Les Chansons pour le Slruwwelpeter du Dr. H. Hoffmann...

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Les Chansons pour le Slruwwelpeter du Dr. H. Hoffmann, réunies par Andréas H us si a, Rùtten & Loening, vers 1890, Francfort-sur-le Main L'IMMORTEL STRUWWELPETER par François Mathieu L'Allemagne célèbre le cent cinquantième anniversaire du Struwwelpeter. François Mathieu montre ici l'importance de ce texte dans la culture de nos voisins et retrace son histoire singulière. n y a tout juste cent cinquante ans, un garçonnet de trois ans découvrait parmi ses cadeaux de Noël un petit cahier d'écolier de seize pages que son père avait lui-même composé et illustré et qui allait devenir un des premiers classiques de la lit- térature enfantine. L'enfant s'appelait Cari Philipp, son père Heinrich Hoffmann (1809- 1894) et ce livre Der Struwwelpeter. Cette oeuvre se serait sans doute perdue si, l'ayant eue entre les mains, des amis du doc- teur Hoffmann ne lui avaient pas recomman- dé de la faire publier. Heinrich Hoffmann était le médecin de famille de Joseph Riitten qui, avec Friedrich Lôwenthal 1 , venait de fonder à Francfort même une maison d'édi- tion. Sous le titre Histoires gaies et images drôles avec quinze tableaux joliment coloriés 1. Joseph Riitten et Zacharias Cari Friedrich Lôwenthal avaient fondé en 1844 la Literarische Anstalt (L'Institution littéraire). En 1847, Lôwenthal s'étant converti au christianisme, prit le nom de Cari Friedrich Loening. N° 161 HIVER 1995/ 83

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Les Chansons pour le Slruwwelpeter du Dr. H. Hoffmann,réunies par Andréas H us si a, Rùtten & Loening, vers 1890, Francfort-sur-le Main

L'IMMORTELSTRUWWELPETER

par François Mathieu

L'Allemagne célèbre le cent cinquantième anniversairedu Struwwelpeter. François Mathieu montre ici l'importance de ce

texte dans la culture de nos voisins et retrace son histoire singulière.

n y a tout juste cent cinquante ans, ungarçonnet de trois ans découvrait

parmi ses cadeaux de Noël un petit cahierd'écolier de seize pages que son père avaitlui-même composé et illustré et qui allaitdevenir un des premiers classiques de la lit-térature enfantine. L'enfant s'appelait CariPhilipp, son père Heinrich Hoffmann (1809-1894) et ce livre Der Struwwelpeter.

Cette œuvre se serait sans doute perdue si,l'ayant eue entre les mains, des amis du doc-teur Hoffmann ne lui avaient pas recomman-dé de la faire publier. Heinrich Hoffmannétait le médecin de famille de Joseph Riittenqui, avec Friedrich Lôwenthal1, venait defonder à Francfort même une maison d'édi-tion. Sous le titre Histoires gaies et imagesdrôles avec quinze tableaux joliment coloriés

1. Joseph Riitten et Zacharias Cari Friedrich Lôwenthal avaient fondé en 1844 la Literarische Anstalt(L'Institution littéraire). En 1847, Lôwenthal s'étant converti au christianisme, prit le nom de CariFriedrich Loening.

N° 161 HIVER 1995/ 83

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Heinrich Hoffmann

pour les enfants de 3 à 6 ans, le Struwwel-peter fut imprimé l'année suivante (1845) à1500 exemplaires qui furent tous vendus enmoins d'un mois. Le départ d'une aventureétait ainsi donné, qui dure et durera encore.Encouragé dans sa recherche créatrice,Hoffmann crée deux nouvelles histoires (LaTrès triste histoire de Pauline et des allu-mettes et L'histoire de Philippe-qui-gigote)qui paraissent dans la deuxième édition.Deux ans plus tard, l'œuvre qui en est déjà àsa cinquième édition paraît pour la premièrefois sous le titre Der Struwwelpeter, contientles neuf histoires définitives et mentionne lenom de l'auteur jusqu'alors resté anonyme.En 1861, à l'occasion de la 31™e édition, leStruwwelpeter change d'aspect, le dessinsort de sa naïveté première, prend du relief,la figure du garnement se fait plus sympa-thique, la couronne de cheveux s'ordonneplus régulièrement. Auparavant - ce quiprouve que Heinrich Hoffmann était un vraicréateur - il avait, en 1858, dessiné, cette

