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DU MÊME AUTEUR

La Véritable Histoire de Jésus. Une enquête scientifique ethistorique sur l’homme et sa lignée, Éditions RobertLaffont, Paris, 2007, 2014.

Traduction : Nathalie Gouyé-Guilbert pour l’introductionet les chapitres 1, 2 et 3. Cécile Dutheil de la Rochère

pour les chapitres 4, 5, 6, 7 et 8.Titre original : Lost Mary© James D. Tabor, 2019

Flammarion, 2020.ISBN : 978-2-0813-7936-7

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James D. Tabor

Marie

De son enfance juive à la fondationdu christianisme

Traduction de l’anglais (États-Unis)par Cécile Dutheil de la Rochère

et Nathalie Gouyé-Guilbert

Flammarion

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Introduction

À LA RECHERCHE DE MARIE

« Qui sont ma mère et mes frères ? »Évangile de Marc

Marie, la mère de Jésus, est la femme la plus célèbrede l’Histoire, mais elle est aussi la plus mal connue…J’ai passé les vingt dernières années de ma vie à réfléchirà cet étonnant paradoxe : comment Marie peut-ellesusciter autant de ferveur et de dévotion alors mêmequ’on sait si peu de chose sur elle ?

Surplombant la vieille ville de Jérusalem, au nord durempart, l’église « Notre-Dame » évoque irrémédiable-ment la Vierge Marie. Le pape François y a séjournélors de sa visite historique en Terre sainte, en 2014.L’imposant bâtiment central est paré de deux toursornementées encadrant, sur un piédestal surélevé, unestatue de Marie jeune portant haut l’enfant Jésus.Tournée vers le mont des Oliviers à l’est, elle estvisible de très loin. En arrivant dans la vieille ville, jedemande souvent à mes étudiants qui viennent pour lapremière fois à Jérusalem : « Regardez, que fait la statued’une jeune Juive portant un enfant juif en haut du

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centre Notre-Dame qui est une institution catholiqueromaine ? »

Ils ne perçoivent pas tout de suite la subtilité de laquestion. Qui voit encore en Marie une jeune femmejuive ? Pour nous tous, elle symbolise une pieuse catho-lique… avec l’allure et les manières d’une nonne. C’estl’image culturelle de Marie que nous portons en nous,ancrée par l’art religieux, mais aussi par les livres et lesfilms contemporains sur Jésus.

Marie est le personnage le plus oublié de l’Histoirequi soit. Ce n’est donc pas une mince affaire de partirà la recherche de la « vraie » Marie. Je suis historien,spécialisé dans l’étude des religions antiques en Médi-terranée, et en particulier sur les débuts du christia-nisme. J’ai écrit de nombreux livres sur Jésus et surPaul 1, mais mes recherches sur Marie constituent lagrande aventure intellectuelle de ma carrière. Ce livreen est le fruit. J’espère que sa lecture sera instructive etune source d’étonnement, qu’elle incitera les lecteurs àvoir désormais en Marie celle qu’elle fut en son tempset dans son pays : une femme créative et révolution-naire, qui inspira une foi chrétienne émergente.

Marie est la femme la plus illustre qui ait jamaisvécu. C’est indéniable. Hélène de Troie, Cléopâtre,Jeanne d’Arc font pâle figure auprès d’elle. Dans l’ency-clopédie en ligne Wikipédia, l’article la concernantoccupe trente pages. C’est plus que pour n’importequelle autre personnalité féminine. Dans les grandsmusées d’art occidentaux, que ce soit à la National Gal-lery de Washington, au musée du Prado à Madrid ouau Louvre à Paris, Marie est le personnage le plus repré-senté, sur les tableaux, dessins, fresques, en sculpture,

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sans parler du nombre incalculable de cartes de vœux,photographies ou images qu’abritent d’innombrableséglises et maisons 2.

Deux milliards de chrétiens et un milliard et demide musulmans honorent sa mémoire. Des millions decatholiques et de chrétiens orthodoxes lui adressentl’invocation du Rosaire : « Sainte Marie, Mère de Dieu,priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et àl’heure de notre mort. » Si les protestants ne prient pasMarie, ils la considèrent néanmoins comme la ViergeSainte et Bénie, le « réceptacle » choisi par Dieu pouroffrir au monde Jésus, son divin Fils. Marie, ouMaryam, est la seule femme citée dans le Coran, quilui consacre toute une sourate, un verset entier 3. Lesmusulmans la classent parmi les prophètes et lui accor-dent plus de place qu’à aucune autre femme dansl’islam. Pour eux, Marie est la Vierge mère de Jésus,choisie parmi toutes les femmes.

Pourtant, si nous nous demandons qui est la femmejuive qui se cache derrière les représentations, lesicônes, les portraits et les dogmes, nous réalisons quela vraie Marie nous est inconnue.

De Marie, nous savons tous qu’elle est la jeune viergemère de Jésus du récit de Noël, qui ne réapparaît parla suite qu’au pied de la croix, à la mort de son fils.Que manque-t-il ici, si l’on y réfléchit ? Toute la vie deMarie. Ce que nous en raconte le Nouveau Testamentsemble bien insuffisant. Marie n’est présente que dansune demi-douzaine d’autres scènes 4. Pourtant, cesscènes offrent tout un champ d’interprétations pos-sibles, souvent ignorées, comme autant d’indices semésdans un désert pour indiquer le chemin de l’oasis.

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En plus des sources dont nous disposons déjà, denouveaux éléments ont été mis au jour depuis une cen-taine d’années. Les découvertes extraordinaires résul-tant des fouilles archéologiques menées en Terre sainteau cours des dernières décennies ont beaucoup à nousapprendre. J’ai énormément cherché dans les biblio-thèques et sur les sites archéologiques et l’on peut direque, depuis vingt ans, je ne cesse de traquer l’« ombrepâle » de Marie. Si les livres et les manuscrits anciensont été riches d’enseignement, c’est la terre, au senspropre, qui m’a fourni les informations les plus pré-cieuses. Au cours de mes recherches, je me suis renduplus de soixante-dix fois en Terre sainte. J’ai mené monenquête grâce aux livres, documents et manuscritsaccumulés dans mon bureau, mais j’ai aussi exploré ensurface et en profondeur la terre d’Israël. À l’aide d’unecaméra robotisée, j’ai même scruté le fond d’une tombevieille de deux mille ans, qui a peut-être un rapportavec Marie. Ma quête a donné lieu à des intrigues, aprovoqué des conflits, mais a aussi permis d’étonnantesrévélations qui modifient et enrichissent ce que noussavons de source fiable à propos de la femme juivequ’était Marie. Il n’est pas rare qu’un détail apparem-ment anodin ouvre un champ entier de nouvelles pers-pectives.

