la séduction. Lapièce classique de l’auteur irlandais du 18

e

siècle, OlivierGoldsmith,

She stoops to conquer

3

, met en scène le jeune et richeCharles Marlow, intimidé par les jeunes femmes de sa classesociale. Pour le conquérir, Kate Hardcastle, héritière fortunée,se fait passer pour une servante. Au terme de nombreusespéripéties, elle finit, grâce à son stratagème, par vaincre latimidité de son bien-aimé ; elle apparaît alors sous son vraivisage, obtient le mariage et peut reprendre sa place légitime.

Et si le web avait suivi le même mouvement ces der-nières années ? D’abord étincelant jusqu’en 2000-2001,puis modeste après l’éclatement de la bulle, mais dur à latâche, il finit par s’imposer. C’est un web plus mûr auquelnous avons affaire.

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Souvenons-nous de la première période (avant 2000). On ymettait en scène des « barbares » qui devaient briser les chaî-nes de valeurs de l’économie des « empereurs » en dématé-rialisant totalement l’acte d’achat. On nous promettait une« nouvelle économie », selon l’expression popularisée par

Newsweek

dès 1995. Elle allait faire trembler les acteurs tradi-tionnels dans tous les domaines. Le temps internet se comp-tait en « années chien » (tout allait si vite qu’une annéed’existence en ligne valait bien sept ans de vie dans le monderéel, « de briques et de mortier » comme disent les anglopho-nes). La Silicon Valley se trouvant en Californie, il était natu-rel d’invoquer le mythe de la ruée vers l’or : les pelles et lespioches du jour étaient dans les mains des opérateurs de télé-com déployant le réseau. Les nouveaux chercheurs d’or étaientles créateurs de « dot-coms ».

Et Wall Street, mise en appétit par des modèles d’affairesexubérants et des espoirs de retour sur investissementsimportants et rapides, était à l’affût d’investissements miro-bolants. Il y eut 78 introductions en Bourse de sociétéstechnologiques de la Silicon Valley en 2000 (contre sept en2005). Trop d’argent investi trop vite, alors que les bonsprojets manquaient et que, faute d’utilisateurs en nombresuffisant, le marché n’était pas encore mûr.

Paradoxe : ce sont ces mêmes utilisateurs, oubliés dans lapremière vague, qui dessinent les contours de cette nouvellephase de l’internet. La révolution du peuple après la tenta-tive de révolution bourgeoise, en quelque sorte…

Le 19

e

siècle aura connu ses enthousiasmes débridés suivisde crises de « luddisme » (du nom d’un mouvement ouvrierde rébellion contre les métiers à tisser). Avec moins de vio-lence, le 20

e

siècle aura lui aussi été secoué par des phasesd’espoir exagéré en certaines technologies, suivies de décep-tions puis d’acceptation et de diffusion. Ces différentes phases– généralement accompagnées de fortes spéculations bour-sières – sont caractéristiques des « attentes démesurées »(

inflated expectations

, selon l’expression du Gartner Group

4

)que nous avons aujourd’hui tendance à placer dans les TIC.

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Le concept de

hype cycle

(« cycle de frénésie », dans unetraduction littérale) a été développé par le Gartner Grouppour représenter de façon graphique le cycle de maturité,d’adoption et d’application commerciale des différentestechnologies.

L’analyse sous-jacente reprend l’hypothèse d’un enthou-siasme exagéré, doublé d’un effet de mode. Cette démesuredes attentes – parfois savamment orchestrées par les acteurseux-mêmes pour valoriser leurs découvertes – est générale-ment suivie d’une phase de déception proportionnelle. Lesinnovations technologiques qui passent cette phase avecsuccès peuvent ensuite aspirer à la maturité, associée à laprofitabilité et au développement de nouvelles générations.

Le

hype cycle

le plus célèbre est celui consacré au e-businessen 1999.

Il prédisait l’explosion de la bulle internet pourl’année 2000, mais annonçait aussi que l’e-business attein-drait son plateau de rentabilité aux alentours des années2006-2007. Nous y sommes ! Et des entreprises commeYahoo!, Google, eBay ou Amazon, qui ont survécu à cette

Visibilité

Pic d'intérêt

Renaissance

Désillusion

Plateau derentabilité

Naissance dela technologie

1990-961997

19981999

20002001

20022003

20042005

20062007

20082009

2010

Fin du e-business(qui devient du

commerce usuel)

Source : Gartner Group, 1999.

Le hype cycle du Gartner Group appliqué au e-business

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phase d’attentes démesurées, sont aujourd’hui très large-ment profitables.

Alors que Wall Street tombait, et que les investisseurs sedésengageaient comme ils le pouvaient des « valeurs tech-nologiques », l’internet entamait sa véritable croissanceauprès du grand public. Les chiffres sont éloquents et laconcordance troublante… Il y avait 400 millions d’utilisa-teurs d’internet en 2000, ce qui n’était déjà pas négligeable,mais pas encore suffisant pour générer un business de masse.Malgré l’éclatement de la bulle, il y en avait trois fois plus àl’automne 2007.

L’internet est l’un des réseaux de communication dont lapénétration aura connu la progression la plus forte et la plusrapide dans l’histoire. Il a été vingt fois plus vite que le télé-phone, dix fois plus que la radio et trois fois plus vite que latélévision. Sans parler du développement de la route ou duchemin de fer

5

.La croissance des connexions à haut débit est particuliè-

rement impressionnante. Selon Point-Topic.com, il y avaitprès de 330 millions d’abonnés à l’internet à haut débitdans le monde au troisième trimestre 2007. À la mêmedate, en France, l’Arcep (Autorité de régulation des commu-nications électroniques et des postes) recensait 14,3 millionsde foyers connectés à l’internet à haut débit. À cela, il fautajouter l’augmentation constante des débits disponibles,permettant des usages toujours plus riches et rapides. Encinq ans à peine, les débits offerts par les technologies DSL

6

ont été multipliés par 40, passant de 512 Kbits/s à20 Mbits/s. Les technologies de fibre optique, qui permet-tent aujourd’hui des débits jusqu’à 100 Mbit/s, sont encours de déploiement.

La progression est fulgurante, mais une large partie dela population mondiale reste exclue de l’internet. Il enrésulte une géographie bien particulière : dans les paysdéveloppés, on distingue les zones rurales et défavoriséesdes zones urbaines et riches. À l’échelle mondiale, cettegéographie recoupe très souvent la carte du développe-ment. À peine 2,9 % de la population africaine est connectée.

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La proportion est de 3,7 % pour l’Inde, 12,3 % pour laChine et 19,8 % pour l’Amérique latine

7

. Mais les grandesvilles, et surtout leurs quartiers les plus nantis, peuventréserver des surprises.

L

A

GÉNÉRATION

G

OOGLE

ET

LA

« G

OOGLE

ÉCONOMIE

»

Présent sur tous les fronts – un peu trop peut-être –, Googleremplit une fonction structurante du web, tant par sa fonc-tion de moteur de recherche dominant que par sa capacitéd’innovation et par son modèle économique. C’est l’intro-duction en Bourse réussie en août 2004 qui a permis aumouvement de création d’entreprises de retrouver son souf-fle après la bulle, mettant en lumière l’intérêt et la puissancede ces nouveaux usages.

19 août 2004, Wall Street : Larry Page, cofondateur deGoogle, fait sonner la cloche pour marquer l’ouverture de laBourse. Il lance l’introduction du titre de l’entreprise qu’il acofondée cinq ans plus tôt avec Sergeï Brin. L’hommetimide et réservé a endossé un costume strict pour l’occa-sion… historique à plus d’un titre.

Le style, d’abord. Refusant le jeu traditionnel, l’introduc-tion est faite en août, une période calme, même à New York.Les banquiers d’affaires n’ont pas été invités à déterminer leprix d’introduction, ni même à contribuer à la réussite del’opération grâce à des « préventes » bien rémunérées. Lesdeux fondateurs ont imposé leurs propres règles au marché.Ils se sont même autorisés quelques fantaisies avec la législa-tion, en accordant notamment une interview au magazine

PlayBoy

en pleine période dite de « silence »

8

. Un mélangede naïveté et de rébellion contre les règles établies accom-pagnées d’un zeste de provocation. Car cette introductionhors normes est un indéniable succès. Le titre, introduit à85 dollars, atteindra plus de 470 dollars en janvier 2005, àpeine six mois plus tard, faisant de Google l’une des entre-prises les plus capitalisées au monde

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.

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Ainsi menée, l’opération avait le mérite de montrer qu’ilétait de nouveau possible d’introduire en Bourse avec succèsune entreprise high-tech née dans la Silicon Valley et queWall Street était à l’écoute.

L’initiative de Larry Page et Sergeï Brin bénéficiait descritiques formulées après l’éclatement de la bulle. Bill Dra-per, l’un des pionniers du capital-risque, dira : « il y avaittrop d’argent, pas assez de bons projets, et trop de spécula-tions, alors que les conditions n’étaient pas encore réuniespour le succès

10

». Parmi ces conditions : un nombre suffi-sant d’ordinateurs connectés à internet, le haut débit, unepériode d’apprentissage et l’arrivée d’une nouvelle généra-tion. Le temps d’adoption normal pour toute nouvelle tech-nologie un tant soit peu perturbatrice…

Le style des deux acolytes issus de Stanford correspondaussi à un changement profond dans la région de la baie deSan Francisco. Frappé plus que tout autre par l’éclatementde la bulle, puisque l’ensemble de l’économie locale esttourné vers les nouvelles technologies, le microcosme abrièvement donné l’impression de se replier sur lui-même.Ingénieurs et développeurs en ont profité pour retourner àleurs ébauches, alors que les hommes d’affaires cherchaientde nouveaux modèles économiques. La réussite de Google aredonné un moteur à l’économie de la région et débridé lesénergies toujours disponibles.

Plus important encore, les conditions n’ont jamais étéaussi favorables à la création d’entreprise. La généralisationd’internet, la baisse des coûts des équipements et de labande passante, le recours de plus en plus répandu aux logi-ciels libres ont beaucoup fait baisser la barrière à l’entrée dela création d’entreprise

11

. Les levées de fonds, quand ellessont nécessaires, n’ont plus rien à voir avec les montantsinvestis avant la bulle. Et les internautes sont là, en masse,prêts à utiliser les nouveaux services proposés.

Le renouveau touche aussi les femmes et les hommes.C’est une nouvelle génération d’entrepreneurs, de cher-cheurs, de créateurs, mais aussi d’utilisateurs qui prennentle pouvoir. C’est la génération internet qui arrive, une

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« génération Google » qui monte au créneau après les géné-rations Hewlett-Packard (HP), Apple et Microsoft. Les nou-veaux acteurs qui comptent ont grandi et fait leurs étudesavec le web. Certains n’ont jamais vécu sans. Ils savent inté-resser les jeunes, comme le montre le succès de MySpace,mais aussi WordPress, le programme pour blogs, ou encoreSkype, YouTube, Facebook, Flikr, Twitter…

1 + 1 =

BEAUCOUP

,

OU

L

ALCHIMIE

DES

MULTITUDES

Les outils de création de blogs, de partage de photos, de mes-sagerie instantanée, de téléphonie, poussent un nombre éton-namment élevé d’utilisateurs à devenir des webacteurs, parcequ’ils sont plus simples, plus accessibles, plus trans-parents. Connectés en réseaux, ils permettent de créer desliens, de tisser des relations aussi bien entre données qu’entrepersonnes ou qu’entre personnes et données. La dimensionrelationnelle du web s’est ainsi trouvée accélérée par l’aug-mentation très forte du nombre d’utilisateurs et d’outils àleur disposition. Plus il y a de webacteurs, plus ils tissent derelations, plus le système est riche et mieux il marche. C’estce qu’on appelle les effets de réseaux dont, après avoir expli-qué la mécanique très concrète à l’œuvre sur certains dessites les plus connus, nous évoquerons le fonctionnementnotamment dans les domaines de l’économie, de l’entrepriseet des médias.

Une publication sur un blog va générer des commen-taires, des réactions, des reprises, des révisions. L’inscriptiond’un webacteur sur le site de réseau social Facebook va luipermettre, en quelques clics, d’entrer en relation avec desmilliers de personnes et d’échanger, de partager, d’organiserdes événements.

Sur le web, aujourd’hui, 1 + 1 est très vite égal à beaucoup.Et cela produit du sens, du contenu, des richesses, de la

nouveauté, des services utiles. Un moteur de recherchecomme Google s’améliore au fur et à mesure qu’on l’utilise.

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Chacune de nos utilisations précise au moteur la pertinencedes réponses que son algorithme propose. Plus nous l’utili-sons, plus nous sommes nombreux à l’utiliser, meilleur ilsera. Il se passe quelque chose qui nous dépasse quand noussommes si nombreux à y participer. Les dizaines de millionsd’utilisateurs de MySpace, Facebook ou Beebo trouvent unintérêt plus grand à être en relation que s’ils n’étaientqu’une poignée. Chaque agissement des webacteurs connec-tés entre eux et avec des données ajoute un petit quelquechose, une valeur qui n’y était pas et dont l’ensemble débou-che sur ce que certains sont tentés d’appeler « intelligencecollective » ou « sagesse des foules ». Des termes peut-êtretrop ambitieux, qui promettent beaucoup et risquent dedécevoir tout autant.

Nous préférons, pour notre part, parler d’« alchimie desmultitudes ».

Les contours de cette foule, ou de ce « collectif », sontdifficiles à préciser. Les webacteurs sont hétérogènes etdivers, au gré de leur implication, de leur participation…La seule chose sûre étant leur grand nombre, autant lesreconnaître comme ce qu’ils constituent, des multitudes. Etil nous semble difficile de qualifier de « sagesse » oud’« intelligence » des phénomènes encore si contradictoires,trop souvent décevants. Ces étranges effets peuvent nousdonner de l’or, mais ça n’est jamais sûr. On trouve sur Wiki-pedia des articles qui valent bien ceux de l’

Encyclopædia Bri-tannica

, mais la qualité d’ensemble, toujours perfectible,demeure inégale. C’est le processus lui-même qui veut ça.

Voilà pourquoi nous avons choisi l’expression « alchimiedes multitudes ». Passionnant, stimulant, prometteur, le phé-nomène peut être porteur du meilleur, mais aussi du pire, cequ’il ne faut jamais oublier et contre lequel il faut toujoursagir. Nous l’illustrerons largement dans le cours de l’ouvrage.

L’alchimie des multitudes, c’est la participation des web-acteurs. C’est le cœur de notre lecture de ce qui se joueaujourd’hui, aussi bien sur le web que dans les rapports decelui-ci avec le monde réel, dans la dimension digitale de nosvies comme dans leur dimension physique.

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11

N

OTRE

APPROCHE

Parler du web aujourd’hui, oblige à se situer par rapport àl’expression « web 2.0 », inventée en 2004, puis propulséepar l’équipe de l’éditeur californien Tim O’Reilly. Peuexplicite, elle est en plus très contestée. L’auteur et consul-tant Don Tapscott préfère « wikinomics », qui souligne lerôle essentiel de la collaboration et du partage (les « wikis »sont des outils simples et ouverts de travail collaboratif enligne). Pour certains, c’est la notion d’intelligence collectivequi est centrale. D’autres, comme l’auteur et rédacteur enchef de la célèbre revue

Wired

, Chris Anderson, caractérisentle moment par ce qu’ils appellent la « longue traîne », pourmettre en valeur l’émergence de nouveaux modèles écono-miques basés sur l’abondance et la diversité permises par cetinternet sans limites. Mais le terme web 2.0 est celui qui afait à la fois fortune et le tour du monde. Nous avons pour-tant décidé de prendre nos distances avec lui.

« Web 2.0 » nous semble trop réducteur et trop marquépar l’idée qu’il s’agirait d’une « nouvelle version » du web.Il reste très ancré dans les racines du web d’avant, même s’ilen est aussi très différent par les usages qu’on en fait, sonampleur, le développement de certaines fonctionnalités etles nouveaux modèles d’affaires qu’il induit.

L’important, c’est que le web auquel nous avons affaireaujourd’hui est le produit des effets de réseaux qui surgissentquand un grand nombre d’internautes réalisent une bonnepartie de leurs activités sur le web en utilisant sa dimensioncollaborative et interactive. Nous assistons en fait à l’appro-priation du web par les webacteurs connectés les uns auxautres en réseaux.

Les développements les plus intéressants s’articulentautour de six éléments :

1.

Plateforme :

le web devient la plateforme sur laquelle onpeut « presque » tout faire : courriels, partage de docu-ments, transactions commerciales, conversations télépho-niques, etc.

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2. Recevoir/publier/modifier : la plateforme permet les inter-actions. Quand l’information est trouvée ou modifiée, laconversation commence. Les utilisateurs contribuent enapposant leurs commentaires et en « montant » leur pro-pre contenu sur les blogs et wikis.

3. Haut débit : les « gros tuyaux » par lesquels transitenttextes, images, musique et vidéos attirent de plus en plusd’utilisateurs. L’essentiel est sans doute qu’ils permettentd’être toujours connecté (always on). Les réseaux mobilessont en passe d’ajouter une dimension au phénomène.

4. Contributions : le haut débit encourage les contributionset facilite les modifications de la plateforme.

5. Effets de réseaux : les contributions s’ajoutent, au point decréer un ensemble qui est plus grand que la somme de sesparties. Sociétés et technologies exploitent le contenugénéré par les usagers pour développer de nouveaux typesd’affaires. La nature du savoir change et laisse entrevoir lapossibilité de tirer parti de formes émergentes d’intelli-gence collective.

6. La « longue traîne » : le web donne lieu à de nouvellesopportunités de création de valeurs, notamment sur desmarchés de niches, ouvrant la voie à une économie de ladiversité et de l’abondance.

Le web peut donc être abordé comme une plateformedynamique. Par « plateforme dynamique », nous entendonsqu’elle est aussi bien l’endroit où l’on va chercher du contenuque celui où on en publie, et qu’elle peut être modifiée à toutmoment.

Les éléments technologiques radicalement innovants sontrares. Les services originaux naissent souvent du mélange detechnologies et/ou de sources d’informations différentes, lesmashups. Hétérogénéité et interopérabilité deviennent desnotions dominantes.

Tout cela contribue à la naissance d’une nouvelle écono-mie et d’une nouvelle culture. C’est le sujet de notre livre.

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Faut-il définir le web 2.0 ?

Rencontre avec Tim O’Reilly

Tim O’Reilly est patron et fondateur d’une célèbre maison d’édition quiporte son nom. Il est aussi celui qui a popularisé le terme « web 2.0 », enorganisant la première conférence web 2.0 à San Francisco en octobre2004 et en posant les premières bases du concept dans un texte qu’onpeut retrouver sur son blog12.

O’Reilly nous a reçus dans ses locaux de la Russian River, à Sebas-topol, loin de l’effervescence de la Silicon Valley. Un homme facile àaborder, à la pensée riche et originale, dont voici les éléments les plus sai-sissants concernant web 2.0… aujourd’hui.

« Les définitions sont des constructions de langage pour expliquerdes choses. Or, le web 2.0 n’est pas vraiment une chose. C’est plutôt ladescription d’un “tipping point”13, un point de bascule, de ce moment oùun phénomène un peu unique et isolé devient commun et se généralise.Une sorte de point de rupture et de passage à une nouvelle ère, avec denouveaux acteurs et de nouvelles règles.

Pour bien le comprendre, on peut faire une analogie avec le dévelop-pement de l’ordinateur personnel dans les années 1980. Les ordinateurssont progressivement devenus de plus en plus personnels, et à un certainmoment (difficile à dater avec précision), le centre de gravité est passé dumainframe à l’ordinateur personnel. Tout à coup, des acteurs commeIBM, au centre du développement des ordinateurs dont ils étaient lesconstructeurs, perdent la main au profit de nouveaux acteurs commeMicrosoft, qui proposent les outils d’exploitation de cet objet personnel.D’une certaine façon, nous sommes alors passés de l’ère du PC 1.0,avec IBM comme acteur principal, à celle du PC 2.0, beaucoup plus per-sonnel, avec Microsoft comme acteur principal. Il ne s’agit pas d’unedéfinition, mais d’un fait !

Le web 2.0 est très similaire. Il y a aujourd’hui un tipping point dans ledéveloppement du web. Internet a 25 ans, le web a déjà 15 ans. Audébut, ils n’étaient qu’un “plus” parmi les applications et les services utili-sés sur les PC. Il sont aujourd’hui passés au centre. L’introduction enbourse de Google en août 2004 a certainement été emblématique de cetournant, mais en fait il faut analyser ce passage comme l’arrivée d’inter-net au cœur des PC. Le pouvoir s’est déplacé à nouveau. »

Le web appartient maintenant à ceux qui l’utilisent…dans les deux sens : pour recevoir et pour créer, pour accéderà l’information et la partager, la faire circuler. Il est façonné

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par les webacteurs qui s’en servent à leur tour pour changerle monde. Ce changement de pratique (pas d’outil) est aucœur de l’évolution en cours, de celle que nous devons touscomprendre.

Nous l’aborderons en trois parties.Le web d’aujourd’hui : une analyse de ce que font les jeunes

sur le web nous ouvrira les premières pistes de ce qui bouge,des grandes tendances porteuses (Chapitre 1). Nous insiste-rons ensuite sur ce qui apparaît comme l’énergie dont s’animel’ensemble : la dynamique relationnelle créée par la partici-pation de milliards d’individus, d’entreprises, de groupes etde documents (Chapitre 2). La technologie, certes fondamen-tale, l’est d’autant plus qu’elle a su s’effacer (Chapitre 3).

L’alchimie des multitudes : convaincus de ce que l’entrée enscène des webacteurs est essentielle, nous nous attacherons àmontrer comment ils opèrent et le genre de valeurs qu’ilscréent (Chapitre 4). Partant d’une écoute attentive des criti-ques les plus sérieuses à l’évolution du web, nous explique-rons la notion d’« alchimie des multitudes » et proposeronsdes attitudes et des actions utiles aux webacteurs (Cha-pitre 5).

Ce que cela change : pour terminer, nous montrerons leschangements entraînés par une telle dynamique dans troisdomaines : l’économie (Chapitre 6), l’entreprise (Chapitre 7)et les médias (Chapitre 8).

La conclusion, enfin, nous permettra d’évoquer les prin-cipales composantes de ce que pourrait être… le web dedemain.

Nous poursuivrons ces débats sur nos sites respectifs :www.transnets.net et www.alchimie-des-multitudes.atelier.fr.

Bons voyages…

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Première partie

Le web d’aujourd’hui

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Les jeunes et le web : ensemble, dans les nuages

Ce que font les jeunes sur l’internet dessine de grandes ten-dances. Celles qui vont se généraliser, à mesure qu’ils vontgrandir, entrer dans le monde du travail, entraînant avec euxleurs usages du web d’aujourd’hui. Ils vont disséminer cesusages nouveaux autour d’eux : amis, parents, collègues.

Car le web, ce sont d’abord les jeunes qui se l’approprientet le popularisent. Leur rôle de early adopters (« utilisateurs dela première heure ») nous montre la voie des usages futurs.

Ils nous montrent aussi que la technologie importe peu,surtout si elle sait se faire simple et peu intrusive. Ce qu’ilsaiment avant tout : les réseaux sociaux et tous leurs outils.Cela traduit une rupture générationnelle, mais surtout desruptures d’usages.

LE WEB, LIEU SOCIAL DE L’ADOLESCENCE

L’internet, parce qu’il permet de créer des liens, est un trèspuissant outil de réseau social. Les jeunes en sont friands etun premier éclairage s’impose. Car c’est d’emblée vers lesrelations amicales que se sont créés les premiers sites deréseaux sociaux : le site d’anciens camarades de classes

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Classmates.com dès 1995, puis le site d’amis Friendster en2002. Ils permettent aux jeunes de rester en contact avecleurs amis en ligne, et de faire de nouvelles connaissances.Mais c’est MySpace, le site permettant aux jeunes de créeren ligne un espace personnel à leur image et de partagerleurs passions avec leurs amis, qui a popularisé le systèmeet connu le premier un succès de grande ampleur. Face-book, à l’origine simple trombinoscope électronique pourétudiants d’universités, s’est largement ouvert fin 2006 etconnaît lui aussi un grand succès. Dans le monde profes-sionnel, LinkedIn est le plus connu. Ce site permet depublier en détail son profil professionnel et d’entrer en rela-tion avec des collègues, des amis, mais aussi de se créer unréseau professionnel, pour chercher un emploi, recruter oumonter un projet.

Facebook, Myspace… les réseaux sociaux

Selon Wikipedia, « un réseau social est composé de nœuds (qui sontgénéralement des individus ou des organisations) reliés entre eux par unou plusieurs types de relations, comme des valeurs, des visions, desidées, des échanges financiers, de l’amitié, des goûts ou des dégoûtscommuns, des conflits, du commerce, des relations sexuelles, pour neciter que quelques possibilités1 ».

Le web a remplacé la voiture d’Harrison Ford dans AmericanGraffiti2, mais aussi le parking ou la falaise éloignée, c’est-à-dire ce lieu où, au cinéma, les jeunes se retrouvent en quêtede leur identité, à l’abri de l’intrusion des adultes. Le webest à la fois l’outil relationnel et l’espace où les relations ontlieu.

À cet égard, MySpace est un site emblématique. Il estélaboré par les jeunes et pour les jeunes. Les adultes ontparfois du mal à le comprendre3. Si la technologie n’a riend’exceptionnel, son usage est propre à bouleverser les modesde développement personnel et de rapports sociaux des

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nouvelles générations. Très prisé par les adolescents améri-cains, qu’il séduit en leur offrant un espace inégalé d’expres-sion libre, MySpace est un des sites les plus visités aumonde, en compétition directe avec les leaders de l’inter-net : Yahoo!, Google et MSN.

Lancé par des passionnés de musique indépendante de LosAngeles, MySpace compte fin 2007 plus de 100 millions decomptes. En février 2006, il a reçu 35 millions de visiteursqui ont vu 22 milliards de pages. En 2008, il gagne 300 000nouveaux inscrits chaque jour. L’usager moyen regarde500 pages par mois et 37 pages par visite. Un flux considé-rable qui n’a pas échappé à l’attention de Rupert Murdoch, lemagnat des médias, qui a acheté le site pour 580 millions dedollars en juillet 2005. Depuis, ses revenus publicitairesdoublent tous les six mois.

Beaucoup de jeunes Américains s’identifient très tôt avecMySpace. Originellement fixé à 18 ans, l’âge limite est passéà 16 ans puis à 14 ans.

La première chose que fait un nouveau membre deMySpace est de créer un « profil ». Sur cette page personna-lisée, il fait part à la communauté de ses goûts, de ses envies,des musiciens qu’il adore, des livres qu’il a lus (ou qu’ilaimerait lire), des membres de MySpace qu’il connaît (avecdes liens renvoyant à leurs pages). Clips, vidéos, musique etphotos rendent le tout sympa… ou « cool ».

« Les profils sont comme des personnes digitales. Ils sontla représentation numérique publique de l’identité4 »,déclare Danah Boyd, anthropologue américaine qui se spé-cialise dans la recherche sur les communautés de jeunes enligne (voir son interview en fin de chapitre). Elle ajoute :« Pour les adolescents, donner une image cool de soi-mêmeest fondamental. MySpace leur permet de décrire leur pro-pre identité au travers de ces pages personnelles incroyables.Et, ce faisant, cela leur permet de montrer une image d’eux-mêmes et de recueillir des réactions. » Ils définissent vir-tuellement leur image par petites touches et ajustent enfonction des réactions de leurs copains.

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Il en résulte souvent une atmosphère spéciale qu’on nepeut sentir qu’en visitant les pages en question avec leurscollages sur fond le plus souvent sombre de photos, clips,vidéos, images et textes pas toujours faciles à lire. « Ça res-semble à une chambre d’ado », suggère Danah Boyd, enréférence à une forme plus traditionnelle de recherche etd’affirmation d’identité.

Les commentaires laissés par les visiteurs transforment lesite en un espace public virtuel. C’est, avec la productiond’identité, l’autre notion clé. « Ce n’est pas la technologie quipousse les jeunes à passer du temps connecté, c’est le manquede mobilité et d’accès à un espace réel et physique pour lesjeunes, où ils peuvent être ensemble sans être interrompus etobservés », ajoute Danah Boyd. Elle explique que l’absenced’espaces publics où se retrouver entre copains est une descaractéristiques de la situation de la jeunesse américained’aujourd’hui. MySpace offre une alternative.

À la différence de certains de ses prédécesseurs (Friendsternotamment), MySpace a choisi de laisser les jeunes fixer lesrègles, définir la culture. C’est bien pour cela qu’ils aiment s’yretrouver.

L’enjeu pour les jeunes Américains : trouver des espacespublics d’expression libre avec leurs amis, indispensables àleur développement. Ces espaces sont de moins en moinsexistants dans le monde réel des jeunes Américains. Alors,ils se digitalisent. Ils créent des espaces où se jouera unebonne partie du futur du web.

LE RÔLE PRÉPONDÉRANT DES RÉSEAUX SOCIAUX

De nombreuses études permettent d’appréhender de façonquantitative les usages des jeunes à travers le monde. L’ins-titut américain Pew Internet Research est un des organis-mes qui fournit de façon la plus régulière la matière la plusabondante sur les États-Unis. Pour l’Europe, les donnéessont plus dispersées, alors que les études sur l’Asie sont plus

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difficilement accessibles5. Ces études permettent de mettreen avant quelques divergences, mais surtout des similaritéset des grandes tendances. Quel que soit le moyen d’accès(plutôt l’ordinateur pour les États-Unis, plutôt le téléphonemobile pour l’Asie et mixte pour l’Europe), les usages sem-blent converger : ce que les jeunes cherchent avec l’internet,c’est un outil puissant de socialisation.

Les jeunes Américains

Les jeunes Américains vivent « enveloppés » dans les nouvel-les technologies. L’internet surtout, et les téléphones mobilesdans une moindre mesure pour le moment, rythment leurvie quotidienne.

D’après le Pew Internet Research, le nombre d’adoles-cents utilisant l’internet a augmenté aux États-Unis de24 % entre 2003 et 20066. Quatre-vingt treize pour centdes 12-17 ans sont connectés, soit 21 millions de jeunes.Pour la même tranche d’âge, ils sont 45 % à posséder untéléphone mobile.

Les adolescents américains privilégient avant tout lesréseaux sociaux, comme le montrent les résultats d’une étuderéalisée en 2006 sur des enfants américains de 12 à 17 anspar le Pew Internet7 :

◆ 55 % des jeunes Américains utilisent les réseaux sociaux.Les jeunes filles de 15 à 17 ans sont les plus nombreuses(70 % contre 54 % pour les garçons). Plus d’un sur deuxs’y rendent quotidiennement ;

◆ 55 % des jeunes ont un « profil » (70 % des filles). Seuls31 % d’entre eux le rendent public, alors que les autresen restreignent l’accès à leurs amis ;

◆ 91 % d’entre eux le font pour rester en contact avec desamis proches, 82 % pour rester en contact avec des amiséloignés, 72 % pour organiser des soirées, 49 % pour sefaire de nouveaux amis. Le rôle dominant tenu par lesréseaux sociaux est à la fois celui de ciment et d’outilquotidien de la relation amicale ;

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◆ leurs activités préférées consistent à laisser des commen-taires sur les pages de leurs copains (84 %) et sur leursblogs (76 %), s’envoyer des messages privés (82 %), oude groupes (61 %).

Les jeunes Européens

En Europe, une enquête NetObserver menée sur cinq payspar l’institut d’études Novatris/Harris Interactive nousdonne des clés très similaires aux analyses que nous trouvonsaux États-Unis. En y ajoutant une dimension comparativeintéressante, puisque l’étude introduit des données sur lesplus de 25 ans8 :

◆ la majorité des jeunes internautes européens se connec-tent à internet plusieurs fois par jour ; 46 % des Alle-mands de 15-24 ans passent plus de 3 heures en lignechaque jour, devant les Italiens (36 %), les Britanniques(32 %), les Français (27 %). La différence avec la tranched’âge immédiatement supérieure est significative. EnGrande-Bretagne, par exemple, à peine 20 % des plus de25 ans se connectent 3 heures par jour ;

◆ les 15-24 ans utilisent plus que leurs aînés les outils decommunication disponibles sur le net, à commencer parla messagerie instantanée ; 80 % des jeunes Espagnols yont recours régulièrement (75 % des Français, 69 % desItaliens, 59 % des Allemands qui sont de plus gros utili-sateurs de chats que leurs pairs) ;

◆ la principale activité de la plupart des jeunes Européensconsiste à consulter des blogs ou des sites communautai-res. Les plus férus dans ce domaine sont les jeunes Fran-çais (46 %) qui sont aussi les plus nombreux à déposerdes commentaires. Viennent ensuite les Italiens (41 %) etles Allemands (40 %). Ces derniers, là encore, se distin-guent de leurs homologues européens par un engoue-ment spécifique pour les jeux vidéos en ligne (49 %).Enfin, les Espagnols affichent un intérêt particulier pourle développement de leur espace personnel (30 %), quecelui-ci soit une page personnelle ou un blog ;

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◆ les jeunes plébiscitent la publication et l’échange d’infor-mations (texte, audio, vidéo) au sein d’une communauté(Myspace, Skyblog...). Cette fonctionnalité est principa-lement appréciée des jeunes Italiens et Espagnols (88 %)et dans une moindre mesure des Français (81 %). Vientensuite la personnalisation de pages d’accueil de sites, deblogs ou de pages personnelles, en particulier chez lesjeunes Anglais et Espagnols (70 %). La contribution aucontenu de sites collaboratifs arrive en troisième position.Elle se taille d’ailleurs un succès tout particulier auprèsdes jeunes Allemands (79 % la trouvent utile). Les fluxRSS (Really simple syndication, ou flux d’informations aux-quels il est très simple de s’abonner) sont l’outil de colla-boration le moins utilisé par les Européens de 15-24 ans.

L’information et le commerce électronique ne font pas recette

Une étude réalisée par le Joan Shorenstein Center de l’uni-versité de Harvard montre que les jeunes Américains nes’intéressent pas aux nouvelles que leur donnent les médias,qu’il s’agisse des conflits en Irak et en Afghanistan ou de laprésidentielle de 20089.

Soixante pour cent des adolescents ne font pas attentionaux actualités quotidiennes. La proportion est de 48 % chezles jeunes adultes (18 à 30 ans) et de 23 % chez les plus âgés.

Même en ligne, les actualités ennuient les jeunes.Parmi les conclusions de l’étude :

◆ les moins de 30 ans utilisent plus l’internet que les plusde 30 ans, mais leur intérêt pour les news est si faible queles deux groupes consacrent à peu près le même tempsaux actualités en ligne ;

◆ la lecture quotidienne d’un journal occupe un adolescentsur vingt, un jeune adulte sur cinq et un « plus de 30 ans »sur cinq.

La nature du rapport aux news semble également changer.Les moins de 30 ans grappillent des informations de diffé-rentes sources, sur différents médias, à différents moments

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de la journée, alors qu’ils se livrent à diverses activités. Ils secontentent souvent d’un survol et d’une approche superfi-cielle. Ils préfèrent les faits divers (soft news) aux nouvelles dela guerre (hard news).

Le web met en évidence le fait que la conception de cequi constitue l’actualité diffère en fonction du groupe social,du pays, de la génération. Les médias traditionnels n’en ontpas encore tiré toutes les conséquences.

Leur pouvoir d’achat inférieur et des moyens de paiementinadéquats font que les jeunes Européens de 15-24 ansconsomment moins sur le web que leurs aînés. Ce qui nesignifie pas qu’ils n’y ont pas recours.

Quel que soit le pays considéré, 60 % d’entre eux décla-rent avoir utilisé l’internet au cours des six derniers moispour se renseigner avant d’effectuer un achat on- ou off-line,contre 70 % des plus de 25 ans.

En dehors du Royaume-Uni, les jeunes internautes ontune moins bonne perception de la publicité en ligne queleurs aînés. Pour les séduire, les campagnes en ligne doiventdonc intégrer davantage d’outils d’expression personnelle etjouer sur le registre du divertissement10.

Ce sont donc les outils de la dynamique relationnelle, surlesquels nous revenons dans le chapitre suivant, qui sontplébiscités par les jeunes, au mépris des usages plus « classi-ques » de l’internet. La communauté, la relation, la créationde l’identité : l’internet est devenu consubstantiel d’une cer-taine partie de la jeunesse du monde, de sa formation et deson passage à l’âge adulte. Pour ceux qui y ont accès…

Ruptures de génération, ruptures d’usages

L’expression « digital natives », les « autochtones du mondenumérique » ou « ceux qui sont nés avec », est en train derentrer dans le langage courant, un peu de la même façonque « to google » est devenu un verbe. Elle peut nous aider àmieux poser certaines questions concernant le futur du web.

L’expression a été lancée par le consultant et auteur spé-cialisé dans l’éducation et le savoir Marc Prensky, d’abord

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dans un article en 2001, puis reprise dans un essai écrit en2004 sous le titre The Death of Command and Control11. Ill’oppose à la notion de digital immigrants, les immigrés dumonde digital, venus aux nouvelles technologies du web surle tard. La différence la plus importante entre les deux géné-rations étant, selon l’auteur, que les autochtones sont les« scribes » du nouveau monde, capables de créer les instru-ments dont ils se servent dans des langages que les autres necomprennent pas. Et quand ils ne programment pas les ins-truments dont ils se servent, ils utilisent à leur façon ceuxqui sont aujourd’hui sur le marché. La seconde dimension serévèle bien plus importante et répandue que la première.

Prensky ne retient pas moins de dix-sept domaines danslesquels les « natifs » agissent différemment de ceux qui sontarrivés dans le cyberespace à un âge plus avancé. Ils commu-niquent, échangent, créent, se rencontrent, coordonnent leursactivités, apprennent, analysent, évoluent et grandissent dif-féremment. Leurs jeux ne sont plus les mêmes et leur façond’écrire des logiciels n’est pas la même.

Prenons quelques exemples : l’orthographe remaniée en uncode incompréhensible par les adultes ; les SMS inscrits d’uneseule main dans la poche ; les messageries instantanées avecdix fenêtres et dix dialogues simultanés. Les immigrants onttendance à mener une conversation jusqu’à sa conclusionavant de passer à autre chose.

Courants dans le monde des affaires, du journalisme et dela politique, les blogs d’immigrants sont un « instrumentde partage des connaissances intellectuelles ». Par contraste,les blogs d’autochtones visent avant tout à partager desémotions. Il s’agit presque d’un média différent.

Pour les autochtones, eBay ou Craigslist ne sert pas seu-lement à acheter et vendre. Ils y trouvent emplois, amis etmême partenaires amoureux ou sexuels. Ça n’est plus un sujetd’émerveillement, mais une évidence de leur vie ordinaire.

Leur rapport à l’information est différent. L’excès ne lespréoccupe pas et, selon Prensky : « Au contraire de leursparents, qui adoraient garder leurs informations secrètes (“Lesavoir est le pouvoir” était leur devise), les digital natives

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aiment partager et diffuser l’information dès qu’ils la reçoi-vent (peut-être que “Partager le savoir est le pouvoir” est leurdevise implicite). »

Leur rapport au jeu, notamment vidéo, est aussi différent.Alors que les jeux vidéos les plus anciens étaient surtout indi-viduels, linéaires (il fallait tuer le plus de monde possible pourarriver à un but facilement identifiable), les plus récentsdépendent de la participation et de la coordination de dizaines,de centaines, voire de milliers de joueurs. « Le jeu solitaire estdépassé – une réminiscence du temps où les ordinateursn’étaient pas encore connectés », écrit Prensky. Les joueursd’aujourd’hui créent des outils ou des armes, des espaces, desunivers et, parfois, des jeux entiers. Ils ne se contentent plusd’utiliser la technologie, ils se l’approprient.

Pourtant, les digital natives ne sont pas tous égaux. De for-tes inégalités d’accès demeurent : différences sociales et géo-graphiques ont un impact fort. Être né à l’heure du digital negarantit pas le statut de insider (membre). La fracture numéri-que est, en fait, double : sans accès, ils sont également écartésde ce qui est considéré comme un common knowledge (savoirpartagé) par toute une génération. Il leur faudra, le jour où ilspourront se connecter, combler ce double fossé.

Les ruptures qui comptent sont des ruptures d’usages. Sielles sont plus fortes et plus visibles chez les jeunes généra-tions, elles existent aussi dans les générations précédentes.

Ainsi, les jeunes ne sont pas les seuls à utiliser les réseauxsociaux. Si MySpace est très marqué par la jeunesse de sapopulation, en partie du fait de la culture musicale forte quile soutient, un site comme Facebook, issu de la culture uni-versitaire, est plus mixte. D’ailleurs, son ouverture au grandpublic en septembre 2006 a permis l’entrée de nombreuxjeunes désireux de s’associer à la culture de réseau des gran-des universités, mais aussi de personnes plus âgées. Il n’y adonc pas que des ruptures de génération. Facebook estdevenu en moins d’un an l’un des sites les plus utilisés aumonde, pas seulement grâce aux jeunes qui l’utilisent, maisaussi avec le concours de tous les autres qui y trouvent unréel intérêt. Ces ruptures d’usages comptent plus que les

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ruptures de générations. Mais ce sont bien les jeunes nésaprès l’internet qui, le plus souvent, nous révèlent ces usagesnouveaux qui façonneront le web de demain.

OÙ VA LE WEB ?

L’exemple de MySpace et de Facebook, symboles américainsdes sites utilisés par les jeunes, permet d’éclairer cinq ten-dances de fond.

Les technologies comptent peu

Les débats dont les médias rendent compte sont souvent lefait de passionnés de technologie, de développeurs, d’édi-teurs ou de journalistes spécialisés. Or, les jeunes ne sem-blent pas massivement attirés par les technologies complexeset se désintéressent de leur fonctionnement. Les technologiesde sites comme MySpace n’ont rien d’exceptionnel. Facebookest plus intéressant, mais pas fondamentalement différent dupoint de vue de l’utilisateur. Ce sont donc les fonctionnalités,la souplesse, le capacité de créer, d’animer un réseau qui vontcompter. La simplicité prime.

La technologie s’efface au profit de l’utilisation que nousen faisons. Les jeunes l’ont compris tout de suite, eux qui necessent d’explorer ce qu’ils peuvent faire avec toutes les nou-velles techniques mises à leur disposition sur le web. Ils nesont pas tous programmeurs ou hackers, loin de là ! Mais lesbarrières à l’entrée sont faibles, les connaissances nécessairesà son utilisation limitées, et le potentiel fort. Pas besoind’être ingénieur pour utiliser la messagerie instantanée oucréer son profil sur Facebook ou monter un blog.

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L’appropriation du web par ses utilisateurs est décisive

Le web permet aux jeunes d’utiliser l’outil comme bon leursemble, les aider à construire leur identité en relation avecles autres et au-delà de toute mécanique institutionnelleclassique. Les outils comme Facebook, MySpace ou les blogsle leur permettent, car ils sont des plateformes ouvertes,modifiables, aux règles souples. SMS et messagerie instanta-née permettent de s’exprimer spontanément, avec ses mots,son propre langage (alors que le courriel introduit la dis-tance de l’écrit réfléchi et de l’envoi différé). Créer, publieret modifier son profil sur un site de réseau social, c’est ajus-ter son identité par petites touches face aux autres. Créer unblog, commenter sur ceux de ses amis, c’est forger son opi-nion, s’affirmer, dire ce que l’on pense et se confronter. Tou-tes ces fonctions, très largement utilisées par les jeunes,montrent une dimension très différente des potentialités del’internet dans la sphère économique et sociale. C’est sansdoute pour cela que ces sites comptent parmi les plus visitéset les plus utilisés au monde. Mieux vaut les suivre de près.

Communiquer « dans les nuages »

Le téléphone ou le mail sont orientés vers un destinatairespécifique, dont on attend une réponse, une interaction.C’est une communication sous contrôle. Le web, lui, permetd’envoyer des informations tout en laissant aux intéressés(les happy few, dirait Stendhal) la possibilité de répondrecomme et quand ils le désirent. C’est ce qui se passe quandun jeune crée son profil et l’ouvre à ses amis ou qu’il laisseun commentaire sur la page publique de ses amis (le wall deFacebook). On passe d’une communication proactive et ins-titutionnalisée à une communication souple et non maîtri-sée. Twitter, l’outil qui permet à tous les membres d’unecommunauté de savoir en permanence ce que les autresmembres font grâce à de très courts messages instantanés,est l’archétype de cet usage naissant.

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Le web comme espace et outil relationnel

Pour les jeunes, le potentiel du web est d’abord un potentielrelationnel : absence de normes préétablies, liberté d’expres-sion, multiplicité des outils et des moyens, présence d’untrès grand nombre d’utilisateurs, des proches et des pluséloignés. Possibilités de rencontre, de découvertes.

Même des sites comme eBay ou Craigslist sont des sitesrelationnels, avec la mise en relation d’un vendeur et d’unacheteur, comme l’est Skype qui nous permet de parler pourtrès peu cher. Le potentiel relationnel du web apparaîtcomme un des piliers de la compréhension de son succès.

Mais la possibilité de la relation n’est pas efficace si ellene peut pas être un tant soit peu organisée. Le web conçucomme une plateforme s’organise très bien et très facile-ment en communautés souples, aux frontières changeantes.La beauté de la chose, c’est qu’il semble repousser les fron-tières de ces communautés plus loin que dans le monde phy-sique. Un jeune peut à la fois appartenir au groupe de sesamis sur Facebook et MySpace, mais aussi au groupe desfans de ses chanteurs préférés, de son équipe de foot favoriteet de sa classe d’école. Il y agira différemment, y rencontrerades gens différents, y proposera une image de lui différente.Les possibilités d’appartenir à plusieurs communautés sontplus grandes, et les possibilités de participations et d’inter-actions plus fortes. C’est la puissance de l’effet de réseau.

Mais, à y regarder de plus près, ce phénomène ne concernepas que les jeunes.

Les amateurs experts prennent la parole

Le web qui se construit est un web de participation, commele montrent abondamment les usages des jeunes qui n’yagissent pas en tant que consommateurs, qu’ils ne sont pasencore vraiment, mais bien en tant qu’acteurs engagés. C’estaussi un web d’amateurs qui accèdent à des outils d’experts,à commencer par des outils de publication et de création.Cela change beaucoup de choses, notamment dans toutes les

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mécaniques institutionnelles bien établies de production dusavoir et de sa diffusion. Cela change déjà les choses dans lafaçon dont les jeunes apprennent, par exemple en utilisantWikipedia, une encyclopédie d’experts amateurs collectifset actifs… plutôt que l’Encyclopædia Britannica.

Parce qu’il est ouvert, relationnel, communautaire, qu’il estconstruit par ceux qui l’utilisent et qu’il est plus porté par desusages en cours d’invention, le web se théorise mal. Il se prêtepeu à la conceptualisation, et il ne poursuit pas des buts prédé-finis, ce qui ne facilite pas la compréhension. La très forte mul-tiplicité des sites, des usages, des services, des possibilités lerend finalement très divers. Il est souvent une réponse à unbesoin mal appréhendé qui rencontre des utilisateurs.

Un bon exercice consiste à interroger les créateurs, sou-vent eux-mêmes très jeunes, des sites les plus à la mode. Lescofondateurs de Google expliquent qu’ils ont créé leurmoteur de recherche parce qu’ils n’étaient pas satisfaits de cequ’ils trouvaient sur le marché. Les fondateurs de YouTuberacontent qu’ils ne trouvaient pas de site leur permettantd’échanger facilement de la vidéo et de la partager avec leursamis. Le créateur de Facebook cherchait simplement à cons-truire le trombinoscope électronique de son université…Tout cela sans trop bien savoir ce que cela allait donner. Lesutilisateurs ont décidé !

Cette difficulté de conceptualisation peut rendre le webdélicat à comprendre, et le soumet aux jugements de valeurset aux analyses approximatives dont il n’est pas toujoursfacile de faire la part. L’expression « web 2.0 » en est proba-blement l’archétype.

Finalement, ce sont les grandes lignes de forces du webque nous désignent les usages des jeunes. Ce que nousappelons la dynamique relationnelle peut se décrire de lamanière suivante :

◆ les technologies sont présentes, mais se font oublier auprofit des usages ;

◆ une vraie souplesse de la plateforme, qui permet uneappropriation facile par ses utilisateurs ;

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◆ une capacité à communiquer « dans les nuages », avec leplus grand nombre et de façon très libre ;

◆ un espace social et relationnel ;◆ qui donne la parole aux amateurs experts.

La parole à un expert : ce qui compte, c’est la combinaison de la technologie

et du style de vie

Interview de Danah Boyd, anthropologue et doctorante de la School of Information

de l’université de Berkeley12

Pourquoi les adolescents aiment-ils tellement les sites de réseaux sociaux ?

Les adolescents ne s’intéressent pas spécialement à la technologie entant que telle. En revanche, ils s’intéressent beaucoup à leurs amis, et illeur importe de passer du temps avec eux (hanging out) où qu’ils soient.La plupart d’entre nous avons eu la possibilité de sortir, nous promenerdans notre quartier, traîner avec nos copains dans des lieux publics telsque supermarchés, parcs, ou parkings. Aujourd’hui, les adolescents amé-ricains n’ont plus cette liberté. Lentement, mais sûrement, nous leur avonsfermé les portes du monde extérieur. Il y a eu une très belle émission diffu-sée par la BBC montrant que le grand-père, à 8 ans, avait le droit des’éloigner de plusieurs kilomètres, alors qu’aujourd’hui ses petits-enfantsn’ont pas le droit de sortir du jardin. Alors ils trouvent d’autres moyens.Tous leurs amis sont en ligne, dans l’espace public numérique… unsuperbe endroit pour hang out. On peut y faire beaucoup de choses quenous avions l’habitude de faire off-line. Pas toutes... mais beaucoup. Lesadolescents vont où leurs amis se trouvent, en ligne.

Qu’entendez-vous par l’expression « hanging out » ?Dans une société centrée sur la productivité, nous pensons que tout doitêtre utile et mesurable. « Hanging out » c’est autre chose : c’est se réuniret ne rien faire, écouter de la musique, parler de Dieu sait quoi. C’est unefaçon de se positionner socialement par rapport aux autres, interagir aveceux, se créer des relations sociales et donc se créer une identité. C’estune façon de donner une image de soi, et que cette image soit reçue pard’autres. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas une action concrète, mesu-rable, que cela n’a pas de valeur. Les adultes comprennent souvent malcela et parfois le détestent. Mais ce n’est pas très différent de ce qu’ilsfont dans les bars avec leurs amis. Ils n’y font rien. Les adolescents nefont rien en buvant des sodas au lieu de ne rien faire en buvant de l’alcool.

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Quels outils les jeunes utilisent-ils ? Et que font-ils que les adultes ne font pas ?

Leur premier outil est la messagerie instantanée qu’ils utilisent pourparler à leurs amis. C’est aujourd’hui la norme chez les collégiens. Àmesure qu’ils grandissent, ils commencent à utiliser les sites deréseaux sociaux. Le décollage de MySpace, après Xanga, a vraimentmarqué une étape.

Il y a maintenant deux usages dominants chez les adolescents : lessites de réseaux sociaux et les téléphones mobiles. C’est universel.

Ils utilisent tous YouTube, mais ils consomment et ne produisent pasde vidéos. Sauf, évidemment, une minorité plus créative qui aurait detoute façon trouvé des moyens d’expression. Ils ne regardent pas lesmêmes vidéos que les adultes, mais leur comportement n’est pas trèsdifférent. Sur Facebook par exemple, ils font ce que font leurs parents :du networking ! À leur manière.

Le networking est l’action explicite et volontaire d’essayer de rencon-trer de nouvelles personnes, de construire un réseau et de l’animer. C’esttrès fort dans un contexte professionnel. On dit plutôt des adolescentsqu’ils socialisent. Ils organisent le réseau des gens qu’ils connaissent etéchangent avec eux.

Que se passe-t-il quand ces adolescents, un peu plus âgés, entrent dans le monde du travail ? Le font-ils changer ?

Pas vraiment. Ils vont utiliser les e-mails, dont ils ne se servent pas poursocialiser. Pendant un temps, ils continuent à hanging out avec leursamis, alors même qu’ils sont dans le monde du travail. Mais ils arrêterontquand ils songeront à se marier et à avoir des enfants. Aux États-Unis,c’est la fin du hanging out et le déplacement vers la banlieue. Les dinguesde technologies, les accros, les geeks sont une minorité. La majorité des« 20 ans et quelques » ont un petit boulot, vivent chez leurs parents etsocialisent chez eux.

Malgré cela, ils contribuent à faire évoluer les outils dont se servent lesentreprises – la messagerie instantanée par exemple, qui leur est trèsfamilière.

La façon dont les personnes se contactent spontanément est la dis-tinction la plus forte entre générations dans l’univers du travail. Les plusseniors utiliseront le téléphone, les générations d’en-dessous utiliserontvolontiers l’e-mail et les plus jeunes, la messagerie instantanée.

Dans vos travaux récents, vous analysez la différence entre MySpace et Facebook. Vous tentez notamment de comprendre pourquoi certains adolescents quittent l’un pour l’autre. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Il faut d’abord se souvenir que nous parlons des adolescents aux États-Unis. MySpace a émergé grâce aux jeunes qui n’étaient pas satisfaits deFriendster, et a touché les adolescents grâce à la culture musicale. C’est

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très différent de la population attirée par Facebook à ses débuts. C’étaitune application dédiée aux grandes universités américaines. Il a remplacéle trombinoscope (facebook en anglais) physique, une série de photos etde profils que les étudiants ont pris l’habitude de regarder pour voir avecqui ils ont envie d’entrer en contact pendant leurs études. Quand Face-book s’est lancé, ceux qui souhaitaient entrer dans ces grandes univer-sités voulaient y avoir accès.

Les spécialistes pensaient que tout le monde allait quitter MySpacepour Faceboook quand ce dernier s’est ouvert en septembre 2006. Or,ça n’est pas ce qui est arrivé. MySpace a continué de grandir.

On constate en fait une sorte de rupture sociale en fonction des origi-nes des adolescents. Une sorte de rupture de classes. C’est un sujettabou aux États-Unis, difficile à aborder et à quantifier. Et ça n’est passeulement une question de niveaux de revenus. Les modes de vie, l’ori-gine… marquent l’appartenance de classe. Cela ne ressemble pas dutout à ce qu’on peut voir en Europe.

Les deux sites ont des publics, des mondes très différents, qui neparviennent pas à communiquer. Bien sûr, beaucoup d’adolescents quiconnaissent des gens sur les deux sites ont des profils sur chacun, maisils parlent à des groupes différents.

Que pensez vous de la distinction « digital natives »/« digital immigrants » ?

Je n’aime pas le terme. Mais je comprends pourquoi les gens l’utilisent.En fait l’expression est utile pour les politiciens. En utilisant « digital nati-ves » ils pensent à une partie de la population qui n’est pas comme eux !Et c’est une source de problèmes car ils présument que tout jeune est un« digital native », ce qui est faux.

D’abord, la génération des 30 ans est beaucoup plus à l’aise avec lestechnologies un peu avancées et les usages du web. Nous savons cequ’est une adresse URL, par exemple, et comment l’entrer dans la barrecorrespondante, alors que les jeunes n’ont pas cette connaissance. Ilsvont utiliser Google. Ils vont sur MySpace et c’est tout. Ils sont natifs d’unmonde dont ils ont du mal à imaginer qu’il ait pu exister sans internet.Comme nous avons du mal à imaginer un monde dans lequel le télé-phone n’existait pas. Mais on ne s’appelle pas des « phone natives » !

Mais la vraie séparation est entre ceux qui utilisent internet et ceux quine l’utilisent pas, elle dépend aussi de la profondeur de leurs usages. AuxÉtats-Unis, une famille avec un seul enfant dont les deux parents travaillentaura probablement un ou deux ordinateurs à la maison auquel l’enfant auraun accès quasi illimité. Dans une famille plus nombreuse, avec la mère aufoyer et un père n’ayant pas accès à l’internet à son travail, l’ordinateur dela maison sera pris d’assaut par les membres de la famille. L’accès en seratrès certainement plus limité et les usages de chacun très différents. Il fautdonc aller un peu plus en profondeur.

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Est-ce que la façon dont les jeunes utilisent le web aujourd’hui nous dit quelque chose du futur ?

Ce qui compte, c’est la combinaison de la technologie et du style de vie.La façon dont un adolescent utilise une technologie est probablement dif-férente de la façon dont quelqu’un de 30 ou 60 ans l’utilise.

À 16 ans, on n’a pas forcément envie ou besoin d’utiliser un site derencontres. Ça change quand on approche de la trentaine.

Cette génération qui va grandir, va probablement utiliser les technolo-gies qu’elle utilise déjà, mais en adapter les usages à ses besoins et sonstyle de vie, qui va changer avec l’âge. Donc finalement, cela ne nous ditpas beaucoup de choses du futur.

Il est évident, en revanche, que le téléphone mobile va très certaine-ment finir par décoller aux États-Unis. Il y a une très forte pression pour« devenir mobile ». On ne veut pas rester bloqué devant son ordinateurcomme aujourd’hui. Les barrières ne sont pas technologiques, elles noussont imposées par les opérateurs de téléphonie mobile.

Comment voyez-vous le web aujourd’hui, et le rôle des jeunes ?Nous assistons au fond à une rupture d’usages et à une réorganisationde la façon dont les gens s’informent et se socialisent. C’est la notionmagique « d’amis ».

Les « amis », ce sont les gens avec lesquels vous parlez, ceux quiconstituent votre audience, ceux auxquels vous êtes attentifs.

Ce qui fait que le web d’aujourd’hui est si puissant, c’est qu’il permetaux gens d’organiser leurs activités avec l’audience et la communauté deleur choix. C’est une sorte de petit monde dont le contenu est généré parses utilisateurs, avec une dimension de communication, de partage, desocialisation, de mise en commun entre amis. Les gens n’ont pas forcé-ment envie de communiquer avec des étrangers. Ils ont plutôt envie depasser du temps avec ceux qu’ils inviteraient volontiers à dîner.

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De la dynamique relationnelle

« L’identité n’est plus toute dans la racine,mais aussi dans la Relation. »

Édouard GLISSANT, Poétique de la relation

Le manque d’intérêt spécifique des jeunes pour la technolo-gie et l’importance qu’ils accordent à leurs copains, la façondont ils s’en servent pour rester connectés entre eux relève enfait d’une parfaite compréhension intuitive de ce que le webfait le mieux. Réduit à sa définition la plus simple, le webn’est en effet rien d’autre qu’un outil pour établir des rela-tions… entre personnes, entre données ou documents et, leplus souvent, un hybride de tout cela.

Lemonde.fr, par exemple, nous met en relation avec desarticles. Ils sont eux-mêmes reliés à d’autres documentsou sites d’information par des hyperliens. Sur le mêmesite, blogs et forums nous permettent d’entrer en contactdirectement avec les gens qui écrivent et avec ceux quicommentent et participent. Le modèle n’est jamais vrai-ment pur, mais il suffit de se pencher sur n’importe quelsite un peu récent pour se rendre compte qu’il est omni-présent.

Les relations sont « concrétisables » (le mot est paradoxalpuisque nous sommes dans le virtuel) grâce aux liens (ou

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hyperliens) que nous pouvons activer. Ils sont le propre duweb et en font toute la richesse.

Notre hypothèse, ici est que, depuis 2004, le web a donnélieu à l’émergence d’une nouvelle « dynamique relation-nelle ». Rendue visible par le succès d’entreprises commeGoogle, YouTube, MySpace ou Facebook, elle est animée parla participation de millions d’individus et de petits groupeslargement informels. La technologie était là. Les webacteursont commencé à s’en servir de façon plus massive.

Le web s’est en fait développé à deux vitesses. Des dizai-nes de millions d’individus, des millions de petits groupes,des milliers de start-ups s’y sont lancés bille en tête un peupartout dans le monde. Mais l’enthousiasme était bien plustimoré et paresseux chez les entreprises ayant pignon sur ruevirtuelle (y compris celles qui avaient réussi dans les débutsdu web et survécu à la bulle). Certaines ont bien vu l’oppor-tunité dont le potentiel a été révélé par l’effarant succès deGoogle, mais les changements requis pour s’adapter leursparaissaient trop lourds.

La dynamique relationnelle qui caractérise le webd’aujourd’hui se heurte à la mécanique institutionnelle detoujours, et tout l’héritage intellectuel et social sur lequelelle s’est construite.

Nous entendons par « dynamique » l’ensemble des mou-vements non contrôlés, non linéaires, à facettes multiples,entraînés par la participation « de tous ». Avec « dynami-que relationnelle », nous indiquons le fait que cette dyna-mique sociale et technologique (participation plus effets deréseaux) est à l’œuvre dans l’établissement de relations entrepersonnes, groupes et données.

La mécanique concerne au contraire le mouvement linéaire,plus lent et mieux contrôlé qui caractérise les entreprises tradi-tionnelles. Elle repose davantage sur une gestion systématiquedes ressources selon un objectif de résultat, plutôt que sur unfoisonnement désordonné et pas toujours cohérent de l’universrelationnel.

L’exemple des médias, qui sera développé plus loin dansce livre, illustre ce point. D’un côté, nous avons les journaux

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traditionnels avec leurs salles de rédaction, leurs reportersprofessionnels, leurs revenus publicitaires, leur modèle devente… des mécaniques institutionnelles biens rôdées danslesquelles les réactions des lecteurs sont encore très souventcantonnées à une petit rubrique « courrier des lecteurs », aucontenu sévèrement sélectionné. De l’autre, des millions deblogueurs passionnés, sans modèle de revenus, qui scrutent,analysent et partagent en temps réel sans se soucier d’aucuncontrôle organisationnel ni d’aucune mécanique. Ils établis-sent des relations directes avec les lecteurs, qui commentent,affinent, enrichissent le contenu dans un vrai mouvementparticipatif.

Le journaliste de télévision américain Dan Rather, quiavait mal recoupé les sources d’un document douteux pen-dant la campagne électorale américaine de 2004, en a fait lesfrais : vite rattrapé par les blogueurs qui mirent en doute lavéracité du document, il dut démissionner quelques moisplus tard. Il y a de l’efficacité dans cette dynamique rela-tionnelle, qui défie la lente mécanique institutionnelle.

« Dynamique » et « mécanique » sont donc deux stylesdifférents de mouvements, dont les modes de développe-ment et les objectifs ne sont pas les mêmes, mais qui sont àl’œuvre de façon concomitante dans l’espace social, notam-ment dans celui que dessine l’utilisation du web.

