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UMI
LA MPR~SENTATION DE LA VERTU FEMMNE DANS LA ~ 1 7 Z DES DAIZ4ES DE CHRISTINE DE P E A N
ET D . ~ Y S L~HEP~AMERON DE MARGUERITE DE NAVARRE
CHANTAL GIONET
A tiiesis siibmitted to the Faculty of Graduete St~idies in partial fulfillrnent of the reqiiirenients for the dcgrce of
Maitrise en études françaises
Graduate Programme in French York University
North York, Toronto
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I i La représentation de la vertu féminine dans u La Cité
des Dames w de Christine de Pizan et dans
l'fi Heptaméron n de Marguerite de Navarre.
b~ C W T A L E GIONET
t i a thesis submitted to !he Faculty of Graduate Studies of York I I University in partial fuifiilment of the requirements for the degree
of MASTERS OF ARTS
A p r i l 1998
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Pour ce mémoire, j'ai fait une étude thématique, épistémologique et comparative
de la représentation de la vertu féminine dans L a Ciré des dames de Christine de Pizan et
dans I'Heptameron de Marguerite de Navarre. La notion de la vertu chez la femme semble
étrangère a notre époque, mais elle était importante aux XVe et XVIe siècles: la vertu
déterminait son honneur, son devoir, sa réputation, son comportement et ses droits, en
d'autres mots, son rôle et sa place dans la société.
Pour faire cette étude, j'ai choisi six exemples clés de femmes représentant la
vertu: Lucrèce, Gnsélidis et Sainte-Christine de La Cité des Dames, et la muletière, la
princesse de Flandres et Marie Héroët de I'tleptamerorz. Ce mémoire est divisé en trois
chapitres; chacun analyse deux héroïnes, l'une de La Cité des Dames et l'autre de
I'Hep~améron. Ces six héroïnes sont représentées comme étant vertueuses grâce a leur
moralité, à leurs actions et à leur souBance. Elles sont toutes obligées de faire face à
d'immenses obstacles à leur vertu mais elles réussisent à les franchir. En ce faisant, elles
accroissent leur vertu et leur honneur. On leur impose le silence, mais elles parviennent à
communiquer la réalité de leur situation par la parole ou par des signes.
Christine de Pizan et Marguerite de Navarre étaient deux femmes exceptio~elles
pour leur temps: elles ont eu l'immense courage d'écrire et de défendre la vemi féminine à
une époque où la censure sociale était extrême. En défiant le statu quo de leur époque,
elles ont redéfini l'honneur et la vertu féminines. En prenant la parole, elles se sont
affirmées et ont créé une nouvelle conscience féminine. Elles ont contribué à améliorer le
sort de la femme en encourageant d'autres femmes à s'exprimer, à écrire, à s'affirmer, à
questionner le statu quo et à faire des changements pour améliorer leur condition.
Table des matières -
Tntroduct ion
Chapitre premier - La verta n'a pas de classe sociale: Grisélidis et la muletière
Chapitre 2 - La vertu mise à l'épreiive du viol: Lucrèce et la princesse de Flandres
Chapitre 3 - Vertu, foi chrétienne et résistance: Sainte Christine et Marie Hëroët
Bibliographie
Introduction
Ce mémoire analysera la représentation de la vertu féminine dans Ln Cité cles
Dames de Christine de ~ i z a n ' et dans I'Fkpicimiron de Marguerite de Navarre. J'ai choisi
ces deus écrivaines parce qu'elles cnt écrit aux XIV-XV siccles et au XVIe siècle,
époques où la majorité des fcmnies n'avaient pas la possibilité d'etre éduquées ni le droit
de s'exprimer librement. J'ai choisi Christine de Pizan parce qu'elle était écrivaine
professionnelle et qu'elle est souvent considérée coinme la première féministe moderne.
Dans sa célèbre oeuvre 1.0 Cil2 ~ f c s J1mic.s. elle défend l'honneur et la vertu féminins
contrc la misog)mie c;iractéristiqiie des grands courants dc la philosophie et de la
litt6ratr1i-e du XVe siicie. J'ai choisi Margiierite de Navarre parce qu'elle est l'une des
écrivaiiies les plus importzntes du XVIe sikle, une protectrice des lettres et des arts et une
celibre représentante de I'hurnanisnie en France. Dans son ccuvre renonimée,
I'llep1)71t'ro1t, elle nous dévoile i travers la peinture des n m u r s dc son milieu et des
t l i h c s conimc I'nriiititi 17nniour et le mariage, un ccrtain nombres d'idées sur la vcrtii.
La coniparaison entre Christine de Pizan ct Marguerite de Navarre s'est avérée
intéressante parce que, ayant étudié plus à fond les cruvres de iLlarperite de Navarre, je
voulais déterminer si Christine de Pizan avait subi les mêmes influences, si elle avait
influencé Marguerite de Navarre, afin de montrer ce que les deux écrivaines avaient en
commun ainsi que leurs diriércnces. À mon avis, ces deus écnvaincs, de par leurs écrits,
ont eu une influence considérable sur le développcment de la nouvelle conscience fiminine
i Lc nom dc famille Pisan oii Pizm. À l'hcurc actiicllc, lcs deus grapliics soiil utilisées cn fraiiqais.
de leur siècle et peut-être même sur celle de mon siècle en jetant les fondatkns propices
au développement d'un féminisme plus avancé dans la société occidentale.
Cette étude sera faite à partir de trois exemples clés de représentations des femmes
vertueuses tirés des deus textes: Lucrèce, Griselidis et sainte-Christine de La Cité &s
Dmies et la muletière, la princesse de Flandres et Marie Héroët de I 'Hep~mélmz. Ces
personnages féminins ont été choisis par la variété de situations où leur vertu est
représentée et par l'importance que l'écrivaine leur accorde ainsi que par les commentaires
que I'auteure fait sur elles. La notion de la vertu sera analysée à la lumière d'événements
de In vie des femmes comme le mariage, du point de vue de la morale de leur époque:
l'amour, l'honneur, la chasteté, l'honnêteté, la modestie, la sainteté et nième le martyre.
L'étude de ces sis héroïnes servira à comparer, à contraster et à définir les notions de la
vertu fiminine chez Christine de Pizan et c5cz illarguerite de Navarre. II est à souligner
que dans les deus tektes la pliiralité de voix rend la notion de la vertu de la femme assez
con:plese. Le but de cette analyse n'est pas de dfvoilcr qiiellc est celle de l'auteur, niais
d'identifier cclles qui scniblent dominer.
Cette recherche situera les diverses notions de la vertu féminine dans deus débats
littéraires de 1' époque, le Ronrart de Icr Rose au XVe siècle et la Qrrerelle des Femnres au
XWe siècle et par rapport à la position des deux écrivaines, et explorera les influences
religieuses, littéraires et philosophiques qu'elles ont subies. La structure des textes, la
narration, l'allégorie et la nouvelle, servira à mieux saisir les points de vue de cliaqlie
écrivaine ainsi que les ressemblances et les différences entre leurs approches féministes.
Christine de Pizan niet en question le mythe négatif de la femme en mettant en
branle la querelle litteraire de 1400 a 1403 autour du Romml de /a Rose, une des oruvres
les plus importantes du moyen âge. hfaurice Roy constate qu'il parait même probable
que 1'EPi/rr mt diri, d'nnzoza:r, ou Christine ne dissimulait pas son sentiment sur l'ieuvre
de Jean de Meung, fut le point dc départ de la fameuse querelle du roman de la lime. »'
Selon iMaïté Albistur et Daniel Armoçathe, c'était la première fois dans l'histoire de la
littérature française qu'une femme participait i un dCbat littéraire? Elle le fit en
échangeant des lettres avec des personnagcs de h chancclleric royale et en écrivant
I *L$pifre nrr Bi~w CI ' A ~ J O I I ~ . ~ et Le Di/ (le !LI Rose pour protester contre la partic misogyne
de la dcusiènic moitié du roman, écrite par Jean de Meung.
Le dibat autour du Ro~rmi de (CI Rosc. fut important pour I'écrivaine: Charity
Cannon Willard souligne que Christine dc Pizan (( gagna une certaine célébritf et devint
par la suite l'avocate de la dignitk féminine. »' À partir de ce moment, elle ne cessa
d'écrire, et en 1405, inspirée par cc débat, elle ridigea 1.o Cil'; &.Y Bcimcs et 1.r Lii-1.2 dcs
7i.ois ? 2rtii.s (aussi appelé 7iz;soi. tic ln Cil6 &.s UCUII~S). Matliildc Laiçle souligne que [.ci
f i lé des Bor~zes est (( la conséquence naturelle et directe de ce Dibot sur /c I(OIMI)I (/L> fa
Rose: c'est le prolonçement et l'élargisserncnt de la question. »'
Maurice Roy (S. la dir. de), Oerrvrcspoériqires de Clzrisrine d e Pizon. fiare Bcrr.rifme, (Paris, Libraric dc Firmin Didot, 1S85), introduction, p. i lr . 3 Maïté Albistur et Daniel Amiogritlic, Flistoire du P-2nrinisnre Frmçnis du nmyen bge ù nos jotrrs, (Paris, Édi~ions des fcrnrnes, 1977). p. 59.
Charity Cannon Willard, introduction du Livre des Trois Ilerirrs de Christine de Pizaii, (Paris. Librairie Honore Champion, 1989), p. XI.
hlathilde Laigle. Livre d ~ s trois i.eritrs de Chrisrine c k Pisan et son milicu historique et lirréroire, (Paris. Honoré Champion. 1912). p. I I .
Ln Cité des Bcrnles est une défense rhétorique de l'honneur et de la vertu féminins
contre la miso~ynie. C'est G la protestation intellectuelle contre la subordination dans
laquelle les hommes tiennent les femmes au nom de la religion, et surtout contre lc mépris
qui les anime. »6 Elle révèle que la vertu de la femme7 est comparable à celle de l'homme:
qu'elle est aussi brave, courageuse, prudente et intelligente. Elle aborde pour la première
fois le problème de la capacité intellectuelle féminine en sw~éran t que celle de la femme
bien éduquée est égale, sinon supérieure, a celle de l'homme: <( tout ce que 170n peut faire
ou savoir, que ce soit par la force physique, par l'intelligence ou par toute autre faculté,
est aistment à la portée des fcrnmcs. >? Elle souligne qu'il faut nourrir ct guider I'intellect
par l'instmction. La femme n'est plus jugée uniquement par sa senialité, comme le firent
les misogynes et Ics clercs, mais par son esprit, son intellijence et ses contributions à la
civilisation. Christine de Pizan énumère les femmes vertueuses de la Bible, de l'histoire
ancienne et rnoderni de la France, pour appuyer ses arguments. Elle prouve que c'est la
condition sociale qui nict la fcninie à une place a pari vis-à-vis celle dc I'lionime.
On constate souvent que Ln Cite deles LIome.~ est une traduction et une adaptation
de Br clnris mtrlieribirs de Boccace. Willard suggère que la structure de Ln Cite des
Bonzes ressemble plutôt à celle Be cosibi~~ v~ronir>i illicstritm (catalogue des hommes
illustres) de Boccace. Mais il y a des indices que Christine de Pizan étzit originale: Glenda
McLeod constate dans Virtire mzd Vetrom, que, selon la tradition des catalogues de
6 Albistrir ct Armogathc, p. 56. ' Dans cc mémoire, la fcmmc est crnployéc comme terme générique.
Christine de Pizan, Le Livre de In Cite des Da,rrer. traduction et intro. par Éric Hicks c t Thérèse Moreau, (Pans. Éditions Stock. 1996), p. 145. Toutcs Ics citations dc La Cité des Daines vicnncnt dc cette édition.
étaient des éléments nouveaux. Dans Dr claris nridieribiis, Boccace dresse simplenierit
une liste de biographies de femmes païennes par ordre chronologique; il n'y a pas de récit
central reliant les histoires comme dans Ln Ciri des D m e s . Par contre, Christine de Pizan
regroupe les portraits des femmes par tliènie pour pouvoir les analyser. Maureen Quilligan
souligne qu'en faisant cela, I'auteure crée une opposition bmtale entre ses exemples de
femmes et ceus des textes misogynes. Quilligan explique dans son livre .4/fegoiy of
Fernale Arrh~rify, Christirre d e P i z m '.Y C i ~ i tirs Bnr~res, que l'écrivaine réécrit Boccaci: et
d'autres auteurs en changeant I'intrig~ie ou l'interprétation pour l'adapter au point de vue
féminin ou à I'espénence fiminine et ainsi, pour discréditer l'autorité masculine et
construire une nouvelle « autorité féminine 1). hlcLeod cvoque la même id&: (( CIli-isfitid
Ecrit pour lcs femmes, Be c/m-is mdier- ihs sen d'exemple de coniportements
accepiablcs et inncceptnblcs chez la femtiie. XfcLeod suggère que Boccace contribiic à la
tradition misogyne parce qu'il perpétue la notion que la femme est inffrieure par naturc et
que sa vertu repose donc sur la soumission ct l'elfacement de soi. La vertu de la femme
est définie par ce qii'ellc ne fait pas, au lieu de par ce qii'elle fait. Pour Boccace, la femme
n'est pas vertueuse par nature, ses célèbres femmes vertueuses sont des esceptions. Mais
ce n'est pas le cas pour Christine de Pizan: (( Escepriorm/i~for Christirle tlrm rcsidcs 1101
Glcndn Mclcod, Virtue and P'eno~n. Cordogs O/ I l h i e n / r a r r i A ntiqtiiv lo the Rornissartce (h.lichignii, University of IVichigan, 199 1), p. 1 13. 'O Ibidem. p. 1 11.
the i ~ ~ t e m i v nndpurity ofherjidelity to il. nl' Si Boccace n'articula pas une nouvelle
définition de la venu féminine, McLeod conclut qu'il donna néamoins la possibilité à
d'autres écrivains, comme Christine de Pizan, d'en créer une nouvelle.
La Cr?& des Dontcs est une œuvre didactique et allégorique écrite en prose. La
métaphore de l'architecture était fréquente pour l'auto-reprcsentation dans la poésie du
XVe siècle. La construction d'une cité des dames est en réalité la construction textueHe
d'une autorité féminine." Trois aspects importants de cette allégorie pour Christine de
Pizan sont siçnalés par McLeod: s'établir comme écrivaine légitime, se définir et difendre
l'honneur de la femme. Elle ajoute que la métaphore de la cité a une dimension historique
et quasi universelle:
Christine de Pizan réinvente l'histoire de la femme ct présente une nolivelle
définition de sa nature: elle est bonne, sage, vertueuse, chaste, loyale, courageuse, forte,
prudente et intelligente. L n Ci f i des Dames est divisée en trois parties. Dans la prcmikre,
la narratrice, appelée Christine, feuillette des livres dans sa bibliothèque. Par hasard, elle
s'arrête sur les Ln»ierltntiom de Mathéolus, œuvre misogyne et misogame du XIIk siEcle
I I Elcni Stccopoulos et Karl Uitti, <( Christine de Pimn's Livre de la Cité des Dmnes: The Rcconstruction of Mjth N dans Reirikrpreting Christine de Pizan, (S. la dir. dc) Ex1 Jcffrq Richards et al., (Athcns. University of Georgia Press, 1992), p. 50. " Maurecn Quilligan, The I l l e g o ~ y ojFe~riale Airthoriîy, Chririne de Pizon S Cité des danics, (London. Corncll University, 199 1) , p. 16. l 3 Mctcod, J'irtire orid L'enom, p. 1 16.
qui la trouble: G Ma lecture de ce livre, quoiqu'il ne fasse aucunement autorité, me
plongea dans une rêverie qui me bouleversa au plus profond de mon être. »'" Ceci est B
noter, car au XVe siècle les œuvres littéraires avaient comme but d'encourager les bonnes
mœurs et non de provoquer la tristesse. De plus, Mathéolus, clerc érudit, a plus d'autorité
que la narratrice par sa réputation littéraire qui est bien établie. Christine de Pizan met
donc en doute I'auiorité dc Mathéolus en le transformant en une personne qui semble
<< deceirfrd, rri~e/hicrrl, nizd trmlericcd while the iionral~ .schoZnr is trrir~h/il/, moral, m d
15 sttrrliurrs ». La narratrice succonibe aux mensonges et déplore apparte~ir au sexe duqiiel
tous les auteurs (( semblent parler d'une même voix pour conclure que la femme est
foncièrement mauvaise et portée au vice. »'"ans le dCscspoir d'avoir été conçue dans un
corps f~itiiniii, sa vision comnicnce: trois figures ailégoriques (Raison, Droiture et Justice)
apparaissent pour la consoler de son chaçrin et pour t'éloigner de son ignorznce qui
t'aveugle à tel point que tu rcjettes ce que tu sais en toute certitude pour te rallier i une
opinion que t u ne crois, que tu ne connais et ne fondes que sur l'accumulation des
prijiigés d'autrui. d7 Les trois figures alléçcriq~ies font la narration des histoires de
fenimes exemplaires qui sont intégrées dans la constmction allégorique de la cité. Ces
histoires sont bien choisies ct juxtaposées pour mieux combattre les clichés misogynes.
-- - --
1 . 4 Pizan, p 36.
l 5 Glcnda McLeod et Katliarina Wilson, (( A Clerk In Namc Only - A Clerk In Al1 But Nanic. Thc blisogamous Tradition and Lu Ciré des Darries >r , dans The Civ clfSclrolnrs, .Vcw.-lpproaciirs ru Christiile dc Piznn, (S. la dir. de) Margarctc Zininicmann et Dina de Rentiis, (Berlin, Walter de Guytcr, 1994). p. 73. I G Pizan, p. 36. 1: Ibidcm. p. 38.
Raison invite Christine à construire une cité qui sera (( d'une beauté sans pareille et
demeurera éternellement en ce monde et ou les darnes pourront trouver asile contre
leurs assaillants. La cité sera peuplée de « femmes illustres de bonne renommée, car les
murs de notre Cité seront interdits à toutes celles qui seront dépouvues de vertus. D"
Christine a été choisie pour construire cette cité à cause de ses longues études et de sa
solitude. À l'aide de Raison et de sa pioche d'Interrogation, elle creuse la terre en remuant
d'importantes questions, la défense de la femme commence en attaquant les principes
niisognes et en rejettant a ces sales pierres noires et mal dégrossies )).'O Le déblaiement
du Champ des Lettres, selon Quilligan, représente the renr(jirs~r?ie~zt of lhr c m ~ m to
misogyiy. N ~ ' Dans le Cliamp des Lettres, Christine creuse la terre en pcsant à Raison des
questions qu i révèlent les fausses accusations des misogynes contre la femme. Raison
reFute tous ces arguments en citant des exemples de beaucoup de femmes illustres et
vertueuses. La prernikre partie se termine par la construction des fondations et des hauts
murs d'eiiceinte de la cité sur les témoignages de bonnes reines, des reines guerrières, des
poètes, des inventrices, des artistes, toutes des femmes fortes, courageuses, sages et
intelligentes. Quilliçan souligne que les histoires racontées par Raison montrent les vertus
individuelles de la femme qui sont celles qu'on accorde d'habitude a l'homme, telles la
force physique, la bravoure, la sagesse, la prescience, l'érudition, l'honneur et le bon sens.
Dans la deuxième partie, Droiture achève La construction des maisons et des
édifices. Celle des hauts palais royaux et des nobles hôtels est faite avec les femmes de très
haute dignité, les d i s sibylles. Les autres édifices sont construits par des femmes qui
esemplifient t'amour et la piété filiale. Finalement, Droiture peuple la cité de femmes qui
incarnent des venus morales, telles la fidélité, I'amour, la charité, la piété filiale, la
constance, l'honnêteté, l'humilité, In prudence, la chasteté, la patience, l'abnégation et
l'obéissance. À la fin dc cette partic, Christine exhorte les princesses et toutes les femnies
à se réjouir de leur nouvelle Cité qui Icitr (( servira de citadelle jusqu'à la fin des temps. »12
Dans la dernière partie, Justice termine la toiture des tours ct choisit les nobles dames pour
peupler les grands palais et les hautes tours en racontant des histoires de niartyres
clirktiennes et païennes. Au premier rang, Justice situe Ics vierges et les saintes. Ce n'est
pas surprenant que la reine, l'idéal de la vertu féminine, soit la Vierle Marie, accompagnée
dc 1' impératrice hlarie-Madeleine. Le choix de femnies vertueuses est universel et
comprend dcs femmes de toutes les classes socialcs, des fenimes contemporaines,
bibliques, légendaires, mythiques, païennes et chrétiennes. McLeod remarque que ce chois
Livre de la Cité des Dames. »= Justice peint des portraits des femmes qui représentent les
'' Piznn, p. 238. Glcnda McLeod, Poctics and Aniimisogynist Polcmics in Christine dc Pizan's Le Livre de In Cif i clcs
Dortles ))' dans Rcintcrpreting Chrisfine rk Pizan, (S. I a dir. dc) Earl Jcffrcy Richards ct al., (Atliens, University of Gcorgia Prcss. 1992), p. 50.
vertus spirituclles, telles que la dévoti on chrétienne, la ch anté, la chasteté, la virginité, le
silence, la constance, la patience, la soufkance, la résistance, le courage, la force et
l'autosacrifice.
Quand le peuplement est fini, Justice remet les clefs de la cité a Christine.
McLeod souligne l'importance de cet acte: M By t h s assiritririg coilfrol ofher icletzti& she
nlso cotlirols whni ivonle)r rrrr cillowed itlsid~, t k f t is whnt rises ore /nade of t17e tr-crdifiori
2J ' f,.orn ivhich the ewniplci corne. )) A la fin de La Cire des Danles. Christine s'addresse
directement i toutes les femmes pour les inviter a ce (( nouveau matrimoine »25 qui a été
constmit de vertus fiminines: (( Vous toutes qui aimez la vertu, la gloire et la renommée y
serez accuillies dans les plus grands honneurs, car elle a été fondée et construite pour
toutes les feninics honorables - celles de jadis, celles d'aujourd'hui et celles de demain. »2G
Elle leiir conseille de préserver leur vertu en suivant l'exemple de la Vierge Marie. Elle
termine en les prévenant contre les menaces de leur venu: c ... avant toute chose restez
sur vos gardes ci soyez vijilantcs pour vous défendre contre les ennemis de votre honneur
et de votre vertu. »27 L'ennemi le plus dangereux est le séducteur courtois, car (( sous la
gaieté se cachent les poisons les plus amers, et qui entraînent la mort. »28
'' McLeod. a Poctics and Antimisogyist Polemics in Christine de Pian ' s Le Livre de la Ciré des Dmrcs r ) , p. 43. 25 Pizan, p. 275. '6 ibidem, p. 273. " Ibidem, p. 277. '' Ibidcm, p.278.
Le (( féminisme )) de Christine de Pizan est souvent mis en doute par divers
critiques modernes." Earl JeKrey Richards soulève deux raisons pour cette controverse:
Christine de Pizan accepte la soumission de la femme dans le mariage,
l'acceptation patiente de l'abus du niari et I'irnniutabilité de la condition féniinine.
Toujours pragmatique, elle est conscicntc que l'État et l'Église sont deus forces
dominatrices qui limitent les chois de la femme: le mari, le couvent ou la rue. Le mariaçe
est indissoluble, alors Christine de Pizan encourage I'obéissance au man pour (( avoir pais,
pour éviter les querelles domestiques qui tourneraient inévitablement à son
désavantaje. »" Mais elle défend l'honneur et la vertu féminins contre les misogynes, elle
préconise l'éducation féminine pour panmir à une égalité inte1Iectiiellc et morale, pounu
que la femmc accepte de bon gré sa place sociale, reliée au foyer. Elle sugçère que les
connaissaiices aniéliorent les meurs et rendent la femme plus veniicuse: (( la connaissance
: 7
des sciences morales, IesquelIcs cnscignent précisément la vertu ... D.-'
" Pour plus d'informations sur le f&ninisnie de Christine dc Pizaii, consultez I'introdiiction par Earl Jcffrcy Richards dans Reinferpreling Chrisfinc de Pizm, (Bcrlin,Waltcr dc Grq-ter & Co., 1794), p. 1, Mathilde Laigle, Livre CIES trois verttrs de Christine dé Pisair et son rdietr liisforiqzre et litléraire, (Paris, Honore Champion, 19 12): p. 20, DougIas F. KcIly, (( Rcflcctions On The Rolc of Christine de Pisan As A Feminist Writer N dans Szrb-Stance, A Review of Theop nnd Litcraq) Crificisrrr, (Wisconsin, University of Wisconsin, Wintcr 197 1-72), p. 70, Paula Sonirners Marguerite de Na~w-re as Rcadcr of Christine dc P i m )) dans The Recepfion of Christine de Pizan F~OIIJ The Fij'rccnfl~ Through the Nineîecnth Ccntrrrics, (Le~viston, The Ednin Mcllen Press. 199 l ) , p. 77, Glcnda McLcod C'irtire m d Ifenorri, (Michigan. Tlic Univcrsi ty of Michi~an Prcss, 199 l ) , p. 1 17- 1 18 ct G h d a Lerner. ï h e Creafion o J Fcniiriisf Consciorrsness, (Osford, Osford University Prcss, 1993), p. 14. '" Earl Jeffrey Richards, introduction de Reinterprefing Christine de Pixn, p. 1. " Albistur ci Armogathe, p. 6 1. '' Pizan, p. 178.
Dans La CitS des Dan~es~ Christine de Pizan refùte les arguments misogynes de la
nature de la femme par sa propre expérience. Le rôle de la narratrice, aussi appelée
Christine, est important dans cette défense parce qu'il est sous-entendu que les lectrices
parcourent le même chemin pour se définir et se défendre des misogynes. McLeod soulève
l'importance de la fonction de Christine, la narratrice, dans ce but:
In Cjiristirrc. then. Christi~te de Pizan perfecfs a narrafor inferisely and visibf-v i n i d m l wifh bofh nudiicrtce and text; subjccti\*iy is not onlv hig/riighteti, as in Legcnd of Good Worncn. but vnlor-ixd os well. [...], Christine de Pizan also gives rrs a narrafor icho rrieasnres thci progress of her cicfense b-v her growirig sel/-awareness. 33
Christine de Pizan riécrit l'histoire de la femme avec une subjectivité féminine
pour créer une nouvelle image de la femme. Elle redéfinit le mythe féminin par le biais
d'exemples de diverses femmes dont la vertu est aussi digne d'éloge que celle de l'homme.
La construction de la cité est une nouvelle vision d'une société utopique, un nouveau
royaume de Férninie »'" pour la femme où elle sera protégée pour I'éternité des attaques
misoçyncs. L'auteure construit aussi une nouvelle tradition littéraire féminine en réécrivant
les histoires dc tradition masculine du point de vue féminin. Elle s'identifie cornnic
écrivaine; elle signe ses euvres et emploie la première personne, « je, Christine », à travers
son teste, ce qui constitue iin siçne de l'autorité de genre féminin (une affirmation de sa
féminité).
Cent ans après Christine de Pizan, un autre débat surgit, la Qtrewlle des Fm~rnes,
qiii mettra encore une fois en doute les notions de la vertu et du mythe de la femme.
Albistur et Armogathe soulignent que les arguments misogynes de cette nouvelle querelle
n'ont pas varié depuis le Ro~~mri de ln Rose: la femme reste soumise à l'homme parce
qu'elle est encore considérée par nature inférieure physiquement et intellectuellenient à lui.
