Dossier : 2010-71(IT)G ENTRE : GUY GERVAIS, · 4 à Mme Gendron, et il y a un roulement en vertu du...
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Dossier : 2010-71(IT)G
ENTRE :
GUY GERVAIS,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Lysanne Gendron
(2010-70(IT)G) le 31 mars 2016, à Montréal (Québec).
Devant : L’honorable juge Gaston Jorré
Comparutions :
Avocats de l’appelant : Me Serge Fournier
Me Camille Janvier
Avocates de l’intimée : Me Mélanie Sauriol
Me Josée Tremblay
JUGEMENT
L’appel interjeté en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu est rejeté selon
les motifs ci-joints.
Quant aux frais, si les parties ne peuvent s’entendre avant le 31 octobre
2016, elles devront communiquer avec le greffe de la Cour, et j’entendrai leurs
observations à une date qui sera fixée par le greffe, ou elles pourront, si elles le
préfèrent, présenter des observations écrites selon les modalités qui seront
établies.
Signé à Québec (Québec), ce 12e jour de septembre 2016.
« Gaston Jorré »
Juge Jorré
Dossier : 2010-70(IT)G
ENTRE :
LYSANNE GENDRON,
appelante,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Guy Gervais
(2010-71(IT)G) le 31 mars 2016, à Montréal (Québec).
Devant : L’honorable juge Gaston Jorré
Comparutions :
Avocats de l’appelante : Me Serge Fournier
Me Camille Janvier
Avocates de l’intimée : Me Mélanie Sauriol
Me Josée Tremblay
JUGEMENT
Selon les motifs que j’ai rendus le 23 avril 2014, les motifs du 6 janvier
2016 de la Cour d’appel fédérale et les motifs ci-joints, l’appel des nouvelles
cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années
d’imposition 2002, 2003 et 2004 est accueilli, et l’affaire est déférée au ministre
du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour
acquis que l’appelante n’est pas imposable sur le gain qu’elle a fait en vendant ses
actions de Vulcain Alarme inc. à BW Technologies Ltd. en octobre 2002. Pour
les années d’imposition 2003 et 2004, le ministre devra recotiser l’impôt
minimum en conséquence.
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Quant aux frais, si les parties ne peuvent s’entendre avant le 31 octobre
2016, elles devront communiquer avec le greffe de la Cour, et j’entendrai leurs
observations à une date qui sera fixée par le greffe, ou elles pourront, si elles le
préfèrent, présenter des observations écrites selon les modalités qui seront
établies.
Signé à Québec (Québec), ce 12e jour de septembre 2016.
« Gaston Jorré »
Juge Jorré
Référence : 2016 CCI 180
Date : 20160912
Dossiers : 2010-71(IT)G
2010-70(IT)G
ENTRE :
GUY GERVAIS,
LYSANNE GENDRON,
appelants,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
MOTIFS DU JUGEMENT
Le juge Jorré
[1] La question en litige est la suivante : le ministre du Revenu national avait-il
raison d’appliquer la règle générale anti-évitement en cotisant Guy Gervais? La
règle générale anti-évitement est invoquée par l’intimée dans des circonstances où
les appelants ont utilisé une planification qui, apparemment, est souvent appelée
en anglais « a half-loaf ».
[2] Dans mes motifs du 23 avril 2014 j’ai accueilli l’appel de Lysanne
Gendron et j’ai rejeté l’appel de Guy Gervais. J’ai également conclu qu’il n’était
pas nécessaire que je considère la règle générale anti-évitement. Dans son
jugement du 6 janvier 2016, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel de Guy
Gervais et a rejeté l’appel de l’intimée dans la cause de Lysanne Gendron. La
Cour d’appel a renvoyé les deux dossiers à notre cour afin que l’application de la
règle générale anti-évitement soit examinée et déterminée1.
1 Ces appels ont été entendus sur preuve commune. Les parties ont déposé deux ententes partielles sur les faits et
deux cahiers de documents conjoints (pièces A-1 et A-2). L’intimée a également déposé une demande d’aveux
corrigée selon la règle 130 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) ainsi que la réponse
à la demande d’aveux selon la règle 131 des Règles (pièces I-1 et I-2). Aux fins de la question de la règle générale
anti-évitement, il n’y a pas vraiment de question de crédibilité ni de désaccord sur les faits quant à ce qui peut être
prouvé directement. Par contre, il y a un certain débat quant à ce qui doit être inféré.
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Un survol simplifié2
[3] Il n’y a aucun débat quant aux montants en jeu et, pour simplifier ce
survol, je vais arrondir les chiffres.
[4] Au début de 2002, M. Gervais est actionnaire d’une entreprise familiale.
Mme Gendron, son épouse, n’est pas actionnaire.
[5] Au cours de l’été 2002, une compagnie non liée, BW Technologies Ltd.,
fait une offre d’achat de l’entreprise et les actionnaires, M. Gervais et son frère
Mario Gervais, acceptent l’offre d’achat avant le 26 septembre 2002.
[6] Le 26 septembre 2002, M. Gervais vend un million de ses actions de
l’entreprise familiale à Mme Gendron pour 1 000 000 $, la juste valeur marchande
des actions, et il fait le choix de réaliser son gain en disposant de ses actions3
avec la conséquence que Mme Gendron détient des actions ayant un prix de base
rajusté de 1 000 000 $.
[7] Mme Gendron était au courant de l’acceptation de l’offre d’achat avant de
devenir actionnaire et, au moment où elle a acheté les actions, son intention était
de revendre les actions quelques jours plus tard.
[8] Quatre jours plus tard, le 30 septembre 2002, M. Gervais donne à titre
gratuit un million de ses actions4 à Mme Gendron, et il y a un roulement en vertu
du paragraphe 73(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu avec la conséquence qu’il
ne réalise pas de gain et que Mme Gendron est réputée avoir acquis les actions
pour le prix de base rajusté de M. Gervais, un montant minime. Aux fins de ce
survol, disons que ce montant est de 0 $.
À la suite de la décision de la Cour d’appel fédérale, une audition additionnelle a eu lieu le 31 mars 2016.
2 Les paragraphes 3 à 79 de ces motifs sont en très grande partie identiques aux paragraphes 3 à 80 de mes motifs
du 23 avril 2014; toutefois, il y a quelques changements qui reflètent le fait que la seule question que je dois
maintenant décider est l’application de la règle générale anti-évitement. Il y a aussi quelques corrections mineures;
par exemple, il y a une correction apportée aux chiffres indiqués dans les tableaux aux paragraphes 68 et 69 —
correction qui est expliquée dans une note de bas de page. Il y a également quelques petits changements dans un
effort d’améliorer la lisibilité. 3 C’est-à-dire qu’il fait le choix de ne pas se prévaloir des dispositions prévues au paragraphe 73(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il n’y a donc pas eu de roulement. 4 Il s’agit d’actions de la même catégorie que les actions qu’il a vendues à Mme Gendron.
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[9] Sept jours après la donation, le 7 octobre 2002, Mme Gendron vend toutes
ses actions de l’entreprise familiale à BW Technologies pour un montant de
2 000 000 $5.
[10] Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2002,
Mme Gendron inclut un gain en capital relatif à la vente des actions. Pour faire le
calcul de son gain, elle applique le mécanisme du paragraphe 47(1) de la Loi et, en conséquence, elle considère que le coût6 de toutes ses actions7 de l’entreprise
familiale est de 1 000 000 $. Elle fait le calcul suivant dans sa déclaration8 :
Produit de disposition 2 000 000 $
Moins : Prix de base rajusté (1 000 000 $)
Gain en capital 1 000 000 $
Moins : Portion du gain attribuée à M. Gervais (500 000 $)9
Gain en capital de Mme Gendron 500 000 $
Gain en capital imposable de Mme Gendron 250 000 $
Moins : Déduction pour gain en capital (250 000 $)
Résultat final 0 $
[11] En conséquence, Mme Gendron n’a payé aucun impôt sur sa disposition des
actions de la compagnie et la moitié du gain est attribuée à M. Gervais.
[12] Selon le ministre, ce résultat n’est pas conforme à la Loi et il faut enlever
le gain en capital imposable de 250 000 $ du revenu de Mme Gendron et l’ajouter
au revenu de M. Gervais en vertu de la règle générale anti-évitement.
Les faits
[13] Vulcain Alarme inc., une entreprise familiale de taille moyenne, a été
vendue en 2002.
5 La juste valeur marchande de chaque action ne change pas entre le 26 septembre 2002 et le 6 octobre 2002. 6 Son prix de base rajusté. Ce paragraphe reprend essentiellement le paragraphe correspondant des ententes
partielles sur les faits. 7 Les deux millions d’actions. 8 Je continue d’arrondir les chiffres. Ce tableau est présenté de la même façon que les parties l’ont présenté dans
les ententes partielles sur les faits (voir le paragraphe 68 ci-dessous) sauf que les chiffres ont été arrondis et que
les dépenses engagées pour la disposition, quelque 13 000 $, sont omises. 9 Strictement la moitié du gain en capital imposable est attribuable à M. Gervais mais comme j’ai expliqué dans la
note précédente, j’utilise la même présentation que les ententes partielles sur les faits.
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[14] En mai ou en juin 2002, quand BW Technologies a communiqué une
première offre d’achat de l’entreprise, M. Gervais et son frère Mario étaient
actionnaires; Mme Gendron n’était pas actionnaire.
[15] Après certaines transactions décrites ci-dessous, le 7 octobre 2002, BW
Technologies a acheté l’entreprise, entre autres, de M. Gervais et de
Mme Gendron.
[16] Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2002,
Mme Gendron a déclaré un gain en capital imposable relatif à la vente de ses
actions de l’entreprise. Elle s’est prévalue de l’exonération du gain en capital10.
[17] Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de Mme Gendron sur
la base que son gain en vendant ses actions était un revenu et non un gain en
capital.
[18] Le ministre a également établi une nouvelle cotisation à l’égard de
M. Gervais en appliquant la règle générale anti-évitement afin d’inclure le gain
en capital imposable réalisé par Mme Gendron dans le revenu de M. Gervais.
[19] Le ministre a concédé qu’il ne pouvait avoir raison dans les deux appels. Il
est maintenant établi que le ministre avait tort en cotisant Mme Gendron.
