Aux Origenes de l' Oikonomia

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Accademia Editoriale Aux origines de l'"Oikonomia" grecque Author(s): Raymond Descat Source: Quaderni Urbinati di Cultura Classica, New Series, Vol. 28, No. 1 (1988), pp. 103-119 Published by: Fabrizio Serra editore Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20546939 . Accessed: 24/02/2014 19:04 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Fabrizio Serra editore and Accademia Editoriale are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Quaderni Urbinati di Cultura Classica. http://www.jstor.org This content downloaded from 200.3.144.114 on Mon, 24 Feb 2014 19:04:27 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Accademia Editoriale

Aux origines de l'"Oikonomia" grecqueAuthor(s): Raymond DescatSource: Quaderni Urbinati di Cultura Classica, New Series, Vol. 28, No. 1 (1988), pp. 103-119Published by: Fabrizio Serra editoreStable URL: http://www.jstor.org/stable/20546939 .

Accessed: 24/02/2014 19:04

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Aux origines de Yoikonomia grecque *

Raymond Descat

Nous assistons depuis quelques ann?es ? un regain d'int?r?t pour la

pens?e ?conomique grecque, stimul? sans aucun doute par les travaux

de M.I. Finley l. Cependant, consid?r?e dans son ensemble, la d?marche

de l'auteur d'Ancient Economy est loin d'?tre uniforme. D'un c?t?, il est

tr?s critique envers le niveau et la port?e de la litt?rature "oikonomique"

grecque, genre o? r?gnent selon lui la routine et la na?vet?, ? tel point

qu'il voit dans l'auteur des Oikonomika attribu?s par tradition ? Aristote

l'un de ces potaches imb?ciles qui encombrent m?me les meilleures ?co

les 2. Mais en m?me temps il juge s?v?rement l'attitude de ceux qui, glo sant continuellement sur la m?diocrit? des r?flexions grecques, se trom

pent en fait de sujet puisque les Grecs ne font pas de l'?conomie mais de

la morale3.

* Une premi?re version de cet article a fait l'objet d'un s?minaire ? l'Universit?

d'Urbino le 31 Janvier 1985. Je remercie B. Gentili et tous les pr?sents pour leurs sugge

stions. 1 On peut noter, depuis la parution d'Ancient Economy en 1973, C. Ampolo, 'Oi

konomia (Tre osservazioni sui rapporti tra la finanza e l'economia greca)', Arch, e storia

ant. 1, 1979, pp. 119-130; S. T. Lowry, 'Recent Literature on Ancient Greek Economie

Thought', journ. Econ. Lit. 17, 1979, pp. 65-86; S. Meikle, 'Aristotle and the Political

Economy of the Polis', journ. Hell. Stud. 99,1979, pp. 57-73; C. Moss?, 'X?nophon ?co

nomiste', in Le Monde Grec. Hommages ? Claire Pr?aux, Bruxelles 1975, pp. 169-176; P.

Musiolek, '?konomische ?berlegungen der Philosophen und Publizisten im 4. Jahrh.', in Hellenische Poleis IV, 1974, pp. 1910-1926; D. Musti, Ueconomia in Grecia, Roma

Bari 1981 (cf. p. 134 sqq.); P. Spahn, 'Die Anf?nge der antiken ?konomik', Chiron 14, 1984, pp. 301-323.

2 Class. Rev. 20, 1970, pp. 315-319.

3 L'?conomie antique, trad, franc. Paris 1975, p. 21.

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104 R. Desca?

Au premier abord cette contradiction n'est pas g?nante parce

qu'elle se fond dans l'effort qu'a accompli Finley pour lutter contre l'in

fluence des interpr?tations trop modernistes. Mais ? terme, elle subsiste, d'autant plus solidement qu' elle r?sulte moins des ?ventuelles erreurs

d'un chercheur que des controverses toujours pr?sentes sur le statut

intellectuel de l'?conomique. Ou bien l'?conomie traite des moyens mat?riels de l'existence ? et Ton pourra ?voquer la faiblesse des remar

ques grecques qui ne sortent gu?re du bon sens courant ? ou bien l'?co

nomie est l'?tude des fins et des moyens de l'action ? et ce qu'on lit des

Grecs n'est pas autre chose qu'une morale simple. Or si aucune de ces perspectives n'est vraiment fausse, aucune non

plus n'est vraiment juste. Les ?conomistes dans leur pratique l'ont tr?s

bien compris: l'?conomie, c'est ce que font les ?conomistes 4, c'est-?-dire

une large ambition formelle r?duite ? un terrain privil?gi?, celui des

quantit?s et des prix. C. Schmidt a r?cemment montr? combien la r?fle

xion ?conomique se fondait sur la lecture et la r??criture des ?conomi

stes pr?c?dents 5. Il y a pour les historiens un enseignement important ?

tirer de cet ?tat de fait. Que Yoikonomia soit diff?rente de la science ?co

nomique moderne est un fait acquis, mais c'est aussi un jugement par d?faut. Il n'en subsiste pas moins un ?v?nement historique: ? une cer

taine ?poque, un nouveau genre ?crit est n?, le logos oikonomikos qui

parlait Yoikonomia. Qu'est-ce que les Grecs voulaient faire r?ellement?

Je ne suis pas du tout convaincu qu'appeler cela une morale soit une

mani?re de r?gler le probl?me. Il faut se demander pourquoi les Grecs

ont emprunt? cette forme de pens?e qui s'impose ? Ath?nes ? partir du

dernier tiers du 5?me s.

Car la pens?e ?conomique grecque a bien une histoire (2) qui com

mence avec la cr?ation d'une litt?rature sp?cialis?e et une pr?histoire (1)

que Ton peut reconstituer ? travers l'usage des termes.