La voracité, la passion avec laquelle les webacteurs se sontservis des outils mis à leur disposition pour établir des rela-tions entre eux et avec les données est sans doute l’un desphénomènes les plus étonnants de ces dernières années.Simultanément, une industrie entière s’est bâtie sur le déve-loppement et la distribution de ces outils dont les usagersn’avaient jamais anticipé qu’ils en auraient un jour besoin.C’est par exemple le pari de eBay, dont la plateforme permetà tout un chacun de s’improviser commerçant professionnel.

eBay et les entreprises de sa génération ont ainsi permis àla dynamique relationnelle du web d’entrer en concurrenceavec la mécanique institutionnelle dans un très grand nombrede secteurs et d’aspects de la vie en société. C’est le cas pourles médias, bien sûr, mais aussi pour toutes les entreprises qui

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associent de plus en plus leurs utilisateurs au design et au lan-cement de leurs produits. Y compris dans les secteurs où l’ons’y attend le moins. C’est ce que fait, par exemple, Procter etGamble quand elle propose à « qui veut sur le web » derésoudre – en concurrence avec son propre centre de ressour-ces et développement (R & D) – certains des problèmes qui seposent à elle. Et ce n’est qu’un début.

LIENS, FLUX ET RELATIONS

Le lien est l’essence du web. La définition donnée sur le siteanglophone de Wikipedia l’exprime sans équivoque. « Leworld wide web (le “web”) est un système de documentshypertextuels liés entre eux sur l’internet qui est une sériede tuyaux. Grâce à un navigateur, un utilisateur peut voirdes pages web qui contiennent du texte des images etd’autres expressions multimédias et naviguer entre eux enutilisant les hyperliens1. »

Le texte original, publié par les chercheurs Tim Berners-Lee et Robert Caillau le 12 novembre 1990, est tout aussiclair. Destinée à l’équipe du Cern (Conseil européen pour larecherche nucléaire) où elle a été conçue, la proposition envi-sage la mise en place d’un système permettant d’accéder auxmultiples documents des collaborateurs indépendamment dela plateforme sur laquelle ils ont été écrits et des serveurs surlesquels ils résident. « Les textes sont liés les uns aux autresd’une manière qui permet d’aller d’un concept à l’autre pourtrouver les informations requises. Le réseau de ces liens estappelé web2. »

Considéré comme l’ancêtre conceptuel de cette avancéetechnologique récente, le document écrit en juillet 1945par l’ingénieur et chercheur américain Vannevar Bush neparle pas d’autre chose3. Il se préoccupe lui aussi des pro-blèmes posés par l’organisation traditionnelle de l’infor-mation, par l’inadéquation de la structure arborescente etpar l’importance de pouvoir procéder par « associations »

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comme le fait l’esprit humain. Pour lui : « C’est le proces-sus consistant à relier deux éléments qui compte. »

Encore et toujours le lien, la relation dont la vertu princi-pale est de faciliter la dynamique de la pensée.

Le web est donc un outil pour créer, pour établir des liens.Il s’agit au départ de liens entre idées, entre documents, entrefragments de documents (précisons que Tim Berners-Lee etVannevar Bush l’ont toujours envisagé comme un dispositifmultimédia sans pour autant utiliser ce terme).

Ces liens nous conduisent à une multitude de sites, pages oudocuments. Ils sont le cœur du fonctionnement des moteursde recherche qui leur doivent d’être devenus les instruments denavigation les plus importants du web aujourd’hui.

Pour l’essentiel, ces liens entre données sont aussi desliens entre nous et les données. C’est souvent (mais pas tou-jours) nous qui les établissons et leur valeur tient à l’intérêtqu’ils suscitent chez nous, les webacteurs, mesuré à l’aunede notre insistance à cliquer sur eux.

Mais l’élément le plus nouveau, celui qui ne semble pasavoir été envisagé par nos scientifiques est que le web sertaussi à établir des relations entre les gens. C’est sa dimen-sion la plus populaire. Celle que nous trouvons dans le cour-riel, la messagerie instantanée, la téléphonie en ligne et tousles modes de communication rendus possibles par l’internetd’aujourd’hui. Elle joue un rôle considérable dans la dyna-mique caractéristique du web.

Ce sont les liens qui font les réseaux

D’une façon plus générale, on peut également dire que lesliens font les réseaux. Ils apparaissent, sous formes de lignes,dans toute représentation graphique de ce type de relation. Àl’inverse, quand on parle d’un pays, d’une famille, d’uneentreprise, d’une collectivité, l’image sous-jacente invoquegénéralement un contenant avec un intérieur et un extérieur :enveloppe, sac ou boîte. On est dedans. ou dehors, « avecnous » ou « contre nous », on appartient ou on n’appartientpas, on « l’aime » ou on « le quitte ». Peu importe finalement

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qu’on ne soit pas tous connectés les uns aux autres. Je n’ai pasparlé depuis trente ans avec mon cousin Éric. Nous ne cessonspas pour autant d’appartenir à la même famille. Justine àRennes n’a pas la moindre idée de qui est Tonin à Marseille.Ils appartiennent tous les deux à la même entité : la France.

Tout commence à changer quand on pose le problème entermes de réseaux. Si la notion de lien prévaut, l’enveloppepèse moins, la frontière perd en importance et en significa-tion. On n’est plus dans un même « bain », on est relié pardes flux.

La référence la plus explicite nous vient du titre du livrede László Barabási (une des figures de proue de la toutejeune « science des réseaux ») tout simplement intituléLinked4 (« relié »).

L’essentiel, c’est les liens qui relient les points (ou nodes).Les nodes les plus importants – ou hubs (« carrefours ») –tirent leur rôle stratégique non pas d’une quelconque taillequ’il faudrait trouver le moyen de mesurer, mais du faitqu’un plus grand nombre de liens les mettent en relationavec un nombre élevé d’autres nodes comme Barabási nous l’aexpliqué par courriel : « Le vrai message de Linked, c’est queles hubs, ces nodes avec un grand nombre de liens permettentaux réseaux de se maintenir. »

Ce sont les liens qui font le réseau (et non pas l’enve-loppe), les relations (et non pas l’appartenance).

Et les relations nous sont devenues essentielles pour com-prendre le monde.

László Barabási nous l’a expliqué de la façon suivantedans une interview5 : « Les réseaux sont la nouvelle géomé-trie de monde moderne. Les comprendre est devenu la disci-pline qu’était la cartographie il y a quelques siècles. »

Mais si leur projection graphique évoque un réseau routier,les liens ne sont en fait que la représentation de flux, d’échan-ges, d’interactions et des mouvements complexes qui enrésultent. Ils ajoutent à la dynamique propre à chaque node(nous préférons ce terme à « nœud » parce que ce dernier évo-que une interruption des flux contraire à ce qui nous paraîtessentiel) celle des relations réalisées et à venir. C’est cette

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dynamique actuelle et potentielle qui compte, celle qui doitêtre analysée et comprise tant en termes de sens, qu’en termesd’intensité et de qualité du trafic (le sens dans lequel se faitchaque activation, le débit qui passe par chaque lien et lanature de ce qui y passe).

La phase actuelle centre sa recherche sur la quantité, voiresur la direction des liens unissant différents nodes. MaisLászló Barabasi le disait dans son interview : « Un grandnombre de processus dynamiques prennent place le long desliens. Les comprendre est la prochaine frontière de la recher-che en matière de réseaux. »

La dynamique est dans les flux représentés par les liens,dans la différence, dans la distance, dans ce qu’ils induisentcomme échanges, comme modification, comme mouvement.

Apprendre à regarder les flux plutôt que les nodes, c’estpasser d’une conception statique (et rapidement conflic-tuelle) de l’identité à une dynamique relationnelle toujoursfaites de tensions… en perpétuelle voie de dépassement.

Revenons maintenant à la distinction entre la première et laseconde phase du web. Dans la première, le web, littéralementmarqué par le texte fondateur, était essentiellement un ensem-ble de fragments de documents relativement statiques. Onallait effectivement de l’un à l’autre en activant des liens, maisles fragments en question étaient autant de destinations et nousrestions dans la métaphore des voyages, des déplacements.

Plus dynamique, la seconde phase, qui devient plus visi-ble à partir de 2004, est mieux caractérisée par les flux(terme que l’on retrouve accouplé à l’un des outils les plusimportants : les flux RSS). L’information circule, le site estmoins une destination qu’un point de passage. Ajax, autreélément distinctif du web aujourd’hui sur lequel nousreviendrons plus tard, apparaît ainsi comme une techniquequi permet d’introduire la fluidité et donc le mouvementdans la page, qui lui permet de jouer un rôle actif dans ladynamique relationnelle.

Notre première approche du web, marquée encore pardes métaphores tirées des industries des transports et descommunications, comme « autoroutes de l’information »,

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« débits » ou « tuyaux », nous a conduit à le voir commeune structure.

L’évolution postérieure nous invite à accorder plus d’impor-tance aux relations, aux flux, à ce qui s’échange, aux réseauxsociaux qui s’articulent sur le réseau technique et dont les ima-ges inspirée de la plomberie et du transport routier ne rendentque très imparfaitement compte6.

Flux, métabolisme et société

Nous avons ainsi deux façons de parler d’un réseau. La pre-mière fait référence aux nodes et aux liens qui les relient, laseconde insiste sur les flux qui circulent. Tout se passecomme si le terme, plutôt statique, de « liens » nous empê-chait de voir ce dont il est question: le réseau est fait de fluxtransitant par des nodes.

C’est pour ça qu’on peut dire qu’ils sont au cœur de la viecomme l’explique Fritjof Capra : « Le métabolisme est leflux ininterrompu d’énergie qui passe dans un réseau de pro-cessus biochimiques et qui permet à l’organisme de se main-tenir, de se réparer et de se perpétuer. Ce métabolisme est lacaractéristique essentielle de la vie7. »

Outre son fameux Tao of Physics, Capra est, rappelons-le,l’auteur de deux livres clés pour comprendre l’importancedes réseaux : The Web of Life8 et The Hidden Connections9 danslesquels il montre leur rôle aux niveaux biologique, cognitifet social. Dans un entretien10, il nous a expliqué qu’il lesvoit comme « un ensemble unifiant de motifs d’organisationqui traverse toute vie, à tous les niveaux et dans toutes leursmanifestations. » Mais il prend bien soin de toujours distin-guer « le processus de flux et le motif de réseaux ». La dyna-mique et l’architecture.

László Barabási semble avoir une analyse comparable. À lafin de son livre11, il pose le problème de ce qu’il appelle dyna-mics of linkings. Pressé de répondre sur ce qu’il entendait parcela, il invite à faire la distinction suivante : « Les réseauxreprésentent l’architecture de la complexité. Comme toutearchitecture, elle remplit une fonction. Les gens vivent dans

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un édifice, marchent d’une pièce à l’autre et ainsi de suite. Dela même manière des messages circulent le long des liens del’internet ; des réactions chimiques prennent place le longdes liens des cellules ; de l’information est transmise le long desliens des réseaux sociaux. »

Le complexe s’explique par une dynamique de flux sur unearchitecture réticulaire. L’image du réseau permet de montrerqu’il faut sortir de la relation arborescente/hiérarchique.

Nous avons l’habitude de parler de « lien social », de« tissu social », autant d’images statiques. « Nous avonsune société parce que les gens choisissent d’interagir », rap-pelle László Barabási. La relation dynamique est à la base dudispositif social.

Vers un « individualisme réticulaire »

La technologie ne suffit pas à expliquer le succès du webd’aujourd’hui. Il correspond à une dynamique sociale préexis-tante à laquelle il permet de mieux s’exprimer. Il nous aide àmieux résoudre les problèmes qui la caractérisent.

Pour comprendre ce dont il s’agit, il convient de considé-rer (très brièvement) l’évolution sociale globale des cinquantedernières années. Une des expressions les plus simples pour enrendre compte (malgré tous les contre-exemples qu’elle peutsusciter) est « l’incrédulité à l’égard des métarécits12 », basedu courant si mal baptisé « post-moderne ». Les grandes ins-titutions cherchent à asseoir leur légitimité au moyen degrands récits fondateurs que nous avons de plus en plus dedifficulté à accepter sans broncher (de la religion révélée duPetit livre rouge en passant par la « mission » des entreprises).

Les récits jouant un rôle structurant dans l’organisationsociale, le scepticisme accru face aux récits fondateurs nepeut qu’entraîner un rapport différent aux formes d’organi-sation. La relation entre individus et groupes s’en trouvealtérée d’autant.

L’incontestable montée de l’individualisme fait que nousne supporterions plus que groupes et communautés conser-vent leurs caractéristiques d’antan. Nous les voulons plus

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souples. Mais nous voulons qu’ils s’adaptent, pas qu’ils dis-paraissent car nous avons toujours besoin des autres.

La formule la plus connue (elle n’est pas totalement satis-faisante mais elle nous est utile pour le moment) est celle« d’individualisme réticulaire » (networked individualism)mise en avant par Barry Wellmann, professeur à l’universitéde Toronto13.

Si les relations d’antan étaient essentiellement déter-minées par les lieux (le village, le quartier, l’appel d’untéléphone fixe à un autre, par exemple), l’internet et la télé-phonie cellulaire donnent la prééminence aux relations depersonne à personne et aux groupes souples. Au lieu dedépendre d’une seule communauté, d’abord locale, noussommes de plus en plus amenés à nous connecter à unegrande variété de réseaux moins denses et plus dispersésgéographiquement. Wellman utilise le terme « glocalisés »pour signaler qu’ils sont à la fois locaux et globaux. Nouspréférons le terme « translocaux », dans la mesure où trèspeu de groupes, d’institutions ou de phénomènes sont effec-tivement globaux. Ils impliquent en revanche des individusparticipants en de multiples endroits ou des personnes etdes groupes ayant des activités suivies dans plusieurs lieux(immigrants, travailleurs saisonniers, professionnels mobi-les, touristes, entreprises multinationales, etc.). Peu importeque ces lieux incluent des quartiers d’une même ville, desvilles d’un même pays ou situées dans des pays différents. Etpeu importe que toute la planète soit concernée.

Wellmann définit l’individualisme réticulaire commeune attitude dans laquelle l’individu compte plus dans lagestion de ses réseaux que le groupe (qu’il s’agisse de lafamille ou de l’entreprise dans laquelle il ou elle travaille)14.

Dans un article de référence écrit en 2001, il opposecette notion à celle de « petite boîte » ainsi définie : « Lesmembres des sociétés traditionnelles organisées en en peti-tes boîtes ont le plus souvent affaire à d’autres membresdes quelques groupes auxquels ils appartiennent: à la mai-son, dans le quartier, au travail. [...] Ces groupes ont sou-vent des limites pour marquer ce qui est inclus et une

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organisation structurée et hiérarchique: contremaîtres etemployés, parents et enfants, pasteurs et fidèles, dirigeantset membres. Dans une telle société, chaque interaction està sa place : un groupe à la fois15. »

Certaines personnes, rappelle Wellmann, continuent àfonctionner essentiellement dans des « petites boîtes » tra-ditionnelles et la plupart d’entre nous passons une partie denotre temps dans de tels groupes. Mais nous opérons de plusen plus « dans de multiples communautés partielles » deparents, voisins, amis ou collègues. Et, dimension tout aussiimportante, nos « activités et relations sont informelles plu-tôt que structurées de façon organisée ».

L’évolution est facile à comprendre si on l’illustre par l’évo-lution des appels téléphoniques. Le numéro d’une ligne fixecorrespond à un lieu qui appartient souvent à un groupe tra-ditionnel (entreprise, foyer, etc.). Un numéro de téléphonemobile permet en revanche une communication de personne àpersonne indépendamment du lieu ET du groupe. « Le pas-sage à un monde sans fil, personnalisé ouvre la porte à l’indivi-dualisme réticulaire alors que chacun change quand il veut deliens et de réseaux16. » Les gens conservent leurs connexions,bien sûr, mais ils le sont en tant qu’individus et chacun gèreses réseaux pour obtenir, suivant leurs besoins de l’informa-tion, une collaboration, un soutien affectif, voire un sentimentd’appartenance17.

« Jadis, nous appartenions à un groupe et nous n’avionspas beaucoup de marges de manœuvres » nous a expliquéJeffrey Boase, un des collaborateurs de Wellmann. « Dans unvillage, tout le monde connaît tout le monde. Aujourd’hui,nos réseaux sont plus diversifiés et plus clairsemés. Nousavons plus de liberté pour choisir entre différents types derelations et pour entretenir celles que nous voulons. Le cour-riel aide beaucoup. » Il est particulièrement utile pour garderle contact dans des réseaux étendus et dispersés. C’est encoreplus vrai des messageries instantanées.

L’évolution du marché du travail, où des équipes éphémères(ad hoc) sont formées autour d’un projet, avec des professionnelssouvent détachés de toute structure d’entreprise qui changent

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d’équipe tous les trois six ou dix mois, constitue une autre illus-tration intéressante du phénomène que nous décrivons ici.

Quoi qu’il en soit, la notion « d’individualisme réticu-laire » a pour mérite d’indiquer que c’est la relation quichange et pour inconvénient de faire pencher la balance ducôté de l’individu. Elle indique qu’il faut prendre l’indi-vidu « autrement » sans montrer que les groupes eux aussichangent. La confusion est abondamment entretenue, auxÉtats-Unis notamment, par l’abus du mot « communauté »Peut-être faudrait-il l’équilibrer par la notion de « commu-nauté réticulaire », une autre façon de désigner ce que l’ona l’habitude d’appeler aujourd’hui le réseau social. C’estpour rendre compte de ces deux pôles et de la dynamiquequi les anime que nous utilisons l’expression « dynamiquerelationnelle ».

Intitulée The Strength of Internet Ties18 (« La force des liensde l’internet »), une étude menée par le Pew Internet Pro-ject and American Life Project, montre, chiffres à l’appui,que l’internet joue un rôle important dans la vie de près dela moitié (45 %) des Américains. Il est « crucial » pour desdizaines de millions d’entre eux pour :

◆ obtenir une formation professionnelle complémentaire(21 millions) ;

◆ aider une personne atteinte d’une maladie grave (17 mil-lions) ;

◆ choisir une école pour eux-mêmes ou pour un enfant(17 millions) ;

◆ acheter une voiture (16 millions) ;◆ faire un investissement ou prendre une décision finan-

cière majeure (16 millions) ;◆ trouver un nouvel endroit pour vivre (10 millions) ;◆ changer d’emploi (8 millions).

Non contents de chercher des informations sur le web lesgens y cherchent le soutien et les conseils de leurs amis et deleurs relations. Le temps que nous y passons n’affecte pasnos relations personnelles. Au contraire. « L’étude confirmeque plus on envoie de courriels, plus on passe de temps avec

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les gens ou plus on leur parle au téléphone19 », nous a expli-qué Jeff Boase. « Elle confirme aussi que plus on voit nosrelations en personne plus on leur envoie de mails. » « Lesusagers de l’internet sont plus susceptibles que les non-usagers d’avoir reçu le soutien des membres de leurs réseauxsociaux quand ils ont eu à faire face à des événements impor-tants de leur vie », ajoute-t-il.

Autrement dit, les relations alimentent les relations (mêmequand elles utilisent différents médias). D’où la notion de« dynamique relationnelle ».

La souplesse croissante dans les relations entre individuset groupes caractérise notre époque. Sans renoncer aux rela-tions d’appartenance, nous tendons à multiplier les relationsréticulaires transitoires à portée limitée, moins rigides etplus dynamiques.

Arrivé à une phase de maturité, le web est un outil quenous sommes d’autant plus portés à utiliser que le tissusocial traditionnel est en pleine évolution et que les struc-tures organisationnelles (institutions et marchés) satisfontde moins en moins.

Cela se traduit par le recours croissant des utilisateurs à ladimension participative du web, pour échanger aussi bien quepour publier, comme nous l’avons montré en introduction.

Nous sommes tous des webacteurs…Ce que voyant, investisseurs, capital-risqueurs, start-ups et

grandes compagnies accourent, comme l’illustre l’extraordi-naire pouvoir d’attraction des conférences organisées autourdu thème « web 2.0 », dont il est propriétaire, par TimO’Reilly. Dès la troisième édition, fin 2006, il s’est vu obligéde démultiplier et d’ajouter au « sommet » de l’automne une« exposition » de printemps à laquelle sont venus participernombre de petites entreprises attirées par la perspective desurfer une vague porteuse.

À l’été 2007, elles commençaient à donner l’impressiond’être trop nombreuses.

Si l’on considère les sociétés créées autour d’outils et deservices d’échange de documents (musique, photos, vidéos,etc.), force est de constater que leur originalité n’apparaît

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qu’à qui consent un formidable effort d’imagination. Celane signifie pas pour autant que nous sommes en présenced’une bulle mûre pour un éclatement imminent, mais sim-plement qu’une consolidation du marché est inévitable.« Le capitalisme a besoin de quelques bonnes dégringoladespour rester sur le droit chemin » rappelait il y a peu GérardBaker dans le Times de Londres20.

Les institutions, pour leur part, ne sont pas insensibles àla vague. Mais elles n’avancent que très lentement, commenous le verrons dans nombre de cas abordés dans ce livre.Derrière les multiples raisons invoquées, on retrouve pres-que toujours une hésitation compréhensible : en l’absencede modèles économiques performants, les risques sont évi-dents, alors que les perspectives de gains demeurent aléa-toires, surtout sur les marchés de taille modeste.

Il apparaît, en outre, que la participation des usagers, lapossible émergence d’une intelligence collective et la mena-çante sagesse des foules ont de quoi impressionner et fairepeur aux tenants d’un mode de pensée traditionnel. D’autantplus que ladite participation implique bien, quelque part, àun moment quelconque, un défi pour les structures et lesmodes de fonctionnement traditionnels des pouvoirs.

La raison pour laquelle les institutions considèrent la dyna-mique relationnelle avec méfiance est presque toujours la peurde perdre le contrôle. On le voit sur les sites de médias tradi-tionnels qui se refusent encore à accepter des commentairesqui pourraient être apposés à côté de leurs articles ou quis’attachent à les vérifier tous avant de les mettre en ligne.

Et pourtant, elles tournent, ou plutôt, « elles bou-gent ». Que ce soit sous la poussée du marché, de certainsdirigeants plus audacieux, ou parce que leurs employés(notamment les plus jeunes) l’exigent, les institutionsavancent à leur rythme et avec le souci de conserver uncertain équilibre.

La tension qui en résulte avec la poussée relationnelle estmanifeste, comme l’illustre de manière particulièrementclaire l’adaptation des entreprises et notamment des entre-prises de service.

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À LA RECHERCHE DE L’EFFICACITÉ RELATIONNELLE

Dans ce contexte, l’époque semble marquée par la tensionentre la poussée relationnelle impulsée par un grand nombrede webacteurs et de start-ups d’un côté, et les lenteurs de lamécanique institutionnelle de l’autre.

La recherche spontanée et désordonnée de nouvelles for-mes de relations et d’organisation se heurte à la résistance(parfois), à la lenteur (toujours) des institutions et de leurmécanique prudente.

Dans le même temps, la dynamique en marche sans freinsdans certains espaces semble entraîner un début de réserveface à des offres comme celles de Twitter ou Facebook.

Twitter

Twitter.com est un hybride de SMS-messagerie instantanée-blogs. Il per-met d’envoyer et de recevoir, sur son portable ou sur un ordinateur, desmessages de 140 caractères maximum.

Le site invite ceux qui s’y inscrivent à répondre à une seule question :« Qu’êtes-vous en train de faire ? »

Les réponses littérales sont légion, du genre : « Je viens de louper lebus » ou « J’ai fini mon sandwich ». Si les blogs permettent de publierpour des millions d’usagers le récit de la vie d’un chat, on peut, grâce àTwitter, la suivre à la minute et se maintenir ainsi informé de l’instant où ilse gratte, ronronne ou dévore sa pâtée.

Vous pouvez vous en rendre compte en allant directement à la paged’accueil sur laquelle tous les messages arrivent ou, mieux encore, envisitant Twittervision.com. Vous y trouverez une carte du monde surlaquelle les messages apparaissent, accompagnés de la photo de leurauteur, à mesure qu’ils sont mis en ligne. Fascinant.

Les messages ainsi envoyés peuvent être vus de tous ou limités à unréseau d’amis. À l’inverse, chacun peut s’inscrire au système de distribu-tion qui lui convient le mieux.

Bref, simple et rapide, le service apporte une instantanéité sans effortaux réseaux sociaux les plus souples comme les plus denses.

Le mot twitter se traduit par « taquiner » et twit par « idiot ». Le fonda-teur, Evan Williams21, est connu pour sa participation à la création deBlogger, un programme de blogs absorbé par Google.

Chacun peut limiter les messages qu’il reçoit. L’outil peut servir à despetits groupes dont les membres veulent rester en contact intense ou qui

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ont une tâche précise à réaliser dans un temps raisonnablement court. Ilpermet alors de coordonner l’activité d’équipes de travail comme, parexemple, des reporters lors d’une grande manifestation ou d’une catas-trophe. Il peut aussi être très utile pour la diffusion d’informations brèvesà un grand nombre de personnes. Certains blogueurs s’en servent régu-lièrement. Aux États-Unis, la campagne présidentielle de 2008 est claire-ment marquée par l’usage qu’en font candidats, activistes et journalistes.

Mais le problème avec ce site très à la mode au printemps 2007, c’estqu’on finit par être enseveli sous une avalanche d’informations d’utilitédouteuse. La saturation guette, or ce genre de services se multiplient(Williams lui-même a créé Pownce.com qui permet d’échanger desdocuments). C’est ce qu’affirmait la blogueuse et créatrice d’entrepriseMary Hodder en juin 2007 quand elle a mis en avant la notion d’« excèsd’information sociale22 ».

« C’est terrible, dit-elle, Je sais tellement de choses – dans les moindresdétails – sur les amis qui sont sur les mêmes réseaux que moi que nousn’avons plus rien à nous dire quand nous nous retrouvons. Je sais déjà toutce qu’ils font. Ils m’ennuient », nous a-t-elle confié au cours d’un entretien.

Si la dynamique relationnelle du web permet de satisfaire unprofond besoin social, elle a tendance à s’emballer. La « bête »(c’est-à-dire nous, qui la composons) a besoin de trouver sonéquilibre, sa maturité. Le marché en a besoin s’il veut éviter lasurchauffe, les webacteurs aussi s’ils ne veulent pas succomber àl’excès d’information sociale de même que les institutions sielles veulent se mettre à jour.

Après l’engouement suscité par la découverte d’une dyna-mique relationnelle nouvelle, beaucoup d’usagers commen-cent à se demander s’ils n’ont pas intérêt à la gérer de façonplus efficace sous peine de se trouver dépassés.

Que nous le voulions ou non, la tendance est à la recher-che d’une plus grande efficacité relationnelle.

Le vrai défi consiste à tirer parti de toutes les opportunitésque nous offrent ces nouveaux outils et les effets de réseauxqu’ils permettent sans se laisser déborder. L’histoire que nousracontons dans ce livre est celle de l’émergence d’une dyna-mique relationnelle accrue et du passage à la recherche d’uneplus grande efficacité dont nous ne pouvons encore que dis-cerner les contours.

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Les techniques discrètes du web d’aujourd’hui

« Les technologies les plus puissantes sont celles qui disparaissent.Elles se fondent dans le tissu de la vie de tous les jours

jusqu’à ce qu’on ne puisse même plus les en distinguer. »

Mark WEISER1

Paradoxalement, le web d’aujourd’hui « n’est pas une techno-logie, c’est une façon d’assembler des logiciels et du busi-ness », selon le blogueur Dion Hinchcliffe2. En effet, il n’estpas porteur d’innovations technologiques majeures. Et lesgrands acteurs qui se partagent le haut de l’affiche ne sont pasles grands éditeurs de logiciels comme dans les années 1990,ou les grands constructeurs d’ordinateurs comme dans lesannées 1980. La technologie existe, elle est accessible à tous etelle est bon marché. Ainsi, les coûts d’infrastructures techni-ques ont baissé de 72 % en six ans, selon l’indice des prix desordinateurs (Computer Price Index) édité tous les ans par legouvernement américain.

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Moins cher

Joe Kraus, fondateur d’un des premiers portails de l’internet, Excite, adéclaré lors de la conférence Web 2.0 d’octobre 20053 : « Il n’y a jamaiseu de meilleur moment pour être entrepreneur, car cela n’a jamais étéaussi peu cher. Excite a coûté 3 millions de dollars, entre l’idée et le lan-cement. JotSpot, ma nouvelle compagnie, 100 000 dollars. »

Il attribue cette diminution par 30 à au moins quatre facteurs :

• des matériels moins chers ;• des logiciels gratuits basés sur l’open source ;• l’accès à une main-d’œuvre abondante et bon marché (notamment

en Inde et en Chine) ;• le marketing lié aux moteurs de recherche (search engine marke-

ting), permettant l’accès global et bon marché à des marchés deniche (échelle planétaire notamment).

Rien de plus simple sur le web que de créer un site, lancerson blog, publier de la vidéo réalisée et montée « maison », oufaire sa propre émission de radio. Et avec succès ! Créer sonbusiness dans le monde virtuel SecondLife et en vivre estdevenu possible, voire même banal. Ils sont des dizaines demilliers d’internautes à l’avoir fait, sans aucune expertise tech-nologique. Et ils sont plusieurs millions à vivre, au moins par-tiellement, de commerce en ligne sur des plateformes commeeBay, sans maîtriser un quelconque outil de programmation.Bien réelle, la technologie a appris à se faire discrète au pointde disparaître souvent derrière des interfaces simples.

Les usages profondément innovants du web n’ont pu segénéraliser et commencer à toucher le plus grand nombre,que grâce à cet effacement progressif. C’est même probable-ment le plus grand effort accompli par les compagnies quiont réussi ces dernières années. Google, avec sa fameusepage blanche ornée d’une étroite fenêtre de dialogue en estl’archétype. Du stockage à l’accès aux données en passantpar l’algorithme de recherche, elle dissimule sa technologiecomplexe gérée par des milliers d’ingénieurs et mathémati-ciens qui comptent parmi les meilleurs du monde.

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YouTube : la simplicité au service de la vidéo partagée

YouTube est un service gratuit de partage de vidéos sur l’internet, dont lesuccès étourdissant semble ne pas connaître de limite. On y trouve detout, de la vidéo des premières dents du petit dernier aux clips à la mode,mais aussi des vidéos de création artistiques ou d’animation et des seg-ments d’émissions télévisées. L’ensemble des contenus est posté par lesinternautes. Les spectateurs actifs notent les vidéos qu’ils aiment ouqu’ils détestent. Certaines vidéos sont vues plusieurs millions de fois, etdes stars émergent de l’anonymat ! De quoi intéresser, ou faire pâlir dejalousie, les plus grandes chaînes de télévision.

Les spécialistes estiment que YouTube utilise en 2007 l’équivalentde la totalité de la bande passante de l’internet en 2000. Comme beau-coup d’entreprises à succès de la Silicon Valley, YouTube est née d’unbesoin simple de ses fondateurs : l’envie d’échanger facilement entreamis une vidéo prise lors d’un anniversaire, et d’en faire profiter le plusgrand nombre.

Le site illustre parfaitement le concept d’effacement de la technologie.YouTube est très simple à utiliser. On publie sa vidéo sur le site à partir deson ordinateur. Et c’est tout… On peut même la placer sur son blog.Enfantin. Plus besoin d’avoir de subtiles notions de code, de disposerd’un serveur, d’acheter de la bande passante : le site s’occupe de tout,et c’est transparent pour l’utilisateur. L’efficacité est décuplée par l’efface-ment des technologies. Au bénéfice du plus grand nombre, et de leursrelations à autrui : certaines vidéos ont permis à des artistes de se faireconnaître du grand public, ou simplement à des inconnus d’entrer enrelation avec un véritable public. Elles ont surtout permis à des gens des’exprimer.

Qualité très inégale, légalité parfois douteuse et contestée, mais inté-rêt persistant sont au rendez-vous. Google ne s’y est pas trompé : enoctobre 2006, la société a racheté YouTube pour un peu moins de1,7 milliards de dollars.

Nous parlons d’une nouvelle ère, celle de l’après PC, cellede l’internet et du web. Les évolutions actuelles du web nesont que l’illustration d’un tipping point4, un point d’inflexion,dans un mouvement beaucoup plus long. Les principalestechnologies du web arrivent aujourd’hui à maturité. Ouver-ture et collaboration sont au cœur des derniers développe-ments et permettent au web de jouer pleinement son rôle deplateforme. Cette plateforme permet aux sites, plus ouverts et

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plus légers que leurs prédécesseurs, de placer les données aucentre de leur mécanique. L’ajout de nouveaux « moyens detransport » de la donnée, comme les flux RSS5 (pour realsimple syndication, ou « système d’abonnement vraiment sim-ple »), accroît la fluidité de la circulation d’information. Ilne reste alors qu’à enrichir cette donnée, à lui donner plusde sens pour faire du web un puissant outil de renforcementde l’intelligence collective. C’est ce mouvement qui est àl’œuvre.

OUVERTURE ET COLLABORATION

Le web est une plateforme

« Le web est une plateforme6 » insiste l’éditeur Tim O’Reilly,fin 2004, quand il constate que quelque chose a changé dans lafaçon dont les gens l’utilisent.

À l’ère des ordinateurs individuels, des PC, une entre-prise comme Microsoft a montré avec succès l’importancestratégique de ne pas simplement créer des applications(World, Excel, Internet Explorer, par exemple), mais de lesintégrer dans des plateformes logicielles (Windows, Office,Exchange, par exemple). La majorité des produits Microsoftconstituent les briques propriétaires d’une fondation pluscomplète (les fameuses suites Office, ou le système d’exploi-tation) sur laquelle tout un écosystème est bâti. C’est ce quia fait le succès technologique et commercial de Microsoftces trente dernières années.

L’évolution était inéluctable :

◆ d’abord à cause du glissement de standards propriétairesvers des standards ouverts. L’internet est aujourd’hui uneplateforme globale, qui repose sur des standards établis,ouverts et partagés7 ;

◆ ensuite, par les évolutions des sites web. Nous sommespassés d’une première génération de sites statiques (lecontenu ne change que par l’intervention de son adminis-

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trateur, c’est-à-dire peu souvent), à une deuxième généra-tion dynamique (plus rapide et plus riche, le contenuchange aussi de façon automatique, en interaction avecles algorithmes et les utilisateurs). Et on voit apparaîtreaujourd’hui une troisième génération de sites, commeYouTube, MySpace, Flickr ou LinkedIn, qui ne sont passeulement des destinations, mais des plateformes, propo-sant à la fois les données (vidéos, photos, textes, informa-tions..) et les services nécessaires pour faire fonctionnerles nouveaux écosystèmes (système de publication, classe-ment, de recherche, d’indexation, de partage…) ;

◆ par l’apparition de plateformes d’échanges entre web-acteurs : le système du peer to peer, qui permet auxwebacteurs d’aller chercher librement sur le disque durd’un utilisateur connecté ce qui l’intéresse (musique,vidéo…), ou d’utiliser le disque dur et la connexion d’unutilisateur connecté pour accéder à un service ou unréseau plus grand, sans en supporter le coût (c’est le sys-tème utilisé par le logiciel de téléphonie en ligne Skype) ;

◆ par les évolutions des logiciels eux-mêmes, enfin. Contrai-rement au modèle traditionnel, qui impose de disposersur son ordinateur du logiciel nécessaire au fonctionne-ment d’une application (Word pour le traitement detexte, ou Excel pour une feuille de calcul par exemple),une panoplie de plus en plus vaste de logiciels est dispo-nible sur l’internet, ne nécessitant aucun téléchargement.On trouve aujourd’hui sur l’internet des outils de trai-tement de texte très variés (sur Zoho, Thinkfree…), destableurs (Spreadsheet, de Google par exemple), des logi-ciels de retouches de photos, de montage vidéo... Ils sontsouvent gratuits et enrichis de fonctionnalités qui permet-tent aux utilisateurs de collaborer en ligne, en s’échangeantleur fichiers et en les enrichissant.

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Le peer to peer : le web, plateforme d’échange et de partage

Le peer to peer, ou « pair à pair » en français, est un systèmeapparu pour le grand public en 1999, avec la sociétéd’échange de musique Napster. Il permet à plusieurs ordi-nateurs de communiquer via l’internet, et de partager desinformations simplement : fichiers, sons, vidéos, mais aussides flux multimédias continus (streaming). Il nécessite l’uti-lisation d’un logiciel spécial, qui permet aux ordinateurs deformer un réseau. Les exemples les plus connus sont les sitescontroversés (pour leur légalité, surtout) d’échanges demusique : Napster, Kazaa, Gnutella, eDonkey, BitTorrentpar exemple. Mais Skype, le logiciel de téléphonie surl’internet, utilise le même principe pour créer son réseau detéléphonie. En téléchargeant le logiciel Skype, chaquewebacteur accepte de devenir un des points de passage d’unvaste réseau de téléphonie, détournant ainsi les réseaux clas-siques. Le système est une des briques fondatrices de l’utili-sation du web comme un puissant système de mise enrelation, de partage et d’échange. Assez simples d’un pointde vue technologique, ces logiciels vont avoir de profondsimpacts économiques en bouleversant le modèle économi-que d’industries bien installées, comme celle des grandslabels musicaux.

Les bénéfices de l’ouverture des applications

Les API (application programming interfaces ou, en français,« interfaces de programmation d’applications ») sont desportes volontairement ouvertes par les éditeurs de logicielspour permettre à d’autres éditeurs de s’approprier des bri-ques intéressantes et d’y ajouter leur propres services.

Un des exemples classiques est celui de Google Maps.En ouvrant les API de son service de cartographie et delocalisation sur l’internet, Google a suscité de nombreusesvocations chez les programmeurs ou éditeurs de sites websde tous genres : de la localisation de boutiques, à l’intégra-tion de cartes géographiques dans les sites immobiliers.

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Housemapping.com, qui permet de localiser maisons etappartements en location et en vente, et Zillow.com, grâceauquel on peut avoir toutes les informations voulues(taille, prix approximatif, etc.) de tout le parc immobilierdes États-Unis, en sont de bonnes illustrations.

Les API ne sont pas nouvelles. À l’ère des PC, ils étaienttypiquement proposés – souvent moyennant finance ou par-tage de revenus – par des éditeurs de système d’exploitationcomme Microsoft ou Apple, ou par des éditeurs plus origi-naux, comme RedHat, promoteur de la première heure dulogiciel libre.

Les principales API sont proposées aujourd’hui par lesgrands sites de services en ligne, et elles le sont gratuitement.eBay est un des premiers sites, dès 2000, à avoir ouvert l’accèslibre à certaines parties de son code. La compagnie a proposéun programme libre pour les développeurs, leur permettantde renforcer et diffuser ses outils d’enchères et de place demarché. Aujourd’hui, près de 50 % de toutes les enchères pla-cées sur eBay le sont via des tiers ayant développé leurs outilsà partir de ces API8.

Les API ne sont donc pas seulement un moyen d’ouvrirson code pour enrichir une application. Elles sont aussipotentiellement une source de revenus dérivés pour l’éditeurqui autorise l’utilisation de son système.

Des outils en construction permanente : la « bêta perpétuelle »

Nous étions habitués, dans l’ère du PC, à attendre, avec unecertaine régularité, les nouvelles versions logicielles apportantleur lot d’améliorations et de nouveautés. Les exemples les plusconnus sont les nouvelles livraisons de nos systèmes d’exploi-tation par les grands éditeurs : d’OS Tiger et Leopard pourApple, à Vista pour Microsoft. Cette ère n’est évidemment pasencore dépassée, mais elle est en train d’être marginalisée.

Qui attend la dernière version du logiciel de Google ?Logiciel qu’on ne télécharge pas, mais auquel on accède

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directement en ligne. Pourtant, ces améliorations arrivent etsont délivrées, à un rythme régulier. C’est la « bêta » perpé-tuelle. Le terme « bêta » est traditionnellement utilisé pourdécrire un logiciel qui fonctionne, mais qui est encore en test,inachevé. Et donc, habituellement, pas encore vendu. Dans la« bêta perpétuelle », tout est en chantier, tout le temps. Maisde façon transparente. L’utilisateur peut se contenter de pro-fiter des nouveautés et mises à niveau sans avoir à s’en pré-occuper…

Quand appareils et programmes sont en permanenceconnectés à l’internet, les applications ne sont plus de sim-ples « expressions » de logiciels, ce sont des services conti-nus et en ligne. Ceci a un impact très significatif sur la façondont sont développées et délivrées les applications. Plus deCD à charger : rien n’est sur l’ordinateur, tout est en ligne.

Ce n’est plus le seul développement du logiciel quicompte, mais son bon fonctionnement au quotidien. Le suc-cès de Google ne tiens pas seulement à l’excellence du logi-ciel de PageRank et de l’algorithme qui le soutient, mais àla parfaite disponibilité des serveurs, à la rapidité de l’affi-chage des résultats et à leur pertinence. Et cela suppose quele système est bien en perpétuel chantier, puisqu’il netourne pas de façon figée sur l’ordinateur de l’utilisateur,mais sur une plateforme en ligne.

Aujourd’hui, l’utilisateur ne pense plus logiciels, maisservices. Et il s’attend à ce que ces derniers soient disponi-bles et s’améliorent sans versions, sans installations et sansmises à jour nécessaires. Grâce aux API, il peut même deve-nir codéveloppeur du système proposé par l’éditeur.

Un des bénéfices pour les éditeurs est d’être plus en phaseavec le marché. Flickr, le site de partage de photos en ligne,a déployé plusieurs centaines de nouvelles versions de sonlogiciel entre février 2004 et août 2005. Pendant ce temps,Microsoft ne sortait aucune nouvelle version de Windows…et Vista, son nouveau système d’exploitation, prenait desmois de retard.

L’utilisation de la version bêta, c’est-à-dire officiellement« en chantier », permet d’associer fortement les utilisateurs

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au développement, en recueillant leurs avis et en amélio-rant le produit au fil de l’eau, sans pour autant en ignorerou masquer les dysfonctionnements. Google Maps, lancé enfévrier 2005, est resté en version bêta pendant huit mois.Un délai qui a permis à Google de recueillir des informa-tions précieuses de la part de ses utilisateurs, d’ajouter trèsrégulièrement de nouvelles fonctionnalités (par exemple,l’impressionnante vision par satellite), et de s’imposer surle marché en bénéficiant de l’avantage au premier entrantcontre Microsoft et Yahoo!.

ALLÉGER ET INSÉRER DE L’INTELLIGENCE DANS LES DONNÉES

Le web actuel repose sur des sites de plus en plus riches(photos, sons et vidéos sont venus s’ajouter au texte), dyna-miques et interactifs. Cela suppose des fonctionnements deplus en plus complexes.

Dès lors, alléger l’accès et donner de l’intelligence auxdonnées pour les faire communiquer avec les autres, est undes éléments clés de la technologie. Un de ses facteurs desuccès.

Cela constitue-t-il une vraie nouveauté ?

Ajax : « refaire la peinture, mais pas les murs »

Dans notre contexte, Ajax ne désigne ni une marque de pro-duits ménagers, ni le roi de Talamine, fils de Télamon, dontSophocle s’inspira pour sa célèbre tragédie.

Il s’agit de l’acronyme pour Asynchronous JavaScript andXML, un des langages utilisés aujourd’hui dans le dévelop-pement d’applications informatiques et de sites web.

Il ne s’agit pas d’une technologie, mais plutôt d’uneméthode de développement très prisée qui utilise plusieurstechnologies du web.

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Ajax vise à répondre à plusieurs difficultés :

◆ les applications en ligne sont de plus en plus lourdes dufait de l’introduction massive du multimédia ;

◆ l’ensemble du mouvement actuel est porté par l’interacti-vité, la possibilité de consommer, mais aussi de créer ducontenu ;

◆ nous disposons de meilleurs débits, donc nous deman-dons au réseau de nous fournir plus de données, plus rapi-dement.

Le terme « Ajax » a été utilisé pour la première fois enfévrier 2005, dans un article de Jesse James Garrett, spécia-liste des questions d’architecture de l’information9. Mais lesbases ne sont pas nouvelles. C’est Microsoft qui a développéune des technologies au cœur d’Ajax, le XMLhttp, dès 1999(voir l’interview en fin de chapitre). Cela illustre bien le faitque la nouveauté technologique du web naît souvent de lacombinaison de technologies mûres, ou d’usages anciens,qui trouvent dans de nouveaux assemblages et de nouveauxusages une seconde vie, plus riche.

Le principe d’Ajax est très simple… sur le papier. Aulieu d’obliger votre navigateur internet à recharger complè-tement une page web à chaque fois qu’une nouvelle infor-mation se présente ou est demandée, Ajax vous permet dene charger que ce qui est nouveau et utile. Ainsi, lorsquevous consultez votre messagerie sur l’internet (Gmail, lesystème de Google par exemple), le navigateur ne va cher-cher que les nouveaux messages reçus au cours de la session,et ne recharge ni les logos ni les anciens mails. On gagne entemps, en souplesse, en réactivité. Pour prendre une image,soufflée par le capital-risqueur franco-américain Jean-LouisGassée, « Ajax vous permet de refaire la peinture sansrefaire les murs10 ».

In fine, c’est même la notion stricte de page web quidisparaît au profit de celle d’écran, constitué de compo-sants qui s’exécutent localement dans le navigateur. Cha-que composant peut échanger des données structurées avec

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un serveur web. Une vraie dynamique relationnelle s’éta-blit entre les données.

Netvibes : la page web personnalisable

Un bon exemple d’illustration de l’utilisation d’Ajax est donné par Netvi-bes, un service gratuit de pages personnalisables.

Toutes nos données préférées peuvent y figurer : boîte courriel, sour-ces d’informations, blogs et podcasts, gadgets, météo, bourse…

Chaque type d’information apparaît dans un rectangle horizontalcontenant simplement le nom du site d’origine et le nombre de messagesou articles non lus. Passer le pointeur sur un titre permet de lire la pre-mière phrase. Chaque rectangle peut être édité ou déplacé avec un sim-ple clic et mouvement de souris.

Ces barres qui s’ouvrent ou se ferment à volonté permettent d’avoirun grand nombre de modules par page sans risquer l’asphyxie. Quandune page est trop chargée, il est possible d’en créer une autre qui seraindiquée par un onglet et accessible instantanément. Une pour les nou-velles du jour, une pour l’actualité internationale, une pour la musique,une pour le cinéma, etc.

Les informations sont mises à jour au gré de la publication de nou-veautés : les dépêches AFP au fil de l’actualité, la bourse toutes lesquinze minutes, la météo tous les jours, notre boîte mail à chaque récep-tion de nouveaux messages… sans que nous ayons à nous préoccuperde quoi que ce soit. Ceci, grâce à Ajax, couplé à la technologie des fluxRSS expliquée ci-après.

Flux RSS : les données viennent au webacteur

Pour rendre les données intelligentes, il faut les rendre acti-ves et dynamiques.

La première génération de sites web était constituée depages statiques, proposant du contenu, auquel on accédaiten naviguant de lien en lien, ou à l’aide de moteurs derecherches. Puis l’augmentation irrésistible du nombre depages a rapidement fait de la recherche de données un par-cours du combattant.

Au-delà des moteurs de recherche, deux éléments ontpermis d’apporter une première réponse à cette difficulté

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croissante d’accès aux données : les portails et les marque-pages (ou bookmarks) :

◆ la création de portails a constitué la première tentative destructurer les données au sein d’un lieu unique et d’uti-liser le web comme une plateforme de contenus. Cesgrands sites d’agrégation de contenu, dont Yahoo! a étél’archétype, permettent de trouver, en un seul endroit,une masse importante d’informations. On a ainsi forméde grands portails généralistes, mais aussi un grand nom-bre de portails thématiques pour le sport, l’automobile,ou la mode par exemple. Yahoo! est même le premier, dès1999, à avoir introduit la possibilité de personnaliser sapage d’accueil avec MyYahoo! sur laquelle chacun pou-vait regrouper les éléments de son choix. Pourtant, cettefaçon d’accéder aux données restait conditionnée pardeux actes majeurs : il fallait continuer à aller les cher-cher sur un site, et se fier aux choix de l’éditeur de ce site.Dans un tel système, on ne choisit pas la source, elle nousest imposée par un tiers : le portail. Il manque doncencore l’interactivité et la liberté de choisir. Les portailsentièrement personnalisables par l’utilisateur, commeNetvibes ou WebWag, qui laissent au webacteur le choixcomplet de ses sources, sont une partie de la réponse àcette question ;

◆ les marque-pages ou signets sont une réponse ancienneet pratique. Ils ont été incorporés au navigateur dès lepremier d’entre eux : Mosaic. Ils permettent simple-ment de garder en mémoire et de classer nos pages favo-rites pour pouvoir y retourner aisément. Ils sont unesorte de bibliothèque accumulée au gré de nos naviga-tions. Seule difficulté : ils sont « passifs ». Ils ne nouspréviennent pas lorsqu’un site est mis à jour, qu’uneinformation importante est publiée, ou qu’une donnéequi nous intéresse change. En outre, nos marque-pagesressemblent vite à ces bibliothèques constituées au fildes ans et de nos lectures : une masse de références, detitres et de liens sans véritable sens. Nous avons beau

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classer et reclasser, l’accès aux données fraîches reste untravail de Sisyphe.

Un flux RSS est un format d’abonnement à des sites, quipermet de diffuser automatiquement et en temps réel leursinformations, sans qu’il soit nécessaire d’y accéder directe-ment. C’est un peu comme d’avoir tout ou partie de sonjournal délivré en temps réel, plutôt que d’aller au kiosquepour l’acheter. Avec RSS, je ne vais plus chercher les don-nées, elles sont poussées vers moi.

Un exemple : une dépêche de l’AFP portant sur un sujetqui m’intéresse tombe : j’en suis directement informé, sansavoir besoin de consulter le site. Mon blog favori est mis àjour : je n’ai pas besoin d’y accéder pour le savoir, j’en suisinformé par le lecteur RSS intégré à mon navigateur, ou parun lecteur que j’ai installé. Même chose quand l’heure d’unavion change. Rien de plus facile que de s’abonner ou de sedésabonner à un flux RSS et pratiquement tous les sites enproposent.

Les flux RSS sont en train de devenir le moyen privilégiéd’accès à la donnée.

Les prochaines évolutions technologiques vont d’ailleursintégrer un canal retour aux flux RSS, aujourd’hui « mono-directionnels » (du fournisseur vers le consommateur).Microsoft – encore lui – est en phase de développement duflux SSE (simple sharing extensions) qui synchronise les basesde données. Cela permettra aux données de communiquerentre elles de façon simple et transparente pour l’utilisateurqui y gagnera, notamment s’il accède au web via plusieurspostes. C’est une étape essentielle dans l’utilisation du webcomme une plateforme.

Comme souvent dans ce livre, nous constatons que le fluxRSS est une technologie ancienne, qui connaît son heure degloire avec les derniers usages du web11.

La technologie du RSS, si simple et peu onéreuse àdéployer, est un moteur du décollage de ces nouvelles plate-formes de publication que sont les blogs.

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Blogs/podcast/videocast/wiki : les nouvelles plates-formes de publication et de partage

Le blog est un des phénomènes qui a le plus changé le web.Selon Technorati, l’un des sites qui les référence, ils étaientplus de 100 millions début septembre 2007. Pour définir leblog simplement, il s’agit d’un site web dont le contenu estproduit par les utilisateurs – le ou les auteurs et les lecteursqui participent avec leurs commentaires. Il adopte générale-ment le style d’un journal dont les entrées les plus récentessont présentées au début. Proposant essentiellement à l’ori-gine des textes et des images, les blogs se sont enrichis desons (podcast) et de vidéos (videoblogs). Ils se sont égale-ment doublés de plateformes d’échange et de partage desdonnées, comme les wikis, dont le contenu est mis en lignedirectement par les lecteurs. Nous reviendrons sur le phéno-mène dans notre chapitre consacré aux médias pour nousconcentrer ici sur l’aspect technologique du mouvement.

L’intérêt pour le web comme plateforme de publicationn’est pas nouveau. Mais il nécessitait jusqu’à la fin desannées 1990 de maîtriser des techniques complexes, et sou-vent le code et le langage de programmation HTML.

L’apparition d’outils simples de gestion de contenu a pro-voqué l’engouement pour les blogs et conduit à l’abandonprogressif des sites personnels, trop compliqués. Ceci illustreun principe fort à l’œuvre dans le mouvement actuel : touteapplication permettant de cacher les technologies connaît ungrand succès auprès de l’utilisateur final.

Le premier éditeur populaire d’applications de blog estune société de San Francisco, Pyra Labs. Créée par EvanWilliams et Meg Hourihan, la société lance son produitBlogger en août 1999, contribuant ainsi à la popularisationdu mot. Gratuit et très simple à utiliser, il connaît un succèsrapide et sera racheté par Google en février 2003.

Des fonctionnalités nouvelles – son, image et vidéos, sou-vent utilisés sur la même plateforme – permettent aux blo-gueurs d’enrichir leurs moyens d’expression tout en étantouverts aux échanges avec les visiteurs grâce à la possibilitélaissée à tout un chacun d’ajouter des commentaires.

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Affranchi de toute contrainte technologique (ou pres-que), le webacteur peut se concentrer sur la production, lapublication et le partage de données.

Les wikis, dont le plus connu est la fameuse encyclopédieen ligne Wikipedia, procèdent du même principe12. Unwiki est un site que tout le monde peut alimenter : tous lesinternautes, dans le cas de Wikipedia, ou tous ceux ayantaccès au site, dans le cas, par exemple, du personnel d’uneentreprise. Les modifications faites sont visibles par tous et,en cas de désaccord, il est toujours possible de revenir auxversions antérieures qui sont gardées en mémoire. C’est unpuissant outil de travail collaboratif en ligne. C’est exacte-ment le principe de Wikipedia : un utilisateur publie unarticle et les lecteurs peuvent le modifier. Le wiki est uneplateforme et le document original qui est posté sur cetteplateforme devient un « chantier », bénéficiant de la contri-bution de chacun.

Le tagging : les utilisateurs créent leurs nuages de sens

Le tagging permet à chaque utilisateur de choisir ses propresmots clés (« étiquettes » ou tags en anglais) pour classifierdes « objets » en ligne. Ces objets peuvent être des articles,des expressions, des photos, des vidéos, des produits, desbookmarks, des billets de blogs… Le tag est donc le mot clédu webacteur, par opposition au mot clé du moteur derecherche. Il indique sa façon de qualifier et classer sa propreinformation. Le webacteur, grâce au tag, prend le pouvoirsur la donnée, en y intégrant son intelligence. Et il peut par-tager cette intelligence avec les autres, rendant la relationplus dynamique.

En effet, le tag, au-delà de son aspect pratique pour lewebacteur qui l’utilise comme outil intelligent de classementet de publication, prend toute sa dimension lorsqu’il estpublié et confronté aux autres tags disponibles et une certaineintelligence se dégage de l’ensemble des données ainsi mar-quées. Des sites se sont spécialisés dans le partage de tags,permettant une nouvelle forme d’accès à l’information.

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Del.icio.us, créé en 2003, en est l’exemple emblématique. Lesite de partage de photos Flickr utilise également cette tech-nique pour permettre aux internautes de partager leurs pho-tos et de s’y retrouver.

Dans les « nuages de tags », les tags utilisés sur un sitesont pondérés en fonction de leur importance (nombre defois où il est utilisé pour décrire une information, popula-rité du thème…). Le système repose sur la densité d’un tagpar rapport aux autres. Les plus denses apparaissent alorsavec des tailles, des caractères et/ou des couleurs différen-tes, permettant une nouvelle forme de navigation plusintuitive.

Cette façon de donner de l’intelligence collective auxdonnées est centrale dans l’évolution actuelle du web. Onappelle cela « folksonomie », néologisme dérivé du terme« folk » (populaire) et de « taxonomie » (ou administrationde l’ordre tel que le conçoivent archivistes et bibliothé-caires). La « folksonomie » est le classement réalisé par leswebacteurs lorsqu’ils taguent des objets web et qu’ils parta-gent ces tags.

Pour conclure :

◆ Ajax permet une publication souple et légère, en nerafraîchissant que les données pertinentes au momentnécessaire ;

◆ le flux RSS place l’information, les données au sens strict,au centre de l’interface pertinente pour l’utilisateur, enlui économisant le temps de collecte et de recherche. Leflux RSS devient le moyen d’acheminement privilégiédes données efficaces. Il permet la mise en relation et endécuple l’effet ;

◆ les nouvelles plateformes de publication permettent àl’utilisateur de s’affranchir de plus en plus de la contraintetechnique liée à la publication de texte, son, image,vidéo ;

◆ le tagging donne la parole aux données, grâce à l’intelli-gence qui leur est assignée par les utilisateurs.

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Les données sont plus simples à publier, à partager, etdonc à valoriser. Cela permet d’avoir des logiciels ou servicesplus ouverts et qui s’améliorent au fur et à mesure qu’on lesutilise. L’intégration de la relation au cœur de leur fonction-nement est parfaitement originale. Les données sont plus« intelligentes » grâce aux outils, et le sont encore plus dufait des effets de réseaux qu’ils engendrent. C’est ce qui ali-mente la dynamique relationnelle.

DES FAÇONS OUVERTES DE CONCEVOIR LES APPLICATIONS

Nous avons donc d’une part des technologies souples etouvertes, notamment grâce à la conception du web commeune plateforme et aux API. D’autres part, nous disposons deplus en plus d’outils simples, mais redoutablement efficaces,pour avoir des données plus intelligentes et qui communi-quent mieux entre elles. Tout ceci ouvre la porte à des façonsnouvelles de développer des applications, elles mêmes beau-coup plus ouvertes et participatives.

Le mashup : le métissage des applications

Le phénomène du mashup, ou de l’« application compo-site » tel qu’il est le plus fréquemment traduit en français,est un mode de développement récent. Selon l’éditeur etbloggeur Tim O’Reilly, nous devons le premier au déve-loppeur de logiciels Paul Rademacher, pour son serviceHousingMaps.com lancé début 2005.

Comme des millions de gens dans la Silicon Valley et larégion de San Francisco, Rademacher cherchait un nouvelappartement en utilisant le site de petites annonces Craigs-list. Frustré de ne pas pouvoir associer une carte géographi-que aux petites annonces qui l’intéressaient, il a développéune application qui mélange (mash up en anglais) les listesde Craigslist et l’application de localisation Google Mapsautomatiquement.

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Cette application, née du besoin d’un utilisateur, démontrebien le potentiel des technologies quand des développeurspeuvent s’approprier des services et des données en ligne, etles remixer pour répondre à de nouveaux usages. Ceci illustrele phénomène du loosely coupled (« associés selon des lienslâches ») évoqué en introduction. Deux ou plusieurs applica-tions associées de façon très ouverte trouvent une nouvellevaleur.

Sans API, ces portes ouvertes dans les programmes, pasde mashup. C’est un des principaux bénéfices de l’ouverture,qui permet la participation de tous au développement denouvelles applications.

Ce phénomène des mashup est un vrai bouleversementdans les techniques de développement, et ouvre l’ère dudéveloppement relationnel, y compris pour des éditeurs enpointe comme Google ou Yahoo! Lorsque Radmacher utilisele code de Google Maps début 2005, ce dernier n’est pasencore ouvert, et il agit en véritable pirate du système Goo-gle. Google décide alors de ne pas faire fermer le service, quiviole sa propriété intellectuelle, mais au contraire d’ouvrirses API pour permettre à tous d’ajouter de la valeur à leursystème.

La nouveauté, ici, vient du mélange des applications.Déjà présent dans l’art postmoderne et dans le remix musi-cal, l’« hétérogénéisation » devient une notion dominante,un mode de création, aussi bien dans l’univers des technolo-gies de l’information et de communication que dans celuides briques et du ciment. Une métaphore prise dans lemonde du vivant nous invite à parler de « métissage » ou,mieux encore, de « créolisation »13.

Il est intéressant de pousser la métaphore. Le terme (trèsimportant en musique où il se réfère à toute la culture dumixing) mérite qu’on s’y arrête. Voici ce que nous en ditWikipedia : « Le mashup est à l’origine une expression de laJamaïque utilisée pour décrire quelque chose que l’on brise.Plus tard, le terme a été utilisé pour designer un événement(habituellement dans les salles de danse de musique reggae)qui a été tellement bien réalisé qu’il a atteint un niveau

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supérieur, jamais atteint. L’expression a beaucoup été utili-sée dans la musique hip-hop, surtout à New York, qui a uneimportante population originaire de la Jamaïque14. »

La référence est à la fois artistique et géographique. Lemashup n’est pas qu’une technique : il est une culture, uneforme d’ouverture d’esprit à l’autre et à la relation. Ce qui seretrouve fortement dans les nouvelles façons collectives decréer des applications.

Le codéveloppement des applications

Le codéveloppement d’applications par la communauté desutilisateurs et des développeurs, la cocréativité au travail, lebesoin d’échanger, l’idée qu’il faut impliquer de l’intel-ligence collective dans la création de nouvelles applications,le besoin d’ouverture ont présidé à la création d’un nou-veau modèle de « réunions » : les « non-conférences » ! Ony retrouve évidemment un peu de cet esprit communautairecher à la région de San Francisco (le mouvement hippie y estné, par exemple), qui a beaucoup inspiré l’ensemble desdéveloppeurs de la Silicon Valley depuis les années 1970.

Tim O’Reilly, qui occupe un rôle central dans la structu-ration et l’analyse de ce mouvement, a créé les Foo Bar en2003, après l’éclatement de la bulle. L’origine du nom n’estpas complètement éclaircie. Le mot « Bar » est utilisé parles hackers et fait référence à un signe mathématique. Fooest l’abréviation de Friends of O’Reilly. L’influence hacker, ou« pirate informatique » – au sens positif du terme15 – estexplicite. Inspiré par leur rôle et leur façon de programmer,O’Reilly souhaitait retrouver un peu de l’esprit créatif de lapériode prébulle, alors que ses vastes locaux s’étaient libérésde quelques-unes des entreprises qu’ils hébergeaient.

L’idée est simple : des tentes plantées dans le jardin pourun week-end, pas de thème précis ni de structure et surtoutpas de « touristes ». On participe ou on décampe ! Le pro-gramme est défini par les participants grâce à un wiki. Réu-nion de développeurs intelligents, sur invitation seulement,le Foo Camp est un endroit de créativité, d’innovation, dans

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un esprit de pollinisation croisée d’idées. Il en sort des idéesneuves, des projets d’applications et de logiciels et mêmedes entreprises.

En 2005, un mouvement de contestation souffle sur leFoo Bar. Plusieurs des développeurs qui n’y sont pas invitésdécident de lancer le mouvement des « non-conférences »,en reprenant les règles du Foo Bar et en l’élargissant à tous.Les barcamps sont nés. Le premier a lieu en août 2005 dansles locaux de la société éditrice de wikis, SocialText, sousl’égide de son patron et fondateur, Ross Mayfield.

