L' Hopital Varsovie

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ÀLVAR MARTÍNEZ VIDAL (COORDINATEUR) L’HÔPITAL VARSOVIE EXIL, MÉDECINE ET RÉSISTANCE (1944-1950) LOUBATIÈRES inclus

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Le livre aborde un épisode surprenant et mal connu de l’aide humanitaire internationale aux réfugiés de la guerre civile espagnole au Sud de la France : la création d’un hôpital militaire à Toulouse par les guérilleros en vue de l’opération Reconquista de España (octobre 1944), un centre de soins situé à l’arrière du front : l’Hospital Varsovia. Le livre montre comment cet hôpital développa, au-delà des activités de soins proprement dites, une politique qui l’inscrivit dans une voie résolument moderne. Il fut un centre de formation du personnel soignant, de recherche clinique et de campagnes sanitaires. Cet hôpital, au-delà de sa mission soignante et sociale, représente une institution emblématique et un lieu de mémoire de l’exil espagnol en France. Le livre contient un DVD présentant le film Spain in Exile, sous-titré en catalan, espagnol et français, et une copie de la revue Anales del Hospital Varsovia, des années 1948 à 1950.

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ÀLVAR MARTÍNEZ VIDAL (COORDINATEUR)

L’HÔPITAL VARSOVIE

EXIL, MÉDECINE ET RÉSISTANCE(1944-1950)

LOUBATIÈRESinclus

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DVD: Spain in Exile, Educational Documentary Films (New York),Remerciements à l’Unitarian Universalist Service Committeeet à l’Andover-Harvard Theological Library (Cambridge, MA)

© Les auteurs© Édition originale en catalan :

Editorial Afers, Catarroja (Espagne), novembre 2010

Illustration de couverture : Opération au bloc opératoire de l’Hôpital Varsovie (ca. 1946),

photographie de l’Andover-Harvard Theological Library (Cambridge, MA)

Photographies intérieures : remerciements à Serge Torrubia, Casa Bonifaci-Museu de Llimiana,

Jeanne Saint-Saëns Gaillot, Biblioteca Nacional (Madrid), Androver-Harvard Theological Library (Cambridge, MA),

Sonia Boissières, Zaika Viñuales

Avec la collaboration du Mémorial démocratique de Catalogne et du Musée d’histoire de la médecine de Catalogne

Cet ouvrage a été publié grâce au soutien du Conseil régional de Midi-Pyrénées

et de la Mairie de Toulouse

© Nouvelles Éditions Loubatières, 2011 10bis, boulevard de l’Europe, BP 50014

31122 Portet-sur-Garonne [email protected]

www.loubatieres.fr

ISBN 978-2-86266-633-4

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L’HÔPITALVARSOVIE

EXIL, MÉDECINE ET RÉSISTANCE(1944-1950)

ÀLVAR MARTÍNEZ VIDALANTONI V. ADAM DONATMIQUEL BRUGUERASEBASTIAAN FABERJORDI GUIXÉ I COROMINESEMPAR PONS BARRACHINAALFONS ZARZOSO

traduction de

JANINE GARIPUY

LOUBATIÈRES

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Table des matières

Prologue ........................................................................................................ 5Miquel Bruguera

Un hôpital moderne dans le Sud de la France.L’Hospital Varsovia – Walter B. Cannon Memorial (1944-1950) ... 9

Àlvar Martínez Vidal, Alfons Zarzoso Orellana

« Le crime atroce » d’être antifasciste.L’aide des États-Unis d'Amérique aux républicains espagnols ....... 39

Sebastiaan Faber

Solidarité humaine et résistance politique sous contrôle policier.L’Hospital Varsovia dans le cadre de la guerre froide (1944-1950) 57

Jordi Guixé i Coromines

Anales del Hospital Varsovia : une histoire à livre ouvert .................. 81Empar Pons Barrachina

Spain in Exile : l’Hospital Varsovia mis en scène ................................ 91Àlvar Martínez Vidal, Antoni V. Adam Donat

Épilogue ...................................................................................................... 99

