La(les) annonce(s) d’un cancer mammaire par le radiologue

6

Click here to load reader

Transcript of La(les) annonce(s) d’un cancer mammaire par le radiologue

Page 1: La(les) annonce(s) d’un cancer mammaire par le radiologue

I

M

Lp

B

1h

magerie de la Femme (2014) 24, 14—19

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

ISE AU POINT

a(les) annonce(s) d’un cancer mammairear le radiologue

reaking bad news of a breast cancer diagnosis by the radiologist

Martine Boisserie-Lacroixa,∗, Nena Stadelmaierb

a Unité de radio-sénologie, institut Bergogne, 229, cours de l’Argonne, 33076 Bordeaux cedex,France

b Département Care (coordination-accompagnement-réhabilitation-éducation), institutBergogne, 229, cours de l’Argonne, 33076 Bordeaux cedex, France

Recu le 2 janvier 2014 ; accepté le 6 fevrier 2014

MOTS CLÉS Résumé La mammographie est le prologue de tout ce qui va advenir : le radiologue intervient

Relationmédecin-malade ;Cancer du sein ;Radiologie ;Communication ;Annonce d’unemauvaise nouvelle

au premier acte. Il est celui qui découvre une anomalie infraclinique, puis va effectuer lesprélèvements qui conduiront au diagnostic. Le radiologue peut assurer une des consultationsd’annonce, en fonction de son implication en sénologie, de son travail d’expertise personnelle,et de son intégration dans un réseau de soins. Quelles qu’en soient les modalités, il n’existepas d’annonce idéale car aucune ne peut faire l’économie de la mauvaise nouvelle. Des lignes-guides et des recommandations existent afin d’aider le radiologue à améliorer sa technique decommunication.© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSRadiologist-patientrelationship;Breast cancer;Radiology;Communication;Breaking bad news

Summary The mammography is the prologue of everything that will come. The radiologistis the one who discovers an infra-clinical anomaly and then performs biopsy. The radiologistmay provide one of the consultations to announce the results, depending on their involvementin senology, their personal expertise and their integration in the care network. Whatever theways and means, an ideal announcement does not exist and it is not possible to avoid bad news.Guidelines are useful to increase radiologists’ communication.© 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Les recommandations de la littérature concernant la relation patient—médecins’intéressent désormais à la pratique de l’imagerie médicale en particulier oncologique[1]. Parce que le radiologue possède des outils que les progrès technologiques incessantsrendent de plus en plus sophistiqués, parce qu’il visualise l’intérieur du corps humain, il

∗ Auteur correspondant.Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (M. Boisserie-Lacroix).

776-9817/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.femme.2014.02.002

Page 2: La(les) annonce(s) d’un cancer mammaire par le radiologue
La(les) annonce(s) d’un cancer mammaire par le radiologue

est celui dont les patients (et confrères médecins) attendentbeaucoup d’informations. Dès lors, il devient difficile, voireimpossible pour lui de ne pas révéler les résultats de sonexamen, de cacher l’image (en l’occurrence la maladiecancéreuse considérée comme « le mal absolu ») que laradiographie a rendu « transparente », et ce d’autant quedes prélèvements ont été réalisés au cœur de la tumeur.

Le temps mammo/échographique :énoncer une image anormale

Quand la patiente vient pour une masse palpable suspecte,la radiographie fournit une représentation de l’anomalieclinique. Le contexte est un peu moins difficile quand lapatiente pressent le diagnostic car elle souhaite avoir desréponses à ses interrogations et inquiétudes.

Quand il s’agit d’une mammographie systématique, laproblématique est celle de la confrontation entre l’imagerieradiologique et le réel [2]. Dès qu’un mot autre que« normal » est prononcé par le médecin, ce mot, pourla patiente, témoigne forcément d’une pathologie sous-jacente. Il nous incombe de faire comprendre que l’imagemédicale dépend de nombreux facteurs d’ordre technique,anatomique, physiologique. . . et expliciter en termes com-préhensibles (distorsion architecturale. . .).

La mammographie est une image fixe, qui théoriquementdonne du temps de réflexion au radiologue, au contraired’une image animée scopique. En fait, même si le radiologueregarde les clichés dans la pièce d’interprétation attenante,il devra sans tarder revenir vers la patiente et lui dire qu’ily a une anomalie, justifier la réalisation d’un cliché complé-mentaire. Chacun sait, pour l’avoir expérimenté un jour,que l’attente non expliquée est vite insupportable (et touteattente d’ailleurs devra faire l’objet d’explications).

