CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

40
cadi TRANSFERT(S) DE CONNAISSANCE : LES ENTRETIENS DE L’ÉCOLE DE DESIGN NANTES ATLANTIQUE HORS SÉRIE 2OO9 5 EUROS KNOWLEDGE TRANSFER(S): THE INTERVIEWS OF L’ÉCOLE DE DESIGN NANTES ATLANTIQUE SPECIAL ISSUE 2009 5 EUROS

description

Transferts de connaissance : les entretiens de l'Ecole de design Nantes Atlantique/Knowledge transfer : interviews from L'Ecole de design Nantes Atlantique

Transcript of CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

Page 1: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

cadi

TransferT(s) de connaissance : les enTreTiens de l’École de design

nanTes aTlanTiquehors sÉrie 2oo9

5 euros

Knowledge transfer(s): the interviews of l’École de design

nantes atlantiquespecial issue 2009

5 euros

Page 2: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

01 inTerfaces Tangibles

+ design

tangible interfaces + design

Page 3: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

3

02 PoliTique

+ design

politics + design

Page 4: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009
Page 5: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009
Page 6: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

03 Veille crÉaTiVe

+ design

trends Monitoring + design

Page 7: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

04 aliMenTaTion

+ design

food + design

Page 8: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009
Page 9: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

2 3

This special issue runs along the same editorial line as the previous one released in May 2008, that is investigating design projects and observing how they relate to other professions. We decided to maintain our basic principle and thus conducted a second session of interviews with personalities who had agreed to tutor our fifth-year students working on their final degree project in 2007-2008. The issues raised, stemming from a wide range of fields such as food, strategic trends monitoring, citizen participation and the consideration of cognitive processes in digital data interfaces, place design at the centre of exploratory research initiatives, far removed from the traditional vision of design as merely stylistic approach. This research supports our work to revise the graduate curriculum and create topic-oriented programs, enabling French and foreign Bachelor students in design to enroll in our institution. These topic-oriented programs are aimed at encouraging creative trends monitoring and the exchanging and pooling of ideas. They will help our students to develop more astute skills and a stronger expertise, allowing them to join in-house research teams or innovation-oriented structures.

The first text included in this issue focuses particularly on the human, economic and social issues related to new technologies and the digital market. They also underline the essential role of design in the field of “tangible interfaces” (i.e. the physical and manipulable dimension of devices whose functions of use and representation relate to digital data).

The final degree project carried out by Henri Derruder echoes the studies on augmented reality and “hybrid objects” conducted by Laurence Nigay, professor at the University of Grenoble (France) who co-runs a research team in man-machine interaction engineering. Laurence Nigay underlines the need to call upon designers and raises the issue of harmonizing methods of design and computing during the creative steps of the production process, underlining the potential failings of an approach to design concerned with technical matters.

How can design play a part in activities involved in creating new services and new ways of looking at the world through “responsible” innovation – a type of design that we associate with an awareness of environmental and social responsibilities, at the very heart of economic and political issues? This is the central topic of the two following interviews. Armel Le Coz tried to find how his profession could possibly lead to a better understanding of political affairs. Stephen Boucher, former co-secretary of “Notre Europe,” a think tank specializing in European politics, and now Head of the EU Climate Policies and Diplomacy Program launched by the European Climate Foundation, tells us what Armel’s project taught him about the value of design in his field of activity: researching innovative methods for citizens to debate and make their voices heard. How can we organise the information and guide trends monitors? This question lies at the core of Pierrick Thébault’s project, which focuses on the development of a tool for use by creative professionals. Henri Samier, Head of the Masters in Innovation at ISTIA (the engineering school of the University of Angers, France), who has followed up Pierrick’s work, points out the importance of this type of research for the future, especially in the field of “economic intelligence.”

The last interview deals with the evolutions in our eating habits and the role of designers in this domain in collaboration with experts in marketing and semiology. Anne Ripaud took an interest in the values dear to us as regards food. Her supervisor, Céline Gallen, teaches marketing at the University of Nantes and has been carrying out research and experiments on the mental representations of consumers when purchasing food products. She told us that she was curious to discover how a design approach could be used to tackle her initial questions.

We hope that this issue of our research journal will arouse in our readers the curiosity evoked by Celine Gallen, and indeed by all the experts we have interviewed. We would like to thank each and every one of them for their warm welcome and their valuable contributions!

Frédéric Degouzon – Head of the Strategy, Research & Development DepartmentJocelyne Le Bœuf – Director of [email protected]/[email protected]

Ce hors série se situe dans le prolongement du projet d’édition thématique annoncé lors de la parution du hors série de mai 2008, qui consiste à mener un travail d’investigation sur la pratique du projet en design dans sa relation à d’autres métiers. Nous avons souhaité réitérer le principe d’entretiens avec des personnalités qui avaient accepté d’encadrer en qualité de tuteurs des étudiants de 5e année au cours de la réalisation de leur projet de fin d’études en 2007-2008. Les questions abordées dans des domaines aussi variés que ceux de l’alimentaire, de la veille stratégique, de la participation citoyenne ou des problèmes liés à la prise en compte des processus cognitifs des utilisateurs dans les interfaces de données numériques, placent le design au centre de recherches exploratoires très éloignées des visions stylistiques auxquelles cette pratique reste traditionnellement associée.

Cette investigation nous conforte dans le travail de refonte pédagogique mené actuellement sur le 2nd cycle et la création d’options majeures ouvertes aux étudiants français et étrangers après une licence en design. L’objectif de ces options majeures est de favoriser un travail de veille créative, de mutualisation et de capitalisation des propositions, qui donnera à nos étudiants des compétences et une expertise, tant pour intégrer des équipes de recherche en entreprise que pour devenir eux-mêmes des acteurs au sein de structures favorisant des projets d’innovation.

Le premier texte proposé dans ce numéro porte plus particulièrement sur les enjeux humains, économiques et sociaux liés aux technologies et au marché des techniques numériques et sur le rôle fondamental que joue le design dans le domaine des « interfaces tangibles », (c’est-à-dire la forme physique, manipulable, d’objets dont les fonctions d’usage et de représentation se rapportent à la manipulation de données numériques).Le projet de fin d’études d’Henri Derruder s’inscrit dans les travaux sur la « réalité augmentée » et la conception d’ « objets mixtes » menés par Laurence Nigay, professeur à l’Université Jean Fourier de Grenoble et co-responsable d’une équipe de recherche sur l’ingénierie de l’interaction entre homme et machine (IIHM). Laurence Nigay souligne le besoin de recourir à la pratique des designers et pose la question de l’harmonisation des pratiques méthodologiques entre design et informatique au niveau des étapes de créativité, mettant en exergue les potentielles dérives d’une approche design qui serait trop subordonnée à la technique.

Comment le design peut-il jouer un rôle au sein d’activités participant à la conception de nouveaux services, dans une approche d’innovation dite « responsable » (que nous associons à une conscience des responsabilités environnementales et sociales au cœur des enjeux économiques et politiques) ? Tel est l’objet des deux entretiens suivants. Armel Le Coz a mené une réflexion sur la façon dont son métier pouvait contribuer à une meilleure compréhension des affaires politiques. Stephen Boucher, anciennement co-secrétaire de « Notre Europe », think tank spécialisé dans les questions de politiques européennes, et désormais directeur du programme « politiques européennes du climat » à la European Climate Foundation, nous révèle ce que le travail d’Armel lui a laissé entrevoir des apports du design dans le domaine de recherche qui est le sien : la recherche de méthodes innovantes de débat et consultation citoyenne.Comment structurer l’information et guider intelligemment le « cyberveilleur » ? Cette interrogation a été le point de départ de Pierrick Thébault, qui s’est orienté plus particulièrement vers un outil au service des métiers de la création. Henri Samier, directeur du Master Innovation de l’ISTIA (Institut des Sciences et Techniques de l’Ingénieur d’Angers), qui a suivi le travail de Pierrick, explique l’importance de ce type de recherches pour l’avenir, en particulier dans le domaine de l’« intelligence économique ».

Le dernier entretien porte sur les évolutions en termes de pratiques alimentaires et sur le rôle des designers œuvrant dans ce domaine aux côtés d‘experts en marketing et de sémiologues.Anne Ripaud s’est intéressée aux valeurs auxquelles nous sommes attachés en ce qui concerne la nourriture. Sa tutrice, Céline Gallen, est enseignante en marketing à l’Université de Nantes et mène des recherches sur les représentations mentales des consommateurs dans un contexte d’achat de produits alimentaires. Cette dernière nous dit avoir été curieuse de découvrir ce que pourrait proposer une démarche de design ancrée dans un questionnement initial semblable au sien.

Nous espérons que ce numéro de CADI vous fera partager cette curiosité pour le travail du designer formulée par Céline Gallen, mais aussi sous-jacente chez toutes les personnes interrogées. Nous les remercions pour leur accueil bienveillant et la pertinence de leurs propos.

Frédéric Degouzon – directeur stratégie, recherche et développement internationalJocelyne Le Bœuf – directrice des é[email protected]/[email protected]

AVANT-PROPOS FOREWORD

Page 10: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

4 5

L. Nigay + H. Derudder

INTERFACES TANGIBLES + DESIGN

7 TANgiblE

iNTERFAcES + DESigN

11

S.Boucher + A. Le Coz

PoLITIqUE + DESIGN

21POliTicS+ DESigN

24

H.Samier + P. Thébault

vEILLE CRéATIvE + DESIGN

33TRENDS

mONiTORiNg + DESigN

40

C. Gallen + A. Ripaud

ALIMENTATIoN + DESIGN

51FOOD

+ DESigN55

Page 11: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

7

01 « Flexibilité, contrôle par l’utilisateur et end-user programming

sont les maîtres mots. »

entretien avec laurence nigay, chercheuse en interface Homme-machine

Cadi : Quels sont, dans le présent et dans un futur proche, les enjeux cruciaux qui sous-tendent les activités d’un chercheur en interface Homme-machine ?l.n. : les enjeux sont nombreux et je ne vise pas l’exhaustivité ici. nous partons du constat que les progrès technologiques (miniaturisation, réseau informatique) élargissent l'espace d'interaction : ce dernier inclut l'environnement physique et n'est plus confiné uniquement à un ordinateur sur un bureau. l’interaction n’est plus limitée au bureau (utilisateur mobile, à la maison etc.) et les domaines d’application sont beaucoup plus variés. À partir de ce constat, de nombreux enjeux émergent, parmi lesquels l’évolution des modalités d’interaction sur supports mobiles (par exemple, l’interaction à un doigt tout en marchant dans la rue). ensuite, dans le domaine de l’interaction Homme-machine (iHm), les interfaces tangibles participent d’une grande mouvance s’attachant à fusionner le monde réel et le monde numérique, mouvance que l’on désigne par les termes « réalité augmentée », « informatique pervasive », « ambient computing », « ubiquitous computing ». ces interfaces sont un type de réalité augmentée et ont pour but principal de rendre physique un phénomène numérique afin de pouvoir le manipuler (bit-atome/ icône physique-phycons). l’hypothèse de départ était que la manipulation d’un objet, s’il est actionné de manière naturelle, est bien plus simple à maîtriser que la mémorisation d’un formulaire ou le fait de double-cliquer sur une icône. le premier exemple nous est fourni par le mit1 et ce fameux article expliquant comment mélanger les bits et les atomes en utilisant l’analogie avec une bouteille que l’on ouvre. l’idée initiale est de réintroduire des gestes naturels dans les interfaces homme-machine en concevant des objets physiques.

au vu de l’état de l’art de la recherche aujourd'hui, peut-on dire que cette hypothèse se révèle juste ?cela relève principalement encore de la recherche. De nombreux travaux de recherche s’orientent vers les tables augmentées, qui viendraient supplanter les ordinateurs. plus généralement, l’informatique deviendrait omniprésente. nombre d’entreprises récentes fabriquent de petits objets augmentés, par exemple le lapin nabaztag (société Violet) que l’on actionne grâce à un geste physique et tangible en lui manipulant les oreilles. ce procédé d’interaction est très simple et directement assimilé par les enfants.

pourriez-vous revenir plus en détails sur le concept de « phycon »2 ? c’est un concept né au medialab du mit (boston, usa), ancré dans la notion d’icônes physiques. en lieu et place d’icônes sur un écran, nous disposerions de petits objets servant à manipuler des fichiers numériques, par exemple. Des cubes dont chacun correspond à des sections de vidéo que l’on dispose dans un rail, une sorte de table de montage agrémentée de capteurs avec laquelle l’utilisateur peut parvenir à monter une vidéo. ce système est plus facile à assimiler que la manipulation à l’écran d’icônes correspondant à des morceaux de film etc.

et qu’en est-il de la notion d’« end-user programming » ?en iHm, l’objectif est de concevoir des formes d’interaction utiles et utilisables. la conception est donc toujours centrée sur l’utilisateur (par exemple le « scenario-based design approach »). l’interaction conçue doit donc être adaptée à (1) l’utilisateur (connaissance, savoir-faire, profession etc.), (2) son travail ou ses tâches à réaliser et (3) le contexte d’interaction (bureau, mobile dans la rue, à la maison etc.). il n’y a pas aujourd’hui de méthode de conception « miracle » et la mise au point d’une interface utile et utilisable s’appuie nécessairement sur une conception itérative centrée utilisateur. l’objectif est d’obtenir des retours de l’utilisateur final (1) le plus tôt possible dans le cycle de conception (par exemple par le prototypage papier) et (2) tout au long du cycle de conception (par exemple par la conception participative). mais le fait que l’informatique demeure plus ou moins réservée aux informaticiens et donc aux scientifiques pose problème. De ce fait,

1 Massachussets Institute of Technology.2 Mot valise contractant « physical » et « icon ».

Page 12: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

8 9

Dans l’hypothèse de l’intégration d’un designer à un travail de recherche de ce type avec une dimension expérimentale, quel type de résultats pourrait-on attendre ?Tout d’abord, une méthode de conception, l’identification des étapes et puis qu’il soit à même de fournir une méthode susceptible de resserrer les liens entre les deux aspects disparates du processus de conception, des notations pour aider à capitaliser les conceptions déjà réalisées par le passé, des modèles qui vont mettre en avant les aspects importants de l’apport du design et des compétences informatiques. À plus long terme, le designer pourrait contribuer à capitaliser le savoir-faire en établissant des sortes de règles appelées « patrons de conception ».

Selon vous, les designers devraient donc avoir un rôle amont et méthodologique au sein du processus de conception ? Ce n’est pas la vision que l’on se fait a priori de l’activité de design : on pense souvent que le design se résume à une activité de mise au point formelle. Il y a, à l’heure actuelle, un réel besoin de l’apport de designers ; nous devons nous efforcer d’introduire un peu de savoir-faire formel et créatif dans nos activités. Si, demain, une entreprise souhaite lancer sur le marché un nouvel objet comunicant, il lui faudra bien créer la forme de l’objet. Comment procéder avec les acteurs qui produiront la forme de l’objet ? quelle implication la forme de l’objet aura-t-elle sur la façon dont on l’utilisera ? Comment décrire la morphologie de l’interaction par rapport à la forme de l’objet ?

Si l’on resserre le propos sur le projet qu’a pu développer Henri Derudder lors de son projet de fin d’études, est-ce que dans les points formalisés lors de cette initiative, on trouve des éléments de réponse par rapport à l’interrogation générale que nous avons soulevée ?Dans ce projet, le lien que nous avons pu établir entre nos travaux et les compétences de l’étudiant a consisté à lui fournir un modèle conceptuel apportant des éléments pour la réflexion et l’exploration de l’espace des possibilités. C’est-à-dire adopter une approche méthodologique afin d’envisager un large éventail de solutions de conception. Henri Derudder a exploité le modèle conceptuel que nous lui avions fourni et qui permettait de concevoir des objets mixtes. Pour ce qui est des autres résultats, j’ai été surprise que l’approche de l’étudiant soit à ce point biaisée par la technologie. J’aurais cru que les aspects technologiques ne rentreraient en ligne de compte qu’à une étape avancée de la conception. on ne devrait pas être obnubilé par le fait que l’on va utiliser telle ou telle technologie (Blue Tooth ou des capteurs RFID, par exemple). Cette façon de faire est très intéressante dans le sens où elle témoigne de l’influence des technologies sur la conception. Henri Derudder a tout de suite jeté son dévolu sur les tags RFID. Je lui ai répondu qu’il ne devrait pas se préoccuper de quelle technologie précise il voulait utiliser à un stade si précoce de sa réflexion et je lui ai dit que l’on trouverait une solution le moment venu.

Henri Derudder a donc paradoxalement fait preuve d’une démarche créative contrainte par une culture et un univers technologiques. oui, son approche s’est révélée étonnante. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il travaille comme cela. Ce serait plutôt une approche d’informaticien d’envisager que l’on utilisera un lecteur de codes barre, un tag RFID ou du Blue Tooth. Dans le domaine de l’ingénierie d’interfaces homme-machine, nous essayons justement d’adopter des démarches de conception nous permettant de nous abstraire de cela.

Il est vrai qu’en design, on est parfois amené à suivre une démarche techno-push : se baser sur l’état de l’art d’une technologie pour tenter de formaliser de nouveaux usages sans remettre en cause la technologie elle-même. oui, cela est intéressant. Dans le domaine des interfaces homme-machine, on conçoit ce que l’on appelle l’interface abstraite, l’interaction abstraite, et l’on essaie de tracer un trait clair et net pour ne pas se fermer d’options à cause de la technologie, puisque l’on sait que, d’une manière ou d’une autre, on finira toujours par la trouver.

En définitive, Henri Derudder est parvenu à concevoir un dispositif relativement complet. Est-ce que son initiative fait écho à des constatations ou des réflexions que vous avez pu rencontrer lors d’autres projets ? En d’autres termes, son projet est-il en concordance ou en dissonance avec les travaux menés dans le domaine des interfaces homme-machine ?Je m’attendais de sa part à plus de créativité, à des propositions plus délirantes, si je puis dire. Mais, au contraire, son projet est le genre de projets que nous aurions pu réaliser en interne au sein de notre équipe. Nous étions donc totalement en accord avec l’étudiant. Notre équipe étant très intéressée par les collaborations avec des professionnels issus du design, j’avais déjà eu l’occasion

l’informatique ayant investi la sphère domestique, on sent bien que tout ce qui a trait au tangible a un rôle à jouer. on fait l’hypothèse que pour le grand public, il est plus facile d’apprendre à manipuler des objets (technique d’appréhension faisant écho à des gestes familiers) que d’apprendre à maîtriser des interfaces numériques. De ce fait, on s’oriente vers le end-user programming, la programmation effectuée par des utilisateurs qui ne sont pas des programmeurs professionnels.

Une autre interrogation corrélée à celle-ci est la position de la pratique du design dans des démarches de conception de dispositifs d’interfaces homme-machine. Quelle est votre vision de ce positionnement ?Nous, et nombre d’autres dans notre partie, travaillons beaucoup sur le positionnement du design dans notre domaine. Cependant, pour l’instant les seuls designers avec lesquels nous avons effectivement collaboré étaient des graphistes. Auparavant, on ne composait que sur écran et les besoins en design étaient donc bien moindres, voire nuls. Maintenant que les acteurs de notre domaine ont pris conscience que la composante physique devenait cruciale, nous allons avoir de plus en plus besoin de recourir à la pratique des designers. Comment insérer les étapes de créativité et de conception relatives au design dans nos étapes ciblées logiciel (conception, programmation et test d’interfaces, compréhension des tâches de l’utilisateur etc.) ? À l’heure actuelle, les deux pratiques ne s’agrègent pas très bien l’une à l’autre. Certains créent des formes sur lesquelles d’autres viennent ensuite plaquer du numérique. Le véritable enjeu, aujourd’hui, pour pouvoir avancer dans ce domaine en termes de connaissance et de savoir-faire, c’est de mettre au point une méthode de conception qui prendrait en compte les deux parties et les ferait fusionner. Pour illustrer mes propos, je reprends un schéma de l’article de S. Hudson et J. Mankoff intitulé « Rapid Construction of Functioning Physical Interfaces from Cardboard, Thumbtacks, Tin Foil and Masking Tape » présenté à la conférence ACM-UIST 2006 qui souligne le besoin de combiner la conception de la forme de l’objet physique (Design) avec celui de l’Interaction (IHM). La forme physique de l’objet devient centrale à la conception de l’IHM justifiant le besoin de combiner Design et IHM.

Cela impliquerait-il une organisation des équipes de recherche différente de celle qui est en oeuvre à l’heure actuelle ? on peut dire cela. Mais le problème c’est que dans le domaine des interfaces homme-machine on a toujours prôné l’interdisciplinarité. Depuis les prémices de notre activité, nous avons dû travailler en collaboration avec des psychologues cogniticiens, des ergonomes ou des graphistes pour nous pencher sur ce que nous, acteurs informaticiens du secteur Interface Homme-Machine, regroupons sous le terme « facteurs humains ». Une réorganisation des équipes de recherche ne serait donc qu’une nouvelle étape à franchir dans un processus déjà enclenché. Beaucoup de gens ont travaillé sur l’ergonomie du logiciel pour essayer de comprendre les limites du facteur humain à intégrer dans les étapes de conception purement informatique. Cette liaison a été mise en place depuis des années, il faudrait maintenant établir une liaison avec le travail des designers afin d’enrichir, grâce à de nouvelles compétences, une équipe déjà pluridisciplinaire par essence. Il y a encore dix ans, les entreprises faisaient très rarement appel aux ergonomes lors du processus de conception. De fait, l’ergonome ne pouvait évaluer le projet de l’informaticien qu’en bout de chaîne et remettait en question le travail des informaticiens à une étape très avancée de la production. Les tensions et frictions entre ergonomes et ingénieurs étaient donc très importantes. Désormais, les démarches se marient beaucoup mieux, notamment dans des services R&D comme orange Labs ou celui de la Défense Nationale.

Ce qui induit une démarche très expérimentale et itérative, qu’on le veuille ou non.Nous savons que la première proposition d’interface ne sera pas forcément la bonne et qu’il conviendra d’itérer et, à chaque opération, d’essayer de centrer les recherches sur l’utilisateur. L’approche participative se révèle fructueuse : elle consiste à intégrer au sein des équipes de conception les utilisateurs finaux, tout en gardant à l’esprit que ce ne sont pas ces derniers qui vont créer à proprement parler. Beaucoup se fourvoient en pensant que le fait d’impliquer l’utilisateur final nous expose à une conception basée sur des considérations un peu « amateurs ». Les chercheurs et autres membres de l’équipe de conception ne sont pas là pour obéir à la lettre aux utilisateurs finaux : il s’agit plutôt de les consulter. De plus il convient de noter que les utilisateurs finaux ne sont pas forcément experts sur l’espace des possibilités, surtout en termes technologiques.

01 TANgiblES iNTERFAcES + DESigN01 iNTERFAcES TANgiblES + DESigN

Page 13: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

10

01 TANgiblES iNTERFAcES + DESigN01 iNTERFAcES TANgiblES + DESigN

11

objets communicants à sa guise dans son habitat. on se trouve donc dans la méthode du end-user programming : s’assurer que l’utilisateur puisse effectivement s’approprier les technologies qu’on lui propose.

On sort donc d’un modèle d’automatisation par un comportement prédictif de la machine pour plutôt s’orienter vers une série de modules qui peuvent être recombinés sans interférer sur le libre-arbitre de l’utilisateur ?Tout à fait. L’écueil que vous évoquez a beaucoup été rencontré lors de premières approches de conception d’interfaces homme-machine. La domotique, qui est tombée dans le creux de la vague et s’est avérée un échec, nous offre un exemple probant du caractère infructueux des initiatives interférant sur le libre-arbitre de l'utilisateur. La domotique est redevenue d’actualité avec les réseaux de capteurs et notre enjeu principal sera de ne pas nous heurter aux mêmes écueils que ceux rencontrés par le passé. Par exemple, la programmation de la température de la maison grâce à un ordinateur s’est avérée difficile et infructueuse. Trouvons des méthodes d’interaction adaptées à cette tâche. Dans le domaine des interfaces homme-machine, on recense deux grandes approches : d’aucuns considèrent l’ordinateur comme un marteau, un outil qui facilite le quotidien, un outil sur lequel l’utilisateur a le contrôle. C’est l’approche sur laquelle je travaille. À l’inverse, il existe une autre école tournée vers l’intelligence artificielle, qui s’attache à rendre l’ordinateur intelligent et apprenant remplissant les fonctions d’une secrétaire ou d’un assistant au quotidien, me rappelant les tâches que je dois effectuer etc.