Pendant la Renaissance, !a théorie de la place de la femme dans l'ordre des choses
dépend avant tout des qualites qu'on lui trouve ou qu'on lui assigne: la chasteté -
accompagnée de la modestie - l'humilité7 la persévérance, la tempérance et la piété, la
courtoisie, le courage, l'équité, la prudence et le savoir »," ainsi que la beauté. 11 semble
que rien n'ait changé depuis Christine de Pizan. Mais au XVIe siècle, comme le souliyent
Albistur et Armogathe, le mariage et l'instruction féminine sont au premier plan. Il y a plus
de vanétc dans les discussions: le rôle niaternel, le châtiment corporel, la beauté, la vertu
et la physiologie de la femme. Il y a aussi plus de participants: les réformés, les
humanistes, les poètes platoniciens et les féministes conime Cornelius Agrippa, Guillaume
Postel et François de Billon. La Réforme et les humanistes insistaient sur l'éducation de la
femme pour assurcisa vertu en insistant que la personne éduquée était capable de
distinguer le bien du nial et donc de choisir le bicn, et qu'elle était pliis vcr-tueiise que la
personne igtiorante. La société en général considérait que l'excts d'édiication chez la
femme constituait une liberté innacceptable puisque la place de la femme était aii foyer.
Lo Qrter-elk des Aniyrs ( 1 54 1 - 1543) divisait les poètes de la cour sur les thèmes de
la femme et de ~'arnour. '~ L'origine de cette qiierelle fut la question des attributs requis de
la parfaite dame de cour dans le troisième chapitre du Livre d i Coiolism de Castiglione.
Les auvres en dispute révèlent trois différentes images de la femme: la prerniére est une
" Albisriir ci Armogi.thc, p. 88. 3 G ibidem, p. 95.
femme mondaine, consciente de son pouvoir sur les hommes et qui profite d'eux dans
l i imye de Cozirr de Bertrand de la Bordene; la deuxième en est l'antithèse, la femme
soumise qui croit en le dieu Amour et épouse un jeune homme qui devient son mari et son
ami dans La Conk ilmye de Court par Charles de Fontaine; la troisième est la dame
soumise et obéissante à son mari mais qui aime platoniquement un ami dans La Parfoile
Anye d'Antoine Héroët. Il n'est pas surprenant que la doctrine platonicienne de Ln
Pn~fnife Awye ait triomphé. Vers 1540, le néoplatonisme amoureux, tel que défini par
Marsile ~icin", fut l'influence majeure dans tous les nouveau': débats sur l'amour:
I'idéalisation de la beauté et de la vertu féminines. Influencée et inspirée par les nouvelles
idées du cercle littéraire de Lyon, Marguerite de Navarre connaissait les œuvres
contemporaines les plus célèbres qui étaient basées sur le modèle de Ficin.
Sœur du roi François Ier, Marguerite de Navarre (1492 - 1549)' inteniendra dans
ce debat littéraire avec son Hepkmdro~z. Elle connaissait bien la notion de I'amour
courtois des troubadours, lej i~r mm,* des Italiens (comme Dante, Pétrarque et Boccace),
le néoplatonisrne, ainsi que I'liumanisme et l'évangélisrne. Comme Christine de Pizan,
(( Marguerite fait l'éloge de la vertu féminine »j8 et dércnd les droits de la femme. Jourda
37 Marsilc Ficin chit le fondatcur du nfoplatonismc chréticn (i'amour chaste) à la Renaissance italienne. L'esscnticl de la philosophic d e Ficin sc trouvait dans son Conirlrentuire sur le Bariqiret d'armrcr, dont la version française parut en 1516 fut dédiée à Margucritc dc Navarre par son valct dc chambre Jean dc Ia Hqc. L'âmc cst d'abord attiree par la beauté physiquc puis, elle amvc ensuite à aimer la beauté de l ' d m dc l'eue humain. Pour plus dc rcnscigncnicnts sur Ic néoplatonisme consultez Ernile V. Tcllc, L 'muvre de Marguerite cl >l ngoir/t?~ne, Reine de Aravarre et La Querelle des finimes, (Toulotisc, 1 mpn mcnc Toulousaine et Fils. 1937). p. 263 et Lucien Fcbvre, Amour sucré amour projane atiioirr de I 'Heptaméron. (Paris, Éditions Gallimard, 1944). p. 295. '' Pierre Jourda, Marguerite ci %tgou/21ne, Duchesse d Y lençon. Heine de iVmarre (1 49'- 1.549). kt1'1irde LIiogrclphique ei Littéraire, (Paris, Librairie Ancienne Honore Champion, 1930) p. 754.
souligne que Marguerite de Navarre participait à cette quereile et « prit nettement parti
pour ceux qui défendaient la vertu de la femme et les bienfaits de l'amour chaste. »" Mais
17Heptnrneroii, a la différence de Ln Cile' des Dames, n'est pas un traité en défense de la
femme, c'est un dialoye ouvert qui souligne la multiplicité de points de vue: celui dc la
femme en général (misogyne), celui de la femme idéale défini par l'amour courtois, celui
du néoplatonisme et celui de l'Église. L7Heptnntdro~ est une œuvre profane, réaliste,
dialogique, didactique, écrite en prose, un recueil de soixante-douze nouvelles divisées en
huit journées à thèmes différents. Malheureusement, Marguerite de Navarre est morte
avant de terminer les cent nouvelles qu'elle avait projettées.
LIE-lep[nmCron prend son inspiration dans la tradition médiévale des fabliaux, du
L i i w dzr Cozirfisnrz de Castiglione et surtout du Ddcnméi.ori de Boccace. Comme ce
dernier, Marguerite de Navarre introduit un groupe d'aristocrates qui sont temporairement
isolés de la civilisation et se racontent des histoires pour se divertir. Alors, comme
Christine de Pizan, clle est accusée d'avoir siniplcnient imité Boccace. Les accusations
sont fausses; il y a de nombreuses différences, par exemple Boccace évoque les plaisirs
sensuels, la musique, la nourriture - une atmosphère de Ete qui constraste avec
l'atmosphère du monastère de I'Hep~nnzeror~. Il est aussi à noter que les femmes de
Boccace ne sont pas vertueuses comme celles de Marguerite de Navarre, au contraire, très
peu d'entre elles sont « honnctes », la majorité sont rusées, cruelles; elles aiment le plaisir
charnel et jouent souvent des mauvais tours aux hommes. Jourda suggère que le réalisme
'' Ibidcm, p. 803.
des contes distinguent i7Heptuméron du Décam+on de Boccace: « Elle voulait faire
œuvre originale, tirer ses récits de son propre fond. do II souligne que Marguerite de
Navarre n'a pas imité Boccace, elle l'a pris pour modèle. Jourda ajoute que Marperite de
Navarre est originale parce qu'elle se soucie de la vérité de ses nouvelles, elle rnoraiise et
elle fait des analyses psychologiques.
Dans I 'Hepkmhn, il y a dix devisants (cinq femmes et cinq hommes) de la haute
bourgeoisie ou de l'aristocratie qui se sont refugiés à l'abbaye Saint Savin pour fuir une
tempête et pour attendre pendant dix jours, jusqu'à ce qu'on achève la construction du
pont détruit par l'inondation. Les devisants décident que leur passe-temps sera la lecture
de la Sainte Écriture chaque matin, suivie par la messe et, de midi jusqu'à quatre heures,
ils iront dans le pré le lonç de la rivière Gave où chacun racontera une histoire. Chaque
devisant racontera, donc, dix histoires en dix jours. II y a un prologue au début de chaque
journée et une introduction au début de chaque nouvelle. Les récits sont reliés par les
dialogues (ou débats) entre les devisants qui se trouvent à la fin de chaque nouvelle. Les
règles du jeu exigent l'égalité entre les devisants des deux seses; qu'ils ne soient pas des
gens de lettres et qu'ils ne racontent que des événements vécus. Par l'alternance homme-
femme des conteurs, I'auteure crée un débat où les points de vue masculins et féminins
alternent. Elle nous éclaire une époque entière à travers les croyances et les préjugés de
ses devisants qui représentent la multiplicité de points de vue de son milieu et de son
temps. Ses nouvelles soulèvent des questions morales auxquelles réagissent les devisants.
"O Ibidem. p. 678.
C'est un débat informel mais significatif sur l'amour, l'honneur, la vertu, l'hypocrisie et les
relations entre l'homme et la femme. On s'aperçoit aussi que les termes vertu, honneur,
amitic, amour, désir, séduction et viol sont difficiles a définir dans I 'Hep~nnie~on à cause
de l'influence de l'amour courtois. de la tradition misogyne, du néoplatonisme ct du
christianisme. Alors, la vertu féminine devient un terme ambigu avec deux réalités
incompatibles dû à d'inévitables conflits entre les sexes.
Les divers arguments énoncés par les devisants ressemblent au grand débat du
tenips, celui de la Qzrrrde des fer~~mes. Paula Sommers souligne que I'Heplmniroir est
souvent considéré comme la contribution de Marguerite de Navarre à la Qiru-elle des
Fcmms pour deus raisons: le plus grand nombre de conteuses (par rapport à celles de
Boccace) et ['accent sur les problèmes de l'amour, du manage et de l'honneur fhninin."
Lc féminisme de Marguerite de Kavarre, comme celui de Christine de Pizan, est
souvent mis en doute de nos jours. En effet, Marguerite de Navarre ne remet pas en cause
Ic mythe de la supériorité naturelle dcs hommes. Elle admet mème que la femme est plus
faible qlic l'lionirne, aussi bien sur le plan physique que sur le plan intellect~iel. Marguerite
de Navarre, comme Christine de Pizan, conseille à la femmc d'éviter l'orgueil et des
liaisons courtoises et de protéger sa riputation et sa vertu. Elle montre aussi que la femme
peut ètre aussi sage et vertueuse que I'homme en mettant l'accent sur l'égalité morale. A
la diffërence de Christine de Pizan, Marguerite de Navarre plaide pour l'éçalité de la
1 1 PauIa Sommcrs, Margucritè de Navarre as Readct of Christiric dc Pizan H dans The Rcception of Christh e de Piznn From t h Fifreer~th 7'h)mgh the iVineleenth Centuries, J'isitors ta c City (Lcïvist on, ï'hc Ednin Mellcn Press, 1991). p. 72.
femme, niais dans un domaine plus restreint: « celui de I'arnour et des responsabilités
morales qui y sont engagées. n4? Comme Christine de Pizan, Marguerite de Navarre reste
attachée aux institutions de son époque et surtout a l'Église. Mais l'acte d'écrire et la prise
de conscience de soi-même sont des éléments essentiels pour encourager d'autres femmes
à écrire et à faire des changements pour améliorer la condition féminine.
En tant que poète reliçieuse, Marguerite de Navarre emploie le topos de I'hurnilité,
elle ne parle pas à la première personne dans I'Heptamérori comme le faisait Christine de
Pizan dans La Cité des Dcrrnes. S a connaissance d'une variété de sources classiques et
chrétiennes est apparente, mais ses écrits ne sont de nature ni aussi scolastique, ni aussi
politique que ceux de Chnstine de Pizan. Au contraire dc cette dernière, son attitude
envers l'éducation féminine est réservée à cause de la peur de ci~yier. Cette peur vient de
I'enseiçnement de Lefèvre d'Étaples qui, selon Sommers distingue entre l'interprétation
des textes par une personne peu éclairée (par la lecture chamelle) et la perception de la
vérité par le chrétien qui est guidé par l'Esprit Divin:
T h groutd iihiclt is rrnctrltiva/cd ancl receives rio rain /r-ont heaveri prodrces noihingjît for llrltr~nri constru~ption, on(v thurns, pickles, thistles. alid rrseless lrerb... . In ultriost the sarrre rrla-v, hrtrr~an triiricls \iAicli hm~e not receiwd the divine ruy con prodice nothing whiclr is not rtror-e horr~jrl thnn proJtnble, and are incapable oJgiving the sou1 n vivxving nortrisi~nient. Indeed, \ ~ ' u r h aj'ari iutelligcnce deprived ofgrace frarrr above arc ivorth scarcelv nmre than thor~ls and tllistlc- S.'^
Sornmers remarque que la vertu chez Marguerite de Navarre « is nfrmclio~z trot of
sextrality, hi of grace. Marçueritz de Navarre encourage chez les deux sexes les
" Albistur et Armogaihc, p. 107. 43 Eugcne Rice, The Renaissance ldeo ojlç'isdotn (Cambridge, Cambridge University Press, 1958), p. 126, traduction de Coninxenlary on the Epislles ofPaul, Epistolae Divi Pauli Apostuli (Pans, Hcnricus Stcphanus, 15 12) cité par Pailla Sonimcrs, p. 73. 4 4 Som~ncrs, p. 75.
vertus chrétiennes telles la patience, la chasteté, la fidélité, l'amour et la foi pour atteindre
l'amour diviri.
L'influence de Christine de Pizan sur Marguerite de Navarre reste encore peu
connue et les opinions des différents critiques varient. Marguerite de Navarre connaissait
sans doute les écrits de Christine de Pizan; Willard souligne que la mère de Marguerite,
Louise de Savoie avait un exemplaire de Ln Cil& des Dcmes dans sa bibli~thè~ue."~
oiifimitlism. »J6 Somrners adniet qu'il est dificile de déterminer si Marguerite de Navarre
avait lu les testes de Christine de Pizan, surtout parce qu'elle ne mentionne jamais son
noin daiis ses écrits." EYIcLeod suggère que La Ci f i des Darnes n'avait pas influencé la
notion de la féminité pendant In Renaissance à cause de l'importance du néoplatonisnie et
parce que I'muvre n'était plus tellement lue:
I5 C h a d y Cannon \Villard dans I,<rlzre a~td Ibnoirr, p. vii. Earl Jcffrcy Richards, Thc Conventions of Counly Diction, and Italian Humanisrn » in Reinterpreting
Christine de Pizarr, (Athcns, University of Gcorgia Press, 1992). p. 257. 47 Sommcrs note que les Ccriis dc Christine dc Pizan Etaicnt bicn connus et respcctcs par les coiitcrnporains de Margucrilc de Nalrarre. Elle ajoute qu'on continuait de publier Le Trésor de In Ciré des Dottres, aussi appeléo Le Livre des Trois bérttrs de Christine de Pizan au XVIe sikc1e. De plus, il y avait des cscrnplaircs du Livre de la Cité des Ilornes et de I'Epistre d'Othea dans Ics bibliothèques dc Blois ou dc Cognac, p.72. 4s McLcod, firtue and I~énorrr, p. 142.
Même s'il y a plusieurs ressemblances entre les deux écrivaines, ce n'est pas
suffisant pour prouver que Marguerite de Navarre ait subi l'influence de Christine de
Pizan. Mais on peut déduire qu'au moins l'œuvre de Chnstine de Pizan contribua à
encourager ses contemporains à prendre la parole, à écrire, à s'éduquer, à sortir du
silence, à questionner et à créer une nouvelle conscience féminine pour redéfinir la femme.
Dans les trois chapitres qui suivent, les concepts de la vertu féminine chez
Christine de Pizan et chez Marguerite de Navarre seront analysés à travers l'étude
comparative de six personnaçes féminins (trois héroïnes de La Ciré des Dames avec trois
héroïnes de I'ffeptrmé~-on): Grisdidis et la muletière, Lucrèce et la princesse de Flandres.
sainte Christine et Marie Héroët. Ces héroïnes ont été choisies pour aider a voir les
ressemblances ainsi que les différences entre leurs situations et les représentations de leur
vertu exemplaire. Les titres des chapitres soulèvent les éléments cruciaux qui les relient au
sujet et pcmiettent une comparaison efficace dans le but de définir la vertu féminine: Lo
r v r i l r ii 'a pas de clcrssc sociolc, Ln îler?i< ~ ~ z i s e ir !'kpr.etna du 1701, et I,krf~ï. foi ~hrtiti~~~uie
et risislame. Avant de commencer, il faut noter qu'il est dificile pour le 1e~teur'~du XXe
siècle de concevoir la vertu de ces personnaçes féminins, tout au moins de l'admirer. Mais
cette étude est centrée sur l'importance que les écrivaines accordent à ces personnages par
rapport à leurs nouveaux concepts de la vertu féminine qu'elles proposent dans leurs
siècles respectifs.
4 9 Dans cc mémoire, Ie mot lcctcur est un pluriel géniriquc.
Ce chapitre examinera le récit de Gnsélidis de Ln Ci12 des Daines et ensuite, celui
de la muletière de I'Hep~a~nirol~ pour aider a définir, a comparer et à contraster la notion
de la vertu féminine dans les deux œuvres. Les deux héroïnes, Grisélidis et Ia muletière,
ont été choisies parce qu'elles sont admirées et respectées par leur entourage pour leur
vertu exemplaire. Même si Iêurs situations sont assez différentes, elles ont plusieurs
qualités en commun. Au contraire des préjugés de l'anst ocratie vis-à-vis les classes
inférieures, ces deux héroïnes de basse classe sont par nature plus vertueuses et nobles
d'esprit que les aristocrates. Elles trouvent la force ct la patience de surmonter les pires
obstacles à leur vertu. En dépit de leur silence, elles parviennent a révéler la réalité de leur
situation, Grisélidis par sa patience et sa fierté, la mulctiere par les vingt-cinq plaies sur
son corps. Mais, il y a aussi des différences assez significatives entre les deux héroïnes: la
première héroïne cst vertueuse çràce à sa piété filiale et par sa patience maritale, la
deuxième pour défendre couraçeuscment sa chasteté et son honneur jusqii'à la mort;
Grisélidis s'attribue sa propre vertu, tandis que la muletière l'attribue à Dieu.
J'ai choisi le récit de Grisélidis, la célébre héroïne du Décmm!rnii de Boccace, et
inspiratrice de Pétrarque et Chaucer, parce que cette femme est devenue lin idéal de venu
féminine par sa soumission et sa fidélité maritales. 11 est à noter que la Grisélidis de
Christine de Pizan, une simple et pauvre paysanne, est admirée par Droiture et par les
personnages du récit pour sa vertu extraordinaire: elle est liée a son devoir moral et social
de jeune fille et ensuite, de femme mariée. Lors de sa première apparition, elle est un
modèle d'obéissance et de dévouenient à son père. Plus noble d'esprit qu'une aristocrate,
elle devient l'épouse du marquis de Snlüces qui la juge, non par sa beauté ni sa classe
sociale, niais par sa pieté filiale ct par son honnêteté. Grisélidis subit, en silence et avec un
courzçe inébranlable toutes les épreuves qu7csigc son mari pour prouver sa fidélité ct sa
patience. Elle est fière d'avoir la force et l'eiidiirarice qui lui permettront de réussir à
surmonter toutes les épreuires.
La première appaiirion dc Grisflidis dans Ltr Ciri des Datms a lieu lorsquc
Droiture et Christine discütent la piété filiale. Droiture donne des excmples de femmes qui
1 « t(.nioigni.rcnt tr 1'C~ar.d dc lcurs p?.rcrits ariioiir et pi2tB filiale i > Comme Christine qlii
la vénération dc son père:
Oh! comme il fut grand, cet anioiir inspirk par une droits nature! C'est lui qui la rendit si proniptc i scr\.ir hiiritblemcnt a obkir avcc trint dc constnncc à son pnuvrc ptre J n n i c o l ~ ~ lorsquc, dans In flciii d'unc jciinsssc si piirc. clk Ic iioun-issait et Ic soign:iit avec tout son dé\.oucmcnc.'
Coiiirne souligne Laigle dans son analysc du Lii:~-e des 7;-ois I ~ . I ~ . S : K la vraic
piCtC cst cclle d:i caiiir. D" Droiture respecte et lioiiore la piété filiale de Grisélidis parce
qu'cl!e est sincère: G Oh! bien nées sont Ics filles qui portent i leurs parents tant d7arnour
filial et tant de piété! H' Droiture soulève la \valeur niorale du devoir des fillcs,
l'auio~acrificc, I'obéissance, le dévouement ct I'amoiir seront recompensés par Dieu dans
I 'étcr~itf: (( Czr s'il est vrai qu'cllcs ne font que leur devoir, leurs âmes y troiivent une
1 Pizari, p. 140. ' Ibidem. p. 1-10.
Ibidcm, p. 143. " Laiçlc, p. 129.
Piznn, p. 143.
juste récompense. f i6 Ensuite, ce qui est a noter, Droiture met la k m m c sur le nienie plan
que l'homme en suggérant que son devoir est comparable à celui de I'homme: K Elles
méritent encore les louanges du monde, tout comme les fils q ~ i i s'honorent ainsi D,' sans
do:ite parce que le devoir de la fille constitue une importante contribution à la société.
L'histoire de Grisélidis appra î t ~ i w deuxième Fois lorsque Cliristine et Droitcre
dimitent dc I 'moiir et de la constarice d e la femme. Christine argumente quc k s iro~ntncs
accusent les femmcs de manquer de constancc ct de fcrnicté, en d'autres inots, c,u7e!les
ni;inqient de vertu: (< P o u r t x i les homnies, cn pririicdier clans leurs livrcs. rcprociimt
encore aux Sen-mes par-dessus tout d':ire frivoles, charignrites et 1<82ri.s, dc f;rib!c
tempérament, malleables comme les enfants et entièrement ciepourvucs de caractcre »'
Droiture refutc cet argument et critique l'hypocrisie des homnies qui accuscnt les femiiics
de lépèreté ct d'incnnstance en donnant des exeniples d'empcrzurs faible? cornnic Claiic!c
et Néron. Ensuite, pour prouver que la femme n'est pas naturellement fzibie. Droiture
raconte les liistoires dc <( cenaines fcninies tris fortes dont la ~ric est trPs édifiante ct t r is
beIlc ii entcndrc. i>' Elle commence par Grisdidis qui est l'antithèse des empereurs bibles,
inconstants, lusti;ieus et cruels. Droiture souligne que Grisélidis s e n d'esciriple de la
« foice de caractère. do Une fois mariée, Gnsélidis aura besoin de son courage et de toute
sz patience pour réussir aux dures épreuves que lui inflige son mari pour afirnier sa venu.
' Ihidcm, p. 1-43. ' Ibidcm, p. 143.
Ibidcrri, p. 190. ' Ibidcm, p. 192. '"bidcm. p. 1%.
Grisélidis fpouse le marquis de Saluces, hsnirne K très honnête N qu i rehisait Qe se
marier jiisqu'à cc qu'il trouve une femme digne de Iiii. .A première Mie, il semble un peu
étrange qu'un noble veuil!e épouser une simple paysanne sans dot. Une bonne dot étair
nécessaire pour assurer un bon parti ri la jeune fille. Au XVe ide, les c!assrs sociales
étaient nettcrncnt sCpzrées: la minorité dominzntr ctait I'ari~tocratic, !a çrande majorité
souniise ctait le peuple, et au milieu, il y avait la bourgcoisic. On jugeait les personnes par
leur classe; donc m e paysanne n'alirait jnniais pu être aussi vertueuse qu'une aristocra~r.
hqais le inai-q:~is igriore la classe de Griciiidis. I;i iiigcant par sa vertu: c i I'e~celltnte
1 1 sonduiiz dc c d t e Iionn2ic j c ~ m fille )) q u i ainiait ei s'occupait de son p5i-c et le friisai!
v~\TC! en filant la laine. Droiture elle aussi ignore le niveau social dc Grisélidis et lajuge par
sa noblesse d'esprit et par sa vertu. Droiture et le marquis reconnaisscnt la piété filiale de
Giisélk!is conme e m t I'iinc de ses venus dor?iirinntcs. Il est à reniarcjucr que Ic ternie
(( lionnéteté N cst utilisc par Droiture pour décrire Grisdidis, lariicolc et le marquis, ce qui
Ifidiq~le qu'ils sont considf rés égaux ii~oralement. Grisélidis est par nature vertueuse, ceci
souligne sa bonté naturcllc et sa sincérité. On remarque que Droiture ajoute que Grisélidis
plaisait encore au marquis par (( la beauté de son corps et de son visaye. »" Il semble que
la beauté physique est considérke comme une qualité secondaire par rapport à la venu
" ibidcni, p. 196. '' Ibidem. p. 196. ' j iLIcLcod. << Poctics and Aritiniisogjmist Polcmics in Christine cic Piznn's I,c L i i w tk In Ciré dtis h ? i e 5 D. p. 37.
I! faut noter que le marquis attend jusqu7au jour des noces pour cieinantier le
consentement du père, Janicole. 11 ne révèle pas du tout ses intentions à Grisélidis, lui
demandant seulement ou est son pere. Les sentinlents de Grisélidis sont hors de propos: le
père a unc auioriié suprême sur sri fille. Elle n'a ni la libené de choisir son épous rii Ic
puuvoir dc SC n i ~ r i e r sans le c~nsentement de son père. Obéisante, Grisélidis ne rncnh-2
absolunient aucune riaction au mariage; elle n'a d'autre volonté que cellc de son père. Elle
zccepte siniplcment sc?n sort d76pouser le marquis.
Une fois niririéc, Grisélidis est airnCa et respectée tic pcrsoniies dc c1:isscs sociales
dii:i;cri:cs, b cause dc son cornporrmsnt esemplairc c: dc sa siniEriiG: « elle se coriduisir
si bien à l'égard de tous que les nobles, grands et petits, l'adoraient, de nienie que le
peuple tout entier, car elle siit se rendre si agiahle à chacun que tous en furent ravis N. i 4
I . ' h h ? i i ~ est a w s i rcspcctCc pom accoinplir son devoir niarital: « Elle rcrnplissait r~isçi
son devoir de feniriie, servant et chérissant son époux conirne il se doit. » 1 5 Mais le
riiarcjuis n'est pas satisfait de cette conduite exemplaire, il exige d'éprouver « sa fidélite et
16 sa patience ». Et les épreuves sont dificiles.
Le marquis fait d'abord semblant d'être obligé de tuer leur fille pour voir 13
réaction de sa fenime. Obéissante et patiente, Gnséliciis accepte sans protestation la
décision dc son mari: « C'était bien sa fille à lui et qu'il pouvait décider de son sort. d7 On
remarque que Droiture même souligne la cruauté de cet te exigence qui est « terrible pour
1 4 Pinn . p. lgG-Ig7. I s lbidcrn, p. 197 16 Ibidem, p. 137. 17 Ibidem. p. 197.
toute mère » . l S Mais Gnsélidis, au lieu d'être tcrrasseq ne montre aucun signe de tristesse
ni d'émotion, alors même qu'elle croit sa fille morte. Elle maiirise sss émotions et accepte
la décision de son mari; de toute façon, son devoir est de se résigner. Un an pliis tard. le
maquis fait semblant de tuer leur fils. À nouveau, sans montrer aucune émotion, Grisdidis
se soumet et offre m5me de s'auto-sacrifier: (( si la mort de I'enfant ne leur suffisait pas,
elle était prete à mourir ellc aussi, s'il le voulait fi;'' sa seule requete étant qu'on I'enterre.
