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N°11Dossier - 2015 - 10e - ISSN 2103-8406

Napoléon Ier à Fontainebleau

par Gérard Tendron

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« Voilà la vraie demeure des rois, la maison des siècles ». C’est ainsi que Napoléon qualifie le château de Fontainebleau, depuis son exil de Sainte-Hélène, en 1816, témoignant de son attachement à ce lieu associé aux heures glorieuses de son destin hors du commun et des heures sombres qui ont marqué la fin de son règne.

La tradition fait remonter à Robert II le Pieux, roi en l’an mil et fils d’Hugues Capet, le plus ancien témoignage d’une résidence royale à Fontainebleau. Les trente rois de la dynastie capétienne l’ont presque tous fréquentée, plusieurs y réalisant des travaux considérables d’agrandissement et d’embellissement pour leur prestige et les fastes de leur Cour. Comment Napoléon aurait-il pu résister à la tentation d’inscrire son nom dans cette filiation monarchique, lui qui rêvait d’incarner, avec sa descendance, une quatrième dynastie ?

Seul palais impérial, avec Compiègne, subsistant de nos jours après la disparition des Tuileries et de Saint-Cloud, il témoigne par ses très riches collections du Premier Empire, de la volonté de l’Empereur d’en faire une de ses plus belles résidences. Même s’il n’y séjourna qu’assez peu, il l’a marqué d’une empreinte indélébile par le mobilier et les objets d’art qui y sont rassemblés et les événements importants de son règne qui s’y sont déroulés.

En 1829, huit ans après la mort de Napoléon « sur un roc où passent les orages », le jeune Victor Hugo publiait dans les Orientales son poème Lui, tout entier consacré à la figure titanesque de l’Empereur. Toute cette génération des « enfants du siècle » en sera obsédée et Fontainebleau, de ce fait, deviendra pour beaucoup le lieu privilégié de ce culte impérial. Stendhal prophétisera, dans les Mémoires d’un touriste, l’installation d’un groupe de bronze commémorant les Adieux dans la cour du même nom et Flaubert, dans L’Education sentimentale, y fera passer Frédéric et Rosanette au milieu des ombres de l’Histoire, comme des nains parmi les géants.

Car c’est bien à Fontainebleau qu’il faut venir pour y retrouver les souvenirs de l’Empereur les plus signifiants. Les Tuileries et Saint-Cloud disparus, restent La Malmaison, où la silhouette de Joséphine éclipse celle de son époux, et Compiègne, où c’est cette fois celle du neveu, l’empereur Napoléon III, qui semble l’emporter. A Fontainebleau, l’ameublement que Napoléon y avait fait installer est encore largement en place, offrant au visiteur, dans une grande partie des appartements, une image extrêmement fidèle de ce que fut le cadre de vie de la cour impériale. Le musée Napoléon, quant à lui, constitue le plus remarquable rassemblement d’objets « napoléoniens », collection qui s’enrichit année après année.

Gérard Tendron rappelle ici combien Napoléon fut actif à Fontainebleau, avec quelle assiduité il fréquenta le château et combien il aima ce palais au milieu de la forêt. En cette année du bicentenaire de Waterloo et du départ pour Sainte-Hélène, sans qu’il soit question ni d’hagiographie puérile ni de militantisme forcément déplacé, il est bon certainement de rappeler que ce fut la volonté de l’Empereur qui sauva Fontainebleau de la ruine et de la probable destruction et qui propulsa de nouveau le vieux château des Valois au rang de l’une des plus splendides résidences d’Europe. Il était opportun que cette justice lui soit rendue.

Vincent DroguetConservateur général

Directeur du Patrimoine et des Collections du Château de Fontainebleau

« Toujours lui ! Lui partout ! Ou brûlante ou glacée, Son image sans cesse Ébranle ma pensée … ».

Photo survol du château © P. Crapet

Couverture : Baron Gérard. Napoléon en grand habillement de sacre. Huile sur toile. 1805. Château de Fontainebleau.

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L’École spéciale militairePar une loi du 1er mai 1802, Bonaparte, Premier consul, sup-prime les écoles centrales et les remplace par des lycées. Il ins-titue à Fontainebleau une École spéciale militaire, « destinée à enseigner à la portion des élèves sortis des lycées les éléments de l’art de la guerre ».

En février 1803, l’architecte Fontaine visite le château et le découvre « dans un état de dégradation et d’abandon extraordinaires ». Les ingénieurs militaires remettent en état l’aile Louis XV. Les quatre salles de classe et les douze salles d’étude sont au rez-de-chaussée, les chambrées dans les étages. Les officiers d’état-major et les professeurs occupent l’aile des Ministres, le gouverneur le Gros Pavillon. La bibliothèque est installée dans l’appartement des Reines-Mères. L’étang sert de bassin de natation.

L’établissement accueille des jeunes gens, âgés de seize à dix-huit ans, pour une formation de deux ans, qui allie instruction générale et instruction militaire. Les conditions de vie sont spartiates : chambrées de huit à douze non chauffées, repas debout à la gamelle, brimades en tout genre ; les élèves sont occupés seize heures par jour. Ils en sortent avec le grade de sous-lieutenant et partent directement faire la guerre. Jusqu’en juin 1808, et son déménagement à Saint-Cyr, l’école forma 2121 officiers, dont 281 tombèrent sur les champs de bataille.

Alors qu’il avait fait un très bref passage à Fontainebleau pour y dîner avec son école le 31 octobre 1785, en route pour son affectation à Valence, Bonaparte y revient le 20 novembre 1803 pour inspecter l’École spéciale militaire.

Sauver les bâtiments et les remeublerProclamé empereur par le sénatus-consulte du 28 mai 1804, Napoléon séjourne de nouveau à Fontainebleau les 28 et 29 juin 1804 pour une nouvelle inspection de l’école et pour étudier avec Fontaine les plans de ce que devrait être, après Saint-Cloud, la nouvelle résidence impériale « à la campagne », pour renouer avec le séjours d’automne de la Cour à Fontainebleau.

Se voulant le fondateur d’une nouvelle dynastie, Napoléon veut une grandiose cérémonie de couronnement en la cathédrale Notre-Dame de Paris et l’onction du pape, comme l’avaient reçue Pépin le Bref et Charlemagne. Elle aura lieu le 2 décembre 1804. Pour des motifs politiques, Pie VII accepte l’invitation.

I Un palais impérial

un lieu chargé d’histoire, dans la tourmente révolutionnaireLe dernier séjour d’automne de Louis XVI et de la Cour à Fontainebleau remonte à l’automne 1786. Il fut marqué « par des fêtes, des spectacles, de la bonne humeur générale », comme en témoigne Mme de Genlis. Le roi chassait presque tous les jours. Mais la Révolution est en marche et ni Louis XVI, ni Marie-Antoinette ne reverront le château qui s’endort pour une quinzaine d’années.

La République, proclamée le 21 septembre 1792, décide de « détruire les monuments élevés à la tyrannie ». Fontainebleau en est un des symboles. Le château est totalement vidé de son mobilier, à partir de 1793 et jusque sous le Directoire. Une partie des meubles et des objets, ainsi que vaisselle et matériel de cuisine sont vendus aux enchères, le reste rejoint les réserves du Garde-meuble national. L’étang est asséché pour pêcher les carpes et le chenil est démoli. L’aile neuve est affectée aux volontaires nationaux, la cour des Offices aux prisonniers de guerre. Le reste des bâtiments est transformé en magasins d’armes et en hôpitaux. Il s’en suit des dégradations importantes.

Le 6 mars 1796, une loi assigne le château de Fontainebleau comme siège de l’école centrale du département de Seine-et- Marne. La bibliothèque de l’école et les locaux d’enseignement sont installés dans l’aile des Reines-Mères et la galerie François Ier, le pensionnat dans l’aile Louis XV.

Jean- Antoine Gros. Bonaparte Premier Consul. Huile sur toile. 1802. Paris. Musée de la Légion d’Honneur.

Jacques V Gabriel. Le pavillon central de l’aile Louis XV du chateau de Fontainebleau, construit entre 1738 et 1741.

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Boutet, Nitot, Odiot. Epée, dite du Sacre, exécutée en 1801.

A la demande de Napoléon, elle fut ornée du diamant

« Le Régent » incrusté dans le pommeau de l’épée. L’Empereur,

le jour de son sacre, souhaita porter cette épée intimement liée à son

pouvoir, avec les autres imperalias. Musée Napoléon Ier. Château de

Fontainebleau.

