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7/26/2019 L'Amour de Loin (Litterature Fr - Amin Maalouf

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Table des Matiresage deTitre

Table des Matiresage de Copyright

U MME AUTEUR

dicace

ISTRIBUTION

REMIER ACTE

EUXIME ACTE


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TROISIME ACTE

PREMIER TABLEAU

SECOND TABLEAU

QUATRIME ACTE

CINQUIME ACTE


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ditions Grasset &Fasquelle, 2001.

978-2-246-60309-2


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DU MME AUTEURAux ditions Grasset

LE IerSICLE APRS BATRICE,1992.

LE ROCHER DE TANIOS, 1993Prix Goncourt).

LES CHELLES DU LEVANT,1996.

LES IDENTITS MEURTRIRES,

1998.LE PRIPLE DE BALDASSARE,

2000.


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Aux ditions Jean-Claude Latts

LES CROISADES VUES PAR LESARABES, 1983.

LON L'AFRICAIN, 1986.

SAMARCANDE, 1988 (Prix desMaisons de la presse).

LES JARDINS DE LUMIRE,1991.


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Livret

Tous droits de traduction, de

reproduction et dadaptation rservspour tous pays.


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PeteSellar


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cration amricaine en juillet 2002.

Le librettiste tient manifestergalement sa reconnaissance auxnombreuses personnes qui lontaccompagn au cours de cetteaventure collective, notamment Jean-

aptiste Barrire, Ysabel Baudis,etty Freeman, Michel Laval, Kathyellens, Alain Patrick Olivier, ainsi

quAndre, Ruchdi, Tarek et Ziadaalouf.


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LES COMPAGNONS :

Qui est-elle, cette femme ?

Comment est-elle ?

JAUFR :

Elle est gracieuse et humble etvertueuse et douce,

Courageuse et timide, endurante etfragile,

Princesse cur de paysanne,

paysanne cur de princesse,Dune voix ardente elle chantera

mes chansons...


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Je tai dj tout dit,

Nous tions prs de la Citadelle,

C'tait le dimanche de Pques,Elle sappelle...

JAUFR :

Non, attends, ne me dis pas sonnom !

Pas encore !

Dis-moi dabord quelle couleur ontses yeux.

LE PLERIN (pris de court):Ses yeux... Ses yeux...

Je ne lai pas observe dassez


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prs...

JAUFR (regardant au loin):

Ses yeux ont la couleur de la merorsque le soleil vient juste de seever, et que lon regarde vers le

couchant les tnbres qui

sloignent...LE PLERIN (cherchant le

ramener sur terre):

Jaufr, mon ami...

LES COMPAGNONS :

Jaufr, Jaufr Rudel,

Ta barque sloigne du rivage


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Ses cheveux sont si noirs et soyeuxque la nuit on ne les voit plus, on lesentend seulement comme un murmure

de feuillages...LE PLERIN (ne songeant plus

e contredire):

Sans doute...

JAUFR :

Et ses mains, ses mains lisses,scoulent comme leau vive

Je les recueille dans mes paumesouvertes et je me penche au-dessusdelles

Comme au-dessus dune fontaine


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pour boire les yeux ferms...

(Pendant que Jaufr parle ainsi lui-mme, et se construit uneamante imaginaire, son visiteur,

dsempar, se retire sur la pointe

des pieds. Les compagnons aussise sont clipss.)

JAUFR (seul, grattant parfoisson luth):

Et ses lvres sont une autre sourcefrache,

Qui sourit et murmure les mots qui

rconfortent


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et je ne connatrai plus aucune autre.

Plerin, quas-tu fait de moi ?

Tu mas donn le got de la sourceointaine

A laquelle jamais jamais

Je ne pourrai me dsaltrer.


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DEUXIME ACTEUn jardin dans lenceinte de la

Citadelle o rsident les comtes de

Tripoli.Clmence est sur un promontoire.

lle cherche discerner quelque

chose, au loin, du ct de la mer, etorsque le Plerin passe non loin de, elle linterpelle.

CLMENCE :Homme de bien, dites-moi !


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LE PLERIN (qui cherchait asser inaperu, et qui se retourneentement vers elle):

Est-ce moi que vous appelez,comtesse ?

CLMENCE :

Ce bateau qui a accost tout heure,

Sauriez-vous do il vient ?

