gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5...

429

Transcript of gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5...

Page 1: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion
Page 2: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

2

Page 3: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

DifférencedelaphilosophiedelanaturechezDémocriteet

Épicure

KarlMarx

Ducros,Bordeaux,1970

ExportédeWikisourcele26/09/2019

3

Page 4: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

KARLMARX

DIFFÉRENCEDELA

PHILOSOPHIEDELANATURECHEZ

DÉMOCRITEETÉPICURE

TRADUCTION,INTRODUCTIONetNOTESpar

JacquesPONNIER

ÉDITIONSDUCROSMCMLXX

4

Exergues

Page 5: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

1.2.3.

1.

2.

5

PRÉSENTATIONLacrisedelaphilosophieLaphilosophiecritiqueLacritiquedelareligion

LESTRAVAUXPRÉPARATOIRESETLADISSERTATIONLestravauxpréparatoires

CritiquereligieuseLadialectiqueLathéoriedel’alternanceConclusion

LaDissertationLesdeuxobjetsdelaDissertationRéalismedel’atomistiqueDifférenceDémocrite/Épicure:ladéclinaisonLarépulsionLesqualitésdel’atomeMondeatomistiqueetmondephénoménalLetempsLaconsciencesingulièreabstraiteetlesmétéores

ÉPICUREETLEMATERIALISMEÉpicure,idéalistedelareprésentationÉpicureetlemondeÉternitédelamatière,éternitédel’hommeL’urgenceetlemotd’ordreTransformationetprojection

Page 6: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

KARLMARX

6

LA PROBLEMATIQUE DE LA DISSERTATION ET LEMATERIALISMEDEMARX

DémocriteetEpicurematérialistesMétaphysiqueetmatérialismeLe déplacement de la problématique de la

Dissertation,StraussetBauer,abstractionetunilatéralité

LECONCRETCOMMEPRODUCTIONL’HommeetlaNatureLaproduction

DIALECTIQUE SPECULATIVE ET DIALECTIQUEREVOLUTIONNAIRE

MarxetHegelConcretetabstrait

LES MANUSCRITS DE 1844 : PRODUCTION,OBJECTIVATION,ALIENATION

ProductionetobjectivitéLaproductionetlecielObjectivationetaliénationCommunismeettravail

CONCLUSION

Page 7: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

DIFFERENCEDELAPHILOSOPHIEDELANATURECHEZDEMOCRITEETÉPICURE

1.

2.

7

I.TRAVAUXPRÉPARATOIRES

Philosophieépicurienne,premiercahierÉpicure,surl’ÉtatÉpicure,commelephilosophedelareprésentationLe transfert de l’idéalité dans les atomes et la

dialectiqueimmanentedelaphilosophieépicurienneHasardetpossibilitéchezÉpicureLa supériorité de la rigueur logique d’Epicure

comparéeàcelledessceptiquesL’atome comme forme immédiate du concept, la

déclinaison

Philosophieépicurienne,deuxièmecahierLaphilosophieépicuriennedesmétéoresGassendietEpicureLaconstructionépicuriennedumondeLaphilosophieépicurienneetlescepticismeL’absencedecompréhensiondePlutarqueàl’égard

d’EpicureLe concept de sage dans la philosophie grecque

(Description conceptuelle de l’histoire de la philosophiegrecque)

Lesdéterminationsessentiellesdelaphilosophie

Page 8: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

3.

4.

5.

8

Philosophieépicurienne,troisièmecahier(critiquedelapolémiquedePlutarquecontreEpicure)

L’ataraxieHasardetnécessitéLerapportdel’hommeàDieu

Lacrainteetl’êtretranscendantLeculteetl’individuLaprovidenceetleDieudégradé

L’immortalitéindividuelleDu féodalisme religieux. L’enfer de la

populaceLanostalgiedelamultitudeL’orgueildesélus

Critique des vues de Plutarque sur d’autresphilosophes,nommémentsurPlaton

Philosophieépicurienne,quatrièmecahierPlutarqueetLucrèceLacritiquequefaitLucrècedesphilosophiesdela

natureantérieuresLesatomescommesubstanceLaguerredesatomesLeclinamenLesqualitésextérieuresdel’atomeParallèle entre les Épicuriens, les Piétistes et les

Supra-naturaliste

Extraitsducinquièmecahier

Page 9: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

6.

7.

9

ExtraitsdusixièmecahierPoints nodaux dans le développement de la

philosophie.Sur la forme subjective de la philosophie

platonicienne.Contre la conceptionde l’atomismeprofesséepar

Ritter.Le jugement de Hegel sur la philosophie

épicuriennedelanatureSchémadelaphilosophiedelanature(deHegel),

troisversions

Philosophieépicurienne,septièmecahierLerapportdesphilosophiesépicurienne,stoïcienne

etsceptiqueauxphilosophiesgrecquesantérieuresL’atome comme la forme la plus universelle du

conceptdanslaphilosophieépicuriennedelanatureLestâchesdel’historiographiephilosophiqueLalibertédelaconscienceentantqueleprincipe

delaphilosophied’Épicure

COUP D’ŒIL SUR LES CAHIERS D’EXTRAITS DEBERLIN(1840-1841)

II.DISSERTATION

Avant-propos

Page 10: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

10

Première partie : Différence, au point de vuegénéral, de la philosophie de la nature chezDémocrite etEpicure.

1.ObjetdelaDissertation2. Jugementssur le rapportde laphysiquechez

DémocriteetÉpicure3. Difficultés relatives à l’identité de la

philosophiedelanaturechezDémocriteetÉpicure4. Différence principielle générale de la

philosophiedelanaturechezDémocriteetÉpicure

Deuxième partie : Différence, au point de vueparticulier,desphysiquesdeDémocriteetd’Épicure

1. La déclinaison de l’atome de la ligne droite(Déclinaisonetrépulsion)

2.Lesqualitésdel’atome3.Atomes-principesetatomes-éléments4.Letemps5.Lesmétéores

AppendiceLespreuvesdel’existencedeDieuCritiquedePlutarque

COMPLEMENTS

Page 11: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

11

1.Levocabulairehégélien2.Conceptionhégéliennedel’atomisme3. La dialectique répulsion/attraction et l’idée de

déclinaison(étudesurlerapportMarx-Hegel)4. Hegel et Épicure (résumé du texte des Leçons

surl’histoiredelaphilosophie)

BIBLIOGRAPHIE

INDEXDESNOMSCITÉS

Page 12: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

« Selon la conscience, la matière n’est que l’objet, un Autrerelatif ; l’esprit luidonne ladéterminationrationnelled’être l’autredesoi-même.»

HEGEL, Précis de l’Encyclopédie des sciencesphilosophiques,éd.Vrin,p.250.

« Ce n’est que lorsque la Nature est laissée totalement libre àl’égard de la raison consciente et qu’elle est considérée à l’intérieurd’elle-même comme raison, qu’elle est tout entière possession de laraison.»

MARX, Travaux préparatoires à l’étude de laphilosophied’Epicure,desstoïciensetdessceptiques.

«…nur das in sichKonkrete,was beideSeiten in sich hat, istnichteinseitig.»(Seul ce qui est en soi concret, possédant en soi les deux côtés[l’universeletleparticulier]n’estpasunilatéral.)

HEGEL, Vorlesungen Ueber die Geschichte derPhilosophie,éd.Frommann,tomeXVIII,p.422.

12

Page 13: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

PRÉSENTATION

______

I.—LACRISEDELAPHILOSOPHIE

C’est l’année 1841 que Marx achève et présente saDissertationdedoctoratsurlaDifférencedelaphilosophiedela nature chez Démocrite et Epicure. Ce texte est le fruitd’études plus vastes qu’il avait entreprises dès 1839 sur lesphilosophies grecques postérieures à Aristote. Les notes delecture rassemblées au cours des années 1839-1840 constituentlesTravauxpréparatoiresdecetouvrageplusimportantdontlaDissertationnedevaitconstituerquel’undesvolets.1839-1841 : ces deux dates enserrent une période critique

pour l’idéologie allemande : celle qui s’étend très exactement

13

Page 14: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

entre la remise en cause pratique du système hégélien par laphilosophiepratiqueetledébutdesamiseenquestionthéoriquepar Feuerbach, dont l’Essence du christianisme paraîtra ennovembre 1841. Ces années se caractérisent par une lutteidéologique intense, qui se déploie à l’intérieur de la situationléguéeparlesystèmehégélien.Depuis1830,l’héritagedeHegelsefaitdeplusenpluslourd

àassumer.«Déjàébranléepar larévolutionde1830,quiavaitmarqué la fin de la Restauration et du système de la Sainte-Alliance, sadoctrinenedevait pas résister auxeffetsdu réveiléconomique,politiqueetsocialdel’Allemagneaprès1830[1].»L’école hégélienne se scinde vers la fin des années 30.L’opposition naissante entre laGauche hégélienne (ou « Jeuneshégéliens»)etl’ailedroiteforméeparles«Vieuxhégéliens»,concrétisealorsunenouvelleorientationà l’intérieurduchampidéologique de l’Allemagne (l’orientation libérale et critique),les«Jeuneshégéliens»entamantdès1835unecritiquepolitiquebeaucoupplusvigoureusequ’auparavant.Cetteorientation,baséesur la critique religieuse et politique dans un esprit hégélien,devait se transformer profondément après 1840. L’année 1840,qui vit la déception définitive succéder au fol espoir que lesJeuneshégéliensavaientplacéenFrédéric-GuillaumeIV,marqualedébutd’unepériodecaractériséeparleradicalismepolitiqueet la critique directe du système hégélien dans son ensemble.CettecritiquetrouvasabasethéoriquedanslaproblématiquedeFeuerbach,comprisedanstoutesaportéeàpartirde1842.Cette évolution du champ idéologique allemand est très

contraignante ; elle impose à tout philosophe sa problématique,neluilaissantquelapossibilitédeprendrepositionàl’intérieur

14

Page 15: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

de cette problématique. Les deux textes du jeune Marxreprésentent une telle intervention, dont nous verrons qu’ellen’est pas indifférente à l’égardde l’itinérairequi le conduit deHegel àFeuerbach[2], à travers la philosophie critique, puis deFeuerbachausocialismescientifique.L’évolutionquiconduisitlaGauchehégélienned’uneadhésion

sansréserveausystèmehégélienàsacritique,puisàsamiseencause radicale et à son renversement, fut commandée par ledevenirdusystème lui-même.OnsaitqueHegelaboutissait,depar le mouvement de sa rigueur, à voir dans l’Etat prussienl’incarnation de la Raison et le terme final de la dialectique.Cetteconclusioncomportaitdeuxexigences:—LeSavoirabsoludeHegelest l’Esprit (laRaison)qui se

saitlui-même,laréalitéeffectivevenueàlaconsciencedesoi,laréconciliationdel’essenceetdel’existence.Untelsavoir,ayantsupprimé ladifférence en tant que telle, c’est-à-dire toutes lesformes possibles de différence qui l’opposaient au monde,rejetaitlapossibilitéd’uneproductionidéologiquequiluiseraitextérieure.Laconstatationempiriqueducomportementrationnelde l’Etat devait consacrer l’union retrouvée de l’Esprit et dumonde,dusujetetdelasubstance,delanatureetdel’êtrepoursoi. Par la rationalité de l’Etat se trouvait donc niée toutedifférenceentrelapratiqueindividuelleidéologiqueetlemonderéel-rationnel,etdonclapossibilitéd’unephilosophienouvelle.Si lesVieuxhégéliensassumaientenfait laresponsabilitédelamort de la philosophie dans une répétition pure et simple dusystèmehégélien,c’estquelanécessitédedroitd’unetellemortse trouvaitdanscesystème lui-même.LeSavoirabsolunedoitpas avoir de successeurs, mais des héritiers, et encore des

15

Page 16: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

héritierscomplaisantsquiparviennent,àpartirdelalettremortedes textes qui le consignent, à le répéter en eux-mêmes. Il nesauraitsupporteraucundéveloppementnouveau.—Cette dernière proposition a son pendant dialectique : de

même que le Savoir absolu a terminé son développement,l’expressionobjectivedeceSavoir,l’Etatréel,doitconserveraufil du temps les déterminations essentielles de son concept. Leconservatisme politique de Hegel n’est pas un élémentsentimentalvenutroubleruneproblématiquephilosophiquepure,c’estlaconséquencerigoureusedesonprincipe.Hegelneditcertespasquelemondeempiriquecessed’exister

dans lamesureoù ilestcoupéduSavoirabsolu !Le réeln’estpasl’empirique,etlephilosopheadmetqu’undécalagesubsisteentrelesdeuxniveaux,unrésiduirrationneldontonnepeutfairetotalementabstraction.AumomentoùHegelécrit,laconstitutiondel’Etatprussiennecorrespondpasexactementàsonconcept,etlephilosophesecharged’écrirelui-mêmeuneconstitution.Maisce qu’affirme Hegel, c’est que rien ne saurait advenir quibouleverse ledegréatteintpar ledéveloppementduconcept,nil’expression objective de ce degré. C’est en ce sens que lephilosopheestsatisfaitparl’Etatmoderne,quandbienmêmelamajoritédeshommesdesontempsneleseraitpas.Laraisonestdésormais consciente de son but qui est l’affirmation de laliberté. « Au niveau de la raison objective, la satisfaction estdonnée à l’homme… la véritable liberté humaine trouve soneffectuation dans la mesure où l’individu peut raisonnablementvouloirsonintérêtet,enmêmetemps,cequiestuniversellementbonetraisonnable[3].»Sansdoute, lasubjectivitépeutconfinerd’opposeràcetteperspectivesesprotestationsetsesmoqueries:

16

Page 17: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

«Maiscequicomptepour lephilosophe,c’est le faitque, s’ilarriveàlasubjectivité—avidedemanifestersalibertéabstraite— de prétendre contester l’ordre raisonnable, il est loisibledésormais de démontrer qu’en agissant ainsi, elle se montreinsenséeetcriminelle[4].» (Ibidem.) Ilnes’agitdoncpas,pourHegel, d’une fin de l’histoire événementielle, d’une « fin destemps », mais, « de même qu’il n’y a plus rien d’essentiel àsavoir… de même le devenir ne peut plus apporter dechangements importants à la structure de l’Etat[5] ». L’histoiren’estpasterminée,maislederniermotsurl’histoireestdit.Ce serait pourtant encore mal comprendre Hegel que de le

rendre complètement indifférent au monde empirique. Plus quetout autre, il a condamné toute philosophie qui ferait de l’êtrequelque chose d’irrémédiablement séparé de l’empirique. Saphilosophiede l’histoire reposesur l’analysed’événementsquirévèlent à l’homme dans une expérience le développementrationnel. Il faut qu’il y ait de tels événements qui fassentcoïnciderl’empiriqueetlerationneletrendentpossiblel’analysephilosophique.Ilestdel’essencedurationneldesemanifester.On se trouve donc devant cette situation : Hegel fige le

développement rationnel au point qu’il a atteint.À ce stade dudéveloppement subsisteundécalageavec l’empirique.La seulepossibilitéderésoudrecedécalage—sitantestqu’ildoiveêtrerésolu — tient donc à l’histoire empirique et non audéveloppement rationnel.Hegel est donc conduit à transgresserson principe—qui interdisait au philosophe de rien savoir del’avenir—etàsacrifierauprophétisme.Ilest«raisonnable»depenser que les temps nouveaux qui ont engendré les formesmodernes de l’Etat — données grâce auxquelles une

17

Page 18: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

détermination correcte de l’essence objective de l’Etat a étérenduepossible—verrontapparaîtredesformationshistoriquesdont l’existence empirique se rapprochera de plus en plus del’Etatréel,jusqu’àseconfondreaveclui[6].Ceprolongementdel’analysehégélienneproduitdonclapossibilitéd’unjugementdel’histoire,ettraînelaphilosophieautribunaldufait.Ledécalageentre l’empiriqueet le réeldoit tendreverssonannulation : telestlemouvementdel’ensembledelaphilosophiehégélienne.Onpeutconcevoirunrésiduempirique,maisnonpaslemouvementde détérioration qui verrait ce résidu étendre sa marcheanarchiquejusqu’àmenacerl’équilibrequilemaintientenchaînéau concept. Si le décalage devientdivorce, le concept retombedansl’irréalitéetleconcretestmesuréàundevoir-êtreidéal.Leconcret n’est plus l’effectivement réel et redevient la simpleillusion qui masque l’être, comme dans la plupart desphilosophiesqueprécisémentHegelacombattues.C’est bien ce qui semble se produire. « La réussite de la

philosophiedoit…esquisserlesconditionsoulespossibilitésdela satisfaction.Or il se trouve, il s’agit là d’un fait historique,d’un«événement»aussiimportantpourledestindelavolontéphilosophique que la condamnation de Socrate ou l’échecsicilien de Platon, que l’évolution des Etats modernes,essentiellement,pourcettepériode,delaPrusse,del’Angleterreet de la France, ne confirme nullement la descriptionphilosophique[7]. » « En fait, rien n’annonce dans l’histoire duXIXe siècle le passage des Etats existants à une formed’organisationquiconviennemieuxà la raison[8]. »Le systèmehégélien produit lui-même ce qu’en apparence il exclutabsolument : le démenti historique, l’existence irrationnelle qui

18

Page 19: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

revient maîtriser l’essence, la blessure rouverte du réel d’oùsurgitlaconsciencedesoiabstraiterenaissantdesescendres.Àpeineterminée,l’histoiresemoqueduphilosophe,elleinauguresarésurrectiondansunedifférencejoyeuse.

II.—LAPHILOSOPHIECRITIQUE

Cette brutale scission n’est qu’un rappel à l’ordre : elleindique la survivance de l’histoire réelle au discoursphilosophique. Elle est la manière qu’a l’histoire concrète deréfuterlaconstructionidéaliste.Maiscettehistoireconcrèten’estpas reconnue comme telle dans sa rationalité propre. D’oùl’embarras des philosophes allemands qui méconnaissenttotalement le processus historique concret et qui sont placésdevant ce démenti de l’histoire réelle. Voués à méconnaîtrel’histoire comme objet possible de science, ils ressententdouloureusement le devenir-irrationnel dumonde et le devenir-abstraitdelaphilosophie.Lacontradictionnouvelleentrelaphilosophieetlemondene

devaitpastarder,vers1835,àprovoquer«unescissionauseinde l’école hégélienne entre une droite conservatrice, composéedesdisciplesorthodoxesattachésàladoctrinedumaître,etunegauche progressiste qui s’efforça d’adapter cette doctrine aux

19

Page 20: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

tendanceslibéralesdelabourgeoisie[9]».Cettescission,quinedevait faire que s’accentuer, définit le mouvement des Jeuneshégéliensquiformaàpartirdecettedatel’ailegauchedel’écolehégélienne, et qui devait donner à la philosophie une nouvelletâche:lacritique.Ce concept de critique est ambigu. L’activité critique se

présente d’abord comme le résultat de la fidélité théoriqueabsolue à Hegel : le maître a effectivement, comme le diraCieszkowski,découvertlesloisdumonde.Ilnes’agitdoncpas,audépart,derenonceràHegeloudeleréinterpréter.Ledivorceentreleconceptet l’empirieconduitlaphilosophieàsetournercontre le monde devenu irrationnel et à le transformer. Laphilosophie,écriraMarxdanssesRemarquesà laDissertation,« se tourne vers lemonde concret, et noue pour ainsi dire desintriguesaveclui[10]».Ledécalageentreconceptetréelsuscitela volonté « de réaliser le concept ici et maintenant, au seinmêmedel’empirie,paruneaction».Cetteréalisationnetouchepasàlathéoriehégéliennedel’Etat.«CommeHegel,ilspensentqu’il importedecréerunrégimedanslequel…l’intérêtdetouscoïncide avec celui de chacun, dans lequel la volontéindividuelleveuillecequiestobjectivementraisonnable[11].»Maiscequerefuselacritique,c’estquelefaitdecomprendre

le divorce entre empirique et réel soit suffisant pour supprimercedivorce.Elleréclamepourl’hommelasatisfactionempirique,et veut réaliser effectivement l’Etat rationnel. La philosophiecommeinterprétationdumondeestterminéeavecHegel;ilfautappliquerlascience,faireduconceptunearmedecombatdansla lutte qui rendra l’Etat adéquat à son essence. La critiquesupposelaconvictionquelerationnelestcommunicableetquele

20

Page 21: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

langage qui possède la science est convaincant. Or, s’il estconvaincant,c’estquelaraisonluipréexisteetconstitueleréelvéritable.Lacritiqueseproposedoncdefaireéchecaumauvaisvouloirdesgouvernants,etd’«accoucher»larationalitéqueledevenircontient.Laréalisationdelascience«reposedésormaissurl’acuitécritiqueetsurlecourageciviquedesphilosophes»qui sauront dénoncer ce qui estmort et faire valoir le point devue de la raison[12]. Il faut souligner que l’ensemble de cetteactionnequittepaslesoldelapurecritique:ilsuffitdemenerla lutte contre les éléments irrationnels dumonde, de les fairedisparaître,pouramenerunchangementradical.Si,audépart,laCritique représentait le refusde rester sur le terrainde la purepensée, la frontière entre cette pure pensée et la critique n’estplussiévidente:ellesembleseréduireàlamanifestationdelaraison par la presse libre. Concrètement, les Jeunes hégéliensréclament du gouvernement une politique libérale et hostile àl’obscurantisme religieux. Dans leur esprit, ce qui empêche lechangement du monde, c’est l’occultation de la rationalité. Ils’agitdoncdedénonceretd’aiguiserledivorceempirique-réel,defairedelaraisonuneforcedenégativitéàl’égarddudonné.On voit déjà la limite essentielle de tout ce mouvement

critique:iladmetprofondémentl’analysehégéliennedel’Etat,ilfait de l’Etat la vérité de la société civile. Aucun changementeffectif ne saurait donc se produire sans passer d’abord parl’Etat. Derrière toute activité critique se cache la foi en lapossibilitéd’uneconversiondumauvaisvouloirdesgouvernantsen bon vouloir si tant est que la raison soit universelle etcommunicable. C’est ainsi le fait que la vérité politique ne sesitue qu’au plan de l’Etat qui, en idéalisant les rapports entresociétécivileetEtat,permetàuneactionintellectuellecommela

21

Page 22: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

critiqued’êtredumêmecouppolitiquementeffective[13].Nous avons vu que la critique reposait au départ sur une

adhésion totale au système hégélien, auquel elle se bornait àreprocher son aspect purement théorique. Il s’agissait pour elledeforgerunethéoriedel’effectuationdesloisdel’histoireainsidécouvertes.En fait, la totalité de cette adhésion doit être remise en

question:lesystèmehégélienestunetotalitéquinelaisserienendehors d’elle, ni ses conclusions de détail dans l’ordreempirique,nileproblèmedesoneffectuation.IlyachezHegelune certaine réponse à ce type de questions, et toute réponsedifférenteporteatteinteausystèmelui-même.Pour ce qui est des conclusions politiques réactionnaires du

système,lesJeuneshégélienssontenfaitcontraintsdèsledépartdeposerlaquestiondelacontradictionquiopposel’«esprit»révolutionnaire de la dialectique au conservatisme desconclusions ultimes qu’elle semble entraîner. L’action critiqueelle-même les oblige à distinguer deux Hegel : un Hegelésotérique et révolutionnaire contre unHegel exotérique qui seseraitrenducoupabledecompromisavecl’étatdefait,pourdesraisons inavouables. Ils inaugurent le « décrassage » duphilosopheenmêmetempsquelathéoriedu«noyaupur»infestédegangrènetrophumaine.Maisàaucunmomentilsneposentlaquestionphilosophiquede cette séparation : celle qui demandela raisonsystématiquedescompromis.Ce faisant, ilsdétruisentlarigueurdusystèmehégélien.Ledéfautdumondetombedanslaphilosophie.Maiscettefalsificationn’estpaslaseule.Laphilosophiedela

réalisation critique du savoir hégélien exige la construction de

22

Page 23: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

concepts qui ne se trouvent pas dans le système puisqu’ils ontpour mission de l’entraîner vers sa réalisation. Ces catégoriesnouvelles peuvent être rassemblées sous le titre général dePhilosophiedelaPraxis.Celle-cicomporteplusieursthèmes:1. On accentue la catégorie de l’existence. Selon Hegel,

l’existence est l’essence réalisée et ne peut comporter d’autresprésuppositionsque cellesde l’essence.Ladéceptionpolitiquedes Jeunes hégéliens représente pour eux la revanche del’existence, du monde empirique. Mais cette sensibilité àl’existence ne va pas jusqu’à remettre en cause l’idéehégélienne : l’essence est toujours la vérité de l’existence, etl’existence ne saurait la mettre en question. La « révolte » del’existence ne fait que la disqualifier face à l’essence. Il fautdonc faire violence au monde pour le rendre conforme à sonconcept.CetteviolencedelaphilosophieserapourMarxlecôtépositif de la critique.Mais elle comporte le risque de séparercomplètement essence et existence et dedisqualifier tout donnéempirique,entraînantunretouràlaphilosophiedudevoir-être.2.Lasensibilitéàl’existencesetraduitdoncparl’exigencede

sa transformation. Ceci nous amène au second thème : laphilosophie de la volonté. La conception de la philosophiecommed’unetransformationdumondeparlavolontécritiquequis’yopposeavaitétéprofesséeparA.WonCieszkowskidanssonlivre de 1836 : Prolégomènes à la philosophie de l’histoire.Cieszkowski résume les problèmes de la gauche hégélienne :« L’histoire dumonde exprime le développement de l’idée, del’esprit.Jusqu’iciellenel’afaitqued’unefaçonimparfaite,carellen’étaitpasl’œuvredel’activitéconscientedeshommes,deleur volonté rationnelle. Mais nous sommes au seuil d’une

23

Page 24: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

période nouvelle qui s’ouvre avec Hegel, où l’hommedétermineralamarcherationnelledel’histoire[14].»Hegel,quiadégagé les lois de l’histoire réelle, n’a pas vu que l’action del’homme était une volonté et non une pensée. L’homme doittransformerlemondeens’appuyantsurlesloisainsidécouvertespar Hegel. Autant dire qu’on se refuse à penser ensemblel’expression de l’idée par le réel tel qu’il est et non tel qu’ildevrait être et la philosophie de la liberté de l’homme conçuecommevolontétransformatricedumonde[15].3.Onaccordeuneimportancenouvelleausupport individuel

dudéveloppement idéel.Hegelabienécrit laPhénoménologiede l’Esprit, qui est une description de la conscience. Cetteconscience ne se réduit pas cependant aux individus, mais estconsidéréedanssonaspectuniversel.D’autrepart,lavéritédelaPhénoménologieestlaLogiquequiseplacesurlestrictplandudéveloppementidéelenlui-mêmesanségardàlaconscience,nià plus forte raison à l’individu. La philosophie du supportindividuel a donc deux niveaux : celui de l’accentuation de laconscience(delaPhénoménologiecontrelaLogique),etceluidelaréhabilitationdelapersonnalitépropredesphilosophesetdel’étudehistoriquedecelle-ci,étudequeHegelavaitnégligéeauprofitducontenudusystème[16].Ainsi définie, la philosophie de la pratique faisait valoir la

subjectivité comme négation active d’un monde devenuirrationneldanssonaspectempirique.Ellevisaitàun«devenir-philosophique du monde » qui serait en même temps un«devenir-mondain»delaphilosophie[17].Tel est le fondement idéologique de cette extraordinaire

activité critique manifestée par les Jeunes hégéliens. Dans

24

Page 25: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’Idéologie allemande,Marx sera particulièrement sévère pourcette période de l’histoire allemande, qu’il étend à 1845. «…Pourapprécieràsajustevaleurcettecharlataneriephilosophiquequiéveillemêmedanslecœurdel’honnêtebourgeoisallemandunagréablesentimentnational,pourdonneruneidéeconcrètedelamesquinerie,del’espritdeclocherparfaitementbornédetoutcemouvementjeune-hégélien,etspécialementducontrastetragi-comiqueentrelesexploitsréelsdeceshérosetleursillusionsausujet de ces mêmes exploits, il est nécessaire d’examiner unebonne fois tout ce vacarme d’un point de vue qui se situe endehorsdel’Allemagne[18].»Danstoutecettepériode,Feuerbachest « le seul à avoir au moins constitué un progrès ».Effectivement,l’histoireréelledisparaîtpresquesousl’épaisseuret la lourdeur de la couche idéologique qui transforme pour laconscience l’idéel en réel et le réel en idéel.Ladisparitiondel’histoire réelle à l’Allemagne tient à son retard économiquedoublédecettedéformationidéologique[19].Il est essentiel à cette critique de s’exprimer effectivement.

Faitepourconvaincre,représentantlebutdel’activitépratiqueetde la volonté de l’homme, la critique doit être effective. Lathéorie coupée de la pratique matérielle doit être pratique entantquepurethéorie(!),etBrunoBauerpeutécrireàMarx,le31mars 1841 : «C’est la théorie qui constitue actuellement laplusforteactivitépratique[20].»

25

Page 26: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

III.—LACRITIQUEDELARELIGION

LachancedesJeuneshégéliensestdetrouverunorganedanslesAnnalesdeHallepourlascienceetl’artallemands,fondéesen 1838 par Arnold Ruge et Theodor Echtermayer pourcombattrel’organeconservateurdesVieuxhégéliens,lesAnnalesberlinoisesdecritique scientifique.LesAnnales deHalle,quiau début n’avaient pas de caractère politique, furent entraînéesdansl’oppositionàl’occasiondelapolémiqueautourdulivredeDavidStrauss[21].Ce nom n’est pas indifférent, car David Strauss était un des

premiers critiques de la religion, critique qui représentait « laformepremièredetoutecritique»,commel’écriraMarxen1843dans l’Introduction à la Contribution à la critique de laphilosophiedudroitdeHegel,danscemêmetexteoùillajuge« terminée pour l’Allemagne »[22]. La critique religieuse futeffectivement la forme primordiale de l’action politique desJeuneshégéliens.Elleimprègneenfaitl’histoireidéologiquedel’Allemagne depuis 1822. L’assimilation hégélienne du contenude la religion à celui de la philosophie était combattue depuiscette date, sans que les protagonistes en voient toujours lesimplicationsessentielles.

26

Page 27: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

PourHegel, lareligionengénéralserapporteaumêmeobjetque le concept. La religion chrétienne, ou religion symbolique,exprime en images et en représentations ce que la philosophiepense par concepts, mais l’image est image de ce dont leconcept est le concept[23]. Le christianisme, comme religionabsolue,ditdoncmoinsbiencequelaphilosophierévèle.Cetteidentité de contenu seraprétexte àFeuerbachpour renverserla spéculation du même geste qu’il renverse le renversementfantastiqueopéréparlareligion.L’Essenceduchristianismeneparaîtra qu’en novembre 1841 et ne sera lu par Marx qu’àpartir de 1842. Mais l’identité de la philosophie et de lareligionestdéjàbattueenbrèche.LesthéologiensHinrichsetHengstenberg, qui en leur qualité de théologiens necomprennent pas les implications philosophiques del’identification hégélienne ni sa nécessité dans le système, lacritiquent au nom de la supériorité de la religion. Lesrationalistes s’en prennent toutefois eux aussi à cetteassimilation par la parution en 1835 de laVie de Jésus, deDavidStrauss.Straussluinonplusneseplacepasaupointdevuephilosophique,mais historique.Comprenant les évangilescommedesmythestraduisant lesaspirationsdupeuplejuif, ilnie l’historicitéduChristetréduitsavaleursymboliqueàundesmomentsessentielsdel’humanité.Lapolémiqueautourdece livre souda le mouvement des Jeunes hégéliens et le jetadanslalutte.« S’élevant à la fois contre les chrétiens orthodoxes qui

prétendaient subordonner la philosophie à la religion et contreleshégéliensconservateursquivoulaientassimiler lareligionàlaphilosophie»,lesJeuneshégéliensrevendiquèrentavecDavidStrauss«ledroitpourlaphilosophieetlasciencedesoumettre

27

Page 28: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

lareligionàuneanalysecritique[24]».Cette tendanceestdéjàaccentuéedans lespremiersécritsde

Feuerbach, publiés dans les Annales de Halle. Il donne sarigueuràlacritiquedel’identificationhégéliennedelareligionet de la philosophie. « Les dogmes ne sont pas des doctrinesphilosophiques,maisdesarticlesdefoi…Ilestdeleurnaturedecontredire la raison.»Laphilosophiepositiveestunmensongecar« elle fonde surdes concepts philosophiques et justifie pareuxdesdogmesquicontredisentcesconcepts[25]»;ellejustifiele dogme « au moyen de concepts qui non seulement lescontredisent,maisenconstituentlanégation[26]».Cette critique religieuse manquait encore de ses fondements

essentiels, bien que Feuerbach commençât déjà à l’élargir àl’ensemble de la philosophie hégélienne, la fondant sur lareconnaissance de l’idéalisme qui en est la base. Dans laContributionàlacritiquedelaphilosophiedudroitdeHegel(parueàpartirdu4mars1839),ilmontraitlafalsificationdelanatureopéréeparHegel.«LaPhénoménologieet laLogique…commencentnonpasaveccequiestautrechoseque lapensée,maisaveclapenséesouslaformed’autrechosequ’elle-même…LeretouràlaNatureestlaseulesourcedesalut[27].»L’influencedeFeuerbachetdesaprofondecritiquedeHegelrestacependantlimitée jusqu’à la faillitede laphilosophie critique.C’estpourcelaquelacritiquereligieusedesJeuneshégéliens,légèresurleplan théorique, avait surtout un rôle politique. Elle ne devaitd’ailleurspastarderàprendreuntonpolitiqueplusaccentué.Parallèlement au mouvement Jeune hégélien, la critique

religieuse était menée par le Club des Docteurs, « dont lesprincipauxmembresétaientBrunoBauer,RutenbergetKöppen,

28

Page 29: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

et qui, dans le milieu étroit et servile qu’était alors Berlin,constituait ungroupe intellectuel indépendant et vivant[28] ».Leclub collabora aux Annales de Halle au moment del’accentuation politique de la critique jeune-hégélienne. Ilpartageait les grandes options des Jeunes hégéliens :hégélianismelibéral,orientationradicaleetcritique,philosophiedel’actionetdelavolontécritique.Marxfaisaitalorspartiedececlub,dontlemembreprincipalétaitBrunoBauer,quifutsongrandamietexerçaitalorssurluiunegrandeinfluence.L’espritdes recherches de Bruno Bauer est un des fils qui tissent laproblématiquedujeuneMarxen1839.Bauer participait à la critique religieuse. Il montrait que la

communauté chrétienne « avait créé son propre dogmatisme etfaitdeJésuslesymboledesesproprespenséesetaspirations».Concevant l’histoirecomme ledéveloppementde laconscienceuniverselle, il accomplissait, à l’inverse deDavid Strauss, unecritiquephilosophiquedelareligion,parallèleàcellequemenaitFeuerbach.«Jenemeréfèrepas,écrit-il,à latraditionausensdeStrauss,mais à la substancehistoriqueque lesEcrits sacrésontmodelée,àlasubstancevéritabledontilssontpétris[29].»Ilramène la révélationdivineaudéveloppementde laconscienceuniverselle, pose ce développement en principe, dénie à toutesubstance le droit d’incarner cette conscience de manièreabsolue, et ne retient de Hegel que la conception dudéveloppement dialectique infini de l’histoire. Mais il opposeconstammentlaconscienceàlasubstanceetbrisel’unionétabliepar Hegel entre la pensée et l’être. Il néglige en fait presquecomplètement le moment de la substance. Cette philosophiereprésente donc un pas en arrière, un retour à l’idéalismesubjectifdeFichte.

29

Page 30: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Bauerdevenait,deparcetteconceptionunilatérale,lechefdefile des Jeunes hégéliens. C’est ainsi que l’activité critique,rompantl’immobilitéraidedusystèmehégélien,comportaitàlafois la possibilité de sa critique radicale et féconde (celle deFeuerbachetdeMarx)etcelledelachutephilosophiqueverslessystèmes antérieurs et du découpage du système en élémentsdisparates.Danscettebataillecritique,touterechercheétaitàlafoisinfluencéeetpolémique;derrièretoutconceptsecachaitunepersonnequel’onconnaissaitbien,etlaphilosophieseréduisaitàlaluttedessupportsindividuels.CestylepolémiquedomineralesécritsdeMarxjusqu’en1845.

1. ↑.Cornu(Auguste):KarlMarxetFriedrichEngels,PressesUniversitairesdeFrance,tomepremier,p.134.

2. ↑.Marxadhèreauxthèmesfeuerbachiensde1842à1844.Maiscetteadhésionnesera jamais totale.Déjàune lettreàRugede1843accuseFeuerbachdenepasseréférerassez«àlapolitique».LaSainteFamille,écriteàpartirdumilieude l’année 1844 et publiée en février 1845, inaugure le mouvement dudépassement de Feuerbach vers l’élaboration du matérialisme historique.L’Idéologie allemande, dont la première partie est une critique en règle deFeuerbach, consomme la rupture. Envisagée parMarx et Engels au printemps1845, elle fut écrite au longdes années1845-1846.Fin1845,Marx avait quittél’Allemagne pour un voyage en Angleterre, et c’est de l’extérieur qu’il jugeaitalorscettepériodedel’histoireallemande.

3. ↑.Chatelet(François):LogosetPraxis.S.E.D.E.S.,pp.89-90.4. ↑ . Hegel distingue trois moments dans la morale concrète et objective : la

Famille,quireprésentel’étatimmédiatdecettemorale,laSociétébourgeoisequiestl’étatdelanécessitéetdel’entendementetquicorrespondaumomentdelavieprivéedanslequell’Etatn’apparaîtencorequecommeunmoyenauservicedes individus pris dans leur isolement, l’Etat enfin à proprement parler quireprésente l’unité organique de la vie politique. Le troisième moment, l’Etat,apparaîtàlafoiscommel’idéequicommandeenprincipeledéveloppementdesautresmomentsetcommelerésultatdecedéveloppement(d’aprèsJ.Hyppolite:Etudes surMarx etHegel,Rivière, p. 123).Ce n’est que dans l’Etat que lesindividussontconscientsd’eux-mêmescommedelavolontégénérale(ibidem,p.124).Or,l’idéeconsciented’elle-mêmedoitseposerpoursoicommeuneréalitéparticulière dans la constitution et le souverain. La constitution est donc

30

Page 31: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’expression concrète de l’idée objective, de l’Etat. L’Etat moderne,contrairementàlaCitéantique,«estassezpuissantpourlaisserleprincipedelasubjectivité s’accomplir jusqu’à l’extrémité de la particularité personnelleautonomeetenmêmetempslerameneràl’unitésubstantielle,etainsimaintenircetteunitédansceprincipelui-même».

5. ↑.Chatelet(F.),opcit.,p.90.6. ↑.Chatelet(F.),op.cit.,p.91.7. ↑.Ibidem,p.92.8. ↑.C’estbienplutôt lecontrairequiseproduit :en1840,Frédéric-GuillaumeIV

refuse l’octroi d’une constitution libérale et oriente ensuite définitivement sapolitique dans une voie ouvertement cléricale et réactionnaire. L’Etat prussiendevaitalorsrégresserparrapportàceluiqu’avaitanalyséHegel.(Cornu,op.cit.I,pp.166et167.)

9. ↑.Cornu(A.),op.cit.,I,135.10. ↑ . Travaux préparatoires : Points nodaux dans le développement de la

philosophie.11. ↑.Chatelet(F.),op.cit.12. ↑.Idem,ibidem,p.97.13. ↑.Lavéritablecritiquedel’activitécritiquedevradoncpasserparunecritique

profondedelaphilosophiedel’EtatdeHegel.Marx travaille surce textedès1841.SaCritiquede laphilosophiede l’Etat deHegel fut rédigée en 1841-1842. [La date de cet écrit n’est pas absolument fixée : si F. Chatelet indique1841-1842, E. Bottigelli donne plutôt 1843.Préface auxManuscrits de 1844,EditionsSociales,p.XXVII.]EllesesituesurleseulplandelaConstitutionetdel’Etatinterne,montrantquelesujetréel(l’hommeempirique,l’individu,lasociétécivile et la famille) trouve chez Hegel sa vérité en dehors de lui-même, dansl’Etat,quin’estqueleprédicatdecesujet.Cettecritique,inspiréeparFeuerbach,sera approfondie par l’Introduction à la Contribution à la critique de laphilosophiedudroitdeHegel,publiéeen1844.SedégageantquelquepeudeFeuerbach, Marx y pourra analyser la signification économique de la toute-puissance administrative, montrant que la société civile (sphère des intérêtséconomiques) détermine l’Etat (sphère politique) et qu’en conséquence l’Etatn’estquel’expressiond’intérêtséconomiquesparticuliers.OnvoitquelerapportdeMarxàlaCritiqueautantquesaréflexionpolitiqueestétroitement lié à l’itinéraire philosophique qui le voit atteindre et dépasserFeuerbach,sansjamaiscesserdesedéfinirparrapportàHegel.

14. ↑.Cornu,op.cit.,I,142.15. ↑ . On a pu souligner le caractère équivoque d’une telle philosophie. Auguste

Cornu y voit un pur et simple retour à la philosophie kantienne et fichtéenne :«Laphilosophiedel’action,quifixaitcommetâcheessentielleàlaphilosophieladéterminationde l’avenir enopposant à l’êtreundevoir-être, aumondeprésentl’idéalqu’ildoitréaliser,modifiaiteneffetradicalementladoctrinedeHegelenla

31

Page 32: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

rattachantàcelledeFichte.»(p.143.)Etencore:«Cettephilosophiedel’actionqui se proposait de régler le cours de l’histoire par l’activité spirituelle conçuesous la formede volonté devait devenir la philosophie des Jeunes hégéliens quiétaientportés à croireque ledevenirde l’histoirepouvait êtredéterminépar lasimplecritiquedelaréalitéprésente.»(p.144.)Demême,F.Chateletparled’unretourendeçàdesdécouvertesdeKantetdeHegel,qui implique la renonciationauxconquêteshégéliennes.Eneffet« l’idéed’uneapplicationde la sciencecomprometgravement lanotionde science telleque l’adéfinieHegel»(op.cit.,p.97).Laphilosophien’estplusquesavoirdurationneletnonpasduréel,elleestdoncpartielle.Laphilosophiedécouvrel’êtrecachéetimportant,qu’elleopposeaudonnécommeundevoir-être.SignalonsqueHerbertMarcuse,dansson livreRaisonetRévolution,met l’accent sur le faitque cette interprétation n’est pas tellement éloignée du jeune Hegel. Il nousproposedumêmecoupunelecture«Jeunehégélienne»deHegel, lecturequ’ilétendàMarx:lapenséedeHegelestàl’origineunepenséenégativequiopposel’être-réel-et-idéalaudonné,maisellese terminesuruneapologiedecedonné.Ce faisant, elle connaît à la fois son apothéose et sa suppression, déférant lachargede l’idéalà lacritique,à la« théoriesociale».Laphilosophien’acesséd’êtrecritique.C’estlacritiquequipréexisteautriomphedelaphilosophieetquinefait,avecMarx,quechangerdeforme(éditionsdeMinuit,p.75).

16. ↑ . Cf.Marx Avant-propos de la Dissertation. « C’est justement la formesubjective, le support spirituel des systèmes philosophiques qu’on a jusqu’icipresque totalement oubliés au profit des déterminations métaphysiques de cessystèmes.»

17. ↑.Marx,RemarquesàlaDissertation.18. ↑.Idéologieallemande,EditionsSociales,p.42.19. ↑.Cf.Althusser(L.):PourMarx,pp.71-72.20. ↑.CitédansCornu(A.),op.cit.,I,p.162.21. ↑ . Ibidem, p. 139. L’Idéologie allemande donne Strauss pour origine de la

«décompositiondel’espritabsolu»,p.41.22. ↑.EditionsCostes,ŒuvrescomplètesdeMarx,tomeI,p.83.23. ↑.Osier (J.-P.) :Présentation de l’Essence du christianisme, de Feuerbach,

coll.Théorie,p.49.24. ↑.Cornu,op.cit.,I,140.25. ↑.Ibidem,I,151.26. ↑.Ibidem,I,151.27. ↑.Ibidem,I,151.28. ↑.Ibidem,I,133.29. ↑.Ibidem,I,160.

32

Page 33: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

LESTRAVAUXPRÉPARATOIRESETLADISSERTATION

_______

Depuis 1839, Marx travaille sur les philosophies grecquespostérieures à Aristote. Il ne faut pas croire que ce centred’intérêt soit spontané : il lui est offert et dicté par le champidéologique.L’idéologieallemandes’intéresseàcesphilosophespour plusieurs raisons. La critique religieuse fait de toutphilosopheathéeetmatérialisteunearme,etProméthéeappellenaturellementEpicure.Deplus,lasituationdecesphilosophies,dans la descendance du système d’Aristote, n’est pas sansrappelercelledelaphilosophieallemandeparrapportàHegel.EnfinBaueraaccentué l’importancedecesphilosophiescontreHegel. Hegel considérait le cycle des philosophies grecquespostérieuresàAristotecommeétant leproduitde laconsciencemalheureuse,del’espritoppriméquis’étaitrepliésurlui-mêmepoursauvegardersaliberté.Illeuropposaitlesévangilescommeréconciliation relativede l’hommeavecDieu,de laconscienceaveclemonde.Baueraucontraireassimilaitlesévangilesàsesdoctrines, y voyant l’opposition établie entre l’homme et lemonde,l’expressiond’unmomentessentieldudéveloppementdelaconscienceuniverselle[1].LesTravauxpréparatoiresmontrent

33

Page 34: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’influence profonde qu’exerçaient alors surMarx ces vues. Lathèsede l’oppositiondusageépicurienaumondeallaitdans lesens de l’aspect irrationnel du monde allemand de 1839 etpréservait,enfacedecemonde,laphilosophiedelaconsciencedesoi.L’amideMarx,FrédéricKöppen,devaitcélébreren1840cette idée dans sa brochure : Frédéric le Grand et sesadversaires. Il y faisait l’éloge du roi, « en montrant que sagrandeur venait de ce qu’il s’était inspiré à la fois del’épicurisme, du stoïcisme et du scepticisme ». « Cesphilosophies affirmaient la valeur éminente de la consciencehumaineetsonindépendancevis-à-visd’unmondeirrationnel,etexprimaientlesprincipesessentielsdurationalisme[2].L’influence qu’exercent surMarx ces différentes conceptions

lepousseàétudierlecycledesdoctrinesépicurienne,stoïcienneet sceptique, pour en dégager une philosophie de l’actionintégrantl’espritaumondepourtransformercemonde.Cechoixadoncunsenspolitique,maisilsedoubledelaconvictionquecesdoctrinesconstituent laclefde laphilosophiegrecquedanssonaspectsubjectif.

I.—LESTRAVAUXPREPARATOIRES

34

Page 35: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Cesnotesdelecture,écritespourlamajeurepartieaucoursdel’année 1839, concentrent les thèmes du champ idéologique :affirmationde la consciencede soihumainecommeaffirmationrévolutionnaire (Bauer), accentuation du support dudéveloppement et de l’individualité, de l’existence par quoiadvient l’idée, philosophie de l’action visant à transformer lemondeparlavolontécritique(Cieszkowski,Bauer).Cesthèmesphilosophiquessedoublentd’uneparticipationactiveaucombatpolitique des Jeunes hégéliens et à leur critique religieuse. Cedernieraspectdutexteexpliquelapartimportantequiyrevientàla critique de la polémique de Plutarque contre Epicure. Danscette critique se font déjà jour des thèmes feuerbachiens :l’homme aliène en Dieu son essence, sa nature éternelle. Lavérité de la religion est la philosophie, mais non au senshégélien. Entre religion et philosophie, il y a désormais unrapport critique. Le même texte est faussé par la religion etrévélédanssavéritéparlaphilosophie.L’originedelareligioncommedelaphilosophie,c’estl’homme(laconsciencedesoi),leur objet commun est cette même conscience de soi. Mais lareligionn’estpasseulementuneexpressionconfuseduconcept,elle est une perversion de la conscience de soi qui se nie encroyant s’affirmer. La religion, avant d’être comprise commeerreur, est vécue comme rapport pratique aliénant. C’est pourcela que la philosophie critique doit commencer par nier(détruire)lareligion.C’est pour accentuer l’identité d’origine entre religion et

philosophie que Marx insiste sur l’idée que Plutarque, encritiquant Epicure, ne fait que se critiquer lui-même, car le

35

Page 36: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

philosopheEpicurerévèle laconsciencedesoiquiestaussicequi apparaît inversé dans la religion. L’analyse de la joiereligieuse, dans le fragment intitulé le Culte et l’individu, estainsisuggestive:lareligioncommenceparnierlaconsciencedesoien l’écartantdans la lointaineconsciencedivine.Dieun’estde ce point de vue que l’innocence objectivée, l’Ataraxie(absence de trouble) tombée dans une existence autonome quis’opposeàl’hommeetluiinterditdumêmecouplabéatitude.LanégationreligieusefaitainsideDieuunAutre.MaisDieun’estpaslepuretsimpledétourdel’ataraxie.L’altéritéquileséparedel’hommeestunconflitetnonunedifférencesereine.Dansunpremiermoment,Dieuestinvestidelaplushautebéatitude,paropposition à l’homme, car les actesne s’accordentpas avec labéatitude,maiss’accomplissentselonlafaiblesse,lacrainteetlebesoin,c’est-à-direlapartielaplusfaibleetlaplusvulnérabledel’homme.L’hommeestcondamnéauxconflitsde lamoralité.Mais l’attitude religieuse comporte un second momentcontradictoire:leDieureligieuxpossèdeunevolonté,s’occupedes hommes qui ressentent douloureusement les effets de cettevolonté. Ce sont donc bien aussi les actes humains qui sonthypostasiés enDieu, ou plutôt la « crainte de l’avenir » et du« châtiment », l’ensemble « de toutes les conséquences quepeuvent comporter de mauvaises actions empiriques[3] ». Lapartielaplusnégativedel’homme,samauvaiseconscienceetsacrainte,estsanctifiéedufaitqu’ellesetrouverenverséeenDieu,sibienqu’ilresteàceDieul’actionetlavolontédoubléesd’unejustice et d’une innocence absolues. L’opposition devient celled’unDieu juste, jugeetbourreauetd’unhomme faible, injuste,accusé et victime ; d’où l’état de crainte perpétuelle quicaractériselaconsciencereligieuse.Lareprésentationreligieuse

36

Page 37: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

forge la fiction d’un superhomme doué de volonté et seul àposséder l’innocence ; elle condamne les hommes à laculpabilité[4].L’hommereligieuxseraitincapabledesupportersonexistence

condamnéesilanégationdelaconsciencedesoienDieuneseniaitelle-mêmeàl’occasiondela fêtereligieuse[5].Ladivinitéadressesabienveillanceetsamiséricorde…àlaconsciencedesoiqu’elleavaitcommencéparnier;elleseréjouitauspectaclede la joiede l’individu.Maiscette«négationde lanégation»quis’accomplitdansla fêten’estenaucuncasunesuppressiondialectique:l’inversionfantastiquedelareligions’atténuedansla fête sans s’anéantir totalement. Il faut à la consciencereligieusedeuxnégationsrigidesetsansprogrèsdialectiquepourproduirelefantômedel’affirmationdelaconsciencedesoi.Lapreuve en est que la conscience voit toujours en face d’elle ladivinitéquis’estseulement,pouruntemps,faitebienveillante,etquesajoieabesoin,pourêtreéprouvée,ducérémonialmorbidede la fête et du sacrifice. Le philosophe affirme au contraireimmédiatement l’ataraxie de la conscience de soi comme étantl’affairede l’hommeet insiste sur sonurgence face à la fausseaffirmation de la religion. Feuerbach dira dans L’Essence duchristianismequec’estdanscedétourque fait l’hommepar ladivinité (qui n’est que l’incarnation du genre) qu’il perd toutessespossibilitésgénériques.LadifférenceexactedePlutarqueetd’Epicureestlogiquement

donnéedanslesTravauxpréparatoiresparcettedistinctionentreune affirmation immédiate, naïve et sans détour, axée sur leconcretcorporel,delaconsciencedesoisingulièreetunfantômed’affirmation défiguré, obtenu à grands coups de sacrifices

37

Page 38: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

morbides. On se trouve pourtant en présence d’un apparentparadoxe : d’une part, le principe d’Epicure est athée,prométhéen. Ildétruit« toutcequi transcende laconsciencedesoi abstraite et appartient donc à l’entendement imaginatif[6] ».D’autre part, il admet des dieux et recommande au sage de lesadorer.Qu’est-ceàdire?En réalité, cesdieuxd’Epicure sont très différentsdesdieux

« religieux » tels qu’on vient de les décrire. Ils sont à la foiscomplètement séparés des hommes (habitant dans les«intermondes»)ettoutàfaitsemblablesàeux(ilsontunquasicorps, un quasi sang, etc.). Ces dieux sont l’image parfaite del’homme, ou plutôt du sage, de la conscience de soi déjàparvenueàl’ataraxie.Ilsnesontpasdutoutforgésàpartirdelacraintemorale,maisàpartirdelasérénité théorique.«Cesontlesdieuxplastiquesdel’artgrec.»(Dissertation.Chapitre :Ladéclinaison…).Epicureaffirmel’identitédenaturedecesdieuxetdeshommes:ilssonteuxaussifaitsd’atomes,maisplusfins.C’est l’élément atomistique — expression matérielle de laconsciencedesoi—quiunifie lesageet ledieu.Entresageetdieu, iln’yaplusqueladifférencededegréquifaitdudieuleSageradical,celuiquidéviedetouteexistencedéterminée.Maiscetteradicalitén’estpasunemenacepourl’ataraxiedel’homme,elle n’en est que le modèle. La « religion » d’Epicure n’estabsolumentpasunrapportdeconflitoudecrainteàundieuquiserait seulàposséder innocence, sérénitéetpouvoir.Lesdieuxd’Epicurenecomportentpasl’ombred’unenégation,sicen’estcelledelapartienégativedel’homme,sacrainteetsamauvaiseconscience[7].Telest l’essentielde lacritiquede la religioncontenuedans

38

Page 39: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

les Travaux préparatoires. Elle laisse apparaître certaineslimites:lemécanismeetlacausedelaprojectionsontlaissésdecôté. L’inversion proprement dite qu’opère la religion et lecontenuprécisdecequiestalorsperduparl’hommenesontpasanalysésavecrigueur.L’accentestplutôtmissurlesimpledétouretsur l’identité fondamentaled’objetetd’originede la religionetdelaphilosophie.MarxserallierasanshésiteràL’EssenceduchristianismedeFeuerbach,ouvragequiluiapparaîtracommelaconfirmation et le développement rigoureux de ses propresthèses.MaisFeuerbachsecontenteluiaussiderésoudrereligionetphilosophiedans le conceptd’homme,sans s’interroger plusavantsurun telconcept,sansdoncdemander lepourquoide laprojectionreligieuse.C’estpourquoiMarxdépasseraégalementl’analysefeuerbachienneenécrivant,en1843,l’Introductiondela Contribution à la critique de la philosophie du droit deHegel. Il commence par y résumer la critique de Feuerbach :«Lareligionestenréalité laconscienceet lesentimentpropredel’hommequi,oubiennes’estpasencoretrouvé,oubiens’estdéjà reperdu. » Mais il dépasse aussitôt cette critique :« L’homme n’est pas un être abstrait, extérieur aumonde réel.L’homme, c’est lemonde réel, l’Etat, la société.CetEtat, cettesociétéproduisentuneconscienceerronéedumondeparcequ’ilsconstituent eux-mêmes un monde faux. » « C’est la réalisationfantastique de l’essence humaine parce que l’essence humainen’apasderéalitévéritable[8].»«Exigerqu’ilsoit renoncéauxillusionsconcernantnotrepropresituation,c’estexigerqu’ilsoitrenoncé à une situation qui a besoin d’illusions. » Ceprolongementdel’analysedeMarxpermetdejugerdesTravauxpréparatoires.

*

39

Page 40: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

**Le deuxième thème de ce texte est l’accentuation de la

dialectique.C’est la dialectique qui permet au jeuneMarx desoutenir le débat avec Hegel et le devenir-antinomique de sonsystème. Comme le souligne Marx dans les Remarques à laDissertation, il ne s’agit pas d’opposer au langage hégélien unélément non philosophique (non dialectique) qui enmontrerait,sansladémontrer,lacaducité,maisderemonterauprincipe,defaire en sorte que ce soit le système hégélien lui-même quicomprenne,etparlàsupprimelaséparationduréeldanslaquellel’a fait retomber la marche anarchique de l’histoire concrète.Marxrejette laséparationopéréeparlesJeuneshégéliensentreun bon et un mauvais Hegel : si un philosophe s’est renducoupabled’uncompromis,lapossibilitédececompromisdoitsetrouverdansune insuffisanceouunecompréhension insuffisantede son principe. En somme, Hegel n’a pas pris au pied de lalettre son affirmation essentielle dumouvement dialectique. Lacompréhension philosophique du fait que le savoir absolu serelativise et retombe dans l’opposition au monde de l’espritsubjectif est approfondissement du concept de la dialectiquehégélienne.D’où lesbellesmétaphoresoùMarx reprendHegelpour décrire la dialectique comme mouvement, comme flotincessant. La dialectique, comme essence des déterminationsontologiques,«fait tombercesdéterminationsencollisionaveclemondeconcretetlesforceàrévélercequ’ellessontenréalité,l’idéalité du concret[9]».La dialectique est une force qui prendson essor, dissout les déterminations de l’entendement et de lareprésentation;elleest lefleuvequicharrie tout, lamort,maisaussi la source d’où tout renaît, la vie.En tant que ressort dudéveloppement,elleporte le support spirituel individuelenqui

40

Page 41: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

le développement arrive à la conscience[10]. Elle fait entrer enmouvement les concepts des philosophes et les ramène à leurmesure, révélant la haine de la vie chez tous les philosophesconservateurs,lacrispationhautaineetpleinederaideurquilespousseàarrêterledéveloppementeffectif.C’estencoreellequidémasquera,àproposdesmétéores, leprincipeépicuriende laconsciencedesoiabstraiteretiréedumonde.Cequiestenjeudanscettepenséedeladialectique,c’estle

mondedel’histoire,c’estlefondementdetouteactionthéoriqueoupolitique,de toute transformationdumonde,de toutepraxis.Comme le note Cornu, cette conception permet à Marx dedépasseràlafoisHegeletlesJeuneshégéliens[11].

Accentuantledéveloppementinfinideladialectique,Marxestconfrontéàl’exigencedepenserlascissionréapparue,àproposde l’Etat prussien, entre l’Esprit et le Monde. Il résout leproblème (maiscette résolutionn’estque limitéeetprovisoire)parleconceptd’alternance.Cettesolutionluipermetavanttoutdenepas retomber,commeBauer,dans laphilosophiedeKantoudanscelledeFichte.« Ce qui apparaît au premier abord comme une opposition

absolue entre la philosophie et le monde, la conscience et lasubstance,serévèleàl’analysecommeuneactionréciproquedesdeuxélémentsantithétiques;philosophieetmonde,conscienceetsubstance ne doivent pas être considérés en effetmétaphysiquement en eux-mêmes, comme des entités isolées,absolues, mais conçues dans leurs rapports et leur unité

41

Page 42: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

dialectique.Aprèss’êtreséparéedumondeetopposéeàluipourle transformer, la philosophie s’intègre à nouveau en lui, etdétermine ainsi par son alternanced’intégration et d’oppositionle développement rationnel infini du monde[12]. » CetteconceptionestexposéedanslesTravauxpréparatoires(«Pointsnodauxdans ledéveloppementde laphilosophie»)etdansunfragmentdesRemarquesàlaDissertation.Marxrouvreainsilapossibilité de l’histoire en ne posant plus de limite à sondéveloppement. Adversaire de l’ « une fois pour toutes », ilcritiquel’impérialismeduspéculatifquin’estquelaproductionpar la conscience de soi de ses désirs. Etre le monde et êtreéternel, tels sont les désirs qui se profilent derrière le Savoirabsolu. Marx attribue au monde un réalité indépendante del’esprit:ducoup,lerapportdelaconsciencedesoiaumondesecaractérise par l’action et l’interaction réciproque et alternantedesdeuxtermes.Dans cet espace de laPraxis s’énonce le principe : aucune

coupure, aucune rupture, aucune prise de conscience, aucunsavoirn’ontlieuunefoispourtoutes;l’actiondel’espritsurlemonde et la réaction du monde sur l’esprit instaurentl’irréductibilitédeleuralternance.Cettealternanceconcernelaformedurapportdelaconsciencedesoiaumonde.Prisecommeformelle,elleestalternancepure,c’est-à-direque lessituationssepartagentenunerigoureusedichotomie.Silecontenu,selonleprocessus dialectique, s’enrichit sans cesse de déterminationsnouvelles, la forme du rapport semble répéter purement etsimplement le couple primordial de rapports : union avec lemonde (Savoir) / opposition aumonde (Praxis). Hegel sembleavoir voulu supprimer la contradiction entre la monotonie decetterépétitionet laprogressiondialectiqueducontenu,mais il

42

Page 43: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

ne pouvait le faire que dans une répétition de la forme et ducontenu(Savoirabsolu).Marxdémontreaucontrairequec’estlaprogression dialectique elle-même qui condamne la répétitionformelle du couple de rapports à sa monotonie[13]. C’est ainsique, dans les moments d’opposition de la conscience et dumonde, c’est cette opposition qui en s’accentuantprovoque lechangementrévolutionnairequiaboutitdenouveauàunmomentd’union de la conscience et de la substance. Le projet mêmed’étudier les philosophies grecques en question trouve sajustification dans la pureté de l’analogie selon laquelle cequ’ellessontàAristote,lesJeuneshégéliensetMarxlui-mêmelesontàHegel.Mais l’alternance elle-même ne se pense que par la

dialectiquedeHegel,fondéesurl’opposition.Surcepoint,Marxestformel:ledéveloppementdel’histoiren’estpasceluidelamesure.« Unemédiocrité qui se donne pour le phénomène del’absoluestelle-mêmetombéedansladémesure,enl’espèceladémesure dans la prétention[14]. » L’ironie de la polémique nedoit pas faire oublier le problème : tout accommodement descontraires fait obstacle au développement dialectique del’histoire.«L’oppositionentrelaphilosophieetlemondedoitaucontraire s’accentuerpourdevenir féconde, car cen’estquedecetteaccentuationquepeutnaîtrelarévolution,latransformationprofonde de la philosophie et dumonde qui rétablira entre euxuneharmonieusesynthèse[15].»Lespériodesd’oppositiondelaphilosophieetdumondesont

donclespériodesrévolutionnaires.Laphilosophie totaleensoiesttombéeaurangd’unetotalitéabstraiteetfaitfaceaumonde.Decefait,lacontradictiontombedanslemonde,quidevientlui-

43

Page 44: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

même déchiré et contradictoire. Dans de telles périodes,l’homme peut adopter deux attitudes différentes vis-à-vis dumonde:«Oubienseretirerdecelui-cietcherchersonbonheuren lui-même, dans le domaine de la conscience…, ou biens’efforcerd’agirsurlemondepourletransformer[16].»L’intérêtdesphilosophiesétudiéesparMarxestdesesituersurlesoldel’opposition au monde favorable à sa transformation. MaisEpicurechoisitleretraitdumonde,sebornantàtémoignerdelavaliditédel’alternative.La philosophie qui veut transformer le monde devient

philosophiedel’actionetdelavolonté.Sonmoded’actionestlacritique,quimesureledonnéàl’essence.Maislacontradictionquiétaittombéedanslemonderésideaussidanslaphilosophieelle-même dans lamesure où elle s’engage dans lemouvementpratique.D’unepart,lacritiques’opposeàlaphilosophietotale,mais elle est incapable de la dépasser théoriquement et ne faitqu’«enréaliserlesdiversmoments[17]».D’où,chezlesJeuneshégéliens, les risquesdechute théoriquedontnousavonsparlé.D’autrepart,laphilosophietotalesetrouve,àl’imagedumondedevenu contradictoire, déchirée intérieurement : sa mise enpratique définit deuxdirections opposées.La critique s’incarnedanslepartilibéralquisedonnepourtâchelatransformationdumonde et l’extériorisation de la philosophie. En face de cettedirection, la«philosophiepositive»tentedejustifier ledonnéen rejetant la faute sur la philosophie. En même temps cettetendancerefused’abolirlaphilosophiedanssonêtre-séparé-du-réel.Elleveut lamaintenirdanssonabstractionenlaréformantpour l’accorder au monde donné. À l’inverse, la critiquereprésentelafindelaphilosophieconçuecommecontemplationsereine d’un monde rationnel. Elle exprime la pointe la plus

44

Page 45: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

haute de l’opposition entre la philosophie et le monde,l’extrémité de leur différence. Elle est donc l’inverse de toutpositivisme,etlesrisquesqu’ellecomportenedoiventpasfaireoubliersaforcerévolutionnaire.Cette pensée de l’alternance reste tout entière sur le sol

hégélien.Elleestmêmeenunsensplushégéliennequelapenséedes Jeunes hégéliens, incarnée par Bauer, car elle refuse de«laissertomber»undesdeuxmomentsessentiels,etdefaireune«philosophiede laconscience»opposéeà lasubstance.C’estici précisément que le jeune Marx affirme sa différencespécifique.Le refus de suivreBauer dans sa philosophie de lapureconsciencedesoi,danssonretourenarrièrephilosophique,dans sa critique de Hegel entièrement solidaire du systèmehégélien, est le simple effet de la rigueur philosophique.Marxcroit à l’activité créatrice déterminante de l’esprit dans ledéveloppement de l’histoire,mais « au lieu d’attribuer, commeBauer, cette puissance créatrice à l’essence, c’est-à-dire à laforme subjective de l’esprit, dans laquelle celui-ci arrive à laconscience de soi par un acte de réflexion qui l’oppose à laréalité concrète[18] », il l’attribue, comme Hegel, « à l’espritobjectif, à l’idée, où la pensée et l’être, le sujet créateur etl’objetcrééparluiseconfondent».L’apparentefidélitéàHegelprofesséeparMarxestenréalitécequiluipermettra,envertudelarigueurdesadémarche,d’accueillir,sansenresterl’esclave,lerenversementdeHegelaccompliparFeuerbach.CequeMarxcomprend dès 1839, c’est qu’il ne sert à rien de critiquer unsystème philosophique total demanière parcellaire, sous peinede s’y enfoncer davantage. Il n’y a pas de détail chez unphilosophequinetienneàsonprincipe[19].LavéritablecritiquedeHegelnesauraitêtreun«replâtrage»,maisle«changement

45

Page 46: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

d’élément»déjàindiquédanslesTravauxpréparatoiresaveclesymbole de Thémistocle. Quand la solution hégélienne del’antinomie philosophie / monde se révélera tout à faitinsuffisante,c’estlerenversementdusystèmelui-mêmeetdesonprincipe idéaliste qui s’avérera nécessaire. En un mot, toutecritiqueestradicaleou n’est pas. Il faut paradoxalement resterdansunpremiermomentsurlemêmeterrainqueHegel,celuidel’union(idéaliste)del’idéeletduréel,pourpouvoiraccomplirle renversement qui permettra à son tour la percée hors de cesystème;etcecipourlaraisonqu’horsdelapointeextrême,durésultat,delaclôturedecesystème,onnesauraitallernullepartsansenêtreprisonnier.C’estparcequ’ilsetiendrasurlalimitedu système hégélien que Feuerbach pourra le critiquer demanière radicale, tandis que Bauer persistera dans son effortillusoire pour penser dans certaines catégories hégélienneshypertrophiéesunehistoireconcrètes’éloignantdeplusenplusdecescatégories[20].

II.—LADISSERTATION

Demêmeque lesTravauxpréparatoires, laDissertation de1841 sur la Différence de la philosophie de la nature chezDémocrite et Epicure a donc en fait deux objets relativement

46

Page 47: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

distincts, comme en témoigne l’avant-propos. Le premier objetestlaphilosophiedelanatured’Epicuredanssesrapportsaveccelle de Démocrite, le second la situation idéologique del’Allemagne et la question du devenir du système hégélien. Lepremierobjetn’estpasabsorbéparlesecond:Marxinsistesurle fait qu’il a « résolu un problème, insoluble jusque-là, de laphilosophie grecque » et critique Hegel d’avoir méconnu lagrande importance pour la philosophie grecque des systèmespostaristotéliciens.LaDissertationestdoncuneréponseàHegelsurleterrainmêmedel’histoiredelaphilosophie,dontcelui-ciest le fondateur.Affirmerque« ces systèmes sont la clef de laphilosophie grecque dans son aspect subjectif », ce n’est pasdétruire laméditationhégélienne,maisenmontrer la limite : laméconnaissance, en faveur du développement idéel, du supportde ce développement, de l’individu existant historiquement, del’énergie pratique, en un mot de l’aspect subjectif de laphilosophie.SiHegel a raisondeprivilégierPlatonetAristotepourcequiestducontenu,lasubjectivitégrecques’exprimedemanièrepluséclatantedansdessystèmesnésenun tempsoù lemonde devient irrationnel, et où l’accent est naturellement missurlesujetphilosophant.Laclefdelaphilosophiegrecquedansson aspect subjectif est le σοφος, comme réceptacle dudéveloppement de l’idéalité. Sur le plan du σοφος, aucunerupture ne sépare Epicure des philosophies précédentes, si cen’estl’approfondissementqu’entraîneleprogrèsdialectique.Les deuxobjets de laDissertationsont ainsi immédiatement

liés,conformémentàlathéoriedel’alternance.L’affirmationdela subjectivité individuelle est immédiatement aussi affirmationantireligieuse, car« si la consciencede soi abstraite-singulièreestposéecommeprincipeabsolu…,c’estl’effondrementdetout

47

Page 48: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

ce qui transcende la conscience et appartient donc àl’entendement imaginatif[21] ». L’intervention de Marx dans lalutte religieuse des Jeunes hégéliens, l’affirmationrévolutionnaire de l’indépendance de la philosophie, la«vénération»deProméthéecommelehérosphilosophiqueparexcellence ne sont donc pas surajoutés à laDissertation,maisfondésenelle.L’épicurisme, le stoïcisme et le scepticisme sont avant tout

envisagésici«dansleurconnexionaveclaphilosophiegrecqueantérieure».Ilsconstituentlafinparadoxaledecettephilosophiequi, ayant atteint l’universel, connaît avec eux un retour auxanciensphilosophesde lanatureetà l’école socratique. Ilsontpourtantuneimportanceessentielle,constituant«laconstructioncomplètede laconsciencedesoi», tandisquechacund’euxenprésenteunélément«commeayantuneexistencepropre[22]».LeprincipedelalecturedeMarxesticiindiqué.Ilécrivaitdansunprojetd’avant-propos :«Cen’estquemaintenantque le tempsestvenuoùoncomprendra lesphilosophiesdesépicuriens,desstoïciens et des sceptiques : ce sont les philosophes de laconsciencedesoi». Il s’agiradoncpourMarxde liredans lesphilosophies qu’il étudie les moments du concept affectés del’être immédiat, c’est-à-dire représentés. Cette manière deréaliserimmédiatementlesmomentsidéelsconstituelagrandeuretlafaiblessedecesphilosophies.Marx,quirestreintsonétudeàlaphilosophiedelanaturechezDémocriteetEpicure,pourramontrerquecetteréalisationimmédiateetabstraiteestconformeauprincipe épicurien, la consciencede soi abstraite-singulière.Ce principe est donc réalisé dans l’atome, « forme extrême del’inconceptualité » comme dit Hegel dans la Science de lalogique, ou « forme immédiate et universelle du concept »

48

Page 49: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

commeditMarxdanslesTravauxpréparatoires.C’estpourcelaque l’on trouve l’oppositiondedeuxmondes

chez Epicure : le monde phénoménal et le monde des atomes,lequel constitue la nature véritable. L’atomistique, en attribuantl’êtreàl’idéel,empêchecetidéeldeserévélercommeidéalitéduconcret:autrementdit,lesdeuxmondescoexistentet restentl’unenfacedel’autresansentrerencontradictiondialectique.Lalecture deMarx consistera à révéler l’idéel dans le représenté(l’atome),c’est-à-direànierl’êtreimmédiatdecedernierpourdévelopperlacontradictioninclusedanslaréalisationimmédiatedu principe. La contradiction entre l’idéel et le représenté seretrouvedanstouteslesdéterminations,mêmededétail,decettephilosophie.LeprojetdelaDissertationestdonc justifié : liredans le détail les philosophies de la nature de Démocrite etd’Epicurepourenrévélerladifférenceessentielle.Cettelectureconceptuelle doit réintroduire le contraste que l’identificationabusivedelatraditionavaitgommé.LechapitreIIIs’efforcedefairesentircetteoppositionquiva

contre la plupart des interprétations. Il insiste sur la distinction« de l’énergie pratique » des deux hommes, thème dont nousavons vu l’importance. «Ce sont deux tendances opposées quiprennent corps. Nous voyons comme différence d’énergiepratique ce qui semanifeste plus haut commedivergence de laconscience théorique ». Dans ce chapitre convaincant, nousvoyons lesdeuxhommes«s’opposerpasàpas».LesceptiqueDémocrite tient le monde sensible pour une apparencesubjective, doute de la vérité, mais se jette dans l’étudeempirique de la nature ; le dogmatique Epicure considère lemonde comme un phénomène objectif, tout en méprisant les

49

Page 50: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

sciences.LacatégorieprincipaledeDémocriteest lanécessité,celled’Epicurelehasardetlapossibilitéformelleabstraite.Toutescesdifférencesseretrouventsurleplandeladoctrine

(objet de la deuxième partie). Elles se résument en unedistinctionessentielle,pointcentraldel’interprétationdeMarx:si Démocrite admet deux mouvements des atomes, la chute enlignedroite et la répulsion,Epicure en ajoute un troisième : ladéclinaisonde la ligne droite. Or, la déclinaison n’est pas unajoutextérieurdictéparlanécessitéd’expliquerlarencontredesatomes et la création du monde, elle est une déterminationessentielle,exigéeparleconceptdel’atome.Dumêmecoupestaffirmée la différence conceptuelle qui sépare les atomes deDémocritedeceuxd’Epicure:cellequidistingueunehypothèsemécanistede l’affirmationde laconsciencede soi singulièreetabstraite.La compréhension essentielle de la déclinaison résout son

aspect contradictoire. La solidité de l’atome ne peut s’affirmerqu’enniantl’espacedanssasphèretotale.Lalignedroiteestlanégationde l’êtrespécifique ; l’atomeyestpurementdéterminéparl’espace,ilyestsoumisàunêtre-làrelatif,sonexistenceestmatérielle,c’est-à-direextérieure.Or, le concept de l’atome épicurien inclut deux moments

contradictoires:unmomentmatériel,oùl’atometombeenlignedroiteversuncentresituéendehorsdelui,etunmomentformel,où l’atomeestunepureformeniant tout rapportavecunêtre-làquiluiseraitextérieur.SelonHegel,lachuteenlignedroiteestlapositionabstraited’uncentreextérieuraucorpsquitombeetverslequelcecorpstend[23].Maisl’atome,incarnantl’êtrepoursoi,doitseposerlui-mêmecommecentre.L’insistancesurcesecond

50

Page 51: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

moment est l’apport essentiel d’Epicure, ce qui affirme ladifférence qui l’oppose à la philosophie déterministe,matérialiste etmécanistedeDémocrite.Leproblèmed’Epicureest de réaliser dans la sphère de l’être immédiat (la sphèreatomistique), le moment formelde l’atome. Or, la négation del’être-autre est dans cette sphère une négation représentée,négation d’un étant qui elle-même est : négation sensible de lachuteenlignedroite,mouvementdedéclinaison.Lemouvementobliqueaffirmel’autonomiedel’atome.Nousavonsdonc:— le moment matériel : la ligne droite, l’extériorité, la

nécessité, lemécanisme,ledéterminisme,lemonderéelcommeAutredelaconscience,lamaladie,ladouleur;— lemoment formel : la déclinaison, l’affirmation de l’être

poursoisingulier,l’arbitraire,lehasard,lapossibilitéformelle,l’ataraxiedelaconsciencedesoiabstraite-singulière,lemondecommeprojectiondecetteconsciencedanslanature.Démocrite s’en tientaupremiermoment,Epicureaccentue le

second et affronte leur contradiction. Cette contradiction dansl’essence se traduit par une contradiction dans la théorie : envertu du principe atomistique, les deux mouvementscontradictoiresdevraients’incarnerdansdeuxêtre-làdistincts ;il devrait donc y avoir deux sortes d’atomes. Rejeter ladéclinaisondansun tempsetun lieu indéterminésrevient,de lapartd’Epicure,àmasquercettecontradiction.La déclinaison définit donc le principe de la philosophie

d’Epicure,ausensleplusfortduterme:ceprincipeestl’atomedans sonconceptachevé (dans ses deuxmoments).En tant queprincipe, l’atome est présupposé. Ce qui met la déclinaison à

51

Page 52: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’abri de tout reproche, c’est qu’elle est posée nécessairementdèsquel’onfaitdel’atome,danssonconcept,unprincipeetunpointdedépartnoncritiqué.L’atomeaffirmedonclaconsciencede soi abstraite-singulière qui s’oppose au monde concret, auniveau du pur être pour soi. Cet être pour soi singulier estincapabled’idéaliser l’être-là qui s’oppose à lui et doncde lesupprimer dialectiquement pour affirmer l’union médiate durationnel et du réel. L’être pour soi ne peut donc que faireabstraction de cet autre être-là, en dévier. Ce principe estl’essence unique de la philosophie d’Epicure. Il est présent àtoussesniveauxetà toussesdéveloppements :à l’atomede laphysique correspond l’ataraxie qui voit le sage dévier de ladouleuretlesdieuxhabiterhorsdumonde.Larépulsionestdansl’ordreduconceptlaconséquencedela

déclinaison, et non l’inverse, comme le croit Cicéron. C’estquandonsecontentedejuxtaposerlesdeuxmouvementsquelesparadoxes surgissent, mais le philosophe comprend que larépulsion est la vérité et la réalisation nécessaire des deuxmoments précédents, la matérialité ou extériorité et ladéterminationformelleouconcept.Commenousnequittonspasla sphère atomistique, la répulsion vient s’ajouter commetroisièmemouvementauxdeuxprécédents.L’atomecontientdeuxexigences:— Il ne peut se rapporter qu’à lui-même et doit faire

abstractiondetoutautreêtre-làquiviendraitlelimiter.— Pour se réaliser, le concept de la singularité doit se

rapporter à une autre singularité, et ne pas rester abstraitementenferméenlui-même.Il faut donc, en vertu de la première exigence, que l’autre

52

Page 53: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

singularité réclamée par la seconde soit la même que lapremière, tout en se présentant sous la forme d’un être-autre etd’un être-là extérieur. L’atome se rapporte donc à lui-mêmecommeàun autre, en se rapportant à un autreatome.Ainsi estposéelarépulsioncomme«premièreformedelaconsciencedesoi » « répondant à la conscience de soi se concevant commesingularitéabstraite».Danslarépulsion,larencontredel’atomeavec lui-même se fait sous la formede l’être-autre.L’atome serapporte à lui-même comme à quelque chose d’immédiatementautre. « C’est le plus haut degré d’extériorité qui se puisseconcevoir[24].»Larépulsionréalisedoncaussibienlaformedel’atome(ilserapporteàlui-même…)quesamatière(…commeà un être-autre). Epicure représente également la forme commematière.Danslarépulsion,l’être-autren’estqu’uneforme.L’atome,en

se rapportant à l’autre atome, ne se rapporte en fait qu’à lui-même. L’être-autre qui définit l’« autre » atome est la formeuniversellequeprendl’atomedanslarépulsion.Entantquetels,les atomes sont donc semblables, exemplaires identiques d’ungenre unique. Mais comme l’altérité est représentée dans laforme de l’être, elle doit s’incarner dans des qualités. Lesatomes « doivent être immédiatement différents entre eux, doncposséder des qualités » (IIe partie, chapitre II). La qualité niedoncleconceptdel’atomeenleposantcommedifférentdesonessence. Cette contradiction est essentielle et non accidentelle,carEpicure,àladifférencedeDémocrite,considèrelesqualitésenrapportàl’atomeetnonenrapportauxphénomènessensibles.Il accepte la contradiction au niveau de l’essence, en posant àcôté de chaque qualité une détermination contraire qui faitprévaloirleconceptdel’atome.

53

Page 54: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Lesatomesd’Epicureonttroisqualités:lagrandeur,lafigure,lapesanteur.Chacuned’entreellesestcontradictoireàlanotiond’atome,etdoncniéeaussitôtqueposée.1.L’atomeaunegrandeur,maiscelle-ciestenfaitlanégation

delagrandeur,lapetitesseinfinie.2.L’atomeaunefigure,maislenombredecesfiguresestfini.

Ilyadoncunnombreinfinid’atomesdemêmefigure,cequinielanotiondefigure.3.L’atomeestpesant.Lapesanteurestlareprésentationdela

singularité idéale de la matière[25]. Mais cette singularité estextérieure à l’atome, le centre de gravité est ce vers quoi tendl’atome au cours de sa chute. D’où la contre-proposition : lapesanteur n’est que différence de poids, l’atome est lui-mêmepointdegravité,centre.Lepluralismedescentresestaffirmé.Laterre n’a pas de centre. La pesanteur disparaît dans le vide,l’atomen’yétantpenséqueparrapportauvide.Laqualitéposedoncdans l’atome lui-même la contradiction

entre essence et existence. Elle achève la construction de lachose en l’aliénant de son concept. Cet atome complet est laforme absolue de la nature. Mais il faut ensuite passer de cemondedesatomesaumondedesphénomènes,etcepassageestéminemmentcontradictoire.Le concept de l’atome est la conscience de soi abstraite-

singulièreprojetée.Ilestdonc,commeformeidéelle,lanégationde la matière. Cette opposition exclut qu’il y ait un passageprogressif possible de la forme conceptuelle de l’atome à sonexistence comme basematérielle. « Si l’atome est conçu selonson concept, c’est le vide, la nature anéantie qui est son

54

Page 55: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

existence. » L’atome est lamort de la nature, demême que laphilosophieépicurienneouvrel’èredeladestructioneffectivedela nature matérielle[26]. Marx décèle une contradiction dans laméthode analogique qui passe insensiblement, par degrés,« paulatim », du monde sensible à la nature véritable del’atome[27]. «La singularité abstraite est la liberté à l’égarddel’être-là,nonpaslalibertédansl’être-là.»Entrelasingularitéetle monde, il y a une contradiction. L’expression de cettecontradiction est la distinction[28] entre l’atome στοιχειον(qualifié, completet aliénédesonconcept)quidevient labasedes phénomènes, et l’atome comme αρχή qui exprime le purconcept de l’atome et qui s’oppose au phénomène. L’atomecompletetqualifiépermetseullepassageaumondephénoménal,mais la véritable nature est celle de l’atome conceptuel. Lemonde phénoménal est donc le lieu où ressort la plus grandecontradictiondel’atome.Les atomes forment le monde de l’être par opposition à la

nature phénoménale. Mais cette dernière possède égalementl’être puisque le monde sensible est un phénomène objectif.L’êtreestdonccequiréunitlesdeuxmondesetpermetdepasserdel’unàl’autreparanalogie.Maislemondephénoménal restefondamentalementdistinctdumondeatomistique :onn’y trouvequedescompositions,c’est-à-diredesagrégatsoùlesatomesserapportentlesunsauxautres.Cescompositionsnesontpossiblesque par la qualification des atomes. Or, l’atome qualifié estl’opposédel’atomeconceptuel.La composition, comme « forme passive de la nature

concrète»,exprime lamatérialitéde l’atomedans lemondeduphénomène. Par opposition à celle-ci, le temps est la « forme

55

Page 56: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

active » du phénomène, l’accident de l’accident,«l’anéantissementetleretouràl’existencepoursoidetoutêtre-là déterminé ». La contradiction tombe donc entre temps etcomposition,à l’intérieurdumondephénoménal.Lephénomèneest ainsi pensé comme phénomène, c’est-à-dire commeapparitiond’unidéel,ilrévèlesonêtre-phénomène.Letemps,endétruisant le phénomène, lui imprime le sceau de l’absence del’être.Ilestlaréflexionduphénomèneensoi-même.Commelesautresmoments,letempsestsubstantifiécommeêtreparticulier:la sensibilité humaine. C’est ce qui justifie le fait que cettesensibilitéestprisecommecritériumréeldelanatureconcrète.L’épicurismeestdonc,contrairementàladoctrinedeDémocrite,une philosophie du temps. Mais le temps sert avant tout àramenerlephénomèneàl’atome.L’apparitiondeschosesà la sensibilité—par la théoriedes

simulacres — est la même chose que leur temporalité. Lessimulacres ont leur être-sensible hors d’eux-mêmes, dans lescorps dont ils sont la forme. Sitôt séparés, ils périssent ;l’apparitionducorpsestdéjàleprocessusdesaperte.Lanaturesensible est ainsi l’objectivation de la conscience empirique,comme l’atome était la projection de la conscience singulière-abstraite.L’analysedelathéoriedesMétéores,quiclôtlaDissertation,

est l’occasion pour Marx de vérifier et de développer sonprincipe de lecture en déroulant jusqu’au bout la contradictionprincipale, celle qui gît dans le Principe d’Epicure lui-même.Epicure s’oppose en effet à toute la tradition grecque en sedéclarantennemidelavénérationdescorpscélestes.Lathéoriedesmétéoresaccentueetdévoileleprincipeépicurien,quiestun

56

Page 57: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

individualisme éthique. Comme le soulignaient les Travauxpréparatoires, cette théorie n’est fondée que dans l’éthique del’ataraxie, quoiqu’elley soit fondéecommethéorique[29].Maiselleauneméthodetoutàfaitdifférentedesautressciences:ondoitexpliquerlesphénomènescélestesàpartirdesphénomènesterrestres, et de multiples manières. En effet, si le mondecontradictoireduphénomèneestnotreami,si,commelemondedes atomes, il est fait à notre image, le monde céleste est aucontraire notre plus grand ennemi. La multiplicité desexplicationsqu’Epicuremetauprincipede laconnaissancedesmétéores doit rassurer la conscience en détruisant la divinitédescorpscélestes,ennianteneuxl’identitéetlaloi,en«faisantdisparaîtrel’unitédel’objet[30]».Lescorpscélestessonteneffet laréalisationeffectivede la

notion d’atome. En eux, la matière a reçu effectivement lasingularité.«Ilsformentunsystèmederépulsionetd’attraction,tout en conservant leur autonomie. » Les corps célestesreprésentent lamatière éternelle, autonomeet indestructible.Lacontradictionentreessenceetexistenceyestrésolue,lamatièrepossède en elle-même la forme et a admis la singularité. Lescorpscélestesreprésentent leprinciped’Epicure, laconsciencedesoisingulière,quia résolusescontradictionsetagagnéuneréalitéeffectiveconcrète.Etpourtant,Epicurerefusedetoutessesforcesdereconnaître

cetteréalisation.Ceparadoxen’estqu’apparent:leprincipedesaphilosophieestlaconsciencedesoiabstraite-singulièreetnonla conscience de soi universelle, non l’universalité concrète.L’universel (les corps célestes) est la forme supprimée etdépassée de la conscience abstraite, « sa réfutation devenue

57

Page 58: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

matérielle ». Epicure reste donc fidèle à son principe ; il ledéveloppejusqu’aumomentdesasuppression,maisrefusecettesuppression, arrête lemouvement dialectique pour rester sur lesol de l’opposition abstraite aumonde. L’universel est en effet« la dissolution de la singularité abstraite[31] ». En face de cetuniversel,Epicuredémasquelesensdesaphilosophie,nonpasunmatérialismenaturaliste,mais l’affirmationde la consciencede soi dans son opposition au réel, représentant le moment del’essence.La conscience de soi abstraite-singulière sort ici deson « déguisement matériel » et s’affirme comme le véritablePrincipe,achevantdecreuserlefosséquiséparesonaffirmationdumatérialismemécanistedeDémocrite.En fait, la consciencede soi ne se présente sous la forme de la nature qu’aussilongtempsquecettenatureestàl’imagedelaconsciencedesoisingulière : contradictoire. Lorsque la nature devient aucontraire autonome, la conscience se réfléchit en elle-même ets’opposeà lanature.Lanatureconcrèteet laconsciencedesoine peuvent coexister que si la conscience supprimedialectiquement son abstraction, mais « l’universel est seul àpouvoir connaître en même temps son affirmation ». Laconscience abstraite ne tire son identité avec soi-même que del’existence de ses représentations dans le sens commun. Cetteidentité, comme immédiate, est fausseetdoit sedissoudrepourse médiatiser. L’universalité que la conscience doit atteindreapparaîtdoncd’aborddanslanatureets’opposeàlaconscience,tandisquecelle-cinesereconnaîtpasdanscetteuniversalité.ChezEpicure,«laconsciencedesoin’estconçuequedansla

formedelasingularité».Cettepositiondelaconsciencedesoiabstraite marque cependant un progrès par rapport aumatérialismepurementmécanistedeDémocrite:ellenietoutce

58

Page 59: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

qui transcende faussement la conscience, toutes les projectionsoù celle-ci s’aliène, au premier chef les illusions religieuses.L’éloge d’Epicure par Lucrèce qui termine la Dissertation lemarque bien. Epicure, dit Marx, est le plus grand des« philosophes des Lumières[32] » grecs : dans ce titre sontcontenues à la fois la force négatrice et l’unilatéralité de cettephilosophie.

