7/24/2019 Adorno L'Ide de l'Histoire Nature
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L'Homme et la socit
L'ide de l'histoire-nature (expos du 15-7-1932 la Kant-Gesellschaft)Theodor Wiesengrund Adorno, Philippe Despoix
Citer ce document Cite this document :
Adorno Theodor Wiesengrund, Despoix Philippe. L'ide de l'histoire-nature (expos du 15-7-1932 la Kant-Gesellschaft) . In:
L'Homme et la socit, N. 75-76, 1985. Synthse en sciences humaines. pp. 107-116.
doi : 10.3406/homso.1985.3066
http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1985_num_75_1_3066
Document gnr le 06/01/2016
http://www.persee.fr/collection/homsohttp://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1985_num_75_1_3066http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1985_num_75_1_3066http://www.persee.fr/author/auteur_homso_173http://www.persee.fr/author/auteur_homso_495http://dx.doi.org/10.3406/homso.1985.3066http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1985_num_75_1_3066http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1985_num_75_1_3066http://dx.doi.org/10.3406/homso.1985.3066http://www.persee.fr/author/auteur_homso_495http://www.persee.fr/author/auteur_homso_173http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1985_num_75_1_3066http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1985_num_75_1_3066http://www.persee.fr/collection/homsohttp://www.persee.fr/7/24/2019 Adorno L'Ide de l'Histoire Nature
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l ide
de l histoire-nature
(expos du 15-7-1932 la Kant-Gesellschaft)
TH.W. ADORNO
Adorno
ne
dfinit pas
l histoire-nature en
termes d'ontologie historiste.
l ne s agit
pas pour lui de construire des objets, des images archaques,
mais
e comprendre la
facticit
historique dans
son historicit mme commeistoire-nature.
Il
cite l'appui le mythe de Kronos, celui qui dtruit ses propres
ratures,
ses
enfants.
La
philosophie
de
l histoire
est
ainsi confronte
un
ntrelacement de l instant original et du nouveau
en
devenir, la
tche
de la
hilosophie
tant de dgager ces deux
moments,
de les distinguer
et
de lespposer.Pour Walter Benjamin auquel Adorno se rfre
aussi
longuement, la nature
st
dialectise
dans
les signes de l histoire. La dialectique historique n estas simple reprise d'un moment
pr-historique,
c'est le matriau historique
ui-mme
qui se transforme
en
mythe
et en histoire-nature.
Adorno does
not
give
a
definition in terms of historist ontology. He
does
not aim at constructing objects, archaic images, but to understand historical
facticity in
its historicy as
nature-history.
He illustrates
his
interpretation
by
referring
to
the myth of Kronos who destroys
his own
creatures, his children.
The philosophy of.
history
is thus confronted to an
interweaving
of the
original
instant
with
the
one
immediately
coming
after.
The task
of
philosophy
being to break
down
two instants, to
distinguish and
to
oppose
them.
La conception de l'histoire-nature est relier au cadre de travail
philosophico-historique d'un matriau
prcis,
avant tout jusqu
prsent esthtique.
Le
plus
simple
pour prsenter
cette
manire de
concevoir la nature historiquement est de donner les sources
d o
ce concept d'histoire-nature provient.
Je
me rfre aux travaux
de
G.
Lukacs et de W.
Benjamin.
Lukacs
a
utilis un terme dans la
Thorie du
roman
qui
mne
ce concept :
celui de
deuxime
nature.
Le
cadre
de
ce concept
est le
suivant :
Lukacs
se reprsente sur
un
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TH. W.
ADORNO
plan philosophico-historique
gnral
un
monde
plein de sens (sinner-
fllt) et vid de sens {sinnnentleert), (monde immdiat et alin,
monde
de
la
marchandise),
et
cherche
dcrire
ce
monde alin.
Celui-ci,
en
tant
que
monde
des choses
produites et perdues
par
l'homme,
est
nomm
monde de la convention.