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Napoléon a décidé de l’accueillir personnellement à Fontainebleau et donne instruction à Fontaine, l’architecte, et à Duroc, le grand maréchal du palais, de conduire en toute hâte des travaux de rénovation et de remeublement du château. Les artisans réparent ou remplacent lambris, portes et fenêtres, peignent ou tapissent, révisent les toitures. Le Garde-meuble impérial envoie d’anciens meubles de la Couronne et on achète auprès des ébénistes pari-siens du mobilier neuf, dans le style nouveau apparu sous le Consulat.

Une mine inattendue vint fort à propos compléter les ressources du Garde-meuble. Après la condam-nation du général Moreau, tout le mobilier de son château de Gros-bois et de son hôtel particulier de la rue d’Anjou fut racheté en bloc à sa femme, objets souvent de belle qualité et tout à fait au goût du jour.

Fontaine réussit à remettre en état en un temps record « 40 appartements de maîtres, 200 logements de suite et des écuries pour 400 chevaux ». Les salons sont disparates, les sièges et les commodes Louis XV et Louis XVI côtoient des meubles Empire, des tapisseries d’Aubusson et des tapis de la Savonnerie, des rideaux sont décrochés provisoirement de Saint-Cloud, des vases de Sèvres et des tableaux anciens ornent les différents salons. En réunissant les salons des Reines-Mères et du Gros Pavillon, on met à la disposition du pape un superbe appartement, entièrement décoré et meublé. L’empereur occupe les salons remeublés de l’appartement intérieur de Louis XVI et l’Impératrice se voit affecter, peu après, comme chambre à coucher le boudoir turc de Marie-Antoinette, alors que la famille impériale occupe les petits appartements.

Des appartements de prestige et de vieEmpereur, Napoléon inscrit ses pas dans ceux de l’ancienne monarchie, tout en affirmant le respect les principes révolutionnaires de liberté, d’égalité et de fraternité proclamés dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et en adoptant le drapeau tricolore.

Installé au Palais des Tuileries, dès qu’il est proclamé Premier consul, comme Louis XVI avant lui, Napoléon va très vite reprendre à son compte la disposition des anciennes résidences royales et des forêts qui les entourent et celles de Fontainebleau au premier chef.

Il charge Percier et Fontaine, architectes du gouvernement, d’être les maîtres d’œuvre de la restauration du château et de l’aménagement des différents appartements. Percier conçoit et dessine, Fontaine dirige les chantiers secondé à Fontainebleau par un architecte à demeure, Etienne Leroy jusqu’en 1810, Jean-Maximilien Hurtault ensuite.

Percier et Fontaine souhaitent construire un nouveau palais, mais Napoléon n’en a cure. Il apprécie Fontainebleau : « Peut-être n’est-ce pas rigoureusement un palais d’architecte, mais bien assurément un lieu d’habitation bien calculé et parfaitement convenable », et à Fontaine il dit : « Les petits édifices doivent avoir une symétrie parfaite, mais les monuments des siècles ont la couleur et la forme du temps ».

Aussi Percier et Fontaine doivent se contenter de satisfaire aux demandes d’aménagement et de décoration voulus par l’Empereur.

Les grands appartements vont être remeublés, sans en changer le décor. Le mobilier disparu est remplacé par de magnifiques meubles Empire et les salons ont pour certains une destination nouvelle. Par rapport aux dénominations actuelles, on retiendra les destinations sous l’Empire : la galerie François Ier est dénommée la galerie de l’Empereur, ornée des bustes des maréchaux ; la salle des Gardes est alors l’antichambre de l’Empereur ; la première salle Saint-Louis, le salon des Pages ; la deuxième salle Saint-Louis, le salon des Officiers de la maison de l’Empereur ; le salon Louis XIII, le salon des Grands dignitaires ; le salon François Ier, la salle à manger ; le salon des Tapisseries, le premier salon de l’Impératrice ; le salon des jeux de la Reine, le grand salon de l’Impératrice ; le boudoir de la Reine, le boudoir de l’Impératrice.

Le Livre du Sacre, planche 4. Le couronnement de l’Empereur. Jacob Frères, Lit de la Générale Moreau. Détail. Acajou et bronze. 1802. Château de Fontainebleau.

Le Livre du Sacre. 40 planches de dessins d’Isabey, Percier et Fontaine. Reliure de style Empire, en maroquin à gros grains brun-rouge semé d’abeilles et décoré de l’emblème de Napoléon.

Robert Lefèvre. Charles Percier. Huile sur toile.1807. Château de Versailles.

Percier & Fontaine. Recueil de notes décoratives concernant tout ce qui a rapport à l’ameublement.

Joseph-Désiré Court. Pierre-François-Léonard Fontaine. Huile sur toile. 1810. Château de Versailles.

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Le remeublement du château se fera en plusieurs étapes. Percier et Fontaine font appel aux meilleurs ouvriers de l’époque. Les meubles sont créés par Georges Jacob et son fils Jacob-Desmalter, également bronzier, à partir de projets dessinés par Percier. De leur collaboration naît le style Empire et l’emploi nouveau de l’acajou. La riche ornementation en bronze des meubles est due également à Thomire, Chaudet (également créateur de pendules), Delafontaine. Les petits meubles délicats (athéniennes, tables à jeux, échiquiers, miroirs…) sont créés par Biennais, d’autres meubles par Marcion, Bellangé… Les étoffes somptueuses, velours, velours chinés, soieries sont tissés à Lyon dans les ateliers de Dutilleu, Chuard, Pernon et Grand Frères. Ils font travailler également la manufacture de Sèvres pour les vases, les garnitures de cheminées, les porcelaines des différents services de la vaisselle impériale, la manufacture d’Aubusson pour les tapis.

Témoins de la splendeur du mobilier créé sous l’Empire et qu’on peut encore admirer aujourd’hui dans ce Grand Appartement, on retiendra notamment, en plus des rideaux et des passementeries reconstitués à Lyon récemment : dans le salon blanc, les fauteuils et le canapé estampillés Jacob Frères, l’écran de Marcion, la console en acajou de Jacob-Desmalter, la jardinière et les bras de lumière de Thomire, la pendule de Chaudet ; dans le grand salon de l’Impératrice, les consoles, fauteuils , pliants et tabourets de Jacob Frères et Jacob-Desmalter, les candélabres, vases de Sèvres et pendules ; dans la chambre de l’Impératrice, les pliants, consoles, paravent, écran, balustrade de Jacob-Desmalter, les lustres, candélabres, pendule et vases de Sèvres ; dans la salle du conseil les fauteuils et les pliants de Marcion.

Après le boudoir de l’Impératrice, Napoléon fait transformer la chambre du roi en salon de l’Empereur, puis en 1808 en salle du Trône, la dernière qui subsiste en France. Dans un décor mêlant des lambris Louis XIII et Louis XV à motifs guerriers, étincelant des trois ors, le trône dessiné par Percier et Fontaine et réalisé par Jacob-Desmalter est recouvert de velours bleu au chiffre de l’empereur, et placé sur une estrade. Il est dominé par un couronnement et entouré de draperies en velours cramoisi à l’extérieur, semées d’étoiles et d’abeilles d’or et doublé de bleu à l’intérieur. Deux enseignes en bois doré couronnées de l’aigle impériale encadrent l’estrade, flanquée de deux grands candélabres en bois doré et des girandoles de Thomire ; un grand tapis de pied de la Savonnerie à motifs militaires orne le plancher. Les ployants sont destinés aux grands dignitaires. Un portrait de l’Empereur par Gérard ornait le dessus de cheminée, aujourd’hui remplacé par un portrait de

Louis XIII, de l’école de Philippe de Champaigne. C’est dans cette pièce que les hauts dignitaires de l’Empire prêtent serment.

Dans l’aile qui double la galerie François Ier, Napoléon fait aménager son appartement intérieur en 1808 : la chambre de l’Empereur avec un décor mural Empire refait par Moench, un lit de parade et les sièges de Rode, recouverts d’un étonnant velours à fond prune chiné, un tapis de la Savonnerie ; la petite chambre à coucher de l’Empereur, avec un lit mécanique de Desouches identique à ceux utilisés sur les champs de bataille, des sièges de Marcion, un bureau mécanique de Jacob-Desmalter ; le salon particulier de l’Empereur, où il signera l’acte d’abdication en 1814, avec le mobilier de Jacob-Desmalter et Marcion, les candélabres et les flambeaux de Thomire ; le passage des bains et la salle de bains ; le salon des Aides de camp et l’antichambre complètent cet appartement.

