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Les instruments de travail philosophiques médiévaux. Témoins de la réception D'Aristote Author(s): Jacqueline Hamesse Source: Early Science and Medicine, Vol. 8, No. 4, The Reception of Aristotle's Physical Works in the Middle Ages: Essays in Memory of Jozef Brams (2003), pp. 371-386 Published by: BRILL Stable URL: http://www.jstor.org/stable/4130127 Accessed: 08/06/2010 05:37 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of JSTOR's Terms and Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp. JSTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use. Please contact the publisher regarding any further use of this work. Publisher contact information may be obtained at http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=bap. Each copy of any part of a JSTOR transmission must contain the same copyright notice that appears on the screen or printed page of such transmission. JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. BRILL is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Early Science and Medicine. http://www.jstor.org

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Les instruments de travail philosophiques médiévaux. Témoins de la réception D'AristoteAuthor(s): Jacqueline HamesseSource: Early Science and Medicine, Vol. 8, No. 4, The Reception of Aristotle's Physical Worksin the Middle Ages: Essays in Memory of Jozef Brams (2003), pp. 371-386Published by: BRILLStable URL: http://www.jstor.org/stable/4130127Accessed: 08/06/2010 05:37

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LES INSTRUMENTS DE TRAVAIL PHILOSOPHIQUES MEDIEVAUX. TEMOINS DE LA RECEPTION

D'ARISTOTE

JACQUELINE HAMESSE Universiti Catholique de Louvain - Louvain-la-Neuve

ABSTRACT

It is possible to study the reception of Aristotle's natural philosophy by means of the various tools that were used by intellectuals during the thir- teenth century. This type of literature is often forgotten. Four samples are taken here to illustrate the interest of such works, and the information that we can extract from them. The examples are the sermons by Anton of Padua (ca. 1230); an encyclopedia composed by Arnold of Saxony during the second quarter of the thirteenth century, which includes ex- tracts from recent translations mixed together with Neoplatonic passages; an Aristotelian florilegium, which illustrates thirteenth-century censorship of Aristotelian texts; and a translation of the Meteorologica into the ver- nacular, which documents the popularity of this treatise at the end of the thirteenth century and the creation of a technical vocabulary in old French texts. The third example is an anthology that originated in a Franciscan milieu and was compiled in its definitive form at the end of the 13th century. This latter presents a series of purged texts about natu- ral science. Finally, it discuss the French translation of Aristotle's Meteor- ology by Mahieu le Vilain, master at the Arts Faculty of the University of Paris at the end of the 13th century. This is the first translation of an Aristotelian treatise into vernacular, allowing us to understand the popu- larization of this treatise and its importance for the technical vocabulary of this discipline.

Les instruments de travail des m6di6vaux, encore trop peu 6tudies jusqu'a nos jours, constituent une mine in puisable d'informa- tions de tous genres et a tous les niveaux. Litterature secondaire

par excellence, ils n'en sont pas moins dans certains cas des t6- moins de premiere main, alors que dans d'autres, ils n'apportent rien de neuf ou d'int6ressant.

Pour illustrer mon propos et m'en tenir a la sp cificite du theme choisi, je me limiterai ta la reception de la philosophie naturelle ta l'aide de quatre exemples qui nous feront parcourir le 13eme siecle: il s'agira d'abord d'un recueil de sermons d'Antoine de Padoue, dans lequel on ne s'attendrait pas ia premiere vue a

? Koninklijke Brill NV, Leiden, 2003 Early Science and Medicine 8, 4

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trouver des informations de premiere main interessant notre pro- pos, mais qui constitue pourtant un exemple d'une documenta- tion riche en enseignements. Le deuxidme cas sera pris dans une encyclopedie de la premiere moiti6 du 13dme sidcle: le "De flori- bus rerum" d'Arnold de Saxe qui connut une certaine diffusion et qui fut utilisee notamment par Vincent de Beauvais et Albert le Grand et dans laquelle on trouve tant la nouveaute que le reflet d'une tradition. Il1 sera ensuite question d'un florildge aristot&- licien, les "Parvi flores", sur lequel je travaille depuis de nom- breuses annees, mais qui est loin d'avoir livre tous ses secrets. Le dernier exemple traitera d'une oeuvre en langue vernaculaire con- sacree aux "M tdorologiques" d'Aristote, ce qui permettra de montrer que la philosophie en langue vernaculaire n'a pas encore et6 suffisamment etudice et que le passage du latin a l'ancien francais apporte un 6clairage nouveau '

propos de certaines tra- ductions faites dans les langues vernaculaires qui commencent a produire des oeuvres originales.

I1 m'a semble pr6ferable de donner un aperCu assez large de la problematique plut6t que de m'attarder de maniere plus appro- fondie sur un seul exemple, au risque de repeter des faits d-eja familiers aux specialistes de l'Aristote latin. II valait donc mieux ouvrir le champ d'investigation pour enrichir le debat et pour ouvrir des pistes de recherche qui n'ont peut-dtre pas encore &t6 suffisamment explorees. II devrait dtre possible d'elargir ainsi les horizons et de lancer une serie de questions et de problemes qui n'ont pas encore tous requ de r6ponses ou de solutions, loin s'en faut.

