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  • GRAMMAIRE

    GYPTIENNE.

  • GRAMMAIRE

    EGYPTIENNE,

    ou

    PRINCIPES GNRAUX

    DE L'CRITURE SACRE GYPTIENNE

    APPLIQUE A LA REPRESENTATION DE LA LANGUE PARLEE,

    PAR CHAMPOLLION LE JEUNE;

    PUBLIE

    SUR LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE,

    PAR L'ORDRE DE M. GUIZOT,MINISTREDE L'INSTRUCTIONPUBLIQUE.

    PARIS,

    TYPOGRAPHIE DE FIRMIN DIDOT FRERES,

    IMPRIMEURS DE L'INSTITUT DE FRANCE,

    RUE JACOB, N 24.

    M DCCC XXXVI.

  • A Monsieur

    PAIR DE FRANCE,

    Secrtaire Perptuel de l'Acadmie Royale des Inscriptions et

    Belles-Lettres, etc., etc., etc.,

    Vos doctes leons ont dirig dans la carrire de

    l'rudition orientale les premiers pas de l'auteur de la

    Grammaire Egyptienne; vos souvenirs vousrappellent le jour

    ou j'eus l'honneur de vous le prsenter et de le recom-

    mander vos bonts; cette premire entrevue a laifs dans

    votre esprit de profondes imprefsions; quinze annes plus

    tard, votre suffrage, hautement exprim, a rcompens ses

    efforts et sa persvrance, en accrditant dans le monde

    savant ses premires dcouvertes : il vous devait l'hommage

    public de l'ouvrage o se trouvent exposes toutes celles qui

    sont devenues la base de la science qu'il a cre

    Vous aviez accept cet hommage de sa bouche, et peu

  • aprs, ce contrat a reu une haute sanction de tout ce qu'il

    y a de solennel, de sacr dans la mort soudaine et pr-

    mature d'un homme dj illustr, jeune encore, par de

    mmorables travaux.

    Je ne dois pas rveiler ici des regrets que vous avez

    si noblement exprims dans une Notice qui est le plus

    glorieux loge de son esprit, de son caractre, et qui

    prservera de l'oubli sa mmoire et ses ouvrages : mais

    j'ai aujourd'hui un devoir remplir, pour moi bien im-

    prvu!... que votre nom et le sien me rendent cher

    un double titre, et c'est avec un religieux emprefsement

    que je m'en acquitte par cette Ddicace.

    A nos douloureux souvenir, permettez-moi,

    Monsieur le Baron, de mler, et de vous prier

    d'agrer l'exprefsion de mes sentiments habituels de respect

    et de dvouement.

    Y.-Y. Champollion-Figeac.

  • LETTRE

    A M. CHAMPOLLION FIGEAG,

    En rponse l'Eptre Ddicatoire de la Grammaire Egyptienne.

    Monsieur et Cher Collgue,

    Je ne sais si vous me pardonnerez d'avoir tard plusieurs

    jours rpondre votre obligeante lettre : je m'en voudrais moi-

    mme si ce retard et t volontaire. Mais vous savez que je ne

    choisis plus mes occupations, et que le devoir bien plus que l'incli-

    nation en rglent l'ordre. Vous voudrez donc bien agrer tout

    la fois et mes excuses, et mes remerciemens pour un hommage qui

    m'est cher autant qu'il est honorable pour moi. Je me donnerais

    un dmenti moi-mme, si je ne l'acceptois avec emprefsement

    et reconnaifsance.

    Je vous prie, Monsieur Cher Collgue, d'agrer l'afsurance

    de ma haute considration et de mon attachement.

    Le B Silvestre de Sacy.

  • PRFACE

    DE L'EDITEUR

    C'EST pour rpondre aux voeux non quivoques de l'Europe savante,

    que M. le Ministre de l'Instruction publiquea jug propos de faire

    mettre au jour, en plusieurs parties, la Grammaire Egyptienne. Elle

    est attendue avec un empressement qui est gnral, et pleinement justifi

    par l'importance littraire et archologique de son sujet, comme par la

    juste renomme de son auteur.

    La partie publie la premire contient l'Introduction et les neuf

    premiers chapitres; elle est moins de la moiti de l'ouvrage entier, les

    245 pages imprimes du texte, ne reprsentant que 209 pages du ma-

    nuscrit, et le volume complet, avec les tables, tant de plus de 600 pages.

    Ces neuf premiers chapitres traitent des lments mmes du sujet,

    et il ne faut pas oublier qu'il s'agit ici de la thorie dune criture, et

    non pas de la grammaire d'une langue ; la premire exprimantles ides

    par des signes crits, qui peuvent tre de nature diffrente,et procder

    a cette expression par une voie directe ou indirecte; la seconde, n'usant

    que d'articulations orales; qui se prtent uniformment la composition

    des mots., signes immdiats de ces ides.

    Les noms, la forme et la disposition matrielle de ces signes crits;

    leur expression propre, et leurs espces diverses; leurs modes varis de

  • II PRFACE DE L'DITEUR.

    combinaison, soit pour faire avec eux desmots et des noms, soit pour

    qualifier ces mots, les dterminer sans quivoque, indiquerleur genre,

    leur nombre et leurs rapports ; enfin, les signes servant la numration

    des choses et celle des divisions civiles du temps,, sont expossdans

    ces neuf premiers chapitres.On trouvera dans les chapitres suivants ce qui concerne

    les pronoms,

    les adjectifs , le verbe et sa conjugaison selon ses temps etses modes;

    enfin les particules, qui comprennent la prposition, l'adverbe,la

    conjonction et l'interjection.Tel est le contenu complet du manuscrit qui sert cette publication.

    Ce manuscrit est tout entier de la main de l'auteur, et il n'existe pas,

    dans toute son tendue, un mot, un signe, d'une main trangre (I)-

    Ce texte volumineux est dans un tat parfait de conservation , et sans

    lacune; il ne prsente aucune incertitude, ni dans l'ordre des matires,

    ni dans l'exposition des rgles, ni dans la difficile contexture des exemplesla nettet, la symtrie de l'imprim, sont encore au-dessous de la belle

    excution de l'original, dans la partie qui a t dfinitivement mise au

    net par l'auteur.

    Il avait fait de sa minute une premire copie in-40; il en a ensuite

    transcrit une grande partie sur un papier petit in-folio, qui en fait une

    seconde copie. Dans celle-ci, le texte est crit et les exemples sont figursavec une admirable prcision. Les signes des critures gyptiennes ysont tracs avec un esprit et une habilet dignes des plus parfaits

    modles antiques, et que la presse n'a pas toujours pu reproduire dans

    toute leur puret.La premire minute de cette Grammaire subsiste presque entire. Elle

    est soigneusement conserve, et porte le n 7 dans l'inventaire des

    manuscrits du mme auteur, qui ont t acquis par le gouvernement,dans l'intrt des sciences, en excution de la loi spciale du 24 avril 1833.

    Le manuscrit qui sert cette dition porte le n 6 dans ce mme

    inventaire, et se compose de trois parties distinctes les unes des autres

    par leur format seulement. Les feuillets numrots 1 20 sont en

    papier in-4 et proviennent de la premire copie; les feuillets (2)numrots de 21 352 composent la seconde copie, de format petitin-folio ; et l'alphabet, qui occupe

    les pages 35 46 de l'imprim, et qui

    (1) Les chiffres de la pagination, et ceux de quelques citations excepts.(2) On dit les feuillets et non pas les pages, quoique une page reprsente matriellement un

    feuillet, ceux-ci n'tant point crits au verso. Il n'y a d'exception qu'aux pages 190 et 335.

  • PRFACE DE L'DITEUR. III

    forme, manuscrit, un tableau de cinq pieds cinq pouces de long, sur

    dix pouces de hauteur, divis en vingt colonnes de signes hirogly-

    phiques et hiratiques homophones, accompagns des lettres coptes

    correspondantes, est un appendice la page 33 de ce mme manuscrit (I).

    Enfin, les feuillets 353 471 (et celui-ci est le dernier) proviennentaussi de la premire copie.

    Ce signalement minutieux du manuscrit de la Grammaire Egyptiennen'est point ici une superftation, ni l'effet d'une proccupation, en tout

    cas bien pardonnable a l'diteur : mais il faut qu'on puisse toujoursconstater son identit , puisque ce manuscrit est l'inventaire authentique,

    irrcusable, de toutes les dcouvertes dont les sciences historiques seront

    jamais redevables Champollion le jeune ; tous les rsultats consigns de

    sa main dans son ouvrage, sont le fruit de son gnie, de sa persvrance;et le manuscrit de la Grammaire Egyptienne, religieusement conserv

    dans un dpt public, devra servir, dans tous les temps, dmontrer, sans

    espoir pour les prtentions rivales ou envieuses, jusqu'o son auteur avait

    port la connaissance de la thorie des critures gyptiennes; quels dve-

    loppements il avait donns sa dcouverte primitive durant les dix annes

    qu'il put lui consacrer encore ; quelles fcondes applications il en fit l'his-

    toire de l'antique civilisation, et comment les certitudes de ses principes se

    multiplirent par ces applications mmes. Ce qu'on fera de plus sur ce

    vaste sujet, ce qu'on trouvera de vrai aprs lui, appartiendra ses plusheureux disciples et ne sera pas sans gloire pour eux : mais ce qu'il a

    crit de sa main ne peut tre personne qu' lui; l'quit publique

    protgea dans tous les temps les droits et les privilges de l'intelligence.Il n'est pas non plus indiffrent de faire savoir quelle poque, dans

    l'histoire des ouvrages de Champollion le jeune, appartient sa Grammaire

    Egyptienne, afin de dterminer srement le degr d'autorit dont cette

    composition se trouve revtue par sa date mme, eu gard au dve-

    loppement successif des thories de l'auteur, et leur perfectionnement

    au moyen d'observations nouvelles ou de quelque modification dans

    l'usage des observations antrieures. Nous dirons donc que la Grammaire

    gyptienne est son dernier ouvrage. Il en fit la premire copie, qui en

    est la seconde rdaction , aussitt aprs son retour du voyage en Egypte,

    et il insra dans son manuscrit un assez grand nombre d'exemples tirs

    (1) La page21 de la premire copie est attache la page 20, afin de montrer qu'il n'existe

    pas de lacune entre la page 20 de la premire copie et la page 21 de la seconde; cette page 21,

    qui fait la liaison, tant la mme dans les deux textes.

  • IV PRFACE DE L'DITEUR.

    des monuments qu'il avait vus et tudis pendantce voyage. Il passa

    l'automne de l'anne I83I dans le Quercy, et il employa ce temps

    crire les 332 pages qui forment la seconde copie. Aprsles premires

    atteintes (au mois de dcembre suivant) de la cruellemaladie qui lui

    accorda une trve si courte et si trompeuse, il ne s'occupa encore que

    de cette Grammaire; il en mit les feuilles en ordre ; et aprs s'treassur

    que rien n'y manquait : Serrez-la soigneusement,nous dit-il, j'espre

    qu'elle sera ma carte de visite a la postrit.