[20] La société Vulcain est une compagnie familiale démarrée par le père de
M. Gervais, Clément Gervais. Vulcain est, entre autres, fabricant de moniteurs
de gaz toxiques. L’application la plus fréquente des moniteurs est la mesure de
monoxyde de carbone dans les stationnements intérieurs.
[21] Au début de l’entreprise, le père et la mère de M. Gervais travaillaient
ensemble et les bureaux étaient dans le sous-sol de la maison familiale.
[22] Dès l’âge de 14 ans, M. Gervais a travaillé à l’entreprise familiale en été.
[23] M. Gervais est ingénieur de formation. Après ses études à l’école
polytechnique, il a commencé à travailler dans l’entreprise familiale11.
10 Article 110.6 de la Loi. Mme Gendron a réclamé une exonération de 250 000 $. M. Gervais, pour sa part, a
réclamé une exonération de 158 720 $, soit le montant de l’exonération qu’il n’avait pas encore utilisé. 11 En 1986 ou en 1987 (transcription du 20 août 2012, pages 19 et 22).
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[24] En 1988, au moment où il a commencé, les locaux de la compagnie étaient
passés du sous-sol de la maison familiale au garage; il y avait quatre employés, y
compris son père et lui-même12.
[25] À son arrivée, le chiffre d’affaires était aux alentours de 750 000 $ à
800 000 $, en décroissance de 20 % comparativement à la meilleure année, deux
ans auparavant.
[26] Par la suite, l’entreprise a connu une croissance importante. L’entreprise a
quitté le garage pour s’installer dans une usine de 3 600 pieds carrés; en 2000 il y
avait une centaine d’employés.
Ententes partielles sur les faits
[27] Les parties ont déposé des ententes partielles sur les faits; ces faits sont
reproduits ci-dessous13. Pour rendre l’exposé des faits plus logique, j’ai également
ajouté certains faits provenant de la preuve à part les ententes partielles sur les
faits; j’ai indiqué les ajouts dans les notes de bas de page.
Les parties admettent la véracité des faits énumérés ci-dessous14
[28] Vulcain a été constituée en société le 29 février 1968 sous le régime de la
Partie IA de la Loi sur les compagnies du Québec par Clément Gervais.
[29] Vulcain exploitait une entreprise dans le domaine de la fabrication de
détecteurs de gaz toxiques et d’explosifs.
[30] Le ou vers le 16 février 1983, Guy Gervais acquiert une action ordinaire
de Vulcain pour la somme de 10 $; dès lors, le capital-actions de la société est
détenu par Clément Gervais et ses trois fils, Guy, Mario et Robert.
[31] Guy Gervais et Lysanne Gendron se sont mariés en 1987.
[32] En 1988, Guy Gervais est devenu administrateur de Vulcain.
12 En plus de M. Gervais et de son père, il y avait une secrétaire ainsi qu’un technicien sur la route qui était un
employé ou un sous-traitant (transcription du 20 août 2012, page 22). 13 J’ai combiné les ententes partielles sur les faits dans la mesure du possible pour éviter la duplication. J’ai
remplacé « appelant » ou « appelante » par le nom de la personne. La numérotation est nécessairement différente. 14 Ce titre est dans l’entente.
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[33] De 1968 jusqu’à la vente en bloc des actions de Vulcain à BW
Technologies en 2002, le capital-actions de Vulcain a toujours été détenu par
Clément Gervais et/ou ses fils.
[34] Le 26 janvier 2001, une convention unanime des actionnaires de Vulcain a
été signée par Clément Gervais, Mario Gervais et Guy Gervais.
[35] Au cours de l’année 2002, Guy Gervais était l’unique administrateur de
Vulcain.
[36] Au cours de l’année 2002, BW Technologies a présenté une offre d’achat
dans le but d’acquérir Vulcain.
[37] En mai ou en juin 2002 les appelants apprennent par une lettre d’un
intermédiaire qu’une firme est désireuse d’acheter Vulcain. Ils ont appris peu
après qu’il s’agissait de BW Technologies de Calgary15.
[38] Quelque temps après, le président de BW Technologies est venu visiter la
compagnie16.
[39] Le 12 juin 2002, une entente de confidentialité a été signée entre BW
Technologies et Vulcain.
[40] Quelques semaines après la visite du président de BW Technologies les
appelants ont reçu une offre d’achat pour un montant d’environ 7 500 000 $.
Cette offre donnait une période de deux semaines pour y répondre et est arrivée à
peu près en même temps que les appelants s’apprêtaient à partir en voyage au
Maine17.
[41] Il y a eu une offre d’achat de caractère non obligatoire signée le 31 août
2002 qui a été modifiée le 26 septembre 200218.
15 Paragraphe ajouté. 16 Paragraphe ajouté; voir la transcription du 20 août 2012, aux pages 29 à 31. 17 Paragraphe ajouté; voir la transcription du 20 août 2012, aux pages 29 à 31. 18 Paragraphe ajouté; voir la convention d’achat du 7 octobre 2002, à la pièce A-2, onglet 56, paragraphe 9.8, où
l’on parle du « non-binding offer to purchase (“LOI”) », [TRADUCTION] [« offre d’achat de caractère non
obligatoire »], soit l’offre du 31 août 2002 modifiée le 26 septembre 2002; je présume que « LOI » signifie
« Letter of Intent », [TRADUCTION] [« lettre d’intention »].
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[42] L’offre d’achat de la totalité du capital-actions fut acceptée par les
actionnaires de Vulcain, Guy Gervais et Mario Gervais, avant le 22 septembre
200219.
[43] Lysanne Gendron connaissait l’existence de l’offre d’achat et de
l’acceptation de celle-ci par les actionnaires avant qu’elle devienne actionnaire20.
Modifications apportées au capital-actions21
[44] Le 26 août 2002, les deux seuls actionnaires de Vulcain étaient Guy
Gervais et Mario Gervais22, et ce, de la manière suivante :
a) Guy Gervais détenait 790 000 actions ordinaires de catégorie « A » et
5 120 actions privilégiées de catégorie « I », et
b) Mario Gervais, le frère de Guy Gervais, détenait 200 000 actions
ordinaires de catégorie « A » et 5 120 actions privilégiées de
catégorie « I ».
[45] Le ou vers le 26 septembre 2002, Guy Gervais convertissait ses 790 000
actions ordinaires de catégorie « A » en 2 087 778 actions privilégiées de
catégorie « E » et 4 168 192 actions ordinaires de catégorie « B ».
[46] Aux fins de l’application de la Loi, Guy Gervais a fait le choix d’utiliser le
mécanisme du roulement fiscal prévu à l’article 85 de la Loi.
[47] Le ou vers le 26 septembre 2002, Mario Gervais a également converti ses
200 000 actions ordinaires de catégorie « A » en 1 583 790 actions privilégiées de
catégorie « E ».
[48] Les actions privilégiées de catégorie « E » comportaient, entre autres, les
droits, privilèges et restrictions suivants : non votantes, non participantes,
dividende mensuel, préférentiel et non cumulatif de 1 % par mois, calculé sur la
« valeur de rachat » en priorité sur les actions de catégorie « A », « B », « F » et
19 Paragraphe ajouté; voir les pièces I-1 et I-2. L’offre fut acceptée avant le 22 septembre 2002; voir la
transcription du 20 août 2012, à la page 42. 20 Paragraphe ajouté; voir les pièces I-1 et I-2 et la transcription du 20 août 2012, à la page 73. 21 Ce titre est dans l’entente. 22 La compagnie a racheté les actions du père en trois étapes en 2001 et en 2002 avec le résultat qu’après 9 h le
26 août 2002 (pièce A-1, onglet 7) le père ne détenait plus d’actions de Vulcain; le père détenait ses actions par
l’entremise d’une compagnie.
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« G » mais subséquemment aux actions de catégorie « D », « H », « I », « J »,
rachetables à la demande du détenteur et de gré à gré.
[49] Lors de la conversion, chacune des actions de catégorie « E » et « B » avait
une juste valeur marchande de 1 $ par action.
[50] Le 26 septembre 2002, Vulcain a autorisé le transfert des 4 168 192
actions ordinaires de catégorie « B » détenues par Guy Gervais à 9120-9957
Québec inc.
[51] Le 26 septembre 2002, Guy Gervais transférait ses 4 168 192 actions
ordinaires de catégorie « B » à 9120-9957 Québec, une société dont il détenait la
totalité du capital-actions.
[52] Aux fins de l’application de la Loi, Guy Gervais a fait le choix d’utiliser le
mécanisme du roulement fiscal prévu à l’article 85 de la Loi en ce qui a trait à ce
transfert.
[53] Avant le 26 septembre 2002, Lysanne Gendron n’était pas actionnaire de
Vulcain23.
[54] Tel qu’il appert au document intitulé « convention d’achat d’actions » en
date du 26 septembre 2002, Guy Gervais vendait 1 043 889 actions privilégiées
de catégorie « E » à Lysanne Gendron pour une somme de 1 043 889 $.
[55] La convention prévoyait que Lysanne Gendron ne pouvait « céder à
quiconque ses droits et obligations découlant des présentes, sans avoir
préalablement obtenu le consentement de Guy Gervais à cet effet »24. Sans la
permission de Guy Gervais, Lysanne Gendron ne pouvait vendre ses actions à
quiconque, à l’exception de BW Technologies25.
[56] Tel qu’il appert à la convention d’achat d’actions, Lysanne Gendron devait
acquitter le prix d’achat en remettant à Guy Gervais un billet à ordre payable à
l’intérieur d’un délai de cinq ans et portant intérêts au taux annuel de 4,5 %.
23 Paragraphe ajouté. 24 Paragraphe ajouté; voir la transcription du 20 août 2012, à la page 72, où il est admis que dans le texte de
l’article 6.3 de la convention les termes « acheteur » et « vendeur » ont été inversés. 25 Paragraphe ajouté; voir la transcription du 20 août 2012, aux pages 72 et 73.
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[57] La convention prévoit à l’article 2.2 cinq paiements égaux de 208 777 $ le
31 décembre 2002, 2003, 2004, 2005 et 2006 plus intérêts (article 2.3). Lysanne
Gendron a fait les paiements26.