1. Les sermons d'Antoine de Padoue et leur apport a' la reception du De animalibus d'Aristote

I1 peut paraitre etrange a premiere vue de trouver des extraits de philosophie naturelle sous la plume d'un predicateur franciscain a la fin des ann es 1220 et au debut des annees 1230. Or, cette utilisation faite en dehors des milieux universitaires dans lesquels on s'attendrait plut6t 'a la trouver, a probablement son origine dans la presence a Bologne de l'auteur de la traduction arabo- latine du De animalibus, a savoir Michel Scot qui semble avoir ter- min son travail A' Toldde en 1217. Nous savons que le traducteur a sdjourn6 i deux reprises a Bologne i cette 6poque: en 1220 et

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en 1231, poque qui correspond a la r6daction par Antoine de son recueil de sermons. La presence de Michel Scot ta Bologne en 1220 explique probablement la diffusion de son De animalibus dans le milieu universitaire local, mais 6galement a Padoue, comme l'at- teste un manuscrit contenant sa traduction latine dans l'ancienne bibliotheque de Padoue. Or, ce manuscrit appartenait initialement a Salio de Padoue, traducteur latin de textes scientifiques arabes qui se trouvait 'a Tolkde en 1217 en meme temps que Michel Scot, attestant l'interit d'un intellectuel pour cette traduction nouvelle d'une oeuvre d'Aristote qui devenait enfin accessible dans les mi- lieux latins'.

D'autre part, certains chercheurs expliquent l'attrait d'Antoine de Padoue pour la zoologie d'Aristote par la presence probable d'Albert le Grand 'i Padoue vers 1222-1223, peu de temps avant l'arrivee d'Antoine dans cette ville, ce qui ecarte l'hypothese 6mise par certains, soutenant qu'Antoine aurait pu etre son 6lve lors de ce sejour. En effet, les dates ne correspondent pas, puisque An- toine arrive ' Padoue apres le depart d'Albert le Grand. Ceci ne supprime pas l'influence indirecte qu'il aurait pu subir et son choix de privil6gier l'utilisation du De animalibus, oeuvre nouvelle- ment decouverte et pleine d'enseignements. Le fait qu'il y ait eu ou non influence directe ou indirecte d'Albert le Grand dans l'utilisation qu'Antoine fait de cette oeuvre zoologique n'a pas d'incidence pour notre propos. En fait, le predicateur franciscain justifie lui-meme le choix de cette utilisation dans le prologue de ses Sermones dominicales ofi il definit avec precision l'objectif de son oeuvre: inserer des etymologies et des 6lments de sciences na- turelles 'a propos des choses et des animaux pour ensuite leur donner une dimension morale2. On voit donc que pour lui, la nouveaut6 pr6sentee par l'utilisation d'une oeuvre d'Aristote en- core peu ou pas exploitee, en tous les cas dans des sermons, lui permet de rajeunir le genre meme de la predication qui semblait en crise a son epoque et de maintenir l'attention de son auditoire

1 Paolo Marangon, Alle origini dell'aristotelismo padovano (sec. XII-XIII) (Pa- doue, 1977), 38-39. Nous savons que Salio a traduit des opuscules d'astrologie et de geomancie a Tolede vers 1218, alors que Michel Scot y residait aussi. Cf. Marie- Therese d'Alverny, "Les traductions ' deux interpretes, d'arabe en langue verna- culaire et de langue vernaculaire en latin", dans Traduction et traducteurs au moyen dge, ed. Genevieve Contamine (Paris, 1989), 198.

2 S. Antonii Patavini Sermones dominicales et festivi ad fidem codicum recogniti curantibus B. Costa, L. Frasson, I. Luisetto coadiuvante P. Marangon. T.I: Ser- mones dominicales, Prologus, (Padoue, 1979), 4.

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grace a des exemples nouveaux. On constate d'ailleurs que les extraits concernant les animaux vont etre trait6s de maniere all&- gorique et lui permettre d'en tirer certains enseignements ethi- ques.

N'oublions pas qu'Antoine de Padoue, ancien chanoine de saint Augustin, a senti l'appel de saint Francois et est entre dans cet ordre dont I'esprit 6tait tres proche de la nature. Si on ajoute a cela le fait qu'il r6dige ses sermons a Padoue, lieu privilegi6 a cette epoque pour l'6tude des sciences et de la philosophie naturelle, on comprend sans peine comment un predicateur peut servir de moteur a la diffusion du De animalibus d'Aristote, tres peu de temps apres la fin de la traduction de l'oeuvre en latin. N'oublions pas non plus qu'Antoine de Padoue appartient d6sormais a un ordre mendiant et que, on le montrera dans le cours de cet ex-

pose, les ordres mendiants ont joue un r6le fondamental non seulement dans l'dlaboration d'instruments de travail philosophi- ques, mais aussi dans la composition de manuels de philosophie qui serviront de base a l'aducation de leurs freres dans un premier temps et ensuite, plus largement, 9 la formation des intellectuels.

Le gofit d'Antoine de Padoue pour la philosophie naturelle ne fait aucun doute, mais quand on 6tudie de pres les citations qu'il fait des differentes oeuvres d'Aristote, on se rend compte que les extraits cites ne sont pas litteraux et qu'il a dfi les puiser dans des recueils existants: anthologies, florileges, encyclopedies etc.3 Ces instruments de travail abondaient dans les bibliotheques des or- dres mendiants, trop pauvres sans doute pour avoir a leur disposi- tion les originalia des auteurs, mais aussi trop mefiants vis vis d'oeuvres nouvelles dont le contenu exact leur echappait parfois et, surtout, pouvait prater

' des interpretations diverses qui n'etai- ent pas necessairement orthodoxes, ce qui ne les incitait pas ta les mettre entre toutes les mains et 'a les laisser a la disposition de leurs freres. Les recueils d'extraits presentaient un avantage cer- tain ' ce point de vue: ils pouvaient etre corriges et expurges, ce qui leur enlevait tout caract&re dangereux et excluait des ambi- guites au niveau de l'interpretation. On constate d'ailleurs qu'An- toine de Padoue ne se servira que d'une seule encyclopedie, a

3 Jacqueline Hamesse, "L'utilisation des florileges dans l'oeuvre d'Antoine de Padoue. A propos de la philosophie naturelle d'Aristote", dans Congresso Inter- national "Pensamento e Testemunho". 80 Centenario do nascimento de Santo Ant6nio (Braga, 1996), 111-124.