Dans votre vision des choses, on devrait tendre vers des dispositifs s’orientant vers une simplification plutôt que vers une complexification des modèles prédictifs, vers un outil compréhensible et saisissable. Saisissable et surtout flexible, de manière à pouvoir prendre des formes différentes. C’est à l’utilisateur de s’organiser comme bon lui semble. Dès l’instant où l’on pénètre dans le quotidien de l’utilisateur, il faut avoir la décence de le laisser s’organiser. Si ce dernier veut mettre trois petits écrans sur son frigidaire côte à côte pour disposer d’un écran plus grand et ainsi mieux suivre la météo, par exemple, c’est son choix. Ce n’est pas au concepteur de décider de cela en amont. Flexibilité, contrôle par l’utilisateur et end-user programming sont les maîtres mots aujourd’hui.

01 “TODAy FlExibiliTy, uSER-cONTROl AND end-user programming ARE

kEy NOTiONS iN OuR FiElD.”

Interview with Laurence Nigay, researcher in Computer-Human Interfaces

CADI: What are the main challenges underlying the current and future activities of researchers in man-machine interfaces?L.N: There are many challenges to be taken up and I do not intend to list them all here. We first observed that technological advancement (in terms of miniaturization, web and computer networks) had broadened the scope of interaction: by now including the surrounding physical environment, it is no longer restricted to the desk computer alone. Now interaction can also happen outside the office area (e.g. mobile users, home workers etc.) and the possible areas of use are far wider. From this observation arise many challenges and issues, including the need to develop interaction modes on mobile devices, for example, like fingertip-controlled interaction when walking down the street. Secondly, I would say that in the field of man-machine interaction, tangible interfaces are participating in an effort to bring together the real and the digital worlds, a trend that has been labeled “augmented reality,” “ambient computing,” or “ubiquitous computing.” Man-machine interfaces – a kind of augmented reality tool – are mostly meant to give concrete expression to digital phenomena, allowing users to manipulate them more easily (bit/tom, physical icons/phycons). The idea that sparked off this trend is that it is far simpler to manipulate an object – when handled

de travailler avec des designers dont la pratique m’avait beaucoup surprise et plus intéressée. Le projet d’Henri, quant à lui, tenait plus de l’informatique.

Ceci est lié au parcours de l’étudiant qui est arrivé à cette idée par le biais de la conception d’interface. Il avait donc une approche plus centrée sur la technologie informatique que sur la formalisation physique.En revanche, j’ai été très impressionnée par la qualité de la présentation d'Henri Derudder. Sur ce point, on dénote une grande différence entre un étudiant en ingénierie informatique et un étudiant en design. Il s’est avéré très amusant pour moi de comparer les transparents créés par Henri et ceux que me remettent mes étudiants. on sentait la prégnance de la dimension marketing et communication dans sa façon d’amener le projet.

La disparition des supports matériels et la dématérialisation des contenus des biens culturels par la numérisation étaient les enjeux principaux du travail d'Henri. Quel est l’impact du glissement vers le Tout-numérique sur les usagers de dispositifs d’interfaces homme-machine ? La tendance à la numérisation à outrance des supports est un véritable enjeu puisque c’est justement à cause de ce phénomène que l’on revient au tangible dans le domaine des interfaces homme-machine. Par exemple considérons un projet national ciblé sur les personnes âgées à la maison. Une équipe de professionnels ayant des compétences différentes défilent en continu toute la journée à la maison. Pour l’instant, le roulement est géré grâce à un grand classeur placé dans l’entrée du domicile de la personne âgée, sur lequel chaque intervenant écrit des commentaires. Le projet consiste à étudier la numérisation de ce classeur, et sans doute à supprimer le classeur physique. Le médecin pourra ainsi consulter les informations, il n’aura plus besoin de se déplacer chez le patient. Cependant ce projet peut se heurter à des réticences des usagers ; les usagers ne sont peut-être pas prêts à perdre la dimension matérielle de ce service. C’est le cas avec nombre d’autres projets cherchant à transformer un objet en service numérique. on ne pourrait en aucun cas remplacer ce classeur par une clé USB. Il s’agit de retrouver des formes qui font sens tout en ayant le gain du numérique.

Si l’on s’adonne a un petit exercice de prospective en faisant un pari sur l’avenir, quels éléments figureraient dans votre scénario d’évolution ? Dans un futur proche, je suis assez convaincue que les objets augmentés risquent de gagner du terrain dans la maison. Ces objets que l’on disposera partout dans son habitat, reliés par un réseau sans fil, vont se répandre en procurant de plus en plus de données d’usage. À l’heure actuelle, tout le monde est équipé d’un ordinateur et l’étape suivante est l’intégration de petits objets augmentés dans son environnement quotidien (Nabaztag, petits écrans magnet reliés au réseau sur le frigo…).

Selon vous, le Nabaztag est le point-zéro d’une nouvelle famille d’objets augmentés qui vont envahir notre quotidien ? oui, tout à fait. Je crois beaucoup en ce scénario d’objets augmentés à la maison, Nabaztag ou autre.

À quelle échéance pensez-vous que ce scénario risque de devenir réalité ? Selon moi, dans cinq ans, les objets augmentés seront disponibles partout. on en trouvera chez les distributeurs grand public. Depuis un certain nombre d’années, nous oeuvrons en laboratoire à exploser l’ordinateur en tant que boîte grise qui se fixe sur un bureau, condamnée à disparaître, supplantée par les tables et autres objets augmentés. Cette évolution est l’étape suivante dans les maisons. Le gros intérêt c’est que, dans cinq ans, on disposera de données d’usage qui nous font défaut aujourd’hui. En effet, à l’heure actuelle, nous sommes confrontés à un important problème de difficulté à évaluer ce genre d’objets et l’usage que les utilisateurs en ont. on se livre à des hypothèses, à des scénarios futuristes, mais ce genre de façons de procéder est dangereux.

On s’apprête donc à passer du stade expérimental au stade industriel.oui et l’on va observer comment les utilisateurs vont s’approprier ces objets et interagir avec eux. vont-ils les combiner ou les utiliser séparément ? Le véritable enjeu consiste à éviter un retour à l’approche que nous avons adoptée jusqu’ici, celle du Tout-numérique et de l’informatisation à outrance, les techniques pour deviner ce que fait l’utilisateur après avoir mangé, etc. Dès que l’on pénètre dans la sphère du quotidien, il faut bien prendre soin de laisser à l’utilisateur une grande flexibilité dans l’organisation de son environnement personnel. Comme l’ont exprimé les chercheurs de Xerox PARC au terme de longues réflexions : « on ne vit pas dans un système expert ». Nous devons avoir pour objectif de laisser l’utilisateur organiser son environnement en installant des

Page 14: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

12 13

01 TANgiblES iNTERFAcES + DESigN01 iNTERFAcES TANgiblES + DESigN

Would this involve rethinking the current organization of research teams? Yes, we could say so. But the problem is that the cross-disciplinary approach has always been central to man-machine interfaces. Since the very beginning of our activities, we have had to work hand in hand with cognitive psychologists, ergonomists or graphic designers to collectively consider what we, computer specialists, call the “human factors.” Thus, reorganizing research teams would only be another step in an ongoing process. Many people have studied software ergonomics to try to understand the difficulties encountered by the human factor in grasping the purely computer-centered steps of the design process. This connection was made a long time ago, but now another link needs to be created with designers so as to enhance the existing cross-disciplinary team with new skills. Ten years ago, only very few companies actually called upon ergonomists during their production process. This meant that ergonomists could not assess and cross-examine projects until they reached the very end of the creation process, which meant that they sometimes had to challenge the work of the computer specialists at a very late stage. Ergonomists and engineers therefore had a very hard time getting along. Now their quite different approaches blend together far more smoothly, especially within R&D departments such as orange Labs or that of the Ministry of Defence.

Which inevitably implies a very experimental and tediously repetitive approach, whether we like it or not.We know for a fact that the first interface is never the right one, and that we will undoubtedly be led to carry out repeated experiments, each time trying to place the user at the center of our research. The participative approach has proven quite fruitful. This involved integrating end-users into design teams, with the understanding that they are not, strictly speaking, actually going to create something. Many people are mistaken in thinking that by involving end-users, we run the risk of creating products based on amateurish considerations. Yet researchers and other members of design teams do not have to follow the every word of end-users: they are simply there to be consulted. We should also point out that end-users are no experts when it comes to analyzing the scope of possibilities, especially in terms of technology.

Suppose a designer was to participate in a research project of this kind with an experimental dimension to it. What type of results could be expected?Initially, a design method, with the identification of the stages required so that the designer is then able to match the two important aspects of the design process, with, on the one hand, notes to help capitalize on previous designs and, on the other hand, a model, in which both design and computing play a prominent role. In the long run designers could contribute to capitalizing on expertise by establishing a set of rules called “design templates.”

So you think designers should work on the methodological aspect of the design process, prior to production? This is not how people usually see design: people often think that designers merely finalize products. Today, there is a real need for designer input; we must strive to add a little expertise and creativity to our activities. When launching, let’s say, a new communication device on the market, a company must first and foremost come up with a shape for its new product. How do you deal with the professionals who will actually produce the shape of the object? What impact will the shape of the object then have on users? How do you describe the morphology of interaction in relation tothe shape of the object?

Coming back to the concept developed by Henri Derudder in his final degree project, did you, among the points covered by the student, find some kind of answer to the overall questions we have raised? In this project we created a connection between our activities and the student’s skills by providing him with a conceptual model, which gave him some avenues in which to explore the scope of possibilities. This involved adopting a methodological approach in order to envisage a wide range of creative solutions. Henri Derudder has made use of the conceptual model that we gave him, which enabled him to design a variety of objects.As for the other results, I was taken aback when I realized to what extent the student’s working method was influenced by technology. I thought that technological aspects would not be taken into consideration until a later stage of the design process. A designer should not be so caught up in the different technologies that he/she has decided to use (Blue Tooth or RFID sensors, for instance). I found it very interesting to observe such a way of working: it shows the deep influence of

naturally – than to memorize a form to fill in or to double-click on an icon. The first example illustrating this hypothesis was given by the MIT1 in a now-famous article explaining how to mix bits and atoms by comparing the process to that of opening of a bottle. The basic idea is to apply natural gestures to man-machine interfaces by designing physical objects.

After a close look at the state-of-the art in man-machine interfaces today, would you say that this hypothesis has been proven to be correct?For now man-machine interfaces have mostly been concerned with research. Many research initiatives are focused on augmented multi-touch tables that could ultimately replace computers. In the greater picture, computers would take on an omnipresent dimension. Many newly set up companies now manufacture small augmented objects like the Nabaztag rabbit for instance – distributed by the violet company – a friendly device operated using physical and tangible gestures, in this case by moving the creature’s ears. This simple mode of interaction can easily be grasped by children.

Could you elaborate on the Phycon2 concept, please? This concept – first coined by the MIT Medialab (Boston, USA) – focuses on physical icons. Instead of icons scattered all over our computer screens, we would use small objects to manipulate digital files, for example. A series of cubes arranged on a rail, each containing a section of video, a kind of cutting table fitted with sensors, would allow users to edit videos. It is far easier to comprehend this kind of system than, for example, to use icons representing film fragments.

What exactly is “end-user programming”?People working in the field of CHI strive to design useful and usable types of interaction. They abide by the rules of user-centered design (such as the “scenario-based” design approach). The type of interaction created must be adapted to (1) users (knowledge, know-how, profession etc.), (2) their work or any activity they have been asked to carry out (3) the context (at the office, on the street, at home, etc.). No foolproof method has so far been developed, and we cannot create a useful and usable interface without resorting to a repetitive user-centered approach to design. Researchers and designers focusing on man-machine interfaces always endeavor to get end-user feedback (1) right from the earliest steps of the creation process (through on-paper prototyping, for example) and (2) all throughout the long-term design cycle (via participative design, for example). But the fact that computing remains more or less a domain for computer specialists and scientists only poses a problem. Now that computers have invaded the domestic sphere, any potential tangible solutions have a great role to play. The idea is that the general public finds it easier to handle physical objects (because they can apply techniques that echo familiar gestures) than to learn how to master digital interfaces. Therefore, researchers are veering towards end-user programming, i.e. programming carried out by non-professional programmers.

Another related question is the place of design in the creation of man-machine interfaces. Where do you think designers should stand in this process?We, and a number of peers, have been reflecting a great deal on the position of design in our area of activity. However, the only designers we have actually worked in collaboration with were graphic designers. In the past, all creative drawing was done onscreen so there was very little, or no need for well-designed tools. Now that players in our domain have realized the importance of the physical aspects of interfaces, we are increasingly going to need to draw upon the know-how of designers. How could we incorporate the creative steps of designers into our software-oriented production steps e.g. design, programming, interface tests, understanding user needs…? For now the two disciplines still fail to intertwine effectively. Some professionals come up with shapes and others then apply digital techniques to them. To further the advancement of knowledge and know-how in this field we must implement a production method that would combine both activities. To exemplify what I’m saying, I’d like to refer to the diagram which illustrates an article by S. Hudson and J. Mankoff entitled: “Rapid Construction of Functioning Physical Interfaces from Cardboard, Thumbtacks, Tin Foil and Masking Tape” presented at the ACM-UIST 2006 conference. Here, they underline the need to combine the shaping of the physical object (Design) with the mode of interaction (CHI). The object’s physical shape has become central to man-machine interfaces and justifies the need to weave design into man-machine interfaces.

1 Massachussets Institute of Technology.2 Portmanteau word that merges “physical” and “icon.”

Page 15: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

14 15

01 iNTERFAcES TANgiblES + DESigN

increasingly widespread, thereby providing more and more use-related data. Today most people are equipped with computers; the next step is the adoption of an increasing number of small augmented objects (such as Nabaztag, small network-connected magnet-screens stuck on the fridge, etc.).

Do you think that Nabaztag is just the first member of an emerging family of augmented objects that are about to invade our daily lives? Yes, exactly. I firmly believe that augmented objects will gain tremendous popularity and invade all kinds of homes, be it Nabaztag or otherwise.

When do you think this scenario might begin to become reality? In my opinion, in five years time augmented objects will be all over the place. You will find them in supermarkets and other general public stores. For many years, we have been endeavoring in laboratories to go beyond the idea of the computer as a rigid desk-riveted grey box, as this is bound to disappear and be replaced with augmented tables and all other kinds of augmented objects. This development is the next step in private homes too. The interesting thing is that in five years time a significant amount of use-related data that we currently lack will be made available to us. Indeed, for the time being, we are confronted with major difficulties in evaluating the efficiency of such objects and to observe how users actually make use of them. We have been speculating and inventing prospective scenarios, but such methods could prove dangerous.

So we are ready to move from experimentation to production?Yes. And from then on we are going to be able to observe how users actually use these objects and how they interact with them. Are they going to combine them or use them separately? The true challenge lies in not reverting to the approach we have adopted up to now, that is the all-digital method, excessive computerization and, for example, techniques to guess what users like to do after eating, etc. When dealing with people’s daily lives, it is important to allow users enough flexibility in organizing their own environment. As some researchers from Xerox PARC stated after extensive reflection: “We do not live in an expert system.” The objective we must set for ourselves is to have users organize their environments as they please by placing communication devices wherever they feel like in their home. This is end-user programming: making sure users can actually use the technologies that are offered to them.

Are we therefore breaking away from a model of automization based on predictive behavior and veering towards a series of modules that can be assembled without interfering with the user’s free will?Exactly. We came across the pitfalls you were just mentioning during the first attempts at designing man-machine interfaces. Home automation initiatives – which fell into decline and finally proved to be a complete failure – are living proof that devices jeopardizing users’ free-will are doomed to fail. Home automation is currently coming back in the limelight with the advent of wireless sensor networks, and in this context we are going to have to be careful not to fall into the same traps in which we got caught up in the past. For instance, we know for a fact that programming house temperature via a computer is difficult and ineffective. Let’s find relevant interaction methods which are suitable for this task.

The field of man-machine interfaces is ruled by two main schools of thought: those for whom computers are like hammers, tools making everyday life easier and over which end-users have complete control. This is the approach I adopt in my work. The other school of thought is that of artificial intelligence, which endeavors to make computers intelligent and able to learn, so they can replace a secretary or a personal assistant on a daily basis, reminding the user which tasks need to be done etc.

In your view, designers should aim to create devices that are simple to use. Instead of continuing to come up with ever more complex predictive models, they should try and devise easily understandable and graspable devices. Graspable and above all flexible, so that they are able to take on different shapes. Because users must be free to organize their lives as they please. Designers should not determine how users are to use such or such a device prior to production as is often the case. Today flexibility, user-control and end-user programming are key notions in our field.

technology upon creation and design. Right away, Henri Derudder opted for RFID tags. I replied that he should not worry about what type of technology he was going to use at such an early step of his reflection. I told him we would find the suitable solution when the time came.

So Henri Derudder paradoxically adopted a creative approach which was restricted by his deeply ingrained technological culture. Indeed. His method was really striking. I had not expected him to work this way at all. Deciding if you’re going to use a bar-code scanner, a RFID tag or Blue Tooth is more the job of an engineer. However, in the field of man-machine interface engineering, we favor creation processes that enable us to break free from overly technological mindsets.

Indeed in design you sometimes have no choice but to adopt a techno-push approach, i.e. using the state-of-the art of a specific technology to try and ascertain new uses without questioning the technology itself. Yes, this is an interesting point. In the field of man-machine interfaces, first we design what we call the abstract interface, abstract interaction, and then we try to draw a sharp, clear line so as to make sure not to overlook potential options as a result of technological considerations, as one way or another we know we will eventually find a technological solution to apply to our object.

In the end, Henri Derudder managed to design quite a complete device. Is his initiative in tune with observations or reflections you might have come across in other projects? In other words, is our student’s project in line with the work of researchers and designers in the field of man-machine interfaces?I must admit I expected him to display more creative skills, more off-the-wall ideas, if I may say so. But on the contrary, his project is exactly the kind we could have carried out with our in-house team. We therefore totally approved of your student’s work. our team is really willing to work in collaboration with design professionals. I already had the opportunity to work with other designers whose practice really surprised and interested me. Henri’s project, however, was more computer-based.

This is perhaps due to the academic path of the student, who came up with this idea by means of interface design. This explains why he focused more on computer technology than on the physical aspect.Right. However I was really impressed by Henri Derudder’s high-quality presentation. It showed me the huge gap that existed between a student in computer engineering and a student in design. I found it very entertaining to compare the slides made by Henri to those that my students handed out to me. You could feel the marketing and communications spirit in the way he presented his project.

The disappearance of material aids and the increasing number of cultural goods being distributed in digital form were Henri’s main concerns. What consequences will this evolution towards an all-digital society have on users of man-machine interfaces? This continued over-digitalization is a big issue and it is precisely because of this phenomenon that we are now reverting back to tangibility in the field of man-machine interfaces. Let’s have a look at a nationwide project on elderly people living at home. All day every day, an elderly person receives numerous visits from a versatile team of healthcare professionals. Up until this point, the various care workers filled in information on the elderly patient in a folder left in the house. The project involved getting rid of the physical folder and replacing it with a digital version. This would enable the doctor to access all information related to his/her patients without having to actually visit them. The project, however, has not aroused much enthusiasm as users of this health care service are eager to maintain the material and physical interaction they have with their doctors and other health care professionals. A number of other projects which aim to transform an object into a digital service have met with the same reluctance. There is no way that the folder I mentioned earlier could be replaced by a USB key. We need to find shapes that both make sense in the material world and make the most of digital technology.

If you were to take a bet on what would happen in the future, what would your evolution scenario include? In the near future, I am positive that augmented devices are going to gain a foothold in homes. These objects, scattered all over the house and connected via wireless networks, are going to become

01 TANgiblES iNTERFAcES + DESigN

Page 16: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

16 17

01 TANgiblES iNTERFAcES + DESigN01 iNTERFAcES TANgiblES + DESigN

biOgRAPHiE biOgRAPHy

Laurence Nigay, informaticienne de formation (thèse en 1994 sur le thème suivant : « Conception et modélisation logicielles des systèmes interactifs : application aux interfaces multimodales ») est professeure à l’Université Joseph Fourier (UJF), membre de l’Institut Universitaire de France (UIF) depuis septembre 2004, co-responsable de l’équipe IIHM (Ingénierie de l’Interaction Homme-Machine). Elle a été médaillée de bronze du CNRS en 2002. Ses recherches portent plus particulièrement sur l’ingénierie de l’Interaction Homme-Machine (IHM). Elles visent à faire le lien entre les facteurs humains et le Génie Logiciel (GL), c’est-à-dire à considérer les critères d’ergonomie comme des critères de qualité du logiciel, au même titre que les critères de Génie Logiciel, à étudier des méthodes de conception centrées sur l’utilisateur. Laurence Nigay travaille plus particulièrement au sein de l’équipe IIHM sur de nouvelles formes de modalités d’interaction, la multimodalité et les interfaces post-WIMP3 (post Window Icon Menu Pointer).

Laurence Nigay, was trained as a computer engineer (in 1994 she wrote a PhD thesis on: “Designing and modeling interactive systems using software: application to multimodal interfaces”) and has been teaching at the University Joseph Fourier (UJF), a member of the Institut Universitaire de France (a nation-wide institution which fosters the development of advanced research within universities and promotes cross-disciplining.) since September 2004. She also co-runs the IIHM team (a working group that studies man-machine interaction engineering). She was awarded a bronze medal by the prestigious CNRS (French National Center for Advanced Research) in 2002. Her research activities have mostly been centered on man-machine interaction. They aim to bridge the gap between human factors and software engineering, i.e. using ergonomic criteria to assess the quality of software, just like criteria of software engineering, and to study user-centered design processes. Within the IIHM team Laurence Nigay has been working on new modalities of interaction, on multimodality and on post-WIMP3 interfaces.

3 Post WIMP = post Window Icon Menu Pointing Device. Ce terme fait référence aux interfaces plus évoluées que le système, désormais daté, Icônes / Menu / Souris.This term refers to interfaces more advanced than the now-outdated system based on icons, menus and a mouse.

PRiNciPAlES PublicATiONSmAiN WORkS PubliSHED

Ouvrage collectif :Bryan-Kinns Nick, Blandford Ann, Nigay Laurence (eds). People and Computers XX, Proceedings of Human Computer Interaction 2006. Springer, 2006, 278 p.

Chapitre dans un livre :Nigay Laurence. Software Engineering for Multimodal Interactive Systems. In Bouchet J., Juras D., Mansoux B. (eds). Multimodal User Interfaces : from Signals to Interaction. Springer, 2008, pp. 201-218. (collection Lecture Notes in Electrical Engineering)

Article :Nigay Laurence, Chin Tat-Jun, You Yi Lun, et al. Mobile Phone-based Mixed Reality : the Snap2Play Game. In Proceedings of the 14th International Multimedia Modeling Conference. Berlin/Heidelberg : Springer, 2008 (The visual Computer).

Conférence internationale :Nigay Laurence, Chin Tat-Jun, Coutrix Céline. Deploying and Evaluating a MixedReality Mobile Treasure Hunt : Snap2Play. In International Conference on Human Computer Interaction with Mobile Devices and Services (10, 2008, Amsterdam) Mobile HCI. ACM Press, 2008, pp. 335-338.