1. ↑.Cornu,op.cit.,I,158.CetteoppositionsoulignéeparA.Cornun’estpeut-êtrepas aussi tranchée, car Hegel, dans un passage des Vorlesungen Ueber dieGeschichtederPhilosophie,compare ledogmatismeabstraitd’Epicureetdesstoïciensàl’attitudedeschrétiens,qui«sesoucientabstraitementdusalutdeleurâme».Ed.Frommann,TomeXVIII,p.425.

2. ↑.Cornu,op.cit.,I,173.3. ↑ . Travaux préparatoires, fragment intitulé : la Crainte et l’Etretranscendant.

4. ↑ . Travaux préparatoires, fragment intitulé : le Culte et l’individu.L’innocencegrecqueestdoncdévoyée,chezPlutarque,parlaconceptionmoraleduDieujugeetbourreau.Laprojectionreligieuseidentifieinnocenceetmoralité(bonnevolonté)rejetantl’hommehorsdel’innocenceafindelaluipromettreautermed’uneconduitemorale.

5. ↑.Travauxpréparatoires,fragmentintitulé:leCulteetl’individu.6. ↑.Dissertation,chapitre:lesMétéores.7. ↑ . Cf. Nietzsche : Généalogie de la morale, II, 24. Edition « Mercure de

France».«LesGrecssesont longtempsservide leursdieuxpourseprémunircontre toutevelléitéde«mauvaiseconscience»,pouravoir ledroitde jouirenpaixdeleurlibertéd’âme:doncdansunsensopposéàlaconceptionques’étaitfaitedesonDieulechristianisme.»Cetteanalyserenvoieaussiaumondegrecconçucommemomentheureuxdelapure substance.Epicurene serait-ilpasunGrecconfrontéà lanaissancede lasubjectivité « chrétienne », et s’en défendant par les dieux plastiques de l’artgrec?Ilferaitainsivaloirlecalmethéoriquegreccontrelacomplexitéaffectivede la conscience chrétienne, conçue comme conscience religieuse parexcellence…

8. ↑.TraductionMolitor,p.83-84(EditionsCostes.Œuvresphilosophiques,tomeI).

9. ↑ . Travaux préparatoires, fragment : le Transfert de l’idéalité dans lesatomes.

10. ↑ . Ibidem, fragment : Sur la forme subjective de la philosophie

59

Page 60: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

platonicienne.11. ↑.Une foisaccompli le renversementmatérialistequidistingue radicalement le

développementréeldudéveloppementpensé,ladialectiqueseralibéréeetpourraêtre utilisée pour construire le reflet du développement réel.On ne pourra plusêtre tenté d’y réduire le développement réel, car l’exposition dialectique dumouvement devra toujours composer avec une analyse historique rigoureuse.Ceciestmisaupointdans l’introductionà laCritiquede l’économiepolitique(1857).

12. ↑.Cornu,op.cit.,I,191.13. ↑.L’alternanceestdavantagel’indicationd’unedifficultéquelaproductiond’une

solution:difficultéàpenserlascissionhistoire/philosophiedanslestermesd’unephilosophie dont l’esprit et l’expression récusent une telle scission. Hegel avaitcritiqué cette notion d’alternance, à propos de la dialectique fini/infini. « Dansl’alternance monotone des deux termes, la contradiction un instant écartéereparaît l’instant d’après. La solution toujours différée apparaît à la foisnécessaireetimpossible.»(G.Noël,laLogiquedeHegel,éd.Vrin,p.29.)Hegel dit : « Il y a un dépassement abstrait qui reste incomplet en ce sens

qu’onneledépassepaslui-même.L’infiniexiste;ilselaissecependantdépasser,et on le fait en posant une nouvelle limite, auquel cas on retourne au fini. Cemauvais infini est en soi lamême chose que le devoir-être éternel…Cet infinin’esttelqueparrapportàsonautre,quiestlefini.Laprogressionàl’infinin’est,parconséquent,qu’une répétitionmonotone,unealternance fastidieuse, toujourslamême,dufinietdel’infini.»Sciencedelalogique,trad.S.Jankélévitch,éd.Aubier, tome I, p. 144. Ce texte traduit la difficulté centrale de la penséedialectique:—nepaspouvoirpenserl'absencedesolutiondansladialectique;—nepouvoirempêcherquelasolution,indéfinimentaffirmée,nepuissel’être

quedansunerépétition;—nepouvoirconcevoirunprocessusdedéveloppement infini sans retomber

dansl’alternancecondamnée.Rien n’est plus étranger à Hegel qu’une pensée de l’alternance, car

l’alternance est en son fond répétition, et la répétition nie la dialectique commesens.Soulignonsquelathéoriedel’alternanceneserajamaispourMarxuniqueet souveraine. Nous verrons que la Sainte Famille, et plus encore lesManuscrits de 1844, la soumettent à un processus d’élaboration etd’accomplissement.Dans l’expositiondu«mouvementd’ensemble»ducapital(leCapital), cette progression devient celle d’un « organisme social donné ».Mais Marx ne cède pas à la tentation de nier l’alternance en faveur d’unaccomplissement total et définitif de l’histoire. L’analyse des Manuscrits de

60

Page 61: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

1844 (infra) montrera que la conception marxiste de l’histoire fonde ladialectique de l’accomplissement (aliénation et fin de l’aliénation) dans unedialectiqueplus profondede l’objectivation fondée sur l’alternance des rapportshomme/nature. Cette seconde dialectique constituant au sens propre l’histoirepar opposition à la préhistoire.Ce débat central dialectique/alternance s’originedanslaréflexionprésentedestextesde1839-1841.

14. ↑ . Travaux préparatoires, « Points nodaux dans le développement de laphilosophie.»

15. ↑.Cornu,op.cit.,I,187.16. ↑.Ibidem.I,188.17. ↑ . Travaux préparatoires : « Points nodaux dans le développement de la

philosophie.»18. ↑.Cornu,op.cit..I,178.19. ↑ . L’itinéraire philosophique de Marx peut être décrit comme la recherche

constantedel’insuffisanceduprincipehégélien.IlécritdanslesManuscrits de1844 : « Ainsi, il ne peut même plus être question de concessions faites parHegel à la religion, à l’Etat, etc., car ce mensonge est le mensonge de sonprincipemême.»(Asavoirlefauxpositivismequis’affirmecommealiéné.)[Cf.éd.citée,p.141.]

20. ↑.RestersurlemêmeterrainqueHegelsignifieconserversanscessel’exigencedepenserensemblelesubjectifet l’objectif.Maintenircesdeuxcôtésrevientàrécuser d’avance toute philosophie unilatérale. (Philosophie fichtéenne du sujet,philosophienéo-spinozistedel’objet.)IlyadoncbienchezMarxundépassementdes Jeunes hégéliens qui s’effectue par un « retour » à l’exigence hégélienne(c’est l’interprétation d’A. Cornu). Nous pensons cependant que cette doubleexigence situe le problème que se posait Hegel, mais que Marx, à aucunmoment,ne résout ce problème par une synthèse spéculative. Il ne s’agit paspourluides’éleveràunlieudepenséeoùlesmomentssefondentenuneunitésupérieure.Dès1841,ledualismesujet-objetestunproblèmequiapparaîtcommeinsolubleàl’intérieurdusystèmespéculatifdeHegel.Lasynthèsespéculativeadémontrésacaducitéetl’hommeestdenouveauopposéaumonde.L’analysedelaDissertationmontreraladistancequiséparelacompréhensionqu’aMarxdel’universel de la définition hégélienne du spéculatif (cf. infra, le Ciel commerépulsionconcrète).

21. ↑.Dissertation,chapitre:lesMétéores.22. ↑.Dissertation,chapitreI:Objetdeladissertation.23. ↑ .Cf. Hegel : Philosophie de la nature, in Précis de l’encyclopédie des

sciencesphilosophiques.EditionsVrin,p.152.24. ↑ . Lamatérialité est ici définie formellement, comme extérioritédu rapport.

Cettedéfinitionest reprisedeHegel.Lamatière estdonc lemomentpurementnégatif de l’être-hors-de-soi.Cette définition formelle commence par réduire lamatière à l’antithèsede l’être-auprès-de-soi qui caractérise l’effectivement réel

61

Page 62: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

(idée),d’oùl’aversiondeHegelpourlematérialisme25. ↑.Hegel,op.cit.,p.150-154.26. ↑.Travauxpréparatoires,fragmentintitulé:GassendietEpicure.27. ↑ . Peut-on faire une lecture « contradictoire » de la pensée épicurienne qui

procède toujours par degrés, par analogie ? Sur cette difficulté, cf. GillesDeleuze,Lucrèceetlesimulacre,inLogiquedusens,éditionsdeMinuit.

28. ↑.Dissertation,deuxièmepartie,chapitreIII.29. ↑.Fragmentintitulé:laPhilosophieépicuriennedesMétéores.Qu’elleysoit

fondée comme théorique veut dire que c’est la connaissance positive desmétéores qui doit donner le calme et non pas n’importe quel mythe explicatif.Mais en fait, cette proclamation « positiviste » cache la volonté de détruire lesmétéoresenlesexpliquantdedifférentesmanières.

30. ↑.Dissertation,deuxièmepartiechapitreV.31. ↑.Surl’idéequesefaitMarxdel’universel,cf.infra,laDialectiquerépulsion-

attractionetl’idéededéclinaison.32. ↑ . Cet anachronisme est très suggestif. La « Philosophie des Lumières »—

Aufklärung—désigne en fait un courant rationaliste dont le conflit avec la foiremplit tout ledix-huitièmesiècle.Ceconflitestcelui«de laconsciencedesoi,qui se sait lavéritéde touteobjectivitéetde lapurepenséeobjectivéedansunmondedel’au-delà».(J.Hyppolite:EtudessurMarxetHegel,éd.Rivière,p.66.) L’Aufklärung engage la lutte contre un royaume de l’erreur : consciencenaïve de la masse, mauvaise intention des prêtres, despotisme. L’Aufklärungentreprendderéformerdirectementlamasse.Maissavictoirenelaissesubsisterquelacatégorievidedel’utilité.«Ilnerestequ’unmondeplatetinconsistant.»(Ibidem,p.69.)Pour Hegel, c’est le spéculatif qui est ainsi extirpé. Mais l’utilité est une

fausseaffirmationdelasubjectivité,qui,enfait,lanie.Ellen’est«queleprédicatdel’objet».(Ibidem,p.70.Citationtiréede laPhénoménologiede l’Esprit,p.399.)[Ed.Lasson,t.II.]Ilfautquel’hommeserévèlecommelaprofondeurdecemondeplatetdécouvrel’Absoludanssaconsciencedesoiuniverselle.Revenirà l’Aufklärungdanssavaleurpolémiqueetcritique,c’estdoncde la

part deMarx s’opposer doublement à Hegel : enmontrant d’une part que lessuperstitions subsistent à la victoire de la « Philosophie des Lumières», et quecettephilosophiedoitêtrereprise,enrécusantd’autrepartlerapportdeHegelàla religion. Pour Hegel, la découverte par l’homme de l’Absolu récupère lareligioncommecontenusymboliquedecetAbsolu.LacritiqueopéréeparMarxde cet accueil de la religion se prolonge dès lors par celle de la philosophie del’Etat qui en est tributaire.Ce refus de toute récupération de la religion est unmotif fondamental d’opposition entreMarx etHegel.MaisMarx est égalementsensible au fait que l’Aufklärung a surtout un contenu négatif et critique, etqu’elle constitue davantage une arme et un point de départ qu’une philosophie

62

Page 63: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

positive.

63

Page 64: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

EPICUREETLEMATERIALISME

_______

«… Le ciel— la nature— l’esprit. Àbas le ciel ! le matérialisme ». Lénine,Cahiers sur la dialectique de Hegel.N.R.F.p.159.

CecrideLénineaunerésonancetoutàfaitépicurienne,et,defait,latraditionmarxisteareprisàsoncomptecettephilosophieet la lecture que Marx en a faite. Marx lui-même mentionneEpicure dans la Sainte Famille, puis dans l’Idéologieallemande.Lénine,danslesCahiersphilosophiques,puisNizandans les Matérialistes de l’Antiquité, le citent commematérialiste à part entière. Le matérialisme historique instaurépar Marx, qui porte en lui une problématique et des conceptspropres, sedoubled’undiscoursphilosophiquematérialiste surlequel Lénine a particulièrement mis l’accent. Or, ces deuxdiscoursneserecouvrentpas:ilexisteentreeuxledécalagequidistingue la science de l’idéologie[1], ces deux niveaux n’étantpas indifférents l’un à l’autre. Il n’y a pas une histoirephilosophique toute faiteque lasciencedevraitexhumerpouryappuyersarechercheetsonaction.Lematérialismen’estpasun

64

Page 65: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

motd’ordrequicontiendraittoussesdéveloppementsdemanièreimmédiate.Sasignificationdépenddelarigueuraveclaquelleonconstruitsesdéterminations.Sinoniln’estqu’unecatégorievidedanslaquelleonmettraaussibienDémocrite,Epicure,Gassendi,Diderot, Feuerbach, leMarx duCapital, les savantsmodernes,etc.,etquin’engendreraquedesmalentendus.Marx affirme de la manière la plus nette le résultat de son

étudesurlaphilosophiedelanaturechezDémocriteetEpicure:leproblèmejusqu’alorsnonrésoludelaphilosophiegrecqueestrésoluparlui;lelecteurdelaDissertationconnaît lavéritabledifférence qui oppose Epicure à Démocrite et sait que laphilosophie de ce dernier est une « science naturelle de laconsciencedesoi».Maislaconsciencedesoisingulièreseposedans son moment essentiel en opposition au monde. Cetteopposition de la philosophie et dumonde est justement ce quirapprochelasituationdelaphilosophieépicuriennedecelledesJeuneshégéliens.Entantquephilosophiedelaconsciencedesoiabstraite-singulière, l’épicurisme apparaît donc comme unenégation idéalistedumonde. Toutes les analyses des Travauxpréparatoires vont dans ce sens. La philosophie d’Epicureconstituemême lecôtéstérilede lanégationdumonde, la fuitehors de lui, auquel s’oppose la négation active du monde, satransformation énergique et volontaire par la critique. On peutmême dire que c’est ce refus du monde matériel concret quifonde également le rejet de la transcendance religieuse,hypothéquant sa valeur philosophique. Cette philosophieconstitueraitlerefusdetoutenécessitéréelle,detoutealtérité,etson athéisme, renforçant la tendance à rejeter toute contrainteextérieure[2], serait àdouble tranchant,ne laissant subsisterquel’affirmationnuede la consciencede soi abstraite.Decepoint

65

Page 66: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

de vue, plusMarx établirait de différence entre lematérialisteDémocriteetEpicure,plusiltireraitEpicuredansladirectiondel’idéalismesubjectif,etinversement.Or,en1841dumoins,c’estcettedifférencequiestexpressémentaffirmée.Surcepoint,Marxest d’ailleurs fidèle en gros au jugement qu’avait porté Hegeldans les Leçons sur l’histoire de la philosophie : Epicure,vivant à une époque où le monde est devenu irrationnel etn’apparaît plus à la conscience que comme une nécessitémonstrueuse dont les lois vont à son encontre, incarnel’individualité singulière et abstraite qui fait abstraction de cemonde,demêmeque sonprincipe, l’atome,déclinede la lignedroite en affirmant sa liberté, sa solidité propre. La vertuprincipale d’Epicure est alors la franchise et la rigueur aveclesquelles il développe toutes les conséquences de ce principequi est le sien ; sa logique ouverte révèle ce principe, laconsciencede soiprisecommeesprit subjectif,quiest aussi lecontenu déformé et latent de la religion. A l’égard de laphilosophie grecque, Epicure est dans une position derévélateur ; il n’en change pas les déterminations essentielles,mais en accentue les conséquences avec naïveté.Ainsi, commeles philosophes grecs, sa philosophie est une doctrine de lareprésentation,bienqu’ilnecherchepasàsauvercelle-cietlaramèneàlapurepossibilitéformelle,la«simplepossibilité[3]».Tel est le contenu de l’ataraxie— mot dont la compositionétymologiqueestprivativeetnégative—couronnant lamoraledel’Ηδονή.Maislesrapportsdelaconscienceépicurienneetdumondene

sont pas si simples. Dans l’Idéologie allemande— écrite en1845-1846 — Marx s’élève contre Max Stirner, selon quiEpicure veut tromper le monde qu’il considère comme son

66

Page 67: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

ennemi : « Jusqu’ici, on savait seulement que les épicurienss’étaient exprimésdans le sensquevoici : il faut détromper lemonde,c’est-à-direledélivrerdelacraintedesdieux,carilestmon ami[4]. » Comment la conscience de soi qui s’oppose aumondepeut-elleleconsidérercommesonami?Ilfautdéterminerprécisément de quel monde il s’agit dans chaque cas, car ceterme est ambigu.Epicure souligne lui-mêmequ’il ne s’occupepasdumonde,maisdel'ataraxiedelaconscienceindividuelle[5].Pourtant, ce qui permet, auniveaudumonde sensible, le libre-arbitre de l’homme, c’est la construction dumonde atomistiquequiestàl’imagedecelibre-arbitre.Lemondeauquels’opposelaconsciencedesoi,dontelledévieàl’instardel’atome,estlemondeconcretdevenu irrationnel, lemondecommeautrede laconscience,qui trouve son symboledans lanécessité inflexiblede la ligne droite, image dumonde historico-politique réel quivoyaitlaGrèceasservie.Untelmondeestprécisémentlemondematérialiste de la possibilité matérielle, le monde positif quedéveloppe la philosophie de Démocrite. Epicure est l’ami dumondequisedonneà la représentationsubjective[6].Cemondefamilier et soumis est offert à l’expérience quotidienne duphilosophe cantonné dans son jardinet. Il est alors aisé detransposer cet univers perceptif restreint en une physiquedogmatique, selon le mouvement de la possibilité abstraiteinfinie.Unefoislemondephysiquesoumisàunmonded’atomesreprésenté,lemondeconcretsubsistealorsdanslemondecélesteindépendantqu’Epicure s’emploie à réduire etmêmeàdétruiredans son aspect ordonné et contraignant. De même, le mondepolitiqueeffectivementréelseréduitàlacommunautédesamis.L’ami se rapporte à l’ami comme l’atome à l’atome, selon leprocessusdelarépulsiondéjàanalysé.L’équivalentpolitiquede

67

Page 68: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’amitiéest lecontrat[7],conditionextérieure liantdesvolontésabstraites subjectives, au niveau de la seule société civile, etfaisantabstractiondel’Etat.Danslareligion,l’idéedeDieuétaitambiguë,et l’onpouvaitdistinguerdebonsdieuxetdemauvaisdieux;demêmeici lemonde: ilcomportela lignedroiteet ladouleur,mais aussi le temps qui ramène la santé, détruit touteslescontraintesdel’être-là,etramènelemondeconcretàl’atome.Letempss’incarnedanslaconsciencesensiblede l’homme.Lesage fait abstraction de la mauvaise partie du monde, — lanécessité concrète qui asservit—, c’est-à-dire tout ce qui faitquelemondeestréeletindépendantdelaconscience,toutcequitémoigne d’une raison intérieure au monde et différente de laraison consciente abstraite. Le temps permet de mesurer lemonde concret à l’atome. Mais il est exclu de la natureatomistique, la nature véritable. La conscience de soi abstraites’oppose aumonde concret dumêmegeste qu’elle exclut de laphysiquespatialequ’elleinstaureletemps,demanièreàpouvoirconclureàl’éternitédelamatière,c’est-à-direàl’éternitédel’êtreatomistique.Noussommesdoncrenvoyésauprincipedecettephilosophie:

l’atome.Or, l’atome est défini en rapport au plus petit élémentreprésentable, comme une radicalisation des possibilités de lareprésentation[8].C’estdonclapenséesubjectivequiestd’entréede jeu la mesure de la matière. La proposition d’allure trèsmatérialiste:lanatureestéternelle,l’hommeestmorteldanssespropriétés, se renverse, si l’on suit le fil de la définition del’atome, en celle-ci : lamatière est la conscience de soi elle-mêmeprojetée.L’homme,enaffirmantl’éternitédelamatière,nefait qu’affirmer sa propre éternité, l’éternité de son être

68

Page 69: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

atomistique, celle de l’humanité[9]. L’être atomistique nes’oppose pas à l’homme, l’atome décline de la ligne droitecommel’hommedéviedeladouleur.Lemondevraiestlamêmechose que l’homme, et l’ataraxie est dans son abstractionl’éternitédel’hommelui-même.Cetteconceptionéclatedanslamanière dont Epicure ramène, à propos des météores, lesphénomènescélestesàceux«quisedéroulentcheznous,etquisontobservésd’après leurcoursréel»,et lesoleilréelàceluiquiapparaîtàl’homme[10].Demême,àproposde la«créationdumonde»dontMarxécritqu’elleconstitueleproblèmecrucialquidécidedupointdevued’unephilosophie,Epicurerefusetoutsimplementderépondrepoursejeterdansune«herméneutique»débridée[11].C’est donc le monde lui-même qui est ambigu, et non une

partie du monde. Si on lit Epicure en accentuant le caractèrematérialiste de son principe atomistique, l’homme apparaîtdissoutdans lemonde,commechezDémocrite.Marxadopteen1841unpointdevueexactement inverse,ouplutôt ilmontre laréversibilitédesdeuxpointsdevue.L’atomed’Epicureapparaîtd’abordcommelapureetsimpleprojectiondelaconsciencedesoiabstraite[12]etMarxestparticulièrementsévèresurcepoint,montrant que cela revient ultimement à rester prisonnier de lanature.SidonclematérialismedeDémocriteestpurementmécanique

etunilatéral— inhumain—, celui d’Epicure est en réalité unidéalisme de la conscience de soi abstraite présenté « sous undéguisementmatériel»,dumoinssinoussuivonsla lecturequenous en donneMarx en 1841. La conscience de soi d’Epicuren’est donc pas la conscience humaine concrète qui fondera

69

Page 70: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’«humanisme réel»deFeuerbach, car celui-ci supposequ’ondépasselerésultathégélien(l’unionidéalistedelaconscienceetdu monde) et non qu’on en reste à un de ses moments. Laphilosophie d’Epicure représenterait beaucoupplus la tendancede Bauer que fustigera Marx dans la Sainte Famille qu’unetendance matérialiste. Or, Marx s’écarte dès 1841 d'une tellephilosophie[13].Cettemiseaupointnedoit cependantpasmasquer l’extrême

importance que revêtait alors pour Marx le semi-matérialismeindividualiste éthique d’Epicure. D’une part en effet,l’unilatéralitédesonprincipe,ultimementcondamnéeparMarx,ne l’avait pas empêchéde chercher unephilosophie plus totalequecelledeDémocrite,quiétaitdecepointdevueencoreplusunilatérale. Dans la répulsion, Epicure avait cherché à unir lemoment formel—lasingularité—et lemomentmatériel—lachuteenlignedroite.Saphilosophiereprésentedoncunpointdedépartdans la recherched’unenouvellephilosophie totale.Lespassages où Marx réduit la philosophie d’Epicure à un pursubjectivismetémoignentsurtoutdusouciqu’ilaàlafoisdesegarderde tout retrait dumondeetdedégagerde lamanière laplus précise possible les deux moments qu’il s’agira pour luiensuitededépasserdansunesynthèsesupérieure.Epicure était d’ailleurs pour ainsi dire condamné à ne pas

réussir une philosophie totale, de par sa situation historique.Dans les périodes où la philosophie est devenue abstraite ets’opposeaumonde,lesphilosophessontnécessairementengagésdans lemouvement pratique critique etdoiventmettre l’accentsur la volonté subjective transformatrice dumonde.C’est ainsiqueMarxpeutécrire:«Lachancedansuntelmalheurestdonc

70

Page 71: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

la forme subjective, la modalité dans laquelle la philosophiecomme conscience subjective se rapporte à la réalitéeffective[14].».Ilestdesphilosophiesquineselaissentlirequecommemots

d’ordredansunesituationd’urgence.

«Iln’yarienàcraindredesdieuxIln’yarienàcraindredelamortOnpeutatteindrelebonheurOnpeutsupporterladouleur.»

CesdouzemotsgrecsdontNizancitelatraduction(édit.cit.,p.43)constituaientleτετραφάρμακονd’Epicure,sonquadrupleremède.Or, le remèdeest l’équivalentdumotd’ordrepourquipréfèrelaretraiteaucombat.Remèdeetmotd’ordrefontpartied’une même alternative. En radicalisant la lecture opérée parMarx,ondevraitdirequecen’estpaslascience,nonplusquelemonde, qui intéressent Epicure,mais le bonheur individuel. Laphilosophie d’Epicure est l’accomplissement de l’exigence debonheur que la situation historique réclamait sans pouvoirl’assurer dans la réalité concrète. Il était urgent, au tempsd’Epicure,d’êtreheureux,mêmes’ilfallaitpourcelasecréerunmonde[15]. La consigne, le remède ne sont alors pas dessubstituts,ilssontlaraisonmêmedecetteœuvre,leseultribunaloùelleaitàcomparaître.TelleestaussilasituationdeMarxde1839à1841.Laphilosophierendalorscompted’elle-mêmeentermesdestratégie,etcherchealorsavanttoutàdéfiniruneprisede position philosophico-politique. Dans de telles situations,l’adversairedoitêtretrouvéleplusrapidementpossible.Alors:

71

Page 72: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

àbas leciel, àbas la religionaupouvoiret ledespotismedesidéesreçues…MaisilrestevraipourMarxquecettepuissancepratiquede

créationdemeurevidesiellenes’appuiepassurlaconnaissancedesloismatériellesdumonde.Toutetransformationeffectivedumondeexigeque l’onfasse ledépartentre lavéritablecréationd’un monde selon la possibilité réelle — création qui est enréalité une transformationeffective du concret— et la simpleprojectionparlaconsciencedesimagesquilahantentetoùellese voit libre. Cette distinction est justement le fait de laphilosophie,dont«lataupe...necessejamaissontravail[16]»etdont seuls les effets sont révolutionnaires.Mais leMarx de la«maturité»objecteraitque si laphilosophie secontented’unecréation dans l’ordre de la pensée, d’une transformation duconceptdumondeetnondumondelui-même,lafrontièrequilaséparedumauvais repli sur soi-mêmeque constitue la religionn’estplussinette,etsacréationrisqued’êtreuneprojectionquis'ignore[17].

1. ↑ . Cette distinction intervient chez Marx à partir de l’Idéologie allemande(1845).

2. ↑ . Cet athéisme ressemblerait alors à celui du « plus hideux des hommes »fustigé par Nietzsche, qui tue Dieu car il ne peut plus supporter sa présencecontraignante.Cf.AinsiparlaitZarathoustra.EditionHanser,tomeII,p.502.

3. ↑ .Travaux préparatoires, fragment intitulé : La supériorité de la rigueurlogique d’Epicure comparée à celle des sceptiques. Ce fragment ditnotamment : « Epicure l’emporte sur les sceptiques en cela que chez lui, nonseulement les états et les représentations sont ramenésà rien,mais le faitd’enprendreconscience,deméditer sureuxetde raisonner sur leurexistence... estquelquechosequin’estquepossible.»Demême,lefragmentprécédentintituléHasardetpossibilitéchezEpicure:

«ChezEpicure,leprincipedelaphilosophieconsisteàdémontrerquelemondeetlapenséesontpensables,possibles;leprinciped’oùcelaesttiréetoùcelaest

72

Page 73: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

ramené est encore la possibilité elle-même dans son être pour soi, dontl’expression naturelle est l’atome et l’expression spirituelle le hasard etl’arbitraire.»

4. ↑.Editionssociales,p.164.5. ↑.Travaux préparatoires, fragment intitulé, la Philosophie épicurienne desmétéores.«Comment(Epicure)ditpresquecarrémentque,netouchantpasàlanature,ilnesesouciequedelalibertédelaconscience,onpeutdéjàledéduiredelamonotonerépétitionquilecaractérise.»

6. ↑. La phrase de l’Idéologie allemande semble identifier ces deuxmondes etmarquerunchangementd’attitudedeMarx.(Cf.infra.)

7. ↑.Travauxpréparatoires,lefragment:Epicure:surl’Etat.8. ↑.Travauxpréparatoires,cf.Letransfertdel’Idéalitédanslesatomesetladialectique immanente de la philosophie épicurienne :« L’idéalité est donctransféréedanslesatomeseux-mêmes.Lepluspetitd’entreeuxn’estpaslepluspetitde la représentation,mais ilauneanalogieavec lui,et riendeprécisn’estpensédanscettedémarche.»

9. ↑.Cf.lefragment:l’Orgueildesélus.«Ilsméprisentlavie,maisleurexistenceatomistiqueestlebiendanscelle-ci,etl’éternitédeleurêtreatomistique,quiestlebien, ils ladésirent...N’est-cepasavoirélevé la fiertéde l’atomeàsonplushaut sommet ? N’est-ce pas, dit sèchement, l’aveu de l’arrogance et de laprésomption qu’on assigne à l’éternité, et de l’éternité qu’on accorde au seulêtre-pour-soi.privédetoutcontenu?»

10. ↑.Cf.lefragment:laPhilosophieépicuriennedesmétéores.11. ↑.Cf.lefragment:laConstructionépicuriennedumonde:«L’insuffisance

decetteconstructiondumondesauteraauxyeuxdechacun...Onseborneàdireque la représentation du retour d’une totalité de différences dans une unitéindéterminée, c’est-à-dire la représentation « monde », existe dans laconscience. » « C’est la limite qu’il faut alors déterminer, car une complexionlimitéeengénéraln’estpasencoreunmonde.Or,onlitplusloinquelalimitepeutêtredéterminéedetouteslesmanièresqu’onvoudra...et,àlafin,Epicureavouebeletbienqu’ilestimpossiblededéterminersadifférencespécifique.»

12. ↑.Nouscitonslespointsessentielsdecettecritiquedelaprojection:a) Le fragment : la Philosophie épicurienne des météores : « La

déterminationintérieureest...niéeetleprincipedupensable,dureprésentable,duhasard, de l’identité et liberté abstraite semanifeste commecequ’est celle-ci :comme l’indéterminé, qui justement pour cette raison est déterminé par uneréflexion extérieure à lui. Il apparaît ici que la méthode de la conscienceproductrice de fictions et de représentations ne se bat que contre sa propreombre. »Quand l’objet défie la consciencepar son autonomie—commedanslesmétéores—,« laconscienceéclatedans l’aveudesonactivité...ellevoit...

73

Page 74: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

qu’ellen’apourenfairesonprincipequelapossibilité,lehasard,etquecequ’ellecherche,c’estàeffectuerden’importequellemanièreunetautologieentreelleetson objet... Elle affirme que ce n’est pas une explication qui la satisfait, maisplusieurs,c’est-à-diretouteexplicationpossible;elleavoueainsiquesonactivitéestune fiction active.Lesmétéores sont... l’imageoù la consciencecontemplesonmanque...Epicureaexprimécetteimageetc’estsonmérite,laconséquenceimplacabledesesconceptionsetsesdéveloppements».(Signalonsquesurcepointprécis,Marxsembleêtre injusteenversEpicure :

selon lui, laconscienceépicuriennesesatisfait«de touteexplicationpossible»,c’est-à-direpossibleselonlapossibilitéformelle.Or,Epicurefixecommerègleàl’explication astronomique l’accord avec les phénomènes, c’est-à-dire lapossibilitéréelle,matérielle.CeciprouvequeMarxtientassezàsonprincipedelecturepourl’étendreexagérément.Laquestiondesavoirsiceprincipeest«unbon principe » selon la vérité de l’histoire de la philosophie nous concerne icimoinsquel’importancequerevêtpourlejeuneMarxunetellelecture.NousnousinterrogeonssurMarxplusquesurEpicure.)b)Dissertation, éd. Rk, p. 174 : «On voit donc qu’aussi longtemps que la

natureexprime,entantqu’atomeetphénomène,laconsciencelaconsciencesingulièreetsacontradiction,lasubjectivitédecettedernièreneseprésentequesouslaformedelamatièreelle-même.»(Noussoulignons.Marxsoulignetoutelaphrase.)« ... Si la conscience de soi singulière était posée « realiter » sous la

déterminitédelanature(oulanaturesousladéterminitédelaconsciencedesoi),sa déterminité, c’est-à-dire son existence, aurait cessé, étant donné quel’universel est seul à pouvoir savoir enmême temps son affirmation, dans unelibredifférenciationdesoi-même.»c)Travauxpréparatoires,fragmentintitulé:laLibertédelaconscienceen

tantqueleprincipedelaphilosophied’Epicure.«Quandnousreconnaissonslanaturecommerationnelle,notredépendanceà

son égard cesse.Elle n’est plus un sujet d’effroi pour notre conscience ; c’estjustementEpicurequi fait de la formede la consciencedans son immédiateté(l’êtrepoursoi)laformedelanature.Cen’estquelorsquelanatureestlaisséetotalement libreà l’égardde la raisonconsciente,etqu’elle est considéréeàl’intérieurd’elle-mêmecomme raison, qu’elle est tout entière possessionde laraison.»(Noussoulignons.)d) Dissertation : « Si la conscience de soi abstraite-singulière est posée

commeprincipeabsolu, toutesciencevéritableetréelleestenvéritésupprimée,en ce sens que ce n’est pas la singularité qui règne dans la naturemême des

74

Page 75: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

choses.»(Chapitre:lesMétéores.)e)A.CornuconnecteàcettecritiquedelaprojectionopéréeparEpicure la

critiquedes«Preuvesdel’existencedeDieu»quel'ontrouvedans les remarques à la Dissertation et où on peut lire : « Les preuves del’existence de Dieu… ne sont que des tautologies vides — par exemple, lapreuveontologiquerevientàceci:«Cequejemereprésenteréellementestpourmoiunereprésentationréelle.»Cf.Cornu,op.cit.,p.204.

13. ↑ Quand donc Nizan, dans un ouvrage où il cite le texte de Marx, (lesMatérialistesdel’Antiquité,éd.Maspero)féliciteEpicurepouravoirfondéunethéorie dumonde sans principe transcendant et avoir « pressenti, parce qu’il lefallait, lareprésentationmodernedumonde,rejetantainsiparmi les«fablesdesorigines»laphysiquemythiqueduTimée»,il faut reconnaîtreque labeautédutexte cacheunmalentendu.Le jeuneMarxdirait en effet que le problèmequeposaitleTiméen’estpasrésolu,maisgomméparEpicure,quisejetaitainsidansunisolementthéoriquecorrespondantàceluidesonsage.Untelrefusauraitunevaleuréthiqueetnonthéorique.Dans lemêmetexte,Nizanpressentd’ailleurs la limitedecette interprétation

purement matérialiste d’Epicure : « Certes, ce matérialisme a des limites… Illaisse subsisterune fissureparoù l’idéalismepeutpasser.L’idéalismepasseeneffetchezLucrèce,aumomentmêmeoù lephilosopheajouteauxmouvementsmécaniquesunmouvementautonomeetcontingentdesatomes,analogueaulibrearbitreetdestinéàl’expliquer.»(Op.cit.,p.46.)MaiscequeletextedeMarxchercheànousmontrer,c’estquecettefissureestenréalitéleprincipeuniquedetoutl’épicurisme,celuiquirendpossibleàlafoissacosmogenèseetl’ataraxieduSage.

14. ↑ Travaux préparatoires : « Points nodaux dans le développement de laphilosophie.»

15. ↑.DanslefragmentdesTravauxpréparatoiresintitulé:PlutarqueetLucrèce,Marx loue cette attitude : «Celui qui ne prend pas plus plaisirà construire lemonde entier avec ses propres moyens, à être un créateur de monde qu’àrôder éternellement dans sa propre peau, sur lui l’esprit a prononcé sonanathème… il est reconduit à chanter des berceuses sur sa propre béatitudeprivée,et,lanuit,àrêverdelui-même.»Cetextemontrebienleglissementducritèred’appréciation:cen’estplus la

possibilité réelle qui mesure la philosophie, mais sa puissance pratiquecréatrice. Il y a deux sortes d’isolement.L’isolement stérile est ici attribué àPlutarque.

16. ↑ . Travaux préparatoires : Jugement de Hegel sur la philosophieépicuriennedelanature.

75

Page 76: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

17. ↑.Rappelonsquec’estendéfinitivelecaractèredelaphilosophied’Epicure,et,dansunecertainemesure,decelledeMarxlui-mêmeen1841.Pourcequiestdesavoirsilaphilosophied’Epicureestàcepointdominéepar

sonaspectpratiqueetnecomportequepeuderésultatsthéoriques(cf.Travauxpréparatoires, fragment intitulé : le Jugement de Hegel sur la philosophieépicuriennedelanature),nousrenvoyonsà l’articledeDeleuze(cf.Logiquedu sens, article cité), qui analyse la valeur théorique de la philosophie deLucrèce, et surtout au livre de J.-M. Gabaude intitulé le Jeune Marx et lematérialismeantique,qui contient unemise au point sur la lecture opérée parMarxdanslaDissertationquinoussembledéfinitive.(EditionsPrivat,Toulouse.)

76

Page 77: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

LAPROBLEMATIQUEDELADISSERTATIONETLE

MATERIALISMEDEMARX

Dès sa première heure, la métaphysique duXVIIesiècle,représentée,pourlaFrance,surtoutparDescartes,aeu lematérialismepourantagoniste.Descartes le rencontre personnellement enGassendi, restaurateur du matérialisme épicurien.Le matérialisme français et anglais est toujoursdemeuré en rapports étroits avec Démocrite etEpicure.

K.Marx, laSainteFamille,éditions sociales, p.153.

La Dissertation avait formellement distingué Epicure deDémocrite.Cettedistinctionfaisaitd’Epicurel’affirmateurdelaconscience de soi et le négateur de toute transcendance. Saphilosophieétaitinvestied’uneimportancethéoriqueetpratiqueinestimable : celle de l’affirmation de l’homme. Cette

77

Page 78: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

affirmation, pour ne pas rester abstraite et stérile, devaits’intégrer à un autre moment opposé, celui de la nécessitéconcrèteetdumonderéel.L’humanismedevaitcoïncideraveclematérialisme.Or, le texte de la Sainte Famille rétablit solidement la

« tradition » matérialiste en la rattachant à Démocrite et àEpicure,etsembleneplustenircomptedeladistinctionétablieentre les deux philosophes. C’est que, dans ce texte publié en1845,laproblématiquedelaDissertation,sansêtreabandonnée,estdéplacée.Entre-temps,larupturedeMarxavecHegeletavecBaueraétéconsommée.LaphilosophiedeMarxestmaintenantunephilosophiematérialiste.LeréflexenatureldeMarxestalorsdesetournerdenouveauversl’histoiredelaphilosophie,etd’ylire la lutte dumatérialisme contre ce qu’il appelle désormaisMétaphysique.L'alternance,quiavaitétéétablieen1841entrel’union de la philosophie et dumonde et l’opposition de cettemême philosophie au monde, se retrouve ici à l’intérieur del’histoire de la philosophie, entre la Métaphysique et lematérialisme.

La philosophie française des Lumières, au XVIIIe siècle, et surtout lematérialismefrançaisn’ontpasmenéseulementlaluttecontrelesinstitutionspolitiquesexistantes,contre lareligionet la théologieexistantes,maisellesonttoutautantmenéunelutteouverte,uneluttedéclaréecontrelamétaphysiquedu XVIIe siècle, et contre toute métaphysique, singulièrement celle deDescartes,deMalebranche,deSpinozaetdeLeibniz(op.cit.,p.151).

A côté de cette ligne de développement du matérialismefrançais, Marx insiste sur l’ouvrage de Locke : Essai surl’entendement humain, qui fut accueilli en France avecenthousiasme. « Le matérialisme est le vrai fils de la grande

78

Page 79: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Bretagne» (op. cit.p. 154). Le nominalisme deDuns Scot estprésentécommelaconditiondepossibilitédumatérialisme.«Lenominalisme est un élément capital, et il constitue d’une façongénérale la première expression du matérialisme. » (p. 154)Mais« levéritableancêtredumatérialismeanglaisetde toutescienceexpérimentalemoderne,c’estBacon».Or,«Baconseréfère souvent àAnaxagore et à sesHomoioméries, ainsi qu’àDémocriteetàsesatomes».(Op.cit.,p.155.)Tout se passe donc comme si la valeur matérialiste des

philosophies de Démocrite et d’Epicure l’emportait sur ladifférence révélée par laDissertationde 1841, différence quimettait en cause le matérialisme d’Epicure en rattachant sathéorie à une doctrine de l’homme et non du monde. Laproblématique de la Dissertation semble ne plus investir sonobjet[1]. C’est que ce texte de la Sainte Famille marqueeffectivementunecoupuredansl’itinérairethéoriquedeMarx:ilmarque le refus définitif de l’idéalisme défini commemétaphysique. Le critère qui distingue le matérialisme de lamétaphysiquenedoitplusrienauxanalyseshégéliennes,puisqueSpinoza, considéré par l’hégélien Bauer comme le père dumatérialisme,esticirangéparmilesmétaphysiciens.Lavaleurpolémiquedecetexteestdoncessentielle,maisnon

moins sa valeur théorique, avec la distinction radicale entredéveloppementpratiqueetdéveloppement théoriquequimarquelechangementdeproblématique.

Lachutede lamétaphysiqueduXVIIesièclenepeut…s’expliquerpar lathéorie matérialiste du XVIIIe siècle qu’autant qu’on explique ce mouvementthéorique lui-même par la configuration pratique de la vie française en cetemps.Cettevieétaittournéeversleprésentimmédiat,lajouissancetemporelleet les intérêts temporels, en un mot vers le monde terrestre. A sa pratique

79

Page 80: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

antithéologique, antimétaphysique, matérialiste, devaient nécessairementcorrespondre des théories antithéologiques, antimétaphysiques, matérialistes.C’estpratiquement que lamétaphysique avait perdu tout crédit.Notre tâcheseborneiciàindiquerbrièvementl’évolutiondelathéorie.(Op.cit.,p.153.)

Cette distinction scientifique s’exprime dans une philosophiequi se satisfait provisoirement dumatérialisme de Feuerbach :cettephilosophieprêcheleretourausensibleetla«philosophiedu bon sens ». Elle renverse le rapport idéaliste idéel / réel.Danslapratique,lematérialismeestd’abordl’expressiondelabourgeoisiequimetaupremierplanlajouissanceterrestreetladestructiondetouteslesillusionsquicondamnentlatechniqueetlamaîtrisedelaterre.Lesocialismeetlecommunismes’édifientsur la base acquise par la bourgeoisie. On peut dire qu’ils enconstituentledépassement,puisqu’ilsaffirmentl’humanisme, lanécessitépour l’hommed’universaliser la jouissancematérielleet de réaliser ainsi l’essence humaine. Démocrite et Epicureexprimentthéoriquementl’originedecedéveloppementpratique.

***

On serait tenté de croire que le matérialisme constitue unevérité achevée, périodiquement refoulée par la métaphysique.L’histoireneseraitquecellede la luttepour ledévoilementdumatérialisme et non celle de l’élaborationde cematérialisme.Or il n’en est rien : le schéma d’alternancemétaphysique/matérialisme n’est pas un rapport d’oscillationperpétuelle sans développement. Ce schéma est dialectique etnon statique. Il recouvre une évolution historique que Marxrésume:

80

Page 81: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

LamétaphysiqueXVIIesiècle,quiavaitdûlaisserlaplaceàlaphilosophiefrançaisedesLumièresetsurtoutaumatérialismefrançaisduXVIIIesiècle,aconnu une restauration victorieuse et substantielle dans la philosophieallemande, et surtout dans la philosophie spéculative allemande duXIXe siècle. D’abord Hegel, de géniale façon, l’unit à toute métaphysiqueconnueetàl’idéalismeallemand,etfondaunempiremétaphysiqueuniversel;puis de nouveau, à l’attaque contre la théologie correspondit, comme auXVIIIe siècle, l’attaque contre la métaphysique spéculative et contre toutemétaphysique. Celle-ci succombera à jamais devant le matérialisme,désormaisachevéparletravaildelaspéculationelle-mêmeetcoïncidantavecl’humanisme.Or,siFeuerbachreprésentait,dansledomainedelathéorie, lematérialisme coïncidant avec l’humanisme, le socialisme et le communismefrançaisetanglaisl’ontreprésentédansledomainedelapratique.(Op.cit.,p.152.)

Ce texte capital contient deux idées essentielles : l’idée quel’idéologie a un certain développement, qu’elle s’élaboreprogressivement—leproblèmedurythmedecedéveloppementpar rapport à celui du développement pratique n’étant pasenvisagé — et l’idée (hégélienne) d’un achèvement de cedéveloppementdansunephilosophiequi épuise lespossibilitésqu’elle rencontre. Or, le développement idéologique doit êtreréféréàundéveloppementconceptuel,lesdeuxneserecouvrantpas.C’esticimême,auniveaudecedéveloppementconceptuel,que nous retrouvons la problématique de la Dissertation, quin’avaitcesséd’êtreprésente.ElleconcernemaintenantlerapportdeMarxàHegellui-même,parl’intermédiairedelacritiquedeStraussetdeBauer.LematérialismeavaitétédéfiniparHegelcomme l’antithèse

delaphilosophie.DanslaSciencedelalogique, lamesuredesdifférentes philosophies doit estimer la manière dont elles ontmis en œuvre le principe philosophique par excellence,l’idéalisme[2].D’unpointdevueplusprécis,ilditailleursquelematérialismeetlethéisme«sontdeuxpartiesd’unseuletmême

81

Page 82: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

principe fondamental[3] ». La critique menée par Marx de laphilosophiedeStrauss etdeBauerpermetdepeser exactementcesvues.SelonHegel,ilfaut«résoudrelacompacitédelasubstanceet

élevercettesubstanceàlaconsciencedesoi».Laconsciencedesoi,définieparFeuerbachcommeattributdel’homme,apparaîtchezBauercommelasubstanceélevéeàlaconsciencedesoi.

La lutte entre Strauss et Bauer relativement à la substance et à laconsciencedesoiestuneluttedanslecadredesspéculationshégéliennes.Ilya chezHegel troiséléments[4] : la substance spinoziste, la conscience desoi fichtéenne, l’unité hégélienne des deux, nécessairement contradictoire,l’espritabsolu.Lepremierélémentestlanature,soustravestimétaphysique,dans sa séparation d’avec l’homme, le second est l’esprit, sous travestimétaphysique, dans sa séparation d’avec la nature, le troisième est, soustravesti métaphysique, l’unité des deux autres, l’homme réel et l’espècehumaineréelle.

StraussetBaueront,l’unetl’autre,développélogiquementHegel,sanssortir du domaine de la théologie, le premier du point de vue spinoziste, lesecond du point de vue fichtéen. Tous deux ont critiqué Hegel dans lamesure où, chez lui, chacun des deux éléments est faussé par l’autre, tandisqu’ilsontconduitchacundecesélémentsàsonachèvementunilatéral,doncconséquent. Dans leur critique, tous deux dépassent par conséquent Hegel,maistousdeuxsemaintiennentégalementàl’intérieurdesaspéculationetnereprésentent chacun qu’un côté de son système. Feuerbach, le premier, aparachevé et critiqué Hegel du point de vue hégélien en résolvant l’espritabsolumétaphysiqueenl’hommeréelsurlabasedelanature;lepremier,ilaachevélacritiquedelareligionenesquissantenmêmetempsdemaindemaîtrelesgrandsprincipesdelacritiquedelaspéculationhégélienne,et,parsuite,detoutemétaphysique.(Op.cit.,p.167.)

L’abstraction n’est plus ici seulement définie commel’antithèse du matérialisme en général (comme l’élémentabstrait),maiscommeunilatéralité.Ledéveloppementunilatéraltrouve toujours en face et en dehors de lui l’autre moment ;comme le concret est une totalité, chaque moment pris en lui-même est abstrait. Le matérialisme ayant besoin d’être achevé

82

Page 83: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

par le travail de la spéculation, il faut conclure que lematérialismepré-feuerbachienestluiaussiabstrait(ausensoùilestunilatéral).OnvoitquelacritiqueconceptuelledeHegeletdes Jeuneshégéliensconditionne l’histoiredumatérialismequeMarxabrossée.Marxestsensibleaufaitque toutephilosophiedoit s’expliquer avec Hegel pour se développer, et cela parceque Hegel pense la totalité. Certes, des philosophiesmatérialistes ont existé, et on peut en faire l’histoire ; on peutmême opposer cette histoire à celle de la métaphysique, qui atoujours été liée au pouvoir politique.Mais la condition d’unelecture correcte de cette histoire suppose déjà le matérialismeachevé, l’accomplissement de la critique de la métaphysiquehégélienneetlapercéehorsdecesystèmetotal.LapreuveenestqueBauerluiaussiconnaîtl’histoiredumatérialisme,maisqu’ilestloind’ylirecequ’ellecontient,fauted’avoircritiquéHegeldemanièretotaleetradicale.SelonBauer,lavéritédumatérialismeest«laphilosophiede

la conscience de soi », et la « conscience de soi » doit êtrereconnue«commeletout,commelasolutiondel’énigmedelasubstance spinoziste » et comme la « véritable causa sui ».Marx peut remarquer que cela revient à faire de l’idéalisme lavéritédumatérialisme.(Op.cit.,p.168.)C’estquecettenaïvetédeBauera sonaspectprofond : l’idéalismeet lematérialisme,commemoments abstraits et unilatéraux, ont lemême sol, bienqu’ils soient en opposition directe. Sur ce sol unilatéral etabstrait, on peut construire une philosophie matérialiste aussibien qu’une philosophie idéaliste : elles seront toutes deuxunilatérales. Toute résolution unilatérale de cette contradiction(par l’accentuation d’un des moments) est inadéquate et tombesous les coups de la critique hégélienne. Si les Travaux

83

Page 84: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

préparatoires et laDissertationmettaient en valeur, contre lepur mécanisme, le moment de la conscience de soi, ilscomportaientdéjàl’exigencedudépassementdecepointdevueunilatéralenrefusantdeconcevoirlaséparationde l’hommeetdelanature.Maiscequeletexteciténousditaussi,c’estqu’ilyaencore

un autre niveau d’abstraction philosophique, qui est le fait deHegel lui-même, et, par suite, de tous les philosophes. ChezHegel,«chacundesdeuxmomentsestfausséparl’autre».Etantdonné que ce sont la position et la résolution idéalistes del’oppositionquisontlevicedeHegel,onpeutdireàlafoisqueStrauss et Bauer restent en deçà de lui et qu’ils le dépassent,mais il faut préciser ce rapport. Le mérite de Hegel est sonambition totalisatrice qui lui fait considérer ensemble les deuxmoments.Mais,depuissonpointdedépartmême,saréflexionnesemeutdansl’oppositionquedanslebutdeladépasser.Onpeutmême dire qu’il pense ces deux moments depuis la prise deconscience de leur identité médiate (Savoir absolu). C’estjustement cette synthèse spéculative dont Marx conteste lecaractèremédiat(ausensoùseulleconcretmatérielestmédiat).Ausensstrict, lasynthèsehégéliennedesdeuxmomentsestunepureproductiondelapensée,doncuneproductionimaginaireetillusoire.Rienderéelnedistinguel’uniondesmomentsdeleuropposition, si bien que la conscience du savoir absolu est endéfinitive une conscience immédiate et qu’elle est ramenée àl’abstractionphilosophiquedeBauer.LesphilosophiesdeBaueret de Strauss sont, on l’a vu, identiques dans leur caractèreabstraitetunilatéral,etellesexprimentchacune l’essencede laphilosophieengénéraletdecelledeHegelenparticulier.C’estpourcelaqueMarxpeutécrirequel’uniondesdeuxmomentsest

84

Page 85: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

«nécessairementcontradictoire»,carilsexpriment,soustravestimétaphysique, le monde concret, dont la réalité repose sur lamédiationréelleetobjectivede l’hommeetde lanature.On litdanslesManuscritsde1844,àproposdeHegel:«Onobtientcommerésultatdumouvementl’identitédelaconsciencedesoietdelaconscience,lesavoirabsolu,lemouvementdelapenséeabstraite qui ne se fait plus en direction de l’extérieur, maisseulement au-dedans d’elle-même, c’est-à-dire qu’on obtientpour résultat ladialectiquede lapenséepure.[5]»A l’égarddumonde concret, l’identitémédiate du savoir absolu et l’identitéimmédiatedelaphilosophiedeBauersontramenéesàuneseulealiénation : celle de la philosophie comme telle. Dans lesManuscrits de 1844, Marx étend donc à Hegel lui-même sacondamnation de Bauer. Le savoir absolu implique... que laconscience—lesavoir—entantquesavoir—lapenséeentantquepensée—prétendêtreimmédiatementl’autredesoi-même,prétendêtrelemondesensible,laréalité,lavie[6]».Il fautdonc refuseraussibien lemaintienunilatérald’undes

moments que la synthèse spéculative de ces moments. Le fildirecteurdecettesubversiondelaphilosophieestl’attentionaumonde concret, non tant le monde tel qu’il se donneimmédiatement à la perception (encore que le sensible soit levrai point de départ) que le monde tel qu’il apparaît auphilosophe qui renverse la spéculation. Cemonde est celui del’opposition concrète et objective entre l’homme et la nature,laquelle exige d’être pensée à la fois dialectiquement etconcrètement.

1. ↑ . L’examen des passages consacrés aux atomistes antiques que l’on trouvedanslestextesultérieursdeMarxetd’Engelssembleconfirmerunemodification

85

Page 86: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

dans l’attitude adoptée parMarx à l’égard de ces philosophies. D’une part, lematérialismedeDémocriteestrevalorisédeparlapositionmatérialistedeMarx.D’autre part, Marx est beaucoup plus sensible à l’aspect matérialiste de laphilosophie d’Epicure.Epicure estmêmeprésenté dans l’Idéologie allemandecomme un « ami du monde » sans que le monde dont il s’agit soit un mondeprojetéparlaconscienceabstraite,maislemonderéel-concret.Ceciestd’autantplus significatif que l’objet principal de l’Idéologie allemande est justement lalutte contre toutes les philosophies idéologiques de l’opposition au monde,représentées alors parBauer et par Stirner.Marx commence, dans le chapitrecontre Stirner, par réhabiliter Démocrite. Selon Stirner, « toute l’activité deDémocriteseréduitàl’effortqu’ilfaitpoursedétacherdumonde»,«doncpourrefuser cemonde ».Marx reprend contre cette affirmation les passages de laDissertationquimontrentlavieitinérantedeDémocrite,sasoifdesavoirpositif,lecaractèrescientifiquedesestravaux.Toutcecivientàl’appuideDémocrite.(Ed.sociales,p.164.)QuantàEpicure,Stirnerleprésentecommeunennemidumonde.Nousavons

vuqu’en1841,Marxauraitétérelativementd’accordaveccepointdevue.Or,ilinsistedansce texte sur l’amitié avec lemonde réelqui caractériseEpicure, etsurtoutsurlavaleurdesonathéisme,ainsiquesursathéoriepolitiqueduContrat.Il dénonce la condamnation qu’avait portée Hegel contre les philosophiespostaristotéliciennesetqu’avaitrepriseStirner,maisladénoncecommeidéaliste.On mesure la différence avec l’état d’esprit des textes de 1839-1841. MarxpourraalorsconseilleràEngelsdescitationsquiprouvent lavaleurprémonitoirede l’atomisme antique, à l’usage du livre de ce dernier : laDialectique de lanature(cf.éditionssociales,p.189-190).Cette évolution justifie la lecture d’Epicure qui en fait un matérialiste avant

toutechose.Maisonnesauraitéviterleproblèmeposéparunetellephilosophiequi supported’être luededeuxmanièresdifférentes.Deplus, laproblématiquede laDissertation,relativement abandonnée en ce qui concerneEpicure, n’estpasdétruitepourautant.Elleestrevenueàsonvéritableobjet:ladéfinitiond’unepenséenouvelle,par-delàlaconfrontationavecHegel.

2. ↑.Hegel,Sciencedelalogique,trad.Jankélévitch,Aubier,tomeI,p.158.3. ↑.Passagede laPhénoménologiedel’Esprit, citédans laSainteFamille, p.

158. Il s’agit de Spinoza et le principe en question est celui d’un Absolu sansprédicat.

4. ↑. Cette analyse de la critique du système hégélien ne doit pas être comprisedialectiquement, c’est-à-dire à la manière de Hegel. Les deux momentsunilatérauxne sont pas en position de progrès dialectique et les éléments qu’ilstravestissent (l’homme, la nature) préexistent comme la vérité vers laquelle laphilosophiesedirige.Cecinecontreditpasl’idéed’undéveloppementintérieurà

86

Page 87: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

laspéculation.Simplement,Marxseplaceicidupointdevuedel’achèvementdece développement, c’est-à-dire au-delà deHegel. Le ton n’est plus dialectiqueparce que le renversement de Feuerbach aboutit à une philosophie nondialectique. C’est donc le mouvement même de la philosophie de Hegel(développement qui s’arrête et s’accomplit) qui se trouve ici repris et«renversé».

5. ↑.Manuscritsde1844,traductionE.Bottigelli,EditionsSociales,p.132.6. ↑.Ibidem,p.140.

87

Page 88: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

LECONCRETCOMMEPRODUCTION

En 1841, la problématique du jeune Marx comporte deuxexigences:1.L’affirmationdel’homme(Marxditalors,commeHegel,la

consciencedesoi),lapromotiondelaliberté,delapossibilité,delacritiquequisoumetleréelàlaviolenceduconcept,delanégationdudonnéaunomd’unsavoirquidisqualifiecedonné.2.L’affirmationdelanature:delanécessité,delapossibilité

réelle, du fait scientifique, de la valeur de la science, de lasubstanceetdel’universel.

Dès1841,Marxsavaitquetouteréductiondel’undescôtésauprofitdel’autre,demêmequetouteidentificationimmédiatedel’un à l’autre étaient erronées et dangereuses. Entre ces deuxtermes, seul un rapport dialectique — action et réactionréciproques— était concevable. Sinon, la philosophie tombaitsoit dans le spiritualisme abstrait, soit dans le matérialismeabstraitquin’estqu’un«spiritualismeabstraitdelamatière[1]».

EtantdonnéleschémaI.Affirmationde

l’homme

88

Page 89: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Affirmationdelanature

rapportdialectique

etaussileschémaII.PrimatdusensibleetdumondeconcretCritiquedesdéguisementsmétaphysiquesRenversementdelaspéculation,

onpeutdire:—Quec’est l’abstractioncritiquéeenII.quipermetd’isoler

un terme, ce qui donne l’unilatéralité critiquée en I. Car leconcretn’estpassimplemaisdialectique.—Quec’estlarévolutionopéréeparFeuerbachdanslecadre

de la spéculation qui rend possible la conception matérialistepermettant de lire adéquatement l’histoire de la philosophiecommeluttedelamétaphysiqueetdumatérialisme.— Que la solution de Feuerbach est, dans l’espace

philosophique,laseulepossible.Ilvajusqu’auboutdeHegeletlecritiqueprofondément,maisnepeutlesurmonterquedansunephilosophie privée de mouvement dialectique, incapable decomprendrelapratiqueconcrètedel’histoire.

On conçoit alors de manière assez exacte la place de laphilosophie d’Epicure et des textes de 1841 qui lui sontconsacrés. Cette philosophie est dominée par une éthique del’humanismeabstrait:— A l’égard de la transcendance issue de l’entendement

89

Page 90: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

imaginatif,elleestdansunepositionmatérialiste.— A l’égard d’une pensée du concret, d’une philosophie

matérialistedialectiquedelanatureetdel’histoire,elleestdansunepositionidéaliste.Soitleschémadelaphilosophieclassique:

Dieu-Homme-Mondematériel

Onpeut réduire le termededroiteouceluidegauche :dans lepremiercas,onobtientunmysticisme religieux,dans le secondun matérialisme philosophique. Mais dans ce second cas, lamatièrepeutjouerlemêmerôlequeDieu,etlematérialismeêtreaussimétaphysiquequelemysticisme.Ilyadoncdeuxschémasphilosophiquesabstraits:1.Dieu-Homme-Dieu.2.Matière-Homme-Matière.

Dans le cas du schéma2, lamatière est l’analogue deDieu,car elle est pensée dans le même schéma et vient seulementprendrelaplacedeDieu[2].Onpeutchercheràsortirduschémaendétruisantlesdeuxtermestranscendants.Onaainsi:

HOMME1.Homme-Homme-Homme

(Dieu) (matière)

soit2.Atome-Atome-Atome

90

Page 91: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

(dieux)(hommes)(matière)C’est-à-dire:—lanaturesouslaformedel’homme,—l’hommesouslaformedelanature[3],

car les deux présentations sont interchangeables. Cetteinterchangeabilité définit précisément la philosophie d’Epicure,quiestlisibleàlafoiscommeidéalismeetcommematérialisme.Un tel schéma conteste tout rapport dialectique réel entrel’hommeetlanature,rapportquin’aaucunsensàl’intérieurdusoliloqueatomistique.NoussommessurlesoldelaphilosophiedelaconsciencedesoiprofesséeparBauer.Feuerbach semble rétablir les deux termes sur une base

matérialiste:l’hommedevient«leplusréeldesêtresnaturels».Feuerbachpensel’hommeetlanature,maissansvoirlecontenuvéritabledu«et».Le«et»,durapportdialectiqueconcretqu’ildésignedanslapratiquematérielle,devientainsilefondementdetoutes les transmutations possibles entre les deux termes, parceque la distinction réelle entre les deux termes n’est pas penséecomme transformation pratique dumonde par l’homme dans laproduction.Le fait décisif est queMarx trouve les deuxmoments exigés

dès 1841 (l’homme-en-rapport-à-la-nature et la nature-en-rapport-à-l’homme) réalisés effectivement dans laPRODUCTION ou pratique concrète. L’étude des modes deproduction constitue donc la suppression matérialiste de laphilosophie. Ce n’est pas à proprement parler la science quisupprime la philosophie : celle-ci est déjà supprimée dans le

91

Page 92: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

développement réel dont elle n’était que le reflet déformé. Lemarxismeestlesavoirdecettesuppression-réalisation:sciencedelaproduction,sciencedel’histoire.Schémadumatérialismehistorique:

Homme/Nature/Histoire:Production:pratiqueréelledetransformationdelanature,dontlemarxismeestlascience.

Homme/Homme/

C’est la distinction entre développement réel (pratique) etdéveloppement « théorique » qui permet la définition de lascience comme reflet reproduisant le développement réel paropposition à l’idéologie comme reflet déformant de ce mêmedéveloppement.

Mais l’élément philosophique (idéologique) ne laisse pasintacte l’histoire. Elément de la prise de conscience par leshommesdes rapports sociaux, l’idéologie (termequidésigne laphilosophie à partir de 1845, remplaçant le terme«métaphysique » de la Sainte Famille)baigne dans l’élémentconscient, la « raison consciente » que déjà les travauxpréparatoirescritiquaient.Lasciencedelaproductioncomportedoncunecritiquede la conscience.La représentation, comme

92

Page 93: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

produit de l’élément conscient, est l’espace de toutes lesillusionsphilosophiques,aupremierchefladialectiqueidéaliste.Tout matérialisme, dans la fécondité même de son retour ausensible, court donc toujours le risque d’être dévoyé dans unephilosophiedudonné,c’est-à-diredansl’empirisme.Decepointdevue,laphilosophiedeFeuerbachsemblenepaséchapperàlarègle.Lecôté«épicurien»qu’ellereprend(primatdessensetde la perception immédiate, philosophie du bon sens et de laconscience immédiate, accentuation de l’entendement, appel àl’évidence et au sens commun) l’entraîne du côté d’unephilosophie de la conscience immédiate, dont elle représentel’accomplissement. Feuerbach achève la philosophie classiquecommelabourgeoisieachèvel’ancienmonde.Lesdeuxontunenécessité réelle, et sont en un sens irréfutables. Mais cettephilosophie humaniste et naturaliste a le même effet que lascience économique bourgeoise. Celle-ci éternise en effet sapropreaffirmationdumêmegestequ’ellenielaspécificitéd’undéveloppementréelmasquéparl’apparencedelareprésentation.L’analysedu fétichismede lamarchandisequiouvre leCapitalmontrera que ce développement réel, objet de la science, doitêtre connupar la constructionde sonconcept, enquelque sortecontre les fausses évidences de la représentation, royaume del’idéologie. Toute philosophie de la conscience immédiate estparlàramenéeàsonstatutidéologique,enpremierlieucelledeFeuerbach,aprèscelled'Epicure[4].

1. ↑.Critiquede la philosophie dudroit deHegel,œuvres philosophiques, éd.Costes,p.183,tomeIV.

2. ↑.C’est-à-dire que lamatière est penséeen soi (chose-en-soi) et assume lesfonctionsdutermerejeté.

3. ↑ . Ce schéma n’échappe pas à la contradiction homme/nature. Cette

93

Page 94: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

contradictionest simplement transportéeà l’intérieurde l’atome.Laconscienceépicurienne, comme toute consciencephilosophique, est contradictoire : elle n’afaitqu’intérioriser l’opposition homme/nature. SelonMarx, le schéma ternaireDieu-homme-nature ou savoir absolu-conscience de soi-conscience (= sonexpression hégélienne) se réduit au schéma homme/nature, puisque Dieu n’estque laprojection fictivede l’homme.Parcontre, étantdonnéque laphilosophieexprime (en le déformant) le monde concret, ce schéma homme/nature estindépassable, car lemonde concret comporte effectivement l’opposition de cesdeux termes. Ainsi, dans le schéma Dieu-homme-nature, Dieu représente lanégation-solutionidéalistedel’oppositionconcrète.LeschémaépicurienAtome-atome-atomeest alors cette solution (soitDieu)oubliant la contradictionqu’ellerenferme toujours pour nepas l’avoir effectivement niée, et envahissant tout leréel.L’oppositionde l’homme et de la nature est l’objet de la philosophie parce

qu’elledéfinit lemondede laproduction aliénée.L’hommeet lanaturene sontpas des entités opposées de toute éternité. La reconnaissance du caractèrehistoriquedecetteoppositionestlepremierpasdanslavoiedesasuppression.Maismasquerl’oppositionestlamêmechosequel’éterniser.

4. ↑.NousavonscependantvuqueFeuerbachavaiteul’immenseméritedefairebasculer le résultat hégélien dans la nature concrète. En ce sens Feuerbachreprésente bien l’accomplissement de la philosophie. Mais dans la mesure oùcette philosophie est non dialectique, elle constitue une sorte d’impasse. Auniveau du Capital, c’est-à-dire dans l’espace nouveau ouvert grâce à larévolution théorique de Feuerbach repensée par Marx, le dialogue se fera denouveauavecHegel,dansl’ombredeFeuerbach.Marx lisait dans Hegel l’idée féconde de la critique de l’immédiat : de la

confiancedansl’évidenceetledonné.Maisledonné,ditlaDissertation,est lelieu de la reconnaissance par elle-même de la conscience sensiblecontradictoire,demêmequel’hommealiénése«reconnaît»danslemondedela production capitaliste. Marx vise bien en dernier ressort une négation de lacontradiction, une immédiateté retrouvée dans la « société sans classe », maiscette appropriation ne saurait être qu’effective et ne peut que passer par unesériedemédiations réelles.End’autres termes, la satisfactionde la conscienceépicurienne comme de la conscience feuerbachienne est illusoire parce qu’elleestimmédiate,imaginaireethallucinatoire ;etcelaparceque lessujetsquecesphilosophiesmettentenscènesontdéjàeux-mêmesabstraits, imaginaires.Unesynthèsespéculativeresteraitsurleplandel’imaginaire.

94

Page 95: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

DIALECTIQUESPÉCULATIVEET

DIALECTIQUERÉVOLUTIONNAIRE

« Ce n’est plus seulement au nom dumatérialisme qu’il critique l’inversion du réel queconstitue le système hégélien. C’est au nom de ladialectique du réel, celle qui se manifeste dansl’histoireetdanslasociété[1].»

Ilyaparentéentreunephilosophiedelaconscience,dudonnéetde la représentationetunephilosophieduprimatdusensiblesous la forme immédiateoù il sedonne.Contre leprimatdecedonnéimmédiat,ladialectique.Maisladialectiqueréelleaunrôlerévolutionnaireàl’inverse

de la dialectique spéculative. Ici se place l’apport exact deFeuerbach : bien qu’il vide la philosophie de son mouvementdialectique,ilalavaleurpratiqueessentielledenierenbloclasphèredelaspéculation,ouplutôtdefairebasculercettesphèrevers le véritable concret qui est le monde réel sensible.Feuerbach définit l’indépendance de ce monde concret parrapportàlaconscience,bienqu’illepenseencoreabstraitement,c’est-à-direenrapportàcetteconscience[2].

95

Page 96: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

La dialectique révolutionnaire est exposée de manière trèsprécise par Marx dans la Postface à la seconde éditionallemandeduCapital(24janvier1873).Marxyciteunecritiquede son livre parue dans une revue de Saint-Pétersbourg, quicontientcesdeuxextraitsimportants:

A première vue, si l’on en juge par la forme extérieure de l’exposition,Marxestunidéalisterenforcé,etceladanslesensallemand,c’est-à-diredanslemauvaissensdumot.Enfait,ilestinfinimentplusréalistequ’aucundeceuxquil’ontprécédédanslechampdel’économiecritique...Onnepeutenaucunefaçonl’appeleridéaliste[3].

La valeur scientifique particulière d’une telle étude, c’est de mettre enlumière les lois qui régissent la naissance, la vie, la croissance et lamortd’un organisme social donné, et son remplacement par un autre supérieur ;c’estcettevaleur-làquepossèdel’ouvragedeMarx.(Noussoulignons.)

Marx souligne que l’auteur définit ainsi la méthodedialectiqueelle-même.Certes,cettedialectiqueest l’opposédeladialectiquespéculativehégélienne:

Maméthodedialectique,nonseulementdiffèreparlabasedelaméthodehégélienne,mais elle en est l’exact opposé. PourHegel, lemouvement de lapensée, qu’il personnifie sous le nom de l’idée, est le démiurge de la réalité,laquelle n’est que la forme phénoménale de l’idée. Pourmoi, au contraire, lemouvementdelapenséen’estquelaréflexiondumouvementréel, transportéettransposédanslecerveaudel'homme[4].

MaisleméritedeHegelesticiexpressémentreconnu:Maisbienque,grâceàsonquiproquo,Hegeldéfigureladialectiqueparle

mysticisme,cen’enestpasmoinsluiquienalepremierexposélemouvementd’ensemble. ... Sous son aspectmystique, la dialectique devint unemode enAllemagne, parce qu’elle semblait glorifier les choses existantes. Sous sonaspect rationnel, elle est un scandale et une abomination pour les classesdirigeantes...parcequedanslaconceptionpositivedeschosesexistantes,elleinclut du même coup l’intelligence de leur négation fatale, de leurdestruction nécessaire, parce que, saisissant le mouvement même dont touteforme faite n’est qu’une configuration transitoire, rien ne saurait lui enimposer ; parce qu’elle est essentiellement critique et révolutionnaire[5].(Noussoulignons.)

On ne saurait être plus clair. La pensée duCapital est une

96

Page 97: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

penséedialectique.MaiscequimarquelacoupureprofondequisépareMarx deHegel, c’estmoins l’idée du « renversement »(dontonsaittropbiendésormaisqu’ellen’estpasclaire)quelaplaceexactedonnéeparMarxàladialectique.Danscetextede1873,Marxdistingueeneffetdeuxplansdela

manière la plus nette : le procédé d’exposition et le procédéd’investigation.

Certes,leprocédéd’expositiondoitsedistinguerformellementduprocédéd’investigation.Al’investigationdefairelamatièresiennedanstoussesdétails,d’enanalyser lesdiverses formesdedéveloppement,etdedécouvrir leur lienintime. Une fois cette tâche accomplie, mais seulement alors, le mouvementréelpeutêtreexposédanssonensemble.Si l’onyréussit,desortequelaviede lamatière se réfléchissedans sa reproduction idéale, cemiragepeut fairecroireàuneconstructionapriori[6].

Deuxconclusions:—LeCapitalexpose,àtraversdesanalysesparticulières,le

mouvementd’ensembledusystème,lequelestdialectique[7].—Lemarxismenesauraitseréduireàunescienceausensoù

toute science est régionale, il est science de la totalité dudéveloppementréel.Lestatutthéoriquedecettedistinctiondesdeuxprocédésavait

été indiqué par Marx dans l’Introduction à la Critique del’Economiepolitique,écriteen1857.Danscemêmetexte,Marxparvientàuneélaborationcomplètedesconceptsdeconcret etd’abstraitainsiquedeleurrapportavecl’idéededialectique.

Le concret est concret, parce qu’il est la synthèse de nombreusesdéterminations, donc unité de la diversité. C’est pourquoi le concret apparaîtdanslapenséecommeleprocèsdelasynthèse,commerésultat,etnoncommepointdedépart,encorequ’ilsoitlevéritablepointdedépart,etparsuiteaussilepointdedépartdel’intuitionetdelareprésentation[8](Noussoulignons.)

97

Page 98: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Le postulatmatérialiste est ici uni étroitement et demanièrerigoureuse à l’exigence dialectique.La reproduction du concretvise ce concret comme résultat d’une élaboration. La scienceviseàconstruire lesdéterminationsduconcret,cequirevientàlemesureràsonessence.Ladistinctiondesdeuxprocessusetdeleur résultat (concret pensé et concret réel) est ici primordiale.Dumêmecoup est élucidédéfinitivement le rapport deMarx àHegel:

...Lesdéterminationsabstraitesaboutissentà la reproductionduconcretpar la voie de la pensée. C’est pourquoi Hegel est tombé dans l’illusion deconcevoir le réel comme le résultat de la pensée qui se résorbe en soi,s’approfonditensoi,semeutparsoi-même,tandisquelaméthodedes’éleverdel’abstraitauconcretn’estpourlapenséequelamanièredes’approprierleconcret,delereproduireentantqueconcretpensé.

Hegel a confondu le concret-pensé et sa genèse propre et ledéveloppement réel. C’est pour cela qu’il a pu comprendre leréelcommerésultatdelapensée.Lareproductionduconcretentantqueconcretpensén’estpas

«leprocèsdelagenèseduconcretlui-même[9]».Ensomme,lasciencedoitéviterdeuxécueils:—S’enteniraudonnéimmédiatdelareprésentation.— Couper le développement idéel qui dépasse ce niveau

immédiatdel’objetdelareprésentation,quiestleconcret[10].Pourcela, lasciencedoitcomprendrequelareproductiondu

concret par la pensée n’est pas indépendante et transcendante(comme une divinité), mais qu’elle est au sens propre uneproduction, une transformation réglée de la représentation enconcept.Cettetransformations’effectueselonlemodèlegénéralde la PRODUCTION que nous avons vu ouvrir le champ dudépassement de la philosophie. Comme production, cette

98

Page 99: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

transformation diffère de toute transposition et de touteélucidation-traduction. Elle ne découvre pas son objet mais leproduit.

Pour la conscience (et la conscience philosophique est ainsifaite)lapenséequiconçoit,c’estl’hommeréel,etleréel,c’estlemondeunefois conçu comme tel ; lemouvement des catégories lui apparaît comme levéritableactedeproduction(lequel,c’estbienennuyeux,nereçoitd’impulsionquedudehors) dont le résultat est lemonde ; c’est exact—mais ce n’estqu’une autre tautologie dans la mesure où la totalité concrète en tant quetotalitépensée,concretpensé,estenfaitunproduitdelapensée,del’actedeconcevoir;iln’estdoncnullementleproduitduconceptquis’engendreraitlui-même, qui penserait en dehors et au-dessus de la perception et de lareprésentation, mais un produit de l’élaboration des perceptions et desreprésentations en concepts. La totalité, telle qu’elle apparaît dans l’espritcommeun tout pensé, est un produit du cerveau pensant, qui s’approprie lemondedelaseulemanièrepossible...[=delaseulemanièredontilpuisselefaire.] Le sujet réel subsiste, après comme avant, dans son autonomie endehors de l’esprit, tout au moins aussi longtemps que l’esprit n’agit quespéculativement,théoriquement[11].(Noussoulignons.)

La pensée de Marx est donc une critique de la conscience,laquelle est naturellement portée à concevoir le concret pensécommeconcretréel,c’est-à-direàseconcevoircommeleréel,às’affirmerdansleschosesmêmes.L’objetdelareprésentation—le monde sensible — a la valeur essentielle d’un point dedépart. Il ne s’agit pas de semouvoir d’emblée dans un idéelcontenuimplicitementdanslareprésentation,maisdeproduireleconceptdu réel en transformant lamatièrede la représentation.Lagenèseréelleest indépendantedecette reproduction idéelle,ce qui nécessite de ne jamais quitter le sol de l’observationempirique, où le développement réel ne cesse de se donner àtravers les illusions de la conscience. C’est la pratiquematérielle de la production, réalisation effective des deuxmoments exigés dès 1841, qui fournit le modèle général decompréhensiondetouteslespratiques[12].

99

Page 100: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

1. ↑.E.Bottigelli.PréfaceauxManuscritsde1844,éd.cit.p.LXIV.2. ↑ . La lettre de Engels à Marx du 19 novembre 1844 est significative :

«L’hommedeFeuerbachestdérivédeDieu.C’estdeDieuqueFeuerbachestarrivéà l’homme,etainsi l’hommeestencore, ilestvrai,couronnéde l’auréolethéologique de l’abstraction. » Citée par A. de Abreu-Freire, Critique etidéologie chez le jeune Marx, in Revue philosophique de Louvain, tomeLXIV.

3. ↑.K.Marx,Œuvres,collectiondelaPléiade,N.R.F.,tomeI,p.556.Ibidem,p.558.

4. ↑.PostfaceàlasecondeéditionallemandeduCapital,éd.cit.,p.558.5. ↑.Ibidem,p.559.6. ↑.Postface,éd.cit.,p.558.7. ↑.Ilparaîtdifficiled’isolerunteltexteduCapital,neserait-cequ’àcausedela

date tardive de sa rédaction et de sa position clef par rapport à l’ouvrage. Ilchercheàexpliqueretàéclairer lemouvementd’ensembleduCapital.Que lepassageauplanscientifiqueentraînedesmodificationsprofondesdans la formemême de la dialectique (espace « structural », pluralité de temporalités etdistorsion entre ces temporalités, etc.), qu’il s’agisse au sens strict d’un«espace»nouveau,toutcecinesauraitremettreencausel’aspectdialectiquede l’œuvredeMarxen luiôtant soncaractère révolutionnaire.Pourprendreunexemple,l’analysedelareproductionducapitalmenéeparE.Balibarselonunmodèlenondialectiquefaitabstractionde la théoriedescrises,c’est-à-dire dumouvementd’ensembledialectiquedumodedeproductioncapitaliste(cf.LireleCapital,éd.Maspero,coll.Théorie,tomeII).

8. ↑.IntroductionàlaCritiquedel’économiepolitique,collectiondelaPléiade.N.R.F.,tomeI,p.255.

9. ↑.Ibidem,p.255.10. ↑ . J.-P. Faye relève bien cette dualité irréductible de la dialectique et de la

représentation. Avec Epicure, « Voici venir l’ère de la vue ». On ne doitconsidérer comme vrai, dit la Lettre à Hérodote, que ce qu’on peut voirréellement.(Epicure,éditionHerman,p.16).«Estvraicequipeutsevoiretcequisevoit.»Donc,«découvrircequiestàlabasedesmots».L’èredelavueconsidèrela

dialectiquecommesuperflue.«Cesdeuxtraitsvontouvrirungrandécartdanslapensée d’Occident ; entre ces ciseaux-là vont s’engouffrer toutes lesrévolutions.»(Ibidem,p.17.)LeClinamennesevoitpas, ilrendpossiblelevoir(p.21).Ilestcequi,dans

l’èredelavue,introduitlasubversiondialectique.Vue:lectured’unsensprésentàlanature(Matière).

100

Page 101: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Dialectique:négationdelavueparlelogos(Idéalité).Laproductionpenseles deux moments. On le voit dans l'analyse de la science comme pratiquethéorique,produiteparAlthusserdansPourMarx(éd.Maspero,coll.Théorie):ni création de sens, ni lecture d’un sens, mais production d’un sens partransformationduvisible(oudulisible).Ainsi, dans le texte deMarx, le concret est-il ce qui peut se voir, s’étudier.

Mais le procès de la science est celui de la pensée : il vise ce concret commerésultat produit à partir de l’abstrait. Cet abstrait est pour Hegel l’universelabstrait (car jamais Hegel ne s’attache vraiment au réel qui s’offre àl’observation). PourMarx, c’est l’aspect général de la totalité vue (observée),c’est-à-dire la première généralisation des faits observés, faits dont il faudraproduire les déterminations spécifiques.L’investigation, après s’être appropriésamatière(lesfaits),effectueuntravaild’analyseaboutissantàladéterminationd’une structure de catégories simples et «abstraites». Ces catégories sonttransformées ensuite en vue de l’obtention du tout complexe et articulé quiconstitue le concret-pensé. C’est ce dernier mouvement que Hegel acorrectement décrit. Sur ce difficile problème, on consultera l’article clair etprécisdeR.Araud.Actesdu14eCongrèsdessociétésdephilosophiesdelanguefrançaise.P.U.F.,1969.

11. ↑.Ibidem,p.256.12. ↑ . Cf. là-dessus les belles analyses de L. Althusser : Sur la dialectique

matérialistedansPourMarx,coll.Théorie,Maspero.EtLireleCapital,mêmecollection,enparticulierletomeII,l’ObjetduCapital.