1. Oixovo|io? et oixovop,?(D pr?sentent l'originalit? d'?tre tr?s

rares jusqu'? la fin du 5?me s. (4 occurrences seulement) et de conna?tre

ensuite un succ?s foudroyant ? l'image du genre, puisqu'on recense pour le 4?me s. pr?s d'une dizaine d'ouvrages portant sur Yoikonomia ou sur

4 L'id?e se trouve par exemple chez E. E. Leclair Jr., 'Economic Theory and Eco

nomic Anthropology', Am. Anthrop. 1962, pp. 1179-1203 cit? d'apr?s M. Godelier,

Un domaine contest?: l'anthropologie ?conomique, Paris 1974, p. 128. 5

C. Schmidt, La s?mantique ?conomique en question, Paris 1985.

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Aux origines de Yoikonomia grecque 105

la richesse ?crits par tous les leaders des grandes ?coles philosophiques 6.

Ce n'est pas pour autant une famille "savante" et son origine est

ancienne puisque d?j? dans l'expression hom?rique JtaxQ ta Jtavxa

v?|iT]ai on devine le th?me qui sera celui de Yoikonomos: pouvoir utiliser

toutes les ressources de Yoikos qu'on a re?u en "partage", en h?ritage 7.

L'?vocation complaisamment rapport?e dans l'?pop?e des buts de cette

"gestion" ?

boire, manger ?

peut pr?ter ? sourire, mais c'est ? tort

qu'on n?gligerait son int?r?t historique. Car l'appropriation priv?e de la

terre ? qui sera toujours le fondement de Yoikos ? n'est pas encore une

banalit?, comme le montre bien le conseil d'H?siode "Ayez d'abord un

oikos..." (Trav. 405). Il est d'ailleurs frappant de constater que le moyen

v?|i8o6at est alors plut?t associ? aux temenoi royaux re?us en apanage

(cf. II. 12, 313; Od. 11, 185; Trav. 119) qui constituent probablement l'une des formes les plus anciennes de l'appropriation personnelle de la

terre.

La jouissance de Yoikos refl?te bien ? ses origines un r?le social

qu'on retrouve fortement exprim? dans le fragment de Phocylide qui donne la plus ancienne mention d'oikonomos, ? l'int?rieur d'un Catalo

gue des femmes 8. Phocylide s'est certainement inspir? de S?monide, mais je ne pense pas qu'il agisse par conformisme en r?duisant le mes

sage de son pr?d?cesseur9. Car le ton est pour la premi?re fois nette

ment politique. La femme-cavale, premi?re nomm?e, est Yariste, puis viennent deux "races" sauvages, celle de la truie, ni kake ni esthle et celle

de la chienne, agrios. Eloign?e ? la fois de cette sauvagerie et de cette

rusticit? et diff?rente de la noble arrive Yoikonomos la femme-abeille, c'est-?-dire la citoyenne, Y ?ste:

?QLOTT) out'... xaxf| f

<-oixovo^io?--> otY6L??

ou??... ?oQXr\

6 Voir la liste nn. 27, 28 et 29. 7 Od. 20, 336-337. 8

Phocylide, fr. 2 Gent. - Pr.

9 N. Loraux, Les enfants d'Ath?na, Paris 1981, pp. 94-113.

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106 R. Descat

Les autres exemples d'oikonomos au 5?me s. vont dans le m?me

sens. Le passage le plus r?aliste concerne la femme d'un client de Lysias c. 403-400. Ses responsabilit?s ?'oikonomos ont ?t? acquises apr?s une

p?riode d'essai, qui suivit le mariage, o? elle donna enti?re satisfaction ?

son mari. Elle prend alors compl?tement en charge Yoikos et montre

pleinement ses qualit?s depheidolos (Lys. 1, 7). Dans Y Agamemnon d'E

schyle, Yoikonomos est Mfjvi? ? en fait Clytemnestre

? qui est quali

fi?e de |iv??KDV, de "m?moire" de l'?tat de Yoikos, ? l'image d'une fon

ction qui existe dans les cit?s 10.

L'occurrence d'oixovojx qui renvoie chez Sophocle {El. 192) ?

une autre femme-m?moire de Yoikos, Electre, se situe dans un voisinage

s?mantique int?ressant, pas toujours bien compris. P. Mazon traduit par

"je suis servante au palais de mon p?re" et laisse ainsi entendre qu' oixo

vo\i(b peut ?tre d?s cette ?poque attach? ? une fonction subalterne dans

Yoikos. Ce n'est pas possible car contraire ? la tradition antique; la Souda

glose en effet olxovo|I?) par ?iaixa "j'habite, je r?side", sens qui pa ra?t un peu faible ? premi?re vue, mais qui trouve un ?cho dans le con

cept de r?sidence cher aux ethnologues et qui d?signe non pas la locali

sation g?ographique, mais la place sociale dans une famille n. Or Electre

n'a pr?cis?ment pas la place qui lui revient; elle est seulement une epoi kos (compris par la Souda comme metoikos), terme de la colonisation qui

correspond g?n?ralement aux nouveaux arrivants, aux colons suppl? mentaires dont le statut est inf?rieur et certainement provisoire 12. "Mais c'est vraiment comme une ?trang?re

? sans marque de dignit? ?

que je r?side au palais de mon p?re".

Malgr? leur petit nombre, ces t?moignages sont suffisamment con

cordants pour permettre de tracer ? la fin du si?cle l'image de Yoikono mos. C'est une fonction sociale qui comprend trois aspects:

a) avoir re?u un oikos. La fonction est toujours attribu?e ? la

despoina.

b) utiliser sagement ses ressources.

c) conserver Yoikos dans la m?moire comme dans la r?alit?.

10 Eschyle, Agam. 155. Pour l'institution voir en Cr?te l'inscription de Spensithios

(cf. L. Jeffery-A. Morpurgo-Davies, Kadmos 9, 1970) et ? Halicarnasse (Syll.3 45; Meiggs-Lewis 32).

11 Dir. M. Auge, Les domaines de la parent?, Paris 1975 p. 36.

12 Sur ?poikos voir B. Virgilio, Studi class, or. 32, 1982, pp. 139-140.

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Aux origines de Yoikonomia grecque 107

2. D?s le d?but du 4?me s., un changement brutal s'impose: il n'y a

plus de femme oikonomos, c'est d?sormais une affaire d'hommes et cela

le restera, signe de l'importance sociale croissante de la notion. C'est

alors qu' apparaissent de nouveaux termes comme oikonomia ou oiko

nomikos 13. C'est enfin ? partir de ce moment-l? que nous constatons un

?largissement de l'emploi de cette famille de mots dans deux directions:

? le domaine public; l'usage est attest? dans le dernier quart du

si?cle avec un passage de Dinarque et le Ps.-Aristote, mais doit certaine

ment ?tre plus ancien 14.

