Averroes - Science et Foi - Le Problème de la Raison
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7/29/2019 Averroes - Science et Foi - Le Problme de la Raison
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Abdelwalid Muhammad Ibn Ahmad
Muhammad Ibn RUSHD
Dr. Dalil BOUBAKEURRecteur de lInstitut Musulman
De la Mosque de Paris
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AVERROES, Science et foi . 2
Averros (Cordoue 1126-1198)
reprsente pour l'Andalousie une
lumire philosophique dont l'clat a
illumin toute l'Europe o il fut
enseign pendant des sicles.
Aprs une longue clipse Renan
rvle nouveau au XIX sicle ce
grand philosophe rationaliste del'Islam.
Sa renomme ne cesse de grandir
compte tenu du nombre important
des ouvrages qui lui sont consacrs,
notamment l'occasion du 800e
anniversaire de sa mort (1198-1998).
Aujourd'hui ce sont les intellectuelsmusulmans qui rclament - contre
l'avis des dogmatistes rigides, le
retour de sa philosophie - et de la
philosophie elle-mme - sur la scne
actuelle de la pense religieuse de
l'Islam.
Le problme de la connaissance a
tenu une grande place dans laphilosophie spculative des Arabes.
Tenant de Platon que l'ide d'une
chose est la seule ralit ternelle,
immuable et vraie des phnomnes
qui eux sont imparfaits, phmres
ou changeants,
Tenant par ailleurs d'Aristote que lemonde des ides est lui-mme rgi
par le Logos qui exige la mise en
ordre rationnelle cohrente et
logique de l'ensemble de cesconnaissances,
La spculation arabe oscillera entre
deux ples pistmologiques de
l'ide de causalit. Ces deux ples
sont illustrs par deux grandes
figures : Al Ghazali (1059-1111)
philosophe mystique et trs grand
matre, appel Hujjatu-l-Islam (lapreuve de l'Islam) et, d'autre part
Averros ou Ibn Rushd qui
s'opposrent sur le rle de la
rationalit dans la connaissance et
l'explication du monde.
I - La Position anti-philosophique
(ou mystique)
Pour Al Ghazali, il n'y a pas de loi
de la nature, mais des volonts de
Dieu ; et la science doit s'effacer
devant la toute puissance de la
religion. C'est Dieu qui relie les
phnomnes car les axiomes
premiers de la science sont
indmontrables et la raison
impuissante expliquer par exemplel'existence de Dieu, la cration du
monde ou l'immortalit de l'me.
Estimant ainsi que la raison humaine
est limite dans sa nature et sa
capacit, Al Ghazali n'hsite point
crire dans sa virulente critique des
philosophes (Tahafut al Falasifa) :
"les connaissances consacres par laRaison ne sont pas les seules, il y en
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a d'autres auxquelles notre
entendement est absolument
incapable de parvenir".
"Force nous est dit-il, de lesaccepter quoique nous ne puissions
les dduire l'aide de la logique. Et
il n'y a rien de draisonnable de
supposer qu'au dessus de la sphre
de la raison, il y ait une autre sphre
: celle de la MANIFESTATION
DIVINE. Si nous ignorons
compltement ses lois et ses droits il
suffit que la raison puisse enadmettre la possibilit".
Cette connaissance ou "Maarifa" n'a
pour objet bien sr que la
"connaissance de certitude" (ilmal
yaqin) capable de faire entre - voir la
"vrit de certitude" (haqq al yaqin)
dans la lumire qui se produit dans le
cur de celui en qui apparaissent lesvrits suprmes du monde limit du
ciel et de la terre mais aussi des
vrits caches, car de Dieu seul
nous pouvons tenir le connaissable et
l'inconnaissable : (Allahu alimu l-
GHAYBI W SHAHADATI).
De cette mme manire Spinoza dira
plus tard :
"Notre me tant une partie de
l'entendement de Dieu, il est
ncessaire que les ides clairs et
distinctes de notre me soient vraies
comme celles de Dieu".
On le voit : pour le philosophe
spiritualiste il n'y a de vrit que
mtaphysique, et son ou ses objets
sont inaccessibles la science.
II - Averros : le Rationalisme
A cette position doctrinale
d'inspiration mystique et
Noplatonicienne Averros rpondra
par deux ouvrages :
1 - Un trait dialectique purement
aristotlicien : FASL AL MAQAL(le Trait dcisif).
2 - Une rponse aux adversaires de
la philosophie: le TAHAFOT AT-
TAHAFOT, l'erreur de l'erreur en
rplique AL GHAZALI.
S'appuyant sur une grande tradition
rationaliste de l'Islam illustre par AlFarabi, Ibn Baja et surtout par son
matre IBN TUFAYL qui lui
demanda de commenter Aristote,
Averros va s'appuyer sur l'auteur de
la Rhtorique, de la Physique et de
l'Organon et de la Mtaphysique
pour se faire le matre incontest de
la philosophie dialectique
rationaliste du Moyen Age (1).
Il fera connatre la Rpublique et le
Time Platon et sera mme clbre
comme grand mdecin (1).
