ANGELUS SILESIUS - Le Pèlerin Chérubinique

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ANGELUS SILESIUS (JOHANNIS ANGELI SILESIJ) LE PÈLERIN CHÉRUBINIQUE Traduction par CAMILLE JORDENS Sagesses chrétiennes ÉDITIONS DU CERF PARIS 1994 ÉDITIONS ALBIN MICHEL

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ANGELUS SILESIUS - Le Pèlerin Chérubinique

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  • ANGELUS SILESIUS (JOHANNIS ANGELI SILESIJ)

    LE PLERIN CHRUBINIQUE

    Traduction par

    CAMILLE JORDENS

    Sagesses chrtiennes

    DITIONS DU CERF

    PARIS 1994

    DITIONS ALBIN MICHEL

  • Les notes dAngelus Silesius sont appeles par un astrisque et places sous les penses ; les notes du traducteur viennent en bas de page et sont appeles par un chiffre.

    Albin Michel, 1994 Les ditions du Cerf, 1994, pour la prsente dition.

    (29, boulevard Latour-Maubourg 75340 Paris Cedex 07)

    ISBN 2-204-04894-1 ISSN 1140-2865

    Tous droits rservs. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destines une utilisation collective. Toute reprsentation ou reproduction intgrale ou partielle faite par quelque procd que ce soit, sans le consentement de l'auteur et de l'diteur, est illicite et constitue une contrefaon

    sanctionne par les articles 425 et suivants du Code pnal.

  • INTRODUCTION

    Une dition intgrale du Plerin chrubinique s'impose. En effet, si on excepte la traduction versifie d'Eugne Susini (PUF, 1964), forcment trs libre, ce qui ne nous parat pas tre l'option la plus fiable, il faut remonter loin, jusqu'aux annes d'aprs-guerre pour trouver une traduction complte de Jean Rousset (1949) et de Henri Piard (1946). La premire est reste confi-dentielle, ayant paru chez un petit diteur, GLM, sp-cialis en posie (il a publi Le Moteur blanc de Du Bouchet) ; la seconde reste incontestablement en franais la version de rfrence. Malheureusement Aubier ne l'a pas rdite depuis 1946. Henri Piard est un grand rudit, un fin lettr, un traducteur exceptionnel qui durant plusieurs dcennies a ouvert les milieux franais la littrature allemande classique ou contemporaine. Sa traduction du Plerin au dbut de sa trs longue car-rire, quelles que soient ses qualits et la richesse de son introduction, date quelque peu du point de vue stylis-tique. Elle appelle aussi sur certains points des correc-tions lies aux ditions critiques allemandes de date plus rcente.

  • 8 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    Si la posie baroque franaise a connu depuis le dbut des annes soixante un regain de faveur grce M. Raymond, J. Rousset, C.-G. Dubois et d'innombra-bles mules, une certaine partie du baroque allemand, et particulirement son aire religieuse, pourtant consti-tutive de cette littrature, demeure encore largement mconnue en France. Une rvaluation et une rhabili-tation s'imposent.

    Une dition intgrale nous parat indispensable pour d'autres motifs que le simple dsert ditoria/1 et ceux-ci sont lis la nature mme d'une dition exhaustive. Une version complte a des avantages comme des inconvnients. Ces derniers tiennent au relativisme esthtique, notre got n'tant plus celui du XVII sicle, et moins encore celui du baroque. Cer-tes, une lecture intgrale peut provoquer un sentiment de lassitude face certaines redites ou des passa-ges moins bien venus. D'autre part Le Plerin chru-binique, l'instar des Essais de Montaigne, ne sup-porte pas d'tre lu d'une seule traite. Une collection de maximes ou de rflexions ne relve pas de la pra-tique d'une lecture continue.

    Toutefois une version complte prsente un vident avantage : celui de prsenter l'intgralit du texte. Non

    1. Alors que notre traduction tait l'impression, a paru aux ditions Arfuyen une traduction d'un auteur qui nous rendons hommage, Roger Munier. Depuis plus de deux dcennies, il a raviv la flamme qui s'teignait de la renomme de Silesius en France. Les spcialistes franais ont d'un seul ensemble port leur attention leurs potes baroques de la fin du xv1 sicle et du dbut du xv11 sicle (Rousset, Raymond, Dubois, Mathieu-Castellani, et pour la posie religieuse, Jeanneret, Boase, Ortoli, Bellenger, Pineaux). Notre traduction et aussi notre approche sont entirement indpendantes des siennes.

  • INTRODUCTION 9

    qu'il faille la survaluer pour elle-mme et ainsi nier qu'un ouvrage charrie des scories. Mais dans le cas pr-cis de Silesius l'exhaustivit reprsente une garantie pour le lecteur, un garde-fou contre d'innombrables commen-tateurs et slectionneurs , non exempts de partis pris, qui vacuent sans vergogne la part de la pense ou de l'option stylistique laquelle ils n'adhrent pas ou qui les drange. L ' intgrale est une assurance pour le lecteur qui entend se former lui-mme une opinion, sans tamisage arbitraire, et discerner ce qui dans le texte est ppite ou simple gravillon. Ne rien omettre c'est ne rien compromettre. Silesius mrite qu'on l'envi-sage sous toutes ses facettes, y compris celles qui peu-vent nous paratre caduques, La superficialit, la vision unilatrale et la dsinvolture fragmentent un crivain et, en dfinitive, le dfigurent. Silesius a t souvent victime d'opinions prconues et de visions fragmen-taires. Cela s'explique aisment. En effet, Silesius est par excellence un auteur qui est lu travers des flori-lges. li en existe plusieurs en franais et d'innombra-bles en allemand. Ces excerpta permettent un premier contact avec l'uvre; ils ont le dfaut d'tre passa-blement unilatraux et subjectifs. tant nous-mme l'introducteur d'un florilge du Plerin (A. Michel, Spiritualits vivantes, 1994), nous sommes particu-lirement sensible la menace que chaque anthologie contient en elle. Tout spicilge implique un tri, tri qui suppose des choix. Dans chaque slection interviennent une srie d'options artistiques, littraires, philosophi-ques, religieuses, idologiques, avres ou voiles, qui, quoique partiellement pertinentes, ne vhiculent pas moins bien des prjugs. Or, peu de commentateurs reconnaissent qu'ils sont soumis des critres extrin-sques d'dition et des critres intrinsques tant sub-

  • 10 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    jectifs que collectifs, refltant l'attente du public ou les gots - et les dgots! - de /'poque 2

    Il va sans dire que les aspects strictement chrtiens et confessionnels de Silesius sont souvent volontairement oblitrs3 On constate ainsi combien l'anthologie peut concourir fournir d'un auteur tranger une vue par-tielle et partiale. La redcouverte est filtre par l'tat d'esprit du prsentateur et l'horizon d'attente de son public potentiel.

    En outre, /'ethnocentrisme gographico-culturel qui suscite tant de mprises trouve son quivalent dans un ethnocentrisme historico-culturel de la modernit idol-tre. Le jugement esthtique ou idologique est plus sen-sible aux rapports de similitude qu' la diffrence. Et comme toute lecture est relecture en fonction de soi, il apparat difficile de discerner l'altrit radicale d'une autre pense, d'une autre rhtorique, d'une exprience qui est diffrente.

    Peu d'auteurs ont suscit tant de gloses diverses que Silesius, de G. Tersteegen Leibniz, de Schlegel Hegel,

    2. Un exemple illustrera nos propos. L'anthologie de R. Munier chez Arfuyen reprend un certain nombre de distiques, 132 sur envi-ron 1 700. Ce choix limit n'est pas gnant en soi ; toutefois, sa distribution en fonction des six livres d'pigrammes du Plerin tra-hit des options caches qui agissent subrepticement : une prfrence caractrise pour les livres 1 et II qui eux seuls fournissent 66 maxi-mes sur les 132 (42 pour le livre 1 et 24 pour le livre Il), tandis que les livres III (8), IV (8), V (9) et VI (5) en runissent peine 30 ! Le rapport est de un sur cinq voire parfois de un sur huit. Du point de vue qualitatif une telle prfrence ne se justifie pas. Seule la prdilection de Munier pour les textes illustrant une mystique de l'essence explique l'anomalie.

    3. L' Avertissement de l'anthologie des ditions Plante (1970) refuse les distiques dont l'intention didactique et mme catch-tique est certaine (p. 29).

  • INTRODUCTION 11

    de Schopenhauer Heidegger, de Droste-Hlshoff Rckert, de G. Keller, le Zurichois, Hans Urs von Bal-thasar, le Blois ...

    Dans sa lecture chaque gnration opre une slec-tion, tant par voie d'exclusion que par voie d'lection. Chaque gnration s'approprie un auteur. Si/esius a t souvent annex. Le phnomne apparat ds le XVIII' sicle avec le pitisme. Gottfried Arnold (1666-1714) et surtout Geihard Tersteegen (1697-1769) dans son Geist-liches Blumen, Gartlein inniger Seelen, oder kurtze Schlussreimen ... (1729), un jardin floral spirituel, infl-chissent l'uvre de Silesius vers un individualisme mysti-que accentuant /'exprience personnelle de son propre fond (Grund) divin, (Gott in uns), sans recours une quelconque glise institutionnelle.

    Leur contemporain Leibniz (1646-1716) a nettement moins d'affinits avec Silesius que le courant pitiste, somme toute fort proche de Franckenberg et du Sile-sius des livres I et Il. Il est le premier d'une longue liste de commentateurs commettre des contresens flagrants. Il note dans une lettre Pacus du 28 janvier 1695: On rencontre chez ces mystiques quelques passages qui sont extrmement hardis, pleins de mtaphores diffici-les et inclinant presque l'athisme, ainsi que je l'ai remarqu dans les posies allemandes, belles d'ailleurs, d'un certain Ange/us Silesius ( ... ) (Leibnitii opera, d. Dutens, VI, 56).

    Au xxe sicle on relve le mme phnomne d'appropriation qui peut s'oprer en parfaite lgitimit, comme dans le livre de Frederick Franck, The Book of Angelus Silesius with Observations by Ancient Zen Mas-ters (Londres, Wildwood House, 1976), ou de manire nave, comme sur le plat du florilge dit par Arfuyen (trad. Roger Munier, 1988) une main anonyme a cru bon

  • 12 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    de signifier aux lecteurs de l'opuscule que la mditation de Silesius (le jsuite [sic4] apparat aujourd'hui pro-che du Zen .

    Par/ ois un relativisme bien caractristique d'aujourd'hui mine compltement les acquis de /'histoire et de l'histoire littraire, ce relativisme justifiant une sorte de permissivit interprtative autorisant toutes les lectures, mme celles qui sont infirmes par les faits et la biographie de l'auteur. La complexit de Silesius sem-ble d'ailleurs inciter d'aucuns une approche sans cri-tres impliquant une dmission critique : propos des sentences facettes multiples qui composent le plus ori-ginal de ces pomes, Le Plerin chrubinique, on peut indfiniment discuter ou inflchir l'interprtation dans un sens ou dans un autre, chercher selon le cas le luth-rien ou le catholique, le militant fanatique mme, voire le mystique tranger toute confession. (E. Susini, dans Encyclopaedia Universalis, t. /, p. 96).

    Beaucoup ont cru voir en Silesius un penseur ht-rodoxe. Seule une mconnaissance profonde du chris-tianisme et de ses diffrents courants mystiques peut expliquer sinon justifier une telle normit. Pour les unvertrauten Ohren (les oreilles non familiarises), comme les appelle Hans Urs von Balthasar, qui se font du christianisme une conception excessivement troite, toute formulation ose devient trange et on la qualifie d'trangre la doxa.

    Or d'un strict point de vue historique, et aussi d'un point de vue thologique non sectaire, Silesius resta toute sa vie par/ aitement orthodoxe. On peut mme dire que

    4. Silesius est en ralit franciscain, il a termin son existence dans la maison des Croisiers ou Porte-croix de Bohme, qui jou-rent un rle important l'poque de la Contre-Rforme.

  • INTRODUCTION 13

    son volution vire vers une position de plus en plus orthodoxe aprs sa conversion au catholicisme de la Contre-Rforme. Si/esius a d'ailleurs reu pour Le Ple-rin chrubinique /'imprimatur du doyen de la f acuit de thologie de /'universit de Vienne, Nicolas A vancin, sj, et /'approbation de /'official et du vicaire gnral de la Silsie, Sbastien von Rostock.