    Ce dpt sacr a t religieusement gard, et il est aujourd'hui

    fidlement rendu la science qui en, tait la lgitime hritire.

    C'est dans la considration que mritent de.si hauts intrts, dans

    le soin de la renomme qui s'y rattache insparablement et dansles

    conseils de ceux qui la chrissent le plus, que l'diteur de l'ouvrage

    s'est fait une loi de chercher les directions les plus sres et les plus

    propres l'accomplissement d'un devoir qu'il ne pouvait dlguer; et il

    lui a paru que ce devoir serait accompli, s'il russissait reproduire,

    par l'impression, la copie exacte du manuscrit.

    C'est vers ce but important que tous ses efforts ont t dirigs, et il

    a espr d'y atteindre ds qu'on a eu dcouvert des moyens mcaniques

    capables d'excuter figurativement un travail sans modle dans sa forme

    matrielle, comme il l'tait dans son sujet.A l'ouverture du livre, on voit combien les exemples en critures

    gyptiennes y sont nombreux, et combien les signes de ces critures ysont multiplis. Ces exemples pouvaient tre runis dans une srie de

    planches, et rangs sous des chiffres exactement rpts dans le texte.

    Mais il suffit de lire un seul chapitre, pour apprcier les avantages

    marqus qui rsultent de l'insertion des exemples dans le discours, et

    pour reconnatre les inconvnients majeurs de l'autre procd.On a donc russi rendre facile et commode l'usage d'un livre

    didactique, dont le sujet exige dj une tude trs-attentive, et une

    persvrance l'preuve de la nouveaut et de la complication d'un

    systme graphique inaccoutum; et il est permis de croire que ce succs

    pour un pareil ouvrage, en engendrera d'autres non moins utiles la

    critique et la philologie.Tous les textes en caractres mobiles, franais, latins, grecs, coptes, etc.,

    ont t composs selon les procds ordinaires de l'imprimerie, et d'aprsune copie du manuscrit original, sur laquelle on ne portait que ces

    textes, les exemples en critures gyptiennes y tant laisss en blanc,dans des espaces rservs et gaux aux dimensions de ces exemples

  • PRFACE DE L'DITEUR. V

    mmes. Aprs la correction de ces textes, une preuve tire sous la

    presse de l'imprimeur, et en encre lithographique, tait immdiatement

    transporte sur la pierre; les exemples pris sur le manuscrit et dcalqussur cette pierre, en remplissaient tous les blancs, et le tirage suivait la

    rvision d'une nouvelle preuve.

    Le public a donc sous les yeux le premier fruit, en France du moins ,de cette nouvelle et fconde alliance de la typographie et de la litho-

    graphie. De plus, les feuilles de cet ouvrage o les mots gyptiens sont

    composs la fois de signes en noir et de signes en rouge, prouvent

    jusques quelle exactitude peut atteindre un double tirage fait d'aprsles nouveaux procds; et il est presque inutile d'avertir que cette

    invention est un service de plus rendu par MM. Firmin Didot frres

    un art qui leur est dj redevable de tant d'ingnieux perfection-nements.

    Sans le secours de celui-ci, l'impression de la Grammaire Egyptiennedevenait presque impossible. On aurait pu entreprendre de graver les

    caractres gyptiens ; l'importance et le succs des tudes auxquelles ces

    caractres, introduits dans l'imprimerie, seraient d'un service si efficace

    et si dsir, amneront indubitablement l'accomplissement d'une

    pareille entreprise; mais elle exigeait plus de temps qu'on ne pouvaitd'abord lui en accorder. Les types doivent tre de la plus grande puret,et le nombre de ces types, pour les signes hiroglyphiques seulement,

    pouvait s'lever 1400. Il est vrai que le nombre total des signes connus

    de cette criture ne dpasse pas 800; mais la moiti au moins s'emploiesur deux dimensions, et un quart sur trois; ainsi l'exige l'arrangement

    symtrique et grammatical des signes dans les textes en colonnes rgu-

    lires, tantt verticales, tantt horizontales. Avec les caractres hiro-

    glyphiques, il fallait graver aussi les caractres hiratiques frquemment

    employs dans les exemples; et si l'on s'est, parfois, rcri contre l'in-

    vitable retard qu'ont occasionn, dans la publication de cette Gram-

    maire, des essais qu'on a multiplis dans le but de perfectionner un

    procd si ncessaire l'excution de l'ouvrage, comment esprer d'ob-

    tenir plus de patience pour le retard bien autrement prolong par la

    gravure de plus de 2000 types ?

    L'diteur peut donc se confier en l'indulgence des personnes qui com-

    prennent les difficults d'un semblable travail. La seule rvision des

    preuves sorties des deux presses qui ont concouru le mettre au

    jour, exigeait un temps et une attention qui n'ont pas t pargns.B

  • VI PRFACE DE L'DITEUR.

    Pour la scrupuleuse reproduction des exemples,il fallait aussi une

    main exerce au style des monuments originaux,et un

    dvouementaffectionn l'ouvrage pour l'amour de l'auteur

    : un de sesbons

    compagnons de voyage en Egypte et en Nubie, M. Salvador Cherubini,s'en est charg avec un empressement trop gnreux pour se ralentir.C'est aussi M. Cherubini qui a dirig l'emploi des sujets

    dessins en

    vignette la fin de chaque chapitre, et ils sont tous analogues l'objet

    de l'ouvrage. Enfin, on n'a hsit sur aucun des sacrifices reconnus

    ncessaires la belle excution de ce volume.

    Malgr le rare concours de tant de moyens et de bonnes volonts,

    on dcouvrira encore quelques fautes dans ces feuilles; mais il n'yen a

    pas d'assez graves pour arrter ou tromper le lecteur. De celles qui

    peuvent se trouver dans les textes en caractres gyptiens, les unes,

    absolument insignifiantes, comme le sont quelques signes retourns,

    existent dans le manuscrit original, et il n'entrait 'nullement dans l'in-

    tention ni dans les droits de l'diteur, pas plus que dans les voeux du

    monde savant, qu'il y ft fait la moindre correction ; quelques autres sontdu fait de l'diteur ou des imprimeurs, mais elles n'affectent jamais,

    dans un exemple, le groupe particulier sur lequel repose le prcepte

    auquel cet exemple sert de dmonstration. Quant aux fautes des textes

    en caractres mobiles, nous nous faisons un devoir d'indiquer plus bas

    les principales.Nous n'avons rien dire de l'ouvrage en lui-mme, il appartient au

    publie, et il attend un jugement dont la renomme de l'auteur n'aura

    vraisemblablement rien redouter. Ce travail, tout d'invention, fut pourlui le sujet d'une prdilection marque ; il ne ngligea rien de ce qui pou-vait le rendre en mme temps utile la science, intressant pour les per-sonnes mmes qui ne se proposeraient pas de l'tudier fond, et c'est dans

    cette double vue qu'il y multiplia les exemples tirs des monuments, afin

    de rpandre un plus grand nombre de notions certaines sur les faits

    principaux de la civilisation gyptienne. Par ses longues nomenclatures

    de mots et de noms tirs de tous les ordres d'ides, cette Grammaire

    servira comme d'Introduction aux tudes historiques et archologiquessur l'Egypte, et elle sera ainsi digne du sicle et de l'homme dont elle

    est l'ouvrage.Je ne me dissimulais pas combien la publication de cet ouvrage m'en-

    gageait, pour les dlais, envers le public. Rien n'a t pargn pour ne

    pas abuser de sa bienveillance; mon engagement cet gard tait aussi

  • PREFACE DE L'EDITEUR. VII

    le premier et le plus cher de mes devoirs envers la science, et envers la

    mmoire d'un des hommes qui contriburent le plus son accroisse-

    ment par leurs travaux, et sa dignit par leur caractre.

    Ala Bibliolhque Royale, ce 23 dcembre 1835;(45eanniversairedu jour de la naissance

    de Champollionle jeune.)J.-J. CHAMPOLLION-FIGEAC.

  • VIII PRFACE DE L'DITEUR.

    PRINCIPAUX ERRATA.

    Page 25, ligne dernire, vw, lisez : 6.TUJ.

    46, id., OMT, lisez : OTT.

    65, ligne 26, nerrrp, lisez : ncnTp.

    72, lignes 15 et 16, cg; Ggc, lisez : eg; GgG.

    76, 17e groupe, le segment de sphre manque.

    78, 3e groupe, le vase rond manque.

    84, ligne 7, JULOCOT, lisez : JULOGOT.

    92, ligne 13, onoTOT, lisez : CTOTOT.

    100, avant-dernire ligne, TH&G, lisez : TO>L6.

    165, ligne 6, d'tablir, lisez : de t'tablir.

    179, ligne 13, TGJULOIO, lisez : T6JU.GJ0.

    186, ligne 16, COT l), Usez : \Z>.

    189, ligne 17, vague masculin, lisez : vague masculin singulier.

    195, ligne 4, p-X, Usez : p ou X.

    208, ligne 19, pour e-, (9), est dans le manuscrit.

    217, ligne avant-dernire, JUT&, lisez :xxn..

    226, ligne 1, g&euupG, lisez .g&ea>p.

    243, ligne 6, imegr, &?ez "nxiegr.

    N. B. Leau-dessus des prpositions u ou u, isoles ou en composition, a t omis dansquelques exemples ; mais le sens de la phrase n'en souffre pas. == Quelques signes hiroglyphiquesou hiratiques sont parfois incomplets par l'effet du tirage; ces accidents seront presque inaperus,et nous ne les indiquons ici que pour avertir que nous avons tout fait pour les prvenir.

  • GRAMMAIRE

    GYPTIENNE

    INTRODUCTION.

    DISCOURS D'OUVERTURE

    DU COURS D'ARCHEOLOGIE

    AU COLLEGE ROYAL DE FRANCE.

    [LE programme du Collge royal annonait ce cours en ces termes :

    M. Champollion exposera des principes de la Granimaire gyp-

    tienne-copte, et dveloppera le systme entier des critures sacres, en

    faisant connatre toutes les formes grammaticales usites dans les textes

    hiroglyphiques et hiratiques. Ce cours fut ouvert publiquement le 10 mai 1831 (1), par le Discours

    suivant, destin servir d'introduction la Grammaire gyptienne :]

    Si FRANOIS Ier, en jetant les fondements de son Collge des trois

    langues, s'tait propos d'indemniser la France de sa ranon de Pavie,

    ce noble but serait atteint depuis long-temps. Le domaine de la science

    (1) L'ordonnance royale qui cra cette chaire nouvelle au Collge royal, et y nomnia

    Champollion le jeune, est du 12 mars 1831.a

  • ij GRAMMAIRE GYPTIENNE,INTRODUCTION,

    est en effet naturellement fcond; ses riches produitsrmunrent tou-

    jours la main bienveillante quile cultive, et leur varit mme semble

    ajouter leur prix.

    Toutes les sciences ont trouv dans le collge de FranoisIer un asile

    honorable, et la liste de celles qui, jusqu'ici, yfurent appeles, forme-

    rait une sorte de rsum encyclopdiquedes crations de l'intelligence

    humaine; on pourrait ajouter, et unrsum de ses variations et de ses

    progrs, car les quatre chaires primitivesde 1530 s'lvent aujourd'hui

    vingt-quatre, et trois seulementdes crations fondamentales sur-

    vivent intactes leurs trois sicles d'existence.

