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UNIVERSITE DE LYON UNIVERSITE LUMIERE LYON 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté à l’épreuve du droit international OUATTARA Ibrahim Mémoire de séminaire Droit international public Sous la direction de : Moncef KDHIR Soutenance : juin 2013

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UNIVERSITE DE LYONUNIVERSITE LUMIERE LYON 2Institut d’Etudes Politiques de Lyon

Les aspects conflictuels de la successiond’Etats et de gouvernements : lasouveraineté à l’épreuve du droitinternational

OUATTARA IbrahimMémoire de séminaireDroit international public

Sous la direction de : Moncef KDHIRSoutenance : juin 2013

Table des matièresRemerciements . . 4I ntroduction . . 5PARTIE 1 : La pratique traditionnelle à l’épreuve de la volonté de souveraineté des Etats . . 18

Titre 1 : Les thèses affirmatives du maintien du statu quo . . 18Chapitre 1 : Des théories essentiellement doctrinales et jurisprudentielles . . 18Chapitre 2 : Limites et contestations . . 23

Titre 2 : Les facteurs favorables à la remise en cause de la pratique traditionnelledes successions . . 25

Chapitre 1 : Un contexte historique favorable . . 25Chapitre 2 : Le nouvel ordre économique international . . 27

PARTIE 2 : Les principaux domaines impliqués par la contestation : des enjeux desouveraineté . . 35

Titre 1 : Des aspects territoriaux et commerciaux de la succession d’Etat et degouvernements. . . 35

Chapitre 1 : Les aspects territoriaux de la succession d’Etats et de gouvernements. . 36Chapitre 2: Les nationalisations et la remise en cause des contrats d’Etat . . 42

Titre 2 : Des aspects financiers de la succession: la théorie de la dette odieuse . . 48Chapitre 1 : Un concept doctrinal d’abord . . 49Chapitre 2 : La difficile appropriation du concept par les pays concernés . . 53

Conclusion . . 58Bibliographie . . 60

Ouvrages . . 60Articles scientifiques . . 60Mémoires et thèses . . 62Périodiques . . 63Sites internet . . 63Jurisprudence . . 63Textes internationaux . . 64

Annexes . . 66Annexe 1 . . 66Annexe 2 . . 66Résumé . . 71Mots-clés . . 71Liste des acronymes et abréviations . . 72

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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RemerciementsMes remerciements vont en particulier à mon directeur de mémoire, Monsieur Moncef KDHIR,qui n’a ménagé aucun effort afin que ce mémoire puisse voir le jour dans les délais. Ses conseilsavisés auront été pour moi d’une aide précieuse dans la rédaction de ce mémoire.

J’ai également une pensée pour Madame Albane GESLIN, professeur à l’Institut d’EtudesPolitiques de Lyon, dont le cours de « Souveraineté et Mondialisation » m’aura inspiré à traiterde ce thème.

Je remercie aussi Monsieur Xavier ALPHAIZE, professeur associé à l’IEP de Lyon grâce àqui j’ai pu réaliser cette année universitaire dans les meilleures conditions possibles.

J’adresse enfin ma gratitude à l’endroit de toutes les personnes qui auront été présentes dansles moments difficiles, en particulier ma famille et mes amis.

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I ntroduction

Les révolutions arabes qui ont secoué le monde à partir de janvier 2011 ont soulevé denombreux autres problèmes qui peuvent se manifester tant sur les plans juridique quepolitique. Ces révolutions qui ont entrainé la chute de trois chefs d’Etat1 ont suscité desinquiétudes légitimes auprès des gouvernements occidentaux. En effet, la question majeurequi se posait était celle de savoir ce qu’il en sera des différents accords conclus aussi bienentre Etats d’une part qu’entre Etats et institutions d’autre part. Par exemple, les Etats Unisgrands alliés d’Israël s’inquiétaient que le nouveau gouvernement égyptien ne dénoncel’accord de paix conclu à Camp David entre l’Egypte et Israël2. Certaines institutionsnotamment celles financières se mettaient à craindre que engagements financiers soientdénoncés pour différentes raisons3. De même, pouvaient se poser de nombreusesquestions liées à l’enrichissement illicite des anciens gouvernants, lequel enrichissementprospérait à travers la création de sociétés écran. Nombreuses sont donc les questions quitaraudaient les esprits pendant que se manifestait la soif de liberté des populations arabes.Ces réflexions peuvent paraître légitimes quand on sait que par soif de souveraineté et dejustice, les nouveaux Etats et gouvernements ont souvent tendance à remettre en cause lesaccords conclus par leurs prédécesseurs surtout lorsque la légitimité de ces derniers faisaitdéfaut (colons, gouvernement dictatorial, impopulaire, etc). Même si dans la pratique, leproblème ne se pose pas encore de façon crue dans le cas des révolutions arabes, l’histoirenous a montré qu’en matière de succession d’Etats et de gouvernements, nombreux sontles aspects conflictuels qui peuvent naitre. Le phénomène de la décolonisation en constitueun exemple pur. En la matière, le droit international s’est efforcé de mettre en œuvre desrègles qui prônent le respect de la stabilité même si cela doit entamer la souverainetédes nouveaux Etats ou gouvernements. Malgré tout, cette prévoyance juridique n’aurapas toujours réussi à garantir la stabilité des relations internationales lorsque survient unesuccession. Nombreux

sont les Etats qui auront réussi à défier le système par une « une pirouette juridiqueosée »4. La grande question qui se pose c’est est-ce que les Etats peuvent généraliser cescomportements dans un monde où les pays développés ainsi que les institutions financières,soucieux de leurs intérêts, prônent la stabilité des relations internationales ?

Dès lors, pour entamer cette étude, il convient d’abord de définir les principaux conceptsen l’occurrence, la succession d’Etats et de gouvernements. Ensuite, il s’agira de montrercomment ces successions sont mises en œuvre par les règles de droit international. Enfin,

1 En Tunisie : Zine El Abidine Ben ALI le 14 janvier 2011 ; en Egypte, démission de Hosni Moubarak le 11 février 2011 ; en Libye,mort de Mouammar KADHAFI le 20 octobre 20112 Accords de paix de Camp David signés le 17 septembre 1978 par le Président égyptien Anouar El Sadate et le Premier Ministreisraélien Menahem Begin. Ces accords sont suivis par la signature du traité de paix entre Israël et l’Egypte l’année suivante.3 Le 31 mai 2013, le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde demandait dans une conférence de presse l’annulation dela dette contractée par le gouvernement de Ben Ali, laquelle est considérée comme odieuse. Cette décision fait suite à une propositionde résolution du Parlement européen visant à apurer la dette contractée par les régimes arabes déchus.

4 JOUVE, Edmond, « Tiers-Monde et vie internationale », publié par les Cours de Droit, 158, rue Saint-Jacques, Paris Ve(année universitaire 1973-1974).

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il sera intéressant de voir dans cette étude introductive, les principaux aspects conflictuelsissus de la succession d’Etats et qui peuvent porter atteinte à la souveraineté des Etatssuccesseurs.

1) Définition des conceptsDe prime abord, les notions de succession d’Etat et de gouvernement peuvent être

difficile à aborder eut égard aux aspects conflictuels dont elles font l’objet. D’une manièregénérale, parler de succession induit le remplacement d’un organisme ou par un autreou l’acquisition des compétences et plus généralement des droits et des obligations del’organisme ou de la personne à laquelle on succède. En droit privé, le concept est beaucoupplus précis et donne lieu à toute une série de mesures. C’est généralement un ensemble dedispositions qui font suite au décès du de cujus. En droit international, la notion est beaucoupplus controversée dans la mesure où on a affaire cette fois-ci à des sujets particuliers, dessujets du droit international. Dès lors, les notions de succession d’Etat et de gouvernementsdoivent être manipulées avec le plus grand soin. Qu’entend-on par succession d’Etat ?

La Convention de Vienne du 23 août 1978 sur la succession d’Etat en matière de traitéa voulu adopté une définition neutre, preuve que la notion de succession d’Etat est trèsdifficile à cerner. Difficile parce qu’on a affaire avant tout à un concept avant tout de naturepolitique. En effet, la succession d’Etat est d’abord une notion politique avant d’être juridique.Le concept prend sa nature dans la volonté d’un ou de plusieurs Etats et il se traduit pardes actes de nature politique à savoir la création, la fusion ou la scission d’un Etat. C’estdès lors souligner toute l’ambigüité politique qui sous-tend le concept et le rend dès lorstrès sensible au maniement du droit. Mais puisque cette étude se situe dans le domainedu droit, il convient de se concentrer sur la définition juridique donnée au concept. Selondonc l’article 2-§1-b)

commun aux deux conventions de Vienne de 1978 (Convention sur la successiond’Etat en matière de traités5) et de 1983 (Convention sur la succession en matière debien, de dettes et d’archives d’Etat6), « L’expression succession d’Etats s’entend de lasubstitution d’un Etat à un autre dans la responsabilité des relations internationales d’unterritoire ». Cette définition est également reprise dans la sentence arbitrale du 31 juillet1989 relative à la détermination de la frontière maritime en Guinée Bissau7 et l’avis N°1de la Commission d’Arbitrage pour la Yougoslavie du 29 novembre 19918.Telle est doncla définition unanimement admise par la communauté internationale concernant la notionde succession d’Etats. Cette définition même ainsi consacrée pose encore un nombre deproblèmes qui devront être clarifiés supra. En effet dire que la succession d’Etat concernela « substitution d’un Etat à un autre » peut prêter à confusion. En effet, que faut-il entendrepar substitution d’un Etat à un autre. La doctrine s’est beaucoup appesantie sur le sujet.La succession d’Etat englobe plusieurs théories différentes. Selon Mohammed Bedjaoui9,ancien rapporteur spécial des nations-Unies, la typologie classique qui pourrait être établierelativement à la succession d’Etats recouvre classiquement 3 cas : démembrement,décolonisation et fusion.

5 Faite à Vienne le 23 août 1978. Entrée en vigueur le 6 novembre 1996, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1946, p. 36 Non encore entrée en vigueur7 RGDIP, 1990, p.2278 RGDIP, 1992, p2659 Mohammed Bedjaoui, DOCUMENT A/CN.4/204, Premier rapport sur la succession d'Etats et les droits et obligations

découlant de sources autres que les traités, Texte original en français, 5 avril 1968

I ntroduction

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Ainsi, on pourrait définir le démembrement comme tout phénomène par lequel deuxou plusieurs Etats voisins voient leur étendue géographique modifiée (soit à raison d'uneannexion de portion de territoire de l'un par l'autre, soit par cession, soit après plébiscite, soità la suite d'une rectification de frontière). On a là les hypothèses classiques de successiond’Etats. Il n'y a généralement pas un Etat nouveau, quoique le plébiscite, par exemple,puisse donner lieu à la création d'un Etat. C’est le cas notamment de nombreux Etats del’Europe de l’est notamment les Républiques issues de l’ex URSS10 et de l’ex Yougoslavie11.

C’est dans le cas de la décolonisation qu’on assiste à proprement parler à la créationd’un Etat. La décolonisation se traduit par l’accès à la souveraineté d’un territoire initialementsous domination étrangère. Tel est le cas de nombreux Etats africains mais aussi asiatiqueset latino-américains, en somme, tous les Etats qui d’une manière ou d’une autre auront étéconfrontés à la colonisation.

Enfin, le troisième cas concerne spécifiquement la fusion. C’est la traduction de lavolonté commune de deux ou de plusieurs Etats de s’unir afin de réaliser ensemble leursobjectifs communs. C’est le cas notamment avec la réunification des deux Allemagnes en1990, l’Allemagne avec la République Fédérale d’Allemagne et la république Démocratiqued’Allemagne.

Pour revenir concrètement à la définition des notions clés de cette étude, on se rendcompte comme constaté plus haut que la notion de succession d’Etats est beaucoup pluscomplexe que l’on pourrait le penser. A côté de la succession d’Etats, figure la question dela succession de gouvernements. C’est là que transparait toute la connotation juridique duphénomène de succession en droit international. En effet, contrairement à la successiond’Etat, la succession de gouvernement n’a pas fait l’objet d’une norme particulière en droitinternational. Aucune convention n’est consacrée en la matière bien qu’on ait coutumede dire que les règles en matière de succession d’Etats peuvent s’appliquer en matièrede succession de gouvernement. C’est oublier là qu’on a affaire à un concept hautementpolitique qui exige dès lors une tendre manipulation juridique. Que désigne la notion desuccession de gouvernement ?

De prime abord, la succession de gouvernement doit être distinguée de la successiond’Etat. En effet, elle désigne la situation où un gouvernement succède à un autre dans laresponsabilité d’un territoire. De ce point de vue, l’expression succession de gouvernementpourrait donc être rapprochée de la succession d’Etat dans la mesure où on a affaire à unesituation où un gouvernement succède à un autre. En effet, la première approche sous-tenden plus d’une mutation territoriale, une succession de gouvernement même si celle-ci n’estpas automatique. Elle l’est dans les cas de décolonisation ou de démembrement mais dansles cas de fusion, la succession de gouvernements n’est sans doute pas automatique. Engénéral, les fusions d’Etats donnent lieu aux situations les plus pacifiques de successionet de la sorte,

elles s’accompagnent de moins de changements possibles dans la mesure où les Etatssont le plus souvent volontaires à cette mutation territoriale12. De la sorte, la succession

10 Dissolution de l’ex URSS le 26 décembre 1991 ; les quinze (15) républiques socialistes acquirent leur indépendance.11 Démembrements de l’ex Yougoslavie : le premier est intervenu le 15 janvier 1992 avec la déclaration de sécession de 4

républiques à savoir la Slovénie, la Croatie, la Bosnie Herzégovine et la Macédoine ; le deuxième a eu lieu le 3 juin 2006 (Serbieet Monténégro).

12 Nombreux sont les exemples en la matière : fusion de la RFA et de la RDA le 3 octobre 1990, fusion des deux Yémen le22 mai 1990, etc. Mais à côté aussi, nombreuses sont les fusions problématiques : fusion des républiques socialistes pour donnernaissance à l’URSS en 1922, fusion des deux Vietnam le 2 juillet 1976, etc.

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d’Etats ne doit pas être confondue avec la succession de gouvernements. Dans la plupartdes cas, il est facile de faire la différence dans la mesure où la limite entre les deuxnotions est bien préétablie. Par contre, la situation est plus difficile lorsqu’on a affaireà des changements affectant le gouvernement d’un Etat préexistant : des mutationsrévolutionnaires du régime politique autorisent-elles à invoquer le droit de la successiond’Etat ? La solution doit être négative en vertu du principe de la continuité de l’Etat. Selonla doctrine, « Par souci d’éviter de porter atteinte aux droits des autres Etats lors dechangement de régimes et conformément aussi aux principes de la non ingérence dansles affaires intérieures d’un Etat, le droit international affirme la survie de la personnalitéjuridique de chaque Etat à travers ses régimes constitutionnels constitutifs »13.

La succession d’Etat résulte en principe d’une mutation territoriale se traduisant par untransfert définitif de territoires d’un Etat à un autre quelque soit sa forme. A la différence de lacession temporaire, une telle mutation provoque le remplacement de l’Etat prédécesseur parun autre Etat dit Etat successeur sur le territoire considéré. Dans la terminologie courante,l’expression succession d’Etats peut aussi être utilisée pour qualifier un régime juridique.Elle ne doit pas cependant donner à penser qu’on a affaire à une situation de droit privé oùl’Etat successeur serait l’héritier de l’Etat prédécesseur.

2-Mise en œuvre de la succession d’EtatsBien que la succession d’Etat soit un phénomène important en droit international, les

règles en la matière sont essentiellement d’origine coutumière et jurisprudentielle. En effet,bien qu’on puisse admettre l’existence de trois textes internationaux en la matière, ces textessont non seulement récents mais aussi ont plutôt une faible portée en droit international.

Le premier texte est constitué par la Convention de Vienne du 23 Août 1978 sur lasuccession d’Etats en matière de traités. Entrée en vigueur le 6 novembre 1996, cetteconvention contient des règles essentiellement supplétives. De plus, elle n’est ratifiée quepar 22 Etats ce qui constitue une grave insécurité juridique en la matière puis que les autresEtats sont obligés de recourir à la coutume avec toutes les incertitudes qu’elle comporte.Ces dispositions permettent toutefois de réguler la pratique internationale. D’une manièregénérale, les règles de la succession d’Etats prévoient une pratique uniforme en ce quiconcerne les traités. La convention de Vienne reprend en réalité les règles coutumièresconsacrées par la pratique internationale en matière de succession d’Etats. La question quise pose est de savoir dans quelles mesures l’Etat successeur est lié par les obligationsconventionnelles opérées par l’Etat prédécesseur en sa qualité de souverain concerné parle transfert. En la matière, il semble nécessaire de distinguer la pratique coutumière de celleconventionnelle.

En ce qui concerne la coutume, on peut en premier lieu constater que la pratiqueconsacre le principe de l’intransférabilité des traités politiques, tels que les traités d’alliancemilitaire, les conventions relatives à un statut de neutralité ou encore celles prévoyantune assistance mutuelle entre deux Etats. A l’inverse, certains traités sont considéréscomme restant en vigueur. C’est principalement le cas des traités concernant les espaces(traités fixant les frontières ou les traités de délimitation d’espaces communs). Cette règlede succession aux traités territoriaux confirme le caractère général du principe de l’utipossidetis notamment dans les cas des cas de succession par décolonisation. Par ailleurs,les traités conclus dans l’intérêt général de la communauté Internationale encore appeléstraités-lois sont généralement transférables. Toutefois, cette question a fait l’objet toutcomme d’autres de débats entre pays : certains Etats surtout les pays du tiers Monde

13 Alain Pellet et Patrick Dailler, Droit International Public, LGDJ, 8e édition

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invoquaient le principe de la table rase ou « tabula Rasa » tandis que d’autres pays maisaussi des organisations internationales souhaitaient le maintien de ces traités. Toutefois,le principe de la table rase ne s’applique pas en ce qui concerne les traités territoriaux.De même, dans le principe, une grande liberté de choix est laissée aux Etas successeursparticulièrement en ce qui concerne les traités multilatéraux. Ainsi, dans l’ordonnanceen mesures conservatoires prise par la CIJ le 8 avril 1993 à la demande de la BosnieHerzégovine et relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répressiondu crime de génocide, la cour a constaté la validité des déclarations unilatérales respectivesde la Bosnie Herzégovine et de la Serbie Monténégro. Par ces déclarations, ces deux Etatsaffirmaient leur volonté de succéder aux engagements internationaux souscrits par l’exRépublique Fédérative Socialiste de l’ex Yougoslavie. Or celle-ci était partie à la Conventionsur le Génocide14. La Cour a réaffirmé

cette solution en 199615, puis dans son arrêt sur les exceptions préliminaires dans laseconde affaire Application de la Convention pour la prévention et la répression du crimede génocide, opposant la Croatie à la Serbie.16

L’expérience récente en Europe de l’est a confirmé la pratique des Etats successeursen faveur de la succession aux traités de droits de l’homme et du désarmement. Pour sapart, le Comité des Droits de l’Homme a considéré dès avril 1993 que tous les peuplesplacés sur le territoire d’un ancien Etat partie au Pacte sur les droits civils et politiquesconservaient le droit de bénéficier des garanties énoncées par le pacte. Cette prise deposition visait en particulier les nouveaux Etats issus de l’ex URSS et de l’ex Yougoslavie.En 1996, dans sa décision relative à l’application de la convention pour la prévention et larépression du crime de génocide déjà citée, la Bosnie avait invoqué devant la CIJ l’existenced’une règle coutumière de succession automatique aux traités relatifs à la protection desdroits de l’homme. Elle invoquait pour ce faire les considérations précitées du Comité desDroits de l’Homme mais également, la pratique récente en la matière17. Cette position étaittoutefois contestée par la Yougoslavie. La Cour observe qu’en tout état de cause, la Bosniepouvait invoquer la convention sur le génocide du moment qu’elle y était partie à la datede la requête. De fait, la Cour n’a pas voulu contribué à consolider de façon définitive cetterègle coutumière en l’érigeant en règle jurisprudentielle18. Elle ne l’a d‘ailleurs pas acceptélors du contentieux qui opposait la Serbie à la Croatie19.

Toutefois, la coutume comme la Convention de Vienne admettent l’existence tantdes accords de dévolution passés entre l’Etat prédécesseur et l’Etat successeur que desdéclarations unilatérales de continuité émanant des Etats successeurs. S’agissant de lasuccession aux traités conclus par l’ex URSS, la Déclaration d’Alma-Ata adoptée le 21

14 GTDIP N°11 ; Rec. 1993. 16-17, §21 à 2615 Arrêt sur les exceptions préliminaires du 11 juillet 1996, application de la convention pour la prévention et la répression du

crime de génocide (Bosnie Herzégovine c/ Yougoslavie).16 Arrêt du 18 novembre 2008, § 23 s.17 Voir M. Kamminga, State succession in respect of human rights Treaties, EJIL, 1996/4, p. 469 à 484.L’auteur conclut après

analyse de la pratique récente que la continuation de ce type de traits se produit ipso jure; selon cette interprétation, pour que lacontinuation s’effectue, l’Etat successeur n’a même pas obligation de notifier son intention de succession à toutes les obligationsrelatives aux droits de l’homme souscrites par l’Etat prédécesseur. Il semble toutefois que la confirmation de la succession du nouvelEtat à son prédécesseur par notification au dépositaire de la convention concernée soit de pratique courante.

18 Voir le commentaire de S. Maljean-Dubois, AFDI 1996. 357-386, particulièrement p. 370-372.19 Arrêt du 18 nov 2008, § 101. précité

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décembre 1991 par les Etats membres de la CEI, anciennes républiques de l’ex URSS règlecette question. Cette déclaration confirme la succession aux engagements internationauxconclus par l’ex URSS notamment et surtout en matière de conventions de désarmementset de limitation d’armement.

Concrètement, l’Etat successeur est tenu par tout traité déclaratoire de normescoutumières existantes (article 5 de la convention de 1978) et a fortiori, il est tenu par lesconventions constatant des normes impératives du droit international (jus cogens), tels lePacte Briand-Kellogg de 1928 ou la Convention de 1948 sur la prévention et la répressiondu crime de génocide. La transmission s’impose également en ce qui concerne les règlesconventionnelles devenues des règles coutumières. Il s’agit notamment des Conventionsde Genève sur le droit international humanitaire ou des dispositions de la Convention de laHaye de 1907 sur le règlement pacifique des différends internationaux.

La convention de Vienne de 1978, reprenant dans l’ensemble les règles dégagées dela pratique », s’efforce de faciliter l’insertion du nouvel Etat dans la vie internationale touten préservant les droits des autres Etats. Les solutions sont nuancées dans la mesure oùelles résultent de la combinaison de deux distinctions20.

La première distinction oppose les traités « personnels » c’est à dire conclus intuitupersonae (traités d’alliance, d’établissement par exemple) et les traités réels c’est-à-direceux qui portent sur un territoire donné et en fixent le régime. On admet traditionnellementque seuls les seconds suivent le sort du territoire objet de la succession et peuvent dèslors être invoqués par l’Etat successeur ou lui être opposables. La CPJI a confirmé cetétat de fait dans son arrêt sur les Zones franches. Elle a ainsi jugé qu’après la cession ensa faveur de la Savoie et de Nice par le Traité de Turin du 24 mars 1860 conclu avec laSardaigne, la France était tenue de respecter les accords de délimitation de la région deSaint Gingolph intervenus avant cette cession, en tant qu’ « elle a succédé à la Sardaignedans la souveraineté sur ledit territoire »21. Confirmant cette jurisprudence, la CIJ a estiméque le Cambodge pouvait se prévaloir des traités sur le tracé des frontières conclus entre1904 et 1907 entre la France alors Etat protecteur, et le Siam, c’est-à-dire la Thaïlandeactuelle22. Une succession d’Etat ne peut donc remettre en cause les régimes de frontièreset autres régimes territoriaux23. Cette affirmation

de la Cour donne lieu à maintes interprétations qui partant feront l’objet d’une étudeapprofondie dans ce sujet.

Toujours est-il que dans un contexte différent, la CIJ a considéré que la Slovaquie avait,après son indépendance, succédé à un traité conclu entre la Hongrie et la Tchécoslovaquieet prévoyant un important investissement conjoint. Ce traité qui avait un caractèreterritorial se traduisait par l’aménagement d’une portion considérable du Danube intéressantégalement de ce fait les Etats tiers. Malgré le libellé de l’article 12 de la Convention de Viennede 1978 qui laisse entendre que ce sont les droits et obligations de caractère territorialétablis par le traité qui passent à l’Etat successeur, la Cour a considéré que « ce libellé aen fait été retenu pour tenir compte de ce que , en de nombreux cas , les traités qui avaient

20 A. Pellet, P. Dailler et M. Forteau, Droit international public, LGDJ, 8e édition, Paris 201221 CPJI, série A/ B, n°46, p. 144-14522 CIJ, 1961, Temple de Préah Vihéar, Recueil 1962, p. 623 Articles 11 et 12 de la convention de Vienne de 1978

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établi des frontières ou des régimes territoriaux n’étaient plus en vigueur (…). Ceux quidemeuraient en vigueur n’en devaient pas moins lier l’Etat successeur »24.

Il convient d’envisager séparément les traités bilatéraux et les traités multilatéraux. Lespremiers ne restent en vigueur que si l’Etat nouvellement indépendant et l’autre Etat partieen conviennent, expressément ou implicitement25. Tout comme la coutume, la Conventionde Vienne admet également l’existence et la validité d’accords de dévolution passés entrel’Etat successeur et l’Etat prédécesseur. Elle admet également la validité des déclarations decontinuité émanant d’un Etat successeur26. Cependant, l’inconvénient c’est que ces accordscomme ces déclarations ne peuvent valoir qu’entre les Etats concernés, elles ne peuventêtre opposées aux Etats tiers.

En ce qui concerne les traités multilatéraux, la solution retenue par la Convention estmoins équilibrée. L’Etat successeur peut, en principe, « par une notification de succession,établir sa qualité de partie » à ces traités sauf lorsqu’il s’agit d’un traité restreint27 ou si laparticipation du nouvel Etat est incompatible avec le but et l’objectif du traité28. Il faut toutde même consentir que ces principes très favorables à l’Etat nouveau sont tout de mêmepeu respectueux de la volonté des autres parties29.