Depuis quarante ans, je donne des cours sur les ori-gines du christianisme. J’ai enseigné d’abord à l’univer-sité Notre-Dame (South Bend, Indiana), au Collège deWilliam et Mary (Williamsburg, Virginie) et désormaisà l’université de Caroline du Nord à Charlotte. Je necompte plus le nombre de fois où, alors que j’évoquaisles quatre frères et trois sœurs de Jésus, dont nos

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sources les plus sûres font état, un étudiant a levé lamain d’un air perplexe en déclarant : « Je ne savais pasque Jésus avait des frères et sœurs ! » Je ne doute pasque beaucoup des lecteurs de ce livre auront la mêmeréaction. Cette méconnaissance de la réalité historiquede la famille de Marie n’est pas de notre fait. La vérité,c’est que sa vie a été intentionnellement effacée. Quelque soit notre environnement culturel et religieux,nous avons tous hérité de l’image d’une Mariemythique, façonnée par la théologie, entretenue par laloyauté, fruit d’une piété tardive qui plaçait l’absencede sexualité au pinacle de la spiritualité.

En 1925, Bruce Barton a publié un livre sur Jésusau titre significatif : The Man Nobody Knows [L’hommeque nul ne connaît]. C’est devenu un succès internatio-nal, l’une des meilleures ventes du XXe siècle. Bartonn’était pas un spécialiste, et son approche peut êtrecontestée à bien des égards, mais son intention était dedébarrasser Jésus de ses oripeaux théologiques et de leprésenter comme un homme de son temps. CommeJésus, Marie est sans aucun doute « la femme que nulne connaît ». Et je crois que les millions de personnesqui s’intéressent à elle pour des raisons spirituellesliront avec plaisir cette tentative de lui rendre sa réalitéet seront heureuses de découvrir la femme qu’elle fut,libérée des dogmes érigés plus tard par l’Église.

J’apporterai la preuve que Marie est la « fondatrice »oubliée du christianisme primitif. Nos sources les plussûres indiquent que Joseph est mort tôt et que la jeunefemme s’est trouvée dans la nécessité d’élever seule, nonpas un, mais huit enfants au moins. Quand on évoqueJésus et le mouvement remarquable qu’il a inspiré, on

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devrait y associer Marie et le rôle capital qu’elle a jouéen tant que mère de cette grande famille oubliée. Sonaction après la mort de Jésus a été essentielle pour ledéveloppement du christianisme. Les raisons pour les-quelles elle a été éliminée du grand récit, hormis celuide la naissance de Jésus et de sa crucifixion, sont àchercher dans les luttes politiques et théologiques quiont opposé les disciples engagés dans une bataille férocepour prendre le contrôle du mouvement émergent. Cesconflits sont nés de la volonté de certains de minimiseret de nier l’existence de la famille de Jésus pour toutconcentrer sur sa seule divinité et sur le rôle de « Mèrede Dieu 5 » nouvellement attribué à Marie.

La théologie a fait de Marie une femme, épouse etmère, apolitique et asexuée. J’appelle cette évolution denature théologique intervenue dans l’histoire des débutsdu christianisme « l’anti-narration mariale ». Elle visait àaffranchir Jésus et Marie de toute trace de sexualité, àtransformer le message révolutionnaire de Jésus annon-çant l’avènement du royaume de Dieu en l’annonced’une rédemption céleste, en gommant sa famille, enparticulier sa mère et son frère Jacques. Les premièresmanifestations de cette volonté à placer le céleste et ledivin au-dessus du monde terrestre et de l’humain sontapparues au moment où le christianisme naissant com-mençait à se détacher résolument de son ancrage judaï-que et subissait l’influence grandissante des religionsgréco-romaines et de la philosophie platonicienne.

Les chrétiens qui honorent en Marie la « Mère deDieu » jugeront peut-être inapproprié, pour ne pas direblasphématoire, mon désir de rendre à Marie sa condi-tion pleinement humaine de femme juive. Ce serait un

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malentendu. Je crois apporter par ce livre une contribu-tion positive au « culte marial », terme employé par desmillions de chrétiens pour exprimer leur foi en Marie.La plupart des chrétiens acceptent sans difficulté lesétudes sur le Jésus historique, y compris sa judaïté, quinous rapprochent de l’homme tel qu’il vivait à sonépoque. Même l’idée qu’il puisse avoir été marié a étéexaminée et ouvertement débattue après la parution duDa Vinci Code.

Marie, elle, semble appartenir à une autre catégorie.Le fait de présenter la vraie Marie, aussi proche quepossible de la femme, épouse et mère dans son environ-nement historique et culturel, est en soi, j’en suisconvaincu, un acte de piété envers elle et son authenti-cité historique. Les travaux des historiennes féministessont essentiels à notre compréhension du rôle moteurdes femmes dans les origines du christianisme. La mar-ginalisation et la réduction au silence de la voix desfemmes, la négation de leurs actions sont profondé-ment ancrées dans l’histoire de l’humanité. Dans le casde Marie, peut-être plus que pour toute autre femme,sa réhabilitation en tant que femme juive et mère, éle-vant seule ses enfants, n’a que trop duré 6.

Mais alors, par où commencer ?Au cours des trois dernières décennies, j’ai mené ou

accompagné une demi-douzaine de campagnes defouilles autorisées par l’Israel Antiquities Authority, ledépartement israélien des Antiquités, en tant que codi-recteur pour quatre d’entre elles. Elles ont eu lieu surle mont Sion à Jérusalem, où Marie a passé les der-nières années de sa vie ; à Sepphoris, près de Nazareth,

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où Marie a grandi ; à Ein Kerem, aux abords de Jérusa-lem, domicile de Jean le Baptiste, son parent ; et àQumrân, dans le désert de Judée, dans les grottes oùont été trouvés les manuscrits de la mer Morte. Cessites ont tous un lien direct avec Marie et le mouve-ment qu’elle a animé. Mon implication active a eu desrépercussions majeures et passionnantes sur marecherche. Au cours de ces années, je me suis intéresséen particulier à la colline située au sud-ouest de Jérusa-lem, connue sous le nom de mont Sion. Même aprèsdeux mille ans, on trouve encore dans toute cette zone,enfouis à quatre ou cinq mètres sous le niveau actueldu sol, des signes de la présence de Marie, ainsi quedans les vestiges d’anciennes constructions et sur leslieux saints plus récents qui attirent chaque année desmillions de pèlerins. Cet ouvrage examine chacun deces sites, qui éclairent notre quête.

Nos meilleures sources indiquent que Marie a vécules dernières années de sa vie à Jérusalem, sur le montSion, dans la maison d’un riche mécène, ou bien d’unmembre de la famille 7. Cela contredit la tradition bienplus tardive du XIXe siècle qui la situe, avec l’apôtreJean, à Selçuk, en Turquie, près de l’ancienne villed’Éphèse. Ce lieu draine chaque année un million detouristes qui viennent visiter la « maison de la SainteVierge », où les papes Paul VI et Jean-Paul II ont mêmecélébré des messes. La « maison » n’a été découverteque très récemment, au XIXe siècle, à la suite des visionsde la religieuse Catherine Emmerich. Pourtant, le sited’Éphèse ne repose sur aucune base historique crédible,malgré sa popularité 8. Sa désignation est née d’uneidée, acceptée comme un dogme par bien des chrétiens,

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selon laquelle le « disciple que Jésus aimait » anonymede l’Évangile de Jean, à qui Jésus avait confié sa mèresur la Croix, serait Jean le pêcheur, le fils de Zébédée,censé avoir fini sa vie à Éphèse. Le Jean qui a vécu enAsie est une autre personne, la plus souvent appeléeJean l’Ancien 9. Nous avons ici un cas classique d’erreursur une identité.

