1. ~ ~ e:!=~ ~'= --=~ 4lD ~q) $.. 'lOoI ~ S~'lOoI ..~$.. ~
-...w~ .~'lOoI -Sophe d'tat qu'il accepta de jouer Berlin. Regard
comme ~ p~.r officiel de la monarchie (en principe) constitu- 11.
-- -- - - 8 HEGEL tionnelle, il eut beaucoup de pouvoir grce
l'appui d'hommes comme Altenstein et Schulze et en profita pour
caser )l le plus possible de ses disciples dans les chaires des
Universits. On le '1 souponne mme d'avoir fait suspendre les cours
de son ennemi Beneke et on a soulign l'inl gance de ses attaques
contre son collgue Fries, frapp pour ses ides librales. Cependant,
si la bureaucratie prussienne le soutenait, il n'avait pas la
confiance des vieux conservateurs qui sa Yhilosophie du Droit
(1821) avait dE]u autant q'aux libraux. Il tait surtout susp-ect
sur le ~r!~E_ religie~x. Dans l'entourage-du-;~1O~l jugeait peu
chrtien. Son crdit officiel semble avoir baiss la fin, en juger par
les attaques et pamphlets qu'on laissa circuler contre lui. O~ le
dnonait comme panthiste et ngateur de l'immortalit de l'me; on le
ridiculisait sous le nom d'Absolutus von :Ifegelingen. Fait"
s-ignifica tif: il ne put tre lu l'Acadmide Berlin, ni faire
patronner officiellement la revue de son cole. Hegel mourut victime
du cholra qui svit durant l'I>t et l'automne de 1831. Tl fut
atteint l'un des derniers, alors que l'pidmie semblait avoir cess.
Il avait repris ses cours le 10 novem bre, mais dut s'aliter le 13
et expira le lendemain.... - '-. - - .----.,. Dans son discours
funbre le reet:ur Marheineke 12. 9LA VIE l~ compara Jsus-Christ.
Sur sa demaEd~t enterr ct de Fichte. V. Cousin, qui a bien connu
Hegel, le dpeint en ces termes: Son visage tait l'image de sa
pense. Ses traits prononcs et svres, mais tranquilles et sereins,
son parler lent et rare, mais ferme, son regard calme, mais dcid,
tout en lui tait l'emblme d'une rfleXIonpiofonde, d'Une conviction
parfaitement arl'te, exempte de toute incertitude et de toute
agitation, arrive la paix du plus absolu dogmatisme. Au phy sique
Hegel n'avait rien de sduisant ni d'impo sant. Son ennemi
Schopenhauer dit qu'il avait la tte d'un tenancier de brasserie .
Son disciple Hotho nous parIe de sa face blme, aux traits mous,
pendants, et comme engourdis . Sa tenue tait nglige. Hotho nous le
montre affaiss sur sa chaire, l'air las, la tte baisse, feuilletant
ses cahiers dans tous les sens en toussotant sans cesse. Son
locution tait pnible, toujours hsi tante. Chaque phrase, chaque mot
ne sortait que par bribes et comme contre-cur de sa voix sourde,
marque d'un fort accent souabe. Le malaise qu'prouvaient ses
auditeurs tait rachet, il est vrai, par l'impression qu'il donnait
dt!. gigantesC{u~ ~ff~.!'-t d'une pense tellilue l'extrme. Son
regard s'illuminai~quand il abor 13. 10 HEGEL dait les sujets les
plus ardus : c'est l qu'il se sentait le plus l'aise, alors qu'il
ne traitait les questions faciles qu'avec une mauvaise humeur
vidente. Au moral Hegel semble avoir t avant tout l' homme
d'intellect placide que Holderlin aimait par contraste avec
lui-mme. Il tait, dit Dilthey, un de ceux qui n'ont jamais connu la
spontanitA nave de la jeunesse (au sminaire on le surnommait ( le
vieux ll), mais chez qui mme dans la vieillesse bro.le un feu cach
Il. n resta toute sa vie, dit L. Herr, le Souabe bonhomme et raide,
au travail rgulier et tenace, l'homme ~'intellectualit pure, sans
vie ext rieure, l'homme l'imagination interne puis sante, sans
charme et sans sympathie, le bour geois aux vertus modestes et
ternes, et, par dessus tout le fonctionnaire ami de la force et de
l'ordre, raliste et respectueux , 11 n'aimait pas qu'on le
consulte, en dehors de ses cours, sur des points de sa philosophie:
il ludait les questions ou renvoyait ses livres, en disant qu'on ne
pouvait comprendre ses ides que dans leur enchainement systmatique.
Il prfrait d'ailleurs la compagnie des lettrs celle de bons
bourgeois sans culture, avec qui il aimait jouer au whist. 14. 11LA
VIE Son temprament de mtaphysicien ne l'em pchait pas de
s'intresser aux vnements du jour et il suivit toujours trs
attentivement III , vie politique de tous les pays europens. Il
disait que la lecture des journaux est une sorte de prire du
mjltinraliste n. V.-Cousin qui lui parla souvent-politique s'est
dclar entirement d'ac cord avec lui dans ce domaine. Il tait comme
moi, crit-il, pntr de l'esprit nouveau ; il , considrait la
Rvolution franaise comme le plus grand pas qu'et fait le genre
humain depuis le christianisme et il ne cessait de m'interroger sur
les choses et les hommes de cette grande poque. Il tait profondment
libral sans tre le moins du monde rpublicain. Ainsi que moi il
regardait la Rpublique comme ayant peut tre t ncessaire pour jeter
bas l'ancienne so cit, mais incapable de servir l'tablissement de
la nouveIie, et il ne sparaitpas la libert 'de la royaut. Il tait
donc sincrement constitu , tionnel et ouvertement dclar pour la
cause que soutenait et reprsentait en France M. Royer CoUard. Il En
revanche Cousin s'entendait beaucoup moins avec Hegel sur le
terrain religieux. Sans doute Hegel voulait comme lui un concordat
sincre entre la religion et la philosophie. Mais 15. 12 HEGEL il ne
jugeait cet accord possible que dans le cadre du protestantisme et
se montrait violem ment anticatholique. Voyant un jour vendre des
mdailles bnites devant la cathdrale de Colo gne, il dit Cousin avec
colre: Voil votre religion catholique et les spectacles qu'elle
nous donne 1Mourrai-je avant d'avoir vu tomber tout cela? Il Et
Cousin ajoute qu' il demeurait une sorte de philosophe du XVIIIe
sicle~.~TI ne-dissi mutait pas sa sympthie pour s-philosophes du
dernier sicle, mme pour ceux qui avaient le plus combattu la cause
du christianisme et celle de la philosophie spiritualiste .
Cependant Hegel s'est toujours montr trs prudent dans ce do maine.