Droiture critique cette deuxième épreuve conime étant trop cmellc. il semb!e aussi qu'elle
syi.tonne de la grancie patiencc et de la dissiniulation des scniinicnts dc son huroïne: « Mnis
-,.
devant tant dc cnia~ité Ir visagc de la Grisélidis nc tiiiioigna d'aucüne Ciiioticn. »"'
Après une conduite irréprochable de douze ans, (pcndant lesquels elle croit
toujours que ses enfants sont morts) Gtisélidis doit encore prouver sa fidélité et sa
patience. Droit~ii-e critiqiic cztte injusiicc et, i l est évident qu'elle croit qiie Grls4lidis a déji
sufisamment prouvé sa venu: o n ['eût crue dispensée de cette nouvelle épreuve. »" Le
marquis Ii i i dit qu'à came d'elle, il était sur le point de perdre son doniaine parce que ses
vassaus refusaient d'accepter une paysanne comme dame et souveraine. Mors, i l fallait
qii'elle retourne chez son père et qu'il épouse ilne femme de son rang. Droiture souligne
encore l'irihumanité de cette requête: à qui cette nouvelle dut être douloiireuse et
cnielle »." Avec une estrénie humilité et discrétiori, Griséfidis accepte de rztoumer chez
son père:
1 s Ibidem, p. 197. " Ibidcrn, p. 197. 'O Ibidcm, p. 197. '' Ibidcm. p. 197. '' Ibidcm. p. 198.
Scignciir. j';ii ioujoiirs su et j'ai soin-cnt pcrisc qu'il n'y a\.:iit rien de coninirin cnuc la n~zignificcricc cfc tri noblessc cr rnn priuvreti. Ic ne m:: suis jamais considirie digne d'ctrc 13 maitressc, ericorc moins ton épousc.'3
Grisélidis part sans rien prendre, en enlevant meme la robe qii'elle porte: cc Toiits
nue je quittai la maison de moii père, et toute nue j'y retournerai. n2' Elle pan en cliemisc
polir K voiler In nuditi dc C& qui f i t 2iitrcfois ton ipogse et marquise N . ~ ' Elle justifie
son con?porienieiit en diciararit qii'cllc n'avait apporiG niille a~itr-e dot que « nia fidélité.
ma w- t~ ; , e! mon respect ct ma pdilvretf. »" Courageuse ct fière, cile pan sani wrscr de
larmes. Laisic remarque C ~ U C la fcrnnie i d d c dc Christice de Piznn est toutc pitrie
ci'hurnilité crivers Ics auircs, cette flcur de niodestic, sera vis-i-vis d'elle-niCrne d'unc fierté
virile. »27 LCS témoins de celte scene sont émus: c( tous et toutes pleuraient, maudissant le
niarquis ct s'attendrissant sur ln bonté de leur dame. »*' Même le merquis N ne put
s'enipfclier de vcrscr drs larnies d'~ttendrissemrnt )>.'" Grisélidis retourne ch-z son père
d'tin air digne pour vivre « Iiumblcnient dans la pauvreté et le servant cornrix à son
< O habitude, sans laisser paraître 13 moiricire iristessc ou Ic nioindre regret. ))- Dépounîiz
d'anicrtume, elle est eii position dc sodagcr son pauvre père du chagrin dc son retour à la
pa.1vrct6.
-- " ibidcm, p. 198. -. -" Ibidem. p. 19s. '' Ibidem, p. 198. '"~hidcri~, p. 198. " Laigle, p. 226. '"izin. p. 198. '' Ibidcm, p. 1%. 30 Ibidcm. p. 199.
Comme quatrième épreuve, Ic marquis fait semblant de se remarier avec une jeune
fille (qui est en réalité sa propre fille). Gnsélidis accepte « avec plaisir »" de faire tous les
préparatifs pour le mariage et elle le fait (( sans la moindre fausse note. D" Le jour des
noces, Grisélidis agit sans le moindre embarras ou amertume, elle souhaitc mènic la
Liienven~ie à 12 jeune fille: La pauvreté de 2s mise n'empêcha point Grisélidis de faire bon
accueil & la jeune fille qu'elle croyait être la futtire épousie »." La réaction des invités
envers Gnsélidis le jour du mariage nous révèle 12a!titudc de la société: i!s sont surpris
qii'iine danie pauvre puisse avoir autant de venu: (( si ses vêtenients étaient ceux d'une
feniiite trks pauvre, ses rnaniéres donnaient à penser qu'elle etait dc Iiaute conditicn st de
vertu sans pareille; les étrangers s'étonnaient que tant de grâce et d'honneur soient cachés
sous d'aussi pauvres habits. »'"
Grisélidis brise alors Iiurnblrnient le siltncc qu'elle gardait dcpuis le débiit du rbcii
lorsque le marquis lui demande ce qu'elle pense de sa nouvelle épouse. Loin de le
condamner. elle le félicite de son chois et le prévient de ne pas être si dur envcrs sa
nouvelie épouse car cette dernière n'aura ni la force ni le courage d'endurer de telles
Certes, scigncur, on nc saurait en trwirer dc plus bcllc ni de plus honnétc. h h i s jc i,oiidrais cn toute liumilitk tc prier ct te conscillcr en ceci: qu'iI te plaise de nc pas 13 makii tcr ou la soumcttrc aus cprcuves que tu as si cruclIcment infligées a l'autre. car cctlc-ci est plus jcunc ct a ctf f lc\,Cc dans la doticc~ir; sans doute nc pounaitcllc pas supporter tout cc que 19:iiitrc a subi.'5
'' Ibidcm, p. 193. '' ibidem, p. 200 33 Ibidem, p. 199. 3 4 Ibidcm. p. 199-200. 35 Ibidem, p. 200.
Il est a noter que méme étant modeste et soumise, Griséliàis est fikre de sa force et
de son courage. Elle est consciente de son endurance extraordinaire. Quilligan note la
diErence entre cette réplique et celle dc Boccace où Grisélidis parle à la première
personne. Elle suggère que Christine de Pizaii emploie la troisiéme personne pour rendre
In soiiffiance de la femme plus iinii.cr;cile.'% risction du nia;q:iia a cette réplique sst
irnportantc parce qu'clic souligne les quslités qu'il admire en Grisélidis: (( ... le marqi!is
s'éionna de son grand couraçz; il adniira sa g r a d e fermeté, sa force de caractère et sa
constanic. 2t fut pris de conipassion pour les nialheurs qu'il lui avait aussi longuenient fait
subir, et qu'elle subissait encore, sans Ics niériter en aucuie façon. »" Droiture irisère
encore son point de vue quand elle souligne I'inj~isticc des épreuves que l'liéroïne a dii
subir. Après avoir traversé toutes ces souffrances, Grisélidis a finalement prouvé sa venu:
Le marquis s ' c s c u ~ c alors de toute culpnbilité en expliquant qu'il n'a agi que
<: pour mettre à 1'éprcui.c cette fidde épo~ise, ct non pour la condninner. »" 11 senibk que
le mari ait Ic droit d'exiger qiie sa femme fassc preuile de sa venu, alors que la fcnirne, par
contre, accepte aveuglement la vertu de son nmi . Qn remarque que personne ne
condamne les actions du mari, au lieu << tous et toutes nvaliserent de louanges sur les
vertus de cette dame ».'"
3 5 Qtiilligm. p. 166. 37 Pizan. p. 200 39 Ibidc~ii. p. 2UO. 3 7 Ibidcm, p. 200. "' Ibidcm, p. 20 1.
Quilliçan note que déjà au XIVe siècle, Pétrarque suggire qu'aucune fenime n'est
censée avoir la patience surhumaine de Grisélidis. Elle sugglre que I'auteure « re-gemlo-s
the Nircrprrtariot~ qf this t d e xJ1 Elle souligne que Gnsélidis est une femme forte en vertu
et, sa patience est une qualité désirable chez touics les femmes mariées. Elle ajoute que
Grisélidis n'est pas une exception, conirne puur les auteurs milsculins, mais un exemple qiii
montre l'extrême version de la constance et de la fortitude nicessaircs pour qu'une fcmnie
puisse satisfaire les esiçences du manage." Comme ic suggère Christine à la fin de Lrr
CIIL; J)LII:IC'S, I C devoir de la feninie mariée est de mettre <( toits ses soins à Ie [son mari]
s inir , le chirir et l'aimer d'un c a u i fidèle »." Elle exige la patience en conseillant aus
femmes dc rester avec leurs maris, même s'ils sont méchants:
Et cclic doni lc mari est pcnrcrs. filon et mechant doit faire tout son possiblc pour le supporter, :ifin de I'nrrrichcr a sa pcn.crsitC et lc ranimer, si cllr Ie peut, sur Ie chcmin dc la raison ct dc la bmuté: ct si. nxilgre tous scs efforts. Ic mari s'obstine dans Ic msl, son ànic sera récompcnsk dc cciic coi:rngcusc piiiicncc, et toiis In biiiiioiit ct prciidront sa d ~ f c n s c . ~ "
La patience& le courage sont évidemment nécessaires pour subir les abus d'un
[nari cruel cr accon~plir Ic devoir de la fenime mariCe. La véritable rCconipense de ses
souffrances se trouvera dans l'éternité par la Grâce de Dieu. Quillijan semble avoir raison
L'exemple de Grisélidis prouve ceci, elle subit les pires souErances pour prouver à son
4 I . * QuilIigrin, p. 167. '- Ibidcrn, p. 167. J 3 Pizan, p. 37G. '" Ibidcrii. p. 276.
Qiiilligan. p. 110.
man son amour, son humilité, sa fidélité, son obiissance ct sa pztience: en d'autres mots,
sa vertu.
Droiture et les autres personnages de Ln CZ~L; des Dames admirent et respectent
Grisélidis pour sa conduite, ses rrmürs ei sa wrtu naturelle qu'ils jugent plus nobles que
celles d'une aristocrate. Et conment définir cette vcrt~! de Gnsélidi? Par son !ximi!iti? sa
force de caractère et sa capscite d'aimer, d'obiir et de servir son père et son rilari. Il est à
souligner que Grisélidis choisit avec fierté d'étre passive et patiente. Elle rél-issit si bien
aux épreuves crueiles exig2es par soli mari qii'clle s a g e non seulemeni l'adrniration de
son man, mais celle de Droiture et de tout sori cntourage.
Comme Grisdidis, la muletière n'est pas noble de sang mais elle est noble de
nimirs. Elle p y e aiissi le respect de tout son entourage pour avoir affirme sô veitu.
Oisille, la narratrice.du récit dc la muletière cians i'Hptcrnterurt, place la chasteté au
somnict des vertus chrétiennes. Autant Oisille que les autres devisarites admirent Iii
muletière pour son héroïsme ct sa chasteté. La muletiére troüvc par sa fui en Dieu, la fivcc
de défendre son honneur et sa chasteté jiisqu'à la mort contre la brutalité de son vioie~ir.
Les vingt-cinq plaies qu'elle reçoit sont des signes de son innocence et de sa cliastei6
morale. Oisille compare la nion de la muletière au martyre du Christ. Et, comme tous les *
mariyres ctirétieris, la muletière meurt dans la joie de recevoir la Gràce de Dieu.
Oisille, ainsi que Droiture de Ln Citi c h Dnmes, dévoile avec indignation la réalite
di1 viol du point de vue de la femme: c'est un acte injuste et l'un des plus violents contre
t'honneur et le corps de la femnie. On remarque que la société de I'Heptnr~iro!~, comme
celle de Ln Cite' des D a m s , valorise avant tout la chasteté comme la vertu féminine par
cscellence. Les deus euvres soulignent que l'honneur et la réputation de la femme sont
fort fragiles. La perte de la chasteté, mémc par le viol a main armée, déshonore la femnie.
De surcroît, la victime du viol doit garder le silence parce que 19 parole masculine de son
violeur et celle de son entotirnge I'accuseïaient de l'avoir provoq~ic. Incapable de
s'exprimer par la voix, la muletière panient à comn~uniquer la réalité du viol par ses vingt-
cinq plaies n~oncllcs.
Oisiilc raconte I'histoire tragique dc « 13 piteuse et chaste mort de la femme d'un
des muletiers de la Reine de Navarre dans la deuxième nouvelle de l'Hepfcl/~~éi.on. Elle
choisit cette histoire pour corriçcr l'erreur de Simontaut qui a « tant dit de mal des
47 Ceii i i i i~~ par une hiqioire ~Crit-blc d'une nia!licureiise ». TI ne croit pos qu'tine femme
puisse être vertueuse, alors i l l'accuse d'ètrz hypocrite et malicieuse: « depuis qu'Ève fit
pécher Adam to~ites les fcninies ont pris possession de tourmenter. tuer ct damner les
hornnies. dS ~imoniaut révèle jusqu'à qucl point la misogynie est enracinée dans son
niilieti; il présume que l'incapiicité d'être vertlieuse est une vérité absolue. Pour rcfiiter cet
argument, Oisille choisit Urie héroïne d'une vertu extraordinaire, véritable antithèse de
celle de Sirnontaut. Le cliois d'une muletière révcle que la supériorité de classe sociale ne
se traduit pas nécessairenient en supériorité morale: la vertu d'une femnie du peuple peut
.!ri M ~ g u e r i t e de Navarre, Ileptur?lJron, intro. ct imtcs par Simonc dc Rey4 (Paris. Flnrnmanon. 13SZ). p. 57. Toutcs Ics citations dc l ' l lrptmn~ran vicnncnt dc cette cdition. '"fiidein. p. jG. 4 a Ibidcm, p. 5G.
ètre même supérieure à celle d'une aristocrate. Le choix du valet cornnie violeur est à
noter, au contraire dc la muletière, il est socialement et moralement inférieur aux
~entilhomnies. - Oisille critique la passion qui n'entraîne que du ma1li:ur; l'amour charnel est l'un
des plus graves péchés chrétiens. C'est ainsi que la muletière de1:iciit la victime
involontaire de la <( folle passion » de son valet qui a l'aimait désespérénient »." On
remarque que !'amour du valet pour la muletière est purement seuuel. Jourda suggère que
pour bcniicoup d'lioiunies dans 17H~~krnt2,.o,,: « l'amour n'est que la satisfaction
iriimidiatc d'un instinct auquel il est difficile à résister )x5' L'amo~ir pour le va!et n'est q ~ i c
le désir de posséder la muletière - et ce désir - comme le souligne Jourda, « rien ne peut le
refréner »." Patricia Cholakian so~ilève la problématique entre le viol et la séduction, ou la
v6rit6 dii désir féminin dans I ' F I c ~ ~ ~ I I L : ~ - o ~ z . ~ La vertii masculine exige de I'liornnie la
siciucrion conquérante, mais au contraire, la venu fkiiiinine exige I'liumiiitC e l la cliasktii.
Clio!nLian note qu'au contairc du desir niasculin, le désir ftiniinin doit ètre répnmi:
« I+/~icrk clL~.sire ,>iics! bc dmied to c~xsertfinrnk iWi,c. Cholakian suggère ccpeiidant
qu'il est sigriifimtif que Ic texte ne révèle pas ci la muletière trouve que son admirateur cr t
beau.
a 7 Ibidcm, p. 57. '" Jourda, p. 847. '! Tbidcni, p. 847. 5 7 - - Patricin Francis Chohkirin, Hnpe am/ Ili-iting irr the HcptnmCron of :L/nr.gileritc de h:nvarre, (Carbonddc. Southcrn Illinois University Press, 199 1) p. 17. 5 j Ibidctn. p. 5 1.
Étant vertueuse ou « fernnic de tien D, la rn~ileticre refiise par oblijation morale
d'entendre la déclaration d'amour de son valet; de plus, elle menace de tout révéler à son
mari. Ayant peur de la réaction du mari devant i'adultère, alors considéré comme un
crime, ie valet dissimule son amour charnel: (< garde feu couvert en son cœur »." Il ne
pense à rien d'autre qu'à posséder celle qu'il désire. Le « feu n va éclater et la muletière
n'a aucune idée du danger qui l'attend. Conscient de la ferme vertu de la muletière, le
valet sz rend compte qu'il c pourrait avcir par force ce que par nulle prière ni scrvice
n'avait pü acquérir. »" La mulrtiCre par sa fernieté et sa vertu devient la victime de la
brutalité de son valet.
Malin, le valet ouvre u n orifice entre sa chambre et celle de sa dame. Cliolakian
suggère que cet orifice symbolise a illicit enhy Nlto the f r ~ d t . bot@ vici the ncr of
5 6 m p e ». Le valet pinètre dans !a chan~bre de la muletière une nuit lorsque le mari est
absent: c tout en cliernise, I'épic nue en sa main. D" L'épée révèle i'intentioii du valet
ci'n~poir recours à la \.iolence pour contenter son desir charnel. En même temps, clle
sou!igne la ferme chastetc dc la muletière. Au monicnt où la muletière sent la présence du
valet à côté d ' d e , elle saute du lit et essaie de l'arrêter. Mais c'est inutile, il (( n'avait
amour que bestiale pour sa dame, il a perdu tout son bon sens et, fou de rage, il n'agit
que pour satisfaire sa passion à n'importe quel pris. Il est intdressant de noter que le
54 Marguerite dc Navarrc, p 57. '' ibidcrn, p. 57.
Cholakian, p. 5 1 5' Mnrgircritc de N;ivanc, p. 57.
ibidcni. p. 57.
coniportement du valet dans cette scène est radicalement contraire à la maîtrise de soi
exigée par le code courtois.
La description du violeur comme étant «. plus bestial qiic les bêtes »*" est une
critique sévère du désir sexuel irrationnel faite du point de vue féminin. Oisille montre que
l'amour charnel réduit l'homme à une brute parce qu'il n'est plus maitrc de soi. Le
comportement inhumain du valet prepare le lecteur pour la scène escessiverncnt violente
qui suivra. L'héroïne sc défend de toutcs ses forces et son violcur ne récissir pas à
s'cniparer d'elle, mais elle n'échappe pzs à la brutalité du valet: c i l lui donna si grand
coup d'épée par les reins, pensant que, si la peur et la force ne I'avzit pu fairc rendre, la
douleur le ferait. nGO hlais les coups d'épée donnent plus de force i la niiiletière pour fuir
son violeur. Nicole Cazauran soulijne l'importance de la chasteté féminine: G Cette vertu
de c la tc îé est poil: [CS f en~rnc~ CC quic.it la ~ ~ ~ C S S C p m r les !i~i:inits, I'occ-sion dc
s'afinner et de se iévdcr dans toute leur grniidciir. »'' Le besoin de préserver sa chasteté,
c'cst à dire son Iionneur, redoiib!~ le courage d e Iri victime:
... lotit :linsi qu'un bon gcndmtic. q i i ~ n d il \.oit soli smg. cst plus ec1i;iilffC ;:L se \.cnzcr di: scs crincrnis ct acqucrir honnciir. airisi son chastc caiir sc renforp doublcniciit courir c; fuir dcs ~iinins dc cc mniliciircus. cn lui rcnarir lcs nici1:curs propos qu'sllc poii\.ait, pour ciiidcr par quclqt~c rrioycn Ic rtduirc à corinaitrc ses fiitdcs. iL1;iis i! ckiit si cnibriisé dc fcrcw qu'il n'je amnit cn lui lieu pour rccc\*oir nul bon c~ i i sc i i .~ '
59 ibidcrii, p. 57. 60 Ibidem, p. 58. 6 1 Nicole Caïaurnn, I, Heptaniiron <le .\lo)ypo-iic de N.ii~orrc, (Paris. Société d7Édition d'Enseiçncnicn1 Siipiricur, 19S6), p. 205. "'lbidern~ p. 58.
Les blessures ne la font pas céder, l'héroïne est dépeinte comme un soldat en
bataille qui voit son sang et se venge: c'est la guerre entre la chasteté et la concupiscence.
Oisille met l'honneur et i'héroïsrne de la muletière sur le même pied que ceux des hommes
-sur le champ de bataille? Jourda remarque que « l'amour est capable de susciter les plus
beaus actes d'héroïsme ou de conduire à la vertu. »64 La mort de la muletière est aussi
çloricuse que celle d'un soldat. Comme l'exprime Cholakian: pour définir la femme
vertueuse, il est nécessaire de la définir en termes de vocabulaire héroïque masculin qui
égalise la mort avec la victoire." La muletière devient une héroïne parce qu'elle défend sa
chasteté et son honneur jusqu'a la mort.
Après avoir comparé la venu de la femme à celle d'un brave guemer, Oisille
adopte subitement un ton religieux eri soulevant des principes chrétiens: la chasteté,
l'amour, la foi, le martyre ct la çràcc divine. Ln muletière remercie Dieu d e lui avoir
conféré ses vertus chrétiennes et de lui donner la force de les avoir préservées. Elle lui
dcinandc aussi la gràce éternelle en récompense:
Ei quand. 6 force dc perdre son sang, ellc sciitit qti'ellc approchait dl: la nion. lemnt Ics -11s nii cicl ct Joigncnt lcs mains, rendit grice A son Dicu, lcqucl elle noniniait sa l%rce. sa vcflo. sa pa~icncc, sa cliastcté, lui siippii:iiit prcridrc en gr6 le sang qui. pour garder son cornmandcniciit. éiüit ripnndtl en In rc~*Crcncc de celui dc son Fils, a~qucl elle c:oynit fcrmcment tous ses péch6s Ctrc la\& ci cffac6s de la nicnioire dc son i r e 6 '
Sachant sa grâce assurée par son inébranlable foi, au bout de ses forces physiques
elle s'exclame avant de tomber à terre: « Seigneur, recevez l'âme qui par votre bonté a été
Cholakinn, p. 5 1. 64 Jourda, p. 893. 65 Cholakian. p. 5 5 . 66 hlarycritc de Na\-arrc. p. 58.
rachetée! n6' Mais son calvaire n'est pas termine car lorsque la muletière est ii terre,
incapable de bouger, la bmte lui donne encore plus d e coups et, une fois qu'elle n'a plus
mème la force de parler, il la viole: N ce nialheureus prit par force celle qui n'avait plus
dffense en elle. »" La victime est violée lorsqu7elle est sur le point dc mourir, niais tant
qu'elle est en vie, elle lutte moralement: elle priservc sa cliastetijusqii'a la fin. AprCs
avoir satisfait « à sa méchante concupiscence »," le violeur s'enfiiit.
La niuletière meurt une heure après des suites des « vingt-cinq plaies niorielles sur
son corps r7' Oisille remarque que lcs vingt-cinq plaies font preuve de Ia chasteté de In
niuletièrc: signes si évidents que la parole n'eût su mieux montrer son intention. »"
Oisil!e souligne le fait que la parole féminine n'est pas acceptée cornnie pi-cuve suffisante
pour défendre son honneur contre le viol. Pour Cholakim les vingt-cinq plaies
représentent une pénétration non-voulue, une illustration de conimerit le corps Féminin
ressent la violence du vioL7' Donc, s'agissant du viol, Oisille met l'accent siir la chasteté,
alors qiie Cholakian Ic met sur la violeace. Robcn Cottrcll, q ~ i n n t lui, considère le viol
du point dc vue figuratif Pour lui, les vingt-cinq plaies signifieraient la souffi-znce et le
sacrifice d e Jésus-Christ. Dars la théologie évanyélique, Cottrcll note que la femme esi
souvent le symbole de la chair et de l'humanité. Donc, pour satisfaire son &sir d'être unie
avec Jésus-Christ, la muletiére doit sc mortifier jiisqu'au sacrifice. Cottrell n'accepterait
" Ibidem, p. 58. 63 Ibideni, p. 58.
'"bidcrn, p. 58. Ibidem, p. 59.
il
7 - Ibidcm, p. 59.
-Ciiolakian. p. 51.
pas l'interprétation de Cholakian pour qui les plaies synibolisent le pouvoir répressif de la
société partriarcale sur le corps de la femme. Pour lui, elles représentent le désir de s'unir
avec le Christ par une violence de type religieux:
Souvent, remarque Cottrell, Ils femmes qu i désiraient l'union mystique avec le
Christ, cherchent à émuler sa mortification et sa mort. Par sa souffrance et sa résistance, la
niuletière devient « martyre » pour avoir préservé son honneur et sa chasteté morale. Les
1 1 txssures de la muletiére ne choquent pas parce qu'eiles constitcent des siçncs
incontestables de son innocence, de sa foi et de son Salut. Cliolakian, par contre, affirme
que les blessures de la muletière illustrent la violence du viol, tant contre l'honneur que Ic
corps de la femme. II semble que dans cette nouvelle, Marguerite de Navarre veut
souligner l'horreur du viol par une scène de violence excessive. Mais Cottrell soulève
aussi un dément crucial de I'Hepiomérori: il ne faut pas ignorer l'influence de
7 3 Robcrt Cottrell, a Inmost Cravings: The Logic of Desire in the Hcptameron » dans Critical T d m : I V ~ W S~ndies of [/je I/cptarrreron arid Early A fodcrn Cultza-c, (S. la dir. de) John D. Lyons et Mary B. McKinl cy, Philridclphic, Uniwrsity of P e ~ v l v a ~ i a Press. 1983). p. 1 1.
I'évanyélisme et l'importance de la Grâce pour Oisille, pour les devisantes et évidcmnient
pour I'auteure, Marguerite de Navarre.
La miiletière meufi joyeusement parce qu'elle obtiendra l'union parfaite avec Dieu:
« avec un visagc joyeux, les yeux élevés au ciel, rendit ce chaste corps son âme à son
Créateur. »'' Le bon chrétien reçoit la mort avec joie parce que c'est la libération de l'înie
qui s'unit à l'amour divin. La mort de cette martyre de chasteté )) sert d'exemple
d'honneur aux femmes:
Totitcs Ics fcnirncs d è bicn i.cnaient l'horiorcr. SC tenant bicn hcurcuscs d ' t k dc 1~1 \.ille oir iiric fcmnic si vcrtucuse avait été tro~11.l~. Les follcs ct iigCrcs, i - o j m t l'honnciir quc l'on Eiisnit ri cc
75 corps. sc dilibirèrcnt de changer lcrir vic cn rtiieus.
Cholakian suggère qu7Oiçille rcfiite l'image médiévale chrétienne qui définit la
fcrniiie comme une entité purement sexuelle; pour ce faire, elle remplace la sexualité par
Cholakian suggère que cette deuxième nouvelle révèle et en méme temps cache la
virité du viol. Les blessures de Ia kmme, loin de faire scandale, senrent d'exemple de
vertu aux femmes (conune dans le mythe de Lucrèce où le suicide pour sauvegarder son
honneur rend la mon glorieuse). L'horreur du viol est aussi effacée dans l'union mystique
avec Dieu. Il faut souligner que ceci n'est pas surprenant car Marguerite de Navarre est
7.1 Margucritc de Navarre, p. 59 . i s Ibidcni, p. 59. -6 Cholaakian. p. 53.
chrétienne fervente qui se préoccupe d e la rédemption. Ce récit illustre que I'auteure
admire l'amour pour Dieu qui suscite l'héroïsme et mène à la vertu de la muletière: elle se
défend de toutes ses forces pour préserver sa chasteté et son honneur. Sa résistance ct son
martyre sont des preuves sublimes de sa foi.