    Rendons grace, Messieurs, cette heureuse instabilit des choses

    humaines de cet ordre; le pouvoir de l'intelligencecomme sa dignit s'y

    rvlent, la fois, et par des progrs, etsurtout par de lgitimes exi-

    gences : heureux les princes quiles ont devines et satisfaites !

    Guillaume Bud avertissait le fondateur du Collge de France, que

    l'tude des langues, semblable une pauvre fille sans dot, tait l'objet

    d'un ddain qu elle n' avait pas mrit; il rclamait en sa faveur quelques

    marques de la protection royale : honore aujourd'hui l'gal de toutes

    les sciences utiles, cette tude a port ses fruits. Elle donne notre

    littrature nationale une intelligence plus intime de ses anciens mo-

    dles, et lui en dcouvre chaque jour de nouveaux; on lui doit encore

    de puissants moyens d'preuve sur la vracit de l'histoire, et les fon-

    dements de la critique, science qui soumet son examen les crits et les

    monuments des peuples.

    L'Europe savante l'a reconnu, c'est la France qui eut l'avantage de

    fournir aux autres nations et les prceptes et les meilleures applications

    de la critique historique. Des noms justement honors protgrent les

    premiers pas de la science quand elle tenta de s'chapper enfin des

    langes d'une routine trop long-temps empirique, et la maintiennent

    encore; dans sa vritable direction par l'autorit de leur exemple et parl'clat de leur renomme. Il faut l'esprer : notre patrie saura conserver

    ce prcieux hritage, en songeant l'amliorer plutt qu' l'tendre !

    Eh!, que pourrait-elle d'ailleurs y ajouter encore, quand, dpassant les

    limites mmes de l'antiquit classique, et poursuivant sa marche la

    critique historique embrasse dj dans son domaine les parties les plus

    loignes des continents de l'Asie et de l'Afrique ? C'est sur une portionde cette vieille terre, qu'une grace rcente du roi m'impose l'honorabledevoir de ramener votre attention. La gloire de l'Egypte est bien an-

    cienne; notre valeureuse France a su la rajeunir en l'associant ses

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION. iij

    propres triomphes : l'Egypte sera donc, plus d'un titre, un sujet presquetout franais.

    Mais ce n'est point de notre temps seulement que l'Egypte est devenue

    un objet de recherches pour l'rudition moderne.

    A l'poque de la Renaissance, l'Europe, si long-temps malheureuse

    par la violence des gouvernants et par la profonde ignorance des popu-

    lations, s'effora, en tudiant avec constance les crits et les monuments

    de l'antiquit chapps aux barbares de races et de religions diverses,de s'approprier les ides, les sciences, les arts et les formes de civilisa-

    tion des peuples qui brillrent sur la terre avant l'invasion des hordes

    scythiques ; et si les nations modernes peuvent s'enorgueillir bon droit

    de leurs lumires ou de leur bien-tre matriel, on ne devra point l'ou-

    blier, c'est aux obscurs et longs travaux des lettrs, infatigables investi-

    gateurs des ruines du temps pass, que les socits europennes doivent

    la possession d'un prcieux hritage, les leons de l'exprience des

    peuples nos devanciers, la connaissance des principes fondamentaux

    des sciences, des arts et de l'industrie, que nous avons approfondis et

    dvelopps d'une manire si merveilleuse.

    L'histoire, dont le but marqu, le seul digne d'elle, est d prsenterun tableau vridique des associations humaines qui marchrent avant

    nous dans la carrire de la civilisation, embrasse une telle immensit de

    faits d'un ordre si diffrent et d'une nature si varie, qu'elle emprunte

    forcment le secours de tous les genres d'tudes, de celles mme qui

    forment, en apparence du moins, des sciences tout fait distinctes.

    A leur tte se place la philologie prise dans un sens gnral, la philo-

    logie qui, procdant d'abord matriellement, fixe la valeur des mots et

    des caractres qui les reprsentent, et tudie le mcanisme des langues

    antiques.

    Bientt, s'levant dans sa marche, cette science constate les rapports

    ou les diffrences du langage d'un peuple avec les idiomes de ses voisins,

    compare les mots, reconnat les principes qui prsident leurs combi-

    naisons dans chaque famille de langues ou dans chaque langue en par-

    ticulier, et nous conduisant ainsi l'intelligence complte des monu-

    ments crits des vieilles nations, nous initie dans le secret de leurs ides

    sociales, de leurs opinions religieuses ou philosophiques; constate, nu-

    mre les vnements survenus pendant leur existence politique, les re-

    trouve, pour ainsi dire, avec la couleur localeet la nuance du moment,

    puisque ce sont en effet les anciens hommes qui nous parlent alors

  • IV GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION,

    d'eux-mmes, directement et sans intermdiaires, au moyendes signes;

    tracs jadis par leurs propres mains.

    Une seconde science, place par la naturemme de son objet

    dans

    des rapports intimes avec la philologie, ou qui, pourmieux dire, en

    est insparable, l'archologie, assure l'histoireses fondements les plus

    certains, en recueillant pour elle les tmoignages les plus authentiques

    de la ralit des vnements passs, les tmoignages des monuments

    originaux, produits des arts, retraant les faits contemporainsdont ils

    furent jadis des signes publics, des commmorations consacres,et qui

    en restent pour nous des tmoins irrcusables.

    C'est principalement au domaine de ces deux sciences runies,l'ar-

    chologie et la philologie, indispensables auxiliaires de l'histoire, qu'ap-

    partiennent, par leur propre essence, si l'on peut s'exprimer ainsi,les

    monuments de la vieille Egypte, objet principal du cours qui s'ouvre

    aujourd'hui.Les innombrables produits des arts gyptiens, arrivs jusqu' nous

    travers les injures du temps et malgr les ravages de la barbarie musul-

    mane ou de l'ignorance des premiers chrtiens, sont tous, en effet, trs-

    peu d'exceptions prs, accompagns d'inscriptions plus ou moins ten-

    dues, relatives leur destination, et prcisant, soit le motif, soit l'poquede leur excution. Cette circonstance, heureuse sous tant de rapports,divise donc naturellement les tudes archologiques gyptiennes en deux

    branches distinctes : d'abord, les tudes philologiques, ayant pour objetla langue, les divers systmes d'criture usits dans l'antique Egypte,enfin l'interprtation raisonne et surtout raisonnable des inscriptions

    monumentales; en second lieu, les tudes archologiques proprement

    dites, embrassant toute la srie des monuments figurs, sous le double

    rapport de l'art et de leur destination pour les usages civils ou religieux,militaires ou domestiques.

    La science archologique a suivi, depuis sa naissance en Europe, une

    marche toute naturelle, en remontant progressivement dans ses re-

    cherches la chane chronologique des peuples qui se sont succd dansla carrire sociale. L'attention des antiquaires se concentra d'abord sur

    les monuments des Romains, monuments pars sur notre sol, les plusvoisins de nous, et servant tour tour de confirmations positives oud'utiles claircissements aux textes des auteurs classiques latins, pre-mier objet des tudes philologiques en Occident.

    En Constatant la liaison des faits pour remonter l'origine des pro-

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION. V

    cds et du principe des arts romains, on arriva par des transitions

    insensibles la recherche et l'tude des monuments de l'ancienne

    Grce, d'o taient venus les sciences et les arts, qui, adoucissant l'-

    pret des moeurs latines, assurrent au nom romain, sur les nations de

    l'ancienne Europe, cette longue suprmatie que n'eussent pu perptuer

    les vertus guerrires et le seul emploi de la force physique.Ds ce moment, l'archologie reconnut que Rome avait reu par

    transmission immdiate les arts de la Grce, encore empreints de leur

    simplicit si lgante et de cette inimitable puret, principe de toute

    perfection; que les dominateurs du monde, laissant aux Grecs le soin

    d'embellir la ville ternelle par les merveilles de l'architecture et de la

    sculpture, abandonnrent leur religion et leur culte mme au gnie hel-

    lnique, puisque les images des dieux de Rome adores dans les templesfurent des produits de l'art et du travail de ces trangers. Mais une

    telle concession de la part d'un peuple si jaloux de sa nationalit, trouva

    bientt, aux yeux de l'archologue, une explication suffisante dans la

    communaut d'origine des Grecs et des Romains, issus d'une mme

    race, comme le prouvent l'extrme analogie de leur langage et l'identit

    de leurs croyances religieuses, dissemblables, il est vrai, en quelques

    points, quant la nomenclature, mais parfaitement identiques dans le

    fond de la doctrine et dans l'ensemble de leurs formes extrieures.

    Ainsi, remontant le cours des ges, la science archologique, parve-nue la source originelle des arts et de la civilisation des Romains, con-

    centra ses moyens et ses efforts sur l'tude des monuments de l'antique

    Grce, contre fameuse, considre, en gnral et par l'effet invitable

    de l'instruction premire donne aux gnrations qui se succdent en

    Europe depuis plusieurs sicles, comme l berceau primitif de notre

    civilisation , comme la vritable terre natale des sciences et des arts.

    Mais cette opinion s'affaiblit et se modifie singulirement par un exa-

    men consciencieux des traditions et des monuments hellniques : une

    tude srieuse, dgage du prjug vulgaire qui, malgr l'vidence des

    faits et le tmoignage positif des anciens Grecs eux-mmes, tendrait

    faire admettre le systme de la gnration spontane des arts, des

    sciences et de toutes les institutions sociales sur le sol de l'ancienne

    Grce, nous dmontre que, comme partout ailleurs peut-tre, ce pays,habit d'abord par quelques hordes barbares, fut successivement occupaussi par des populations trangres dont l'arrive opra de grands

    changements et d'importantes modifications dans la langue comme

    dans la religion, les pratiques des arts et les habitudes de la vie civile.

    b

  • vj GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION.

    La population vritablement hellniqueest descendue du Nord, et

    la civilisation lui vint en suite du Midi, importe par des trangers que

    des circonstances politiques expulsaient des contresorientales de l'an-

    cien monde. C'est l le rsum des documents historiques transmis par

    les Grecs eux-mmes sur leurs temps primitifs : c'est donc dansl'Orient

    qu'il faut chercher les origines hellniques; et l'archologie, pntrede

    cette vrit , proclame d'abord la sublime perfectionet

    l'incomparable

    supriorit des arts de la Grce antique.Mais voulant aussi con-

    natre le vritable point de dpart et toutes les transmigrationsds arts

    et des sciences, elle porte dj ses regards sur les monuments primitifs

    des nations orientales occupant la scne de l'ancien monde, et ayant

    opr de grandes choses avant que, le premier, le nom desHellnes

    sortt brillant de gloire de la profonde obscurit qui, pendant tant de

    sicles, enveloppa, sans exception, tous les peuples de l'Occident.