Collective work:Bryan-Kinns Nick, Blandford Ann, Nigay Laurence (eds). People and Computers XX, Proceedings of Human Computer Interaction 2006. Springer, 2006, 278 p.

Chapter in a collective work:Nigay Laurence. Software Engineering for Multimodal Interactive Systems. In Bouchet J., Juras D., Mansoux B. (eds). Multimodal User Interfaces: from Signals to Interaction. Springer, 2008, pp. 201-218. (Lecture Notes in Electrical Engineering)

Recently published articles:Nigay Laurence, Chin Tat-Jun, You Yi Lun, et al. Mobile Phone-based Mixed Reality: the Snap2Play Game. In Proceedings of the 14th International Multimedia Modeling Conference. Berlin/Heidelberg: Springer, 2008 (The visual Computer).

Presentation at an international conference:Nigay Laurence, Chin Tat-Jun, Coutrix Céline. Deploying and Evaluating a Mixed Reality Mobile Treasure Hunt: Snap2Play. In International Conference on Human Computer Interaction with Mobile Devices and Services (10, 2008, Amsterdam) Mobile HCI. ACM Press, 2008, pp. 335-338.

Page 17: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

18 19

Henri Derudder tel. : 06 68 44 53 95 email : [email protected] - site : http://www.digitalic.org

Though his study on the formal and functional aspects of such artifacts remained skin-deep as exclusively focused on the chosen technological solution, Henri’s initiative nonetheless proved quite groundbreaking in that it aims to materialize actions rather than to “re-materialize” objects.

Indeed, our world is made of liquid5: the true nature of things does not lie in their material dimension but in fluxes. Henri Derruder’s project draws from the “ritual objet”, a notion coined by French anthropologist Jean Bazin: the “ritual object” is an object which is updated ritually; it is not a mere “object” – i.e. something you can hold in your hand or stand in front of, but an active player, an entity with which one interacts.6

Therefore you cannot define an object without mentioning the environment in which the object is to be used, in addition to describing all the functions it might feature. “An object is not limited to 'the thing' itself, which is merely the virtual sum of all its concurring or successive objectivations.” When making this statement, Jean Bazin did probably not envisage all the technological solutions that would expand the lives of objects via technology and design.

Nathalie Ciprian – Course Leader - Postgraduate Studies

* The student is here referring to Espèces d’espaces by French essayist and novelist Georges Pérec (1974), Espèces d'espaces, éditions Galilée, Paris, 2000. literally translates as “Sorts of objects.”4 functional and symbolical.5 See S. Dali’s views on the matter as well as the more recent works by sociologist Zygmunt Bauman.6 Jean Bazin quoted by J.-M. Schaeffer in the periodical L’Homme, n° 170, Revue Française d’anthropologie, 2004, p.35.

YUBIHenri Derudder Espèces d’objets *

Tout doit disparaître, l’inutile, le futile ainsi que le substituable par de l’intangible. De grands discours, tel celui de Philippe Starck, prônent, parfois non sans contradictions, la décroissance, la disparition des objets, la simplicité, par choix de vie ou par nécessité économique.

Ceux-ci semblent mis à mal dans ce projet d’étudiant. Après avoir vécu au milieu d’une foultitude d’objets, Henri Derudder nous propose une évolution qui nous entoure d’un nouveau système… d’objets. La démarche, primordiale ici, de recherche sur les usages n’a pas abouti à un autre constat que ceux de Baudrillard ou Pérec : l’homme a toujours eu et aura encore besoin d’artefacts4.

Bien que survolant la partie formelle et fonctionnelle desdits artefacts, sous couvert de la technologie embarquée proposée, l’approche d’Henri est originale dans le sens où elle propose de matérialiser des actions plutôt que de « re-matérialiser » des objets.En effet, notre monde serait liquide5: l’important ne serait plus dans le matériel, mais dans les flux. La proposition d’Henri Derruder nous renvoie à la notion d’ « objet rituel » présente dans les travaux de l’anthropologue Jean Bazin : l’objet « rituel » est un objet actualisé rituellement, il n’est pas un « objet » (quelque chose face à quoi on se tient) mais un actant (une entité avec laquelle on interagit).6

Ainsi un objet ne peut être complètement caractérisé qu’en précisant le contexte dans lequel il est décrit en plus des fonctions qui lui sont conférées. « L’objet ne se réduit pas seulement à « la chose », celle-ci n’étant jamais que la totalité virtuelle de ses « objectivations concurrentes ou successives ». En écrivant cela, Jean Bazin ne soupçonnait peut-être pas toutes les possibilités de prolongation de vie des objets par la technologie et le design.

Nathalie Ciprian – responsable pédagogique 2nd cycle

* en référence à Georges Pérec (1974), Espèces d'espaces, éditions Galilée, Paris, 2000.4 fonctionnels et symboliques.5 Cf. les visions de S. Dali et plus récemment les écrits du sociologue Zygmunt Bauman.6 Jean Bazin cité par J.-M. Schaeffer in revue l’Homme n° 170, revue française d’anthropologie 2004, p.35.

yubiHenri Derudder “Espèces d’objets” *

Everything is bound to fade away: the useless, the futile and all that can be replaced by intangible objects. Some famed figures – like Philippe Starck, for instance – have sometimes advocated “de-growth,” the disappearance of objects, simplicity, either by life choice or economic necessity.

In his project, our student criticizes such ideas. Born about twenty-five years ago, Henri Derudder has always been surrounded by objects of all kinds; today he has come up with an innovative solution: a new system based on… objects. By observing and documenting usage, he came to the same conclusion as Baudrillard or Pérec: Mankind has always needed and will always need artifacts4.

01 iNTERFAcES TANgiblES + DESigN 01 TANgiblES iNTERFAcES + DESigN

Page 18: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

21

02 « Le design peut jouer un rôLe en amont de nos activités,

en participant à La conception de nouveLLes visions. »

entretien avec stephen Boucher, consultant en politique.

cadi : Les euro-thinks tanks (réservoir d’idées spécialistes de l'Union européenne) se veulent des architectes de la démocratie européenne. Pouvez-vous nous expliquer ce que sont ces entités, influentes bien que peu visibles ?s.B. : pour vous donner une réponse succincte qui pourra être complétée par l'ouvrage Les Think Tanks : Cerveaux de la guerre des idées (éditions du Félin) co-écrit avec une journaliste des échos, martine royo, nous avons défini les think tanks, organismes sans vraiment d'idéal type, comme des organes de réflexion et de proposition de solutions politiques, dotées de leurs propres équipes de recherche. ces chercheurs se consacrent à la réflexion et à l'analyse politique avec la vocation d'en tirer des propositions, de les faire connaître, d’œuvrer à leur d’adoption et de les promouvoir. ces entités situées à la croisée des mondes académiques, politiques, économiques, médiatiques et industriels, ont des traits communs avec chacun de ces univers sans être assimilables à des organismes plus classiques (équipe universitaire, parti politique, consultants… ).ils se distinguent des clubs, historiquement nombreux en France, en général réunis autour d'une personnalité, d'un parti ou d'une certaine tendance politique, qui sont avant tout des lieux de rencontre, comme le veut la terminologie du nom. au contraire, les think tanks sont censés être, selon l'étymologie du terme américain, des « réservoirs de pensée ».

Quel est le rôle de ces « réservoirs de pensées » ou « laboratoires d'idées »?Leur rôle est d'alimenter le débat, de nourrir la réflexion, d’apporter des idées innovantes et de rénover la pensée. par exemple, dominique strauss Kahn et certains de ses fidèles ont créé un nouveau think tank appelé terra nova dont la mission est de rénover la pensée moderne. L'institut thomas more, un think tank néo-libéral français, s'attache à éclairer les débats d'idées novatrices tirées de cette philosophie.

Existe-t-il une typologie des think tanks ?on recense quatre types de think tanks : les think tanks universitaires, les advocacy tanks (think tanks très idéologisés, pour beaucoup néo-conservateurs, qui « plaident » pour une cause auprès des médias, de l'opinion publique et surtout des décideurs), les instituts de recherche sous contrat et les think tanks de partis politiques.

Quels sont les enjeux et questions primordiales qui régissent les activités des think tanks, et notamment des think tanks spécialistes de l'espace européen, votre champ d'action ?Lorsque nous avions réalisé, il y a déjà quatre ans, une étude sur les think tanks qui s'intéressent principalement à l'europe et l'union européenne, certaines problématiques intéressaient plus que d'autres (les questions institutionnelles et économiques notamment) mais nous avions repéré certains effets de modes. à une époque où les questions de terrorisme étaient sur le devant de la scène, nous avons observé une vague de création de think tanks et de programmes d'études sur ce sujet, de même pour les questions touchant à l'immigration. à l'heure actuelle, les thèmes courants sont l’énergie, le changement climatique et le développement durable. Historiquement, les think tanks se penchent sur les questions institutionnelles, de compétences de l'union européenne, sur les questions économiques, la politique étrangère. en effet, nombre de think tanks tels l'iFri (institut Français des relations internationales) ou l'iris (l'institut des relations internationales et stratégiques) sont orientés plus généralement vers les questions internationales.

Quel impact ces think tanks ont-ils sur les processus de décision ?avoir un impact sur les processus de décision, influencer et faire passer leurs idées reste le but des think tanks. c’est en cela qu'ils se distinguent de la recherche académique : leur réflexion n'est pas théorique, elle doit être suivie d'effets. toutes sortes d'exemples montrent que certains think tanks ont injecté des idées dans le débat politique. Le concept de la « tolérance zéro » en matière de délinquance urbaine, par exemple, a été popularisé et promu par le manhattan institute, un think tank américain. sans leur concours, cette théorie serait restée une proposition de l'ordre académique. ils en ont fait un concept politiquement attirant. de même, le center for european

Page 19: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

22 23

C’est donc la capacité du designer à mettre les concepts en forme qui pourrait s’avérer utile dans votre domaine.La démarche primordiale à adopter c’est de croiser des disciplines, de croiser des regards. Pour cela, des acteurs de différentes disciplines doivent pouvoir se rencontrer. Il serait intéressant et fructueux de constituer des groupes de travail réunissant experts du design et experts du monde politique réfléchissant ensemble à des problèmes et à des solutions. Certains outils sont nés de ce genre de démarches : la société Shell qui avait besoin de mieux comprendre comment pouvait évoluer son marché a développé la méthode des scénarios, pratique courante dans le domaine du design mais marginale en politique à l’époque. Désormais cette méthode des scénarios d’usage est devenue monnaie courante dans notre secteur d’activité.

Quels autres aspects du travail d’Armel Le Coz ont suscité votre intérêt ?Son travail m’a interpellé et intéressé, notamment l’idée que certains outils du design lui permettraient de mieux expliquer des projets de lois ou des problèmes politiques. Je serais curieux de voir la continuation de ce projet et son aboutissement concret pour découvrir des solutions innovantes par rapport à nos méthodes, somme toute classiques, d’explication et présentation des textes de loi.

Ce qui était intéressant dans le projet d’Armel c’était sa volonté d’apporter une dimension pédagogique aux outils de participation citoyenne. Partant du constat que toute une partie de la population n’avait pas accès au débat politique, faute de moyens de compréhension des problèmes, il a mené son projet dans l’optique de dépasser l’élitisme inhérent à la sphère de la pensée politique. Cette perspective vous paraît-elle réaliste ? Tout à fait, même si j’ai du mal à imaginer quelle forme cet accès élargi au débat politique pourrait prendre. Une infographie un peu sophistiquée sera toujours mieux que les journaux, mais cela ne serait pas forcément suffisant pour révolutionner les usages dans le domaine politique. Mais d’après ce que je comprends intuitivement cela pourrait s’avérer un outil d’explication très efficace. Je pense donc qu’un tel projet peut interpeller les gens, les faire réagir de manière différente, leur apporter une compréhension plus approfondie de la situation. La politique se fait beaucoup entre experts, et les citoyens en sont exclus. Si l’on parvenait de manière tout à fait rigoureuse mais pédagogique à intégrer les citoyens dans cette complexité, cela donnerait des résultats et attirerait beaucoup de monde.

En tant que spécialiste de l'innovation en matière de réflexion politique à l'échelle européenne, comment pensez-vous que la perception de l'actualité politique par les citoyens risque d'évoluer au cours des prochaines années ? L'hégémonie d'une politique intellectuelle, intellectualisée, réservée à un cercle d'initiés va-t-elle se résorber, selon-vous ? Les institutions démocratiques vont-elles privilégier la communication et adapter leur discours aux citoyens ?Le décalage perçu entre l’engouement pour la politique, une certaine frustration des citoyens et les leçons qu’en tirent les responsables politiques est inquiétant. En France, par exemple, la compréhension de la notion de participation des citoyens au débat politique est assez superficielle, bien qu’on recense des débats publics ou l’existence du CNDP (Centre National du Débat Public). Si ce genre d’initiatives sont motivées par de bonnes raisons, la réflexion méthodologique qui les sous-tend reste assez limitée avec, de fait, des résultats eux-mêmes assez limités. Les citoyens ne perçoivent pas forcément l’impact de ces initiatives sur la vie politique et cela engendre en eux des frustrations. (« on nous consulte mais à quoi cela sert-il, en définitive ? »). Au niveau européen, ces initiatives sont encore plus compliquées puisque la dimension internationale et multilingue entre en ligne de compte. Les réactions au récent référendum montrent bien le décalage existant entre ce que veut le peuple et ce que préconisent les responsables politiques. La leçon que l’on pourrait en tirer est qu’il ne faut pas consulter le peuple à propos de questions trop complexes. Mais ce serait se fourvoyer. La vraie réponse est qu’il faudrait mieux organiser le débat. De façon un peu pessimiste, je n’ai pas l’impression que les responsables tirent les bonnes leçons de ce genre d’échecs. Une autre façon de voir serait de considérer que les responsables politiques ont un rôle bien défini, gérer le quotidien de la nation, et qu’ils n’ont pas le loisir de consulter les citoyens. Cette tâche incomberait plus à la société civile, aux associations, aux entreprises… Ce type d’initiatives enrichirait le débat politique et apporterait des outils de réflexion à la classe politique. Si ces outils ont un certain poids politique, alors les intéressés y prêteront attention. Le Grenelle de l’environnement est un exemple de processus de réflexion et de consultation. Mais, en définitive, tout ce qui y a été décidé passe désormais à la moulinette de la logique incontournable des partis politiques.

Policy Studies (CEPS), un des principaux think tanks européens, a été à son origine un des promoteurs de l'union économique et monétaire. Mais les cas où l'impact d'un think tank sur une idée politique est mesurable restent assez rares. Leur influence est trop diffuse pour être facilement identifiable ; ce serait davantage une contribution à la discussion politique. Notre Europe a, par exemple, apporté des arguments dans le cadre du débat sur le budget européen, un programme de recherche et de réflexion existant depuis quelques temps. Si nos idées sont lues et peuvent servir d'inspiration à certains députés européens, il est impossible de repérer de manière précise et tangible l'influence directe de nos actions. Contrairement aux lobbies traditionnels, nous ne proposons pas des actions immédiates sur telle ou telle directive européenne,ou pour changer tel aspect ou tel amendement. Nos actions sont plus conceptuelles, plus générales. voilà également pourquoi il est difficile d'identifier comment et à quel degré l’opinion publique se les approprie.

Comme le rappelle Armel le Coz dans son mémoire, seul un français sur trois dit s'intéresser à la politique (abstention en moyenne supérieure à 40% depuis 1958). Quelles sont les causes du désintérêt et du manque d'adhésion des citoyens pour la politique ? Ce genre de statistiques est à interpréter prudemment. Au vu de la passion qu’a suscité le référendum à propos du Traité Constitutionnel ou les élections présidentielles françaises, les Français s’intéressent très fortement aux questions politiques à certains moments. Ce sondage reflète sans doute une certaine vision de la politique mais ne donne en aucun cas une vision générale de la relation des citoyens français avec la politique. Je pense au contraire, c’était d’ailleurs un peu le calcul politique de Mme Royal, que les citoyens sont en attente de nouvelles formes de participation qui leur permettent de s’impliquer, de débattre et d’avoir un impact sur les discussions.

Le terme de « désintérêt » n’est peut-être pas bien approprié. Disons plutôt que les citoyens éprouvent un intérêt pour la politique mais n’ont pas les moyens ni les outils pour adopter un comportement participatif. oui. D’autre part, il existe sans doute un désintérêt pour certaines formes traditionnelles de la politique ou certains débats, mais pas pour la politique en soi : grands choix de vie et grands choix de société…

La fonction d'innovation est un des chevaux de bataille des think tanks. C'est également un des fers de lance des designers. Comment la démarche du design peut-elle participer de l'innovation prônée par les think tanks ? Sur le principe, dans la mesure où la création est primordiale dans l’industrie du design, cette activité doit être basée sur une réflexion structurée autour de l’émergence et de la diffusion de nouveaux modes de vision, réflexion qui pourrait certainement être appliquée à la politique. D’après ce que je connais de la politique, les modes d’organisation de la pensée sont très classiques, voire très pauvres. Les gens sont souvent très bien formés et très intelligents, mais les infrastructures ou outils permettant de penser de manière collective sont très limités et pas très évolutifs. Former des gens à penser de manière individuelle est une bonne chose (qui se pratique déjà en politique), il convient surtout maintenant d’organiser la réflexion collective. Et, sur ce point, je pense que nous pourrions tirer des enseignements du design.

Votre domaine d’activité (qu’Armel Le Coz a décidé d’explorer dans le cadre de son projet de fin d’études) relève du domaine intellectuel, il a donc plutôt trait à l’immatériel. Quel impact le design (historiquement plus lié à la conception d’objets tangibles ou d’espaces) peut-il avoir sur l’immatériel ? Nous pourrions aborder ce sujet sous deux angles différents. Tout d’abord, le design peut jouer un rôle en amont de nos activités, en participant à la conception de nouvelles visions et de nouvelles solutions… Et d’autre part, il pourrait influer sur la phase aval, les moyens de diffusion, de vulgarisation et d’organisation du débat. C’est ce qu’a fait Armel en concentrant ses efforts sur la manière de les expliquer et d’en débattre. Dans le secteur du design, de même que dans tous les secteurs de l’industrie, du fait de la dimension économique, on ne peut se contenter d’attendre qu’un génie vienne proposer une solution. Les processus sont organisés pour faciliter une créativité continue et arriver à de nouveaux modes d’actions. que cela se matérialise sous la forme d’un nouvel outil, à travers la manière d’organiser un service hospitalier, dans l’urbanisme ou autres problématiques sociales, il y a forcément des enseignements à tirer du design.

02 POliTicS + DESigN02 POliTiQuE + DESigN

Page 20: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

24

02 POliTicS + DESigN02 POliTiQuE + DESigN

25

What are the main issues underlying the activities of think tanks and especially those specializing in your field of action, the European Union?Four years ago when we carried out a study on Euro-think tanks we came to the conclusion that some issues appealed more than others, such as institutional and economic matters, but we had also spotted a number of fashion trends. When terrorism was hogging the media limelight we noticed an increase in related think tanks and study programs; the same trend also applied to immigration issues. Today the most popular topics are clean energies, climate change and sustainable development. originally, Euro think tanks were meant to focus on institutional issues, economic matters and foreign policy pertaining to the European Union.

What influence do these think tanks have on the decision-making process?Having an impact upon the decision-making process, influencing people and spreading their ideas are the main goals of think tanks. Here lies their main difference with academic research: they do not restrict themselves to mere theoretical reflection, their thinking must lead to concrete action. Many examples show how think tanks have breathed new ideas into political debates. The policy of “zero tolerance” to urban crime, for instance, was first made popular and promoted by the Manhattan Institute, an American think tank. Without them, this theory would not have made it past the academic phase. The Manhattan Institute managed to make it into a politically appealing concept. Along the same lines, the Center for European Policy Studies (CEPS), one of the most authoritative European think tanks, was initially one of the main supporters of the Eurozone. However, it remains quite rare for a think tank to actually have a noticeable and quantifiable impact upon political thinking. Their influence is too interspersed over the political arena to be easily identified; their action is therefore more accurately described as a contribution to the political discussion. “Notre Europe” for instance set forth a number of arguments during the European Budget debate, as part of a research program which has existed for some time. Though we know our ideas are actually being read and sometimes prove inspirational to some European members of parliament, there is no precise tangible way to evaluate the direct impact of our actions. Unlike traditional lobbies, we do not advocate taking immediate action on such or such European directive or changing various aspects or amendments, for instance. our action is more concept-based and has a broader scope. And this also accounts for the difficulty in evaluating the way and the extent to which public opinion adopts our ideas.

As Armel Le Coz underlines in his final thesis, only one in three French people claims to take an interest in politics (the abstention rate has on average been over 40% since 1958). What do you think are the reasons for this lack of interest in politics?These kind of figures should be analyzed carefully. Looking back at the massive display of enthusiasm for the European Constitutional Treaty referendum or the latest French presidential elections, it can be seen that at certain times, the French get deeply involved in political issues. This survey you’re mentioning only mirrors one single aspect of French politics, it is far from giving an accurate picture of French voters’ actual relationship to politics. on the contrary, I tend to think, and during the latest French presidential campaign Mrs Ségolène Royal had sensed that, citizens are in need of new simplified ways to participate in the political debate, to become involved and have their voices heard in political discussions.

You are right, speaking of a “lack of interest” may not be the right term. Let’s say citizens are eager to take an interest in politics but do not have sufficient means or tools to be able to take part.Exactly. I would also add that there is a lack of interest for some traditional types of political issues or some age-old barren debates but not for politics itself – I mean life-changing choices and society-shaping decisions…

Innovation is one of the main leitmotivs of think tanks. It is also one of the greatest tools of designers. How can design play a role in fostering innovation as advocated by think tanks?Since creativity is key to the design industry, this activity needs to be based upon structured reflection on how to bring out and spread new modes of vision; and this kind of reflection could undoubtedly be applied to politics. From what I understand of politics, the methods used to organize thinking in this field are very traditional and rather poor. Most people working in this field are very well-educated and intelligent but they only have access to very limited, rigid and not particularly advanced infrastructures and tools to promote collective thinking. Training people to think individually is a good thing to do – this is what has been done in politics so far – but now

Donc, si évolution des outils de consultation citoyenne il doit y avoir, cela ne viendra pas forcément des institutions. Il ne faut pas forcément attendre que les hommes politiques et les institutions comprennent les choses, il faut initier les choses. C’est ce que Notre Europe s’est attaché à faire en organisant un sondage délibératif au niveau européen qui a fait mouche. En effet, une autre organisation est actuellement en train d’organiser un sondage similaire à propos du système européen qui reçoit un accueil très positif. Tandis que les institutions européennes ont manifesté une certaine réticence lorsque nous avons lancé notre premier sondage, nous constatons qu’elles accueillent le deuxième à bras ouverts. La conclusion serait donc qu’il faut peut-être amorcer les choses du côté de la société civile.

02 “DESigN cOulD cOmE iNTO PlAy PRiOR TO OuR AcTiViTiES

by cONTRibuTiNg TO cREATiNg NEW ViEWS AND NEW SOluTiONS…”

Interview with Stephen Boucher, consultant in public affairs.

CADI: Euro-thinks tanks aim to be the architects of European democracy. Could you tell us more about these influential yet barely visible bodies?L.N.: To give a brief answer – that you are free to supplement with the work entitled Think Tanks: Cerveaux de la guerre des idées (éditions du félin) about think tanks seen as the true brains pulling the strings of the ideological war, that I co-wrote with Martine Royo, a journalist from the French newspaper Les Échos – I’d say that think tanks – organizations that do not really have a typical idealized model – are thinking groups who are equipped with their own research teams dedicated to reflecting upon and analyzing political issues in order to find solutions, make them known and get them implemented. These organizations, situated at the crossroads between the academic, political, economic, information and industrial worlds, have common features with each of these fields but stand out from more traditional types of organizations such as university teams, political parties and consultants.