Ce n'est que rarement et en termes bi zarres qu'il laissait chapper
ses vrais sentiments sur des questions comme celle de l'immortalit
de l'me. Le pote Heine (qui fut son lve de 1821 1823) raconte qu'un
jour, l'entendant parler des sanctions supraterrestres, Hegel lui
dit d'un ton incisif: (c Vous voulez donc toucher un pourboire
parce que vous avez soign votre mre malade et n'avez pas empoisonn
Mon sieur votre frre? Et si Cousin sut quoi s'en te!1ir sur le
Pi..~u__de__!ieg~l, c'est gr' aux leons confidentielles de Michelet
qui nous a rapport sa douloureuse exclamation: cc Mais ce 16. 13LA
VIE n'est pas l ce que croient nos bonnes mres 1 Aprs la mort de
Hegel certains de ses disci ples se montrrent moins discrets que
lui sur ces graves question..et c'est ce qui amena la scission
entre la droite de l'cole, qui revint au thisme traditionnel, et la
gauche qui se dclara ouverte ment panthiste et aboutit mme
l'athisme avec Strauss, Feuerbach et Marx. Si la philoso phie
hglienne subit de ce fait un recul marqu en Allemagne aprs 1850,
elle s'est en revanche diffuse dans toute l'Europe et connat mme un
vritable renouveau depuis la fin du sicle der nier. Mais les
divergences intrieures sont loin d'tre teintes. Dans les Universit
sanglo-saxon nes, la doctrine de Hegel a t interprte dans l'esprit
religieux de la droite avec Green, Bradley et J. Royce. En Russie
ce sont au-contraire les hglins de gauche qui l'ont emport depuis
Herzen dans les milieux d'avant-garde; ils s'in tgrent aujourd'hui
l'cole matrialiste dia lectique l) issue de Marx. Ailleurs on
trouve des no-hgliens clectiques comme l'Italien Croce qui veut
trier ce qui est vivant et ce qui est mort dans la doctrine. En
France, Hegel a in fluenc des hommes comme Renan, Vacherot et, plus
prs de nous, Hamelin. Son uvre est tudie plus activement que jamais
depuis une 17. l4 HEGEL 't5 quinzaine d'annes. Mais une opposition
fon damentale persiste aujourd'hui entre ceux qui, comme M. Nit?l,
interprtent sa pense dans le sens du thisme chrtien et ceux qui,
comme M. A. Kojve, y voient une philosophie radi calement athe Il,
Le problme de ses rapports avec l'existentialisme soulve des
polmiques qui sont loin de faire esprer une attnuation de ces
divergences. R. S. 18. LA PHILOSOPHIE 1. - Aprs avoir expos les
principes de son historisme et avoir expliqu ; lOQue ce qui se fait
dans le monde ne se fait pas en vain; (20 Qu'il s'y ralise une
conscience totale de l'uni vers qui sera la-science, mre de tout
bien et de toute beaut, autrement dit, l'idal ou le divin; 30 Que,
par suite, agissent bien ceux qi concourent religieusement la
science, au bien et la beaut, mal ceux qui les abandonnent et les
mconnaissent, E. Renan conclut; Si c'est cela qu'a voulu dire
Hegel, soyons hgliens. Formule remarquable- -; d'abord parce
qu'elle souligne l'obscurit d'une doctrine dont on n'est jamais sr
d'avoir entirement pntr la signi fication, ensuite parce qu'elle en
esquisse une interprtation qui, faisant abstraction de sa lettre,
lui donne un sens non seulement suggestif, mais d'une valeur
peut-tre ternelle. Impos sible, en une cinquantaine de pages,de
rsumer clairement une uvre aussi touffue que celle de Hegel. On
peut du moins en faire connattre l'e5 19. 16 HEGEL priJ:. et
souligner les problmes qu'elle pose asseznettement pour orienter
les lecteurs. C'est cettetche-l que nous nous sommes assigne.II. -
Il suffit d'examiner attentivement lespremires pages de la Logique
de Hegel pourcmprendre, et ce qu'il a voulu faire, et ce
qu'ilestime avoir fait.Et d'abord, il a essay de construire un
syslme : un systme qui embrasse tol1tes les connaissances possibles
en une vaste synthse. Tout ce qui est fragmentaire est, ses yeux,
exclu du rang des sciences. C'est, en effet, la faon dont les
notions s'appuient les unes sur les autres de manire former un
difice complet qui leur confre leur autorit. Ensuite,. il a voulu
donner son systme la forme d'une dduclion universelle. Les connais
sances empiriques ne sont pas ngligeables. Mais seule, la certitude
de la ncessit du ncessaire a une valeur scientifique. La phHsophie
se doit de dmontrer que ce qui se produit ne pou"ait manquer de se
produire. Elle doit, par suite se construire a priori. La vraie
pense est la pense qui pense la ncessit. ------- ~ Enfin il a
prSent sa doctrine comme une science entireme]lt rationnelle de
l'absolu. Kant .-' nous im;-ite faire la-critiquede nos facults de
20. LA PHILOSOPHIE 17 connatre avant de les appliquer la
rechercheet se montre svre leur gard. Tche impossible : car pour
pouvoir juger nos f~cults deconnatre} il faudrait dj lel3 con!1atre
:- baucercle yi.cieux! Tche du reste dangereuse: enl'excutant, on
ouvre la porte au scepticismed'abord, puis, travers lui, des
doctrines d'intuition et de sentimentalisme comme celles
despitistes et de Jacobi. Gardons-nous de cettemaladie. Spinoza l'a
proclam. Celui qui possdela vrit sait en mme temps qu'HIa
p"assde"-et l~- sait, du mme coup, discerner l'erreur. Ce~~ vrit,
Hegel estime l'avoi! dcouver_te et tre, - _ par suite, l'abri de
l'erreur.' C'est l'absolu qu'il va nous dvoiler. Il en a la
parfaite notion. Il est prt, grce"elle, tablir, par une dduction
pure, une science qui embrassera l'univers dans, - . -_.-.sa
totalit.III. - Toutes les fois qu'on a affaire uneuvre qui se
prsente ainsi, comme une vastedduction, a priori, on court un
risque: s'imaginer tort que cette uvre s'est constituedans l'ordre
mme o elle s'expose et avec lamthode qu'elle affiche. L'histoire en
fournitmaint exemple.Celui de la Gomtrie d'Euclide est
caractristique. On est tent de se figurer qu'EuclideA. CllllsSON :l
21. 18 HEGEL a conu ds l'abord les dfini~ions, axiomes et postulats
qu'il admet et n'a dgag qu'ensuite la srie de ses thormes. Mais
l'rudition le prouve : les choses ne se sont pas passes ainsi.