Dans la discussion qui suit le récit, Oisille nous fait la morale de l'histoire: K Voilà,
mesdames, une histoire véritable qui doit bien augmenter le ceur à garder cette belle venu
de chasteté. »77 Il n'y a aucune mention de la violence brutale du violeur, seulement la
dorification de la chasteté de la muletière. Oisille souligne que la muletiére est plus noble - et plus venucuse que beaucoup de femmes qui devraient l'être par leur naissance. Elle
critique l'hypocrisie des femmes aristocrates qui croient que les femmes du peuple ne sont
pas aussi vertueuses qu'elles à cause de leur rang social: cc Et nous, qui sonimes de bonnes
maisons, devrions mourir de honte de sentir en notre cacur la mondanité pour laqucllc
éviter une pauvre muletière n'a point craint une si cnielle mort. »7%llc dénonce la
fnvolitc des fcinmcs mondaines précisant qu'elle ne connaît aucune femme de son milieu
qui ait résisté jusqu'au sang pour préserver sa chasteté. Elle critique l'intolérance de
l'aristocratie qui juge la vertu des autres classes sociales comme étant infirieure; elle
souliçne que pour Dicu, la vraie piété et la vraie noblesse viennent du cetir et non de la
noblesse de sang: (( car les grâces de Dieu ne se donnent point aux hoinmes pour leurs
noblesses et richesses, mais selon qu'il plaît à sa bonté .. . La muletière a reçu la grâce
7 7 Margiicritc dc Navarre. p. 59. 7s Ibidem, p. 53. "lbidcm. p. 59.
à cause de sa vertu morale. Cliolakian suggère qu'Oisille défie les femmes nobles a ne pas
se laisser surpasser par la vertu d'une femme de classe inférieure, comme la
Après ces mots, toutes les devisantes admirent la muletière:
I l n'y eut darric en la compagnie qui n'eût la larnic 3 I'cril pour Ia compassion dc Ia piteuse ct glorictrsc mort dc cctte rnulctiérc. Chnciinc pcrisa cn clic-mcmc que, si la fonunc Isiir ad~menait parcillc. ri~etiraicnt pciiic de I'cnsuivre cn son n ~ a r t ~ r e . ~ '
Aiors, le viol subi par l'héroïne n'es: pas fiitile. Son corps mutilé est vénéré dans le
cimetière et devient un modèle de chastete pour les femmes de l'avenir. La vénération et la
rlorification dc la mort de la muletière montrent que pour Oisille et les autres femmes, les - venus niorales chrétiennes sont bien pius importantes que les considérations sociales. La
mort glorieiise de la muletière révèle que la clinsteté, la patience, la foi, l'amour de Dieu
sont des vertus capitales dans I'Heplnn~érotl.
L'étude de Grisélidis ct de la niulctiére est pertinente pour aider à dCfinir la notion
dc la vertu féiiiininc dans Ln CIIL; L!CS B c I ) ~ . ~ ct dans J I J I q ~ t ~ ~ n ~ C ; r u ~ ~ parce qu'elIes sont dcs
moddcs dc feninies vertueuses. Toutes deux sont des héroïnes qui , pour rcster fidèles à
leurs valeurs, ont fait preuve de qiidités similaires. Leur vertu s'affirme en dépit des
nienaces telles la cruauté du mari ou du viol. Dans les deux œuvres, la vraie piété et la
vraie noblesse viennent du ccrur et non du sang: Grisélidis et la niuletière sont socialeinent
inférieures aux aristocrates, niais elles font preuve de supériorité morale par leurs actions
Ciiolakian. p. 6 1. 61 Mnrgucritc de Navarrc, p. 60.
et leurs souffrances. Elles montrent que le mérite personnel ne dépend pas de la classe
sociale où l'on est né: même pauvre et misérable, Grisélidis attire l'attention et le respect
de Droiture et du marquis de Saluces par sa grande piété filiale. Une fois mariée, elle
gajne t'admiration de tout son entourage, ainsi que celle de son mari, pour avoir réussi
aux dures épreuves et prouvé sa vertu. La muletière est glonfiéc par toutes les devisantes
et les femmes du récit, elle est l'idéal de l'honneur et de la chasteté féminine parce qu'elle
s'est défendue héroïquement jusqu'à la mort contre la brutalité de son violeur. II n'y a
aucun doute que la souffrance des deus héroïnes les rend plus vertueuses, donc plus
honorables. Mais à la différence de la muletière qui est victime involontaire de son violeur,
Grisélidis accepte sa souffrance de bon gré pour prouver sa vertu à son m a i .
L'analyse de ces deux personnages nous montre que I'honncur et la venu de la
femme sont étroitement liés à son devoir social et nioral, et le devoir de Grisdidis est
d'aimer, de ctiérir, d'obéir et de servir son père et ensuite son mari. Celui de la muletière
est dc présenver son honneur et sa chasteté. L7annlyse du récit de Grisélidis montre que la
vertu de la femmc dans Ln Ciri tks Dcimcis est basée sur les qualités suivantes: la
constance, l'humilité, I'obéissance, l'honnêteté, la courtoisie, la discrétion, la patience, la
piété filiale, la fidélité, le dévouement ct l'amour filial et rnaritd. L'analyse du récit de la
muletière révèle que la vertu de la femme dans I'fleplamiroii est surtout définie par des
valeurs plutôt morales et religieuses: la fermeté, la chasteté, I'honneur, la patience, la
piété, le martyre, la foi et l'amour de Dieu. À la difiérence de Grisdidis, la muletière
devient une (( martyre de chasteté )) dont la glorieuse mort lui assure l'union éternelle avec
Dieu ainsi que l'admiration dc toutes les femnics. Puisque sa cliastcte resicic dans scn
ceiir ; elle reste chaste même après le viol. Au contraire d c Grisé!idis qui est fière de
pou~poir afirmer sa propre vertu en rfussissrini aux durcs épreiives par sa force de
caractère, la muletière attribue uniquement à Dieu toute sa patience et sa venu: 53 fai en
Dieu la mène à la vertu et à l'héroïsnic. Mais l'énorme miiffiance dcs d c ü s héroïnes e3i
rcconipcnske. la première par la gloire socialc eL la deuxiCrne, par la gloire titurricllc.
Chapitre 2 - La vertu mise ii l'kprerive du Lucrèce et le nrinccssc de F1;indrcs
Les récits de Lucrèce de Ln Cifk AS DCI~IIL'S et de la princesse de Flandrcs dc
I'Hc'pitrnr~~ru~t ont été inclus dans cette étuds pour approfondir l'analyse coiimencf e ari
chapitre précident et pour but de saisir et de coniparer la notion de la vertu fiminine dans
Ics d e ~ i s ceuvres. Ces h6roïnss se prétent h fiiire un- comparaison pertiriente puisqii:,
to~ites d e u s sont aristocrates, qu'elles incarnent l'idéal de la vertu fiminine et qu'elles
protègent leur honneur contre la plus grave des nienaces: le viol. Cette malyse est aussi
i idc poil: dktc:.!iiiner si 12 notion de la wrru est c!illërcr.te pour I'aristocrate ct In
paysmnc. I l est à noter que la chasteté est la vertu suprênie chez Liicrkce et la pi-inccsse
de Flandres: leiir honneur et leur réputation sont jugés uniquei~ient par cette vertu. Dans
les deus récits, on constate que le statut social d'une femme ne la protège pas contre
I';?;:-cssioii i:;;i\c~ilinc piisqii'cllz es[ jus& par soii scre p!iitot qiic p ~ ; sa classc ~ n c i a l e , ci
k sese féminin est présutnëco~ipable de provoquer son propre viol. A cause de crttc
cu!l;r?Silité, les deiis heroïnei son? rCdiiitcs au silcnce et ne parviennent à cornniiir~iqrirr In
cniclle rizliié du viol que par des signes profonds: Lucrkce se suicide et la piincessc de
Flandrcs laissc des niarqiies sur le visage de scn violeur.
Lss deux œuvres mettent en scène le viol du point de vue dc la victinie et n o n d u
~ o i i ? t c!c n i z trzditionixl du bourreau: le viol n'cst dons pas u n acte de plaisir ripriirif
niais u n acte de violence complkternent injustifiable. Les deus récits soulignent I'ai~ibiguïtk
des divcrses définitions de l'honneur, la fra~ilité de l'honneur féminin et l'incapacité de Iri
fenimc de SC défendre cmtre la parole masculine.
Le récit de Lucrèce fait suite a ceux où Droiture montre qu'une fcnirne, belle ou
non, est chaste par nature: « Car elle [Lucréce] qui était d'une si grande beauté avait la
1 réputation d'étre la plus chaste de toutes les danies de Rome. Y Droiture nous dit
clairement que, selon l'opinion générale, une belle fenirnc ne peut pas être vertueuse. II
xm'ûlerait donc que l'homme qui est attiré par u r x belle femnic piésume qu'elle ressent le
ni2nic dcsir sesuel que lui. Droiture refute cette croyaru borritk par l'eueniple dc
1,ucrèce. La vertu esseiitielle de Lucréce est la chasteté, sinon se serait-elle suicidée?
On remarque I'anibiguïté entre les termes amour et désir, ainsi qu'entre viol cr
séduction, due sans doute à l'interprétation niascitline et féminine des relations
aiiioureuses dans Lo Cil<; cles Doriies. On esiçe de la feiiirnz une stricte chasteté pour juger
sz rcputaiion ct son hziinciir niais au contrnirc, on csigc de I'hcninie I i séduîiion et la
co~qiiéic d ' m e feninie à n'importe quel pris. Nors, la séduction masculine ou le viol, es:
la p l~is grmde mciirce à 1:. vertu et à la réputation dc la kinnit. cor~inic le couligne
Cliristine dans Ic dialoguc qui précède l'histoire de Lucrèce: (t ... je suis convahcue qu'il
esiste beaucoup de femmes belles, vertueuses et chastes, qui savent se garder des pièges
des séducteurs. n3 La femme est chaste par nature et elle doit toujours être sur ses gardcç
contre Ics liornrnes qui vei11cnt ln déshonorer. Droiture et C1:ristine f ~ m t al!usion i I'anioui
cotirtois oii la frrnnie devient la proie de son so~ipirant. Elles critiquent Ics niau\paises
' Piziin, p. 1 SG. ' kidcni, p. 1SO. ' I:lidèn, p 1S6.
intentions des séducteurs qiii fcraient n'importe quoi pour obtenir la rloire qui est la
concluZte de la bien ainiée, en d'autres mots, le déshonneur de la femme.
Cliristinc est scandaliste par le fait que le séducteur ne differe~cie pzs entre la
séduction et le viol. Elle insiste avec véhémence qu'il est ridicule de croire que l a femnies
airncnt être violées:
... j: siiis navrcc ci oiitric d'enrcndrc dcs lioinrtics répkter que Ics ferrinics tculciit é ~ r c \.iolics ct qu'il nc Icur d iph I r point d'ctrc fori.Ccs, n i h r si c1lc.i s'cn dScridcrir ioui haut . C:ir jz nr: ra~~rais croix qu'clics prcnneni plaisir h un; tsllc aboniinntion. '
Christiric, que le j d:irnes venueuses et honnctes prennent le moindre plaisir à être violées;
nu contraire, aucune doulcur ne leur saurait être plus inaiipportable. D' II n'est pas
surprenant que Christine et Droiture fassent cette critique parce qu'on voit souvent dans la
fcninie coninic sc rijouissant de son propre viol.
011 rciiiarque l'irtpririncc que In sociité dc Ln ('ici; des 1 2 ~ u 1 m açcorcie à la \.citu
ftminine quand, lors d'un souper, le mari de Lucrèce et plusieurs notables de Rome se
i m t a i c n t de 13 vertu l e Icïrs fen~rties respectivês. Pour Droiture cela Fait preuve de la
siiprtiiiiatie de la venu sur la beauté physique de la fenimc. Quilligan note que, au contraire
dc Christine de Pizan, Boccace niet l'accent sus la beautc physique ct que ccla constitue
une invitation au Par contre, dans Ln Cité dcs Bcoiies, les hommes admirent la vertu
fiminine, veriu qu'ils associent avec le rôle de la femme au foyer: <( Celles qui fuient
trouvées occupees aux tâches les plus honnêtes eurent le plus d'estime et d'hcnncur. »'
C'etait Lucrèce qu'ils trouvèrent G 13 plus honneternent occupée, car cette e.rcellente et
vertueuse femme, velue d'une simple robe, travaillait la laine et devisait sagement la
compagnie dcs Fernnics de sa maison. )? Elle fait le travail traditionnel de la femme: filci la
laine et di r i ~ e r la maison. Quilligan souiiyne que K the e»iplmsisftrfls ~ipoli ilte gwcrt>~cw
9 of l.irc/v!i~r 's ~ifi!y ~*ir lm miher thni1 lwr ~ C C I I I I ) > ». Les hommes mettent en valeiir sa
sir.ipiisi~c. soi1 ûpp:xiice modeste ci son travail nicnagei-. On observe que. nièrnc. si
Lucrèce appartierit à l'aristocratie, elle ne porte qu'une siniple robe pour montrer sa
modestie et ne pas attirer de mauvais regards. La modération dans la tenue vestimentaire
est aussi encouragée dans le Liiw cles 7i.ois I'rr- l irs de Christine dc Pizan: Cclle qui se
i i i x zi!izi 5 l in ti:l r:fi;i:siiicnt dc luxe dans sa toilctte pèche contre Ic goiit qui veut la
modération en tout; contre le sens; contre l'humilité; conire la charité. do
Droiture iric: i'acccnt sur la wnli fiminine en constatant que les feninies attirerit
les 1;ommcs non par leur beauté physique mais par leur vertu et leur honnêteté: (( ceus qui
a i r x n t la vertu préfèrent les feitimes verriieuses, honnêtes et intègres, nième si ellcs sont
nioins belles que Ics coquettes. P" Elle constate que Ic violeur, Tarquin le Superbe, fils du
d.;rtiie; i-i>i dc Rome, est tombé amoureux fou dc Lucrèce (4 plus pour s m honnêteté qiic
pour sa beauté. D I ' La première fois qu'il voit Lucrèce, i l est « f rappi par sa grande
horinêtcté, par ses manières simples et distinguées, ainsi que par sa riiodcstie. »'' II faut
poser In question, pourquoi est-il attiré par Lucrccc? Est-ce q~ ic c'est pci~ir le d d ï ou pour
12 gloire de vaincre une dame si vertueuse? 11 semble ironique qu'une ues plus grandes
Droiture dévoile Ir coup de foudre de Tarquin qui : « b d s i t d'nmour pour la
chaste Lucrèce »." II faut rioter que pour Tarquin. comme pour Ic valet de la muletière,
d'amour signifie étre In victiiiie cie la passiori dangereuse: c'cst 1'aii;oiir ciinrnel qui rtduit
I'hon~me à une bête et « IYer?trainera à I'oritra_«e qu'il ['Tarquin] cornniit par la suite ». 1 5
La tradition littéraire midiévalc accuse la femme de provoquer cette passion
14 mrtu éminente qui les faisait aimer. )? Elle ajoute qu'il n'est pas vrai qu'une « fernnic
vertiieüse q u i \ ~ i i t deme~ircr chaste ne scra jarnais sollicitée m i convoitée contre scn
17 zre. )) Lucréçe n'a rien fait pour séduire Tarquin, elle n'attire pas son attention Y
intentioniicllernent, c'est l u i qui remarque et adniire sa çrandc vertu. !.iicrcce, comme la
mulctiére, devient donc l'objet du désir masculin. Mais Tarquin n'ose pas déclarer son
<( amour 2 à Lucrkce parce qu'il sait q m le plus grznd obsiac!e à fi-ancliir pour sntishirc
--
''lbidcrn. p. 230. 13 Ibidcrn, p. 230-23 1. 14 Ibidciii, p. 186. "lbideni. p. 23 1. '' Ibidcni, p.232 "ibidem, p. 237.
son désir est la vzrtu nisrne de l'héroïne. II est conscient qu'il ne parviendra jamais à ses
fins iionn&ement. Alors. il a recours 3 la ruse et a la trahison.
Un jour quc le mari CS: absent, Tarcpin es: reçu amicalcnicnt par Liicrtice qui ne
soupçonne rien du tout: G cette noble épouse le reçut avec tous les égards dus i celui
1 Y qu?e!!e tcnair p u r l'ami iiitii~r: de sor. mari. )) On notc dnns cette description de Lucrèce
une autre venu, ceiie dc la noblesse d'ejprit. Elle lc prouve Ic soir ou Tarquin se faufile
clans sa chambre sans pcrinission: au lieu de se rgouir dc son appariiicn, comme dans les
1 L' prEsents et d'ofiïcî YJ. Elle n'accepterait jamais de se soumettre à ses dki rs »,'O même
menacée de mort: (( qu'il ferait niieus de la tuer tout de suite, car elle préférait mourir
pliltôt que de se soumettre. >j" Le devoir moral et social de la femme exige qu'elle
I'imponniice accord& à la chastete féminine:
. ail premisr I'cn doit garder par devant tout ciiaasrt& lnqiiellc perdiie, toute wnii trrbuclie. La principaliti des v-x-tus feinlnincs si est contenue en dlc: c;lc Iûe et donne çrace a la povre et eslieve la riche; et rachate et escuse la laide ei aorne la belle; elle reçoit grande merite et graiit deserte dcs greigneurs, dt.sq~ielz clic nc dcshonorr par It: sanc par liçnrc I7rrecineusement pror-rec ne faiissernent enscndree. [...] Et preniierernent, i l va bien a elles rneisnics quant le vilté et lnidurc d'estrange corps n'i a point de droit conquesté. II n'est plus g a n t doleur d c clinitiveté q i x qualit personne est trzite a lusurc d'autni2'
'' Ibidem, p. 1137 "~bidcrn, p. 187. 'O Ibidcm, p. 1S7. "bidcm. p. 187. 71
-- John dc Srilisbriq-, Ptdicrrrficrrs ci16 par Eric !-Ticks, (( A hiirror for hlisog~.riists: John of Salisbury's l'olicrotic~rs (8.11) i n Uic Translnlion of Dcnis Foulcchar (1373) )> dans Aeintev~~r-cfitlg Cllitisfitze de Pizan, p. 100.
Se rendnnt compte que Lucrèce préfiire 13 nion à la perte de son horineur, Tarquin
recourt au chantage lui disant qu'il dcclarerait publiquenient qu'il i'avai: irouvée avec
l'un de ses serviteurs. 11 dkvoile I'iniportance r c c o r d k à la répuiztion de la fcrnri~e: au
lieu de juger la femme par son comportement et par sa moralité, on iuçe son honneur et sa
vertu par ce que les autres disent d'elle. L'h~nneur de la fcmnie esi donc bien rrayils, un
simple mensonge Feui nuire à sa riputation. La nienace de dire publiquement que 1-ucrkce
est adultère nous indique qu'une femme ne peut pas se difendre contre une accusation
portcc PX ~n Iiomme. Alors. ayant p w i - dc ternir son Iioiiricw- ei il; tlcvciiir la Iionîc clc
son mari et dc sa faniille, Lucrèce (( dut cCder a la force D . ' ~ Droiiure rtivile I'inipiiissance
de Lucrèce et, par extension. de toutes les femmes, de se défendre contre Ic pouvoir de la
parole masculine. Simon Gaunt remarque que dans beaucoup de tcstes médiévaux, la
perpetré contre elle.25 lors, elle doit accepter cette injustice et garder le silence.
hloralenient. Liicrkce n'accepte pzs Ir. \violence coritrc son honnciir: « IauirCce ne
put soufliir en silence une telle honte. »'6 Elle révèle à son nizri ct 3 ses parents son
déslionncur le lendeiiiah matin. Au lieu de la condamfier, ils ont pitié d'elle parce qu'ils
« comprenaient son désespoir ».27 Mais ils sont incapables de la consoler. Lucrèce son un
couteau dc par dessous sa robe et s'exclame: G S'il est vrai qiie jc i;<iis nie pardonner ma
f3 P i a n , p. 187. " Ibidcni, p. 187. t5 Simon Gaunl. Gcticfcr nntl Gcnrc IN ; \ l c r l i e l d fiench I,iterariwt. (Cambridgq Cambridge Uniiwsity Press. 19951, p. 203. '"izan, p. 18 7. . .. - Ibidem, p. 187.
faute et prouver mon innocence, je ne saurais me soustraire à 13 honte ni aÿ cliitiinent, de
peur que désorniais ies fenirncs dés!ionoré-s et dévergondées n'invoquent riion
escinple. »2X Même innocente, on I'xcuserait d'adultère et elle serzit d6shor.oréc et
sévèrement punie. En s'enlevant la vie, elle s'assure, d'un côté, qu'elle ne va pas être
honnie mais honorée pour avoir présené son honneur; d'un autre, quc scn sacrifice s inira
d'exemple aiix fcniriies pour ne jamais conimettrc l'adultère. Alors, elle sc tue pour
prouver son innocence: (( elle s'enfonça \.iolanment le couteau dans la poitrine et
Lucrèce, Droiture révèle la vérité dc la violence d ~ t viol contre ln fernine. Par Ic suicide,
elle souligne l'injustice contre la femnic: Liicrice ne peut pas dénoricer Tarquin
piibliquement pour l'avoir possédée contre sa volonté parce qu'on l'accuserait de l'avoir
pro~oqué r iz? que par z hbcaiiif.
La réaction du peul;!c est importante à siçnzlcr, I'indiyation du viol dc Lucrèce le
rait sc soulever contrc le roi: N Roniz tout entière s'cnflnninia pour cette cause et espiilsa
.;O son roi ... ». Droiture ajoute qu'à cause du viol dc Lucrècc, « on proniiilga une loi
condaninant à mort !out hoinne qui violerait une fenime; c'est une peine légitime, niorale
3 1 et juste ». Cette nouvelle loi soiili_onî que lc viol est un acte serieus, injuste et violerit
contre la femme, et que le \.iolcur doit Cire puni s2vèrenierit. Kathrjn Gravdal conclut que
Christine dc Pizan met la loi du viol au premier plan de sa rifornie dans I.ci Cite rlcs
~ ~ r n ~ e . s . " Elle suggère que I'écnvaine voudrait que la représentation de la fenirne vfneréc
et respectée dans le discours courtois devienne une rialité sociale. Gravdal reniarque que
Christine de Pizan « s e k s zipori the corirfl) cloctriire of lhr inrpor-fmm ojii.orner~ m ~ r i
Quilligan note plusieurs diffirences entre la version de l'histoire de Lucrèce de
Boccace dans son DL> ~ r ~ l ~ i i c r i b u ~ chris et celle dc Christine de Pizan dans !',ci Cil2 L ~ L S
Dnnres. Elle suggère que Christine de Pizan raccourcit le récit pour quc le viol ct le suicide
devieiincnt ccr.trsus: et pour quc l'liniinwr et Iri riputation de Lucr2ce soizrit restaures par
l'autosacnficc. Eile remarque la difiércnce d u discours de Lucrèce au moment de son
suicide dans 1cs deus textes. La Lucrèce de Boccace s'absout du péché, mais elle
n'échappe pas à la punition pour qu'aucunc femme nc vive désiionorablenient à cause de
ses nctiûn?. L'hkoïne de Uoccasc croit qu'clle mérite d'être punie parce qu'elle a été
vio!ée; Boccace dépeint souvent des femmes qui aiment ètrr violécs. Une autre différencc
est que, p ~ u r Boccrice, le viol dc Lucrèce par Tarqiiin signifie un événcinent importanr
dans l'liistoire roinaine, il niet l'accent sur les conséquences politiques: a cause du viol,
P.ornc a été libérée du dcspotisilie des Taquins et la républkpe a été établie?' La date de
l'établissement de la république est 509, l'année du suicide de Lucrèce. Quilligan note que
i,~fo a (frc~mn offnrole hi.srory »'I Christine de Pizan ne raconte pas l'histoire du point de
3 2 Kntliq-n Gravdd, Rmisizing Alaidccnss, l tk i t i rg Rnpc in XIL.dieimi French Li!oratrrrc a t d Law, (Philadcphia, University of Pcnnqlvania Prcss, 199 1), p. 142. i l - - Ibidcrii. p. 112. 3 -1 Quilligan. p. 159. 3 5 Tbidcm. p. 159.
vue Iiistonque mais cornnie preuve que, au contraire dc l'opinion masculine, les femmes
n'aiment pas ètre \iolées. Quilligan souligne que le viol est « rnolejc)nnk s e n r d
r e h fioizship of clont it inr I ce (11 il-!. iiarst, niole i*io!c,lcc. r;guir;.s/ (hc. jiwaile b o ~ b a~toctcd trt
ih rnosi senini specrjic. »'6 Au contraire de Christine de Pizan, Boccace ne mentionne pas
de nouvelle loi contre le viol dans son Bc rrrrtlieïihus clni-is. ce qui signifie qu'il ne
condamne pas le violeur. II semble que pour lui, l'acte du viol rie représente piis la
violence mais la sédiiction. Christine de Pizan réécrit Boccace pour insérer le point de vue
fkiiiini n : c ! fRo~~coccio '.Y re.u i.ci.L.t7~.s ~.nip/1~7-vi.s :rso ~ I I L ' co : i / t i î / / i~~ po.5.ifio11 qf I / I C IIUIIL'
v i~ i i v r , thrtr Chri.vtim rrsirnl()* elides (/lis pei:rpectiil~ iu /te,' (exi; i d - i ~ y ~r resclrifdj.
fii~rale-ge~.orckrcdposi~io~~ front iihiclz to sce tltc s t q ) D . ~ ' En employant le terme « viol »,
Droiture semble suggérer que le corps de la femme devrait être respecté et protégé par ia
loi. La fcrnnis dans la silciCtC fiûcldc était coiisidiréc la propriéti d? I'liomme. alors le viol
était consideré un crinie contre la propriété de l71iomme. Pour Christine de Pizan, le viol
est un crime contre la femme. Elle rcjettc tout a fait l'habitude cultiirelle dc conccptiialiser
la violence niasculine contre la femme comme étant une expression positive de !'amour."
Droiture peint un portrait de Lucrèce qui met l'accent sur sa chasteté et son
honneur, ainsi que l'importance que l'héroïne et son milieu leur accordent. Lucrèce nous
révde que la pcrtc dc In chasteti. garantit le dthhonnex. qui est pire que In mort. Droiture
et Christine nous font sympathiser avez la victime du viol en soulignant que, même si
36 Ibidcni, p. 162. 3 f Ibidcni, p. 1G 1. 33 Grnvdnl, p. 20.
Lucrice n'est pas coupable de son propre viol, son milieu la rend moralement responsable
parce qii'oil I'accuscrait de l'avoir provoqué. Droiture soulève donc la fragilité de la
cliasreré et de l'honneur féminins en révélant l'impuissance de la femr:ie de se défendre
contre les menaces à sa vertu: Lucréce ne peut pas se défendre contre la parole de son
violeur. Au lieu de garder le silence et de rester passive, elle expr,me la vériti du viol et 1.1
proclanie une ayrcssion violente, injuste et cnie!lc de laquelle, elle ne peut se tirer
honorablement qu7cn s'enlevant la vie.
Ilroiturc et Christizc con;!mincnt le fzit que !'mimir ccurtois csizc qu 'un h o m m
soit un séducteur; elles souli-ncnt que la séduction se traduit souverit en viol. De p h s 7 le
viol, acre de violence, dkshonore la victime et honore le violeur. Droiture, porte-parole de
Christine de Pizan, fait remarquer que la femme n'est pas coupable de son propre
dCs!wnnciir niais qvn, sa chastcrk est la p!us importanie des venus et, si clle la perd. n : k x
pendant une agression, i l ne lui rcste que la mort pour sauver son Iionneur.
