1
Pôle d’enseignement supérieur de la musique
Seine Saint Denis – Ile de France
dit « Pôle Sup'93 »
CHARLOTTE LAYEC
LES ENJEUX DES PIECES PEDAGOGIQUES
CONTEMPORAINES
DANS L’APPRENTISSAGE DE LA CLARINETTE
AU CYCLE I
Mémoire de 2ème année
Diplôme d’Etat de professeur de clarinette
présenté sous la direction de
PIERRE DUTRIEU
Juin 2015
2
ENGAGEMENT RELATIF AU PLAGIAT
Je soussigné(e), Charlotte LAYEC,
Certifie qu’il s’agit d’un travail original et que toutes les sources utilisées ont été indiquées dans
leur totalité. Je certifie, de surcroît, que je n’ai ni recopié ni utilisé des idées ou des formulations
tirées d’un ouvrage, article ou mémoire, en version imprimée ou électronique, sans mentionner
précisément leur origine et que les citations intégrales sont signalées entre guillemets.
Signature :
3
REMERCIEMENTS
Je souhaite dans un premier temps remercier tout particulièrement mon directeur de
mémoire, Pierre DUTRIEU compositeur et professeur de clarinette au CRR de Cergy-Pontoise
avec qui les nombreux échanges et le partage de divers points ont contribués à la pertinence de
ma réflexion sur le sujet de ce mémoire. Je le remercie aussi pour avoir organisé ma rencontre
avec Claude CROUSIER.
Merci à Claude CROUSIER compositeur, écrivain et professeur de clarinette au CRR
de Nice, pour m’avoir consacré un temps précieux lors de notre entretien et pour avoir répondu
à mes questions. Cet échange fut déterminant dans mes recherches concernant la problématique
de ce mémoire.
4
TABLE DES MATIERES
ENGAGEMENT RELATIF AU PLAGIAT ........................................................................................2
REMERCIEMENTS ...........................................................................................................................3
INTRODUCTION ..............................................................................................................................5
I LA « PIECE PEDAGOGIQUE » .....................................................................................................7
a) Recherche de définition .........................................................................................................7
b) Historique ..............................................................................................................................8
c) Tentative de définition......................................................................................................... 10
II DES LIENS ENTRE LE SNOP ET LE REPERTOIRE PEDAGOGIQUE CONTEMPORAIN DE
LA CLARINETTE AU PREMIER CYCLE ...................................................................................... 13
a) Le développement de la curiosité ........................................................................................ 13
b) L’approche sensorielle et corporelle ................................................................................... 14
c) La construction de la motivation ........................................................................................ 17
III ANALYSE APPLIQUEE : « LES CORDES SENSIBLES » PIERRE DUTRIEU, avril 2009 .... 19
a) La partition contemporaine ................................................................................................ 19
b) Les différents modes de jeu utilisés ..................................................................................... 21
c) Une notion de transversalité................................................................................................ 23
CONCLUSION ................................................................................................................................ 27
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................ 29
5
INTRODUCTION
Le climat actuel de la pédagogie musicale, en France, et notamment de la pédagogie
instrumentale, veut promouvoir des méthodes nouvelles d’enseignement1. En mettant, entre
autre, l’accent sur le développement de la pédagogie de groupe, sur la transversalité artistique,
sur le renforcement de la culture musicale, sur les démarches d’inventions, l’enseignant
privilégie le propre développement de la personnalité musicale et artistique de chaque élève.
De plus, il l’incite à définir, petit à petit, les motivations qui lui sont propres et qui vont
caractériser son choix d’avoir commencé et de poursuivre volontairement sa pratique musicale.
Si dans Le Schéma National d’Orientation Pédagogique de Musique d’avril 2008 de
telles directives se trouvent à l’honneur, qu’en est-il du répertoire contemporain associé à
l’enseignement, aujourd’hui ? Et plus spécifiquement, quels sont les enjeux associés au
répertoire pédagogique contemporain, pour l’enseignement de la clarinette ?
Je tiens à souligner le fait que j’entends par « répertoire pédagogique contemporain »,
uniquement les pièces écrites depuis ces dix dernières années qui se réfèrent aux langages et
aux apports hérités du XXème siècle et à leurs répercussions actuelles, dans l’écriture même.
Cela étant, je n’inclue pas les méthodes. De plus, je souhaite orienter ce mémoire autour de
l’enseignement de la clarinette, au premier cycle. Afin de formuler plus spécifiquement mon
propos, je m’engage donc à réagir à la question suivante : « Quels sont les enjeux des pièces
pédagogiques contemporaines pour l’enseignement de la clarinette, au premier cycle ? »
A partir de conférence, de colloque, d’interview, de lectures d’articles, de livres, et de
diverses discussions, j’ai rassemblé plusieurs réponses, réactions, ouvertures et parfois même,
d’autres questionnements ou ambiguïtés caractéristiques de mon sujet. Pour mener à bien la
progression de ma réflexion, il m’est apparu absolument nécessaire de chercher à les
approfondir et à les élucider.