C'est l'exprience qui a rvl d'abord grossire ment certaines vrits
gomtriques, par exemple le rapport du carr de l'hypotnuse la somme
des carrs des deux autres cts. Ce n'est que longtemps aprs qu'on a
su dmontrer a priori le thorme de Pythagore. L'exposition synth
tique de la gomtrie euclidienne dissi~le-la manire dont elle s'est
faite. Illusion analogue propos de l'thique de Spinoza. On est tent
d'admettre que c'est pour avoir rflchi a priori sur la substance et
sur la notion de Dieu que Spinoza a construit sa doctrine. Mais
croit-on que s'il n'avait pas connu par une exprie!1ce antrieure,
et l'tendue, et la pense, et la multiplicit des modes finis de
l'essence divine, et le devenir qui les emporte, il aurait, par le
raisonnement pur, pu dduire de ses dfinitions et conventions
premires, leur existence et leur nature? Observation qui s'applique
tout spcialement deux t.hories qui ont eu sur Hegel une visible
influence. L'une est, dans la Critique de la Raison pure 22. 19LA
PHILOSOPHIE de Kant, contenue dans les pages o Kant pro- cde la
dduction des principes de l'entende- ment pur, fondements de la,
mtaphysique de la nature. Fort de la notion qu'il s'est faite du
caractre a priori de la forme du temps et de la dcouverte des
catgories, quantit, qualit, rela- tion, modalit, Kant se croit en
mesure de dmontrer que le monde reprsent par l'es- prit (mundus
phrenomenon) ne pouvait manquer d'tre soumis certaines lois. Or que
sont ces lois? Les principes de celles-l mmes que New- ton avait
dcouvertes en consultant l'exprience et que notre science
contemporaine, non seule- ment ne considre plus comme ncessaires
mais encore estime partiellement suspectes. La d- monstration a
priori de Kant tait donc secr- tement sous-tendue par la
connaissance qu'il avait des rsultats exprimentaux qui sem- blaient
valables, de son temps. L'autre est la doctrine de Fichte dans sa
par- tie spculative. Kant croit seulement dmontrer que la forme
gnrale du monde reprsent ne pouvait pas tre diffrente de celle
qu'il dit. Il reconnat que la matire qui vient se ranger SOUli
cette forme procde d'une cause inconnue. Fichte le dpasse : il
limine le noumne inconnais- sable Il de Kant. Il croit pouvoir le
prouver: le 23. 1 20 HEGEL Il moi ne peut se poser qu'en s'opposant
lui mme et en lui-mme un non-moi divisible Il. Cette ide lui
serait-elle venue s'il n'avait pas eu, de ce non-moi, une notion
exprimentale qui le forait, non seulement poser le problme, mais
encore le rsoudre d'une certaine faon? E:clair par de tels
exemples, qui se laissera prendre aux prtentions a prioristes de
Hegel? Elles dpassent de beaucoup celles de Kant. Ce n'est plus
seulement du monde reprsent qu'il veut nous faire comprendre par le
raison nement pur, et la matire, et la forme. C'est l'absolu
lui-mme qu'il s'attaque. C'est sa consti tution et son volution
qu'il prtend nous clair cir par une dduction intgrale. On pourrait
donc s'imaginer, en abordant sa Logique qui dbute par la science de
l'tre que c'est la rflexion a priori sur cette seule notion qui l'a
guid. Mais plus on examine sa doctrine, plus s'impose l'vi ( dence
contraire. La simple rflexion sur l'tre 1 n'aurait rvl Hegel ni
l'existence du devenir, ni les lois qu'il discerne dans son
dveloppement. ) S'il s'y tait cantonn, il s'y serait enlis comme
autrefois Parmnide sans pouvoir en $ortir. S'il ne l'a pas fait,
c'est qu'il avait une notion exprimentale du devenir qui l'a
contraint rflhir sr lui, discerner son mouvement 24. I~A
PHILOSOPHIE 21 gnral et chercher dans la logique pure de quoi
l'expliquer. La philosophie de Hegel n'est qu'en apparence une
construction a priori. C'est une philosophie de l'histoire
universelle, une pope historico-logico-rationaliste. Une telle
philosophie a ses-postulats et ses cls. Notre premier soin sera de
dgager les uns et les autres. a) Soulignons d'abord deux postulats:
Le premier se formule dans ces propositions : Tout le rel est
rationnel Il, et : cc Tout le ration nel est rel. )) Que
signifient~elles donc? Qu'il n'y a pas une chose, pas un vnement,
pas un dtail qui ne soit explicable par la raison rfl chissante,
c'est--dire dductible des principes poss par la raison, et qui
n'ait, par suite, sa cause efficiente et sa cause finale. Le hasard
n'existe nulle part. Ceux-l seuls y croient qui ignorent les c~ses
dont l'action dtermine et dont la connaissance claire tout.
Rciproque ment, tout ce qui se justifie rationnellement,
c'est--dire tout ce que dtermine l'action' des principes, causes
efficientes et causes finales existe par cela mme. Affirmations
capitales. Hegel nie d'avance ce qui a frapp, par exemple E.
Meyerson, l'existence d' irrationnels li irr ductibles, vrai
scandale pour notre raison sans 25. 22 HEGEL cesse en qute de
l'identique sous les diversits apparentes. Le second postulat est
celui-l mme qui sduit Renan. Le mouvement qui se produit dans l'his
toire du monde n'est pas une agitation strile. Quelque chose se
construit grce lui et c'est ver~ sa construction que l'volution de
l'en semble est oriente. Ce quelque chose, c'est une conscience
universelle qui sera la conscience mme de Dieu, conscience de
lui-mme, de tout ce qui existe en lui et par lui, des origines de
chaque chose, de son but, des rapports qu'elle soutient avec toutes
les autres, celles qui sont, celles qui furent, celles qui seront.
Le devenir universel, c'est un vaste enfantement. La con's c{ence
qu'il fabrique, c'est faut-il dire le divin, faut-il dire Dieu qui
se fait? b) Et voici maintenant les deux principales cls dont il
faut connatre le maniement pour pntrer dans l'difice hglien. A} La
premire est celle de son idalisme. Hegel appartient au groupe de
ces philosophes qui identifient l'Ide Il et l' }';;tre . Mais siIl
l( ceux qui risquent cette aventure sont tous ida listes au sens
mtaphysique du terme, ils ne le sont pas de la mme manire, et Hegel
a la sienne. La plupart sont des mules de Berkeley. 26. 23LA
PHILOSOPHIE Pour ceux-l, la pense seule est relle. L'en semble des
objets matriels rpartis dans l'espace et le temps n'est
qu'apparence subjective. Il n'existe que dans et par la
reprsentation que les esprits s'en forment. Doctrine qu'on retrouve
chez Kant et ses disciples fidles dans la mesure o ils traitent de
ce qui apparat travers les formes subjectives de l'espace et du
temps. Thse commune de l'idalisme subjectiviste et de l'ida lisme
critique. Contre cet idalisme-l, Hegel s'inscrit en faux. Ce ne
sont pas les consciencs qui sont la ralit. Le monde n'est pas une
apparence phnomnale. L'ide n'est pas un produit d'un sujet
conscient qui la forme. Elle est, par elle-mme, la ralit objective.