L'analyse du récit de la princesse de Flandres nous montre encore une fois que
n~ênie pour une Jeune veuve, la chastcté cst Linc vertu capitale. A la difference de Lucrèce.
la princesse de Flandres choisit le silence pour sauvegarder son honneur. L'histoire de la
princesse de Flandrzs dans I'Hcprn~~iL:r-oi~ est narrée par Ennasuite qui adniire l'lionnêicié
et I'honiieur de son héroïne. La princesse de Flandres est la seule des six héroïnes étudiées
ici qui est veuve et qui aime rire. Son portrait nous révèle qu'au contraire de la société de
l ' l lepimié~*o~i qui accuse une fenme joyeuse de manquer de chasteté, la princesse de
FIandres est considérée vertueuse.
Comme Lucrèce, la princesse de Flandres réussit aussi à protéçer son honneur face
à la pire menace possible: le viol. Mais, à la différence de Lucrèce, la princesse de Flandres
se protège contre la tentative de viol de son admirateur. Convaincue de garder le silence
de peur d'Etre déslionorée, elle arrive, comme Lucrèce, a révéler la vérité du viol par
d'autres moyeiis. II est à noter qu'au contraire de Lucréce, elle réussit à punir son violeur
en Ic sounicit:ir.t a:i ridicule et au déslionnc~ir. En gardarit le silence de cctte mEsaventiire.
la princesse de Flandres se venge aussi de son violeur qui souffre seul dans sa honte et
dans son eiiibarras. En même temps, elle redouble son honneur pour avoir protégé sa
cliasteté. Il est à souligner qu'au contraire de Lucrèce, la vertu de la princesse de Fiandres
est atiribuk uniqucnici?i à Dieu.
Cette histoire cst très inportante parce que certains critiques suggèrent qLie la
pi-inccsçe d î Flandrcs cst iiiie rcprisentation voilée de hfarguerite de ~avnrrc ." Patricia
Cholakian s u ~ g è r e fortement dans son livre i\'rpc mid M',.ifirrg NI the 1-leptaméron o/
:bl7ilperitc de Akn~rr iv q ~ i c la quatrième nouvelle décrit la tentative du viol de Margiieritc
de Xavarre en 1520 par I'adniiral de Bonnivet. La scène du viol, selon Cholakian, est
devenue la scène d'écriture qui permet a Marguerite de Navarre de parler de l'outrage
qu'elle n'aiirait jzniais pu révéler directement sans être déshonorée. Si ccci est vrai,
3 9 Rcgnrdcr Picrre Jotirdri. .\ Iurpcrite (1 ' . . l tgoi i lL'~~~e, D~ichesse CI III~uçott, Rcine rie A?mnrre (1 492- 1.579~ & d e biogruphiiqtre cf lirit'rnirc, (Pans, Librairie Ancicnnc Honori Champion, 1930) pour plus de rcnseiçriemcnts i CC S L I ~ C L
Marguerite de Navarre eut l'inimense courage de parler de son viol mais sous forme très
cachée. DE plus, el!e encourage d'autres femmcs à exprimer la vérité de l'agression
sesuclle de l'homme. Cholakm cite Jourda qui pense que les variations de la scéne de viol
fornient le noyau du teste.
Lnnasuire raconte l'histoire de la princesse de Flandres pour coniredirz ia notion
que Safiedent introduit dans la troisième nouvelle: à savoir que les femmes manquent de
chasteté et de fidélité. A la fin de son histoire, Saffredent suggère aux femmes: « quand
\.OS maris vous tlniinent dcj cornes dc clierreüils, vous leur donnez de cerf »'" En
ci' a~itrcs mots, il encoiiragr les fëninies de troniper aussi leurs maris adultkres. Ennaaiite
rnconte I'liistoirr de In princesse de Flandres pour proriver que les fcmmes sont
naturellement chastes.
Flandrcs est veuve. Cholakian remarque que ceci problématise la signification de I'lionneur
fknii~in car Ic but original dc la chasteti était d'assurer In progéniture lé(:itiriie, mais daris
cette nouvelle cet objectir est reniplacé par l ' l~onneur .~ ' Puis, Ennasuitc soulève dans la
description de In piinccssc de Flandrcs qdlinc femme peut Sir: en nièrnc tenips joyeuse et
vertueuse: <( elle était la plus joyeuse et meilleure compagne qu'il était possible, toutefois
sage ei feiiime dc bien. N~' Au contraire, Ic yentilhonimc iiiterprde la joie et le rire de la
princesse lorsqti'il la voit pour la preriiiére fois comme indices du désir sexuel envers lui:
.:5 Mirgicritc dc Nin-arrc. p. 65. 4 I Cholnkian, p. 23. J 1 Mrir5ucr;tc dc Xai.anc. p. 66-67.
« voyant In soeur de son maître fcmme joyeuse et qui riait volontiers, pensa qu'il
essayerait pour voir si les propos d'une honnête amitié lui déplairaient xJ3 cholakian note
que la «joie s est iin eupliémisme pour l'orgasme dans la littérature courtoise des
iroiiba~lours."" Le gentilhomme propose sans doute une amitié courtoise. Cholakian
souligne que les termes G Iionnéte amitié » ou « parfaite amitié n apparaissent souvent dans
l'Hrpl~rm!ro~i pour décrire des relations en dehors du mariage qui sont en nature
courtoises ou platoniques, mais le niveau d'intimité varie énormément dépendant de qui
fait Ics rèC-!cs.J'
M ~ s la vertu et I'honneur de la princesse l'empêchent d'écouter les paroles
d'amoar du gentilhomme: (( sa réponse fut telle qu'il appartenait à une princesse et vraie
J G femme de bien. )) Elle lui pardonne son indiscrétion ct lui donne la permission de lui
lui propose une amitié platonique. Le gentilhoninic lui prnniet de ne plus diclarer des
paroles d'amour N pour ns point perdre l'aise ct l'honneur qu'il avait de I'cniretenir »."'
Duby so:ileve l'iniportancc de la maitrise de soi dans le cas de I'aniant courtois:
-1 3 Ibidcni, p. G7. '"' Cholakian. p. 23. -15 Ibidcnl, p.22. 4 6 blxgucritci dc N a ~ x r e . p. 67.
Ibidem. p. 67. ""bidcrn, p. 67. : ' ~ c o r ~ c s Duby. fi The Counly Modcl N dans A Ilislmy of ll'ormn 61 tlte Ilest. vol. 2, (Cambridge. 1 hnarci Cni~crsi ty Press, 130;). p. 257.
Ces exigences ne sont que des illusions: il est peu probable qu'en réalité un homme
puisse accomplir ceiic preuve. On remarque que l'amour charnei du gentilhomme pour la
princesse augmente à un tel puint qu'il oublie sa promesse. Il n'a aucun intérêt B t( l'essai ))
prescrit par lafiz 'cmror. L'influcrice de l'amour courtois est claire: le gentilhomme garde
sa distance pcur gagner le cccur de son aniic et exui te satisfaire son t( vrai D disir. Comme
le souli_one Duby, au contraire de la perception générale, l'intention de l'aniour courtois
n'était pas platonique.50 Cholakian reiiizrque que dès le début, l'intrigue de l'histoire est
à la sesualité et les relations entrr Ics seses.j' Pour ceite raison, les terrncs a amour »,
(( emitié N et a honneur }) deviennent ambijiis surtout lorsque le séducteur impose le disir
C'est pour cette raison que le gentilhomme se donne Ic faux espoir de croire que
(( s'il la poiivilit trouva- en lieu à son avac!agc, elle, qiii était veuvc, jeune et en bon point,
et de fort bonnc conipleuion. prendrait peut-être pitié dc lui et d'cllc ensemble. »"
Aveuglé par la passion qu'il masque, il a recours à la déception pour conquirir sa dame.
Duby remarque que i'arnour coiirtois est Lin jeu oli le joueur est motivé par la conquête:
où dormira la princesse quand elle viendra avec son frère pour la chasse; il crée dans sa
chambre (( une trappe qui était en la ruelle de son lit [celui de la princesse] d5
La pzssion du gentilhomme est ancrie dans le désir de la chair; ceci est bien
évident quand il observe ({ à son Iiabiiler et à son déshabiller où toujours il voyait occasion
d'augmenter son affection »." il décide un soir dc s'embellir pour séduire la princesse:
Et quand il ciit pris la plus çorgixîc et micus parfurnec dc toutcs scs chcniises, ci un bonnet dc nuit tarit bicn accoutrz qu'ii n'y fail lait rien. lui sembla bicn, cn soi mirant. qu'il n'y avait drinie ei\ cc mondc qui siii rcfuscr s:i bcnutç ci bonnc griicc.57
Chola!ii:in note qiic In citation ci-dcssus est un exemple di; discours f6riiinin sur Ir!
vaniic niasciilii~c: Ia narratrice donnc sa version de ce que le gentilhonime faisait et petisait
avant d'essayer de violer la princesse de Flandres. Elle se inoquc dc lui en le peignant
comme u n sot. Complètenient aveugle à la beauté morale, il croit qu'il va non seulement
attirer sa (lame en sc parhrnaiit niais que n'importe (ILICIJC fenime siiccoriibcrait racc à sa
nouvelle beauté. II transpose donc son prcpre concept du désir masculin à la femme qui ne
rcsseni rien en w y a n i son bonnet ou en sentarit son parf'im:
Parquoi. sc pronirtinnt a I r i i -n ihe hciircusc issuc dc son ciitrcprisc, s'cn alla nictirc cn son lit. ou i l n ' c s p h i t faire long séjour, pour Ic disir et sbr cspoir qu'il a\-ait d'en acqufnr un pIiis honorable cl plais.mï.5s
I I est clair que le vrai désir du gentilhomme n'est pas d'obtenir ['amour de la
princcssc niais le plaisir sexuel. Le code d'honneur niasculin exige que l'homme séduise la
s 5 klnrgucritc dc N:ivarrc, p. 67. <fi - Ibidcm. p. 6s. 5: - Ibidczii. p. GS. "lbidcin, F. 68.
femme par force si nécessaire. Alors, le gentilhomme cornnience son N doux travail »." On
consiate dors qu'il ne différencie pas entre le viol et la séduction. Une fois dans la
chambre de la princesse, il se couche à côté d'elle sans pcrniission; il n'a aucun respect ni
pour elle, ni pour son Iionneiir, ni pour son titre: « sans avoir regard à l'obligation qu'il
avait à sa maitresse, ni à la inaison d'où était la dame, sans lui demander congé ni f2ire la
rtkérence. se couchii auprès d'elle . .. »" Ce passage niontre que même si la princesse
appartient à une c!asse supérieure à celle de son séducteur, son sexe la rend inférieure à
l u i .
Au nioincnt oii la priricesse se rmd compte qu'un homnie est dam son lit , elle SC
défend contre lui de tolites ces forces: « Mais elle, qui était forte, se défit de ses mains en
lui demandant qui il était, se mit à Ic frapper, mordre et éçrati~ner ... )x6' Consciente du
tout pour préserver sa chasteté et son honneur: « elle vit qii'il n'épargnait rien de toutes
ses forces pour Iiii f::irc Linc honte: clle n'épargna rien dcs sieniics pour l'en
fi 2 engarder ... ». Incapable de llenipCclier de parler, la princesse sort victorieuse par
!'arrivée da sa dame d'honneur. Soiicirux des représailles (le c!&shsnnmr d'il r?e princesse
était puni pzr la iiiort), le violeur s'échappe par la trappe.
Eiiiiasuite se moque de la naikcié et de l'ultérieure défaire d u gentilhoriirrie.
« autant qu'il avait eu de désir et d'assurance d'être bienvenu, autant était-il désespéré de
-- - "lbidcm, p. 6s. 6: ) Ibidcni, p. 6s . O1 ibidem. p. G8. 6'~bidcm. p. 6s.
s'en retourner en si niauïzis état. )?' Et voilà le pauvre malheureux devant le miroir,
(( regardant son visage toüt sanglant d'égratignures et morsures qii'elle lui avait faites,
dont le sang saillait sur sa belle chemise q ~ i i était plus sanglante que dorée D . ~ ' Chola!;ian
souliane que ce passage constitile un discours féminin: les cicatrices sur le visaçe du
violeui sont (< l'ccriture féminine )) sur son visage: (( 7hey are. i r i j i d . a kiiid ofjn~~i~iitrs
que ces égratignures sont les signes de la transforriiation de la princesse d'objet en sujet."
Le yniilhorcrnç .TC rend compte que la princesse ne sera jamais séduite 11-r sa
benutC pliysiqce: « BeniitC. tu as niriinicnnnt loyer de ton merite car, par tri vaine
67 promesse, j'ai entrepris une clicse impossible ... D. La force ne lui semira pas non plus à
séduire une femme chaste et vertueuse comme la princesse dc Flandres: ... pour gagner
I'ariiüui- dc son cmiir: je r.s clet-ais pas essayer 1 prcndrc par force soi1 chaste corps, mais
devais, par long service et huriible patience, attendre qu7Aniour en Fut victorieux; pource
que sans lui n'ont pouvoir tout- la wrtii et puissnnce dc l'honinie. »'"oolir ètrc ainié par
la princesse, i l aurait dû dès le début évoquer en elle l'amour. La princesse par sa victoire
ciCshonore le grand séducteiir le réduisant, non seiilcment à passer la nuit (( e:i pleurs et en
doulcurs D" mais S. montrer son humiliation sous fornie d'égratignures sur son beau visage
63 Ibidem, p. 69. 6 4 Ibidem, p. 69. 6 5 Cholakian, p. 25. 66 Ibidcni, p. 25. 67 h4argucritr dc Na~.;!rrc. p. 69. 68 Ibidem, p. 69. 69 ISidcn:, p. G9.
La princesse est certaine que c'est Ic gentilhonime qui a tenti. de la violer:
« sachant qu'il n'y avait homme en la cour de son frère qui eût osé faire une si étrange
entreprise que celui qui avait eu la hardiesse de lui d k l a r e i son amour, s'assura quc c'était
son hôte. »'' On remarque l'extrême importance de sa réputation polir la princesse quand
sa dame d'honneur lui dit: « l'amour que vous avez de voire honncur »'I et on comprend
son désir de se venger de lui en le tuant: « sa tête sera témoin de ma chastetk P." 11 est à
noter que la dame d'honneur demande a la princesse de lui raconter l'événement et de dire
la vé;ité. II scinble qu'elle soupçome elle-nihie la princesse d'awir c t i tentée par le dksir:
« Vous ni'assurcz qu'il n'a eu autre cliosc dc vous que les Cçratigniircs et coiips de
poing? »''
Mais la dame d'honneur se prononce en faveur du silence pour préserver l'honneur
ct la ripiiiâtioii ainji que pour assL:rc.r ki vengeancc dc la princesse. I3lc sui!l i~cc c,i:'e.i
portant phi~itc it son frère, elle révèlera Ic secret, ce qui diminuerait son honncur; riiais si
eile ne dit rien, elle gardera con honneur parce que le geiiiilhoninie ne dira jamais rien ii
personne de peur d'être lui-menie d6shonoré:
Si voiis dbirt.;: Ctrc ïengéc dc lui. laisscz faire à l'amour ct i !:i hori~c qui le sariront mieils tortnricnicr qiir vous. Si vous Ic F~itcs pour votre lionncrir. gardcz-vous, madame, ds tonibcr en pareil iiiconi-énient qiic Ic sien; car cn lieu d'acquérir Ic plus grand plaisir qu'il air cm aivoir. i l a reçu Ic plus c\irCms ciinui quc gsntilhonime siiurait portcr.''l
70 Ibidem, p. 69. " Ibidem, p. 70. "lbidcrn, p. 69. '' Ibidcm, p. 70. 7 4 Ibidcrii, p. 70.
La dame d'honneur convainc donc Ia princesse que la meilleure f3çon de
sauvegarder son honneur et sa réputation est par le silence: « Aussi vous, madame, cuidant
augmenter votre honneur, le pourriez bien diminuer; et si vous en faites la plainte, mus
ferez savoir ce que nul ne sait: car de son côté, vous êtes assurér que jamais il n'en sera
rien révélé. » 75 On remarque qu'en gardant le silence, la princesse sauvegarde non
seulement sa réputatior: mais celle dri gentilhomme. On remarque aussi cpe les conseils de
la dame d'honneur soulignent la fragilité de l'honneur Féminin, prendre la parole est
dangercm parce q~ ie , ciU aux priju+ de son entourage, Linc bellc jeur.2 feiiinic qui airnc
rire et avoir du plnijir nianque de chasteté.
La dame d'honneur explique que, mEme si le gentilhonime est condamne à moït
pour le viol, les gens l'accuseront, elle, de l'avoir encouragé: « si coiirra le bruit partout
gentilhornnie ait fait une telle entreprise si la dnnie ne lui cn a donné grande occasion. »'"
Ellc so~iligiic qiic Ics gcns l'ont souvent vue s'aniusçr cn conipagnie du guntilliornriic:
Voiis Cics bcllc ct jcunc, \-ivmt cn toute conipagnie bico jo-ciiscn~cni; i l ri'! a riiil çn ccttc cour qui nc voie ln bonnc chCrc quc 5,ous faites ai gcntilliomnic dont vous avez soupço~: qiic fcra -iugcr ciincun quc. s'il a fait ccttc cnucprisc. cc n'a ité sans quclquc fhutc dc J.0h-t: coté. Et i .ouc lionnciir, qui jusqu'ici 1-ous a lait nllcr la tftc lc\.ic, sera mis crr Gispuic cil tous les lieux 13 oii
7 7 cctrc liistoirc sera rriconfcc.
On voit dans ces conseils que la société définit l'honneur de la femme par cc qlic
l'on \.oit ou dit d7e!le (s2 réputation) et qu'on ignore sa moralité. 1.a femme nz peut pzs se
défendre contre la parole masculine parce qu'on douterait autornatiquenimt de son
" Ibidem. p. 70 7 6 .Y
Ibidem, p. 70. "lbidciti, p. 70 71.
innocence. La princesse reconnaît que les arguments de sa dame d'honneur sont sagcs et
vrais: (( elle serait blâmée, vu la bonne et privée chère qu'elle avait toujours faite au
~rentilhomme dY Y
La dame d'honneur suggère à la princesse qu'elle devrait se contenter d'avoir été
capable de risister à un si bel homme: ... nie semble que vous devez cn votre coeur a-;oir
joie d'avoir lu que le plus beau et le plus honnéte gentilhomme que j'aie vu eri nia vie n'a
su, par amour ni par force, vous mettre hors du chemin de la vraie honnêteté. »" Ensuite,
dl- conseille à 13. princesse de s'humilier dcvant Dieu, cnr c'est la forcc c h i n e qui 1'2 n i d k
à résister et P présenrcr sa chasteté: (( ... reconnaître que ce n'a p3s étc par \*otre vertu. ii 90
Alors que d'autres ont succomb~ à la tentation charnelle: « Car maintes femmes, ayant
mené une vie plus austère que vous, ont ét4 humiliées par hommes moins dienes d'être
. , Y I I I q l u ; Elk va plus loin cn s u ~ ~ _ k r a ~ i t i la princesse dr nc plus 6suiit-r de::
propos d'amitié de peur qu'elle ne soit tentée par l'amour chzrncl « pource qu'il y en a
assez qui sont tornhces la seconde fois eus dansers q~i'elles ont évité la prcmière D" Et
l'amatir est trompeur: (( Ayez ménioire, iiiadame, quY.4moiir est aveugle; lequcl aveuyiit
de sorte quel où l'on pense le chemin est sûr, c'est l'licure qu'il est Ir plus glissant. !> S ?
L'amour hiirnain est imparfait et dangereux parce qu'il entraîne la concupiscence. Lucien
7s Ibidcrri. p. 7 1. 7 3 ibidcm, p. 7 1. YU Ibidcrn. p.7 1. a I lbidcni, p. 7 1. '' Ibidcm, p. 7 1. C 1 Ibidcm. p. 7 1.
Febvre souligne que l'amour est comme une maladie: G Quand elle fond sur vous, rien à
faire que de lui céder ... ». S 4
La princesse devra donc çardcr le silence pour éviter deux dangers: cc I'un de la
vaine gloire de la victoire que vous en avez eue, l'autre de prendre plaisir en ramentevant
[rappelant] choses qui sont si plaisantes a la chair que les plus cliastes oîit bien à faire à sc
garder d'en sentir quelques étincelles, encore qu'elles le fuient le plus qdelles pcuvent. D"
Le premier danger est l'orgueil qui est I'un des pires péchés chrétiens. L e deuxième
c( danser » signifie qu'on la soupqonne de tirer du p!aisir de lz violciicc. Cliolnkian
soulisne quc le désir finiiiiin est projeté comme une conséqueiice du viol." Alors, la
princesse doit s'éloigner du gentilhomme pour prouver sa chasteté morale:
Mais aussi. madame. afin qu'il nc pç~isc, par tel hasard, avoir fait chose qui lrous ait éié agrCablc. je suis bicn d'avis quc pcii i pcii vous voiis Iloiçnicz dc la bonne chkrc quc \ . o u â\m
arcoiitiinié dc lui Ciirc, afin quqil coiin;iisse de conibicn voiis df priscz SA folk ...
Cholakian note qiie.les arguments de la damc d'honneur sûnt un escrnple du
discours patriarcal où le silencc est un siçnc d'zliénation et de répression imposé à Is
femme par les hommes. Cottrcll arguniente que, pour le chrétien, le silence est uri signe de
la vérité divine. Il remarque le lien entre le silence et la chasteté dans l'II~p/cririL;r-oii
Lucien Fcbvrc. An~osr sacri.. amoirr profime nirtour de 1 Weplamhn, (Paris, Éditions Gnllirnnrd. 19-14), p. 274.
Marguerite dc Navarre, p. 7 1. '6 cholakian, p. 28. " Marguerite de Navarre. p. 7 1. s.Y Robcrt Cottrcll, <( Inmost Cravins: The Logic of Dcsire in the Hcptameron >) dans Crirical Tales: Jl'cii~ Stuclies ojrhe flrptarricro~r and Earlv Modern Ciriftrrc., (S. la dir. de) John D. Lyons et hhg. B. ?vlcECinlq, Pliiladclphie, University of Pennsylvannia Prcss. 1953). p. 13.
La dame d'honneur, qui attribue la victoire de la princesse au Seigneur lui rappelle
que sa chasteté est honorée du plus haut: (( Dieu vous donne gdce, madame, de continuer
17hontiSteté qu'il a mise cn votre cœur. n8' Elle soulhe la notion évangélique que tout bien
vient de Dieu (et non de la personne) et qu'elle doit continuer de faire son devoir moral de
srrvir et aimer: (( vous l'aimiez et serviez mieux que vous n'avez accoutumé. )?O
La i~istice est faite, le gentilhomme ne peut sortir que lorsque ses plaies auront
guéri et ensuite, il restera tourmenté par la cicatrice (( que I'amour et le dépit lui avaient
9 l fait 2 ~ 1 cccur. » La victoire de Iri princrssc de Flandres est soutenue par I'enibarrzs du
~cntiliiomme qui <( ... se retrouve devant sa glorieuse ennemie, ce ne fut sans rougir; et
lui, qui était le plus audacieux de toute la compagnie, fut si étonné que souvent, devant
elle, perdait toute contenance. N" La vertu de le princesse étant un obstacle impossible à
finnçliir, le g~iiiillicn:iiir g:de sa distance et dissimule scjn zniour: <( garcis cet ar.io:lr en
son c a u r avec la patience de 17éioi_onement qu'il avait mérité.
À ln fin de I'liistoirc, Ennasuite rivèlc par ses commentaires son admiration pour la
princesse de Flandres et sa dame d'lionneur: (( Voilà, mesdames, qui devrait donner grande
c r t i ~ t z à ceux qui présument ce qui ne leur appartient, et dùit bien augmenter le czur
[courage] aux dames, voyant la vertu de cette jeune princesse et le bon sens de sa dame
--
89 blrirgticritc dc Navarre, p. 7 1. 30 Ibidcrn, p. 71-72. 91 Ibidcm. p. 72. 92 Ibidcm, p. 72. g31bidcm, p. 72. 94 ibidem, p. 72.
contre la séduction masculine. Elle termine en leur disant que si jamais elles se trouvaient
dans la même situation que la princesse de Flandres, « le remède est jà donné. »,"elles
devraient suivre son esenipIe.
Mircan est indigné par la fuite dli gentilhomme; il déclare que le geritilhomme
n'auraii jamais dû partir avant de satisfaire son désir: « car, ayant une t e k occasion, ne
devait, ni pour vieille ni pour jeune, laisscr son entreprise. »" Febvre souligne qu7Hircan
représente la morde du guerrier ou le seul but est de vaiacreg7 Alors, toute action est
Ifçitinie pour conquérir la fkmme. il est à noter qu'Hircnn associe l'amour au désir sexuel:
(( Et Taut bien dire que son m u r n'était pas tout plein d'amour, lu que la crainte tir mort
ct de honte y trouva encore place. »" Pour prouver que son amour était ardent, il suggère
que le genrilhonime aurait dû posséder la princesse de Flandres a n'importe quel prix.
:'\lors, 1-Iircan rtkklc le danger r d de 13 si duct ion niascdinc contre la chastcté Rniininc.
C tioiakian cite Kupisz:
À cause de I'inabilité d'êtrc en accord avec le sens du terme honneur, il est ditficile
de diffirencier entre la siduction et le viol: « ïhe mriltiitrde nienttirrgs of hutm- crlso
bl~lrrcd ihe mentiirg of r n p . » l o O Pour l'hornnie, l'honneur est la hardiesse conquérante.
9 5 ~ b i d ~ m . p. 72. "Ibidem, p. 72. " Fcbv~c, p. 277. '%idem. p. 72-73. * Cholakian. p. 22. I Cr) Ibidem, p. 13.
la paro!e et la skduction, tandis que, pour la remme I'iionneiir est la passivit<, le silence et
la chastete. Il existe donc des difErcnces irriconciiiables entre Ies deux scstls.
On note aussi dans l'lfcpin~~iCr«~z differe~tes façons de définir l'hfroïmie. Pour
Dagoiicin et les devisantes, Ic IiCros idéal est un geritilhotiinie qui respecte I ' l io~neur des
femmes. Pour Eiircan et !es autres honiri~es, c'est un conquérant qui sait somriicni franchir
les défenses dcs knirnes.'"' Choiakian remarque qiilHircan rcdkfinit l'honneur de l'hoinriii:
sonilne relié à la violence jujqu'au meurtre. I-lircm s'eslzmc qu ' i la place du
. . * . ::entilhci:îr~it.. i l îur.:i! -,-;L:!:. 1:1 prii-ccsic: . 5 ' 1 6 . 1 q ! ; . , jc sic ticxlraic polir
IL?' déshoncrk si j c venais à fin tlc mon intcniion. P
La discussion se terinine par Géburon q u i suggère q d i l n'csr pas sur:)renant que 12
princesse dz Flandrcs n'ait pas étt; seduite: (( Ti*ouvcrcz-vous étrange qu'une pririccsse
1 o.; noiirrie cn t a i t Iicinncxr w i t diflÏci!c à prendre d'u7 c t u l hnrn:;le? ». 1.3 \.cii:i à'i!nr.
ansiocrare est apprise. II prépare le lecteur pour I'histoir-e qu'i! 1.2 riconter dans la
prochaine n ~ ~ i i - ~ l l e , celic di: 1;: bz:clièrc qiii échappc a dsus co;ddicr< conîupi~ccnis. II
précise q u e les devisants seront surpris qu'iine paysanne p i s s e échapper à deux honirncs.