101

Page 102: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

LESMANUSCRITSDE1844PRODUCTION,OBJECTIVATION,

ALIENATION

SelonL.Althusser,lesManuscritsde1844constituentuntexteun peu « à part » dans l’itinéraire de Marx, le seul essai derenversement du système hégélien dans la philosophie deFeuerbach, tranchant sur le fond d’une problématique kantiano-fichtéenne[1].CommelaSainteFamille,lesManuscritsde1844louent la philosophie de Feuerbach comme celle de Hegel. Ilnous semble cependant que siMarx n’a jamais été un penseurhégélienausensd’unpenseurspéculatif,lesManuscritsde1844n’en constituent pas moins le prolongement rigoureux de ladouble exigence témoignée dans les textes de 1839-1841 (cf.supra) et une certaine réponse bien déterminée à l’intérieur dudialogue fondamental avec Hegel. Si on garde à l’esprit leséléments dégagés jusqu’ici, il est frappant de constater laconcordance qui règne entre laSainte Famille, lesManuscritsde 1844, l’Idéologie allemande et même certains textespostérieursà1850(cf.infra).Cequiexpliquecetteconcordance,c’est queMarxdéfinit sa spécificité précisément en s’opposantdemanière très précise à la philosophie hégélienne, et qu’il atoujours en vue cette problématique, même s’il la subvertit

102

Page 103: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

radicalement en la déplaçant dans le champ de l’économiepolitique.1.OnlitdanslesManuscritsde1844queHegelasaisi« la

production de l'homme par lui-même comme un processus,l'objectivationcommedésobjectivation,aliénationetsuppressiondecettealiénation».Ilacomprisl’essencedutravailetconçoitl’homme objectif « comme le résultat de son propre travail ».TelleestlagrandeurdelaPhénoménologiedel’Espritetdesonrésultatfinal,—la«dialectiquedelanégativitécommeprincipemoteuretcréateur[2]».2.MaisHegelneconçoitqu’untravail,celuidelapensée.Le

travaildel’espritinstaureunesériedemédiationsquireflètentlaconscience et non le développement réel, et sont donceffectivementnulles.Untel travailest le«devenirpoursoidel’hommeàl’intérieurdel’aliénation,entantqu’hommealiéné».Rienn’estdoncchangéàl’aliénation(lavraie,l’historique).Lephilosophe est l’homme aliéné qui ne fait que se reconnaîtrecommetel,sascienceest«lasciencealiénéequisepenseelle-même ». Sur ce plan, avec plus ou moins de bonheur etd’ampleur,touslesphilosophessedonnentlamain.3.Ladifférence entreMarx etHegel ne tient pas au fait que

Marx emploierait le concept d’aliénation et Hegel celuid’objectivation.L’élémentspéculatifsurlequelsetientHegelleconduit à déformer et voiler l’objectivation elle-même. Dansl’objectivationhégélienne,l’hommesetrouveopposéàlui-mêmesous la forme de l’autre (la nature ou idée hors de soi). Cetteopposition est fictive car ses deux termes sont fictifs.L’objectivationcommenceparposerune faussedifférenceentrel’hommeetlanature,différencequin’estensuitequetropfacileà

103

Page 104: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

résoudre. En fait, le niveau de l’objectif, du concret, est déjàsupprimé au départ. L’aliénation telle que l’entendMarx est lacritique directe de cette objectivation hégélienne. Elle est unephase historique nécessaire de la production concrète. Elle estdonc à la fois plus contingente (nécessite historique et nond’essence) et plus difficile à surmonter, car elle faiteffectivement du travail aliéné un travail négatif. Elle est unenégationconcrètedel’homme.Marxdit:Hegel«voitseulementlecôtépositifdutravailet

nonsoncôténégatif»(p.133).Cecôtépositifnel’estenfaitqueparcequele travailest jugéparHegeldepuis le lieuspéculatifdesasuppression.Lapositivité du travail tient au fait qu’il senienécessairementdanslacontemplation.Mais,priscommetel,le travail est pour Hegel négatif. Le sol de l’opposition de laconscience et du monde qui le caractérise est pris dansl’objectivité,et,s’ilnesesupprimepas,doitêtrecondamné.Letravail est donc le négatif changé en positif par la vertu de sanégation.Marxprendlecontrepieddecetteanalyse:c’estentantquetelqueletravailestpositif,maisentantquedevenuétrangeràlui-mêmepourdesraisonshistoriques,ildevientnégatif.Ilestdoncnégatifentantqu’ilestnié,qu’iln’estpaslui-même.Lafinde l’aliénation est le retour à soi-même du travail, de laproduction,prisecommemoded’êtregénériquedel’homme.4. Hegel vise donc bien la fin de l’objectivité, frappée de

négativité. « La réappropriation de l’essence objective del’homme, engendrée comme étrangère dans la détermination del’aliénation, ne signifie donc pas seulement la suppression del’aliénation, mais aussi de l’objectivité ; c’est-à-dire quel’hommeestunêtrenonobjectif,spiritualiste.»(p.133).Or,le

104

Page 105: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

naturalisme nous enseigne que l’homme, en tant qu’être de lanature,estunêtreobjectif.«Quand l’homme…poseses forcesessentielles objectives réelles par son aliénation comme desobjetsétrangers,cen’estpaslefaitdeposerquiestsujet;c’estla subjectivité de forces essentielles objectives, dont l’actiondoitêtreégalementobjective.»L’homme«neposedesobjets»que«parcequ’il estposé lui-mêmepardesobjets,parcequ’àl’origine il est nature ». « Son produit objectif ne fait queconfirmer son activité objective, son activité d’être objectifnaturel. » (p. 136). Ce que Hegel vise à supprimer avecl’objectivation,c’estdoncl’êtreconcretdel’hommecommeêtreobjectif. C’est le caractère objectif de l’objet qui est pour laconsciencedesoil’incongruitéetl’aliénation(p.139).5.Letravail—latechnique—supposeuneluttedel’homme

contre la nature, lutte dialectique et objective aboutissant à laproductionconcrètedel’hommeparlui-même.Lacondamnationde l’objectivation comme moment négatif permet à Hegel dedénoncer«l’aliénationfataledel’hommedanscettesociétéoùlaproduction pour la production… n’a pas de raison de selimiter[3]».Lasociétéproductivequinesedépassepasversunesociétécontemplative—c’est-à-direenfait:quin’élèvepasdesphilosophes qui la pensent— reste pour Hegel prisonnière del’objectivité, aliénée. La production suppose que l’hommetransformelemondeens’appuyantsursesloisobjectives (objetde la science), de même que la pratique politique doit voirl’hommetransformerlemondesocialdonnéens’appuyantsurlasciencede cemonde. Production et pratique politique seraientdonc prisonnières de l’objectivité que le Sage hégélien doitprécisément surmonter.Demême, la« société sans classe»deMarx,dans lamesureoùellecontinuerait àproduire, tomberait

105

Page 106: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

souslecoupdelamêmecondamnation.6. La production telle que l’entend Marx ne vise pas à

supprimerlasphèredel’objet,àeffectuerunsautau-delàdeladualité concrète du produisant et du produit. Elle vise latransformation, l’élaboration de la nature, élaboration qui estseule à rendre possible la reconnaissance de l’homme par lui-même dans son objet. Reconnaissance diffère d’identificationcomme objectivation de projection ; cette différence estexplicitée par le concept de médiation. Pour la pensée de laproduction,l’objetproduitestlesupportréeldel’universalité,lemédiumdetoutrapportentreleshommes.«Dansl’hypothèsedela propriété privée positivement abolie, l’homme produitl’homme, se produit soi-même et produit l’autre homme… »« L’objet, qui est le produit de l’activité immédiate de sonindividualité,estenmêmetempssapropreexistencepourl’autrehomme,l’existencedecelui-ci,etl’existencedecedernierpourlui[4] ». Dans cette volonté de s’opposer à toute réduction del’objetoudusujetetdedécouvrir l’universalitédans lechampde l’objectivité, Marx semble développer et concrétiser leschémaque laDissertationde 1841 donnait pour être celui duciel. Dans le ciel en effet, la contradiction était acceptée etéteinte,renduepositivedeparsaconcrétionmême,etseulementgrâceàelle.Lemouvementabsolumentlibredescorpscélestesreposaitsurlaréalitéeffectivedelasingularité(subjectivité)etde lamatière (centreuniverselde lapesanteur).Lecielétait latotalité unissant les deux termes. Dans la matière céleste, lesdeux moments reconnaissaient leur interdépendance et leurappartenance mutuelle sans pour autant se fondre l’un dansl’autre. La production pourrait ainsi apparaître comme ladécouverteducielsur la terre.Enfait, iln’enestpasainsi : la

106

Page 107: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

représentationducielcontenuedanslaDissertationestcelledumatérialismephilosophique.Sa valeur polémique à l’égard detoutespéculationnesauraitfaireoublierqu’elleresteprisonnièreduschémaspatial,ducouplereflet-reflétantetdelacontradictionformelle qui caractérisent l’idéologie. « Feuerbach veut desobjetsconcrets,réellementdistinctsdesobjetsdelapensée,maisil ne considère pas l’activité humaine elle-même en tantqu’activitéobjective[5]. »Laproductionentraîneune révolutiondanslestatutdel’objectivité.Siellefaitvaloirladimensiondel’objet contre la spéculation, elle le conteste dans ladéterminationqueluidonnelematérialismephilosophique.«Leprincipal défaut, jusqu’ici, du matérialisme de tous lesphilosophes—ycomprisceluideFeuerbach—estquel’objet,la réalité, lemonde sensible n’y sont saisis que sous la formed’objet ou d’intuition, mais non en tant qu’activité humaineconcrète,nonen tantquepratique,defaçonsubjective[6].»Onvoit que le matérialisme dialectique récuse à la fois lematérialisme et l’idéalisme philosophiques. Son espace est lestatut particulier de l’objet produit, espace qui permet lapossibilité réelle de cette réduction de la différenceHomme/Naturequiétaitlebutdetouteslesphilosophies.7. L’étrangeté de la nature trouve son explication dans

l’aliénation de la production. On ne saurait rendre«philosophique» lemondepuisque laphilosophien’estque lereflet dumonde aliéné. Il faut donc analyser l’aliénation de laproduction elle-même, sur le terrain de l’économie politique.Originairement, la production est la véritable vie générique del’homme.«Lavieproductive,c’estlaviegénérique.C’estlavieengendrant la vie. » L’homme fait ses preuves en tant qu’êtregénérique conscient « par la production pratique d’un monde

107

Page 108: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

objectif », l’élaboration de la nature non organique. « Enproduisant, l’homme reproduit la nature. » Ainsi, « l’hommeaffrontelibrementsonproduit[7]».Lestatutduproduitestainsiambigu : ni le même que l’homme, ni autre que l’homme. Ilparticipe, comme l’homme, à la nature, mais se distingue del’homme pour être le lieu concret de l’épanouissement despossibilitéshumaines.L’épanouissementsupposeunesortiehorsde soi qui ne s’effectue pas vers un extérieur absolu. Cetteformulation paradoxale montre que la philosophie pensedifficilement le statut du produit. Du fait que le monde estproduit, il n’y a plus d’étrangeté entre l’homme et la nature, nientre l’homme et son semblable. La nature n’est pas anéantiecommetotalitédel’étant,maissonêtres’esttransformé:d’objetéternel et étranger à l’homme, elle est devenue produit,objectivationdelaviedel’homme,histoire.«Lanatureapparaîtcommesonœuvre et sa réalité. » «L’objet du travail est doncl’objectivationdelaviegénériquedel’homme:carcelui-cinese double pas lui-même d’une façon seulement intellectuelle,comme c’est le cas dans la conscience, mais activement,réellement,etilsecontempledonclui-mêmedansunmondequ’ila créé[8]. » Cette création ne renvoie pas à l’activité purementpensée des Travaux préparatoires. Elle est transformationproductrice plus que création. Feuerbach l’avait dit : « Sansobjet l’homme n’est rien[9]. » Mais il avait identifiéimmédiatement l’objet à l’homme objectivé sans comprendrel’objectivationcommetransformationproductive.8.Etpourtantcetteproductiongénériquepassenécessairement

par laphasehistoriquede sonaliénation.L’aliénationn’estpasincluse dans l’essence de la production, cette non-inclusion

108

Page 109: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

rendantpossibleledépassementnoncontemplatifdel’aliénation.Cependantlapossibilitéetlanécessitéhistoriquedel’aliénationrésidedans l’objectivation.Dufaitmêmeque l’hommeposeunobjetquin’estpaslamêmechosequelui(positionquiestpourl’hommenécessaireàsavie)naît lerisquedevoircetobjetseposerpour lui-mêmesansréférenceausujet,devenirétrangeràl’homme.L’inexistencede l’objet (spéculation)et sonexistencesouveraineetexclusivesontlesdeuxcontrairesqu’ilfautpenserensemblesansaccepterlaréductiondel’und’entreeux.C’estlaproduction aliénée qui est l’objet de l’économie politique. Sanécessité tient au fait qu’elle est soumise au principe derendementquicontraintl’hommeàhumaniserlemonde.Maislaproductionaliénéecréeseulementlapossibilitéd’unereprisedumonde des produits. Elle ne tend pas d’elle-même à sonannulation,aucontraire,elles’aggrave.«Lamisèredel’ouvrierest en raison inverse de la puissance et de la grandeur de saproduction[10]. » Le travail se produit lui-même et produitl’ouvrier commemarchandise. L’homme est compris seulementcomme travailleur et l’existence de ses besoins ne pose aucapitaliste que les besoins de sa subsistance. La production,autantqu’elleestaliénée,estlapertetotaledel’homme:ilvoitluiéchapperetsonobjet,etsapropreviegénérique.Austadedel’économie,l’actualisationdutravail«apparaîtcommelapertepour l’ouvrierde sa réalité, l’objectivationcomme laperte del’objet ou l’asservissement à celui-ci, l’appropriation commel’aliénation,ledessaisissement».Dansces conditions, laproductionn’est-ellepasdenouveau

lepurnégatif,ausensoùHegellacondamnait?Hegelcritiquaitlaproduction-pour-la-production.Marxdit aussiquec’estdansla phase de l’aliénation que lemonde est humanisé et il donne

109

Page 110: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

comme mot d’ordre au communisme l’abolition du travail. Lecommunisme semble alors réaliser les « retrouvailles duspéculatif»:l’unitéimmédiatedel’hommeaveclui-même,unitéquiexclutlasphèredutravail.Ilsembleyavoirunglissementdela production au produit : la production est aliénante, mais leproduitfaitoublierlaproduction,ilestlaproductionsupprimée,l’objet des philosophes débarrassé de son « objectivité », prissubjectivement : l’homme lui-même. « Le communisme traiteconsciemmenttouteslesconditionsnaturellespréalablescommedes créations des hommes. » « Il dépouille celles-ci de leurcaractère naturel et les soumet à la puissance des individusunis.»Ilestlabaseréellequirendimpossibletoutcequiexisteindépendammentdesindividus«danslamesuretoutefoisoùcetétatdechosesexistantestpurementousimplementunproduitdesrelationsantérieuresdesindividusentreeux[11]».« La révolution communiste… est dirigée contre le mode

d’activité antérieur, elle supprime le travail et abolit ladominationde toutes lesclassesenabolissant lesclasseselles-mêmes[12]. » Le communisme est alors la réalisation du rêvephilosophique : l’absence de différence entre l’homme et lemonde et entre l’homme et l’homme. Marx dit parfois quel’homme,dansl’aliénation,adéveloppétoutessespossibilitésetque le communisme est la fin et l’appropriation de cedéveloppement. La compréhension de l’histoire est alorshégélienne : le communisme est la fin réalisée de l’histoire, letravailproductifcesseaveclui,c’estleroyaumedesindividussecontemplanteux-mêmesdanslemondeproduit,ledernieravatardelarépubliquedesEsprits.Ce qui est en jeu avec ce problème de la définition du

110

Page 111: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

communisme,c’estlaréponseauxmêmesquestionsqueposaientdéjà les Travaux préparatoires et la Dissertation, ce quitémoignede la continuitéde l’itinérairedeMarx.LapreuveenestcetextedesManuscritsde1844:lecommunismeest

l’appropriation réelle de l’essence humaine par l’homme et pourl’homme ; donc retour total de l’homme pour soi en tant qu’homme social,c’est-à-direhumain, retourconscientetquis’estopéréenconservant toute larichessedudéveloppementantérieur.Cecommunismeentantquenaturalismeachevé=humanisme ; en tantqu’humanismeachevé=naturalisme ; il est lavraiesolutionde l’antagonisme entre l’hommeet la nature, entre l’hommeetl’homme, la vraie solution de la lutte entre existence et essence, entreobjectivation et affirmation de soi, entre liberté et nécessité, entre individu etgenre.Ilestl’énigmerésoluedel’histoireetilseconnaîtcommecettesolution(p.7).

Tous les concepts de la Dissertation sont ici repris etthématisés. Le communisme vient remplacer en tant que vraiesolution,l’élémentdesolutionqu’avaitdonnéen1841l’analyseduciel.Maissinouscomprenonslecommunismeainsiquenousvenonsde le faire, la différence entreMarx etHegel ne résidequedansl’accusationd’abstractionportéecontreHegel:Hegela défini le travail abstrait de l’esprit. Ce travail reflétait letravail aliéné ; Hegel a supprimé en pensée le travail de lapensée, le communisme supprime pratiquement le travail réelaliéné. En fait cette interprétation conduit à oublier la scissionplus profonde qui sépareMarx de Hegel et que le concept deproduction inviteàpenser.Lemotd’ordrede« suppressiondutravail » vise le travail comme formemodernede l’activité[13]dominée par les classes, c’est-à-dire le travail aliéné. Lecapitalisme ne conçoit l’homme que comme travailleur, il lemutile, le coupe de ses autres activités productives (commel’amour ou la culture).Le travail est alors synonymede labeurforcé au servicedu capital.Si la suppressiondu travail ne fait

111

Page 112: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

qu’un avec celle des classes, elle n’est pas la suppression detoute activité. Hegel conçoit l’essence de l’homme commeproduction de la pensée ou pensée de la production (donc endernier ressort comme contemplation).Marx la conçoit commeactivité : affirmation objective de la liberté et objectivation decette affirmation dans une œuvre. C’est précisément dansl’aliénation (et pour la science aliénée) que la productiondisparaît dans le produit. L’homme devrait-il se contenter dejouir de la contemplation d’unmonde créé par les hommes quil’ontprécédé?Marx leditexpressément :que jamais l’hommene renonce « à la joie de produire et à la jouissance duproduit[14] ». Joie de produire et jouissance du produit ne sontqu’une seule et même chose, ils sont rigoureusementinséparables. Ilne sauraityavoirdeconsommationauthentiquesans production. La représentation du communisme commeparadisde laconsommationestàbannir.L’hommecontemplatifqui se réjouit d’unmonde tout trouvé à sa ressemblance, c’estcelui du paradis de « carte postale » dont rêve l’homme quisouffre de son travail. Ce qui fait le caractère effrayant del’aliénation,c’est justementque l’hommeyest renduétrangeràcequidevraitconstituersaviemême,laproductionappropriée.Si la vie de l’homme n’était pas production, il se bornerait àrevendiquer du loisir en dehors du travail pour compenser letempsperduàproduire,cequiestlecombledel’aliénation.Direque la totalité des forces humaines s’est objectivée et quel’homme communiste n’a plus qu’à jouir de l’objet, c’est sereprésenter la société sans classe à la manière de l’hommealiéné, lequel est précisément vidé de toutes ses forcesauthentiquement productives. Le communisme est bien plutôt leretourdelaproductionàelle-même,c’est-à-direàsonvéritable

112

Page 113: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

sujet qui est l’homme, sans pour autant que ce retour soit unretourenarrière(eneffet, laproductiongénériqueestl’essencedelaproductionetnedécritpasunesociétéoriginaire,unétatdenature heureux). L’histoire de l’homme qui s’ouvre avec lecommunisme est la libre affirmation du jeu de ses forces et deleur objectivation dans des formes librement produites. Ce quirend ambiguë la critique de la production-pour-la-production,c’est que cette critiquedoit d’abordpréciser que la productiondont il s’agitn’estque laproductionpourunautre (le capital),c’est-à-direlaproductionaliénéeàsonessence[15].9.La production exprime l’essence de l’homme.L’aliénation

constituant une phase de la production dont la nécessité n’estqu’historique, le mode capitaliste de production se trouvecondamnéparledéveloppementdialectiquedel’histoireréelle.Le schéma dialectique de l’accomplissement, qui fait ducommunisme l’affirmation de l’homme total et l’aboutissementde tout le procès antérieur se fonde dans la conception del’homme comme produisant. Dans la production, l’objet esthumainetl’hommeestobjectif,maiscetteidentificationn’apasdesensendehorsduprocèsmêmedelaproduction.Sil’hommene se saisit plus comme produisant (ou cesse de produire),l’objetdevientuniquementlerésultatd’uneproductionquin’estplus celle de l’homme présent et retombe dans l’étrangeté. Or,Marx développe l’idée de l’histoire qui suit la préhistoire del’homme. « La préhistoire de l’homme est une partie de sonhistoire naturelle. » «Le communisme, principe énergétique dufuturprochain,n’estpasentantquetellebutdudéveloppementhumain[16]. » Le communisme ne représente donc en aucun casl’arrêtdudéveloppement.Ainsiretrouvons-nouslapenséedeladialectiqueprésente dès les textes de1841 : aucune« fin » de

113

Page 114: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’histoire n’est assignable, l’histoire est affirmée comme telle,c’est-à-dire comme devenir.La Postface à la seconde éditionallemandeduCapitalvoyaitdansladialectiqueréellelaloidedéveloppementd’un«organisme socialdonné»et lanécessitéde son remplacement par un autre organisme.Dans l’Ideologieallemande,Marx écrit : « La fin de l’histoire n’est pas de serésoudre en conscience de soi comme esprit de l’esprit, maisqu’à chaque stade se trouvent donnés un résultat matériel, unesommedeforcesproductives,unrapportaveclanatureetentreles individus créés historiquement et transmis à chaquegénérationparcellequilaprécède[17].»EtdanslaCritiquedel’économie politique, il précise encore : « Les rapports deproduction bourgeois sont la dernière forme antagonique duprocès social de la production[18]. » (Nous soulignons). Laproduction est ici distinguée de la forme antagonique qu’ellerevêt. Ceci ne veut pas dire qu’il y ait une production en soi,mais simplement que la production ne disparaît pas avec lechangementd’unequelconquedeses figuresspécifiques.Moinsquedelafindel’histoire,ils’agitplutôtdupassage(discontinu)àunenouvelleformedel’histoire,nesedéveloppantplusparledéchirement de la contradiction. C’est la notion même dedéveloppementqu’il fautalors repenser.Quandona reconnu lestatutdelaproduction,onnesauraitpluspréjugerdel’histoire,la réduirespéculativement.Laproductionest le lieude réservede toutes lespossibilitéshumaines :avecelle, l’histoirenefaitquecommencer.Ladestructiondelanaturecommeobjetétrangeràl’hommeestliéeàl’affirmationdel’histoire,carl’hommen’estlui-mêmeques'ilsereconnaîtdansunobjetconcret,c'est-à-direun objet qu'il doit sans cesse produire dans une libredifférenciation de soi-même. Le contraire de la projection

114

Page 115: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

philosophique est alors conçu comme « épanouissement »,concept dont la production artistique pourrait peut-être fournirunevoied'approche[19].

1. ↑.PourMarx,article«surlejeuneMarx»,p.27.2. ↑.Manuscritsde1844,éd.cit.,p.132.3. ↑.Hyppolite(J.),EtudessurMarxetHegel,Rivière,p.95.4. ↑.Manuscritsde1844,éd.cit.,p.89.5. ↑.Idéologieallemande,éd.cit.,p.31.6. ↑.Ibidem.7. ↑.Manuscritsde1844,éd.cit.,p.62-64.8. ↑.Idem,p.64.9. ↑.Manifestesphilosophiques,P.U.F.,coll.Epiméthée,p.65.10. ↑.Manuscritsde1844,éd.citée,p.57.11. ↑.Idéologieallemande,éd.citée,p.97.12. ↑.Ibidem,p.68.13. ↑.Cf.ibidem,fragmentbifféparMarxetcitéennote.14. ↑.Manuscritsde1844,éd.citée,p.65.15. ↑ . La production apparaît donc ici comme « solution » ou interprétation

« positive » de la totalité de l’étant. La question portant sur l’essence de laproduction—enparticuliersurlestatutdel’objectivitéqu’ellecomporte—surgitnéanmoins comme l’inquiétude de tout effort pour penser l’être commeproduction. Au-delà de toutes les réponses philosophiques, Marx déploie danstoutesonétenduecequi,pournotretemps,faitquestion.

16. ↑.Manuscritsde1844,éd.citée,p.99.17. ↑.Idéologieallemande,éd.citée,p.70.18. ↑.Avant-propos,collectiondelaPléiade,tome1,p.274.19. ↑.Cettehistoirenousestdifficilementpensablecar,danslaphasedel'aliénation,

nousconcevons lesenscommenégation /contradiction / suppression,et, encesens, Hegel est le philosophe accompli. Comment concevoir une histoire de lapleine positivité, d'où tout antagonisme soit écarté et qui pourtant se«développe»?En1841, lacontestationde l'arrêtde l'histoireopéréparHegelsupposait une théorie de l'alternance (cyclique)doubléed'uneprogression.Si lecommunisme n'est pas le dernier mode de production pensable, tout en étantsoustrait au négatif, son développement doit se concevoir comme incessanteproductiondusens.L'histoiresepensealorsdenouveauentermesd'alternanceet de répétition.Histoire de la production du sens, elle est elle-même répétitioninsignifiante. Pour qui pense l'histoire, un sens absolument plein et présent estimpossible à concevoir, puisque ledéveloppement est irréductible.Lemondedel'objectivation apparaît donc comme le milieu formel du recommencement

115

Page 116: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

perpétueldesforcesproductives.

116

Page 117: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

CONCLUSION

I.IlyachezMarxtroisniveauxdefonctionnementduconceptdedialectique:— La dialectique spéculative de Hegel, où le négatif n'est

pensé que depuis le lieu de sa suppression dans le positif. Celieudelasynthèse,entantquelieuimaginairedelapurepensée,contamine d'entrée de jeu le développement dialectique queHegel avait pourtant pressenti. Dans la Sainte Famille lesmoments opposés de la nature et de l'homme sont présentéscomme pervertis par la synthèse spéculative. Une telledialectique, si elle permet la critique des illusions de laconscience immédiate, tend inévitablement vers l’arrêt de sonmouvement,carelleneséjournedansleconcretqueletempsdedonneruneapparenceconcrèteaumomentspéculatif, lequelestaussitôtaffirmépar lephilosophecommeleconcretcommetel.PourMarx,leconcretrécuselespéculatif.Ilestseulàposséderlemouvementdialectiquecarl’idéologien’apasd’histoire,ellen’estquelerefletinversédel’histoire.—Lemouvementdialectiquedu réelconcret telqu’ildéfinit

l’histoire. Le schéma de cette dialectique était donné dans lestextesde1839-1841,combinéaveclathéoriedel’alternance.Untel mouvement est bien celui de la négativité, mais d’unenégativité pensée en elle-même et non soumise à l’immobilité

117

Page 118: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

bienheureuseduspéculatif.— La liaison constitutive des deux moments du concret, la

nature (au sens le plus large qui englobe aussi la société) etl’homme. « Dialectique » veut dire ici qu’aucun moment nesaurait être envisagé indépendamment de l’autre, que c’est larelationmutuelle et l’alternance des rapports qui constituent leconcretcommetotalitédialectique.Seulleconceptdeproductionpermet de penser cette alternance dialectique concrète. Le purnaturalismefeuerbachien,imprégnéd’immobilitéspéculative,enest incapable.Ceniveaudedéfinitiondudialectiquereprésentela«solution»auproblèmedelaDissertationde1841.II. La reconnaissance de la production suppose une double

transformation:—Celle de la conscience immédiate en conscience critique,

transformationqui s’effectue grâce à la production scientifique,appropriationduréelparlapensée.—Cellede lanature étrangère ennaturehumanisée, c’est-à-

diredelaproductionaliénéeenproductionhumaine.III. En conséquence, l’itinéraire deMarx nous paraît être un

débat, sans cesse repris et développé, entre deux exigences :penserensemblelesmomentsdelanatureetdel’hommeetfaireen sorte que cet « ensemble » ne désigne pas le lieu d’unesynthèsespéculative[1].IV.Leconceptdeproductionjoueàtroisniveaux:celuidela

production matérielle (économie), celui de la productionpolitiqueetceluide laproduction théorique(pratique-critique).Ilnoussemblefécondenaffirmationsnouvelles:—L’affirmationde l’histoire,quipassepar ladestructionde

118

Page 119: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’idéologie. La dialectique hégélienne était une gigantesquereprisedurévoluàpartird’uncentrequiétait laconscienceduphilosophe. L’histoire prenait son sens à partir de son pointd’arrêtdansunnouveaucogito.Ledevenirétaitpensédepuiseten rapport à laprésence.A l’inverse,Marx ne se place pas àl’intérieur de la « société sans classe » pour juger la sociétécapitaliste. Il reste toujours sur le sol de ce qu’il critique. Iln’oppose pas à l’être undevoir-être,mais établit la possibilitématérielle et la nécessité scientifique d’un nouveau mode deproduction. Il affirme l’historicité de la production. Aucunorganisme économico-social ne saurait échapper aumouvementde l’histoire concrète. Le Capital vise l’appropriation del’histoireparelle-même,c’est-à-diredel’hommeproduisantparlui-même.De la dialectique hégélienne,Marx ne retient que lemouvement irrépressiblequiconteste touteéternisation,c’est-à-dire ladialectiquequ’il louaitdans lesTravaux préparatoires.La fin du capitalisme n’est la fin ni de la production, ni del’histoire. C’est au contraire l’histoire qui veut la fin ducapitalisme.Parlaténacitéqu’ilsmettentàaffirmerleurpropreéternité,lerégimebourgeoisetlasciencebourgeoiseconstituentune agression contre l’histoire. Agression à la fois pratique etidéologique,nécessitantuneripostepratiqueetthéorique.—L’affirmationdel’exigencecritiqueàl’égarddudonné.La

pratiquethéoriqueestunetransformation,doncuneviolence.Lareproduction du réel dans le savoir réprime sans cesse lesillusions de la conscience naïve représentative. C’estl’enseignementmêmedeFreud : laconscience, laconnaissanceintuitivede soi est uneméconnaissance.Levécu conscient doitêtredéduitetanalysécommeunrésultat,bienquecevécusoitleseulpointdedépart[2].

119

Page 120: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Cetteproductioncritique,quiestimmédiatementcritiquedelaphilosophie[3], rencontreaussi l’anthropologieet la linguistique.L’analyse linguistique du symbole distingue en effet« l’impérialisme de la représentation » (expression de G.Dumézil),dédoublement fantasmatiquede laconsciencedans ledésir et qui « atomise » le système linguistique en éléments oùelle peut se reconnaître du niveau symbolique, systèmedifférentiel dialectique où rapports sociaux et langage semblentrégispardesloishomologues[4].Marxreportel’imaginaireà ladéterminationendernière instancepar laproduction.La totalitédialectique de la production (production-échange-rapportssociaux) fournit lemodèle primordial de la compréhension destotalitéssuperstructuralesdulangageetdesinstitutions.

1. ↑. Il est significatif de constater que la critique de la spéculation ramènera endéfinitivelapenséedeHegelauschémacontradictoired’Epicure.Hegeldisaiteneffet:dansleSavoirabsolu,laconsciencedesoiest«danssonêtreautreentantque tel près de soi-même ».Marx renverse la formule : « Cela veut dire quel’homme se trouve près de soi-même dans son être autre en tant que tel. »(Manuscrits, p. 140)… ce qui est la formule même de la REPULSIONd’Epicure.Laphilosophieestainsiincapablededépasserleniveauépicurien.Elleestlerefletd’unecontradictionconcrètequitientaufaitquel’oppositionpositivedel’hommeàl’objectivitéestaliénéeàelle-mêmeparsasoumissionàunAutre(leCapital).

2. ↑.Commel’écritSergeLeclaire,«lapsychanalyse…n’existeenréalitéetnesedéveloppequ’auniveaudesreprésentations.»(Psychanalyser,LeSeuil,p.57.)

3. ↑.Développant le renversementnietzschéenduplatonisme,G.Deleuzeproduitune semblable critique de la représentation, critique qu’il étend au concepthégélien.(Différenceetrépétition,éditionsdeMinuit.)

4. ↑.Cf.E.Ortigues:leDiscoursetlesymbole,p.195etsqq.

120

Page 121: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

KARLMARX

DifférencedelaphilosophiedelanaturechezDÉMOCRITEetÉPICURE

121

Page 122: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

I

TRAVAUXPRÉPARATOIRES

EXTRAITSDESTRAVAUXPREPARATOIRESAL’HISTOIREDESPHILOSOPHIESD’EPICURE,DES

STOÏCIENSETDESSCEPTIQUES

122

Page 123: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

PHILOSOPHIEÉPICURIENNE.PREMIER

CAHIER.BERLIN1839.HIVER.

[ExtraitsdeDiog.X2.4.6.12.29.31.34.123-146.148-149.]</nowiki>[1]

[Epicure:surl’Etat]

Lespassagessuivantsconstituentl’opiniond’Epicureconcernantlanaturespirituelle,l’Etat.Lecontrat,συνθήκηenestselon luile fondement; en conséquence, seul le συμφέρον, le principed’utilité,enestlebut[2].

[ExtraitsdeDiog.X150-154]

[Epicurecommelephilosophedelareprésentation]

Fait important, Aristote fait la même remarque dans sa

123

Page 124: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Métaphysique au sujet de la position du langage à l'égard del'activité philosophique. Etant donné que tous les philosophesantiques,ycomprislessceptiques,partentdeprésuppositionsdelaconscience,unebase solideestnécessaire.Cesontalors lesreprésentations telles qu'on les trouve dans la consciencecommune.Epicure,entantquelephilosophedelareprésentation,semontresurcepoint leplusprécisetdéfinitdeplusprèscesconditionsdu fondement. Il est aussi leplus rigoureuxdans sesdéductions,etporte,toutautantquedel’autrecôtélessceptiques,laphilosophieantiqueàsonachèvement[3].

[Extraits de Diog. X 38-56 et 60 ; extraits intercalés d’Arist.Phys.I4etIII5,etaussid’Arist.degen.etcorr.I3]

[Letransfertdel’idéalitédanslesatomesetladialectiqueimmanentedelaphilosophieépicurienne]

Voirlafindelapage44etledébutdelapage45,oùenfaitleprincipeatomistiqueestvioléetunenécessité interne introduitedans les atomes eux-mêmes[4]. Comme ils ont une certainegrandeur, ildoityavoirquelquechosedepluspetitqu’eux.Cesontlesparties,dontilssontfaitsparcomposition.Maiscelles-cisontnécessairementcomposées,souslaformed’uneκοινότηςένυπάρχουσα[5][Diog.X59]L’idéalitéestdonctransféréedansles atomes eux-mêmes[6]. Le plus petit d’entre eux n’est pas lepluspetitdelareprésentation,maisilauneanalogieaveclui,eton ne pense rien de déterminé dans tout cela. La nécessité,l’idéalitéquileuréchoitestelle-mêmepurementfictive,fortuite;extérieureàeux-mêmes.C’estseulementainsiqu’estexpriméle

124

Page 125: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

principedel’atomistiqueépicurienne:l’idéeletnécessairen’estquedansuneformereprésentée,extérieureàelle-même,danslaformede l’atome.Voilàdonc jusqu’oùva la logiqued’Epicure.καί μήν και ίσοταχεις άναγκ αιον τάς ατόμους είναι, δ’ταν διάτου κενου είσφέρωνταιμηδενόςάντικόπτοντος[7].[Diog.X61]Nousavonsvuque lenécessaire, laconnexion, ladistinction

eneux-mêmessonttransférésdansl’atomeouplutôtl’expressiondufaitquel’idéalitén’existeiciquedanscetteformeextérieureà elle-même ; la même chose arrive en ce qui concerne lemouvement,quitendnécessairementverslerepos,sitôtquel’oncomparelemouvementdel’atomeaveclemouvementdescorpsκατά τάς συγκρίσεις[8] (Diog. X 62), c’est-à-dire du concret.Comparé à ce mouvement, celui des atomes est par principeabsolu,c’est-à-direquetouteslesconditionsempiriquessontenluisupprimées,qu’ilest idéel. Ilestessentiel,pourdévelopperlaphilosophied’Epicureetladialectiquequiluiestimmanente,de retenir ce point : du fait que le principe est un principereprésenté, se comportant à l'égard du monde concret dans laforme de l'être, la dialectique, l'essence interne de cesdéterminationsontologiquesprisescommeuneformedel'absoluen elle-même vaine, ne peut prendre son essor que dans lamesure où ces déterminations, comme immédiates, entrentnécessairement en collision avec lemonde concret et révèlent,dans leur comportement spécifique envers lui, qu'elles ne sontque la forme fictive,extérieureàelle-mêmedeson idéalité,ouplutôt qu'elles n'existent pas en tant que présupposés, maisseulemententantqu'idéalitéduconcret.Lesdéterminationsdecemondesontdoncelles-mêmesensoifausses,ellessesuppriment.Seulleconceptdumondeestexprimé,sibienquelesoldecelui-

125

Page 126: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

ci est l'absence de présupposition, le néant[9]. La philosophieépicurienne tire son importance de la naïveté avec laquelle lesconséquences sont exprimées, sans la fausse pudeurd'aujourd'hui.

[ExtraitsdeDiog.X62]

Ilfautobserveràpartird'oùleprincipedelacertitudesensibleest supprimé et quelle représentation abstractive est poséecommesonvraicritère.ήψυχήσώμαέστιλεπτομερές,παρόλοντόάθροισμα(corpus)παρεσπαρμένον(diffusum)[10]p.47.

[Diog.X63]L'intérêt est ici encore la différence spécifique du feu et de

l'air vis-à-vis de l'âme, pour prouver l'adéquation de l'âme aucorps ; l'analogieyest employée,mais aussi supprimée, cequiest en général la méthode de la conscience qui forge desfictions[11] ;ainsis'effondretouteconcrètedéterminationensoi-même et un écho purement monotone prend la place dudéveloppement.

[ExtraitsdeDiog.X63-64]Nousavonsvuquelesatomes,prisentreeuxabstraitement,ne

sontpasautrechosequedesêtresreprésentéscommeexistant,etque c'est seulement dans leur collision avec le concret qu'ilsdéveloppent leur idéalité fictive et donc embrouillée dans descontradictions ; ils démontrent de même, en devenant l'un descôtésdurapport,—quandonenvientàdesobjetsquiportenten

126

Page 127: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

eux-mêmesleprincipeetsonmondeconcret(levivant,l'animé,l'organique)—, que le royaume de la représentation est pensétantôt comme libre, tantôt comme le phénomène d'une choseidéelle.Cettelibertédelareprésentationestdoncelleaussiuneliberté purement pensée, immédiate, fictive, ce qu'estl’atomistique dans sa forme véritable. Les deux déterminationspeuventdoncêtreconfondues;chaqueterme,considérépourlui-même, est le même que l’autre, mais on doit également en lesopposant et de quelque côté qu’on les considère, leur attribuerles mêmes déterminations. La solution est donc encore deretomberdanslapremièredétermination,quiestlaplussimple:on imagine libre leMoi de la représentation.Du fait que cetterechutes’effectueiciparrapportàunetotalité,aureprésenté,quipossèderéellementenlui-mêmel’idéeletestcetidéellui-mêmedanssonêtre,l’atomeesticiposé,commeilestenréalité,danslatotalitédesescontradictions;enmêmetempsressortlefondde ces contradictions : vouloir concevoir la représentationcomme étant aussi l’idéel dans sa liberté, mais toujours dansl’ordre de la représentation. Le principe de l’arbitraire absoluapparaîtdonciciavectoutessesconséquences.Danssaformelaplussubordonnée,c’estaussiensoilecaspourl’atome.Commeilyenaungrandnombre,chaqueatomepossèdeensoi-mêmeladifférencequiledistinguedelamultitude;ilestdoncensoiunemultiplicité.Maisilestenmêmetempsdansladéterminationdel’atome, ce qui fait que la multiplicité est en lui, de manièrenécessaire et immanente, une unité : il en est ainsi de l’atomeparce qu’il est.Mais c’est sans sortir du monde qu’il faudraitexpliquer comment, à partir d’un principe unique, celui-ci sedéploielibrementenunemultiplicité.Cequidoitêtrerésolusetrouve ainsi supposé ; l’atome lui-même est ce qui doit être

127

Page 128: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

expliqué. La distinction de l’idéalité n’est introduite alors quepar comparaison ; pour soi, les deux côtés sont dans la mêmedétermination,etl’idéalitéelle-mêmeestdenouveauposéedansle faitquecesatomesmultiplessecombinent réellement,qu’ilssont les principes de ces compositions. Le principe de cettecomposition est donc ce qui est originellement composé sansraison, c’est-à-dire que l’explication est l’expliqué lui-même,que l’on introduit de force dans les mots et le brouillard del’abstractionproductricedefiction.Commenousl’avonsvudanssa totalité cela n’intervient que lorsque l’on considèrel'organique[12].

[HasardetpossibilitéchezEpicure]

Remarquonsque,commel’âmepéritetnedoitsonexistencequ’àune mixture fortuite, on admet du même coup, d’une façongénérale, le caractère fortuit de toutes ces représentations (ex.l’âme), qui, de même qu’elles n’ont aucune nécessité dans laconsciencecommune,chezEpicureégalementsontsubstantifiéescommedesétatsfortuits,lesquels,conçuscommedonnésdontlanécessité,lanécessitédeleurexistence,nonseulementn’estpasdémontrée mais n’est pas démontrable, ne sont connus quecommepossibles.Cequipersisteparcontreest lelibreêtredelareprésentation,qui,d’unepart,est la libertédanssonêtreensoi,mais qui, d’autre part, en tant que pensée de la liberté dureprésenté,estunmensongeetunefiction,etdoncunechoseenelle-même inconséquente, unmirage, une fantasmagorie[13]. Cetêtreestplutôt l’exigencedesdéterminationsconcrètesde l’âme

128

Page 129: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

comme pensées immanentes. La grandeur d’Epicure, ce quipersistedelui,c’estqu’ilnedonneauxétatsaucuneprioritésurles représentations et cherche tout aussi peu à sauver celles-ci.ChezEpicure,leprincipedelaphilosophieconsisteàdémontrerque lemondeet lapenséesontpensables,possibles ; lapreuvequ’ilapporte,leprinciped’oùcelaesttiréetoùcelaestramenéestencorelapossibilitéelle-mêmedanssonêtrepoursoi,dontl’expression naturelle est l’atome et l’expression spirituelle lehasardet l’arbitraire. Il fautconsidérerdeplusprès lamanièredont l’âme et le corps échangent toutes leurs déterminations,comment chacun des termes est le même que l’autre dans lemauvais sens, si bien qu’en somme ni l’un ni l’autre des deuxcôtésnesontdéterminésselonleconcept.

[Lasupérioritédelarigueurlogiqued’Epicurecomparéeàcelledessceptiques]

Findelapage48etdébutdelapage49:Epicurel’emportesurlessceptiquesencelaque,chezlui,nonseulementlesétatsetlesreprésentations sont ramenés à rien, mais le fait d’en prendreconscience,deméditersureuxetderaisonnersurleurexistence,laquelleaunpointdedépartconcret,estquelquechosequin’estquepossible.[ExtraitsdeDiog.X67(MEGA:Marxajouteàcettecitationlaremarque suivante : Se reporter à la page 50 et au début de lapage51:danscepassage,Epicureparledesdéterminationsdescorps concrets, et le point de vue atomistique paraît renversé,quandildit…(MarxcitealorsdespassagesdeDiog.X69-71.)]

129

Page 130: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

[L’atomecommeformeimmédiateduconcept:ladéclinaison]

Que la répulsion[14] soit posée avec la loi de l’atome, ladéviationde la lignedroite,Epicureena la conscience laplusaiguë.Quecelanesoitpasàprendreausenssuperficiel,commesi les atomes ne pouvaient s’atteindre qu’à cette condition,Lucrèce aumoins le dit. Après avoir déclaré, dans le passagecitéplushaut,que«sansceclinamenatomi»,iln'yauraiteuni«offensusnatusnecplagacreata[15]»(LucrèceII223),ilditunpeuplusloin:

Deniquesisempermotusconnectituromnisetvetereexoriturnovusordinecerto,necdeclinandofaciuntprimordiamotusprincipiumquoddam,quodfatifoederarumpat,exinfinitonecausamcausasequatur:libera...etc.[16].

Iciestétabliunmouvementaucoursduquel lesatomespeuventserencontrer,différentdeceluiquiestprovoquéparleclinamen.Ce mouvement est en outre rigoureux et s'effectue selon ledéterminismeabsolu;ilestdonclasuppressionduSoi;sibienque chaque détermination trouve son être-là (Dasein) dans sonêtre-autre immédiat, son être-supprimé, qui est au regard del'atomelalignedroite.Cen'estquedu«clinamen»quesurgitlemouvement autonome, le rapport qui possède sa déterminité(Bestimmtheit)commedéterminitédesonsoi,etnel'apasdans

130

Page 131: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l'autreêtre.Cedéveloppement,Lucrècepeutl'avoirpuiséchezEpicureou

l'avoir inventé, cela ne change rien à l'affaire. Ce qui s'estdémontrédansledéveloppementdelarépulsion(quel'atome,entant que forme immédiate du concept, ne s'objective que dansl'immédiate inconceptualité),celavautaussipour laconsciencephilosophique,pourquicettecontrainteestsonessence.Cela me justifie en même temps d'avoir opéré une

classificationtotalementdifférentedecelled'Epicure.

1. ↑ . La pagination employée par Marx renvoie à l’ouvrage sur Epicure deGassendi.Pourcequiestdesauteursgrecs,nousconservonslesréférencesdel’éditionallemande.

2. ↑.Cetteremarquesurlanaturepolitique,surl’Etat,estlaseuledecesnotes.Ilnefautcependantpascroirequeladimensionpolitiqueestabsentedece texte.C’estque,danslechamphégélien,iln’yapasd’autonomiedesdiversdomaines:unmêmeprinciperégitcesdomainesetyestprésent,leprincipeétantl’essentiel,et l’espace philosophique transparent, l’homogénéité des domaines est assuréepar leur degré d’expression du principe. La théorie politique propre àl’atomistiquen’estdoncpasdifférentedesathéoriephysiqueoudesonéthique:lesvolontésparticulièressont,dansl’ordrepolitique,cequesontlesatomesdanslaphysique,etlaconsciencehumainedanslamorale.Hegelamontrélalogiqueduliendecettepenséepolitiqueducontratavecl’atomistiqueengénéral:«Lesvolontés individuelles sont le principe de l’état. » (Encyclopédie des sciencesphilosophiques). Pour l’atomistique antique, ce qui réunit les Uns n’est pasl’attraction(détermination conceptuelle découlant du concept de l’Un),mais ladéterminité extérieure duHasard (dumoins chez Epicure).Donc « le général,l’Etat repose sur la condition extérieure du contrat ».Le contrat est imposédel’extérieurauxvolontésindividuelles,c’estdoncunlienabstraitquinereprésentepasundépassement.Onsaitquecettequestiondurapportd’oppositionentrelesvolontés particulières et l’Etat comme universel n’est pas vraiment résolu parHegel.Dans l’Etat, la conscience de soi doit être consciente de soi commedel’universel. Or, la révolution française n’a pas pu supprimer le personnage duBourgeois, figure de la volonté particulière. La volonté générale de Rousseaucompose avec les volontés individuelles par la détermination du contrat. Lasociétécivileetbourgeoises’opposechezHegelàlaviepolitique.Selonlui,l’Etatmoderne, contrairement à la cité antique, est assez puissant « pour laisser le

131

Page 132: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

principe de la subjectivité s’accomplir jusqu’à l’extrémité de la particularitépersonnelle autonome, et en même temps le ramener à l’unité substantielle etainsimaintenircetteunitédansceprincipelui-même».(Philosophiedudroit,p.195, cité par J. Hyppolite :Etudes surMarx et Hegel, p. 125.)Marx pourramontrer que les médiations établies par Hegel ne sont que des contingenceshistoriques de son temps.La philosophie ducontratpropre à Epicure est doncrevêtuepourMarxd’unesingulièreactualité.

3. ↑.Epicuren’estpastantunphilosophequiapportedescontenusnouveauxquecelui qui achève et révèle la philosophie antérieure. Dans la conceptionhégélienne,lephilosopheestlesupportdudéveloppementdel’idéequipassepardifférentes figures. Le texte est donc déjà écrit, et ce qu’il faut, c’est ledéchiffrer.C’est pour celaque lavertuprincipaleduphilosophe est la rigueur.Larigueurestlafacultéquicorrespondaudéveloppementdel’idée,parcequecedéveloppementestdéjàrigoureux.Ladéfinitiond’Epicurecommephilosophedelareprésentationrenvoieàundoublecentred’intérêt.—sonrapportàlaphilosophiegrecque,puisquelepropredecettephilosophie

estde«savoirqu’ilyadesreprésentationsdanslaconscience»sanssavoircequ’ellessont;—l’élucidationdelareprésentationcommefiguredelaconscience,etdeses

rapportsavecl’idéel.La position d’Epicure, achevant la philosophie grecque, est confirmée et

développéedanslestextessurleSage(cf.infra).4. ↑.Lesatomesontunegrandeur,maiscettegrandeurestàlafoisdéterminéeet

indéterminée.Ilsn’ontpasn’importequellegrandeur,cardanscecasilyauraitdesatomesgrandscommelemonde(cequ’admetDémocrite).Maisilsn’ontpasnon plus une grandeur déterminée mesurable, puisque l’atome est au-delà duminimumreprésentable.Ilfautdonccomprendreici:lesatomesontunegrandeurdéterminée commepure grandeur différentielle, leur grandeur traduit seulementleurdifférencedegrandeur.(Cf.ladifférencedepoidsdesatomes.)

5. ↑.Communautéquiexisteentreelles.6. ↑.Si l’atomeestfaitdepartiesnécessairementagencées, iln’estplus le terme

ultime de l’analyse et le principe de l’atomistique. Il n’est plus seul à rendrecomptedelui-même,maiscomprendenlui«l’idéeletnécessaire».Or,l’atomeincarnedansl’êtreimmédiatetfictiflalibertédelareprésentation.Yintroduirelanécessitéou l’idéelconsisteà reconnaîtrecet idéelcommecontenu latentde lareprésentation, donc à nier l’être-libre de celle-ci. L’idéel conteste l’illusion, lemiragedelareprésentation.La représentation et l’idéel, qui sont, dans leur opposition, deuxmomentsdu

concept, sont ici réalisés, dans la forme de l’être, dans la figure unique del’atome. Cette réalisation (abstraite) dans un même étant de deux moments

132

Page 133: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

contradictoiresfaitdel’atomelui-mêmeunétantcontradictoire.7. ↑.Enoutre, lesatomespossèdentnécessairement lamêmevitessesi,aucours

deleurmouvementdanslevide,ilsneheurtentaucunobstacle.8. ↑.Selonlescompositions.9. ↑.Epicurelui-mêmeestcontraintdenuancercetteaffirmation:l'atomequiestla

basematérielledumondeest l'atomequalifié,complet,etnon l'atomeselonsonconcept,l'absencedeprésupposition.Lacontradictionquiesticientrel'atomeetlemondeseretrouvealorsàl'intérieurdel'atomelui-même(cf.Dissertation).C'estmalgrétoutentrelemondeconcretetl'atome(c'est-à-direl'atomedans

son concept et l'atome qualifié), que réside la forme la plus extrême de lacontradiction propre à cette philosophie. D'où l'importance du problème de lacréationdumonde.Commel'idéel-estdonnédans laformede l'être, ilconstitueunmondeàpartdontl'êtrecontesteceluidumondephénoménal.Onaainsideuxmondes à l'image l'un de l'autre, contradictoires tous deux, et la conscienceabstraite contradictoire se reconnaît séparément dans chacun de ces deuxmondes.

10. ↑.Quel'âmeestuncorpscomposédepartiesténues,répandusurtoutlecorps.11. ↑ . L'analogie est le caractère de la méthode de la philosophie de la

représentation:—elleprocèdepar images,ressemblances, contiguïtés, symboles (comme la

magieetl'herméneutique);—ellepartdelareprésentationelle-même(senscommun)etnondel'idéellui-

même.L'atomistiqueestunephilosophiedelaconscienceetnonunelogiqueausens hégélien. Elle définit l'idéel avant tout négativement, comme uneradicalisation de la représentation. Son intérêt est donc,moins que son contenulittéral,lacontradictiondanslaquellelaplacecettedémarcheetquirévèlel'idéeldans le représenté.C'estaussicequiexpliqueque l'atomistiquedonneune telleimportanceàlaconscienceindividuelleduphilosophe(dusage).La conscience qui représente est donc la conscience abstraite, coupée du

monde concret. Son rapport à l'être a pour caractère cette extériorité de laréflexionqueHegeldéfinitcomme lemomentde l'essence.Dans l'atome,cetteextérioritéestinscritedansl'être.

12. ↑.C’est lapenséede l’uniformitéetde lamesurequiestdéfinieainsi.Pour la«belleâme»,iln’yaquedesdifférences,donctoutestpareil.Ladialectiquedoitcommencer par réintroduire la différencemasquée. L’identité immédiate, c’estl’identitétrompeusedelareprésentationetnonl’identitéconcrètedestroisièmestermesdialectiques.MarxreprendàcesujetlacritiqueportéeparHegelcontreSchelling.

13. ↑.La libertéde la représentationest cellede laconscienceabstraitequia son

133

Page 134: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

principe dans la possibilité formelle, régie par le seul principe de non-contradiction.Lafictionconsiste,pourcetteconscience,àprojetersonêtre-libredans l’objet de la représentation (das vorgestellte), à se donner comme lanature. Cette projection crée le monde contradictoire qui ressemble à laconscience abstraite. Epicure ne s’en tient pas à cette projection, il penseégalementl’idéel,maissanspenserensemblelesdeuxmomentscontradictoires.

14. ↑.Larépulsionestposéeavecladéclinaisoncommelavéritédedeuxmomentsdelachuteetdeladéclinaison.Ellenesauraitêtreposéeavant.Ladéclinaisonn’est pas accidentelle, elle n’est pas une hypothèse explicative, elle estl’expressiondel’essencedel’atome(cf.Dissertation).

15. ↑.Déviationdel'atome...Rencontreniaucunecréationdemonde.16. ↑.«Enfin,silachaînedumouvementtotalsanscesseseboucle/silenouvel

anneau,infailliblement,s'ajouteauprécédent /si lesatomesnedévient pasde la verticale et ne produisent pas, à travers cette déclinaison, / cecommencement demouvement qui brise les chaînes du destin, / et sans lequelcelui-cibouclesanslacunelachaîneinfiniedescauses,/ils'ensuitque...

134

Page 135: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

PHILOSOPHIEÉPICURIENNE.DEUXIÈME

CAHIER

[ExtraitsdeDiog.X72-77]Icisetrouveleprincipedupensable,quisertd'unepartàaffirmerlalibertédelaconsciencedesoi,etd'autre part à attribuer au Dieu la liberté à l'égard de toutedétermination. [Extrait deDiog.X 78] Epicure se prononce enoutre (p. 56-57) contre l'attitude consistant à se borner àcontempler avec étonne-ment les corps célestes ; il la dénoncecommeuneattitudequibornel'hommeetluiinspirelacrainte:ilfaitprévaloirlalibertéabsoluedel'esprit.

[ExtraitsdeDiog.X80-81][LaphilosophieépicuriennedesMétéores]

Epicurerépèteaudébutdesontraitésurlesmétéoresquelebutdecetteγνώσεως[1]est1'άταραξίανκαιπίστινβέбαιον,καθάπερκαίέπίτωνλοιπων[2][Diog.X85]

135

Page 136: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Maislaconsidérationdecescorpscélestessedistingueaussiessentiellementdel'autrescience.[ExtraitdeDiog.X86]Ilestimportantpourl'ensembledelaconceptiond'Epicureque

lescorpscélestes,en tantquemondesuprasensible,nepuissentprétendreaumêmedegréd'évidencequel'autre-monde,lemondemoral et sensible[3]. C'est à leur sujet qu'entre en vigueur ladoctrineépicuriennedeladisjonction,selonlaquelleiln'yapasdeaut aut (ou bien, ou bien) ; la détermination intérieure estdoncniéeetleprincipedupensable,dureprésentable,duhasard,de l'identité et liberté abstraite se manifeste comme ce qu’estcelle-ci, comme l’indéterminé, qui, justement pour cette raison,est déterminé par une réflexion extérieure à lui. Il apparaît icique la méthode de la conscience productrice de fictions et dereprésentationsnesebatquecontresapropreombre.Cequ’estl’ombre dépend de la manière dont on la voit et dont l’objetréfléchissantserenvoiesonproprerefletàpartirdecetteombre.Demêmequedanslecasdel’organiqueensoi,lacontradictionde la conception atomistique éclate, substantifiée, de même laconsciencephilosophanteavoue,maintenantquel’objetlui-mêmeentredansla formede lacertitudesensibleetde l’entendementqui représente,cequ’elle fait.Dans lepremiercas, leprincipereprésenté et son application se trouvent objectivés en uneseulechose,etlescontradictionssontparlàappeléesauxarmesenun antagonismequi oppose les représentations substantifiéeselles-mêmes;delamêmefaçonicioùl’objetestpourainsidiresuspendu au-dessus de la tête des hommes, où il défie laconscienceparsonautonomie,parl’indépendancesensibleetladistancemystérieusedesonexistence,laconscienceéclatedansl’aveudesonactivité;ellecontemplecequ’ellefait:appeleràdescendre jusqu’à l’intelligibilité des représentations qui

136

Page 137: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

préexistentenelleet les revendiquercommesapropriété ;ellevoitquetoutesonactivitéseborneàuncombatavecladistance,quienserrecommeuncharme toute l’antiquité,qu’ellen’apouren faire son principe que la possibilité, le hasard, et que cequ’ellecherche,c’estàétablirden’importequellemanièreunetautologieentreelleetsonobjet.Voilàcequ’elleavoue,sitôtquecettedistanceluifaitface,incarnéedanslescorpscélestes,dansuneindépendanceobjective.Lamanièredontelleexpliqueluiestindifférente;elleaffirmequecen’estpasuneexplicationquilasatisfait,maisplusieurs,c’est-à-diretouteexplicationpossible;elle avoue ainsi que son activité est une fiction active. C’estpourquoi les météores et la doctrine les concernant sont, dansl’antiquitéengénéral,dont laphilosophien’estpasexemptedeprésuppositions, l’image où la conscience contemple sonmanque;mêmechezAristote.Epicureaexprimécetteimage,etc’est sonmérite, laconséquence implacabledesesconceptionsetdéveloppements.Lesmétéoresbraventl’entendementsensible,maisilsurmonteleurdéfietneveutplusentendreparlerquedesontriomphesureux:οὺγὰρκατ ὰξιώματακενὰκαὶνομοθεσίαςφυσιολογητέον,ὰλλ’ώςτὰφαινόμεναὲγκαλειται…(οβίος)του ὰθορύбωςήμαςζήν[4] [Diog.X86-87]. Il n’y aplusbesoindeprincipes ni de présuppositions, là où la présupposition elle-même s’oppose à la conscience et l’effraie.Dans la frayeur, lareprésentationdisparaît.C’est pourquoi Epicure répète, comme s’il s’y reconnaissait

lui-même,laphrase:πάνταμένού νγίνεταιάτείστωςκαιπάντωνκατά πλεοναχόν τρόπον εγκαθαιρουμένων συμφώνως τοιςφαινομένοις.ό ταντιςτόπιθανολογούμενονυ πέραύτωνδεόντωςκαταλίπη, ό ταν δέ τις τό μέν άπολίπη, τό δέ εκбάλη, όμοίωςσύμφωνονό ν τωφαινομένω, δήλονό τι και έκπαντός έκπίπτει

137

Page 138: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

φυσιολογήματος,έπίδέτόνμυ θονκαταρρει[5] [Diog.Χ87]Laquestion se pose alors de savoir comment aménagerl’explication : σημεια δέ τινα των έν τοις μετεώροιςσυντελουμένων φέρειν των παρ’ήαιν τινα φαινομένων, άθεωρειται ή υ πάρχει, ώς και τά έν τοις μετεώροις φαινόμεναταυ τα γάρ ένδέχεται πλεοναχως γενέσθαι, τό μέντοι φάντασμαέκαστου τηοητέονκαι έπί τάσυναπτόμενα τούτω διαιρετέον, άοὺκ άντιμαρτυρειται τοις παρ’ήμιν γινομένοις πλεοναχώςσυντελεισθαι[6].[Diog.Χ87]Sonpropretonnerreetsespropreséclairssurpassentenfracasetenlumièreletonnerreetlafoudredu ciel tels que nous les livre la conception d’Epicure.Aquelpoint Epicure sent qu’il est lui-même au centre de sa nouvellemanière d’expliquer, comment il tend à se débarrasser dumerveilleux, comment il a toujours le souci de donner non pasune, mais plusieurs explications, dont il nous donne deséchantillonstrèspeusérieuxàproposdetoutechose,commentildit presque carrément que, ne touchant pas à la nature, il ne sesouciequedelalibertédelaconscience,onpeutdéjàledéduirede la monotone répétition qui le caractérise. L’unique critèred’explicationconsisteànepasάντιμαρτυρεισθαι[7][Diog.X88]par l’évidence et l’expérience sensibles ; par le phénomène,l’apparence,commeengénéralilnes’agitquedel’apparencedelanature.[MEGA: suitunesériedecitationsqueMarx rassemblepar

diverstitres.Surlanaissancedusoleiletdelalune:Diog.X90.Surlagrandeurdusoleiletdesastres:Diog.X91.Surleleveretlecoucherdesastres:Diog.X92.Surlestropesdusoleiletdelalune:Diog.X93.Surladécroissanceetlacroissancedelalumière lunaire : Diog. X 94. Sur le species vultus (le visage

138

Page 139: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

apparent) dans la lune : Diog. X 95-96. Marx remarque]particulièrement la proscription d’une efficience divinetéléologique qui s’exercerait sur l’ordo periodicus (cyclecéleste),d’oùil ressortnettementquel’explicationn’estqu’uneautoperception de la conscience et que l’Objectif n’est queprojeté.[ExtraitsdeDiog.X97-101,104à106,111,112,114,116]

[GassendietEpicure]

Onpeut,àpartirdelà,voirparparenthèsequePierreGassendi,quiveutsauverl’actiondivine,affirmerlapersistancedel’âme,etc., et être malgré tout épicurien (voir, par exemple, Esseanimos immortales, contra Epicurum. GassendianimadversionesinL.X.Diog.Laert.p.549-602,oubienEssedeum auctorem mundi, contra Epicurum, p. 701-738 ;gereredeum hominum curam, contra Epicurum[8], 738 à 751,etc.,cf.Feuerbach,Histoiredelaphilosophiemoderne:PierreGassendi,p. 127-150), n'a absolument pas comprisEpicure, etqu'ilestencoremoinscapabledenouseninstruire.OnnetrouvechezGassendi que la tendance à nous faire prendre des leçonsd'Epicure et non à nous en donner sur lui.Quand il brise cettelogique de fer, c'est pour ne pas se brouiller avec sesprésuppositions religieuses.Ce combat est ce qui est importantchez Gassendi, comme l'est en général ce phénomène que laphilosophie moderne ressuscite dans ce qui fait périr laphilosophie grecque d'une part avec Descartes dans le douteuniversel, tandis que les sceptiques sonnent le glas de la

139

Page 140: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

philosophie grecque, d'autre part dans la considérationrationnelle de la nature, tandis que la philosophie antique estbriséedansEpicuredemanièreencoreplusrigoureusequechezlessceptiques.L'antiquitéprenaitsesracinesdanslanature,dansle substantiel. Sa dégradation, sa profanation est la marqueprofondede la rupturede laviesubstantiellevierge ; lemondemoderneprendsesracinesdansl'esprit,etilpeutentoutelibertésedébarrasserdesonAutre, lanature.Maisde lamêmefaçon,ce qui était chez les anciens profanation de la nature devientinversementchez lesmodernesdélivranceà l'égarddeschaînesde ladomesticitéqueconstitue la foi, etcedontpart, aumoinsd'après son principe, l'ancienne philosophie ionienne (voir ledivin—l'idée—incarnédanslanature),ilfautd'abordquelamoderneconceptionrationnelledelanatures'yélève.Qui ne se souviendra ici du passage plein d'enthousiasme

d'Aristote,leplusgranddesphilosophesantiques,danssontraitéπερίτηςζοικηςφύσεως(deanimantenatura)[Arist.Departibusanimalium645 a], qui rend un tout autre son que lamonotoniedégriséed'Epicure!

[Laconstructionépicuriennedumonde]

Il faut retenir, pour la méthode propre à la conceptionépicurienne,leproblèmedelacréationdumonde,problèmequimet toujours en lumière le point de vue d'une philosophie ; cepointdevuedécrit eneffet, à lamanièredont selon lui l'espritcrée le monde, le rapport au monde de la philosophie qu'ilcommande, lapuissancecréatricede toutephilosophie.Epicuredit (p. 61 et 62) : « Le monde est une complexion céleste

140

Page 141: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

(περιοχήτιςοὺρανου )enveloppantlesastres,laterreettouslesphénomènes,contenantunextrait(section,άποτομήν) [Diog.X88]del'infinitéets'arrêtantàunelimite,quecelle-cisoitfaited'etherouqu'ellesoitsolide(latransgressiondecettelimitefaittomber tout ce qu'elle contient dans un chaos), qu'elle soit enrepos,ronde,triangulaireoudetouteslesformesqu'onvoudra.Ilya,eneffet,toutessortesdepossibilités,puisqueaucunedecesdéterminationsn'estcontrediteparlesphénomènes.Oùlemondefinit, onne saurait le comprendre ;maisqu'il y ait desmondesinfinisennombre,c'estévident.»

[Diog.X88-89]L'insuffisancedecetteconstructiondumondesauteraauxyeuxdechacun. Que le monde soit une complexion de la terre, desétoiles,etc.,nesignifierien,puisquecen'estqueplustardquelanaissancedelalune,etc.,seproduitetestexpliquée.Tout corps concret est une complexion en général, plus

précisément chez Epicure une complexion d'atomes. Ladéterminitédecettecomplexion,sadifférencespécifiquerésidedanssalimite,etc'estpourcelaqu'ilestsuperflu,unefoisquelemonde a été défini comme une section de l'infini, d'ajouterensuite la limite comme détermination plus précise, car unesection se sépare de l'autre et est une chose concrètementdifférente,donclimitéeàl'égardd'unAutre.Maisc'estjustementla limitequ'il fautalorsdéterminer, carunecomplexion limitéen'estpasencoreunmonde.Or,onlitcependantplusloinquelalimitepeutêtredéterminéedetouteslesmanièresqu’onvoudra,πανταχως[9] [Diog.X88],etàlafin,Epicureavouebeletbienqu’ilestimpossiblededéterminersadifférencespécifique,bien

141

Page 142: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

qu’onpuisseconcevoirqu’ilyenaune.Onsebornedoncàdirequelareprésentationduretourd’une

totalitédedifférencesdansuneunitéindéterminée,c’est-à-direlareprésentation « monde », existe dans la conscience, et qu’onpeutlatrouverdanslapenséecommune.Lalimite,ladifférencespécifique, et partant l’immanence ou la nécessité de cettereprésentation est donnée pour inconcevable ; que cettereprésentation soit là, on peut le concevoir, selon unetautologie[10], parcequ’elle est là.Cequidoit être expliqué, lacréation, lanaissanceet la réduction interned’unmondepar lapensée est donc donné pour inconcevable, et en guised’explication,onnouslivrel’être-làdecettereprésentationdanslaconscience[11].C’estlamêmechosequelorsqu’onditquel’existencedeDieu

peutêtreprouvée,maisquesadifferentiaspecifica,quidsit[12],lequoidesadéterminationestimpénétrable.QuandEpicuredit enoutreque la limitepeut êtrepenséede

n’importe quelle façon, que toute détermination,qu’habituellementnousdistinguonsd’aprèsunelimiteréelle,peutlui être attribuée, il est clair que la représentation « monde »n’estriend’autrequeleretouràuneunitésensibleindéterminée,donc déterminable de n’importe quelle manière, ou plusgénéralement, comme le monde est une représentationindéterminée de la conscience à moitié sentante et à moitiéréfléchissante, le monde est, dans cette conscience, composéavec toutes les autres représentations sensibles et limité parelles, sa déterminité ou sa limite est aussi diversifiée que cesreprésentations sensibles qui l’assiègent, chacune d’entre ellespeut être regardée comme sa limite et donc comme sa

142

Page 143: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

déterminationouexplication laplusprécise.C’est l’essencedetoutes les explications épicuriennes et c’est d’autant plusimportant que c’est l’essence de toutes les explications de laconscience productrice de représentations, prisonnière deprésuppositions.IlenestdemêmechezlesmodernesencequiconcerneDieu,

quand on lui attribue bonté, sagesse, etc. Chacune de cesreprésentations, qui sont déterminées, peut être considéréecommelalimitedelareprésentationindéterminée«Dieu»,quisetrouveentreelles.L’essencedecetteexplicationestdoncqu’unereprésentation,

qui doit être expliquée, est extraite de la conscience.L’explication ou la détermination plus précise consiste ensuitedans le fait que des représentations admises comme connues ettiréesdelamêmesphèresetiennentenrapportavecelle,etdoncqu’elle est en général, dans la conscience, dans une sphèredéterminée.Epicureavoue ici ledéfautde saphilosophie ainsiquedel’ensembledelaphilosophieantique:savoirqu’ilyadesreprésentationsdanslaconscience,maisignorerleurlimite,leurprincipe,leurnécessité.MaisEpicurenesecontentepasd’avoirdonnéleconceptde

sacréationdumonde:iljoueledramelui-même,ils’objectivecequ’ilafait,etcen’estqu’alorsquecommenceàproprementparlersacréation.On lit,eneffet,plus loin :« Il sepeutaussiqu’untelmondenaissedansunintermonde(ainsinommons-nousl’espace compris entre plusieurs mondes), dans un espacecomplètement vide, dans un grand vide transparent selon leprocessussuivant:dessemencesaptesàcettefonctionjaillissentd’un monde ou d’un intermonde, ou de plusieurs mondes et

143

Page 144: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

formentpeuàpeudesagglomérations,desarticulations,commecela se présente, et aussi transforment le lieu et reçoivent del’extérieurautantd’affluentsquelessubstratsquisontà labasepeuventsupporter lacomposition.Eneffet,quand,danslevide,unmondenaît, il ne suffit pasde la formationd’un amas ni decelled’untourbillon,nid’unaccroissementdecetasjusqu’àcequ’il entre en collision avec autre chose, comme le prétend undesphysiciens.Celacontrediteneffetlesphénomènes.»[Diog.X89-90]La première présupposition à la création du monde, ce sont

donc,ici,desmondes;lelieuoùcetévénementseproduitestlevide. Donc ce qui se trouvait plus haut dans le concept de lacréation (que ce qui doit être créé est présupposé) est icisubstantifié. La représentation, privée de sa détermination plusprécise et de son rapport aux autres, donc telle qu’elle estprésupposée en les attendant, est vide, ou, incarnée, unintermonde, un espace vide. Comment maintenant sadéterminations’yajoute,Epicurel’indiqueainsi:dessemencesappropriées à une création du monde se lient comme c’estnécessaire pour une création du monde, c’est-à-dire qu’aucunedétermination n’est donnée, aucune différence. Au total, nousn’avons encore une fois rien d’autre que l’atome et le κενόν(vide), quelle que soit la force avec laquelle Epicure résiste àcetteconclusion,etc.Aristote a déjà fait une critique profonde du caractère

superficieldecetteméthodequipartd’unprincipeabstraitsanslaisserceprincipesesupprimerdansdesformes(?)plushautes.Après avoir loué les pythagoriciens d’avoir été les premiers àlibérer les catégories de leurs substrats, à ne pas les avoir

144

Page 145: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

considérées comme une nature particulière, telles qu’elleséchoient au prédicat, mais à les avoir conçues comme unesubstanceimmanentemême:ότιτόπεπερασμένονκαίτόάπειρον[και τό έν]οὺχέτέρας τινάς ωήθησανείναιφύσεις,οίονπυ ρ ήγην ή τι τοιου τον έτερον, άλλ αύτό τό άπειρον και αύτό τό ένούσίαν είναι τούτων ων κατηγοροΰνται [Arist.met. 987 à 15sq.],illeurfaitcereproche:ώπρώτωύπάρξειενόλεχθείςόρος,του τ ’είναι τήνούσίαν του πράγματος ένόμιζον[13]. [Arist.Met987a23sq.]

[Laphilosophieépicurienneetlescepticisme]

Nous en venons maintenant au rapport de la philosophied’Epicureaveclescepticisme,danslamesureoùcerapportestfourniparSextusEmpiricus.Maisavant,ondoitciterencoreunedéterminationfondamentaled’Epicurelui-mêmetiréedulivreXde Diog. Laerte, lors de la description du sage : σοφόνδογματιειν τε καί ούν απορήσειν[14]. [Diog. X 121] Del’ensemble de l’exposé du système épicurien, où est donné sonrapport essentiel à la philosophie ancienne, on tire commedocuments importants son principe du pensable, ce qu’il dit ausujet du langage et sur l’origine des représentations ; cesdocumentscontiennentimplicitementsapositionparrapportauxsceptiques : Il est dans une certainemesure intéressant de voirquelleorigineSextusEmpiricusdonneàl’activitéphilosophiqued’Epicure:[ExtraitsdeSext.Emp.adv.dogm.IV18-19;Pyrrh.hyp.II23-25;adv.dogm.III64.71.58;adv.dogm.I267;adv.math.I49.54.272sq.;adv.dogm.I14-15.22]τήντρόςτούςάπότων μαθημάτων άντίρρησιν κοινότερον μέν διατεθεισθαι.

145

Page 146: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

δοκου σιν οί’τε περί τόν’Επίκουρον καί οί άπό του ΙΙύ ρρωνος,ούκάπότηςαύτήςδέδιαθέσεων,άλλ’οιμένπεριτόν’Επίκουρονώς των μαθημάτων μηδέν συνεργούντων πρός σοφίαςτελείωσιν[15]. (C’est-à-direque lesépicuriens tiennent lesavoirdeschoses,entantqu’unêtre-autredel’esprit,pourimpuissantàélever sa Realitas : les pyrrhoniens tiennent l’impuissance del’espritàcomprendreleschosespoursonfaitessentiel,poursaréelle énergie. C’est, même si les deux côtés apparaissentdégradés et non dans la fraîcheur philosophique antique, unrapportsemblablequeceluidesbigotsetdeskantiensdansleurpositionà l’égardde laphilosophie.Lespremiers renoncentausavoir par dévotion, c’est-à-dire qu’ils croient, avec lesépicuriens, que le divin en l’homme est le non-savoir, que cecaractèredivin,quiestparesse,estdérangépar leconcept.Leskantiens,parcontre,sontlesprêtresofficielsdunon-savoir,leurtâchequotidienneconsisteàégrenerunchapeletpourleurpropreimpuissanceetlapuissancedeschoses.Lesépicurienssontplusconséquents : si le non-savoir est le fait de l’esprit, le savoirn’est pas un surcroît de nature spirituelle, mais quelque chosed’indifférentàl’esprit;etledivinestpourceluiquinesaitpas,iln’estpaslemouvementdusavoir,maislaparesse.)ήώςτινεςείκάζουσι του το προκάλυμμα της έαυτων άπαιδευσίας είναινομίζοντες. έν πολλοις γάρ αμαθής’Επίκουρος ὲλέγχεται, ούδέένταιςκοιναιςόμιλίαιςκαθαρεύων[16] [Sext.Emp.adv.math. I1]Sextus Empiricus, après avoir fourni encore quelques

anecdotes qui prouvent clairement son embarras, établit de lafaçonsuivantecequiopposelapositiondessceptiquesàl’égarddelascienceàcelled’Epicure:οίδέάπόΙΙύρρωνοςού τεδιάτόμηδέν συνεργειν αύτά πρός σοφίαν, δογματικός γάρ ό λόγος,

146

Page 147: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

ού τεδιάτήνπροσου σαναὺτοιςάπαιδευσίαν…[άλλά] τοιου τόν τι έπί των μαθημάτων παθόντες, όποιονέφ’δληςέπαθοντήςφιλοσοφίας[17].[SextusEmp.adv.math.I5-6] (On voit ici comment il faut distinguer les μαθήματα et laφιλοσοφία [la science et la philosophie], et que le dédaind’Epicure pour les μαθήματα s’étend à ce que nous nommonsconnaissances ; on voit aussi la précision avec laquelle cetteassertio consentit [cette déclaration s’accorde] avec suosystematiomni[l’ensembledesonsystème].)

[ExtraitsdeSext.Empir,adv.math.I6]Dans les Hypotyposes de Pyrrhon, Livre I, chapitre XVII,

l’étiologie, qu’Epicure emploie particulièrement, est contreditede manière pertinente, mais du même coup ressort la propreimpuissance des sceptiques. τάχα δ’άν καί οί πέντε τρόποι τηςεποχης άπαρκου σι πρός τάς αίτιολογίας, ήτοι γάρ σύμφωνονπάσαις ταις κατά φιλοσοφία αίρέσεσι και τη σκέρσει καί τοιςφαινομένοις, αιτίαν έρει τις ή ού . καί σύμφωνονμέν ίσως ου κενδέχεται[18] [19]). [Sext. Emp.Pyrrh. hyp. I 185]. (En effet :fournir une raison qui ne soit absolument rien d’autre quephénomène est impossible parce que la raison est l’idéalité duphénomène,lephénomènesupprimé.Ilesttoutaussipeupossiblequ’une raison s’accorde avec le scepticisme parce que lescepticismeestcequi,parexcellence,contredittoutepensée,lasuppression de l’acte de déterminer comme tel. Le scepticismedevientnaïf quand il a rassemblé lesφαινόμενα (phénomènes),car le phénomène qu’il est est l’être-perdu, le non-être de lapensée:lescepticismeestcemêmenon-êtreentantqueréfléchien soi, mais le phénomène est en lui-même disparu, il n’est

147

Page 148: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

qu’apparence,lescepticismeestlephénomènequis’exprime,ildisparaîtavec ladisparitiondecelui-ci, iln’est luiaussiqu’unphénomène.) τά τε γάρ φαινόμενα καί τά άδηλα πάνταδιαπεφώνηται. εί δέ διαφωνει, άπαιτηθήσεται καί ταύτης τήναιτίαν.[20].[Sext.Emp.Pyrr.hyp.1185sq.](c'est-à-direquelesceptiqueveutuneraisonquinesoitelle-mêmequ'apparence,etqui, de ce fait, n'est pas une raison) και φαινομένην μένφαινομένής, ή άδηλο άδηλου λαμбάνων εις άπειρονὲκπεσειται[21] [Sext. Emp. Pyrr. hyp. I 186] (c'est-à-dire queparcequelesceptiqueneveutpassortirdel'apparenceetneveutpas l'affirmer comme telle, il ne sort pas de l'apparence, et cemouvement peut être répété à l'infini. Epicure veut à vrai direallerdel'atomeàd'autresdéterminations,mais,commeilrefusede laisser se défaire l'atome comme tel, il ne dépasse pas desdéterminations atomistiques extérieures à elles-mêmes etarbitraires ; le sceptique, par contre, accepte toutes lesdéterminations, mais dans la déterminité de l'apparence ; sonoccupation est donc tout aussi arbitraire et renferme partout lamême indigence. Sans doute il nage dans toute la richesse dumonde,mais il reste toujoursdans lamêmemisèreet ilest lui-même l'impuissance incarnée qu'il voit dans les choses[22].Epicurevidedeprimeabordlemonde,maisiltermineainsidansl'absence totale de détermination, le vide qui repose en soi, ledieuotiosus)ίστάμενοςδέπου,ήόσονὲπίτοιςείρημένοιςλέξειτήναίτίανσυνεστάναι,καίείσάγειτόπρόςτι,άναιρωντόπρόςτήν φύσιν (c'est justement en ce qui concerne l'apparence, lephénomène, que le πρός τι, est le πρός τήν φύσιν, ή έξύποθέσεώς τι λαμбάνων έπισχεθήσεται[23]. [Sext. Emp. Pyrrh.hyp. I 186]. Si pour les philosophes antiques, lesmétéores, leciel visible sont le symbole et l’intuition de leur trouble

148

Page 149: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

substantiel,sibienquemêmeunAristoteprendlesétoilespourdesdieux,oulesplacedumoinsdansuneconjonctionimmédiateavec la plus haute énergie, c’est leciel écrit, lemot scelléduDieuqui s’estmanifesté à lui-mêmedans le coursde l’histoiremondiale,qui joue le rôledemotd’ordrepour lecombatde laphilosophie chrétienne. La présupposition des anciens estl’actiondelanature,celledesmodernesl’actiondel’esprit.Lecombatdesanciensnepouvaitquefiniravecladestruction

du ciel visible, du ruban substantiel de la vie, de la force degravitation propre à l’existence politique et religieuse, car lanaturedoitêtrecasséeendeuxpourquel’esprits’unifieenlui-même. Les Grecs la brisèrent avec l’ingénieux marteaud’Héphaïstos,etlafirent,souslescoups,éclaterenstatues.LesRomains plongèrent leur glaive dans son cœur, et les peuplespérirent;maisc’estlaphilosophiemodernequidescellelemot,le fait s’évanouir en fuméedans le feu sacré de l’esprit ; c’estcomme combattant de l’esprit avec l’esprit, non comme unapostat isolé déchu de la gravitation de la nature qu’elle a uneactionuniverselleetqu’elle fond les formesquine laissentpasressortirl’universel.

[L’absencedecompréhensiondePlutarqueàl’égardd’Epicure]

IlvasansdirequedutraitédePlutarquequenousexaminons,iln’yaquepeudechosesutilisables.Ilsuffitdelirel’introduction,sa balourde vantardise et sa grossière interprétation de laphilosophie d’Epicure pour ne plus garder aucun doute sur latotale impuissance de Plutarque en ce qui concerne la critique

149

Page 150: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

philosophique. [Extraits dePlutarque,de eo quod1087 sq.]. IlestclairquePlutarquenecomprendpaslalogiqued’Epicure.Laplusgrandevoluptas(jouissance)estpourEpicurelalibérationàl’égarddeladouleur,deladifférence,demêmequel’absencedeprésupposition;lecorpsquin’enprésupposeaucunautredanslasensation, qui ne ressent pas cette différence, est sain, positif.Cette position, qui reçoit sa forme la plus haute dans le Dieuotiosus d’Epicure, existe d’elle-même dans la maladie quipersiste, dans lamesure où lamaladie, quand elle dure, cessed’être un état pour devenir en quelque sorte familière etparticulière. Nous avons vu dans la philosophie de la natured’Epicurequ’ilaspireàcetteabsencedeprésupposition,àcettemise à l’écart de la différence, aussi bien en théorie qu'enpratique[24].Lesouverainbiend’Epicureestὰταραξία(reposdel’âme), car l’esprit dont il s’agit est l’esprit empiriquementsingulier. Plutarque ressasse des lieux communs, il raisonnecommeunapprenti.