    Face aux accusations diverses, aussi lgres qu'arbi-traires, d'hrsie, voire de panthisme (Hegel, Vorlesun-gen ber die Aestetik, t. /, Stuttgart-Bad Canstatt, F. Fromman Verlag, 1964, t. 12, p. 493), C. Seltmann rhabilitera Si/esius (Angel us Silesius und seine Mystik, 1896). Pour beaucoup d'pigrammes il a recherch des parallles dans /'criture, chez les Pres grecs ou latins ou mme chez les scolastiques. Cette dmonstration systmatique reste aprs un sicle par/ aitement probante. Illustrons ce propos par deux pigrammes premire vue audacieuses et problmatiques :

    Pas d'ternit en enfer Considre au bout du compte qu 'auprs de Dieu il y a l'ternit Auprs du diable, en enfer, l'ternelle temporalit. [V, 74.}

    Cette subtile distinction entre deux infinis de nature diffrente se retrouve dj chez Thomas d'Aquin qui met la mme conviction : In inferno non est vera aeternitas, sed magis tempus (Summa J, JO, 3c et ad 2).

    Un second exemple encore plus typique d'une thse en apparence htrodoxe, mais qui en ralit se ratta-che une des plus anciennes traditions de l'glise primitive:

    L'homme tait la vie de Dieu

  • 14 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    Avant mme d'tre quelque chose, j'tais la vie de Dieu : Aussi s'est-Il livr tout entier pour moi. fi, 73.j

    Conscient de sa hardiesse Silesius renvoie explicite-ment Jean I, 3-4: Quod factum est, in ipso vita erat. Il se fonde sur le prologue du quatrime vangile pour affirmer que rien de ce qui fut ne fut sans le Verbe ter-nel et que sur le plan divin les catgories temporelles ne sont pas d'application.

    D'un point de vue plus gnral, soulignons avec Carl Keller, professeur l'universit de Lausanne et minent spcialiste de la mystique compare, qu'il faut se mon-trer trs prudent et rserv dans l'emploi du terme orthodoxe . Il est essentiel de replacer les auteurs spi-rituels dans leur contexte vital : celui d'une religion laquelle ils adhrent et d'une foi qu'ils intriorisent ou mme qu'ils affinent et purent. Vouloir couper ce cor-don ombilical de leur tradition religieuse, c'est s'expo-ser aux pires contresens. Le milieu d'incubation origi-nel conditionne l'exacte interprtation tant d'auteurs chrtiens tels que Eckhart, Ruusbroec et Jean de la Croix, que de soufis comme Ibn Arabi, Ghazali ou al-Hallaj. Ce que le Pre Guido de Baere nonce pro-pos de Ruusbroec s'applique parfaitement Silesius: Ruusbroec tait chrtien ; en tant que chrtien il tait mystique et en tant que mystique il tait capable de tmoigner avec plus de persuasion de son christianisme, de son vcu chrtien. La mystique n'tait pour lui nul-lement une religion parallle ( De mystiek van Ruus-broec : Meer dan natuurlijk , Kultuurleven, janvier 1993, p. 35).

    CAMILLE JORDENS.

  • L'homme, lui, contemple Dieu, L'animal, la motte de terre. D'o, chacun peut connatre Ce qu'il est.

    JOHANNES ANGELUS SILESIUS

    LE PLERIN CHRUBINIQUE ou

    PIGRAMMES ET MAXIMES SPIRITUELLES pour amener la contemplation de Dieu

    Nous tous, qui visage dcouvert Contemplons la Gloire du SEIGNEUR, sommes Changs en cette mme Image, de clart En clart, comme par l'esprit du SEIGNEUR.

    (2 Co 3, 18.)

  • EN GUISE D'AVERTISSEMENT

    Avant-propos au lecteur

    Lecteur bienveillant, les vers qui suivent contiennent de multiples paradoxes inhabituels et des noncs tran-ges ainsi que des maximes leves la signification occulte concernant tant le mystre de la dit que l'union Dieu ou l'essence divine ou encore le processus d'identification Dieu, la divinisation ou dification (de l'homme) ou d'autres choses du mme ordre. tant donn la formulation resserre, il est facile de leur impu-ter un sens condamnable ou une intention malveillante. Ds lors, il nous parat indispensable de te prsenter ce propos un avertissement.

    Il faut ainsi que tu saches une fois pour toutes que nulle part l'auteur ne dfend la thse que l'me humaine doive ou puisse perdre sa craturalit 1 pour tre change par voie de divinisation en Dieu ou en son essence incre 2 : c'est de toute ternit absolument

    1. Cette traduction de Geschaffenheit est reprise de Ch. A. Bernard (Le Dieu des mystiques, d. du Cerf, 1994, p. 677).

    2. Voir 2 P l, 4 : afin que vous participiez de la nature divine.

  • 18 LE PLERIN CHRUBINIQUE impossible. En effet, quoique Dieu soit tout-puissant,

    Il est nanmoins incapable de faire (s'il le pouvait, il ne serait pas Dieu) qu'un tre cr soit par nature et essence Dieu. C'est ainsi que Tauler affirme dans ses Institutions spirituelles, chap. IX : Comme le Trs-Haut ne pouvait faire que par nature nous fussions Dieu (c'est lui seul que cela revient), il a fait que nous deve-nions Dieu par grce pour que nous ayons en commun, par un amour de faveur, une mme batitude, une mme joie, une mme royaut. Tauler entend ceci : l'me sainte et qui en est digne atteint un tel degr d'intimit et d'union Dieu, son essence divine, elle est tellement inextricablement Lui qu'elle se voit trans-figure, unifie et unie Lui. Et cela au point que, si on la contemple, on ne voit et ne reconnat en elle rien que Dieu. Comme cela se ralisera dans la vie ternelle. Car elle sera en quelque sorte entirement entremle Lui dans l'clat de sa Gloire. Oui, qu'elle puisse atteindre une telle ressemblance 3 plnire, qu'elle soit effectivement (par grce) ce que Dieu est (par nature) et qu'en ce sens elle puisse bon droit tre dfinie comme une lumire dans la Lumire, un verbe dans le Verbe, un dieu en Dieu (comme mes vers le formulent). Puisque, comme le formule un docteur ancien 4, le Pre n'a qu'un Fils, et ce Fils nous le sommes tous en Christs. Si donc nous sommes fils en Christ, nous avons galement tre ce qu'est le Christ et poss-der l'essence mme qu' le Fils de Dieu. En effet (comme Tauler l'nonce dans son Quatrime Sermon

    3. Voir Gn 1, 26; Co 3, 10. 4. Saint Augustin. 5. Voir aussi Ep 1, 5 : nous serions pour Lui des fils adoptifs

    par Jsus-Christ.

  • AVANT-PROPOS 19

    pour la Nativit 6) prcisment parce que nous poss-dons la mme essence, nous devenons pareils Lui et nous Le voyons tel qu'il est, vrai Dieu .

    Tous les saints contemplatifs s'accordent sur ce point en particulier sur ce que Tauler a relev dans son troi-sime Sermon pour le troisime dimanche aprs la Tri-nit : l'me devient, en ayant racquis son Image et sa Ressemblance, pareille Dieu et divine ; oui, elle devient par grce tout ce que Dieu est par nature. Dans cette union, dans cette immersion en Dieu, elle est mene au-del d'elle-mme, et elle devient si pareille Lui, que si elle se voyait elle-mme, elle s'estimerait Dieu ; et celui qui la verrait, ne la verrait pas selon la nature, mais selon l'essence, la forme et le mode d'tre divin dl-gus par grce, et il connatrait sa vue la batitude. Car Dieu et l'me, en une telle union, sont un, quoi-que non par nature, mais assurment par grce. Et un peu plus loin : L'me pure et divine, aussi libre que Dieu de l'amour des cratures, sera considre par les autres, et se considrera aussi elle-mme de toute ter-nit comme divine (dans un tel type d'union Dieu et l'me ne font qu'un) et elle trouvera sa batitude en elle-mme et partir d'elle-mme dans une telle union.

    Runsbroec [note] au troisime livre de !'Ornement des noces spirituel/es, chap. I : Au sein de l'unit d'essence de Dieu, tous les esprits recueillis et dvots ne forment qu'un avec Dieu au travers de l'amoureuse immersion et fusion avec Lui. Et ils font par grce pr-cisment ce mme Un que cette mme Essence est en elle-mme.

    Encore dans le mme passage : Au-del de toutes

    6. Silesius se fonde sur les traductions latines de Ruusbroec et de Tauler par le jsuite Surius (avant 1578).

  • 20 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    les images [analogies] saisir et comprendre ce que Dieu est en soi, c'est dans une certaine mesure tre Dieu avec Dieu, sans mdiation ou, pour ainsi dire, sans une alt-rit sensible. Et dans le mme ouvrage au chapitre II, il dit : Quand l'esprit de l'homme s'est perdu lui-mme par l'amour de fruition, il reoit la clart divine de manire immdiate : oui, lui-mme devient (dans la mesure o le peut une crature) sans arrt cette mme clart qu'il reoit.

    Saint Bernard tient des propos identiques dans le livre de La Vie solitaire, quand il dit : Nous serons ce qu'il est. Car ceux qui il a t donn le pouvoir de devenir enfant de Dieu, il leur est aussi donn le pou-voir, non certes d'tre Dieu, mais d'tre ce que Dieu est. Et ensuite : Cette analogie avec Dieu est appe-le l'unit de l'esprit, non seulement parce qu'elle pousse agir selon l'Esprit ou qu'elle attire intrinsquement l'esprit humain, mais parce qu'elle procde elle-mme de l'Esprit Saint, de Dieu, l'Amour ; parce que par Lui qui est amour du Pre et du Fils, unit et grce, bien et baiser, treinte et tout ce qui peut leur tre commun aux Deux - dans cette union suprme de la vrit et cette vrit de l'union - s'opre exactement la mme chose de l'homme Dieu (selon son mode d'tre humain) que ce qui se passe du Fils au Pre dans leur unit et leur autonomie, ou du Pre au Fils, quand dans l'treinte et le baiser du Pre et du Fils jaillit de faon minente au milieu d'Eux leur Conscience ravie, quand au-del de toute expression et de toute pense, l'homme de Dieu acquiert le droit de devenir non pas Dieu, mais cependant ce que Dieu est par nature et l'homme par grce. Et Bernard d'ajouter encore : Tu te deman-des comment cela peut se faire, l'Essence divine tant incommunicable ? Je te rponds d'abord avec saint

  • AVANT-PROPOS 21

    Bonaventure : si tu veux le savoir, interroge la grce, non l'enseignement, le soupir de la prire et non la lec-ture applique, l'poux et non le matre, Dieu et non l'homme, les tnbres et non la clart, non la lumire, mais le feu qui enflamme tout entier et qui mne Dieu d'un dsir ardent, ce feu qui est Dieu mme.

    Je te rponds ensuite que certes l'Essence divine est incommunicable en sorte qu'elle ne peut se mler quoi que ce soit pour devenir avec cela une mme nature et essence. Mais d'autre part, d'une certaine manire vu l'union si proche et intime avec laquelle Elle se rpand dans les mes saintes, elle peut juste titre tre dite communicable . tant donn que Pierre aussi prtend que nous devenons participants de la nature divine 7, et Jean que nous sommes enfants de Dieu, car ns de Dieu 8 Or ces mes ne peuvent tre appeles enfants de Dieu et participantes la nature divine (selon Tho-mas a Jesu, 1, 4, d, Oral. divin, chap. IV), si celle-ci vit loin de nous, spare, et non en nous. Car pas plus qu'un homme ne peut tre sage sans sagesse (comme le dit Tauler dans son Quatrime Sermon sur la Nati-vit), un homme ne peut tre non plus enfant de Dieu sans la filiation divine, c'est--dire sans avoir alors l'essence relle du Fils de Dieu lui-mme. Par consquent pour tre fils ou fille de Dieu, il faut que tu aies cette essence mme qu' le Fils de Dieu, sinon tu ne peux tre fils de Dieu. Une gloire aussi extrme nous est cependant encore temporairement cache. Voil pour-quoi saint Jean crit encore dans le passage cit : Mes bien-aims, nous sommes effectivement enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'est pas encore manifest.

