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    PERSPECTIVE

    INTERNATIONALISTE 57N 57 HIVER 2012Perspectives ngatives.

    Contribution sur la lutte de classe.Communisation et l'abolition de la forme-valeur.Robert Kurz.Perspective Internationaliste et la tradition de la Gauche Communiste.

    UNE CRITIQUE MARXISTE DU MARXISME

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    ditorial

    PERSPECTIVESNEGATIVES...

    Le capitalisme mondial souffre d'une maladie dans sa phase terminale. Pour nos lecteurs et pourune bonne partie du monde, ce n'est pas une nouvelle : le cycle actuel de la maladie, qui a dbuten 2008, nest autre quun nouvel incident dans un cycle apparemment sans fin de souffrance. Cen'est pas une crise mortelle, ce qui entranerait un effondrement automatique du systmecapitaliste, mais plutt une crise qui ne peut qu'apporter une misre toujours plus grande pour la

    majorit de l'humanit tant que les rapports sociaux capitalistes ne seront pas renverss. Cesderniers mois, une lection en France a ramen les socialistes au pouvoir. Plus rcemment, lestats-Unis ont rlu un prsident dmocrate. Que ces gouvernements aient utilis une rhtoriqueplus populiste ne signifie pas un retour au capitalisme de lEtat providence. Peu importe qui aremport ces lections, le traitement offert par les nouveaux gouvernements est partout le mme :plus d'austrit, en particulier pour la classe ouvrire. Il nexiste pas de remde miracle pour sauverle patient. Le seul rsultat ne sera que la misre de prolonger la souffrance.

    L'lection prsidentielle amricaine: faire ressortir lessangsues !Ce qui a t prsent par les mdias comme l lection du sicle s'est avr tre moinsspectaculaire que cette surenchre prdite. Malgr des modifications mineures, la Maison Blancheet le Snat sont rests dans les mains dmocrates, alors que les rpublicains ont gard le contrle dela chambre des reprsentants. La victoire de Barack Obama dans les profondeurs de la rcessionn'est que la preuve quObama est un mal plus efficace dans cette situation, et non un moindre mal: en priode de crise profonde, il sera plus facile pour Obama,plutt que Mitt Romney, de faire lescoupes sombres que le capital juge ncessaire.

    En regardant les plates-formes des deux partis principaux, mis part la rhtorique de campagneparticulirement toxique, il y avait trs peu de substance et de diffrence. Alors qu'Obama a promisle sucre et Romney le vinaigre , il n'y avait gure de doute que tous deux taient de loyauxserviteurs du capital, engags poursuivre ses politiques. Comme pour souligner le fait qu'il n'yn'aurait aucun rpit pour les travailleurs amricains, ds lannonce des rsultats, les deux parties

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    ont commenc parler de compromis et de lengagement ne pas augmenter les impts. End'autres termes, les rpublicains et les dmocrates continueraient collaborer la mise en uvrede programmes daustrit appels sans cesse s'aggraver, nvoquant que du bout des lvresl'ide de protger le niveau de vie de la grande majorit de la population. L'impulsion l'austritn'est pas le fait de la simple cupidit des banquiers , mais rsulte plutt des impratifs d'unsystme fond sur la forme-valeur, quelle que soit la coloration politique, gauche ou droite, de ceuxqui administrent le systme politique.La dfaite de nombreux candidats Tea Party au sein du parti rpublicain va probablementpermettre que les programmes superficiels de hausses d'impts sans trop deffets pour la partie laplus riche de la population soient quilibre par des rductions substantielles dans lesprogrammes sociaux. La ncessit dun tel programme, malgr l'image dObama, est mise envidence par le spectre dune vritable falaise de dette qui a fait son apparition immdiatementaprs l'lection. Les discours sur cette falaise de dette ont domin les dbats de l'conomieamricaine et le besoin d'y remdier conduira Obama, malgr ses ventuels regrets, et concluantqu'il n'avait pas le choix, effectuer davantage de coupes sombres dans les dpenses, en particulier,dans les programmes sociaux de l'tat : un petit thtre politique post-opratoire pour les masses.

    Remdes fivreux et ractions fbrilesMais si lAmrique du Nord se prpare l'austrit sauvage, la zone Euro doit dj vivre avec lesconsquences de celle-ci. En novembre, en rponse la crise conomique continue, des actionscoordonnes ont merg. Des grves gnrales simultanes en Espagne et au Portugal ont eu lieu,alors que d'importantes manifestations se sont droules en Grce, Italie et Belgique.LEspagne menace maintenant de remplacer la Grce dans le fond du panier, en Europe. EnEspagne, la crise est alle au-del de l'conomie et menace le tissu mme de la socit. Selon desestimations prudentes un quart de la population se trouve sans emploi. On signale plus de 400 000personnes ayant perdu leurs maisons ou appartements, et on estime que 1,4 millions despagnolssont confronts des procdures dhypothques. (Et, comme pour ajouter une blessuresupplmentaire, aprs lhypothque, la dette persiste et les banques ont jusqu' 15 ans pourrecueillir ce qui leur est "d"). Pas tonnant que le taux de suicide ait grimp en flche.Mais si l'Espagne est la nouvelle Grce, la Grce reste toujours dans la mme situation. Misrecontinue, accompagne de grves gnrales. En Italie les fonctionnaires et travailleurs du transportnational font grve par intermittence, tandis que les tudiants manifestent dans tout le pays. EnBelgique les cheminots ont gravement perturb les itinraires des lignes ferroviaires grandevitesse vers d'autres parties de l'Europe.Mais tandis que ces signes de rsistance sont stimulants, ce stade, ils restent toujours dans ledomaine de la protestation contre la politique des divers dirigeants capitalistes, plutt que contre lecapitalisme lui-mme. Les fdrations syndicales ont montr comment ils taient prts contenir

    ces luttes et les diriger vers des voies sans danger. Par exemple, en France, plutt que dappelerles travailleurs frapps par les mesures et les protestataires contre les mesures d'austrit, rejoindre les grves, les principales fdrations syndicales ont appel leurs propres manifestationsauxquelles nont particip dans une large mesure queux-mmes et leurs partisans de gauchecomme Lutte Ouvrire.

    Ces mesures d'austrit en Europe du Sud montrent la volont de la classe dirigeante d'imposer unecontrainte, voire la mort la population travailleuse. Pour la classe dirigeante, les gens doiventmourir au service de la dette, comme si c'tait le prix payer pour rester dans la zone Euro. Endehors de cette zone, ces pays seraient encore plus privs du capital ncessaire pour maintenir lecycle d'accumulation en vie. Les dirigeants de la zone euro ont besoin d'imposer ces difficults

    pour maintenir la confiance dans la monnaie. Si elle s'effondre, toute la zone Euro pourrait suivrel'exemple de la Grce. Dans le mme temps, il y a, au sein de la zone Euro, un flux de capitaux

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    allant des pays europens les plus faibles vers les plus forts, amenant ainsi du capital moins cherpour ces derniers. Ceci reflte la conviction, pour une majorit de dtenteurs de capital que, tt outard, une restructuration de la zone Euro est probable et impliquerait l'exclusion de ses parties plusfaibles.

    La saigne du Moyen-Orient n'allge pas les souffrances duPatientAu Moyen-Orient, la violence communautaire sanglante qui se droule dans le cadre desantagonismes entre imprialistes poursuit un modle bien tabli. Si le cessez-le-feu entre Isral etle Hamas tient, il s'agirait d'un rsultat souhaitable pour l'imprialisme amricain dans la rgion :une guerre sanglante et une bande de Gaza ingouvernable viendrait menacer les relationsamricaines avec l'gypte (et avec une grande partie du monde arabe) et pourrait augmenter leprestige et la puissance de l'Iran comme protecteur des Palestiniens.

    En outre, tout conflit dans la rgion diminuerait la pression occidentale sur le rgime d'Assad en

    Syrie un moment critique. La protestation en Syrie tait une partie du printemps arabe, lui-mmeen partie une rvolte proltarienne contre le capital, mais il est galement devenu une scne deconflits entre imprialistes, avec l'Iran (soutenu par la Russie, la Chine) et les allis des Etats-Unisau Moyen-Orient qui alimentent ces conflits, en utilisant les diffrences ethniques et religieuseslocales pour leurs propres fins. Quel que soit le ct gagnant, dans un tel conflit, le rsultat serades bains de sang. Que les victimes soient principalement Alaouites ou sunnites, que le conflits'tende au Liban, a reste voir. Mais, dans la crise et la dcomposition actuelle, la guerremontre une autre manire dont peut seffectuer la ncessaire dvalorisation, la destruction devaleur excdentaire, que ce soit sous la forme d'tres humains ou d'autres capacits productives.

    Avec un succs du cessez-le-feu , les tats-Unis, par l'intermdiaire de l'Egypte, marquent un

    point envers le Hamas, qui est critique sil y a jamais une solution la question palestinienne, quisoit satisfaisante pour les tats-Unis. Ces dveloppements dmontrent que le remplacement deMubarack par Morsi et les frres musulmans n'a pas nui la puissance amricaine (et pourraitmme laugmenter) ; et elle affaiblit potentiellement l'Iran dans la rgion, pour lesquels le Hamaset le Hezbollah taient son point d'entre dans le monde arabe et dans le cas du Hamasspcifiquement dans le monde Sunnite.

    L'Occident cherche en vain la mdecine chinoiseDans Perspective internationaliste 53, nous avons publi un article intitul "La Chine peut-ellesauver le capitalisme?" Comme aujourd'hui, nous avions conclu que, tandis que les taux de

    croissance de la Chine, qui sont bass dans une large mesure sur lasurexploitation de la populationactive de la Chine, font envie de nombreux capitalistes occidentaux, la Chine comme toute autrepartie de l'conomie mondiale, n'est plus pargne par les problmes qui assaillent le capitalismeoccidental. Le capitalisme d'tat de la Chine ne peut chapper aux cancers du capital.Un rcent article du New York Times a not qu'aprs une anne morose, l'conomie chinoiseaugmentait plus rapidement que prvu. Pourtant l'article comportait galement une noted'incertitude :

    .. .le renouvellement de la croissance a t aliment par une monte rapide de la dette,ainsi, les banques d'tat et de la Banque centrale ont dvers des centaines de milliards dedollars en prts supplmentaires aux entreprises publiques et les organismesgouvernementaux pour financer d'autres projets d'investissement.

    (New York Times 9 Novembre 2012)Et de plus...

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    "De nombreux soucis persistent au sujet de la durabilit dune reprise mme modeste -qui s'appuie fortement sur la dette. Les banques chinoises accordent des prts un rythmesi rapide en seulement 5 ans, qu'avant la fin de l'anne prochaine ils auront augment leursbilans d'un montant gal aux bilans combins de l'ensemble du systme bancaireamricain.