L o aucun but n est
immdiatement
donn, les
crations
(Gebilde)
que l'me dcouvre dans son devenir humain (Menschenwerdung) comme
thtre
et
substrat de son
activit
parmi les hommes
perdent
l'vidence
de
leur enracinement
dans des ncessits suprapersonnelles, dans celles
du
devoir-tre
; elles
constituent un
simple tant, peut-tre puissant,
peut-
tre pourri, mais
elles ne
portent ni la conscration de
l'absolu en soi,
ni
ne sont
pour
l'me
les rceptacles
naturels
de
sa
dbordante
intriorit.
Elles
forment
le
monde
de
la
convention
:
un
monde
tout puissant
auquel
n'chappe que la partie la plus intrieure de l'me,
et
partout
prsent
dans
sa
multiplicit
l ensemble
indominable {unbersichtlich\ un monde aux
lois rigoureuses qui
aussi
bien
dans
le devenir
que dans
l tre, impose la
ncessit
de son vidence
au
sujet connaissant, mais
qui
pourtant n offre ni
un
sens
au sujet en
qute d'un
but,
ni
un lment
immdiatement
sensible
au
sujet agissant. Ce monde
est
une deuxime
nature
; comme la
premire,
la
premire
nature
est
pour Lukacs la nature, elle aussi aline, dans
le
sens des
sciences
naturelles il ne
peut
tre dtermin que comme
systme de ncessits
connues,
trangres
au
sens
et
reste pour
cette raison
insaisissable et
inconnaissable
dans
sa
vritable
substance
(1).
Que le
monde de la convention et la
manire
dont il est produit
historiquement soit un fait (Tatsache),
que
les choses qui
ne
peuvent
plus tre dchiffres et
qui
nous sont
devenues trangres se
dvoilent
comme
chiffres, tel
est
le
point
de
dpart de la
problmatique
que je prsente
ici.
Du point
de
vue
de la
philosophie
de l'histoire
de
problme
de
l'histoire-nature se
pose
tout d'abord
comme
possibilit de reconnatre, d'interprter ce
monde
tranger, chosiste
(dinghaft) et mort.
Lukacs
a dj
aperu
l'tranget et le caractre
nigmatique de ce problme. Pour
russir
vous prsenter
l'ide
d'histoire-nature,
il
faut d'abord faire
l'exprience
de
quelque
chose
qui se rapporte
au
Traumasein que cette
question
signifie.
L'histoire-nature n'est pas
une
synthse
des
mthodes
des sciences
naturelles et
des
sciences hitoriques,
c'est
un changement de
perspective.
A l'endroit
o
il
se
rapproche
le plus
de
cette
problmatique Lukacs
dit
:
la
seconde
nature,
celle des crations humaines (Menschengebilde)
ne
possde aucune
substantiate lyrique
: ses formes sont trop rigides pour
s adapter l instant
crateur
de
symboles
;
le
sdiment de contenu de ses lois
est
trop dtermin
pour
pouvoir
abandonner
les
lments
qui
servent
de
point de dpart (Veranlassung)
essayiste
dans
la posie
lyrique ; mais ces
lments
vivent
si exclusivement
par la
vertu de ces
lois,
manquent
tellement de capacit d'existence
sensible
indpendante
de celles-ci, qu'ils se
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L
IDE
D HISTOIRE - NA
TURE
1 09
voient
sans
elles
rduits au
nant. Cette
nature n est pas muette,
sensible
(sinnfiillig) et trangre au
sens
comme la premire
:
elle est
un
complexe
de
sens
fig,
incapable d veiUer
nouveau l intriorit
;
elle
est
un ossuaire
d intriorits mortes et ne pourrait
pour
cette
raison
tre
veille
si
cela
tait possible
que
par l'acte qui la cra dans son existence
premire et
la
maintint
dans
son
existence thique
(sollenden), l'acte mtaphysique
d'un
rveil spirituel,
jamais
par contre mme
d tre
vcue par une autre
intriorit (2).
Le problme
de
ce rveil, mis
ici
sur
pied comme possibilit
mtaphysique, est celui-l
mme
qui est compris sous celui d'histoire-
nature. Ce que
Lukacs
a
ici
en
vue est la
transformation
de
l historique
(Historischen),
en
tant
que
rvolu, (Gewesenen)
en
nature
;
l'histoire fige est nature,
ou
bien
le
vivant fig de la nature est
simplement
devenu
(Gewerdenheit)
historique.