Comme le soulignent Tournegros et Lachcar, la consulta-tion de sénologie n’est pas dépourvue de théâtralité, devantrespecter la règle d’unité de lieu, de temps et d’action,faire face à la charge émotionnelle de l’entretien, dans une« scénologie » techniquement sophistiquée.

L’échographie télescope le temps de fabrication etd’interprétation de l’image. Les fabricants d’échographesvantent la technicité des écrans plats mobiles et leur rôle« d’intégration du patient à l’examen ». Dans cette relationà trois décrite par Leclère et al. [1], le radiologue devrait-il chercher à contrôler l’expression de son visage pour nepas transmettre le degré de suspicion de l’image décou-verte ? « Imago », en latin, désignait un masque que l’onportait dans les cérémonies de funérailles de l’Antiquitéromaine, et cette acception peut être associée à l’image dela mort. Garder à tout prix un visage impassible, c’est aussimasquer à la patiente sa découverte, ses hésitations, et le« masque » a là une fonction de protection pour les deuxprotagonistes [3] : mais jusqu’à quand ? La communicationnon verbale (froncement des sourcils, timbre de la voix. . .)est très importante dans nos consultations, et la perceptionpar la patiente d’une anomalie va avoir un côté prépara-toire à la période d’incertitude qu’elle va connaître jusqu’audiagnostic anatomopathologique. De plus, c’est d’abord àlui-même que le médecin annonce la mauvaise nouvelle, et iln’est pas indemne de souffrance [4] ni de culpabilité à l’idéedes bouleversements qu’il va engendrer. « Et médecin, tech-nicien, spectateurs impuissants, sont devenus en quelquesinstants, bien qu’étrangers, détenteurs des secrets les plusintimes de ce corps (. . .), d’une vie dont l’enchaînement

15

sera ainsi. Ainsi et pas autrement » comme l’écrit si bien A.Langer dans une des nouvelles de « Ne respirez pas » [5].

Le radiologue va ensuite énoncer un résultat radiologiqueanormal et la conduite à tenir, justifier sans dramatiser lanécessité d’un examen anatomopathologique et parfois lerecours à un sénologue spécialisé ou à une consultation mul-tidisciplinaire, en accord avec le médecin traitant. Il ne doitpas se laisser entraîner dans des spéculations sur la naturede l’image suspecte, expliquer la difficulté d’une interpré-tation de l’image. Le risque peut être de tout dire, tout desuite, dans une attitude de « fuite en avant » [6] : « c’est cequ’il y a de plus violent pour le patient, c’est un crime del’annonce et de l’information » affirme I. Moley-Massol [4].Le doute diagnostique est annoncé avec les mots « imageanormale » ou « image suspecte » dont la charge anxieuseest immédiate. Une patiente peut entendre le doute de lapart d’un médecin quand ce dernier montre des qualitésd’écoute, de disponibilité, d’empathie.

Cette « communication du doute » est la première étapequi conduira à l’annonce.

Ce temps de doute et d’incertitude s’accompagne pourla patiente d’appréhensions, d’angoisses, d’une fantas-matisation intense et inquiète de ce qui pourra arriver.La patiente « souffre-de-la-souffrance-à-venir » [6]. Cepen-dant, ce temps d’incertitude, s’il n’est pas trop long etbien accompagné par les professionnels, est également untemps nécessaire de maturation psychique, permettant à lapatiente de se préparer aux changements à venir.

La transmission du dossier par leradiologue

Le radiologue est le messager, le « héraut professionnel »chargé au sens propre de transmettre les nouvelles impor-tantes, d’assurer la transmission de l’information en étantcertain qu’un autre praticien prendra bien le relais. L’envoipostal d’un double du compte rendu au médecin prescrip-teur est recommandé. Lors du prélèvement interventionneld’une image classée ACR 5, il faut s’assurer qu’un rendez-vous a été pris avec le chirurgien.

On peut prendre aussi messager au sens figuré de « ce quiannonce, est avant-coureur » d’un événement grave. Dansl’Antiquité, le messager était mis à mort après avoir déli-vré un message jugé déplaisant [7]. Certaines patientes neveulent plus revenir au centre de radiologie qui a pratiquéla mammographie anormale : non pas parce que la relation aété mauvaise avec le radiologue, mais parce que la maladene peut plus le considérer que dans « son rôle de porteur demauvaise nouvelle ».