    Clairement, la direction du parti communiste chinois est rsolue poursuivre sa stratgieconomique actuelle malgr le danger vident. Ils crent du capital fictif un rythme rapide, fontgonfler des bulles qui clatent invitablement. Cest comme si les illusions de la direction du partisur le fait que cette stratgie puisse russir refltaient une plus grande peur des consquencessociales de tenter de freiner cette croissance.

    Peut-tre si nous ouvrons (ou fermons) la fentre, le Patientira mieuxEn dpit de graves difficults conomiques, il y a eu une volution positive du capital amricain:

    une augmentation de la capacit de production d'nergie qui sera un facteur de ralentissement del'acclration de la crise actuelle. Toutefois, ce facteur seulement peut tre ralis au prix de gravescots cologiques (fracturation hydraulique, sables bitumineux, gaz de schiste, forage en mertoujours plus profonds etc.) tandis que les investissements dans les nergies renouvelables sont enbaisse partout. Peut-tre la seule note positive est le fait qu'aprs la catastrophe au Japon, lenuclaire est peu susceptible de se dvelopper.Dans l'Ouest, beaucoup de gens croient que la pollution est traite, mais en fait la productionentranant une pollution beaucoup plus lourde a simplement t externalise vers la Chine,l'Inde, etc. En effet, la colre envers l'empoisonnement de leurs conditions de vie est devenue unedes sources principales de la rsistance de la classe ouvrire en Chine. Les connaissancesscientifiques sur les consquences de modification du climat par le mode de production

    capitaliste n'ont en rien chang son comportement.

    Au plus cest dsespr de faire des bnfices, au plus on arrondit les angles. Et le rsultat est laprsence de catastrophes cologiques de plus en plus graves. Le ravage caus par louragan Sandysur la cte nord-est des tats-Unis est le dernier exemple de cette fonctionnalit du capitalisme. Lamatrise quont montrs les mdias et divers hommes politiques pour tenter de politiser Sandy touten ne mentionnant pas le rchauffement climatique est remarquable. Les mdias se sont axs surdes conditions spcifiques, prsentant cela comme la tempte du sicle . A l'instar de Katrina,etc. Ces catastrophes une dans le sicle semblent prendre place de plus en plus dans notrepartie du sicle. Il semble plus probable que la destruction cologique que le capitalisme engendreest lui-mme en train de devenir un canal privilgi pour la destruction de valeur dont le systme,

    bas sur la valeur, a besoin pour survivre.

    La seule Solution pour ce problmeLa vrit est que les diffrents gouvernements capitalistes s'appliquent divers pansements etcataplasmes dans l'espoir de restaurer le patient malade dans sa pleine puissance, mais unediminution drastique de la sant du patient est la plus probable. Ce numro de Perspectiveinternationaliste penche nettement vers la thorie. Nous navons pas nous en excuser. Pour nous,ce nest quavec une comprhension du capitalisme et de sa nature, que nous serons en mesured'euthanasier la bte qui apporte la misre l'humanit tout entire.Perspective internationaliste

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    Actualit

    CONTRIBUTION SUR LALUTTE DE CLASSES.

    La prsente contribution a t prsente lors de la Confrence de P.I. en mai 2012. Elle sinscrivaitdans la continuit du texte sur la lutte de classe prsent lors de notre prcdente Confrence, ennovembre 2011. Elle se veut une poursuite de lanalyse qui y tait dveloppe.Parmi les conclusions de ce texte de 2011, on trouvait ceci : Les mouvements des printemps arabes, indigns et occupy nont pas de perspectives eneux-mmes. Par contre, la potentialit de questionnement quils vhiculent devrait tre reprise parles mouvements de classe. Trop souvent, les ractions qui se passent sur les lieux de production selimitent des revendications prcises (). On ne peut donc quappeler ce que le questionnementgnral sur le fonctionnement capitaliste se mette en lien avec les grves et manifestations sur leslieux de production, plaant ainsi les revendications dans une perspective beaucoup plus globale et

    gnrale .1Aujourdhui, il convient donc de se demander o nous en sommes. Les deux lments contenusdans la conclusion ont-ils trouv une confirmation dans la situation actuelle, savoir, dune part, lancessit que se joignent revendications sur les lieux de travail et questionnement plus gnral,dautre part, la ncessit dinscrire ces mouvements dans une perspective de changement desocit.

    Lhypothse qui sera prsente dans cette contribution est que le questionnement prsent,entre autres, dans les mouvements des indigns et occupy , a commenc se manifesterdans certaines actions de protestation ou de grve. On a donc bien assist une poursuite dela dynamique mise en lumire dans le texte de 2011 et une amorce de liaison entre actions de

    1 Proltaires de tous les pays, de lindignation la rvolte in PI 56, p. 8

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    classe et questionnement sur le fonctionnement global de la socit capitaliste. Mais, en mmetemps, la dynamique qui trouvait sexprimer dans le feu des mouvements est retombedans le rformisme et les illusions vhiculs par lideologie dominante ds que cesmouvements ont cess.

    Comme nous lavions dj soulign, le processus de conscience de classe est htrogne, heurt, etdonc, forcment ptri de confusions et dillusions autant que de potentialits. Mais il importe de nepas se laisser arrter par les confusions et pouvoir dceler les potentialits pour accompagner leurventuel dveloppement et leur clarification.

    En Grce Battons-nous pour lutopie. Faisons la guerre contre les patrons et ceux qui ont le pouvoir.Rbellion sociale, meutes pour la libert. Anarchie . Voici un des multiples textes quon a pu liresur les murs de Thessalonik, en Grce. Lexpression populaire y est devenue un phnomnecourant dans ce pays o les mouvements de protestation et de grves nont pas cesss. Ainsi,plusieurs usines ont t en grve ces derniers mois : usine daluminium Athnes, de

    transformation de lait Attiki et Larissa, pharmaceutique Attiki, mtallurgie EllinikiChalivourgia (150 jours de grve !), ainsi que des entreprises du secteur tertiaire. Ceci nest pasune liste exhaustive mais mrite dtre soulign dans la mesure o, ces derniers mois, ctaientdavantage des mouvements de protestation urbaine que des mobilisations dans les entreprisesauxquels nous avions assist.Mais la rue a continu, elle aussi, connatre lagitation. Ainsi, en fvrier, des confrontations trsviolentes ont marqu une grve gnrale de 48 heures. Attaques de btiments publics ou desymboles du pouvoir et de la rpression, barricades, confrontations trs violentes avec les forces delordre ont secou le centre dAthnes durant plusieurs heures et se sont reproduites lelendemain.Des assembles populaires se sont cres galement dans toute une srie de quartiers et delocalits, signe de lexistence dune volont de questionnement et dchanges collectifs.

    En EspagneCes diffrentes caractristiques se retrouvent galement en Espagne. Une grve gnrale avait tlance pour le 29 mars. A Barcelone, elle a donn lieu des actions de fermeture, par des groupesde manifestants, de commerces de luxe, pillages, sabotages dinstitutions symboles (supermarchs et banques). Cette manifestation a rassembl quelques 275 000 personnes et a tmarque par de nombreux slogans anticapitalistes ainsi que par des violences urbaines en grandsnombres, comme en Grce. Les assembles de quartier se sont remobilises galement.De manire plus gnrale, la situation espagnole reste explosive ! Lautomne 2011 a connu des

    mouvements denseignants. Durant lhiver, ce sont des dizaines de milliers de lycens qui se sontmobiliss Valence, au dpart dune simple panne de chauffage dans un lyce. Des manifestationsde salaris-citoyens se sont produites en raction aux coupes-sombres prvues dans le secteurdes soins de sant et la privatisation de certains hpitaux. A Madrid, des actions se produisent dansle mtro depuis le mois de janvier. Actions coordonnes de blocages de certaines lignes et de non-paiement collectif pour protester contre la hausse du prix du billet. Un collectif (TM) sest crpour organiser ces diffrents mouvements. Dans la rgion de Catalogne, ce sont les pages routiersqui ont fait lobjet dactions de refus de paiement et, dtail piquant, cest le syndicat CCOO qui ademand une protection policire du personnel pour signifier sa dsapprobation vis--vis de cemouvement

    Quant aux indigns , si leur mobilisation a faibli durant lhiver, ils nont pas disparu. Cette findt 2012 a dailleurs vu une recrudescence des mouvements de protestation et la tentative de

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    relancer la dynamique des indigns . Une partie de ce mouvement publie une revue Rebelaos qui, entre autres, appelle sortir du capitalisme et se rpand par le biais dInternet. Ilappelle des actions concrtes de sortie du capitalisme, comme lauto-organisation mais nous nedisposons, actuellement, daucune information plus prcise ce sujet.Ici aussi, on a assist un mlange entre groupes de rflexions propos des perspectives et dufonctionnement politique et social, et actions de classe.

    A New YorkCest dans ce contexte quon peut dailleurs replacer la grve des travailleurs du mtro newyorkais, fin 2011, et leurs actions de gratuit.Un dbat sest droul dans le milieu rvolutionnaire propos de la signification de ces actions degratuit. On peut faire lhypothse quil a en partie reflt une incapacit percevoir et mettre enlumire les potentialits dun mouvement, et quil a t mal pos. Savoir si une action est tolrableou non par le MPC est un faux dbat. Ce qui importe, cest de percevoir la dynamique contenuedans un mouvement, savoir quoi une action tente de sopposer, voire, ce quelle veut remettre enquestion comme loi ou comme principe dans le fonctionnement du MPC. Sans poser la question de

    la dynamique, on ne voit quune forme et pas un contenu. Pour donner un exemple, le commercecapitaliste a pour habitude de distribuer des produits gratuitement ( trois et le quatrime gratuit , tlphone portable offert lachat de , Etc.). Mais cette gratuit est fondamentalementdiffrente, par son contenu, dactions dappropriation et de redistribution de biens auxquelles onassiste dans des meutes et des pillages, ou daction de gratuit des transports dcides par destravailleurs en lutte. Dans ce deuxime cas, il sagit dun questionnement ou dune remise enquestion de lordre social capitaliste, de lingalit, voire, de la loi de la valeur. Cest donc bien dece questionnement fondamental dont il est question dans les actions de gratuit organises NewYork et Madrid. Et, mme sil est empreint de confusions, dillusions il est porteur dunepotentialit ct de laquelle nous navons pas passer !