fois en dehors de toute pression du temps,une nouvelle version qui, découverte auxEtats-Unis à l'état de manuscrit, vient d'êtrepubliée pour la première fois2. La centièmeédition de l'édition ordinaire paraît en 1871,la cinq centième en 1921 et la cinq cent qua-rantième en... 1994. A la fin de sa vie,Hoffmann constate : « J'ai entre les mainsune traduction russe, suédoise, danoise,anglaise, hollandaise, française, italienne,espagnole et portugaise »3. Depuis, l'ouvra-ge a été traduit dans bien d'autres langues,y compris des langues dites minoritairestelles le romanche, le lituanien, le hongrois,le croate, l'hébreu, le finnois*. On évoquequelques quinze millions d'exemplaires àtravers le monde, le phénomène est évidem-ment incalculable.

Sans l'amour d'un père ou d'une mère doués,bien des chefs-d'œuvre destinés à l'enfancen'auraient peut-être pas vu le jour. Quand lelieutenant de cavalerie Hugh Lofting s'émeut

Le Struwwelpeter sous sa première app;Leipzig, Insel Verlag, 1933

2. Der Strmvwelpeter in seiner zweiten Gestalt (Le Struwwelpeter sous sa seconde forme), fac-similéavec postface de Béate Zekorn, directrice du Musée Heinrich-Hoffman de Francfort-sur-le-Main, Riït-ten & Loening, Berlin, 1994.3. Heinrich Hoffmann, Lebenserinnerungen (Mémoires), Insel Verlag, Francfort-sur-le-Main, 1985,p . 142 et suiv.4. Heinrich Hoffmann, O.c. note p . 326.

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Le Struwwelpeter sous sa deuxième apparencel*re édition de l'original de 1858, Berlin :

Rûtten & Loening, 1994

du sort des chevaux blessés à la batailled'Ypres (1917), il pense à ses deux enfants etécrit pour eux son Doctor Dolittle. PippiLangstrump (Fifi Brindacier) est un cadeaud'anniversaire d'Astrid Lindgren à sa filleKarin qui venait d'avoir sept ans et souffraitd'une pneumonie. Le premier opéra aumonde écrit pour des enfants, Hànsel imdGretel, Engelbert Humperdick le composepour ses propres enfants (dans la maison oùHoffmann avait habité à la fin de sa vie).Peter Hartling explique que la colère d'unpère au vu des produits du marché est àl'origine de sa vocation d'écrivain pourl'enfance et la jeunesse. Il n'en est pas alléautrement pour Heinrich Hoffmann qui,désireux de trouver « un livre d'images quicorrespondît à la compréhension et à l'inté-rêt d'un enfant » de trois ans, ne trouva que« d'interminables et ennuyeux récits, deshistoires édifiantes commençant et se termi-nant par des exhortations hautement mora-

lisatrices, du genre : « l'enfant sage dit tou-jours la vérité », ou bien « Les enfants sagesse tiennent toujours très propres », etc. »5

Poursuivant ses recherches, il était tombésur un « volume in-folio avec des reproduc-tions de chevaux, chiens et oiseaux, detables, bancs, pots et marmites, avec lamention de l'échelle 113, 118, 1110. J'en eusassez. Quel intérêt peut avoir pour l'enfantla copie d'une table et d'une chaise ? »*Foin donc des copies réductrices et surtoutdes prescriptions morales qui ne sont pourl'enfant que des mots creux : « L'enfantn'apprend tout simplement qu'en regardantet ne comprend que ce qu'il voit. [...] Leproverbe n'est pas vain, qui dit : Chatéchaudé craint l'eau froide. »7 Dans cesconditions, Hoffmann évoque neuf enfantsdésobéissants et les graves conséquences deleur désobéissance : Frédéric est cruel avecun chien ; Pauline joue avec les allumettes ;Petit-Louis, Gaspard et Guillaume se

Édition réalisée pour le 100*' anniversaire duStruwwelpeter, Francfort-sur-le Main,

Rùtten & Loening

5. Cité d'après la postface de F. Cavanna in Dr Heinrich Hoffmann, Crasse-Tigiiasse, L'École des loi-sirs, 1979, p.35.6. Heinrich Hoffmann, O.c. p.138.7. Ibid. p.138.

