La Padène. Village gascon

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LA PADÈNE

V I L L A G E G A S C O N

Ecrit à TAHITI par SERILLAC

C. P.E.D.

Collection KAROLUS

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L A P A D È N E

VILLAGE GASCON

Imaginez que, dans certains villages de chez nous, se passent encore de truculents faits divers dont le récit vous fera rire et chassera pour quelques heures vos soucis les plus lourds.

Ecrit dans le genre « bien de chez nous » avec tournures de phrases et expressions gas- connes.

SERILLAC.

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Toute ressemblance entre des personnages réels et les héros de ce roman serait pure coïncidence et n'entraî-

nerait en rien la responsabilité de l'auteur.

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CHAPITRE PREMIER

Il le tenait, ce nom bizarre et amusant, d 'une vieille histoire que se racontaient les braves gens du pays, les soirs de veille où l'on despélouquait (1) le maïs en faisant cuire des châtaignes et en goûtant le vin nou- veau.

Il est dit qu'un certain Petitou était fort amoureux de sa voisine de ferme, la solide Anna, à la plantureuse poitrine ; et que ladite Anna n'était point rebelle aux approches de son galant.

Et, pendant que le brave Couyonnat, cocu de mari, allait retourner les foins, Petitou et sa belle se fai- saient mille grâces et force tracasseries dans l'écurie aux bêtes, sous l'escalier de la grange, bien à l'aise sur les pelouques de maïs. Et bien tranquilles aussi, car le Taïau, le chien de berger, aboyait à la venue du maître.

Il est dit aussi que la poêle aux châtaignes, la fameuse « Padène » était suspendue sous l 'escalier; bien noire et culottée à souhait de toutes les flambées de sarments qui lui avaient léché les flancs.

(1) Despélouquer : enlever l'écorce sèche de l'épi de maïs.

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Un beau soir du mois de mai, alors que Couyonnat était aux luzernes, nos amoureux se payaient une pinte de bon sang, à leur place habituelle, au-dessous de la padène ! Et notre Taïau, lui aussi amoureux de la Java, une jolie briquette du voisinage, avait mangé la corde qui l'attachait et était parti ventre à terre et queue au vent retrouver sa bonne amie.

Dans le soir qui tombait, le cocu Couyonnat, reni- flant les senteurs du printemps, revenait lentement chez lui, la fourche sur l'épaule, heureux d'avoir ter- miné son travail. Mais l'absence de fumée, sur le toit de sa petite ferme, lui fit augurer quelque chose d'anormal. Taïau lui-même ne japait pas sa joie. Il avait disparu.

Approchant avec une sourde inquiétude, ce brave mari qui aurait tout cru, sauf cela, entendit des rires et des gloussements qui venaient de l'écurie. Montant au-dessus, dans la grange à foin, par l'échelle qui était toujours au-dehors contre le mur, et accédait à la fenêtre, il put, par l'escalier à claire-voie, contempler son malheur dans toute son horreur!

Avec un cri de rage épouvantable, il se rua sur les marches branlantes dont l'une cassa. Il tomba sur le couple enlacé; la fourche accrocha la queue de la padène qui chuta à son tour malencontreusement sur le Petitou et lui brisa, pour la vie, ce qui servait à tromper Couyonnat.

Ce fut un beau vacarme. Petitou, hurlant et sautant, se sauva à travers champs, fou de douleur et de rage. Tout le quartier le vit passer.

Et, pendant ce temps, Couyonnat frottait les côtes de sa femme à grands coups de poêle; frappant et frappant sans relâche jusqu'à ce qu'elle crève à moi- tié !

La légende n'en dit guère plus. L'on sait encore que, jusqu'à la dernière minute de

la vie, Couyonnat fut tourmenté toutes les nuits par une poêle rouge qui sautait et dansait seule au milieu

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de la grande cuisine où aucune femme ne faisait plus bouillir le pot.