Aussi Hegel rclame-t-il pour son idalisme un nom spcial. Il
l'oppose l'idalisme subjectif de la philosophie critique ll. Il le
dnomme l'ida lisme absolu ll. Pour lui, les choses que-nous
connaissons d'une faon immdiate sont des phnomnes non seulement
pour nous, mais en elles-mmes ll. Et il dit ailleurs: Ce qui fait
la vraie objectivit de la pense, c'est que les pen ses ne sont pas
'seulement nos penses, mais qu'elles constituent aussi l'en soi des
choses et du monde objectif en gnral. II Ces propositions sont
nettes mais obscures. 27. 24 HEGEL Et, en effet, suivant les
conventions ordi naires, le mot ide )) dsigne un tat de conscience
)). Je dis : J'ai l'ide d'un triangle rectangle. )) Cela signifie :
Je me reprsente un triangle dont un des angles vaut 90. )) Une ide,
c'est donc, en langage classique, une repr sentation donne dans une
conscience, soit d'une manire concrte, comme celle que j'ai de mon
porte-plume, soit d'une manire abstraite, comme celle que j'ai de
la justice. Quand un idaliste identifie l'ide et l'tre, il semble
donc poser la conscience comme la ralit premire. Or l'examen des
textes de Hegel le dmontre: ce n'est pas du tout ainsi qu'il entend
les choses. Assurment, l'tat le plus parfait de l'ide est bien pour
lui celui o elle est consciente, et consciente la fois des lments
dont elle est faite et des relations qui existent entre eux. Cela
est si vrai que l'Ide par excellence, c'est- dire Dieu, embrassera
consciemment l'ensemble de l'Univers abstrait et concret. Mais ce
n'est pas d'abord, et, pour ainsi dire, de prime saut que cette
ide-l existe. L'ide qui est primitive ment identique l'tre n'est
pas consciente. Elle tend le devenir. Elle .s'efforce sourdement de
se faire esprit ) d'abord--et esprit absolu -)) ensute.-Maisce
n'est qu'aprs toute une srie 28. 25LA .PHILOSOPHIE d'volutions et
de transformations qu'elle y russira. Il Lorsqu'on dit, crit Hegel,
que la pense en tant que pense objective constitue le principe
interne de l'univers, il semble qu'on devrait par l attribuer la
conscience aux choses de la nature. Mais nous prouvons, au
contraire, une rpugnance concevoir comme pense l'ac tivit interne
des choses; car nous disons que l'homme se distingue des choses de
la nature par la pense. li Et il ajoute : Il Dans la nature, Je Il
Nous li n'atteint pas la conscience. li Il L~ni mal ne peut pas
dire : moi. L'homme seul le peut, et cela parce qu'il est la pense.
Beau problme ds lors, mais sans doute inso luble que celui de
savoir ce qu'est au juste cette Ide que Hegel pose comme
primitivement identique l'~tre. Qu'est-ce qu'une ide qui se
dveloppe en dehors de toute conscience et ne le fait cependant ni
sans cause ni sans but? Est elle autre chose qu'un ensemble de
puissances orientes et qui tendent un certain ordre de ralisations?
Les textes nous disent seulement: lOQue cette ide est un Il esprit
qui se cherche et qui aspire non pas seulement atteindre la
condition d'un esprit fini et limit mais encore devenir un esprit
infini et illimit, embrassant J"j.miversel, le particulier et le
singulier dans leur 29. 26 HEGEL ensemble et dans leurs dtails avec
une entire clart; 2 Qu'elle forme une parfaite unit, de sorte que
c'est sans en rien perdre qu'elle se dveloppe la :rp.anire d'un
embryon vivant; 30 Que dans son dveloppement elle est libre, au
sens spinoziste du mot, parce que ce dve loppement mme ne procde
que d'elle-mme et de sa propre nature; 4 Que cela n'implique pas
pour autant que son dveloppement soit arbi traire. Un embryon crot
suivant certaines lois dont dpend finalement la forme adulte qu'il
revt. L'Ide primitive n'opre pas plus que lui sa croissance au
hasard. Elle volue conform ment sa notion suivant les lois d'une
logique inluctable que rien ne saurait modifier. Ces lois, il faut
les connatre. Car elles domi nent tout. C'est ce qui donne la
logique une position prpondrante. Les autres sciences
philosophiques, la philosophie de la nature et la philosophie de
l'esprit, crit Hegel, nous appa ratront, pour ainsi dire, comme une
logique applique; car ces formations ne sont qu'une expression
particulire des formes de la pense pure )l, de sorte que la Logique
est l'esprit vivi fiant de toute connaissance )l. C'est le mouve
ment qu'elle cre, qu'elle maintient et qu'elle rgle dans l'abstrait
pur qui est dcidment le 30. 27LA PHILOSOPHIE primum movens de
l'Ide, et par l, pour ainsi dire, l'me vritable des choses . B) Que
sont donc ces lois? Il faut les avoir comprises pour possMer la
seconde cl du sys tme de Hegel. Le principe en est le suivant: une
ide quel conque, une thse ne peut se poser sans susciter l'ide
contraire, son anlilhse : d'o une contra diction pnible: d'o aussi,
pour sortir de cette contradiction, la ncessit de s'lever une ide
suprieure dans laquelle la thse et l'antithse s'unissent en une
synthse conciliatrice. Mais cette synthse est une nouvelle thse :
elle appelle par suite une nouvelle antithse et, par consquent
aussi un nouvel effort vers une nou velle synthse. Proposition
logique qui implique en toute matire la ncessit de deux glissements
successifs, l'un qui mne la pense de la thse l'antithse, l'autre
qui la conduit, de l'une et de l'autre, leur synthse. C'est que
Tout tre contient des dterminations opposes et que, par suite
connatre un objet suivant sa notion, c'est acqurir la conscience de
cet objet en tant qu'unit de dterminations opposes . Cette loi
domine aux yeux de Hegel, le dveloppement de l'Ide, de la Pense.
Mais comme l'Ide et la Pense sont tout l'];;tre, elle est la loi
mme 31. l 28 HEGEL suivant laquelle a d se faire et se parfait sans
cesse le devenir universel. Rythme claudicant, mais rgulier. On ne
pourra pas manquer de le retrouver partout et en toute matire. Il
procde, en effet, d'une raison logique imperturbable. Dans le
langage de Hegel, trois moments du travail de l'esprit soulignent
les phases de ce rythme : 1 Le moment de l'ide logique abstraite,
fruit des oprations de l'entendement (Verstand). La pense en tant
qu'entendement s'arrte des dterminations immobiles et . leurs
diffrences et, ces abstractions limites, elle les considre comme
ayant une existence indpendante et comme se suffisant elles mmes.