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moquent d'un enfant noir ; Conrad suce tou-jours son pouce ; Gaspard refuse de mangersa soupe ; Philippe ne cesse de gigoter àtable ; Jean marche sans toujours regarderdevant lui ; Robert sort trop volontiers partemps de pluie. S'insère au centre del'ouvrage l'histoire du chasseur féroce à quiun lapin rend la pareille. Les sanctions pieu-vent : Frédéric, mordu jusqu'au sang, doitgarder la chambre ; Pauline est réduite à untas de cendres sur lequel viennent pleurerses deux chatons ; le Grand Nicolas trempeles trois garnements, un par un, dans unencrier géant ; l'homme aux ciseaux coupeles doigts de Conrad ; Gaspard meurt d'ano-rexie ; Philippe gît sous la nappe au milieude la vaisselle brisée et des mets renversés ;Jean, le distrait, sort trempé de la rivièred'où deux passants le repêchent, et Robertdisparaît à jamais derrière les nuages. Quantau Struwwelpeter, il n'est (n'était) que devoir sa longue et sale tignasse, que jamais ilne voulait qu'on coupe, et ses ongles longs àfaire peur... pour courir chez le coiffeur etse couper les ongles !

Un livre qui remporte un tel succès se discute.On accusa le Struivwelpeter « des plusgrands péchés, parmi lesquels celui d'êtrebeaucoup trop « contes de bonne femme » etses dessins d'être des gribouillages sans élé-gance. On disait : « De tels gribouillagesfaussent la sensibilité esthétique desenfants ». Heinrich Hoffmann répliqua :« Fort bien ! Voilà donc qu'il faudrait éleverles nourrissons dans des galeries de peintureou dans des musées remplis de copies en

Superstruwwelpeter,ill. H. E. Ernst, Leipzig, Leiv, 1993

plâtre des statues de l'antiquité ! »8 Cettediscussion n'allait plus cesser, jusqu'à tou-cher des sommets dans les années soixante-dix de notre siècle, au moment où fleurit enAllemagne le mouvement antiautoritaire.De fait, le Struwwelpeter s'inscrit tout à faitdans les idées pédagogiques, les normes et lesvaleurs de la bourgeoisie allemande du XIXe

siècle, héritées du prussianisme. Tout aussicélèbre aura été chez les écoliers allemands,le livre de lecture de Friedrich Eberhardvon Rochow, Der Kinderfreund. Ein Lese-buch zum Gebrauch in Landschulen. (L'Amides enfants. Un livre de lecture à l'usage desécoles de campagne.)' dont la première par-tie paraît à Rerlin en 1776 et la seconde en1779.

L'« Allemagne » étant encore une juxtaposi-tion d'Etats, un grand nombre d'éditions se

8. Cité d'après F. Cavanna, O.c. p.37.9. Hobereau prussien, Friedrich Eberhard von Rochow (1734-1805), après une carrière militaire, héritedes domaines de son père. Il prend soin de ses paysans, fait construire des maisons pour les pauvres,organise un système d'assurance, supprime le servage et crée une caisse de secours. Considérant que,face à la misère, seule l'éducation peut faire que les paysans acquièrent de nouvelles idées qui amélio-reront leurs conditions de vie, il veut pour ses écoles des maîtres bien formés, bien payés et bien consi-dérés. L'enseignement ne sera pas payé par les parents mais par les communes et l'Etat. (Son livre delecture, dont il est le principal rédacteur, sera traduit presque immédiatement en français sous le titreL'Ami des enfants à Vusage des écoles).