Vers le diagnostic de cancer : lesprélèvements interventionnels

Ce sont les prélèvements qui ont donné au radiologue unrôle essentiel dans le diagnostic. Les recommandations euro-péennes indiquent un délai maximum de 15 jours entre ladécouverte de l’image anormale et le geste intervention-nel. L’appréhension de la patiente porte sur le désagrémentde la procédure et l’attente du « verdict » du microscope.

Le protocole « PERLES » (adaptation francaise) vise àconstruire une relation partenaire avec la patiente tout aulong des examens d’imagerie : partenariat, excuses, res-pect, légitimation, empathie, support [1]. Il importe que le

Page 3: La(les) annonce(s) d’un cancer mammaire par le radiologue

1

reeq«get«

t

Lr

Laqcqsdcspirmeli«lvdbdcaemrpr

fa

L

Ilmdt

SLlé

lcapnus2s«lscpdt[c

éifcl

C

6

adiologue légitime les craintes exprimées « Légitimation »,xplique l’impossibilité d’examiner les échantillonsn extemporané, et propose son aide « Support » ;u’il s’intéresse à la patiente en tant que personne

Partenariat », et pas seulement à l’aspect technique dueste. La patiente ne restera pas trop longtemps dénudéet exposée à des regards nombreux (médecin, manipula-eur, interne, élève—manipulateur en milieu hospitalier. . .)

Respect ».Par la suite, l’annonce ne sera souvent que la confirma-

ion du diagnostic pressenti par la patiente.

a gestion duésultat anatomopathologique

e résultat peut être directement envoyé au gynécologue ouu médecin traitant en informant préalablement la patienteue le compte rendu sera transmis. Le radiologue apparaîtomme un « passeur », celui qui fait franchir « l’obstacle »ue représente une image ambiguë, la « frontière » quiépare les bien-portants de ceux qui rentrent désormaisans « l’autre monde » de la maladie [8]. Étymologiquement,elui qu’on appelait le « passeur » était le nocher qui fai-ait traverser le fleuve des enfers. . . À l’heure actuelle, leasseur désigne celui qui fait parcourir en secret une zonenterdite (et le « cancer » n’a-t-il pas été longtemps un ter-itoire frappé d’interdit de parole ?), souvent une arme à laain : et la patiente n’entend-elle pas les « clacs » sonores

t le terme de « pistolet » (quand ce n’est pas : « le pisto-et est-il armé ? » « je vais tirer, Madame »). À ce propos,l semble plus opportun de parler devant la patiente de

matériel de biopsie ». De plus, vis-à-vis de la patiente,e radiologue peut garder secret le résultat — « non, je neous le donnerai pas, je l’enverrai. . . ». Mais avoir fournies explications à la patiente pendant le temps de laiopsie, avoir forcément répondu à des questions, c’estéjà beaucoup, et c’est difficile : les enquêtes de la Ligueontre le cancer ont montré qu’il faut s’intéresser autantu « processus d’entrée dans la maladie » qu’à l’annoncelle-même, que les différentes informations délivrées au

alade, ou captées par lui chez le médecin traitant, au labo-

atoire, auprès du radiologue, vont conditionner la suite durocessus. Une non-qualité initiale sera longue et difficile àattraper [9].

Parce que l’annonce d’un diagnostic de maladie graveait partie de tout exercice médical, le radiologue peutpprendre lui-même à la patiente le résultat.

e face-à-face radiosénologue-patiente

l n’y a pas de « recette », pas de technique à suivre à laettre, pour savoir énoncer ni trop, ni pas assez un événe-ent bouleversant. Désormais de nombreux professionnelsont des radiologues ont reconnu l’importance de la ques-ion, et s’évaluent pour améliorer leurs pratiques [10—12].

uelques règles concrètes faciles à mettre enuvre

uite aux états généraux du cancer et à la publication duivre Blanc en 2004, des règles d’accueil ont été formu-ées. La qualité de l’accueil est affaire d’équipe à tous leschelons (hôtesses, secrétaires, manipulateurs. . .). Parmi

d

LaiLcacàs«

tlrsem

ddt6(

M. Boisserie-Lacroix, N. Stadelmaier

Tableau 1 L’accueil.

Que faire ? Que dire ?

S’installer dans un lieucalme, sansinterruption.Lieu permettantd’être assis avec lepatient, éviter unbureau « séparateur »Donner les RVultérieurs.