Jacob-Desmalter. Table-boite à lettres. Acajou, cuivre, bronze doré. Vers 1805. Château de Fontainebleau

Jacob-Desmalter. Le bureau mécanique de l’Empereur Napoléon Ier. Acajou, bronze doré. 1811. Appartement intérieur de l’Empereur, petite chambre à coucher. Château de Fontainebleau.Martin-Guillaume Biennais. Athénienne (lavabo) vers 1800. Acajou,

bronze doré. Château de Fontainebleau.

Martin-Guillaume Biennnais. Psyché portative. Acajou, bronze doré, ébène, miroir. Château de Fontainebleau.

Jacob Frères. Fauteuils d’apparat de la chambre de l’Impératrice. Vers 1800. Recouverts d’une soierie retissée en 1986. Château de Fontainebleau

Jacob-Desmalter, sur les dessins de Percier & Fontaine. Salle du trône (ancienne chambre du roi) dans les appartements du Roi. 1808

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La galerie de Diane est profondément modifiée à partir de 1810 par Hurtault dans l’esprit néoclassique et une grande baie, avec balcon, est ouverte à son extrémité nord.

Les petits appartements de l’Empereur et de l’Impératrice, situés au rez-de-chaussée, donnent sur le jardin de Diane. Aménagés dans les anciens petits appartements de Louis XV et de ses filles, ils comportent une succession de salons remarquablement meublés et décorés par les créateurs cités ci-dessus, et ont conservé leur état Premier Empire, tel que l’ont connu Napo-léon et les impératrices. En plus de la chambre du secrétaire, de la garde-robe, du salon du gardien du Portefeuille et de pièces de passage, l’appartement de l’empereur comprend : une antichambre, un premier salon, un deuxième salon, un cabinet topographique, une chambre à coucher, deux cabinets de travail, un grand bureau-bibliothèque « le Cabinet de l’Empereur », communiquant par un escalier à vis avec l’appartement intérieur. L’appartement de l’Impéra-

trice comprend un salon d’étude, un boudoir, une chambre à coucher, une salle de bains, un grand salon, un salon de billard, des antichambres et des salons de passage. Le mobilier, les tentures, les rideaux, les tapis, les décors de ces petits appartements constituent un ensemble exceptionnel et témoignent du goût français du début du XIXème siècle.Il fait aménager la bibliothèque du Château dans la chapelle haute Saint-Saturnin. Elle accueillera près de 20 000 volumes et est ouverte à toute la Cour.

La seconde bibliothèque est la bibliothèque personnelle de l’Empereur. Elle se situe dans le cabinet de travail des petits appartements. Les ouvrages ont un but avant tout utilitaire. Ils consistent pour l’essentiel en livres d’histoire, de géographie et de droit, mais aussi de sciences et de philosophie, ainsi que quelques romans et recueils de poésie, et sont répartis en quinze catégories identifiées par une lettre de l’alphabet. Le cabinet de topographie est à proximité du bureau. C’est un espace dégagé, où Napoléon peut librement déployer les cartes sur trois tables réunies.

Par ailleurs, le palais est aménagé pour recevoir la Cour, dans près de 600 appartements : 35 pour les princes et les grands dignitaires, 46 appartements d’honneur, 39 pour les secrétaires, 59 pour les femmes de chambre et piqueurs, 86 pour les valets de pied, 339 pour les domestiques. Pour remeubler l’ensemble, on puise dans les réserves du Garde-meuble et on multiplie les commandes aux ébénistes et aux tapissiers.

Jean-Maximilien Hurtault. La galerie de Diane. Reconstruction de la voute et du gros œuvre, 1810-1814. La décoration de la voûte fut exécutée pendant le Restauration. Les bibliothèques furent installées sous Napoléon III.

Jacob-Desmalter. Pièce de passage des Dames d’Honneur de l’Impératrice. 1808. Château de Fontainebleau. Jacob-Desmalter. Chaise pour la première chambre à coucher de Napoléon Ier au chateau de Fontainebleau. Acajou, incrustation d’ébène et d’étain. 1804. Château de Fontainebleau.

Jacob-Desmalter. Lit de l’Impératrice et son couronnement. Garniture du lit de Michel-Jacques Boulard, Tapissier. Chambre à coucher. Petits Appartements. Château de Fontainebleau.

Jacob Frères. Lit de la Chambre à coucher de l’Empereur Napoléon 1er. Garniture du lit en velours de la maison Grand Frères de Lyon. Petits appartements. Château de Fontainebleau.

Bibliothèque de l’Empereur. 1808 Installée dans l’ancien salon des Jeux de Louis XVI, cette pièce communique par l’escalier avec les appartements intérieurs de Napoléon. Corps de bibliothèque en acajou provenant du château de Saint-Cloud. En 2010, les Amis du Château de Fontainebleau ont soutenu la restauration du fauteuil du bureau.

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Une cour d’honneurAlors que depuis Henri IV la principale entrée du château se situait place d’Armes et nécessitait de traverser la Cour des Offices, par la porte du Baptistère, pour accéder à la cour ovale, et aux escaliers du roi et de la reine, Napoléon décide de doter le château d’une cour d’honneur (largement ouverte sur la ville, par une place et des avenues rayonnantes, qu’il n’aura pas le temps de faire réaliser). Ce sera l’ancienne basse-cour de François Ier, réservée de son temps aux joutes et aux tournois, qui sera utilisée à cet effet. Napoléon fait raser l’aile ouest Renaissance, dite aile de Ferrare, qui fermait complètement cette cour. Hurtault y installe en 1810 une grille en fer forgé, sur un muret de grès, ornée de chaque côté de la porte monumentale par des pilastres de bronze doré dus au serrurier Mignon, décorés des emblèmes impériaux et surmontés de l’aigle. Les fossés qui subsistent de l’époque de Catherine de Médicis sont comblés, les ponts arasés. La cour est entièrement dégagée, afin d’accéder directement aux grands appartements par l’escalier monumental en fer à cheval dû à Androuet du Cerceau et datant de Louis XIII.

Des jardins redessinésLe Grand parterre dessiné par Le Nôtre est conservé. Par contre, le jardin de Diane et le jardin des Pins vont être complètement redessinés pour être adaptés au goût nouveau. C’est Hurtault qui en est chargé.

Pour le premier, dont la taille est modeste, alors qu’existe encore au nord le bâtiment de l’Orangerie, perpendiculaire à la galerie des Cerfs, il va remplacer les quatre parterres géométriques de Le Nôtre par un jardin constitué de pièces de gazon asymétriques, limitées par des allées sinueuses, et plantées d’arbres d’ornement d’espèces exotiques. La fontaine de Diane en marque toujours le centre et quelques statues en marbre bordent les allées.

Pour le second, très vaste, c’est un véritable jardin anglais qui est créé, afin d’en faire un lieu pittoresque, marqué par l’irrégularité, la sinuosité des allées, l’ombrage d’arbres isolées. Une rivière artificielle, la rivière anglaise, serpente de la Fontaine de Bléaud jusqu’à l’étang et une grotte avec cascade est aménagée. Les grandes allées sont bordées de platanes, les pelouses agrémentées par des arbres d’essences exotiques : érables du Canada, vernis du Japon, tulipiers de Virginie, acacias.

Fontaine rapporte que Napoléon n’avait pas du tout été convaincu du résultat, jugé trop onéreux. « L’Empereur s’emporta contre la futilité des jardins à l’anglaise et contre la sottise de ces propriétaires qui emploient leur fortune à faire des petits lacs, des petites rivières…». « Mon jardin anglais, c’est la forêt de Fontainebleau et je n’en veux pas d’autre ».

Le pavillon de l’Etang, très dégradé est reconstruit et la pièce d’eau remise en état.

Les écuries impériales et le manège SénarmontLe vieux chenil datant de François Ier et le nouveau chenil datant de Louis XIV, en mauvais état et qui servaient d’écuries, sont vendus comme bien national au moment de la Révolution et démontés pour récupérer les matériaux.

Pour héberger ses chevaux, Napoléon dispose des écuries du Carrousel, au sud de l’étang aux Carpes, construites sous Louis XVI par l’architecte Potain. Autour d’une cour carrée, quatre ailes perpendiculaires comprennent des écuries voûtées, des remises et des logements. L’entrée dans la cour intérieure se fait par deux porches en briques. Les écuries permettent de loger en stalles 250 chevaux. Elles ont conservé leur destination jusqu’à nos jours, et abritent le Centre sportif d’équitation militaire.