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succéderont dans différentes villes. DerPreussische Kinderfreund (L'Ami prussiendes enfants) de A.E. Preuss et J.A. Vetterprendra le relais en 1837, connaissant encoreune 208e édition en 1880, cette fois dans uneAllemagne unifiée sous la férule - il est vrai -d'un prince prussien : Bismarck. Le lecteurcurieux découvre dans ce bréviaire quinourrit des générations d'Allemands entreautres deux histoires écrites sans doute parvon Rochow, qui le font irrésistiblement pen-ser aux histoires du Struwwelpeter. La pre-mière est celle d'un enfant qui ne voulaitrien apprendre et refusait donc d'aller àl'école. « Ses parents devaient toujours lepousser jusqu'à l'école, comme on pousse lebétail. » Devenu adulte, il refusait d'obéir.Placé dans une ferme, il tua son maître, vou-lut s'enfuir et fut rattrapé. « Pour effrayerles mauvais garçons, les magistrats luifirent, encore vivant, briser les membres etle firent mourir ; mais ils laissèrent soncorps sur la roue où les corbeaux le dévorè-rent. » La seconde, qui n'est guère plusdouce, évoque un enfant malade qui refusaitde prendre ses médicaments et mourut endépit d'une acceptation tardive.

Il est presque inutile de dire qu'un livreaussi populaire aura été l'objet d'étudessavantes dont la littérature de jeunesse n'asans doute rien à faire. Mais que vaut le dis-cours explicatif sur la création, un métalan-gage, par rapport au récit des présupposésexistentiels et pédagogiques du créateur ? Ledocteur Heinrich Hoffmann, médecin alié-niste renommé, se souviendra en ces termesde ses observations de médecin généralistequi avaient présidé à la création du Struw-welpeter : « Médecin, je me suis souventheurté à un obstacle gênant au moment desoigner de petits malades. Le docteur et leramoneur sont, pour les mères et les infir-mières, deux épouvantails qui servent àfaire peur aux jeunes récalcitrants et à les

mater. « Si tu manges trop, le docteur vien-dra, il te donnera un médicament au goûtamer et te poseras des sangsues ! » ou : « Situ n'es pas sage, le ramoneur tout noir vien-dra et t'emportera ! » Que sepasse-t-il alors ?Dès que le docteur approche du lit du petitpatient, celui-ci se met à pleurer, à crier, àhurler au voleur ! Comment lui palper leventre ! On ne peut pas s'asseoir et attendreque cesse le vacarme et que fatigues'ensuive ! » Dans ces conditions, une seulepossibilité pour un médecin qui veut exercerconvenablement son métier : « Je sortaisbien vite mon carnet de notes de ma poche,j'en arrachais une feuille, dessinais rapide-ment au crayon un petit garçon et me met-tais à raconter comment ce polisson refusaitqu'on lui coupât les cheveux et les ongles ;les cheveux poussaient, les ongles grandis-saient jusqu'à ce que le personnage disparûtentièrement et qu'on ne vît plus que desmèches de cheveux et des griffes. Cela frap-pait le petit désespéré qui se taisait, levait lesyeux et, pendant ce temps, je voyais ce qu'ilen était de son pouls, de sa température et si

« Die Struwweline »,LU. U. Krause in : Die Struwwelpaula, Berlin :

Riitten & Loening, 1994

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son corps ou sa respiration étaient doulou-reux : j'avais atteint mon but. »1()

Que le Struwwelpeter ait été considéré, endépit du bon docteur, comme le parangon dela pédagogie du fouet et du martinet ne faitaucun doute. A peine paru, cet ouvrage neva plus cesser d'être imité. Ces « Struwwel-pétriades » se succèdent, qui reprennent,sans l'humour nécessaire, les personnages,le décor, la versification, le contenu, maisexagèrent l'humiliation, la punition, la mor-tification de l'enfant - bref, constituentd'intéressants tableaux de l'imaginationsadique de certains adultes en matièred'éducation. Commettant les plus gravescontresens, leurs auteurs oublient les res-sorts de la distanciation généreuse et généra-trice de réflexion mis en place par Hoff-mann. L'enfant y est brutalement battu,enfermé à la cave, enlevé par des inconnus,maltraité par le médecin (!) et déchiquetépar des animaux.

