Tantrisrne - Doctrine, pratique, art, rituel. (pdf)

347

Click here to load reader

Transcript of Tantrisrne - Doctrine, pratique, art, rituel. (pdf)

~Biographies-Religions:
Chawla, Navin (texte) & Rai, Raghu (photographies): Mère Teresa. Foi et compassion, Mareuil, Arnaud de : Lanza del Vasto. Sa vie, son œuvre, son message.
~Mythologies : Gravelaine, Joëlle de : La Déesse sauvage. Les divinités féminines ...
~ Psycho-épa11011isseme11t: Anstet-Dangles, Jean-Yves: Les Mots de la vie. Boorstein, Sylvia : La Vision boud­ dhiste du bonhew: Borg-Hoffmeister, Béatrice : Nos cinq sourires cardinazcc Cameron, Julia: Libérez votre créati­ vité. Osez dire oui à la vie! Cameron, Julia : La Veine d'01: Exploitez votre richesse intérieure. Parfitt, Will : Comment abattre nos murs intérieurs.
Raquin, Bernard : Rire pour vivre. Saint Girons, Benoît : L 'Alchimie du Succès.
Wilde. Stuart : Demain sera un jour meilleur!
~Santé:
Hark, Helmut : La Force de guérison de ! 'Arbre de vie.
Laskow, Leonard (Dr) : L 'Amow; énergie subtile de la guérison. Stévanovitch, Vlady : La Voie de l'énergie.
~Sociétés:
Muller, Jean-Marie & Refalo, Alain : Vers une culture de non-violence.
~Spiritualités : Chodron, Thubten : Cœur ouvert, es­ prit claiJ: La pratique du bouddhisme tibétain au quotidien. Feuga, Pierre : Tantrisme. Doctrine, pratique, art, rituel ... Finley, Mitch : Messages d'amour de l'au-delà. Inaram Catherine Dans les tr;ces ;le Gandhi. La force de la 11011-
violence. Rutledge, Don & Robinson, Rita : Le Chant de la Terre. La spiritualité des Amérindiens. Vincent, Ken R. : Visions divines lors d'états proches de la mort.
~ Symbolisme : Arnold, Roland : Le Temple de /'âme. Arnold, Roland : La Symbolique des maladies. Barbault, André : Pré,·isions astro­ logiques pour le nouveau mi!lénair~. Berno, Simone : Tarot et psychologie des profondeurs. Bourre, Jean-Paul : Le Message des prophètes. Gabut, Jean-Jacques La /vfagie traditionnelle. Louvigny, Philippe de : Les Nombres. reflet de/ 'âme, clé du devenil:
~ Traditions : Bancourt, Pascal : Le Li\Te deç morts égyptien. Lachaud, René : Magie et initiation en Égypte pharaonique. Lepont, Bertrand : Le Calendrier sacré des Mayas.
Tantrisme Doctrine, pratique,
- Cent douze méditations tantriques: le Vijnana-Bhairava, traduction du sanskrit et commentaire, Éditions Accarias - L'Originel, 1988, rééd 1996, 2007.
- Cinq visages de la Déesse : le souffle, le rêve, l'amow~ la mort, l'initiation selon le tantrisme hindou, Éditions Le Mail / Le Rocher
' 1989.
- Liber de Catulle traduction du latin et commentaire, La Différence ' ' collection « Orphée », 1989.
- Les Tronhées José-Maria de Heredia, choix et présentation r' ' '
La Différence, collection« Orphée», 1990.
- Le Bonheur est de ce monde, Éditions Accarias - L'Originel, 1990.
- Satires, Juvénal, traduction du latin et commentaire, La Différence, collection « Orphée », 1992.
- L 'Art de la concentration, Albin Michel, collection « Espaces libres » n°32, 1992, rééd 2000.
- Le Yoga (en collaboration avec Tara Michaël), PUF, collection « Que sais-je ? », n°643, 1998, rééd 2003.
- Comme un cercle de feuJ traduction du sanskrit et commentaire de la Mândûkya-upanishad et des Kârikâ de Gaudapâda, Éditions Accarias - L'Origine1, 2004.
- Pour !'Éveil, Almora, 2005.
- Le Miroir du Vent, roman, Almora, 2008.
- Fragments tantriques, recueil posthume de chroniques, d'entretiens et d'articles, Almora, 201 O.
