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Institut d’Etudes Politiques de Lyon – Année 2010-2011 Mémoire de 4 ème année Apports et limites des organisations de commerce équitable dans la démocratie de marché à partir du contexte bolivien Olivier TENES Séminaire « Enjeux socio-économiques et territoriaux dans les pays du Sud » Sous la direction de Karine Bennafla Soutenance le1 er juillet 2011 Jury : Karine Bennafla et Isabelle Hillenkamp

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Institut d’Etudes Politiques de Lyon – Année 2010-2011Mémoire de 4ème année

Apports et limites des organisations decommerce équitable dans la démocratie demarché à partir du contexte bolivien

Olivier TENESSéminaire « Enjeux socio-économiques et territoriaux dans les pays du Sud »

Sous la direction de Karine Bennafla

Soutenance le1er juillet 2011

Jury : Karine Bennafla et Isabelle Hillenkamp

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Table des matièresRemerciements . . 4Résumé . . 5Introduction . . 6I/ Principes fondamentaux et fonctionnement du commerce équitable . . 15

1.Principes et place du commerce équitable dans la société . . 15A.Principes et relations avec les domaines connexes . . 15B.Une critique du capitalisme à l’échelle internationale . . 19C.Les différents acteurs clés . . 21

2.Réalité et enjeux du commerce équitable en Bolivie . . 26A.Contexte socio-économique et politique de la Bolivie . . 26B.Emergence et développement du commerce équitable en Bolivie . . 29C.Les acteurs du commerce équitable en Bolivie . . 31D.L’importance du soutien politique : Rôle du MAS . . 37

3.Le cas de l’Association Señor de Mayo . . 41A.Processus économique . . 42B.Organisation interne et processus de prise de décision . . 46C.La dimension sociale de l’Association . . 51

II/ Les limites du commerce équitable et les pistes d'améliorations . . 531.Les limites liées aux principes-mêmes du commerce équitable . . 53

A.Limites dans la filière intensive . . 53B.Limites dans la filière intégrée spécialisée . . 58C.Limites des organisations de producteurs . . 60D.Des limites transversales aux acteurs du commerce équitable . . 64

2.Les limites et risques liés à l’ouverture aux marchés . . 67A.Causes et conséquences de l’isomorphisme . . 67B.Risques inhérents à l’augmentation de la production . . 71

3.Des solutions envisageables . . 74A.Les solutions pour les producteurs et leurs organisations . . 74B.Vers une unité des filières . . 80C.Les changements institutionnels et politiques nécessaires . . 83

Conclusion . . 86Bibliographie . . 89Liste des acronymes . . 95Annexes . . 96

Annexe 1 . . 96Annexe 2 . . 96Annexe 3 . . 97Annexe 4 . . 98Annexe 5 . . 99

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RemerciementsJe souhaite adresser mes sincères remerciements à Karine Bennafla pour son suivi, ses conseilsavisés et ses recommandations concernant le choix du sujet. Les travaux et les textes proposés,durant son séminaire, sur les enjeux socio-économiques et territoriaux dans les pays du Sud, m’ontégalement été utiles quant à la façon d’aborder le sujet de recherche.

Je tiens aussi à remercier tout particulièrement Isabelle Hillenkamp, spécialiste des questionsd’économie solidaire en Bolivie, pour nos échanges, sa participation au jury et pour m’avoir permisd’utiliser ses travaux qui ont largement contribué à l’enrichissement de ce mémoire.

Merci à Luismi Uharte, sociologue espagnol, spécialiste des questions politiques et socialesen Amérique latine, pour nos correspondances qui m’ont permis d’avoir une vision plus globaledu commerce équitable, en Amérique latine. Merci aussi à Benoit Cret, professeur à l’IEP, qui m’abeaucoup appris sur la sociologie des marchés et qui m’a recommandé des études particulièrementpertinentes pour mon travail.

Je remercie sincèrement mes parents et ma sœur pour m’avoir soutenu tout au long de laréalisation de ce mémoire. Merci à mes amis pour les bons moments de décontraction et, enfin,merci à celle qui m’a toujours encouragé et soutenu pendant cette période.

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Résumé

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RésuméApports et limites des organisations de commerce équitable dans la démocratie de marché à partirdu contexte Bolivien

Ce mémoire étudie le fonctionnement et les enjeux des organisations de commerce équitabledans la démocratie de marché. En s’appuyant sur l’exemple bolivien, ce travail essaye de mettre enparallèle les différents apports et les difficultés que rencontrent les acteurs du commerce équitabledans le développement de leur activité. En reprenant diverses études de terrain, ainsi qu’en étudiantle cas d’une organisation bolivienne spécifique de commerce équitable, ce mémoire vise à mettreen lumière la réalité de cette forme alternative d’échange. On peut alors se rendre compte desavantages concrets que procure sa mise en place aussi bien sur le plan économique que social.En outre, on peut distinguer les limites inhérentes, d’une part, à son fonctionnement, avec lesproblèmes de fairwashing, du prix équitable et de concurrence entre les acteurs, et, d’autre part,des limites liées à son expansion avec des risques d’isomorphisme et l’impact environnementalqu’il peut avoir. Nous verrons alors également comment ces limites peuvent être comblées pourvaloriser son fonctionnement afin qu’il s’inscrive dans un développement durable, économique,social et environnemental.

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Introduction

« Quiconque travaille, a droit à une rémunération équitable et satisfaisante luiassurant, ainsi qu’à sa famille, une existence conforme à la dignité humaine ».Article 23.3 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948.

Le projet du commerce équitable, en revendiquant une modification des règles ducommerce international pour une rémunération plus juste des petits producteurs, appelleen quelque sorte à une application directe et rigoureuse de cet Article de la Déclarationdes Droits de l’Homme. Il part d’un constat simple : l’indéniable écart historique dedéveloppement entre le Nord et le Sud. Bien que le marché ait permis au cours des dernièresdécennies d’élever le niveau de vie d’une partie de la population, notamment en Asie duSud Est (Osteria 2004), de nombreuses études prouvent que l’écart entre les plus richeset les plus pauvres ne cesse d’augmenter (Bourdeau et al. 2010). En outre, un rapport desNations Unies souligne que près du quart des travailleurs du monde ne gagnent pas assezpour s’élever avec leur famille au-dessus du seuil de pauvreté, soit 1 dollar par jour1. Lecommerce équitable a donc pour ambition de remédier à ces deux problèmes en facilitantl’accès au marché pour les plus démunis et en créant de nouveaux mécanismes de marchécomme outil de développement économique et social. Mais avant de commencer à analyserles apports et les limites du commerce équitable dans la démocratie de marché, il estimportant de présenter le cadre de cette étude.

Cadre de l’étudeNotre étude va donc s’intéresser aux apports et limites du commerce équitable dans la

démocratie de marché en Bolivie. Le terme de « démocratie de marché » n’est pas anodinpuisqu’il permet d’analyser la viabilité du projet de commerce équitable tant sur le plandémocratique que sur le plan économique. Cela permet d’avoir une mesure plus précisede ses effets dans la société et de couvrir deux domaines majeurs pour le développementdes populations concernées.

Il convient donc de s’interroger tout d’abord sur les points forts du commerce équitable,sur le plan démocratique. En quoi le commerce équitable peut-il être vecteur de davantagede démocratie ? Comment se mettent en place ces mécanismes ? Comment tester sa valeuréconomique. En quoi le commerce équitable apporte-t-il de la richesse ? Quel est sa placesur les marchés ? Qui sont les acteurs ? Comment s’organisent-ils ?

Il sera également intéressant d’analyser, dans une deuxième partie, les limites réelles etpotentielles du commerce équitable (CE) dans ces deux sphères. En quoi peut-il être vecteurde communautarisme ? Quelles sont ses difficultés à s’insérer au marché ? L’intégration aumarché est-elle légitime ? Jusqu’à quel point ? Quels sont les risques liés à l’intégration desmarchés ? En quoi et comment le commerce équitable peut-il reproduire les mécanismesdu marché pour lesquels il se revendique fermement opposé ? Est-il réellement unealternative ? Doit-il rester au niveau micro-économique pour respecter ses valeurs et sesprincipes sociaux ?

Afin de répondre à ces questions, la première partie de notre approche se centrera surles mécanismes du commerce équitable. Il sera alors question d’étudier son fonctionnement

1 Source : http://www.aidh.org/mill/2005-sit-soc.htm

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Introduction

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général et de voir ses apports tant sur le plan démocratique qu’économique. Nous ferons unrapprochement progressif, en partant de l’échelle macroéconomique, avec la présentationdes mécanismes généraux, puis des enjeux et fonctionnements à l’échelle nationale de laBolivie, pour terminer, à une échelle micro-économique, avec l’étude d’une organisation deCE bolivienne spécifique.

La deuxième partie permettra ensuite d’approfondir l’étude par l’analyse des limitesaux différents niveaux et dans les deux sphères de l’étude, démocratique et économique.Il conviendra ainsi d’étudier les limites du commerce équitable dans son fonctionnementactuel. On verra ensuite les limites sous-jacentes à l’ouverture du CE au marché et lesrisques liés à son intégration. Enfin, le fruit de cette analyse sera mis à profit par laproposition de solutions envisageables pour pallier les limites soulignées précédemment.Ces propositions ne doivent naturellement pas être perçues comme des solutions « clésen main » mais plutôt comme des pistes de réflexion pour tenter de limiter les difficultésrencontrées par le commerce équitable. Il ne s’agit pas non plus de remettre en causel’activité des organisations en lien avec cette forme de commerce mais plutôt d’aider àtrouver des solutions aux problèmes que peuvent rencontrer les acteurs et défenseurs ducommerce équitable pour leur permettre de concrétiser plus efficacement les principes deleur action.

Cependant, avant de commencer, il semble nécessaire de réaliser une brèveprésentation des notions clés de cette étude ainsi que du terrain étudié, la Bolivie. Ilconviendra également de revenir sur la méthodologie utilisée pour mener à bien ce mémoire.

Développement et réalités de la démocratie de marchéLes modèles de démocratie de marché puisent leur origine dans la Révolution française

et dans la révolution industrielle britannique, à partir de la fin du XVIIIème siècle. Lestravaux d’Adam Smith (Smith 2000) ont ainsi montré l’émergence du marché commefigure organisatrice d’un nouvel ordre social, ayant pour vocation de supplanter l’AncienRégime. Boltansky et Thèvenot vont alors souligner le passage d’une cité domestiqueà une cité marchande (Boltansky et Thevenot 1991). L’individu est au centre de cettetransformation. Il est désormais considéré d’après Dumont (1983) comme un « être moral,indépendant, autonome et ainsi non social, tel qu’on le rencontre avant tout dans notreidéologie moderne de l’homme et de la société2 ». Le concept de marché autorégulateurest fondé sur cette idéologie et va la consacrer, en posant le principe d’égalité de statutentre les individus participant à l’échange et des choses échangées (Hillenkamp 2009). Lesmonnaies universelles vont alors faciliter les échanges et être vectrices de liberté pour lesindividus (Laville 1994). Mais comme le souligne Laville, « ce système économique n’auraitpas pu se concevoir sans l’institution préalable d’une communauté politique se fixant pourhorizon la liberté et l’égalité entre tous les hommes » (Laville 1994).

Cette communauté politique c’est la démocratie. C’est ainsi que marché et démocratievont naître de la séparation entre public et privé et partager l’idéologie de l’individualisme.Max Weber souligne alors le déclin du poids des religions dans l’instauration de valeurs, auprofit d’un nouvel ordre, de nature politique : la démocratie. Toutefois, la démocratie et lemarché vont permettre la création de nouveaux espaces publics qui seront l’interface entrela sphère privée et la sphère politique publique (Habermas 1997). Ces deux changementsmajeurs consacrent alors la « liberté de l’individu » et la fin de l’Ancien Régime.

Ce nouveau modèle, censé garantir le lien social par la combinaison entre poursuited’intérêts individuels et libre-échange sur les marchés, va cependant être largement critiqué

2 (Dumont 1983) p.69

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avec le développement de la sociologie. Ainsi, Charles Gide et Charles Rist vont soulignerl’insuffisance du marché et de l’échange dans la construction de la solidarité, et vont insistersur l’association professionnelle, le mutualisme et le coopérativisme comme facteur de liensocial (Gide et Rist 1959).

Le XIXème siècle va être marqué par la création de nombreuses associations ouautres organisations revendiquant leur opposition au capitalisme (Demoustier 2001).C’est l’avènement de ce que l’on appellera l’économie sociale inspirée du socialismeassociationiste de Charles Fourier ou Robert Owen3.

Le modèle de démocratie de marché européen s’est diffusé en Amérique latine entrois vagues distinctes. Une première phase lors des Républiques oligarchiques, qui s’étenddes indépendances aux premières décennies du XXème siècle ; une deuxième avec l’Etat-développementaliste des années 1940 aux années 1970 ; et, enfin, lors d’une troisièmepériode, à partir des années 1980 jusqu’à nos jours. Lors des Républiques oligarchiques ledébut des indépendances va marquer un renouveau avec la mise en place de démocratiessur le modèle européen ou nord-américain. Toutefois, cela restera des démocraties defaçade au sein desquelles les populations indigènes et métisses, pourtant majoritaires,subiront un colonialisme interne (Hillenkamp 2009).

Sur le plan économique, les pays vont se spécialiser dans l’exportation de matièrespremières, avec l’appui de capitaux européens et nord-américains, qui vont renforcer ledualisme de l’économie prolongeant ainsi le modèle colonial d’exploitation (Galeano 2001).L’oligarchie latino-américaine soutient le modèle d’exportation des matières premières etd’investissements étrangers, et se maintient au pouvoir grâce au système du caudillisme4

(Hillenkamp 2009).La crise de 1929 fera alors apparaître la dépendance vis-à-vis des pays importateurs

européens et nord-américains (Dabène 1999), et donnera naissance à la deuxième vaguede démocratie de marché, fondée sur un fort dirigisme étatique : l’Etat-développementaliste.C’est dans ce contexte que les différents gouvernements vont nationaliser les entrepriseset octroyer des prestations sociales pour les ouvriers et les salariés. Un mécanisme decitoyenneté « pactée » va alors s’opérer (Hillenkamp 2009) c'est-à-dire qu’elle s’échangecontre la soumission au régime populiste. Néanmoins, dans cette période de forteindustrialisation, les populations rurales, et particulièrement les indigènes, resteront exclusdes avancées économiques et sociales (Galeano 2001).

A partir des années 1970, les régimes dictatoriaux vont poursuivre le clientélisme,maintenir les prestations sociales –donc le modèle de citoyenneté sociale- mais vont fairedisparaître le modèle de citoyenneté politique en réprimant sévèrement les opposants au

3 Charles Fourier avait développé les « phalanstères », sorte de micro-sociétés regroupant des producteurs assimilant le lieude vie au lieu de travail. Richard Owen était, lui, un défenseur des villages communautaires et sera un des premiers à démontrer quel’amélioration des conditions de vie des ouvriers va de pair avec l’augmentation de la productivité. On peut également citer dans laligné de ces deux précurseurs, Pierre Joseph Proudhon, théoricien du mutualisme et du fédéralisme, ou encore Friedrich WilhelmRaiffeisen, qui développa la coopération dans le secteur bancaire.

4 Le caudillisme, propre à l’Amérique latine, est un mode de gestion politique de la tension entre structures socialestraditionnelles et idéologie démocratique, où le caudillo joue un rôle de modérateur entre ces deux pôles. Cette forme politique vaensuite se transformer en clientélisme pour se transformer, dans les années 1930, en populisme (Hermet 2001).

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régime5. Au niveau économique, cette période est marquée par une forte augmentation dela dette extérieure et une dégradation de la balance des paiements (Hillenkamp 2009).

Les années 1980 débutent avec une crise généralisée de la dette provoquée parl’augmentation des taux d’intérêts directeurs. La dette de ces pays étant contractée sur desprêts à taux variable, l’augmentation de ces taux a logiquement entraînée celle du servicede la dette ce qui a conduit beaucoup de pays à la cessation de paiement à l’instar duMexique, en 1982. En outre, la situation économique est catastrophique. L’inflation atteintdes taux records et le PIB chute en moyenne de 8,3% dans tous les pays d’Amérique latine(Dabène 1999).

Dans ce contexte, des mesures macro-économiques sont recommandées. Ce n’estpas seulement les régimes dictatoriaux qui sont remis en cause mais le modèled’industrialisation tout entier dans lequel l’interventionnisme étatique est largement critiqué.Ces mesures, connues sous le nom du Consensus de Washington, vont alors être misesen place sous l’égide du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale. Leursobjectifs est de réduire le rôle de l’Etat et le remplacer par le marché présumé plus efficace.Parallèlement, entre 1980 et 1990, tous les gouvernements latino-américains retrouventdes gouvernements élus (Hillenkamp 2009). La libéralisation de l’économie et le retour àdes gouvernements élus forment les deux axes inséparables de la double transition : ilsparticipent d’un même processus de recomposition des régimes nationaux-populaires dela période précédente, caractérisé par la nécessaire dissociation des pouvoirs politiques etéconomiques (Touraine 1997).

Petit à petit, l’Etat s’effrite pour laisser place à une société régulée par le marché. Onassiste alors à une fragmentation du marché du travail avec d’un côté les « nantis » quiont réussi à préserver leurs avantages sociaux et de l’autre, les populations « cibles »qui bénéficient d’assistance à travers les programmes de lutte contre la pauvreté (Dabène1999). Au milieu, se trouve la majorité de la population qui va essayer de créer un tissude citoyenneté en participant aux espaces publics locaux et aux mouvements sociaux(Hillenkamp 2009). C’est de là que va naître « un tiers secteur » et où ses acteurs politiques,sociaux mais aussi économiques vont créer des espaces publics « non-étatiques » pourfaire valoir leurs revendications (Bressner-Pereira et Cunill Grau 1998). De ce tiers-secteurva émerger l’économie populaire qui d’un côté, critique le marché du fait qu’il est perçucomme destructeur des valeurs et de la culture populaire, mais qui d’un autre, voit le marchécomme vecteur d’émancipation individuelle et d’ascension sociale.

Le commerce équitable s’inscrit directement dans cette lignée. D’une part, au niveaumacroéconomique, avec la réforme des règles actuelles du commerce international àtravers des actions de lobbying auprès des institutions internationales. D’autre part, à unniveau microéconomique à travers l’organisation de filières commerciales alternatives ayantvaleur d’exemple pour la mise en œuvre de nouvelles pratiques qui visent à améliorer lesconditions de vie des producteurs du Sud.

Comment est apparu le commerce équitable ?Il existe plusieurs classifications historiques de l’évolution du commerce équitable en

occident selon qu’on le rattache à l’économie sociale ou à la religion. Toutefois, l’historiquesuivant semble largement accepté et repris dans la littérature sur le commerce équitable.

5 Voir sur le sujet l’Opération Condor qui est le nom donné à une campagne d’assassinats et de lutte contre les mouvementscommunistes, menée par les services secrets du Chili, de l’Argentine, du Paraguay, de la Bolivie, du Brésil et de l’Uruguay au milieudes années 1970.

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Dés le milieu des années quarante, aux Etats-Unis, deux communautés religieusess’engagent dans un commerce d’artisanat avec le Sud, au travers de deux organisationsencore importantes aujourd’hui aux Etats-Unis et au Canada : Ten Thousands Villages etSERRV international (Efta 2001). Cependant, le commerce équitable dans sa définitionactuelle sera véritablement lancé en Europe à la fin des années cinquante, sous l’impulsiond’ONG néerlandaises et britanniques. En tant qu’instigateur, le directeur d’Oxfam-UK - ONGinternationale, créée en 1942 pour lutter contre la faim en situation de guerre - en visite àHonk-Kong, eut l’idée de vendre dans ses magasins de l’artisanat fabriqué par des réfugiéschinois (Efta 2001). Dans les années 1960, son objet évolue : elle souhaite réhabiliterl’image des populations pauvres en soulignant les causes de la pauvreté et le rôle du Norddans le développement. Elle va alors mettre en place la logistique nécessaire permettantde répondre aux besoins des artisans et créer officiellement la première organisation de« commerce alternatif » (Alternative Trade Organization – ATO).

En parallèle à ces initiatives citoyennes, les pays du Sud saisissent les forums politiquesinternationaux pour dénoncer les mauvaises conditions de travail et leur dépendancefinancière aux pays du Nord. Lors de la Conférence des Nations-Unis sur le commerce etle développement (CNUCED) à Genève de 1964, les pays du Sud soutiennent la nécessitéd’échanges plus justes et le principe du « trade not aid » est proclamé. Malheureusement,cette mesure aura que peu d’échos auprès des institutions représentatives des Etatsoccidentaux. C’est dans ce contexte que quelques groupes néerlandais vont proposer leconcept de « commerce alternatif » comme solution (Ritimo-Solagral 1998). L’objectif estd’équilibrer les relations commerciales Sud-Nord en attribuant un prix juste aux produitsque le Nord importe directement du Sud. En 1969, aux Pays-Bas, une association ouvreun « magasin du monde » avec pour objectif de vendre des produits artisanaux provenantdirectement des producteurs du Tiers-monde. Deux ans plus tard, on dénombre 120boutiques qui vendent des produits issus de ce commerce.

Au début des années 1970, le champ d’application va s’étendre des produits artisanauxaux produits agricoles. En 1973, le café « Indio » est introduit sur le marché néerlandais : ilest fourni directement par des coopératives Guatémaltèques. C’est à ce moment là que l’onva parler de commerce équitable , terminologie plus explicite pour qualifier les principesfondamentaux de cette voie alternative.

En France, la première boutique Artisans du Monde ouvre à Paris en 1974. Par la suite,de nombreuses ONG et associations vont suivre ce créneau et on dénombre en 1979, 17associations locales.

Entre 1970 et la fin des années 1980, le commerce équitable s’est développé au traversdu maillage associatif (Jacquiau 2006). Des organisations d’importation et des boutiquesvoient le jour dans plusieurs pays Européens mais également aux Etats-Unis, au Canada,au Japon et en Australie. Les filières ont pris des formes diverses en terme de structurationdes groupes de producteurs au Sud et de nature des canaux de distribution au Nord.

Les années quatre-vingt-dix vont voir apparaitre la mise en place d’une structuremoderne en réseau (Perna 2000). Les acteurs vont s’organiser et se structurer autour desassociations organisatrices de la filière, des organisations participant à la labellisation etdes organisations coordinatrices, ce qui permet également de mieux intégrer les nouveauxentrants.

Equité et Justice comme base de la définition du commerce équitableLa notion d’équité, principe phare du commerce équitable, avait été définie par Aristote

comme la vertu qui permet d’appliquer la généralité de la loi à la singularité des situations

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Introduction

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concrètes (Aristote 1995). Par la suite, les néolibéraux réformistes élargissent la vision del’équité aux problèmes de l’inégalité. Cependant, John Rawls, dans Une théorie de la justicerompt avec l’idée de l’équité comme égalité. Pour lui, traiter de manière égale des individusdans des situations inégales n’est pas équitable (Rawls 1971). La conception de la justicecomme égalité est ainsi remplacée par la justice comme équité.

Brian Barry distingue ensuite la justice comme avantage mutuel de la justice commeimpartialité (Diaz Pedregal 2007). Dans Morals by Agreement, David Gauthier défend lathéorie de l’avantage mutuel en soulignant que la société est vue comme une organisationcoopérative et doit se fonder sur un profit mutuel. Rawls quant à lui considère la justiceredistributive comme une impartialité à condition qu’elle prenne en compte les intérêts dechacun.

Le commerce équitable peut être perçu comme de l’échange redistributif ou commede l’échange de marché. Mais tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, le commerce équitablen’implique pas de système centralisateur et s’inscrit donc clairement dans l’échange demarché. On le distingue ainsi de l’aide publique au développement qui est clairement del’échange redistributif (Bécheur et Toulouse 2008).

Selon la définition officielle, « le commerce équitable est un partenariat commercial,fondé sur le dialogue, la transparence et le respect dont l’objectif est de parvenir à une plusgrande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrantde meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et destravailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud de la planète » (Efta 2001).

Le commerce équitable correspond donc bien à un échange de marché, qui vise àrétablir l’équité en modifiant les règles du commerce international au profit des producteursles plus défavorisés.

Présentation de la BolivieLa Bolivie est un pays andin d’Amérique latine, d’une superficie de prés de 1,1 million

de km², situé entre le Brésil à l’Est et au Nord, le Pérou à l’Ouest et le Chili, l’Argentinele Paraguay au Sud (Voir carte ci-dessous). La Bolivie dispose de deux grands types depaysage. D’une part, sur la partie sud-ouest, de hauts reliefs traversés par la Cordillèredes Andes appelée l’Altiplano ; d’autre part, de vastes plaines tropicales à l’est et au nordappelées llanos. Cette partie couvre les deux tiers du territoire Boliviens et concentre doncl’essentiel des richesses agricoles.

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Sur le plan démographique, la Bolivie est un pays faiblement peuplé avec 10,5 millionsd’habitants en 2010. On peut noter que sur ces 10,5 millions d’habitants plus de la moitiéont moins de 25 ans. En outre, la mortalité infantile reste élevée (49/1000) et l’espérancede vie est de 66 ans. La densité moyenne de population est de huit habitants au km² maisest très disparate selon les régions. Ainsi, on dénombre moins de un habitant au km² dansles plaines orientales contre plus de dix dans l’Altiplano. En effet, la partie occidentale estle centre de gravité historique du pays en raison des anciennes exploitations minières.On dénombre trois grands centres urbains : La Paz, Santa Cruz et Cochabamba. LaPaz est la capitale administrative et rassemble 850 000 habitants. On peut y ajouter les900 000 d’El Alto, agglomération récente surplombant La Paz. Santa Cruz compte 1,5millions d’habitants, c’est la capitale économique du pays. Cochabamba regroupe 600 000personnes. La Bolivie est un des pays les plus « indigène » du continent où prés des deuxtiers de la population s’auto-identifie comme « indiens » (Kawka 2009). Elle est composéed’une myriade ethnique comptant prés de trente-six groupes ethniques différents dont lesdeux plus importants sont les Aymaras et les Quechuas.

Au niveau économique, les données de 2009 indiquent un PIB de 17,6 milliards dedollars soit environ 1700 dollars par habitant. Le taux de croissance est aux alentours des3,5% tandis que le chômage est de 7,8%. La balance commerciale est excédentaire etses principaux partenaires commerciaux sont le Brésil (43,4%), la Corée du Sud (11,8%)et l’Argentine (8,2%). 3% du territoire sont utilisés pour l’agriculture mais seulement 2%sont considérés comme des terres cultivables. Son économie repose donc surtout sur

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Introduction

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l’exportation d’hydrocarbures (gaz naturel), de minerai (zinc) et de cultures agro-industrielles(soja).

MéthodologieL’idée du sujet est d’abord partie de mon expérience au Paraguay, en été 2010.

Lors d’un stage pour le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement),j’ai eu l’opportunité de participer au Forum Social des Amériques en tant que volontaire.Les diverses rencontres et ateliers auxquels j’ai assisté ont alors attiré mon attention surles difficultés majeures, pour une grande partie de la population en Amérique latine (etailleurs), d’accéder à une activité rémunératrice permettant des conditions de vie décentes.Je me suis donc intéressé aux solutions envisageables pour améliorer la situation de cespopulations ainsi qu’aux initiatives mises en place. Suite à quelques correspondances avecIsabelle Hillenkamp ainsi qu’à différentes lectures sur le sujet, j’ai commencé à m’intéresserà l’économie sociale et solidaire. Puis, voyant que ce thème s’avérerait trop large pourla réalisation d’un mémoire, j’ai donc choisi de me focaliser sur une des branches del’économie sociale et solidaire : le commerce équitable.

Le choix de la Bolivie découle des différentes rencontres que j’ai pu faire au Paraguayavec des boliviens, de l’attirance pour ce pays et du fait qu’il est l’un des plus pauvres ducontinent, donc un de ceux où le besoin de développement est le plus important.

Au niveau des sources, je me suis principalement appuyé sur des ouvrages et articlesissus de revues papier ou en ligne, écrits majoritairement par des chercheurs français,boliviens ou latino-américains. Bien que la documentation sur le commerce équitable soitriche, le choix de se centrer sur la Bolivie, d’appuyer la recherche sur un cas d’étude préciset d’approfondir l’analyse avec l’ambition de présenter des solutions aux limites rencontrées,m’a donné le sentiment de travailler sur un sujet « unique ». Néanmoins, ce travail s’estavéré compliqué en raison de la distance avec le sujet d’étude et de l’abondance de sourcesqui émanent souvent des acteurs-mêmes du commerce équitable et qui n’ont donc pastoujours un point de vue neutre dans la présentation de leurs travaux. Je me suis doncattaché à prendre du recul sur chaque étude et à approfondir la lecture des sources critiquesou d’opposition.

Pour mener à bien mon étude et tenter d’approfondir la question, je me suis appuyésur les travaux d’Isabelle Hillenkamp concernant l’Association Señor de Mayo. La reprisede son étude de terrain a ainsi donné une valeur plus concrète à mes recherches. Cela m’apermis d’une part, de mieux comprendre le fonctionnement d’une organisation de commerceéquitable, et d’autre part, d’analyser les difficultés que peut rencontrer ce type d’organisationdans l’accomplissement de son activité.

La principale limite ou faiblesse de ma démarche tient au fait que je n’ai pas réaliséd’étude de terrain à proprement parlé. Au-delà de quelques matériaux « bruts », je n’ai paseu de témoignages directs, d’entretiens avec des acteurs locaux qui m’auraient sans doutepermis de m’imprégner de la réalité du terrain. La deuxième limite est liée au fait que cetteétude constitue mon premier vrai travail de recherche. La démarche a été marquée par desmoments d’hésitation et de tâtonnement dans la méthode à suivre qui n’auront plus raisond’être dans un prochain travail de recherche.

Si je choisissais de poursuivre ce travail en thèse, je modifierais quelque peu monsujet. Je recadrerais l’étude en déplaçant la focale sur les modifications à apporter auxorganisations de commerce équitable. Je m’appuierais aussi sur un travail de terrain, étayépar une étude à tous les niveaux de la filière, des producteurs aux consommateurs finaux.

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Apports et limites des organisations de commerce équitable dans la démocratie de marché àpartir du contexte bolivien

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De cette manière, je pourrais approfondir les solutions et les recommandations ébauchéesdans ce mémoire et peut-être les mettre en application.

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I/ Principes fondamentaux et fonctionnement du commerce équitable

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I/ Principes fondamentaux etfonctionnement du commerce équitable

Pour traiter la problématique des apports et limites du commerce équitable dans ladémocratie de marché en Bolivie, il est indispensable de commencer par présenter sesmécanismes et ses principes. Il convient donc de se pencher sur la réalité que recouvre ceterme ainsi que ses apports et ses enjeux.

Cette section étudiera donc le commerce équitable à trois niveaux. Un premierniveau global sur le fonctionnement général du commerce équitable avec ses principes,son positionnement dans la société, son fonctionnement et ses acteurs. Ensuite, unsecond niveau, national, avec une focalisation sur la Bolivie et sa place dans ce pays.Nous verrons alors les raisons d’émergence de ce commerce en Bolivie, ses principauxacteurs et ses pratiques. Enfin, le troisième niveau s’attachera aux mécanismes de cetteforme de commerce au niveau organisationnel. Nous étudierons le fonctionnement d’uneorganisation précise, à partir d’une étude de terrain.

Cette section constitue un préalable essentiel pour analyser les apports et limitesdu commerce équitable dans l’économie de marché, en Bolivie, mais aussi à l’échelleinternationale.

1.Principes et place du commerce équitable dans lasociété

Cette première partie a pour objet de présenter le fonctionnement et la place qu’occupe lecommerce équitable dans la société. Nous verrons en quoi il peut se rapprocher d’autresnotions comme l’économie solidaire ou le développement durable. On verra aussi en quoiil s’oppose au système capitaliste du commerce international actuel. Il sera enfin questiond’identifier les différents acteurs du commerce équitable et de distinguer l’activité des deuxfilières principales.

A.Principes et relations avec les domaines connexesLa FINE définit 6 principes du commerce équitable :

∙ Améliorer les conditions de vie et de bien-être des producteurs en améliorant leuraccès au marché, en renforçant les organisations de producteurs, en payant unmeilleur prix et en ayant une continuité dans la relation commerciale.

∙∙ Encourager les possibilités de développement pour les producteurs défavorisés,

en particulier les femmes et les populations autochtones et protéger les enfants del’exploitation dans le processus de production.

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∙∙ Faire prendre conscience aux consommateurs de l’effet négatif du commerce

international sur les producteurs de façon à ce qu’ils exercent leur pouvoir d’achat defaçon positive.

∙∙ Donner un exemple de partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence

et le respect.∙∙ Mener des campagnes pour faire changer les règles et les pratiques du commerce

international conventionnel.∙∙ Protéger les droits de l’Homme en encourageant la justice sociale, des pratiques

environnementales saines et la sécurité économique.

Le commerce équitable à la croisée de plusieurs champs« Le commerce équitable est un outil de développement qui se sert des flux

commerciaux existants en les améliorant, notamment en corrigeant les mécanismes dulibre échange et en inventant de nouvelles mesures commerciales » (Bécheur et Toulouse2008). Ce modèle se trouve alors à la frontière de plusieurs champs : l’économie solidaire,le développement durable et le commerce éthique (voir figure 1).

Figure 1 : Le commerce équitable à la croisée de plusieurs champs

Le commerce équitable et l’économie solidaireDans le commerce équitable, l’échange porte sur des biens économiques qui ont une

valeur marchande. Il a lieu sur un marché concurrentiel qui n’est pas « protégé » ou étatique.L’activité s’inscrit délibérément dans le champ de l’économie, mais une économie qui nedépendrait pas uniquement des règles du marché libéral.