[58] Aux fins de l’application de la Loi, Guy Gervais a fait le choix, dans sa
déclaration de revenus pour l’année 2002, de ne pas se prévaloir des dispositions
prévues au paragraphe 73(1) de la Loi. Par conséquent (aux fins de l’application
de la Loi27) :
a) le prix de base rajusté desdites actions étant de 43 889 $, Guy
Gervais réalisait un gain en capital de 1 000 000 $, et
b) le prix de base rajusté des actions acquises par Lysanne Gendron est
de 1 043 889 $.
[59] Tel qu’il appert d’un acte notarié en date du 30 septembre 2002, Guy
Gervais donnait à titre gratuit 1 043 889 actions privilégiées de catégorie « E » à
Lysanne Gendron.
[60] Aux fins de l’application de la Loi, Guy Gervais n’a pas effectué le choix
lui permettant de soustraire cette opération du 30 septembre 2002 à l’application
du paragraphe 73(1) de la Loi. Par conséquent (aux fins de l’application de la
Loi28) :
a) Guy Gervais est réputé avoir disposé des actions pour un montant
égal au prix de base rajusté des actions, soit 43 889 $, et
b) Lysanne Gendron est réputée avoir fait l’acquisition des actions pour
un montant égal au prix de base rajusté des actions, soit 43 889 $.
[61] Du 26 septembre au 7 octobre 2002, Lysanne Gendron n’avait pas
l’intention de conserver les actions de Vulcain à titre de placement29.
26 Paragraphe ajouté; voir la pièce A-2, aux onglets 40 et 41. 27 Les mots entre parenthèses se retrouvent dans l’entente sur les faits dans l’appel de Mme Gendron mais non dans
l’entente sur les faits dans l’appel de M. Gervais. Voir le paragraphe 22 de chaque entente. Il s’agit probablement
d’une omission involontaire. 28 Les mots entre parenthèses se retrouvent dans l’entente sur les faits dans l’appel de Mme Gendron mais non dans
l’entente sur les faits dans l’appel de M. Gervais. Voir le paragraphe 24 de chaque entente. Il s’agit probablement
d’une omission involontaire. 29 Paragraphe ajouté; voir les pièces I-1 et I-2, tel que le paragraphe a été corrigé à l’audition (transcription du
20 août 2012, pages 82 et 83).
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[62] Du 26 septembre au 7 octobre 2002, Lysanne Gendron n’avait pas
l’intention de détenir les actions de Vulcain à long terme et elle n’envisageait pas
d’en tirer un revenu de bien30.
[63] Lysanne Gendron savait qu’elle ne recevrait aucun dividende relativement
aux actions de Vulcain pendant la période du 26 septembre au 7 octobre 200231.
[64] Le 26 septembre 2002, l’intention de Lysanne Gendron était de vendre les
actions de Vulcain qu’elle détenait, et ce, le ou vers le 7 octobre 2002, au
moment de la signature du contrat de vente de la totalité du capital-actions de
Vulcain à BW Technologies32.
[65] Au moment où Lysanne Gendron a acheté les actions, elle n’avait pas les
moyens financiers de les payer, mais elle pouvait le faire ultérieurement parce
qu’elle allait revendre les actions à BW Technologies33.
Vente des actions de Vulcain à BW Technologies34
[66] Le ou vers le 7 octobre 2002, BW Technologies a acquis toutes les actions
du capital-actions de Vulcain pour la somme totale de 7 850 000 $.
[67] Tel qu’il appert au contrat de vente, le prix se répartit comme suit :
a) 2 087 778 $ pour 2 087 778 actions privilégiées de catégorie « E »
détenues par Lysanne Gendron,
b) 5 120 $ pour 5 120 actions privilégiées de catégorie « I » détenues
par Guy Gervais,
c) 5 120 $ pour 5 120 actions privilégiées de catégorie « I » détenues
par Mario Gervais,
d) 4 168 192 $ pour 4 168 192 actions ordinaires de catégorie « B »
détenues par 9120-9957 Québec, et
e) 1 583 790 $ pour 1 583 790 actions ordinaires de catégorie « B »
détenues par Mario Gervais35.
30 Paragraphe ajouté; voir les pièces I-1 et I-2. 31 Paragraphe ajouté; voir les pièces I-1 et I-2. 32 Paragraphe ajouté; voir les pièces I-1 et I-2. 33 Paragraphe ajouté; voir la transcription du 20 août 2012, à la page 74. 34 Ce titre est dans l’entente.
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Déclarations de revenus de Guy Gervais et de Lysanne Gendron36
[68] Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2002, Lysanne
Gendron a établi le coût moyen des 2 087 778 actions privilégiées de catégorie
« E » à 1 087 778 $ (1 043 889 $ + 43 889 $) en application du mécanisme
prévu au paragraphe 47(1) de la Loi et a déclaré un gain en capital calculé de la
façon suivante :
Produit de disposition 2 087 778 $
Prix de base rajusté (1 087 778 $)
Gain en capital 1 000 000 $
Dépenses engagées pour la disposition (13 809 $)
Gain en capital 986 191 $37
Gain en capital attribué à Guy Gervais (486 191 $)
Gain en capital après attribution 500 000 $
Gain en capital imposable 250 000 $
Déduction pour gain en capital (250 000 $)
Net 0
[69] Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2002, Guy
Gervais a déclaré un gain en capital calculé de la façon suivante :
1re disposition/Lysanne Gendron/ 26 septembre 2002
Produit de disposition 1 043 889 $
Prix de base rajusté (43 889 $)
Gain en capital 1 000 000 $ 2e disposition/donation Lysanne Gendron/ 30 septembre 2002
Produit de disposition 43 889 $
Prix de base rajusté (43 889 $)
Gain en capital 0
35 Bien que les ententes sur les faits parlent de 1 583 790 actions ordinaires de catégorie « B » détenues par Mario
Gervais, il semble qu’il s’agirait plutôt de 1 583 790 actions privilégiées de catégorie « E »; voir, par exemple,
l’onglet 55 et l’onglet 56 (pages 4 et 20 du document) de la pièce A-2. 36 Ce titre est dans l’entente. 37 L’entente partielle sur les faits dans le cas de Guy Gervais indique 989 191 $, montant utilisé dans mes motifs
du 23 avril 2014, mais il doit s’agir d’une faute de frappe. Le bon montant est de 986 191 $. La même correction
a été faite au paragraphe 69. J’en profite pour souligner que ce tableau et le tableau au paragraphe 69 proviennent
des ententes partielles sur les faits. En fait, la présentation devrait être un peu différente car c’est le gain en
capital imposable qui doit être attribué plutôt que le gain en capital.
Page : 12
Vente à BW Technologies
Produit de disposition 5 120 $
Prix de base rajusté (5 120 $)
Gain en capital 0 Gain en capital total 1 000 000 $
Dépenses engagées pour la disposition (13 809 $)
Gain en capital 986 191 $
Gain en capital attribué à Guy Gervais 486 191 $
Gain en capital après attribution 1 472 382 $
Provision demandée (788 953 $)
Gain en capital 683 429 $
Gain en capital imposable 341 714 $
Déduction pour gain en capital (158 720 $)
[70] En 2002, la somme maximale que pouvait réclamer Guy Gervais à titre de
déduction pour gain en capital était au montant de 158 720 $, soit le solde
disponible au titre de cette déduction.
Projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial38
[71] Le 26 septembre 2002, Lysanne Gendron :
a) connaissait les modalités de la vente de la totalité du capital-actions
de Vulcain à BW Technologies,
b) connaissait le prix de vente qui avait été négocié entre BW
Technologies et Vulcain et/ou les actionnaires de Vulcain,
c) connaissait l’échéance fixée pour la vente des actions de Vulcain à
BW Technologies, et
d) savait qu’un profit important serait réalisé relativement à la vente des
actions de Vulcain et en particulier des actions privilégiées.
[72] Le paragraphe précédent est le dernier provenant des ententes partielles sur
les faits.
38 Ce titre est dans l’entente.
Page : 13
Autres faits
[73] Mme Gendron était employée salariée chez Vulcain à partir de 1992, mais
elle avait déjà une certaine implication avant cela.
[74] Mme Gendron était très active dans l’entreprise. Au début des années 2000,
elle était chargée de toute l’administration. Entre autres, elle s’occupait des
ressources humaines, du bureau de New York et de celui de Toronto. Elle parlait
constamment avec M. Gervais au sujet des opérations et de toutes les décisions
importantes que l’entreprise devait prendre.
[75] Au moment où l’entreprise a acheté les actions du père de M. Gervais, il a
fallu emprunter de l’argent et donner des garanties. Mme Gendron a accepté qu’il
y ait, entre autres, une hypothèque sur la maison familiale en garantie.
[76] M. Gervais a témoigné qu’à partir du moment où ils ont pris la décision de
vendre, ils ont décidé d’obtenir les conseils de la firme d’avocats McCarthy
Tétrault39.
[77] Il a demandé à leurs conseillers juridiques de faire trois choses40 :
a) de les conseiller au cours des négociations pour s’assurer que leurs
intérêts soient protégés,
b) de les conseiller sur les aspects fiscaux et
c) de les conseiller relativement à la volonté qu’avait M. Gervais de
reconnaître la contribution de Mme Gendron afin qu’elle reçoive
1 000 000 $.
[78] McCarthy Tétrault a proposé la structure des transactions et les appelants
l’ont acceptée41.
[79] M. Gervais et Mme Gendron étaient tous les deux présents aux réunions
avec McCarthy Tétrault42.
39 L’offre d’achat de BW Technologies est arrivée un peu avant que M. Gervais et Mme Gendron partent en
voyage. Pendant leurs vacances, ils ont beaucoup discuté de la question : devraient-ils accepter l’offre? C’est en
revenant de vacances qu’ils ont décidé de vendre. C’est après la décision de vendre qu’ils ont contacté McCarthy
Tétrault. Voir la transcription du 20 août 2012, aux pages 30 à 32. 40 Transcription du 20 août 2012, pages 32 à 35 et 49. 41 Transcription du 20 août 2012, pages 41, 42, 45 à 49 et 51 à 54.
Page : 14
Analyse
La règle générale anti-évitement
[80] La règle générale anti-évitement est énoncée à l’article 245 de la Loi. Il faut également tenir compte du paragraphe 248(10) de la Loi. L’article 245 et le
paragraphe 248(10) sont reproduits en annexe de ces motifs.