Il meurt en 1198 (72 ans) aprs
avoir souffert des cabales de
thologiens et juristes incapables de
comprendre l'uvre du "GrandCommentateur".
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Son matre IBN TUFAYL (Cadix
1110-1185) s'tait dj efforc de
dmontrer dans un ouvrage
philosophique (HAY IBN YAQZAN= le vivant, fils du vigilant) hros
inspirateur de Robinson Cruso,
qu'un enfant abandonn sur une le
dserte, parvenait grce ses
observations, ses dductions, bref,
sa logique et sa raison, parvenir
l'ide mystique de Dieu.
Averros pense quant lui quephilosophie et religion sont deux
domaines certes spars mais pas
ncessairement opposs. Pour lui, la
volont divine est mme
d'expliquer les phnomnes et mme
d'oprer des miracles, car la
Rvlation est l pour produire des
vrits essentielles et des
connaissances absolues.
Notons que le choix de la rationalit
est un choix grec, celui d'Athnes il
y a 24 sicles. En grec raison se dit
Logos qui signifie aussi "discours
cohrent". Pour Aristote et les grecs,
connatre : c'est aussi classer,
mesurer.
Mais Dieu a lui-mme cr un
monde rgi par des lois immuables et
mathmatiques que l'on peut
dcouvrir par l'exercice de la raison
humaine. On peut mme remonter
les chanes causales du savoir par
nos facults naturelles :
dductives (istinbat), inductives
(istidhlal), analogiques (qiyyas) ou
exprimentales (Tajriba), empirique
ou intuitive et tout autre procd dela raison et du raisonnement pouvant
mme parvenir des connaissances
surnaturelles. Pour Averros comme
pour les Noplatoniciens
(Jamblique) la vraie religion consiste
adorer Dieu dans la connaissance
de ses uvres.
En cela il s'appuie sur une traditionprophtique (Hadith) qui dit "qui se
connt lui-mme, connut son
Seigneur".
La religion elle-mme n'dicte-t-elle
pas des prceptes moraux qui
s'imposent comme exigences de la
Raison ? (KANT les impratifs
catgoriques).
Enfin Averros rappelle que la
prtention d'accder Dieu, au
mystre de l'homme et du monde
sans la Raison comporte les risques
de la draison, du fanatisme et des
passions dltres
(HASCHICHINS)
Pour Averros le savoir ne mne pas
l'homme l'incoyance ni rfuter
l'uvre de Dieu puisque :
"Parmi ses serviteurs seuls les
savants craignent Dieu"
(Coran XXV-28) (al Fatir).
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Par ailleurs, il est galement dit :
"Invite sur la voie de Ton Seigneur
par la sagesse et la bonne exhortation
et ne discute avec eux que de la
manire la plus courtoise".
Coran 16-125
Il voit l une invitation la sagesse,
la Sophia monothiste qui
reconstruit le monde selon unmonisme existentiel qui veut qu'il n'y
ait qu'un seul Dieu, une seule Nature
et une seule substance et que Dieu
est l'unique cause de toutes les
causes, en particulier dans les
domaines de la foi et de la science.
Dans le Fasl al maqal, il crit :
"Nous disons donc : si l'uvre de laphilosophie (Falsafa) n'est rien de
plus que la spculation sur l'univers
en tant qu'il fait connatre l'Artisan
(je veux dire en tant qu'il est uvre
d'art, car l'univers ne fait connatre
l'Artisan que par la connaissance de
l'art qu'il rvle : plus la
connaissance de l'art qu'il rvle est
parfaite, plus est parfaite laconnaissance de l'Artisan), et si la
Loi religieuse invite et incite
s'instruire par la considration de
l'univers, il est ds lors vident que
l'tude dsigne par ce nom de
philosophie est, de par la Loi
religieuse, ou bien obligatoire ou
bien mritoire".
On ne peut donner meilleur sens la
recherche philosophique qui va
intgrer dans une fusion sans ruptureni confusion les donnes de la
connaissance :
thologie qui a Dieu pour objet,
mtaphysique qui concerne le
sens de l'existence humaine,
enfin scientifique qui s'efforce de
rendre l'univers intelligible etmesurable.
La tradition prophtique ne dit-elle
pas que la 1re
chose cre par Dieu
est l'intelligence ?
Ainsi pour Averros connaissance et
religion se confondent dans leur
recherche assidue de la science quiest en mme temps un acte de Foi.
Mais fidle en cela aux Analytiques
d'Aristote, Averros refuse la
mtaphysique le rle primordial dans
la hirarchie des sciences. Elle est ce
qui vient aprs les sciences, comme
la "cl de vote qui achve le
btiment et fait tenir l'ensemble. Ellene saurait tre la base de la
construction - (Arnaldez)
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Et il nonce ainsi sa clbre Loi de la
double vrit :
"Si les paroles de Dieu sont vraies etsi elles nous invitent au
raisonnement philosophique qui
conduit la recherche de la vrit, il
en rsulte certainement pour
l'homme de Foi que le raisonnement
philosophique ne nous mne pas
une conclusion contraire la vrit
divine, car si l'une est vrit et
l'autre vrit, la vrit ne peutcontredire la vrit mais s'harmonise
avec elle et tmoigne en sa faveur".