They are not to be confused with clubs, which are historically quite numerous in France and usually focused on one single personality, a political party or a specific political view and are above all meeting places, as their name indicates. Think tanks, on the other hand, are supposed to be, according to the etymology of the American term, quite literally “tanks of thought.”

What role do these “think tanks” or “idea labs” actually play?They keep the political debate alive, provide food for thought, bring innovative ideas and renew thinking as a whole. For instance, Dominique Strauss Kahn 7 and some of his followers founded a new think tank called “Terra Nova” whose mission was to renew modern thinking. The Thomas More Institute – a French neo-liberal think tank –endeavours to cast new light on existing debates with their own groundbreaking ideas.

Is there a typology of think tanks?There are four different types of think tank: university think tanks, advocacy tanks –i.e. ideologically committed think tanks that defend a cause and aim to gain support from the media, public opinion and above all from decision-makers – government research bodies and political party foundations.

7 Dominique Strauss-Kahn, often referred to as DSK is a French economist, lawyer, and politician, member of the Socialist Party (PS). He was appointed Managing Director of the International Monetary Fund (IMF) on 28 September 2007.

Page 21: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

26 27

02 POliTicS + DESigN02 POliTiQuE + DESigN

complex to handle as the international and multilingual dimension has to be taken into consideration.The upshot of last year’s referendum bears witness to the discrepancy between what the people want and what political leaders advocate. We could easily jump to the conclusion that the people should not be consulted when it comes to complex issues. But we would be mistaken to do so. The solution is that the debate needs to be organized more thoroughly and efficiently. This might sound a little pessimistic, but I have the feeling that political leaders do not learn their lesson from such failures. Taking a different point of view, we could say that political leaders have a well-defined task to fulfill, that of managing the day-to-day issues of the nation, and that they have no time to consult citizens. Civil society, associations and companies should be entrusted with this mission instead. This type of initiative would enrich the political debate and provide the political class with tools for reflection. When these tools begin to have enough political weight, then those concerned will start to pay attention to the ideas conveyed by them.

So, if these tools to consult citizens were to develop, the initiative would not necessarily be launched by the institutions. We cannot sit still and keep waiting for political leaders and institutions to grasp things, we must initiate things ourselves. This is what “Notre Europe” did when they organized a Europe-wide deliberative poll, which was a tremendous success. Indeed, another organization has conducted a similar poll about the European system that has so far met with appreciation on the part of the participants. Whereas European institutions were quite reluctant when we launched our poll, they have given a warm welcome to the second one. Maybe we should try to make things move from within civil society.

we need to organize collective thinking. And here, I think designers could have a very useful input. Your field of activity – which Armel Le Coz has centered his final degree project on – is rooted in the intellectual world and is therefore concerned with immaterial matters. How can design, which is originally concerned more with tangible products or spaces, impinge on the immaterial world?This topic can be addressed from two different angles. Firstly, design could come into play prior to our activities by contributing to creating new views and new solutions… otherwise, it could have an impact further along the line, when working on distribution methods, ways to simplify information for the general public and organizing debates. This is what Armel has worked on, centering his efforts on explaining our ideas and encouraging citizens to step into the debate. In design, as in all industrial fields, economic and financial concerns constantly remind us that we cannot simply sit and wait for the genie to show up with the perfect solution. Production processes in design are meant to encourage non-stop creativity and new modes of action. Be it through a new tool, through the new lay-out of a medical department, via town-planning projects or other social issues, there is a lot to be learned from design.

From what you say it seems that it is the designer’s ability to give shape to concepts which could prove the most useful in your field. Cross-disciplining is the way to go, that is having several disciplines blend, several viewpoints meet. It would be interesting and possibly fruitful to create working groups that would bring together experts in design and politics to reflect as a team upon current issues and to come up with collective solutions. This type of method has led to the emergence of new tools: to understand how to broaden its market slot the Shell company implemented the scenario-based method, a common practice in design that was largely unknown in politics at the time. Now scenarios of use have become common in our field of activity.

What other aspects of Armel Le Coz’s work also aroused your interest?His project appealed to me right away. I was especially curious to learn more about how certain design tools would enable students to explain government bills or political issues in a more accessible fashion. I would be curious to see his completed project to discover how his innovative solutions contrast with the rather traditional methods we have been using to explain and present government bills.

Armel’s project was born out of a will to bring a didactic dimension to citizen participation tools. Having noticed that a large part of the population were kept aside from the political debate, as they were not well-informed enough to actually grasp the situations and issues discussed, he carried out a project which aims to go beyond the elitism inherent in political thinking. Do you think this is a realistic goal? Absolutely. Though I have a hard time visualizing what such an open-access political debate may be like. offering the general public information through enhanced computer graphics will definitely be more efficient than newspapers, but I doubt this is sufficient to shake up the deeply ingrained uses in the political field. However, I have a feeling that this could prove to be a very powerful, far-reaching explanation tool. Therefore I am convinced that such a project is more than likely to catch people’s attention, make them react differently and provide them with a greater understanding of the situation. Politics is mostly a matter for experts, and to this day citizens have been denied real access to it. If we managed to introduce citizens into this complex system this would undoubtedly produce positive results and appeal to a great number of people.

As an expert in innovation applied to political reflection on a European scale, how do you think the perception of current political affairs by citizens is going to evolve over the next few years? Do you think that the domination of intellectualized politics reserved solely for the happy few, is going to lose ground? Are democratic institutions going to pin their hopes on communication and adapt their speech to their citizens?The discrepancy between the interest in politics, the frustration felt by citizens and the conclusions political leaders come to is quite worrying. In France, for instance, most citizens only have a skin-deep understanding of what it means to participate in the political debate, in spite of all the existing public debates and the creation of the CNDP (National Center for Public Debate). These initiatives are grounded in noble causes but the methodological reflection that underlies them is quite poor and lacking in coherence, which, in turn, leads to poor results. Consequently, citizens fail to feel the impact of such initiatives upon political life and this fills them with frustration: “oK, we are being consulted, but what good can come of it?” on a European level, this type of initiative is even more

Page 22: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

28 29

02 POliTiQuE + DESigN

PRiNciPAlES PublicATiONSmAiN WORkS PubliSHED

biOgRAPHiE biOgRAPHy

Avant de prendre de nouvelles fonctions à la European Climate Foundation 8 en tant que Directeur de programme « politiques européennes du climat », Stephen Boucher a œuvré en qualité de co-secrétaire de « Notre Europe », un think tank spécialisé dans les questions européennes fondé par Jacques Delors. Auparavant, Stephen Boucher a été consultant en matière de politique énergétique, conseiller pour les affaires européennes et internationales auprès de la vice première ministre et ministre fédérale belge de la mobilité, consultant en lobbying à Bruxelles et Londres puis maître de conférences à Sciences Po Paris. Il est à l’initiative d’une opération de sondage délibératif au niveau européen, méthode innovante de débat et de consultation citoyenne.

Before taking up his new position at the European Climate Foundation8 as Head of a research program entitled “EU Climate Policies and Diplomacy,” Stephen Boucher worked as a co-secretary for “Notre Europe,” a think tank specializing in European Union-related issues founded by Jacques Delors. Stephen Boucher started out as a consultant in energy policy, and then became a counselor specializing in European and international affairs for the Belgian deputy Prime Minister and for the Minister of mobility, a consultant in lobbying (in Brussels and London) and a lecturer at the Institute of Political Sciences in Paris. He initiated a Europe-wide deliberative poll, an innovative method to revive debates and consult citizens.

8 La European Climate Foundation (ECF) a été créée dans le but de promouvoir les politiques climatiques et énergétiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire européen. Pour de plus amples informations, voir : http://www.europeanclimate.org/

02 POliTicS + DESigN

Boucher Stephen, Royo Martine, Les think tanks : cerveaux de la guerre des idées. Paris : éditions du Félin, 2006, 188 p.

Boucher Stephen, Radoslaw Wegrzyn, Cattaneo Diego. L'Europe et ses think tanks : un potentiel inaccompli. études et recherches, n° 35. Bruxelles : Notre Europe, 2004, 174 p.Document téléchargeable à l’adresse suivante : http://www.notre-europe.eu/?id=35&tx_publication_pi1[showUid]=89

Boucher Stephen, Royo Martine, Les think tanks: cerveaux de la guerre des idées. Paris: éditions du Félin, 2006, 188 p.

Boucher Stephen, Radoslaw Wegrzyn, Cattaneo Diego. L'Europe et ses think tanks: un potentiel inaccompli. études et recherches, n° 35. Brussels: Notre Europe, 2004, 174 pA groundbreaking document that can be downloaded at: http://www.notre-europe.eu/?id=35&tx_publication_pi1[showUid]=89

Page 23: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

30 31

Armel le coz site : www.innovation-et-design.fr

LoI.FRArmel Le Coz

La politique, comme discipline et comme art au service de la cité, façonne nos vies quotidiennes : le fonctionnement de nos démocraties parlementaires offre en effet aux représentants du peuple la possibilité de légiférer sur des aspects innombrables de notre existence. Mais l’exercice législatif, par sa vocation générique et sa relation à l’intérêt général, impose de recourir à des termes et des notions juridiques abstraites qui les éloignent du sens commun. À une heure où la défiance s’impose vis à vis des professionnels de la politique et où le souhait d’une plus grande participation des citoyens se manifeste à de nombreux endroits dans la société, comment formuler et rendre accessible les projets législatifs et ouvrir le débat ? Telle est la question difficile à laquelle s’est attelé Armel, en donnant son point de vue de designer.

« Loi.fr » est un outil pédagogique et ouvert à la critique. Il s’appuie sur deux supports principaux. Tout d’abord, la visualisation de l’information par schémas permet de décrire des mécanismes abstraits et souvent cachés. Ensuite, la mise en scène de scénarios d’usage sous forme de courtes séquences vidéo donne du corps aux situations évoquées. Le projet propose également d’organiser la prise de parole grâce au web et à ses possibilités collaboratives, par écrit ou par des captures vidéo. Il se propose également d’exploiter des dispositifs accessibles aux citoyens dans les lieux publics et les administrations.

Le travail législatif ne serait ainsi plus réservé aux seuls habitués des commissions parlementaires, mais pourrait devenir un véritable travail collectif d’une large communauté informée et réconciliée avec ses représentants.

Frédéric Degouzon – directeur stratégie, recherche et développement international

lOi.FRArmel Le Coz

Politics – a discipline and a form of art at the service of the community – shapes our lives on a daily basis: the workings of our parliamentary democracies give people’s representatives the opportunity to legislate on a large number of aspects of our lives. But law-making – by its universal vocation and its link with the common good – implies using rather abstract legal terms and notions that stray far from common sense. At a time when politicians are largely mistrusted and when citizens of all social backgrounds are starting to voice their will to take part in political debates, how can we present legal projects in a new light and open the debate? This is the tricky question that Armel Le Coz has set out to answer, giving his point of view as a designer.

“Loi.fr” is a teaching tool that is open to comment. It proposes two main tools. Firstly, the visualization of information by way of charts and diagrams, making it possible to describe abstract mechanisms which are often hidden. Secondly, the production of scenarios of use – in the form of short video sequences – to give concrete expression to the situations evoked. The project also aims to help users to make their voices heard using the Web and the numerous collaborative solutions it offers, either via the written word or via screen-casts. It also suggests setting up services for citizens in public places and administrative offices.

This way, law-making will cease to be a domain solely reserved for those who attend parliamentary commissions. on the contrary, with such a tool, politics and law-making could become a real collective project carried out by a large, well informed community, at one with its representatives.

Frédéric Degouzon – Head of strategy, research & international development

02 POliTiQuE + DESigN 02 POliTicS + DESigN

Page 24: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

33

03« À l’avenir, aux architectes de la connaissance qui maîtrisent

la technologie viendront s’ajouter les designers de la connaissance. »

entretien avec henri samier, enseignant chercheur en information stratégique et innovation.

cadi : Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la veille ?h.s. : après l’agrégation de génie mécanique à l’École normale supérieure de cachan, j’ai obtenu mon doctorat sur « la veille technologique en conception de produits nouveaux » à l’ensam 9 de Paris. comme j’avais des connaissances en fabrication des produits, je me suis intéressé à la manière dont on les concevait, puis logiquement j’ai vérifié qu’ils n’avaient pas déjà été inventés en consultant les brevets. je me suis donc concentré sur la veille technologique pour évoluer sur la veille stratégique et aboutir ensuite à la veille sur internet. ainsi je pouvais me tenir informé sur l’environnement concurrentiel direct et sur les environnements d’influences afin de transférer les idées applicables à d’autres secteurs. aujourd’hui, cette maîtrise de la chaîne d’information qui part de l’idée pour aboutir au produit me permet de diriger le master innovation à l’université d’angers.

Pourquoi la gestion des connaissances et plus particulièrement la veille stratégique et technologique sur Internet deviennent-elles indispensables au processus de décision ? Quels sont les enjeux contemporains, les grands challenges dans ce domaine d’activité ?la veille est indispensable car elle est le fil qui retient l’épée de damoclès. elle permet d’éclairer les décisions et de devenir proactifs dans la démarche d’innovation, qui conduit à proposer des nouveaux produits capables de « périmer » ceux des concurrents. et donc l’innovation est à la fois incrémentale (pour améliorer un produit existant) et en rupture avec ce qui se fabrique d’ordinaire. ainsi on peut créer l’événement, gagner en notoriété et déstabiliser les concurrents sur un terrain où ils sont absents. Par exemple, la « stratégie de l’océan bleu 10 » (Blue Ocean Strategy) conduit à nager dans des eaux plutôt bleues car vierges de requins à l’attaque (auquel cas l’eau serait rouge) et surtout permet de s’aventurer dans des zones que personne n’a encore explorées, quitte à se faire ensuite rattraper par les concurrents.

Selon vous, sans cet effort de veille technologique, on ne peut atteindre « l’océan bleu » ? certains chefs d’entreprise très intuitifs qui se lancent dans des projets sans recherches préalables ou qui inventent des produits novateurs de manière fortuite, trouvent l’écho avec un marché. mais pour entreprendre de manière systématique et s’assurer un résultat probant à chaque fois, il faut mettre en place cette démarche de veille qui assure la traçabilité des processus de recherche (qui fait quoi ? comment ? avec qui ? et Pourquoi ?). au moment de prendre une décision relative à un nouveau produit ou une nouvelle gamme, on prend en compte le capital technologique (interne et externe) dégagé par l’activité de veille. or, ce dernier évolue dans le temps et peut amener la remise en cause de certains choix portant sur les produits. il faut donc suivre en continu les fluctuations du capital technologique. on ne peut se contenter de capturer sa teneur à un instant donné, comme un instantané, la veille s’apparente plutôt à une caméra de surveillance qui permet de suivre l’évolution du produit et de gérer au quotidien, l’évolution des technologies, des besoins des consommateurs, des tendances. À ce propos, notre équipe de recherche « Présence et innovation », une unité mixte rattachée à la fois à l’université d’angers et à l’ensam d’angers, envoie des enseignants-chercheurs faire des interventions innovantes dans les entreprises afin de mettre en place des cellules d’innovation de rupture. cette « recherche / action » en entreprise intègre un volet recherche (pour la modélisation des processus), un volet conseil (pour la mise en œuvre) et un volet formation continue (pour transférer les compétences).

Dans les domaines de la gestion des connaissances et de la veille stratégique et technologique, en quoi la démarche design s’avère-t-elle intéressante ?la notion de design pourrait paraître décalée dans le domaine de la gestion des connaissances. cependant, le design s’avère indispensable à notre activité pour ce qui est de la manipulation de données en 3d ou en réalité virtuelle. grâce à cette immersion, il sera possible de prendre

9 école Nationale Supérieure des Arts et Métiers renommée aujourd’hui « Arts et Métiers ParisTech »10 Se reporter aux travaux de W. Chan Kim Et Renée Mauborgne et l’INSEAD et Harvard Business School.

Page 25: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

34 35

n’ait pas inventé un nouveau mot. « veille créative » est le terme auquel on pense en premier ; il serait bon d’en définir un nouveau.

En choisissant ce titre, Pierrick a sans doute voulu mettre en exergue le lien entre votre pratique de veille technologique et stratégique et la pratique qu’il essaie de faire naître et de développer ? Le choix de ce nom est un moyen de donner de la crédibilité et des assises à son projet.Tout à fait. Reste à voir sur quels fondements il va s’appuyer pour créer ses éléments. Notons qu’il a évité avec brio l’écueil des formalismes, des mouvements d’Internet car il a bien compris les enjeux. Sa problématique consiste à réconcilier veille et création en inventant des solutions créatives tout en faisant de la veille, sans esprit prédateur dans des logiques de gagnant-gagnant ancrées dans le partage. Pierrick a évité le piège consistant à se dire : « Non, je refuse de mettre mes idées en ligne car alors elles deviendraient publiques et je ne pourrais plus les utiliser ni les breveter. » Le partage d’idées pouvait se révéler fructueux en lui permettant de se faire connaître et de se constituer un réseau. Un changement de paradigme fondamental entre notre société et le web s’opère en ce moment. Dans notre société actuelle, la valeur, c’est la rareté : plus c’est rare, plus c’est cher. Mais sur le web, la tendance est inverse : ce qui est cher sur Internet, c’est la profusion. Il existe donc une forte dissonance entre ces deux mondes. Dans cette logique de profusion à tout prix, les sites visités par des millions d’utilisateurs ont la valeur marchande la plus élévée. Même si le contenu est relativement pauvre dans le concept (cf. Facebook), le grand nombre d’adeptes fait qu’un outil devient captivant voire incontournable. De plus, en veille créative appliquée au web, on dénote un autre clivage entre les webs marchand et non-marchand. Prenez par exemple Mozilla, Wordpress, Wikipedia : il n’existe aucun modèle pour évaluer ces entreprises-là. Ce ne sont pas des entreprises, ce sont des fondations, des associations et l’on ne sait pas comment déterminer leur valeur.

En effet, il n’existe pas de critères pour évaluer ces nouvelles plateformes. François Druel, l’un de nos docteurs qui consacre sa thèse 11 aux nouveaux paradigmes entre web et société a développé un modèle très novateur basé sur vingt-deux critères d’évaluation. C’est un nouvel axe de recherche que notre communauté scientifique est en train de développer.

Pensez-vous que la volonté de faire émerger une intelligence créative collective soit réaliste et fondée ?Il existe déjà une intelligence collective née du partage d’informations sur Internet. Pour définir une connaissance et une intelligence, il faut, au préalable, une information collective. À plusieurs, on est capables de co-créer des produits ou services destinés à être utilisés à différents endroits du globe et d’exploiter le web dans toutes ses dimensions temporelles et spatiales. Le groupe automobile Mercedes, par exemple, avait testé le travail collaboratif par Internet. Leur centre R&D travaillait en 3/8 sur l’ensemble de la planète. Utilisant la même plateforme collaborative pour travailler sur les véhicules, ils faisaient travailler trois équipes de R&D en continu en fonction des fuseaux horaires. Lorsque l’ingénieur allemand se réveillait, il savait qu’une autre équipe avait avancé sur le projet pendant la nuit. Un bel exemple d’intelligence collective à travers Internet.

Et qu’en est-il de l’intelligence créative ?Pour ce qui est de l’intelligence créative, il suffit de mesurer le nombre de blogs créés chaque jour. Le web procure un nouvel espace de créativité que chacun peut faire évoluer de manière individuelle ou collective. De fait, nous passons une bonne partie de notre temps sur Internet à échanger et partager. Nous partageons de l’information avant même d’aller consulter un moteur de recherches. L’internaute échange via le chat, les mails et tous les médias de communication offerts par Internet. Il s’agit autant de donner que de prendre de l’information. Il existe de nombreux exemples d’intelligence créative. De plus, ces pratiques d’échange d’information sont très démocratiques : les technologies web 2.0 rendent l’information et la communication accessibles à tous, indépendamment du niveau social ou intellectuel. Même les utilisateurs maîtrisant mal les ordinateurs (bien que l’interface n’ait pas évolué au cours des trente dernières années) sont capables d’interagir et de créer sur Internet sans connaissances approfondies en informatique. La grande révolution du web 2.0 c’est qu’il permet à tout un chacun de cliquer, de déplacer, de manipuler des objets et de créer. Le mash-up 12 et les digitechnologies offrent les exemples les plus parlants de cette profusion.

les décisions et d’anticiper les scénarios d’avenir avec des outils de réalité virtuelle, voire de faire ressentir au décideur les émotions suscitées par un environnement d’information en représentant ce dernier sous forme 3D. Pour ce faire, on aura besoin des services d’un designer pour véhiculer l’esprit de l’entreprise à travers un modèle 3D qui facilitera l’interaction avec un utilisateur immergé dans l’information et non plus seulement derrière un écran. Le design peut aussi apporter la navigation structurelle dans la pratique de navigation sur Internet. Lire les uns à la suite des autres les mille milliards de documents à notre disposition est certes utile mais trop fastidieux. Les moteurs de recherche existants n’aident pas à naviguer efficacement pour trouver rapidement l’information ou le mot recherché. Pour cela, il faut atteindre du sens. or le moteur de recherche élimine le sens. En revanche, les cartographies et autres modes de représentation intermédiaires permettant de naviguer structurellement dans l’information offrent un autre niveau d’accès et de liaison à une information. Je pense particulièrement aux travaux de Tony Buzan : les cartes mentales, une façon de cartographier la connaissance avec des liens et du sens. on peut citer par exemple les méta-outils de recherche : allplus.com, mnemo.org, searchcristal.com ou oskope.com qui représentent les résultats cartographiques et iconographiques ou encore le logiciel Mind up de Calinda qui permet de dégager de la connaissance à partir de l’analyse d’échanges d’e-mails.

Le designer aiderait donc à structurer l’information et à créer du sens à partir du contenu de la veille.oui c’est cela. Le designer apporte sa vision des choses et ses solutions pour présenter l’information de manière plus judicieuse avec un meilleur impact, afin qu’elle soit mieux comprise et surtout plus facile à mettre à jour. Il ne s’agit pas d’un simple disque dur de stockage dans lequel on amasse différents documents.Un autre aspect important du rôle du designer a trait aux services de personnalisation de masse, le travail en amont pour maîtriser un flux d’informations que l’on va ensuite distribuer et diffuser à la bonne personne au bon moment, avec sa propre forme et son propre format. À l’avenir, il nous faudra personnaliser chaque bulletin de veille orientée web 2.0 avec Netvibes ou Mexx, par exemple. L’environnement permettra une meilleure assimilation de l’information.

Au cours de l’année 2007-2008, vous avez encadré le projet de Pierrick Thébault, un outil méthodologique de veille créative permettant aux acteurs des milieux de la création de se faire veilleurs actifs en structurant et capitalisant le contenu généré en continu sur le web 2.0 en vue de faire émerger une intelligence créative. En quoi cette initiative vous a-t-elle intéressé ? Elle m’a intéressé à plusieurs titres. Lorsque Pierrick m’a contacté, j’étais en train de terminer un ouvrage sur la web-créativité en collaboration avec victor Sandoval. Dans ce livre, nous montrons comment le web est capable de diffuser de la créativité ou des idées et inversement, comment nous sommes capables de puiser la créativité d’Internet, voire de faire travailler des personnes de culture, d’âge et de langue différents sur un même projet à distance. La synchronicité était donc parfaite puisque Pierrick s’est présenté à moi avec une problématique un peu similaire, découlant du même esprit selon lequel le web 2.0 pourrait révolutionner une multitude de choses dans le métier de designer, notamment.