LE PLERIN:Jtais sur ce bateau, noble dame,

Et je venais justement la

Citadelle


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Vous a-t-il affam ?

Vous a-t-il humili ?

Vous a-t-il chass ?LE PLERIN:

Rien de tout cela, comtesse

Jy ai laiss les tres les plus chersMais il fallait que je parte Outre-

mer

Que jaille contempler de mes yeuxCe que lOrient renferme de plus

trange,

Constantinople, Babylone,Antioche,

Les ocans de sable,

Les rivires de braise,


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Tant de gens qui rvent de venir enOrient,

Et moi qui rve den partir.

A lge de cinq ans jai quittToulouse,

Et depuis, rien ne ma console.

Chaque bateau qui accoste merappelle mon propre exil

Chaque bateau qui sloigne medonne le sentiment davoir tabandonne.

LE PLERIN:

Tripoli est vous, pourtant, elleappartient votre noble famille. Et cepays est maintenant le vtre. C'est ici

que sont enterrs vos parents.


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CLMENCE :

Un troubadour ? Quel est son nom ?

LE PLERIN:On lappelle Jaufr Rudel. Il est

galement prince de Blaye.

CLMENCE (feignantindiffrence):

Jaufr... Rudel... Il maurait sansdoute aperue jadis lorsque jtaisenfant...

LE PLERIN:Non, il ne vous a jamais vue...

parat-il.

CLMENCE (trouble):


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Jaufr, elle sait.

(Un silence pesant, de tout le poidsdu destin qui sabat sur les hommes,

puis...)

JAUFR :

Que dis-tu, Plerin ?LE PLERIN:

Jai dit : elle sait.

JAUFR :Elle sait quoi ?

LE PLERIN:


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A prsent il faudra quelle lesentende de ma bouche

Oui, de ma bouche et de nulle autre.

Si elle rosit en coutant machanson, je veux la voir rosir

Si elle tressaille, je veux la voirressaillir

Si elle soupire, je veux lentendresoupirer

Elle nest plus aussi lointainemaintenant, et tu peux... tu peux mmeme chuchoter son nom.

LE PLERIN:

Clmence, elle se prnomme


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oing...

Ai ! car me fos lai peleris

Si que mos fustz e mos tapisFos pelz sieus bels huoills

remiratz !

Ver ditz qui mappela lechai

Ni desiran damor de loing,

Car nuills autre jois tant no.m plaiCum jauzimens damor de loing

Mas so qeu vuoill mes tant ahis

Q'enaissi.m fadet mos pairis

Q'ieu ames e non fos amatz!

LE CHUR DES


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Tu as dit vrai, ma fille, mon amie,

Bnie sois-tu ! Bnie sois-tu !

LE CHUR DESTRIPOLITAINES :

Parce que vous, comtesse, vous ne

souffrez pas ?Vous ne souffrez pas dtre si loin

de celui qui vous aime ?

De ne pas deviner dans son regardsil vous dsire encore ?

Vous ne souffrez pas de ne mmepas savoir quoi ressemble son


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QUATRIME ACTESur le bateau qui porte Jaufr vers

Orient.

Le jour commence tomber maisl ne fait pas encore sombre. La

couleur de la mer tire sur lindigo.

lle est calme.JAUFR (dbordant de vie):

Me croiras-tu, Plerin,

C'est la premire fois que je posees pieds sur leau.

Je vis depuis toujours au voisinage

de la mer


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Je vois les mariniers, les plerins,es marchands, partir et revenir ou ne

plus revenir,

Jai chant avec eux, jai couteurs histoires,

Mais cest la premire fois que je

pose les pieds sur leau...LE PLERIN (tendu):

Pour moi, cest la dixime

raverse, ou la douzimeMais cest chaque fois la premire

fois...

Au commencement, chaque fois, levertige,

Le corps pli, la bouche amre


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JAUFR :

Et le ciel, pourquoi est-il bleu ?

LE PLERIN:Parce quil est le miroir de la mer !

Mais tu devrais ttendre comme

moi, Jaufr,La traverse sera longue...

(A contrecur, Jaufr accepte de secoucher. La nuit est plus noire,

prsent, et la mer est de plus en plushouleuse. Au milieu de la nuit, il fait

un rve et se rveille en sursaut.)


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JAUFR :

Je lai vue, Plerin, je lai vuecomme je te vois !