    Dans le mme esprit, on peut citer une action doccupation, suivie dune dcision dautogestiondun hpital grec, Kilkis. Nous avons dj voqu la revue Rebelaos et son appel prendredes mesures concrtes de sortie du capitalisme. Nous pouvons voir cette autogestion, non commecelles que nous avions connues dans les annes 70 mais bien comme faisant partie duquestionnement de classe actuel. Ainsi, pour les travailleurs de cet hpital, le mouvementdoccupation et la dcision de le grer se plaait dans le contexte de la crise conomique frappantla Grce et rpondait la volont dopposer leur dmocratie au totalitarisme de lEtat grec .Certes, nous avons poursuivre notre mise en garde quant aux illusions et aux impasses delautogestion mais, nouveau, nous avons y pointer la dynamique de questionnement et deremise en cause quelle vhicule.

    En ChineLes mouvements occupy et indigns se sont largement dploys en Europe et aux Etats-Unis cet automne. Ils ont connu un dclin, voire une disparition loccasion de lhiver. Cesmouvements taient essentiellement bass sur une contestation de lordre social, conomique etpolitique capitaliste. Larrive du tsunami de mesures daustrit, de plonge dans la rcession et lechmage massif ont mis en avant la contestation sociale plus quune rflexion propos des formesde gouvernance, etc. Nous avons assist une sorte de liaison entre ces mouvements indigns , occupy et certaines actions de classe. Ainsi, les mouvements occupy de Longview ontsoutenu les grves qui se sont droules dans le port de cette localit. Ou, autre exemple, desmouvements de grve ont continu se drouler en Chine, entre autres, en janvier, dans une aciriede Chengdu o 10 000 travailleurs taient en lutte pour rclamer une augmentation de leurssalaires. Par capillarit , lusine Pangang Steel sest mise en grve galement et le 6 janvier, un

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    campement inspir des mouvements occupy sest constitu. (Il a immdiatement et brutalementt dmantel par la police). Ceci constitue un nouvel exemple dune part, de la circulationmondiale des mouvements de questionnement indigns , occupy et des printemps arabes mais aussi, de leur mise en lien avec des actions de classe. Nanmoins, et cest bien l la faiblessefondamentale de tous ces mouvements, la dynamique de questionnement et de rupture davec lefonctionnement capitaliste ne sest pas retrouve dans les perspectives de changements futurs. Aulieu de rupture, ce sont des revendications rformistes comme une demande de davantage dedmocratie qui sont aujourdhui lordre du jour.

    Et ces printemps arabes , justement, que sont-ils devenus ?Deux lments contradictoires sont souligner. Dune part, on a vu se drouler des processuslectoraux dmocratiques . Dans certains gouvernements, les fractions islamistes sont arrivesen bonne place. Ceci touche, nouveau, la manire dont la dynamique de rupture contenue dansdes mouvements peut vivre aprs ceux-ci et vient rappeler que la remise en question relle netrouve pas son aboutissement dans les gouvernements bourgeois mais dans lopposition entre lesdeux classes antagoniques. La monte en puissance de fractions islamistes peut tre comprise, la

    fois, comme un retour aux partis identitaires opposs aux fractions soumises aux puissancesimprialistes dominantes mais aussi comme une manifestation de la tendance au repli sur soi quona galement observ dans la monte de lextrme-droite lors des dernires lections en France, dela perce de lextrme-droite en Grce et dans dautres pays europens.

    Nous savons que le dveloppement de la conscience politique se fait dans un contexte domin parla classe dominante (forcment !) et que cette dernire ne manque pas de faire peser son poidsidologique. Cest dans ce contexte quon doit comprendre la pousse de ces fractions dextrme-droite, des tendances au repli nationaliste, le dveloppement dactions de haines raciales. Toutesces fractions populistes , dextrme-droite, se caractrisent essentiellement par la volont duretour en arrire, au bon vieux temps o on vivait sans crise conomique, o tout tait en place :les ouvriers lusine et les paysans dans les champs On entend, dans les discours de lextrme-droite franaise, un appel revenir au terroir , retrouver le franc franais ( !!!), se retrouvercalmement dans ses frontires, en-de des effets dstabilisant de la mondialisation, avec sacirculation de produits, de migrants, ses dlocalisations rapides

    Dautre part, et pour revenir aux printemps arabes , il faut nuancer cette perce islamiste. Ainsi,le processus lectoral en Egypte a t perturb par une part significative du proltariat gyptien etdes affrontements ont eu lieu entre opposants et frres islamistes au Caire. A nouveau, cest laquestion du quoi faire de la dynamique dopposition qui se posait aprs les confrontationsviolentes du printemps. On nous a vol notre rvolution pouvait-on entendre lors du processus

    lectoral et du dvoilement de la vraie nature du pouvoir militaire. Mais, ces manifestants, nousne pouvons que rpondre que le dveloppement dune dynamique de contestation dpend dudveloppement de la conscience politique et se place dans lantagonisme quotidien de deux classessociales. Dlguer son pouvoir la classe dominante revient donc tre totalement priv de toutela potentialit contenue dans les mouvements, cest comme redonner au gelier les clefs de laprison de laquelle on sest enfui.

    Sur un autre plan, la Syrie a connu, elle aussi, le vent des printemps arabes et sa contestationdu dictateur El Assad. Mais il existe, depuis un an, des mouvements de lutte de classe dans denombreuses villes du pays. L aussi, des comits de coordination se sont crs pour organiser lalutte et lauto-dfense des travailleurs contre la rpression. Un mouvement actif de dfaitisme vise

    pousser les militaires la dsertion et la fraternisation avec les grvistes. Mais, si cesmouvements de classe existent, ils sont mls la lutte sanglante que se mnent deux clans rivaux

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    de la classe dominante : le clan Assad et celui de ses opposants. L aussi, on peut craindre queles mouvements de classe se trouvent dilus dans un faux choix : celui de la peste ou du cholra,mmes maladies de la soumission une fraction de la classe exploiteuse.

    En vrac

    Beaucoup dautres mouvements sociaux se sont produits dans le monde et nous ne pouvons pas enfaire une liste complte.Nanmoins, nous ne pouvons pas terminer cette contribution sans voquer la lutte des tudiants enEspagne et au Qubec qui se sont mis en grve contre laugmentation des droits dinscription. Ence mois doctobre 2012, ce sont les tudiants italiens qui ont violemment manifest leur oppositionpour les mmes raisons. La situation au Qubec est souligner puisque le mouvement de grve adur jusquaux vacances dt, ont entran dans leur sillage, un mouvement de soutien et decontestation dune partie de la population (le mouvement des casseroles) et a t maill denombreuses confrontations avec la police. Aujourdhui, ce mouvement est, notre connaissance,suspendu et, pass lopposition aux projets daugmentation des frais acadmiques, la question delavenir du mouvement se pose, comme partout ailleurs, et de sa possible retombe dans une

    demande de ngociations et de rformes plutt que le refus de la logique conomique capitaliste.On peut aussi noter des affrontements violents en Indonsie pour laugmentation des salaires. Ceciest mettre en lien avec les mouvements qui se droulent en Chine sur la mme revendication. Cespays font partie des pourvoyeurs de main-duvre bon march. Le fait que la classe dominantesoit contrainte daugmenter les salaires risque fort de mettre ces conomies (et, en particulier,lconomie locomotive chinoise) en grande difficult !Relevons aussi les mouvements qui se sont drouls Trlew, en Argentine. Mouvements serevendiquant de celui des piqueteros et qui ont connus leur lot de manifestations et de destructionsurbaines. Manifestement, les mouvements laissent une trace dans les mmoires

    Face tous ces mouvements, la rponse de la classe dominante est de plus en plus dtermine.Dj, on avait soulign la rponse violente et expditive de la justice anglaise face aux meuteslondoniennes de lt 2011. Des affrontements violents et provoquant des blesss ont oppos lapolice des fonctionnaires argentins qui protestaient contre la rforme des retraites.Au Chili, des manifestations rassemblant autour de 100000 manifestants protestants contre lesystme ducatif ont aussi donn lieu des confrontations violentes.

    Et, bien sr, il faut aussi rappeler la grve des mineurs de Marikana, en Afrique du Sud, luttantpour des augmentations de salaires et dont les mouvements de protestations se sont solds par lamort de 34 protestataires. Cette rponse violente des forces de police est celle du gouvernement enplace. Et cette situation vient rappeler, sil le fallait encore, quil y a, dans le monde capitaliste,

    deux classes fondamentalement antagonistes le proltariat et la classe capitaliste. Quelle que soitla forme que prennent les diffrentes fractions de cette classe dominante (gouvernement libraux,de gauche , de droite, populaire ou, ici, anti-apartheid les enjeux restent toujours lesmmes. La classe capitaliste est confronte lapprofondissement de la crise conomique mondialequi amne la classe dominante augmenter sans cesse lexploitation du proltariat et briser partous les moyens toute forme de contestation de ces formes dexploitation. LANC a, au travers dela rponse violente de la police et celle, non moins violente de la justice, a dmontr clairement sonappartenance la classe capitaliste. Mais, au moment o nous crivons ces lignes, le mouvementparti de Marikana sest propag dautres mines de charbon du pays et dans des mines de fer.

    En conclusionLexamen des mouvements dopposition travers le monde tmoigne de la complexit de lasituation actuelle.

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    Dune part, nous avons dj soulign lexistence dun questionnement quant aux perspectivesprsentes par le mode de fonctionnement capitaliste et les impasses dans lesquelles des pans deplus en plus grands de la population mondiale se trouvent coincs.Ce questionnement sest concrtis dans les explosions des printemps arabes , des mouvementsdes indigns et occupy , des mouvements de luttes de classe qui se sont drouls dans lemonde et qui continuent agiter les classes exploites de tous les continents.Mais, et nous voyons ici le rle fondamental jou par la conscience politique proltarienne, larvolte contre les conditions dexistence et de travail ne suffit pas changer le monde Lacapacit percevoir les racines de la condition dexploit, la capacit transformer la dynamiquedopposition collective en un changement de socit, dpendent de laction consciente de la classeproltarienne.Dautre part, cest bien la faiblesse de la situation actuelle. Cest que toute cette formidable nergiede contestation qui se manifeste aux quatre coins du monde, qui tend se nourrir des expriencesantrieures, ne trouve pas, actuellement, poursuivre sa dynamique dans des actions marquant unerupture avec le mode de fonctionnement capitaliste. Les mouvements actuels dbouchent doncsouvent sur des revendications rformistes comme un appel une gestion politique plus humaine,

    plus dmocratique, moins corrompue bref, pas de quoi fouetter le chat Capital.Dune certaine manire, la situation ne doit pas nous tonner. Seuls pourraient tre dans le dsarroiceux qui ont une vision dterministe du processus rvolutionnaire. Selon cette vision, lesconditions dexploitation effrnes mnent automatiquement aux confrontations de classe etmnent la classe proltarienne tout aussi automatiquement la ralisation de ses objectifs. P.I.dveloppe une autre vision des choses. (Voir, dans ce numro, larticle de dbat sur la question dudterminisme). Et ce nest quen sappuyant sur sa conscience politique que le proltariat pourradpasser les obstacles que la classe capitaliste place quotidiennement sur sa route. Ce nest quegrce sa conscience quil pourra transformer la dynamique de rupture prsente dans lesmouvements de classe en perspectives de changement rompant rsolument avec la logique dufonctionnement capitaliste. Cette conscience ne peut se dvelopper que dans la confrontation

    ouverte avec la classe dominante, dans laction collective. Et cest lappropriation subjective delexprience concrte faite dans ces actions collectives qui amne au dveloppement de laconscience.