? par m?thaphore ailleurs que dans l'?conomie proprement

dite, l? o? peuvent s'exprimer les m?mes qualit?s intellectuelles. L'e

xemple le plus ancien est un passage du corpus hippocratique qui traite

de Yoikonomia du m?decin face au malade, c'est-?-dire des dispositions ? prendre pour bien "g?rer" une situation dont il est le ma?tre 15.

Ces nouveaut?s importantes ne peuvent pas ?tre consid?r?es

comme une ?volution "naturelle" dans l'histoire du concept. On doit les

rattacher ? la naissance ? et au succ?s ? du logos oikonomikos. Et

pourtant le peu que l'on connaisse du contenu des logoine plaide pas en

apparence en faveur d'une innovation; ils ne parlent que de Yoikos.

Pour mieux comprendre les choses, il faudrait restituer l'histoire du

genre. On ne peut seulement proposer que quelques rep?res. Il est n?

selon toutes probabilit?s dans le cercle socratique et on peut penser que le premier auteur d'un logos oikonomikos est Antisth?ne 16. On a con

serv? le titre d'un ouvrage intitul? jieqi vixr)? otxovo^ixo? "Sur la vic

toire (ouvrage) ?conomique" qui, dans le catalogue de Diog?ne La?rce

suit un JC8QNi ?jtiTQOJtou et pr?c?de les livres sur Cyrus 17. La date en est

inconnue mais a toutes les chances d'?tre ant?rieure ? la composition de

YEconomique de X?nophon m?me dans sa partie ancienne 18.

13 Sur les emplois Yoikonomia voir C. Ampolo, art. cit. p. 120 sqq.

14 Dinarque, C. D?mosth?ne 97.

15 Epid. 6, 2, 24 qu'on peut dater de peu apr?s 399, cf. K. Deichgr?ber, Die Epide

mien und das Corpus Hippocraticum, Berlin 1971, p. 15. Emploi aussi chez Platon, Apol. 36b6 (c. 396).

16 P. Spahn, art. cit. p. 314.

17 Diog. La?rce 6, 16; cf. Antisthenis Fragmenta coll. F. D. Caizzi 1966.

18 Qui daterait de c. 381 selon E. Delebecque, Essai sur la vie de X?nophon, Paris

1957, p.235.

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108 R. Desca?

De nombreux indices, ?tudi?s avec soin il y a longtemps d?j? par K.

Jo?l, montrent en effet que X?nophon a suivi Antisth?ne tant dans YEco

nomique que dans certains passages des M?morables 19. Le titre de l'ou

vrage d'Antisth?ne est un peu d?routant mais se comprend parfaitement si on le rapproche du livre III des M?morables qui voit Socrate conseiller

? Nichomachid?s, le bien-nomm?, qui r?ve d'?tre ?lu strat?ge, de deve

nir pour cela un bon oikonomos, c'est-?-dire un oikonomikos (un "?co

nomiste" et non plus seulement un "?conome") au grand ?tonnement de

son interlocuteur20. Toute l'argumentation repose sur le lien ?troit entre

les deux fonctions: un oikonomikos sait commander, il conna?t ses res

sources, sait ce qu'il peut en faire, ce qui lui est le plus avantageux et de

ce fait sur le champ de bataille, livr? ? lui-m?me sans moyens suffisants, il

n'engagera pas le combat. On doit y voir une imitation du p?ri nikes

d'Antisth?ne, o? les conseils pratiques existaient21.

La premi?re caract?ristique du genre est donc le lien ?troit ?tabli

entre la bonne gestion de Yoikos et la conduite des affaires publiques, ainsi dans M?morables 3,4, 12 "si quelqu'un sait ce qu'il faut et se le pro

cure, il sera un excellent prostates d'un choeur, d'un oikos, d'une cit? ou

d'une arm?e". Il n'y a pas de diff?rence de nature, mais seulement de

dimension (jtXf|08i) entre les affaires du patrimoine et les affaires publi

ques. On reconna?t l? une id?e tr?s ch?re au groupe socratique et ? Pla

ton, ? laquelle s'opposera Aristote22.

Ce lien entre Yoikos et la cit?, s'il permet de comprendre la raison

de l'extension du genre et le "passage" de la femme ? l'homme, ne peut

cependant pas en soi ?tre consid?r? comme un fait vraiment neuf. D?j? dans la parabole de la femme-abeille chez Phocylide, le vocabulaire poli

tique ?tait dominant et la conservation de Yoikos fondamentale pour la

cit? toute enti?re. Aussi la nouveaut? est-elle ailleurs. Dans la conception

traditionnelle, l'accent ?tait mis sur une fonction et son r?sultat (conser ver Yoikos intact dans et pour la communaut? civique). C'est pourquoi la

femme est "privil?gi?e" car elle est toujours plus que l'homme d?finie

par ses t?ches: elle "sait" les travaux, dit toujours Phocylide qui reprend ainsi ce vocabulaire intellectualiste caract?ristique de l'?pop?e et qui

19 K. Jo?l, Der echte und der xenophontische Sokrates, Paris 1893-1901.

20 X?n. M?m. 3, 4. Le strat?ge choisi est pr?cis?ment un Antisth?ne qui ne sait rien

d'autre que s'occuper des chr?mata (3,4, 1). 21

Fr. 104 Caizzi. 22

Arist. Polit. 1,1,2.