[81] Si nous simplifions l’article 245 en enlevant les portions du texte non
pertinentes à ce litige, ledit article devient :
Définitions
245(1) Les définitions […]
attribut fiscal S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu
imposable […], impôt […] ainsi que tout montant à prendre en compte pour
calculer […] le revenu, le revenu imposable […] de cette personne ou l’impôt
[…]
avantage fiscal Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant
exigible en application de la présente loi […].
[…]
Disposition générale anti-évitement
(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent
être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à
supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait,
directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations
dont cette opération fait partie.
Opération d’évitement
(3) L’opération d’évitement s’entend :
a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement
ou indirectement, un avantage fiscal […];
b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le
présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage
fiscal,
[sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement
effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas
considérée comme un objet véritable.]
42 Transcription du 20 août 2012, pages 33 et 65.
Page : 15
Application du par. (2)
(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de
considérer, selon le cas :
a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu
compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions […] de
[…] :
(i) la présente loi,
[…]
b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans
l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans
leur ensemble.
Attributs fiscaux à déterminer
(5) […] dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de
façon raisonnable […] de façon à supprimer l’avantage fiscal qui […] :
[…]
b) […] un revenu […] ou […] un autre montant peuvent être attribués à une
personne;
[…]
[82] Si on simplifie encore et qu’on réorganise le texte, l’essentiel de l’article
245 dans le contexte du présent appel est :
En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne
doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de
façon à supprimer un avantage fiscal.
Toutefois, cette règle ne s’applique pas si l’opération n’entraîne pas un
abus dans l’application des dispositions de la Loi.
Si la règle générale anti-évitement s’applique, dans le cadre de la
détermination de façon raisonnable dans les circonstances des attributs
fiscaux d’une personne de façon à supprimer l’avantage fiscal, un revenu
ou autre montant peuvent être attribués à une personne43.
43 Quand on examine le contexte et qu’on considère les versions anglaise et française de l’article, il est clair
qu’« attribués à une personne » comprend une autre personne.
Page : 16
Définitions
Attribut fiscal d’une personne : son revenu, revenu imposable, impôt ainsi
que tout montant à prendre en compte pour calculer le revenu.
Avantage fiscal : réduction, évitement ou report d’impôt.
Opération d’évitement : l’opération, ou l’opération qui fait partie d’une
série d’opérations, dont découlerait un avantage fiscal sauf s’il est
raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour
des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas
considérée comme un objet véritable.
[83] Pour nos fins, la règle générale anti-évitement peut être résumée de la
façon suivante :
Si une opération
1. procure un avantage fiscal,
2. le but premier de l’opération est de procurer l’avantage et
3. l’opération est un abus des dispositions de la Loi
les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon
raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal44.
[84] Sur le plan factuel, c’est au contribuable qu’il incombe de réfuter la thèse
du ministre qu’il y a avantage fiscal et qu’il y avait une opération d’évitement45.
44 Comme le dit le juge Rothstein au paragraphe 32 de la décision de la Cour suprême du Canada dans Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63 :
En cas d’opération d’évitement (qui procure un avantage fiscal et dont le but premier est
l’obtention de cet avantage), l’avantage fiscal est refusé, sauf si l’opération d’évitement ne
constitue pas un abus dans l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu. 45 Voir Copthorne, 2011 CSC 63, aux paragraphes 34 et 35, et Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005
CSC 54, au paragraphe 63.
Il n’est pas inutile de rappeler que, comme dans n’importe quel litige civil, toute question de fardeau de la
preuve n’a d’importance que dans la mesure où le tribunal ne peut déterminer un fait à partir de la preuve qui a
été faite.
Page : 17
[85] Quant à la question de savoir s’il y a abus :
65 […] Une fois qu’il a démontré qu’il respecte le libellé d’une disposition, le
contribuable ne devrait pas avoir à prouver qu’il n’a pas, de ce fait, contrevenu
à l’objet ou à l’esprit de la disposition. Il appartient au ministre qui tente
d’invoquer la RGAÉ de décrire l’objet ou l’esprit des dispositions qui auraient
été contournées, selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique
des dispositions de la Loi. Le ministre est mieux placé que le contribuable pour
présenter des observations sur l’intention du législateur dans le but d’interpréter
les dispositions de façon harmonieuse avec le régime législatif général qui
s’applique à l’opération en cause46.
[86] Cette obligation qu’a le ministre de démontrer qu’il y a abus peut être en
grande mesure qualifiée de « fardeau de persuasion ». Comme le dit le juge en
chef Bowman dans Evans c. La Reine47 :
[…] Les termes « fardeau de la preuve » auxquels la Cour suprême du Canada a
fait allusion peuvent s’appliquer au fardeau de présentation, mais ils imposent
surtout l’exigence selon laquelle la Couronne doit préciser l’objet et l’esprit de
la législation pertinente qui auraient été contrecarrés. Cela pourrait être qualifié
de « fardeau de persuasion », bien que ce ne soit pas le sens habituel de
l’expression « fardeau de la preuve ». […]48
[87] Il faut donc examiner les trois questions suivantes49 :
Y a-t-il eu avantage fiscal?
L’opération ayant généré l’avantage fiscal était-elle une opération
d’évitement?
L’opération d’évitement ayant généré l’avantage fiscal était-elle abusive?
[88] Si je conclus que ces trois conditions sont réunies et que la règle générale
anti-évitement s’applique, je dois déterminer les attributs fiscaux de M. Gervais
de façon raisonnable dans les circonstances afin de supprimer l’avantage fiscal
qui découle de l’opération ou de la série d’opérations.
46 Hypothèques Trustco, 2005 CSC 54. 47 2005 CCI 684, paragraphe 35(e). Voir également la décision du juge Hogan dans Descarries c. La Reine, 2014
CCI 75, au paragraphe 46. 48 Aux paragraphes 68 à 72 de l’arrêt Copthorne, 2011 CSC 63, le juge Rothstein explique comment la cour doit
faire l’analyse de la question de savoir s’il y a ou non un abus. 49 Copthorne, 2011 CSC 63, paragraphe 33.
Page : 18
Première question : Y a-t-il eu avantage fiscal?
[89] Comme nous l’avons vu au paragraphe 81, la notion d’avantage fiscal est
définie de façon large.
[90] Dans les cas où une déduction est demandée, normalement l’avantage fiscal
sera évident50. Par contre, dans d’autres cas :
35 […] l’existence d’un avantage fiscal peut être établie en comparant la
situation du contribuable à celle qu’aurait produit un autre mécanisme […],
auquel cas il faut que l’autre mécanisme en soit un qui […] « aurait pu
raisonnablement avoir été employé n’eût été l’avantage fiscal » […]. En
s’attachant à ce que la société aurait fait si elle n’avait pas cherché à bénéficier
de l’avantage fiscal, cette démarche vise à isoler l’effet fiscal avantageux de la
motivation non fiscale du contribuable51.
Prétentions des parties
[91] M. Gervais est d’opinion qu’il n’existe aucun avantage fiscal en sa faveur.
Selon lui, s’il y a un avantage fiscal, l’avantage a été réalisé par Mme Gendron qui
a pu utiliser son exonération pour gain en capital prévue au paragraphe
110.6(2.1) de la Loi. En conséquence, comme c’est M. Gervais, et non
Mme Gendron, qui fait l’objet d’une cotisation fondée sur la règle générale
anti-évitement, M. Gervais est d’avis que la cotisation établie en vertu du
paragraphe 245(2) devrait être annulée.
[92] Quant à l’intimée, elle est d’opinion que l’avantage fiscal découle du fait
qu’en l’absence de la série d’opérations en cause, M. Gervais aurait été imposé
sur la vente à BW Technologies de la totalité des actions de Vulcain dont il était
propriétaire au 25 septembre 2002, y compris le gain en capital imposable de
250 000 $ qui a été réalisé par Mme Gendron plutôt que par M. Gervais.
L’avantage fiscal provient du fait que M. Gervais n’a pas payé d’impôt sur le
gain en capital imposable de 250 000 $52.
50 Hypothèques Trustco, 2005 CSC 54, paragraphe 20. 51 Copthorne, 2011 CSC 63. Voir également Hypothèques Trustco, 2005 CSC 54, aux paragraphes 18 à 20, et 34. 52 Voir le paragraphe 39 du mémoire de l’intimée déposé à la Cour d’appel fédérale. À ma demande les deux
parties ont déposé respectivement une copie de leurs mémoires des faits et du droit déposés à la Cour d’appel
fédérale. À l’audience du 31 mars 2016, l’intimée semble attacher de l’importance non seulement au
fractionnement de gain entre M. Gervais et Mme Gendron, mais également au fait que Mme Gendron a utilisé son
Page : 19
Analyse
[93] Pour les raisons suivantes, je suis d’accord avec l’intimée que M. Gervais
a bénéficié d’un avantage fiscal. Ceci se voit clairement en appliquant la méthode
comparative énoncée par la Cour suprême du Canada.
[94] M. Gervais avait deux objectifs distincts : i) vendre ses actions de Vulcain
et ii) donner 1 000 000 $ à Mme Gendron.
[95] Ces objectifs pouvaient facilement être accomplis tout simplement en
vendant ses actions de catégorie « E » à BW Technologies et, ensuite, en donnant
1 000 000 $ à Mme Gendron. Si M. Gervais avait procédé de cette façon, il aurait
réalisé la totalité du gain en capital provenant de la vente des actions de catégorie
« E » et il aurait inclus dans sa déclaration de revenus le gain en capital imposable
relatif à la vente des actions de catégorie « E »53.
[96] Il est clair qu’il y a un avantage fiscal. Tout simplement, l’avantage fiscal
dont M. Gervais a bénéficié est le fait qu’après la planification54 il a évité d’être
imposé sur un gain en capital imposable de 250 000 $55.
Deuxième question : Y a-t-il une opération d’évitement?