Jean-Maximilien Hurtault, architecte, M. Mignon, serrurier, M.Chaise, doreur : Grille d’entrée de la Cour du Cheval Blanc, remplaçant l’aile dite de Ferrare. 1809. La cour prend alors le nom de Cour d’Honneur.

Thomas et Alexandre Francini. La Fontaine de Diane. 1602, représentant Diane chasseresse.

Manège Senarmont. 1808. Façade occidentale.

Jean-Maximilien Hurtault. Plan général du parc et des dépendances. 1812. Détail. Encre, lavis, plume. Château de Fontainebleau.

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Par ailleurs, les anciens bâtiments de la Grande écurie du roi, édifiés sous Louis XV par Jacques V Gabriel, au sud du Grand canal, à l’emplacement des héronnières de François Ier, continuent à être utilisés comme chenil et écuries pour la vénerie impériale.

Sur le site du chenil neuf disparu, Napoléon décide en 1807 de la construction d’un manège pour l’Ecole militaire. Il sera édifié en 1808, et au moment où l’école quitte Fontainebleau, Napoléon le rachète sur sa cassette personnelle, pour son usage et celui de la Cour impériale. Dénommé ultérieurement manège Sénarmont, du nom d’un général d’Empire, il dispose d’écuries latérales sur ses deux grands côtés. Il est doté d’une charpente en coque de bateau renversée, construite par des charpentiers de marine.

Une forêt entretenue et reboiséeEn 1801, un décret législatif organise la nouvelle Administration générale des forêts, composée de 5 administrateurs, 30 conservateurs, 300 sous-inspecteurs, 500 gardes principaux et 8 000 gardes. La forêt de Fontainebleau, qui dépend de la première conservation dont le siège est à Paris, est alors administrée par un inspecteur, Victor Marrier de Bois d’Hyver. Placée sous les ordres de l’Inspecteur, l’administration forestière locale comprend un sous-inspecteur, quatre gardes généraux, quatre gardes à cheval et quinze gardes à pied.

Dès la proclamation de l’Empire, les anciennes forêts royales font partie des biens de la dota-tion du souverain. Elles ont un personnel dis-tinct, nommé par le Grand veneur, qui a les mêmes droits et fonctions que les maîtres des Eaux et Forêts, en charge des autres forêts. La forêt de Fontainebleau, qui dépend désor-mais de la Maison de l’empereur, voit son organisation administrative changer. L’ins-pecteur Marrier de Bois d’Hyver est remplacé par un capitaine forestier régisseur, M. Noël, qui avait occupé le poste de lieutenant à la maîtrise de Fontainebleau en 1793. Quelques mois après sa prise de fonctions, il est accusé de malversations commises dans la vente de bois morts. Depuis Milan, l’Empereur envoie M. Réal, un conseiller d’Etat pour enquêter. A l’arrivée de celui-ci, M. Noël se brûle la cervelle, tandis que l’adjudicataire des bois morts se pend. A la suite de cette affaire, les deux gardes généraux sont destitués, tandis que Marrier de Bois d’Hyver est rappelé à Fontainebleau en qualité de capitaine forestier régisseur.

Sous l’Empire, le marteau de l’État, qui permet de désigner les arbres à abattre, conserve sa forme et ses règles d’utilisation, mais change d’empreinte pour arborer l’Aigle impérial, ainsi que le numéro de la Conservation. La forêt de Fontainebleau devient inalié-nable et imprescriptible en 1810.

En 1802, près du quart de la forêt est encore consti-tué de « vides », c’est-à-dire de landes à bruyères qui correspondent aux surfaces en sables et grès. A cette époque, les travaux de reboisement reprennent, selon les traditions de l’Ancien Régime : on plante des feuil-lus, principalement des chênes, mélangés à des hêtres et à des charmes. Ces plantations sont onéreuses : on défonce le sol, avant de planter dix mille pieds à l’hec-tare ; ensuite, on pratique des binages et des regarnis pendant sept ans. Un cahier des charges fixe les prin-cipaux travaux effectués par les entrepreneurs. Edme Deroy, jouit d’un quasi-monopole sur les plantations de Fontainebleau jusqu’à sa mort. Afin de protéger les jeunes plants des dégâts occasionnés par la dent des cervidés, on entoure les plantations de treillages dès 1807, avec des portes et des échelles pour les déplace-ments des ouvriers.

De 1802 à 1814, plus de 1 552 hectares sont plantés de chênes et de hêtres, soit 127 hectares par an, contre les 74 hectares annuels du XVIIIe siècle. Par ordre du Premier Consul, on plante notamment la plaine sa-bleuse située entre la ville et le Grand Parquet.

La rivière du Jardin anglais serpente d’ouest en est vers l’étang à travers les cascades du Grand Rocher.

Auguste Anastasi. Vaches à la mare en forêt de Fontainebleau. Huile sur toile. 1847. Collection particulière.

Le Pavillon de l’Etang, d’abord simple abri construit sur un ilot, puis kiosque de plan octogonal, couvert et vitré vers 1680.

La longue lignée des Marrier, puis Marrier de Bois d’Hyver, remplit pendant plus d’un siècle la charge de Lieutenant de Maîtrise des Eaux et Forêts de Fontainebleau, de Jean-Louis Marrier (portrait ci-dessus) à Victor Marrier de Bois d’Hyver avec le titre d’Inspecteur, (à partir de 1804) à Achille Marrier de Bois d’Hyver qui exerça sa fonction sous la Restauration et le second Empire.

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L’organisation du palais par la Maison de l’EmpereurLa Maison de l’Empereur regroupe les officiers, serviteurs et personnel administratif au service particulier de Napoléon, soit plus de 3 300 personnes, dont 164 officiers et un budget de 15 millions de francs, la liste civile de l’Empereur s’élevant à 25 millions de francs. La Maison organise la vie de la Cour, à Fontainebleau comme ailleurs et les grands événements du règne. Cette importante institution fonctionne en autarcie et contribue au faste de l’Empire et à la grandeur du monarque, sous la seule autorité de l’Empereur, qui veille scrupuleusement au respect des budgets attribués. Un règlement d’étiquette décrit l’organisation des palais et le cérémonial de la vie quotidienne et fixe les fonctions d’honneur.

Les grands officiers civils de la Couronne qui dirigent les services de la Maison de l’Empereur, occupent les fonctions suivantes, dès 1804 :

• le grand maréchal du palais est en charge de la sécurité, de l’entretien des palais et du service de la bouche. Il s’agit de Duroc jusqu’en 1813, puis de Bertrand ;

• le grand chambellan à la tête du service de la chambre et des cérémonies de Cour. C’est Talleyrand jusqu’en 1809, puis Montesquiou-Fezensac ;

• le grand écuyer, qui règle tous les déplacements du souverain. C’est Caulaincourt ;

• le grand aumônier, qui organise le service du culte. C’est le cardinal Fesch ;

• le grand veneur, qui dirige les chasses impériales, à courre comme à tir, et est responsable des forêts de la Couronne. C’est Berthier ;

• le grand maître des cérémonies, qui établit et fait approuver par l’Empereur l’or-ganisation des cérémonies solennelles et publiques. C’est Ségur.

A chaque grand officier sont adjoints des officiers civils qui dirigent les services particuliers.

Les journées de l’Empereur à FontainebleauHomme d’ordre et d’habitudes, Napoléon a, en temps de paix, une vie réglée. Constant, premier valet de chambre, réveille l’Empereur vers 7 heures. « Quelle heure est-il ? Quel temps fait-il ? » Ce sont ses premières questions. Il saute du lit, fait ouvrir les fenêtres, chante s’il est de bonne humeur. Il s’enveloppe de sa robe de chambre, serre sa tête d’un madras, boit à petites gorgées une tasse de thé brûlant. Et vite, un bain très chaud. Il écoute Méneval, son secrétaire, qui lui lit dépêches et journaux. Devant un miroir tenu par Roustan, son mameluck, il se rase lui-même avec soin. Il s’inonde d’eau de Cologne et Constant le frictionne. Puis le valet de chambre l’habille : gilet de flanelle, chemise de toile fine, bas de soie blanc, culotte

II LA VIE AU PALAIS AU TEMPS DE L’EMPEREURSi Napoléon a affirmé « vouloir faire de cette ancienne maison royale une seconde habitation de campagne pour lui pendant les jours d’automne », il s’avère que Fontainebleau a vu passer l’Empereur à différentes reprises et y faire trois longs séjours au cours desquels des événements importants se sont déroulés, qui ont marqué l’histoire.