Dans un premier temps, nous commencerons par chercher une définition de ce que l’on
appelle une « pièce pédagogique ». Dans une deuxième partie, nous irons nous intéresser aux
liens qui existent entre le Schéma National d’Orientation Pédagogique de Musique d’avril 2008
et le répertoire pédagogique contemporain de la clarinette au premier cycle. Enfin, l’analyse
1 Schéma National d’Orientation Pédagogique de Musique, avril 2008
6
appliquée à un cours de clarinette, d’une pièce pédagogique « Les Cordes sensibles » de Pierre
DUTRIEU, servira de support à notre dernière partie, et viendra nourrir notre réflexion sur
l’enseignement du répertoire contemporain.
7
I LA « PIECE PEDAGOGIQUE »
Avant de commencer toute réflexion, il me parait important de comprendre ce qu’on
entend par « pièce pédagogique », puis d’en retracer brièvement l’historique afin de définir, en
toute connaissance de cause, une définition.
a) Recherche de définition
Au fil de mes recherches, j’ai découvert qu’il n’existait pas, au sens propre du terme, de
définition de ce qu’est une « pièce pédagogique ». Alors qu’il nous semble courant et commun
d’utiliser cette expression lors d’échanges verbaux ou écrits, aucun dictionnaire, pourtant
spécialisé dans le domaine musical, ne reconnait ni ne fixe de définition à ce sujet. Qui plus est,
le « Dictionnaire pratique et historique de la musique » de Michel BRENET (1926), fait un
amalgame conséquent et établit une corrélation directe entre le terme « pièce pédagogique » et
le terme « étude ».
En effet, la définition d’une « pièce pédagogique » dans ce dictionnaire, nous ramène
directement à la définition d’une « étude » : « Pièce de musique vocale ou instrumentale
composée en vue de l’enseignement et dans laquelle un exercice d’exécution se trouve présenté
sous un aspect artistique. »
Pour aller dans ce sens, le terme « étude », dans le « Dictionnaire de la musique »
LAROUSSE, 2005, adopte la définition suivante : « Mot désignant, dans la tradition
occidentale, un genre musical représenté par des pièces à vocation didactique, généralement
destinées à un instrument soliste. Elles sont plutôt courtes et groupées en recueils (souvent par
6, 12 ou 24), et explore un problème spécifique de technique musicale. Il s’agit le plus souvent
de technique d’exécution instrumentale, parfois aussi de technique d’écriture. »
S’il est clairement convenu qu’une « étude », au sens musical, induit des enjeux
pédagogiques propres et s’apparente à une « pièce pédagogique », cela ne réduit pas la « pièce
pédagogique » à une « étude ». Pour essayer de mieux comprendre cet amalgame, nous allons
retracer brièvement l’historique de l’« étude » et son évolution2.
2 Dictionnaire de la musique » LAROUSSE, 2005, article : étude
8
b) Historique
Depuis la musique ancienne et baroque, il existe bon nombre de recueils didactiques
destinés à faire assimiler la technique d’un instrument soliste comme le clavecin ou l’orgue. On
trouve notamment les « Lessons » de PURCELL (1696) ou HAENDEL (1720). Nous avons
aussi les très nombreuses « pièces pédagogiques » de Jean-Sébastien BACH, avec les
« Inventions et sinfonias », où il explique clairement ses intentions pédagogiques dans la
préface. De plus, la finalité d’apprentissage explicite que l’on retrouve dans « Le clavier bien
tempéré » permit à ses élèves d’apprendre à improviser (prélude) et à structurer leur pensée
(fugue). Cela étant, chez BACH, les « pièces pédagogiques » ne sont pas centrées sur des
problèmes précis de technique pure, mais veulent faire assimiler le langage musical en même
temps que le mécanisme instrumental.
C’est réellement au XIXe siècle que le genre de l’« étude » prend tout son essor. Le
développement des factures et des techniques instrumentales suscite l’intérêt des compositeurs.
Une floraison de multiples recueils d’études voit le jour, explorant les difficultés spécifiques
des instruments (gammes, arpèges, trilles, octaves …). Il arrive même que certaines études pour
piano soient de purs exercices digitaux, certes avec un enjeu pédagogique mais sans ambition
musicale (CZERNY, opus 599). Les « Technische Studien » 1886, de Franz LISZT sont des
exercices purement techniques, destinés à des niveaux avancés mais dont l’intérêt pédagogique
reste premier. Avec Liszt, la didactique du clavier s’oriente désormais vers le développement
du « geste en soi ». Le but pédagogique est de réussir à exploiter au maximum le champ des
possibilités gestuelles élémentaires du langage pianistique chez l’élève.