Mais le projet Creative Feed est destiné à tous les créatifs et ne se limite pas seulement au champ du design. L’approche, la démarche et l’analyse de l’étudiant étaient très pertinentes. J’ai d’ailleurs été étonné par la qualité et la maturité de sa réflexion. J’avais l’habitude d’encadrer des projets d’élèves ingénieurs, des étudiants en DEA et des doctorants. Au vu du niveau d’études de Pierrick Thébault, je m’attendais à un projet moins construit. Certains étudiants de l’école de design Nantes Atlantique font preuve d’une grande capacité de réflexion et d’un niveau très élevé et il faudrait davantage le faire savoir ! L’idée de veille créative est très ambitieuse et surtout novatrice parce que paradoxale. Faire de la veille revient à de la surveillance, tandis que la création, individuelle ou collective, est une activité très sensible. La notion de veille créative développée par Pierrick établit un pont entre deux mondes relativement disjoints. Il y avait une résonance entre un certain nombre de concepts développés dans notre ouvrage « La Webcréativité » et les idées de Pierrick. La fraîcheur de son analyse a nourri notre réflexion. Pour traiter son sujet, il a suivi un processus classique basé sur l’analyse du contexte, qu’il s’est d’ailleurs très bien approprié. Concentrant ses efforts sur la troisième sphère de la veille (la veille technologique), il a constaté que le web 2.0 (avec des procédés et tendances comme le mash-up, la folksonomie et tous ces nouveaux termes barbares nés de l’Internet) contenait déjà les germes d’une veille créative. Mon seul petit regret, c’est que Pierrick

03 TRENDS mONiTORiNg + DESigN03 VEillE cRÉATiVE + DESigN

11 François Druel a travaillé pour l’atelier.fr avec Jean-Michel Billaut, puis chez France Telecom. En parallèle il a souhaité s’engager dans des recherches en vue de rédiger une thèse intitulée Évaluation de la valeur à l’heure du web. Proposition de valorisation de projets non-marchands.

Page 26: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

36

03 TRENDS mONiTORiNg + DESigN03 VEillE cRÉATiVE + DESigN

37

Vous avez dit : « Nous trouvons sur Internet les meilleures informations comme les pires. Internet est une forme moderne de la Caverne de Platon (où nous retrouvons les valeurs, fonctionnements et les règles connues, mais implementées avec les technologies actuelles). » Faut-il en déduire que vous voyez Internet comme une réalité projetée ? Comme un simulacre de notre monde matériel ? Depuis les prémices de l’histoire de l’innovation, chaque nouvelle technologie amène une tendance à la duplication de formes existantes. on traverse toujours une phase de copie, dans toutes les technologies (cinéma, forme rudimentaire de la bicyclette etc.). Ce phénomène très humain causé par les peurs et autres freins au changement est antérieur à l’avènement du web. Il est nécessaire de passer par une phase d’appropriation des techniques, une sorte de reproduction du mythe de la Caverne de Platon, reflétant le meilleur comme le pire de toute société. Il constitue la première étape du processus. L’humanité se trouve encore au stade préhistorique de l’évolution d’Internet. on perçoit tout juste les bribes de notre émancipation de la phase de copie. Facebook, par exemple, n’est que la copie d’un modèle qui pré-existait le web et qui, grâce à ce dernier, a été amplifié jusqu’à l’hyper-profusion avec des millions d’utilisateurs. Mais le concept n’a rien de révolutionnaire en soi. Demandons-nous quelles sont les nouvelles applications qui ne tombent pas dans la caverne de Platon. Certaines formes de blogs, les mash-up, les logiciels hybrides, se situent en dehors de la caverne (même si d’aucuns objecteront que l’on utilisait déjà de telles techniques auparavant dans le domaine de la musique lorsque l’on mixait différents sons grâce à des platines). Cependant, à l’heure actuelle, on assiste à l’émergence de systèmes totalement différents, basés sur le principe du web oS, un système d’exploitation en ligne qui nous permet à partir d’un navigateur de lancer n’importe quel document sans héberger les applications ni les logiciels sur son disque dur. L’usage s’oriente vers plus de simplicité. Si nous vivons actuellement un pic de complexité informatique, les prémisses d’une simplification se font déjà sentir. Les fabricants s’attachent à créer des outils plus simples, la plupart des utilisateurs ne sollicitent que 5% des capacités de leur ordinateur.

En tant que formateur de « cyberveilleurs », vous observez avec un œil expert toutes les transformations subies par ce réseau en constante évolution qu’est Internet (notamment la prolifération des sources d’information et des plateformes d’interaction sociale). Quelle vision de l’avenir pouvez-vous nous donner, tant au niveau technologique que social ? Il y a quinze ans, l’activité de webmaster n’existait pas. Désormais, un nouveau métier à l’image du webmaster est en train de voir le jour : celui de « blogmaster », terme désignant la personne qui gère les blogs et qui fait de la veille spécifiquement centrée sur les blogs. Son apparition engendrera une série de métiers qui n’existaient pas auparavant (WebUsability, WebMarketing, KwowledgeWorker, KnowledgeDesigner, E-réputation). Il y a quelques années, une entreprise nous avait demandé de faire de la veille ciblée sur les blogs. Le résultat montrait qu’à terme, il serait intéressant de surveiller les évolutions de ces nouvelles plateformes, mais qu’à l’époque, cela s’avérerait inutile.

Car il n’y avait pas assez d’interaction ni de contenu à l’époque ? Ce genre d’initiatives était prématuré pour les entreprises. En revanche, les blogs représentent un filon pour ces dernières aujourd’hui. Il est intéressant de transférer cette technologie et de concevoir, en complément de l’intranet, un blog dédié à la gestion de projets, afin de gérer et archiver toute l’information informelle que l’on ne veut conserver et rendre visible de tous. À l’avenir, aux architectes de la connaissance qui maîtrisent la technologie viendront s’ajouter les designers de la connaissance. Je ne sais pas quand cela arrivera, mais j’en suis intimement convaincu. Ces designers de la connaissance identifieront les informations requises par tel type d’utilisateur (flux RSS, rapport de veille) et sous quelle forme. Ils vont ensuite la packager et la designer de manière à gagner en efficacité et en rapidité. Ils créeront des systèmes d’information personnelle, grâce à leurs connaissances en matière d’ergonomie, d’usabilité et de techniques d’appropriation de l’interface et de l’information par l’usager, Un nouveau métier est né.

Un métier de l’information intelligente.oui, d’une part, une information intelligente est une information fondée sur une navigation structurelle et une représentation graphique et non plus seulement textuelle. Le système de « tags » constitue déjà les prémices de cette évolution. Ce sont des formes inversées d’annuaires statistiquement construits. Au lieu de définir un annuaire selon des catégories,

Il s’agit de mixer de la connaissance et du contenu ? on mixe des idées couplées à des technologies. Certains laissent des technologies qu’ils ont développées en accès libre, comme dans des tubes à essai, afin que les autres utilisateurs puissent les enrichir de leurs propres idées créatives et contribuer au développement de nouveaux services. Par exemple « housingmaps.com » (hybridation de Google Earth et Craig’s List) permet de trouver un appartement en trois clics (principalement aux Etats-Unis) et représente un bon exemple de technologies collaboratives couplant la cartographie à d’autres services. on pourrait citer « virtualcity.ca », site canadien qui permet aux internautes de naviguer à la manière d’un piéton grâce à une carte, tout en visualisant les devantures de magasins croisées sur son chemin, ou encore « maps.fon.com » qui permet de visualiser tous les hotspots wifi gratuits dans le monde. Cette application hybride très participative et ouverte suit la logique gagnant-gagnant et non-marchande de l’open Source. Chaque utilisateur peut réutiliser cette hybridation, ce mélange technologique et y apporter d’autres éléments s’il le souhaite. Dès lors que l’on dispose de technologies interopérables et hybridables, on peut être créatif à l’infini. Les sites « mashable.com », « programmableweb.com » recensent les sites hybridables les uns avec les autres. Toutes ces applications constituent un énorme réservoir d’idées dans lequel les utilisateurs peuvent puiser. Cette démarche témoigne d’une grande évolution des mentalités : lorsque j’ai une idée, je ne la garde plus pour moi mais je la mets à disposition en tant que logiciel, protégé ou pas, permettant à une multitude d’autres personnes de l’utiliser. Il s’agit d’un véritable laboratoire web, qui contribuera à faire évoluer les règles juridiques et de propriétés intellectuelles, comme nous pouvons le constater dans le domaine de la musique.

À l’ère de l’individualisme exacerbé, il est rassurant de constater que les internautes se tournent vers la collaboration grâce au web 2.0…Ayant étudié de près les racines historiques de la créativité en fonction des religions, des diverses croyances et selon les pays, j’ai pu constater que le rapport à la créativité change au gré des cultures et des époques. Selon certains peuples, la créativité provient d’un être supérieur. Dans l’Antiquité, la création était l’apanage des Neufs Muses, l’Homme sur terre ne pouvait pas créer. En fonction des différentes croyances et des spiritualités, certaines cultures ont été plus créatives que d’autres car cela leur était « autorisé ». En Europe, il semblerait que l’on n’ait pas assez donné d’espace de liberté « neuronale » et « physique » pour favoriser la créativité.

Ceci est dû à l’académisme cher aux français, prônant une hiérarchisation de la production artistique. Au contraire, d’autres cultures ayant un rapport plus postmoderne à la créativité hiérarchisent moins la production.oui, en France il existe des séparations de mondes : créatif, scientifique ou littéraire. Les connaissances sont souvent cloisonnées, alors qu’en réalité toutes les pratiques sont interconnectées. Léonard de vinci , par exemple, était capable de produire des cartes mentales tout en embrassant un certain nombre de disciplines totalement disjointes entre lesquelles il faisait des transferts. La différence est source de créativité parce que c’est en son sein que naît la création. Howard Gartner, de l’université d’Harvard, a défini les sept formes d’intelligence, indépendantes les unes des autres, qui sont linguistique, logico-mathématique, kinesthésique, musicale, spatiale, sociale, introspective. La créativité fait donc appel à l’association de plusieurs de ces formes d’intelligence et montre qu’elle est aussi holistique et systémique, c’est-à-dire globale. Tout individu est intrinsèquement créatif et selon son parcours et ses rencontres, il laissera plus ou moins cette créativité innée se développer. Certains individus ont été tellement contraints et endurcis par la vie qu’ils expriment une sorte d’hyper-créativité à travers leur art, quel qu’il soit, pour exister. Le travail de Pierrick propose des outils qui favorisent la créativité à distance et accessibles à tous. Cela nous rappelle que l’accès à la créativité n’est pas l’apanage des personnes ayant fait de longues études ou certaines écoles spécifiques. Dans notre région, Jean de vulliod, un chef d’entreprise, a eu l’idée de mettre sur pied « les journées créatives des pays de la Loire » où tous les collégiens et les lycéens recevront une initiation à la créativité afin de créer collectivement des idées visant à améliorer leurs villes et leur région. Dans l’hypothèse où cette initiation à la créativité donne envie à des jeunes de créer leurs entreprises, alors nous aurons d’une part contribué à augmenter la compétitivité des « pays de la Loire » à un horizon de cinq à dix ans et d’autre part nous aurons lancé un mouvement de fond qui pourrait être généralisé.

12 Le mash-up est une hybridation technologique qui consiste à prendre des applications de sites (libre accès) pour les mixer, comme on le fait avec de la musique et ainsi créer des nouvelles applications innovantes.

Page 27: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

38 39

03 TRENDS mONiTORiNg + DESigN03 VEillE cRÉATiVE + DESigN

sein desquels tous les interlocuteurs (banquier, client, fournisseur) se vouent une confiance mutuelle, donnant ainsi naissance à des espaces de liberté où les relations sont basées sur la confiance. C’est ce qui fait défaut et qui continuera peut-être à manquer sur l’Internet à grande échelle, qui évolue en fonction des croyances, des religions, des cultures, des pays, etc. Le futur de la créativité sur le web, réside à la fois dans la création de nouveaux outils hybridés, de nouveaux modes de collaboration et dans l’échange des bénéfices tirés de ces nouvelles pratiques. Un peu comme si l’on avait un accord de copropriété de brevet sans avoir de brevet. Les lois juridiques et le droit de propriété intellectuelle vont évoluer soit naturellement soit par contrainte. on a pu observer ce phénomène dans le monde de la musique. C’est l’usage qui draine dans son sillage toute l’industrie, avec les travers que cela peut engendrer. Mais l’offre actuelle ne correspond pas à la totalité des besoins. Internet fait émerger de manière très naturelle, voire empirique, tous les besoins et dès que ceux-ci sont validés, l’offre elle-même évolue. Après cela, soit on sort de la caverne assez facilement, soit on y reste un peu plus longtemps englué. Mieux vaut concentrer ses efforts sur des produits porteurs de valeur et de création plutôt que de stigmatiser à partir de règles ou de postures rigides et figées, en s’efforçant de travailler dans la fluidité et de miser davantage sur la vitesse et l’accélération plutôt que sur la position.

Selon vous, ce sont donc les nouveaux usages qui nous permettront d’émerger de la caverne ? C’est ce qui se produit actuellement. De nouveaux facteurs vont également contribuer à cette émergence, telle la création apportée par cette nouvelle génération de créateurs et de designers qui ont baigné dans ce genre de systèmes et en connaissent les usages. Lorsque nous apprenions l’informatique, il y a vingt ans, nous avons été « déformés » à l’informatique. La nouvelle génération n’a pas été déformée, elle est née avec « une souris dans la main » et bénéficie, de ce fait, d’un plateau ouvert, propice à la créativité et à l’innovation technologique, qu’elle peut s’approprier à son rythme. De ce fait, les membres de cette génération vont pouvoir échanger et créer plus facilement car ces outils sont intégrés à leurs comportements quotidiens. Ils ont une énergie libre qui favorise la créativité, ainsi l’avenir nous fournira des étudiants plus inventifs car ils auront bénéficié d’un espace de création et de liberté grâce au web et ils se seront donc approprié ce média en ayant fait le choix conscient de leurs sources d’informations et d’inspirations.

Il est vrai que le web offre un espace infini pour exprimer sa créativité.oui et, à l’avenir, l’âge moyen des créateurs d’entreprise baissera. Bill Gates a bien créé la sienne alors qu’il était en culotte courte. Cela se répètera à plus grande échelle. on se détachera peu à peu du système pyramidal au sein duquel l’innovation est verrouillée par des brevets et les produits développés selon les modèles économiques en vigueur. Un nouveau modèle économique reste à créer. Des travaux sont en cours en Europe du Nord à propos des générateurs de nouveaux modèles économiques. on les surveille de près parce que c’est à travers ces nouveaux modèles que l’on fera émerger de nouveaux business plans pour créer de futures sociétés. Nous nous situons donc aux deux extrémités de la chaîne. Nous surveillons à 360° en regardant à la fois l’usager et ce qui se produit en amont. « Atelier.fr », la première cellule de veille dans le domaine de la banque, mise en place par Jean-Michel Billaut pour BNP Paribas, nous a montré que pour savoir que financer, il fallait surveiller les nouvelles technologies afin de déterminer les plus potentiellement rentables pour un banquier. Ainsi, même les banquiers ont recours à la veille. on en aurait besoin à tous les niveaux, même si les activités qu’elle engendre demeurent cachées.

La veille est un métier de l’ombre, finalement… Mettons le en lumière. vous savez, veiller, c’est surveiller activement et les veilleurs du Web n’ont rien à voir avec des « veilleurs de nuit ». Il est vrai que le terme « intelligence économique » est beaucoup plus noble au sens latin et il englobe, entre autres, toutes les pratiques de veille. Ma préférence se porte sur le terme « d’intelligence innovation », mais je reste convaincu qu’au-delà de la terminologie, nous devons avant tout insuffler à nos jeunes « l’esprit d’innovation ».

on analyse le contenu du texte et l’on procède à un tri pour générer des tags. C’est la préhistoire de la nouvelle forme de gestion de la connaissance qui s’apprête à émerger avec le Web sémantique. Nous en sommes tout juste au stade des signes tracés dans des grottes ou, au mieux, au stade balbutiant des hiéroglyphes. À long terme, le design atteindra la symbiose entre l’utilisateur et les technologies. Combinée à la baisse des coûts du matériel informatique et à la simplification des outils, la fracture numérique entre les individus équipés des technologies du web et ceux qui ne sont pas équipés va se résorber. on ne parlera plus de « handicapés numériques » comme c’est parfois le cas à l’heure actuelle. D’autre part, l’avenir devrait voir émerger de nouvelles interfaces et de nouvelles formes d’écrans et d’appropriations. on sait projeter des images sur des lentilles de contact, ce qui évite les dispositifs lourds du type casque et réduit la fatigue oculaire. Le monde des interfaces est en pleine révolution, en allant dans le sens d’une meilleure appropriation.

Vous pensez que de plus en plus d’interfaces tactiles vont se développer ?oui, je pense, mais pas seulement tactiles. on assistera également à l’émergence de davantage d’interfaces vocales, voire émotionnelles à l’avenir. L’utilisateur pourra commander un ordinateur grâce à son cerveau, grâce à des connexions neuronales. Certaines recherches sont actuellement en cours sur ce sujet. À ce titre, il existe le magazine de vulgarisation « Le Monde de l’intelligence », (disponible en kiosque), qui fait le lien entre l’intelligence créative et l’intelligence au sens neurobiologique du terme. Il est à l’image de cette hybridation entre technologie et art actuellement à l’œuvre. Grâce à des dossiers thématiques, on y observe de manière orthogonale ou périphérique différents domaines, observant ainsi les approches neuronales afin de savoir ce qui va préfigurer les futures applications.

Comment le designer pourrait-il s’emparer de ces évolutions vers de nouvelles interfaces ? Tout d’abord, en s’imprégnant de cette littérature et de cette ouverture. Un designer ou un féru d’informatique a certainement plus à apprendre de la biologie que de l’informatique, s’il veut stimuler sa créativité. Le designer devra s’efforcer de faire une veille à 360°, de scruter autour de soi puis procéder à une sélection pour déterminer quels secteurs influent sur le sien propre, quelles tendances sont à l’œuvre, ceci pour anticiper les évolutions. Il s’agira ensuite de surveiller des secteurs particuliers pour prendre de l’avance sur les concurrents, par exemple. Dans notre monde actuellement en mutation, nous pouvons proposer des innovations qui trouveront leurs échos dans le futur. Ceci est possible, entre autres grâce à des méthodes de prospective et grâce à la veille multi-sectorielle qui éclaire la vision de l’évolution des besoins, des attentes des clients et l’évolution de leurs valeurs.

Il ne suffit pas de repérer les avancées technologiques, il faut aussi les contextualiser et anticiper les obstacles qu’elles vont rencontrer… Il faut créer et inventer au bon moment pour les bonnes personnes. Rappelons que l’inventeur du moteur diesel est mort dans la misère car son invention était arrivée trop tôt et n’avait pas trouvé son marché ! Rien ne sert d’être un génie si l’on n’est pas en phase avec son temps. Pour bien vivre avec son temps, il s’agit de susciter la créativité pour le plus grand nombre, et notamment la jeune génération. Un proviseur de lycée m’a un jour demandé ce que nous, les universitaires, attendions des jeunes bacheliers. Je lui ai répondu que ce que j’attendais le plus d’un élève entrant dans l’enseignement supérieur, c’était l’ouverture d’esprit, sa soif de connaissance et la volonté d’entretenir sa flamme de curiosité pour qu’elle reste infaillible. Un élève curieux sera ouvert sur le monde, beaucoup plus créatif et donc plus réceptif. D’ailleurs, votre établissement regorge d’éléments par essence curieux et créatifs, ce qui est une grande chance pour vous, je pense notamment aux étudiants en design d’interactivité que je connais mieux. En design d’interactivité, le spectre de la créativité est plus large, par opposition à d’autres pratiques qui imposent des contraintes de matières, matériaux et outils. Le web donne la possibilité de créer et de diffuser un nouveau modèle de produit en 3D, puis de le vendre une fois fabriqué. Ainsi, à l’avenir, il s’agira de créer de nouvelles formes et de permettre aux usagers, via le web, d’acheter des produits par souscription, sur le modèle des groupements d’achats dans des fermes bio. Ce genre de pratiques peut être appliqué à profusion sur Internet. Ensuite, il suffit de gérer le niveau de confiance. Les nouveaux enjeux dans le futur consisteront à instaurer un niveau de confiance suffisant sur Internet. La société « Gottap » œuvre dans ce sens en s’attachant à créer des réseaux sur Internet au

Page 28: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

40 41

03 VEillE cRÉATiVE + DESigN

companies to set up innovative initiatives with a view to implementing “break-away” innovation clusters. These research initiatives within companies comprise a research section (to model processes), a counseling section (to help companies implement the models) and a training section (for knowledge transfer).

To what extent does design contribute an interesting input in the fields of knowledge management and strategic trends monitoring?odd as it may first seem, design is indispensable in the field of knowledge management as it helps us handle data in 3D or virtual reality. As a result of this immersion, it is only a matter of time before it will be possible to make decisions and anticipate future scenarios using virtual reality tools and even to feel the emotions which are aroused by a certain information environment, using 3D simulations. This will require designer expertise to make sure the company’s brand image is conveyed properly through 3D-models which will facilitate interaction with users totally immersed in information, as opposed to seated in front of a screen. Design is also likely to introduce structural navigation into the type of browsing currently in use on the Internet. No matter how useful it may be, scanning thousands upon thousands of documents one after another is way too tedious. Existing search engines fail to help Internet users browse efficiently and find a specific term or piece of information quickly. To do so, you need to factor in some element of meaning. Unfortunately, search engines wipe out meaning. on the other hand, mapping and other intermediate representational modes, which allow users to structurally navigate through information, grant users more advanced access and another type of link to information. I am referring here to Tony Buzan’s works: Mind maps, a means to map out knowledge through links and meaning. To list a few representatives of this trend, we could mention some meta-research tools such as allplus.com, mnemo.org, searchcristal.com or oskope.com that display results in a cartographic or iconographic fashion, and the software Mind up – developed by Calinda – which produces knowledge from the analysis of e-mail correspondence.

Designers would therefore participate in structuring information and generating meaning based on the results of technological trends monitoring?Right. Designers give their view of things and offer smart solutions to organize information more efficiently so that users can understand it and update it more easily. It is not like a hard drive where you can stock documents in any random order.

Designers also play a very significant part in developing mass-customization services, which means the work done prior to production to control the flow of information, which is then distributed to the right person at the right time, in the form and format. In the near future we should customize each web 2.0-oriented trends monitoring report with Netvibes or Mexx, for instance. A tamed environment enables the information to be assimilated more easily.

During the year 2006-2007 you supervised Pierrick Thébault’s project, a creative trends monitoring tool which allows creative professionals to become active monitors by shaping and exploiting the content generated non-stop on the Web 2.0, with a view to producing a kind of creative intelligence. What appealed to you in this initiative?It appealed to me for several reasons. When Pierrick got in touch me, I was in the process of completing a book on web-creativity co-written with victor Sandoval. In this book we aim to demonstrate how creative ideas and trends can easily spread on the web and, conversely, how we can draw from all the creativity on the Internet, and even to allow people from different cultural backgrounds, different generations, speaking different languages to work together on a common long-distance project. This being so, Pierrick and I were totally synchronized. He came up to me with a topic similar to the one I was working on, with the same belief that the web 2.0 was likely to revolutionize a wide array of things, particularly in design-related professions.

But the Creative Feed project is meant for all creative professionals, it does not only apply to design.The student had a very relevant approach to creation, a pertinent production process and analysis of the situation. I must admit I was quite taken aback by such an insightful and mature reflection. I was used to supervising projects carried out by engineering students, students pursuing research-based Master’s Degrees and PhD Students. At first glance, I was really expecting a less accomplished project. Some students from L’école de design Nantes Atlantique have a great ability to reflect on issues and a very high level and you really should make it known! The task of implementing a creative trends monitoring solution is a very ambitious and innovative challenge as it is self-

03 “iN THE FuTuRE TEcHNOliTERATE kNOWlEDgE ARcHiTEcTS

Will bE SuPPORTED iN THEiR TASk by kNOWlEDgE DESigNERS.”

Interview with Henri Samier, researcher in business intelligence and innovation.