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savoir le De natura rerum d'Alexandre Neckam (ca. 1195), chanoine de saint Augustin, comme lui-meme au d6part, dont il avait pro- bablement trouv6 un exemplaire dans la bibliotheque de Coimbra lorsqu'il appartenait encore a cet ordre.

Lorsqu'il cite des extraits du De animalibus, Antoine les introduit toujours par la formule g nerique In naturalibus, ce qui n'atteste pas une consultation de l'oeuvre complekte d'Aristote, mais plutit l'utilisation 'i un second degre par l'interm6diaire de l'un ou l'au- tre instrument de travail. Cela montre aussi que le milieu padovan avait 6chappe aux s6quelles des premieres condamnations d'Aris- tote de 1210 et de 1215 et qu'il ne craignait absolument pas de parler de philosophie naturelle, d'autant plus que dans les milieux qu'il fr6quentait, Aristote portait le titre d'inquisitor rerum natura- lium. S'il avait vraiment craint des problkmes 'a cause de l'utili- sation de cette oeuvre, il aurait plut6t choisi l'expression in De animalibus, moins dangereuse que In naturalibus, qui ne pouvait manquer d'attirer l'attention de theologiens exasper6s cause du non-respect des directives ecclesiastiques. Ceci nous prouve bien que, outre les int6rets reels manifest6s par les milieux padovans pour les doctrines scientifiques au sens large, les interdictions 'dictees Paris n'avaient pas atteint les intellectuels travaillant a Padoue.

La date exacte de composition de ces sermons n'a pas encore pu etre etablie avec certitude. On sait qu'elle se situe entre 1220 et 1230 et que la philosophie naturelle en ge6nral interessait le predicateur puisque un certain nombre d'autres citations qui ne viennent pas de l'oeuvre du Stagirite ont 6t6 rep6rees dans ses ser- mons: il s'agit d 'auctoritates secundum physicos dont la source n'a pas encore pu atre identifi&e jusqu'a ce jour. I1 reste donc la' une inconnue que les sp6cialistes de l'oeuvre du predicateur franciscain finiront par dlucider4.

Ce premier exemple est interessant pour notre propos, puisque la r6ception d'une oeuvre de philosophie naturelle est tres pr6coce dans la pr6dication d'un franciscain au debut du 13eme si&cle, tres peu de temps apras la mise en circulation de la traduction latine du De animalibus. Cet exemple montre aussi qu'il ne faut pas tou- jours chercher par priorit6 les traces de la r&ception de l'aristo- tdlisme dans les oeuvres des theologiens ou des philosophes et que

4 S. D. Wingate, The Mediaeval Latin Versions of the Aristotelian Scientific Corpus, with Special Reference to the Biological Works (London, 1931), 76.

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des recueils diff6rents, dans lesquels on ne s'attendrait pas a la trouver, peuvent en temoigner tout autant5.

2. Le "De floribus rerum" d'Arnold de Saxe, encyclopidiste du dMbut du 13eme siecle

Du predicateur, nous passons t l'encyclopediste en prenant comme exemple le cas de la compilation realis6e par Arnold de Saxe au debut du 13&me siecle et intitulke Defloribus rerum. Pour tout ce qui concerne la datation precise, le lieu probable de com- pilation, I'histoire du texte et le rep6rage des sources, je fais r6f6- rence aux travaux d'Isabelle Draelants qui a consacr6 sa these '

cette oeuvre6. Comme elle est historienne de formation, elle s'est surtout attach6e jusqu'a present 't la partie historique de l'oeuvre et a la recherche des sources d'Arnold de Saxe, tout en promettant une nouvelle edition de l'oeuvre, puisque la seule que nous posse- dons pour le moment a 6te realis'e par E. Stange en 1905 et pre- sente un texte peu sur.

Ce deuxieme cas illustre une autre maniere d'exploiter le cor- pus aristotelicien disponible grosso modo la meme 6poque que celle pendant laquelle Antoine de Padoue s'interessait au De ani- malibus. En effet, la date de la compilation d'Arnold de Saxe sem- ble se situer entre 1230 et 1250 et est donc legerement post6rieure au recueil de sermons d'Antoine de Padoue. L'utilisation qu'il fait du De animalibus d'Aristote est plus massive et plus litterale que chez le predicateur franciscain. Il semble citer ici de premiere main et introduit ses citations par la formule In libro de animalibus, ce qui est peut-&tre l'indice d'une connaissance plus directe de l'oeuvre. Mais, afin de donner un apercu plus large de la reception d'Aristote dans cette encyclopedie,je me livrerai a un examen plus

5 Antoine de Padoue aurait pu tre cite ce propos dans l'article de Guy Guldentops, "The Sagacity of the Bees. An Aristotelian Topos in Thirteenth-Cen- tury Philosophy", Aristotle's Animals in the Middle Ages and Renaissance (Leuven, 1999), 275-296.