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Aux origines de Yoikonomia grecque 109

r?sume un individu par la fonction qu'il doit remplir23. C'est bien le cas

des exemples de la Trag?die o? les femmes accomplissent une t?che envers et contre tous. D?sormais dans le logos, un d?placement se pro

duit; ce n'est plus une fonction, mais un comportement qui est mis en

valeur et qui est l'objet d'une v?ritable analyse. L'action en elle-m?me va

servir de mod?le et peut ?tre utilis?e dans d'autres domaines. C'est parce

qu'elle conserve Yoikos que la femme est utile ? la communaut?, mais elle ne peut sortir de ses responsabilit?s. Maintenant, par d?finition, Yoiko

nomia est ouverte sur les interventions dans la vie publique. Avant, elle

correspondait ? un cadre particulier, maintenant elle devient un aspect du comportement global de l'homme dans la cit?. Il n'est donc pas ?ton

nant de constater que des sens "d?riv?s" d'oikonomia ? comme en

m?decine ? puissent se rencontrer tr?s t?t. L'analyse en d?gage les

composantes: th?me de la ma?trise d'une situation, utilisation et conser

vation des moyens disponibles, valables d?sormais pour toutes situa

tions. Quant au ton assez r?p?titif, semble-t-il, de ces logoi, il faut le met

tre en rapport avec cette logique de Yexemplum qui met en valeur un

personnage, comme Cyrus le roi perse. On ne peut n?gliger non plus l'influence d'Antisth?ne sur ce point qui passait pour l'un des ma?tres de

l'enseignement all?gorique24. Cette mutation effectu?e d'une fonction ?Yoikonomos ? un compor

tement est un fait capital, mais qui ne doit pas ?tre isol? de son contexte.

Je veux dire que l'usage plus "abstrait" ?Yoikonomia 25 n'a pas abouti ?

une logique g?n?rale de l'action ?conomique ni m?me ? une ?tude cir

constanci?e des oikonomiai possibles. Non, soulignent les d?tracteurs

du genre, les Grecs ont seulement parl? de Yoikos. Mais ce n'est pas par

traditionnalisme, car en r?alit? parler de Yoikos de cette fa?on-l?, c'est

parler d'un sujet neuf.

3. On devine cette nouveaut? ? la fa?on dont est pos? dans nos tex

tes un probl?me capital de d?finition: qu'est-ce que Yoikonomia^ est-ce

?une techno La r?ponse s'?labore peu ? peu: Yoikonomia est un savoir

(X?n. Econ. 1, 1), ce qui n'est pas contradictoire avec la techne (Econ. 1,

23 Cf. E.R. Dodds, Les Grecs et l'irrationnel, trad, franc. Paris 1965, pp. 28-29.

24 Cf. Diog. La?rce 6, 15-18 pour les ?tudes d'all?gorie hom?rique. 25

La fin du 5?me s. voit un d?veloppement des concepts abstraits, cf. A. Parry in

Yale French Stud. 45, 1970, pp. 3-20.

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110 R. Desca?

4), mais un savoir qui s'exprime dans une atmosph?re de non-sp?ciali ste. X?nophon s'oppose vigoureusement ? un courant technique (16, 1)

qui existe alors en Gr?ce. On sait par Columelle (11,3,2) que D?mocrite

a publi? un trait? d'agronomie. Mais X?nophon ne se pr?occupe pas de

cela; lui qui a fait des trait?s techniques sur la chasse et sur le cheval,

aurait pu, s'il l'avait voulu, en faire un sur l'agriculture. Voikonomia,

c'est autre chose, ce n'est pas une techne productrice de biens, une tech

ne chrematopoios {Econ. 20, 15) comme l'agriculture ou les m?tiers, elle

a seulement besoin de ces technai (? partir de la fin du livre III X?no

phon les passe en revue et choisit l'agriculture). Il faut en conna?tre au

moins une pour pouvoir ?tre un oikonomos, mais cela ne suffit pas

(Econ. 2, 18). Le but de Yoikonomia est de devenir un chrematistes

{Econ. 2,17-18), un homme d'affaires si Ton veut, mais plus pr?cis?ment un "professionnel" de la gestion du patrimoine. Or cette activit? est

d?crite avec des termes qui reviennent souvent comme gnome, akribeia,

epimeleia. La difficult? de comprendre ces termes vient de ce qu'ils ont

une histoire, et qu'? l'image de Y epimeleia ? tellement r?pandu dans

l'Economique de X?nophon qu'on peut dire qu'il s'agit d'un trait? de

Y epimeleia ? ils ont une connotation morale tellement forte qu'elle sert

surtout ? symboliser l'aspect non-?conomique de Yoikonomia. C'est

oublier que Y epimeleia au d?but du IV?me s. renvoie ? une situation pr? cise. Dans le document le plus riche que nous ayons sur une entreprise

ath?nienne, celle du p?re de D?mosth?ne, Y epimeleia est toujours atta

ch?e au responsable des ergasteria (cf. D?m. 27, 19, 31). Ce "z?le" est

donc orient? dans un but pr?cis. C'est ce que souligne X?nophon en

conclusion de son trait? (? 20) dans un passage tr?s significatif: com

ment-se fait-il qu'? connaissance technique ?gale, certains r?ussissent et

d'autres pas, c'est-?-dire que certains s'enrichissent et que d'autres s'en

dettent? X?nophon mentionne c?te ? c?te cultivateurs, commer?ants et

ma?ons qui tous vendent leurs produits et insiste sur le point commun,

Y epimeleia, qui a pour origine l'int?r?t personnel, l'amour du profit,

T"oph?limit?" (20, 29) "tous aiment naturellement ce dont ils pensent tirer profit"26.

26 N?ologisme emprunt? ? G. Nenci, 'Economie et soci?t? chez H?rodote', in

IX?me Congr?s G. Bud? I, Rome 1975, p. 140. D?j? chez V. Pareto, Corso di economia

pol?tica I, Turin 1942, p. 11. Rapports ?troits entre le chrematistes et la vente cf. Platon,

Resp. 345 c-d.

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Aux origines de Yoikonomia grecque 111

On ne d?forme d'aucune fa?on la r?alit? en disant que Yoikonomia

est une science du profit. A condition de pr?ciser aussit?t la port?e de

certains mots. C'est dans ce domaine, pour se d?gager des id?e re?ues, encore plus utile qu'ailleurs. Traduire l'id?e d'"oph?limit?" par profit

pr?sente un danger, mais sauve d'un autre, celui de n?gliger compl?te ment l'effort fait alors dans les logoi pour d?crire des concepts dont on a

besoin et pour faire comprendre les r?alit?s nouvelles avec des mots for

c?ment anciens.