1) Mais ce que l'entendement dgage ainsi n'est jamais que de
l'abstrait, limit, fini et gros de contradictions; 20 Le moment de
l( l'ide dialectique Il, fruit de la raison ngative (Vernunft, dans
la premire de ses fonctions). L'abstrait fini, en raison de sa
structure mme s'aperoit de son incapacit se suffire et se change en
son contraire; 30 Enfin le moment de l'ide spculative )l, fruit de
la raison positive (Vernunft dans la seconde de ses fonctions). La
raison se redresse l'occasion des contradictions impliques par les
points de vue finis de la thse et de l'antithse, et elle bondit
jusqu' une vue 32. 29LA PHILOSOPHIE .suprieure qui les embrasse
toutes deux dans une notion concrte. De l tout le travail de
l'Ide-~tre. Elle se cherche obscurmentd'abord. Puis s'tant cherche
elle se trouve. Puis s'tant, . trouve, elle se dpasse. Formule que,
selon Hegel, vrifie partout le devenir de l'Univers dans sa ralit
effective. IV. - Nous voil arms, orients et mrs pour comprendre
dans la mesure o elle est comprhensible l'conomie gnrale du systme
hglien. A) Essayons d'abord d'en discerner l'ensemble. L'Ide
primitivement inconsciente tend, nous venons de le voir, devenir
consciente, exister Il pour soi )) et s'lucider jusqu' devenir la
conscience universelle et divine. Pourquoi donc y tend-elle ainsi?
Et d'autre part, comment opre-l-elle ? Les rponses de Hegel la
premire de ces deux questions ne sont pas sans analogies avec
certains passages d'Aristote et certains autres de Plotin. Mais
elles ne se confondent ni avec les uns, ni avec les autres. Le Dieu
d'Aristote est, en effet, comme celui de Hegel, Cl la pense de la
pense . Mais il est ralis hors du monde. Ille transcende et le meut
par l'amour qu'il lui ins pire. Le Dieu de Hegel est, au contraire,
un Dieu 33. 30 HEGEL en formation; c'est dans le monde et grce lui
qu'il se construit d'une manire sourde et ins tinctive. Et si les
formules de Hegel rappellent parfois celles de Plotin, elles ne
leur sont pas identiques. Pour Plotin, l'Un ou le Premier engendre
l'Intelligence qui, son tour, engendre l'Ame, laquelle travaille la
matire sa lumire. Mais c'est parce que chaque chose vivante arri ve
un certain degr de maturit produit par l mme, et, par exemple,
porte des fleurs et des fruits. Mtaphore dont Hegel use son tour en
passant, mais qui n'a qu'une valeur pot:que et qui n'exprime pas
toute sa pense. Le secret du mouvement qu'il faut expliquer est
ailleurs. Si l'Ide se cherche, se trouve et se dpasse, cela tient
deux sortes de raisons qui concourent, mais ne sont pas du mme
ordre: 10 Une raison purement logique: l'impossibilit o elle est,
en raison des contradictions qui se produisent, de se tenir ce
qu'elle tait d'abord, impossibilit qui la contraint passer, d'une
thse et de l'tat qui y correspond l'antithse de cette thse et de
cet tat, puis la synthse des deux tats antithtiques : raison, pour
ainsi dire a lergo; 20 Une raison de finalit. C'est pour la ralisa
tion de la conscience universelle que l'Ide tend se faire
consciente et devenir esprif C'est 34. 31LA PHILOSOPHIE pour se
faire consciente et devenir esprit qu'elle ttonne instinctivement
comme elle le fait. Le travail qui s'accomplit dans l'Univers
procde d'un mouvement engendr par l'activit propre de l'Ide logique
qui se dveloppe ultrieurement comme nature et comme esprit ll. Or
cette acti vit est dtermine, et par l'horreur des contra dictions o
l'Ide ne peut pas rester, et par l'aspi ration instinctive au divin
qui est en elle. Et voici la rponse la deuxime question. Selon
Hegel, l'Ide ne pouvait pas se dvelopper d'un seul coup de manire
devenir cet esprit et cet esprit absolu qu'elle tend tre. Quand
nous connaissons des principes et quand nous voulons tablir qu'une
certaine proposition en est la consquence, il nous faut construire
un syllogisme. Cette construction suppose que nous trouvions un (c
moyen terme qui nous montrera la ncessit de cette conclusion par
rapport ces principes. La situation de l'Ide en soi qui tend
devenir ide consciente:-'?est--dire ide pour soi et conscience
universelle, en soi et pour soi est, servatis servandis, certains
gards, analogue. Elle ne russira l'opration qu'elle poursuit quesi
elle utilise une sorte de moyen terme entre ce qu'elle est et ce
qu'elle tend tre. Autrement dit, il faut qu'elle se fabrique les
35. 32 HEGEL instruments ncessaires aux ralisations qu'elle
cherche, qu'elle se mdiatise . Voil pourquoi l'ide se disperse et
se rfracte. Voil pourquoi elle s'extriorise sous la forme de la
nature. Celle-ci est une production de l'Ide, antithse de son
premier tat comme le concret s'oppose l'abstrait. Elle se justifie
rationnellement parce qu'elle est l'intermdiaire oblig, le moyen
terme indispensable entre l'ide purement abstraite son stade
initial et l'ide pleinement consciente, entirement concrte et
matresse de toutes les connaissances son stade final. Et en effet,
c'est dans la nature et grce son dveloppement que se forment ces
organisations complexes que sont les tres vivants. Et c'est chez
les plus relevs d'entre eux qu'on voit nattre la conscience,
l'esprit avec ses degrs. Sortie de son unit primitive pour s'taler
dans son antithse, la nature multiforme, l'ide deve nue esprit se
retourne vers elle-mme. Elle cherche se ressaisir dans son unit.
Unit sup rieure celle d'o elle tait partie. Celle-ci tait l'unit
confuse de l'immdiat. Celle que l'ide cherche maintenant sera le
fruit de l'analyse sans doute, mais principalement de la synthse
dductive, seule mthode capable de mettre ( le nceisaire en pleine
lumire. Ce ncessaire, elle 36. LA PHILOSOPHiE 33 le recherche par
une rflexion logique qui jus- tifie par des preuves, des
dmonstrations a priori impeccables les propositions dont l'en-
semble exprime J'Univers sous sa double forme abstrait etcoo;crte.
Effort immense par lequel l'esprit s'lve au-dessus de la nature
sans la- quelle il n'aurait pas pu se dvelopper, ets'ache- mine
vers cette vision synthtique, qui embras- - .....- ---sera _tout.
Cette 'Vision, Hegel estime tre par- venu la raliser. Il juge
qu'tant parfaite, elle est celle-l mme qui constitue l'esprit
parexcel- ( lence. En dernire analyse, ses yeux, l'esprit ) de Dieu
et celui du philosophe dans lequel l'Uni- 1ve.!'-s_ a P.!'~ pleine
~~~ence de l~i-m~nie se " confondent. Qu'est-ce donc que le systme
hglien? C'est, [ comme le dit justement . Brhier, une vaste )
thogonie Il. L'ide d'abord une et lllconscientene~ disperse cfa."ns
la nature que po.!,!x_~rer 1l'avnement non seulement de l'esprit,
mais encore-a:ecet esprit absolu qu(e~t DieU: tallt donn les
postulats et les cls que nous avons dgags d'abord comment nous
tonner que la doctrine de Hegel se prsente sous cet aspect? Puisque
tout se fait ncessairement sui- vant un rythme de thses,
d'antithses et de synthses, il fallait bien que l'h~toire du
devenir A. CRESSO'l 3 37. 34 HEGEL u~el se scindt en trois parties
dont la pre mire ait la figure d'une thse, la seconde celle d'une
antithse et la troisime celle d'unlt syn thse. D'o cette
affirmation: L'ide .en soi se fait nature pour devenir Il ide pour
soi Il et finalement (l ide absolue en soi et pour soi. Mais il
fallait bien aussi que chaque partie du systme se subdivist en
trois sections, elles mmes divises en trois chapitres comportant
leur tour trois parties et ainsi de suite, toujours suivant le mme
rythme. Une vaste trilogie, faite de trilogies plus petites, faites
leur tour de trilogies encore plus humbles, voil ce que logi
quement la philosophie de Hegel devait tre et voil en effet
l'aspect qu'elle revt. Elle comporte trois vastes sections et pas
plus de trois. La premire est la Logique, la ~ seconde, la
Philosophie de la nature, la trisime, la Philosophie de l'espr~t.