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I/ Principes fondamentaux et fonctionnement du commerce équitable

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Le système du prix juste est l’élément clé qui place le CE dans le cadre de l’économiesolidaire. Dans l’économie de marché, la fixation du prix passe par le marché, c'est-à-direque le juste prix s’équilibre en fonction de l’offre et de la demande. Le prix est négociéentre le producteur et l’acheteur afin que le producteur puisse vivre de son travail tout enpermettant au partenaire de trouver un débouché commercial rentable. Il est caractérisé parun prix minimum payé au producteur qui dépasse la logique de marché pour y intégrer unelogique de développement. Le prix se situe au dessus du prix de marché et a pour objectifd’assurer une vie décente au producteur. Ainsi, le système du commerce équitable garantitau producteur un prix dont la formule est :

Prix du commerce équitable = prix minimum d’achat (frais de production tels quel’achat de semence, le coût de la main d’œuvre + les besoins élémentaires) + prime dedéveloppement destinée au bien être collectif

Le schéma ci-dessous présente le détail de la répartition des coûts d’un paquet de caféissu du système traditionnel et d’un paquet issu du commerce équitable.

Figure 2 : Décomposition du prix d’un paquet de café 6

Le prix équitable a donc une double fonction. Tout d’abord, une fonction allocative,assurant une rémunération à toute personne qui participe à la production ou à lacommercialisation du produit. Mais il a aussi une fonction redistributive, puisque le prixd’achat tient compte des besoins de cette personne (Daviron, Thirion, et Vergriette 2002).Par ce mécanisme du prix juste, le commerce équitable fait partie intégrante de l’économiesolidaire.

Le cinquième principe concerne les moyens d’action du CE, le lobbying et sasphère d’influence, le politique. Le commerce équitable ne veut pas se limiter à quelquesexpériences, son objectif est d’imposer un changement dans la politique économique

6 Source : http://www.maxhavelaarfrance.com/spip.php?rubrique4

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internationale et de s’imposer comme une alternative crédible au commerce conventionnel(Bécheur et Toulouse 2008).

Le commerce équitable et le commerce éthiqueSuite à l’intérêt grandissant porté par les consommateurs à un surcroit d’humanisme

dans les modes de production et dans le commerce, les grandes entreprises adaptent leurfonctionnement et leur discours à la moralisation de la vie économique. Elles créent deschartes de bonne conduite, misent sur l’engagement social et le développement durable.De nouveaux postes et métiers apparaissent, spécialistes de l’éthique, déontologuesconsultants en performance énergétique etc…

Bien que présentant de grandes ressemblances avec le commerce équitable, lecommerce éthique a sa définition et son fonctionnement propre. Il se définit comme « lesmodes opératoires propres (codes de conduite) aux sociétés multinationales qui opèrentdans les pays en développement »7. Il vise, en fait, à assurer au consommateur qu’uncertain nombre de droits (humains, sociaux, environnementaux) ont été respectés à tousles échelons de la chaîne de production et de distribution.

Ce qui différencie le commerce éthique du commerce équitable, c’est avant toutla nature des unités de production. Alors que le commerce éthique se préoccupe desconditions de travail des salariés de grandes organisations, le commerce équitables’applique à des unités de production de petite taille, parfois familiales et dans lesquellesles contrats de travail sont souvent inexistants. Le but est d’aider les petits producteurs àdévelopper leur activité et à accéder au marché international (Bécheur et Toulouse 2008).Le commerce éthique cherche à promouvoir les principes et modes de fonctionnementqui prévalent dans les organisations occidentales, en terme de législation du travail, deliberté de syndicalisation et de non-discrimination. Le commerce équitable respecte lesformes traditionnelles d’organisation de la production même si elles paraissent éloignéesdes schémas occidentaux. On valorise davantage l’amélioration des conditions de travailet de développement des personnes en prenant en compte la scolarisation des enfantsou la croissance de l’alphabétisation. La seule prise en compte des critères du commerceéthique exclurait les petits producteurs. Le commerce équitable permet ainsi de protéger lespetits producteurs dans la phase de développement de leur activité et évite une concurrence« déloyale » au niveau social (Lecomte 2003).

Le commerce équitable et le développement durable

La définition même du commerce équitable, donnée par l’Efta8, indique qu’il « contribueau développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et engarantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrementau Sud de la planète » (Efta 2001).

La notion de développement durable souligne la nécessité de favoriser un modèle dedéveloppement qui n’hypothèque pas la capacité des générations futures à répondre à leursbesoins. Le développement promu par le commerce équitable intègre parfaitement les troisaxes du plan d’action de l’Agenda XXI adopté lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiroen 1992 : équité sociale, économique et respect de l’environnement. Néanmoins, certainsécologistes critiquent le commerce équitable dans le sens où il favorise les échanges entreNord et Sud et provoque un coût environnemental important, en raison du transport desmarchandises. La solution consisterait à favoriser un commerce plus local.

7 Communication sur le commerce équitable de la Commission au Conseil Européen, le 29 Novembre 1999.8 European Fair Trade Association

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B.Une critique du capitalisme à l’échelle internationaleLa critique du commerce international est la raison principale de l’émergence du commerceéquitable (Bécheur et Toulouse 2008). Les acteurs du CE le définisse « par opposition auxreprésentations sociales ayant institué dans l’ordre public un libéralisme radical commeréférentiel d’organisation de l’économie ». (Jobert 1998).

Suite aux deux guerres mondiales et à la « grande dépression » économique etfinancière de 1929, des pays se sont réunis dans le cadre de la conférence de BrettonWoods afin de mettre fin à la désorganisation monétaire et financière, créant ainsi lespiliers du nouvel ordre économique mondial. Or les institutions qui sont nées de BrettonWoods (Banque Mondiale, Organisation Mondiale du Commerce et Fonds MonétaireInternational) ne donnent pas satisfaction à tous les pays notamment en raison de l’inégalereprésentativité des pays en voie de développement face aux pays développés. Parexemple, le droit de vote au FMI est proportionnel aux participations financières (principe« un dollar = une voix »). Ainsi, l’Inde avec une population de plus d’un milliard d’habitantsdispose de moins de 2% de droit de vote alors que les Etats-Unis avec une populationtrois fois inférieure possèdent prés de 17% des droits de vote. On voit alors l’émergenced’un mouvement de contestation dans les pays du Sud comme dans une partie de lapopulation au Nord contre « l’impérialisme » commercial. C’est d’ailleurs l’idée suggérée parRobert Cox consistant à contrer l’hégémonie libérale par le biais de courants progressistesoccidentaux qui s’allieraient aux pays du Sud. Le commerce équitable trouve ses originesdans ce mouvement de contestation et propose un fonctionnement dépassant les limitesdu commerce international.

Au milieu des années 1970, le modèle néolibéral de déréglementation et de privatisations’impose en raison de l’explosion des dettes dans les pays du Sud. Le passage par leFMI et la Banque Mondiale devient obligatoire pour tout financement du développement.Ces institutions construisent un modèle de développement par ajustements structurelspour répondre au constat de la réduction nécessaire des déséquilibres structurels. Lapréconisation est claire et simple : il faut ajuster l’économie nationale au marché mondial enfavorisant la régulation par les marchés au détriment du rôle des Etats, par la libéralisationdes échanges, au moyen de l’investissement étranger, de la privatisation et de la réductiondes dépenses budgétaires publiques (Bécheur et Toulouse 2008).

Cependant ce système est aujourd’hui largement contesté par plusieurs courants depensée. Tout d’abord, par les économistes structuralistes qui dénoncent une dégradationdes termes de l’échange pour les pays producteurs de matières premières ainsi que desmarxistes qui critiquent un échange inégal. Mais la contestation provient également deséconomistes libéraux. Ainsi, le prix Nobel d’économie Milton Friedman (instigateur del’école monétariste de Chicago) met en cause l’utilité même des institutions telles quele FMI ou la Banque Mondiale, qu’il accuse être à l’origine des crises (Stiglitz 2001).De plus, l’ancien économiste en chef de la Banque Mondiale, Joseph Stiglitz, dénonceles dysfonctionnements du marché, l’importance de l’Etat, du cadre institutionnel et despolitiques sociales (Stiglitz 2001).

En outre, le rôle croissant des multinationales a donné involontairement de l’élan aucommerce équitable. Le transfert de pouvoir de l’Etat vers les firmes, le développement desmécanismes d’intégration internationale et la forte concentration dans certains secteurs9

témoignent de l’accroissement de leur pouvoir. Se pose alors la question de leurresponsabilité dans les échanges commerciaux et leur relation avec les producteurs du

9 Dans le cas du café, quelques gros torréfacteurs comme Sara Lee, Kraft ou Nestlé possèdent la quasi-totalité du marché.

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Sud. A titre d’exemple, pour reprendre le cas du café, les coyotes, intermédiaires pour lesmultinationales, sont accusés de spéculation favorisant des prix très bas d’achat du graindu café et entrainant une forte perte de revenu pour les paysans.

C’est dans ce contexte de remise en cause du modèle de fonctionnement du commerceinternational que le commerce équitable s’est largement développé dans les années quatre-vingt-dix.

Dans son premier principe, le commerce équitable vise à « améliorer les conditionsde vie et de bien-être des producteurs en améliorant leur accès au marché ». Le but n’estdonc pas de remettre en question le système libéral mais de remédier à ses défaillances parun renforcement du lien social dans l’échange. C’est d’ailleurs ce qu’avait souligné AndréGorz en indiquant que l’enjeu du développement tient à la capacité de produire du social(Gorz 1997).

Cette idée est reprise par Meyer-Bisch qui dénonce la perte de la valeur sociale produitepar l’échange dans le système libéral (Meyer-Bish 2002). Pourtant, c’est cette valeurqui constitue le capital-confiance des acteurs en la certitude de réciprocité. Le manquede performance du système international tient au comportement de certains acteurs quiagissent avec une « myopie de marché » qui les empêche de voir que la destruction du tissusocial conduit à la réduction du tissu économique et des opportunités de développement(Meyer-Bish 2002).

Andrew Sayer (2001) constate ainsi avec regret que les travaux récents centrentessentiellement leur attention sur le caractère varié et socialement construit des marchéset qu’ils tendent à négliger le caractère systémique de l’économie capitaliste et le poids descontraintes qui émergent de cet ordre.(Le Velly 2006)

Le commerce équitable se définit donc comme une alternative permettant de pallierles dysfonctionnements du modèle capitaliste. Ses défenseurs voient dans le modèleconventionnel la recherche d’un rendement et d’un profit maximum qui se solde par lasurexploitation des sols, l’utilisation de produits toxiques, la faiblesse des revenus, lamalnutrition et le non-respect des droits des travailleurs10. Cette description rappelle ladistinction faite par Max Weber entre rationalité formelle et rationalité matérielle. Sur unmarché de rationalité formelle les agents poursuivent un objectif unique et quantifiable,souvent sous une forme monétaire, et ne prennent pas en compte les impératifs éthiques,politiques, esthétiques, etc. qui rendraient un tel calcul impossible (Weber 1995). Cetype de relation ne prend alors nullement en considération la situation des participantsà l’échange. Bien que ce modèle de marché ait pu inspirer la construction d’échanges« purement marchands » (Carrier 1997), il peut également être un véritable repoussoir. Lesmilitants du commerce équitable s’opposent à cette figure et prônent la construction d’unmarché de rationalité matérielle. Cela se traduit par l’établissement de critères de définitiond’un « commerce plus juste » et de sélections de « petits producteurs ». Cela impliqueégalement le développement de nouveaux outils pour s’assurer de l’origine des produitscommercialisés.

L’objectif est d’agir à l’encontre du fonctionnement des filières conventionnelles danslesquelles les intermédiaires locaux et les spéculateurs sont accusés de s’enrichir sur ledos des travailleurs et d’étouffer par leurs pratiques toute possibilité de développement. Ilest d’ailleurs intéressant de voir à quel point les critères du commerce équitable réitèrentceux de « l’économie morale du peuple » du XVIIIe siècle (Thompson, 1971). L’enjeu estd’ailleurs très similaire. Il s’agit toujours de définir si les échanges marchands peuvent

10 Fédération Artisans du Monde, Les producteurs boivent la tasse, dossier de presse, avril 2002.

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être guidés par la seule poursuite de l’enrichissement personnel ou s’ils doivent êtreencadrés selon des principes visant d’autres impératifs, en premier lieu la survie matériellede la communauté. On peut également souligner la nature temporelle des relations. Larationalisation matérielle des relations commerciales passent aussi par l’instauration d’unpartenariat durable avec des commandes prévues sur plusieurs années permettant ledéveloppement des producteurs. De plus le choix de ces producteurs se fait en tenantcompte de leur situation et en ciblant certaines de leurs caractéristiques (Le Velly 2006).

Le fait que ce soit des « petits producteurs » renvoie à l’idée de produits artisanauxdont les méthodes de production respectent l’authenticité et les valeurs traditionnelles. Celapermet ainsi d’intégrer des producteurs marginalisés qui, en raison de leur petite taille, dela faiblesse de leurs investissements, n’ont pas accès au marché conventionnel.

La rationalité matérielle implique aussi de connaitre davantage ces producteurs. Celapermet de mieux appréhender leur réalité et ainsi de construire des relations commercialesplus justes. Enfin, cela instaure une transparence entre le producteur et le consommateurgage de qualité. On peut alors voir des informations, des photos, des témoignages impriméssur les emballages des produits créant un lien entre les producteurs et les consommateurs.

On le voit, le commerce équitable a pour objectif de reconstruire une économie où lespersonnes se connaissent et échangent en tenant compte des besoins réciproques. Il viseainsi la création d’une économie domestique, économie de l’oïkos (Aristote 1995)à l’échellemondiale.

C.Les différents acteurs clésOn peut distinguer les acteurs du commerce équitable selon leur appartenance à la filièresélective ou à la filière intensive. La distinction s’est faite au cours du temps dans laconception et l’organisation de l’échange, mais ces deux approches reposent sur desprémisses identiques (Diaz Pedregal 2007). Cette catégorisation permet de différencier les« spécialisés » des « labellisateurs ». La filière dite spécialisée (ou sélective) comprend lesacteurs n’agissant que dans la sphère du commerce équitable. La seconde, dite intensive,est ouverte à tous types d’acteurs souhaitant s’inscrire dans une démarche de commerceéquitable avec le Sud.

La filière intégrée spécialiséeEn général, les organisations de cette filière sont les plus anciennes du mouvement du

commerce équitable. Elles dédient leur activité à la promotion des principes du commerceéquitable et à la distribution (essentiellement au nord) des produits réalisés par desproducteurs répondant aux critères du CE. Dans cette approche, l’échange est composéd’importateurs (centrales d’achat) et de distributeurs (magasins spécialisés) des produitsde commerce équitable. La filière est principalement composée de structures associativesqui fonctionnent grâce à l’implication de militants et bénévoles. Les filières de productionne sont pas organisées en fonction du volume d’échange. L’activité commerciale est unmoyen d’informer le public sur les conditions de production dans les pays du Sud et desensibiliser les consommateurs aux critiques du commerce international. Elle a égalementvaleur d’exemple dans la mesure où elle montre qu’une autre démarche commerciale estpossible se posant ainsi en alternative radicale au modèle économique dominant (DiazPedregal 2007).

Les relations entre les producteurs, les centrales d’importation et les boutiquesspécialisées reposent sur des engagements définis dans les principes du commerce

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Apports et limites des organisations de commerce équitable dans la démocratie de marché àpartir du contexte bolivien

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équitable de la Fine11. A ce titre, on note un engagement de la part des distributeurssur le long terme : au marchandage one shot se substitue une négociation pluriannuelle(Chauveau et Eberhart 2002). En outre, les notions d’équité et de confiance sont au cœurde l’engagement de ces organisations. La fixation initiale du prix est la responsabilité desorganisations de producteurs, le prix équitable est ensuite négocié afin qu’il puisse couvrirles coûts de production du produit mais également son coût environnemental et social etassurer au producteur un niveau de vie décent et une part d’investissement. La collaborationest étroite afin d’évaluer les besoins des parties prenantes. Ainsi les distributeurs définissentles caractéristiques des produits pour qu’ils correspondent aux tendances du marché touten respectant l’originalité et l’identité culturelle des produits (Bécheur et Toulouse 2008).

Pour renforcer la confiance, des rencontres avec les producteurs et des discussionsavec les bénévoles en boutique sont organisées. En outre, les producteurs sont incités àrechercher des débouchés sur les marchés locaux afin de ne pas devenir dépendants desmarchés extérieurs. Plus largement, les principes de responsabilité et d’engagement pour laprotection de l’environnement, la limitation des inégalités et la réduction des flux migratoiresvers les villes sont affirmés.

On peut citer, comme exemple en France, Artisans du Monde, organisation créé en1974, organisée depuis 1981 en fédération nationale et qui anime un réseau de 170boutiques. Ces boutiques sont gérées par des associations locales de manière autonome.La fédération achète, par le biais de sa centrale d’achat Solidar’Monde, des produitsartisanaux et alimentaires. Solidar’Monde est elle-même membre de l’Efta (European FairTrade Association) qui regroupe 11 centrales d’importation dans 9 pays. L’objectif est dedégager une capacité d’autofinancement nécessaire au développement de l’activité. Lamajorité des produits alimentaires sont achetés via d’autres organisations de commerceéquitable européennes. Solidar’Monde travaille avec 70 groupes d’artisans et une trentained’organisations paysannes, situés dans 43 pays différents.

Artisans du Monde est l’une des seules associations en France à organiser la filièredu producteur au consommateur. Solidar’Monde importe et distribue dans les boutiquesArtisans du monde mais aussi dans des magasins appartenant à la Plateforme ducommerce équitable12 ou aux réseaux de boutiques spécialisées dans le bio (notammentBiocoop).

Filière intensive (labellisation)L‘objectif de l’approche par la labellisation est d’étendre le commerce équitable aux

consommateurs les moins « militants » et d’augmenter les volumes de vente pour aiderles producteurs (Bécheur et Toulouse 2008). Ainsi, n’importe quelle entreprise classique,respectant un certain nombre de critères précis et contractuels, peut s’approvisionnerauprès d’organisations de producteurs sélectionnés et faire labelliser une gamme deproduits. La production s’organise de manière rationnelle : un volume minimum d’échangeest exigé pour rendre la filière viable. Le but est de diviser les coûts fixes de la labellisationpar le plus grand nombre de produits vendus. Il s’agit d’un modèle « réformiste », s’appuyantsur les structures commerciales existantes pour proposer un échange plus « juste » (DiazPedregal 2007).

11 Cf. Document de Fine de 1999 qui définit les six grands principes du commerce équitable.12 Créée en 1997, la Plate-Forme pour le Commerce Équitable (PFCE) est le collectif de concertation et de représentation

des principaux acteurs de commerce équitable en France . Elle regroupe une quarantaine d’organisations d’envergure nationaleengagées dans le commerce équitable, dont les différents réseaux en régions représentent plus de 600 structures en France.

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I/ Principes fondamentaux et fonctionnement du commerce équitable

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Max Havelaar est le principal acteur de la filière labellisée. L’association est née auxPays-Bas, en 1988, sous l’égide du prêtre ouvrier Francis Van der Hoof, avec pour objectifde créer le label de référence du commerce équitable. La démarche est structurée autourde référentiels précis ayant une valeur contractuelle. Le respect des règles est soumis aucontrôle d’inspecteurs missionnés auprès des producteurs du Sud et des importateurs duNord. Jusqu’en 1997, 17 associations nationales de labellisation ont vu le jour en Europe,aux Etats-Unis, au Canada et au Japon sous trois appellations différentes : Transfair, FairTrade Mark et Max Havelaar. En 1997, toutes ces organisations se regroupent au seinde l’entité FLO (Fair Trade Labelling Organisation) international et adoptent en 2003, unlogo commun (voir Figure 3). Son siège est situé à Bonn, en Allemagne, et elle disposede plusieurs bureaux et réseaux d’inspecteurs en Afrique, Amérique du Sud et Asie. Leregroupement des initiatives nationales de labellisation permet d’améliorer l’efficacité ducommerce équitable en harmonisant les approches et en baissant les coûts de contrôle.Dans l’objectif d’accélérer la diffusion des produits, les organisations ont aussi fait le choixde favoriser le développement de relations commerciales avec la grande distribution.

Figure 3 : Les labels FLO/Max Havelaar dans le monde

Fonctionnement de FLOFLO est dirigée par un comité (Board) regroupant 5 associations nationales

labellisatrices, quatre représentants de producteurs, deux représentants d’associations decommerce équitable et deux représentants de distributeurs (voir Figure 4 – 1 ci-dessous).Ces derniers sont élus par leurs pairs et le groupe a plusieurs missions : vérifier les étatsfinanciers, définir les orientations stratégiques et décider des politiques à mettre en œuvre.Trois comités rendent compte de leurs activités au comité de direction : le comité desfinances, le comité des nominations et le comité des standards (Figure 4 - 2). Le comitéde direction supervise les activités de certification administrées par FLO-CERT (inspectiondes producteurs, audit des transactions).

Les standards de certification sont définis par un comité composé de deux membres deFLO, trois membres d’associations Max Havelaar locales, un représentant de distributeur,un représentant d’association de commerce équitable et une ONG indépendante (Bécheuret Toulouse 2008).

Trois catégories de standards sont définies :

∙ Les standards du commerce équitable : garantie de prix minimum, paiement d’uneavance à la commande, engagement dans une relation à long terme.

∙ Les engagements des producteurs : organisation fondée sur une gouvernancedémocratique et partage des revenus égaux entre les employés

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∙ Les règles de production : respect de l’environnement dans une démarche dedéveloppement durable (les normes varient selon le type de produit).

Figure 4 : Structure de la Fair Trade Labelling Organization

Jusqu’en 2003, le système de certification était financé par les organisations du Nordqui payaient des droits de marque (distributeurs, associations etc.) et les subventionsrécoltées au niveau national et international. En 2004, le comité de direction de FLO avoté l’introduction de droits de marque pour les producteurs souhaitant être certifiés, aumotif que le système de financement en vigueur limitait le développement du commerceéquitable à l’évolution de la demande du marché (Nicholls et Opal 2005). Les producteurssont dorénavant obligés de verser un droit annuel et une redevance proportionnelle à leurchiffre d’affaires.

Quelques chiffres sur le label Max HavelaarAu niveau international, 827 organisations bénéficient des conditions du label Max

Havelaar dans 60 pays en voie de développement. La labellisation FLO/Max Havelaarconcerne aujourd’hui environ un million et demi de producteurs et bénéficie à environ 8millions de personnes -producteurs, travailleurs et leur famille.

Au total, les produits labellisés Max Havelaar sont consommés par plus de 80 millionsde familles dans 60 pays et ont totalisé 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2009.

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Les produits les plus vendus sont le café (40% du total), le cacao (20%), la banane(7%), le coton (6%), le thé (5%).

En France, le label est apposé sur plus de 3000 produits (coton, café, cacao, thé, jus defruit, miel, sucre, épices, quinoa, banane) de 205 marques, accessibles dans plus de 8000points de vente (essentiellement en grande surface).

Source : www.maxhavelaarfrance.org/En-chiffres (consulté le 20 Avril 2011).Les organisations coordinatricesAu cours des trois dernières décennies le commerce équitable s’est doté

d’organisations « centrales ». Ces organisations ont trois objectifs principaux :

∙ Assurer la cohésion des différents acteurs,∙ Mettre en place un réseau d’échange d’informations,∙ Unir leurs ressources pour mener des actions de lobbying auprès des instances

internationales

A la fin des années 1980, les organisations très disparates du commerce équitable sestructurent en réseaux. Quatre types d’acteurs existent aujourd’hui : producteurs desrégions économiquement marginalisées, intermédiaires commerciaux ou d’importation,organisations de labels, et, enfin, les magasins de vente.

En 1998, ces quatre réseaux de commerce équitable se réunissent au sein d’une mêmestructure informelle : la Fine (F de Flo, I de Ifat, N de News et E de Efat). Cette structure apour objectif de coordonner le mouvement au niveau international.

Tableau 1 : Principales organisations du commerce équitable au Nord

Date de création Nom de l’organisation Membres de l’organisation1989 Fédération Internationale

du Commerce Alternatif(Ifat) - devenue l’OrganisationMondiale du CommerceEquitable en 2008 (WFTO)-

Groupes de producteurs, organisationsde commerce équitable du monde entier,au total plus de 300 membres de 70 pays(dont 65% au Sud)

1990 Fédération Européenne deCommerce Equitable (Efta)

Regroupement de 11 organisationsd’importation du commerce équitableréparties dans 9 pays européens

1994 Réseau Européen desMagasins du Monde (News)

Réseau de 2500 magasins regroupésau sein de 15 associations nationalesprésentes dans 13 pays européens

1997 Organisation Internationalede labellisation du CommerceEquitable (FLO)

21 initiatives de labellisation ducommerce équitable implantées dans 15pays européens, au Canada, au Japon,au Mexique, en Nouvelle-Zélande et auxEtats-Unis

Les nouveaux entrantsDepuis la fin des années 1990, on peut voir apparaitre de nouveaux types d’acteurs

du commerce équitable. Un premier type est constitué de boutiques indépendantes quis’approvisionnent auprès de centrales d’achat du commerce équitable (Boutic Ethic, SiraKura, Bébés en Vadrouille) et de jeunes entrepreneurs marquant de leur nom des produits

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Apports et limites des organisations de commerce équitable dans la démocratie de marché àpartir du contexte bolivien

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issus des centrales de commerce équitable ou de leurs propres réseaux : Alter Eco,Ethiquable.

Le second type, plus controversé, est composé des distributeurs existants : Monoprix,E.Leclerc, Carrefour etc… qui distribuent des produits issus de filières équitables sousle label Max Havelaar. Il s’agit essentiellement de produits Alter Eco ou Ethiquable quicontrairement à Artisans du Monde ont fait le choix de proposer leurs produits en grandesurface. Plus récemment, ces deux types d’acteurs ont développé des boutiques en ligneafin de toucher un maximum de clients.

Nous venons donc de le voir, le commerce équitable évolue, s’organise, sestructure, permettant l’émergence de nouveaux acteurs dans ce secteur en croissance.Il représenterait aujourd’hui un marché de 3,5 milliards d’euros dans le monde contre 1milliards en 200313. Les instances chargées de sa régulation et de son développementsemblent cependant être essentiellement positionnées au Nord. Qu’en est-il de l’évolutiondes structures au Sud ? Comment les producteurs s’organisent-ils pour profiter de cenouveau créneau qui sur le papier est avant tout destiné à améliorer leurs conditions de vie ?

Pour répondre à ces questions, nous allons diriger notre focale sur la Bolivie. Nousallons voir comment le commerce équitable a-t-il pu émerger dans ce pays ? Quels sont lesacteurs qui contribuent à sa mise en place ? Comment s’organisent-ils ? Quel est le poidsdes mouvements sociaux dans l’émergence de ce commerce ? Quel est le rôle du politiqueet des pouvoirs publics dans son développement ?

2.Réalité et enjeux du commerce équitable en BolivieAprès avoir vu le fonctionnement du commerce équitable à l’échelle globale, il convientmaintenant de s’intéresser à son émergence, son évolution et sa pratique à l’échelle d’unpays : la Bolivie.

Nous avons présenté dans l’introduction les caractéristiques essentielles de ce paysau niveau géographique, démographique politique et économique. Il est donc maintenantessentiel d’approfondir nos connaissances sur la Bolivie pour comprendre l’émergence ducommerce équitable.

A.Contexte socio-économique et politique de la BolivieImpacts des mesures néolibérales

Entre 1985 et 2005, s’est opéré en Bolivie un vaste plan de restructuration del’économie qui a eu de profondes répercussions sociales. En effet, dans un contextede croissance négative du PIB, d'une crise de la dette extérieure, d’hyperinflation etd’effondrement des salaires14, le président Victor Paz Estenssoro, figure charismatique duMouvement Nationaliste Révolutionnaire de 1952, mit en place une politique de stabilisationéconomique avec le soutien d’institutions financières internationales et du gouvernement

13 Source : http://www.commercequitable.org/lecommerceequitable/quelques-chiffres.html , 15 Mai 2011.14 La Bolivie était alors dans une situation économique critique avec un PIB négatif de 1982 à 1986, en cessation de paiement

en 1985 et avec une inflation atteignant plus de 8700 %.

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I/ Principes fondamentaux et fonctionnement du commerce équitable

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américain. Parmi les mesures adoptées, on peut noter : un régime de taux de changeflexible et une politique fiscale stricte afin de contrôler les prix, des licenciements massifsdans le service public et une réduction importante des dépenses sociales (santé, éducation,protection sociale) pour diminuer les dépenses de l’Etat. A plus long terme, ces mesureslibérales ont entrainé un processus continu d’ajustement structurel qui n’a été remis encause qu’en 2000, lors du conflit qui opposa les habitants de la ville de Cochabamba à lasociété Aguas del Tunari, propriété du groupe multinational Bechtel15.

A partir de 1989, lorsque la stabilisation fut instaurée, de nouvelles réformes virent lejour. La loi de 1991 permit d’accroître les droits des entreprises étrangères, notammentdans le domaine des hydrocarbures. Parallèlement, le secteur bancaire vivait une profonderefonte de sa structure pour être complètement libéralisé. Trois années plus tard, en1994, l’arrivée au pouvoir de Gonzalo Sànchez de Lozada accéléra le processus deprivatisation. Les cinq plus grandes entreprises d’Etats, dont la société pétrolière YPBF,furent capitalisées à hauteur de 50% par des investissements étrangers. En 1996 ce futau tour du système de retraite d’être privatisé passant ainsi d’un système par répartitionà un système par capitalisation géré de manière entièrement privée. En 1997, la Bolivieintègra le MERCOSUR et le nouveau Président (ancien dictateur) Hugo Banzer, sous lapression des Etats-Unis entreprit un vaste programme d’éradication de la coca. En 2002, deretour au pouvoir, Sanchez de Lozada souhaite mettre en place de nouvelles réformes pourapprofondir le processus de privatisation. Cependant, il sera stoppé en 2003 par un nouveaumouvement de contestation connu sous le nom de la « Guerre du Gaz ». Le projet consistaità ce que British Petroleum et Repsol exploitent une réserve de gaz récemment découvertedans la région du Gran Chaco pour l’exporter vers le Mexique et les Etats-Unis. Suite àde grandes vagues de manifestations contre le projet, qui seront violement réprimées, lePrésident Sanchez de Lozada est contraint de démissionner. C’est ainsi qu’après deux ansd’instabilité politique, Evo Morales, indigène aymara et ancien leader syndical, prendra lepouvoir en 2005.

Un changement de contexte politique depuis 2005La réalité politique, sociale et économique a grandement changé durant les dernières

années en Bolivie. Le peuple Bolivien se sent davantage souverain et conscient d’avoirentrepris un processus de changement de grande importance (Kawka 2009). Il a maintenantaccès à de nouvelles aides de l’Etat. Il a mis en route un vaste plan d’alphabétisationpour tout le pays, et a amélioré l’accès à l’eau et à la santé. Le milieu rural bénéficied’aides à la production, mais les améliorations sont en cours et varient encore beaucoupselon les régions. De manière générale, des problèmes communs persistent comme lesdifficultés d’accès à des terres fertiles ou autres ressources, le manque de politiquesagraires ou la mauvaise application de celles qui existent et le manque de contrôle desmarchés alimentaires. Toutefois, après des années pendant lesquelles on favorisait uneagriculture intensive industrielle, le nouveau gouvernement, revient à des méthodes plustraditionnelles, à une agriculture plus raisonnée, plus domestique et donc, plus adaptéeà ses unités productives agricoles. L’arrivée au pouvoir d’Evo Morales, premier Présidentpaysan indigène d’Amérique y est certainement pour quelque chose. Dés le début, il a

15 Ce conflit, connu sous le nom de la « Guerre de l’eau », a émergé à la suite de la privatisation du système municipal degestion de l’eau à Cochabamba et du doublement du prix de l’eau par la nouvelle entreprise propriétaire. Entre janvier et avril 2000, leshabitants ont massivement protesté ce qui a abouti à l’annulation du contrat de concession de service public accordé pour quaranteans à l’entreprise Bechtel ainsi qu’à l’abolition de la loi 2029 qui prévoyait la privatisation des eaux du pays (Rudel 2006). D’après lejournal The Ecologist, la Banque Mondiale avait déclaré qu’elle ne renouvellerait pas un prêt de 25 millions de dollars si la Bolivie neprivatisait pas son service des eaux (Blackwell 2002).

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Apports et limites des organisations de commerce équitable dans la démocratie de marché àpartir du contexte bolivien

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affirmé l’intention de son gouvernement de réformer le pays et d’œuvrer pour l’intégrationde tous les groupes sociaux et ethniques dans un nouveau projet politique et social,une « Révolution culturelle et démocratique » (Kawka 2009). Avant 2006, les syndicatsde paysans et de mineurs, les organisations indigènes, les organisations de femmes etde jeunes, ont accompagné, soutenu la carrière politique d’Evo Morales jusqu’au Palaisgouvernemental pour pouvoir commencer un processus de changement dans le pays.

En 2008, le gouvernement d’Evo Morales a dû faire face à une opposition qui s’estrenforcée au niveau régional dans les zones où les intérêts économiques et de propriétédes latifundios (grands propriétaires terriens) se sentaient menacés par les nouvelles loisde redistribution des terres. Les discours séparatistes de l’opposition ont alors aggravéla bipolarité déjà existante dans le pays entre, d’un côté, les mouvements sociaux,principalement indigènes, paysans et syndicalistes, et, de l’autre, les grands propriétaireset l’oligarchie. Face à cette situation, le gouvernement a approuvé, en février 2008, unenouvelle loi de convocation au référendum, qui transfère au Congrès la légitimité d’effectuerdes changements structurels dans le pays.

En outre, le gouvernement a réussi à mettre en route d’ambitieux plans sociaux :un programme de Renta Dignidad (retraite pour les personnes âgées de plus de 60ans), Bono Juancito Pinto (bourse aux écoliers pour payer leurs fournitures scolaires),Subsidio Maternidad y Lactancia (Aide aux mères enceintes), Programme d’alphabétisation,augmentation des budgets municipaux dérivée des recettes de l’Impôt Direct sur lesHydrocarbures –IDH.

Comme on peut le constater, toutes ces mesures prises par le gouvernement d’EvoMorales s’opposent aux réformes mises en place par les gouvernements précédentset qui étaient soutenus par les institutions internationales. Comme résultat direct de cechangement, l’approbation à 60% d’une nouvelle Constitution approuvée le 25 janvier 2009et la réélection, par 64% des votes, d’Evo Morales pour un second mandat en décembre2009.