Bibliographie ........................................................................................... 101

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PROLOGUE

Il y a peu de temps encore, si l’on m’avait questionné au sujet del’Hospital Varsovia, je n’aurais su qu’en dire. J’en ignorais tout. L’exis-tence d’un hôpital, à Toulouse, créé par les républicains espagnolsexilés dans le Sud de la France m’aurait semblé inouïe : un hôpitalhabilité à soigner les maquisards qui, franchissant la frontière, ten-taient de renverser le régime du général Franco et revenaient blesséslors des accrochages avec la Guardia Civil. Le nom d’Hospital Varsoviam’aurait évoqué quelque institution de soins polonaise, mais nonpas le nom d’un petit hôpital installé dans un « château » de la rueVarsovie – version française de l’occitan « versa vin » – de la ville oc-citane. Une homonymie certes bien curieuse.

Pourtant ce centre si singulier ouvrit ses portes en tant qu’hôpitalde soins en l’an 1944 et, peu après, devint hôpital civil pour soignerla nombreuse communauté d’exilés espagnols décimée par des annéesde guerre et de souffrances, concentrée dans les départements duMidi de la France. Années de famine, de travaux forcés et de déraci-nement familial, qui vont se traduire par des tuberculoses, des avita-minoses, des maladies vénériennes, etc. En 1945, Varsovie accueillitles survivants espagnols des camps de concentration nazis, commeon peut le voir dans le film Spain in Exile – témoignage très probant– qui accompagne ce livre.

Peu de temps après, vers la fin de 1945, l’hôpital disposait dupremier antibiotique, la pénicilline. Grâce à l’aide humanitaire amé-ricaine dispensée par l’Unitarian Service Committee, il est rapidementdevenu un centre de soins d’exception, tant du point de vue dessoins, ambulatoires et hospitaliers, que de la formation continue –cours, colloques cliniques, etc. – ainsi que de la recherche clinique et

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épidémiologique. Il y avait aussi place pour la médecine sociale etses campagnes contre la tuberculose, le cancer, les maladies véné-riennes, la mortalité infantile, etc. Tout cela peut se vérifier à lalecture des pages des Anales del Hospital Varsovia, revue unique enson genre qui, comme le suggèrent les auteurs du livre, a pu s’inspirerdes Annals de l’Hospital de la Santa Creu i Sant Pau.

Cet hôpital restera, jusqu’à fin 1950, entre les mains des Espagnols ;il y restera jusqu’à ce que le gouvernement français, avec l’opérationBoléro-Paprika, décide l’illégalité des partis communistes étrangerset expulse leurs militants vers les pays de l’Est ou du Maghreb. Ladirection de l’hôpital, avec en tête deux médecins catalans, FrancescBosch et Josep Bonifaci, tous deux exilés communistes, avait attiréles soupçons des autorités et ces soupçons décidèrent du sort du per-sonnel – médecins et pharmaciens, principalement – qui fut arrêtéet chassé du territoire français.

Grâce à l’intervention immédiate et déterminée du Pr Joseph Du-cuing, professeur de chirurgie à l’université de Toulouse, l’hôpitalfut sauvé de la disparition pure et simple, voulue par le ministère.Directeur du centre régional anti-cancéreux (CRAC) de Toulouse,Ducuing jouissait d’un grand prestige en France et à l’étranger. NúriaPi-Sunyer, réfugiée à Toulouse, l’ayant connu adolescent ou presque,le décrit comme un « aristocrate communiste  » dans ses délicieuxmémoires (L’exili manllevat, 2006). Rappelons que Ducuing s’étaitrendu à Barcelone à plusieurs reprises et qu’en 1930, il avait publié– en catalan – une des monographies médicales qu’éditait le Dr JaumeAiguader, intitulée Phlébites, thrombose et embolies pulmonaires post-opératoires. En 1970, quelques années après sa mort, l’hôpital rendrahommage à son bienfaiteur et prendra le nom d’hôpital Joseph Du-cuing, nom qu’il conserve à ce jour.