[Leconceptdesagedanslaphilosophiegrecque]

Nous pouvons parler par parenthèse de la détermination duσοφός (sage), parce qu’elle est régulièrement l’objet desphilosophiesépicurienne,stoïcienneetsceptique.Decetexamen,il résultera que le sage trouve sa place la plus logique dans laphilosophieatomistiqued’Epicureetquec’estaussidecepointdevueque ledéclinde laphilosophieantiqueseprésentechezEpicuredansuneobjectivationplustotale.Lesage,οσοφός,doitêtreconçudanslaphilosophieantique

d’après deux déterminations, mais qui ont toutes les deux une

150

Page 151: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

seuleetmêmeracine.Ce qui apparaît théoriquement dans la considération de la

matière apparaît pratiquement dans la détermination du σοφός.La philosophie grecque commence avec sept sages parmilesquelssetrouvelephilosopheionienThalès,etellesetermineaveclatentativedefaireleportraitconceptueldusage.Ledébutetlafinsontdéfinispardessages,maislecentre,lemilieuaussiest un σοφός : Socrate. Ce n'est pas un fait exotérique que laphilosophiesemeuveautourdecesindividussubstantiels;celal'estaussipeuquelefaitquelaGrèces'écroulepolitiquementàl'époqueoùAlexandreperdsasagessedansBabylone.Commelaviegrecqueetl'espritgrecpossèdentdansleurâme

la substance qui apparaît en eux pour la première fois commesubstance libre, le savoir de cette substance tombe dans desexistences indépendantes, dans des individus, qui en tantqu'hommes remarquables se tiennent en face des autres et leursont extérieurs,dont le savoir,d'autrepart, est lavie intérieurede la substance et donc une vie intérieure aux conditions de laréalité effective qui les entoure. Le philosophe grec est undémiurge,sonmondeestunautremondequeceluiquifleuritsouslesoleilnatureldusubstantiel.Les premiers sages ne sont que les réceptacles, les Pythies,

d'oùlasubstancefaitentendresavoixdansdescommandementsuniverselsetsimples ; leur langagen'estencorequeceluide lasubstancequis'estmiseàparler,lespuissancessimplesdelavieéthiquequisemanifestent.Ilsnesontdoncquepourunepartdescontremaîtresactifsdelaviepolitique,deslégislateurs.Lesphilosophesioniensdelanaturesontdesphénomènestout

aussiisolésqueceuxdesformesdel'élémentdelanature,sous

151

Page 152: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

lesquellesilscherchentàconcevoirletout.Lespythagoriciensseformentunevieintérieuredansl'Etat;laformedanslaquelleilsréalisent leur savoir de la substance se tient à mi-distance del'isolement total et conscient (que l'on ne trouve pas chez lesioniens,dontl'isolementestplutôtl'isolementirréfléchi,naïf,desexistencesélémentaires), etde laviepleinedeconfiancequ'ilsmènent dans la réalité éthique. La forme de la vie despythagoriciens est elle-même la forme substantielle, politique,priseseulementdansl'abstrait,portéeàunminimumd'extensionetdefondementsnaturels,demêmequeleurprincipe,lenombre,se tient à mi-chemin entre le sensible coloré et l'idéel. LesEléates,quiontlespremiersdécouvertlesformesidéalesdelasubstance, qui eux-mêmes conçoivent d’une manière purementintérieure,abstraite, intensive, l’intérioritéde lasubstance,sontles annonciateurs inspirés par le Pathos et prophétiques del’aurore qui se lève. Plongés dans la lumière simple, ils sedétournent à contrecœur du peuple et des anciens dieux.Mais,avec Anaxagore, c’est le peuple lui-même qui se détourne dudieuancienpourseportercontrelesageindividueletl’expliquecomme tel en l’excluant de lui. On a récemment reproché undualisme àAnaxagore (voir par exempleRitter,Histoire de laphilosophie antique, premier volume). Aristote dit dans lepremierlivredesaMétaphysiquequ’ilsesertduνου ς (facultéde la connaissance immédiate) comme d’une machine et qu’iln’en fait usage que là où les explications naturelles lui fontdéfaut. Mais, d’une part, cette apparence de dualisme estl’éléments dualiste en lui-même qui commence, à l’époqued’Anaxagore,àscinderlecœurleplusintimedel’Etat,d’autrepart ildoitêtrecomprisdemanièreplusprofonde ; leνου ς estchezAnaxagore actif et n’est employé que là où la déterminité

152

Page 153: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

naturelle n’existe pas. Il est lui-même lenon-ens (non-être) dunaturel, l’idéalité.Mais en outre, l’activité de cette idéalité necommencequelàoùfaitdéfautauphilosopheleregardphysique.Leνου ςestlepropreνου ςduphilosopheetils’installeaupointprécis où ce dernier ne sait plus objectiver son activité. Aveccela, le νου ς apparut comme le noyau de la philosophie del’escolier errant ; il apparaît dans sapuissance comme idéalitéde la détermination réelle, d’un côté avec les sophistes, del’autreavecSocrate.Si les premiers sages grecs sont le propre spiritus de la

substance,sonsavoirincarné,sileursparolessetiennentdanslamême intensité pure que la substance elle-même, si, à mesureque,par la suite, la substanceestdeplusenplus idéalisée, lessupportsdesonprogrèsfontprévaloirunevieidéelledansleurréalitéparticulièrecontrelaréalitédelasubstancequiapparaîtetdelavéritableviepopulaire,l’idéalitéelle-mêmen’estencoreque dans la forme de la substance. On ne secoue pas lespuissances vivantes ; les plus idéels de cette période, lesPythagoriciensetlesEléates,glorifientlaviepubliqueetenfontlavéritableRaison;leursprincipessontobjectifsetconstituentune puissance qui les envahit eux-mêmes, qu’ils révèlent dansdesdemi-mystères,souslecoupdel’inspirationpoétique,c’est-à-dire dans la forme qui transforme l’énergie naturelle, ne ladétruitpas,maisl’élaboreetlaisseletoutdansladéterminationdunaturel.Cetteincarnationdelasubstanceidéaleadvientdansles philosophes eux-mêmes qui la révèlent, non seulement sonexpressionest leplastique-pratique,saréalitéest leurpersonneet leur propre apparition, mais eux-mêmes sont les imagesvivantes, lesœuvresd’artvivantesque lepeuplevoit sortirdelui-mêmedansladimensionplastique;làoùleuractivité,comme

153

Page 154: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

chezlespremierssages,constituel’universel,leursparolessontlasubstancequipossèdelavéritablevaleur:deslois.Ces sages sontdoncaussipeupopulairesque les statuesdes

dieuxolympiens.Leurmouvementestlereposensoi-même;ilsse rapportent au peuple dans la même objectivité qu’à lasubstance.Lesoraclesdel’ApollondeDelphesnefurentvéritédivinepourlepeuple,nefurentdrapésdansleclair-obscurd’unepuissance inconnuequ’aussi longtempsque laproprepuissancemanifestedel’espritgrecretentitdutrépiedpythique;lepeuplene se rapporta théoriquement à eux qu’aussi longtemps qu’ilsfurent laproprethéoriedupeuplequis’exprimait ; ilsnefurentpopulaires qu’aussi longtemps qu’ils furent impopulaires. Demême ces sages. Mais avec les sophistes et Socrate (dans lalignedelaδύναμις[puissance]qu’ontrouvechezAnaxagore),lasituationse renverse.C’estmaintenant l’idéalitéelle-mêmequi,dans sa forme immédiate, l’espritsubjectif,devient le principedelaphilosophie.Si,chezlesanciensGrecs,laformeidéaledela substance, son identité, se manifestait en s’opposant auvêtement bariolé de sa réalité phénoménale, vêtement fait dedifférentesindividualitésnationales,sidecefaitcessagesd’uncôté ne saisissent l’absolu que dans les déterminationsontologiques les plus unilatérales et les plus universelles, d’unautre côté représentent eux-mêmes l’apparition de la substanceferméesurelle-mêmedanslaréalitéeffectiveensoi,etainsi,secomportant de manière exclusive à l’égard des πολλοί (lamultitude), étant lemystère parlant de leur esprit, sont, d’autrepart,telslesdieuxplastiquessurlesplacespubliquesdansleurêtre-retourné-en-soipleinde sérénité, lespropresornementsdupeuple, et lui reviennent dans leur singularité, maintenant parcontre, c’est l’idéalité elle-même, la pure abstraction devenue

154

Page 155: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

poursoi,quifaitfaceàlasubstance;elleestlasubjectivitéquisedonnepourleprincipedelaphilosophie.C’estparcequ’elleestimpopulaire,cettesubjectivité,tournéecontrelespuissancessubstantiellesdelaviepopulaire,qu’elleestpopulaire:ellesetourne vers l’extérieur contre la réalité, est pratiquementempêtrée dans celle-ci, et son existence est lemouvement.Cesréceptaclesmouvantsdudéveloppementsontlessophistes.Leurfigure la plus intime, épurée des scories immédiates duphénomène, est Socrate, que l’oracle de Delphes appelle leσοφώτατον(leplussage).Tandisquesapropreidéalitésetientenfacedelasubstance,

celle-ciesttombéedansunemassed’existencesetd’institutionsaccidentellesetbornées,dontledroit(l’unité,l’identitas), s’estenfuienfaced’elledanslesespritssubjectifs.L’espritsubjectiflui-mêmeestainsileréceptacledelasubstance,mais,dufaitquecetteidéalitésetientenfacedelaréalitéeffective,elleestdanslestêtes,objectivementcommeundevoir,subjectivementcommeune aspiration. L’expression de cet esprit subjectif qui saitposséderen lui-même l’idéalitéest le jugementduconcept,quipossède,commemesuredusingulier, ledéterminé-en-lui-même,lebut,lebien,lequeln’estcependanticiencorequ’undevoirdela réalité effective. Ce devoir de la réalité est aussi bien undevoirdusujetquiaprisconsciencedecette idéalité,car ilsetientlui-mêmedanslaréalité,etlaréalitéendehorsdelui,c’estl’être.Lapositiondecesujetestdoncaussidéterminéequesondestin.D’abord, le fait que cette idéalité de la substance soit venue

dans l’esprit subjectif,qu’elle soit tombéehorsde la substancemême constitue un saut, une chute hors de la vie substantielle

155

Page 156: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

ayantsesconditionsàl'intérieurdecettevie.C'estpourcelaquecettedéterminationquiestlasienneestpourlesujetlui-mêmeunévénement, une puissance étrangère, dont il se retrouve leporteur : leδαιμόνιονdeSocrate.Leδαιμόνιον est l'apparitionimmédiatedecefaitquepourlaviegrecque,laphilosophieestaussibienunechosepurement intérieurequ'unechosepurementextérieure.Ladéterminationduδαιμόνιονdéfinitlesujetdanssasingularité empirique, parce que ce sujet est, à l'intérieur de lavie substantielle (donc conditionnée par la nature), la rupturenaturelleaveccettevie ;eneffet, leδαιμόνιον apparaît commeunedéterminationdelanature.Lessophistessonteux-mêmescesdémonsquine se séparentpasencorede leuraction.Socrateaconsciencedeporterleδαιμόνιονenlui.Socrateestlamanièresubstantielle qu'a la substance de se perdre elle-même dans lesujet.Ilestdoncunindividuaussisubstantielquelesphilosophesplus anciens, mais dans le mode de la subjectivité, non pas,fermé sur lui-même, une image des dieux, mais une imagehumaine,nonpasmystérieux,maisclairetlumineux,nonpasunvoyant,maisunhommeaffable.

Voici ensuite la seconde détermination : ce sujet porte unjugement selon le devoir, le but. La substance a perdu sonidéalité,partiedansl'espritsubjectif;celui-ciestdoncdevenuladéterminationensoi-mêmedecettesubstance,sonprédicat ;auregard de cet esprit, la substance elle-même a sombré jusqu'àdevenir une liaison d'existences indépendantes, liaisonimmédiate,injustifiée,quiseborneàêtre.L'actedéterminantduprédicat, parce qu'il se rapporte à un étant, est donc lui-mêmeimmédiat;commecetétantestl'espritpopulairevivant,cetacte

156

Page 157: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

estdéterminationpratiquedesespritssinguliers,ilestéducationet enseignement. Le devoir de la substantialité est la propredéterminationdel'espritsubjectifquil'exprime.Lebutdumondeestainsileproprebutdel'espritsubjectif, l'enseignementdecebutestsamission.L'espritsubjectifprésentedoncensoi-mêmelebut,lebien,aussibiendanssaviequedanssonenseignement.Ilestlesageentrédanslemouvementpratique.Mais,pourfinir,tandisquecetindividuportesurlemondele

jugementduconcept, ilest lui-mêmediviséetcondamné,car ils’enracinepourunepartlui-mêmedanslesubstantiel,ledroitdesonexistencesetrouvedansledroitdesonEtat,desareligion,bref de toutes les conditions substantielles, qui apparaissent enluicommesanature.D’unautrecôté,ilpossèdeenlui-mêmelebutquiestjugede

lasubstantialitéenquestion.Sapropresubstantialitéestdoncenlui-mêmecondamnée,etilpérit,justementparcequelelieudesanaissanceestl’espritsubstantieletnonl’espritlibrequisupportetouteslescontradictionsetenestvainqueur,quin’aàreconnaîtrecommetelleaucunedesconditionsdelanature.Si Socrate a une telle importance, c’est parce qu’en lui se

présententeneux-mêmeslerapportdelaphilosophiegrecqueàl’espritgrecetdonclalimiteinternedecettephilosophie.Quandona récemment comparé à ce rapport le rapport à laviede laphilosophie hégélienne et qu’on en a pris prétexte pourcondamner cette dernière, il va de soi que cela était insensé.C’est justement le mal spécifique de la philosophie grecqued’être liéeàunespritquin’estquesubstantiel.Denotre temps,lesdeuxtermessontespritetveulenttouslesdeuxêtrereconnuscommetels.

157

Page 158: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Lasubjectivitéressortdanssonsupportimmédiatcommeétantsavieetsonactionpratique,commeuneformation(Bildung)parlaquelleilséparelesindividussinguliersdesdéterminitésdelasubstantialitépourlesconduireàladéterminationensoi-même;déduction faite de cette activité pratique, sa philosophie n’ad’autre contenu que la détermination abstraite du bien. Saphilosophie consiste dans son rôle de tremplin qui, desreprésentations etdesdifférences substantielles, etc.,mèneà ladétermination-en-soi-même, mais elle n’a d’autre contenu qued’être le réceptacle de cette réflexion dissolvante ; saphilosophie est donc essentiellement sa propre sagesse, sonpropreêtre-bon;enrapportaumonde, leseulaccomplissementdesonenseignementdubienestunetouteautresubjectivitéquelorsque Kant met en place son impératif catégorique. Il estindifférent pour celui-ci que ce support se rapporte à cetimpératifentantquesujetempirique[25].Lemouvement devient chez Platon unmouvement idéel ; de

même que Socrate est l'image du monde et son professeur, demêmelesidéesdePlaton,sonabstractionphilosophiquesontlesarchétypesdecemonde.Dans Platon, cette détermination abstraite du bien, du but,

éclate en une philosophie extensive, enveloppant lemonde. Lebut, en tant que détermination en soi et le véritable vouloir duphilosopheestlapensée,etlesdéterminationsréellesdecebiensontlespenséesimmanentes.Levéritablevouloirduphilosophe,l'idéalité active en lui est le véritable devoir du monde réel(real).TelleestlaconceptionquesefaitPlatondesonrapportàlaréalitéeffective:unroyaumedesidéesindépendantplaneau-dessus de la réalité (cet au-delà est la propre subjectivité du

158

Page 159: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

philosophe) et se réfléchit, obscurci, en elle. Si Socrate n'adécouvertquelenomdel'idéalitéquiestpasséedelasubstancedanslesujet,silui-mêmeestencorecemouvementaccompagnéde conscience, le monde substantial de la réalité entremaintenant, réellement idéalisé, dans la conscience de Platon,mais ainsi l'articulation interne de ce monde idéal est aussisimplequecelledumondevraimentsubstantialquiluifaitface;àcesujet,Aristotefaitcetteremarquetrèsjuste:σχεδόνγάρίσαή,ούκέλάττωτάείὸη,έστίτούτωνπερίωνζητου ντεςτάςαίτίαςέκ τούτωνέπ'έκειναπροηλθον[26]. [Arist.met. 990 b 4 sq.] Ladéterminitédecemondeetsonarticulationensoisontdoncpourle philosophe lui-mêmeun au-delà, lemouvement est tombé endehorsdecemonde.καίτοιτωνειδωνόντωνόμωςούγίγνεταιτάμετέχοντα, άνμή ή τόκινησον[27] [Arist.met. 991 b 5 sq.]Lephilosopheentantquetel,c'est-à-direentantqu'ilestlesageetnon le mouvement de l'esprit véritable en général, est ainsi lavéritétranscendantedumondesubstantialquisetientenfacedelui.Platonlerévèledéjàdelamanièrelaplusnettequandilditqu'ilfaudraitquelesphilosophesdeviennentroisouquelesroisdeviennentphilosophespourquel'Etatatteignesadétermination.Danssaproprepositionàl'égardd'untyran,unetelletentativeaétéfaitedesoncôté.Lasituationparticulièrelaplushautedesonétat est encore celle de ceux qui savent. Je veux encorementionner deux remarques que fait Aristote, parce qu'ellesdonnent,ausujetdelafiguredelaconscienceplatonicienne,leséclaircissements les plus importants et s'accordent avec le côtéd'aprèslequelnouslaconsidérons,enrapportauτοφος.Aristotedit dePlaton : εν δέ τωΦαίδωνι ού τωςλέγεται,ώς

και τού είναι και του γίγνεσθαι αίτια τά είδη έστίν[28]. [Arist.

159

Page 160: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Met.991b4sq.]Cenesontpasseulementcertainsétants,c'estlasphèredel'êtrequePlatonveuttransférerdansl'idéalité:cetteidéalitéestunroyaumefermé,différenciéspécifiquementdanslaconscience philosophante elle-même : c'est parce qu'il est telqu'illuimanquelemouvement.Cette contradiction inhérente à la conscience philosophante

doit s'objectiver pour cette conscience elle-même, doit êtreexpulséeparelle. έτιούμόνοντωναίσθητωνπαραδείγματατάείδη,άλλάκαίαύτωντωνιδεων,οίοντόγένος,ωςγένοςειδων,ώστετόαύτόέσταιπαράδειγμακαιείκών[29].[Arist.met.991a29—b1].

[ExtraitsdeLucrèceI—736à740][Lesdéterminationsessentiellesdelaphilosophieépicurienne]

Sont essentiels pour définir la philosophie épicurienne de lanature:1)L’éternitédelamatière,quiestliéeaufaitqueletempsest

considéré comme l’accident des accidents, comme appartenantseulementauxcompositionsetà leurseffetsfortuits,etestdoncévacuéhorsduprincipematériel,horsdel’atomelui-même.Celas’accorde en outre avec le fait que la substance, dans laphilosophie d’Epicure, est ce qui opère une réflexion purementextérieure,qu’elleestl’absencedeprésupposition,l’arbitraireetfortuite.Le temps est plutôt le sort de lanature, du fini; l’uniténégativeavecsoiestsanécessitéinterne.2)Levide,lanégation,n’estpaslenégatifdelamatièreelle-

160

Page 161: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

même,mais il est là où lamatièren’est pas.Cettenégation estdoncaussi,souscerapport,enelle-mêmeéternelle.Lafigurequenousvoyonsressortirenfindulaboratoiredela

conscience gréco-philosophique, issue de l’obscurité del’abstraction, drapée dans son costume sombre, c’est la figuredanslaquellelaphilosophiegrecquemarchevivantesurlascènedu monde, la même figure qui, jusque dans le foyer brûlant,voyaitdesdieux, lamêmequibut lacoupedepoison, lamêmequi,devenueledieud’Aristote,jouitdelaplushautefélicité,delaThéorie[contemplation].

1. ↑.Connaissance.2. ↑.L'ataraxie (absencede trouble) et une solide confiance intérieure, demême

quepourtoutlereste.3. ↑. Il s'agit en effet de réduire à l'impuissance les corps célestes, considérés, à

l'inverse du monde terrestre, comme l'ennemi de l'homme. Ce texte montreformellementque lemonded'Epicureest laprojectionde saconscience.Moinsqu'un matérialisme théorique, sa philosophie est une éthique purificatrice,dégageantlaconsciencedesagangued'illusions.

4. ↑.Carpourcequiestdelasciencedelanaturedanssaspécificité,onnedoitpass’enteniràdesrèglesetàdesnotionscommunesvides;ondoitaucontraires’accommoder des exigences des phénomènes eux-mêmes… afin que nouspuissionsvivrehorsdutrouble.

5. ↑.Touts’effectuesanssecousse,mêmesitoutdoitêtrepurifiéparl’explicationde multiples manières, en accord avec les phénomènes ; on le voit quand onadmet,commeilconvient,cequiestditdeconvaincantà leursujet ;maissionadmet une explication, mais qu’on en rejette une autre, alors que les deuxs’accordent également avec les phénomènes, il est évident qu’on quitte le solentierdelasciencedelanaturepourtomberdanslepaysdumythe.

6. ↑ . Certains des phénomènes, observables d’après leur marche réelle, qui seproduisentparminouscontiennentdessignesquiexpliquent lesphénomènesquis’accomplissent dans les météores ; en effet, comme ceux des météores, ilspeuvent se produire demultiplesmanières ;mais il faut bien observer lemoded’apparition de chacun et distinguer des phénomènes connexes ceux dont lesphénomènesquisedéroulentcheznousnecontredisentpasqu’ilssedéroulentdemultiplesmanières.

7. ↑.Etrecontredit.

161

Page 162: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

8. ↑.Lesâmessontimmortelles,contreEpicure,remarquesdePierreGassendisurle livre 10 de Diogene Laerte... Dieu est l'auteur du monde, contre Epicure...DieusesouciedesHommes,contreEpicure.

9. ↑.Toutefois10. ↑.Latautologieesticiunedéfinitioncirculaire.11. ↑.Lemonden’estpasunereprésentationparmid’autres.Ilestlareprésentation

delatotalitéduphénomèneetappellecettetotalitéàsesupprimerdanslasphèrede l’essence : il clôture la sphère du phénomène.Marxmontre que lemonde,chezEpicure, n’est fondé par rien d’autre que par lui, qu’il est à la fois ce quifondeetcequiestfondé.MaisEpicurerefusedesortirdelasphèreatomistiqueetacceptetellequellelacontradiction.

12. ↑.Différencespécifique,marquedistinctivedesonêtre.13. ↑ . Ils croyaient que le limité et l’illimité (et l’un) n’étaient pas des natures

différentes, comme le feu, la terre ou toute autre chose différente, mais quel’illimitélui-mêmeetl’Unlui-mêmeétaientl’essencedecedontilssedisaient…:ils tenaient pour l’essence de la chose la première chose dans laquelle ladéfinitionenquestionserencontrait.

14. ↑.Lesagesecomporteradogmatiquementetnonaporétiquement.15. ↑.Laréfutationdeceuxquis’occupentdessciencessembleavoirétéexposée

assez souvent par les adeptes d’Epicure comme par les disciples de Pyrrhon,maisnonàpartirdumêmesystème.Lesépicurienscondamnentlessciencesendisantqu’ellesnecontribuentenrienàl’accomplissementdelasagesse.

16. ↑ . Certains conjecturent aussi qu’ils pensaient que cette théorie voilerait leurpropre manque de culture ; sur de nombreux sujets en effet, Epicure estconvaincud’ignorance,et,mêmedanslesconversationsdetouslesjours,ilfaisaitdesfautesdelangage.

17. ↑.Maissilessceptiquescondamnentlessciences,cen’estpasparcequ’ellesnecontribuentenrienàlasagesse,carcettepropositionseraitdogmatique;cen’estpas non plus parce qu’ils n’ont pas de culture…, (mais) c’est parce qu’ilséprouvent les mêmes sentiments à l’égard des sciences qu’à l’égard de laphilosophietoutentière.

18. ↑.Maispeut-êtrelescinqmanièresdesuspendresonjugementsuffisent-ellesàréfuter la recherche des raisons. En effet, ou bien on expose une raison quis’accordeavectouteslesmanièresdepenserquisetrouventdanslaphilosophie,avec le scepticisme et avec le phénomène, ou bien on ne le fait pas.Or, il estpeut-êtreimpossibledefournirunetelleraison.

19. ↑. Lemot allemandGrund a une résonance différente dumot grecὰιτιά quiveutdirelacauseouvrière,lemotif.Grundcomporteenmêmetempsl’idéedeprofondeur:ildésignecequifonde,cequiestaufond.ChezLeibnizcettenotionesttraduiteparl’idéede«raison».Leprincipederaisonestleprincipedecequifonde. Il y a donc une équivoque dans la traduction de ὰιτιά parGrund. Letermeleibnizienrendunpeucomptedecetteéquivoque.

162

Page 163: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

20. ↑.Car la contradiction règne aussibien sur lesphénomènesque sur toutes leschosesquin’apparaissentpas.Mais s’il (l’étiologue)est encontradiction,on luidemanderaderendreraisonégalementdecelle-ci(cetteraison).

21. ↑.Et sitôt qu'il (l'étiologue) admettra une raisonde l'ordre du phénomènepourexpliquerunphénomène,ouune raison invisiblepourunechose invisible, il serarenvoyéàl'infini.

22. ↑.Cettecritiqueduscepticismecontientenmêmetempscelledetoutempirisme.Le scepticisme, comme l'empirisme, est le refus de sortir de la sphère duphénomène, le refus de la « systématicité des essences » dont parleAlthusser.Mais dans ce texte hégélien, l'essence ou fondement est l'être-supprimé duphénomène, tandis que, pour le matérialisme dialectique développé, il y aindépendance relative des deux processus, et distorsion entre les deuxtemporalités.

23. ↑.Sitôtqu'il(l'étiologue)s'arrêtequelquepart,ildevradire,seloncequiaétédit,silaraisonaétéinstituée,etildiraàl'égarddequoi,supprimantl'enrapportàlanature,oubien,s'iladmetquelquechoseparprésupposition,nousl'arrêterons.

24. ↑ . Le sage fait abstraction de la différence. Il la gomme sans la supprimereffectivement. Il change son attitude à l’égard de lamaladie et non lamaladieelle-même,sesdésirsetnonl’ordredumonde.L’ataraxieest,àl’imagedecettephilosophie,unmotnégatif:ildésignel’absencedetrouble.(ταφαττεσθαι:êtretroublé.)

25. ↑ . Ce long texte définit bien les deux moments de la substance et de lasubjectivité,etleprocessusd'appropriationdel'idéalitéparlesujet,processusquifait tomber ce sujet dans une opposition à la substance privée de sens. Si laGrèce connaissait l'identité abstraite substance-sujet, c'est que le sujetproprement dit n'avait pas surgi.La naissance de ce sujet est la blessure de lanature.Laphilosophiemodernesemesure,àl'imaged'Epicure,aumondedevenuirrationnel,elledésirereconquérirl'identité,supprimerladimensiondel'objectivité,l'aliénation.Maislasubjectivitéréclameunephilosophiequimettel'accentsurlesupport(Träger)de l'idéalité,danssonexistence(Existenz),et nonun systèmequi gomme ce support au profit du seul développement idéel, comme celui deHegel. Gommer la dimension du sujet individuel, c'est déjà avoir identifiésubstance et sujet en faisant de l'idéel une substance, c'est-à-dire s'êtredonnélerésultatauquelonvoulaitparvenir.

26. ↑.Carlesformessontpresquesemblables,etpresqueaussinombreusesqueleschoses dont partent ces penseurs, en quête de leur origine, pour atteindre lesformes.

27. ↑ .Mais quand bienmême il y aurait des formes, ce n'est pas pour cela qu'ilpourrait naître aucune chose qui participe d'elles, à moins qu'il n'existe autrechosequiengendrelemouvement.

28. ↑.DanslePhédon,onparlecommesilesformesétaientl'origineaussibiendel'êtrequedelagénération.

163

Page 164: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

29. ↑.Enoutre,lesformesdevraientêtrenonseulementdesparadigmesdesobjetsdes sens, mais aussi des paradigmes d’elles-mêmes— par exemple, le genrecommegenredeformes—sibienqu’uneseuleetmêmechoseseraità la foismodèleetcopie.

164

Page 165: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

PHILOSOPHIEÉPICURIENNE.TROISIÈME

CAHIER.

Berlin,semestred’été1839.

[CritiquedelapolémiquedePlutarquecontreEpicure]

[L’ataraxie]

[Extraits de Plut, de eo quod 1088,4] Ici aussi, Plutarque necomprend pas la logique d’Epicure ; le fait qu’il regrettel’absenced’unetransitionspécifiquedelavoluptascorporisadvoluptatemanimi[1]esttoujoursimportantetdoitêtredéterminédemanièreplusprécise, commecela seprésente chezEpicure.[ExtraitsdePlutarque,deeoquod1088à1089]C’estuneremarqueimportantepourladialectiqueépicurienne

du plaisir, bien que Plutarque en fasse une mauvaise critique.D’aprèsEpicure, le sage lui-même est dans l’état vacillant qui

165

Page 166: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

apparaît comme la définition du plaisir (ήδονή) ; le pur repos(μοκοριότης) du néant en soi, l’évacuation complète de toutedétermination, est Dieu lui-même ; voilà pourquoi, comme lesage,iln’habitepasluinonplusàl’intérieur,maisàl’extérieurdumonde.

[ExtraitsdePlut,deeoquod1089]QuandPlutarqueobjecteàEpicurequ’àcausedelapossibilité

de la douleur, la liberté dansun état présent debonne santé nesauraitexister,d’abordl’espritépicurienn’estpasunespritquis’encombredetellespossibilités,maisaucontraire,c’estparceque la relativité absolue, la fortuite de la relation en soi n’estqu’absence de relation que le sage épicurien prend son étatcommedépourvude relation,etc’estdanscettemesurequecetétatestpourluiunétatsûr.Letempsn’est,eneffet,pourlui,quel’accident des accidents, comment son ombre pourrait-ellepénétrerdans lasolidephalangede l’άταραξία?Maisquand ilprésuppose comme sain la présupposition la plus proche del’esprit individuel, le corps, cela revient à ramener dans laproximité de l’esprit l’absence de présupposition, sa natureinnée,c’est-à-direuncorpssain,etnonouvertversl’extérieuretsoumisàladifférence.Lorsque,dansladouleur,cettenaturequiest la sienne luiapparaît comme lesproduits imaginaireset lesespérances d’états isolés, dans lesquels cet état caractéristiquede son esprit se manifestait, cela veut simplement dire quel’individu comme tel contemple sa subjectivité idéale d’unemanière individuelle,etc’estuneremarqueparfaitementexacte.D’aprèsEpicure, l’objectiondePlutarqueseramèneàceci : lalibertédel’espritdansuncorpssainn’existepas,parcequ’elle

166

Page 167: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

existe ; car s’il est superflu d’exclure la possibilité, c’estjustement parce que la réalité effective n’est déterminée quecommepossibilité,commehasard.Siparcontre,onconsidèrelachosedans sonuniversalité, c’est justement de la part de l’étatvéritable,positifetspirituel,abandonnerl’universalitéquedeselaisser assombrir par des singularités fortuites ; cela revient àpenser auxmixtures singulières quand on se trouve dans le puréther, à l’haleine de plantes vénéneuses, à la respiration debestioles, cela revient à ne pas vivre parce qu’on peutmourir,etc., cela revient à ne pas s’accorder la jouissance del’universalitépourretomberhorsd’elledanslessingularités.Untelespritnefréquentequeleminuscule,ilesttellementprévoyantqu’ilnevoitrien.Si, enfin,Plutarqueveutdirequ’ondevrait avoir le soucide

conserver la santé du corps, Epicure dit aussi cette trivialité,maisplusgénialement:celuiquiressentl’étatuniverselcommel’étatvéritable,veilleplusquetoutautreàleconserver.Telestle sens commun. Il croit pouvoir présenter auxphilosophes sesniaiseriesetseslieuxcommunscommeuneterraincognita[2]. Ilcroit,quand ilnous lanceà la têtedescoquillesd’œuf, êtreunColomb. Epicure a raison d’une manière générale, abstractionfaite de son système (car celui-ci est son summun jus[3]),lorsqu’ilditquelesageconsidèrelamaladiecommeunnon-être,maisquel’apparencedisparaît.Sidoncilestmalade,samaladieestpourluiuneapparenceévanescentequinesauraitdurer;s’ilest en bonne santé, dans son existence essentielle, l’apparencen’existe plus et il a autre chose à faire que penser qu’ellepourraitêtre.Donc,s’ilestmalade,ilnecroitpasàlamaladie;s’il est en bonne santé, il vénère sa santé comme si elle étaitl’étatquiluiestdû:ilsecomportecommeunhommeenbonne

167

Page 168: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

santé.Enfacedecetindividusainetdécidé,queltristesirequecePlutarquequidoitsesouvenird’Eschyle,d’EuripideetmêmedudocteurHippocrate,pournepasseulementêtre joyeuxde lasanté!Lasanté,commel’étatidentique,s’oublied’elle-même,caron

ne s’y occupe pas du corps ; la différence d’avec le corps necommencequedanslamaladie.Epicureneveutcertespasd’unevieéternelle;d’autantmoins

peut l’émouvoir le fait que l’instant présent peut cacher unmalheur.ToutaussifauxestlereprochesuivantdePlutarque:τούςγάρ

άδικου νταςκαίπαρανομου νταςάθλίως,φασί,περιφόбωςζηντόνπάνταχρόνον,δ’τικάνλαθεινδύνωνται,πίστινπερίτου λαθεινλαбειν άδύνατόν έστιν. δ’θεν ό τοο μέλλοντος άεί φόβοςέγκείμενοςούκέαχαίρειν,ούδέθαρρ εινέπίτοιςπαρου σι,ταυ ταδέ καί πρός έαυτούς είρηκότες λελήθασιν, εύσταθειν μέν γάρέστικαίύγιαίνειντωσώματιπολλάκις,πίστινδέλαβεινπερίτου διαμένειν άμήχανον. ὰνάγκη δή ταράττεσθαι καί ώδίνειν άείπρός τόμέλλονὺπέρ του σοώματος[4]. [Plutarque,de eo quod1090,6]C’est tout juste l’inversedecequepensePlutarque.Cen’est

qu’àpartirdumomentoù l’individusingulierbrise la loiet lesmœurscommunes,quecelles-cicommencentàdevenir pour luiuneprésupposition, il sedifférencied’elles,et ilnepourraitsesauver de cette différence que par la πίστις (croyance), maiscelle-cin’estgarantieparrien.

[Hasardetnécessité]

168

Page 169: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Ce qui est en général intéressant chez Epicure, c’est que danstous lesdomaines il écarte l’état qui entraîne la présuppositioncomme telle à apparaître, et qu’il estime normal l’état danslequel la présupposition est voilée. De la nature corporelle entantquetelle,iln’estengénéraljamaisquestion.Danslajusticepunitive, ce sont justement la connexion intérieure, la nécessitéaveugle qui ressortent, et cette nécessité, Epicure l’écarte ; ilécarte sa catégorie de la logique, comme, de la vie du sage,l’apparence de sa réalité. Par contre le hasard, qui fait qu’unjustesouffre,n’estjamaisunerelationextérieureetnel’arrachepasàsonabsencederelation.On voit à partir de là combien faux est aussi le reproche

suivant de Plutarque. τό δή μηδέν άδικειν, ούδέν έστι πρός τόθαρρειν,ούγάρτόδικαίωςπαθειν,ὰλλάτόπαθεινφοβερόν[5].[Plut.deeoquod1090,6].Plutarqueestime,eneffet,qu’Epicuredevraitraisonnerainsid’aprèssesprincipes.Ilneluivientpasàl’espritqu’Epicureapeut-êtred’autresprincipesqueceuxqu’ilveutbienluidonner.

[ExtraitsdePlutarquedeeoquod1090-1091]

τόγάράναγκαιονούκὰγαθόνέστιν,άλλ’έπέκεινατηςφυγηςτωνκακωνκειταιτόέφετόνκαίτόαίρετόν[6].[Plut,deeoquod1091,8].Plutarqueparleavecunesagessequiluiestbienparticulière,quand il dit que l’animal cherche en dehors de la nécessité,

169

Page 170: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

laquelleestlafuitehorsdumal,lebien,bienquisesitueau-delàde la fuite.Que l’animal cherche encore un bien au-delà, c’estjustementcequiestanimalen lui.ChezEpicure, iln’yaaucunbienquisoitpourl’hommeendehorsde lui ; leseulbienqu’ilpossède en rapport au monde est le mouvement négatif quiconsisteàêtrelibreàl’égarddecemonde.Le fait que tout ceci soit conçu chez Epicure de manière

individuelle tient au principe de sa philosophie, philosophiequ’il développe dans toutes ses conséquences. Le procédésyncrétiqueetprivédepenséedePlutarquene saurait rivaliseravec. [Extraits de Plut. de eo quod 1092, 1094, 1095, 1097,1099]

[Lerapportdel’hommeàDieu]

[1.Lacrainteetl’êtretranscendant]

LapolémiquedePlutarquecontrelathéologied’Epicureestplusdignedeconsidérationquelesinsipidesreprochesd’ordremoralqui précèdent, non pas pour elle-même, mais parce qu’ellemontrequelaconsciencecommune,quisetientdansl’ensemblesur le sol épicurien, ne redoute que la franchise de la rigueurphilosophique. Et à ce sujet, on doit toujours avoir à l’espritqu’Epicure ne s’intéresse ni à la voluptas (jouissance), ni à lacertitude sensible, ni à quoi que ce soit hormis la liberté etl’absencededéterminationdel’esprit.C’estdecepointdevueque nous allons parcourir les considérations particulières dePlutarque.[ExtraitdePlut.deeoquod1101]

170

Page 171: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

LacraintedeDieuausensoùl’entendEpicure,Plutarquenelacomprendabsolumentpas ; il ne conçoit pasque la consciencephilosophique souhaite s’en libérer. L’homme du commun neconnaît pas cela. Plutarque nous apporte donc des exemplestriviaux tirés du monde empirique, qui montrent combien peucettecroyanceeffraielepublic.Aladifférenced’Epicure,Plutarquecommenceparconsidérer

lacroyanceenDieudesπολλοί(delamultitude);ilditquechezeuxcettetendanceasansdouted’uncôtélafiguredelacrainte;lapeursensibleestlaseuleformesouslaquelleilpeutconcevoirl’angoissedel’espritlibredevantunêtrepersonneltout-puissant,absorbant en lui la liberté, donc la niant en dehors de lui.Maintenantilestime:1. Que ces gens qui craignent, δεδιότες γάρ ώσπερ άρχοντα

χρηστοιςήπιον,άπεχθη,δέφαύλοις,ένίφόβω,δι'ό νούδέουσιπολλων, έλευθερου νταί τε του άδικειν καί παρ' αύτοις άτρέματήν κακίαν έχοντες οίον άπομαραινοαένην, ήττον ταράττονταιτων χρωμένων αύτη καί τολμώντων, είτ' εύθύς δεδιότων καίμεταμελομένων[7].[Plut,deeoquod1101,21]Ainsi,c'estcettecraintesensiblequilesgardedumal,comme

si cette crainte immanenten'était pas lemal ?Quel est donc lenoyaudumalempirique?C'estquel'individusinguliers'enfermedanssanatureempiriquecontresanatureéternelle;maisn'est-cepaslamêmechosequelorsqu'ilexclutdeluisanatureéternelle,lasaisitdanslaformedelapersistancedelasingularitéensoi,del'empirie,etdonclacontemple,commeunDieuempirique,endehorsdelui?Oubienl'accentdoit-ilêtremissurlaformedelarelation?Ainsi,Dieupunitlesméchants,estclémentauxbons,etlemalesticimalpourl'individuempiriqueetlebien,bienpour

171

Page 172: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l'individu empirique, car d'où pourraient sinon provenir cettecrainte et cet espoir, étant donné qu'il s'agit pour l'individu dubienetdumalquileconcernent?Dieusouscerapportn'estriend'autre que la communauté de toutes les conséquences quepeuventcomporterdesmauvaisesactionsempiriques.Ainsi,c'estdepeurque lebienque l'individuempiriquesegagnedansunemauvaise action engendre des maux plus grands et qu'un plusgrandbienluiéchappequ'iln'agitpasmal,afinquelacontinuitéde son bien-être ne soit pas dérangée par la possibilitéimmanented'êtrearrachéàcelle-ci?N’est-cepaslamêmechosequ’Epicureenseigneavecnetteté:

agis avec franchise et sérieux pour ne pas garder la craintecontinuelled’êtrepuni.Cerapportimmanentdel’individuàuneάταραξία est ici établi comme le rapport à un dieu qui est endehors de l’individu, mais qui encore une fois n’a d’autrecontenuqueprécisémentcetteάταραξίαlaquelleesticicontinuitédubien-être.Lacraintede l’avenir, cet étatd’innocenceest iciinterpolédanslalointaineconsciencedeDieu,considérécommeun état qui préexiste déjà en elle, mais aussi d’abord commemenace, donc exactement comme dans la conscienceindividuelle.

[2.Leculteetl’individu]

En second lieu,Plutarquedéclareque cette tendanceversDieudonneaussidelavoluptas.[ExtraitdePlut,deeoquod1101]Il raconte plus loin que des vieillards, des femmes, des

commerçants, des rois trouvent de la joie lors de fêtesreligieuses.[ExtraitdePlut,deeoquod1102]

172

Page 173: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Ilfautexaminerd’unpeuplusprèslamanièredontPlutarquedécritcettejoie,cettevoluptas.Il dit d’abord que l’âme est le plus souvent délivrée de la

tristesse, de la crainte et du souci, quandDieu est présent. Laprésence deDieu est donc déterminée comme la délivrance del’âme à l’égard de la crainte, de la tristesse, du souci. Cettelibération s’extériorise dans une allégresse débridée, car c’estl’extériorisation positive opérée par l’âme individuelle de cetétatquiestlesien.Plus loin : l’état de différence fortuit de la situation

individuelle disparaît dans cette joie. C’est donc le fait quel’individu se vide de ses déterminations extrinsèques qui estdéterminédanscettefête,c’estl’individucommetel,etc’estunedétermination essentielle. Enfin, ce n’est pas la jouissanceséparéemais au contraire la certitudeque le dieun’est riendeséparé, mais que son contenu est de se réjouir de la joie del’individu, de laisser descendre vers elle son regard avecbienveillance, donc d’être lui-même dans la détermination del’individu qui se réjouit. Ce qui donc est ici divinisé et fêtécommetel,c’estl’individualitédiviniséecommetelle,libéréedeses souffrances coutumières : le σοφός d’Epicure avec sonάταραξία. C’est la non-existence de Dieu comme dieu, et sonexistencecommejoiede l’individuquisont l’objetdesprières.Outre celle-là, ceDieu n’a aucune détermination.Bien plus, laformevéritable dans laquelle cette liberté de l’individu ressortici, c’est l’esprit, l’esprit singulier, sensible, l’esprit qui passed’abord par le stade du trouble. Cette άταραξία plane ainsi entant que la conscience universelle au-dessus de la tête deshommes ;mais son phénomène est la voluptas sensible comme

173

Page 174: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

chezEpicure ;mais chez cedernier est conscience totalede laviecequiiciestétatvivantsingulier.C’estpourcelaque,chezEpicure, le phénomène individuel est plus indifférent et plusaniméparsonâme,l’άταραξία,alorsqu’icicetélémentseperddavantage dans la singularité, et les deux éléments,immédiatement mêlés, sont aussi de ce fait immédiatementdifférents. Aussi pitoyable est la distinction du divin quePlutarque fait prévaloir contre Epicure. Pour faire encore uneremarque,quandPlutarqueditquecertains roisneprennentpasautant de plaisir à leurs publicis conviviis et viscerationibusqu’auxbanquetssacrificiels,celaveutseulementdirequedanslepremier cas la jouissance est considérée commequelque chosed’humain et de fortuit, mais qu’ici elle est considérée commequelquechosededivin,lajouissanceindividuelleestconsidéréecomme quelque chose de divin) ; ce qui est donc tout à faitépicurien.

[3.LaProvidenceetleDieudégradé]

Danscerapportdesπονηροίetπολλοί[8] (des imperfectiblesetde la grandemasse) àDieu, Plutarque distingue le rapport desβέλτιστον άνθρώπων καί θεοφιλέστατον γένος[9] [Plut, de eoquod1102,22].Nousallonsvoircequ’ilgagneicisurEpicure.[ExtraitdePlut,deeoquod1102]LesensphilosophiquedufaitqueDieuestleήγεμώνάγαθων

et le père πάντων καλων (seigneur des bons… père de toutebeauté)estquecen’estpasunprédicatdeDieu,maisquel’idéedu bien est le divin lui-même. Mais dans la détermination dePlutarque, il y a un tout autre résultat. Le bien est pris dans

174

Page 175: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’opposition la plus rigoureuse avec lemal, car le premier estunemanifestation de la vertu et de la puissance, le second unemanifestationdelafaiblesse,delaprivationetdelavilenie.LejugementémanedoncdeDieu,ladifférenceestéloignée,etc’estjustement un axiome d’Epicure qui pour cette raison trouvelogiquement cette absence de différence qui est le propre del’homme,aussibienenthéoriequ’enpratique,danssonidentitéimmédiate, la sensibilité, dans Dieu conçu comme vide, purotium (loisir). Le dieu que l’éloignement du jugement hors dumonde définit comme le bien est le vide, car chaque étatdéterminéporteenluiuncôtéqu’ilmaintientenl’opposantàunautre,etserefermesurlui-même,manifestedansl’antithèseetlacontradictionsonόργή,saμισοςetsonφόбος(colère…haine…angoisse), à l’idée de s’abandonner. Plutarque a donc lamêmedéterminationqu’Epicure,maischezluinesetrouvequecommeimage,commereprésentationcequ’Epicurenommeparsonnomconceptueletquel’imagehumaineécarte.C’est pour cela que la question suivante sonnemal : άρά γε

δίκηςέτέραιοίεσθεδεισθαιτούςάναιρου νταςτήνπρόνοιαν,καίούχ ίκανήν έχειν, έγκόπτοντας έαυτων, ήδονήν καί χαράντοσαύτην[10].[Plut,deeoquod1102,22-1103]Carilfautaucontraireaffirmerqueceluiquiregardeledivin

comme la pure béatitude en soi, sans l’affubler de tous lesrapports inconceptuellement anthropologiques, ressent plus devolupté à sa contemplation que celui qui a l’attitude inverse.C’est déjà la béatitude elle-même que d’avoir la pensée de lapurebéatitude,mêmesi elle est conçueaussi abstraitementquechez les moines indiens. En outre, Plutarque a supprimé laπρόνοια (Providence)enopposantàDieu lemal, ladifférence.

175

Page 176: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Ses autres descriptions sont purement inconceptuelles etsyncrétiques;ilmontred’ailleursentoutqu’ilnesesouciequede l’individu, et non de Dieu. Epicure, par conséquent, esthonnêteaupointdenepaslaisserDieuluinonplussesoucierdel’individu.La dialectique intérieure de ses pensées ramène donc

nécessairementPlutarqueàparlerde l’âme individuelleau lieudeparlerdudivin,etilenvientauλόγοςπερίψυχης(discoursàpropos de l’âme). Epicure dit ώστε ύπερχαίρειν τό πάνσοφοντου το δόγμακαί θειονπαραλαбου σαν, δ τι του κακως πράττεινπέραςέστίναύτητόάπολέσθαικαίφθαρηναικαίμηδένείναι[11].[Plut,deeoquod1103,23]Onnedoitsurtoutpasselaisserinduireenerreurparlesmots

pleins d’onction de Plutarque. Nous verrons qu’il supprimechacune de ses déterminations.Déjà le parachute artificiel του κακως πράττειν πέρας (de la fin de tout mal), dans lequell’άπολέσθαι et φθαρηναι et μηδέν είναι (périr… être détruit…n’être rien) sont en opposition, montre, là où est le pointessentiel, la minceur du premier côté et la triple intensité del’autre.

[L’immortalitéindividuelle]

[1.Duféodalismereligieux.L’enferdelapopulace]

Plutarque fait une nouvelle classification, distinguant le rapportτωνάδίκωνκαίπονηρων[12],puisdesπολλωνκαί ίδιωτων[13]etenfin des έπιεικων καί νου ν εχόντων[14] [15]. [Plut.de eo quod

176

Page 177: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

1104-25] à la doctrine de la persistance de l’âme. Déjà cetteclassificationensolidesdifférencesqualitativesmontrecombienpeu Plutarque comprend Epicure qui considère, en tant quephilosophe,lerapportdel’âmehumaine;etquandEpicurerestecertaindel’ήδονή(jouissance),malgrésadéterminationcommepassagère,Plutarqueauraitdûvoirquechaquephilosopheestimeinvolontairementuneήδονή,qui luiestétrangèredanssonêtre-borné. Pour les coupables d’injustices, on nous donne encoremaintenant la crainte commemoyen de perfectionnement. Nousavonsdéjàconsidérécetteobjection;tandisquedanslacrainte,une crainte intérieure et inextinguible, l’homme est déterminécomme animal, chez un animal est en général indifférente lamanièredontilestretenudansdesbarrières.Siunphilosophenetientpaspourlachoselaplusinjurieusele

fait de considérer l’homme comme un animal, on ne peutabsolumentplus rien lui faire comprendre. [ExtraitsdePlut,deeoquod1104-1105]Nous en venons maintenant à l’opinion des πολλοί (de la

masse),bienqu’ilapparaisseàlafinquepeusontexclusdecetteopinion, bien plus que tous, à proprement parler, δέω λέγεινπάντας[16] [Plut, de eo quod 1105, 27] jurent fidélité à cetétendard.Ce qui distingue qualitativement du degré précédent n’existe

pas à proprement parler ; au contraire, ce qui apparaissaitauparavantdanslafiguredelacrainteanimale,apparaîticidansla figure de la crainte humaine, dans la forme du sentiment.Lecontenurestelemême.Onnousditque l’amour leplusancienvaausouhaitd’être ;

sans doute, l’amour le plus abstrait et donc le plus ancien est

177

Page 178: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’amour de soi, l’amour de son être particulier. Mais c’étaitdéclarertropnettementlachose,onlareprenddenouveauetonlance autour d’elle, grâce à l’apparence du sentiment, un éclatépuré.Ainsidonc,celuiquiperdfemmeetenfantspréfèrequ’ilssoientquelquepart,mêmes’ilsysouffrent,plutôtqu’ilsn’aientcessétoutàfaitd’exister.S’ils’agissaitsimplementd’amour,lafemmeetl’enfantdel’individucommetelssontconservésdelamanière la plus profonde et la plus pure dans le cœur de cetindividu, un être beaucoup plus élevé que celui de l’existenceempirique.Maisils’agitd’autrechose.Lafemmeetl’enfantnesont femme et enfant dans l’existence empirique que dans lamesureoùl’individului-mêmeexisteempiriquement.Quecelui-ci préfère les savoir n’importe où, dans un espace sensible,même s’ils y souffrent, plutôt que nulle part, signifie seulementque l’individu veut avoir la conscience de son existenceempiriquepropre.Lemanteaude l’amourn’étaitqu’uneombre,lejeempiriquedanssanudité,l’amourdesoi-même,l’amourleplusancienestlenoyau,ilnes’estpasrajeuniparunefigureplusconcrète,plusidéale.PourPlutarque,lenomdelatransformationrend un son plus agréable que celui de la cessation complète.Mais la transformation ne doit pas être qualitative, le « Je »singulierdanssonêtresingulierdoitpersister; lenomestdoncsimplement la représentation sensible de ce qu’il est et doitsignifierlecontraire.Lenomestdoncunefictionmensongère.Lachosenedoitpas être transformée,mais seulementplacéedansunlieuobscur;l’interpositiondulointainfantastiquedoitcacherlesautqualitatif(ettoutedifférencequalitativeestunsaut;sanscesaut,aucuneidéalité).

178

Page 179: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

[2.Lanostalgiedelamultitude]

Plus loin, Plutarque émet l’opinion que cette conscience de lafinitude rend faible et inactif, qu’elle est unemauvaise humeurcontrelavieprésente;maislavienedisparaîtpas;aucontraireseuldisparaîtcetêtresingulier.Sicetêtresingulierseconsidèrecomme exclu de cette vie universelle permanente, peut-il endevenir assez riche et assez plein pour emporter son extrêmepetitesse toute une éternité ? Cette éternité change-t-elle sonrapportà lavie?Nedemeure-t-ilpasplutôtencroûtédans sonabsencedevie?Est-cequecelanerevientpasaumêmequ’ilsetrouveaujourd’huidanscerapportd’indifférenceàlavie,ouquecerapportdure100000ans?

Alafin,Plutarqueditcarrémentqu’ilnes’agitpasducontenu,nide la forme,mais de l’être de l’individu singulier. Il faut être,même si c’est pour être déchiré parCerbère.Quel est donc lecontenu de sa doctrine de l’immortalité ?C’est que l’individu,abstraitde laqualitéqui luidonne ici sa situation individuelle,persiste non comme l’être d’un contenu, mais comme la formeatomistique de l’être ; n’est-ce pas la même chose que ditEpicure : que l’âme individuelle se dissout et retombe dans laforme des atomes. Attribuer à ses atomes comme tels unsentiment(bienquel’onavouequelecontenudecesentimentestindifférent), n’est qu’une représentation inconséquente.Dans sapolémique contre Epicure, Plutarque ne fait donc qu’exposerl’enseignement d’Epicure ; il n’oublie pas cependant d’exposerpartoutleμήείναι(non-être)commelachoselapluseffrayante.

179

Page 180: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Ce pur être pour soi est l’atome.Quand, en général, on assurel’immortalitéàl’individu,nonpasdanssoncontenu(lequel,danslamesureoùilestuniversel,existeuniversellementensoi-même,et,danslamesureoùilestforme,s’individualiseéternellement),mais à l’individucommeêtre individuel, ladifférenceconcrètede l’être pour soi tombe et cela revient à l’affirmation quel’atomecommetelestéternel,etquecequiestaniméretourneàcetteformefondamentalequiestlasienne.Epicure expose jusqu’à ce point cette doctrine de

l’immortalité. Mais il a suffisamment de philosophie et delogiquepourappelerlachoseparsonnom,pourdirequel’êtreaniméenquestionretourneàlaformeatomistique.Onnesauraitici faire appel à aucune demi-mesure. Si n’importe quelledifférence concrète de l’individu doit tomber (ce que montrecette vie elle-même), toutes celles qui ne sont pas en soiuniversellesetéternellesdoivent tomber.Si l’individudoitêtreindifférentàcetteμεταбολή(transformation),ilnerestequecettegousse d’atomes qui enveloppait le contenu antérieur, c’est-à-direladoctrinedel’éternitédesatomes.

CeluipourquiéternitéestcommetempsEttempscommeéternitéEstlibéréDetoutconflit,

dit JacobBoehme,car ladifférencenevoudraitpasdirequel’individu persiste,mais au contraire que l’éternel s’oppose autransitoire.

[3.L’orgueildesélus]

180

Page 181: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Nous en venons maintenant à la classe des επιεικων και νου νεχόντων(leshonnêtesgensdouésderaison).Ilvadesoiqu’onnesortabsolumentpasdelaclasseprécédente;aucontraire,cequi apparaissait d’abord comme crainte animale, puis commecraintehumaine,commeplainteangoissée,commelarépugnanceà abandonner l’être atomistique, apparaît maintenant dans laforme de l’arrogance, de l’exigence et de la justification. Ils’ensuitqu’ilmanqueàcetteclasse,tellequePlutarqueladéfinit,le plus souvent la raison. La classe la plus basse n’a aucuneprétention,lasecondepleureetconsentàtoutpoursauverl’êtreatomistique,latroisièmeestcelleduphilistinquis’écrie:«MonDieu,voilàquiseraitencoreplusbeau!»Ungaillardaussiaviséethonnêtedevraitalleraudiable.

διότηδόξητηςάθανασίαςσυναιρου σιντάςήδίσταςέλπίδαςκαίμεγίστας των πολλων[17]. [Plut. de eo quod 1105, 28]. Quanddonc Plutarque dit qu’Epicure enlève à la foule, avecl’immortalité,sesespoirslesplusbeaux,ilauraitétédesapartbeaucoup plus exact de dire ce qu’il affirme ailleurs en visanttout autre chose : ούκ άναιρει,άλλ’ώσπερ άπόδειξιν αύτου προιτίθησι[18].[Plut.deeoquod1105,27]Epicure ne dépasse pas ce point de vue, il l’explique, il le

porteàsonexpressionconceptuelle.[ExtraitdePlut.deeoquod1105]Ainsi, ces gens bons et avisés attendent le salaire de la vie

aprèslavie;maisquelleinconséquence,danscecas,d’attendreencorecommesalairelavie,étantdonnéquepourtantlesalaire

181

Page 182: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

de la vie, pour eux, diffère qualitativement de la vie. Cettedifférence qualitative est à nouveau déguisée en une fiction, lavie n’est pas supprimée dans une sphère plus haute, maistransportée ailleurs. Ils ne se posent donc que commecontempteurs de la vie, ils n’ont rien de mieux à faire, ilshabillentsimplementleurespoirenuneexigence.Ilsméprisentlavie,maisleurexistenceatomistiqueestlebien

dans celle-ci, et l’éternité de leur être atomistique, qui est lebien, ils ladésirent.Si l’ensemblede lavieseprésentaitàeuxcommeunmirageetunmal,d’oùtiennent-ilslaconscienced’êtrebons ? Simplement dans le savoir de soi en tant qu’êtreatomistique ; et Plutarque va jusqu’à dire qu’ils se contententpresque de cette conscience, que — parce que l’individuempiriquementsinguliern’existequedanslamesureoùilestvupar un autre individu — ces hommes bons se réjouissentmaintenantdecequ’aprèsleurmort,lesgensquilesontméprisésbisdato lesconsidèrentmaintenant réellementcomme lesbons,sontcontraintsdelesreconnaîtrecommetels,etsontpuniss’ilsnelestiennentpaspourlebien.Quelleexigence!Lesméchantsdoivent les reconnaître dans la vie comme les bons, et eux-mêmes ne reconnaissent pas comme le bien les puissancesuniverselles de la vie. N’est-ce pas avoir élevé la fierté del’atome à son plus haut sommet ?N’est-ce pas, dit sèchement,l’aveu de l’arrogance et de la présomption qu’on assigne àl’éternité, et de l’éternité qu’on accorde au sec être pour soi,privédetoutcontenu?Ilnesertàriendecachercelasousdesfleursderhétorique,dedirequepersonneicin’estenmesuredesatisfairesasoifdeconnaissance.Cette exigence n’exprime rien d’autre que ceci : l’universel

182

Page 183: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

devrait être dans la forme de la singularité, en tant queconscience ; cette exigence comble l’universel pour l’éternité.Maisdanslamesureoùl’onexigeencorequel’universelexistedans cet être pour soi empirique exclusif, cela signifiesimplementquecequiimporte,cen’estpasl’universel,maisaucontrairel’atome.Nous voyons donc Plutarque, dans sa polémique contre

Epicure, se jeter pas à pas dans les bras de ce dernier. MaisEpicuredéveloppe les conséquences simplement, abstraitement,avec la sécheresse de la vérité ; il sait ce qu’il dit, tandis quePlutarque, dans tout ce qu’il dit, dit autre chose que ce qu’ilpensedire,maisaufondpenseaussiautrechosequecequ’ildit.C’est en général le rapport qui existe entre la consciencephilosophiqueetlaconsciencecommune.

[CritiquedesvuesdePlutarquesurd’autresphilosophes,nommémentsurPlaton]

[ExtraitdePlut.adv.Col.1107E1]Si, dans le dialogue précédent, Plutarque a cherché à

démontreràEpicurequodnonbeatevivipossit(qu’onnesauraitvivre heureux) d’après sa philosophie, il tente à présent dejustifier les thèses des autres philosophes contre ce reprochevenant des épicuriens. Nous verrons si cette tâche lui réussitmieuxquelaprécédente,oùsapolémiquepeutêtreappeléepourainsidireunpanégyriqued’Epicure.Cedialogueestimportantence qui concerne le rapport d’Epicure aux autres philosophes.Colotèsfaitunbonmotd’esprit,quandiloffreàSocratedufoinàlaplacedepain,etquandilluidemandepourquoiilmangeles

183

Page 184: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

platsparlaboucheetnonparl’oreille.Socratesemouvaitdansleminuscule,conséquencenécessairedesasituationàl’égarddel’histoire.

[ExtraitsdePlut.adv.Col.1108,2;1110,6]Plutarque ressent une démangeaison partout où la logique

d’Epicureéclate.Siquelqu’uncontestel’opinionquiveutquelefroidne soit pas froidouque le chaudne soit pas chaud selonqu’enjugelafouled’aprèssonsensorium,lephilistinestimequecet homme se trompe lui-même s’il n’affirme pas que les deuxpoints de vue sont faux. Notre homme ne se rend pas comptequ’ainsiladifférenceapurementetsimplementglisséhorsdelachosedanslaconscience.Sil’onveutrésoudrecettedialectiquedelacertitudesensiblesanssortirdecettedernière,ondoitdirequelapropriétérésidedanslesdeuxtermesprisensemble,dansla relation du savoir sensible au sensible, et donc qu’elle estimmédiatement distincte, étant donné que cette relation estimmédiatement distincte.Ainsi, la faute n’est placée ni dans lachose,nidanslesavoir;c’estaucontraireletoutdelacertitudesensiblequiestconsidérécommeceprocessusvacillant.Quinepossèdepaslapuissancedialectiquedeniercettesphèredanssatotalité,quiveutlalaissertellequelle,doitaussisecontenterdelavéritétellequ’ellesetrouveàl’intérieurdecettesphère.Pourla première attitude, Plutarque est trop impuissant, pour lasecondeilestunmonsieurtrophonnêteetavisé[19].

[ExtraitsdePlut.adv.Col.1110,7]Ainsi,ditPlutarque,àproposdetoutepropriété,onnedevrait

pasplussoutenirqu’elleest,qu’ellen’estpas;carcelachange

184

Page 185: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

selonlamanièredontchacunestaffecté.Maissaquestionmontredéjàqu’ilnecomprendpaslachose.Ilparledel’êtreoudunon-être solide en tant que prédicat. Mais le propre de l’être dusensibleestplutôtdenepasêtreuntelprédicat.Denepasêtreun être ou un non-être consistant. Lorsque je sépare ces deuxtermes,jeséparedoncjustementcequin’estpasséparédanslasensibilité.Lapenséecommuneatoujoursdesprédicatsabstraitstoutprêts,qu’elleséparedusujet.Tous lesphilosophesont faitdesprédicatseux-mêmesdessujets.

[Extraits de Plut. adv. Col. 1111 — 1115 sur le rapport àDémocrite,Empédocle,ParmenideetPlaton]Quand Plutarque dit de ceux qui enseignent les idées,

nommémentdePlaton,ούπαρορατόαίσθητόν,άλλάτόνοητόνείναιλέγει[20].[Plut.adv.Col.1116,15],lestupideéclectiquenevoitpasquec’estjustementcelaqu’onreprocheàPlaton.Platonnesupprimepas (aufhebt) le sensible,mais il affirme l’être dupensé. L’être sensible n’échoit pas à des pensées, et le pensétombe aussi dansun être, si bienquedeux royaumespossédantl’être subsistent l’un à côté de l’autre. On peut voir ici quelséchos trouvent, avec une singulière facilité, le pédantismeplatonicien auprès de l’homme du commun, et Plutarque, nouspouvons, au vu de ses opinions philosophiques, le compter aunombredeshommesducommun.Ilvadesoiquecequiapparaîtchez Platon de manière originelle et nécessaire, à un certaindegré de développement de la formation philosophiqueuniverselle, cela est, chez un individu qui se tient au sortir dumonde antique, le souvenir éventé de l’ivresse d’un mort, unelamped’untempsantédiluvien,lespectaclerépugnantd’unvieil

185

Page 186: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

hommeretombéenenfance.On ne saurait trouver mieux pour critiquer Platon que la

louangequePlutarqueluiadresse:ούδέάναιρειτάγινόμενακαίφαινόμεναπερίήμας τωνπαθων ;άλλά ότιβεбαιότερατούτωνέτερα καί μονιμώτερα (des représentations purementinconceptuelles,abstraitesdelasensibilité)πρόςούσίανέστί,τόμήτεγίνεσθαι,μήτ’άπόλλυσθαι,μήτεπάσχειν(remarquonsμήτε–μήτε–μήτεtroisdéterminationsnégatives)μηδένενδείκνυταιτοις έπομένοις, καί διδάσκει καθαρώτερον τής διαφοραςάπτομένουςτοιςόνόμασι.(Exact,ladifférenceestunedifférencenominale)τάμένόντα,τάδέγινόμεναπροσαγορεύειν[21]. [Plut.adv.Col.1116,15]

[ExtraitdePlut.adv.Col.1116]PlutarquesetournemaintenantversColotèsetdemandesises

disciplesnefontpaseux-mêmesladifférenceentrel’êtresolideetl’êtrepassager,etc.

[ExtraitdePlut.adv.Col.1116]Ilestamusantd’écoutercettesincéritéappréciée,quisetrouve

avisée.Lui-même,Plutarque,ramèneladifférenceplatoniciennede l’être à deux noms différents, et pourtant il veut que lesépicuriens,del’autrecôté,aienttortd’attribuerauxdeuxcôtésunêtre solide (ils font pourtant assez bien la différence entrel’όφθαρτον et άγένητον (impérissable et nondevenu) et ce quiestparcomposition):Platonnelafait-ilpasaussi,quandilditque l’είναι (être) est solidement établi sur l’un des côtés, et leγενέσθαι(devenir)surl’autre[22]?

186

Page 187: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

1. ↑.Delajouissancecorporelleàlajouissancedel’âme.2. ↑.Paysinconnu.3. ↑.Sonplushautdroit.4. ↑.Lescriminelset leshors-la-loi,disent-ils,viventsanscessemisérablementet

dans la crainte ;même si, en effet, ils peuvent se cacher, il leur est impossibled’avoir confiance dans leur cachette. C’est pourquoi la crainte de l’avenir quipèse sans cesse sur eux ne les laisse pas être heureux et leur interdit d’avoirconfiance dans l’instant présent.Mais ils ont oublié qu’ils disaient cela aussi àleurpropos,carilestpossibleaucorpsdeconnaîtrel’équilibreetd’êtreenbonnesanté,mais il est impossible d’avoir confiance dans la durée de cet état ; il estnécessaire d’être troublé et d’être continuellement dans l’angoisse à propos del’avenirducorps.

5. ↑.Nepas se rendre coupabled’une fautenedonne encore aucundroit à êtreconfiant, car cen’estpas le fait de souffrir justement,mais c’est la souffrancequiprovoquelacrainte.

6. ↑.Car le nécessaire n’est pas encore un bien,mais ce n’est qu’au-delà de lafuitedesmauxquesetrouventledésirableetlesouhaitable.

7. ↑. En effet, craignantDieu comme unmaître clément aux bons et hostile auxméchants, par cette seule crainte, qui ne les prive pas de grand-chose, ils sontpréservés des mauvaises actions ; ils conservent en eux, sans trouble, leurdisposition au mal qui se flétrit, et ainsi sont moins troublés que ceux quis'adonnentàcettedispositionets'aventurent,pourêtreensuitesoudainsaisisparlacrainteetlerepentir.

8. ↑.Lesméchantsetlagrandemasse.9. ↑.Leshommesexcellents,remplisd’amourpourDieu.10. ↑.Croyez-vousqueceuxquinient laProvidenceméritentuneautrepunitionet

qu’ilsnesoientpassuffisammentpunis,écartantd’euxleplaisiretlajoie?11. ↑.Elledoitressentirlaplushautefélicitéquandelleentendcettemaximedivine

etpleinedesagesse, selon laquelle la finde toutmalestpour l’âme laperte, ladestruction,etlenéant.

12. ↑.Desêtrescoupablesd’injusticeetméchants.13. ↑.Lagrandemassedesincultes.14. ↑.Leshonnêtesgensdouésderaison.15. ↑.Cet adjectif différencie l’hommebonde lamassequi resteunpeuanimale.

Mot àmot, il désigneceluiquipossède l’entendement, c’est-à-dire celuiqui estcapable de jugement, l’homme sensé. Il faut donc ici comprendre la raisoncommelafacultéquifaitdel’homme«unanimalraisonnable».

16. ↑.Jepeuxbiendiretous.17. ↑.Avec ladoctrinede l’immortalité, ils enlèvent à la foule ses espoirs lesplus

grandsetlesplusbeaux.18. ↑.Nesurmontepas lacraintede lamort,produisaucontraire lapreuvequi la

justifie.

187

Page 188: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

19. ↑.Pourtoutcequiconcernelacertitudesensible,cf.Hegel:Phénoménologiedel’Esprit,chapitreI.Lacertitudesensibledoitêtresuppriméecommetelle.

20. ↑.Ilneméprisepaslesensible,maisilaffirmel’êtredel’Intelligible.21. ↑.Et ilneméprisepas lesévénementsqui seproduisentetapparaissentparmi

nous,mais il enseigne à ses disciples qu’il en est d’autres, plus solides et plusdurables dans leur essence, leur fait voir qu’ils ne sont pas nés, qu’ils neconnaissent pas la destruction et ne sont soumis à aucune affection, et leurapprend à s’attacher de manière plus précise aux noms de la différence, et àformulerexplicitementcequiestetcequidevient.

22. ↑.MEGA:ladernièrepageducahierestarrachée.

188

Page 189: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

PHILOSOPHIEÉPICURIENNE.4eCAHIER.1839

SEMESTRED’ÉTÉ

[ExtraitsdePlut.adv.Col.1117,19;1118;1119-1122,26surlerapport d’Epicure à Socrate, Stilpôn, les Cyrénaïques et lesAcadémiciens(Archésilas)]

IlvadesoiqueLucrècenepeutêtrequepeuutilisé.

[ExtraitsdeLucrèceI63-79.150.159sq.267sq.328-330.339à 346. 382 sq. 419 sq. 461-463. 479-482. 503-509. 540. 600-603. 684-689. 763-766. 783-793. 814-816. 820-822. 847-856.871à895.907-914.958-964.984-997.1009-1013.1035-1041.]

[PlutarqueetLucrèce]

189

Page 190: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Auprintemps,lanatures’étenddanssanudité,et,conscientedesavictoire,offreauregardtoussescharmes, tandisqu’enhiverelle recouvre de neige et de glace sa honte et son dénuement :telle est la différence entre Lucrèce, le vif, hardi et poétiqueseigneurdumonde,etPlutarque,quicachelamédiocritédesonmoisouslaneigeetlaglacedelamorale.Quandnousvoyonsunindividucraintivementboutonné,blotti

en lui-même, nous cherchons involontairement conseil et aide,nous regardons si, nous aussi, nous sommes encore là ; nouscraignonspourainsidiredenousperdre.Mais,àlavued’unêtreauxféeriquescouleursquigambade,nousnousoublionsetnousnoussentonsélevéshorsdenotrepeaucommesinousétionsdesforcesuniverselles,etnotresouffleestplushardi.Quisesentleplusmoraletlepluslibredeceluiquisortjustementdelasallede classe de Plutarque, pénétré de l’injustice du fait que leshommes bons, avec lamort, perdent le fruit de leur vie, ou decelui qui voit l’éternité comblée et qui entend le chant hardi ettonitruantdeLucrèce:

...AcriPercussitthyrsolaudisspesmagnameumcoretsimulincussitsuavemmiinpectusamoremMusarum,quonuncinstinctusmentevigentiaviaPieridumperagrolocanullusantetritasolojuvatintegrosaccederefontisatquehaurire,iuvatquenovosdecerperefloresinsignemquemeocapitipetereindecoronam,undepriusnullivelarinttemporaMusae;primumquodmagnisdoceoderebusetartisreligionumanimumnodisexsolverepergo,

190

Page 191: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

deindequodobscuraderetamlucidapangocarminamusaeocontingenscincialepore.

I922-934[1].Celuiquineprendpasplusplaisiràconstruirelemondeentier

avecsespropresmoyens,àêtreuncréateurdemonde,qu’àrôderéternellementdanssaproprepeau,surluil’espritaprononcésonanathème, il est marqué par l’interdit, mais par un interditinversé; ilestécartédutempleetde la jouissanceéternelledel’espritetilestreconduitàchanterdesberceusessursaproprebéatitudeprivée,et,lanuit,àrêverdelui-même.Beatitudononvirtutispraemium,sedipsavirtus[2] (Spinoza,

Eth.V42).Nous verrons aussi que Lucrèce comprend Epicure d’une

manièreinfinimentplusphilosophiquequePlutarque.Lepremierprincipe d’une recherche philosophique est un esprit libre ethardi.

[LacritiquequefaitLucrècedesphilosophiesdelanatureantérieures]

Il faut apprécier d’abord la pertinente critique des philosophesdelanatureantérieursdupointdevueépicurien.Uneraisondeplus de la considérer, c’est qu’elle met magistralement enévidencecequ’ilyadespécifiquedansladoctrined’Epicure.Nousnousattachonsiciparticulièrementàcequiestenseigné

sur Empédocle et Anaxagore, parce que cela vaut encore pluspourlesautres.1.Iln’yapasd’élémentdéterminéqu’ondoive tenirpour la

191

Page 192: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

substance,carsitoutvientseplacereneuxetsitoutnaîtàpartird’eux,quinousdonneledroit,danscecommercemutuel,denepasplutôttenirlatotalitédesautreschosespourlesprincipesdeces éléments, étant donné qu’eux-mêmes ne sont qu’une formedéterminéeet limitéede l’existenceàcôtédesautres,etqu’euxaussisontproduitsparleprocessusquicréecesexistences?Etinversement(I,764-768)[763-767].2. Si plusieurs éléments sont tenus pour la substance, d’une

partilsmanifestentleurunilatéraliténaturelleensemaintenantenconflitmutuel, en faisant prévaloir leur état déterminé, et ainsi,au contraire, en se disloquant, d’autre part ils tombent dans unprocessus naturel, mécanique ou autre, et manifestent que leurcapacitédecréationestlimitéeàleursingularité.Si nous pouvons donner comme excuse historique aux

philosophes ioniens de la nature que pour eux le feu, l’eau nesont pas le feu et l’eau sensibles,mais un élément universel ilrestevraiqueLucrèce, leur adversaire, a absolument raisondeleur imputer cela. Si des éléments manifestes, visibles à lalumièredu jour, sontpris comme les substances fondamentales,celles-ci ont leur critérium dans la perception sensible et dansles formes sensibles de leur existence. Si l’on dit que cesélémentssontdéterminéstoutàfaitautrementquandonenfaitlesprincipesdecequiest,ils’agitalorsd’unedéterminationcachéeà leur singularité sensible, qui n’est qu’intérieure, doncextérieure,danslaquelleilssontprincipes,c’est-à-direqu’ilsnele sontqu’en tantqu’ils sont cet élément intérieurdéterminé, etnondanscequi lesdistinguedesautreschosesen tantque feu,eau,etc.773sqq.(771sq.).3.Mais,troisièmement,celanecontredit-ilpaslepointdevue

192

Page 193: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

qui considère des éléments déterminés comme principes, leurêtre-là limité à côté des autres du nombre desquels ils ont étéabstraits arbitrairement et n’ont donc aussi contre eux aucuneautre différence que l’état déterminé du nombre, lequelcependant, en tant que limité, semble être plutôt déterminé parprincipe par la multiplicité, l’infinité des autres nombres ; cen’est pas seulement leur opposition mutuelle dans leurparticularité (laquelle manifeste aussi bien l’exclusion que lacapacitécréatriceenferméedansdeslimitesnaturelles),maisleprocessuslui-mêmeparlequelilsdoiventproduirelemonde,quidémontre qu’ils sont en eux-mêmes finis et changeants. Parcequ’ilssontdesélémentsenfermésdansunétatnaturelclos, leuractecréateurnepeutêtrequ’unacteparticulier,leurpropreêtre-transformé qui lui aussi, de nouveau, a la figure de laparticularitéetdelaparticulariténaturelle;c’est-à-direqueleuractecréateurest leurprocessusnatureldemétamorphose.C’estainsiquecesphilosophesdelanaturefontseroulerle feudansl'air:ainsinaîtlapluiequitombeenbas,ainsinaîtlaterre.Cequi apparaît ici est donc leur propre aptitude au changement etnonleurpersistance,nonleurêtresubstantielqu'ilsfontprévaloirentantqueprincipe;carleurcréationestplutôtlamortdeleurexistenceparticulière,etlerésultatdecettecréationestplutôtlanégation de leur persistance (783 sqq.). Cette réciprocité desélémentsetdeschosesnaturellesnécessairesà leurpersistancesignifie seulement que leurs conditions, prises comme leursforcesspécifiques,sontaussibienendehorsd'euxqu'eneux.4. Lucrèce en vient maintenant aux Homéoméries

d'Anaxagore;illeurreproched'êtredes:imbecillanimisprimordia...sunt[3].[I847],

193

Page 194: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

comme en effet les Homéoméries ont la même qualité, sont lamême substance que ce dont elles sont homéoméries, nousdevonsleurattribuerlamêmecaducitéquecellequenousavonsdevantlesyeuxdansleursexpressionsconcrètes.Si lefeuet lafumée se cachent dans le bois, alors le bois est unmélange exalienigenis (de différentes sortes de choses). Si chaque corpsétait fait de toutes les semences sensibles, il devrait, une foisbrisé,démontrerqu'illescontient

[Lesatomescommesubstance]

Il peut paraître étrange qu'une philosophie comme celled'Epicure,quipartdelasphèredusensibleetquil'estimecommele critère le plus haut, du moins pour la connaissance, posecommeprincipeunpareilabstrait,unecaecapotestas(puissanceocculte, indéterminée) comme l'atome. Là-dessus cf. L. I. 773sqq.,783sqq. ; ils'ydémontrequeleprincipedoitêtreunêtreautonome, ne comportant absolument aucune propriétéparticulièresensible,physique.Ilestsubstance:

Eademcaelum,nuire,terras,flumina,solemconstituant,etc.[4][I820]

L’universalitéluiéchoit.Au sujet du rapport de l’atome et du vide, une remarque

importante.Lucrèceditdecetteduplexnatura:

194

Page 195: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Esseutramquesibiperse,puramquenecesseest[5].[I507(506)]

Enoutre,ils’exclut:Namquacumquevacatspatium...corpuseanonest,etc.[6].[I508sqq.(507sq.)]

Chacun des termes est lui-même le principe. Donc, ce n’est nil’atome, ni le vide qui est le principe,mais leur fondement, cequ’exprimechacuncommenatureindépendante.Cemoyentermes’installerasurletrôneàlafindelaphilosophieépicurienne.Le vide comme principe du mouvement, cf. L. I 363 (362)

sqq., comme principe immanent, cf.383 (382) sqq. (le vide etl’indivisible),l’oppositionobjectivéedelapenséeetdel’être.

[ExtraitsdeLucrèceII7sq.14-16.55-61.83-85.90-97]

[Laguerredesatomes]

Laproductiondesformationsàpartirdesatomes,leurrépulsionet leur attraction sont tumultueuses. Un combat bruyant, unetension hostile constituent l’atelier et la forge du monde. Lemonde est déchiré intérieurement, au plus profond de lui seproduitungrandtumulte.Mêmelerayondusoleilquitombesurles places d’ombre est une image de cette guerre éternelle.

195

Page 196: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

[ExtraitdeLucrèceII116-122]On voit que la puissance aveugle et sinistre du destin se

changeenlafantaisiedelapersonne,del’individu,etbriselesformesetsubstances.

[Extraits de Lucrèce II 125-130. 133-141. 157-162. 177-181.185sq.]

[LeClinamen]

Ladeclinatioatomorumaviarecta(déviationdesatomesdelalignedroite)estunedesconséquences lesplusprofondesde laphilosophieépicurienne,elleest fondéedans samarche laplusintime. Cicéron peut bien en rire, la philosophie lui est choseaussi étrangèreque leprésident desEtats libresde l’AmériqueduNord.Lalignedroite,ladirectionsimple,estlasuppressiondel’être

poursoiimmédiat,dupoint;elleestlepointsupprimé.L’atome,l’atomeponctuel,quiexclutdesoil’être-autre,estl’êtrepoursoiabsoluet immédiat ; il exclutdonc ladirectionsimple, la lignedroite, il dévie d’elle. Il démontre que sa nature n’est pas laspatialité,maisl’êtrepoursoi.Laloiqu’ilsuitestuneautreloiquecelledelaspatialité.La ligne droite n’est pas seulement l’être-supprimé du point,

elleestaussisonêtre-là.L’atomeest indifférentà la largeurdel’être-là ; ilneseséparepasendifférencesquisoient ;mais iln’est pas non plus le pur être, l’immédiat, qui, pour ainsi dire,n’est pas jaloux de son être ; il est, au contraire, directement

196

Page 197: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

opposéàl’être-là,ilsefermesurlui-mêmeens’opposantàlui;enlangageconcret,ildéviedelalignedroite.L’atome dévie de sa présupposition, se soustrait à sa nature

qualitative et démontre ainsi que cet acte de se soustraire, cetêtre-refermé-sur-soi, privé de présupposition et de contenu, estpour l’atome lui-même, que c’est ainsi qu’apparaît sa qualitépropre : de la même façon, toute la philosophie épicuriennedéviedesesprésuppositions;ainsi,parexemple,leplaisirn’estqueladéviationhorsdeladouleur,ildéviedel’étatoùl’atomeapparaît comme quelque chose de différencié, étant là, entachéd’unnon-êtreetdeprésupposition[7].Que cette douleur existe cependant, que ces présuppositions

dont on dévie soient pour l’individu, c’est la finitude de cetindividu et ce qui fait sa fortuité.A la vérité, nous découvronsdéjàquecetteprésuppositionestpourl’atome,carilnedévieraitpasdelalignedroitesiellen’étaitpaspourlui.Maiscelatientàlasituationdelaphilosophied’Epicure:ellecherchel’absencede présupposition dans le monde de la présuppositionsubstantiale,ou,en langage logique : comme l’êtrepour soiestsonprincipeexclusifet immédiat,ellea immédiatementenfaced’elle l’être-là, elle n’a pas surmonté logiquement cet être-là.C’estainsiqu’ondéviedudéterminismeenélevantaurangdeloilehasard,lanécessité,l’arbitraire;leDieudéviedumonde,lemonden’estpaspourlui,etc’estpourcelaqu’ilestDieu.On peut donc dire que la declinatio atomi a recta via

(déclinaisondel’atomedelalignedroite)estlaloi,lepouls,laqualité spécifique de l’atome ; c’est pourquoi la doctrine deDémocrite est une philosophie tout à fait différente, non unephilosophiedutempscommel’étaitcelled’Epicure.

197

Page 198: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

quodnisidecinaresolerent,omniadeorsum,...codèrentperinaneprojundum,necoffensusnatusnecplagacreataprincipiis:itanihilumquamnaturacreasset[8]

[Lucr.II221sqq.]

Tandisquelemondesecrée,tandisquel’atomeserapporteàsoi,c’est-à-direàunautreatome,sonmouvementn’estpasceluiquesoumetunêtreautre,celuidelalignedroite,maisceluiquien dévie, celui qui se rapporte à lui-même. Représentématériellement,l’atomenepeutserapporterqu’àl’atome,chacundesatomesdéviantdelalignedroite.

[ExtraitsdeLucrèceII243-245.251-258.281sq.]

La declinatio a recta via est l’arbitrium (déterminationarbitraire, puissance, choix libre), la substance spécifique, lavéritablequalitédel’atome.[ExtraitsdeLucrèceII284-293.]Cettedeclinatio, ce clinamenn’est ni regione loci certa,ni

temporecerto (déterminéni selon le lieu ni selon le temps), iln’estpasunequalitésensible,ilestl’âmedel’atome.Dans le vide, la différence de poids disparaît, car elle n’est

pasuneconditionextrinsèquedumouvement,maislemouvementlui-mêmeétant-pour-soi,immanent,absolu.

[ExtraitdeLucrèceII235-239.]Lucrècelefaitprévaloircontrelemouvementlimitépardesconditionssensibles.

198

Page 199: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

[ExtraitdeLucrèceII230-234.277-280]Cette potestas (puissance, possibilité), ce declinare

(déclinaison, déviation) est l’obstination, l’entêtement del’atome,sonquidaminpectore(lecœur);ellen’indiquepassonrapport au monde, comme elle indique le rapport du mondemécaniquebriséendeuxàl’individusingulier.De même que Jupiter a grandi parmi les danses guerrières

déchaînéesdesQuirites,demêmeicilemondegranditaumilieudelaluttetumultueusedesatomes.Lucrèceestl’authentiquepoèteépiqueromain,carilchantela

substancedel’espritromain.Aulieudesfiguressereines,fortes,toutesd’unepièced’Homère,nousavonsicideshérossolides,àl’armure impénétrable, auxquels manquent toutes les autrespropriétés ; nous avons la guerre de tous contre tous, la formepleine de raideur de l’être pour soi, une nature divinisée et undieunaturalisé.

[Lesqualitésextérieuresdel’atome]

Nous en venons maintenant à la détermination des qualitésextérieures de l’atome ; leur qualité spécifique, intérieure etimmanente, mais qui est plutôt leur substance, nous l’avonsexaminée.Ces déterminations sont très faibles chezLucrèce, etc’est en général une des parties les plus difficiles et les plusarbitrairesdelaphilosophied’Epicuredanssonensemble.

[ExtraitsdeLucrèceII284-303.308-316.333-343.479-499.surlemouvementetlafiguredesatomes]

199

Page 200: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Cette proposition d’Epicure que la figurarum varietas(variété des figures) n’est pas infinita (infinie), mais que lescorpuscula ejusdem figurae infinita sint, e quorum perpetuoconcursu mundus perfectus est usque gignuntur[9], est laconsidération la plus importante et la plus immanente de laposition qu’occupent les atomes par rapport à leurs qualités,c’est-à-dire par rapport à eux-mêmes en tant qu’ils sont lesprincipesd’unmonde.

[ExtraitsdeLucrèceII507-510.512-514.522-527]

La distance, la différence des atomes est finie ; si on nel’acceptait pas comme finie, les atomes seraient en eux-mêmesmédiatisés, ils contiendraient en eux une diversité idéale.L’infinitédesatomescommerépulsion,commerapportnégatifàsoi,engendreunnombreinfinid’atomessemblables,quaesimilissintinfinitas[10][LucrèceII526sq.],leurinfinitén’arienàvoiravec leur différence qualitative. Si l’on accepte l’infinité del’être-différenciédelaformedel’atome,chaqueatomecontientensoil’autrequiestsuppriméenlui,etilsetrouvedanscecasdesatomesquireprésententtoutel’infinitédumonde,commelesmonadesdeLeibniz.

[ExtraitsdeLucrèceII567sq.573-580.586-588.646-651796.842-846.861-864.967-974.980-982;III179-182.186sq.193à195.201sq.229-234.237-244.256sq.867-869]Onpeutdirequedanslaphilosophieépicuriennel’immortel

est la mort. L’atome, le vide, le hasard, l’arbitraire, lacompositionsontensoilamort.

200

Page 201: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

[ExtraitsdeLucrèceIII888-893.1053-1059]

[ParallèleentrelesEpicuriens,lesPiétistesetlesSupranaturalistes]

Il est connu que chez les épicuriens, le hasard est la catégoriesouveraine.Ils’ensuitnécessairementquel’idéen’estconsidéréequecommeunétat ; l’état est la persistance en soi fortuite.Lacatégorielaplusintimedumonde,l’atome,saconnexion,etc.,a,decefait,glisséauloin,estconsidéréecommeunétatpassé.Ontrouve lamêmechosechez lespiétisteset lessupranaturalistes.La création dumonde, le péché originel, la rédemption, toutesces choses et leurs déterminations dévotes comme le paradis,etc.,nesontpasunedéterminationéternelledel’idée,déliéedetoute temporalité immanente,maisunétat.Demêmequ’Epicuretransporte l’idéalité de sonmonde, le vide, hors de cemonde,dans lacréationdumonde,demême lesupranaturaliste incarnel’absencedeprésupposition,l’idéedumondedansleparadis.

1. ↑.Maisl’espoirdelarenomméem’afortementfrappél’espritdesonbâtondethyrse / et cet espoir éveilla en mon âme le désir si doux / des muses, etmaintenant,pleindedésiretl’espritvigoureux,/jemepromènedanslalointainecontréedumontPierus,quepersonnen’avaitencorefoulée./C’estlàquej’ailajoiede trouverdes sourcesvierges / etd’ypuiser, et celledecueillirdes fleursfraîchementécloses/etdemelestresserautourdelatêtecommeunecouronneroyale;/àpersonneauparavantlesMusesn’avaientainsicouvertlestempes./D’abord, en effet,monpoème enseigne des choses de première grandeur. / Jechercheàdélivrer l’âmedes liensde la religion, / ensuite, au sujetd’unechoseobscure, j’écris un poème si lumineux / qui atteint dans sa totalité la grâce desMuses.

2. ↑.Labéatituden’estpaslarécompensedelavertu,maislavertuelle-même.3. ↑.Lesélémentsprimordiauxsonttropfaibles.

201

Page 202: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

4. ↑ . Les mêmes matières sont à la base du ciel et de la terre, de la mer, desfleuves,dusoleil,etc.