On dit que c'était le diable qui venait avec la padène chercher Couyonnat pour le faire rôtir et le punir ; car péché d'amour ne méritait point pareille vengeance dans ce pays de galéjades où les cocus ne sont pas rares.

A l'époque, le village n'était qu'un hameau; quand il se peupla, plantant d'autres maisons sur ces belles terres grasses, on lui donna le nom de cette histoire où la poêle fut justicière !

La Padène était née!

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CHAPITRE II

Groupé autour du clocher de sa belle église romane, vit tout un monde de Padéniens, qui se font gloire de faire honneur au bon renom du truculent village dont voici les autorités :

L'honorable M. le Curé qui a quelque trente ans de cure dans ce coin et qui porte fort bien son nom d'abbé Gaillard. Grand, bel homme, âgé de cinquante- huit ans, les pots de vin fins et les gueuletons ne le laissent pas indifférent. Pas plus que les histoires égrillardes dont les paroissiennes viennent l 'entretenir en confession.

Le notaire Barnier, soixante ans, politicard, homme de droite, qui combat la jeunesse sympathisante com- muniste à grands renforts de conseils gratuits à ses clients.

Et le maire Guillaume, avec ses soixante-quinze ans, ardent et vieux républicain, sauvant son part i et son siège à coups de tricheries électorales. Poète à ses heures de gaillardises patoises, où il raconte en vers les histoires de ses administrés ! Ce qui lui vaut la haine du notaire dont le front, paraît-il, s 'orne de proéminences plantées là par sa légitime.

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En ce soir de mai où commence ce récit, le vieux Calixte, frère du curé, est monté au clocher pour sonner l'angélus. Il s 'arrête à la première plate-forme tournant en balcon autour de ces majestueuses pier- res et contemple le paysage étalé à ses pieds : les toits de tuiles rouges, les petites rues, les beaux jardins fleuris, les grands peupliers du bord de la rivière, avec les fermes et les champs de sainfoin bien verts et les moissons tendres qui poussent comme par enchante- ment.

Çà et là, les gros bœufs de labour qui finissent leur journée et les vaches gasconnes qui, en troupeau, vont boire sous le pont en meuglant de plaisir, avant de re tourner dans leurs étables tièdes.

Le soleil commençait de se cacher derrière le doux moutonnement des collines et chacun s'affairait dans l 'ombre qui venait.

Calixte se met à sonner les cloches, songeant mélan- coliquement à sa vie sans joie de vieux garçon un peu bébête et pourtant pas méchant.

C'est la fin du mois de mai, la saison des chansons, des roses, de l 'amour; et Calixte le vieux, ne connaît pas cela. Mais il se réjouit dans son âme simplette à l'idée que demain il sonnera de toutes ses forces et lancera dans l'air les joyeux carillons. Demain, on va marier la Célestine ! Les filles et les garçons apportent des fleurs pour parer l'église, car Célestine est la fille du riche Coiffot, épicier de La Padène. Et son « futur » est le fils du tailleur Pétassou, qui a aussi du bien.

Calixte, redescendu de son clocher, se mêle à la jeunesse turbulente et piaffante qui le bouscule en lui pinçant les côtes ; et qui place les fleurs sous le porche de l'église, dans de grandes bassines pour faire, demain, une grande jonchée (1).

La soirée se termine dans une grande effervescence.

(1) Jonchée : tapis de pétales de fleurs et feuillages allant de l'église chez la mariée.

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Quelques rires fusent encore dans les coins obscurs. Puis La Padène s'endort dans les senteurs du foin coupé et la douceur de cette fin de mai.

La noce de Célestine déroule son cérémonial. Devant la porte de l'église, les badauds attendent la sortie du jeune couple Pétassou et de tout ce beau cortège. Calixte ébranle le clocher de toutes ses carillonnades déchaînées, pendant que les enfants s'écrient : « Les voilà, les voilà; vive la mariée! Vive le Pétassou! Qu'ils sont beaux! »

Célestine apparaît dans toute sa raide blancheur. Empruntée, avançant comme une automate, son bou- quet d'une main, l'autre main tenant le mari par la manche, n'osant pas bouger de trop pour ne pas frois- ser sa belle robe ! « Tiens-toi droite », lui a dit sa mère !