Mais une pauvreté encore présente pour la majorité des BoliviensD’après un rapport du PNUD, on estime qu’en 2007 en Bolivie, 3,57 millions de

personnes vivaient en condition d’extrême pauvreté, soit 36,4% de la population. Commesouvent en Amérique latine, les populations les plus touchés sont les zones rurales maissurtout les indigènes dont 70% vivent en dessous du seuil de pauvreté. La populationéconomiquement active des zones rurales vit à 80% des travaux agricoles (Institut Nationalde Statistiques 2005). On estime que sur les 600 000 unités productives agricoles, 400 000sont des unités familiales composées de paysans et indigènes pauvres.

De plus, il faut noter l’approfondissement de la brèche qui sépare les femmespaysannes et indigènes du reste de la société. Cela s’explique par l’augmentation de lapauvreté dans les milieux ruraux et par le fait que les projets de développement, dans lecas où ils profitent aux femmes, favorisent essentiellement celles vivant en zone urbaine.Cette lenteur dans l’évolution des droits des femmes va de pair avec une tradition machistegénéralisée qui continue de placer la femme au second plan pour le pouvoir et la prisede décision. Cette tradition est parfois confondue avec la cosmovision indigène originelledu pays qui parle de « complémentarité » entre les hommes et les femmes (Hillenkamp2011). Cette vision, traditionnellement beaucoup plus équitable, a vu croître les différencesentre hommes et femmes au niveau de l’accès à des postes de pouvoir et de décision, enraison de longues années d’invisibilité de la femme dans la société, l’empêchant d’avoir un

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accès égal à l’éducation, l’économie, la politique, la reléguant au simple statut de moitiécomplémentaire à l’homme.

B.Emergence et développement du commerce équitable en BolivieLa cosmovision andine proche du commerce équitable

L’économie solidaire a de profondes racines en Bolivie. Les peuples indigènes sontd’ailleurs pionniers dans son développement. Dans la région andine, les communautésindigènes s’organisent en ayllus, constituant une forme d’organisation sociale qui répondà des nécessités de protection des peuples andins. L’ayllu est un modèle d’organisationqui répond à une relation ethnique et de parenté sociale. Son lien économique est la terre,de propriété commune, comme les animaux et les outils de travail, et le travail s’organisecollectivement. Certains auteurs parlent de « l’institutionnalisation de l’ayllu » (Yampara2004). Ainsi, selon Vitaliano Soria Choque, « les Andins agissent de manière cohérentedans les différents niveaux de leur réalité parce qu’ils portent en eux une cosmovision qui lesoriente et les rend rationnels dans leur relation avec l’environnement » (Soria Choque 2003).

L’esprit coopératif s’exprime aussi dans un profond respect de la dignité des personneset dans l’amélioration des relations humaines. Les habitants Andins vivent d’après elsuma quamaña, c'est-à-dire qu’ils recherchent le « vivre bien et en harmonie » à traversdes principes de la vie communautaire comme la solidarité, la réciprocité et l’équité. Ce« vivre bien et en harmonie » ne s’applique pas uniquement aux relations humainesmais également à la nature et au temps (la pacha). Dans ce cadre, l’Economie solidaireet le commerce équitable ne sont pas des thèmes étrangers aux cultures ancestralesboliviennes mais simplement une reprise des savoirs et des connaissances solidaires pouraméliorer la qualité humaine en développant un commerce communautaire ou des entraidescommunautaires (comme l’ayni 16).

D’un contexte favorable à l’apparition d’acteurs du commerce équitableDepuis 1952 et jusqu’en 1989, les principes de le « révolution verte » promue par

la FAO, ont dominé l’économie bolivienne. Des « écoles de campagne » ont ainsi étécréées pour former les paysans à l’utilisation des produits chimiques, et une « BanqueAgricole » a été développée afin de prêter de l’argent aux agriculteurs pour qu’ilspuissent investir dans ces méthodes de production. L’objectif principal était d’augmenterla production des sols à n’importe quel prix. A la fin des années 1980, face à ladétérioration des sols favorisée par la monoculture et l’utilisation de produits chimiques,plusieurs organisations productives ont commencé à s’organiser et à développer despratiques agricoles écologiques. Le gouvernement de Jaime Paz Zamora (1989-1993) atravaillé sur la planification d’un système national de zones protégées et la création d’unfonds national pour le développement et la protection de l’environnement (FONAMA). Laprotection de l’environnement est alors devenue un thème prioritaire et des programmes dedéveloppement durable s’appuyant sur des pratiques d’agriculture biologique sont apparusdès les années 1993-1995 (Cavalier et Van Der Berg 2009).

En plus de ces initiatives au niveau agricole, les répercussions économiques despolitiques néolibérales de cette période ont incité les petits producteurs ruraux et urbainsà se regrouper en Organisations économiques associatives (OECAs). Ces organisationss’inspirent du modèle de syndicat paysan de l’Etat de 1952. L’OECA a pour fonction de

16 L’ayni peut être défini comme un « système traditionnel d’échange d’aides, réciproque et égalitaire, entre deux personnesou familles » (Lavaud 1998).

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défendre les intérêts collectifs et de faciliter l’accès à des aides de l’Etat et des ONG(Betancourt 1999).

Au début des années 1990, ces organisations vont dénoncer les effets néfastes ducommerce international et refuser de se convertir en « entreprises capitalistes » (George,Moser, et Merlino 2005). Pour autant, les OECAs ne vont pas se poser en alternative aumodèle marchand mais vont plutôt se constituer en « adaptateur au marché » (Commandeur1999). Elles vont regrouper les producteurs d’un même secteur d’activité, réaliser deséconomies d’échelle et l’activité commerciale va jouer un rôle central. Les OECAs vont alorsmodifier leur rapport vis-à-vis des ONG : l’ONG passe du statut de gestionnaire paternalisteà un prestataire de service de l’OECA (Betancourt 1999). Ces OECAs faîtières vont alorss’élargir pour devenir des OECAs de second, troisième, voire quatrième rang, englobantles OECAs de base. Cette évolution donnera naissance, en 1991, au CIOEC (Comitéd’Intégration des Organisations Economiques paysannes), à l’AOPEB (Association desOrganisations de Producteurs Ecologiques de Bolivie), et au réseau RELACC-Bolivie, quiprendra le nom de RENACC dont le CIOEC sera le membre fondateur. RENACC accomplittrois activités principales (Hillenkamp 2009):

∙ La coordination : promotion de modalités collectives de commercialisation ;∙ La formation : création de l’école nationale en leadership et commercialisation

communautaire à Santa Cruz ;∙ L’assistance technique : visant la mise en place de nouveaux systèmes de

commercialisation entre OECAs.

La coordination comprend la mise en relation sur les marchés internationaux de commerceéquitable au travers d’IFAT. L’organisme de certification FLO, est apparu en Bolivie en 1997,avec la certification des premières organisations qui souhaitaient profiter de la labellisationpour trouver de nouveaux marchés. Bien que les organisations travaillaient déjà depuisplusieurs années avec les valeurs sociales et environnementales héritées de la cultureandine (Cavalier et Van Der Berg 2009). Cela a conduit les organisations, à travers des« audits sociaux » réalisés par les organismes certificateurs, à être plus rigoureuses quantà la « prise en compte des relations et des droits humains et de nouveaux critères dans leprocessus de production » (Betancourt 1999).

A la fin des années 1990, on estime à 210 le nombre d’OECAs en Bolivie. Les deux tiersd’entre elles sont rurales. 66% ont pour activité principale la production agricole, l’élevage,la transformation d’aliments ; 26% l’artisanat ou la manufacture ; 8% sont des organisationsde consommateurs ou de commercialisation. Un tiers des organisations écoulent leurproduction sur les marchés informels boliviens, 20% sur les marchés formels, 15% sur lesmarchés solidaires ou équitables et 5% sur les marchés dits « écologiques » (Hillenkamp2009).

En 1999, une restructuration de RENACC s’est opérée pour conduire à la créationd’entités départementales. Le réseau de La Paz sera situé à El Alto, centre de gravitéd’organisations de type associatif notamment dynamisé par une OECA de second rang,l’Association artisanale bolivienne « Señor de Mayo » (Hillenkamp 2009).

Vers un renforcement du mouvement d’économie solidaire et de commerce équitableà partir de 2005

La première « Rencontre pour l’Economie solidaire et le Commerce Equitable enAmérique Latine » s’est réalisée à Cochabamba en Bolivie, en septembre 2005. Cela apermis de rendre visible le silencieux mouvement d’Economie Solidaire et de CommerceEquitable en Amérique latine, réunissant plus de 150 représentants de 12 pays latino-

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américains différents et proclamant la « Déclaration de Cochabamba ». Depuis, lesorganisations boliviennes ont participé à différentes rencontres du Commerce Equitable,au niveau départemental, national et international (Cavalier et Van Der Berg 2009). Lesrencontres lors de la journée internationale du commerce équitable (8 Mai) connaissentun succès grandissant depuis 2005. En mars 2006, a eu lieu la première « Rencontredépartementale de l’Economie Solidaire et du Commerce Equitable et son insertion dansles politiques publiques ». Cet évènement a réuni prés de 200 représentants de diversesorganisations productives et institutions qui ont adopté une proposition de décret suprêmepour le développement de l’Economie Solidaire et le Commerce Equitable en Bolivie. Cetteproposition a ensuite fait l’objet d’une présentation devant les autorités gouvernementales.Le réseau RENACC La Paz a également réalisé, en février 2007, une « Réunion deCoordination Nationale de l’Economie Solidaire et du Commerce Equitable » dans l’objectifde faire connaître les expériences et initiatives de développement du commerce équitableen Bolivie. Cette réunion a créé les bases pour la réalisation de la « Rencontre Nationaled’Economie Solidaire et de Commerce Equitable en Bolivie », en mars 2007, réunissant80 représentants nationaux et politiques. Cette rencontre permit de rendre compte del’existence d’expériences concrètes de développement du commerce équitable en Bolivieet de la nécessité de reproduire et diffuser ces expériences au niveau national. Cela permitaussi de rapprocher et d’instaurer un dialogue entre les petits producteurs, le gouvernementet le secteur bancaire (Cavalier et Van Der Berg 2009).

Afin d’accomplir ses actions de visibilité, la Rencontre a décidé de créer la « Plateformepermanente multisectorielle de promotion et développement de l’Economie Solidaire et duCommerce Equitable en Bolivie ». Cette plateforme a pour fonction de coordonner lesmouvements d’économie solidaire et de commerce équitable en Bolivie et d’améliorer sonincidence politique (Hillenkamp 2009). Néanmoins, par manque de dynamisme (Cavalier etVan Der Berg 2009), la Plateforme a été transformée, en octobre 2008, par le Mouvementd’Economie Solidaire et de Commerce Equitable de Bolivie (MESCJB), reconnu lors de latroisième rencontre Latino-américaine d’Economie Solidaire et de Commerce Equitable parle RIPESS-LAC, comme le représentant en Bolivie.

En outre, il est important de noter que les ONG et la coopération internationale ont,en général, joué un rôle prépondérant dans le développement du commerce équitable enBolivie. Contrairement à l’Etat, elles l’ont soutenu et développé dés son apparition dans lepays (Cavalier et Van Der Berg 2009). On peut, à ce titre, citer l’ONG française Agronomeset Vétérinaires sans frontières (AVSF) qui intervient, depuis 1995, en Bolivie et qui a soutenula filière café à travers la FECAFEB et la filière quinoa à travers ANAPQUI.

Ainsi, bien que sa formalisation soit récente, l’histoire du commerce équitable en Bolivieest très ancienne. Le contexte culturel du pays a favorisé la naissance d’organisationssociales qui fonctionnaient selon les principes du Commerce Equitable et de l’EconomieSolidaire, mais sans utiliser ces termes. Nous verrons néanmoins, dans la seconde partiedu mémoire, que l’implémentation de ces concepts, comme outil de travail de la coopérationinternationale, a favorisé sa conceptualisation, mais a également quelque peu dénaturaliséses racines andines, en imposant une vision occidentale de son application n’ayant pas delien avec la réalité bolivienne.

C.Les acteurs du commerce équitable en BolivieNous allons maintenant approfondir le rôle des différents acteurs du CE en Bolivie.Nous allons voir qu’ils constituent un paysage très varié, avec une diversité importante

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d’organisations qui ont des définitions distinctes du commerce équitable. Ainsi, certainesont comme référence le CE tel qu’il est défini par FLO ou WFTO, d’autres parlent davantaged’ « économie andine » en référence aux valeurs de la cosmovision andine (Cavalier etVan Der Berg 2009). Certaines insistent sur la dimension sociale de leur activité tandis qued’autres vont plutôt revendiquer leur dimension écologique (Diaz Pedregal 2006). Dans tousles cas, ces organisations parlent de sujets similaires et mettent l’homme et la femme aucentre de leurs préoccupations (Cavalier et Van Der Berg 2009).

Nous allons donc voir, dans un premier temps, les différentes organisations de CE enBolivie, avant de présenter, dans un second temps, les réseaux nationaux et internationauxprésents dans le pays.

Les organisations de commerce équitable en BolivieOn peut distinguer quatre grands types d’organisations selon qu’elles sont paysannes

ou d’artisanat et locales ou exportatrices.Les organisations paysannes exportatricesOn regroupe dans cette catégorie les organisations que l’on appelle « organisations

de second rang ». Elles sont affiliées à différentes « organisations de producteurs depremier rang » et ont pour activité principale l’approvisionnement, la transformation et lacommercialisation d’un certain type de produits. On peut citer comme exemple l’AssociationNationale de Producteurs de Quinoa (ANAPQUI), qui regroupe 1500 producteurs de quinoade huit organisations régionales, ou encore, la Fédération de producteurs de café exportéde Bolivie (FECAFEB) qui représente trente organisations paysannes regroupant 8 700familles. Généralement ces organisations sont certifiées par FLO (Cavalier et Van Der Berg2009).

Ces organisations sont spécialisées sur des produits particuliers (café, cacao, quinoa,miel etc…). Elles ont un niveau élevé de professionnalisation et reposent sur des structureset des équipes techniques spécialisées (Diaz Pedregal 2006). Elles sont membres deréseaux nationaux et internationaux comme la CIOEC ou la AOPEB. La plupart de cesacteurs font du lobbying politique pour défendre les intérêts de ses membres et développerde nouveaux marchés mais elles ne défendent pas pour autant les valeurs du commerceéquitable (Cavalier et Van Der Berg 2009)

Les organisations paysannes localesLa majorité des organisations paysannes de Bolivie appartiennent à cette catégorie.

Ces organisations n’exportent pas ou, si elles exportent, c’est à travers une organisationde second rang. Ce sont des petites structures qui n’ont peu ou pas d’équipes techniques.Elles font partie de la CIOEC ou de la AOPEB. Elles sont spécialisées dans des produitsdestinés au marché national (pomme de terre, maïs, fruits, légumes, coca, lait etc..) etvendent par le biais des fêtes, des boutiques spécialisées (comme Sùper Ecologico de laAOPEB ou Irupana17) ou à travers des programmes de l’Etat comme les « Petits-DéjeunersScolaires » (Cavalier et Van Der Berg 2009).

Les organisations d’artisanat exportatricesCes organisations peuvent être de premier ou de second rang. Les organisations de

premier rang sont des associations comme Kory Ampara qui regroupe 15 femmes à LaPaz et exporte des produits en laine d’alpaga vers la France, ou des petites et moyennes

17 Irupana sont des boutiques spécialisées dans les produits naturels et organiques qui revendiquent une pratique du commerceéquitable.

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entreprises comme Crisil Srl (produits en verre recyclé) qui emploie 90 personnes etbénéficie à plus de 500 familles. En général, ce sont des petites organisations qui n’ont pasune grande diversité de produits et qui s’inscrivent dans le commerce équitable grâce auxrelations qu’elles entretiennent avec la coopération internationale.

Les organisations de second rang regroupent différentes organisations de base etvendent sur le marché international du commerce équitable et/ou sur le marché local(essentiellement aux touristes ou expatriés). On peut compter dans cette catégorie,l’Association d’Artisans Q’antati, qui regroupe plus de 250 familles ou l’AssociationArtisanale Señor de Mayo (ASARBOLSEM) qui réunit 415 personnes de différents groupesde la ville d’El Alto. Ces organisations vendent une grande variété de produits et ont unniveau de professionnalisation relativement élevé, avec une équipe technique, des outilsde communication, etc. (Cavalier et Van Der Berg 2009). Bon nombre de ces structuresreçoivent le soutien de la coopération internationale et sont souvent nées de celle-ci.Généralement, ces organisations exportatrices d’artisanats appartiennent aux réseauxnationaux et internationaux de CE et d’économie solidaire comme RENACC ou la WFTO.

Les organisations d’artisanats localesDe la même manière, ces organisations peuvent être aussi bien du premier que du

second rang et vendent essentiellement sur le marché bolivien. Elles disposent, en général,de leurs propres boutiques et vendent aux touristes, aux expatriés ou aux consommateursde la classe moyenne bolivienne (Cavalier et Van Der Berg 2009). Entrent dans cettecatégorie ComArt Tukuypaj, les boutiques Mama Rawa, Artesanía Sorata ou Ayni Boliviaqui emploient toutes plus d’une centaine d’artisans et disposent de boutiques dans lesprincipales villes du pays.

Ces organisations sont appuyées par des projets de développement d’ONG boliviennesou internationales ou sont des initiatives privées. Lorsqu’elles sont gérées par les artisanseux-mêmes, on parle de « commerce communautaire » alors que quand il s’agit d’unegestion d’entreprise, ou qu’elles sont gérées par une ONG, on parle davantage de« commerce solidaire » (Cavalier et Van Der Berg 2009). Elles appartiennent très souventà un réseau national comme la RENACC ou la CIOEC-B.

Une multitude de réseaux nationauxLa majorité des acteurs que nous avons décrits appartiennent à des réseaux de

commerce équitable, d’économie solidaire, d’agriculture écologique que ce soit au niveaunational ou international. Il apparaît donc important de décrire plus en détail les fonctionsde ces différents réseaux qui peuvent être des outils importants pour la défense desorganisations de producteurs.

Le Réseau National de Commercialisation Communautaire de Bolivie (RENACC)RENACC Bolivie est une entité conçue pour les organisations productives rurales,

urbaines et peri-urbaines, autodirigées, en lien avec l’économie solidaire et le commerceéquitable. Elle a été constituée en 1996 dans l’objectif de promouvoir et développerle commerce équitable comme base de progrès économique des organisations et descommunautés du pays. C’est le principal Réseau de commerce communautaire deBolivie. Suite à quelques difficultés internes, elle a développé, en 2005, des RENACCdépartementales à La Paz et Tarija puis, plus récemment, à Chuquisaca et Oruro. Lamajorité de ses membres sont des organisations d’artisans, avec une forte présence defemmes, dont l’activité principale est destinée au marché local. La mission de RENACCest de renforcer les organisations économiques productives en créant des espaces decoordination au niveau national et international, orientés vers la formation des producteurs,

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la production de qualité et l’insertion dans le marché. Le réseau promeut entre autre, l’égalitédes sexes, la préservation de l’environnement et la valorisation de la culture bolivienne.

Les axes stratégiques de travail du réseau sont : le renforcement institutionnel ; lacommunication, diffusion et sensibilisation ; la formation des ressources humaines ; ledéveloppement de marchés équitables et solidaires ; le partage d’expériences ; les relationsinterinstitutionnelles et le lobbying politique.

Au cours des dernières années, la RENACC a été l’instigatrice de plusieurs évènementsmajeurs comme la « Rencontre Latino-américaine d’Economie Solidaire et du CommerceEquitable » à Cochabamba en 2005, la « Rencontre Nationale d’Economie Solidaire etCommerce Equitable » en 2006 et la création, en 2008, du « Mouvement d’EconomieSolidaire et Commerce Equitable de Bolivie ».

La RENACC est, par ailleurs, membre de réseaux internationaux comme la RELACC,la Mesa Latino-américaine d’Economie Solidaire et Commerce Equitable et le RIPESS.

La Coordination d’Intégration des Organisations Economiques Paysannes de Bolivie(CIOEC-B)

La CIOEC-B a été créée en 1991 comme représentante nationale des OrganisationsEconomiques Paysannes (OECA) et est actuellement composée de 9 CIOECdépartementales, réparties dans les 9 départements du pays. Les OECA sont desorganisations productives avec différents statuts juridiques : coopératives, corporationsagricoles paysannes et associations. A travers leurs activités de transformation etcommercialisation, elles optimisent la production agricole, contribuent à la souverainetéalimentaire de ses associés et de la population et participent, à travers les exportations, àaméliorer le solde de la balance commerciale du pays. Elles ont des objectifs économiqueset sociaux et visent l’autonomie et l’équité de leurs membres.

La CIOEC rassemblait, en 2009, en Bolivie 778 OECA regroupant au total 101 768associés (41% sont des hommes et 59% des femmes)18. On peut les classer selonleur secteur d’activité : 61% ont pour activité principale l’agriculture, 24% l’élevage, 12%l’artisanat, 2% sont dans le tourisme et les services et 1% dans l’extraction et la récolte.La CIOEC-B apporte une assistance technique, un soutien économique commercial,organisationnel et juridique ainsi qu’un soutien stratégique pour l’amélioration des structuresdes OECA. A travers l’Ecole des Dirigeants, elle se charge aussi de former les associésdes organisations. Sa mission est de représenter et d’aider les OECA dans le cadre de laproduction, transformation et commercialisation de produits agricoles, d’artisanats avec uneidentité culturelle (Cavalier et Van Der Berg 2009). Sur le plan externe, cela passe par lareprésentation des OECA auprès des instances gouvernementales, non gouvernementales,nationales et internationales ; l’élaboration et la négociation de propositions de politiques etstratégies de développement agricole ; soutenir et former les OECA en négociation avec lesecteur public et privé ; protéger les ressources naturelles, culturelles, génétiques, agricoles,artisanales et la biodiversité. Sur le plan interne, son action passe par la défense desdroits et intérêts des organisations affiliées, orienter et évaluer les OECA sur les aspectslégaux/juridiques, soutenir la formation des ressources humaines des OECA, fournir desinformations sur les aspects commerciaux, financiers et législatifs.

La CIOEC-B dispose d’un Fonds de Soutien Economique (FONDOECA) qui alimenteen capital les organisations par le biais de subventions destinées à faciliter l’investissementproductif des OECA. Mais la CIOEC-B est particulièrement reconnue pour son lobbyingpolitique. Ainsi, elle a activement lutté pour la mise en place de programmes étatiques

18 CIOEC Bolivia, 1er censo nacional de OECA, 2009

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comme : Compro Boliviano, Desayuno Escolar et Subsidio de Lactancia19. Elle a aussiparticipé à la rédaction de certains articles de la Constitution de 2009.

Enfin, la CIOEC-B est membre du Mouvement d’Economie Solidaire et CommerceEquitable de Bolivie ainsi que du réseau international d’agriculteurs COPROFAM afin defaire part des préoccupations des petits producteurs et trouver des partenaires dans d’autrespays pour créer une force commune et influer sur les politiques économiques et agricolesde ces pays (Cavalier et Van Der Berg 2009).

L’Association des Organisations de Producteurs Ecologiques de Bolivie (AOPEB).L’AOPEB est une association fondée en 1991 par six organisations paysannes

écologistes afin de regrouper les agriculteurs autour d’un mouvement de défense del’agriculture biologique et d’avoir un outil de formation, de commercialisation et decertification des produits écologiques. Du fait de problèmes liés à l’auto certification, cetteactivité a été reléguée à une entreprise privée de certification, BOLICERT, et l’AOPEB s’estconcentrée sur le soutien aux agriculteurs bio. En 2009, l’AOPEB comptait 65 organisationsaffiliées (coopératives, associations, ONG, PME) qui représentaient entre 65 000 et 70 000familles (Cavalier et Van Der Berg 2009).

Son activité vise à promouvoir la pratique d’une agriculture biologique et développer unmouvement écologique qui implique la société et les pouvoirs publics. Ses objectifs majeurssont : la production, la transformation, la commercialisation et la consommation massive deproduits écologiques boliviens de qualité supérieure, afin d’améliorer les conditions de viedes producteurs. A ce titre, elle met en place des stratégies de renforcement institutionnel,de développement de normes et certifications, de développement de marchés, de formationdes agriculteurs, et représente leurs intérêts au niveau national et international à traversdes études, des campagnes etc.

En outre, l’AOPEB pense que les principes de l’agriculture écologique sont très prochesde ceux du commerce équitable et qu’elle devrait pouvoir obtenir la certification FLO.Toutefois, bien qu’intéressée par le projet, elle considère que le soutien de l’Etat estnécessaire pour développer ce type de commerce au niveau national.

Enfin, l’AOPEB joue un rôle important dans la promotion du commerce local grâceà son réseau de boutiques nationales « Super Ecologico » qui d’après elle constitue unoutil de commercialisation et un moyen de conscientisation des bénéfices d’une agricultureécologique (Cavalier et Van Der Berg 2009).

Le Mouvement d’Economie Solidaire et Commerce Equitable de Bolivie (MESCJB)Ce mouvement, né en octobre 2008, réunit les organisations les plus importantes

du secteur du CE et de l’ES en Bolivie. Il se substitue à la Plateforme Multisectoriellede Développement et la Promotion de l’Economie Solidaire et le Commerce Equitable deBolivie, en incluant davantage d’acteurs. Le MESCJB regroupe ainsi RENACC, CIOEC-B,AOPEB, El Ceibo, CECI, FECAFEB, Gregoria Apaza et Caritas Bolivie.

Le mouvement se réunit tous les mois pour travailler sur plusieurs thèmes : lobbyingpolitique pour obtenir le soutien du gouvernement au secteur (avec pour objectif, jusqu’en2010, la création d’un vice ministère de l’ES et du CE), la sensibilisation sur le prix équitable,et l’élaboration d’une certification bolivienne, qui inclurait aussi bien la dimension du CE etde l’ES que la dimension écologique.

19 Se sont des programmes d’aide financière et alimentaire de l’Etat bolivien (qui seront détaillés plus bas).

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Depuis la 3ème rencontre Latino-américaine d’Economie Solidaire et de CommerceEquitable en 2008 à Montévidéo, le MESCJB est le représentant de RIPESS Bolivie.

Le Réseau des Organisations Economiques de Producteurs Artisans avec IdentitéCulturelle (OEPAIC)

Ce réseau regroupe six organisations rassemblant, au total, plus de 4 000 artisans(essentiellement des femmes). L’OEPAIC milite pour la défense du secteur artisanal afind’exiger un meilleur traitement de la part des autorités sur le plan de la production, de lacommercialisation, de la fiscalité et des normes. Il identifie les nécessités des organisations,formule des propositions aux autorités, et représente les demandes du secteur devant l’Etat.Ensuite, il veille à l’application, par les pouvoirs publics, des politiques formulées et leurrespect par toutes les parties prenantes.

En clair, l’objectif de l’OEPAIC est de défendre les droits des artisans et leur identitéculturelle ; de les représenter face à l’Etat, la société civile et la coopération internationale ;de contribuer à améliorer la production et la commercialisation des membres et renforcerl’organisation du réseau.

En outre, un des éléments central du travail du réseau est la question du genre.La majeure partie des membres sont des femmes. A l’heure actuelle, elles n’ont pas unaccès optimal à l’information et aux postes de direction. Un changement de mentalités’impose pour que dans les associations dans lesquelles elles travaillent, elles puissentavoir les mêmes droits et chances de réussite que les hommes. L’OEPAIC favorise alorsla participation de ces femmes dans la prise de décision et garantie l’égalité des sexes, ausein des organisations membres du réseau.

Une faible présence des réseaux internationauxFairtrade Labelling Organizations (FLO)Les premières certifications de FLO d’organisations boliviennes ont débuté en 1997

(Cavalier et Van Der Berg 2009). Depuis 2006, un délégué de FLO est présent pour fairele lien entre les organisations de producteurs et le siège de FLO, à Bonn. Il a quatrefonctions principales : 1) Evaluer et accompagner les organisations certifiées. 2) Promouvoirde nouveaux produits et de nouvelles organisations de producteurs ainsi que promouvoir leconcept de CE avec les producteurs. 3) Représenter FLO face aux acteurs institutionnels,sociaux… 4) Fournir des informations relatives au contexte bolivien et aux organisationsde producteurs.

Actuellement, FLO labellise quatre produits boliviens : le café, le cacao, le quinoa etla châtaigne. D’autres produits sont en cours de certification : cacahuète, thé, miel, soja,herbes aromatiques, sésame. 29 organisations sont certifiées (22 pour le café, 3 pour lequinoa, 3 pour la châtaigne et 1 pour le cacao). 22 sont des organisations de premier ranget 7 de second rang (coopératives de coopératives). Toutefois, au regard des productionstotales des quatre produits certifiés, la part destinée au Commerce équitable dépasserarement les 10% (Cavalier et Van Der Berg 2009).

Cependant, la CLAC, qui regroupe les réseaux de producteurs appartenant à FLO,n’existe quasiment pas en Bolivie. Seule la FECAFEB fait partie de la CLAC. De fait, lareprésentation des organisations de producteurs boliviens à FLO est presque inexistante.Néanmoins, l’impact du CE en Bolivie, d’après la vision de FLO, est très positive dansla filière du café. Les organisations de producteurs se seraient renforcées avec l’emploide différents spécialistes, l’achat d’équipements pour transformer le café et un lobbying

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politique en faveur du secteur. La FECAFEB a, par exemple, fait une proposition de politiquesectorielle en faveur de la filière (en cours d’approbation) (Cavalier et Van Der Berg 2009).

World Fairtrade Organisation (WFTO)WFTO est un réseau mondial qui défend le commerce équitable, et qui s’assure que

les producteurs soient écoutés. Elle regroupe 350 organisations de 70 pays que ce soit desorganisations de producteurs, des réseaux de boutiques, des plateformes etc.

En Bolivie, six organisations appartiennent à la WFTO : Artesanias Loreto, AsociacionArtesanal Señor de Mayo (ASARBOLSEM), Asociacion de Artesanos Q’Antati, Asociacionsolidaria de artesanias Pachamama, Cooperativa de trabajadores Bananeros del Sur(COOPETRABASUR) et Cornilla S.A.

Nous venons de le voir, les réseaux nationaux de commerce équitable et lesorganisations de producteurs sont très nombreux en Bolivie offrant ainsi un tissu d’économiesolidaire particulièrement dense et développé20. Néanmoins, l’importance du rôle politiqueest déterminant pour favoriser l’organisation et le développement du commerce équitabledans le pays.

D.L’importance du soutien politique : Rôle du MASDe l’élection d’Evo Morales…

L’élection d’Evo Morales constitue un tournant dans l’histoire de la Bolivie et dansl’histoire des indigènes d’Amérique latine. Ce changement s’accomplit à deux niveaux : unpremier niveau, que l’on pourrait qualifier d’idéologique, à travers l’intégration des indigènes,aussi bien dans la vie que dans le discours politique ; et un deuxième niveau, plus concret,qui se reflète à travers les réformes « ethniques » mises en place par son gouvernementdont l’application la plus notable reste, sans conteste, la Constitution de 2009 (Kawka 2009).

Comme l’indique Denis Langlois, la Constitution « représente une rupture historiquequant à la reconnaissance de droits égaux pour les peuples autochtones : identité,valeurs, culture, autonomie, ressources, territoires. Jamais une constitution ou un projet dedocument juridique n’aura si explicitement reconnu le droit d’exister des Autochtones entant que peuples et individus21 ».

Comme nous l’avons vu précédemment, ce sont les indigènes qui sont les plustouchés par la pauvreté. Ce sont également eux qui, durant les dernières décennies,ont développé leur organisation communautaire pour créer des OECAs et s’organiser enréseau. Cependant, quel est concrètement l’apport du gouvernement d’Evo Morales à cesorganisations de petits producteurs ? A travers quels mécanismes politiques, économiqueset sociaux contribue-il à leur développement ?

Au concept de capitalisme andin amazonienLe terme de « capitalisme andin amazonien » a été théorisé par Álvaro García

Linera.Álvaro García Linera est l’actuel vice-président de la Bolivie et définit son conceptcomme « un régime capitaliste au sein duquel les potentialités familiales, indigènes,paysannes, sont équilibrées et articulées autour d’un projet de développement national etde modernisation productive » (Landivar et Ramillien 2009).

20 Voir Annexe 1 sur les principales organisations boliviennes de commerce équitable et leur appartenance aux réseauxnationaux et internationaux.

21 Langlois, Denis, Le défi Bolivien, Québec, Athéna Editions, 2008, p.72

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L’axe nodal du concept de capitalisme andin-amazonien consiste à affirmer etreconnaître l’hétérogénéité du système productif. Ainsi, les grandes entreprises qui créentl’excédent économique (minerais, hydrocarbures) se juxtaposent à la majorité de micro-entreprises et des entreprises communautaires ou associatives. Les excédents ainsi crééssont utilisés pour promouvoir et financer l’activité des micro-entreprises mais surtoutdes organisations économiques communautaires, paysannes et/ou indigènes (OECAs)(Landivar et Ramillien 2009).

Pour cet intellectuel, l’objectif est d’utiliser le moteur du capitalisme pour aider lesinitiatives privées à se développer au niveau communautaire (García Linera 2005). C’est unprojet de long terme (50 ans) qui vise à soutenir les entités productives familiales, paysanneset indigènes afin qu’elles puissent subvenir à leur bien-être et s’autonomiser, aussi bienéconomiquement que politiquement. García Linera revendique les racines marxistes dece projet mais souhaite utiliser les potentialités du système capitaliste pour parvenir àl’émancipation des plus défavorisés. En ce sens, on peut dire que le capitalisme andinamazonien, tel qu’il est défini par Álvaro García Linera, coïncide avec les aspirations et lesprincipes du commerce équitable.

Un discours en faveur du commerce équitableLe Plan National de Développement 2006-2011 dit que l’Etat protègera et favorisera la

production nationale, en particulier les associations et communautés de producteurs ayantun faible développement de leurs capacités productives. De plus, concernant la politiquede demande qui doit être mise en place, le PND ajoute qu’elle devra avantager les petitesentreprises, les artisans, les OECA, les coopératives et les associations de producteurs(Cavalier et Van Der Berg 2009).