    7. Voir la note 2. 8. Jn 1, 12.

  • 22 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    Nous savons toutefois quand cela apparatra que nous lui serons pareils, c'est--dire nous serons aussi la mme Essence qu'il est. C'est pourquoi Nicolas a Jsus-Marie 1, 2, chap. XVI Elue. Theo/ogic. in Joan. a cruce9 affirme : L'me obtient par l'effet de l'amour dont elle aime Dieu que Dieu ne lui communique non seule-ment ses dons, mais que l'autonomie et l'Essence divine sont titre exceptionnel aussi librement prsentes l'me. C'est ce que corroborent les paroles de saint Augustin (p. 185 du De Tempore) o il dit : Pour pr-parer le cur de ses aptres, le Saint-Esprit est en ce jour tomb comme une averse sanctificatrice, non tel un visiteur press, mais tel un consolateur permanent et un compagnon ternel. Puis comme Jsus avait dit ses disciples en Matthieu 28 ' : Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu' la fin des sicles , ainsi il dit aussi propos de l'Esprit Saint : Ce Pre vous donnera le Consolateur qui sera avec vous jamais 11 Voil pourquoi il a t en ce jour auprs de ceux qui croient en lui, non seulement par la grce de la justification, mais mme par la prsence de sa majest. Et dans ces vases s'est rpandu non seulement l'arme du baume, mais jusqu' la substance mme du saint chrme. Mais pour comprendre et expliquer sans mprise le caractre spcifique de cette union, je me suis toujours laiss subjuguer par les mtaphores auxquelles recourent les Pres : celles de l'union du soleil et de l'air, du feu et du fer, du vin et de l'eau, et d'autres similai-res, permettant de dcrire dans une certaine mesure cette haute union de Dieu avec l'me. Parmi eux, saint

    9. Cette citation montre que Silesius a indirectement connu saint Jean de la Croix.

    10. Mt 28, 20. C'est la dernire phrase de cet vangile. 11. Allusion Jn 14, 16.

  • AVANT-PROPOS 23

    Bernard, dans son livre sur la manire d'aimer Dieu 12, vers le milieu de l'ouvrage, dclare : Comme une gouttelette d'eau verse dans beaucoup de vin semble compltement dcompose et dsaquatise, en prenant la saveur du vin et son ardeur, et comme un fer rouge incandescent devient totalement semblable au feu, en dpouillant son ancienne forme qui lui est propre, et comme l'air imbib de lumire solaire est transform en cette clart illuminatrice de sorte qu'il semble moins tre illumin que d'tre lui-mme lumineux, de mme il sera ncessaire que chez les saints tout dsir humain se fonde de manire inexprimable et se dissolve du moi pour tre entirement infus dans la volont de Dieu, car sinon comment Dieu voudrait-il tre tout en tous 13 s'il subsistait en l'homme quelque chose d'humain. Et au chapitre xxv du Livre de l'amour, aprs avoir brivement mentionn ces mtaphores, il les commente : Aussi l'esprit de l'homme, quand il est revtu de l'amour divin, devient tout amour. Aussi qui aime Dieu est entirement mort soi-mme, et en vivant pour Dieu seul, s'approprie (si je puis parler ainsi) dans une cer-taine mesure le Bien-Aim consort en essence (consubs-tantiat se dilecto). Car de mme que l'me de David est unie l'me de Jonathan, ou que celui qui s'atta-che Dieu devient avec Lui un seul esprit, ainsi le dsir tout entier n'est pas absorb en Dieu pour qui sait juger exactement cette union, cette communion avec l'Essence, etc. De tels noncs se trouvent chez Ruusbroec, Herp, Tauler et encore d'autres. Surtout chez Louis

    12. Voir Sur les degrs d'humilit et d'orgueil. Trait de l'amour de Dieu. la louange de la milice nouvelle, trad. E. de Solms, introd. J. Leclercq, Namur, d. du Soleil Levant, 1958.

    13. Formule paulinienne clbre.

  • 24 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    de Blois qui, au chapitre XII de ses Institutions spiri-tuel/es, a cette superbe formulation : Dans l'union mystique l'me aimante se fond et elle s'oublie elle-mme pour s'abmer en quelque sorte, comme si elle tait deve-nue nant, dans l' Abme de l'Amour ternel, o elle est morte elle-mme et vit Dieu, sans rien savoir ni sen-tir sinon l'amour qu'elle gote. Car elle se perd dans le sur-immense 14 dsert et les tnbres de la Dit. Mais se perdre ainsi, c'est se trouver. Vraiment ce qui l dpouille l'humain pour revtir le divin est transform en Dieu. On peut le comparer au fer prenant dans le feu l'apparence du feu et tant chang en feu. Mais l'essence de l'me ainsi difie subsiste, de mme que le fer incandescent ne cesse pas d'tre fer. Ainsi l'me qui auparavant tait froide est prsent brlante ; elle qui auparavant tait obscure, est maintenant lumineuse ; elle qui tait dure est maintenant tendre, toute entire colore de Dieu. Son essence est traverse et arrose par l'Essence divine, entirement consume du feu de l'Amour divin et, toute fondue, elle est passe en Dieu unie Lui sans mode, devenue avec Lui un seul esprit, comme l'or et le minerai ont t fondus ensemble en un seul et unique lingot.

    C'est par de telles formules et des noncs analo-gues que les saints contemplatifs ont essay d'exprimer dans une certaine mesure l'intime union de Dieu avec l'me sanctifie. La dcrire fond est, selon leurs dires, indescriptible.

    14. Silesius recourt ici l'emploi de la prposition sur (comme dans le Plerin chrubinique l, 15, etc.) bergrossen. Le dpassement de tout concept remonte Denys l'Aropagite et sa notion de hypertheos, l'incapacit d'nonciation s'abolissant dans la mtaphore du dsert (le Wste de I, 7) ou de la Tnbre, chre Grgoire de Nysse (Vie de Mose).

  • AVANT-PROPOS 25

    Si donc le lecteur favorable trouve dans ces vers, ici ou l, des ides apparentes, qu'il veuille galement les entendre en ce sens et les comprendre dans cette optique.

    Quoique j'estime prsent m'tre suffisamment expliqu sur ce point, il me faut pourtant encore ajou-ter un beau texte de Denys le Chartreux. Il dit dans l'Art. 42 in Exort. : Alors l'me est toute dilate dans la lumire infinie, amoureusement et intimement copule 15 ou solidaire la Dit sur-essentielle et la Trinit supra-bienheureuse 16 qu'elle ne sent plus rien d'autre ni qu'elle ne peroit sa propre activit. Mais elle s'pand d'elle-mme et s'coule nouveau vers ses pro-pres sources. Ainsi elle est ravie dans l'clat de la gloire, consume au feu de l'amour incr, dmesur, engouf-fr dans l'abme de la Dit, engloutie en elle, si bien qu'elle semble dans une certaine mesure dvtir son tre cr et revtir son tre incr, son modle (esse ideale). Non que son identit soit transmue ou que son tre propre ait t dissip, mais ses modes d'tre et ses attri-buts ou ses qualits d'existant ont t difis. Ils devien-nent identiques Dieu et sa Batitude supra-bienheureuse par grce et don surnaturel et ainsi s'accomplit parfaitement la parole de l'aptre : Celui qui s'attache au Seigneur ne fait plus qu'un avec lui, etc.

    Lorsque l'homme est ainsi devenu pbnement pareil Dieu tant un esprit avec Dieu. :.i avec Lui, lorsqu'il a acquis en Christ totalement !"etat d'enfance et de filia-tion, il devient aussi grand, aussi riche, aussi sage, aussi puissant que Dieu et Dieu n'agit pas hors d'un tel

    15. L'allemand a cette image ose (copu/vit), en outre en cursi-ves. Pudibond, Piard traduit par unie , et sans cursives ...

    16. berwesenlichen et berseeligsten : voir la note 13.

  • 26 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    homme vu que celui-ci est un avec Lui. Il lui rvle toute sa splendeur et ses richesses et il n'a rien dans toute sa demeure, c'est--dire en lui-mme, qu'il lui tienne cach. Comme il l'a dit Mose : Je te montrerai tout mon avoir 17 Aussi l'auteur ne s'avance-t-il pas trop loin quand il affirme au numro 14 : Je suis aussi riche que Dieu, car celui qui possde Dieu possde avec Dieu tout ce que Dieu possde. Ainsi, ce qui est avanc aux numros 8, 95 et ailleurs doit galement tre interprt dans cette optique de l'union. Quoique ces deux premires rubriques visent aussi la personne du Christ qui est vritablement Dieu et qui nous a donn de comprendre par ses incomparables uvres d'amour que Dieu souffrirait en quelque sorte si nous tions per-dus. Pour cette raison, il n'a pas seulement pntr notre misre en devenant homme, mais il a aussi voulu mou-rir de la mort la plus infamante 18 pour qu'il pt nous ramener Lui et partager avec nous ternellement joie et dlectation. Selon qu'il est dit : Ma joie est auprs des enfants des hommes. Quelle merveilleuse et indi-cible noblesse que celle de l'me ! Quelle indescriptible dignit laquelle nous avons accs par Christ. Mon Roi, mon Dieu, que suis-je donc, qu'est mon me, infinie majest, pour que tu t'abaisses jusqu' moi et m'lves toi. Pour que tu cherches auprs de moi tes dlices, toi qui es pour tous les esprits, dlice ternel. Pour que tu veuilles t'unir moi et m'unir toi, toi qui te suffit (et en) toi-mme ternellement. Oui, qu'est donc mon me, pour pouvoir t'appartenir aussi entirement que l'pouse l'poux, que l'amour l'aim ! mon Dieu, si je ne te croyais pas vridique, je ne pourrais croire

    17. Ex 25, 9. 18. Ph 2, 7-8.

  • AVANT-PROPOS 27

    qu'entre moi et toi, majest incomparable, une telle com-munion ft jamais possible. Mais puisque tu as dit que tu voulais jamais m'pouser, je dois prsent m'mer-veiller devant cette faveur qui dpasse tout entendement, dont je n'aurais jamais os m'estimer digne, le cur humble et l'esprit paralys. Toi, Toi seul, mon Dieu, accomplis de tels miracles incomparables, car toi seul Tu es Dieu. Toi louange et gloire, action de grces et grandeur, d'ternit en ternit 19 !

    En ce qui concerne d'autres nombreux noncs et maximes qui ne sont pas familiers tous, j'espre que le lecteur bienveillant, en supposant que lui, vers dans les matres de la sagesse mystique divine, ne leur est pas tranger, mais qu'il les apprciera et y trouvera de l'agrment.

    Car il trouvera ici de manire concise ce qu'il avait lu de manire dveloppe chez eux. Il trouvera mme ce qu'il a effectivement got et prouv quand Dieu l'a visit. S'il est toutefois encore inexpriment, je le renvoie amicalement ces matres principalement Ruusbroec, Tauler, Herp, l'auteur de la Thologie alle-mande, etc. Outre ceux-ci, je lui recommande tout par-ticulirement Maximilien Sandeus de la Socit de Jsus qui avec sa Theologia Mystica 20 et avec sa Clave, s'est acquis des droits exceptionnels la reconnaissance des amateurs de cette science divine. Donner pour chaque terme technique un commentaire clair et exhaustif exi-gerait de vastes dveloppements, ce qui lasserait le lec-teur. Sans qu'il faille encore en rajouter, on perd dj suffisamment le sens de la mesure en multipliant les

    19. Formule doxologique d'inspiration biblique. Pour d'ter-nit en ternit voir Dn 7, 18.

    20. Sandeus (1578-1656), Pro theologica mystica clavis (1640).

  • 28 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    publications, au point qu'on crit aujourd'hui presque plus qu'on ne lit. Ces vers ont rester tels qu'ils sont - ils ont t composs pour la plupart sans cogitation prmdite laborieuse, en peu de temps, procdant de la source de tout bien - ainsi, le premier livre a t rdig en quatre jours. Ces vers doivent encourager le lecteur chercher le Dieu cach en lui, sa Sagesse et Saintet mmes, et contempler de ses propres yeux sa Face. Toutefois l o le sens est douteux ou par trop obscur il y aura un bref ajout explicatif. Mais que le lecteur approfondisse lui-mme le sens, qu'il vive dans la contemplation des merveilles de Dieu avec un amour sincre, la plus grande gloire de Dieu 21 : c'est ce que je lui souhaite.