L’ouverture à une plus grande communauté garantit le suc-cès rapide de ce mode de réunion. Les barcamps sont organiséset promus en utilisant largement les nouveaux outils du webrelationnel – comme les wikis. Il en existe aujourd’hui plu-sieurs dizaines aux États-Unis et la France s’est largementemparée du mouvement.

Une catégorie spéciale de barcamp a récemment vu lejour : les mashpits, spécifiquement dédiés à la création demashups16. Plus spécifiquement destinés à la communautédes développeurs, ils connaissent un succès rapide dans laSilicon Valley, où ils sont notamment promus par de gran-des sociétés de la région, comme Yahoo!.

L’ACCÈS AUX DONNÉES : LA FORCE DE LA PLATEFORME

Dès lors que nos données sont hébergées dans « les nuages »,se pose la question de l’accès. L’économiste et essayiste améri-cain Jeremy Rifkin l’avait annoncé, en prédisant l’arrivée de« l’âge de l’accès17 ».

Le web comme plateforme et le retour du client léger

Avec le développement de connections à haut débit de plus enplus fiables, il devient intéressant de stocker ses données à dis-tance, pour les partager avec un plus grand nombre d’utilisa-teurs. C’est particulièrement intéressant pour les entreprises,

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mais ça l’est aussi pour les particuliers. Stocker ses photos etses vidéos sur des sites comme Flikr ou YouTube devient unepratique courante, et, en ajoutant la capacité de partage, per-met au webacteur d’accéder à un ensemble plus riche d’infor-mations. Flikr estime que moins de 3 % des photos déposéessur le site sont publiées en accès réservé.

La baisse des coûts de stockage et la mobilité croissantedes salariés sont autant de bons arguments pour garder cesdonnées « dans les nuages ». Mais pourquoi ne pas aussi yhéberger les applications servant à les traiter ?

Retour paradoxal d’un mouvement ancien : celui du clientléger. L’idée n’est effectivement pas neuve. Elle remonte auxdébuts des PC. Pourquoi y conserver les données et les appli-cations servant à les traiter ? Hébergées sur des serveursdistants, ces dernières deviennent accessibles de partout,indépendamment des machines. Cela représente un avantageéconomique certain : les postes de travail puissants ne sontplus nécessaires quand tout est hébergé ailleurs, sur desserveurs centraux. Des sociétés comme Wyse ont proposé cegenre d’ordinateur, et Hewlett-Packard a lancé un grand pro-gramme pour les entreprises qui étaient censées appliquer ceschéma en interne.

Le web permet maintenant d’ouvrir le dispositif et degarder les données et les applications sur des serveurs exté-rieurs, amplifiant ainsi les avantages envisagés dans la pre-mière version.

Une bonne illustration de ce phénomène est Writely,l’application de traitement de texte en ligne rachetée parGoogle en mars 2006 et devenue Google Docs. L’idée esttrès simple : l’application fait, à peu de choses près, ce quefait Microsoft Word, mais elle le fait en ligne : pas de logi-ciel téléchargé, pas d’application sur mon disque dur. Lesavantages sont nombreux : plus besoin de téléchargerl’application sur mon disque dur ; j’ai toujours la dernièreversion du logiciel, j’y accède depuis n’importe quel appa-reil connecté, et surtout, je peux partager mes documentsavec d’autres personnes, pour faire du travail collaboratif entemps réel ou presque.

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Plusieurs sociétés, dont la plus connue pour le moment,après Google, est Zoho proposent une gamme complèted’applications de bureautique.

C’est très simple, très efficace. Seul problème, évidem-ment, il faut être connecté pour y accéder. Et il faut que tou-tes les données soient synchronisées. Sans parler des questionsde sécurité et d’intégrité des données ainsi stockées, qui don-nent un peu le vertige, à juste titre, aux directeurs informati-ques des entreprises, très concernés par ces questions souventstratégiques.

Box.net : stocker et partager les données sur le web

À l’ère du PC, le stockage des données était essentiellement une affairepersonnelle pour les particuliers, et une affaire de serveurs et de data-center sécurisés pour les entreprises.

Pour partager nos données – textes, images, vidéo, musique – avecnos amis, le moyen le plus fréquemment utilisé était le courrier électroni-que. Mais ce moyen de transfert atteint rapidement ses limites avecl’augmentation de la taille et du nombre des fichiers que nous utilisonsquotidiennement. Et avec quelle interactivité ? Nous limitions nos échan-ges à pousser de l’information vers un nombre restreint de destinatairesconnus.

La solution efficace pour libérer cette donnée orpheline et isolée : lafaire sortir du PC, pour la placer sur le web où elle peut être échangée,partagée, et enrichie de métadonnées pour prendre de la valeur.

Box.net est une réponse originale qui permet d’accroître notablementnotre efficacité relationnelle et collaborative dans un contexte personnelou professionnel. La société a été créée début 2005 par deux étudiantset comptait plus de 1 300 000 utilisateurs fin 2007.

La société, installée à Palo Alto, propose une solution de stockage dedonnées simple, gratuite dans sa version de base et ouverte, destinée auxconsommateurs et entreprises. Le principe est enfantin. Box.net propose,par simple « glisser-déposer », de faire passer les fichiers que vous souhai-tez, quel que soit leur type ou leur taille, de votre disque dur aux serveurs dela société. Vous pouvez ensuite accéder à vos fichiers et les gérer depuisn’importe quel ordinateur en utilisant une interface web qui ressemble àvotre explorateur de fichiers habituel directement sur Box.net, mais aussi autravers d’autres sites web comme Netvibes, iGoogle, ou Facebook, ou delogiciels comme Microsoft Office ou Photoshop. Box.net propose mêmedes widgets, ces petits gadgets que vous insérez sur vos blogs, pagesweb, ou profils Myspace pour interagir avec vos espaces virtuels.

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L’application en ligne vous permet en outre de partager vos fichiersavec des personnes choisies. Elle permet également d’ouvrir vos docu-ments au public, d’y ajouter des flux RSS pour se tenir au courant deschangements sans avoir à se connecter au site. Bref, avec Box.net, onassiste à la fin du disque dur comme espace de stockage et on le virtua-lise pour rendre ses fichiers accessibles dans un contexte où ils gagnentde la valeur.

Bien entendu, Box.net vous propose de taguer les données que vousy entreposez, pour faciliter l’accès, mais aussi pour rendre le partage plusintelligent.

Le mouvement qui tend à pousser les données sur l’inter-net, alors que le web tend à devenir une plateforme d’héber-gement pour les applications qui permettent de les traiter,trouve une illustration concrète dans le monde de l’entre-prise, notamment avec le mouvement du software as a service.

Software as a service : quand le logiciel devient un service

Le mouvement est né d’un constat simple : les petites etmoyennes entreprises n’ont bien souvent ni les moyens niles compétences pour disposer des derniers logiciels, quileur seraient pourtant très utiles. Parfois, elles ont des ver-sions anciennes, qu’elles ont du mal à maintenir ou qu’ellesn’arrivent pas à mettre à jour.

Un premier pas a consisté à proposer à ces entreprisesd’héberger, purement et simplement, applications et don-nées sur des serveurs distants, opérés par des tiers. Mais plusrécemment, des entreprises comme Salesforce.com, Sugar-CRM ou Qualys ont lancé des services plus évolués, entière-ment basés sur des technologies web : le logiciel devient unservice auquel les entreprises accèdent par l’internet, avecdes systèmes de facturation intégrés.

Parmi les avantages, on trouve la garantie d’avoir unlogiciel correctement maintenu et de ne payer que ce donton a besoin. On verra ensuite que Microsoft, dont le modèled’affaires est fortement concurrencé par ce type de modèle, yvoit un certain nombre d’inconvénients. Pourtant, c’est une

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tendance lourde chez les petites entreprises, qui préfèrentdéporter sur l’internet leur informatique, en se concentrantuniquement sur leur cœur de métier.

Le logiciel libre et l’open source : une philosophie de la dynamique relationnelle

Le logiciel libre (qui peut circuler librement, ce qui ne veutpas dire qu’il soit gratuit) et l’open source (logiciel dont le codesource est ouvert) sont deux mouvements très proches, souventconfondus, mais dont l’histoire n’est pas la même. Même sileurs philosophies sont proches, et si le résultat, pour l’utilisa-teur final, est équivalent : plus de liberté dans la circulation etla modification des logiciels. Nous insistons sur le mouvementdu logiciel libre et de l’open source, car leur apport au dévelop-pement du web est important. À deux titres au moins :

◆ une philosophie basée sur l’ouverture, le partage, l’accentmis sur l’intelligence collective, dans un mode de discus-sion et d’échange ;

◆ les méthodes de développement qui produisent des logi-ciels toujours améliorables, transformables, réutilisables,en perpétuelle évolution selon les besoins de la « commu-nauté ».

Si cet hommage nous semble nécessaire, c’est aussi que lanouvelle génération de développeurs et de webacteurs n’apas vraiment connu les batailles de l’open source. Les digitalnatives, qui créent de nouvelles applications dans la SiliconValley et ailleurs, ignorent les racines du phénomène et sonhistoire.

Les débuts de l’informatique sont marqués par deuxgrands constructeurs : IBM et Digital Equipement Corp(DEC). Leurs revenus proviennent pour l’essentiel de la ventede machines. Le logiciel n’est qu’un « outil » de réglage etde fonctionnement de ce système. Les ressources pour créercet outil logiciel sont rares, et le potentiel de la machine estimportant. Aussi, l’accès au code de ce logiciel, souvent

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basé sur Unix, est-il ouvert. Au début des années 1970, ons’échange facilement ce code parmi les universitaires et lesinformaticiens. La propriété intellectuelle n’en est d’ailleurspas clairement définie.

L’arrivée de l’ordinateur personnel à la fin des années 1970bouleverse la donne. Le nombre d’ordinateurs vendus croît, etses capacités augmentent. Un nouveau métier apparaît : édi-teur de logiciel, avec son modèle d’affaires spécifique. Ce sontles débuts de Microsoft, qui décide à la fois de vendre ses logi-ciels pour faire fonctionner les ordinateurs, et de fermer soncode source, qui devient propriétaire.

Le mouvement du logiciel libre (freeware en anglais) estné en 1984 d’un constat18 : il n’était pas alors possible defaire fonctionner un ordinateur sans y installer un systèmed’exploitation obtenu sous une licence restrictive. ChezMicrosoft essentiellement à l’époque, mais aussi chez Apple.Richard Stallman, chercheur au MIT, fonde alors la FreeSoftware Foundation, pour soutenir le mouvement qu’il alui-même largement initié.

Ce qui choque alors les défenseurs du logiciel libre n’estpas tant le fait de payer des licences. Le mot free est ambigu enanglais, puisqu’il signifie la fois « libre » et « gratuit », ettrouve une meilleure traduction en français : « libre ». L’idéefondatrice est simple : les utilisateurs ne peuvent pas partagerlibrement les logiciels propriétaires avec les autres utilisateursd’ordinateurs de leur réseau, ni même les adapter à leurs pro-pres besoins. Richard Stallman écrit : « les propriétaires descodes des logiciels ont érigé des murs pour nous séparer lesuns des autres19 ». N’est-ce pas déjà une remarque qui faitréférence au défaut de dynamique relationnelle ?

L’idée n’est pas de bâtir un système gratuit. Le code,ouvert, permet à chacun d’apporter des améliorations, et dedistribuer les produits ainsi transformés. Distribution quipeut être gratuite ou payante, mais qui doit respecter l’ouver-ture du code. L’un des héros de ce mouvement est Linus Tor-valds, qui a proposé en 1991 l’un des plus importants noyauxdu système d’exploitation développé par la communauté dulogiciel libre : Linux.

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De son côté, le mouvement open source est un de ceuxqui a suscité le plus d’engouements, de discussions et decontroverses depuis son apparition « officielle » à la findes années 1990. Il est aujourd’hui l’un des moteurs dedéveloppement technologique des outils de la dynamiquerelationnelle, mais aussi une de ses sources « philosophi-ques » et conceptuelles.

La naissance de l’open source

Le mouvement naît sous son nom actuel en 1998, au cœur de la SiliconValley, à Palo Alto. La décision de Netscape de publier les codes de ladernière version de son navigateur en janvier 1998 provoque d’importantremous dans la communauté des développeurs. Provocation pour cer-tains, vraie révolution pour les autres. C’est au cours d’une réunion detravail de la même année que Christine Petterson, du Foresight Institute,propose le terme open source pour caractériser ce nouveau mode dedéveloppement. La montée en puissance de l’internet, permettant unelarge diffusion des logiciels en téléchargement, mais aussi des modesde travail beaucoup plus ouverts et collaboratifs, donnera ses lettres denoblesses au mouvement. Avec les dernières évolutions du web, il trouveune sorte de consécration.

C’est d’ailleurs Tim O’Reilly, déjà lui, qui lancera le mouvement auprèsdu grand public, en organisant dès avril 1998 le premier Freeware sum-mit, qui deviendra l’Open source summit.

Un logiciel open source n’est pas un logiciel sans licence.C’est un logiciel dont la licence est ouverte, autorisant laredistribution, et dont le code source est disponible, per-mettant les travaux dérivés. Une liste exhaustive des critèresest publiée par l’Open Source Inititative20.

De nombreux ouvrages existent sur le sujet open source etlogiciels libre, et nous en recommandons quelques-uns21.

Cette conception, ouverte, permet d’envisager le webcomme un excellent outil d’échange et d’hébergement desdonnées dans une optique collaborative et d’échange. Pourpartager un logiciel, il faut qu’il soit disponible ! Et le webest le lieu privilégié pour le rendre disponible.

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CONCLUSION : LA TECHNOLOGIE S’EFFACE, AU PROFIT DES DONNÉES ET DE L’UTILISATEUR FINAL

« Ce qui est merveilleux avec les technologies, c’est que lesgens finissent par en faire tout autre chose que ce pour quoielles avaient d’abord été conçues. L’internet, nous l’avons vu,est le produit de l’appropriation sociale d’une technologiepar des utilisateurs producteurs » disait déjà le sociologueManuel Castells en 200122. Les utilisateurs producteurs, quenous avons baptisé « webacteurs », nous montrent aujourd’huicombien cette analyse, était visionnaire. Ce sont eux qui déci-dent, mais les données jouent un rôle central.

Pour Tim O’Reilly, « les données sont le nouvel IntelInside » (data is the next Intel Inside23). Pendant plus de quinzeans, la société Intel a fait campagne sur le thème du désormaisfameux « Intel Inside ». Capitalisant ainsi sur le fait que pra-tiquement tous les ordinateurs personnels du monde, quelleque soit leur marque, disposent des puces Intel comme com-posant central. Aujourd’hui, ce composant central se déplacesur le réseau, auquel on accède par l’internet : ce sont les don-nées. On verra par la suite les impacts majeurs que ce mouve-ment peut avoir tant sur les usages, les modèles d’affaires, leréseau d’entreprises, mais aussi la société.

D’après le cabinet d’analyse Gartner, qui publie chaqueannée son « cycle de maturité des technologies » (ou hypecycle, déjà mentionné en introduction), le mouvement encours dans le web devrait atteindre sa phase de maturitéd’ici 2009 à 2012. Les technologies qui le composent, dontAjax, y parviendront dans moins de deux ans. Le cabinet estplus réservé sur les applications composites, ou mashups,dont il pense qu’il leur faudra environ cinq ans pour s’affir-mer. D’un point de vue technologique, le web est encore unmouvement en cours.

L’ère du web est une ère « connectée ». Nous disposonsde multiples appareils, de toutes tailles et de toutes fonc-tionnalités, connectés à l’internet : ordinateurs au bureau, àla maison, portables, consoles de jeu, téléphones mobiles…

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Au Japon ou en Corée, le PC n’est déjà plus le premiermoyen d’accéder à l’internet. Il a été détrôné par le mobile.Progressivement, c’est la question même de savoir si noussommes connectés ou pas, et avec quel appareil, qui s’effa-cera. Tous nos appareils recevront des données de l’internet.Et alors que le taux de couverture, la bande passante et lesvitesses de connexion augmenteront, nous passerons à uneère du « toujours connecté » (always on). À condition, évi-demment, d’être dans une bonne zone. C’est une des ques-tions majeures des années à venir.

C’est dans ce contexte, que la notion de web comme pla-teforme prend tout son sens. Pour autant, il y a encore ungrand pas à franchir pour que cette vision se réalise. La ques-tion de la synchronisation de toutes nos données et leuraccessibilité permanente demeure un vrai défi.

Le meilleur logiciel ou service en ligne actuel est conçupour permettre à la donnée de « s’exprimer », et aux utilisa-teurs de lui donner toute son autonomie et son « intelli-gence » au travers d’une architecture de la participation.Google, à travers nombre de ses applications, en est uneexcellente illustration.

Ceci n’est possible qu’en impliquant implicitement etexplicitement les utilisateurs. Cela minimise à la fois les bar-rières à l’adoption du produit, qui devient partie inhérente dela vie du webacteur, comme c’est le cas de Google aujourd’hui.Cela encourage aussi, par conception, la diffusion virale duproduit, qui s’améliore au fur et à mesure que l’on s’en sert.

Ce mouvement peu technologique, mais porteur de chan-gements profonds dans nos façons d’interagir, de consom-mer, mais aussi de vivre en société, connaîtra certainementune troisième phase, beaucoup plus technologique celle-là.Parlera-t-on alors du web 3.0 ? Ou de tout autre chose ?

Pourtant, de nombreuses questions demeurent. La plusimportante tient probablement au temps de diffusion de cesnouveaux usages.

D’abord, il y a les habitudes anciennes. Les digital nati-ves sont évidemment la première cible pour ces nouvellesfaçon de concevoir l’internet et les nouvelles technologies.

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Pour d’autres, qui ont acquis d’autres habitudes, cela pren-dra plus de temps.

Ensuite, les technologies ne sont pas encore toutes dispo-nibles et nous ne vivons pas encore dans un monde d’ouver-ture. En janvier 2007, John Chambers, le patron de Cisco24,présentait au Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegasune vision assez idyllique de ce monde numérique, qu’ilappelle le « réseau humain ». Ayant reconstruit une maisonsur scène, il a montré comment les utilisateurs feront passer– sans couture – leurs contenus numériques de toute nature(texte, image, musique, vidéo) d’un appareil à un autre.

Pourtant, cette vision reste largement utopique dans lesfaits :

◆ les connexions internet, en particulier le haut débit, sontloin d’être ubiquitaires. Il ne nous est pas encore possibled’accéder de partout à nos données, et nous sommes sou-vent contents de pouvoir travailler off line, sur nos ordina-teurs… Michael Dell, le fondateur de Dell, a d’ailleursutilisé le CES pour réclamer des connexions de meilleurequalité aux États-Unis. Citant les exemples européens etasiatiques, il a déclaré qu’il fallait donner aux enfantsaméricains les mêmes chances de succès en leur permet-tant d’accéder partout à l’internet ;

◆ ensuite, nous vivons encore très largement dans unmonde qui demeure fermé et propriétaire. Or, ouvrir cequi est fermé, et le partager pour accroître sa valeur etson intérêt implique des changements profonds qui nes’obtiendront pas en un jour, notamment en matièretechnologique. Un exemple simple permet de l’illustrer :les musiques que nous achetons aujourd’hui sur iTunes,la plateforme de téléchargement de musique payante etlégale d’Apple, ne peuvent être écoutées que sur les iPod,le lecteur d’Apple ! On comprend bien l’intérêt stratégi-que d’Apple, mais beaucoup moins celui des consomma-teurs, qui veulent être capables d’écouter leurs musiquessur de multiples supports, voire les partager avec leursamis ou leur famille.

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La parole à un expert : Microsoft, inventeur malheureux des technologies au cœur du web d’aujourd’hui ?

Interview de Tim O’Brien, directeur de la stratégie de plateforme de Microsoft

Microsoft est un acteur paradoxal du web aujourd’hui. Acteur central del’ère PC, dont il a accompagné le développement, il voit son modèled’affaires inquiété par la nouvelle ère du web. En effet, la société fondéepar Bill Gates est d’abord un éditeur de logiciels vendus sous forme deCD, installés sur les ordinateurs, et payants – souvent au prix fort. On l’avu, la tendance actuelle propose un mouvement inverse.

Mais Microsoft, qui dispose de très importantes ressources, est éga-lement un formidable laboratoire d’idées et de technologies. Le directeurde la stratégie de plateforme, que nous avons interviewé, revient sur lesgrands principes inventés par Microsoft et qui sont au cœur des derniè-res évolutions du web.

Probablement un peu engoncée dans son modèle d’affaires ancien, lasociété a un peu de mal à prendre le tournant stratégique qui pourraitfaire d’elle un des acteurs qui compte dans le secteur. Le challenge duweb pour Microsoft : réinventer son modèle d’affaires !

Quelle est votre vision de web 2.0 ?Nous regardons web 2.0 selon au moins trois axes différents :

• il y a d’abord les utilisateurs précoces (early adopters). Et l’onpense ici à RSS, Ajax, les blogs, les wikis… Je parle d’utilisa-teurs précoces, car les technologies, elles, ne sont pas nouvel-les ! RSS a été inventé autour de 1995, Ajax a été inventé parMicrosoft en 1997, et j’y reviendrai. Du point de vue des déve-loppeurs, la nouveauté vient de l’utilisation combinée de ces dif-férentes technologies ;

• un autre axe tient à la dynamique d’affaires. Le plus marquantest relatif à la migration de la publicité en ligne, et la façon dontelle peut financer des fonctionnalités purement « logicielles ».Nous avons participé à ce développement de nouveaux modèlesd’affaires publicitaires depuis longtemps, au travers de servicescomme Hotmail, rebaptisé Windows Live Mail, ou MSN Messen-ger par exemple ;

• enfin, il y a tout ce très puissant aspect social et communautaire. Unnouveau web se développe, dans lequel le partage, la collaboration,le phénomène du peer-to-peer… utilisent le web comme plateforme.Et nous pensons beaucoup à cet aspect des choses. Notammenten termes de modèles d’affaires.

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Vous nous avez annoncé qu’Ajax avait été inventé par Microsoft. Pouvez-vous revenir sur le contexte de cette invention, et comment vous la voyez évoluer aujourd’hui ?

Une de nos préoccupations anciennes était de rendre le web plus dyna-mique. Nous avons donc créé le langage Dynamic HTML dans lesannées 1997-1998. Nous l’avons utilisé pour la première fois pour ledéveloppement d’Internet Explorer 3, autour de 1997. À cette époque,nous avons reçu un accueil très timide : cela n’intéressait personne ! Lanouveauté à l’époque, c’était d’avoir un site web… Un site riche dynami-que n’était pas alors considéré comme un facteur de différentiation.

Nous avons pourtant continué d’investir dans cette voie, et avonslancé en 1999 XMLhttp, Intégré à Internet Explorer 5. C’est une des tech-nologies au cœur d’Ajax, qui permet à votre navigateur d’éviter de perdredu temps à réinterroger les serveurs à chaque fois que vous ouvrez unepartie de contenu d’une page web.

Nous supportons ces nouveautés depuis près de sept ans mainte-nant ! Mais ce n’est qu’en 2005, lorsque quelqu’un a conçu le mot Ajax,que c’est devenu important. La question pour nous est de savoir pour-quoi cette technologie importe maintenant, alors qu’elle existe depuis silongtemps ? Et je pense que la réponse à cela est que le rich media (quiinclut de la photo, du son, de la vidéo) sur l’internet est maintenant cou-rant. Aujourd’hui, alors que tout le monde a un site web, c’est d’avoir unsite riche qui fait la différence. Et pour cela, vous devez utiliser des tech-nologies comme Ajax. La demande d’une meilleure expérience utilisateur,nécessitant un navigateur plus interactif est ce qui a mis en lumière trèsrapidement l’intérêt d’Ajax et en a fait le succès.

Par ailleurs, il est clair que le terme « Ajax », inventé en dehors deMicrosoft, est bien plus vendeur que Dynamic HTML et XML/http !

Quel challenge le web 2.0 représente-t-il pour Microsoft ?Il nous faut valoriser des domaines dans lesquels nous avons été leader.Le vrai défi pour nous est de les rendre accessibles à un plus grand nom-bre de clients, d’utilisateurs, partenaires et développeurs. Ajax est un bonexemple. Nous avions cette technologie en interne, mais nous ne l’avonsintégrée que récemment à nos plateformes pour les développeurs. C’estune technologie difficile à débugger, qui demande beaucoup de tests, etnécessite beaucoup d’écritures manuelles de code et de JavaScript.Nous avons intégré des outils au sein de nos plateformes de développe-ment, pour faciliter la tâche des développeurs.

RSS est un autre bon exemple. La technologie a été inventée en1995, et tous les utilisateurs actifs de l’internet la considèrent commeacquise. Mais toutes les études montrent que seulement 2 à 3 % desinternautes sont capables d’épeler RSS. Un de nos grands challengesdans le développement d’Internet Explorer 7 et de Windows Vista estde rendre RSS disponible pour tous. Maintenant que vous allez avoirdans votre navigateur et votre système d’exploitation tous les outils

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nécessaires à RSS, le nombre d’utilisateurs va croître très fortement.D’ici un à deux ans, plusieurs centaines de millions de personnes vontêtre habituées à cette technologie.

Un grand pan du web aujourd’hui concerne le développement du phénomène du « software as a service », par opposition aux stratégies plus classiques de vente de licences. Quel impact cela a-t-il sur Microsoft ?

Nous voyions le software as a service seulement comme un mécanismede livraison pour le logiciel. Beaucoup de gens ont tendance à le caracté-riser comme un substitut à la vente classique de logiciel. Ils annoncentque toutes les fonctionnalités vont se déplacer vers le « nuage », que lesentreprises n’auront plus à se préoccuper des problématiques de gestiondes infrastructures et des nouvelles versions.

Nous pensons que ce sera en fait une combinaison des deux : dulogiciel et des services. Car, franchement, toutes les applications ne sontpas candidates à se déplacer dans les « nuages ».

Et la question du réseau se pose très fortement. Par exemple, lors dela conférence Office 2.0 qui c’est tenue à San Francisco (voire interviewd’Ismael Ghalimi, son fondateur, dans le Chapitre 7), de nombreusesapplications hébergées sur l’internet ne marchaient tout simplement pas,car le réseau n’était pas disponible ! Nous continuons à insister sur le faitque la disponibilité off-line des logiciels et des applications est toujourstrès importante.

Une des bonnes illustrations de cela est le courrier électronique. Out-look, notre système de messagerie, est aujourd’hui accessible à la foisdirectement sur le web, mais aussi dans une version hébergée. Si,comme un nombre grandissant d’entre nous, vous recevez plusieurscentaines de messages par jour, vous allez être d’accord pour direqu’une version hébergée sur votre ordinateur tournera toujours bienmieux qu’une version sur l’internet. Plus confortable, plus complète…Beaucoup de gens qui utilisent Outlook utilisent aussi Outlook WebAccess. Ce n’est pas l’un ou l’autre : c’est les deux. Nous venons de lan-cer Pocket Outlook sur les téléphones mobiles. Cela ajoute un troisièmemoyen d’accès, qui n’élimine pas les deux précédents. Et les trois sontsynchronisés sur un même serveur. C’est vraiment ce que nous appelonsles services, en pratique, et pas en théorie.

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Les webacteurs, créateurs de valeur

Pour tirer tout le bénéfice possible de l’internet et de lanumérisation, il fallait donc beaucoup, beaucoup, énormé-ment de données. Le moyen le plus économique de les met-tre en ligne était de demander aux utilisateurs eux-mêmesde le faire. Après avoir commencé par quelque chose d’aussisimple que les petites annonces (celles de Craigslist parexemple) ces derniers ont pris une importance croissante enparticipant massivement à l’organisation des informations, àla production de savoir. Se renforçant mutuellement, la par-ticipation des utilisateurs et la digitalisation des donnéesdonnent lieu à une sorte de fleurissement qui nous permetd’envisager le passage du savoir à la compréhension et nousouvre de nouveaux univers imprévisibles.

Au commencement était Craigslist…

CRAIGSLIST.ORG

Pour trouver un travail, se loger, acheter ou vendre une voi-ture, rencontrer l’âme sœur d’une heure ou d’une vie, sefaire des amis, sortir, retrouver son portefeuille, ou simple-ment faire entendre sa voix… à San Francisco, il n’y a qu’unendroit : Craigslist.org, en ligne depuis l’aurore du web,

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en 1995. Fini les journaux de petites annonces payantesspécialisées. Bienvenue sur Craigslist. Au point qu’on nedit plus ici « passer une annonce », mais « craigslister unobjet »…

La recette du site comporte deux ingrédients qui ont tou-jours un grand succès en Californie : pragmatisme et fan-tasme communautaire post-hippies… Jugeons-en par lafaçon dont le site se présente et explique sa philosophie :« Permettre à tout un chacun de faire un break, faire circulerl’information sur le monde quotidien, le monde réel ; restau-rer la voix humaine sur l’internet, dans un environnementhumain et non commercial ; préserver la simplicité des cho-ses, en étant terre à terre, honnêtes, très réels ; proposer unealternative aux grands sites impersonnels des médias ; êtreouvert à tous, donner une voix à ceux qui n’en ont pas,démocratiser… ; être un groupe de communautés évoluantdans un même esprit, pas une entité monolithique1. »

Tout un programme… Et ça marche ! Très bien même, àen juger par les chiffres : 450 villes couvertes dans le monde,25 millions de visiteurs uniques par mois qui en font leseptième site anglophone2 le plus fréquenté.

Mais Craigslist, c’est encore autre chose. Plus qu’un site,c’est la matérialisation d’un état d’esprit et d’un ensemblede pratiques représentatifs d’une évolution du web quinous paraît essentielle, celle de la participation des utilisa-teurs. Ce sont eux qui mettent en ligne la presque totalitédu contenu. Comprendre comment et pourquoi il en estainsi nous ouvrira les portes de cet univers nouveau danslequel les usagers produisent – presque toujours gratuite-ment – l’essentiel de l’information disponible, permettantainsi à des entreprises de devenir milliardaires. Un universd’autant plus intéressant qu’il se passe des choses vraimentsurprenantes quand les informations, mises en ligne par descentaines de millions de personnes, sont si abondantesqu’on peut sérieusement envisager qu’elles débouchent surune « sagesse des foules », voire sur une « intelligence col-lective ».

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Craigslist est un tel phénomène qu’il a fait l’objet d’unfilm du réalisateur san-franciscain Michael Ferris Gibson :24 heures sur Craigslist.org. Gibson a suivi et filmé (avec neuféquipes dispersées dans la ville) 121 personnes de San Fran-cisco ayant posté une annonce sur Craigslist le 4 août 2003.On y trouve de tout : une maman adepte du trafic de pous-settes, le conducteur d’une automobile couverte de coquilla-ges, une star du porno offrant ses services de masseuse, unorganisateur de Smart Mob (rassemblement collectif tempo-raire organisé par mails et SMS) recrutant pour l’événementdu jour, une agence de communication à la recherche d’uncaniche nain savant pour une publicité… On y saisit en uneheure et demie toute la diversité et la richesse du site. Dudrôle, du triste, du pathétique, et aussi du bonheur…Lesous-titre du film est clair : « Un jour, une ville, un siteweb, pas de limites ». Toute l’image d’une société en quêtede toujours plus de liens, d’échanges, de médias.

Les annonces sont totalement libres. Pas question de for-mulaires préformatés par d’autres. Ça donne souvent lieu àdes textes… créatifs. Par exemple : « 90 Eddy Bauer Edi-tion Ford Branco II 4 × 4. Fonctionne bien et roule parfaite-ment. J’ai eu un problème dans un garage. Je faisais réparerla voiture et quand je l’ai reprise, la partie avant manquait.J’ai demandé au mécanicien où elle était, mais je n’ai pas eude réponse. Alors, je la vends pas cher. » La photo explicited’une voiture purement et simplement vandalisée accom-pagne le texte.

Le site fonctionne avec vingt-cinq personnes à peine,dédiées essentiellement au service client et aux systèmesd’information. Le business model est des plus simples : pasde publicité et tout est gratuit. À deux exceptions près :dans sept villes, les entreprises doivent payer 25 dollarspour publier leurs offres d’emploi (le tarif est de 75 dollars àSan Francisco) ; à New York, pour éviter que les annoncesimmobilières des particuliers ne disparaissent sous les offresd’agences professionnelles, celles-ci doivent payer en fonc-tion de leur commission.

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Tout a commencé avec une mailing list gratuite, lorsqueCraig Newmark, ingénieur programmeur chez CharlesSchwab, a entrepris de tenir ses amis régulièrement infor-més des événements intéressants ayant lieu à San Franciscoet dans sa région. Les heureux bénéficiaires lui ont très vitedemandé de compléter sa liste avec leurs propres requêtes :animaux perdus, voitures à vendre, commentaires politi-ques… Jusqu’à ce qu’elle devienne ingérable et que le déve-loppement du web permette à Newmark de transformer saliste en un site. Nous étions en 1997, Craigslist.org étaitnée et, à la manière du web à ses débuts, s’est propagée parle bouche-à-oreille jusqu’à devenir l’outil incontournableque l’on connaît aujourd’hui.

Intermédiaire neutre entre particuliers, Craigslist est unclassique du person-to-person, au cœur du développement del’internet. Quant à Newmark, il est devenu l’une des grandesfigures de ce modèle qu’il a contribué à inventer et reste farou-chement attaché à la formule not for profit malgré les sirènesattirées par ses millions de visiteurs et leur penchant commu-nautaire. « J’admets que j’ai un pincement quand je pense àl’argent qu’on pourrait gagner en vendant tout cela3 », a-t-ilavoué un jour. « Mais je suis vraiment heureux des valeursmorales du site : s’offrir à soi-même une vie confortable et faireun petit quelque chose pour changer le monde. »

Personnage peu ordinaire, Craig n’est pourtant pas levéritable héros de cette histoire-là. Son génie a consisté àcomprendre que son site ne serait rien sans la participationdes usagers. Il est un des premiers à avoir pressenti que lesutilisateurs prenaient suffisamment d’importance pourdevenir des acteurs à part entière du web.

LES WEBACTEURS ENTRENT EN SCÈNE

Nous avons choisi le terme « webacteurs » en contrepoint à« internautes », qui désigne les premiers utilisateurs del’internet. Wikipedia remarque que l’élément « naute » (du

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grec nautês, « navigateur », nous rappelle Le Robert) commedans « argonaute » ou « astronaute », entre autres, « a unecertaine connotation dynamique par rapport à l’utilisationde médias plus passifs, par exemple, le téléspectateur4 ». Çane suffit plus.

Après avoir pensé à l’expression « webonautes », quidonnait une idée de leur rôle plus actif dans le web 2.0 nousavons opté pour « webacteurs » qui rend mieux compte deleur capacité à produire, à agir, à modifier, à façonner le webd’aujourd’hui.

Nous utilisions le web 1.0 comme un support permet-tant de naviguer d’un document à l’autre avec une fluiditéimpossible sur d’autres médias. Mais nous ne tirions guèreparti de la dimension bidirectionnelle du web : le fait quenous pouvons à la fois le lire et le modifier (ce que lesAnglo-Saxons appellent ses propriétés read/write), nous enservir pour consulter mais aussi pour publier.

Or, nous sommes chaque jour plus nombreux à modifier ceweb. Nous le faisons quand nous postons un billet ou écrivonsun commentaire sur un blog, quand nous communiquons aumoyen d’un programme de messagerie instantanée, quand nousécrivons sur le mur Facebook d’autrui ou sur sa page MySpace,quand nous participons à un wiki d’entreprise, etc.

Sur le web d’hier, l’essentiel des données était mis en lignepar des organisations. Sur le web d’aujourd’hui, 60 % envi-ron sont mis en ligne par les usagers et, selon le fondateur etPDG de Facebook, Mark Zuckerberg, 25 % du trafic se pas-sent sur les réseaux sociaux, espaces privilégiés d’échanges etde participation. C’est le fruit de la dynamique relationnelleà l’œuvre.

Au lieu de garder leurs productions sur leur ordinateur(qu’il s’agisse des photos de familles, des devoirs pourl’école ou des documents qu’ils préparent pour leur patron),les webacteurs les gardent de plus en plus souvent sur leweb – et les partagent – grâce aux outils dont nous avonsdéjà parlé (Google Docs, Think Free, Zoho, etc.).

Au lieu de simplement recevoir, nous produisons, nouspublions, nous agissons. Utilisateurs actifs, nous sommes

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consommateurs/créateurs, lecteurs/écrivains, auditeurs/enregis-treurs, spectateurs/producteurs. Nous avons même le pouvoird’organiser toutes ces données (informations, connaissances,créations) en leur attribuant les étiquettes de notre cru, en les« taguant ». Nous générons du contenu, nous l’organisons etnous le modifions à chaque instant.

Les internautes utilisaient l’internet. Les webacteurs lefaçonnent avec le contenu qu’ils génèrent et leur capacité del’organiser.

Ce contenu généré par les usagers (user-generated content)est aujourd’hui considéré comme une caractéristique essen-tielle du web. Curieusement, l’expression ne figure pas dansl’essai fondateur de Tim O’Reilly5.

Il aborde la question indirectement, avec sa formule obs-cure data is the new Intel inside (« les données sont le nouvelIntel Inside »). Le fondement de son raisonnement est que laqualité du web d’aujourd’hui est fonction de la quantité dedonnées qu’il héberge, ce qui peut coûter cher. La réponse laplus économique consiste à demander aux usagers eux-mêmes de les mettre en ligne. Ces deux dimensions sont aucœur des changements les plus profonds entraînés par cequ’il est convenu d’appeler « web 2.0 ».

Dans leur rapport préliminaire au Sommet web 2.0 denovembre 2006, John Musser et Tim O’Reilly avancent deschiffres qui sont encore utiles6.

Le nombre de personnes connectées et leur mode deconnexion changent :

◆ plus de 1,3 milliard de personnes ont accès à l’internet fin2007 (mi-2007, ils étaient à peine plus de un milliard)7 ;

◆ les utilisateurs d’appareils mobiles sont deux fois plusnombreux que les utilisateurs d’ordinateurs ;

◆ le rythme de pénétration de l’internet dans les foyers seralentit, mais la qualité de la connexion s’améliore. AuxÉtats-Unis, souvent en retard dans ce domaine, plus de lamoitié des foyers disposaient de connexions à haut débità la mi-2007. Une tendance que l’on retrouve en Europe,

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en Asie du Sud-Est et même dans une partie de l’Améri-que latine urbaine8 ;

◆ le véritable enjeu, c’est la connexion perpétuelle. Audépart, en tout cas, le débit compte moins que la conti-nuité. Always on. Toujours connectés, les usagers n’ontplus de raison de se limiter à l’essentiel. Ils peuvent véri-tablement jouer avec tout ce qu’on leur propose, s’aven-turer. Et ils ne se gênent pas pour le faire.

Leurs activités sur le net évoluent et se font plus partici-patives :

◆ au premier trimestre 2006, MySpace enregistrait 280 000nouveaux adhérents par jour et la tendance se maintient.Au troisième trimestre 2007, Facebook enregistrait unecroissance de 3 % par semaine9 ;

◆ au deuxième trimestre 2006, on comptait 50 millions deblogs. Ils étaient 100 millions le 1er septembre 2007 ;

◆ en juillet 2007, on a vu les premiers débats entre aspi-rants à la présidence des États-Unis organisés sur You-Tube sur la base de questions posées par les usagers ettransmises comme vidéos de trente secondes filmées pareux-mêmes10. Fin 2007, 64 % des 12-17 ans américainsqui utilisent le net avaient participé à l’une au moins desmultiples façons de créer du contenu. Cela représentait59 % de tous les adolescents de ce pays11.

Pour Musser et O’Reilly, « le web est en train de devenirune vraie plateforme bidirectionnelle sur laquelle on peutaussi bien lire qu’écrire. Le contenu généré par les usagersest un défi pour les moyens de communication de masse etces nouveaux moyens de participation et de communicationdécentralisés perturbent les industries établies12 ».

Naturel chez les plus jeunes, le recours à la bidirectionna-lité du web, et la transition culturelle qu’il implique, n’estpas aisément adoptée par tous. Et pourtant, les sites dyna-miques sur lesquels nous sommes conviés et les outils quinous sont proposés sont de plus en plus simples.

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Le mot « blog » est presque devenu d’usage courant(même si on n’a souvent qu’une idée vague de ce dont ils’agit). Entraînés par le succès de Wikipedia, l’encyclopédieen ligne, les wikis gagnent du terrain. L’adoption duWysiwyg (What You See Is What You Get, interface qui dissi-mule le code à la vue de l’utilisateur et permet de voirimmédiatement le résultat d’une action), les rend utilisablespar des webacteurs débutants. La programmation elle-même devient plus facile. Plus besoin de savoir écrire uneseule ligne de code pour modifier le web, comme en attestela multiplication des API et des mashups évoqués au chapitreconsacré à la technologie.

Tout le monde semble enfin se persuader de la valeur dela formule de Musser et O’Reilly : simplicity drives adoption,« la simplicité entraîne l’adoption ». Informaticiens et web-mestres se convertissent enfin aux vertus de la usability prê-chée depuis des années par Jakob Nielsen13. Sous l’influencenotamment d’Apple, ils deviennent aussi plus élégants.

La galaxie des webacteurs de cesse de se transformer.L’expérience accumulée par ceux qui naviguent depuis desannées, l’apparition de jeunes pour lesquels les TIC sont deplus en plus « naturelles » contribuent à ce que le webassume pleinement sa bidirectionnalité. Le point de basculetient autant à l’évolution des technologies qu’aux innova-tions issues de nos pratiques et de nos usages.

Le succès des sites consacrés aux voyages, par exemple,illustre parfaitement cette évolution. Le volume croissantdes utilisateurs est moins important, à ce titre, que le chan-gement dans la nature de leur relation à l’information dispo-nible.

Kayak.com est une merveille d’efficacité. Il nous permetde consulter toutes les compagnies aériennes imaginables(aux États-Unis du moins) et d’ajuster nos requêtes en fonc-tion de l’heure de départ et d’arrivée, de la durée du vol oudes accords entre compagnies offrant le même système de« voyageurs fréquents », entre autres. Un peu moins flexiblepour le moment, Mobisimo.com semble disposer d’encoreplus de données qui lui permettent notamment de suggérer

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des destinations thématiques (Europe, ski, aquariums, etc.).Le site vient d’ajouter la dimension sociale caractéristiquedu web d’aujourd’hui avec des recommandations faites parles usagers et même la possibilité de contacter leurs rela-tions se trouvant au même endroit au même moment.

La nouveauté se situe en effet du côté des sites qui nousfont participer à la mise en ligne d’informations utiles, et auxéchanges de conseils et de tuyaux. La liste est longue. Parmiles plus connus, nous trouvons Yahoo Trip Planner14, les sitesde cartes modifiables que les utilisateurs enrichissent derécits et de photos (Platial.com, Plazes.com). Pour mieuxs’informer sur leurs destinations, les webacteurs contribuentavec les informations dont ils disposent, comptent sur ladynamique relationnelle, parient sur son efficacité. Cela per-met à tous d’avoir une quantité et une variété d’informationsqu’il serait impossible d’obtenir autrement15.

Leur rôle ne se limite pas à cela. Non contents de mettreles informations en ligne, ils les gèrent, les organisent, tâchejusqu’ici réservée aux experts. Ils s’aident mutuellement às’y retrouver dans cette abondance vite intimidante en sélec-tionnant les plus intéressantes comme nous allons le voiravec Digg.com.

DIGG.COM OU LA BEAUTÉ DU VOTE

Exemple presque parfait de ce que la dynamique relation-nelle peut produire, Digg est à la fois un des sites les plusvisités du web, un des plus copiés et un des plus frustrants.

Difficile de faire plus simple. Les utilisateurs publientsur le site des liens à des articles ou à des fragments d’infor-mations qui leur semblent intéressants. Avec ou sans com-mentaires. Libre ensuite aux visiteurs de voter pour oucontre les documents ainsi triés. Ceux qui plaisent remon-tent vers le haut de la page d’accueil. Les autres disparais-sent rapidement. Cette sélection par eux-mêmes plaît auxwebacteurs qui ne manquent pas de visiter les pages ainsi

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recommandées – pages qu’ils n’auraient sans doute pas trou-vées autrement.

Le succès peut même être problématique. Figurer enbonne position sur Digg.com expose le site ainsi promu àrecevoir un flot de visites aussi dévastateur qu’une attaquevisant à engorger le serveur (denial of service).

Lancé comme une expérience en novembre 2004, Diggfigurait dans le courant de l’été 2007 parmi les 100 sites lesplus visités. Il est évalué alors à plusieurs centaines de mil-lions de dollars.

La beauté de cette idée brillante, c’est qu’une fois le site enplace (avec quelques algorithmes pour s’assurer, par exemple,que les classements fonctionnement correctement), les créa-teurs n’ont, en théorie, plus qu’à se croiser les bras. Les usa-gers font l’essentiel du travail.

Un rêve que beaucoup se sont empressés d’imiter16. Avecdes variations diverses, des centaines de sites ont repris la« recette », c’est-à-dire la présentation aux utilisateurs d’infor-mations choisies par leurs pairs parmi toutes les sources pos-sibles. Les meilleures sont mises en avant par un simplesystème de vote. Une révolution par rapport au fonctionne-ment classique des médias dans lesquels les articles sont sélec-tionnés et traités par une seule équipe.

L’expansion du phénomène est facilitée en outre par lasimplicité de la technologie sur laquelle repose Digg. Leprogramme open source Pligg.com permet de créer des clonesen un temps record. Lancés souvent par des individus, descommunautés ou des entreprises de taille modeste, ceux-cipeuvent attirer un trafic significatif.

Les sociétés les plus grosses, les sites les plus visités sontà leur tour frappés par le syndrome Digg.

Lancé par Yahoo! le jour de la Saint-Valentin 2007, Sug-gestion board17 (« tableau de suggestions »), permet auxusagers de critiquer et/ou de suggérer des améliorations à dif-férents services tels que le guide des programmes télévisés, lescartes ou MyYahoo! Tout cela est annoncé sur un blog dugroupe, qui mentionne les sources d’inspiration : Le « vote »à la « Digg nous permet de découvrir plus vite ce qui compte

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pour les utilisateurs18 ». Quelques jours plus tard, Dell lan-çait un système comparable baptisé IdeaStorm, invitant sesclients à faire des suggestions sur les produits qu’ils aime-raient trouver, les améliorations qu’ils souhaitent, les mau-vaises idées à rejeter19.

Les Diggers ont hurlé au plagiat20. Sans doute à tort.« C’est simplement un compliment à l’efficacité du modèle »,a commenté le blogueur Michael Arrington sur son siteTechCrunch21.

Ce modèle, qui repose tout simplement sur la beauté (et lasimplicité) du vote, ouvre en fait la porte sur un rôle essentieldes utilisateurs du web d’aujourd’hui : leur participation àl’organisation des informations qu’il contient, leur effort pourque la dynamique relationnelle soit efficace. C’est d’autantplus important que l’ordre numérique n’a pas grand-chose àvoir avec celui du monde physique. Nous devons maintenantapprendre à distinguer trois ordres d’ordre comme nousl’explique David Weinberger.

RICHESSE DU DÉSORDRE DIGITAL

Bouffon attitré de Woody Allen sept années durant (il écrivaitdes sketches pour lui), docteur en philosophie, consultant inter-net de plusieurs multinationales et de la campagne présiden-tielle 2000 d’Howard Dean, co-auteur du Cluetrain Manifesto22

à qui nous devons la formule « les marchés sont des conversa-tions », David Weinberger ne pouvait que nous donner un livresortant de l’ordinaire. Avec Everything is Miscellaneous, The Powerof the New Digital Disorder23 (« Tout est divers, la puissance dunouveau désordre digital »), il dénonce notre persistance àpenser selon un paradigme dépassé hérité du monde physique,comme si les octets n’existaient pas à côté des atomes.

Le point de départ du livre, c’est la façon dont nous clas-sons les choses et ce que nous savons d’elles : l’ordre dumonde et celui de notre savoir. Weinberger distingue troisniveaux, trois « ordres d’ordre » (three orders of order).

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Le premier, celui du monde des atomes, consiste à rangerles choses dans leur lieu attitré : les couverts dans le tiroir degauche à côté de l’évier, les serviettes dans la commode.Caractéristique essentielle : chaque chose ne peut être quedans un endroit à la fois, et à un endroit donné, nous nenous attendons à trouver qu’un objet.

Le deuxième ordre d’ordre est celui de la classificationdans le monde réel des informations dont nous disposons surlui. Le meilleur exemple est fourni par le catalogue deslivres de votre bibliothèque municipale ou celui de LaRedoute : un code indique où se trouve l’objet en question.Mais, insiste Weinberger, ce deuxième ordre a lieu lui aussidans le monde des atomes, qui le limite. La quantité d’infor-mations sur un livre ou sur une paire de chaussures est limi-tée par la taille de la fiche ou par le poids du catalogue.

Le troisième type d’ordre est celui du monde numérique.La quantité d’informations que nous pouvons y déverser estsans limites. Plus nous en avons, plus l’ordre en sera efficace.Pour preuve, les tags que nous trouvons sur Flickr oudel.icio.us ou les « labels » de Gmail. On peut les regrouperen « nuages » où ils apparaissent d’autant plus clairementqu’ils sont plus importants.

Ce système totalement chaotique et incontrôlé donnenaissance à un nouveau type d’organisation appelée « folkso-nomie » pour bien marquer la différence avec les taxono-mies traditionnelles.

Les folksonomies ont trois caractéristiques nouvelles,explique Weinberger dans un essai paru en février 2005dans la revue Release 1.024 : elles se présentent sous formede tas et non pas de hiérarchies ou d’arbres ; au lieu d’êtredessinées a priori, elles se développent comme des organis-mes vivants ; elles n’appartiennent à personne et ne sont nicontrôlées ni centralisées. Pour reprendre sa propre qualifi-cation : « Les systèmes de tags sont ambigus par nature.Les arbres sont bien organisés, les tas de feuilles sont dufouillis. »

Ce nouveau système a des avantages. Les hiérarchies dedonnées sont souvent déterminées de façon centralisée par le

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haut. C’est une bonne illustration de ce que nous avons appeléla « mécanique institutionnelle ». Par opposition, le tag estattribué par chaque utilisateur, en fonction de ses intérêts, desa compréhension d’un sujet, de son propre souci de classifica-tion. Chacun a accès aux différents tags – par exemple sur lesite del.icio.us –, ce qui encourage le développement d’usagescollaboratifs et décentralisés.

Prenons iTunes, par exemple. « En permettant auxclients de publier leurs playlists – ainsi que de commenter etde noter celles des autres –, iTunes fournit autant de façonsde naviguer dans son inventaire qu’il y a d’humeurs etd’intérêts de clients », note Weinberger.

La première conséquence est que « nous devons nousdéfaire de l’idée selon laquelle il y a une façon meilleure queles autres d’organiser le monde », affirme-t-il. « Le mondedigital nous permet de transcender la règle la plus fonda-mentale de la mise en ordre du monde réel : au lieu que cha-que chose ait sa place, c’est mieux si les choses peuvent sevoir attribuer plusieurs places simultanément. »

Dans l’univers numérique, le fait de pouvoir trouver cequ’on cherche sans passer par des classifications rigidesétablies a priori bouleverse l’autorité de ceux à qui nousconfions traditionnellement les clés du savoir. Si nous pou-vons tous participer à l’organisation des connaissances sansparalyser la capacité des autres d’y accéder (au contraire),alors le pouvoir des spécialistes est en question. La dyna-mique relationnelle est à son maximum. Classer devientun processus social.

« Nous pouvons établir des connexions et des relations àun rythme inimaginable auparavant, explique Weinberger.Nous le faisons ensemble. Nous le faisons en public. Tout lienet toute playlist enrichit notre collection disparate de chosespartagées et crée des connexions potentielles souvent imprévi-sibles. Chaque connexion nous dit quelque chose sur les cho-ses connectées, sur la personne qui a établi la connexion, sur laculture dans laquelle une personne a pu l’établir, sur le genrede personnes qui la trouvent intéressante. C’est comme celaque le sens croît. Que nous le fassions exprès ou en laissant des

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traces derrière nous, la construction publique du sens est leprojet le plus important des cent prochaines années. »

Weinberger a bien évidemment suscité de vives criti-ques, surtout chez ceux qu’insupporte la montée des ama-teurs, craints quand ils produisent du contenu mais encoreplus redoutés quand ils se mettent à organiser le savoir. Maiscelles-ci n’enlèvent rien à la puissance du modèle avancé :nous ne pouvons pas penser le monde des informationsnumériques comme celui des informations accessibles seule-ment dans le monde réel.

LES WEBACTEURS, TRAVAILLEURS BÉNÉVOLES

Une des idées les plus provocantes avancées par Weinbergerest peut-être son affirmation selon laquelle plus nous avonsd’informations, plus elles sont faciles à organiser. Si c’estvrai, c’est bon à savoir, alors que la quantité de donnéesdétermine la richesse des innovations d’usage et définit laviabilité des modèles d’affaires potentiels sur lesquels reposele web d’aujourd’hui.

Dans le document de novembre 2006, John Musser etO’Reilly expliquent que « pour les applications que nousutilisons sur l’internet, le succès vient souvent des donnéeset pas seulement des fonctions25 ». Le formatage que permetun logiciel de traitement de texte compte moins que lesinformations accumulées dans les catalogues de détaillants,dans les bases de données des moteurs de recherche, dans lescartes ou dans les encyclopédies.

Pour les entreprises, c’est une chance puisque les applica-tions tendent à devenir de plus en plus fréquemment opensource et cessent ainsi d’être une source appréciable de revenus.L’avantage concurrentiel se situe moins dans l’innovationtechnologique que dans la capacité à agréger et à organiserdes données. Nous nous trouvons en fait devant une véritabledata-driven economy, une économie dont le moteur tourne auxdonnées. C’est facilité par la chute continue du coût du

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stockage, l’augmentation de la puissance des microproces-seurs et l’apparition de programmes qui permettent de déga-ger du sens là où on ne voyait auparavant qu’un tas de chiffres(data mining).

Pour Musser et O’Reilly, les effets de réseaux que l’onobtient sur l’internet en offrant des logiciels sous formes deservices (Zoho est plus complet, mais Google bénéficie dufait qu’il est plus utilisé pour nous convaincre d’adopter sesoffres multiples) sont importants, mais « les données et lecontrôle des données fournissent l’avantage compétitif26 ».

Mais ces données, il faut les mettre en ligne.Le secret est d’arriver à ce que les webacteurs s’y consa-

crent, tout en trouvant une astuce pour justifier d’en être lepropriétaire et une autre pour qu’ils s’en félicitent.

C’est Dan Bricklin (créateur de VisiCalc, la premièrefeuille de calcul, l’ancêtre d’Excel) qui donne les réponses lesplus claires dans un essai plusieurs fois remanié sous le titreThe Cornucopia of the Commons : How to get volunteer labor27 (« Lacorne d’abondance de la communauté : comment obtenir dutravail bénévole »).

S’appuyant sur le succès de Napster (le premier sited’échange de musique de pair-à-pair) il explique que le secretne vient pas de l’application permettant l’échange de fichiersmais de la disponibilité des données. Peu importe que nousallions chercher une chanson qui nous plaît sur un serveurcentral ou sur le PC d’un autre webacteur, l’essentiel est quecette chanson soit aisément accessible. Une base de donnéesouverte peut être constituée de différentes façons. Les cartesde Google et de Yahoo! sont élaborées automatiquement àpartir de données recueillies par d’autres entreprises (Nav-Tec, par exemple). Une bonne partie du succès d’Amazontient aux données qui sont mises en ligne manuellement (parles utilisateurs comme par la maison) sous forme de recom-mandations.

Mais l’exemple le plus intéressant, pour Bricklin, est celuide la CDDB, la base de données des CD dont le contenu a étévolontairement et manuellement mis en ligne par les usagers.Pourquoi se sont-ils donné cette peine ? Parce que c’est

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facile et qu’ils y trouvaient leur intérêt. Tel est le secret duprocessus et, d’une façon plus générale, de toute la dynami-que relationnelle. Après que les plus passionnés ont défrichéle terrain en mettant en ligne les informations, parfoisincomplètes, sur leur propre collection, la masse de donnéesrecueillies a permis à tout un chacun de compléter la fiched’identification de ses propres CD. Et suffisamment de per-sonnes ont eu envie de mieux gérer leur propre collectionpour alimenter à leur tour la base de données de CDDB.Rachetée par Gracenote.com, elle est aujourd’hui la pluscomplète sur le web. Grace à nous.

L’essentiel, nous explique Bricklin, est qu’il « suffisaitqu’une seule personne par album (même inconnu) [mette enligne les informations dont elle disposait] pour construire labase de données. […] Il n’était pas nécessaire que tout lemonde soit du genre hyperorganisé et soucieux de mettredes étiquettes sur tout, il fallait simplement qu’il y ait assezde gens pour remplir la base de données. Et tout cela a pu sefaire en tirant parti du travail “bénévole” (des utilisateurs)jusqu’à ce que la base de données soit assez grande pourreprésenter une valeur qui justifie que d’autres sociétéspayent pour y avoir accès28. »

Comme pour Napster : « augmenter la valeur de la basede données en ajoutant des informations est un produitdérivé de l’utilisation de l’outil dans son propre intérêt. Iln’est pas nécessaire d’être motivé par un souci altruiste departage ». C’est encore mieux, précise Blickin, lorsque leprocessus est intégré dans les opérations que l’on réalise« par défaut », c’est-à-dire quand on se sert du service sansrien changer à la façon dont il est organisé.

WeFi : pour trouver du wifi

WeFi.com nous en donne un exemple. Créé par une start-up d’origineisraélienne installée dans la Silicon Valley, le site aide l’utilisateur à trouverles meilleures connexions wifi grâce à une carte sur laquelle elles sontreprésentées.

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Voici ce que nous en a dit par courriel Arnon Kohavi, fondateur etpatron de la société : WeFi, ça rend WiFi facile. Nous vous connectonsautomatiquement à l’internet. Nous éliminons le processus souventennuyeux par lequel passent les autres clients à la recherche d’uneconnexion wifi. Nous vous montrons où se trouvent les points d’accèsouverts et gratuits, ainsi que les usagers et leur histoire de connexion.

Pour utiliser WeFi il faut télécharger un petit logiciel (un client). Quel est l’intérêt ?

Il remplace votre gestionnaire de connexion et facilite la communication. Ildonne des informations comme la localisation d’autres usagers et leurdistance par rapport à vous.

En échange d’informations sur l’endroit où il se trouve, l’utilisateurayant téléchargé l’application (il suffit de le faire une fois) peut facilementsavoir où trouver un point d’accès.

Bricklin conclut qu’un tel système conduit à ce qu’ilappelle la Cornucopia of the Commons : la mise en commun desdonnées en une corne d’abondance débordante.

O’Reilly y voit une recette économique : « Les effets deréseaux issus des contributions des utilisateurs sont la clé dela position dominante sur un marché à l’ère de web 2.0. Laclé de l’avantage compétitif pour les applications du webdépend de la façon dont les utilisateurs ajoutent leurs don-nées à celles que vous fournissez29. »

Ainsi conçue, la participation des usagers (qui a des dimen-sions politiques et techniques) est aussi la clé du modèle éco-nomique.

Voilà qui aide à comprendre deux approches moins contra-dictoires que l’on peut croire de prime abord :

◆ la plaisanterie selon laquelle la définition la plus courtede web 2.0 serait : « Vous fournissez tout le contenu. Ilsgardent tous les revenus30 » ;

◆ la phrase d’O’Reilly selon laquelle : « Une des leçonsessentielles du web 2.0 c’est que les utilisateurs ajoutentde la valeur ».

Mais il y a plus : la valeur ajoutée par les usagers et lesquantités énormes d’informations qu’ils mettent en ligne

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n’est pas seulement économique. Elle peut donner lieu, àl’émergence de qualités surprenantes qui vont de la « sagessedes foules » à « l’intelligence collective », en passant par lacapacité de prédire certains événements…

« SAGESSE DES FOULES »

Demander aux mathématiques de nous guider dans noschoix littéraires : la démarche est risquée et la rencontre nepeut qu’être explosive. C’est pourtant ce qu’a décidé de faireSimon & Schuster, la grande maison d’édition new-yorkaise,en passant, en 2007, un accord avec MediaPredict.com, unsite spécialisé dans les « marchés prévisionnels » (ou prédic-tifs). Ceux-ci sont conçus comme des bourses où les partici-pants spéculent sur un événement à venir (élection, Oscars,compétition sportive, succès commercial d’un produit, etc.).

Il s’agit de résoudre un vrai problème économique. Entermes généraux, 90 % des revenus des entreprises de médiassont générés par 10 % des titres affirme Brent Stinski, fonda-teur de Media Predict. « Personne ne sait rien », a écrit en1983 le scénariste William Goldman qui connaissait bienHollywood31. Personne ne sait ce que le public va aimer etles décisions se prennent selon l’humeur du jour. C’est vrai,aujourd’hui encore, pour les films, comme pour les disques etles livres.

Media Predict pense tenir l’innovation qui permettrad’obtenir de meilleurs résultats.

Chacun d’entre nous peut s’inscrire et recevoir 5 000 dol-lars (en monnaie de singe) à miser sur un projet de livredont il s’agit d’apprécier les chances d’obtenir un contrat.Pour donner du piquant à l’affaire, Touchstone Books, ladivision de Simon & Schuster qui participe à l’expérience, aorganisé un concours baptisé Project Publish visant à sélec-tionner un manuscrit pour publication. Dans l’espoir dedévelopper pour les livres l’équivalent de ce que les focusgroupes font pour les produits de consommation courante32.

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Les milieux littéraires new-yorkais ont vite dénoncé unsystème qu’ils estiment incapable de dégager des œuvres dequalité. Mais telle n’est pas la question posée. Les promo-teurs du concept entendent seulement réduire les incerti-tudes concernant les chances de réussite des manuscrits quileurs sont soumis.

La démarche repose sur de nombreuses expériences et unepensée relativement élaborée.

L’idée simple, c’est qu’en réunissant la plus grande quan-tité possible d’informations et d’opinions provenant desources diverses, on obtient des résultats supérieurs à ceuxque peuvent fournir des experts. C’est une des manifesta-tions de ce que James Surowiecki, chroniqueur économiquedu New Yorker, appelle « la sagesse des foules33 ».