La nouvelle Constitution de 2009 va également dans ce sens avec l’Article 334 quistipule que dans le cadre de ses politiques sectorielles l’Etat protègera et encouragera :Les organisations économiques paysannes, les associations et organisations de petitsproducteurs urbains et les artisans comme alternatives solidaires et réciproques. Lapolitique économique facilitera l’accès à la formation technique et technologique, au crédit, àl’ouverture aux marchés et à l’amélioration des procédés de production. On peut égalementciter l’Article 408 qui précise que l’Etat déterminera les incitations économiques en faveurdes petits producteurs, dans l’objectif de compenser les désavantages de l’échange inégalentre les agriculteurs et les éleveurs avec le reste de l’économie.

Il existe également des lois qui soutiennent les petits producteurs, comme la Loi N� 2235 (Loi de Dialogue National) qui stipule dans son article 3.IV : « Se constituenten agents économiques de la Stratégie Bolivienne de Réduction de la Pauvreté lesorganisations et associations de petits producteurs urbains et ruraux (petite industrie, microet petites entreprises, artisans, organisations économiques paysannes et mines organiséesen coopératives) ». Cela a pour conséquence l’article 4.I : « Les gouvernements municipauxont la faculté d’octroyer la personnalité juridique et l’autorisation d’exercer une activitécommerciale aux associations, sociétés de petits producteurs, organisations économiques,paysannes, d’artisanat et microentreprises urbaines et rurales, fournisseuses de biens etservices afin qu’elles agissent dans le cadre de chaque juridiction municipale […] ».

Ce point est particulièrement important dans le sens où il introduit la possibilité pourles organisations paysannes d’obtenir la Carte de Commerce qui les autorise à fournir desbiens et des services à l’Etat, c'est-à-dire avoir accès à des programmes comme DesayunoEscolar, Compro Boliviano ou Subsidio de Lactancia (Cavalier et Van Der Berg 2009). Cela

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montre que les organisations de CE boliviennes sont dans un contexte favorable à leurdéveloppement avec le soutien de l’Etat.

Les outils étatiques mis en placeCompro Boliviano : instrument légal, qui permet à l’Etat Bolivien de favoriser l’achat

de produits et services produits par des entreprises boliviennes, avec un clair avantagepour les petits producteurs. Le Décret 27328 a deux objectifs : 1) que les appels d’offrepublics pour des achats nationaux (jusqu’à 1 111 110 US$) soient dirigés aux entreprisesde production nationale légalement établies (article 19). 2) la participation des petitesentreprises, associations de producteurs, organisations économiques paysannes (OECA),coopératives et associations sans but lucratif légalement établies, au processus de sélection(article 6.I).

Desayuno Escolar : un des piliers des mesures sociales municipales pour lutter contrela malnutrition infantile, contre l’absentéisme scolaire et pour générer de l’emploi local. Lesmunicipalités ont alors mis en place, depuis 2005, des programmes de « petits-déjeunersscolaires ». En 2006, plus de 270 municipalités avaient mis en place ce service, bénéficiantà 2 millions d’enfants (Cavalier et Van Der Berg 2009).

Subsidio de Lactancia : programme mis en place par l’Etat qui entre dans le cadredu PND et qui vise à distribuer des aliments (lait, gâteaux, graines de sésame, haricots,sel) aux mères enceintes et aux enfants jusqu’à l’âge de un an pour un montant équivalentau salaire minimum (80,2 US$). Depuis 2008, elles ont aussi du miel grâce à l’AssociationNationale des Apiculteurs de Bolivie (ANPROABOL) qui a convaincu le gouvernementd’intégrer leurs produits dans le « panier ». On peut aussi noter l’ajout de châtaignes quiproviennent de coopératives membres de l’AOPEB et de la CIOEC-B, permettant d’intégrerles organisations de commerce équitable à ce type d’aide.

En outre, le gouvernement d’Evo Morales a créé, en Mai 2007, la Banque deDéveloppement Productif qui a pour objectif de servir d’intermédiaire entre les banquesprivées et les associations de producteurs entrepreneurs. Les crédits vont de 110 à 555 556US$ avec un taux d’intérêt de 6% au producteur final sur des délais de 12 ans maximum.Ce type d’outil peut aider les organisations de CE à trouver des fonds pour financer leursinvestissements.

Les politiques publiques misent en placeOn peut également noter la mise en place de projets politiques favorables au

développement du commerce équitable en Bolivie. Ainsi, en 2006, la signature du Traité deCommerce des Peuples (TCP) entre la Bolivie, le Venezuela et Cuba est un premier pasvers la création d’un commerce fondé sur les valeurs de justice et de solidarité.

Plus récemment, le gouvernement bolivien a demandé à des consultants d’élaborerdes propositions de commerce « équitable » avec les Etats-Unis afin de prendre en compteles différences structurelles entre ces pays. Bien que des filières de commerce équitableaient déjà été tissées par des coopératives qui exportent en Europe et aux Etats-Unis, cesinitiatives témoignent d’une volonté forte du gouvernement d’améliorer le niveau de vie despetits producteurs en créant des conditions commerciales plus favorables.

Sous cette impulsion politique, de nouveaux projets, financés par des organismesinternationaux ont alors vu le jour. Par exemple le projet pilote « Communautés solidaires,communautés en action » du Ministère de Planification et de Développement, financé parla Banque Interaméricaine de Développement à hauteur de 10 millions US$, ou encore le

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projet de Promotion du Commerce Équitable du Centre de Promotion Bolivie (CEPROBOL),financé par le programme PROCOIN de l’Union Européenne à hauteur de 7 millions d’€.

Enfin, le 7 mai 2010, la Ministre du Développement Productif et de l’Économie Pluriellede l’État plurinational de Bolivie, Antonia Rodríguez, signait une lettre annonçant la créationd’une Stratégie Nationale de Promotion de l’économie solidaire et du commerce Equitable.Cette stratégie doit conduire à la création d’un Vice-ministère dédié à la promotion de cetype d’organisations productives. Son action est prévue dans six principaux champs : ladiffusion de l’économie solidaire ; la mise en place de finances solidaires au service desgroupements de producteurs ; la promotion de technologies de production « biostables » ;le développement d’un système de certification ; l’accès au commerce équitable auniveau national et international ; l’institutionnalisation de ce modèle de production, decommercialisation et de financement, en particulier à travers de nouvelles normes légales.

Ainsi le mouvement de « Commercialisation communautaire », qui a émergé dèsla fin des années 1980 en prônant une commercialisation directe du producteur auconsommateur, devrait être au centre de cette politique. Les cinq milliers d’organisationsde base qui composent le mouvement et qui, historiquement, ont été exclues des politiqueséconomiques mises en place par tous les gouvernements précédents, se trouvent alorssoutenues. C’est aussi dans le but de luter contre les échecs répétés des initiativesindividuelles d’intégrer le marché que le gouvernement de Morales propose de promouvoirle regroupement de producteurs comme partie de son Plan national de développement.En effet, les tentatives de création d’entreprise, sur le modèle classique occidental, ontde grandes difficultés à se développer du fait du manque de financement et de structuresadéquates.

Faciliter le développement de structures d’économie solidaire semble donc unepasserelle d’accès au développement économique plus adaptée à la culture andine et auxmoyens dont dispose le pays actuellement. Bien que ces pratiques soient, comme nousl’avons vu, largement développées au sein des communautés, « un cadre institutionnel »et macro économique adéquat est indispensable, notamment pour offrir des formes légalespermettant l’accès à des financements et à une fiscalité adaptés, ainsi que des vecteursde commercialisation valorisant des produits jusqu’ici dépréciés car considérés commeindigènes (Hillenkamp 2010).

En outre, cette nouvelle politique gouvernementale, qui opte pour une diversificationproductive, apparaît judicieuse dans un pays où l’extraction d’hydrocarbures et de mineraisreprésente plus de 60 % de la valeur des exportations. Bien que la nationalisation de cesressources, puis la redistribution de la rente ait permis de répondre à diverses demandessocio-économiques depuis 2006, ces moyens restent cependant dépendants des prixinternationaux des hydrocarbures et des minerais. La stratégie actuelle de développementde l’économie solidaire et du commerce équitable permet donc de rompre avec cetteillusion en partant des pratiques existantes. Il est cependant vital, pour la pérennité decette nouvelle économie, que les leaders de l’économie solidaire repoussent les pressionsà « l’essentialisme indigéniste » (Hillenkamp 2010) et intègrent ces pratiques et sonorganisation de manière institutionnelle et durable.

Maintenant que nous venons de voir le développement et la situation du commerceéquitable en Bolivie, il apparaît intéressant afin d’approfondir notre problématique, des’intéresser à une étude de cas d’une organisation spécifique.

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3.Le cas de l’Association Señor de MayoL’intégration dans ce travail d’une étude de cas permet d’aborder, de manière plus concrèteet plus précise, les principes et les enjeux du commerce équitable. Le choix de l’AssociationSeñor de Mayo résulte d’échanges et de correspondances avec Isabelle Hillenkamp quia étudié le fonctionnement de cette association en 2006, dans le cadre de ses travauxsur l’économie solidaire à El Alto en Bolivie. J’ai donc eu son aval ainsi que celui desresponsables de l’Association pour pouvoir réutiliser ses données afin de les intégrer àmon étude sur le commerce équitable. Les chiffres, interviews et données, figurant dans laprésentation qui suit sont donc entièrement le fruit de l’étude de Mme Hillenkamp.

Présentation de l’Association Señor de Mayo

L’Association Señor de Mayo est née en 1989, sous l’impulsion d’Antonia Rodriguez22,pour répondre aux difficultés économiques et à un taux de chômage élevé à El Alto, du fait del’arrivée massive de mineurs relocalisés et des catastrophes naturelles qui se sont produitesdans les zones rurales de l’Altiplano (El Niño). Elle se constitue, au départ, de 6 groupesréunissant 115 personnes, essentiellement des femmes, et commercialise, sur le modèledu commerce équitable des produits artisanaux par le biais de réseaux personnels avecdes étrangers (touristes, coopérants). Ces derniers se chargent de vendre les produits dansleurs pays. En 1995, l’Association va proposer, en plus du service de commercialisation,une assistance technique dans l’administration, la production et la gestion de ses membrestout en adhérant à des réseaux de commerce équitable. Durant cette période, l’Associations’agrandit de 4 à 5 groupes par an pour atteindre aujourd’hui 20 groupes composés enmoyenne de 19 personnes. Señor de Mayo produit des textiles en fibre de camélidés etd’autres types d’artisanats tels que des instruments de musiques andins ou des céramiques.L’Association se charge de la provision de matières premières (laine de camélidés), de laformation et l’assistance technique aux groupes de travail, de la recherche de marchés et del’exportation. Elle définit sa mission comme « une entreprise sociale autogérée qui réussità être viable économiquement, reconnue socialement et écologiquement durable »23.

Au moment de l’étude, Señor de Mayo comptait 19 groupes et 360 membres dont 80%étaient des femmes. Sur les 19 groupes, 14 se trouvent à El Alto. Certains producteursdélèguent une partie de leur travail à des membres de leur famille ou font de la sous-traitance. D’autre part, il existe des groupes de producteurs qui ne sont pas membres del’Association mais qui s’associent de manière ponctuelle pour faire face à l’augmentationdes commandes.

L’Association dispose en outre de cinq employés à temps complet et partiel : unedirectrice exécutive, une directrice opérative, une comptable (à mi-temps), un responsablecommercial, une responsable de projets et de formation.

Le Chiffre d’affaires, en 2004, était de 225 000 dollars dont 85% était réalisé à l’étranger.Señor de Mayo est affiliée à plusieurs réseaux de commerce équitable et d’économie

solidaire : l’IFAT (International Federation for Alternative Trade), RENACC (RéseauNational de Commercialisation Communuataire), RELACC (Réseau Latino Américain de

22 Antonia Rodriguez a ensuite été la Ministre du Développement productif et de l’Économie plurielle de l’État plurinationalde Bolivie à l’origine de la signature de la Stratégie nationale de promotion de l’économie solidaire et du commerce équitable citéprécédemment.

23 D’aprés “una Empresa Social de estructura administrativa autogestionaria que logre ser económicamente viable, socialmenteaceptada y ecológicamente sostenible”.

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Commercialisation Communautaire) et RIPESS (Réseau Intercontinental de Promotion del’Economie Sociale et Solidaire) Bolivie.

A.Processus économiqueLa première sous partie va s’attacher à présenter le fonctionnement de l’organisation surle plan économique depuis le financement, l’approvisionnement de matières premières, demain d’œuvre, la production, la commercialisation jusqu’à la répartition des bénéfices.

FinancementLe financement de Señor de Mayo est sous la responsabilité du niveau central de

l’Association. Cela comprend : la gestion des coûts de production (achat de matièrepremière, paiement des producteurs, frais administratifs, coûts de commercialisation etc.)et la gestion des revenus de la vente des produits.

Du fait de son appartenance au commerce équitable, l’Association bénéficie dupaiement anticipé d’un certain pourcentage du montant total des ventes. Au sein de l’IFAT,la Chambre de Compensation entre acheteurs et producteurs permet de recevoir jusqu’à76% du paiement final dès que la commande est confirmée (mécanisme de « SharedInterests »). Ce pourcentage permet de couvrir les coûts d’achat des matières premières,d’administration, de commercialisation mais pas le paiement de la main d’œuvre.

Le calendrier de production peut se diviser en deux périodes distinctes : la période deproduction élevée qui s’échelonne d’avril à septembre où Señor de Mayo reçoit un nombreimportant de commandes et donc les paiements anticipés de l’IFAT ; et la période de faibleproduction d’octobre à mars mais pendant laquelle l’Association continue de produire afin dese constituer un stock suffisant pour vendre à partir d’avril. La production se fait donc à partirde fonds propre mais qui restent limités. Par conséquent, il n’est pas possible de rémunérerles groupes au moment de la prise de commande mais uniquement une fois les venteseffectuées. Les responsables de l’Association estiment qu’il faudrait un fonds de roulementde 50 000 dollars pour pouvoir couvrir les frais de main d’œuvre durant cette période.

La mise en place de ce fonds fait partie des objectifs de l’Association. Elle souhaite leconstituer de manière autonome sans passer par des organismes financiers. Le recours àdes financements par des organismes de coopération est envisagé mais cette méthode nedoit pas conduire à une ingérence dans la gestion de l’Association.

Les délais de paiement de la main d’œuvre ont des conséquences non négligeablessur la stabilité des groupes de producteurs. L’ensemble des membres de l’Associations’accordent à dire que ces délais sont la principale raison du manque de motivationdes producteurs et de leur départ de l’organisation. Le témoignage d’une productrice estexplicite : « C’est pour cela (les délais de paiement) qu’il manque beaucoup de gens à Señorde Mayo. Il faudrait être payé plus rapidement. » La directrice, Antonia Rodriguez souligneque « le problème majeur qui conduit à la désintégration des groupes est dû au fait que lepaiement n’est pas immédiat… »

Les producteurs ont donc été contraints de mettre en place des stratégies individuellespour faire face aux fluctuations de revenus. La majorité des producteurs ont une autreactivité en plus de Señor de Mayo pour leur permettre de stabiliser leur revenu. Cependant,il s’agit en général, d’activités peu qualifiées donc faiblement rémunératrices (vente dans larue, nettoyage de linge etc..). Les productrices de Señor de Mayo dénoncent cette situationet déclarent qu’elles préféreraient s’adonner uniquement à la production de l’Association.

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De plus, les délais de paiement dévalorisent leur travail, particulièrement vis-à-vis de leursmaris qui les menacent de ne pas les laisser assister aux réunions de l’organisation.

Les difficultés de financement entraînent également des problèmes relatifs à l’achatde matières premières. Les groupes n’ont pas l’autonomie financière pour se procurereux-mêmes la laine dont ils ont besoin. Ils sont donc dépendants du niveau central del’Association. «On préfèrerait être indépendants mais on manque de capital. » Il apparaitdonc nécessaire de constituer un fonds de roulement au niveau des groupes.

Enfin, il faut souligner que l’Association dispose d’un soutien financier de la partd’organismes de coopération internationale pour l’acquisition de matériels, le financementde formations ou d’assistance technique notamment lors de la formation de nouveauxgroupes. La Direction de l’Association tient à ce que soutien reste marginal (fraisexceptionnels et non d’opération) afin de garantir l’indépendance et l’autonomie de Señorde Mayo.

L’autogestion de la structure est un élément majeur pour la pérennité de l’Association.En effet, l’agence de coopération USAID avait essayé de reproduire l’expérience de Señorde Mayo en apportant un soutien financier important à de nouvelles structures maiselles n’ont pas réussi à terminer leur première année d’activité en raison de problèmesorganisationnels et de gestion. Cet exemple met en évidence l’insuffisance du facteurfinancier et souligne l’importance du leadership et de la gestion dans l’organisation.

Approvisionnement en matière premièreL’approvisionnement en matière première est une tâche cruciale pour la bonne gestion

de l’association. C’est le niveau central qui s’en charge et qui répartit la laine dans chaquegroupe. Le président de groupe fait la même chose au niveau de son groupe. La réceptionde la laine est un acte fondateur et fédérateur pour le groupe. Cela signifie qu’il existe etqu’il est actif.

L’approvisionnement n’est pas une mission facile pour l’Association. En période creuse,au-delà des difficultés de financement, il est difficile de trouver de la laine dans la région d’ElAlto et ses alentours. Le principal fournisseur est COPROCA (Compañía de Productos deCamélidos S.A.), dont Señor de Mayo est partenaire. Toutefois, la production CORPROCAest parfois insuffisante et Señor de Mayo doit faire appel à d’autres fournisseurs commePRORECA voire même jusqu’à des producteurs étrangers, essentiellement péruviens.

La main d’œuvreIl y a deux moyens pour agrandir l’Association : l’agrandissement des groupes existants

ou la création de nouveaux groupes. Dans le premier cas, cela passe par l’intégrationd’un proche d’un producteur (ami, famille). Dans le second, cela se fait par l’affiliation depetits groupes déjà existants qui ont une activité similaire ou complémentaire à Señor deMayo et qui se proposent d’intégrer l’Association. En général, les membres du groupe seconnaissent mais ne viennent pas forcément de la même communauté. « Nous sommesd’anciens voisins du quartier, mais nous ne venons pas des mêmes communautés »explique une productrice.

La consolidation d’un groupe déjà existant est souvent liée à l’arrivé d’un projet desoutien de la coopération internationale qui permet de former les producteurs et, danscertains cas, leur fournir des machines. Ce type de projet permet, en effet, de consoliderles groupes, notamment lorsqu’ils sont en construction.

La formation de nouveaux groupes correspond à un agrandissement de l’Associationen largeur plutôt qu’en profondeur. Néanmoins, l’augmentation de la taille des groupes

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existants correspond davantage à la perspective de l’Association (moins de groupes maisde taille plus importante). Le Directoire invite d’ailleurs les groupes à s’agrandir.

Enfin, le dernier moyen de recruter de la main d’œuvre consiste à intégrer les groupesassociés qui fournissent l’Association en période de forte demande de manière durable.C’est le cas de plusieurs groupes qui étaient partenaires occasionnels et qui sont devenusaffiliés à Señor de Mayo.

Il est important de souligner que l’enjeu majeur de l’association n’est pas la recherchede marché mais de main d’œuvre qualifiée pour satisfaire les carnets de commande.

La ProductionLorsque l’Association reçoit les commandes, elle les répartit à chaque président de

groupe, sous la forme d’une feuille de commande qui définit la quantité et la qualité requisepour chaque produit et la date à laquelle doit être envoyée la commande. Ensuite, leprésident répartit la commande au sein du groupe dont il est responsable.

La production a lieu dans la maison des producteurs ce qui leur permet de combiner àcette activité de production leur activité domestique. L’organisation du temps de travail estdonc très variable selon les producteurs et selon la période de l’année. Certains travaillentà temps complet, 12 heures par jour (les hommes et les femmes qui peuvent laisser leursenfants à la garderie), alors que d’autres y consacrent seulement 2 à 3 heures par jour.

Chaque producteur est capable d’assumer toutes les étapes du processus deproduction et peut travailler indépendamment des autres. On laisse donc de côté laspécialisation au profit d’une égalité de compétences techniques. « Nous devons tousapprendre. Il faut juste y accorder de l’intérêt et en avoir envie. On ne peut pas dire auclient que l’on est spécialisée pour aller jeter les poubelles » explique une productrice.Cependant, cette volonté d’égalité entre les producteurs conduit à certaines contradictions :elle promeut l’homogénéisation des producteurs qui doivent être égaux au détriment de lareconnaissance de la différence propre de la réciprocité. Le clivage entre ces deux logiquesapparaît au moment du paiement : la rémunération se fait par produit en se basant sur letemps nécessaire pour les artisans les plus rapides pour réaliser leurs produits. Dés lors,la différence de productivité entre les producteurs conduit à des frustrations et des tensionsau sein du groupe.

La production est également tributaire des deux niveaux de l’organisation (groupeset Association). De fait, l’association n’accepte que les commandes complètes de chaquegroupe, elle ne reçoit ni les commandes incomplètes, ni la production de chaque membreindividuellement. Cela a pour conséquence une interdépendance complète avec tous lesmembres du groupe : c’est seulement lorsque tous ont accomplis leur travail qu’il estpossible d’envoyer la commande et de recevoir le paiement. Les réunions hebdomadairespermettent de vérifier l’avancée et la qualité de production de chaque membre du groupe.

Ces mécanismes exercent un contrôle social envers les producteurs et assurent unfonctionnement décentralisé de la production. Bien que ce soit un avantage de ce pointde vue et que cela constitue l’unique moyen d’avoir une organisation non hiérarchique,la dépendance aux autres membres du groupe est parfois vécue comme une pressionpour beaucoup de producteurs. L’accomplissement de la feuille de commande est un défiimportant pour les producteurs qui, une fois atteint, en sont fiers. Il peut cependant conduireà un surmenage de la part de certains producteurs (particulièrement les productrices avecplusieurs enfants en bas âges). Cela met en lumière les limites du point de vue social deces mécanismes de contrôle communautaire.

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Enfin, il est important de mentionner le rôle des groupes associés qui permettent deflexibiliser la production par leur engagement dans les périodes de fortes commandes.Le vocabulaire utilisé pour caractériser ces groupes révèle son double rôle : on parle,d’un côté, de groupes « bénéficiaires », dans le sens où ils profitent des opportunités decommercialisation de Señor de Mayo, et, d’un autre côté, de « l’aide » que ces groupesapportent à l’association en absorbant une partie des commandes, si besoin est.

La CommercialisationLa commercialisation est l’activité fondatrice et centrale de l’Association. Il est important

de noter que les membres de l’organisation ne sont pas en compétition les uns contre lesautres pour s’implanter sur de nouveaux marchés. Au contraire, ils s’associent pour obtenirces marchés.

Bien qu’au début, Señor de Mayo avait des difficultés pour trouver des débouchés,aujourd’hui sa seule préoccupation est d’adapter ses produits aux marchés européens etaméricains et de trouver des producteurs compétents pour satisfaire cette demande.

Les ventes sont principalement réalisées à l’étranger, le prix de vente des produitsSeñor de Mayo étant trop élevé pour le marché local (laine d’alpaga et paiement « juste »).De ce fait, Señor de Mayo vend essentiellement par la filière commerce équitable, à traversle réseau IFAT. L’Association comptait, en 2006, entre 10 et 15 clients différents ce quiindique une bonne diversification et un faible risque de dépendance. Néanmoins, uneanalyse des ventes en volume met en évidence l’importance d’un client, Assoziazione AdGente de Italia, qui, en 2005, représentait 39% des ventes de l’Association.

En contrepartie, on peut noter la présence d’un nombre important de « petits clients »qui sont fidèles à l’organisation et qui correspond aux ambitions du commerce équitabled’établir des relations stables et durables entre producteurs et consommateurs.

Concernant le prix de vente, il convient de noter que malgré la volonté du commerceéquitable d’établir des termes plus justes de l’échange pour favoriser le développement despetits producteurs, il arrive souvent que ce prix équitable ne soit pas non plus en mesurede permettre aux producteurs de vivre décemment.

L’exemple suivant illustre cette situation : un pull en laine de mouton se vend sur lemarché local autour de 80 bolivianos, alors qu’un pull en laine d’alpaga de Señor de Mayose vend, à l’étranger, autour de 320 bolivianos. Il faut déduire de ces 320 bolivianos le coûtde commercialisation (environ 25%) et de la laine d’alpaga (environ 160 bolivianos/kg). Aufinal, la rémunération de la main d’œuvre pour fabriquer ce pull est d’approximativement90 bolivianos soit 9 bolivianos par jour pour 10 jours de travail effectif. Bien que cetterémunération soit plus élevée que le marché local, elle reste encore loin du salaire minimumlégal de 20 bolivianos par jour.

De plus, les producteurs qui disposent d’une machine à tisser peuvent vendre sur lemarché local un pull autour de 200 bolivianos pendant les fêtes. Le coût de la laine étantde 110 bolivianos, il leur reste 90 bolivianos pour la main d’œuvre, pour seulement 2 joursde travail (soit 45 bolivianos par jour).

Cependant, la commercialisation pendant les fêtes n’est pas une activité continue cequi fait que les producteurs de Señor de Mayo, qui disposent d’une machine à tisser, utilisentcette stratégie comme une source complémentaire de revenu. « Je tisse à la machine pourle marché local et à la main pour Señor de Mayo. Je fais les deux. C’est complémentaire.Le tissage à la machine est plus rapide, il n’y a pas tant de contrôles de la qualité, ils payentplus vite. Je peux faire 3-5 écharpes par jour ou un pull. Le tissage à la main…l’IFAT soutient

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les petits producteurs sans ressource. C’est pour cela qu’ils ne peuvent accepter le tissageà la machine. »

Dans tous les cas, la majorité des producteurs de l’Association voient le marchélocal comme une opportunité complémentaire à leur travail au sein de Señor de Mayo.Bien que cela paye moins, cela rapporte plus vite et permet de faire face aux délaisde paiement de Señor de Mayo stabilisant ainsi les revenus. Les stratégies individuellesde commercialisation permettent ainsi de dépasser les difficultés de financement del’Association.

La répartition des bénéficesLa répartition des bénéfices obéit encore une fois aux deux niveaux de l’Association :

les bénéfices se répartissent entre les groupes puis chaque groupe, en interne distribue lesbénéfices entre ses membres.

On peut distinguer deux types de bénéfices : les paiements des commandes et ladistribution des excédents, à la fin de l’année. Au sein des groupes, ces deux revenus sontrépartis en fonction de la production de chaque membre.

La répartition des paiements des commandes entre l’Association et les groupes sefait en fonction des coûts de production : coûts de matières premières, coûts administratifs(25%), coûts d’emballage, et enfin le paiement de la main d’œuvre qui est déduit du prix devente au client et des autres coûts de production.

Pour différentes raisons, il est difficile de définir le revenu moyen des producteurs deSeñor de Mayo. Tout d’abord car il existe de grandes différences entre les producteurs etselon les périodes. Ensuite parce que les producteurs ont tendance à sous estimer leurrémunération tandis que le Directoire de l’association a lui au contraire, tendance à lasurévaluer.

Toutefois, en se basant sur le total des ventes pour l’année 2004 et en respectant lespourcentages approximatifs de 65% du prix de vente, pour les coûts d’administration et dematière première, et de 35% pour le paiement de la main d’œuvre, il en ressort l’estimationsuivante :

Ventes totales 2004 (US $) 224 963 Couts d’administration et de matières premières (US $ / % des ventes) 146 226 65%Paiement de la main d’œuvre (US $ / % des ventes) 78 737 35%Nombre de producteurs 360 Rémunération mensuelle moyenne (US $) 18

Cela signifie que sur un total de 360 membres, le revenu mensuel moyen est de 18 US$par producteur. Ce chiffre ne permet cependant pas de distinguer les différences de revenuentre les producteurs qui travaillent à temps complet et ceux qui travaillent quelques heures.

Néanmoins, l’étude indique qu’un producteur qui produit 2,5 pulls par mois (ce quicorrespond à un temps complet), gagnerait 9 bolivianos par jour x 25 jours de travail = 625bolivianos (78 US$).

B.Organisation interne et processus de prise de décisionOrganisation par groupes

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L’association Señor de Mayo se présente comme une organisation non hiérarchique etnon centralisée. Il n’y a donc pas de pyramide de pouvoir qui contrôle la prise de décisionni un lieu unique de production où les travailleurs puissent être contrôlés. Du fait de cesparticularités, l’organisation du processus économique de l’Association présente plusieursdéfis. La division en deux niveaux de responsabilité permet de les résoudre :

Un premier niveau constitué de groupes de base (19 personnes en moyenne pargroupe). La taille réduite du groupe permet une relation personnalisée entre les travailleurset garantit un contrôle facilité de la production de chaque producteur. Le groupe estresponsable de sa production tant sur le plan qualitatif que quantitatif et décide lui-mêmede la répartition de la production et des bénéfices.

Un second niveau constitué par un Directoire et d’une équipe exécutive (employéset responsables des achats, de la production et des ventes). Ce niveau est responsabledes tâches centrales de l’Association : commercialisation, provision de matières premières,tâches administratives, formation, assistance technique aux producteurs, recherche denouveaux marché et financements. La centralisation de ces activités garantit l’efficacitééconomique de l’Association.

Les deux niveaux sont en relation à travers l’intermédiaire des présidents de chaquegroupe qui font remonter les informations nécessaires au bon fonctionnement de la structure(voir schéma ci-dessous).

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Figure 5 : Schéma organisationnel de l’Association Señor de MayoCependant, l’Association qui au départ avait été conçue pour 10 groupes de 40 à 50

personnes, compte aujourd’hui 20 groupes d’environ 19 personnes. Cela complique lesrelations entre les deux niveaux du fait de la multiplicité des présidents en relation avecle niveau central. De plus, le fait qu’une seule personne assume la responsabilité pourtout le groupe peut conduire à des situations de blocage dans le cas où cette personnen’assumerait pas correctement toutes ses responsabilités.

Principes d’une organisation démocratiqueLe principe de démocratie constitue la clé de voûte des organisations de commerce

équitable. On entend par démocratie la participation de tous les membres dans la directionde l’Association contrairement aux entreprises capitalistes dans lesquelles une minorité(dirigeants ou actionnaires principaux) décide pendant que les employés obéissent. Lecommerce équitable et Señor de Mayo prétendent ainsi participer à une « démocratisationde l’économie » et garantir une justice sociale à laquelle les producteurs boliviens étaient

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historiquement exclus. Cela implique une structure horizontale de l’organisation interne pouréviter une concentration des pouvoirs dans les mains d’une élite.

Cependant, les modalités de réalisation et de mise en place de ces principes restentà inventer. Une première difficulté apparaît quant à l’horizontalité de l’organisation. Onpeut distinguer deux formes d’horizontalité : l’horizontalité par égalité et l’horizontalité pardifférence. La première implique que les membres d’une organisation sont tous égaux,identiques et donc à un même niveau hiérarchique. On revient ainsi au principe d’égalitédéfini par Aristote comme nous l’avons vu dans la première sous partie. Néanmoins,l’horizontalité peut aussi être par différence lorsqu’on met l’accent sur les différences entreles membres mais qu’au lieu d’adopter une structure hiérarchique on garde une structurehorizontale. C’est le choix qu’à fait Señor de Mayo reprenant un pilier du principe traditionnelandin de réciprocité : la réciprocité dérive des différences et de la complémentarité entreles personnes ou groupes de personnes et non pas de leur égalité. On retrouve cettevalorisation de la différence dans les formations promulguées par l’Association.

Cette opposition entre horizontalité par égalité et horizontalité par différence nousamène à un autre domaine de tension : entre les formes délibératives et représentativesde la démocratie. La démocratie représentative suppose l’existence d’élites (sociales,intellectuelles, politiques…) qui, de part leur position, sont capables de représenter labase. Cela induit une reconnaissance de différences entre les personnes et de la capacitéde certains à prendre des décisions pour les autres. D’un autre côté, la démocratie pardélibération défend la participation de tous, de façon égalitaire.

On peut voir les deux formes de démocratie dans l’Association Señor de Mayo : ladémocratie représentative dans l’élection d’un Directoire, de l’équipe exécutive et dansl’importance accordée aux dirigeants ; la démocratie par délibération, présente dans lesespaces de discussion au niveau des groupes (lors des réunions hebdomadaires), commeau niveau de l’Association (lors de l’Assemblée Générale).

Application concrète des principes : représentation et délibérationLes principes démocratiques auxquels aspire l’Association, comme les tensions entre

ces derniers, se reflètent dans sa structure et ses processus de prise de décision. Cesprocessus sont définis de manière plus ou moins formelle, au sein de l’organisation.

La structure démocratique représente une caractéristique centrale de l’organisationinterne de Señor de Mayo. Elle est composée d’une Assemblée Générale, composéede tous les membres de l’Association et qui constitue sa plus haute autorité. Elle seréunit chaque année et élit, tous les deux ans, le Directoire composé d’un Président, d’unvice-président, d’un secrétaire général, d’un secrétaire, d’un trésorier et d’un membre.L’Assemblée délègue au Directoire les décisions quotidiennes de l’Association mais ellereste l’autorité ultime et légitime pour les décisions extraordinaires.

Cette structure de représentation se retrouve au niveau des groupes : chaque groupedispose de son propre directoire, élu par l’Assemblée de ses membres. Le Directoire del’Association se réunit tous les 3 mois avec l’équipe exécutive et les présidents de tous lesgroupes. Cet espace permet la communication entre ces trois instances. Un rapport estréalisé par le président du Directoire, le président de l’exécutif et des groupes.

Bien que la plupart de ces règles soient formalisées dans le règlement, certainesrestent à préciser. C’est le cas du rôle du Directoire et de la limite de ses responsabilitéset prérogatives face à la direction exécutive. L’exercice d’un fort leadership, de la partde certains responsables de l’exécutif, pourrait avoir des conséquences négatives sur lagestion démocratique de l’organisation et laisser place à des conflits.

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On peut retrouver cette critique au niveau des groupes. La plupart des groupes nedisposent pas, au moment de l’étude, de règlements écrits ou de livre de comptes bien quetous les membres reconnaissent l’importance de ces documents. Dans certains groupes, onévoque le manque de fonds pour élaborer ces documents pendant que d’autres indiquentleur volonté de transcrire les règles orales par écrit.