6 Isabelle Draelants, "Une mise au point sur les oeuvres d'Arnoldus Saxo", dans Bulletin de philosophie midilvale 34 (1992), 163-180 et 35 (1993), 130-149. Nous n'attendons plus que la publication de son travail, soumis pour examen dans la collection "Sciences, techniques et civilisations du moyen age A l'aube des lu- mieres" que dirigent D. Jacquart et C. Thomasset. Cet ouvrage sera susceptible de rendre service a la communaute scientifique grace aux decouvertes faites et aux informations deja tir'es du De floribus rerum, seule oeuvre connue de cet encyclopediste avant le debut de ses recherches.

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attentif d'une autre oeuvre de philosophie naturelle, 'a savoir le De caelo et mundo, objet de la premi&re partie de sa compilation (qui en compte cinq). Lorsque nous serons en possession de l'ensem- ble des traductions latines d'Aristote, nous serons certainement en mesure de voir de manikre plus pr6cise l'importance du materiel disponible ia chaque 6poque pour ces auteurs. Cette demarche est rendue possible actuellement, au moins pour les editions critiques dejai publiees dans l'Aristoteles Latinus, puisqu'il existe desormais un CD-Rom contenant tous ces textes, qui vient de sortir de presse et qui facilite considerablement nos recherches7.

Il n'en reste pas moins vrai que nous sommes encore tres de- pourvus pour les traductions latines de certaines oeuvres du Sta- girite. Ainsi pour le De caelo et mundo qui fait l'objet de la premiere partie de l'oeuvre d'Arnoldus Saxo. La documentation qu'il y a rassemblee est d'ailleurs autant platonicienne qu'aristotelicienne, ce qui est 6tonnant, 'a premiere vue, pour un auteur qui utilise et cite aussi abondamment et fiddlement Aristote, lorsqu'il traite de sujets diff6rents, comme je viens de le dire. En effet, il aurait pu se baser sur la traduction arabo-latine d'une partie au moins de l'oeu- vre r6alis'e par Gerard de Cr6mone. II le fait, mais tres peu, utili- sant tant6t des extraits d'Aristote, tant6t des passages d'oeuvres pseudo-aristotdliciennes (par exemple une paraphrase du De caelo et mundo qui pourrait etre l'oeuvre d'Avicenne d'apres les recher- ches menses par A. Birkenmajer et M.-Th. d'Alverny8). Il s'agit d'un sujet controversY, mais qui illustre bien toute la complexite present"e par ces instruments de travail pour notre comprehen- sion de la reception des oeuvres d'Aristote. En effet, a ce niveau, notre compilateur privilkgie plut6t la cosmologie platonicienne et les sources scientifiques disponibles traitant de ce sujet. Alors que pour le De animalibus, Arnold apparait tres moderne dans sa docu- mentation, en ce qui concerne la cosmologie, il est plut6t le reflet des theories en vigueur pendant le 12eme siecle et semble tout a fait traditionaliste et assez proche des doctrines de l'Ecole de Char- tres. On retrouve, en effet, dans sa compilation, des 6lments semblables ta ceux qui etaient utilises Chartres, puisqu'il reprend

7 Aristoteles Latinus Database, Release 1. 2003 (Turnhout, 2003). 8 Alexander Birkenmajer, Le role joui par les mddecins et les naturalistes dans la

rnception d'Aristote aux XIIe et XIIIe siecles (Varsovie, 1930), 12; M.-Th. d'Alverny, "Avicenna latinus", Archives d'histoire doctrinale et littiraire 28-39 (1961-1972), arti- cles dans lesquels l'auteur publie la liste de tous les manuscrits connus de l'Avi- cenne latin.

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des extraits des auteurs anciens disponibles et fait une utilisation abondante du Timee de Platon dans la traduction de Chalcidius.

Cette constatation nous oblige ta poser la question qui est de premiere importance pour tous les compilateurs et les auteurs d'instruments de travail: quelle bibliotheque ont-ils utilisee et quels sont les textes qu'ils ont eus a leur disposition? Il semble

qu' ce niveau, Arnold soit plut6t tributaire de la bibliotheque utilisee a Chartres et qu'il ne dispose pas, contrairement au De animalibus, de la derniere traduction mise en circulation. Pour quelle raison? I. Draelants pense que l'explication se trouve dans le fait qu'en ce qui concerne Arnold, tout nous oriente vers l'Alle- magne plut6t que vers la France ou un autre pays d'Europe occi- dentale, et qu'il n'aurait pas eu lat acces 'a un certain nombre de textes nouvellement traduits. Faute de pouvoir consulter les ori- ginaux, il aurait cependant pu utiliser les textes rassemblks par d'autres encyclop6distes tels Thomas de Cantimpre ou Barthel6my l'Anglais ou encore des extraits puises dans l'oeuvre d'Albert le Grand, comme il le fera d'ailleurs 't d'autres endroits de son oeuvre. Mais force nous est de constater que pour cette partie, il ne le fait pas.

Outre le Timee de Platon, il utilise des extraits de Boece (De philosophiae consolatione), Macrobe (Somnium Scipionis), Marcianus Capella (De nuptiis Philologiae et Mercurii), N6mesius d'Emese (De natura hominis) ainsi que de l'Asclepius, et montre ainsi qu'il est tributaire d'un heritage neo-platonicien auquel il va d'ailleurs ajouter une serie d'extraits de textes astrologiques et alchimiques, t6moignant de ses int6rets scientifiques.