    Manifestement, et la prsente contribution a tent de le dmontrer, cette conscience se dveloppe,dans un processus heurt, contradictoire. Elle se nourrit des expriences faites dans dautres partiesdu monde, ainsi que des luttes du pass. Mais elle se fait aussi en opposition constante avec lepoids idologique impos par la classe dominante, par lalination et la rification propres au modede production et de rapports sociaux induits par le capitalisme.Notre tche reste donc de mettre en garde contre les illusions, souligner les faiblesses, mais surtout,daccompagner les dynamiques positives que nous pouvons identifier dans les mouvements, les

    clarifier et les replacer dans une perspective de changement radical.Rose,Mai 2012, ractualis en octobre 2012.

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    THORIE

    COMMUNISATION ETL'ABOLITION DE LAFORME-VALEUR

    Une thorie de la forme-valeur en tant que base pour la comprhension de la logique du capital, desa trajectoire historique, et de ses contradictions, est intgralement lie une thorie de lacommunisation. La communisation est insparable de l'abolition de la forme valeur et du capitalcomme valeur valorisante, et son Akkumulationszwang, sa compulsion accumuler, ainsi que dutravail (Arbeit- labor)2 dont dpend le capital. La communisation implique l'abolition duproltariat, la classe des salaris des travailleurs, dont le travail abstrait est la source de la valeur.Le socialisme ou le communisme n'est pas l'auto-affirmation du proltariat ou du pouvoir destravailleurs, et la cration d'une rpublique du travail. Le dveloppement de la thorie de la forme-valeur, largement base sur la publication des manuscrits que Marx avait assembls pour sa

    critique de l'conomie politique, une entreprise qui n'a t acheve quau cours des derniresdcennies, a galement transform la comprhension du socialisme ou du communisme qui existaitdans la IIeme et la IIIeme Internationale, ainsi que dans la gauche historique communiste ( la foisla gauche germano-hollandaise, la gauche italienne, les traditions communiste du conseil etbordiguistes).

    2Note de la traduction. En allemand et en anglais, il existe deux mots distincts pour le travail : Arbeit-Labor quidsigne le travail extorqu ou arrach des esclaves, des serfs, et le salariat dans la socit capitaliste, i.e. le travailabstrait; et Werke, work qui dsigne loeuvre, lactivit, la production diffrente du travail extorqu. Pour la

    traduction franaise, nous avons choisi dutiliser systmatiquement le mot travail pour labor, Arbeit, et nous avonsutilis tantt oeuvre, tantt travail pour work, werke. Nous avons gnralement indiqu lquivalent anglais selonlintention de lauteur du texte entre parenthses, afin de lever toute ambiguit.

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    Le jeune Marx avait dj anticip l'abolition du travail (labor) dans le communisme ds 1844, dansses manuscrits parisiens, et dans son analyse de l'alination du travail, une vision qui tait peut-treplus clairement exprime dans sa critique de 1845 de l'conomiste politique allemand, FriedrichList : Cest lun des plus grands malentendus que de parler de travail libre, humain, de travailsocial, de travail sans proprit prive. Le travail, par sa nature mme, n'est pas libre, estinhumain, une activit antisociale, dtermine par la proprit prive et la cration de la propritprive. D'o l'abolition de la proprit prive ne deviendra ralit que si elle est conue commel'abolition du travail (une abolition, qui bien sr, nest devenue possible qu'en tant que rsultatdu travail lui-mme .... 3"

    La concrtisation du chemin de Marx vers une thorie de la communisation dans laquelle lavaleur, le travail (labor), et le proltariat sont abolis peuvent tre trouvs dans la Critique du

    programme de Gotha (1875) dans laquelle les bases thoriques pour la formation d'un systmeunifi de Parti Social-Dmocrate en Allemagne, bas sur une vision d'un tat libre, ont tsoumises une critique cinglante, et dans laquelle Marx a d'abord esquiss sa conception d'un

    stade infrieur et suprieur du communisme. Pour Marx, dans le stade infrieur du communisme tel quil merge de la socit capitaliste", toujours marqu par ses structures et les formessociales , le producteur individuel reoit de la socit ... exactement ce qu'il lui a donn." 4 En bref,le travailleur, aprs les dductions pour les fonds sociaux et l'expansion des forces productives,reoit la pleine valeurde son travail (labor): Il est clair, le mme principe est l'uvre ici quecelui qui rgit l'change des marchandises dans la mesure o il s'agit d'un change de valeursgales. ... Une quantit donne de travail sous une forme est change contre le mme montantdans une autre.5 Pour Marx, donc, la forme-valeur va prsider la fois la production et ladistribution du stade infrieur du communisme, et ce nest que dans son stade suprieur "que lasocit peut traverser compltement l'horizon born du droit bourgeois et inscrire sur son drapeau:De chacun selon ses capacits, chacun selon ses besoins!".6 La communisation, alors, comme

    l'abolition de la forme-valeur dans tous ses modes, serait prcde par une tape post-capitalistedans laquelle la loi de la valeur rgule toujours la production et la consommation. Aussi radicalequait t, aux yeux de la plupart des socialistes, la vision de Marx en 1875, aujourdhui, dans unmonde capitaliste o la reproduction du proltariat est maintenant menace par le rapport socialcapitaliste, et l'existence mme de la forme-valeur, une telle vision est tout fait inadquate.

    Alors que Marx n'a pas prcis la forme dans laquelle le temps de travail permettrait de dterminerla production et la distribution au stade infrieur du capitalisme, la vague rvolutionnaire qui s'estdclenche en 1917 a conduit les bolcheviks insister sur le fait que la dictature du proltariat,quelle que soit ses formes politiques spcifiques, sera galement fonde sur la poursuite du travailsalari; que la distribution des produits la classe ouvrire seffectuerait par l'intermdiaire du

    salaire et de l'argent. C'est ici que s'lve un dbat au sein de la gauche communiste historique,diffrent des dbats sur la question du parti ou des conseils ouvriers comme organe de la dictaturedu proltariat, un dbat dans lequel Amadeo Bordiga insist sur le fait - contre Lnine et Trotsky -qui le maintien des salaires et de l'argent tait une menace mortelle pour le proltariat, etreproduirait les rapports sociaux capitalistes. Deux documents importants de l'histoire de la gauchecommuniste durant la priode entre 1930-1970, se sont penchs sur la question de la forme valeur,de la production et de la distribution communiste :Les principes fondamentaux de la production etla distribution communiste, un texte collectif du GIK (la gauche germano- hollandaise), publi en

    3 Marx, Brouillon dun article sur le livre de Friedrich List : Das nationale System der politischen Oekonomie, in :Marx/Egels, Collective Works, Vol. 4 (New York : International Publishers, 1975), pp. 278-279.4

    Marx, Critique du Programme de Gotha.5 Ibid.6 Ibid.

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    1930, avec une importante Introduction par Paul Mattick sa rdition en 1970, et le texte deJacques Camatte, Capital et Communaut, crit au lendemain de 68, dans l'orbite politique de lagauche italienne (bordiguisme).7

    Les Principes fondamentaux ont avanc l'ide que la production et la distribution communisteseraient bases sur une mesure du temps de travail (le temps de travail moyen socialementncessaire), avec la distribution de produits pour les travailleurs - dont la condition proltarienneserait universalise - qui aura lieu travers un systme de "bons de travail" (Empfangsscheinen),strictement sur la base du nombre d'heures travailles. A loppos du fonctionnement normal dusystme capitaliste, o le march alloue le travail (labor) et dtermine la valeur travers l'change

    post festum, dans la production et la distribution communiste cette dtermination pourrait trerationnellement dtermine par le temps de travail comme une mesure de la valeur sansl'intermdiaire d'change. Il sagissait dun systme, comme Mattick la reconnu dans sonIntroduction, dans lequel " le principe de l'change d'quivalents prvaut encore"8, dans lequel laforme-valeur faonne encore ltre social, dans lequel, comme Marx le reconnait dans sa Critiquedu programme de Gotha, le droit gal souffre encore toujours dune limitation bourgeoise9, et le

    travail lui-mme (labor) reste le travail du proltariat. Mattick, cependant, a galement constatque le texte de la GIK est dpass certains gards, dpass par la trajectoire du capital lui-mme,par le dveloppement prodigieux des forces productives entre 1930 et 1970, grce auquel lesmarchandises et les services pourraient tre produits en abondance telle que "tout calcul de leursparts individuelles du temps de travail moyen socialement ncessaire serait superflu10, etl'humanit pourrait passer directement ce que Marx a appel le stade suprieur ducommunisme.11

    Camatte suit Marx dans la distinction dun stade infrieur, et dun stade suprieur du communisme,et insiste sur le fait que le communisme ne peut pas tre atteint d'un jour l'autre 12 une positionbase sur laffirmation de Bordiga selon laquelle il y a trois stades post-capitalistes : la dictature du

    le proltariat, le stade du socialisme et le communisme. Pour Camatte, la valorisation de la valeurdoit cesser immdiatement, et ce serait la tche de la dictature du proltariat, mais il reconnatcependant que tout le monde doit travailler (celui qui ne travaille pas, ne mange pas), que lacondition proltarienne doit tre universalise, que l'existence humaine, qui, dans le capitalisme at mdie par le capital, "est maintenant mdie par le travail (labor)."13 De plus, Camattereconnat qu'une conomie du temps" continuera de rguler ce qui est devenu la productioncommune; que tout travail (labor) sera maintenant rduit au travail abstrait14, et que ce travail va

    7 Bien que le texte de Camatte soit largement dvolu la trajectoire de la forme-valeur base sur une lecture demanuscrits non publis de Marx (les Grundrisse et les Rsultats du Processus Immdiat de Production), son chapitresur le Communisme et les phases intermdiaires entre le capitalisme et le communisme, comme les Principes

    fondamentaux du GIK, touche la question de la communisation. Lapproche de cette question par Camatte a sespropres bases dans des textes de Mitchell (Jehan) dans Bilan dans les annes 30, et tout particulirement dans destextes de Bordiga depuis la fin des annes 40 jusque dans les annes 60.8Les principes fondamentaux de la production et de la distribution communiste, Libcom, p. 49 Marx, Critique du Programme de Gotha, p. 34610Les principes fondamentaux, p. 511 La faon dont Mattick dpeint labondance semble beaucoup trop optimiste aujourdhui, tout particulirement lalumire de dcades de dveloppement bas largement sur la croissance de capital fictif et sur les bulles financires,alors que la reproduction du proltariat a t violemment menace, et que des masses toujours plus importantes detravailleurs sont expulses de faon permanente du processus de production. Bien que de telles questions soientimportantes, elles nempchent pas une vision de la rvoltion dans laquelle la communisation, comprise commelabolition de la forme-valeur et du travail proltarien auquel elle est lie, ne peut tre mise en place avant quun stadeplus lev ou lachvement dune priode de transition.12

    Jacques Camatte, Capital et Communaut (Prism Key Press, 2011), p. 261.13 Ibid, p. 265.14 Ibid., p. 272.