La formule prend le contre-pied d’un livre du 19e siècle(1841) intitulé Extraordinary Popular Delusions and the Mad-ness of Crowds (« Extraordinaires aveuglements populaires etla folie des foules »), de Charles Mackay. Il y dénonce toutesles folies qu’on a l’habitude d’attribuer aux comportementsmoutonniers de masse : « Les hommes, on l’a bien dit, pen-sent en troupeaux ; on verra qu’en troupeaux ils deviennentfous alors qu’ils ne retrouvent leur esprit, lentement, qu’unpar un. »

L’argument opposé par Surowiecki s’inspire de l’histoired’un groupe de 800 personnes participant à une foire auxbestiaux qui s’est tenue en Angleterre en 1906. Elles furentinvitées à juger – au vu d’un bœuf vivant –, du poids qu’ilferait « une fois abattu et préparé ». Il y avait là des bou-chers, des éleveurs, des employés, des chalands et des gensqui n’y connaissaient rien. Un bon échantillon de démocra-tie. La moyenne de leurs estimations donna 1 197 livres,alors que la bête une fois « abattue et préparée » en pesait1 198. L’expérience a été renouvelée de multiples fois avecdes résultats comparables34.

Surowiecki retient quatre conditions permettant de voirémerger une telle précision : diversité d’opinions, indépen-dance (pas de pression de l’entourage), décentralisation (accèsà des informations qui échappent à l’ensemble), agrégation

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grâce à un mécanisme permettant de réduire à un seul résultatla multitude des jugements émis. Si toutes ces conditionssont remplies, il pense qu’on a de bonnes chances d’avoir uneréponse correcte pour la simple raison qu’il s’agit au fondd’un « truisme mathématique ». Quand on fait la moyennedes opinions émises par un groupe suffisamment nombreux,divers et composé de gens indépendants, « les erreurs de cha-que membre s’annulent. On pourrait dire que l’estimation dechacun est faite d’informations et d’erreurs. Enlevez leserreurs, il vous reste l’information35 ».

Surowiecki souligne que « la diversité et l’indépendancesont importantes parce que les meilleures décisions collec-tives sont le produit du désaccord et de l’affrontement, pasdu consensus et du compromis ».

Conscient que les groupes peuvent se tromper grave-ment, Surowiecki prend souvent comme exemple celui des« bulles rationnelles » des marchés qui sont pourtant cen-sées être des modèles d’efficacité. Il attribue les échecs (fré-quents) de ces bulles au fait que de tels groupes sont, quandon les regarde de près, homogènes et centralisés. Ils sontsouvent compartimentés (comme le montre l’échec desservices d’intelligence américains à prévoir l’attaque du11 septembre 2001, alors qu’ils avaient des informations) etmimétiques dans la mesure où il est plus facile de copierceux qui se sont exprimés en premier plutôt que d’émettreson propre jugement (ce mécanisme est très présent surDigg.com). Ils sont enfin plus sensibles à des émotions tellesque la notion d’appartenance, la pression des pairs, l’instinctgrégaire et l’hystérie collective.

Mais, si les bonnes conditions sont réunies, il est possiblede tirer parti de la sagesse des foules pour aborder trois typesde problème : quand la réponse est vérifiable, (on peut poserla question : « Qui gagnera la Coupe du monde ? » etcompter sur le fait qu’on aura la réponse exacte) ; pour coor-donner des actions en formant des réseaux qui opèrent sur labase d’un minimum de confiance, mais sans système centra-lisé (flux de piétons sur un trottoir bondé par exemple, oumarché sur lequel vendeurs et acheteurs se trouvent sans se

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connaître) ; pour agir ensemble (la difficulté dans ces cas decoopération consistant à faire émerger la notion d’objectifcommun « alors même que l’intérêt particulier semble indi-quer qu’aucun individu ne devrait participer »).

C’est là-dessus que s’appuient les marchés prévisionnels etleur étonnant palmarès. Les Iowa Electronic Markets (IEM)qui anticipent certaines élections aux États-Unis et à l’étran-ger depuis 1988 ont une marge d’erreur de 1,5 %. Mieux quecelle de 2,1 % enregistrée par les instituts de sondage. Ilsinvitent aussi à prédire l’évolution des taux d’intérêt du Fede-ral Reserve Board et les risques de grippe aviaire36.

Le marché le plus proche de Media Predict est le Hol-lywood Stock Exchange (hsx.com), qui ne s’est trompéqu’une fois en quatre ans pour les premières places desOscars, précise Surowiecki. Et comme cela sert aussi à pré-voir les recettes en salles, des dizaines de milliers de person-nes parient chaque jour. Ils le font avec de l’argent factice,mais certains joueurs ont amassé jusqu’à un milliard dedollars... pour rire37. Les gagnants en tirent une réputationenviable. Qui ne rêve pas d’être reconnu sur Sunset Boule-vard comme celui qui voit juste dans les nominations desOscars et, surtout, dans la prévision des recettes de chaquefilm ?

Hewlett Packard, Microsoft, Google, Yahoo!, entre autres,s’inspirent de ce modèle pour prendre des décisions impor-tantes. Jason Ruspini, un trader new-yorkais spécialiste desmarchés prévisionnels et de leur impact sur la politique, cher-che même à en faire un instrument de participation démo-cratique38.

Le cas apparemment le plus extravagant est celui de l’ex-amiral John Poindexter qui avait proposé en 2003 de créer unmarché prévisionnel pour anticiper les attentats terroristes39.La proposition a été rejetée par le Sénat des États-Unis, maistous les spécialistes des marchés prévisionnels estiment que,bien mise en place, l’idée aurait pu être utile.

Les faiblesses du système ne manquent pas. Les marchésse trompent aussi. Ils se trompent même régulièrement.Alors, à quoi faut-il faire attention ?

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Au nombre de participants, d’abord. C’est toujours unproblème au début, puisque la logique mathématique àl’œuvre dépend du nombre d’opinions différentes.

Au type de probabilité ensuite. The Economist souligneque de tels marchés prévisionnels tendent à exagérer les per-ceptions des probabilités extrêmes de la part des partici-pants qui accordent trop de poids aux scénarios les plusprobables et les moins probables40.

Il faut enfin prendre en compte une étude de la HarvardBusiness School qui montre que « pour qu’un marché pré-visionnel fonctionne, l’événement concerné doit être indé-pendant du vote. Sans cela, on n’aurait qu’une foule serécompensant quand elle agit comme un troupeau41 ». C’esten fait l’erreur commise par MediaPredict et soulignée parSurowiecki. Mieux vaudrait, explique-t-il, demander aumarché de prévoir le nombre d’exemplaires vendus quidépend du comportement d’un grand nombre de personnes« que de lui demander quel manuscrit aura un contrat, cequi implique de prévoir les décisions d’un petit nombred’éditeurs42 ».

CROWDSOURCING : L’EXTERNALISATION AUX FOULES

Si, comme l’affirme O’Reilly, « les utilisateurs ajoutent de lavaleur », s’il s’avère que leur participation en grand nombrepeut donner lieu à l’émergence d’une certaine sagesse, pour-quoi ne pas les mettre au travail de façon directe et presqueorganisée, gratuitement si possible ? Ils sont nombreux às’être posé la question et à avoir répondu tout simplement :en essayant.

La « participation » qui se trouve au cœur de la dynami-que animant le web d’aujourd’hui donne ainsi lieu à un vraimodèle économique dont le pôle le plus extrême, certainsdiront « le plus brutal », est le crowdsourcing ou, littérale-ment, l’« externalisation de la production à la foule ». Celaconsiste à confier à un groupe indéterminé de personnes une

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tâche normalement réalisée à l’intérieur d’une organisation.On peut y voir un merveilleux outil de collaboration ou uneffroyable mécanisme d’exploitation.

Le terme s’inspire de deux expressions à la mode – out-sourcing et wisdom of crowds [externalisation et sagesse desfoules] – mais les dépasse. Popularisé par Jeff Howe dans unarticle de la revue Wired de juin 200643, il a aussitôt étérepris par de nombreux blogs et par un article de BusinessWeek pour y sensibiliser les milieux d’affaires américains44.

Howe repère cinq principes communs à tous les cas decrowdsourcing qu’il recense45 :

◆ les gens sont géographiquement dispersés ;◆ les tâches doivent être divisées en microtâches car les par-

ticipants ne s’y attaquent que par moments brefs ;◆ les foules en question regorgent de spécialistes. Des vrais

pros, des passionnés, des gens qui s’y connaissent ;◆ l’essentiel de la production ne sert à rien. L’astuce est de

trouver des filtres efficaces car le crowdsourcing n’augmentepas la quantité de talents disponibles, il permet de lestrouver et de les mettre en relation avec d’autres ;

◆ la foule sait faire émerger les perles qu’elle produit et éli-miner le reste, comme tend à le montrer Wikipedia.

Nous pouvons signaler plusieurs exemples parmi les plussurprenants.

MyFootBallClub.co.uk

L’achat d’une équipe de foot par ses fans. Elle leur donnera ledroit de choisir l’équipe et l’entraîneur. Le 31 juillet 2007,ils avaient atteint leur objectif d’obtenir une contribution de35 livres de plus de 50 000 personnes. Début septembre, ilsentamaient la sélection du club par vote démocratique desmembres. À la mi-novembre ils avaient atteint un accord deprincipe avec le Ebbsfleet United FC, celui pour lequel lescontributeurs avaient le plus voté.

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AmillionPinguins.com

Un site ouvert par la maison d’édition Pinguin pour encou-rager la production d’un « romanwiki », un ouvrage de fic-tion écrit sur un site ouvert à tout le monde. En signalantsur son blog que « le voyage a été la récompense », Penguinrévèle que le résultat demeure d’un intérêt limité46. Mais une-book est annoncé. Mille cinq cents participants, 11 000modifications et 280 000 pages vues en mars 2007 « n’enfaisaient pas le roman le plus lu de l’histoire mais sans doutele plus écrit ».

ASwarmOfAngels.com

Ce site réunit un million de livres sterling pour financer unfilm open source, créé par un million de personnes.

Threadless.com

Invite les consommateurs à proposer des designs de tee-shirtset à voter chaque semaine pour leurs favoris. Les cinq meil-leurs sont alors produits, à condition qu’un nombre suffisantde personnes les commandent. Les gagnants sont rémunérésentre 2 000 et 5 000 dollars. Les individus créent. La com-munauté vote. L’entreprise ne produit que ce qui a déjà étécommandé. Il n’y a pas de processus de création collective etla société prend peu de risques. Elle gagne de l’argent.

iStockPhoto.com

Ce site a été lancé en l’an 2000 par Bruce Livingstone, unentrepreneur canadien qui voulait partager ses photos avecd’autres et avoir la possibilité d’en discuter. Tout le mondepeut mettre en ligne des images et les vendre à des prixvariables. En juillet 2007, le site comptait 1,8 million dephotographes, vidéographes, illustrateurs et dessinateurs.Lise Gagné, la plus célèbre d’entre eux, et celle qui réussit lemieux, gagnerait 125 000 dollars par an (2005) en travaillant

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exclusivement pour iStockPhoto47. Getty Images, la pluspuissante agence d’images du monde, a racheté iStockPhotodébut 2006 pour 50 millions de dollars en alléguant que,quitte à se faire cannibaliser par la concurrence, autant que cesoit une affaire interne. Les prix pratiqués par iStockPhoton’ont cessé d’augmenter depuis le début, une tendance que lerachat par Getty Images n’a fait qu’accentuer, mais ils demeu-rent raisonnables : entre 1 dollar et 15 dollars par photo enfonction de la taille.

L’application du crowdsourcing au marché de la photogra-phie bénéficie de deux circonstances importantes :

◆ en matière de photojournalisme, il est indispensable d’êtresur place au moment où un événement a lieu. Or, si lesjournalistes ne sont pas toujours présents, les témoinséquipés de mobiles ne manquent pas ;

◆ le travail collaboratif est généralement plus facile quandon peut juger sur pièce. C’est le cas du code dans les pro-cessus open source. C’est aussi le cas des photos. KarimLakhani, professeur à la Harvard Business School, estimequ’il faut fournir des preuves convaincantes qui « parlentd’elles-mêmes48 ».

InnoCentive.com

Loin de la production de tee-shirts plus ou moins sexys,cette société fait appel aux foules pour résoudre les pro-blèmes de R & D que les plus grosses entreprises phar-maceutiques sont incapables de résoudre en interne. Lancéen 2001 avec le support d’Eli Lilly and Company, le sitedispose d’un réseau de près de 100 000 « résolveurs » (sol-vers) qui s’attaquent aux questions posées par les « deman-deurs » (seekers). Parmi ceux-ci, on trouve des compagniesde la taille de Procter & Gamble, Dupont et Lilly. Lesauteurs des solutions retenues reçoivent entre 10 000 et100 000 dollars. Les problèmes sont résolus dans 30 % descas. Cette expérience unique a déjà permis de conclure que« les chances de succès d’un résolveur augmentent dans les

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domaines dans lesquels il n’a pas de compétence formelle »,explique Karim Lakhani professeur à la Harvard BusinessSchool. Le réseau fonctionne d’autant mieux qu’il ratisselarge. « Je veux autant de diversité que possible49 », expli-que pour sa part le Dr Alpheus Bingham, fondateurd’InnoCentive.

MechanicalTurk (mturk.com)

C’est un autre exemple de l’appel aux foules pour résoudredes problèmes de connaissance. Créé par Amazon.com, ilpermet de trouver la main-d’œuvre nécessaire à des tâchesirréalisables par les ordinateurs : identifier des éléments surune photo, décrire un produit en quelques lignes, transcrireun podcast, par exemple.

CrowdSpirit.org

Lancé par le Grenoblois Lionel David, le site CrowdSpirit seveut une communauté dont le but est d’initier « une révo-lution dans la production en créant les premiers produitsélectroniques inspirés par les désirs et les attentes desclients50 ». Tout le monde peut participer à la conception età la fabrication d’appareils électroniques bon marché. Lacommunauté propose, vote, sélectionne, finance, teste et pro-duit les gadgets. Une petite équipe ouverte aux membres lesplus actifs tranche à certaines étapes du processus. La valeurdes produits devrait, selon les fondateurs, tenir au fait qu’ilssont conçus par les usagers eux-mêmes. Rien n’est dit,remarquent les esprits critiques, du service après-vente51.Lionel David insiste sur la différence qui existe entre l’exter-nalisation aux foules et la création communautaire. Il seclasse dans la seconde catégorie (avec Wikipedia), dont lescaractéristiques seraient : une conviction commune entraî-nant une plus grande loyauté et des interactions communau-taires au niveau de la production permettant d’apprendre etde « croître ensemble52 ».

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Cambrian House (.com)

Basée à Calgary au Canada, Cambrian House procède defaçon similaire pour la production de software : soumissionde projets ou d’idées, discussions et vote par la commu-nauté, développement par les membres. Un peu plus de6 000 idées avaient été discutées à la fin novembre 2007 et500 business étaient considérés comme actifs53. Une partiede l’entreprise est totalement dirigée par les membres eux-mêmes. Ils ont du pouvoir, ce qui devrait limiter les senti-ments d’exploitation. Par ailleurs, les participants reçoiventdes royalty points (des dollars potentiels) proportionnelle-ment à leur participation et la reconnaissance de leurs pairspour leurs capacités professionnelles. Mais il ne fait aucundoute pour Michael Sirkosky, le fondateur que « nos mem-bres sont moins attirés par l’argent que par le sens ».

Crowdsourcing et journalisme : « un échec hautement satisfaisant »

Le journalisme n’échappe pas au crowdsourcing, comme lemontre l’expérience entreprise au printemps 2007 par Assi-gnment Zero54, un groupe de professionnels et d’amateursentraînés par Jay Rosen, professeur à la New York Univer-sity, en collaboration avec la revue Wired55. Il s’agissait,selon Rosen, de tester « si de larges groupes de personnestrès dispersées travaillant ensemble volontairement sur lenet peuvent produire des articles sur quelque chose qui sepasse dans le monde en ce moment même et, en divisantintelligemment le travail, raconter l’histoire d’une façonplus complète56 ».

Le thème choisi était le crowdsourcing lui-même etl’entreprise a permis de réunir les informations les pluscomplètes du moment sur le sujet, ses difficultés, les diffé-rents domaines d’application ainsi que certaines réflexionsindispensables.

Jeff Howe, qui a suivi l’expérience pour le compte deWired, en tire un bilan d’autant plus intéressant qu’il est

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mesuré : « nous pouvons la considérer comme un échec hau-tement satisfaisant57 ».

Parmi ses commentaires, nous retiendrons que :

◆ les articles rédigés sont ceux qui laissent le plus à désirer,mais « la qualité de pensée et la perspicacité d’au moinstrois quarts des entrevues (80 au total) étaient égales ousupérieures à celles qu’on trouve dans n’importe quelmagazine national58 » ;

◆ la principale erreur tient au choix du sujet : beaucouptrop vaste et nébuleux. Le Dr Alpheus Bingham, fonda-teur d’Innocentive, conseille lui aussi de s’assigner destâches limitées, de ne pas se fixer des objectifs « énormé-ment grandioses » ;

◆ le problème principal est né de la mauvaise utilisationdes TIC. Ils ont conçu leur site avec un excellent systèmede publication open source, mais en l’absence de responsa-bles désignés, les volontaires ont trouvé « une ville fan-tôme ». Une réorganisation donnant plus de place auxgroupes d’intérêt qui se créaient autour de chaque thèmeleur a permis de se « concentrer sur les projets qui inté-ressaient le plus les gens ». Le sérieux et la qualité desentretiens montre que ceux qui y ont contribué « se sontportés volontaires pour s’attaquer à des sujets qui les pas-sionnent et qu’ils connaissent59 ».

Mais que veut dire « l’externalisation aux foules » ? Soyonsprudents dans l’usage des termes. Le mécanisme implique laréalisation d’une tâche, dimension absente de bien des initia-tives reposant sur le contenu généré par les usagers. Elle peutl’être d’une façon collective chez CrowdSpirit et CambrianHouse ou individuelle chez iStockPhoto. Elle peut générerdes gains, comme sur Innocentive ou Threadless, entre autres,ou pas, comme dans le cas d’Assignment Zero (qui nous rap-proche du modèle Wikipedia).

Il s’agit au fond de distribuer des microtâches à des gensdispersés… pas à des foules. La photo choisie sur iStock-Photo n’est pas le résultat du collage de toutes les photosdes participants.

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La plus grande valeur du crowdsourcing semble bien êtrequ’en élargissant la participation, l’externalisation permet depuiser dans la longue traîne des talents. C’est d’autant plusimportant, explique Karim Lakhani, que « l’expertise setrouve à la périphérie60 ». Pas de foule donc, mais un méca-nisme de « transfert de connaissances », souligne -t-il, et decompétences, puisqu’il s’agit de productions concrètes. Ils’agit bien d’un « système distribué (ou disséminé) d’innova-tion » au potentiel considérable.

De savoir à comprendre

Conférence du philosophe et consultant David Weinberger, 22 juin 2007

La création de valeur par les webacteurs bouleverse jusqu’à notreconception du savoir. C’est ce dont est convaincu David Weinberger, quien a donné une vision particulièrement brillante lors d’une interventionfaite à la conférence Supernova organisée par Kevin Werbach à SanFrancisco le 22 juin 2007, et dont nous traduisons ici les meilleurspassages61.

« On ne cesse de nous dire depuis les années 1990 qu’il y a tropd’informations, que nous sommes menacés par une avalanche, un tsu-nami, que nous allons nous y noyer. Ça n’est pas vrai et il convient de sedemander pourquoi puisqu’il y en a encore plus que ce que tout lemonde prévoyait.

C’est parce qu’il y a de plus en plus d’informations que nous ne nousy noyons pas. La solution au problème de l’excès d’information, c’estd’en générer encore plus, une activité à laquelle nous excellons.

Le problème n’est pas la quantité, mais la fragmentation. Depuis lepremier jour, le défi principal du web consiste à trouver ce qui comptepour nous, ce qui est vrai, ce qui nous apporte du plaisir. La solution atoujours été, et sera sans doute toujours, de se référer aux métadonnées[données servant à définir ou décrire d’autres données62].

Traditionnellement, nous avons eu affaire à deux ordres d’ordre. Lepremier concerne les choses elles-mêmes, les photos, par exemple,qu’on classe en archives, dans des classeurs. Elles ne peuvent aller quedans un seul endroit. On est obligé de choisir, car on ne peut pas mettreun objet physique dans deux endroits en même temps. Dans le deuxièmeordre, on sépare physiquement les métadonnées, ce qui permet d’avoirplusieurs façons d’organiser. Mais, dans le monde physique c’est tou-jours limité par la taille de la carte sur laquelle on met le titre et l’auteur parexemple. Il faut donc prendre une décision.

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Cette hiérarchisation des métadonnées pour classer les données doitêtre faite par quelqu’un. Il y a des experts pour cela, des comités, desscientifiques. Leur choix est généralement bon, mais n’est qu’unemanière d’organiser le monde et leurs décisions ne sont pas toujoursexcellentes.

Cela fait immédiatement surgir des questions de pouvoir. Être la per-sonne qui fait de tels choix dans l’organisation du savoir équivaut à déte-nir de l’autorité. Ce choix a toujours été nécessaire, parce que lesmoyens d’organiser le savoir ont toujours été des moyens physiquescomme les livres. Tout le monde aime les livres, mais ils sont difficiles autiliser et requièrent une série de décisions qui incluent le sujet dont ilstraitent, les informations qu’ils contiennent et, enfin, l’étagère sur laquelleils sont rangés. Le fait que la connaissance est stockée sur des supportsphysique est terriblement restrictif.

Laissez-moi vous donner un exemple similaire, celui de l’arbre. Nousadorons les arbres taxonomiques et nous nous en servons beaucouppour organiser les choses pour montrer la façon dont le monde est orga-nisé. Regardez comment les scientifiques organisent les espèces vivantes.Cela sous-entend que nous pensons que l’ordre parfait est de donner àchaque chose une place et une seule. Et parce que nous considéronsqu’un tel ordre parfait existe, nous dépendons totalement de l’avis despenseurs qui prennent les décisions correspondantes. Ils sont ceux quisavent. Ils sont l’autorité. [...]

La notion selon laquelle c’est de cette façon qu’il faut organiser leschoses provient uniquement du fait que nous avons intégré les limi-tations du monde physique. Nous l’appliquons au monde des idées etc’est terrible.

Heureusement, nous entrons maintenant dans le troisième ordred’ordre. Nous sommes parvenus à une phase de digitalisation de toutesles données – contenu et métadonnées. [...] Ça n’est pas seulement unepile. Il y a un potentiel d’ordre là-dedans. La règle devient qu’il faut toutinclure au lieu de filtrer. Et plutôt que de demander à des experts dedécider quelle est la position qui convient, on peut permettre aux utili-sateurs d’organiser et de trier en fonction de leurs intérêts et de leursbesoins.

Cela change quatre principes de base :

• dans le monde physique, une chose ne peut occuper qu’une seuleplace et sur l’arbre taxonomique, elle ne peut être que sur une seulebranche. En ligne, une chose peut se trouver dans autant de caté-gories qu’on veut, y compris celles qui sont créées par des tags. Ledésordre devient donc une bonne chose car chaque utilisateur peutarranger les données comme il le souhaite ;

• dans le premier et le deuxième ordre, le fouillis est un désastre. Enligne, c’est exactement ce qu’on cherche parce qu’il permet lamultiplicité et la richesse des relations. On règle les problèmes auniveau des métadonnées ;

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• dans le monde physique, on peut facilement faire la différenceentre le livre et la carte du catalogue qui en parle. En ligne, il n’y aplus de distinction entre données et métadonnées. Elles sontaccessibles de la même façon. Se rappeler la première ligne d’unlivre peut permettre de trouver les informations sur l’auteur et lereste du contenu. Dans le troisième ordre, tout est métadonnées.La seule différence est que les données sont ce que vous cherchezet les métadonnées ce que vous savez. Et puisque nous organi-sons la connaissance en nous appuyant sur ces dernières, si toutest métadonnées, nous nous retrouvons bien plus intelligents quenous ne l’étions il y a dix ans ;

• le quatrième principe et que dans le monde réel, il est rare qu’onpuisse changer le classement établi. Par exemple, si vous vous ren-dez dans un magasin de vêtements et que vous vous mettez à faireune grande pile de tous les vêtements qui vous vont, parce que,bien sûr, le reste ne vous intéresse pas, vous serez mis à la porte aubout de trente secondes. Sur l’internet, si on vous oblige à voir toutce qui ne vous va pas vous partirez en trente secondes. Ceux quipossèdent le stock n’en possèdent plus l’organisation. C’est nousqui la possédons. Les techniques nous permettant de trouver ceque nous voulons, de comprendre et de contextualiser ce que nousvoulons, comptent parmi les plus excitantes que nous ayons inven-tées pour le web. Cela comprend le tagging, les sites de critiques etles recommandations personnelles créés pour vous aider à faire le tride toutes ces informations. Ainsi, le web n’est pas une masse plated’informations : il est bosselé.

Cela entraîne trois conséquences :

• dans le régime de la diffusion des informations de masse (broad-cast), nous avons pris l’habitude de simplifier parce que c’estcomme cela qu’on fait passer le message. On simplifie, simplifie,simplifie. On rend les choses stupides et cela donne la télévision. Onretrouve cela dans les discours des hommes politiques qui doiventsimplifier des situations complexes. Il y a un an, par exemple, Bush adû simplifier sa politique en matière d’immigration pour qu’elle tiennedans un discours de 2 500 mots. Une heure après 2 500 billets deblogs en parlaient. Chacun le rendait plus complexe. C’est ce qu’onfait sur les blogs et dans les conversations. Ainsi, voyons-nousapparaître une véritable joie de la complexité qui fait voler en éclats lasimplicité imposée par les médias de masse ;

• deuxième conséquence, les experts ne sont plus les mêmesqu’avant. Maintenant, l’expert c’est tout le monde, comme le mon-tre Wikipedia. Le savoir qui s’en dégage est souvent meilleur quecelui que l’on aurait pu attendre d’un seul individu. L’expert ne dis-paraît pas, mais on assiste à une sorte de négociation sociale dusavoir. C’est aussi le cas sur les mailing lists. Un expert y donne son

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avis, auquel s’ajoutent les commentaires des autres participants.Outre l’avis de l’expert, le lecteur bénéficiera aussi des opinionscontraires et des remarques. Les mailing lists sont plus intelligentesque chaque expert qui y participe. Le lecteur aura donc une informa-tion plus complète. Le savoir est donc devenu un savoir social et cecivrai de notre système d’éducation, car les enfants sont en ligne quandils font leurs devoirs et ils utilisent tous les outils sociaux dont nousparlons ici. Ils font leurs devoirs socialement, mais sont jugés indivi-duellement. Le vieux système est cassé ;

• le troisième point est que l’idée selon laquelle l’internet est de lamauvaise information est source de beaucoup trop d’angoisses.Nous sommes en train d’assister à un changement cataclysmiquedans lequel la connaissance est progressivement absorbée par lacompréhension (the circling of knowledge by understanding). Il estvrai que de fausses informations circulent sur l’internet, et qu’ellespeuvent entraîner une distorsion du savoir. On n’est jamais sûr quec’est un expert qui aura écrit ce qu’on va lire. L’accès au savoir estdonc plus difficile avec l’internet et l’utilisateur va devoir s’impliquerdavantage, trouver la page de discussions sur le sujet pour savoir sioui ou non, ce qu’il a lu est vrai.

L’information peut ne pas être exacte. Cependant, sur l’internet, on nese borne pas à chercher de l’information, on essaie de mieux compren-dre les choses que l’on sait déjà. Cette énorme pile de « choses », nousl’enrichissons avec autant de métadonnées que possible. De multiplesfaçons (qu’il s’agisse de tags, des taxonomies d’hier, du web séman-tique, de liens, de playlists ou de Digg), nous établissons des relationsentre les choses, du sens. Nous ajoutons de la valeur. C’est le vrai websémantique que nous créons, pas seulement pour savoir, mais pourcomprendre. Je vois cela comme une infrastructure du sens (an infras-tructure for meaning). C’est cela la vraie avancée que nous verrons sedévelopper pendant des générations.

En tout cas, cet outil n’appartient pas à un panel d’experts. Il est ànous63. »

« À nous » dit Weinberger, c’est-à-dire aux multitudes de webacteurset à l’alchimie qu’elles produisent…

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La grande question posée par les transformations en jeu dans leweb est de savoir jusqu’où elles peuvent bouleverser le monde,jusqu’où y croire. En nous promettant le passage du savoir à lacompréhension, David Weinberger, l’auteur de Everything isMiscelaneous, ne nous promet rien moins que le passage de laconnaissance – quête dominante, en Occident, du moins depuisla Renaissance – à la sagesse, quête asiatique millénaire. Unesagesse qui – travers occidental – se trouverait dans les donnéeset les métadonnées.

On ne peut qu’être tenté. Et c’est peut-être là le danger.Plus les nouveaux outils dont nous disposons révèlent leurpuissance, plus ils trouveront des chantres pour nous bercerd’illusions. Ils trouvent aussi des critiques acerbes tentés deréagir contre la remise en question d’un certain ordre deschoses en place, plus dangereux encore, peut-être, puisqu’ilspourraient nous dissuader de participer à l’aventure en cours.

C’EST GRÂCE AUX HIPPIES…

Les avatars spectaculaires de la bulle aidant, on a trop souventtendance à associer la naissance de l’ordinateur personnel et del’internet à quelques capitaines d’industrie et à leurs histoiresde gros sous. Les gauchistes technophobes rappellent, à juste

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titre, la participation du Pentagone à l’origine de ce nouveaumonde. Mais tout le monde semble oublier les hippies paci-fistes et consommateurs de LSD. Ils ont pourtant joué un rôlecentral assez peu connu qui permet de mieux comprendre cer-taines tensions actuelles. Celles qui concernent la propriétéintellectuelle, par exemple, et certaines des batailles idéolo-giques les plus virulentes suscitées par le web d’aujourd’hui.

Un livre sorti au mois d’avril 2005 sous le titre What theDormouse Said, How the 60s Counterculture Shaped the PersonalComputer Industry1 nous aide à mieux comprendre les cir-constances curieuses qui permettent d’affirmer que tout s’estjoué dans les années 1960 dans un cercle d’un rayon de8 km autour de Kepler Bookstore. Cette librairie se trouveelle-même à portée de l’université de Stanford et des deuxinstitutions d’où sont sortis les concepts et les produitsessentiels : le Stanford Research Institute (SRI) et le PaloAlto Research Center (PARC) de Xerox. L’auteur de ce livreest John Markoff, correspondant du New York Times pourSan Francisco et la Silicon Valley.

Développant un thème lancé par un article publié parTime Magazine en 1995 sous le titre « Nous devons tout çaaux hippies2 », Markoff narre la saga des ordinateurs person-nels, depuis la première expérience de Stewart Brand (créa-teur du Whole Earth Catalogue, la bible des hippies) avec leLSD jusqu’à la conférence historique du 9 décembre 1968au Brooks Hall auditorium de San Francisco. C’est là queDoug Engelbaert, connu comme inventeur de la souris,montra comment son oNLine System permettait d’éditer untexte sur un écran – une révolution à l’heure des cartesperforées –, d’établir des hyperliens entre deux documentset de mélanger textes, graphiques et même vidéo. Il s’offritle luxe d’évoquer un réseau expérimental d’ordinateurs quidevait devenir ARPAnet, l’ancêtre de l’internet.

La plupart des aspects importants du monde informatiqued’aujourd’hui furent évoqués lors de cette présentation quireste, selon Markoff et beaucoup d’autres, « la démonstrationde technologie informatique la plus remarquable de tous lestemps ». Or Engelbaert et son équipe représentaient un des

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pôles d’un affrontement presque idéologique qui les opposaitau Stanford Artificial Intelligence Laboratory (Sail). SelonMarkoff : « Un des deux groupes cherchait à augmenterl’esprit humain [augment the human mind], l’autre à le rempla-cer. » Une tension qui demeure très présente.

Les anecdotes racontées dans ce livre partent d’un dîneravec Engelbaert qui fascina Markoff parce que les histoiresqui y furent échangées « ne concernaient pas la technologie,mais les vies des chercheurs eux-mêmes, leurs relations per-sonnelles, les drogues qu’ils prenaient, les plaisirs sexuelsdont ils jouissaient, le rock and roll qu’ils écoutaient, et lesmanifestations politiques auxquelles ils prenaient part ».

Au même moment, dans des groupes très proches et sou-vent connectés, on expérimentait le LSD avec pour objectif« d’augmenter » – d’une autre façon – l’esprit humain.C’est sans doute pour cela que tant d’individus ont participéaux deux aventures. Le plus célèbre d’entre eux étant sansaucun doute Steve Jobs, fondateur et dirigeant d’Apple.

Ce livre nous donne un aperçu des réseaux de la contre-culture et des liens connectant Engelbaert et Stewart Brandavec, par exemple Alan Kay, créateur du Alto, le premier PCmis au point au PARC de Xerox, Ted Nelson, parrain del’hypertexte et Fred Moore, pacifiste convaincu, qui contri-bua aux débuts du mouvement de protestation contre laguerre du Vietnam à l’université de Berkeley. Il créa aussi leHomebrew Computer Club avec pour mission de partagerl’information, à commencer par les programmes informa-tiques. C’est à ce petit groupe que Bill Gates envoya unelettre en 1975 dans laquelle il les accuse d’être des« voleurs » parce qu’ils ont fait circuler une version deBasic, le programme qu’il avait écrit avec Paul Allen.

C’est sur ce fond que se joue aujourd’hui l’affrontemententre ceux qui considèrent que l’information doit être parta-gée et circuler librement et ceux qui entendent pouvoir sel’approprier, entre ceux qui pensent que la vérité est lemonopole des experts et ceux qui sont convaincus que nouspouvons tous y participer et tous en profiter.

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LE WEB EST-IL PLUS INTELLIGENT QUE NOUS ?

Wikipedia

Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia, a commencé parfaire fortune à la bourse de Chicago en spéculant sur les fluc-tuations des taux d’intérêt et de change. Il a ensuite gagnéun peu plus d’argent en créant un moteur de rechercheamplement spécialisé dans le contenu pour adultes… Voilàun homme d’affaires avisé qui, pourtant, passera à la posté-rité pour avoir mis en œuvre une idée qui, directement, nelui rapporte pas un dollar, mais à laquelle des centaines demilliers de gens contribuent sans se faire payer et que desdizaines de millions d’entre nous utilisent chaque mois :Wikipedia, l’encyclopédie en ligne, qui est sans doute lephénomène le plus surprenant, le plus difficile à compren-dre et le plus imprévisible des dernières années.

Fin septembre 2007, on pouvait y lire plus de cinq mil-lions d’articles dans plus de 200 langues, dont deux millionsen anglais et plus de 500 000 en allemand et en français(quinze langues avaient alors plus de 100 000 articles)3.Plus de 100 000 personnes ont créé ou modifié un mini-mum de dix articles. À la même date, Citizendium, uneencyclopédie similaire qui accorde plus de place aux experts,avait, en douze mois, accumulé un peu moins de 3 000 arti-cles (en anglais), écrits et révisés par 2 000 personnes (Citi-zendium a été lancée par Larry Singer, ancien cofondateur deWikipedia).

Les faiblesses de Wikipedia ont été trop souvent signaléespour que le sujet vaille la peine d’être détaillé ici. Le vanda-lisme dont elle est l’objet (moins d’un pour cent des edits[modifications], selon Wales) fait perdre 5 % de son temps àl’équipe mais, nous a-t-il fait remarquer en parlant de ces atta-ques, « elles ne sont pas assez gratifiantes pour leurs auteurs[pour continuer] parce qu’elles sont corrigées tres vite4 ».

La question de la qualité des articles est beaucoup plusdélicate. Les partisans de Wikipedia ne cessent de mettre enavant une étude de la revue Nature qui avait comparé douze

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articles de Wikipedia et douze de l’Encyclopædia Britan-nica, pour arriver à la conclusion que, si ces derniers étaientlégèrement meilleurs, la différence était bien moindre quece que nous serions tentés de croire5. En décembre 2007,une étude indépendante commandée par l’hebdomadaireStern a montré que la version allemande de Wikipedia étaitmeilleure que Brockhaus, l’encyclopédie commerciale6.

C’est sûrement vrai, et pourtant cela ne permet pas devoir certaines faiblesses bien réelles comme le déséquilibreentre les sujets qui intéressent les geeks (« passionnés detechnologies »), surtraités, et les autres. Ainsi, en juin 2007,Michael Arrington de TechCrunch avait-il beau jeu de noterque l’article sur le combat au sabre-laser dans Star Wars étaitbeaucoup plus complet que celui sur la guerre moderne7…

De façon plus générale, l’ensemble des articles est de qua-lité inégale. Cependant, si les erreurs de l’Encyclopaedia Britan-nica sont immuables, celles de Wikipedia ont été corrigéespeu après la parution de l’article de Nature. L’envers de cettemédaille, c’est que les erreurs, parfois flagrantes ou mal inten-tionnées, restent en ligne pendant « un certain temps »,comme le montre le cas de John Seigenthaler, un journalistefaussement accusé d’avoir été impliqué dans les assassinats deJohn et de Bob Kennedy et à qui il a fallu plusieurs mois pourobtenir que le site accepte et maintienne la version corrigéedu texte fautif8.

Le temps semble un allié, dans la mesure où il donne àtous les intéressés l’opportunité d’améliorer les contenus,qui ne sont pas parfaits – et ne le seront jamais. Il permetaussi à l’organisation de se rôder. C’est ainsi qu’à la suited’incidents ayant attiré l’attention des médias traditionnels,les Wikipédiens ont décidé d’exiger que les contributeurss’inscrivent, ce qui limite sans l’éliminer l’action des sabo-teurs. De plus, certaines pages particulièrement sensibles,comme celles concernant Geoges W. Bush, n’acceptent plusles modifications une fois que la communauté estime avoiratteint un équilibre acceptable.

Notons aussi que dans certaines écoles aux maigres res-sources (mais connectées à l’internet), Wikipedia permet

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aux élèves d’avoir accès à un minimum de connaissances quileur serait autrement interdit. AtinaChile.cl, par exemple,et la fondation Mercator à laquelle cette association chi-lienne est apparentée, travaillent à la connexion des écolesprimaires, notamment pour permettre l’accès à l’encyclopé-die en ligne dans des lieux où les livres indispensables àl’éducation des enfants n’arrivent pas.

Il se passe donc quelque chose d’essentiel, de nouveau etd’imparfait à la fois, que nous avons d’autant plus de mal àdéfinir que les formules utilisées prêtent souvent à confusion.

Sagesse des foules ou intelligence collective ?

Il est une conviction fort répandue parmi les analystes duweb d’aujourd’hui, et parmi ceux qui le pratiquent assidû-ment, que la participation d’un grand nombre de personneset de groupes, ce que nous appelons « dynamique relation-nelle », permet l’émergence de « quelque chose ». Mais lesdeux grandes formules qui se proposent d’en rendre comptesont utilisées avec suffisamment de laxisme pour nous com-pliquer encore la perception de ce qui est en jeu.

D’un côté, nous avons James Surowiecki. Comme nousvenons de le voir, l’auteur de La Sagesse des foules expliqueque le phénomène éponyme de son livre consiste pourl’essentiel en un « truisme mathématique » qui établit lamoyenne d’opinions et de jugements différents sans proces-sus délibératif.

De l’autre, nous avons les nombreux écrits de TimO’Reilly, grand promoteur du terme web 2.0 qui, entrevueaprès entrevue, article après article, retient deux élémentsqui, selon lui, jouent un rôle clé dans l’évolution en cours :la création de contenu par les usagers et la capacité de « tirerparti de l’intelligence collective ».

Soucieux de jeter la lumière sur ces deux aspects, il a pris lapeine d’organiser, le 9 novembre 2006, un débat sur le sujet,dans le contexte du Sommet web 2.0 qu’il avait lui-mêmeorchestré à San Francisco avant de reprendre le thème dans unbillet que l’on peut toujours trouver sur son blog9.

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Le contenu généré par les usagers est la fondation mêmedu web d’aujourd’hui, explique-t-il. C’est ce qui fait la forcede Craigslist et d’un grand nombre de sites actuellement à lamode. Il est renforcé par des « effets de réseaux », notioninventée par Robert Metcalfe10 pour qui la valeur d’un bienou d’un service varie en fonction du nombre de personnes quis’en servent. L’effet est positif quand la relation est direc-tement proportionnelle (plus le nombre d’utilisateurs estgrand, plus le produit ou le service gagne en valeur).

« Une des différences centrales entre l’ère des PC et leweb 2.0, c’est qu’une fois que l’internet devient une plate-forme plutôt qu’un simple ajout à l’ordinateur personnel,vous pouvez construire des applications qui tirent parti(harness) des effets de réseaux, et qui s’améliorent quanddavantage de personnes s’en servent », écrit O’Reilly. C’estce qu’il qualifie d’« intelligence collective ». Un choix quine nous aide en rien, dans la mesure où il ne précise ni soninterprétation du concept – lancé en fait par le philosophePierre Lévy –, ni ce qu’il pense de la « sagesse des foules »de Surowiecki.

Heureusement Henry Jenkins, ce professeur du Massa-chusetts Institute of Technology (MIT) auteur du livreConvergence Culture dont nous avons déjà parlé, publiait lemême jour (il est tentant de ne pas y voir un hasard) unbillet qui a le mérite de revenir aux sources : « Le modèlede Surowiecki cherche à réunir de façon anonyme les don-nées produites pour voir la sagesse émerger quand un grandnombre de personnes entrent leurs estimations personnellessans influencer les découvertes des autres. Le modèle deLévy se centre sur les types de processus délibératifs qui ontlieu dans les communautés en ligne quand les participantspartagent leurs informations, corrigent et évaluent les décou-vertes de chacun et se mettent d’accord sur une interpré-tation11. »

Les deux termes sont séduisants mais, trop ambitieux, ilsne nous permettent pas d’arriver à une conclusion claire.Faute d’analyse, nous nous laissons entraîner par les for-mules brillantes d’auteurs visionnaires comme Kevin Kelly,

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compagnon des années héroïques de Stewart Brand, anima-teur à ses tout débuts de l’indispensable Wired. C’est lui quiécrit, par exemple que « le chemin conduisant le plus sûre-ment à l’intelligence passe par la bêtise massive » (The surestway to smartness is through massive dumbness12).

Mais tout le monde n’est pas d’accord.

« BÊTISE DES FOULES », « MAOÏSME DIGITAL » ET « CULTE DES AMATEURS »

Critiquer la « sagesse des foules » et tout ce qui se dit en sonnom est une bonne façon d’attirer l’attention. Certains adep-tes de web 2.0 refusent en conséquence d’écouter les détrac-teurs pour ne pas leur faire de publicité. Nous considérons aucontraire que ces approches aident à détecter les problèmesréels. Et puis Surowiecki n’a qu’à s’en prendre à lui-même sison titre accrocheur est mal interprété. Il insiste dans le livresur la nécessaire diversité des participants, mais trop de lec-teurs ou de commentateurs s’en tiennent à la notion de« foules », de « comités », de « consensus », voire de « colla-boration », comme le fait remarquer Kathy Sierra, blogueusecélèbre proche de Tim O’Reilly, dans un billet très com-menté sur la « bêtise des foules ». Et d’ajouter qu’il pourraitbien s’agir « du titre de livre ou d’idée la plus trompeuse del’histoire13 ».

Jaron Lanier contre le « maoïsme digital »

L’attaque de Jaron Lanier, un des pionniers de la réalité vir-tuelle, va plus loin et son article a fait beaucoup de bruit, enraison de la personnalité haute en couleurs de l’auteur, maisaussi parce qu’il nous menace d’une résurgence du collecti-visme, baptisée par lui « maoïsme digital14 ». On imagineson succès dans les milieux d’affaires, même du côté de laSilicon Valley. Les hippies n’ont qu’à bien se tenir !

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Nous sommes victimes, selon lui, de « la résurgenced’une idée selon laquelle le collectif est le summum de lasagesse ». Ainsi, les partisans des wikis sont convaincus quetoutes les erreurs produites sur un wiki seront corrigées parle simple déroulement du processus (comme d’autres croientque le sacro-saint marché règlera tous les maux du monde).Ceci s’inscrit, selon Lanier, dans une certaine tendance à« retirer l’odeur des gens de façon à se rapprocher autantque possible d’une simulation dans laquelle on auraitl’impression que le contenu émergerait du web comme s’ilétait proféré par un oracle surnaturel. C’est là que l’usage del’internet se transforme en illusion ».

Et la dangereuse pensée unique (il utilise l’expression hivemind, littéralement, l’« esprit de ruche ») fait son apparition.Alors que « la beauté de l’internet, c’est qu’il connecte lesgens. La valeur se trouve dans les autres. Si nous commençonsà croire que l’internet lui-même est une entité qui a quelquechose à dire, nous dévaluons ces autres et nous les réduisonsau rang d’idiots. » En ces temps d’incertitudes et de procèstous azimuts, « tout individu qui a peur de se tromper àl’intérieur de son organisation est à l’abri quand il se cachederrière un wiki ou tout autre rituel de méta-agrégation15 ».

Il est dommage que ses a priori idéologiques l’empêchentde voir le bouleversement en cours dans les rapports entreindividus et groupes. Ce que rappelle élégamment Clay Shi-rky, professeur à la New York University et l’un des vraisgourous du web, dans ses commentaires publiés à la suite del’article en question : « L’ordinateur personnel a produit uneaugmentation incroyable de l’autonomie créative des indivi-dus. L’internet a rendu la formation de groupes ridicule-ment facile. Puisque la vie sociale implique une tensionentre la liberté individuelle et la participation à des grou-pes, les changements introduits par les ordinateurs et lesréseaux sont, de ce fait, en tension. »

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Nicholas Carr et « l’amoralité de web 2.0 »

Comme les fraises, Nicholas Carr, économiste au ton volon-tiers iconoclaste, auteur et blogueur (RoughType.com) peutdonner de l’urticaire. Mais il est peut-être le plus sérieux descritiques de web 2.0.

Dans L’Amoralité de web 2.016 (son essai le plus lu), ildénonce les pulsions « quasi religieuses » des promoteursd’une véritable « métaphysique du web », les hippies nos-talgiques des années 1960 qui n’ont pas encore compris que« le net concerne plus les affaires que la conscience, [et] estplus un centre commercial qu’une commune ».

Attention, Carr utilise le mot « amoral » dans son senspremier, c’est-à-dire « qui est moralement neutre » (LeRobert). « C’est un ensemble de technologies – une machineet non pas une Machine – qui altère les formes et l’économiede la production et de la consommation. Il n’a rien à faire desavoir si les conséquences sont bonnes ou mauvaises, s’il nousconduit à un degré plus élevé ou plus bas de conscience, s’ilrend notre culture plus brillante ou plus ennuyeuse, s’il nousconduit à un âge d’or ou à un âge d’ombre. Alors mettonsde côté la rhétorique millénariste et voyons la chose pource qu’elle est, pas pour ce que nous souhaiterions qu’ellefût. »

Cible de choix, il s’en prend à un article de Kevin Kellypublié dans Wired sous le titre « Nous sommes le web17 ».Kelly y voit une « fenêtre magique » aux capacités « étran-gement divines » (spookily godlike). Dans la même veine, ilprédit que l’entrée en Bourse de Netscape sera reconnuedans 3 000 ans comme « l’événement le plus important, leplus complexe et le plus surprenant de la planète ». Etcomme ce genre de prophète n’est jamais à court d’images,il n’hésite pas à comparer cela au fait que « Confucius,Zoroastre, Bouddha et les derniers patriarches juifs vécurentà la même époque, un point d’inflexion connu comme l’âgeaxial de la religion ».

La riposte de Carr est imparable : « quand nous voyons leweb en termes religieux, quand nous l’imprégnons de notre

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besoin personnel de transcendance, nous ne pouvons plus levoir objectivement. Par nécessité, nous devons considérerl’internet comme une force morale, pas comme un simpleensemble inanimé de machines et de logiciels. [...] Et c’estainsi que tout ce que web 2.0 représente – la participation, lecollectivisme, les communautés virtuelles, l’amateurisme –devient, sans discussion, de bonnes choses18 ». Wikipedia,qu’il abhorre, est un bon exemple auquel doivent réfléchir lesplus farouches partisans du web : parce qu’elle est « théori-quement bien », elle « doit être bien »… ce qui les empêchede voir les problèmes qui l’affectent.

Le paradoxe de Carr, c’est qu’il s’en prend (à juste titre) àla tonalité moraliste de certains partisans du web et des TICpour mieux tomber dans une critique idéologique du phé-nomène dans lequel il dénonce l’influence des hippies et desmarxistes. Wikipedia ne saurait rivaliser avec l’EncyclopædiaBritannica parce qu’elle est créée par des amateurs (dont ilaura été le premier à dénoncer le « culte ») et parce qu’elleest gratuite, défaut rédhibitoire qui, selon lui, interdit touteprétention à la qualité.

Sur cette base, Carr ne cesse de lancer ses piques contreun bon nombre d’aspects du web d’aujourd’hui. Elles fontsouvent mouche comme l’indiquent ces exemples pris dansd’autres essais :

◆ prenant à partie Zillow.com (un site qui permet d’avoir desinformations détaillées sur le marché immobilier améri-cain), il dénonce les dangers des mashups. Cette techniquequi consiste à réunir des données provenant de sources dif-férentes ne se préoccupe pas d’en vérifier la qualité. Ellespeuvent être bonnes, aussi bien que mauvaises. Le pireétant peut-être que toutes ces données, souvent regroupéesen tableaux, inspirent confiance. D’où ce problème qu’ilattribue à web 2.0, mais que nous pourrions attribuer auxjeux de données : il offre plus « des airs de vérité que de lavérité » (truthiness rather than truth19) ;

◆ plus au fond, c’est toute la logique économique du webparticipatif qui est dangereuse dans les faits (à défaut de

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l’être intentionnellement) pour la simple raison qu’ellefonctionne mieux pour exploiter que pour émanciper.« En mettant les moyens de production entre les mainsdes masses tout en leur niant la propriété du produit deleur travail, précise-t-il, web 2.0 fournit un mécanismeextraordinairement efficace pour récolter la valeur écono-mique du travail fourni gratuitement par le plus grandnombre et le concentrer dans les mains d’une infimeminorité20. »

Carr a souvent ponctuellement raison. Il a le mérite denous aider à voir des problèmes que nous préférerions sou-vent taire. Il est ainsi fort utile à qui veut améliorer cettedynamique qui se cherche. Il faut donc le lire avec attentionavant de le combattre, car il fait de chacune de ses attaquesun tremplin contre une des dimensions les plus intéressan-tes de l’évolution du web et des TIC : l’ouverture des outilsdu pouvoir à plus de personnes qu’auparavant, le processusde lente démocratisation accéléré par le web, notammentdans sa version 2.0, la dynamique relationnelle qui bousculeles mécaniques institutionnelles.

Le culte voué aux experts par Andrew Keen et sa haine du « désordre moral »

L’ouvrage The Cult of the Amateur, How Today’s Internet is Killingour Culture21 (« Le culte de l’amateur, comment l’internetd’aujourd’hui est en train de détruire notre culture ») a faitbeaucoup de bruit au moment de sa sortie. Andrew Keen estcelui qui sait le mieux monétiser sa critique de web 2.0 – ils’en vante à juste titre – et, dans le monde de Silicon Valley,ça compte.

Les médias traditionnels (à commencer par le New YorkTimes22) se sont empressés de lui tresser des lauriers pour labonne raison qu’il s’en prend à ce qui les remet en question :l’internet et la culture de participation qu’il rend possible.Mais la lecture du livre est implacable : au nom de l’ordremoral et des valeurs traditionnelles du business bien-pensant,

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il démolit sans preuves et sans imagination ce qui se joued’intéressant dans l’univers du web.

Keen présente les individus lambda qui s’expriment sur leweb, vous et nous, comme des singes (dont les lois du hasardprétendent qu’ils pourraient écrire un roman s’ils tapaientassez longtemps sur une machine à écrire). Il lui arrive ausside nous dénoncer comme des cafards porteurs d’un universkafkaïen dans lequel nous risquons fort de nous réveiller sipersonne ne l’écoute. Singes et cafards sont d’abord les blo-gueurs et ceux qui contribuent à Wikipedia, mais l’opprobres’étend généreusement à tous ceux qui pratiquent le webparticipatif, que ce soit sur Flickr, sur del.icio.us ou sur eBay.

À l’entendre, nous sommes menacés par une « dictaturedes idiots » dans laquelle « le professionnel est remplacé parl’amateur [...] le professeur de Harvard par la populaceanalphabète23 ». Et comme tout cela est gratuit, la valeurintellectuelle ne peut, selon lui – sous l’influence de Carr –qu’en être nulle24. Poursuivant sa croisade sur son blog25, ily écrit : « Le lecteur naïf de contenu en ligne n’a plus deguide professionnel pour l’aider à distinguer entre les écritsde Jurgen Habermas et les colères d’un pauvre esprit sanséducation surgies des profondeurs de la blogosphère. »

Mais la défense des experts n’est qu’un prétexte pour sefaire bien traiter par les pouvoirs en place. Le véritableennemi de Keen est le « désordre moral », titre d’un de seschapitres les plus virulents.

Il s’en prend à tout ce qui est susceptible de faire peurdans le Mid-West (qui vote républicain), dans le Sud croyantet, d’une façon plus générale, aux bien-pensants du monded’hier. « Des adolescents hypersexués aux voleurs d’identité,aux joueurs compulsifs et aux accros de tous acabits, web 2.0est en train de défaire la trame morale de notre société. Sonpouvoir de séduction nous entraîne à laisser s’exprimer nosinstincts les plus déviants et nous permet de succomber à nosvices les plus destructifs. Il corrode et corrompt les valeursque nous partageons en tant que nation26. »

Malgré ses précautions oratoires et son demi-humourépisodique, ce livre constitue essentiellement un appel à

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l’ordre moral le plus étroit, une défense d’institutions quiont besoin de changer, une attaque contre la démocratisa-tion par le web.

Cela n’interdit pas de lui reconnaître deux vertus. La pre-mière ne sert que l’auteur. En attaquant la participation detous, en prenant la défense des médias de masse, il s’assured’être bien traité par eux. L’astuce constitue un excellentbusiness model qui fait défaut à plus d’une start-up duweb 2.0.

La seconde est que la discussion ainsi amorcée nous lanceun vrai défi qui vaut la peine d’être relevé. Pour torduequ’elle soit, sa critique nous pousse à en trouver de plusfines pour éviter que le débat ne se centre sur le rejet du webau lieu de s’en prendre aux problèmes qu’il pose, aux domai-nes qu’il faut améliorer, aux tendances qu’il faut combattre,aux luttes qu’il faut mener.

L’ALCHIMIE DES MULTITUDES

Nous voici à un moment clé de notre livre et de la raison pourlaquelle nous avons décidé de l’écrire. Très décrié, parfois avecde bons arguments, le web 2.0 marque une inflexion essen-tielle dans l’histoire des technologies de l’information et de lacommunication.

Aussi imparfait et insatisfaisant qu’il soit, le mot qui enrend le mieux compte est sans doute celui de « participa-tion ». Elle est suffisamment massive pour permettrel’émergence de dimensions et de propriétés nouvelles.

Auteur d’ouvrages techniques et scientifiques, StevenJohnson27 a consacré un livre à ce sujet bien avant qu’on neparle de web 2.0. Sous le titre Emergence : The Connected Livesof Ants, Brains, Cities, and Software28, il étudie des processusque l’on retrouve aussi bien dans la vie des fourmis quedans celle des cerveaux, des villes et des logiciels. Tous« résolvent des problèmes en s’appuyant sur une massed’éléments relativement stupides plutôt que sur une sorte

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d’exécutif relativement intelligent […]. Ils tirent leur intel-ligence du dessous. » Ces systèmes complexes donnent lieuà des comportements nouveaux, qu’il est convenu de quali-fier d’émergents. Le plus curieux, peut-être, est que « dansces systèmes, des agents qui se trouvent à un niveau donnécréent des comportements au niveau supérieur : les fourmiscréent des colonies, les citadins créent des quartiers ; desimples logiciels de reconnaissance de motifs apprennent àrecommander de nouveaux livres. » Le passage de la simpli-cité à la sophistication alors qu’on change de niveau est ceque Johnson qualifie d’« émergence ».

Le côté séduisant de ce processus, qui n’a rien d’évident,explique sans doute le succès de formules comme « sagessedes foules » ou « intelligence collective ». Elles se réfèrent àune propriété réelle des systèmes complexes, mais en souli-gnent excessivement le côté positif.

C’est pour cela que nous préférons l’expression « alchimiedes multitudes ».

Choisir « alchimie », à la dimension inéluctablementambiguë, au lieu de « sagesse » ou d’« intelligence », per-met de prendre acte du fait que rassembler un grand nom-bre de personnes et les consulter permet éventuellement decréer de l’or, mais pas toujours. Les foules ne produisent pasque de la sagesse, les collectifs pas seulement de l’intelli-gence. Mais cela peut arriver et c’est le grand mérite deJames Surowiecki et de Pierre Lévy que de l’avoir mis envaleur.

Quant au terme « multitude », dont Le Robert précisequ’il indique une « grande quantité (d’êtres, d’objets) consi-dérée ou non comme constituant un ensemble », il a lemérite d’attirer notre attention sur le nombre, sans luiaccorder de connotation positive ou négative. Le plurielrend mieux compte des multiplicités à l’œuvre29. Il permetde suggérer une plus grande hétérogénéité et une plusgrande diversité. Les webacteurs d’aujourd’hui ne formentni une foule consciente, ni un collectif aux contours biendéterminés. Eux-mêmes multiples, divers, ils se regroupentavec des degrés lâches de participation et d’implication au

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gré de leurs activités : membres d’un réseau social, encyclo-pédistes sur Wikipedia, blogueurs, commentateurs, et par-fois simples spectateurs engagés. La référence à l’utilisationdeleuzienne qu’en font Michael Hardt et Antonio Negri estvolontaire30.

Rimbaud parlait bien de « l’alchimie du verbe ». Pour-quoi ne pas laisser libre cours à celle de la diversité et de laparticipation qui caractérisent le web ?

Reste à définir cette « alchimie des multitudes ». Elle repose sur cinq éléments que l’on trouve rarement

tous ensemble, mais dont le kaléidoscope des associationspossibles est incroyablement riche.

Accumuler des données

Ni délibération, ni processus mathématique ne sont néces-saires, seul suffit un espace où nous pouvons trouver lacontribution d’autrui et apporter la nôtre. Plus on facilitel’accès aux données, en les réunissant, plus on en accroît lavaleur. Pas besoin de créer de communauté pour cela. Pasbesoin non plus de motivation altruiste comme le montrela création de CDDB, la plus grande base de données surles CD.

Miser sur la diversité

Le système fonctionne d’autant mieux que les sources sontplus nombreuses et plus variées. Il permet la participationde ceux que le centre ignore parce qu’ils se trouvent à lapériphérie, ce qu’illustre le succès d’Innocentive.com, le sited’externalisation aux foules de la recherche pharmaceutique.L’extension géographique du web, la prise en compte decontenus provenant de multiples cultures et de multiplesexpériences contribuent à ce phénomène.

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Compiler/synthétiser

Regroupées dans un même espace, ces données peuvent êtresoumises à des traitements simples qui permettent de tirerde l’ensemble quelque chose d’une valeur supérieure à lasomme des parties. C’est le cas des prédictions concernant lesvainqueurs des Oscars ou des élections. Plus la quantitéd’informations est grande, plus le produit de l’opération decompilation/synthèse a des chances d’être utilisable. AvecCloudmark.com pour les courriels et Akismets.com pour lesblogs, il suffit qu’un grand nombre d’individus décident cha-cun pour soi qu’un message avec un texte T ou provenantd’une adresse A est du spam, pour que la machine éliminetous les messages porteurs des caractéristiques en question.Sur la base de règles relativement simples, elle tire partitoute seule de la somme d’informations dont disposent lesfoules. Il ne s’agit pas d’intelligence collective à proprementparler, mais d’un processus permettant de compiler et syn-thétiser des informations partielles mises en ligne par les usa-gers qui n’ont pas de relations entre eux.

Mettre en relation

Établir des relations entre les données, entre les appareils,entre les gens permet éventuellement d’entraîner des effetsde réseaux : l’augmentation de la valeur n’est plus seulementlinéaire (directement proportionnelle). La valeur d’un réseautechnologique (téléphones ou fax, par exemple) croît plusvite que le nombre de ses participants. Dix fax valent beau-coup, beaucoup mieux qu’un seul ou même que deux. Lacroissance est encore plus rapide quand il s’agit de réseauxpermettant la formation de groupes, la collaboration31. Laplupart des sites qu’on qualifie de « réseaux sociaux » crée cegenre d’effets : LinkedIn, MySpace, Facebook, Del.icio.us,etc. Conséquence importante : la qualité du service aug-mente avec le nombre de personnes qui s’en servent, commele montre Google.

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Délibérer

Le choix des données à réunir, les relations que l’on peutétablir entre elles, leur traitement éventuel peuvent enoutre être l’objet de processus de délibérations collectives.Chaque participant n’a qu’une connaissance partielle del’ensemble, mais la collaboration, les multiples interac-tions, la synergie à l’œuvre, conduisent à l’émergence depropriétés nouvelles que l’on peut fort bien appeler« intelligence collective ». Wikipedia vient immédiate-ment à l’esprit. Mais l’encyclopédie en ligne est la pre-mière, dans l’article qu’elle consacre au sujet32, à soulignerque de tels processus peuvent aussi conduire à de sérieuseserreurs collectives.

Ces éléments interagissent à deux niveaux : quantité etrelations.

La quantité est rendue possible par le web et sa capacité àpuiser dans de très nombreuses banques de données, à laisserparticiper de très nombreux webacteurs. Elle s’accompagnede la diversité propre au monde réel.

La mise en relation est le mécanisme fondamental duweb, qu’il s’agisse de pages, de sites, de fragments d’infor-mations, d’individus ou de groupes.

Illustration de la dynamique relationnelle, l’alchimiedes multitudes est le processus incertain grâce auquel laparticipation massive d’humains et d’ordinateurs connec-tés entre eux peut éventuellement produire l’émergence depropriétés nouvelles. Elle implique un mélange toujoursvariable d’accumulation, de compilation, de mise en rela-tion de données et de participants divers, ainsi que desdélibérations portant aussi bien sur le processus lui-mêmeque sur ce qui peut ou doit en découler.

Loin de prétendre être une théorie, l’expression a pourbut de nous aider à poser de façon aussi claire que pos-sible les bases d’une attitude face au web d’aujourd’hui etd’une volonté d’intervenir pour participer à son évolu-tion.

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DES ACTEURS ATTENTIFS

Les webacteurs doivent toujours être sur leurs gardes. Fini letemps où l’on prenait l’écrit pour argent comptant, le soncomme reportage, l’image pour preuve. Erreurs, canulars,tromperies, abus et mystifications sont suffisamment fré-quents pour que nous apprenions à nous méfier. Ainsi se faitla formation médiatique, dimension indispensable de laculture à l’ère numérique : comprendre comment fonction-nent les médias pour les utiliser de façon critique et diffuserdes messages dans de multiples formats.