« Je vous proposed’être accompagné parun membre de votrefamille ou un proche »

es propositions, figure un cadre adéquat bannissant toutouloir ou box, au mieux une salle dédiée, offrant unembiance calme (pas d’irruption dans la pièce par un tiers,as d’interruption par le téléphone). Un véritable bureau’est pas nécessaire (où d’ailleurs un face-à-face séparé parne table induit une certaine hiérarchie). S’il s’agit d’unealle d’examen, son aménagement permettra de s’asseoir à

ou 3 avec la personne accompagnante souvent présente :’asseoir à côté de la patiente établit une distance plus

personnelle » que « sociale », celle que l’on utilise danses situations de « coopération ». La patiente sera rhabilléei elle a été préalablement été dévêtue pour un examenlinique ou pour des clichés. Tout doit être mis en œuvreour éviter une situation ou une position inconfortable,e soumission (patiente bien installée sur sa chaise plu-ôt qu’allongée, yeux médecin—patiente à la même hauteurTableau 1]). Un ton rassurant est source de confiance, percuomme fiable.

Quel que soit le temps consacré à cette consultation,valué à 30 min par la Ligue nationale contre le cancer, il estllusoire de pouvoir tout expliquer tant l’émotion peut êtreorte. Et le temps psychique n’est pas celui affiché par leadran de la montre. . .Trop de temps passé peut augmenter’anxiété en faisant croire que le pronostic est plus sombre.

omment se former à la technique

’entretien ?

es moyens reposent sur des séminaires en petits groupesvec jeux de rôle, sur la formation médicale continuenterne d’une institution, sur des « ligne-guides » existantes.e temps forcément limité d’une consultation, les propresraintes du médecin qui peut s’autoreprésenter comme ungresseur [11,13], et l’absence d’opportunité de pouvoir dis-uter après un entretien difficile sont autant de barrières

une communication optimale ; mais il a été montré untress moindre dans les institutions utilisant justement des

ligne-guides » [14].En France, la HAS propose de réfléchir à plusieurs ques-

ions. Dès avant la rencontre avec le patient, il importe poure médecin de comprendre ses propres difficultés à dire, leseprésentations que l’on a de la maladie, et les limites deon rôle dans la prise en charge [15]. Toute annonce renvoien effet à la conception que le praticien de fait de l’acteédical, du cancer, de la relation humaine [16].Des « ligne-guides » et recommandations ont été émises

ans différents pays. À la suite des travaux de référencee Buckman [17] et Baile et al. [18] et de leur pro-ocole « SPIKES », Teike Lüthi et Cantin [19] proposent

éléments-clés sur la base de l’acronyme « EPICES » : EEnvironnement), P (Perception du patient), I (Invitation),

Page 4: La(les) annonce(s) d’un cancer mammaire par le radiologue

17

Encadré 1 Les styles.

Le style à bannir : le radiologue technicien(Patient) « Pourquoi un cancer du sein, moi qui ai

des habitudes de vie saines ? »(Radiologue) « C’est le cancer le plus fréquent chez

la femme, les chiffres montrent. . . »« J’ai peur. . . »« La science a fait beaucoup de progrès

thérapeutiques »« . . .d’avoir déjà des métastases »« Dans votre cas, il n’y a pas d’indication à un bilan

pré-thérapeutique »Le radiologue (trop) dans la sympathie et

l’émotion(Patient) « Pourquoi un cancer du sein, moi qui ai

des habitudes de vie saines ? »

La(les) annonce(s) d’un cancer mammaire par le radiologue

C (Connaissance), E (Empathie), S (Stratégie et synthèse).À la préparation de l’environnement extérieur évoqué plushaut, s’ajoute la préparation « intérieure » des soignants :relecture du dossier, essai d’anticipation des réactions émo-tionnelles, prise en compte du souhait de la patiente d’avoirun tiers assistant à la consultation. Au début de l’entretien,par des questions ouvertes, on essaie d’évaluer ce que lapatiente a compris de sa situation et ce qu’elle est prêteà entendre, ses craintes, ses attentes, ses mécanismes dedéfense. C’est le « before you tell, ask » de Buckman [17].Le niveau d’information que souhaite la patiente peut varierau fil de la prise en charge.

Quel « style » de communication de la part dumédecin ?

La facon d’êtreLors de la consultation, 80—90 % du temps de parole estmédical, et il est nécessaire de créer un contexte qui amortitl’annonce. Il faut accueillir sans vouloir « mettre de pan-sement », laisser des respirations de silence, accepter etlégitimer les pleurs et l’émotion de la patiente, en évi-tant les fausses réassurances qui sont autant de mécanismesde défense du médecin (« Ce n’est pas grave » « C’est unpetit cancer », dire à la place « C’est un cancer de petitetaille ». . .).