En Amérique du Nord, du Centre ou du Sud, il existe des hôpitauxdont les noms évoquent les pays d’origine. Ainsi, au hasard des ruesde Buenos Aires, le visiteur découvre l’Hospital Italiano, l’Hospital

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Franco-Británico ou l’Hospital Alemán, chacun d’eux érigés et soute-nus, d’un point de vue moral et financier, par les communautés res-pectives d’émigrants européens établies en Argentine, tout au longdu xxe siècle. En Amérique, comme on dit, l’existence de ce typed’hôpitaux est fréquente mais pas en Europe. De ce point de vue,l’Hospital Varsovia apparaît comme un îlot ectopique, un hôpitalsitué en France avec des malades espagnols, du personnel espagnol,et dirigé par des médecins espagnols.

Ce livre, coordonné par Àlvar Martínez Vidal avec le soutien duMuséum d’histoire de la médecine et du Mémorial démocratique deCatalogne est une contribution importante pour une meilleureconnaissance de l’exil espagnol lors la guerre civile. Il participe auprojet « Médecins en exil » que dirige Alfons Zarzoso depuis le Mu-séum, projet consacré à la recherche sur l’exil des médecins catalans,dans le Sud de la France et en Amérique, initié en 2006 et qui conti-nue à porter ses fruits.

L’Hospital Varsovia fut un des nombreux exemples de l’attitudesolidaire et constructive de ces médecins qui vécurent condamnés àl’exil. Des médecins qui surent exercer leurs savoirs et leurs expériencespour aider leurs compatriotes dans des moments de malheurs et dedésespoir. Faire connaître l’histoire de cet hôpital, pour qu’il netombe pas dans l’oubli, a demandé l’effort et l’enthousiasme d’ungroupe de chercheurs qui ont approfondi le sujet en le resituant dansle contexte de la guerre froide et ses tensions et jeux politiques depart et d’autre de l’Atlantique.

Aujourd’hui, on peut me questionner sur l’Hospital Varsovia. Lec-ture faite du livre, je suis en mesure de répondre sur ce qu’il fut et cequ’il représenta. Cette lecture m’a permis de revivre, avec émotion,l’œuvre admirable et généreuse de ceux qui l’ont créé et fait vivre.

Miquel BrugueraPrésident de la Fondation Musée d’Histoire de la Médecine de Catalogne

prologue

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UN HÔPITAL MODERNEDANS LE SUD DE LA FRANCE

POUR LES RÉFUGIÉS ESPAGNOLS :L’HOSPITAL VARSOVIA/

WALTER B. CANNON MEMORIAL(1944-1950)

Àlvar Martínez Vidal(Universitat Autònoma de Barcelona) 1

Alfons Zarzoso Orellana(Museu d'Historia de la Medicina de Catalunya) 2

L’hôpital Varsovie fut créé à Toulouse dans des circonstances excep-tionnelles. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’optimismesuscité par la libération de la France, occupée par le IIIe Reich, ali-mente, parmi les exilés espagnols, l’envie de continuer la lutte contrele fascisme et d’abattre la dictature de Franco pour rétablir la Répu-blique. Impulsée par le Parti communiste espagnol, l’opération nom-mée Reconquista (octobre 1944) prétendait abattre, par les armes, lerégime franquiste en combinant l’invasion militaire du territoire es-pagnol à travers les Pyrénées avec un soulèvement attendu de la po-pulation civile contre la dictature. De par sa configuration géogra-phique, le Val d’Aran fut choisi pour mener l’attaque principaletandis que, au-delà de la frontière, éclateraient des passes d’armesafin de dérouter l’ennemi.