4. Ce qui le montre le mieux est l'?volution des centres d'int?r?t

des logoi. Dans les premiers temps "socratiques" nous voyons appara?tre les sujets qui vont constituer la trame de la r?flexion "oikonomique":

jteQL 8Jti?ieX,??ac;; ne?i xov ZQya?eoQai; jteqi to? (b^eXi^iou; jteqi

XQr]|i?T?)v; jteqi c|)iX,oxeq?ou?27. Nous ne savons malheureusement

rien du contenu de ces trait?s ? YHipparque except?

? mais la lecture

des titres montre qu'il s'agit des concepts de base de Yoikonomia qui vont ?tre ?tudi?s ? ce moment-l? comme ils ne le seront jamais plus. Nous devons rapprocher de ce courant d'id?es ce que dit sur Yepimeleia o?xeudv xai jroXixix v P?ricl?s (Thuc. 2, 40, 2), dont la figure de pre

mier oikonomikos est bien d?crite chez Plutarque ? travers une sorte de

jteqi axQi?eiac. Il existe donc un moment d?cisif o? s'?tablissent les normes d'un

nouveau comportement que l'on retrouve au centre des synth?ses jteqi

oixovo|jiicx?28. Il est en effet ? noter que le genre se transforme tr?s vite

et que la forme dominante en deviendra les jteqi jtXoutou qui, ? l'excep tion de l'oeuvre de Diog?ne le Cynique, n'apparaissent gu?re avant le

milieu du si?cle et sont tr?s r?pandues ? l'?poque hell?nistique en parti culier chez les Cyniques et les Epicuriens 29. Mais comme le note juste

ment P. Thillet ? propos des fragments d'Aristote le ton est d?sormais

27 Simon (D. La?rce 2,122); Simmias (D.L. 2,124); X?nocrate (D.L. 4,12); Piaton

(D.L. 3, 59). On peut y ajouter le Jteoi xov JtX?ov ?xeiv de Criton (D.L. 2, 121). 28

X?nocrate (D.L. 4, 12); Aristote (D.L. 5, 22); et les deux ouvrages que nous

avons conserv?s de X?nophon et du Ps.-Aristote. Plus tard Philod?me (cf. C. Jensen,

Leipzig 1906). 29

Diog?ne (D.L. 6, 80); Speusippe (D.L. 4, 4); Aristote (D.L. 5, 22); Th?ophraste (D.L. 5, 47); Sphairos (D.L. 7, 178); M?trodore (D.L. 10, 24); VEryxias "platonicien" (D.L. 3, 59).

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Page 11: Aux Origenes de l' Oikonomia

112 R. Desca?

plus moralisant30. La richesse est-elle une bonne chose? Peut-on ?tre

riche et heureux? Comment faire bon usage de la richesse? Ce sont l?

probablement les questions trait?es dans les jteqi jtXoutou. Au 5?me s., ? l'origine du logos oikonomikos, on se demande plut?t comment faire

pour devenir, ou plus exactement pour rester, riche.

Pour justifier cette opinion, nous avons heureusement quelques t?moins. Et en premier lieu YHipparque, un exemple de jteqi (JhXoxeq

?o?? qu'on reconna?t g?n?ralement, sinon platonicien, au moins socrati

que 31 et qu'on peut rapprocher d'Antisth?ne et de X?nophon, ne serait

ce que par l'?vocation encore une fois de l'agriculteur (225b, 226a) et du

strat?ge (226c).

UHipparque traite d'un probl?me central de Yoikonomia, celui du

kerdos, et le r?soud d'une mani?re nouvelle. Le kerdos, c'est le profit que l'on retire d'une relation avec autrui et non directement du travail. Le

revenu d'une terre s'appelle le jtqooo?o? mais le profit que l'on va tirer

de ce revenu en le vendant ou en le donnant ? quelqu'un est le kerdos.

C'est pour cela que les pratiques d'oikonomia sont valables pour tout ce

qui touche aux relations, comme le m?decin avec ses malades ou le stra

t?ge avec ses soldats. Le kerdos est une notion inscrite au coeur m?me de

la soci?t? et qui ne pr?sente pas de connotation p?jorative. Vivre dans

une soci?t? suppose avoir des relations avec les autres et y trouver quel

que avantage. La relation va fonctionner parce qu'on a besoin d'un ker dos que l'autre va nous donner. Il est important de remarquer que dans

la conception grecque ce n'est pas nous qui avons le kerdos, mais c'est

l'autre qui va nous le donner 32. D'o? l'int?r?t et la n?cessit? de la rela

tion. Il est bien ?vident que personne ne peut engager un lien les "mains

vides" et qu'il faut donc donner d'abord pour pouvoir recevoir le kerdos

souhait?. Donner, c'est cr?er la relation et provoquer ? terme le kerdos.

L'?change ne peut vraiment fonctionner si l'un des partenaires garde pour lui le kerdos qu'il r?serve ? l'autre. En ce cas c'est une malhonn?

tet?, comme le dit Alkinoos ? Ulysse (Od. 8, 544) apr?s avoir offert les cadeaux qui engagent d?sormais les deux hommes. C'est pourquoi le

kerdos peut devenir tromperie et ruse. Alors l'effet est ?vident, la rela

tion s'interrompt et ne reprend pas.

30 P. Thillet in P.M. Schuhl, Aristote fragments et t?moignages, Paris 1968, pp. 43

44. 31 Cf. J. Souilh? in Platon XIII2, Paris 1930, pp. 52-58. 32

Voir R. Descat, L'acte et Veffort, Besan?on 1986, chap. 3,2.