    Donn en Silsie le 7 juillet de l'an seize cent cinquante-six.

    21. Formule d'inspiration jsuite : ad majorem Dei gloriam.

  • DDICACE l'ternelle Sagesse,

    Dieu, Au Miroir sans tache,

    que les Chrubins et tous les esprits bienheureux contemplent dans un ternel tonnement,

    la Lumire, qui illumine tous les hommes venant en ce monde,

    la Fontaine intarissable, la Source originelle de toute Sagesse,

    Lui attribue et Lui adresse en retour ces goutelettes recueillies par grce

    de la goulotte de sa vaste Mer Son

    du dsir incessant de Le contempler sans cesse mourant -

    Johannes Angelus.

  • PREMIER LIVRE

    1. Ce qui est fin subsiste. Pur comme l'or le plus fin, rigide comme un roc, transparent comme le cristal, tel doit tre ton cur 1

    2. L'emplacement du repos ternel. Qu'un autre s'inquite de ses obsques et remmore

    sa charogne2 dans un imposant monument funraire ! Moi, je ne m'en soucie : ma tombe, mon zle et le cercueil o je repose jamais doivent tre le cur de Jsus.

    1. Gemthe concerne la vie affective, l'me sensible et non l'me suprieure. Lauterheit est un terme eckhartien.

    2. Litt. sac vers . Cette vision pjorative du corps en dcom-position se trouve dj chez Luther (Madensak) et drive du contemptus mundi mdival, tout en recevant sa coloration baro-que exacerbe.

  • 32 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    3. Le seul qui puisse satisfaire est Dieu. Dcampez, dcampez, sraphins3, vous ne pouvez me

    dsaltrer. Dcampez, dcampez, saints, et ce qui attire vers vous

    le regard. Je ne veux pas ici de vous: seul m'importe de m'abmer Dans l'ocan incr4 de la nue Dit.

    4. On se doit d'tre tout divin. Seigneur, cela ne me suffit pas d'tre ton service

    tel un anges, ni de verdoyer devant toi dans la perfec-tion divine. C'est bien trop misrable pour moi, trop mesquin pour mon esprit. Qui veut Te servir en Te ren-dant justice doit tre plus que divin.

    5. On ne sait ce qu'on est. Je ne sais qui je suis, je ne suis qui je sais : Une chose et non une chose, un point infime et un cercle6

    3. L'uvre parallle au Plerin chrubinique, le Saint dsir de l'me a pour protagoniste den Seraphinischen Begiehrer. Silesius se fonde probablement sur Denys pour clairer les noms : le Sraphin est celui qui s'enflamme d'amour ; le Chrubin, celui qui s'ouvre la connaissance (voir Les Hirarchies clestes 7,1).

    4. L'image vient de Tauler. 5. L'imitation des anges est depuis les dbuts du christianisme

    l'idal des asctes. Mais Silesius relativise cet idal d'une vie ang-lique, moins au niveau de l'thique spirituelle qu'au niveau ontolo-gique. L'incarnation du Fils a renvers la hirarchie au profit de l'homme divinis.

    6. Le motif du point central et de la circonfrence (le centre du cercle) est frquent chez Silesius : Il, 24 ; 183 ; 188 ; III, 28 ; 148 ;

  • PREMIER LIVRE 33

    6. Tu dois tre ce que Dieu est. Pour trouver ma fin ultime et mon prime dbut, je

    dois me fonder en Dieu et fonder Dieu en moi. Et deve-nir ce que Lui est* : lumire dans la Lumire, verbe dans le Verbe*, dieu en Dieu.

    * Tauler, Institution spirituelle, chap. 39. [Voir aussi saint Hip-polyte, PG XVI, 3453).

    7. On doit aller au-del de Dieu 7 O est mon sjour ? O moi ni toi nous ne nous

    tenons. O est ma fin dernire vers laquelle je dois che-miner ? L o on ne trouve pas de confins. Mais alors vers o dois-je aller ? Je dois encore* progresser, au-del de Dieu mme, jusque dans un dsert.

    * C'est--dire au-del de tout ce qu'on attribue Dieu ou qu'on peut penser de Lui selon la voie ngative. ce propos voir les mystiques.

    IV, 62; 158; 205; V, 212. Cette inanit de l'homme qui recle nanmoins le Tout en soi, et sa traduction en une symbolique go-mtrique, se trouve dj au Moyen ge dans le Livre des vingt-quatre maitres, surtout chez Nicolas de Cues, qui tait mathmati-cien, et enfin dans Monas Hieroglyptica (1591) de John Dee, volume que Silesius possdait.

    7. ber (au-del) relve de l'apophatisme. C'est la contemplatio per excessum ou l'hypertheos de Denys I' Aropagite.

  • 34 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    8. Sans moi Dieu ne vit pas. sans moi Dieu ne peut vivre, ft-ce une seconde8, je

    le sais. Si je retourne au nant, de dnuement Il doit rendre

    l'esprit. Voir la Prface.

    9. Je le tiens de Dieu et Dieu de moi. Que Dieu soit tel point heureux et vive sans dsir, Il le doit moi, comme moi Lui.

    10. Moi comme Dieu et Dieu comme moi. Je suis grand, comme Dieu; Lui est petit, comme moi. Au-del de moi Il ne peut se tenir, ni moi en de de

    Lui.

    11. Dieu est en moi et moi en Lui. Dieu est en moi le feu et moi en Lui la lumire

    rayonnante : Ne partageons-nous pas, l'un et l'autre, au plus intime,

    quelque chose de commun ?

    8. Ein Nun : une fraction de seconde. Terme technique mystique dj prsent chez Eckhart. L'interdpendance du divin et de l'humain est fortement souligne.

  • PREMIER LIVRE 35

    12. Il faut se porter au-del de soi. Homme, si tu projettes ton esprit par-del l'espace et

    le temps, Tu peux chaque instant te mouvoir dans l'ternel.

    13. L'homme est ternit. Je suis, moi, ternit, quand lchant le temps, Je me saisis en Dieu et saisis Dieu en moi.

    14. Un chrtien est aussi riche que Dieu. Je suis aussi riche que Dieu 9 ; crois-moi, pas mme

    une poussire Que je n'aie en commun avec Lui.

    15. La Sur-Dit. Les on dit sur Dieu ne me suffisent toujours pas io. La dit dpasse : voil ma vie, ma lumire.

    9. L'unit avec Dieu entrane des consquences que Silesius expli-cite dans son Avertissement au lecteur : L'auteur ne va donc pas trop loin quand il dit au n 14 d'un tel homme : "Je suis aussi riche que Dieu ... " Il ajoute que 14 comme 8 visent aussi la personne du Christ qui nous a enseign que Dieu, en quelque manire, souf-frirait si nous tions perdus .

    10. Passage capital. L'enseignement doctrinal sur Dieu ne suffit pas ; au-del de la conceptualisation, il faut faire l'exprience de cet au-del de toute pense qu'est le divin.

  • 36 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    16. L'amour presse Dieu. *Mme si Dieu ne voulait me conduire au-del de Dieu, J'entends L'y contraindre, par la force du seul amour.

    Voir le numro 7.

    17. Un chrtien est fils de Dieu. Moi aussi je suis fils de Dieu, je suis, assis sa droite. Son Esprit, sa Chair, son Sang, Il les sait en moi.

    18. J'agis l'gal de Dieu. Dieu m'aime en se dpassant Lui-mme ; si je L'aime

    au-del de moi-mme, Je Lui accorde autant qu'il m'accorde de Lui.

    19. Bienheureux silence 11 Heureux cet homme qui ne veut ni ne sait ! Qui n'offre Dieu (ne te mprends pas) ni louange ni

    gloire*. Il s'agit ici de l'Oraison de silence sur laquelle on consultera

    Maximilien Sandeus, Thologie mystique, livre Il, comment. 3.)

    11. Voir l'article Silentium dans : Pro theologica mystica, Louvain, 1963, p. 326.

  • PREMIER LIVRE

    20. La batitude est porte de main. Homme, la batitude tu peux toi-mme la saisir, Si seulement tu veux y consentir et t'y conformer.

    21. Dieu se laisse possder notre guise.

    37

    Dieu ne donne rien personne, c'est Lui-mme qu'il met la disposition de tous,

    Afin d'tre tout toi, si. seulement tu L'acceptes tel quel.

    22. L' Abandon.

    Tout ce que tu abandonnes de toi-mme Dieu, Il peut l'tre pour toi ;

    Ni moins, ni plus. Il te hissera hors de ce qui te pse.

    23. La Marie spirituelle.

    J'ai tre MARIE, et enfanter Dieu 12, Pour qu'il ne puisse ternellement me priver de

    batitude.

    12. Renvoie une ancienne doctrine des premiers Pres : celle de la naissance de Dieu en l'homme. Marie est le prototype de ce processus. Voir aussi l, 120 ; II, 101 ; 103-105 ; III, 248. Voir aussi Ch. A. BERNARD, Le Dieu des mystiques, Paris, d. du Cerf, 1994, p. 687.

  • 38 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    24. Il te faut ne rien tre, ne rien vouloir. Homme, si tu es encore, si peu soit-il, si tu sais, si tu

    aimes, si tu possdes 13 , Crois-moi, tu ne t'es pas encore dmis de ton fardeau.

    25. Dieu n'est pas saisissable. Dieu est un pur nant. Aucun ici, aucun aujourd'hui

    ne l'effleurent. Plus tu veux Le saisir, plus Il devient non-tre pour toi.

    26. La mort nigmatique. La mort est un bienfait : plus elle est forte, Plus clatante est la vie qu'on en extrait.

    27. Mourir fait vivre. En mourant mille fois, le sage Essaie d'acqurir mille vies au travers de la Vrit mme.

    13. Il ne s'agit pas de nihilisme, mais d'un abandon intgral de toutes ses facults dans l'obissance la volont divine. Une passi-vit active qui laisse Dieu agir.

  • PREMIER LIVRE 39

    28. La plus heureuse des morts. Point de mort plus heureuse que de mourir dans le

    Seigneur, Prir corps et me en vue de possder le Bien ternel.

    C'est--dire pour accomplir la volont de Dieu abandonner corps et me dans l'anantissement extrme. Comme Mose 14 et saint Paul et bien d'autres saints qui se sont offerts en sacrifice.

    29. La mort ternelle. La mort d'o ne fleurit une vie nouvelle, Voil, entre toutes les morts, celle que mon me fuit.

    30. Point n'est de mort. Je ne crois nulle mort : que je meure toute heure

    du jour, Chaque fois j'ai trouv vie meilleure.

    31. Ce qui repousse jamais la mort. Je meurs et vis pour Dieu ; si je veux vivre ternelle-

    ment en Lui, Je me dois ternellement de rendre l'esprit pour Lui.

    14. Voir Ex 32, 32.

  • 40 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    32. Dieu meurt et vit en nous. Ce n'est pas moi qui meurs et vis ; Dieu mme meurt

    en moi, Et ce que je dois vivre, Il le vit aussi jusqu'au bout.

    33. Rien ne vit s'il ne meurt. S'Ii veut vivre pour toi, Dieu mme doit mourir 15 ; Et tu voudrais sans mort hriter de sa vie ?

    34. La mort te difie. Quand tu es mort et que Dieu t'est vraiment devenu vie, C'est seulement alors que tu es vraiment intronis dans

    l'ordre lev des dieux.

    35. Mourir est le meilleur. Je prtends, puisque la mort seule me rend libre, Qu'elle est entre tout la meilleure des choses.

    36. Il n'y a pas de mort. Je dis : rien ne meurt, j'affirme simplement qu'une autre

    vie Nous est offerte par la mort, y compris la vie de

    l'enfer 16 15. Silesius renvoie probablement Ph 2, 6 : Lui de condi-

    tion divine ne retint pas jalousement le rang qui l'galait Dieu, mais ils s'anantit lui-mme (kenosis).