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    conserver la forme du travail salari sous la dictature du proltariat, bien que ... la base duphnomne ne soit pas la mme. Dans la socit capitaliste, le travail salari est un moyen d'viterde restituer la totalit du produit l'individu qui l'a produit. Dans la phase de transition, le travailsalari est le rsultat du fait que ce n'est pas possible de dtruire l'conomie de march d'un jour l'autre."15 Dans le stade infrieur du socialisme, le caractre de marchandise du travail est effac, etla part du travailleur de la richesse cre par sa main-d'oeuvre est distribue sous forme de bons detravail bass sur le temps de travail consacr par le travailleur, par le travail abstrait, mesur entemps de travail moyen socialement ncessaire.

    A ce stade, comme lexplique Camatte, ... nous avons encore traiter avec des valeurs et le tempsde travail va toujours dfinir ces valeurs. Mais puisque le but n'est plus d'augmenter le temps detravail, cela signifie que le temps de travail n'a plus besoin d'apparatre sous le voile de la valeurafin d'assumer sa fonction sociale; il affirme son rle immdiatement. "16 Mais la suppression duvoile traditionnel capitaliste n'limine pas la forme-valeur, ou la soumission de l'humanit aux loisde son mouvement. En effet, la rduction mme de tout travail au travail abstrait, l'universalisationmme de la condition proltarienne et de ses modes de travail (labor), risque de perptuer le capital

    et ses relations sociales. En outre, cette perspective n'est pas limine par l'insistance de Camattesur le fait que les bons de travail que le travailleur va changer contre des biens et services ne sontpas cumulables, sont "valables pour une priode limite et sont perdus la fin de cette priode,sils ne sont pas consomms 17, empchant ainsi une restauration du capitalisme. La question n'estpas celle de la restauration du capitalisme, mais plutt celle de la perptuation de son existence travers celle de la valeur dtermine par le temps de travail, et le travail abstrait, sur les basesdesquels le capitalisme n'a jamais t abolie. Pour Camatte, c'est seulement au stade suprieur ducommunisme de Marx que : Toutes les formes de valeur sont alors enterrs; Ainsi le travail n'adsormais plus une forme dtermine [le travail abstrait??], il n'y a pas d'alination."18

    La question souleve par la thorie de la communisation telle qu'elle s'est dveloppe au cours des

    dernires dcennies est de savoir si l'imaginaire social d'une priode de transition, des stadesinfrieurs et suprieurs du communisme, n'est pas devenue - ce stade historique du capitalisme -un obstacle de plus la rvolution communiste, la communisation.19

    La thorie de la communisation, telle qu'elle a t formule par pro-rvolutionnaires au cours desdernires dcennies peut peut-tre tre rsume dans les termes suivants, comme dans un essai parBruno Astarian:

    La Communisation ne veut pas dire que le communisme sera mis en place par un coup debaguette magique. Il sera tabli par un processus de lutte, avec des avances et des retraites parla rvolution. Cela signifie que les le actions menes par les rvolutionnaires viseront

    l'abolition du travail (labor) et de la valeur ... ici et maintenant. Lorsque la rvolution capitalisteattaque la proprit, elle ne le fait pas dans le but de confrer le proltariat le privilge de laproprit qu'il n'avait pas auparavant, mais dans le but de mettre un terme tous les formes de

    15 Ibid., p. 26616 Ibid., p. 27917 Ibid., p. 28818 Ibid., pp. 297-298.19 Une question qui semble tre une diversion, bien quelle ait fait couler beaucoup dencre dans le milieu pro-rvolutionnaire, est de savoir QUAND la communisation, oppose la priode de transition, est devenue unepossibilit historique pour le proltariat. La communisation tait-elle possible en 1789, en 1848, en 1871, en 1917, en1936, etc.? La communisation ne sest pas produite ce moment-l, et bien quon puisse discuter du pourquoi elle ne

    sest pas produite, la tche daujourdhui est de confronter la ncessit historique de la communisation dans la priodeactuelle, et les dangers auxquels est confront le travailleur collectif dans le monde capitaliste qui survit sa criseactuelle.

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    proprit immdiatement.20

    En bref, la forme-valeur, et le travail [labor] qui lui sont lis, doivent tre abolis par la rvolution,non pas comme l'aboutissement d'une priode de transition, comme la gauche communistehistorique lavait maintenu. En outre, alors que la communisation est le but immdiat de larvolution, Astarian souligne que: Nous ne devons pas confondre immdiatet avec instantanit.Quand nous disons l'immdiatet du communisme, nous disons que l'objectif de la rvolutionproltarienne ne consiste plus dans la cration d'une socit de transition, mais dans le fait dtablirdirectement le communisme."21 Pour moi, ce qui est crucial ici, ce nest pas le contenu prcis del'uvre (travail, work) ou activit qui doit tre immdiatement transforme, par exemple, lanourriture ou les vtements, la mdecine ou le logement, devront tre produites. Ce qui doitimmdiatement tre aboli, c'est la rduction de cette activit humaine au travail abstrait, et samesure par le temps de travail socialement ncessaire, c'est le mode historiquement spcifique danslequel le travail (labor) a exist dans la socit capitaliste22. Et cela, bien sr, implique galementla suppression d'un mode de distribution des biens et services par le biais du temps de travail, travers une forme de salaire [le salariat] ou des bons de travail mme. C'est dans le cours mme

    d'un bouleversement rvolutionnaire, donc, et non la fin d'une priode de transition, que lacommunisation se produit. Comme RS insiste, dans SIC#1 : La rvolution est la communisation,elle n'a pas le communisme comme projet et comme rsultat, mais comme son contenu mme." 23

    En effet, dans la rvolution elle-mme, la suppression, non seulement du capital et du travail(labor), mais aussi du proltariat doit se produire. C'est ainsi que BL lexprime dans SIC#1: Danscette lutte, la saisie des moyens matriels de la production ne peut pas tre spare de latransformation des proltaires en individus immdiatement sociaux: cest une seule et mmeactivit, et cette identit est provoque par la forme actuelle de la contradiction entre le proltariatet le capital."24 Ce n'est pas, alors, une variante de la pense utopique qui ma conduit voir lacommunisation comme partie intgrante de la tourmente rvolutionnaire elle-mme, mais plutt la

    logique mme du capital, sa trajectoire historique spcifique, et la nature de la crise capitaliste dansla conjoncture historique actuelle: l'impossibilit de la reproduction de la condition proltariennepar le capital, tout comme l'expulsion massive et permanente de main-d'uvre proltarienne del'conomie, la cration d'une vaste plante des bidonvilles, et limminence des catastrophescologiques, des phnomnes lis la perptuation de la forme-valeur. Ce sont ces mmesconditions historiques et matrielles trs relles, qui ont fait de la communisation de la tcheimmdiate de la rvolution aujourd'hui.

    Mais qu'est-ce de l'abolition du travail (labor), qui fait partie intgrante de la plupart des thoriesde la communisation? Lactivit humaine, comme le travail proltarien, le travail en tant quetravail abstrait, le travail tel quil a t historiquement dvelopp et instanci par le capitalisme,

    doit tre aboli, mon avis. Le travail (labor) sous sa forme historique de travail salari, et lesrapports sociaux capitalistes dans lesquels la production et la distribution sont bases sur le tempsde travail moyen socialement ncessaire, sous toutes ses formes, doivent tre immdiatementabolis. Mais l'anti-travail (anti-labor) doit tre accompagn par une vision de l'activit humaine, la

    praxis, qui englobe le domaine de la production, libr de son tgument historique (y compris

    20 Bruno Astarian, Communisation et Activit de Crise, http://www.hicsalta-communisation.com/21 Ibid.22 Le travail extorqu une classe exploite nest pas une catgorie trans-historique. Il est apparu dans plusieurs modehistoriques spcifiques : le travail de lesclave ou de la classe des ilotes dans la Grce ancienne, le travail des serfsdans la socit fodale, pour ne prendre que ces deux exemples trs diffrents, de mme que le travail abstrait extorqu

    de la classe ouvrire salarie dans la socit capitaliste.23 RS, Le Moment Prsent, SIC 1, p. 9524 BL, Le pas suspendu de la communisation , SIC 1, pp. 147-148

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    capitaliste). Ce texte n'est pas le lieu o commencer une laboration thorique dtaille de cettetche norme, mais ses grandes lignes doivent au moins tre esquisses. La communisation n'estpas l'arrt de la production. Que du contraire! C'est le dbut de l'auto-production d'tres humains,l'auto-production de rapports sociaux communistes. L'action humaine ne s'est pas limite autravail, (labor), sous la contrainte des relations d'exploitation et de classe. Il y a donc unedistinction, entre la techn, poiesis, et luvre (work), dun ct, et le travail (labor) de lautre ;entre le travail (labor) de l'esclave, du serf, du proltaire, dun ct, et luvre [work] de l'individusocial. Ce n'est pas une simple distinction terminologique ou linguistique, mais plutt l'un desmodes historiquement distincts de l'action humaine, les modes qualitativement diffrents dumtabolisme entre l'homme et la nature. Le travail (Labor) nest, alors, quune forme spcifique dece mtabolisme . C'est prcisment cet ensemble de distinctions, entre le travail ( labor) et letravail (work), et les possibilits qui seront cres par la communisation que les pro-rvolutionnaires ont besoin de commencer explorer: la production, luvre (work), au-del dutravail (labor). Certains communisateurs, comme Bruno Astarian, ont commenc examiner lacomplexit des questions impliques. "Le communisme connaitra la production, mais ne connaitrapas le travail (labor).25" Si la communisation ne doit pas tre considre simplement comme une

    version de "Woodstock" sur une grande chelle, alors les implications de la proposition d Astarianselon laquelle il y aura production sans productivit doivent tre labores26. La productivitest intimement lie au travail abstrait qui produit de la valeur, tandis que la production et sesobjectivations satisfont les besoins humains, corporels, communaux, intellectuels et cratifs. Elleimplique, mon avis, au moins comme point de dpart, que l'alination [Entfremdung] ne seconfonde pas avec l'objectivation, une position qui a son fondement dans une certaine lecture deHegel, qui continue faonner la vision de l'alination du jeune Marx . Objectivations, il y aura,mais des objectivations non subsumes par la forme-valeur.