Des enquêtes ont défini un consensus sur la demande despatientes à être informées du diagnostic et du pronosticdu cancer du sein de facon empathique, honnête, dans unlangage simple, et surtout pas de facon abrupte [20—22].Shaw et al. [23] ont caractérisé trois styles médicaux dansl’annonce : « brusque » sans préambule où la mauvaise nou-velle est trop brutalement annoncée dans les 30 secondesqui débutent l’entretien/« anticipatrice », de facon gra-duelle dans les 2 minutes, à privilégier / et qui « louvoie » enemployant des termes trop techniques pendant plus de 2 mn.Martins et Carcalho [22] décrivent plusieurs types de pro-fessionnels : celui plongé dans la sympathie et l’émotion /l’empathique préféré par 77,8 % des 72 patients enrôlés dansl’enquête / l’expert distant utilisant des termes techniques

/ l’expert d’abord sec et froid.

Nous avons essayé de donner des exemples synthétiquesadaptés au cancer du sein (Encadré 1).

L’entretienIl est recommandé de progresser dans l’entretien enutilisant des « warning shots » qui facilitent le proces-sus d’information et amoindrissent les réactions de lapatiente lui permettant de se préparer à recevoir unemauvaise nouvelle [17,23]. Ce terme militaire signifie lit-téralement « coup de semonce », « avertissement », et l’onremarque une fois de plus l’utilisation du langage guer-rier (le « pistolet » de la biopsie, l’image « cible », etc.).De facon pratique, on préviendra que l’information qui vaêtre délivrée n’est pas celle que l’on espérait ; et aprèsune pause pour laisser réagir la patiente, graduellement,on fournira des explications (sur la nature plus ou moinsagressive de la tumeur, les orientations thérapeutiques). Lemoment opportun pour prononcer pour la première fois lemot cancer dépend du jugement du médecin [20]. Si l’imageest très suspecte, un « warning shot » aura pu être délivréen posant l’indication de la biopsie [23], informant que lesprélèvements pourraient mettre en évidence des cellules« dégénérées » « cancéreuses ».

(Radiologue) « Oui je trouve aussi que c’est injuste »« J’ai peur. . . »« Je suis tellement désolé pour vous »« . . .d’avoir déjà des métastases »« Oui bien sûr il y a de quoi être y penser »Le style consensuel : le radiologue empathique(Patient) « Pourquoi un cancer du sein, moi qui ai

des habitudes de vie saines ? »(Radiologue) (avant de donner une réponse, on peut

d’abord laisser le temps au patient de s’exprimer) : « Jecomprends que c’est difficile à admettre. Vous voussentiez ‘‘protégée’’ par vos habitudes de vie saine » ?En fonction de la réponse de la patiente, « nous n’avonspas d’explications, mais avoir une vie saine permet demieux surmonter la maladie. . . »

« J’ai peur. . . »« Je comprends, cette nouvelle vous assomme, votre

peur est naturelle »« . . .d’avoir déjà des métastases »« À ce stade, le cancer est considéré localisé au

sein. Vous pouvez m’en dire davantage sur ce qui vousinquiète ? »

On mettra en exergue les facteurs de bon pronosticlorsqu’ils sont présents. L’annonce du cancer ne se bornepas à dévoiler la vérité le moins mal possible. La prisede conscience de la fragilité de la vie doit s’accompagnerd’espoir, d’autant que la vision du cancer reste souventmanichéenne : on en guérit ou on en meurt [16].

Des questions ouvertes s’assureront de la compréhension,des schémas peuvent aider certains points (pour expliquer ledéveloppement d’un carcinome intracanalaire. . .). Lors decette première consultation, où « tombe » le verdict, c’est-à-dire le diagnostic de certitude du cancer, il est rare quela patiente pose beaucoup de questions, en dehors de cellesd’ordre pratique qui ont trait au bouleversement du quoti-dien. Des silences ont leur place, comme autant de pausesde « respiration ».

Les stratégies de traitement, même incomplètes, doiventêtre abordées afin que la patiente se sente prise encharge efficacement. Il ne faut pas non plus donner tropd’informations, qui à ce stade ne seront pas assimilées :comme le souligne Harvey et al., ce qui est dit après le mot« cancer » n’est souvent pas retenu par la patiente [20].