LE PLERIN (toujours aussi las,

et ensommeill):Jaufr, tu ne me vois pas, et moi

non plus je ne te vois pas

Il fait nuit noire et tu as rv !JAUFR :

Elle tait ici, et son corps et son

visage et sa robe blanche illuminaienta nuit.

Elle chantait une chanson que jaicrite pour elle.


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(Le rve se matrialise sur scnependant que Jaufr le raconte au

Plerin. On voit Clmence en robeblanche avancer vers la mer enfaisant signe Jaufr de la suivre, eton lentend chanter :

Ton amour occupe mon espritDans la veille et dans le songe

Mais cest le songe que je prfre

Car dans le songe tu mappartiens !En se souvenant de son rve,

Jaufr

chante, lui aussi, le mme couplet :

Daquest amor suy cossiros

Vellan e pueys somphan dormen,

Quar lai ay joy meravelhos,

Per quieu la jau jauzitz jauzen...)


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JAUFR :

Lorsque je lai regarde dans leseux elle a souri et ma fait signe dea suivre.

Puis elle est partie, dun pas dereine, sa robe tranant derrire elle,comme tu lavais vue la premirefois, Tripoli, le dimanche de

Pques.Je lai suivie mais soudain je lai

vue sloigner du bateau et marcher

sur la mer comme Notre Seigneur,sans quelle senfonce.

Elle sest tourne alors vers moi,

elle a ouvert les bras mais je nai pas


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JAUFR ( lui-mme):

Je devrais tre lhomme le plusheureux au monde,

Et je suis le plus dsespr...

(Une secousse. Il perd lquilibre,et se redresse grand-peine. Lechur des compagnons sen amuse.)

LES COMPAGNONS ENCHUR :

On a connu des guerriers intrpides

Qui se jetaient dans la mle et

offraient leur corps


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Aux lames de lennemi

Mais qui tremblaient en mer...

On a connu un roi puissantQui dun regard faisait frmir

comtes et chevaliers

Qui, la tte de ses troupes,Savait franchir les dserts, les

montagnes,

Mais qui tremblait en mer.

JAUFR (les coutant non sans

rritation, puis se tournant vers lelerin):


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Si nos compagnons savaientpourquoi je tremble

Ils ne chanteraient pas ainsi.

Ce nest pas la mer qui meffraie...

(Le Plerin hoche la tte et ne ditrien.)

JAUFR :

Crois-tu quon lui a dit, Plerin ?

Crois-tu quon lui a dit que jevenais Tripoli ?

Crois-tu quon lui a dit que je


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mtais crois ?

LE PLERIN:Ces choses se savent, oui.

Jignore par quelle bouche, mais

elles se savent, oui.Moi qui parcours les mers et les

royaumes

Chaque fois que japporte unenouvelle dans une ville

Quelquun avant moi la dj

apporte.Certains prtendent que les secrets

des hommes

Sont chuchots tout vent par les


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anges...

(Jaufr lcoute peine. Retombdans la mlancolie, il reprend sacomplainte.)

JAUFR :

Je devrais tre lhomme le plusheureux au monde,

Et je suis le plus dsespr...

Je devrais avoir hte datteindre saville de Tripoli

Et je me surprends supplier le

Ciel quil ny ait plus dans nos voiles


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e moindre souffle de vent.

Si, cet instant, un gnie sortait desflots pour me dire Ordonne, Jaufr,et ton vu sera exauc!, je ne sauraisquoi souhaiter.

Ai-je envie de voir devant moi la

femme sans tache, et quelle me voiedevant elle ?

Aurai-je envie de chanter lamour

de loin, quand mes yeux lacontempleront de prs et que jeguetterai chacun de ses battements depaupires, chacun de ses plissementsde lvres, chacun de ses soupirs ?

Jamais je naurais d membarquerpour cette traverse.


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De loin, le soleil est lumire duciel mais de prs il est feu de lenfer !

Jaurais d me laisser bercerongtemps longtemps par sa clartointaine au lieu de venir me brler !

Jtais lAdam et lloignement

tait mon paradis terrestrePourquoi fallait-il que je marche

vers larbre ?

Pourquoi fallait-il que je tende lamain vers le fruit ?

Pourquoi fallait-il que je

mapproche de ltoilencandescente ?