Pierre Feuga
Quatrième édition
·f~J ••• . '/
L'auteur: Pierre Feuga (1942-2008) est né au sein d'une
famille de voyageurs et d'artistes. Enfant, il se passionne pour les mythologies et les civilisations antiques, il a d'ailleurs publié des traductions de poètes latins. À l 'École des langues orientales - où il étudie le russe - il découvre la pensée de l'In-
de qui ne cessera de l'inspirer. Il pratique le hatha-yoga, apprend auprès de Jean Klein, l'art védantique de« discerner le Spectateur du spectacle », explore les traditions ésotériques selon l'enseignement de René Guénon et Julius Evola. Mais éprouvant le besoin de confronter sa recherche intérieur avec la vie, il part pour un voyage de sept ans en bateau autour du monde.
À partir de 1981 et jusqu'à son décès, il enseigne le yoga à Paris.
La voie du tantrisme s'est révélée à lui progressivement, à travers plusieurs expériences qu'il a évoquées dans son auto­ biographie : Le Chemin des flammes. Depuis, il s'est efforcé d'être un interprète enthousiaste et lucide de cette doctrine, en évitant les deux pièges de la spécialisation et de la vulgarisation. « Réduire le tantrisme à la sexualité, disait-il, est une aberration. C'est une voie immense, totale, illimitée. Elle embrasse la vie, la mort et conjugue 1 'amour, la connaissance et l'action. Elle est spirituelle et merveilleusement concrète, scientifique et poétique exigeante et pleine d'humour. L'Océan cesse de faire peur quand 0~ comprend qu'on est soi-même l'Océan ».
ISBN : 978-2-7033-0852-2
©Éditions Dangles 1 rc édition 1994, 2c édition 201 O Une marque du groupe éditorial Pl/<.TOs
Z.I. de Bogues - me Gutenberg - 31750 Escalquens
www.piktos.fr
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.
A la plus belle des trois mondes
Introduction
Parmi les diverses traditions qui nous sont venues de l'Orient depuis un siècle ou un siècle et demi, aucune ne reste plus mal connue, ni surtout plus mal comprise, que le tantrisme. A cette igno­ rance, aggravée chez certains d'hostilité, on peut chercher quelques explications. Tout d'abord les indianistes occidentaux - rejoignant d'ailleurs en cela les répugnances de nombreux pandits et brah­ manes - ont longtemps négligé l'étude de la littérature tantrique. Lors même qu'ils n'en étaient pas éloignés par des préjugés puritains, ils ne savaient voir dans ces textes ésotériques, dont la clé leur échap­ pait, qu'un fatras de recettes magiques, dénué de cette haute spiri­ tualité qui rayonne dans les Upanishads ou la Bhagavad-gîtâ. Au «matérialisme» triomphant de l'Occident, il était de bon ton d' oppo­ ser le «spiritualisme» de l' «Inde éternelle», le «mysticisme» quasi chrétien de la bhakti, la «pure métaphysique» du Vedânta.
Le tantrisme, avec son insistance sur les moyens pratiques de la «Libération», avec son exaltation du corps, et qui plus est du sexe, avec son mépris de la morale ordinaire et son anticonformisme social, paraissait un élément baroque dans le majestueux ensemble de la tradition brahmanique, une espèce de corps étranger, de scan­ daleuse excroissance que l'on était tenté de rapporter à un substrat «non aryen»,« prévédique ».La question n'est pas tranchée et 1isque de ne jamais l'être.
Que le tantrisme (ou plutôt le shâktisme) s'apparente à de nom­ breux cultes naturalistes et gynécocratiques d'Asie, d'Afrique ou du Bassin méditerranéen antique, cela n'est guère contestable. Mais on pourrait soutenir sans forcer les textes que plusieurs des thèmes essentiels des Tantras - activation de la« chaleur ascétique», pléni­ tude sensorielle et vitale, importance du son incantatoire - se trou­ vent déjà dans le Veda. c'est-à-dire dans une révélation apportée en Inde par des envahisseurs venus du nord et qu'une mode récente - à rebours de 1' ancienne qui les glorifiait pour des raisons parfois sus­ pectes - a tendance à dénigrer trop systématiquement.