Le but poursuivi en choisissant cet exemple etait de montrer comment un meme compilateur peut &tre une source de premiere main pour la r6ception de certaines oeuvres d'Aristote, tandis que pour d'autres, il ne pr6sente aucun inter&t.

3. Les "Parvi flores" de lohannes de Fonte

Depuis les debuts de mes recherches sur ce florilege en 1964, l'int6ret qu'il repr6sente n'a cesse de croitre a' mes yeux et plus j'avance, plus je me rends compte de l'importance non seulement de ce recueil, mais aussi de l'ensemble des autres instruments de travail aristoteliciens compos6s pendant l'poque m6dievale9.

9 Martin Grabmann, Methoden und Hilfsmittel des Aristotelesstudiums im Mittelalter

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Ceux-ci sont legion, ce qui ouvre sans cesse des pistes nouvelles qui apparaissent au fur et 'a mesure et qu'il faudra explorer.

Le sujet est vaste et a dej*A fait l'objet de nombreuses publica- tions auxquelles on peut renvoyer pour ne pas allonger cet expos6 et pour pouvoir se centrer sur les nouveautes trouv6es r6cem- ment'0. Ce florilkge qui se veut "aristotdlicien" puisqu'il comporte des extraits de presque toutes les oeuvres traduites d'Aristote et meme de traites pseudo-aristotdliciens, comporte cependant une partie que j'appellerais "classique" dans le domaine de la morale, puisque, 'a c6te de l'Ethique d'Aristote, il reprend des passages extraits de Boece, Platon, Sen&que et Apulee, retrouves probable- ment dans un floril&ge pr6existant et ajoutes pour completer la documentation, et aussi, pour &tre fiddle ta une certaine tradition scolaire herit6e du 12&me siecle.

La composition tardive du florilege sous sa forme d6finitive, qui remonte a 1296-1297, est l'oeuvre du compilateur Johannes de Fonte, lecteur au studium franciscain de Montpellier et reporta- teur du Commentaire des Sentences de Vital du Four". Cette attribu- tion est confirmee par le grand nombre de citations de Thomas d'Aquin contenues dans les extraits des commentaires aux diverses oeuvres d'Aristote qui sont attribuees au Commentator dans le flori- l&ge, ce qui oriente dans un premier temps vers Averroes, suivant la tradition medievale habituellement reque. Or, il faut bien con- stater qu'a' la fin du 13e si&cle, Johannes de Fonte m lange sous l'intitule Commentator des extraits d'Averroes, de Thomas d'Aquin et meme parfois d'Albert le Grand. Mais parmi eux, celui qui est le plus cite est 'a coup stir Thomas d'Aquin. Pourquoi Johannes de

(Miinchen, 1939); Charles B. Schmitt, "Auctoritates, Repertorium, Dicta, Sen- tentiae, Flores, Thesaurus and Axiomata: Latin Aristotelian florilegia in the Ren- aissance", dans Aristoteles: Werk und Wirkung, hrsg von J. Wiesner (Berlin, 1987), II, 515-537.

10 Jacqueline Hamesse, Les "Auctoritates Aristotelis". Un florilege midieval. Etude historique et idition critique (Louvain - Paris, 1974); "Les florileges philosophiques du XIIIe au Xve siecle", dans Les genres littiraires dans les sources thiologiques et philo- sophiques midievales. Definition, critique et exploitation (Louvain-la-Neuve, 1982), 181- 191; "Le vocabulaire des florileges medievaux", dans Mithodes et instruments du travail intellectuel au moyen dge. Etudes sur le vocabulaire, ed. O. Weijers (Turnhout, 1991), 209-230; "Les florilkges philosophiques, instruments de travail des intellectuels a la fin du moyen age et a la Renaissance", dans Filosofia e Teologia nel Trecento, ed. L. Bianchi (Louvain-la-Neuve, 1994), 479-508.

" Jacqueline Hamesse, '"Johannes de Fonte, compilateur des "Parvi flores". Le temoignage de plusieurs manuscrits conserves a la Bibliotheque Vaticane", Ar- chivum Franciscanum Historicum 88 (1995), 515-531.

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Fonte le cache-t-il sous le nom de Commentator? Parce qu'il le considere vraiment comme tel a son 6poque et que pour lui Tho- mas d'Aquin remplace Averroes comme le commentateur par ex- cellence, ou bien parce qu'il a peur de citer nommement l'auteur frappe par les interdictions de 1277? I1 est difficile de repondre a cette question pour le moment. I1 faut se contenter de constater le fait. Tout ce qu'on peut en tirer est que la version d6finitive de la compilation qui a 6te tres diffus&e, est posterieure a 1274, date de la mort de saint Thomas. Cette realit6, ajoutee a d'autres, 6tay- ent l'hypothese de la paternite de lohannes de Fonte comme com- pilateur du florilege.

D'autre part, on remarque que le florilege v6hicule encore des extraits du Liber de causis sous le nom d'Aristote, alors que nous savons bien que Thomas d'Aquin avait denonc6 cette attribution. Ce fait constitue un second indice du melange de sources an- ciennes et modernes dans la compilation, ainsi que les emprunts que le compilateur a pu faire 'a d'autres instruments de travail anterieurs mis en circulation.