    On voit ainsi s'tendre ncessairement le domaine de l'archologie;

    cette science, par suite de longs travaux, est parvenue au point o un

    dernier effort compltant la connaissance des faits embrasss par ses

    limites, elle pourra dduire avec sret toutes les consquences de ces

    mmes faits bien prsents, et fonder enfin un corps de doctrine sur

    l'origine ou la transmission des ides sociales et les variations du prin-

    cipe des arts, signes permanents et si expressifs de l'avancement ou de

    la dcadence des peuples,Les historiens affirment que les introducteurs des premires formes

    de civilisation, un peu avances, parmi les peuplades hellniques de l'Ar-

    golide et de l'Attique, furent des hommes venus par mer des rivages de

    l'Egypte; que, ds ce moment, l'Egypte devint une cole o allrent

    s'instruire les lgislateurs de la Grce, les rformateurs de son culte et

    surtout les Hellnes d'Europe ou d'Asie, qui htrent le dveloppementde la socit grecque, en propageant d'abord, par leur exemple, l'tudedes sciences, de l'histoire et de la philosophie. C'est donc par une con-

    naissance approfondie des monuments de l'Egypte, en constatant sur-

    tout, par l'vidence des faits, l'antiquit de la civilisation sur les bordsdu Nil, antrieurement mme l'existence politique des Grecs et de

    plus les relations nombreuses de la Grce naissante avec l'Egypte djvieille, que l'on remontera l'origine des arts de la Grce, la sourced'une grande partie de ses croyances religieuses et des formes extrieuresde son culte.

    L'archologie s'est depuis long-temps pntre de l'importance de tels

    rsultats; mais deux causes principales retardrent indfiniment les

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION. vij

    progrs des tudes gyptiennes : la raret des monuments originaux, et

    l'ignorance complte de la langue des anciens gyptiens.Ds le XVIIe sicle quelques cabinets renfermaient dj un certain

    nombre d'objets d'art gyptiens de diffrents genres, envoys en Europe

    par des agents consulaires, comme de simples objets de curiosit. La

    plupart d ces monuments provenaient de fouilles excutes sur l'em-

    placement de Memphis; c'taient des amulettes, un petit nombre de

    bronzes, beaucoup de petites figurines en terre maille, images fun-

    raires sorties en abondance des hypoges de Sakkara; enfin quelquesmomies communes et fort peu remarquables sous le rapport de la d-

    coration ou de la richesse des peintures. Plus tard on possda des lam-

    beaux de manuscrits gyptiens sur toile, des bandelettes couvertes de

    caractres sacrs, et des cercueils de momie en pierre dure, chargsde longues inscriptions hiroglyphiques.

    Ces divers objets appelrent enfin l'attention des savants sur le

    systme d'criture des anciens gyptiens. Les rares documents parsdans les auteurs grecs et latins, relatifs la nature des signes graphiques

    employs par cette nation, excitaient encore plus la curiosit. On com-

    mena ds cette poque rechercher les monuments figurs de l'gypte ;on tudia les oblisques de Rome, rcemment exhums ou relevs parla munificence des pontifes, et l'archologie s'enrichit ainsi d'une nou-

    velle branche, qui, toutefois, demeura long-temps strile par la fausse

    direction que les rudits imprimrent leurs recherches.

    Une critique rigoureusement pure ne prsidait point encore l'-

    tude des textes classiques sous le double rapport de l'histoire et de l'ar-

    chologie. On ne saisit point alors les importantes distinctions formel-

    lement tablies par les auteurs anciens entre les diffrents systmes

    d'critures usits chez les gyptiens. On gnralisa trop ce que ces

    auteurs n'avaient affirm que d'une certaine classe de signes seu-

    lement; et ds lors les tudes gyptiennes dvirent de plus en plus

    du but vritable, car, partant de faux aperus, on mettait en fait que

    l'criture gyptienne, dite hiroglyphique, ne reprsentait nullementle

    son des mots de la langue parle; que tout caractre hiroglyphique

    tait le signe particulier d'une ide distincte; enfin, que cette criture ne

    procdait la reprsentation des ides que pardes symboles et des

    emblmes.

    De tels principes, auxquels des rudits denos jours n'ont point en-

    core renonc, ouvraient l'imagination un champ bien vaste,ou plutt

    une carrire sans limites. Le jsuite Kircher s'y jeta, et, ne gardant au-

  • viij GRAMMAIRE GYPTIENNE,INTRODUCTION,

    cune rserve, abusa de la bonne foi de ses contemporains,en publiant,

    sous le titre d'OEdipus AEgyptiacus, de prtenduestraductions des l-

    gendes hiroglyphiques sculptessur les oblisques de Rome, traduc-

    tions auxquelles il ne croyait point lui-mme,car souvent il osa les

    tayer sur des citations d'auteurs quin'existrent jamais. Du reste, ni

    l'archologie, ni l'histoire ne pouvaitrecueillir aucun fruit des tra-

    vaux de Kircher. Qu'attendre, en effet, d'un hommeaffichant la pr-

    tention de dchiffrer les textes hiroglyphiques priori;sans aucune

    espce de mthode ni de preuves!d'un interprte qui prsentait comme

    la teneur fidle d'inscriptions gyptiennes,des phrases incohrentes

    remplies du mysticisme la fois le plus obscuret le plus ridicule !

    Les rveries de Kircher contriburent aussi rpandre dans le monde

    savant ce singulier prjug, subsistant aujourd'huimme dans quelques

    esprits, d'aprs lequel les inscriptions hiroglyphiques sculptessur

    tous les monuments, sans exception, taient jadis comprises parceux-

    l seuls d'entre les gyptiens que leurs lumires avaient appelsaux

    grades avancs de l'initiation religieuse. On croyaitalors que tous ces

    textes antiques roulaient uniquement sur des sujets cachs et myst-

    rieux; qu'ils taient un objet d'tude rserv une petitecaste privi-

    lgie, et qu'ils renfermaient uniquement les doctrinesoccultes de la

    philosophie gyptienne. Cette ide fausse parut en quelque sorte con-

    firme par l'opinion, tout aussi hasarde, qui attribuait alors la masse

    entire des signes composant l'criture sacre des Egyptiens, une na-

    ture purement idographique. On en tait venu considrer toute in-

    scription gyptienne comme une srie de symboles et d'emblmes,

    sous lesquels se cachaient obscurment de profonds mystres, en un

    mot, comme la doctrine sacerdotale la plus secrte explique par des

    nigmes.Partant de pareilles hypothses,des tudes gyptiennes ne pouvaient

    compter sur aucun progrs rel, puisque, d'autre part, on voulait par-venir l'intelligence des inscriptions hiroglyphiques en ngligeant

    prcisment le seul moyen efficace auquel pt se rattacher quelque

    espoir de succs : la connaissance pralable de la langue parle des an-

    ciens Egyptiens. Cette notion tait cependant le seul guide que l'explo-rateur dt adopter avec confiance, dans les trois hypothses possiblessur la nature de cet antique systme graphique.

    Si, en effet, l'criture hiroglyphique ne se composait que de signespurement idographiques, c'est--dire de caractres n'ayant aucun rap-port direct avec les sons des mots de la langue parle, mais reprsentant

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION. IX

    chacun une ide distincte, la connaissance de la langue gyptienne par-le devenait indispensable, puisque les caractres emblmes ou sym-boles , employs dans l'criture la place des mots de la langue, devaient

    tre disposs dans le mme ordre logique et suivre les mmes rgles de

    construction que les mots dont ils tenaient la place; car il s'agissait de

    rappeler l'esprit, en frappant les yeux par la peinture, les mmes

    combinaisons d'ides qu'on rveillait en lui en s'adressant aux organesdu sens de l'oue par la parole.

    Si, au contraire, et en opposition la croyance si gnrale cette

    poque, le systme hiroglyphique employait exclusivement des carac-

    tres de son, ces signes ou lettres composant l'criture gyptienne,

    sculpts avec tant de profusion sur les monuments publics, ne devaient

    reproduire d'habitude que le son des mots propres la langue parledes Egyptiens.

    En supposant enfin que l'criture hiroglyphique procdt par le m-

    lange simultan de signes d'ides et de signes de sons, la connaissance

    de la langue gyptienne antique restait encore l'lment ncessaire de

    toute recherche raisonne ayant pour but l'interprtation des textes

    gyptiens.On ne songea mme pas user de cet instrument d'exploration d'un

    effet si certain; et cependant il n'tait point douteux, mme ds les pre-mires annes du XVIIe sicle, que les manuscrits coptes rapports d'E-

    gypte par les missionnaires ou par les voyageurs, ne fussent conusen langue gytienne crite avec des caractres trs-lisibles, puisque

    l'alphabet copte, c'est--dire l'alphabet adopt par les Egyptiens deve-

    nus chrtiens, n'est que l'alphabet grec accru de quelques signes.Par une singularit bien digne de remarque, ce fut le P. Kircher

    lui-mme qui donna, en 1643, sous le titre de Lingua oegyptiaca resti-

    tuta, le texte et la traduction de manuscrits arabes recueillis en Orient

    par Pietro della Valle, et contenant des grammaires de la langue copte;

    plus, un vocabulaire copte-arabe. Dans cet ouvrage, qui, malgr ses

    innombrables imperfections, a beaucoup contribu rpandre l'tude

    de la langue copte, Kircher ne put se dfaire de son charlatanisme

    habituel : incapable de tirer aucune sorte de profit rel, pour ses tra-

    vaux relatifs aux hiroglyphes, du recueil tendu de mots gyptiens qu'ilvenait de publier, il osa introduire dans ce lexique, et donner comme

    coptes, plusieurs mots dont il avait besoin pour appuyer ses explications

    imaginaires.

    Ainsi, la connaissance du copte fut d'abord propage en Europe dans

  • X GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION.

    le seul intrt de la littrature biblique. Saumaise, le premier,montra

    l'avantage que la philologie pouvaitretirer des notions renfermes dans

    les textes coptes, en expliquant parleur moyen un bon nombre d'an-

    ciens mots gyptiens rappels dansles crivains grecs. Plus tard, les

    travaux de Wilkins et de Lacroze ayant facilit la connaissance dela

    langue copte, l'archologie, dtournedes tudes gyptiennes par d'inu-

    tiles tentatives, et surtout par les extravagants abus quel'on s'tait

    permis, y fut enfin ramene par l'espoirassez fond, en apparence,

    d'expliquer le systme religieux de l'ancienne Egypte,et par suite les

    monuments de son culte, en runissant et en classant les passages

    pars dans les auteurs grecs et latins, concernant lesattributions des

    divinits gyptiennes, et en interprtant les noms mmesde ces divinits

    l'aide des vocabulaires coptes. Ce fut l le vritable but que se proposa

    Paul-Ernest Jablonsky, lorsqu'il entreprit l'ouvrage intitul : Pantheon

    AEgyptiorum, sive de Diis eorum commentarius.