La logique de représentation se double d’une logique de délibération. Il existe à Señorde Mayo plusieurs espaces qui permettent la discussion de thèmes liés à la production,aux aspects sociaux, à l’orientation générale de l’Association et des groupes. Il s’agitdes réunions annuelles de l’Assemblée Générale, trimestrielles du Directoire, avec lesreprésentants des groupes, et hebdomadaires des membres de chaque groupe. Lesmembres accordent une importance particulière à ces espaces de proximité et d’échangecomme en témoignent les propos, de trois travailleuses, recueillis par Isabelle Hillenkamp :

∙ « A la maison nous restons enfermées et on tombe malade. Pendant les réunions onpeut parler de tout, on se soulage, on se console.

∙ La libération féminine a commencé…∙ Et s’il ne te laisse pas sortir (le mari), tu lui en mets une et tu te sauve ! »

Cependant, bien que ces espaces permettent aux producteurs, et particulièrement auxproductrices, de se soulager et de s’émanciper, ils ne sont pas toujours articulés de manièreoptimale aux espaces de délibération, au niveau de l’Association, et aux mécanismesde représentation. Cela signifie que les problèmes soulevés et les propositions, faites auniveau des groupes, ne sont pas toujours correctement traités en Assemblée Générale,lors des réunions du Directoire ou autre instance de communication avec les directeurs del’Association. D’après la Présidente d’un des groupes : « C’est difficile de se faire entendresi on est tout seul à réclamer ». Pour qu’un groupe soit écouté au niveau de l’Association, ildevrait s’unir à d’autres groupes. Cependant il n’existe pas suffisamment de contacts entreles groupes pour fédérer les revendications.

Une autre limite des espaces de délibération sont les coûts de participation qu’ilsgénèrent. Une productrice le souligne en indiquant : « Avant, il y avait plus d’espacespour parler. Il y a un rapport et on élit le Directoire tous les deux ans. Mais beaucoup depersonnes ne veulent pas faire partie du Directoire. Cela prend du temps. Pour ceux quisuivent il y a un soutien, pour les autres non. » Le coût personnel de participation en général,ainsi que celui d’occuper des postes particuliers, expliquent le taux d’absence élevé dansplusieurs instances de l’Association, malgré les sanctions prévues pour combattre ce typede comportement.

Enfin, il faut souligner qu’en plus de cette difficulté s’ajoute un niveau insuffisantd’information pour certains producteurs (particulièrement les nouveaux). « Les nouveauxne savent pas où sont vendus les produits. Les anciens si le savent. Les nouveauxdoivent participer davantage. » Il est difficile d’évaluer si cette situation est due à unemauvaise diffusion de l’information de la part de l’Association, comme le dénoncent certainsproducteurs - « nous n’avons reçu aucune information. On n’a eu aucune visite. En réunionils en discutent. Demandez au président, il doit savoir… »-, à une mauvaise communicationentre le président de groupe et les membres, ou à un manque d’intérêt de la part desproducteurs vis-à-vis de l’association. En effet, certains producteurs semblent considérerSeñor de Mayo comme une source de travail comme une autre, alors que l’appartenance àl’Association requiert une implication qui va bien plus loin que dans les autres entreprises.

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C.La dimension sociale de l’AssociationDans cette sous partie, nous allons nous voir en quoi l’association participe à un ré-encastrement du social dans l’économie. Il convient donc de présenter les différentsprincipes et procédés par lesquels Señor de Mayo contribue à socialiser les relations dansle cadre d’une organisation commerciale.

Il faut tout d’abord préciser que l’Association s’est créée dans une démarched’économie solidaire et que sa finalité consiste à satisfaire les besoins de ses membres etnon à accumuler du capital. La satisfaction de ces besoins se fait à travers des bénéficesaussi bien matériels (meilleur salaire), qu’immatériels (formations, autonomisation, créationde liens sociaux…).

Un paiement « juste » de la main d’œuvreL’avantage indiscutable de l’Association est d’offrir un revenu plus important aux

producteurs les plus démunis. Comme nous l’avons vu précédemment, dans l’Association,et au sein du réseau de commerce équitable, le tissage à la main est valorisé ce qui permetaux producteurs, ne disposant pas de machine, d’obtenir un salaire plus élevé que s’ilsvendaient leurs produits sur le marché local. Cette augmentation des revenus entraineune amélioration des conditions de vie et constitue un avantage majeur d’appartenir àl’Association malgré les délais de paiement et les fluctuations de revenus.

Le travail à domicileIl existe, en outre, bien d’autres avantages d’appartenir à l’Association, peut-être moins

visibles mais tout aussi importants. Le fait de pouvoir travailler à domicile est par exempleun avantage immatériel très largement apprécié par les productrices de Señor de Mayo.En raison de l’origine rurale de la majorité des habitants d’El Alto et d’un taux de féconditérelativement élevé, le lien avec le foyer familial est en effet très fort. Comme en témoigneun groupe de productrices : « Nous travaillons à la maison. Nous n’abandonnons pas lefoyer ». « Sortir dans la rue pour aller travailler, c’est abandonner sa famille ». « Ce travailnous convient parce qu’il nous permet d’être dans notre foyer et d’en prendre soin ». Deplus, « l’avantage de ce travail c’est que nous pouvons rester à la maison. Le climat estdifficile. De cette manière, on n’est pas obligé de sortir dehors. »

En travaillant à la maison, les femmes peuvent organiser leurs tâches domestiques etproductives comme elles le souhaitent et ont également plus de flexibilité pour assister auxréunions scolaires de leurs enfants ou aux réunions de quartier. Cela leur permet d’assumerleur rôle social de mère et d’épouse tout en ayant une activité productive rémunératrice.

Cependant, cette multiplication des rôles de la femme, qui assume les tâchesproductives en plus des tâches reproductives, peut conduire à des cas de surmenage voired’épuisement. Bien que le volume de travail quotidien peut varier de 2 à 12 heures selonles productrices il ressort de l’étude que dans la plupart des cas, la charge de travail estexcessive, surtout au moment de terminer une commande. Il peut arriver que certaines ne sereposent pas de la semaine. Le problème est amplifié pour les femmes qui ont des enfantsen bas-âge et qui n’ont personne pour s’en occuper. La combinaison du travail productif etreproductif à la maison peut donc être compatible seulement dans certaines limites.

Autonomisation et changement socialSeñor de Mayo participe à l’émancipation sociale de ses membres, par le biais des

espaces de discussions, et d’échange qu’elle crée. Ainsi, les réunions hebdomadaires, bienque leur objectif premier soit lié au contrôle de l’avancée et de la qualité de la production,

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permettent d’avoir des discussions entre les membres du groupe qui dépassent la sphèreproductive. Dans plusieurs groupes, ces réunions sont accompagnées de repas et l’on fêtemême les anniversaires de chacun. Ces occasions permettent une socialisation en dehorsdu foyer et sont le moyen d’aborder des thèmes très personnels comme les violencesconjugales : « A la maison, on est enfermée et on se rend malade. En réunion, on peut parlerde tout ». Au niveau de l’Association il existe aussi des espaces de convivialité commepour les fêtes de Noël, de carnaval, d’anniversaire, en plus de l’Assemblée Générale oudes commissions régulières de teinture ou d’emballage qui peuvent également constituerdes espaces de discussion.

Ces espaces sont très importants d’autant plus qu’ils sont en général rares pour lesfemmes issues de couches sociales défavorisées. Le fait d’échanger sur leurs expériencesrespectives leur permet de prendre conscience de leur situation personnelle et familialeet, dans certains cas, les aident à l’améliorer. « Lors des réunions de Señor de Mayo ondiscute. Sinon, on reste enfermée. Peu à peu ça change. Mais il y a de l’enfermement. On n’apersonne avec qui échanger. Il y a du machisme. Petit à petit, on fait changer notre mari. »explique une productrice. La convivialité et la discussion permettent une autonomisationdes femmes et cela a pour effet un processus de changement social au niveau local. Cetteautonomisation s’exprime sous le concept d’auto-estime : « cela nous augmente notreestime personnelle ».

Cela se traduit, au niveau social, par un changement d’attitude de la part des maris.Lesfemmes qui font partie de l’Association depuis le début remarquent qu’un changements’est opéré : « Il y avait beaucoup de machisme, ils ne nous laissaient pas sortir. Ils nousfrappaient pour être rentrées tard des réunions. Petit à petit, les épouses ont commencéà gagner de l’argent et les maris les ont laissé sortir sous certaines conditions. C’est dansce cadre qu’a été créée la commission sociale, pour veiller sur l’état des membres, parexemple sur leur santé ».

Le recrutement de personnes en situation défavoriséeLe caractère social de Señor de Mayo se traduit ouvertement par le type de producteurs

qui composent l’Association. Señor de Mayo emploie en effet des personnes vulnérables,essentiellement des femmes mais également des handicapés et des détenus. Cela donnel’opportunité de vivre décemment à des personnes défavorisées, pour qui il est, d’habitude,très difficile d’accéder à une activité rémunératrice. « Je suis handicapé, personnes ne veutme prendre, seulement ici. Tisser c’est facile, à Señor de Mayo j’ai un travail. »

Concernant le groupe de détenus, le contrat fut initié par une assistante sociale. Ellese charge, en fait, de transmettre les commandes et la matière première comme le font lesprésidents de groupe de l’Association. Cela permet donc à des personnes normalementexclues du marché du travail d’accéder à une activité sociale et rémunératrice.

Avantages liés aux relations avec le NordEnfin, les membres de Señor de Mayo bénéficient d’avantages à travers la coopération

avec des ONG et autres organisations de développement qui fournissent des médicaments.Cela permet d’avoir un poste de santé qui réalise des consultations et fournit desmédicaments, selon les besoins.

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II/ Les limites du commerce équitable et les pistes d'améliorations

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II/ Les limites du commerce équitable etles pistes d'améliorations

La première partie de cette étude s’est attachée à expliquer les principes de fonctionnementdu commerce équitable. Nous avons donc vu comment celui-ci fonctionne au niveaugénéral, puis à l’échelle de la Bolivie pour terminer sur une étude d’une coopérativespécifique d’El Alto (Bolivie). De cette manière, nous avons pu mettre en avant les apports ducommerce équitable dans la démocratie de marché ainsi que les avantages économiqueset sociaux qu’il peut apporter pour les petits producteurs.

Il est alors intéressant de voir, dans un second temps, d’une part les limites inhérentesaux principes du commerce équitable et à son développement, et, d’autre part, leséventuelles possibilités de pallier ces limites afin d’améliorer son fonctionnement, dans ladémocratie de marché en Bolivie. Nous allons donc voir, tout d’abord, les limites associéesà l’activité structurelle de ce commerce en s’intéressant à la filière intensive et à la filièrespécialisée. Puis nous nous intéresserons, aux limites inhérentes aux organisations decommerce équitable en nous appuyant sur l’étude de Señor de Mayo, présentée dans lapremière partie. Enfin, nous verrons, quelles solutions semblent envisageables pour pallierles limites du commerce équitable.

1.Les limites liées aux principes-mêmes du commerceéquitable

L’objectif de cette sous-partie n’est évidemment pas de faire une liste des critiquesadressées au commerce équitable et à ses acteurs mais plutôt d’analyser ses limitesintrinsèques, en fonction des données présentées en première partie et des constats faitsdans d’autres études. Nous allons donc mettre en lumière, les différentes problématiquesque peut soulever le commerce équitable aux différents niveaux de la filière, du producteurau consommateur, en passant par les organisations de la filière intensive (labels) et de lafilière spécialisée.

A.Limites dans la filière intensiveNous l’avons vu dans la première partie, la labellisation qui fait partie de la filière intensive alargement contribué à démocratiser le commerce équitable, à travers la commercialisationdans les réseaux de grande distribution. Max Havelaar, acteur majeur international de lalabellisation « commerce équitable », est pourtant sujet à de nombreuses critiques relativesà ses méthodes de certification, remettant ainsi en cause son engagement en faveur despetits producteurs. De plus, le rôle de nouveaux acteurs dans cette filière, avec notammentl’implication croissante de la grande distribution, conduit un grand nombre de spécialistesà mettre en garde contre certaines pratiques.

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Apports et limites des organisations de commerce équitable dans la démocratie de marché àpartir du contexte bolivien

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Max Havelaar : un « label » critiqué« Les labels sont un dispositif de jugement fondés sur la confiance impersonnelle,

censés allégés les dispositifs de choix » (Karpik 1996). Comme l’explique Lucien Karpik,ces dispositifs servent à guider le consommateur dans ses choix afin de combler les faillesdu marché en matière de transparence et d’information. Les labels ont donc pour vocationde simplifier le marché et de permettre au consommateur de faire la différence entre lamultitude de produits qui lui sont proposés.

Le concept de Max Havelaar était alors de valoriser les produits issus du commerceéquitable en les distinguant des autres produits par l’apposition de leur logo sur l’emballage.Leur stratégie consistait à investir les rayons de la grande distribution afin de démocratiserle commerce équitable et qu’ainsi, un plus grand nombre de producteurs du Sud profitentde ces conditions plus justes du commerce. Cette idée, difficilement contestable, a pourtantsoulevé de vives critiques de la part des militants des différentes organisations de la filièreintégrée ou des organisations de producteurs –notamment boliviennes- qui ont d’abordcritiqué les méthodes de certification des produits et ont pointé du doigt les conflits d’intérêtsous-jacents. Ils ont d’abord soulevé le problème des critères de certification du commerceéquitable qui sont définis par Max Havelaar lui-même et qui valorisent les structures déjàbien organisées, au détriment des petits producteurs (Karpyta 2009). De plus, les critèresimposés par FLO n’auraient pas de cohérence avec la réalité des petits producteurs. C’estce que dénonce la Coordination d’Intégration des Organisations Economiques Paysannesde Bolivie (CIOEC-B), présentée en première partie, qui regrette « la déconnexion entre lescritères de FLO et la réalité bolivienne » (Cavalier et Van Der Berg 2009).

En outre, il faut noter que l’appellation « label » est un abus de langage car normalementtrois conditions doivent être remplies pour disposer de cette appellation : a) un cahier descharges ; b) la mise en place de contrôles indépendants ; c) le recours à un organisme decertification lui-même indépendant et agréé par les pouvoirs publics. Or, si Max Havelaardisposait bien d’un cahier des charges et de contrôles indépendants, jusqu’en 2003, elle sepassait du recours à un organisme de certification indépendant (Jacquiau 2006). De plus, lacréation, en 2003, de FLO–Cert, organisme chargé de la vérification du bon respect ducahier des charges, peut laisser dubitatif. En effet, bien que juridiquement indépendantede FLO, puisqu’elle possède le statut de société de droit privée allemande, FLO-Cert estdétenue à 100% par FLO. On peut alors s’interroger sur la véritable indépendance de cesdeux organisations d’autant plus que FLO-Cert existe financièrement principalement grâceaux versements de FLO (Karpyta 2009).

Le système peut également facilement rentrer dans un cercle vicieux. Max Havelaarexiste grâce à la certification de produits du commerce équitable. Or, il y a également unconflit d’intérêt au sein même de son activité puisque Max Havelaar n’a aucun intérêt àretirer à une coopérative l’appellation commerce équitable car cela contribuerait à diminuerles ressources de l’organisation certificatrice. C’est d’ailleurs ce qui a conduit Max Havelaarà modifier ses cahiers des charges pour répondre aux exigences de la grande distribution,demandant des volumes toujours plus important et à un prix plus compétitif. Max Havelaar aalors dû changer les modalités de certification afin que les plantations (jusqu’à 250 hectares)puissent elles-aussi être labellisées (Jacquiau 2006).

L’organisation est également largement critiquée pour son ouverture commerciale etses partenariats avec des entreprises peu reconnues dans le domaine du commerceéquitable voire même ayant une image et des pratiques très éloignées du commerceéquitable. On peut noter à ce titre, qu’en 2003, le partenariat entre Max Havelaar Suisse etMc Donald’s a créé une polémique obligeant Max Havelaar France à publier un communiqué

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justifiant ce rapprochement : « En aucun cas Max Havelaar Suisse ne labellise l’entrepriseMc Donald’s, mais les produits de la marque Aroma distribués par Mc Donald’s 24» (Jacquiau2006).

Max Havelaar a aussi un partenariat avec Starbucks, la chaîne de café dont le concept aremporté un succès exponentiel en une vingtaine d’années. Bien que ses pratiques socialesaient été épinglées dans l’ouvrage de Naomi Klein, No Logo (2000) Max Havelaar a acceptéque Starbucks vende un de ses cafés, estampillé commerce équitable. Or, en 2007, alorsque le gouvernement Ethiopien tentait de faire enregistrer aux Etats-Unis comme appellationcommerciale trois des cafés éthiopiens les plus connus (Harar, Sidamo et Yirgacheffe), -variétés qui sont des best-seller chez Starbucks- l’entreprise faisait pression auprès desautorités américaines pour empêcher cette reconnaissance. Oxfam avait alors lancé unecampagne pour dénoncer les pressions qu’exerçait la firme, évaluant à 88 millions de dollarsle gain potentiel pour l’Ethiopie, dont la majorité irait aux petits producteurs de café25. Ironiedu sort, en partenariat avec Starbucks et normalement défenseur du commerce équitable,Max Havelaar ne s’est pas prononcé sur l’affaire (Karpyta 2009). On peut alors se demandersi le label commerce équitable est une certification fiable ou un outil marketing ?

La labellisation : un outil marketing ?Depuis ses origines, les principes et les valeurs du commerce équitable se sont

construits en opposition au commerce international traditionnel. De fait, la question del’usage des techniques de marketing dans le commerce équitable fait largement débatcomme en témoigne l’article de Ronan Le Velly « Le marketing fait-il perdre leur âme auxmilitants du commerce équitable ? ». Il faut admettre qu’il a été démontré que les politiquesd’adaptation du design des produits d’artisanat, rendent difficile le travail en direct avec desproducteurs marginalisés (Grimes et Milgram 2000). Il est alors intéressant de se demander,en quoi l’utilisation du label peut-il être un outil marketing et quels en sont les effets sur lesacteurs de la filière.

On peut déjà partir du constat indéniable que l’exemple du succès de Max Havelaarsuffit à démontrer que la marque « commerce équitable » fait nettement gonfler lesventes (Jacquiau 2006). C’est d’ailleurs sur ce principe qu’elle a basé son développementà coup de vastes actions de communication26. Le problème intervient au moment oùcet outil marketing est manipulé et lorsque le message publicitaire enjolive largement laréalité. C’est un phénomène qui existe depuis quelques années, principalement avec lesproduits ayant un impact sur l’environnement. On parle alors de greenwashing pour qualifierun procédé de marketing utilisé par une organisation soucieuse de donner une imageécologique responsable mais dont les pratiques contredisent leur discours d’engagementpour préserver l’environnement. La différence entre l’image affichée par Max Havelaar,lors de ses actions de communication, et les critiques qui lui sont adressées, concernantson opportunisme commercial et son manque de rigueur plus ou moins volontaire dansles engagements pour le commerce équitable, semble donc aller dans le sens d’ungreenwashing ou plutôt d’un « fairwashing ».

24 Voir l’article de Geneviève Grimm-Gobat, « Pourquoi Mc Donald’s vend du « café éthique » de Max Havelaar », Largeur.com,avril 2003, cité par Christian Jacquiau, Les coulisses du commerce équitable, Mille et une nuits, 2006.

25 « La guerre du café éthiopien n’aura pas lieu », Rue89.com, 8 Mai 2007. (Lampriere)26 A ce titre Max Havelaar a bénéficié, en 2001, d’une enveloppe de 3 millions d’euros du gouvernement Jospin au titre d’un

« fonds de solidarité prioritaire ». Sur ces 3 millions, la marque a décidé de consacrer 1,9 millions à son budget de communication(Jacquiau 2006).

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En outre, on peut noter que de nouveaux acteurs se sont greffés à l’activité delabellisation. Ainsi, l’ONG Rainforest Alliance qui, à l’origine, avait pour objectif de préserverla forêt tropicale de la déforestation en délivrant l’écolabel FSC (Forest StewardshipCouncil), s’est peu à peu mise à labelliser les agriculteurs soucieux de leur environnement.Rainforest Alliance a donc créé un nouveau label spécifique, sans pour autant serevendiquer du commerce équitable. Son fonctionnement est cependant très proche decelui de Max Havelaar : Rainforest achète plus cher du café lorsque le producteur respecteles critères environnementaux établis par l’ONG et le revend ensuite aux grandes marquesLavazza, Carte Noire ou Jacques Vabre pour écouler la production en grande distribution. Leproblème est que le logo à la grenouille de Rainforest ne garantit pas au producteur un prixminimum et que « les conditions d’achat et les critères d’organisation démocratiques sontbeaucoup moins contraignants que ceux de Max Havelaar » (Le Velly 2006). Néanmoins,sur son site internet Rainforest n’hésite pas à parler des avantages économiques et sociauxde leur certification conduisant ainsi à semer encore davantage le trouble dans l’esprit duconsommateur. De fait, la certification Rainforest est devenue le concurrent numéro un deMax Havelaar et « cette concurrence implique un manque à gagner et un risque de faillitepour FLO » (Le Velly 2006).

La question clé qui se pose pour tous les labels est donc de connaître leur véritableindépendance. Celle-ci est malheureusement souvent liée à leur indépendance financière.Or, dans le cas du commerce équitable, hormis les subventions gouvernementales (enFrance le Ministère des Affaires Etrangères finance Max Havelaar), les organismes chargésde labelliser sont essentiellement tributaires des entreprises. Ces mêmes entreprises ayantun poids considérable, arrivent à contraindre l’organisme de labellisation à revoir son cahierdes charges afin que soient valorisés des volumes de production toujours plus importants.D’ailleurs, les études prouvent que ce ne sont pas toujours les producteurs les plus pauvresqui ont jusqu’à présent bénéficié du commerce équitable car cela suppose une capacitéorganisationnelle minimale (Eberhart 2007). Des études complémentaires attestent queplus les volumes augmentent, moins les conditions du commerce équitable sont remplies27 (Jacquiau 2006).

Enfin, on peut remarquer que le choix de Max Havelaar d’investir les têtes de gondolede la grande distribution en résumant le commerce équitable à un logo sur l’emballage,a également permis à des marques comme Jacques Vabre ou Carte Noire de profiter ducréneau et ainsi se prévaloir de bonnes pratiques en faveur du développement durable,alors que ces « bonnes pratiques » ne concernent qu’une part infime de leurs ventes.Cependant, cela leur confère une image d’entreprise citoyenne qui profite à toutes leursgammes. (Karpyta 2009).

La récente implication de la grande distributionDes études ont pu mettre en évidence que la commercialisation en grande surface

génère des rapports de force et des modifications de la structure du marché quis’avèrent défavorables pour l’amont de la filière (Renard 2005; Le Velly 2006). Pouvait-on cependant imaginer que la grande distribution développerait elle-même des labelscommerce équitable ?

Nunès avait déjà mis en avant le risque de voir les grandes enseignes développerleurs propres normes en matière de commerce équitable (Nunès 2002). En 2008, E.Leclercse lance sur le créneau en créant Entr’aide, une gamme Marque Repère de produits

27 Cette problématique sera approfondie dans la deuxième sous-partie concernant les risques liés à l’augmentation des volumesde production.

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équitable qui a été conçue dans le souci « d’une plus grande accessibilité à tous lesconsommateurs » (Karpyta 2009). Or les MDD (Marques de distributeurs), comme Entr’aide,sont directement en concurrence avec les marques classiques et à des prix plus compétitifscar les distributeurs n’ont pas besoin d’investir autant en publicité pour faire connaitre leursproduits. De plus, elles n’ont pas besoin de réaliser autant d’investissement car très souventelles copient, tant sur le fond que sur la forme, les produits phare de certaines marquesen les proposant à un prix inférieur. C’est par cette stratégie que les MDD représententaujourd’hui plus de 35% des parts de marché de la grande distribution (Conseil Québécoisde l’horticulture 2010).

Le pouvoir de la grande distribution réside aussi dans le fait qu’elle est libre de choisirses marges et donc le prix final des produits qu’elle distribue. Alors que la marge moyenneappliquée sur un produit vendu en grande surface est de 35%, elle peut atteindre 40%pour un produit du commerce équitable, ce qui contribue à rendre difficile l’accès à cesproduits pour la majorité des consommateurs (Karpyta 2009). Or, la réduction des margesdes coyottes (intermédiaires entre le producteur et le consommateur) est justement l’objectifdu commerce équitable qui, depuis le début, prône un rapport plus direct entre producteuret consommateur.

En se lançant dans le commerce équitable, les MDD font donc directement concurrenceaux produits labellisés Max Havelaar et dégradent ainsi les principes véritablementéquitables de ce commerce car leurs cahiers des charges sont moins rigoureux (Jacquiau2006). La dégradation, au-delà des parts de marché, affecte également l’image même ducommerce équitable. Les MDD discréditent toutes les autres marques (de la filière labelliséeet de la filière intégrée) qui, du fait de volumes moins importants et d’un contrôle plusrigoureux, sont obligées de pratiquer des prix plus élevés. Cela contribue à semer le troubledans l’esprit des consommateurs qui ont du mal à distinguer un produit vraiment équitabled’un produit qui est en fait du fairwashing.

Problème de lisibilité pour le consommateurLa multiplication des acteurs et des normes inhérentes au développement du

commerce équitable ont également rendu le marché plus opaque. Du fait que chacundéveloppe ses propres critères de certification (Max Havelaar, Rainforest, Ecocert, Entr’aideetc..), que les acteurs soient divisés entre ceux qui acceptent de vendre en grande surface etceux qui y sont opposés au vue des critères actuels, et plus récemment avec l’implication dela grande distribution comme concurrent direct des marques principales, le consommateurlambda peut difficilement faire la distinction entre les différents acteurs du commerceéquitable.

L’utilisation du marketing ne facilite évidemment pas la donne contribuant à noyerdans la masse les produits issus de la filière intégrée qui essayent de préserver lesmarges des petits producteurs. Ainsi, dans son rayon de supermarché, il est difficile pourle consommateur de faire la différence entre un produit labellisé Max Havelaar, un produitMDD « commerce équitable » et un produit issu du commerce équitable dont la filière estcontrôlée par une entreprise comme Alter Eco ou Ethiquable.

Certes, les chiffres démontrent que le commerce équitable est un terme connu auNord. Une étude, réalisée par Globescan28 dans quinze pays riches (commanditée parFLO), montre qu’en 2009 une personne sur deux est familiarisée avec la marque commerceéquitable. Cependant, l’étude ne dit pas si les consommateurs sont vraiment au fait desdifférentes certifications, du degré d’implication selon les filières. On peut toutefois lire

28 Voir Global Survey on Fairtrade : http://www.tradingvisions.org/content/global-survey-fairtrade

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dans les articles de journaux ou les études critiques sur le commerce équitable que lesdivergences entre les acteurs et les filières rendent difficile la compréhension de ce marchépar les consommateurs conduisant à limiter ses possibilités de développement (Jacquiau2006).

B.Limites dans la filière intégrée spécialiséeTandis que la filière intensive se charge uniquement de la labellisation des produits, lafilière intégrée du commerce équitable a un rôle plus complet puisqu’elle est en chargede trouver des producteurs, du transport des produits, de leur distribution et aussi, parfois,de leur labellisation. Leur responsabilité est donc plus large et nécessite peut-être encoredavantage de rigueur mais surtout d’organisation et de capacité d’adaptation que pour lafilière intensive.

Les dangers de la concurrence avec la filière intensiveAussi paradoxal que cela puisse paraître pour un secteur qui défend l’équité, l’aide

aux plus démunis par le commerce et l’échange, la concurrence, principe dynamisant de ladémocratie de marché est également fortement présente dans le commerce équitable. C’estd’ailleurs la difficulté principale que doivent traiter les organisations de la filière intégrée quisont souvent des petites structures reposant encore, pour leur bon fonctionnement, sur lebénévolat de ses adhérents. Ainsi, en France, Artisans du Monde qui est la structure la plusimplantée de part son ancienneté et son nombre de boutiques, est très critique lorsqu’ellevoit Max Havelaar se rapprocher de la grande distribution ou de grandes marques de caféet de chocolat pour labelliser quelques uns de leurs produits. C’est d’ailleurs Artisans duMonde qui a été un des premiers à dénoncer l’utilisation du marketing en accusant MaxHavelaar d’utiliser les chiffres dans un objectif commercial. Certes, le label reverse, chaqueannée, 50 millions d’euros aux petits producteurs mais cela revient, au final, à 50 euros paran par producteur29 (Karpyta 2009). Toutefois, le logo Max Havelaar confère à la marque quil’utilise une image responsable même si la majorité des produits qu’elle commercialise nesont pas issus du commerce équitable (Jacquiau 2006). Or, la difficulté est double pour lesentreprises de la filière intégrée. D’une part, elles n’ont pas les moyens -ou la volonté- dedépenser des montants élevés en budget communication leur permettant d’attirer plus deconsommateurs et ainsi d’augmenter leurs ventes. D’autre part, elles n’ont pas la structuresuffisante pour réaliser des économies d’échelle comme le font les multinationales commeKraft Food ou autres. Plus problématique encore, rentrer dans cette logique de productionde masse reviendrait à renoncer aux principes du commerce qu’elles défendent (valorisationdes petites productions). La filière intégrée serait-elle prisonnière de ce marché de niche ?Quelles sont ses possibilités de développement lui permettant d’atteindre ses objectifsd’équité dans le commerce international ?

En attendant, la position de Max Havelaar, comme organisme de labellisation reconnu,permet aux grandes entreprises d’ajouter à leurs outils de communication une dosed’engagement éthique et responsable, leur permettant d’améliorer leur image à moindrecoût (Jacquiau 2006).

La filière intégrée est alors contrainte pour assurer ses ventes soit de compter sur laconfiance et le militantisme de ses clients et adhérents, soit de se plier aux mécanismes dumarché et du marketing pour rendre ses produits aussi compétitifs que les concurrents. Une

29 Voir Annexe 2 sur l’évolution de la décomposition d’un paquet de café Max Havelaar et de la quotité de prix revenant au« petit producteur » de 2003 à 2005.

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analyse plus approfondie du mécanisme de concurrence sera présentée dans la deuxièmesous-partie.

Des divergences internes à la filièreOn remarque, au sein même de la filière intégrée, des divergences entre les

organisations qui peuvent avoir des répercussions négatives sur l’ensemble du secteur. Cephénomène est directement lié à la concurrence entre ces organisations. On peut alors noterdeux positions différentes, caractéristiques d’une vision distincte du commerce équitable.

Il y a tout d’abord l’approche la plus ancienne, la plus militante aussi, qui consisteà percevoir le commerce équitable comme une alternative nécessairement en marge dufonctionnement du commerce conventionnel. C’est le cas d’Artisans du Monde qui, depuisle début, œuvre a son développement avec une rigueur éthique et cohérente. C’est ainsiqu’Artisans du Monde a développé son propre réseau de distribution avec aujourd’hui170 boutiques en France. Elle dispose également de sa propre centrale d’achat, depuis1984, Solidar’Monde, qui lui permet une meilleure gestion de ses approvisionnements.En outre, Artisans du Monde certifie que ses partenaires responsables de l’importationdes produits respectent également les critères du commerce équitable30. De fait, on peutconsidérer que ce type d’acteur de la filière intégrée respecte l’engagement du commerceéquitable tout au long de la filière. Ce n’est donc pas un hasard si les produits équitablessont souvent associés à des lieux de vente alternatifs tels que les réseaux Artisansdu Monde ou Biocoop (Randall 2005). Ces espaces sont alors considérés comme des« lieux anthropologiques » (Cary 2004) en opposition aux « non-lieux » (Auge 1992) quereprésentent les grandes surfaces. Les boutiques spécialisées sont des lieux identitaires oùles consommateurs s’appréhendent comme des acteurs et participants directs à l’équilibredu monde (Diaz Pedregal 2004). C’est aussi un lieu relationnel où un lien social se crée etoù l’on peut s’informer (Bécheur et Toulouse 2008). En ce sens, c’est « la première tentativesérieuse de démarchandisation à l’ère de la globalisation, tentative de récupérer des valeurssociales de la production et la création d’un grand réseau de relations entre les producteursdu Sud et les citadins du Nord » (Perna 2000).

Pour autant, il s’est développé, depuis la fin des années 1990, d’autres organisationsqui ont fait le choix d’intégrer les rayons de la grande distribution. Ce nouveau type d’acteurest considéré par les spécialistes comme appartenant à la filière « hybride » (Karpyta2009). On peut alors citer Alter Eco, ou encore Ethiquable, qui avancent la nécessité,pour développer cette forme de commerce, de nouer des partenariats avec les grandesenseignes de la grande distribution afin d’augmenter les débouchés. Alter Eco est alorsnotamment distribué dans les rayons des supermarchés Monoprix et E.Leclerc. D’aprèsTristant Lecomte, fondateur et directeur d’Alter Eco « les enseignes de la grande distributionont compris l’enjeu et la nécessité de développer le commerce équitable » (Lecomte 2007).

Cette stratégie n’est pas anodine quand on sait qu’en France, en 2003, 70%des achats de produits alimentaires étaient réalisés en hypermarchés et supermarchés(Insee 2004). Pour certains la grande distribution permettrait « d’accéder à une certainestandardisation des produits et d’optimiser leur visibilité et donc leur légitimité auprès desconsommateurs » (Bezaudin et Robert-Demontrond 2007).

Si on regarde les chiffres, la stratégie semble payer. Alors qu’Artisans du Mondecomptait 165 points de ventes en 2005 et un chiffre d’affaires de 10,5 millions d’euros,Alter Eco, créé 15 ans après avait un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros. On peutégalement mentionner la bonne implantation d’Ethiquable qui en vendant uniquement en

30 http://www.artisansdumonde.org/qui-sommes-nous/garantie-equitable.html

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grande surface a atteint, pour cette même année, un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros(Bécheur et Toulouse 2008).

Ces chiffres témoignent de la réussite de l’implantation du commerce équitable dans lagrande distribution. Cependant, en étant dans les rayons des grandes surfaces, les marquesAlter Eco et Ethiquable acceptent de se plier aux règles de la grande distribution proposantune version « édulcorée » du commerce équitable facilement consommable (SchumperliYounossian 1998).