De la pédagogie à la politique, il n'y a qu'unpas. Déjà en 1849, Henry Ritter propose unStruwwelpeter politique. Au siècle suivant,répondant à une version anglaise qui dégui-sait l'empereur Guillaume II en « méchantFrédéric », une version allemande parue en1915 montre le « grand Nicolas » trempantles alliés dans son grand encrier. De même,en 1940 paraît en Angleterre un Struwwel-hitler. A l'inverse du traitement très croque-mitaine de la veine hoffmannienne, les petitspersonnages deviennent les truchements dela contestation de l'autorité (et de l'autorita-risme). En 1969 paraît un Struwwelpeterrecoiffé11 qui brocarde tour à tour le « bon »électeur, lecteur du quotidien populaire DasBild, et les politiciens en place : Ulbricht

Le Struwwelpeter guerrier, K.E. Olszewski,Munich : Holbein-Verlag, 1915

(fouettant Svoboda), le chancelier Kiesinger(trempant les sociaux-démocrates Wehner,Brandt dans son encrier), Scheel, Strauss,Schmidt, etc. Un an plus tard, FriedriechKarl Waechter publie un Anti-Struwwelpeter.La même année, le Kinderbuchverlag deRDA, publie Quel Struwwelpeter [!] 12 qui valui aussi connaître un grand nombre derééditions. L'illustrateur Karl Schrader etl'écrivain cabarettiste Hansgeorg Stengel,fort populaires dans leur pays, composentun livre d'images à textes qui s'éloignent detout pédagogisme. Le jeune lecteur, qui yretrouve un univers d'objets familiers et despersonnages dont il connaît bien la silhouetteet les mimiques (Karl Schrader a illustré lasérie de livres de lecture utilisée au niveauélémentaire de l'école), s'amuse des aven-tures de personnages drolatiques auxquels iln'est pas loin de s'identifier. Le même Hans-georg Stengel, cette fois avec un autre illus-trateur lui aussi fort populaire en ex-RDA,

10. Heinrich Hoffmann, O.c. p . 140.11. Eckart Haohfeld, Rainer Hachfeld, Der Struwwelpeter neu frisiert, Seherz Verlag/Riitten & Loe-ning Verlag, Munich, Berne, Vienne, 1969.12. Hansgeorg Stengel, Karl Schrader, So ein Struwwelpeter, Kinderlmchverlag, Berlin, 1970.

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Hans-Eberhard Ernest, a récemment écritun Superstruwwelpetervi fort modernisé etqui, sous prétexte d'humour, traduit le chocd'un peuple soudain confronté à la sociétéde consommation. Pendant des mois, cetalbum a tenu la tête des ventes dans les nou-veaux lânder. Dans un tout autre domaine,puisqu'il s'agit de la musique, cette œuvreimmortelle va inspirer le directeur (et pro-fesseur de composition) de l'Ecole supérieu-re de musique de Dresde. En 1968, SiegfriedKohler compose un cycle musical pourchœur d'enfants et de femmes et petitorchestre : Le Struwwelpeter, histoires gaieset sérieuses pour le chant, la danse et lerécitu.

Le cent cinquantième anniversaire de lacréation du Struwwelpeter aura été l'occa-sion pour les éditions Rutten & Loening deproposer au public les deux éditions évo-quées au début de cet article, mais aussi deprovoquer de nouvelles créations. L'expé-rience est suffisamment rare pour qu'ellemérite qu'on s'y attarde. Pour la premièrefois, les images originelles ayant été conser-vées, l'écrivain Steffen Mensching a composéun tout nouveau texte. Sur un rythme hoff-mannien, Mensching raconte de tout autreshistoires en prise avec des thèmes d'actualité(l'écologie, le sport, les cures d'amaigrisse-ment, l'asservissement à la télévision, etc.).La réussite tient à ce décalage. A l'inverse,l'illustrateur berlinois Manfred Bofinger aconservé le texte et composé de nouvellesillustrations. Bofinger a lui aussi recours à

l'actualité. Louis, Gaspard et Guillaumesont trois nazillons à chemise brune qui har-cèlent un jeune étranger ; le Grand Nicolas,déguisé en Batman et qui a le visage deBofinger, trempe tout ce beau monde dansson encrier. Quant au Struwwelpeter, cen'est autre qu'un de ces crâne-rasé, en tenuede combat, une batte de base-bail dans unemain et un brandon dans l'autre, qui défientl'actualité allemande.15