10 TANTRISME : DOCTRINE, PRATIQUE, ART, RITUEL
Depuis les années soixante et surtout soixante-dix, le tantrisme a capté l'attention du grand public - cette expression devant être rela­ tivisée - pour une double raison. De manière générale, on doit recon­ naître qu'il existe une véritable obsession de l' «énergie» à notre époque : or le tantrisme est par excellence la doctrine de l'énergie (éclairée par la conscience, ce que l'on oublie trop). De façon plus particulière, la« libération sexuelle» de 1' Occident - si illusoire et pitoyable qu'elle reste souvent dans les faits - a favorisé un attrait pour des enseignements où l'érotisme fut toujours utilisé dans un but initiatique et non profane : ainsi le tantrisme mais aussi le taoïsme et demain peut-être Dieu sait quel autre « isme » que l'on décou­ vrira ou redécouvrira. Ouvrages plus ou moins sérieux ou racoleurs se sont donc mis à fleurir sur le sujet, dispensant de mirobolantes recettes d'extase amoureuse à des lecteurs en mal de sensations exo­ tiques. Mais, même dans le cas où l'on peut accorder foi ~ux infor­ mations données, il est essentiel de rappeler que ces techmques sont d'une portée limitée, et de plus dangereuses, dès qu'on les extrait de leur contexte sacré et qu'on les détourne vers une simple recherche de «plaisir». En réalité d'ailleurs, bien rares les hommes et les femmes qui seraient capables de les appliquer effectivement, tant elles exigent de maîtrise corporelle et de maturité psychique. Pour la plupart, la référence au tantrisme demeure d'ordre livresque, fan­ tasmatique, lorsqu'elle ne sert pas d'alibi à des expériences assez troubles ou à une banale volonté de puissance.
Si de telles confusions ou mystifications sont devenues possibles et ne. donnent hélas ! aucun signe de déclin, c'est aussi parce que le tantnsme, même quand on 1 'aborde avec honnêteté et sincérité, reste malaisément saisissable et qu'il n'est que trop facile de jouer sur ses «marges», sur ses parts, d'ailleurs prévues et voulues, d'ombre et d'ambiguïté. A quoi bon le définir, au demeurant, si l'on n'est pas décidé à le vivre sous la direction d'un véritable maître - et ce maître où et comment le trouver? Quoique son ritualisme soit fort déve~ loppé, ce n'est pas une religion : le dogme lui fait défaut et sa morale trop élitiste et paradoxale, ne saurait s'imposer à la masse de~ hommes. Ce n'est pas non plus une philosophie, même si l'on trouve son ,,esprit ~êlé à certains des systèmes métaphysiques les plus éla­ bores qu'ait produits l'Inde (shivaïsme du Cachemire, bouddhisme Mahâyâna). Enfin, bien qu'il ait imprégné toutes les sciences que nous appellerions chez nous «occultes» (astrologie, alchimie, magie etc.), on ne peut le réduire à aucune d'entre elles. Il les débord~ toutes et nul aspect de la vie ne lui a paru indigne de son attention.
Plus encore qu'une discipline spécifique, le tantrisme apparaît donc comme une dimension intérieure de l 'indianité, un dynamisme constant, à la fois manifeste et secret (ce qui est sa grande force), per-
INTRODUCTION 11
ceptible partout et cependant caché, tel un cœur vibrant. C'est pour­ quoi le problème de son «orthodoxie» semble aujourd'hui assez académique. Vishnuisme, shivaïsme, yoga, bhakti, voire Vedânta, ont été si longuement provoqués puis colorés par le tantrisme qu'on n'imagine plus ce que seraient de tels enseignements sans lui. Même des courants «hétérodoxes» du strict point de vue brahmanique - comme le jaïnisme et surtout le bouddhisme - ont été puissamment marqués ou réorientés par l'esprit des Tantras. Cet esprit fulgure à l'évidence dans la tradition tibétaine, dont j'aurai à parler souvent dans ce livre. Mais on retrouve des traces du tantrisme en Chine, au Japon, en d'autres pays d'Asie, y compris musulmans. En toutes ces contrées, le génie tantrique - équilibre subtil de liberté morale, de relativisme intellectuel et de haute technicité spirituelle -, ce génie efficace et détaché s'infiltra, revêtant au besoin tel ou tel masque religieux ou magique, comme demain, dans notre monde rationnel ou qui voudrait tant le paraître, il pourrait emprunter un masque scientifique. Cet esprit de jeu créateur, se servant inlassable­ ment des formes pour se dégager des formes, pour se «transformer» Uouir de ce monde sans être attaché à ce monde), est un des traits qui permet le mieux de reconnaître un «héros» tantrique (vîra), d'hier ou d'aujourd'hui, distinguant sa voie de toutes les mystiques d'éva­ sion ou de contemplation unilatérale.