5. ↑.Doublenature:chacundoitêtrepourluiparlui-même,etdoitresterpur.6. ↑.Carlàoùs’étendl’espace...jamaisnesetrouveaucuncorps.7. ↑Nousavonsvul’importanceessentielledelacompréhensionconceptuelledela

déclinaison pour la lecture que Marx fait d’Epicure. Ce texte évoque ladialectique du point et de la ligne (et de la surface) produite par Hegel. Lepassagedel’espaceautempsestdonnéparHegelcommedialectique:ilrésultenécessairement de la suppression de l’espace. L’espace est l’immédiat del’indifférence, de l’être hors de soi qui caractérise la nature. Le point est lanégation de l’espace, mais ne sort pas de lui. Le temps est ainsi la vérité del’espace.Lematérialismed’Epicureestlacrispationdumomentdel’espace,cequiexpliquel’éternitédel’êtreatomistique, laquelleestplutôtuneatemporalité.C’est cequidistingue saphilosophiede toutmatérialismedialectique : la réalitéeffectiveesthistoire.C’estencoredecepointdevuequelaconsciencedesoiabstraite a en face d’elle l’effectivité. Elle ne saurait réduire cette différencequ’enseposantelle-mêmecommetemps.Entantquepoint,l’atomeincarnelerefusdeladissolutiondel’espacedansle

temps.Contre«chronos»,ilcherchedansl’espacesasolidité.Maiscettesoliditéestillusoire,puisquelepointestunelimiteabstraiteetinconsistante.L’Analyseserenverse donc : dans l’impossibilité de semaintenirdans l’espace, l’atome niel’espacedanssatotalité.Ilestalorsl’analoguedutemps,«formeimmédiateduconcept».OnvoitenquelsensMarxpeutdirede ladoctrined’Epicurequ’elleestune«philosophiedutemps».Maisleréalismedelareprésentationinterditàcette conception de se libérer de la toute-puissance de l’espace et del’atemporalité.L’atomeresteconçucommeunpointayantlesvertusduconcept(c’est-à-dire du temps). La déclinaison ne se comprend que dans un schémaspatial,alorsqu’ellereprésenteletemps.

8. ↑.S’ilsnedéclinaientpasainsi,tous/tomberaienttoutdroitenbas,danslevideprofond./Aucunerencontreneseraitnéeentreeuxetlescorpsprimordiaux/n’auraientsubiaucunchoc:jamaisdanscesconditionslanaturen’auraitcréé.

9. ↑.Ilyaunnombreinfinid’atomesdemêmefigure,c’estdeleurchocperpétuelquelemondeaétéfait,ilssontengendrés…(onnesaitpasàquoiserapportentcesderniersmots).

10. ↑.Lenombredeceuxquisontsemblablesestinfini.

202

Page 203: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

[EXTRAITSDUVeCAHIER].

[D’après l’éditionMEGA, iln’est restédeceVe cahierque lamoitiédespages.Ellesnecontiennentpresquequedesextraits:Sen.ep.9,1;9,20;79,15;deotioVII3(ou32,11);ep.66,18;67;66,45.47;21,9-11;deconst.sap.XV4;ep.24,22-23;devitabeataXIII1-2;ep.107,1;9,20;81,11;52,3,4;18,9-10;21,7-8(sereporteràStob.flor.XVII23);12,10;13,16-17;14,17;16,7;17;11;18,14-15;19,10;22,15;23,9;25,4;110;26,8;27,9;28,9;7,11;8,7;6,6;97,13;22,5-6;debenef.IV19.Stob.ecl.I,VI17c(§206);VIII40b(§252);X14(§306);XIV1sq.(§346);XVI1(§366);XVIII1a(§380).4a(§388);XIX1(§394)(cf.Diog.X40);XX1sq.(§418);XXI3c(§442);XXII1e(§490)].MEGA:Marxremarque;lepassagesuivantdeStobée,quin’appartientpasàEpicure,faitpeut-êtrepartiedeschoseslesplussublimes[XXI9(§480);XXII3a(§496);XXII3b-c(§496-498);XXIV10(§514) ; XXV 3 f (§ 530-532)]. Plus que le passage cité parSchaubach,celuiquej’aicitéplushaut(Ecl.phys.LIp.5)[I29b(§66)]semblesanctionner lepointdevuequidistinguedeuxsortes d’atomes, quand sont alléguées comme principesimmortels, à côté des atomes et du vide, les όμοιότητες

203

Page 204: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

(ressemblances) qui ne sont pas les είδωλα (images),mais quecette phrase explique : αί δέ λέγονται όμοιομέρειαι καίστοιχεια[1] ; ce sont là les atomes qui sont à la base duphénomène,entantqu’élémentssanshoméoméries,quipossèdentdespropriétésdescorpsàlabasedesquelsilssont.Entoutcas,c’estfaux.Demême,Métrodoreallèguecommecauseαίάτομοικαίστοιχεια[2].L.Ip.52[XXII3a(§496)]

[ExtraitsdeClemAl.strom.VI2;V14;II2;II21.22;IV22;II4.23;I15;IV8;V9]

D’après Clément d’Alexandrie, l’apôtre Paul visait Epicurequand il dit [nous donnons le passage — I 11, 50, 5 sq. —aussitôtentraduction]:«etencore:«Prenezgarde»àcequ’iln’yaitpersonnequifassedevoussonbutinparlaphilosophieetla doctrine vide et pompeuse qui s’inspirent de la traditionhumaine, conformes aux éléments dumonde et non auChrist. »Par ces paroles, il (l’apôtre Paul) n’injurie pas toutes lesphilosophies,maislaphilosophieépicurienne,àlaquelleils’enestpriségalementdanslesActesdesapôtres,cellequisupprimela Providence et divinise le plaisir, celle qui a autrefois renduhonneur aux éléments sans placer au-dessus d’eux la causecréatrice, sans avoir fait apparaître le créateur du monde. »D’accord : les philosophes ont été rejetés parce qu’ils nedéliraientpasàproposdeDieu.Oncomprendmaintenantmieuxlepassage,etonsaitquePaulavisétouslesphilosophes.

[ExtraitsSen.nat.quaest.VI20,5-7;deotiocap.30;devitabeata12,4-5;18,1;debenef.IV2,1;devitabeata11,2;de

204

Page 205: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

benef.IV13,1-2;ep.72,9;89,11;ludusdemorteVIII1;ep.68,10;24,18.Stob. flor.XVII22.23;XVI29;XVII33.34;XLIderepublica(nonétabli)CXVIIdemorte(nonétabli);XVII29;XXIX79;VI57;VIdeintemparantia(nonétabli);ecl.I,I29b(§66)]

1. ↑.Maisellessontappeléeshoméomériesetéléments.2. ↑.Lesatomesetéléments.

205

Page 206: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

[EXTRAITSDUVIeCAHIER.]

[MEGA:lacouvertureduVIecahiermanque]

[ExtraitsdeLucrèceIV30-32.52-55.191-198.216-238.251à255. 279-288 ; V 95 sq. 108 sq. 240-246. 306-310. 351-363.373-375.1169-1182]

[Pointsnodauxdansledéveloppementdelaphilosophie]

Leνου ςd’Anaxagoreentreenmouvementchezlessophistes(leνου ςydevientréellementlenon-êtredumonde)etcemouvementdémoniqueimmédiatcommetels’objectivedansleΔαιμόνιονdeSocrate ; de même, le mouvement pratique de Socrate setransforme encore pour devenir chez Platon un mouvementuniversel et idéel, et le νου ς s’élargit aux dimensions d’unroyaumedes idées.ChezAristote,denouveau,ceprocessusestconçu en vue de la singularité, mais qui maintenant est lasingularitéréelleetconceptuelle.Demêmequ’ilyadanslaphilosophiedespointsnodauxqui

206

Page 207: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

relèvent en elle-même au concret, saisissent les principesabstraitsdansunetotalité,etbrisentainsilefildelalignedroite,ilyaaussidesmomentsoùlaphilosophietournesonregardversle monde extérieur, ne cherche plus à le concevoir, mais nouepour ainsi dire, comme une personne en chair et en os, desintriguesavec lui, sortdu royaume transparentde l’Amenthès[1]poursejeterdanslesbrasdelasirènedumonde.C’estletempsducarnavaldelaphilosophie;qu’elleseglissedansunepeaudechien comme le cynique, ou dans une soutane commel’alexandrin, ou encore dans une vaporeuse robe printanièrecomme l’épicurien. Il lui est alors essentiel de porter desmasquesdepersonnages.OnnousracontequeDeucalion,lorsdelacréationde l’homme, lançadespierresderrière lui ;ainsi laphilosophielancesesyeuxderrièreelle(lesquelettedesamèreestfaitd’yeuxbrillants)[2],quandsoncœurestdevenuassezfortpour créer un monde ; mais de même que Prométhée[3], ayantdérobélefeuduciel,semetàbâtirdesmaisonsetàs’installersur la terre, laphilosophie,qui s’estélargieauxdimensionsdumonde, se tourne vers lemonde des phénomènes.Ainsi de nosjourslaphilosophiedeHegel.Tandis que la philosophie s’est enfermée dans un monde

achevé,total(ladéterminitédecettetotalitéasaconditiondansle développement de cette totalité en général ; elle est aussi laconditiondelaformequireçoitlemouvementdanslequelcettetotalité se renverseenun rapportpratiqueà la réalité), c’est latotalitédumondequisetrouveenelle-mêmescindée(dirimée)etcette scission est portée à son plus haut point, car l’existencespirituelle est devenue libre et s’est enrichie jusqu’à êtreuniverselle.Lebattementdesoncœurestenlui-mêmedevenula

207

Page 208: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

différence,d’unemanièreconcrètequiestl’organismetoutentier.La scission du monde n’est pas causale, s’il est vrai que sescôtéssontdestotalités.Lemondeestdoncunmondedéchiréquifait face à une philosophie en soi totale. Le phénomène del’activité de cette philosophie est donc aussi un phénomènedéchiréetcontradictoire;sonuniversalitéobjectiveserenversedans des formes subjectives de la conscience singulière danslesquellesilestvivant.Desharpesordinairesfontentendreleurssons sous toutes lesmains,mais les harpes éoliennesne jouentquelorsquelabourrasquelesfrappe.Onnedoitpourtantpasselaisser tromper par l’ouragan qui suit une grande philosophie,unephilosophiedumonde.Quinereconnaîtpascettenécessitéhistoriqueestlogiquement

contraint de nier qu’en général, après une philosophie totalequellequ’ellesoit,deshommespuissentencorevivre,oualorsildoit tenir la dialectiquede lamesure comme telle pour la plushautecatégoriedel’espritquisesait,etaffirmeravecquelques-uns de nos hégéliens qui comprennent mal Hegel que lamédiocritéestlephénomènenormaldel’espritabsolu.Maisunemédiocritéquisedonnepourlephénomènerégulierdel’absoluestelle-même tombéedans l’absencedemesure,en l’espèce ladémesuredans la prétention.Sans cettenécessité, onne sauraitconcevoir la venue au jour, après Aristote, d’un Zenon, d’unEpicure, voired’unSextusEmpiricus, et aprèsHegel celle despauvres tentatives, pour la plupart sans fondement, desphilosophesrécents.Lesêtresdedemi-mesureont,àdetellesépoques,lepointde

vue inversedes capitaines tout d’unepièce. Ils croient pouvoirréparer ledommageendiminuant les forces, en les éparpillant,

208

Page 209: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

ensignantuntraitédepaixaveclesnécessitésréelles,tandisqueThémistocle,quandAthènesfutmenacéed’êtredévastée,poussalesAthéniensàl’abandonnertoutàfait,etàfondersurmer,surunautreélément,unenouvelleAthènes.Nousnedevonspasnonplusoublierquel’époquequisuitde

telles catastrophes est une époque de fer, heureuse quand descombatsde titans lamarquent, lamentablequandelle ressembleaux siècles qui suivent clopin-clopant de grandes époquesartistiques,carcessièclessecontententdemoulerdanslacire,le plâtre et le cuivre ce qui a jailli dumarbre deCarrare, toutcommePallasAthénadelatêtedeZeus,lepèredesdieux.Maiselles sont titanesques, ces époques qui succèdent à unephilosophie totale en soi et à ses formes de développementsubjectives, cargigantesqueest ladissensionqui est leurunité.Ainsi vient Rome après les philosophies stoïcienne, sceptique,épicurienne. Ces philosophies sont malheureuses et leurexistence est dure, car leurs dieux sont morts et la nouvelledéesseaencoreimmédiatementlafiguresombredudestin,delapure lumière ou des pures ténèbres. Les couleurs du jour luimanquentencore.Maislenoyauintimedumalheurestquel’âmede l’époque, lamonade spirituelle, qui se suffit à elle-mêmeetestfigurée,àtouslespointsdevue,idéalementenelle-même,nedoit ensuite reconnaître aucune réalité qui ait été achevée sanselle.Lachancedansuntelmalheurestdonclaformesubjective,la modalité dans laquelle la philosophie comme consciencesubjectiveserapporteàlaréalitéeffective.Ainsiparexemple, lesphilosophiesépicurienneetstoïcienne

furent lebonheurde leurépoque ; lepapillondenuit,quand lesoleil universel s’est couché, cherche la lueur de la lampe du

209

Page 210: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

privé.L’autre côté de la question, qui pour l’historien de la

philosophie est le plus important, est que ce renversementaccompliparlesphilosophes,leurtranssubstantiationenchaireten sang est distincte selon la déterminité que porte en elle,commelamarquedesanaissance,unephilosophieensoitotaleetconcrète.C’estenmêmetempsunerépliqueàl’usagedeceuxqui,sousleprétextequeHegeltenaitlacondamnationdeSocratepour juste, c’est-à-direpournécessaire, etqueGiordanoBrunodutexpiersaflammespirituelledanslesflammesetlafuméedesonbûcher,enconcluentdansleurpartialitéque,pourprendreunexemple, la philosophie hégélienne a prononcé elle-même sapropre condamnation. Mais il est important, au point de vuephilosophique,d’insistersurcepoint,car,àpartirdelamanièrespécifique dont s’effectue ce renversement, on peut faire retoursur ladéterminité immanenteetsur lecaractèrequidéfinitdansl’histoire mondiale le cours d’une philosophie. Ce qui seprésentait auparavant comme croissance est maintenant devenudéterminité, ce qui était négativité en soi est devenu négation.Nous voyons ici pour ainsi dire le curriculum vitae d’unephilosophie réduit à sa plus simple expression et à la pointesubjective, demêmequ’àpartir de lamort d’un héros, on peutconcluresurl’histoiredesavie.Lefaitquejetiennelerapportaumondedelaphilosophieépicuriennepourunetelleformedelaphilosophiegrecquepeutmejustifierenmêmetempsdenepasmettre en tête de la philosophie d’Epicure, comme conditionsinhérentesàlavie,desmomentstirésdesphilosophiesgrecquesprécédentes, mais de conclure plutôt rétrospectivement sur cesphilosophies à partir de cette dernière, et ainsi de la laisserexprimerelle-mêmesapositionpropre.

210

Page 211: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

[Surlaformesubjectivedelaphilosophieplatonicienne,critiquedel’écritdeBaur:

l’Elémentchrétiendansleplatonisme]

Pour déterminer en quelques traits de manière encore plusprécise la forme subjective de la philosophie platonicienne, jevaisconsidérerd’assezprèsquelquesvuesdeM. leProfesseurBaur, tirées de son écrit : « l’Elément chrétien dans leplatonisme».Nousobtiendronsainsiunrésultat,enéclairantdumêmecoupdespointsdevuecontradictoires.«L’Elémentchrétienduplatonisme,ouSocrateetleChrist»,

deD.F.C.Baur,Tubingen,1837.Baurditpage24:« La philosophie socratique et le christianisme sont par

conséquentl’unàl’autre,considérésdanscepointdedépartquiest le leur, comme sont la connaissance de soi et lareconnaissancedespéchés.»Il nous semble que la comparaison de Socrate et du Christ

présentéeainsiprouvelecontrairedirectdecequidoitl’être,lecontraired’uneanalogieentreSocrateetleChrist.Connaissancede soi et reconnaissance de ses péchés sont sans nul doutecomme l’universel et le particulier, comme laphilosophie et lareligion.Toutphilosopheoccupecetteposition,qu’ilappartienneà l’ancien temps ou à l’époque moderne. Ce serait plutôt laséparationéternellededeuxdomainesqueleurunité,séparationqui est sans doute aussi un rapport, car toute séparation estséparation d’une unité. Cela voudrait seulement dire que le

211

Page 212: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

philosophe Socrate est au Christ comme un philosophe à unprofesseur de religion.On a beau introduire une ressemblance,uneanalogieentrelagrâceetl’artdel’accoucheuse,l’ironie,quepratique Socrate, cela ne fait que porter à l’extrême lacontradictionetnon l’analogie.L’ironie socratique, telleque laconçoitBaurettellequ’onl’acompriseavecHegel,c’est-à-direlepiègedialectiquequifaittomberlesenscommunnonpasdansunaccroissementdesavoirbienconfortable,maisdanslavéritéqui lui est à lui-même immanente, en le faisant sortir de sonencroûtementdansledivers,cetteironien’estriend’autrequelaformedelaphilosophietellequ’elleserapportesubjectivementà laconsciencecommune.Le faitqu’elleaenSocrate la formed’un homme, d’un sage ironique, découle du caractèrefondamental de la philosophie grecque et de son rapportspécifiqueàlaréalité:cheznous,c’estFrédéricSchlegelquiaenseigné l’ironie comme formule universelle immanente, pourainsidirecommephilosophie.Mais,selonl’objectivité,selonlecontenu,c’estaussibienHéraclite,quinonseulementmépriselesens commun mais le déteste, c’est même Thalès qui enseigneque toute chose se compose d’eau, alors que tout Grec savaitqu’il ne pouvait pas vivre d’eau, c’est Fichte avec son moicréateurdumonde,alorsquemêmeNicholaïreconnaissaitqu’ilnepouvaitpascréerunmonde,cesonttouslesphilosophesquifont valoir l’immanence contre la personne empirique, qui sontdesironistes.Danslagrâce,parcontre,cen’estpasseulementlesujetqui,

grâcié,envientà reconnaîtresespéchés,maisc’estaussiceluiquigrâcieetceluiquis’élèveau-dessusdelareconnaissancedespéchés,quisontdespersonnesempiriques.

212

Page 213: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

SidoncilyaiciuneanalogieentreSocrateetleChrist,cenepeutêtrequecelle-ci:Socrateestlaphilosophiepersonnifiée,leChristestlareligionpersonnifiée.Maisilnes’agitpasicid’unrapportuniverselentrelaphilosophieetlareligion;laquestionest au contraire de savoir comment la philosophie incarnée serapporte à la religion incarnée. Qu’elles se rapportent l’une àl’autre, c’est une vérité très vague, ou plutôt la conditionuniversellede laquestion,etnon le fondementparticulierde laréponse. Dans ce désir de démontrer l’élément chrétien chezSocrate, le rapport des personnalités en présence, le Christ etSocrate,nereçoitpasdedéterminationplusprécisequecellequienfaitlerapportd’unphilosopheàunprofesseurdereligionengénéral ; or, la même vacuité éclate quand on met en rapportd’une part la structure universelle éthique de l’idée socratique,l’Etatplatonicien,aveclastructureuniverselledel’idée,d’autrepart le Christ comme individualité historique avant tout avecl’Eglise.

<Onpasseaussisurunpointdedétailimportant:laRépubliquedePlatonestunproduitdesapropreactivitécréatrice,alorsquel’Egliseest,parcontre,quelque chose de totalement différent du Christ. En même temps [?], laRépubliqueplatonicienneest[?]>

SilejugementdeHegel,queBauraccepte,estjuste,jugementselon lequel Platon, dans sa République, a fait prévaloir lasusbstantialité grecque contre le principe naissant de lasubjectivité,alorsleChristestdiamétralementopposéàPlaton,parcequeleChristfaisaitprévaloircemomentdelasubjectivitécontrel’Etatexistant,qu’ildécrivaitcommeunechosepurementterrestre et donc profane. Le fait que la République de Platonrestaunidéal, tandisquel’Eglisechrétienneatteignaitlaréalité

213

Page 214: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

n’était pas encore la vraie différence ; au contraire, ce rapports’inversa dans le fait que l’idée platonicienne poursuivit sonchemincommeréalité,tandisquel’idéechrétiennelaprécéda.Bref, il serait beaucoup plus exact de dire qu’il y a des

éléments platoniciens dans le christianisme que des élémentschrétiens dans le platonisme, étant donné surtout que les plusanciens pères de l’Eglise proviennent historiquement, pour unepart, de la philosophie platonicienne, par exemple Origène,Hérennius. Il est important au point de vue philosophique que,dans laRépublique de Platon, la première place soit celle dessavantsoudessages.Ilenvademêmepourlerapportdesidéesplatoniciennes auLogos chrétien (p. 38), pour le rapport de laréminiscence platonicienne à la rénovation chrétienne del’homme par laquelle il revient à son image éternelle (p. 40),pour la chute platonicienne des âmes et la chute dans le péchédes chrétiens, qui est unmythe de la préexistence de l’âme (p.43).Rapport du mythe à la conscience platonicienne, migration

platoniciennedesâmes,connexionaveclesastres.Baurditpage83:«Dansaucuneautrephilosophiedel’antiquité,laphilosophie

ne porte autant en elle le caractère de la religion que dans leplatonisme.»CeladoitaussiressortirdufaitquePlatondéfinitle«devoir

de la philosophie » (p. 86) comme une λύσις (libération), uneχωρισαός(séparation,délivrance),uneάπαλλαγή(séparation)del’âme à l’égard du corps, comme une mort et une μελετανάποθνήσκειν(préparationàlamort).

214

Page 215: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

« Que cette force de rédemption soit encore et toujoursattribuéeendernièreinstanceàlaphilosophieestévidemmentlecaractèreunilatéralduplatonisme.»(p.89.)D’uncôté,onpourraitaccepterlejugementdeBaur,qu’aucune

philosophiede l’antiquiténeportedavantage lecaractèrede lareligionquecelledePlaton.Maislasignificationn’enseraitquecelle-ci:aucunphilosophen’aenseignélaphilosophieavecplusd’enthousiasme religieux, pour aucunphilosophe la philosophien’avait davantage la détermination et la forme d’un cultereligieux. En ce qui concerne les philosophes plus intensifscomme Aristote, Spinoza, Hegel, leur comportement lui-mêmeavaituneformeplusuniverselle,moinsplongéedanslesentimentempirique ;maisc’estpourcelaque l’enthousiasmed’Aristote,quandilglorifielaθεωρία(contemplation)commecequ’ilyademeilleur (τό ήδιστον καί άριστον, le plus agréable et lemeilleur),ouquandiladmirelaraisondelanaturedansletraitéπερί της φύσεως ζωϊκης (de animante natura) [Arist. departibusanimalium645a],etplusrécemmentl’enthousiasmedeSpinoza, quand il parle de la contemplation sub specieaeternitatis(auregarddel’éternité),del’amourdeDieu,oudela libertas mentis humanae (liberté de l’esprit humain), ouencorel’enthousiasmedeHegelquandildéveloppelaréalisationéternellede l’idée, legrandorganismede l’universdesesprits,sont plus solides, plus chaudes, plus bienfaisantes à l’esprituniversel formé par la culture ; c’est aussi pour cela que cesenthousiasmes,unefoisconsumés,deviennentlepurfeuidéaldelascience,alorsqueceluidePlatonparvenaitàl’extasecommeàsonplushautsommet.C’estpourquoil’inspirationdePlatonnefut que la bouillote d’esprits singuliers, tandis que celles-cifurent le spiritus animant des développements de l’histoire

215

Page 216: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

mondiale.Si donc on peut aussi, d’un autre côte, admettre que dans la

religionchrétienneprécisément,quireprésenteleplushautpointdudéveloppementreligieux,ildoitsetrouverplusderésonancesévoquantlaformesubjectivedelaphilosophieplatoniciennequecelledesautresphilosophiesantiques,ondoitaussibienaffirmerinversement pour lamême raison que dans aucune philosophiel’antithèse entre le religieux et le philosophique ne sauraits’exprimerplusclairement,parcequ’ici laphilosophieapparaîtdans la détermination de la religion, alors que chez Platon lareligionapparaîtdanslaformedelaphilosophie.Enoutre,lesjugementsdePlatonconcernantlesalutdel’âme,

etc., ne prouvent absolument rien, car tout philosophe veutdélivrerl’âmedeseslimitesempiriques;cequiesticianalogueavec la religion serait seulement lemanque de philosophie quiconsiste à considérer cette rédemption comme le but de laphilosophie, tandisqu’ellen’estque laconditiondusalutde laphilosophie,quelecommencementducommencement.Enfin, ce n’est pas un défaut de Platon, une unilatéralité

d’attribuer cette force de rédemption en dernière instance à laphilosophie:c’estl’unilatéralitéquienfaitunphilosopheetnonun professeur de croyance. Ce n’est pas une unilatéralité de laphilosophie de Platon, mais ce par quoi elle est, elle et elleseule, philosophie. Elle est ce par quoi Platon supprime ànouveau la formule qu’on vient de blâmer d’unemission de laphilosophiequineseraitpaslaphilosophieelle-même.«Icidonc,dansledésirdedonneràcequiestconnuaumoyen

de la philosophie une base indépendante de la subjectivité del’individu singulier, se trouve aussi la raison pour laquelle

216

Page 217: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Platon,aumomentprécisoù ildéveloppedesvéritésquiont leplushautintérêtmoraletreligieux,lesprésenteaussitôtsousuneformemythique.»(p.94.)Ilresteàsavoirsidecettemanièreonadéterminéquoiquece

soit.Lenoyauimplicitedecetteréponsen’est-ilpaslaquestiondemandant la raisonde cette raison ?On se demande, en effet,pourquoi Platon éprouve le désir de donner à ce qui est connupar laphilosophieunstatutpositif,avant toutmythique?Unteldésirest lachoselaplusextraordinairequipuisseêtrediteparun philosophe, quand il trouve la puissance objective non dansson système lui-même, dans la puissance éternelle de l’idée.C’estpourquoiAristoteditquecréerdesmythes,c’estcréerdessentences.Surunplanextérieur,nouspouvonstrouverlaréponseàcette

question dans la forme subjective du système platonicien, laforme du dialogue, et dans l’ironie. Ce qui est jugement d’unindividu et se fait prévaloir comme tel, en opposition à desopinions ou à des individus, a besoin d’un point d’appui grâceauquell’incertitudesubjectivedeviennelavéritéobjective.Mais la question se pose en outre de savoir pourquoi cette

créationdemythessetrouvedanslesdialoguesquidéveloppentdepréférencedesvéritésd’ordremoralet religieux, tandisqueleParménide,quiestpurementmétaphysique,enestexempt.Onse demande pourquoi le fondement positif est un fondementmythique,unfondementquis’appuiesurdesmythes.Et c’est ici l’instant critique où l’œuf tressaute avant

l’éclosion. Dans les développements de questions déterminées,morales, religieuses, oumême portant sur la philosophie de lanaturecommedansleTimée,Platonnesemontrepasàlahauteur

217

Page 218: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

avecsoninterprétationnégativede l’absolu ; là, ilnesuffitpasde tout noyer au sein d’une de ces nuits où, comme dit Hegel,toutes les vaches sont noires ; c’est alors quePlaton empoignel’interprétation positive de l’absolu, et la forme essentielle decette interprétation, fondée en elle-même, est le mythe etl’allégorie.Làoùl’absolusetientd’uncôtéetlaréalitépositivelimitéede l’autre,etoùondoitpourtantmaintenir lepositif,cepositif devient le médium à travers lequel la lumière absolueperce, la lumièreabsolueéclateenunfabuleuxjeudecouleurs,etlefini,lepositifindiqueautrechosequelui-même,ilaenluiuneâmepour laquelle cechangementenchrysalideestun sujetd’émerveillement ; le monde entier est devenu un monde desmythes.Toute figureestuneénigme.Cephénomènes’est répétéaussiàl’époquemoderne,conditionnéparuneloisemblable.Cette interprétation positive de l’absolu et son vêtement

mythico-allégoriquesontlasourcejaillissante,lapulsationdelaphilosophie de la transcendance, d’une transcendance qui a unrapport essentiel à l’immanence en même temps qu’elle ladéchire essentiellement. Ici, sans doute, la philosophieplatoniciennes’apparenteàtoutereligionpositiveetsurtoutàlareligion chrétienne qui est la philosophie achevée de latranscendance. Voilà donc un des points de vue d’où on peuteffectuer un rattachement plus profond du christianismehistorique à l’histoire de la philosophie ancienne. A cetteinterprétationpositivedel’absoluestliélefaitquepourPlatonunindividucommetel,Socrate,est lemiroir,pourainsidire lemythedelasagesse,etlefaitqu’illenommelephilosophedelamortetde l’amour.OnneditpasainsiquePlatonadépassé leSocratehistorique.L’interprétation positive de l’absolu est liéeau caractère subjectif de la philosophie grecque et à la

218

Page 219: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

déterminationdusage.Mortetamoursontlemythedeladialectique[4]négative[5],car

ladialectiqueest la lumière intérieuredans sa simplicité, l’œilpénétrantdel’amour, l’âmeintérieurequin’estpasétoufféeparlecorpsdelascissionmatérielle,lelieuintérieurdel’esprit.Lemythedeladialectiqueestdoncl’amour;maisladialectiqueestaussilefleuvequiarrache,quibriselesmultiplesetleurlimite,qui renverse les figures autonomes, noyant tout dans la meruniquedel’éternité.Sonmytheestdonclamort.Ladialectiqueestdonclamort;maiselleestenmêmetemps

le véhicule de la vie jaillissante, de l’épanouissement dans lesjardins de l’esprit, l’écume que laissent, dans la coupebouillonnante,dessoleilsponctuelsd’oùsurgitlafleurd’undesfeuxdel’esprit.C’estpourcelaquePlotinl’appellemoyenpourάπλωτις (simplicité) de l’âme, pour l’union immédiate avecDieu,expressionquiunitlesdeuxaspects,etrassemblelaθεορία(contemplation) d’Aristote avec la dialectique de Platon.MaiscommecesdéterminationssontchezPlatonetAristotepourainsidire prédéterminées, et ne sont pas développées selon unenécessité immanente, leur enfoncement dans la conscienceempiriquement singulière apparaît chez Platon comme un état,l’étatdel’extase.

[Contrelaconceptiondel’atomismeprofesséeparRitter]

Ritter (dans sonHistoire de la philosophie et de l’antiquité,première partie, Hambourg, 1829) parle avec une certainepréciosité répugnante de moralisme de Démocrite et deLeucippe,brefdeladoctrineatomiste(ilfaitdemêmeàpropos

219

Page 220: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

deProtagoras,Gorgias,etc.).Iln’yariendeplusfacilequedes’octroyer en toute matière la jouissance de son excellencemorale;maissurtoutàproposdesmorts.MêmelesavoirétendudeDémocritedevient l’objetd’unreprochemoraliste(p.563) ;on dit de ce savoir que l’élan du discours qui feintune hauteinspirationdevait«trancher»surlessentimentsbasquisontàlabasedesonpointdevuedelavieetdumonde(p.564).Celanedoitpasêtreuneremarquehistorique!Pourquoiyaurait-ileu,justement, à la base de sa conception, ces sentiments, et nonplutôtinversementlemodespécifiquedesaconceptionetdesonintelligence du monde à la base de ces sentiments ? Nonseulementledernierprincipeestplushistorique,maisc’estaussile seulquidonneà l’examendes sentimentsd’unphilosophe ledroitdeprendreplacedansl’histoiredelaphilosophie.C’estlàquenousvoyonscequis’estexposéànouscommesystèmedansla figured’unepersonnalité spirituelle ;nousvoyonspourainsidireledémiurgevivantaumilieudesonmonde.« Demême teneur est aussi le principe de Démocrite selon

lequelondevraitaccepterunoriginel,nondevenu,carletempset l’infini ne sont pas devenus, si bien que chercher leurfondement reviendrait à chercher le commencement de l’infini.Onnepeutvoir iciqu’unrefussophistiquede laquestionde lacausepremièredelatotalitédesphénomènes.»(p.567.)Je ne peux voir dans cette explication de Ritter qu’un refus

moraliste de la question de la raison de cette définition deDémocrite;l’infiniestplacé,entantqueprincipe,dansl’atome.Cela réside dans sa détermination. Demander une raison pourcette détermination serait évidemment supprimer déterminationconceptuelledel’atome.

220

Page 221: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

«Démocriten’attribueauxatomesqu’unequalitéphysique,lapesanteur… on peut ici aussi reconnaître encore l’intérêtmathématiquequichercheàsauver lapossibilitéd’appliquer lasciencemathématiqueaucalculdupoids.»(p.568.)« Les atomistes dérivaient donc aussi le mouvement de la

nécessité,enpensantcettenécessitécommel’absencederaisondumouvementquiretourneàl’indéterminé.»(p.570.)

[Extraits de Sext. Emp. adv. dogm. III 19-21. 25. 28. 71-72 ;Pyrrh.hyp.III218;adv.dogm.IV219-221.240-241.244.]

[LejugementdeHegelsurlaphilosophieépicuriennedelanature]

Si maintenant, d’après Hegel non plus (voir les Œuvrescomplètes,volume14,p.492),iln’yapasdegrandelouangeàadresser à la philosophie épicurienne de la nature, si l’on faitprévaloirlegainobjectifcommecritèredujugementcritique,ilfaut, de l’autre côté, selon lequel certains phénomèneshistoriquesneméritentpasunetellelouange,admirerlalogiqueouverte,authentiquementphilosophique,quiétaledanstouteleurampleurlesinconséquencesdesonprincipeenelles-mêmes.LesGrecsresterontéternellementnosmaîtresàcausedecettenaïvetégrandiose et objective qui fait briller chaque chose dans sanudité,danslapurelumièredesanature,mêmesicettelumièreestobscurcie.C’estsurtoutnotreépoquequiaavanttoutproduit,mêmedans laphilosophie,desphénomènescoupables,entachésduplusgrandpéché, lepéchécontre l’espritet lavérité, tandisque se loge une intention cachée derrière le jugement et un

221

Page 222: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

jugementcachéderrièrelachose.

SCHEMADELAPHILOSOPHIEDELANATURE[DEHEGEL]

[Premièreversion]

A.—CLASSIFICATIONGÉNÉRALE(§252).

L’idéeentantquenatureest:1)Dans la détermination de l’extériorité réciproque, de la

singularisationabstraite[6],horsdelaquellel’unitédelaforme,cette formeen tantqueforme idéellen’étantqu’ensoi[7],est lamatièreetsonsystèmeidéel.Lamécanique.Natureuniverselle[8].2) Dans la détermination de la particularité, si bien que la

réalitéestétablieavecunedéterminationformelleimmanenteetunedifférenceexistantenelle,unrapportderéflexion,dontl’êtreensoiestl’individualiténaturelle[9].3) Nature singulière [ne se trouve pas chez Hegel].

Détermination de la subjectivité, dans laquelle les différencesréellesdelaformesontramenéestoutaussibienàl’unitéidéellequi s’est trouvée elle-même et est pour soi.Organique (232-233).

I.—MECANIQUE

222

Page 223: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

A.—LAMÉCANIQUEABSTRAITEUNIVERSELLE

a) [§ 254] L’espace. La continuité immédiate, sont en tantqu’extérieurs:

a)[§255]Lesdimensions:hauteur,longueuretlargeur.

b) [§ 256] Point, ligne et surface : d’un côté unedéterminitéàl’égarddelaligneetdupoint,d’autrepartentant que rétablissement de la totalité spatiale : surfaceencerclantequisécrèteunespacesinguliertotal[236-237].

b)Letemps.Ladiscrétionimmédiate[§258,259]:Ledevenircontemplé[239]:présent,futuretpassé(maintenant,etc.).

c) [§261] Unité immédiate de l’espace et du temps dans ladétermination de l’espace : le lieu ; dans la détermination dutemps,lemouvement;leurunité,lamatière.

B.—[§262]LAMÉCANIQUEPARTICULIÈRE.MATIÈRE.MOUVEMENT

RÉPULSION—ATTRACTION—PESANTEUR

223

Page 224: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

a) [§263]Lamatière inerte, lamasse, ...commecontenu, estindifférenteàl’égarddelaformedel’espaceetdutemps.

[§264]Mouvementextérieur-</nowiki>matièreinerte.

b) [§265]Le choc.Communication dumouvement -poids -vitesse-

[§266]centreextérieur,repos,attractionvers lecentre -pression.

c)[§267,268]Lachute,éloignementducentre.

C.—[§269]LAMÉCANIQUEABSOLUEOUMÉCANIQUEPLUSRESTREINTE.GRAVITATION.MOUVEMENTCOMMESYSTÈMEDEPLUSIEURSCORPS[§270].CENTREUNIVERSEL.ABSENCEDECENTRESINGULARITÉ.

LESCENTRESINDIVIDUELS.

II.—PHYSIQUE

A.—UNIVERSALITÉDANSLAPHYSIQUE.a)[§274]Lescorpsuniversels.Identité.

a)Lumière(soleil,étoiles)[§277] l’obscur(sec). [§278](relationspatiale-directe).

b)[§279]Corpsdel’opposition.L’obscur.

1)En tantqu’êtredifférencié corporel, raideur,

224

Page 225: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

êtrepoursoimatériel.

2) Opposition comme telle. La solution, ouneutralitédescorpslunairesetdescomètes.

c) [§ 280]Corps de l’individualité. Terre ou planète engénéral.

b)[§281]Lescorpsparticuliers.Eléments.

a)[§282]Air.Universaliténégative.

b)[§283-284]Elémentsdel’opposition.Feueteau.

c)[§285]Elémentindividuel,terréité,terre.c)Lasingularité.Leprocessusélémentaire.

[§286]Processusmétéorologique.

a)[§287]Scissiondel’identitéindividuelledans lesmomentsdel’oppositionautonome,danslaraideuretdanslaneutralitéimpersonnelle[§286].

b) [§ 288] La consomption par le feu de l’élémentpersistant distinct tenté [§ 287]. Ainsi la terre estdevenue elle-même, comme individualité réelle etfertile[§287].

225

Page 226: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

B.—PHYSIQUEDEL’INDIVIDUALITÉPARTICULIÈRE

a) [§ 293] Pesanteur spécifique. Densité de la matière,rapportdupoidsàlamasseetauvolume.

b) Cohésion, qui apparaît comme mode propre de larésistance dans son comportement mécanique à l’égardd’autresmasses[§293].

[§296]Adhésion—Cohésion,etc.[§297]Elasticité.

c)[§299-300]Leson.

d) [§ 303-304] La chaleur [§ 305] (Capacité de chaleurspécifique).

C.—PHYSIQUEDEL'INDIVIDUALITÉSINGULIÈRE

a)[§310]Figure.

a) [§ 311] La figure immédiate, l’extrême de laponctualité de la fragilité cassante, l’extrême de lafluiditéquisemetenboule.

b) [§ 312] Le cassant s’ouvre à la différence duconcept[§308].Magnétisme.

c) [§ 315] L’activité passée dans son produit, le

226

Page 227: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

cristal[§312].

b)[§316]Figureparticulière.

a)[§317]Rapportàlalumière.1)Transparence.

2) [§ 318] Réfraction. [(§ 319) comparaisonintérieuredanslecristal.]

3) [§ 320] Le cassant comme obscurcissement,métallité(couleur).

b) [§321,322]Rapportau feuetà l’eau.Odoratetgoût.

c) [§ 323]La totalité dans l’individualité complète.Electricité.

c)[§326,329]Processuschimique.

a)Union.

1) [§ 330] Galvanisme. Métaux. Oxydation,déoxydation.

2)[§331]Processusdufeu.

3)[§332]Neutralisation,processusdel’eau.

4) [§ 333] Processus en totalité, affinitésélectives.

227

Page 228: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

b)[§334]Séparation.

[Deuxièmeversion]I.—MECANIQUE

A.—MÉCANIQUEABSTRAITE

a) Espace. Hauteur, largeur, profondeur. Point, ligne,surface.

b)Temps.Passé,présent,avenir.

c)Lieu. Mouvement et matière (répulsion, attraction, lapesanteur).

B.—MÉCANIQUEFINIE

a)Matière inerte. Masse en tant que contenu. Espace ettempsentantqueforme,mouvementextérieur.

b) Choc. Communication du mouvement, poids. Vitesse,centreextérieur,repos,attractionverslecentre.Pression.

c)Lachute.

C.—MÉCANIQUEABSOLUE.GRAVITATION

Lescentresdistincts.

228

Page 229: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

II.—PHYSIQUE

A.—PHYSIQUEDEL’INDIVIDUALITÉUNIVERSELLE

a)Corpslibres.

a)Lumière(corpsdelalumière).b)Raideur(lune)solution(comète).c)Terre.

b)Eléments.

a)Air.b)Feu.Eau.c)Terre.

c)Physiquemétéorologique.

B.—PHYSIQUEDEL’INDIVIDUALITÉPARTICULIÈRE

a)Poidsspécifique.b)Cohésion(adhésion,cohésion,etc.Elasticité).c)SonetChaleur.

C.—PHYSIQUEDEL’INDIVIDUALITÉTOTALE

a)Figure.

229

Page 230: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

a)Ponctualitécassante,fluiditéroulante.b)Magnétisme.c)Cristal.

b)Figureparticulière.

a) Rapport à la lumière. Transparence, réfraction,métallité,couleur.b)Rapportàl’eauetaufeu,odorat,goût.c)Electricité.

[Troisièmeversion]A.

a)Espace.b)Temps.c)Lieu.d)Mouvement.e)Matière,Répulsion,Attraction,Pesanteur.

B.

a)Matièreinerte.b)Choc.c)Chute.

C.

a)Gravitation,répulsionetattractionréelles(real).

230

Page 231: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

II

A.

a)Corpsdelalumière.b)Corpslunaireetcomètes.c)Terréité.d)Air,FeuetEau.Terre.e)Processusmétéorologique.

B.

a)Poidsspécifique.b)Cohésion.c)SonetChaleur.

C.

a)Magnétisme.b)Electricitéetchimisme.

III

A.

a)Naturegéologique.b)Lanaturevégétale.

231

Page 232: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

1. ↑.Amenthès:lieuoùvontlesâmesselonlacroyanceégyptienne,mentionnéparPlutarque.

2. ↑.Cettemétaphoreunpeulourdemarquelefaitquelaphilosophierenonceàsonattitude contemplative, spéculative, à sa contemplation du monde, pourtransformereffectivementlemonde:ellesefaitpratique.

3. ↑ . Prométhée est le héros de la critique des Jeunes hégéliens. C’est le hérosantireligieuxparexcellence,celuiquiravitlefeuauxdieuxetorganiselaterreenlui apportant la culture (cf. Eschyle). Prométhée est à la fois le symbole del’orgueil de la conscience de soi humaine qui vient à bout de tous les dieux, etceluidelavolontétransformatricedumonde.

4. ↑.Corrigéen:àceciserattacheladialectiquenégative.5. ↑.MEGA:pourraitaussivouloirdire:deladialectiqueancienne.6. ↑.ChezHegelinfinie(d’aprèsMEGA,demêmequelesnotesquisuivent).7. ↑.ChezHegelétant,etdoncn’étantquecherchée.8. ↑.NesetrouvepaschezHegel.9. ↑.ChezHegelsetrouvelemotphysique.

232

Page 233: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

PHILOSOPHIEÉPICURIENNE.VIIeCAHIER.

[ExtraitsdeCic.denat.deorumI:VIII18,XIII32,XIV36,XV39,XVI43,XVII44-45,XVIII46,XX56,XXI58,XXIII62-64,XXIV66-68,XXV69-70]

[Lerapportdesphilosophiesépicurienne,stoïcienneetsceptiqueauxphilosophiesgrecquesantérieures]

C'estunphénomèneentouspointsremarquablequelecycledestrois systèmes philosophiques grecs qui forment la fin de laphilosophie grecque pure, les systèmes épicurien, stoïcien etsceptique, reçoivent tout prêts et tout trouvés de leur passé leséléments principaux de leur système. C'est ainsi que laphilosophiedelanatureprofesséeparlesstoïciensestpourunelargeparthéraclitéenne,leurlogiqueanalogueàcelled'Aristote,si bien que déjà Cicéron remarqueStoici cum peripateticis reconcinere videntur, verbis discrepare[1] (de nat. deorum L. IVII). La philosophie de la nature d'Epicure est, dans ses traitsfondamentaux, démocritéenne, sa morale analogue à celle descyrénaïques.Lessceptiques,enfin,sontparmilesphilosophesles

233

Page 234: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

érudits;leurtravailconsisteàmettreenopposition,doncaussiàrecevoir les différentes affirmations déjà découvertes. Ils ontlancépar-dessusleurépaulesurlessystèmesunregardexpertàuniformiser, à aplanir, et ont ainsi mis en évidence lacontradiction et l'antithèse. Leur méthode à eux aussi a sonprototypeuniverseldansladialectiquedesEléates,dessophistesetdespréacadémiciens.Etpourtantcessystèmessontoriginelsetformentuntout.Mais cen'est pas seulementqu'ils aient trouvé toutprêtsdes

éléments pour construire leur science ; les esprits vivants deleurs empires spirituels ont, pour ainsi dire comme desprophètes,précédécesempires.Lespersonnalitésquifontpartiedeleursystèmefurentdespersonnalitéshistoriques;l’Incarnéfutpour ainsi dire système pour le système. Ainsi Aristippe,Antisthène,lessophistes,etc.Commentcomprendrecela?

[L’atomecommelaformelaplusuniverselleduconceptdanslaphilosophiqueépicuriennedelanature]

χωρίζεσθαιδέτου τομέντωνόλλωνδυνατόν,τάδ’άλλατούτουαδύνατον έν τοις θνητοις[2]. Cette remarque que faitAristote àproposde«l’âmenutritive»:deanimaL.IIc.II[413b16sq.],il faut l’avoir à l’esprit également à propos de la philosophied’Epicure:enpartielaconcevoirelle-même,enpartiesaisirdesabsurdités apparentes propres àEpicure ou à lamaladresse desesfuturscenseurs.Laformelaplusuniverselleduconceptestchezluil’atome;

234

Page 235: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

ilest l’être leplusuniverseldececoncept,maisquiensoiestconcret, est un genre, même une espèce qui s’oppose aux plushautes déterminations qui doivent concrétiser le concept de saphilosophie.L’atomeresteainsil’êtreensoiabstrait,parexempleceluide

la personne, du sage, de Dieu. Ces figures sont desdéterminations ultérieures qualitatives plus hautes du mêmeconcept. Iln’yadoncpas, lorsdudéveloppementgénétiquedecette philosophie, à poser la question maladroite de Bayle,Plutarque et consorts : commentunepersonne,un sage, undieupeuvent-ilêtrefaitsd’atomesetêtredescorpscomposés?Mais,d’unautrecôté, cettequestion sembleêtre justifiéeparEpicurelui-même, car, lors de développements élevés (par exemple :Dieu), il dira que celui-ci est fait d’atomes plus petits et plusfins. Il faut remarquersurcepointquesapropreconsciencesecomportevis-à-visdesesdéveloppementsetdesdéterminationsultérieures de son principe qui s’imposent à lui comme laconsciencenonscientifiquedeceuxqui le jugèrentplus tard secomporteàl’égarddesonsystème.Prenons par exemple le cas de Dieu : quand on demande

quelle est son existence et quel est son être en soi, abstractionfaitede ladéterminationformelleplusprécisequ’ilpossèdeentant que membre nécessaire dans le système, l’existence(Bestehen)universelleestengénérall’atomeetlamultitudedesatomes ; mais c’est justement dans le concept de Dieu, ou dusage,quecetteexistences’estdissoutedansuneformeplushaute.Son être en soi spécifique est précisément sa déterminationconceptuelle ultérieure et sa nécessité dans l’ensemble dusystème. Si l’on conçoit encore un être, autre que celui-ci, on

235

Page 236: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

retombedansledegréetlaformeinférieursduprincipe.Epicureestpourtantcontraintderetombersanscesseainsi,car

saconscienceestuneconscienceatomistique,demêmequesonprincipe. L’essence de sa nature est aussi l’essence de saconsciencedesoieffectivementréelle.L’instinctquilepousse,etles déterminations plus précises de cette essence conforme àl’instinctsontdemêmeencorepourluiunphénomèneàcôtéd’unautre, et, de la haute sphère de sa philosophie, il retombe ets’enfonce dans le plus universel ; la raison principale de cesrechutesestque l’existence (Bestehen]en tant qu’être pour soiengénéralestpourluilaformedetouteexistenceengénéral.Cette conscience essentielle du philosophe se sépare de son

propresavoirphénoménal,maiscesavoirphénoménallui-même,dans sesmonologues sur son propre problème intérieur, sur lapenséequ’ilpense, est conditionné, conditionnépar leprincipequiestl’essencedesaconscience.

[Lestâchesdel’historiographiephilosophique]

L’historiographie philosophique non seulement ne doit pasgaspillersontempsàconcevoirlapersonnalité,mêmesic’estlapersonnalitéduphilosophe,commelefoyeretlaconfigurationdesonsystème,maisdoitencoremoinsseperdredansdesvétilleset des subtilités psychologiques ; elle doit au contraire séparerdans chaque système les déterminations elles-mêmes, lescristallisations réelles qui le traversent, des arguments, desjustifications au cours d’entretiens, de la manière dont lesphilosophes se présentent, si tant est qu’ils se connaissent eux-mêmes ; elledoit faire ladifférenceentre la taupeduvéritable

236

Page 237: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

savoir philosophique qui ne cesse jamais son travail et laconsciencephénoménologiquebavarde,exotérique,auxattitudesmultiplesetvariées,laconsciencedusujetquiestleréceptacleet l’énergiedecesdéveloppements.C’estdanslaséparationdecette conscience que réside justement son unité. Ce momentcritique,lorsdelaprésentationd’unephilosophiehistorique,estabsolumentnécessairepourconcilierlaprésentationscientifiqued’un système avec son existence historique ; cettemédiation, ilfaut commencer par la donner, pour la bonne raison quel’existenceenquestionestuneexistencehistorique,maisaétéenmême temps affirmée comme une existence philosophique, et adonc été développée selon son essence. En présence d’unephilosophie,onn’asurtoutpasledroitd’acceptersurlabasedel’autoritéetdelabonnefoisaprétentionàêtreunephilosophie,même si l’autorité est un peuple et la foi celle de plusieurssiècles. La preuve ne peut, au contraire, être fournie que parl’expositiondel’essencedelaphilosophieenquestion;cesdeuxaspects, l’historiographede laphilosophie les sépare, essentieletinessentiel,présentationetcontenu,sinonildevraitseborneràcopier,ilauraitàpeineledroitdetraduire,etencoremoinsceluid’intervenir dans le débat oude raturer, etc. Il serait le simplecopisted’unecopie.

La bonne question serait donc plutôt : comment le conceptd’une personne, d’un sage, de Dieu et les déterminationsspécifiquesdecesconceptsentrent-ilsdanslesystème,commentsont-ilsdéveloppésàpartirdelui?

[Lalibertédelaconscienceentantqueleprincipedela

237

Page 238: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

philosophied’Epicure]

[ExtraitsdeCic.defin.I:VI17,21,VII22-23,IX29-30,XI37-38,XII40-42,XIII45;XVIII57-58,XXI62-63]

Quand nous reconnaissons la nature comme rationnelle, notredépendance à son égard cesse.Elle n’est plus un sujet d’effroipour notre conscience ; c’est justement Epicure qui fait de laformedelaconsciencedanssonimmédiateté(l’êtrepoursoi),laforme de la nature. Ce n’est que lorsque la nature est laisséetotalement libreà l’égardde la raisonconsciente,etqu’elleestconsidérée à l’intérieur d’elle-même comme raison, qu’elle esttoutentièrepossessiondelaraison.Touterelationàlanature,entantquetelle,estenmêmetempsunêtrealiénédecettenature[3].

[ExtraitsdeCic.defin.I,XIX64.XX65-68.XXI71-72;II,II4.VII21.XXVI82.XXXI100;III,I3]

[COUPD’ŒILSURLESCAHIERSD’EXTRAITSDEBERLIN(1840-1841)]

[1.Cahier(1840):Aristote,deanimaIII.

238

Page 239: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

2.Cahier(1840)ou(1841:AristotedeanimaIIIetI.

3.Cahier(1841):Spinoza,Traitéthéologico-politique.

4.Cahier(1841):Spinoza,LettresI.

5. Cahier (1841) : Spinoza, Lettres II, et Extraits d’unegrammaireitalienne.

6.Cahier(1841):Leibniz,Extraitsdedifférentsécrits.

7. Cahier (1841) : David Hume, De la nature humaine,Iervolume(surl’entendementhumain).

8. Cahier (1841) : Karl Rozenkranz, Histoire de laphilosophie kantienne, Leipzig 1840 (indicationsbiographiques et bibliographiques tirées des chapitres surl’extension, le combat et le triomphe de la philosophiekantienne.]

1. ↑.Lesstoïciensontsembléêtred'accordaveclespéripatéticienssurlachoseetnes'enséparerqueparlesmots.

2. ↑ . Cette fonction peut être séparée des autres, mais à l’inverse celles-ci nepeuvent,chezlesmortels,êtreséparéesdecelle-là.

3. ↑.Laremarquelaplusprofondedutexte:ilfautconsidérerlarationalitépropreà lanature etnon lapenser selon la rationalitéconsciente(donc abstraite). Leprinciped’unvéritablematérialismeesticiénoncé,bienquelaconceptiond’uneraison finalement commune aux deux termes témoigne de l’esprit hégélien decetteremarque.Toutl’espritdutexteyestdoncconcentré.

239

Page 240: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

>

II

DISSERTATION

Différencedela

philosophiedelanaturechez

DÉMOCRITEetÉPICURE

avecunappendice

ASONTRESCHERAMIPATERNEL,leconseillerintimedugouvernement

M.LudwigvonWestphalenàTREVES

240

Page 241: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

sontdédiéesceslignesentémoignaged'amourfilialparl'auteur

Vousm’excuserez,mon trèscheramipaternel,deplacervotrenomsibien-aiméentêted’unebrochureinsignifiante.Jen’aipasla patience d’attendre une autre occasion de vous donner unfaibletémoignagedemonaffection.Puissenttousceuxquidoutentdel’idéeavoir,commemoi,le

bonheurd’admirerunvieillardpleindeforcejuvénile,quisaluechaqueprogrèsdenotreépoqueaveclemélanged’enthousiasmeet de prudence qui caractérise la vérité, et qui, plein de cetidéalisme profondément convaincu et lumineux qui seul connaîtla vérité et devant lequel comparaissent tous les esprits dumonde,nereculajamaisd’effroidevantlesombresdesfantômesrétrogradesnidevantlecielsouventpleindesombresnuagesdenotre époque, mais qui, avec une énergie divine et un regardd’unevirileassurance,n’acessédecontempleràtraverstoussesdéguisementsl’empyréequibrûleaucœurdumonde.Vous,monpaternel ami, vous fûtes toujours pour moi un vivantargumentum ad oculos[1] de ce que l’idéalisme n’est pas unefiction,maisunevérité.Lebien-êtrephysique,jen’aipasbesoindevouslesouhaiter.

C’est l’esprit, legrandmédecinmagiqueauquelvous vousêtesconfié[2].

1. ↑.Démonstrationévidente.2. ↑ . MEGA : à l’origine, le troisième paragraphe était rédigé ainsi : Ce

241

Page 242: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

messager d’affection que je vous envoie, je souhaite pouvoir marcher sur satrace, et, à votre côté, traverser de nouveau, au gré de notre fantaisie, nosmontagnesetnosforêtsmerveilleusementpittoresques.Lebien-êtrephysique,jen’ai pas besoin de vous le souhaiter. L’esprit et la nature sont les grandsmédecinsmagiquesauxquelsvousvousêtesconfiés.[Aucôtéde lapage, onnote encore cette instruction typographique : cette dédicace doit êtreimpriméeencaractèresplusgrands.]

242

Page 243: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

AVANT-PROPOS

La forme de cette étude aurait été plus rigoureusementscientifique et d’autre part, pour plusieurs développements,moins pédante, si sadestination primitive n’avait pas été celled’êtreunedissertationdedoctorat.Desraisonsextrinsèquesmedécidentàlafairenéanmoinsimprimersouscetteforme.Jecroisy avoir en outre résolu un problème, insoluble jusqu’ici, del’histoiredelaphilosophiegrecque.Lesgenscompétentssaventquepourl’objetdecetteétude,il

n’existe pas de travaux antérieurs que l’on puisse de quelquemanièreutiliser.LespapotagesdeCicéronetdePlutarque,onlesa ressassés jusqu’à l’heure présente. Gassendi, qui a libéréEpicurede l’interditdont l’avaient frappé lesPèresde l’Egliseet tout le Moyen Age, l’époque de la déraison réalisée, neprésentedanssonexposéqu’unmomentintéressant.Ilchercheàaccommodersafoicatholiqueavecsasciencepaïenne,Epicureavecl’Eglise,cequiestassurémentpeineperdue.C’estcommesionvoulaitjeterladéfroqued’unenonnechrétiennesurlecorpssplendideetflorissantdelaLaisgrecque.Loindepouvoirnous

243

Page 244: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

instruiresurlaphilosophied’Epicure,c’estplutôtd’EpicurequeGassendiprenddesleçonsdephilosophie.On voudra bien ne voir dans cette étude que l’ébauche d’un

écrit plus important où j’exposerai par le détail le cycle desphilosophies épicurienne, stoïcienne et sceptique dans saconnexion avec l’ensemble de la spéculation grecque. Lesdéfauts de cette étude en ce qui concerne la forme, etc., serontalorssupprimés.Hegel,ilestvrai,adéterminédansl’ensembleavecexactitude

l’élément général de ces systèmes, mais le plan admirable degrandeuretdehardiessedesonhistoirede laphilosophie,datede naissance proprement dite de l’histoire de la philosophie,l’empêchaitd’entrerdansledétail ;d’autrepart, l’idéequ’ilsefaisaitdecequ’ilappelaitspéculatifparexcellence[1]empêchaitcepenseurgigantesquedereconnaîtredanscessystèmeslahauteimportancequ’ilsontpourl’histoiredelaphilosophiegrecqueetpour l’esprit grec en général. Ces systèmes sont la clef de lavéritable histoire de la philosophie grecque. Au sujet de leurconnexion avec la vie grecque on trouve une esquisse assezprofondedansl’écritdemonamiKöppen:«Frédériclegrandetsesadversaires».Sij’aiajoutéenappendiceunecritiquedelapolémiquemenée

parPlutarquecontrelathéologied’Epicure,c’estparcequecettepolémique n’est pas un phénomène isolé, mais le représentantd’une espèce : elle représente le rapport de l’entendementthéologisantàlaphilosophiedemanièretrèspertinente.Entreautreschoses,nousn’envisageronspas,danslacritique,

lafaussetégénéraledupointdevuedePlutarque,quandiltraîne,pourl’yjuger,laphilosophieauforumdelareligion.N’importe

244

Page 245: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

quel raisonnement peut être remplacé par ce passage deDavidHume : « C’est certainement une sorte d’injure pour laphilosophie de la contraindre, elle dont l’autorité souverainedevrait être reconnue en tous lieux, à plaider sa cause en touteoccasion au sujet des conséquences qu’elle entraîne, et à sejustifier auprès de tout art et de toute science qu’elle vient àchoquer. On pense alors à un roi qui serait accusé de hautetrahisonàl’égarddesespropressujets.»Laphilosophie, tant qu’il lui restera unegoutte de sangpour

fairebattresoncœurabsolumentlibrequisoumetl’univers,neselasserapasdejeteràsesadversaireslecrid’Epicure:«Ἀσεβὴςδὲ οὐχ ὁ τοὺς τῶν πολλῶν θεοὺς ἀναιρῶν, ἀλλ' ὁ τὰς τῶνπολλῶνδόξαςθεοῖςπροσάπτων[2].»[Diog.X123]Laphilosophienes’encachepas.Ellefaitsiennelaprofession

defoideProméthée:

άπλωλόγωτούςπάνταςέχθαίρωθεούς[3].[Eschyle975]

cetteprofessiondefoiestsapropredevisequ’elleopposeàtouslesdieuxducieletdelaterrequinereconnaissentpascommeladivinitésuprêmelaconsciencedesoihumaine.Cetteconsciencedesoinesouffrepasderival.Maisauxtristessiresquijubilentauspectacledel’apparente

dégradationde lasituationsocialede laphilosophie,elle faitàson tour la réponse que Prométhée fit à Hermès, serviteur desdieux:

τηςσηςλατρείαςτήνέμήνδυσπραξίαν,

245

Page 246: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

σαφωςέπίστασ’,ούκάνάλλάξαιμ’έγώ.Κρεισσονγάροιμαιτηδελατρεύεινπέτραήπατρίφυ ναιΖηνίπιστόνάγγελον.[4].[Esch.966]

Dans le calendrier philosophique, Prométhée occupe lepremierrangparmilessaintsetlesmartyrs.

Berlin,mars1841.

ESQUISSED’UNNOUVELAVANT-PROPOS

La dissertation que je livre au public <que je publie> est untravailancienetnedevait<quinedevait>trouverplacequedansunexposéd’ensembledesphilosophiesépicurienne,stoïcienneetsceptique.

Maiscependant,des travauxpolitiques<mesoccupationsprofessionnelles> <mon activité professionnelle> aussibienquephilosophiques<desquestionsd’actualité>d’unintérêt plus immédiat <plus important m’empêchentprovisoirement d’achever la présentation d’ensemble de

246

Page 247: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

ces philosophies <empêchent l’accomplissement de cetouvrageplusimportant;>commej’ignorequandlehasard<l’occasion>mepermettradereveniràcesujet<meneràbonnefincesujet,>jemecontente…

Des occupations politiques et philosophiques d’un tout autregenre ne m’ont pas permis de penser à l’exécution de cetouvrage.

<Jepensepourtantquemêmecesujet>Laphilosophied’Epicure,desstoïciensetdessceptiques,laphilosophie de la consciencede soiont été négligées<ont><peuventseulementmaintenant>parlesphilosophesqui se sont succédés jusqu’ici<lesphilosophesd’école>entantquenonspéculatives<ontétérejetées>toutautantque par les maîtres d’école <historiens> érudits <leshistoriographesde laphilosophie>quiécriventaussideshistoires de la philosophie comme <décadence>incroyablementvides.Ce n’est quemaintenant que le temps est venu, où on

comprendra les systèmes des épicuriens, des stoïciens etdes sceptiques.Ce sont lesphilosophesde laconsciencede soi. Ces lignes révéleront au moins combien peujusqu’icicesujetaétééclairci.

CONTENU

247

Page 248: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

SURLADIFFERENCEDELAPHILOSOPHIEDELANATURECHEZDEMOCRITEETEPICURE

PREMIÈREPARTIE:Différence,aupointdevuegénéral,delaphilosophiedelaNaturechezDémocriteetEpicure.

I.Objetdel’Etude.

II.JugementssurlerapportdelaphysiquechezDémocriteetEpicure.

III. Difficultés relatives à l’identité de laphilosophie de la Nature chez Démocrite etEpicure.

IV. Différence principielle générale de laphilosophie de la Nature chez Démocrite etEpicure.

V.Résultat.

DEUXIÈME PARTIE :Différence, considérée dans le détail,de la philosophie de la Nature chez Démocrite etEpicure.

248

Page 249: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Premierchapitre:Ladéclinaisondel’atomedelalignedroite.

Deuxièmechapitre:Lesqualitésdel’atome.

Troisième chapitre : άτομοι άρχαί et άτομαστοιχεια[5].

Quatrièmechapitre:Letemps.

Cinquièmechapitre:LesMétéores.

APPENDICE

CRITIQUEDELAPOLEMIQUEDEPLUTARQUECONTRELATHEOLOGIED’EPICURE

Remarquepréliminaire:

249

Page 250: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

I.Lerapportdel’hommeàDieu.

1.Lacrainteetl’êtretranscendant.

2.Leculteetl’individu.

3.LaprovidenceetleDieudégradé.

II.L’immortalitéindividuelle.

1. Du féodalisme religieux. L’enfer de lapopulace.

2.Lanostalgiedelamultitude.

3.L’orgueildesélus.

1. ↑.Enfrançaisdansletexte.2. ↑. Impien’estpasceluiqui fait table rasedesdieuxde la foule,maisceluiqui

parelesdieuxdesreprésentationsdelafoule.3. ↑.Enunmot,j’aidelahainepourtouslesdieux.[Prométhéeenchaîné.]4. ↑ . Sache que je ne changerais pas ma misère contre ton esclavage. J’aime

mieuxêtreliéàcerocqued’êtrelemessagerfidèledeZeus,tonpère![Ibid.,V,966-970.]

5. ↑.AtomesprincipesetAtomeséléments.

250

Page 251: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

PREMIÈREPARTIE

DIFFERENCE,AUPOINTDEVUEGENERAL,DELAPHILOSOPHIEDELANATURECHEZDEMOCRITEET

EPICURE

I.—OBJETDELADISSERTATION

Il semble advenir à la philosophie grecque ce qui ne doit pasadveniràunebonnetragédie:undénouementessoufflé[1].AvecAristote, l’Alexandremacédonien de la philosophie grecque, ilsemble que se termine[2], en Grèce, l’histoire objective de laphilosophieetquemême lesstoïciens,malgré leur forcevirile,ne réussissent pas, comme les Spartiates y avaient réussi dans

251

Page 252: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

leurs temples,àenchaînerAthénéeàHéraclèsassezsolidementpourqu’ellenepûts’enfuir.Epicuriens, stoïciens, sceptiques, on les considère commeun

appendice presque incongru, qui n’entretiendrait aucun rapportavecsespuissantesprémisses.Laphilosophieépicurienneseraitun agrégat syncrétiste de physique démocritéenne et de moralecyrénaïque, le stoïcisme une mixture composée de spéculationsur la nature de style héraclitéen, de conception cynico-éthiquedu monde, voire d’un soupçon de logique aristotélicienne; lescepticisme,enfin, lemalnécessairequi seseraitopposéàcesdogmatismes.Onrattacheainsi,sanslesavoir,cesphilosophiesà la philosophie alexandrine, en en faisant un éclectismeunilatéral et tendancieux. La philosophie alexandrine, enfin, estconsidérée comme une pure rêverie et une totale désagrégation— un embrouillement où l’on pourrait tout au plus reconnaîtrel’universalitédel’intention.Or,c’estunevéritéfortbanale:naissance,épanouissementet

mortformentlecercled’airainoùsetrouveconfinéetoutechosehumaineetqu’elledoitparcourirjusqu’aubout.Iln’yauraitdoncrien d’étonnant à ce que la philosophie grecque, après avoiratteintsafleur laplushauteavecAristote,sefûtensuiteflétrie.Mais lamortdeshérosressembleaucoucherdusoleiletnonàl’éclatementd’unegrenouillequis’estenflée.Et ensuite : naissance, épanouissement, mort sont des

représentations tout à fait générales, tout à fait vagues, où l’onpeutcertestoutranger,maisquinedonnentleconceptd’aucunechose.Lamortelle-mêmeestpréforméedanslevivant;lafiguredelamortdevraitdonc,commelafiguredelavie,êtrecompriseenuncaractèrespécifique.

252

Page 253: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Enfin,sinousjetonsuncoupd’œilsurl’histoire,l’épicurisme,le stoïcisme, le scepticisme sont-ils des phénomènesparticuliers?Nesont-ilspaslesprototypesdel’espritromain?LaformesouslaquellelaGrèceémigreàRome?Nesont-ilspasd’uneessencetellementcaractéristique,intensiveetéternellequele monde moderne lui-même a été forcé de leur concéder laplénitudedudroitdecitéintellectuel?Je n’insiste sur ce point que pour remettre en mémoire

l’importancehistoriquedecessystèmes;maisilnes’agitpasicideleurimportanceuniversellepourlacivilisationengénéral,ils’agitdeleurconnexionaveclaphilosophiegrecqueantérieure.N’aurait-onpasdûaumoinsêtreincitéàfairedesrecherches

ausujetdecerapport,envoyantlaphilosophiegrecquefinirpardeux groupes différents de systèmes éclectiques, dont l’unconstitue le cycle des philosophies épicurienne, stoïcienne etsceptique, et dont l’autre est connu sous le nomde spéculationalexandrine?N’est-cepas,enoutre,unphénomèneremarquablequ’après lesphilosophiesdePlatonetd’Aristotequis’étendentjusqu’àlatotalité,denouveauxsystèmesentrentenscènequines’appuient pas sur ces riches figures de l’esprit, mais qui,regardant en arrière, se retournent vers les écoles les plussimplistes — les philosophes de la nature pour la physique,l’école socratique pour l’éthique ?D’où vient-il, en outre, quelessystèmespostérieursàAristotetrouventpourainsidireleurséléments fondamentaux achevés et tout prêts dans le passé ?Qu’on rapproche Démocrite des Cyrénaïques et Heraclite desCyniques?Est-ceunhasardquechezlesépicuriens,lesstoïciensetlessceptiquestouslesmomentsdelaconsciencedesoisoientreprésentésdansleurintégralité,maischaquemomentcommeune

253

Page 254: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

existence particulière ? Que ces systèmes pris ensembleconstituent la construction complète de la conscience de soi ?Enfin, le caractère par lequel la philosophie grecque connaît,avec lesSeptSages, soncommencementmythique, cecaractèrequi,commepourainsidirelepointcentraldecettephilosophie,s’incarnedansSocrate, sondémiurge, je veuxdire le caractèredusage—duσοφός—est-ceparhasardqu’ilestaffirmédanscessystèmescommelaréalitéeffectivedelavraiescience?Il me semble que, si les systèmes antérieurs sont plus

significatifsetplusintéressantspourlecontenudelaphilosophiegrecque, les systèmespostaristotéliciens,et surtout lecycledesécoles épicurienne, stoïcienne et sceptique le sont davantagepourlaformesubjective,lecaractèredecettephilosophie.Maisc’est justement la forme subjective, le support spirituel dessystèmes philosophiques, qu’on a jusqu’ici presque totalementoubliés au profit des déterminations métaphysiques de cessystèmes.Je réservecepointàuneétudeplusdétaillée,quiprésentera

les philosophies épicurienne, stoïcienne et sceptique dans leurensemble et dans la totalité de leur rapport à la philosophiegrecqueantérieureetpostérieure.Ilmesuffiraicidedéveloppercerapportenprenantpourainsi

direunexemple, etd’aprèsun seulaspect : sa relationavec laspéculationantérieure.Jechoisiscommeexemple le rapportentre laphilosophiede

lanatured’EpicureetcelledeDémocrite.Jenecroispasquecesoit le point de départ le plus commode. D’une part, en effet,c’estunpréjugéquis’est implantéd’identifier lesphysiquesdeDémocrite et d’Epicure jusqu’à ne voir dans lesmodifications

254

Page 255: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

apportées par Epicure que des initiatives arbitraires ; d’autrepart,jesuiscontraintd’entrer,encequiconcerneledétail,dansd’apparentes micrologies. Mais c’est justement parce que cepréjugé est aussi ancien que l’histoire de la philosophie, parceque lesdifférences sont si cachéesqu’ellesne se révèlentpourainsi dire qu’au microscope, que le résultat sera d’autant plusimportant si nous pouvons démontrer une différence essentielles’étendant jusqu’au détail entre les physiques de Démocrite etd’Epicure, en dépit de leur connexion. Ce que l’on peutdémontrer dans le détail, on peut le montrer encore plusfacilementquandonprendlesrapportsdansdesdimensionspluslarges, tandis qu’inversement des considérations tout à faitgénéraleslaissentsubsisterledoutequantàsavoirsi lerésultatseconfirmeradansledétail.

II.—JUGEMENTSSURLERAPPORTDELAPHYSIQUECHEZDÉMOCRITE

ETEPICURE

Combien mon opinion diffère en général des opinionsprécédentes, cela sautera aux yeux si l’on passe en revuerapidement les jugements des anciens sur le rapport desphysiquesdeDémocriteetd’Epicure.Posidonius le stoïcien, Nicolas et Sotion, reprochent à

Epicured’avoirdonnécommesiennelathéoriedeDémocritesurles atomes et celle d’Aristippe sur le plaisir[3]. Cottal’académicien demande dans une œuvre de Cicéron : « Quepourrait-il bien y avoir dans la physique d’Epicure qui

255

Page 256: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

n’appartîntàDémocrite?Ilchangecertesquelquesdétails,maispourl’essentielillerépète[4].»EtCicérondit lui-même:«Enphysique, où il est le plus prétentieux, Epicure est un parfaitbarbare. La majeure partie, appartient à Démocrite ; là où ils’écartedelui,làoùilveutl’améliorer,illegâteetl’altère[5].»Cependant, bien que de nombreux côtés on reproche à Epicured’avoirinsultéDémocrite,Léontiusaffirme,aucontraire,d’aprèsPlutarque, qu’Epicure a estimé Démocrite d’avoir avant luiprofessé la vraie doctrine, et d’avoir avant lui découvert lesprincipes de la nature[6]. Dans son écrit De placitisphilosophorum,onditqu’Epicureestenphilosophieundisciplede Démocrite[7]. Plutarque, dans son Colotès, va plus loin.Comparant Epicure tour à tour à Démocrite, Empédocle,Parménide, Platon, Socrate, Stilpon, les cyrénaïques et lesacadémiques, il cherche à démontrer « que de toute laphilosophiegrecque,Epicure s’est approprié le faux et n’apascompris levrai[8]» ; le traitéDeeoquodsecundumEpicurumnon beate vivi possit fourmille également d’insinuationsmalveillantesdecettesorte.Cetteopiniondéfavorabledesauteursanciensseretrouvechez

les pères de l’Eglise. Je ne cite, en note, qu’un passage deClément d’Alexandrie[9], un père de l’Eglise qui mérite d’êtrecitéavanttoutautreàproposd’Epicure,parcequ’ilinterprètelamiseengardedel’apôtrePaulcontrelaphilosophiecommeunemiseengardecontrelaphilosophieépicurienne,sousleprétextequecelle-cin’ajamaisdéliréàproposdelaprovidenceetautreschoses dumême acabit[10].Mais la tendance générale que l’onavait de taxer Epicure de plagiat apparaît de la façon la plusfrappante chez Sextus Empiricus, qui veut faire de quelques

256

Page 257: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

passages tout à fait inadéquats d’Homère et d’Epicharme, lessourcesprincipalesdelaphilosophieépicurienne[11].Lesécrivainsmodernesdansleurensemble,c’estbienconnu,

fonteuxaussid’Epicure,entantquephilosophedelanature,unsimpleplagiairedeDémocrite.LaphrasedeLeibnizquisuitpeutreprésenter dans l’ensemble leur jugement : « Nous ne savonspresquedecegrandhomme(Démocrite)quecequ’Epicureenaemprunté, qui n’était pas capable d’en prendre toujours lemeilleur[12][13].»Sidonc,selonCicerón,EpicuregâteladoctrinedeDémocrite,

mais conserve aumoins la volonté de l’améliorer, et le regardpropreàenvoirlesdéfauts,siPlutarqueletaxed’inconséquenceet d’un penchant prédéterminé pour le pire[14], allant jusqu’àsuspecter ses intentions,Leibniz lui déniemême la capacité defaireseulementavechabiletédesextraitsdeDémocrite.Mais tous s’accordent sur ce point : Epicure a emprunté sa

physiqueàDémocrite.

III.—DIFFICULTÉSRELATIVESÀL’IDENTITÉDELAPHILOSOPHIEDELANATURECHEZDÉMOCRITEETEPICURE

Outre les témoignages historiques, de nombreux argumentsplaidentl’identitédesphysiquesdeDémocriteetd’Epicure.Lesprincipes—atomesetvide—sontincontestablementlesmêmes.Ce n’est qu’en certaines déterminations de détail qu’il semble

257

Page 258: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

régnerunedifférencearbitraire,etdoncinessentielle.Mais il reste alors une énigme étrange, insoluble. Deux

philosophes enseignent absolument la même science, d’unemanièretoutàfaitsemblable,mais—quelleinconséquence!—ils sont diamétralement opposés pour tout ce qui concerne lavérité, lacertitude, l’applicationdecettescience, le rapportdela pensée et de la réalité en général. Je dis qu’ils s’opposentdiamétralement,etjevaisàprésenttenterdeledémontrer.A) L’opinion de Démocrite sur la vérité et la certitude du

savoir humain semble difficile à découvrir. On trouve despassages contradictoires, ouplutôt cene sont pas les passages,mais les idées deDémocrite qui sont contradictoires. En effet,l’affirmation de Trendelenburg dans son commentaire de lapsychologie d’Aristote selon laquelle seuls les auteurspostérieurs à Aristote savent quelque chose d’une tellecontradictionalorsqu’Aristote l’ignore,estdefait inexacte.Onlit,eneffet,dans laPsychologied’Aristote :«Démocriteposel’âmeetl’entendementcommeuneseuleetmêmechose,carpourluilephénomèneestlevrai[15]»;etdanslaMétaphysique,ilestditaucontraire:«Démocriteaffirmequerienn’estvrai,ouquele vrai nous est caché [16]. » Ces passages d’Aristote ne secontredisent-ils pas ? Si le phénomène est le vrai, comment levrai peut-il être caché ? L’être-caché ne commence que là oùphénomène et vérité se séparent. Or,Diogène Laerce rapportequ’ona comptéDémocrite aunombredes sceptiques. Il cite saparole:«Encequiconcernelavériténousnesavonsrien,carlavérité se trouve au fond du puits [17]. » On trouve la mêmeaffirmationchezSextusEmpiricus[18].Cette opinion deDémocrite, sceptique, incertaine et au fond

258

Page 259: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

contradictoire avec elle-même, est seulement développée pluslargement dans la manière dont le rapport de l’atome et dumondephénoménalsensibleestdéterminé.D’une part, le phénomène sensible n’échoit pas aux atomes

eux-mêmes. Ce phénomène n’est pas un phénomène objectif,maisuneapparencesubjective.«Lesprincipesvéritablessontlesatomesetlevide;toutleresteestopinion,apparence[19].»« Le froid n’est froid, le chaud n’est chaud que d’aprèsl’opinion;aucontraire,lesatomesetlevidesontenvérité[20].»«Ilnefautdoncpasdirequ’unechoserésultedelapluralitédesatomes,maisqu’envéritépar lacombinaisondesatomes, toutechosesembledevenirune[21].»Ilnefautdoncconsidérerparlaraisonquelesprincipesqui,àcausemêmedeleurpetitesse,sontinaccessibles à l’œil sensible ; c’est pourquoi on les appellemême idées[22]Mais d’autre part, le phénomène sensible est leseul objet (Objekt) véritable, et l’αίθησις est la φρόνησις(perception sensible.. . opinion) ; mais ce vrai est changeant,instable,phénomène(Phänomen).Or,direquelephénomèneestle vrai est contradictoire[23]. A tour de rôle, chacun des deuxcôtésdevientdoncsubjectifetobjectif.Ainsilesdeuxtermesdelacontradictionsemblentmaintenusséparés,dufaitquecelle-cise partage en deux mondes. Démocrite réduit donc la réalitéeffectivesensibleàuneapparencesubjective;maisl’antinomie,banniedumondedesobjets(Objekte)existemaintenantdanssapropreconsciencedesoi,oùleconceptdel’atomeetl’intuitionsensiblecroisentlefer.Démocrite n’échappe donc pas à l’antinomie. Ce n’est pas

encore le lieu d’expliquer cette dernière. Il suffit que sonexistence(Existenz)nepuisseêtreniée.

259

Page 260: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Ecoutons par contre Epicure. Le sage, dit-il, a uncomportement dogmatique et non sceptique[24]. Bien mieux :c’estsonavantagesurtousdesavoiravecconviction[25].«Touslessenssontdeshérautsduvrai[26]»«Iln’yarienquipuisseréfuter laperceptionsensible ;ni le semblable le semblableàcause de leur validité semblable, ni le dissemblable ledissemblable car ils ne jugent pas de la même chose, ni leconcept,car leconceptdépenddesperceptionssensibles [27]»,lit-ondanslecanon.MaistandisqueDémocriteréduitlemondesensibleàl’apparencesubjective,Epicureenfaitunphénomèneobjectif.Etc’estsciemmentqu’ilsedifférenciesurcepoint,caril affirme partager lesmêmesprincipes,maisne pas faire desqualitéssensiblesdesimplesobjetsdel’opinion[28].S’il est donc vrai que la perception sensible fût le critérium

d’Epicureetquelephénomèneobjectifycorrespond,onnepeutqueconsidérercommeexactelaconséquencequifaithausserlesépaulesàCicéron.«LesoleilapparaîtgrandàDémocriteparcequ’il est un savant et un homme versé dans la géométrie ; ilapparaîtàEpicured’environdeuxpiedsdediamètre,cariljugequ’ilestaussigrandqu’ilparaît[29].»

B)CettedifférencedanslesjugementsthéoriquesdeDémocriteet d’Epicure sur la certitude de la science et la vérité de sesobjetsseréaliseeffectivementdans ladisparitéde l’énergieetdelapratiquescientifiquedeceshommes.Démocrite, pour qui le principe n’entre pas dans le

phénomène, restesanseffectivitéetsansexistence,aparcontreenfacedeluilemondedelaperceptionsensiblecommemonderéel (real) et consistant. Ce monde est bien une apparence

260

Page 261: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

subjective, mais par là même, détachée du principe et laisséedanssaréalitéindépendante;maisilestenmêmetempsl’uniqueobjet réel (reales Objekt) et il a comme tel valeur etsignification. C’est pourquoi Démocrite est poussé àl’observationempirique.Netrouvantpassasatisfactiondanslaphilosophie, il se jette dans les bras du savoir positif. Nousavons déjà vu que Cicéron le nomme un vir eruditus [hommecultivé]. Il est versé en physique, en éthique, enmathématique,danslesdisciplinesencyclopédiques,danstouslesarts[30].Déjàle cataloguede ses livres, donnéparDiogèneLaerte, témoignede son érudition[31]. Mais le caractère de l’érudition est des’étendre en largeur, d’amasser et de faire des recherches au-dehors : c’est ainsi que nous voyons Démocrite parcourir lamoitié du monde pour échanger des expériences, desconnaissances, des observations. « C’est moi », se vante-t-il,« qui, parmi mes contemporains, ai parcouru la plus grandepartiedelaterre,scrutantlescontréeslespluslointaines;j’aivulaplupartdesrégionsetdespays,etj’aientendulaplupartdeshommes instruits ; dans la composition des figures avecdémonstration,personnenemesurpassa,pasmêmeceuxquechezlesEgyptiensonappelaitlesArsipédonaptes[32].»Demetrius dans les όμωνύμοις et Antisthènes dans les

διαδοχαιςracontentqu’ilserenditenEgypteauprèsdesprêtrespourapprendrelagéométrieetauprèsdesChaldéensenPerse,etqu’ilestalléjusqu’àlaMerRouge.Certainsaffirmentqu’ils’estégalement rencontré avec les gymnosophistes aux Indes et qu’ilest allé enEthiopie[33].C’est le goûtdu savoir qui ne le laissepas en repos ;mais c’est aussi le fait qu’il ne trouvait pas sasatisfaction dans la science véritable, la philosophie, qui le

261

Page 262: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

pousse au loin. Le savoir qu’il tient pour vrai n’a pas decontenu ; le savoirqui luidonnesoncontenumanquedevérité.Elleabeauêtreune fable, l’anecdotedesanciensestune fableauthentique parce qu’elle décrit le caractère contradictoire desonêtre :Démocriteseserait lui-mêmecrevélesyeux,depeurque la lumière sensible n’obscurcît chez lui l’acuité del’esprit[34].C’estlemêmehommequi,commeditCicéron,avaitparcourulamoitiédumonde.Maisiln’avaitpastrouvécequ’ilcherchait.UnefiguretoutopposéenousapparaîtavecEpicure.Epicure trouve sa satisfaction et sa félicité dans la

philosophie.«C’estlaphilosophie»,dit-il,«quetudoisservir,afinquelavéritablelibertét’échoie.Iln’apasàattendre,celuiquis’yest soumisetdonné ; ilestaussitôtémancipé.Carc’estcelamême,servirlaphilosophie,quiestlaliberté[35].»«Quelejeunehomme,enseigne-t-ildecefait,n’hésitepasàphilosopher,et que le vieillard ne renonce pas à philosopher. Car nul n’esttropvert,nuln’esttropmûr,pouravoiruneâmeenbonnesanté.Maisceluiquiditqueletempsdephilosophern’estpasencorelà,ouquecetempsestpassé,ilestsemblableàceluiquiprétendque le temps d’être heureux n’est pas encore venu ou qu’il estpassé[36].»TandisqueDémocrite,insatisfaitparlaphilosophie,se jettedans lesbrasdusavoirempirique,Epicureméprise lessciences positives[37] ; car elles ne contribuent en rien à laperfection véritable.On l’appelleunennemi de la science,uncontempteurdelagrammaire[38].Onletaxemêmed’ignorance;«mais»,ditunépicurienchezCicéron,«cen’étaitpasEpicurequimanquait d’érudition ; au contraire, les ignorants sont ceuxqui croient que ce qu’il est honteux pour un enfant de ne pas

262

Page 263: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

savoir,levieillarddoitencoreleressasser[39].»Mais, tandis queDémocrite cherche à s’instruire auprès des

prêtres égyptiens, des Chaldéens de la Perse et desgymnosophistesindiens,Epicuresevanteden’avoirpaseudemaître, d’être autodidacte[40].Certains, dit-il d’après Sénèque,aspirentàlavéritésanslamoindreaide.C’estdanslesrangsdeceux-ciqu’ils’estlui-mêmefrayésonchemin.Etcesonteux,lesautodidactes,qu’ilcouvreleplusd’éloges.Lesautresneseraientque des cerveaux de secondplan[41]. Tandis queDémoerite estpoussé à se rendre dans toutes les contrées dumonde, Epicurequitte à peine deux ou trois fois son jardin d’Athènes pour serendreenIonie,nonpourentreprendredesrecherches,maispourrendre visite à des amis[42]. Tandis qu’enfin Démocrite,désespérant de la science, se crève les yeux,Epicure, quand ilsents’approcherl’heuredesamort,semetdansunbainchaud,réclameduvinpuretrecommandeàsesamisd’êtrefidèlesàlaphilosophie[43].