    16. La mort physique gnre la vie ternelle, batitude ou dam-nation.

  • PREMIER LIVRE 41

    37. L'inquitude procde de toi. Rien, rien ne te meut, tu es toi la roue 17 Qui court d'elle-mme et nul repos ne connat.

    38. L'quanimit procure la paix 18 Si tu prends les choses qui t'arrivent sans faire de

    distinction, Tu restes calme et gal, dans le bonheur comme dans

    la souffrance.

    39. L'abandon imparfait. Qui dans l'enfer est incapable de vivre hors

    enfer 19 , N'est pas encore tout livr Dieu.

    40. Dieu est ce qu'il veut. Dieu est prodigieux : Il est ce qu'il veut. Et Il veut ce qu'il est, sans mesure et sans but.

    17. Renvoie la discussion contemporaine sur le perpetuum mobile.

    18. Du stocisme, qui renat la fin du xv1 et au dbut du XVII sicle, est drive la notion de Gleichschiitsung, galit d'me, qui interfre avec celle, mdivale, de Gelassenheit, quanimit, aban-don, rsignation.

    19. La resignatio ad infernum mystique, l'acceptation par amour pour Dieu d'aller jusqu'en enfer ou d'y rester, comme ce fut le cas du mystique contemporain Silouane au Mont-Athos.

  • 42 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    41. Dieu ne se connat pas de fin. Dieu est altissime (homme, crois-le bien) ! Lui-mme ternellement ne touche l'extrmit de sa

    divinit.

    42. Sur quoi se fonde Dieu? Dieu s'appuie sur nul appui, Il se mesure sans mesure ! Si tu es avec lui un seul esprit, homme, tu comprends

    ceci.

    43. Mme sans connatre aimer est possible. L'unique objet de mon amour, j'ignore ce qu'il est : Et parce que je l'ignore, voil pourquoi je l'ai choisi.

    44. Le quelque chose est laisser. Homme, si tu aimes quelque chose, en vrit tu n'aimes

    rien. Dieu n'est ni ceci ni cela. Laisse donc ce quelque

    chose.

    45. Le Pouvoir du non-pouvoir. Qui ne dsire rien ne possde rien, ne sait rien, ne ch-

    rit rien, ne veut rien, Possde, sait, dsire et chrit encore beaucoup de biens.

  • PREMIER LIVRE

    46. La bienheureuse inanit. Je suis bienheureuse ralit, puiss-je tre inanit ! Inconnu de tout ce qui existe, et n'y ayant part.

    47. Le temps est ternit.

    43

    Le temps est telle l'ternit et l'ternit tel le temps, Pourvu que toi-mme tu ne les distingues 20 pas.

    48. Le temple de Dieu est l'autel. Dieu S'offre Lui-mme en sacrifice; quant moi Je suis chaque instant Son temple, Son autel, Son prie-

    Dieu, si je suis quitude.

    49. La quitude est le souverain Bien. La quitude est le souverain Bien ; si Dieu n'tait pas

    Lui-mme quitude, C'est moi qui fermerais les yeux les deux - devant

    Lui.

    50. Le trne de Dieu. Te demandes-tu, chrtien, o Dieu a mis son trne ? L, o en toi-mme Il t'engendre comme fils.

    20. Unterschied. discernement , notion importante chez Sile-sius ; voir aussi I. 38. C'est l'homme qui dtermine la porte exacte qu'il donne son existence.

  • 44 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    51. L'quanimit de Dieu 21 Rester immobile dans une galit d'me face au bon-

    heur, la douleur, aux affres de la vie, C'est dsormais tre proche de l'quanimit divine.

    52. Le grain de snev spirituel 22 Grain de snev que mon esprit ; Toi, son soleil,

    traverse-le de ta Lumire. Qu'il croisse ainsi, en taille pareil Dieu, dans un ravis-

    sement plein d'allgresse !

    53. L'essence de la vertu. Homme, si besogneux et peinant, tu conquiers la vertu, Tu ne la possdes pas encore, tu guerroies encore en

    vue de l'obtenir.

    54. La vertu essentielle. Moi-mme j'ai tre vertu, je ne dois rien laisser au

    hasard. Pour que les vertus jaillissent de moi immanquablement

    et vritablement.

    21. Suscription. Le motif de l'galit relve la fois du no-stocisme et de la spiritualit ignatienne. La Gleickheit s'apparente aussi la Gelassenheit.

    22. Mt 13, 31-32 ; Mc 4, 30-32 ; Le 13, 18-19.

  • PREMIER LIVRE 45

    55. La source jaillissante est en nous. Tu n'as pas crier vers Dieu, la source jaillissante23

    est en toi. Si tu ne bouches l'issue, elle flue et flue.

    56. La non-confiance offense Dieu. Si par manque de confiance tu cries vers Dieu, Et ne Le laisses pas prendre soin de tout, gare toi,

    tu risques de L'offenser.

    57. C'est dans la faiblesse qu'on trouve Dieu. Lui dont les pieds sont paralyss et les yeux aveugles, Qu'il s'applique trouver Dieu.

    58. La recherche de soi. Homme, si tu cherches en Dieu la paix, tu n'es pas

    encore dans la vrit, Tu te cherches, et non Lui. Tu n'es pas encore fils, seu-

    lement esclave.

    59. Vouloir le vouloir de Dieu. Mme si j'tais Sraphin, je prfrerais tre, Pour complaire au Trs-Haut, le plus vil vermisseau.

    23. Voir Jn 7, 38.

  • 46 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    60. Corps, me et divinit. L'me est un cristal, la divinit est sa transparence, Ton corps dans lequel tu vis, leur crin tous deux.

    61. C'est en toi que Dieu doit natre. Christ serait-il mille fois n Bethlhem, Et non en toi, tu restes perdu tout jamais.

    62. La pure extriorit n'est d'aJJcune aide. La croix du Golgotha ne peut te dlivrer du mal, Si elle n'est pas non plus dresse en toi.

    63. Lve-toi d'entre les morts. coute : quoi te sert que le Christ se relve de la mort, Si toi tu continues rester couch dans le pch et li

    la mort2A.

    64. Les semailles spirituelles. Dieu est un laboureur, le grain sa Parole ternelle, Le soc est son Esprit, mon cur le champ ensemenc.

    24. Suscription. Ep 5, 14.

  • PREMIER LIVRE 47

    65. Divine pauvret. Dieu est le pauvre des pauvres, Il se tient l tout nu

    et libre. Aussi est-ce juste titre que j'affirme que la pauvret

    est divine.

    66. Mon cur est le foyer de Dieu. Si Dieu est vritablement feu, mon cur est son foyer O Il consume le bois de la vanit.

    67. L'enfant crie sa mre. Comme un enfant sevr pleure et appelle sa mre, Ainsi crie Dieu l'me qui Le dsire, Lui seul.

    68. Un abme appelle un autre. Sans cesse et grands cris l'abme de mon esprit Appelle l'abme de Dieu 25 : dis, lequel est le plus

    bant?

    69. Lait et vin fortifient. L'humain est le lait, le divin le vin 26 Veux-tu tre fortifi, bois donc le lait ml au vin.

    25. Abyssus abyssum invocat (Ps 41, 8 dans la Vulgate). Lieu commun de la mystique mdivale et moderne : le double abme.

    26. Ct S,I je bois mon vin avec mon lait. Le lait ml de vin symbolise le Christ, la fois homme et Dieu.

  • 48 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    70. L'Amour. Notre Dieu est Amour, et tout vit par l'amour. Qu'il serait heureux l'homme qui demeurerait constam-

    ment en Lui!

    71. Il faut tre l'essence.

    Exercer l'amour est laborieux : nous n'avons pas seule-ment aimer,

    Mais aussi, comme Dieu, tre amour.

    72. Comment voit-on Dieu? Dieu habite une Lumire, nulle voie n'y accde 27 Qui ne devient pas lui-mme Lumire ne la verra jamais

    de toute ternit.

    73. L'homme tait la vie de Dieu. Avant d'tre quoi que ce soit, j'tais la vie de Dieu*. C'est pourquoi Il s'est aussi donn moi tout entier.

    * Joh. 1. Quod factum est in ipso vita erat 28

    27. Voir 1 Tm 6,16 qui habite une lumire inacessible . 28. L'interprtation de Silesius n'est possible qu'en faisant sau-

    ter la ponctuation correcte de Jn l, 3-4a qui requiert un point aprs 3 b. La TOB donne : et rien de ce qui fut ne fut sans lui. En lui tait la vie et la vie tait ; Silesius lit : Et tout ce qui fut tait en lui vie.

  • PREMIER LIVRE 49

    74. On doit revenir l'origine. L'esprit que Dieu m'a insuffl en me crant Doit nouveau* - selon l'essence - revenir Lui et

    tre immerg en Lui. En vrit, totalement, intimement ; en quelque sorte intriori-

    sation constitutive, chez Louis de Blois 29, Instit. chap. 3, n 8.

    75. Ton idole, ton dsir. Si, outre Dieu, tu dsires encore autre chose, je te dis

    franchement : (et que tu sois saint n'y change rien) elle est pour toi

    une idole.

    76. Ne rien vouloir rend semblable Dieu. Dieu est Repos ternel, Il ne cherche rien, Il ne dsire

    rien. Si de mme tu ne dsires rien, tu es autant que Dieu.

    77. Les choses sont peu de choses. Qu'il est donc petit cet homme enclin faire grand cas

    de quelque chose, Mais qui ne s'attache pas, en faisant fi de soi, au ser-

    vice du Trne divin.

    29. Louis de Blois (1506-1566). Silesius avait le vol. 1 des Opera de ce bndictin parues en 1626 Augsbourg et contenant l' Institu-tio spiritualis (1571, Venise).

  • 50 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    78. Le cr n'est qu'un petit point. Vois, tout ce que Dieu cra est mes yeux si menu, Que tout cela me semble n'tre qu'un seul petit point

    relativement Lui.

    79. Dieu porte des fruits parfaits. Qui voudrait me convaincre de refuser Dieu sa

    perfection, Devrait d'abord me couper de son Cep 30

    80. Chaque chose sa place 31 L'oiseau repose dans l'air, la pierre sur la terre, Le poisson vit dans l'eau, mon esprit dans la main de

    Dieu.

    81. Ex-florescence divine en ses branches ( gottblht auss ).

    Si tu es n de Dieu, Dieu fleurit en toi, Et sa divinit est ta sve, ton ornement.

    30. Jn 15, S (le vrai cep). 31. Le motif des diffrents rgnes au sein de leur lment spci-

    fique se retrouve au livre IV, 32. Mon esprit dans la main de Dieu renvoie au Psaume 31, 6 et la parole mise par Luc dans la bouche de Jsus mourant (Le 23, 46).

  • PREMIER LIVRE 51

    82. Le ciel est en toi. Arrte, o cours-tu, le ciel est en toi. Si tu cherches Dieu ailleurs, tu Le manques tous les

    coups.

    83. Comment jouir de Dieu ? Dieu est un unique Un. Qui veut jouir de Lui Doit, autant que Lui, s'enfermer en Lui.

    84. Comment devenir pareil Dieu? Qui veut tre pareil Dieu, doit devenir non pareil

    tout, Doit se vider de soi 32 et tre libre de tout ce qui

    l'alourdit.

    85. Comment our le Verbe de Dieu ? Veux-tu entendre parler en toi le Verbe ternel, Il te faut au pralable briser avec toute forme de trouble.

    86. Ma largeur est l'quivalent de la largeur divine. Ma largeur gale la largeur divine. Il n'est rien au

    monde Qui puisse - c'est merveille - me contenir en son sein.

    32. Le motif du vide est central dans la mystique chrtienne et remonte saint Paul (la knose, Ph 2, 7 : Il [Christ] se vida lui-mme.

  • 52 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    87. Dans la pierre angulaire gt le trsor. Pourquoi martyriser le minerai ? Seule la pierre

    d'angle 33 Recle en elle sant, or et toutes sciences 34

    88. Tout repose en l'homme. Comment peux-tu donc, homme, encore dsirer rali-

    ser quelque chose, Alors que tu renfermes Dieu en toi et toute chose 35 ?

    89. L'me est semblable Dieu. Puisque mon me se tient en Dieu hors du temps et du

    lieu, Elle doit forcment ressembler au Lieu et au Verbe

    ternels.