(La mer semble de plus en plus


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agite. Le ciel est la tempte. Jaufrchan-celle. Le Plerin le soutient etlaide stendre.)


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ort et de ceux de la mer):

Comtesse, regardez!Au port, sur le quai, le navire !

Il est l! Il est l!

Ja'! Ja'! Ja'!Les plerins, les fanions, le navire !

Le troubadour !

L-bas, comtesse !

Le troubadour !

Au port, les croiss, le navire !

Lmina! Lmarkab !

Ja'! Ja'! Ja'!

Le troubadour !


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Il est l! Il est l!

CLMENCE (ayant fait taire toutce vacarme):

Ainsi, il est venu

L'insens!Il na pas voulu demeurer lombre

ointaine

L'trange histoire que lon colporte,a voix puissante que lon imite

Il ne sest pas content dtre pote

et troubadourIl est venu

L'insens.


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(La clameur reprend un moment,Clmence lcoute un peu, puis la faittaire.)

Ainsi, il est venu

L'insens!Le fou damour

Il a pris la mer

Pour me contempler telle que jesuis

Et pour que je le contemple de

oute sa taille dhommePour que je voie bouger ses lvresorsquelles parlent de moi.

Devrais-je me montrer attentive,


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flatte, reconnaissante ?

Ou bien rticente, et feindreindiffrence ?

Devrais-je demeurer lointaine,naccessible ?

Ou, au contraire, me montrerproche ?

Comment se serait comporte lafemme de ses chansons,

Celle quil appelle

Son amour de loin ?

Ainsi, il est venu

L'insens!

(La clameur du chur reprend une


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fois encore, brivement, masquant lesdernires paroles de la comtesse.Tandis que le Plerin arrive, dun pas

moins digne que dordinaire, etessouffl.)

LE PLERIN:

Noble dame, je vous apporte une

nouvelleUne nouvelle qui vous dplaira.

CLMENCE (simaginant quil

sapprte lui annoncer larrive duroubadour, elle se montre quelqueeu badine et enjoue):


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Il est tomb malade en mer, et nesest plus rveill. Il schappe horsde ce monde et vous seule pourriez

encore le retenir.CLMENCE :

O est-il ?

LE PLERIN:

Dans un moment, il sera ici.

CLMENCE (un peu rassure, etdj sur ses gardes):

S'il peut monter jusqu laCitadelle

C'est quil nest pas aussi mal quevous le dites.

LE PLERIN:


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Quatre hommes le portent sur unecivire,

Les voil, dailleurs, ils arrivent.

(Jaufr arrive effectivement, portpar quatre de ses compagnons. Il aperdu connaissance, mais sous leregard de Clmence, il reprendlentement ses esprits.)

JAUFR :

C'est vous, cest vous, cest vous

Je vous aurais reconnue entre touteses femmes.


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CLMENCE :

Mon Dieu!

JAUFR :Ne chuchotez pas, je nignore rien

de mon tat.

Les mdecins peuvent mentir pourrassurer le mourant

Les hoquets du cur ne mententpas.

CLMENCE (prenant sa maindans les siennes, et se voulantrassurante):

Il est possible que Notre Seigneurne veuille pas encore vous arracher


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ceux qui vous entourent.

JAUFR :

Nabusons pas des bonts du Ciel !Je lui ai demand la grce de vous

voir une fois avant de mourir, et vousvoil devant moi

La dernire image que je garderaide ce monde est celle de votre visageet de vos yeux qui membrassent.

La dernire voix que jauraientendue, cest la vtre, qui cherche mapaiser,

La dernire sensation de mon corpsde mortel, cest ma main puise quisendort dans le creux de la vtre.

Que demander de plus au Ciel?


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Mme si je vivais encore cent ans,comment pourrais-je connatre uneoie plus entire ?

LES COMPAGNONS ENCHUR :

Maudit soit lamour

Lorsquil nous fait mpriserexistence

Maudit soit lamour

Lorsquil trahit la vie et se faitalli de la mort.

JAUFR (qui se soulve de colre,uis retombe aussitt puis):


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Ne maudissez pas lamour,compagnons,

C'est lui qui nous donne nos joies

Pourquoi naurait-il pas le droit dees reprendre ?

Ce nest jamais lamour qui estndigne, cest nous qui sommes

parfois indignes de lamour.

Ce nest jamais lamour qui nous

rahit, cest nous qui trahissonsamour.