C)Les différences que nous avons développées ne doivent pasêtreattribuéesàl’individualitéfortuitedesdeuxphilosophes;cesont deux directions opposées qui s’incarnent. Nous voyonscommedifférenced’énergiepratiquecequis’exprimeplushautcommedifférencedelaconsciencethéorique.Nous allons enfin considérer la forme de réflexion, qui

représentelarelationdelapenséeàl’être, leurrapport.Dansle rapport réciproquegénéral que lephilosophe établit entre lemondeetlapensée,ilnefaitques’objectiverlamanièredontsaconscienceparticulièreserapporteaumonderéel(real).Or,Démocriteemploiecommeformederéflexiondelaréalité

263

Page 264: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

effectivelanécessité[44].Aristoteditdeluiqu’ilramènetoutàlanécessité [45]. Diogène Laerte rapporte que le tourbillon desatomes,d’où toutechosenaît, est lanécessitédeDémocrite[46].Des explications plus satisfaisantes nous sont fournies sur cepoint par l’auteur duDe placitis philosophorum : la nécessitéserait pourDémocrite le destin et le droit, la providence et lacréatrice dumonde.Mais la substance de cette nécessité seraitl’antitypie, le mouvement, l’impulsion de la matière[47]. Unpassage semblable se trouve dans les éclogues physiques deStobée[48]etaulivreVIdelaPraeparatioevangelicad’Eusèbe[49].DansleséclogueséthiquesdeStobéesetrouveconservéelasentencesuivantedeDémocrite[50],quiestpresqueintégralementreproduiteaulivreXIV:leshommessesontimaginélefantômeduhasard—unemanifestationdeleurpropreembarras;carunepensée forte doit être l’ennemie du hasard. De même,SimpliciusrapporteàDémocriteunpassageoùAristoteparledelavieilledoctrinequisupprimelehasard[51].Epicureécritpar contre :«Lanécessité,qui estmentionnée

par certains comme la maîtresse absolue, n’est pas ; bien aucontraire,certaineschosessontfortuites,lesautresdépendentdenotre arbitraire. La nécessité est impossible à convaincre, lehasardaucontraireestinstable.Ilvaudraitmieuxsuivrelemytherelatif aux dieux que d’être le valet de l’είμαρμένη (du destin)des physiciens. Car le premier nous laisse l’espoir de lamiséricorde si nous avons honoré les dieux, tandis que laseconde ne laisse que la nécessité inflexible. Mais c’est lehasardqu’il faut admettre, et non pasDieu, comme la foule lecroit[52].C’estunmalheurdevivredanslanécessité,maisvivredans la nécessité n’est pas une nécessité.Ouvertes sont partout

264

Page 265: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

les voies quimènent à la liberté, nombreuses, courtes, faciles.Remercionsdonc ladivinitéquepersonnenepuisseêtre retenuenvie.Dompterlanécessitéelle-mêmeestchosepermise[53].»L’épicurienVelleiusdit lamêmechosechezCicéronausujet

de la philosophie stoïcienne : « Que doit-on penser d’unephilosophie, pour laquelle, comme pour les vieilles commèresignorantes,toutsembleseproduireparlefatum?…Epicurenousadélivré,etnousainstallédanslaliberté[54].»C’est ainsi qu’Epicure lui-même nie le jugement disjonctif,

pour n’être pas contraint de reconnaître une quelconquenécessité[55].On affirme bien aussi deDémocrite qu’il a fait intervenir le

hasard ;maisdesdeuxpassagesquise trouventàcesujetchezSimplicius[56]l’unrendl’autresuspect,carilmontredemanièreévidente que ce n’est pas Démocrite qui a fait usage descatégories du hasard, mais Simplicius qui les lui a attribuéescomme conséquence. Il dit, en effet, que Démocrite ne fournitaucuneraisondelacréationdumondeengénéral,etqu’ilsembledoncfaireduhasardcetteraison.Maisilnes’agitpasicideladétermination du contenu,mais de la forme, queDémocrite aconsciemment utilisée. Il en va de même du témoignaged’Eusèbe :Démocrite aurait fait du hasard lemaître absolu del’universeletdudivin,etaffirméquesurceplanilrégissaittout,tandis qu’il l’aurait écarté de la vie humaine et de la natureempirique,toutentraitantdefousceuxquileproclamaient[57].D’unepart,nousvoyonsiciunesimpledéductionfabriquéede

toutes pièces de l’évêque chrétienDenys ; d’autre part, là oùcommencentl’universeletledivin,leconceptdémocritéendelanécessitécessedesedifférencierduhasard.

265

Page 266: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Un point est donc historiquement certain : Démocrite faitintervenir la nécessité, Epicure le hasard ; et chacun d’euxrejettelepointdevueopposéavecl’âpretédelapolémique.La conséquence la plus importante de cette différence

apparaît dans la manière d’expliquer les divers phénomènesphysiques.La nécessité apparaît, en effet, dans la nature finie comme

nécessitérelative,commedéterminisme.Lanécessitérelativenepeutqu’êtredéduitedelapossibilitéréelle,cequiveutdirequec’estunenchaînementdeconditions,decauses,deraisons,etc.,qui médiatise cette nécessité. La possibilité réelle estl’explication de la nécessité relative. Et nous la trouvonsemployée par Démocrite. Nous citons à l’appui quelquespassagesempruntésàSimplicius[58].Qu’un homme soit altéré, qu’il boive et retrouve la santé de

soncorps,cen’estpaslehasardqueDémocritedonneracommecause,maislasoif.Mêmesi,eneffet,ilasemblé,àproposdelacréation du monde, faire intervenir le hasard, il affirmecependantquedanslescasparticulierscelui-cin’estlacausederien,maisqu’aucontraireilrenvoieàd’autrescauses.Ainsi,parexemple,creuser la terreserait l’origine,de ladécouverted’untrésor,oulavégétationlacausedel’olivier.L’enthousiasme et le sérieux avec lequelDémocrite introduit

dans la considération de la nature ce mode d’explication,l’importance qu’il attribue à la tendance à établir des raisonss’exprimentnaïvementdanscetteprofessiondefoi:«Jepréfèredécouvrirunenouvelleétiologiequed’obtenirlacouronneduroidePerse[59]!»Unefoisdeplus,EpicureestdirectementopposéàDémocrite.

266

Page 267: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Lehasardestuneréalitéquin’aquelavaleurdelapossibilité,mais la possibilité abstraite est justement l’antipode de lapossibilité réelle. Cette dernière est enfermée dans des limitesrigoureuses, comme l’entendement ; la première est illimitéecommel’imagination(Phantasie).Lapossibilitéréellechercheàfonderlanécessitéetlaréalitéeffectivedesonobjet(Objekt) ;la possibilité abstraite ne s’occupe pas de l’objet qui estexpliquémais du sujet qui explique. L’objet (Gegenstand) doitseulement être possible, pensable.Ce qui est possible selon lapossibilitéabstraite,cequipeutêtrepensé,celanesedressepassurlechemindusujetpensant,celan’estpaspourluiunelimite,ni une pierre d’achoppement. Peu importe que cette possibilitésoitégalementréelle,carl’intérêtneseportepasicisurl’objetde l’entendement en tant qu’objet de l’entendement (Gegen-stand).C’estpourcelaqu’Epicureprocèdeavecunenonchalancesans

bornedansl’explicationdesdiversphénomènesphysiques.La lettre à Pythoclès, que nous examinerons plus loin,

éclaircira ce point.Qu’ilme suffise ici d’attirer l’attention surson attitude à l’égard des opinions des physiciens antérieurs.Dans lespassagesoù l’auteurduDeplacitisphilosophorumetStobée citent les diverses opinions des philosophes sur lasubstancedesastres,lagrandeuretlafiguredusoleil,etc.,ilesttoujours dit d’Epicure : il ne rejette aucune de ces opinions,toutes peuvent être vraies, car selon eux Epicure s’en tient aupossible[60].Bienplus,Epicurepolémiquemêmecontrelemoded’explication par la possibilité réelle qui détermine selonl’entendementetestdonc,justementpourcela,unilatérale.C’est ainsi que Sénèque déclare dans ses Quaestiones

267

Page 268: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

naturales:«Epicureaffirmequetoutescescausespeuventêtreettenteenoutreplusieursautresexplications;ilblâmeceuxquiprétendentqueparmi toutescescauses,c’enestunedéterminéequi a lieu, car pour lui c’est de la témérité que de porter unjugement apodictique sur ce qui ne peut être déduit que deconjectures[61].Onvoitqu’iln’yaaucunintérêtàrechercherlescausesréelles

desobjets(Objekte).Ilnes’agitqued’unapaisementdusujetquiexplique.Dufaitquetoutlepossibleestadmiscommepossible,ce qui répond au caractère de la possibilité abstraite, il estévidentquelehasarddel’êtreestpurementetsimplementtraduitdanslehasarddelapensée.LaseulerèglequeprescritEpicure,«quel’explicationnedoitpasêtrecontrediteparlaperceptionsensible », se comprend en soi ; c’est, en effet, justement lepropre du possible abstrait d’être libre de toute contradiction,laquelledoitpourcelaêtreprévenue[62].Epicureavoueauboutdu compte que son mode d’explication n’a pour but quel’ataraxiedelaconsciencedesoi,etnonlareconnaissancedelanatureensoietpoursoi[63].Nousn’avonsplusguèrebesoindedéveloppercepoint : ici

encoreEpicureesttotalementopposéàDémocrite.Nousvoyonsdonclesdeuxhommess’opposerpasàpas.L’un

est sceptique, l’autre dogmatique ; l’un tient lemonde sensiblepour une apparence subjective, l’autre pour un phénomèneobjectif. Celui qui tient lemonde sensible pour une apparencesubjective s’adonne à la science empirique de la nature et auxconnaissances positives et représente l’inquiétude del’observationquiexpérimente,apprendpartouteterredeparlemonde.L’autre,quitientpourréellemondephénoménal,méprise

268

Page 269: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’empirie;cesontlereposdelapenséequitrouvesasatisfactionen soi-même, l’indépendance qui crée son savoir à partir d’unprincipio interno (principe intérieur), qu’il incarne. Mais lacontradictionvaplusloinencore.Lesceptiqueetempirique,quitient la nature sensible pour une apparence subjective, laconsidère du point de vue de la nécessité, cherche à expliquerl’existenceréelledeschosesetàlacomprendre.Lephilosopheet dogmatique par contre, qui tient pour réel (real) lephénomène, ne voit partout que hasard, et son moded’explicationtendplutôtàsupprimertouteréalitéobjectivedelanature. Ces contradictions semblent renfermer une absurditécertaine.Mais à peine peut-on encore présumer que ces hommes,

partout en contradiction, s’attacheront à une seule et mêmedoctrine.Et,cependant,ilssemblentenchaînésl’unàl’autre.L’étude générale de leur rapport est l'objet du prochain

chapitre[64].

IV.—DIFFÉRENCEPRINCIPIELLEGÉNÉRALEDELAPHILOSOPHIEDELANATURECHEZ

DÉMOCRITEETEPICURE

269

Page 270: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

1. Que ce procédé moral anéantisse tout désintéressementthéorique et pratique, Plutarque nous en fournit une preuvehistoriqueeffrayantedanssabiographiedeMarius.Aprèsavoirdécrit la fin terribledesCimbres, il raconteque lenombredescadavres était tel que lesMassaliotes pouvaient en fumer leursvignes.Ilajoutequelapluieétantsurvenue,cetteannéeavaitétélaplus fertileenvineten fruits.Or,quellessont les réflexionsauxquellesselivrelenoblehistorienàproposdeladisparitiontragiquedecepeuple?PlutarquetrouvemoraldelapartdeDieud’avoirlaissépériretpourrirtoutungrandetnoblepeuple,pourprocurer aux philistins marseillais une riche récolte de fruits.Ainsidonc,iln’estpasjusqu’àlatransformationd’unpeupleenun tas de fumier qui ne donne l’occasion souhaitée pour sedélecterdanslarêveriemorale!2.Même en ce qui concerneHegel, c’est, de la part de ses

disciples, simple ignorance quand ils expliquent telle ou telledétermination de son système par l’accommodation ou quelquechosedecegenre,enunmotmoralement.Ilsoublientqu’iln’yapasbienlongtemps,commeonpeutleleurdémontrerdemanièreévidente d’après leurs propre écrits, ils adhéraient avecenthousiasmeàtoutessesdéterminationsunilatérales.S’ils avaient été réellement séduits par la science qu’ils

recevaienttouteprêteaupointdes’yadonneravecuneconfiancenaïveetnoncritique,queln’estpas leurmanquedeconsciencedereprocheraumaîtredenourriruneintentioncachéederrièresarecherche,luipourquilasciencen’étaitpastoutefaite,maisendevenir, lui dont le cœur spirituel le plus intime ne cessa debattre avant qu’il n’ait atteint les limites extrêmes de cette

270

Page 271: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

science. Ils jettent plutôt la suspicion sur eux-mêmes et fontcroireque jadis ilsneprenaientpas lachoseau sérieux ; c’estleur propre état passé qu’ils combattent, tout en paraissantl’attribuer à Hegel : mais ils oublient, ce faisant, que lui étaitdansunrapportimmédiatetsubstantielavecsonsystème,tandisqu’euxnesont,àl’égarddecesystème,quedansunrapportderéflexion.Qu’unphilosophecommette telleou telle inconséquencesous

l’empire de telle ou telle accommodation, c’est pensable ; lui-même peut en avoir conscience. Mais ce dont il n'a pasconscience, c'est que la possibilité de cette accommodationapparenteasaracinelaplusintimedansuneinsuffisanceoudansune compréhension insuffisante de son principe lui-même. Sidoncunphilosophes'était réellementaccommodé, sesdisciplesdevraient expliquer à partir de la conscience intime etessentielle de ce philosophe ce qui revêtait pour lui-même laforme d'une conscience exotérique. De cette façon, ce quiapparaîtcommeunprogrèsdelaconscienceestenmêmetempsun progrès de la science. On ne suspecte pas la conscienceparticulièreduphilosophe,maisonconstruitlaformeessentiellede sa conscience, on l'élève à une figure et à une significationdéterminéesetainsienmêmetempsonladépasse.Je considère d'ailleurs ce tournant vers la non-philosophie

d'unegrandepartie de l'école hégélienne commeunphénomènequi accompagnera toujours le passage de la discipline à laliberté.C'estuneloipsychologiquequel'espritthéorique,devenulibre

en soi-même, se transforme en énergie pratique, sorte commevolontéduroyaumedesombresde l'Amenthes,se tournecontre

271

Page 272: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

laréalitémondainequiexistesanslui.(Maisilestimportant,aupointdevuephilosophique,despécifierdavantage lescôtésdece rapport,caràpartirdumodedéterminédecetteconversion,onpeutfaireretoursur ladéterminité immanenteet lecaractèrehistorique et mondial d'une philosophie. Nous voyons ici pourainsi dire son curriculum vitae réduit à l'essentiel, porté à sapointe subjective.)Mais lapratiquede la philosophie est elle-même théorique. C'est la critique qui mesure l'existencesingulière à l'essence, la réalité effective particulière à l'idée.Mais cette réalisation immédiate (Realisierung) de laphilosophie est, selon son essence la plus intime, affligée decontradictions,etcetteessencequiestlasienneprendformedanslephénomèneetluiimprimesonsceau.Tandisquelaphilosophie,entantquevolonté,setournecontre

lemondephénoménal,lesystèmeesttombéaurangd'unetotalitéabstraite, il est devenu un côté du monde, auquel s'oppose unautre côté. Son rapport au monde est un rapport de réflexion.Animé du désir de se réaliser, il entre en lutte avec l'Autre.L'autosatisfaction et la perfection circulaire qui lui étaientintérieurs sont brisés. Ce qui était lumière intérieure devientflammedévorante qui se tournevers l'extérieur. Il en résulte laconséquence que le devenir-philosophique du monde est enmême temps un devenir-mondain de la philosophie, que laréalisation effective de la philosophie est en même temps saperte, que ce qu'elle combat à l'extérieur est son propre défautintérieur, et que c'est justement au cours de cette lutte qu'elletombe dans les faiblesses qu'elle combattait comme faiblessedanssoncontraire,nepouvantsupprimerces faiblessesqu'enytombant. Ce qui s'oppose à elle et ce qu'elle combat, c'esttoujours ce qu'elle est elle-même, les facteurs étant seulement

272

Page 273: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

intervertis.Voilà le premier côté, quand nous considérons la chose, au

pointdevuepurementobjectif,commelaréalisationimmédiate(Realisierung)de laphilosophie.Maiselleaaussi,cequin'enest qu'une autre forme, un côté subjectif.C'est le rapport dusystème philosophique, qui se réalise effectivement, à sessupports spirituels, aux consciences de soi singulières danslesquellesapparaîtsonprogrès.Ilrésultedurapportquifaitquelaphilosophiedanssaréalisationimmédiates'opposeaumonde,quecesconsciencesdesoisingulièresonttoujoursuneexigenceà deux tranchants, l'un tourné contre lemonde, l'autre contre laphilosophie elle-même. En effet, ce qui apparaît dans la chosecommeunrapportenlui-mêmeinversé,apparaîtenellescommeune exigence et un acte doubles, en contradiction avec eux-mêmes. En libérant le monde de la non-philosophie, cesconsciences se libèrent elles-mêmes de la philosophie, qui, entant que système déterminé, les enchaînait. Mais comme elles-mêmes ne sont conçues que dans l’acte et dans l’énergieimmédiatedudéveloppement,etqu’ellesn’ontdoncpasencore,aupointdevuethéorique,dépassécesystème,ellesneressententque la contradiction avec l’identité-à-soi-même plastique dusystème, et ne savent pas qu’en se tournant contre lui, elles nefontqu’enréalisereffectivementlesdiversmoments.Enfin,cetêtre-dédoublédelaconsciencedesoiphilosophique

seprésente comme la lutte dedeux tendances, s’opposant entreellesde lamanière laplusextrême,dont l’une, leparti libéral,ainsiquenouspouvonsledésignerengénéral,s’entient,commedétermination principale, au concept et au principe de laphilosophie,tandisquel’autreretientlenon-concept,lemoment

273

Page 274: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

de la réalité. Cette deuxième direction est la philosophiepositive.L’activitédelapremièreestlacritique,doncjustementl’actedese-tourner-vers-l’extérieurdelaphilosophie;l’activitéde la seconde est l’essai de philosopher, donc l’acte de se-tourner-en-soi de la philosophie, car elle conçoit le défautcomme immanent à la philosophie, tandis que la première leconçoit comme défaut du-monde, qu’il s’agit de rendrephilosophique. Chacun de ces partis fait précisément ce quel’autreveutfaireetcequ’ilneveutpasfairelui-même.Maislepremier a conscience, au sein de sa contradiction intime, duprincipe en général et de son but. Dans le second apparaît letravers, la folie pour ainsi dire, comme tel. Pour ce qui est ducontenu,lepartilibéralseul,parcequepartiduconcept,parvientà des progrès réels, tandis que la philosophie positive n’est àmêmequed’arriver à des exigences et à des tendances dont laformecontreditlasignification.Cequi apparaîtdoncd’abordcommeun rapport interverti et

une division hostile de la philosophie et du monde devientensuite une scission de la conscience de soi philosophiquesingulière contenue en elle-même, et apparaît enfin comme uneséparation extérieure et un être-dédoublé de la philosophie,commedeuxtendancesphilosophiquesopposées.Il va de soi qu’il surgit encore une foule de formations

subordonnées, geignantes, sans individualité, qui s’abritentderrièreunegigantesquefigurephilosophiquedupassé,—maisonnetardepasàapercevoirl’ânesouslapeaudulion,lavoixlarmoyanted’unmannequind’aujourd’huietd’hierperce,enuncontrastecomique,souslapuissantevoixquitraverselessiècles(celle d’Aristote par exemple), de qui elle s’est faite mal à

274

Page 275: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

proposl’organe;c’estcommesiunmuetvoulaitseprocurerdela voix au moyen d’un énorme porte-voix, — ou bien nousvoyons quelque lilliputien, armé de doubles lunettes, installédanslepetitcoindupostérieurdugéant,annonceraumondetoutémerveilléquellenouvelleperspectiveétonnantesedécouvredeson punctum visus (point de vue), et faire des efforts risiblespourexpliquerquecen’estpasdanslecœurpalpitant,maisdanslarégionfermeetsolidesurlaquelleilsetientquesetrouvelepointd’Archimède,(πόυ οτω : làoùjedoismetrouver),pointauquellemondeestsuspendupardesgonds.Ainsinaissentdesphilosophes-cheveux, des philosophes-ongles, des philosophes-orteils, des philosophes-excréments, etc., qui, dans l’homme-mondemystiquedeSwedenborg,occuperaitunposteencoreplusbas.Maisconformémentàleuressence,touscesmini-mollusquestombent,commedansleurélément,danslesdeuxdirectionsquej'ai indiquées.Quantàcesdirectionselles-mêmes, j'expliqueraiailleursdemanièrepluscomplèteleurrapportentreellesetàlaphilosophiehégélienne,ainsiquelesdiversmomentshistoriquesdanslesquelsseprésentecedéveloppement.

3.Diog.IX44etX38.4.Arist.phys.187b.5.Themist.p.383.6.Arist.met.985b4sq.7.Themist.p.326.8.Simpl.p.488.9.Cf.Ibid.p.514.10.Diog.X40;Stob.ecl.I,XVIII4a(§388).11.Stob.eel.1,X14(§306).

275

Page 276: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

12.Simpl.p.405.13.Arist.degen.etcorr.316a.14.Diog.IX40.

1. ↑.Après«dénouement»,raturé:unfinalincohérent[d’aprèsMEGA,commedurestelesnotesappeléesparunchiffre1].

2. ↑ .Semble… se terminer corrigé par Marx en :les ailes de la chouette deMinervesemblentnepluslaporter.(N.R.)

3. ↑.Diog.X4.4. ↑.Cic.denat.deorumI,XXVI73.5. ↑.Cic.defin.I,VI21.17.18.6. ↑.Plut.adv.Col.1108,3(cf.1111,8).7. ↑.Pseudoplut.877D.8. ↑.Plut.1111,1112,1114,1115,1117,1119,1120sq.9. ↑.Clem.Al.strom.VI2,27,4.10. ↑.eb.I,11,50,5sq.11. ↑.Sext.Emp.adv.math.i273.12. ↑.Leibniz,p.536.13. ↑.Enfrançaisdansletexte.14. ↑.Plut.1111,8.15. ↑.Arist.dean404a28sq.16. ↑ . Arist. met. 1009 b 11 sq. (remarque de Marx : dans ce passage est

d’ailleursexpriméelacontradictiondelamétaphysiqueelle-même).17. ↑.Diog.IX72.18. ↑.Ritter,p.571.19. ↑.Diog.IX44.20. ↑.eb72.21. ↑.Simpl.p.488.22. ↑.Plut.1111,8.23. ↑.Cf.Arist.24. ↑.Diog.X121.25. ↑.Plut.1117,19.26. ↑.Cic.denai.deorumI,XXV70;cf.defin.1,VII22;Pseudoplut.899F.27. ↑.Diog.X31sq.28. ↑.Plut.1111,8.29. ↑.Cic.defin.I,VI20;cf.Pseudoplut.890C.30. ↑.Diog.IX37.31. ↑.ibid.46sq.32. ↑.Euseb.X472.33. ↑.Diog.IX35.

276

Page 277: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

34. ↑.Cic.disp.Tusc.V39;cf.defin.V,XXIX87.35. ↑.Sen.ep.8.36. ↑.Diog.X122;cf.Clem.Al.strom.IV8,69,2sq.37. ↑.SextEmp.ibid.11.38. ↑.Ibid.I49.272;cf.Plut,deeoquod1095,13.39. ↑.Cic.ibid.I,XXI72.40. ↑.Diog.X13;Cic.denat.deorumI,XXVI72.41. ↑.Sen.ep.52.42. ↑.Diog.X10.43. ↑.lbid.15et16.44. ↑.Cic.defatoX22,23;denat.deorumI,XXV69;Euseb.I23sq.45. ↑.Arist.degen.an.89b.46. ↑.Diog.IX45.47. ↑.Pseudoplut.884E.48. ↑.Stob.ecl.I,IV7c(§158et160).49. ↑.Euseb.VI257.50. ↑.Stob.ecl.II,VIII,16(§346).51. ↑.Simpl.P.351.52. ↑.Diog.X133sq.53. ↑.Sen.ep.12.54. ↑.Cic.ibid.I,XX55sq.55. ↑.Ibid.XXV70.56. ↑.Simpl.ibid.57. ↑.Cf.Euseb.XIV781sq.58. ↑.Simpl.P.351,352.59. ↑.Euseb.XIV781.60. ↑.Pseudoplut.888Fet890C;Stob.ecl.I,XXIV10(§514).61. ↑.Sen.nat.quaest.VI20,5.62. ↑.Cf.2epartie,chap.V(delaDissertationdeMarx);Diog.X88.63. ↑.lbid.80.64. ↑.MEGA : les chapitres IVetV,mentionnésdans le sommaire,n’ontpas été

conservés.

277

Page 278: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

DEUXIÈMEPARTIE

DIFFERENCE,AUPOINTDEVUEPARTICULIER,DESPHYSIQUESDE

DEMOCRITEETD’EPICURE

CHAPITREPREMIERLADÉCLINAISONDEL’ATOMEDELALIGNE

DROITE

Epicureadmetuntriplemouvementdesatomesdanslevide[1].Lepremiermouvementestceluidelachuteenlignedroite;lesecondnaît du fait que l’atomedévie de la lignedroite ;et letroisièmeestposépar larépulsiondesnombreuxatomesentre

278

Page 279: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

eux. Démocrite a, en commun avec Epicure, l’admission dupremieretdudernierdecesmouvements,maisladéclinaisondel’atomedelalignedroitedifférenciedeluiEpicure[2].On a beaucoup raillé cemouvement de déclinaison.Cicéron

surtoutestintarissablequandilabordecethème.Onlitainsichezlui,entreautreschoses :«Epicureprétendque lesatomessontpousséspar leurpoidsdehautenbasen lignedroite,etquecemouvementest lemouvementnatureldescorps.Mais il luivintensuiteàl’espritquesitouslesatomesétaientpoussésdehautenbas, jamais un atome ne pourrait en rencontrer un autre. Notrehomme trouva donc son salut dans un mensonge. Il dit quel’atomedéclinaituntoutpetitpeu,cequiestpourtantabsolumentimpossible. C’est de cette déviation que naîtraient lescompositions, lescopulationset lesadhésionsdesatomesentreeuxet,decelles-ci,lemondeettouteslespartiesdumonde,ainsiquecequ’ilcontient.Outrequecettefictionestpuérile,Epicuren’atteintmêmepassonbut[3].»Noustrouvonsuneautreformulechez Cicéron, au livre I du traité : Sur la nature des dieux :«QuandEpicures’aperçutquesilesatomesétaientpoussésversle bas en vertu de leur propre poids, rien ne serait en notrepouvoir, parce que leur mouvement serait déterminé etnécessaire,iltrouvaunmoyendesesoustraireàlanécessité,cequiavaitéchappéàDémocrite.Ilditquel’atome,bienqu’ilsoitpoussédehautenbasparsonpoidsetlapesanteur,dévieunpetitpeu.Affirmerunetellechoseestplushonteuxquedenepouvoirdéfendrecequ’ilveut[4].»Pierre Bayle a la même opinion : « Avant lui (c’est-à-dire

Epicure),onn’avaitadmisdanslesatomesquelemouvementdepesanteur et celui de réflexion. Epicure supposa que même au

279

Page 280: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

milieuduvidelesatomesdéclinaientunpeudelalignedroite;etdelàvenaitlaliberté,disait-il…Remarquonsenpassantquecenefutpasleseulmotifquileportaàinventercemouvementdedéclinaison;illefitserviraussiàexpliquerlarencontredesatomes,carilvitbienqu’ensupposantqu’ilssemouvaientavecune égale vitesse par des lignes droites qui tendaient toutes dehautenbas, ilne ferait jamaiscomprendrequ’ilseussentpuserencontrer, et qu’ainsi la production du monde aurait étéimpossible.Ilfallutdoncqu’ilsupposâtqu’ilss’écartaientdelalignedroite[5][6].»Jenégligepour lemoment laconcisiondeces réflexions.Ce

quechacunpourraremarquerenpassant,c’estqueSchaubach,lecritiqueleplusrécentd’Epicure,amalcomprisCicéronquandildit : « Les atomes seraient tous poussés vers le bas par lapesanteur, donc poussés selon des lignes parallèles pour desraisonsphysiques,maisilsrecevraientparl’intermédiaired’unerépugnanceréciproqueuneautredirection,d’aprèsCicéron (denatura deorum I 25) unmouvementoblique, du fait de causesfortuites,etceladetouteéternité[7].»D’abord,Cicéron,danslepassagecité,nefaitpasdelarépulsionlaraisondeladirectionoblique,maisaucontrairedeladirectionobliquelaraisondelarépulsion. Ensuite, il ne parle pas de causes fortuites maisdésapprouve, au contraire, qu’on n’indique pas de causes dutout ; ce serait d’ailleurs une contradiction en et pour soid’admettre à la fois la répulsion et néanmoins des causesfortuites comme raison de la direction oblique. Tout au pluspourrait-ilalorsêtrequestiondecausesfortuitesdelarépulsion,maisnondeladirectionoblique.UnebizarreriedanslesréflexionsdeCicéronetdeBaylesaute

280

Page 281: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

partropauxyeuxpournepasêtremiseaussitôtenévidence.IlsprêtenteneffetàEpicuredesmotifsdont l’unsupprimel’autre.Tantôt Epicure doit admettre la déclinaison des atomes pourexpliquerlarépulsion,tantôtildoitl’admettrepourexpliquerlaliberté. Mais si les atomes ne se rencontrent pas sans ladéclinaison,ladéclinaisonestsuperfluecommefondementdelaliberté:carlecontrairedelaliberténecommence,commenousl’apprenons de Lucrèce[8], qu’avec la rencontre déterministe etforcée des atomes. Si, d’autre part, les atomes se rencontrentsansladéclinaison,c’estcommefondementdelarépulsionqueladéclinaisonest superflue. Jeprétendsquecette contradictionnaîtlorsquelesraisonsdeladéclinaisondel’atomedelalignedroitesontcomprisesdemanièreaussiextérieureetincohérentequechezCicéronetBayle.NoustrouveronschezLucrèce,quiestsomme toute le seul parmi tous les anciens à avoir compris laphysiqued’Epicure,unexposéplusprofond.Nous allons maintenant considérer la déclinaison en elle-

même.Demême que le point est supprimé dialectiquement dans la

ligne,toutcorpsquitombeestsupprimédanslalignedroitequ’ildécrit. Sa qualité spécifique n’importe pas du tout ici. Unepomme décrit en tombant une ligne droite aussi bien qu’unmorceaudefer.Toutcorps,pourautantqu’ilestconsidérédanslemouvementdechute,n’estainsiriend’autrequ’unpointquisemeut,unpointsansautonomiequiabandonnesasingularitédansunêtre-làdéterminé, la lignedroitequ’ildécrit.C’estpourquoiAristote remarque avec juste raison contre les pythagoriciens :«Vousditesquelemouvementdelaligneestlasurfaceetceluidupointlaligne;donclesmouvementsdesmonadesserontaussi

281

Page 282: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

des lignes[9]. » La conséquence de cela, aussi bien pour lesmonades que pour les atomes, serait alors qu’ils sont enmouvement continuel, que lamonade et l’atome n’existent pas,mais se perdent plutôt dans la ligne droite ; car la solidité del’atome n’existe pas du tout encore, dans lamesure où il n’estconçuquecommetombantenlignedroite.Toutd’abord,sionsereprésentelevidecommeunespacevide,l’atomeestlanégationimmédiate de l’espace abstrait, donc un point spatial. Lasolidité, l’intensivité, qui s’affirment contre l’incohésion del’espaceensoi,nepeuvents’ajouterqueparunprincipe,quiniel’espacedanslatotalitédesasphère,commel’estletempsdansla nature effectivement réelle. De plus, en admettant qu’on neveuille pas accorder ce point, l’atome, dans la mesure où sonmouvement est une ligne droite, est purement déterminé parl’espace;unêtre-làrelatifluiestprescritetsonexistenceestunepure existence matérielle. Mais nous avons vu qu’un desmomentsdansleconceptdel’atomeestd’êtreunepureforme,lanégation de toute relativité, de toute relation à un autre être-là.Nousavonsremarquéenmêmetempsqu’Epicures’objectivelesdeux moments, qui en vérité se contredisent, mais qui sontcontenusdansleconceptdel’atome[10].CommentmaintenantEpicurepeut-il réaliser effectivement la

détermination purement formelle de l’atome, le concept de lapuresingularité,lequelnietoutêtre-làdéterminéparunautre?Commeilsemeutdansledomainedel’être immédiat, toutes

lesdéterminationssontimmédiates.Lesdéterminationsopposéessontdoncopposéesmutuellementcommeréalitésimmédiates.Mais l’existence relative, qui vient s’opposer à l’atome,

l’être-là qu’il doit nier, est la ligne droite. La négation

282

Page 283: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

immédiate de ce mouvement est un autre mouvement, donc,représentéspatialement,ladéclinaisondelalignedroite.Lesatomessontdescorpspurementautonomes,ouplutôtsont

le corps, pensé dans une autonomie absolue, comme les corpscélestes. Comme ces derniers, ils ne se meuvent pas en lignedroite,maisen ligneoblique.Lemouvementde la chute est lemouvementdelanon-autonomie.SidoncEpicurereprésente,danslemouvementdel’atomeen

ligne droite, la matérialité de cet atome, il a réalisé dans ladéclinaisonde la lignedroitesadéterminationformelle ;etcesdéterminations opposées sont représentées comme desmouvementsimmédiatementopposés.Lucrèceaffirmedonc,àjustetitre,queladéclinaisonbriseles

fatifoedera(déterminationsdudestin)[11]et,commeilappliqueaussitôtcelaà laconscience[12], onpeutdirede l’atomeque ladéclinaisonestdanssoncœurcequelquechosequipeutlutteretrésister.Mais, quand Cicéron reproche à Epicure « de ne pasmême

obtenirlerésultatenvueduquelilaforgétoutcela;car,sitouslesatomesdéclinaient,iln’yenauraitjamaisquiselieraient,oucertains dévieraient et d’autres seraient par leur mouvementpousséstoutdroit;ilfaudraitdoncpourainsidireattribuerauxatomes des tâches déterminées et désigner ceux qui devraientallertoutdroitetceuxquidevraientsemouvoirenligneoblique[13] », ce reproche trouve sa justification dans ce que les deuxmoments qui sont compris dans le concept de l’atome sontreprésentéscommedeuxmouvementsimmédiatementdifférentsetdevraient donc échoir à des individus différents ; mais cetteinconséquenceestpourtantlogique,carlasphèredel’atomeest

283

Page 284: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’immédiateté.Epicuresentfortbienlacontradictionquirésidedanscepoint.

Il cherche donc à présenter la déclinaison de l’atome de lamanièrelamoinsmatériellepossible.Elleestnecregionelocicertanectemporecerto[14][15],

ellealieudanslepluspetitespacepossible[16].Cicéron[17] et, d’après Plutarque, plusieurs anciens[18]

critiquent,enoutre,lefaitqueladéclinaisondel’atomeaitlieusanscause;etriendeplushonteux,ditCicéron,nepeutarriveràunphysicien[19].Maisd’abord,unecausephysiquetellequelaveutCicéron,rejetteraitladéclinaisondel’atomedanslecercledu déterminisme, hors duquel elle doit justement nous élever.Mais,enoutre, l’atomen’estpasdu toutencoreachevéavantd’êtreposédansladéterminationdeladéclinaison.Demanderlacausedecettedéterminationrevientalorsàdemanderlacausequi fait de l’atomeunprincipe, question évidemment privée desenspourceluiquicroitquel’atomeestlacausedetout,etqu’ilnesauraitdoncavoirunecause.Lorsque, enfin, Bayle[20], s’appuyant sur l’autorité de saint

Augustin[21], selon qui Démocrite a attribué aux atomes unprincipespirituel—autoritétoutàfaitdénuéed’importance,vuson opposition à Aristote et aux autres anciens— reproche àEpicure d’avoir forgé la déclinaison à la place de ce principespirituel,ilfaut,aucontraire,direqu’avecl’âmedel’atome,onauraittoutauplusgagnéunterme,tandisquedansladéclinaison,c’est l’âme effective de l’atome, le concept de la singularité

284

Page 285: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

abstraitequiestreprésenté.Avant de considérer la conséquence de la déclinaison de

l’atomedelalignedroite,ilfautfaireressortirunmomentdelaplus haute importance, complètement laissé de côté jusqu’à cejour.La déclinaison de l’atome de la ligne droite n’est pas, en

effet, une détermination particulière, apparaissant au hasarddans la physique d’Epicure. La loi qu’elle exprime traverseplutôt toute laphilosophieépicuriennemaisde telle sorte, cequivadesoi,queladéterminitédesonapparitiondépenddelasphèreoùelleestappliquée.Lasingularitéabstraitenepeut,eneffet,affirmersonconcept,

sadéterminationformelle,lepurêtrepoursoi,l’indépendanceàl’égard de tout être-là immédiat, l’être-supprimé de touterelativité, qu’en faisant abstraction de l’être-là qui vients’opposeràelle;car,pourenvenirvraimentàbout,elleseraitforcéedel’idéaliser,cedontseulel’universalitéestcapable.Demêmedoncquel’atomeselibèredesonexistencerelative,

lalignedroite,enfaisantabstractiond’elle,endéviantd’elle,demême toute la philosophie épicurienne dévie de l’être-làlimitatif, partout où le concept de la singularité abstraite,l’autonomie et la négation de tout rapport à un autre, doit êtrereprésentédanssonexistence.C’estainsique lebutde l’actionest l’actedes’abstraire,de

dévierdeladouleuretdutrouble,l’ataraxie[22].Ainsi,lebienestla fuite devant le mal[23], et le plaisir est la déviation de lapeine[24]. Enfin, là où la singularité abstraite apparaît dans salibertéetdanssonindépendancelesplushautes,l’être-làdonton

285

Page 286: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

dévieestlogiquementtoutêtre-là;c’estpourcelaquelesdieuxdévientdumonde,nes’ensoucientpas,ethabitentendehorsdelui[25].Onaraillécesdieuxd’Epicure,qui,semblablesauxhommes,

habitentdanslesintermondesdumonderéel,n’ontpasdecorps,mais un quasi-corps, n’ont pas de sang,mais un quasi-sang, et,demeurant dans un repos bienheureux, n’exaucent aucunesupplication, ne se soucient ni de nous ni du monde et sonthonoréspourleurbeauté,leurmajesté,leurnatureexcellente,etnonparintérêt[26].Etpourtant,cesdieuxnesontpasuneinventiond’Epicure.Ils

ontexisté.Cesontlesdieuxplastiquesdel’artgrec.Cicéron,leRomain,araisondelespersifler[27] ;mais leGrecPlutarqueaoublié toute conception grecque quand il estime que cettedoctrine touchant les dieux supprime la crainte religieuse et lasuperstition,qu’ellenedonneauxdieuxnijoiesnifaveurs,maisnous prête avec eux lamême relation que nous avons avec lespoissons d’Hyrcanie, dont nous n’attendons ni dommage niprofit[28]. Le calme contemplatif est unmoment fondamental ducaractère des divinités grecques, comme le dit Aristote lui-même:«Cequiestlemeilleurn’apasbesoind’actioncarilestlui-mêmesonproprebut[29].»Nous allons maintenant considérer la conséquence qui suit

immédiatementdeladéclinaisondesatomes.Enelleestexpriméque l’atome nie tout mouvement et toute relation où il estdéterminé comme un être-là particulier par un autre. Cela seprésente de telle sorte que l’atome fait abstraction de l’être-làquivientenfacedeluiets’ysoustrait.Maiscequiestcontenuenceci,sanégationdetouterelationàunAutre,ilfautleréaliser

286

Page 287: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

effectivement,leposerdemanièrepositive.Celanepeutsefairequesil’être-làauquelilserapporten’estpasunautreêtre-làquelui-même,doncégalementunatome,et,commelui-mêmeestdéterminé immédiatement, une multitude d’atomes. Ainsi larépulsion mutuelle des atomes multiples est la réalisationeffectivenécessairedelalexatomi[30],selonlenomqueLucrècedonneàladéclinaison.Maisparcequ’icitoutedéterminationestposéecommeunêtre-làparticulier,larépulsions’ajoutecommetroisièmemouvementauxmouvementsprimitifs.Lucrècearaisondedireque,si lesatomesn’avaientpascoutumededécliner, ilne serait né entre eux ni rencontre ni contrecoup, et le monden’aurait jamais été créé[31]. Car les atomes sont à eux-mêmesleuruniqueobjet (Objekt), ils nepeuvent se rapporterà eux-mêmes, ou— si l’on en donne une expression spatiale— serencontrerqu’enayantniétouteexistencerelativequilesverraitse rapporter à unAutre ; et cette existence relative est, commenous l’avonsvu, leurmouvementd’origine,celuide lachuteenlignedroite.Ainsidoncilsneserencontrentqu’endéclinantdecette ligne. Il ne s’agit pas de la fragmentation purementmatérielle[32].Et, en vérité, la singularité qui est immédiatement n’est

réaliséeeffectivement selonsonconceptquedans lamesureoùelleserapporteàunAutre,quiestelle-même,mêmesi l’Autres’oppose à elle dans la forme de l’existence immédiate. C’estainsiquel’hommenecessed’êtreunproduitnaturelquelorsquel’Autre auquel il se rapporten’est pasune existencedifférente,maislui-mêmeunhommesingulier,bienquepasencorel’esprit.Maispourque l’hommeen tantqu’hommedevienneà lui-mêmesonuniqueobjeteffectivement réel, il fautqu’il aitbriséen lui

287

Page 288: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

son être-là relatif, la puissance de ses appétits et de la simplenature.Larépulsionest lapremièreformedelaconsciencedesoi;elleréponddoncàlaconsciencedesoi,laquelleseconçoitcommequelquechosed’immédiatement-étantetd’abstraitement-singulier.La répulsion est donc la réalisation effective du concept de

l’atome,selonlequelilestlaformeabstraite,maistoutautantducontrairedececoncept,selonlequelilestmatièreabstraite;carce à quoi l’atome se rapporte, ce sont bien des atomes, maisd’autresatomes.Maissi jemerapporteàmoi-mêmecommeàunimmédiatement-Autre,monrapportestunrapportmatériel.C’estleplushautdegréd’extérioritéquipuisseêtrepensé.Danslarépulsiondesatomes,cesontdonc leurmatérialité,quiavaitété posée dans la chute en ligne droite, et leur déterminationformelle, qui avait été posée dans la déclinaison, qui sontsynthétiquementunies.Démocrite,contrairementàEpicure,transformeenmouvement

forcé, en acte de l’aveugle nécessité, ce qui pour Epicure estréalisationeffectiveduconceptdel’atome.Nous»avonsdéjàvuplus haut qu’il donne comme substance de la nécessité letourbillon(δίνη),quinaîtde la répulsionetduchocmutueldesatomes.Iln’envisagedoncdanslarépulsionquelecôtématériel,ladispersion,lamodification,etnonlecôtéidéel,d’aprèslequeldans la répulsion toute relation à un Autre est niée et lemouvement est posé comme autodétermination. On le voitclairement dans le fait qu’il se figure d’unemanière tout à faitmatérielle un seul et même corps divisé en une multitude decorps par l’espace vide comme l’or qu’on a brisé enmorceaux[33]. C’est donc à peine s’il conçoit que l’unité est le

288

Page 289: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

conceptdel’atome.Aristote a raison dans la polémique qu’il mène contre lui.

«C’estpourcelaqueLeucippeetDémocrite,quiprétendentquelescorpsprimordiauxsemeuventcontinuellementdanslevideetl’infini,auraientdûnousdiredequelleespèceestcemouvementetquelestlemouvementadéquatàleurnature.Carsichacundeséléments est mis de force en mouvement par un autre, il estpourtant nécessaire que chacun ait aussi unmouvement naturel,auquel le mouvement forcé soit extérieur ; et ce premiermouvement, il faut bien qu’il ne soit pas forcé, mais naturel.Autrementlaprogressionvaàl'infini[34].»La déclinaison épicurienne des atomes a donc modifié

l’ensemble de la construction interne dumonde des atomes, enayant fait prévaloir la détermination de la forme et réaliséeffectivement la contradiction inhérente au concept de l’atome.Epicure est donc le premier à avoir conçu, bien que sous unefiguresensible, l’essencede la répulsion, tandisqueDémocriten’enaconnuquel’existencematérielle.Aussitrouvons-nouségalementdesformesplusconcrètesdela

répulsionemployéesparEpicure ;enmatièrepolitique,c'est lecontrat[35], et enmatière sociale l'amitié[36] qu’ilprônecommelebiensuprême.

ChapitreII

289

Page 290: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

LESQUALITÉSDEL’ATOME

Il est contradictoire à la notion de l’atome d’avoir despropriétés ; car, comme dit Epicure, toute propriété estmodifiable,tandisquelesatomesnesemodifientpas[37].Maiscen’enestpasmoinsuneconséquencenécessairedeleurattribuerces propriétés.Car la pluralité des atomesde la répulsion, quisontséparéspar l’espacesensible,doiventêtre immédiatementdifférents entre eux et distincts de leur pure essence, c’est-à-direposséderdesqualités.Danslesdéveloppementssuivants,jenetiensdoncabsolument

pas compte de l’affirmation de Schneider et de Nürnberger,selonquiEpicuren’apasattribuédequalitésauxatomesetles§44 et 54 dans la lettre à Hérodote, chez Diogène Laerte, sontinterpolés.Si vraiment ils étaient interpolés, commentpourrait-on ôter toute valeur aux témoignages deLucrèce, de Plutarque,voiredetouslesauteursquiparlentd’Epicure?Deplus,cen’estpas dans deux paragraphes seulement que Diogène Laertementionnelesqualitésdesatomes,maisdansdix:les42,43,44,54, 55, 56, 57, 58, 59 et 61. La raison que font valoir cescritiques « qu’ils ne sauraient accorder les qualités de l’atomeavecsonconcept»,estbienfaible.Spinozaditque l’ignorancen’estpasunargument.Sichacunvoulaitraturerchezlesancienslespassagesqu’ilnecomprendpas,onarriveraitbienviteà latabularasa!Parlesqualités,l’atomeacquiertuneexistencequicontredità

290

Page 291: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

son concept; il est posé comme un être-là aliéné, différent etséparé de son essence.Cette contradiction est ce qui constituel’intérêt capital d’Epicure. Sitôt donc qu’il pose une propriété,tirant la conséquence de la nature matérielle de l’atome, ilcontreposeenmêmetempsdesdéterminationsquianéantissentdenouveaucettepropriétédanssapropresphèreet fontprévaloir,aucontraire,leconceptdel’atome.Ildéterminedonctouteslesqualitésdetellefaçonqu’ellessecontredisentelles-mêmes.Aucontraire, Démocrite ne considère nulle part les propriétés enrapport à l’atome lui-même, et n’objective pas non plus lacontradictionentreconceptetexistencequ’ellescontiennent.Laseulechosequil’intéresseestplutôtdeprésenterlesqualitésenrapportàlanatureconcrètequidoitenêtreformée.Ellesnesontpour lui que des hypothèses servant à expliquer la diversitéphénoménale.Le concept de l’atome n’a donc rien à voir avecelles.Pourdémontrernotreaffirmation,ilesttoutd’abordnécessaire

denousmettreaucourantdessourcesquisemblentsecontrediresurcepoint.Dans l’écritDe placitis philosophorum, on lit : « Epicure

affirme que ces trois qualités appartiennent aux atomes : lagrandeur, la figure, la pesanteur. Démocrite n’en admettait quedeux:lagrandeuretlafigure;Epicureyajoutaentroisièmelapesanteur[38].Lemêmepassagefigure,répétémotpourmot,danslaPraeparatioevangelicad’Eusèbe[39].Il est confirmé par le témoignage de Simplicius[40] et de

Philopon[41] d’après lequel Démocrite n’a attribué aux atomesque la différence de la grandeur et de la figure. En oppositiondirecte avec ces témoignages se trouve Aristote qui, dans le

291

Page 292: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

premier livre du De generatione et corruptione assigne auxatomesdeDémocritedesdifférencesdepesanteur[42].Aunautreendroit (dans le premier livre du De Caelo, Aristote laisseindéciselaquestiondesavoirsiDémocriteaounonattribuélapesanteurauxatomes;ilditeneffet:«Ainsiaucundescorpsneseraabsolument léger, si tousontde lapesanteur ;maissi tousont de la légèreté, aucun ne sera pesant[43]. » Ritter dans sonHistoiredelaphilosophieancienne[44]rejette,ens’appuyantsurl’autorité d’Aristote, les données de Plutarque, d’Eusèbe et deStobée;quantauxtémoignagesdeSimpliciusetdePhilopon, iln’entientpascompte.Voyons si ces passages sont réellement si contradictoires.

Danslespassagescités,cen’estpasexprofesso(formellement)qu’Aristote parle des qualités des atomes.On lit par contre aulivre septième de laMétaphysique : « Démocrite pose troisdifférencesdesatomes.Car, selon lui, lecorps fondamental estaupointdevuedelamatièreunseuletmêmecorps;maisilestdifférenciéparleρ υσμός,quisignifielafigure,parlaτροπή,quisignifie la situation, ou par la διαθιγή qui signifiel’arrangement[45]. » Il découle immédiatement de ce passage[46]que la pesanteur n’est pas mentionnée comme une qualité desatomesdeDémocrite.Les fragmentsde lamatière,dispersésettenus séparés les uns des autres doivent avoir des formesparticulières et ces formes leur adviennent absolument del’extérieurparlaconsidérationdel’espace.Ceciressortencoreplusclairementdupassagesuivantd’Aristote:«LeucippeetsoncompagnonDémocritedisentquelesélémentssontlepleinetlevide…qu’ils sont la raison, en tantquematière, de cequi est.Or, de même que ceux qui posent une substance fondamentale

292

Page 293: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

unique font naître ce qui est Autre que cette substance de sesaffections,ensupposantcommeprincipesdesqualitésleténuetledense,demêmeilsenseignentquelesdifférencesdesatomessontlescausesdetoutcequiestautrequ’eux;car l’être (sein)quiestaufondementnesedifférenciequeparρ υσμός,διαθιγή,τροπή.C’estainsiqueAsedifférenciedeNparlafigure,ANdeNAparl’arrangement,ZdeNparlaposition[47].»Il s’ensuit avec évidence de ce passage que Démocrite ne

considèrelespropriétésdesatomesqu’enrapportàlaformationdesdifférencesdans lemondephénoménal, et nonen rapport àl’atomelui-même.Ils’ensuit,enoutre,queDémocritenesignalepas la pesanteur comme une propriété essentielle des atomes.Cettepropriétévapourluidesoi,cartoutcequiestcorporelestpesant.Demême, lagrandeurelle-mêmen’estpaspour luiunequalitéfondamentale.Elleestunedéterminationaccidentelle,queles atomes ont reçu en même temps que la figure. Seul l’état-différenciédesfigures—carriendeplusn’estcontenudanslafigure, la position et l’arrangement — intéresse Démocrite.Grandeur,figure,pesanteur,prisesensemblecommeelleslesontchezEpicure,sontdesdifférences(Differenzen)quel’atomeaenlui-même ; figure, arrangement, des différences qui luiappartiennent en rapport à un Autre. Tandis que nous trouvonsdonc chez Démocrite de simples déterminations hypothétiquesvisantàexpliquer lemondephénoménal, chezEpicure, c’est laconséquence du principemême qui se présentera à nous.C’estpourquoinousallonsconsidérerendétailsesdéterminationsdesqualitésdel’atome.Enpremierlieu,lesatomesontunegrandeur[48].Maisd’autre

part,lagrandeurestaussiniée.Ilsn’ontpas,eneffet,n’importe

293

Page 294: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

quellegrandeur[49],mais,aucontraire, ilne fautadmettreentreeux que quelques variations de grandeur[50]. Bienmieux, on nedoitleurattribuerquelanégationdelagrandeur,lapetitesse[51]et même pas le minimum, car ce serait une déterminationpurement spatiale, mais l’infiniment petit, qui exprime lacontradiction[52]. Rosinius, dans ses annotations aux fragmentsd’Epicure, traduit donc faussement un passage et passecomplètement l’autre sous silence, quand il déclare : « Hujusmodi autem tenuitatem atomorum incredibili parvitate arguebatEpicurus, utpote quas nulla magnitudine praeditas aiebat testeLaertio,X44[53][54].»Jenetiendraipascomptedeceque,d’aprèsEusèbe,Epicure

fut le premier à attribuer aux atomes une petitesse infinie[55],tandisqueDémocriteavaitadmislesatomeslesplusgrands—grandscommelemonde,affirmemêmeStobée[56].D’unepartcecicontreditletémoignaged’Aristote[57],d’autre

partEusèbe,ouplutôt l’évêquealexandrinDenys,qu’il résume,se contredit lui-même ; on lit, en effet, dans lemême livre queDémocrite supposait comme principes de la nature des corpsindivisibles, concevables par la raison[58]. Mais un point estclair :Démocriteneprendpasconsciencede lacontradiction ;elle ne le préoccupe pas, tandis qu’elle constitue pourEpicurel’intérêtprincipal.Ladeuxièmepropriétédesatomesd’Epicureest la figure[59].

Mais cette détermination elle aussi contredit le concept del’atome, et on doit nécessairement poser son contraire. Lasingularitéabstraiteestcequiestabstraitement-identique-à-soi,et donc sans figure[60]. Les différences des figures des atomessont donc en vérité indéterminables, mais elles ne sont pas

294

Page 295: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

absolument infinies[61].C’estplutôtunnombredéterminéet finide figures par quoi les atomes se différencient[62]. Il découlenaturellement de ce point qu’il n’y a pas autant de figuresdifférentesqued’atomes[63],alorsqueDémocriteposeunnombreinfinidefigures[64].Sichaqueatomeavaitunefigureparticulière,ilfaudraitbienqu’ilyaitdesatomesdegrandeurinfinie[65];carils auraient en soi une différence infinie (la différence qui lesdistingueraitdetouslesautres),commelesmonadesdeLeibniz.L’affirmationdeLeibnizqu’il n’y apasdeux choses identiquesestdoncrenverséeetilyaunnombreinfinid’atomesdelamêmefigure[66],cequiimpliquemanifestementqueladéterminationdela figureestdenouveauniée,carunefigurequinesedistingueplusdesautresn’estpasunefigure[67].Ilestenfindelaplushauteimportancequ’Epicurementionne

commetroisièmequalitélapesanteur[68];carc’estdanslepointde gravité que la matière possède la singularité idéale quiconstitue une détermination principale de l’atome. Dès que lesatomesontététransportésdansledomainedelareprésentation,ilsdoiventnécessairementposséderaussilapesanteur.Mais la pesanteur est elle aussi contradictoire au concept de

l’atome ; elle est, en effet, la singularité de la matière en tantqu’unpointidéalquisetrouveextérieuràcettematière.Or,c’estl’atome lui-même qui est cette singularité, le point de gravitépour ainsi dire, représenté comme une existence singulière. Lapesanteur n’existe doncpourEpicure que commedifférence depoids, et les atomes sont eux-mêmes des points de gravitésubstantiels,commelescorpscélestes.Sil’onappliquecelaauconcret,ilrésultenaturellementcequelevieuxBruckertrouvesiétonnant[69],etcequenousconfirmeLucrèce[70]:laterren’apas

295

Page 296: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

de centre vers lequel tout tendrait et il n’y a pas d’antipodes.Comme, en outre, la pesanteur n’appartient qu’à l’atomedifférenciédesautres,doncaliénéetdouédepropriétés,ilvadesoique lorsquelesatomesnesontpasconçuscommemultiplesdans leur différence (Differenz),mais seulement en rapport auvide, la détermination du poids disparaît. Les atomes, sidifférents qu’ils puissent être par la masse et la forme, semeuventdoncdansl’espacevideaveclamêmevitesse[71].C’estpourcelaqu’Epicuren’appliquelathéoriedelapesanteurqu’encequiconcernelarépulsionetlescompositionsquinaissentdecetterépulsion,cequiadonnéprétexteàaffirmerqueseuls lesagglomératsd’atomesétaientdouésdepesanteur[72],maisnonlesatomeseux-mêmes.Gassendi loue déjà Epicure d’avoir anticipé, uniquement

guidé par la raison, sur l’expérience qui montre que tous lescorps, malgré leur grande différence de poids et de masse,possèdentcependantlamêmevitesse,quandilstombentdehautenbas[73].Laconsidérationdespropriétésdesatomesnousdonnedoncle

mêmerésultatquecelledeladéclinaison:Epicureaobjectivélacontradiction incluse,dans leconceptde l’atome,entreessenceet existence, et a ainsi créé la science de l’atomistique, tandisquechezDémocritenese trouveaucune réalisationduprincipelui-même,maisseulementlemaintienduseulcôtématérieletlaproductiond’hypothèsesenvuedel’empirie.

ChapitreIII

296

Page 297: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

άτομοιάρχαίetάτομαστοιχεια

Schaubach, dans sa Dissertation déjà citée sur les conceptsastronomiques d’Epicure, affirme : « Epicure a fait, avecAristote, une distinction entre les principes (άτομοι άρχαίDiogene LaerteX 41) et les éléments άτομα στοιχειαDiogeneLaerte X 86). Les premiers sont les atomes, qui ne sontconnaissablesquepar l’entendement ; ilsneremplissentaucunespace[74]... On les appelle atomes, non parce qu’ils sont lescorps les plus petits, mais parce qu’ils ne sont pas divisiblesdans l’espace. D’après ces représentations, on devrait donccroirequ’Epicuren’apasattribuéauxatomesdepropriétésquise rapportent à l'espace[75]. Mais, dans la lettre à Hérodote(DiogeneLaerteX44,54),ilaccordeauxatomesnonseulementlapesanteurmaisaussi la figureet lagrandeur... Je rangedoncces atomes, qui sont nés des premiers,mais qui sont pourtantconsidérés encore commeparticules élémentaires des corps[76],parmiceuxquiappartiennentàlasecondeespèce.»Considérons de plus près le passage queSchaubach cite de

Diogene Laerte. Le voici : οίον ό τι τό παν σωμα καί άναφήςφύσιςέστίνήό τιάτομαστοιχειακαιπάντατάτοιαυ τα[77][Diog.X 86). Epicure enseigne ici à Pytoclès, à qui il écrit, que ladoctrinedesMétéoressedistinguedetouteslesautresdoctrinesphysiques,parexempleque le toutest faitdecorpsetdevide,qu'il y a des principes fondamentaux indivisibles[78]. On voitqu’il n’y a ici absolument aucune raison d’admettre qu’il soitquestion d’une seconde espèce d’atomes. Peut-être semble-t-ilque la disjonction entre τό παν σωμα καί άναφής φύσις ό τι τά

297

Page 298: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

άτομα στοιχεια[79] pose une différence entre σωμα et άτομαστοιχεια, le terme σωμα désignant peut-être les atomes dupremiergenreparoppositionauxάτομαστοιχεια.Maisiln’yfautpas penser. Σωμα signifie le corporel par opposition au vide,lequelestpourcelanomméégalement l’άσώματον (incorporel)[80].Dansσωμα,cesontdoncaussibienlesatomesquelescorpscomposésquisontcompris.C’estainsi,parexemple,qu’ilestditdanslalettreàHérodote:τόπανέστισωμα...είμήήνόκενονκαίχώρανκαίάναφηφύσινόνομάζ-ομεν...τωνσωμάτωντάμένέστι συγκρίσεις, τά δ έξ ών αί συγκρίσεις πεποίηνται.Ταυ τα δέέστινάτομακαιάμετάбληταώστετάςάρχάςάτόμουςάναγκαιονείναι σωμάτων φύσεις[81]. Dans le passage ci-dessus cité,Epicure parle donc d’abord du corporel en général paroppositionauvide,puisducorporelenparticulier,lesatomes[82].LaréférencedeSchaubachàAristoteprouvetoutaussipeu.La

distinction entre άρχή et στοιχειον, dont font usage surtout lesstoïciens[83], se trouve à la vérité aussi chez Aristote[84], maiscelui-ciindiquenonmoinsl’identitédesdeuxexpressions[85]. Ilenseigne même expressément que στοιχειον désigne surtoutl’atome[86].Demême,LeucippeetDémocriteappellenteuxaussi"στοιχειον"leπληρεςκαίκενόν[87](lepleinetlevide).ChezLucrèce,dansleslettresd’Epicurequel’ontrouvechez

Diogène Laerte, dans le Colotès de Plutarque[88], chez SextusEmpiricus[89], les propriétés sont attribuées aux atomes eux-mêmes, et c’est pour cela qu’ils ont été déterminés comme sesupprimanteux-mêmes.Mais s’il apparaît antinomique que des corps qui ne sont

percevablesqueparlaraisonsoientdouésdequalitésspatiales,il est bien plus antinomique que les qualités spatiales elles-

298

Page 299: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

mêmesnepuissentêtreperçuesqueparl'entendement[90].Pour fonder davantage son opinion, Schaubach cite enfin le

passagesuivantdeStobée : ’Επίκουρος... τάπρωτα (..σώματα)μένάπλα,τάδέέξέκείνωνσυγκρίματαπάνταбάροςέχειν[91].Ace passage de Stobée, on pourrait encore ajouter les passagessuivants, dans lesquels les άτομα στοιχεια sont mentionnéscommeuneespèceparticulièred’atomes(Plutarque:DeplacitisPhilosophorumI246et249,etStobée:Eclog.Phys.I,p.5)[92].Iln’estd’ailleursaucunementaffirmédanscespassagesquelesatomes originels soient sans grandeur, sans figure et sanspesanteur.Onn’yparle,aucontraire,quedelapesanteur,commedu caractère différentiel des ’άτομοι άρχαί}} et des ’άτομαστοιχεια}}. Mais nous avons déjà remarquéau chapitreprécédent que la catégorie de pesanteur n’est appliquée qu’àproposdelarépulsionetdesconglomératsquienrésultent.L’invention des άτομα στοιχεια ne nous fait d’ailleurs rien

gagner. Il est aussi difficile de passer des άτομοι άρχαί auxάτομα στοιχεια que d’attribuer aux premiers directement despropriétés.Néanmoins,jeneniepasabsolumentcettedistinction.Laseulechosequejenie,c’estqu’ilexistedeuxespècesfixesetdifférentesd’atomes.Ils’agitplutôtdedéterminationsdifférentesd’uneseuleetmêmeespèce.Avant d’analyser cette différence, je vais encore attirer

l’attention sur un procédé d’Epicure : il pose volontiers lesdifférentes déterminations d’un concept comme des existencesdifférentesetautonomes.Demêmequesonprincipeestl’atome,la méthode de son savoir est atomistique. Chaque moment dudéveloppement se transforme aussitôt à son insu en une réalitéfixe,pourainsidireséparéedesaconnexionparl’espacevide;

299

Page 300: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

chaquedéterminationreçoitlafiguredelasingularitéisolée.L’exemplequisuitéclaireraceprocédé.L’infini,τόάπειρον, ou l’infinitio, comme traduitCiceron, est

parfoisemployéparEpicurecommeunenatureparticulière;bienplus, c’est justement dans les passages où nous trouvons lesστοιχειαdéterminéscommeuneSubstancefondamentalefixe,quenoustrouvonsaussil’άπειρονrenduautonome[93].Mais pourtant, d’après les propres déterminationsd’Epicure,

l’infini n’est ni une substance particulière ni quelque chosed’extérieurauxatomesetauvide,maisplutôtunedéterminationaccidentelledecesdeuxéléments.Noustrouvons,eneffet,troissignifications de l’άπειρον. Premièrement, l’άπειρον exprimepourEpicureunequalitéquiestcommuneauxatomesetauvide.Dans cette acception, il signifie l’infinité du tout, qui est infiniparl’infiniepluralitédesatomes,par l’infiniegrandeurduvide[94].En second lieu, l’άπειρία (l’état-illimité) est la pluralité des

atomes, de sorte que ce n’est pas l’atome, mais la pluralitéinfiniedesatomesquis'opposeauvide[95].Enfin, si nous pouvons conclure de Démocrite à Epicure,

άπειρον signifie également le contraire direct, le vide infini,qu’on oppose à l’atome déterminé en soi et limité par lui-même[96].Danstoutescessignifications—etcesontlesseules,etmême

les seules possibles pour l’atomistique—, l’infini n’est qu’unedétermination de l’atome et du vide. Néanmoins, il est renduautonomeetdevientunexistenceparticulière,etestmêmeposécommeunenaturespécifiqueàcôtédesprincipesdontilexprime

300

Page 301: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

ladéterminité.Que ce soit donc Epicure lui-même qui ait fixé la

détermination dans laquelle l’atome devient στοιχειον commeune espèce indépendante et originaire d’atomes, ce quid’ailleurs, d’après la prépondérance historique de l’une dessources sur l’autre, n’est pas le cas ; ou que Métrodore, lediscipled’Epicure,aitété,cequinousparaîtplusvraisemblable,le premier à transformer la détermination différenciée en uneexistence différenciée[97], nous devons attribuer au modesubjectif de la conscience atomistique l’autonomisation desmoments singuliers. Ce n’est pas parce que l’on prête à desdéterminations différentes la forme d’une existence différentequ’onaconçuleurdifférence.L’atome n’a pour Démocrite que la signification d’un

στοιχειον, d’un substrat matériel. La distinction entre l’atomecomme όρχή l’atome comme στοιχειον, entre l’atome commeprincipeetl’atomecommeélément,appartientàEpicure.Cequisuitnousmontreral’importancedecettedistinction.Lacontradictionentrel’existenceetl’essence,entrelamatière

et la forme, qui est contenue dans le concept de l’atome, estposéedansl’atomesingulierlui-même,dufaitqu’onluiattribuedes qualités. Par la qualité, l’atome est aliéné de son concept,maisenmêmetempsachevédanssaconstruction.Delarépulsionet des conglomérats connexes des atomes qualifiés naîtmaintenantlemondesensible.C’est avec ce passage du monde de l’essence au monde du

phénomène que la contradiction incluse dans le concept del’atome atteint manifestement sa réalisation la plus tranchante.Car l’atomeest selon sonconcept la formeabsolue, essentielle

301

Page 302: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

delanature.Cetteformeabsolueestmaintenantrabaisséeàlamatièreabsolue,ausubstratinformedumondephénoménal.Les atomes sont bien la substance de la nature[98], d’où tout

sortetoùtoutsedissout[99].Maisl’anéantissementperpétueldumonde phénoménal n’aboutit à aucun résultat. Il se forme desphénomènesnouveaux,mais l’atome lui-même reste toujours aufond comme sédiment[100]. Dans lamesure donc où l’atome estpensé selon son pur concept, c’est l’espace vide, la natureanéantie,quiestsonexistence ;dans lamesureoù ilpasseà laréalitéeffective,ilestravaléàl’étatdebasematérielle,laquelle,support d’un monde aux divers rapports, n’existe jamaisautrement que dans des formes qui lui sont indifférentes etextérieures. C’est là une conséquence nécessaire, parce quel’atome, présupposé comme un être abstraitement-singulier-et-achevé, ne peut pas s’affirmer comme une puissance quiidéaliseraitetdomineraitcettemultiplicité.Lasingularitéabstraiteest la libertéà l’égardde l’être-là,et

nonlalibertédansl’être-là.Ellen’estpasàmêmederesplendirà la lumière de l’être-là. C’est là un élément où elle perd soncaractère et devientmatérielle. C’est pour cela que l’atome nevientpasaujourduphénomène[101]oubien,làoùilapparaît,estravalé à l’état de base matérielle. L’atome comme tel n’existeque dans le vide. C’est ainsi la mort de la nature qui en estdevenue la substance immortelle ; et Lucrèce a raison des’écrier:

«mortalemvitammorsimmortalisademit[102]»[III869]

Maislefaitqu’Epicuresaisisseetobjectivelacontradictionàson plus haut sommet, en distinguant l’atome qui, comme

302

Page 303: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

στοιχειον,devientlabaseduphénomène,del’atomequi,commeexiste dans le vide, voilà ce qui, au plan de la philosophie, ledistingue de Démocrite, qui n’objective qu’un des moments.C’est là la même différence qui sépare Epicure de Démocritedans lemondede l’essence, ledomainedesatomesetduvide.Maiscommel’atomequalifiéestleseulquisoitachevé,commece n’est que de l’atome achevé et aliéné à son concept que lemondephénoménalpeutsortir,Epicureexprimecefaitendisantqueseull’atomequalifiédevientστοιχειον,ouqueseull’άτομονστοιχειονestdouédequalités.

ChapitreIVLETEMPS

Comme,dansl'atome,lamatièreest,entantquepurerelationàsoi,dispenséedetoutemutabilitéetdetouterelativité,ildécouleimmédiatementqueletempsestàexclureduconceptdel'atome,dumondedel'essence.Carlamatièren'estéternelleetautonomequedanslamesureoùilestfait,enelle,abstractiondumomentdelatemporalité.Surcepointencore,EpicureetDémocritesontd'accord.Maisilsdiffèrentparlamanièredontletemps,écartédu monde des atomes, est ensuite déterminé, ainsi que par lasphèreoùilesttransporté.Selon Démocrite, le temps n'a aucune importance et aucune

nécessitépoursonsystème.S'ilexplique le temps,c'estpour lesupprimer. S'il le détermine comme éternel, c'est pour que,commeledisentAristote[103]etSimplicius[104],lanaissanceetla

303

Page 304: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

mort, c'est-à-dire le temporel, soient écartés des atomes. C'estlui-même, le temps, qui doit fournir la preuve que tout n'a pasnécessairementuneorigine,unmomentducommencement.Il faut reconnaître ici quelque chose de plus profond.

L'entendementimaginant,quineconçoitpasl'être-autonomedelasubstance, pose la question du devenir temporel de cettesubstance. Il lui échappe alors qu'en faisant de la substancequelque chose de temporel, il fait en même temps du tempsquelque chose de substantiel, et en détruit le concept, car letempsrenduabsolun'estplustemporel.Mais,d’unautrecôté,cettesolutionn’estpassatisfaisante.Le

temps, exclu du monde de l’essence, est transféré dans laconsciencedesoidusujetquiphilosophe,maisnetouchepaslemondelui-même.IlenvaautrementavecEpicure.Selonlui,letemps,excludu

mondedel’essence,devientlaformeabsolueduphénomène.Letemps est en effet défini comme l’accident de l’accident.L’accident est la modification de la substance en général.L’accident de l’accident est la modification en tant que seréfléchissantensoi,lechangementcommechangement.Letempsestmaintenantcettepureformedumonde,phénoménal[105].La composition est la forme purement passive de la nature

concrète, le temps en est la forme active. Si je considère lacomposition d’après son être-là, l’atome existe derrière elle,danslevide,dansl’imaginaire;sijeconsidèrel’atomed’aprèssonconcept,oubienlacompositionn’existepasdutout,oubienellen’existequedans la représentationsubjective ; carelleestunerelationdanslaquellelesatomesindépendants,referméssureux-mêmes, qui se désintéressent en quelque sorte les uns des

304

Page 305: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

autres, ne sont pas davantage rapportés les uns aux autres. Letemps,aucontraire, lechangementdufini,dufaitqu’ilestposécommechangement,estaussibien la formeeffectivement réellequi sépare le phénomène de l’essence, le pose commephénomène au même titre qu’il le ramène à l’essence. Lacomposition exprime maintenant la matérialité aussi bien desatomes que de la nature qui naît de ces atomes. Le temps, parcontre, est, dans lemondeduphénomène, ceque le conceptdel’atome est dans le monde de l’essence : l’abstraction,l’anéantissement et le retour à l’être pour soi de tout être-làdéterminé.Decesconsidérationsdécoulent lesconséquencessuivantes :

enpremierlieu,Epicurefaitdelacontradictionentrelamatièreet la forme, le caractère de la nature phénoménale qui devientainsi le pendant de la nature essentielle, de l’atome. Cela seproduitdufaitqueletempsestposéenoppositionàl’espace,etlaformeactiveduphénomèneenoppositionàlaformepassive.Ensecondlieu,cen’estquechezEpicurequelephénomèneestconçucommephénomène,c’est-à-direcommeunealiénationdel’essencequis’affirmecommeunetellealiénationdanssaréalitéeffective.ChezDémocrite,aucontraire,pourquilacompositionest l’unique forme de la nature phénoménale, le phénomène nemontre pas en lui-même qu’il est un phénomène, une chosedifférentede l’essence.Sidoncnousconsidérons lephénomèneselonsonexistence,l’essenceesttotalementconfondueaveclui;sinousleconsidéronsselonsonconcept,l’essenceesttotalementséparée de lui, si bien que le phénomène est rabaissé à l’étatd’apparencesubjective.Lacompositionsemontreindifférenteetmatérielle à l’égard de ses fondements essentiels. Le temps aucontraire est le feu de l’essence qui consume éternellement le

305

Page 306: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

phénomène et lui imprime le sceau de la dépendance et del’inessentialité. Enfin, du fait que pour Epicure le temps est lechangement comme changement, la réflexion en soi duphénomène, c’est à bon droit que la nature phénoménale estposée comme objective, c’est à bon droit que la perceptionsensibleestprisepourcritériumréeldelanatureconcrète,bienquesonfondement,l’atome,nesoitcontempléqueparlaraison.C’esteneffetparceque le tempsest la formeabstraitede la

perception sensible qu’existe la nécessité, selon la méthodeatomistiquedelaconscienceépicurienne,delafixercommeunenature douée d’une existence particulière à l’intérieur de lanature.Or,lamutabilitédumondesensibleentantquemutabilité,sonchangemententantquechangement,cetteréflexionensoiduphénomène qui constitue le concept du temps, à son existencedistincte dans la sensibilité consciente. La sensibilité del’homme est donc le temps incarné, la réflexion en soi dumondedessensvenueàl’existence.Cecidécouleimmédiatementdeladéterminationconceptuelle

dutempsquel’ontrouvechezEpicure;maisonpeutégalementle démontrer dans le détail avec une aussi complète certitude.Dans la lettred’EpicureàHérodote[106], le tempsestdéterminéainsi : ilnaîtquandlesaccidentsdescorpsperçuspar lessenssont pensés comme accidents. C’est donc ici la perceptionsensible réfléchieen soiquiest la sourcedu tempset le tempslui-même.Onnepeutdoncdéterminerle tempsparanalogie,niaffirmerdeluiunAutre;ondoits’enteniràl’Energieelle-même[ένάργεια veut dire chez Epicure l’évidence]. Car, étant donnéquelaperceptionsensibleréfléchieensoiestletempslui-même,onnesauraitallerau-delàd’elle.

306

Page 307: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Par contre, chez Lucrèce, Sextus Empiricus et Stobée[107],l’accident de l’accident, la modification réfléchie en soi sontdéterminés comme temps. La réflexion des accidents dans laperception sensible et leur réflexion en eux-mêmes sont doncposéescommeuneseuleetmêmechose.Par cette connexion entre le temps et la sensibilité, les

είδωλα[108],quisetrouventégalementchezDémocrite,acquièrentaussiunepositionpluslogique.Lesείδωλαsontlesformesdescorpsdelanature;elless’en

détachent comme d’une peau qui pèle et les font passer auphénomène[109]. Ces formes des choses s’en écoulentconstamment, pénétrant dans les sens, et c’est par là mêmequ’elles font apparaître les objets (Objekte). Dans l’audition,c’estdonc lanaturequi s’écouteelle-même,dans lesentir,ellese sent elle-même, dans la vue, elle se voit elle-même[110]. Lasensibilitéhumaineestainsilemédiumou,commedansunfoyer,lesprocessusnaturelsseréfléchissentets’allumentpourdevenirlalumièreduphénomène.ChezDémocrite,ceciestuneinconséquence,carlephénomène

n’est que subjectif ; chez Epicure, c’est une conséquencenécessaire, car la sensibilité est la réflexion en soi du mondephénoménal,satemporalitéincarnée.Enfin, la connexion de la sensibilité et du temps apparaît

ainsi ; la temporalité des choses et leur apparition aux senssont posées dans ces choses elles-mêmes comme une seule etmême chose[111]. Car, du fait même que les corps apparaissentaux sens, ils périssent. Lucrèce II 1139 sq.</ref>. Comme, eneffet, les είδωλα se séparent continuellement des corps ets’écoulent dans les sens, comme ils ont leur être-sensible hors

307

Page 308: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

d’eux-mêmesdansuneautrenature,etnonpaseneux-mêmes,etqu’ilsnereviennentdoncpasdelaséparation, ilssedissolventetpérissent.Demêmedoncquel’atomen’estrienquelaformenaturelle

de la conscience de soi abstraite et singulière, de même lanature sensible n’est que l’objectivation de la conscience desoi empirique et singulière : la conscience de soi sensible.C’est pour cela que les sens sont les seuls critères dans lanature concrète, de même que la raison abstraite est le seulcritèredanslemondedesatomes.

ChapitreVLESMÉTÉORES

AuregarddupointdevuedesontempsilsepeutquelesvuesdeDémocrite soient perspicaces. Mais ces idées ne présententaucunintérêtphilosophique:ellesnesortentpasducercledelaréflexion empirique et ne sont pas dans une connexion interneassezdéterminéeavecladoctrinedesatomes.Parcontre,lathéoried’Epicuretouchantlescorpscélesteset

lesprocessusqui leur sontconnexesou lesmétéores (dans unetelleexpression,ilcomprendsynthétiquementtoutcela)s’opposenonseulementàl’opiniondeDémocrite,maisencoreàcelledelaphilosophiegrecque.Lavénérationdes corpscélestes estunculte que célèbrent tous les philosophes grecs. Le système descorpscélestesestlapremièreexistence,naïveetdéterminéeparlanature,delaraisoneffectivementréelle.Laconsciencedesoi

308

Page 309: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

grecqueoccupelamêmepositiondanslemondedel’esprit.Elleest lesystèmesolairespirituel.Lesphilosophesgrecsadoraientdonc,danslescorpscélestes,leurpropreesprit.Anaxagore lui-même, qui fut le premier à avoir expliqué le

ciel en physicien, et à l’avoir ainsi, dans un autre sens queSocrate,faitdescendresurlaterre,réponditàquelqu’unquiluidemandait pourquoi il était né : είς θεωρίαν ήλίου καίσελήνηςκαίούρανου [112][113].QuantàXénophane, ilcontemplait lecielet disait que l’Un était la divinité[114]. Pour ce qui est desPythagoricienset dePlaton, ainsi que d’Aristote, le caractèrereligieuxdeleurrapportauxcorpscélestesestconnu.Bienplus,Epicures’opposeàlaconceptiondetoutlepeuple

grec.Il sembleparfois, ditAristote,que le concept témoigne pour

lesphénomènes,et lesphénomènespour leconcept.C’estainsique tous les hommes ont une représentation des dieux, etattribuentaudivinlaplacesuprême,lesbarbaresaussibienquelesHellènes,bref tousceuxquicroientà l’existencedesdieux,nouant manifestement l’immortel à l’immortel ; car c’estimpossibleautrement.S’ilestdoncundivin—commeilestdureste réellement— notre affirmation touchant la substance descorps célestes demeure vraie. Mais cela répond aussi à laperception sensible, et parle en faveur de la conviction deshommes.Eneffet,dans tout le tempspassé,d’après la traditionque les siècles se transmettent mutuellement, rien ne sembles’être transformé, ni dans l’ensemble du ciel, ni dans l’unequelconque de ses parties. Et le nom même semble avoir ététransmis des anciens jusqu’au temps présent, puisque ilsadmettentleschosesquenousdisons.Carcen’estpasunefois,

309

Page 310: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

ni deux fois,mais une infinité de fois que lesmêmes opinionsnous sont parvenues. C’est parce que le premier corps estquelquechosededifférent,extérieuràlaterre,aufeu,àl’airetàl’eauqu’ilsontnommélelieuleplusélevé«l’éther».deθείνάεί[115],luiajoutantlenomdetempséternel[116]Maislecieletlelieu supérieur, les anciens les ont attribués auxdivinités, parceque seuls ils sont immortels.Or, la théorie actuelle atteste quel’éther est indestructible, sans origine, ne participant à aucunedes infortunes humaines. De cette façon, nos conceptionscorrespondent en même temps à la révélation qui concerneDieu[117].Qu’ilexisteunciel, c’est évident.C’est une traditionlivréeparlesancêtresetlesprédécesseurs,ayantsurvécudanslafiguredumythedesâgespostérieurs,quelescorpscélestessontdesdieuxetque ledivinembrasse lanatureentière.Le resteaétéajoutémythiquementenvuedelacroyancedelamultitude,sedonnantpourutileaux loisetà lavie.Car leshommesfont lesdieuxsemblablesauxhommesetàquelques-unsdesautresêtresvivants, et forgent des choses semblables, connexes etapparentées.Sidetoutcelanousséparonscequiaétéajoutéetsinousnousen tenonsà l’idéepremière, leurcroyanceque lessubstancespremièressontdesdieux,nousdevonstenircetteidéepremièrepourdivineetadmettrequ’aprèsque,selonl’occasion,tout art possible, toute philosophie possible eussent étédécouvertsetànouveauperdus,cesopinions,tellesdesreliques,ontététransmisesaumondeactuel[118].Epicuredit,parcontre,qu’àtoutcelanotrepenséedoitajouter

que le plus grand trouble de l’âme humaine naît de ce que leshommes tiennent les corps célestes pour bienheureux etindestructibles,ontdessouhaitsetfontdesactescontrairesàces

310

Page 311: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

divinités,etsefontsoupçonneuxensefiantauxmythes[119] [120].En cequi concerne lesmétéores, il faut croire que chez eux lemouvement, la position, l’éclipsé, le lever et le coucher, et lesphénomènes apparentés ne proviennent pas de ce qu’un seulgouverne,ordonneouaordonnné,quiposséderaitàlafoistoutebéatitude et toute indestructibilité.Car les actes ne s’accordentpas avec la béatitude, mais c’est apparentés surtout avec lafaiblesse,lacrainteetlebesoinqu’ilss’accomplissent.Ilnefautpascroirenonplusquecertainscorpsapparentésaufeujouissentdu privilège de se soumettre à cesmouvements au gré de leurfantaisie. Or, si l’on n’est pas d’accord sur ce point, cetteantinomieelle-mêmeprépareauplusgrandtroubledesâmes[121].SiAristote a donc reproché aux anciens d’avoir cru que le

ciel,poursesoutenir,avaitbesoind’Atlas[122]qui:πρόςέσπέρουςτόπουςέστηχεκίον’ούρανου τεκαιχθονόςώμοινέρείδων[123].

[Eschyl.Prométh.,348sq.]

Epicure blâme, par contre, ceux qui croient que l’homme abesoinduciel;etAtlaslui-même,surquileciels’appuie,illetrouvedanslasottiseet lasuperstitionhumaine.Lasottiseet lasuperstitionsont,ellesaussi,destitans.Toute la lettre d’Epicure à Pythoclès traite de la théorie des

corpscélestes, abstraction faitede ladernière section.Celle-ciclôture la lettrepardes sentences éthiques[124].C’est d’ailleursde manière pertinente que sont ajoutées à la doctrine desmétéoresdesmaximeséthiques.CettedoctrineestpourEpicure

311

Page 312: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

une affaire de conscience. Nous nous appuierons doncprincipalementsurcetécritàPythoclès.Nouscompléteronsnotreétuded’après la lettreàHérodoteà laquelleEpicure se réfèrelui-mêmedanslalettreàPythoclès.Enpremierlieu,ilnefautpascroirequelaconnaissancedes

météores, qu’elle soit conçue dans son ensemble ou enparticulier,nousfasseparveniràunautrebutqu’àl’ataraxieetàla ferme confiance, tout comme le reste de la science de lanature[125].Cedontabesoinnotrevie,cen’estpasdel’idéologieet des vaines hypothèses,mais de ce qui peut nous faire vivresanstrouble.Demêmequelebutdelaphysiologieengénéralestdedécouvrirlesraisonsdecequiestleplusimportant,demêmeici, labéatitudedépendde la connaissancedesmétéores.Priseensoietpoursoi,lathéorieduleveretducoucher,delapositionetdel’éclipsenecontientaucuneraisonparticulièredefélicité;maislaterreurpossèdeceuxquivoientcesphénomènessansenconnaîtrelanatureetlesoriginesprincipales[126].Laseulechosequi soit niée jusqu’ici, c’est la préséance que devrait avoir lathéorie des météores sur les autres sciences ; cette théorie estplacéeaumêmeniveauquecessciences.Mais la théorie des météores se différencie aussi

spécifiquement de la méthode de l’éthique comme des autresproblèmesphysiques,parexempledel’affirmationqu’ilyadeséléments indivisibles et de toutes les affirmations où une seuleexplicationcorrespondauxphénomènes.Carcecin’apaslieuence qui concerne lesmétéores[127]. La naissance de ceux-ci n’apas une cause simple et ils possèdent plus d’une catégoried’essencequicorrespondauxphénomènes.Carcen’estpasavecdes axiomes et des lois vides qu’on doit faire de la

312

Page 313: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

physiologie[128]Ilestrépétésanscessequelesmétéoresdoiventêtre expliqués non pas άπλως (simplement, absolument), maisπολλαχως(demultiplesmanières).Ilenestainsiduleveretducoucher du soleil et de la lune[129], de la croissance et de ladécroissancedelalune[130],de l’apparenced’unvisagedans lalune[131],del’alternancedesjoursetdesnuits[132]etdetouslesautresphénomènescélestes.Commentdoncdoit-onfairel’explication?Toute explication est suffisante. Il n’y a que le mythe qu’il

faille écarter. Or, il sera écarté si, suivant les phénomènes, onconclutd’euxàl’invisible[133].Ilfauts’entenirauphénomène,àla perception sensible. Il faut donc employer l’analogie.Ainsi,on peut, par l’explication, se débarrasser de la crainte et s’enlibérer, en fournissant des raisons au sujet des météores et detous les phénomènes qui se produisent continuellement et quidéconcertentlepluslesautreshommes[134].La masse des explications, la pluralité des possibilités ne

doiventpasseulementapaiserlaconscienceetécarterlesraisonsdel’angoisse,maisenmêmetempsnierl’unité,laloiidentiqueàelle-même et absolue, dans les corps célestes.Ceux-ci peuventse comporter tantôt d’une façon, tantôt d’une autre ; cettepossibilitésansloiseraitlecaractèredeleurréalité.Touteneuxserait inconstantet instable[135].Lapluralité des

explicationsdoitenmêmetempssupprimerl’unitédel’objet.Ainsi donc, tandis qu’Aristote, en accord avec les autres

philosophes grecs, tient les corps célestes pour éternels etimmortels, parce qu’ils se comportent toujours de la mêmefaçon;tandisqu’illeurattribueàeux-mêmesunélémentpropre,

313

Page 314: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

supérieur, non soumis à la puissance de la pesanteur, Epicureaffirme,enoppositiondirecte,quec’estabsolumentl’inverse.Cequi, selon lui, distingue spécifiquement la théorie desmétéoresde toutes les autres doctrines physiques, c’est que dans lesmétéores tout seproduitde façonmultipleet irrégulière, etquetout y doit être expliqué par des raisons diverses, en nombreindéterminé.Bienplus,c’estaveccolèreet indignationviolentequ’ilrejettel’opinioncontraire:ceuxquis’entiennentàunseulmoded’explicationetexcluenttouslesautres,ceuxquiadmettentun élément unique, et donc éternel et divin, dans lesmétéores,tombentdans lavaineexplicasserieet lesartificesserviles desastrologues; ilstransgressentleslimitesdelaphysiologieetsejettent dans les bras du mythe. C’est l’impossible qu’ilscherchentà réaliser, et ils s’épuisentavecdesnon-sens ; ilsnesaventmêmepasoùl’ataraxieelle-mêmeestendanger.Ondoitmépriser leur bavardage[136]. Il faut se garder du préjugé selonlequel la recherche portant sur ces objets ne serait pas assezapprofondie et subtile, si elle ne se proposait comme but quenotre ataraxie et notre félicité[137]. Le principe absolu est parcontrequeriennesauraitapparteniràunenatureindestructibleetéternelle qui puisse troubler l’ataraxie et lui faire courir desdangers.Ilfautquelaconsciencecomprennequec’estlàuneloiabsolue[138].Epicure conclut donc : c’est parce que l’éternité des corps

célestestroubleraitl’ataraxiedelaconsciencedesoi,quec’estuneconséquencenécessaireetimpérieuse,qu’ilsnesoientpaséternels.Comment,maintenant,faut-ilcomprendrecetteopinionpropre

àEpicure?