Et lui, Petassou fils, fier de son rôle et de son beau costume noir, fier aussi d'épouser tous les sous des Coiffot, avance crânement, portant haut sa grosse tête rouge, au-dessus d'un beau nœud papillon qui lui serre le cou à l'étouffer.

Voici derrière, portant la traîne, les petites cousines de la ville avec des robes longues, bleues comme le ciel. Et derrière encore, les filles d'honneur avec leurs cavaliers qui leur font des pinçons dans les bras pour les faire glousser; le plus fort étant le Jeanmilou, beau gaillard et grand coq du village !

« Voyez un peu cette épicière ! », marmonne Caïffa. La brune Coiffot Angèle éclate d'orgueil et de pres-

tance dans sa robe noire perlée. Avançant dignement sa magnifique poitrine dont plus d'un a rêvé et domi- nant de toute sa splendeur le petit vieux Pétassou, propre et fort bien vêtu de son beau « bleu marine ».

Mme Pétassou et l'épicier Coiffot, ravis de se retrou- ver en famille, vu qu'autrefois ils avaient bien un peu batifolé dans les prairies.

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Et le maire Guillaume qui est de la noce et qui a mis, pour la circonstance, sa belle redingote aux revers de soie. A son bras se pavane Sophie, la « douce cafetière » (2), dame un peu mûre mais combien encore appétissante. On dit que ce coquin de maire va boire un pot chez elle le dimanche, et qu'il rajeunit ce jour-là pour faire donc, une fois par semaine, le coq gaulois avec ce mets de choix.

Voyez encore le notaire, grand, jaune et sec ! « Mon- sieur Maître », comme l'appellent avec respect tous ses clients. Il est flanqué d'Alexandrine, la beauté du village malgré ses quarante ans : grande, brune, grasse à souhait et dont on dit qu'elle dansait nue pour quel- que argent chez M. le marquis, alors que son mari était prisonnier de guerre.

Elles se détestent avec Angèle Coiffot ; mais ayant des fautes communes à se reprocher, elle se redou- tent. Elles se font des sourires où la méchanceté prime toute autre chose, car elles préféreraient se mordre !

Thomas, le mari d'Alexandrine, forgeron de métier, ami de M. le maire, bonne figure de pacifiste tout rond, permettant tout, pourvu que son artisanat lui rapporte, a pour cavalière la Thérèse, la femme du Pierril. Cette garce de Coiffot les a bien mis ensemble pour faire rire le pays. Car, en fait de cornes, ils en sont tous deux bien pourvus !

Pierril est dans toute sa puissance de mâle orgueil- leux: grand, brun, portant beau, fringant, de l'argent plein les poches de par son métier de maquignon. Père de deux superbes filles de seize et dix-huit ans, cela ne le retient pas dans ses fredaines et, en ce jour glorieux, il domine de toute sa prestance, sa dernière conquête : Justine, la femme de Touzou, un paysan qui a beau- coup de terres. Justine est, comme ils disent tous, une belle « poulide » (3). Blonde, potelée, toujours bien habillée, elle va souvent à la ville vendre ses volailles et le Pierril l'y conduit avec sa camionnette.

(2) Douce cafe t iè re : c h a r m a n t e f emme qui t ient le café. (3) Pou l ide : jolie.

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Ils sont tous là, heureux, rieurs. Même M. le curé qui arrive en dernier et qui viendra tout à l'heure honorer de sa présence le repas de noce où son coup de fourchette sera fort apprécié des cuisinières du pays.

« Pétassou, embrasse ta femme, tu la tiendras de plus près ce soir, hé ! polisson ! », crie le Caïffa, qui n'a pas manqué de venir devant l'église voir ce rare spectacle.