Nous avons de bonnes raisons de penser que le mys-térieux « disciple que Jésus aimait » n’est autre que sonfrère Jacques, le deuxième fils de Marie. C’est ceJacques que Paul désigne comme « le frère du Sei-gneur », nommé dans des sources ultérieures « Jacquesle Juste », pour le distinguer des deux autres Jacquesqui faisaient partie des douze apôtres, ou de « Jeanl’Ancien », mort en Asie. Après la mort de Jésus, il estdevenu le chef incontesté de son mouvement. Contrai-rement à ce qu’en dit la tradition plus tardive, c’est àlui et non à Pierre et Paul que les apôtres s’en sontremis pour les guider. Si l’on sait si peu de chose deJacques, c’est que son rôle de meneur a plus ou moinsété effacé par la tradition ecclésiastique ultérieure,comme le furent celui de Marie et l’existence des autresfrères et sœurs de Jésus.

À Jérusalem, je séjourne souvent dans le quartierchrétien de la vieille ville avec ses patriarcats latin etgrec. J’en connais par cœur les ruelles et les allées tor-tueuses. Les noms des rues sont éloquents. Saint Pierre,saint Paul, saint François, et même sainte Hélène, lamère de l’empereur Constantin, y sont tous représen-tés. Jacques, lui, n’est nulle part. Pour le trouver, il fautaller dans le quartier arménien, au sud, sur le montSion, là où réside la communauté chrétienne la plus

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ancienne de Jérusalem et où l’on trouve la cathédraleSaint-Jacques, ainsi qu’une rue latérale conduisant auquartier juif à laquelle a été donné le nom de saintJacques.

C’est là, sur le mont Sion, dans la demeure privéed’un riche bienfaiteur, que Marie, Jacques et ses autresenfants ont très probablement vécu dans les années quiont suivi la mort de Jésus. La demeure a été détruite enl’an 70, en même temps que la ville et son magnifiqueTemple, incendiés par les Romains en représailles à lagrande révolte juive de 66-73. À cette date, Jacques etMarie étaient déjà morts. Mais lorsque les disciples deJésus, parmi lesquels quelques membres de sa famille,sont retournés à Jérusalem vers 75, ils ont reconstruitla maison sur les fondations de l’ancienne demeure etde sa cour. Elle devait avoir la même configuration quecelle où Jésus avait pris son dernier repas, dans unechambre au deuxième étage. Par la suite, la modestebâtisse s’est appelée « église des apôtres », bien qu’elleressemblât davantage à une « maison chapelle » qu’àune église telle qu’on la conçoit aujourd’hui 10. De nosjours, les pèlerins nomment ce lieu la « Chambrehaute » ou le Cénacle, mais l’ensemble actuel de185 m2 date du temps des croisades. En 2014, le papeFrançois y a dit une messe historique et prononcé unehomélie, diffusée dans le monde entier, dans laquelle ila rappelé le lien existant entre ce lieu, Marie et lesapôtres. Ce qui se trouve sous le Cénacle nous raconteune autre histoire oubliée.

Les archéologues ont récemment dégagé les fonda-tions lors de nouvelles fouilles 11. Les résultats offrent

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un regard nouveau sur l’histoire de cette zone de Jéru-salem, à l’endroit même où Marie a terminé sa vie aprèsla mort de Jésus. Nous connaissons désormais l’empla-cement des fondations des murs et de la cour de lamaison du Ier siècle. Grâce aux fouilles des richesdemeures de la période hérodienne dans le quartier juifde la vieille ville, et à celles de la maison sacerdotalemise à jour sur le mont Sion, à l’est du Cénacle, nousavons une idée de ce à quoi pouvaient ressembler lerez-de-chaussée, les étages, le toit et la cour des maisonsde cette époque.

Le souvenir de Marie est omniprésent dans les lieuxchrétiens de la vieille ville. Quand on parcourt les quar-tiers latin, grec, syriaque ou arménien, on la voit par-tout, dans le nom des boutiques, des églises, des hôtels,sur les tableaux, les statues, les bois sculptés, lesfaïences, les pendentifs, les colliers, les chapelets et lesimages pieuses. La statue que je préfère se trouve dansla rue Saint-Pierre. Elle représente une jeune et jolieMarie, comme prise sur le vif, dans une vitrine ferméeposée sur un piédestal. Chaque fois que je passe devantelle, j’ai envie de m’arrêter et de la regarder dans lesyeux, presque de lui parler. Quand j’essaye d’imaginerce qu’elle penserait du culte que lui vouent les millionsde touristes qui se pressent dans la vieille ville, je suiseffaré. Elle ignorait tout du christianisme, des églises,des cathédrales, des statues, des hymnes, des Credo etdes liturgies qui lui sont consacrés. Elle serait beaucoupplus à l’aise dans le quartier juif de la ville vivant aurythme du shabbat, des fêtes religieuses, des prières etdes chants liturgiques entonnés au Mur des lamenta-tions. En comprenant cela, j’ai voulu la « ramener à la

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maison » pour qu’elle puisse être revue telle qu’elle étaità son époque et en son lieu.

La mort de Marie

Au cours de mes recherches sur la vie de Marie, j’aiété aussi conduit à me pencher sur sa mort. Pas seule-ment sur les circonstances de sa mort, mais sur le lieu,la date et la portée de l’événement. C’est là que la théo-logie, qui a transformé Marie femme et mère en unevierge reine du ciel, commence à opérer pleinement.Pour le christianisme tardif, la pensée du corps deMarie se décomposant et retombant en poussière étaitaussi insupportable que la perspective de sa sexualité,de ses fonctions organiques et de sa maternité. Enconséquence, le sort du corps de Marie à sa mort a étéenveloppé d’un épais brouillard d’affirmations théolo-giques et de pieuse dévotion.

Le « tombeau de la Vierge », situé selon la traditionà Jérusalem près du jardin de Gethsémani, au pied dumont des Oliviers, a d’abord fait l’objet d’un culte sousl’appellation Église de Marie au Ve siècle, en tant quetombe ou maison de Marie, ou les deux 12. Les pèlerinsen visitent encore certaines parties aujourd’hui, mais cequ’ils voient date des croisades. Il reste peu de chosedes premiers siècles. Je me souviens de ma premièrevisite : j’ai descendu vingt-sept marches pour débou-cher dans une petite crypte abritant une pierre enfer-mée dans une châsse de verre sur laquelle auraittemporairement reposé le corps de Marie. L’endroitétait sombre, seulement éclairé par des bougies, et il y

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régnait une forte odeur d’encens, presque suffocante.La dernière fois que j’y suis allé, trois religieuses catho-liques priaient devant la châsse, les mains jointes, enchantant doucement l’Ave Maria en latin. C’était unetrès belle scène, très émouvante. Pour tous ceux quivisitent le tombeau chaque année, il ne fait aucundoute que le corps de Marie repose ici, bien que latombe elle-même ne contienne aucun reste humain.Pourtant, comme pour de nombreux sites religieux àJérusalem, d’autres lieux sont envisageables.