Le florilege comporte un prologue qui designe les destinataires du recueil. I1 s'agit en premier lieu des predicateurs et ensuite des etudiants en arts. L'expression Faculte des Arts ne s'y trouve pas et la priorite donnee aux predicateurs nous orientent plut6t vers les studia des ordres religieux. Alors qu'au d6but de mes recher- ches j'avais pense que ce florilege etait une production univer- sitaire emanant de la Faculte des Arts, en relisant attentivement le prologue et en examinant les nombreux manuscrits qui ont con- serve ce texte et dans lesquels des allusions sont faites aux ordres mendiants (auteurs, lieux, mentions explicites etc.), j'ai ete frap- pee par le grand nombre d'indices qui nous mettent sur la piste des ordres mendiants12. A l'issue de cette enquete, on peut dire que ce florilkge, comme bien d'autres instruments de travail aristo- teliciens, a puise des sources diverses avant de recevoir sa forme definitive dans un studium franciscain et que de la, il est passe ensuite a l'universite oi~ il fut tres utilise par les auteurs de l'po- que.

Cette constatation n'est pas sans incidence pour notre connais- sance de la reception de l'aristotelisme. Opposes dans un premier temps a l'utilisation des oeuvres du Stagirite, les ordres mendiants

12 Jacqueline Hamesse, "Le r6le jou6 par divers ordres religieux dans la com- position des florileges d'Aristote", dans Aristotelica et Lulliana, 6d. par F. Dominguez, R. Imbach, Th. Pindl et P. Walter (Steenbrugge - LaHaye, 1995), 289-310.

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finirent par en accepter l'etude pour leurs freres etudiant les arts. Mais afin de ne pas mettre entre les mains de leurs jeunes novices des textes qui pouvaient presenter des contradictions avec la doc- trine chretienne ou entrainer certains A des interpretations dange- reuses et hre'tiques, ils encouragerent la composition d'une serie d'instruments de travail revus et corriges qui presentaient des extraits des oeuvres soigneusement choisis et abr g6s afin de ne pas courir de risques. Le resultat de ce travail ne constituait plus qu'un p^le reflet des theories aristoteliciennes, mais ces textes expurges permettaient aux etudiants et aux pr6dicateurs de trouver une documentation facile d'acceis et des citations utiles pour leurs ser- mons, leurs exercices universitaires ou pour leurs 6crits. Ces re- servoirs de citations connurent un succes 6norme et furent utilis6s tres largement dans tous les milieux.

P. Beullens et P. De Leemans ont bien montr6 pour le De anima- libus et pour le De progressu animalium, l'int6ret que les florilkges peuvent presenter pour notre connaissance de la reception de l'aristotelisme et pour le melange de nouveaute et d'ancienne tra- dition vehiculke par ces instruments de travail. Je ne m'y attarde donc pas davantage3.

Par contre, on n'a pas encore realis6 l'importance des instru- ments de travail en general pour la formation des intellectuels du 13eme et du 14eme si&cle. Il est interessant de voir qu'ai ce niveau, la cour des papes d'Avignon a joue un r61e determinant pour la r6ception de la philosophie aristotelicienne"4. En effet, confrontes a de nombreux conflits doctrinaux denonces par les theologiens, les papes de cette epoque vont s'entourer de representants des ordres mendiants pour leur composer des recueils de passages extraits de l'oeuvre d'Aristote, leur permettant ainsi de se faire une

idle des doctrines qu'ils avaient a juger et eventuellement ia cen- surer. Nous savons que le florilkge se trouvait dans la bibliotheque de Jean XXII et que son successeur Clement VI l'avait recopie de

13 P. Beullens, "A 13th Century Florilegium from Aristotle's Books on Animals: Auctoritates extracte de libro Aristotilis de naturis animalium", dans Aristotle's Ani- mals in the Middle Ages and Renaissance (Leuven, 1999), 69-95; P. De Leemans, "The Vicissitudes of a Zoological Treatise. Aristotle's De incessu animalium in the Mid- dle Ages and Renaissance", dans Tradition et traduction. Les textes philosophiques et scientifiques grecs au moyen dge latin, ed. par R. Beyers, J. Brams, D. Sacre, K. Ver- rycken (Leuven, 1999), 199-218.

14 Jacqueline Hamesse, "Les manuscrits des 'Parvi flores', Scriptorium 48 (1994), 299-332; "La production litt6raire, miroir des rapports entre "studia" et universites", dans Studio e "studia": le scuole degli ordini mendicanti tra XIII e X1V secolo (Spoleto, 2002), 273-302.

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sa main pour son usage personnel avant de devenir pape. Le gofit des extraits va se repandre largement en parallele avec la censure exercee par ces ordres religieux dans la compilation des instru- ments de travail. Certains d'entre eux seront d'ailleurs encore utilis6s comme manuels de cours au debut de la creation de l'ordre des J6suites, signe evident du peu de danger qu'ils pre- sentaient pour introduire lesjeunes novices a la philosophie aristo- tdlicienne15. Le genre meme de la compilation, de l'extraction ou de l'abrg6e qu'on retrouve dans ces instruments de travail per- mettait une censure facile ou un "remaniement" de theoriesjug6es dangereuses a mettre entre toutes les mains. Il en resultait souvent un ensemble de phrases courtes, faciles a memoriser, mais n'etant plus qu'un pale reflet de la substance d'une theorie aristotdli- cienne. A ce niveau, ces instruments tres diffuses donnent un au- tre aperCu de la reception de l'aristotdlisme.