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Page 12: Aux Origenes de l' Oikonomia

Aux origines de Yoikonomia grecque 113

Au V?me si?cle le philokerdes est pr?cis?ment celui qui garde pour lui au lieu de donner, soit pour l'essentiel le riche qui ne fait pas de ?a

Jtavr| sociale. De ce fait il s'enrichit hors du cadre de la communaut?; sans dapane il n'y a ni po?me (ce que rappelle Pindare) ni vie civique (ce

qu'?voque Aristophane, Ploutos 591). C'est ce philokerdes bien typ? en

apparence qui est ? l'origine de la r?flexion de YHipparque. On s'attend

donc ? une d?finition pr?cise que donne effectivement l'interlocuteur de

Socrate, mais cette d?finition ?volue vite: le philokerdes est celui qui tire

profit de choses sans valeur (225a), puis de tout (225b), puis de choses

qui ont peu de valeur (226d), enfin de choses dont les honn?tes gens n'o

sent pas tirer profit (227d). Au bout du compte il sera admis que tous les

hommes sont philokerdeis. L'?volution de la d?finition, bien dans le style

socratique, est ici tout ? fait remarquable car elle d?note un profond

changement social: les actions se placent dans une logique mon?taire et

marchande (231c-d). La relation d'?change, m?me traditionnelle, ne

repose pas sur une ?galit? stricte. Il y a certes l'?quivalent de ce dont on a

besoin mais aussi un "quelque chose" en plus que Ton donne pour que le

partenaire soit en situation de dette et veuille continuer l'?change. "Me

sure exactement ce que tu empruntes ? ton voisin, et rends-le lui exacte

ment, ? mesure ?gale et plus large encore, si tu peux, afin qu'en cas de

besoin tu sois assur? de son aide" (H?siode, Trav. 349-351). Ce "plus"

qui est le v?ritable noyau du profit fonctionne comme une cr?ance (qui

avantage traditionnellement celui qui se d?place)33: c'est la personne

qu'on ach?te plut?t que l'objet. Or dans l'?change mon?taire le profit

qui ?tait donn? est automatiquement per?u. Si on donne plus, trop

(c'est-?-dire si on d?pense trop), c'est une perte; alors qu'autrefois don

ner plus pouvait ?tre un gage de s?curit?, ce n'est plus le cas. Ce que Ton

donnait, il faut le conserver, d'o? la sensation de monde renvers? (avco ... x?xco) qu'a l'interlocuteur de Socrate (228a). Mais l'id?e qui vient

justifier ce nouveau comportement est la suivante: il n'y a pas de diff?

rence de nature entre le kerdos traditionnel et le "plus" que Ton donnait, tous les deux concernent la m?me utilit?, li?e ? la valeur du produit.

L'int?r?t n'est plus dans les personnes mais dans les biens ?chang?s. Le premier exemple connu de cet oikonomo-philokerdes est Peri

cles qui g?re ses d?penses avec exactitude (axQi?eia) et c'est l? qu'il

33 C'est une remarque de M. Sahlins, Age de pierre, age d'abondance. L'?conomie des

soci?t?s primitives, Paris 1976, p. 327.

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Page 13: Aux Origenes de l' Oikonomia

114 R. Desca?

rencontre dans son oikos le plus d'opposition 34. G?rer ses d?penses, cela veut dire vendre, c'est ce que fait aussi P?ricl?s et c'est la conclusion

de Y Economique de X?nophon: le but est de d?velopper un syst?me o? les ventes se succ?dent. L'int?r?t de tous est de recommencer {Econ. 20,

26), de faire que ce syst?me de vente soit aussi "perp?tuel" que pouvait l'?tre l'ancien syst?me d'?change.

5. L}oikos dont traite le logos oikonomikos est aux prises avec un

probl?me nouveau provoqu? par l'extension de l'usage de la monnaie

qui est d'abord une raison de d?pense et qui doit devenir aussi l'essentiel

du gain. C'est une erreur de penser que le logos oikonomikos n'est

qu'une redite pure et simple des comportements anciens de Yoikos, pui

squ'il est au contraire une r?flexion sur les aspects qui ont le plus ?volu?.

Il ne faut pas pour autant oublier ses limites.

La plus importante, ? mon sens, est que le logos oikonomikos ne

s'int?resse fondamentalement qu'au gain de l'?change, mais cet ?change n'est pas associ? ? la production. Le profit dont il est question est celui

qui na?t de l'?change, non celui qui na?t de la production, de la producti vit?. Ce n'est qu'en assemblant les deux aspects qu'une pens?e ?conomi

que compl?te peut se d?velopper et poser le probl?me du prix. Il y a ?

cela une raison, l'inspiration pratique dont ne se d?gage jamais Yoikono

mia qui est issue des probl?mes r?els du propri?taire di oikos impliqu? dans des op?rations de vente et d'achat et non d'une r?flexion de syn th?se sur la logique m?me de l'action. Du coup dans la r?flexion "socra

tique" qui donne naissance ? Yoikonomia c'est le profit commercial qui est le point de r?f?rence. C'est contre cette tendance r?ductrice que lut

tera Aristote 35, mais son effort pour remettre l'?change commercial ? sa

place dans l'ensemble du circuit de production aboutira ? justifier intel

lectuellement une s?paration entre le domaine du travail et celui du gain

d'?change. Il y avait pourtant des pistes possibles ? partir du moment o? on

admettait dans Yoikonomia que les m?mes qualit?s ? comme Yepimeleia

? pr?sidaient ? tous les moments de la vie de Yoikos, tant pour le soin

apport? ? la production que pour celui apport? ? la gestion financi?re.

Mais on sait que tous les trait?s d'oikonomia choisissaient syst?matique

34 Plut. Perte. 16. 35

C'est le sens des passages de Y Ethique ? Nicomaque que je me propose d'?tudier

par ailleurs.

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Page 14: Aux Origenes de l' Oikonomia

Aux origines de Yoikonomia grecque 115

ment l'agriculture comme techne chrematopoios. S'il est bien certain que

l'agriculture joue un r?le fondamental dans l'?conomie grecque et

occupe la grande majorit? de la population active, il n'en reste pas moins

que les arguments utilis?s sont ? nos yeux tr?s fragiles. L'agriculture est

choisie parce qu'elle est la plus facile des technai et la plus convenable. Il

est temps de s'interroger sur les raisons profondes de ce choix que est

souvent pr?sent? comme le symbole m?me d'une mentalit? "anti-?cono

mique".