Paradoxalement, les erreurs de Wikipedia, et leur noto-riété, sont plutôt une bonne chose33. Elles sont une invitationconstante à toujours rechercher d’autres sources d’informationet à ne se fier aveuglément à aucune d’entre elles, fût-elle àprétention encyclopédique. C’est cela que les professeursdevraient avoir en tête, plutôt que de l’interdire commesource. Et c’est un pas vers une attitude constructive quiconsiste à les inviter à se comporter en webacteurs : en contri-buant au site en l’améliorant quand leur travail de recherchecritique leur permet de découvrir des failles et des complé-ments possibles.

Ce genre d’entreprise est rendu possible par la baisse descoûts de la collaboration. De la même façon que les organisa-tions en réseaux sont plus efficaces aujourd’hui qu’elles nel’étaient hier, la collaboration horizontale sans structure hié-rarchique forte devient une forme de production utile. Laquestion troublante est alors de déterminer si des dizaines demilliers d’amateurs, dont la plupart n’ont pas d’autorité parti-culière, peuvent contribuer à augmenter le savoir de l’huma-nité, sa compréhension du monde ou, en tout cas, l’accès à etl’utilisation de ce qui en est enregistré. David Weinberger,l’auteur de Enverything is Miscellaneous (voir chapitre précé-dent) affirme que « la construction publique du sens est leprojet le plus important des cent prochaines années34 ». Uneentreprise collective sur le chemin de laquelle Wikipedia neserait qu’un début.

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L’enjeu vaut la chandelle. Il implique que nous partici-pions sans jamais cesser d’être attentifs, critiques – et atten-tifs aux critiques. C’est ainsi que, des positions prises parJaron Lanier, Nicolas Carr et Andrew Keen, nous retenonstrois enseignements.

Contre la religiosité

La foi dans la technologie, dans ses vertus, dans sa puissancesupérieure, dans sa capacité à nous porter dans un mondemeilleur, est déplacée. L’enthousiasme, la passion, la curiositésont d’excellentes choses. Elles contribuent aux avancées pro-duites dans ces domaines au cours des cinquante dernièresannées. Mais l’argument mis en avant par Carr selon lequel« quand nous voyons le web en termes religieux, quand nousl’imprégnons de notre besoin personnel de transcendance,nous ne pouvons plus le voir objectivement35 » est tout sim-plement imparable.

Pour la qualité

Wikipedia joue un rôle positif parce que des « amateurs »,des personnes dont les compétences n’étaient pas officielle-ment sanctionnées dans les domaines qui les passionnent, onttrouvé un outil de collaboration et le moyen de s’en servir defaçon chaque jour un peu plus sophistiquée. Cette participa-tion a de nombreux avantages au plan de la connaissance etdes interactions sociales qui l’accompagnent. Elle impliquecependant une production riche en erreurs et doit donc êtrefiltrée par des mécanismes sérieux de contrôle de la qualité…gérés par les webacteurs eux-mêmes. Ce que Wikipedias’efforce de faire.

Protéger les données personnelles

Le troisième point sur lequel un accord est facile – celui de laprotection des données personnelles – est mentionné par à

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peu près tous ceux qui s’intéressent aux usages du web. Le rai-sonnement est simple : nous faisons de plus en plus de chosesen ligne et nous y laissons des traces. Elles risquent d’êtreexploitées par des sociétés privées, par les États et les autoritéspolicières ainsi que par des acteurs malintentionnés : des cra-queurs aux malfrats en passant par les terroristes.

Big Brother, ses sœurs et leurs insupportables cousins

À côté de Big Brother, nous devons aussi nous méfier de ses sœurs, lesentreprises, et de leurs insupportables cousins, les cybercriminels. Le« Grand Frère » ne nous regarde peut-être pas, mais il nous suit à latrace. Les événements politiques du début du 21e siècle ont servi de pré-texte à une multiplication des tentatives massives de surveillance de lapart des États. Nous devons tellement souvent montrer patte blancheque nous ne nous étonnons plus quand on nous demande de donnerdes informations très personnelles pour prendre un avion ou rentrer dansun édifice public. Même pour boire un café chez Starbucks, il faut donnerson nom.

Les petites sœurs sont toutes les sociétés (grandes et petites) quiaccumulent des informations nous concernant à des fins publicitaires oude gestion. Nous courons toujours le risque qu’elles s’en servent sansbeaucoup de scrupules quand elles sont en difficulté financière, quandelles se font racheter par une autre ou, tout simplement, quand elles yvoient une source de revenus additionnelle.

Les insupportables cousins se servent des mêmes données (qu’ilsobtiennent différemment) pour nous asphyxier de « pourriels » (spam),nous prendre de l’argent, nous voler notre identité, nous pousser à com-mettre d’irréparables erreurs, ou pour organiser leurs activités criminelles.

Tous les membres de cette famille étendue ont une aspiration com-mune : celle de pouvoir croiser un maximum de données nous concer-nant. Imaginez, par exemple, que votre compagnie d’assurance ait accèsen même temps à votre dossier médical signalant un risque de cholesté-rol et à la liste de vos achats au supermarché qui révèle votre goût pro-noncé pour les abats, le fromage et autres alcools. Votre prime s’entrouverait immédiatement augmentée. Le processus est en train de semettre en place.

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DES UTILISATEURS ACTIFS

Les critiques évoquées sont donc pleines d’enseignementsmais, fondées sur le dénigrement, elles ignorent les côtéspositifs du web d’aujourd’hui et le fait que nous pouvonsintervenir pour contribuer à son orientation. Il s’agit, aprèstout, d’un espace social où l’on retrouve des enjeux de pou-voirs, influences, dominations, richesses comparables à ceuxauxquels nous sommes habitués dans le monde réel.

La question de la protection de la vie privée permet debien comprendre les limites de leur approche et combiennous pouvons gagner en adoptant une position plus active.

Le véritable problème n’est pas que nous laissons des tra-ces, mais que certains s’en servent pour nous suivre, noussurveiller, nous extorquer ou pour nous nuire. La réponseindividuelle est simple à formuler : que chaque usager ait lecontrôle des données le concernant. L’idée commence à pren-dre de l’ampleur. Un groupe d’« influenceurs » de la SiliconValley, par exemple, propose trois principes très simples aux-quels pourraient adhérer les sites de réseaux sociaux et lesautres. Il leur suffirait d’accepter que leurs utilisateurs aient :

◆ la propriété des informations personnelles les concernant(profils, liste des gens auxquels ils sont connectés, fluxd’activités qu’ils créent en circulant et en s’exprimant surle web) ;

◆ le contrôle sur l’usage de ces informations par d’autres ;◆ la liberté d’accorder un accès continu à leurs informations

personnelles à des sites auxquels ils font confiance.

Cette charte a été mise au point par Joseph Smarr(Plaxo.com), Marc Canter (BroadbandMechanics.com),Robert Scoble (Scobleizer.com) et Michael Arrington (Tech-Crunch.com). Elle est accessible sur le site Open SocialWeb36.

Cela semble essentiel si on veut éviter une catastrophe.Mais ces réponses individuelles seraient insuffisantes sansdes corollaires de type collectif, particulièrement nécessairesdans la société de surveillance dans laquelle nous évoluons.

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La réponse ici, consiste à permettre la surveillance dessurveillants, le contrôle des contrôleurs.

Les Américains peuvent obtenir des informations sur legouvernement et ses différents services sur une multitude desites souvent créés par des volontaires passionnés.

La surveillance citoyenne est rendue possible par la mul-tiplication des téléphones dotés d’appareils de photos, lacommunication mobile et les réseaux de téléphonie sans filou cellulaires à haut débit.

Pour parler de ce nouveau phénomène, Jamais Cascio,cofondateur de WorldChanging, un site qui s’occupe detechnologie et d’environnement et, maintenant « futuriste »qui s’assume sur son blog OpenTheFuture.com, proposed’inverser l’image du panoptique de Bentham reprise parFoucault et nous invite à créer un panoptique participatif37.« Les appareils de photos numériques connectés au réseau etles téléphones mobiles dotés de caméras sont les armes de laseconde superpuissance », estime Cascio.

Toujours sous l’inspiration de Foucault, on trouve lamême notion dans le terme de « sousveillance » (mêmeorthographe en anglais38). C’est Steve Mann qui l’a le pre-mier mis en avant. Professeur à l’université de Toronto,Mann est connu comme « le premier cyborg » pour ses tra-vaux sur l’informatique portable (wearable computing39). Lesoutils ne sont plus dans le ciel (comme avec les satellites quenous voyons dans certains films), mais à hauteur deshumains. Leur utilisation n’est plus commandée par ceuxqui se trouvent au sommet de la hiérarchie, mais par lesgens ordinaires.

Moins souvent mentionnée, l’exploitation est une desfacettes les plus explosives du contenu généré par les usa-gers. Le problème se pose dès lors que des entreprises com-merciales se servent de la contribution des utilisateurs deleurs sites pour gagner de l’argent, sans qu’ils en tirent enéchange une compensation juste.

Lorsque Google gagne de l’argent en utilisant les liens quenous établissons entre différents documents ou sites sur leweb, c’est relativement facile à tolérer dans la mesure où nous

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nous estimons suffisamment payés en retour par la qualité desréponses offertes aux questions que nous lui posons.

Ceux d’entre nous qui contribuent au site de Wikipediase satisfont de leurs contributions volontaires à un site quimet de plus en plus de connaissances à disposition d’unnombre croissant de gens. Ils y trouvent souvent une rému-nération parallèle grâce à l’impact d’une telle collaborationsur leur image et leur réputation.

Mais que se passe-t-il dans le cas d’Innocentive, ce sitesur lequel les gros laboratoires pharmaceutiques soumettentleurs problèmes de R & D ? Les contributeurs sont rémuné-rés. Reste à savoir si tous considèrent que la rémunérationest acceptable.

Un des exemples les plus problématiques est sans doutecelui d’USA Today qui, dans le même moment, a décidé delicencier certains professionnels et de faire appel aux journa-listes citoyens volontaires pour fournir les sites du groupeGannett en informations locales.

La face créative et collaborative du crowdsourcing est bienréelle. Elle est la promesse d’un monde ouvert reposant sur lepartage et la collaboration. Mais elle a son envers, plusinquiétant : l’opportunité qu’elle représente pour les plusmalins ou les moins scrupuleux de faire travailler des volon-taires sans avoir à les payer (ou en les gratifiant d’une misère).

C’est pour y voir plus clair que le chroniqueur canadienMathew Ingram a demandé lors d’un débat qu’il organisait« si le crowdsourcing est autre chose qu’un métayage numé-rique (digital sharecropping)40 ». La métaphore est d’autantplus violente que la pratique s’est généralisée aux États-Unis juste après la guerre civile pour obtenir des esclavesqu’ils continuent à cultiver les terres, en leur prenant unepart léonine de leur production… sans les payer pour cela41.

Invité à répondre à la question, Jeff Howe, un des promo-teurs les plus ardents du crowdsourcing, a bien été contraintde reconnaître qu’elle était légitime. Il écrit même que « lemodèle contient un potentiel d’inégalité » mot qu’il préfèreprudemment à celui d’« exploitation42 ».

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Le nombre d’entreprises y ayant recours ne pouvantqu’augmenter, Howe conclut qu’il « est important que lacommunauté qui produit les biens ait son mot à dire dans lafaçon dont la compagnie est gérée et dans la façon dont sesmembres sont payés. »

Qu’en termes galants ces choses là sont dites...La solution devrait selon lui s’imposer d’elle-même grâce

aux lois du marché. Une compétition semble inévitableentre sociétés visant à faire participer les foules à leurs acti-vités. « Celles qui gagneront après l’inévitable processusd’élimination pourraient bien être celles qui trouvent uneformule pour que leurs utilisateurs se sentent amplementrémunérés43. »

Ne rêvons pas. C’est la question des pouvoirs qui est iciposée.

Le crowdsourcing a un côté idéal pour les entreprises cons-tamment pressées de réduire leurs coûts. Non seulement lesgens ne sont plus organisés, mais ils sont dispersés, sans rap-ports entre eux et, pour le moment en tout cas, disposés àtravailler gratuitement ou pour une misère. L’internet per-met de trouver ceux qui veulent se faire payer le moins cherdans le monde du travail connecté.

On n’a pas encore fait clairement la différence entre la par-ticipation à des entreprises collectives de service public, detype Wikipedia, et les entreprises commerciales s’appuyantsur le crowdsourcing. Les lois du marché ne manqueront pas des’appliquer, à côté des tensions traditionnellement liées auxquestion de droit du travail. Et comme les rémunérationsdécentes ne se donnent ou ne s’accordent que très rarement,des conflits semblent inévitables.

LES UTILISATEURS SE REBELLENT

En quelques jours au début du mois de mai 2007, 09F9 estdevenu presque aussi célèbre que R2D2, le robot de StarWars. Il ne s’agissait pas, cette fois, d’une machine futuriste

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mais, plus prosaïquement, des premières lettres d’une clépour ouvrir le verrou de protection des HD-DVD sur les-quels sont enregistrés certains films.

Le 30 avril, un usager a posté sur le site de Digg.com unlien pointant vers un blog qui donnait une clé susceptible,dans certaines circonstances, de briser le système interdisantde les copier. Il reçut un grand nombre de votes favorables(plus de 15 000) qui le promurent en première page.

Aussitôt, l’Advanced Access Content System LicensingAdministrator (AACS), a enjoint les responsables d’éliminertoute mention de la clé. Ce qu’ils ont commencé par faire44.L’AACS est une association chargée par plusieurs entreprisestechnologiques (d’IBM à Sony) et des studios comme Disneyet Warner Brothers de limiter les copies de HD-DVD.

Les utilisateurs ont alors vu rouge et se sont en massedédiés à multiplier les références au code de 32 lettres quicommence par 09F9 et à voter pour les articles et billetsqui en parlaient. Ce que voyant, Kevin Rose, cofondateur deDigg.com, décida avec son partenaire Jay Adelson de cesserde les censurer45. Le site reposant presque exclusivement surle contenu généré par les utilisateurs, leur couper la parole,c’était interrompre le flux sur lequel il vogue. Rose avait debonnes raisons de ne pas écouter ses avocats et du couragepour avoir osé passer à l’acte.

L’incident a le mérite de montrer clairement que, quandon invite les usagers à participer, on court toujours le risquede les voir prendre un chemin imprévu.

Un peu moins de six mois plus tard, Facebook, le site desocial networking à la mode a dû céder à son tour devant lesprotestations de ceux qui détestaient Beacon, son systèmede publicité fondé sur l’exploitation des relations person-nelles entre les utilisateurs. Il faudra maintenant y souscrire(opt-in) pour y être exposé, plutôt que d’avoir le droit de s’enretirer (opt-out). C’est une bonne chose ou, en tout cas, unpas dans la bonne direction.

Beacon avait suscité d’amples mouvements de protes-tation, y compris une offensive lancée par MoveOn.org, sitequi s’était fait connaître pour sa capacité de mobiliser des

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activistes dans certaines grandes batailles politiques améri-caines. En dix jours, leur pétition demandant l’interruptionde Beacon avait recueilli 50 000 signatures. La rectifications’est opérée en trois semaines à peine.

Dans la première version, chaque fois qu’un membre deFacebook achetait un billet d’avion ou réservait une tablede restaurant, l’information était transmise à tous ses amis.Outre les entorses évidentes au respect de la vie privée, celaprésentait l’inconvénient pour tout le monde d’interdire lessurprises, pour les cadeaux de Noël par exemple – puisqueJim pouvait savoir que sa petite amie Deborah venait d’ache-ter le livre dont il lui avait parlé lors de leur dernière ren-contre.

Beacon permet aux annonceurs de placer leur publicitéavec une efficacité considérable. En le présentant, MarkZuckerberg, patron de Facebook, avait expliqué : « La réfé-rence de quelqu’un en qui ils ont confiance influence plus lesgens que le meilleur message télévisé. C’est le saint Graal dela publicité46. »

Il a néanmoins choisi de renoncer à certains gains à courtterme en adoptant le système opt-in, mais il devrait gagneren confiance, ce qui est bien plus important à long terme.Prudentes, les réactions ont été plutôt positives. PourDuncan Riley de TechCrunch : « Ça ressemble à une vic-toire des utilisateurs », même s’il note que la pratiqueessentielle pour les annonceurs ne change pas. Le problèmecentral, a aussitôt écrit Nick O’Neil, qui anime le site All-Facebook.com demeure que Facebook « emmagasine lesdonnées concernant vos achats même si elle n’en informe pasvos amis47 ».

L’importance de ces deux volte-face – de Digg et de Face-book – réside moins dans ce qu’elles nous disent des dispo-sitions des entrepreneurs d’aujourd’hui, plus à l’écoute deleurs clients et disposés à céder pour ne pas se les aliéner,que dans les perspectives qu’elles ouvrent quant à la puis-sance montante des utilisateurs.

Alors que le web d’aujourd’hui nous met potentiellementen contact les uns avec les autres, l’importance décroissante

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des institutions et des entités du monde réel (nations, hié-rarchies, espaces de lieux, etc.) dans lesquelles nous avonsdes siècles d’expérience d’organisation collective fait quel’organisation et la coordination semblent plus rares, plusdifficiles. Mais elle a lieu et l’on peut espérer que les web-acteurs trouveront des réponses de plus en plus originales etefficaces. C’est ainsi que si les rébellions de 2007 pourraientse répéter et s’étendre à d’autres domaines au point de deve-nir un élément marquant de l’année 2008. C’est ce que sem-ble penser Mark Anderson qui en fait une tendance forte48.

Cela semble correspondre à une logique relativement sim-ple : le web dépend maintenant de la quantité d’informationsqui y sont déposées, or la seule façon économique d’atteindrele niveau désiré est de laisser les usagers les mettre en ligne.Le système dépendant de leur participation pour fonctionner,ces derniers se trouvent disposer d’un certain pouvoir. Il suffitqu’ils s’en rendent compte… et qu’ils l’exercent.

Seul des conflits tels que les rébellions des usagers deDigg et de Facebook pouvaient le révéler. Il ne peut doncpas y avoir de participation des utilisateurs sans pouvoir desutilisateurs. Cela peut faire peur ou peut enthousiasmer.

Nous en avons en tout cas maintenant la preuve par09F9…

DIGITAL LITERACY

Que doit-on savoir et comprendre du web, de l’internet, desréseaux et des médias en ce début de 21e siècle ? Quels outils,quelles logiques, quels modes de pensée et d’organisation leshommes et les femmes d’aujourd’hui, jeunes et vieux, doi-vent-ils maîtriser pour se sentir à l’aise, pour que leur partici-pation soit la plus riche possible ?

La question a-t-elle un sens ou, comme le pensent cer-tains, suffit-il d’attendre la mort des derniers vieux barbonsdu papier et de la plume d’oie pour atteindre enfin une sortede nirvana numérique collectif ?

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Guettés par un déséquilibre digital croissant, nous croyonsau contraire qu’il faut ajouter à la capacité d’affrontementdont nous venons de parler celle d’éducation.

Il suffisait, à la fin du 19e siècle, de parler d’alphabétisa-tion. Le terme est insatisfaisant aujourd’hui pour trois raisonsfort simples : nos moyens d’expression sont multimédia et nepassent pas seulement par les lettres de l’alphabet ; il s’agitaussi des outils dont nous pouvons nous servir, applications etappareils ; le web nous ouvrant de nouveaux univers, il estimportant d’en comprendre la logique. L’effort doit donc por-ter aussi bien sur la pratique que sur la culture. Il concerne laréception d’informations, l’expression, l’utilisation des outilset la logique du système en question. Il requiert en outrel’apprentissage systématique de la pensée critique pour mieuxdiscerner ce dont il est question, ce à quoi on est exposé, lesens de ce qui circule et de ce qu’on émet.

Les lacunes sont sérieuses. Beaucoup de gens n’ont pasencore accès à ce média ou refusent, souvent par peur, de s’enservir, alors même qu’ils y gagneraient. Un grand nombre deceux qui y ont accès croient s’en servir convenablement, maisn’utilisent qu’une fraction de ce qui pourrait leur être utile.Les connaissances générales qui permettent de parler d’une« culture numérique » leur manquent, ce qui les freine.

Contrairement à une idée communément admise, les jeu-nes en savent souvent moins que leurs aînés ne l’imaginent.S’il est vrai qu’ils sont généralement plus à l’aise que leursanciens dans la dimension digitale, l’expression « digitalnative » est trompeuse. Elle est même dangereuse, dans lamesure où elle masque des disparités croissantes issues de laqualité de l’accès au numérique et à l’éducation.

D’où la nécessité d’envisager une formation spécifique àla dimension digitale, de faire ce qu’il faut pour que nousnous y sentions bien, que nous sachions nous en servir. Selonla Commission européenne, « la digital literacy devient viteune des conditions de la créativité, l’innovation et l’espritd’entreprise. Sans elle, les citoyens ne peuvent ni pleine-ment participer dans la société, ni acquérir les compétenceset les connaissances nécessaires pour vivre au 21e siècle49 ».

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C’est beaucoup plus que la simple capacité de lire etd’écrire, comme l’indique cette définition tirée de l’Unesco ettrouvée sur Wikipedia : « La literacy est la capacité d’identi-fier, de comprendre, d’interpréter, de créer, de communiqueret de calculer sur la base de documents imprimés et écritsassociés à des contextes variés. La literacy implique un conti-nuum d’apprentissages permettant à un individu d’atteindreses objectifs, de développer ses connaissances et son potentielet de participer pleinement à la vie de la société50. »

Nous avons utilisé jusqu’ici la notion de literacy parce quesa traduction classique par « alphabétisation » est totalementinsatisfaisante. « Littératie » semble le terme le plus fréquem-ment utilisé par ceux qui se sont penchés sur la question51.Trop marquée par la « lettre », alors qu’aujourd’hui texte,son, image et vidéo sont digitalisés de la même façon, l’imagen’est guère acceptable.

Cette digital literacy si difficile à traduire implique despratiques et des cultures qui s’articulent, pour l’essentiel,autour de trois caractéristiques :

◆ la capacité de se servir d’une façon efficace d’un ordinateur etde l’internet, la compréhension de leur fonctionnement52 ;

◆ la capacité de trouver l’information, la comprendre dansson contexte de façon critique, saisir l’importance de cer-tains éléments comme le régime de propriété, les intérêtscommerciaux en jeu, la présence éventuelle de censure,les tentatives de propagande53 ;

◆ la capacité de créer et de diffuser des messages sur diffé-rents médias, de comprendre et d’utiliser les forces et leslimitations de chacun d’entre eux, de s’en servir de façonautonome et indépendante54.

Certaines des notions envisagées dans les approches quenous retenons, partent en fait de l’importance que nousaccordons aux « cultures de participation » étudiées, entreautres, par Henry Jenkins, l’auteur de l’ouvrage ConvergenceCulture dont nous avons déjà parlé. « Une culture de parti-cipation, explique-t-il, est une culture dans laquelle les cri-tères d’expression artistique et d’engagement civique sont

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relativement bas, ce qui encourage à créer et à participer[...]. C’est également une culture dans laquelle ceux qui s’enréclament considèrent que leurs contributions comptent etsentent un certain degré de connexions sociales entre eux (aumoins dans la mesure où ils attachent de l’importance à ceque les autres pensent de ce qu’ils ont créé)55. »

L’autoformation est le premier recours de qui veut se servirdu web et le comprendre. Toujours essentielle pour se mainte-nir à jour, pour avancer dans ce monde en constants change-ments, elle est souvent renforcée par la formation informelleentre pairs, entre gens qui découvrent en même temps, quiéchangent leurs expériences, leurs découvertes. Elle se fait aucoup par coup, en fonction des besoins et joue un rôle déter-minant dans la transmission horizontale du savoir.

L’éducation formelle n’en est pas moins indispensable.Elle inclut les cours dispensés dans les écoles et les universi-tés, aussi bien que les sessions de formation professionnelleorganisées dans les entreprises et le travail bénévole réalisédans les milieux les plus défavorisés. Ce travail ne peut êtremené à bien qu’avec la participation des institutions publi-ques à tous les niveaux, depuis la municipalité jusqu’auxorganisations internationales, en passant par les différentescirconscriptions politiques et régionales des différents payset les États nations.

L’alchimie des multitudes apparaît donc comme un pro-cessus ouvert sur lequel nous pouvons agir. Elle se veut uneapproche raisonnée du web, de ses potentialités et de ses fai-blesses. La recherche d’un terme différent de ceux très envogue comme « sagesse des foules » et « intelligence collec-tive » part d’une démarche qui fait leur place aux argumentsutiles de certains critiques, sans que cela implique la moin-dre adhésion à leur combat. Le web ne fait pas de miracle,mais il ouvre des possibilités dont nous aurions bien tort dene pas nous saisir. Les utilisateurs intéressés par ces outils etpar ces logiques ont tout intérêt à participer. C’est la citoyen-neté digitale qui est en jeu.

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Troisième partie

Ce que cela change

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Une économie de la relation peut-elle être rentable ?

« Vers 2060, au plus tôt […], de nouvelles forces, altruisteset universalistes, déjà à l’œuvre aujourd’hui, prendront le pouvoir

sous l’empire d’une nécessité écologique, éthique, économique, culturelleet politique. Une nouvelle économie, dite relationnelle,produisant des services sans chercher à en tirer profit,

se développera en concurrence avec le marché. »

Jacques ATTALI, Une brève histoire de l’avenir1

BLOCKBUSTER ET NETFLIX : TOUTE OFFRE TROUVE UNE DEMANDE SUR L’INTERNET

Jadis, aux États-Unis, lorsqu’on voulait louer un DVD, on serendait chez Blockbuster, le géant de la location de DVD quifaisait travailler plusieurs milliers de magasins dans le mondeet 130 000 employés. Le choix étant limité par la place dispo-nible sur les étagères, on trouvait surtout les fameux blockbus-ters (films à succès). Il fallait parfois attendre longtemps avantde pouvoir mettre la main sur la copie désirée. Et, sous peined’amende, il fallait la rapporter à temps.

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Netflix, une start-up de la Silicon Valley, bouleverse cemodèle en 1998 en lançant la location en ligne. Le consomma-teur ne perd pas de temps à se rendre au magasin, au risque dene pas trouver ce qu’il cherche : il fait son choix sur le web. LesDVD sont envoyés par la poste et retournés par le mêmemoyen (en un jour ouvrable en moyenne, dans les deux sens).Aussi simple que ça. Surtout, le catalogue de Netflix est quasi-ment illimité. Avec près de 90 000 titres disponibles début20082, Netflix est la plus grande DVDthèque au monde etcompte 7 millions d’abonnés. Grâce à la numérisation pro-gressive des films, elle vient en outre de lancer un service devidéo à la demande (5 000 titres). Les abonnés n’ont qu’à cli-quer sur un titre pour lancer immédiatement leur séance decinéma. Fini l’attente et la menace d’amende de retard ! Trèsbas, les prix sont fixes : pour un abonnement de 9 dollarspar mois, la personne peut louer un DVD qu’elle peut renou-veler aussi souvent qu’elle le souhaite (rendre le mardi leDVD qu’elle a reçu et regardé le lundi, et recevoir le mer-credi un autre DVD en retour, etc.) ; pour 14 dollars, on peuten avoir deux à la fois en permanence. Comme Netflix ne gèreaucune boutique et que ses coûts de stockage sont très faibles,la société peut se consacrer essentiellement au marketing. Sanouvelle offre de vidéo à la demande permet en outre d’écono-miser sur les frais de poste, les risques de perte et l’usure desDVD. Netflix est profitable depuis 2003, année où Blockbus-ter publiait pour la deuxième fois consécutive des pertes recordde plus d’un milliard de dollars.

Une des particularités de Netflix3 est qu’elle parvient àlouer la totalité de ses titres. Du film à grand succès jusqu’àl’obscur documentaire jamais diffusé, tous trouvent pre-neur : 95 % de son énorme catalogue sont loués au moinsune fois sur une période de trois mois. Or, cela ne coûte pasplus cher à Netflix de distribuer un film à grand succèsqu’un film inconnu. Le site gagne de l’argent sur tous lesfilms qu’il loue. Il a donc intérêt à proposer l’offre la pluslarge et abondante possible. Cela contredit les modèleséconomiques antérieurs : la loi des best-sellers et l’idéequ’en économie 20 % des offres vont faire 80 % des ventes,

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ne laissant pratiquement pas de place au reste des produits dis-ponibles. C’est ce phénomène nouveau que le journalisteanglo-américain Chris Anderson appelle la « longue traîne4 »,pierre fondatrice d’une analyse de l’économie « nouvellemanière », permise par la puissance du web.

Le web est en train de bouleverser la logique économiqueclassique et la conduite des affaires. Ainsi, des compagniescomme Google réalisent plus de 60 % de leur chiffre d’affairesauprès de toutes petites sociétés, chose impossible pour unerégie publicitaire traditionnelle, qui se contente de servir quel-ques clients. Cette analyse est elle complète ? Au-delà du phé-nomène économique, nous devons essayer de comprendrepourquoi un nombre croissant de webacteurs consacrent deplus en plus de temps à participer gratuitement au succèsde ces nouvelles entreprises. Sur Netflix, par exemple, ils peu-vent noter les films, ce qui permet à la société d’améliorer sonsystème de prédiction. Netflix peut proposer à ses utilisateursun système indiquant que « ceux qui ont aimé tel film aimentaussi tel autre », ce que les Américains appellent collaborativefiltering, un outil bien utile pour faire ses choix. Mais celaprend du temps aux utilisateurs de noter leurs films, et celan’est pas rémunéré directement. Cela améliore globalement laqualité du système et constitue ainsi une sorte d’intérêt collec-tif bien compris, une incitation à participer. Un utilisateurmoyen note 200 films et Netflix affiche deux milliards denotations. Sur le même principe, Yelp.com, un site de recom-mandation de restaurants à San Francisco, fonctionne grâceaux commentaires des utilisateurs qui acceptent de s’improvi-ser critiques gastronomiques.

Est-ce le signe d’une nouvelle dynamique économique,plus relationnelle, qui apporte une valeur plus forte que lamécanique classique de l’expert, du critique, de « celui quisait » ? Sur quel modèle économique reposent donc tous cessites gratuits au contenu généré par les utilisateurs ? La publi-cité est-elle suffisante pour les financer ? Est-ce tenable sur lelong terme ? Ce modèle qui fonctionne pour une poignée desites tels Google, eBay ou Amazon qui concentrent l’essentieldu trafic de l’internet, peut-il être copié par d’autres ?

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Parmi toutes ces questions en suspens, l’interrogationprincipale concerne la très forte concentration autour d’unacteur majeur dans chacun des secteurs que nous analysons, etdans lesquels la dynamique relationnelle est porteuse d’unmodèle économique. Il n’y a qu’un Netflix, un seul Wikipe-dia, un seul Amazon, un seul Craigslist, un seul Google…Allons-nous vers des marchés monopolistiques, alors que lesniches sont de plus en plus rentables ? D’autres modèles, sansdoute plus subtils, sont aujourd’hui en train de se mettre enplace. Sommes-nous sur le point de voir apparaître une écono-mie de la coproduction, une économie relationnelle ?

Après avoir suscité beaucoup de passions et d’enthousias-mes, cette économie nouvelle conserve une bonne partie de sonmystère. Les questions sont posées. Essayons d’y répondre.

UNE ÉCONOMIE DE L’ABONDANCE ET DE LA DIVERSITÉ : LA LONGUE TRAÎNE5

Quand ce qui est rare est presque gratuit

L’internet ne change pas seulement nos vies. Il bouleverse lecommerce et la culture. Chris Anderson est le premier àavoir formalisé le mouvement en cours d’un point de vueéconomique. D’abord, dans un article, paru en octobre 2004dans la célèbre revue technologique Wired, dont il est lerédacteur en chef6. Puis dans un livre, The Long Tail7 (LaLongue Traîne). Il explique avec beaucoup de pédagogie com-ment la technologie permet un glissement des marchés demasse vers des marchés de niches, en rendant profitables desventes en toutes petites quantités qui, jusqu’à présent, nel’étaient pas. C’est ainsi qu’on passe d’une culture de l’uni-formité à une culture de la diversité.

Expression imagée, la « longue traîne » se réfère à lareprésentation graphique d’une formule économique (connuesous le nom de « loi de Pareto ») vieille de plus d’un sièclequi montre que, dans toute population, environ 20 % des

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individus bénéficient de 80 % des richesses, et que, dans toutmarché, 20 % des produits attirent environ 80 % des ache-teurs. C’est particulièrement vrai pour les produits cultu-rels : plus de trois quarts des ventes correspondent à un toutpetit pourcentage des titres de livres ou de disques en circu-lation. Dans un grand magasin, par exemple, on ne trouvequ’une infime partie de tous les types de produits, ceux quisont de nature à satisfaire le plus grand nombre de clients.Mais la raison ne se trouve pas dans une quelconque loi de lanature explique Anderson. Elle s’explique par des goulotsd’étranglement du monde réel que l’internet libère. En effet,il permet de gagner de l’argent en vendant un nombre suffi-sant de produits qui n’intéressent qu’un nombre restreint depersonnes.

Ainsi le site américain Rhapsody.com qui vend de lamusique en ligne, gagne plus d’argent en vendant une foisou deux par mois les centaines de milliers de titres qui nefigurent pas parmi les 10 000 qui sont les plus populaires.On retrouve les mêmes proportions pour tous les produitsstrictement numériques pour lesquels les frais de reproduc-tion, de stockage et de transport sont très proches de zéro.Le principe s’applique aussi aux entreprises commercialesqui, tel Amazon.com, utilisent l’internet pour réduire leurscoûts de stockage et de transport.

La longue traîne, représentée par la partie grise de la courbe

Produits

Pop

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Dans la courbe de distribution des ventes, la partie gau-che qui monte très haut (la tête) représente traditionnelle-ment le petit nombre de best-sellers alors que, sur la droite,on voit une interminable traîne faite d’un grand nombre detitres qui se vendent à très peu d’exemplaires. La révolutionintroduite par l’internet est qu’on peut gagner beaucoupd’argent en vendant des produits qui se retrouvent à latraîne (plus longue encore qu’on ne l’imagine) aussi bienqu’à la tête.

Ceci est possible grâce à trois forces : la réduction des coûtsde production, la réduction des coûts de distribution (trans-port et stockage) et les différents instruments propres àl’internet – recherches et recommandations – qui permettentaux consommateurs de s’y retrouver dans cette « explosion dediversité ». Anderson l’explique ainsi : « La première force, ladémocratisation de la production, achalande la traîne. Ladeuxième force, la démocratisation de la distribution, rendtoute la production disponible. Mais ces deux forces ne sontpas suffisantes. Il faut la troisième force, qui aide les gens àtrouver ce qu’ils veulent dans cette nouvelle surabondance,pour que le potentiel de marché de la longue traîne soit plei-nement efficace8. » Il en conclut que nous entrons dans uneéconomie d’abondance. Non pas que tout le monde dispose deplus d’objets, mais parce que toute personne ayant accès àl’internet peut avoir accès à l’énorme diversité des produitsmis sur le marché où que ce soit. L’abondance dont il parle estdonc toute relative. La majorité des humains vit encore dansun univers de pénurie. Ce qui change, pour beaucoup, c’estl’abondance dans les choix.

Une des conséquences économiques paradoxales tient aufait que les entreprises les mieux à même de tirer parti del’extension du marché aux niches sont les grandes entreprises.Un point souligné par Anderson, et que confirme Hal Varian,professeur d’économie à l’université de Californie-Berkeley,auteur du livre Information rules et maintenant « chef écono-miste » chez Google. Il déclare, dans un entretien que nousavons eu avec lui, que « le plus gros est le mieux placé quandon recherche la diversité ». Les petits peuvent s’en tirer mais,

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toujours selon Varian, « ils doivent se spécialiser dans desgenres : les films d’horreurs des années 1950, ou la musiqueirlandaise par exemple. Grâce à la publicité basée sur lesmoteurs de recherche, les consommateurs seront capables deles trouver. »

Les implications économiques sont considérables. Onpeut vendre plus de produits pendant plus longtemps à plusde gens. Les implications sociales et culturelles sont encoreplus grandes. D’une culture façonnée par la production demasse, nous passons à une culture dans laquelle la diversitépaie, puisque les niches sont rentables. Nous avons l’embar-ras du choix. L’internet permet de rendre ces choix moinsdifficile grâce à l’efficacité des moteurs de recherche, des dif-férents systèmes de recommandations, ou de conseils mis enligne par les utilisateurs eux-mêmes. Le mécanisme est tel-lement essentiel que Netflix offre un million de dollars àtoute personne leur proposant un système de recommanda-tion plus efficace.

Le risque, alors, pourrait tenir à la fragmentation del’offre. Mais Anderson n’y croit pas. « Les marchés de nichene remplacent pas le marché traditionnel des grands succès.Il partage juste le devant de la scène pour la première foisavec lui. » Livres, films et chansons ont une vie hors du hit-parade, estime Anderson. « Et parce qu’il y en a tellementplus en dehors de lui, l’argent peut s’additionner rapide-ment et créer un marché énorme9. »

Les raisons qui permettent de comprendre pourquoi iln’en a pas toujours été ainsi tiennent aux limitations dumonde physique couplées avec les lois du marché. AuxÉtats-Unis, pour qu’une salle de cinéma accepte de diffuserun film, il faut qu’elle estime qu’il pourra attirer au moins1 500 spectateurs en deux semaines. Un magasin de musi-que doit pouvoir vendre au moins deux fois par an un albumdéterminé pour que cela vaille la peine de l’avoir en stock.Dans les deux cas, la clientèle potentielle est limitée à uncercle de quelques kilomètres de rayon. L’internet permetd’atteindre des audiences beaucoup plus vastes.

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La fin de la tyrannie du hit-parade et des best-sellers

On peut enfin gagner de l’argent en pariant sur la diversité.Plus n’est besoin de se limiter aux chansons que tout lemonde fredonne, aux livres les plus lus et aux films que nousvoulons tous voir.

Pour y parvenir, Anderson propose trois règles simples :tout mettre sur le marché, réduire les prix à la moitié, puisbaisser encore ; et enfin, aider les usagers à trouver leur bon-heur en faisant des recommandations issues d’un logiciel oudes observations de leurs pairs. Anderson ne voit aucune rai-son pour que les produits accessibles en ligne (les morceauxde musique vendus par les sites de vente de musique enligne Rhapsody ou iTunes par exemple) soient vendus aumême prix ou presque que dans le monde réel. Ils devraientêtre beaucoup moins chers, voire gratuits (avec publicité ousous forme d’abonnement forfaitaire).

La vérité, c’est que ce sont les gros qui gagnent le plusd’argent, mais qu’au lieu de s’enrichir en promouvant uneculture de masse simplifiée, ils le font en tirant parti de ladiversité des productions culturelles au niveau mondial.

Comment Kitchen Aid vend des batteurs rose vif et vert bonbon ?

Kitchen Aid est une entreprise d’électroménager haut de gamme, connuepour ses batteurs au look très seventies et aux couleurs « flashy ». Ils sontaujourd’hui disponibles en plus de trente couleurs, y compris mangue etrose bonbon. Kitchen Aid a constaté que les grands magasins vendentessentiellement les classiques, blanc et gris métal. Proposer les autrescouleurs leur coûterait trop cher (stockage, délai avant de vendre…).En revanche, toutes les couleurs se vendent sur le site de Kitchen Aid,kitchenaid.com. Celui-ci écoule sans mal les couleurs les plus exotiques,qui font la une des magazines de décoration et tirent l’ensemble des ven-tes. L’industrie traditionnelle peut donc elle aussi bénéficier de l’effet de lalongue traîne.

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QUELQUES DÉBATS : LONGUE TRAÎNE ET ÉCONOMIE DE LA DEMANDE

Chris Anderson lance un vrai débat, notamment sur la loi dePareto dite « des 80/20 ». L’analyse qu’il fait des modèlesd’affaires à succès est particulièrement pertinente. Ceux quiréussissent sont ceux qui proposent la totalité de l’offre etsavent en extraire des marges importantes. Ils parviennent àtirer l’avantage maximum des effets de réseaux que permetl’internet et qui ne sont pas exploitables à l’infini dans lemonde physique. Mais ce modèle d’affaires ne concerne que20 % des entreprises en ligne. Celles-ci ont compris l’intérêtd’engager une relation active avec leurs consommateurs,notamment en leur proposant les outils gratuits pour les gui-der dans leurs choix (moteurs de recherche, outils de recom-mandation, revues faites par les utilisateurs eux-mêmes).Elles savent capter les flux importants et transformer le visi-teur en un acteur de ses choix, qu’il peut expliquer et légiti-mer. Mais est-ce un modèle suffisamment universel pourexpliquer la vague de fond du web et son modèle de créationde valeur ?

Sur l’internet aujourd’hui, nous sommes dans une écono-mie de la demande plutôt que dans une économie de l’offre.Nous ne sommes pas prêts à acheter tout ce que les produc-teurs de hits et les grandes surfaces veulent nous vendre etpousser à grands coups de promotions dans nos caddies vir-tuels. Nous affinons nos choix, nous affirmons nos goûts,nous nous intéressons aux goûts de ceux qui aiment lesmêmes choses que nous et nous explorons plus en détailles différentes offres. Ceux qui l’ont compris sont ceux quiréussissent. Il y a une inversion du courant précédent.

L’architecture distribuée, non centralisée, horizontale del’internet n’interdit pas les concentrations de pouvoir etde richesse, au contraire. Moins de 20 % des sites attirentplus de 80 % du trafic. Yahoo!, Google, eBay, AOL, MSN etquelques autres gagnent des fortunes alors que des millionsd’autres demeurent inconnus. Anderson ne pense pas pour

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autant que la culture de masse produite par un nombreréduit de sources va se perpétuer. Il l’explique essentielle-ment en analysant avec une lumière nouvelle les sources derevenus des sites les plus importants. Cette explication suffit-elle à rendre compte du phénomène ?

La loi de puissance revisitée

La logique économique traditionnelle semble implacable,comme l’a rappelé en 2006 Clay Shirky, l’un des analystesles plus fins du cyberespace, dans un article sur « la loi depuissance10 » où, s’appuyant sur la loi de Pareto (que cer-tains qualifient de « déséquilibre prévisible » puisqu’on letrouve partout), il confirme en ce qui concerne l’internetque « la possibilité de choisir, très largement et librementdiffusée, crée une loi de puissance de la distribution ».

Une étude publiée en août 2007 par l’université du Texaset l’entreprise de publicité Chitika11 montre que le phéno-mène est vérifié pour les blogs, par exemple. Selon l’étude,50 000 blogs (sur près de 100 millions recensés en juin 2007par Technorati, le moteur de recherche spécialisé sur lesblogs) ont généré environ 500 millions de dollars de revenusen 2006. Et l’étude semble même défier la règle des 80/20 enen introduisant une règle des 10/90…Le top 1 % accapare80 % des revenus, et le top 15 % en accapare 90 %. Ce résul-tat invite à revisiter la thèse d’Anderson sous un éclairage dif-férent et nous conduit à penser que l’internet, tout en assurantla diversité, accroît les inégalités, une notion déjà avancée parle physicien Lazló Barabasí12 qui avait montré que dans lesréseaux scale free (insensibles à l’échelle) les riches deviennentplus riches en raison de l’importance des hubs qui attirent unepartie considérable du trafic et des relations.

Quant aux petits, ils peuvent en profiter, mais à leurmesure. Google cite souvent, dans les présentations qu’il faità ses grands clients, le cas d’un chauffeur de taxi de la régionde Washington féru de l’internet. Ayant compris le systèmede la publicité en ligne et de la recherche contextuelle, il afait en sorte que son site virtuel soit très bien référencé sur le

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moteur de recherche et a intelligemment acheté certainsmots clés, lui permettant d’afficher au bon endroit et au bonmoment une publicité pour ses services auprès des visiteursen partance pour Washington à la recherche d’un billetd’avion ou d’un hôtel. Résultat, lorsqu’on cherche un hôtelou un avion, la publicité s’affiche pour une réservation detaxi. Très efficace. Le chauffeur a pu en moins d’un an consti-tuer une petite compagnie avec plusieurs taxis. Il a réussi às’imposer sur un marché de niche, grâce aux nouveaux outils.Il n’a pas pour autant réussi à devenir multimillionnaire nigestionnaire d’une immense flotte de taxis… Il n’a pas révo-lutionné son métier. Il a juste appris à se servir de façondynamique des outils lui permettant d’entrer de façon plusactive en relation avec ses clients potentiels. Les petits peu-vent donc exploiter à leur guise les niches et s’y développer,et les grands exploiter la totalité de la traîne. Tout le mondesemble s’y retrouver.

Au total, on voit que de nouveaux modèles d’affaires appa-raissent. Ils permettent d’exploiter la longue traîne favoriséepar l’internet et ses effets de réseaux. Une économie de lademande émerge, où chacun peut affiner son choix à l’infini ettrouver le produit qui correspond à son besoin précis, loin dudiktat traditionnel de l’offre imposé par les marketeurs, pro-ducteurs, et faiseurs de tendances de tout genre.

Cette économie coexiste avec une économie de l’offre,plus classique. Pour le moment, en tout cas. Mais les petitsont du mal à exploiter aussi efficacement que les grands leseffets de la dynamique relationnelle, qui est le moteur de cesystème.

Va-t-on vers l’apparition de nouveaux oligopoles ? Versde très fortes reconcentrations entraînées par les barbaresqui vont détruire les empereurs d’hier ? Il faut pousserl’analyse plus loin et élargir notre champ d’étude sous deuxangles, au moins : l’économie directe et l’économie de lacollaboration de masse.

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QUAND LE WEBACTEUR DEVIENT COPRODUCTEUR

L’approche par la longue traîne décrit bien les modèlesgagnants des entreprises qui ont réussi, et des pistes demodèles gagnants pour les futurs géants qui sauront exploi-ter les effets de réseaux et capter les flux. Elle montre aussitrès bien comment le web permet d’étendre les marchés exis-tants sans qu’il soit nécessaire pour cela de déployer des res-sources considérables (multiplications et agrandissement desmagasins physiques, par exemple). Elle explique de façonbeaucoup moins satisfaisante les modèles d’affaires qui sedéveloppent aujourd’hui et qui demeurent fragiles. Ellen’explique pas de façon économiquement convaincante cequi se passe quand on utilise le web comme une plateformesur laquelle les webacteurs peuvent participer, s’impliquer,s’investir. Au moins deux approches permettent d’affinerl’analyse : l’économie directe et l’apport de valeur par la par-ticipation. Elles se complètent. Elles ont en commun dedécrire une très forte intégration des consommateurs/utilisa-teurs au processus de création et de distribution des produitsgrâce au web.

L’économie directe

Plutôt que de partir de l’analyse de l’offre, comme le faitChris Anderson, on peut parfaitement s’intéresser au rôle duconsommateur dans le processus de production sur le web. Ens’appuyant sur la dimension lire/écrire/modifier permise parle web d’aujourd’hui, et dont nous avons souligné l’impor-tance, Xavier Comtesse, consultant suisse et codirigeant ducabinet ThinkStudio, avance la notion d’économie directe13.

À l’origine de son analyse, on trouve le constat d’une impli-cation croissante des consommateurs dans le processus de pro-duction. Il reprend l’expression de « ConsommActeur » pourqualifier ce nouveau consommateur : « Le réel moteur decette transformation économique était bel et bien le consom-mateur actif plutôt que les entrepreneurs. Ces derniers étantfinalement peu nombreux au regard de ces millions de gens

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ordinaires, blogueurs ou non, qui s’étaient décidément mis autravail pour changer les pratiques. »

Ce processus peut être tout à fait conscient de la part duconsommateur, quand il publie une vidéo sur YouTube, oufait un commentaire sur un blog. Il peut être plus incons-cient, comme par exemple lorsque nous améliorons le systèmede classement de Google à mesure que nous l’utilisons. PourComtesse, « tout se passe comme si nous assistions dans cetteéconomie, que nous qualifions désormais de “directe”, à uneredistribution des tâches, à un transfert des compétences ».

Ce transfert ne touche pas seulement l’économie del’internet, mais l’ensemble de l’économie. Ikea transfère àses clients le transport final et la dernière phase de fabrica-tion des meubles, le montage. C’est une partie forte de sonmodèle et cela en fait le succès. De façon générale, le crowd-sourcing (« externalisation à la foule », de façon littérale, enréférence à l’outsourcing) est une des plus fortes manifesta-tions de ce transfert.

Comtesse indique qu’une combinaison de quatre facteursest en train de générer une économie bien différente. À savoir :l’arrivée du consommateur dans la chaîne de la création devaleurs, qui change de fait les processus de production ; la dis-parition des intermédiaires traditionnels qui cèdent le pas à denouvelles formes d’intermédiation ; l’apparition de nouveauxmodèles d’affaires qui détruisent au passage les anciennes ren-tes de situation ; et, enfin, la fixation des prix qui suit de plusen plus la mode des enchères. En agissant de concert, ces qua-tre éléments centraux de l’économie directe bouleversent ettransforment en profondeur l’ancienne économie14.

Il précise : « on quitte en quelque sorte une économie fon-dée sur les savoirs du producteur pour une économie dessavoirs du client. [...] Si le vrai pouvoir est donné auxconsommateurs, c’est-à-dire de finir le produit, supprimer lesintermédiaires, changer les modèles et fixer les prix, ne som-mes-nous pas déjà en train de modifier les fondements del’économie ? »

Pour lui, ce n’est pas tant dans la digitalisation des procé-dures que se cachent les nouveaux gains de productivité,

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mais bien dans la nouvelle relation client qui fait en quelquesorte pénétrer le consommateur dans la chaîne de créationde la valeur, ce long processus économique qui permet àchaque intervenant, du concepteur du produit à son produc-teur puis à son distributeur, d’apporter sa part de savoir-faire et donc de gagner de l’argent.

La notion de ConsommActeur nous conduit à des formesencore plus élaborées, comme la cocréation. L’exemple de lacompagnie Easyjet (easyjet.com) en est une bonne illustra-tion. Le consommateur réserve et paye son voyage surl’internet, imprime son e-ticket et va faire son propre check-in sur des bornes automatiques disposées à cet effet dans leshalls d’embarquement des aéroports. Le gain de temps et deproductivité est optimal. Il est redistribué en partie sousforme de discount aux usagers. EasyJet peut pratiquer desprix très compétitifs, parce qu’elle est très productive etqu’elle fait travailler le consommateur. Toutes les compa-gnies aériennes suivent d’ailleurs ce mouvement. Le passageactif du consommateur dans la chaîne de production : voilàce qui change tout. Et tout le monde y gagne.

Cette approche a plusieurs mérites. D’abord, elle permetde bien illustrer les tensions créées par le web d’aujourd’hui.Le transfert des compétences et la redistribution des tâchesest un mouvement en cours, qui va prendre du temps. Infine, c’est à une intégration très forte du consommateur dansle processus de production que l’on va assister. Une collabo-ration, voire même une coproduction avec le consomma-teur : une vraie relation forte. Au sens le plus pur, c’estl’exploitation économique de la dynamique relationnelle enjeu avec le web qui est ici à l’œuvre. Et à terme, c’est unemeilleure efficacité dans la production, dans la réponse à lademande, dans la cocréation.

La cocréation est une phase très aboutie du modèle. Àterme, c’est à une individualisation totale de l’offre qu’onpeut aboutir. On peut très bien imaginer un fabricant dechaussures donnant au consommateur la possibilité de « desi-gner » sa propre paire, puis en externaliser la fabrication.C’est l’aboutissement de cette économie de l’abondance et de

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la diversité, décrite par Anderson, mais avec un angle de vueplus large, celui de la participation des usagers à la création devaleur dans la chaîne de production. La firme de chaussuresNike a par exemple proposé aux visiteurs de son île virtuellesur le site SecondLife, de désigner et créer leur propre modèlede chaussures en trois dimensions. Nike les fabrique ensuiteet les envois à l’acheteur. Il y a bien sûr pour Nike une logi-que d’image. Mais l’utilisation de SecondLife comme labora-toire de ce que seront les relations avec les consommateurs dedemain est aussi à l’œuvre.

Une des forces du système tient à ce qu’il fonctionned’autant mieux que l’on fournit des outils aux personnes. Lesoutils de la participation, du partage et de la collaborationont un effet démultiplicateur fort sur la façon dont sont pro-duits les biens et les services dans le modèle de l’économiedirecte. Plus vous permettez aux utilisateurs d’être acteurs,plus vous créez de leviers pour permettre la cocréation verslaquelle se dirige l’économie de demain. La dynamique rela-tionnelle qui se met en place, rendue possible par les outilsde l’internet d’aujourd’hui, a donc un impact très fort sur lacréation de richesses, et sur leur partage. Il est encore difficileà ce stade d’en évaluer les implications concrètes, mais c’estbien le chemin que prend l’économie. Et il n’affecte pas queles entreprises de l’internet, ou que certains secteurs touchéspar l’avant-garde comme celui des biens culturels ou desmédias. On l’a vu, par exemple, avec l’industrie pharmaceu-tique et le cas de Procter & Gamble.

De nombreuses incertitudes demeurent cependant.Quels modèles d’affaire pour ces compagnies « en transi-tion » ? Comment rémunérer/récompenser la participationdes consommateurs ? La gratuité des services proposés est-elle possible sur le long terme, alors que cela réclame uneimplication forte du consommateur ?

L’apport de valeur par la participation

Le rôle des outils dans cette approche de cocréation et copro-duction est déterminant. Ces outils sont ceux du web

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d’aujourd’hui. Ils permettent d’intégrer le consommateurdans la chaîne de production.

C’est ce que proposent d’étudier les consultants en stra-tégie Don Tapscott et Anthony Williams dans leur livreWikinomics15.

Les auteurs constatent que les outils de production desavoir collaboratif, dont l’archétype est le wiki, affectent trèsprofondément et durablement la façon dont sont produits lesbiens et les services. Et ce n’est pas vrai dans le seul mondede l’internet. Pour eux, il s’agit d’un véritable art et d’unescience de la collaboration. Ils choisissent de l’appeler parextension de l’usage de l’outil emblématique du phéno-mène : « wikinomics ». « Nous parlons de profonds change-ments dans la structure et le modus operandi de l’entreprise etde l’économie, basés sur de nouveaux principes de compéti-tion, comme l’ouverture, le partage et l’action globale16 ».

Une bonne compréhension de ces principes et leur inté-gration dans les modèles d’affaires s’opposent évidemment àun modèle plus ancien, encore à l’œuvre : celui des multi-nationales aux produits et modes de production très hiérar-chisés, intégrés et maîtrisés de bout en bout. Les modèlesanciens, ancrés sur une conception intégrée et une ventesoutenue par un marketing parfois agressif, devront changerpour faire de plus en plus de place à l’engagement des utili-sateurs et favoriser la cocréation.

Le web, accessible partout, y compris en mobilité, estaujourd’hui devenu une plateforme robuste pour ces modesde cocréation grâce notamment aux wikis, blogs, outils depersonnalisation, et autres moteurs de recherche…

Les auteurs analysent finement les nouvelles chaînes devaleur qui se mettent en place. Les promesses de la collabo-ration sont très fortes. Le savoir collectif, les capacités et lesressources qui peuvent être mobilisées grâce à un réseau trèsélargi, sont porteurs de la promesse de puissance de créationbien plus fortes que tout ce qu’une entreprise peut réaliserseule.

Ces deux approches, celle de l’économie directe et celle deWikinomics, nous permettent de dépasser l’analyse d’Anderson

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par l’offre, la demande et le marché, en intégrant une réflexionsur le rôle de la participation des consommateurs dans la pro-duction des richesses. Avec les outils du web d’aujourd’hui,cette participation devient possible. Elle semble même souhai-tée par les consommateurs, qui veulent participer activementgrâce à ces outils qui leur permettent d’entrer profondémenten relation avec les entreprises.

« Nous allons assister à l’émergence d’une économie d’ungenre entièrement nouveau, dans laquelle les entreprisescoexistent avec des millions de producteurs autonomes, quise connectent et cocréent de la valeur dans des réseaux lâche-ment noués. Nous appelons ce phénomène l’économie de lacollaboration17 », écrivent Tapscott et Williams.

Et cela ne touche pas seulement les entreprises de l’inter-net. Le web d’aujourd’hui change potentiellement la donnede l’ensemble des secteurs.

Mais comment gagner de l’argent en intégrant plus pro-fondément les consommateurs ? Une économie de la rela-tion est-elle possible ?

DES MODÈLES D’AFFAIRES ENCORE TRÈS FRAGILES

L’apparition et la diffusion sur l’internet de ces nouveauxoutils de collaboration est donc un élément décisif. D’abord,parce qu’ils permettent d’explorer la longue traîne de l’offre,et donc d’essayer de monétiser une économie de l’abondanceet de la diversité. Même si ce sont essentiellement les géants,capables de proposer l’offre et les outils pour s’y retrouver,qui semblent être les futurs gagnants. Ensuite, parce que cesoutils permettent d’intégrer fortement le consommateurdans le processus de création de valeur, grâce à la cocréationet à la coproduction. Mais, les contours des modèles d’affairesqui permettent d’exploiter la dynamique relationnelle per-mise par le web sont loin d’être encore évidents. Et aucun nemarche vraiment pour le moment.

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D’un côté, nous voyons se développer des modèles assezsimples et déjà existants, qui trouvent un prolongement surl’internet : publicité, abonnement et commissionnement.De l’autre, on trouve un modèle plus complexe, qui associele consommateur « coproducteur », et propose de partagerune partie de la valeur créée avec lui. Deux approches unpeu différentes pour un objectif similaire : essayer de géné-rer du chiffre d’affaires grâce au web d’aujourd’hui.

Publicité, abonnement et commissionnement : comment monétiser la longue traîne ?

Pour un Google qui rapporte des milliards, combien de ser-vices gratuits qui ne gagnent rien ? Si la gratuité de tous cesservices semble être le saint Graal, et si les utilisateurs se pré-cipitent en masse sur certains d’entre eux, il faut se deman-der comment ils vont gagner de l’argent et survivre. Lemodèle publicitaire, qui semble retrouver toutes les faveurs,est-il viable ?

L’ère du web dans laquelle nous entrons présente d’intéres-sants défis en matière de modèles d’affaires pour l’ensembledes acteurs. Bataille des anciens qui se crispent pour préserverdes modèles encore rentables, offensives des modernes dontles idées plaisent massivement aux utilisateurs mais sansréelles sources de revenus. Avec pour grandes lignes : la gra-tuité, la disponibilité en ligne plutôt que sur l’ordinateur, etle partage. Difficile à monétiser…

Quatre-vingt dix-neuf pour cent des revenus de Googleproviennent de la publicité, et cela fait rêver. Cela veut sur-tout dire que les autres produits de Google ne rapportentrien ! Blogger, Picasa, Calendar, YouTube, Google Docs,Google Base… : autant de services très utilisés qui sont descentres de coûts. La même analyse vaut par exemple poureBay et sa filiale Skype : des millions d’utilisateurs gra-tuits… et peu de revenus !

Google Docs est une bonne illustration du phénomène encours : prenez une application très répandue comme Word(à laquelle sont venues s’ajouter Excel ou PowerPoint), et

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rendez-la gratuite en ligne. Vous y ajoutez des fonctionnalités– une meilleure accessibilité aux documents et le travail colla-boratif par le partage des textes. Vous affranchissez les utili-sateurs de la contrainte d’installation de logiciels et des misesà jour, puisque tout est sur le web. Très séduisant, comme enatteste le nombre de jeunes pousses de la Silicon Valley qui selancent sur le créneau du « Office 2.0 » : Thinkfree et sa suitebureautique ou Zoho et son « bureau virtuel » (virtual office)par exemple. Un mouvement qui va obliger progressivementMicrosoft et d’autres à revisiter leur modèle d’affaires. Maiscomment monétiser cela, alors que la gratuité semble le maî-tre mot ? Nous disposons d’au moins trois pistes.

Première piste : la publicité

L’analyste et prévisionniste Mark Anderson, très critique dumouvement web 2.0, l’a répété à plusieurs reprises, et notam-ment au moment de la Web 2.0 Expo qui s’est tenue à SanFrancisco fin avril 2007 : « l’argent de la publicité est le seulargent nouveau ». Il a raison. Les chiffres sont prometteurs.Les taux de croissance de l’ e-publicité sont de plus de 50 %par an depuis 2004. Selon le cabinet d’étude ZenithOptime-dia, l’internet a pesé 10 % du marché publicitaire en 2007 etdeviendra l’un des trois principaux supports pour les annon-ceurs d’ici 2009. En France, la publicité en ligne a représentéen 2006 près de 1,6 milliard d’euros d’investissements pourles annonceurs, selon l’Irep, l’Association française des pro-fessionnels des medias, de la publicité et du marketing. C’estencore loin derrière la presse et la télévision, mais c’est enprogression constante. Aux États-Unis, les dépenses depublicité en ligne sont passées de 6 milliards de dollars en2002 à 12,4 milliards en 2005 : une croissance de 106 % surtrois ans, alors que le marché de la publicité n’augmentaitglobalement que de 19 % sur la même période, selon labanque d’affaires Morgan Stanley. De quoi susciter bien desappétits. Google, Yahoo! et Microsoft concentrent d’ores etdéjà l’essentiel des outils de ce métier, notamment les régiespublicitaires en ligne. Et comme ils détiennent aussi l’essen-tiel du trafic, la messe semble dite.

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L’essentiel de l’argent de cette publicité va donc chezceux qui reçoivent le plus de trafic sur leurs sites. Ou bienchez ceux qui savent développer un très bon service et vontarriver à récupérer un peu du trafic de ces géants, soit en sevendant à eux, soit en passant des partenariats. YouTubes’est vendu à Google par exemple, ou MySpace à l’empiredes médias de Rupert Murdoch. Ce n’est pas par hasard.Mais cela ne permet pas vraiment de monétiser l’effet de lalongue traîne : on touche à de nouveaux médias de masse,et on retombe dans des problématiques classiques bienconnues des médias traditionnels : plus on a de trafic, pluson attire les annonceurs, mieux on peut monnayer l’espacepublicitaire.

Pour bénéficier de la longue traîne, il faut regarder lapublicité contextuelle. L’idée est simple : proposer un mes-sage ultraciblé selon l’activité du webacteur. Une publicitésur le magasin d’outillage le plus proche lorsqu’on recherchedes conseils de bricolage, par exemple. Ou un hôtel à Bue-nos Aires quand on cherche un billet d’avion pour cette des-tination. Cela peut être affiné à l’envi. Google est unspécialiste en la matière. Il vous propose de la publicitéadaptée à ce que vous recherchez dans son moteur. C’est trèspuissant et cela permet de séduire des annonceurs quin’auraient pas pu espérer attirer une clientèle ad hoc àlaquelle proposer leurs produits au bon moment : celui de larecherche.