Parallèlement, PAGANINI explose la vocation pédagogique de l’« étude » à usage
purement domestique et privé. Avec ses « 24 Caprices » pour violon, l’« étude » devient un
véritable morceau de bravoure, à destination des concerts. Ses solos fascinent LISZT,
HUMMEL, CHOPIN, et leur inspirent de multiples transcriptions, adaptations, variations pour
le piano, qui sont autant d’« études » : les « 6 Études d’après Paganini » de LISZT (1838), les
« 24 Études » de CHOPIN (1830), …
Au XXe, la recherche de virtuosité digitale ayant été « saturée », les compositeurs
modernes cherchent du nouveau du côté des sonorités, des attaques, des timbres, plutôt que du
côté de la rapidité des traits et on retrouve cette exploration dans le genre de l’« étude ». Chez
Béla BARTOK avec « Mikrokosmos » (1926-1939), on retrouve une méthode de piano allant
du très facile vers le moyennement difficile, initiant aussi bien à une écriture nouvelle (rythmes
impairs, chromatismes) qu’aux techniques nouvelles qu’elle entraîne. Avec les « 4 Études de
9
rythme » (1949) d’Olivier MESSIAEN, dont le célèbre « Modes de valeurs et d’intensité », c’est
la recherche de langage, construite sur le papier, qui prédomine.
Beaucoup plus récemment, dans les musiques concrète, électronique et
électroacoustique, on ne s’étonnera pas que foisonnent les « études » destinées soit, pour le
compositeur, à assimiler les techniques du studio, soit à explorer systématiquement des
traitements de sons, des caractères sonores, des sources, des modes d’assemblage de sons, etc :
« Études pathétique, aux objets » 1959, de Pierre Schaeffer, « Studie 1 et 2 » 1953, de
Stockhausen, « Mouvement-Rythme-Étude » 1970, de Pierre Henry.
Aujourd’hui, je crois qu’il existe une confusion entre l’« étude » au sens « exercice
technique dénué de sens musical » et l’« étude » au sens « pièce de concert, pièce de répertoire
». Cela provient à première vue de notre héritage du XIXe. Si cette interrogation est nécessaire
pour la bonne poursuite de notre réflexion et mériterait d’être plus approfondie, j’ai conscience
qu’elle nous déroute, quelque peu, de notre problématique principale. Soulignons simplement
que dans les deux cas, ces pièces ont des enjeux pédagogiques similaires, car elles sont
composées dans l’optique d’un enseignement. Ce sont uniquement leurs objectifs, leurs
perspectives finales qui diffèrent. L’une se veut didactique en instaurant une technique
instrumentale strictement mécanique, où l’absence de musicalité est parfois totale, et l’autre se
veut pédagogique en transcendant les limites de la virtuosité et est destinée à une représentation
publique.
Tout cela vient ensuite altérer la réflexion et la conception actuelle que certains
musiciens, compositeurs ou pédagogues peuvent avoir sur l’identité d’une « pièce
pédagogique » aujourd’hui.
En effet, cela me fait soulever beaucoup de questions : Est-ce qu’une pièce pédagogique
est un simple exercice technique ? Doit-elle faire abstraction d’un geste ou d’une intention
musicale ? Est-ce qu’une composition ayant pour but l’enseignement est une « sous-
composition » ? Est-ce qu’une pièce composée en vue d’un concert peut être une pièce
pédagogique ? Est-ce qu’un morceau pédagogique peut faire partie du répertoire de
l’instrument ?etc. Finalement, j’en reviens à me demander : « Qu’est-ce qu’une pièce
pédagogique ? »
On comprend mieux maintenant l’enjeux qui nous fait prendre conscience de
l’importance de clarifier et d’essayer de définir le mieux possible ce que l’on entend par « pièce
pédagogique », afin de permettre le bon déroulement de la pensée de ce mémoire.
10
c) Tentative de définition
Il semble préférable de préciser un point important quant au fait d’associer la définition
d’une « pièce pédagogique » à la définition d’une « étude », comme nous avons pu le constater
dans certains dictionnaires de la musique.
De nos jours, la notion d’« étude » destinée à l’élève musicien est tombée dans un
discrédit relatif. Je pense qu’une « étude » est en effet une « pièce pédagogique », mais qu’une
« pièce pédagogique » n’est pas forcément une « étude ». Si l’on considère aujourd’hui qu’une
« pièce pédagogique » s’apparente à la définition et poursuit l’héritage du XIXe de ce que l’on
appelle « étude », je crois que l’on passe à côté des principes fondamentaux vers lesquels se
tourne l’enseignement de la musique, actuellement. La méthode des longs exercices vides de
sens musical ou celle des grands morceaux de bravoure digitale n’est plus la mieux appropriée
face à l’évolution et l’ouverture d’esprit dont s’enrichie la pédagogie musicale d’aujourd’hui,
surtout lorsqu’il s’agit des élèves débutants.
Nous nous apprêtons maintenant à donner une définition et un sens commun au terme
« pièce pédagogique » :
Une « pièce pédagogique » est directement associée à l’enseignement. Ce que nous
entendons par là, c’est qu’il s’agit d’une pièce composée dans le but de répondre aux besoins
spécifiques que nécessite l’apprentissage de la musique au moyen d’un instrument. Les pièces
pensées et composées en vue de l’enseignement peuvent concerner tous les niveaux d’exécution
instrumentale, du débutant à l’expert.
La « pièce pédagogique » est donc un morceau adapté à une ou plusieurs difficultés
singulières, d’ordre technique et musical. Elle peut tout aussi bien servir les objectifs propres
des différents cycles instrumentaux, ou cibler un aspect spécifique de la réalisation
instrumentale dans le but de faire progresser l’élève, de l’amener à une meilleure maitrise de
son instrument.