[97] Comme nous l’avons déjà vu ci-dessus56, une opération d’évitement est une
opération, ou une opération qui fait partie d’une série d’opérations, dont découle
un avantage fiscal sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est
principalement effectuée pour des objets véritables, l’obtention de l’avantage
fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable57.
exemption de gain en capital pour éviter de payer de l’impôt sur ce gain (transcription, page 46). Voir la note 55
ci-dessous. 53 Une autre possibilité, plus complexe, est que M. Gervais aurait pu donner à Mme Gendron des actions de
catégorie « E » d’une valeur de 1 000 000 $ quelques jours avant la vente à BW Technologies sans vendre d’autres
actions de catégorie « E » à Mme Gendron. Dans un tel cas, M. Gervais aurait également réalisé la totalité du gain
en capital provenant de la vente des actions de catégorie « E » à BW Technologies. 54 Planification qui utilise la vente d’actions de catégorie « E » de M. Gervais à Mme Gendron, le choix de ne pas
faire de roulement quant aux actions vendues, la donation d’actions avec roulement du prix de base rajusté et
l’application de l’article 47 de la Loi. 55 Comme je conclus que M. Gervais a bénéficié d’un avantage fiscal, soit la réduction de l’impôt payable sur un
gain en capital de 500 000 $, il n’est pas nécessaire de décider si l’utilisation de l’exonération du gain en capital
par Mme Gendron pourrait être considérée comme un avantage fiscal direct ou indirect pour M. Gervais. 56 Voir les paragraphes 80 à 82 ci-dessus, c’est-à-dire les paragraphes 245(1) et (3) et le paragraphe 248(10) de la
Loi, respectivement :
Page : 20
[98] La Cour suprême du Canada explique la façon d’aborder cette question
dans Copthorne Holdings Ltd. c. Canada58 :
40 Lorsque [...] le ministre considère que l’avantage fiscal découle d’une série
d’opérations et non d’une seule opération, il faut déterminer s’il y a eu une
série, quelles opérations en font partie et si l’avantage fiscal découle de la série.
[...] Lorsque l’une ou l’autre des opérations de la série n’est pas effectuée
principalement pour des objets véritables non fiscaux, il s’agit d’une opération
d’évitement.
41 L’existence d’une série d’opérations ayant généré un avantage fiscal est le
premier élément à considérer. Comme nous le verrons, il faut examiner à
quelles conditions une opération liée à une série d’opérations au sens de la
common law fait partie d’une série d’opérations au sens du par. 248(10) de la
Loi de l’impôt sur le revenu. On doit ensuite se demander si l’une ou l’autre des
opérations de la série en est une d’évitement.
[...]
43 [...] notre Cour reconnaît que l’économie de la Loi permet de considérer la
série d’opérations au sens large. Le point de départ réside dans la common law
anglaise qui définit la série de telle sorte que « chaque opération dans la série
[est] déterminée d’avance pour produire un résultat final » [...]. Le paragraphe
248(10) de la Loi élargit cette définition en disposant que les « opérations [...]
lié[e]s » terminées « en vue de réaliser » la série (soit « en raison de » la série
suivant Trustco) sont réputées faire partie de la série. […]
[Je souligne.]
(1) […] Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.
[…]
(3) L’opération d’évitement s’entend :
a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement,
un avantage fiscal […];
b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article,
découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal […]
[sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des
objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet
véritable.]
[…]
(10) Pour l’application de la présente loi, la mention d’une série d’opérations ou d’événements
vaut mention des opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série. 57 Copthorne, 2011 CSC 63, paragraphe 39. 58 2011 CSC 63. Voir aussi les paragraphes 49 à 57.
Page : 21
[99] Dans le cas où une opération a à la fois un objet fiscal et un objet non
fiscal, il faut décider s’il était raisonnable de conclure que l’objet non fiscal était
le principal objet. Une évaluation objective de l’importance relative des
motivations auxquelles obéit l’opération est suffisante59.
Prétentions des parties
[100] L’avocat des appelants soutient que le fait d’exercer un choix ne peut être
considéré comme une opération d’évitement au sens du paragraphe 245(3) de la
Loi. Il prétend également que le fait de choisir une opération plutôt qu’une autre
opération, autre opération qui aurait permis d’atteindre un résultat équivalent
mais qui se serait soldée par un montant d’impôt supérieur, n’a pas comme
conséquence que l’opération constitue une opération d’évitement60.
[101] De plus, il soutient que les opérations effectuées avaient pour objectif de
faire bénéficier Mme Gendron du fruit de la vente. À l’appui de sa prétention, il
fait valoir que Mme Gendron a participé activement au développement de Vulcain.
Il souligne également qu’elle a utilisé une partie des fonds reçus de la vente pour
acheter un condominium à son père et faire des investissements personnels. En
conséquence, chaque opération de la série avait un objectif véritable et, par
conséquent, la règle générale anti-évitement ne devrait pas s’appliquer.
[102] L’intimée plaide que les opérations en cause constituent une série
d’opérations puisqu’elles ont été « déterminées d’avance de manière à produire un
résultat donné alors qu’il n’existait aucune probabilité pratique que les
événements planifiés d’avance ne se produiraient pas dans l’ordre envisagé »61.
Elle soutient également que chacune des opérations effectuées dans le cadre de la
série constituait une opération d’évitement, à savoir :
1. le remaniement du capital-actions afin de créer les actions de
catégorie « E » non votantes, non participantes et dont le transfert
était restreint;
2. la vente et la donation de ces actions à Mme Gendron;
3. les choix effectués ou non effectués par M. Gervais en vertu du
paragraphe 73(1) de la Loi;
59 Hypothèques Trustco, 2005 CSC 54, paragraphes 27 à 35.Voir aussi Copthorne, 2011 CSC 63, au paragraphe
59. 60 Voir la transcription du 31 mars 2016, aux pages 19 à 21. 61 Transcription du 31 mars 2016, pages 55 à 57.
Page : 22
4. l’utilisation du mécanisme prévu au paragraphe 47(1) de la Loi afin
de calculer le gain entre les mains de Mme Gendron;
5. l’utilisation par Mme Gendron de son exonération du gain en capital
prévue au paragraphe 110.6(2.1) de la Loi.
[103] Elle souligne que la série d’opérations avait pour but de « maximiser la
fiscalité »62 de la vente des actions de M. Gervais et que le transfert des actions à
Mme Gendron n’était qu’une étape transitoire.
Analyse
[104] Comme l’avantage fiscal allégué découle d’une série d’opérations, il
convient tout d’abord d’identifier la série d’opérations en cause pour ensuite
déterminer si chacune des opérations faisant partie de la série a été effectuée
principalement pour des objets véritables.
La série d’opérations
[105] Je dois donc déterminer si les étapes de la planification en cause étaient
« déterminée[s] d’avance de manière à produire un résultat donné [alors qu’] il
n’existait aucune probabilité pratique que les événements planifiés d’avance ne se
produiraient pas dans l’ordre envisagé »63.
[106] Avant de procéder à cette analyse, je dois déterminer quelles étapes
constituent une « opération » au sens du paragraphe 245(2) de la Loi. À cet
égard, je retiens le remaniement du capital-actions afin de créer les actions de
catégorie « E », la vente du premier bloc d’actions de catégorie « E » en faveur de
Mme Gendron, la donation du deuxième bloc d’actions de catégorie « E » en
faveur de Mme Gendron et finalement la vente par Mme Gendron des actions de
catégorie « E » en faveur de BW Technologies64.
[107] Mme Gendron était au courant de l’offre d’achat, offre dont elle a discuté
avec M. Gervais. M. Gervais et Mme Gendron ont tous les deux participé aux
réunions avec McCarthy Tétrault, qui a préparé la planification. Avant d’acheter
62 Transcription du 31 mars 2016, page 59. 63 Hypothèques Trustco, 2005 CSC 54, paragraphe 25. 64 Il n’est pas nécessaire que je décide si les choix effectués, ou non, par M. Gervais constituent des opérations.
L’analyse de la question de savoir s’il s’agit d’une opération d’évitement ne changerait pas si j’en tenais compte
comme opérations. Par contre, ces choix sont pertinents quant à la troisième question : y a-t-il un abus?
L’application du paragraphe 47(1) de la Loi par Mme Gendron est également pertinente à cette troisième question.
Page : 23
les actions de catégorie « E » Mme Gendron savait qu’elle allait les revendre sous
peu à BW Technologies. D’ailleurs, la convention d’achat d’actions prévoyait
également qu’à l’exception de BW Technologies elle ne pouvait céder à
quiconque ses actions, sans avoir préalablement obtenu le consentement de
M. Gervais. Le tout était programmé d’avance.
[108] Je n’ai aucune difficulté à conclure que les différentes opérations
énumérées ci-dessus ont été déterminées d’avance de manière à produire un
résultat donné et qu’il n’existait aucune probabilité pratique que les événements
planifiés d’avance ne se produiraient pas dans l’ordre envisagé. Il y a donc
clairement présence d’une série d’opérations.
[109] Avant de passer à la question de savoir s’il y a une opération d’évitement,
je ferai l’observation suivante. Des considérations et des choix fiscaux étaient
également rattachés aux différentes opérations identifiées. En effet, le choix
permis par le paragraphe 73(1) de la Loi a été fait relativement à la vente du
premier bloc d’actions de sorte à entraîner la réalisation d’un gain en capital pour
M. Gervais. Le non-exercice du choix permis par le paragraphe 73(1) de la Loi relativement au deuxième bloc d’actions reçues par Mme Gendron comme
donation a eu comme conséquence qu’il y a eu un roulement du prix de base
rajusté. Cela a entraîné l’application du paragraphe 47(1) de la Loi, ce qui a eu
pour effet de combiner le produit de base rajusté des deux blocs d’actions
détenues par Mme Gendron par suite de leurs transferts. Par la suite, la vente des
deux blocs d’actions en faveur de BW Technologies a entraîné la réalisation d’un
gain en capital de 1 000 000 $. De ce gain, un gain en capital imposable
d’environ 250 000 $65 a été attribué à M. Gervais par suite de l’application du
paragraphe 74.2(1) de la Loi. Finalement, Mme Gendron a éliminé l’impôt sur
son gain en capital restant en utilisant son exonération pour gain en capital en
vertu du paragraphe 110.6(2.1) de la Loi66.
Opération d’évitement?
[110] Il s’agit ici de déterminer si toutes les opérations de la série d’opérations
ont été effectuées pour des objectifs véritables. À ce propos, les appelants
plaident que la planification avait comme objectif principal de faire bénéficier
Mme Gendron du fruit de la vente de Vulcain à BW Technologies.
65 Plus précisément 243 095,50 $. 66 Les calculs faits par les appelants dans leurs déclarations de revenus sont détaillés aux paragraphes 68 et 69
ci-dessus.