4. La traduction en ancien frangais des Meteorologiques d'Aristote par Mahieu le Vilain a la fin du 13e siecle

La traduction en ancien francais de la version latine des Mitioro- logiques constitue un autre exemple interessant de r ception d'une oeuvre de philosophie naturelle. Il s'agit de la premiere traduction en langue vernaculaire (et nous verrons pourquoi elle a et6 faite en ancien francais) d'une oeuvre d'Aristote, r6alis'e par un bache- lier ou un maitre es arts de l'Universite de Paris pendant la der- niere d6cennie du 13e siecle16. Plusieurs questions se posent a ce sujet: pourquoi traduire d'abord les Miteorologiques plut6t qu'une autre oeuvre? D'autre part, a quel public cette oeuvre etait-elle destinde? Et enfin, que nous apporte cette traduction au niveau de la reception de l'aristotdlisme? Les reponses a ces diff6rentes inter- rogations seront susceptibles, a n'en pas douter, d'apporter un eclairage nouveau a propos de la reception de la philosophie naturelle 'a la fin du 13e siecle.

Mahieu le Vilain r6pond lui-meme dans son prologue ia la pre- miere question: il estime que c'est le livre de philosophie naturelle

'5 Charles B. Schmitt, "Philosophy and Science in Sixteenth Century Italian Universities", dans The Renaissance (Londre - New York, 1982), 315; "The Rise of the Philosophical Textbook", dans The Cambridge History of Renaissance Philosophy, ed. par Charles B. Schmitt & Quentin Skinner (Cambridge, 1988), 792-804.

16 Joille Ducos, La meteorologie en francais au moyen age (XIIIe - XIVe siecles) (Paris, 1998), 181.

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d'Aristote le plus facile ta traduire en franCais. II fonde cette expli- cation sur le fait que ce livre permet une initiation a la pens6e aristotdlicienne. Or son objectif est plus de transmettre un savoir que la version francaise litt6rale d'une ceuvre. Il estime qu'en ce qui concerne la philosophie naturelle, les Mitiorologiques constitu- ent la meilleure introduction. La traduction qu'il en donne est plus une paraphrase et un commentaire qu'une traduction lit-

t6rale. Afin de rendre la lecture intelligible par ses lecteurs, il explique les n6ologismes qu'il se voit dans l'obligation de cr6er pour rendre en francais des termes techniques qui n'avaient pas encore d'6quivalent, par une s6rie de synonymes qu'il traduit du latin apres les avoir emprunt6s aux commentateurs de l'oeuvre: Thomas d'Aquin et Albert le Grand, ainsi que la tradition issue de

S6neque et de Pline l'Ancien lorsqu'ils traitaient ces sujets. De plus, il accompagne sa traduction d'une s6rie de notes plus ou moins longues destindes a' donner au lecteur une perception plus facile de passages pouvant pr6senter des difficultes de compr6- hension. Certains extraits de la Physique d'Aristote viennent d'ail- leurs appuyer l'explication de passages plus obscurs.

En ce qui concerne le public auquel cette traduction 6tait des-

tin6e, nous savons que Mahieu la fit a la demande d'un noble, Jean II de Brienne, comte d'Eu. Comme d'autres traductions en langue vernaculaire, elle est donc destinte plus ta un milieu de cour qu'a un public universitaire encore rompu a la connaissance du latin. Les nobles de cette 6poque soucieux de se cultiver et d'entrer en contact direct avec des oeuvres latines dont on parlait beaucoup, encouragent et commanditent des traductions en ancien francais. Seuls deux manuscrits de cette oeuvre semblent avoir 6t6 con- serv6s, ce qui incite a penser que ces travaux servaient par priorit6 a introduire des personnages cultiv6s

' la philosophie et a leur donner ainsi une culture g6n rale de base. On comprend donc pour quelle raison le traducteur se pose aussi en initiateur et, par le biais de ses notes et commentaires, fait passer des extraits de commentateurs connus dans les milieux universitaires, ainsi que des arguments permettant d'6clairer certains passages. Ces der- niers 6taient souvent repris a des d6bats universitaires et permet- taient de cette maniere au traducteur de faire une translatio studii, indispensable pour initier son commanditaire a un savoir auquel il n'avait pas 6t6 n6cessairement introduit au pr6alable. On se trouve ainsi face i une vulgarisation du savoir.

Ce sont les emprunts faits par Mahieu le Vilain a d'autres textes

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latins de son 6poque qui nous permettent de situer le milieu uni- versitaire dont il est issu ainsi que de mesurer la r6ception d'une oeuvre comme les Mitiorologiques, peu de temps apres la traduction greco-latine r6alis"e par Guillaume de Moerbeke. L'autre aspect tres important de cette r6ception se situe au niveau du lexique technique utilise ou cre6 pour la circonstance par le traducteur. En effet, face 'a une traduction latine faite d'apres le grec, il prend ses distances par rapport aux translitterations greco-latines de Guillaume de Moerbeke, leur pref6rant des synonymes franiais ou des termes equivalents traduits du latin17

En accomplissant son travail, Mahieu se trouve face 'a des pro- blames similaires rencontres par les traducteurs latins face ia des textes arabes dont ils ne saisissaient pas toujours exactement le sens precis, ce qui les poussait 'a expliciter certains termes tech- niques t l'aide de paraphrases ou de courtes notes's. C'est le cas de traductions d'Averroes faites sous forme de paraphrases. Dans toutes les langues, les traducteurs se plaignent de la pauvrete du vocabulaire face au texte source, ce qui les amene a trouver dif- ferentes solutions pour resoudre le problkme'9. C'est ainsi que certains utilisent des calques linguistiques, creent des neologismes, paraphrasent certains termes techniques sans equivalents dans leur langue ou bien donnent un sens nouveau 'a des concepts existants.