CADI: What brought you to technological trends monitoring? H.S.: After passing the French national competitive examination (Agrégation) in mechanical engineering at the École Normale Supérieure de Cachan, I attained my PhD with a thesis on “technological trends monitoring and new product design” at the ENSAM 9 in Paris. As I was quite knowledgeable in product manufacturing, I took an interest in how products were made, and from there on I logically began making sure they had not already been invented by someone else by checking out patents. I started out with monitoring technological trends and then veered towards strategic trends and eventually stepped into the world of Internet trends monitoring. This was a way to keep myself informed about direct competitive environments and influences so as to be in a position to apply the ideas to other segments of the market. Today, this understanding of the mechanisms underlying the information chain, from the first flash of inspiration to the finished product, has allowed me to run the Masters in Innovation at the University of Angers in North-Western France.

Why has knowledge management – and especially strategic and technological trends monitoring on the Internet – become so indispensable to the decision-making process? What are the great challenges and main issues that prevail in your field of activity?Trends monitoring is indispensable because it is like the hair that keeps the Sword of Damocles from falling. Thanks to trends monitoring, more relevant decisions are made and more proactive approaches to innovation are adopted, enabling companies to launch new products likely to “outdate” those of their competitors. In this way, innovation is both incremental – in that it improves already existing products – and distinct from traditional manufactured items. These kind of innovative methods helps companies to stand out, get a name for themselves and unnerve competitors in areas of the market they have not yet conquered. Take by way of illustration the Blue ocean Strategy 10: this strategy spurs you to go swim in the deep blue waters, where there are no killer sharks – otherwise the water would be red – and therefore venture onto new grounds that no other person has explored, even if you know competitors might soon follow your lead.

Do you think that without technological trends monitoring, it is not possible reach this “Blue Ocean”?Sometimes very intuitive Managing Directors carry out projects without conducting any research beforehand or haphazardly come up with innovative products, which actually find a successful slot on the market. Yet these are the lucky few… and in order to undertake projects systematically and to ensure a fruitful outcome each time, manufacturers have no choice but to implement trends monitoring, which ensures the research process can be easily traced (Who does what? How? With whom? Why?). When making a decision related to a new product or a new range, both the internal and external technological potential brought out by trends monitoring is taken into account. Indeed, trends monitoring is constantly developing and sometimes leads companies to reconsider some of their choices relating to a product. It is necessary to constantly follow the fluctuations of the technological potential. It is not sufficient take an instant snapshot at a given moment. Trends monitoring is more like a surveillance camera through which you can watch a product develop, and follow on a daily basis the evolutions in technology, and consumer needs and trends. Speaking of which, our research team called “Présence et Innovation,” – a mixed unit jointly run by the University of Angers and the ENSAM in Angers – has been sending assistant-professors into

03 TRENDS mONiTORiNg + DESigN

9 École Nationale Supérieure des Arts et Métiers, now renamed “Arts et Métiers ParisTech.” This prestigious French institution trains qualified engineers in the fields of mechanical engineering, power engineering and industrial engineering.10 See the studies carried out by W. Chan Kim And Renée Mauborgne, the INSEAD and the Harvard Business School.

Page 29: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

42 43

03 TRENDS mONiTORiNg + DESigN03 VEillE cRÉATiVE + DESigN

contradictory. Trends monitoring is tantamount to implementing surveillance activities whereas creation – be it individual or collective – is a very sensitive activity. The creative trends monitoring solution developed by Pierrick bridges a gap between two relatively remote worlds. A number of concepts developed in our work La Webcréativité concurred with the ideas brought to the fore by Pierrick. His fresh analysis was inspirational and has nurtured our reflection process. To handle his chosen topic, he has opted for a quite traditional process based on context analysis – which he has perfectly appropriated. Focusing on the third main field in trends monitoring (technological trends monitoring), he came to the conclusion that the web 2.0 – ripe with groundbreaking methods and trends such as mash-up, folksonomy and all these new barbarian terms that have arisen since the advent of Internet – already harbored the seeds of a creative trends monitoring solution. It is just a shame that Pierrick did not actually coin a new term himself. The term “Creative trends monitoring” is the first one that comes to mind. It might be a good idea to try and come up with another one.

By choosing this title, Pierrick was perhaps trying to highlight the bond between strategic and technological trends monitoring activities such as yours and the solution he has been striving to introduce and develop? He must have chosen this title to give his project credibility.Exactly. But we do not yet know what foundations he will build his solution on to create these elements. He shrewdly managed not to be misled by formalism or by Internet movements because he understood the core issues underlying his project. The central issue of his initiative is the need to reconcile trends monitoring and creation by inventing creative solutions while observing trends, and to do so with a collaborative mindset without competition, a community spirit based on mutual learning. Pierrick managed not to fall into the protectionist trap that could have led him to think: “I won’t disclose my ideas online because they would become available to everyone and then I would no longer be able to patent them nor even to use them as I please.” He realized that sharing innovative ideas could prove fruitful in that it would help him to get a name for himself and set up a network.

A changing shift in fundamental paradigms is currently underway between our society and the Web. In our modern-day society what is valuable is what is rare; the rarer it is, the more expensive it becomes. However on the web the opposite trend can be observed: it is profusion which earns you the most money. There is a strong discrepancy between these two worlds. In a system in which profusion is sought for at all costs, the most popular websites – sometimes visited by millions of Internet users – have the highest market value. Even when their content is relatively poor in terms of concept (i.e. Facebook), the fact that they have a significant amount of users makes them fascinating and unavoidable tools.

Another cleavage inherent in creative trends monitoring applied to the web must be noted: the opposition between commercial and non-commercial webs. Take, by way of example, Mozilla, Wordpress or Wikipedia: to this day there is no way of evaluating the efficiency or value of such companies. These are not actual companies but foundations or organizations whose actual value cannot easily be assessed.

Indeed, there are no criteria to evaluate these new platforms.François Druel, one of our PhD students currently in the process of completing a thesis 11 on the new paradigms between web and society as a whole has recently worked on a groundbreaking model based on twenty-two evaluation criteria to grade web platforms. This brand new research topic is currently being developed within our scientific community.

Do you think the wish to bring forth a creative collective intelligence is realistic and deserves further interest?A kind of collective intelligence already exists on the Internet, which has come from information-sharing. To mark out a certain type of knowledge and intelligence, you need prior collective information. When pooling their ideas and skills, people have the ability to co-create products or services to be used in a number of different places and to exploit all the temporal and spatial dimensions of the Web. The automotive leader Mercedes, for instance, has already tried and tested collaborative work on the Internet. Their R&D department had implemented the three-shift system with workers located in subsidiaries all over the planet. Using the same collaborative platform to work on their vehicles, they had three R&D teams working non-stop according to the different time zones. This way, upon arriving at work bright and early, the German engineer knew that another

faraway team had furthered the project during the night. A convincing example of the benefits of Internet-based collective intelligence.

How about creative intelligence?As far as creative intelligence is concerned, just look at the tremendous number of blogs created every day. The web procures a new space for people to unleash their creativity. It is a tool for each and everyone to develop, whether it be individually or collectively. We spend a large amount of time exchanging and sharing information and ideas on the Internet. We tend to share information even before consulting a search engine. Internet users communicate using chat rooms, emails and all the means of communication readily available on the Internet. It involves as much giving information as it does receiving information. There are numerous examples of creative intelligence. These practices of exchanging information are becoming increasingly democratic: web 2.0 technologies are concerned with making information and communication available to all, irrespective of social and intellectual background. Even those who don’t know how to use a computer properly–despite the fact that interfaces have not evolved over the past thirty years – are capable of interacting and making use of their creativity on the Internet, without any advanced knowledge in computing and data processing. The great revolution brought about by the Web 2.0 is that it allows all kinds of users to click, drag, drop and manipulate objects and to create. Mash-up 12 and digital technologies are a good illustration of the profusion we mentioned earlier.

Is the aim to blend knowledge and content? You blend ideas coupled with technologies. Some allow free access to their newly-found technological solutions – as if storing a substance in test tubes – for peers to appropriate and enhance with their own creative ideas thereby helping to develop new services. We could cite “housingmaps.com” – a hybrid of Google Earth and Craig’s List – which allows users to find an apartment with just three clicks of the mouse. Mostly implemented in the US, this device is a good example of collaborative technologies, which blend mapping with other activities. Another example is the Canadian website “virtualcity.ca,” where Internet users can stroll around like pedestrians using a map, looking at shop-fronts on their way; or “maps.fon.com” where you can locate all the free wi-fi hotspots in the world. This hybrid, participative and open application follows the anti-commercial “win-win” spirit of open Source software. Anyone can make use of this hybrid technological blend and add his/her input if he/she wants. With such interoperable and hybridizable technologies, there are now no boundaries to our creativity: the sky is the limit. Sites that can be hybridized with each other are listed on “mashable.com,” and “programmableweb.com.” This range of applications is basically like a huge think tank from which users can draw upon. Such a working method bears witness to a deeply significant evolution of mentalities; when I come up with an idea, I no longer keep it to myself, I make it available as a software – protected or otherwise – so as to allow as many people as possible to make use of it. We are faced with a true “web lab” that, in time, will bring legal rules and intellectual property laws a few steps further as has already happened in the music industry.

At a time when individualism is becoming increasingly fierce, it is quite pleasant to see that Internet users still have faith in collaborative work thanks to the web 2.0…Having closely studied the historical roots of creativity according to religions, beliefs and nationalities, I observed that the bond between human beings and creativity differs from one culture to another and varies through the ages. To some populations, creativity originates in a superior being. In Ancient Times, none other than the Nine Muses was allowed to claim creative skills, mankind did not have the right to create anything. Depending on the belief or spirituality that prevailed, some cultures nurtured their creativity more than others because they were allowed to. In Europe, it seems like not enough mental and physical liberty was given to promoting creativity.

11 François Druel worked for l’atelier.fr with Jean-Michel Billaud and for France Telecom. In the meantime he has decided to write a thesis entitled Évaluation de la valeur à l’heure du web. Proposition de valorisation de projets non-marchands (An assessment of value as perceived on the Web. Proposals to valorize non-commercial projects). 12 In web development, a mashup is a web page or application that combines data or functionality from two or more external sources to create a new service. The term mashup implies easy, fast integration, frequently using open APIs and data sources to produce results that were not the original reason for producing the raw source data. (source: Wikepedia)

Page 30: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

44 45

asked to monitor blog-related trends. Upon completion of the study we came to the conclusion that monitoring these new types of platforms may prove useful in the future but at the time it was futile.

Is that due to the lack of interaction and content at the time?At the time it was way too early for companies to adopt this type of initiative. Today, however, blogs represent a great business opportunity for industrials and all kinds of entrepreneurs to seize. Companies might find an interest in transferring this technology to designing project management blogs which, in addition to the intranet, would enable them to manage and store all informal information they wish to keep and make accessible to all. In the future technoliterate knowledge architects will be supported in their task by knowledge designers. I have no clue when this will occur but I am deeply convinced it will happen at some point. These knowledge designers will identify which type of users require which type of information (RSS feed, Trends monitoring report) and how they want it presented. They will then package and design the information so as to offer enhanced and faster services. By making use of their skills in ergonomics, usability and their technical know-how relating to how users appropriate interfaces and information, they will create personal information systems. A new profession is born.

A profession concerned with intelligent information.Indeed what I call intelligent information is a piece of information based on structural navigation and graphic representation as opposed to text only. The tag system constitutes the basis of this evolution. They are an inverted form of statistics-based directories. Instead of building a directory in which data is ranked by categories, text content is analyzed and data is organized, which generates tags. We are currently witnessing the prehistoric era of a new type of knowledge management which is set to emerge with the semantic Web. We still haven’t gone further than the cave-painting phase or, in the best-case scenario, the hieroglyphic era. In the long run, designers will create an alliance between users and new technologies. As the cost of computer equipment comes down and data processing tools are made simpler, the digital divide, between those who have access to digital and information technology and those who do not, will ultimately disappear. Nobody will be dubbed “digitally disabled” anymore as some people sometimes are today.

Moreover new interfaces, screen shapes and appropriation techniques should emerge in the near future. We know how to project images onto contact lenses, which is a good way of avoiding bulky devices – such as helmets – while reducing eye-strain. The world of interfaces is in the midst of a deep revolution that should pave the way to facilitated appropriation.

Do you think that we will see an increasing number of tactile interfaces? Yes I do, but not only tactile ones, though. An increasing number of voice recognition-based or even emotion-based interfaces are going to appear in the near future. Users will be in a position to control computers with their brain, by means of neuron connections. Some research is currently being carried out on this topic. Here I would like to refer to a general public scientific review called “Le Monde de l’intelligence,” that bridges the gap between creative intelligence and neuronal and biological intelligence, so to speak. This magazine offers a good illustration of the ongoing hybridization of art and technology. This thematic report provides readers with a peripheral view of a number of fields, allowing them to observe neuronal approaches, which will give them an idea of what applications will be like in the future.

How could designers embrace this evolution towards enhanced interfaces? Firstly by reading these type of documents and then by remaining open to new trends. Designers and computer fiends undoubtedly have way more to learn from biology than from computing if they want to stimulate their creativity. Designers will have to monitor trends at 360° to stay on the lookout for smart ideas and then make a selection to determine which fields have an impact on his own sector and identify the current trends, in order to anticipate future developments. Then they will have to focus on some areas in particular to be one step ahead of their competitors, for instance. Though we live in a constantly evolving world we can still put forward innovations that users will actually find useful in the future. This can be achieved by applying prospective methods and multi-sectorial trends monitoring, which will shed light upon the evolving needs and expectations of customers and their changing values.

This is due to the French academic vision which ranks artistic production in a rigid hierarchy. Conversely, other cultures, who see creativity in a rather postmodern light, do not feel the need to rank artistic output in this way.True. In France the creative, scientific and literary world are totally cut off from each other. Knowledge often remains locked up within specific circles whereas in reality all scholarly practices are interconnected. Leonardo da vinci, for instance, could produce mind maps which embraced a number of seemingly disjointed disciplines that he managed to merge via knowledge transfers. Difference is the source of creativity because creation is brought to life within it. Howard Gartner from Harvard University defined seven types of intelligence which he says are independent from each other: linguistic intelligence, logical/mathematic intelligence, kinesthetic intelligence, musical intelligence, spatial intelligence, social intelligence and introspective intelligence. Creativity requires combining several of these forms of intelligence, which show the holistic and systemic – i.e. global – nature of it. All human beings are intrinsically creative and depending on their life path and on the encounters they will make along the way, they will be more or less inclined to let this innate creativity blossom. Some people have been so afflicted and toughened by a life full of hardships that they tend to be hyper-creative in whatever kind of art they practice, as a means to stay alive. Pierrick proposes tools that encourage long-distance creativity and are accessible to all. This reminds us that creativity is not solely for the happy few who went to college. In our area, a company manager, Jean de vulliod, had the brilliant idea of organizing the “Journées créatives des pays de la Loire,” an initiative through which middle school and high school students are rewarded for their creative talent in developing collective ideas for city and regional improvement. Should this introduction to creativity spur young people to set up their own company, then we will be proud to have participated in increasing our region’s competitive potential in a five to ten year time span, and to have triggered a long-term trend which could likely spread out considerably.

You once stated: “The best and the worst information can be found on the Internet. Internet is a modern-day version of Plato’s Cave – where known values, mechanisms and rules are being used alongside new technologies.” Does this mean you see the Internet as some sort of projected reality? Like a carbon copy of our material world? Since the dawn of the history of innovation each new technology has led to a tendency to duplicate already existing forms. I think all technologies have at first unavoidably gone through a “mimicking phase” (motion pictures, age-old bicycle models etc.). This is so typical of human behavior, pervaded with fears and other change-hindering factors, and dates back from way before the advent of the web. To become acquainted with newly invented techniques a phase of appropriation is necessary: a sort of reenactment of Plato’s myth that mirrors the best and the worst of each society. This is the first step of the process. For now, humankind is merely living through the prehistoric era of the Internet. We are just taking the first faltering steps towards our emancipation from the mimicking phase: moving from mimicking to appropriating. Facebook, for instance, is just a copycat version of a device that existed prior to the web, and that has expanded to the point of mass-profusion with millions of users. But the very concept of Facebook is far from groundbreaking. Which of the new applications have managed to avoid falling into Plato’s cave? Some types of blogs, mash-ups and hybrid software have managed to stay out of the cave (though some will disagree and point out that such techniques were already in use in the musical field, when different sounds were mixed together with turntables). However, radically different systems such as web oS-based solutions are currently surfacing, enabling users to open any type of document from a browser without downloading the required applications or software on their hard drive. In terms of use, we are gradually veering towards more and more simplicity. While we may have reached extreme heights in computer complexity, there is an increasing effort to simplify. Some manufacturers have already begun to develop simpler tools; most users only use 5% of their computer’s capacities anyway.

As a professor training “cyber-watchmen” you keep a well-informed eye upon the transformations of the ever-evolving network that has become the Internet – a network which is constantly evolving – in particular the proliferation of information sources and of social interaction platforms. How do you envision the future, technologically and socially speaking? Fifteen years ago there was no such thing as a webmaster. Today a new profession is being brought to life based on the activities carried out by webmasters: the term “blogmaster” has been coined to describe the person who manages and monitors blogs. This gives way to the emergence of a whole series of new professions on the job market (Web Usability, Web Marketing, Knowledge Worker, Knowledge Designer, E-reputation, to name but a few). A few years ago, our lab was

03 TRENDS mONiTORiNg + DESigN03 VEillE cRÉATiVE + DESigN

Page 31: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

46 47

being carried out with a view to generating new economic models. Their moves and findings are being closely watched as these new models will be the key to the creation of new business plans for new companies. our department is situated at two opposite ends of the chain. We look all around, observing both the user and what happens prior to the production process. “Atelier.fr,” the first trends monitoring unit dedicated to banking – founded by Jean-Michel Billaud upon request of BNP Paribas – made it clear that to get an idea of what sector to invest in, it was important to keep an eye on new technologies and thereby define which ones could possibly be the most profitable to a banker. This shows that even bankers benefit from trends monitoring services. Though not very popular yet, these services would be useful and needed in many different areas.

biOgRAPHiEbiOgRAPHy

Henri Samier est enseignant-chercheur et directeur, depuis 1996, du Master Information Stratégique et Innovation Technologique de l’ISTIA (Institut des Sciences et Techniques de l’Ingénieur d’Angers) qui englobe différentes spécialités : innovation stratégique, agro-alimentaire, biologie et développement durable, modélisation numérique, réalité virtuelle et projets européens. également spécialiste du web 2.0 et 3.0, il s’attache à former, avec son équipe enseignante, des « cyberveilleurs » dont le travail de veille sur Internet porte sur les technologies et les marchés.

Henri Samier is a senior lecturer and researcher at the ISTIA (the engineering school of the University of Angers) where he has been running a comprehensive Master’s curriculum in Strategic Information and Technological Innovation since 1996, a training programme which covers several disciplines: strategic innovation, the food industry, biology and sustainable development, digital modeling, virtual reality and European projects. As an expert in web 2.0 and 3.0, Henri Samier – together with his teaching team – also endeavors to train “cyber watchmen” to monitor technology and market-related trends on the Internet.

PRiNciPAlES PublicATiONSmAiN WORkS PubliSHED

We can’t simply identify technological advances, we must also analyze them in their context and anticipate the obstacles they could be faced with… We must create and devise solutions at the right time for the right people. Let us not forget that the inventor of the diesel engine died in squalid conditions because his product came out too early and there was no market for it to sell!

There’s no point in being a genius if you’re not in tune with the times. To move with the times you must aim to awaken creativity in as many people as possible and especially among young people. A headmaster in a high school once asked me what we, as academic scholars, expected from young high school graduates. I replied that what I first and foremost expected from a student entering into higher education was open-mindedness, an eagerness to learn and the will to keep the inquisitive spirit alive. An inquisitive student will be outward-looking, more creative and therefore far more receptive. Speaking of which, your school is ripe with knowledge-thirsty and creative students, which is a great opportunity for you. I am here referring to your interaction design students because I know them better. In interaction design the creativity spectrum is wider compared with other fields where designers are limited by materials and tools. on the web you can create a product and then advertise it by circulating a 3D model-version of it, and ultimately sell it once it has been manufactured. Therefore, in the future, when designers and manufacturers come up with new concepts, they will allow users, via the Internet, to buy the products by means of subscription, like the customer-based networks in organic farms. This type of practice can be applied ad infinitum on the Internet. Then you just have to deal with the issue of trust. In the near future, the real challenge is to establish a certain level of trust on the Internet to reassure customers. The company “Gottap” has been working on it by setting up Internet networks within which all members (bankers, customers, suppliers etc.) place their trust in one another, giving rise to free spaces where relationships are based on trust. However such initiatives are still few and far between and the trust factor is still missing and might still be for a while as Internet takes on a greater scale and keeps evolving depending on beliefs, religions, cultures, nationalities and so on. The future of web creativity lies both in the creation of new hybrid tools, new means of collaboration and in the exchange of benefits gained from these new practices. It is a bit like signing a co-ownership agreement for a patent without actually having a patent. Laws and intellectual property rights are about to change, either naturally or through man-made decisions. A similar trend has already occurred in the music industry. Usage and user habits now set the tone for the entire industry, which sometimes leads to inconsistencies and deficiencies. Indeed, the current offer fails to meet all the needs. Internet brings to light – in a very natural, empirical manner – all customer needs, and as soon as these needs are confirmed then the offer itself can evolve accordingly. Afterwards, either we will step out of the cave relatively easily or we will stay stuck in there a while longer. It is better to focus on products of value and creation rather than comply with rigid fossilized rules and stances, and to work steadily, focusing on speed and momentum rather than on position.

In your view, it is these new uses that will help us emerge from the Cave? This is already happening right now. And new factors are also going to play a part, such as the work of a new generation of creative professionals and designers who have always been immersed within these kinds of systems and are therefore very familiar with use. When people my age were trained to use computers twenty years ago, they were “un-trained.” Unlike us, the new generation was not “un-trained,” these children were born with a computer mouse in their hand and now have a whole array of techniques and opportunities at their disposal to nurture their creativity and nose for innovation. Their computer-literacy will make it easier for members of this generation to share ideas and be creative because these tools are part and parcel of their daily life. They are filled with an unrestrained energy that promotes creativity. As they will have benefitted from this space of creation and freedom provided by the web, students will have become more inventive and will have appropriated this media, by learning to choose their sources of information and inspiration sources carefully.

The web does offer an infinite space to unleash creativity.Yes it does. And in the near future, the average age of entrepreneurs is set to fall. Bill Gates founded his company when he was still a child prodigy. We will see many similar success stories and on a wider scale. We will gradually break away from the pyramid-like system whereby innovation is locked up in patents and manufacturers have to create products that comply with mainstream economic models. A new economic model remains to be created. In Northern Europe, studies are

03 TRENDS mONiTORiNg + DESigN03 VEillE cRÉATiVE + DESigN

Samier Henri, Sandoval victor. La Recherche intelligente sur l’Internet. Paris : Hermès Science Publications, 1998, 190 p.

Richir Simon, Samier Henri, Sandoval victor. Les Cybertechnologies dans les entreprises industrielles. Paris : Hermès Science Publications, 2003, 286 p.

Christofol Hervé, Richir Simon, Samier Henri. L’Innovation à l’ère des réseaux. Paris : Hermès Science Publications, 2004, 436 p.

Samier Henri, Sandoval victor. La Webcréativité. Paris : Hermès Science Publications, 2007, 243 p. (collection Finance Gestion Management)

Page 32: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

48 49

13 B. Stiegler, philosopher, highlights the significance of new information technologies and of individual and collective symbolization processes (indexation, transmission, collaboration). Speech delivered at a conference entitled: Le numérique permet-il d’articuler d’une façon nouvelle la culture savante et le savoir profane? (Literally: “Can digital technologies help us rethink the workings of scholarly culture and non-expert knowledge?”). Conference held at the National Institute for Art History in March 2007.