    La communisation implique une rvolution, dans laquelle l'abolition du travail (labor) et duproltariat comme sujet du travail, se produira en tant que partie intgrante de la tourmente

    rvolutionnaire elle-mme. Cependant, dans certains milieux qui font partie du courant descommunisateurs, une position qui rappelle le dterminisme du marxisme traditionnel a surgi, uneposition dans laquelle le rle primordial de la conscience dans la communisation semble treignor. Ainsi, dans le texte de Peter Astrom Crise et communisation dans SIC1, le scnario d'unsoulvement rvolutionnaire attenant une crise capitaliste dvastatrice, comme la crise actuelle,stipule que la crise va obliger le proltariat de dtruire ... toutes les conditions qui sans cesserecrent le proltariat en tant que classe. En fin de compte, le proltariat ne peut repousser lecapital quen se niant lui-mme comme classe crant la valeur et en mme temps - dans un seul etmme processus en produisant des vies entirement nouvelles qui sont incompatibles avec lareproduction du capital 27Le fait de ne pas parler de la conscience ici, ni des bases mmes de sondveloppement, peut faire croire que la rponse du proltariat une telle crise est instinctive,

    automatique et simplement dtermine par la profondeur de la crise elle-mme, une rponse qui estinvitable. L'absence de toute discussion sur la conscience et lide de l'invitabilit d'une rponseproltarienne la crise, me rappellent la confiance absolue de lHistomat dans le fait que larvolution et la destruction du capitalisme ont t dtermines par les lois qui prsident auprocessus historique lui-mme. Astrom souligne lui-mme des discussions au sein de SIC portantsur le fait quil a mis un ... accent trop fort sur le fait que les proltaires sont contraints d'agird'une certaine faon.28" Que la logique du capital, comme une contradiction en mouvement,produise une crise de la reproduction pour le capital et le proltariat n'est pas en cause ici. Ce qui

    25 Bruno Astarian,Le Travail et son Dpassement(Editions Senonevero, 2001), pp. 175-176.26

    Ibid., p. 176.27 Peter Astrom, Crise et Communisation, SIC1, p. 35.28 Ibid., p. 37

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    est en question est un dterminisme implicite par rapport une rponse proltarienne, une vision -si elle devait se dvelopper - qui pourrait affaiblir les perspectives aussi bien dune renaissance dumarxisme, que dun soulvement rvolutionnaire.

    En effet, un impratif pour la thorie de la communisation, mon avis, est de se connecter laperspective du dveloppement d'une conscience qui peut faire exploserla forme-valeur directementlie aux modes historiquement spcifiques du travail (labor) que le capital a fait natre dans saphase actuelle. C'est l que rside la possibilit relle-objective - pour utiliser une notionBlochienne29 - de la communisation. Pour Ernst Bloch une possibilit objective-relle n'est pas unvu pieux, mais plutt le rsultat de conditions matrielles qui ont mri dans le processushistorique lui-mme, et qui deviennent manifestes. La possibilit objective-relle de l'abolition dutravail (labor) doit donc tre recherche dans les conditions historiques relles des processus detravail de la socit d'aujourd'hui capitaliste, dans les modes de travail (labor) que le capitalismemoderne a lui-mme crs au service de sa compulsion accumuler.Mac Intosh

    Quelques rfrencesVers une nouvelle plate-forme rvolutionnaire. PI 23Dbat : Propositions pour l'laboration d'une nouvelle plate-forme. PI 25Editorial : Perspectives de la Fraction. PI 26Bilan pour un nouveau dpart : Perspective Internationaliste. PI 27Le monde tel que nous le voyons Points de repre. PI 27Y a-t-il une perspective rvolutionnaire ? PI 28

    Contribution la discussion sur notre fonction (PI 40 Juillet 2002) PI 40Visibilit du projet rvolutionnaire et nouvelles technologies. PI 44Une nouvelle direction PI 46Perspectives rvolutionnaires PI 47Lappel au milieu pro-rvolutionnaire PI 51-52Lappel au milieu pro-rvolutionnaire : ractions et perspectives PI 51-52

    Est-ce la fin de la classe ouvrire ? PI 55

    29 Bloch dveloppe cette notion dans son Principe Esprance (Cambridge, MA : The MIT Press, 1986), Volume I,pp. 235-241.

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    Ceux que lon dit morts, vivent plus longtemps

    In Memoriam

    ROBERT KURZRobert Kurz, philosophe marxiste, est malheureusement dcd le 18 juillet 2012, lge de 66 ans. N en1943 en Allemagne, R. Kurz sest employ, tout au long de sa vie, une relecture critique de luvre deMarx. R. Kurz a particip activement au groupe allemand Krisis (cr en 1986), priode laquelle il apubli, en tant que co-auteur, leManifeste contre le travail. Lors de la scission de Krisis30, R. Kurz a militau sein de la revue-groupe Exit !, sur le site duquel de nombreux textes crits en allemand et non encoretraduits en franais ou en anglais peuvent tre trouvs. Un ouvrage rcemment publi en franais, Vies etmort du capitalisme (Nouvelles ditions Lignes, 2011), contenant une vingtaine de textes de Kurz, critsentre 2007 & 2010, permet de prendre connaissance de la contribution de ce philosophe la ncessairepoursuite de luvre de Marx31.

    Kurz fait partie dun courant thorique qui, au niveau international, a mis en lumire la critique de lavaleur , essentielle dans luvre de Marx32. Il en est un des principaux thoriciens en Europe. Selon cecourant, le capitalisme nest pas une domination dhommes sur dautres, un systme dexploitation de lamajorit par une minorit, mais un systme domin par certaines catgories et structures sociales cres parles hommes : la valeur, la marchandise, le travail abstrait. Les hommes se soumettent ces catgories, yinscrivent leur activit productive, leur activit de consommateurs, comme si les catgories de salaire , argent , valeur taient des catgories naturelles, auxquelles on ne peut que se plier, et qui existerontde manire permanente. Et ce, dautant plus que ces catgories et les structures de domination sociales quien dcoulent (Etat, salariat, ) dominent le monde entier, y compris les pays qui ont t appels communistes (pays de lEst, Chine, Cuba, etc)33. La mondialisation qui a pris place au cours desdernires dcennies a permis dtendre ces catgories la plante entire, en mme temps quelletransformait beaucoup daspects de la vie humaine (lducation, lart, la sant, entre autres) enmarchandises.R. Kurtz tait lun des rares thoriciens qui, au cours des dernires dcennies, sest attel montrer quel uvre de Marx est toujours essentielle pour comprendre le monde daujourdhui. Cest en se basant surles catgories fondamentales de la valeur, du travail abstrait, quune analyse marxiste de la crise qui secouela plante depuis 2008 est possible. La crise actuelle nest pas une crise du capital financier , due lavidit pour le profit des banques et des spculateurs, mais une crise qui touche le cur mme ducapitalisme, le rapport entre la productivit et les conditions de la valorisation. Elle est due une

    30 LeManifeste contre le travail, publi la premire fois en 1999 en allemand par le groupe Krisis,en en traduction franaise en 2002 (Lignes & Manifestes, ensuite en collection 10/18), se trouvait,dune certaine manire, la lisire des deux approches. La scission ultrieure du groupe a, dunecertaine manire, approfondi les contradictions dj contenues dans ce pamphlet.31 voir R. Kurz. Les destines du marxisme : Lire Marx au XXIme sicle, dont lintroduction est publie sur http://sd-1.archive-host.com/membres/up/4519779941507678/Les_destinees_du_marxisme_Lire_Marx_au_21e_siecle_par_Robert_KURZ.pdf32 La critique de la Valeur est centrale dj dans louvrage de Roubine, Etudes sur la thorie de lavaleur. Dveloppe par les thoriciens de lEcole de Francfort, elle est aujourdhui popularise par

    des auteurs tels que Moshe Postone, et Anselm Jappe.33 dans lesquels la forme particulire qua prise cette domination (parti unique, idologie de masse, etc) sexpliquepar la tentative de rattraper le dveloppement capitaliste qui ne sy tait pas produit au cours du 19me sicle.

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    production insuffisante de survaleur, sous-production due au fait que trop de force de travail est rendue

    superflue (). La dsubstantialisation relle du capital est parvenue un point o seule une pseudo-

    accumulation sans substance via des bulles financires et le crdit dEtat est possible, et cest elle qui se

    heurte actuellement des limites. 34

    La critique de la valeur est donc une arme puissante pour comprendre ce qui nous arrive depuis les annes

    80 : non seulement leffondrement du bloc de lEst, mais aussi la crise des dettes souveraines , de laGrce, de lEspagne, les coupes dans les budgets de lducation, de la sant, limpossibilit dune rellereprise, due au fait que la plus-value crer dans le futur est dj engage par les dettes du pass 35. PourKurz, le capitalisme est entr dans une crise absolue : avec la troisime rvolution industrielle, lecapitalisme perd sa substance, le travail abstrait : A tous les niveaux du capital, nous assistons auxsecousses de la dvalorisation. () La cause du dsastre persiste, savoir : le nouveau standard de

    productivit irrversible, pos par la troisime rvolution industrielle. Cest pourquoi il ny a plus dautre

    possibilit que la cration toujours nouvelle, par les Etats et par les banques, de capital-argent sans

    substance, et qui seffondrera des intervalles toujours plus rapprochs .

    Si nous rejoignons la pense de Kurz sur bien des points de lanalyse conomique, nos ides ne convergentpas pour autant sur dautres plans. Nous discuterons ci-dessous trois dsaccords.