    Toutefois, ce savant, dou d'une vaste rudition, n'avait point pestoutes les difficults de son entreprise. Il tait fort prsumable, en, effet,

    que les crivains grecs et latins, ne parlant que par occasion de la

    croyance et du culte des Egyptiens, devaient seulement donner des

    notions partielles, locales, et ncessairement incompltes, du systme

    religieux de cet ancien peuple; et quant l'interprtation des noms

    gyptiens de divinits par la langue copte, pouvait-on se flatter dj

    que le petit nombre de textes coptes dpouills par Jablonsky ou parson matre Wayssire-Lacroze, renfermt tous les mots radicaux dont

    se composaient les noms des dieux et des desses de l'Egypte ? tait-il

    enfin dmontr que les Grecs et les Latins, en transcrivant ces noms

    ne les avaient aucunement altrs ? Tout prouve, au contraire, que l'a-

    nalyse tymologique de ces noms de divinits ne saurait tre raison-

    nablement tente, qu' la condition pralable de connatre l'orthographe

    gyptienne de ces mmes noms : or, cette connaissance si ncessaire

    pouvait rsulter de la lecture seule des inscriptions gyptiennes. Cestextes restaient encore muets l'poque o crivait Jablonski ; aussisommes-nous obligs de le dire, les lments phontiques formant lesnoms propres originaux des divinits gyptiennes dans les textes hi-

    roglyphiques, n'ont rien de commun avec l'orthographe que leurattribuait

    Jablonsky, etne se prtent nullement ses interprtations.

    La dernire moiti duXVIIIe sicle

    vit se renouveler quelques tenta-tives du mme genre, et tout aussi infructueuses pour l'explication rai-sonne des monuments figurs de l'gypte, qui, de temps autre, ar-

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION. xj

    rivaient en Europe par l'effet des relations commerciales avec le Levant.

    La science ne fit aucun pas vers l'intelligence des antiques critures

    gyptiennes. La manie des systmes priori franchissant toutes les li-

    mites du possible, dtourna encore les bons esprits d'un genre d'tudes

    tout fait discrdit, soit par l'incertitude de ses moyens, soit par l'ex-

    travagance des rsultats qu'on prtendait en dduire. Selon les uns,toutes les inscriptions gyptiennes taient relatives l'astronomie; elles

    ne renfermaient, selon d'autres, que des prceptes sur l'ensemble ou

    les dtails des travaux de la campagne ; chaque divinit gyptienne re-

    prsentait une des poques de l'anne agricole; et dans le temps mme

    o De Guignes et ses disciples, s'efforant de prouver la communaut

    d'origine des peuples de la Chine et des anciens habitants de l'Egypte,

    prtendaient interprter les inscriptions hiroglyphiques avec le seul

    secours des dictionnaires chinois, un esprit tout aussi excentrique vou-

    lut prouver, par le raisonnement, que les diffrentes images d'ani-

    maux , de plantes, qu'on appelle hiroglyphes, ne formrent jamais une

    criture chez les Egyptiens, et n'taient que de simples ornements sans

    signification quelconque.Au milieu de telles dissidences, les vritables amis de l'archologie se

    contentrent de runir autant que possible, dans les muses publics et

    dans les cabinets particuliers, les divers produits de l'art antique des

    gyptiens. Lorsqu'ils en publiaient des gravures ou des fac-simile, ils

    se bornaient les dcrire sous le rapport de leur travail, et si l'on essayait

    de distinguer entre elles les diffrentes divinits (car on le supposait

    cette poque, toute figurine gyptienne reprsentaitun dieu ou une

    desse), ce n'tait qu'avec prcaution, car la nomenclaturedes divinits

    gyptiennes, tire des auteurs classiques, tait bien promptement pui-

    se. On peut, sous ce rapport, citer, comme les promoteursdes tudes

    archologiques gyptiennes, le P. Montfaucon etle comte de Caylus,

    quoique ces tudes n'aient rellement commenc qu'la publication du

    grand ouvrage de Zoga sur les Oblisques.Ce savant Danois, profondment vers dans la connaissance

    des clas-

    siques grecs et possdant bien la langue copte, l'undes objets spciaux

    de ses dernires tudes, runit dans un vaste travail sur les ob-

    lisques de Rome les principaux rsultats de sesrecherches relatives

    l'Egypte ancienne. Conduit par l'examen des inscriptions gyptiennes

    sculptes sur ce genre de monuments, s'occuperde l'criture hiro-

    glyphique, il discuta fort en dtail et s'efforad'accorder entre elles les

    notions fournies par les crivains de l'antiquit sur le systme graphique

  • xij GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION.

    des gyptiens. Sans y russir compltement,il parvint cependant

    rduire la question ses vritables termes, et,le premier, il souponna

    vaguement l'existence de l'lment phontiquedans le systme de l'cri-

    ture sacre, mais sans lui donner aucune extension, et le rduisant

    quelques caractres qui procdaient l'expressiondes sons par la mme

    mthode que notre jeu d'criture appel rbus.

    Jugeant avec svrit et en pleine connaissance de cause tous les

    traits publis avant lui sur l'interprtation des inscriptions gyptiennes,

    Zoga combattit le prjug si rpandu de l'emploi mystrieux des hi-

    roglyphes rserv un petit nombre d'adeptes et destin a l'uniquetransmission des secrets du sanctuaire. Le savant archologue pensaitavec raison que cette criture, celle des monuments publics, connue et

    pratique par la partie claire de la nation gyptienne , fut employe

    la rdaction habituelle des textes relatifs toutes les matires, objets

    spciaux des sciences sacres ou profanes. Il croyait toutefois que

    l'usage d'une telle criture, ncessitant une certaine connaissance du

    dessin, ne pouvait, sans de grandes difficults, s'tre introduite dans

    les masses de la population: cette restriction suppose disparat au-

    jourd'hui devant l'existence bien prouve de deux mthodes tachygra-

    phiques employes par les anciens Egyptiens afin de rendre le trac des

    caractres hiroglyphiques aussi facile que rapide.

    Zoga dsespra pour son poque de voir la science de l'archologiearriver la connaissance complte du systme hiroglyphique, et il

    abandonna cette dcouverte la postrit. Ce dcouragement provenaitde ce qu'il n'avait pu s'loigner d'une manire absolue du faux point de

    vue qui montrait comme caractres purement symboliques la plupartdes signes employs par l'criture sacre gyptienne, ce qui lui sembla

    devoir lever des difficults presque insurmontables, car il supposait

    par cela mme que ces caractres, un peu vagues de leur nature, pou-vaient varier de signification, soit employs isolment, soit mis en op-

    position, soit enfin en se combinant plusieurs ensemble.

    Toutefois, traant une esquisse des travaux entreprendre pour ten-ter l'interprtation des textes hiroglyphiques, il expliqua le non-succsde ses devanciers par la circonstance que tous, dit-il, avaient commenc

    par o l'on devait naturellement finir. On voulait, en effet, attaquerla difficult de front, et expliquer de prime abord des inscriptions dont

    il fallait, avant tout, bien reconnatre les lments les plus simples.

    Joignant l'exemple au prcepte, Zoga forma avec soin un tableau de

    tous les signes hiroglyphiques existants sur les oblisques ou les mo-

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION. xiij

    numents gyptiens conservs Rome et dans divers cabinets de l'Eu-

    rope. Cette exploration prparatoire, qu'il n'a jamais publie, et sans

    doute engag le savant danois poursuivre ses recherches sur les cri-

    tures gyptiennes, aid surtout par sa profonde connaissance de la

    langue copte; mais sa mort, trop tt pour la science, vint mettre un

    terme ses utiles travaux.

    La publication de l'ouvrage de Zoga sur les oblisques, prcda imm-

    diatement la conqute de l'Egypte par une arme franaise. Cette glo-rieuse expdition, unique dans son but la fois politique et scientifique, car

    des commissions savantes marchaient avec l'avant-garde de l'arme, donna

    une vive impulsion aux recherches archologiques relatives l'tat pri-mordial de l'empire des Pharaons. Des Franais, que l'amour de la science

    avait jets au milieu des hasards de cette entreprise militaire, firent

    connatre l'Europe, par des dessins fidles, l'importance et le nombre

    prodigieux des monuments antiques de l'Egypte. Des vues perspectivesdes plans et des coupes offrant l'ensemble et les dtails des temples, des

    palais ou des tombeaux, furent publis par les ordres de l'Empereur

    Napolon dans le magnifique recueil intitul : Description de l'Egypte.Le monde savant conut pour la premire fois une juste ide de la civi-

    lisation gyptienne, comme de l'inpuisable richesse des documents his-

    toriques contenus dans d'innombrables sculptures, instructifs ornements

    de ces constructions si imposantes. La science sentit alors mieux que ja-mais le dfaut total de notions positives sur le systme graphique des

    gyptiens; toutefois, l'abondance des textes hiroglyphiques et des in-

    scriptions monumentales recueillies en Egypte par le zle de la Com-

    mission franaise, tout en motivant ses regrets, assura de bien prcieuxmatriaux pour de nouvelles recherches sur la nature, les procds et les

    diverses combinaisons des critures gyptiennes; disons plus : l'espoirde pntrer enfin tous les mystres de ce systme graphique s'tait r-

    veill tout coup dans le monde savant, la seule annonce de la d-

    couverte d'un monument bilingue trouv Rosette.

    Un officier du gnie, attach la division de notre arme d'Egypte

    qui occupait la ville de Rosette, M. Bouchard, trouva en aot 1799,dans des fouilles excutes l'ancien fort, une pierre de granit noir , de

    forme rectangulaire, dont la face bien polie offrait trois inscriptions en

    trois caractres diffrents. L'inscription suprieure, dtruite ou fracture

    en grande partie, est en criture hiroglyphique ; le texte intermdiaire

    appartient une criture gyptienne cursive, et une inscription en langueet en caractres grecs occupe la troisime et dernire division de la pierre.

  • XIV GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION.

    La traduction de ce dernier texte, contenant un dcret du corps sacer-

    dotal de l'Egypte, runi Memphis pour dcernerde grands honneurs au

    roi Ptolme piphane, donnait la pleine certitude queles deux inscri-

    ptions gyptiennes suprieures contenaient l'expressionfidle du mme

    dcret en langue gyptienne et en deux critures gyptiennes distinctes,

    l'criture sacre ou hiroglyphique, et l'criture vulgaireou dmotique.

    On dut, avec toute raison, attacher de grandes esprances la dcou-

    verte d'un pareil monument. La possession de textes: gyptiens,accom-

    pagns de leur traduction en une langue connue,venait tablir enfin des

    points de dpart et de comparaison aussi nombreux qu'incontestables,

    pour conduire avec sret la connaissance du systme graphique gyp-tien par l'analyse combine des deux inscriptions gyptiennes au moyende l'inscription grecque. Ds ce moment, il fallut abandonner la voie des

    hypothses pour se circonscrire dans la recherche des faits ; et les tudes

    gyptiennes marchrent, quoique avec lenteur, vers des rsultats positifs.Ds 1802, un savant illustre, auquel nous sommes redevables en

    France de l'tat florissant de la littrature orientale que ses importantstravaux ont si minemment contribu propager dans le reste de l'Eu-

    rope, M. le baron Silvestre de Sacy, ayant reu Un fac-simile du monu-

    ment de Rosette, examina le texte dmotique en le comparant avec le

    texte grec, et publia le rsum de ses recherches dans une Lettre adres-

    se M. le comte Chaptal, alors ministre de l'intrieur.