La premire traite de l'Ide abstraite et de la formation des l(
caU>go ries Il, c'est--dire des caractre, les plus gn raux de l'
}j:tre et de la Pense. La seconde tudie la marche et les effets de
la diffusion de l'Ide logique travers la nature o elle se
concrtise. La troisime s'occupe de l'Ide qui devient consciente et
la suit dans l'ascension qui produit cette conscience concrte
universelle qu'est l'e8 ----_._---- - 38. LA PHILOSOPHIE 3&
prit divin. Et naturellement chacune de cessecti~st son tour faite
de trois parties. LaLogique est d'abord la science de l'~tre )l, l(
ensuite la science de l'essence ", enfin la science de la notion
(BegrifT) ", la dernire for mant la synthse des deux autres. La
Philosophie de la nature comprend d'une manire analogue la science
de la nature mcanique, celle de la nature physique, celle de la
nature organique o apparaissent chez les animaux avec la sensi
bilit et l'irritabilit, les premires traces rudi mentaires de ce
qui va devenir l'esprit. La philo sophie de l'Esprit son tour
comporte trois subdivisions. Elle est d'abord la science de l'es
prit subjectif II que contribuent tablir l'an thropologie qui
s'occupe de l'me en tant que principe de la vie, la phnomnologie de
l'esprit qui traite de la conscience et de ses manifesta tions
premires, la psychologie proprement dite qui rflchit sur la pense
elle-mme et son mcanisme. Elle est ensuitelasc1ence de l'es- --
l..Il prit objectif )J, et, sous ce titre, elle s'occupe de la
Pense aller au del. Voil sans doute pourquoi la Logique de Hegel
est, pour ainsi dire, ponctue par toute une srie de dfinitions de
l'absolu. Elles se surpassent les unes les autres. -Mais leur
insuffisance que rendent videntes chaque chelon, les contra
dictions constates-; oblige l'esprit' gravir les dgr's de leur
chelle ascendante. Le point de dpart est la dfinition de 'absolu
comme Il ~tre p'!!r Le point d'arriv_t:...~st cej:,te
.!ffirmatl~l>. Il l'Ide est l'absolu l>. On va de l'un l'atre
par une fili;e de-rc;rmules intermdiaires dont au cune n'est
entirement fausse, mais aucune enti rement vraie. Ainsi avertis,
essayons de suivre Hegel par le chemin hriss d'pines travers lequel
il guide ses lecteurs et de traduire le moins mal que nous pourrons
en termes accessibles ses for mules trop souvent nigmatiques. On
est tent de dfinir l'absolu par la notion de l'Ittre pur, la plus
simple et la plus abstraite de t'Q;rtes. C'est ce qu'ont essay
Parmnide et les lates. Effort dcevant entre tous. Car poser l'f:tre
pur, c'est poser une notion contra dictoire. Pour tre pur, l'tre ne
devrait tre 48. 45 L.~ LA PHILOSOPHIE ni ceci, ni cela, ni quoi que
ce soit. Sans quoi, au lieu d'tre pur, il ';;ritmlang quelque autre
chose. L'~tre pur ne pourrait donc tre que l'indtermin. Mais
l'indtermin ne peut pas tre. Ce serait ce qui ne serait rien. Ce
seraIt donc ce qui ne serait pas. Dire l'absolu estl'tre ,I>ur ,
c'est dire l'absolu est le non-tre l), L'~tre pur se confond avec
sa ngation. Pouvons-nous donc identifier l'absolu et le Non-:~tre ?
Les philosophes bouddhistes l'ont tent. Mais cette solution n'est
pas moins dce vante que la premire. Car le propre du non tre est de
se perdre dans le pur nant, c'est- dire dans ce qui n'est pas et ne
peut pas tre. Pour dcouvrir une notion de l'absolu qui n'implique
pas contradiction, il faut donc s'le ver au-dessus de l'antithse de
l' ~tre et du Non ~tre et en oprer la synthse. c~itSynt:hse, fugel
croit la dcouvrir dans ce devnrr Il dont Hraclite a fait la base de
sa philosophie; devenir, c'est en effet changer son ~re, de ma nire
tre ce qu'on n'tait pas. Dans le devenir, l'tre et le non-tre se
rejoignent donc d'une faon synthtique et forment une unit sup
rieure. Mais voil que la notion du devenir appa rat contradictoire
son tour. Le devenir sup 49. 1 , 1 46 HEGEL pose que ce qui devient
tait dj quelque chose. Sans quoi, comment pourrait-il se
transformer? Pas de devenir l o il n'y a pas une certaine existence
stable (Dasein) qui en est la condition. Or que peut tre une telle
existence stable? Elle serait inconcevable sans la prsence dans ce
qui devient d'une certaine qualit. D'o une nouvelle suggestion.
L'absolu ne peut-il et ne doit-il pas tre dfini par la qualit qui
est en lui et qui est lui? Conception provisoire encore. Car la
rflexion sur la qualit y fait dcouvrir de nouvelles contradictions
intimes. Elles forcent substituer la qualit son antithse, cette
quantit dont le~ p-hilosophes matrialistes tendent leur tour faire
l'absolu. Et en ffet, une chose n'est quali tativement dtermine que
parce qu'elle est li autre que les autres choses. La q1!a!i!- n'est
donc pensble que si l'on se reprsente des units qui se repoussent
les unes les autres et qui sont cependant groupables par une sorte
d'attraction. Mais de telles units groupables sont-elles autre
chose que la quantit elle-mme? C'est donc la quantit qui se
dissi~ule sous la qualit, vrit que Pythagore avait ;;t;Ve. Mais
voici, du coup, indispensable la s~.~hse de la qualit et de ~a
quantit. Elle s'opre quand f.). r. ) J )1 50. ----- LA PHILOSOPHIE
47 on discerne une quantit de la qualit . Celle-ci est parfois
indiffrente la qualit elle-mme : par exemple des fleurs ne cessent
pas d'tre des fleurs quel que-soItleur nombre. Dans d'autres cas,
la proportion quantitative des lments en prsence entraine des
changements de qualit profonds: par exemple la proportion de leurs
membres et de leurs organes fait la diffrence qualitative des
espces d'oiseaux.~&I!!.U!Q..ns donc';( mesure II la synthse de
la quantit et de ~ la qualit. Attribuons cette notion une impor
tance capitale. Nous comprendrons alors pour quoi tant de
thologiens ont dfini Dieu comme Il la mesure de toute chose .