En tant qu’Empereur, Napoléon a séjourné à Fontainebleau 180 jours :

les 27 et 28 juin 1804, pour une visite de l’École militaire et pour étudier le réaménagement du château

du 22 au 28 novembre 1804, pour accueillir le pape Pie VII, avant le couronnement à Notre-Dame

du 31 mars au 2 avril 1805, pour un bref passage, alors qu’il part se faire couronner roi d ‘Italie, à Milan

du 11 au 17 juillet 1805, pour un court séjour, au retour du voyage en Italie

du 21 septembre au 16 novembre 1807, pour un premier long séjour consacré à la chasse et aux spectacles

du 26 octobre au 14 novembre 1809, pour un second long séjour de chasse

les 17 et 18 septembre 1810, pour un bref passage afin de vérifier que les travaux ont été réalisés pour accueillir la nouvelle Impératrice

du 25 septembre au 16 novembre 1810, pour un troisième long séjour consacré à la chasse et aux spectacles

du 19 au 27 janvier 1813, pour la négociation et la signature du Concordat avec le pape

du 31 mars au 20 avril 1814, dernier long séjour après l’invasion de la France, marqué par la première abdication et le départ pour l’ile d’Elbe

le 20 mars 1815, pour un dernier passage, lors du vol de l’Aigle de Golfe Juan jusqu’aux Tuileries et la dernière épopée des Cent jours.

Jacques Pajou. Louis-Alexandre Berthier, Prince de Neuchâtel en habit de Grand Veneur. Huile sur toile. 1808. Château de Versailles.

Alexandre Menjaud. Marie-Louise portant le roi de Rome à Napoléon Ier pendant le repas de l’Empereur. Huile sur toile. 1812. Château de Fontainebleau.

Jean-Antoine Gros. Géraud-Michel Duroc en habit de grand Maréchal du Palais. Huile sur toile. 1808. Château de Versailles.

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de casimir blanc, souliers à boucles d’or ou bottes garnies de courts éperons d’argent, gilet de casimir blanc sur lequel on lui place le grand cordon de la Légion d’honneur, habit de colonel des chasseurs à cheval de la garde, de drap vert, à collet et parements écarlates. Surviennent les intimes, avec qui il bavarde : Duroc et Corvisart, le médecin qu’il apprécie. A neuf heures, le chambellan de service frappe à la porte et annonce le lever de l’Empereur, qui donne quelques audiences dans le salon voisin. Puis il rentre dans son cabinet. A 11 heures, il déjeune : il mange peu et vite, sur un guéridon, cependant qu’il reçoit quelques artistes. Il aime le poulet Marengo, arrosé de chambertin. Puis il rentre dans son cabinet de travail des petits appartements. Il s’assoit près de la cheminée, où brûle un feu perpétuel. Il s’absorbe avant de dicter son courrier, il prise sans cesse, salissant ses habits, se lève, marche les mains derrière le dos, tisonne le feu, avant de lancer à Méneval ou à Chain « Écrivez ! ». Et il dicte rapidement, des courriers nombreux, qu’il a longuement mûris. « Je médite beaucoup. Je travaille toujours, en dînant, au théâtre. La nuit, je me réveille pour travailler… ». Il épuise ses secrétaires, qui font mettre au propre les missives saisies au vol par une armée de secrétaires. Les audiences des ministres, des maréchaux, des grands dignitaires occupent une partie de la journée quand il n’y a pas chasse ou promenade. Le dîner est servi à 18 heures, suivi de spectacle ou de danse. L’Empereur se couche vers onze heures.

Le grand séjour de 1807 illustre la vie quotidienne de Napoléon et de la Cour.Ce ne seront que fêtes, réceptions, cercles, chasses, promenades, bals et spectacles. Plus de mille personnes logées au château, près de

quatre mille dans le bourg, et d’abord des têtes couronnées : l’Empereur et l’Impéra-trice, le grand-duc de Bade, la reine de Hol-lande, le roi et la reine de Westphalie, le grand-duc et la grande-duchesse de Berg, le duc et la duchesse de Guastalla, mais aussi les grands dignitaires et les maré-chaux. Il y a table ouverte chez chacun, soit cinquante-deux tables, fournies par les cuisines de l’Empereur. Ce ne sont qu’allées et venues de carrosses et de calèches, des cortèges, des cavalcades. Trois fois par semaine chasse, trois fois par semaine spectacle dans le théâtre de la

Cour, et les autres jours cercle chez l’Impé-ratrice ou chez les princesses. La Comédie-

Française alterne avec l’Opéra-comique, le théâtre de l’Impératrice et la troupe italienne.

Sur dix-huit représentations, douze tragédies, le genre préféré de l’Empereur, qui a un acteur

favori : Talma. On joue Horace, Iphigénie en Aulide, Œdipe, Le Cid, Mithridate, la mort de Pompée, Rodo-

gune, Nicomède…

Le dimanche est jour des cérémonies. L’empereur assiste à la messe dans la chapelle de la Trinité, puis il donne des audiences dans son appartement ou reçoit les prestations de serment. Il accueille en novembre avec faste le comte Tolstoï, ambassadeur du tsar Alexandre avec qui il s’est partagé le monde après l’entrevue de Tilsitt, quatre mois plus tôt.

L’Empereur a trente huit ans et s’apprête à dominer l’Europe, sa Cour éclate de jeunesse et de beauté, les uniformes et les tenues de Cour scintillent de broderies d’or et d’argent, les femmes sont jeunes et charmantes et leurs bijoux resplendissent sur de profonds décolletés. Napoléon y est sensible et même s’il aime toujours Joséphine, il y succombe fréquemment.

Mais ce séjour que l’Empereur avait voulu joyeux est soumis en permanence aux injonctions du maître, qui glace bien des participants. Il dit un jour à Talleyrand : « J’ai rassemblé à Fontai-nebleau beaucoup de monde. J’ai voulu qu’on s’amusât. J’ai réglé tous les plaisirs, et les visages sont allongés, et chacun a l’air bien fatigué et triste ». Le grand chambellan lui répond : « C’est que le plaisir ne se mène pas au tambour et qu’ici, comme à l’armée, vous avez toujours l’air de dire à chacun de nous : Allons, messieurs et mesdames, en avant, marche ! »

Le séjour de 1809 sera encore plus contraint. Après la victoire de Wagram, il a ordonné de nouvelles fêtes d’automne. Elles seront magnifiques comme en 1807. Mais l’ambiance est terriblement alourdie par la distance qu’il prend avec Joséphine, que la Cour évite comme lui-même et qu’il répudiera en décembre.

Le séjour de l’automne 1810 sera le plus gai et le plus détendu. Napoléon s’est remarié avec la fille de l’Empereur d’Autriche afin de sceller une paix définitive et de donner un héritier à la

Ci-dessus : Baron François Gérard. L’Impératrice Joséphine en habit de sacre. Huile sur toile.1807. Château de Fontainebleau.

Eugène Delacroix. Portrait de François-Joseph Talma en Néron, dans Britannicus de Jean Racine. Huile sur toile. 1805. Paris. La Comédie Française.

Baron François Gérard. Hortense de Beauharnais, Reine de Hollande. Huile sur toile. 1808. Château de Fontainebleau.

Alexandre Menjaud. L’impératrice Marie-Louise faisant le portrait de Napoléon Ier. Huile sur toile. 1810. Château de Fontainebleau

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Couronne. Marie-Louise, âgée de dix-neuf ans, est enceinte de celui qui sera fait à sa naissance roi de Rome, en mars 1811. De grands travaux d’embellissement ont été réalisés au château.

Les fêtes et les chasses se succèdent. Le 4 novembre, le cardinal Fesch baptisera vingt-quatre enfants de princes et de dignitaires de l’Empire, dont le fils de Louis, (qui vient d’abdiquer du trône de Hollande) et d’Hortense, qui deviendra en 1852 l’Empereur Napoléon III.