Google va plus loin et distribue la publicité ciblée dansune application comme la messagerie Gmail. Le modèlemérite qu’on s’y arrête, tant il est considéré par beaucoupcomme le cheval gagnant de demain. Cette publicitéapporte un message susceptible d’avoir un vrai intérêt pourl’utilisateur. Mais elle est intrusive. Elle suppose que l’uti-lisateur accepte que ses mails soient lus par un robot, dansle cas de Gmail. Dans le cas d’outils bureautiques, cela peutposer de vrais problèmes de confidentialité. Nombre d’uti-lisateurs sont d’ailleurs réticents, pour de bonnes raisons.Ce qui est acceptable sur un blog ou un site de contenu nel’est pas forcément ailleurs. Pourtant, il pourrait s’agir d’un

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bon système, par exemple pour la musique et la vidéo.Joost, le service créé par les fondateurs de Skype, proposede diffuser de la vidéo légale et gratuite financée grâce à dela publicité contextuelle diffusée aux utilisateurs dont leprofil est analysé. Probablement très efficace : une publicitéplus courte mais très précise suffit. Notons que la phasesuivante, inaugurée en novembre 2007 par le site de réseausocial Facebook consistera à cibler la publicité non plus enfonction des questions que nous nous posons, mais en fonc-tion de ce que nous sommes, tels que définis par nos rela-tions et par leurs activités.

Mais voilà qui évoque aussi de plus en plus le film MinorityReport ! Tous fichés…. Cela suppose aussi, pour être rentable,de très gros volumes et un très bon taux de retour. Ce qui estloin d’être gagné : il faut cibler très juste et atteindre exacte-ment l’audience voulue. YouTube, malgré son succès, n’y estpas encore parvenu. Ici, l’effet de la longue traîne ne semblepas encore fonctionner, comme le montre l’étude sur les reve-nus des blogs déjà citée. Nous sommes dans un environne-ment où 10 % des sites génèrent 90 % des revenus. Exploiterla niche peut être franchement délicat… Le mouvement deconcentration est en cours, et la lutte s’annonce très dure. Elleen laissera plus d’un exsangue.

Ce modèle de la publicité qui semblait le plus promet-teur à beaucoup, et dont nombre de start-up s’inspirent, estaussi probablement le plus fragile et ne profitera vraimentqu’à quelques-uns.

Deuxième piste : l’abonnement

C’est le modèle de quelques grands succès, comme Netflixpour la location de films. On s’abonne à un service, pour unprix souvent inférieur à ce qui existait avant grâce aux gainsde productivité réalisés par l’entreprise avec l’usage des outilsdu web.

L’abonnement est particulièrement alléchant pour lesentreprises qui proposent des logiciels à utiliser « dansles nuages » : c’est le mouvement appelé software as a service(le logiciel comme un service, plutôt que comme un produit

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vendu sous licence). Les nouveaux éditeurs, notamment delogiciels pour l’entreprise, le regardent avec beaucoupd’intérêt. De plus en plus de jeunes pousses proposent unservice de base gratuit alléchant et des services supplémen-taires payants. Box.net, un disque dur virtuel développé àPalo Alto, qui compte déjà plus d’un million d’utilisateurs,propose d’ajouter de la capacité de stockage et des fonctionsde partage contre un abonnement. Google, avec son serviceGoogle Apps pour petites entreprises, surfe sur la mêmevague. Mais ces modèles sont sous observation : ils suppo-sent que le service de base soit de bonne qualité tout enétant suffisamment frustrant pour inciter l’utilisateur àpayer. Il n’est jamais bon d’exploiter la frustration de sesclients, et c’est peu dans la philosophie « 2.0 » en vogue.Aussi, les taux de transformation du payant au gratuit sont-ils difficiles à mesurer, et la compétition sévère entre lesacteurs tire plutôt vers la gratuité… Que choisir, entre lesservices identiques de type Microsoft Office déployés « dansles nuages », et Zoho, ThinkFree ou Google Docs ? Finale-ment, ne sont-ce pas plutôt les grands éditeurs, déjà bienimplantés dans les entreprises, qui vont finir par changerleur modèle et proposer du software as a service, balayantcette jeune concurrence prometteuse ? Des géants commeSAP s’y mettent déjà. Le risque est grand, même si lemodèle est vraiment intéressant.

Troisième piste, le commissionnement

Cette piste est évidemment poursuivie par tous les sitesd’intermédiation. C’est bien sûr vrai d’eBay, qui a fondé sonsuccès sur le système. Tous ceux qui sont capables de réunirsur une Bourse virtuelle suffisamment d’offre et de demandesont susceptibles de le pratiquer.

Le modèle s’étend même à la mise en relation du mondedigital et du monde physique. Connecter le monde digital aumonde physique pour générer une transaction est le cœur dumodèle. Amazon met en contact des biens et des utilisateursgrâce au web. Bon nombre de ces biens sont proposés à lavente par des vendeurs tiers qui ne sont pas même affiliés à

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Amazon, mais se contentent d’utiliser sa puissante plate-forme. Les services d’impression de photos, comme Snapfish,utilisent ce modèle. Il connaîtra certainement un bon succès.

Ces modèles, qui introduisent de la médiation entre nouset cette économie de l’abondance et de la diversité, ont del’avenir. Trouver ses repères dans la longue traîne est difficile,ce qui crée des places à prendre pour ce que les Américainsappellent le middle man, l’« homme du milieu », l’intermé-diaire. C’est presque un paradoxe, puisque le web était censéfaire disparaître ce middle man ! Pourtant, dans une économied’abondance et de diversité, ceux qui facilitent le rapproche-ment de l’offre et de la demande ont certainement un rôleimportant à jouer grâce, notamment, à l’agrégation d’énor-mes quantités d’informations et de données

En conclusion, une combinaison de la publicité, del’abonnement et du commissionnement est évidemmentpossible. Un site de contenu pourra privilégier le premier etajouter des services payants. Nous en sommes au début etbeaucoup reste à explorer. Mais gagner de l’argent en exploi-tant la longue traîne n’est décidément pas simple.

Comment gagner de l’argent en faisant coproduire les consommateurs ?

On a vu qu’une caractéristique nouvelle du web d’aujourd’huiest de permettre aux consommateurs de devenir coproduc-teurs des biens et services. Ils s’associent au design, à la créa-tion, à la production d’un bien ou à l’administration d’unservice. Quelques exemples l’illustrent :

◆ le site de petites annonces Craigslist utilise les webacteurspour gérer le contenu. Chacun peut estimer la pertinenced’une annonce, son honnêteté, son à-propos. Bref, le « ser-vice client » de premier niveau est assuré par les utilisa-teurs eux-mêmes. Le site n’assure que la modération desecond rang, en cas de problème ou de contestation. Avecplusieurs millions d’annonces publiées chaque jour, il fau-drait à Craigslist un très grand nombre de modérateurs

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pour fonctionner. En faisant faire le travail par l’utilisa-teur, il réalise une économie substantielle. Le bénéficepour l’utilisateur : le site est en grande partie gratuit. Cequi ne serait pas possible autrement. L’utilisateur est inté-gré dans le modèle d’affaires, et s’il arrête de participer, lemodèle s’effondre. C’est bien, mais cela ne permet pas ausite de faire travailler plus de vingt-cinq personnes, et iln’assurera pas la fortune de ses dirigeants ;

◆ Procter & Gamble n’a pas hésité à franchir le pas, en pro-posant aux webacteurs de résoudre des problèmes techni-ques ou de participer à son innovation. Ceux dont lesprojets sont retenus sont rémunérés (de façon modeste).Les autres auront participé pour le sport et la compéti-tion. Le bénéfice pour celui dont la contribution a étéretenue est évident, même s’il est limité. Il est encoreplus évident pour la société qui a économisé temps, res-sources internes et argent ;

◆ Wikipedia, qui fait « travailler » gratuitement tous lesamateurs experts qui publient des articles sur son sited’encyclopédie, repose sur le même principe. Mais lesdifficultés financières que rencontre aujourd’hui le site,malgré son succès, génèrent des inquiétudes sur la vali-dité des modèles gratuits.

Pourtant, c’est probablement un des phénomènes les plusintéressants du web. Le crowdsourcing est un modèle radical. Ils’agit d’inviter « la multitude » des utilisateurs, via le web, àréaliser des tâches autrefois effectuées à l’intérieur d’une orga-nisation. Pour moins cher, voire gratuitement. D’une certainefaçon, c’est le modèle de l’open source (qui propose à tous lesinformaticiens qui le souhaitent de participer au développe-ment des logiciels) appliqué au monde du travail.

Ce modèle, néanmoins, n’est pas complètement satisfai-sant. Appliqué de façon « pure », comme dans le cas deWikipedia, il soulève de nombreuses questions sur la qua-lité du produit et n’est pas profitable. Un peu dilué, commedans le cas de Craigslist, il permet à une petite entreprise debien vivre, sans plus. Appliqué à petite dose, comme dans le

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cas de Procter & Gamble, il est un puissant moteur d’inno-vation. Mais c’est le géant qui en profite le plus. Et pas for-cément encore l’utilisateur.

Une première question porte sur le dosage du modèle :quand il est pur, il fonctionne mal et limite les ambitionsde croissance des petites sociétés. Une deuxième questionconcerne le degré d’association de l’utilisateur : jusqu’oùl’associer ? Jusqu’à l’externalisation complète ? Dans ce cas,quelle valeur apporte l’entreprise ? Enfin, il faut s’interrogersur le gain du webacteur. Comment « rémunérer » juste-ment ce « webonaute » participant : gratuité totale ou par-tielle du produit fournit ? Plaisir et orgueil d’avoir participé,ou gain financier ? Autant de questions qui ne sont que trèspartiellement réglées.

Finalement, aucun de ces modèles n’est encore bien convain-cant. Et aucun n’a fait ses preuves. Pourtant, ils se développent,s’affirment, et de nombreuses entreprises essayent – desstart-ups, en éclaireurs, et de plus grandes entreprises, quise les approprient au fur et à mesure. Nous sommes dansune phase de transition. Vers une économie qui accordedavantage de valeur à la relation. Est-ce à dire que nousnous acheminons vers une économie de la dynamique rela-tionnelle ?

VERS UNE ÉCONOMIE RELATIONNELLE ?

Jacques Attali l’annonce pour 2060 au plus tôt. Elle esten fait déjà partiellement là, et opérante, grâce au webd’aujourd’hui. Elle pourrait devenir altruiste, comme ille prédit. Aujourd’hui, elle se cherche plutôt des modèlesd’affaires lucratifs.

La transition a commencé, et nous en avons vu quelquestendances lourdes :

◆ c’est une économie de l’abondance et de la diversité.Toute offre y trouve potentiellement une demande, grâceaux outils du web qui permettent une exploration sans

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fin de ce qui est disponible sur le marché. La puissancerelationnelle des outils du web permet cette exploration ;

◆ une partie de plus en plus importante des biens et des ser-vices est coproduite. L’association de l’utilisateur et duconsommateur à la production devient un des piliers decette économie. Il est associé à la conception, à l’innovation,à la production, à la diffusion, à la vente, à la maintenance ;

◆ les modèles d’affaires qui permettent de monétiser toutcela sont encore très fragiles, et dans l’ensemble assez peuconvaincants. Sans pour autant que les deux grandes ten-dances du modèle ne soient infirmées : elles continuentde se répandre.

Nous sommes dans une phase de transition, encore diffi-cile à caractériser, mais qui repose clairement sur la relation.

Tout ceci est rendu possible par la généralisation desoutils du web, qui sont d’abord des outils relationnels, etpar leur appropriation par les webacteurs. Ils participent,pour le moment, en acceptant de ne pas avoir de visionclaire de la façon dont ils vont être rétribués pour leur parti-cipation.

Les grandes caractéristiques de cette économie sont encorefloues. Néanmoins, quelques pistes de réflexions existent.

Une nouvelle relation entre les acteurs économiques se crée

Elle est caractérisée par des interactions accrues. Avec desfrontières de plus en plus floues entre celui qui produit, celuiqui crée et celui qui consomme. Cela pourrait générer destensions sur le marché, dans la mesure ou celui qui offre n’estplus aussi facilement discernable de celui qui demande.

Des tensions apparaissent sur les prix. Deux phénomènessont à l’œuvre :

◆ la longue traîne permet une extension considérable del’offre et de la demande. Mais la fixation du prix, sur unmarché de niche, est un exercice très difficile. « Ce quiest rare est cher », a-t-on coutume de dire. Ce n’est pas lecas dans la longue traîne : bien souvent, ce qui est rare est

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presque gratuit. Mais au fond, comment se fixe le prix etoù se fait la négociation entre vendeur et acheteur ? QuandiTunes, le site de téléchargement de musique d’Apple,décide d’appliquer un prix unique au tube qu’il va vendredes millions de fois et au morceau qu’il va vendre une fois,a-t-il raison ? Alors que le téléchargement illégal persiste ?L’oscillation entre gratuité, uniformisation par le prix etenchères traduit exactement la tension forte sur les prix ;

◆ dans une économie de la coproduction, offre et demande semêlent. Le prix, qui naît de la rencontre des deux, est diffi-cile à déterminer. Cela donne des modèles d’affaires quioscillent entre la gratuité, avec une rémunération de l’offreurpar de la publicité, à du partage de revenus (c’est moins cher,parce qu’on participe). La création de valeur étant plus dif-fuse, le marché a du mal à jouer son rôle d’arbitre. Lafameuse « main invisible » d’Adam Smith hésite.

Il y aura donc, dans l’économie de la relation, d’autressystèmes de fixation des prix. La difficulté à les trouver sereflète dans les modèles d’affaires d’aujourd’hui.

Ceux qui sauront gérer la dynamique de la relationauront un rôle clé à jouer. L’abondance de biens et services,la difficulté d’arbitrage sur les prix et la répartition desrichesses, permettra à des tiers de prendre des places impor-tantes. Le modèle d’enchères, qui est celui de Google oud’eBay, dans un marché d’abondance et de diversité, est unbon système pour fixer les prix. Ceux qui sauront gérer cesenchères, ou les places de marché sur lesquelles pourront sefixer les prix, auront un rôle de premier rang. Ils sont déjàpuissants. Ils fourniront les plateformes sur lesquelles larelation se fait de façon efficace. Par ailleurs, ceux qui sau-ront développer les bons outils pour permettre au webacteurde s’y retrouver ou pour faire fonctionner cette économiecomplexe de la relation, auront, eux aussi, une place dechoix. Ils se rémunéreront par la publicité grâce au traficqu’elle génère, ou en vendant leurs outils, s’ils parviennent àprendre des positions fortes sur un marché ultraconcurren-tiel. On retrouvera peut-être parmi ceux-là quelques géants

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d’hier, comme Microsoft. Enfin, dans ce nouveau chapitrequi s’ouvre, nous n’avons pas encore beaucoup entendu lesconsommateurs. Or, s’ils participent de plus en plus à laproduction, ils disposent aussi des outils pour peser ensem-ble : ceux du web d’aujourd’hui. Quand ils auront pris unemeilleure conscience de leur nouvelle puissance, ils pour-ront peser plus sur l’économie. Ce sera alors une véritableéconomie de la dynamique relationnelle qui verra le jour.

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Vers l’entreprise liquide ?

« Les tendances qui sous-tendent le web 2.0 dans l’internetgrand public s’appliquent aussi dans le monde de l’entreprise.

Tout se déplace en ligne, vos clients sont connectés, vous êtes connectés,dès lors les lois des effets de réseaux vont s’appliquer également

au monde des affaires. »

Tim O’REILLY1

Alex est consultant dans un grand cabinet de conseil de laSilicon Valley. Il se souvient de ses débuts, il y a six ans, à sasortie d’école d’ingénieur. Il trouvait à l’époque que lesoutils dont il disposait au bureau étaient de bien meilleurequalité que ceux qu’il utilisait chez lui : un ordinateur pluspuissant, une connexion internet à haut débit, des outilsbureautiques performants… Il s’extasiait devant les projetsqu’il menait pour une grande banque d’affaires : rendreaccessibles certaines applications sur les ordinateurs porta-bles d’une partie des commerciaux en déplacement. Six ansplus tard, il constate que tout ceci est dépassé. Bien sûr, sonemployeur lui a fourni un Blackberry pour accéder à sesmails professionnels. Mais son ordinateur personnel portableavec wifi est plus puissant que celui dont il dispose aubureau. Ce dernier n’est d’ailleurs équipé ni de wifi, ni deBluetooth. « La sécurité, tu comprends », lui répond-on au

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service informatique quand il se plaint, de retour d’unvoyage d’affaires. Alex trouve que ses outils personnels,comme le chat et la téléphonie sur l’internet, sont plus per-formants que ceux qu’il trouve à l’intérieur du firewall, cemur de protection virtuel qui sépare le réseau de son entre-prise du monde extérieur. Et, comme beaucoup de ses cama-rades, il commence à le faire savoir et à détourner les règlesdevenues trop contraignantes pour lui. Petits détours, maisd’importance : il part un peu plus tard de chez lui le matinpour chater avec ses collègues basés à l’étranger, car il ne peutpas le faire au bureau. Il a posté son profil sur LinkedIn, lesite de réseau social pour professionnels, ainsi que bons nom-bres de ses collègues, au détriment des procédés classiquesde ressources humaines. Cela l’aide à monter des missions età réunir les bons collaborateurs pour répondre aux besoinsd’un client. Et si cela permet aussi de trouver un meilleurposte ailleurs, il ne ferme pas la fenêtre… Dommage pourl’entreprise qui n’a pas su lui proposer les bons outils. Il faitsuivre des courriels sur sa messagerie électronique person-nelle pour les traiter plus tard, chez lui, et profiter de sesoutils favoris pour améliorer les pièces jointes sur lesquellesil travaille. Certains contiennent des données sensibles, maisil n’a pas vraiment d’autres moyens s’il veut boucler ses dos-siers sans passer la nuit au bureau.

Il est aujourd’hui possible de transférer « dans les nua-ges », c’est-à-dire sur le web, la quasi-totalité des données etdes applications nécessaires au fonctionnement d’une entre-prise. Cela offre de nombreux avantages : souplesse de ges-tion, coûts réduits, collaboration plus ouverte avec lesemployés, les partenaires et les clients. Cela a aussi des incon-vénients et des risques : perte de la maîtrise du stockage desdonnées, abandon d’une partie des outils de production,moindre sécurité notamment. Pourtant, le mouvement estinéluctable. Car, au-delà du simple intérêt technique quereprésentent ces outils, ils sont au service d’un plus granddessein. Un mouvement qui est poussé par les collabora-teurs eux-mêmes, comme on le voit avec l’exemple d’Alex,mais surtout soutenu par une nécessité d’ouverture et de

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collaboration accrue dans les modes de production et de dis-tribution des entreprises d’aujourd’hui.

Il y a en effet une double tension : désir croissant desemployés d’utiliser les outils qu’ils ont adoptés chez euxpour « collaborer » et se socialiser d’une part, et nécessitéfaite à l’entreprise de favoriser plus d’ouverture et de colla-boration pour rester compétitive d’autre part.

Grâce aux avancées du web, les outils sont disponiblespour répondre à ces deux mouvements. Sont-ils suffisants ?Peut-on réellement travailler aujourd’hui sur le réseau, ou« dans les nuages », selon l’expression américaine ? Nous leverrons. Mais nous devons constater que se développe ce quenous appellerons, avec un éditeur de logiciel d’entrepriseaméricain comme BEA, l’« entreprise liquide ». Le webd’aujourd’hui s’accommode mal de frontières trop rigides.

LA PRESSION VIENT DE L’INTÉRIEUR : LES FRONTIÈRES POREUSES DE L’ENTREPRISE

Tim O’Brien, qui dirige la stratégie de plateforme de Micro-soft, précise que « le grand public pousse à l’intérieur del’entreprise les applications et les services qu’il utilise dans savie personnelle. Et il le fait d’une façon qui exerce une pres-sion un peu anarchique sur les départements informati-ques2 ». Sous la poussée du web, l’entreprise devient poreuseet des tensions fortes apparaissent avec les règles et les rigidi-tés des systèmes en place.

Cette demande interne pour les nouvelles technologiesn’est pas dictée par des besoins strictement liés aux proces-sus de production ni aux métiers de l’entreprise, mais pardes habitudes issues des usages grand public des techno-logies web. L’entreprise, qui a instauré des politiques, desrègles, des bonnes pratiques pour contenir son systèmeinformatique derrière un mur protecteur, se voit confrontéeà cette demande de porosité venue de l’intérieur de ses fron-tières.

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Les mécaniques institutionnelles mises en place par lesentreprises, et notamment la distinction forte entre l’interneet l’externe marquée par le firewall (littéralement, « pare-feu »), sont mal adaptées pour répondre à ce type de pres-sions. Si l’entreprise s’est plutôt bien protégée des agressionsexternes, elle n’est pas prête à résister aux pressions internes.Aussi, les « fuites » se multiplient-elles : transfert de cour-riels vers l’extérieur, usages d’outils personnels peu sécurisésà des fins professionnelles. Bref, les rustines classiques nevont bientôt plus suffire, et c’est le concept même de fron-tière informatique qui va devoir être revisité.

Simultanément, les directions informatiques des entrepri-ses se trouvent confrontées à une nouvelle série de défis : com-ment ouvrir davantage le réseau interne sur l’internet ? Lefirewall est-il encore un concept pertinent, ou faut-il concevoirdes systèmes de protection étendus ? L’entreprise peut-elleencore être une forteresse numérique ou doit-elle migrer« dans les nuages » ? Les outils du web, indispensables, sont-ils suffisants ? D’autant que la pression ne vient pas que descollaborateurs. Elle vient aussi du marché, des clients, et desnouveaux modes de production, beaucoup plus ouverts et col-laboratifs.

LA COLLABORATION AU CŒUR DE L’ENTREPRISE : VERS DES MODES DE PRODUCTION PLUS OUVERTS

Les R & D sont stratégiques dans un grand nombre de sec-teurs, de l’aéronautique à la pharmaceutique. À ce titre,l’entreprise les a longtemps considérés comme une chassegardée à protéger jalousement. À la fin des années 1990,une société comme Procter & Gamble consacrait près de2 milliards de dollars à ses R & D. Aujourd’hui, pour fairebaisser les coûts, mais aussi pour accroître sa capacitéd’innovation, nombreuses sont les entreprises, y comprisProcter & Gamble, qui font appel à des collaborations tota-lement externes qu’elles trouvent par exemple sur le site

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InnoCentive.com. Là, elles peuvent proposer aux webacteursdes problèmes qu’elles ont des difficultés à résoudre, oumettre en concurrence leurs équipes internes avec l’« exté-rieur ». N’importe qui peut offrir sa contribution. Les pro-positions retenues sont récompensées. Lancé par le géantpharmaceutique américain Eli Lilly en 2001, InnoCentiveest utilisé aujourd’hui par plus de trente-cinq sociétés parmiles 500 plus grandes au monde, comme Boeing, Dow,DuPont ou Novartis. Un des effets les plus importants tientau partage d’informations, y compris stratégiques, que celaimplique. L’entreprise ouvre ses informations sur le monde,pour en tirer plus de valeur. Car la valeur ne vient plus de lapossession de l’information, mais de son partage.

Le contexte des R & D, de la production et de la vente, aprofondément changé pour les entreprises, notamment avec ledéveloppement de l’internet. Thomas Friedman, dans sonlivre La terre est plate3, propose une analyse de ce mouvement :« autour de l’année 2000, nous sommes entrés dans une èrecomplètement nouvelle […]. La dynamique qui donne à cettenouvelle ère son caractère unique tient au pouvoir donné auxindividus de collaborer et d’être en compétition à une échelleglobale. Et l’outil qui permet à ces forces individuelles et auxgroupes d’agir globalement est le logiciel – toute sorte denouvelles applications – en conjonction avec la création d’unréseau de fibre optique mondial qui fait de chacun de nousdes voisins de palier4 ». Au-delà des aspects économiques deces changements, cela a des impacts organisationnels fortspour l’entreprise. L’adaptation à ce contexte implique davan-tage de collaboration. Plus l’entreprise dispose de procédésbien arrêtés, de ce que nous appelons une « mécanique insti-tutionnelle forte », plus l’adaptation sera difficile. Ce sont lesméthodes de travail et le fonctionnement opérationnel quisont amenés à changer.

C’est maintenant une banalité : après l’ère agricole et l’èreindustrielle, nous entrons dans l’ère de la connaissance5.Dans son ouvrage consacré au sujet, le consultant CharlesSavage prévoit qu’à l’avènement de cette ère, 2 % de lapopulation active seulement se consacreront à l’agriculture

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et 10 % à l’industrie. Les autres seront des travailleurs dusavoir. L’arrivée de cette catégorie relativement nouvelle cor-respond à une transformation de la façon dont les richessessont produites, et implique de profondes réorganisationsdans tous les secteurs.

IBM est une des entreprises qui va aujourd’hui le plus loindans ce domaine. La société révise son modèle d’affaires.Après la vente de sa branche PC en 2005, le géant de l’infor-matique oriente sa stratégie vers les services et se lance dans letravail collaboratif. Au point d’investir massivement dans lesunivers virtuels pour créer des places d’échanges et de colla-borations pour les salariés. IBM a choisi la plateforme Second-Life, sur laquelle elle a investi plus de 10 millions de dollars.C’est une vitrine de son savoir-faire, mais surtout un espacepour les salariés et les clients. IBM y a ainsi créé des salles deconférences et déjà plus de 200 employés travaillent à pleintemps dans le monde virtuel. Quel avantage ? Plus besoind’être au même endroit pour se rencontrer et collaborer. Lesfrontières, les nationalités, tout a disparu pour une gestionentièrement orientée vers le partage et les projets. Pourautant, les observateurs de SecondLife constatent un décalageentre le succès médiatique et l’intérêt réel des webacteurs.Encore bien vide, cet univers virtuel ! Et avec de grandesincertitudes sur sa performance technologique qui limite parexemple le nombre de personnes pouvant collaborer en mêmetemps dans un même espace virtuel. Il y a encore du travail…

L’ÉMERGENCE DE L’ENTREPRISE EN RÉSEAU

On comprend mieux l’évolution d’un nombre importantd’entreprises de pointe en les abordant comme des entre-prises en réseau. Elles ont besoin de collaboration, y com-pris avec des sociétés qui ont des produits proches desleurs, pour pouvoir produire les biens et les services deplus en plus complexes qu’elles proposent. C’est le cas parexemple dans le domaine du logiciel, de la chimie, ou de

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l’aéronautique. Elles ont aussi besoin d’intégrer lesconsommateurs dans les processus de productions et de dif-fusions de leurs produits. John Hagel (consultant et auteurreconnu) et John Seely Brown (ancien directeur du fameuxcentre de recherche Xerox PARC) parlent de « réseaux deprocessus globaux » (global process networks) pour qualifier cemouvement6.

Le « pouvoir accru des consommateurs » joue un rôledéterminant dans les « réseaux de processus globaux ». Sousla pression de la concurrence et de la demande accélérée duconsommateur pour des produits nouveaux, il semble plusopportun de présenter des plateformes sur lesquelles les per-sonnes viennent se servir en fonction de leurs besoins enévolution constante que de « pousser vers eux » des produitsqui ne les intéressent pas nécessairement. La plateforme detéléchargement de musique iTunes, développée par Apple,illustre bien ce modèle. Toute (ou presque toute…) la musi-que et toutes les vidéos sont disponibles sur iTunes, sansvolonté forte de pousser plus un auteur qu’un autre. À cha-cun d’y faire ses choix et de proposer aux autres ses propreschoix. On ne pousse pas un produit au consommateur, onl’incite au contraire à explorer l’infini des possibles et à pro-poser ses propres préférences.

C’est encore plus vrai quand les clients disposent « des ins-truments pour créer leurs propres outils et leurs propres ser-vices, court-circuitant ainsi des couches entières de vendeursde produits et de services7 ». Les tags, blogs et autres podcastsen fournissent de brillants exemples dans le domaine desmédias et de l’enseignement en ligne. Les réseaux sociaux,comme Facebook, dont le contenu (y compris de nombreusesapplications) est entièrement généré par les utilisateurs, ensont également une bonne illustration.

La valeur de ces nouveaux modes de production tient au faitqu’ils « suscitent l’innovation, accroissent les opportunités decollaboration et sont bien plus efficaces en termes de mobili-sation des ressources de tiers », poursuivent Hagel et SeelyBrown. Le modèle qu’ils proposent permet d’expliquer plusclairement pourquoi la force d’une entreprise dépend « moins

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de ce qu’elle possède et davantage de sa capacité à mobiliser lesressources d’autrui ». iTunes ne produit pas de musique ou devidéo, et n’en possède pas non plus. La plateforme se contentede mobiliser les ressources des musiciens et de leurs produc-teurs pour les proposer au plus grand nombre.

Nous en sommes encore au tout début de ce nouveau« modèle de bon sens ». Mais les plateformes pull (commeiTunes, Facebook ou Innocentive) devraient s’imposer pourau moins deux raisons déterminantes à l’heure de l’internetet de l’économie des connaissances.

D’abord, elles contribueront à l’accélération de notre chan-gement d’identité à mesure que nous passons « de consomma-teurs à créateurs connectés en réseaux8 ». Ensuite, « les modèles“pull” de mobilisation des ressources sont essentiels pourdonner son plein essor à l’économie de la “longue traîne”9 »,une des briques les plus importantes du web d’aujourd’hui,qui permet de parier sur les différences par opposition à laproduction de masse et de passer à une économie en réseaux,plus flexible et plus diversifiée.

Le besoin fort de collaboration, pour améliorer les modesde production, de vente et de prise en compte des besoins desclients, s’exprime de plus en plus et dans des secteurs trèsvariés. Plus l’entreprise s’ouvre à la collaboration, plus elle enbénéficie. C’est ce que fait Procter & Gamble en ouvrant sonprocessus de recherche et développement à des collaborateursextérieurs. Collaboration des clients, des fournisseurs et despartenaires. Mais aussi collaboration des webacteurs. Le jour-naliste et essayiste Thomas Friedman en exprime le plus sim-plement la raison profonde : « Dans un monde plat, de plusen plus de business sera fait en collaboration, à l’intérieur etentre entreprises. Pour une raison simple : la création devaleur – que ce soit en technologie, marketing, biomédecineou production manufacturée –, sera si complexe qu’aucunesociété ou département ne sera capable de le faire seul10. ».

Il y a un préalable pour que tout ceci fonctionne. L’entre-prise doit se doter de nouveaux outils : outils de collabora-tion, de participation, outils connectés et ouverts. Les outilsdu web d’aujourd’hui.

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LES NOUVEAUX OUTILS DU WEB : LE FAUX PROBLÈME DE L’ENTREPRISE ?

Les outils relationnels dans l’entreprise

Selon une étude publiée en 2006 et réalisée auprès de 275 responsablesinformatiques, l’outil relationnel le plus apprécié par les entreprises est lamessagerie instantanée (37 % estiment qu’elle apporte une « valeursubstantielle »). Les flux RSS viennent juste derrière (23 % leur accordentune valeur substantielle), suivis par les podcasts (21 %), les wikis (14 %),les réseaux sociaux (13 %) et les blogs (11 %). Autant d’outils déjà établisdans la vie courante, dont on s’attend à ce qu’ils entrent inexorablementdans l’entreprise.

Andrew McAfee, professeur de gestion à l’université d’Har-vard, est le premier à avoir tenté d’apporter une explicationraisonnée des impacts du web sur l’entreprise. L’une de sesprincipales recommandations est que « les spécialistes destechnologies de l’entreprise 2.0 ne doivent pas essayerd’imposer aux utilisateurs des idées préconçues sur la façondont le travail devrait être fait ou comment les résultatsdevraient être organisés ou structurés. À la place, ils doiventconstruire des outils qui laissent ces aspects, spécifiques ausavoir-faire des métiers, émerger seuls11 ».

Son approche, qu’il intitule « entreprise 2.0 », regroupeles technologies de l’entreprise en six composants12 dont laliste est dressée sous l’acronyme Slates. Sans grande surprise,ceux-ci recoupent pour l’essentiel les outils mentionnés ci-dessus dans l’étude de Forrseter : search (outils et moteurs derecherche), links (liens), authoring (capacité d’écrire et publier),tags, extensions (liens améliorés et systèmes automatiques derecommandations contextuelles), signals (signaux indiquantles contenus nouveaux ou rafraîchis, surtout les flux RSS).

Nous nous arrêtons ici sur les trois principaux : les outilset moteurs de recherche, ceux qui permettent le dévelop-pement des liens, et les outils de publication. Les autres,

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plus simples à mettre en œuvre, présentent un défi moinsimportant pour l’entreprise d’aujourd’hui.

Les outils et moteurs de recherche

Plusieurs études montrent que l’accès à l’information dansl’entreprise n’est pas efficace. Selon le Pew Internet & Ame-rican Life13, 87 % des personnes ayant fait des recherchessur l’internet s’estiment satisfaites des résultats14, contre44 % à peine pour l’intranet de leur société, selon une étudede Forrester15 qui complète celle du Pew Internet. L’accès àl’information est évidemment la première brique de la col-laboration. Or, le chemin est encore long au sein des entre-prises. Plusieurs raisons à cela :

◆ l’accès à l’information est souvent perçu comme un enjeude pouvoir, lié à la position hiérarchique. Son partagen’est pas encore évident ;

◆ les technologies de recherche de l’information au sein desentreprises sont plus complexes que sur le web : informa-tions non structurées, stockées dans des bases de donnéesqui ne communiquent pas, gestion des accès sécuriséssont autant de problèmes qui n’existent pas sur le web,ou qui ne sont pas visibles tant la masse d’informationsdisponibles est grande ;

◆ il faut être capable d’accéder à toute l’information pourpermettre des prises de décision et des collaborations bieninformées. Or, les moteurs de recherche d’aujourd’hui nesont pas capables, pour des raisons techniques notamment,d’accéder à toutes les données. On estime aujourd’hui quele web dit « invisible » (qui n’est pas vu par les moteurs derecherche) représente 70 à 75 % de l’ensemble, soit envi-ron un trilliard de pages non indexées16 ! Ce qui n’est pasencore un véritable problème pour l’internaute, qui peut secontenter bien souvent de l’approximation et d’une vuepartielle, l’est pour l’entreprise, qui a besoin de précision etd’exhaustivité.

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Les liens

Pour rendre les données intelligentes et utiles, il faut êtrecapable d’analyser les liens qui les connectent entre elles,explique McAfee.

Les technologies existent et sont même largement dispo-nibles pour le grand public. C’est ce que font les moteurs derecherche. Mais leur pertinence est-elle suffisante pour unfonctionnement en entreprise ?

L’analyse des liens présuppose leur existence. Or, l’examend’un certain nombre d’intranets de grandes entreprises montreque l’absence de liens entre documents constitue la norme.Lorsqu’ils existent, les liens ne sont pas le fait des auteurs desdocuments, mais des techniciens en charge de l’administrationdes sites. L’enrichissement de ces liens, indispensable à l’émer-gence d’un sens cohérent pour tous les membres de l’organi-sation, suppose que l’intranet ouvre son administration à ungrand nombre d’utilisateurs et de contributeurs, car seule laconnaissance intime et intelligente du métier peut donner dusens aux différentes informations disponibles. L’analyse desliens présuppose aussi l’accès à un grand nombre de docu-ments, qui permette de créer un réseau suffisamment dense etcomplexe pour faire sens. Les barrières ne sont pas techniques :l’ouverture des bases de données, une plus grande publicationet circulation des documents peuvent le permettre. Les bar-rières sont plutôt organisationnelles et politiques, et donc dif-ficiles à dépasser.

Les outils de publication

Les outils de publication existent en grand nombre et sont,pour l’essentiel, gratuits ou presque. Les deux plus impor-tants sont les blogs, pour la publication individuelle ou depetits groupes, et les wikis, pour la collaboration sur desdocuments.

Mais qui sait utiliser blogs et wikis ? Si le webacteur yrecourt par choix personnel et volontaire, rien de tel n’a lieudans l’entreprise. Il faut changer les habitudes et assurer un

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niveau homogène de formation, au risque de créer une entre-prise à deux vitesses.

Le wiki de Fidelity

Fidelity est une entreprise américaine de courtage d’actions, qui s’est lan-cée de façon très proactive dans les nouvelles technologies. Elle est enavance dans l’utilisation des outils web pour ses collaborateurs, et par-tage volontiers son expérience17.

Chez Fidelity, c’est le wiki, ce fameux système de gestion de contenuqui rend les pages publiées modifiables, qui a connu le plus grandsuccès. Créé en 2005, il comportait mi-2007 plus de 10 000 articles,8 000 utilisateurs (un employé sur quatre), 80 000 pages éditées et retra-vaillées. Entre 200 et 1 000 pages sont éditées chaque jour et cinquantenouveaux utilisateurs conquis quotidiennement.

Le responsable du Fidelity Labs, le laboratoire de recherche de Fide-lity, indique à propos de l’utilisation des wikis: « fondamentalement, lesgens veulent partout partager de l’information. Que ce soit sur le web ouà l’intérieur de l’entreprise. La productivité ou les bénéfices sont difficilesà mesurer, mais ils sont très importants. Il est très rare de trouver desoutils que les salariés veulent utiliser dans l’entreprise sans y être forcés.Dans ce cas, les collaborateurs commencent à l’utiliser, sans l’implicationautoritaire des dirigeants18. »

Parmi les défis, il précise :« Cela a commencé comme un mouvement anarchique, et nos diri-

geants ont encore du mal à le comprendre. Il y a trois ans, la plupart descollaborateurs ne savaient pas ce qu’était un wiki, et la formation de labase de l’entreprise vers le sommet est un processus très lent. Nouscommençons à peine à comprendre que les moteurs de recherche sontla porte d’entrée de toutes les interactions sociales. »

En 2006, le Fidelity Labs a été ouvert à tous sur le site fidelity-labs.com, proposant aux webacteurs de tester de nouveaux outils et dedonner leur avis.

L’approche par les outils est importante. Ces derniersne permettent cependant pas d’expliquer tous les enjeux.McAfee passe notamment largement sous silence les ques-tions d’organisation et de formation. Or, pour que cesoutils permettent à l’entreprise de s’adapter à l’économieet à la compétition d’aujourd’hui et de demain, il faut

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aussi qu’elle se réorganise. Les outils ne sont qu’un desmoyens, le dernier, de cette réorganisation.

À cela, il faut ajouter que McAFee se concentre sur cer-tains outils et qu’il en écarte d’autres comme les systèmesd’exploitation et la bureautique qui ont un impact fonda-mental sur la façon dont l’entreprise travaille, se développe,collabore et s’ouvre sur l’extérieur. Sur le web (« dans lesnuages »), les outils proposent essentiellement les mêmesfonctionnalités que lorsqu’ils sont hébergés à l’intérieur dufirewall de l’entreprise. Mais ils ajoutent alors de puissantespossibilités de collaboration, d’ouverture et de mobilité, enmême temps qu’ils permettent de réduire les coûts. Ce fai-sant, ils posent aussi de sérieux défis à l’entreprise, notam-ment en matière de sécurité.

McAfee a fait l’impasse sur la question de l’accès auxdonnées, qui, lorsqu’il est simplifié et ouvert, donne unetout autre dimension à la collaboration.

L’ENTREPRISE « DANS LES NUAGES »

Intalio figure parmi ces sociétés prometteuses de la SiliconValley spécialisées dans la gestion des processus métiers (busi-ness process management). Installés à Palo Alto, les dirigeantsd’Intalio ont décidé de ne travailler, dans la mesure du pos-sible, que « dans les nuages », sur le web. Pas de logiciels ins-tallés sur les ordinateurs de la société ; pas de donnéesstockées sur les disques durs. Tout se fait avec des outils enligne. Le système de courriel est entièrement basé sur le web.Les données relatives au suivi de la relation de clientèle aussi.

Pourquoi ignorer ce que plus de 98 % des entreprisesutilisent encore quotidiennement, comme Microsoft Officeou Outlook ? Économie de licences ? Assurance d’avoir enpermanence les derniers logiciels à jour, sans se préoccuperd’acheter les nouvelles versions ni de gérer les migrationsou les problèmes de compatibilité ? Sans doute, en partie.Au-delà de ces avantages directs, il y en a d’autres, induits.

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Ces outils permettent à Intallio d’offrir plus de mobilitésaux collaborateurs, qui accèdent à toutes les données quelque soit l’endroit où ils se trouvent. Ils peuvent les partageren temps réel entre eux ou avec les clients de l’entreprise. Ilsbénéficient ainsi complètement des avantages liés à ladynamique relationnelle permise par les outils du webd’aujourd’hui.

Autre exemple : Crayon, une agence de marketing offi-ciellement basée à New York et créée en octobre 2006, orga-nise l’essentiel de ses activités dans SecondLife, la plateformevirtuelle en trois dimensions. Leur adresse physique n’estqu’une boîte aux lettres. Les collaborateurs sont répartis unpeu partout aux États-Unis et en Grande-Bretagne, et se réu-nissent… dans les bureaux virtuels de la société. Crayondonne même rendez-vous à ses clients dans ses salles de réu-nion sur SecondLife. Les avantages sont nombreux : ils fontl’économie des bureaux physiques, mais ont la possibilité dese retrouver et d’échanger en permanence. Un gain de tempsnon négligeable. Et une forte interactivité. Avec l’introduc-tion de la voix, l’expérience de travail est étonnante de réa-lisme. Même chose pour l’équipe de designers regroupéedans l’Electric Sheep Company. Pour travailler avec eux, leplus simple est encore de se « téléporter » sur leur île vir-tuelle, la Sheep Island19…

Les expériences de travail sur le web sont-elles réservéesaux petites entreprises ? Pas si sûr. Nous avons déjà men-tionné le cas d’IBM et de son investissement dans SecondLife,pour expérimenter la collaboration et le travail complètementvirtuels.

Cette tendance forte invite à se poser de nombreusesquestions.

Qu’est-ce que travailler « dans les nuages » ?

Le concept peut sembler flou, voire ésotérique. Pourtant, leweb, dans sa forme actuelle, a un avantage déterminant :plateforme interactive, il peut accueillir les données et enenrichir la valeur, grâce à la dynamique relationnelle qu’il

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favorise. En portant les données de l’entreprise et les outilsnécessaires à leur utilisation sur cette plateforme, on chercheà tirer le meilleur parti des effets de réseaux rendus possiblespar le web. Cela doit être créateur de valeur. Laquelle ? C’estce qui reste à démontrer.

Ce qui est bien pour une petite entreprise est-il valable pour une grande ?

Les petites entreprises semblent des candidats assez naturels.Leur informatique est souvent plus souple, plus simple,moins soumise aux contraintes du système établi. Elles sontaussi plus fragiles face aux changements, et sensibles auxpromesses d’économies et de gains de productivité. C’estplus difficile a priori pour une grande entreprise, qui doitgérer un patrimoine informatique fait d’éléments accumulésau fil du temps pour constituer ce qu’on appelle courammentle « plat de spaghettis » tant il est complexe. La sécurité,l’ampleur des investissements, la gestion des changements etdes habitudes de travail : autant de freins, qui rendrontl’adoption progressive des nouveaux outils plus lente. Pro-bablement même beaucoup plus lente. Mais pourtant inexo-rable…

Peut-on travailler tout le temps « dans les nuages » ?

Une des questions récurrentes de ce livre tient au temps de dif-fusion et d’adoption des technologies du web d’aujourd’hui,ainsi qu’aux conditions nécessaires pour que ces évolutionsfonctionnent au quotidien. Cela pose les questions deconnexion à l’internet, de synchronisation de nos données, dedisponibilité et de compatibilité des outils, de sécurité etd’intégrité des données. Aujourd’hui, il n’est pas encore pos-sible de travailler en permanence en ligne. Mais demain ? Àquelle échéance ? Si le mouvement est en cours, jusqu’où ira-t-il et en viendra-t-on, comme ces quelques salariés d’IBM, àne travailler que « dans les nuages », voire uniquement dans

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un monde virtuel ? Le besoin de collaboration accrue passenécessairement par plus d’ouverture sur le web. Celui-cidevient l’outil privilégié de la relation. Il est porteur de nou-velles façons de travailler et de créer de la richesse.

Cela suppose donc, au minimum, que les outils les plusimportants de l’entreprise soient accessibles « dans les nua-ges ». Du système d’exploitation aux dispositifs orientésvers les spécificités et les besoins des métiers, les outils doi-vent êtres accessibles de partout.

Zoho et ThinkFree

Parmi les nouveaux éditeurs de bureautique « dans les nuages », deuxs’annoncent particulièrement prometteurs.

Zoho propose notamment une suite encore plus complète queMicrosoft Office. C’est gratuit, pour l’offre de base, et très peu cher pourdes offres plus complètes, avec de plus grandes capacités de stockage.Avec plusieurs avantages, liés au fait que nos documents sont héber-gées en ligne : aucun téléchargement n’est nécessaire, on y accèdedepuis n’importe quel ordinateur et on peut partager ses documentscomme on l’entend. Tellement plus pratique que de s’échanger desmails avec pièce jointe, qui sont lourds à gérer, et qui nécessitent unegrande attention aux différentes versions. Avec, en plus, la garantie detravailler sur un document toujours à jour.

ThinkFree va plus loin, en permettant la synchronisation des donnéesentre l’ordinateur et les documents en ligne. Pratique, quand on souhaiteemporter lesdits documents pour travailler dans un lieu dépourvu deconnexion à l’internet. ThinkFree offre aussi une version serveur, quel’entreprise peut héberger en interne pour un prix négligeable par rapportau coût des licences Microsoft.

Bien sûr, il ne serait pas juste d’omettre ici les efforts de Google, avecsa suite Google Docs qui propose une application dédiée, mais payantepour les petites entreprises, et une version gratuite pour tous. Mentionnonsaussi les éditeurs d’outils « dans les nuages », comme Salesforce.com, quipropose notamment des outils de gestion de la relation client très puissanten ligne, ou son concurrent Sugarcrm.com.

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La sécurité et la fiabilité sont-elles garanties « dans les nuages » ?

Ces nouveaux outils sont simples à utiliser et bon marché,voire gratuits. Alors pourquoi une telle lenteur de déploie-ment en entreprise ? Les inquiétudes des départements infor-matiques se résument en deux mots : fiabilité et robustesse.

La problématique de la sécurité est difficile à résoudre.D’une certaine façon, c’est l’entreprise qui sort de sonréseau, de son enveloppe protectrice (le fameux firewall),pour s’installer « dans les nuages ». Il peut notamment yavoir un sentiment de perte de maîtrise et cela nécessite deschoix stratégiques difficiles à effectuer. Comment s’assurerde l’intégrité des données, de leur préservation, de toutes cesattaques que subissent les entreprises, notamment les gran-des ? Ces questions sont loin d’être résolues, et vont nécessi-ter des arbitrages en matière de prise de risques, au regarddes avantages réels que présente l’utilisation des outils duweb d’aujourd’hui. En parallèle, les progrès techniques poursécuriser ces espaces « dans les nuages » vont aussi, avec letemps, apporter des solutions fiables, qui permettront dedépasser ce problème. Les techniques de cryptage, par exem-ple, prouvent leur robustesse. Même si la sécurité est unchallenge permanent, un chemin à parcourir constammentplus qu’une fin.

Un second élément fréquemment évoqué tient à l’évolu-tion des outils dans le temps. Les besoins de l’entreprisechangent, alors qu’elle grandit, acquiert de nouveaux clients,développe de nouveaux produits. Les outils ont besoin d’évo-luer avec les besoins changeant de l’entreprise. Or, s’ils sont« dans les nuages », l’entreprise n’en maîtrise pas bien lesévolutions. Les outils choisis, les solutions hébergées à l’exté-rieur de l’entreprise, doivent êtres suffisamment robustes etsouples pour s’adapter à l’évolution des besoins de l’entre-prise. C’est loin d’être encore garanti, et cela incite encore ungrand nombre d’entreprises à privilégier des solutions plustraditionnelles, proposées par les éditeurs « classiques » desolutions d’entreprises.

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Les éditeurs traditionnels, qui vendent des licences, ont-ils intérêt à accompagner les entreprises « dans les nuages » ?

Les éditeurs traditionnels freinent aujourd’hui ce mouve-ment, même s’ils ne peuvent pas l’ignorer. En mettant lesoutils en ligne, on passe à une facturation du service et deson utilisation plutôt qu’à la vente de licence. C’est unchangement considérable pour les éditeurs, qui ont l’habi-tude de concentrer leurs efforts sur les R & D, puis sur lacommercialisation de produits clés en main, s’assurant ainsiune sorte de rente. Avec la facturation au service et à l’utili-sation, les revenus sont plus étalés dans le temps, les R & Ddoivent être faits en continu, et il faut assurer une qualité deservice permanente, surtout si l’application est hébergéechez l’éditeur. C’est un nouveau métier, un nouveau systèmede distribution, et un autre modèle d’affaires. Les princi-paux éditeurs n’aiment pas beaucoup cela. Or, ils ont un rôleimportant dans le développement de l’informatique desentreprises, principalement des grandes.

On est en droit de se demander s’il est bienvenu de fairereposer toute une organisation sur des outils encore incertains,qui posent des questions de fiabilité, de sécurité, de robustesse.Mais le problème pourrait tenir plutôt à des différences depoint de vue. Trop concentrés sur les nodes du réseau, points deconvergences des flux de l’entreprise, et sur les outils, points detraitement des données circulant, oublions-nous de regarder lesflux eux-mêmes ? Grâce au transfert « dans les nuages », nousassistons à la naissance d’une entreprise dont les frontières sedissipent et qui tire de la valeur de la libre circulation des don-nées, bien plus que de leur maîtrise. Une entreprise liquide ?

L’ENTREPRISE LIQUIDE

Un réseau est composé de liens et de nœuds, ou nodes pourreprendre l’expression américaine, que nous préférons car elleest moins ambiguë. Un réseau informatique, ou l’internet,

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répondent à ces caractéristiques. Alors que l’informatique del’entreprise s’est beaucoup préoccupée des nodes des réseauxdonnant l’accès au web, souvent pour les verrouiller pour desraisons de sécurité, le temps est venu de proposer une nou-velle vision : l’analyse des flux de données et d’informations.En effet, nous avons vu que les flux d’informations et de don-nées doivent circuler de plus en plus librement à l’intérieur del’entreprise, comme entre l’intérieur et l’extérieur, si l’entre-prise tient à intégrer le mode collaboratif et relationnel dontelle a besoin pour rester compétitive. Cette nécessité stratégi-que pour rester dans la compétition, c’est l’entreprise liquide.

Revenons à Procter & Gamble. Malgré ses 7 500 cher-cheurs, l’entreprise n’arrive pas à suivre le rythme nécessairepour lancer suffisamment de produits sur le marché et resterdans la course : en cinq ans, il s’est lancé deux fois plus deproduits que pendant les cinq années précédentes. Don Taps-cott et Anthony Williams, les auteurs de Wikinomics20 rappor-tent qu’Alan Lafley, le directeur général du groupe, a décidéde ne pas recruter plus de chercheurs, mais a demandé à sespatrons d’unités d’aller chercher 50 % de leurs nouvelles idéeset produits en dehors de la société. Sur des sites comme Inno-centive, et auprès d’inconnus. Plutôt que de se concentrer surle « node du réseau », ce qui ferme et protège ses R & D dureste du monde et de ses concurrents, il a au contraire décidéd’ouvrir les portes. Grâce au web. Ce n’est plus la maîtrise dunode du réseau qui compte pour lui, mais la capacité de capterun maximum de flux d’informations et de les agréger pourcréer de nouveaux produits.

Autre exemple, le site de gestion de fonds mutualisésMarketocracy.com. Plutôt que d’embaucher, à prix d’or,quelques dizaines d’experts pour analyser tous les fluxd’informations et prendre les bonnes décisions d’investis-sement, le site demande à 70 000 petits investisseurs degérer des portefeuilles virtuels. Il prend ses décisionsd’investissement en analysant et en agrégeant les décisionsde ses milliers d’experts amateurs. Il est plus performantque tous les indices de référence. Et ses coûts sont évidem-ment minimes.

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Une des difficultés majeures pour comprendre le mouve-ment en cours tient à une focalisation forte des analystes,comme McAfee, sur les outils d’une part, et à une conceptua-lisation un peu rapide et finalement peu convaincante d’autrepart. L’entreprise 2.0 serait celle qui utilise les outils 2.0 pourplus de collaboration. La démonstration est un peu courte.

En effet, l’approche par les outils concentre l’attentionsur les nodes du réseau, alors que la relation et la collabora-tion naissent de la libération des flux. L’outil se place sur unnode pour permettre le traitement de la donnée. Il est néces-saire. Mais il n’est pas la collaboration. C’est le flux quicompte, la façon dont la donnée circule et s’enrichit qui estl’élément d’analyse central.

Dès lors, se poser la question du firewall, le node centraldu réseau de l’entreprise, perd de son importance quand onveut comprendre le mouvement en cours. Cette question,somme toute technique, se réglera avec le temps, la pressiondes utilisateurs et la sécurisation des flux. Car c’est bien surla sécurisation des flux que l’entreprise efficace devra se pen-cher, plus que sur la construction de forteresses. Cela passerapar une attention plus grande aux données qui circulent, audétriment des tuyaux et des frontières, qui perdent de leursens au fur et à mesure que l’on accède à ses données defaçon ubiquitaire.

L’écosystème de l’entreprise est changeant. Chez Proc-ter & Gamble, des dizaines de milliers d’experts amateurspeuvent participer aux R & D de l’entreprise et lui apporterde la valeur sans figurer sur ses feuilles de paie. La géogra-phie est, elle aussi, remise en question par l’émergenced’une entreprise mobile, hors les murs, d’une entreprised’un « monde plat ». Même la production est affectée avecla participation des clients qui y sont associés comme nousl’avons vu dans le chapitre sur l’économie.

Au total, l’entreprise 2.0 produit de la valeur autrement,parce qu’elle sait tirer un vrai profit de la mise en relation etque les technologies lui permettent d’être plus efficace dansce domaine.

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Des freins demeurent. Dans son texte « Top 10 Manage-ment Fears about Enterprise Web 2.0. », le consultant enmarketing et blogueur Jerry Bowles21, précise qu’ils sont dedeux natures : technologique et culturelle.

Technologique, car de nombreuses questions demeurent surles outils, nous l’avons vu. Sécurité, fiabilité, maturité, acces-sibilité permanence, synchronisation des données : autant dedéfis qui sont encore à relever.

Culturelle et organisationnelle : l’ère de la collaborationreprésente un changement capital pour l’entreprise et sesdirigeants. Il est indispensable, mais il sera probablementtrès lent. Souvenons-nous de Jack Welsh, le charismatiquedirigeant de General Electric, demandant à ses troupes dedestroy your business (« détruisez votre business ») pour incor-porer ce qu’il avait déjà pressenti comme une révolution :l’arrivée de l’internet. Il faudra peut-être aussi en passer parlà. En tout cas, il faudra certainement beaucoup de pédago-gie pour faire entrer ces nouveautés dans les usages et la ges-tion de l’entreprise.

La parole à un expert : l’entreprise dans les nuages

Interview d’Ismaël Ghalimi, président d’Intalio et fondateur du salon Office 2.022

Comment définissez-vous le concept Office 2.0 ?C’est faire de la bureautique en utilisant un navigateur web plutôt qu’unlogiciel installé sur un ordinateur, et en stockant toutes les informationssur un serveur web quelque part « dans les nuages », plutôt que sur undisque dur. C’est l’idée du client léger : un ordinateur, avec le moinsd’applications dessus car tout est sur le web.

Quand les informations sont en ligne, il est beaucoup plus facile de lespartager. Et partager, c’est utile.

Office 2.0 et entreprise 2.0. Comment fait-on le lien ?Ce n’est pas exactement la même chose. Le concept d’« entre-prise 2.0 », créé par Andrew Mc Afee, concerne le développementd’une nouvelle génération de logiciels d’entreprise qui va s’intéresserbeaucoup plus aux aspects collaboratifs et peut-être un peu moins auxaspects transactionnels. Quand on regarde ce que les grandes entrepri-ses utilisent comme logiciels aujourd’hui, on trouve par exemple des

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ERP (gestion de la planification) et du CRM (gestion de la relation client).Ce sont des outils très transactionnels, qui gèrent des bons de com-mande, des feuilles de paie, des factures, etc. Cinq à 10 % desemployés d’une grande entreprise vont utiliser ces grands systèmes,lourds et complexes. Entreprise 2.0 s’intéresse aux besoins des 90 %restants, qui cherchent à développer des idées ensemble, monter etgérer des projets, partager la connaissance. C’est là que des technolo-gies de type blog ou wiki sont tout à fait intéressantes. Le terme « entre-prise 2.0 » catégorise ces phénomènes.

Si « entreprise 2.0 » désigne la collaboration, Office 2.0 désigne « lesdonnées dans les nuages ». Ce sont deux grandes tendances du nouvelunivers de travail. Il y en a d’autres, comme l’open source.

On dit aussi de l’entreprise 2.0 que c’est un phénomène qui émerge de la demande des employés, qui ne comprennent pas de ne pas pouvoir disposer au bureau des outils qu’ils ont chez eux…

Cette tendance est liée au fait que les systèmes d’information dans lesentreprises sont devenus de plus en plus complexes. L’entreprise ne peutplus s’en passer, les questions de sécurité sont devenues critiques etcela a introduit des rigidités fortes dans le système. Les utilisateurs setrouvent de plus en plus contraints dans leur informatique professionnelle,qui ne leur permet pas d’utiliser les outils qui leur sont devenus familiersdans leur univers personnel.

Un phénomène identique s’est produit dans les années 1980 avecl’introduction de l’ordinateur personnel. Dans les années 1970, les entrepri-ses n’avaient que des mainframe et des terminaux, et très peu de person-nes capables et autorisées à les utiliser. Les PC sont nés d’abord commedes projets de passionnés : l’Altair, ou le premier Apple 1. On ne les utilisaitqu’à la maison pour bricoler. Des responsables d’IBM se sont dit qu’il yavait là une tendance qui pourrait être utile pour l’entreprise, et en 1981, lePC est né. Les directeurs informatiques n’étaient pas forcément d’accordavec le déploiement d’ordinateurs personnels : ils redoutaient la complexitéde la gestion. Et c’est bien ce qui s’est passé. Un employé a acheté un PCet a fait du traitement de texte, un autre un Mac après 1984 pour faire dutableur, et cela s’est propagé. C’est uniquement à la fin des années 1980qu’une sorte d’organisation s’est mise en place. Mais ce PC, c’est l’utilisa-teur qui a d’abord indiqué ce qu’il voulait en faire, souvent en fonction desusages qu’il en avait à domicile et qu’il ne pouvait pas avoir sur le main-frame, auquel le plus souvent il n’avait pas accès. Il a fallu mettre de l’ordre,pour tout un tas de bonnes raisons notamment liées à la sécurité, et c’estdevenu très rigide. C’est aujourd’hui trop rigide et on a besoin d’une nou-velle révolution, comme il y a vingt ans.

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Comment voyez-vous les problèmes de sécurité « dans les nuages » ?

C’est un vrai problème. Il ne va pas disparaître, bien au contraire. Fina-lement, les directions informatiques vont devoir accepter les nouvellespratiques car il y a peu de moyens de lutter contre, et des couches desécurité différentes vont se développer. Par exemple, pour les e-mails,quand on aura besoin de services à valeur ajoutée de type chiffrement,signature électronique ou accusés de réception...

Mais, au fond, la sécurité est peut être un faux problème. On admetun peu communément que si on place ses données sur l’internet, il n’y aplus de sécurité, plus de respect de la vie privée... Je pense le contraire.Il me semble en fait que nos données les plus sensibles sont déjà sur leweb. Et je peux vous le prouver avec un exercice tout simple. Quellessont les deux choses immatérielles et non relationnelles que nous aime-rions perdre le moins ? Les données sensibles monétaires (de type coor-données bancaires) et les photos (tout ce qui est lié à la mémoire). Or,notre argent est à la banque, et nos photos sont sur des services detypes Flickr. La vraie question tient davantage à la confiance qu’on peutavoir dans le fournisseur de service.

Quel est le rôle de l’open source dans ce phénomène ?C’est un facteur d’accélération. Plus les architectures et les technologiessont ouvertes, plus vite ces technologies se développent. C’est une idéesimple : plus on ouvre l’accès, plus il est facile de trouver un développeurmalin pour corriger les problèmes. Et si celui-ci est encouragé à partagerses recherches, d’autres personnes s’en inspireront pour trouver dessolutions à d’autres problèmes. C’est un cercle vertueux. On l’a vu avecl’internet : le fait que ce soit un réseau ouvert, essentiellement gratuit etbasé sur des standards, lui a permis de se développer beaucoup plus lar-gement que n’importe quelle autre technologie propriétaire de type Mini-tel.

Les start-ups qui développent ces nouveau outils ont souvent trèspeu d’argent. Et elles s’en sortent en puisant dans l’arsenal open sourcepour développer leurs technologies, sans avoir à tout réinventer à chaquefois.

Là où l’open source est vraiment important, ce n’est pas tant surOffice 2.0 que sur le logiciel d’entreprise en général. Les vrais grandsconsommateurs de l’open source sont les entreprises à la recherched’économies de coûts d’achat, de maintenance et d’actualisation. Pourla première fois en sept ans, SAP vient d’annoncer une baisse de sesrésultats. Toute l’industrie du « grand » logiciel d’entreprise promet d’êtrebouleversée par ce phénomène dans les années à venir.

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LIENS VERS DES ARTICLES INTÉRESSANTS POUR COMPLÉTER LE SUJET

1. Le blog de Fred Cavazza : http://www.fredcavazza.net/2007/07/24/quest-ce-que-Je slentreprise-20/.

2. La note du consultant M.R. Rangaswami, du cabinet de conseil SandHill Group : http://sandhill.com/opinion/editorial.php?id=98.

3. La vidéo pédagogique du consultant anglais Scott Gavin : http://scott-gavin.info/?page_id=11.

4. Le blog d’Andrew Mc Afee : http://blog.hbs.edu/faculty/amcafee/index.php/faculty_amcafee_v3/the_three_trends_underlying_enterprise_20/.

5. L’article de Wikipedia sur le sujet : http://en.wikipedia.org/wiki/Enterprise_social_software.

6. Un article de Shiv Singh, consultant, sur le site dédié à l’innovation etau design Boxes and Arrows : http://www.boxesandarrows.com/view/a_web_2_0_tour_.

7. L’article du journaliste Ron Miller, sur le site dédié aux directeursinformatiques CIO.com : http://www.cio.com/article/123550/ABC_An_Introduction_to_Enterprise.