L’opération Reconquista fut sévèrement réprimée par l’actionconjointe de l’Armée et de la Guardia Civil qui stoppèrent net l’in-

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vasion et furent à l’origine de centaines de pertes humaines dans lesrangs des guérilleros espagnols. Afin de prêter assistance aux maqui-sards blessés au cours des incursions pyrénéennes, plusieurs hôpitauxde guerre furent dressés à l’arrière (Ax-les-Thermes, Auzat, Saint-Gi-rons, Foix, etc.) et un service de vingt-cinq médecins et infirmières,issus de la Résistance fut organisé 3. Dans les faubourgs de Toulouse,on transforma en hôpital, un « château » désaffecté qui, malgré lemanque de ressources, avait l’avantage d’être limitrophe du quartierpopulaire de Saint-Cyprien, où se trouvaient alors concentrés les ré-fugiés espagnols. Le modeste hôpital doit son nom à la rue du mêmenom, rue Varsovie, version française de l’expression occitane « Versavin 4 ». À la mi-octobre 1944, sont hospitalisés les premiers guérilleros,la plupart pour blessures de balle, ce qui apparaît dans le livre d’ad-mission des malades ; néanmoins, quelques-uns y sont admis pourmaladies – telles que rhumatismes, bronchites chroniques, néphritesou tuberculose – sans relation apparente avec les événements militairesde l’opération Reconquista 5.

À ce moment-là, Toulouse était le centre d’une nombreuse com-munauté d’exilés – regroupée, mais aussi divisée par familles politiques– qui rêvaient de destituer le régime de Franco, et qui vivaient, aujour le jour, avec l’espoir d’un prochain retour dans une Espagne dé-mocratique. Cette communauté, depuis 1939, avait souffert l’amèreexpérience des fameux camps « d’hébergement » et la cruelle politiquedu rapatriement forcé, aggravée de la dispersion obligatoire sur leterritoire français. Communauté qui, depuis 1940, avait subi lesdures conditions imposées par le gouvernement de Vichy et, pireencore, les déportations, triangle bleu épinglé au revers, vers lescamps de concentration du IIIe Reich. On ne trouvera donc pas sur-prenant que, durant l’occupation nazie, cette communauté ait parti-cipé d’une manière si active, si généreuse et si efficace à la Résistancefrançaise 6.

L’opération Reconquista fut cependant un échec, tant du pointde vue des stratégies militaires que des stratégies politiques. Malgré

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tout, le petit hôpital de la rue Varsovie survécut. La présence denombreux malades parmi les réfugiés rendit nécessaire et pertinentesa transformation, en 1945, en hôpital civil.

Tout ceci fut rendu possible grâce à la reconnaissance officielledes réfugiés espagnols par le gouvernement français qui appliqua laConvention internationale de 1933, ce qui permit aux médecinsétrangers de pouvoir soigner, exclusivement leurs compatriotes, ausein d’institutions de bienfaisance officiellement reconnues. Ce cadrelégal – la loi Billoux – allait décider non seulement de la survie del’hôpital Varsovie mais aussi de la renaissance et de la consolidationde la Croix-Rouge Républicaine Espagnole, fruit des infatigablesgestions des médecins Josep Martí Feced (1890-1963) à Toulouse etde Rafael Villar Fiol (1886-1971) à Paris 7.

En juin 1945, la première femme était hospitalisée dans une salledu « château », signe concret de la conversion de l’hôpital militaireen institution civile. L’ensemble du personnel – médecins, infirmières,infirmiers [« practicantes »], personnel administratif – qui travaillaientlà, étaient d’origine espagnole, pour la plupart issus de Catalogne.Ainsi, dans une ambiance d’extrême pénurie, l’hôpital Varsovie com-mence à soigner la population civile exilée : des dizaines de milliersd’hommes, de femmes, d’enfants qui, depuis la Retirada (février1939) vivaient réfugiés dans le Sud de la France, sans compter lessurvivants des camps de concentration nazis et les fugitifs de l’Espagnefranquiste qui traversaient clandestinement la frontière et venaientaccroître la communauté d’exilés. Ainsi entre l’obsession du retouret la réalité de l’exil, l’hôpital s’adaptait tout en prenant de l’impor-tance, afin de soigner les réfugiés 8.