314

Page 315: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Touslesauteursquiontécritsurlaphilosophied’Epicureontprésenté cettedoctrinedesmétéores commene s’accordantpasavec le reste de la physique, avec la doctrine des atomes. Lecombat contre les stoïciens, celui contre la superstition etl’astrologieenseraientlesraisonssuffisantes.De plus, nous avons vu qu’Epicure lui-même distingue la

méthodequiestemployéedanslathéoriedesmétéoresdecelledu restede laphysique.Maisdansquelledéterminationde sonprincipesetrouvelanécessitédecettedistinction?Commentluivientcetteidée?Et ce n’est pas simplement contre l’astrologie, c’est contre

l’astronomieelle-même,contrela loiéternelleet laraisondanslesystèmecélestequ’ilcombat.Enfin,l’oppositionauxstoïciensn'explique rien. Leur superstition et l'ensemble de leur opinionétaient déjà contredites du fait que les corps célestes étaientdonnés comme des compositions fortuites d'atomes, et leursprocessuscommedesmouvementsfortuitsdecesmêmesatomes.Leur nature éternelle était donc détruite — conséquence queDémocrites'estcontentédetirerdecetteprémisse[139].Bienplus,leur existence elle-même était ainsi supprimée[140]. L'atomisten'avaitdoncpasbesoind'uneméthodenouvelle.Maiscen'estpasencoretouteladifficulté.Uneantinomieplus

énigmatiquesurgit.L'atome est la matière dans la forme de l'autonomie, de la

singularité, en quelque sorte la représentation de la pesanteur.Mais la plus haute réalité de la pesanteur, ce sont les corpscélestes.Eneuxsontrésoluestouteslesantinomiesentreformeetmatière, entre concept et existence, qui constituaient ledéveloppement de l'atome ; en eux sont réalisées toutes les

315

Page 316: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

déterminations qui étaient exigées. Les corps célestes sontéternels et non soumis au changement ; ils possèdent en eux-mêmes et non hors d'eux-mêmes, leur point de gravité ; leuruniqueacte est lemouvement, et, séparéspar l'espacevide, ilsdéclinentde la lignedroite, formentun systèmede répulsionetd'attraction,danslequelilsconserventtoutautantleurautonomie,et,enfin,ilsproduisentd'eux-mêmesletempscommelaformedeleurapparition.Lescorpscélestessontdonclesatomesdevenuseffectivement réels.En eux, lamatière a reçu en elle-même lasingularité.C'estdoncdans lescorpscélestesqu'Epicureauraitdû apercevoir l'existence la plus haute de son principe, lesommetetlepointultimedesonsystème.Ilprétendaitsupposerles atomes pour mettre à la base de la nature des fondementsimmortels. Il prétendait ne s'occuper que de la singularitésubstantielle de la matière. Mais quand il trouve au bout ducompte la réalité de sa conception de la nature — car il neconnaîtpasd'autrenaturequelanaturemécanique—,lamatièreautonome, indestructible dans les corps célestes, dont l’éternitéetl’immutabilitésontdémontréesparlacroyancedelafoule,lejugement de la philosophie, le témoignage des sens, son seuldésir est de faire redescendre cette réalité dans la caducitéterrestre ; il se tourne alors avec indignation contre ceux quivénèrent la nature autonome, possédant en soi le point de lasingularité.Voilàsaplusgrandecontradiction.Epicure sentdoncque sescatégoriesantérieures s’effondrent

icietquelaméthodedesathéorie[141]devientuneautreméthode.Et c’est la plus profonde reconnaissance qu’il ait de sonsystème,c’estlaconséquencelaplusextrêmedecesystèmequ’ilsentecelaetlediseentouteconscience.

316

Page 317: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Nousavonsvu,eneffet,que toute laphilosophieépicuriennede la nature est imprégnée de la contradiction entre essence etexistence,entreformeetmatière.Maisdans lescorpscélestes,cettecontradictionestéteinte,lesmomentscontradictoiressontréconciliés.Danslesystèmecéleste, lamatièreareçuensoilaforme,elleaadmisensoilasingularitéetatteintdelasortesonautonomie. Mais c’est sur ce point qu’elle cesse d’êtrel’affirmationdelaconsciencedesoiabstraite.Dans lemondedesatomescommedanslemondeduphénomène,laformeluttaitcontrelamatière;l’unedesdéterminationssupprimaitl’autre,etc’étaitjustementdanscettecontradictionquelaconsciencedesoi abstraitement-singulière sentait sa nature objectivée. Laforme abstraite qui luttait contre la matière abstraite sous lafigure de lamatière, c’étaitelle-même.Maismaintenant que lamatières’estréconciliéeaveclaformeets’estrendueautonome,laconsciencedesoisingulièresortdesachrysalide,seproclamelevéritableprincipeetluttecontrelanaturedevenueautonome.D’un autre côté, cela s’exprime ainsi : en recevant en soi la

singularité,laforme,commec’estlecasdanslescorpscélestes,lamatièreacesséd’êtresingularitéabstraite.Elleestdevenuesingularité concrète, universalité. Dans les météores, laconscience de soi abstraitement-singulière voit donc briller enfaced’ellesaréfutationdevenuepositive—l’universeldevenuexistenceetnature.Ellereconnaîtdoncdanscesdeuxtermessonennemimortel. Elle leur attribue alors, comme le fait Epicure,toutel’angoisseettoutletroubledeshommes;carl’angoisseetla dissolution de la singularité abstraite, voilà ce qui constituel’universel.C’estdonciciquelevéritableprinciped’Epicure,laconscience de soi abstraitement-singulière, cesse de se cacher.Ellesortdesacachetteet,délivréedesondéguisementmatériel,

317

Page 318: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

elle cherche, au moyen de l’explication par la possibilitéabstraite — ce qui est possible peut aussi être autrement ; lecontraire du possible est également possible —, à anéantir laréalité effective de la nature devenue autonome. C’est ce quiexplique la polémique contre ceux qui expliquent les corpscélestesάπλως,c’est-à-diredemanièredéterminée;carl’Unestlenécessaireetl’autonome-en-soi.Onvoitdoncqu’aussi longtempsque lanatureexprime, en

tant qu’atome et phénomène, la conscience singulière et sacontradiction, la subjectivité de cette dernière ne se présenteque sous la forme de la matière elle-même ; lorsque, parcontre, la nature devient autonome, la conscience de soi seréfléchitenelle-mêmeetseposeen facede lanaturesoussafigurepropre:commeformeautonome.Onauraitpudireaprioriqueleprinciped’Epicure,lorsqu’il

se réaliserait, cesserait d’avoir pour lui la réalité. Car, si laconsciencedesoisingulièreétaitposérealiter(réellement)sousladéterminitédelanature(oulanaturesousladéterminitédelaconscience de soi), sa déterminité, c’est-à-dire son existence,auraitcessé,étantdonnéquel’universelestseulàpouvoirsavoirenmêmetempssonaffirmation,dansunelibredifférenciationdesoi-même.C’est donc dans la théorie desmétéores qu’apparaît l’âme

de laphilosophieépicuriennede lanature: rienn’estéternel,quipuissedétruirel’ataraxiedelaconsciencedesoisingulière.Lescorpscélestes troublent sonataraxie, son identitéavecsoi-même,parcequ’ilssontl’universalitéexistante,parcequ’eneuxlanatureestdevenueautonome.Cen’estdoncpaslagastrologied’Archestrate,commeleveut

318

Page 319: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Chrysippe[142],maisl’absoluitéetlalibertédelaconsciencedesoiquisontleprincipedelaphilosophieépicurienne,mêmesilaconscience de soi n’est conçue que sous la forme de lasingularité.Si la conscience de soi abstraitement-singulière est posée

comme principe absolu, toute science véritable et réelle est envérité supprimée, ence sensquecen’estpas la singularitéquirègne dans la nature même des choses. Mais c’est aussil’effondrementdetoutcequitranscendelaconsciencehumaineetappartient donc à l’entendement imaginatif. Si, par contre, laconscience de soi qui ne se sait que sous la forme del’universalité abstraite, est érigée en principe absolu, c’est laporteouverteaumysticismesuperstitieuxetservile[143].Nousentrouvonslapreuvehistoriquedanslaphilosophiestoïcienne.Laconscience de soi abstraitement-universelle possède en effet ensoilatendanceàs’affirmerdansleschosesmêmesoùellen’estaffirméequ’enlesniant.Epicure est donc, des Grecs, le plus grand philosophe des

«lumières»,etl’élogedeLucrèceluirevient.Humanaanteoculosfoedequamvitajaceret,interrisoppressagravisubreligionequaecaputacaeliregionibusostendebat,horribilisuperaspectumortalibusinstans,primumGraiushomomortalistollerecontraestoculosaususprimusqueobsisterecontra;quemnecfamaDeumnecfulminanecminitantimurmurecompressitcaelum…quarereligiopedibussubjectavicissimopteritur,nosexaequatVictoriacaelo[144].

319

Page 320: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

[I62sq.,78sq.]

LadifférenceentrelesphilosophiesdelanaturedeDémocriteetd’Epicure,quenousavonsposéeàlafindelapartiegénérale,s’esttrouvéedéveloppéeetconfirméedanstouteslessphèresdela nature. Chez Epicure, l’atomistique avec toutes sescontradictions, est donc, en tant que science naturelle de laconsciencedesoi(laquelleestàelle-même,souslaformedelasingularitéabstraite,unprincipeabsolu),développéeetachevéejusqu’àsonextrêmeconséquence,quiest ladissolutiondecetteatomistique,etsonoppositionàl’universel.PourDémocrite,aucontraire, l’atome n’est que l’expression universellementobjectivedel’étudeempiriquedelanatureengénéral.L’atomerestedoncpourluiunecatégoriepureetabstraite,unehypothèsequiestlerésultatdel’expérienceetnonpassonprincipeactif,etquirestedoncsansréalisation,toutcommeellenedéterminepasdavantagel’étuderéelledelanature.

1. ↑.Stob.ecl.I,XIV,1sq(§346);cf.Cic.defin.I,VI18sq;Pseudoplut.883asq;Stob.ecl.I,XIX1(§394).

2. ↑.Cic.denat.deorumI,XXVI73.3. ↑.Cic.defin.ibid.4. ↑.Cic.denat.deorumI,XXV69;cf.D.m.A.defatoX22sq.5. ↑.Bayle.6. ↑.Enfrançaisdansletexte.7. ↑.Schaubach,p.549.8. ↑.LucrèceII,251sq.9. ↑.Arist.dean.409a10sq.10. ↑.Diog.X43;Simpl.p.425.11. ↑.LucrèceII253sq.12. ↑.Ibid.279sq.13. ↑.Cic.defin.I,VI19sq.14. ↑.LucrèceII293.15. ↑.Nidansuntempsdéterminénidansunlieuprécis.

320

Page 321: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

16. ↑.Cic.defatoX22.17. ↑.Ibid.18. ↑.Plut,dean.Procr.1015C.19. ↑.Cic.definI,VI,19.20. ↑.Bayle.21. ↑.SaintAugustin,lettre118(nouveaudénombrement),28(àDioscore).22. ↑.Diog.X128.23. ↑.Plut,deeoquod1091,7.24. ↑.Clem.Al.Strom.II21,127,1.25. ↑.Sen.debenef.IV.26. ↑.Cic.denat.deorum,I,XXIV,68.27. ↑.Ibid.XL112etXLI115sq.28. ↑.Plut.ibid.1100sq,20.29. ↑.Arist.decaelo292b.30. ↑.Loidel’atome.31. ↑.LucrèceII221sq.32. ↑.Ibid.284sq.33. ↑.Arist.ibid.275b.34. ↑.Ibid.300b.35. ↑.Diog.X150.36. ↑.(Marxn’arienécritàcetteremarque;cf.parexempleDiog.X120ouCic.

defin.11,XXVI,82,etc.)37. ↑.Diog.X54;LucrèceII861sq.38. ↑.Pseudoplut.877E;cf.Sext.Emp.adv.dogm.IV240.39. ↑.Eusèb.XIV749.40. ↑.Simpl.p.362.41. ↑.Philop.p.362.42. ↑.Arist.degen.etcorr.362a.43. ↑.D.m.A.decaelo276a.44. ↑.Ritterp.568,rem.2.45. ↑.Arist.met.1042b12sq.46. ↑.MEGA.Aprèspassage,barré:Démocriteneposepaslacontradictionentre

laqualitédel’atomeetsonconcept.47. ↑.Ibid.985b4sq.48. ↑.Diog.X44.49. ↑.Ibid.56.50. ↑.Ibid.55.51. ↑.Ibid.59.52. ↑.Cf.Ibid.58;Stob.ecl.I,X14(§306).53. ↑.Rosini,p.26.54. ↑ . Mais, de cette façon, Epicure démontrait la ténuité des atomes par leur

incroyable petitesse, en disant, selon le témoignage de Laerte (X 44), qu’ils

321

Page 322: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

n’avaientpasdegrandeur.55. ↑.Euseb.XIV773.56. ↑.Stob.ecl.I,XIV1sq(§348);cf.Pseudoplut.877D-F.57. ↑.Arist.degen.etcorr.326a.58. ↑.Euseb.XIV749;cf.Pseudoplut.ibid.59. ↑.Diog.X54;cf.44.60. ↑.Ibid.42.61. ↑.Ibid.62. ↑.LucrèceII513sq;Euseb.ibid.(14,5);cf.Pseudoplut.ibid.63. ↑.Diog.X42;LucrèceII525sq.64. ↑.Arist.decaelo303a;Philop.ibid.65. ↑.LucrèceII479sq.66. ↑.Cf.Anm.25.67. ↑ . Cf. MEGA : Après « figure », le paragraphe suivant est barré

verticalement : Epicure s’est donc, sur ce point, également objectivé lacontradiction tandis queDémocrite, s’en tenant au côtématériel, ne laisse plusapparaître,danssesdéterminationsultérieures,aucuneconséquenceduprincipe.

68. ↑.Diog.X44.54.69. ↑.Brucker,p.224.70. ↑.Lucrèce11052sq.71. ↑.Diog.X43.61;LucrèceII235sq.72. ↑.Cf.chap.III(delaDissertationdeMarx).73. ↑.Feuerbach,p.120.74. ↑.άμέτοχα κενουne veut absolument pas direne remplissent aucun espace

maissontindivisiblesselonl’espace,c’estlamêmechosequelorsqu’ilestditailleurschezDiogeneLaerteδιάλειψινδεμέρονουκέχουσιν.C’estdelamêmemanièrequ’il faut expliquercetteexpression (Plutarque)Deplacit.Philosoph.1,p.286(Pseudoplut.I3,chezKaltwasser:vol.7,p.14)etSimplicius,p.405.

75. ↑ . Ceci aussi est une fausse conséquence. Ce qui ne peut être divisé dansl’espace n’est pas pour cela extérieur à l’espace et soustrait à toute relationspatiale.

76. ↑.Schaubach,p.550.77. ↑Par exemple que le Tout est corps et nature impalpable (c’est-à-dire espace

vide),quelesatomessontleséléments,ettouteslesautresaffirmationsdemêmeordre.

78. ↑ . Diog. X 44 [se rapporte à un passage raturé parMarx et que nous avonslaissédecôté;l’éditionMEGAenfaitmentiondansunenoteenbasdepage.]

79. ↑ . Le Tout est corps et nature impalpable... (et) que les atomes sont leséléments...

80. ↑.Ibid.67.81. ↑.LeTout est corps...mais s’iln’existaitpascequenousappelons levide, la

placeetlanatureimpalpable...Parmilescorps,lesunssontdescompositions,les

322

Page 323: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

autres ceux dont sont faites les compositions. Ces derniers sont indivisibles etinsécables,sibienqu’ilestnécessairequelesprincipesindivisiblesconstituentlanaturedescorps.

82. ↑.Ibid.39,40et41.83. ↑.Ibid.VII134.84. ↑.Arist.met.V1.3(1012b34-1013a23et1014a26-1014b15).85. ↑.Cf.ibid.86. ↑.Ibid.V3(1014a26-1014b15).87. ↑.Ibid.985b4sq.88. ↑.Diog.X54;Plut.adv.Col.1111,8.89. ↑.Sext.Emp.adv.dogm.IV42.90. ↑.Euseb.XIV.773.749.91. ↑ . Epicure (dit) que les corps primordiaux sont simples, mais que ceux qui

résultentdeleurcompositionpossèdenttouslapesanteur.92. ↑.Pseudoplut.I7,882AetI12,883A;Stob.ecl.I,XXII3a(§496)etI,I29b

(§66).93. ↑.Cf.ibid.;Cic.defin.IVI21.94. ↑.Diog.X41.95. ↑.Plut.ibid.1114B,13.96. ↑.Simpl.,p.488.97. ↑.Pseudoplut.879B-C(1S);Stob.ecl.I,XXII3a(§496).98. ↑.Lucrèce1820sq;Diog.X39.99. ↑.Ibid.73;LucrèceV108sqet373sq.100. ↑.Simpl.,p.425.101. ↑.LucrèceII796.102. ↑.L’immortellemortnousaprislaviemortelle.103. ↑.Arist.phys.251b.104. ↑.Simpl.,p.426.105. ↑.Lucrèce I 459.461 sq. 479 sq. ; Sext.Emp.adv.dogm. IV 219 ; cf. Stob.

ibid.106. ↑.Diog.X.72sq.107. ↑.Lucrèceibid.;Sext.Emp.,adv.dogm.,IV,219sq.etStob.,ibid.108. ↑.Images,figures,«idoles».109. ↑.Diog.X46.48;LucrèceIV30sq.52sq.110. ↑.Diog.X49.50.52.53.111. ↑.LucrèceII1139sq.112. ↑.Diog.II10.113. ↑.Pourcontemplerlesoleil,laluneetleciel.114. ↑.Arist.met.986b25.115. ↑.Cours éternel (d’après I.B.Hoffmann,αίθήρ est plutôt en connexion avec

αίθειν,quiveutdirebrûler).116. ↑.DmAdecaelo270b.

323

Page 324: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

117. ↑.Ibid.118. ↑.DmA.met.1074a38et1074b1sq.119. ↑.Diog.X81.120. ↑.[Letextegrecdit:«Soupçonnentsanscessequelquemauvaisprésageen

sefiantauxmythes.]121. ↑.Ibid.76.77.122. ↑.Arist.decaelo284a.123. ↑.Qui,àl’Occident,setientdebout,portantsursesépauleslescolonnesduciel

etdelaterre.124. ↑.Diog.X85.125. ↑.Ibid.85.82.126. ↑.Ibid.87.78.79.127. ↑.Ibid.86.128. ↑.Ibid.129. ↑.Ibid.92.130. ↑.Ibid.94.131. ↑.Ibid.95.96.132. ↑.Ibid.98.133. ↑.Ibid.104.134. ↑.Ibid.80.82.87sq.135. ↑.Ibid.78.86.87.136. ↑.Ibid.98.113.97.93.87.80.137. ↑.Ibid.138. ↑.Ibid.78.139. ↑.Arist.ibid.279b.140. ↑.Ibid.141. ↑.MEGA:corrigéparMarxen:théoriedesaméthode.142. ↑.Athénée111104b(63).143. ↑.Lucrèce162sq.78sq.144. ↑.L’humanitégisaithonteusementàterre/écraséesouslepoidsdelareligion/

Qui,dumilieuduciel,montrait sa tête /etdont lesyeuxeffrayantsmenaçaientd’enhaut lesmortels. /Lepremier,unhomme,unGrec,osa levercontreelle /sesyeuxhumains,osa se redresser contre elle. /Ainsi la superstitionest à sontour terrassée, foulée aux pieds, et cette victoire nous élève jusqu’aux cieux.(Trad.HenriClouard.)

324

Page 325: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

[Appendice]

[CRITIQUEDELAPOLEMIQUEDEPLUTARQUECONTRELATHEOLOGIED’EPICURE]

[I.—LERAPPORTDEL’HOMMEÀDIEU]

[1.Lacrainteetl’êtretranscendant.]

1.Plut.deeoquod1100,20.2.D’Holbach,p.278et327.3.Plut.ibid.1101,21.

[2.Leculteetl’individu.]

4.Ibid.5.Ibid.6.Ibid.1102,21.

325

Page 326: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

[3.LaprovidenceetleDieudégradé.]

7.Ibid.1102,22.8.Ibid.9.

«Or, la raison faible n’est pas celle qui ne reconnaît aucunDieuobjectif,maiscellequiveutenreconnaîtreun.»Schelling,Lettresphilosophiquessurledogmatismeetlecriticisme,danslesEcrits philosophiques,premier volume, Landshut, 1809, p.127,LettreII.OnpourraitengénéralconseilleràM.Schellingdese remettre en esprit ses premiers écrits. On lit, par exemple,dans son écrit sur le Je, principe de la philosophie : « Si l’onadmet,parexemple,queDieu,danslamesureoùilestdéterminécomme objet (Objekt), est le fondement réel (Realgrund) denotreessence,iltombelui-même,danslamesureoùilestobjet,dans la sphère de notre savoir, et ne peut donc pas être pournous le point dernier dont dépend cette sphère dans sonensemble.»(p.5,i.c.)NousrappelonsenfinàM.Schellinglesmotsde conclusionde sa lettre citéeplushaut : « Il est tempsd’annonceràl’humanitémeilleurelalibertédesespritsetdenepas supporter plus longtemps qu’elle pleure la disparition deses chaînes. » (p. 129 L. c.) S’il était déjà temps en l’an degrâce1795,qu’est-cedoncen1841?Pourfairementionici,enpassant,d’unthèmepresquedevenu

fameux,lespreuvesdel’existencedeDieu,disonsqueHegelaretourné d’un seul geste ces preuves théologiques, c’est-à-direles a rejetées pour les justifier.Qu’est-ce donc que ces clientsque l’avocat ne peut soustraire à la condamnation qu’en lesassommant lui-même ? Hegel interprète, par exemple, la

326

Page 327: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

conclusiondumondeàDieusouscetteforme:«C’estparcequele fortuit n’estpasqueDieu ou l’absolu est. »Mais la preuvethéologiqueditàl’inverse:«Parcequelefortuitaunêtrevrai,Dieuest.»Dieuestlagarantiepourlemondefortuit.Ilvadesoiqu’ainsil’inversesetrouveégalementaffirmé.Lespreuvespourl’existencedeDieu,oubiennesontrienque

des tautologies vides— par exemple, la preuve ontologiquerevientàceci :«Ceque jemereprésente réellement (realiter)estpourmoiunereprésentationréelle»,celaagitsurmoi,etencesens tous lesdieux, lesdieuxpaïens aussi bienque leDieuchrétien,ontpossédéuneexistenceréelle.L’antiqueMolochn’a-t-ilpasrégné?L’ApollondeDelphesn’était-ilpasunepuissanceréelledanslaviedesGrecs?Surcepoint,lacritiquedeKantneprouverienellenonplus.Siquelqu’uns’imaginepossédercentthalers, si cette représentation n’est pas pour lui unereprésentationsubjectivequelconque,s’ilycroit,lescentthalersimaginés ont pour lui la même valeur que les cent thalers. Ilcontractera, par exemple, des dettes sur sa fortune imaginaire,cette fortune aura le même effet que celle qui a permis àl’humanité entière de contracter des dettes sur ses dieux.Aucontraire, l’exemple de Kant aurait pu confirmer la preuveontologique. Des thalers réels ont la même existence que desdieux imaginés. Un thaler réel a-t-il une existence ailleurs quedans la représentation, même si c’est une représentationuniverselleouplutôtcommunedeshommes?Apportezdupapiermonnaiedansunpaysoùl’onneconnaîtcetusagedupapier,etchacun rira de votre représentation subjective. Allez-vous-enavecvosdieuxdansunpaysoùd’autresdieuxont cours, et onvous démontrera que vous souffrez d’hallucinations etd’abstractions. Et on aura raison. Celui qui aurait apporté aux

327

Page 328: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

anciensGrecsundieuouvrantuneèrenouvelleauraittrouvéchezeuxlapreuvedelanon-existencedecedieu.Car,pourlesGrecs,il n’existait pas.Ce qu’est un pays déterminé pour des dieuxdéterminésvenusdel’étranger,lepaysdelaraisonl’estpourDieuengénéral : c’estunecontréeoù« sonexistence cesse.[« l’existence cesse » corrigé en « sa non-existence estdémontrée»]Ou bien, les preuves de l’existence de Dieu ne sont rien

d’autrequedespreuvesde l’existencede laconsciencedesoihumaine essentielle, des explications logiques de cetteconsciencedesoi.Parexemple,lapreuveontologique.Quelêtreestimmédiatement,dèsqu’ilestpensé?Laconsciencedesoi.Encesens,touteslespreuvesdel’existencedeDieusontdes

preuves de sa non-existence, des réfutations de toutes lesreprésentations qu’on se fait d’un dieu. Les véritables preuvesdevraient dire au contraire : « Parce que la nature est malorganisée,Dieuest.»«Parcequ’ilyaunmondedéraisonnable,Dieu est. » « Parce que la pensée n’est pas, Dieu est. »Maisqu’est-ce à dire sinon que c’est pour celui qui considère lemonde comme déraisonnable, et qui est donc lui-mêmedéraisonnable, que Dieu est ? Autrement dit, la déraison estl’existencedeDieu.«Sivoussupposezl’idéed’undieuobjectif,commentpouvez-

vousparlerde loisque laraisonproduitàpartird’elle-même,étantdonnéquepourtantl’autonomienepeutéchoirqu’àunêtreabsolument libre » [idée… dieu objectif… raison…autonomie…être libre sont soulignés parMarx.] (Schelling l.c.,p.198.)« C’est un crime envers l’humanité que de cacher des

328

Page 329: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

principesquisontuniversellementcommunicables.» (Dumêmeauteur,l.c,p.199.)

[Fragmentdel’appendice]

[CRITIQUEDELAPOLEMIQUEDEPLUTARQUECONTRELATHEOLOGIED’EPICURE]

[II.—L’IMMORTALITÉINDIVIDUELLE]

[1.Duféodalismereligieux.L’enferdelapopulace.]

Plutarque divise encore son étude ; il distingue le rapport desάδίκωνκαί πονηρων, puis des πολλων καί ίδιωτω et enfin desέπιεικων καί νουν έχόντων[1] [p. 1104] à la doctrine de lapersistance de l’âme. Déjà cette classification en distinctionssolides, qualitatives, montre combien peu Plutarque comprendEpicure, qui, en philosophe, considère le rapport essentiel del’âmehumaineengénéral.Pour les coupables d’injustices, on citemaintenant encore la

crainte comme moyen de perfectionnement, et la crainte des

329

Page 330: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Enfersestjustifiéepourlaconsciencesensible.Tandisquedansla crainte, une crainte intérieure et inextinguible, l’homme estdéterminé comme animal, chez un animal est, en général,indifférentelamanièredontilestretenudansdesbarrières.Nousenvenonsmaintenantà l’opiniondesπολλοί bienqu’il

apparaisse, à la fin, que peu en sont exclus ; bien plus, àproprementparier tous, δέωλέγεινπάντας[2] [je peuxbiendiretous],jurentfidélitéàcetétendard.«Mais, dans la grandemasse, l’espoir de l’immortalité qui

correspondauxmythesetl’amourdel’existence,cettepulsionlaplusancienneetlapluspuissanted’entretoutes,semêlentdelacraintedel’Hadès,et lacraintepuériledesterreursdel’Hadèsl’emportesurlajoieflatteuse.Quandilsperdentdesenfants,desfemmes ou des amis, ils préfèrent donc aussi que ceux-cidemeurent quelque part, et conservent l’existence, même soustoutes sortes de tortures, plutôt qu’ils aient tout à fait disparu,qu’ils aient péri et qu’ils se soient anéantis. C’est pour celaqu’ils aiment entendre,même en cas de décès, des expressionscomme:«Ilchercheuneautredemeure»,«ilchangedeplace»,et ce qui, d’ordinaire, caractérise la mort comme une simpletransformationdel’âmeetnoncommesamort…Desexpressionscomme:«C’enestfaitde lui»,ou« ilestperdu»,ouencore«iln’estplus»,lesmettenthorsd’eux…Ceuxquiparlentainsise répandent également en formules de ce genre : nous, leshommes, nous ne sommes nés qu’une fois, on ne saurait êtreengendré deux fois… et pourtant, à leurs yeux, le présent n’estguèreplusqu’un instantouplutôtunnéant,comparéà l’éternitéengénéral.C’estpourquoi ils laissentpasser leprésentsansenfaire quelque chose d’utile, ils n’attachent aucune valeur à la

330

Page 331: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

vertu et à l’activité, tout entiers dominés par le sentimentdécourageant de leur propre nullité, comme s’ils étaient defugitifs êtresd’un jour,dénuésde toutpouvoird’accompliruneaction digne d’éloges. Car l’hypothèse « que ce qui estdécomposéest insensibleetquecequiest insensiblenesauraitnoustoucher»nesupprimeenaucunefaçonlacraintedelamort,mais fournitplutôt laclairepreuvedesa justification,carc’estjustement ce qui fait reculer d’effroi la nature…, cettedécompositiondel’âmeenquelquechosequinepenseninesent.QuandEpicureenfaitunedispersiondanslevideetlesatomes,il ne fait qu’extirper d’autant plus profondément l’espoir del’immortalité,espoirpourlequeljepeuxbiendiretous,hommeset femmes,acceptent sanshésiterdes’exposerauxmorsuresdeCerbère et de porter de l’eau au tonneau des Danaïdes, poursimplementprolongerleurexistenceetnepasêtreanéantis.»Cequidistinguequalitativementcedegrédudegréprécédent

n’existe pas, à proprement parler ; au contraire, ce quiapparaissait auparavant dans la forme de la crainte animale,apparaîticidanslaformedelacraintehumaine,danslaformedusentiment.Lecontenurestelemême.Onnousditque l’amour leplusancienvaausouhaitd’être ;

sans doute, l’amour le plus abstrait, et donc le plus ancien, estl’amour de soi, l’amour de son être particulier. Mais c’étaitdéclarertropnettementlachose,onlareprenddenouveau,etonlance autour d’elle, grâce à l’apparence du sentiment, un éclatépuré.Ainsi donc, celui qui perd femme et enfants préfère qu’ils

soientquelquepart,mêmes’ilsysouffrent,plutôtqu’ilsn’aientcessétoutàfaitd’exister.S’ils’agissaitsimplementd’amour,la

331

Page 332: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

femmeetl’enfantdel’individucommetelssontconservésdelamanière la plus profonde et la plus pure dans le cœur de cetindividu, un être beaucoup plus élevé que celui de l’existenceempirique.Maisils’agitd’autrechose.Lafemmeetl’enfantnesont femme et enfant dans l’existence empirique que dans lamesureoùl’individului-mêmeexisteempiriquement.Quecelui-ci préfère les savoir n’importe où, dans un espace sensible,même s’ils y souffrent, plutôt que nulle part, signifie seulementque l’individu veut avoir la conscience de son existenceempiriquepropre.Lemanteaude l’amourn’étaitqu’uneombre,le«Je»empiriquedanssanudité,l’amourdesoi-même,l’amourleplusancienestlenoyau,ilnes’estpasrajeunidansunefigureplusconcrète,plusidéale.PourPlutarque, lenomde la transformation rendunsonplus

agréable que celui de la cessation complète. Mais latransformation ne doit pas être qualitative, le « Je » singulierdans son être singulier doit persister ; le nom est doncsimplement la représentation sensible de ce qu’il est et doitsignifierlecontraire.Lenomestdoncunefictionmensongère.Lachosenedoitpas être transformée,mais seulementplacéedansunlieuobscur;l’interpositiondulointainfantastiquedoitcacherlesautqualitatif(et toutedifférencequalitativeestunsaut,sanscesaut,aucuneidéalité).Plusloin,Plutarqueestime…

1. ↑ .Les coupablesd’injustices, lesméchants…Lagrandemassedes incultes…Leshonnêtesgensdouésderaison.

2. ↑.Nousdonnonsaussitôten traduction lespassagessuivantsdePlutarque (Deeoquod,1104,26—1105,27),queMarxciteengrec.

332

Page 333: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

COMPLÉMENTS

PRÉCISIONSSURLERAPPORTAHEGEL

desTravauxpréparatoiresetdelaDissertation

I.—LEVOCABULAIREHEGELIEN

La problématique de ces textes est prise tout entière dans lelangage hégélien. Lamanière dontMarx use du vocabulaire deHegelmontrequ’ilnes’agitpasicid’unsimpleexerciceencore

333

Page 334: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

scolaire, mais d’une appropriation complète qui fait queMarxpose les problèmes qui le préoccupent sur la base de laproblématiquehégélienne.LeconceptvitaldeladialectiquedeHegelestl’AUFHEBEN,

terme constamment employé par Marx. D’après J. Hyppolite,AUFHEBEN veut dire dans la langue ordinaire : supprimer,conserver,soulever.DanslaSciencede la logique, ila lesensde « conserver » (aufbewahren) et de « supprimer » (aufhörenlassen). « Dépasser, écrit Hyppolite, surmonter (nous avionslongtemps pensé à « transcender » ) ne contiennent pasexplicitementle«travaildunégatif».Or,seulcetravailassurele passage à une autre sphère[1]. »Hyppolite traduit finalementpar SUPPRIMER, parce que, dans la phénoménologie del’Esprit,laconsciencenonencoreconscientedesoinevoitquele côté négatif de la dialectique.Une autre raisonqui incline àchoisirsupprimerestlepassagedelaSciencedelalogiquequitraitedececoncept[2]:«Suppressionetlesupprimé(l’idéel)estun des concepts les plus importants de la philosophie…déterminationqu’il fautsurtoutbiendistinguerdunéant.Cequise supprime ne devient pas pour cela néant. Le néant estl’immédiat ;une chose supprimée, au contraire, est unmédiat.Elleestlenonétant,maisentantquerésultatayantpoursourceet pourorigineun être.Elle garde encore, pour cette raison, lecaractèredéfinidecettesource…».«Cequiestsuppriméestenmêmetempscequiestconservé,maisaseulementperdusonimmédiateté.»IlsembledoncquemêmeauniveaudelaSciencedelalogique,cesoit lasuppressioncommetellequiconserve,danssonactedesupprimercommetel[3].«On ne supprimeune chose qu’en faisant en sorte que cette

334

Page 335: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

chose forme une unité avec son contraire ; dans cettedétermination plus approchée, on peut lui donner le nom demoment[4]. » Le moment est donc un terme défini par lasuppression dialectique. Il se saurait signifier « élément » quedans une pensée non dialectique. Le moment est l’équivalentdialectique de l’élément[5]. Moment et élément renvoient, dansleurdistinction,aucoupleantithétique:opposition(Gegensatz)/contradiction (Widerspruch). « Les opposés sont avant lasynthèsequelquechosedetoutautrequ’aprèslasynthèse.Avantlasynthèse,ilssontdesopposésetriendeplus.L’unestcequel’autre n’est pas, l’autre ce que l’un n’est pas[6]. » Lacontradictionestdonclaseulenotiondialectique,ellecomportele mouvement de sa suppression. Dans l’opposition, les deuxtermes se tiennent simplement l’un en face de l’autre.Mais enfait, c’est d’elle-même que l’opposition devient contradiction,caronnesauraitqu’abstraitementisolerdeuxtermesopposés.La dialectique hégélienne est élaboration du sens de l’être.

Avant sa dialectisation, la notion d’être est à la fois la plusimmédiate et la plus indéterminée.Le contenu de tous lesmotsquidésignent l’être est considéré commeunivoque, ladiversitétombantdanslesexpressionsdececontenu.Lecontenului-mêmeneconnaîtqueladistinctionentrel’êtreausensabsolu(Existenz,Sein, Dasein) et l’être au sens copulatif déterminant (A estB:Sein). Hegel reprend dialectiquement tous ces termes. L’être(Sein)estlepointdedépartdelaSciencedelalogique,en tantqueleplus immédiatet leplusindéterminé.Lasphèredel’êtren’estqu’unmomentduconcept,dontl’autremomentestl’essence(Wesen).EtreetEssences’opposent.Le«Sein»entantqu’êtreimmédiatestlibredeladéterminité

335

Page 336: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

(Bestimmt-heit).Ils’opposeaunéantimmédiatetindéterminé.L’oppositionêtre/néantserésoutdansledevenir(Werden).Or,

«ledevenir,quiestainsilepassageàl’unitédel’êtrepuretdunéant pur, unité qui est ou qui possède la figure de l’unitéunilatéraleimmédiatedecesmoments,estleDasein.»La détermination conceptuelle du Dasein est donc l’être

immédiatement déterminé. Le Dasein est le premier degré dedéterminationduSein.«Iln’estpasunêtrepuretsimple,maisun être-là, pris étymologiquement, un être dans un endroitdéterminé;maislareprésentationdel’espacen’estpasiciàsaplace[7]. » «LeDasein est l’êtredéterminé ; sadéterminité estdéterminitéquiest:qualité[8].»DéterminitétraduiticiletermeBestimmtheit.Cemotsignifie

état-déterminé, situation générale dans l’ordre de ladéterminationsansquecettedéterminationsoitunedéterminationinterne.C’estladéfinitionlaplusimmédiateetlaplusgénéralede la détermination. Les premiers termes de la Science de lalogiquesontlespluséloignésdeladétermination-en-et-pour-soi.«Déterminité»estlatraductionlapluslittérale:elledistingueBestimmtheit—qui d’après sa forme, a une résonancepassive—deBestimmungquisignifiedétermination.Ladéterminitéestanalogue à la qualité (état-déterminé immédiat), qu’Hegelopposeàlapropriété(déterminationpropre)[9].La qualité distinguée comme étanteest la réalité (Realitas).

Danssonaspectimmédiatetextérieur,laRealitass’opposeàlaWirklichkeit (réalité effective, dont la définition suppose lemomentdel’essence).LaRealitasdésigneleréeldanssonêtrebrutetabstrait:lefaitqueceréelcomportelanégationen lui-mêmeest, auniveaude laRealitas,occulté.L’idéalité—ou la

336

Page 337: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

négation— est alors extérieure, elle se dit « Idealitas », ellen’est pas comprise comme idéalité du concret. On peut alorsapprécierlejeusurlesdeuxmots:quandHegel—ouMarx—emploie Realitas, il vise le réel (Real) tel qu’il est pour laconscience qui n’a pas encore supprimé l’extériorité. Aucontraire,laWirklichkeitdésignelaréalitéeffectivetellequ’elleestensoi,oupourlephilosophe.LaWirklichkeitest l’unitédel’essence et de l’existence existant en soi, le concret qui doitencoredevenirpoursoi(ausensdeconscient).La déterminité s’oppose, au niveau de l’être-là, à la

détermination (Bestimmung).Hegel souligneque l’être-là et sadéterminitésontencoredesdéterminations toutà faitabstraites.«Ladéterminationestladéterminitéaffirmativeentantquel’êtreensoiauquel resteconforme lequelquechosedanssonêtre-là,s’opposant à son entortillement avec l’Autre qui ledéterminerait[10].»Parexemple,ladéterminationdel’hommeestla raison pensante, sa déterminité simple estpenser.Autrementdit, l’hommeestensoipensée(déterminité),mais lapenséeestaussi en lui (détermination). La qualité qui est, dans le simplequelque chose, essentiellement enunité avec l’autremoment decelui-ci, l’êtreensoi (auquels’oppose l’être-pour-l’autre)peutêtre appelée sa détermination. La notion de déterminationcontientcefaitquecequ’estlequelquechoseensoiestaussienlui. La détermination est le premier degré de la dimension del’intérieur. Au niveau de l’être, elle affirme la singularité duquelque chose. Dans la détermination, l’être-autre se réfléchitpourdevenirêtreensoi.A son tour, la détermination s’oppose à la manière d’être,

comme l’interne à l’externe. L’unité des deux moments est la

337

Page 338: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

limite(Grenze),quiunit l’autreet l’êtreensoi, introduit l’autredans l’ensoi.L’unionde la limitedoublecellede l’être-là. CequiestposéavecsalimiteimmanenteestleFini.Le fini doit être pensé en rapport à l’infini. L’opposition

dialectique du fini et de l’infini définit le niveau de l’idéel.L’idéel«estlefinitelqu’ilestbiendistinct,maisn’existepasdemanièreindépendante,étantseulementunmomentdel’infini[11]».L’idéalitéestlaqualitédel’infinité,maiselleestessentiellementleprocessusdudeveniret,parconséquent,unpassage:passagedu devenir à l’être-là. Comme suppression de la finitude, ceretourensoiestrapportàsoi-même,être.Cetêtreimpliqueunenégation,mais celle-ci est négation de la négation, négation serapportantàelle-même,ilenrésulteunêtre-làqu’onappelleêtrepoursoi.

II.—CONCEPTIONHEGELIENNEDEL’ATOMISME

L'ÊTREPOURSOI

C’est l’être qualitatif accompli, l’infini. L’être-là était la

338

Page 339: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

suppressionimmédiatedel’être.Dansl’être-là,l’êtresubsisteàcôtédelanégation.L’être-làestdonclasphèredudualisme(p.161)[12].Dans l’être-pour-soi, la différence entre la négation

(déterminité)etl’êtreestposéeetréduite:l’être-pour-soiestlanégation posée de la négation. La négation est conciliée avecl’êtredansunedéterminitéabsolue.L’être-pour-soiest,danssonexpressionimmédiate,l’UN.Au-

delàdelanégationdelalimite,l’être-pour-soiestl’infiniretouren soi.Lemoment de l’être-là existe encore,mais intégrédansl’être-pour-soi. La déterminité est maintenant intérieure à cetêtre. Cette intégration définit, dans l’être-pour-soi, l’être-pour-l’Un.L’être-pour-l’Unestl’étatdufinidanssonunitéavecl’infini,

c’est-à-dire du fini comme idéel. Au-delà de la faussedialectique représentée par la pure alternance du fini et del’infini, le niveau de l’idéel représente l’unité posée,l’accomplissement de cette dialectique de la qualité : c’est àtravers l’autre que l’être pour soi se rapporte à lui-même.« L’idéel existe nécessairement pour l’Un,mais il n’existe paspourunautre.» (p.164.)L’Unpour lequel il existen’est autreque lui-même. Exemples de cet idéel : leMoi, l’Esprit, Dieu.Etre-pour-soietêtre-pour-l’Unsontlesmomentsinséparablesdel’idéalité, leur unité posée sera le résultat de la dialectiquerépulsion/attraction.L’être-pour-soi est l’unité de soi-même et de son être pour

l’Un.Saseuledéterminationest lasuppression (Aufhebung)—lemouvementdelanégation—serapportantàelle-même.Cettedialectique étant encore celle de l’être ou immédiateté, l’être-

339

Page 340: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

pour-soiestl’étant-pour-soi:l’UN.

UNETVIDE

L’Un est l’être-pour-soi-(concept) devenu étant-pour-soi,c’est-à-dire tombé dans l’être. L’être-pour-soi devient ainsi saproprelimite,etcettelimiteestl’Un.L’Uncomportedoncdeuxnégationsquin’en fontqu’une tout

ens’opposant:lanégationimmédiate(être-là)etlanégationdecette négation. Il comporte en outre l’identité, le rapport à soi,maisaussilerapportnégatifàsoi.Dans l’Un, l’être-pour-soi est l’unité postuléede l’être et de

l’être-là,l’unitéabsoluedurapportàl’autreetdurapportàsoi-même. (Cf. les deuxmoments de l’atome.)Mais l’être (commeimmédiat) s’oppose à la négation, si bienque l’Un complet estcontradictoire.Ilcomprend:— son être en soi. (Il s’oppose à tout autre, est invariable.)

Danscette simple immédiateté, ilnecontientrien.Ce rien, est,dansl’Un,levide;— la négation que l’Un en soi exclut : le vide en dehors de

l’Un. Ce vide est néant. Les moments de l’être-pour-soideviennentdoncextérieurslesunsauxautres.L’ensembleglissealorsdansl’être-là:levide,commeêtre-là

dunéant,s’opposeàl’Un.

DIALECTIQUEDEL’UN.RÉPULSIONETATTRACTION

340

Page 341: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

1.Répulsioninternedel’Un.L’Un n’est en rapport à lui-même qu’en tant que négation.

Comme l’être-pour-soi de l’Un a supprimé la différence del’être-làetde l’autre, ilnese rapportequ’à lui-même (sinon ilredeviendrait un simple quelque chose). Mais ce rapport estnégatif. L’Un se rapporte à lui-même négativement, il exclutl’Un : il s’exclut lui-même, il se repoussehorsde lui-même, ildevientmultiple:répulsion.

2.RépulsionextérieuredesUns.Cette répulsion est seconde : ellemaintient la distance entre

plusieursUnsdéjàexistants.Larépulsion(conceptuelle)devientdecefaitexclusionpureetsimple.L’UnrepoussedesUnsqu’iln’a ni produits, ni posés (p. 176). Cette répulsion-exclusioncaractérisel’être-làdesUnsetnonleurêtre-pour-soi(oppositionsimple et directe). Dans son être-pour-soi, l’Un n’est pas (ils’opposeàl’être-là).Donc,l’Unpourlequelilestestlui-même.(Cf. détermination formelle de l’atome.) Par contre, dansl’exclusion,l’Unest.

3.Répulsionetattraction.L’êtreensoidel’Un(conservépar l’exclusion)faitquel’Un

estUn.MaistouslesUnssontégalementdesUns.Leurnégationréciproque leur est commune et se transforme ainsi en facteurd’unité.Ilsseposentparlàmêmecommeidentiques.Ilsformentainsi«uneseuleunitéaffirmative»(p.178).Ainsi, lanégationpard’autresfaitrevenirlesUnseneux-mêmesetsauvegardeleurêtrepoursoi.LecomportementnégatifréciproquedesUnsn’est

341

Page 342: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

qu’unrapprochementavecsoi-même(p.179).LaformuledeHegelestdonc:—l’Unserapporteàlui-mêmecommeàunautre:répulsion;—serapportantàunautre,ilrevientàlui-mêmeenuneunité

médiate:attraction.

Cemouvementn’estpasunesimplealternancecarl’Un,sortidel’attraction,estposémédiatement.L’attraction est l’« idéalité posée de l’Un » (p. 180). La

répulsion est sa réalité (idéalité et réalité s’opposent). Dansl’ordre du concept, l’attraction suppose et vient après larépulsion. Mais une attraction achevée serait la fin de ladialectique : elle aboutirait à un Un inerte. L’attraction se niedonc elle-même à son tour dans la répulsion et lui est liéeessentiellement. L’attraction a pour condition l’absence dedifférence entre les Uns : elle pose médiatement leursdifférences.Larépulsionn’estpaslevide,carelleestunrapport(négatif).

Mais l’exclusion est en fait un lien (elle manifeste la non-indifférence).L’attractiony est doncdéjàprésente (p. 183).Enoutre, la répulsion est ce par quoi les Uns se manifestent ets’affirmententantqu’Uns,ceparquoiilssonttels.Leurêtreseconfond avec la répulsion même (p. 184). La répulsion seprésupposeelle-même.Demêmepourl’attraction,puisquec’esten tant qu’Un (en tant qu’idéaux) que les Uns sont la mêmechose. Répulsion et attraction sont donc l’une à l’autre desmoments(dialectiques).Chacunesenieelle-mêmedansl’autre.L’être-pour-soiestalorstotalementdéveloppé:

342

Page 343: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

—L’Unserepousse:répulsion.—Ilsupprimecenon-êtredelui-même:attraction.—Ilrestedoncenrapportaveclui-même(p.185).Telle est la concrétion de l’être-pour-soi, atteinte en une

dialectiquedont lesmoments seprésupposent, etoù l’attractionjoue le rôlede l’infini dans l’opposition infini / fini, étant à lafoisl’undestermesdurapportetceluiquienposelacomplétudeidéelle.Aucuneabstractionnesauraitéchapperàladialectiquedesa

concrétion : l’Un ne saurait échapper à la dialectiquerépulsion / attraction. « L’indépendance de l’Un étant-pour-soi,pousséejusqu’àl’extrêmelimite,estuneindépendanceabstraite,formelle,quisedétruitelle-même;elleconstitue,delapartdeceuxquil’admettent,laplusgraveetlaplusopiniâtreerreurquisedonnecependantpourlaplushautevérité;elleapparaît,soussesformesunpeuconcrètes,commelalibertéabstraite,commeleMoipur…C’estlalibertéqui,seméprenantsursanature,laposedanscetteabstraction,etseflatte,grâceàcetêtre-chez-soi,de se retrouver à l’état de pureté. Cette indépendance… est lecomportementnégatif à l’égardde soi-même,puisqu’envoulantretrouver sa nature propre, elle la détruit. La conciliationconsiste plutôt à reconnaître comme étant sa nature propre cecontre quoi est dirigé le comportement négatif, à renoncer à lanégativitédesonêtre-pour-soi,aulieudes’ymaintenir.»(Noussoulignons)(p.179).End’autrestermes,larépulsioncontientunmouvementdialectiquequiélèvel’être-pour-soiàlaconcrétion.Tenterdefigercemouvementetdes’enteniraupurêtre-pour-soirevientàsecrisperdansunelibertéquisenieelle-même.Hegel écrivait peu avant : « L’atomistique n’admet pas le

343

Page 344: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

conceptdel’idéalité:ellen’envisagepasl’Uncommecontenantenlui-mêmelemomentdel’êtrepoursoietdel’être-pour-cela,c’est-à-direcomme idéel,maisuniquementcommeunêtrepoursoi nu et simple. » (p. 176.) Ce que manque, selon Hegel,l’atomistique sous toutes ses formes, c’est le moment del’attraction,commemomentidéel.L’atomistiques’entientleplussouvent à la simple exclusion, forme représentative de larépulsionconceptuelle.

III.—LADIALECTIQUEREPULSION/ATTRACTIONETL’IDEEDEDECLINAISON

Marx pense conceptuellement, jusque dans ses moindresdétails, une philosophie d’ordre représentatif. L’importanceextrêmequ’ildonneauClinamen(déclinaisondesatomes),sansdouteaumoinsdiscutabledansunestricteperspectived’histoiredelaphilosophie[13],déséquilibrenécessairementladialectiquehégéliennede larépulsionetde l’attraction.Onnoteuncurieuxsilencesurl’attraction,tantdanslesTravauxpréparatoiresquedans la Dissertation. La déclinaison précède la répulsion, et

344

Page 345: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’analyse se termine sur cette même répulsion. Le mot« attraction » apparaît dans laDissertation à propos du ciel,maisjamaisàproposdesatomes.Untelsilenceest troublant,àpropos d’une notion aussi essentielle. C’est le niveau del’idéalitéquisembleainsiécartédesatomes.On lit cependant dans les Travaux préparatoires que les

atomes se rapportent à eux-mêmes par la déclinaison, en unmouvement qui paraît tenir lieu de l’attraction. La dialectiquerépulsion/attraction, par elle-même complète, contreditl’importancemajeureaccordéeà ladéclinaison,àmoinsque ladéclinaisons’identifieà l’undesdeux termes.Dansunpremiermoment, la déclinaison semble prendre sur elle le statut positifde l’attraction :elleassure l’identité-à-soide l’atomeainsiquel’identitédesatomesentreeux : tous lesatomesdéclinent.Elleest, dans l’atome, « ce qui peut lutter et résister », la loi, ladétermination primordiale, la solidité. Mais la déclinaison nepeut en aucun cas s’identifierà l’attraction : elle ne réalise eneffetqueladéterminationformelledel’atome,lepurêtre-pour-soi. Elle ne saurait désigner une unité affirmative médiate.Pourtant, c’est ladéclinaisonquibrise lemécanismed’Epicureen y introduisant le concept. La déclinaison a donc la lourdetâchedesauverEpicuredelacondamnationgénéralequeHegelavaitportéecontrel’atomistique.« C’est le point de vue de la philosophie atomistique que

l’absolu s’y détermine comme être pour soi, commeUns et denombreuxUns.Onyaadmiscommeforceprincipalelarépulsionse manifestant dans la notion de l’Un : toutefois, ce n’est pasl’attractionquilesréunit,maislehasardaveugle.L’Unétantfixécomme Un, la réunion de ces Uns doit être évidemment

345

Page 346: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

considéréecommequelquechosedetoutextérieur[14].»Marx admet le fait qu’Epicure fixe l’atome comme Un et

l’empêche de se dissoudre dans une unité supérieure. Mais ilrécuselepurhasardcommecausedelaréuniondesatomes,carl’atome,manifestantdansladéclinaisonqu’iln’estpasunsimpleétant-pour-soi, introduit dans la répulsion l’élément idéel quisemblait lui fairedéfaut.Ainsi l’atome récusebien lanécessité(enversduhasard),maisilaffirmelehasardcommesanécessitépropre.

1.EQUIVOQUEDEL’ETRE-POUR-SOI

Il y a une ambiguïté dans l’être-pour-soi, commedans toutesles catégories hégéliennes. « Avec lui apparaît déjà, sous saforme la plus élémentaire, cette réflexion sur soi-même, cetteidentitémédiateavecsoiquenous trouvonspleinementréaliséedans la Conscience et plus expressément encore dans laConscience de Soi[15]. » Hegel le souligne : « La consciencecommetellecontientdéjàladéterminationdel’être-pour-soi,ensereprésentantun objet qu’elle éprouve, contemple, etc.[16]. »Mais,auniveaudelaConscience,«l’être-pour-soiestl’attitudepolémique, négative à l’égard de l’autre qui s’oppose commelimite»(p.162).Aucontraire,«laconsciencedesoiestl’êtrepoursoitotaletpostulé:plusaucunrapportavecunautre,avecun objet extérieur. La conscience de soi nous offre ainsi lepremier exemple de la présence de l’infini ; d’un infini, il estvrai, toujours abstrait, mais qui n’en est pas moins d’uneprécision [= déterminité] beaucoup plus concrète que l’être en

346

Page 347: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

soiengénéraldont l’infinitén’estencorequed’ordrepurementqualitatif»(p.162,163).</nowiki>L’être-pour-soi incarnédans l’atomeestdonc le lieudedeux

accentuations possibles : l’accentuation de la sphère où ilapparaît ici (sphère de l’être) entraîne l’atome versl’inconceptualité(mécanismematérialistedusenscommunetdela science). Au contraire, l’accentuation de l’identité-avec-soientraînel’atomedansladirectiond’uneaffirmationprécocedelaconscience de soi. L’atome est alors la « forme immédiate duconcept ». L’introduction de la conscience de soi (conscienceencoreabstraitepuisqu’elleretrouveenfaced’ellel’Autresouslaformede l’autreconsciencedesoi)«blesse» ladialectiqueobjective de l’Un, et dans cette brèche entre la logiquesubjective. Dans les Travaux préparatoires, Marx identifiepurement et simplement être-pour-soi et être-conscient,identification qui, pour être vraie, suppose d’aprèsHegel touteune série de médiations. L’idéalisme pénètre du même coupl’atomisme.Duniveaudelapurescience,l’atomismed’Epicuredevientphilosophie.Danscettephilosophie,c’estl’ensembledeladialectiquequiestenquestiondanslaseulesphèredel’atome.

2.DECLINAISONETATTRACTION

SelonHegel,l’idéalitén’estposéequedansuneunitémédiatesupérieure à l’être-pour-soi pur et immédiat. C’est ce momentsynthétiquequel’atomismeauraitmanqué.L’attractionestseuleàpouvoirintroduirel’idéalité,carellereprésenteleretouràsoidel’Undepuissonrapportàl’autre,retourmédiatquicomprendles deux moments et a supprimé leur contradiction. La

347

Page 348: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

déclinaison d’Epicure reprise par Marx paraît être uneinfradialectique de l’attraction dominée par la raideur du purêtre-pour-soi.Elle semble tenir la place de l’attraction sans enaccomplir lafonctionidéaleetdoncmaintenir l’atomedansuneidéalité abstraite, c’est-à-dire dans une pseudo-idéalité.L’abstractiondeladéclinaisonseraitcequiestcondamnéparladialectiqueducieletdelaterre.

a)LASOLIDITÉDEL’ATOME

1)L’atomecommepoint.L’atome est d’abord un point, un Un spatial. Mais le point

spatial,figuredel’être-pour-soiabsolumentimmédiat,n’apasdeconsistance propre. En vertu de la célèbre dialectiquepythagoricienne point-ligne-surface, reprise par Hegel, l’atomeponctuel passe immédiatement dans son être-supprimé, dans lalignedroite.Lepointestlimiteetélémentdelaligne.Lalimitedu simple « Quelque chose » qu’est le point provoque unecontradiction qui le pousse à dépasser cette limite.Le point sequittepourpasserdanslaligne,etlalignerésultedumouvementdu point. « Le point est la limite tout à fait abstraite, celle del’espace abstrait, absolu, indéterminé, au sens d’extra-positioncontinue.»(p.128.)«Enfait,iln’yapasdepoint.»«Lorsquela limiteestcelled’unêtre-làdéterminé…, lepointdevient luiaussi spatial, et nous nous trouvons en présence de lacontradiction entre la négation abstraite et lacontinuité qui estcelledupassagedupointàlaligne,etc.»(Ibidem.)Aceniveau,lasoliditédel’atomen’existepasdutout.Or,l’atomistiqueexigecettesolidité[17].

348

Page 349: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Dans les Travaux préparatoires, Marx présente la choseainsi:lalignedroiteestbienl’être-supprimédupoint,sonêtre-autre. Mais l’atome n’est pas qu’un point spatial : il incarnel’être-pour-soi absolu immédiat. Il exclut donc son être-autre,lequel apparaît dans cette sphère commeun être-làdifférent dupoint et s’opposant à lui. Mais il ne saurait l’exclure dans lasphèredel’espacepuisqu’iln’ypossèdeaucunesolidité.Ilfautdonc que l’atome soit capable de nier la sphère totale del’espace[18].Sidonconmaintientlaponctualitédel’atome,ladéclinaison

semble aboutir à l’opposition entre la négation abstraite et lacontinuité.Lepointesteneffetla«négationqualitativepousséeà l’extrême[19] » (p. 129). Cette abstraction paraît biencaractériserladéclinaisonquiconsisteà«faireabstraction»dela ligne droite sans la nier efficacement. Mais il n’en est pasainsi : la déclinaison fait sortir l’atome de la détermination del’espace.De simplequelquechose, il devient être-pour-soi.Lepointétaitlanégationdel’espaceposéedansl’espace,spatiale.Maisl’atomeestl’analoguedutemps,c’est-à-diredelanégationexistantpoursoi.Ildémontreque«laloiqu’ilsuitestuneautreloiquecelledelaspatialité[20]».Hegel écrit : « La différence de l’objectivité et de la

consciencesubjectiveparrapportàelleneconcernepasplusletemps que l’espace. Si ces déterminations étaient appliquées àl’espace et au temps, le premier serait l’objectivité abstraite etl’autre la subjectivité abstraite[21]. » Le temps est le mêmeprincipequelemoi=moidelaconsciencedesoipure.Ce texte fondeMarx à faire de l’atome l’analoguedu temps.

Mais au niveau du temps (abstraite négativité se rapportant à

349

Page 350: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

elle-même), iln’existepasencorededifférenceréelle.L’atomedoit donc être différent du temps puisque le temps est continu.L’analogie avec le temps est unmoment de l’élaboration de lasoliditédel’atome.

2)L’atomecommecorps.Marxeffectueunpremiersautquifaitpasserdusimplepoint

aucorps,c’est-à-direà lamatièreconsistante, laquellepossèdecommemomentlacontinuité.PourHegel,lecorpsestlerésultatde différentes médiations : il contient l’espace et le temps, lajuxtaposition et la continuité, la répulsion et l’attraction. Laconsistanceducorpsestcomplexe.Sonattributestlapesanteur,entantquemouvementayantsonorigineenlui(pointdegravitésitué dans le corps). « La chute, dit Hegel, est le mouvementrelativementlibre;libreparceque,poséparlanotionducorps,il est le phénomène de sa propre pesanteur ; il lui est doncimmanent. »Lapesanteur est la position (abstraite) d’un centresitué en dehors du corps qui tombe[22]. « L’éloignement quisépare lecorpsducentreest,parsuite,encore ladéterminationcontingente,poséeextérieurement[23].»Marx est peu sensible à la liberté relative de la chute, ou

plutôt,ilplacecettelibertédanslepointdegravitéetnondansle mouvement de chute. La chute n’exprime pour lui que lamatérialité de l’atome.Cettematérialité n’exprimeque la pertede l’être qualitatif de cet atome, et non une quelconqueaffirmationdel’atomecommecorps.Bienquelecorpspossèdedéjà une certaine solidité, Marx soutient que la solidité del’atome«n’existepasdutoutencorequandonleconçoitcommetombantenlignedroite[24]».Ilneconsidèredanslachutequela

350

Page 351: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

lignedroitedécrite,etcelaparcequ’ilyretrouveladialectiquedupointetdelaligne,quelecorpsavait,enprincipe,dépassée.Ce qui fait que nous rencontrons de nouveau ladéclinaison auniveaudelapesanteur,fonctionnantexactementcommeauniveaude l’espace. Exprimée selon la pesanteur : l’atome qui a soncentreendehorsdeluiseposelui-mêmecommecentre,opposeaumouvementdechutesonpropremouvement.Ilaffirmeainsisapesanteur spécifique, dépassant le plan de la puremécanique.Danscettedétermination,ilestsimplementfaitabstractiondelapesanteurmatérielle;celle-ciestdoncniéeabstraitementetnonintégrée. On retrouve l’opposition singularité-pour-soi / unité-universalité-matière.

3)L’atomecommeconcept.Auniveaudupointcommeàceluiducorps,l’atomeestinvesti

d’une puissance d’affirmer son être-pour-soi contre toutematérialité, puissance qui dépasse chaque fois la sphèreconsidérée. Il contientunprincipe spirituel.Que sonêtre-pour-soi soit la projection de la conscience de soi abstraite —laquelleest l’être-pour-soi total—luipermetd’affirmercontretout cet être-pour-soi. L’atome est donc à la fois autre chosequ’un point et autre chose qu’un simple corps : il est, parexcellence, la forme. On peut lui appliquer la définition queHegel donne du concept : «Le concept existant librement poursoi, Moi = Moi, est en et pour soi la liberté et la négativitéabsolues.Ilestlapuissancedutemps[25].»Or, c’est encore la déclinaison qui représente cette

conceptualitédel’atome.L’atomen’ydéviepasseulementdelalignedroite,maisdetoutêtre-làengénéral,detoutêtre-autre,de

351

Page 352: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

toute matérialisation. La dialectique du point et de la lignecommecelledupointdegravitéetdelachutesontgomméesparunpointetuncorpsanarchiques,investisparuncoupdeforcedela dignité du concept.L’atome est un être-là condamné à n’êtrepointlà,car,s’ilétaitlà,ilneseraitpluscequ’ilestetdoncneserait plus. La déclinaison introduit dans cet être-là ladétermination-en-soi-même:«Cen’estqueduclinamenquenaîtl’automouvement, le rapport qui possède sa déterminité commedéterminitédesoi-mêmeetnel’apasdansunautre[26].L’atomeestdoncbienà la foismatière et forme,mais cet« à la fois»désignenonpasunesynthèse,maisunelutte.Danslamesureoùl’atome est concept, il n’est pas forme, et inversement. Il fautalors examiner quel ordre, quelle progression donne Marx audéveloppementdesmomentsdel’atome.

b)L’IDENTITÉDESATOMES

L’atomeprisselonsonconceptnepeutserapporterqu’à lui-même. Nous avons vu que Hegel faisait de l’attraction lapositiondel’unitéaffirmativequiassuraitl’identitéconcrètedesatomes.PourMarx,ladéclinaisonestleprincipal(sinonleseul)mode d’identité des atomes entre eux et de l’atome avec lui-même. « Tandis que le monde se crée, tandis que l’atome serapporte à lui-même, c’est-à-dire à un autre atome, sonmouvementn’estdoncpas celuique soumetunêtre-autre, celuide la lignedroite,maisceluiquiendévieet se rapporteà lui-même[27]. » L’identité générale qui fait que l’atome estsemblable à l’autre atome n’est pas une unité posée (médiate),maisuneunitéabstraite-formelle,accentuant lemomentde l’Un

352

Page 353: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

danssonêtreensoi.L’atomequidévieserapporteuniquementàlui-même ; mais ce mouvement de déviation le conduitnécessairementàrencontrerl’autreatome.L’atomenereconnaîtpas l’autre atome comme lui-même. Il ne le pourrait qu’enreconnaissant la déclinaison comme attribut universel desatomes, mais le propre de la déclinaison est justement derefermerl’atomesurlui-même.Lerapportdesatomesentreeuxsemble donc bien frappé de la fortuite relevée par Hegel. LadifférenceestcependantquepourHegel,l’atomesubitlehasardqui le conduit à la rencontre, tandis que l’atome épicurien-marxien fait de cette fortuite l’affirmation de lui-même commepurêtre-pour-soi.

c)LARÉPULSIONDESATOMES

La répulsion « est posée avec la loi de l’atome, ladéclinaison[28] ». Elle dépend entièrement de celle-ci et nesaurait laprécéder.Elle constitue la réalisationde l’atome, enunit le côté formel et le côté matériel. Au sens strict, l’atomen’estpassanslarépulsion,carlaformes’opposeàl’êtrecommesanégation.Larépulsionsauvepourainsidirelalignedroitedesa négation par l’atome formel comme elle sauve en retourl’atomedupurnéant.Elle faitcoexister lesdeuxmomentsdansleurcontradiction.Larépulsionadoncuncôtématérieletuncôtéidéel. « Démocrite ne conçoit dans la répulsion que le côtématériel, la fragmentation et non le côté idéel, d’après lequeltoute relation à un Autre est niée et le mouvement est posécomme autodétermination[29]. » Marx identifie doncdéclinaison, idéalitéde l’atome,autodéterminationetcôté idéel

353

Page 354: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

delarépulsion.DanslesTravauxpréparatoires,Marxdécrit« l’atelieret la

forgedumonde».Lesurgissementdescompositionsàpartirdesatomes, leur « répulsion et attraction » est tumultueuse.L’attraction (dont on note l’unique apparition dans ce texte) estpurement représentée comme un mouvement violent faisantpendant aux chocs de la répulsion, et produisant lescompositions[30]. S’agit-il de la représentation de l’ « unitésupérieure»deHegel?Ilsemblequenon:d’unepart,cedoublemouvement représente la mort du destin, surmonté dans« l’arbitraire de la personne, de l’individu, qui dissout lesformeset les substances» (c’est-à-dire ladéclinaison), d’autrepart, lacompositionissuedelarépulsion-attractionn’estpaslarésolution de l’antinomie de l’atome dans une unité supérieure,mais au contraire son rabaissement à l’étatqualitatif (l’atome-principe)etmatériel(extérieur).DanslaDissertation,Marxestencore plus formel : dans la composition, les atomes ne serapportent pas les uns aux autres et sont indifférents les uns àl’égard des autres. La composition, loin d’être l’idéel, est lamatière dumonde sensible opposée à son idéalité formelle, letemps(oul’homme)[31].Ainsicomprenons-nousmieuxl’analysedelarépulsion.Avrai

dire, la dialectique répulsion-attraction de Hegel y apparaîtcomme inversée : l’idéalité de l’Un qui était posée dansl’attraction (concret) est ici placéedans l’être formel (abstrait)del’atome.Marxditque,danslarépulsion:

l’atomese rapporteà lui-même[idéalité formelle][32].commeàquelquechosed’autre[extériorité,matière].

La progression aboutit donc à la matière, à l’extériorité.

354

Page 355: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

L’idéalité précède lamatérialité, car elle se situe au niveau del’Undanssonêtreensoiexclusif.PourHegel,cettesituationestnormaletantquenousrestonssurlesoldelapurenature,carlepropre de la nature est d’être contradictoire et d’inverser laprogression conceptuelle[33]. Mais pour Marx, il ne s’agit passeulement de la nature, mais aussi de la conscience de soi.L’idéalitédoiticisedéfendrecontresaréalisation,laquellerestecontradictoireetabstraite, l’hommeyétantsimplementrenversédanslamatière.L’idéederépulsioncontientdonclemouvementmêmedelaphilosophied’Epicure,quiravalelapureformeàlamatièreabstraitesansrenonceràfaireprévaloirlaforme,etquine peut le taire qu’en opposant la matière à elle-même. Larépulsion porte la contradiction au cœur de l’atome, ellereprésente pour lui l’impossibilité d’échapper à cettecontradiction,quiestendéfinitivecelledel’hommeetdumonde.Danscetteluttedesdeuxmoments,prioritérelativeestdonnéeàla déclinaison, car, si la forme ne peut exister sans s’incarnerdanslamatière,lamatièreneseconcrétisequeparl’affirmationde la conscience de soi comme forme. L’idéalité étant«derrière»elle,larépulsionnesauraitprolongerladialectiquevers le spéculatif. Mais en retour, la liberté formelle de laconsciencedesoiestultimementfrappéedenullité.

d)LESYSTÈMECÉLESTECOMMERÉPULSIONCONCRÈTE

Marxdéfinitlecielcommeréalisationeffectivedel’universel,donccommerésolutiondel’oppositionmatière/forme.L’atomenepeutrecevoirenluisonmomentopposésanss’aliénerdeson

355

Page 356: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

essenceetcelaparcequel’essencedel’atomeestl’abstraction,au sens du mouvement même de s’abstraire du monde. Aucontraire, le ciel voit la matière « recevoir en elle » lasingularitéformelle.Lacontradictionentreformeetmatièreyest« éteinte[34]. » Toute concrétion qui n’est pas progressiondialectique n’est qu’une projection de l’abstraction, donc unefausse concrétion, un simple déplacement-déguisement. C’estpourcelaquelaconsciencedesoiabstraitevoitdanslecielsonennemi mortel. Les Travaux préparatoires nous présentent ceciel comme le lieu « où la conscience contemple sonmanque[35]. », c’est-à-dire où elle est ramenée à la prise deconsciencedesonactivitéprojective.LaDissertationdistinguelanégationépicurienneducielet lareligionducielpropreauxautres Grecs. Dans les deux cas, il s’agit du même ciel :l’objectif-autonome,l’Autredelaconscienceabstraite,quecetteconsciencerévèreourêvededétruiresaréfutationmatérielle.Maisquelleestaujustelaprogressionquinousfaitpasserde

la répulsion au ciel ? Dans les corps célestes, la forme et lamatière cessent de s’entre-déchirer comme dans le mondeterrestre.Laconcrétiongagneendéterminationlasuppressiondel’abstraction. Mais cette suppression ne nous semble pasdialectique. Cette idée du ciel-accomplissement de la naturemécaniqueetdelapesanteur,MarxlareprendàHegel,pourquila gravitation constitue la mécanique absolue. Or, Hegelsouligne que la nature mécanique ne peut connaître lasuppression de la contradiction, car son essence est d’êtrecontradictoire[36].LemouvementabsoluestpourHegelfondésurla contradiction entre le centre unique de la pesanteur et lescentres singuliers des corps célestes. Que la contradiction soit

356

Page 357: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

«éteinte»danslecielnoussemblesignifierpourMarxquecettecontradiction est désormais concrète, que ses deux termess’incarnent dansune réalité effective, et que cette contradictionestreconnuecommepositive.Lescorpscélestesserapportentaucentre universel de la pesanteur tout en affirmant leur proprecentre, et cette contradiction est admise par le ciel concret. Sil’atomeétaitunepureformequidevaits’aliénerpoursegagnerl’existence, les corps célestes représentent l’atome dontl’existence n’est plus un scandale, l’intégration effective de laformeetde lamatière.Lecielcomportedesmomentsopposés,mais dont l’opposition est positive puisqu’elle produit lemouvementabsolument libre.C’estexactement lemêmerapportquirègneentrel’hommeetlanature,dèsl’instantoùl’hommeestreconnu comme être objectif naturel. L’homme est un être-lànaturelproduitpar lanature :cesolmatérialisteestceluioùlesujetsedécouvrecommeproduisant.Maislaproductionentraîneune reconsidération totale de ce même sol. Le ciel n’a qu’unmouvementéthéré,commefigédanssa liberté,«éteint».Sicemouvementestéternel,c’estqueriend’effectifneseproduitendehorsdumouvement formel.Aucun rapportde transformationne régit le ciel, aucune histoire n’y fait surgir un événement.C’estlanaturespatialedeFeuerbach.Lavéritable«solution»àla contradiction forme / matière se trouve dans la pratiquetransformatrice, qui conteste l'objectivité philosophique. Cettepratiqueest laseuleoriginedumouvementconcret(historique),car ses deux termes ne sont pas des abstractions, mais desréalités vivantes. Le propre du matérialisme marxiste sera decomprendrel’effectivitésubjectivement,commeactivitéhumainesensible, par opposition au matérialisme antérieur qui lacomprenaitsouslaformedel’objet,del’intuition.Cecineréduit

357

Page 358: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

pasleréelausujet,maisinterditdepenserceréelendehorsdela connexion dialectique homme / nature comprise commeproduction réciproque. Le modèle de la nature mécanique,essentiel pour récuser toute spéculation, est donc lui-mêmedépassé. L’exigence de la réalité effective des deux termes del’oppositionintroduitnécessairementlaproductionetl’histoire.

e)CONCLUSION

— L’universel n’est pas spéculatif, dans la mesure où lespéculatifsupposeladissolutiondeladifférencehomme/nature(ouobjectivité).Ilestaucontrairel’oppositionpositivededeuxtermes réels, laquelle ne se pense que par la production.Cetteconception de l’universel explique le silence de Marx sur lanotiond’attraction,notionsynthétiquespéculative.—Cet universelmesure toute philosophie unilatérale : « La

conséquencelaplushautedel’atomistiqueest«sadissolutionetsonoppositionconscienteàl’universel[37].»

IV.—HEGELETEPICURE[38]

358

Page 359: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

DOGMATISMEETSCEPTICISME

Dans la période qui précède la philosophie alexandrine, ilfaut, nous dit Hegel, considérer « le dogmatisme et lescepticisme ». Le dogmatisme se divise dans les deuxphilosophies, la stoïcienne et l’épicurienne ; et le troisièmeélément,qu’ellespartagenttoutesdeux,estcependantl’Autrequis’opposeàelles:lescepticisme(p.423).Nous avons vu, poursuit Hegel, à la fin de la période

précédente,laconsciencedel’idéeoudel’universel,consciencequiestensoibut,conscienced’unprincipecertesuniversel,maisaussidéterminéensoietquiestpourcelacapabledesubsumerleparticulieretdeluiêtreappliqué.Cerapport—l’applicationdel’universelauparticulier—esticil’élémentdominant,carlapensée n’existe pas encore que de l’universel lui-même laparticularisation de la totalité procède par développement (p.424). Mais on y trouve le besoin du système et de l’actesystématisant; en effet, un principe doit être appliqué auparticulierde façonconséquente,de tellesorteque lavéritédetout particulier soit connue d’après ce principe. Tel est ledogmatisme. La mesure de telles philosophies doit donc avanttoutisolerlePrincipe,leCritère.« La grandeur spéculative de Platon et d’Aristote n’existe

plus ;c’estplutôtunephilosophiede l’entendement.»(p.424.)Le principe est abstrait, et donc un principe-de-l’entendement.L’objet de laphilosophie sedéfinit alorspar la recherched’uncritèredelavérité.CommeleVraiest l’accorddelapenséeetdelaréalité,ouplutôtl’identitéduconceptentantqu’identitédu

359

Page 360: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

subjectifetde l’objectif,cetterechercheestcelled’unprincipedediscernementdecet accord.Elle sedéfinitpar laquestion :par quoi le Vrai est-il reconnu, jugé comme vrai ? Critère etprincipe sont donc la même chose. Le scepticisme pénétreral’unilatéralité de ce principe et du même coup du principe engénéralentantqueprincipedogmatique.Dans toutes les nombreuses écoles socratiques qui se

développent,deuxdéterminationsconstituentl’intérêtprincipal:lapremièreestlecritère,unprincipeàpartird’oùtoutdoitêtredéterminé,—unprincipeuniverselpoursoi,unprincipequisoitenmême temps le déterminant pour le particulier.Hegel donnecommeexempled’untelprincipeabstraitl’Etrepur:seull’Etreest,etleparticulier,quicommenceaveclanégation,avecl’actepar lequel l’Autre est différencié, n’est pas, il est posé commedénuéd’existence.Maisdans l’oppositionàcebesoinsurgitununiverselquidoitêtreaussicequidétermineleparticulieretquidoitêtrecontenudansleparticulier.Ainsileparticuliernerestepas à l’écart, mais sa valeur tient à sa détermination parl’universel.Une autre conséquence de ce type de philosophie est que le

principe, comme formel, était subjectif ; ainsi il a reçu lasignificationdelasubjectivitédelaconsciencedesoi.Acauseducaractèreformel,extérieur,del’actederecevoirladiversitéengénéral,lepointleplushautoùlapenséesetrouvedanssonmodeleplusdéterminéestlaconsciencedesoi(p.425).C’estlapure relation à soi de la conscience de soi qui est à cesphilosophies prises ensemble leur principe. Ce n’est que danscette conscience que l’idée se trouve satisfaite. De même, ditHegel, le formalisme de l’entendement de la prétendue

360

Page 361: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

philosophie d’aujourd’hui consiste à croire trouver sonaccomplissement, le concret qui lui fait face, dans le cœursubjectif, dans le sentiment intérieur. La nature et le mondepolitique sont bien aussi concrets, mais constituent un concretextérieur.Leconcretpropreestnonpasdans l’idéedéterminéeuniversellemaisseulement,danslaconsciencedesoi,cequiluiappartient.La seconde détermination est celle du Sage. La question

principaleétait:QuiestunSage?QuefaitleSage?Cenedoitpasêtreseulementleνούς,maiscedoitêtretoutpensé,c’est-à-dire,pris subjectivement,mapensée.Parquoiest-ceunechosepensée (un pensé) ? Cette essence consiste dans l’identitéformelleavecsoi.Qu’estensoiuntelpensé?L’actedepenser(das Denken). L’acte de penser le critère, le principe-Un, actepris dans sa réalité immédiate, est le sujet en soi. L’acte depenser et le sujet pensant sont connectés immédiatement. Leprincipedecettephilosophien’estpasobjectifmaisdogmatique,ilreposesurlatendanceàsesatisfairedelaconsciencedesoi.Le sujet est ainsi ce dont on doit se soucier. Le sujet doit êtreconforme au critère, c’est-à-dire à ce principe tout à faituniversel. Il doit s’élever à cette liberté abstraite, à cetteindépendance(p.426).Laconsciencedesoivitdanslasolitudedesonactedepenser,etytrouvesoncontentement[39].Avec le dogmatisme, la philosophie émigre dans le monde

romain.Contrelemonderomain,nonappropriéàlaconsciencedesoirationnellepratique,cetteconscience,refouléeensoihorsdecemonde,nepouvaitquechercherlarationalitéenelleetlaconcevoircommedestinéeàelle.Ellenepouvaitavoirsouciqued’elle,demêmequeleschrétiensontsouciabstraitementdusalut

361

Page 362: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

deleurâme.Danslemondegrec—définiparlasérénité—lesujet s’enchaînait davantage à sonEtat, à sonmonde, et y étaitplus présent. Quand la réalité est malheureuse, l’homme estrefouléenluietc’estlàqu’ilaàchercherl’unitéquin’estplusàtrouverdanslemonde.Lemonderomainestlemondeabstrait,unmaître qui soumet le monde « éclairé ». L’individualité despeuplesaétéétouffée;uneforceétrangère,ununiverselabstraitapesésurlesingulier.Dansuntelétatdedéchirement,onavaitbesoin de chercher et de trouver satisfaction. Le principeintérieurde lapenséeabiendûêtreunprincipeabstraitquinepouvait apporter qu’une réconciliation formelle, subjective. Laphilosophieestalorsenconnexionétroiteaveclareprésentationdu monde (p. 427). La mort des individualités vivantes despeuples, provoquée par Rome, ne pouvait produire unephilosophie spéculative, mais seulement un patriotisme formel,ainsiqu’unsystèmededroitaccompli.Detellesphilosophiesseposèrentenoppositionauxanciennessuperstitionsromaines.Laphilosophieprendalorslaplacedelareligion.Telleestdonclasituationqui,pourHegel,voitveniraujour

trois philosophies : le stoïcisme, l’épicurisme, le scepticisme(les deux premières étant dogmatiques). Hegel souligne que laNouvelleAcadémieétaittoutentièrepasséeauscepticisme.

Laphilosophiedogmatiqueestcellequiétablitunprincipe,uncritère déterminé, et n’établit qu’un tel principe. Voici lesprincipesquisontalorsnécessaires:1°Leprincipedelapensée,celuidel’universalitéelle-même,

mais de telle sorte que la pensée soit déterminée en soi. Lapenséeestlecritèredelavérité,cequiladétermine.

362

Page 363: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

2°L’Autrequifaitfaceàlapenséeestdéterminécommetel,leprincipedelasingularité,lasensationengénéral,laperception,l’intuition.Ce sont les principes de la philosophie stoïcienne et

épicurienne. Ces deux principes sont unilatéraux. La penséeabstraiten’estpasenelle-mêmeconcrète.Ladéterminité tombeendehorsdelapenséeetdoitêtreconçuepoursoi,êtreérigéeenprincipe(p.427-428).Cettedéterminitéaeneffetundroitabsoluenfacedelapenséeabstraite.C’estl’universeletlesingulier.3°Lescepticismeestlanégationdecesdeuxunilatéralités,la

reconnaissance de l’unilatéralité, la négation de tout critère, detoutprincipedéterminé,dequelquesortequ’ilsoit.Lestoïcismeaérigéenprincipelapenséeabstraite,l’épicurismelasensation.Lescepticismeestlanégationactivedetoutprincipe.Lepremierélémentestdoncleprincipe,lecritère;l’autreest

quelesujetsefaitconformeàceprincipe,précisémentafindesegagner la liberté, l’indépendance de l’esprit. C’est la libertéinterne de l’esprit en soi ; cette liberté de l’esprit, cetteimpassibilité, cette indifférence, cette imperturbabilité, cetteataraxie, ce caractère inébranlable, cette identité de l’esprit ensoi,quinesouffrederien,neselieàrien,estlebutcommundetoutescesphilosophies,sidésoléqu’onpuissesereprésenterlescepticisme et si bas qu’on puisse concevoir l’épicurisme. Lesvrais épicuriens furent effectivement élevés au-dessusdes liensparticuliers.Cesphilosophiesprofessentquelecontentementdel’espritest

la libertéà l’égardde tout.L’éthicitéconcrète, la tendanceà laréalisation politique qu’on trouvait chez Platon, la scienceconcrèted’Aristoteontdisparu.Danscemondedel’abstraction,

363

Page 364: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

l’individu a dû chercher dans son intérieur, d’une manièreabstraite,cecontentementqueluirefusaitlaréalitéeffective.Iladû fuir vers l’abstraction comme pensée, vers cette abstractioncommesujetexistant,c’est-à-direverscettelibertéintérieuredusujetcommetel(p.429).

LACRITIQUEDELAPHILOSOPHIED’EPICURE(p.473,sq.)

Laphilosophied’Epicureconstituelependantdustoïcismequipose l’être pris comme pensé, le concept, comme le Vrai.Epicure pose l’être non pas en tant qu’être en général, maiscommesenti,ilposelaconsciencedanslaformedelasingularitécomme l’essence.Ainsi, lanécessitéduconcept est supprimée,touttombeenpièces,privéd’intérêtspéculatif,etc’estplutôtlaconception communedes choses qui est affirmée.En fait on nesortpasetonnes’élèvepasau-dessusdel’entendementhumaincommun (sens commun), ou plutôt, tout est rabaissé à cetentendement. Epicure a élevé à la pensée le principe que leplaisirestbut: la jouissanceestàchercherparlapensée,dansununiverselquiestdéfiniparlapensée.C’estlasensation,lesingulierimmédiat,quiestleprincipe(p.