Sur les pentes du mont Sion, à une centaine demètres de notre site de fouilles, se dresse l’imposanteabbaye de la Dormition, l’édifice le plus haut de lacolline, tout près du Cénacle ou Chambre haute. C’estune abbaye bénédictine, érigée sur le lieu de la mortde Marie. Son nom vient du latin dormire, s’endormir.Située sur un terrain acquis en 1898 par l’empereurGuillaume II, elle a été construite à l’emplacement dela basilique byzantine Hagia Sion du Ve siècle et del’abbaye Notre-Dame des croisés du XIIe siècle. Lecentre de l’abbaye est occupé par une église circulaired’où partent deux escaliers en spirale descendant à cinqmètres en sous-sol jusqu’à une crypte où repose ungisant en bois de la mère de Jésus, à l’endroit où elleest morte. Les preuves historiques tendent à confirmerl’authenticité de l’emplacement. Mais dans ce cas,pourquoi le mont Sion ? Qu’est-ce que cet endroit avaitde spécial pour les fidèles de Jésus, pour la plupart desJuifs de Jérusalem et d’Israël ? La réponse à cette ques-tion ouvre la voie à une réécriture complète de l’histoiredes vingt premières années du mouvement hérité de

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Jésus, avec sa mère Marie et son frère Jacques aux com-mandes. Ce dernier, deuxième fils de Marie, a étéoublié, remplacé par Pierre et Paul, alors qu’il a étéde toute évidence le chef des apôtres et le guide dumouvement nazaréen après la mort de Jésus 13.

Les catholiques et les chrétiens orthodoxes d’Orientaffirment qu’après « s’être endormie » sur le mont Sion,Marie, comme son fils, s’est élevée au ciel au bout detrois jours (l’« Assomption »), laissant ainsi sa tombevide. Cet enseignement, prônant l’idée que le corps deMarie devait échapper à toute « corruption », était biensûr lié à l’idée qu’elle était devenue la « Mère de Dieu »en donnant naissance à son fils. Une façon de plusde lui ôter sa part terrestre pour conforter sa naturecéleste.

Bien que la doctrine de l’Assomption de la Viergen’ait été officiellement érigée en dogme infaillible qu’en1950 par le pape Pie XII, les catholiques romains etd’Orient ont toujours été convaincus de sa véracité. Ledogme professe que la Vierge Marie, « après avoirachevé le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps etâme à la gloire céleste 14 ». Sa sainteté rend inconce-vable l’idée de son corps condamné à la corruption etréduit en poussière.

Le 27 mars 1980, une nouvelle hypothèse a pu êtreémise par la force d’un bulldozer. Lors de travaux deconstruction d’un immeuble au sud du mont Sion, undynamitage a mis au jour une tombe familiale datantdu temps de Jésus. Le caveau avait toutes les caractéris-tiques des tombeaux de cette époque à Jérusalem : unechambre mortuaire creusée dans la roche, contenant lesossements des membres de la famille rassemblés dans

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des ossuaires de calcaire ou des coffrets funéraires. Sixdes dix ossuaires portaient des inscriptions mention-nant des noms évoquant ceux de la famille de Jésus 15 :

Jésus, fils de JosephJosé (rare forme abrégée de Joseph) 16

MariaMariamneMatthieuJude, fils de Jésus

Les archéologues ne se sont pas beaucoup intéressésà cette tombe au moment de sa découverte, arguantqu’il s’agissait de noms très courants, et ce malgré leurétonnante réunion en un même lieu. En 2009, mescollègues et moi-même avons reçu l’autorisation dudépartement israélien des Antiquités de mener unexamen plus approfondi du site, ainsi que de celuid’une autre tombe ancienne encore intacte, située à unetrentaine de mètres sur le même terrain 17.

Nos découvertes fort instructives ont suscité de vivescontroverses. En 2002, un septième ossuaire portantl’inscription « Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus » alui aussi refait surface. Tout indiquait qu’il provenaittrès probablement de la même tombe 18. Les résultatsde cette découverte, les tests ADN et autres analysesscientifiques auxquels elle a donné lieu ont ouvert surtoutes les notions concernant Marie et sa famille, ainsique sur sa mort et son enterrement à Jérusalem, desperspectives inédites que j’exposerai dans ce livre.

En 2005, armé d’une lampe torche, j’ai pénétré pourla première fois dans l’obscure enceinte souterraine decette tombe de la « famille de Marie ». Elle est creusée

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dans la roche à trois mètres sous le niveau actuel dusol. Les ossuaires en avaient été enlevés en 1980 pourassurer leur conservation, mais la tombe elle-mêmeétait restée dans sa structure et son atmosphère, tellequ’elle était il y a deux mille ans. J’ai dû me faire toutpetit pour franchir la minuscule entrée carrée puisme baisser à l’intérieur car le plafond n’excédait pasun mètre trente de hauteur. La chambre mortuaire elle-même mesurait trois mètres sur trois, la taille d’unepetite pièce.

Je suis resté un long moment assis en silence pourtenter de prendre toute la mesure de ma présence ence lieu. Je me demandais si j’avais bouclé la boucle.J’avais commencé mes recherches en étudiant les textesanciens dans des bibliothèques. Dans mon enquête surla véritable Marie, étais-je arrivé enfin sur les lieux oùses fils, Jacques, Joses, Simon et Jude, et ses filles,Marie, Salomé et Anne, avaient affectueusementdéposé son corps pour son dernier repos ? S’étaient-ilstenus, éplorés, devant l’entrée que je venais de franchir,emplis de tristesse par la mort de leur mère bienaimée ? S’étaient-ils assis ou agenouillés sur le sol, àl’endroit où je me trouvais ? J’ai pris un peu de terreentre mes doigts, de cette terre que nul n’avait fouléedepuis les temps anciens, jusqu’à la découverte du tom-beau en 1980. Elle avait une odeur forte qui n’était pasdésagréable.

J’ai alors essayé d’imaginer la scène et son déroule-ment d’après les amples connaissances que nous avonsdes rituels funéraires juifs de l’époque. Les sœurs deJésus ont dû laver le corps de Marie, l’oindre d’huiles etde parfums et l’envelopper dans un linceul de lin. Leurs

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Introduction

frères, Jacques, Joses, Simon et Jude, l’auront alors trans-portée jusqu’au petit espace aménagé devant l’entrée etde là dans la chambre mortuaire. Les épouses, maris etenfants des filles et fils de Marie ont dû se rassemblerdans la cour avec d’autres personnes. Pierre, Jean et lesapôtres devaient être là avec leurs femmes et enfants,ainsi que Marie-Madeleine, Marie et Clophas, Salomé,la mère des fils de Zébédée, Joanna, Suzanne, Marie etMarthe de Béthanie, leur frère Lazare, Jean-Marc, samère, et bien d’autres encore 19.