Il faut dire qu’à Toulouse, la situation médicale, à ce moment-là,était critique car le nouvel hôpital Purpan, inauguré en mars 1940,avec une capacité d’accueil d’un millier de lits, était réservé aux mi-litaires, pour raisons de Défense nationale. Restaient La Grave etl’Hôtel-Dieu Saint-Jacques pour un usage civil. En février 1946,

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tandis que les malades militaires abandonnaient l’enceinte de l’hôpitalPurpan, les premiers patients civils entraient, à commencer par lestuberculeux 9.

Dans une Europe dévastée par la guerre, l’aide humanitaire desinstitutions ou des œuvres caritatives étrangères fut déterminantepour la survie et l’essor de l’hôpital Varsovie. Des pays européens(Écosse, Norvège, Pologne, Tchécoslovaquie, Suisse) mais surtoutde l’Amérique du Nord et du Sud arrivaient en grand nombre, àToulouse, nourriture, vêtements, médicaments, équipement médical.Beaucoup de ces institutions caritatives comptaient dans leur rangdes réfugiés espagnols exilés en Amérique Latine. Entre 1945 et1947, les aides à l’hôpital provenaient, pour la plupart, des donationsrecueillies par le Joint Anti-Fascist Committee (JAFRC) depuis lesÉtats-Unis et le Canada. Une fois en France, les dons étaient distribuésaux réfugiés par une autre organisation humanitaire américaine pré-sente en France dont le siège se trouvait à Boston : l’Unitarian ServiceCommittee (USC) *.

Entre 1946 et 1949, le nom de l’éminent physiologiste de Boston,Walter B. Cannon (1871-1945), infatigable défenseur de la causerépublicaine et membre distingué des deux comités pré cités, vafigurer aux côtés du nom de l’hôpital Varsovie, comme témoignagede la reconnaissance pour l’aide humanitaire apportée par le peupleaméricain aux exilés espagnols **.

Au début de l’année 1948, lors de la bipolarisation politiqueentre capitalisme et communisme, dite « guerre froide », tout le co-mité de direction du JAFRC, présidé par le docteur Edward Barsky(1897-1975) fut arrêté aux États-Unis et conduit en prison sous

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* À propos de la relation entre l’USC et l’hôpital Varsovie, voir l’article de Sebas-tiaan Faber dans ce même livre.

** Wolfe, 2000, p. 354-375. The Wisdom of the Body (New York, 1932) fut undes livres les plus populaires de Cannon ; il fut traduit en castillan à Toulousepar J. M. Bellido et Golferichs, physiologiste catalan exilé. Voir Martínez Vidalet Sallent Del Colombo, 2010.

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l’accusation d’activités anti américaines ; alors les vivres des États-Unis vinrent à manquer cruellement à l’hôpital Varsovie. Mois aprèsmois, au fur et à mesure que les communistes s’imposaient à l’hôpital,l’USC retirait ses apports moraux et financiers et concentrait ses ef-forts vers d’autres activités comme, par exemple, la Maison des En-fants de Saint-Goin, centre de prévention antituberculeux, situéprès de la ville de Pau, qui accueillait une soixantaine d’enfants es-pagnols dans le besoin.

Au matin du 7 septembre 1950, la police française, dans le cadrede l’opération Boléro-Paprika 10, arrête, parmi d’autres réfugiés, lesmédecins qui travaillaient à l’hôpital, accusés d’être des agents secretscommunistes au service du Kominform. Les détenus furent expulséset regroupés en Corse, puis dispersés en différents pays, Algérie etTchécoslovaquie principalement. Soutenue par Franco, cette opéra-tion impliquait l’illégalité du Parti communiste d’Espagne (PCE)sur tout le territoire français, ainsi que celle du Parti socialiste unifiéde Catalogne (PSUC) et de quelque organisation communiste quece soit. Ainsi, le régime franquiste se consolidait en pleine autarcie,avec la collaboration de la France, la complicité de l’Angleterre et lesoutien politique des États-Unis, qui, pour motifs stratégiques, déci-dait d’ouvrir des bases militaires sur le territoire espagnol. De fait,l’exil perdait pour toujours son rôle d’acteur dans le contexte inter-national.