    Cet crit renferme les premires bases du dchiffrement du texte

    intermdiaire, par la dtermination des groupes de caractres rpondantaux noms propres Ptolme, Arsino, Alexandre et Alexandrie, men-

    tionns en diffrentes occasions dans le texte grec.Bientt aprs, M. Ackerblad, orientaliste sudois, que distinguaient

    une rudition trs-varie et une connaissance approfondie de la langue

    copte, suivant la mme route que le savant franais, s'engagea son

    exemple dans la comparaison des deux textes : il publia une analyse desnoms propres grecs cits dans l'inscription en caractres dmotiques , etdduisit en mme temps de cette analyse un court alphabet gyptien

    dmotique ou populaire.Ce premier succs sembla confirmer d'abord les esprances qu'avait

    fait natre le monument de Rosette. Mais Ackerblad, si heureux dans

    l'analyse des noms propres grecs, n'obtint aucun rsultat en cherchant appliquer a la lecture des autres parties de l'inscription dmotique lerecueil de signes dont il venait de constater la valeur dans l'expressioncrite de ces noms propres grecs.

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION. XV

    N'ayant point suppos, d'une part, que les gyptiens avaient pu crireles mots de leur langue en supprimant en grande partie les voyellesmdiales, comme cela s'est pratiqu d tout temps chez les Hbreux etles

    Arabes ; et,d'un autre ct, ne souponnant point que beaucoup de

    signes employs dans ce texte pouvaient appartenir la classe des carac-tres symboliques, le savant sudois, rebut par de vaines tentatives,cessa de s'occuper du monument de Rosette. Il resta prouv toutefois ,

    par les travaux de MM. de Sacy et Ackerbald, que l'criture vulgaire des

    anciens Egyptiens exprimait les noms propres trangers par le moyende signes vritablement alphabtiques.

    Quant au texte hiroglyphique de la stle de Rosette, quoiqu'il ft

    bien naturel de l'tudier d'abord, puisqu'il se compose de signes-imagesou de caractres figurs, de formes trs-distinctes , et de le compareravec le texte grec pour obtenir quelques notions exactes sur l'essence

    des signes sacrs qui forment le plus grand nombre des inscriptions gyp-tiennes connues, il ne fut soumis que fort tard des recherches con-

    sciencieuses et juges telles par la saine critique. On fut probablementdtourn de s'en occuper par le mauvais tat de cette premire portiondu monument, des fractures ayant fait disparatre une grande partie du

    texte hiroglyphique. Son intgrit et pargn, en effet, aux investiga-teurs, de longs ttonnements et d'innombrables incertitudes.

    Cette lacune fut loin d'tre souponne par un anonyme qui, en 1804,

    publia Dresde une prtendue Analyse de l'inscription hiroglyphique du

    monument trouv Rosette. L'auteur de cet ouvrage, renouvelant le

    mystique symbolisme du P. Kircher, crut reconnatre dans les quatorze

    lignes encore existantes de l'inscription hiroglyphique (formant peinela moiti de l'inscription primitive), l'expression entire et suivie des ides

    exprimes dans les cinquante-quatre lignes du texte grec. Ce travail

    ne peut soutenir le plus lger examen; il vient nanmoins d'tre

    rimprim par son auteur, Florence, comme une sorte de protestationformelle contre la direction nouvellement donne aux tudes sur les

    hiroglyphes.Les auteurs des nombreux mmoires formant le texte de la Description

    de l'Egypte ne s'occuprent des divers genres d'critures gyptiennes

    que sous des rapports purement matriels : ils publirent des copies d'un

    grand nombre d'inscriptions monumentales hiroglyphiques, aussi fidle-

    ment que pouvaient alors le permettre et la nouveaut de la matire, et

    les dangers sans cesse renaissants autour des courageux explorateurs quiles avaient recueillies. Ils reconnurent sur les monuments originaux l'exi-

  • xvj GRAMMAIRE GYPTIENNE,INTRODUCTION.

    stence de quelques caractres symboliquesmentionns par les auteurs

    grecs, mais ne traitrent qued'une manire gnrale les questions relatives

    la nature et aux combinaisons des signes lmentaires ; ilss'levrent

    contre l'erreur, alors assez commune, de confondre sousune mme dno-

    mination les figures mises en scne dans les bas-reliefsavec les vritables

    hiroglyphes qui les accompagnent. La Description de l'Egypteoffrit enfin

    l'tude des savants d'excellents fac-simile de manuscrits gyptiens, soit

    hiroglyphiques, soit hiratiques,et donna, toujours trop tard sans

    doute, pour l'avancement des tudes palographiques,une copie des

    deux textes gyptiens du monument de Rosette, beaucoup plus exacte sanscontredit que celle qu'avait dj publie la Socit royale de Londres.

    Exa-

    min dans l'intrt rel de la progression des connaissances historiques,ce grand ouvrage donna la certitude que les notions les plus prcieuses

    taient caches dans les inscriptions hiroglyphiques, ornements obli-

    gs de tous les difices gyptiens ; mais certaines dductions tires avantle temps de l'examen des tableaux astronomiques sculpts au plafond de

    plusieurs temples, propagrent de bien graves erreurs sur l'antiquit re-

    lative des monuments. On considra comme les plus anciens, en lesattribuant aux poques primordiales, des temples que des faits positifsnous forcent d'attribuer aux poques les plus rcentes ; on supposamme en quelque sorte que tout monument de style gyptien, dcor

    d'inscriptions hiroglyphiques, tait par cela mme antrieur la con-

    qute de l'Egypte par Cambyse : comme si l'Egypte, qui, sous la domi-

    nation grco-romaine, et antrieurement sous le joug mme des Perses,conserva la plupart de ses institutions politiques, renonant tout coup sa religion, ses propres critures, avait cess pendant plus de huit

    sicles de pratiquer les arts indispensables son existence physique et tous ses besoins moraux.

    En vain les voyageurs anglais, excits plus peut-tre par un esprit derivalit nationale que par l'intrt bien entendu de la science, ont voulurabaisser l'importance des travaux excuts par la Commission fran-

    aise; son ouvrage restera toujours comme un digne monument denotre glorieuse expdition d'Egypte, et les utiles recherches du docteur

    Young assureront l'Angleterre, bien mieux que toutes ces critiquesexagres, une noble part l'avancement des tudes gyptiennes.

    Ce savant apporta dans l'examen comparatif des trois textes du mo-nument de. Rosette, un esprit de mthode minemment exerc aux plushautes spculations des sciences physiques et mathmatiques. Il re-

    connut parune comparaison toute matrielle, dans les portions encore

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION. xvij

    existantes de l'inscription dmotique et de l'inscription hiroglyphique,les groupes de caractres rpondant aux mots employs dans l'inscrip-tion grecque. Ce travail, rsultat d'un rapprochement plein de saga-cit, tablit enfin quelques notions certaines sur les procds propresaux diverses branches du systme graphique gyptien et sur leurs liaisons

    respectives ; il fournit des preuves matrielles l'assertion des anciens rela-

    tivement l'emploi de caractres figuratifs et symboliques dans l'criture

    hiroglyphique; mais la nature intime de cette criture, ses rapports avec

    la langue parle, le nombre, l'essence et les combinaisons de ses lments

    fondamentaux, restrent encore incertains dans le vague des hypothses.Le docteur Young, comme les auteurs de la Description de l'Egypte,

    ne spara point d'une manire assez tranche l'criture dmotique (cellede la deuxime partie du monument de Rosette, appele aussi encho-

    riale), de l'criture cursive employe dans les papyrus non hiroglyphi-

    ques, textes que j'ai fait reconnatre depuis pour hiratiques, c'est--dire

    appartenant une criture sacerdotale, facile distinguer de l'criture

    hiroglyphique par la forme particulire des signes, et spare de

    l'criture dmotique ou populaire par des diffrences bien plus essen-

    tielles encore.

    Quant la nature des textes hiratiques et dmotiques, le savant

    anglais embrassa tour tour deux systmes entirement opposs.

    En 1816, il croyait, avec la Commission d'Egypte, la nature alphab-

    tique de la totalit des signes composant le texte intermdiaire de

    Rosette, et il s'effora, par le moyen de l'alphabet d'Ackerblad, accru

    de plusieurs nouveaux signes auxquels il supposait une valeur fixe, de

    dterminer la lecture de 80 groupes de caractres dmotiques extraits

    du monument bilingue. Mais en 1819, abandonnant tout fait l'ide

    de l'existence relle de signes vritablement alphabtiques dans le sys-

    tme graphique gyptien, le docteur Young affirma, au contraire, que

    l'criture dmotique et celle des papyrus hiratiques appartenaient,

    comme l'criture primitive, l'hiroglyphique, un systme compos de

    caractres idographiques purs. Cependant, convaincu que la plupart

    des noms propres mentionns dans le texte dmotique de Rosette sont

    susceptibles d'une espce de lecture avec l'alphabet d'Ackerblad, il

    conclut que les gyptiens, pour transcrire les noms propres tran-

    gers SEULEMENT, se servirent, comme les Chinois, de signes rellement

    idographiques, mais dtourns de leur expression ordinaire pour

    leur faire accidentellement reprsenter des sons. C'est dans cette per-

    suasion que le savant anglais essaya d'analyser deux noms propres

  • xviij GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION.

    hiroglyphiques, celuide Ptolme et celui de Brnice ; mais cette

    analyse, fausse dans son principe,ne conduisit aucune sorte de

    rsultat, pas mme pour la lectured'un seul des noms propres sculpts

    en si grande abondance sur les monumentsde l'Egypte.

    La question relative lanature lmentaire du systme hirogly-

    phique restait donc tout entire : les critures gyptiennes procdaient-

    elles idographiquement, ou bien exprimaient-ellesles ides en notant

    le son mme des mots ?

    Mes travaux ont dmontr que la vrit se trouvait prcisment

    entre ces deux hypothses extrmes : c'est--dire quele systme gra-

    phique gyptien tout entier employa simultanment des signesd'ides

    et des signes de sons ; que les caractres phontiques, de mme nature

    que les lettres de notre alphabet, loin de se borner la seule expressiondes noms propres trangers, formaient au contraire la partie la plusconsidrable des textes gyptiens hiroglyphiques, hiratiques et

    dmotiques, et y reprsentaient, en se combinant entre eux, les sons

    et les articulations des mots propres la langue gyptienne parle.Ce point de fait fondamental, dmontr et dvelopp pour la

    premire fois en 1824 dans mon ouvrage intitul Prcis du systme

    hiroglyphique (1), tant appliqu une foule de monuments originaux,a reu les confirmations les plus compltes et les moins attendues.

    Seize mois entiers passs au milieu des ruines de la Haute et de la

    Basse-Egypte, grace la munificence de notre gouvernement, n'ont

    apport aucune sorte de modification ce principe, dont j'ai eu tant

    et de si importantes occasions d'prouver la certitude comme l'admi-

    rable fcondit.