Le discours de l'ossuaire
contient
le
moment
du chiffre ;
savoir, tout cela
signifie
quelque
chose mais
doit tout
d'abord tre
dterr.
Cet ossuaire Lukacs
ne
peut
le penser
autrement
que
sous la
catgorie
de rveil
thologique,
sous l'horizon eschatologique. C'est
Benjamin
que
l'on
doit le tournant dcisif quant au problme de l'histoire-nature
;
il
a
ramen le rveil de la
seconce nature
d'un loignement infini
une
infinie
proximit, et
en a
fait un
objet
d'interprtation
philosophique.
A partir
du
moment
o
la philosophie saisit le moment
de
l'veil
de
ce qui
a
caractre
de
chiffre
(Chiffrenhaft),
de
ce
qui
est
fig,
elle
en
arrive former et
affiner
le
concept d'histoire-
nature. Deux
citations de Benjamin
sont
complmentaires
celles
de Lukacs :
La nature
leur (aux potes allgoriques) apparat comme pass
(Vergdngnis)
ternel
dans
lequel
le
coup
d oeil saturnin de chaque gnration
a
reconnu
l'histoire (3).
Lorsqu'avec le
Trauerspiel
l histoire
se
dplace
vers
le
thtre,
elle le fait
en
tant qu'crit (Schrift).
Sur
le visage de la
nature
apparat histoire
dans
les signes crits
du
pass (4).
Il
y a l quelque chose, par principe
de diffrent de la
philosophie de l'histoire lukacsienne
;
par deux fois apparat le mot pass
(Vergdngnis)
et phmre (Vergnglichkeit).
C'est certainement
dans ce moment
caractre
phmre
que
s'inscrit le
point
o
histoire
et nature
convergent le
plus profondment. Alors
que
Lukacs laisse
l'historique (Historische) en
tant
que
rvolu (Gewese-
nes)
se
re transformer
en nature,
l'autre
face du
phnomne est ceUe
o
la
nature
mme
se prsente
comme
nature phmre
(vergngli-
che),
comme histoire.
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TH.
W.
ADORNO
Les questions poses
selon
l'ide
d'histoire-nature
ne sont pas
pensables comme interprtation de l'histoire
concrte.
Benjamin
part
du
fait
que
l'allgorie n'est
pas
un rapport
de simple
contingence secondaire.
Elle
n'est pas un signe contingent pour un
contenu
que celui-ci
masquerait, mais
entre
l'aUgorie et le signifi (Ge-
meintem) allgorique existe une relation chosale (Sachbeziehung)
:
l'allgorie est
expression
(5). Allgorie
veut
dire, de
manire
courante, reprsentation sensible d'un concept,
cest
pourquoi on la
dit
abstraite et contingente.
La
relation de ce qui
apparat
(Erscheinen-
den) allgorique
et
du
signifi
(Bedeuteten) n'est pas
contingente
et
simple
signe
(zeichenhafte) mais
quelque
chose de particulier
se
joue
l elle
est expression et
ce qui se
joue dans son
espace,
ce qui s'exprime n'est rien d'autre qu'un rapport
historique.
Le
thme
de
l'allgorique
est
tout
simplement
histoire. Qu'entre ce qui
apparat, la
nature,
et le signifi, nommment l'phmre, il s'agisse
d'un rapport historique s'expUque ainsi :
la
vision
profonde et
romantique de ces penseurs,
le fait
d'avoir port
la smiotique dans ce
domaine,
sous la
catgorie
dterminante de temps,
leur permet de
fixer
le
rapport
entre
symbole
et
allgorie de manire
pntrante
et formelle. Alors que
dans
le symbole la sublimation
(Verkldrung)
du dclin rvle fugitivement la face transfigure de la
nature
dans la lumire
de
la
rdemption, l allgorie prsente
celui
qui la
contemple
le
fades
hippo-
cratica de
l histoire
comme paysage (Urlandschaft) fig. L histoire
dans
tout
ce
qu'elle
a, ds le dbut, d'inachev, de douloureux
et
de manqu,
prend
la
forme
d'un
facis, ou
plutt d'une tte de mort. Et
aussi
vrai qu'il lui
manque
toute
libert symbolique
de l'expression, toute harmonie
classique de
la forme, tout
ce
qui est
humain, c'est
l historicit
biographique
d'un
individu (einzelnen) et
non simplement
la nature
de
l'existence
humaine,
qui
s exprime de
manire significative comme nigme dans cette figure
de son
dclin
naturel. Le cur de la
vision
allgorique, de l'exposition
baroque
et
profane de
l histoire, est
le rcit de la passion
du
monde ; cette
histoire
ne signifie
que par les
stations
de son dclin.