En ce qui concerne la participation aux organisations internationales, l’entrée dans uneorganisation internationale correspond à une adhésion, qu’elle soit sollicitée ou acceptée parles Etats membres de l’Organisation. En général, c’est en adhérant au traité constitutif quel’Etat intègre du même coup l’organisation. En vertu des règles générales sur la successionaux traités, l’idée d’une participation automatique aux traités constitutifs d’organisationinternationale doit être d’emblée écartée car elle risquerait de porter atteinte à la volonté etnotamment à la souveraineté des autres Etats parties30. La participation à une organisation

24 CIJ, arrêt du 25 septembre 1997, Projet Gabcikovo-Nagymaros, par. 123.25 Exemple de l’accord du 26 mars 2003 conclu entre la France et la Serbie-Monténégro relatif à la succession en matière de

traités bilatéraux conclus entre la France et la République socialiste fédérative de Yougoslavie.26 Exemples d’échanges de lettres (des 16 mai et 19 juin 1995 d’une part et des 24 juin et 7 août 1996 d’autre part) « constatant »

qu’un certain nombre d’accords -limitativement énumérés- continuent de lier la France à la République tchèque et à la Slovaquie. V.RGDIP 1998, p. 1091-1101.

27 Exemple du traité de l’Atlantique-Nord ou celui de l’Antarctique.28 Sur le régime de la notification, voir en particulier l’arrêt de la CIJ du 18 novembre 2008 dans l’affaire du Génocide (Croatie

c. Serbie), par. 107-111 et par. 11729 A. Pellet et P. Dailler, Droit international public, p. 616. « Il convient d’y voir là le prolongement des efforts réalisés lors

de la Conférence de Vienne de 1969 sur le droit des traités en vue de promouvoir la participation la plus large possible aux traitésmultilatéraux généraux et qui s’étaient traduits par l’adoption de la Déclaration sur la participation universelle à la Convention deVienne de 1969 et de règles assez laxistes en matière de réserves. Il s’agit plus des premiers linéaments d’un droit des traités enformation que d’une conséquence directe de la succession d’Etats. Par exemple, l’article 143 de la constitution namibienne du 31mars 1990 maintient en vigueur à titre provisoire tous les traités internationaux antérieurs mais se réserve le droit de récuser ceuxconclus par la République Sud-Africaine ».

30 L’Allemagne réunifiée s’est bornée à notifier aux organisations internationales dont la République Fédérale d’Allemagnefaisait partie l’extension du champ d’application territorial de l’Acte constitutif ; depuis lors, l’Allemagne assume les obligationsnotamment financières, des deux Etats préexistants. S’agissant des Communautés européennes par contre, des dispositionstransitoires ont dû être adoptées. En revanche, bien que la possibilité fût prévue par l’article 12, paragraphe 3 du Traité d’Union du31 août 1990, l’Allemagne unie n’a pas succédé à la République Démocratique d’Allemagne dans les organisations dont celle-ci était

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internationale c’est aussi la reconnaissance de la qualité de sujet de droit internationalà l’Etat en question. Il serait donc inconcevable qu’un Etat nouveau prétende prendre laplace d’un Etat membre31. Le problème ne peut donc être posé que si l’Etat prédécesseuroccupait un siège dans l’organisation en question au moment où il a disparu de la scèneinternationale. La règle générale en la matière, c’est que tout Etat doit demander sonadmission et se soumettre aux procédures habituelles d’acceptation de sa candidature32.Cette solution est indiscutable

pour les Etats issus de décolonisation puisque la puissance métropolitaine subsisteen tant qu’Etat et reste membre des organisations universelles. Certains Etats issus dela décolonisation ont dû ainsi marquer le pas face aux objections d’une majorité d’Etatsmembres ou au véto d’un membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies(Mauritanie, Bangladesh, etc).

Le deuxième texte codifiant la succession d’Etats a été signé le 8 avril 1983. Il s’agitde la Convention de Vienne sur la Succession d’Etats en matière de biens, de dettes etd’archives d’Etat. Cette convention n’est pas encore entrée en vigueur jusqu’à présent dufait qu’elle ne fait pas l’unanimité dans la communauté internationale. En effet, tandis que lespays développés l’accusent de partialité en faveur du Tiers-Monde, les pays du Tiers-Mondedénoncent entre autres son manque de clarté. C’est dire que cette convention n’est pasprête de rentrer en vigueur. En la matière donc, il existe des règles coutumières lesquelless’appliquent en matière de succession d’Etat. La Convention de 1983 a pour l’essentielrepris ces règles en essayant de les assouplir afin d’en faire un compromis.

Ainsi, en matière de biens et d’archives d’Etat, il n’y a pas de problèmes particuliers.Le principe est bien établi en droit coutumier que passent à l’Etat successeur, l’ensembledes biens meubles et immeubles qui appartenaient à l’Etat prédécesseur. Le transfert deces biens à l’Etat successeur « s’opère de plein droit en vertu du traité de cession et sansbesoin d’un pacte spécial d’acquisition de la part de l’Etat successeur »33. La Convention decodification de 1983 confirme ce principe en préférant le terme « passage » à « transfert »pour lever tout équivoque sur le caractère automatique et systématique de la transmissiondes « biens publics ». La convention a une conception large de la notion de biens publics.Selon l’article 8 de la Convention, « l’expression biens d’Etat de l’Etat prédécesseur s’entenddes biens, droits et intérêts qui, à la date de la succession d’Etats et conformément au droitinterne de l’Etat prédécesseur, appartenaient à cet Etat ». Il n’y a pas de difficultés pour

partie.Le Yémen unifié a pour sa part succédé aux Etats prédécesseurs dans toutes les organisations dont l’un ou l’autre ou mêmeles deux étaient membres.

31 Le problème est différent pour des gouvernements concurrents au sein d’un même Etat32 Après avoir constaté la dissolution de la République Fédérative et Socialiste de Yougoslavie, la Commission d’Arbitrage de

la Conférence pour la Paix en Yougoslavie a estimé qu’il devait être mis fin à la qualité de membre de celle-ci dans les organisationsinternationales et qu’ « aucun des Etats successeurs ne peut revendiquer » un droit à occuper son siège (v. aussi la Résolution 777 de1992 du Conseil de Sécurité. La RFSY (Serbie-Monténégro) a longtemps contesté cette interprétation et s’est longtemps prétenduecontinuatrice de l’ancienne fédération yougoslave. La situation de la RFY par rapport à l’ONU est donc restée longtemps incertaine,comme la CIJ l’a constaté dans son arrêt sur la compétence du 11 juillet 1996 dans l’affaire du Génocide (Bosnie-Herzégovine c.République Fédérative de Yougoslavie). La situation s’est clarifiée à l’automne 2000 lorsque la RFY a formellement demandé sonadmission comme nouvel Etat aux Nations Unies. Par contre, par la Déclaration d’Alma-Ata du 21 décembre 1991, les Etats membresde la CEI ont accepté que la Russie succède à l’URSS aux Nations Unies, avec tous les droits et prérogatives qui lui sont reconnus,et notamment le droit de véto. La Russie a notifié au Secrétaire Général de l’ONU cette décision, qui ne s’est heurtée à aucuneprotestation et a donc été mise en œuvre malgré les problèmes juridiques qu’elle soulève.

33 CPJI, 1933, Université Peter Pazmany c. Etat tchécoslovaque, série A/B, n°61, p. 237-238

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OUATTARA Ibrahim - 2013 13

reconnaitre le passage à l’Etat successeur des biens immeubles situés sur le territoire muté(territoire concerné par la succession34). En ce qui concerne les biens meubles, passentà l’Etat successeur ceux d’entre eux qui sont liés à l’activité de l’Etat prédécesseur « enrelation » avec le territoire muté et une « proportion équitable » des autres. Les archives fontl’objet soit d’une remise des originaux soit d’une reproduction de celles qui sont nécessairesà une « administration normale du territoire » ou « se rapportent » au territoire plus oumoins directement. Ces critères techniques en soi, semblent avoir été fixés de manièrearbitraire et peuvent susciter des controverses. Ainsi en ses articles 11 et 12, la Conventionstipule qu’ « à moins qu’il n’en soit autrement convenu par les Etats concernés ou décidépar un organe international approprié », le passage des biens d’Etats et archives « s’opèresans compensation ». Il faut toutefois, dans certains cas, admettre l’éventualité d’ « unecompensation équitable entre l’Etat prédécesseur et l’Etat successeur ou entre les Etatssuccesseurs »35.

En ce qui concerne les dettes d’Etat, l’article 33 de la Convention de Vienne de 1983les définit comme « toute obligation financière d’un Etat prédécesseur à l’égard d’un autreEtat, d’une organisation internationale ou de tout autre sujet de droit international, néeconformément au droit international ». Le partage des dettes donne lieu dans la pratiqueaux réponses les plus diverses. La CDI, et à sa suite, la Convention de codificationont proposé une règle de principe : la dette passe à l’Etat successeur « dans uneproportion équitable compte tenu, notamment des biens, droits et intérêts qui passent àl’Etat successeur en relation avec cette dette d’Etat36. Cet équilibre est destiné à garantirque l’Etat successeur disposera de moyens suffisants au paiement de la dette. Par contrel’article 38 de la Convention précise que « aucune dette d’Etat de l’Etat prédécesseur nepasse à l’Etat nouvellement indépendant », sauf accord des Etats intéressés ce qui supposele consentement de l’Etat successeur. Comme le Tiers-Monde craint que cet accord nelui soit extorqué, il est précisé que ledit accord « ne doit pas porter atteinte au principede la souveraineté permanente de chaque peuple sur ses richesses et ses ressourcesnaturelles, ni son exécution mettre en péril les équilibres économiques fondamentaux del’Etat nouvellement indépendant »37.

Enfin, en ce qui concerne la succession à la responsabilité de l’Etat, il faut distinguerselon qu’on est en présence d’une responsabilité passive ou active. Dans les deux cas, lesrègles sont pratiquement les mêmes qu’il s’agisse de la succession d’Etats ou de celle de

gouvernements. En matière de responsabilité passive, les principes généraux dela responsabilité internationale écartent toute idée de continuité. La responsabilitépassive suppose que l’Etat successeur a été victime d’une victime d’une violation dudroit international avant l’avènement de la succession. Par exemple, l’Etat successeurne peut exercer une protection diplomatique en vue d’engager la responsabilitéd’un Etat tiers, à raison d’un fait antérieur à la succession et qui a causé unpréjudice à un ressortissant du territoire muté38. Selon, la Cour, cette compétence

34 L’Etat décolonisé lorsqu’il s’agit d’une décolonisation, l’Etat unifié lorsqu’il s’agit d’une fusion et chaque territoire lorsqu’ils’agit d’une dislocation ou dissolution d’Etats.

35 Résolution adoptée par l’IDI sur le sujet en 2001, texte in RGDIP 2002, p. 49136 Article 37, 40 et 41 de la Convention de 198337 Article 38, par. 238 Alain Pellet et Patrick Dailler, Droit international public, op.cit.

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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reste théoriquement à l’Etat prédécesseur39. S’agissant de la responsabilité active, lajurisprudence internationale classique n’a pas non plus admis le transfert à l’Etat successeurdes actes internationalement illicites commis par l’Etat prédécesseur au détriment desEtats tiers40. L’Etat auteur de l’acte reste normalement seul responsable ce qui ne posepas de problème sauf s’il a disparu. Dans cette dernière situation, l’équité commanderaitque le ou les Etats successeurs assument la responsabilité de l’Etat prédécesseur,faute de quoi, la dette serait éteinte au détriment de la victime. La pratique étatiquecontemporaine manifestée lors des successions s’est orientée dans cette direction, les Etatssuccesseurs assumant en général de manière spontanée la responsabilité des actes del’Etat prédécesseur, notamment lorsque ce dernier a disparu41.

Voici donc rappelées en substance les règles qui doivent prévaloir en matière desuccession d’Etats. Malgré leur simplicité apparente, ces règles cachent au plus profondd’elles-mêmes l’antagonisme des Etats. Cet antagonisme se manifeste aussi bien en ce quiconcerne les successions d’Etat que les successions de gouvernement dans la mesure oùla logique internationale voudrait que s’applique en matière de succession de gouvernementles mêmes règles ou presque qu’en matière de succession d’Etats. Hors ces règles nesemblent pas vraiment compatibles au principe de souveraineté de l’Etat.

3) Aspects problématiques de la succession d’Etats et de gouvernements :souveraineté contre droit international ?

Les règles que pose la succession d’Etats et de gouvernements contrastent avec unprincipe essentiel, le respect de la souveraineté. En effet, la souveraineté voudrait quetout Etat nouveau puisse disposer de son territoire comme il l’entend de même que toutgouvernement nouveau puisse récuser les actes de l’ancien. A priori, c’est la logique quis’impose. Mais au lieu de cela, il apparait que le droit international soit réticent au fameuxprincipe de la table rase. Autrement dit, un gouvernement ne doit pas pouvoir remettreen cause de son plein gré les actes d’un gouvernement précédent même s’ils semblentillégaux42 ou encore un Etat nouveau issu d’une succession ne peut remettre en causetous les engagements contractés par l’ancien. Le principe semble donc le même en matièrede succession d’Etat et de gouvernement. Certes, la souveraineté doit s’exercer dans lecadre des règles du droit international mais peut-on alors accepter que ces règles quiprétendent régir la société internationale soit partiales, autrement dit favorables à certainsEtats et défavorables à d’autres ? C’est toute la logique qui soutend notre raisonnement. Enmatière de succession d’Etat, il est nécessaire de revenir un peu sur les différents modesde succession afin de bien comprendre le problème. Dans son rapport de 1968 sur lasuccession d’Etats43, Mohammed Bedjaoui distingue trois cas classiques de successionsd’Etats : le démembrement, la fusion et la décolonisation.

39 CPJI, Chemins de fer Panevezys-Saldutiskis, entre l’Estonie et la Lithuanie, arrêt du 23 février 1939, série A/B, n°76, p. 16-1740 Tribunal arbitral anglo-américain, Brown, 1923-1924, RSA VI, p. 17 ; Tribunal arbitral franco-hellénique, aff. Des Phares,

sentence du 24 juillet 1956, RSA XII, p. 161.41 CIJ, arrêt du 25 septembre 1997, Projet Gabcikovo-Nagymaros, par. 123. Précité.42 Aguilar-Amory and Royal Bank of Canada Claims (Tinoco Case), Great Britain v. Costa Rica), Award of 12 January

1922: R.S.A., Vol. I (Tinoco), cité par Giovanni DISTEFANO et Gionata P. BUZZINI in Bréviaire de jurisprudence international, Lesfondamentaux du droit international public, 2e édition revue et augmentée, Bruylant, Bruxelles 2010.

43 Premier rapport sur la succession d’Etats et les droits et obligations découlant de sources autres que les traités par M.Mohammed BEDJAOUI, rapporteur spécial de la Commission du Droit international. Sujet : Succession d’Etats dans les matières

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Selon Bedjaoui, « si l'on appelle en effet "démembrement" tout phénomène par lequeldeux ou plusieurs Etats voisins voient leur étendue géographique modifiée (soit à raisond'une annexion de portion de territoire de l'un par l'autre, soit par cession, soit aprèsplébiscite, soit à la suite d'une rectification de frontière), on a là les hypothèses de lasuccession d'Etats du type classique »44. Il n'y a généralement pas un Etat nouveau,quoique le plébiscite, par exemple, puisse donner lieu à la création d'un Etat45. Il s'agit d'uneredistribution de territoires affectant la carte d'une région. Généralement aussi, il s'agit d'unerégion que l'on pourrait considérer comme relativement "homogène" par le niveau de vie etde civilisation (cas de la succession

d'Etats en Europe par exemple). Sans être nécessairement identiques, les ordresjuridiques des pays concernés sont sensiblement équivalents. Les habitants de la portiondu territoire affectée par la succession étaient des citoyens d'un pays, ils deviennent descitoyens au même degré de l'autre pays (sous réserve de divers droits d'option). Les droitsacquis sont en principe respectés. La référence au principe de l'enrichissement sans causepermet de mettre au compte de l'Etat acquéreur les charges attachées à l'actif laissé parl'Etat cédant. Cette hypothèse, tout en continuant de se produire actuellement de temps àautre, nous place cependant dans le cas de la succession d'Etats du type classique pourlaquelle un certain nombre de règles ont été dégagées par la doctrine, la jurisprudenceet la pratique des Etats. « Elle nous place d'emblée dans les hypothèses du passé, où lasuccession d'Etats, régie par le principe de la tabula rasa dans quelques domaines, obéissaitsurtout au principe de la continuité et de la stabilité juridiques»46.

Une deuxième hypothèse de succession d'Etats nous place en quelque sorte dans lesperspectives de ce que l'on pourrait appeler un certain "futurisme juridique". C'est le casde la fusion, réalisée certes souvent dans le passé, mais qui paraît surtout être la formulede l'avenir, de l'ère des groupements et des grands ensembles politiques. L'évolutionde l'humanité a permis de connaître l'époque des nationalismes qui cède peu à peu laplace à celle des intégrations. C'est probablement moins le phénomène finissant de ladécolonisation que celui débutant des intégrations qui marquera l'avenir de la planète etposera les problèmes de succession d'Etats. Ceux-ci ne peuvent être résolus entièrementdans le cas de fusion, par application exclusive des principes régissant l'une ou l'autre desdeux premières hypothèses. Cette deuxième hypothèse empruntera son régime juridique àla fois à l'une comme à l'autre. La fusion s'opère entre deux entités politiques généralementd'un niveau de développement politique et social sensiblement identique47 (sans quoi l'onretomberait dans le phénomène colonial). « Les habitants, qui ne sont liés entre eux paraucun rapport de subordination ou de domination, deviennent citoyens d'une nouvelle entitéaprès l'avoir été, d'égale manière, de l'une des deux autres. Comme le démembrement (telque défini ci-dessus), la fusion ou intégration concerne des corps sociaux homogènes etsensiblement comparables48». Les droits acquis du citoyen du nouvel Etat sont respectés.Le phénomène de réparation, ou celui de récupération de biens perdus, sont exclus de cettehypothèse. Les deux anciens Etats qui fusionnent ont décidé de vivre en commun l'avenir, le

autres que les traités, extrait de l’Annuaire de la Commission du droit international, 1968, Vol. II, téléchargé à partir du site internat dela Commission du Droit international http://www.un.org/law/french/ilc/index.htm

44 Ibid.45 Cas par exemple du Soudan du Sud dont la sécession a été approuvée par référendum du 9 au 15 janvier 201146 M. Bedjaoui, précité.47 Cas par exemple de la fusion de la RFA et de la RDA en 199048 Mohammed Bedjaoui, op.cit.

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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passif de l'un comme de l'autre étant pleinement assumé par la nouvelle entité politique qu'ilsont créée. A l'inverse, l'intégration empruntera quelques-unes de ses règles au phénomènede décolonisation. Puisque la fusion exprime une volonté de vivre un destin commun, lestransferts des biens des deux anciennes entités à la troisième créée se réalisent entièrementet l'on conçoit qu'ils puissent intervenir à titre gratuit.

Le troisième cas de succession est celui qui nous intéresse vraisemblablement.Il s’agitdes hypothèses de décolonisation49. C'est le principe inverse de la rupture et du changementqui prévaut le plus souvent ici. Contrairement aux premières, l'on assiste dans ce cas à lacréation d'un Etat. « Gagnée par le sous-développement, la nouvelle entité se distingue del'ancienne métropole quant au niveau de vie et au degré de civilisation, et cherche à sefortifier. Les ordres juridiques ne sont pas identiques, parfois même nullement comparables,quoique, dans les anciennes colonies de peuplement notamment, l'ancienne métropoleait réalisé certaines similitudes. Les habitants du nouveau territoire changent de conditionjuridique en passant de celle d'assujettis à celle de citoyens. Les rapports de dominationdisparaissent et tout ce qui les rappelle dans l'ancien ordonnancement juridique n'est passusceptible de succession »50. L'émancipation étant par hypothèse la modification desobjectifs politiques, économiques et sociaux dans le territoire, elle constitue normalementune césure, une solution de continuité, d'autant plus que souvent l'indépendance est acquiseà la suite d'une forte et longue tension dans les rapports avec la puissance coloniale. Lesrègles classiques ne sont dans ces hypothèses que partiellement appliquées, quand ellesne sont pas écartées complètement. Le principe de l'enrichissement sans cause, le respectdes droits acquis pour les particuliers de bonne foi, le principe du transfert à titre onéreuxdes biens publics, ne correspondent pas ou ne correspondent que peu à la situation néede la décolonisation. L'Etat nouveau estime généralement que ces principes régissant dessituations radicalement différentes ne lui sont ni opposables ni applicables. Ayant subi unedomination au cours de laquelle ses biens ainsi que ceux de ses ressortissants n'ont pasété toujours ou totalement protégés, mais souvent confisqués au moment de la conquêtepar la puissance coloniale et les nationaux de celle-ci, le nouvel Etat essaie de traduire entermes juridiques un besoin de recouvrer pleinement tout ce qu'il estime avoir perdu par lefait colonial, sans consentir le plus souvent une quelconque

indemnisation ou assumer la responsabilité d'un quelconque passif. Cette classificationde Bedjaoui51 nous permet dès lors de saisir le nœud du problème. Tous les Etatsissus d’une succession ne sont pas confrontés au même problème. Plus précisément, ons’aperçoit que c’est justement au niveau des Etats décolonisés que prévaut cette volontéde rupture de changement et de souveraineté. Ces Etats veulent bien souvent remettre encause la plupart des actions du colonisateur qu’il s’agisse des frontières, des contrats oumême de certains traités. En matière de succession de gouvernements, le problème se posedans les mêmes termes. Comme préalablement annoncé, la succession de gouvernementpeut être définie comme la substitution d’un gouvernement à un autre dans la responsabilitédes relations internationales d’un territoire d’un territoire52. Cette définition qui peut êtreassimilée à une reprise textuelle de la définition donnée à la succession d’Etats a tout

49 Cas des Etats africains, de certains pays asiatiques et latino-américains.50 Mohammed Bedjaoui, op.cit.51 Ibid.52 Mémoire de recherche, La crise politique hondurienne, ou la communauté internationale face à ses contradictions. Analyse

d’une levée de boucliers contre une atteinte au crédo démocratique en Amérique Latine. Rédigé par Cathérine LeManach sous ladirection de Jerôme Viguier, Institut d’Etudes Politiques de Toulouse, 2010.

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son sens dans ce contexte. En effet, dans la mesure où un gouvernement se substitue àun autre, on pourrait dès lors penser dans la même logique que ladite définition que cegouvernement est investi des pleins pouvoirs pour agir et représenter l’Etat sur la scèneinternationale. Dès lors, ce gouvernement est libre de poser un certain nombre d’actes etnotamment de remettre en cause certains actes de l’Etat au plan international. Le problèmec’est qu’il peut advenir que cette remise en cause lèse les intérêts d’autres Etats ou acteursdu droit international. Cela serait sans doute illégal à première vue. Mais si les actescontractés par le précédent gouvernement l’ont été non dans l’intérêt de l’Etat en tant quetel mais dans un but illégal, doit-on alors admettre que le nouveau gouvernement ne puisseremettre en cause les actes contractés au nom du principe même de la souveraineté del’Etat ?

Le droit international a, nous l’avons vu, imposé des règles de conduite en la matière.Aussi, nombreuses sont les sources du droit international qui interviennent pour régler cesquestions53. Mais malgré cette pléthore de règles, on peut quand même noter l’inexistenced’un consensus sur la question si bien que l’on se retrouve dans un dilemme juridique :volonté de souveraineté contre exigences du droit international. Il s’agit dès lors de trouverune réponse adéquate à la problématique sur laquelle cette étude va se focaliser : Dans lamise en œuvre des règles de succession d’Etats et de gouvernements, le droit internationalconstitue-t-il un obstacle à la volonté de souveraineté des Etats ? Cette question est centralecar à elle seule, elle résume l’opposition entre pays du Tiers Monde et Etats développés enmatière de succession d’Etats.

Dès lors, cette étude sera divisée en deux grandes parties. Dans une première partie,il s’agira de démontrer comment en matière de succession d’Etats et de gouvernements, lavolonté de souveraineté des Etats se trouve anéantie par certaines règles érigées en droitinternational et dans quelle mesure s’est réalisée la remise en cause de ces règles.

Dans une seconde partie, l’analyse se focalisera sur les matières dans lesquellesinterviennent les principales remises en cause des règles établies en matière de successiond’Etats et de gouvernements. Dans cette partie, il s’agira également de voir si cesrevendications aboutissent plus ou moins autrement dit est-ce que la souveraineté des Etatspeut se concilier avec le droit international en matière de succession d’Etats.

53 Principes coutumiers, les deux conventions de Vienne sur la succession d’Etats sont autant de sources qui interviennenten la matière.

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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PARTIE 1 : La pratique traditionnelle àl’épreuve de la volonté de souverainetédes Etats

La succession d’Etat et de gouvernement est régie avant tout par des règles coutumièreslesquelles pour la plupart ont été codifiées. Même codifiées, ces règles n’ont pas toutesété acceptées du fait de l’incertitude qui résulte de certains textes. Aussi bien les paysdéveloppés que les Etats du Tiers Monde se sont insurgées contre certaines de ces règles,les seconds parce qu’ils les trouvaient injustes et les premiers parce que ces règles allaientquelquefois contre leurs intérêts. Face à tous ces considérants, c’est bien souvent à lajurisprudence ou à la doctrine qu’il est revenu le dernier mot. Celles-ci avaient consacréavec force des théories qui pendant un temps ont permis de trouver le consensus même sices théories se sont trouvées rapidement dépassées par la pratique des Etats et l’évolutiondu droit international.

Titre 1 : Les thèses affirmatives du maintien du statuquo

Le droit international a fixé des règles devant régir la pratique des Etats en matière desuccession d’Etats et de gouvernements. Afin d’éviter une insécurité juridique, ces règlesont pour l’essentiel prôné le maintien du statu quo : autrement dit, le principe de la tablerase ne doit pas prévaloir dans les rapports de succession. Face à la réticence des Etats,il est revenu à la jurisprudence de confirmer ces principes ce qui fait qu’aujourd’hui, c’est àla jurisprudence qu’on confie le mérite de l’élaboration de ces règles.