Les boutiques Artisans du Monde doivent alors faire face à une concurrence quis’appuie sur une structure puissante et bien ancrée dans les modes de consommationoccidentaux. Bien que toujours en croissance, la filière intégrée risque de connaîtredes difficultés de développement en raison de l’engouement pour les grands centres dedistributions. Quels vont alors être leurs possibilités d’adaptation ? Quelle stratégie Artisansdu Monde va-t-elle développer pour faire face à cette concurrence accrue et dont lacroissance semble plus prometteuse ? Peut-on s’attendre à un renversement de situation ?

C.Limites des organisations de producteursMaintenant que nous avons vu les limites liées aux acteurs en aval de la filière, il estintéressant d’analyser les limites que peuvent rencontrer les organisations de commerceéquitable en amont. Pour cela, nous nous appuierons sur des études de terrain maisaussi et surtout sur l’étude utilisée dans la première partie de ce mémoire concernantl’Association Señor de Mayo. Cette étude, réalisée par Isabelle Hillenkamp en 2006, avaitpour objectif « d’estimer les potentialités et les limites actuelles de l’économie solidaire,comme modèle alternatif de développement économique et social ». Nous allons doncessayer, afin d’enrichir ce mémoire, de mettre en lumière, à partir des résultats de l’étude,les difficultés et les limites que peut rencontrer une coopérative bolivienne en s’appuyantsur le cas de l’Association Señor de Mayo.

Il est important de rappeler qu’il n’est pas question de remettre en cause l’activitéde l’Association de Señor de Mayo. Nous avons vu dans la première partie, combienSeñor de Mayo est bénéfique aussi bien économiquement que socialement à l’ensemblede ses membres, et plus largement au mouvement d’économie solidaire. L’objectif dela présentation qui va suivre est seulement de faire ressortir les limites que rencontrel’organisation telles qu’elles ont été présentées dans l’étude. Ce travail devrait ensuitepermettre de proposer des solutions qui seront présentées dans la troisième sous-partie.

Nous allons donc distinguer les limites selon qu’elles sont de l’ordre de l’organisationou de l’ordre de ses membres. Chacune sera ensuite séparée en deux parties : une partieconcernant les limites économiques et une autre concernant les limites organisationnelles.

Limites au niveau de l’Association Señor de MayoL’Association est l’organisation qui fédère les producteurs autour d’un projet commun.

Elle doit donc répondre à une double exigence, économique et organisationnelle. La viabilitééconomique est vitale pour la pérennité de l’organisation. La capacité organisationnelle estdéterminante tant pour la pérennité économique que pour l’équilibre social de l’Association.

Limites économiquesDu fait de la forte saisonnalité du calendrier de commande (forte demande entre avril et

septembre et faible demande entre octobre et Mars), l’Association rencontre des difficultéspour gérer ses coûts fixes pendant la période creuse. Les responsables de l’association

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estiment qu’un fonds de roulement s’avère nécessaire pour mieux faire face à ces variationsd’activité. A ce titre, les dirigeants ont évalué à 50 000 dollars le montant du fonds deroulement nécessaire pour couvrir les frais de main d’œuvre durant cette période. Or, dansle but de conserver son autonomie financière, l’Association ne souhaite pas avoir recours àdes organismes financiers. Elle devra donc soit passer par des organismes de coopération,soit se le constituer par ses fonds propres.

Cette limite a des répercussions directes. Tout d’abord sur les membres car elleprovoque des délais de paiement. Ces délais peuvent avoir des conséquences plusdramatiques pour la pérennité de l’organisation car ils sont jugés d’après ses membrescomme une des causes principales de l’absentéisme voire de désintégration des groupesde producteurs. On assiste alors à une réaction en chaîne qui, si elle devient un cerclevicieux, peut mettre en péril l’activité de l’Association.

Le besoin d’un fonds de roulement fait apparaître une autre limite : le manque decapital pour l’achat de matières premières. En effet, l’étude révèle que pendant la périodecreuse (octobre à mars) l’Association a des difficultés pour s’approvisionner en laine. Celapeut avoir des conséquences négatives très rapides sur les capacités de production del’organisation et peut très vite limiter son activité.

La dépendance de l’association à son fournisseur principal COPROCA est à la foisrisquée et coûteuse. Dans la période de forte production, il apparaît que Señor de Mayo doitfaire appel à d’autres fournisseurs pour pallier ses besoins en laine. Bien qu’une relationde confiance bénéfique ait pu s’établir entre COPROCA et Señor de Mayo, le fait queCOPROCA ne puisse, dans certains cas, satisfaire la demande de l’Association, cela metcette dernière en danger en cas de non disponibilité des autres fournisseurs. Le recoursà des fournisseurs étrangers ne garantit pas à l’Association un approvisionnement certain.En outre, bien que n’étant pas mentionné dans l’étude, on peut toutefois supposer que lerecours à des fournisseurs étrangers, en période de forte demande, implique des coûtssupplémentaires importants.

Une autre limite économique importante pour Señor de Mayo résulte de ses difficultésà vendre ses produits sur le marché local. Cela s’explique pour deux raisons qui sontintimement liées. D’une part, parce que les prix pratiqués par l’association sont trop élevéspour le marché local. Le paiement d’un prix équitable et le choix de la laine d’alpaga fontque le produit fait partie du haut de gamme sur le marché local. D’autre part, parce quele commerce équitable n’est pas assez démocratisé dans le pays. Etant donné que Señorde Mayo produit essentiellement pour le Nord et dans le cadre du commerce équitable,elle fait le choix de se positionner en marge des opportunités de développement sur lemarché local. Cette difficulté de vendre sur le marché local a également été soulignée pard’autres organisations de producteurs en Bolivie, comme l’AOPEB (réseau de boutiques deproduits bios). En effet l’AOPEB regrette que ce marché soit moins rentable que la vente àl’exportation et que de moins en moins d’organisations s’impliquent dans la vente locale deproduits de qualité (Cavalier et Van Der Berg 2009). Conséquence directe de la baisse desventes : quatre boutiques du réseau AOPEB ont fermé depuis 2003.

Dans ce choix de commercialiser ses produits au Nord, Señor de Mayo doit faire face àune autre menace. Bien que disposant de 10 à 15 clients, l’Association a un client principalqui cristallisait, en 2005, 39% de ses ventes. Que se passe-t-il pour Señor de Mayo et sesmembres si ce client décide de rompre le contrat ou qu’il fait faillite ? La chute de l’activitéserait sans doute très coûteuse. Cette concentration des débouchés sur un acteur principalaccroît la sensibilité de l’Association aux chocs du marché.

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Apports et limites des organisations de commerce équitable dans la démocratie de marché àpartir du contexte bolivien

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Enfin, une dernière limite inhérente au salaire des membres de l’Associationéconomique peut être relevée : il est souvent en dessous du salaire minimum légal. Bienque dans le cadre du commerce équitable, l’activité de Señor de Mayo ne permet doncpas à ses membres de vivre de leur seul travail au sein de l’Association. Cela peut doncdécourager certains membres et les inciter à trouver un travail plus stable ailleurs. Cela rendégalement difficile l’attractivité de l’Association pour impliquer de nouveaux membres. C’estd’ailleurs un enjeu majeur qui est mentionné par la directrice Antonia Rodriguez.

Limites organisationnellesEn plus des limites économiques liées au fonctionnement de l’Association, on peut

également dégager certaines limites sur le plan organisationnel.D’un point de vue social, l’interdépendance entre les membres d’un groupe peut

faire apparaître les limites de ces mécanismes de contrôle communautaire. En effet, c’estseulement lorsque tous les membres du groupe ont accomplis leur travail qu’il est possibled’envoyer la commande et de recevoir le paiement. Cela peut conduire, pour certainesproductrices, à un surmenage les derniers jours précédent l’envoi de la commande. Bienque des réunions hebdomadaires aient été mises en place, afin de vérifier l’avancéede la production de chaque membre du groupe, il arrive qu’à l’approche de l’échéance,certaines productrices travaillent sous pression pour éviter un retard qui pénaliserait tousles membres.

On peut également noter une dépendance, parfois problématique, entre les membresd’un groupe et son représentant ainsi qu’entre le groupe et le niveau central de l’Association.Dans l’enquête, il est souligné que la dépendance du groupe vis-à-vis du niveau centrals’avère contreproductive en cas de manque de matière première. Lorsqu’un groupe esten rupture de stock, il n’a pas l’autonomie financière et légitime de se réapprovisionnerlui-même. Les membres doivent attendre que le niveau central intervienne pour pouvoirs’approvisionner en laine. Cela constitue donc une perte de temps pour le groupe qui, encas de rupture de stock, ne peut plus continuer la production tant que le niveau centraln’intervient pas. En outre, on remarque également une forte dépendance des groupes àleur représentante. Etant donné que cette personne a un rôle charnière entre le groupe etle niveau central, si cette personne n’assume pas ses responsabilités, cela constitue dessituations de blocage pour tout le groupe. Enfin, un autre problème soulevé par la direction,est le nombre trop élevé de représentants de groupe (19) qui complique les relations entrele niveau central et les groupes.

Une autre limite organisationnelle est liée au manque de formalisation de certainesrègles et activités. Cela engendre des problèmes à deux niveaux. D’une part, au niveaucentral avec une ambigüité sur les responsabilités du Directoire vis-à-vis de la directionexécutive. L’exercice d’un fort leadership de la part de certains responsables de l’exécutifpeut avoir des conséquences négatives sur la gestion démocratique de l’organisation etlaisser place à des conflits. D’autre part, au niveau des groupes. Les membres regrettent lemanque de règlements écrits ou de livre de comptes bien qu’ils reconnaissent l’importancede ce type de document. Cela a pour conséquence une désorganisation des activitésqui s’avère particulièrement gênante pour les nouveaux membres. Ils manquent alors desupports et de repères pour pouvoir comprendre les règles de la structure, les modes defonctionnement et leurs degrés de responsabilité. En outre, ce manque de formalisationsemble pénaliser l’ensemble des organisations en Bolivie qui, notamment lors du départde membres du directoire, perdent des informations, des contacts et de l’argent, car lefonctionnement de la structure dépend énormément de personnes clés (Elías et Salazar2006).

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Bien que le mode de fonctionnement démocratique soit valorisé, l’étude révèlenéanmoins une certaine limite dans la possibilité de faire remonter une information auniveau central. En effet, bien que les réunions hebdomadaires permettent l’émancipationde ses participantes et l’occasion de soulever les problèmes liés au fonctionnement del’association, il semble que ces questions aient ensuite du mal à remonter au niveau de ladirection. Cela témoigne donc d’une difficulté communicationnelle verticale (des groupesvers la direction), mais également horizontale, puisqu’une productrice souligne le manquede communication entre les groupes qui les empêchent de fédérer leurs revendications. Enoutre, on peut supposer que, du fait de l’homogénéité de l’activité d’un groupe à l’autre, lesproblèmes rencontrés doivent être souvent similaire.

Cette limite peut toutefois s’expliquer par le manque d’investissement des travailleursdans les postes de direction (processus normalement obligatoire). Cette activité représenteun investissement pour les membres qui n’est visiblement pas suffisamment valorisé. Lesproductrices perçoivent cette activité comme une perte de temps bien qu’elles regrettent,en même temps, que leurs revendications ne soient pas assez prises en compte. Malgréles sanctions prévues pour combattre l’absentéisme à des postes de responsabilité,les productrices estiment le coût personnel de participation plus élevé que la sanctionet les bénéfices sociaux que cela leur procureraient. Ce manque d’investissement seretrouve ensuite, de manière plus générale, à travers le constat du manque d’informationet de communication au sein de l’Association. Etant donné que certains producteurssemblent considérer Señor de Mayo comme une source de travail comme une autre, ils nes’investissent pas autant que l’Association le requiert, pour fonctionner de manière optimale.

Limites au niveau des membres de l’Association Señor de MayoLimites économiquesLes délais de paiement des travailleurs ont évidemment des conséquences directes sur

la vie des productrices. Pour pallier les instabilités de revenu, elles sont alors contraintes derecourir au marché conventionnel qui est moins rémunérateur mais qui rapporte plus vite.La seule activité au sein de Señor de Mayo ne leur permet donc pas de vivre correctement.Là encore, cela marque la différence entre les productrices qui disposent d’une machine etcelles qui n’en ont pas. Tandis qu’au sein de l’Association, toutes les productrices ont lesmêmes techniques/outils de production (les méthodes traditionnelles étant valorisées), surle marché conventionnel, celles qui ont une machine à coudre produisent beaucoup plus,beaucoup plus vite et augmentent d’autant leurs revenus.

En outre, des chiffres mettent davantage en évidence le faible revenu que peuventtoucher les productrices. L’étude révèle que la rémunération mensuelle approximative parmembre s’élève à 18 US$. Nous avons vu que cela est dû à des fluctuations de la demande.Or, même dans le cas d’un revenu pour un travail à temps complet (25 jours de travail) ausein de l’Association, la productrice gagnerait 9 x 25 = 225 bolivianos par mois soit un peuplus de 32 dollars. Sachant qu’en période de fête, la vente d’un pull fabriqué à la machinesur le marché local peut rapporter 90 bolivianos, pour deux jours de travail, les revenusissus du commerce équitable paraissent faibles.

Limites organisationnelles et socialesDu fait de la flexibilité du temps de travail, les productrices sont autonomes pour

gérer le temps qu’elles consacrent à leur activité productive et à leur activité reproductive.Toutefois, on s’aperçoit que les femmes qui ont beaucoup d’enfants ne peuvent pas autantproduire que les femmes sans enfants ou celles qui ont les moyens de laisser leurs enfantsà la garderie. Les productrices doivent alors faire face à une multiplication des rôles de

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l’épouse qui peut s’avérer problématique au sein de leurs relations familiales. Sur ce point,l’Association ne prend pas en compte les contraintes sociales et familiales de ses membres.

Les délais de paiement ont aussi des conséquences sur la vie familiale. Lesproductrices reconnaissent qu’ils dévalorisent leur travail et leur activité est ensuitediscréditée par leurs maris qui les menacent de ne pas assister aux réunions. Ces délais,outre l’instabilité économique qu’ils engendrent obligeant les productrices à trouver d’autressources de revenus, créent donc, également, de l’instabilité dans les relations conjugales.

D.Des limites transversales aux acteurs du commerce équitableDu fait de l’hétérogénéité des acteurs du commerce équitable, on peut aussi souligner deslimites globales affectant l’ensemble des acteurs.

Limites liées au prixLe commerce équitable, de par sa critique du commerce conventionnel, prévoit dans

ses principes un prix minimum, généralement supérieur au prix du marché. Ce prix minimumest censé couvrir, d’une part, les coûts de production et ceux associés aux exigencesspécifiques du commerce équitable (par exemple en matière d’organisation démocratiqueou de non utilisation des pesticides), et, d’autre part, être suffisamment élevé pour tenircompte du coût de la vie des producteurs et de leurs familles. Ensuite, en plus de ce prixgaranti, est ajoutée la prime, distincte de la rémunération, devant permettre d’engager desinvestissements collectifs (Diaz Pedregal 2006). Le prix commerce équitable diffère doncdu prix de marché par l’intégration d’impératifs autres que le profit (droits des travailleurs,développement économique, préservation de l’environnement) et ne tient pas compte desquantités produites.

Toutefois, la fixation du prix équitable n’est pas le fruit d’une évaluation systématiquedes coûts (Le Velly 2008). En réalité, il est fréquent que les organisations –que ce soit de lafilière intensive ou de la filière intégrée- demandent aux coopératives de baisser leurs prixparce qu’elles estiment que cela est nécessaire pour dégager des marges suffisantes pourfaire fonctionner leur structure et parvenir à un prix acceptable aux yeux du consommateur(Littrell et Dickson 1999).

En effet, bien que les archives d’Artisans du Monde révèlent que, jusqu’au début desannées 1990, ses clients étaient tellement militants que les produits vendus pouvaientêtre plus chers et de moindre qualité que ceux qui étaient proposés ailleurs. Le soucid’attirer une clientèle plus large pour permettre le développement du commerce équitableimplique désormais de tenir compte de la concurrence (Le Velly 2008). C’est le constatqu’a fait FLO en 2001, lorsqu’au moment de la chute des cours du café, les paquets decafé issus du commerce équitable coutaient, en Allemagne et en Suède, deux fois pluscher que leurs concurrents conventionnels. Du coup, une des branches nationales a pris ladécision de demander à la coordination sud-américaine des producteurs de baisser le prixéquitable de 1,21 euros à 80 cents par livre31. D’une façon plus indirecte, une contributiondes producteurs à la constitution d’un fonds de financement des opérations de marketinga été envisagée mais n’a pas encore été mise en place. Toutefois, depuis 2003, il a étédécidé de facturer les visites de certification au producteur. Ce coût supplémentaire estsouvent trop élevé pour les petites organisations (Cavalier et Van Der Berg 2009). En Bolivie,les cotisations demandées par FLO varient entre 2000 et 5000 US$, ce qui représenteune dépense non-négligeable pour des organisations de producteurs qui réalisent 20 000

31 FLO, 11th Meeting of members, Draft Minutes, 20-21 novembre 2001.

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à 100 000 US$ de ventes par an (Elías et Salazar 2006). En outre, on peut noter que« l’écart entre le prix minimum et le prix boursier du café s’est considérablement réduitdes dernières années » (Le Velly 2008). Ce qui confirme les conclusions tirées par lesproducteurs boliviens comme quoi le prix équitable garanti par FLO n’est pas toujoursintéressant (Cavalier et Van Der Berg 2009).

Toutefois, le prix équitable reste de manière générale plutôt attractif (Elías et Salazar2006), et c’est visiblement le prix à payer pour profiter des débouchés commerciaux qu’offrela démocratie de marché. Même dans le cadre du commerce équitable, le mécanisme deconcurrence contraint les producteurs du Sud à être dépendants du prix du marché pourque les clients au Nord soient tentés d’acheter leurs produits. Le groupement brésilien ArtGravata en a d’ailleurs fait l’expérience. Bien qu’ayant reçu l’agrégation d’Artisans du Mondeen 2004, la coopérative n’a, trois ans plus tard, toujours pas reçu de commande en raisondu prix trop élevé de ses jouets en bois32.

Pour justifier d’un prix plus élevé, les bénévoles de Max Havelaar Nantes revendiquentun produit de meilleure qualité (Le Velly 2008). L’argument d’un commerce équitablerejoint alors la notion du « gagnant-gagnant », terme largement utilisé dans les relationscommerciales conventionnelles. En poussant plus loin le raisonnement, ce type de relationcontribue à améliorer la qualité de la relation d’une entreprise avec ses fournisseurs. Ainsi,une entreprise qui, par une relation « gagnant-gagnant » participe au développement deses fournisseurs, s’assure une stabilité dans la qualité des produits, des prix et des délaisd’approvisionnement. En échange, le fait pour les organisations de commerce équitablede s’adapter au prix du marché, leur confère une assurance de débouchés qui serait plusmince, notamment en cas de fluctuation brutale du cours de certains produits.

Toutefois, le rapport du commerce équitable aux valeurs de marché reste complexe (LeVelly 2008). Le prix équitable est une valeur clé, et c’est justement ce principe qui garantitaux producteurs les conditions d’un développement durable. Cependant, au-delà du faitque le prix peut, comme nous l’avons vu, réduire les opportunités de développement descoopératives, il n’engendre pas mécaniquement un développement des petits producteurs.Ces derniers dépendraient davantage de l’articulation avec des actions de développementmenées dans la durée (via des ONG de terrain) et des règles de conditionnalité ducontrat qui poussent à transformer en capacity building les bénéfices tirés des recettes àl’exportation(Daviron, Thirion, et Vergriette 2002).

Par le paiement d’un prix attractif, le commerce équitable peut également, parextension, inciter à la monoculture. C’est ce que révèle l’étude réalisée par Carimentrandet Ballet sur le quinoa en Bolivie. Suite au succès de cette plante réputée pour ses qualitésnutritives, les firmes transnationales, par le biais de la filière équitable, ont largementdéveloppé sa culture entrainant une détérioration significative des sols de l’Altiplano. Or,comme le note Dercon, la diversification, comme stratégie de couverture contre les risques,s’accompagne aussi de rendements plus faibles et entretient la pauvreté (Dercon 2006).D’un autre côté, la spécialisation sur une monoculture accroît le risque d’exposition auxchocs (Carimentrand et Ballet 2008).

Le prix équitable peut donc avoir des effets négatifs que l’on peut difficilementsoupçonner au premier abord. Pourtant, il est plus que nécessaire pour les acteurs ducommerce équitable d’en tenir compte afin qu’il ne soit un frein à son développement.

Le question du bénévolat au Nord

32 (Fédération Artisans du Monde Rapport d’activité 2006 2007)

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Il est important de noter le rôle vital qu’ont eu -et qu’ont encore- les bénévoles dans la viedes organisations du commerce équitable au Nord33. Cela pose deux problèmes majeurs.Tout d’abord, sur le plan idéologique, le travail des bénévoles ne rend pas forcémentcohérent le principe du Trade not Aid adopté lors de la Conférence des Nations-Unis pourle commerce et le développement à Genève en 1964 et qui, maintenant, fait partie desrevendications des acteurs du commerce équitable. Bien que, par ces actions de bénévolat,l’aide intervienne au Nord, elle participe indirectement à entretenir une situation d’aide audéveloppement à distance. D’autre part, cela pose un autre problème plus concret quiest celui de la fragilité économique de cette situation. Le fait que la majorité des acteursdes organisations de commerce équitable soit bénévole au Nord réduit en lui-même sespossibilités de développement. A moins que ces organisations souhaitent rester dans unmarché de niche, fonctionnant essentiellement avec des militants. Toutefois, si elles ontpour ambition de démocratiser le commerce équitable, elles risquent de devoir proposerégalement un prix minimum aux acteurs du Nord. On peut alors se demander comment lesorganisations feraient-elles pour absorber ces coûts salariaux ? Quels impacts cela auraitsur le prix final des produits ?

Une chose est sûre, malgré toutes les difficultés qu’a pu rencontrer le commerceéquitable, son développement a été largement possible grâce à l’implication de bénévoleslui permettant d’assurer son dynamisme dans les magasins au Nord et de maintenir desprix artificiellement bas.

Limites liées à la dépendance avec le NordUne critique souvent avancée au commerce équitable tient au degré de dépendance

qu’il risque de maintenir entre les producteurs du Sud et les acheteurs du Nord (Moore2004). Il est vrai que continuer à profiter de la richesse et la diversité agricole des paysdu Sud, même à un prix équitable, ne permet pas à lui seul le développement industriel etéconomique de ces régions. Tant que ces pays continueront d’exporter les produits brutset qu’ils seront modifiés dans les pays riches, la valeur ajoutée créée restera au Nord etle Sud se contentera de mieux vivre de leurs exportations de produits primaires. Cettelimite a été soulignée en Bolivie dans un rapport sur le CE réalisé en 2006, stipulant quele commerce équitable (surtout dans le cadre de FLO), incite les producteurs à vendreseulement les matières premières ou des produits semi-élaborés (Elías et Salazar 2006).A titre d’exemple, l’organisation El Ceibo qui regroupe 38 organisations de producteurs decacao rassemblant au total plus de 800 personnes, vend 66% de sa production en matièrespremières alors qu’elle n’utilise qu’à 50% sa capacité de production de produits finis (Elíaset Salazar 2006). Cela signifie que l’organisation est tout à fait en mesure de vendre lamajorité de sa production en produit fini et de créer ainsi plus de valeur ajoutée en Bolivie.

Cette dépendance générale avec le Nord, s’exprime à travers la dépendance desorganisations de petits producteurs vis-à-vis de la filière équitable (Chanteau 2008). Il seraitalors difficile pour les petits producteurs de sortir de l’échange équitable et d’acquérir uneindépendance économique leur permettant d’être autonome sur le marché conventionnel.

Pourtant, des organisations de CE dispensent des formations aux producteursafin qu’ils intègrent des méthodes de gestion leur permettant d’améliorer leur systèmed’organisation, leur système logistique etc… Poos avance que ces formations ont pour butd’assurer la diversification internationale des producteurs sur le marché « traditionnel ».Néanmoins, il remarque que peu de coopératives se lancent sur ce marché. Au contraire,

33 Le seul cas d’Artisans du Monde est éloquent : l’organisation dispose de 85 employés et de 5000 bénévoles. Source : http://www.artisansdumonde.org/qui-sommes-nous/fonctionnement.html

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elles continuent à se tourner vers les organisations du commerce équitable. Pour Poos,ceci est la preuve d’une dépendance des coopératives vis-à-vis du réseau équitable (Poos2003).

Hopkins est arrivé à la même conclusion suite à une étude sur 18 coopératives d’Oxfam.Malgré les efforts des organisations du commerce équitable, Oxfam est arrivé au constatsuivant : les coopératives de producteurs ne sont pas capables d’être autonomes. Endépit de leur ancienneté, la part du commerce équitable dans le chiffre d’affaires de cescoopératives ne diminue pas. Elles s’aventurent sur le marché « conventionnel» maisleur part sur ce marché reste trop limité. Hopkins s’interroge donc sur les capacités descoopératives à sortir de la filière du commerce alternatif (Hopkins 2000).

En outre, l’étude de Carimentrand et Ballet sur le quinoa en Bolivie fait apparaitreune « forte vulnérabilité des organisations de producteurs qui deviennent extrêmementdépendantes des exigences des firmes privées » (Carimentrand et Ballet 2008). L’étudemontre combien l’activité des coopératives spécialisées dans le quinoa peut varier selon lademande de grandes distributions Européennes. Ainsi, l’entreprise ANAPQUI qui comptait380 membres en 1995 a connu un accroissement massif de ses membres, au moment duboom du quinoa passant à 1237 en 2002. Puis, du fait d’un changement de fournisseurde la part d’EURO-NAT, holding spécialisée dans les produits biologiques (distribués parCarrefour), ANAPQUI se voit diminuer d’autant sa production et tombe à 591 membres, en2002. Ce cas de figure illustre la forte dépendance, et donc la vulnérabilité, des organisationsde producteurs vis-à-vis des stratégies des entreprises privées.

On peut alors se demander si ce constat de dépendance avec le Nord témoignede la faiblesse du commerce équitable à rendre autonome les petits producteurs ; ou,si le problème vient de la démocratie de marché, qui serait peu efficace pour assurer ledéveloppement économique et social au Sud ?

Dans la situation actuelle, il semble toutefois important de se demander si unedépendance trop forte des coopératives vis-à-vis de leurs importateurs cantonnerait lesproducteurs au commerce alternatif ? Si tel était le cas, quelles seraient les conséquencespour ces derniers ?

2.Les limites et risques liés à l’ouverture aux marchésAprès avoir vu les limites essentielles du commerce équitable, il est maintenant intéressantd’analyser les limites inhérentes à son développement. Pour cela, nous allons nous basersur les études montrant l’évolution du commerce équitable et les tendances générales quise dégagent. Nous allons donc étudier les différents mécanismes qui entrent alors en jeu,comment ils interagissent et quelles conséquences ils peuvent avoir sur les acteurs ducommerce équitable et sur l’environnement.

A.Causes et conséquences de l’isomorphismeL’analyse des limites du commerce équitable, que ce soit dans la filière intensive ouspécialisée, des producteurs aux distributeurs, a pu mettre en lumière la forte influencequ’exerce le marché sur cette activité dite alternative. Bien que certains acteurs, à l’image

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d’Artisans du Monde, tentent de conserver leur différence et d’évoluer le plus possibleen marge du système conventionnel, la réalité économique, particulièrement soutenuepar le mécanisme de concurrence, contraint les agents à prendre en compte les normesimposées par le marché. Or, cette influence s’avère parfois si prégnante, que l’on peutobserver un phénomène de mimétisme entre les acteurs du commerce équitable et lesacteurs du commerce conventionnel. On parle alors d’isomorphisme. L’isomorphismeest défini par Hawley comme « une procédure contraignante qui force une unité d’unepopulation à ressembler à d’autres unités qui sont confrontées aux mêmes conditionsenvironnementales » (Hawley 1968). Ce phénomène est particulièrement intéressant àobserver lorsque le sujet de l’étude se revendique en marge de l’environnement dans lequelil évolue. C’est exactement le cas du commerce équitable qui, comme nous l’avons vu, esten opposition avec les règles actuelles du commerce international mais évolue en son sein.

Il faut cependant noter que l’isomorphisme des organisations de commerceéquitable est double : d’une part, en interne au secteur (entre les organisations de commerceéquitable) que je qualifierais de soft isomorphisme et, d’autre part, en externe (avec lesautres entreprises classiques) que je qualifierais de hard isomorphisme. Ici, nous allonsprincipalement axer la focale sur l’isomorphisme externe au secteur car c’est celui qui faitlargement débat et qui modifie le plus l’activité des acteurs du commerce équitable.

Afin d’étudier le phénomène, nous allons nous appuyer sur l’approche de la théoriewébérienne de l’intégration au marché. Nous allons essayer de montrer, comment lesacteurs du commerce équitable, qui partagent le projet d’une rationalité matérielle (paiementd’un prix juste, relation avec des petits producteurs), doivent faire face à des tensionsdés lors qu’ils souhaitent développer leurs ventes. Quels peuvent être les effets de laconcurrence avec les organisations du commerce conventionnel sur les pratiques et lesprincipes des acteurs du commerce équitable ?

On pourrait tout d’abord se demander s’il est envisageable de développer une rationalitématérielle (économie domestique) dans une économie capitaliste ? Cette question est liéeà la manière dont Max Weber a décrit l’émergence dans le capitalisme d’un ordre marchandimposant la rationalité formelle. Pour appliquer son raisonnement à l’étude du commerceéquitable, il est nécessaire de montrer que les forces du marché sont variées et dépendenten partie de l’engagement des agents.

D’après Weber, le développement d’une économie capitaliste implique unaffaiblissement des communautés domestiques (Max Weber 1995). Habituellement, dansla famille, il n’est pas question de comptabiliser les apports des uns et des autres ou denégocier les prix. En revanche, dans le capitalisme, l’individu procède à un calcul rationnelde ses contributions et rétributions, calcul facilité par l’usage de la monnaie et des relationsmarchandes.

M. Weber souligne également l’inaccessibilité à la réglementation éthique ducapitalisme, en raison de l’impersonnalité des échanges marchands. (Max Weber 1995)Il caractérise ainsi le capitalisme comme un système « d’esclavage sans maître » (MaxWeber 1996) dans lequel l’individu est contraint par les forces impersonnelles du marché.S’impose alors la rationalité formelle qui apparaît comme une « cage de fer » (selon lacélèbre traduction de T. Parsons), un cadre rigide duquel on ne peut pas se défaire souspeine de disparaître du marché. Ce mécanisme d’exclusion est complètement a-éthique etimpersonnel : la concurrence et la faillite évincent tous ceux qui n’atteignent pas le niveaud’efficacité exigé au niveau systémique. « Dans la mesure où l’individu est intriqué dans lemarché, l’ordre économique lui impose les normes de son agir économique. Le fabricant quis’oppose durablement à ces normes est, au plan économique, immanquablement éliminé,

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tout comme le travailleur qui ne peut ou ne veut s’y adapter se retrouve à la rue et sanstravail » (Max Weber 2003). L’établissement de la rationalité matérielle est donc impossibleen raison des contraintes de l’ordre marchand et des forces du marché. (Le Velly 2006)

Cependant, cette vision considérant le marché comme une contrainte transcendante,ne tient pas compte de la variété des forces du marché. Les travaux de Florence Weber etAlain Testart démontrent en effet que les forces du marché ne sont pas d’un poids constant.Quand une personne voit chez un proche un objet qu’elle recherchait depuis longtemps, etqu’elle obtient qu’il le lui cède à un « prix d’ami » (Testart 2001), ou lorsqu’un homme paiesa sœur quatre fois le prix habituel du marché pour qu’elle lave son linge, afin de la soutenirfinancièrement (Florence Weber 2000), les termes de l’échange sont définis en faisantabstraction des forces du marché. Ces échanges restent bien des échanges marchandsmais ils se réalisent hors de l’ordre marchand. Ces exemples prouvent qu’il est possible deconstruire des échanges marchands sur la base de règles formelles et de principes morauxqui visent à réduire l’influence des forces du marché dans l’allocation des biens et dansla détermination des prix (Velthuis 2005; Zelizer 2005). Le niveau de participation à l’ordremarchand est donc une question centrale pour les acteurs du commerce équitable.

On distingue alors, au sein du commerce équitable, trois filières selon un niveaucroissant de participation à l’ordre marchand.

Le premier niveau remonte aux années soixante-dix et quatre-vingt, où les produitsissus du commerce équitable étaient vendus à un prix très supérieur à leur valeurmarchande conventionnelle. On valorisait alors davantage la bienveillance ou la causequ’incarnait le producteur que la qualité même du produit. Les acheteurs étaient pleinementconvaincus mais ils étaient peu nombreux (Le Velly 2006). Depuis une dizaine d’années,les acteurs du commerce équitable souhaitent accroître leur niveau de participation à l’ordremarchand bien que cela soulève une problématique : l’efficacité concurrentielle est-ellecompatible avec la création d’un commerce alternatif ? La participation à l’ordre marchandpermet tout d’abord de revaloriser le travail des producteurs et de les insérer dans unerelation digne et égalitaire avec le consommateur et de rompre avec la relation d’assistanat(principe du trade not aid). De pus, le mécanisme de concurrence contribue à améliorer laqualité des produits et à accroître les débouchés. Ces mêmes débouchés permettent desortir de la marginalité des petits cercles militants, de soutenir plus amplement au Sud etde sensibiliser davantage au Nord. C’est dans cet objectif qu’Artisans du Monde et MaxHavelaar ont concrétisé ce deuxième niveau de filière avec l’ouverture de magasins et ontpermis au commerce équitable d’intégrer les marchés occidentaux (Le Velly 2006).

Pour autant, l’urgence de soutenir un plus grand nombre de producteurs implique unepénétration encore plus approfondie du marché conventionnel. Le premier vecteur est leréférencement en grande distribution. Ce circuit augmente à la fois les ventes et place lesproduits issus du commerce équitable en situation de concurrence directe avec les autres.C’est la stratégie qu’on adopté Alter Eco et Ethiquable, au début des années 2000, ennouant des partenariats avec les enseignes de la grande distribution. Cette délégation de lavente est approfondie par une seconde délégation portant sur les opérations d’importation,de transformation et de recherche de débouchés. C’est alors la stratégie adoptée par lescréateurs de Max Havelaar qui ont confié ces activités à des organisations extérieuresau mouvement associatif mais disposant de ressources financières et de compétencesmarketing importantes (Le Velly 2006).