Au sortir de la chapelle, l’Empereur, en se frottant les mains, saisit cette occasion festive pour faire part à quelques intimes de ses espérances dans un état qui semble se préciser : « Avant peu, messieurs, nous aurons, j’espère, un autre enfant à baptiser ». Ces paroles de Sa Majesté furent accueillies avec toute la joie qu’elles étaient faites pour inspirer. Au reste, on commençait depuis quelques temps à s’entretenir dans le château de la grossesse de l’Impératrice ». (Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l’Empereur).

L’Empereur est transformé. Il est amoureux. Il passe ses matinées chez Marie-Louise, il la re-garde, il l’admire, elle qui est « fraîche comme une rose ». Il déjeune et fait des promenades avec elle. Il en oublie les dépêches à lire et le courrier à écrire…

L’Impératrice aime les arts, elle dispose d’un piano forte ainsi que d’une table à dessiner et d’un chevalet. Elle s’installe aussi devant son métier à broder, tout en conversant avec ses dames, car le travail des tissus est alors fréquemment pratiqué par la haute société.

Jean-Jacques-Xavier Bidault et Louis-Léopold Bailly. Promenade de Napoléon et Marie Louise sur l’étang des Carpes au Château de Fontainebleau. Huile sur toile. 1810. Musée Marmottan.

Baron François Gérard. Le Roi de Rome. Huile sur toile. 1811. Château de Fontainebleau

Baron François Gérard. L’Impératrice Marie-Louise. Huile sur toile.1811. Château de Fontainebleau.

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Les chasses impérialesAprès la tourmente de la Révolution qui vit la chasse à courre s’arrêter, les chiens exterminés et le braconnage prospérer, Bonaparte, Premier consul, a réorganisé la vénerie. Devenu Empereur, il va s’employer à restaurer les usages d’Ancien régime, avec l’aide des membres de l’aristocratie ralliés à l’Empire. L’étiquette et l’organisation de la vénerie impériale s’inspirent beaucoup de la pratique de la chasse du temps de Louis XVI, sous la responsabilité du Grand veneur, le maréchal Berthier.

Les hommes portent un habit à la française vert dragon, boutons et galons d’or, culotte de casimir blanc, bottes à l’écuyère sans revers. Les chasses, organisées en l’honneur d’invités de marque, jouent un grand rôle pour intégrer le nouvel empereur dans le cercle ancestral des souverains européens. La chasse servait aussi de métaphore de la victoire militaire, Napoléon chassant au début et à la fin de chaque campagne en compagnie de ses alliés.

La vénerie compte une centaine de personnes, dont beaucoup ont servi dans les équipages royaux, 180 chiens, 80 chevaux. Napoléon souhaite que tout le monde chasse à la Cour, considérant que c’est aussi un moyen de s’entraîner aux cavalcades de la guerre.

Cependant, ses déplacements et ses guerres incessantes ne lui laissent pas beaucoup de temps pour chasser. Au cours de son règne, il chassera une centaine de fois, dont près de la moitié entre 1809 et 1811. Il est un piètre chasseur lui-même. Lors des laisser-courre, il confond les fanfares, galope en tous sens. A Fontainebleau, de nombreux exemples montrent que l’art cynégétique n’était pas essentiel pour lui. Le 13 juillet 1805, il part en calèche avec Joséphine par la route des Cascades pour suivre une chasse. Ils gagnent le Mail Henri IV, d’où ils peuvent jouir d’une belle vue sur la ville et la forêt, puis continuent leur promenade sans se préoccuper de la chasse ; quand ils sont de retour au château au bout de deux heures, ils apprennent qu’on a manqué le cerf…

Les rois, princes et grands dignitaires de l’Empire qui sont invités accompagnent la chasse, soit à cheval, soit dans d’élégantes calèches. Quand l’Empereur décide que les femmes porteront elles aussi un costume de chasse, l’Impératrice fait appel à Leroi, un fameux marchand de modes. Le costume de l’Impératrice est en velours amarante brodé d’or, avec une toque également brodée et couronnée de plumes blanches, et toutes les dames de la cour sont vêtues de couleur amarante.

En 1809, au retour de la campagne d’Autriche, Napoléon séjourne à Fontainebleau, alors qu’il est décidé à répudier son épouse. Il y chasse tous les jours par plaisir, mais surtout pour fuir Joséphine qui est accourue de Saint-Cloud. Il s’enfonce dans la forêt, où il galope de midi jusqu’à la nuit tombée, après avoir parcouru vint-cinq lieues et avoir changé six fois de cheval.

A la chasse à tir, le costume est un simple habit français, vert, sans aucune espèce d’ornement que des boutons blancs sur lesquels étaient gravés des attributs du genre. La chasse a lieu dans les anciens tirés du roi, clos de murs, comme le Grand parquet, ou de palissades pour les petits parquets. Les oiseaux sont élevés à la Faisanderie et lâchés dans les parquets avant les chasses, comme les lapins et les chevreuils capturés en forêt par les hommes du service de la vénerie, aidés par ceux d’un des bataillons stationnés à Fontainebleau et qui jouent également le rôle de rabatteurs pendant la chasse.

Toujours pressé, l’Empereur ne prend pas le temps de viser, tire au hasard sans épauler. Masséna en fera la triste expérience, recevant un plomb dans l’œil d’un tir de l’Empereur chassant le perdreau. Pour se dédouaner, Napoléon accusera Berthier, qui s’en défend, mais sans insister : « Berthier, c’est vous qui venez de blesser Masséna ! ».

Constant rapporte : « L’Empereur n’appuyait pas bien son fusil à l’épaule, et comme il faisait charger et bourrer fort, il ne tirait jamais sans en avoir le bras tout noirci. Je frottais la place meurtrie avec de l’eau de Cologne…».

Gravure de J. Le Blaut. Napoléon chassant les lapins à tir. Les cahiers du Capitaine Coignet, Hachette 1914.

D’après Carle Vernet. Chasse de Napoléon en forêt de Fontainebleau en présence de Marie-Louise. Huile sur toile. 1812. Senlis, Musée de la Véne-rie. « Napoléon, descendu de cheval, sert au fusil le cerf hallali sur pied, cerné par la meute ».

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III LES GRANDS ÉVÉNEMENTS

Trois évènements majeurs du règne de Napoléon vont se dérouler à Fontainebleau.

L’accueil du pape Pie VII en 1804Premier consul, Bonaparte avait signé le concordat de 1801 qui rétablissait la paix entre l’Eglise et l’Etat, après dix ans de tensions liées à la Révolution. Par ailleurs, après la fulgurante campagne d’Italie, les français étaient en position de force et occupaient une partie des Etats de l’Eglise. Aussi, le pape Pie VII, malgré les réticences de son entourage, accepte l’invitation de Napoléon, datée du 14 septembre, de venir assister au couronnement, prévu le 2 décembre 1804 à Paris. « Je prie Votre Sainteté de venir donner au plus éminent degré le caractère de la religion à la cérémonie du sacre et couronnement du premier empereur des Français ».

Napoléon décide d’aller jusqu’à quinze lieues à la rencontre du pape et de le recevoir à Fontainebleau. C’est au cours d’une partie de chasse qu’il se trouvera, comme par hasard, sur son passage.

Pie VII a quitté Rome le 2 novembre au matin, emmenant six cardinaux, deux princes romains, quatre évêques et une suite considérable, en tout cent huit personnes ! Par étapes, il gagne Fontainebleau, qu’il atteint le dimanche 25 novembre. Dans la matinée, l’empereur, à cheval, l’impératrice en attelage, partent pour la chasse, en assez petit équipage. A la croix de Saint-Hérem, en haut de la route de Nemours, le grand veneur commence son rapport, quand apparaissent les voitures du pape et de sa suite. Le carrosse du Saint-Père s’arrête. Il en sort un vieillard aux cheveux noirs, vêtu de blanc, qui hésite à poser son pied dans la boue du chemin. Napoléon met pied à terre. Les deux souverains se donnent l’accolade, puis montent dans la voiture de l’Empereur pour gagner le château.

En approchant du bourg, les canons tonnent, les cloches sonnent. Tous les dignitaires civils, militaires et ecclésiastiques sont là pour les accueillir dans la cour Ovale. A midi, le grand chambellan, le grand maréchal du palais et le grand maître des cérémonies conduisent le pape dans ses appartements avant qu’il soit reçu en audience par l’empereur, puis l’impératrice et que lui soit présentée la Cour.

Le lendemain, les réceptions chez le Saint-Père se succèdent avant le grand dîner offert par l’empereur. Le troisième jour, le pape doit assister, contre son gré, aux exercices de tir au canon des élèves de l’Ecole spéciale militaire.