Chapitre 1 : Des théories essentiellement doctrinales etjurisprudentielles

Deux théories ou principes essentiels ont été fixés afin d’assurer le maintien du statu quo etéviter ainsi la remise en cause de certains actes. Il s’agit d’une part de la théorie des droitsacquis et d’autre part du principe de continuité de l’Etat.

Section 1 : La théorie des droits acquis en matière de succession d’EtatsLa théorie des droits acquis est une théorie d’origine privée et interne. Elle évoque unesituation où des droits qui sont régis par une ancienne législation ou règlementation,viendraient à passer sous un autre régime juridique. Dans ce cas, la théorie des droits acquissuggère de préserver les droits que les particuliers ont acquis, ceci pour ne pas aboutir à une

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insécurité juridique ou à une situation injuste pour les principaux concernés54. Ainsi, la loinouvelle est d'applicationimmédiate et régit les situations établies et les rapports juridiquesformés dès avant sa promulgation, mais, sauf exception, elle n’est pas rétroactive et ne doitpas porter atteinte à des droits acquis. S'agissant des effets futurs des situations juridiquesnon contractuelles, la loi nouvelle s'applique immédiatement aux situations juridiques (étatde citoyen, de père, d'époux, de propriétaire...) et leurs effets futurs sont déterminés parla loi seule.

En droit international, le problème qui se pose est similaire puisqu’il s’agit de seprononcer sur des situations juridiques (traités, contrats, nationalités, etc) qui existaientsous un ancien régime, situations qui peuvent être affectées par l’avènement d’un nouveaurégime. C’est donc dire que la question est beaucoup plus complexe en droit internationaloù les Etats sont les principaux concernés par la théorie.

Le problème du sort des droits acquis par les particuliers sous l’empire de larèglementation antérieure est sans aucun doute celui qui divise les Etats et la doctrine. Lesthéories traditionnelles soutenues par la plupart des Etats occidentaux et qui s’appuient surla jurisprudence incontestable mais souvent ancienne, apparaissent tout à fait inconciliablesavec les thèses du Tiers Monde et jusqu’à la fin des années 1980, avec celles des Etatssocialistes. Comme en droit interne, la théorie des droits acquis en droit international dela succession d’Etats suppose une succession d’Etats avec un Etat successeur et unEtat prédécesseur. La théorie des droits acquis évoque le fait que la situation juridiquedes particuliers ne doit pas être remise en cause par l’Etat successeur même quandcette situation a été acquise sous le régime de l’Etat prédécesseur. Selon les théoriestraditionnelles, pour des raisons d’équité, il importe avant tout de sauvegarder les droitspatrimoniaux acquis par les particuliers sur la base de la législation de l’Etat prédécesseurou des contrats conclus avec lui. L’application de ce principe prévaut pour les droits privésstricto-sensu, que les particuliers tirent des contrats de droit privé qu’ils avaient conclusavec l’Etat prédécesseur.55

A plusieurs reprises, la CPJI a eu l’occasion de consacrer ce principe. Au lendemainde la première guerre mondiale, la Posnanie, province allemande fut attribuée au nouvelEtat polonais. Très vite, le gouvernement polonais prétendit remettre en cause la validitéde cessions de terres réalisées par le gouvernement allemand au bénéfice des colonsallemands.

La Cour dénonça l’irrégularité de la pratique polonaise, considérant que « des droitsprivés acquis conformément au droit en vigueur ne deviennent point caducs à la suite d’unchangement de souveraineté. Même ceux qui conteste l’existence en droit internationaldu principe de la succession d’Etats ne vont pas jusqu’à maintenir que les droits privésy compris, y compris ceux qui ont été acquis de l’Etat en tant que propriétaire foncier nepeuvent être valablement opposés à celui qui accède à la souveraineté »56. De ce pointde vue, on voit que la Cour est formelle sur le principe des droits acquis. Pour la Cour, ils’agit en quelque sorte d’une coutume voir d’un principe général de droit en ce sens qu’elleconsidère que quelque soit la position de l’Etat sur l’idée de succession d’Etat, celui-ci sedoit de respecter le principe des droits acquis. La Cour a réaffirmé cet avis dans l’affaire desIntérêts allemands en Haute Silésie polonaise en considérant que ce principe faisait partie

54 Serge Guinchard et Thierry Debard, Lexique des termes juridiques, 20e édition, Paris, Dalloz 201255 A. Pellet et P. Dailler, Droit international public, LGDJ, 8e édition, Paris, novembre 200956 Avis du 10 septembre 1923, série B, n°6, p. 15 et 36, cité par A. Pellet et P. Dailler, Droit international public, LGDJ 8e

édition, Paris, novembre 2009.

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du droit international commun57. De même dans l’arrêt Usine de Chorsow, la Cour a estimé àpropos de l’expropriation de ladite usine par la Pologne que la méconnaissance du principedes droits acquis était de nature à engager la responsabilité internationale de la Pologne58.

La mise en œuvre du principe a été étendue aux droits découlant des contrats dedroit public. C’est ainsi que la jurisprudence a tendance à se prononcer sur la remise encause de certains contrats conclus par un Etat. Par exemple dans l’affaire des ConcessionsMavrommatis en Palestine, la CPJI a confirmé l’opposabilité de l’interprétation de la théorielarge des droits acquis. Dans cette affaire, la Cour a imposé à la Grande Bretagne le respectdes concessions de travaux publics octroyés par l’empire ottoman à des ressortissantsétrangers en Palestine avant que celle-ci ne devienne un mandat britannique59. Il est clairqu’à première vue, un tel raisonnement peut choquer dans la mesure où l’Etat successeurne bénéficie d’aucune liberté d’action et qu’il ne peut que conserver en l’état, les actesde droit public dont il hérite. Dans une autre affaire, la Cour a encore confirmé la théoriedes droits acquis. C’est ainsi qu’elle a considéré que les concessions de phares accordéespar l’Empire ottoman à des sujets français, étaient opposables à la Grèce en sa qualitéd’Etat successeur60. On comprend dès lors pourquoi la décision de la Cour fut contestéepar la Grèce qui décida de saisir un arbitre, lequel confirma la décision de la Cour dans unesentence arbitrale du 24 juillet 195661. Comme on le voit, en matière de succession d’Etats,le maître mot reste la théorie des droits acquis. Affirmé avec force par la jurisprudence, ceprincipe rejoint également celui consacré en matière de succession de gouvernements àsavoir le principe de continuité de l’Etat.

Section 2 : Le principe de la continuité de l’Etat en cas de succession degouvernementComme préalablement rappelé, la succession d’Etats s’entend de la substitution d’un Etat àun autre dans la responsabilité des relations internationales d’un territoire. Par analogie, onpourrait définir la succession de gouvernement comme la substitution d’un gouvernementà un autre dans la responsabilité des relations internationales d’un territoire. La règlefondamentale établie par le droit international, c’est qu’aucune remise en cause des actesde l’ancien gouvernement ne doit être opérée par le nouveau lors de sa prise de pouvoir.C’est le principe de la continuité de l’Etat. Au plan interne, on considère que « l’Etat entant que personne morale reste légalement identique à lui-même de sa formation à sadissolution, de quelques mutations que soient affectés les éléments dont la réunion a permissa constitution » 62. Ce qui induit qu’« En droit international, la continuité de l’Etat commesujet de droit international recherchée dans la permanence effective d’une organisationindépendante, quelle qu’elle soit avec la conservation des trois éléments constitutifs que

57 CPJI, 25 mai 1926, Intérêts allemands en Haute Silésie polonaise, série A, n°7, p. 20-2158 CPJI, 26 juillet 1927, usine de Chorsow, Série A, n°9, p.27-2859 CPJI, 26 mars 1925, concessions Mavrommatis en Palestine, série A, n°5, p. 46-4760 CPJI, 17 mars 1934, affaire franco-hellénique des phares, série A/B, n°62, p. 2561 Sentence arbitrale du 24 juillet 1956, RSA XII, p. 155-257

62 Majza, « La théorie de la continuité de l’Etat en droit international » in « Le coup d’Etat, recours à la force et dernier mot dupolitique ?, 2007, p. 283.

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sont le territoire, la population et l’autorité politique indépendante »63. Ainsi, selon cettethéorie, l’Etat reste identique malgré les mutations intervenues dans sa substance. De lasorte, en cas de mutations, l’identité de l’Etat n’est pas rompue et le nouveau gouvernementou nouvel Etat ne peut répudier les engagements souscrits par le précédent. Commele souligne la doctrine, « dans un monde entièrement étatisé, disparition, création ettransformation des Etats sont des phénomènes corrélatifs et perturbateurs. Il revient àl’ordre juridique international, dont c’est la fonction première, d’assurer la stabilité desrapports internationaux et la préservation de l’Etat par la promotion et la sauvegarde dethéories comme celle de la continuité étatique »64. Ce principe a été réaffirmé avec forcedans la sentence arbitrale

Tinoco du 12 janvier 192265. En juin 1917, le gouvernement Costa ricain du PrésidentAlfredo Gonzalez est renversé par un coup d’Etat du ministre de la défense FrédéricoTinoco. Celui-ci prit le pouvoir, organisa des élections qu’il remporta et établit une nouvelleconstitution. Il dirigea le pays jusqu’en août 1919, date à laquelle il s’enfuit du pays aprèsavoir détourné des fonds publics. Le 22 août, le nouveau gouvernement promulgua unenouvelle loi plus connue sous le nom de Law of Nullities. Cette loi invalide ainsi tous lescontrats conclus entre l’Etat et des particuliers dans la période du 27 janvier 1917 au 2septembre 1919, soit l’équivalent de la présidence de Tinoco. Elle invalide également ledécret N°12 du 28 juin 1919 du gouvernement Tinoco, autorisant un emprunt de 15 millionsde colons66. De même cette loi annule un décret du 8 juillet 1919 du gouvernement Tinoco,autorisant la mise en circulation de coupures de billets de 1000 colons et annule de ce faittoutes les transactions avec ces coupures que ces transactions soient intervenues entreentreprises ou entre l’Etat et des particuliers. Il est évident que cette loi allait mettre àmal les intérêts de nombreux particuliers. En effet, par son principe même, elle imposeune sorte de table rase financière laquelle peut préjudicier aussi bien aux intérêts desparticulier Costa ricains que des entreprises nationales ou privées. Ce fut le cas ainsides intérêts britanniques lesquels ont été lésés par cette législation. La Grande Bretagnedécida d’amener l’affaire devant un arbitre. Elle soutient comme premier argument que legouvernement de Tinoco était le seul gouvernement de jure et de facto au Costa Rica durantla période considérée, que pendant ladite période, il n’y avait aucun autre gouvernementdans le pays et que ce gouvernement avait l’assentiment du peuple. En second lieu, elleajoute que le gouvernement successeur ne pouvait pas par une loi éviter toute responsabilitéquant aux actes affectant des intérêts britanniques, car ce serait une violation du droitinternational. Elle ajoute que la loi d’annulation qui porte atteinte aux intérêts britanniques estelle-même nulle et que par conséquent elle doit être abrogée et le nouveau gouvernementcostaricain doit honorer les engagements passés avec des entreprises britanniques67.

A ces arguments, le gouvernement costaricain réplique d’abord que le gouvernementde Tinoco n’était ni un gouvernement de jure ni un gouvernement de facto au regard des

63 Mémoire de recherche, La crise politique hondurienne, ou la communauté internationale face à ses contradictions. Analyse d’unelevée de boucliers contre une atteinte au crédo démocratique en Amérique Latine. Rédigé par Cathérine LeManach sous la directionde Jerôme Viguier, Institut d’Etudes Politiques de Toulouse, 2010.64 Majda, “La théorie de la continuité de l’Etat en droit international”, op.cit.

65 Aguilar-Amory and Royal Bank of Canada Claims (Tinoco Case), Great Britain v. Costa Rica), Award of 12 January1922: R.S.A., Vol. I (Tinoco), cité par Giovanni DISTEFANO et Gionata P. BUZZINI in Bréviaire de jurisprudence international, Lesfondamentaux du droit international public, 2e édition revue et augmentée, Bruylant, Bruxelles 2010, op.cit.

66 A l’époque, un dollar équivaut à 46,5 colons ; actuellement 1€=100 Colons67 En l’occurrence la Royal Bank of Canada et la Central Costa Rica Petroleum Company

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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règles du droit international. En second lieu, il avance que les contrats et actes passéspar le gouvernement de Tinoco ne sont pas valides dans la mesure où ils ont été adoptésen violation des règles flagrantes de la constitution costaricaine de 1871. Par conséquent,ils ne peuvent créer d’obligations légales. En troisième lieu, le gouvernement costaricainconsidère que la Grande Bretagne n’a pas reconnu le gouvernement Tinoco durant saprésidence. Elle ne peut donc pas prétendre que les actes posés par ce gouvernement ontcréé des droits acquis pour les particuliers ni que le gouvernement actuel est lié par les actesen question. En quatrième argument, le Costa Rica soutient que les sujets britanniquesqui ont été lésés pouvaient intervenir directement devant les tribunaux costaricains et nondemander la protection diplomatique de leur gouvernement.

On se trouvait clairement dans cette affaire devant un cas d’études. Un gouvernementayant succédé à un autre refuse d’hériter des obligations contractées par l’anciengouvernement parce qu’il les trouve illégales et illégitimes. La remise en cause desobligations d’un ancien gouvernement n’est pas un cas isolé. Bien sûr, si c’était le cas, il neferait pas autant l’attention de la Communauté internationale ni de la doctrine. C’est doncpour éviter toute insécurité juridique qu’a été posé le principe des droits acquis. Selon ladoctrine, « Le changement de gouvernement ou de la politique interne d’un Etat ne doitpas affecter sa position dans le droit international. Une monarchie peut être transforméeen république ou vice versa (…); même si le gouvernement change, l’Etat demeure avecles mêmes droits et obligations.” 68. Le principe de continuité du gouvernement a plusieursconséquences. Le gouvernement ou l’Etat est lié par les engagements entérinés par lesgouvernements précédents. De même, un gouvernement restauré est responsable desactes du gouvernement usurpateur69.Le gouvernement de Louis XVIII et de Louis Philippeaussi loin que cela semble a indemnisé les citoyens des pays étrangers victimes desbarbaries provoquées par le gouvernement de Napoléon70. La doctrine ajoute à ce propos:

« L’origine et l’organisation d’un gouvernement sont généralement des questionsqui relevant d’une discussion et d’une décision internes. Les puissancesétrangères négocient avec le gouvernement de fait, lorsqu’il est suffisammentétabli que ce gouvernement donne une

assurance raisonnable quant à sa permanence et à sa capacité de se maintenir et de remplirses obligations internes et internationales»71. En clair, l’origine et la validité du gouvernementen question ne doivent pas aboutir à préjudicier les droits des tiers qui sont amenés à traiteravec le gouvernement en question. Le principe de continuité de l’Etat est encore repris parde nombreux autres auteurs:

« Considérant les caractéristiques et les attributs d’un gouvernement de fait, ungouvernement général de fait qui prend la place des autorités régulièrement constituéeslie la nation. Il représente l’Etat en ce qui concerne les obligations internationales. Ilsuccède aux dettes du gouvernement précédent et transmet ses propres obligations à sessuccesseurs. Ses dettes et contrats lient l’Etat et l’Etat est responsable de ses actes. Engénéral, ses traités lient aussi l’Etat (…). Une exception à ces règles a été remarquée dansla pratique de certains Etats d’Amérique Latine, lesquels déclarent nuls et non avenus lesactes d’un gouvernement usurpateur de transition, lorsque ce dernier est remplacé par le

68 Dr John Bassett Moore, Digest of international law, Vol. I, p. 249, traduction opérée par moi-même.69 Giovanni DiStefano et Gionata P. Buzzzini, Bréviaire de jurisprudence internationale, précité70 Ibid.

71 Dr John Basset Moore, op.cit., traduction opérée par moi-même.

PARTIE 1 : La pratique traditionnelle à l’épreuve de la volonté de souveraineté des Etats

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gouvernement légal. Cependant, les actes valablement pris au nom d’un Etat et qui ontun caractère international ne peuvent être impunément répudiés et les gouvernementsétrangers insistent sur leur force opposable. La légalité ou la légitimité constitutionnelle d’ungouvernement de fait est sans importance sur le plan international lorsque le problème de lareprésentation de l’Etat se pose » 72. On a donc affaire à un principe qui prévaut fortementdans les relations entre Etats. Les gouvernements ne peuvent donc faire prévaloir le principede la table rase quelque soit les circonstances.

Sur cette question, les deux principes qui viennent d’être étudiés ont sans doute lemérite de lever et de prévenir toute insécurité juridique pouvant exister dans les rapportsentre un Etat et la société internationale. Tout en suscitant le mérite, ces deux principesdoivent tout de même être critiqués sur certains plans. En effet, on ne doit pas oublier lastructure des Etats en question : généralement des Etats faibles issus de décolonisation ouqui viennent de vivre une dictature. Dès lors, ces deux théories peuvent d’une part semblerinéquitables, et d’autre part porter atteinte à la souveraineté des Etats en question.

Chapitre 2 : Limites et contestationsLa crise de la théorie classique du respect des droits acquis repose sur les critiques quilui sont adressées. Ces critiques s’appuient à la fois sur une dénonciation idéologique desprincipes de l’économie de marché et surtout sur l’idée de souveraineté, surtout dans sadimension économique. Etats socialistes et pays du Tiers Monde ont donc tous des raisonsde rejeter la doctrine classique.

Section 1 : Iniquité du principeL’une des principales critiques reprochées aux théories conservatrices c’est leur iniquité.Dans une perspective pragmatique, il faut reconnaitre qu’aussi bien la théorie desdroits acquis que le principe de continuité du gouvernement sont inéquitables car cesprincipes font peser sur l’Etat ou le gouvernement en question, de lourdes hypothèquesfinancières.73En effet, dans les cas conflictuels de succession d’Etats et de gouvernements,on a le plus souvent affaire à des Etats fragiles, économiquement faibles et qui le plussouvent luttent pour leur survie économique. Dès lors, lorsque dans ces conditions, il estencore demandé à ces Etats ou gouvernements de supporter les charges financières etautres obligations contractées par l’Etat ou le gouvernement prédécesseur sur la scèneinternationale, on court le risque de les asphyxier financièrement. Il importe alors de revoirle schéma imposé par ces concepts afin qu’ils n’aboutissent à une injustice. La solutiondoctrinale préconisée par les pays du Tiers Monde, et exprimée en termes juridiques,a été ainsi formulée par le rapporteur spécial de la Commission du Droit InternationalMohammed Bedjaoui. Pour lui, « l’Etat successeur n’est pas lié par les droits acquisreconnus par l’Etat prédécesseur et ne peut être lié par ces droits que s’il les a acceptélibrement ou si sa compétence est conventionnellement liée (…). Mais la compétence del’Etat successeur n’est évidemment pas discrétionnaire. Il importe que dans son action, ilne se départisse à aucun moment des règles de conduite qui régissent tout Etat. Car avantd’être un Etat successeur, il est un Etat, c’est-à-dire un sujet ayant à côté de ses droits desobligations internationales dont la violation engagerait sa responsabilité internationale »74.

72 Pr Borchard, The diplomatic protection of citizens abroad, The Yale Law review, 1919, traduit par moi-même.73 K. S. Sik, The concept of acquired rights in international law : a survey, NILR, 1977, p.120-142.74 Annuaire de la Commission du Droit International, 1969, vol. II, p. 101-102.

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Cette solution semble être un compromis entre deux positions qui semble catégoriques àsavoir celle des pays du Tiers Monde, le principe de la remise en cause et celle des paysdéveloppés c’est-à-dire la théorie des droits acquis. Mais de là, il ne faut pas nécessairementcroire à une opposition pays développés et pays en développement. On est aussi dansun contexte où, face à l’évolution du monde et à l’émergence de nouveaux enjeux, il estbeaucoup plus question de souveraineté que de toute autre question. Pour les Etats ou les

gouvernements successeurs, il s’agit le plus souvent, beaucoup plus d’une questiond’indépendance que de justice ou même d’assistance (pitié). Dès lors, se pose la questionde la contradiction des théories conservatoires au principe de souveraineté de l’Etat.

Section 2 : Atteinte au principe de du consensualisme et de la souverainetéC’est la seconde critique et peut être même la principale qui puisse être adressée auxthéories affirmatives du maintien du statu quo. D’un point de vue théorique, il est doncreproché à ces principes de ne pas tenir compte du principe du consensualisme, lequelest à la base même de la formation du droit international. En effet, les Etats successeursnouvellement membres de la communauté internationale se voient appliquer des décisionsou des coutumes dont ils n’ont pas contribué à la formation. La souveraineté est une notionà deux faces : d’une part, elle implique le droit à l’Etat de l’exercice de la plénitude deses compétences et d’autre part, elle emporte le refus de toute subordination juridiquede son possesseur à une volonté extérieure. Chaque Etat existent prétend ainsi exercerla totalité des compétences qui lui sont conférées par le droit. De ce point de vue, oncomprend alors pourquoi certains Etats n’hésitent pas à remettre en cause les règlesexistantes. Pour eux, la situation semble logique puisque le principe du consensualismen’est que corollaire logique de la souveraineté75. En vertu de ce principe fondamental dudroit international, un Etat ne peut se voir imposer certaines règles que s’il a consenti àleur adoption. Il n’est donc pas possible pour un Etat d’être lié par des règles qui existaientbien avant son avènement sur la scène internationale sauf si l’Etat manifeste expressémentou tacitement son consentement à être lié par ces règles. Il est évident que cet argumentsemble logique quoique discutable. En effet, il existe certains principes bien établis endroit international que tout Etat se doit de respecter. Certes, ces règles peuvent quelquefois paraitre défavorables aux Etats dans la mesure où ces règles limitent leur possibilitésd’action voire leur souveraineté. Que faut-il en penser dans ce cas ? Les principes affirmatifsdu statu quo font sans doute partie de ces règles. En effet, instaurées avant l’avènementdes Etats concernés sur la scène internationale, ces principes limitent dès lors les moyensd’action de l’Etat ou du gouvernement en question, lequel ne peut valablement agir pourrétablir certains droits qui lui ont été spoliés. C’est tout le raisonnement qui sous-tend cetteétude. En la matière, il faudra remarquer que les théories conservatrices permettent sansdoute d’assurer une sécurité juridique internationale mais cela ne les mets pas pour autant àl’abri de contestations de la part des Etats. Pour preuve, les nombreuses affaires qui aurontété jugées que ce soit par la Cour Internationale de Justice ou par un arbitre. L’évolution dudroit international aura permis de rendre cette contestation possible. La remise en causes’articulera principalement en deux aspects : d’abord une évolution historique et ensuite onaboutira à une quasi-consécration juridique.

75 A. Pellet et P. Dailler, Droit international public, précité.

PARTIE 1 : La pratique traditionnelle à l’épreuve de la volonté de souveraineté des Etats

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Titre 2 : Les facteurs favorables à la remise en causede la pratique traditionnelle des successions

Le droit international se sera longtemps opposé à la remise en cause des principesaffirmatifs du maintien du statu quo. Mais cette opposition était sans compter la volontédes Etats ou des gouvernements en cause de revendiquer des droits qu’ils estiment leurappartenir. Dès lors, la contestation des aspects conflictuels de la succession d’Etats et degouvernements bénéficiera dans un premier temps d’un contexte historique favorable avantde donner lieu à des revendications juridiques à proprement parler.

Chapitre 1 : Un contexte historique favorableIl ne s’agit pas dans cette partie de faire une ébauche sur l’historique de la successiond’Etats. Si c’était le cas, il nous faudrait remonter à très longtemps voire pendant lapréhistoire afin de déceler les premiers cas de succession d’Etats. Pendant des sièclesvoire des millénaires, la succession d’Etats aura été du commun de l’actualité internationale.Des empires, des royaumes et même avec l’émergence du droit international classique, desEtats seront créés, seront absorbés, seront amenés à fusionner ou encore de nombreusesautres entités disparaitront de la scène internationale. Il ne s’agit donc pas de revenir surce phénomène historique dont l’histoire et l’évolution a suivi celle de l’humanité même,car depuis qu’ont émergé les premières entités organisées, il n’y a eu de cesse de seproduire des successions. Il s’agira dans le contexte précis de cette étude de repérerdans le cadre du droit international moderne quels sont les facteurs historiques qui aurontcontribué notamment à permettre aux Etats la remise en cause de bon nombre d’aspectsde la succession d’Etats et de gouvernements. En l’espèce, deux évènements marquantspeuvent être soulignés à savoir les successions d’Etats et de gouvernements intervenuesdans le contexte des deux guerres mondiales et la décolonisation.

Section 1 : Les deux guerres mondiales ou l’émergence du phénomène desuccessionS’interroger sur la contestation des règles de successions d’Etats et de gouvernementsne peut se faire sans faire un état des lieux historique. En effet, cette étude trouverait uncommencement de réponse en se situant dans le contexte de cette première moitié duXXe siècle avec comme phénomènes majeurs, les deux guerres mondiales. C’est durantcette période que l’on aura assisté le plus à des contestations de l’ordre traditionnel dela succession d’Etats. Nombreux sont les cas de succession d’Etats et de gouvernementsque cette époque va connaitre.À la suite de la Première Guerre mondiale, l'Autriche-Hongrie et l'Empire ottoman sont divisés en plusieurs États, comme la Tchécoslovaquieou le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Simultanément, la Révolution russede 1917 et la guerre civile qui la suivit conduisit à l'indépendance de l'Estonie, de laFinlande, de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne. En 1919, la Belgique reçoit troiscantons allemands en compensation des dommages de guerre de la Première Guerremondiale. En 1938 (12 mars), l’Allemagne annexe l’Autriche lors de l’Anschluss. Durant laSeconde Guerre mondiale de nombreux changements territoriaux interviennent tandis quel'Allemagne nazie et l'Empire du Japon prennent contrôle de nombreux territoires. Aprèsla guerre, les frontières de l'Allemagne sont déplacées à l'ouest sur la ligne Oder-Neisse,

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tandis que la ligne Curzon sert approximativement pour la frontière orientale de la Pologne76.Nombreux sont encore les cas de succession d’Etas ou de gouvernements pouvant êtrementionnés durant cette période, mais en l’espèce, il ne s’agit pas de citer les cas desuccessions d’Etats mais bien de mentionner celles qui auront donné lieu à des remisesen cause. En la matière, deux cas nous intéressent concrètement : la dénonciation desemprunts russes en 1917 et la remise en cause du traité de Versailles notamment parl’Allemagne de Hitler.