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Les multitudes et leurs médias

Les médias traditionnels nous considèrent, en termes géné-raux, comme leur « audience ». Entraînée par les webacteurs,cette audience évolue. Familière du web, elle s’en sert avecun naturel et une agilité croissants. Elle s’y amuse et cequ’elle y apprend lui permet de résoudre les problèmesd’information que les médias traditionnels satisfont mal. Cesderniers traînent trop souvent des pieds face à ce mouvementinitié à la périphérie. Ils se justifient en invoquant les hésita-tions de la partie la moins dynamique de leur audience etavancent, non sans raisons, que le modèle économique estencore incertain, au mieux. Ils ne savent pas comment secomporter face à un mouvement dans lequel la participationet la constitution de groupes perturbent les relations sociéta-les (y compris de pouvoir) existantes. Au bout du compte,même la notion des news, d’actu, d’info semble remise enquestion.

LES WEBACTEURS, LE WEB ET L’ACTU

Ce qu’on appelle en anglais l’« industrie des médias » – l’éco-système composé des médias traditionnels, des nouvelles for-mes qui apparaissent tous les jours, des journalistes, despatrons et des utilisateurs, entre autres – est très sensible à

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l’évolution de ces derniers. Ce n’est pas vraiment nouveau,mais la dynamique ne peut plus être ignorée.

Les quotidiens du monde entier (à quelques exceptionsprès, le plus souvent dues à des circonstances politiques par-ticulières) ont commencé à perdre des lecteurs bien avantque le web ne devienne un phénomène de masse. Plus grave,plus difficile à analyser, mais tout aussi important, ils necessent, depuis vingt ans au moins, de prendre leurs distan-ces avec ce que les journalistes ont l’habitude de considérercomme l’« actu » (en anglais the news) au profit de l’entertain-ment et de spectacles moins chers à produire.

Les médias peuvent rechigner devant l’inéluctable évo-lution de l’internet, les webacteurs, eux, n’attendent pas.Ils découvrent de nouveaux services, de nouveaux plaisirs,de nouveaux moyens d’expression chaque fois qu’ils déam-bulent sur le web. Ils les utilisent, en rejettent quelques-uns, prennent goût à d’autres, s’y habituent et finissent pardemander leur généralisation. La culture change. Rien demieux pour nous faire une idée du phénomène qu’unepetite croisière avec escales au cours de laquelle nous ver-rons d’abord comment la fréquentation de certains dessites les plus visités modifie l’audience, même quand ce nesont pas à proprement parler des sites d’information. Nousverrons ensuite quelques sites et outils moins connus, maisqui changent directement le rapport de l’audience àl’information.

La logique qui sous-tend cette approche est que c’est ensuivant l’audience que l’on comprend ce qui se passe et qu’ontrouve certaines des pistes les plus riches d’enseignements.

Les moteurs de recherche

Les nouvelles n’existent plus si elles ne sont pas enregistréespar les moteurs de recherche. Entre 50 et 90 % des nou-velles lues ou vues sur le web ont été trouvées par Google,Yahoo!, Live (l’ancien MSN) et quelques autres, et non grâceà un passage par la page d’accueil soigneusement conçue parla rédaction du média en question.

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Corollaire : les médias qui fonctionnent en circuit fermé(ceux qui ne laissent voir leur contenu qu’à ceux qui payent)n’existent pas dans la mesure où leurs informations ne sontpas indexées par les moteurs de recherche.

C’est précisément pour cette raison que le New York Timesa renoncé à faire payer pour accéder à son contenu ennovembre 2007. Quelques mois plus tôt, El País, le prin-cipal quotidien espagnol, s’était vu contraint à la mêmedécision. C’est d’autant plus important que sur le web, àl’inverse du papier, les vieux articles continuent à attirer untrafic respectable et que la publicité, qui constitue le modèledominant aujourd’hui, peut aussi bien accompagner lesvieux articles que les plus récents. Nous savons tous à quoisert un journal imprimé il y a une semaine, un mois ou unan… Mais, remarque Chris Anderson dans un fascinantpassage sur la « longue traîne du temps1 » online « Googlesemble changer les règles du jeu [parce qu’il] mesured’abord la pertinence [d’une page] en termes de liens[pointant vers la page en question] et non pas en termes denouveauté ». Les pages anciennes ont plus de temps pouraccumuler des liens et peuvent en tirer un avantage parrapport aux plus récentes.

Quelques sites populaires qui changent nos habitudes

1. Craigslist.org. Trop longtemps ignorée par les médiastraditionnels, Craigslist offre des petites annonces gratui-tes, plus vivantes, plus flexibles que sur le papier. Unequantité d’informations plus importantes. Le tout au goûtdu client qui met en ligne ce qu’il veut, quand il veut,dans le format de son choix. Ces sites facilitent en outre lacréation de communautés dans la mesure où la dynamiquerelationnelle humaine s’ajoute à la dynamique des rela-tions propres au réseau technologique. Les webacteursadorent ça. Les quotidiens traditionnels, pourtant, n’ontpas vu venir ce changement, d’autant plus dramatiqueque les petites annonces représentaient pour eux unesource non négligeable de revenus.

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2. Wikipedia.org. Le succès et, plus encore, la valeur de cesite, inconcevable il y a encore quelques années, montrentque la connaissance, l’accès à l’information et la capacité depublier ne sont plus le privilège des experts. Sa qualitéd’encyclopédie dynamique (elle s’adapte à tout moment)lui permet de réagir à l’actualité en apportant des informa-tions de fond et de contexte que les médias traditionnels,obnubilés par la dernière heure, la dernière minute et, deplus en plus, la dernière seconde, ont tendance à ignorer.C’est sur ce site qu’on a trouvé dans les heures qui ont suiviles attaques du 11 septembre 2001 les premières informa-tions sur la structure des tours jumelles et les premièreshypothèses sur les causes de leur effondrement. La richessedu site en contenu est le produit direct de l’efficacité rela-tionnelle maximale obtenue par le fonctionnement dugroupe ouvert qui veille à son bon fonctionnement.

3. YouTube. Ce site de publication et de partage de vidéosn’a rien à voir avec le journalisme traditionnel (tel quenous le connaissions hier encore), mais il révèle que beau-coup de webacteurs ont des lignes à haut débit, qu’ilsproduisent du « contenu vidéo » et le publient alors qued’autres s’intéressent plus à ces visions du monde qu’àcelles des journalistes reconnus. Son impact sur les newspeut être illustré par la vidéo du sénateur américain trai-tant un blogueur de « macaque2 » (ce qui lui a fait perdreson siège en 2006 et a permis aux démocrates de gagnerla majorité dans les deux chambres) et celle montrantl’exécution de Saddam Hussein3. Plus récemment, lafaçon dont le roi d’Espagne a sommé le président duVenezuela de se taire a fait le tour du web… Comme ilssoignaient hier leur visite au siège de General Motors etleur passage à la télévision, les candidats à la présidencedes États-Unis font de leur passage à Google et de leurprésence sur YouTube, qui a participé à l’organisation dedébats, un élément essentiel de leur campagne.

4. eBay. Mentionner ce site entièrement dédié au com-merce dans un chapitre consacré aux médias peut sur-prendre. Et pourtant… sur eBay, tout webacteur peut

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acheter (et vendre) en confiance à des personnes ou socié-tés qu’il ne connaît pas grâce à un système de « réputa-tion » fourni par les usagers eux-mêmes. La pratique del’échange horizontal et la confiance qui en découle illus-trent à merveille ces changements dans les compor-tements des webacteurs et finissent par affecter leursrelations à leurs pairs et aux autorités de toutes sortes, ycompris les médias.

En résumé, les webacteurs s’insèrent dans une dynami-que relationnelle qui leur fait ressentir comme pesantes lesconstructions de type hiérarchique propres aux médias tra-ditionnels. C’est encore plus vrai pour les jeunes qui ontleur propre culture de création et de communication trèshorizontale. C’est d’autant plus important qu’ils trouventdes outils et des sites qui leur permettent d’organiser demanière différente leur consommation de nouvelles.

Parallèlement à l’influence exercée par ces sites populaires,l’écosystème des médias est modifié par la multiplicationd’outils qui contribuent à changer notre façon de nous infor-mer. Aucun de ceux que nous évoquons maintenant n’a étécréé par un média d’information. Ils les affectent tous. Parmiles centaines d’exemples possibles nous en retiendrons six.

Des outils qui modifient notre rapport à l’information

1. Google News. Ce site propose un panorama de l’actua-lité automatiquement sélectionnée et interprétée par desordinateurs qui peignent quelques milliers de sites dansdifférentes langues. L’usager peut même concocter uncocktail personnel de sujets, langues, pays et se faire ainsitrès vite une idée de ce qui se passe dans les domaines etdans les lieux qui l’intéressent.

2. Delicious.com. Promesse de plaisir et URL en un seulmot, avec une pointe d’humour à la clé, ce site offre troisservices relativement distincts. Le premier, tout simple,permet de regrouper ses signets favoris sur une page web etd’y accéder de n’importe où. Le deuxième est la possibilité

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d’accoler le tag, l’étiquette qu’on veut aux sites ainsi repéréscomme nous l’avons vu dans le chapitre sur les webacteurs.Mais la véritable fascination exercée par Delicious.com, sonutilité profonde, c’est que les tags peuvent être publics. Laclassification devient sociale. De nouveaux réseaux se cons-tituent au gré des intérêts communs, passagers ou non.Ceux qui suivent, par exemple, les travaux de HowardRheingold – auteur de plusieurs livres sur les dimensionssociales et intellectuelles de l’informatique4 – sur les smartmobs et la coopération peuvent savoir les sites qu’il tague5.Ce n’est pas tout. Si vous envisagez d’aller à Barcelona vouspouvez trouver des sites et des pages qui n’apparaissent pasen haut de la liste des résultats fournis par Google6. C’estun exemple clair dans lequel la dynamique relationnelledonne une idée de toute l’efficacité potentielle sur laquelleelle peut déboucher.

3. Sphere.com. Cette application permet à l’usager qui esten train de lire un billet ou article sur n’importe quel sited’en trouver d’autres qui le mentionnent ou qui traitentdu même sujet. Cette logique de réseaux ne tient pascompte de la compétition entre médias rivaux et permetd’accéder directement à des informations en provenancede sources très diversifiées. Elle pousse à découvrir despositions différentes de celles auxquelles on est habitué.

4. ChicagoCrime.org permet de trouver sur une carteGoogle les crimes, délits et infractions commis à Chicago.Excellent exemple de mashup (superposition des donnéesprovenant de deux applications différentes), ce site s’ali-mente des informations en provenance de la police. Lesdonnées sont regroupées et retrouvables par rue, quartier,code postal, et type de crime, entre autres. Des hyperlienspermettent de consulter les articles publiés dans les médiaslocaux sur les crimes les plus importants. En mai 2007,Adrian Holovaty, son fondateur, a reçu une bourse de1,1 million de dollars de la Knight Foundation (fondée parle groupe de presse Knight Ridder, elle s’intéresse surtoutaux médias) pour créer dans une série de villes américainesdes sites où seraient ainsi publiés les documents officiels et

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les informations hyperlocales. Autant de concurrents desmédias traditionnels constitués à partir de logiques dif-férentes.

5. Wikio. Cet agrégateur qui intègre blogs et articles demédias est une sorte de super Google News, plus agileet plus sophistiqué. MyWikio permet de choisir les thè-mes de la façon la plus simple possible, en ajoutant destags (des étiquettes non prédéterminées qui se créent augré de l’inspiration de l’usager). Il suffit d’inscrire desmots séparés par une virgule pour que Wikio se centresur les thèmes indiqués. C’est tellement facile et simpleque ses fondateurs le qualifient d’« agrégateur pouridiots ».

6. NewsTrust.net. En opposition claire à Digg et sa classi-fication sous une forme qui rappelle les « concours debeauté », NewsTrust invite les citoyens à juger les arti-cles qu’ils trouvent sur la base de critères journalistiquesaussi rigoureux que possible. Leurs contributions sontsuffisamment intéressantes pour qu’un nombre croissantd’utilisateurs acceptent le slogan de cette entreprise à butnon lucratif qui se veut notre « Guide pour un bon jour-nalisme ».

Passer en revue ces sites d’importance très variée, permetde voir comment ceux qui les utilisent ont recours à desinstruments, prennent des habitudes, des plaisirs, qu’ils netrouvent pas dans les médias traditionnels. Mis à partGoogle, bien sûr, et peut-être Wikipedia, ils ne sont pasnécessairement connus par la masse des usagers. C’estl’illustration de ce que le changement avance de la périphé-rie vers le centre. La difficulté, le défi pour les médias tradi-tionnels est considérable. Leurs modes de fonctionnement,leurs pratiques, la plupart de leurs domaines d’activitéssont remis en question. Leur vrai problème est peut-êtreque la mécanique institutionnelle sur laquelle ils reposentmanque de l’agilité nécessaire pour faire face à la dynami-que relationnelle à l’œuvre sur le web et dans les relationsentre les webacteurs.

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LES MÉDIAS RÉAGISSENT LENTEMENT

Les journaux, par exemple, ont d’abord pris le web comme unemenace contre le papier. Oubliant que la première bible deGutenberg était énorme et de maniement difficile, les tenantsde l’encre ont insisté sur la commodité du support tradition-nel, le fait que l’écrit y demeure et résiste au temps. Seulsquelques-uns, sans vraiment savoir ce qu’ils devaient faire, sesont lancés sur le web en alléguant que c’était la seule façon àla fois de comprendre et de se positionner pour le futur.

Véritables institutions, les médias ont réagi comme telles :en pensant à leur survie sur la base des valeurs et des ressour-ces qui leur avaient permis de s’imposer et de tenir. C’estd’autant plus grave que la bête n’allait déjà pas bien.

Amorcée dans les années 1970, longtemps avant l’appari-tion du web, la crise s’est accélérée comme le montre parfaite-ment l’étude intitulée « Abandonning the news » dans laquelleMerrill Brown, ancien rédacteur en chef de MSNBC, montrel’hémorragie dont souffrent les médias traditionnels7. Cettedésertion croissante doit être restituée dans le contexte del’évolution culturelle des cinquante dernières années et ladéfiance accrue vis-à-vis des institutions et des récits qu’ellesproduisent pour se légitimer8. Les journalistes ont d’autantplus de mal à comprendre l’origine de cette prise de distancequ’ils se conçoivent souvent comme critiques des pouvoirs.C’est pourtant la perception de l’audience qui compte.

Mais de quels « médias » parlons-nous ? Sans rentrer dansle détail de toutes les acceptions9, nous distinguons troisniveaux d’usages du terme :

◆ l’appellation générique : on l’utilise alors pour désignerles moyens de diffusion permettant de communiquer del’information aussi bien que du divertissement. Ils sontregroupés souvent dans l’expression « mass-média » ;

◆ un niveau technique : très inspiré de l’anglais, il peutdésigner les supports d’une campagne publicitaire (affi-chage, ciné, télé, etc), ou la technologie qui les caractérise(digitale, électronique, etc.) ;

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◆ l’évolution du mot « presse » : les médias d’information.Ils peuvent alors être de masse ou pas, électronique ouautre. Ce qui compte ici, c’est leur rôle, leur fonctiond’information des citoyens et de la société.

C’est en fait sur cette dernière acception que nous vousproposons de nous pencher maintenant en abordant l’impactde la dynamique relationnelle et de l’alchimie des multi-tudes sur les médias d’information traditionnels.

Les forces du changement

Le web d’aujourd’hui s’articule, comme nous l’avons montréplusieurs fois, autour de d’une poignée de notions contenuesdans la formule selon laquelle il s’agit d’une plateformemodifiable à laquelle on accède par des lignes à haut débit,ce qui facilite les contributions qui créent des effets deréseaux et ouvre sur une économie de la diversité. Chacunede ces caractéristiques a une influence sur les médias donttoutes les activités sont remises en question.

La nouveauté la plus grande, la plus perturbatrice, estincontestablement le fait que le web est facilement modifiablepar les utilisateurs. Au lieu de pester contre l’article de jour-nal qui ne leur plaît pas, d’éteindre la radio ou de zapperd’une chaîne de télé à l’autre, les lecteurs, auditeurs, usagers,webacteurs peuvent maintenant répondre et/ou commenter. Ily a pire (du point de vue du journalisme traditionnel), ilspeuvent se transformer eux-mêmes en média d’informationvia blogs, vlogs (blogs vidéo) et moblogs (blogs mis à jour partéléphone mobile), entre autres.

Le fait que le web devienne une plateforme sur laquellenous pouvons « presque » tout faire présente des difficultésplus subtiles. La conséquence principale en est sans doute quel’actualité, le suivi des news n’est plus qu’une activité parmid’autres. Les sites d’information ne sont plus des « destina-tions », mais des points de passage. Notre présence en ligneest irriguée de nouvelles que nous trouvons au hasard de notrenavigation, sous forme de flux RSS, d’alertes auxquelles nousnous abonnons ou que nous envoient nos médias favoris, de

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résumés quotidiens que nous trouvons au milieu de nos cour-riels. Les news deviennent un produit sans valeur particulière(commodity). Les médias en perdent le contrôle.

Le broadband, ou haut débit, influence les médias à troisniveaux :

◆ réception : les usagers reçoivent aussi bien des images enmouvement que du son ou du texte. Les supports semélangent ou « convergent » comme il est convenu deprétendre. Cela pousse les médias à diversifier leur offre.Telle chaîne de télé ajoutera du texte (le plus facile). Teljournal papier ajoutera des photos, puis des vidéos, despodcasts (du son), des infographies, etc. Le mode de com-munication reste le même, les journalistes transmettent àl’« audience » de l’information recueillie, sélectionnée,traitée, mise en forme par eux. Aux journalistes d’appren-dre à dire ce qu’ils ont à dire sous de multiples formes ;

◆ rhétorique : il ne suffit pas de mettre en ligne des conte-nus correspondant à des modes d’expression différents. Ilfaut trouver une rhétorique adaptée. Nous avons appris ànous exprimer différemment à la télé, à la radio ou surpapier. Reste à découvrir les règles propres au multimé-dia qui tiennent compte des spécificités propre à chaquemédia et permettent de les intégrer d’une façon harmo-nieuse, « parlante » et compréhensible ;

◆ contributions : connectés en permanence grâce aux lignesà haut débit les usagers n’ont rien besoin d’interromprepour mettre en ligne commentaires, billets, photos ouvidéos. L’évolution culturelle les pousse à en faire usage.Ils obligent ainsi les journalistes à tenir compte de leuraudience d’une façon granulaire, c’est-à-dire article pararticle. La récompense, jadis, était d’être publié en« une », une décision qui revenait à leurs chefs. Elle estaujourd’hui de voir son « papier » suffisamment appréciépar les lecteurs pour figurer parmi les plus lus, mais aussiles plus envoyés par courriel ou les plus blogués.

En ligne, les webacteurs agrandissent les réseaux qu’ilsont importé du monde réel. Le défi consiste à inventer un

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nouveau mode de dialogue, de relation avec, à la place d’uneaudience, des individus et des groupes dynamiques quientendent s’exprimer et ont les moyens de le faire.

La gravité de la situation des médias traditionnels tientlargement au fait que tous leurs niveaux d’activité sontmenacés. Digitalisation et dynamique relationnelle boule-versent en effet la production, l’organisation et la distribu-tion d’information, et remettent en question les relations desjournalistes avec l’audience ainsi que leur fonction sociale.

Production

Le multimédia est le défi le plus connu. Il implique des rela-tions complexes entre des éléments narratifs traditionnelle-ment séparés (avec leurs formats, leurs rhétoriques et mêmedes entreprises spécialisées pour chacun d’entre eux). Desformes nouvelles d’expression se multiplient, se renouvellentchaque jour sur les blogs, moblogs, vlogs, wikis, etc., le plussouvent hors, voir loin des médias traditionnels. Que penser,par exemple, de ces sites sur lesquels les gens racontent deshistoires liées à des lieux qu’ils situent sur des cartes Google ?C’est ce que font: 43places.com, Platial.com, MyFirstKiss.com,et quelques autres. D’autres créent des jeux pour rendrecompte des horreurs de la guerre, pour mieux aider leur audi-toire à « sentir » les situations concrètes. Ainsi Kumanar.comoffre un jeu sur la bataille de Fallujah en Irak. Autant d’invita-tions à se renouveler. Nora Paul, professeur à l’université deMinnesota a reçu plusieurs prix prestigieux pour ses recherchessur la narration interactive sous forme de jeux10.

Organisation

L’organisation des nouvelles, leur hiérarchisation, leur pré-sentation est un des privilèges traditionnels des responsablesde rédaction. Elle est en train de leur échapper à plusieursniveaux :

◆ même sur leur site, ils ne font plus la loi. Les algorithmesinterviennent. Sur le site du Monde.fr, par exemple, ils

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aident à redistribuer le contenu de manière dynamiqueen fonction des nouvelles et de l’intérêt manifesté par leslecteurs. Un nombre croissant d’entre eux (souvent lamajorité) ignorent la page d’accueil et débarquent par laporte de derrière, ou par la lucarne située sur le toit :grâce aux moteurs de recherche qui les envoient directe-ment à un article, voire à un fragment ;

◆ d’autres lecteurs, parmi les plus assidus, ne se donnentmême plus la peine de venir. Ils sélectionnent les frag-ments qui les intéressent et les reçoivent sous forme de fluxRSS en un lieu virtuel où ils figurent à côté de fragmentsen provenance d’autres sites éventuellement concurrents(NetVibes.com ou Google Reader entre autres exemples) ;

◆ les lecteurs enfin peuvent organiser le contenu eux-mêmes.Ils peuvent accoler des tags. Présentées sous forme de« nuages », ces étiquettes sont une nouvelle façon d’accéderà l’information à partir de catégories créées par les usagerseux-mêmes et non par les responsables du site. Il en résulteune hiérarchie mouvante et chaotique, liquide, et qui fonc-tionne. On appelle cela une « folksonomie ». Donner uneplace notable aux articles « les plus transmis » par courrielest une façon assez claire de suggérer une organisation issuede l’ensemble des lecteurs et pas de la rédaction. Légère-ment différent, le recours à Digg a un effet du même ordre.

Distribution

À lui seul, ce mot essentiel dans l’histoire des médias tra-ditionnels révèle à la fois le mécanisme et leur vision duprocessus. C’est une illustration parmi d’autres d’un sys-tème reposant sur le one-to-many dans lequel le one – le cen-tre, le média traditionnel – distribue. Ajouter de la vidéoet des podcasts au site d’un journal normalement publié surpapier, participe de la même démarche. On continue à dis-tribuer… autre chose, ou la même chose, mais sous uneautre forme. Et pourtant, les nouveaux types de produitslancés par les médias traditionnels ne sont pas suffisants.Ces derniers doivent maintenant adapter le contenu qu’ils

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produisent à diverses plateformes. Et fondamentalement,c’est l’usager qui décide (en faisant circuler plutôt qu’endistribuant).

Henry Jenkins le dit très clairement dans son ouvrageConvergence Culture. Where Old and New Media Collide11 : « Lacirculation du contenu des médias – au travers de systèmesde médias différents, d’économies rivales et de frontièresnationales – dépend largement de la participation active desconsommateurs. On aurait tort de comprendre la conver-gence comme un processus essentiellement technologiqueconsistant à réunir de multiples fonctions de médias dans unmême appareil. Elle représente au contraire un déplacementculturel qui se produit lorsque les consommateurs sontencouragés à chercher de nouvelles informations et à établirdes connexions entre des contenus médiatiques dispersés. »

Relations avec l’audience

La participation citoyenne, dont on fait tant de casaujourd’hui, peut sans doute être conçue comme une ampli-fication des relations existantes depuis leur origine entre lesmédias et leur audience. L’échelle, pourtant, change. Ceuxqui se satisfaisaient hier de voir un fragment de leur lettreau directeur publiée dans un coin du journal veulentaujourd’hui pouvoir lire leur commentaire à côté d’un articlequi leur semble discutable ou dont ils entendent soulignerl’importance et la valeur. Nombre d’entre eux veulent pou-voir interpeller directement le journaliste, contribuer avecles informations dont ils disposent. À côté des blogs, lesforums (qui leurs sont antérieurs) se multiplient. Divers sitespublient directement des éléments fournis par l’audience,qu’il s’agisse de son, de textes ou de photos. Le journalismecitoyen continue à chercher des formules viables, mais pluspersonne ne pense que les journalistes ont le monopole del’information.

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Fonction du journaliste

Face à un tel nombre de personnes disposant à la fois del’information et de l’accès au « micro » (à l’imprimerie ou auserveur) pour la rendre publique (la publier) à très faibleprix, la position du journaliste change. Elle doit changer.Dan Gillmor, pionnier du journalisme citoyen et auteur deWe The Media12, le premier grand livre sur l’inéluctabletransformation du journalisme et des médias, l’exprime par-faitement : « Mes lecteurs ensemble en savent plus que moiC’est pour cela que nous devons passer d’un journalisme pra-tiqué comme un cours universitaire, du haut d’une “chaire”au journalisme partagé sous forme de conversation. »

Médias et journalistes vont devoir apprendre à exercerleur fonction de manière plus humble. Une révolution…

LA RÉVOLUTION PARTICIPATIVE

Au cœur du web d’aujourd’hui, la participation est en fait ledéfi le plus sérieux auquel les médias doivent faire face. Elleremet en question leur autorité et leur rôle social. Elle lesoblige à reconsidérer les questions trop souvent évacuées deleur pouvoir et de celui des journalistes. Or, dans le mêmetemps, pour une partie de l’audience en tout cas, la partici-pation devient une relation essentielle avec l’information enraison de la confluence de la crise des médias traditionnels,de l’évolution culturelle (postmodernisme) et de la multi-plication des outils et des pratiques propres au web 2.0. Elleest imposée par l’audience qui bouge et qui trouve les outilsvoulus et les médias sont bien obligés de s’adapter

L’ex-audience, donc, s’est empressée de se créer de nou-veaux espaces d’informations et d’actualité dès qu’il lui estapparu qu’elle pouvait le faire.

Le journalisme citoyen en fait partie, mais il n’en est qu’undes pôles. Plutôt que de revenir sur les exemples les plusconnus – le Coréen OhMyNews.com et Agoravox.fr –, qui en

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sont les illustrations les plus enthousiasmantes, nous préfé-rons aborder cet aspect sous l’angle, plus ouvert, des modes departicipation offerts au public dans l’ensemble des médias13.

Tout part en effet de l’idée qu’au lieu de « journalismecitoyen », ou de « médias citoyens », nous préférons lesexpressions « médias de participation » et « journalisme departicipation ». Ils ont trois caractéristiques communes défi-nies par Howard Rheingold dans un cours qu’il a donné14 àl’université de Berkeley sur ce qu’il faut savoir des médias departicipation (participatory media literacy) :

◆ toute personne connectée peut recevoir autant qu’émet-tre. Cette communication horizontale permet la diffusiond’informations many-to-many et rompt avec l’asymétriediffuseur/audience ;

◆ ils tirent leur valeur et leur pouvoir de la participationd’un grand nombre de personnes, ce qui constitue unprofond changement psychologique et social ;

◆ les réseaux sociaux renforcés par les réseaux de communi-cation amplifient le phénomène et contribuent à accroîtreson efficacité. Ils permettent la coordination d’activitésdont les dimensions économiques et politiques doiventêtre prises en compte.

Selon lui, les principaux outils des médias de participa-tion sont : blogs, wikis, RSS, tagging, le bookmarking social,les sites de partage de photos, de vidéos ou de musique, lesmashups, podcasts, moblogs et autres vlogs.

Dans un article publié dès 2003 par la Online JournalismReview15, J.D. Lassica – auteur, journaliste, spécialiste desmédias sociaux16 – distingue différents types de journalismede participation17 :

◆ l’audience participe à des médias traditionnels. Un descas les plus connus aujourd’hui est celui de la BBC avecsa page Have your say18. Sur le même site, une versionplus élaborée Action Network permet aux gens des diffé-rentes localités d’entrer en contact les uns avec les autres,d’échanger des informations, de participer à des actionscommunes19 ;

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◆ les sites d’information indépendants tels que blogs indi-viduels et plus encore collectifs ;

◆ les sites vraiment participatifs comme AgoraVox etOhMyNews ;

◆ les sites collaboratifs comme Slashdot.org et Kuro5hin.org ;◆ d’autres types de thin media, en fait des newsletters qui

véhiculent d’importantes informations ou des listes commeInteresting People de Dave Farber20 (25 000 abonnés).

Une liste, non exhaustive, des modes de participationpermet de compléter le tableau. Ils affectent production,organisation et distribution.

Documents bruts

La photo prise dans le métro de Londres quelques minutesaprès les attentats du 7 juillet 2005 est l’exemple le plusconnu de recours aux documents visuels ou sonores pris pardes témoins et mis en ligne sur le web21.

Articles

Certains sites traditionnels se sont récemment ouverts à lapublication d’articles provenant de leurs lecteurs. C’estnotamment le cas pour la couverture hyperlocale que Gan-nett Company (le premier groupe de presse américain)essaye de mettre en place depuis la mi 2006 avec ses Infor-mation centers22.

Commentaires

Ils ont commencé avec les lettres au directeur dans la pressetraditionnelle. En ligne, la forme la plus connue est celle descommentaires complétant et critiquant les billets des blogs.LeMonde.fr en publie aussi à côté des articles. ElPaís.comprend en compte les suggestions de correction (il suffit d’acti-ver un bouton pour se signaler aux responsables du site).

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Sondages

En se fondant sur les toutes premières approches de l’inte-ractivité, de nombreux sites ont choisi de consulter leurslecteurs. Il ne s’agit pas de connaître leur avis argumenté nid’ouvrir une discussion, mais de leur poser une question àlaquelle ils répondent par « oui » ou « non ». Les questionssont souvent futiles et sans intérêt. Il s’agit plutôt là de par-ticipation en trompe-l’œil.

Gestion directe

C’est ce qu’il est convenu d’appeler les médias de participa-tion ou médias citoyens. Dans OhMyNews comme dansAgoravox, on a en fait une collaboration entre journalistesprofessionnels et amateurs. L’essentiel de l’information pro-vient de l’extérieur et l’équipe consacre une bonne partie deson temps à trier et à vérifier ce qu’elle reçoit.

Personnalisation

Cette forme d’auto-organisation est une des premières moda-lités offertes par les médias quand ils décident de s’ouvrir.Cela permet à l’usager de se présenter à lui-même le sitecomme il l’entend. Le New York Times en offre un exempleavec MyTimes23. C’est un pas timide face à une audience quibouge beaucoup vite et qui maintenant, comme l’a faitremarquer Tom Glocer, patron de Reuters dans un articlepublié par le Financial Times du 7 mars 2006 « consomme,crée, partage et publie son propre contenu en ligne24 ».

Organisation

Outre toutes les possibilités offertes par les flux RSS dont nousavons déjà parlé, la participation des lecteurs à l’organisationdu site lui-même se voit directement sur la page d’accueil de20minutos.es (l’équivalent espagnol de 20minutes.fr), parexemple, où les articles les plus lus et les plus commentés sontmis en avant.

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Influence

Les webacteurs ont toujours la possibilité de sélectionnerun article qu’ils trouvent intéressant. C’est à la base deDigg et de Reddit pour ne signaler que deux parmi lesplus connus. Beaucoup de médias se servent maintenant deces sites pour leur promotion. Ils collent des boutons per-mettant de « digger » chaque article qu’ils publient enespérant contribuer ainsi à une plus grande diffusion. Defaçon indirecte, la mise en avant sur différents sites telsque le New York Times, El País ou Le Monde des articles lesplus envoyés, les plus lus et/ou les plus blogués, contribueà faire participer l’ex-audience à un choix traditionnelle-ment réservé à la rédaction en chef. NewsTrust.net va plusloin puisqu’il permet à tous de noter la qualité des articlesen fonction de leur qualité journalistique et pas seulementen termes de popularité comme on le voit, par exemple surDigg.com ou Reddit.com.

Quelle que soit la façon d’aborder le problème, par lebiais des médias ou par celui des utilisateurs citoyens, forceest de constater que la participation des seconds bouleverseradicalement le difficile équilibre politique, social, culturelet financier, soigneusement mis en place au fil des ans par lespremiers. Et pourtant… ils s’ouvrent.

Le zéro géant et le journalisme

« L’internet est un zéro géant. Il nous met tous à une distance zéro detous les autres et de tout le reste », affirme l’incomparable Doc Searls, fand’Apple, prêcheur de Linux et gourou des blogs25. Il peut nous aider àmieux comprendre ce qui se passe, notamment dans le domaine desmédias d’information.

Doc Searls fait partie de ceux qui accordent une grande importanceau framing, littéralement au « cadre » dans lequel on pose les discus-sions, les débats26.

Dans cette ligne, il se refuse d’être un pourvoyeur de « contenu »,notion inerte. Informer, c’est former.

Il va plus loin : « Nous sommes les auteurs les uns des autres. Ceque nous appelons autorité c’est le droit que nous donnons aux autresd’être nos auteurs (to author us), d’être ce que nous sommes. Ce droit,

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nous ne le donnons plus seulement à nos journaux, à nos magazines,à nos stations de télé ou de radio. Nous le donnons à toute personnequi nous aide à apprendre et à comprendre ce qui se passe dans lemonde. »

POURQUOI LES MÉDIAS TRADITIONNELS S’OUVRENT

Les médias traditionnels entrouvrent leurs portes à la parti-cipation de journalistes amateurs pour au moins trois bon-nes raisons : ces derniers ont des informations que les prosn’ont pas ; cela leur permet d’économiser de l’argent ; ilscherchent à développer les relations avec leur audience. Lestrois peuvent se renforcer mutuellement.

Les journalistes ne sont que rarement sur place au momentdes faits. cela peut s’appliquer aux accidents et aux attentatsterroristes, par exemple, mais aussi à des événements locauxqu’ils ne peuvent ou ne veulent pas couvrir.

Le recours aux amateurs pour couvrir la manifestationmondiale contre l’invasion de l’Iraq au printemps 2003illustre le fait que même la BBC est incapable de couvrirseule un événement qui se déroule en autant de villes dumonde simultanément. Le recours aux témoins locaux étaitune nécessité pour qui voulait échapper à l’abstraction etaux généralités. LeMonde.fr s’en est servi au moment desmanifestations contre le CPE en février 2006.

La généralisation de ce genre de contribution est « inévi-table », a déclaré Leon Brody au cours d’une conférence télé-phonique organisée par le consultant Jerry Michalski27 le16 avril 200728. Brody est cofondateur de NowPublic.com,site dont le contenu provient entièrement d’individusvolontaires. Il est convaincu que dans cinq ans « ce sera lanorme et qu’au moins 50 % des nouvelles que nous lirons,verrons ou écouterons seront produites par des gens ordi-naires ». Tout le pari de NowPublic est précisément de réu-nir les informations fournies par des témoins qui se trouvent

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là où les journalistes ne sont pas ou qui peuvent compléterce que ces derniers réunissent.

La deuxième raison pour laquelle les médias s’ouvrent estqu’ils ont besoin d’argent.

La participation des amateurs au journalisme n’est en faitqu’une application concrète du « contenu généré par lesusagers ». La première entreprise à en tirer des conclusionssuffisamment claires pour réorganiser toute sa production enconséquence est Gannett. En 2006 elle a décidé de transfor-mer ses newsrooms ou salles de rédaction en infocenters ou cen-tres d’information. Cela impliquait d’une part de produiredes nouvelles pour tous les médias à partir d’un même lieuet, d’autre part, d’intégrer la participation des usagersnotamment au niveau local. Au même moment, le site deUSA Today, leur fleuron, mettait un bouton tout en haut desa page d’accueil pour inviter les lecteurs qui le souhaitent àenvoyer des informations en leur possession. Gannett fait lepari d’une couverture branchée sur ce qui compte le pluspour les gens : la vie autour d’eux, au niveau du quartier,celle-là même que la plupart des journaux ont du mal à cou-vrir.

Après avoir mené des projets pilotes dans onze villes, ilssont arrivés à la conclusion que la couverture hyperlocaleétait essentielle et que la participation des lecteurs étaitindispensable: « Publier sur le web les nouvelles à mesuresqu’elles arrivent et les mettre à jour pour le journal attireplus de monde à ces deux médias29 », explique Gannett.« Demander son aide à la communauté intègre le méca-nisme et distribue les journaux au cœur des conversations dela communauté. » C’est en outre un excellent modèle écono-mique : « Le simple fait de faire appel à plus de lecteurs et àdes lecteurs différents aide à attirer plus d’annonceurs publi-citaires et des annonceurs différents30. »

Enfin, les médias s’ouvrent parce qu’ils ont besoind’audience.

Les bonnes relations avec l’audience font partie du b.a-bades médias commerciaux, mais il s’agit seulement, c’est déjàénorme, de bien la servir. La faire participer est une tout autre

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affaire. Ça ne va pas sans une certaine ambiguïté. Elle tientd’abord au fait que rien ne prouve que cela corresponde auxdésirs de l’audience. La tonalité des débats sur certains blogsoù les commentaires sont ouverts montre en outre que touteprise de parole entraîne des réactions et que l’une commel’autre peut devenir violente, verbalement tout au moins.

Plutôt que de reprendre ici l’argument général en faveurde la participation qui se trouve plus ou moins présent àchaque page de ce livre, nous vous proposons une petitevisite dans le sud du Brésil. L’expérience est d’autant plusintéressante qu’elle porte à la fois sur le web et sur le papier.

Zero Hora

Principal quotidien de l’État de Rio Grande do Sur, à la frontière de l’Uru-guay, Zero Hora accorde une place de choix à ses lecteurs. Ils sont invi-tés tous les jours à suggérer des sujets d’articles et à participer avectextes et photos. Tous les courriels et tous les appels téléphoniquesreçoivent une réponse. La page 2 en rend compte ainsi que la plupartdes sections prises individuellement. En 2006, Zero Hora a publié plus de5 000 lettres de lecteurs et répondu à plus de 10 000 appels dont unquart contenaient des suggestions. Des conseils de lecteurs fonctionnentpour l’ensemble du journal et pour dix-huit des vingt-trois sections. Ils seréunissent tous les quinze jours ou tous les mois avec le responsable.

Cette participation contribue largement à ce que les ventes de ZeroHora ne baissent pas et au fait qu’il ne cesse de grimper dans le classe-ment des quotidiens brésiliens.

Observateur prudent, le professeur Juremir Machado da Silva estimecependant que l’influence des lecteurs est circonscrite à l’accessoire. « Ilsles laissent suggérer des articles sur des événements de la vie quoti-dienne, mais ils le leur permettent pas de suggérer des articles qui s’éloi-gneraient de la ligne du journal31 », nous a-t-il déclaré au cours d’uneconversation par Skype. Voilà qui illustre clairement les limites classiquesde la participation.

Dans un sketch enregistré par lui-même et dans lequel satête apparaît simultanément dans quatre fenêtres sous des cas-quettes différentes, l’humoriste américain Phil Shapiro donneune illustration ironique, mais convaincante de l’adoption des

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médias de participation par les journaux les plus connus. Lesresponsables des deux plus grands quotidiens du pays (ou plu-tôt leur représentation par Shapiro lui-même) y rivalisentd’audace. L’un a décidé d’augmenter la taille des lettres de ladate sur sa une après consultation de nombreux focus groups,six mois d’études et une investissement de 150 000 dollars.Beaucoup plus engagé, l’autre a décidé, toujours selon PhilShapiro, de publier chaque jour cinq et non plus seulementquatre lettres de lecteurs. Une façon « d’étendre largement laparticipation du public32 » L’effet est d’autant plus saisissantqu’à la portée ridicule des mesures annoncées, il faut ajouterle fait que c’est la même tête, censée représenter des respon-sables de médias rivaux, qui nous les annonce.

Les grands médias savent, en revanche, encenser les lec-teurs quand il s’agit de vendre. En quelques semaines, à lacharnière 2006/2007, Time Magazine nous a ainsi affirmé« YOU are the person of the year », Newsweek s’est consacréà « Putting the We in the Web » et Business Week a célébré« The power of US ». Dommage que leur intérêt pour laparticipation des lecteurs et usagers soit si timide dans lesfaits (et plus encore hors des États-Unis).

C’est largement par dépit devant cette lenteur institu-tionnelle que certains membres de l’ex-audience se décidentà créer des sites proprement « citoyens », des sites d’infor-mation qui reposent entièrement sur la participation de tousceux qui le veulent. Un groupe mieux formé qu’AndrewKeen (pourfendeur d’amateurs comme nous l’avons vu) neveut bien admettre.

Pro-ams : les acteurs du changement

La collaboration entre amateurs et professionnels est claire-ment à la base du projet OhMyNews, d’Agoravox, IndyMediaet NewAssignment.net dont nous avons parlé dans le chapitreconsacré aux webacteurs. L’information arrive de partout. Elleest généralement sélectionnée par des personnes ayant uneexpérience du journalisme, professionnels ou amateurs ayanttellement roulé leur bosse que, sans diplôme ni carte, ils sont

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assez difficiles à distinguer dans ce qu’ils font de ce que fontles profesionnels reconnus comme tels.

L’erreur, ce qui nous empêche d’y voir clair dans ce mou-vement essentiel, c’est sans doute de le poser sur la base del’identité des journalistes, de leur identité officielle. Ça posele problème en termes d’exclusion : on est ou on n’est pasjournaliste. Et cela ne permet pas d’avancer pour la simpleraison que certains actes journalistiques sont réalisés tous lesjours par des gens qui ne le sont pas.

Le premier niveau est celui de la personne qui a eu leréflexe d’utiliser son mobile pour prendre une photo dans lemétro de Londres quelques minutes après les attentats du7 juillet 2005, puis de la faire circuler. Cela n’en fait pas unjournaliste, mais son geste contribue à nous informer.

Plus importants encore sont les blogueurs, par exemple, quise consacrent, de façon systématique, cette fois, à nous infor-mer. Tel était le cas de Josh Wolf, vlogueur de San Franciscoqui a passé plus de sept mois en prison pour avoir refusé decommuniquer à la police des images d’une manifestation anar-chiste au cours de laquelle une voiture de police avait étébrûlée33. Les autorités fédérales ont refusé de le considérercomme un journaliste au motif qu’il n’était pas employé parune publication connue. À sa sortie de prison après un accord àl’amiable, Wolf a déclaré : « La mission d’un journaliste est deprésenter la vérité au public. Je me suis rendu à cette manifes-tation pour fournir de l’information et la vérité au public34. »

Une autre façon d’aborder le problème est de l’inscriredans une approche plus large de l’écosystème des médias.Cela devrait logiquement nous conduire à remettre en causece que nous entendons par news (nouvelles ou informationsd’actualité). Au lieu de nous focaliser exclusivement sur lecontenu, nous devons sans doute apprendre à faire plus deplace aux conversations qu’il suscite, c’est-à-dire à luiredonner sa fonction sociale.

Le vrai défi provient de la remise en question des pouvoirsétablis. Les journalistes n’ont plus le monopole des faits. Ilsont perdu celui de l’analyse depuis que nous pouvons tousnous propulser sur la scène comme blogueurs et attirer du

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monde et celui de l’espace publicitaire attaché aux news. Nousavons trop souvent tendance à oublier que, pour leur conseild’administration (en particulier ceux qui dépendent de WallStreet), la fonction principale des médias d’information c’estde réunir un public intéressé auquel les annonceurs peuventainsi soumettre leur publicité.

La logique poussant à une coopération accrue est implaca-ble pour la bonne raison qu’outre ses avantages économiques,tels que conçus par USA Today, elle permet de produire demeilleures informations comme l’a fort bien expliqué TomGlocer, patron de Reuters, dans son article du Financial Timesdu 7 mars 2006 : « En matière de news, la combinaison ducontenu professionnel et “amateur” crée un meilleur produit.Il raconte l’histoire à un niveau plus profond35 », comme lemontrent les témoignages amateurs des premières heures aprèsle tsunami de 2004 renforcés ensuite par le travail des profes-sionnels montrant l’étendue du désastre. « La coopération desprofessionnels et des amateurs permet de raconter l’histoire àun autre niveau : l’horreur de la frappe de la vague de fond etla tragédie des conséquences. »

Mais peut-être avons nous tort d’opposer professionnels etamateurs. Nous assistons en fait à la montée d’une nouvellecatégorie d’acteurs (sur le web et ailleurs) les « pro-ams » queles auteurs britanniques Charles Leadbetter et Paul Millerdéfinissent comme « des gens qui mènent leurs activitésd’amateurs avec l’exigence de professionnels. [...] Le ving-tième siècle a vu la montée des professionnels en médecine,dans les sciences, l’éducation et la politique. Dans une disci-pline après l’autre, les amateurs et leurs organisations bran-lantes ont été marginalisés par des gens qui savaient ce qu’ilsfaisaient et avaient des certificats pour le prouver. La révolu-tion des pro-ams montre que cette tendance historique est entrain de s’inverser36. » Mais, attention, Miller et Leadbetter segardent de bien de prôner la dictature des amateurs. Ils envi-sagent plutôt des solutions mixtes qui nous obligeront àrepenser nos catégories antérieures.

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Futur réticulaire (en réseaux) du journalisme et des médias

Le journalisme est-il condamné comme on voudrait nous lefaire croire ? Loin de là.

Jeff Jarvis et de Rich Gordon, deux blogueurs et profes-seurs de journalisme, s’efforcent de dépasser eux aussi lesblocages habituels en passant à la notion de journalisme etde médias réticulaires.

Jeff Jarvis il enseigne à l’école de journalisme de la City Uni-versity of New York – oppose le « journalisme en réseaux »(networked journalism) au « journalisme citoyen ». Les défautsde cette dernière formule sont connus : elle implique quel’acteur définisse l’acte, alors que tout le monde peut le réa-liser ; elle divise ceux qui pratiquent le journalisme en deuxgroupes ; elle laisse entendre que les journalistes n’agissentpas, dans leur métier, en citoyens.

D’où la proposition de Jarvis qu’il définit de la façon sui-vante : « Le journalisme en réseaux prend en compte la naturecollaborative du journalisme d’aujourd’hui : professionnels etamateurs travaillant ensemble pour publier le meilleur arti-cle, établissant des liens mutuels par delà les marques et leslimites d’antan pour partager faits, questions, réponses, idéeset perspectives. Il reconnaît la nature complexe des relationsqui feront l’actualité. Et il se concentre sur le processus plusque sur le produit37. »

Voilà qui est très proche de ce que fait Jay Rosen avecNewAssignment.net comme nous l’avons vu à propos ducrowdsourcing.

Cela implique quelques changements de fond dans lapratique du journalisme traditionnel, mais comme le sou-haite Jarvis, cela deviendra peut-être possible le jour où« les journalistes réaliseront qu’ils sont moins les fabri-cants de l’actu que les modérateurs de conversations qui yconduisent ».

Rich Gordon – qui enseigne à la Northwestern Univer-sity – suggère pour sa part que les médias traditionnels setrompent de stratégie en ligne. Tous leurs efforts semblent

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orientés, dit-il, à faire de leur site web une destination,comme ils avaient conçu leur journal, leur magazine, leurchaîne ou leur station. Ils feraient bien mieux de concevoirleur offre comme une plateforme réticulaire38. L’objectifétant, selon lui, de « connecter contenu et conversations »,ce que produisent les journalistes et ce dont parlent les gens.

Pour cela il faut transformer le site en hub ou moyeu, ence qui, dans la théorie des réseaux, est un node d’où partentet où aboutissent un très grand nombre de liens.

Un tel espace « attirerait les usagers de beaucoup de sites,retiendrait certains d’entre eux pour un temps en leur offrantdes liens contextuels, les dirigerait vers du matériel de valeursitué ailleurs et capitaliserait les conversations qui ont lieu surle web qu’il s’agisse des blogs, des forums ou des commen-taires mis en ligne par les usagers ». Il faudrait pour cela queles médias multiplient les liens vers l’extérieur, en particuliervers les blogs, encouragent les conversations autour de leurpropre contenu et construisent leurs propres réseaux sociauxdans de nouvelles relations avec les usagers.

SUIVONS L’EX-AUDIENCE

La démarche que nous avons suivie dans ce chapitre consisteà partir de ce que vit l’ex-audience pour voir comment réa-gissent (ou devraient réagir) les médias. Elle est merveilleu-sement aboutie dans le livre d’Henry Jenkins, ConvergenceCulture, dans lequel il part de la façon dont les fans (sa spé-cialité) s’approprient certains films ou programmes de télé-vision pour montrer comment la relation entre anciens etnouveaux médias change. Ses exemples sont Survivor, Ameri-can Idol, The Matrix, Star Wars, Harry Potter et l’utilisationdu programme Photoshop dans la culture populaire.

La convergence est en partie le fait des grandes corpora-tions qui cherchent ainsi à maximaliser la rentabilité de leurproduction, constate Jenkins. Mais « elle a également lieuquand les gens prennent les médias en main39 ».

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D’où il résulte que cette convergence qui l’intéresse est« à la fois un processus top-down animé par les corporationset un processus bottom-up animé par les consommateurs40 ».

Jenkins fait très attention et reste mesuré. Le mouve-ment, insiste-t-il maintes fois, vient à la fois du haut et dubas. C’est difficile à contester. Mais il nous semble que ladynamique véritable, le moteur qui explique l’accélérationconstatée provient des consommateurs qui s’emparent desinstruments mis à leur disposition pour bouleverser le pano-rama et forcer ainsi les entreprises de médias à réagir, às’adapter. Certains auteurs les qualifient de “prosumers” (pro-ducteurs et consommateurs [consumer en anglais]), dans lamême logique qui nous pousse à parler de « webacteurs ».

Se penchant sur le « paysage médiatique », dans un autretexte qu’il a consacré à l’enseignement, il précise que « notreattention ne devrait pas porter sur les technologies émer-gentes mais sur les pratiques culturelles émergentes. Plutôtque de dresser la liste des outils, nous devons comprendre lalogique sous-jacente qui forme ce moment des médias entransition41. »

L’étude de Jenkins est saisissante et convaincante, saufpour le choix du terme « convergence ». La prise en main ducontenu par les usagers du seul fait de leur participation, àlaquelle Jenkins accorde une grande importance, impliqueautant de divergences que de convergences. Il s’agit autantde redistribuer que d’attirer. De fait, l’importance du par-tage (et son rôle dans le futur du web comme le montre lafulgurante percée de Facebook) montre qu’à la culture duremix (mouvement relativement centripète) s’ajoute celle dela redistribution (mouvement centrifuge). La vraie pratiquede l’ex-audience est une pratique de « transvergence » faitede mixages et de redistributions.

Quand ils ne l’ignorent pas, les médias ont trop tendanceà suivre en traînant des pieds ce qu’ils avaient pris l’habitudeconfortable de considérer comme leur « audience » dont ilsont une version simplifiée. Le moment est peut-être venu dela considérer comme une « ex-audience » et de chercher unenouvelle relation plus équilibrée avec elle.

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Le web de demain

Pour importants et surprenants que puissent paraître lesbouleversements survenus sur le web au cours des dernièresannées, ils ne constituent qu’un début dont la suite est diffi-cile à imaginer… mais pas impossible. La difficulté consistedésormais à anticiper ce qui risque de changer dans cet uni-vers mouvant auquel nous avons déjà du mal à nous faire.

Certains des éléments sont déjà apparents. Pour mieuxcomprendre leur impact sur l’avenir, le plus simple estpeut-être de synthétiser le chemin parcouru tout au longde ces pages.

À l’origine des mutations qui ont marqué l’émergence duweb d’aujourd’hui, les webacteurs ne se contentent pas desurfer sur le web, mais participent, modifient les données etpublient du texte, du son et des images en ligne. Connectésen réseaux avec leurs différences et leurs contradictions, ilsenrichissent le web de leurs propres créations (Introduction).

L’engouement des plus jeunes pour les réseaux sociauxouvre la porte sur de nouveaux usages (Chapitre 1). Ils ten-dent à faire preuve de plus d’inventivité dans l’utilisationdes technologies. Leur arrivée progressive sur le marché dutravail oblige les institutions traditionnelles à s’adapter àdes perturbations qu’elles auraient préféré éviter.

L’approche consistant à observer les comportements estessentielle pour appréhender l’inéluctabilité des changements.

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C’est parce que les utilisateurs changent et parce qu’ils modi-fient leurs pratiques quotidiennes, que la lente mécanique ins-titutionnelle finit par se laisser entraîner par la dynamiquerelationnelle à l’œuvre sur le web et dans le monde physique(Chapitre 2). Les deux logiques se heurtent, ce qui explique lesavancées par à-coups et, en partie, par affrontements.

Dans un tel contexte, les technologies facilitent l’établis-sement de relations et sont d’autant plus aisées à adopterqu’elles savent se faire de plus en plus discrètes (Chapitre 3).L’appropriation des outils du web est à la portée du plusgrand nombre, celui-ci fonctionnant comme une plateformeperformante sans qu’il soit besoin d’en maîtriser le fonction-nement intime.

Les webacteurs se comptent maintenant par centaines demillions. Cette masse considérable crée suffisamment decontenu pour faire émerger des propriétés nouvelles (Chapi-tre 4). La difficulté consiste à les qualifier. Formules ambi-tieuses, « sagesse des foules » et « intelligence collective »cherchent à rendre compte des mécanismes à l’œuvre. Ellesouvrent la voie à une profonde transformation de notreapproche de la connaissance et nous permettent de passer du« savoir » au « comprendre ».

Les résultats sont si surprenants que certains chantres demondes toujours nouveaux évoquent des processus magi-ques. Heureusement, les censeurs sont là pour souligner leslimites et les dangers de ces processus d’où naissent de rarespépites d’or au milieu de tant de rebus. Les deux approchessont valables. Et le reconnaître suggère que les multitudesconnectées entre elles, à la fois actives et participantes, pro-duisent des résultats suffisamment positifs pour justifierleur participation et suffisamment aléatoires pour qu’il soitnécessaire de rester vigilant (Chapitre 5). D’où la notiond’« alchimie des multitudes ».

La dynamique en question n’a de sens et d’intérêt que dansla mesure où elle opère sur le réel. Dans le domaine de l’éco-nomie, par exemple, l’offre devient pratiquement infinie etpermet ainsi de passer à une ère d’abondance et de diversité(Chapitre 6). Toujours plus impliqués dans la production, les

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webacteurs deviennent coproducteurs. L’impact sur les modè-les d’affaires des entreprises reste difficile à évaluer, mais ladynamique à l’œuvre indique que nous nous dirigeons versune économie elle aussi relationnelle.

Poussée par les employés désireux d’utiliser les outils duweb pour améliorer leur collaboration et par les clients s’invi-tant dans la production, l’entreprise est conduite à ouvrir sesfenêtres (Chapitre 7). À l’intérieur, la mécanique institution-nelle des prises de décision et des processus de production estbousculée. Un nombre croissant de tâches sont réalisées« dans les nuages » avec tous les dangers que cela peut pré-senter, notamment en matière de sécurité. C’est ainsi qu’unnombre croissant d’analystes se retrouvent contraints deparler d’« entreprise liquide » qui, pour se développer, doitpouvoir se couler de façon souple et agile dans le flux d’infor-mations et accompagner les webacteurs dans leurs besoins etleurs attentes. Plus rien n’est fixe.

Particulièrement chahutés, les médias sont concernés aupremier chef par l’émergence des webacteurs producteurs,distributeurs et diffuseurs d’informations et de connais-sances (Chapitre 8). Désormais auteurs, les webacteurs trou-vent dans les technologies les outils qu’il leur fallait pourremettre en question certaines formes d’autorité.

ET MAINTENANT ?

Toujours risquée, toute prévision sur le futur du web seraitd’autant plus hasardeuse que le contexte est plus complexe.Regarder en arrière, en revanche, peut aider à repérer lesarticulations clés. Les éléments les plus marquants de 2007– un site, une expression bizarre et un objet – peuvent ainsinous servir de guides.

Le site s’appelle Facebook. Nous y tissons et entrete-nons des relations sociales plus ou moins souples, plus oumoins contraignantes. Le potentiel est énorme, en particu-lier si les responsables de la société parviennent à trouver

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un modèle économique rentable pour eux et acceptablepour les utilisateurs.

L’expression bizarre est global giant graph (« graphe globalgéant »). Elle a été proposée par Sir Berners-Lee pour rem-placer celle de world wide web qu’il avait lui-même inventéeen 1989-1990. Elle indique que la structure même de cequi compte sur les réseaux de communication est en train dechanger. Les « pages » comptent moins aujourd’hui que lafaçon dont elles rendent compte de nos actions. Et pour ce,elles doivent devenir compréhensibles pour les ordinateurs.C’est ce qu’on appelle le web sémantique dont certains fontle cœur de web 3.0.

L’objet, bien sûr, est l’iPhone, coqueluche des foules…cossues. Alliant ordinateur, téléphone, web et baladeur, ilajoute une nouvelle dimension à la mobilité.

L’année 2008 marque l’entrée dans une époque de « post-disruption » du web 2.0, aux dires du cabinet d’étudesIDC1. Les éléments les plus perturbateurs sont en place etlargement répandus. Les grandes mutations technologiqueset sociales ont déjà eu lieu. Il nous reste à digérer le proces-sus. Poussé par le ralentissement de l’économie américaine,l’assainissement indispensable ne devrait pas tarder. Quenous réserve la suite ?

RÉSEAUX SOCIAUX

Points de passage obligés, les moteurs de recherche pour-raient perdre de leur attrait au profit des sites de réseauxsociaux. Google domine encore, mais va souffrir face à lamenace de Facebook. Mark Zuckerberg, le fondateur, est néaprès l’arrivée d’internet et il avait neuf ans quand MarcAndreessen a lancé le premier navigateur visuel Mosaic qui acréé le web. « Mark Zuckerberg pense différemment », souli-gne la fameuse analyste Mary Meeker de Morgan Stanley, « etnous pensons que c’est une bonne chose2 », une source poten-tielle d’innovations.

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Le gamin (24 ans en 2008) ne manque ni d’ambition nide méthode. Son concept phare est le « graphe social »(social graph) qu’il définit ainsi : « C’est l’ensemble des rela-tions de toutes les personnes dans le monde. Il y en a un seulet il nous inclut tous. Personne ne le possède. Nous essayonsde le modéliser, de représenter exactement le monde réel enen dressant la carte3. »

Les utilisateurs risquent de se fatiguer de la multiplicitéd’offres incompatibles et centralisées comme MySpace ouFacebook. On devrait voir une demande de réseaux sociauxdistribués du genre Ning.com et de systèmes permettantde naviguer de l’un à l’autre comme le propose MyLife-Brand.com. OpenSocial4, lancé à l’initiative de Google le1er novembre 2007, se propose de faire adopter par les prin-cipaux acteurs des standards permettant la « portabilité desdonnées » d’un réseau à l’autre.

« Le marché a déjà décidé qu’il y aura une longue traînede réseaux sociaux et que les gens appartiendront à plusd’un. Dès que vous appartenez à plus d’un, l’interopérabilitéest essentielle », estime Anil Dash de SixApart, qui adhèreà OpenSocial à coté de MySpace, LinkedIn et beaucoupd’autres5.

GRAPHE GLOBAL GÉANT

L’importance du graphe social mis à la mode par Facebookest telle que Tim Berners-Lee suggère que nous sommes entrain de passer du world wide web, terme qu’il a inventé, augiant global graph, le « graphe global géant » ou GGG6. Audépart, l’internet reliait des ordinateurs entre eux. Le webpermet de relier les documents.

Nous en sommes à la troisième étape et nous nous rendonscompte que « ce ne sont pas les documents qui comptentmais ce dont ils traitent ». « Obvious, really », écrit l’inventeurdu web. « Ce ne sont pas les sites de social networking qui sontintéressants – c’est le social network lui-même. La façon dont je

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suis connecté, pas la façon dont mes pages web sont connec-tées. Nous pouvons utiliser le mot “graphe” maintenant pourle distinguer du Web7. » L’objectif est d’exprimer ces rela-tions indépendamment des documents pour qu’elles puissentêtre réutilisées par tous les sites intéressés.

« Penser en termes de graphe plutôt que de web, écrit-il,est essentiel si nous voulons tirer le meilleur parti possibledu web mobile, du zoo d’appareils sauvagement différentsqui nous permettront d’accéder au système. » Quand ilréserve une place dans un avion, c’est le vol en question quil’intéresse et pas la page sur laquelle se trouve le vol, ni cellede la compagnie aérienne. Nous plongeons vers des infor-mations de plus en plus fines toujours situées dans un réseaude relations.

C’est peut-être ça, le GGG : des connexions entre desinformations détaillées. La dynamique relationnelle peutainsi fonctionner de façon encore plus précise. À la diffé-rence de Zuckerberg, Berners-Lee ne dit pas que le graphesocial est celui de nos relations. Il le voit plutôt commecelui de nos actions, ce qui lui permet d’établir un lien avecle web sémantique dont il est le promoteur le plus connu.Autrement dit, notre « amitié » avec telle ou telle personneest moins importante que ce que nous faisons concrètementensemble et ce que nous échangeons…

Trop compliquée pour séduire, la proposition a suscité denombreux débats. Une des contributions les plus remarquéesest celle de Nova Spivack, fondateur d’une des premièresapplications fondées sur le web sémantique, Twine.com. Lapropriété sémantique consiste tout simplement à ajouter unecouche supplémentaire de données pour que les machines, etpas seulement les humains, puissent les traiter. Spivack estpartisan du « graphe sémantique », beaucoup plus facile àréutiliser sur de multiples applications parce que « c’est ungraphe qui transporte son propre sens avec lui8 ». Un graphe,rappelons-le, c’est la représentation d’un ensemble de liensentre des nodes.

Le graphe conçu par Berners-Lee est une couche d’abstrac-tion supplémentaire qui permet de représenter les liens entre

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les gens mesurés au travers de leurs interactions en ligne. Legraphe sémantique ajoute les métadonnées qui permettent àdes machines de lire les interactions en question. Il est impor-tant pour les utilisateurs que cette couche d’abstraction soitcommune à tous les systèmes, faute de quoi nous n’aurionsjamais accès qu’à des fragments de nos relations sociales.

En mettant l’accent sur les connexions au niveau granu-laire plus que sur l’ensemble, Berners-Lee invite à uneapproche moins totalisante que le social graph de toutes lesrelations humaines tel que l’entend Zuckerberg.

WEB 3.0 ?

Il ne faut vraiment pas beaucoup d’imagination pour envisa-ger que la prochaine étape du web s’appellera « web 3.0 ».Trop de gens y ont pensé avant qu’elle n’arrive et tous lesnoms de domaine ont été achetés. Avec web 2.0, TimO’Reilly a mené une belle opération à un moment où ils’agissait de montrer que, loin d’être mort, l’internet se por-tait bien et changeait même de peau. Il est fort peu vraisem-blable que la prochaine étape soit baptisée d’un nom qui nemarquerait pas un minimum de rupture.

Mais la formule est commode. Les gens comprennent ins-tantanément qu’il s’agit du web de demain et les ténorss’affrontent sur la définition, dans l’espoir sans doute d’yplanter un drapeau vengeur et propriétaire.