    33. Voir Mt 21, 42 (qui renvoie au Ps 118, 22-23); aussi Ac 4, 11 ; Ep 2, 20 ; 1 P 2, 6-7.

    34. Les sciences visent !'Ars magna et ses oprations alchimiques. Silesius relativise l'alchimie et les processus de mutation en donnant une explication mystique, la pierre angulaire tant le Christ, assi-mil l'or du trsor dont parle la parabole du trsor (Mt 6, 19-21). Vcir le mme motif: 1, 280; aussi III, 119; 208. Silesius possdait sans doute des livres d'alchimie, mais il ne lui accorde plus qu'un sens symbolique (religieux) comme Baudelaire le fera dans Les Fleurs du mal (retournement psychologique) (Alchimie de la douleur).

    35. La maxime repose sur le prsuppos que l'homme en tant que microcosme possde en soi l'essence du macrocosme. Cette pos-session de la totalit annihile tout dsir d'un bien particulier qui est dj retenu.

  • PREMIER LIVRE 53

    90. La divinit est le verdoiement. La divinit est ma sve : ce qui de moi verdoie et fleurit Est son Saint-Esprit par qui s'opre la pousse.

    91. Nous avons rendre grce de tout. Homme, n'as-tu pas encore pris l'habitude de rendre

    grce Dieu pour ceci, pour cela, Tu n'as pas encore dmnag hors des frontires de ta

    faiblesse.

    92. L'homme pleinement divinis36 Celui qui est comme s'il n'existait pas et comme s'il

    n'tait jamais n, Est devenu - quelle batitude ! - rien que Dieu.

    93. C'est en soi qu'on entend la Parole37 Nie-le si tu veux, mais qui demeure en soi Entend la Parole de Dieu, mme hors du temps et de

    l'espace.

    36. Silesius n'impute pas au spirituel la capacit d'un non-devenir qui le soustrairait aux catgories d'tre, de temps et d'espace. Il nuance comme s'il... . Mais il joue sur le verbe devenir gewor-den qui revient au vers 2. Il y a effectivement un devenir, une divi-nisation progressive. Le paradoxe c'est que ce devenir se fonde sur un dpouillement, un non-tre absolu. Pour devenir Tout il faut devenir rien.

    37. L'option mystique se dmarque nettement du protestantisme qu'a connu Silesius et qui est fond sur les critures.

  • 54 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    94. L'humilit. L'humilit est le fond, le couvercle et l'crin Dans lequel sont ranges et renfermes les vertus.

    95. La puret. Quand par Dieu je suis devenu puret, Je n'ai plus me retourner pour trouver Dieu quelque

    part.

    96. Sans moi Dieu ne peut rien. Sans moi Dieu ne peut former le moindre vermisseau, Si je ne le maintiens pas en vie avec Lui, si tt il

    crvera.

    97. tre uni Dieu prvient le tourment ternel. Qui est uni Dieu, Dieu ne peut le damner. moins de se prcipiter Lui-mme avec celui-ci dans

    la mort et les flammes.

    98. La volont morte elle-mme est souveraine. Si tant est que ma volont propre est morte, Dieu se

    voit forc de faire ce que je veux. Je Lui prescris, moi, son modle et son projet.

  • PREMIER LIVRE 55

    99. l'quanimit tout est gal. Je m'abandonne tout entier Dieu. Me fait-Il souffrir, Je Lui sourirai, comme quand Il me comblera de sa joie.

    100. L'un soutient l'autre. Dieu dpend de moi comme moi de Lui. Je L'aide conserver Son tre, comme Lui le mien.

    IO 1. Le Christ. Quel miracle ! Le Christ est autant agneau que berger Quand, en mon me, Dieu se fait homme.

    102. L'alchimie spirituelle 38 Alors seulement le plomb se change en or et le hasard

    s'croule, Quand je suis avec Dieu mtamorphos par Dieu en

    Dieu.

    103. Encore l-dessus. Moi-mme je suis mtal, l'Esprit est feu et fourneau Le Messie la teinture, qui aurole corps et me.

    38. 1 102 ; 103 ; 104. La thmatique alchimique est frquente chez Silesius, mais, comme le souligne le titre de 102, elle est d'essence spirituelle . Elle sert de support mtaphorique l'ide d'union, de fusion avec Dieu. Voir aussi teinture: 1 103 ; 246; 258; III, 120.

  • 56 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    104. Encore toujours l-dessus. Ds que je puis tre fondu au feu de Dieu, Aussitt Dieu m'imprime son tre mme.

    105. L'image de Dieu 39 Je porte l'image de Dieu : s'il veut se contempler Il ne peut le faire qu'en moi, en qui Il ressemble.

    106. L'un est dans l'autre. Je ne subsiste pas en dehors de Dieu, ni Dieu en dehors

    de moi; Je suis, moi, son clat et sa lumire, et Lui, ma gloire.

    107. Tout reste encore jusqu'ici en Dieu. Si on admet que la crature procde de Dieu, Comment peut-Il encore toujours la garder incluse en

    soi?

    39. L'homme comme imago Dei renvoie Gn I, 26: Faisons l'homme notre image. Ce texte est devenu absolument central dans la patrologie et ultrieurement dans la mystique. Cette intui-tion remonte Origne (voir Jean KrRCHMEYER, art. Grecque [glise] dans : DSAM, VI, col. 819-822).

  • PREMIER LIVRE

    108. La Rose. La rose que contemple ici-bas ton il extrieur, A fleuri ainsi en Dieu, de toute ternit*.

    Jdealiter40

    109. Le cr. Le cr subsistant entirement dans le Verbe divin, Comment pourrait-il jamais dprir et disparatre ?

    110. Ce que recherche le cr. Depuis la prime origine jusqu' ce jour,

    57

    Le cr ne recherche que le repos en son Crateur.

    111. La Dit est un Nant. La frle Dit est Nant, Surnant41 Crois-moi, qui en tout rien ne distingue, Le discerne,

    Lui.

    112. Il fait bon au soleil. Qui se tient au soleil ne manque pas de lumire Laquelle fait dfaut qui s'gare hors d'elle.

    40. Idealiter renvoie la doctrine des ides ternelles platoni-ciennes. Mais Scheffler a pu aussi trouver son inspiration chez Fludd, Philosophica Moysica (1638) (Sectio secunda Lib 1, Caput Il, Fol. 69 fO.

    41. bernichts remonte la terminologie de Grgoire de Nysse superessentialis, sur-dit, sur-minent, sur-nant ...

  • 58 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    113. Jhovah est le soleil. te-moi la lumire solaire ! Jhovah est le soleil Qui illumine mon me, la ravit.

    114. lui seul le Soleil suffit. L'homme pour qui resplendit le soleil n'a pas regar-

    der du coin de l' il Si ailleurs brillent la lune et d'autres toiles.

    115. Tu as tre soleil. J'ai, moi, tre soleil : je dois colorer de mes rayons L'incolore mer de la totale Dit.

    116. La Rose. La rose 42 revigore les champs : pour dsaltrer mon

    cur Elle doit tomber du cur de Jsus.

    42. La rose est un motif biblique courant : Gn 27, 28 ; Os 14, 6, Jg 6, 39; 2 S 1, 21; Sg Il, 22.

  • PREMIER LIVRE 59

    117. Le monde n'a rien de doux. Appeler quelque chose en ce monde doux et suave, N'est pas encore avoir l'exprience de la suavit divine.

    118. L'esprit reste invariablement libre. Jette-moi, tant que tu peux, en mille fers, Je resterai toujours parfaitement libre, dtach.

    119. Tu dois remonter l'origine. Homme, l'origine l'eau est pure et limpide, Si tu ne bois pas la source, il y a pril.

    120. La perle nat de la rose. La limace lche la rose43 , et moi, Seigneur Jsus, ton

    sang: En l'un comme en l'autre nat un inestimable bien.

    121. Par l'humain vers le divin. Veux-tu capter la rose perle de noble divinit, Reste sans relche attach son humanit.

    43. La limace renvoie un mollusque coquille qui produisait une sorte de perle dont on raffolait l'poque. Selon la tradition la perle nat de la prise par le mollusque d'une part de rose.

  • 60 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    122. Les sens engendrent la souffrance. Un il qui ne se prive jamais de la convoitise du

    voir Finit par tre tout aveugl, et il ne se voit plus lui-

    mme.

    123. Dieu languit aprs son pouse. La tourterelle gmit d'avoir perdu son compagnon, Et Dieu, de te voir prfrer lui la mort.

    124. Il faut qu' ton tour tu le sois ! Dieu s'est fait homme pour toi ; si ton tour tu ne

    deviens Dieu, Tu outrages sa naissance et tu offenses sa mort.

    125. L'quanimit ne connat pas la douleur 44 Celui qui tout est gal, aucune souffrance ne le tou-

    che, Ft-il dans la ghenne de feu au nadir de l'enfer.

    44. Renvoie 1, 39 et la resignatio ad infernum, forme extrme de la doctrine de substitution, qu'on trouve aussi bien chez Massi-gnon (Badaliya) que chez Silouane ou chez Thrse de l'Enfant-Jsus qui s'offre en victime d'holocauste ; voir Paul Ternant, Le Christ est mort pour nous, d. du Cerf, 1993.

  • PREMIER LIVRE 61

    126. L'aspiration escompte l'exaucement. Homme, si tu en es encore au stade de tendre vers Dieu

    et d'aspirer Lui, C'est que tu n'as pas t encore saisi par Lui dans tout

    ton tre.

    127. Pour Dieu tout est pareil. Dieu ne distingue pas, tout Lui est pareil 45 Il y a partage avec la mouche autant qu'avec toi.

    128. Tout dpend de la rceptivit. Si j'avais la force d'accueillir Dieu au mme degr que

    Christ le fit, l'instant mme Il consentirait ce que j'y accde.

    129. Le mal nat de toi. Dieu n'est que bont ! Damnation, mort et souffrance, Et ce qu'on appelle le mal, tout cela, homme, doit for-

    cment ne prendre naissance qu'en toi-mme 46

    45. L'tre est participation I'~tre de Dieu et donc universel, foncirement non distinctif.

    46. Doctrine traditionnelle concernant le pch originel (depuis Augustin). Se fonde sur saint Paul Rm 5, 19.

  • 62 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    130. Le dnuement est repos en Dieu. Qu'il est bon pour l'esprit de reposer dans le sein du

    Bien-Aim! Dnud de Dieu, de toutes choses et de soi-mme.

    131. Le paradis dans la souffrance. Homme, condition que tu sois fidle Dieu et que

    tu ne veuilles que Lui, La plus grande dtresse mme te sera un paradis.

    132. Il faut tre arm. Homme, on n'atteint pas le paradis dsarm. Veux-tu y aller, il te faut traverser et feu et glaive.

    133. Dieu est un ternel Prsent. Si Dieu est un ternel Prsent 47 , pourquoi donc Ne pourrait-Il dj tre en moi tout en tout ?

    134. Le mourir imparfait. Si telle ou telle chose t'alarme toujours et t'agite, Tu n'es pas encore tout fait dpos au tombeau avec

    Dieu (le Christ mort sur la croix). 47. L'ternit n'est pas pour le mystique une sorte d'au-del de

    cette vie, mais une exprience d'immdiatet, le ici et maintenant qui transcende la temporalit. Totus in toto (saint Paul).

  • PREMIER LIVRE 63

    135. Auprs de Dieu il n'y a que son Fils. Homme, nais donc de Dieu ! Prs du trne de sa

    divinit, Ne se tient que son Fils, son Unique.

    136. Comment Dieu se repose-t-il en moi ? Tu dois tre tout pur, te tenir dans l'instant, Pour que Dieu puisse en toi Se contempler et douce-

    ment Se reposer.

    137. Dieu ne damne personne. Pourquoi te plaindre de Dieu ? C'est toi-mme qui te

    damnes 48 Lui ne le voudrait en aucun cas, j'en suis sr.

    138. Plus tu es hors de toi-mme, plus Dieu est en toi.

    Plus tu sauras te dpouiller de toi et te dverser hors de toi,

    Plus Dieu se voit forc de te submerger de sa divinit.

    139. Elle porte et est porte. La Parole qui te porte, toi et moi, et toutes choses, Je la porte mon tour en moi, et la garde.

    48. Doctrine traditionnelle justifiant Dieu et imputant la dam-nation la libert humaine. Voir aussi I, 145.

  • 64 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    140. L'homme est tout.