6. La justification est donn?e de mani?re d?finitive dans deux pas

sages bien connus de Y Economique de X?nophon (4,2 et 6,5, 8): le tra vail artisanal est m?pris? parce que les artisans sont mous, "ch?tifs", oi>

c|hX,oi et ne peuvent pas ?tre de bons citoyens. La georgia s'oppose point

par point ? cette image. Elle est facile, alors que l'apprentissage d'une

techne artisanale est difficile, elle est ouverte ? tous alors que la connais

sance du m?tier est initiatique et secr?te, Tartisan vit dans un espace clos

? la diff?rence du paysan et travaille sans ponos> sans l'effort qui est la va

lorisation indispensable du travail dans la repr?sentation grecque (tout un courant le montre de Pindare ? Antisth?ne avec ses h?ros philoponoi sans compter les ?pitaphes qui glorifient le ponos des paysans)36.

On retrouve d?j? le th?me chez H?rodote (2,167) dans un passage o? l'historien compare sur ce point les usages grecs et barbares. En

apparence la situation faite aux technitai est semblable: ils sont d?consi

d?r?s ? la fois chez tous les peuples barbares et chez les Grecs. En appa rence seulement, car en r?alit?, H?rodote nous dit autre chose, la diff?

rence entre monde grec et monde barbare. Chez les Barbares les techni

tai sont inf?rieurs en time aux nobles, ? ceux qui gouvernent et qui font

la guerre. Le point de d?part de la remarque est l'existence de 7 gene en

Egypte, v?ritables castes. Or en Gr?ce rien de tel sauf ? Sparte. En Gr?ce

c'est une situation plus floue, qui n'est pas officialis?e, qui va de \iaki oxa ? r\KiOTa, du plus au moins, parce qu'en Gr?ce pr?cis?ment il peut

y avoir confusion. Chez les Barbares la fonction de technites est inf?

rieure ? celle du noble; en Gr?ce on est oblig? de rappeler qu'elle est

incompatible avec la fonction de citoyen, d'o? cette critique des hommes

de m?tier, parce que justement ils peuvent ?tre citoyens et acc?der au

36 Sur tous ces aspects voir R. Descat, 'La vie professionnelle dans la cit? grecque.

Sociabilit? et conflits', in Actes du Colloque de Rouen sur la sociabilit?, 1987, pp. 289-300.

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116 R. Desca?

pouvoir. Nous touchons l? la raison de cette critique de l'artisanat, plus sensible ? Ath?nes que dans d'autres cit?s. En soulignant que c'est ?

Corinthe que le m?pris des artisans est le moins sensible H?rodote veut

surtout nous dire que ce n'est pas ? Ath?nes. Or Corinthe est une aristo

cratie traditionnelle, dont on conna?t tr?s mal l'histoire int?rieure au

5?me s., probablement parce que le r?gime est tr?s stable 37. C'est l'?vo

lution d?mocratique ? Ath?nes qui a pr?cipit? les choses.

Le probl?me est expos? par Platon (Lois 846d) : on ne peut ?tre ? la

fois citoyen et artisan parce qu'?tre citoyen c'est d?j? une techne, un

?m?tier? et qu'on ne peut faire bien deux m?tiers ? la fois. On aura com

pris que cette incompatibilit? n'est pas une affaire d'emploi du temps ?

et n'est pas r?aliste ? mais est la forme nouvelle depuis l'apparition de la

d?mocratie de l'id?ologie ancienne des rapports entre l'artisan et le

citoyen, c'est-?-dire l'homme au pouvoir. Les rapports sont profonds et

assez compliqu?s, mais soulign?s avec ?vidence par la langue. Le m?me

mot ancien ?t]|jILOUQYO? est valable ? la fois pour l'artisan et pour le

corps des citoyens qui gouvernent, le corps des citoyens "actifs" ? l'int?

rieur desquels sont pris les magistrats 38. Pendant longtemps la double

signification de "d?miurge" a pos? probl?me parce qu'on reportait

implicitement la situation r?cente ?voqu?e dans nos sources classiques sur les ?poques ant?rieures. Or dans la conscience grecque il existe un

point commun essentiel entre l'artisan et l'homme de pouvoir: le r?sultat

de leur action qui est de produire un effet, un acte efficace. Dans sa

nature Y ergon du d?miurge-artisan est semblable aux actes qui manife

stent le pouvoir du d?miurge-citoyen. D?s l'origine le d?miurge produit un acte efficace qui entra?ne prestige et autorit?; l'artisan partage avec le

pouvoir la metis qui lui permet de triompher des obstacles rencontr?s.

Le r?sultat des actes est, comme le dit Pindare (Isthm. 1, 47), le misthos.

Loin d'?tre m?taphorique le jugement du po?te montre bien cette con

science commune, ? laquelle il est tr?s attach?, pour soutenir que son

propre misthos est le signe, la manifestation d'une valeur et non la r?tri

bution d'un service, d'un lien 39. Au d?but de la d?mocratie, le misthos

qui est donn? non pas ? tous les citoyens de la communaut? mais ? ceux

37 En dernier lieu J.B. Salmon, Wealthy Corinth 1984, pp. 404-406. 38 C. Vatin, ordres et classes dans les institutions delphiques', in Recherches sur les

structures sociales dans l'antiquit? classique, Paris 1970, p. 260. 39

Pind. Vita Amhr. I 3, 20-22 Drachm.

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Aux origines de Yoikonomia grecque 117

qui, comme les d?miurges d'autrefois ou d'ailleurs, ont l'exercice du

pouvoir, refl?te le m?me ?tat d'esprit. Or l'extension de la circulation mon?taire va transformer rapide

ment et simultan?ment la r?alit? et sa signification id?ologique: au

moment m?me o? P?ricl?s institue le misthos, ce dernier est d?j? com

pris d'une mani?re diff?rente et c'est pourquoi Pindare d?fend tant son

misthos pour le diff?rencier d'un service marchand. S'installe une confu

sion car se superposent une conscience ancienne o? le misthos est la

r?compense, le prix d'une valeur, d'une capacit? et une conscience nou

velle o? le misthos est la preuve d'un lien, d'un engagement de type mar

chand. On ne peut en rester l? et pour redonner au citoyen une nouvelle

conscience, un nouveau mod?le id?ologique se b?tit sur les d?combres

de l'ancien, la metis est remplac?e par un mod?le rationnel incarn? dans

Y epimeleia, la pronoia et la gnome. On sait qu'il s'agit l? d'une des muta

tions les plus importantes de l'histoire de la culture grecque 40. En ce

sens la critique des m?tiers est indispensable, elle joue dans le discours

"oikonomique" un r?le de catharsis et, rassembl?e et construite, elle

devient un mythe fondateur. Car c'est ainsi que le logos peut affirmer

clairement ce qu'il est: science du riche, il est aussi science du citoyen.