En aucun cas la « pièce pédagogique » ne se résume à l’écriture d’un « exercice », car
elle doit posséder une identité musicale et être le reflet d’une expression artistique. Ici, nous
allons rejoindre la pensée d’Yves NAT (1890-1956), compositeur et professeur de piano au
CNSM de Paris entre 1935 et 1956 : « les exercices qui peuvent et doivent être fait en marge
11
de toute idée de musique chaque matin, comme ceux que devraient faire les êtres humains avant
d’aller vivre, n’ont rien à voir avec la technique d’un art. »3
Pour venir compléter cette définition, nous rajoutons qu’une « pièce pédagogique » peut,
pour ne pas dire doit, être dotée d’une écriture compositionnelle qualitative.
En effet, pour écrire une « pièce pédagogique », le compositeur doit s’adapter à son
interprète. Cela ne signifie pas qu’il doit adapter son langage, au sens de restreindre les procédés
compositionnels qui définissent son écriture propre. En fait, il doit fixer les intérêts et les
objectifs pédagogiques de sa pièce. « Il construit son cahier des charges »4, tel que me l’a énoncé
Claude CROUSIER, avec lequel il cherche à écrire sa musique, au même titre que n’importe
quelle autre composition, sauf qu’ici elle est d’abord orientée et destinée à l’enseignement.
Pour venir contredire les arguments de certains compositeurs actuels quant à leur refus
volontaires de ne pas vouloir composer de « pièces pédagogiques », je vais m’appuyer sur
les « Játékok » 1979 de Gyorgy KURTAG. Ces petites pièces pédagogiques pour le piano sont
la quintessence de la réflexion musicale de KURTAG. On y trouve toutes les marques
stylistiques qui signent les autres pièces de son œuvre, toutes ses tournures caractéristiques,
tous ses fondements gestuels, tant dans l'univers mélodique que dans le travail de la forme. Il
s'agit d'un véritable journal de compositeur : une collection d'idées, d'essais, de variantes, mais
aussi de réflexions sur la musique populaire. On y rencontre également des références
importantes à d'autres pièces de KURTAG, notamment dans la pièce emblématique
de « L'Homme est une fleur ».5
En plus d’avoir une écriture compositionnelle qualitative musicalement, une « pièce
pédagogique » peut faire partie du répertoire d’un instrument, être jouée et très appréciée lors
des concerts.
On l’a montré plus haut, les « 24 Études » pour piano de CHOPIN ou bien, les « 24
Caprices » pour violon de PAGANINI, s’inscrivent complètement dans le répertoire propre de
leur instrument. De la même manière, certaines « pièces pédagogiques » sont encore
aujourd’hui des modèles sur le plan compositionnel et font partie intégrante du répertoire
3 « Yves NAT, du pianiste compositeur au poète pédagogue » de Claude JOUHANNA, Ed. L’HARMATTAN, Coll. UNVIVERS MUSICAL, 2005, page 89 4 Citation Claude Crousier, lors de mon entretien du 25 mars 2015 5 http://brahms.ircam.fr/works/work/9775/
12
comme « Le clavier bien tempéré » de BACH. En ce qui concerne le répertoire de la clarinette,
la « Rapsodie pour clarinette » 1910, de DEBUSSY, est un morceau pédagogique commandé
par le Conservatoire National Supérieur de Musique. Cette pièce est régulièrement jouée en
concert et fait partie du répertoire phare de la clarinette.
Même si l’on oublie parfois les raisons ou les motivations premières qui sont inscrites
au cœur de l’élan compositionnel de certaines pièces pédagogiques, et ce peut être dû à la qualité
de leur écriture ou à l’engouement de leur succès sur la scène, il n’en reste pas moins qu’elles
sont, au premier abord, destinées à un enseignement spécifique de la musique et qu’elles font
partie de ce que l’on nomme, en toute connaissance de cause, des « pièces pédagogiques ».
13
II DES LIENS ENTRE LE SNOP6 ET LE
REPERTOIRE PEDAGOGIQUE CONTEMPORAIN
DE LA CLARINETTE AU PREMIER CYCLE
Le Schéma National d’Orientation Pédagogique de Musique d’avril 2008 met l’accent
sur divers points fondamentaux permettant ainsi de clarifier un « socle commun de
connaissances ». « Pour le 1er cycle, les contenus et démarches de ce cursus privilégient
l'approche sensorielle et corporelle, le développement de la curiosité, la construction de la
motivation. Ils mettent en œuvre les bases de la pratique individuelle et collective,
accompagnées des repères d'écoute, du vocabulaire et des connaissances adaptés à l’âge des
élèves. »7
Concernant l’enseignement de la clarinette, et spécifiquement son enseignement au
premier cycle, comment le répertoire pédagogique contemporain participe à la concrétisation
des objectifs admis dans ce schéma ?
a) Le développement de la curiosité
Un des grands axes du SNOP de Musique est « d’encourager l’ouverture d’esprit, la
curiosité, le besoin de découverte »8.