Tant
de
signification,
tant
d'abandon
la
mort,
parce
que
c'est
la
mort
qui
creuse
le
plus
profondment la ligne de
dmarcation
dentele entre physis
et signification
(6).
Que signifie ici
le
discours de l'phmre, et
que veut
dire
prhistoire
(Urgeschichte)
du signifier
(Bedeutens)
? Je
ne
pourrai
pas dvelopper
ces
concepts de manire approprie. D
s'agit d'une
forme logique
diffrente
par
principe de
celle
de
dveloppement
partir d'un projet, dont le moment constitutif
aurait
pour
fondement
une
structure conceptualisable
de
manire gnrale.
Cette
autre structure logique, qui n'est pas
en
tant
que telle
analyser
ici,
est
ceUe
de la constellation.
Il
ne
s'agit
pas
d'une expUcation
de concepts, spars les uns des autres, mais d'une constellation
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L IDE
D
HISTOIRE
- NA
TURE 1 1 1
d'ides
;
savoir
les
ides
d'phmre et de
signifier, l'ide
de
nature et celle d'histoire. Ce
sont des
ides auxquelles on ne peut
pas recourir comme
des invariants
;
chercher
les
expliciter
ne
peut
tre
l'intention
en
question,
car ces
ides s'assemblent
dans la facticit historique concrte
qui se
dvoile dans son
unicit temporelle (EinmaUgkeit) dans le
lien
de chacun de leurs
moments.
Comment ces
moments sont-ils relis les uns aux autres
? La
nature en tant
que
cration, Benjamin
la conoit sous le
signe de
l'phmre. La
nature elle-mme est
phmre, elle recle ainsi
en
soi
le moment de
l'histoire.
Chaque manifestation
de l'lment
historique
renvoie l'lment
naturel
qui disparat
en
lui. Et
inversement,
chaque fois
qu'apparat
la
seconde nature, que ce monde
de la convention s'approche de nous, il se
dchiffre
parce que
c'est
prcisment son
caractre phmre
qui
se
dvoile comme
sa
signification. La conception
de Benjamin est
tout d'abord
et
l'on
doit
aller plus loin
telle que
tout phnomne fondamental (Grund-
phnomen) pr-historique, existant originellement, pass, signifi
dans l'allgoris et qui revient dans
celui-ci,
doit se
rpter
comme
lettre-caractre
(Buchstabenhafte). Il
ne s'agit
pas de
montrer
simplement
que
des motifs pr-historiques rapparaissent dans l'histoire
elle-mme,
mais que
la
pr-histoire
mme, en tant qu'phmre,
contient
en
elle le motif de l'histoire.
La
dtermination
fondamentale
du
caractre phmre de
ce qui
est
terrestre, ne
signifie
rien
d'autre que
ce
rapport entre
nature
et
histoire
:
tout
tre et
tout
tant n'est saisir
que
comme entrelacement d'tre historique
et d'tre
caractre naturel.
En
tant
qu'phmre,
la pr-histoire
est
absolument
prsente.,
Elle
l'est
en
signe
de signification.
Le
terme
signification veut
dire
que
les
moments nature
et
histoire,
ne
s'ouvrent pas l'un l'autre, mais qu'ils se
brisent
et
s entrelacent en mme
temps,
de
manire
ce que
le
naturel
apparaisse
comme
signe pour
l'histoire,
et l'histoire, l
o
eUe se donne pour
le plus historicise,
comme
signe
pour
la
nature.