Page : 24
[111] Je suis satisfait que Mme Gendron a contribué au développement de
l’entreprise. Je suis également satisfait que Mme Gendron a bénéficié de la vente;
elle a utilisé l’argent de la vente pour acheter un condominium à son père et pour
divers achats en plus de faire plusieurs investissements à titre personnel. La
planification avait également comme objectif de « maximiser la fiscalité »67.
[112] Il existe un objectif véritable, la donation de 1 000 000 $ à Mme Gendron
en reconnaissance de sa contribution à l’entreprise. Cet objectif coexistait avec
l’objectif de réduire l’impôt.
[113] Toutefois, « [l]orsque l’une ou l’autre des opérations de la série n’est pas
effectuée principalement pour des objets véritables non fiscaux, il s’agit d’une
opération d’évitement »68. Or, la vente d’actions à Mme Gendron par M. Gervais
n’est absolument pas nécessaire pour faire une donation à Mme Gendron69 et, en
conséquence, il n’y a pas d’objectif véritable pour cette opération.
[114] Cette opération, la vente des actions à Mme Gendron, était nécessaire
uniquement pour obtenir l’avantage fiscal, éviter que M. Gervais paye de l’impôt
sur une partie du gain en capital, avantage qui a été réalisé en transférant cette
même partie du gain en capital à Mme Gendron70.
[115] Il y a donc opération d’évitement71.
67 Dans la transcription, on retrouve des références à « maximiser la fiscalité ». Dans le contexte de toute la
preuve, il est clair qu’il s’agit d’obtenir un bon traitement fiscal en essayant de réduire l’impôt. 68 Copthorne, 2011 CSC 63, paragraphe 39 à 41, notamment le paragraphe 40. 69 Pourquoi vendre à Mme Gendron un bloc d’actions alors que cette dernière devra revendre les actions quelques
jours plus tard pour un prix identique? L’opération n’a aucun but véritable, car M. Gervais aurait pu tout
simplement donner le montant de 1 000 000 $ à Mme Gendron après la vente. Voir le paragraphe 95 et la note 53
ci-dessus. 70 Sans cette vente, vente où le choix de se soustraire au roulement du paragraphe 73(1) de la Loi a été effectué, le
prix de base rajusté des actions de catégorie « E » reçues en donation n’aurait pas pu bénéficier des règles
d’étalement du coût prévues au paragraphe 47(1) de la Loi et, en conséquence, le gain en capital imposable sur les
actions transférées par donation aurait été attribué en totalité à M. Gervais par l’effet du paragraphe 74.2(1) de la
Loi. La situation ici est similaire à celle de l’affaire Copthorne, 2011 CSC 63, où il y avait, globalement, un objectif
véritable, la simplification et la consolidation de la structure, mais où l’une des opérations, la vente des actions de
VHHC Holdings à Big City, constituait une opération d’évitement, car l’étape n’était nullement nécessaire pour
accomplir l’objectif véritable. Voir, notamment, les paragraphes 62 et 63 des motifs du juge Rothstein dans
Copthorne, 2011 CSC 63. 71 Je veux brièvement examiner la thèse des appelants que le fait de choisir une opération plutôt qu’une autre qui
aurait résulté dans un impôt plus élevé ne fait pas en sorte que l’opération choisie est une opération d’évitement.
(Voir les pages 19 à 21 de la transcription du 31 mars 2016.) Les appelants citent la décision de cette cour dans
Spruce Credit Union c. La Reine, 2012 CCI 357, au paragraphe 68. Toutefois, comme le dit la Cour d’appel
Page : 25
Troisième question : L’opération d’évitement était-elle abusive?
Le droit applicable
[116] La dernière des trois questions est la plus difficile : l’opération d’évitement
qui donne lieu à l’avantage fiscal constitue-t-elle un abus dans l’application des
dispositions de la Loi? Dans Copthorne72, la Cour suprême du Canada dit :
66 La RGAÉ est un mécanisme juridique par lequel le législateur confie aux
tribunaux la tâche inhabituelle d’aller au-delà du texte de la disposition invoquée
par le contribuable pour en déterminer l’objet ou l’esprit. Il se peut qu’une
opération du contribuable respecte à la lettre la disposition en cause sans
nécessairement être conforme à l’objet ou à l’esprit de celle-ci. Dans ce cas, le
ministre peut invoquer la RGAÉ, laquelle crée effectivement de l’incertitude
chez le contribuable. Les tribunaux doivent toutefois se rappeler que l’art. 245
représente une « mesure de dernier recours » […].
67 Il ne faut pas perdre de vue que la confirmation judiciaire d’une cotisation
fondée sur la RGAÉ peut avoir des répercussions sur d’innombrables opérations
« courantes » effectuées par les contribuables. […]
68 C’est pourquoi « la RGAÉ ne permet de supprimer un avantage fiscal que
dans les cas où l’opération en cause est manifestement abusive » […]. En
conséquence, la cour doit se livrer à une analyse objective, approfondie et point
par point, puis justifier sa conclusion.
69 Pour conclure au caractère abusif d’une opération, la cour doit d’abord
déterminer « l’objet ou l’esprit des dispositions [...] qui sont invoquées pour
obtenir l’avantage fiscal, eu égard à l’économie de la Loi, aux dispositions
pertinentes et aux moyens extrinsèques admissibles » […]. Un auteur assimile
cet objet ou cet esprit à la […] « raison d’être qui sous-tend des dispositions
particulières ou interdépendantes de la Loi » […].
70 L’objet ou l’esprit peuvent être circonscrits grâce à la méthode qu’emploie
notre Cour pour toute interprétation législative, à savoir une méthode
« textuelle, contextuelle et téléologique unifiée » […]. Bien que la méthode
d’interprétation soit la même dans le cas de la RGAÉ, l’analyse vise en l’espèce
à dégager un aspect différent de la loi. Dans un cas classique d’interprétation
législative, la cour applique l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique pour
fédérale dans Canada c. Spruce Credit Union, 2014 CAF 143, aux paragraphes 60 à 62, il faut lire le paragraphe
68 dans son contexte. En soi, le seul fait de choisir une opération plutôt qu’une autre moins avantageuse sur le
plan fiscal ne fait pas en sorte que l’opération est une opération d’évitement; cela dépend de la réponse à la
question de savoir si l’opération dont il s’agit a été « effectuée principalement pour des objets véritables non
fiscaux ». 72 2011 CSC 63.
Page : 26
établir le sens du texte de la loi. Dans le cas de la RGAÉ, l’analyse textuelle,
contextuelle et téléologique vise à établir l’objet ou l’esprit d’une disposition. Il
est alors possible que le sens des mots employés par le législateur soit
suffisamment clair. La raison d’être de la disposition peut ne pas ressortir de la
seule signification des mots eux-mêmes. Il ne faut cependant pas confondre la
détermination de la raison d’être des dispositions applicables de la Loi avec le
jugement de valeur quant à ce qui est bien ou mal non plus qu’avec les
conjectures sur ce que devrait être une loi fiscale ou sur l’effet qu’elle devrait
avoir.
71 La cour doit ensuite se demander si l’opération est conforme à l’objet ainsi
défini ou si elle le contrecarre […] lorsque l’opération fait partie d’une série, il
faut l’examiner dans le contexte de la série pour déterminer s’il y a évitement
fiscal abusif. En effet, le caractère abusif d’une opération ne se révèle alors que
dans le contexte de la série dans laquelle elle s’inscrit et de l’effet global obtenu
[…].
72 L’analyse fait conclure à l’évitement fiscal abusif lorsque l’opération (1)
produit un résultat que la disposition législative vise à empêcher, (2) va à
l’encontre de la raison d’être de la disposition ou (3) contourne l’application de
la disposition de manière à contrecarrer son objet ou son esprit […]. Ces
considérations ne jouent pas indépendamment les unes des autres, et elles
peuvent se chevaucher. À cette étape, le ministre doit montrer clairement que
l’opération a un caractère abusif, et le contribuable a le bénéfice du doute.
[Je souligne.]
[117] Donc, il convient d’abord d’interpréter les dispositions générant l’avantage
fiscal pour en déterminer l’objet et l’esprit. Ensuite, il faut déterminer si
l’opération d’évitement est conforme à cet objet ou si elle le contrecarre73.
[118] L’application de la règle générale anti-évitement relève donc d’une analyse
globale portant sur une question mixte de fait et de droit. L’interprétation des
dispositions générant l’avantage doit s’effectuer en adoptant une approche
textuelle, contextuelle et téléologique. Cette interprétation est essentiellement une
question de droit mais l’application des dispositions « dépend nécessairement des
faits »74.
73 Hypothèques Trustco, 2005 CSC 54, paragraphe 43, et Copthorne, 2011 CSC 63, paragraphes 66 à 72. 74 Copthorne, 2011 CSC 63, paragraphes 66 à 72, et Hypothèques Trustco, 2005 CSC 54, paragraphe 44.
Page : 27
[119] Il y a évitement fiscal abusif lorsqu’on utilise des dispositions particulières
de la Loi afin d’obtenir un résultat que ces dispositions visent à empêcher. Il y a
également abus lorsqu’un mécanisme est en place afin de contourner certaines
dispositions particulières, comme des règles anti-évitement75.
Prétentions des parties
[120] L’avocat des appelants prétend que l’interaction des paragraphes 69(11) et
110.6(7) de la Loi démontre que le législateur permet implicitement de tirer
avantage de certains attributs fiscaux dans le cas de transferts entre époux76. En
d’autres mots, il est d’opinion que le législateur a permis le fractionnement des
gains entre conjoints, et donc, qu’il n’est pas abusif de procéder tel que l’ont fait
M. Gervais et Mme Gendron.
[121] L’avocate de l’intimée est d’opinion que l’avantage fiscal qui découle de la
série d’opérations résulte en un abus dans l’application des règles d’attribution, à
savoir des paragraphes 73(1), 74.2(1) et 74.5(1) de la Loi. Elle plaide aussi que
l’objet et l’esprit du paragraphe 110.6(2.1) de la Loi ont été transgressés.