Jason Calacanis, blogueur et entrepreneur, a défini « offi-ciellement » le web 3.0 le 3 octobre 2007 comme étant « lacréation de contenu de grande qualité et de services produitspar des individus doués utilisant la technologie de web 2.0comme une plateforme9 ». Exemple : « Une version de Diggdans laquelle des experts vérifieraient la validité des affirma-tions et rectifieraient les titres pour qu’ils soient plus précis,serait la version web 3.0. »

Pas d’accord, rétorque Tim O’Reilly, parrain, protecteuret propriétaire de « web 2.0 », dans un commentaire à ce

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billet10 : le contenu révisé par d’autres… c’est ce qui sepasse depuis qu’on publie. Il n’est pas d’accord non plusavec ceux qui se contentent de dire que « web 3.0, c’est leweb sémantique ». Celui-ci apparaîtra avec « la rupture duparadigme clavier/écran et le monde dans lequel l’intelli-gence collective émerge non pas des gens en train de tapersur un clavier mais de la mise en œuvre de nos activités pardes instruments ».

Nova Spivack, le patron de Radar Networks et l’un des co-auteurs de la définition de « web 3.0 » sur Wikipedia11, estintervenu à son tour avec une définition surprenante : web 3.0« c’est la troisième décade du web (2010-2020)12 ». Unelogique dans laquelle web 4.0 en serait la quatrième.

Il précise : « Alors que web 3.0 n’est pas synonyme duweb sémantique (il y aura plusieurs autres déplacementstechnologiques importants au cours de cette période), ilsera largement caractérisé par la sémantique en générale. »C’est-à-dire, par la capacité conférée aux ordinateurs de« comprendre » les documents et les actions qu’ils trai-tent.

Le web 3.0 selon Tim O’Reilly

Au cours d’un entretien réalisé en novembre 2006 à Sebastopol, au nordde San Francisco où se trouve le siège de sa compagnie, Tim O’Reillynous a confié sa vision des éléments qui, selon lui, constitueront leweb 3.0.

À partir de quand considérez-vous que nous pourrons parler de « web 3.0 » ?

J’ai en fait deux ou trois scénarios plausibles face auxquels je dirais : « ouic’est suffisamment différent pour que je l’appelle web 3.0 ».

Le premier repose plus sur un nouveau type d’intelligence artificielle(IA) qui émerge avec toute cette idée de tirer parti de l’intelligence collec-tive (harnessing collective intelligence) qui caractérise web 2.0. C’estpresque comme la vieille plaisanterie de Pogo, le personnage de la bandedessinée du même nom : « Nous avons rencontré IA et c’est nous13 ».

Le fait est que Google est intelligent parce que nous y contribuons.C’est le génie du pagerank. Il ne s’agit pas seulement d’un algorithme quiétudie le document. Il étudie la conduite des gens en matière de liens. Sur

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Digg.com où les articles sont promus par le vote des gens, nous sommesexplicitement mis au travail comme des composantes d’un programme.

Quant à web 3.0 il y a deux histoires qui indiquent des points d’inflexion[tipping points]. La première concerne la traduction chez Google. Ils ontgagné une compétition de traduction automatique du chinois à l’anglais etde l’arabe à l’anglais organisée par Darpa [Defense Advanced ResearchProjects Agency], l’agence du Pentagone pour la recherche. Or, aucunspécialiste du chinois ou de l’arabe ne travaille sur ce projet. Ils n’ont mêmepas de nouveaux algorithmes. Ils ont simplement plus de données. Ce quine marche pas quand les bases de données ont des millions de mots mar-che vraiment bien quand elles en ont des milliards.

L’autre histoire m’a été racontée par Jeff Jonas, fondateur de SystemsResearch & Development, une société de Las Vegas rachetée par IBM. Il acommencé dans les casinos en essayant de reconnaître les gens avec unsoftware capable de dire quelque chose du genre : « Saviez-vous que letype qui est en train de gagner à la table 4 avait la même adresse il y atrois ans que le type qui distribue les cartes à la table 4 ? » Ils ont mainte-nant un contrat avec le département de la Sécurité intérieure. La dimen-sion politique a de quoi faire peur, mais la technologie est vraiment cool. Ilsont construit une base de données avec 3 millions d’Américains. Ellecontient 670 millions d’éléments d’informations. Quand ils ont un TimO’Reilly et un T. O’Reilly, ils ne savent pas si c’est la même personne. Ilsajoutent donc des données.

Quant on les réunit, ces deux histoires disent qu’il y a des pointsd’inflexion dans l’échelle des données auxquels nous sommes en train deparvenir et qu’à partir d’une certaine échelle, on arrive à de nouveauxcomportements. Si on ajoute cela à la notion d’intelligence artificielle, onarrive à un niveau où nous pourrions avoir des surprises. C’est un desscénarios possibles pour web 3.0.

Quel genre de perspective cela nous ouvre-t-il ?Il s’agit sans aucun doute de quelque chose de riche et d’étrange. Parexemple le fait que l’information viendra de plus en plus de sensors[détecteurs, palpeurs]. Le clavier en est un, bien évidemment, maisnous allons générer d’énormes quantités d’informations au moyend’autres détecteurs. Les entreprises trouveront le moyen d’en tirer parti,ce qui pourrait conduire à un type radicalement nouveau d’applicationset de structures de pouvoir. Prenons par exemple le cas de compagniesd’assurances basées en Grande-Bretagne. Les polices sont tradition-nellement calculées en fonction de l’endroit où vivent les gens. Mainte-nant [grâce aux caméras et aux sensors], elles savent que vousconduisez – vite – dans le centre de Londres. Peu importe où voushabitez. Elles vont vous faire payer plus.

[Dans un billet postérieur (août 2007), O’Reilly parle de « révolution desdétecteurs14 » : « On trouve de plus en plus de sensors de différentes sor-tes ce qui permet de construire des appareils qui répondent intelligemment

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à une gamme plus grande de stimuli extérieurs. […] Un nouveau typed’interface utilisateurs comprenant des détecteurs nous intéresse particu-lièrement (pensez au Wii de Nintendo par exemple). À quoi il faut ajouter lamultiplication des palpeurs connectés en réseaux qui vont réunir l’universde l’intelligence implantée et celui de l’intellligence collective que nousappellons web 2.0. »]

[La troisième dimension, poursuivit-il lors de l’entretien de Sebastopol,est la confluence des jeux online, des mondes virtuels et de la fabrica-tion.] Ça a l’air un peu tiré par les cheveux mais… j’aime bien citer cettephrase merveilleuse de William Gibson : « le futur est déjà là mais il n’estpas encore distribué équitablement15 ». Additionnés, ces trois élémentsdonneront quelque chose de très différent.

Il suffit par exemple de voir l’usage que les gens font de Google Earthet de regarder ce qu’ils dessinent sur Second Life ou dans World of War-craft, puis d’établir un lien avec toute la révolution « FAB » [le fait de pou-voir fabriquer des objets avec son ordinateur à partir de donnéesnumériques transmises et modifiées en ligne16].

Je crois que nous allons entrer dans un monde de fabrication person-nelle dans les cinq ou dix années qui viennent. On verra aussi la version 3Dde MySpace. Il ne s’agira plus seulement de jeux mais d’espaces. SecondLife est encore petit, mais c’est un concept très puissant. »

[Dans un billet d’octobre 2007 sur le sujet, Tim O’Reilly reprend unepartie de ces considérations sur web 3.0. Il insiste sur la notion de dis-continuité, la seule qui justifie qu’on ait besoin d’un autre terme pour par-ler d’une autre réalité.]

Quelque chose est en train de mijoter. C’est évident. Mais on ne lequalifiera pas de web 3.0. Et il est de plus en plus vraisemblable que çasera beaucoup plus ample et plus omniprésent que le web, à mesure oùla technologie mobile, les sensors, la reconnaissance de la parole et biend’autres nouvelles technologies nous donneront une informatique bienplus « ambiante » qu’elle ne l’est aujourd’hui17.

L’ajout de la mobilité et l’omniprésence des technologies connectéespourraient nous obliger à chercher un autre terme…

MOBILITÉ+ OU MOBIQUITÉ ?

Sur la liste des achats de fin 2007 des jeunes Japonais, les PCsont arrivés loin derrière écouteurs, caméras, consoles dejeux et autres gadgets électroniques. Ils s’amusent, se connec-tent et communiquent autrement. La baisse des ventes de

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laptops et de desktops a commencé cinq trimestres plus tôt et nes’est pas démentie depuis18. Un Japonais sur deux utilise sontéléphone mobile pour envoyer des courriels et surfer sur leweb. Mobagay Town, le réseau social qui croît le plus rapide-ment, est conçu exclusivement pour être utilisé à partir detéléphones.

Les Japonais semblent être ainsi les premiers à se rendrecompte que nous n’avons pas vraiment besoin de processeursplus puissants et que les disques durs gigantesques ne valentpas nécessairement le prix auquel ils sont vendus. Il s’agitd’un premier pas dans l’ère de la mobilité. Au lieu de« web 3.0 », nous serons peut-être amenés, pour marquer unedifférence, à parler de « mobilité 2.0 » ou, pour se libérer dela référence, de « mobilité+ » (ou « m+ », pour faire vite parSMS).

Dans un commentaire à un billet sur le sujet publié surTransnets, le consultant Xavier Dalloz suggère le terme de« mobiquité19 » (mobilité + ubiquité).

La mobilité est elle-même en pleine mutation. Il s’agit derendre compte à la fois du fait que, depuis un nombre crois-sant de lieux et de situations, nous pouvons avoir accès à unmonde d’informations et de loisirs bientôt aussi riche (ouplus) et infiniment plus cool que celui que nous avionsdevant nos ordinateurs et nos télés.

Le haut débit sans fil ouvre un nouveau plateau de pers-pectives.

L’apparition puis la multiplication des gadgets web telsque l’iPhone d’Apple ou le Kindle d’Amazon sont dessignaux. La tendance prendra de la force avec l’arrivée sur lemarché des ordinateurs ultraportables moins puissants queles laptops auxquels nous sommes habitués, beaucoup moinschers et totalement suffisants, tels que l’EEE d’Asus, ou,pour ceux qui en ont les moyens, le MacBook Air d’Apple.

Amazon a fait un malheur avec les localisateurs GPS offertscomme cadeaux de Noël en 2007. Cela veut dire que les gensont envie de savoir précisément où ils sont et en attendent desinformations utiles. Cela permet aux entreprises de leur pro-poser des services ou des produits de proximité. Ils pourront

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même, comme ils le font avec Dodgeball.com entre autres, seconnecter aux membres de leurs réseaux qui se trouvent auxalentours. La dimension est sociale, technologique et écono-mique.

Le futur sera plus mobile

Danah Boyd, cette doctorante de Berkeley spécialisée dans l’étude des jeunes et des réseaux sociaux qui est intervenue dans le premier

chapitre, est convaincue de l’importance accrue et « évidente » de la mobilité, comme elle l’a expliqué au cours de l’entretien

que nous avons eu avec elle.

Le téléphone mobile aux États-Unis va très certainement finir par décoller.Ou un appareil de communication portable et complet s’imposera. Il y aune très forte pression pour « devenir mobile ». Pas seulement en termede téléphone, mais aussi parce qu’on voudra être capable de ne pas êtrebloqué devant son ordinateur comme on l’est aujourd’hui. Les barrièresne sont pas technologiques. Elles nous sont imposées par les opérateursde téléphonie mobile. Il y a tellement de choses que nous aimerions faireet que nous ne pouvons pas faire.

[Elle refuse cependant de donner un nom au phénomène dont elleconstate l’émergence.] Je ne veux pas essayer de faire comme tout lemonde : tous les cinq ans, il faut quelque chose de nouveau, une nou-velle expression. Il y a ceux qui croient que l’avenir sera plus « en ligne »et ceux qui croient que le futur sera plus mobile. Je crois qu’il sera plusmobile. C’est la prochaine étape.

Réseaux sociaux, graphe global géant, web sémantique,intelligence embarquée, mondes virtuels (en deux ou troisdimensions), mobilité ou mobiquité, le web de demain n’apas encore de nom que nous semblons déjà crouler sousl’analyse de ses composantes. Et tout n’est pas encore dit. Ilmanque encore au moins un élément qui pourrait jouer unrôle perturbateur insoupçonné dans l’évolution du web etdans sa façon d’influencer les changements du monde.

La rébellion des usagers est encore un signal faible, commedisent les analystes de tendances, mais elle ne peut être igno-rée. Après le succès de la protestation des utilisateurs de Digg

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contre un acte de censure de l’entreprise en avril 2007, nousavons vu, en novembre, une rébellion également couronnéede succès des usagers de Facebook contre la façon cavalièreavec laquelle la société traitait les informations les concernantdans la mise en œuvre d’un système de publicité efficace.

Le futurologue Mark Anderson – qui avait prévu le barilde pétrole à 100 dollars dès février 200520 – fait de la« révolte des usagers » sa première prédiction pour 2008 etprécise : « Alors que les annonceurs s’intéressent aux réseauxsociaux, les utilisateurs se révoltent contre cette tendance et,dans le monde des réseaux sociaux, le pouvoir se déplace dupropriétaire à l’utilisateur à propos de questions qui vont desrèglements de Second Life et de la protection des donnéespersonnelles sur Facebook à la facturation des téléphonesmobiles. L’influence des utilisateurs se fera sentir de manièrenouvelle21. »

Il serait illusoire de penser que le web pourrait être parti-cipatif, qu’il puisse contribuer à changer le monde sans envi-sager que les enjeux de pouvoir et d’argent ne donnent lieu àdes tensions et à des affrontements. De plus en plus sollicitéset de plus en plus actifs, les utilisateurs ont leur mot à dire.Certes, ils sont dispersés, mais ces multitudes disposent desoutils pour communiquer, s’organiser et agir. Le système abesoin de leur participation intelligente pour fonctionner etleur fournit les outils qu’il faut. Le plus difficile à concevoir,quand nous essayons de comprendre de quoi demain sera fait,par-delà les mutations technologiques, est encore d’imaginerles nouveaux modes d’intervention des citoyens du web pourse faire entendre et pour influencer les changements eux-mêmes.

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Postface

L’espace (encore à explorer) d’une nouvelle intelligence collective

Attention, le livre que vous venez de lire ne vous laissera pasintact. Car derrière les transformations de l’internet, c’estbien un bouleversement profond des cerveaux et des espritsque les auteurs nous font entrevoir. Et derrière ces muta-tions individuelles, un profond changement de l’organisa-tion sociale.

Arrêtons-nous un instant sur la transformation des cer-veaux. Qui n’a jamais contemplé la lune, en espérant y lire lespensées secrètes d’inconnus qui nous comprendraient ? Alorsque le 20e siècle s’est achevé par le triomphe de l’image, le21e siècle débute par une certaine réhabilitation de l’écriture,l’outil permettant le mieux d’exprimer les pensées sanss’encombrer des apparences, visuelles ou auditives. Noussavons désormais que nous pouvons à tout instant partager nosimpressions de l’instant comme nos pensées profondes avec desproches, mais aussi avec de simples relations ou des inconnus.Cela n’empêche aucun de nous de conserver ses secrets, maistout de même, la vie virtuelle est une vie qui se vit à cerveauouvert, et cela transforme jusqu’à notre façon de penser. Nousne sommes plus seuls avec notre vie intérieure, ou en tout cassa porte n’est plus étanche, ni réservée à un minuscule cercled’intimes, ou, pour les croyants, à Dieu... C’est la premièregrande donnée de cette « alchimie des multitudes » décrite

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par les auteurs. Si les adolescents d’aujourd’hui s’intéressent àleurs semblables plutôt qu’aux mystères de l’Espace ou auxsecrets de la mer Rouge, c’est parce qu’avec l’internet l’explo-ration de la vie intérieure des autres a remplacé la découvertede mondes inconnus comme mode de quête de soi-même.

La deuxième grande donnée de l’alchimie des multitudes,c’est que cette vie intérieure à ciel ouvert est une vie organiséeet découpée en thématiques comme un roman de Perec.L’internet « alchimique » nous aide à classer et à rendre pré-sentable à tout inconnu notre univers mental. C’est formi-dable et c’est dangereux. Les images – nos photos, nos vidéospréférées, etc. – deviennent les composantes d’un autopor-trait impressionniste dont le désordre est remarquablementnormé. La règle, déjà évidente depuis les débuts du web,selon laquelle les plus grands dangers du net résident non pasdans ce qu’il dit mais dans ses silences, apparaît aujourd’huiplus exacte que jamais. Heureusement, comme le montrentles auteurs, l’internet offre aussi une forme de réhabilitationde la diversité, y compris dans l’offre des acteurs économiquesqui n’avait cessé d’évoluer vers la standardisation dans laseconde moitié du 20e siècle. Espérons qu’à coté de l’« écono-mie de la longue traîne », c’est-à-dire la capacité à produire àbas prix des produits rares correspondant à la diversité spon-tanée des goûts de chacun, le web saura aussi produire etencourager une « pensée de la longue traîne ».

Mais s’il change nos façons de penser, l’internet permetaussi la mise en œuvre de l’intelligence collective dans desconditions totalement inédites depuis les origines de l’huma-nité. Lorsque le bouddhisme, le christianisme, l’islam redessi-nent le monde, ils sont des systèmes de pensée construits dèsl’origine, et révélés par un prophète unique. Quant auxgrands systèmes politiques, ils ne sont pas obligatoirement lefruit de l’imagination d’une seule personne, mais presquetoujours accouchés par un groupe ramassé dans l’espace etdans le temps de penseurs et de réformateurs. La mise enréseau des esprits transforme vraiment les rapports de forcedans la société, et fait surgir en quelques mois des façons devivre et de penser, des aspirations et des désirs entièrement

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nouveaux et pourtant très largement partagés alors qu’ilsn’ont été, en principe, inspirés par aucun gourou ni aucunphilosophe. Ils sont les purs produits d’une intelligencesociale collective. La différence entre les conflits de générationd’aujourd’hui et ceux d’hier, c’est que ceux d’hier étaient tou-jours inspirés par des écrivains rebelles de la génération desparents. Il ne faut pas sous-estimer la formidable vertu d’unporte-voix qui permet à la rue de se faire entendre sans des-cendre dans la rue et de voter avec ses pieds sans prendre sesjambes à son cou. Il ne faut pas être naïf non plus. Évitanttoute théorie facile du complot organisé par un big brothermultinational, les auteurs nous montrent que le risque existequand même de voir une partie de l’intelligence collective duweb confisquée et contrariée par des little sisters aux intérêtsétroits. Et on voit aussi comment le web peut devenir le théâ-tre de nouvelles « fièvres obsidionales », ces mouvements defoule qui poussaient au Moyen Âge tous les habitants de laville vers une de ses sorties, simplement parce que le bouche àoreille avait signalé l’approche d’une troupe d’hommesd’armes ou d’une bande de lépreux.

Mais le progrès technique ne cesse d’avancer, dans un sensqui donnera à l’utilisateur de plus en plus de maîtrise des con-tenus, de facilité d’accès, et aussi de sa capacité à se rebellercontre les pratiques ou les offres qui lui déplaisent. À l’heureoù beaucoup s’inquiètent des conséquences écologiques del’activité industrielle, tout en reconnaissant son utilité pour lebien être collectif, l’heure a sans doute sonné d’associer àl’essor du web une vraie démarche de développement durableintellectuel. 1 + 1 = beaucoup, nous disent les auteurs. Peut-être, mais de la qualité de l’éducation, du niveau culturel etde la conscience éthique de chaque petit 1, c’est-à-dire dechaque « webacteur », dépendra tout de même la capacité dece « beaucoup » à nous propulser vers le progrès ou à nousexpédier dans le mur.

Antoine SIRE

Directeur de la Marque,Communication et Qualité de BNP Paribas

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Notes

Introduction

1. Comparer à ce sujet les statistiques données par Internet World Statshttp://www.internetworldstats.com/stats.htm et celles de l’US CensusBureau pour la population mondiale.

2. Voir la définition sur Wikipedia.org, par exemple.3. Olivier Goldsmith, She stoops to conquer, Londres, 1773.4. Le Gartner Group est un cabinet d’étude et de conseil en technologies

d’origine américaine.5. Il a été depuis dépassé par l’adoption de la téléphonie mobile qui est

passée, selon Manuel Castells, de 16 millions d’utilisateurs en 1991à 2 milliards en 2006 (conférence tenue à la School of Information del’université de Californie-Berkeley le 17 novembre 2006).

6. Digital subscriber line, ou ensemble de technologies qui permettent defaire passer des données par les lignes de téléphones fixe.

7. World Internet Usage and Population Statistics, http://www.inter-networldstats.com/stats.htm.

8. La « quiet period » précède l’introduction en Bourse d’une entreprise.Pendant cette période, les dirigeants de l’entreprise doivent garder lesilence, afin d’éviter d’influencer le marché avant l’introduction, enrévélant des éléments d’informations nouveaux ne pouvant pas êtrevalidés par l’autorité de régulation des marchés américains, la SEC(Security and Exchange Commission).

9. Le 1er février 2008, Google était valorisé à 172 milliards de dollars, etFord à 14,2.

10. Rencontre avec l’auteur, 4 novembre 2005, http://www.atelier.fr/veille-internationale/10/04112005/rencontre-bill-draper-roi-capitaux-risqueurs-prince-inde-skype-30753;30756.html.

11. Joe Kraus, fondateur de Excite, puis de JotSpot, estimait en juin 2005qu’il fallait trente fois moins d’argent cette année-là que dix ans plustôt. Voir Transnets, le blog de Francis Pisani sur Le Monde, http://pisani.blog.lemonde.fr/2006/01/23/2006_01_lancer_une_entr/.

12. Tim O’Reilly, « What is web 2.0 », 3 septembre 2005, http://www. oreillynet.com/pub/a/oreilly/tim/news/2005/09/30/what-is-web-20.html.

13. Le concept de « tipping point », formalisé par des sociologues dans lesannées 1960, a été repris et étendu par Malcolm Gladwell, dans sonlivre Tipping Point, qui connaît un grand succès aux États-Unis.

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Chapitre 1

1. Définition d’un réseau social : http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seau_social.

2. American Graffiti, Georges Lucas, 1973.3. Voir notamment Transnets, dont ce passage est largement tiré. Pour les

sources : « Identity Production in a Networked Culture: Why YouthHeart MySpace », http://www.danah.org/papers/AAAS2006.html.

4. Entretien avec les auteurs.5. C’est pour cette raison que nous ignorerons ici ce marché, dont nous

présupposons qu’il est très hétérogène d’une part, et largementdominé par des usages équivalents avec un accès essentiellement surmobile, qui est une des caractéristiques forte de ce continent.

6. Pew Internet : http://www.pewinternet.org/, et en particulierhttp://www.pewinternet.org/PPF/r/162/report_display.asp, ainsi quehttp://www.pewinternet.org/PPF/r/230/report_display.asp.

7. Étude réalisée entre le 19 octobre et le 19 novembre 2006, sur unéchantillon représentatif de 935 enfants américains âgés de 12 à 17 ans.

8. Conduite en ligne tous les six mois depuis 1998 en France et depuis2000 en Europe, l’étude « NetObserver » suit l’évolution du compor-tement et de la perception des internautes de plus de 15 ans, quel quesoit leur lieu de connexion (domicile, travail, mais aussi école, univer-sité, lieu public…), sur cinq marchés : France, Italie, Espagne, Alle-magne et Royaume-Uni.

9. « Young People and News », http://www.ksg.harvard.edu/presspol/carnegie_knight/young_news_web.pdf.

10. Selon l’étude « NetObserver », op. cit.11. L’essai est en téléchargement sur le site de Mark Prensky, http://

www.marcprensky.com. On y trouvera également la plupart de sesarticles, et notamment l’essai fondateur sur digital natives/digitalimmigrants, en téléchargement libre : http://www.marcprensky.com/writing/default.asp.

12. Voir notamment son blog, htp://www.zephoria.org.

Chapitre 2

1. « World wide web », http://en.wikipedia.org/wiki/World_wide_web.2. « WorldWideWeb : proposal for a HyperText Project », http://

www.w3.org/Proposal. Voir aussi le premier texte de Berners-Lee écriten mars 1989, http://www.w3.org/History/1989/proposal.html.

3. « As we may Think, The Atlantic Monthly », July 1945, http://www.theatlantic.com/doc/194507/bush. Voir aussi l’article de Wiki-pedia sur le Memex, http://en.wikipedia.org/wiki/Memex.

4. Albert-László Barabási, Linked, The New Science of Networks, Perseus, 2002.5. Entretien par courriel réalisé le 11 juillet 2002.6. John Arquilla et David Ronfeldt expliquent le rôle croissant des réseaux

en s’appuyant largement sur le recours aux nouvelles technologies de

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l’information et de la communication et sur l’efficacité accrue qu’ellesleur procurent. Il faut sans doute ajouter le fait qu’ils fournissent untype de relations plus souples, plus flexibles et qui nous conviennentmieux. C’est ce qu’on comprend quand on situe l’irruption des nouvel-les technologies de l’information et de la communication dans l’évolu-tion sociale de l’après Deuxième Guerre mondiale, l’incrédulité face auxmétarécits et la mutation des relations entre individus et groupes. Voirnotamment « The Emergence of Noopolitik, Toward An AmericanInformation Strategy », Rand, 1999, http://www.rand.org/pubs/monograph_reports/MR1033/index.html.

7. « Networks as a unifying pattern of life involving different processesat different levels », interview de Fritjof Capra par Francis Pisanipubliée dans le International Journal of Communication, http://ijoc.org/ojs/index.php/ijoc/article/view/69/25.

8. Fritjof Capra, The Web of Life, A New Scientific Understanding of LivingSystems, First Anchor Book, New York, 1997.

9. Fritjof Capra, The Hidden Connections, Integrating the biological, cognitiveand social dimensions of life into a science of sustainability, Doubleday, NewYork, 2002.

10. « The Emergence of Noopolitik, Toward An American InformationStrategy », Rand, 1999, http://www.rand.org/pubs/monograph_reports /MR1033/index.html.

11. Albert-László Barabási, Linked, The New Science of Networks, op. cit.12. Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne, Minuit, Paris, 1979.13. « The Rise (and Possible Fall) of Networked Individualism », 2002,

http://www.insna.org/Connections-Web/Volume24-3/T&B.web.pdf.14. « The Rise (and Possible Fall) of Networked Individualism », op. cit.15. Ibid.16. Ibid.17. « Little Boxes, Glocalization, and Networked Individualism », http://

www.chass.utoronto.ca/~wellman/publications/littleboxes/littlebox.PDF.18. http://www.pewinternet.org/report_display.asp?r=172.19. Conversation téléphonique réalisée le 3 février 2006.20. « Cheer up. A bit of a crisis does us no harm », 24 août 2007, http://

www.timesonline.co.uk/tol/comment/columnists/gerard_baker/article2317283.ece.

21. Wikipedia, http://en.wikipedia.org/wiki/Evan_Williams_%28blogger%29.

22. Social Information Overload, http://napsterization.org/stories/archi-ves/000657.html.

Chapitre 3

1. Ancien directeur scientifique du centre de recherche de Xerox, le célè-bre Xerox Parc de Palo Alto.

2. http://web2.wsj2.com/the_state_of_web_20.htm, par Dion Hinchcliffe.

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3. Cité dans John Musser, Web 2.0, Principles and best Practices, O’ReillyRadar, Sebastopol, Californie, 2007.

4. Pour reprendre l’expression rendue célèbre par l’auteur américainMalcolm Gladwell dans : The tipping point : how little things can make abig difference, Back Bay Books, New York, 2002.

5. Les flux RSS permettent de s’abonner de façon très simple à des fluxd’informations de toutes sortes, que l’on reçoit sur l’endroit de son choix.

6. Tim O’Reilly, « What is Web 2.0 », 30 septembre 2005, http://www.oreillynet.com/pub/a/oreilly/tim/news/2005/09/30/what-is-web-20.html.

7. Ces protocoles sont par exemple : XML, le protocole TCP/IP ou http.Mais aussi sur des quasi-protocoles comme Lamp (Linux, Apache,MySQL et PHP), un ensemble de méthodes de développements utili-sant des logiciels libres.

8. Laurie Sullivan, « eBay developpers create huge software as a servicecommunity », Techweb, 3 mars 2006, http://www.techweb.com/wire/ebiz/181500918.

9. Article fondateur d’Ajax, par Jesse James Garrett, http://www.adapti-vepath.com/publications/essays/archives/000385.php.

10. Entretien avec les auteurs.11. Les premières briques de RSS sont dues à Microsoft, qui propose au

W3C (l’instance de régulation technologique de l’internet) son Cha-nel Definition Format des 1997, suivi de près par Netscape. Le fluxRSS, dans une version moins performante que celle que nous connais-sons, naît en 1999, avec la mise en ligne de MyNetscape.com. En2005, Microsoft le reconnaîtra comme un standard de fait, en inté-grant dans le navigateur maison, IE5, l’icône orange du RSS dévelop-pée par son grand concurrent Mozilla (et son navigateur Firefox).

12. Voir l’interview de l’inventeur des wikis, Ward Cunningham, sur lesite de l’atelier : http://www.atelier-us.com/hotnews/how,ward,cun-ningham,invented,wikis-205-.html.

13. Édouard Glissant, Poétique de la Relation, Gallimard, 1990.14. Wikipedia (en anglais), le 6 janvier 2007, http://en.wikipedia.org/

wiki/Mashups.15. À ce sujet, voir par exemple Pekka Himanen, L’Éthique hacker, Exils,

2001.16. Sur les barcamps et les mashpits, voir notamment : barcamp.org, qui est

la page qui leur est dédiée, et qui propose tous les barcamps et lesoutils nécessaires à leur organisation.

17. Jeremy Rifkin, L’Âge de l’accès : la vérité sur la nouvelle économie, LaDécouverte, 2000.

18. À ce sujet, voir notamment le site de la Free Software Society, et letexte de Richard Stallman, l’un des père fondateur du mouvement :http://www.gnu.org/philosophy/15-years-of-free-software.html. Pourune définition précise en français : http://www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html.

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19. Richard Stallman, voir note précédente.20. À ce sujet, voir notamment le site de l’Open Source Initiative : http://

www.opensource.org/. Voir aussi sur ce site la partie historique, trèscomplète.

21. L’ouvrage « fondateur », avec des textes des pères, comme RichardStallman ou Linus Torwald : http://www.oreilly.com/catalog/open-sources/book/toc.html. Voir aussi, de Eric Raymond, The Cathedraleand the Bazaar, disponible en ligne : http://catb.org/~esr/writings/cathedral-bazaar/cathedral-bazaar/index.html.

22. Manuel Castalls, La Galaxie Internet, Fayard, 2001.23. Voir à ce sujet le texte initial de Tim O’Reilly, « What is web 2.0 ? »,

http://www.oreillynet.com/pub/a/oreilly/tim/news/2005/09/30/what-is-web-20.html?page=1.

24. La grande entreprise de construction des infrastructures de l’internet,des serveurs aux routeurs.

Chapitre 4

1. À propos de Craigslist : http://www.craigslist.org/about/mission.and.history.html.

2. Informations trouvées à fin septembre 2007 sur : http://www.craigs-list.org/about/factsheet.html.

3. « Mir. Craigslist, Master of the Nerdiverse », Wired, septembre 2004,http://www.wired.com/wired/archive/12.09/craigslist.html.

4. Définition trouvée le 13 novembre 2007 sur Wikipedia (en français).5. Tim O’Reilly, « What is web 2.0 », op. cit.6. John Musser et Tim O’Reilly, « Web 2.0 Principles and Best Practi-

ces », O’Reilly Radar, novembre 2006, http://www.oreilly.com/radar/web2report.csp.

7. Internet World Stats, http://www.internetworldstats.com/stats.htm.8. Les données de la Information Technology and Innovation Foundation

montrent qu’à la fin 2006, différents pays dont le Japon, l’Allemagne et laFrance avaient dépassé les États-Unis en terme de proportion de foyersconnectés avec des lignes à haut débit avec des lignes entre trois et douzefois plus rapides en moyenne que dans ce pays. Paul Krugman, « TheFrench Connections », The New York Times, 23 juillet 2007.

9. Selon les chiffres avancés par Mark Zuckerberg à TechCrunch40 quis’est tenu à San Francisco le 17 septembre 2007.

10. CNN, « CNN/YouTube debates to feature user-generated content »,http://www.popmatters.com/pm/news/article/42651/cnn-youtube-debates-to-feature-user-generated-content/.

11. Pew Internet and American Life Project, http://www.pewinternet.org/pdfs/PIP_Teens_Social_Media_Final.pdf.

12. John Musser et Tim O’Reilly, op. cit.13. Jakob Nielsen, http://useit.com.14. Yahoo Trip Planner, http://travel.yahoo.com/trip.

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15. Communication personnelle avec Béatrice Tarka, fondatrice et PDGde la compagnie, le 6 février 2008.

16. Liste tenue à jour des près de 400 sites conçus sur le modèle Digg, http://3spots.blogspot.com/2006/04/all-digg-style-applications-list.html.

17. Suggestion board de Yahoo !, http://suggestions.yahoo.com/landing/. 18. Explications de Yahoo ! http://yodel.yahoo.com/2007/02/14/it-takes-

two-to-tango/. 19. IdeaStorm de Dell, http://www.dellideastorm.com/.20. « Les diggers protestent », http://digg.com/tech_news/Yahoo_

Shamelessly_Rips_Off_Digg_and_Brags_About_It.21. Yahoo Launches Digg-Like Suggestion Site, http://www.tech-

crunch.com/2007/02/15/yahoo-launches-digg-like-suggestion-site/.22. Manifeste Cluetrain, http://www.cluetrain.com/manifeste.html.23. David Weinberger, Everything is Miscelaneous, The Power of the New Digi-

tal Disorder, Times Books, 2007. Le premier chapitre peut être lu enligne, http://www.everythingismiscellaneous.com/wp-content/samples/eim-sample-chapter1.html.

24. David Weinberger, « Taxonomies and Tags, from Trees to Piles of Lea-ves », Release 1.0, février 2005. La revue n’est pas accessible, maisWeinberger a publié un extrait sur son blog, http://hyperorg.com/blogger/misc/taxonomies_and_tags.html.

25. John Musser et Tim O’Reilly, Web 2.0 Principles and Best Practices,novembre 2006.

26. Op. cit.27. Daniel Bricklin, The Cornucopia of the Commons, http://www.bric-

klin.com/cornucopia.htm.28. Op. cit.29. John Musser et Tim O’Reilly, op. cit.30. Kazys.varnelis.net, http://varnelis.net/blog/definition_web_2_0.31. William Goldman, Adventures, in the Screen Trade, Warner Books, 1983.32. C’est Lori Cudwell qui a remporté le premier contrat (en octobre 2007)

avec son roman Hollywood Car Wash. Il est trop tôt pour dire si ce seraun succès, mais force est de remarquer que le texte avait déjà obtenu unvrai succès sur le site de publications à la demande, iUniverse.com,http://news.mediapredict.com/2007/10/08/%e2%80%9chollywood-car-wash%e2%80%9d-wins-project-publish/.

33. James Surowiecki, The Wisdom of Crowds, Anchor Books, New York,2004 (traduit en français chez Lattès sous le titre La Sagesse des foules, àparaître en avril 2008).

34. Ibid.35. Op. cit.36. Marché prédictif sur les risques de grippe aviaire, http://flupredic-

tion.uiowa.edu/fluhome/Market_AvianInfluenza.html.37. « Hollywood Games People Play », Business Week, 3 août 2006 http://

www.businessweek.com/technology/content/aug2006/tc20060804_618481.htm.

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38. Jason Ruspini, « Policy Event Derivatives », http://riskmarkets. blogs-pot.com/2007/05/policy-event-derivatives.html.

39. « Finding the Face of Terror in Data », The New York Times, 10 sep-tembre 2003.

40. « Guessing games », The Economist, 18 novembre 2004.41. « Harvard Business School Case Study : IdeaWarz and Prediction

Markets », http://www.cambrianhouse.com/blog/startups-entrepre-neurship/harvard-business-school-case-study-ideawarz-and-predic-tion-markets/.

42. James Surowiecki, « The Science of Success », The New Yorker, http://www.newyorker.com/talk/financial/2007/07/09/070709ta_talk_surowiecki.

43. Jeff Howe, « The Rise of Crowdsourcing », http://www.wired.com/wired/archive/14.06/crowds.html.

44. « Crowdsourcing: Consumers as Creators », http://www.busines-sweek.com/innovate/content/jul2006/id20060713_755844.htm.

45. Jeff Howe, « 5 Rules of the New Labor Pool », http://www.wired.com/wired/archive/14.06/labor_pr.html.

46. http://thepenguinblog.typepad.com/the_penguin_blog/2007/03/a_million_pengu.html.

47. « Stock Waves : Citizen Photo Journalists Are Changing the Rules »,Wired, 7 septembre 2007, http://www.wired.com/techbiz/media/news/2007/07/stockwaves.

48. « The Expertise of the Periphery. A Harvard Business professor wei-ghs in on the crowd », Wired, 7 octobre 2007, http://www.wired.com/techbiz/media/news/2007/07/academics_crowdsourcing.

49. Entretien personnel réalisé le 3 août 2007.50. http://crowdspirit.com.51. « Crowdsourcing : A Million Heads is Better than One », Read-

writeweb, 22 mars 2007, http://www.readwriteweb.com/archives/crowdsourcing_million_heads.php.

52. « Community vs. Crowd, Austin Hill », Billionswithzeroknowledge,4 décembre 2006, http://www.billionswithzeroknowledge.com/2006/12/04/communityvscrowd-istockphoto/ et le billet de Lionel Davidhttp://www.crowdspirit.org/2007/02/21/may-be-we-should-rename-the-crowdspirit-as-a-community-production-project/.

53. « Crowdsourcing : A Million Heads is Better than One », op. cit.54. http://zero.newassignment.net/.55. Jay Rosen a un blog passionnant : PressThink, http://journalism.nyu.edu/

pubzone/weblogs/pressthink/.56. « About AssignmentZero », http://zero.newassignment.net/aboutas-

signmentzero.57. « Did Assignment Zero Fail ? A Look Back, and Lessons Learned »,

Wired, http://www.wired.com/techbiz/media/news/2007/07/assignment_zero_final.

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58. Wired a retenu douze articles et entretiens, http://www.wired.com/print/techbiz/media/news/2007/07/assignment_zero_all.

59. Ibid.60. « Open Source Science : A New Model for Innovation », 20 novembre

2006, http://hbswk.hbs.edu/item/5544.html.61. David Weinberger, « SuperNova, Disorder : Feature or Bug ? »,

9 juillet 2007, http://conversationhub.com/2007/07/09/video-david-weinberger-and-andrew-keen/.

62. Définition de « métadonnée » sur Wikipedia (en français), http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9tadonn%C3%A9es.

63. David Weinberger, op.cit.

Chapitre 5

1. John Markoff, What the Dormouse Said, How the 60s Counterculture Sha-ped the Personal Computer Industry, Viking, New York, 2005.

2. « We owe it all to the hippies », Time, 1er mars 1995, http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,982602,00.html.

3. Statistiques de Wikipedia, http://en.wikipedia.org/wiki/Wikipedia:Sta-tistics.

4. Entretien par courriel avec Francis Pisani du 15 décembre 2003.5. « internet encyclopaedias go head to head », Nature, http://www.nature.

com/news/2005/051212/full/438900a.html.6. « German Language Wikipedia Better than Brockhaus Online, Ana-

lysis Indicates », http://wikimediafoundation.org/wiki/Press_releases/German_Wikipedia.

7. « Wikipedia’s Huge Nerd Bias », TechCrunch, 7 juin 2007, http://www.techcrunch.com/2007/06/07/wikipedias-huge-nerd-bias/, « Light-saber Combat », http://en.wikipedia.org/wiki/Lightsaber_combat,« Modern Warfare », http://en.wikipedia.org/wiki/Modern_warfare.

8. Le 18 septembre 2007, cet article de Wikipedia présentait le cas defaçon remarquablement équilibrée : « Seigenthaler controversy »,http://en.wikipedia.org/wiki/Seigenthaler_controversy.

9. Tim O’Reilly, « Harnessing Collective Intelligence », http://radar.oreilly.com/archives/2006/11/harnessing_coll.html.

10. Co-inventeur d’Ethernet, un standard permettant la connexion entredes ordinateurs proches les uns des autres.

11. Henry Jenkins, « Collective Intelligence vs. The Wisdom of Crowds »,27 novembre 2006, http://www.henryjenkins.org/2006/11/collective_intelligence_vs_the.html.

12. Kevin Kelly, « Maxims for the Network Economy » in : New Rules forthe New Economy, Viking, New York, 1997.

13. Kathy Sierra, « The Dumbness of Crowds », 2 janvier 2007, http://headrush.typepad.com/creating_passionate_users/2007/01/the_dumbness_of.html.

14. Jaron Lanier, « Digital Maoism : The Hazards of the New Online Col-lectivism », http://edge.org/3rd_culture/lanier06/lanier06_index.html.

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Jaron Lanier nous a en fait confié lors d’une conversation personnelle le5 août 2007, que le choix du titre avait été une décision de marketingprise par un autre. Cela confirme le sentiment rencontré souvent que lechoix des formules choc a le mérite d’attirer l’attention et l’inconvénientd’empêcher de poser le problème comme il faut.

15. Jaron Lanier, op. cit.16. Nicolas Carr, « The amorality of web 2.0 », Rough Type, 3 octobre

2005, http://roughtype.com/archives/2005/10/the_amorality_o.php.17. Kevin Kelly, « We Are the Web », Wired, août 2005, http://www.wired.

com/wired/archive/13.08/tech.html.18. Nicolas Carr, op. cit.19. Nicolas Carr, « The truthiness of Web 2.0 », Rough Type, 9 février 2006,

http://www.roughtype.com/archives/2006/02/the_truthiness.php.20. Nicolas Carr, « Web 2.0lier than thou », Rough Type, 23 octobre 2006,

http://www.roughtype.com/archives/2006/10/web_20ier_than.php.21. Andrew Keen, The Cult of the Amateur. How Today’s Internet is Killing

our Culture, Doubleday, 2007.22. Michiko Kakutani, « The Cult of the Amateur », New York Times, 29 juin

2007, http://www.nytimes.com/2007/06/29/books/29book.html.23. Andrew Keen, The Cult of the Amateur, op. cit.24. Andrew Keen, op. cit.25. Le blog d’Andrew Keen, http://andrewkeen.typepad.com/.26. Andrew Keen, op. cit.27. Voir son blog, http://www.stevenberlinjohnson.com/.28. Steven Johnson, Emergence : The Connected Lives of Ants, Brains, Cities,

and Software, Touchstone, New York, 2002.29. « Multitude » est repris (au singulier) par Antoni Negri et Michael

Hardt qui font de multiples références à Gilles Deleuze et Félix Guat-tari qui écrivent pourtant : « Le multiple, il faut le faire » (Mille Pla-teaux, Capitalisme et schizophrénie, éditions de Minuit Paris, 1980).

30. Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, Harvard University Press,Cambridge, Mass., 2000 et Multitude : War and Democracy in the Age ofEmpire, Penguin, 2005.

31. L’affirmation concernant les réseaux technologiques est connue des« geeks » sous le nom de « loi de Metcalfe » (la valeur d’un réseau est pro-portionnelle au carré du nombre de ses nodes). Celle concernant les réseauxqui permettent la formation de groupes est connue sous le nom de « loi deReed » (la valeur augmente alors de façon exponentielle). Dans les deuxcas, la formule officielle est exagérée car elle suppose que toute connexionpotentielle et tout groupe potentiel ont une valeur égale. Ce qui est indis-cutable, pourtant, c’est que la valeur d’un réseau technique croît plus viteque le nombre de ses participants. Cette croissance est encore plus rapidequand il s’agit de réseaux permettant un travail en commun.

32. « Intelligence collective », http://fr.wikipedia.org/wiki/Intelligence_collective.

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33. Une excellente étude réalisée par la Harvard Business School sur le fonc-tionnement concret de Wikipedia autour des corrections apportées àl’article « Enterprise 2.0 » permet de mieux comprendre ce qui se joueet comment, http://courseware.hbs.edu/public/cases/wikipedia/. Voiraussi l’article lui-même, http://en.wikipedia.org/wiki/Enterprise_2.0.

34. David Weinberger, Everything is Miscelaneous, op. cit.35. Nicolas Carr, « The amorality of web 2.0 », op. cit.36. Charte des droits des usagers, http://opensocialweb.org/2007/09/05/

bill-of-rights/.37. Premier essai de Jamais Cascio : « A Participatory Panopticon ? »,

Worlchanging, 10 mai 2004, http://www.worldchanging.com/archives/000680.html. Article plus récent sur le même sujet : « ParticipatoryPanopticon Update », Worlchanging, 8 juin 2005, http://www.world-changing.com/archives/002855.html.

38. Définition de « sousveillance » dans Wikipedia, http://en.wikipe-dia.org/wiki/Sousveillance.

39. Article consacré à Steve Mann sur Wikipedia, http://en.wikipedia.org/wiki/Steve_Mann.

40. « Digital Sharecropping : Mesh takes on Crowdsourcing » http://crowdsourcing.typepad.com/cs/2007/06/digital_sharecr.html.

41. Wikipedia, http://en.wikipedia.org/wiki/Sharecropping.42. Jeff Howe, « Digital Sharecropping : Mesh takes on Crowdsour-

cing », Wired, 1er juin 2007, http://crowdsourcing.typepad.com/cs/2007/06/digital_sharecr.html.

43. Jeff Howe, op. cit.44. Voir ce qu’ils en ont dit sur leur blog, http://blog.digg.com/?p=73.45. Explications de Rose et d’Adelson sur leur blog, http://blog.digg.com/

?p=74.46. Compte rendu de la présentation sur TechCrunch le 6 novembre 2007,

http://www.techcrunch.com/2007/11/06/liveblogging-facebook-adver-tising-announcement.

47. Le commentaire acidulé de Nick O’Neil, Allfacebook, 29 novembre2007, http://www.allfacebook.com/2007/11/breaking-facebook-upda-tes-beacon/.

48. Mark Anderson, « My Top Ten Predictions for 2008 », Strategic NewsService, 22 décembre 2007, http://www.tapsns.com/blog/?p=95.

49. European Commission, Directorate-General for Education and Culture,ELearning : Better eLearning for Europe, Luxembourg. Office for OfficialPublications of the European Communities, 2003. Cité par Olivier LeDeuff dans son article « La culture de l’information : quelles “littératies”pour quelles conceptions de l’information ? », VIe Colloque ISKO-France2007, 7 et 8 juin 2007, IUT de l’Université Paul Sabatier, Toulouse.

50. Literacy définie par Wikipedia, http://en.wikipedia.org/wiki/Literacy.51. « La culture de l’information : quelles « littératies » pour quelles

conceptions de l’information ? » in : VIe colloque ISKO-France 2007,IUT de l’université Paul-Sabatier, Toulouse, 7 et 8 juin 2007.

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52. « Digital Literacy », http://en.wikipedia.org/wiki/Digital_literacy.53. The American Library Association’s (ALA), Presidential Committee

on Information Literacy, Final Report, 1989.54. Media Literacy, http://en.wikipedia.org/wiki/Media_literacy.55. Henry Jenkins, Convergence Culture, op. cit.

Chapitre 61. Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir, Fayard, 2006.2. En novembre 2007.3. Voir http://www.netflix.com/MediaCenter?id=5379&hnjr=8#facts.4. Chris Anderson, The Long Tail, Hyperion, 2006 (traduit en français,

La Longue Traîne, Village Mondial, 2007).5. Cette partie sur la longue traîne est largement reprise des billets de Francis

Pisani, publiés sur son blog, Transnets, http://pisani.blog.lemonde.fr/.6. Voir ici l’article original, « The Long Tail », Wired, octobre 2004,

http://www.wired.com/wired/archive/12.10/tail.html.7. Chris Anderson, The Long Tail, Hyperion, 2006 (traduit en français,

La Longue Traîne, Village Mondial, 2007).8. Chris Anderson, La Longue Traîne, op. cit.9. Chris Anderson, La Longue Traîne, op. cit.10. Clay Shirky, http://www.shirky.com/writings/powerlaw_weblog.html.11. http://chitika.com/blog/?p=253.12. Voir notamment Albert-László Barabási, Linked : How Everything Is

Connected to Everything Else, Plume, New York, 2002.13. On trouvera son texte en téléchargement gratuit, http://www.thinks-

tudio.com/selfservice.html.14. Nous citons longuement dans ce paragraphe le texte de Comtesse, qui

nous semble parlant. En mentionnant au passage le modèle originalde publication choisi par l’auteur, qui reflète bien l’idée de cocréationen cours. Son texte est disponible librement sur l’internet (http://www.thinkstudio.com/selfservice.html). Il est publié sous une licenceCreative Commons qui permet de le réutiliser librement à conditionde le citer, ainsi que de l’amender et le modifier, toujours à conditionde le citer. Nous utilisons ce droit ici, dans la logique de cocréationproposée par l’auteur.

15. Don Tapscott et Anthony Williams, Wikinomics, Portfolio, 2006 (tra-duit en français, Wikinomics. Wikipédia, Linux, YouTube... Commentl’intelligence collaborative bouleverse l’économie, Village Mondial, 2007).

16. Don Tapscott et Anthony Williams, op. cit.17. Don Tapscott et Anthony Williams, op. cit.

Chapitre 71. Entretien avec l’auteur en novembre 2006.2. Dans une interview qu’il nous a accordée en janvier 2007.3. Thomas L. Friedman, La terre est plate, Saint-Simon, 2006 (première

parution en anglais, The World is Flat, Farar Straus et Giroux, 2005).

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4. The World is Flat, édition américaine.5. Voir par exemple Charles M. Savage, Fifth Generation Management,

Butterwoth Heinemann, 1996.6. Voir leur essai, John Hagel et John Seely Brown, From Push to Pull.

Emerging Models for Mobilizing Resources, Working Paper, 2005 (Onpeut traduire le titre par : De Push à Pull. Modèles émergents de mobilisa-tions des ressources). Cet essai est téléchargeable sur internet. On le trou-vera notamment ici : http://www.edgeperspectives.com/.

7. Hagel et Seely Brown, op. cit.8. Hagel et Seely Brown, op. cit.9. En référence notamment au livre de Chris Anderson, La Longue Traîne,

op. cit.10. Thomas Friedman, op. cit.11. Andrew P. McAfee, « Enterprise 2.0 : the dawn of emergent collabo-

ration », MIT Sloan Management Review, vol. 47 no 3, printemps 2006.12. McAfee, op. cit.13. Le Pew Internet & American Life est une institut de recherche améri-

cain qui étudie les impacts d’internet sur la vie des américains http://www.pewinternet.org/about.asp.

14. D. Fallows, « Search Engine Users », Pew Internet and American LifeProject, janvier 2005.

15. M. Morris, « How do users feel about technology ? » Forrester Research,avril 2005. Forrester est un des principaux instituts d’études dédiées auxnouvelles technologies et à l’internet, http://www.forrester.com/FactSheet.

16. Voir notamment à ce sujet : http://www.powerhomebiz.com/vol25/invisible.htm.

17. On retrouvera ce cas et de nombreux autres cas sur le sujet sur le wikiouvert dédié au sujet : http://www.socialtext.net/cases2/index.cgi.

18. http://www.socialtext.net/cases2/index.cgi.19. http://www.electricsheepcompany.com/.20. Tapscott et Williams, Wikinomics, op. cit.21. On trouvera ce texte sur : http://www.enterpriseweb2.com/?p=10.22. La seconde édition du Salon Office 2.0 c’est tenue à San Francisco du 5 au

7 septembre 2007. Pour en savoir plus sur le salon : http://o2con.com/index.jspa.

Chapitre 8

1. Chris Anderson, The Long Tail, op. cit. Également sur son blog, http://www.thelongtail.com/the_long_tail/2005/11/the_long_tail_o_1.html,http://www.thelongtail.com/the_long_tail/2006/04/google_and_the_.html.

2. « Macaque » sur YouTube, http://tinyurl.com/3646e7.3. Exécution de Saddam Hussein sur YouTube, http://tinyurl.com/ygh3n8.4. Article de Wikipedia sur Howard Rheingold http://en.wikipedia.org/

wiki/Howard_Rheingold.

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L’ALCHIMIE DES MULTITUDES 261

5. Les tags de Howard Rheingold sur del.icio.us, http://del.icio.us/tag/rheingold.

6. Le tag sur « Barcelona » : http://del.icio.us/tag/barcelona.7. Merrill Brown, « Abandonning the News », Carnegie Reporter, prin-

temps 2005, http://www.carnegie.org/reporter/10/news/index.html.8. La notion est utilisée par Lyotard qui définit le postmodernisme

comme l’« incrédulité à l’égard des métarécits » (Jean-François Lyo-tard, La Condition postmoderne, Minuit, 1979).

9. Vous pouvez consulter avec intérêt sur le sujet Wikipedia en français,http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9dias, et en anglais, http://en.wikipedia.org/wiki/Media.

10. Pour les travaux de Nora Paul, lire l’article de Wylie Wong « Gamingin Education », EdTech, http://www.edtechmag.com/higher/may-june-2007/gaming-in-education.html.

11. Henry Jenkins, Convergence Culture, NYU Press, 2006.12. Dan Gillmor, We the Media, Grassroot journalism by the people for the people,

O’Reilly, Sebastopol, CA, 2004.13. Il faut aussi signaler IndyMedia (indymedia.org), présent un peu par-

tout dans le monde ou, parmi des milliers d’autres, cet exemple ultra-local qu’est Bluffton Today (blufftontoday.com).

14. Howard Rheingold , « Participatory Media Literacy », université de Ber-keley, 1er juin 2007 http://www.socialtext.net/medialiteracy/index.cgi.

15. J.D. Lassica, « What is Participatory Journalism ? », Online JournalismReview, 7 août 2003, http://www.ojr.org/ojr/workplace/1060217106.php.

16. À propos de J.D. Lassica, http://www.jdlasica.com/aboutjd.html.17. Liste des principales initiatives de citizen media recensée par CyberJour-

nalist.net, http://www.cyberjournalist.net/news/002226.php.18. « Have your say », BBC, http://news.bbc.co.uk/2/hi/talking_point/

default.stm.19. « Action Network », BBC, http://www.bbc.co.uk/dna/actionnetwork/.20. Interesting People, http://www.interesting-people.org/archives/inte-

resting-people/.21. Yuki Noguchi, « Camera Phones Lend Immediacy to Images of Disas-

ter », Washington Post, 8 juillet 2005, http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2005/07/07/AR2005070701522.html.

22. Phil Currie, « Gannett’s Information Center plans creating a positivestir in the industry », http://www.gannett.com/go/newswatch/2006/november/nw1109-1.htm.

23. My Times, http://my.nytimes.com/.24. Tom Glocer, « Old media must embrace the amateur », Financial

Times, 7 mars 2006, http://www.ft.com/cms/s/0/e2bba176-ae0a-11da-8ffb-0000779e2340.html.

25. Doc Searls, « Giant Zero Journalism », 6 mars 2007, http://doc.weblogs.com/2007/03/06#giantZeroJournalism.

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26. Il s’agit d’une théorie assez populaire dans certains milieux politiqueslancée par George Lakoff, professeur à Berkeley, http://www.george-lakoff.com/.

27. À propos de Jerry Michalski, http://www.seedwiki.com/wiki/yi-tan/jerry_michalski.

28. Public Journalism, Yi-Tan, http://www.yi-tan.com/wiki/yi-tan/public_journalism.

29. Mémo interne du CEO de Gannett envoyé le 2 novembre 2006, http://crowdsourcing.typepad.com/cs/2006/11/memo_from_craig.html. Laportée générale en est expliquée dans un article de Jeff Howe, spécia-liste du crowdsourcing, publié par Wired le 3 novembre, « Gannett :The Seven Desks », http://crowdsourcing.typepad.com/cs/2006/11/gannett_the_sev.html.

30. Voir les explications apportées par Bruno Giussani sur son blog, Lunchover IP, http://www.lunchoverip.com/2006/11/gannett_turning.html.

31. Communication établie le 16 février 2007.32. Phil Shapiro, YouTube Panel Talks, http://www.youtube.com/watch?v=

GHVbxsbECCM.33. Bob Egelko, « Journalist jailed for refusing to give up tapes of pro-

test », San Francisco Chronicle, 1er août 2006, http://www.sfgate.com/cgi-bin/article.cgi?f=/c/a/2006/08/01/MNGVQK97AK4.DTL.

34. Bob Egelko et Jim Herron Zamora, « Blogger freed after giving videoto feds », San Francisco Chronicle, 4 avril 2007, http://www.sfgate.com/cgi-bin/article.cgi?f=/c/a/2007/04/04/WOLF.TMP.

35. Tom Glocer, « Old media must embrace the amateur », FinancialTimes, 7 mars 2006, http://www.ft.com/cms/s/0/e2bba176-ae0a-11da-8ffb-0000779e2340.html.

36. Charles Leadbeater et Paul Miller, The Pro-Am Revolution : How enthu-siasts are changing our economy and society, 2004, téléchargeable au for-mat PDF, http://www.demos.co.uk/publications/proameconomy/.

37. Jeff Jarvis, « Networked Journalism » http://www.buzzmachine.com/2006/07/05/networked-journalism/.

38. Rich Gordon, « Build a Network, not a Destination », Readership Insti-tute, 17 avril 2007, http://www.readership.org/blog2/2007/04/build-network-not-destination.html.

39. Henry Jenkins, Convergence Culture, op. cit.40. Henry Jenkins, Convergence Culture, op. cit.41. Henry Jenkins, « Eight Traits of the New Media Landscape », 6 novem-

bre 2006, http://www.henryjenkins.org/2006/11/eight_traits_of_the_new_media.html.

Chapitre 9

1. « IDC Sees “Post-Disruption” Marketplace Taking Hold in 2008 »,6 décembre 2007, http://idc.com/getdoc.jsp?containerId=prUS20983407.

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L’ALCHIMIE DES MULTITUDES 263

2. Intervention de Mary Meeker au sommet Web 2.0 de novembre2007, voir l’article de Richard MacManus, « Web 2.0 Summit 2007:Mary Meeker and internet Trends », ReadWriteWeb, 18 octobre 2007, http://www.readwriteweb.com/archives/mary_meeker_web_20_summit_2007.php.

3. Entretien avec Michael Arrington aux TechCrunch40, le 24 septem-bre 2007, http://www.techcrunch.com/2007/09/24/chat-with-mark-zuckerberg-at-techcrunch40-the-video/.

4. OpenSocial, distributed social networking, http://opensocial.net.5. Anil Dash, « Blackbird, Rainman, Facebook and the Watery Web »,

http://www.dashes.com/anil/2007/10/rainman-blackbird-facebook-and-the-new-tables.html.

6. Tim Berners-Lee, « Giant Global Graph », 21 novembre 2007, http://dig.csail.mit.edu/breadcrumbs/node/215.

7. Tim Berners-Lee, op. cit.8. Nova Spivack, « Defining the Semantic Graph. What is it Really ? »,

23 novembre 2007, http://novaspivack.typepad.com/nova_spivacks_weblog/2007/11/defining-the-se.html.

9. « Web 3.0, the “official definition” », 3 octobre 2007, http://www.calacanis.com/2007/10/03/web-3-0-the-official-definition/.

10. Ibid.11. Web 3.0 sur Wikipedia, http://en.wikipedia.org/wiki/Web_3.0.12. Nova Spivack, « Web 3.0. The Best Official Definition Imaginable »,

4 octobre 2007, http://novaspivack.typepad.com/nova_spivacks_weblog/2007/10/web-30----the-a.html.

13. Définition de Pogo sur Wikipedia, http://en.wikipedia.org/wiki/Pogo.14. L’idée avait déjà été lancée par Paul Saffo en 1997 dans un essai inti-

tulé « Sensors : The Next Wave of Infotech Innovation » http://www.saffo.com/essays/sensors.php.

15. Auteur de romans de science-fiction du genre cyberpunk dont le plusconnu est Neuromancer.

16. Voir le livre écrit sur le sujet par Neil Gershenfeld : Fab, The ComingRevolution on Your Desktop. From Personal Computers to Personal Fabrica-tion, Basic Books, 2007.

17. Voir notamment ce qu’il écrit dans son billet du 4 octobre 2007,« Today’s Web 3.0 Nonsense Blogstorm », http://radar.oreilly.com/archives/2007/10/web_30_semantic_web_web_20.html.

18. Dépêche Associated Press trouvée sur Yahoo ! le 4 novembre 2007,http://news.yahoo.com/s/ap/20071104/ap_on_hi_te/bye_bye_pcs.

19. Francis Pisani, « Japon : Mobilite+ », Transnets, 4 novembre 2007,http://pisani.blog.lemonde.fr/2007/11/04/japon-mobilite/. Le site deXavier Dalloz: http://www.dalloz.com/.

20. « The First to Call $100 Oil », 2 janvier 2008, http://www.tap-sns.com/blog/?p=96.

21. Mark Anderson, « My top ten predictions for 2008 », 22 décembre2007, http://www.tapsns.com/blog/?p=95.

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Remerciements

Ensemble nous remercions...François Bar, Pierre Chappaz, Jean-François Fogel, JeffMignon et Vincent Worms pour les conseils dont ils ontessayé de nous faire bénéficier. Nous aurions sans doute dûles écouter plus attentivement. Dan Farber et Mary Hodder, qui ont pris le temps de répon-dre longuement à nos questions désordonnées.L’équipe de l’Atelier BNP Paribas, en France, à San Franciscoet à Shanghai, qui nous a sérieusement aidés. You rock guys !Et l’équipe du Monde.fr ainsi que les lecteurs de Transnets,dont les commentaires nous ont appris l’essentiel, mis sur debonnes pistes et obligés à mieux réfléchir, mieux poser quelquesbonnes questions. You fly people !Laetitia Mailhes a droit à notre chaleureuse reconnaissancepour sa relecture juste, patiente et attentive, ainsi que pourses conseils amicaux.Et comme écrire un livre, même à deux, est aussi une aventureintime (mais pas solitaire), Dominique remercie Jeff, pour sonattention et son affection quotidienne, Cécile, qui l’a tellementencouragé à écrire et qui lui manque, Florence, qui l’a soutenudans tous ses projets, et qui lui manque. Francis est émerveillépar les 25 ans d’amour patient, protecteur et incitatif deXochitl et le soutien croissant de Fabien, Emilia et Yara.Mais le plus incroyable dans tout cela c’est que nous ne noussommes pas fâchés une seule fois (les grincements de dentsne comptent pas vraiment, n’est-ce pas ?). Nous avons mêmesuffisamment apprécié le travail à quatre mains pour envisa-ger de recommencer...

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