Gébliron soulève et critique cciis qui jugent I'lionnciir et la vertu d'une personne pzr son
rang social au lieii de sa mora!itL i l suggère que la vertu morale d'une paysanne est égaic,
siiion siipfrieuie, à ceile d'ü:ie aristûcrarr: « toiit Ir. sc-ris et In venu des fcninits ii'esi
au ccmr et tste des princesses, ni toute
estime qu'ils soient. D'"
a~'2rr-e montre i hlarsiizrite de Y
'amour et finesse en ceux ou le plus souvent or,
ue la <( séduction D, telle que décrite par Iê_i
Cholakian soulèvc aussi Ic problème d u langzge et dc Ir création d 'un discours
féminin par rapport au discours masculin. Elle souligne h a b i l i t é des deus srses d'Arc en
accord avec le sens des tem-ies reliés a la sexualite, tels amour, amitié, ~ c r t u , Iion!ie~ir.
désir. viol et séduction. Le mot (( viol » nc parait jamais dans I'HeptciniCrot~, le séducteur
emploi la « Corcc f i pour satisfaire son désir charnel. L 'nomn~r r.e diFirencic pas e:iire la
séduction et le viol parce qu'il impose son disir masculin sur sa victiiiir.. Qiiant ii
l 'honneur, Cholakian sciilève la dilréicncc du ternie pour les dcas seses dnns
Les ricits de la rndetière et de la princessc de Flandies sont ccntrks sur la
skhct ion dc la fenmic pnr l'l~omrne. Dans I'F..qkrtr~t.?o~~. tcus lcs hornrnrs. swf Gd-luron
et Dagoucin, racontent des Iiistoircs qui dtimontrcnt corninent il est facilc de siduire Ics
fcrnmes qu'ils désirent, cn les poursuivant (( sagenient ct anèctionnérncrit 1) parce qu'ils
croient qu'elles ont le même desir. M a i s les deus Iiéroïries, la muletière et la princessc de
l:iandres, sont honorables et prouwit la fiiuss-té de sctte pmxpt ior i mîsculinc; cllcj
mettent en évidence des incorisisîenccs: « p p s ir, the nmascrrii~ie m r - m ~ i i r s of clesirc N. 1 iu
Cholakian croit que Marguerite de Navarrc crée un espace pour (( déconstruire »
163 Ibidem, p. L 3. !!l;I.oi .-
~ 1 ~ 3 7 . p. 191.
I'idéolo_nie derrière le désir niasculin. Selon elle, ces hisïoires reflèteni le point de \nue d'un
auteur féminin, pulsqu'elles traitent la skduction et le viol comme la même chose. I l faut
souligner qus Christine de Pizan fGt la mène c!iose d::ns L L ~ C'if2 (IL'S D~mics. E!le riéci-iî
le récit de Lucrèce (celui de Boccace) au point de vue f6n1inin et dénonce a\?cc
achai-nenicnt la perception masculine qui croir que ia Femme a lne Cir: i.io!ét.. i k i cocti-5:~
de l ' IAp~~it~L' i .oq Droiture er Christine cmpioicnt souvent le terrnc c \.id )) cians I.(i ('il2
~ i t ! S ~Imzes .
LLS rkits (1.;' Lucrice et dc 13 prirxciic de FinnJi-ci; soii l i i~cnl c;::'i:::c f:.ii q i i s ; :
LI prirnordialc, sa chasteté, cst perdue: inènie contrc son - r i . la fcitinie est dC~iionoré~.
Ces récits réident donc non sculenient I'iniportance milis la fragilité de l'honneur f h i n i n .
Et la fragilité réside dans le fait que la fernniz n'est pas responsable des critèrcs par
Iy.. - . ..iii-!i s:i venu icra jugCe: suri scxe. sn ~ C Z I ~ I C , s ; ~ jcuncssc. si. jnlllS'iiIlïc (son rire! CL
l'ouï-dire. incci?ables dc se.dCfendre contre Ics préjiigks dc leur milieii, Lucr5cc cl la
, - . princcssc dc Flmdrcs trouvent d'nuti-CS inoycns p u r conimuriqiicr In w - 1 : ~ d u et
prouver leur innocence: Lucrèce par son suicide et la princesse de Flandres par les
marques sur son violeur. Mais, à la ditTérence de Lucrèce, la priiicrsse dc Flandres ne ckde
pas aus menaces de son violeur alors, elle ne doit pzs moÿrir pour prouver sa chasteté.
ci12 11's pas été \.iolic. Elle doit qlia:id nitnic aussi p i ïds r le cileiic; ccvant uiic ~0ci1:ic ij!!i
l'accuserait d'avoir encouragé son propre viol par sa nature joyeuse. L'échec de son
violeur sauvegarde sa vertu non pas parce qu'il la laisse intacte mais parce que l u i -n ihe
est réduit au silence par la honte et la peur d'être déshonoré. II falit reconnaître que pour
une aristocrate, la perte dc son honneur (qui est en réalite sa réputation) est pire qtie 13
n m t . Lucrèce ne cède aux désirs de son violeur que Iorsqu'il menace dc dire
publiquenient qu'elle est adultère: elle est incapable dc se défendre contre Iâ parole
masculine. Une fois qu'elle déclare sa honte d'avoir perdu sa chasteté aux mains d'un
videur, elir n'a recours qu'à la niori pûiii. prouva son honneur et son innocexc.
Charlitre 3 - Vertu, foi chrétiznne et résistance: sainte Christine ct blaric HCroët
Les récits de sainte Christine et de hlsrie Méroët sont fondamentaux
conipléter l'analyse de la notion de la vertu ferninine dans Cil; des L)WICS e: d z n i
17H~p~rrnzi.roir. Ces deus htiroïnes, la sainte et la religieuse, font prcuvc d'une iiiir:ienx
vend spirituclle i travers leur f m w r , leur souffrance, leur patience et leur fernie
résistance. L'histoire de sainte Christine se trouve dans la troisième panir de Lei Ci16 rks
I2crr:ic~s GU Dnmc Jusiicr hit la narratiun de plusieurs l f~cr idrs 1 c vierges et de sairiics
riiartjres de I'cmpire romain tardif. Sainte Christine a été choiie pnrcc qii'elle est
ci';!i!lzïirs !a cnintc pa:ror.nz dc !'aiitcurc ct :.on :kii es: le pirs I S E - c!c I.n Cil2 (2:;
I l m ~ : ~ ~ s . h,!arçuc;iic de Xavarre, au contiaire de Christine dc l'izm, n'a pas de saifire
riiartyrc dans son muvre. J'ai donc choisi la plus vert~icuse des deux sedes re1igieusc.s de
m u t 17Heprom6ro>r: Marie 1-Iéroët .
G ï k e a Ica- inébranlable foi chrélienne, sainte Christine et Mx ic kIéroCt OR^ le
courage et la hrcc d'sndurer de cniellcs peines pour sauvegder leur chastctk ct Iwr
Iio~ncur: la preniit;rc pnr son insrtyre et la deusiénie par d'injustes pénitcnccs qui ln
niartvrisrnt. Snintc Christine refuse le silerice et la soumission à ses juges hostiles: sa
r6sistiincc est physique ainsi que spirituclle. Marie Héroët avec son humilitt;. son silence et
sa force, résiste aux avances sexuelles de son supérie~ir. Il est à notcr qiie les deus
~ )c r s~nn~cmniasc i i l~n . i . Urbain, le père de siiiiiic Christine et Ic p-ieiir dz Saint M x t i n . le
sup6rieur de hlarie 1-ICroët, au lieu de protéjer les hiroïnes, ils Ics iiicdpen: et lei
punissent cnielleriient. Mais la souffrance des héroïnes est dûment honorée et
reccmpensée: sainte Christine reçoit la gloire éternelle de Dieu tandis que Marie Fléroët
reçoit lc titre d'abbesse et la paix spirituelle.
Les deux narratrices, Justice et Christine, estiment sainte Christine pour sa urtu:
sn feniie piété, con courage et sa patience. Christine nous dévoile la raison pour lzqiielle Ic
récir dc s~iiitc Christine est si long dans sa prière à la sainte: <( car c'est par dévotion à ton
saint nom que j'en ai fait u n si long récit. »' On voit par ces mots que Cliristine l'admire et
lz glorifie. S:.inte Christirle résisx physiquenient et spirituelle men^ à la torture; elle refus:
d e renoncer i sa foi chrétienne. de perdre sa chasteté et de garder le silence. L'aide divine
lui dorme !c pou\.oir de fri i :~ des niirncles. d: punir ct de convertir Ics masses. Elle meur t
jo).euse parcc qiie le martyre lui accorde la gràce de Dieu
scsualité est I'élinicnt ciel'dc cettc construction ct que Ies reprCscntations médiévales des
sairitrs r é d c n t I'obsession niidiivale pour la viiçinit6.' Ceci n'est pas du tout surprenant
si on consiciire que d;i!:s Ic cliristiaiiismc, la fenirne qui irisamz le n10ilè1e absolu dc la
vritu Rniiniiic est la Vierge hlaric. L.a rcprésentation de la Vierge hlarie est importante
parce q~ i r la rnnjorite des snintçs l'imitent. Christine de Pizan reconnaît les venus de In
Viergchfaric. mais pour ei!e (coninie pour Dante), la virginité n'est pas priniordiale pour
On voit donc que tous les personnages féminins de ' a Citilé des Dmnes ne sont pas
des vieraes niais qu'elles sont toutes vertueuses. Dans cette troisicme partie, la v m c i
firnininc est jugée selon la loi divine, alors il n'est pas surprenant que cc soient les saintes
niartyres qui occuperont le premier plan de la cité. Elles habiteront dans les grands palais
ct les h u r e s tours parce qu'elles sont considérées plus nobles et vertucuses que les
femmes des deux premières parties de Ln Cif i des I h n e s : (( Elles sont couronnées au
llxr.dis ci leurs \vies. très belles à entendre, sont po~i!- tout2 femme plus édifinntcs qtic
nulle rutre doctrine. D' E! leur noblesse des t pas hiritée, elle est méritée par des preiives
V i ~ i g e Moi-ie. .A La fin dc h consinlctioii, c':si nü haut palais qui cst r< f i i t tout cnticr de
cloii-t: et de louange »'qu'ellc va habiter. Marie est non seuicment une source d'inspiration C
pour toutes !es citoyeiines de la nouvelle cité, niais son exemp!e dcfendrr! et protcgcra la
irertu riniinin- conirc ses assaillants: (( qui oserait au regard dc ta splciidsur penscr quc Ir:
sexe finiinin est vil! »%larie esprinir q u ' d e sera Four l'éternité la reine de toutes 1c.s
fcinmes ct que « cettc chose est voulue depuis toujours par Dieu le Père, prédestincc ct
ordoiinée par la Sainie Trinitf. N'
Le christianisiiic esige qu'on aime JCsus-Christ passioririément; l'amour spiri tucl et
Iô foi en Dieu sont essentiels pour rccevoir la grâce divine. Et Ic manyre est un des plus
ci-ands sigricç dc Ii foi cn Dieu. Tout nisrij.re imite la soufiznce du Christ sur la crois et .. . .
la r tdmpt i cm esi gar~iiti: z ceux qui le siibissent. La mort est une libera~ion di1 lien
mortel; elle est nêcessaire pour I'ascension vers Dieu. Justice souligne que le martyre rend
Ir fcrnrnr 17égde de l'homme étant don@ qii'ellc a la force ct le courage d'endurer les
cniriles peines inflige cs a son corps:
On vcrra q w Ditu ;i En.orisC dc sr? gr5cc IC scsc fimiriin li I'6çal dcs liornn~cs. piiicqu'il a dom2 ails t c~drcs ci f;lib;i=s jcuncs filics fûrce et C O I I S ~ X ~ ~ C pour subir d'iiûrribtes rnnrt>.rcs i la gloire d: sa s a i n t foi. Ellcs sont couronnccs au Paradis ct leurs vies, très bellcs zi cntcndre, sont pour toutc fcmrnc plus cdifiantcs quc riiillc aiitrc doctrinc."
Justice raconte ensuite plusieurs Ifgendes de martyres qui endiirent d ts toiirments
cstraordinaires pour la h i chri:ii.nnc;. Sainic Ctirisiine fiiit p n l c d'unc sirie de feninies
qui sont toriur&s par de méchants empereur.; et des tyrans païeris pour lerir refus d'zdorer
9 dc cornporiemcnt pour la frninie, le rCcit de sainte Cliristinc cst significarif pour
déterminer la notion dc la vertci féminine. Sainte Christine, comme Christine de Pizan,
refiisc de rester silenciwsc et de se soumetti-c à l'autorité des juges hostiles et
1Li t rxl i t ion littéraire du XVe siècle. Quilli-an remarque qu'aucune légende n'est aussi plus
;:Céq~inte pour repréacnter Irs problèmes de l'autorité fiminitic que l'histoire de sainte
Christine. 1 1
Sointc Christine est iiiisz en prison a Lige de douze ans par son père et torturée
pour infidélité filide et pour impiété. Dès le début dc son récit. on note l'importance
sainte Christine est e:ifcrnier dans unc tour avec douze demoisriles par son pkre Lrbain, lz
"bidcrn. p. 2-t 1. T Ciifford Gtxnz."Kdiijon", cil2 p;:r Sinion Gmnt. p. ISZ. '" Glcnda McLcod :ilid Katharina Wilson., <( A Clcrk In N:inic 0ii!y - A Clcrk In Al1 But Nanie )). p. 75. " ~ i i i l l i ~ n r . p. 214.
couverneur de Tyr qui le fait évidemment pour préserver la pureté et la chasteté de sa fille. C-
C'était tout a k i t normal qu'une fille fût entièrement sournisc à son père. niais Urbain
exige d'elle la niëme obGissance dans le domaine religieux. Tout son efibrt sera inutile,
Chnstinc aura la rkvélation de la foi chrétienne et donner2 son ceur à Jésus-Christ.
L'zdhésion diritienne était considérée cornine un sacrilège par !es païens ct la
pimitiori était sévére, la torture et la mort, courantes. En dépit de ces circonstanccs.
Cbrisriix coriiii;uc sn f'cniie croyance cn u n scu! Dieu. iniploranr de I i i i donner la force ct lc
csiiiagc de préserver sa foi contre les dangers qui la menacent: (( elle regardait les étoiles
i 1 , . corit:-c ses rnncniis. ; i ' - Ln peur de scs conipzçiit:~ rcb-cle les vrais dangers: les rcprcsaiiles
p.îreriialcs et sociaies: c( si on venait à I'apprctidre, elic les entrnîncrait dans sa pcnc. »''
Mais, sans p u r ni hésitation, sainte Christine repousse la religion païenne; clle accuse les
part i~ms d ' h e mcii~l2s par It: diablz qui les rciid incapables de voir la viiité divine.
Sainte Chriitinc ncus dévoile qu'elle est prète à s'autosacrifier pour sa fci
chrétic~iic lorsque son pke la confronte pow- la prcniikre fois: cl!e refuse de renoncer à sa
14 foi et clle dticlarc qu'clle « sacrifierait volontiers au Dieu du ciel n. Le p;ire, dkjà
prédisposé cûiiire sa fik et incapable de I'icouter, croit qii'clle parle de Jupiter. La piété
religieiisc de Christine est à noter: elle proiège sa purîté, elle :le laisse nienic pas soli p h
1' Pizari. p. 2%. 13 ibidcrn. p. 256. '"lbidcni, p. 256. l5 Wdcm, p. 256.
parce qu'elle <( ne s'était pas noume depuis trois jours. clG ~ l l z est charitable, elle brise en
morceaux les statues d'or et d'argent des iddes de son pbre pour !es donner aiis pauvres.
C'est à cause de ce dernier acte que son pkre se rcnd compte que sa fille n e croit pîs en les
Dicus pïer is et il <( la fouctta cruellement. N" Au lieu d e se plier à l'autorité parternelle,
sainte Christine ré sistc aux exigences de son père avec c n courage redoublé. Ellc amime
sa foi et critique I'idolàtr-ie de son père en lui déclarant qu'il n'criste qii 'un seul Dieu et
1 Y qu'clic (( préf2raiî niolirir plut6t que d'en ndcier iin auirc i ! . Cllc CS; cniellenicit punie
p û r son p5re: <; II la fit clla-er de chaines et 1s promena dzns la vilic en la flagellant, puis
reaction dcs grris dais le tcste. Eilc est deshonorie pour trois raisons: elle ddie l'autoriti:
dc son pkrc, elle ose critiqüer la religion pacnne et ellc osc ridhcrcr à une autre.
Clit-isiine rcf~isc de renier sa foi. Quand son pire se rend compte que '( ni Ics pri?res ni les
2 1 menxes nc la ditourneraient de sa foi P, i l recourt à !a torture: (( i l la fit riicttre à nu et
1 ' zttacher écarielér à quatre pieux, piiis ordonna à clouzc Iioniincs de In battre jusqu a
22 épuisenient de leurs forces. » 13endant le supplice, sainte Ch-istine ne se repentit pas. On
remarque que cette dernière agression contre son corps. justifiée par Urbain parce qii'il 12
c~ii:~idi.i-e szcr i l è~c , c ~ u s e la nipturc filiale: à partir Je cc moment sainte Cliristirie rie Ic
16 Ibidcni, p. 256. 1 7 Ibidcni, p. 257. '"idem. p. 257. '%idcni. p. 257. "' Ibidcrii. p.257. :I ibidtni, p.257. 7 - --l;~idmî, p. '57.
considère plus son père: (( Tyran que je ne salirais appeler pére - car tu es plutôt l'ennemi
de ma félicittr fi.'? Celui à qui appxtient son Zme devient son véritrible père: Dieu. Elle
s 'escla~ne qu'urbain peut l'affaiblir physiqiiement mais jamais n~oralmient: « Torture
hardiment la chair qur. tu as engendrée, puisquc cck tu peiis le faire; iiizis tu nc pourras
janisis attenter à mon âme qui appartient à mon Père céleste et que protège Kius-Christ,
3 .
mon Saiiveur. )Y* Désespéré et aveuglé psr la rage, ce père dénaturé rcfi:se d'accepter
fi!le, ct i l s'eri sert encore plus brutalment:
Ce:tc bnitalirE soiilit_nc la fcrnic risistancc et I:I pntience d I'hircine. A c-use de
soi1 martyre. preiivc sublime de sa foi clirétienne, Dieu sauve sair~te Cliiistice: (( II eut pitié
dc sa scn-arite et envoya son ange dhniire les ins!iiirncnts de turtiirc et rteindre le feu. »'"
Elle son de la roue indcniiic ct Dieu punit ceux qui se riijcuissaicni dc scs tournients et
blasp!iitnent: « i l fit périr mille félons mfcrfants »."
La riasiion d'l'rhnin soliligne son aizuyienicnt a la dikiiiiti c!irt.tien:ic: nu lieu dc
reconnaitre ininiidiatenicn: les ~i i rac les et le po~ivuir du Dieu ciiréiicn, i l accl;sc s a fille d c
sortilège: K Dis-moi, qui t 'a enseigné ces maléfices? »" Sainte Christine atti-ibiie toute sa
pzticnçe et sr! \.c-rtu i Dicü: ( c Tyrsn ssm pitié, n-, t ' i - j c par d5jh dit que x o n PCrc Jésiis-
'3~bidcm, p. 257. '-'~bidcrn, p. 257. "Ibidem. p. 257. ' 6 - IbIdcrii. p. 2.77- 7 - - Ibidem. p. 257. '%idcrn. p. 257 .
Christ m'a appris cette constance et cette haute vertu en la foi du Dieu vivant? »" Elle
explique à son père que la torture n'a auciin eRèt sur elfe parce que L'amour et la foi en
Dieu lui donnent le courage et 13 confiance nicessaires pour supporter tous Iss tourments
inflisés ë son corps: « Voilà pourquoi je n:e moque dc tous tes tournieiits, et comment je
triompherai, avec l'aide de Dieu, de tous les asszuts di1 Démon ».%cf lc souligne quc la foi
,Ir son en Dieu est plus forte que le pouvoir du diable, alors Lrbain ne pourra jamais afilaibl'
esprit ci que :nus les efforts de la recon~.crîir i II! fol pnïennc. srron: fiitilci..
Hors de soi, le père esssie de la tüe:: « pow se débarasse; d'elle, i l finit par la jeter
les flots. N" De plus, elle est baptisée par JZsus-Clirist qui (i lui doiina scn proprc nom,
l'appelant Christine »." Q~iilligan remarque que lc nom Christine prend l'ide~tification
rrénfïicj~ic du terme Cl~ri.v/ini,:~.r et, par Ir jeu de mois avec Ic noni cls sa sainte patrorinc, C
Cliris~iiie de Pizan tracsrorme 1Ytique:tc générique chrétienne cn terme sp6cifiquc. Elle
siig_nèrc quc le prénoni de Cliristinc de Pizan clci- imt ~ i n c nliGgorie de son autorité
II est aussi à remarquer qiic Jésus-Christ a Iz couronna et lui mit au Front une é to i !~
resp1ciii'~ssantt. avant dc h reiwiirc à terre. »" Dans le ctiristianisnie, l'étoi!:: symi>olisc Ic
-- -" Ibidcrii, p. 257-25s. 3n ibidcrii, p. 2%. j' Ibidem, p 258. 31 ihidem, p. 2%. 5 3 Ibidcrii, p. 25s. 3 -i QuilIigm. p. 2 17.
?5r,. .. i..Ln, p. 255.
ot~rliorizrd voice. )>:O Voyant qu'il n'arrivait pas à ses fins, Idion la fait pendre par ses
l o n g clieswx blonds. II est intéressmt de not t r qiit. poil: la prerniére fois dans cette
histoire, on voit des fcmrnes qui réagissent. « Les fernnies accoururent auprès d'elle ci
4 1 plcurèrent de pitié de voir torturer de la sorte une si tendre jouvencelle. N Elles
~rotestect contre la sauvagerie de la sentence du jvge ct (( voulurent toutes sc jeter sur
lui. »" Au lieu de rester silencieuses et passives, eilcs s'allient pour contester I'autoritk.
On se d m a n d c poiirquoi dits son! si choqiiees pnr unc sc6nc qxi semble rnoiiis cnicik
que les autres. Il n'y aucun doutc q~!c cette scène révile une viclcnce qui cible Ia sesualité
de ln icnlnii., s~irtout q ~ i ' a u moyen 5-e. In îhi\.e!~irç. st.~n«::t ~i -:le i tai t tilrii:dc, é::iiî
cor.sidCrée comme le pli15 imporiaiit zttriiit di1 corps f2miiiii:. I>i.~iiizrc souligiic la bnitaiitC
et le sadisnie masculins contre la femme. Ensuite, jusrice se moque du juge cn peignaiit Ic
portrait d'un homme qui niaiiqüc de couragc: il a peur que les ferî:nics réagissent contre
ltii et il libtire sainte Cliristine. On poiirraii aussi ci2duire que I'Ccri\ainc souligne Ir
pouvoir des feninies alliées contre ['autorité ni;isculine.
En commandant a ~ i diable dc sortir d'une idole, sainte C!ii istine fait un miracle
pour rivéler la force du pouvoir de Dieu et pour dé\.aloriscr la religion paicnne. Xwiiglé.
Idion croit que c'est un miraclz du dieü Jupiter: (( Tu as touchi notre dieu tout-puissant:
conirne il t'a prise en pitié, il est sorti pour se montrer à sa creaturc. »'13 Outrée parce que
Ic -;lige ce reconnait pas l'intcrvcniion dl\.ine, sainte Christine T . i t Lin dcu?:ii-r;ie m;raclc-
l'idole est rcdiiite en mic:tes ct plus de trcis r.~il!e personnes sc conw-tisscii~ a!
40 Quiliigan, p. 2 12. .: 1 Pimn. p. 255. J'~hidcm. p. 259. 2 1 ibidcn, p. 223.
christianisme: « tant pour les parolss de cette vierge que pour les niiracles faits en sa
falwr. »" Mais, conime Lr:beln! sainte Chrlstinc est incqable de faire convenir ldion qui,
épouvanté par ccs gens q u i se sont convertis et t o c m e n t e par sz pcur perd la raison et
Le troisiènie juge, Julicn, se vante de pouvoir obliger scinte Christine à adorer les
idoles. Ne pouvant pas faire bouger sainte Christine dc ['endroit ou elle &ait, il fait
coiistruirc un bûclier riiitcur d 'dlc ct le PJ;~ b r u l x i ~ n i l ~ i ~ t trois jo!.irs. Mnis ceci r.e
dCcoürage pas sainte Christine de Rirc des loiimges chrétierincs: « ... du brasier sonaicnt
4 < les rnclidies les pltii .:in\.r; i ? . E n i l ~ r c u i x fol;. C I I C si>rt indciiiric di1 fcu Pês snccirc
convaincu dc In iorçe di: la foi chi itierine, lu;ieli ii:it jetci- dcs ssri,si!rs \.c.iiiiiicu-; sur ta
sainte, mais ils toii:bent à ses pieds « la tPte bnissie cn signe d'honimâge. »"' Dcvsnt tant
de vertus, les serpents s'huiiiilient à ses pieds: « Je te i-snds grîccs, Seigncur Dicu Jésiis-
Chris:. qui 2s dzigné m r bénir de tex saintes veri~is? c:ir même ces horribles scq)cn!s
rccorinô;ssent t3 gloire en mai. »" Encore iinc fois, elle aitribue toiitc sa x r t u à Dieu.
Saintc Chrisiine f 5 t une autre rncnreillc, cette fois plus étonnante quc les actres:
elle réssuscite le gardien des serpents. Quilligan souligne qii'on voit bien que la sainte.
niéme souffrante. n'est pas nCccssaiiemcrit passive si on considc;~ le pouvoir de srinte
Christine de faire des niiracles et de convertir les rsns. Elle cunciiit que cc- poiivoir est
rcprCscnté cornmc iin pouvoir polliique.
4 Ii Julien « lui fit arracher les S ~ S », mais au lieu de sang, « ce fut du lait qui coula
de ses blessures. »" Il est à noter q~ic ce rnirzcle mive à toutcs Ics saintes de CicL: ik.3-
Dnrnes dont on mutile les seins. II f iut rcniarqucr qu'au XVe siccle, les seins étaient moins
érotisés qu'aujourd'hui. Ils symbolisaient plutôt la maternité, le rôle priniordisl de 12
t h m e dans la société du temps. Quilligan note que Christine de Pizan relie la maternité
avec la virciinité.'%n fait souvent allusion aux seins de ia Vierge Mark q ~ i i sont
rcprésexitts comnic de la noiirriiiire sacrée.