Le Caïffa est un drôle de type. A la fois épicier ambulant (avec une carriole attelée de deux ânes) et à la fois garde champêtre. Il joue du tambour et fait l'appariteur local; criant aux coins des rues les « avis » de M. le maire. Dans le pays, dès que son tambour sonne, les femmes sortent de leurs maisons, s'appellent l'une à l'autre en criant : « Hé ! voisine, vient écouter le Caïffa qui « enchante ! » (4).

Pour le moment, il enchante des gaudrioles et la joie est à son comble.

Le cortège s'en va sur la jonchée jusque chez les Coiffot où la maison est sens dessus-dessous !

Pensez donc ! le mariage de leur fille unique, une belle plante, ma foi, avec un aussi beau drôle (5) que ce fils Pétassou. Elle leur donnera peut-être cet héri- tier qu'ils n'ont pas pu avoir malgré qu'ils se soient bien forcés !

Que d'invités pour cette noce ! La boutique est rem- plie de chaises alignées devant le comptoir de gauche où les casiers de lentilles et de haricots voisinent avec les sandales de corde, tandis que le comptoir de droite sert de vestiaire pour mantes et chapeaux.

Dans l'arrière-boutique, transformée en bar, les apé- ritifs coulent à flots ! Et, dans le grand hangar, décoré et tendu de draps blancs piqués de fleurs, une immense table supporte la splendide mangeaille gasconne. Car, à La Padène, on mange fin et bien et avec d'énormes appétits. Que de foie gras, de confit d'oie, de civets,

(4) E n c h a n t e : a n n o n c e . (5) Drô le : beau ga rçon en gascon.

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de galantines de dindons et que de pintades rôties ! Et ces paons emplumés qui réjouissent l'œil et la bouche. Et toutes ces croustades fumantes et crous- tillantes, fondantes à souhait de toutes leurs pommes cuites !

Quel repas ! On en parlera fort longtemps. Les vins capiteux éclairent les esprits et font marcher les lan- gues. Voici Brisefer, le coiffeur, le ténor du village qui, pris d'une infinie tendresse, monte sur sa chaise pour entonner à pleine voix un chant de circonstance !

Applaudi, bissé, la larme à l'œil, humide de bonheur, débordant de bonne chère, il remercie la noce avec des « ronds de bras ». Maintenant, chacun est lancé ! Chacun chantera la sienne ; quelle gaieté ! Les mariés sont épanouis, tout cela est pour eux !

L'abbé, lui-même, est déchaîné. Cuillère et four- chette enfournent, à tour de rôle, dans son palais onctueux, confit de toutes les délices que le Seigneur lui a permis de pouvoir apprécier. En bon curé de Gascogne, il se moque pas mal des écarts de langage (il en entend bien d'autres dans son confessionnal) et n'est-il pas un peu chez lui, tellement la bonne Angèle Coiffot, depuis tant d'années le cajole, le mijote et le trouve si mignon et si gentil que les mauvaises langues en font gorges bien chaudes !

L'après-midi passe très vite. Violons et accordéons se mettent de la partie, car on est moderne dans ce village ! Les joyeux couples s'enlaçent au gré des sym- pathies, des amitiés, des amours. On danse jusqu'à l'aube. Quelle nuit ! Les jeunes époux viennent de s'éclipser. Il s'agit maintenant de les dénicher pour leur apporter le « sacro saint tourin » ! « Soupe à l'oignon, à l'ail, fortement épicée de toutes les épices de l'épicerie, dûment poivrée à vous en faire tousser et pleurer pendant une semaine. »

Les garçons et les filles d'honneur font le tour du village, entrent dans toutes les maisons pour arriver enfin à trouver les époux tranquillement installés chez eux, dans la chambre du haut, la plus belle au-dessus de l'épicerie.