474). En fait, la philosophie d’Epicure ne doit pas êtreconsidéréecommel’affirmationd’unsystèmedeconcepts,maisau contraire comme l’affirmationde la représentation, de l’êtresensible pris comme être sensible, de la manière de voir

364

Page 365: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

habituelle(p.478).Hegelanalyseendétailladoctrined’Epicure.D’abordlaCanonique.D’aprèselle,unechoseinconnuepeut

êtrereprésentéeselonlemoded’unesensationconnue.L’inconnudoitêtredéterminéetconçud’aprèsleconnu.C’estquechaquesensation est pour soi, est quelque chose de solide, et elle estvraiedans lamesureoùellesemontresolide(senscommun!).L’intuitionsensibleengénéralcontientcequiest.Lapenséedanssonactivitésesertelle-mêmetoujoursdesimages.Elleestl’acteformel de relier les images. La Canonique comporte un côtéextérieur (sensation) et un côté intérieur (prolepse). C’est larépétitionquitransformelasensationenreprésentation(p.480).Lesépicuriensconçoiventl’universalitécommerépétitionetnondanslaformedelapensée(p.481).Lareprésentationestcequis’accordeavecunesensation.La

reconnaissancedel’objetestsacompréhension,maisnoncommepensé, comme représenté. La compréhension appartient ausouvenir, à la mémoire. Le plus haut idéel est le nom. Par là,c’est l’opinionqui est fondéeau lieudu savoir.L’opinionelle-mêmen’estquelarelationdecettereprésentationuniverselle(etde cette image) que nous avons en nous à un objet : l’acte dejuger. L’opinion est une représentation prise comme sonapplicationàunobjet(p.482).Ainsi, laprogressionde laCanoniqueest toutà fait triviale.

Cette Canonique est si simple qu’il ne saurait y avoir plussimple ; elle est abstraite, mais aussi très triviale. Elle existeplus ou moins dans la conscience commune qui commence àréfléchir.Ellenecontientquedesreprésentationspsychologiquescommunes.Elles sont tout à fait exactes, mais tout à fait

365

Page 366: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

superficielles.Hegelanalyseensuitelamétaphysique:lesmêmesprincipes

se retrouventpour lesmétéoreset la théoriedes simulacres (p.484).Hegelensoulignedenouveaulatrivialité(p.485).L’atomistiqueépicurienneestlamêmequecelledeDémocrite

etdeLeucippe (p.487).L’atomeet levide sont le corporel ensoi. Les atomes, pris comme atomes, doivent demeurerindéterminés, mais les épicuriens ont été contraints àl’inconséquencedeleurattribuerdesqualités.Lapesanteurpeutà la rigueur être l’être pour soi abstrait, mais non les autresqualités;etmêmelapesanteurestcontraireàlarépulsion.L’essentiel serait d’indiquer la relation de l’essence, de

l’atome, au phénomène sensible (p. 488). Mais sur ce point,Epicuresemeutdansdesindéterminitésquin’apportentrien.Lesqualités sont données par Epicure comme le produit descompositionsd’atomes:pourHegel,cesontdesmotsvides,undiscourspurementformel.Le vide est l’interruption du flot des atomes. De même, le

mouvementde lapenséeestceluiquipossède l’interruption (lapensée est dans l’hommeprécisément ce que sont l’atome et levidedansleschoses:sonintérieur)[p.489].Lemouvementdela pensée échoit aux atomes de l’âme. Il ne s’agit ici que del’oppositiondupositifetdunégatif.Lapenséeestentachéed’unprincipe négatif, le moment de l’interruption. Le fondement dusystème d’Epicure est ainsi le plus arbitraire et donc le plusfastidieuxquipuisseêtrepensé.Hegelinsistesurl’inanitédelathéoriedupassagedel’atome

au sensible. Aucun pont entre la formation des choses et lesqualitésn’estindiqué.Ilseproduitlatautologievidequiditque

366

Page 367: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

les parties sont précisément ordonnées et composées commel’exige le fait que leur phénomène soit tel (p. 490). Mais ladétermination des atomes, formés de telle ou tellemanière, estuneinventiond’unarbitraireabsolu.Lepassageauxphénomènes,auxcorpsconcrets,oubienEpicurenel’apasdutouteffectué,oubiencequiest indiqué làdessusestpour soi-même insuffisant.Epicureniel’unitéetlarelationdesatomespriscommeétantensoi au sens où cette unité et cette relation constituent le butuniversel.Toutcequenousappelonsformationsetorganisations(formes organiques), en gros l’unité du but de la nature, échoitselonluiauxpropriétés,àuneliaisondesatomesquiainsin’estquefortuite,quin’estproduitequeparlemouvementfortuitdesatomes.Hegels’enprendalorsàladéclinaison.Epicureadmetcomme

attributfondamentaldesatomeslapesanteur,maisilnelaissepaslesatomessemouvoirenlignedroite, il lesfaitaucontrairesemouvoirenunelignequidéviequelquepeudeladroite,enunelignecourbe;sibienquelesatomesserencontrentetformentuneunitéquin’estquesuperficielleetneleurestpasessentielle[40].Autrementdit:Epicurenieengénéraltoutconceptetilcontestel’universel commeessence (p. 490).Toutes les naissances sontdes combinaisons fortuites, qui se dissolvent avec la mêmefortuité. Car le divisé est l’élément premier et ce qui esteffectivement;etlafortuitéestlaloidelacombinaison.Epicure bannit la pensée comme être-en-soi, sans avoir à

l’esprit que ses atomes eux-mêmes ont justement cette natured’être des objets depensée, qu’ils ont un tel être qui n’est pasimmédiat, mais au contraire essentiel de par la médiation, lenégatif, ou l’universel. Inconséquence qui est la première et la

367

Page 368: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

seuled’Epicure,etquiest toute l’inconséquencedesempiristes(p. 491). C’est de la même manière que les stoïciens font dupensé, de l’universel, l’essence et sont tout aussi incapablesd’obtenirl’êtreetlecontenu,toutenlepossédantenmêmetempsdemanièreinconséquente.Après lamétaphysique, la physique.Epicure s’oppose à un

butultimeetuniverseldumonde,à la téléologiede l’organiqueen lui-même, et aux représentations théologiques de la Sagessed’un Créateur présente au monde ; cela va de soi étant donnéqu’ilsupprimel’unitédequelquemanièrequ’onselareprésente.Tout est événement, déterminé par le rassemblement fortuit,extérieur des figurations des atomes. Ce serait le hasard, lanécessité extérieure qui est le principe de toute union, de touterelationmutuelle(p.491).Leprincipede l’observationde lanatureest l’analogie (que

nous avons déjà vu fonctionner dans la Canonique : on peutconclure du connu à l’inconnu, car une communauté analogiqueunitlesdeuxtermes).Hegelsoulignequec’estlemêmeprincipequirégitauxtempsmoderneslasciencedelanature(p.493).Epicure est donc très libéral, car l’application de la

représentationàl’objetpeutsefairedetoutessortesdemanières,àvolonté.Epicureselivreainsiàunbavardagevidequiemplitlesoreillesetlareprésentation,maisquidisparaîtsitôtqu’onleconsidère de plus près (p. 494). Aussi vide est la sciencemodernedelanature.Aristoteetlesphilosophesantérieurssontpartisaprioridepenséesuniversellesdanslaphilosophiedelanatureetontdéveloppéleconceptàpartirdelui-même.C’estlepremier côté. L’autre côté est ce côté nécessaire, quel’expérienceaétéélevéeal’universalitéetquelesLoisontété

368

Page 369: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

découvertes (p. 496, 497). C’est que ce qui suit de l’idéeabstraite rencontre la représentation universelle à laquellel’expérience,l’observationestdéfinitivementpréparéeetélevée(p.497). IlmanqueàAristote le côtéde la combinaison,de laconnexionavecl’expérienceetl’observation.Onpeutdireainsiqu’Epicureestceluiquiadécouvert lascienceempiriquede lanature,lapsychologieempirique.Opposésauxbuts,auxconceptsde l’entendement des stoïciens, on a l’expérience, le présentsensible.Chezlesstoïciensrègnel’entendementabstraitetborné,n’ayantpasdevéritéensoi,doncprivéde laprésenceetde laréalitéeffectivedelanature.Ici,onalesensdelanature,plusvraiqueleshypothèsesstoïciennes(p.497).C’estuneloigénérale,ditHegel,quelaconnaissancedeslois

de la nature supprime la superstition. Le procédé de lasuperstition n’a en tout cas rien de rationnel, il ne se tient pasdans la pensée, mais pareillement dans la représentation, et ilprocède directement par inventions, ou, si l’on veut, parmensonges.Contrecela,leprocédéd’Epicurepossèdelavérité,s’ils’agitdelareprésentationetnondelapensée,des’entenirauvuetàl’entendu,àcequiestprésentàl’espritetneluiestpasétranger(p.497).Lavéritéaussidenepasparlerdechosesquidoiventêtredetelleschoses,quidoiventêtrevuesetentendues,mais ne le peuvent, parce qu’elles sont inventées. De cettephilosophiesontnéeslesreprésentationsquionttoutàfaitniélesupra-sensible.Elleaintroduit«lesLumières»enconsidérationdel’élémentphysique.Elleenresteaufini.Or,c’estlepropredece que l’on appelle l’élément « éclairé » de rester dans ledomainedufini[41].Maisautantcetteméthodeestexactedanslasphère du conditionné, autant elle est fausse dans d’autressphères.Lasuperstitionadoncàlafoistortetraison(p.498).Si

369

Page 370: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

jedisquel’électricitévientdeDieuj’airaisondechercheruneorigine, mais tort de l’attribuer à Dieu qui est une origineuniverselle et non spécifique. Chez Epicure, la superstitiondisparaît,maisaussiuneconnexionfondéeensoietlemondedel’idéal(p.489).Enfin, la morale d’Epicure est conditionnée par le même

principe. La sympathie mutuelle est due au « déversage » desatomes.Lebutdelaphilosophiepratiqued’Epicuredonnesurlasingularité de la conscience de soi, comme celui de laphilosophiepratiquestoïcienne(p.500).Lebutdesamoraleestunejouissancedesoi-mêmesanstrouble.Laporteestouverteàtout arbitraire dans l’action. Le sentiment est le fondement del’action. Mais quand Epicure définit le but comme plaisir, cen’est que dans la mesure où la jouissance de celui-ci est lerésultat de la philosophie. Le plaisir est lié à la pensée. D’uncôtélasensationestérigéeenprincipe,maisaussidoiventyêtreessentiellementliésleLogos,laraison,l’entendement,lapensée,expressionsquinesedistinguentpasicidemanièretrèsprécise.QuandEpicuredéfinitleplaisircommecritèredubien,ilaexigédelapenséeunempiresursoi-mêmequicalculeleplaisirpoursavoir s’il n’est pas lié à des déplaisirs plus grands (p. 501).Epicure a encoreposé commebut l’état duSage, l’ataraxia, unactederester-identique-à-soi-même-dans-le-calme,délivrédelacrainteetdudésir(p.502).LeSagenerecherchequeleplaisirpris comme quelque chose d’universel, il tient ce seul plaisirpourpositif,ilyrencontrel’universeletsingulier;autrementdit,le singulier est supprimé dans la forme de l’universalité, estconsidéréseulementensatotalité;tandisquedefaçonmatérielle(ouselonlecontenu),Epicureérigeenprincipelasingularité,ilexige d’un autre côté l’universalité de la pensée, s’accordant

370

Page 371: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

aveclestoïcisme(p.503).Hegel insiste donc ici sur la dualité apparente du principe

épicurien : singulier et universel. D’un côté l’universel, lapensée, de l’autre le singulier, la sensation, les deux principesétanttoutbonnementopposés(p.503).Lasensationn’estpasleseulprinciped’Epicure;ceprincipeestlafélicitégagnéeparlaraison et ne pouvant être gagnée que par elle : ainsi les deuxprincipesontlemêmebut[42].Enfin, les dieux d’Epicure possèdent l’immortalité et la

béatitudequelafouleleurattribue.Souscetteidéededivinn’estcompris rien d’autre que l’universel en général (p. 506). Lesdieux peuvent être connus par la raison (ils n’ont pas depassions) [p. 507]. Ils sont pour une part comparables aunombre:cequ’ilyad’abstraitdanslesensible.Pouruneautrepartilssontl’élémentformelhumainaccompli,lesimagestoutàfaituniversellesquisontennous.Hegelcommente:cetteimageuniverselle, un concret, qui est d’abord représenté commehumain,estlamêmechosequecequenousappelonsidéal.L’autojouissanceestdanssarigueurinactive,carl’actiona

toujoursenellecommequelquechosed’étranger,l’oppositionentreelleetlaréalitéeffective,etc’estpourquoiletravail,lapeine,sontplutôtlecôtédelaconsciencedel’oppositionquecelui de l’être-réalisé-effectivement[43]. [p. 507-508. Noussoulignons.]

371

Page 372: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

CONCLUSION

L’analysedeHegelluipermetdeconclureparl’identificationrelative des stoïciens et des épicuriens. « On obtient àproprementparlerlemêmerésultatquechezlessceptiques.»(p.512).Pourlesstoïciens,l’universelestl’essence,—nonpasleplaisir, la conscience de soi du singulier en tant que singulier.Maislaréalitédecetteconsciencedesoi(universelle)estdelamême façon quelque chose d’agréable (p. 512-513). Pour lesépicuriens, c’est le plaisir qui est l’essence, mais le plaisircherchéetobtenu,considérécommeununiversel.Allerplusloinqu’Epicureauraitétédelapartdesesdisciples

tomberdansl’actedeconcevoir,cequin’auraitfaitquetroublerlesystèmeépicurien;carl’absencedepenséeesttroubléeparleconcept et cette absence de pensée est érigée en principe (p.513).ChezEpicure,lapenséeestprécisémentemployéeàteniràdistance la pensée, elle se comporte négativement à l’égardd’elle-même. Et c’est l’activité philosophique d’Epicure des’établir et de se maintenir hors du concept qui trouble lesensible,d’établiretdemaintenircesensible[44].Donc:1.Les stoïciens tirent lecontenude leurpenséede l’être,du

sensible,exigentquelapenséesoitpenséed’unétant.2. Inversement, les épicuriens élargissent leur principe de la

372

Page 373: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

singularité de l’être, en vue des atomes qui sont des objets depensée,etenvueduplaisirpriscommeununiversel(p.514).Contre ces principes unilatéraux, le mouvement du concept

réintroduitladialectique.Ce rétablissement de la dialectique est représenté

négativement par la Nouvelle Académie et par les sceptiques.Déjà les stoïciens en tant qu’ils avaient leur principe dans lapensée (le penser), développaient la dialectique, mais prisecomme une logique commune pour laquelle la forme de lasimplicité a la valeur du concept ; un tel concept n’étant pascomme celui que nous avonsmaintenant, qui présente en lui lenégatif et dissout les déterminités qui avaient été reçues danscette simplicité. C’est une apparition plus haute du concept del’essence dialectique qui ne s’applique plus seulement à l’êtresensible,maisauxconceptsdéterminés,etporteàlaconsciencel’opposition du concept et de l’être comme opposition de lapensée et de l’être. Cette apparition exprime l’universel, noncommeuneidéesimple,uneuniversalité,maiscommelepointoùtout retourne à la conscience prise commemoment essentiel del’essence.Le scepticisme représente le dépassement du stoïcisme et de

l’épicurismepriscommeunilatéraux,maiscetélémentnégatifquine reste que négatif ne peut se renverser en quelque chosed’affirmatif.

1. ↑.NoteaubasdelatraductiondelaPréfacedelaPhénoménologiedel’EspritdeHegel,éditionsAubier,tomeI,p.19.

2. ↑.Sciencedelalogique,traductionS.Jankélévitch,tomeI,p.101.3. ↑ . Nous avons donc traduit Aufheben par supprimer, et quelquefois, sous la

pressionducontexte,optépour«dépasser».4. ↑.Sciencedelalogique,éd.cité,p.102.

373

Page 374: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

5. ↑.Molitor, dans la traduction de laDissertation, traduit systématiquement parélément.

6. ↑.Sciencedelalogique,éd.citée,p.72sqq.7. ↑.Sciencedelalogique,éditionFélixMeiner,tomeI,p.93.8. ↑.Ibidem,p.95.TraduireDaseinpar«moded’être»—commelefaitMolitor

— entraîne de grandes difficultés pour comprendre certaines phrases de laDissertation(parexemple:lesdieuxdévientdetout«moded’être»…lalibertéàl’égarddumoded’être,etc.).D’autrepart,la«manièred’être»,quis’opposeà la détermination interne, est plus précise et ne constitue qu’un moment duDasein. Il faut comprendre Dasein littéralement, comme « être-là », enaccentuantl’aspectimmédiatetnonl’aspectspatial.La pression du contexte oblige parfois à opter pour le sens traditionnel

d’existence (ex. : les preuves de l’existence de Dieu). Cela ne tire pas àconséquence,cars’ilestbonderéserverlemot«existence»àlatraductiond’«Existenz»(quiestunconceptdumomentdel’essencedenondel’être).Hegelsoulignelui-mêmequ’auniveauduSein,êtreetexistencenesedifférencientpasencore. En tout cas, « existence » est plus proche de Dasein que « moded’être».

9. ↑.Marxsemblepeusensibleàladistinctionpropriété/qualité.Danslechapitredela Dissertation consacré aux qualités de l’atome, il emploie les deux motsindifféremment. Par contre, il est très sensible à la distinctionWirklichkeit/Realität.NousavonspresquetoujourstraduitWirklichkeitparréalitéeffectivepourbiendistinguerlesdeuxtermes.

10. ↑.Sciencedelalogique,F.Meiner,p.110sq.11. ↑ Le terme idéel est donc ambigu : on définit d’abord le principe, le général,

l’universel comme idéels,mais on doit du même coup étendre ce terme auconcept, à l’idée, à l’esprit, et « aux choses particulières sensibles, pour autantqueleurcaractèreparticulieretsensiblesetrouvesupprimédansleprincipe,dansle concept, et surtout dans l’esprit. Tantôt donc l’idéel est le concret, tantôt cesontlesmoments,supprimésdansleconcretquisontl’idéel,«alorsqu’enfaitiln’existequ’unseultoutconcret,inséparabledesesmoments».C’estcequinouspermet de comprendre que l’idée est le concept et sa réalisation au niveauspéculatif, tout endésignant l’undes côtésdu rapport quand lesdeuxmomentss’opposent.Danscesecondsens, l’idéelest lavéritéduréel, touten lui restantencoreextérieur.L’idéelseposeenoppositionauréel.Ceniveaudel’oppositiondesdeuxtermesdéfinitl’abstraction,niveaudelaphilosophied’Epicure.

12. ↑.Cesréférencesrenvoientàl’éditionAubierdelaSciencedelalogique,trad.S.Jankélévitch,tomeI.

13. ↑ .M. Solovine vamême jusqu’à contester l’existence de la déclinaison chezEpicure.Cf.Epicure,éditionHerman.

14. ↑.Hegel,Précisdel’Encyclopédiedessciencesphilosophiques,trad.Gibelin,

374

Page 375: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

éditionVrin,p.83.15. ↑.Noël(G.),laLogiquedeHegel,éditionVrin.16. ↑ . Toutes les citations de Hegel renvoient de nouveau à la Science de la

logique,traductionS.Jankélévitch,éditionAubier,tomeI.17. ↑.Hegelreprendcettedialectiquedansl’Encyclopédie,éd.cit.,p.142-144.18. ↑.Travauxpréparatoires,fragment:leClinamen.19. ↑.Hegel,Sciencedelalogique,éd.cit.20. ↑.Travauxpréparatoires,fragment:leClinamen.21. ↑.Encyclopédie,éd.cit.,p.144.22. ↑.Encyclopédie,éd.cit.,p.152.23. ↑.Ibidem.24. ↑.Cf.Dissertation:chapitre«laDéclinaison».25. ↑.Encyclopédie,éd.cit.,p.145.26. ↑ .Travaux préparatoires, fragment : l’Atome comme forme immédiate du

concept,laDéclinaison.27. ↑.Travauxpréparatoires,leClinamen(noussoulignons).28. ↑.Travauxpréparatoires:l’Atomecommeforme…29. ↑.Dissertation,chapitre:laDéclinaison(noussoulignons).30. ↑.Travauxpréparatoires,fragment:laGuerredesatomes.31. ↑.Dissertation,chapitre:leTemps.32. ↑.Dissertation,chapitre:laDéclinaison.33. ↑.Encyclopédie,éd.cit.,p.138-141.34. ↑.Dissertation,chapitre:lesMétéores.35. ↑.Travauxpréparatoires:laPhilosophieépicuriennedesmétéores.36. ↑.Encyclopédie,éd.cit.,p.154.37. ↑.ConclusiondelaDissertation.38. ↑.NousestimonsindispensableaulecteurdesTravauxpréparatoires et de la

DissertationdeconnaîtreletextedesVorlesungenUeberDieGeschichtederPhilosophie consacré à Epicure et aux philosophies post-aristotéliciennes, quiconstitue la base de départ de l’analyse du jeuneMarx. Nous n’avons pas laprétention de traduire ce texte malheureusement encore inédit en français —mais seulement d’en donner un résumé. La pagination renvoie à l’éditionFrommann,ŒuvrescomplètesdeHegel,éditionduJubilé,tomeXVIII.

39. ↑ . C’est la preuve que Hegel condamne toute satisfaction abstraite etimaginative.CetextepourraitcritiqueraussibienlesJeuneshégéliens,cequienretourprouvelecaractèrenéo-kantiendeleurattitude.Ilreste,biensûr,àsavoiraunomdequoifonctionneicicettecritique.

40. ↑.OnvoitqueHegel accepte l’explicationde ladéclinaisonqui sera âprementcritiquée par Marx. Ce point est essentiel : les Travaux préparatoirescommencentparreprendreHegelpourcritiquerlafaiblessedela«constructiondumonde » d’Epicure, avant que l’analyse positive de la déclinaison ne viennerendreraisondecepassagecontradictoire,sinonenrésoudrelacontradiction.

375

Page 376: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

41. ↑ . On sait que Marx pratique en 1841 un « retour » à la philosophie desLumières,toutenrestantconscientdeslimitesd’unetellephilosophie.

42. ↑ . Cette opposition entre le plaisir comme universel et la sensation commesingularitén’estpas retenueparMarx,parceque l’universalitéde l’ataraxieestessentiellement liée à l’acte de s’abstraire du monde analysé dans ladéclinaison.Ladéclinaisonunitlasingularitéetl’universalitéformelle.Sensationetplaisirrenvoientàl’atomesingulierdéclinant.Danslepremiercas,l’atomeestsoumis à la matière (être-là), et retenu hors de l’universalité. Mais le Sage, àl’instar des dieux, fait abstraction de l’être-là gagnant l’universalité abstraite dumondedesatomes,semblablesdansl’actemêmequilesvoitdécliner…

43. ↑.Cetextemontredemanièretrèsfortel’incompatibilitédelapenséedeMarxetdecelledeHegel.PourMarx, lapratique,la transformation concrète de lanature est la réalité effective. On aperçoit la distance qui le sépare et de laconscience immédiate (Epicure) et de la conscience spéculative (Hegel). PourHegel, ledépassementdu travailaliénénepeutsefairequedans lenon-travail,dans lacontemplation,étant donné qu’il ne saurait échapper à l’abstraction, àl’objectivation(cf.supra:ObjectivationetAliénation).

44. ↑.«Troubler»(verwirren)doits’entendreaussiausensphysique:semélangeravec,êtreembrouilléavec.

376

Page 377: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

BIBLIOGRAPHIE

I.—

II.—

III.—

IV.—

V.—

377

LES TRAVAUX PREPARATOIRES ET LADISSERTATION.

TEXTESCITESPARMARX.

TEXTES CONTEMPORAINS DES TRAVAUXPREPARATOIRESETDELADISSERTATION.

OUVRAGESCONCERNANTLEJEUNEMARXETLESTEXTESDE1839-1841.

A.BiographiesdeMarx.B.Ouvragesconcernantlestextesde1839-1841.

HEGELETMARX.A.Œuvres.

1.DeHegel.2.DeMarx.

B.EtudessurHegel.

Page 378: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

I.—LES«TRAVAUXPREPARATOIRES»ETLA

«DISSERTATION»

Ces textes ont été édités dans le premier volume du premiertomedel’«HistorischkritischeGesamtausgabe»deK.MarxetF.Engels(MEGA).CetteéditioncomprendlesécritsdeMarxetd’Engelsàl’exclusionduCapital.Lepremiertomerenfermeles« Œuvres et écrits de K. Marx jusqu’en 1844 ». Le premiervolume est paru à Francfort-sur-le-Main en 1927, le second àBerlin,en1929.

VI.—

378

C.EtudessurMarx.D.Etudessurle«rapport»Marx/Hegel.

DEMOCRITEETEPICURE.1.Textesettraductions.2.Etudes.

A)Démocrite.B)Epicure

Page 379: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

L’éditionMEGAestlaseuleàprésenterintégralementletextede la Dissertation.Celle de Franz Mehring (Stuttgart, 1902),intitulée Aus dem literarischen Nachlass von Karl Marx,Friedrich Engels und Ferdinand Lassalle, ne contient ni lesRemarquesni l’Appendice.Elle inclut cependant dans le textedes extraits relativement importants de ces mêmes Remarques.C’est à partir de ce texte incomplet que J.Molitor traduisit enfrançais la Dissertation, dans le tome I des Œuvresphilosophiques de Karl Marx (Paris, 1946, éditions Costes).Depuis 1962, on compte une traduction italienne de ce texte :Alfredo Sabatti, Sulla fondazione del materialismo storico,Florence.Faiteégalementd’aprèsMehring,ellecontientenplusl’Appendice. Aucune traduction complète de la Dissertationn’existait donc en français jusqu’ici. Quant aux Travauxpréparatoires,ilsn’avaientjamaisfaitl’objetd’aucunetentativedetraduction.Nous avons utilisé le texte de MEGA. Signalons cependant

qu’une photocopie de cette édition est disponible aux éditionsRowohlt. Pour faciliter la compréhension des notes de lectureque constituent les Travaux préparatoires, les éditeurs ontintercalé des titres résumant les divers passages. Nous avonsmaintenucesintertitresenlessignalantpardescrochets.Les Travaux préparatoires citent constamment des textes

anciens,enmajoritégrecs.Ilétaitimpossibledefairefigurerinextenso les passages auxquels le commentaire fait référence.Nousavonsdoncsimplementindiquélesréférences.Parcontre,quand Marx écrit une citation latine ou grecque, nous laretraduisonsenfrançais,delamanièrelapluslittéralepossible,mêmeauméprisdustyle.

379

Page 380: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

D’une manière générale, nous nous sommes efforcés detraduirelittéralement.LetextedeMarx,d’uneextrêmeprécisionconceptuelle,nousparaissaitdevoir souffrird’une transpositioncherchant l’élégance du français. Pour ce qui est de laDissertation,nous n’avonsmodifié la traduction de J.Molitorque là où elle nous paraissait erronée, tant au niveau de laconstructionqu’àceluidelaprécisionduvocabulaire.

II.—TEXTESCITESPARMARX

ARISTOTE.

Arist.Méta.Métaphysique. Edition critique, traduction anglaise et

commentaire par W. D. Ross. Oxford, Clarendon Press,1924, 2 vol. Traduction et commentaire par J. Tricot[Nouvelle édition]. Paris, Librairie Philosophique J. Vrin,1953,2vol.(«Bibliothèquedestextesphilosophiques»).

Arist.Physique.

380

Page 381: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Physique. Edition critique, traduction anglaise et commentaireparW. D. Ross. Oxford, Clarendon Press, 1936. Texte ettraduction française par H. Carteron. Paris. Les BellesLettres,1926,2vol.

Arist.Degen.etcorr.De generatione et corruptione [De la génération et de la

corruption].EditionettraductionparCh.Mugler.Paris,LesBellesLettres,1966.

Arist.Decoelo.DeCoelo[DuCiel].Editionet traductionparP.Moraux.Paris,

LesBellesLettres,1965.

Arist.Depart.an.De partibus animalium [Des parties des animaux]. Edition,

traduction et commentaire par J.-M. Le Blond. Paris,Aubier,1945(«BibliothèquePhilosophique»).

Arist.Degen.an.De generatione animalium [De la génération des animaux].

Edition, traductionet commentaireparP.Louis.Paris,LesBellesLettres,1961.

BAUR(Ferdinand-Christian).}}«DasChristlichedesPiatonismusoderSocratesundChristus»

[L'Elément chrétien dans le platonisme ou Socrate et leChrist] [in]Zeitschrift fürTheologie.Tübingen, 1837, pp.

381

Page 382: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

1-Ï57.

CICÉRON.Cic.Denatdeorum.

De natura deorum [De la nature des dieux]. Edition etcommentaire anglais par A. Stanley Pease [Ed. dubimillénaire]. Cambridge (Mass.), Harvard UniversityPress,1958,2vol.Traductionfrançaiseparl'abbéd'Olivet[in]Œuvres complètes de Cicéron. Paris, Garnier, 1878,tomeXVIII.

Cic.Tusc.Tusculanes.Edition, traduction et notes par J. Humbert. Paris,

LesBellesLettres,1960,2vol.Cic.DeFin.

Definibusbonorummalorum.Edition,traductionetnotesparJ.Martha. Paris, Les Belles Lettres, 1968. (1 vol. paru,contenantleslivresIetII.)

Cic.DeFato.De Fato [DuDestin]. Edition, traduction et notes par A. Yon.

Paris,LesBellesLettres,1944.

CLÉMENTD'ALEXANDRIE.Clem.Al.Strom.

Stromates.ClemensAlexandrinus,II(Strom.I-VI)etIII(Strom.,VII-VIII). Edition O. Stahlin [in] Die GrieschischenChristlichendererstendreiJahrhunderte.Leipzig-Berlin,1897etsqq.,vol.15et17.

382

Page 383: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

DIOGÈNELAERCE.Vie,doctrinesetsentencesdesphilosophesillustres.Traduction

parR.Genaille.Paris,Garnier-Flammarion,1965,2vol.

EUSÈBEDECÉSARÉE.Eus.Prae.ev.

Praeparatio evangelica [Préparation évangélique]. Edition,traduction anglaise et commentaire par E. H. Gifford.Oxford,ClarendonPress,1903,4vol.

FEUERBACH(LudwigAndreas).GeschichtederneuenPhilosophievonBaconvonVerulambis

Benedikt Spinoza [Histoire de la philosophiemoderne deBacon deVérulam àBenoît Spinoza] (1833) [in]Œuvrescomplètes,éditionBalinetJald,Stuttgart,1906,3vol.

GASSENDI(Pierre).Opera,Lyon,1658,6vol.(Réimp.Stuttgart,Frommann,1964).Animadversiones in decimum librum Diogenis Laertii

[Remarques sur les dix livres deDiogeneLaerce].Leyde,1649.

SyntagmaphilosophiaeEpicuri.LaHaye,1655,1659.

HOLBACH(Paul-HenriThiryd').LeSystèmede lanatureoudes loisdumondephysique et du

mondemoral.Londres,1770.Editioncritiqueetcommentée

383

Page 384: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

publiée sous la direction de Jérôme Vercruysse, enpréparationauxéditionsDucros.

LEIBNIZ(G.W.).DiephilosophischenSchriften.EditionGerhardt,Berlin,1875,7

vol.(Réimp.Hildesheim,G.Olms,1965)

LUCRÈCE.Lucr.Derer.nat.

Dererumnatura.Edition,traductionetcommentaireanglaisparC. Bailey.Oxford, Clarendon Press, 1947, 3 vol. Edition,traductionetnotesparA.Ernout.Paris,LesBellesLettres,1920,2vol.CommentairesparA.ErnoutetL.Robin.Paris,LesBellesLettres,1928,3vol.

PLUTARQUE.Plut.Deeoquod.

De eo quod secundumEpicurumnon beate vivi possit [On nepeut vivre heureux, même agréablement, en suivant ladoctrine d'Epicure [in] Opera moralia. Edition G. N.Bemardakis.Leipzig,Teubner,1888-1896,7vol.

Plut.Adv.Col.Adversus Coloten [Contre l'épicurien Colotès] [in] Moralia.

Edition M. Polhenz. Leipzig, Teubner, 1960, vol. VII, 2.Traduction Ricard [in] Œuvres morales. Paris, Didier,1945,T.V.

Plut.Dean.procr.

384

Page 385: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

DeanimaeprocreationeinTimaeo[Del'engendrementdel'âmedans le Timée] [in]Moralia. Edition C. Hubert. Leipzig,Teubner,1960,vol.VI,1.

PSEUDO-PLUTARQUE.Deplacitisphilosophorum[Dessentencesdesphilosophes].

PHILOPON(Jean).Philop.

ScholiainAristotelem,coll.parCh.A.Brandis[in]AristotelesOpera.Ed.Bekker, 5 vol. (grec/latin).Berlin, 1830-1870,tomeIV.

RITTER(Heinrich).Ritter.

Geschichte des Philosophie alter Zeit, 1° teil [Histoire de laphilosophieantique,1re partie].Hamburg, 1829-1853, 12vol.TraductionfrançaiseparC.-J.Tissot,J.TrullardetP.Challemel-Lacour.Paris,1835-1861.

ROSSINI.Rossini.

EpicuriefragmentalibrorumdeNaturaIIetXI[Fragmentsdestraitésd'Epicuresurlanature].Leipzig,Teubner,1818.

SCHAUBACH.Schaubach.

385

Page 386: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Uber Epikurs astronomische Begriffe [Sur les conceptsastronomiques d'Epicure] [in] Archiv für Philologie undPädagogik,publiésparSeebode,JahnetKlotz,1839,n°4.

SCHELLING.Philosophische Briefe über Dogmatismus und Kritizismus

[Lettresphilosophiquessurledogmatismeetlecriticisme][in] Œuvres. Ed. Schröter-Munig, 1927-1928, t. I.Traduction par S. Jankélévitch. Paris, éd. Aubier, 1950(«BibliothèquePhilosophique»).

Schelling,dumoicommeprinc.VomIchalsPrinzipderPhilosophieoderüberdesUmbedingte

im menschlichenWissen [Du Moi comme principe de laphilosophieoudel'Inconditionnédanslesavoirhumain].Œuvres,éd.cit.

SENÈQUE.Sen.Deotio.

Deotioaut secessus sapientia.Edition, traductionetnotesparR.Waltz [in] Cicéron,Dialogues, t. IV. Paris, Les BellesLettres,1951etsqq.

Sen.Debrevit.vitae.De brevitatae vitae [De la brièveté de la vie]. Traduction

française, ibidem, t. II. Ed. commentée, P. Grimal. Paris,P.U.F.,1959.

Sen.Devitabeata.De vita beata [De la vie heureuse], [in]Dialogues, éd. citée,

386

Page 387: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

tomeII.Sen.Deconst.sap.

Des constancia sapientis [De la constance du sage], [in]Dialogues,tomeIV.

Sen.Debenef.DeBeneficiis[Desbienfaits].Edition,traductionetnotesparF.

Préchac.Paris,LesBellesLettres,2vol.Sen.Ep.

EpistolaeadLucilium[LettresàLucilius].Edition,traductionetnotesparH.NoblotetF.Préchac.Paris,LesBellesLettres,1957,5vol.

Sen.Ludusdemorte.Apokolokyntasisoderludusdemorteclaudii [Apocolocynthose

dudivinClaude].Edition,traductionetnotesparR.Woltz.Paris,LesBellesLettres.

Sen.Nat.quaest.Naturales quaestiones [Questions naturelles]. Edition,

traduction et notes par P. Oltramare. Paris, Les BellesLettres,2vol.

SEXTUSEMPIRICUS.Sext.Emp.Hyp.pyrr.

Hypotyposespyrrhoniennes[in]SextiEmpiriciOpera,recensuitH.Mutschmann.Leipzig,Teubner, 1912, vol. I.TraductionetnotesparG.Gordon,[in]Œuvreschoisies.Paris,Aubier,1948,pp.155-342(«BibliothèquePhilosophique»).

387

Page 388: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Sext.Emp.Adv.math.Adversusmathematicos[Contre lesmathématiciens], [in]Sexti

EmpiriciOpera,vol.III(LivresI-VI).Ed.J.Mau.Leipzig,Teubner,1954.

Sext.Emp.Adv.dogm.Adversus mathematicos, VII-XI, [Adversus dogmáticos], [in]

SextiEmpiriciOpera,vol.II.Ed.H.Mutschmann.Leipzig,Teubner,1912.

SIMPLICIUS.Simpl.

ScholiainAristotelem.Cf.J.Philopon.

SPINOZA(Benoît).Ethique[in]Operaquotquotrepertosunt,recognoveruntJ.Van

VlotenetJ.P.N.Land.LaHaye,Nijhoff,1882-1883,2vol.Traduction, [in]Œuvres,éd. R. Caillois. Paris, Gallimard(«BibliothèquedelaPléiade»).

STOBÉE.Stob.Ecl.IetII.

Eclogaephysicae et ethicae. [Eclogues physiques et éthiques].Texte latin. Edition C. Wachsmuth et O. Hense. Berlin,Weidmann,1884[1958].

Stob.Flor.Florilegium[Libriduoposteriores].EditionC.WachsmuthetO.

Hense.Berlin,Weidmann,1894-1912[1958].

388

Page 389: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

THÉMISTIUS.Themist.

ScholiainAristotelem.Cf.J.Philopon.

III.—TEXTESCONTEMPORAINSDES«TRAVAUX

PREPARATOIRES»ETDELA«DISSERTATION»

BAUER(Bruno).KritikderGeschichtederOffenbarung.T.I:DieReligiondes

altenTestaments indergeschichtichenEntwicklung ihrerPrinzipien dargestellt. [Critique de l’histoire de larévélation. I :La religion de l’Ancien Testament exposéedans le développement historique de ses principes.]Berlin,1838,2vol.

Kritik der evangelischen Geschichte der Synoptiker und desJohannes [Critique de l’histoire évangélique des

389

Page 390: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

synoptiques et écrits johanniques]. Leipzig, O. Wigand,1841,3vol.

DiePosaunedes jüngstenGeritchesüberHegeldenAtheistenune Antichristen. Ein Ultimatum. [La trompette duJugementderniercontreHegell’athéeetl’antéchrist.Unultimatum].Leipzig,O.Wigand,1841.

BIEDERMANN(Friedrich).Fundemental-Philosophie.Leipzig,1838.« Des Preussische Staatsprinzip, Kritisch beleuchtet. » [Le

principedel’Etatprussien,éclairédemanièrecritique][in]LesAnnalesdeHalle,Leipzig,1839,n°273.

Die deutsche Philosophie von Kant bis auf unsere zeit, ihrewissent-schaftliche Entwicklung und ihre Stellung denpolitischenundsozialenVerhältnissendergegenwest. [Laphilosophie allemande de Kant à notre époque, sondéveloppement scientifique et sa position eu égard auxrapports politiques et sociaux d’aujourd’hui.] Leipzig,1841,2vol.

CIESZKOWSKI(Augustvon).Prolegomene zur Historiographie [Prolégomènes à

l’historiographie].Berlin,1838.

ENGELS(Friedrich).Lettres à Fr. Groeber (9.XII.1839 ; 5.II.1840), Méga, 1, 2

(Berlin,1930).

390

Page 391: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Retrograde Zeichen der Zeit [Traits rétrogrades de notreépoque].Ibidem,1840.

ErnstMoritzArndt.Ibidem,1841.SchellinüberHegel.Ibidem,1841.Schelling und die Offenbarung [Schelling et la révélation].

Ibidem,1841-1842.Schelling, der Philosoph in Christo [Schelling, le philosophe

dansleChrist].Ibidem,1842.

FEUERBACH(Ludwig).Kleine philosophische Schriften. Introduction deM. G. Lange.

Leipzig,1850.Tadesgedenken(1830),[in]Œuvrescomplètes.EditionBalinet

Joldl.Stuttgart,1903.KritikdeschristlichenoderpositivenPhilosophie[Critiquede

laphilosophiepositiveouphilosophiechrétienne].1838.Zur Kritik der Hegeischen Philosophie [Contribution à la

critique de la philosophie de Hegel], 1839. TraductionfrançaiseparL.Althusser [in]Manifestes philosophiques.Paris,P.U.F.(Collection«Epiméthée»).

Uber philosophie und Christentum in bezichung auf den derHegel-schen Philosophie gemachten Vorwurf der unchristlichkeit. [Sur la philosophie et le christianisme enrapportoureproched’impiétéà l’égardduchristianismequ’onafaitàlaphilosophiehégélienne.](1839).

Zur Charakterisierung der Schrift : über Philosophie undChristentum. [Pour caractériser l’écrit : sur la

391

Page 392: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

philosophieetlechristianisme.](1839).VerhältniszuHegel[RapportàHegel](1840).Das Wesen des Christentums [L’Essence du christianisme]

(1841). Traduction par J.-M.Osier. Paris,Maspero, 1968(Collection«Théorie»).

«ZurBeurteilungderSchriftDasWesendesChristentums.[Pourjuger l’écrit : l’Essence du christianisme.] AnnalesAllemandes,16-17février1842.

DasWesenderreligion.Leipzig,1845.

OuvragessurFeuerbach:

ARVON (H.),LudwigFeuerbach et la transformation du sacré.Paris,P.U.F.,(Collection«Epiméthée»).

BOLIN(W.),L.Feuerbach,SeinWirkenundseineZeitgenassen.[L. Feuerbach, son influence et ses contemporains.]Stuttgart,1891.

LEVY(A.),LaPhilosophiedeFeuerbach.Paris,1904.SCHMIDT (F.),Die deutsche Philosophie in ihrer Entwicklung

zumSozialismus.StreirzwischenFeuerbachundB.Bauer.[La philosophie allemande considérée dans sondéveloppement vers le socialisme : Combat entreFeuerbachetB.Bauer.]Berlin,1846(pp.59-73).

GANS(Edouard),VermischteSchriften[Ecritsdivers].Berlin,1834.

392

Page 393: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

RückblickeaufPersonenundZustände[Rétrospectivessurdespersonnesetdesétats].Berlin,1836.

«MeinepolitischenMeinungen»[Mesopinionspolitiques][in]AnnalesdeHalle.Leipzig,1840,n°113.

HEINE(Henri).Die romantische Schule [L'Ecole romantique] (1833) [in]

Œuvrescomplètes.Muning,(Kindler),1964,9vol.Zur geschichte der Religion und philosophie in Deutschland

[Contribution à l'histoire de la religion et de laphilosophieenAllemagne].Ibidem,1834,14vol.

BriefeüberDeutschland [Lettressur l’Allemagne]. Ibidem,14vol.Herzen(Alexandre).

Ecrits philosophiques choisis. Moscou, 1949. [Lettres surl’étudedelanature,pp.101-325.]

HESS(Moses).Die Heilige Geschichte der Menschleit. Von einem Jünger

Spinozas.[Histoiresaintedel’humanitéparundiscipledeSpinoza.]Stuttgart,Hallberger,1837.

Die europäische Triarchie [La triarchie européenne]. Leipzig,O.Wigan,1841.

« Gegenwartige Krise der deutschen Philosophie » [La criseprésente de la philosophie allemande] [in] Athenaeum.ZeitschriftfürdasgabildeteDeutschland.Berlin,1841,n°40. (Repris [in] Moses Hess, Ecrits philosophiques etsocialistes,1837-1850.Berlin,1961.)

393

Page 394: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

KÖPPEN(Karl-Friedrich).FriedrichderGrosseundseineWidersacher.[FrédéricleGrand

etsesadversaires].Leipzig,1840.

MICHELET(KarlLudwig).GeschichtederletztenSystemederPhilosophieinDeutschland

vonKantbisHegel.[HistoiredesdernierssystèmesdelaphilosophieenAllemagnedeKantàHegel.]Berlin,1838.

RUGE(Arnold).«DerProtestantismusunddieRomantik.ZurVerständigungüber

die zeit und ihre Gegensätze. Ein Manifest. » [Leprotestantisme et le romantisme. Pour comprendre sesoppositions.Unmanifeste.] [in]Les Annales de Halle, n°245etsqq.

SCHELLING.Berliner Antritsrede [Discours d’ouverture de Berlin] [in]

Œuvres,éditionSchröter.Munig,1927-1928,t.VI.

STRAUSS(DavidFriedrich).DasLeben Jesu.Kritischbearbeitet. [La vie de Jésus, traitée

d’unpointdevuecritique.]Tübingen,1835-1836,2vol.Streischriften zurVerteidigungmeiner Schrift über dasLeben

Jesu. [Ecrit polémique pour la justification demon écritsur la vie de Jésus et pour caractériser la théologie

394

Page 395: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

présente.]Tübingen,1838.Die christliche Glaubenslehre in ihrer geschichtlichen

EntwiklungundimKampfemitdermodernenWissenchaft,dargestellt von D. F. Strauss. [La doctrine de la foichrétienne dans son développement historique et soncombat contre la science.] Tübingen et Stuttgart, 1840-1841,2vol.

IV.—OUVRAGESCONCERNANTLE

JEUNEMARXETLESTEXTESDE1839-1841

A.BIOGRAPHIESDEMARX.

[Collectif]. — Karl Marx, Chronik seines Lebens inEinzeldaten. Institut Marx-Engels-Lénine-Staline. Moscou,1934.

ENGELS(F.).—ArticlessurMarxpubliésdansHandwörterbuch

395

Page 396: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

der staatswissenchaften [Dictionnaire de poche dessciencespolitiques].4eéd.,1923,tomeVI,p.496etsqq.

MEHRING (F.).—KarlMarx.Geschichte seines Lebens. [KarlMarx,Histoiredesavie].3eédition.Leipzig,1920.

MAENSCHEN-HELFEN(O.)etNIKOLAJEWSKI(B.).—KarlundJennyMarx.EinLebensweg.Berlin,1933.

DORNEMANN(L.).—JennyMarx.Berlin,1954.

B. OUVRAGES CONCERNANT LES TEXTES DE 1839-1841.

PeudetravauxontétépubliéssurlaDissertationdeMarx,etencoremoinssurlesTravauxpréparatoires.Ilsnesontpasd’unégal intérêt. Le seul ouvrage à poser la question critique de lavaliditédujugementdeMarxsurDémocriteetEpicureestceluide J.-M.Gabaude,Le JeuneMarx et lematérialisme antique,paruen1970chezPrivat(Toulouse).CetravailcontientenoutrelaseuleanalysesérieusedelaDissertation.Ilfautyjoindre,parordred’importance:CORNU(A.).—KarlMarxetFriedrichEngels.Leurvieetleur

œuvre.Tome I, Les Années d’enfance et de jeunesse. Lagauche hégélienne. Paris, P.U.F., 1955. Tome II, Dulibéralisme démocratique au communisme. La GazetteRhénane,lesAnnalesfranco-allemandes.Ibid,1958.TomeIII,Marx àParis. Ibid,1962.Tome IV,LaFormation dumatérialisme historique (1845-1846). Ibid., 1970. [Lepremier tome contient d’importantes analyses sur le textequenousavonstraduit.]

396

Page 397: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

BAUMGARTEN (R.).—Ueber den verloren geglaubtenAnhang zuMarxens Doktordisserattion [Sur le complément présuméperdu à la thèse de doctorat de Marx.] [in]GegenwartsproblemederSoziologie[Problèmesactuelsdesociologie]. Akademische Verlagsgesellschaft. Postdam,1949,pp.101-115.

LENZ (G.)— «KarlMarx über die epikurische Philosophie. »(KarlMarxetlaphilosophieépicurienne)[in]ArchivfürdieGeschichte des Sozialismus und der Arbeiterbewegung.[Archives pour l'histoire du socialisme et du mouvementouvrier.]1918,XIII,pp.218-231.

MEHRING (F.). — La Thèse de Karl Marx sur Démocrite etEpicure.Trad.française[in]LaNouvelleCritique,1955,n°61,pp.17-29.

BOTTIGELLI (E.). — Article sur l'étude de Mehring, [in] LaNouvelleCritique,1955,n"62.

BOTTIGELLI (E.). — Genèse du socialisme scientifique. Paris,EditionsSociales,1967.

TOGLIATTI (P.).—. « De Hegel au marxisme », traduit [in] LaNouvelle Critique, 1955, n" 62, pp. 22-36, ou [in]Recherches internationales à la lumière du marxisme,1959, n" 19, pp. 36-52. (Ce numéro spécial contientplusieursétudesconsacréesau«jeuneMarx».)

ABREU-FREIRE(A.de).—«Critiqueetidéologiedanslesœuvresde jeunesse de Marx », [in] Revue philosophique deLouvain,1966,février,pp.34-95.

MILHAU (I.). — « Le Jeune Marx et ses problèmes » [in] LaNouvelleCritique,1961,sept.-octobre,pp.65-83.

397

Page 398: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

FINS(S.F.).—«Marx'DoctoralDissertation»[in]ACentenaryofMarxism,ScienceandSociety,NewYork,1948.

AGAZZI(E.).—«LaformazionedellametodologiadiMarx»[in]Rivistastoricadelsocialismo,1964,n°22-23.

DALPRA(M.).—IlconflittodiAutocoscienciaeDialetticanellaTesi di Dottorato di Marx, [in] Rivista critica di storiadellaFilosofia,1964,n°3.

Ontrouveraégalementdesindicationsdans:

ALTHUSSER(L.).—PourMarx.Paris,Maspero,1965(Collection«Théorie»)(Articlesurle«jeuneMarx»).

CARROUGE(M.).—LaMystiquedusurhomme.Paris,Gallimard,(«BibliothèquedesIdées»).

COTTIER(G.-M.-M.).—L'AthéismedujeuneMarx,sesorigineshégéliennes.Paris,Vrin,1959.

CHATELET (F.).— «La question de l'athéisme du jeuneMarx »[in]LesEtudesPhilosophiques,1966,n"3,pp.372-374.

CHATELET (F.). — Logos et praxis, recherches sur lasignification théorique du marxisme. Paris, S.E.D.E.S.,1962(particulièrementp.97etsqq).

LEFEBVRE(H.).—PourconnaîtrelapenséedeKarlMarx.Paris,Bordas,1947(pp.91-92).

LANDSCHUT (S.). — Préface des Fruhschriften de Marx, éd.Kroner.

OIZERMAN(T.).—«Leproblèmedel’aliénationdanslestravauxdejeunessedeMarx»[in]Recherchesinternationalesàla

398

Page 399: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

lumièredumarxisme,1962,n°33-34,pp.68-82.LOWITH (K.).—DeHegel à Nietzsche.Traduction de R. Lau-

reillard. Paris, Gallimard, 1969 (« Bibliothèque desIdées»).

KAHN (P.).—«SociétéetEtatdans lesœuvresde jeunessedeMarx»[in]CahiersInternationauxdeSociologie,tomeV,1948.

GRÉGOIRE(F.).—AuxsourcesdelapenséedeMarx:HegeletFeuerbach. Louvain, Institut Supérieur de philosophie.Paris,Vrin,1943.

GARAUDY(R.).—KarlMarx.Paris,Seghers,1964.CALVEZ (J.-Y.).—LaPenséedeKarlMarx.Paris, Editions Le

Seuil,1956.

V.—HEGELETMARX

A.—HEGELETMARX.—ŒUVRES.

1.—HEGEL.

HEGEL (G. W.). —Œuvres complètes. Edition du jubilée par

399

Page 400: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Glockner.Stuttgart,1949etsqq.,20vol. — La Première Philosophie de l’esprit. Paris, P.U.F., 1969

(Collection«Epiméthée»). — La Phénoménologie de l’Esprit. Traduction par J.

Hyppolite. Paris, Aubier, 1947 (Coll. « Philosophie del’Esprit»),2vol.

— Précis de l’encyclopédie des sciences philosophiques.TraductionGibelin.Paris,Vrin,1967.

— Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé.Nouvelle traduction de Maurice de Gandillac. Paris,Gallimard,1970.

—Sciencedelalogique.TraductionparS.Jankélévitch.Paris,Aubier,1949,2vol.

—VorlesungenüberdieGeschichtederphilosophie [Leçonssur l’histoire de la philosophie]. Edition du jubilée(Frommann) 1959. Trad, française à paraître, par R.Garniron,7vol.Paris,Vrin,1970-1972.

— Leçons sur la philosophie de l’histoire. Trad, françaiseGibelin.Paris,Vrin,1967.RetraduitesparK.Papaioannou,sousletitre«LaRaisondansl’histoire»,Collection10/18,1965. Le texte allemand est en outre disponible chezMeiner,1955.

—Leçons sur la philosophie de la religion.Trad, françaiseGibelin.Paris,Vrin,1959,5vol.

— Esthétique. Trad. S. Jankélévitch. Paris, éd. Aubier-Montaigne,1964,rééd.deAubier1944.

—Principesdelaphilosophiedudroit.Trad.A.Kaan.Paris,

400

Page 401: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Gallimard(coll.«Idées»)[1940],1963.—L’Essenceduchristianismeetsondestin.Trad,françaiseJ.

Martin.Paris,Vrin,1967. — Propédeutique philosophique. Trad, française M. de

Gandillac.Paris,éd.Gonthier(Bibliothèque«Médiations»).

— Premières Publications. Différence des systèmesphilosophiques de Fichte et de Schelling. Trad. Méry.Paris,Vrin,1953.

2.—MARX.

Œuvrescomplètes,éditioncitéeMéga.Descriptiondupremiertome:

«DerKommunismus und dieAugsbürgerAllgemeineZeitung»1.1.p.260.

«DebattenüberdasHolzdiebstahlgesetz»(Débatssurlaloiconcernantlevoldesbois),ibid,p.266.

«RechtfertigungdesKorrespondentenvonderMosel»(JustificationducorrespondantdelaMoselle),ibid.,p.355.

«KritikdesHegeischenStaatsrechts»(Critiquedelaphilosophie du droit de Hegel), ibid., p. 403. « ZurJudenfrage» (Réflexions sur la question juive), ibid.,p.576.

401

Page 402: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

« Zur Kritik der Hegeischen Rechtsphilosophie,Einleitung » (Contribution à la critique de laphilosophie dudroit deHegel, introduction), ibid.,p.607.

ŒuvresphilosophiquesdeKarlMarx,trad.fr.J.Molitor.Paris,A.Costes,1927,9vol.

MARX ET ENGELS. — Etudes philosophiques. Paris, EditionsSociales,1968.

MARXETENGELS.—Sur la religion.Textes choisis, traduits etannotés par G. Badia, P. Bange et E. Bottigelli. Paris,EditionsSociales,1968.

MARX ET ENGELS. — La Sainte Famille, ou Critique de laCritiquecontreBrunoBaueretconsorts.Trad.E.Cogniot.Paris,EditionsSociales,1968.

MARX. — Manuscrits de 1844, Economie politique etphilosophique.Trad.E.Bottigelli.Paris,EditionsSociales,1962.

MARXETENGELS.—L’Idéologieallemande.Trad.H.Auger,G.Badia,J.Baudrillard,R.Cartelle.Paris,EditionsSociales,1968.

MARX. —Misère de la philosophie. Paris, Editions Sociales,1968.

MARX.—Contribution à la critique de l’économie politique.Trad. M. Husson et G. Badia. Paris, Editions Sociales,

402

Page 403: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

1957.

CorrespondanceMarx-Engels.—Lettres sur le Capital.Trad.G.Badia,J.ChabbertetP.Meier.Paris,EditionsSociales,1964.

MARX.—Fondements de la critique de l’économie politique.Ed.Anthropos 1969, 2 vol. Ed. all.Grundrisse der KritikderpolitischenOekonomie,éd.Dietz,Berlin,1953.

MARX.—LeCapital,critiquedel’économiepolitique.Trad.fr.J.Roy, réviséepour le livre Ipar l’auteur.Paris,EditionsSociales,1967,8vol.

MARX.—Œuvres,«économieIetII».Préf.deF.Perroux,notesdeM.Rubel,2vol.Paris,Gallimard(coll.«LaPléiade»).

ENGELS. — Anti-Dühring. Trad. E. Bottigelli. Paris, EditionsSociales,1963.

ENGELS.—Dialectiquede lanature.Trad.E.Bottigelli.Paris,EditionsSociales,1968.

ENGELS. — Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophieclassiqueallemande.Paris,EditionsSociales.

B.—ETUDESSURHEGEL.

ASVELD(P.).—LaPenséereligieusedujeuneHegel.LouvainetParis,1953.

BRÉHIER (E.).—Histoire de la philosophie allemande. Paris,1931.

CHATELET(F.).—Hegel.Ed.LeSeuil,1968.

403

Page 404: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

CROCE(B.).—Ciòcheèvivoeciòcheèmortodellafilosofiadi Hegel [Ce qui est vivant et ce qui est mort dans laphilosophie de Hegel]. Bari, 1907. Trad. Burnot, Paris,1912.

DILTHEY (W.). — Die Jugendgeschichte Hegels. Leipzig etBerlin,1925.

EtudessurHegel(B.Croce,N.Hartmann,Ch.Andler,V.Bäsch,R.Berthelot,M.Guéroult,Ed.Vermeil).Paris,1931.

FLEISCHMANN.—LaScienceuniverselleoulaLogiquedeHegel.Paris,Plon,1968.

—LaPhilosophiedeHegel(commentairedelaphilosophiedudroit).Paris,Pion,1964.

GARAUDY(R.).—LaPenséedeHegel.Paris,Bordas,1966.HAERING(T.).—Hegel,seinWillenundseinWerk [Hegel,son

vouloiretsonœuvre],2vol.LeipzigetBerlin,1929,1938.HARTMANN (N.).—Die Philosophie des deutschen Idealismus

[La Philosophie de l’idéalisme allemand], 2 vol. Berlin,1923,1929.

HYPPOLITE(J.).—Genèseetstructuredelaphénoménologiedel’EspritdeHegel.Paris,Aubier-Montaigne,1946.

—Introductionàlaphilosophiedel’histoiredeHegel.Paris,Rivière,1948.

—LogiqueetExistence,essaisurlalogiquedeHegel.Paris,P.U.F.,1961(coli.«Epiméthée»).

—EtudessurMarxetHegel.Paris,MarcelRivière,1965.KOJÈVE(A.).—IntroductionàlalecturedeHegel,Leçonssur

laphénoménologiedel’Esprit.Paris,Gallimard,1947.

404

Page 405: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

LEISEGANG (H.). — Denkformen [Formes de pensée]. Berlin,1928.

LITT(H.).—Hegel.Heidelberg,1953.LÉNINE. — Cahiers sur la dialectique de Hegel. Trad. H.

LefebvreetN.Guterman.Paris,Gallimard,1967.LUKACS(G.).—DerjungeHegel.Zürich,1948.MARCUSE. — Hegels Ontologie und die Grundlegung einer

TheoriederGeschichtlichkeit[L'OntologiedeHegeletlafondationd'unethéoriedel'historicité].Frankfurt,1932.

MURE (G. R. G.). — A study of Hegel's Logik [Etude de laLogiquedeHegel].Oxford,1953.

NIEL (H.).—De la médiation dans la philosophie de Hegel.Paris,1945.

NINK(C).—KommentarzudengrundlegendenAbschnittenvonHegels Phänomenologie des Geistes [Commentaire deschapitres fondamentaux de la « Phénoménologie del'Esprit»deHegel].Regensburg,1931.

NOEL (G.).—LaLogiquedeHegel.Paris,1897 ;2e éd.,Vrin,1967.

PAPAIOANNOU(K.).—Hegel.Paris,Seghers,1952.ROSENZWEIG(F.).—HegelundderStaat[Hegeletl'Etat].2vol.,

Oldenburg,1920.STACE(W.T.).—ThePhilosophyofHegel.London,1924.WAHL(J.).—LeMalheurdelaconsciencedanslaphilosophie

deHegel.Paris,1930. — Commentaires sur la Logique de Hegel. Centre de

documentationuniversitaire,lesCoursdeSorbonne,1959.

405

Page 406: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

VÉRA(A.).—LogiquedeHegel(traductionetcommentaire),2'éd.,Germer.Baillère,1874,2vol.

WEIL(E.).—Hegeletl'Etat.2{eéd.,Paris,Vrin,1966.

C.—ETUDESURMARX

ALTHUSSER (L.). — Lire le Capital (en collaboration avec J.Rancière, P. Macherey, E. Balibar, R. Establet). Paris,Maspero,1967,2vol(coll.«Théorie»).

ARVON(H.).—LeMarxisme.Paris,ArmandColin,1955.AXELOS (K.).—Marx, penseur de la technique.Paris, éd. de

Minuit,1961.BAAS (E.). — L'Humanisme marxiste. Paris et Colmar, éd.

Alsatia,1947.—Introductioncritiqueaumarxisme.Alsatia,1954(réédition

duprécédent).CHATELET(F.).—Logosetpraxis...(éd.cit.).CORNU(A.).—KarlMarxetFriedrichEngels...(éd.cit.). — « La formation du matérialisme historique » [in]

</nowiki>La Pensée, revue du rationalisme moderne, n"115,juin1964,pp.3-11.

DENIS (H.).—«Humanismeetmatérialismedans lapenséedeKarlMarx»[in]LaPensée,n°14.

DESANTI(J.-T.)—«LejeuneMarxetlamétaphysique[in]Revuedemétaphysiqueetdemorale,1947.

—Introductionàl'histoiredelaphilosophie,lesEssaisdela

406

Page 407: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

nouvellecritique.Paris,EditionsSociales,1957.—Phénoménologieetpraxis.Paris,EditionsSociales,1963.GURWITCH (G.), LEFEBVRE, CUVILLIER, DUFRENNE, BETTELHEIM,

HAUBTMANN, [in] Cahiers internationaux de sociologie,1948,IV.

KOJÈVE(A.).—«Hegel,Marxetlechristianisme»[in]Critique,n"3,4.

KORSCH.—MarxismeetPhilosophie.Ed.deMinuit,1964.LACROIX (J.).— «Marxisme, existentialisme, personnalisme ».

Paris,P.U.F.,1950.LEFEBVRE (H.). — A la lumière du matérialisme dialectique,

tome I : Logique formelle et logique dialectique. Paris,EditionsSociales,1947.

—LeMatérialismedialectique.Paris,P.U.F.,1949,3eéd.—LettresurHegel[in]NouvelleCritique,n°22.—LaPenséedeMarx.Paris,Bordas,1947.—Marx.Paris,P.U.F.,1964.—LeMarxisme.Paris,P.U.F.(coll.«Quesais-je?»).—Critiquedelaviequotidienne,vol.I.1958.Paris,L'Arche,

Vol.II.Ibidem,1961.—Introductionàlamodernité.Paris,éd.deMinuit,1962.LUKACS(G.).—HistoireetConsciencedeclasse.Paris,éd.de

Minuit,1960.LÔWITH(K.).—«L'achèvementdelaphilosophieclassiquepar

Hegel et sa dissolution par Marx et Kierkegaard » [in]Recherchesphilosophiques.

407

Page 408: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

MANDEL (E.). — La Formation de la pensée économique deMarx.Paris,Maspero,1967.

MERLEAU-PONTY(M.).—LesAventuresdeladialectique.Paris,Gallimard,1955.

MASCOLO (D.).—LeCommunisme (dialectique des besoins etdesvaleurs).Paris,N.R.F.,1953.

NAVILLE (P.).—LeNouveauLeviathan, I.De l'aliénationà lajouissance.Nouvelleédition.Paris,Anthropos,1967, IIetIII.LeSalairesocialiste,ibidem,1970.

PLÉKHANOV(G.).—LesQuestionsfondamentalesdumarxisme.Paris,EditionsSociales,1947.

—La signification deHegel, n° avril-mai 1950 de laRevueinternationale.

PRENANT (M.). — « Marx et Comte » [in] A la lumière dumarxisme,II,1937.

RUBEL (M.).—KarlMarx, essai de biographie intellectuelle.Paris,MarcelRivière,1957.

SANDOR.—Histoiredeladialectique,Hegel.Paris,1948.SCHAFF (A.).— Le Marxisme et l'individu, contribution à la

philosophiemarxistedel'homme.Paris,A.Colin,1968.SOUBISE (L.). — Le Marxisme après Marx. Préface de F.

Chatelet.Paris,Aubier-Montaigne,1967.TRAN DUC THAO. — Phénoménologie et Matérialisme

dialectique.Paris,éd.MinhTan,1952.WEIL (E.). — « A propos du matérialisme dialectique » [in]

Critique,n"1.—«Marxetlaliberté»[in]Critique,n"8/9.

408

Page 409: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

D.—ETUDESSURLE«RAPPORT»MARX/HEGEL.

ALTHUSSSER(L.).—PourMarx,LireleCapital.Editionscitées. — Lénine et la philosophie. Paris, Maspero, 1969 (coll.

«Théorie»).BEKKER (K.). — Man philosophische Entwicklung, sein

VerhältniszuHegel [LeDéveloppementphilosophiquedeMarx,sonrapportàHegel].Zurich,NewYork,1940.

CORNU(A.).—KarlMarxetlapenséemoderne.Paris,EditionsSociales.

HABERMAS(J.).—ZurphilosophischenDiskussionumMarxunddenmarxismus(Contributionàladiscussionphilosophiqueportant surMarx et lemarxisme) [in]Theorie undpraxis.Neuwied(Luchterhand),1963.

HILLMANN (G.).—Marx und Hegel. Von der Spekulation zurDialektik [Marx et Hegel. De la spéculation à ladialectique].Frankfort-sur-le-Main,1966.

HOOK (S.).—FromHegel toMarx.Studies in the intellectualdevelopmentofKarlMarx[DeHegelàMarx.EtudessurledéveloppementphilosophiquedeKarlMarx].Londres,V.Gollancz,1936.

PLENGE (J.). —Marx und Hegel [Marx et Hegel], Tübingen,1911.

MARCUSE (H.).—Raison etRévolution.Trad. R. Castel et Ph.Gonthier.Paris,éd.deMinuit,1968.

STUKE (H.). — Philosophie der Tat, Studien zur

409

Page 410: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

« Verwirklichung der Philosophie » bei denJunghegelianernunddenwahrenSozialisten[Philosophiedel'action,étudespourla«réalisationdelaphilosophie»chezlesJeuneshégéliensetlesvraissocialistes].Stuttgart,Klett,1963.

VI.—DEMOCRITEETEPICURE

I.—TEXTESETTRADUCTIONS.

On trouvera les extraits, conservés par la traditiondoxographique, traduits dans le recueil de M. Solovine,Démocrite,doctrinephilosophiqueet réflexionsmorales ;unetraduction italienne, précédée d'un commentaire, a été procuréeparV.AlfieridansGliAtomisti,Bari,1936.Letextegrecaétéédité par H. Diels, Die fragmente der Vorsokratiker (grec-allemand),Berlin,Weidmann,1903.Lesfragmentsd'Epicurese trouventpartiellement réunisdans

l'ouvrage de HermannUsener,Epicurea, 1877. Des trois centsrouleaux écrits par Epicure, seuls ont été conservés quelquesfragments, issuspourunegrandepartiedesonπεριφύσεως[de

410

Page 411: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

laNature].DiogèneLaërcenousatransmisletextedesLettresàHérodote,àPythoclèsetàMénécée[éd.cit.,II,pp.212-269]etquelque quarantemaximes. Il faut leur ajouter les quatre-vingt-une maximes découvertes à la bibliothèque du Vatican par K.Wotkeen1888.[Cf.WienerStudien,X,2,1888].CesfragmentsontététraduitsparM.Solovinesousletitre:Epicure,doctrineet maximes, Paris, Hermann, 1925. [Nouvelle édition, 1965,préfacede J.-P.Faye.]L'ouvrageestprécédéd'uneNote sur leclinamen.O. Hamelin a procuré une traduction des Lettres en1910 dans la Revue de métaphysique et de morale. Enfin, unrecueil commode a été publié en 1951 par J. Brun aux P. U.F.(EpicureetlesEpicuriens).

II.—ETUDES.

Lelecteurtrouveradesétudesgénéralesdansleshistoiresdelaphilosophie.

ZELLER(Edouard).—LaPhilosophiedesGrecsconsidéréedanssondéveloppement historique. [Die Philos. derGriecheninirhergesch.Entwickl.dargestellt.]Traductioninachevéepar E. Boutroux. Paris, 1882. Première partie, tome II :L'Atomisme[pp.279-381,Démocrite].

GOMPERZ(Théodore).—LesPenseursdelaGrèce.Histoiredela philosophie antique [Griechische Denker]. TraductionA. Raymond. Paris, Alcan, 1908, t. I [pp. 333-388, LesAtomistes].

BRÉHIER (Emile). — Histoire de la philosophie, I, 1.

411

Page 412: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Introduction, La Période hellénique. I, 2, Périodehellénistiqueetromaine.Paris,Alcan,1938.

RIVAUD (Albert). — Histoire de la philosophie. T. I, DesOriginesàlascolastique[1948].2eéd.revueparG.Varet,Paris P.U.F., 1950 [pp. 98-108, Démocrite ; pp. 343-371,l'épicurisme].

ROBIN (Léon).—LaPenséegrecqueet lesoriginesde l'espritscientifique [1948]. Ed. revue par P. M. Séhulh. Paris,AlbinMichel,1963.[LeucippeetDémocrite,pp.135-146,l'épicurisme,pp.387-408.]

CHEVALIER (Jacques). — Histoire de la pensée. I. La Penséeantique. Paris, Flammarion, 1955 [L'atomisme, pp. 109-111;l'épicurisme,pp.455-482].

Etudesgénéralessurl'atomismeetlematérialismeanciens.

LANGE (F. M.). —Histoire du matérialisme. [Geschichte dermaterialismus]. Trad. par B. Pommerol. Paris, Reinwald,1877,2vol.[vol.I].

MABILLEAU(L.).—Histoiredelaphilosophieatomistique.Paris,Alcan,1895.

HUIT(Ch.).—DelaphilosophiedelanaturechezlesAnciens.Paris,Fontemoing,1901.

REY (A.). — La Science dans l'Antiquité. La maturité de lapenséescientifiqueenGrèce.Paris,AlbinMichel,1903.

BAILEY (C). — The Greek atomists and Epicurus. A study.Oxford,1928.

412

Page 413: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

BACHELARD (G.).—Les Intuitions atomistiques.Paris, Boivin,1935.

FARRINGTON(B.).—Scienceandpolitics in theAncientWorld.Londres,1935.

BALMES (D. M.). — « Greek Science and Mechanism. TheAtomists»[in]Classicalquartely,1941.

ALFIERI (V. E.). — Atomos idea. L'Origine del concetto dell'atomonelpensierogreco.Florence,1953.

MUGLER (Ch.). — L'Isonomie des atomistes [in], Revue dePhilologie,1956.

COGNIOT(G.).—LeMatérialismegréco-romain.Paris,EditionsSociales,1964.

NIZAN (P.). — Les Matérialistes dans l'Antiquité. Paris,Maspero,1965.

MOREAU (J.).— L'Espace et le temps selon Aristote. Padoue,Antenore, 1965. [Aristote et lemouvement des atomes, p.181etsq.]

A.DEMOCRITE.

HAMELJN (O.).—«LaPesanteurde l'atomedans le systèmedeDémocrite » [in] Annales de la Faculté des Lettres deBordeaux,nouvellesérieV,p.194etsq.[1888].

BROCHARD (V.).— « Protagoras etDémocrite » [in]Archiv fürGeschichtederphilosophie,1889.[ReprisdansEtudesdephilosophie ancienne et moderne. Paris, Vrin, 1912, pp.23-33].

413

Page 414: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

NATORP (P.). — Die Ethica des Democritos. Text undUntersuchungen.Marburg,1893.

ENRIQUES (F.) etMAZIOTTI (M.).—LaDoctrine deDémocrite.Bologne,1948.

BRUNSCHVICG (L.).—L'Echecde l'atomismedémocritéen»[in]L'Expérience humaine et la causalité physique. Paris,P.U.F.,1949,I,chap.xii.

ROBIN (L.).—«L'Atomisme ancien » [in]Revue de Synthèse,VI, p. 205 et sq. [Repris dans La Pensée hellénique desoriginesàEpicure.Paris,P.U.F.,1967.]

B.EPICURE.

GASSENDI(P.).—AnimadversionesindecimumlibrumDiogenesLaertii.1649.

GASSENDI(P.).—SyntagmaphilosophiaeEpicuri.1659.[ReprisdansOperaomnia.Lyon,1658,tomeIII.

Cf.ROCHOT (B.).— Les Travaux de Gassendi sur Epicure etl'atomisme.Paris,Vrin,1944.

LACHELIER (J.). — Les Dieux d'Epicure d'après le De naturadeorumdeCicerón[in]RevuedePhilologie,1877.

GUYAU(M.).—LaMoraled'Epicure.Paris,Ballière,1878.THOMAS(P.F.).—DeEpicuricanonica,1889.BROCHARD (V.). — La Théorie du plaisir d'après Epicure [in]

Journal des savants, 1904. [Repris dans Etude dephilosophie ancienne et moderne. Paris, Vrin, 1912, pp.252-293.]

414

Page 415: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

BROCHARD (V.). — « La Morale d'Epicure » [in] Annéephilosophique,XIV, 1910. [Repris dans op. cit., pp. 294-299.]

ROBIN(L.).—Surlaconceptionépicurienneduprogrès[axésurLucrèce][in]Revuedemétaphysiqueetdemorale,XXIII,1916. [Repris dans La Pensée hellénique des origines àEpicure.Paris,P.U.F.,19672.]

BIGNONE(E.).—Epicuro,opere,frammenti,testimonianzesullasuavita,tradotticonintroduzioneecommento.Bari,1920.

BIGNONE(E.).—NuovericerchesullaformazionefilosoficadiEpicuro.AtheneeRoma,1933.

BIGNONE(E.).—L'AristoteleperdutoelaformazionefilosoficadiEpicuro.Firenze,1936,2vol.

BIGNONE(E.).—Ladottrinaepicureadelclinamen.Firenze,LeMonnier,1940.

VOGLIANO(A.).—«Autourdujardind'Epicure»[in]MélangesBidez,1934.

FESTUGIÈRE(A.-J.).—EpicureetsesDieux.Paris,P.U.F.,1946.SARTRE(J.-P.).—«Matérialismeetrévolution»[in]Situations

III.Paris,Gallimard,1949.CAPONE-BRAGA(G.).—StudisuEpicuro.Milano,1951.BOYANCÉ (P.). — « Epicure et M. Sartre » [in] Revue

Philosophique,1953,p.426etsqq.WESTMAN (R.). — Plutarch gegen Kolotes, seine Schrift

«AdversusColotem»,alseinephilosophiegeschichtlicheQuelle.Helsinki,1955.

GOLDSCHMIDT(V.).—«Epicure»[in]LesPhilosophescélèbres.

415

Page 416: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Paris,Mazenod,1956.FARRINGTON(B.).—TheFaithofEpicurus.Londres,1967.EpicureainmemoriamE.Bignone.Gênes,1959.BOYANCÉ(P.).—Lucrèceetl'épìcurisme.Paris,P.U.F.,1963.Questions épicuriennes. — numéro spécial des Etudes

philosophiques, 1967. [BASTIDE (G.), « L'Esthétisme etLucrèce ». — ESCOUBAS (E.), « Ascétisme stoïcien etascétisme épicurien ». — DIANO (C), « Epicure ; LaPhilosophieduplaisiretlasociétédesamis».]

POVARKOV (I.). — « Les Quatre Problèmes posés parl'épicurisme»[in]LaPensée,1967,n°131,février.

Enfin, on trouvera des renseignements intéressants dans lestravauxsuivantsconsacrésàLucrèce.

ROYER(J.-B.).—EssaisurlesargumentsdumatérialismedansLucrèce.Paris,1883.

BERGSON(H.).—ExtraitsdeLucrèceaveccommentaire,Paris,Delagrave,1883;repris[in]Ecritsetparoles.Paris,P.U.F.1957,tomeI.

UNTERSTEINER(M.).—SulpensierodiLucrezio,Torino,Bocca,1925.

MESNARD (P.).—«Antifinalismeet finalitéchezLucrèce»[in]RevuedesScienceshumaines,1947,XLVI,pp.97-116.

VAVILOV (S. L.).— « Lucrecius physics » [in]Philosophy andphenomenologicalResearch,1948,IX,pp.21-40.

416

Page 417: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

BOYANCÉ(I.).—Lucrèceetl'épicurisme.Paris,P.U.F.,1963.COGNIOT (G.).— Lucrèce, textes choisis et commentés. Paris,

EditionsSociales,1954.CONCHE(M.).—Lucrèceetl'expérience.Paris,Seghers,1967.DELEUZE (G.).— « Lucrèce et le simulacre » [in] Logique du

sens.AppendiceII.Paris,Ed.deMinuit,1969.

417

Page 418: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

INDEXDESNOMSCITÉS

______

A

AbreuFreire(A.de),84n.2.Althusser(L.),23,88,89n.12,90,131.Anaxagore,68,135,136,164,166,176,273.Antisthène,197,226.Araud(r.),88n.1.Archestrate,283.Archimede,236.Aristippe,197,221.Aristote,11,29,43,123,127,132,135,141,142,175,

178,184,186,187,196,197,201,217-219,223,229,236,242,245,246,248,252,253,259,260,261,267,274,320,323,328.Augustin(Saint),244.

B

418

Page 419: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Bacon,68.Balibar(e.),86.Bauer(B.),23,26,27,29,30,41,42,62,68-70,72-75.Baur,180,182,183.Bayle,240,241,244.Boehme(J.),156.Bottigelli(e.),19n.13,75n.22,83n.1.Bruecker,257.Bruno(Giordano),179.

C

Chatelet(F.),14n.3,15n.5,15n.6,18n.11,18n.12,19n.13.Christ(Le),175,180,181,182.Chrysippe,283.Ciceron,47,168,196,207,221,222,225,226,227,229,

239-241,243,244,246,262.Cieszkowski,17,21,30.Clémentd’Alexandrie,175,221.Cornu(A.),11n.1,16n.8,17n.9,21n.14,21n.15,22

n.15,23n.20,25n.24,26n.25,26et27,27n.28,29n.1,30n.2,36,37n.12,39n.15,41n.18,42n.20,62n.12.Cotta,221.Cyniques(Les),219.

419

Page 420: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Cyrénaiques(Les),196,219.

D

Deleuze(G.),50n.27,65n.17,105n.3.DémétriusdePhalère,226.DÉMOCRITE,11,43-49,51,53,56,58,60-62,67,68,111

N.4,160,170,187,188,213,219-231,233,234,239,240,244,248,252-257,261,263,265,267,269-271,273,280,284,313,325.Denys(L'Evêque),230,255.Descartes,67,123.Diderot,56.DiogeneLaerce,128,223,226,228,251.Dogmatisme,319.Dumézil(G.),105.DunsScot,68.

E

Echtermayer,24.Eléates(Les),196.Empédocle,160,164,221.Engels,12n.2,69n.18,84n.2.Epicharme,222.

420

Page 421: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Epicure,29,29n.1,31,33,34,40,42-52,52n.29,53-57,57n.3,58,60-64,65n.17,67,68,69n.18,70,77,79,81,87n.10,104n.1,109,110,111n.3,112,113n.6,116,116n.9,117-119,119n.11,121,122,124-133,142-153,155,157-159,164,165,169n.19,170-175,178,180,196-198,200.207,208,211,213,215/217,220-222,224,225,227-235,239-246,248,249,251,252,254-257,259-261,261n.4,262-271,273,275-285,287,289,298n.11,306,308,315,319n.1,322-332.Eschyle,145,177n.22,204,276.Euripide,145.Eusèbe,229,230,252,245.

F

Faye(J.-P.),87n.10.Feuerbach,11,12,19n.13,23,25-27,33-35,41,42,56,

61,70-72,72n.21,73,77,79,81,81n.27,83,84n.2,90,94,96,123,317.Fichte,27,37,181.Freud(S.),105.

G

Gabaude(J.-M.),65n.17.Gassendi,50,56,67,109,122,123,207,257.

421

Page 422: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Gorgias,187.

HHegel,9,11-13,14n.3,15,16n.8,18,19n.3,21,22,

24,26-28,29n.1,35,36,38,38n.13,39,41,42,42n.20,43,44,46,46n.23,48n.24,49n.25,54n.32,57,65,68,69n.18,71,72,72n.19et21,73-75,77n.24,81n.27,84,98,99,102,102n.19,104n.1,110n.2,114n.7,116n. 8, 140 n. 16, 169 n. 19, 177-184, 186, 189, 190, 207,234,285,286,293,295,296,296n.8,297.302,303,306,306n.2,307-314,316,319,319n.1.320,321,321n.2,322,323,325-327,327n.3,328,330,331,331n.6.Hégéliens(LesJeunes),12,17,19,20,22n.15,23-27,

31,35,36,40,41,177n.22.Hégéliens(Lesvieux),12,13,Hengstenberg,25.Heraclite,181,219.Hérennius,163.HÉRODOTE,259,260,270,276.Hinrichs,25.Homère,171,222.Hume(D.),201,208.Hyppolite(J.),14n.3,54,93n.3,293,294.

J

422

Page 423: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Jankélévitch(S.),38n.13,294n.2,299n.1,307n.4.

K

Kant(E.),37,201,286.Koeppen(F.),26,30,208.

L

Leclaire(S.),105.Leibniz,68,130,201,222.Lénine,55.Léontius,221.Leucippe,187,248,325.Locke,68.Lucrèce, 50n. 27, 54, 63, 64n. 15, 117, 118, 162-165,

167,170-173,241,243,247,251,256,257,261,264n.21et22,265,270,271n.8,283,325.

M

Malebranche,68.Marx(K.),9,11,12,12n.2,17,19n.3,22-27,29,30,

34-38,38n.13,39-42,42n.20,43-45,50-53,53n.31,54n.32,55-58,60,61,61n.12,62-65,67-69,69n.18,70,

423

Page 424: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

72,72n.21,74-76,79n.26,80,81n.27,84-8.7,88n.10,89,91,93,94,98,99,100,100n.15,101-104,109n.1,116n.8,117,118,125n.12,169n.19,174,217n.2,221n.1,223n.2,293,296n.9,297,305-310,312-317,319n.1,327n.3,329n.4,330n.5,331.Métrodore,174,263.Molitor,35,294n.5,296n.8.

N

Nicholai,181.Nicholas,220.Nietzsche,34n.7,56n.2.Nizan,55,63n.13,64.Noel(G.),38n.13,307n.3.NouvelleAcadémie,322,332.Nuerberger,251.

O

Origène,183.Osier(J.-M.),24n.23.Ortigues(E.),105n.4.

P

424

Page 425: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Parménide,160,221.Paul(Apôtre),175,221.Philopon,252.Platon, 16, 43, 140, 141, 158, 160, 161, 175, 182-187,

219,221,330,333.Plotin,187.Plutarque,31,32n.4,33,132,143-164,175n.20,207,

208,215,221,222,234,244,246,251,261,285,287,289,290.Posidonius,220.Prométhée,29,44,177,209.Protagoras,187.Pyrrhon,128,130.Pythagoriciens(Les),242,274.Pytoclès,260,276.

R

Ritter,135,187,188,253.Rosinius,254.Rozenkranz(K.),201.Ruge,12n.2,24.Rutenberg,26.SCEPTIQUES (LES),30,109,110,111,117,128,130,131,

131 N. 14, 196, 207, 208, 212, 219, 319, 320, 322, 323,

425

Page 426: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

332.Schaubach,174,240,259,260,261.Schelling,116n.8,285-286.Schlegel,180.Schneider,251.Sénèque,232.SextusEmpiricus,128,129,178,222,223,270.Simplicius,229,231,252,267.Socrate,16,134,136-140,159,176,179,180-182,186,

219,273.Solovine(M.),305n.1.Sophistes(Les),136,138.Sotion,220.Spinoza,68,69,72n.20,183,184,201,251.Stilpon,221.Stirner(M.),58,69n.18.Stobée,174,229,232,261,270.Stoïciens(Les),30,109,196,196n.65,207,208,212,

217-219,322,323,328,330,332.Strauss(D.),24,24n.21,25,27,70,72-75.Swedenborg,236.

T

426

Page 427: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Thalès,133,181.Thémistocle,42,178.Trendelenbourg,223.

VVelleius,229.

XXénophon,273.

ZZénon,178.

427

Page 428: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

Àproposdecetteéditionélectronique

Ce livre électronique est issu de la bibliothèque numériqueWikisource[1]. Cette bibliothèque numérique multilingue,construite par des bénévoles, a pour but de mettre à ladispositionduplusgrandnombretouttypededocumentspubliés(roman,poèmes,revues,lettres,etc.)Nouslefaisonsgratuitement,ennerassemblantquedestextes

dudomainepublicousouslicencelibre.Encequiconcerneleslivres sous licence libre, vous pouvez les utiliser de manièretotalement libre, que ce soit pour une réutilisation noncommerciale ou commerciale, en respectant les clauses de lalicenceCreativeCommonsBY-SA3.0[2]ou,àvotreconvenance,cellesdelalicenceGNUFDL[3].Wikisource est constamment à la recherche de nouveaux

membres.N’hésitezpasànousrejoindre.Malgrénossoins,uneerreurapuseglisserlorsdelatranscriptiondutexteàpartirdufac-similé. Vous pouvez nous signaler une erreur à cetteadresse[4].Les contributeurs suivants ont permis la réalisation de ce

livre:

428

Page 429: gememarxengels.orggememarxengels.org/wp-content/uploads/2019/09... · 1. 2. 3. 1. 2. 5 PRÉSENTATION La crise de la philosophie La philosophie critique La critique de la religion

WuyouyuanGuérinmarcAristoiZyephyrus83.200.22.146FilipvansnaeskerkeReptilien.19831209BE1VIGNERONYannPheNalou81.53.47.109AcélanLecielestpardessusletoit83.112.110.159Lunavorax

1. ↑http://fr.wikisource.org2. ↑http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/deed.fr3. ↑http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html4. ↑http://fr.wikisource.org/wiki/Aide:Signaler_une_erreur

429