Tout tre,
ou
au
moins
tout
tre
advenu (gewordene),
tout
tre
rvolu
se transforme
.
en
allgorie
;
par
quoi
celle-ci cesse
d'tre
une
simple
catgorie
de l'histoire de
l'art. Le signifier cesse d'tre un
problme de
l'hermneutique philosophico-historique ou mme du
sens
transcendental, partir
du
moment
constitutif o
l'histoire
se
trans-
substantifie en pr-histoire.
D o
pr-histoire du signifier. La chute
d'un tyran
est
quelque
peu semblable, dans le
langage baroque,
au
crpuscule du soleil.
Cette
relation allgorique permet en
soi de
cerner
l'ide
d'une mthode qui pourrait
russir interprter dans
ses traits,
l'histoire concrte comme
nature,
et
dialectiser
la
nature
dans
les
signes
de l'histoire.
Le
dveloppement
d'une
telle
conception est
nouveau
l'ide
d'histoire-nature.
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112
TH.
W. ADORNO
Aprs avoir ainsi indiqu
l'origine de
l'ide
d'histoire-nature,
je
peux
aller plus loin.
Le lien
entre
ces trois
passages
se
situe dans
la
faon
de reprsenter
l'ossuaire.
Chez
Lukacs,
c'est
quelque
chose
de simplement nigmatique
;
chez
Benjamin,
cela
devient
un
chiffre
qui est
lire.
Mais selon la pense radicale de l'histoire-nature, tout
tant se
transforme
en dcombres
et fragments,
en un
ossuaire,
au sein duquel on peut dcouvrir sa signification,
o
nature et
histoire s'entrelacent et
o
la philosophie de l'histoire trouve l'objet
de son
interprtation
intentionnelle. C'est ainsi un double tournant
qui
est
effectu. D'un
ct, j ai ramen la
problmatique
ontologique celle
de la
forme
historique, et j ai
cherch montrer
de
quelle manire
historique concrte
le questionnement
ontologique
est
radicaliser.
D'un
autre
ct,
j ai
montr
comment,
sous
le
signe
de l'phmre, l'histoire elle-mme
pousse
un
tournant
qui, dans
un certain sens,
est
ontologique. Ce
que j'entends ici
par tournant
ontologique,
est
quelque
chose de compltement diffrent de
ce
qui est aujourd'hui
couramment compris
sous ce terme. C'est
pourquoi
je ne
me rclamerai pas plus longtemps de
cette
expression,
mais l'introduis
simplement
de manire
dialectique. L'ide
que je
me fais de
l'histoire-nature
n'est pas une ontologie historiste
;
eUe n'est pas une
tentative
de saisir la relation
entre des tats
de
choses
qui,
comme
sens
ou
structure
fondamentale
d'une
poque,
devrait
former
un
tout,
et de l'hypostasier de
manire ontologique,
comme
le fit en
quelque
sorte
Dilthey.
Cette
tentative
d ontologie historiste
a
chou chez Dilthey, parce
qu'il n'a
pas pris la
fac-
ticit suffisamment au
srieux,
parce qu'il s'est cantonn au
domaine de l'histoire
des
ides (Geistesgeschichte) et,
qu
l'aide de
concepts
de styles de pense
inconciliables,
il
n'a
absolument pas su
saisir
la raUt
matrielle (material-gefullte). Il ne s'agit pas,
la
place
de cela, de
construire
des images archaques
(Urbilder) pochales,
mais de comprendre la
facticit historique
dans son
historicit
mme
:
comme
histoire-nature.
Pour
articuler l'ide
d'histoire-nature, j'examine un second
problme
en partant du
ct
oppos (et cela
va
directement
dans
le
sens de la discussion francfortoise).
Ce
que j ai
en tte, pourrait-on
dire, serait une
faon ^enchanter (Verzauberung)
l'histoire.
L historique
serait
ainsi,
dans toutes ses contingences, rendu
par le
naturel
et
le pr-historique
mme. Et parce
qu'il apparat allgorique, le
point
de
rencontre (Begegnende) historique devrait tre
transfigur en quelque
chose de
signifiant (Sinnhaftes).