Le présent livre, double fruit d'une recherche intellectuelle assi­ due et d'une pratique modeste mais fervente, n'a certes pas la pré­ tention d'épuiser un sujet aussi vaste que l' Océan. Donner quelques repères solides, amener un peu de clarté dans un enseignement réputé obscur, transmettre surtout à quelques-uns le goût de se mettre au tra­ vail, de poursuivre et d'élargir le chemin - avec disponibilité, audace mais aussi lucidité et rigueur-, aider ces bons aventuriers à quitter le plan de la spiritualité rêvée, idéale et trop «blanche» pour celui de l' Eveil vivant, renouvelé et contrasté : tel est mon vœu unique, loin de toute option sectaire et de tout prosélytisme. Ce qui a été donné avec amour ne doit pas être gardé avec avarice : même si ce n ·est qu'une étincelle, elle peut servir à allumer un autre flambeau; même si ce n'est qu'une petite pierre, elle peut servir à marquer un très long chemin. Aucun de nous n'est rien de plus qu'un intermédiaire et il y a beaucoup de naïveté à croire qu'on possède quelque chose.
P. F.
La transcription adoptée pour les mots sanskrits est la même que dans mes ouvrages précédents. Elle néglige les signes diacritiques et n'utilise que les lettres d'impri­ merie habituelles. Les deux sifflantes, palatale et céré­ brale, sont également rendues par sh; le r voyelle par ri. Les voyelles longues sont marquées par des accents cir­ conflexes. Rappelons que la consonne palatale sourde ch (c dans la translitération scientifique) se prononce tch (chakra = tchakra), que la palatale sonore j se prononce dj (vajra = vadjra) et que la gutturale g est toujours dure, même lorsqu'elle est suivie de e ou de i (gîta = guîtâ).
En ce qui concerne les termes chinois et tibétains (ou, plus rarement, appartenant à d'autres langues orientales), Il ne m'a pas toujours été possible d'unifier les divers systèmes de transcription existants, surtout lorsque je me référais à des traductions déjà publiées. Je demande donc pardon d'avance aux spécialistes qui relèveraient ici ou là quelques discordances.
PREMIÈRE PARTIE
La doctrine
CHAPITRE 1
1. Diftïcultés de temps et de lieu
Le tantrisme a au moins deux mille ans d'histoire mais cette his­ toire, nul ne saurait l'écrire. C'est que la chronologie des textes, même si l'on pouvait l'établir avec certitude, serait ici d'un secours assez mince. L'essentiel de cette tradition, initiatique et secrète, fut toujours transmis de vive voix, «de bouche en bouche» (vaktrât vaktrântaram). Dès lors, il ne sert pas à grand-chose de découvrir dans un vieux traité une longue série d'incantations (mantra), si aucun maître n'est présent pour nous apprendre à les prononcer comme il faut, dans un rythme juste, et pour nous en éclairer le sens et l'usage. De plus, même lorsqu'un Tantra dont on pourrait à peu près déterminer la date expose un enseignement qu'on serait tenté d'appeler «originel» ou «original» (parce qu'on ne le trouve pas ailleurs), cela ne prouve en rien que son auteur, au demeurant souvent anonyme, en fut l'inventeur, le fondateur, comme on dirait que Des­ cartes a fondé le cartésianisme par son Discours de la méthode. Toute une lignée de guru, dont on ne sait plus rien, a pu le précéder dans la même orientation. Ni en spiritualité ni en art, les Indiens ne cultivent l'individualisme. Pour eux. seule importe la tradition, et sur­ tout orale : l'homme instruit, ce n'est pas celui qui a beaucoup lu, c'est celui qui «a beaucoup entendu» ( bahushruta ). L'ouïe prime sur tous les autres sens; la Parole, qui est éternelle et divine (déesse dans la mythologie). l'emportera toujours sur la chose écrite. incertaine et dangereuse parce que pouvant tomber entre des mains indignes'.
l. I.l peut s'.agird'un~ vieil.le m~fiance indo:e~1r~~ée.nne. On la retrouve à l'état pur chez les druid;s .qui ~e ~onfie_rent Jama.is leur sav01r a 1 ecnture. Les Aryens qui s ·installèrent en Inde etaient-Ils illettres. contrairement aux autochtones dravidiens? La première écri­ ture du sa~skrit, la b!·(~hmî. paraît dérivée du phénicien et dut n'avoir longtemps qu'un usage commercial et admimstratif.