Der Struwwelpeter, ill. M. Bofinger, Berlin :Riitten & Loening, 1994

Pour qui a le texte allemand entre les mains,peut le lire, le comprendre, en saisir la sim-plicité, la malice, l'intelligence, la musique,la tentation est vive de vouloir faire partagerson plaisir. Ne voilà-t-il pas une dizaine depoèmes qui sont allés jusqu'à constituer unlivre de lecture à l'usage des écoles ? Com-bien d'Allemands vous les réciteront commenous récitons La Cigale et la fourmi ou Le

13. Hansgeorg Stengel, Hans-E. Ernst, SuperStruwwelpeter, Leiv, Leipzig, 1993.14. Der Struwwelpeter..., avec la partition de Siegfried Kohler et un disque, éditions Peters, Leipzig,1979.15. Der Struwwelpeter in seiner zweiten Gestalt (Le Struwwelpeter, deuxième figure), première éditiond'après l'original de 1858 ; Der Struwwelpeter, 540'1 édition ; Der Struwwelpeter neu erzàhlt, par Stef-fen Mensehing sur les images d'Heinrich Hoffmann ; Der Struwwelpeter, texte du Dr Heinrich Hoff-mann et images de Manfred Bofinger ; Die Struwwelpaula (histoires ébouriffées et images échevelées)de Renate Alf, Barbara Henniger, HOGLI, Ute Krause, Cleo-Petra Kurze, Marie Marcks ; Der Struw-welpeter umgetopft (Le Struwwelpeter changé de pot) de F.W. Bernstein. Tous ces ouvrages chez .Rut-ten & Lœning, Berlin, 1994.

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Chat, la belette et le petit lapin ? Il fautdonc traduire, et on l'a fait. L'épreuve estimmense, qui ressemble à la traduction descomptines, dont on sait qu'elles se rebellentau point qu'on peut rarement les traduire.La difficulté n'ayant naturellement paséchappé aux traducteurs, on a en françaisdes textes qui, par le choix même d'une solu-tion, trahissent un désarroi certain. Dansces conditions, on a pu disposer d'un textequi ne laisse pas d'étonner : une « traduc-tion mot à mot » d'un certain Lewinter16.Comment peut-on simplement concevoir,quand on fait métier de traduire, un tel pro-cédé ? Que signifie traduire un mot par unautre mot ? Le concept se contredit dès lepremier choix. J'imagine le jeune lecteurfrançais (et ses parents) découvrant ceslignes : « Au lit doit aller maintenant Frédé-ric, I souffrit grand mal à la jambe ; I et ledocteur est assis là, let lui donne médecineamère. » Une autre tentative plus intéres-sante est celle de l'adaptation de BernadetteDelarge avec des illustrations de ClaudeLapointe17. On connaît le talent de ce der-nier qui laisse ici libre cours à son imagina-tion et nous présente un Pierre l'ébouriffé

baba-cool des beaux quartiers. Le procédéde l'adaptation, d'autant qu'il est avoué,serait sûrement louable. Malheureusementl'auteur du texte, même si elle a des trou-vailles, ne s'est pas suffisamment détachéede l'allemand ; ce qui peut donner ceci :« En grand deuil, les minets se cachèrent,versant des larmes en ruisseau. » La traduc-tion qui fait le mieux « passer » en françaisle texte d'Heinrich Hoffmann est, à monsens, celle de François Cavanna : « J'aiessayé, annonce-t-il, de le traduire aussifidèlement que possible, en me pliant aurythme désinvolte de ses vers sans préten-tion qui sautillent joyeusement sur leurs septou huit pieds. »18 Quelle que soit la réussitede cette traduction, ou d'autres à venir, onne peut s'empêcher de penser que le Struw-welpeter ne parle pas directement à notreinconscient, mais qu'en revanche il contri-bue utilement à nous faire connaître un denos voisins les plus directs. Un livre quiaccède à l'immortalité vaut sûrement d'êtrevisité, comme on va voir la Cathédrale deCologne, une église baroque en Bavière, lemusée Eulenspiegel à Schoppenstedt ou laPinacothèque de Munich. I

16. Reproduit in extenso dans Boris Heyzykman, Der Struwwelpeter, éditions Phot'œil, Paris, 1979.17. Pierre l'ébouriffé, Jean-Pierre Delarge éditeur, 1980 (première édition François Ruy-Vidal, 1972).18. Crasse-Tignasse, L'Ecole des loisirs, Lutin poche, 1979.

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