Mais
ce n'est
pas
l le sens
de
ce
que je
veux dire. En fait c'est le
point de
dpart
du questionnement,
le
caractre
de
nature
de
l'histoire,
qui
est
tonnant. Mais si la philosophie
en
restait
encaisser
ce choc,
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L
IDE
D
HISTOIRE NA TURE \ \ 3
savoir, que ce qui
est
histoire se prsente, chaque fois, en
mme
temps comme nature alors il
en
serait
de mme
que
lorsque Hegel
reprochait
Schelling
sa nuit
de
l'indiffrence,
dans
laquelle tous
les
chats sont
gris.
Comment chapper
cette
nuit
?
C'est
ce
que
je
voudrais encore indiquer.
Il faut
partir
de ce
que
l'histoire,
telle
qu'elle se
prsente
nous
se donne
de
part en part
comme un
discontinu
;
et non seulement
dans la mesure
o
elle
comprend des
tats
de
choses
ou
de faits
disparates,
mais
aussi
des disparits de
type
structurel.
Lorsque
Riezler*
parle
de trois dterminations de
l'historicit,
opposes et pourtant
replies
les unes dans les
autres.
Tyche, Annanke, et la spontanit,
je n'essaierai pas, l'aide d'une soi-disant unit
de synthtiser
ce
partage
de la structure historique par ces dterminations. Je
pense justement
que
la nouvelle ontologie
a
abouti
quelque
chose
de
trs
fructueux avec la
conception
de
cet tre-disponible (Gefgt-
sein).
Cette discontinuit
au sein
de
laquelle
je
ne vois pas,
comme
dj dit, le droit de transfrer une totalit structurelle (Struktur-
ganzheit) se prsente, avant tout,
comme
quelque
chose
qui se
situe entre le matriau naturel mythique-archaque de l'histoire,
du pass rvolu, et ce qui y apparat
dialectiquement
nouveau,
nouveau dans un sens
expressif. La
problmatique de ces catgories
m'est claire.
La mthode diffrencie qui
mne
l'histoire-nature
consiste,
sans anticiper
sur
l'unit de
cette dernire,
tout
d'abord
accepter
et prendre
ces deux
structures problmatiques et
indtermines
dans
leur opposition, teUes qu'elles apparaissent
dans
le
langage de la philosophie. On doit le
faire
d'autant plus que, face
aux
rsultats proposs par
la
recherche,
la
philosophie
de
l'histoire
est
en
tout temps confronte un tel entrelacement de
l'existant
originel
et
du
nouveau
en devenir (neu
Werdenden),
Je
rappelle
que
dans le domaine de la recherche
en
psychanalyse
cette
opposition
est
examine en
toute
clart :
dans la distinction entre
symboles archaques auxquels ne se rattache aucune association,
et
symbole dynamiques,
intra-subjectifs
et
intra-historiques
qui
se
laissent liminer
et peuvent
tre reconstitus en
actualit
psychique
et
en
savoir actuel.
La
tche de la philosophie de l'histoire est
en
premier lieu
de dgager
ces deux moments,
de ls
distinguer
et de les
opposer l'un l'autre
;
et
c'est
seulement lorsque
cette
antithse
est expUcite que
l'on a
une chance de russir
construire
l histoire-nature. Les rsultats pragmatiques qui se
prsentent
nous,
(*) Cf. Kurt Riezler, Uber Gehundenheit und Freiheit
des
gegenwrtigen Zeitalters,
Cohen,
Bonn
1929
;
ainsi
que :
Parmenides,
Bd.
5 der
Frankfutgter Studien zur
Religion
und
Kultur
der
Antike,
Frankfurt
1933
;
en particulier sur le
concept
de
Gefuge
(structure
disponible),
pp
17
et
suivantes
(N.D.T.).
7/24/2019 Adorno L'Ide de l'Histoire Nature
9/11
1
14 TH. W. ADORNO
nous donnent une indication pour cela, si
l'on
observe
le
mythique-
archaque
lui-mme, ainsi que le
nouveau-historique (Geschichtlich-
Neue).
On peut
voir,
dans
ce
cas,
que
le
fondement
archaque-mythique,
ce prtendu
mythique substantiel
qui
persiste,
n'est pas
du tout
un
fondement
statique, mais
qu au contraire
dans tous
les
grands mythes,
dans
toutes
les
images
mythiques
que notre
conscience possde encore, le
moment de la
dialectique
historique
est
dj prsent ;
et
vrai
dire,
dj l sous forme dialectique telle,
que
les donnes mythiques fondamentales sont
en
elles-mmes
contradictoires et
se
meuvent de cette
faon.