    1) Kurz remet en question le fait que le proltariat reste le sujet rvolutionnaire du XXIme sicle, cest--dire d la dfinition du sujet rvolutionnaire par sa place dans la production. Lappareil conceptuel dela critique radicale a besoin dtre dpoussir. La classe rvolutionnaire de Marx tait clairement le

    proltariat industriel du XIXme sicle. Uni et organis par le capital mme, il tait cens en devenir le

    fossoyeur. () Mais la nouvelle crise se caractrise par le fait que le dveloppement mme du capitalisme

    fait fondre la substance du travail abstrait qui est contenue dans la base productrice du capital. Ainsi,

    lide de lutte de classes perd son aura mtaphysique pseudo-transcendante. Les nouveaux mouvements

    ne peuvent se dfinir de faon objectiviste et formelle au moyen dune ontologie du travail abstrait

    et par leur place dans le procs de production . Dsormais, ils ne peuvent plus se dfinir que sur le fond,

    par ce quils veulent () Et par le futur quils dsirent : lutilisation commune et rationnelle des forces

    productives atteintes, daprs leurs besoins et non daprs les critres absurdes de la logique du capital.

    Leur communaut ne peut plus tre que la communaut dobjectifs mancipateurs, et non celle dune

    chosification dicte par le rapport-capital mme. Ce que la thorie ralise ds prsent en ttonnant, la

    thorie doit encore le formuler conceptuellement. Cest alors seulement que les nouveaux mouvements

    pourront devenir radicalement anticapitalistes dune faon nouvelle, cest--dire au-del de la vieille lutte

    des classes. 36.

    34Vie et Mort du capitalisme, pp. 12-13, Editons Lignes, 201135 voir le compte-rendu de la table ronde laquelle participa R. Kurtz dbut 2012, sur le thme de la crise conomique,

    http://www.principiadialectica.co.uk/blog/?p=5893&utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A+principiadialectica+%28Principia+Dialectica%29)36 R. Kurz,Au-del de la lutte de classe, juin 2003, inAvis aux naufrags, p. 137. Editions Lignes.

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    Kurz rejette ici lide que seul le proltariat industriel constituerait le sujet rvolutionnaire, une ide laquelle nous pouvons souscrire. Mais il dveloppe une vision selon laquelle la lutte de classe est devenue

    partie intgrante de ce systme de la concurrence universelle et sest rvle en soi comme un simple cas

    particulier de ce systme, tout fait incapable de transcender le capitalisme (ibid., p. 136). Lecapitalisme, en dsocialisant la socit, laisse libre cours la lutte de tous contre tous, un bloc conomiquecontre lautre, homme contre femme, individu contre individu, voire enfant contre enfant (ibid, p. 136).

    Au final, le proltariat, industriel ou pas, et le capital, nont jamais t que des concrtions diffrentesdune seule et mme substance sociale. Le travail constitue du capital vivant et le capital du travail mort.Nos lecteurs auront devin que nous ne pouvons souscrire une telle vision, qui rduit le proltariat unobjet compltement alin au capital, et qui nie la contradiction qui existe entre sa situation de classeexploite et son potentiel rvolutionnaire. Ce qui chappe Kurz aussi, cest la vision, dj dveloppe parMarx, du travailleur collectif , qui intgre proltariat industriel, employs, travailleurs du service public,enseignants, y compris les chmeurs, ou les jeunes qui nont jamais t intgrs dans la production. Ceuxqui nont que leur force de travail vendre pour subsister, tel est aujourdhui le sujet rvolutionnaire ,cest--dire le point de dpart des mouvements dans lesquels ces diffrents segments du proltariat peuventoprer une critique radicale du capitalisme, de la valeur, et lnonciation dun autre mode de production, derelations humaines. Ce travailleur collectif se constitue en force sociale, au cours dun mouvement de miseen question du capitalisme, donc de mise en question de sa propre existence aussi (voir texte sur la

    communisation dans ce numro). Ce nest pas un groupe social dfini, tant donn la fragmentationactuelle du proltariat.

    2) De mme, sur la question de la critique du travail , Kurz semble considrer ce qui est appel travail(labor) dans la socit capitaliste, savoir le travail abstrait, comme tant le seul type de production, etdevant donc obligatoirement tre aboli dans le processus rvolutionnaire. Il nest pas certain quil ait laborla distinction entre travail extorqu, abrutissant (labor) et activit humaine, uvre, (work) (voir texte sur lacommunisation).

    3) Enfin, dans le texte La guerre contre les Juifs 37, Kurz dfend lide dun double caractre de lEtatdIsral, qui est, dune part, un Etat moderne ordinaire dans le cadre du march mondial, et, de lautre, une

    rponse des Juifs lidologie liminationniste dexclusion de lantismitisme europen, et surtout

    allemand. A la suite dun raisonnement sur la transformation du conflit isralo-palestinien depuis 2008,Kurz en vient critiquer lindiffrentisme par rapport aux attaques anti-israliennes et stigmatiser le faitque la majeure partie de lopinion publique mondiale qualifie dexcessive la contre-attaque dIsral ()le pragmatisme capitaliste se tourne () de plus en plus contre lautodfense isralienne. Nous neconnaissons pas suffisamment Kurz pour saisir les racines de son attachement lautodfenseisralienne . Quoi quil en soit, il est vident que nous ne pouvons le suivre dans cette voie.

    Au-del de ces divergences, nous rendons hommage Kurz, comme un thoricien majeur qui a reconnu lancessit de dvelopper le marxisme tout en se basant sur ce quil a de plus fondamental. Avant tout, Kurzraffirmait la ncessit de lutter au nom des besoins fondamentaux, matriels, sociaux et culturels, deshommes ainsi que la ncessit de dgager le contenu de ces besoins de leur forme capitaliste (salaires,profits). Satisfaire le vritable contenu des besoins humains ne dpend pas du fait que la valorisation ducapital fonctionne, mais, au contraire, est antagonique avec cette valorisation. Il faut pousser la tension entrece contenu et la forme capitaliste, et dvelopper une critique qui aille au-del du capital. Le but dumouvement est non seulement la destruction du capitalisme en tant que rapport social, mais surtoutlinstauration dune autre socialisation , qui soit la porte de lhomme. Ceux que lon dit morts, vivent plus longtemps a crit R. Kurz en pigraphe de son texte Lire Marx auXXIme sicle . Kurz continuera vivre, travers ses textes, ses analyses, et son opinitre volont analyser le monde du 21me sicle en termes marxistes.PI

    37 Vie et Mort du Capitalisme, p. 218

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    Discussion

    PERSPECTIVEINTERNATIONALISTE ETLA TRADITION DE LAGAUCHE COMMUNISTE

    1. Lorsque Perspective Internationaliste a commenc tre publi en 1985, notre groupe tait

    caractris par son adhsion aux positions de base de la Gauche Communiste, mais aussi par sonattitude critique l'gard de ce courant. Gauche communiste est un nom gnrique pourlensemble de groupes marxistes qui avaient rompu avec, ou avaient t expulss, de la TroisimeInternationale domine par les bolchviks sur la base de leur position pro-rvolutionnaire, anti-nationaliste, et pour des groupes qui, plus tard, se sont forms sur la base de leurs positions. Nousnous sommes identifis la lutte qu'ils ont mene, et nous continuons le faire. Nousreconnaissons qu'ils reprsentaient une vritable rsistance de classe contre la contre-rvolution quia finalement remport la victoire en Russie et dans le monde. Nous reconnaissons qu'ilsdfendaient des positions de classe, alors que la plupart des soi-disant marxistes les avaientabandonnes. Mais depuis nos dbuts, nous avons aussi ralis que la Gauche communiste a eud'importantes lacunes et des trous noirs thoriques et na pas donn naissance une thorieapproprie pour notre poque. Nous avons donc appel une renaissance du marxisme . Parl, nous voulions dire : refuser le dogmatisme vici qui en est venu caractriser le marxismetraditionnel, r-examiner nos sources de faon critique, dvelopper une analyse marxiste l o elles'tait arrte, sortir du cadre auto-rfrentiel du marxisme traditionnel et s'ouvrir une pense nonmarxiste, afin de forger une thorie vivante, un faisceau lumineux qui permette de trouver lemoyen de sortir de ce tunnel sombre.

    Nous n'avons jamais pens que nous pourrions faire cela tout seuls et donc nous avons tendu lamain d'autres. Donc, c'est ce qui dfinit PI : son origine marxiste, gauche communiste, sonobjectif d'une renaissance du marxisme, et son appel d'autres personnes se joindre ce projet,

    nous rejoindre pour un dbat non-sectaire, non dogmatique, qui aille au cur du problme :Comment fonctionne le capitalisme, comment peut-il tre renvers. Cet appel a t principalement

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    dirig vers les autres groupes de la gauche communiste et a reu, dans la plupart des cas, unerponse frileuse. Cela ne nous a pas empch de poursuivre ce que nous avons dcid de faire. Ilfallait dfaire avant de pouvoir refaire. La critique empirique des positions de la gauchecommuniste - la contradiction entre la thorie et la ralit - a conduit une critique des outilsconceptuels grce auxquels cette thorie explique la ralit, ce qui a conduit une critique du cadrethorique lui-mme sur lequel ces concepts sont fonds, qui a conduit une reconnexion avecl'analyse de Marx un niveau plus profond.

    Nous n'tions pas seuls dans ce voyage, mais parfois il semblait que ctait le cas. D'autres, souvent notre insu, staient lancs dans des projets similaires. Le courant des Communisateurs, dansses diverses expressions, et les thoriciens allemands de la forme valeur, entre autres, ont apportdes contributions importantes qui ont influenc nos propres dbats. Pendant ce temps, notreloignement de la tradition communiste gauche avait grandi. Bien que partageant toujours leurspositions de base, nous avons ralis quun cart avait grandi entre son cadre thorique et la ntre.Il est temps de prciser cette diffrence, de nous situer clairement. Ceci s'est avr tre une ciblemouvante. Nous sommes passs par plusieurs brouillons, dans la mesure o notre propre

    comprhension sest approfondie quant la faon dont fonctionne la valeur, et il nous a falluretravailler lesquisse. Il est devenu vident que les lacunes de la gauche communiste ont unecohrence qui a sa source dans le marxisme lui-mme, ou tout au moins dans le marxismetraditionnel, orthodoxe, que nous avons aussi, autrefois, partag.

    Donc, nous considrons-nous encore comme partie de la Gauche Communiste ? Oui. Nous noustenons sur leurs paules, aucun doute ce sujet. Nous continuons leur lutte. Et Non. Nous avonsboug au-del de la Gauche communiste. Nous n'avons pas dtiquette alternative, mais le nomGauche communiste ne convient plus, du moins sans une explication. L'explication, la voici.