En tant qu’aîné des fils vivants, et désormais chef defamille, Jacques a officié et prononcé les prièresfunèbres juives traditionnelles, en particulier une ver-sion antique du Kaddish des endeuillés, encore récitéaujourd’hui lors des services funèbres dans les syna-gogues 20. Puis le corps a été porté dans la tombecontenant les membres les plus proches de la famille,réunis à l’endroit même où je me trouvais. Dans cepetit caveau, il y a deux arcosolia, c’est-à-dire des nichesou des banquettes creusées dans la pierre, sur lesquelleson dépose le corps dans un premier temps. Ensuite, latombe a été fermée hermétiquement à l’aide d’unepierre, en l’enfonçant un peu comme un bouchon dansle goulot d’une bouteille. Un an plus tard, la familles’est à nouveau réunie autour du corps décomposé pourplacer les ossements dans un ossuaire ou un coffretfunéraire portant une simple inscription, en l’occur-rence « Marie ». En posant la main sur l’une des niches,j’ai vu qu’il restait de minuscules fragments d’os, lesrestes des multiples personnes inhumées dans cettetombe au fil des ans.

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Marie

Cette expérience bouleversante m’a conforté dansma volonté de restaurer un souvenir historique plusprécis de cette femme remarquable. Que ce tombeausoit celui de la famille de Marie ou qu’il faille encoreen découvrir un autre, ce moment m’a profondémentincité à poursuivre ma quête de la Marie oubliée 21. Enétant à Jérusalem, peut-être sur les lieux mêmes de soninhumation, j’avais l’impression que nous nous ten-dions la main par-delà les millénaires.

Je terminerai par une brève histoire personnelle. Le25 juin 2011, je guidais un petit groupe de mon uni-versité sur le site des fouilles de Qumrân où les manus-crits de la mer Morte avaient été découverts en 1947dans les grottes avoisinantes. Vers la fin de la visite,mon téléphone sonna. C’était ma sœur aînée, Betty,qui m’appelait du Texas. Un appel vraiment lointaincar Qumrân, situé à cent mètres en dessous du niveaude la mer, est le lieu le plus bas de la Terre. Elle avaitde mauvaises nouvelles. Elle m’annonçait la mort denotre plus jeune sœur, Cindy. Nous étions troisenfants, avec trois ans de différence, couvrant ensemblela décennie 1940. Nous nous y attendions, car Cindyétait à l’hôpital, mais quand la nouvelle tomba, elle mebouleversa. J’en ai fait part au groupe en quelquesmots, tout en réprimant mon émotion. Je voulaisattendre d’être seul pour prendre le temps d’y réfléchir.L’annonce de cette nouvelle à Qumrân avait quelquechose de surnaturel. J’avais déjà participé aux fouillesde ce site en 1990 et je n’avais cessé depuis de travailler,de donner des conférences et d’écrire sur les manuscritsde la mer Morte.

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Introduction

La nuit n’allait pas tarder à tomber. J’ai envoyé mesétudiants se rafraîchir au centre d’accueil des visiteurs.Il faisait près de 40 °C en cette fin d’après-midi et nousétions trempés de sueur. Nous venions de terminer letour du cimetière de Qumrân, qui contient plus demille tombes datant de l’époque où Marie et Jésusvivaient, il y a deux mille ans. Les spécialistes attribuentl’écriture des manuscrits à la communauté des essé-niens, décrite en détail par Flavius Josèphe 22. J’avaisexpliqué à mes élèves leur vision de la mort et de larésurrection, en la comparant à celle de Jésus, d’aprèsce qu’en disent les Évangiles 23. Ils croyaient à la résur-rection des âmes dans un corps glorieux à la fin destemps 24.

Pendant que le groupe se reposait au centred’accueil, je me suis dirigé vers le cimetière afin d’êtreseul un moment. Le soleil se couchait derrière moi àl’ouest. Il régnait un calme et un silence presquemagiques. On aurait entendu une mouche voler, ausens propre. Le désert de la mer Morte semble propiceà cette qualité de silence au lever et au coucher du soleilcomme au cœur de la nuit.

Les tombes esséniennes sont encore visibles, repé-rables à des tertres de cailloux. Elles sont orientéesnord-sud, la tête au sud, les pieds au nord. Il s’agit d’unmode de sépultures inhabituel pour des tombes juives.Jérusalem est située à l’est de Qumrân. Or, partoutdans le monde, les tombes juives sont orientées vers laVille sainte, sans doute pour que les défunts se lèventd’entre les morts face à elle. Nous pensons que les essé-niens, comme les disciples de Jésus, croyaient que le

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Marie

messie viendrait du nord, telle une « grande lumière »,pour ressusciter les morts à la fin des temps 25.

Comme je regagnais le car au moment de repartir,une religieuse catholique s’est approchée de moi. Alorsque le site se vidait de ses visiteurs, elle distribuait àtous ceux qu’elle parvenait à arrêter des prospectusbleus pour la promotion de « La Médaille miraculeuse :un don de notre Mère du Ciel ». Une médaille deNotre-Dame en relief à porter en pendentif était colléeau revers. Elle m’a pris les mains et m’a dit en meregardant droit dans les yeux : « Monsieur, Monsieur,prenez ! Quelles que soient les épreuves que vous tra-versez, si vous priez en tenant cette médaille, Notre-Dame vous répondra. C’est certain. Essayez. Çamarche toujours si on est sincère. C’est certain. » Saferveur et sa foi m’ont ému. J’ai gardé le dépliant et lamédaille jusqu’à ce jour, parce que je n’oublierai jamaisla conviction qui illuminait le visage de cette sœur quiavait consacré sa vie à servir les autres à l’exemple dela mère de Jésus. Au moment où j’écris ces lignes, lamédaille est sur mon bureau. Qui aurait pu imaginerque moi, qui ne suis pas catholique, je recevrais ce sou-venir de Marie à l’endroit même où les manuscrits dela mer Morte ont été écrits ? La bonté que je ressentaischez cette religieuse m’avait apporté un peu de récon-fort alors que la douleur d’avoir perdu ma sœur com-mençait à m’envahir. Je suis sûr que beaucoup de meslecteurs, catholiques ou non, comprendront ce que jeveux dire.

C’est donc à Marie et à tous ceux qui honorent samémoire et souhaitent mieux la connaître que je dédiece livre… Ave Maria 26.

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DEUX MILLE CRUCIFIXIONS

« [Cet enfant] est là pour la chuteou le relèvement

de beaucoup en Israël […].Et toi-même,

un glaive te transpercera lՉme. ȃvangile de Luc

Quand je songe à Marie, je pense aux crucifixionsromaines, non seulement à celle de son fils premier-néqui s’est déroulée sous ses yeux, mais aussi à toutescelles auxquelles elle a assisté à l’âge de quinze ans,quand son monde s’est effondré. C’était pendant l’étéde l’an 4 av. J.-C. 1. À la fin de l’année précédente, elles’était retrouvée enceinte, et ses parents avaient arrangépour elle un mariage avec Joseph, un artisan du cruplus âgé qu’elle et qui, bien que n’étant pas le père,avait accepté d’accueillir l’enfant comme le sien. Aprèsla naissance, le couple s’était installé dans le petit villagede Nazareth, en Galilée, une région du nord du pays.Marie allaitait encore son fils Jésus, âgé d’un an à peine,quand le pays sombra dans le chaos. L’effroyable réalité

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Marie

qu’a connue Marie est à des années-lumière de la« Sainte nuit » et de la « crèche » que l’on associe tradi-tionnellement à la naissance de Jésus. Telle est la véri-table histoire méconnue du temps de la naissance duChrist, et cette période a eu un impact profond surMarie, sa mère, mais aussi sur tous les enfants qu’elleaura par la suite.