Lors de mon entretien avec Claude CROUSIER, celui-ci me disait : « Il y a des élèves
qui ne feront que quatre ans de clarinette donc notre but c’est qu’ils aient vu, entendu et essayé
le plus de choses possibles […] Une de nos priorités c’est que leurs oreilles soient un peu
éduquées, au moins musicalement. »9
Si nous nous intéressons au répertoire pédagogique contemporain de la clarinette pour
le premier cycle, nous sommes complètement en mesure de satisfaire ce premier point.
6 Schéma National d’Orientation Pédagogique de Musique, avril 2008 7 Schéma National d’Orientation Pédagogique de Musique, avril 2008 8 Introduction commune à l'enseignement initial de la musique, de la danse et de l'art dramatique-enjeux artistique 9 Interview du mercredi 25 mars 2015 - Claude CROUSIER - CRR de Cergy-Pontoise
14
Par exemple, le recueil de « Pièces Contemporaines » dirigé par Aude RICHARD-
CAMUS édité en 2008, rassemble un ensemble de morceaux pédagogiques composés
spécialement pour l’édition de ce recueil. Cet ouvrage unique contient une grande diversité
d’approches musicales affectées à l’apprentissage de la clarinette.
On y trouve entre autres, une pièce de Claude CROUSIER « Broussailles »10, pour
demie-clarinette et accompagnement de boîtes à musique. Cette pièce peut être jouée en premier
cycle. L’aspect ludique qu’engendre le fait de jouer sur une demie-clarinette participe
complètement à l’éveil de la curiosité de l’élève et à son ouverture d’esprit sur les différentes
esthétiques musicales. De plus, mais cela est non-exhaustif, le prolongement esthétique
qu’engendre le son de la demie-clarinette, peut nous amener à parler de la clarinette turque car
les sonorités modales s’en rapprochent.
L’initiative entreprise par Aude RICHARD-CAMUS dans ce recueil vient aussi
souligner un enjeu artistique que l’on retrouve dans l’Introduction commune à l'enseignement
initial de la musique, de la danse et de l'art dramatique du SNOP, à savoir : « relier les
démarches de création et d’appropriation d’un patrimoine ».
En effet, toutes les pièces répertoriées dans cet ouvrage ont été écrites il y a peu d’années
par des compositeurs vivants. Cette distinction, par rapport à d’autres morceaux plus anciens,
suscite un fort intérêt de la part des élèves. Au-delà de l’enseignement spécifique et élémentaire
de la clarinette, ils prennent conscience de leur rôle de musicien et de leur qualité d’interprète
face à une œuvre musicale de leur époque.
Parallèlement, nous pouvons établir un lien et amorcer un travail avec les élèves, sur les
notions de styles musicaux auxquels appartiennent certaines œuvres plus anciennes et sur
l’importance de respecter ces différentes esthétiques musicales même si nous n’avons plus
d’échanges avec les personnes qui les ont composées.
b) L’approche sensorielle et corporelle
« Il est bon de laisser aux élèves tout le temps nécessaire pour qualifier ce qu’ils
ressentent. C’est ainsi que s’éveillent tout naturellement les associations de sensations, de
souvenirs, puis les associations d’idées et les métaphores. »11
10 Annexe 1 11 « Principes fondamentaux d’éducation musicale et appliquée » Maurice MARTENOT – article : éveil des associations sensorielles
15
La musique contemporaine associée à la pédagogie est un excellent moyen pour inciter
l’élève débutant à explorer son instrument sous de multiples aspects. Sur ce point, Claude
CROUSIER était intransigeant : « Oui, il faut initier le premier cycle à la musique
contemporaine, et même avant ! Le plus tôt possible est le mieux car ça évite qu’il se referme
mentalement et corporellement après ».12
En ce sens, Claude CROUSIER insinue que plus on tarde l’initiation d’un élève à
l’esthétique musicale contemporaine, plus il est difficile de lui faire découvrir cet univers et ces
spécificités sonores et expressives, par la suite. L’enfant est naturellement ouvert, curieux, à
l’affut de savoir et de connaissances nouvelles et plutôt centré sur ses sensations. Il est donc
relativement aisé de lui faire découvrir et apprécier les champs musicaux contemporains, sans
qu’il ait de préjugés. L’adolescence, qui équivaut aux deuxième et troisième cycles, est une
période délicate que l’enfance et il est plus compliqué mais pas impossible d’entamer une
initiation à la musique contemporaine. Dans un cas, cette démarche d’initiation n’aboutit pas à
des conclusions satisfaisantes et dans le second cas, l’élève adolescent regrette de ne pas avoir
pu découvrir cette musique plus tôt dans son apprentissage.
Nous comprenons mieux pourquoi il est important de fournir les clés d’une approche
sensorielle et du ressenti corporel que l’on retrouve dans la musique contemporaine, dès les
débuts de l’apprentissage de la musique.
Par exemple, nous pouvons développer chez l’élève son attention sur les diverses
possibilités de textures sonores qui existent et/ou qu'il peut créer avec sa clarinette, au moyen
de pièces pédagogiques contemporaines.
Pour appuyer cet exemple, nous citons la pièce « Magnétique »13 de Grégoire
LORIEUX, composée en 2013, qui fait partie d’un cycle de pièces pédagogiques mixtes appelé
« études électriques », écrites pour et avec un instrumentiste de 4 ou 5 ans d’apprentissage, en
collaboration avec son professeur.