    L'homme est tout. Si quelque chose lui manque, C'est que vraiment il ignore sa richesse.

    141. Il y a mille et mille soleils.

    Tu prtends qu'au firmament un seul soleil existe, Mais moi je te dis : il y en a mille et mille 49

    142. Plus on donne, plus on est aim.

    Pourquoi le Sraphin est-il plus aim de Dieu Qu'un moucheron? C'est qu'il se donne plus.

    143. L'gocentrisme est damnation.

    Si le diable pouvait sortir de son soi 50 , Tu Le verrais assis bien droit au trne de Dieu.

    49. Dans ses images potiques, Silesius recourt, comme pour l'alchimie, des lments de la science de son temps : ici, la thse de Giordano Bruno (1548-1600) de la multiplicit des soleils (toi-les) face l'ancien hliocentrisme. Mais en fait le sens spirituel est diffrent : il insiste sur la diffusion du divin dans les hommes difis .

    50. L'enfermement dans son soi (sein Seinheit) est un leitmotiv qui traverse tout le Plerin chrubinique. S'il peut se rapporter Bhme, il relve en ralit de toute la tradition asctique mdivale et moderne.

  • PREMIER LIVRE 65

    144. Le crateur seul le peut. Qu 'imagines-tu donc ? de compter la foule des toiles ? Seul le crateur peut les compter toutes.

    145. Tu portes en toi ce que tu veux. Tu portes en toi le ciel, et galement les supplices de

    l'enfer 51 : Ce que tu lis et tu dsires, est tien, et ce partout.

    146. Hors du Christ, rien n'est aimable aux yeux de Dieu.

    Autant Dieu aime une me dans l'clat et la lumire du Christ,

    Autant elle Lui dplat si le Christ lui fait dfaut.

    147. La Terre vierge.

    Le plus dlicat au monde, c'est la pure terre vierge ; On dit que d'elle nat l'Enfant des Sages 52

    51. Intriorisation des notions d'enfer et de ciel qui ne sont plus localises hors de l'homme. On la rencontre chez Weigel, Court expos et introduction la thologie allemande, mais aussi dj au Moyen ge.

    52. La terre vierge est la quintessence des trois mtaux compo-sant la terre grossire et ce qu'elle recle l'tat pur, matriau alchi-mique en vue du Grand uvre, sans admission d'lments tran-gers. L'Enfant des sages ou la pierre philosophale devient, dans une optique christologique, Jsus, l'tre humain et divin qui revt notre humanit dans ce qu'elle a de plus pur, le sein de la Vierge Marie.

  • 66 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    148. Mtaphore de la Trinit. Les sens, l'esprit la parole t'enseignent clairement et

    gratuitement (si tu peux le saisir) comment Dieu est Tri-Unn.

    149. Il ne se laisse pas circonscrire. Pas plus que t'est connue l'amplitude de Dieu, Tu n'es mme de dire que le monde est une sphre.

    150. L'Un est dans l'autre. Si mon me est dans mon corps et aussi en tous ses

    membres Je puis bon droit prtendre que le corps est son

    tour en elle. C'est--dire idealiter.

    151. L'homme est de toute ternit. En engendrant initialement son Fils, Dieu nous a lus, toi et moi, pour lit de l'accouche54

    53. Spculations triadiques propres au cercle de Franckenberg. ~tre spirituel, l'homme est icne analogique du divin (et non seule-ment du macrocosme). Les sens (la perception) renvoient au Pre, la Parole au Fils, l'esprit l'Esprit-Saint.

    54. Gottes Kindbette. Allusion la doctrine de l'incarnation de Dieu dans l'me humaine, qui doit l'accoucher. Ce motif frquent chez Silesius, qui remonte aux Pres, a t particulirement mis en vidence dans la mystique allemande.

  • PREMIER LIVRE 67

    152. C'est toi qui dois tre l' Agneau de Dieu. Que Dieu soit un agneau ne t'est d'aucun secours,

    chrtien, Si tu n'es pas aussi toi-mme Agneau de Dieu.

    153. Tu as devenir enfant55 Homme, si tu ne deviens pas enfant, jamais tu n'entreras O sont les enfants de Dieu, la porte est bien trop petite.

    154. La virginit mystique 56 L'homme transparent comme la lumire et pur comme

    l'origine, Dieu le prdestine tre vierge.

    155. Tu te dois de commencer ici. Homme, dsires-tu te tenir ternellement prs de

    1' Agneau, Tu as, ds ici-bas, mettre tes pas dans ses traces.

    55. Allusion Mt 18, 3. 56. La virginit est un motif corrlatif de celui de l'enfantement,

    aussi paradoxal que cela paraisse. La mystique a toujours soulign la ncessit de la transparence pour que Dieu puisse transparatre . Elle se fonde sur la batitude Heureux les curs purs : ils ver-ront Dieu (Mt 5, 8).

  • 68 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    156. Dieu lui-mme est notre pture. Vois donc cette merveille ! Dieu s'abaisse au point De vouloir tre Lui-mme galement la pture des

    agneaux.

    157. Quelle trange parent que celle de Dieu ! Dis-moi, grand Dieu, comment Te suis-je apparent, Que tu m'aies appel : Mre, fiance, pouse et enfant ?

    158. Qui peut boire la source de Vie? Qui imagine pouvoir s'asseoir l-haut la source de Vie, Doit d'abord ici-bas suer sa propre soif.

    159. La vacuit est l'image de Dieu. Homme, si tu es vide, l'eau jaillit de toi, Comme de la source d'ternit.

    160. Dieu a soif, fais-Le donc boire. Dieu mme halte de soif. Que tu L'affliges ce point ! Et, l'image de cette femme, la Samaritaine57 , ne Le

    dsaltre point !

    57. Allusion la rencontre avec la Samaritaine, Jn 4, 6-15.

  • PREMIER LIVRE 69

    161. L'ternelle Lumire.

    Je suis une ternelle Lumire, je brle continment. Ma mche, mon huile, c'est Dieu ; mon esprit est le

    quinquet.

    162. La filiation t'est ncessaire.

    Si tu entends appeler l'altissime Dieu ton Pre, Il te faut d'abord L'identifier avant d'tre son enfant.

    163. Il faut aimer l'humanit.

    Tu n'aimes pas les hommes , et bon droit ! C'est l'humain qu'on doit aimer en l'homme.

    164. On contemple Dieu dans l'abandon.

    L'ange contemple Dieu dans la transparence du regard. Mais moi, je Le contemple bien plus encore quand je

    lche Dieu 58

    165. La Sagesse 59

    La Sagesse aime se trouver o sont ses enfants. Pourquoi donc ? Que c'est stupfiant ! Elle mme est

    un enfant. 58. Le motif de l'abandon complet recoupe celui de l'homme

    dpassant la perfection de l'ange; voir II 44 : die berengelheit, la sur-anglicit.

    59. Premire occurrence d'un motif omniprsent chez Silesius par-ticulirement dans les livres III et V. Voir Ps 19, 8 la sagesse du

  • 70 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    166. Le miroir de la Sagesse. La Sagesse se contemple dans son miroir. Quel miroir ? Soi-mme, et l'homme capable de devenir sagesse.

    167. Autant toi en Dieu, autant Lui en toi. Autant que l'me en Dieu, Dieu repose en l'me : Ni moins ni plus t'est acquis, crois-m'en, homme.

    168. Le Christ est tout. merveille ! Le Christ est Vrit et Parole, Lumire,

    Vie, Nourriture et Boisson, Plerin, Porte, Lieu.

    169. Ne rien dsirer est flicit. Les saints sont saisis par la paix de Dieu, Et connaissent la flicit, parce qu'ils ne dsirent rien.

    170. Dieu n'est ni haut ni profond. Dieu n'est ni haut ni profond : qui en dernire analyse

    parle autrement, n'a de la vrit qu'une lamentable science.

    simple et Le 10, 21 d'avoir cach cela aux sages et aux habiles et de l'avoir rvl aux tout-petits . La Sophia de J. Bhme a aussi influenc Silesius.

  • PREMIER LIVRE

    171. Dieu se trouve quand on ne Le cherche. Dieu n'est ni ici ni l ; qui veut Le rencontrer, Qu'il se fasse lier mains et pieds, corps et me !

    172. Dieu voit avant mme que tu ne penses.

    71

    Si Dieu ne devait pas de toute ternit prvoir tes penses,

    C'est toi qui prexisterait Lui : Lui, petit point, et toi limites60

    173. L'homme ne vit pas de pain seulement61 Le pain ne te fait pas vivre : ce qui dans le pain

    te nourrit, c'est le Verbe ternel de Dieu, c'est la Vie et c'est l'Esprit.

    174. Les dons de Dieu ne sont pas Dieu. Qui prie Dieu pour ses dons et ses bienfaits, quel

    malheur! Ce n'est pas Dieu qu'il adore, mais la crature.

    60. L'hypothse d'une antriorit de la pense humaine par rap-port celle de Dieu est infirme par l'image d'une absurde inver-sion : l'infini devenant un point l'intrieur des barrires du fini.

    61. Voir Mt 4, 4 : Dt 8, 3.

  • 72 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    17 S. tre fils suffit largement. Fils, le nom le plus tendre que Dieu puisse me donner. S'il le prononce, et le monde et Dieu mme peuvent me

    faire dfaut.

    176. tats interchangeables. L'enfer devient paradisiaque, sur cette terre mme, (C'est ahurissant !) si le ciel peut devenir enfer.

    177. Au fond tout est pareil. On disserte sur le temps et l'espace, l'instant et l'ternit. Mais que sont temps et espace, instant et ternit ?

    178. toi la faute. Que ton regard s'aveugle fixer le soleil, Tes yeux en sont responsables, non l'intense luminosit.

    179. La source originelle qu'est Dieu. Puisque les flots de la divinit doivent se dverser de

    moi, Je dois tre une source, sinon ils se tariraient.

  • PREMIER LIVRE 73

    180. Un chrtien est glise et tout. Que suis-je donc en dfinitive ? J'ai tre glise et

    autel, j'ai tre prtre de Dieu, et aussi sacrifice.

    181. Il faut user de violence. Qui ne se presse tre l'enfant chri du Trs-Haut Demeure l'table o sont btail et valets.

    182. Le salari n'est pas le fils 62 Homme, si tu sers Dieu pour ton profit, ton bien-tre,

    ta paye, Tu ne Le sers pas encore par amour, comme un fils.

    183. Le mariage mystrieux 63 Quelle joie ce doit tre pour l'me quand Dieu la prend

    pour pouse Par la puissance de son Esprit, en son Verbe ternel !

    62. Distinction traditionnelle entre le mercenaire et le fils, qui se fonde sur Jn 10, 12 et Le 15, 19. Voir le trait de saint Bernard De diligendo Deo, o l'on trouve dj les deux catgories de dilection.

    63. Le mariage mystique avec l'me humaine est un acte fon-cirement trinitaire, chacune des Personnes contribuant l'cono-mie de l'union.

  • 74 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    184. Dieu m'est ce que je veux. Dieu est pour moi bton, lumire, sentier, but et jeu, Il m'est pre, frre, enfant et tout ce que je veux.

    185. L'espace lui-mme est en toi 64 Toi, tu n'es pas dans l'espace, c'est l'espace qui est en

    toi. Jette-le hors de toi, et voici dj l'ternit.

    186. La maison de l'ternelle Sagesse. La Sagesse ternelle btit 6s : je serai son palais

    quand Elle aura trouv le repos, Elle en moi et moi en Elle.

    187. L'immensit de l'me. Le monde m'est trop troit, le ciel m'est trop petit. O trouverai-je encore de la place pour mon me ?

    188. Le temps et l'ternit. Tu dis : dplace-toi hors du temps en l'ternit ! Y aurait-il donc une distinction entre temps et ternit ?

    64. Comme dans I, 145 il y a ici intriorisation du spatial. Cette introversion facilite son rejet et sa substitution par l'ternit.

    65. Allusion Pr 9, 1.

  • PREMIER LIVRE 75

    189. L'homme seul cre le temps. Toi-mme cres le temps, tes sens forment l'horloge. Arrte donc en toi le balancier66, et c'en est fait du

    temps.