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La belle Célestine, peureuse et honteuse de se désha- biller devant son homme, en est au stade du jupon tout froufroutant, d'où jaillit son buste, bien moulé dans un corset, pour avoir taille fine.

Mais voici que la porte s'ouvre en tempête et que, triomphalement apportée avec les rites ancestraux, la « soupière tourinale » fume de joie et de coquinerie.

Fils Pétassou, l'époux, torse nu et bombé, pantalon conquérant, fait le beau et la roue devant les « touri- naires » (6). Il s'attèle bravement à la soupe avec une louche, en donne à son épouse qui pleure, tousse et crache et s'étouffe à plaisir !

Dans un éclatement de rire, on arrose de vin la soupe de tourin. On chante, on s'embrasse; les filles d'honneur se partagent le voile de Célestine, encore virginal, et la jeunesse sort, laissant les amoureux sacrifier à Cupidon, comme il se doit à La Padène !

(6) Tourinaires : filles et garçons qui ont préparé le tourin et l'apportent aux mariés.

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CHAPITRE III

Et passent les jours...

Les foins ont été engrangés. Les moissons, bien empilées en grandes meules devant toutes les fermes, attendent d'être dépiquées.

La machine et son bat teur arrivent au crépuscule dans un grand bruit de ferraille, brinquebalante, chez un des plus gros propriétaires du pays : le très sym- pathique Aimé Fumard.

L'aire de battage est prête, l 'eau mise dans les ton- neaux pour les besoins de cet important travail. Tout le monde s'affaire pour mettre en place ce gros maté- riel. Demain, on commencera à l'aube.

Mais c'est dans la cuisine qu'il faut aller voir, pour comprendre l ' importance que prend, chez le paysan, le travail du battage. Dans l 'âtre de la grande chemi- née, plus une place de libre. L'énorme marmite ron- ronne doucement, suspendue à sa grosse crémaillère, quelques tisons rougissants donnant juste la chaleur nécessaire à la cuisson du contenu.

Et quel contenu! Les belles poulardes farcies, les

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jarrets de veau, les quartiers de bœuf piqués d'ail, tout cela accompagné de carottes, de poireaux, d'aro- mates de toutes sortes. Une odeur délicieuse monte aux narines de toutes ces Marie, Cathinette, Henriette et autres cuisinières qui se penchent amoureusement au-dessus de leurs chefs-d'œuvres culinaires.

Posés côte à côte à même les charbons, les faitouts, les cocottes de fonte, les différents poêlons mijotent de ces plats dont le parfum promet, pour ce demain, succulentes agapes.

Dans un coin du chai, Omer, le cousin, Eloi, le domestique, égorgent et plument force poulets et din- dons qui seront rôtis dans le four campagnard. Irma Ducouère, promu chef pâtissier, pétrit, étire et roule des pâtes parfumées. Dans la chaleur finissante de ce four embaumé, elles se doreront à point avec leurs pommes cuites pour devenir les traditionnelles crous- tades dont nul ne songerait à se priver.

Jusqu'à une heure avancée de la nuit, les vaches ont meuglé, inquiètes de tout ce tintamarre inusité. Mais, le calme revenu, leurs bons yeux se ferment. Tranquil- les, elles recommencent à ruminer pour fabriquer le lait aux enfants du pays.

L'aube pointe à peine que, voisines et voisins, leurs fourches sur l'épaule, arrivent en nombre au dépi- quade de Fumard. La machine a sifflé, elle est déjà chauffée. Sur une immense table, dans le hangar aux charrettes, le café est servi ainsi que les bouteilles d'armagnac, car il fait bon se donner du courage pour la rude journée.

Au deuxième coup de sifflet, tout le monde prend place. C'est à qui monte sur la meule gerbière. C'est à qui se met sur l'aire où tombera la paille. Et là, il y a les as du quartier. C'est chose difficile que de faire tenir en équilibre cette énorme masse glissante. Aussi, faut-il être habile pour ne pas perdre sa bonne renommée. C'est un honneur de savoir faire le pailler.