    Son application seule a pu me conduire la lecture proprement dite

    des portions phontiques, formant en ralit les trois quarts au moins

    de chaque texte hiroglyphique : de l est rsulte la pleine conviction

    que la langue gyptienne antique ne diffrait en rien d'essentiel de la

    langue vulgairement appele copte ou cophthe; que les mots gyptienscrits en caractres hiroglyphiques sur les monuments les plus anti-

    ques de Thbes, et en caractres grecs dans les livres coptes, ont unevaleur identique et ne diffrent en gnral que par l'absence de certaines

    voyelles mdiales, omises, selon la mthode orientale, dans l'orthogra-phe primitive. Les caractres idographiques ou symboliques, entrem-ls aux caractres de son, devinrent plus distincts; je pus saisir les lois

    (1) Rimprim en 1898.

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION. xix

    de leurs combinaisons, soit entre eux , soit avec des signes phontiques,et j'arrivai successivement la connaissance de toutes les formes et

    notations grammaticales exprimes dans les textes gyptiens, soit hiro-

    glyphiques, soit hiratiques.Ainsi fut lev peu peu le voile qui couvrait la nature intime du

    systme graphique gyptien ; les matriaux immenses que j'ai recueillis

    pendant mon sjour en Egypte , et en Nubie entre les deux cataractes ;m'ont donn le moyen de dvelopper ces rsultats. Un devoir m'tait

    encore impos, celui d les faire connatre dans toute leur tendue au

    monde savant, de dmontrer leur importance par celle des faits nou-veaux qui naissent de leur application, et d'ouvrir une carrire toute

    nouvelle au zle des esprits investigateurs qui se consacrent l'avance-

    ment des tudes historiques. Les bonts du roi, en m'applant occuperUne chaire d'archologie, me donnent l'occasion d'accomplir ce devoir

    et de rpondre, autant qu'il sera en moi, ces nouveaux besoins des

    sciences, qui, presque toutes, doivent s'enrichir d prcieux documents

    par une tude rgulire et approfondie des antiquits gyptiennes.

    C'est, en effet, en nous initiant de plus en plus dans l'intelligence des

    textes hiroglyphiques et hiratiques , lesquels fixent la date et la desti-

    nation des monuments figurs; c'est par l'analyse raisonne de la

    langue des Pharaons, que l'ethnographie dcidera si la vieille popula-tion gyptienne fut d'origine asiatique, ou bien si elle descendit, avec

    le fleuve divinis, des plateaux de l'Afrique centrale. On dcidera en

    mme temps si les Egyptiens n'appartenaient point une race distincte;

    car, il faut le dclarer ici, contre l'opinion commune, les Coptes de

    l'Egypte moderne, regards comme les derniers rejetons des anciens

    Egyptiens, n'ont offert mes yeux ni la couleur ni aucun des traits

    caractristiques, dans les linaments du visage ou dans les formes du

    corps, qui pt constater une aussi noble descendance. La connaissance

    relle de l'Egypte ancienne importe galement aux tudes bibliques , et

    la critique sacre doit en retirer de nombreux claircissements. La

    longue captivit des Hbreux en Egypte, l'ducation tout gyptienne de

    leur premier lgislateur, durent ncessairement s'empreindre dans

    l'organisation politique et religieuse des enfants d'Isral. Les tribus

    chappes par la ruse l'oppression d'un peuple bien plus avanc

    qu'elles-mmes dans la civilisation, ne purent, en rentrant dans le dsert,

    se dpouiller en mme temps des ides d'ordre, des habitudes civiles,

    ni oublier les pratiques des arts acquises pendant un sjour prolong

    sur les rives du Nil, au milieu d'une nation agricole. Le chef hbreu ,

  • XX GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION.

    renouvelant la plus ancienne forme du gouvernement gyptien,la tho-

    cratie, qui se prtait d'une manire plus efficace l'accomplissement de

    ses vues, quitta la valle de l'Egypte, non pourramener les tribus

    leur tat primitif, la vie nomade et pastorale deleurs pres, mais avec

    le dessein form de les fixer sur un territoire limit, acquis par la con-

    qute, et de les constituer, comme les gyptiens, en unenation sden-

    taire, tablie dans des villes, cultivant le sol et s'adonnant tous les

    arts industriels. Mose appliqua, autant que les circonstanceslocales

    devaient le permettre, les institutions civiles des Egyptiens l'organi-

    sation de la socit hbraque; il proclama des dogmes religieuxessen-

    tiellement distincts de ceux de l'Egypte ; mais dans les formes extrieures

    du culte, et surtout dans le matriel des crmonies, il dut imiter et il

    imita en effet les pratiques gyptiennes. L'tude des monuments gyp-tiens originaux, soit antrieurs, soit postrieurs l'poque de Mose

    donnera donc une intelligence plus complte des textes originaux de la

    Bible.

    La renomme et la richesse du sol de l'Egypte, aussi bien que son

    importance politique ds les temps les plus reculs , ont li l'histoire de

    cette contre avec celle de tous les grands peuples de l'Afrique et de

    l'Asie anciennes. Mais les annales de la plupart de ces nations ayant

    pri sans retour, il faut interroger les monuments crits de l'Egypte :

    ils nous rediront les noms des peuplades, aujourd'hui oublies, jadissoumises la puissance gyptienne par les Pharaons pntrant dans

    l'intrieur de l'Afrique, et appelant les barbares la civilisation par le

    contact ou par l'exemple. Les bas-reliefs d'Isamboul et de Beit-Oually, en

    Nubie, nous montreront les traits physiques de ces hommes de race

    ngre ou de race caffre, l'poque de leur soumission, leur costume, leur

    manire de combattre, les dtails mme de leur vie domestique, et les

    rapports directs et varis de la primitive Egypte avec l'Ethiopie, contre

    fameuse o nous reconnatrons peut-tre le berceau de la population

    gyptienne.Par l'tude des tableaux historiques sculpts dans les vastes palais de

    Thbes, l'ane des villes royales, nous assisterons en quelque sorteaux expditions militaires excutes en Asie dans des temps dont lesannales des hommes n'ont conserv qu'un souvenir confus : les nomsdes rois gyptiens auteurs de ces grandes entreprises guerrires, rame-ns la ralit par le tmoignage irrcusable des monuments contem-

    porains, rentreront enfin dans le domaine positif de l'histoire, et cettescience reculant ses limites, portera des lumires inespres sur des

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION. xxj

    poques abandonnes jusqu'ici dans le vague des priodes fabuleuses, cause du dfaut total de documents, ou de l'incertitude extrme des

    traditions.

    Ces bas-reliefs, immenses compositions, si remarquables par le gran-diose de l'ensemble et l'incroyable varit des dtails, si importantsd'ailleurs par les lgendes explicatives qui leur donnent un caractre

    tout fait historique, offriront en mme temps notre curiosit les

    noms des peuples asiatiques rivaux de l'Egypte, qui lui disputaient la

    suprmatie dans cet ancien monde politique encore inconnu, et dont

    l'histoire crite abandonne regret l'poque tout entire aux fictions

    des mythes hroques. Ils fourniront les notions les plus prcises sur les

    races d'hommes auxquelles appartenaient ces nations si diversifies parles traits de la physionomie, par le costume, par la forme des armes et

    par les moyens d'attaque ou de dfense. On estimera le degr d'avance-

    ment de chacun de ces peuples dans la civilisation et les commodits de

    la vie, d'aprs les tableaux sculpts ou peints, reprsentant soit des

    ambassades africaines ou asiatiques offrant de nombreux prsents au

    monarque gyptien leur matre ou leur alli, soit le Pharaon lui-mme

    qui, triomphant, dpose aux pieds des dieux de l'Egypte les productionsnaturelles des pays conquis, les produits de l'industrie et les richesses

    des vaincus, enfin les vases d'or et d'argent, admirables de forme et

    d'lgance, excuts avec ces mtaux prcieux enlevs l'ennemi.

    On s'instruira bien mieux encore en tudiant les longues inscriptions

    sculptes sur les murailles du palais des rois, et contenant le dtail cir-

    constanci des expditions militaires, le poids des pierreries et des

    divers mtaux imposs sur l'ennemi, l'numration des animaux do-

    mestiques, celle des denres et des objets d'art que les pays conquisdevaient rgulirement livrer au vainqueur. Ces inscriptions monu-

    mentales furent expliques Germanicus visitant les ruines de Thbes,

    par les plus gs d'entre les prtres du pays; elles existent encore en

    grande partie , et Tacite, racontant le sjour du fils adoptif de Tibre

    au milieu des dbris de la vieille capitale des Pharaons, a donn du

    contenu de ces textes historiques une analyse surprenante par son

    exactitude : l'historien romain semble avoir crit en ayant sous les yeux

    une traduction littrale de ces antiques textes; je les ai retrouvs dans

    les dcombres du palais de Karnac.

    Sur le sol de l'Egypte, le nombre des monuments de tout genre

    chapps aux dvastations des sicles et des religions ennemies, est encore

    tel, qu'on peut y recueillir en abondance des tmoignages directs de l'tat

    f

  • xxij GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION.

    graduel de la civilisation du peuple industrieux qui dfricha la vallein-

    frieure du Nil une poque indfiniment recule : car,il faut le

    dire, les monuments gyptiens des tempsles plus antiques ne montrent

    aucune trace de l'enfance de l'art; tous le manifestent au contraire un

    ge adulte et plein d'exprience.Mais si l'Egypte, dans des priodes

    fort antrieures aux temps historiques de notre Occident, vit dispa-

    ratre ses premiers essais de sculpture, de peinture, ou d'architecture,

    et les remplaa par des produits de ces arts dj dvelopps, rgulari-

    ss , et empreints d'un caractre de simplicit grandiose qu'on ne sau-

    rait trop admirer; si l'Egypte, disons-nous, ne conserva aucune trace

    de ses propres origines, c'est toutefois dans cette contre quenous de-

    vons chercher les origines de la civilisation comme des arts de la Grce,

    et par suite le point de dpart de notre civilisation moderne.

    L'tude des monuments et des textes gyptiens, en nous prsentant sous

    son vritable jour l'tat politique et religieux du vieil empire des Pha-

    raons, en constatant d'autre part l'tat avanc des arts de l'Egypte bien

    antrieurement aux premires productions de ces mmes arts en

    Europe, nous conduira la source des premires institutions politiquesde la Grce, Argos et dans Athnes; cette tude dmontrera, par des

    faits incontestables, l'origine gyptienne d'une partie trs-importantedes mythes et des pratiques religieuses des Hellnes, sur lesquels restent

    encore tant d'incertitudes, et qu'on n'a su jusqu'ici rduire en un sys-tme rgulier, parce qu'on nglige en gnral de sparer ce qui ap-

    partient en propre la population hellne et ce qu'elle a reu des colo-

    nies orientales.