    190. L'quanimit. Je ne sais que faire. Tout m'indiffre : lieu, non-lieu, ternit, temps, nuit, jour, joie et peine.

    191. Pour contempler Dieu, il faut tre tout. Qui n'est pas lui-mme tout est encore trop limit Pour qu'il puisse Te voir, mon Dieu, et toutes

    choses 67

    192. L'tre vritablement divinis. C'est seulement en tant devenu toutes choses, Que tu te tiens, homme, dans le Verbe68 et dans les

    rangs des dieux.

    66. Uhrwerk est rattach Unruh : le mcanisme du dsir pi:o-voque l'agitation. Mais l'image est aussi strictement horlogre, car Unruh signifie galement balancier .

    67. Deus meus et omnia, l'oraison jaculatoire qu'on retrouve encore dans I, 233.

    68. Allusion Jn I, 3.

  • 76 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    193. La crature est vraiment en Dieu. La crature est plus en Dieu qu'en elle-mme ; Qu'elle-mme dprisse, elle subsiste en Lui jamais.

    194. Qu'es-tu face Dieu ? Homme, n'aie pas une haute ide de. toi-mme parce

    que tu uvres beaucoup pour Dieu, Car l'activit de tous les saints n'est que jeu ct de

    Dieu.

    195. La lumire se maintient dans le feu. La lumire donne force tout : Dieu mme vit dans

    la lumire : S'il n'tait pas, Lui, le feu 69, elle serait vite annihile.

    196. L'arche spirituelle et le pot de manne. Homme, ton cur est-il d'or 70, ton me transparente? Alors tu es galement capable d'tre l'arche et le pot

    de manne 71

    69. La conjonction dans l'~tre divin de la lumire irradiante et du feu dvorant (deux modalits d'un mme feu) est un motif que Silesius a trouv chez J. Bohme, qui, lui, insiste sur les contraires, lumire vs feu, amour vs colre.

    70. Ex 25, 11. 71. Ex 16, 32.

  • PREMIER LIVRE 77

    197. Dieu rend parfait. La toute-puissance de Dieu, c'est ce que n'admet pas Qui me dnie la perfection, telle que Dieu la dsire pour

    moi.

    198. Le Verbe est comme le feu. Le feu redresse toutes choses, sans toutefois tre m. Ainsi le Verbe ternel qui tout relve et remue.

    199. Dieu hors de la crature. Va l o tu ne peux, vois o voir ne peux. Entends o rien ne retentit ni bruit : tu es o parle Dieu.

    200. Dieu n'est rien (de cr). Vraiment Dieu n'est rien, et s'il est quelque chose Ce n'est qu'en moi lorsqu'il me choisit pour Lui 72

    201. Pourquoi Dieu nat-Il ? mystre inconcevable ! Dieu s'est perdu, Aussi veut-Il natre nouveau en moi.

    72. Il ne faudrait pas exagrer l'audace du distique. Que Dieu soit non-tre, non-dtermination est une thse traditionnelle. Ce que Dieu est pour soi chappe l'homme. Lorsque nous parlons de Dieu, nous l'envisageons de notre point de vue. Ce que Dieu est, Il l'est par-rapport--nous. Pour nous, Il est le Dieu de la grce, Celui qui nous a lus.

  • 78 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    202. La haute estime. En quel estime Il me tient ! Dieu bondit de son trne Et m'y tablit en son Fils bien-aim.

    203. Toujours pareil. Je suis devenu ce que j'tais, et suis prsent ce que

    j'ai t, Et ternellement je le serais, si corps et me je guris.

    204. L'homme est ce qu'il y a de plus haut. Rien ne me semble haut : je suis la haute cime. Car mme Dieu, sans moi, ne reprsente pas grand-chose

    pour Lui-mme.

    205. L'espace est le Verbe. Verbe et espace sont un 73 , et si l'espace n'tait, D'ternelle ternit, il n'y aurait pas de Verbe.

    206. Quel nom porte l'homme nouveau? Veux-tu connatre le nouvel homme en son nouveau

    nom? Exige d'abord de Dieu comment Il se nomme d'ordi-

    naire.

    73. Jeu de mots sur Ort (lieu) et Wort (Verbe). Le divin est exclusif.

  • PREMIER LIVRE

    207. Le plus beau des festins. doux festin ! Dieu en personne sera le vin 74 Les mets, la table, la musique et le service.

    208. La bienheureuse intemprance. De trop n'est jamais bon ! Se gaver est affreux.

    79

    Et pourtant puiss-je tre gorg de Dieu autant que l'est Jsus !

    209. Telle bouche, telle breuvage. Babylone, la prostitue 7s, boit du sang, boit sa mort. Quelle diffrence avec moi ! Je bois du sang, mais je

    bois Dieu.

    210. Plus on s'abandonne, plus on devient divin. Les saints sont enivrs 76 de la divinit de Dieu. Dans la mesure mme o ils sont perdus et engloutis

    en Lui.

    74. Voir Mt 26, 29 et surtout Ap 19, 9 heureux les gens invi-ts au festin de noces de I' Agneau .

    75. Ap 17, S Babylone la Grande, la mre des rpugnantes pros-titues de la terre.

    76. Silesius recourt ici une expression traditionnelle depuis les Pres, la meth nfalios ou ebria sobrietas, qui est un oxymoron (voir Eusbe de Csare). Maximilien Sandeus dans sa Pro Theolo-gia mystica clavis distingue ebrietas spiritua/is et ebrietas mystica ou encore ebrietas sobria (de l'union active avec Dieu) et ebrietas mystica (de l'union passive avec Dieu).

  • 80 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    211. Le royaume des cieux appartient aux violents 77

    Dieu ne donne le Royaume des Cieux : toi de l'attirer Et de te dmener de toutes tes forces, de tout ton zle.

    212. Moi comme Dieu, Dieu comme moi.

    Dieu est ce qu'il est, je suis ce que je suis. Connatre fond l'un des deux, c'est me connatre et

    Lui aussi.

    213. Le pch. La soif n'est pas un objet, pourtant elle peut te

    tourmenter. Comment le pch ne rongerait-il pas ternellement le

    mchant?

    214. La douceur.

    La douceur est velours o Dieu s'tend et se repose 78 , Possdes-tu la douceur, Il te remercie d'obtenir Son

    coussin.

    215. La justice. Qu'est la justice ? Ce qui en toute galit tous se donne, Prescrit, somme : ici-bas et dans le Royaume des cieux.

    77. Mt 11, 12. 78. Probablement une allusion indirecte Mc 4, 38.

  • PREMIER LIVRE 81

    216. La divinisation. Dieu est mon esprit, mon sang, ma chair et mes os. Comment ne .serais-je pas avec Lui difi de part en

    part?

    217. Action et repos sont authentiquement divins.

    Te demandes-tu ce que Dieu prfre : que tu agisses ou que tu sois au repos ?

    Je dis que l'homme, l'instar de Dieu, se doit aux deux.

    218. Voir comme Dieu. Qui dans son prochain ne voit que Dieu et Christ, Voit d'une lumire, qui s'panouit de la Dit.

    219. Simple sans parties. Le simple 79 est ce point prcieux que s'il manque

    Dieu, Celui-ci n'est plus ni Dieu, ni Sagesse, ni Lumire.

    79. Haplous, simple dans Mt 6, 22 Si ton il est simple. Ein-falt renvoie aussi Eckhart et sa notion de Einfaltigkeit d'unit. C'est l'tre (das Wesen) qui est simple. Simple qualifie aussi la lumire en laquelle la simplicit peut tre perue (Sermons, 71). On songe aussi Marguerite de Porte et son clbre Miroir des mes simples et ananties, o l'analogie de l'me simple avec la simple divinit est explicite, ainsi qu' La Perle vanglique ( Dieu est une simple essence ... ).

  • 82 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    220. Je suis galement la droite de Dieu. Mon sauveur ayant assum la condition humaine, Je suis parvenu, moi aussi, en Lui, la droite de Dieu.

    221. La foi. La foi, grande comme un grain de snev, dplace la

    montagne dans la mer80 Imagine ce qu'elle serait capable d'accomplir si elle tait

    citrouille.

    222. L'esprance. L'esprance est un cble : si seulement le damn pou-

    vait avoir de l'espoir, Dieu le tirerait du marais o il se noie.

    223. L'assurance. L'assurance est bonne, et la confiance est belle, Mais si tu n'es pas justifi, elle t'apportera des

    tourments.

    224. Ce que Dieu est pour moi, je le suis pour Lui.

    Dieu m'est Dieu et homme je Lui suis homme et Dieu ; J'tanche sa soif et Lui me tire de mon dnuement.

    80. Mt 17, 20.

  • PREMIER LIVRE 83

    225. L'Antchrist. Qu'as-tu bayer, homme? L'Antchrist et la Bte81 Sont tous deux en toi, si toi tu n'es pas en Dieu.

    226. Babylone. Toi-mme tu es Babylone. Si tu ne sors pas de toi, Tu resteras ternellement le lieu de noces de Satan.

    227. La soif de vengeance. La soif de vengeance est une roue qui jamais ne s'arrte. Toutefois plus elle roule, plus elle droute.

    228. L'horreur du mal. Homme, si tu pouvais voir en toi ta vermine, Tu serais horrifi : de toi-mme autant que du diable.

    229. La colre. La colre est un feu d'enfer quand elle s'enflamme en

    toi ; Ainsi est profan le lit de repos que tu es pour le

    Saint-Esprit.

    81. L'Anti-Christ: 1 Jn 2, 18; la Bte: Ap 17, 3.

  • 84 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    230. La batitude est facile obtenir. Il me semble plus facile de se propulser vers le ciel Que de forcer les portes de l'Enf er harass de ses pchs.

    231. Les riches attachs au monde. C'est seulement quand tu verras un cble enfil dans

    le chas de l'aiguille 82 , Que tu pourras prtendre qu'un riche est mont au ciel.

    232. Seigneur, que ta volont s'accomplisse. La parole que Dieu t'entend dire de prfrence, C'est celle que tu prononces du fond du cur : Que

    Sa volont soit rvre.

    233. La rsonance divine. Quand Dieu m'entend crier: Mon Dieu et mon Tout Mon cri rsonne en Lui comme : Mon Amour et mon

    Tout 83

    234. Dieu pour Dieu. Seigneur, si Tu aimes mon me, laisse-la Te saisir ! Jamais plus elle ne Te lcherait, mme pour mille dieux.

    82. Voir Mt 19, 24. 83. Le distique est la forme la plus courte du genre tellement

    en vogue au XVII sicle, les pomes-cho . Dieu rpercute le cri du croyant avec un changement : Mein Gott devient Mein Lieb (mon bien-aim).

  • PREMIER LIVRE 85

    235. Tout en communion Dieu. J'adore Dieu avec Dieu, travers Lui et en Lui : Lui, mon esprit, ma parole, mon psaume (de louange)

    et mes possibilits.

    236. L'Esprit supple notre faiblesse 84 De toutes ses forces et depuis toujours Dieu S'aime et

    S'exalte Lui-mme. Il S'agenouille et Se prosterne, Il S'adore Lui-mme.

    237. Dans l'intriorit du cur, la prire est authentique.

    Homme, veux-tu savoir en quoi consiste la prire authentique ?

    Entre en toi-mme, et demande l'Esprit de Dieu.

    238. La prire effective. Vivre le cur pur, suivre la voie du Christ, C'est effectivement adorer Dieu en soi.

    239. C'est dans le silence qu'on loue Dieu 85 Imagines-tu, pauvre de toi, que le cri de ta bouche Soit le chant de louange qui convienne la Dit silen-

    cieuse?

    84. Suscription. Voir Rm 8, 26. 85. Voir I, 19.

  • 86 LE PLERIN CHRUBINIQUE

    240. La prire de silence.

    Dieu excde tellement tout, que parler n'est pas possible. Tu L'adoreras, ds lors, de prfrence en silence.

    Voir Max. Sandeus, Thologie mystique, 1. 2, corn. 3 : l'ensemble, ainsi que Balthas. Alvar dans sa biographie rdige par Ludovic de Ponte.

    241. tre l'apanage de Dieu. Mon corps ( splendeur !) est l'apanage de Dieu ; Aussi ne ddaigne-t-11 point y habiter.

    242. La porte doit tre ouverte-.

    Ouvre la porte, alors le Saint-Esprit, Le Pre et le Fils, Trois en Un,