Pierrick Thébault site : http://www.regarde.org

within which projects can take root. Creative professionals often work in collaboration with their peers and real-time sharing of ideas is also a good means to help the creative process.13

How should the outcome of research using multi-support references be organized, summed up and appreciated? And how can it be formalized on a digital interface? Pierrick’s solution uses automated systems which associate semantic analyses and mind-mapping with the ability to customize and therefore appropriate modes of association and visualization. The outlined system must imperatively be swift, fluid and understandable. Trends monitoring is too strategic an activity to be left solely to human monitors, or indeed entrusted to so-called intelligent computer systems alone. Pierrick has managed to design a computer application which gives creative minds just the right amount of space they need, while providing them with more freedom and supporting them in their choices, both in terms of mobility and timing.

Nathalie Ciprian – Course Leader - Postgraduate Studies

CREATIvE FEEDPierrick Thébault Générer du sens et de la matière à création à partir des flux d’informations : L’optimisation de cette tâche est un des rêves de l’homme « augmenté » (ou assisté, selon le point de vue) que beaucoup d’entre nous sommes devenus. Un enjeu majeur des outils de veille numérique aujourd’hui sur le marché est la production de connaissance, d’attention à partir d’une somme d’informations passée au travers de filtres informatiques de plus en plus sophistiqués.

Parmi ces automates de veille, Pierrick a constaté qu’aucun n’était particulièrement dédié aux métiers de la création (architectes, designer, illustrateurs, écrivains, chercheurs… ). Il a donc fait des recherches sur les modes de travail des créateurs en phases amont de la conception et sur leurs possibles transferts en visualisation numérique. Les métiers étudiés utilisent des outils et des matières premières de divers formats (textes, photos, vidéos, croquis, sons… ) qui permettent d’élaborer des univers de référence dans lesquels s’inscrivent les projets. Les créateurs travaillent souvent en collaboration et le partage de leurs réflexions en temps réel peut également favoriser le processus créatif. 13

Comment organiser, synthétiser et valoriser un travail de recherche de références multi-support et comment le formaliser sur une interface informatique ? La proposition de Pierrick intègre des concepts d’automates qui associent l’analyse sémantique, des cartographies mentales, avec l’opportunité de personnaliser, donc de s’approprier, les modes d’association ainsi que les modes de visualisation des informations. L’agilité, la fluidité et la lisibilité du système sont capitales.

La veille est trop stratégique pour être laissée aux veilleurs, certes mais également pour se voir déléguée aux systèmes informatiques dits

intelligents. Pierrick a su proposer une application offrant la place juste nécessaire à l’esprit créateur tout en le libérant et l’accompagnant dans ses envies, en mobilité et dans le temps.

Nathalie. Ciprian – responsable pédagogique 2nd cycle

13 B. Stiegler, philosophe, rappelle l'importance, dans les nouvelles technologies de l’information, du travail individuel et collectif d'inscription symbolique (indexation, transmission, collaboration). Conférence intitulée Le numérique permet-il d’articuler d’une façon nouvelle la culture savante et le savoir profane ? Conférence à l’Institut National de l’Histoire de l’Art 03/07.

cREATiVE FEEDPierrick Thébault optimizing information flows by making them more meaningful and more usable for creation is one of the dreams of the “augmented” (or “assisted,” depending on who’s talking) human beings many of us have turned into. Today the main aim of digital tools for trends monitoring is to produce knowledge and to attract consumer and reader attention, by means of a mass of information filtered through ever-more sophisticated computer applications.

Having observed these automated trend monitoring systems, Pierrick came to the conclusion that none were dedicated to creative jobs, such as architects, designers, illustrators, writers and researchers. For this reason, he focused his research on the working methods implemented by creative professionals in the early stages of the design process, and on their possible transfer to digital visualization. These professions use a wide range of tools and raw materials, in various formats (texts, photos, videos, sketches, sounds, etc.), which constitute environments

03 VEillE cRÉATiVE + DESigN 03 TRENDS mONiTORiNg + DESigN

Page 33: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

51

04 «Dans le Domaine alimentaire, le Design est la seule clé

De Différenciation.»

entretien avec céline gallen, chercheuse en marketing.

caDi : Vous avez étudié l’influence du design des produits dissonants sur la perception cognitive des consommateurs. Quelles observations à propos de l’impact du design avez-vous pu faire lors de cette étude ?c.g. : Je suis justement en train de rédiger un chapitre à ce propos pour un ouvrage à paraître fin 2008 qui s’appelle La couleur et l’alimentation. le design n’a commencé à investir les produits alimentaires que depuis peu. Jusque très récemment, le design alimentaire ne s’appliquait qu’au packaging mais assez peu aux produits eux-mêmes. Depuis les années 2000, un mouvement est en émergence, amorcé par les grands chefs et relayé par des bureaux de style, des centres d’art et de design spécialisés dans l’alimentation. J’ai travaillé avec deux de ces structures : avec le bureau de style enivrance (fondé par un acteur du marketing) sur un sablé épinard-framboise, puis plus récemment avec un centre d’art et de design créé par un professionnel issu du design, La cuisine. leur approche est très différente mais la confrontation de ces différentes perspectives s’est révélée très intéressante. on constate que les acteurs du marketing privilégient la perspective visuelle du design alors que les designers ont une approche poly-sensorielle du produit. Pour eux, le design d’un produit alimentaire inclut son goût, sa texture et pas uniquement son aspect visuel. la recherche en marketing devrait ainsi s’attacher à enrichir la conception purement visuelle grâce à la démarche du design. néanmoins, ces deux collaborations montrent de façon étonnante que le design visuel est celui qui impacte le plus l’imaginaire du consommateur. Pour réaliser mes observations, j’ai procédé avec quatre focus groups de huit à dix personnes, soit plus de trente personnes au total. Deux des focus groups commençaient le test en aveugle et les deux autres commençaient par le test visuel du produit. Je pensais, à tort, que la perception sensorielle des participants ayant commencé le test en aveugle ne serait pas trop influencée par le design. mais il s’avère qu’au cours de l’expérience, les sujets ayant goûté en aveugle le produit oublient complètement leur perception gustative initiale pour former leurs attentes uniquement sur les aspects visuels. la couleur influence notamment très fortement la perception du goût.

Pourtant, comme le rappelle Anne Ripaud dans son mémoire, d’après Brillat Savarin : « Le goût est le sens qui nous procure le plus de jouissance. » On pourrait donc imaginer que le goût prévaut sur les autres sens en matière de design alimentaire. Mais vous avez apparemment observé le contraire. le goût a une importance primordiale dans le design alimentaire, c’est indéniable. mais il est influencé par le design visuel. le design a un pouvoir très fort sur l’imaginaire. Quand il conduit à la « dissonance » (cf. la Badoit rouge, le sablé épinard-framboise etc.) cela fait peur au consommateur (le risque perçu) mais cela fait surtout appel à un imaginaire faisant référence au non comestible. une fraise bleue, par exemple, suscitera chez le consommateur des évocations appartenant au registre non comestible. ainsi, cette dissonance peut s’avérer dangereuse car elle empêche le consommateur de s’approprier le produit.

Comment faire pour que le consommateur dépasse sa perception visuelle ?il faut trouver la « bonne dose » de dissonance. en effet, s’ils sont en attente de nouveauté, les consommateurs ne sont pas encore habitués aux produits alimentaires « designés ». il faut donc leur proposer des solutions innovantes tout en les rassurant, en veillant à ne pas trop perturber leur acte d’achat et faire en sorte qu’ils saisissent le message que l’on veut faire passer à travers ce design, donner du sens au produit. les produits trop incongrus sont à proscrire car ils généreront du risque perçu qui entraîne chez le consommateur un rejet du produit. il y a cinq dimensions dans le risque : le risque physique (lié à la santé), le risque sensoriel (lié au goût), le risque psychologique (risque que le produit ne vous corresponde pas), le risque social (risque d’être mal jugé à travers l’achat ou la consommation de ce produit, du fait de la rigidité des codes sociaux), et enfin le risque financier (le risque de payer trop par rapport à la jouissance tirée du produit).

Comment cette originalité ou excentricité en cuisine est-elle reçue par les consommateurs ?les consommateurs sont encore assez frileux et se comportent de manière ambivalente.

Page 34: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

52 53

Qu’est-ce que le design peut apporter au marketing appliqué aux modes de consommation alimentaire ?Tout à l’heure, j’ai mentionné des produits très typés, très dissonants mais le design peut se manifester de manière beaucoup plus simple. Par exemple, lorsque Danone travaille avec des designers, ils ne conçoivent pas quotidiennement des produits extravagants. Le design a forcément un fort impact sur les ventes d’un produit dans la mesure où son approche est poly-sensorielle. Une barre chocolatée, même si elle est très classique, en forme de parallélépipède, nécessite tout de même une réflexion de design. Le design est indispensable pour penser forme, couleur et texture en étant plus ou moins sophistiqué, plus ou moins atypique ou plus ou moins dissonant. Mais il est indispensable, ne serait-ce que pour se différencier par rapport aux concurrents, pour créer l’image de marque, assurer la reconnaissance du produit par le consommateur. Un yaourt doit avoir une forme de yaourt. Ce sont les codes introduits par le design qui permettent au consommateur d’identifier le produit.

D’autant que dans la société de l’hyper-choix dans laquelle nous vivons actuellement, il est indispensable de bien baliser chaque produit pour guider le consommateur.oui, c’est un des aspects bénéfiques du design pour le marketing. Avec l’arrivée de grandes chaînes comme IKEA, le design est devenu très accessible aux particuliers. Nombre de consommateurs qui ne s’intéressaient pas du tout à la décoration, il y a encore quelques années osent désormais équiper leur intérieur de manière plus originale, plus chaleureuse, plus personnelle. on observe la même tendance pour le prêt-à-porter avec des enseignes comme H&M ou Zara qui copient les marques de créateurs. Ainsi, l’originalité et les articles insolites deviennent de plus en plus accessibles et le consommateur accorde davantage d’importance à l’aspect visuel des objets qu’il achète. Il montre une sensibilité accrue pour l’esthétique. Aujourd’hui, le design est présent absolument partout et commence à susciter l’intérêt des consommateurs même dans le domaine alimentaire.

À travers les marques distribuant des objets conçus par des designers, la dimension esthétique des produits est venue aux consommateurs.oui, notamment grâce aux pays nordiques. Mais les produits alimentaires étant les seuls produits de consommation que l’on ingère, avec le médicament, il y a une barrière psychologique très forte. Anne l’a d’ailleurs très bien montré dans son mémoire : on devient ce que l‘on mange avec le phénomène de « pensée magique ».

Pourriez-vous revenir sur le terme de « pensée magique » ou « magie sympathique »?Les deux termes sont équivalents. Ils font référence à un mode de pensée longtemps considéré comme primitif et étudié par les anthropologues au XIXè siècle. L’étude de ce phénomène remonte donc à très loin, mais on a longtemps cru que c’était lié aux populations primitives (qui jetaient de sorts, qui s’adonnaient à des sacrifices d’animaux etc.). or on s’aperçoit que cet imaginaire lié à la nourriture existe même s’il se présente différemment. L’eucharistie à l’église pendant la messe en est un exemple typique. quand le prêtre dit « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », il s’agit de pensée magique.

Oui, en ingurgitant le corps de l’être sacré, on pourra atteindre la grâce. On devient ce que l’on mange. oui. La pensée magique se pratique donc dans les cultes religieux, mais elle agit également de manière inconsciente dans le quotidien. Par exemple, lorsque vous regardez une publicité pour un yaourt, vous croyez au slogan qui vous assure que vous deviendrez belle en le mangeant. Les marketers vous font croire en un bénéfice produit selon lequel vous deviendrez plus belle ou plus mince en mangeant ce produit. Ce principe est poussé à l’extrême à travers cette tendance appelée la « cosmeto-food », la cosmétique par la nutrition. Ces nouvelles tendances basées sur l’identification à une icône représentant le produit alimentaire découlent de la pensée magique : croire en un phénomène de transfert par l’ingestion d’un aliment, de ses propriétés physiques mais également morales et symboliques. Dans le même ordre d’idées, on n’aime pas manger un plat préparé par une personne hostile par crainte de contamination de la nourriture et de transfert de ses défauts sur soi.

Apparemment, la magie sympathique est soumise à un principe de contagion et de similitude.Le phénomène de magie sympathique est en effet régi par deux lois. Il y a tout d’abord la loi de la similitude qui consiste à dire que les objets sont ce qu’ils semblent être :

Si certaines études publiées montrent qu’il y a une forte attente de nouveauté (nouveaux goûts, nouvelles textures), il faut cependant conserver des schémas classiques. Ainsi, lorsqu’on propose des produits alimentaires excentriques au consommateur lambda, il considère que ces derniers ne lui correspondent pas. Il attribue ces produits à des consommateurs plus jeunes, urbains (voire parisiens) bobos, branchés, frimeurs… qui aiment épater leurs convives. En province, les consommateurs sont prêts à acheter ce genre de produits mais seulement dans des lieux spécialisés où l’on s’attend à trouver des articles hors du commun (épicerie spécialisées, musées par exemple). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le sablé épinard-framboise (conçu par Enivrance mais fabriqué par le pâtissier Daniel Mercier) avait été commercialisé au Lafayette Gourmet Paris. Nombre de produits alimentaires « designés » sont en vente à la Grande épicerie du Bon Marché, par exemple, ou dans des épiceries de luxe comme Fauchon et Hédiard.

Il semblerait que les consommateurs soient à la recherche d’une dimension expérimentale. oui, tout à fait. C’est typiquement la recherche d’une expérience par l’alimentaire qui pousse le consommateur à tester ce genre de produits. C’est d’ailleurs le thème du projet d’Anne Ripaud. Mais, pour l’instant, ce genre de tendances ne s’observe que chez une partie des consommateurs. L’alimentation est une activité ayant trait à la survie et la plupart des consommateurs n’osent pas encore trop chambouler leurs habitudes alimentaires. Tous les consommateurs ne sont pas prêts à vivre une expérience à travers le produit alimentaire même s’ils le sont avec d’autres produits de consommation. Lorsqu’il s’agit du produit alimentaire, les mécanismes se complexifient.

L’alimentation reste au stade de besoin naturel et nécessaire. Pour certains consommateurs, oui. Nombre d'entre eux m’ont dit à propos des produits que j’ai étudiés que ceux-ci ressemblaient trop à des objets de décoration, voire des objets d’art. or un produit alimentaire n’a pas pour vocation de décorer.

On ne badine pas avec la nourriture…La notion de jeu avait effectivement été abordée dans les tests consommateurs. Le consommateur lambda n’admet pas que l’on puisse jouer avec la nourriture. Ce que l’on attend en premier lieu d’un produit alimentaire, c’est qu’il soit bon.

Un excès d’originalité paraît dommageable à la substance ingurgitée ? C’est vrai pour certains sujets. Mais d’autres sont clairement en recherche d’expériences nouvelles. Prenez par exemple les gens qui se rendent chez Ferran Adria. 14

Quelle est la différence entre design culinaire et design alimentaire ? Le design culinaire relève du domaine de la cuisine, des produits conçus par le cuisinier, le grand chef, les artisans des métiers de bouche mais aussi par certains amateurs armés d’audace. Le design alimentaire investit davantage le champ de l’industrie et s’applique à des produits alimentaires de grande consommation ; il englobe également le packaging, l’aliment dans sa globalité.

Vous faisiez allusion au projet de fin de cycle d’Anne Ripaud, « Expérience alimentaire », visant à « interroger les valeurs intrinsèques de l’homme face à la nourriture pour répondre aux attentes d’un consommateur à la recherche de produits innovants. » Pourriez-vous nous expliquer ce qui vous a intéressée dans cette initiative ?Ce projet ne pouvait que plaire à un marketer comme moi, s’intéressant à la perception du consommateur puisqu’il proposait une démarche de designer à partir d’un questionnement commun avec mes activités de recherche en marketing. J’étais donc curieuse de voir les résultats qu’obtiendrait Anne, en cherchant à anticiper ce qui se passe dans la tête des consommateurs. Comment leur faire vivre une expérience à travers le design du produit alimentaire ? Jusqu’où la conception de produit va nous mener ? Alors que pour ma part, je ne me penche sur la façon dont le consommateur perçoit le produit qu’une fois qu’il est conçu. Nos deux démarches sont complètement différentes mais complémentaires. La mienne se situe en aval, la sienne en amont. Lors du jury, on se rend compte que l’on a des angles de vue et des préoccupations différentes.

04 FOOD + DESigN04 AlimENTATiON + DESigN

14 Cuisinier catalan, célèbre chef du restaurant El Bulli (le bouledogue), à Roses, sur la Costa Brava. Sacré « meilleur cuisinier au monde », il est l’un des tenants de la gastronomie moléculaire ; il expérimente sans cesse de nouvelles technologies et des textures et des saveurs surprenantes.

Page 35: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

54

04 FOOD + DESigN04 AlimENTATiON + DESigN

55

Et quels produits alimentaires sont les plus enclins à bénéficier de la valeur ajoutée du design ?Les produits à forte connotation de plaisir et sans doute les aliments sucrés (desserts, snacking). A contrario, je me souviens de l’échec d’une initiative consistant à intégrer des codes-barre sur la peau des fruits. Les fruits (au même titre que la viande) ne sont pas des produits marketés, mais des produits bruts, dénués de packaging visant à vendre le produit. Cette technique consistant à dépigmenter une partie de la peau du fruit fait partie de ces méthodes auxquelles les consommateurs sont totalement réfractaires. Le design alimentaire devrait tout d’abord s’emparer des produits hédoniques, les boissons, par exemple. on peut citer le véritable succès commercial rencontré par la Limonade Lorina qui propose des produits colorés avec des goûts originaux. Plus que toute forme de communication média, ce sont le design de la bouteille et de son contenu qui ont fait la notoriété de la marque. Un cas de figure où le design suffit à rendre un produit attrayant (à condition que ce dernier soit bon, évidemment).

L’alimentaire est un secteur où de nombreuses contraintes se posent pour les designers. oui, dans le domaine alimentaire, le design est aujourd’hui une des seules clés de différenciation. Mais si le produit brise les codes, il faut fournir des clés au consommateur pour qu’il comprenne le pourquoi de cette rupture.

04 “iN THE FOOD iNDuSTRy, DESigN iS THE ONly WAy TO mAkE PRODucTS

STAND OuT.”

Interview with Céline Gallen, researcher in marketing.

CADI: You have studied how discordant product design can influence the cognitive perception of consumers. What did this study teach you about the impact of design?C.G.: I recently published a chapter dedicated to this very topic to be published in an anthology entitled La couleur et l’alimentation, dealing with color and eating habits. Design is just beginning to gain a stronghold in the food product industry. Until very recently food product design only applied to packaging and not to products themselves. But since the year 2000, a new trend — triggered by celebrity chefs and continued by trend agencies and art and design centers specializing in food and eating habits — has begun to emerge. At the time I was carrying out projects in collaboration with two such structures: initially with a trend agency created by a marketing expert called Enivrance – with whom we created a spinach-and-raspberry-flavored shortbread – and then more recently with La cuisine, an art and design center set up by a design professional. Despite their different approaches to design, it proved quite interesting to confront the diverging perspectives of the two partners. While marketing professionals emphasize the visual significance of design, designers tend to focus on the multi-sensory aspect of the product. To them, food product design encompasses even taste and texture and is not limited to appearance alone. In my view marketing researchers should explore how design can be used to enhance a creation process, which has up to now been exclusively centered on visual aspects. However, from these two collaborations, I gathered that visual has the most impact on the consumer. I observed four focus groups – each comprising eight to ten people (more than thirty people in total). Two of those groups began by taking the test blindfolded while the two other groups made a visual acquaintance with the product first. I wrongly thought that the sensory perception of the blindfolded participants wouldn’t be influenced very much by the product’s visual design. Surprisingly, during the experiment the blind subjects totally put aside their first taste-based impression and formed their opinion based on appearance alone. Color, in particular, has a very deep impact upon taste.

le consommateur interprète un objet selon ce qu’il en perçoit. Un chercheur américain appellé Paul Rozin a tenté de faire manger des chocolats en forme d’excrément canin à des étudiants. Même s’ils savaient qu’il s’agissait de chocolat de très bonne qualité, les sujets ont manifesté une réticence très forte. Il a également effectué des études consistant à faire mordre des sujets dans un caoutchouc ayant un aspect de vomissure. Une autre de ses études célèbres consistait à demander à des sujets de mettre du sucre en poudre dans deux bouteille d’eau puis à leur fait coller une étiquette « eau sucrée » sur l’une et « cyanure -poison » sur l’autre. Ensuite, il leur demandait de noter de 1 à 10 l’envie de boire le contenu de chacune d’elle. La bouteille étiquetée « poison » a récolté une note basse et inférieure à la bouteille d’ « eau sucrée ». Pourtant les sujets savent pertinemment que les deux flacons contenaient de l’eau sucrée. La loi de la contagion renforce la loi de la similitude selon laquelle en mangeant un aliment j’intègre ses propriétés à la fois physiques, morales et symboliques de cet aliment. Je suis contaminé par cet aliment. Si je mange quelque chose de répugnant, je deviens moi-même répugnant. Ces deux lois complémentaires forment la pensée magique. Si la loi de la similitude n’est pas propre à l’homme (on la retrouve chez les animaux), la loi de la contagion ne s’applique qu’à l’homme et ne prend effet que chez les individus à partir de trois ou quatre ans. Ceci explique pourquoi les enfants n’éprouvent aucune répugnance à ramasser et mettre dans leur bouche de la nourriture ayant traîné par terre ou à mordre dans de la nourriture déjà entamée. Pour ma part, lorsque je montre à mes étudiants la photo du même sandwich entamé par une vieille dame édentée ou par une femme blonde plantureuse, ils sont plus tentés de consommer celui entamé par la jolie blonde. Pourtant, aucune information relative à l’hygiène de ces deux consommatrices ne leur a été communiquée.

Quel mécanisme cognitif fait qu’un consommateur est répugné par un aliment qu’il sait sain ?Ce phénomène n’est pas du tout rationnel. D’où le terme de pensée magique. Il s’agit d’une impression de contamination, parfois fondée (si le produit a été léché par un animal, par exemple) mais parfois pas du tout (dans le cas du chocolat en forme d’excrément canin). Notre cerveau est constitué de catégories mentales. Un chocolat ayant une forme douteuse aura beau être de bonne qualité, voire fabriqué sous les yeux du sujet, ce dernier n’en sera pas moins révulsé par cette forme associée dans son cerveau à un objet répugnant et non comestible. En interprétant ces stimuli visuels, le cerveau classe cet objet comestible dans une catégorie d’objets non comestibles répugnants. Ensuite, le consommateur en déduit que s’il ingère ce produit considéré comme non comestible et répugnant, il deviendra lui-même répugnant.

Vous qui avez étudié l’influence du design sur le sensoriel et les facultés cognitives des consommateurs, comment pensez-vous que le secteur du design alimentaire va évoluer au cours des prochaines années ?Le design alimentaire investit peu à peu le secteur industriel. À l’origine, cette tendance était l’apanage des grands chefs avant de s’étendre jusqu’aux bureaux de conception créant des produits de manière confidentielle commercialisés dans des points de vente haut-de-gamme très ciblés, réservés à une clientèle très restreinte. À l’heure actuelle, des progrès sont déjà en marche dans le secteur : certains groupes alimentaires s’attachent à élaborer de nouvelles textures, de nouvelles formes de produits en collaboration avec des designers. Mais cette évolution ne pourra être que progressive car la pensée magique et autres invariants propres à la nature humaine freinent quelque peu la mutation des modes de perception des consommateurs. Cependant, nous vivons dans un environnement favorable à ces évolutions car l’esthétisme et la recherche de nouveauté y prennent de plus en plus de place. Cette progression ne s’effectuera qu’à deux conditions : que le produit soit bon et que le consommateur comprenne pourquoi on « injecte » du design dans l’alimentaire. Pour dépasser l’image quelque peu snob véhiculée par le design alimentaire auprès de certaines catégories de population, il faut expliquer au consommateur la raison et le sens qui sous-tendent la démarche du design alimentaire, et ce que l’on cherche à lui apporter à travers ce produit. Il faut créer une relation poétique avec le produit. « Si le produit est excellent, le consommateur pourra passer outre certaines excentricités qui lui paraissent injustifiées. » Cependant, les producteurs se doivent de susciter l’achat et le réachat. Certains consommateurs achèteront une première fois par curiosité, mais il faut ensuite les fidéliser. Il est donc indispensable de créer une consonance entre tous les éléments du produit et une convergence des sens au niveau de l’apport possible du design.