Pendant tolite la torture, sainte Christine répète le m m de Jésus-Christ, jurqii'à ce
prophétiser. Mais ccln ne I'empEche pas de <i parier niiws cju'nw-ir; en eEt:r, elk parktii
toujours plus clairemelit dcs choses divines en bbnis~ant le Seijneur, et le rcinercia de tous
ses bienfiits. >i5' Quilligan remarque que ce récit dc torture et de démembrcnient rcfiix de
sacrifier la vois au corps. qui adopte un silence vertueux ct pi-niet au corps en doitleiir dc
continuer à parler." Il est possible que le langage humain ccssc ct soit remplacé par le
larigage spirituel: c'est le silence divin. C'est à ce point-ci dans le récit que sainte Christine
entend la voix de Dieu qui l'appelle à lui:
Vicns. Cliïistinc. toi mn fil12 duc, n u fi:k bien-airnée: rcçois Iri pnlrne ct !a C O ~ ~ ~ O I ~ L '
CtcrrielIcs. Vicns rcca oir la réîornpcnsc dcs nian!-rcs qiic tu :is subis en g1orifi:ini mcn nom."
En entendant cette vois, Julien ordonne aux bourreaux de trancher à fond la langue
de sainte Cliris~irie pour 17enipéchcr dc parler à son Chrisi: « Ils lui tirirent a!ors la I q u e
et la colipèrent jusqu'à la racine, mais Christine craclia sa langue au visage du tyran et lui
creva un oeil. P ' ~ \ W à l'image de la voix qui refuse le silence, d'après Q~ii!ligar. c'est une
irnagc du pouvoir dc l'autorité fininine: In vois et I'autorilé de I'auteure:
Quilliçan ajoute que Christine de Pizan crée i l . : k i t qui l'autorise cn tant
qu'écri~aine et autoriie siniultménieiit i'Ccriturc de son livre /.cl Ci t t ! rks Eomds. Ellc
coup& rCvClr lc douloureux pris qu'unç kninie doit payer pour aivoir de I'autoritC
Jusqu'au moment oii on coupe la lan~wc de la sainte, le juge rchse de croire à ses
riiracles et ii ses paro!cs. Elle le force finalement % I'écoutcr ct lui rappelle que c'es! clic
qui l'a rendu ai,euglc:
Sainte Chrisiine &ocpie Ic destin du péclieur qui refuse de croire cn Dieu: In
daninsiion. Vais elle, eu coiitraire. par ses soulli.enccs et pz; sa foi, est resonipxaEe par
Die~i en recevant la griice d i v i ~ ~ e . Elle mcurt par driis fkches iiries par Dicu qu i « mirent
fin à son nisrtyre, l'une l'niiciynmt au coté, 17riu:rc au cuiur. N'"
55 Ibidcm, p. 26 1. 55 Quillignn, p. 2 19. 56 Ibidcm, p. 2 2 1. 5 1
Pieiri, p. 2G 1. 5 Y ibidem. p. 26 1 .
À la fin du récit, Christine fait une prière à sainte Christine ce qui démontre sa
vénération et son admiration pour la saintc. Christine I'appelle une « vie-e glorieuse N et
« une sainte martyre trioniphante )) parce que Dieu l'a jugée (( digne d'être élevic à la
sainteté )x5?hristine la supplie d'intercéder pour elle et de prier pour toutes les femmes.
El!e souligne que sa vie est un modèle à suivre: c que ta sainte vie nous soit sur cettc tcrre
un exemple, pour que toutes nous puissions un jour être reçues au Paradis! n6'
II n'y a aucun doutc q1-1'2 travers cettc priCrc % sainte Christine. Christine déi.cii!<:
son concept de la vertu spirituelle chez la femme. La résistance du corps et de l'esprit de
1: sainte ne représentent pas sculenient le pouvoir spiritue! nini3 a ü s i le poilvoir politiq!~~.
Quilliçan siiggère que Lc corps du martyre deïiciit k siie d ' ~ i n e contestation drwui iquc
entre les institurions qui déticnnent le pouvoir et l'individu. McLeod croit qiie le corps de
la femnie saintc, abusé ct battu, incarne la condiiion de son genre, que s2 résistance donne
I'exeniple pour la conduite f~minii ie .~ ' Cornnie la sainte, Christine de Pizan refuse 1c
siicnce et résistc aux acc~isations misogynes.
II est important de souligner les différerices dans la structure du tcstr aans cette
dernière partie. Les corps des saintes ne sont pas transmutés tniiaphoriquenient en dcs
éI6rnents allégoriques comme cliez les femmes précédentes: (( c~rrior~.$v re.sIsto~rt fo
n~~/fn/iorr, tiof o~z@ ir*;f/zin ~ h e niernphor of rhc ci(v. hui wi~hin the w r i o r r s vituc. tlirrt
CI~ri.siim r~ccrv;.~. x" On rernarcluc aussi que le rôle de Christine, la narratrice, change
énor-mi~ncnt d ~ n s cctte dernière partie où elle devient presque inexistante. -4 la différence
des deux premières parties, il n'y a pas de débat entre Christine et Justice; Christine parle
seulement d e u s fois, la première Jans sa prière a sainte Christine et la seconde dans sa
dernière lettre aux lecîriccs. La derniCie partie de Ltr Crii d u L;m)ies est u n long
nionoloçue de Justice dressant une liste de saintes martyres.
La scurce des saintes de Christine de Pizan est Vincent de Reau\.riis. Quilli, w n note
que i'écrivaine fait aussi l'écho de la dernière partie de la Di\vÏm CmrL '~ l i e de Daiitc, un
paradis peuplé par Ics s::ints et !a CitC [!LI Ijierr dc snirit Auçiisiin Quiili~aii ru2~L;rc q u ' e n
racontant les vies des saintes cûntre l'autorité de Bocczcc et de Vincent de Bearwais,
Chr i i l i :~~ dt: Pimn rend In t rois i i i~c partit' di: /.O CYiiL; c i C s DL~.~I ; . . s paralklc x r :estes
riiisoyyns de la prcniièrc pai-iie: Christine dc P i a n cuntinÿe c: rhc :v~r~Qic.sic;~t~;r! cf
nr,tl~ori~. s/te h~i.5. gii,.cir /IL'>. m c / o r ~ s N I ~/te f j i :v~ IWO .wctim.s. ))"j Elie révCIe scs
diflcierices ai-ec Bocczce (pour lequel la vertu d'unc païennc vaut moins que cc!k d'une
chrétienne) en combinant les païciincs et les chréiicnncs de De idicrihirr clmis. Qiilli~ari
ajoute que I'autriire réécrit la violencc contre Ic corps finlinin qui apparaît constaniment
dans Ic tcxic de Boccace sous I ' d du V O ~ C U ~ . ~ ~
II existe aussi piusieurs ditEreiiccs entre In sainte Christine dc \Ïncent dc Beauvais
et c d e de Christine de Pizan, par exemple, Quilligan constate que Christine de Pizan
supprime la présence de la rnère pour I'éloiçncr de la responsabilité de la toiture de sa fille
ct elle introd~iit Ic sexe féminin dans les vies dcs saintes.G5 Quilligan sou1Cs.e que Christine
de Pizaz : « pa-siric~~tIJ ~z.sci-&v~"-ri; /IL'/, I.CM:T~~LJS, ~ . e i ~ ~ t r ~ ~ l i / ~ i l ~ g l i : ~ s ~ T ~ c ~ J $ * ( ~ J Z I I I U ! C
"' Ibidcni, p. 192-193. 6-' Ibidcin. p. 196. ci 5 kidcm, p. 20 1.
66 gwcfer i ~ i o //le vilne. » Au contraire de la littérature courtoise, les histoires des saintes
permettent à la femme d'être le sujet au lieu d'objet d'admiration. Le rnartyrolo- est uil
genre qui rend Iéçitirncs les ricits de l'expérience fiminine."
Au contraire des degs premières parties de Lcr Cili CJCS D~7nlc.s OU Ie texte C S ~
séculier, la troisième a un discours religieux qui met l'accent sur la mortification de la
chair et I'autotranscendance. L'apparition du rnarryrdoge dans cette troisième partie iiiet
eii re!iefl'im;mriance de la vertu spirituclle Four Christine de h a n . L,: iiiartyre soidigne
que la souffrance du corps mène à l'amélioration de 1'lm.e. Les martyres siint véiifrées par
Justict: pour leur coiiritge et I w r püticnce d'enciürc-1- de terr ibles supplices pour p r f se rv~r
leiir foi chrdienne. Sainte Christine, coniniz Ics saintes msrtyres, est plus vcr-tueuse aux
yeux de Christine de Pizan que les hcroïncs des deux preinikres rcctions par sa venü
spirit~ielle: par sa dé\,otion à Dieu, qui cst tellement forte qu'ellc subit Ir martyre pour la
prt'server.
Sainte Christine refiisc de garder le silence: mfme avec la langue coupée, elle
continue à parler (grâce à l'aide divine). Elle attribue sa vertu et sa patience à Dieu. Soi1
martyre est honoré par Dieu qui lui donne lc pouvoir de sortir indemric. des toniires, de
fairz des miracles et de convertir les gens. Elle meurt avec félicité parce qu'clle rcçoit le
Salut conime rbcornpense de sa foi et dc ses souffrances.
M a r k HCroét, conirne sair:te Clirijtine, fut preuve de grandes vcrtus spiri;uî!les en
résistant à l'autorité abusivc de son supérieur concupiscent. Et les conséquences sont
graves, elle souffre des pénitences inhumaines pour sauvegarder son honneur et sa
chasteté. Marie Héroët trouve aussi la force et la patience pour préserver sa chasteté et
son honneur par sa foi. Comme sainte Christine, elle préfère la mort a la p u t e de sa
chasteté. Mais. au contraire de sainte Christine, Marie Héroët est réduite zu silence par
humilité, par obéissance et par patience. Comme les héroïnes précédentes qui sont forcées
de garder le silrncc. M a r k Héroët arrive aussi à communiquer la vérité de son son
tragique: elle Ic fait par le biais d'urie letirc. On rcnnrqiie que, coninie d m s Ic récit dc 12
princesse de Flafidres et d r sainte Christine, la justice est faite contre ce!ui qui menace !a
\,c:iii de 1'hf:oi:ia. Siais ai1 ccintrairc de Sainte Christine qiii re[;oit la g i t c divinc coriimc
rt:cornpensc dc son iiiartyr-e, Xlnric 1 IéruEr gagne l'estime dc la reine dc h \ ; , î ~ ~ i ~ e , ct celic-
ci riçonipeiise ses souffrances en lui conférant le titre d'abbessc.
II est à noter que cette histoire, comme cellc de la princesse de Fi;?ndrcs, est aussi
ilne nnri-rtion d'un fait récl: Marie Iifroët était la s e u r d'Antoine Hkro@t, auteur de la
I'nrfoicte . 1 ~ y c . IOUT-da remarque que Marguerite de Nsvarre <( n'aurait pas prètE a la
. 6X s a u r d 'un poite qu7ellc connaissait pareille aventure si celle-ci nz lui était pas a r r c c . >>
Le prieur de Scint-Martin était Etienne Le Gentil qui remplit ces fonctions de 1508 à
1536 Jourda note que Xlarçucritz de Navarre le connaissait. L'écrivaine fait une critiilue
sévère de I 7 hypocrisie des religieux dans llHepinr~lérori. Elle peint l'image d'une paiivre
brcbis poursuivie par un « loup » qui brîilz de la raye causée par Ic plaisir des sens.
Géburon raconte I'hijtoire de blaric IIiroCt la troisiènie journie; c'est la vingt-
deiixième nouvelle du tcxte. Le thème du jour est l'intention vertueuse de la femme et la
rnauv8ise intention de l'homme dans la relation amoureuse (que Mar~werite de Navarre
appelle (( amitié D): En la troisième joiirntie, on devise des dames qui en leur amitié n'ont
clicrchE n u k fin que l'honnêteté, et de l'hypocrisie et niéchanceté des religieux. »" Dans
ln discussion qui pr6cL;dc la nouvelle, Géburon révèle aux devisants qu'il va raconter
l'histoire d'un rcliçieus méchant. Mais avant de commencer, il souligne quelques principes
cliréticns contenus dans les psaumes 13 et 1 1 5 qui décrivent I'homme comme menteur et
incapable de faire du bien. La religion chretienne prêche l'état pccheur de l'être humain
qu i est f a i b ! ~ ct inipzrfait dcpÿis le péché original d'Adani. Géburon souligne que tout te
bicr. vient de Dieu et non de I'etre humain, alors il faut éviter l'orgueil qui est un péché
. . iruirlpcrr: c s i l n dii bisii. o!i le doir ai tr ihier à CeLii qui en e î t In source, et non i In
crcat~irc., i lsqüelle, par trop donricr de gloire et Cc louange, ou estiincr de soi quclqut:
chose dc bon, la piupan des personnzs sont trompt;cs. D'' Cette citation est a souligner
parce qu'clle esigc I'humi!ité du cliretien attribuani toute bonté et vertu niorale à Dieu. II
cst ,? noter que le portrait dc !*,larie Hcroet satisfait cc3 exigences. Géburon nous prépare
pour la transforniztioii choqiiante du priekir de Saint-Martin, pieus et ailstère, qui devient à
l'âge dc cinquante-cinq ans l 'un des pires hypocrites lorsqu'il subit I'org~ieil et la faiblesse
7 1 de la chair: « sous extrême austérité sait extrême concupiscence ». Mais celie qu'il désire
le plus, la saiir Marie Héroët, est par sa sagesse et sa vertu impossible à séduire.
Plai-ie tléroët rencontre le pricur pcur la preiiiièrr fois pendant sa confession à Gif.
On remarque que Ic prieur cst éi;iu par sa belle voix: (: la parole était si douce et a2rCahle
què!ie pronititnit ii, visage et Ic s e o r être Ic ninie. »?' il es; attira vers la seu: lfarie
c9 -. hlargucritc dc Navarre, p. 203. ",ibidem. p. 221. f l
-3
Ibidem. p. 224. -ibidzm. p. ?2j .
parce qu'il croit qu'elle est aussi belle que vertueuse: il subit une (( passion d'amour qui
passait toutes celles qu'il avait eues a u s autres religieuses )x7' Il devient esclave de sa
passiori et va essayer de se faire aimer de la sœur Marie. Sans le moindre sentiment de
culpabilité. il est conscient drs obstacles à franchir pour satisfaire son désir; d'un côté, son
àge et sa laideur, et de l'autre, la vertu et la sajesse de la scrur Marie: (( poiirce qu'il la
trouviiit sage en paroles, et d'un esprit si suhtil qu'il ne pouvait avoir grande
7: cspéiance. )) Sn vertu est sa piGié rr.!ijiease, la scrur Marie ne se laissera j:iniais tenter
par Ir désir sexii~l. Le prieur a donc recours à l'ablis de son autorité pour ({ la çajner par
Siais lo sci i r >,larie se di5zr.d liabilciiicnt contre toutes Ics déceptioris du pricur
Quand i l lève son voile et lui ordonnc de le regarder, clle ref~ise parce que le règlement
« I i i i ddéndai t de rcgarder dcs Iio~nmes. D ' ~ ~ ' É ~ l i s e conscillc au chrtltien d'éviter le
re-ard prtrce que c'e5t I ' d cliamcl qui attire l'être humain vers la beauté corporelle et ses
craves conséq~:cncrs. Elle le reçarde donc parce qu'il est son supSricur, (( crzignant faillir u
7 7 par désobéissance )). En le regardant par crainte, elle le trouve pliysiq~iernent répulsif
elle (( le trouva si laid qu'elle pensa fiire pius de pénitence que dc péché à le regarder. n7"
Il senibierait que la nialice du pécheur le rende encore plus répulsif aux yeux de la
rèliçieuse.
-. ' 'Ibidem, p. 225. 7 4 ibidcni, p. ??Go "~bidcm, p. 726. : 6 Ibidem, p. 236. 77 1 bidern, p.726. -9 Ibid:m, p. 226.
Encourasé par l'obéissance de la s e ü i Marie, le prêtre commence a lui faire des
K propos d'arnirié N et essaie de lui i c mettre la main au tétin. »" Mais elle le repousse
CourroucE, le prieur dcvient grossier et lui demande: c Faut-il qu'une religieuse sache
qu'elle aii des tétiiis? »'O Elle rétorque que oui, mais que G personne ne les touchera )x8'
Elle est maintenant tout a Fait consciente des mauvzises intentions du prieiir; elle lui laisse
savoir qu'elle n'est pas aussi naïve qu'il le croit: (( car je ne suis pas si jeunc et ignorante
que je n'entende bien ce qui est péché de ce qui ne l'est pas! »S2
La s e u r Marie rejette tous les propos d'arnitii. du prieiir, alors il fait appel à sa
coiiipassioii: (( ... j'ai une maladie que tous Ics rnidecins trouvmt incurable, sinon que je
nie rrijouissr et me joue aïcc qiie!que fcnisric q~cc j'ainie fort bien. »" i l admet qu'il nc
veut pas mourir du péché niortel, celui de la conciipiscencc, mais s'il reste chaste il
motirra: « j e sais que siniplc fornification n'est nullcnicnt à comparer à pichcr
d'lioniicide )? li vz trop loin en suggérant que: si cllc né I'aidc pas, c'est elle qui
dcviendra son véritrhle assassin. La sai:i- h4sric Ici deniandc de quel jeu i l s'agit. Il
interprcte cette question un pcir va9uc comme son conscnteinent ii jouer Ie jcu de la
conciipisccnce ct passe dirccteiiient à l'acte: (< la vint embrasser et essayer de la jeter sur
Y S un lit. »' .Au contraire dc ce qu'il espérait, elle réegit de toutes ses forces à son agression:
elie (( se défendit si bien dc pxolcs ct de bras qu'il n'eut pouvoir de touclier cp'à ses
habillcmcnts. »'%capabie de la violer, dans sa rage, il devient brutal:
79 Ibidcm, p. 226. sO1bidcm, p. 226. a! Ibidcni , p. 226.
p. 226. Ë3 Ibidcrn. p. 227. E .l ibidem, p. 227. S'lbidcrn, p. 227. Y 6 1hi.krn. p. 227 .
A l'hcurc, quand il kit toutes se5 immtions ct efforts être [ounits cn ricr., coninic un h o m i c fiiriciis. ct non sculcnicnt hors dc concic~icc. m i s dc rriison nari~rellc. Iiii mit I:I main sous 13
robe, c t tout cl: qu'il put toucher des onglcs fgr;itignrl c ~ i tcllc furcur quc In paiir-rc fillc. cn criair - - bicii fort. dc tout son h a i t tonibn a tcrrc. tout cv:inoi~ic. "
Cholakian note que cette attaque est decritc avec uii détail qu i contraste
radicalsrnent avec les tentatives de viol des autres nouvelles qiii sont dêcrites de faqon
beaiicoup moins
s'j d%:iour m'y coritraiiit. » Elle refuse de se laisser corrompre par I'ofFi-e d'être élue
(i nbbcrsc dc l'une des trois meilleures abbayes dc ce royamie. Cholakian supgére que
cette otfrr affirme la subjugation des comrnunautes tCniinines au désir niasculin." 1.2 s e u r
niicus nioiirir en clixtrr. perpctuelle que d'avoir janiaiç autre ami quc Ce!ui qui était niori
po~irrait dcnncr conire lui avoir tous les biens ».'%~lle le nimace clc tout riicontcr à
l'alilxsse s'il ne cesse pas de lui parlcr d'aniour cliariiel et (i qu'cn se taisant elle s'en
tairaii ) ) ,93
(GCburcn remarque qu'ii a peut être tué le confesset'r). Sûr d'avoir l'nantage, le prieur
rciauriic au nionastère dr. Gif iirni? de s2 lettre signilc par les deil\- faux témoins.
Librc dc térrioins, 1- pricur accuse la rcligicuse de manque de chasteté et
d'iionri@ieté: (( 12 dissirntilation que vous faites d'être tant chaste ne vous a de rien sei-vi,
car on connaît bien que vous êtes le cûiiiaire. j>'" Certaine de sa v e m , elle reste trancluillr.
I i? l ) ct, (/ d'un visage assiiré D, c ï i y d'a1lc.r cliercher son accusateur: (i faites-nini venir celui
1 0 1 qu i r:i~accuse. ci \ . ~ j ~ i ç \.i;rcz si & m i : nioi l i d~!xcurera en sa nizuvaise opiiiio:~. v Le
prieur nient et exige d ' z u t m p:eiii+es <( p::isqüe le confesseur a été coni.aincu ».'"-' Ln
1 i P . Z coi~sîienic, à laq~ielle j'ajouterûi hi )?. I I lui demaride sous peine de ptiché ntond de ilire
11!4 1;: vériré et, ci'avouer si elle a déjà « pcrdii c e r : ~ flcur N. Indignée, elle <( lui jura que non,
135 et q 3 ~ jan~ais n'v avait trouvt: enip2çlic1ni:nt qiic dc lui i). I I refuse de la croire et exige
d'elle la p r e w c la plus tmgiblc de sa virginité:
Il suzçcre qu'elk se n x t t c sur le l i t ei qu'elle se relève ses vèteinents jusqli'a~i
Vous m'aixz t m t Icnu dc propos de fo!lê amour que vous rnc portez, que j'cstirnc plutôt quc voiis ni< 1-ouIcz iitcr nia \.irginitt quc dc la .s.isitcr. Parquoi cntcndcz quc jamais je nc m'y
1 1 ; : corisc~li irai! D.
h l n i c sous 13 n;c:iace d'e:~cornmunication pour K refuser l'obédience de sainte
1 O8 religion » et cpie h i eilc nc consentait pas à ses exigences « il la dSshonorerîir en pleir.
chapitre et dirait le nia1 q i i 7 i l savnit d'eatre cllc et le confesseur N,"' la sœur hlarie refiisc
de cfder. Appuyée p2r sa confiance en Dieu, elle répond sans crainte:
trois i i . 1 1 ~ . to:ites les tciiiati\.cs on; éclioiié. Vairicu. Ic prietir a recours à son seiil pouvoir
sur elle: la àCsiionorer d tvnn t IL'S reGl~_ieiises: « ayant esamiric votre confesseur sur aucuns
crinie5 é hi inipn.îci, ri';: confcssC avoir ûbmé de w:re personne ail licii où les témoins
1 I I discnt I7a\.oir W. N II I'lirimilie et lui impose une pénitence csagcrte: <( j'ordonne quc
les sccurs pain et cïu. jusqv' i cc que l'on conn~isse votre contrition sufiisanrc d'avoir
çràce. »"' Pour rcrfiliner, el!c est jetee en chartre perpétuelle, défcndue de parler OLI
d'écrire i szs pareiits pendant trois ans. Elle irouvc la force et la patience l e subir ses
l C' Ibidcm. p. 330. IU bidrrn. p. 330. l cg 1tiidc:n. p. 330. " " ~ b i d m i ~ p. 230-23 1. ! I I Ibidcni, p. 23 1 . 1 ' 9 Ibidcm, g. 2: 1.
été sa résistance cor'tre le péché vouloir Ctrc sa patience coiitre sa tribukition. d l 3 clle
restera trois ans au lit sans b0ilgc.r.
M x i e I-iéroët brise ciifin son loiig silcncs par uiic lcttre qu'elie fzit passer à son
frtre qui révèle l 'horrex de sa niésavcnturc. Outrés par ce q~i'ellc apprcncf, la nîére \;2
voir la reine de Xavarrc à Paris pour se plaindre 6 - lz iiiCcltznccti et
vieux prieur: i< Je pensais avoir iiiis ma fille aux i àubour~s et clieniiii
1 ' < r:iix cn cc!iii d'~!~f:i.. ci:irc 12s ri::iIii:: de: pirei ciiai:!ej c;;ii ! puisscrii
1 1 5 Navarre, horiifike par le crime, dccide d.: « vsngzr I'innoccncc dc cetic pw, - re fillc ;> en
i c i ' i ! a f i [ [ij:!!c 1:; f ~ ; ~ : ; > ' . ' ~ : ? ~ ~ r . ~ <;ij ï ~ l ' , ~ t : ~ ~ ! ~ ~ ~ dLj r, , i .
L e ;,rieur d c kh i -Msr t i n est t-!?i!i~~!iC d ~ ~ . ; i ~ : . i 1c.s t ~ - i b t i n ~ ~ r s . Id:: sciic t)r;u[st: di3 s ~ n
comportement qu'il présente, c'est qu'il a soisnritc-dis 211s. Sans vrninxiit cn airoir
l'intention: il r&de sa ciilpahilité. et l'iciiocenîe de la s a u r Marie lorsqu'il oss SC plaindre
d r tous i. les p!aisirs qii'dle lui \,o:idrait jnniais faire. et pour r6cor:i;)snscr dc toiis scs
scrviccs et dc io~is ceLi?: qu'il avait désir de Itii faire, qii'il h i plUt de Ciire cesser cc p!-oc&.
ct qu'il confesserait que smir A h i e etait Lin- pcrlc d'lionnciir et de \.ir_iinitC, ))!If'
11: La rciiie est si Cionnie par ces propos qu'cllc (< nc siit que lui répondre )). La
description l inde dii pi ic~ir rCvC!e I'ii-!ia_oc. pitoyable d'un niisérable vieillard qu i meurt p i
après: « Ic pauvre Iioniine tout c m h s se retira en son monastère, oii il ne voulut plus être
11: 1 r - \-u dc 11c.rSOn17ib. C; ci: v P ~ ~ i t qii'un a!i q i r k S. ki lctorixse. 12 ?+?zrie F I 6 n ~ i 3
ll '~bidcrn, p. 23 l . 1 1 4 Ibidem, p. 233. 1 1 5 ibidcni. p. 233 . "?(i,idcrii. p. 753. 1 ! - Ibidcrn. p. 233. !]Y Ihidcn. p 233.
Il3 « ejiimée coirime elle devait par les venus que Dicu d\.ait mises en elle ». Elle dcviert
abbcsse cho rg ie de réformer l'zbbayr de Xlon!r?rgir et le prieur est e:n-cyé cn retrnite.