16 TANTRISME : DOCTRINE, PRATIQUE, ART, RITUEL
Là où les textes s'apprennent par cœur et se récitent (avec une exactitude qui nous émerveille), le livre a surtout une fonction d'aide­ mémoire; il vient, tardivement, rappeler, résumer, codifier un ensei­ gnement oral bien antérieur, auquel il n'a jamais la prétention de se substituer car, le jour où il le ferait, cela signifierait que cet ensei­ gnement serait mort. Les plus anciens Tantras que nous ayons conser­ vés paraissent dater du IVe s. apr. J.-C. (début de la dynastie des Gup­ tas, âge d'or de l'indianité); les plus récents n'ont pas deux cents ans, touchant à l'Inde anglaise de l'époque victorienne : cela donne à peu près quinze siècles de littérat~re tantrique.' ~es centaines, voire - si l'on inclut les Tantras tibétams - des milliers d'ouvrages, et pourtant cette impressionnante masse «émergée» n' ~x~ri!lle qu'un aspect relativement sup_erficiel. e~ troi;ipeur ~e la realltt?. Le tan­ trisme, en tant que doctnne cod1fiee, n a peut-etre qu~ q~mze cents ans, mais ce qu'il représente en profondeur est aussi vieux que le monde.
Une autre difficulté pour écrire une histoire «objective» du tan­ trisme tient au flou des données géographiques, assez général aux textes indiens. Par exemple, dans les Purânas (Bhâgavata-purâna Skanda-purâna, etc.), il est volontiers question d'un «Continent d'or» (Suvarnadvfpa) à l'est du Bengale ou «vers le sud-est». On ne saurait toujours clairement décider s'il s'agit de la Birmanie du Siam, de Sumatra ou autres îles de l'Indonésie. Même en ce 'qui regarde l'Inde proprement dite, les informations sont loin d'être lim­ pides. Ainsi les adeptes tantriques - qu'ils soient hindouistes, boud­ dhistes ou jaïnas - aiment-ils à diviser le sous-continent en trois krânta ou «cercles d'adoration» : le Vishnukrânta, qui s'étendrait des mo_nts Vindhya, à la lisière nord du Deccan, jusqu'à Chattala ou Chi~tagong (actuel Bangladesh); le Râthakrânta, depuis les mêmes collmes de l'Inde centrale jusqu'au «grand Océan», incluant parfois ~e Ca~bodge. et. Java; l 'Ashvakrân:a, enfin, depuis les Vindhya JUsqu aux temt01res du Nord englobes sous le nom plutôt vague de Mahâchîna (la« grande Chine»).
~es tr~ducteurs rendent en général ce dernier terme par «Tibet» (qm se dit plus précisément Bhota en sanskrit), mais on peut se dema~der si, pour beaucoup d'anciens auteurs, Mahâchfna ne dési­ gnerait pas «tout ce qui se trouve au nord de l'Himâlaya», c'est-à­ dire en dehors de la terre sacrée de l'Inde : cela peut être aussi bien le Tibet que la Chine ou la Mongolie, et évoque un monde de magie assez trouble, dans lequel on aura tendance à rejeter tout ce qui dérange l'ordre brahmanique. Nous examinerons cette question de plus près lorsque nous aurons à étudier l'école dite de la «Main gauche» (vâmâchâra), parfois assimilée ou rattachée par les tân­ trika eux-mêmes - et a fortiori par leurs ennemis - à une tradition étrangère à ! 'Inde : chinoise ( chînâchâra), tibétaine ou mongole.
LE PAYSAGE TANTRIQUE 17
Cette tendance de l'orthodoxie hindoue à démoniser tout ce qui se situe en dehors de l'Inde ou du moins ce manque d'intérêt intel­ lectuel pour les régions non indiennes appelle une première expli­ cation : l'Inde est le centre du Jambudvîpa, terme générique qui peut désigner toutes les régions limitrophes, au nord, nord-est, est et sud-est, mais aussi, bien au-delà, la Terre tout entière, telle qu'elle se présente dans le cycle actuel del 'humanité 2
• De ce dernier point de vue, c'est spirituellement que l'Inde est à la fois «centrale» et «primordiale», parce que toutes les traditions sacrées de notre monde apparaissent plus ou moins périphériques, dérivées ou incomplètes par rapport à la sienne. N'attribuons pas une importance excessive à la règle qui voulait qu'un Hindou orthodoxe ne franchît jamais les montagnes du Nord ni ne s'embarquât sur !'Océan sous peine d'être déchu de sa caste : cette interdiction paraît contredite par le fait que l'Inde fut une des grandes puissances maritimes et colonisatrices du passé, dont l'aire de rayonnement s'étendit de Madagascar au Ton­ kin et de la Birmanie aux îles de la Sonde, au point qu'on a pu par­ ler d'une «Inde extérieure». Et cette volonté d'expansion ne saurait être expliquée par des motivations exclusivement politiques ou com­ merciales, même là où l'hindouisme fut adopté comme une sorte de «religion d'Etat» : on sait par exemple que les guru royaux à Ang­ kor étaient de savants brahmanes, parfois venus de l'Inde, et que l'un d'entre eux fut même un disciple…