Le 28 novembre, le pape et l’empereur gagnent Paris, pour se préparer au sacre.

Le 2 décembre, à Notre-Dame, Pie VII donne l’onction à Napoléon, qui se couronne lui-même. Ainsi le pouvoir temporel de l’empereur n’est pas subordonné au pouvoir spirituel !

La signature du nouveau concordatLes relations entre le pape et l’empereur vont rapidement de dégrader à la suite de l’occupation du royaume de Naples par les troupes françaises et de la nomination par Napoléon de son frère Joseph, comme roi de Naples, le 30 mars 1806, alors que lui-même s’est fait couronner roi d’Italie, le 25 mai 1805, à Turin. Napoléon réclame alors l’alignement de la politique extérieure du pape sur celle de l’empire français. Il lui écrit : « Votre Sainteté est le souverain de Rome, mais j’en suis l’empereur ». Il demande aussi, sans résultat, l’augmentation du nombre de cardinaux français. En février 1808, les troupes françaises occupent Rome et en mai 1809, Napoléon proclame la réunion des Etats de l’Eglise à l’Empire. En juin, Pie VII fulmine contre l’empereur une bulle d’excommunication. Arrêté le 8 juillet, le pape est transféré à Grenoble, Valence, Avignon, puis incarcéré à Savone, en Ligurie. Le 21 mai 1812, Napoléon ordonne le transfert du pape en France. Le pape voyage à marches forcées, en simple costume de prêtre. Gravement malade d’une rétention d’urine, il manque de trépasser, reçoit l’extrême-onction et n’est sauvé que par l’intervention d’un chirurgien.

Le 19 juin 1812, le pape arrive incognito au château de Fontainebleau, si bien que le régisseur lui en refuse l’accès et qu’il doit dormir en ville. Il réintègre « son appartement », occupé entre temps par le roi Joseph et le roi Louis et par deux autres prisonniers : le roi Charles IV d’Espagne et son épouse.

Le pape reste alité plusieurs semaines puis demeure dans son appartement pendant dix-neuf mois, refusant le plus souvent de sortir, sauf une promenade dans la grande galerie et rarement autour du parterre. Il prend ses repas dans sa chambre et dit la messe dans l’ancienne chambre d’Anne d’Autriche. Sa suite occupe le Gros Pavillon et l’aile Louis XV.

Il est étroitement surveillé et incité par les cardinaux fidèles à l’Empire à accepter le nouveau concordat exigé par l’Empereur. Mais après les revers de la campagne de Russie, Napoléon a besoin d’un accord avec le pape. L’Empereur et l’Impératrice arrivent à Fontainebleau le 19 janvier 1813. Le lendemain, Napoléon entame des discussions avec Pie VII. Elles durent six jours, marquées de la part de l’Empereur par des menaces, alternant avec des entreprises de séduction, qui auraient fait dire au pape : « Comediante ! Tragediante ! ».

Le 25 janvier, Napoléon arrache à Pie VII la signature d’un nouveau concordat. Le pape abandonne à l’empereur le droit de nommer les évêques, à quelques exceptions près. Le 13 février, un décret impérial déclare que le concordat de Fontainebleau doit être appliqué comme loi de l’Empire.

Jacques-Louis David. Portrait du Pape Pie VII. Huile sur toile 1805. Château de Fontainebleau.

Henri Auguste, orfèvre, et Nitot, joaillier. Tiare offerte par Napoléon à Pie VII.1805. Cité du Vatican, Sacristie pontificale des Sacrés Palais.

Jean-Louis Demarne et Alexandre Hyacinthe Dunouy. L’entrevue de Sa Majesté l’Empereur et de Sa Sainteté Pie VII dans la forêt de Fontainebleau. Huile sur toile. 1808. Château de Fontainebleau

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Enchanté de son succès, Napoléon couvre les cardinaux de cadeaux et desserre l’étau autour du pape. Celui-ci, par une lettre adressée à l’empereur le 24 mars, se rétracte, mais cette lettre n’est pas rendue publique et le pape reste prisonnier. Plusieurs tentatives de négociations restent infructueuses et il faut attendre l’effondrement de l’Empire pour que Napoléon décide, en janvier 1814, de libérer le pape. Pie VII entre dans Rome le 24 mai 1814, après cinq ans d’exil, alors que Napoléon est exilé à l’île d’Elbe.

La première abdicationLa campagne de Russie de 1812 a été un désastre. L’Europe centrale et l’Allemagne ont été perdues en 1813 et tous ses alliés ont abandonné l’empereur. En 1814, les puissances coalisées envahissent la France et Napoléon peine à rassembler une armée éparpillée, disparate, démoralisée, pour engager la campagne de France. Début février, on craint que l’ennemi n’atteigne Fontainebleau et mette le palais au pillage, et on rapatrie à Paris des caisses d’objets précieux. Le 14 février, les cosaques bivouaquent à l’Obélisque et les troupes russes occupent le château. Napoléon ayant, contre toute attente, et malgré l’infériorité numérique de ses armées, remporté les victoires de Champaubert et de Montmirail, les russes évacuent Fontainebleau le 17.

Le 31 mars, l’Empereur arrive à Fontainebleau, alors que la capitale est envahie. Le 2 avril, après une parade militaire dans la Cour d’honneur, alors qu’il espérait encore conclure la paix avec les Alliés et conserver son trône, Caulaincourt lui rapporte, d’une mission à Paris, que

le tsar Alexandre exige son abdication. Le Sénat, réuni par Talleyrand, vient de proclamer sa déchéance.

Le 4 dans la soirée, les maréchaux Ney, Lefebvre, Moncey et Oudinot, bientôt rejoints par Macdonald exhortent l’empereur à abdiquer. Celui-ci reste convaincu de pouvoir mobiliser l’armée pour monter sur Paris. Mais constatant que tous s’y refusent et après avoir conféré avec Caulaincourt, il abdique en faveur de son fils, Marie-Louise assurant la régence. Les coalisés n’acceptent pas cette solution.

Le 6, après avoir une nouvelle fois conféré avec ses maréchaux pour les convaincre, sans succès, de se retirer sur la Loire pour organiser la résistance, il signe, dans le salon rouge, dénommé depuis salon de l’Abdication, l’acte d’abdication sans condition et le remet aux maréchaux. « Les puissances alliées ayant proclamé que l’empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, fidèle à son serment, déclare qu’il renonce, pour lui et ses héritiers, aux trônes de France et d’Italie, et qu’il n’est aucun sacrifice personnel, même celui de sa vie, qu’il ne soit prêt à faire à l’intérêt de la France ».

Le palais se vide, les maréchaux et les généraux rallient le nouveau régime, incarné par Louis XVIII, « ramené dans les fourgons de l’étranger ».

Pour Napoléon déchu, l’abattement alterne avec des moments d’hystérie. Il espère que Marie-Louise, repliée avec le gouvernement à Blois, va le rejoindre, mais elle ne vient pas. Jamais il ne

François Bouchot, d’après Ferri Gaetano. Napoléon Ier signant son abdication au château de Fontainebleau le 4 avril 1814. Huile sur toile. 1843. Château de Versailles.

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la reverra, pas plus que son fils, le roi de Rome. Les autres membres de la famille impériale l’ont également abandonné.

Le 11 avril, Napoléon ratifie le traité qui lui donne la souveraineté de l’île d’Elbe, et un revenu annuel de deux millions de francs. Il conserve le titre d’empereur et Marie-Louise celui d’impéra-trice. Les princes et princesses de la famille impériale conservent titres et revenus. Une garde de quatre cents hommes est autorisée à accompagner l’empereur dans son exil.

Dans la nuit du 12 au 13 il tente de s’empoisonner, mais les vomissements permettent d’expulser le poison. « Je vivrai, puisque la mort ne veut pas plus de moi dans mon lit que sur un champ de bataille », dit-il aux fidèles Caulaincourt, Maret et Bertrand.