Deux versets de l’Évangile de Luc résument cettepériode de la vie de Marie :

« Lorsqu’ils eurent accompli tout ce que prescrivait laloi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leurville de Nazareth. Quant à l’enfant, il grandissait et sefortifiait, tout rempli de sagesse, et la faveur de Dieuétait sur lui. » (Luc, 2, 39-40 2)

Cette unique mention nous est précieuse car ellesitue avec certitude la présence de Marie, de Joseph,son époux de fraîche date, et de son enfant nouveau-né à Nazareth, en Galilée, dans les mois qui suivent lanaissance de Jésus 3. Une fois établie leur présence ence lieu et à cette période, nous pouvons entrevoir ceque Marie a vécu dans la tourmente qui a suivi. Outreles récits détaillés de l’historien du Ier siècle de notreère, Flavius Josèphe, les importantes découvertesarchéologiques de ces dernières années à Nazareth, prèsde Sepphoris, et dans une dizaine d’autres villes et vil-lages alentour ont bouleversé notre vision de la Galiléede cette époque.

Nazareth se situait à environ six kilomètres au sud-ouest de Sepphoris, la capitale de la Galilée, épicentredes événements du printemps et de l’été de l’an 4. Du

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haut des collines qui entourent Nazareth, Marie a puassister aux horreurs qui se sont déroulées sous ses yeux.

Hérode le Grand, roi autocrate de la terre d’Israëloccupée par les Romains, mourut en mars de cetteannée-là à l’âge de soixante-dix ans 4. Si sa mort ne futune surprise pour personne étant donné son âge et samauvaise santé, nul ne pouvait imaginer le chaos quis’ensuivrait. Bien que sa mère fût arabe et son père,Antipater, un Iduméen, quoique converti au judaïsme,Hérode avait été couronné « roi des Juifs » par l’empe-reur Auguste. Pour la population juive, il ne disposaitd’aucune légitimité, car il était imposé de force par lesRomains. Pendant les quarante années de son règnelong et prospère, les moindres tentatives de dissidenceou d’agitation politique furent réprimées avec force,grâce à l’aide des quatre légions d’élite stationnées aunord, à Antioche en Syrie, chargées de garder la fron-tière est de l’empire. Trois ans avant sa mort, Hérodefit assassiner deux de ses fils, Alexandre et Aristobule,dont il craignait la popularité grandissante. Cinq joursà peine avant son décès, il ordonna l’exécution de sonfils aîné, Antipater, héritier du trône.

Hérode le Grand a laissé un testament dans lequel ilrépartissait son royaume entre trois de ses fils, Archélaos,Antipas et Philippe. Ceux-ci commencèrent aussitôt às’entre-déchirer. De son côté, la population, emplied’espoir et de ferveur messianique, voulait à tout prixchasser les Romains et placer sur le trône un roi juif, quiserait le messie. En aucun cas, cependant, l’empereurAuguste ne pouvait accepter l’existence d’un État juifindépendant sur sa frontière orientale. Jamais le pouvoir

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Marie

n’avait autant été fragilisé et menacé depuis la conquêtedu pays par les Romains.

Un mois après la mort d’Hérode, à l’occasion de laPâque juive qui se tenait en avril, une foule immensese rassembla à Jérusalem dans une atmosphère insurrec-tionnelle. Elle voulait profiter de la confusion dumoment pour réclamer l’instauration d’un État juifindépendant. Comme la plupart des familles d’Israël,Marie et Joseph se sont rendus dans la Ville sainte avecleur bébé pour la fête de Pessah et ont rejoint le superbeTemple qu’Hérode avait commencé à faire construireen l’an 19 av. J.-C., l’année de la naissance de Marie.L’Évangile de Luc nous dit que, selon la coutume pres-crite par la Torah (Luc 2, 41-42 5), la famille gagnaittous les ans Jérusalem à l’occasion des fêtes de pèleri-nage avec les autres villageois. Lors de ces migrationssaisonnières, des centaines de caravanes d’hommes, defemmes, d’enfants, avec leurs bêtes de somme portantles provisions, parcouraient les cent cinquante kilo-mètres, soit trois jours de marche, séparant la Galiléede Jérusalem, faisant des haltes en chemin. Une foissur place, les milliers de pèlerins séjournaient chez desamis, des parents ou dans des camps au-delà des mursde la ville, décuplant jusqu’à saturation la populationdes villages voisins.

L’historien Flavius Josèphe raconte que, cette année-là, la foule assemblée au Temple pour Pâque échapparapidement à tout contrôle. Nous ne savons pas siMarie et sa famille se trouvaient dans l’une des coursdu Temple quand l’agitation a commencé, mais lespèlerins s’amassaient habituellement en nombre àl’intérieur du Temple, afin d’y sacrifier un agneau d’un

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an pour le repas de Pâque. Si nous ignorons ce queMarie a vu des terribles événements qui ont eu lieu,nous savons en revanche qu’elle était bien à Jérusalemalors que la ville entière était en ébullition.

Archélaos, le fils d’Hérode, qui régnait sur Jérusa-lem, envoya une cohorte (environ six cents hommes)pour réprimer l’émeute. Mais celle-ci fut surprise parla réaction des insurgés qui répliquèrent en leur jetantdes pierres, tuant ou blessant un grand nombre de sol-dats. Impatient de partir pour Rome afin de plaider sacause à la succession au trône auprès d’Auguste, Arché-laos ne pouvait prendre le risque de voir une révolte degrande ampleur dégénérer dans la capitale du pays. Ilriposta alors avec force en envoyant son armée toutentière, y compris la cavalerie. Les pierres et les bâtonsne pouvaient rien contre les lances, les flèches et lesépées. Les troupes bien armées d’Archélaos chargèrentla foule, tuant trois mille Juifs alors en train de sacrifierleurs agneaux de Pâque et dont le sang se mêla au leur.Les milliers d’autres qui soutenaient les émeutiersfurent repoussés de la ville vers les collines avoisi-nantes 6.

La fête de Pessah dure huit jours en comptant lessept jours de la Fête des Pains sans levain. Les pèlerinspassaient habituellement toute cette semaine à Jérusa-lem. Cette année-là, Archélaos les renvoya chez eux. Lechaos engendré par ce massacre jeta le pays entier dansl’effroi, et les morts venaient de partout. Leurs famillesdurent enterrer à la hâte leurs corps mutilés, un par unselon les rites funéraires juifs, avant d’observer un deuilde trente jours. Tous les villages, toutes les bourgadesrésonnaient des cris d’horreur et des pleurs des parents

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des victimes. Il ne fait aucun doute que Marie et lessiens ont assisté à ces scènes durant les trois jours duvoyage de retour à Nazareth. Ils devaient sûrementconnaître certains de ceux qui avaient été tués, oumême crucifiés.