Page 36: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

56 57

04 FOOD + DESigN04 AlimENTATiON + DESigN

Too bold a design can make consumers dubious of the substance contained in a food product?This applies to some people, yes. But others are definitely in search of new culinary horizons. Just look at how many people eat in Ferran Adria’s 14 restaurants.

What is the difference between “culinary design” and “food product design”?“Culinary design” stems from the world of cooking and has to do with all products prepared and designed by cooks, chefs and all catering professionals and also by daring and talented amateurs. “Food product design” is more concerned with industrial production and applies to mass-produced food products; it includes packaging and every aspect of the food product.

Let’s now focus on Anne Ripaud’s final degree project, “Expérience alimentaire,” which aims to “question the intrinsic human values we have about food in order to meet the expectations of ever-more demanding consumers eager to try innovative products.” Could you tell us what appealed to you in this initiative?As a marketer interested in consumer perception, I could only appreciate such a project as it is offers an approach to design born from a collective effort between my marketing-oriented research and a designer’s know-how and knowledge. I was really keen to discover the results Anne would produce by trying to anticipate how the consumer thinks. Her project raises two main questions: how can food product design provide consumers with a new experience? How far can food product design take us? As far as I’m concerned, unlike Anne, I only deal with how consumers perceive the products once they’ve been designed. our two totally different stances complement each other. While I am more concerned with steps happening after production, Anne comes into play much earlier in the process. During student oral presentations, I was struck by the obvious discrepancy between what drives designers and what fuels marketers.

How can design contribute to enhancing food-related marketing? In a previous answer I only quoted particularly characteristic and discordant products but some companies also use design for less sophisticated purposes. For instance, when dairy products distributor Danone calls upon designers they do not expect them to produce unconventional, off-the-wall items on a daily basis. Design obviously has a strong impact on the sales of a product as it appeals to all the senses. Even the plainest rectangle-shaped chocolate bar had to be given some thought by a designer at some point. Design is essential to determine shape, color and texture, whether it be sophisticated or unsophisticated or unusual or familiar. But it is also indispensable to make a brand stand out from that of its competitors, to create a brand identity and to ensure consumers will recognize the products. A yogurt must be shaped like a yogurt. These design-derived codes help consumers spot and identify the products they need.

More than ever in this modern-day society where hyper-choice rules, it is essential for designers to dote each product with an identity to guide the consumer. Yes, and that is one of the reasons why design is really beneficial to marketing. With the advent of great chain-stores such as IKEA, design managed to gain entry into family homes for the first time. A number of consumers who had never taken the least interest in decorating their homes gradually dared to treat themselves to more original furniture conveying more human warmth and actually reflecting their personalities. The same trend can also be observed in the field of high street clothing with chains such as H&M or Zara, who unrestrainedly draw inspiration from designer brands. As a result, innovative and original items are more and more easy to find and consumers are showing a growing interest in the visual aspect of the goods they purchase, thereby demonstrating an increasing sensitivity to aesthetic values. Today design is everywhere and arouses consumer interest even in the field of food.

As more and more brands have begun to sell items thought up by designers, consumers have realized how essential the aesthetic factor actually was.Exactly, and this especially true in Scandinavian countries. However, the only consumption goods to be ingested, food products and prescription drugs, are ranked in a special, isolated category. When it comes to this type of product, consumers have an accrued psychological resistance and

In her thesis, Anne Ripaud quotes Brillat-Savarin who stated that “taste is the sense which can provide some of the greatest pleasures that humans can experience.” Knowing this, we could be led to believe that taste prevails over all other senses in product design, yet you seem to have noticed the opposite trend.one cannot deny the essential role of taste in food product design. But taste is being strongly influenced by visual design, which has a significant impact upon what people think. Design that results in “discordant products” such as red-tinged water brought out by French brand Badoit and spinach-and-raspberry-flavored shortbread, tends to scare consumers away— this is what we call the “perceived risk” – and makes them believe the products are inedible. A blue strawberry, for instance, will automatically make the consumer think he cannot eat the product. In the end, the search for originality can actually prove detrimental to products in that it makes it more difficult for consumers to appropriate them.

How can one make consumers see beyond the merely visual perception of food products?The trick is to try and pitch the level of originality. Indeed, although consumers are eager to discover innovative products, they are not yet familiar with designer food products. Therefore food product designers, while offering innovative solutions, need to reassure the consumer. Care needs to be taken to ensure that purchase intent is not disrupted and that the design of the product fully conveys the brand’s specific message. In short, they must give meaning to the product. Products that are too discordant, unusual, should be banned because they might introduce a “perceived risk” that could result in consumers rejecting the product. This risk can be divided up into five categories: physical (health-related) risk, sensory (taste-related) risk, psychological risk (the product you consider buying might not appeal to you), social risk (social codes are such that you might be criticized for an item you buy or consume), and financial risk (the item bought might be too expensive compared to the pleasure provided).

How do consumers perceive this trend, this eagerness to design original and eccentric food products?Most consumers still have cold feet and are quite ambivalent. Though some studies have shown that consumers are keen to see new products on the market to experience new tastes and textures, we must stick to traditional patterns. Indeed, when confronted with uncommon food products average consumers do not feel part of the targeted audience and tend to think these products are not suitable for them. They attribute these products to a younger, more urban audience – yuppies or modern-day hipsters who buy unusual food to show off and impress their guests. The average consumer is prepared to buy such products, but only from specialized places such as delicatessens or museums where you would expect to find these kind of discordant products. Its comes as no surprise that the spinach-and-raspberry-flavored shortbread I mentioned earlier – designed by Enivrance and then prepared by celebrity pastry-chef Daniel Mercier – was distributed by Lafayette Gourmet Paris, a department store renowned for its wide range of exotic fresh produce and fine foods. Many designer food products are also being sold in the fine grocery sections of similar prestigious French department stores (the Grande épicerie at the Bon Marché in Paris, for instance) or in high-quality fine grocery stores such as Fauchon or Hédiard.

From what you say it seems like consumers are increasingly seeking to experiment with food.very much so, yes. Consumers are drawn to those kind of exceptional products by a strong desire for a new food experience. This is the central topic of Anne Ripaud’s project. However, to this day, this trend has only been followed by a minority of consumers. Indeed food is a matter of survival and most consumers are still reticent to radically change their eating habits. Many consumers are still too attached to traditional food to be inclined to experience new food products. Although they already take bold stances in other fields, many consumers are still not prepared to experiment with different foods. When it comes to food products, the usual mechanisms ruling consumer behavior automatically take on a more complex dimension.

Indeed, food continues to be seen simply as a natural and necessary need. For some users, it is. Many consumers told me that the products I studied were reminiscent of decorative objects or even art pieces. Yet food products are not meant to be ornaments.

One must not trifle with food, so to speak.The subject of game-play was indeed broached during the consumer tests. For most average consumers, playing with food is totally unethical. The main quality expected from food products is palatability.

14 Ferran Adrià is the world-famous Catalan chef of El Bulli in Roses on the Costa Brava (Spain). Dubbed “World’s Best Chef,” he is one of the founding fathers of molecular gastronomy – though he tends to prefer the term “Spanish avant-garde cuisine.”

Page 37: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

58 59

04 AlimENTATiON + DESigN

being prepared with care and attention, they will still feel repelled by it because its appearance is reminiscent of something which is disgusting and inedible. Faced with these odd visual stimuli, our brain identifies these food products as disgusting and inedible. From there on consumers jump to conclusions and believe that if they do ingest this product, which they have identified as disgusting, they will, in turn, become disgusting.

You have been researching the impact of design upon the human sensory system and upon consumer cognitive faculties. How do you envision the evolution of food product design in the near future?Food product design is gradually gaining ground in the industrial world. originally, this trend was a privilege that only renowned chefs were in a position to enjoy, but it has progressively spread. Now a number of fine-food designers prepare products to be sold in carefully targeted luxury selling outlets. Today improvements are already underway in this field. Some food product professionals have now set to work, in collaboration with designers, to come up with new textures and shapes. However, these are but the first faltering steps of a process that could prove tedious because magical thinking – and a number of other unchanging features inherent to human nature – prevents consumer perception modes from developing smoothly. But let us not forget that the environment we live in is favorable to these hoped-for developments as it is infused with a strong taste for aesthetics and an inclination towards innovation. Two main requirements must be met for this progression to occur: first the product must taste good, and secondly manufacturers and designers must make sure consumers actually understand why design is being introduced into the food industry. To relieve food product design from the snobbism often associated with it, we must strive to explain its aim to consumers and how it is likely to improve their lives. We must endeavor to strike up an emotional link between consumers and potentially consumed goods. If the product is excellent, any original features which the consumer may find unnecessary will pass unnoticed. It is, however, important not to lose sight in the process of the need to not only arouse buying intention but also to build up consumer loyalty to a product. All the features of a product must be bound together by a meaningful leading thread and all senses must be called upon to achieve optimum design.

Which products are the most likely to benefit from the added-value of design?Pleasure-providing products such as candies and sweet foods in general such as desserts and snacks. on the other hand, this reminds me of a failed initiative, which aimed to engrave bar codes into fruit. Fruit and meat are natural products (to an extent). They do not go through a marketing process, they are sold as such, without packaging. Altering the pigmentation of part of a fruit for the sake of referencing only meets with consumer resistance. Food product design should first and foremost focus on products associated with pleasure such as drinks, for instance.

In the food industry there seems to be a lot of parameters for designers to take into account.Yes. To this day in the food industry design has been one of the only ways to make products stand out. Yet if a product disrupts traditional codes, then clues must be given to consumers so that they actually understand the reasons for these changes.

behave less boldly, possibly because they are less willing to place their trust in uncommon items that are not part of their usual frame of reference. As Anne craftily managed to demonstrate in her final degree thesis, according to the age-old but still prevalent phenomenon of “magical thinking”: “You become what you eat.”

Could you elaborate on the term “magical thinking,” also known as “sympathetic magic”? These two terms are equivalent. They both refer to a mode of thinking first studied by nineteenth century anthropologists and long overlooked because thought to stem only from primitive tribal populations (tribes who cast spells or sacrificed animals, etc.). But over time we have come to realize that these beliefs surrounding food actually exist even though they are not given concrete expression the same way. The Eucharist carried out in churches offers a typical illustration of this type of practice. Indeed the priest saying: “This is my body, this is my blood” is a significant example of magical thinking.

If I understand this right, after ingesting the Sacred Being then you are in a state of grace. You become what you eat. However, magical thinking is not exclusively limited to religious cults, it also pervades our daily lives without us even knowing. For instance, women watching a commercial advertising the wonderful qualities of a yogurt will tend to buy into the slogan claiming that eating it will undoubtedly help them blossom into slender beauties. Marketers work very hard on triggering this kind of naïve wishful thinking. This principle is taken to the greatest heights of caricature with what we call “cosmetic foods” or nutrition-enhancing cosmetics. These new trends, which consist in identifying with an icon representing a food product, are derived from magical thinking: once again we find the belief that someone’s physical, moral and symbolical qualities can be passed on via food. Along the same lines, nobody likes to eat a dish cooked by an unfriendly guest – someone they do not appreciate as a person – because they fear they will be contaminated by it and want to avoid absorbing the cook’s bad qualities.

Sympathetic magic is ruled by two grounding principles: contagion and similarity. Indeed, the phenomenon of sympathetic magic is ruled by two laws. Firstly, the law of similarity, which states that objects are what they seem to be: consumers interpret objects based on how they perceive them. An American researcher called Paul Rozin tried to talk a batch of students into eating dog-dirt-shaped chocolate candies. Even though they knew they were made of good quality chocolate, the participants stoutly rejected the unusual treats they were asked to taste. For the purpose of other similar studies subjects were asked to bite into a vomit-like piece of rubber. As part of a now famous study, a scientist asked subjects to pour sugar into two full water bottles and to stick a label on each bottle – one that read “sweetened water” and the other “cyanide - poison”. Subjects were then asked to grade the bottles from 1 to 12: the higher the grade, the more they felt like drinking the content. As it turns out, the bottle of water advertised as containing a poisonous substance got only very low grades, even though all participants knew it was filled with nothing but water and sugar. The rule of contagion complements the rule of similarity, which states that by eating a food product you are taking on its physical, moral and symbolic values. You are contaminated by this food. If you eat something disgusting you will, in turn, become a disgusting being. These two complementary rules are the mainstays of magical thinking. Humankind is not the only species concerned with the rule of similarity – animal species also comply with it. However the rule of contagion only applies to humankind and to individuals over three or four years old. Hence infants’ carefree attitude with food and what they put in their mouth – indeed kids feel no disgust in swallowing soiled food found lying on the ground or already bitten into by someone else. As for me, when I show to my students a picture of the very same sandwich already bitten into by an old lady with bad teeth or by a an attractive young blond woman, they are unsurprisingly more inclined to eat that belonging to the good-looking blond woman. Though none of them was given the least bit of information as to the hygienic standards of the two sandwich-eaters.

How come consumers are repelled by food that they know for a fact is good and healthy? Which cognitive mechanism is at play here?This phenomenon is totally irrational. Hence the term “magical thinking.” The consumer believes that the food is contaminated. Sometimes, this is true, if, for example, the product has been licked by an animal, but in other cases, such as the dog-dirt-shaped chocolate, this belief is totally unfounded. The human brain is made of mental categories. When a chocolate candy has an uninviting shape, even if consumers know it is a good quality product, even if they see it

04 FOOD + DESigN

Page 38: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

60 61

04 FOOD + DESigN04 AlimENTATiON + DESigN

biOgRAPHiE biOgRAPHy

Céline Gallen est docteur en sciences de gestion (2001), maître de conférence à l’Université de Nantes (Institut d’économie et de management) où elle enseigne le marketing. Son activité d’enseignante porte également sur les modes de consommation alimentaire et les représentations mentales des consommateurs, dans le cadre d’un Master 2 dans le domaine de l’agro-alimentaire.

Céline Gallen holds a PhD in management science (attained in 2001) and lectures at the Institute of Economics and Management at the University of Nantes. Her current activities are also concentrated on consumer food habits and the mental representations of consumers, two topics she has been exploring as part of a Master’s curriculum in the domain of the food industry.

PRiNciPAlES PublicATiONSmAiN WORkS PubliSHED

Bouder-Pailler Dominique, Gallen Céline. Influence des représentations mentales sur la valeur de l’expérience de consommation culturelle : approche exploratoire. In Congrès des Nouvelles Tendances en Marketing (2006, 5, venise) venise : Université d’économie, 2006.

Gallen Céline. Le risque perçu lié à la dissonance cognitive dans la consommation alimentaire. 2001, Revue Industries Alimentaires et Agricoles, pp. 39-45.

Gallen Céline. Le Rôle des représentations mentales dans le processus de choix, une approche pluridisciplinaire appliquée au cas des produits alimentaires. 2005, Revue de Recherche et applications en Marketing, 20, 3, pp. 59-76.

Gallen Céline. Le Design alimentaire : quelle place pour l’originalité dans la cuisine ? In Colloque interdisciplinaire Faire la cuisine (2005, Toulouse).

Gallen Céline. Le besoin de réassurance en consommation alimentaire. Revue Française de Marketing, 2001, 183-184, pp. 67-85.

Bouder-Pailler Dominique, Gallen Céline. Influence des représentations mentales sur la valeur de l’expérience de consommation culturelle : approche exploratoire. In Congrès des Nouvelles Tendances en Marketing (2006, 5, venise) venezzia: Université d’économie, 2006.

Gallen Céline. Le risque perçu lié à la dissonance cognitive dans la consommation alimentaire. 2001, Revue Industries Alimentaires et Agricoles, pp. 39-45.

Gallen Céline. Le Rôle des représentations mentales dans le processus de choix, une approche pluridisciplinaire appliquée au cas des produits alimentaires. 2005, Revue de Recherche et applications en Marketing, 20, 3, pp. 59-76.

GALLEN Céline. Le Design alimentaire : quelle place pour l’originalité dans la cuisine? In Colloque interdisciplinaire Faire la cuisine (2005, Toulouse).

GALLEN Céline. Le besoin de réassurance en consommation alimentaire. Revue Française de Marketing, 2001, 183-184, pp. 67-85.

Page 39: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

62 63

J.P. Péché – Course leader of the “New Eating Habits” Master’s program, designer & lecturer in design management.

15 Eldar Shafir, Itamar Simonson & Amos Tversky. Preference, Belief, and Similarity. New-York: The MIT Press, 2003. 16 M. Brétillot, Professor at the Esad (Higher Institute for Decorative Arts) in Reims (France).157Jean-Pierre Poulain. Les ambivalences de l’alimentation contemporaine. Mission Agrobiosciences, 2000.Jean-Pierre Poulain is a member of the scientific committee of the ocha (French lab dedicated to eating habits), a pofessor, researcher and sociologist specializing in the hotel business. (agrobiosciences.org/IMG/pdf/mpcahierspoulain.pdf)

Surprising people without unsettling them, astonishing them and seducing them: such was the challenge which Anne had to face by creating an “exciting transgression” through her jellied shrimp recipes.Her project aimed to “question the intrinsic human values we have about food in order to meet the expectations of ever-more demanding consumers eager to try innovative products and enjoy new experiences.” She drew on sociological studies to define several main angles of approach of her work, taking into account the context of our societies, which are governed by “hyperchoice.” Among the most popular strategies influencing decision-making, one solution is often chosen by consumers: looking for new alternatives15.

These new alternatives offer new experiences which have to draw on “real” values; for food, these are: product quality, nutritional value, dietary value, organoleptic value, etc. It therefore seemed natural for Anne to also interview chefs, nutritionists and dietitians.Her experimentation has more to do with “food product” design than with “culinary” design, and is therefore more concerned with “industrial” design. It complies with the three main values essential to design projects – identity, usability and technique – and with market-related requirements such as reproducibility and production cost.“It seems only natural that cuisine should use design just like a custom-made furniture manufacturer uses it when creating a new chair” (M. Brétillot, culinary designer16). This is what food product design does by taking into account industrial requirements and merchandising.

“We live in a society where the pleasure of eating has taken an extremely extravagant dimension. We may not have realized it yet but French food culture has turned into a transgressive and hedonistic frenzy.” (J.-P. Poulain)17 With the help of design, French culinary arts have found new opportunities for development and creativity … which are also hedonistic, transgressive and relevant!

GIvRéS DE CREvETTESAnne Ripaud Donner forme à un objet est un travail de composition de signes, comme de composer un plat ou une recette… on travaille simultanément sur plusieurs niveaux : ce que nous voyons, ce que nous comprenons, ce que nous projetons. Lorsque l’aliment est l’objet d’étude, le design doit prendre en compte plus particulièrement les notions d’affect et d’intimité inhérentes à l’acte de manger : c’est un terrain de jeu passionnant.

Surprendre sans dérouter, étonner et séduire, voici un challenge auquel Anne a dû faire face, en créant une « transgression exaltante » avec ses préparations de crevettes en gelée.Son propos est « d’interroger les valeurs intrinsèques de l’homme face à la nourriture afin de répondre aux attentes d’un consommateur à la recherche de produits innovants et de nouvelles expériences ». Elle s’est basée sur des études sociologiques avant de définir ses axes de développement dans le contexte d’ « hyperchoix » de nos sociétés. or, parmi les stratégies possibles d’aide à la décision, une solution est souvent choisie par les consommateurs : tenter l'alternative 15.

Ces alternatives proposent de nouvelles expériences qui doivent nécessairement s’appuyer sur des valeurs « réelles » ; pour l’aliment, la qualité des produits, des valeurs nutritives, diététiques, organoleptiques… Anne a donc tout naturellement interrogé aussi des cuisiniers, des nutritionnistes et des diététiciens.

Son travail d’expérimentation s’inscrit dans une démarche de design plus « alimentaire » que « culinaire », qui relève du design « industriel », en respectant les trois groupes de valeurs du design dans le projet, l’identité, l’usage, la technique, dans un contexte de marché (reproductibilité, coût… ).« Il est tout à fait naturel que la gastronomie fasse appel au design comme l’éditeur de meubles le fait pour

concevoir une chaise » (M. Brétillot, designer culinaire) 16, c’est ce que fait le design alimentaire en intégrant des contraintes industrielles et de merchandising.

« Nous, nous appartenons à une société qui a développé, de façon exorbitante, le plaisir alimentaire. on ne se rend pas compte à quel point la culture alimentaire française est une espèce de délire hédonique et transgressif » (J.-P. Poulain) 17 L’art culinaire français trouve, avec le design, une nouvelle source de développement et de créativité… hédoniste, transgressive et pertinente !

J.P. Péché – responsable pédagogique option « Nouvelles pratiques alimentaires », designer conférencier en design management.

15 Tversky, Eldar Shafir, Itamar Simonson & Amos Tversky. Preference, Belief, and Similarity. New-York : The MIT Press, 2003.16 M. Brétillot, enseignant à l'Esad de Reims.17 Les ambivalences de l’alimentation contemporaine, Jean-Pierre Poulain, Membre du Comité scientifique de l'ocha, technicien hôtellerie et sociologue (agrobiosciences.org/IMG/pdf/mpcahierspoulain.pdf)

JElliED SHRimPSAnne Ripaud Giving shape to an object means composing with signs, just like when preparing a dish or trying a recipe. It implies working simultaneously on several levels: what we see, what we understand, what we project into it. When dealing with a topic like food, design must not overlook the key notions of affect and intimacy inherent in the act of eating: this is an extremely exciting playground.

04 AlimENTATiON + DESigN 04 FOOD + DESigN

Page 40: CADI Hors série 2009/Special Issue 2009

64

Les cahiers de recherche « CADI » sont publiés par L’école de design Nantes Atlantique.

Directeur de la publication : Christian Guellerin Comité de rédaction : Frédéric Degouzon, Jocelyne Le Bœuf, Morgane Saysana

Interviews : Morgane Saysana, Frédéric DegouzonTraduction : Morgane Saysana

Relectures et secrétariat de rédaction : Morgane SaysanaRelectures version anglaise : Zoé Lacey

Conception graphique : Audrey Templier & Yves Mestrallet, éditions MeMoAbonnements et diffusion : Judite Galharda Marais

ont contribué à ce numéro : Stephen Boucher, Céline Gallen, Laurence Nigay, Henri Samier.

Tous contenus de ce numéro peuvent être reproduits sous certaines conditions spécifiées dans la licence Creative Commons applicable : http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

écrire à CADI : [email protected] hors-série, septembre 2009.

ISSN 1962-3593

http://www.lecolededesign.com/

The “CADI” research journals are published bi-annually by L’école de design Nantes Atlantique.

Director of publication: Christian Guellerin Editorial board: Frédéric Degouzon, Jocelyne Le Bœuf, Morgane Saysana

Interviews : Morgane Saysana, Frédéric DegouzonTranslation: Morgane Saysana

Proofreading & publisher desk: Morgane SaysanaProofreading (English version): Zoé Lacey

Graphic design: Audrey Templier & Yves Mestrallet, éditions MeMoSubscriptions & distribution: Judite Galharda Marais

Contributors to this issue: Stephen Boucher, Céline Gallen, Laurence Nigay, Henri Samier.

Any part of this issue may be reproduced under conditions specified in the Creative Commons license.http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

Write to CADI: [email protected] special issue, September 2009.

ISSN 1962-3593

http://www.lecolededesign.com