Les ressources personnelles de la patiente à faire faceet ses aides extérieures sont si possibles identifiées. Enfin,quelques mots de synthèse concluent l’entretien, et la

Page 5: La(les) annonce(s) d’un cancer mammaire par le radiologue

18

Encadré 2 La progression dans la communication.

S’enquérir avant de parler « Quelles ont été les suitesde la biopsie ? douleur. . . »

« Comment avez-vous vécu cette attente desrésultats ? »

Utiliser les « warning shots »« Votre mammographie/échographie a donc montré

une image qui a d’emblée attiré notre attention. . . »« Jusqu’ici, ce n’était qu’une image ; nous avons

effectué des prélèvements car elle semblait suspecte/ elle pouvait correspondre à un cancer débutant. »

« J’ai des nouvelles un peu compliquées à vousannoncer. »

« Je regrette d’avoir à vous annoncer un résultat quin’est pas bon/une mauvaise nouvelle. »

Aller au cœur de l’information« La biopsie est positive/comporte des cellules

anormales ».« Oui c’est un cancer ».PauseDonner des perspectives positives« La tumeur est de petite taille » « pourra être

enlevée par chirurgie en gardant le sein. »« La tumeur est lentement évolutive comme le

montre les analyses biologiques. »Attendre les réactions avec empathie« Je sais que la situation est brutale. »

pué

l

llftofl

rCpctldeenpdspatl

LLgdacpss[

sqtusud[gcr

« Vous vous attendiez ? »« Je comprends que vous restiez silencieuse. »« Qu’est-ce qui vous vient en tête ? »« Qu’est ce qui vous inquiète le plus ? »Aborder les stratégies de traitement« Il faudra un geste chirurgical/une radiothérapie,

et nous avons programmé un RV de consultation avecun(e) chirurgien. »

« Je peux répondre à certaines de vos questionsmais les médecins thérapeutes vous expliqueront endétails. »

S’assurer de la compréhension« Cela fait beaucoup aujourd’hui, y-a-t’il des points

que vous souhaitez éclaircir ? »« Je vais faire un schéma. »« Souhaitez-vous aborder d’autres questions ou

préoccupations ?Conclure par une synthèse« Voici la date de votre prochain RV. »« Dans l’intervalle, je reste à disposition. »« Il y aura une équipe autour de vous pour vous

aider. »

atiente repart avec la programmation des rendez-vousltérieurs, les plus proches possibles, ces échéances précisesvitant l’attente d’un coup de téléphone.

Nous avons essayé de donner des exemples à travers’Encadré 2.

L’intégration psychique de l’annonce du diagnostic para patiente est un processus dont la consultation avece radiologue constitue une étape. Cette intégration seait progressivement à travers les différentes consulta-ions avec les médecins (médecin traitant, gynécologue,ncologue, radiothérapeute, chirurgien). D’autres pro-essionnels participent à « l’amortissement » du choc et’accompagnement de l’annonce, tels que les infirmières et

drp

cpfuaétpesdsndeé

ddtr

M. Boisserie-Lacroix, N. Stadelmaier

adio-manipulateurs du temps d’accompagnement soignant.e deuxième temps du dispositif d’annonce s’est mis enlace à partir des recommandations du plan cancer (Planancer 2003—2007. www.plancancer.fr). La première par-ie de l’entretien TAS est centrée sur l’écoute, l’échange,’apport d’informations pratiques sur la prise en chargee la maladie, les examens, les traitements et leursffets secondaires. La seconde partie cherche à identifiert anticiper d’éventuels besoins médico-psycho-sociaux etutritionnels. En fonction des besoins détectés, l’infirmièreropose une orientation vers les autres acteurs des soinse support (psychologue, assistante sociale, diététicienne,ocio-esthéticienne, kinésithérapeute. . .). Concernant plusrécisément les besoins psychologiques, des outils peuventider les professionnels à allier un dépistage des difficul-és psychosociales des patientes et une écoute favorisant’expression des patientes [24,25].

e radiologue face aux réactions de la patientees réactions de la patiente sont imprévisibles pour le soi-nant, mais sont en général celles dont elle fait preuveevant toute autre situation de stress (ce que Buckmanppelle « le portrait en miniature » [26]), réactions souventonnues de la personne accompagnante. Le radiologue n’aas à juger si ces réactions sont normales ou pas, si leens que donne la patiente à sa maladie est cohérent, maison rôle est d’aider la patiente à s’adapter à la situation20].