La répudiation des emprunts russes est devenue une des références majeures du droitinternational pour des gouvernements qui souhaitent remettre en cause des accords quileurs sont défavorables. Au début du XXe siècle, la France fait partie des plus grands paysexportateurs de capitaux en Europe. La Russie va en profiter pour contracter des empruntsauprès de l’Etat français afin de financer son développement et sa modernisation. C’estainsi que le régime tsariste va emprunter plus de 15 milliards de francs de l’époque auprèsde la France. Ces emprunts sont en majorité financées par des banques, des entreprisesmais également par l’Etat français. Ces emprunts seront contractés de 1867 à 1917. EnOctobre 1917, le régime tsariste est renversé par les Bolcheviks. Le 29 décembre 1917,un décret des bolchéviques répudie unilatéralement l'intégralité de ces dettes. Plus d'unmillion et demi de Français avaient investi dans ces emprunts. En effet, les révolutionnairesestiment que ces dettes ont été contractées dans l’intérêt des dirigeants en place et ontdonné lieu à une vaste corruption. En effet,dans les années 1920, des enquêtes77 ont montréque le gouvernement russe avait mis en place une véritable organisation de corruption dela presse française, avec des intermédiaires rémunérés, des comptes en banque secrets etdes représentants quasi officiels à Paris. Depuis lors, le gouvernement soviétique d’abord, laFédération de Russie ensuite, ont considéré cette dette comme nulle et non avenue mêmes’il semble qu’un accord soit intervenu récemment entre le gouvernement russe et celuifrançais.

Les emprunts russes restent donc une référence majeure du genre mais il faut citeraussi la remise en cause du traité de Versailles par l’Allemagne78. En effet, la premièreguerre mondiale prendra fin avec le traité de Versailles, lequel traité imposera à l’Allemagnede lourdes réparations. Avec l’avènement d’Hitler au pouvoir, celui-ci remettra en causetoutes les stipulations du traité notamment par une politique de réarmement et une politiqueexpansionniste. Il refuse le paiement des dettes de guerres de l’Allemagne et entreprendune politique d’agression. Les deux guerres mondiales auront donc été propices à lacontestation de principes bien établis par le droit international. Ces principes, qui semblaientfaire l’unanimité, ont été mis en échec par la volonté de certains Etats de recouvrir leursouveraineté ou tout simplement de dénoncer des accords qu’ils estimaient injustes.

La remise en cause des théories affirmatives du maintien du statu quo va progresser etconnaitre un large écho avec la décolonisation, notamment, celle des Etats africains dansles années 1960.

Section 2 : La décolonisation des Etats africainsL’année 1960 a été « l’année de l’Afrique » car elle a vu, au milieu de la surprise etde l’incrédulité des autres continents, 18 colonies de l’Europe accéder en quelques mois

76 Yves Durand, Histoire de la Seconde Guerre mondiale, Éditions complexes, 1997, p.59-7877 http://www.jdf.com/histoire/2007/04/21/04015-20070421ARTHBD00105-le-jdf-celebre-ses-ans.php [archive]78 Charles Bloch, Le III e Reich et le Monde, Imprimerie nationale, 1986

PARTIE 1 : La pratique traditionnelle à l’épreuve de la volonté de souveraineté des Etats

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à la souveraineté et à la reconnaissance internationale en tant qu’États79. Cette vaguetriomphale, inaugurée en 1957 par l’ancienne Gold Coast, devenue Ghana, marquait unetroisième phase de la décolonisation, après l’Asie et l’Afrique du Nord. Beaucoup plusprécoce et rapide que ce que les gouvernements et les opinions publiques avaient puprévoir, cette émancipation, par son caractère négocié et pacifique, est volontiers citéecomme modèle de réussite. Dans le cas français en particulier, elle s’oppose avec éclataux décolonisations violentes et douloureuses de l’Indochine et de l’Algérie. Cependant,elle fut aussitôt mise à l’épreuve. D’abord, le processus d’émancipation était loin d’êtreachevé. En 1960, vingt-sept colonies africaines étaient encore soumises à la dominationeuropéenne, et nombre de crises accompagnèrent les indépendances, certaines confirmantla détermination des anciennes puissances coloniales à tout mettre en œuvre pourdéfendre leurs intérêts dans leurs anciennes colonies. Par ailleurs, les jeunes États, etleurs dirigeants, furent amenés à devoir répondre aux immenses aspirations de peupleslongtemps opprimés par la domination coloniale tout en gérant l’héritage qui en découle,qu’il s’agisse des frontières ou des économies. Il s’agissait pour ces Etats de voir dansquelles mesures, il leur était possible de retrouver leur pleine souveraineté après des annéessous domination. Enfin, ces États devaient se positionner dans un monde nouveau poureux, celui des relations interafricaines, des rapports avec les anciennes métropoles, maisaussi de la guerre froide puis de la mondialisation. De ce point de vue, la décolonisationconstitue un évènement majeur du XXe siècle. L’avènement au même moment sur la scèneinternationale de nombreux Etats allait considérablement changer les données au seinde la communauté internationale. D’autre part, en donnant brusquement satisfaction auxluttes pour l’émancipation des peuples africains, les indépendances de 1960 levèrent deprofondes espérances, et donc de possibles désillusions. Nombre de questions qui sontapparues dans les années 1960, comme celles de la démocratie, du développement, desrapports Nord-Sud, ont nourri la thèse de « l’afro-pessimisme »80. En effet, ces pays quivenaient d’accéder à l’indépendance avaient sans doute remporté une immense victoiremais, l’indépendance n’était pas gage de souveraineté dans les faits. De la sorte, la plupartde ces pays trouvèrent une économie faible, majoritairement et abondamment exploitée pardes compagnies de la métropole, certains Etats se retrouvèrent obligées de s’endetter poursurvivre, etc. Les situations variaient sans doute selon les pays mais le constat était clair : illeur fallait agir pour changer les choses quitte à remettre en cause des règles bien établiesen droit international. Cette remise en cause se fera principalement au sein des NationsUnies par la revendication d’un nouvel ordre économique international, lequel devra assurerleur souveraineté permanente sur leurs ressources naturelles et instaurer une transparencedans la gestion des ressources nationales au sein des Etats.

Chapitre 2 : Le nouvel ordre économique internationalL’avènement d’un nouvel ordre économique international constitue une revendicationmajeure de la part des pays du Tiers-Monde. Cet appel militant au respect de la souverainetééconomique et politique des Etats et à l’égalisation des conditions économiques entre lenord et le Sud peut avec le recul du temps, sembler à certains égards bien décalé par rapportà la situation présente ; non que les objectifs qu’il se fixait aient été atteints, bien au contrairemais parce qu’il se situait à une époque où les pays en développement avaient pu affirmer et

79 Olivier Dautresme, Pour mémoire : 1960, année de l’Afrique, INA, Paris 2010. www.cndp.fr/pour-memoire/1960-annee-de.../introduction.html . Article consulté le 06/06/201380 Ibid.

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sauvegarder pour un temps, une cohésion suffisante au sein des instances délibérantes desprincipales organisations internationales81. Le lancement du mot d’ordre de « nouvel ordreéconomique international s’est fait principalement par voie de résolutions internationales.Ses principes fondamentaux furent ainsi dégagés pour la première fois lors de la conférencede Bandoeng, en avril 1955. Pour autant, c'est avec la création par l'assemblée générale del'ONU, à l'époque majoritairement sous l'influence des pays récemment décolonisés, d'unnouvel organe subsidiaire (aujourd'hui permanent) la CNUCED (la conférence des nationsunis sur le commerce et le développement) que les pays en voie de développement purentbénéficier d'un lieu privilégié pour la propagation de leur point de vue et revendications.En effet ce forum économique devint très vite une sorte d'anti GATT (.refus du libéralismecommercial prôné) Peu de temps après, à Alger en 1967, le groupe des 7782 adopta unecharte, exposant de manière la plus nette les revendications du tiers monde telles qu'ellesétaient ressenties par les Etats concernés.

Section 1 : Mise en place du nouvel ordre économique internationalLes pays en développement représentaient en janvier 2012 80% de la population pourseulement 20% du revenu mondial83; cependant leur poids dans l’économie ne cesse decroitre. Les nouveaux Etats arrivés sur la scène internationale après la décolonisation neconstituent pas à eux seuls la catégorie des pays en développement. Cependant, ce sontces

Etats qui vont le plus peser de leur poids dans le concert des nations concernant la prisede certaines décisions. Ces Etats vont d’autant plus se prévaloir de la notion d’Etat souverainque des conséquences majeures en découleront. A cette qualité s’attache en effet plusieurscompétences dont l’Etat peut se prévaloir sur la scène internationale et vis-à-vis des autresEtats. Dès lors, pour ces Etats ayant nouvellement accédé à la souveraineté internationalemais qui paradoxalement se trouvaient liés par un certain nombre d’actes adoptés parl’Etat colonisateur ou encore, dans le cas de succession de gouvernements, la questionfondamentale qui se posait très souvent c’était comment arriver à corriger « légalement »certaines « injustices ». Evidemment, il s’agissait là d’un défi majeur dans la mesure oùles entités concernées qu’il s’agisse des Etats ou gouvernements successeurs sont venustrouver un système déjà bien en place et qui fonctionnait bien, tout au moins dans l’intérêt deceux qui l’avaient mis en place. Dans un tel contexte donc, l’avènement de nombreux Etatsau même moment sur la scène internationale constituait une merveilleuse aubaine pour lesEtats concernés de changer fondamentalement le système et de mettre en place des règlesqui établissaient une certaine justice. C’est dès lors dans cette logique qu’il faut comprendrel’attachement des Etats à affirmer voir à « arracher » leur souveraineté, laquelle se trouveaux prises avec les règles internationales. Ces Etats vont dès lors, par leur poids et par leurnombre, influencer la prise de décisions au sein des organisations internationales. L’idéemajeure, c’est la volonté pour ces nouveaux Etats de conquérir une souveraineté qui leurest concédée mais qui semble incomplète.

81 P. M. Dupuy et Y. Kerbrat , Droit international public, 11e édition, Dalloz, Paris 2012 P. M. Dupuy et Y. Kerbrat, GTDIP, Dalloz,

4e édition, Paris 200682 Les pays en voie de développement qui se réunissait lors de diverses conférences et durant l'assemblée générale des NationsUnies, dont la revendication était l'adoption de règles économiques plus justes83 P. M. Dupuy et Y. Kerbrat , Droit international public, 11e édition, Dalloz, Paris 2012

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La mise en place du nouvel ordre économique international se fera doncprogressivement sous l’impulsion des pays en développement. On peut dénombrer troistypes de sources : juridiques, historiques et politiques84.

La première source c’est la charte de l’ONU. Dans cette charte, se trouvent énoncésles principes favorables à l’idée de coopération et surtout de justice étatique. Ainsi danscet instrument universel, les Etats membres se déclarent résolus à « créer les conditionsnécessaires au maintien de la justice », à « favoriser le progrès social et à instaurer demeilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ». Pour y parvenir, ils s'engagent àrecourir aux institutions internationales afin d'encourager le « progrès économique » de tous.Le Chapitre I qui traite des « Buts et Principes » de l'Organisation dispose expressémentà l'article 1, paragraphe 3, que I'ONU doit : « Réaliser la coopération internationaleen résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ouhumanitaire » et être un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces finscommunes ». De son côté, l'article 13 insiste sur une double mission de l’AssembléeGénérale de l’ONU : d'une part, développer la coopération internationale dans tous lesdomaines, d'autre part, encourager le développement progressif du droit international et sacodification.

Mais il y a plus significatif encore. Le chapitre IX est lui-même tout entier consacré à la«Coopération économique et sociale internationale85 ». Le relèvement des niveaux de vie,le plein emploi, le progrès, le développement sont les conditions de « stabilité » et de « bien-être » nécessaires pour assurer entre les nations des « relations pacifiques et amicales ».Pour la doctrine, « les fondateurs de I'ONU sont pleinement conscients du lien qui existeentre les facteurs économiques et le maintien de la paix et de la sécurité mondiale 86». Enfin,un organe principal est créé pour s'occuper, avec les institutions spécialisées intéressées,de l'ensemble de ces questions, à savoir : le « Conseil économique et social » dont lacomposition sera progressivement élargie pour tenir compte de l'accroissement du nombredes États-membres.

Sur le plan historique et politique cette fois, l'événement capital a été la lente émergencedu Tiers-Monde sur la scène politique internationale87 et, par conséquent, son entréeprogressive à I'ONU. Trois dates importantes jalonnent cette évolution : 1955 - 1960-1964.

En avril 1955, 29 pays d'Afrique et d'Asie se réunissent lors de la Conférence deBandoung. Pour L. S. Senghor depuis la Renaissance, aucun événement n'a revêtu unetelle portée historique. Trois grands thèmes dominaient ce qu'on a appelé l'afro-asiatismeou encore l'esprit de Bandoung : l'anticolonialisme, la recherche de la paix par le refus des'aligner sur l'un ou l'autre des blocs de la guerre froide, enfin l'aspiration au développement,au progrès social et à la sécurité économique. Dans un article récent, le professeur GuyFeuer écrit fort justement :

« C'est dans le communiqué final de la Conférence de Bandoeng, publié le 24avril 1955, que l'on trouve pour la première fois un énoncé des principes qui vont

84 Daniel Colard, La Charte des Droits et Devoirs Economiques des Etats, Etudes internationales, vol. 6, n°4, p. 439-461,http://id.erudit.org/iderudit/700604ar

85 Articles 55 à 60 de la Charte.86 Daniel Colard, op. cit.87 Voir à ce sujet le cours d'Edmond JOUVE : « Tiers-Monde et vie internationale », publié par les Cours de Droit, 158, rue

Saint-Jacques, Paris Ve (année universitaire 1973-1974), et les ouvrages du prof. P. F. GONIDEC, spécialiste du droit d'Outre-Meret des problèmes du Tiers-Monde.

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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traduire dans les années ultérieures les requêtes et, un jour, les exigences despays en voie de développement. À la lumière de l'évolution qui a suivi, on estfrappé de la continuité des thèses défendues par le Tiers-Monde avec l'appui actifdes États socialistes » 88 .

La Conférence évoque également la question des dettes des Etats et la théorie desdettes odieuses est même évoquée. C’est dire tout l’importance que cette conférenceavait et a suscité sur le plan international. Comme évoqué, elle insiste sur la souverainetééconomique des Etats et sur l’indépendance économique. Mais, à l'époque, la conquête del'indépendance politique primait celle de l'indépendance économique. Le droit internationaln'était pas remis globalement en cause.

En 1962, l'Assemblée adopte une Déclaration relative à la « souveraineté permanentesur les ressources naturelles »89 qui est liée non seulement à l'idéologie du développement,mais au principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La décolonisation politiquedébouche sur la décolonisation économique, chaque nation ayant le droit de choisirlibrement son avenir, son régime et son système de développement. L'année 1964, enfin,parachève l'évolution en cours depuis la conférence de Bandoung. Du 23 mars au 16 juin1964, se tint à Genève la première Conférence des Nations unies sur le commerce et ledéveloppement (CNUCED) avec la participation des représentants de 120 États. Ce sontles Latino-Américains et les Afro-Asiatiques qui avaient demandé à I'ONU de se saisir desproblèmes posés par le commerce international et notamment ceux relatifs aux marchésdes produits de base. L'Assemblée générale par sa résolution 1995 (XIX) institutionnalisala conférence qui répartit les États-membres en quatre catégories90. Tous les pays en voiede développement se regroupèrent dans le « groupe des 77 » qui comprend aujourd'hui105 États. Le Tiers-monde obtenait ainsi pour la première fois la création d'une structure à «vocation normative » chargée de définir les nouveaux principes en matière de commerce etde développement. Peu après, un deuxième organisme plus spécialisé verra également lejour : l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI)91. L'actiondes pays pauvres va alors connaître une véritable mutation tant au niveau des méthodesqu'au niveau des objectifs à atteindre. Mettant à profit leur force numérique et faisant jouerà fond le principe de solidarité, ils se constituent en groupe de pression international faceau monde développé, capitaliste et socialiste. La CNUCED se transforme en forum decontestation : elle devient une tribune privilégiée pour tous les « damnés de la terre»92

qui remettent en cause le fondement même du système économique international. L'ordreéconomique classique est jugé injuste et périmé, il doit céder la place à un ordre nouveauplus équitable et plus rationnel.

C'est à cette époque qu'apparaît la notion non plus d'un « droit au développement »,mais d'un « droit international du développement ». L'expression a été lancée en France

88 « Réflexions sur la Charte des droits et devoirs économiques des Etats » : R.G.D.I.P., n° 2 de 1975, pp. 273-306. Le texte

du communiqué est reproduit dans C. A. COLLIARD et MANIN, Droit international et histoire diplomatique, T. 1, pp. 204ss.89 Résolution 1803 (XXII) du 14 décembre 1962 de l’AG de l’ONU90 Liste A : États d'Afrique et d'Asie (y compris la Mongolie, l'Afrique du Sud et Israël) plus la Yougoslavie ; liste B : les États

d'Europe occidentale plus les États d'Amérique du Nord, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon ; liste C : les États d'Amériquelatine plus Cuba ; liste D : les États socialistes d'Europe. Sur la CNUCED, voir l'article de G. FISCHER, dans VA.F.D.L, 1966, pp.234-245.

91 Résolutions 2089 (XX) et 2152 (XXI) de l'Assemblée générale92 Cf l'ouvrage de Franz FANON : Les damnés de la terre, Maspero, Paris, 1961.

PARTIE 1 : La pratique traditionnelle à l’épreuve de la volonté de souveraineté des Etats

OUATTARA Ibrahim - 2013 31

par André Philip, puis précisée par le professeur Virally93 et approfondie par Guy Ladreit deLacharrière et le professeur Maurice Flory. Pour Daniel Colard :

« Ce n'est plus un droit de l'aide et de l'assistance : c'est un droit del'indépendance économique. Autrefois, les États faibles utilisaient le postulat de «l'égalité souveraine » pour se protéger contre l'intervention ou les ingérences devoisins plus puissants. Aujourd'hui, les États nouveaux invoquent leur « inégalité» de développement pour obtenir des « inégalités compensatrices » du droitinternational économique. La souveraineté politique sans l'égalité économiquede développement demeure une souveraineté aliénée, c'est-à-dire purementformelle » 94 .

La première CNUCED réunie à Genève en 1964 a abouti à la proclamation de quinze« principes généraux » et treize « principes particuliers » subordonnant les progrèsdu développement à une restructuration des relations économiques internationales. Elleretenait en outre l'idée d'élaborer une Charte des droits et devoirs économiques des Étatset citait une liste de treize principes destinés à favoriser le développement qui seront reprispar le document adopté le 12 décembre 1974.

Contrairement à la première, les CNUCED II et III avaient été soigneusement préparéespar le Groupe dit « des 7795 » qui s'était concerté quelques mois avant la Conférence : àAlger avant New Dehli, et à Lima avant Santiago. De ces travaux préparatoires sortirent laCharte d'Alger du 24 octobre 1967 et la Déclaration de Lima du 7 novembre 1971. Ces deuxtextes exposaient dans toute leur ampleur les revendications économiques du Tiers-Mondequi s'étaient considérablement radicalisées depuis la Conférence de Genève du printemps1964. Ils inspireront directement les rédacteurs de la Charte.

C’est donc essentiellement cette base qui va donner des ailes aux Etats pourleurs différentes et nombreuses revendications économiques. Le nouvel ordre qui étaitprogressivement en train de s’installer constituera pour les Etats un important facteurd’union. Ceux-ci vont dès lors appuyer ce nouveau concept par l’adoption de textes cléspermettant de soutenir leurs revendications et notamment leur souveraineté.

Section 2 : La proclamation de droits favorables à l’émancipationéconomiqueDe manière globale sur le plan économique, la revendication du nouvel ordre économiqueinternational aboutira à l’adoption de deux textes majeurs sous l’influence de la CNUCED :

la Déclaration concernant l’instauration d’un nouvel ordre économique international le 1er

mai 197496associée à un programme d’action concernant l’instauration du Nouvel ordre

93 Cf. A. PHILIP : « La Conférence de Genève, amorce d'un mouvement mondial irréversible », dans Développement etcivilisation, septembre 1964, et sa contribution au colloque de Nice sur L'adaptation de l'ONU au monde d'aujourd'hui, Pédone, Paris,1965 ; cf. M. VIRALLY, «Vers un droit international du développement», A.F.D.L, 1965; voir enfin l'important colloque d'Aix-en-Provenceorganisé par la Société française pour le Droit international sur le thème : Pays en voie de développement et transformation duDroitinternational, Pédone, Paris, 1974.94 Daniel Colard, op. cit.

95 Pays fondateurs de la CNUCED96 Résolution 3201 (SVI) de l’Assemblée Générale de l’ONU le 1er mai 1974

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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adopté le même jour et la Charte des Droits et Devoirs Economiques des Etats97. Ces deuxtextes ont pu être adoptés à la faveur qu’offrait la conjoncture économique internationaleavec le choc pétrolier de 1973. Les principes d’égalité souveraine, de non ingérencedans les affaires intérieures, de souveraineté sur les ressources naturelles et l’obligationgénérale de coopération pour le développement. De manière générale, ces instrumentsconstituaient une force à la disposition des Etats en question, lesquels pouvaient dèslors remettre en cause certains accords économiques ou financiers conclus par desgouvernements précédents. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que ce texte a faitl’objet de nombreuses réserves, pratiques qui habituellement et dans l’ordre des chosess’appliquaient jusqu’à présent aux traités98. C’est dès lors faire état du malaise qui est celuide la plupart des Etats réservataires en l’occurrence les pays développés lesquels voyaientleurs intérêts mis à mal.

La Charte de Droits et Devoirs économiques des Etats était encore plus contestéecomme le montre son adoption article par article après un long débat entre représentantsdes différents gouvernements. Ce texte marque l’apogée de la revendication émanant despays du Tiers Monde dont la cohésion était alors particulièrement forte. S’agissant desnotions qui nous intéressent spécifiquement, la Charte insiste sur la souveraineté et l’égalitédes Etats.

Ainsi plus les nations ont accédé récemment à l'indépendance, plus elles se montrentempressées à lutter contre tout ce qui pourrait passer pour une atteinte à l'exercice pleinet entier de leurs nouvelles compétences. Il faut dire que la souveraineté, prolongement dudroit des peuples à disposer d'eux même, se trouve au centre du nouvel ordre économiqueinternational, envisagés par ces états. En effet la souveraineté a toujours été considéréecomme la base même et la condition préalable du développement. De ce fait, il ne peut donc

se réaliser autrement que par la mise en valeur à son profit et suivant ses propresobjectifs des ressources naturelles que recèle son territoire, ce qui suppose qu'il est enmesure de se déterminer souverainement. Ce qui suppose également de pouvoir revenirsur certains aspects de la succession notamment les contrats d’Etat conclus avec lesmultinationales, certains traités, certaines dettes, etc. Dans le domaine économique, lapremière revendication formulée au nom de la souveraineté est celle du libre choix dusystème économique « conformément à la volonté de son peuple, sans ingérence, pressionou menace extérieure »99, qui constitue un « droit souverain et inaliénable ».Si cetteaffirmation paraît naturellement impliquée dans l'idée même de souveraineté, il ne faut pasoublier que celle-ci n'allait pas de soi dans le passé. Il est vrai que le choix de certainssystèmes socio-économiques n'était pas toujours admis par la majorité des Etats ou par lesprincipaux d'entre eux. Ce principe a paru si important aux rédacteurs de la charte qu'ils ontcru devoir le préciser encore en proclamant, dans l'article 7, que chaque Etat a le droit dechoisir ses objectifs et ses moyens de développement. Un autre corollaire est le « droit dese livrer au commerce international » et de « choisir

97 Résolution 3281 (XXIX) de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 12 décembre 197498 V. B. Stern, Un nouvel ordre économique international ? Paris, Economica, 1983. Recueil de textes et documents précités d’uneprésentation substantielle.

99 Article 1er

PARTIE 1 : La pratique traditionnelle à l’épreuve de la volonté de souveraineté des Etats

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librement les modalités de ses relations économiques extérieurs »100. Par voie deconséquence, sont prohibées toutes les conditions de l'aide extérieure aux pays en voie dedéveloppement «

qui portent atteinte à leur souveraineté»101, ainsi que les « mesures économiques,politiques ou autres » utilisées par un Etat « pour contraindre un autre Etat à lui subordonnerl'exercice de ses droits souverains». L'autre aspect de la souveraineté économique, dont laformulation a donné lieu aux plus grandes difficultés de la charte, est celui de la souverainetéentière et permanente sur toutes ses richesses, ressources naturelles102.Il faut noter que cesexpressions ne doivent pas être interprétées comme constituant un obstacle aux échangeséconomiques, mais comme signifiant le désir des pays en voie de développement de jouerun rôle plus actif dans l'économie mondiale en même temps que d'essayer de l'orienter dansun sens plus conforme à leurs intérêts. C'est ainsi qu'il faut comprendre cette souverainetépermanente comme l'idée d'un droit souverain sur tout l'appareil économique national. Lesconséquences tirées du principe à l'alinéa 2 du même article sont d'ailleurs éclairantes.Elles sont définies par trois séries de droits au profit de chaque Etat :

(a) « de réglementer les investissements étrangers dans les limites de sa juridictionnationale» ;

(b) « de réglementer et de surveiller les activités des sociétés transnationales dans leslimites de sa juridiction nationale » ; (c) « de nationaliser, d'exproprier, ou de transférer lapropriété des biens étrangers ».