CLMENCE :

Jaurais tant voulu tre potessepour vous rpondre avec des mots


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aussi beaux que les vtres.

JAUFR :Vous tes la beaut et je ne suis que

tang o la beaut se mire...

CLMENCE :Il est une chose que je pensais

garder longtemps en moi,

Mais si je ne la disais pasaujourdhui mme, je crains de neplus jamais pouvoir vous la dire.

Vos chansons, je me les rcitais lesoir, toute seule, dans ma chambre,

Et je pleurais de bonheur.

JAUFR :


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Si mes chansons taient belles,cest parce que mon amour tait pur,et parce que lobjet de mon amour est

si beau.Mais vous tes encore mille fois

plus rayonnante et mille fois plus

douce que je ne limaginais. Siavais pu vous contempler, jauraisrouv des paroles bien plus belles, et

une musique qui pntre lme.

Et je vous aurais aime encoredavantage.

CLMENCE :

Moi aussi, si nous nous tionsrencontrs, je vous aurais aim.

JAUFR :


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Autant que je vous aime ?

CLMENCE :

Autant que vous maimez.JAUFR :

Vous auriez pu dire : je vous aime,

Jaufr ?

CLMENCE :

Jaurais pu dire : oui, je vous aime,Jaufr.

JAUFR (la tte en arrire, le

regard vers le ciel):Seigneur, pardonnez-moi, jai de

nouveau envie de vivre !


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(Il a une convulsion, et Clmence leprend dans ses bras.)

JAUFR :

Seigneur, si je pouvais rester ainsiquelques moments, quelques momentsde plus,

Si je pouvais revivre un peu, unpeu seulement.

Mon amour qui tait loin est

maintenant prs de moi, mon corps estdans ses bras et je respire le parfume plus doux.

Si la mort pouvait attendre au-


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dehors au lieu de me secouer ainsi,mpatiente.

LE PLERIN:

Mais si la mort ntait pas aussiproche, Jaufr,

La femme que tu aimes ne seraitpas en cet instant auprs de toi, enlacer.

L'air que tu respires ne serait pas

mprgn de son parfum,Et elle ne taurait pas dit je

aime, Jaufr.

CLMENCE :

Je taime, Jaufr, et je voudrais tant


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que tu vives.

JAUFR :

Si jamais le Ciel me gurissait,Me prendrais-tu par la main pour

me conduire jusqu ta chambre ?

CLMENCE :Oui, Jaufr, si le Ciel dans sa bont

voulait bien te gurir, je te prendraispar la main pour te conduire jusquma chambre.

JAUFR :Et je mtendrais prs de toi ?

CLMENCE :

Et tu ttendrais prs de moi...


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JAUFR :

Et tu poserais la tte sur monpaule ?

CLMENCE :Ma tte sur ton paule...

JAUFR :

Ton visage tourn vers le mien, tes

vres prs des miennes...CLMENCE :

Mes lvres prs des tiennes...


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(Leurs lvres se frlent.)

JAUFR :En cet instant, jai tout ce que je

dsire.

Que demander encore la vie ?

(Son corps se ramollit et saffaisse.

Il ne bouge plus. Clmence demeureun moment contre lui, la tte posesur son paule. Puis elle se lve pourune prire.)

CLMENCE (accompagne


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certains moments par le churrassembl):

Jespre encore, mon Dieu,espre encore.

Les anciennes divinits pouvaienttre cruelles, mais pas toi, pas toi,mon Dieu,

Tu es bont et compassion, tu esmisricorde

Jespre encore, mon Dieu,espre encore (chur).

Ce mortel ne porte dans son curque lamour le plus pur,

Il fait offrande de sa vie une


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nconnue lointaine et se contentedobtenir en change un sourire

Il remercie le Ciel du peu quon luiaccorde, et ne demande rien.

Si avec un tre tel que lui, tu nespas gnreux, Seigneur, avec qui le

seras-tu ?

(Le Plerin, pendant ce temps, se

penche sur Jaufr, pour dcouvrirquil ne respire plus. A Clmence quilinterroge du regard, il fait signeque tout est fini. Elle se penche alors

au-dessus de son amoureux et se met le caresser comme un enfantendormi. Peu peu, sa tristesse cdela place la rage, la rvolte. Elle

se lve et lance vers le Ciel un poing


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vengeur.)