Cependant, l’hôpital tenait bon ; il fut, en fait, soutenu morale-ment et financièrement par le Parti communiste français. Le jourmême de la rafle policière qui avait conduit à l’arrestation et à l’ex-pulsion des médecins espagnols, le professeur Joseph Ducuing (1885-1963), alors membre du Parti communiste et figure de proue de lamédecine française, accompagné de ses confrères Stéphane Barsony,René Biart, Jean-Louis Champagnac, Jean Garipuy et Jean Lapeyrère,prennent en charge la direction médicale de l’hôpital et font la visitede tous les malades hospitalisés, entre autres les récents opérés 11.

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L’hôpital Varsovie fut rebaptisé en 1971, du nom de Joseph Du-cuing, en hommage au célèbre chirurgien toulousain qui apportason appui dès la première heure et, bien sûr, lors de l’opération Bo-léro-Paprika. C’est, à l’heure actuelle, un « lieu de mémoire » del’exil espagnol en France et un centre hospitalier de référence qui asu garder l’esprit des premiers temps avec son planning familial, l’ac-couchement sans douleur, les nouvelles pathologies (sida, addictionsaux drogues…) toujours dans la même perspective de la médecinesociale et la prise en compte globale du patient et de son entourage.

L’Amicale des anciens FFI et résistants espagnols, entité gestion-naire du centre hospitalier, et dissoute par décret gouvernemental, le11 octobre 1950, avec obligation de liquider ses biens à échéanced’un mois, décida de créer une nouvelle entité appelée « Sociéténouvelle hôpital Varsovie », ce qui empêcha la disparition pure etsimple de l’hôpital ; ainsi, une première étape se fermait (1944-1950)dans la vie de Varsovie. Dès lors, l’entreprise de la communauté es-pagnole passa définitivement entre des mains françaises 12.

La plupart des écrits jusqu’à ce jour s’intéresse aux origines parti-culières de l’hôpital ou bien aux implications politiques de ce centredans le cadre de la guerre froide, et plus précisément à l’opérationBoléro-Paprika, citée plus haut. Peut-être conviendrait-il aujourd’huide le considérer aussi sous l’angle médical et comme espace scienti-fique, c’est-à-dire comme une institution qui réunissait les pré-requiset les finalités d’un hôpital moderne *. En effet, l’hôpital, dans sapremière étape, était non seulement un centre qui délivrait les soinsmédicaux à la population réfugiée mais aussi un « hôpital moderne »,en accord avec les normes internationales ; un hôpital qui, en dehorsdes soins, pratiquait des activités de formation du personnel, desprojets de recherche scientifique et enfin, des campagnes sanitairescontre les maladies prévalentes 13. Et cela – assistance, formation, re-cherche et hygiène sociale – se faisait avec soin, rigueur et efficience.

l’hôpital varsovie – Exil, médecine et résistance (1944-1950)

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* Les premières approches de l’hôpital Varsovie en tant que centre des soins furentcelles de Garipuy, 1987, et Villar-Basanta, 1997.

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L’existence d’une revue spécifique – Anales del Hospital Varsovia/WalterB. Cannon * – publiée neuf fois de 1948 à 1950, et d’une bibliothèqueouverte aux professionnels de santé comme aux malades hospitalisés,renforce l’idée d’une conception totalement moderne de cet hôpital.

L’encadrement des soins

Durant l’étape espagnole, l’encadrement des soins à Varsovie étaitconfié à un groupe de médecins – sept ou huit –, deux pharmaciens,un kinésithérapeute, deux « practicantes », et des infirmières. Proba-blement, leur diplôme n’était-il pas validé en France. Cependant,l’exercice professionnel leur était permis, provisoirement, grâce à laloi dite loi Billoux, qui autorisait l’exercice de leur profession au seind’institutions de bienfaisance reconnues. Il est inattendu que l’ordredes médecins de Toulouse, entité qui avait, entre autres charges, cellede poursuivre les intrus de la profession, ait dénoncé le personnel del’hôpital, arguant que Varsovie n’était pas une institution officielle-ment reconnue **.