D'autre part, cet article 2 nous apprend que l'exercice de la souveraineté permanentesemble échapper à toute règle de droit international. Il en résulte selon l'alinéa 2 (a) «qu'aucun Etat ne sera contraint d'accorder un traitement privilégié à des investissementsétrangers» : ceux-ci sont soumis uniquement au droit interne et ne peuvent donc prétendrequ'au traitement national, y compris le problème de l'indemnisation, et tout différend quipourrait surgir à cette occasion « sera réglé conformément à la législation interne del'état qui prend des mesures de nationalisation et par les tribunaux de cet état». Cettedisposition servira de fondement à de nombreux gouvernements qui voudront remettreen cause certains contrats désavantageux signés avec des entreprises sans indemniserces dernières. Ainsi la souveraineté étant la négation de la dépendance, celle-ci ne peutévidemment s'accommoder d'un état du droit international qui autoriserait des Etats à intervenir dans la conduite de la politique économique d'autres Etats, sous le prétextede protéger les investissements de leurs ressortissants à l'étranger. Dès lors, les Etats seprotègent ainsi contre toute contestation ultérieure des actes qui peuvent être pris dansl’objet de rétablir un équilibre financier qui lui semblait défavorable lors de la conclusion d’uncontrat avec une multinationale. La souveraineté apparait ainsi incompatible avec des règlesqui permettraient à des sociétés contrôlées par l'étranger de résister à un changement depolitique économique décidé par l'état, ou de subordonner la réalisation de cette politiqueau versement d'indemnités dépassant les capacités financières du pays, ou dont le poidscompromettrait son développement économique.

La déclaration relative à l'instauration d'un nouvel ordre économique internationaladoptée par consensus à l'Assemblée Générale le 1er mai 1974, renforce les préventionsde la plupart des pays développés. Le paragraphe 4, al. e de la Déclaration, proclamant

100 Article 4101 Article 17102 Article 2

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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« la souveraineté permanente intégrale » de chaque Etat sur « ses ressources naturelleset sur toutes les activités économiques ainsi que le droit de nationaliser celles-ci »,ne mentionne pas en effet l'obligation d'indemniser. De même le paragraphe I-b de lapartie I du programme d'application de la Déclaration qui vise les mesures propres à «assurer la récupération des ressources naturelles » semble avoir été interprété comme lanationalisation sans indemnisation103. Enfin, le paragraphe 4, al. f de la Déclaration entraînequasiment un renversement des obligations. Il y est dit que « tous les Etats, territoires etpeuples soumis à une occupation étrangère, à une domination étrangère et coloniale ouà l'apartheid ont droit à une restitution et à une indemnisation totale pour l'exploitation, laréduction et la dégradation des ressources naturelles et de toutes les autres ressources ».Et le paragraphe 1 a de la partie I du programme d'application précise qu'il conviendrait de« mettre un terme à

toutes les formes... de domination et d'exploitation coloniales, néocolonialeset étrangères, grâce à l'exercice de la souveraineté permanente des ressourcesnaturelles »104.

Ces différents principes consacrés vont donner des ailes aux Etas et auxgouvernements successeurs pour appuyer leurs différentes contestations. Cescontestations vont toucher principalement les aspects qui impliquent la souveraineté del’Etat à savoir les questions territoriales et les domaines économiques et financiers.

103 Mens. O.N.U., mai 1974, pp. 43 et ss. — juin 1974, pp. 44 et ss* — Les vues exprimées par les gouvernements à la 28esession et la 6e session extraordinaire de l'Assemblée E/5549, 20 juin 1974, pp. 16 et ss. — L'adoption de la résolution 88 (XII) par leConseil du Commerce et du Développement le 19 oct. 1972; objections et réserves des pays développés — - Le § 2 du texte anticipela charte des droits et devoirs économiques des Etats. TD/B/SR, séances 313/356/358/360, oct. 1972 et mai 1973

104 Cité dans l’article de Claude Impériali, Les bénéfices excessifs, une pratique limitée et controversée. In:Annuaire français de droit international, volume 24, 1978. pp. 678-710.http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1978_num_24_1_2120

PARTIE 2 : Les principaux domaines impliqués par la contestation : des enjeux de souveraineté

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PARTIE 2 : Les principaux domainesimpliqués par la contestation : desenjeux de souveraineté

Quels sont les principaux domaines dans lesquels interviennent les remises en cause ? Enréalité, il serait difficile d’établir une liste exhaustive de tous les points qui font l’objet d’unecontestation ou d’une remise en cause lors des successions d’Etats et de gouvernements.Mais cette étude a choisi de s’intéresser aux domaines « souverains » des Etats. Aussise limitera-t-elle à l’examen de certains aspects clés tels que les aspects territoriaux,commerciaux et financiers, lesquels font fréquemment l’objet de contestations lors d’unesuccession d’Etats ou de gouvernement.

Titre 1 : Des aspects territoriaux et commerciaux de lasuccession d’Etat et de gouvernements.

La succession d’Etat et de gouvernement est un phénomène majeur des relationsinternationales. Même si les cas de succession d’Etat ne sont plus légion, les casde succession de gouvernements font toujours la une du droit international. Commeannoncé au départ la succession de gouvernement importe peu du mode de succession(élections, coup d’Etat, révolution, décolonisation, etc). Mais les cas de successions lesplus intéressants à étudier concernent surtout les successions acquises par la force ouen tout cas dans des circonstances particulières. Dès lors, dans certains cas, la volontédes nouveaux gouvernants est souvent de mettre en œuvre le principe de la table raseen ce qui concerne un certain nombre d’accords ou de conventions, que ceux-ci aient unobjet commercial, militaire ou frontalier. On se heurte ici à une difficulté majeure en ceque le droit international bannit de la succession d’Etat et de gouvernement le principede la table rase105. Même en ce qui concerne la remise en cause de certains traités, lesEtats sont réticents. Il convient dès lors de voir à présent comment les Etats parviennentà dénoncer certains accords et comment le droit international appréhende dès lors cenouveau comportement des Etats.

La question de la dénonciation des traités est très importante à étudier dans la mesureoù les traités sont un moyen important d’expression de l’Etat sur la scène internationale106.Dès lors, il convient de voir d’une part comment les Etats en arrivent à remettre en caused’une part les questions territoriales et d’autre part, les contrats commerciaux.

105 Jean Combaceau et serge Sur, Droit International Public, Montchrestien, Paris 2012, 8ème édition106 Ibid.

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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Chapitre 1 : Les aspects territoriaux de la succession d’Etats et degouvernements

Ils constituent la question importante en ce qui concerne les traités qui font l’objet dedénonciation lors des successions d’Etat ou de gouvernement. Les traités frontaliers etstratégiques sont des traités qui touchent le fondement même de la souveraineté de l’Etat.On comprend dès lors pourquoi ils font fréquemment l’objet d’une remise en cause en casde succession à la tête de l’Etat. Le droit international a eu beau consacrer le principedes droits acquis, les traités frontaliers et militaires constituent une question particulière àappréhender avec délicatesse.

Section 1 : La question frontalièreLe territoire constitue l’un des éléments constitutifs de l’Etat ; c’est même en la matière,l’élément significatif des éléments constitutifs de l’Etat. En effet, le territoire est source derichesse qu’il s’agisse du sol ou du sous-sol d’où il est l’objet de fréquentes revendicationsde la part non seulement des Etats mais aussi et bien souvent de groupes infra étatiques. Enmatière de succession d’Etats, on s’est rendu compte que les remises en cause de frontièresont constitué le plus gros des contentieux. Des Etats qui accèdent à la souveraineté oumême des gouvernements nouvellement installés ont tendance à réclamer des territoiresdits historiques. Le phénomène était tellement élevé après l’accession massive des Etatsafricains à l’indépendance que pour calmer les ardeurs des Etats, un principe fondamentala été consacré par l’Organisation de l’Unité Africaine : l’uti possidetis juris ou principed’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. En réalité, c’est un principe qui ad’abord été proclamé en Amérique latine suite à la vague de décolonisation qu’a connu cettepartie du monde. Lors de la décolonisation, principalement en Amérique latine et en Asie,les Etats nouveaux ont pris la décision de garantir leurs frontières contre les nombreusespéripéties qui peuvent émailler leur jeune existence : ils ont alors décidé d’adopter unprincipe politique de délimitation à savoir le principe de l’uti possidetis juris qui consiste àfixer les

frontières en fonction des anciennes limites administratives coloniales. Depuis lors, leprincipe a été confirmé par de nombreux arrêts107.Ce principe a été repris par les ancienspays de la Russie et de l’ex Yougoslavie dans les années 1990. Ce principe vise à gelerles contentieux territoriaux et à contribuer à la limitation des tensions.108 Le principe est néprécisément de la pratique des anciennes colonies espagnoles d’où son intitulé traditionnel « uti possidetis juris de 1810 ». A l’aube de l’indépendance, les Etats africains s’engagèrentdans la même voie. Bénéficiant de nombreuses confirmations conventionnelles, le principede l’uti possidetis, bien qu’il fut apparu en Amérique Latine revêt le caractère d’une règlegénérale. Selon la CIJ, « il constitue un principe général, logiquement lié au phénomènede l’accession à l’indépendance ou qu’il se manifeste. Son but évident est d’éviter quel’indépendance et la stabilité de nouveaux Etats ne soient mises en danger »109.

Le principe de l’uti possideti juris a certes limité les contestations et revendicationsterritoriales à la suite de succession d’Etats mais il n’a pas pu empêcher l’éclatement de

107 CIJ, arrêt du 11 Septembre 1992, Différend frontalier terrestre ou insulaire, Rec., p. 558 ; sentence arbitrale du 31 juillet1989, Détermination de la frontière maritime Guinée Bissau/ Sénégal, RGDIP 1990, p. 251

108 Patrick Daillier, Alain Pellet, Droit International Public, LGDJ, 6e édition, 1999109 CIJ, arrêt du 22 décembre 1986, Différend frontalier Burkina/Mali, Rec. 1986, p. 565

PARTIE 2 : Les principaux domaines impliqués par la contestation : des enjeux de souveraineté

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guerres entre Etats pour des raisons territoriales110. En effet, de nombreux Etats auronttenté de remettre en cause les frontières mises en place par le colonisateur. Pour lesEtats en question, il s’agit d’une question de souveraineté et dès lors tout doit être misen œuvre pour recouvrer le territoire en question, qui bien souvent, regorge d’énormesrichesses naturelles. Aussi pour les Etats africains issus de la décolonisation, ces pays sontle résultat d’un tracé arbitraire des frontières ce qui a eu pour inconvénient le plus souventde diviser certaines ethnies ou de regrouper d’autres qui ont toujours entretenu un mauvaiscommerce entre elles. De même, les délimitations territoriales n’ont pas toujours eu unegrande précision ou étaient en contradiction avec les données géographiques et naturellesde la région. Cela explique dès lors la résurgence d’un contentieux territorial énorme, qui,sauf à recourir à la force ne peut être tranché que par une juridiction arbitrale ou par unejuridiction internationale111. C’est dès

lors montrer tout l’intérêt qui doit dès lors être accordé à la question. En effet, on setrouve dans des situations classiques de volonté d’affirmation de la souveraineté : des Etatsou des gouvernements qui veulent remettre en cause des accords qu’ils estiment injustes oucontraires à leur souveraineté. A côté du principe d’intangibilité, d’autres principes existentégalement dans le but de garantir la frontière de l’Etat. Il en est ainsi du principe de l’intégritéterritoriale consacré notamment par l divers textes internationaux parmi lesquels la Chartede l’ONU. Le principe de l'intégrité territoriale évoque le droit et le devoir, inaliénables, dechaque Etat de préserver ses frontières contre les immixtions étrangères et toute actionséparatiste au sein d'un Etat souverain est considérée par le droit international comme étantune atteinte à son intégrité territoriale. A l'ère de la décolonisation, ce principe fut considérécomme l'antipode du principe de l'autodétermination.

La Charte des Nations Unies a consacré le principe de l'intégrité territoriale dansson article 2, paragraphe 4, dans les termes suivants : « Les membres de l'Organisations'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploide la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit detoute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». On se rend compte quece principe qui rejoint dans sa logique le principe de l’uti possidetis a maintes fois été mis encause principalement par des Etats issus de décolonisation et donc de succession d’Etats112.Dès lors, dans la mesure où les revendications territoriales d’un Etat peuvent mettre à malla paix et la sécurité internationale, la communauté internationale et notamment le juge semobilisent pour mettre fin à ces troubles qu’i s’agisse de revendications pacifiques ou sices revendications se transforment en conflit armé ouvert. De manière générale, les Etatsprédécesseurs procèdent bien souvent par traité pour stabiliser les frontières et maintenirle statu quo. Il s’agit de rendre les frontières inviolables. L'inviolabilité des frontières, sonintégrité, sa stabilité sont protégés par un caractère objectif qui fait des traités des frontièresdes accords hors normes dans la sphère internationale. La frontière est inviolable, tel est le

110 Ibid.111 Voir notamment la sentence arbitrale rendue par le Conseil fédéral suisse le 24 mars 1922, Venezuela-Colombie, RSA vol.

I, p. 223 ; plus récemment, la sentence de la Reine Elisabeth II dans l’affaire du Canal de Beagle en 1977 ; de même les différendsfrontaliers entre le Mali et le Burkina Faso (CIJ, 22 décembre 1986, Différend frontalier Burkina-Mali), le Salvador et le Honduras (arrêtd’une chambre de la CIJ, 11 septembre 1992), la Guinée Bissau et le Sénégal (sentence arbitrale du 31 juillet 1989), la Libye et leTchad (arrêt de la CIJ du 3 février 1994), le Botswana et la Namibie (arrêt du 13 décembre 1999), le Cameroun et le Nigéria ( arrêt du10 octobre 2002), l’Indonésie et la Malaisie (arrêt du 17 décembre 2002), le Bénin et le Niger (arrêt du 15 juillet 2005), le Nicaraguaet le Honduras (arrêt du 8 octobre 2007).

112 Voir le conflit tchado-libyen entre 1978 et 1987 à propos de la Bande d’Aouzou ; différend frontalier réglé par la CIJ dansson arrêt du 3 février 1994, Recueil CIJ, 1994.

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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précepte de base qui alimente toutes les relations internationales contemporaines dont ledroit est le reflet. Elevé tacitement au rang d'un principe impératif (norme de jus cogens),l'inviolabilité de la frontière

jouit d'une reconnaissance tout en restant un concept parfois flou. Dans sa forme laplus simple, l'inviolabilité vise à interdire le franchissement par un Etat recourant à l'emploide la force de la frontière d'un autre Etat en vue de porter atteinte à sa souveraineté.

Elle est avant tout le corollaire d'une exigence consubstantielle en droit international :l'intégrité territoriale des Etats, elle-même corollaire de l'interdiction des recours à laforce dans les relations internationales. On remonte aussi aux principes essentiels dudroit international interétatique, l'inviolabilité des frontières représentant l'application durecours à la force pour le respect de l'intégrité territoriale, ce que traduit l'article 2§4de la charte de Nations-Unies, renchéri par l'article 4§b, f et g de l'acte constitutif del'Union Africaine. L'intégrité de la frontière représente, elle, la vocation à la sécurité dela frontière. Il s'agit en espèce de rendre impossible la remise en cause des frontièresexistantes, ce qui correspond également à l'immutabilité parfois invoquée. Mais, à ladifférence de l'inviolabilité, l'intangibilité ou l'immutabilité sont des principes protecteurslimités dans la mesure où un accord entre Etats permet de modifier pacifiquement unefrontière. L'inviolabilité ne suppose donc pas automatiquement l'immutabilité.

Si l'uti possidentis juris laisse peu de place à des modifications des frontièreslors de succession d'Etat, le régime juridique des traités des frontières parachève lacarapace juridique qui fait de la frontière internationale un concept très protégé par ledroit international. Dans ce sens, on n'a pu considérer que les frontières sont d'une natureparticulière en ce qu'elles conservent une existence séparée des traités qui les ont créés.Les conventions de codification et la jurisprudence confirment ce particularisme.

La convention de VIENNE sur le droit de traités du 23 mai 1969 indique, dans son article62§2 qu'un traité établissant une frontière constitue une exception à l'invocation de la clausede changement fondamental de circonstance (rebus sic stantibus)113 admis dans les traitésordinaires. Quant à la convention de Vienne sur la succession d'Etat en matière de traités du

22 Août 1978, elle exclut, dans ses articles 11 et 12, la possibilité pour un Etatde remettre en cause les régimes frontaliers et autres régimes territoriaux. Les accordsfrontaliers et autres dérogent, par conséquent aux traités ordinaires et ont un caractèreobjectif qui se fonde sur le respect du principe général de l'intégrité territoriale des Etats.Par la même, ils dérogent à l'effet négatif des traités à l'égard des tiers (res later alios octa).Comme on l’a vu précédemment, la jurisprudence confirme ce caractère particulier. Selon laCour internationale de justice, quand un traité existe et qu'il fournit un titre incontestable, cetraité est suffisant pour la détermination de la frontière on trouve une consécration éclatantede cette rigueur dans l'affaire du différend territorial entre le TCHAD et la Libye puisque lacour affirme « une frontière établie par traité acquiert ainsi une permanence que le traité neconnait pas nécessairement. Un traité peut cesser d'être en vigueur sans que la pérennité dela frontière en soit affectée (......). Du reste, que cette faculté soit exercé ou non, la frontière

113 La « clausula rebus sic stantibus » est une expression latine qui signifie, en droit international public et en matière de droitdes obligations en général, les « choses demeurant en l'état ». Cette clause implicite sous-entend que les dispositions du traité ou ducontrat ne restent applicables que pour autant que les circonstances essentielles qui ont justifié la conclusion de ces actes demeurenten l'état et que leur changement n'altère pas radicalement les obligations initialement acceptées.Dans la coutume internationale, unetelle clause de sauvegarde, reprise en substance à l'article 62 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969), constitueune exception au principe dit pacta sunt servanda, selon lequel les conventions doivent être respectées, codifié à l'article 26 de lamême convention.

PARTIE 2 : Les principaux domaines impliqués par la contestation : des enjeux de souveraineté

OUATTARA Ibrahim - 2013 39

demeure » 114, il existe donc une claire dissociation entre la détermination de la frontière et lesort des traités qui l'ont établi : la frontière survit même si le traité disparait. Cette protectionpour faire noise à la disparition des conflits frontaliers, le paysage étant figé.

La réalité demeure différente115. Malgré l’existence de tous ces principes, la volonté desEtats successeurs, leur ambition de souveraineté demeurent et prennent parfois le dessussur le droit international. Mais quelque soit leur volonté, leur pratique se heurte toujoursau droit international. Cette situation ne concerne pas que les questions frontalières,elle s’étend également à d’autres questions aussi importantes à savoir le problème desconcessions territoriales.

Section 2 : Le cas des concessions territorialesDe nos jours, la question des concessions territoriales ne fait pas vraiment légion sur lascène internationale. Pourtant, il fut une période où ces questions constituaient des sujetstraditionnels de droit international. Même de nos jours, certaines concessions territorialescontinuent à faire toujours l’actualité. C’est le cas notamment de la concession territoriale de

l’enclave de Guantanamo par le régime de Cuba aux Etats Unis en vertu d’un traitéde 1903. Par cet accord, la République de Cuba loue à perpétuité aux États-Unis l'entréede la baie de Guantanamo (eaux et terres environnantes) dans le but de servir station deréapprovisionnement pour navires et de base navale. Les États-Unis ont un contrôle etune juridiction absolus de la zone et en retour reconnaissent la souveraineté ultime de larépublique de Cuba sur celle-ci. Les navires cubains venant pour commercer ont un libredroit de passage dans les eaux de la baie. Les Etats Unis s’engagent à verser au régimecubain une rente annuelle de 2000$ en pièces d’or américains soit 4085 $.

Depuis la révolution castriste de 1959, le gouvernement cubain juge ce traité illégal.Il refuse notamment d’encaisser le loyer annuel versé par le gouvernement américain. Ilestime qu'il a été conclu en violation de l'article 52 de la Convention de Vienne sur le droitdes traités de 1969 qui déclare nul un traité si la conclusion a été obtenue par la menaceou l'usage de la force116. Cependant, l'article 4 de ce même traité stipule que la Conventionde Vienne ne peut être appliquée rétroactivement à cette convention. « Par contre, le droitinternational coutumier envisage que tout traité peut être annulé, notamment les traitésde bail, parce le bail ne peut avoir plus de force ou plus de validité que la souverainetémême. D'ailleurs depuis la décolonisation, tout traité qui va à l'encontre du principe del'auto détermination et de la souveraineté des peuples est considéré comme contraire aujus cogens », estime un article de presse117. En effet, les traités de 1903 de 1934 sontdes traités colonialistes entre Etats qui n'étaient pas égaux (doctrine des "traités inégaux").Le traité du 1903 était une partie de l'Amendement Platt, qui fixait les conditions du retraitdes troupes américaines de Cuba présentes sur l'île depuis 5 ans et la guerre hispano-américaine de 1898 qui avait vu le débarquement de troupes sur l'île alors colonie espagnolepuis l'indépendance de Cuba118. Selon la doctrine, « Du point de vue de droit international,les contrats de bail de 1903 et 1934 ne sont plus valables, puisqu'ils ont été imposés par la

114 Recueil de la C.I.J 1994, P.37115 La frontière comme enjeu en droit international, (en ligne), disponible sur Ceriscope.sciences-po.fr/.../la-frontière-com-

enjeu-de-droit-international.116 Article de presse consulté sur le site internet http://www.ccsegpaca.com/guantanamo/. Article consulté le 06/06/2013.117 Ibid.118 Ibid.

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

40 OUATTARA Ibrahim - 2013

force et constituent traités en violation du jus cogens, c'est-à-dire de normes contraignantesde droit international telles que le droit à l'autodétermination »119. La doctrine estime queles États-Unis ont rompu les termes du traité en permettant l'utilisation commerciale descertains terres et ne pas avoir donné à Cuba l'ultime souveraineté sur la zone120. L'actuelledétention de prisonniers sur la base est aussi considérée comme une violation du traitéoriginal qui prévoyait explicitement que celle-ci devait servir « seulement pour la fourniturede charbon aux navires et à des buts maritimes, et pas pour d'autres buts »121. Le traitéinterdit explicitement des « entreprises commerciales, industrielles ou autres dans les zonesdites », alors que la base abrite par exemple une douzaine de concessions d'entreprises defast-food dont un McDonald's. De même, la base a toujours été utilisée par les Etats Unispour déstabiliser le régime de Castro ce que le gouvernement cubain dénonce fortement.

Les concessions territoriales qui auront le plus défrayé la chronique sont cellesaccordées par le gouvernement de Chine impériale au XIXe et au début du XXe siècle. Cesconcessions avaient pour la plupart d’entre elles été accordées par le régime chinois à lasuite de guerres avec les puissances occidentales mais également, certaines concessionsrésultaient de la corruption du gouvernement en place. De façon générale, les traitésqui régissaient ces concessions ont été qualifiés par les Chinois de traités inégaux eutégard aux fondements et à la manière dont ces traités ont vu le jour. C’est ainsi qu’audébut du XXe siècle, on dénombrait plus d’une vingtaine de concessions en Chine122.Ces concessions appartenaient pour la plupart à des compagnies de commerce despuissances occidentales. C’est ainsi qu’on dénombrait des concessions françaises àHankou (1896-1943), à Shanghai123, des concessions britanniques à Shanghai, Hong Kong,des concessions portugaises à Macao, des concessions italiennes, espagnoles, italiennes,américaines, japonaises, etc. La plupart de ces concessions était accordée pour une duréemoyenne d’un demi-siècle et certaines concessions constituaient un bail perpétuel. C’estainsi que sur la base de ces traités, la Chine acceptait de céder l’île de Hong Kong auRoyaume Uni pour un bail perpétuel124. Quelques années plus tard soit en 1898, ce bailperpétuel est reconverti en bail de 99 ans sous la pression des Britanniques qui obtinrenten échange des Chinois d’autres concessions de moindre importance leur permettant demener des activités commerciales.

Les gouvernements qui succèderont invoqueront la théorie des traités inégaux pourpouvoir remettre en cause les concessions territoriales accordées. Le fondement principalde cette théorie c’est que ces traités avaient pour l’essentiel été signés entre puissancesdominantes (France, Royaume Uni, Espagne, etc.) et pays dominé. Autrement dit, cestraités qui accordaient des concessions territoriales à certains pays à des conditionsextrêmement injustes étaient contraires au droit international dans la mesure où une partieau traité (en l’occurrence, le pays dominé) était sous contrainte lors de leur signature. Eneffet, à l’époque, la Chine était envahie de toutes parts par les compagnies commerciales

119 Alfred de Zayas "Guantanamo Naval Base", Max Planck Encyclopedia of Public International Law, Oxford University Press2009

120 Le défi de Guantanamo - Site d'Alfred de Zayas, 16 septembre 2004121 Préambule du traité du 2 juillet 1903: «coaling and naval purposes only, and for no other purpose” à lire sur le site internet

http://mjp.univ-perp.fr/traites/1903gtmo.htm122 http://fr.wikipedia.org/wiki/Concessions_%C3%A9trang%C3%A8res_en_Chine123 Sublime Jérôme-Yves, La fin des concessions françaises de Chine 1939-1949, Université Lumière Lyon 2, 2001124 Traité de Nankin du 29 août 1842 qui met fin à la première guerre de l’opium

PARTIE 2 : Les principaux domaines impliqués par la contestation : des enjeux de souveraineté

OUATTARA Ibrahim - 2013 41

lesquelles représentaient les intérêts de leurs pays d’origine. Ces compagnies vont enprofiter pour assurer une mainmise sur l’économie chinoise. Les tentatives du régime chinoisde reprendre le contrôle se solderont par des échecs et même par la guerre125. Depuis 1949,avec l’avènement au pouvoir du gouvernement communiste de Mao, la Chine n’a jamaiscessé de faire valoir que les traités sino-britanniques de 1842, 1860 et 1898 avaient étéobtenus par la pression militaire britannique. Selon David Lawson, « La doctrine chinoisefait valoir que les principes de la souveraineté des Etats et de l’égalité des Etats constituentla partie la plus importante de la loi internationale. En vertu de ces principes, le respectmutuel de la souveraineté, de l’intégrité territoriale, l’égalité et l’avantage réciproque entreles parties devrait servir de bases aux traités. La Chine ainsi considéré ces traités commeinégaux dans la mesure où les gouvernements chinois et britannique n’étaient pas sur unpied d’égalité au moment de leur conclusion »126. Pour les autorités chinoises, ces traitésportent atteinte à leur souveraineté et à leur intégrité territoriale ; par conséquent, ils portentatteinte au droit international et devraient pouvoir être remis en cause127.