Les traductions en ancien francais ne sont gen ralement pas anonymes. Les traducteurs se nomment et font preceder leur tra- vail d'un prologue qui nous permet de mieux comprendre les difficultes qu'ils ont rencontrees et les solutions adoptees pour les r6soudre. Comme la plupart des premieres traductions dans cette langue sont des commandes, ils ajoutent aussi les noms de leurs

17 Gudrun Vuillemin-Diem, "Zu Wilhelm von Moerbekes Ufbersetzung der aristotelischen Meteorologie. Drei Redaktionen, ihre griechichen Quellen und ihr Verhiltnis zum Kommentar des Alexander von Aphrodisias", dans Tradition et traduction. Les textes philosophiques et scientifiques grecs au moyen dge latin 6d. par R. Beyers, J. Brams, D. Sacre, K. Verrycken (Leuven, 1999), 115-166.

18 Jacqueline Hamesse, "Le parafrasi e i compendi", dans Lo spazio letterario del medioevo, ed. Par Guglielmo Cavallo, Claudio Leonardi & Ernesto Menesto, (Rome, 1995), 197-220.

19 J. Rychner, "Observations sur la traduction de Tite-Live par Pierre Bersuire (1354-1356)", Journal des Savants (1963), 242-267; G. Di Stefano, Essais sur le moyen frangais (Padoue, 1977); C. Buridant, "Translatio medievalis. Th6orie et pratique de la traduction medievale", Travaux de linguistique et de litterature 21 (1983), 81-136; F. Guichard-Tesson, "Le m6tier de traducteur et de commentateur au XIVe sii~cle d'apres Evrart de Conty", Le Moyen Frangais, 24-25 (1990), 131-167; M. Goyens - P. De Leemans, "Traduire du grec au latin et du latin au franCais: un defi a la fidelite", Revue Romane (Copenhague), sous presse.

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commanditaires et expliquent les buts poursuivis pour rtpondre a leur attente. Ces prologues constituent donec une source tr&s riche d'informations qui nous permet de voir ce qu'ils pensent des theo- ries exprimees par leurs predecesseurs a propos des techniques en vigueur pour le passage d'une langue a l'autre. A la pauvret6 de leur langue, s'ajoute souvent la difficulte d'entrer dans la techni- cite du texte a traduire et le besoin de vulgariser le contenu de l'oeuvre afin de la rendre accessible 'a leur lecteur.

En ce qui concerne la philosophie aristotelicienne, la traduction de Mahieu le Vilain de meme que celles de Jean Corbechon, Evrart de Conty et Nicole Oresme au 14e siecle sont importantes pour la reception du texte du Stagirite. En effet, les creations lexicales, de m&me que les emprunts faits ia d'autres langues et les gloses explicatives, nous permettent de mieux comprendre la pe- n6tration de ces textes philosophiques dans des milieux savants, mais non-universitaires, et la necessit6 pour certains traducteurs d'introduire leurs lecteurs a des savoirs pour lesquels ils n'ont re;u aucune formation prealable. On assiste par le biais de ces traduc- tions 'i une vulgarisation du savoir qui permettra 'a la philosophie aristotelicienne de p6netrer dans d'autres milieux que ceux oui elle etait normalement enseignee.

5. Conclusions

Au terme de cet expose, il est possible de tirer un certain nombre de conclusions. En effet, on constate que la reception de la philo- sophie aristotelicienne ne se limite ni aux traductions latines, ni aux grands commentaires medievaux. On la trouve aussi en dehors du milieu universitaire, ce qui montre l'impact que ces doctrines nouvelles ont connu dans le monde latin. De mani&re g6nerale, les chercheurs ont 6te polaris6s par les grandes syntheses emanant de theologiens et de philosophes, sans chercher a voir le retentis- sement que la penetration de l'aristotelisme avait pu avoir en dehors des milieux eccl6siastiques et lettres. Et pourtant, les exemples qui pr6cedent illustrent l'importance de l'examen de sermons, d'instruments de travail et de traductions en langue ver- naculaire pour notre comprehension de la r6ception de l'aris- tot6lisme.

Malgr6 les interdits de l'Eglise, on constate une pouss6e tr&s forte de cette pensde nouvelle qui est utilis6e dans des domaines divers: pr6dication, manuels de philosophie, encyclop6dies, vul-

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garisation du savoir. S'il est vrai que les recueils qui ont ete pass6s en revue ne constituent pas un point d'aboutissement pour la comprehension de l'aristotdlisme, ils fournissent cependant des informations inttressantes pour les chercheurs, que ce soit con- cernant les milieux qui les ont utilis s, la maniere de les composer, l'appauvrissement d'un savoir par la r6duction des doctrines et la censure de certains textes. Il ne faut pas perdre de vue non plus l'apport au lexique vernaculaire, encore tres pauvre au point de vue technique et conceptuel. Nous trouvons dans ces instruments de travail qui vont servir aux intellectuels jusqu'a la fin du 16e siecle, I'origine d'un certain nombre de creations lexicales qui passeront dans nos langues, mais aussi un niveau de culture qui deviendra commun a de nombreux intellectuels. A la base de la formation scolastique, ces recueils rempliront leur r6le pendant plusieurs siecles et nous y retrouverons certaines racines de la culture europdenne qui est la n6tre.