Notion minente sur laquelle se termine la Premire Partie de la
Logique de Hegel. La mesure en tant qu'unit de la qualit et de la
quantit est ainsi l'tre achev. Mais Hegel ne s'en tient pas l. La
science de l'~tre (thse) suscite celle de l'essence (antithse) et
leur opposition exige celle de la notion (Be grifT, synthse). Pour
viter les subtilitS fasti dieuses, nous ne rappellerons de ces deux
der nires parties que les vues les plus gnrales. La notion de
.!D~s.!!.re est celle d'une certaine proportion de qualiti unies et
fondues entre elles. On ne s'y lve donc qu'en abandonnant .. ')L ~
'; , ...ppe gUI renti=me un autnu!~uque celui qui s'adaptait elle.
Sans doute tout ce quis'carte de l'ordre existant, - intentions,
fins, opinions, idaux, comme on dit, - diflre galement dela ralit
prsente. Des aventuriers de tout genre ont1. de tels id!ux et
leur-actiVlt s~orlent versaC8 con 127. EXTRAITS 125 ~ ceptions
contraires l'ordre tabli. Mais le fait que ces conceptions, ces
bons motifs, ces principes gn- raux diffrent de ce qui existe ne
suffit pas leur confrer des .droits. ~~J.!~~s ~sont s_~~e_me_nLce
c~nu auquel.-_~~_Sj!l;)t Immanent s~t l~ lui- mme p'ar sa Ulssance
absolue; et les grands hommes de~ire s~mt ju~_men ceux, gui
lm:wu1U~~ r~, non pas un but imaginaire et il usoire, mais @
solution exacte qui s'imposait, cJ~.!QF qui ont su ce 1qu'il
fallait, ~ qui s'est rvl ce qJl'exigeaient les ci~!!.ces, ce-qui
tait ncessaire. (Introduction la Philosophie de l'Histoire, d.
Lasson, pp. 74 76.) XII. - LA RVOLUTION FRANAISE (1) On a dit que
la Rvolution franaise est sortie de la philosophie et ce n'est pas
sans raison que l'on a appel la philosophie la sagesse du monde
(Well- weisheit), car elle n'est pas seulement la vrit en soi et
pour soi comme pure entit, elle est aussi la vrit en tant qu'elle
devient vivante dans le monde rel. Il ne faut donc pas s'inscrire
en faux quand on dit que la Rvolution a reu sa premire impulsion de
la philosophie. Mais cette philosophie n'est encore que pense
abstraite et non comprhension concrte de la vrit absolue, ce qui
fait une norme diffrence. Le principe de la libert de la volont
s'est donc fait valoir cdntre le droit existant. Sans doute, avant
la Rvolution franaise, les grands ont dj t rabais- (1) Les extraits
XI, XII et XIII sont des leons reconstitues. 128. 126 HEGEL ss par
Richelieu, leurs privilges ont t supprims i mais, comme le clerg,
ils conservaient tous leurs pri vilges vis--vis de la classe
infrieure. Tout l'tat de la France en ce temps-l est un agrgat
confus de privilges contraires toute pense et toute raison, un vrai
non-sens, quoi s'associe la corruption des murs et de l'esprit, -
un rgne de l'injustice, qui tourne l'injustice cynique ds qu'on
commence en prendre conscience. L'oppression terriblement dure qui
pesait sur le peuple, l'embarras du gouvernement pour procurer la
cour de quoi alimenter son luxe effrn et ses folles dpenses, furent
les premiers motifs qui provoqurent le mcontentement. L'esprit
nouveau devint agissant; l'oppression suscita l'exa men critique.
On vit que les sommes extorques la sueur du peuple n'taient pas
consacres aux besoins de l'tat, mais gaspilles de la faon la plus
insense. Tout le systme de l'tat apparut comme n'tant qu'une
injustice. La transformation fut ncessaire ment violente, car la
rforme ne fut pas entreprise par le gouvernement. Si elle ne fut
pas entreprise par le gouvernement, c'est parce que la cour, le
clerg, la noblesse,les parlements mme ne voulaient renoncer leurs
privilges ni cause de la misre, ni au nom du droit en soi et pour
soi, de plus parce que le gouverne ment comme centre concret du
pouvoir de l'tat ne pouvait prendre pour principe les volonts parti
culires abstraites (1) et reconstruire l'tat partir d'elles, enfin
parce qu'il tait catholique et que par consquent le concept de la
libert, de la raison dans (l) .-lbs/rait a un sens pejoratif = qui
isole (ou est isol) arti fiCiellement d'un tout concrel. 129.
EXTRAITS 127 les lois n'avait pas la valeur d'une obligation suprme
absolue, du fait que le sacr et la conscience reli gieuses en sont
spars (1). La pense, le concept du droit se fit valoir d'ull seul
coup et le vieil difice de l'iniquit ne put lui opposer aucune
rsistance. C'est donc SUI' l'ide du droit qu'on a alors rig une
constitution et c'est sur ce fondement que tout devait tre bas
dsormais. Depuis que le soleil est au firma ment et que les plantes
tournent autour de lui, on n'avait pas vu l'homme prendre pour base
sa tte, c'est--dire la pense et construire la ralit l'image de
celle-ci. An~ago~e avait dit le premier que le No~s gouverne le
monde; mais c'est maintenant seulement que l'homme est arriv
reconnaUre que la .~~sedoit gouverner la ralit spirituelle. Ce tut
donc-l un magnifique lever de soleil. Tous les tres qui pen 1sent
ont clbr ensemble cette poque. Une motion 1 sublime a rgn ce
moment, un enthousiasme de J ~serit a fait frmir le monde, comme sI
c'tait alrsseulement qu'on tait parvenu la rconciliation effective
du divin avec le monde. (Philosophie de l'Histoire, d. Brunstad,
pp. 550-552.) XIII. - NAPOLON El' LA RESTAURATION (2) ... La
ncessit absolue d'une autorit gouverne mentale tait vidente.
Napolon la restaura par la force des armes et se plaa ensuite de
nouveau comme volont individuelle la tte de l'tat. Il savait agir
(1) Alors que, pour Hegel, le protestantisme rconcilie la l"eligion
avec la ralit juridique. (-l Les exlraitli Xl, XII et XlII 1sont
des leons reconstitues. 130. 128 HEGEL en mattre et eut vite fait
de s'imposer l'intrieur. Il chassa tout ce qui restait encore
d'avocats, d'ido logues et d'hommes principes et dsormais ce ne fut
plus la dfiance (1) qui rgna, mais le respect et la crainte. Il
s'est tourn ensuite vers l'extrieur avec la force crasante de son
caractre, il a soumis toute l'Europe et a propag partout ses
institutions lib rales. Jamais ne furent remportes de plus grandes
victoires, jamais campagnes ne furent conduites avec plus de gnie,
mais aussi jamais l'impuissance de la victoire n'apparut sous un
jour plus clair qu'en ces annes. Les sentiments des peuples,
c'est--dire leur sentiment religieux et leur sentiment national ont
fini par renverser ce colosse et on a institu de nou veau en France
une monarchie constitutionnelle, fon de sur la Charte. Mais alors
se manifesta de nouveau l'opposition du sentiment et de la dfiance.