De ce point de vue, selon David Lawson, « la théorie des traités inégaux s’apparenteà un essai de systématisation du principe de l’illicéité de la contrainte non armée dans laconclusion des traités »128. En d’autres termes, l’usage de la contrainte –même non armée-utilisée par un Etat sur un autre utilisé dans la conclusion d’un traité par un Etat sur un autrerend ce traité invalide. « Cette invalidité ne résulte pas de l’inégalité des droits et obligations

des parties au traité, mais des circonstances défavorables à l’une des parties aumoment où le traité est conclu. C’est le cas notamment lorsque l’une des parties usede la force ou d’autres mesures coercitives pour faire accepter à l’autre la signature dece traité »129. Cette théorie semble aujourd’hui être implicitement reconnue par l’article52 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 qui dispose que « estnul tout traité dont la conclusion a été obtenue par la menace ou l’emploi de la forceen violation des principes du droit international incorporés dans la Charte des NationsUnies ». Malheureusement et une fois de plus, comme il fallait s’y attendre, cette théorien’a pas recueilli les faveurs du droit international. Pour preuve, ni la Chine, ni Cuba, niaucun autre pays dans la même situation n’a pu se baser sur cette doctrine pour remettreen cause des concessions territoriales. La raison principale est que la majorité de ladoctrine occidentale tient la théorie des traités inégaux pour une doctrine politique, tropambiguë et trop menaçante pour la sécurité juridique, pour être accueillie comme une réellethéorie juridique. Pour ces auteurs, la doctrine des traités inégaux invoquée par la Chinesemblait poursuivre un but politique plus que toute autre reconnaissance juridique. Cetobjectif politique consistait à faire pression sur la Grande Bretagne et à ne pas reconnaitresa souveraineté sur Hong Kong. Ces critiques ne permettront donc pas à cette théoriede fleurir en droit international. Mais la contestation des pays ou gouvernements en étatde succession ne s’arrête pas uniquement au cadre territorial. En effet, la souverainetépolitique n’est rien sans la souveraineté économique. Dès lors, on ne s’étonnera pas queles gouvernements issus de succession se mettent parfois à remettre en cause des contrats

125 Première (1839-1842) et seconde (1856 à 1860) guerres de l’opium : la Chine avait interdit la consommation et lacommercialisation de l’opium sur son territoire ce qui ne faisait pas l’affaire des compagnies occidentales. Ainsi, se déclencheront lesguerres de l’opium principalement avec la Grande Bretagne

126 David Lawson, Hong Kong, L’Harmattan, Paris 2003127 G. A. Jaeger, Hong Kong, chronique d’une île sous influence, Editions du Félin, Paris 1997128 David Lawson, Hong Kong, précité.129 Ibid.

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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qu’ils jugent inégaux ou désavantageux. Il convient maintenant de voir quelle technique estutilisée par ces gouvernements pour dénoncer ces contrats.

Chapitre 2: Les nationalisations et la remise en cause des contratsd’Etat

Le principe de la souveraineté naturelle sur les richesses et les ressources naturelles, déjàévoqué plus haut, a constitué le socle des revendications des Etats ayant nouvellementaccédé à l’indépendance ou même des gouvernements souhaitant remettre en causecertains accords. C’est ainsi qu’au nom de ces principes, intervinrent très vite les premièresnationalisations130. Comme on doit s’en douter, ces nationalisations ou ces remises encause de contrats faisaient le plus souvent suite à des successions d’Etat ou – c’est le casle plus fréquent- à des

successions de gouvernements131. S’agissant des successions de gouvernements, ilfaut une fois de plus remarquer que ces remises en causes économiques ou contractuellesinterviennent lors de révolutions, de coups d’Etat ou d’insurrections, autrement dit ellesconcernent le plus fréquemment les mutations irrégulières de gouvernement132. Quoi qu’il ensoit, nombreux sont les Etats dans lesquels on a assisté à des remises en cause de contratsd’investissements ou à des nationalisations. Ces pratiques qui étaient très courantes dans laseconde moitié du XXème siècle se sont vues confrontées aux réalités du droit internationalce qui a atténué leur portée.

Section 1 : L’avis du droit international en la matièreAutant que les questions territoriales, les questions économiques constituent l’un des traitsmajeurs de la souveraineté des Etats. De manière générale, l’économie est considéréecomme un domaine régalien des Etats. Dès lors, un gouvernement qui se voit limiterson droit de régir les activités économiques à l’intérieur de son territoire considère cetteinterdiction comme une atteinte à sa souveraineté. Les Etats ou les gouvernements quiaccèdent nouvellement à la souveraineté considèrent généralement l’activité économiquecomme une priorité. Leur objectif à court et long terme – surtout pour les patriotes – c’est derelancer l’activité économique, car, et c’est très souvent le cas, ces gouvernements se voienthériter de structures économiques très faibles. Le plus souvent, ce sont les entreprisesmultinationales étrangères qui bénéficient des concessions sans rentrée importante defonds pour l’Etat. Pourtant, le droit international pose le principe de la souveraineté naturellede chaque Etat sur ses richesses et ressources naturelles. Dès lors, la tentative est grandepour les gouvernements successeurs de remettre en cause les faveurs mirobolantes quiavaient été octroyées à ces multinationales par l’ancien gouvernement ou l’Etat précédent.1639 procédures de nationalisations seront lancées entre 1960 soit la date d’accession àl’indépendance de la majorité des Etats Africains et 1975133. C’est dans cette logique qu’unbon nombre de nationalisations interviendra dans cette

130 CIJ, 22 juillet 1952, affaire de l’Anglo-Iranian Oil Company, Rec. 1952, p. 93.131 Nationalisation des cuivres chiliens en 1971 par Allende, nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company par Mossadegh…132 Nasser nationalise le canal de Suez en 1956

133 https://fr.wikipedia.org/wiki/Multinationale

PARTIE 2 : Les principaux domaines impliqués par la contestation : des enjeux de souveraineté

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seconde moitié du XXème siècle et qui donneront lieu à des jugements ou dessentences arbitrales134.

En la matière, le droit international, alors influencé par l’économie capitaliste desgrandes puissances est longtemps restée neutre. Devant la pratique des gouvernementset les revendications des pays du Tiers Monde d’un nouvel ordre économique international,le droit international ne pouvait dès lors pas rester insensible car c’était provoquer le risquede créer une coutume en la matière à savoir le droit pour chaque Etat de librement remettreen cause les contrats conclus avec les entreprises multinationales. Dans un premier temps,beaucoup d’espoir fut mis dans l’adoption au sein des Nations Unies d’un « code de conduitesur les sociétés transnationales »135. Ce code était destiné à normaliser le comportementdes investisseurs autour de quelques principes simples dont le respect de la souverainetééconomique de l’Etat d’accueil et la prise en compte de ses objectifs de développement136.Cependant, comme il fallait s’y attendre, les pays développés se sont opposés à l’adoptionde ce code de bonne conduite, parce qu’il apparaissait défavorable à leurs entreprises. Celan’a pas empêché l’adoption du code sous forme de résolution de l’AG de l’ONU. Lancésen 1976, les travaux de la Commission des sociétés transnationales de l’ONU n’ont jamaisabouti. Ils sont cependant relayés aujourd’hui par des initiatives diverses dont la portée resteminime. « L'Organisation internationale du travail (OIT) adopte une « déclaration tripartitesur les principes concernant les entreprises multinationales et la politique sociale » ; celle-cipose les principes de respect de la souveraineté du pays d'accueil, du respect des droits del'homme et du respect de l'investissement. Plus récemment, en 1999, Kofi Annan a proposéun pacte mondial (Global Pact) aux firmes ajoutant, en plus de la précédente déclaration, unvolet environnemental137». Mais ces mesures voulant réguler l'activité des multinationalesne sont que des souhaits, et rien n'obligera ces firmes à les respecter.

Sur le plan judiciaire, les différentes nationalisations ayant abouti à un jugement ouune sentence arbitrale ont rarement donné raison aux Etats nationalisateurs. Certes, lasouveraineté doit s’accorder avec le droit international mais d’autre part refuser aux Etatsde nationaliser

ou leur imposer des conditions de nationalisations aberrantes peut constituerégalement une atteinte à la souveraineté. La plupart des sentences prononcées138

consacraient la soustraction des contrats d’Etat au droit national de l’Etat d’accueil. Ainsi,au détriment des Etats, le contrat était régi justement par les termes du contrat convenusau préalable lors de la conclusion du contrat. Une telle situation préjudiciait aux intérêtsdes Etats en question car les nationalisations effectuées visaient justement à remettre encause ces contrats jugés défavorables voire illégaux. De plus, un autre inconvénient estque la plupart de ces contrats étaient grevés de clauses rendant leur remise en causedifficile voire impossible. Il s’agit en l’espèce des clauses de stabilisation et d’intangibilité,

134 Affaire de l’Anglo-Iranian Oil Company, précité ; affaire Texaco Calasiatic c/ gouvernement libyen, sentence arbitrale aufond du 19 janvier 1977, Journal de Droit International, Vol. 104, 1977, pp. 350 et ss; etc.

135 G. Feuer et H. Cassan, Droit international du développement, in Colloque de Nice de la SFDI, p. 219136 P. M. Dupuy et Y. Krebrat, Droit international public, précité.137 https://fr.wikipedia.org/wiki/Multinationale, précité138 Aramco c. Arabie Saoudite (1958), Saphir International Petroleum c. Iran (1963), Texaco Calasiatic et Liamco (1977) et

Aminoil c. Koweit

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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lesquelles auront été inclues dans plusieurs contrats139. De la sorte, recourir à la loi ducontrat constituait déjà un désavantage flagrant pour ces Etats. Ces sentences consacrentensuite le droit d’indemnisation des propriétaires des entreprises nationalisées. Le motifd’intérêt général, la non-discrimination entre sociétés étrangères et l’indemnisation juste,prompte et équitable en application du droit international furent ainsi les critères en fonctiondesquels, les nationalisations soumises à l’arbitrage furent appréciées et en général,déclarées illégales, non par elles-mêmes, mais parce que les conditions concrètes de leurréalisation aboutissaient à une violation injustifiée du droit international.

Devant cette position très défavorable des juridictions internationales, certains pays ontadopté une solution très dure qui contraste carrément avec les solutions jurisprudentiellesou même coutumières140. Il s’agit en particulier du Chili dont les nationalisations de cuivreen 1971 ont donné lieu à la mise en œuvre d’une théorie innovante à savoir la théoriedes bénéfices excessifs. Il convient dès à présent de voir si cette théorie peut constituerune aubaine pour les gouvernements qui veulent remettre en cause les contrats illégitimesconclus par leurs prédécesseurs.

Section 2 : La théorie des bénéfices excessifs : un recours pour les Etats ?Selon la doctrine, «La théorie des bénéfices excessifs a récemment introduit une dimensionnouvelle dans le débat et la lutte menés par les pays en voie de développement en vue

d'établir leur indépendance économique 141». C'est à l'occasion de la nationalisationdes industries du cuivre en 1971 que le gouvernement chilien, faisant application de cettethéorie, ne voulut rien accorder à l'entreprise nationalisée. La question de la nationalisationdes biens appartenant à des étrangers est l'une des plus sensibles à l'évolution politique.Le droit de nationaliser, en son principe, n'est plus contesté. Mais, dans l'état actuel de lasociété internationale, les conditions posées à la nationalisation ne peuvent se prévaloir d'unconsensus général142. En effet, les gouvernements qui nationalisent les sociétés en questioninvoquent le plus souvent comme raison le pillage de leurs ressources naturelles malgréleur souveraineté sur ces richesses. Pour eux, il est donc dans l’ordre légitime des chosesqu’ils veuillent remettre en cause les contrats concernés y compris par la nationalisationdes entreprises en question. « Pour ces gouvernements ou ces Etats, il ne saurait êtrequestion de verser une indemnité intégrale, surtout quand la concession ou la propriétéétrangère sont le legs de la puissance coloniale ou le fait de la corruption du gouvernementprécédent et que les avantages obtenus par l'étranger dans le passé dépassent largementla perte subie du fait de la nationalisation»143. Selon une position extrême il n'y aurait mêmepas lieu à indemnisation144. De fait un certain nombre de pays tirent de ces prémisses des

139 Affaire Texaco Calasiatic c/ gouvernement libyen, sentence arbitrale au fond du 19 janvier 1977, Journal de DroitInternational, Vol. 104, 1977, pp. 350 et ss, précitée.

140 P. M. Dupuy et Y. Kerbrat, Droit international public, précité.141 Claude Imperiali, Les bénéfices excessifs, une pratique limitée et controversée, In: Annuaire français de droit international,

volume 24, 1978. pp. 678-710.http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1978_num_24_1_2120142 Ibid.143 Cf. Ambkasinghe CF., « The quantum of compensation for nationalized property- Third World perspectives », in The valuation

of nationalized property in international law, Luxich Edit., vol. Ill, Univ. Press of Virginia, 1975, pp. 91/130.144 Cf. Bedjaoui M., « Les droits acquis économiques et financiers et la succession d'Etats », 2e rapport C.D.I., 19 juin 1969,

A.C.D.I., 1969, vol. 2, pp. 95 et ss. — Voir aussi « Problèmes récents de succession d'Etats dans les Etats nouveaux », R.C.A.D.I.,1970, II, p. 559.

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modes de calcul de l'indemnité qui peuvent la réduire à néant. En 1971, le gouvernementchilien a ajouté à la complexité de la matière en décidant de déduire de l'indemnité due lemontant des bénéfices excessifs que les sociétés étrangères auraient réalisés au cours deleur exploitation.

Il convient de distinguer la notion de bénéfice excessif de celle de bénéfice illicite. Unbénéfice n'est illicite que s'il a été obtenu en violation de la loi d'un Etat déterminé, par suited'opérations illicites ou d'une fausse qualification. Par contre, les bénéfices excessifs nesont pas nécessairement illicites. Ils ont un contenu essentiellement économique. Selon ladoctrine, « Dans une définition approximative on peut dire que les bénéfices d'uneentreprise seront jugés excessifs lorsqu'il ressort de la comparaison des résultatsfinanciers de cette

entreprise avec une entreprise ayant le même objet, et opérant dans desconditions relativement semblables, une différence telle que la seule explication decette dernière doit être recherchée, non point seulement dans les investissementset le degré d'organisation de l'entreprise, mais dans l'infrastructure et les conditionssociales du pays où elle opère » 145 . Or, « l'impression qui prédomine parmi les pays envoie de développement est que non seulement dans le passé mais aussi dans le présent,leur situation de dépendance et de retard est due en partie à l'exploitation exagérée deleurs ressources naturelles par les pays développés et aux bénéfices excessifs que ceux-ci obtiennent de la structure actuelle du commerce mondial »146. Dès lors, on comprendpourquoi certains gouvernements ne ménagent aucun effort pour dénoncer ces contrats.Mais cela nous autorise-t-il à parler d’un droit international des bénéfices excessifs ?

II semble que ce soient les nationalisations chiliennes qui ont donné à la question desbénéfices excessifs sa dimension théorique. Cependant, il faut remarquer que la notion deprofits « injustes », « exorbitants », avait été évoquée bien avant lors des controversesrelatives à la nationalisation de l'Anglo- Iranian Oil Company et celle de la CompagnieUniverselle du Canal de Suez147. Lors des nationalisations récentes effectuées en Afriquedu Nord le principe des bénéfices excessifs, quoique non- officiellement invoqué, a soustendu la politique de récupération des richesses nationales détenues par les ancienscolonisateurs.

« Qu'il s'agisse des mesures prises par la Tunisie ou le Maroc concernantles terres de colonisation, on a constaté une tendance à refuser le principe del'indemnisation ou à en réduire le montant. Les commentaires officiels ont laisséentendre que la possession et l'exploitation de ces terres durant de longuesannées avaient permis à une grande partie des colons d'en tirer de larges profits;ce qui ne faisait qu'ajouter un argument supplémentaire à la présomption despoliation » 148 .

145 Claude Imperiali, précité.146 Castaneda J., in Justice économique internationale, Gallimard, 1976, p. 87147 (11) Voir l'affaire de l'A.I.O.C, C.I.J., Mémoires, plaidoiries, documents, 1951, p. 239. — Conseil de sécurité, 563e réunion,

1951. — L'affaire de la compagnie du Canal de Suez, déclaration du président Nasser, 26 juillet 1956, in Royal Institute of InternationalAffairs, documents on international affairs, 1959, p. 77.148 Cf. A. Bockel, «Les aspects internatioaux de la loi tunisienne du 12 mai 1964 portant nationalisation des terres à

vocation agricole», R.G.D.I.P., 1967, p. 63. — J. Lamodière, « Les Dahirs marocains du 2 mars 1973 portant reprise des

terres et marocanisation de certaines activités économiques et le droit international», Clunet, 1974, p. 323.

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Bien que ces autorités ne l’affirmaient pas, la pratique de ces Etats montraient qu’on étaitclairement en présence de remise en cause de droits acquis par des Etats successeurs. Lapratique algérienne de la nationalisation des sociétés de production, de distribution et detransport des hydrocarbures dans les années 70 a également pris en compte la notion deprofit, voire de profits excessifs, lors de la détermination de l'indemnité149. Il y a, dans cesdiverses manifestations, l'affirmation d'un principe politique par les Etats concernés; l'idéedu retour à la communauté nationale de ce qui lui appartient. Déjà soutenue par les juristeset les hommes politiques soviétiques lors des nationalisations effectuées dès les débutsde la révolution de 1917150, cette idée prend une coloration nouvelle dans les situationsde décolonisation. On pourrait en retrouver l'écho lors des nationalisations auxquelles ontprocédé Cuba ou l'Indonésie. Appliqué dans les rapports entre l'ancien Etat colonial et lejeune pays indépendant, ce principe vise à faire disparaître une tutelle économique defait. Sur la base de cette théorie, les Etats indépendants seraient fondés à remettre encause les contrats conclus par la métropole dès lors qu’ils les estiment contraires à leursintérêts. A ce titre il concerne l'ensemble des rapports entre tous les pays affectés d'uninégal développement.

Selon Claude Impériali, la théorie des bénéfices excessifs se décline en deux grandesapplications : une application préventive et une application rétroactive comme ce fut le caspour la nationalisation des cuivres chiliens. A priori, la mise en place préventive ne posepas vraiment de problèmes. Elle consiste à prévoir dans les codes des investissementsdes Etats d’accueil, des dispositions permettant une répartition équitable des bénéfices.Beaucoup de pays ont plus ou moins réussi à mettre cette politique en place même si lapratique correspond à tout autre chose. En effet, puisqu’il s’agit de successions d’Etats oude gouvernements, on peut croire que les gouvernements qui étaient aux avants poste etqui étaient minés par la corruption ne mettront pas en place des politiques susceptibles deles nuire. C’est ainsi que la plupart des Etats africains et latino-américains seront confrontésà ces problèmes ce qui donnera lieu à la l’application rétroactive de la théorie. De plus, lesEtats peuvent aussi

craindre qu’une règlementation poussée fasse fuir les investisseurs. Toutes cespréoccupations conduiront à la mise en œuvre rétroactive de la théorie des bénéficesexcessifs.

Comme évoqué, la théorie des bénéfices excessifs sera mise en œuvre au Chiliavec l’avènement au pouvoir du Président Salvador Allende en 1971151. C'est par suited'une réforme constitutionnelle approuvée par une loi du 16 juillet 1971 que l'Etat chiliendécide de récupérer ses richesses nationales en nationalisant six firmes américaines,filiales des sociétés Anaconda et Kennecott Copper Corporation. La loi reconnaît le droit àindemnisation de ces sociétés. Elle donne compétence au contrôleur général pour établirle montant des indemnités et ensuite au Président de la République pour déterminer lesbénéfices excessifs réalisés par ces sociétés et déductibles des indemnités152. Par décretdu 28 septembre 1971 le chef de l’Etat fixe, pour chacune d'elles, le montant des bénéficespar suite d'un calcul qui tient compte de la période allant de l'entrée en vigueur de la loijusqu'à la date de la nationalisation. Il était de notoriété publique que ces entreprises étaient

149 Cf. S. Bouguerra, « La doctrine algérienne sur la méthode de calcul de l'indemnisation », A.A.N., 1972, p. 750.150 Cf. L. Lucchini, Expropriation et nationalisation en droit international public, thèse multigraphiée, Paris, 1960, pp. 100, 250 et ss.

151 (15) R.G.D.I.P., chronique 1972, p. 822. — Carreau, De la Rochèke, Flory, Juillard, chronique de droit internationaléconomique, A.F.D.I., 1972, p. 672.

152 Cf. art. 1 et 2, in I.L.M., sept. 1971, pp. 1067 et ss.

PARTIE 2 : Les principaux domaines impliqués par la contestation : des enjeux de souveraineté

OUATTARA Ibrahim - 2013 47

arrivées à faire d'énormes profits dont la réalité dépassait certainement le chiffre arrêté parles Chiliens. Ces gains avaient été rendus possibles par l'octroi de privilèges. Ainsi la loi de1931 sur le contrôle des changes ne touchait pas la grande industrie du cuivre.

Le calcul du président aboutissait à déterminer des bénéfices qui dépassaientnettement la valeur comptable des sociétés. C'est pourquoi l'Etat chilien a fini par leur déniertout droit à indemnisation. Durant la phase judiciaire qui s'ouvrit à l'initiative d'Anacondaet de Braden devant le tribunal spécial du cuivre chilien, le recours à la théorie des actesde gouvernement devait priver les requérants de toute possibilité de contre -battre ladécision présidentielle153. L'amendement constitutionnel du 16 juillet 1971 avait prévu quel'évaluation des bénéfices excessifs pouvait se faire en tenant compte d'un certain nombred'éléments :

— « la « rentabilité normale » des activités des sociétés concernées résultant del'ensemble de leurs opérations internationales;

— l'existence d'accords conclus par le Chili sur la « rémunération maximum» dessociétés établies dans le pays;

— enfin, les dispositions des accords de chilénisation conclus par le gouvernement Freien 1969 avec ces sociétés et concernant l'octroi de dividendes préférentiels à l'Etat chilienquand le prix du cuivre dépasserait un certain niveau »154.

Les calculs du Président Allende, effectués au vu d'expertises françaises et soviétiquesconfirmèrent que ces sociétés en question touchaient de larges bénéfices. Dès lors, pourcalculer le montant de l’indemnisation, le gouvernement chilien s’est attelé à déduiredes bénéfices excessifs, ce qu’il estimait avoir perdu en termes de recettes, si bienque l’indemnisation se trouva nulle. Dans le cas des sociétés concernées un élémentsupplémentaire doit être considéré à savoir le pillage des ressources dont elles s'étaientrendues responsables avec la complicité de l’ancien gouvernement devant la nationchilienne durant de longues années. Ainsi la théorie des bénéfices excessifs apparaîtmoins apparaît moins comme une sanction que comme une réparation. Elle aboutit à unerépartition rétroactive équitable des profits de l'exploitation. Pour la doctrine, « C'est là lecaractère original du système chilien : l'expropriation n'est pas « sans indemnité » maisl'indemnité, dûment évaluée et déterminée, est « compensée ». Un mécanisme du droitprivé, du droit libéral, est utilisé pour appliquer une mesure apparemment contraire au droitde propriété»155. Le principe connaitra un certain succès avec notamment la mise en placedu nouvel ordre économique international et l’adoption de la Charte des Droits et DevoirsEconomiques des Etats. Ces éléments apparaissent comme les fondements qui aurontinspiré le régime chilien dans la mise en œuvre de la théorie des bénéfices excessifs.

Malheureusement, ce concept ne pourra pas être approprié par les Etats à sa justevaleur. En effet, il faut non seulement tenir compte des raisons invoquées ci-dessusmais également de l’opposition des pays développés de voir fleurir un concept aussirévolutionnaire. La théorie a sans doute eu un certain succès mais elle est aujourd’huiamoindrie de sorte que de nos jours, « l’ébauche d’un droit international des bénéficesexcessifs n’est pas à l’ordre du jour 156». D’abord, il faut rappeler en effet que la théorie desbénéfices excessifs avait été confirmée par le tribunal spécial chilien pour le cuivre dans sa

153 Décisions du tribunal spécial du cuivre des 11 août 1972 et 7 sept. 1972, in I.L.M., sept. 1972, pp. 1013 et ss.154 Cf. Rousseau C, R.G.D.I.P., 1970, chronique, pp. 446/447.155 Claude Impériali, op.cit.156 Ibid.

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

48 OUATTARA Ibrahim - 2013

décision du 11 août 1972. Suivant en cela l'opinion du gouvernement, le tribunal a opéréune distinction entre l'acte de détermination

des bénéfices excessifs et l'acte de fixation de l'indemnité. Les deux actes, pris par desorganes distincts, étaient censés répondre à des « concepts philosophiques différents ».D'une part, il s'agissait de réparer les pertes subies par les sociétés nationalisées; d'autrepart, il s'agissait de récupérer les bénéfices indûment réalisés par celles-ci. Le tribunalposait ainsi le problème en termes de simple compensation comptable. Mais il évitait dese prononcer sur la question essentielle des modes de calcul des bénéfices excessifs etde la réalité de ceux-ci; il laissait aussi sans réponse la question du caractère effectif del'indemnité que le Chili avait accepté de verser157. Un conflit devait s'ouvrir entre l'Etatchilien et les sociétés dépossédées qui ont attaqué la décision de nationalisation devantleurs tribunaux c'est-à-dire en France, aux Pays Bas et en Allemagne. Dans ces troiscas, le juge est resté prudent en évitant de s’avancer afin de ne pas consacrer, par lamauvaise interprétation que l’on pourrait faire de sa décision, une théorie qu’il ne reconnaitpas. De la sorte, dans les trois cas, le juge est resté évasif, se contentant de rappeler leprincipe de l’indemnisation équitable. De plus, la théorie des bénéfices excessifs se verrareprocher son coté scientifique et arbitraire. En effet, certains auteurs le jugent incertainsdans la mesure où on se demande déjà à partir de quels critères fiables, il est possiblede déterminer les bénéfices en question et de juger de leur excessivité. De la sorte, legouvernement chilien, lorsqu’il a invoqué la théorie, s’est retrouvé confronté à cette critique.En effet, le concept même de bénéfices dépend de nombreux facteurs et les entreprisesnotamment celles qui investissent dans le secteur minier sont confrontés à de nombreuxaléas (risques environnementaux, fluctuation des prix, etc). Comment donc dans ce casjuger de l’excessivité des bénéfices ? Certes des critères existent sans doute, mais demanière générale, il faut admettre qu’un gouvernement qui évoque la théorie des bénéficesexcessifs va avec l’idée établie de « reprendre ce qui lui revient de droit »158 ce qui fait quel’on prend très vite le risque de tomber dans le subjectivisme159. En d’autres termes, on estdonc en présence d’un concept qu’il faut manier délicatement.