    On reconnatra dans les portiques de Beni-Hassan, et dans les galeriesde Karnac, excutes par les gyptiens bien avant l'poque du sige de

    Troie, l'origine vidente de l'architecture dorique des Grecs; en exami-nant sans prvention les bas-reliefs historiques de Nubie et de Thbes,on se convaincra que l'art des Grecs eut des sculptures gyptiennes pourpremiers modles; que d'abord il les imita servilement, et se pntrade la sage simplicit de leur style; qu'enrichi de ces moyens, l'art grec,adoptant un principe qui ne fut jamais celui de l'art gyptien, la repro-duction oblige des belles formes de la nature, s'loigna de plus en plusdu faire primitif, et s'leva de lui-mme cette sublimit que n'attein-dront peut-tre jamais les efforts de nos artistes modernes.

    L'interprtation des monuments de l'Egypte mettra encore mieux envidence l'origine gyptienne des sciences et des principales doctrinesphilosophiques de la Grce ;

    l'cole platonicienne n'est que l'gyptia-

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, INTRODUCTION. xxiij

    nisme, sorti des sanctuaires de Sas; et la vieille secte pythagoricienne

    propagea des thories psychologiques qui sont dveloppes dans les pein-

    tures et dans les lgendes sacres des tombeaux des rois de Thbes, au

    fond de la valle dserte de Biban-el-Molouk.

    Mais je dois me borner ces indications partielles sur la srie des faits

    nouveaux dont les tudes gyptiennes promettent d'enrichir les sciences

    historiques. On l'a pressenti sans doute; d'aussi importants rsultats

    ne sauraient acqurir leur poids et toute leur certitude que de l'intel-

    ligence relle des innombrables inscriptions sculptes ou peintes sur les

    monuments gyptiens, et l'tude de la langue parle doit prcder celle

    des textes o elle est employe. Ce sera donc par l'expos approfondides principes de la Grammaire gyptienne et des signes qui leur sont

    propres, que nous commencerons des leons d'o leur sujet mme doit

    bannir tout ornement; dfaut de cet avantage, qui contribuerait sans

    doute nous concilier et soutenir votre attention, j'invoquerai, mes-

    sieurs, le haut intrt du. sujet de nos tudes, et la sincrit de mon

    zle me fera peut-tre quelques titres votre indulgence.

  • GRAMMAIRE

    GYPTIENNE

    OU

    PRINCIPES GNRAUX DE L'CRITURE SACRE GYPTIENNE

    APPLIQUE A LA REPRSENTATION DE LA LANGUE PARLE.

    CHAPITRE PREMIER.

    NOMS, FORMES ET DISPOSITIONS DES CARACTERES SACRES.

    Ier. FORMES DES CARACTRES,

    1. LES caractres qui, ds l'origine, composrent le systme entier

    de rcriture sacre, furent des imitations plus ou moins exactes d'objets

    existants dans la nature.

    2. Ces caractres, consistant en images de choses relles, reproduites

    dans leur ensemble ou dans quelques-unes de leurs parties, reurent

    des anciens auteurs grecs le nom de EPAMMATA EP, caractres

    sacrs, et plus particulirement celui de TPMMATA iEPOTAT^IK,

    caractres sacrs SCULPTS. De l est driv le nom de HIROGLYPHES

    ou de CARACTRES HIROGLYPHIQUES qu'on leur a conserv jusqu'

    notre temps (1).

    3. Le nom d'hiroglyphes ne doit, la rigueur, tre appliqu qu'aux

    seuls caractres sacrs; sculpts ou peints, reprsentant des objets

    (1) Tous les monuments gyptiens portent des hiroglyphes, peu d'exceptions prs grands

    ou petits, depuis le colosse jusqu' l'amulette.

  • 2 GRAMMAIRE GYPTIENNE, CHAP. 1.

    naturels dessins ou sculpts avec quelque soin, ainsi que l'exigeait

    la bonne dcoration des monuments publics ou privs laquelleils

    furent spcialement employs. On les distingueraainsi des hiroglyphes

    linaires, et des signes hiratiques, mthodes abrviatives dontil

    sera

    parl au second paragraphe de ce chapitre.

    4. Ls anciens gyptiens comprenaient sous le nom gnralde C&>

    Jt Ite/tOTTe 'ffjnjj CARACTRES SACRES, non- seulement les hiro-

    glyphes proprement dits, mais encore les hiroglyphes linaires et les

    caractres hiratiques : c'est dans une acception tout aussi tendue

    qu'il faut prendre les mots rp^jxaTa Up dans certains auteurs grecs.

    5. Il est dmontr que les hiroglyphes proprementdits furent les

    premiers caractres dont les gyptiens se servirent. Pour nous du

    moins, ils doivent former l'criture primitive gyptienne, puisque les

    trois autres mthodes graphiques, la linaire, l'hiratiqueet la dmo-

    tique, n'en sont videmment que des abrviations.

    6. Ds l'origine, les images d'objets rels, premiers lments de l'cri-

    ture hiroglyphique, n'offraient sans doute point l'oeil cette navet

    d'imitation unie la finesse lgante de travail, qu'on admire dans

    les inscriptions des oblisques et des grands monuments de Thbes ;

    mais quelque grossiers que fussent ces premiers essais de sculpture,

    ils avaient pour but essentiel l'imitation des objets, porte aussi loin

    que le permettaient l'inexprience de la main et le dfaut d'instru-

    ments perfectionns. On chercherait d'ailleurs vainement dans l'Egypte

    entire des traces relles de l'enfance de l'criture. La plupart des

    difices existants sur ce sol antique appartiennent, non aux premiers

    essais, mais une RENAISSANCE des arts et de la civilisation qu'avait

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, CHAP. I. 3

    interrompus une invasion de Barbares antrieure l'an 2000 avant

    l're chrtienne. Les inscriptions qui dcorent ces monuments nous

    montrent, en effet, l'criture hiroglyphique tout aussi dveloppe,

    tout aussi complte, pour la forme et pour le fond, que les dernires

    lgendes sculptes par les Egyptiens au second et au troisime sicles

    aprs J. C. (1).

    7. Quelle que soit l'poque laquelle remonte l'invention des carac-

    tres hiroglyphiques, leur srie entire considre quant la forme

    matrielle seulement, abstraction faite de la valeur propre chacun

    d'eux, reproduit des images distinctes de toutes les classes d'tres

    que renferme la cration; on y observe successivement en effet seize

    genres d'objets figurs :

    A. Des images de corps clestes aussi reconnaissables qu'il est pos-

    sible de les tracer lorsqu'il s'agit de figurer isolment des objets de cet

    ordre. Tels sont par exemple (1)

    B. L'homme de tout ge, de tout sexe, de tout rang, et dans les

    diffrentes attitudes que son corps est susceptible de prendre;

    C. Les divers membres on parties du corps humain (3);

    (1) Monuments antrieurs l'invasion, parfaits. Depuis, beaux; mais la dcadence

    commence Ssostris, continue sous Sabacon et les Sates; trs-avance sous les Lagides ;

    complte sous les Romains.

    (2) Le soleil, la lune, une toile, le ciel.

    (3) Tte d'homme, tte de femme, un oeil, une oreille, la louche, un bras, la main, une

    cuisse et la jambe,, les pieds, la jambe.

  • 4 GRAMMAIRE GYPTIENNE,CHAP. I

    D. Les quadrupdes domestiquesou Sauvages (1);

    E. Un nombre assez considrable d'oiseaux de diffrentes espces (2);

    F, Divers genres de reptiles (3);

    G. Quelques espces de poissons (4);

    H. Des insectes, en fort petit nombre (5);

    I. Des vgtaux, des fleurs et des fruits ;

    J. Des objets d'habillement ou de costume (6);

    K. Des meubles, armes et insignes divers (7);

    (1) Le taureau, la vache, le veau, le cheval, le lion, la girafe, la gazelle, le cynocphale.(2) Le vautour, l'aigle, l'pervier, la chouette, un gallinac, l'hirondelle, l'oie, l'ibis, la

    demoiselle de Numidie.

    (3) Le lzard, le crocodile, la grenouille, des couleuvres, la vipre hayy, le craste, etc.

    (4) Le latus, le lpidote, l'oxyrynchus, etc.

    (5) Le scarabe, le scorpion, la mante, une espce d'abeille, etc.

    (6) Diverses coeifures, un collier, un bracelet, des sandales, etc., etc.

    (7) Un trne, un coffre, un lit funbre, un arc, une flche, un trait, des sceptres.

  • GRAMMAIRE GYPTIENNE, CHAP. I. 5

    L. Des vases et un grand nombre d'ustensiles (1);

    M. Les instruments de la plupart des arts et mtiers (2) ;

    N. Quelques difices, constructions et divers produits des arts (3);

    O. Plusieurs formes gomtriques, ou plutt des caractres images

    d'objets peu reconnaissables pour nous qui sommes si trangers tant

    de dtails des usages gyptiens ;

    P. Enfin plusieurs caractres prsentant des images monstrueuses,

    mais dont toutes les parties intgrantes existent nanmoins dans la

    nature relle, et tels sont par exemple:

    8, Il sera difficile, long-temps encore, et cause des signes figuratifs,

    d'assigner, d'une manire mme approximative, le nombre des carac-

    tres de chacune de ces seize subdivisions, et par suite le nombre

    total des signes employs dans l'criture sacre gyptienne. Nous dirons

    seulement que le tableau des caractres hiroglyphiques de toutes les

    (1) Trois sortes de vases, un vase brler l'encens, un bassin, une corbeille, une natte.

    (2) Un thorbe, les instruments pour crire, un volume de papyrus, un couteau, une

    scie, une hache, etc.

    (3) Un propylon, un naos, une bari, un oblisque, une statue, une stle, des autels, etc.

  • 6 GRAMMAIRE GYPTIENNE, CHAP. I.

    classes, rsultant du dpouillement attentif desformes diffrentes

    recueillies sur tous les monuments originaux qu'il nousa t permis

    d'tudier, s'lve, au moment actuel, moinsde neuf cents caractres

    videmment distincts les uns des autres; encore doit-on tre convaincu

    d'avance que plusieurs signes nots commediffrents de

    quelques

    autres, ne sont, au fond, que de simples variantes.

    9. L'criture hiroglyphique tant, par essence, destine la dcora-

    tion des monuments, on ne ngligea rien de ce qui pouvait concourir

    la prcision, l'lgance et la richesse des caractres si nom-

    breux et si varis que ce systme graphique avait pour lments. La

    plupart des inscriptions en hiroglyphes existantes sur les difices

    de l'Egypte, construits avant la domination des Grecs et des Romains,

    comme sur les oblisques de l'poque pharaonique, sont des modles

    d'un style de sculpture la fois pur et grandiose ; on ne peut qu'ad-

    mirer le soin infini avec lequel sont termins les plus menus dtails

    de chaque signe. ( Ils sont excuts ou en relief, ou en silhouette

    creuse, ou enfin en relief dans le creux. )

    10. La richesse des inscriptions hiroglyphiques sculptes avec tant

    de recherche tait, outre cela, rehausse par l'clat des couleurs que

    l'on appliquait chaque signe, ou selon certaines rgles, puises

    dans la nature mme de l'objet figur, ou purement convention-

    nelles.

    11. On coloriait galement les textes hiroglyphiques tracs en grand,

    l'encre noire ou rouge, sur les parois des tombeaux, et en petit sur

    ls cercueils des momies et sur divers autres genres de m