A l’initiative de ce projet, il y a eu la collaboration entre un compositeur, Grégoire
LORIEUX, travaillant au département pédagogie de l’IRCAM et un conservatoire, le CRD du
Blanc-Mesnil.
12 Interview du mercredi 25 mars 2015 - Claude CROUSIER - CRR de Cergy-Pontoise 13 Annexe 2
16
Cette pièce pédagogique fait découvrir à l’élève clarinettiste l’univers de l’électronique
musicale comme le préconise le SNOP : « les techniques du son font ou peuvent faire l’objet
d’une initiation dès le 1er cycle. »14.
Il est important, pour les jeunes musiciens, de connaître l’existence du jeu mixte, avec
l’électronique en temps-réel, ou mieux, de l’intégrer à la palette de leurs pratiques. En effet,
pour un auditeur, cela renouvelle l’attitude de l’écoute habituelle de l’instrument et pour le
musicien, outre ce travail d’écoute, cela élargie en temps-réel les possibilités du prolongement
de la sonorité, du geste instrumental.
L’idée de ces pièces n’est pas seulement d’introduire les jeunes musiciens au jeu avec
électronique en temps-réel, mais avant tout d’en explorer les vertus pédagogiques. Les
interactions avec l’ordinateur sont pensées pour pouvoir aider le musicien à travailler certains
aspects du jeu instrumental (justesse, mise en place, sonorité...). En effet, pour chaque étude,
Grégoire LORIEUX a élaboré des « exercices », appelés « interactions » qui isolent certaines
situations musicales rencontrées dans ses pièces. Cette initiative permet à l’élève de travailler
de manière ludique, tout en se focalisant sur des problématiques instrumentales précises. Par
exemple, les exercices préliminaires à la pièce pour clarinette et électronique « Magnétique »
développent le détaché, l’apparition et le déploiement du son, la justesse …
Les vertus musicales de cette pièce pédagogique sont multiples : le jeu du clarinettiste
avec l’électronique s'apparente en quelque sorte, à de la « musique de chambre soliste ». En
effet, il ne s’agit ni d’un solo, ni d’un échange musical avec des élèves du même niveau que lui
ou avec un accompagnateur bienveillant. « Magnétique » permet réellement une mise en
perspective du propre jeu de l’élève, pour lui-même. Elle fait appel de façon constante à son
écoute, à son attention et l’incite à trouver un équilibre avec lui-même. La conscience musicale
du jeune musicien est alors affinée, au même titre que son ressenti corporel, et il développe sa
confiance en lui.
De plus, l’élève, dès ses premières années d’apprentissage de la clarinette, joue une
œuvre adaptée à son niveau instrumental et à sa sensibilité musicale, tout en se familiarisant au
vocabulaire et au rendu acoustique de la musique mixte.
14 Schéma National d’Orientation Pédagogique page 3
17
Il est peut-être souhaitable qu’à l’avenir l’électronique soit intégrée au cadre de
l'enseignement de la musique dès les débuts de l’apprentissage musical ? Au fond, le jeu mixte
est une situation aussi riche qu’un accompagnement piano ou que le jeu en ensemble …
c) La construction de la motivation
Réussir à bâtir les fondations d’une motivation durable chez les élèves est un enjeu
primordial qu’on retrouve dans le Schéma National d’Orientation de Musique d’avril 2008. Le
répertoire pédagogique contemporain a les moyens de subvenir à cet objectif notamment car il
peut amener les élèves à créer un nouveau rapport face à leur instrument.
Dans certaines pièces pédagogiques contemporaines, les jeunes musiciens vont ainsi
être amenés à développer une certaine autonomie, tant dans leur pensée musicale (leur
imaginaire), que dans la réalisation technique (improvisation) qui vient compléter et enrichir
l'enseignement initial inculqué par leur professeur.
Pour exemple, nous prendrons appuis sur la pièce pédagogique de Claude Henry
JOUBERT intitulée « On a caché le vase de soisson ! »15 et composée en 2013. Elle fait le lien
entre la construction d’un imaginaire, initié par la pièce elle-même, et une partie improvisée.
En effet, ce morceau très ludique est composé et conceptualisé comme une énigme policière,
où le musicien désigne le coupable de manière « autonome », à la fin (partie improvisée).
Concrètement, cette pièce pédagogique est un duo élève-professeur, destinée à une fin de
premier cycle. Les enjeux pédagogiques techniques et musicaux sont clairs et la motivation
qu’elle suscite chez l’élève pour y arriver est réelle. Chaque thème de la pièce (représentant les
cinq protagonistes de l’enquête) a ses propriétés et un caractère bien distinct qui amène l’élève
à clarifier son discours musical.