CLMENCE :

Javais cru en toi, javais espr,

mon DieuQuavec un tre si gnreux tu te

montrerais plus gnreux encore,

Javais cru en toi, javais espr,mon Dieu

Quavec un tre aussi aimant tu te

montrerais plus capable damourencore

Que tu nous accorderais un instant,

uste un instant de vrai bonheur


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Sans souffrance, sans maladie, sansa mort qui sapproche

Un court moment de bonheursimple, tait-ce trop ?

LE CHUR RASSEMBL :Tais-toi, femme, ta passion tgare

Tais-toi, femme, silence !

CLMENCE :De quoi as-tu voulu le punir ?

De mavoir appele desse ?

De stre prtendu crois, commesil partait se battre contre lesnfidles, alors que cest moi quil

venait retrouver ?


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Se pourrait-il que tu sois jaloux dufragile bonheur des hommes ?

LE CHUR RASSEMBL :

Tais-toi, femme, ta passion tgare


LE CHUR DESTRIPOLITAINES :

Voudrais-tu attirer sur notre ville lemalheur et la maldiction ?

Voudrais-tu que la mer se dchane,

que les vagues sautent par-dessus lesmurailles pour engloutir nos maisonset noyer nos enfants ?

LES COMPAGNONS EN


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CHUR :

Voudrais-tu attirer sur nous tous lechtiment de Dieu ?

Pour quIl nous abandonne en

pleine mer quand la tempte ferarage ?

Pour quIl nous abandonne enpleine bataille quand nos ennemisseront lancs contre nous ?

LE CHUR RASSEMBL :

Tais-toi, femme, ta passion tgare


CLMENCE (errant sur scne


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dans son ample robe blanche commeun voilier malmen par le vent):

Jaufr croyait venir vers moi, et il arencontr la Mort.

Se peut-il que ma beaut soitappt de la Mort ?

Il a cru voir en moi la Clart, et jentais que la gardienne desTnbres !

Comment pourrais-je encoreaimer ?

Comment pourrais-je dvoiler moncorps?

Ouvrir mon sein au regard dun


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amant?

LE PLERIN (affect par le sortde son ami, mais plus retenu queClmence, il manifeste lui aussi sonremords. Ce nest pas un dialogue,ce sont deux monologues parallles,

es yeux au ciel):

Et moi, Seigneur, pourquoi mas-Tu

choisi pour cette tche ?Dune rive lautre, dune

confidence lautre,

Je croyais tisser les fils blancsdune robe de marie,

A mon insu je tissais ltoffe dun

inceul !


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(Il sloigne comme un ange dchu,ou bien simmobilise comme une

statue de sel.)

CLMENCE :

Je ne mrite plus dtre aime

Je ne mrite plus dtre chante parun pote

Ni serre contre une pauledhomme, ni caresse.

Demain, aprs les funrailles, jeprendrai le deuil.

Je porterai une robe de laine


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paisse et jirai me cacher

Sous le toit dun couvent

Do je ne sortirai plus ni vivanteni morte.

Je suis veuve dun homme qui nema pas connue

Et jamais aucun homme ne creuseramon lit.

(Comme si elle tait dj aucouvent, elle sagenouille, et se met

prier, dabord en silence, puis voix

haute, tourne vers le corps inerte deson amant, qui apparat comme unautel, si bien quon ne sait pas trop sicest lui quelle prie ou le Dieu

contre lequel elle stait rvolte.


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Dautant que les paroles quelleprononce sont ambigus.)

CLMENCE :

Si tu tappelles Amour je nadoreque toi, Seigneur

Si tu tappelles Bont je nadore

que toi,Si tu tappelles Pardon je nadore

que toi, Seigneur,

Si tu tappelles Passion, je nadoreque toi.

Ma prire slve vers toi qui es sioin de moi maintenant,


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Vers toi qui es si loin

Pardonne-moi davoir dout de tonamour,

Pardonne-moi davoir dout deoi !

Toi qui as donn ta vie pour moi

Pardonne-moi davoir dout de tonamour,

Pardonne-moi dtre reste siointaine

A prsent cest toi qui es loin

Es-tu encore l pour couter maprire ?

A prsent cest toi qui es loin

A prsent cest toi lamour de loin


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Seigneur, Seigneur, cest toiamour,

C'est toi lamour de loin...

(Rideau)