Le 20 avril au matin, dans la grande cour, les voitures sont rangées non loin du Fer-à-cheval. La foule

s’est amassée derrière les grilles. La garde est placée sur deux rangs. Il est treize heures

quand le général Bertrand s’avance sur la terrasse du grand escalier et annonce : « L’empereur ! ». Les tambours battent aux champs. Napoléon paraît. Il porte la redingote grise et le chapeau à cocarde, célèbres sur tous les champs de bataille depuis quinze ans. Il se fait un grand silence. D’une voix claire

il s’adresse à ses derniers soldats : « Soldats de ma Vieille Garde, je veux vous faire

mes adieux. Depuis vingt ans, je vous ai trouvé constamment sur le chemin de l’honneur et de

la gloire » et après avoir rappelé la nécessité de l’exil, il conclut : « Recevez mes remerciements. Je ne

peux pas vous embrasser tous. Je vais embrasser votre chef, j’embrasserai aussi le drapeau. Approchez, général !... Faîtes avancer le drapeau ! ». Il ouvre les bras, le général Petit

se jette vers lui. Ils s’étreignent. Puis Napoléon s’incline devant le drapeau, il serre l’aigle sur son cœur et porte ses lèvres sur le drapeau de ce régiment où brillent en lettres d’or les noms de tant de victoires… Dans le silence, on entend des sanglots sourds. Il s’adresse encore à ses soldats : « Le bonheur de notre chère patrie était mon unique pensée, il sera toujours l’objet de mes vœux. Adieu, mes enfants ! ».

Il monte en voiture pour rejoindre l’île d’Elbe, où il restera du 3 mai 1814 au 26 février 1815, avant de reconquérir son trône et de combattre une nouvelle fois l’Europe coalisée.

Il repassera une dernière fois à Fontainebleau le 20 mars 1815 entre dix heures et quatorze heures et arrivera le soir aux Tuileries, d’où Louis XVIII s’était enfui la veille.

Il sera définitivement exilé à Sainte-Hélène après la défaite de Waterloo le 18 juin 1815, il y a tout juste deux cents ans.

Bicorne de l’Empereur Napoléon Ier à son retour de l’île d’Elbe. Feutre et soie. Musée Napoléon Ier, salle 2.

Sèvres 1809. « À fond rouge papillon et fleurs » pour le service à dessert de l’Empereur. Château de Fontainebleau.

Appartements intérieurs de Napoléon Ier. Salon particulier de l’Empereur, dit salon de l’abdication. Mobilier (dont le guéridon) de Jacob-Desmalter.

Embrasses retenant les rideaux, fils d’or et de soie. Passementerie refaite à l’identique en 1999 par la Maison Louvet et Mauny.

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Pierre-Philippe Thomire. Berceau du roi de Rome aux Tuileries. Loupe d’orme, bronze doré. Musée Napoléon Ier, salle 7.

Musée Napoléon Ier. Corridor du premier étage, la Galerie de portraits.

IV Napoléon, aujourd’huiLe souvenir de l’Empereur est toujours très vif dans les différents appartements du château de Fontainebleau et un public nombreux reste avide de découvrir et de commenter ces témoignages exceptionnels de la vie de cour pendant les dix années de l’Empire.

Depuis 1986, le musée Napoléon Ier complète de ma-nière magistrale les collections jusqu’alors présentées.

Créé dans l’aile Louis XV sur deux niveaux (réduit tem-porairement au premier étage pour des raisons de sécurité), il rassemble une magnifique collection de meubles, objets d’art, tableaux, sculptures, orfèvrerie, céramiques, documents et souvenirs historiques ayant appartenu à la famille impériale, qui proviennent d’ac-quisitions de l’État, mais aussi de donations, notamment du prince Napoléon et de sa sœur, la comtesse de Witt.

Dans la galerie d’accès, les grands portraits, dont la majorité est due au peintre Gérard, et des sculptures en buste, montrent Napoléon et l’impératrice Marie-Louise, Madame Mère et le Cardinal Fesch, oncle de l’Empereur, et tous les frères (et leurs épouses) et les sœurs de Napoléon, à l’exception de Lucien, fâché jusqu’en 1815 avec l’Empereur pour avoir épousé, sans son accord, une américaine, divorcée.

Dans la dizaine de salons du musée, on peut admirer les souvenirs du couronnement (les portraits en costume de sacre de Napoléon et de Joséphine et un portrait de Pie VII, les habits et l’épée du sacre), de Napoléon en campagne (reconstitution d’une tente, présentation des nécessaires, de la redingote et du chapeau du « petit caporal »), des pièces d’orfèvrerie (service de vermeil, nef et cadenas de l’Empereur, sabre des empereurs), des armes de chasse (fusils et dague de chasse), des services de vaisselle de la table impériale, des objets de décoration (des pièces du surtout de table en bronze et en pierres dures offert par le roi Charles IV d’Espagne), du mobilier, des objets d’art et des pendules, des souvenirs de Marie-Louise et de la naissance, de la jeunesse et de l’exil du roi de Rome (et notamment deux grands berceaux et ses jouets d’enfant).

Une ambitieuse politique d’acquisitions est d’ores et déjà entreprise, afin de préparer la mise en œuvre du projet de redéploiement des collections et d’extension du musée Napoléon Ier.

Enfin, des événements sont organisés régulièrement par le château pour rappeler l’épopée napoléonienne : de grandes expositions notamment et, le 20 avril 2014, la commémoration du deux-centième anniversaire des adieux de l’Empereur à sa garde au moment de la première abdication, reconstituée en costumes d’époque par quatre cents reconstitueurs, applaudis par 40 000 spectateurs.

Gérard TENDRON Président des Amis du château de Fontainebleau

Antoine Montfort, d’après Horace Vernet. Adieux de Napoléon Ier à la garde impériale dans la cour du cheval blanc du château de Fontainebleau, 20 avril 1814. Huile sur toile. Château de Versailles.

20 avril 2014, « Napoléon », descendu par l’escalier du Fer-à-cheval, est invité par « le Général Petit » à saluer le drapeau.

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Ce dossier est édité par Les Amis du Château de Fontainebleau.Directeur de la publication : Gérard TendronIconographie : Hélène Verlet

Conception : www.agence-dac.com Tirage : 1000 exemplairesLa reproduction même partielle de ce document est interdite.

Crédits photos : RMN, Château de Versailles, Musée de la Vénerie à Senlis, Musée de la Légion d’Honneur, Musée Marmottan, ONF (JP Chasseau), La Comédie Française, Frédéric Perrot, Gérard Tendron, Gérard Vallée, Hélène Verlet.

Les Amis du Château de Fontainebleau se réjouissent de contribuer à faire connaître la richesse et la diversité de son magnifique patrimoine. Ils remercient particulièrement Monsieur Vincent Droguet, Conservateur général, Directeur du patrimoine et des collections au château de Fontainebleau pour ses patients conseils ainsi que le service de documentation du château et Madame Fatima Louli de la RMN pour leur aide amicale.

Bibliographie simplifiée :ARNAULD des LIONS Jérôme : « Les écuries impériales à Fontainebleau et le manège Sénarmont ». Revue d’histoire de Fontainebleau & sa région. N°5. 2013

BEYELER Christophe : Le pape et l’empereur, la réception de Pie VII par Napoléon à Fontainebleau. Somogy et Musée national du château de Fontainebleau, 2005

BRANDA Pierre : Napoléon et ses hommes. Fayard, 2011

COIGNET : Les cahiers du capitaine Coignet, publié par Lorédan Larchey, gravures de J. Le Blaut. Hachette, 1914

CONSTANT : Mémoires intimes de Napoléon Ier. Mercure de France, 1967

COULOMB Jean-François : « Napoléon, le pouvoir et la chasse ». Jours de chasse. N° 22. 2005

DOMET Paul : Histoire de la forêt de Fontainebleau. Laffitte reprints. Marseille 1979

HEBERT Jean-François et

SARMANT Thierry : Fontainebleau, mille ans d’histoire de France. Tallandier, 2013

LOSSKY Boris : Le Musée national du château de Fontainebleau. Edition des musées nationaux, 1971

POLTON Jean-Claude : « Napoléon Bonaparte et la forêt de Fontainebleau ». Revue d’histoire de la ville et de la région de Fontainebleau. N°5. 2013

SAMOYAULT Jean-Pierre : Guide du musée national du château de Fontainebleau. RMN, 1991

TENDRON Gérard : Fontainebleau, domaine de Chasse des souverains. Société des amis et mécènes du château de Fontainebleau. 2013

TERRASSE Charles : Napoléon à Fontainebleau. Bernard Grasset, 1952

TOESCA Maurice : Les grandes heures de Fontainebleau. Albin Michel, 1957

TULARD Jean : Dictionnaire Napoléon. Fayard, 1987

Comte de Las Cases. Mémorial de Sainte Hélène.

9772103

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