Les Fran ais ne faisaient que se mentir les uns aux autres quand
ils publiaient des adresses pleines de dvoue ment et d'amour pour
la monarchie, pleines de sa bndiction. Ce fut une farce qu'on joua
pendant quinze ans. En effet quoique la Charte fOt la bannire de
tous et que les deux partis lui eussent jur ser ment, l'opinion
tenait d'un ct la foi catholique qui se faisait une affaire de
conscience d'anantir les institutions existantes. Ainsi une rupture
se produisit de nouveau et le rgime fut renvers. Enfin, aprs
quarante annes de guerre et d'infinie confusion, un cur prouv par
les ans pourrait se rjouir d'en voir apparattre la fin et d'entrer
dans une priode (1) C'est la dfiance qui, d'aprs Hegel, a provoqu
la chule de Louis XVI el la Terreur. 131. EXTRAITS 129
d'apaisement. Cependant bien qu'un point capital soit actuellement
rsolu, cette rupture persiste tou jours d'une part du ct du
principe catholique, d'autre part par le fait des volonts
subjectives. Sous ce dernier rapport existe encore cette troitesse
capi tale du principe qui veut que la volont gnrale soit aussi la
volont gnrale empirique, c'est--dire que les individus en tant que
tels gouvernent ou partici pent au pouvoir. Que des droits
raisonnables, la libert de la personne et de la proprit soient re
connus, qu'il y ait une organisation de l'};:tat et en celle-ci des
sphres de l'activit civile qui aient elles mmes grer des affaires,
que les hommes comp tents aient de l'influence sur le peuple et que
la confiance rgne chez celui-ci: voil ce qui ne saurait satisfaire
le libralisme qui oppose tout cela le principe des atomes, des
volonts individuelles,. tout doit se faire en vertu de leur pouvoir
expressment formul, avec leur adhsion expresse. Avec cette libert
toute formelle (1), avec cette abstraction (2), ils ne laissent
s'tablir rien de solide en fait d'organi sation. Aux dcisions
particulires prises par le gou vernement s'oppose aussitt la
libert, car ces dci sions reprsentent une volont particulire, donc
l'ar bitraire. La volont du nombre renverse le gouverne ment et ce
qui tait jusqu'ici l'opposition vient alors au pouvoir; mais
celle-ci, en tant qu'elle est mainte nant le gouvernement, a de
nouveau contre elle le (Il Formel = vide de contenu substantiel. (2
Abstraction, car, pour Hegel, la vraie libert consiste pour
l'individu faire triompher en lui l'universel en s'intgrant
consciemment ce tout concret qu'est l'organisme collectif
dill'Etat. 132. 130 HEGEL nombre. Ainsi se poursuit l'agitation et
le dsordre. Cette collision, cette difficult, ce problme : voil o
en est l'histoire, voil ce qu'elle devra rsoudre dans les temps
venir (1). (Philosophie de ['Histoire, d. Brunstd, pp. 556 558.)
(1) Cette leon est tire du dernier cours de Hegel (1830-31). 133.
BIBLIOGRAPHIE G. NOL, La Logique de Hegel (1895). B. CROCE, Ce qui
est vivant et ce qui est mort dans la philosophie de Hegel. -
Traduit par H. BURIOT (1910) et suivi d'une Bibliographie hglienne.
P. ROQUES, Hegel, sa vie et ses uvres (1912). J . WAHL, Le Malheur
de la conscience dall.. la philo sophie de Hegel (1929). Numro
spcial de la Revue de Mtaphysique Uuil let 1931). Numro spcial de
la Revue Philosophique (nov. 1931). . BRHIER, Histoire de la
Philosophie. T. II, fase. III, pp. 734-800 (1932). ALAIN, Ides
(1939), p. 203-288. H. NIEL, De la Mdiation dans la philosophie de
Hegel (1945). J. HYPPOLITE, Gense et structure de la Phnomnologie
de Hegel (1946). A. KOJVE, Introduction la lecture de Hegel. Leons
sur la Phnomnologie (1947). J. HYPPOLITE, Introduction la
Philosophie de /'Hi8 toire de Hegel (1948). 134. TABLE DES MATItRES
PAGllC LA. VIE ................ : . .. . . . . . . . . . lLA
rlilLuSOPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1~L'UVRE................................. 75EXTRA.ITS .......... .
. . . . . . . . 85I.- La Logique ne faiL qu'un avec la mtaphysique.
. . . . . . . . . . . . . . . 8 II. - La dialectique: sa vraie
nature; sesdivers aspects .... . . . . . . . . . . . 90III. - La
contradiction est la source detout mouvement et de toute vie 94IV.
- Le devenir.... 96V. - Dialectique de l'volution quantitative et
de la rvolution quali tative .. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . 98VI. - L'explication d'un phnomne parune force est une pure
tautologie 100VII. - L'intrieur et l'extrieur ont lemme contenu
103VIII. - La raison est la substance de l'his toire .. . .. . ...
. . .. . . . . . . . ... 110 135. 134 HEGEL PAGES IX. - L'histoire
est le progrs dans laconscience de la libert....... 115X. - Comment
l'Ide se ralise dansl'histoire 118XI. - Comment se renouvellent les
institutions. Rle des grands hom mes de l'histoire .. . . . . . . .
. . .. 123XII. - La Rvolution franaise........ 125XIII. - Napolon
et la Restauration.... 127BIBLIOGRAPHIE : Principaux ouvrages
franais consulter. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . .. 131 136. "SG CJ 137. PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCEH OSO
DES Collection dirige par~mile BRHIER, membre de l'InstitutCelle
collection nouvelle a pour but de permettre un largepublic de
connatre l'essentiel des grandes doctriTZe$ philoso phiques et de
se faire une ide exacte de ce que furent ceshommes qui ont jou un
rle prpondrant dans l'volutionde la pense humaine.Chaque volume se
compose d'une biographie, d'un expos dela doctrine et de nombreux
extraits des uvres.PLATON - PICURE - SOCRATEARISTOTE - SNQUE -
MARC-AURLESAINT AUGUSTIN - SAINT THOMAS D'AQUINMONTAIGNE - BACON -
DESCARTESLEIBNIZ - PASCAL - SPINOZAMALEBRANCHE - VOLTAIRE -
ROUSSEAUDIDEROT - HEGEL - SCHOPENHAUER - K AUGUSTE COMTE - CLAUDE
BERNARD NIETZSCHE - BERGSON 108, Boulevard Saint-Germain - PARIS 6e
22.287 1Q49 tmp. PRUSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE' Vendme IfrQllc:eJ
{20 t'I'.