    Comprendre l'histoire2. Nous avons besoin d'une critique marxiste du marxisme, dune critique matrialiste du matrialisme historique tel que dvelopp par les thoriciens de la Deuxime Internationale, etde l histomat , le dogme cr par la Troisime Internationale et consacr par Staline38. Nousavons besoin de comprendre le marxisme comme un enfant de son temps. En effet, il n'y a aucuneraison pour laquelle seul le marxisme pourrait chapper l'influence des modes de pense et despratiques sociales de l'poque dans laquelle il est n. Du moins pas d'un point de vue marxiste.Linfluence des idologies des Lumires, du progrs, le Messianisme Chrtien ainsi que lacroyance quasi-religieuse dans la capacit de la science dvelopper les connaissances, expliqueret rsoudre tous les problmes. Linfluence aussi du mode de production en changement, qui a tla transition vers une production base sur la machine. Avec le dveloppement de la technologie

    mcanique est apparue une perspective mcaniste du monde, une vision de la ralit comme unemachinerie complexe obissant des lois mcaniques, une quation entre le progrs et latechnologie. En outre, durant cette priode, l'conomie est vraiment devenue la force motrice. Lacroissance de la production est devenue l'objectif social dominant, qui faonne l'idologie et lespratiques sociales. Ceci suscite la croyance quil en a toujours t ainsi. Mais ce focus implacablesur la productivit tait vraiment un focus sur l'accumulation de la valeur, et donc spcifique aumode de production bas sur la forme-valeur.

    38 Auquel nous devons ajouter le diamat, dont la base peut tre trouve chez Engels, dans des textes comme laDialectique de la Nature, et ensuite consacr par les thoriciens des Soviets sous Lnine et Staline. Histomat, avec sa

    vision transhistorique et tlologique de lhistoire, son dterminisme conomique, et Diamat, avec sa parodie dematrialisme transpos la nature, et ses soi-disant lois, constituent un rejet thorique de la dialectique sujet/objet,de la spcificit historique du capitalisme, et impose un ensemble dabstractions mortes sur la nature.

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    Le marxisme a subi ces influences. Mais il refltait aussi la lutte du proltariat lintrieur etcontre le capitalisme, et son besoin de comprendre, de voir o il va. Le marxisme n'a jamaisprtendu tre une science neutre, il a pris le parti de la classe ouvrire. En agissant ainsi, le bandeauest tomb des yeux, le brouillard sest vapor, la ralit est devenue plus claire. Non pas la ralitobjective, mais la ralit subjective de la classe qui cr la valeur, la classe exploite par lecapitalisme et qui a le pouvoir potentiel d'y mettre fin.

    3. De ce qui prcde peut tre conclu ceci : Le marxisme est un travail en cours et ledveloppement de la conscience est un processus complexe qui ne peut tre rduit un simpleschma. Mais le marxisme traditionnel avait tir les conclusions opposes.Au lieu de reconnatre la complexit de la conscience et le rle de la contingence dans l'histoire,linteraction complexe entre divers facteurs sociaux, conomique, politique, et idologique, dans ledveloppement historique des relations sociales, le marxisme traditionnel divise le monde en unebase, les forces productives, comprises vulgairement comme les forces productives matrielles,et les rapports sociaux qu'elles crent automatiquement, et une superstructure - tout le reste,toutes les manifestations de la pense humaine et de l'interaction, tant dtermines unilatralement

    par la base. Ainsi, alors que le marxisme traditionnel proclame que la lutte des classes est le moteurde l'histoire, il estime que la lutte de classe est elle-mme une consquence du dveloppementinhrent des forces productives. Donc, c'est ce dveloppement qu'ils considrent comme levritable moteur de l'histoire39. Cela rend la question de savoir comment la conscience peut sedvelopper jusqu la ralisation du communisme, trs simple. Le dveloppement des forcesproductives se chargera de cela. Les partisans les plus consquents du dogme matrialistehistorique sont les conseillistes, qui croient que l'organisation politique, en tant quactivitsuperstructurelle, ne peut avoir aucun impact sur l'histoire, puisque la socit est entraneuniquement par la base qui impose de nouvelles relations sociales lorsque son volution lesrequiert. Donc tout ce que nous avons faire, c'est laisser l'histoire suivre son cours.

    Au lieu de reconnatre que le marxisme tait et est un travail en cours, le marxisme traditionnel,sous la direction d'Engels, Kautsky, Lnine et d'autres, est devenu un systme ferm, autonome depense qui explique l'univers et tout le reste. Ils ont rduit le marxisme une idologie, unepseudo-science base sur la prmisse selon laquelle l'avenir est dj contenu dans le pass et estdonc invitable. Que toute l'histoire sest produite parce quelle devait se produire de cette faon,que tout cela tait une prparation pour le moment o les forces productives ne peuvent plus sedvelopper au sein du capitalisme et donc imposent le socialisme. Une telle vision de lhistoire, quise dveloppe sur base dun seul principe ou matire, a plus en commun avec la philosophieidaliste ou mtaphysique, quavec le matrialisme enracin dans les relations sociales relles entreles tres humains, et les relations historiques complexes cres par leur travail et leur praxis.Le problme commence avec l'pistmologie du marxisme traditionnel, savoir sa rponse la

    question, comment les tres humains connaissent le monde, social et naturel. Engels, qui sestconfront ces problmes complexes dans une srie de textes classiques, tait convaincu que lathorie du refletde la conscience qu'il a labor, garantissait une connaissance correcte du monderel, une position ritre dans un texte classique de Lnine lui-mme, Matrialisme et

    Empiriocriticisme. Ce que Engels, Lnine et le marxisme traditionnel ont ignor, c'est que l'trehumain n'est pas en dehors du monde qu'il/elle se reprsente, mais lintrieur de ce monde, desorte que la pense n'est pas le simple reflet d'une ralit extrieure, mais un facteur actif etconscient dans sa structuration et son dploiement historique. Dans sa premire thse sur

    39 Alors quEngels, par exemple, essaye de nuancer le dterminisme vulgaire de cette position, en reconnaissant le rle

    dautres facteurs qui ont t ngligs dans beaucoup de textes par manque de temps, de place, cette nuance fut plus quesouvent absente des textes du marxisme traditionnel de la Seconde et de la Troisime Internationale, une absence quirvle limpossibilit dchapper au dterminisme dans lequel le marxisme orthodoxe tait enferm.

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    Feuerbach Marx a critiqu ce point de vue objectif selon lequel "les choses, la ralit, lasensualit, sont conus seulement sous la forme de l'objet, ou de la contemplation, mais pascomme activit humaine sensuelle, pratiquement, pas subjectivement. "Mais cette approche ainfluenc le marxisme traditionnel, et passa la gauche communiste historique. Avec elle sontvenues des prtentions de la connaissance scientifique du pass, du prsent et de l'avenir.Le dterminisme conomique brut, combin la tlologie hglienne dans lhistoire, lexistencedun dessein gnral dans lhistoire, dun but final du monde a faonn le systme de croyancedu marxisme traditionnel, bas sur le dogme que l'homme est programm pour le communisme,que chaque mode de production qui s'est dvelopp en Europe occidentale a t un tremplinncessaire pour atteindre cet objectif, que la force motrice est toujours la croissance des forcesproductives qui se dveloppent dans une socit donne au plus haut point possible, et suscitent ensuite une lutte de classe qui conduit un nouveau mode, plus avanc, de la production, et ainside suite, jusqu' ce que le communisme soit atteint40.

    Cette vision est caractris par le productivisme: la conviction que le dveloppement des forcesproductives est intrinsquement progressif et que le capitalisme est progressif tant qu'il continue

    dvelopper les forces productives. Cela implique que les communistes doivent soutenir lecapitalisme dans la mesure o il dveloppe les forces productives (comprises, de manire troite,comme la machinerie et la technologie). Cela implique galement une vision du socialisme commelibration des forces productives du capitalisme afin qu'elles puissent se dvelopper davantage, etune vue de la science et de la technologie qui faonnent ces forces productives comme desinstruments neutres du Progrs, sans contenu de classe, qui peuvent tre facilement utilises dansune socit socialiste.

    4. Notre critique du matrialisme historique et de histomat n'est pas un rejet dumatrialisme ou de la dimension historique des formations sociales. La prmisse reste que lesconditions matrielles dterminent la socit humaine et ce sont ces conditions matrielles que

    nous examinons en vue de connatre le potentiel de changement de socit. Mais la consciencen'est pas un simple reflet superstructurel de la base conomique, elle est elle-mme une forcematrielle, rendue tangible dans la praxis humaine. Les humains sont des tres sociaux qui, par leurinteraction avec la nature et lun vis--vis de l'autre, crent leur propre monde, font leur proprehistoire. Les choix qu'ils font, les croyances auxquelles ils s'accrochent, la comprhension quilsdveloppent et les contingences imprvisibles qui font partie intgrante de cette ralit complexe,sont autant dlments qui mettent le monde en forme, tout autant que les caractristiquesinhrentes aux forces productives.

    Notre critique de la tlologie en stades n'implique pas la ngation de la continuit entre lesdiffrentes priodes de l'histoire, entre les diffrentes formes de la socit. Les raisons pour

    lesquelles une socit nouvelle se dveloppe, sont videmment lies aux obstacles auxquels sestheurte la vieille socit, ainsi quaux possibilits qu'elle a cres. Mais cela ne veut pas dire quetout est arriv parce que cela devait arriver. Que le communisme primitif devait conduire lasocit esclavagiste qui devait conduire au fodalisme, qui devait conduire au capitalisme qui doitconduire au communisme. Diffrentes voies ont t prises, dans des lieux autres que l'Europeoccidentale. En effet, lapparition du capitalisme en Europe de lOuest est lui-mme unesingularit, due un ensemble complexe de facteurs contingents historiques, politiques,idologiques et galement conomiques.

    40 Bien que la tlologie dans lhistoire, et ses racines dans la philosophie de lhistoire de Hegel, doive tre rejete,Hegel lui-mme, dans sa Logique, reconnat galement un point de vue tlologique limit, par contraste avec un

    point de vue transcendental : les buts sont poss par des besoins humains spcifiques temporaires dans leurs relationssociales et leurs mdiations productives avec le monde naturel; la praxis humaine, alors, implique un tel point de vuetlologique limit, mme si on exclut la tlologie du processus historique lui-mme.

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    Nous ne suggrons pas que tout est advenu par accident. Certaines choses, oui, bien entendu, maisil y a des phnomnes qui sont prvisibles, si on comprend ce qui les gouverne. Mais rduire toutelhistoire humaine une chane causale, comme le fait la thorie marxiste en stades, ne rsiste pas la critique matrialiste. Diffrentes chanes causales produisent des rsultats prvisibles, maissentremlent de telle faon que le rsultat final est imprvisible. La contingence a un impact surlhistoire tout autant que la ncessit. Par contingent nous ne voulons pas dire accidentel ousans caus