Analyse
Les principes généraux
[122] Un des principes fondamentaux du système fiscal canadien est la
reconnaissance de chaque contribuable en tant qu’unité de base d’imposition. Les
auteurs Hogg, Magee et Li77 écrivent :
[TRADUCTION]
Selon la Loi, l’unité imposable est la « personne », ce qui comprend les
particuliers et les sociétés. Par conséquent, même si un particulier considère
généralement sa famille immédiate (habituellement son conjoint et ses enfants)
comme une unité économique pour ce qui est des ressources et des dépenses, la
Loi considère chaque membre de la famille comme une unité imposable
75 Hypothèques Trustco, 2005 CSC 54, paragraphe 45. 76 Voir Ken S. Skingle, The GAAR — Be Careful Out There!, 2004 Prairie Provinces Tax Conference (Toronto:
Canadian Tax Foundation, 2004), 3:1-38, à la section concernant l’affaire William Berman, appel
no 2001-4131(IT)G de la Cour canadienne de l’impôt — article écrit avant la décision de la Cour suprême du
Canada dans l’arrêt Lipson c. Canada, 2009 CSC 1. 77 Peter W. Hogg, Joanne E. Magee et Jinyan Li, Principles of Canadian Income Tax Law, 8e édition (Toronto,
ON: Carswell, 2013).
Page : 28
distincte. Ainsi, sous réserve des règles anti-évitement dont il est question plus
loin, si un enfant est lui-même propriétaire d’un bien, le revenu tiré du bien fait
partie du revenu imposable de l’enfant et apparaît dans la déclaration de revenus
de l’enfant. La Loi ne considère pas le revenu de l’enfant comme étant le revenu
des parents, même si les parents et les enfants font évidemment partie de la
même famille. Il en est de même des entités commerciales familiales, comme les
fiducies et les sociétés : chaque entité est un contribuable distinct.
[Je souligne.]
[123] Cette réalité conjuguée avec l’application des taux d’imposition marginaux
incite souvent les contribuables à recourir à des techniques de planification visant
à fractionner le revenu à l’intérieur d’une même famille78.
[124] Dans l’arrêt Neuman c. M.R.N.79, la Cour suprême du Canada a reconnu
qu’il n’existe aucun mécanisme général empêchant le fractionnement du revenu :
35 Une grande partie de mon analyse sera consacrée à l’examen des conclusions
tirées dans McClurg. Mais avant de passer à cet arrêt, je tiens à faire quelques
observations pour bien situer le présent débat dans son contexte. Premièrement,
le par. 56(2) vise à empêcher l’évitement fiscal au moyen du fractionnement du
revenu; il s’agit cependant d’une disposition particulière relative à l’évitement
fiscal, et non d’une disposition générale interdisant le fractionnement du revenu.
En fait, dans la LIR, [TRADUCTION] « aucun mécanisme général n’empêche
le fractionnement du revenu » (V. Krishna et J. A. Van Duzer, « Corporate
Share Capital Structures and Income Splitting: McClurg v. Canada » (1992-93),
21 Can. Bus. L.J. 335, à la p. 367). Le paragraphe 56(2) ne peut s’appliquer
pour empêcher le fractionnement du revenu que lorsque les quatre conditions
préalables à son application sont précisément remplies80.
[Souligné dans l’original.]
[125] Cependant, ce principe n’est pas sans limites. En effet, en présence d’une
disposition à l’effet contraire, le fractionnement du revenu ne sera pas permis81.
Cela sera le cas, par exemple, lorsque des règles anti-évitement spécifiques,
78 Gwartz c. La Reine, 2013 CCI 86. 79 [1998] 1 R.C.S. 770. 80 Voir aussi le paragraphe 36 de l’arrêt et, aussi, les commentaires du juge Hogan dans l’affaire Gwartz c. La Reine, 2013 CCI 86 :
53 […]
Bien que l’arrêt Neuman précède l’adoption du paragraphe 120.4, l’existence d’une politique
générale dans la LIR interdisant le fractionnement du revenu et reposant sur des dispositions
particulières de la LIR autres que le paragraphe 120.4 n’a pas été reconnue.
[Je souligne.] 81 Neuman, [1998] 1 R.C.S. 770, paragraphe 36.
Page : 29
telles que les règles d’attribution, auront été contournées d’une manière contraire
à leur objet ou à leur esprit82.
L’objet et l’esprit des dispositions législatives
[126] Selon les enseignements de la Cour suprême du Canada, il faut d’abord
interpréter les dispositions générant l’avantage afin d’en déterminer l’objet et
l’esprit83.
[127] Les dispositions générant l’avantage dans notre affaire sont les paragraphes
73(1), 74.1(1), 74.5(1) et 47(1) de la Loi84. Ces dispositions devront donc faire
l’objet d’une interprétation à la lumière de leur texte, de leur contexte et de leur
objet. À cet égard, les paragraphes 73(1), 74.1(1) et 74.5(1) ont déjà fait l’objet
d’une analyse détaillée par la Cour suprême dans l’arrêt Lipson c. Canada85.
[128] Selon la Cour suprême, le but du paragraphe 73(1) de la Loi est de faciliter
le transfert des biens entre époux sans conséquences fiscales immédiates :
31 Le paragraphe 73(1) facilite le transfert de biens entre époux sans
conséquences fiscales immédiates (jugement de la Cour de l’impôt, par. 21). Il
établit une exception à la règle générale selon laquelle l’aliénation d’un bien
donne lieu à un gain ou à une perte en capital. Selon le professeur Vern
Krishna :
[TRADUCTION] La raison pour laquelle il est permis au
contribuable de transférer un bien en franchise d’impôt est qu’il
serait inopportun, voire injuste, de prélever un impôt sur une
opération qui n’entraîne pas de changement financier fondamental
quant au droit de propriété, même s’il peut y avoir modification
de la forme ou du montage juridique.
(The Fundamentals of Canadian Income Tax (9e éd. 2006),
p. 1112)86
[Je souligne.]
[129] Autrement dit, le paragraphe 73(1) de la Loi permet le report d’impôt à
l’intérieur de la cellule familiale, c’est-à-dire entre époux ou conjoints de fait.
82 Lipson, 2009 CSC 1, paragraphe 32. 83 Hypothèques Trustco, 2005 CSC 54, paragraphe 44. 84 Il n’est pas nécessaire que je considère s’il y a abus du paragraphe 110.6(2.1). 85 2009 CSC 1. 86 Lipson, 2009 CSC 1.
Page : 30
Ainsi, aussi longtemps qu’un bien demeure à l’intérieur de la cellule familiale, la
réalisation d’un gain ou d’une perte en capital peut être reportée87. À l’inverse,
conjugué avec les autres dispositions de la Loi, un gain ou une perte sera
généralement réalisé lors d’une disposition à l’extérieur de la cellule familiale.
[130] Les règles d’attribution prévues aux articles 74.1 à 74.5 de la Loi constituent, pour leur part, des dispositions anti-évitement destinées à empêcher
les époux de réduire l’impôt exigible en tirant avantage de ce lien de dépendance
en fractionnant le revenu d’un époux lorsque l’un d’eux transfère un bien à
l’autre :
32 Enfin, les règles d’attribution prévues aux art. 74.1 à 74.5 constituent des
dispositions anti-évitement destinées à empêcher les époux (ou d’autres
contribuables ayant un lien de dépendance entre eux) de réduire l’impôt exigible
en tirant avantage de ce lien de dépendance lorsque l’un d’eux transfère un bien
à l’autre. Le cas le plus courant est celui de l’avantage découlant du
fractionnement du revenu, mais ce n’est pas le seul. Au Canada, l’unité
d’imposition s’entend de l’individu : [TRADUCTION] « Chaque particulier est
considéré comme un contribuable » (Krishna, p. 16; voir également l’arrêt
Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627, par. 93). Par conséquent, le par.
74.1(1) a pour objet d’empêcher les époux de mettre à profit leur lien de
dépendance en réattribuant à l’auteur du transfert, aux fins de l’impôt, tout
revenu ou perte provenant du bien transféré88.
[131] Quant au paragraphe 47(1) de la Loi, je retiens que cette disposition vise à
calculer un prix de base rajusté moyen pour des biens identiques qui ont été
acquis à des moments différents89. Cette disposition vise aussi à simplifier le
calcul du prix de base rajusté, ce qui facilite le calcul du gain en capital au
moment de la disposition de biens identiques.
Application des dispositions législatives aux faits
[132] Maintenant que l’objet et l’esprit des dispositions sont identifiés, il faut
déterminer si l’opération d’évitement alléguée est conforme à cette intention.
87 À moins de choisir de ne pas avoir de roulement. 88 Lipson, 2009 CSC 1. 89 Ministère des Finances, notes explicatives, paragraphe 47(1), février 1995; Canada Tax Service — McCarthy
Tétrault Analysis, 47 — Identical Properties.
Page : 31
Selon la Cour suprême du Canada, il y a abus si l’une des trois conditions
suivantes est remplie90 :
1. L’opération d’évitement donne lieu à un résultat que les dispositions
invoquées visent à empêcher.
2. L’opération d’évitement va à l’encontre de la raison d’être de ces
dispositions.
3. L’opération d’évitement contourne l’application de certaines
dispositions de manière à contrecarrer leur objet ou leur esprit.
[133] Il est utile à ce stade de se rappeler que :
71 […] lorsque l’opération fait partie d’une série, il faut l’examiner dans le
contexte de la série pour déterminer s’il y a évitement fiscal abusif. En effet, le
caractère abusif d’une opération ne se révèle alors que dans le contexte de la
série dans laquelle elle s’inscrit et de l’effet global obtenu […]91.
[134] Quand on tient compte à la fois des paragraphes 73(1), 74.2(1) et 74.5(1),
l’économie de la Loi veut donc que lorsqu’un individu transfère un bien à son
époux ou conjoint de fait, il peut y avoir report de l’impôt92 exigible par ailleurs.
S’il y a report, au moment où l’époux ou le conjoint de fait dispose du bien, il y
aura attribution du gain en capital imposable à l’individu qui a fait le transfert93.
[135] Ici, on doit considérer toutes les circonstances entourant la série : le
recours aux transferts des deux blocs d’actions de catégorie « E », un bloc par
vente et un bloc par donation, le choix de ne pas faire de roulement quant aux
actions vendues à Mme Gendron, le choix de permettre le roulement quant aux
actions données à Mme Gendron avec le résultat que le paragraphe 47(1) de la Loi s’applique au moment où Mme Gendron vend ses actions. Il est évident que ce
résultat donne lieu à un résultat que le paragraphe 74.2(1) vise à empêcher et qui
contrecarre l’objet du paragraphe 74.2(1) et l’économie de la Loi en évitant
l’attribution d’une partie du gain en capital imposable à M. Gervais qui aurait
normalement eu lieu au moment où Mme Gendron a vendu ses actions.