Avec tous ces morts et ces blessés, auxquels s’ajou-taient ceux qui avaient fui par milliers, le pays avaitplongé dans la plus grande confusion. D’habitude, auterme de ces grandes fêtes, les familles rentraient chezelles avec ceux de leur village ou de leur clan et repre-naient leurs vies d’agriculteurs, de commerçants etd’artisans 7. Il n’en fut pas de même cette année-là.

Cinquante jours plus tard, pour la Pentecôte quitombait au mois de mai, la population venue de toutle pays convergea de nouveau vers Jérusalem, en plusgrand nombre encore 8. La tension était à son comble.Nous avons toutes les raisons de penser que Marie,Joseph et leur fils Jésus se sont rendus cette fois encoreà Jérusalem pour célébrer cette fête incontournable.Cette année ne fut décidément pas une année commeles autres. Les pèlerins venus de Galilée qui chemi-naient en masse le long de la vallée du Jourdains’étaient munis de toutes les armes et tous les outilsqu’ils pouvaient transporter, avec une seule idée entête : chasser les « étrangers », les fils d’Hérode le Grandqui se disputaient le pouvoir et, si possible, écarter lamainmise de Rome sur le pays. Cette fois, les partisansde l’indépendance des Juifs, bien qu’ils fussent toutaussi mal armés, étaient mieux organisés pour affronterles troupes aguerries de la famille d’Hérode soutenuepar les soldats romains stationnés à Jérusalem. Leseffectifs juifs se répartirent en trois camps, au nord, au

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sud et à l’ouest de la ville, la plaçant de facto en état desiège. Nous ne savons pas où Marie et les siens résidaientà Jérusalem, ni s’ils se trouvaient à proximité des brûlotsde violence qui couvaient à travers la ville et aux alen-tours du Temple, mais ils ne pouvaient ignorer ce quise passait. Il est possible que Marie ait alors trouvé refugechez sa cousine Élisabeth, la mère de l’enfant né six moisavant Jésus, Jean le Baptiste. L’Évangile de Luc rapportequ’un an auparavant, lorsque Marie s’était aperçue de sagrossesse, elle avait quitté précipitamment Nazarethpour se rendre dans les hauts de Judée, à l’ouest de Jéru-salem, où Élisabeth vivait avec son mari, le prêtre Zacha-rie. Marie y avait séjourné trois mois jusqu’à la naissancede Jean (Luc, 1, 39). Luc semble avoir une connaissanceplus précise que les autres évangélistes de la période pen-dant laquelle Marie était enceinte. Il affirme avoir étéinformé de ces détails grâce à des témoignages del’époque (Luc, 1, 1-4).

À Jérusalem, l’ex-gouverneur romain, Sabinus, sevoyant encerclé de foules hostiles, se retrancha dans lepalais d’Hérode, à l’ouest de la ville, sous la protectiondes gardes du palais et de troupes auxiliaires. Il fit par-venir en urgence une lettre à Varus, le légat de Syrie,qui commandait quatre légions romaines cantonnées àAntioche au nord, pour lui demander son aide.

Pendant ce temps, les batailles faisaient rage à Jérusa-lem, occasionnant de nombreuses victimes de part etd’autre. Le Temple fut en partie incendié, et Sabinusfinit par avoir gain de cause face à des Juifs désorganiséset pauvrement armés. Mais, dans tout le pays, desbandes rebelles continuaient à attaquer les forces mili-taires et à les mettre en déroute. Et ce n’était qu’un

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Marie

début. À l’est, deux mille hommes des arméesd’Hérode prirent les armes contre tous ceux qui leurrésistaient, pour opérer peut-être un coup d’État, sansattendre que les Romains choisissent les successeursd’Hérode le Grand.

Peu après, tandis que Marie, sa famille, et les habi-tants des villages de la haute et de la basse Galilée,retournaient chez eux, la situation s’envenima grave-ment au nord. Il était devenu impossible de reprendreune vie normale, surtout pour ceux qui, comme Marie,résidaient aux abords de Sepphoris.

La cité oubliée de Sepphoris

De nos jours, Sepphoris reste un nom peu connu. Iln’est jamais mentionné dans le Nouveau Testament et,jusqu’à récemment, il n’apparaissait sur aucune descartes de la Terre sainte que l’on trouvait à la fin denombreuses éditions de la Bible. La cité a été oubliée,et avec elle s’est perdu un élément indispensable à lacompréhension des origines de Marie et de son envi-ronnement. Sepphoris était en effet le centre commer-cial et administratif de toute la région appelée basseGalilée. Elle en était aussi le centre géographique. La« cité bâtie sur une colline » dont parlera Jésus plus tardétait visible à des kilomètres à la ronde, depuis tous lesbourgs et villages nichés au creux de la vaste vallée fer-tile de Beit Netofa.

D’après la tradition, Joachim et Anne, les parents deMarie, vivaient à Sepphoris. C’est sans doute là queMarie est née et qu’elle a grandi, et non à Jérusalem,

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comme le prétendra un texte plus tardif du IIIe siècle.Elle ne fut pas non plus élevée dans le Temple, maisbien dans une grande ville, le centre urbain le plusimportant de Galilée 9. Au Ve siècle de notre ère, unebasilique a été construite pour honorer la « maison deMarie » dans la partie sud-ouest de l’ancienne Seppho-ris. J’ai longuement arpenté ses ruines et celles, mieuxpréservées, de l’église Sainte-Anne des Croisés. Et je mesuis souvent pris à rêver de Marie passant son enfanceici avec, à ses pieds, une vue spectaculaire sur la valléede Beit Netofa parsemée de petites bourgades.

Marie à Sepphoris. Encore aujourd’hui, cette idéeme laisse pantois. Elle n’a cessé de me surprendredepuis que j’ai commencé à m’intéresser à la vraieMarie et à sa vie, à l’endroit où elle l’a vécue. C’est lelien entre Marie et Sepphoris qui m’a incité à y entre-prendre des fouilles en 1990. Je commençais à entre-voir une Marie plus « urbaine », grandissant au cœurd’une grande maison dotée d’une cour, dans l’enceintede l’ancienne cité de Sepphoris. Ses parents, Anne etJoachim, n’étant jamais cités dans les Évangiles, je medemandais quelles relations et quels contacts Jésus, sesfrères et ses sœurs, qui vivaient à Nazareth, tout proche,avaient entretenus avec leurs grands-parents. Le clan dela famille élargie avait dû voyager ensemble pour serendre à Jérusalem à l’occasion des grandes fêtes juiveset se réunir pour divers événements familiaux. La raretédes informations qu’apportent les sources sur la famillede Marie souligne que la vie de celle-ci ne présentaitaucun intérêt en dehors du rôle de mère élue pourmettre Jésus au monde. Le peu que nous savons sur safamille et sur ses autres enfants tient à quelques fils

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Marie

qu’il faut impérativement tirer pour retrouver la Marieoubliée.