De plus, cette pièce initie l’élève à la composition…… En ce sens cette pièce
pédagogique participe à une recommandation du SNOP : « l’écriture-composition [… fait ou
peut] faire l’objet d’une initiation dès le 1er cycle »16
Avec cette pièce nous mettons en évidence les atouts du répertoire pédagogique
contemporain, à savoir qu’il est un outil non négligeable pour susciter, entretenir voir même
accroître la motivation de l’élève. Concernant le premier cycle, cette motivation est un enjeu
15 Annexe 3 16 Schéma National d’Orientation Pédagogique page 3
18
phare du SNOP puisque c’est elle qui va venir caractériser et réaffirmer le choix de l’élève de
poursuivre sa pratique de la clarinette.
Les diverses morceaux pédagogiques présentées ici viennent cautionner l’idée que la
musique contemporaine est accessible dès les premières années d’apprentissage de
l’instrument. Avec de plus en plus de pièces contemporaines composées dans un but
pédagogique, un nouvel équilibre peut être trouvé. En effet, elles sont complémentaires au bon
essor de l’enseignement de la clarinette et au bon développement de l’élève musicien, dans le
sens où elles enrichissent par leurs apports spécifiques, le répertoire pédagogique traditionnel.
Elles répondent en partie aux objectifs du SNOP et au besoin de découverte de l’élève débutant,
à savoir le développement de sa curiosité, de son ouverture d’esprit, sensorielle et corporelle,
de son intérêt personnel et de sa motivation, de son rôle, avec les responsabilités que cela
signifie (respect de l’œuvre, du texte, du style), de son autonomie … Avec un répertoire
pédagogique incluant des pièces contemporaines venant s’ajouter au répertoire traditionnel, les
élèves de premier cycle ont toutes les clés pour sauvegarder et réaffirmer leurs motivations pour
continuer leur pratique.
19
III ANALYSE APPLIQUEE :
« LES CORDES SENSIBLES »17
PIERRE DUTRIEU, avril 2009
Pour apporter une réponse effective à notre problématique initiale « quels sont les enjeux
des pièces pédagogiques contemporaines pour l’apprentissage de la clarinette au cycle I »,
nous souhaitons mettre en relation l’analyse d’une pièce pédagogique de Pierre DUTRIEU
« Les cordes sensibles » pour clarinette sib et résonnances de piano obligées, avec son
application concrète affectée à l’apprentissage de la clarinette, pour un élève de premier cycle.
La pertinence de cette analyse portera sur le contenu pédagogique de cette pièce en lien
avec son application didactique. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à son enjeu
culturel en relevant les aspects de l’écriture contemporaine présents dans la partition. Nous
focaliserons ensuite notre réflexion sur les différents modes de jeu propres à la clarinette qui la
composent. Enfin, nous aborderons la notion de transversalité artistique dont elle est garante et
l’attrait de l’imaginaire que cette pièce suscite chez l'élève.
a) La partition contemporaine
« Les cordes sensibles », de Pierre DUTRIEU est une pièce pédagogique associée au
langage musical contemporain. Son apprentissage en cours de clarinette répond aux
prorogations du Schéma National d’Orientation Pédagogique de Musique d’avril 2008
concernant le fort développement du répertoire contemporain pour les élèves du premier
cycle.18
Concernant les enjeux pédagogiques spécifiques associés à l’enseignement de la
clarinette, cette pièce apprivoise le jeune musicien à l’écriture contemporaine, ainsi qu’au style
d’écriture Pierre DUTRIEU.
17 Annexe 4 18 SNOP de musique avril 2008 - 1er cycle : Phase d’engagement dans une pratique instrumentale ou vocale
20
Si visuellement les repères traditionnels d’une partition sont là ; portée à cinq lignes, clé
de sol, indications de tempi, indications musicales ou de réalisation, nuances, notes, rythmes,
on trouve tout de même dans « Les cordes sensibles », des signes propres à l’écriture
contemporaine. En effet, la notation des « quarts de ton » aux mesures 8, 9, 10 et 32, ou le signe
« o » aux mesures 6 et 8 qui signifie l’absence de son, mais aussi une « écriture proportionnelle
des durées » aux mesures 8 et 9 ou une notation des « harmoniques » ou « sons multiphoniques »
aux mesures 28, 29, 30 et 34, sont des symboles écrits qui réassocient l’esthétique de cette pièce
pédagogique à la musique d’aujourd’hui.
S’agissant des repères traditionnels d’écriture, ce ne sont pas leurs symboles qui
évoluent mais bien leurs applications et leurs rendus sonores qui peuvent varier quelque peu.
L’élève devra donc au préalable se poser certaines questions sur la partition ou une entamer une
réflexion sur son interprétation. Par exemple, la palette de nuances est extrêmement étendue :
pppp, ppp, pp, p, mp, mf, f, ff, fff, ce qui nécessite une attention particulière de l’élève pour
bien construire les différents paliers de cette échelle sonore.
Puisque les signes généraux affiliés à une partition sont globalement écrits et
compréhensibles dans « Les cordes sensibles », il n’en reste pas moins que certains repères ont
subi des modifications graphiques conséquentes. Effectivement, l’absence d’indication
métrique, qui va de pair avec l’indication de tempo « Sans Tempo, libre », installe dès la
première portée, un climat souple pour la réalisation, et donne beaucoup de liberté à l’exécutant.