Quelles sont les conséquences de ces différents positionnements au regard du projetdu commerce équitable ?

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Le deuxième niveau de participation à l’ordre marchand implique une centralisation desimportations. Ce mécanisme permet de s’appuyer sur un plus grand nombre de producteurs,facilite la gestion des stocks et des livraisons et contribue à étoffer la gamme de produitproposés. Ce mode de gestion est devenu nécessaire en raison de l’accroissement de laconcurrence mais il entre en contradiction avec un aspect majeur du projet de rationalisationmatérielle : la relation directe et personnalisée. En acceptant de modifier son cahier descharges pour étendre la certification aux plantations, afin de répondre aux exigences devolume de la grande distribution, Max Havelaar a fait le choix d’exclure insidieusement lespetits producteurs du commerce équitable. Il est dès lors difficile pour eux qui ne disposenten moyenne que de 3 ou 4 hectares, d’être en concurrence avec des exploitations de 250hectares (Karpyta 2009).

Cela renvoie au problème soulevé par la question wébérienne : la participationcroissante à l’ordre marchand implique-t-elle de renoncer à certains principes du projet derationalisation matérielle ?

Dans son article sur les échanges marchands contre et dans le marché, Le Vellysouligne également la pression qu’exercent les gestionnaires de boutiques sur lesimportateurs de produits de commerce équitable pour qu’ils sélectionnent des produitsconformes aux exigences du marché conventionnel. Les produits d’artisanats font alorsde plus en plus souvent l’objet d’une adaptation culturelle (Grimes et Milgram 2000). Lacapacité d’intégration au marché prime donc sur l’authenticité et la valeur sociale et culturelledu produit (Le Velly 2006). De plus, une étude sur les producteurs boliviens, souligne quecertaines organisations du Nord exigent des conditions inaccessibles aux producteurs voireabsurdes : « Ils ont des exigences de sécurité industrielle dans des communautés où il n’ya même pas la lumière » (Elías et Salazar 2006).

Les stratégies de délégation et de labellisation impliquent quant à elles une diminutionde la maîtrise de la filière, au détriment des petits producteurs. En effet, des étudesmenées sur la filière du café en Bolivie, décrivent le fort niveau de concentration desachats sur les groupements les plus structurés (Eberhart et Chauveau 2002). D’autre part,la labellisation atteste qu’une organisation respecte les standards du commerce équitablemais cela n’implique pas automatiquement des achats. A titre d’exemple, dans la filièrecafé, seulement 20% de la production équitable trouvent preneur et 40% des organisationsinscrites au registre n’auraient jamais reçu aucune commande dans les conditions ducommerce équitable (Eberhart et Chauveau 2002). En poursuivant l’exemple pour les autresproduits labellisés FLO en Bolivie, 40% de la production de cacao certifié CE n’est pasexportée. Concernant la quinoa, c’est plus de la moitié de la production qui n’est pas vendueau prix équitable (Cavalier et Van Der Berg 2009). Cette réalité est difficile à accepterpour les producteurs qui ne comprennent pas toujours pourquoi ils ne vendent pas latotalité de leur production en CE (Elías et Salazar 2006). Le problème s’aggrave lorsque lesconcessionnaires doivent eux-mêmes trouver des distributeurs. Les distributeurs ont alorsun fort pouvoir de marché et l’utilisent pour faire pression d’abord sur les concessionnairespuis sur les producteurs (Jacquiau 2006). Par ce mécanisme, les producteurs de caféacceptent ainsi de vendre le volet non équitable de leur récolte en dessous du prix dumarché, en échange d’une augmentation de volume vendu au prix minimum équitable.C’est donc une manière détournée de faire baisser le prix minimum équitable. De plus,l’engagement de travail dans la durée, fortement soutenu dans les filières intégrées, ne seretrouve pas dans la labellisation puisque les exigences formellement requises n’excédentpas la durée d’une saison34.

34 FLO, Standards du commerce équitable pour le café, juin 2004.

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Il en résulte également une concurrence entre les labels qui conduit à leur nivellementpar le bas. En effet, en entrant dans la logique marchande, l’objectif est de référencer leplus de produits dans un maximum de magasins et cela conduit à revoir les exigences etles standards à la baisse (Jacquiau 2006).

De plus, l’ouverture des coopératives à de nouveaux investisseurs a contribué, selonl’expression de Vienney, à « attenuer la préférence pour la qualité par rapport a larentabilité » (Vienney 1993). Ou pour reprendre les termes de Fauquet c’est ainsi que laproblématique de l’entreprise a pris le pas sur la problématique de l’association (Chomel2000). S’est alors opéré un mélange entre secteur coopératif et secteur privé et cela a eupour résultat l’aspiration des coopératives dans le domaine de l’entreprise capitaliste (Bidet2003).

Nous venons de le voir, plus le commerce équitable s’intègre au marché, plus ilest difficile d’établir une relation directe et personnalisée, d’aider des petits producteursmarginalisés et moins il est possible d’établir des conditions d’achat parfaitementdéconnectées des termes habituels du marché. Ces effets résultent du mécanisme deconcurrence qui évince les acteurs ne répondant pas aux critères de compétitivité. Toutefois,bien que critiquable, la stratégie d’intégration au marché a permis au commerce équitabled’acquérir une certaine reconnaissance et légitimité qu’elle n’avait pas lorsqu’elle restaitdans les cercles militants. Cette démocratisation a également permis d’accroître trèssensiblement les débouchés des groupements de producteurs au Sud améliorant ainsileurs conditions de vie. Toutefois, d’après les études de Granovetter (2003) et Uzzi(1996) relatives à l’optimum d’encastrement, il apparaît donc vital pour les organisationsde commerce équitable d’évaluer le degré d’encastrement au-delà duquel elles devronts’autonomiser pour éviter que le réseau du modèle conventionnel ne leur soit défavorable.

B.Risques inhérents à l’augmentation de la productionAprès avoir vu les risques d’isomorphisme qu’engendre l’intégration du commerce équitableà la démocratie de marché. Nous allons maintenant mettre l’accent sur les limites sociales etenvironnementales que peut avoir le commerce équitable par l’augmentation des volumesde production. Plusieurs études d’impact ont été réalisées ces dernières années pourle compte des organisations du commerce équitable (Cf. l’étude menée pour Oxfampar Hopkins en 2000, celle menée pour Artisans du Monde par Mestre et al. en2002, celle réalisée pour SOLAGRAL par Daviron et al. en 2002, ou encore l’étuderéalisée par Carimentrant et Ballet en 2008 sur la filière quinoa en Bolivie). En sebasant sur le fonctionnement actuel du commerce équitable, nous présenterons donc leslimites et les risques environnementaux liés à son développement. Aussi, nous verronscomment l’orientation du commerce équitable vers des volumes de production toujours plusimportants affecte directement les petits producteurs.

Une croissance des échanges et des risques environnementauxLe développement du commerce équitable peut avoir des effets négatifs sur

l’environnement à deux niveaux : tout d’abord, au niveau local, à cause du risque desurproduction et de monoculture (Carimentrand et Ballet 2008). L’étude sur le quinoabolivien révèle qu’avant le boom de cette graine dans les magasins occidentaux, le systèmede production traditionnel était essentiellement basé sur « la culture manuelle de quinoa etde pommes de terre en rotation sur des parcelles de montagne et sur l’élevage extensif delamas ». Ce système de production garantissait un équilibre écologique à travers le transfert

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de fertilité assuré par le bétail. Avec le succès du quinoa, la culture mécanisée (tracteurs,charrues à disques et semoirs en ligne) du quinoa en plaine s’est développée, au détrimentde l’élevage et de la culture de la pomme de terre qui a quasiment disparu des systèmesde production (Laguna 2000; Felix 2004; Moreau et Bres 2005). Ces transformations dansle système de production ont alors eu deux effets : la baisse de la fertilité des sols et uneprolifération des ravageurs (Carimentrand et Ballet 2008).

L’appauvrissement des sols a été causée par l’accroissement de l’érosion, dû à lamécanisation de la culture. Le comportement des tractoristes est alors remis en causeutilisant, de manière inappropriée, la charrue à disques et à des fréquences trop importantes(Carimentrand et Ballet 2008). La fertilité des sols a également été affectée par la réductionde la période de jachère. Dans le fonctionnement traditionnel, la rotation des sols s’étalaitsur une longue période avec un temps de jachère consécutif à la culture du quinoa de 4 à 8ans. Avec le boom du quinoa, cette période à été limitée à moins de 4 ans et, dans certainscas, le quinoa est cultivé de façon continue (Risi 2001). Enfin, la réduction du nombre devariétés de quinoa cultivées a également eu un impact négatif sur la fertilité des sols (Felix2004). Cette perte de la diversité est alors « étroitement lié aux exigences des firmes duNord sur les caractéristiques du quinoa » (Carimentrand et Ballet 2008).

L’autre effet qu’a impliqué la transformation du système de production estl’augmentation du nombre de ravageurs du fait de la monoculture. Ce phénomène a alorsincité les producteurs à intensifier l’utilisation d’insecticides auxquels les chenilles et lescoléoptères ont rapidement développé des résistances (Carimentrand et Ballet 2008). Enoutre, Félix dénonce une pulvérisation massive d’insecticides par des producteurs noncertifiés biologiques et qui contamineraient les champs biologique (Felix 2004). Cela metalors en péril les producteurs de la filière quinoa dont le marché est fortement orienté versles certifications biologiques.

Carimentrand et Ballet concluent alors l’étude en soulignant « la mainmise desentreprises privées sur les filières du commerce équitable » et dénoncent « l’hypocrisieévidente entre les firmes du Nord donneurs d’ordre, qui par leurs exigences imposentdes conditions de production aux producteurs du Sud et les producteurs du Sud surlesquels reposent toute la responsabilité de la mise en œuvre de critères de production plusdurables » (Carimentrand et Ballet 2008).

En outre, l’augmentation de la production peut également avoir un impact surl’environnement à un niveau plus global par l’intensification des flux commerciauxinternationaux. C’est d’ailleurs une critique des écologistes envers le commerce équitablequi dénoncent un coût environnemental important dû au transport de marchandises(Bécheur et Toulouse 2008). Cela contribue alors à décrédibiliser le lien souvent fait entredéveloppement durable et commerce équitable. En effet, bien que ce dernier favorise uneagriculture durable et qu’on peut souligner le rapprochement entre le commerce équitable etl’agriculture biologique (Daviron, Thirion, et Vergriette 2002), on peut néanmoins facilementémettre des critiques lorsque le café, la quinoa, le cacao ou autres ont été cultivés et produitsà 10 000 kilomètres de leurs lieux de consommation. Certes, on peut dire que ce sont desplantes qui ne poussent pas aussi abondamment dans les régions où ils sont distribués etconsommés. Il n’empêche que ces produits sont acheminés dans les mêmes conditions queles produits du commerce conventionnel et l’augmentation de ces échanges contribuerad’autant à intensifier le trafic aérien et maritime au détriment de l’environnement. Les étudessur le commerce équitable font rarement état de cette problématique globale qui est pourtantau cœur des problématiques écologiques. Il faudra donc être attentif aux solutions quepourront proposer les acteurs du commerce équitable à ce challenge mondial.

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Les risques de surproduction et ses conséquences économiques et socialesD’après Amadou Kanoute, directeur Afrique de Consumers International, bien que le

commerce équitable ait un rôle important dans la promotion des valeurs sociales, éthiqueset environnementales il ne constitue pas une solution au problème de la dégradation destermes de l’échange (Ruano 2003). Kanoute s’appuie alors sur le cas de la filière cafépour laquelle il souligne le risque de voir la surproduction de café s’aggraver à causedu commerce équitable. En effet, certains producteurs peuvent décider de continuer àproduire du café en raison du prix plus élevé offert par les organisations du commerceéquitable, alors qu’ils devraient s’orienter vers d’autres productions35. Dans l’hypothèseoù le commerce équitable connaîtrait un développement important, le problème de lasurproduction de café s’aggraverait dans la mesure où les producteurs ne chercheraientplus à trouver une alternative et préféreraient se concentrer sur la production de café. Lesspécialistes reconnaissent que le café est déjà en surproduction (Ruano 2003). Or, seloneux, en garantissant des prix plus élevés, le commerce équitable empêche la diminution dela production et contribue à maintenir, sur le marché, un produit dont l’offre est supérieureà la demande.

Une théorie économique soutient également cette analyse. À ce jour, les produits ducommerce équitable sont principalement agricoles36. Or, selon André Louat, les recettesd’exportation des produits agricoles sont instables du fait de la volatilité des cours et dela concurrence - inégale par l’intermédiaire des subventions - des pays développés (Louat1999). Par ailleurs, l’auteur explique que les marchés agricoles d’aujourd’hui obéissent àune théorie économique connue sous le nom de « réciproque de la loi de King ». La théoriede Gregory King souligne la faible élasticité de la demande de produits alimentaires etl’oppose au caractère variable de la production vis-à-vis des aléas climatiques. À partirde ce postulat et à l’aide d’études statistiques, King a ensuite montré qu’un déficit deproduction entraînait une augmentation disproportionnée des prix. Cette théorie se vérifiaitdans une économie pré-capitaliste. Aujourd’hui, dans une économie capitaliste, on vérifieaussi la réciproque de la loi de King. Cela signifie qu’un excédent de production entraîneune diminution exponentielle des prix. Si l’on considère que le commerce équitable peut« encourager » la surproduction, les producteurs n’appartenant pas à la filière du commerceéquitable sont alors encore plus menacés et le risque de les voir disparaître devient doncplus important.

Nous venons de le voir, les limites auxquelles acteurs du commerce équitable doiventfaire face les sont multiples, complexes et plus subtiles qu’on ne peut l’imaginer à premièrevue. On a d’abord vu les limites de la filière intensive avec les critiques adressées àMax Havelaar, l’utilisation du label comme outil marketing et le développement de labelsconcurrents par la grande distribution contribuant à destabiliser le marché et à créer unecertaine confusion pour les consommateurs. Nous avons également souligné les limitesde la filière intégrée qui doit résister à la concurrence de la filière intensive malgré descontraintes plus importantes. En outre, la filière intégrée connaît également des tensions eninterne avec une concurrence accrue du fait du développement, par certaines entreprises,de partenariat avec la grande distribution contribuant à créer une nouvelle filière « hybride »très compétitive. De manière plus transversale, il a aussi été question des limites liées au« prix équitable » ainsi que de la dépendance avec le Nord que peut entretenir ce commerce.

35 C’est également la critique qu’avait apporté Carimentrand et Ballet dans leur étude sur le quinoa en Bolivie (Carimentrandet Ballet 2008).

36 Source : http://www.commercequitable.org/lecommerceequitable/les-filieres-et-produits.html

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Puis, nous avons montré, à partir de l’étude de cas de l’Association Señor de Mayo,quelles sont les difficultés auxquelles doivent faire face les organisations de commerceéquitable ainsi que les producteurs qui y travaillent. Cet exemple a pu faire ressortir deslimites économiques au développement de ces structures mais également des limitesorganisationnelles qui ont ensuite des répercussions sur les petits producteurs.

Enfin, nous avons pu mettre en évidence les limites inhérentes à l’ouverture auxmarchés avec les risques d’isomorphisme et ses conséquences sur les acteurs et lesprincipes du commerce équitable ; ainsi que les conséquences environnementales et leseffets économiques néfastes de l’augmentation de la production.

Il est important de rappeler que ces critiques n’ont pas pour objet de dénigrer ouremettre en cause le rôle du commerce équitable dans la démocratie de marché, mais aucontraire, d’analyser ses limites et ses difficultés afin de déceler les points sur lesquels ildevrait évoluer s’il souhaite connaitre un développement durable.

Dans la partie qui va suivre, il sera justement question de trouver des solutionséventuelles aux limites présentées précédemment. Ces propositions n’ont pas pourambition de résoudre toutes les difficultés du commerce équitable mais doivent plutôt êtrevues comme des pistes de réflexions. Ces propositions sont le fruit des lectures que j’ai pueffectuer tout au long de la rédaction de ce mémoire mais aussi et surtout de mon analysepersonnelle, en fonction des études de cas et des connaissances du commerce internationalacquises lors de ma formation en école de commerce, avant mon entrée à Sciences Po.

3.Des solutions envisageablesCette dernière sous partie traite les solutions envisageables aux différentes limites ducommerce équitable présentées dans les parties précédentes.

Il semblait important de commencer par présenter les solutions pour les producteurscar c’est avant tout pour eux et pour améliorer leurs conditions de vie que le commerceéquitable a été créé et s’est développé. De cette manière, on peut d’ailleurs considérerque toutes les solutions qui seront proposées dans cette dernière partie, concernent lesproducteurs et, plus particulièrement, les petits producteurs. Néanmoins, par souci delisibilité de ce mémoire, une organisation des solutions par thèmes semblait plus judicieuse.Nous allons donc commencer par voir quelles solutions peuvent être mises en place,au niveau des producteurs et de leurs organisations (coopératives, associations etc…).Nous nous appuierons alors sur des références d’auteurs ayant travaillé sur le sujet maiségalement sur l’analyse des limites présentées dans ce mémoire ainsi que l’étude de casde l’Association Señor de Mayo. Puis nous continuerons par présenter les solutions auxniveaux des acteurs du commerce équitable au Nord, tant au niveau de la filière intensiveque de la filière intégrée. Nous développeront ensuite le rôle que pourraient jouer lespouvoirs publics et les institutions internationales dans le développement du commerceéquitable.

A.Les solutions pour les producteurs et leurs organisations

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Les propositions présentées ci-dessous sont évidemment destinées aux producteurs età leurs organisations mais elles sont surtout à leur portée concernant leur réalisation.Elles peuvent donc être réalisées par les producteurs eux-mêmes ou à travers leursorganisations. Elles ont pour objet de tenter de pallier les difficultés qui ont été présentéesdans les parties précédentes.

Le regroupementSelon Coraggio, du fait de la diversité et de l’atomisation des secteurs populaires, l’un

des défis majeurs consiste à construire une « organicité » de leurs activités (Coraggio 1995).Cela passe par la matérialisation d’un projet commun leur permettant de se renforcer etde se confronter aux autres secteurs de l’économie globale. En d’autres termes, l’enjeuconsiste avant tout à organiser les réseaux d’économie populaire et les solidariser pourqu’ils soient en mesure de faire face à la concurrence sur le marché conventionnel.

Nuñez arrive à la même conclusion et pense que l’associationnisme est l’unique moyenpar lequel les producteurs populaires pourront entreprendre « une stratégie de marché ettenter de faire concurrence au capitalisme et à ses économies d’échelles, sans pour autantse convertir au capitalisme » (Nuñez 1995).

Le cas de la Bolivie fait apparaître à l’heure actuelle un manque de coordination entreles organisations de CE (sauf pour la FECAFEB) (Elías et Salazar 2006), qui ne permetpas de profiter du poids réel que représentent ces organisations (Cavalier et Van Der Berg2009). Elles gagneraient donc à se regrouper pour avoir un poids plus important dans lesnégociations tant sur le plan commercial que politique. D’autre part, la coordination desorganisations de CE en Bolivie leur permettrait de mieux résister à la concurrence desentreprises privées. Le partage de connaissances et de méthodes de productions combleraitleur manque de capacité technique et administrative et elles seraient alors mieux préparéespour faire face à la concurrence des entreprises privées souhaitant intégrer la filière ducommerce équitable (Elías et Salazar 2006).

Toutefois, les organisations de producteur devront être vigilantes à ne pas tomberdans les dérives inhérentes aux volumes de production élevés. Ils devront travailler sur lacoopération et étudier la taille critique à ne pas dépasser pour conserver des méthodes deproduction adaptées à leur environnement tout en restant compétitives et de qualité.

En outre, plusieurs études menées en Bolivie ont montré que ces formes deregroupement visent la défense d’intérêts et le lobby politique, et non la coopération à unquelconque niveau du processus économique (Rossel et Rojas 2000; Wanderley 2004).Cela se retrouve dans les intérêts des organisations qui souhaitent intégrer la certificationFLO uniquement pour des raisons économiques (Cavalier et Van Der Berg 2009). Il apparaîtdonc important pour ces organisations de fédérer leurs compétences et leur savoir-faireafin de renforcer, d’une part, leur cohésion et, d’autre part, leurs capacités de production.La coopération, au niveau économique, leur sera bénéfique et contribuera à développer lecommerce équitable au Sud tant sur le plan quantitatif que qualitatif.

On peut noter que cette aspiration à un commerce équitable Sud/Sud est une volontécommune aux acteurs du commerce équitable et que le processus a déjà été amorcéen Bolivie à travers les réseaux RENACC, RELACC, RILESS et RIPESS. Mais aussi auPérou, au Mexique, au Brésil et au Sénégal (Karpyta 2009). En effet, à travers l’associationComercio Justo Mexico37, le Mexique a développé sa propre labellisation de la filière café

37 Site internet de Comercio Justo Mexico : http://www.comerciojusto.com.mx/

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et la vente sur les marchés locaux. Au Pérou, la Junta Nacional del Café38, à travers saparticipation aux Rencontres latino-américaines sur le commerce équitable, a contribuéà créer un réseau formel de coopératives de producteurs et à renforcer les réseaux decommercialisation interne et binationale. Le Brésil a, quant à lui, créé sa propre plateformedu commerce équitable, Faces do Brasil39 et a posé les fondements d’un commerceéquitable pensé non seulement en direction des pays du Nord, mais aussi des pays duSud à l’échelon local (Karpyta 2009). On peut également souligner l’initiative de l’ONGEnga Tiers-Monde qui contribue à développer le commerce équitable au Sénégal40. Toutesces initiatives concourent au développement d’un commerce équitable Sud/Sud et participedonc à une autonomisation des pays vis-à-vis du Nord.

On peut alors imaginer des échanges plus fréquents et plus denses entre cesdifférents réseaux permettant de regrouper et de développer les liens entre les différentesorganisations membres.

Vers une fédération internationale des producteurs par produit ?Le commerce est régi par la loi de l’offre et de la demande. Si la demande est

supérieure à l’offre, les prix seront élevés, et inversement. On note également que plusun produit est considéré comme de première nécessité (comme les denrées alimentairesde base ou l’énergie), plus l’élasticité prix est faible. C'est-à-dire que même si son prixaugmente, ce produit est tellement nécessaire pour satisfaire les besoins des individusque la demande restera sensiblement identique. On peut donc considérer que ce sont desproduits stratégiques étant donné que leur utilisation est vitale au bon fonctionnement dela société. En partant de cette réalité, on peut souligner l’avantage -pour le moins lucratifs-qu’ont su tirer les pays exportateurs de pétrole de la production de cette énergie fossile.Créée en 1960, par cinq pays en développement afin de coordonner leur dialogue avec lesgrandes compagnies pétrolières, les fameuses « Big Seven Sisters », l’OPEP a réussi àprofiter de cette coopération pour augmenter très significativement leurs revenus nationaux(Kneissl 2005).

Pourquoi les organisations productrices de café et de cacao ne feraient-elles pas lamême chose ? Ces deux produits font pourtant partie des produits de première nécessité.Une coopération entre les organisations productrices permettrait qu’elles aient un pouvoirde négociation plus important vis-à-vis des multinationales comme Kraft Food ou Nestlé. Ense regroupant, elles auraient la possibilité de fixer un prix qui soit équitable pour toutes lesorganisations de la filière. De plus, ce serait les pays les plus pauvres qui en profiteraientle plus. Cette idée a été développée par Niek Koning et Roel Jongeneel dans un articleintitulé « La CEDEAO peut elle créer un OPEP du cacao durable ? » (Koning et Jongeneel2008). Ils montrent que la transition vers une production durable de cacao doit passer parun accord assurant un prix mondial permettant aux paysans d’investir dans des méthodesde production durables. D’après eux, le projet serait notamment fondé « sur une taxe àl’exportation destinée à financer l’élimination des excédents et la diversification vers d’autrescultures ; et le découragement des comportements de passager clandestin par des activitéscommerciales et une redistribution périodique des quotas ». (Koning et Jongeneel 2008). Ilsajoutent enfin que cet accord ne devrait pas passer par les pays importateurs mais devraitplutôt impliquer les organisations paysannes.

38 Site internet de la Junta Nacional del Café : http://www.juntadelcafe.org.pe/39 Site internet de Faces do Brasil : http://www.facesdobrasil.org.br/40 Pour télécharger la charte d’engagement au commerce équitable au Sénégal : http://www2.socioeco.org/bdf/fr/corpus_bip/

fiche-bip-1451.html

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Bien que ce changement soit de très grande envergure et nécessite des moyensorganisationnels important, il ne pourra émerger qu’à l’instar de la volonté des groupementsd’organisations de producteurs. La prise de conscience des règles du commerceinternational doit pouvoir être poursuivie par la mise en application d’une coopérationadaptée au niveau mondial. On peut ainsi imaginer le regroupement des organisationsproductrices de coton, de thé, de café qui, chacune dans leur filière, garantiraient un prixéquitable à leurs producteurs du fait du poids qu’elles auront acquis dans les négociationscommerciales par leur coopération. La production sera alors mieux contrôlée et seraadaptée à la demande permettant, de facto, une stabilisation des prix.

Des propositions pour l’Association Señor de MayoSuite à l’analyse de l’étude de l’Association Señor de Mayo, il semblait intéressant,

après avoir présenté les difficultés de l’association, de poursuivre la réflexion en essayantde proposer des solutions aux problèmes que peuvent rencontrer l’organisation et sesmembres. Nous allons donc tenter de présenter des pistes d’amélioration de la structure.Ces propositions ne se veulent pas des « solutions clé en main » et mériteraientt uneexpérimentation concrète sur le terrain afin de vérifier la pertinence de leur application.Toutefois, elles peuvent poser les bases d’une réflexion avec les membres de l’associationet plus précisément son directoire afin d’évaluer la possibilité de mise en œuvre despropositions qui vont suivre.

La présentation de Señor de Mayo, dans la première partie, puis l’analyse des limites del’Association, dans la deuxième partie, ont permis de mettre en lumière des limites d’ordreéconomique et organisationnel, d’une part, au niveau de l’Association mais également auniveau de ses membres. Il convient donc de reprendre ces limites en tenant compte ducontexte et ainsi proposer des pistes d’amélioration pour pallier ces limites.

Nous avons pu remarquer que la difficulté principale pour Señor de Mayo vient dela fluctuation de l’activité en raison de la forte saisonnalité. Cela entraîne des délaisde paiement des producteurs, des difficultés de financement (matières premières) et estvecteur de tensions au niveau des membres qui subissent cette instabilité sur le planéconomique (fluctuation des revenus) et social (tensions au sein de la famille). Il apparaîtdonc important de pallier cette vulnérabilité dont les conséquences sont multiples etprofondes.

Pour cela, une des solutions consisterait à développer un fonds de roulement. C’estd’ailleurs un besoin qui a été relevé par la directrice de l’Association lors de l’étude.Le fonds de roulement permettrait à l’Association de rémunérer plus régulièrement lesproductrices, de financer plus facilement l’achat de matières premières et résoudraitalors tous les problèmes connexes. La question est de savoir comment créer se fondsde roulement. A première vue, la solution la plus pertinente semble le recours à unfinancement par un organisme de coopération. Cette possibilité a d’ailleurs été évoquéedans l’étude mais sa réalisation mérite d’être concrétisée, aux vues des bénéfices quela structure et ses membres en retireraient. Señor de Mayo pourrait ainsi faire appel auxagences des organisations internationales comme le PNUD, la Banque Interaméricainede Développement ou l’Union Européenne ou à des ONG internationales présentes enBolivie (Caritas) ou encore auprès du gouvernement bolivien, au travers du Vice-ministèrede l’économie Solidaire et du commerce Equitable. La multiplication des demandesaugmenteraient les chances d’obtenir les 50 000 euros nécessaires à la création du fondsde roulement.

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Une autre alternative, qui permettrait de pallier la saisonnalité, serait de rechercherd’autres marchés afin de stabiliser les revenus et d’avoir une certaine régularité tout aulong de l’année. Une première étape serait de passer par l’organisation IFAT qui disposede compétences et d’un réseau international susceptible d’offrir de nouveaux débouchésà l’Association. En outre, Señor de Mayo pourrait prospecter sur de nouveaux marchéscomme elle l’a fait pour trouver ses clients actuels, dans des pays où le commerce équitableest déjà bien développé (Etats-Unis, Royaume-Uni, Suisse, Canada, Allemagne, Suède)41.De plus, Señor de Mayo pourrait, toujours pour pallier à l’instabilité de l’activité, étudierles possibilités de s’adapter aux besoins des marchés du Nord, lors de sa période creuse(octobre à mars). Etant donné que l’association produit déjà des vêtements en lained’alpaga, ne pourrait-elle pas vendre ce type de produits en Europe et en Amérique duNord, pour la période hivernale ? Aussi pourrait-elle étoffer son offre en proposant desgants, bonnets et écharpes étant donné que les productrices produisent déjà ce type deproduit pour le marché local afin de stabiliser leurs revenus. On peut, à ce titre, remarquerque les pays cités précédemment où le commerce équitable est bien développé et en fortecroissance, ont aussi la particularité d’être des pays où les températures d’octobre à marssont basses. Cela laisse à penser qu’il existe de réels débouchés pour Señor de Mayo àvendre ses vêtements en laine d’alpaga sur ces nouveaux marchés.

Cela permettrait par la même occasion, de résoudre une autre limite de l’Association :sa dépendance à son client principal italien. En effet, trouver d’autres clients élargirait lesdébouchés de l’association et réduirait sa sensibilité aux chocs (Carimentrand et Ballet2008).

En revanche, Señor de Mayo doit également surveiller sa dépendance, en amont,au niveau de ses approvisionnements en matières premières. Le recours occasionnelà d’autres fournisseurs que son fournisseur principal COPROCA rend l’Associationvulnérable. Il serait judicieux de trouver un autre fournisseur régulier et rééquilibrerl’approvisionnement à 70% chez CORPOCA et 30% chez un autre fournisseur de larégion. Cela éviterait à Señor de Mayo de faire appel à des fournisseurs péruviens lorsqueCOPROCA n’est pas en mesure d’assurer l’approvisionnement. Une autre solution quipourrait être envisagée, à moyen ou long terme, serait d’intégrer, à l’activité de l’association,l’élevage de lamas, afin de créer de nouveaux emplois et ainsi de mieux maîtriserl’acheminement de la laine aux productrices. Cette décision doit évidemment faire l’objetd’une étude de faisabilité plus précise et chiffrée avec le directoire.

Pour revenir aux avantages liés à l’augmentation des débouchés, les conséquencessur les salaires des productrices devraient être significatives. Cela devrait permettre auxmembres de l’Association de toucher un salaire supérieur au salaire minimum légal rendantainsi le travail à Señor de Mayo plus attractif. Cet atout contribuerait à fidéliser lesproductrices qui auront moins besoin d’aller chercher, ailleurs, du travail pour compléterleurs revenus réduisant par la même occasion le taux d’absentéisme.

En outre, cette stabilisation des revenus aurait deux conséquences positives pourles productrices : d’une part, de meilleures conditions de vie car leur travail à Señor deMayo serait (dans l’hypothèse optimiste mais tout à fait probable) suffisant à subvenir àleurs besoins ; d’autre part, leur vie de famille en serait améliorée car une activité stablevaloriserait leur travail et leur légitimité vis-à-vis de leurs maris. On peut également imaginer,aux vues des bénéfices actuels reconnus par les productrices en matière d’autonomie,un meilleur épanouissement des femmes qui pourraient, peut-être, devenir complètementautonomes -au moins financièrement- de leurs maris. Ces changements constitueraient

41 Source : http://www.fairtrade.net/fileadmin/user_upload/content/Final_FLO_AR_2007_03.pdf

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II/ Les limites du commerce équitable et les pistes d'améliorations

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des avancées notoires dans les relations de genres en Bolivie où les femmes gagnent, enmoyenne, 40% de moins que les hommes (Hillenkamp 2011). Il sera cependant nécessaireque cette évolution ne soit pas simplement économique, mais que l’autonomisation de cesfemmes soit accompagnée d’une expansion des capacités individuelles et collectives (Sen2000) et de leur reconnaissance (Honneth 2006).

En outre, un autre changement dans l’Association qui permettrait d’améliorer lesconditions de vies des femmes et plus particulièrement des mères, serait de prévoir unsystème de garderie. En effet, l’étude souligne la difficulté, pour les mères ayant beaucoupd’enfants en bas-âge, de pouvoir concilier leurs activités de production et de reproduction.Or, il est peut-être envisageable de mettre en place, dans un premier temps, un systèmede roulement où une des productrices du groupe s’occuperait des enfants des autresproductrices afin que celles-ci puissent travailler plus tranquillement. Elles occuperaientcette activité à tour de rôle. Dans un second temps, on peut aussi imaginer la création d’unegarderie avec l’emploi de personnel rémunéré par la revalorisation du prix équitable. Ceshypothèses méritent évidemment d’être évaluées et chiffrées mais ce modèle fonctionnedéjà dans d’autres organisations de commerce équitable, avec la création d’écoles et depostes de santé.42 Bien qu’il soit difficile de calculer l’impact économique, mais surtout social,que ce genre de changement procurerait, on peut légitimement imaginer qu’il faciliterait lavie des productrices de Señor de Mayo et améliorerait également les conditions de vie etd’éducation de leurs enfants.

Pour rester dans les améliorations organisationnelles, l’analyse des limites révèleégalement une forte dépendance des groupes, au niveau central. Ce fonctionnement peuts’avérer contreproductif notamment en cas de rupture de stock de matières premières d’ungroupe qui doit attendre que l’équipe exécutive intervienne pour régler le problème. On peutalors suggérer de déléguer cette responsabilité à la présidente du groupe en lui donnantles moyens logistiques d’intervenir plus rapidement. Toutefois, la dépendance du groupeavec sa présidente a également été soulignée comme une limite. En cas de défaillancede cette personne, ce serait tout le groupe qui en pâtirait. De ce fait, l’élection de chaquereprésentante de groupe doit faire l’objet d’une sélection plus rigoureuse sur des critèresprécis. L’ancienneté peut être valorisée mais surtout l’implication dans l’Association, lescapacités organisationnelles, de gestion d’une équipe et de communication. Les qualitésmanagériales de cette personne seront alors cruciales pour pallier une autre limite dugroupe : la forte interdépendance entre les membres du groupe. Cette dépendance conduitcertaines productrices à des situations de surmenage les jours précédant l’envoi dela commande. De ce fait, la représentante devra être plus vigilante lors des réunionshebdomadaires pour apprendre aux productrices à mieux gérer leur temps, ceci dans leurintérêt et dans celui du groupe. Le rôle central qu’occupent les présidentes de groupe doitdonc faire l’objet d’une sélection, à la hauteur de leur responsabilité. Cependant, pour éviterune délégation de trop de responsabilités sur les épaules de la représentante, on peut aussiimaginer qu’elle aurait une « assistante » qui pourrait la suppléer dans certaines tâches.