Cliiilzkinn suul2\rc que la Iiiérardiie iiabitciclie cst rcnvers2c: hlarie 1-lZro2t « bccoriws n
I L ? rclisieusc, qui est n:oralenient s2 s:ip&-icure. La dernière description de l k i e I-ICic>Ct
5L)L1ii2:;t: ] .;i;!i;~?r t-'[ 13 rgi C!l r > : ? ~ l C; ;~ .S: ,C~;I !~25 ic '1: ;2t! i ln~ C??:;T-~IC!:L'S C L i t 55k l iC i1 i 1:: l ~ l i i 3
en critiquaiii I'orpiieil d:i prieur dc Saint-Martin: « que Dicii par les clioscs f5iblcs corifond
Ics ibrtcs. ci par tes iiiuti!es ?LI: ~ C U S cies hommes la r l ~ i r z dc ccus qui cuidrnt Cti-c
174 q\.ic!qui: cliosc et nc. w n t rien. )) Géburm ajout(: q ~ i c « snns la ;ricc di. Dici! il ri'). a
honi inc oii l'cri doivc croir-e riui bieit. ni si forte tentation dont avec lui l'on crnportc
victoire: coniiiic vous pou\-cz \.air par la confusion de celui qii'on estimait jxjte. et par
12 5 l'exaltation de celle qii'il voulait fail-c trouver pcciiercsse ct niécliants. » Implicitertier-it.
i! suggkrr que les orçucilleus seront punis tnndis que Ics humbles seront glorifi2s: « Qui
s'exaltera sera humilié et, qui s'humiliera s e n evaltC. P""
La religion catholique exige i'hiiniilité et la c!izstcté (ii:ora!e et plipsiq~ic) tant dc
l'homme qiie de la fenimc. Néamoins, il est à remarquer qiie les règles sociales n'exigent
ces deus vertus que de la kmnie. Marguerite de Savarre n'accepte p2s cette iniqiiitc. Pour
I'iinportance de la vertu morale nais pour condamner I'orgucil ct 1'anio:ir chai-nel, sunoiit
Marguerite de Knvme de dire la vkrité du viol SC croise avec son idcolngic rcligicuse. 1:;
Le siimcc est brisé et le prieur dc Saint-Martin est puni pour scs innuvois rictcs. Cho!aki;:n
sc,:ileve que la fa~or l dont Ics personnages dr l ' H q ~ ! m ~ L j r ~ t ~ traitent 1- vio! pcrpéîré par iir;
clerc ct par un geiitilhomme est ciiffknte: chez Ie gcntilliorniiic la séduction ou Ic vio!
constitucni pi-esqu'un devoir destiné B a u p e n t c r sa glcirc, m i s c l m le prPtre c'es; u n
interdit dû au v e u de chasteté. On remarque que lcs gcntilhon~mcs qui essaymt de
d2shonorer les fernmcs ni. sont jzmais arr2tés ou punis, niais lorsque ce sont dcs clcrcs c p i
conniettent des crimes hesuels, ils sont soumis A d'horribles châtiments. D'nprtis
Saffredent et Sirnontaut qui encouragent les gentilhommes à posséder les fcmmcs conrrc
chrétiennes capitales: In dCvotion, la chasteté, I'huriiilitf, la pstiencc, Iri soiifYraiicc et
piiicii;, lsur h ~ n n c u r ci Icur ariioui- pour Diru. C'csr yricc ii Icur- hi c?xcii;.niic qu'ilics
trouvent In fcrce et Ic courage de résister à dc puniiions scvèrcs et briitaii.~. Süirite
Clirisiine refuse de renier sa foi, elle sari indeninc de la torture et refuse de garder le
silence f i i E m ~ avcc la l;in_~iic coupée. Dieu lui accorde aussi Ic pciivoir de faire des
rnirzclcs et de conveitir Ics aiitrcs a la hi chritienne. Par sa sagesse et sa vertu, Mr?riz
Ii2roi.t repocssc Ics avances airlsi que I'intiniidztion et les nises de son si!p;ric.iir. El!::
re~issir à échapper à la tcntativc de viol mais, au conirairc de saiiitr: Chrihtine qui parle. c ! ! ~
garde le silence p x Iiuniilité, par force et par obéissance. à son s~qkrieur. Sr! foi en Dieu l i i i
donne la patience d'endurer de cruelles punitioris: elle reste au lit !rois ans saris bouger.
Ii ps! h noter qu'au coniriiire dcs quati-c picniiCrcs k2n~iriei. dg:' ann lps~cs dm.; 12s
chapiirrs prériden:s, srinic Christins et Marie Hfior!, pr&;&s p2r ic \ d e de I ~ I
reliçion, peuvent se permettre de parler de leur situation saris avoir peur des représailles
socie!es: la première le fait par sa propre voix, et la deuxième divoile ta vérité par écri~.
Elks nt craignent p2s le déshonneur devant la sociité niais dc\.rint L h i i El!es attriSuent
leur honneur et leur veriu a Dicu, leur soufiiance éiant la preuve ultime de leur foi
chréticnrie. Comme tous les martyres qui émulent la soutTrance de Jésus-Christ. Dieu
récompense leur zgonic.: sainte Christine reçoit la Grâce et Marie Hfroet échappe i la
nion pour devenir abbesse et reçoit l 'honneur de Dieu r r le repos dc I'àirx.
Coriclirsion
Christine de Pizsn et Marguerite de Navarre déi'endcnt 17honncur et li! vertii de la
femme contre la tradition rnisogtie qui définit la fcmme par son sexe ct l 'accure d'erre
foncièremcnr méchante, vicieuse, sexuellemefit insatiable, en un mot; inc:.;inb?e d'ëtre
vertueuse. En lisant les deus œuvres, il est évident qiie la sociCti de I'Gpoqiie mettait en
dcs îcniines sont p3: n:iturc iertiieuses. L.a nat:ire rhiriiric se t io i i \ f~ d i~nc : rL;iiabi:iic.c p.ir
ces dcuv ccrivaines. Avec les csemples de Grisdidis, d c In riiiilctiire, c!t Luc:-?ce, de lz
priiiccsse de Flandres, dc sainte Christine et de Marie kI6roët, les écrivaines niontreni de
plus que la vsrtii est dcfinie par 12 nioralité et la spiritualité dc la fcniriie et r,on par s:i
classe socials. Les Iiéroïnes sont toiitcs obligées de faire face à d'énornies obstacles à lcur
vertu rii:iis elles réiissiscnt a les franchir. En dtipit di1 silencc qu 'ûn iniposc sur la femme,
!es héro'ines panienncnt a coniiiiiiniqiier la réalité de leur situation par la parolc ou par dcs
signes.
L'analyse du concept de la vertu a ct6 faite pzr la comparaison de trois iiiroïnes de
Lcr C'if2 12.i I : ) ~ ~ I ? ~ L Y dc Ciiristinc d c Pizriii avec trois de I ' l~~ ; t r r i rL :? - r ! : ! d~ >.iargui.ri;c dc
i -,, ,:i 1.2. Giisélidis ci la muletièrt.; Lucrèce ct la princesse dc Flaniii-cms; saints Chrisiine c i \- - .,-
Mark Héroëi. Cette analyse révèle plusieurs points communs ainsi que des diFErenccs
cntre la conception dc la !*eau féminine dans les deus euvres .
IAtude de Grisdidis et de la niulctière illustre qu'au contraire du concept de la
w:Iu iniposé par les préjugés des aistocrates, la vertu féminine n'est liée ni à la classe
sociale ni à la sexualité mais a la nioralité. Une femme de basse classe sociaie peut étre
donc aiissi vertueuse (ou plus) qu'une aristocrate. Grisélidis et la rnulctitire sont noblcs
d'esprit; e!les sont nioïalenicnt supiricurzs aux fcnines qui :ont sciiiblant d'erre
vcrturuscs pour des raisorts sociales.
Les portraits de Griséiiciis et de la rniilctiere soulèvent lc fzit que la \.ertu ftirnininc
6.1 - , . ,,t c;r>i:t:;;;cri: li<c rZ SOR d e w i r s~t'i,'.i ci r::ord. :\\,ant d 'Cm rn*iriCc. Gri.st;!idis est
~ - ~ L ' C L I S L . dc p a r sa pk té fllialc et son honnêteté (sa chasteté). Il est i noter que, au
contraire de Marçucritc de hravarre, Christine de Piznn considire la beauté physique de
Grisélidis conirnê une vzrtu, mais nettcnicnt secondaire à celle de la chasteté. Une fois
i:i?riec. I:i \ - m i d r Grid id i s est redCfinic p r ses ob!igtions rii;iriti.!cs: son Iiurni!itt. son
dé;.oiierr.cnt. sa fidélité. son ainoiir et son cbéissance 2 son niari Grisélidis acçcprc de bon
~ ; 2 sa so~:fiiai:cc ct :i.us::it t:iis dures épreuves qu'csiss son riinri d't.!!c peur pi-ciuifrr s3 b
vcrtu: aa fidéliti ci sa patience. 1-Iurnble et solimise, Grisélidis est fiCx-e de sa w r t i i qu'eilc
cons;<lii;c sa force, sa paricnce et son endurance.
U m s le ricit dc ia n)iiletière, I'honncur et la vefiu sont difinis par la chasteté, Yune
tic., vczii:. rli;t;~icxies Ics pliis irnpoiiani~s. L'~r.oriiic Iiéroïjiiie di. ln iiiuletiirs rc-<!oul)iz
sori honr-ieur: elle d&nd de toutes ses forces sa chasteté contre Lin violciir brutal. Les
vinyt-cinq blessures que 13. brute lui f2it constituent la douloureiise niais indéniable preuve
de sori innocence et de son chaste cœur. La muIétière attribue sccl vertil. sa force et sa
patiencc à Dieu, tandis que, Grisélidis se les autoattribue.
Grisélidis et la muletière sont vertueuses dû à lcur nioralité et à l e~r r s actims- elles
surmontent des obstacles infranchissabics pour prouver leur venii qui est ainsi accmc.
LCLU souffi-mce et leur patience sont admirées et r k o ~ n p e n s k s : Gris6:iclis est horiorée par
son entourage ct son niari, la ni~iicti2rc, par toutes les kninics et par Oieu qui lui accorde
la Gi-ice pour son niartyre.
L'mc!!,jc cfiillpirnii:.~ drs r2cii.i de Lucr~ce c: d c la y-incsw dc: I'lmdi-es
montre que l'honneur chez la fcinnic est d'une estrènic importance ct aussi d'une extrême
fragilite. Si une femme perd sn slinsteté, même à cause d'un viol QLI d'une fausse
accusation p o n k par un Iionirne, elle en est coiisidéréc moralement responsable et perd
sril honriciir- Pocr iinc aristocrate, In pcrtc dc I'iioiinc-~lr est pire q!iz 1;: mort polir des
niisons soci3les (1- déshonneur social signifie In perte de sa réputation) ainsi que iiioralcs
(le d&licr.!iciir di. Dici) Dans les d r u s n x n x s . i l est clair qiie In i.ii!ime de viol est
riduitc au silcncc puisqu'elle est incapable de se difendre contre la parole masculine ou Ics
préjugks dc sori milieu qui I'accuscrait d'avoir provoquti sa propre agression. On la jugc
donc pzr son comportement ou ce que Ics autres lui attribuent ati licu dc la juger par sa
. . . . I ~ : S I . ~ I I : ~ . LW roi, di:,!l~i~orC:, comnx L ~ c r k c , i l nr lui restt que I C s~iicidi: pour S ~ L I ~ + . C Ï
sgn Iioi~nc'iir c: prouver son iiinoccnce
-4 In diI?'L;rcnce de Lucrèce, la pnnccsse de Flandres est veuve et joyeuse, ellc
c'rl:a?pc à son violeur et ne doit donc pas niourir Elle doit qliand même garder It. silence
~ O L I I - saiweçnrder son honneur. Elie trouve pounant le moyen efiicace de coinmuniqucr In
réaliié de sa situation: par des blessures très évidentes sur le visage de son agresseur. Au
contnire dc Lucrkce, elle réussit a punir son violeur cn le réduisant au silence par la honte
et par la peur du déshoiineur social. II est pertinent de souligner que l'honneiir et lz
i ipa ts t ion di: l 'honme l'obligent d'être s6ducteur et que sa gloire dépend de !z conquCre
ciii scsc opposé. En d'autres mots, le dtishonneur d 'un sexe constitue l'iioniicur de l'autre.
L'échec du iediicteiir le déshonore niais augmente l'honneur de la femme. Les récits de
I .iiciïce c! cle In ~ Ï ~ R C ~ ? ~ S L ' <!c I:lan:I!-es noüs rév2iiit c l ~ e Ic \;io!. d1.i pcint c!c [~ic Jc IF!
fkrimc. cst un acte d e violence contre son corps et son honneur.
Les ricits dc: sainte Christine et dc hlaric IIéroët montrent que, dù sans doute à
l'iiifluencc du cliristianisîiie, les vertus spiriîiiclles sont bien plus importantes que les
ro!i\-cn~::crc soci?lcç. I.cs deus h t ! ~ ~ . l l i ? ~ n 'ont 1x5 peur dcs rncnll:cs ou des pr6jugi's
sociaux, elles ont cbnfiance en Dieu qui est le seul jiiçe de leur honneur. Sainie Christi
et 3 iar i i t ~ C ï c ~ i scnt \~rt:icuscs çrâcc à leur dé\*otioii, leur c l i a ~ t c t ~ , leur hor.r,car, lei!
patience. ieur souffrance et leur fernie résistance. L' Eglist: qui nict la virginité nu sorniiiet
des vertus chrétiennes, c h e ~ Christine de Pizan et Marguerite de Kavarre c'cst plutôt la
clinsteié qui est considérée comme vertu primorditile.
Lai iztc c : h r i s ~ i x csi i i r ~ I I I O ~ ~ ~ C d: \*c:tll [ ~ I E ~ ~ ~ c et d'injpir::tic)n ~cI;:I* L ~ ~ i t l : i Ii's - .. fcniiiirs d u k i r qu'elic illiistrc le pouvoir de la fci clirktienrie, de la patimct: et de la
risistance: elle résiste au pouvoir oppressif de son père et des institutions en reriisant de
rcocncer à la foi chreticnw, elle fait dcs mirac!cs. elle prend la parole et son indenine des
s~ipplices, le tout giàcc à l'aide divine. Par l'exemple dc sainte Christine, Christinc dc
Pizan encourage !a femme à s'exprimer et à s'alIier à d'autres femmes contre l'autorité
husi\-e: Ic juze Idion libère sainte Christine (au lieu de la 1aissc.r pendue ccmrne elle était
p.îr les clieveus) de peur de la réaction des fcmmes. La voix de sainte Christine refusant le
sileiice est une image très fom, comparé à l'habituelle iniagr dc la f m m e silencieuse,
e;ani dciinl; qüe Ic silence est une vertu fiminine. Christine dt: Pizan ressemble à sainte
Christine en ce qu'elle refiise de garder le siience et ose crïtiqiier la misogynie et la
i:ii:.r ciii;::ic p2i:r d ' k ~ d i - c l'honneur et la IVcrtl: de la fcni:i:e
Grîce a sa hl, I sa sagesse et i sa vertu. Marie Héroët rchse les insinuations, les
niscs ci les inti:iiidations dc son supérieur concupiscent: elle prifère la mort à la pcnc de
sa chastete. a l'aide de la foi chritienne, elle trouve la force polir Ccliappei* au viol et
F . ~ ~ : L ~ c I - CS p:i~ii~i~r..'r ini~!in;:ixs lil!t nc c d c jnriiais xi ilcsir dc snri priciir psi la pciir d u
dt%iic\nncur social ficc à iz faussr accusation d'ètre distwnnètc. Elle reste en sûreté de son
ir,::xc:iîc sc:cliant q w D i c i p:ntCgcra son honneur et sr! wriii mora!c I<t;diiitc au silence
imposé par son supérieur, Marie 1-ICroët parvient a révéler la réa!itG dc son sort tragiquc
par 1c biais t17uiie lettre. a la fin, sor; agonie cst ri.compens& par la pu~iition d e son
supéi iciir, par l'admiration de la rsine de Navarre qui la fait abbesse, et par l'honneur de
Pieu qui lui nss:ire l i . reps de ~ ' S T C .
La soiiiÏïaiice merie donc a la w r t u . Marie Héroët n'est pas maityre conimc l'est
sainte Christine, niais sa sou firance est comparable a celle de cette dernière: elle reste au
lit ssns boii-cr p a i r trois ans. Au contraire de sainte Christine qui ne cesse de parler et de
désobcir, Marie Heroët sarde le silence et accepte sa péniteixe par îorce, par humilité et
par obéissance à son supérieur. II est à noter qu'au contraire des autres IiAr cïnes
(Grisélidis, la miilctière, Lucrèce et In princesse dt. Flandrcs), sainte Christiw et h k - i e
ITiroet ne sont jamais afiiblies par des mcnaccs sociales ou physiques. Leur foi leur dit
que Icur cr leur honneur sont assurés par U k u . Les dcüs hC;o:nes attribuent leur
vertu e[ leui honneur à Dicri.
- . C!i:-:si:r:c. <!: P k i n ct 3lc.r~;iic:rite tic .\'ni-:!r-r.i: nyl:iirtic:;i icyî à <CS ci:i.ti.>:tcs socio-
historiques diÎErents, niais elles ont d-s rcsseiiiblanccs signilicntives lorsqu'elles analysent
le concept de la vertu fëminine, sans doute dues i I'inflccoct: du christiaiiisrnç et de
I'aniour courtois. Dis Ic début, on s'aperçoit qu'il y a pliisicurs rcsseniblanscs entre Ics
. . \:ci?ui i?io;n!cs et c:)iri!iie!lcs de Icw~. Ii:-oiiics. Cc5 f i . : ~ i i i i ~ j SC::! atllw-cc.; et riîp.rctE:~s
par 1c.s autres personnages des recits. ce qi~i 1-cllt::e c~rtaincrt~cnt I'2d~iliration dcs autcucs.
Cliriz:inc tic Piznn et Margucritc de ' i x i r r c coiidariincnt 17:.nioiir chmicl. la
sitliiîiion, le viol, l'infidélité conjugale ei i'orgiisil ElI-s critiqueni la theorie dc I'ainoiir
cowtois qui encourare I'hornrnc a être séduci~ur. Elles révèlcrit les d3n;crs dc I'ariiour et
de la passion en déniasquant la mse des honimes. Elles doutent dc la sinccrité dcs
i ~ i - ; ? t ~ ~ i . ~ [ i i ) ~ i ~ d ' ; i i l l ~ ~ f niarciill;ics. Ia'ar:wlir cn~irtnis considire qui: ~01:: 1 ' h ~ : î i r r - i ~ .
l'anio~ir est cornirie Ia gis r ie et In cliassc: la conquête que cc soit de I'eniieiiii, dc l'animal
ou de la femme, augrne~iie son Iionneiir. La femme ccnquise est dEslionoréc; celle qui se
refiisc est honcréc nnis déshonore l'homme.
Le mariage et I'aniour sont des rhènies dominants daris les deux euvres, lcs deux
écrivaines encouragent le respect, I'aniou: et la fidélite r6ciproqucs. Elles critiquent
sk i remen; I'hypocrisie des homrncs inariés qi:i se perniettcnt d'être adultcres alors qu'ils
exigent la plus stricte fidélitk de leurs femmes, mais clles encouragent toutefois la
soumission dc la fermie à son mari. Ellcs sodévcni 12 capiclté silpéricure dz la femme
pour i'anioiii- ci la dcvotion zinsi q w Iii question cic la reciproci~c dc d-voirs. Maryicr-iie
de Navarrc su~gk-e qus le ixariase peut être iiiic source libiratricc pour la rernnic.
rilais qlie ccs fininics « dcnnt:ir:es !> si,iit cn niinorité. El!es critiquent sévkreii1er.i les
n~isogpncs qui font des générsIisations abusives à l'égard de toutes les femmes. II est 5
011 perçoit dans les dcus cuvrcs une opposition dz sens des terriics reliis j. la
« kduction ». Christirx de Pizan et Mirgiierits dc Nzvarre suggèiriit que I'honime nc
Pizan et hfarguerite de Navarrc soulèvent le problZme de I'injii ste dualité de critères pour
juger l'hûnneur ct la vertil chez les deux sexes qui exigent des droits e: des dev-oirs
difErcnts de chacun. L'honneur de l'homme est défini par la gloire et la séduction
conquérante: la conquête de la femme à n7in?portc quel prix. .4ii contraire de I'honinie.
I'honneur féminin exige la stricte chasteté, le silence et la soumision.
L'ambiguïté de la naticn de la w r t u fininine est ur. zsptct sai!?i.r.t dc
l'h'tptimiro~r où on en trouve plusieurs delinitions sous ki furme d'une piuralité dc vois:
les dix dcvisants nous présentent div;.rses images de la Fkiimc: In n!Isogyne. la courtoise.
le n~c~p!:itor~istc c: 13 chrti:ien:.c. L'iriiilze ci:i:rioisï cst L - ~ E Y ; : r x i 1 0 ~ i 5 12.; !;C\~T.:I~<S. i
I'cxception de Daroucin et Ir. Gcburon: la ni isoç>x par Siiiurcdciit ct Simontaut qui
accusent la fcmnie dc manque de venu et (le n'ctrc qu 'me hypocrite; In niopl.toniste pili
Dagoucin, Ic porie-parole de I'ainour pla~onique et de l'idéalisation dc la vertu fkniinine; la
1 , - . . . C:~r<il!.?rlil:2 par oisille g!orific 1:l ~ l : 2 ~ ~ t : i i C t - fitld~I?i:?qi. i! y 2 1'2f.~:i31t:rlt~' q3!! CI!!^?!
I'iinage clirétienne et la nkoplatoniste en dtklarant qiic la bcaiitE rnorn!e ct I'nriioiir
spirituel rn5nent à Dieu. II est i noter q w la majorité des d w i s m t s :i?::sc~:lins de
I'Hplu~~lLjr-o~l considèrent que la feninic manque de L-cnu par nature. A la différence dc
1'Hcp~c~mé~-m~, Ln Cil6 des D~rrws traite sculcnient de feriimes vcrtuetices. Scs ht;roincs
sont ~iniverselles parce qii'ellcs appartiennent à ilne diversité S'époqiies ct de classes
socialîs: d ~ j F~nimrs contlirn,.ioraincs, bib!iq~ici, Itigcndzire,, i i i j i i!iql;~~, psic : , : :~ C!
chritiennes. Christine dc Pizan valorise les habilitCs ct lcs devoirs d c la femii~c ainsi que
ses contributions à la société en soulignant q~i'ils sont aussi importants que c:iis dc
l'homnic.
Clinstine de Pizan susgére que L e s t la cündition sociak, et non la natiire féminine,
qui rend la femrnc inférieure à l'homiiie. Elle c r k une nouvellc définition de la nature et de
la l w t u finiininc:: 12 femme est n-tiircllement bonne, sage, intelligente ei wnueuse . Elle
sus-ère quc la vertu féminine est comparab!e a la vertu massuiine: In femme est
mcralcaient et intelIectuel!enient égale à I 'licmrn~. Elir rnûntre que par le bizis de
l'instmction, In fernrnc pciit d c w i r égale, -inon supirieure, a I%oniiiic dans tous les
domaines desquels elle est exclüe, tels que les sciences, le goin-ernenient et la glierrs. On
. . n ~ ~ i c ql-;c c!z[;.; i:: ~ T C ~ I ~ : . ? F C p 3 ~ i i 2 dt8 ci!>' l:t~-\' / . ? ~ - l , i : ~ - ~ ' . x : l :3~2 2 t l i . i b : l~ i! 12 f i k ~ ; l ; l l : ~ dt:
veri~is qil'on accorde d'li.îbirudc a I'hornrne, coriimc i a force physique, la bravoure.
17iiitclligencc, la sagesse, I ' hon~cur et le bon sens Dans la deuxième parlie, Droiture lui
attribue des \.eriiis niorales telles que In fidélité, 17amoiir, la charité, In piété filiale, Iri
I .. a . . c ~ ; ~ s ~ a : , r ~ . 13 ci125: L)!L>. 1 i ~ \ ~ [ ! : l ! : : C, Il? 1\21 ier:cf: et I 'L~! )~~~:~S: I I - IC~: . Tl? 3.; 1:; ~ ! ~ r ~ i k 2 1 ~ 2 . 2 i ~ ,
Jusricc lui attribiie les \-ci-tüs spirit~ielles qui soat les plus horiories, telles qiic !r clCi-otion
chrétienne, 1:: vi-initC1 1,; ciiasl:ié, Ic ci!cncc. 12 corist?,r:cc, !:i sûuftirinct:, In risistsncc ci
1-aurosacrifice.
?i la diXGrence d e Christine de Pizan, hlarcyeri te dr Navarre subit I'infl~icnce du
nfoplatoiiisme. tel que defini par Varsile Ficin. Pendant la Renaissznîe, la tradltior:
coiir:uise ei lc n&~pln:oiiis!iic SC coiiik~in~iit F O i l f d t i - ~ ~ r i i i r x i;?:portanic infliicriw cii
!irtérnturc. hfai-giicrite c k Kavan-c zssocic cette inlliiencc à cclle dii mysticisriie. Donc, il
n'est pas suriiscniint qu'on rernnrque aussi dcs difti;rences entre les deus écrivaines vis-à-
\.is leur notion de ia vertu, de l'amour et dc la beaute. Marguerite de Navarre conibine le
néoplatonisme avec I'evangélisnie pour ainsi crtier une iiouvelle définition de 13 venu ct de
l'amour. C'est un amour platonique qui a pour base la vertii et la sincérité, c'est à dire
I'arnorir détaché de tout lien cliamel. L'aniour est un sentiment louable, psrhis hérotqw,
qui peut conduire a la vertu. 1! est donc une source de vertu. Marguerite de Navarre
zssocie la vertii (fininine et mssculine) à I'arnour de Dieu püisquc I'ernour est un !:IO! i n
de progresser vers Lui. L'aniour humain est iniparfait et inkrieui- à I'arnoiir spiriiüei, niais
i l est nécessaire p m r progresser vers I'aniour divin. On est attiré p i la beauté di. la
pcrjcr::lc. mai: p u r X!:;rguer-lie dc ii:i\:arrc. ce!k bc.ei.*!i n'cst ~ 1 s çorpL)re!!e i?!?is r:ioi.!i~
Elic définit la vcrtii ei la beauté fiminines par les qualités de I'ârne: l'aniour, la chssteti., la
fidélité, la dévotion, la piété et la foi. Cette conception de la beaiit6 et de l'amour est tout
à fait inconnue cliez Cl-iristinc dc Pizan.
non sculcment parce qu'elles étaient énidites mais aussi parcc qu'elles ont éîiit et elles ont
dckndii 1s vertu leminini: défirint le statu quo dc lcur i-poque, é ; q w où la cçnsiire soci:i!e
était estrCnic: s'esprinier et se faire piiblier signifiait risquer sa réputation et sa place dans
la société. En prenant la parole, les de~iir écrivaines SC sont ai'firniécs et ont donne 3us
autres femmes le courage de s'exprimer. La découverte de la réalité de la vie de la f cnme
allait cr ier iine nou-,.cl!c C O I I S S ~ C ; I C ~ : fiminirie. 1,'Cîriturc a 1'irni:iciise pouvoir de c r k . unc
nouvelle conscicncc de soi-nicine, da cliaiijcr les nimirs et la condition des êtrcs humailis.
Ainsi, Christine de Pizan et Marguerite de Navarre n'auraient-elles pas contribué à
améliorer le sort de la femme occidentalc?
CEiiw-cs de Christine de Piznn: ----
Pizan, Christine d e Le L i i w des frais i!er./i/.s, intro. et notes par Charity Cannon V~'illard? Faris, Editions Chm-npiori, 1989, 251 p.
Pizan, Christine de. Lrr Cite des Brrr>ier, traduction et intro. par Éric Hicks ct Thêr&e Moreau, Pans, Éditions Stock' 1996 [91986]. 291 p.
Pizan, Christine de. 0ezi~wspoé1iq~ie.s dc Cljzrislim ~k I ' i . w i , intro. par Maurice Roy, Paris. Librairie de Firniin Didot et Cie, Tome Deusitinie, 1385, 3 18 p.
Pizen. Christine d e Oerl i~~*e.~~ioétiqrr~s th7 C'lirisri~w F'iwtr. intro par k fa~~r i cc Roy. Paris, Librzirie de Firmin Didot et Cir, Tome Troisième, 1 SSS, 3 17 p.
hlar-giicrite d'Angodêrne, diichessr d':\lecço:i, reine de Navarre. 1.0 Coche, i1:tro. par R ~ b e r i Xfarichal, Gcnkve, Librairie Droz, 197 1, 254 p.
RIargueri!~ d ' .Angoirléme, duclicsse d'-Alençori, reine de Navarre. 1.c. d~fii.oir (Ic. I ' ~ I I I L J
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