C Que
l'on se
rappelle
le
phnomne de l'ambivalence,
du
contresens des mots
archaques (Urworte)
J.
Le
mythe
de kronos
en
est un exemple
:
la force
de
cration extrieure
de dieu,
et
le
fait
qu'il
soit, en
mme
temps,
celui
qui dtruise ses
propres crations, ses enfants,
ne
font
qu'un.
Ou encore, la
mythologie qui
est
le fondement
de la
tragdie,
est
toujours
en
soi
dialectique,
parce
qu'elle
comprend
le
dclin (Ver-
fallensein)
de l'homme fautif
par
son
lien
la
nature
et,
qu'en
mme temps, elle rconcilie ce destin partir
de
lui-mme
(aus
sich
selbst heraus)
;
l'homme
nait ainsi, en tant qu'homme, de
son
destin. Le moment de la dialectique
consiste
en
ce
que
les
mythes
tragiques reclent en
eux,
la fois la chute dans la
faute
et la
nature,
et le moment de la rconciliation, le dpassement (Hinausgehen)
principal
des
liens naturels.
A
l'origine,
la
reprsentation
d'un monde
d'ides
statiques, non-dialectiques, mais aussi celle des
mythes
qui brisent
toute dialectique, renvoie Platon (7). Le monde
des
phnomnes (Erscheinungen) mmes
est, chez
Platon, en ralit en
friche.
C'est un monde
dlaiss, mais
visiblement domin par
les
Ides.
Cependant
les Ides
ne
prennent pas part ce
monde ;
et
comme
elles ne prennent
aucune part au mouvement
du monde,
elles
se
trouvent contraintes, travers cette alination du monde
de
l exprience
humaine aux Ides, de
se dplacer
sous les toiles,
afin
de
pouvoir
rsister
sa
dynamique.
Elles
deviennent
statiques
:
ptrifies. Cela est dj l'expression de
l'tat
d'une
conscience
qui
a
perdu sa
substance naturelle
comme
immdiatet. -
Ds l poque
de
Platon,
la conscience est tombe dans la tentation de Vidalisme
:
l'esprit,
banni
du
monde, et l'histoire
aline
sont ports
l'absolu
au prix
de
leur
vie
(Lebendigkeit). Et nous
avons
nous
dbarrasser
de la tromperie
que
constitue ce
caractre
statique
des lments
mythiques si nous
voulons
aboutir une image concrte de
l histoire-nature.
D'un
autre ct, ce qui est
chaque
fois nouveau (jeweilig
Neue)
ce
qui
est
produit
dialectiquement dans
l'histoire,
se
prsente
comme archaque. L'histoire est le plus mythique, l
o
elle
se
7/24/2019 Adorno L'Ide de l'Histoire Nature
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L IDE
D
HISTOIRE
- NA
TURE \ \ 5
donne pour le plus historicise. C'est ici
que
se trouvent
les
plus
grandes difficults.
Au lieu
de dvelopper ces ides de
manire
gnrale,
je
propose un exemple :
celui de
l'apparence (Schein)
;
vrai
dire,
je
parle
de
l'apparence
dans
le
sens
d'une deuxime
nature,
telle
qu'il
en
a t
question.
En se donnant pour
signifiante,
cette
seconde nature est
apparence,
et l'apparence
en elle
est produite
historiquement.
Elle
est apparente parce
que
la
ralit
nous est
perdue et que
nous
croyons la
percevoir
comme pleine de
sens,
alors qu'elle
en
est vide ou que, comme dans
l'allgorie,
nous lisons
sa signification dans ces intentions
subjectives
qui nous sont
devenues trangres.
Mais ce qui est remarquable,
c'est
que l'tre
infra-historique soit
une
apparence
de
ce mme
genre mythique.