Il se peut que Marie n’ait déménagé à Nazarethqu’après ses fiançailles avec Joseph. Si c’est le cas, elleest passée de la capitale urbaine de la région à un petitvillage des alentours, fréquentant un milieu social diffé-rent de celui dans lequel elle avait grandi. Juif aussi,mais rural et artisan après celui de la grande ville.

Cependant, Nazareth n’était pas un lointain hameaumisérable et reculé, loin s’en faut. Le bourg étaitentouré d’un chapelet de collines jouxtant au nord-estla cité de Jaffa, ceinte d’une double muraille. FlaviusJosèphe, notre historiographe du Ier siècle, dit que Jaffa,dont peu de gens avaient entendu parler apparemment,était le plus gros village de Galilée. Je l’ai rarement vuindiqué sur des cartes censées représenter la Galilée autemps de Jésus. Étant donné sa taille et sa situationstratégique, cette omission n’est pas anodine. FlaviusJosèphe connaissait Nazareth, où il avait vécu un cer-tain temps (Autobiographie, 230, 270 ; La Guerre desJuifs, III, 289). Le village était considéré comme uneextension de la localité plus importante de Jaffa, unpeu comme un hameau inclus dans l’enceinte de lacité. Tel Yafia, le centre de cette ancienne aggloméra-tion urbaine, n’était qu’à deux kilomètres et demi, qua-rante minutes de marche, du site traditionnel de lamaison de Marie à Nazareth. La Via Maris, la granderoute qui traversait la Galilée, passait à proximité deJaffa 10. Les archéologues ont identifié une frontièreculturelle entre Jaffa/Nazareth et Sepphoris, Jaffa/Nazareth étant plus exclusivement juif, Sepphoris plus

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multiculturelle et hellénisée. Toute cette région étaitnéanmoins essentiellement urbaine et prospère.

Mais c’est une indication importante pour notreenquête sur la véritable Marie : grâce au multicultura-lisme unique de la région de Galilée où elle est née, ellefut confrontée, dans son enfance et sa prime jeunesse,à des univers culturels variés, juif, grec et romain, àtous les niveaux. L’existence de Sepphoris modifiel’image que nous avons de Marie, celle d’une villageoisepauvre et inculte, issue d’un monde rural à l’écart dela culture gréco-romaine raffinée qui caractérisait lesvilles bâties par Hérode le Grand et son fils HérodeAntipas.

Les troubles qui éclatèrent au nord du pays à l’étéde l’an 4 furent une menace bien plus sérieuse pour lesfils d’Hérode et une atteinte bien plus grave à l’ordreromain que les émeutes désordonnées des foules quiavaient défié Sabinus à Jérusalem. Un révolutionnairejuif de Galilée nommé Judas, fils du chef rebelle Ézé-chias terrassé par Hérode le Grand trente ans plustôt 11, s’introduisit de force dans l’arsenal royal de Sep-phoris pour s’emparer des armes et les distribuer à seshommes. Il se proclama alors roi d’Israël. Or l’attribu-tion du titre de roi était le privilège exclusif desRomains. Une telle proclamation de la part de Judasconstituait donc un acte de rébellion contre Rome,tout comme se déclarer le messie annoncé. Pour tousles Juifs, le roi autochtone idéal qu’ils attendaient libé-rerait le peuple de l’occupation romaine et instaureraitun État juif théocratique et indépendant. Selon lacroyance, la venue de ce roi, qui serait un descendantde la maison de David, marquerait la « fin des temps »

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et l’avènement du « Royaume de Dieu » (Isaïe, 11 ;Michée, 5, 2-4). Il est fort possible que Judas ait jouéde son nom pour prétendre être de la lignée de David :celle-ci issue de la tribu de Juda avait compté un Ézé-chias parmi ses rois les plus connus.

Ces noms bibliques nous sont familiers aujourd’hui,mais il faut songer à la connotation messianique, etdonc révolutionnaire, qu’ils avaient à l’époque deMarie. La révolte de Judas a dû lui attirer de nombreuxsympathisants parmi les habitants de Sepphoris et sansdoute des villages avoisinants comme Jaffa et Nazareth.Ils devaient approuver sa volonté de renverser le pou-voir de Rome et les descendants d’Hérode qu’ilsjugeaient illégitimes.

Le général romain envoya aussitôt deux de seslégions mater la rébellion pour éviter qu’elle ne gagnetout le pays. Son bref mandat de légat de Syrie (6-4 av.J.-C.) a été marqué par l’arrogance et la brutalité. Cetteprovince impériale était placée sous l’autorité directe del’empereur Auguste en raison de son importance. Varusétait un proche d’Auguste, il avait épousé l’une de sespetites-nièces et était son général le plus apprécié. Pourtoutes ces raisons, il fut dépêché à l’est de l’empire afinde défendre la frontière contre d’éventuelles incursionsdes Parthes, redoutées par les Romains. Pour l’empe-reur, il était essentiel de maintenir la stabilité sur laterre d’Israël, ce qu’Hérode le Grand avait réussi à fairependant quarante ans. Il ne pouvait tolérer ni lesdésordres politiques ni le fanatisme religieux. Romeavait accordé aux Juifs un certain nombre de privilèges :ils étaient exemptés de service militaire, n’étaient pasobligés de remplir des fonctions municipales et étaient

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Deux mille crucifixions

libres de pratiquer leur religion. En retour, Rome espé-rait obtenir la paix et une relative stabilité.

Une légion romaine se composait de six millehommes, y compris l’infanterie d’élite et les auxiliaires.L’envoi de douze mille hommes annonçait donc deterribles représailles. Les forces armées déferlèrentdu nord, obstruant les routes, ratissant la campagne,pillant les villes et les villages de haute et de basseGalilée. Elles avaient pour mission de traquer tous lesactivistes et sympathisants du mouvement pour l’indé-pendance des Juifs. La vie alors ne valait pas cher, et lesang coula à flots.

Les troupes de Varus assiégèrent puis incendièrentSepphoris, sans doute pour châtier les partisans deJudas et de sa révolte messianique. Asphyxiés par lafumée, hommes et bêtes fuirent en tous sens. Le brasierqui illumina la nuit dut se voir à des kilomètres à laronde, surtout depuis les collines autour de Nazareth.Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants furenttués ou exilés. Des villages entiers qui avaient soutenula rébellion subirent les pires sévices.

Le spectacle de Sepphoris en flammes et de ses habi-tants massacrés ou bannis fut sans nul doute une visiond’épouvante. On ne sait pas quel a été le sort desparents de Marie, Joachim et Anne, qui y vivaient.Pour espérer survivre, il fallait se cacher ou bien fuir.Peut-être est-ce ce qu’ils ont fait. Nous ne sauronsjamais avec assurance si Jésus a connu ses grands-parents ; en revanche, nous pouvons être sûrs queMarie aura parlé à Jésus et à ses frères et sœurs de cetété de mort et de carnage.

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