On peut évoquer la réaction fréquente de choc ou deidération de la part des patientes à l’annonce du diagnosticui est percu comme un danger vital. La patiente peut êtreemporairement sidérée, notamment quand le cancer estne découverte du dépistage chez une femme en bonneanté. L’annonce peut être suivie d’un silence, qu’il esttile de respecter. Il renvoie à un « temps suspendu », pen-ant lequel la patiente n’entend ni ne comprend plus rien20]. Le praticien ne doit pas être tenté de minimiser le dia-nostic, ou l’extension de la lésion (qui sera connue avecertitude sur l’analyse de la pièce opératoire) ce qui pour-ait induire par la suite un manque de confiance. L’intensité

e cette phase de choc sera plus élevée si l’annonce estapide, dans un cadre non approprié, et comporte un trop-lein d’informations.

Le vécu de choc peut se traduire par des réactions à forteharge émotionnelle, tels que des pleurs. Il importe que leraticien les accueille et les légitime. Des gestes simplesont que la patiente se sent soutenue, par exemple proposern mouchoir ou un verre d’eau, rester à côté de la patiente,voir un geste, etc. Cependant, l’absence d’émotion peutgalement être une manifestation d’un état de sidéra-ion. Parfois, elle peut révéler un décalage chez certainesatientes entre la compréhension cognitive de l’annoncet l’absence d’intégration sur le plan psychoaffectif. Ceci’observe notamment dans des cancers du sein en absencee symptômes physiques, permettant d’inscrire la maladieur le plan du vécu corporel. En effet, certaines femmes’intègrent la maladie cancéreuse par rapport à l’imageu corps et au vécu émotionnel qu’en « après-coup », parxemple lors de la mise en place des traitements avec leurventuel cortège de symptômes physiques.

Une autre manifestation peut être une réaction deénégation. Il s’agit d’une attitude de refus pour tenter’invalider le traumatisme de l’annonce : « Vous devez vousromper, Docteur, ce n’est pas possible. . . la gynécologue n’aien senti à la palpation. . . ».

Page 6: La(les) annonce(s) d’un cancer mammaire par le radiologue

[

[

[

[

[

[

[

[

[

[

La(les) annonce(s) d’un cancer mammaire par le radiologue

D’autres réactions encore peuvent être observées, tellesque la recherche d’une cause, la rationalisation, etc. Il s’agitd’autant de mécanismes des défenses qui sont nécessairesaux patientes pour faire face aux angoisses que peut susciterl’annonce d’un cancer [6].

Quelles sont nos limites de radiologue ?Le radiologue, non thérapeute et ne pouvant donner quedes indications sur le traitement, peut de ce fait redou-ter la confrontation avec la patiente. Mais il peut expliquerla complexité des traitements et la décision en réunion deconcertation pluridisciplinaire garante de protocoles vali-dés. Et même lorsque l’on donne un schéma thérapeutiquecomplet, on compose autour de l’angoisse, le cancer inscri-vant la patiente dans le doute. Connaître les résultats de labiopsie permet à la patiente de s’ajuster à la maladie et depréparer la consultation avec le clinicien.

Une autre limite est de rarement connaître où en est lapatiente dans son parcours de vie, au moment de l’intrusionde la maladie, l’annonce étant « un tournant biographique »[27]. Au cours de l’entretien, des questions ouvertes etsimples « quel est votre entourage ? », « comment vivez-vous ? » permettent de mieux resituer le contexte de vie dela patiente et de l’orienter, si besoin, vers les professionnelsdes soins de support.

Conclusion

Aucune annonce ne peut faire l’économie de la mauvaisenouvelle. Sa « protocolisation » semble une réponse pouraider à encadrer la violence vécue par la patiente et/oule médecin. Le contexte émotionnel intense n’empêche pasla patiente de porter un jugement sur le niveau de commu-nication du médecin qui lui délivre des « nouvelles tristes,

mauvaises et difficiles » [14], et elle se souviendra avec pré-cision et acuité des mots employés par ce médecin [16].

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

Références

[1] Leclère J, Ollivier L, Ruszniewski M, Neuenschwander S. Amé-liorer la prise en charge des malades en imagerie médicale : leCREDO et les PERLES du radiologue. J Radiol 2006;87:1831—6.

[2] Joly M. Introduction à l’analyse de l’image. Paris: Nathan Uni-versité Ed; 2004.

[3] Le Treut A. Masques. Le Courrier de l’algologie2006;(2—3):58—9.