Toutefois, afin que ces modifications organisationnelles puissent s’opérer et fonctionnercorrectement, il est important de formaliser les règles. La mise en place de ces changementspourrait alors s’appuyer sur la pédagogie de Paolo Freire43, qui, par l’autonomisation dessujets, permettrait peut être une meilleure implication des membres dans les postes dedirection.

42 Source : http://www.fairtrade.net/fileadmin/user_upload/content/2009/resources/FLO_Annual-Report-2009_komplett_double_web.pdf

43 Voir à ce sujet “La pédagogie des opprimés » (Freire 1973)

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Paradoxalement à cette forte dépendance, les productrices regrettent le manquede communication et les difficultés à faire remonter des informations ou revendicationsjusqu’au niveau central. En plus des solutions évoquées précédemment qui contribueraientà augmenter la participation et la communication des membres, une alternative consisteraità mettre à disposition des membres une boîte dans laquelle ils pourraient poster leursréclamations. De la même manière, lors des réunions hebdomadaires, un moment devraitêtre accordé aux réclamations ou propositions à faire à la direction. Les représentantesseraient alors chargées de transmettre ces informations lors des réunions avec la direction.On peut également suggérer d’intégrer à l’emploi du temps de la directrice opérative unmoment pour passer dans les groupes afin de vérifier leur bon fonctionnement et prendrenote des problèmes qu’ils rencontrent.

Enfin, pour pallier les difficultés qu’éprouve Señor de Mayo à vendre sur le marché local,la solution serait de développer un commerce équitable Sud/Sud. Certes, Señor de Mayo nepeut pas l’instaurer tout seul, mais à travers son implication dans les réseaux d’organisationsdu commerce équitable (IFAT, RENACC,RELACC et RIPESS), des partenariats avecd’autres organisations peuvent être créés et ainsi contribuer à développer le commerceéquitable en Bolivie, en Amérique latine et avec bien d’autres pays du Sud, en Afrique eten Asie. Cela ne pourra se faire sans une plus grande unité au sein des acteurs boliviensdu CE (organisations de producteurs et réseaux). Cette union donnera plus de poids aumouvement bolivien de CE à l’échelle nationale, régionale et internationale et inciterad’autres producteurs à s’inscrire dans la démarche. Ainsi, les avantages pour Señor deMayo iront bien au-delà d’une amélioration de leurs ventes ou des conditions de travailde ses membres. Les améliorations s’étendraient alors à toute la société bolivienne. Cechangement devra alors s’opérer en accord avec le gouvernement afin de limiter les risquesd’inflation qui rendraient inefficaces ce passage à un prix équitable pour tous. Comme nousl’avons vu, au début de cette partie, plusieurs pays et groupements d’organisations ontcommencé à s’engager dans la voie d’un commerce équitable entre les pays du Sud. Lerôle de Señor de Mayo, en tant qu’acteur majeur du commerce équitable en Bolivie, pourraitdonc être prépondérant dans le développement du commerce équitable à l’échelle du pays.Elle pourrait alors s’appuyer particulièrement sur le réseau RIPESS bolivien afin de fédérerles organisations de producteurs et développer des relations entre eux. Outre le fait qu’ilsseront plus à même de faire face à la concurrence sur le marché conventionnel (Coraggio1995), ils seront également plus indépendants des marchés du Nord. Cela diminuerait leursvulnérabilités et contribuerait de facto, au développement du pays.

B.Vers une unité des filièresAprès avoir vu les solutions possibles au niveau des organisations de producteurs et desproducteurs eux-mêmes, nous allons maintenant essayer de voir quels changements sontnécessaires au Nord pour pallier les limites du commerce équitable. Comment éviter lenivellement par le bas des labels ? Par quels moyens rendre la certification plus proche despetits producteurs ? Comment éviter le « fairwashing » ? Quelles sont les solutions pourempêcher la filière intégrée d’être trop affectée par la filière intensive et la concurrence dela grande distribution ?

Œuvrer pour un label uniqueTout d’abord, un changement majeur qui permettrait de garder des standards élevés et

de protéger les petits producteurs, serait de faire converger les labels commerce équitable etles labels agriculture biologique. En effet, on peut remarquer que les standards requis pour

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les labels bio, vont de pair avec une agriculture à taille humaine qui se rapproche davantagede l’agriculture traditionnelle des petits producteurs. C’est un mode de culture qui demandebeaucoup de main d’œuvre, des petites surfaces et peu d’outils mécanisés. L’agriculturebiologique est, en ce sens, proche des principes du commerce équitable. Le rapprochementde ces deux certifications renforcerait, par la même occasion, l’influence de ces produits surle marché conventionnel. C’est le choix qui a été fait par Ecocert de faire venir sur le marchédes producteurs qui pourront se prévaloir d’un double label. Cette idée semble égalementfaire son chemin au sein de FLO dont un responsable admet la « convergence naturelleentre les deux filières » (Karpyta 2009).

Toutefois, ce rapprochement implique la mise en place d’un cahier des chargesrigoureux qui ne devrait plus permettre l’utilisation du label comme outil marketing. Eneffet, une des limites majeures de la filière intensive que l’on a pu soulever est le« fairwashing ». Afin d’éviter ce phénomène, FLO devrait ne délivrer le label qu’auxentreprises qui garantissent que la totalité de la commande qu’ils passent auprès desproducteurs soit entièrement payée au prix du commerce équitable. FLO ne devrait plusaccepter les pratiques de certaines entreprises qui consistent à n’acheter qu’une partieseulement de la production en commerce équitable et le reste à un prix parfois mêmeinférieur au marché (Jacquiau 2006). Ce changement est important, aussi bien pour lalégitimité de Max Havelaar que pour éviter le fairwashing et pour l’amélioration des revenusdes producteurs. De manière plus globale, cela permettra également d’accroître la légitimitédu commerce équitable qui pourra revendiquer une cohérence plus complète.

En outre, Max Havelaar devra continuer à développer son activité comme il le faitactuellement. Bien que cette organisation soit critiquée dans le petit monde du commerceéquitable, nous avons vu qu’elle a tout de même grandement contribué à sa démocratisationet à l’expansion du marché. Le label est d’ailleurs reconnu comme la référence du commerceéquitable à l’échelon international. Néanmoins, son statut et son développement doiventavant tout lui permettre de mieux imposer les règles du commerce équitable et non pasl’inciter à modifier son cahier des charges, au profit des entreprises multinationales44. Il estdonc crucial, pour la pérennité du commerce équitable, que Max Havelaar augmente lesdegrés d’exigence et réduise au maximum le fairwashing. Cela aura pour conséquence dediscréditer les marques de distributeurs qui, comme on l’a vu, sont des concurrents directset souvent peu rigoureux vis-à-vis des principes du commerce équitable. En étant pluscohérent, et plus complet avec l’intégration de labels bio, Max Havelaar gagnera en visibilitéet en légitimité. Si elles souhaiteront vendre des produits issus du commerce équitable,les enseignes de grande distribution seront alors indirectement forcées de passer par MaxHavelaar. C’est le principe du succès d’une marque. Lorsqu’elle devient incontournable,les forces du marché limitent sérieusement les chances de développement de produitsconcurrents (l’exemple de Coca-Cola est sans doute le plus éloquent). Les consommateursfinaux seront également bénéficiaires de ce changement car ils n’auront plus à choisirentre des labels plus ou moins équitables. Le label Max Havelaar sera plus cohérent,plus rigoureux donc plus fiable et plus légitime. Les consommateurs, lorsqu’ils feront leurscourses, auront le choix entre les produits du commerce conventionnel et les produitsMax Havelaar qui seront à la fois équitables et bios. On peut supposer que la doublecertification attirera également de nouveaux clients, soucieux soit de l’environnement, soitdes conditions de vie des producteurs.

44 Il est question ici de la modification qu’avait apportée Max Havelaar à son cahier des charges afin de pouvoir labelliser desplantations de 250 hectares. Cette modification devait permettre de mieux satisfaire les demandes de gros volumes de la part desenseignes de la grande distribution (Karpyta 2009).

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Pour un renforcement des organisations de la filière intégréeLa filière intégrée, bien que pionnière dans le secteur du commerce équitable, s’est

largement fait devancer au cours des dix dernières années, en terme de chiffre d’affaires,par la filière intensive (Karpyta 2009). La labellisation semble séduire plus d’entreprisesqui sont souvent mieux préparées pour concurrencer des organisations comme Artisansdu Monde, pourtant leader de la filière. Mais ce qui handicape Artisans du Monde, c’estsurtout sa stratégie de distribution. En effet, le choix de proposer ses produits dans sespropres boutiques spécialisées semble avoir atteint un niveau critique. Pour le vérifier,on peut opposer aux ventes réalisées par Artisans du Monde, les ventes faites par sonconcurrent direct Alter Eco qui a fait le choix de distribuer ses produits en grande surface.Entre 2002 et 2007, le chiffre d’affaires d’Artisans du Monde à été multiplié par 3 et passede 3,5 millions d’euros à 10,5 millions d’euros45.Entre 2002 et 2009 le chiffre d’affairesd’Alter Eco a été multiplié par 17 passant de 850 000 euros à 15 millions d’euros46. Onpeut ainsi voir que le choix d’Alter Eco de distribuer ses produits en grande surface luiassure un développement plus efficace. Est-il cependant possible d’en conclure qu’Artisansdu Monde devrait lui aussi intégrer les rayons de la grande distribution pour s’assurerplus de débouchés ? Pas sûr. Sa position entièrement alternative, fidèle aux principes ducommerce équitable et complètement autonome lui confère une légitimité sans conteste.C’est d’ailleurs le plus gros distributeur en France qui peut revendiquer vendre des produits100% équitables, depuis le producteur jusqu’au consommateur final47. Néanmoins, bien quefonctionnant très bien par le biais de ses bénévoles, on peut légitimement penser qu’unerémunération équitable des vendeurs œuvrant chaque jour dans ses boutiques rendraitson engagement plus cohérent. Il est alors difficile de savoir comment Artisans du Mondepourrait financer ses vendeurs. L’augmentation des prix semble risquée car elle pourrait fairediminuer les ventes au détriment des producteurs. Vendre en grande surface ne résoudraitpas le problème non plus, car en employant des bénévoles les frais de distribution sontlogiquement faibles. Difficile donc de répondre à cette critique même si la question mérited’être posée au sein de la direction de l’organisation.

En outre, une solution pour augmenter les ressources serait d’ouvrir des points de ventedans des lieux plus stratégiques. Ainsi, le recours à des études de faisabilité et des enquêtesconsommateurs s’avère primordial pour choisir le lieu où le magasin connaîtra la plus fortefréquentation. Bien que ces méthodes soient issues du commerce conventionnel, ellespourraient s’avérer très utile au développement d’Artisans du Monde, tout en lui permettantde rester dans un fonctionnement autonome et alternatif.

Enfin, bien que des évènements comme la quinzaine du commerce équitable soientorganisés pour promouvoir ses valeurs, ses pratiques et ses acteurs, Artisans du Mondeaurait peut-être intérêt à se joindre à ses partenaires et concurrents tels qu’Alter Eco ouEthiquable pour créer des actions de communication. Cela lui donnerait plus de visibilité etcontribuerait certainement à élargir ses clients au-delà du cercle militant.

Vers une réduction de l’empreinte écologique des produits

45 Sources : http://www.artisansdumonde.org/qui-sommes-nous/histoire-commerce-equitable-adm.html et rapport d’activitéd’Artisans du Monde 2007.

46 Sources : http://www.altereco.com/_data/pages_persos/Rapport_d_activite_2005%20def.pdf et http://www.altereco.com/_data/pages_persos/Rapport%20d'activite%20Alter%20Eco%202009.pdf

47 Source : http://www.artisansdumonde.org/qui-sommes-nous/presentation/essentiel.html

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La coopération entre les labels commerce équitable et les labels bio permettrait, commeon l’a vu, d’avoir une démarche plus cohérente et qui respecterait aussi bien les hommesque leur environnement local. Toutefois, elle ne résoudrait pas les limites environnementalesinhérentes à l’augmentation des flux commerciaux. Or, ces flux représentent 10% des rejetsde gaz à effet de serre dans le monde et devraient tripler d’ici à 2050 (Centre d’analysestratégique 2010). Par son fonctionnement actuel, le développement du commerceéquitable contribuerait donc à l’augmentation des rejets de gaz à effet de serre.

Une première solution consisterait à mettre en place un indicateur qui calculerait lacharge environnementale des produits depuis leur production jusqu’à leur lieu de distributionet même en comptabilisant le coût environnemental de destruction de l’emballage. Ce typede certification est à l’étude en Suisse où l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) aprésenté deux études invitant les distributeurs à indiquer l’unité de charge environnementale(UCE) des produits qu’ils distribuent48. Cet indicateur mesure le coût environnemental duproduit de manière plus approfondie et complète que les labels bios. A titre d’exemple, unkilo de tomates importées d’Espagne a une UCE de 5000 car le coût et les conditions detransport de ce type de produit sont plus contraignantes qu’un paquet de riz qui n’a pas lesmêmes exigences et a donc une UCE de 10749.

Cela aurait pour effet le développement de la deuxième solution : la croissance deséchanges locaux. Cela signifie le développement du commerce équitable au Sud qui rendrales pays plus autonomes, constituant les bases de relations commerciales saines. En outre,cela invitera à repenser notre consommation au Nord afin de consommer des produitsrégionaux et de saison. La croissance du commerce international à en effet permis, surtoutau Nord, d’accéder à une plus grande variété de produits. Toutefois, cela a aussi eupour effet des incohérences structurelles avec des régions productrices de blé, obligéesd’importer du blé pour subvenir à leurs propres besoins locaux. Il semble donc nécessairede revoir le système actuel afin d’aller vers des modes de consommation plus raisonnéset en accord avec notre environnement. Ces changements doivent évidemment être portéspar des projets et des revendications citoyennes aussi bien au Nord qu’au Sud. Mais pourqu’ils aient une valeur durable et institutionnalisée, ils devront également avoir l’appui despouvoirs publics et des instances internationales.

C.Les changements institutionnels et politiques nécessairesCe dernier point vise à impliquer les responsables politiques et représentants desorganisations internationales dans le développement du commerce équitable. Nous allonsdonc voir comment les acteurs de ces institutions peuvent agir pour améliorer les apportsdu commerce équitable dans la démocratie de marché.

La révision de la clause PPM (process or production methods) Les règles du commerce international, aujourd’hui régies par l’OMC, sont un terrain

fondamental pour modifier les règles du commerce conventionnel en faveur du commerceéquitable. A ce titre, Young souligne les effets pervers de la clause PPM pour le commerceéquitable (Young 2003). Cette clause de l’OMC interdit à tout pays de refuser l’importationd’un produit en vertu de sa méthode de fabrication. Or, cette règle nuit au commerceéquitable, dans la mesure où sa révision pourrait lui permettre d’être plus compétitif sur

48 Source : http://www.lematin.ch/actu/-debat/bientot-label-vert-38370749 Ibid.

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certains secteurs où il est capable de remplacer en grande partie le commerce traditionnel.Dans un article publié par Le Monde en 1999, Faujas rappelle l’intérêt que l’annulation decette clause pourrait avoir vis-à-vis des consommateurs :

«L'article 3 du GATT doit être revu afin que les consommateurs du monde entierpuissent tenir compte du procédé de fabrication d'un produit avant de l'acheter.Une banane bio et convenablement payée à la coopérative Caribbean, de Saint-Domingue, n'a pas grand-chose à voir avec sa sœur cueillie par de pauvresemployés en Equateur par une multinationale. » (Faujas 1999).

Si cette clause était revue, elle pourrait permettre le développement à grande échelle ducommerce équitable sur certains marchés, tels que le caco, le café, etc. Toutefois, ceci nepourrait se faire sans l’appui des pays importateurs. Il n’en reste pas moins possible que lespays où le commerce équitable est bien implanté pourraient en faire la demande. On peutainsi s’appuyer sur l’exemple de la Suisse où certaines chaînes de supermarché (Coop) neproposent que des bananes équitables. L’interdiction d’importer des bananes inéquitablespourrait ainsi être facilement appliquée et les retombées économiques de cette décisionseraient substantielles pour les coopératives du secteur. Par ailleurs, cela encouragerait lesautres producteurs à s’engager sur la filière équitable et les grandes entreprises devraientalors faire appel aux coopératives.

Aussi, le rôle de la FINE, en tant qu’instance fédératrice et représentante ducommerce équitable à l’échelle mondiale, peut être crucial pour tendre à l’unification et àla généralisation des principes du commerce équitable au niveau international. Elle doits’appuyer sur le succès des quatre réseaux qu’elle représente (FLO, IFAT, NEWS et EFTA)pour organiser le développement du CE de manière coordonnée et unifiée. Cette unité doitensuite lui permettre d’avoir plus de poids dans les relations qu’elle entretient avec l’OMCet la CNCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement). LaCNUCED ayant, depuis 2006, souligné l’intérêt de la démarche du commerce équitable etplaide pour une législation internationale (Karpyta 2009).

Pour une intervention de la part des pouvoirs publicsBien qu’étant dans le discours, très favorable aux organisations de producteurs de CE et

de l’ES, le gouvernement bolivien semble peiner à mettre en place des politiques concrètesd’aide au secteur (Cavalier et Van Der Berg 2009). Cela peut s’expliquer notamment par unmanque de connaissance de la part des politiques des pratiques du commerce équitable(Cavalier et Van Der Berg 2009).

Pourtant, les organisations pas encore membres du CE comme l’AOPEB (spécialiséedans l’agriculture écologique), considèrent que le soutien de l’Etat est primordial pourdévelopper ce type de commerce au niveau national (Cavalier et Van Der Berg 2009). Bienque le gouvernement de Morales ait mis en place des outils comme « Compro Boliviano »qui sont censés aider les petits producteurs, les pratiques actuelles tendent à montrer queces incitations bénéficient davantage aux grandes entreprises boliviennes qu’aux petitesorganisations de producteurs (Cavalier et Van Der Berg 2009). Enfin, on remarque que laparticipation d’organisations de producteurs de CE dans les programmes gouvernementauxcomme Subsidio de Lactancia, est essentiellement le fruit d’un fort travail de lobbying de lapart de ces mêmes organisations et du soutien d’institutions comme CIOEC-B ou l’AOPEB(Cavalier et Van Der Berg 2009).

Afin d’accélérer la mise en place de politiques publiques favorisant les producteurs dusecteur en Bolivie, il serait donc judicieux de la part des organisations de producteurs maissurtout au niveau des réseaux, de développer un travail commun de lobbying politique. La

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multitude d’organisations, réseaux et initiatives de CE en Bolivie doit inciter les acteurs à seregrouper davantage pour fédérer leurs revendications et avoir plus de poids dans la société.Il convient alors d’harmoniser les discours et favoriser les liens entre les organisations pourparler d’une seule voix devant le gouvernement.

En outre, au Nord, pour certains auteurs, comme Jean Pierre Chanteau, une actionpublique s’impose pour réguler le foisonnement des référentiels CE (Chanteau 2006).Ce foisonnement engendre une « trop forte asymétrie d’information au détriment duconsommateur », ce qui ne permet plus de garantir la crédibilité par le seul jeu de la« transparence » privée. D’après Chanteau, l’action publique peut s’opérer par un systèmede garantie sur le produit -comme ce fut le cas pour les produits de l’« agriculturebiologique »- ou de garantie sur les opérateurs -basé sur le modèle du droit syndical enFrance, une procédure de reconnaissance publique habiliterait les organisations à négocieret mettre en œuvre des cahiers des charges CE par produits, par pays, etc. (Chanteau2008).

Pour le moment, les dispositifs publics (pour la France, l’article 80 de la loi sur les PMEen 2005, le projet AFNOR ou l’action de la DGCCRF) ne sont pas encore à la hauteur decette garantie mais le projet de Commission nationale du commerce équitable (CNCE), oules projets de certification d’organisations, tels que celui de l’IFAT par exemple, pourraientpermettre d’avancer en ce sens (Chanteau 2008).

Des incitations fiscalesIl est aussi envisageable d’inciter les entreprises du Nord à davantage recourir à

des fournisseurs issus du commerce équitable par la mise en place d’avantages fiscauxallant dans ce sens. Ce genre de mesure demande évidemment une étude chiffréedéfinissant les moyens et budgets nécessaires à la mise en place d’une telle politiquemais, dans le domaine environnemental, ce type de pratique a déjà été utilisée pourfavoriser les énergies renouvelables50. On peut alors imaginer des avantages fiscaux pourles entreprises en fonction du pourcentage de produits labellisés commerce équitablequ’elles vendront dans leurs magasins et du chiffre d’affaires réalisé. Cette formule doitévidemment tenir compte des différences entre les distributeurs tels qu’Artisans du Mondeou des enseignes comme Carrefour, E.Leclerc qui auront naturellement des volumes devente largement différents. Toutefois, un compromis peut-être trouvé afin, d’une part, devaloriser l’engagement d’organisations comme Artisans du Monde qui œuvre depuis delongues années au développement du CE et, d’autre part, inciter les grandes entreprisesde la distribution à s’orienter vers des pratiques plus éthiques.

50 Source : http://www.minefe.gouv.fr/directions_services/cedef/synthese/enr/synthese.htm#3

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Conclusion

Ce travail, en s’appuyant sur le contexte bolivien, s’est attaché à montrer, dans unpremier temps, les différents apports des organisations de commerce équitable à ladémocratie de marché. Nous avons pu voir, à travers son fonctionnement, que tout enremettant en cause les règles du commerce international, il s’inscrit entièrement dansl’ordre marchand. Il contribue alors à faciliter l’accès au marché aux petits producteurs quiont habituellement des difficultés à être compétitifs, dans le commerce conventionnel, enraison de qualifications peu reconnues ou d’un manque de capital. Par l’instauration derègles éthiques au commerce, le commerce équitable légitime un coût du travail plus élevéet valorise les productions traditionnelles permettant ainsi aux producteurs marginalisésd’accéder aux marchés du Nord. Nous avons également vu que ce mode de production àpetite échelle, avec un rapport plus étroit entre producteur et consommateur, est prochedes modes de production communautaires boliviens. Les débouchés commerciaux qu’offrele commerce équitable au Nord ont alors conduit les acteurs boliviens de la productioncommunautaire à s’insérer dans les règles des organisations internationales de commerceéquitable tout en créant leurs propres réseaux nationaux et régionaux. En outre, desévolutions gouvernementales ont vu le jour, notamment depuis l’élection d’Evo Morales avecla mise en place d’outils et d’incitations favorisant l’activité des petits producteurs.

L’étude d’une organisation spécifique bolivienne, l’Association Señor de Mayo, acontribué à mettre en lumière les apports du commerce équitable au niveau microéconomique. Nous avons ainsi pu voir les avantages économiques concrets du prixéquitable qui permet aux petits producteurs d’améliorer leur niveau de vie, d’être plusautonomes, mais aussi les avantages sociaux grâce à l’émancipation que ce moded’organisation procure à ses acteurs.

Toutefois, des limites ont aussi émergé. Au Nord, tout d’abord, avec l’émergence detensions entre les acteurs. D’un côté, une stratégie marchande qui vise à optimiser lesdébouchés et la valeur ajoutée économique pour démocratiser le commerce équitableavec des organismes comme Max Havelaar ou Alter Eco. De l’autre, une stratégieidentitaire qui vise à créer un lien de solidarité au-delà du simple échange marchand, avecl’implication, en France, d’Artisans du Monde ou de boutiques individuelles spécialisées.La stratégie marchande a fait preuve de son efficacité mais doit faire face à une crised’identité et de crédibilité : l’utilisation de la certification comme niche commerciale(FLO, Ecocert, Rainforest) est parfois perçue comme un outil marketing. On parle defairwashing. On assiste alors au phénomène d’isomorphisme institutionnel qui consiste àce que les organisations du commerce équitable, en s’insérant davantage dans le marché,reproduisent les mécanismes du commerce conventionnel. De plus, la multiplication deces certifications brouille la lisibilité de la démarche pour le consommateur. La confusions’accroît d’autant plus lorsque les acteurs de la grande distribution s’immiscent dans lecréneau avec des critères souvent moins contraignants.

La stratégie identitaire, au contraire, souffre, quant à elle, de l’impuissance économique.En faisant le choix de rester dans de la petite distribution sous garantie non lucrative, ce quiassure sa légitimité, elle limite les moyens économiques pour l’action commerciale.

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Conclusion

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De manière plus transversale, nous avons aussi relevé que le prix équitable peut avoirdes effets négatifs en incitant à la monoculture qui elle-même a des conséquences surl’environnement. L’exemple de la filière quinoa dans l’Altiplano en Bolivie en est une preuveconcrète. Enfin, la dépendance avec le Nord est également source de problème car ellecontraint les acteurs du Sud à être tributaires des commandes des marchés occidentaux.Cette limite s’est révélée dans l’analyse des limites de l’Association Señor de Mayo quifaisait apparaître une forte dépendance vis-à-vis d’un acheteur italien. De plus, l’Associationdevait faire face à des difficultés économiques en raison de la saisonnalité de leur activitéet des limites organisationnelles qui affectaient le bon fonctionnement de la structure. Par lasuite, ces difficultés ont des répercussions sur la vie des producteurs et affectent directementl’espoir et la légitimité de cette forme alternative de commerce.

En outre, les pratiques actuelles du commerce équitable ne favorisent pas assezl’autonomie et le développement de ses acteurs au Sud qui, pour la majorité, envoientencore les matières premières brutes sans apporter localement une réelle valeur ajoutée auproduit. A ce titre, les certifications actuelles ne valorisent pas la transformation du produitau niveau local, et quand bien même la coopérative en a la capacité, les acheteurs au Nordpréfère lui acheter la production non transformée.

Pour pallier ces limites, des solutions semblent pourtant envisageables. Ainsi, uneplus grande cohésion entre les acteurs, aussi bien au niveau des organisations deproducteurs qu’au niveau des réseaux, structurerait le mouvement du commerce équitableet le renforcerait. Cette cohésion ne pourra se faire sans accorder une plus forte présenceaux producteurs du Sud qui, en tant que maillon premier de la filière, doivent avoir plus depoids dans les différents systèmes de garantie. Aussi, le développement d’un commerceéquitable au Sud semble essentiel afin d’autonomiser ces acteurs et qu’ils construisent leurpropre développement et référentiels en fonction de leurs pratiques et de leurs cultures. Lerôle des pouvoirs publics sera alors crucial pour favoriser cette évolution. Ils devront, au-delàdu discours, mettre en place des politiques publiques concrètes en faveur des organisationset des réseaux de commerce équitable.

On peut aussi imaginer un rapprochement entre les filières bios et les filières équitablesdu fait de leurs similitudes actuelles. Cette unité améliorera la cohérence de l’engagementdes deux secteurs et bénéficiera aussi bien aux producteurs qui auront de meilleuresconditions de travail, qu’aux consommateurs qui verront la qualité de leurs produitss’améliorer. Le développement de cette labellisation unique pourrait alors s’appuyer sur lestravaux du Mouvement d’Economie Solidaire et de Commerce Equitable de Bolivie qui vontjustement dans ce sens.

Cette cohésion des acteurs du commerce équitable ne se fera pas sans l’appui desorganisations internationales et de l’Etat. Les actions de lobbying politique de la part desONG et des acteurs du secteur s’avèrent essentielles pour parvenir à un changementdes règles du commerce international. C’est d’ailleurs ce qui a permis à des producteursde commerce équitable, en Bolivie, de bénéficier des programmes gouvernementauxfavorisant la production nationale.

Suite à cette étude posant les fondamentaux des enjeux du commerce équitable enBolivie, on pourrait alors s’interroger sur les évolutions possibles de la filière dans le pays.Comment les acteurs boliviens du commerce équitable vont-ils se structurer ? Quelles vontêtre leurs capacités à attirer l’attention des pouvoirs publics ? Il serait alors intéressantd’étudier tout le processus de coordination entre les organisations de producteurs et ausein des réseaux RIPESS, RELACC et RENACC. Dans la continuité du processus, onpourrait alors voir comment ces mêmes organisations et réseaux s’intègrent aux réseaux

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Apports et limites des organisations de commerce équitable dans la démocratie de marché àpartir du contexte bolivien

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internationaux afin de valoriser leurs positions. Quelles seraient les stratégies adoptées ?Parviendraient-ils à unifier les mouvements locaux, nationaux et régionaux pour avoir plusde poids sur la scène mondiale ?

Il serait aussi intéressant de voir les réactions des gouvernements et des organisationsinternationales. La légitimité croissante du commerce équitable dans l’opinion publiquea contribué à accroître sa prise en compte dans les politiques publiques. Toutefois uneanalyse des différentes avancées, en termes de lois et de budgets, serait judicieuse pourévaluer la véritable prise en considération des gouvernements de cette forme alternativede commerce.

L’attitude des organisations du commerce conventionnel mériterait également uneétude comparative. On pourrait ainsi analyser l’évolution de leur engagement dans lecommerce équitable, depuis les années 1980 jusqu’à aujourd’hui. L’étude des campagnesde communication pourrait être un angle d’approche intéressant, notamment en le mettanten parallèle avec une étude détaillée des dépenses attribuées au secteur, par domained’activité. Bien qu’aujourd’hui ce soit l’alimentaire qui soit le domaine le plus labellisé,de nouvelles filières comme le coton, les cosmétiques voient leur ventes en commerceéquitable augmenter plus rapidement que dans le commerce conventionnel. Peuvent-ilspour autant être considérés comme des marchés porteurs à long terme ou bénéficient-ilssimplement d’un effet de mode ? Le comportement des firmes évoluera-t-il vers une véritableprise en compte du social ou cela restera-t-il un outil marketing comme un autre permettantde redorer l’image de l’entreprise ?

On peut également s’interroger aux vues de la concurrence croissante entre lesorganisations de commerce équitable comment des structures telles qu’Artisans du Monderéussiront-elles à conserver leurs parts de marché ? Cette concurrence est-elle viable àlong terme, pour le secteur ? Les petites structures indépendantes ne vont-elles pas se faireécraser par deux ou trois organisations principales ? Les mécanismes d’isomorphisme nerisquent-ils pas, à terme, de détruire les valeurs du commerce équitable qui n’aura alors plusaucune légitimité ? Ces menaces sont d’ores et déjà prégnantes et imposent une réactionrapide et unifiée du mouvement. Ce sont des problématiques qui ne doivent pas rester lettreouverte au risque de voir un délitement des valeurs promues par le commerce équitableet une réappropriation de ses principes par le circuit conventionnel. La solidarité entre lesacteurs doit alors dépasser les divergences internes et avancer dans un mouvement unifié,pour la pérennité de cette forme de commerce.

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Liste des acronymes

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Liste des acronymes

∙ AOPEBAssociation des organisations de producteurs écologiques de Bolivie∙ ASARBOLSEMAssociation artisanale bolivienne « Señor de Mayo »∙ ATOAlternative trade organization∙ CE Commerce Equitable∙ CIOECCoordination d’intégration des organisations économiques paysannes∙ CNUCEDConférence des Nations-Unis sur le commerce et le développement∙ CONAMAQConseil national des ayllus et marquas du Qullasuyu∙ COPROCACompagnie de producteurs de camélidés∙ EFTAEuropean fair trade association∙ ESEconomie solidaire∙ FECAFEBFédération des producteurs exportateurs de café∙ FLOFairtrade labelling organizations∙ FMIFonds Monétaire International∙ IFATInternational fair trade association∙ MAS Movimiento al socialismo∙ NEWSNetwork of european worldshops∙ OECAOrganisation économique paysanne∙ ONGOrganisation non gouvernementale∙ PNUDProgramme des Nations Unies pour le développement∙ PROCOINProgramme de développement du commerce et de promotion des

investissements de l’Union européenne en Bolivie∙ RELACCRéseau latino-américain de commercialisation communautaire∙ RENACCRéseau national de commercialisation communautaire de Bolivie∙ RILESSRéseau de chercheurs latino-américains en économie sociale et solidaire∙ RIPESSRéseau international de promotion de l’économie sociale et solidaire∙ SCOPSociété coopérative ouvrière de production∙ USAIDAgence des Etats-Unis pour le développement international∙ YPFBGisements pétrolifères fiscaux boliviens

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Apports et limites des organisations de commerce équitable dans la démocratie de marché àpartir du contexte bolivien

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Annexes

Annexe 1 Schéma des principales organisations boliviennes de commerce équitable et leurappartenance aux réseaux nationaux et internationaux

Source: Elías, Bishelly, et Coraly Salazar. 2006. Datos y experiencias sobre ComercioJusto Bolivia 2005. La Paz: Centro de Investigación y Promoción del Campesinado, avril.

Annexe 2 Evolution de la décomposition d’un paquet de café Max Havelaar et de la quotité de prixrevenant au « petit producteur » de 2003 à 2005

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Annexes

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Source : Jacquiau, Christian. 2006. Les coulisses du commerce équitable. Mille et unenuits.

Annexe 3Effets du commerce équitable

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Apports et limites des organisations de commerce équitable dans la démocratie de marché àpartir du contexte bolivien

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Annexe 4 Vers quels idéaux évolue le commerce équitable ?

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Annexes

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Source : Bécheur, Amina, et Nil Toulouse. 2008. Le commerce équitable. Entre utopieet marché. Paris: Vuibert.

Annexe 5Articles extraits de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948

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Apports et limites des organisations de commerce équitable dans la démocratie de marché àpartir du contexte bolivien

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Source : Jacquiau, Christian. 2006. Les coulisses du commerce équitable. Mille et unenuits.