Quant aux médecins de l’hôpital, leur mobilité est importante,conséquence de dures conditions de travail – journée harassante etmaigre salaire – et des tensions apparues au cours des tentatives in-cessantes des communistes pour s’emparer de la direction de l’hôpital.Il est à remarquer que, en six ans (1944-1950), on peut voir quatremédecins se succéder à la direction : José Miguel Momeñe González 14

(d’octobre 1944 à mars 1945), Josep Torrubia Zea 15 (de mars 1945à septembre 1946), Vicente Parra Bordeta 16 (de septembre 1946 àfévrier 1948), et Francesc Bosch Fajarnés 17 (de mars 1948 à septembre1950), ce dernier secondé par Josep Bonifaci Mora 18, qui exerçait lafonction de chef de clinique. À souligner aussi que, en démissionnant

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* En janvier 1950, le nom de Walter B. Cannon va disparaître, sans explication,du titre de la revue (numéro 7). Concernant la relation entre Walter B. Cannonet l’hôpital Varsovie, voir dans ce même livre l’article de Sebastiaan Faber.

** Voir à ce propos l’article de Jordi Guixé dans ce même livre. Concernantl’exercice professionnel dans la France de l’après-guerre, voir Evleth, 2009.

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L’HÔPITAL VARSOVIEEXIL, MÉDECINE ET RÉSISTANCE (1944-1950)

ISBN 978-2-86266-633-4

22 € ww

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Le livre aborde un épisode surprenant et mal connu de l’aide humanitaire interna-tionale aux réfugiés de la guerre civile espagnole au Sud de la France : la créationd’un hôpital militaire à Toulouse par les guérilleros en vue de l’opération Reconquistade España (octobre 1944), un centre de soins situé à l’arrière du front : l’HospitalVarsovia. Avec la perspective de la victoire des Alliés et la Libération de la France, l’espoir du retour dans une Espagne démocratique semblait une réalité imminente.Malheureusement, l’opération Reconquista fut un échec et, en 1945, l’hôpital militairese transforma en hôpital civil destiné à soigner l’ensemble des réfugiés espagnols.Les conditions de vie de cette population, après dix années de guerre, étaient précaires(malnutrition, maladies, invalidité, dispersion familiale, etc.). Dans ce contexte,l’aide humanitaire internationale, notamment des associations bénévoles nord-américaines et des exilés de la diaspora espagnole, fut décisive pour venir en aide auxréfugiés en France.

Le livre montre comment cet hôpital développa, au-delà des activités de soinsproprement dites, une politique qui l’inscrivit dans une voie résolument moderne.Il fut un centre de formation du personnel soignant, de recherche clinique et decampagnes sanitaires. Cette modernité venait en droite ligne de l’héritage de laRépublique espagnole, interrompu par la victoire des troupes franquistes. Les Analesdel Hospital Varsovia en sont le témoignage.

Le livre interroge les archives policières concernant l’opération Boléro-Paprikaqui aboutit à l’arrestation des médecins espagnols de l’hôpital, en 1950, dans le contexte de la guerre froide. Il aborde aussi les vicissitudes des bénévoles nord-américains, victimes du maccarthysme, pour leur participation à l’aide humanitaireenvers les républicains espagnols.

Cet hôpital, – Hospital Varsovia / Walter B. Cannon Memorial –, devenu en 1971Hôpital Joseph-Ducuing, au-delà de sa mission soignante et sociale, représente uneinstitution emblématique et un lieu de mémoire de l’exil espagnol en France.

Le livre contient un DVD présentant le film Spain in Exile, sous-titré encatalan, espagnol et français, et une copie de la revue Anales del HospitalVarsovia, des années 1948 à 1950.

Photographie de couverture : salle de chirurgie de l’Hôpital Varsovie. La chirurgienne, María Gómez(1914-1975), en train d’opérer. Toulouse, ca. 1946.Avec l’aimable autorisation de l’Andover HarvardTheological Library, Cambridge, MA.