La succession d’Etats et de gouvernements offre donc à voir que certains aspectsne font pas l’unanimité. Contre les principes conservatoires des situations acquisesmises en place par le droit international et notamment les pays développés, les Etats etgouvernements successeurs

cherchent tous les moyens possibles pour arriver à rétablir un semblant desouveraineté. Cela concerne aussi bien les aspects territoriaux et commerciaux mais ilconvient de ne pas négliger un phénomène important qui est aujourd’hui la source denombreuses contestations sur la scène internationale. Il s’agit de la question des dettesd’Etats.

Titre 2 : Des aspects financiers de la succession: lathéorie de la dette odieuse

157 L'opinion dissidente du président du tribunal, I.L.M., sept. 1972, op. cit., pp. 1044 et ss.158 Cf. Ikonicoff M., « Les investissements étrangers en Amérique Latine », Rev. Du Tiers-Monde, 1970, pp. 675 et ss. — Cf.

Jalee P., Le pillage du Tiers-Monde, 1973, pp. 85/98.159 Ibid.

PARTIE 2 : Les principaux domaines impliqués par la contestation : des enjeux de souveraineté

OUATTARA Ibrahim - 2013 49

En matière de succession d’Etats et de gouvernements, le problème se pose de la façonsuivante : est-il convenable pour un gouvernement ou un Etat de succéder à des obligations,notamment des dettes qui ont été contractées pour avilir le peuple ou pour toute autreraison que son intérêt. Sur ce point, les gouvernements et Etats successeurs se prononcentclairement pour le refus de respecter cette obligation, autrement dit, ils refusent de payer ladette. En la matière, un concept a été utilisé pour désigner ce type de dettes : il s’agit desdettes odieuses. Mais aussi bien que les théories précédentes, on est encore en présenced’une doctrine qui ne fait pas l’unanimité en droit international.

Chapitre 1 : Un concept doctrinal d’abordIl s’agit d’un concept doctrinal qui a été mis en pratique avec plus ou moins de succès parcertains Etats.

Section 1 : La théorisation« Est classiquement considérée « odieuse » toute dette contractée par un gouvernementillégitime et/ou dont l’usage est contraire aux besoins et intérêts du peuple »160. C’estAlexander Nahum Sack, ancien ministre de Nicolas II et professeur de droit à Paris, qui en1927161 formula cette doctrine suite aux pratiques étatiques qu’il observa. « Si un pouvoirdespotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les intérêts de l'État, maispour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cettedette est odieuse pour la population de l'État entier. Cette dette n'est pas obligatoire pour lanation; c'est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l'a contractée, par

conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir. 162». Cette doctrine s’opposeau principe de continuité de l’Etat énoncée par la Convention sur la succession d'Etatsen matière de biens, archives et de dettes d'Etats de 1983. En effet, le gouvernementsuccesseur peut se soustraire aux obligations de son prédécesseur, qui lui incombentnormalement, car : «(…) Ces dettes ne répondent pas à l'une des conditions qui déterminentla régularité des dettes d'État, à savoir celle -ci : les dettes d'État doivent être contractéeset les fonds qui en proviennent utilisés pour les besoins et dans les intérêts de l'État. 163»Par conséquent, selon l’auteur, le principe de succession d’Etat ne concerne pas les dettesde régime. De plus, face aux préoccupations des créanciers, Sack argumente en faveurd’une responsabilisation de ces derniers. S’ils connaissent les desseins de l’emprunteur, ilscommettent « un acte hostile à l’égard du peuple 164 » et s’exposent eux-mêmes au risquede non-remboursement si le régime est déchu. Ils ne peuvent donc pas réclamer leur dû.Les dettes odieuses ne sont donc pas soumises au principe de droit international pactasunt servanta, selon lequel : «Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté parles par elles de bonne foi 165 ». Selon Anaïs Tamen, « l’approche de Sack, empruntant le

160 Comité d’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM), Les crimes de la Dette, Editions Sylepse, Paris 2007161 A.N. Sack, 1927, Les effets des transformations des Etats sur leurs dettes publiques et autres obligations financières, RecueilSirey, Paris 1927

162 Ibid.163 Ibid.164 Ibid.165 Article 26 de la Convention de Vienne de 1969 sur le Droit des Traités

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

50 OUATTARA Ibrahim - 2013

discours naturaliste, manque cependant d’applicabilité 166 ». En confrontant cette approcheaux travaux de plusieurs auteurs167, J. King168, dans un rapport du Centre for InternationalSustainable Development Law, offre une définition plus opérationnelle des dettes odieuses.Il établit trois critères, sur lesquels les auteurs étudiés s’accordent, qui fondent le caractère« odieux » d’une dette :

- L’absence de consentement : la dette doit avoir été contractée contre la volonté dupeuple.

- L’absence de bénéfice : les fonds doivent avoir été dépensés de façon contraire auxintérêts de la population.

- La connaissance des intentions de l’emprunteur par les créanciers : cette conditionpeut s’apparenter au principe de mauvaise foi du créancier

On remarque que l’affectation des fonds constitue un critère plus pertinent que celui dela nature du régime dans la distinction des obligations privées et publiques. En effet, elledétermine la régularité des dettes d’Etats. Ainsi, pour O’Connell, « If a ruler acts in a privatecapacity his contracts expire with his death or expulsion ; but if he acts in his princely officehis commitments relate not to himself but to the people through whom, in virtue of the socialcontract, he ultimately derives its authority. 169 ». A ce propos, A.N. Sack décrète odieux« les emprunts contractés dans des vues manifestement intéressées et personnelles desmembres du gouvernement ou des personnes et groupements liés au gouvernement —des vues qui n'ont aucun rapport aux intérêts de l'État. 170 » La pratique et la jurisprudencepenchent plutôt dans ce sens.

Section 2 : Quelque précédents historiques et jurisprudentiels

Le Mexique 171

En réalité, le Mexique est le précurseur de la répudiation de dette odieuse. En 1861, legouvernement Juárez déclare un gel de deux ans du remboursement de la dette extérieure.Cette dette contractée par le précédent gouvernement du dictateur Antonio López deSanta Anna. Cependant, cette décision unilatérale est sévèrement réprimée par les payscréanciers européens et se solde par l’occupation française et la fondation d’un empire dirigépar Maximilien d’Autriche. Ce dernier contracte de nombreuses dettes à fort taux d’intérêtafin de maintenir son hégémonie. Il est déchu en 1867. Une quinzaine d’année plus tard, laloi du 18 Juin 1883, dite loi sur le règlement de la dette nationale, répudie effectivement les

166 Anaïs Tamen, La doctrine de la dette odieuse ou l’utilisation du droit international dans les rapports de puissance, travail

présenté le 11 décembre 2003 lors du 3e colloque de droit international du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde àAmsterdam sur la base d’une dissertation effectuée dans le cadre du Master in International Politics de l’Université Libre de Bruxellesen janvier 2003, pour le séminaire de droit international du Professeur Barbara Delcourt. Disponible sur le site du CADTM : http://cadtm.org/IMG/pdf/La_doctrine_de_la_dette_odieuse.pdf; consulté le 06/06/2013

167 J. King cite au côté de A.N. Sack : E. Feilchenfeld, D.P O’Connell, J. Foorman & M. Jehle, G.Franskenberg and R. Kneiper168 J. King, “The Doctrine of Odious Debt Under International Law: Definition, Evidence and Issuesconcerning Application”,

in Advancing the Odious Debt Doctrine, CISDL Working Paper. Disponible sur: http://www.odiousdebts.org/odiousdebts/publications/Advancing_the_Odious_Debt_Doctrine.pdf

169 D.P. O’Connell, « State Succession and problems of Treaty Interpretation », A.J.I.L, Vol. 58, 1964; p.9; cité par G.Frankenberg and R. Knieper, 1984, p.27, cite par A. Tamen.

170 A.N. Sack, pp. 157-8, 1927, cité par P.Adams, 1991171 CADTM, Les crimes de la dette, précité.

PARTIE 2 : Les principaux domaines impliqués par la contestation : des enjeux de souveraineté

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dettes contractées par le gouvernement de Santa Anna et celle imposée par la dominationespagnole. Selon la doctrine, « L’expérience mexicaine s’inscrit comme l’un des exemplesde la « politique de la canonnière chère aux grandes puissances européennes dans lerecouvrement

de leurs créances 172». Le Venezuela, en 1902, devait en faire les frais, malgré leprécédent américain. 1907 marque un tournant car lors de la Convention de Drago-Porter173,le recours à la force dans le recouvrement de créances sera limité aux situations où l’Etatdébiteur adopte un comportement non-coopératif (refus de négociation ou non-respectde ses engagements après négociation). De plus, pour la doctrine, « l’affaire mexicainesuggère que seul un Etat occidental possédant un certain crédit sur la scène internationalepouvait imposer une telle doctrine 174». En effet, trois décennies plus tard l’action des Etats-Unis a un tout autre rayonnement.

Les Etats-Unis 175

En 1897, les Etats Unis aident Cuba à se libérer de la colonisation espagnole et enretour instaurent leur souveraineté de l’île. Dès lors, l’Espagne, déchue, réclama aux Etats-Unis le paiement des créances qu’elle et d’autres puissances européennes (notammentla France et la Belgique) détenaient sur le peuple cubain. Ces créances avaient étéscontractées par les agents de la régence espagnole sur les marchés internationaux sousformes d’obligations. La requête espagnole s’appuyait sur des faits analogues, notammentle comportement de ses anciennes colonies qui avaient pris à leur charge la part de la dettepublique espagnole ayant servi à leur colonisation. De plus, les Etats-Unis eux- mêmesavaient reversé plus de 15 millions de livres sterling au Royaume Uni lors de leur accessionà l’indépendance176. En dépit de cette tendance respectée à l’époque par toutes les grandespuissances, puisque conforme à leurs intérêts, les Etats-Unis refusèrent toute responsabilitéet réfutèrent le postulat selon lequel la dette espagnole incombait au peuple cubain. Seloneux, cette dette imposée au peuple cubain sans son accord et par la force des armes,constituaient l’un des motifs de la rébellion cubaine. Ces créances contractées par lesautorités locales servaient leur domination en finançant l’appareil répressif, étouffant touteinsurrection cubaine. De plus, les Etats-Unis déclarèrent que les créanciers avaient pris lerisque de leurs investissements : ils savaient que ces dettes

servaient l’asservissement d’un peuple. En effet, en 1898, lors du Traité de paixde Paris, l’Espagne reconnaît qu’avant 1860, une partie du revenu de l’île a financéles dépenses nationales espagnoles. Elle ne nie pas non plus qu’entre 1861 et 1880,les dettes contractées par la régence ont été affectées au financement de l’expéditionespagnole au Mexique, aux dépenses liées à la tentative de récupération de San Domingo,et à la répression des soulèvements populaires cubains entre 1968 et 1878. Les dettescontractées après 1880 visaient à rembourser les emprunts précédents, ainsi qu’à maintenir

172 D. Carreau, Rapport du directeur d’études de la section de la langue française du centre, in Centre d'Études et de Recherchede Droit International et de Relations Internationales, 1995, p. 8, cité par A. Tamen

173 Convention multilatérale dite de La Haye n° 2: Convention Respecting the Limitation of theEmployment of Force for theRecovery of Contract Debt

174 A. Tamen, précité.175 CADTM, Les crimes de la dette, précité.176 Informations contenues dans le chap. 17 de Odious Debt : Loose Lending, Corruption, and the ThirdWorld's

Environmental Legacy, P. Adams, 1991, disponible sur Internet : http://www.probeinternational.org/probeint/OdiousDebts/OdiousDebts/chapter17.html

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

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la domination espagnole à Cuba. Au final, les dettes de la régence avaient été contractéessous le droit espagnol et non cubain, et obligeaient l’Espagne et non l’île. Ni les Etats-Unis, ni Cuba ne remboursèrent la dette, et les créanciers ne recouvrèrent jamais leur dû.La décision des Etats-Unis fût enregistrée dans le Traité de paix de Paris qui mit fin laguerre hispano-américaine. On retrouve dans le précédent cubain les trois critères de J.King évoqués plus haut. A partir de cet événement, la communauté internationale reconnaîtimplicitement le concept de dette odieuse. Le terme implicite suggère que les Etats nedéclarent pas adopter cette doctrine, mais que leurs pratiques reflètent son acceptationcomme instrument juridique177.

L’Union soviétique 178

En 1918, suite à la révolution qui le mène au pouvoir, le parti Bolchevik répudie la dettetsariste que le gouvernement provisoire avait décidée d’honorer. En 1996, la Fédération deRussie s’est engagée à apurer ces dettes envers la France179.

Les traités de paix des première et seconde guerres mondialesLe traité de Versailles de 1919 annule officiellement la dette réclamée par l’Allemagne

et la Prusse au nouvel Etat polonais. En effet, ces deux Etats réclamaient à la Pologne leremboursement de prêts qu’ils avaient contracté pour envahir cette dernière. Il est évidentqu’on est là en présence d’une dette manifestement odieuse.

De même, le traité de paix signé entre l’Italie et la France le 10 février 1947 déclare« inconcevable que l’Ethiopie assure le fardeau des dettes contractées par l’Italie afind’assurer sa domination sur le territoire Ethiopien ».Il s’agit en l’espèce de fonds qui étaientréclamés par le gouvernement italien auprès des autorités éthiopiennes après la secondeguerre mondiale alors que l’Italie avait envahi l’Ethiopie.

Le Costa Rica

L’affaire Costa Rica/ Grande Bretagne180 constitue le principal élément de jurisprudencesupportant la doctrine de la dette odieuse. Cette affaire a précédemment été évoquée.Pour rappel, en 1922, le gouvernement costaricain vote une loi181 annulant tous les contratspassés de 1917 à 1919 entre le gouvernement précédent de Tinoco, général putschiste,et les personnes privées. Par cet acte, le gouvernement vise particulièrement les porteursde titres émis par la Banco Internacional de Costa Rica. En effet, avant de quitter le paysen août 1919, le général Tinoco et son frère ont détourné les fonds mis à disposition dela Banco Internacional par la Royal Bank of Canada, une banque britannique, en échangede bonds. Suite à l’annulation des contrats, la Grande Bretagne en vertu de son droit deprotection diplomatique accusa l’Etat costaricain et la Banco Internacional d’avoir rompu ses

177 Anaïs Tamen, précité.178 CADTM, Les crimes de la dette, précité.179 « La France et la Russie ont signé, le 26 novembre 1996, un accord relatif au paiement par laFédération de Russie

d'une somme de 400 millions de dollars, en règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieuresau 9 mai 1945.» Séance du 10 décembre 1997 du sénat français, disponible sur : http://www.senat.fr/seances/s199712/s19971210/sc19971210010.html

180 Sentence arbitrale Costa Rica c. Grande Bretagne, 1923, précitée181 Law of Nullities NO.41

PARTIE 2 : Les principaux domaines impliqués par la contestation : des enjeux de souveraineté

OUATTARA Ibrahim - 2013 53

engagements envers la Royal Bank of Canada182. Le juge Taft, président de la Cour suprêmedes Etats-Unis, qui arbitra l’affaire, conclut que malgré la légitimité du gouvernement deTinoco, gouvernement de facto capable d’engager l’Etat, les contrats étaient inapplicables,car la Bank of Canada n’avait pas agi en vertu du principe de « bonne foi ». En effet, ladette avait été contractée alors que la popularité de Tinoco avait disparu et que les forcesd’opposition politiques et militaires montaient en puissance. De plus, le général Tinocoavait usé de l’argent prêté par la Royal Bank of Canada à la Banco Internacional à desfins purement personnelles, donc contre l’intérêt public. La Law of Nullities costaricaine futdéclarée valide.

L’IndonésieUn autre cas de répudiation de dette dite « odieuse » est celui de l’Indonésie qui, en

1949, lors de la Conférence de la Haye, accepte d’assumer une partie de la dette publiquehollandaise contractée avant l’occupation japonaise de 1942, mais refuse de participer auxremboursements des fonds ayant financé la répression militaire du mouvement de libérationnationale. L’accord débouche sur une participation indonésienne à hauteur de 4,5 milliardsde guildes hollandaises. Cependant, en 1956, l’Indonésie dénoncera cet accord comme «odieux ».

La théorie de la dette odieuse comme on l’a vu peut servir les intérêts des nouveauxEtats ou gouvernements. Néanmoins c’est un concept qui fait l’objet d’une difficileappropriation par les pays concernés ce qui rend dès lors son usage difficile.

Chapitre 2 : La difficile appropriation du concept par les paysconcernés

La décolonisation constitue l’un des phénomènes majeurs de la seconde moitié du XXemesiècle. Ainsi avec l’accession d’un nombre important d’Etats à la souveraineté étatique, ona pensé que cet évènement allait dès lors accroître la voix des « moins forts » sur la scèneinternationale et rendre plus crédible l’insertion juridique de la théorie de la dette odieuse.Mais divers facteurs juridiques et surtout politiques vont étouffer la voix des pays concernés.

Section 1 : Une difficile insertion juridique

D’après Antonio Cassese183, premier président du TPIY, la Convention de Vienne sur le droitdes traités, conclue en 1969, reflète les attentes du Tiers Monde et des pays socialistes. Eneffet, en codifiant des principes issus de la coutume appartenant au corpus du droit général,la Convention introduit des restrictions à la liberté invétérée des Etats qui s’apparente à une« democratization of international legal relations 184 ». A ce titre l’auteur note l’emphase misesur les valeurs internationales

Selon J. King185, cet élément est significatif de l’acceptation de la doctrine dans lediscours juridique, mais aussi de l’opposition du Nord, puisque le texte ne fut pas retenu.

182 La plaine de la Grande Bretagne concerne également la Central Costa Rica Petroleum Company, une corporation anglaisedont les droits d’exploitation furent annulés par la Law of Nullities. Ce cas ne tombe pas dans le champ de notre étude.183 A. Cassese, International law, Oxford Press, 2001, p. 127184 Ibid.

185 Ibid.

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

54 OUATTARA Ibrahim - 2013

D’autre part, l’article 46 sur les dispositions du droit interne concernant la compétence pourconclure des

traités valide le comportement de certains Etats, dans le cadre de la dette odieuse.Ainsi, le Pérou avait adopté dès 1860 une loi stipulant que tous actes commis par ungouvernement usurpateur seraient déclarés nuls et non avenus, et contraire à la Constitutionpéruvienne186. Cet article offre une opportunité considérable aux Etats à faible stabilitépolitique souhaitant se prémunir de futurs cas de dettes « odieuses ». Selon Anaïs TAMEN,« Les répudiations ex-post étant au jour d’aujourd’hui incertaines, car liées aux rapportsde force de l’ordre mondial actuel, la prévention des prêts frauduleux par leur invalidationdans le droit interne, voire au sein même de la Constitution, permettrait une réappropriationsignificative du droit, visant à terme une plus grande équité internationale »187. La notion dedette odieuse reste donc un élément de la doctrine, celle-ci n’étant pas une source classiquede droit international.

Si l’on recherche sa présence dans les sources du droit international telles que définiespar l’article 38 du Statut de la Cour Internationale de Justice188, les résultats ne sontpas forcément convaincants. Selon le droit international, il faut d’abord s’appuyer sur lesconventions qui lient les différents protagonistes. En matière de dettes, il y a toujours unaccord liant les parties. Mais cet accord n’est généralement pas illustrateur du caractèreodieux de la dette. En ce qui concerne les traités, on ne trouve que des références indirectes,tels que les articles 49 et 50 de la Convention de 1969 sur le droit des traités (corruptiondu représentant de l’Etat ou fraude).

Art. 50 Corruption du représentant d'un EtatSi l'expression du consentement d'un Etat à être lié par un traité a été obtenue au

moyen de la corruption de son représentant par l'action directe ou indirecte d'un autre Etatayant participé à la négociation, l'Etat peut invoquer cette corruption comme viciant sonconsentement à être lié par le traité.

Il faut souligner que l’évocation de l’article 50, ou l’article 49 sur la fraude,n’est pertinente que dans le cadre de contrats liant deux Etats. Cependant, lescas potentiellement concernés restent nombreux. La convention semble accorder uneimportance particulière à la

malhonnêteté potentielle des dirigeants et des créanciers189. Cette attention n’est pasanodine, puisque la notion de dette odieuse figure dans les travaux préparatoires de laConvention de Vienne sur la succession d'États en matière de biens, archives et dettesd'État, adoptée en 1983. Dans ce document, la Commission de Droit International desNations Unies définissait les dettes odieuses : «(…) comme des dettes contractées par legouvernement précédent en vue de réaliser des objectifs contraires aux intérêts majeurs del’Etat successeur ou qui ne sont pas conformes au droit international 190 ».

186 L’article 10 de la Constitution du 10 novembre 1860 stipule que « sont nuls les actes de ceux qui ont usurpé les fonctionspubliques et les emplois confiés sous les conditions prescrites par la Constitution et les lois

187 A. Tamen, précité.188 L’article 38 du statut de la CIJ cite comme sources du droit international les conventions internationales, la coutume, les

principes généraux de droit, la jurisprudence, la doctrine et l’équité.189 L’article 49 concerne sur les fraudes190 D’après J. King, 2002, p.31, précité, traduction opérée de l’Anglais par moi-même.

PARTIE 2 : Les principaux domaines impliqués par la contestation : des enjeux de souveraineté

OUATTARA Ibrahim - 2013 55

En ce qui concerne la coutume, elle constitue une source première du droit international,si et seulement si elle est la preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit.Or, « la pratique récente des Etats ne montre pas que la doctrine de la dette odieuse aitatteint le statut de droit. Les auteurs ne s’accordent pas sur l’ opinio juris de la doctrine,c'est-à-dire le fait qu’elle soit perçue par les Etats comme leur conférant des droits et desobligations tels, qu’ils doivent se conformer à celle-ci. Pour beaucoup, elle reste un élémentde la morale et n’a pas valeur de loi 191».

Une autre source du droit international est contenue dans les principes généraux dudroit. Parmi ceux-ci, on peut citer la bonne foi, utilisée dans l’affaire Tinoco, et la théorie del’enrichissement injuste. Inscrite dans la Convention de Vienne de 1969, la bonne foi stipuleque les parties d’un traité doivent avoir un « comportement juste, raisonnable, intègre ethonnête 192 ». L’abus de droit est ainsi contraire au principe de bonne foi193. Cependant, labonne foi reste un élément subjectif, dont l’invocation est nécessaire mais non suffisante.Le problème essentiel demeure de démontrer la mauvaise foi du créancier, autrement dit,il semble souvent très difficile de démontrer que le créancier connaissait les intentions dudébiteur au moment où il contractait. Par contre, avec le développement des nouvellestechnologies de l’information et de la communication (NTIC), l’enrichissement illicite estbeaucoup plus aisé à démontrer.

Parmi les décisions judiciaires, seule l’affaire Tinoco fait jurisprudence. Cependant, ceprécédent lie fermement le caractère légal des dettes publiques au respect de l’intérêt public.

De plus, la sentence Olmos194 nous offre un autre cas consigné par la Cour Suprêmeargentine, même si sa valeur est amoindrie par la prescription des faits et l’immunitéprotégeant les coupables désignés. Dans un célèbre jugement du 13 juillet 2000, la Coursuprême argentine déclarait la nullité de la dette argentine qui a gonflé pendant la dictature(1976-1983) et a poursuivi sa croissance lors des gouvernements civils de Raúl Alfonsinet plus encore de Carlos Menem. La justice argentine avait dénombré pas moins de 477délits dans la formation de cette dette. L’Argentine serait donc en droit de répudier toutesa dette illégitime.

S’agissant de la doctrine, elle reste divisée sur la question. Dans leur article J. Foormanet M. Jehle, les avocats de la First National Bank of Chicago, évoquaient leur crainteque la succession des dettes publiques naisse plus d’une obligation morale que d’uneobligation juridique195. En effet, l’Etat successeur hérite de la relation légale qui liait legouvernement précédent aux créanciers, et de ce fait, ne peut s’enrichir injustement auxdépens de ces derniers. Ces auteurs soutiennent que quand un gouvernement agit sur lascène internationale, à travers la signature d’accords ou de contrats internationaux, c’estl’Etat qui est engagé dans cet acte et les gouvernements successifs sont obligés d’exécuterces obligations en écartant tout à priori sur le caractère, la nature ou l’origine de la dette. Maisparallèlement, d’autres auteurs estiment qu’il est tout aussi injuste qu’un Etat en difficultéfinancière rembourse une dette dont il n’a pas bénéficié. Il semble donc, dans ce cas,

191 A. Tamen, précité.192 Commission Internationale de la chasse à la baleine, juillet 2001, cité par Anaïs Tamen193 Convention des Nations Unis sur le Droit de la Mer, art. 300194 CF. Site internet du CADTM www.cadtm.org195 J. Foorman & M. Jehle, Effects of State and Government Succession on Commercial bank Loans to Foreign Sovereign

Borrowers, University of Illinois Review n°11, 1982, cité par C.P. Abrahams, “The doctrine of odious debts” Rijks Universiteit Leiden

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

56 OUATTARA Ibrahim - 2013

que des droits basés sur des notions de justice ou de morale peuvent supplanter un droitcontractuel.

A ces difficultés juridiques s’ajoutent également d’autres tout à la fois juridiques etpolitiques qui justifient le frein porté à cette théorie révolutionnaire.

Section 2 : La non application de la doctrineSuite aux difficultés juridiques op-citées qui renforcent la portée des précédents examinés,la non-application de la doctrine étudiée n’est pas vraiment étonnante. Certes, cesdifficultés montrent avant tout la volonté de la Communauté internationale d’exclure du droitinternational certaines notions qui contribuent à le rendre plus souple et plus favorable auxEtats faibles. Nous relevons deux motifs majeurs de la non application de la doctrine ditede la dette odieuse.