De
mme
que
le moment de
l'apparence
est inhrent chaque
mythe
et
que, sous
les formes de Vhybris et de l'aveuglement, la
dialectique du destin mythique
est toujours
inaugure par l'apparence,
de mme
ses
constituants (Schein-gehalte) produits historiquement
sont-ils
toujours de
type
mythique, et
pas
seulement parce
qu'ils
remontent au pr-historique-archaque, ou que dans
l'art
tout ce
qui a
un caractre
apparent renvoie au mythe, (que l'on
pense
Wagner) mais parce
que
le caractre
du
mythe
mme
se rpte
dans
ce
phnomne historique de
l'apparence.
Dgager ceci serait
un
vrai problme de
l'histoire-nature. Il s'agirait par exemple
de
montrer
que lorsqu'on
constate
le
caractre
d'apparence
de
certains
logements,
celle-ci est
apparente
la
pense de ce qui
est advenu
de
tout temps,
et
qui
peut seulement tre reconnu.
Le phnomne
du dj-vu, du
reconnatre,
serait
ici
analyser. Plus
encore,
le
phnomne
originel (Urphnomen) mythique de l'angoisse se rpte
devant une
telle apparence intra-historique aline.
Une peur
archaque
nous surprend chaque fois
que
le monde apparent de la
convention
nous fait face. Plus
encore,
il
faut remarquer
le moment
de la menace qui est toujours le propre de
cette apparence ;
qu'elle
ait pour
caractre de
tout engloutir
comme dans
un entonnoir,
renvoie
aussi
un
tel
moment
mythique.
De
mme le
moment
de la
ralit
de
l'apparence par
rapport
celui de son simple caractre
d'image (Bildlichkeit) :
partout
o nous
la
rencontrons, nous
ressentons l'apparence comme
expression,
elle
n'est pas
quelque chose
dont le
caractre apparent serait
simplement carter,
mais
elle
exprime
quelque chose
qui apparat et qui indpendamment d'elle
serait
indescriptible
;
cela galement,
est
un moment mythique de
l'apparence. Et finalement, le
motif
transcendant dcisif du
mythe,
celui de la
rconciliation,
est encore le propre de
l'apparence. Je
rappelle
l'motion qui accompagne
toujours les
uvres d'art
mineures
et
non
les plus grandes.
Je
veux
parler du
moment
de la
r-
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116
TH. W. ADORNO
conciliation
que
l'on trouve chaque fois
que
le
monde
est
reprsent
avec
le
caractre apparent
le plus accentu
;
c'est l, lorsque
le
monde
est
le
plus
hermtiquement
ferm
tout
sens, que
la
promesse
de
la rconciliation est
donne
de la manire la
plus
complte.
Je
veux renvoyer avec
cela,
la structure
du
pr-historique
de
l'apparence mme, o
celle-ci, dans son paratre
(Sosein), se
donne
comme
quelque
chose
de produit
historiquement :
c'est
-
dire, dans le
langage
courant de la philosophie,
l'apparence
pro uite
par
la
dialectique
sujet-objet.
En
vrit, la
seconde nature
est la
premire. La
dialectique
historique
n'est pas simple reprise d'un
matriau pr-historique auquel
on
a donn un autre sens,
c'est
le
matriau historique
lui-mme
qui se transforme
en
mythe et
en
histoire-nature.
Je
voulais aussi parler
du
rapport de
ces choses
au matrialisme
historique,
mais
puis
simplement dire
ceci :
il
ne s'agit pas du
complment
d'une thorie par
une
autre,
mais de son
interprtation
immanente. Je me place pour ainsi dire en
instance de juge de la
dialectique
matrialiste. On pourrait ainsi montrer que ce qui
a
t
expos,
est
simplement
une
interprtation
de
ses
lments
fondamentaux.
Universit de Francfort (traduit de l'allemand
par
Ph.
Despoix)
NOTES
(1) G.
Lukacs,
Die Thorie des Romans, Berlin 1920, p. 52.
(2) idem,
op. cit, p.
54.
(3) W. Benjamin, Ursprung des deutschen Trauerspiels, Berlin 1928, p. 178.
(4) idem,
op.
cit, p. 176.
(5) idem,
op. cit, p.
160.
(6) idem,
op.
cit., p. 164.
(7)
pour
la
suite cf.
Kierkegaard, Begriff der Ironie, Berlin-Mnchen, 1929
p.
78 et
suivantes.