[4] Moley-Massol I. L’annonce d’un cancer. Lett Gynecol2004;293:6—9.

[5] Langer A. Vingt-cinq secondes d’apnée. In: Ne respirez pas. Laprovidence Ed; 2013. p. 4—5.

[6] Ruszniewski M. Face à la maladie grave. Paris: Dunod; 1999. p.216.

[7] Maynard DW. Praising or blaming the messenger: moral issuesin deliveries of good and bad news. In: Maynard DW, editor.

[

[

[

[

[

[

[

[

19

Bad news, good news. Conversational order in everyday talkand clinical settings. Chicago: The University of Chicago Press;2003. p. 200—25.

[8] Boisserie-Lacroix M. Le dispositif d’annonce du cancer du sein :quelle place pour la radiologue ? Consultation d’annonce. JRadiol 2006;87:105—8.

[9] Bettevy F, Dufranc C, Hofman G. Critères de qualité del’annonce du diagnostic: point de vue des malades et dela Ligue nationale contre le cancer. Risques & qualité2006;3(2):67—72.

10] De Korvin B, Schmitz E, Bouriel C, Clouet M, Gastinne R, et al.Mise en place de la prise en charge des macrobiopsies stéréo-taxiques mammaires : évaluation sur 100 patientes. J Radiol2004;85:2013—8.

11] Orlandini F, Saltel P, Daléry MC.Annonce d’une mauvaise nou-velle et cancer. Expériences croisées : patients, radiologues,psychologues. 2011.

12] Boisserie-Lacroix M, Duguey-Cachet O, Stadelmaier N, Hur-tevent G, Jouneau J. Mise en place d’une consultationd’annonce de résultat après biopsie mammaire. J Radiol 2014,http://dx.doi.org/10.1016/j.jradio.2013.11.011 [in press].

13] Fallowfield L, Jenkins V. Communicating sad, bad and difficultnews in medecine. Lancet 2004;363:312—9.

14] Hammond I, Franche RI, Black DM, Gaudette S. The radiolo-gist and the patient: breaking bad news. Can Assoc Radiol J1999;50:233—4.

15] HAS. Évaluation et amélioration des pratiques. Annoncer unemauvaise nouvelle; 2008 www.has-sante.fr

16] Gros D. L’annonce du cancer : la tentation de Ponce Pilate.In: Gros D, editor. Cancer du sein : entre raison et sentiments.Paris: Springer Ed; 2009. p. 7—15.

17] Buckmann R. S’asseoir pour parler. Paris: Elsevier Masson;2001. p. 224.

18] Baile WF, Buckman R, Lenzi R, Globert G, Beale EA, KudelkaAP. SPIKES — A six-step protocol for delivering bad news:application to the patient with cancer. Oncologist 2000;5:302—11.

19] Teike Lüthi F, Cantin B. Annonces de mauvaises nouvelles :une pointe d’EPICES dans l’apprentissage. Rev Med Suisse

2011;7:85—7.

20] Harvey JA, Cohen MA, Brenin DR, Nicholson BT, Adams RB. Brea-king bad news: a primer for radiologists in breast imaging. J AmColl Radiol 2007;4(11):800—8.

21] Girgis A, Sansoo-Fisher RW, Schofield MJ. Is there consensusbetween breast cancer patients and providers on guidelinesfor breaking bad news? Behav Med 1999;25:69—77.

22] Martins RG, Carcalho IP. Breaking bad news: patient’s pre-ferences and health locus of control. Patient Educ Couns2013;(92):67—73.

23] Shaw J, Dunn S, Heinrich P. Managing the delivery of bad news:an in-depth analysis of doctor’s delivery style. Patient EducCouns 2012;87:189—92.

24] Stadelmaier N, Lombart I, Duguey-Cachet O. Le disposi-tif d’annonce en cancérologie : quel outil d’orientationvers la consultation psychologique ? Psychooncologie2009;3(3):176—83.

25] Stadelmaier N, Duguey-Cachet O, Saada Y, Quintard B. TheBasic Documentation for Psycho-Oncology (PO-BADO): an inno-vative tool to combine screening for psychological distressand patient support at cancer diagnosis. Psychooncology 2013,http://dx.doi.org/10.1002/pon.3421 [Epub ahead of print].

26] Buckman R. How to break bad news: a guide for health careprofessionals. Baltimore, Md: Johns Hopkins University Press;1992.

27] Spire A, Siri M. Cancer, le malade est une personne. Paris: OdileJacob; 2010. p. 131—56.