Cette premire et sensationnelle
dmonstration de l'accord
harmonieux de la science et de la foi
par Averros appuy sur une logique
aristotlicienne irrprochable allait
bouleverser un monde de croyanceso science et foi semblaient jamais
diverger (1).
Les thologies juive et chrtienne
avec Mamonide et Saint Thomas
d'Aquin surent galement mettre en
complmentarit Rvlation et
sagesse rationnelle au service d'une
connaissance plus globale et du
monde et de Dieu..
Il faudra attendre Descartes pour
instaurer la Raison comme seul
instrument UNIVERSEL de la
connaissance et Hgel pour que la
Phnomnologie fasse de la
connaissance formelle d'une chose
soit cette chose, et de l'pistmologie
une histoire de la Raison : l'attitude
scientifique n'est pas spontane chez
l'homme, elle est un produit tardif de
l'histoire.
Saint Thomas d'Aquin crit (Somme
thologique-art. 2) :
"Quant ce que nous pouvons
connatre nous-mmes sur Dieu, il a
t ncessaire aussi que l'Homme en
ft instruit par la Rvlation, parce
que la vraie notion de Dieu n'aurait
pu, l'aide seule de la raisonhumaine, tre acquise que par un
petit nombre, aprs de longues
annes de labeur et avec un mlange
de beaucoup d'erreurs. C'est
cependant de la vrit de cette
connaissance que dpend le salut de
l'Homme qui est tout en Dieu".
Renan conclut
"Saint Thomas d'Aquin est la fois
le plus srieux adversaire que la
doctrine averroste ait jamais
rencontr et, on peut le dire sans
paradoxe, le premier disciple du
grand commentateur d'Aristote.
Albert le grand doit tout
Avicenne, et Saint Thomas comme
philosophe doit presque tout
Averros".
Notons qu' Paris, c'est en 1266
qu'entre la Sorbonne
l'enseignement officiel d'Averros
sous l'impulsion de Siger de Brabant
qui initia un "Averrosme latin" et
mme un "Averrosme chrtien".
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Dans la culture juive, L'uvre
d'Averros allait connatre un grand
succs du Moyen Age. E. Renancrit ce sujet (dans Averros et
l'Averrosme)
"Averros a remplac chez les juifs
Aristote, C'est lui que l'on
commente, que l'on abrge, que l'on
dcoupe pour les besoins de
l'enseignement. Mose de Narbonne
(Messer Vidal) et son contemporainLvi Ben Gerson (Messer Lon)
commentrent l'illustre philosophe
qualifi, comme Aristote de Matre
de la logique, "Sahib al Mantiq"..
Mamonide pour sa part imprgne
son uvre de rfrences
aristotliciennes et se fait galement
dans le Guide des Egars l'aptred'une culture religieuse claire par
la connaissance ; Ecoutons la
conclusion admirable de son uvre :
Ezechiel IX-q dit
"l'Eternel a abandonn la terre"
c'est simplement le fait que la terre
est l'objet de la Providence comme
l'est le ciel d'autres gard. Car tel
est le sens de ces paroles de Jrmie
: "Je suis l'Eternel exerant la
bienveillance, la justice et la vertu
sur la terre"
cela veut dire que j'attends que la
bienveillance, la justice et la vertu
manent de vous sur la terre.
Ainsi, ce qu'il avait pour dernier but
d'exprimer par ce verset, c'tait de
dclarer que la perfection dont
l'homme peut rellement se glorifier,c'est d'avoir acquis, selon sa facult,
la connaissance de Dieu et d'avoir
reconnu sa Providence veillant sur
ses cratures et se rvlant dans la
manire dont il les produit et les
gouverne. Un tel homme, aprs avoir
acquis cette connaissance, se
conduira toujours de manire viser
la bienveillance, l'quit et lajustice, en imitant les actions de
Dieu, ainsi que nous l'avons expos
diverses reprises dans ce trait.
Voil toutes les questions que j'ai cru
devoir aborder dans ce trait, et dont
le dveloppement m'a paru trs utile
pour des hommes comme toi.
J'espre qu'avec une mditationapprofondie tu comprendras bien
tous les sujets que j'y ai traits avec
l'aide de Dieu. Puisse-t-il accomplir
pour nous et pour tous nos frres, les
Isralites, cette promesse qu'il nous a
faite : Alors les yeux des aveugles se
dessilleront et les oreilles des sourds
s'ouvriront (Isae XXXV, 5). Le
peuple, qui marchait dans lestnbres a vu une grande lumire,
ceux qui demeuraient au pays des
ombres de la mort ont t environns
d'une vive clart. (Ibid. IX, I). Amen
(III. 459-467).
(1) Comme mdecine, Averros
nous laisse son Trait mdical : le
Colliget, clbre encyclopdie (al
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Kulliyat) qui embrasse tous les
aspects de la mdecine mdivale.