7. Science du citoyen qui conna?t un dernier d?tour qui nous ren

voie encore une fois ? Antisth?ne. L'Economique de X?nophon a une

curiosit?, il nous parle beaucoup des Perses et de Cyrus. Ce trait vient

s?rement d'Antisth?ne qui a sinon introduit, au moins popularis? la

figure de Cyrus dans la culture grecque. Dans le catalogue de Diog?ne

La?rce, le Jte?i v?xtj? est suivi d'un premier Koqo?. Antisth?ne va faire

de Cyrus, avec H?racl?s, l'un des deux h?ros cyniques, figures de philo

ponoi qui servent bien le contraste avec les artisans aponoi. Il me para?t ?

peu pr?s ?vident que le h?ros du p?ri nikes ?tait Cyrus, comme c'est le

cas de la premi?re partie de YEconomique de X?nophon (dite aussi Econ.

de Critobule) qui se termine par l'?vocation de Cyrus (et de Cyrus le

Jeune) comme couronnement du raisonnement. Cyrus est l'exemple

parfait de Y oikonomikos-. son empire tout entier est assimil? par les

Grecs ? un oikos41. Il participe lui-m?me aux travaux de la terre, il est un

40 Sur l'effacement de la notion de m?tis voir M. Detienne-J.P. Vernant, Les ruses de

Vintelligence, Paris 1974, p. 10. 41 P. Carlier 'L'id?e de monarchie imp?riale dans la Cyrop?die', Ktema 3, 1978, p.

157. Sur l'image de Cyrus R. H?istad, Cynic Her and Cynic King, Uppsala 1948.

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118 R. Desca?

roi-jardinier, un roi planteur42. D'autre part Cyrus est le conqu?rant, le

chef victorieux. La Cyrop?die (8, 1, 14) insiste sur le mod?le militaire choisi pour les oikonomika et X?nophon fait ici r?f?rence au syst?me

d'exploitation tributaire du territoire avec le r?le des gazophylakes, des

garnisons-entrep?ts. On peut donc parler dans la constitution du genre "oikonomique"

d'un mod?le oriental qui a le double avantage 1) de faire passer dans la .

communication l'enseignement all?gorique 2) de r?pondre aux besoins

sp?cifiques de la soci?t? grecque. Il ne faut pas n?gliger cette attirance

des auteurs du 4?me s. pour le syst?me perse qui fonctionne comme

mod?le ?conomique. Chez le Pseudo-Aristote cela aboutira ? une com

paraison des oikonomiai et ? une ?tude fine du syst?me royal et satrapi

que. La raison de cet int?r?t renvoie aux nouveaut?s de la vie ?conomi

que du moment et ? l'id?al du revenu qui devient le pr?l?vement sur le

travail de la terre ou des ateliers fait en particulier par les esclaves. C'est

le mod?le d'Ischomaque et retenons que le revenu du propri?taire est

parfois appel? apophora 43, ce qui ne nous ?loigne gu?re du phoros du

Grand Roi.

Dans la culture grecque classique, Yoikonomia fait figure de

parente pauvre, ni genre litt?raire ni discipline intellectuelle. Or ce qui est en cause est moins sa personnalit? floue qu'une originalit? mal com

prise. Il faut redonner au logos oikonomikos toute sa dimension d'?v?ne ment historique. Il a des traits caract?ristiques et r?pond ? une situation

donn?e. Il a une histoire qu' il faut pr?ciser et des origines que nous

avons essay? d'?clairer.

Ce qui a contribu? ? renforcer cette id?e est l'angle d'approche trop ?videmment "comparatiste" de cette discipline ? qui l'on va reprocher ses "manques" par rapport ? la r?flexion moderne. St?rile quand elle

devient un syst?me de pens?e (qui aboutit ? se demander si oui ou non

les Grecs voulaient le profit et avaient envie de gagner de l'argent) la

comparaison ne peut cependant manquer de faire r?fl?chir pour savoir, comme le demande Finley "s'il ne s'agit que d'un accident, un ?chec

intellectuel, un probl?me pos? par l'histoire des id?es au sens ?troit, ou

42 Sur l'id?ologie monarchique ach?m?nide et ses rapports avec l'?conomie voir les

?tudes de P. Briant rassembl?es dans Rois, tributes et paysans, Paris 1982. 43

Ex.:Ps.X?n. 1, 2; Esch. 1,97.

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Aux origines de Yoikonomia grecque 119

s'il faut y voir plut?t la cons?quence de la structure de la soci?t? anti

que" 44. La r?ponse ? donner tient bien ?videmment des deux, mais je me contenterai pour l'instant d'une rapide conclusion sur le premier

point. Voikonomia s'est constitu?e ? la fin du 5?me s. en objet d'?tude,

tout comme la science ?conomique ? partir des 18?me/19?me s. mais elle

se heurte ? un obstacle ?pist?mologique majeur, celui de ne pas avoir

d?gag? une cat?gorie de l'agent. Pour qu'il y ait une th?orie ?conomique, il faut qu'il y ait une conception de Y agent ?conomique dans sa situation, ses choix et ses moyens de d?cision. Cette cat?gorie de l'agent, la pens?e

grecque n'en dispose pas v?ritablement. Ce sont les rapports entre l'in

dividu et Tordre d'ensemble qui sont primordiaux. \Joikonomia na?t

quand Tune des formes traditionnelles de cet ordre est ?branl?e par les

nouveaut?s ?conomiques. Voikonomia n'a pas donn? naissance ? la

science ?conomique, mais sachons reconna?tre ? l'?conomie toute sa

place dans la cr?ation d'un nouvel ordre politique, celui de Y oikonomi

kos.

Universit? de Bordeaux 3

44 M.L Finley, op. cit. p. 21.

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