90 Copthorne, 2011 CSC 63, paragraphe 72, Hypothèques Trustco, 2005 CSC 54, paragraphe 45, et Lipson, 2009
CSC 1, paragraphe 40. 91 Copthorne, 2011 CSC 63. 92 Il y a un roulement et, en conséquence, un report d’impôt, à moins que l’individu qui fait le transfert fasse le
choix de ne pas avoir de roulement. 93 Comme la Cour suprême l’a dit dans l’arrêt Lipson, 2009 CSC 1, l’objet et l’esprit des règles d’attribution
visent spécifiquement à empêcher que des époux tirent profit de leur lien de dépendance afin de réduire leur impôt
exigible.
Page : 32
[136] Il s’ensuit qu’il y a abus dans l’application des dispositions de la Loi et,
qu’en conséquence, le paragraphe 245(2) s’applique.
[137] Avant de conclure, je vais faire quelques commentaires relatifs aux
paragraphes 69(11) et 110.6(7) de la Loi. Ces paragraphes sont des dispositions
anti-évitement spécifiques qui ne s’appliquent pas à la situation ici. Selon les
appelants, il n’y a pas d’abus parce que, en raison de ces dispositions, il est
raisonnable de conclure que le législateur a choisi de permettre les transferts
entre conjoints comme ceux qui font l’objet de ce litige94.
[138] Je ne puis souscrire à cette conclusion. Ce raisonnement s’écarte de la
méthode d’analyse préconisée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt
Hypothèques Trustco Canada c. Canada95. En effet, le test établi par la Cour
suprême implique l’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique des
dispositions générant l’avantage. Cette interprétation doit se faire en tenant
compte de la Loi « lue dans son ensemble »96.
[139] En outre, le paragraphe 69(11) de la Loi vise à limiter le transfert de biens,
à un prix moindre que la juste valeur marchande, entre un contribuable et une
personne avec laquelle le contribuable n’est pas affilié afin que cette personne
réalise subséquemment un gain et qu’elle utilise ses attributs fiscaux, par exemple
des pertes en capital, pour réduire ce gain. Le législateur a expressément
soustrait de l’application de cette disposition les personnes affiliées telles que
M. Gervais et Mme Gendron.
[140] Or, ce n’est pas parce qu’une disposition anti-évitement n’est pas
applicable à une situation qu’elle neutralise l’application d’une autre règle
anti-évitement ayant un objectif et un but différents. Dans la présente affaire, la
question porte spécifiquement sur un transfert de biens entre époux et les règles
d’attribution occupent une place fondamentale. De plus, vu l’arrêt Lipson, je ne
94 Voir le mémoire des faits et du droit de l’appelant Guy Gervais devant la Cour d’appel fédérale, aux
paragraphes 54 à 59.
Les appelants citent Ken S. Skingle, The GAAR — Be Careful Out There!, 2004 Prairie Provinces Tax
Conference (Toronto: Canadian Tax Foundation, 2004), 3:1-38. Me Skingle infère que, parce que le paragraphe
69(11) de la Loi est limité à certaines situations, cela implique que pour des situations où le paragraphe 69(11) ne
s’applique pas, notamment entre époux, le législateur approuve ces transferts entre époux pour permettre au
bénéficiaire de demander une déduction qui ne lui serait pas par ailleurs disponible. 95 2005 CSC 54. 96 Hypothèques Trustco, 2005 CSC 54, paragraphe 51.
Page : 33
vois pas comment je pourrais conclure que le transfert ici n’était pas contraire à
l’objet et à l’esprit de la Loi97.
[141] À cet égard, je ne peux conclure qu’une disposition anti-évitement, par
ailleurs inapplicable, peut restreindre l’objet et l’esprit des règles d’attribution.
Le législateur, en édictant les paragraphes 69(11) et 110.6(7) de la Loi, n’a pas
eu l’intention d’enlever l’effet utile du paragraphe 74.2(1) dans des circonstances
comme celle-ci.
[142] Finalement, les appelants prétendent qu’il ne peut y avoir d’abus quand un
contribuable exerce un choix qui est permis par la Loi. Dans le contexte de la
règle générale anti-évitement, il faut considérer ce choix à la lumière de
l’économie de la Loi. Dans le contexte des règles d’attribution, le but du choix
est de permettre au contribuable de différer ou non la réalisation d’un gain, et
non de permettre au contribuable d’éviter l’attribution. Or, ici les choix ont été
exercés dans le but de contourner l’attribution. Il y a donc abus.
Conclusion
Guy Gervais
[143] Ayant conclu que M. Gervais a bénéficié d’un avantage fiscal découlant
d’une série d’opérations dans le cadre de laquelle une opération d’évitement
abusive a eu lieu, je conclus que la cotisation fondée sur la règle générale
anti-évitement doit être maintenue.
[144] La mesure raisonnable dans les circonstances consiste à réattribuer un gain
en capital imposable de 250 000 $ à M. Gervais, car cela aurait comme effet de
placer M. Gervais dans la situation qui aurait prévalu en l’absence de la
planification.
[145] L’appel de M. Gervais est en conséquence rejeté.
97 L’arrêt Lipson, 2009 CSC 1, démontre clairement que l’économie de la Loi veut que lorsqu’il y a eu roulement
selon le paragraphe 73(1), le gain en capital imposable de l’époux qui a reçu le bien doit être attribué à l’époux
qui a fait le transfert.
Page : 34
Lysanne Gendron
[146] Aucune partie n’a suggéré qu’il y a lieu de modifier le résultat du jugement
du 23 avril 2014 dans le cas de Mme Gendron. Je suis d’accord. Il y aura un
jugement en conséquence98.
Signé à Québec (Québec), ce 12e jour de septembre 2016.
« Gaston Jorré »
Juge Jorré
98 Logiquement, puisque le gain en capital est réattribué à M. Gervais, il s’ensuit que Mme Gendron n’a pas utilisé
la déduction pour gain en capital qu’elle a réclamée dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition
2002.
Annexe
Loi de l’impôt sur le revenu
PARTIE XVI
Évitement fiscal
Définitions
245(1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.
attribut fiscal S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu
imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou
autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable,
en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte
pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable,
le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre
montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable. (tax consequences)
avantage fiscal Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant
exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement
d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la
réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait
exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que
l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la
présente loi qui découle d’un traité fiscal. (tax benefit)
opération Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un
événement. (transaction)
Disposition générale anti-évitement
(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent
être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à
supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait,
directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations
dont cette opération fait partie.
Opération d’évitement
(3) L’opération d’évitement s’entend :
a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement
ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer
que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables —
l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet
véritable;
Page : 2
b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le
présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage
fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est
principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de
l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.
Application du par. (2)
(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de
considérer, selon le cas :
a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu
compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un
ou de plusieurs des textes suivants :
(i) la présente loi,
(ii) le Règlement de l’impôt sur le revenu,
(iii) les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,
(iv) un traité fiscal,
(v) tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou
de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la
présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en
compte dans ce calcul;
b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans
l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans
leur ensemble.
Attributs fiscaux à déterminer
(5) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2) et malgré tout autre
texte législatif, dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une
personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer
l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou
indirectement, d’une opération d’évitement :
a) toute déduction, exemption ou exclusion dans le calcul de tout ou partie
du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou
de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;
b) tout ou partie de cette déduction, exemption ou exclusion ainsi que tout ou
partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués
à une personne;
c) la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée
autrement;
d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres
dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.
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Demande en vue de déterminer les attributs fiscaux
(6) Dans les 180 jours suivant l’envoi à une personne d’un avis de cotisation, de
nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire qui tient compte du
paragraphe (2) en ce qui concerne une opération, ou d’un avis concernant un
montant déterminé en application du paragraphe 152(1.11) en ce qui concerne
une opération, toute personne autre qu’une personne à laquelle un de ces avis a
été envoyé a le droit de demander par écrit au ministre d’établir à son égard une
cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire en
application du paragraphe (2) ou de déterminer un montant en application du
paragraphe 152(1.11) en ce qui concerne l’opération.
Exception
(7) Malgré les autres dispositions de la présente loi, les attributs fiscaux d’une
personne, par suite de l’application du présent article, ne peuvent être
déterminés que par avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou de cotisation
supplémentaire ou que par avis d’un montant déterminé en application du
paragraphe 152(1.11), compte tenu du présent article.
Obligations du ministre
(8) Sur réception d’une demande présentée par une personne conformément au
paragraphe (6), le ministre doit, dès que possible, après avoir examiné la
demande et malgré le paragraphe 152(4), établir une cotisation, une nouvelle
cotisation ou une cotisation supplémentaire ou déterminer un montant en
application du paragraphe 152(1.11), en se fondant sur la demande. Toutefois,
une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire ne peut
être établie, ni un montant déterminé, en application du présent paragraphe que
s’il est raisonnable de considérer qu’ils concernent l’opération visée au
paragraphe (6).
[...]
PARTIE XVII
Interprétation
248 [...]
Série d’opérations
(10) Pour l’application de la présente loi, la mention d’une série d’opérations ou
d’événements vaut mention des opérations et événements liés terminés en vue de
réaliser la série.
RÉFÉRENCE : 2016 CCI 180
Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2010-71(IT)G
2010-70(IT)G
INTITULÉ DE LA CAUSE : GUY GERVAIS,
LYSANNE GENDRON,
c. LA REINE
LIEU DE L’AUDIENCE99 : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 31 mars 2016
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : L’honorable juge Gaston Jorré
DATE DU JUGEMENT : Le 12 septembre 2016
COMPARUTIONS :
Avocats des appelants : Me Serge Fournier
Me Camille Janvier
Avocates de l’intimée : Me Mélanie Sauriol
Me Josée Tremblay
AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :
Pour les appelants : Me Serge Fournier
Cabinet : BCF s.e.n.c.r.l.
Montréal (Québec)
Pour l’intimée : William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Ottawa, Canada
99 Audience faisant suite à la décision du 6 janvier 2016 de la Cour d’appel fédérale (2016 CAF 1).