La principale cause de la non-application est l’opposition des grandes puissances. Ils’agit cependant de préciser que le débat ne porte pas sur les dettes contractées par lescolonisateurs. Celles-ci ne furent pas mises à la charge des nouveaux Etats ipso jure etceux qui les assumèrent le firent volontairement, surtout pour des « raisons politiques».Les mêmes raisons freinèrent plus tard les Etats à répudier leurs dettes odieuses. Et pourcause : un Etat répudiant sa dette est un Etat qui s’isole de la communauté financièreinternationale. Or, en 1982, la crise de la dette mexicaine mit un terme à l’octroi frénétiquede prêts au Tiers-Monde. Les marchés financiers s’en détournèrent et les taux d’intérêtspratiqués augmentèrent dangereusement. De plus, les pays riches, touchés par les effetsde la crise pétrolière réduisirent considérablement leur aide au développement. A la mêmepériode, deux avocats de la First National Bank of Chicago196 produisirent un travail surl’endettement extérieur des pays du Tiers Monde : la théorie menaçait considérablementleurs intérêts et pouvait même les rendre complices des gouvernements usurpateurs. Aulieu de susciter chez les banquiers une plus grande considération des desseins de leursclients, l’article de J. Foorman et M. Jehle conforta leur position méfiante vis-à-vis des paysdu Tiers Monde. C’est donc la peur de la sanction des marchés financiers qui réfrènentles pays sous développés dans leur tentative de répudier des dettes. Lorsque les rebellesprirent le pouvoir au Nicaragua en 1979, ils reconsidèrent rapidement leur répudiationinitiale des dettes de Somoza quand Cuba leur conseilla de ne pas répudier les dettes dugouvernement précédent197. De même le gouvernement Mandela endossa les dettes del’apartheid, malgré la pression du mouvement catholique. Pourtant nombreux sont les payscandidats au « label odieux 198».

La seconde restriction importante à l’application de la doctrine de la dette odieuse estdue au fait que celle-ci n’a pas atteint le stade de l’opinio juris. Dès lors, selon la doctrine :

« Son emploi reste aléatoire, car il repose sur les rapports de force sous-jacents.La probabilité de création d’une règle de droit décroît avec l’importance ou lasensibilité du sujet abordé. De plus la soumission au droit est une fonctioninverse de la puissance des Etats. Par conséquent, et compte tenu de la toute-puissance de la finance dans les relations internationales, la création d’unerègle limitant ce pouvoir, et les bénéfices subjacents, est peu probable. La

196 Foorman et Jehle, précité.197 M. Kremer and S. Jayachandran, « unwisely alienate them from western capitalist countries»p.8, April 2002198 Appellation contenue dans la version française de l’article de Kremer et Jayachandran, site du FMI, www.imf.org/external/

french/ ‎ cf. bibliographie

PARTIE 2 : Les principaux domaines impliqués par la contestation : des enjeux de souveraineté

OUATTARA Ibrahim - 2013 57

notion de dette odieuse reste donc un élément de la doctrine, celle-ci n’étant pasune source classique de droit international» 199 .

199 Anaïs Tamen, précité

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

58 OUATTARA Ibrahim - 2013

Conclusion

Le droit international est un droit en permanente évolution. Cette évolution aussi lente soit-elle aboutira un jour ou l’autre à la reconnaissance de certains principes essentiels quivont dans le sens de la justice et non plus, de la politique et des intérêts des Etats. Ilreste sans doute beaucoup à faire mais on commence à observer une sensible évolutiondes choses. Dans le cas de la dette odieuse par exemple, des levées de boucliers ainsique des plaintes ont amené certains Etats ainsi que certaines institutions à prendre leursresponsabilités200. On voit ainsi progressivement émerger, sous l’influence de nombreusesinstitutions indépendantes, un droit de la dette odieuse.

Il est indéniable de ce point de vue, de constater l’évidente ingéniosité des payset gouvernements successeurs pour remettre en cause des aspects de la successiond’Etats ou de gouvernement. Malgré l’acharnement du droit international, ces pays n’ontde cesse d’imaginer des concepts plus ou moins innovants pour assouvir leur volonté desouveraineté. En l’occurrence, des théories comme la doctrine des traités inégaux, de ladette odieuse ou celle des bénéfices excessifs visaient un même but : permettre à cesEtats ou gouvernements nouvellement parvenus sur la scène internationale de retrouver unsemblant de dignité. Mais cette volonté était sans compter le droit international qui pose desrègles bien précises dans le cadre desquelles doit s’exercer cette souveraineté. On a plutôtl’impression que le droit international est un droit à deux vitesses qui accueille certainesthéories (continuité étatique) et refuse d’autres (notamment celles qui pourraient mettre àmal les intérêts des pays développés). De ce point de vue, autant J. P. Sartre affirme que la liberté individuelle s’arrête où commence celle des autres, autant on peut affirmer que lasouveraineté d’un Etat s’arrête où commence celle des autres. Pour autant cela n’autorisepas le droit international à établir une injustice.

C’est montrer là toute l’importance des rapports de force que joue la puissance dans ledroit international. Ce concept est utilisé pour légitimer même les causes les moins nobles.Les motivations relevant des valeurs partagées par la communauté internationale sont dèslors évoquées comme masque au « jeu juridique » des grandes puissances. La principalefonction du droit international devient clairement de préserver les intérêts des Etats. Quelleque soit la nature du droit invoqué par les Etats, ceux-ci légitiment leur action par l’usagedu discours juridique. Les règles de droit sont issues des pratiques des Etats : l’usus, quireflète leurs intérêts propres : « Toute règle a une origine politique »201. Dans le cas dela dette odieuse, on se rend compte de la nécessité pour les Etats créanciers de rejetercette idée et dès lors de légitimer tous les aspects classiques de la succession d’Etat etde gouvernement. Ainsi, les normes coutumières, autres sources du droit international, «répondent aux nécessités sociales du moment et sont engendrées par les rapports de forcetels qu’ils sont perçus par les acteurs 202». Ces normes créent une obligation relative aux

200 Le Parlement de l’UE a élaboré une proposition de remise de dette aux pays du printemps arabe pour motif de dettes odieuseset d’enrichissement illicite des anciens dirigeants.

201 A.Pellet, « Art du droit et des sciences des Relations Internationales » in Les relations internationales à l’épreuve de lascience politique : Mélanges Marcel Merle, Paris Economica, 1993, p.359.

202 Ibid., p.359

Conclusion

OUATTARA Ibrahim - 2013 59

Etats seulement s’ils les perçoivent comme fondées et/ou obligatoires: « Les Etats doiventavoir le sentiment de se conformer à une obligation juridique. Ni la fréquence, ni le caractèrehabituel des actes ne suffisent.203 ».

203 Cour International de Justice, Affaire du plateau continental de la Mer du Nord, 1969, cité par M.Lefebvre, p.58, 2000.

Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

60 OUATTARA Ibrahim - 2013

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Annuaire Français de Droit International

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Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités

Convention de Vienne du 23 août 1978 sur la succession d’Etats en matière de traités

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Convention multilatérale de La Haye de 1907 dite Convention n° 2 ou ConventionDrago Porter: Convention prohibant le recours à l’usage de la force dans lerecouvrement des dettes

Résolution 1803 (XXII) du 14 décembre 1962 de l’AG de l’ONU : Souverainetépermanente sur les ressources naturelles.

Résolution 2089 (XX) du 20 décembre 1965 de l’Assemblée Générale: création del’ONU pour le développement industriel

Résolution 2152 (XXI) du 17 novembre 1966 de l'Assemblée générale : ONU pour ledéveloppement industriel

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Les aspects conflictuels de la succession d’Etats et de gouvernements : la souveraineté àl’épreuve du droit international

66 OUATTARA Ibrahim - 2013

Annexes

Annexe 1 Ouvrage de Alexander Nahum SACK, Les effets des transformations des Etats sur leursdettes publiques, disponible gratuitement sur le site du CADTM

Lien internet : http://cadtm.org/IMG/pdf/Alexander_Sack_DETTE_ODIEUSE.pdf</RepeatBlock-By>

Annexe 2Résolution du Parlement européen sur le recouvrement d'avoirs par les pays duprintemps arabe en transition

(2013/2612(RSP))Le Parlement européen,–vu ses résolutions antérieures sur la politique européenne de voisinage, l'Union pour la

Méditerranée et les pays du voisinage méridional, que sont notamment la Tunisie, l'Égypte,la Libye et le Maroc,

–vu la convention des Nations unies contre la corruption de 2003, qui est entréeen vigueur en 2005 et a été approuvée, au nom de l'Union européenne, par la décision2008/801/CE du Conseil du 25 septembre 2008,

–vu la résolution 19/38 du 19 avril 2012 du Conseil des droits de l'homme des Nationsunies sur les effets négatifs du non-rapatriement des fonds d'origine illicite dans les paysd'origine sur la jouissance des droits de l'homme et l'enjeu de l'amélioration de la coopérationinternationale,

–vu le rapport final du forum arabe sur le recouvrement des avoirs du 13 septembre2012,

–vu les principes juridiques relatifs à l'annulation des dettes illégitimes et odieuses endroit international,

–vu sa résolution du 10 mai 2012 sur "le commerce pour le changement: stratégiede l'Union européenne en matière de commerce et d'investissements pour le sud dela Méditerranée après les révolutions du Printemps arabe"204, et en particulier sonparagraphe 6,

–vu le plan d'action UE-Égypte de 2007 et l'accord d'association UE-Égypte, qui est

entré en vigueur le 1er juin 2004,

204 Textes adoptés de cette date, P7_TA(2012)0201.

Annexes

OUATTARA Ibrahim - 2013 67

–vu le règlement (UE) n° 270/2011 du Conseil du 21 mars 2011 concernant des mesuresrestrictives à l'encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de lasituation en Égypte, ainsi que le règlement (UE) n° 1099/2012 qui l'a modifié,

–vu les conclusions des coprésidents publiées à l'issue de la réunion du groupe detravail UE-Égypte du 14 novembre 2012,

–vu l'accord euro-méditerranéen d'association entre l'Union européenne et la Tunisie,

entré en vigueur le 1er mars 1998, et le plan d'action UE-Tunisie, entré en vigueur le4 juillet 2005,

–vu le règlement (UE) n° 101/2011 du Conseil du 4 février 2011 concernant des mesuresrestrictives à l'encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de lasituation en Tunisie, ainsi que le règlement (UE) n° 1100/2012 qui l'a modifié,

–vu les conclusions des coprésidents publiées à l'issue de la réunion du groupe detravail UE-Tunisie des 28 et 29 septembre 2011,

–vu les négociations menées actuellement sur la conclusion d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et la Tunisie,

–vu les négociations d'un accord d'association UE-Libye ouvertes sous le régime deMouammar Kadhafi et interrompues en 2011,

–vu la décision 2011/137/PESC du Conseil du 28 février 2011 concernant des mesuresrestrictives en raison de la situation en Libye, ainsi que les décisions 2011/625/PESC et2011/178/PESC qui l'ont modifiée, le règlement (UE) n° 204/2011 du Conseil du 2 mars 2011concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye, ainsi que le règlement(UE) n° 965/2011 qui l'a modifié, et les règlements d'exécution (UE) n° 364/2013 et

no 50/2013 du Conseil mettant en œuvre l’article 16, paragraphe 2, du règlement (UE) n°204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye,

–vu l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre l'Union européenneet ses États membres, d'une part, et le Royaume du Maroc, d'autre part, et notamment sonarticle 2,

–vu le statut avancé accordé au Maroc en octobre 2008,–vu les négociations en cours sur l'établissement d'une zone de libre-échange

approfondi et complet entre l'Union européenne et le Maroc, négociations qui se sont

ouvertes le 1er mars 2013,–vu l'article 110, paragraphe 2, de son règlement,A.considérant que le processus de Barcelone, engagé en 1995, a débouché sur la

signature d'accords d'association entre l'Union européenne et une douzaine de pays duSud de la Méditerranée; considérant que la feuille de route de Rabat, dressée en 2005,met l'accent sur l'adoption d'accords de libre-échange et sur la poursuite de la libéralisationplutôt que sur

le développement équilibré de la région dans l'intérêt des travailleurs et des personnespauvres;

B.considérant que plusieurs pays du nord de l'Afrique, du Proche-Orient et de lapéninsule arabique ont été touchés – et le sont toujours – par d'importants mouvements detravailleurs et de citoyens demandant de meilleures conditions de vie et des mesures contre

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l'injustice, le chômage et la corruption, et exigeant davantage de démocratie et de droits, lajustice sociale et la fin de l'exploitation, de l'oppression et de la guerre;

C.considérant que les diverses politiques d'ajustement structurel (déréglementation desprix des denrées alimentaires, privatisations et mesures d'austérité) imposées par le FMI etles organisations internationales pendant des décennies jouent un rôle considérable dansles problèmes sociaux et économiques, tels que le chômage et la pauvreté, qui ont été àl'origine des soulèvements populaires qui ont eu lieu dans ces pays;

D.considérant que le recouvrement de leurs avoirs par les pays du Printemps arabeconstitue un impératif moral et un enjeu éminemment politique dans les relations de l'Unioneuropéenne avec son voisinage méridional; considérant qu'il s'agit également d'un enjeuéconomique important pour les voisins méridionaux de l'Union concernés, ces avoirs, s'ilssont restitués et employés avec transparence et efficacité, étant susceptibles de contribuer àla reprise de leur économie; considérant que le recouvrement des avoirs a un effet préventif,en adressant un message ferme contre l'impunité des personnes mêlées aux affaires decorruption;

E.considérant que l'Union européenne, et notamment les gouvernements de certainsÉtats membres, ainsi que les États-Unis, qui, pendant des décennies, ont soutenu desrégimes antidémocratiques, ont une responsabilité particulière dans la situation sociale etéconomique à l'origine soulèvements; considérant que les évolutions qui ont eu lieu enAfrique du Nord, au Proche-Orient et dans la péninsule arabique depuis 2011 ont révélél'échec fondamental de la politique de l'Union européenne à l'égard des pays du sud dela Méditerranée; considérant que les principes de la nouvelle politique européenne devoisinage (PEV) sont les mêmes que ceux qui ont entraîné l'échec de la PEV précédente,à savoir, notamment, la négociation d'accords de libre-échange approfondis et complets etla libéralisation des économies des pays tiers;

F.considérant que la dette constitue, pour les puissances étrangères et financières,jouissant de la complicité des élites locales au pouvoir, un puissant moyen d'action dontl'utilisation conduit à des violations de la souveraineté nationale, à l'appauvrissementgénéralisé des populations et au recul brutal des droits économiques et sociaux deshabitants; considérant que, sous les dictatures, les dettes odieuses et illégitimes ont servide moyen de soumission politique et de mécanisme de transfert de revenus du travail aucapital, surtout mondial; considérant qu'elles servent actuellement à maintenir la dominationnéocoloniale sur les économies des pays du sud de la Méditerranée;

G.considérant qu'en droit international, trois critères définissent la dette odieuse:l'absence de consentement de la population de l'État endetté; l'absence de bénéfices pourla population de l'État endetté; et la connaissance, par les créanciers, du fait que les prêtsqu'ils accordaient ne servaient pas les intérêts de la population et que celle-ci ne les avaitpas approuvés; considérant que la dette du Sud a déjà été remboursée plusieurs fois;considérant qu'elle constitue, au Sud comme au Nord, un puissant moyen de transfert desrichesses productives vers le capital;

H.considérant que, depuis des mois, l'Égypte ne parvient pas à sortir de la crise politiqueet économique dans laquelle elle se trouve; considérant que plus de 3 400 actions deprotestation (grèves et occupations, le plus souvent) ont eu lieu à travers l'Égypte, en2012, pour dénoncer des problèmes économiques et sociaux; considérant que l'Égypte adéboursé plus de 80 milliards d'USD en remboursement de sa dette extérieure et de sesintérêts entre 1981 et 2012; considérant que l'Égypte a été contrainte, par des pressions,à adopter les réformes d'austérité économique nécessaires pour pouvoir bénéficier d'un

Annexes

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dispositif de prêt du FMI d'un montant de 4,8 milliards d'USD; considérant que ces réformesd'austérité visant à maîtriser les déficits entraîneront une détérioration des conditions detravail, des conditions sociales et des conditions de vie de la population égyptienne;

I.considérant que, lorsque le dictateur tunisien Zine el-Abidine Ben Ali a été chassé dupouvoir, la Tunisie ployait sous le poids d'une dette publique extérieure d'un montant de 14,4milliards d'USD, obstacle majeur au développement du peuple tunisien; considérant que,selon les données de la banque centrale tunisienne, de 1970 à 2009, la Tunisie a remboursé2,47 milliards d'USD de plus que le montant de son emprunt; considérant qu'un tel degréd'endettement n'a pas amélioré les conditions de vie de la population et que la richesseaccumulée pendant vingt-trois années de pouvoir par le clan Ben Ali est une preuve de lacomplicité d'un certain nombre de créanciers;

J.considérant que les gouvernements arrivés au pouvoir en Tunisie et en Égypte aprèsl'éviction des dictateurs Ben Ali et Housni Moubarak ont eux mêmes contracté de nouvellesdettes, beaucoup plus profitables aux créanciers qu'aux populations, afin de rembourser lesdettes odieuses héritées des régimes dictatoriaux qui les avaient précédés; considérant quela Tunisie et l'Égypte négocient actuellement de nouvelles modalités avec le FMI servant àpoursuivre leurs remboursements des dettes odieuses dont elles ont hérité;

K.considérant que l'économie de la Libye ne s'est pas redressée après la guerre, saufpour ce qui concerne le secteur pétrolier; considérant que la division politique et économiquedu pays s'est faite en grande partie dans l'intérêt des investisseurs étrangers; considérantque le nouveau gouvernement a renoué avec le processus de libéralisation du pays, quiavait été engagé en 2003;

L.considérant que le Maroc est le premier bénéficiaire des fonds de l'Unionparmi les pays du sud du bassin méditerranéen; considérant que la Société nationaled'investissement (SNI), premier holding privé du Maroc, est détenue en majorité parMohammed VI, roi du Maroc; considérant que 50 % des sociétés cotées à la bourse deCasablanca sont liées à la famille royale marocaine; considérant qu'en 2012, la dettepublique du Maroc atteignait 71 %

de son PIB; considérant qu'entre 1983 et 2011, le Maroc a remboursé 115 milliardsd'USD au titre de sa dette publique, soit huit fois sa dette initiale, et qu'il lui reste encore23 milliards d'USD à rembourser; considérant que le Maroc occupe illégalement le Saharaoccidental;

M.considérant que, si jusqu'à présent le Maroc et Bahreïn n'ont pas connu dechangement de régime, les deux pays sont une illustration du fait que l'Union européenneprête de l'argent à des régimes autoritaires et oppressifs réprimant les opposants dans labrutalité;

1.souligne que, par-delà son importance économique, la restitution aux pays duPrintemps arabe des avoirs détournés qui ont été volés par leurs dictateurs, anciens etactuels, et par leurs régimes est un impératif moral et un enjeu éminemment politique,car elle symbolise le rétablissement de la justice et de la responsabilité dans l'esprit de ladémocratie et de l'état de droit; estime cependant que la question de la dette de ces paysest cruciale et que le recouvrement des avoirs doit être vu comme partie du problème desdettes odieuses et illégitimes;

2.estime que la communauté internationale devrait mettre en place un système robusted'accords et de normes internationaux relatif à la corruption, au blanchiment d'argent et àleur répression, notamment à partir de la convention des Nations unies contre la corruptionde 2003; invite la communauté internationale à prendre toutes les mesures qui s'imposent

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pour recenser et geler les avoirs issus de la corruption en Tunisie, en Égypte, en Libye etau Maroc;

3.condamne le soutien que l'Union européenne et notamment certains gouvernementsdes États membres ont apporté à ces régimes pendant des décennies; attire l'attention surla connivence et la complicité des États-Unis et de l'Union européenne, dont ces régimesont bénéficié au motif qu'ils représentaient une protection contre l'islamisme;

4.rappelle le paragraphe 6 de sa résolution du 10 mai 2012, dans lequel il juge odieusela dette publique extérieure des pays d'Afrique du Nord et du Proche-Orient, sachant qu'ellea été accumulée par les régimes dictatoriaux, par le biais principalement de l'enrichissementpersonnel des élites politiques et économiques et de l'achat d'armes, utilisées dans biendes cas pour opprimer leurs propres populations; demande dès lors un réexamen de cettedette, et notamment de celle liée aux dépenses d'armement;

5.soutient toutes les campagnes d'audits citoyens des dettes pour localiser et annulersans condition toutes les dettes odieuses et illégitimes; rejette à cet égard tous les échangesou conversions de dette servant à blanchir ces fonds; estime que les gouvernementsdevraient également demander à leurs créanciers de rendre des comptes pour leursactes illicites et exiger des réparations pour le préjudice causé; invite instamment tous lesgouvernements, du Sud comme du Nord, à procéder à de tels audits de la dette, comme laNorvège et l'Équateur l'avaient fait en 2006;

6.demande la suspension immédiate des remboursements à l'Union européennede la dette de la Tunisie et de l'Égypte (avec gel des intérêts) et la réalisation d'unaudit de cette dette, auquel la société civile doit impérativement être associée, seulmoyen de faire la lumière sur la destination des fonds empruntés, les circonstances quientourent la conclusion des contrats de prêts, les conditions fixées et leurs conséquencesenvironnementales, sociales et économiques; insiste sur l'importance de réaliser l'audit deces dettes, car il permettra de cerner la part illégitime de la dette tunisienne et égyptienneet d'éviter la formation d'un nouveau cycle d'endettement illégitime et insoutenable, touten mettant en évidence la responsabilité des créanciers européens et des institutionsfinancières internationales au sein desquelles les États membres de l'Union européennejouent un rôle prépondérant;

7.réaffirme sa solidarité avec les luttes et les soulèvements des peuples d'Afrique duNord, du Proche-Orient et de la péninsule arabique pour obtenir de meilleures conditionsde vie, des droits sociaux et du travail, la liberté et la démocratie;

8.souligne que ces révoltes ont mis en évidence l'échec de la politique européennede voisinage et la nécessité de réviser de toute urgence la politique extérieure de l'Unioneuropéenne; demande à l'Union européenne d'établir un nouveau cadre de relationsavec ces pays et ces régions, qui soit fondé sur le principe de la non-intervention dansleurs affaires intérieures et sur le respect de leur souveraineté, en visant à soutenir ledéveloppement des régions limitrophes et à favoriser l'emploi et l'éducation, plutôt que surla conclusion d'"accords d'association" principalement destinés à mettre en place des zonesde libre-échange qui servent les intérêts des entreprises européennes;

9.est fermement opposé aux conditions dont les prêts du FMI sont assortis, car ellesfavoriseront la détérioration des conditions de vie des travailleurs et des catégories les plusvulnérables de la société, notamment des femmes, dont le rôle a été décisif dans la transitiondémocratique de ces pays;

10.réaffirme sa condamnation de l'intervention militaire en Libye menée par la France,le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada, sous les auspices de l'OTAN; souligne que

Annexes

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les revendications politiques, économiques et sociales émanant de la mobilisation populairecontre le régime de Mouammar Kadhafi sont loin d'avoir trouvé une réponse; est égalementpréoccupé par la division économique et politique actuelle du pays, qui aggrave la situationde fragilité de la population, et réaffirme son soutien au droit inaliénable des peuples àl'accès et à la maîtrise des ressources de leurs pays;

11.estime que le régime du Maroc est corrompu et répressif, et analogue aux régimesde Moubarak et de Ben Ali; soutient le mouvement des femmes marocaines contre lesabus des organismes de microcrédit financés par le FMI; réaffirme que la souveraineté duMaroc sur le Sahara occidental n'a jamais été reconnue en droit international; exige que laCommission et le Conseil suspendent l'accord d'association entre l'Union européenne et leRoyaume du Maroc, de même que le statut avancé accordé au Maroc, tant que le royaumene se conformera pas au droit international, en particulier aux résolutions des Nations uniesappelant à l'organisation d'un référendum d'autodétermination au Sahara occidental et àl'achèvement de la décolonisation, mettant fin à l'occupation de celui-ci par le Maroc;

12.critique avec force le commerce des armes qui a été pratiqué à grande échellepar des États membres de l'Union européenne avec la Libye, l'Égypte et d'autres régimesrépressifs, tels que ceux du Maroc, de Bahreïn et de l'Arabie saoudite;

13.charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la vice-présidente de la Commission / haute représentante de l'Union pour les affaires étrangèreset la politique de sécurité, aux gouvernements et aux parlements des États membres, àl'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée et à l'Union africaine, ainsi qu'auxgouvernements et aux parlements de l'Égypte, de la Tunisie, de la Libye et du Maroc.

RésuméLa succession d’Etats et de gouvernements demeure un évènement majeur en droitinternational : majeur aussi bien par son caractère symbolique que par les conséquencesqu’il emporte. C’est en raison de tous ces enjeux que la société internationale a décidéd’encadrer ces évènements par toute une série de règles. Ces règles édictées avantl’avènement de certains Etats sur la scène internationale ont été jugées pour certaines,attentatoires à leur souveraineté. Dès lors, nombreuses sont les techniques déployéespour les remettre en cause. Ces techniques justifiées parfois par le droit et parfois parl’idée de justice auront réussi à fleurir à une époque où les pays du Tiers Monde étaientencore assez unis pour les faire prospérer sur la scène internationale. Dans un monde enperpétuelle évolution et marqué notamment par de nombreux soubresauts dans certainspays (printemps arabes, coups d’Etats en Afrique, et même la crise financière etc), ce sujetse veut d’actualité : il ne sera pas étonnant de voir dans un proche avenir se renforcer cesrègles qui s’affirment timidement pour certaines (dette odieuse, bénéfices excessifs).

Mots-clés Droit international, souveraineté, succession d’Etats, succession de gouvernements, detteodieuse, théorie des bénéfices excessifs, concessions territoriales, doctrine des traités

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inégaux, théorie des droits acquis, principe de la continuité de l’Etat, intégrité territoriale,nationalisations, décolonisation, nouvel ordre économique international.

Liste des acronymes et abréviations∙ A.C.D.I (Annuaire de la Commission du Droit International)∙ A.F.D.I (Annuaire Français de Droit International)∙ CDI(Commission du Droit International)∙ CIJ (Cour Internationale de Justice)∙ CPJI (Cour Permanente de Justice Internationale)∙ G.T.D.I.P (Grands Textes de Droit International)∙ ONU (Organisation des nations Unies)∙ R.G.D.I.P (Revue Générale de Droit International Public)∙ RSA (Recueil de sentences arbitrales)∙ Rec. (Recueil CIJ)∙ S.F.D.I (Société Française de Droit International)