De plus, nous remarquons l’abstraction graphique des hampes sur les premières notes « si
clairon » avec une indication du compositeur : « Durée des notes variables, les silences de plus
en plus longs ». Ces partis pris du compositeur encourage une interprétation mobile et non
mesurée de la part de l’interprète. L’élève devra donc assimiler de façon autonome une gestion
du temps, libre, indépendante, tout en restant en adéquation avec le rendu musical de l’œuvre.
Il faut noter aussi que le compositeur de cette pièce pédagogique pour clarinette, Pierre
DUTRIEU, est lui-même clarinettiste et pédagogue. Cela s’avère être un avantage quant aux
indications de doigtés sur la partition avec la notation des numéros de clés utilisées. Dans « Les
cordes sensibles », l’élève apprend le numéro des clés 7 et 8 (doigté du trille, et du Fa + ¾) aux
mesures 5, 8, 9, 10, 18 et 32. De plus, il fait connaissance avec le numéro de la clé de correction
des doigtés de suraigu (clé 4) et la clé de douzième qu’on note clé 12, aux mesures 27, 28, 29,
Nous pouvons affirmer qu’il s’agit là d’une intention volontairement pédagogique visant à faire
21
prendre conscience à l’élève que toutes les clés de son instrument sont numérotées et organisées
d’une manière bien précise. De plus, l’assimilation progressive du clétage et de sa numérotation
participe à l’apprivoisement et à l’appropriation de son instrument par l’élève clarinettiste.
En plus de toutes ces informations, nous remarquons des écritures rythmiques, sans
hauteurs de timbre pour souligner le fait qu’il s’agisse de « bruits de clés » mesures 21 et 23,
ou au contraire, une écriture des registres attendus sans hauteur de notes (laissant l’interprète
libre de choisir la note et le rythme) mesures 11 et 13. Le compositeur ajoute aussi sur la
partition des « Indications théâtrales visuelles » écrites en soulignées, qui viennent diriger les
mouvements et les déplacements du musicien.
Toutes ces annotations définissent la partition et le style d’écriture de Pierre DUTRIEU.
Elles font parties intégrante du rendu musical et de l’interprétation du musicien.
b) Les différents modes de jeu utilisés
Avec la pièce pédagogique de Pierre DUTRIEU « Les cordes sensibles », nous nous
intéressons entre autres aux différents modes de jeu utilisés et à leur apprentissage aux
clarinettistes en fin de premier cycle.
L’écriture proportionnelle
Dans la pièce de Pierre DUTRIEU « Les cordes sensibles », on trouve un mélange entre
un tempo donnée et une écriture proportionnelle du temps. En effet, cette dernière se manifeste
soit par un décompte à la seconde (mesure 8), soit par des indications telles que « court »,
« long », « durées libres », soit en tirant un trait plus ou moins long après une note (mesures
17, 28, 29, 31, 33, 35, 36). Avec ce procédé d’écriture, l’élève clarinettiste effectue un travail
sur le souffle, sur le bon dosage d’air à chaque respiration et sur sa gestion dans le temps.
Les quarts de ton
Cette pièce pédagogique est une bonne entrée en matière pour aborder l’enseignement
des quarts de ton. Celui utilisé n’est pas compliqué à exécuter mais c’est surtout la manière dont
le compositeur introduit cette nouvelle notion qui est à remarquer.
22
En effet, la toute première apparition du quart de ton et de sa notation spécifique (Fa
+¾) à la mesure 4, est très bien pensée de la part du compositeur puisqu’elle survient lors d’un
trille sur Fa # (registre chalumeau), où il note les clés 7 et 8 à utiliser pour la réalisation du trille
en spécifiant la note obtenue par ce doigté (Fa + ¾). Puis, dans la mesure suivante, mesure 5,
ce même quart de ton est réécrit, toujours après un Fa # mais sous une forme plus affirmée. A
la mesure 8, il réapparait mais après un sol. Enfin il survient aux mesures 9 et 10 mais faisant
intégralement parti de l’enchainement mélodique comme si le compositeur s’accordait à dire
que son symbole, sa signification et sa réalisation instrumentale était désormais acquise.
D’ailleurs son signe revient mesure 18 et Pierre DUTRIEU ne reprécise pas le doigté.
Les sons multiphoniques
Les premiers sons multiphoniques apparaissent à la mesure 27. Il s’agit de faire entendre
l’harmonique fondamentale à partir d’un doigté de suraigu. Là aussi, les enchainements sont
bien écrits car dans la mesure précédente (mesure 26) l’élève joue plusieurs série de Do #
suraigu et l’atmosphère devient « Très calme, Sans Tempo ». Le jeune clarinettiste est donc
bien préparé mentalement et physiquement pour se concentrer sur la réalisation de ces sons
multiphoniques. Nous les retrouvons aux mesures 28, 29, 31, 34 mais leur construction évolue.
Par exemple, aux mesures 31 et 34, il s’agit de faire entendre la fondamentale à partir du son
suraigu : l’élève, ici, cherche le chemin, le dé « placement » nécessaire pour retrouver le son
fondamentale de sa note suraigüe.
Pédagogiquement c’est intéressant de travailler le registre suraigu de cette manière et
surtout de le voir inscrit sur une partition. Le fait d’entendre la note fondamentale lorsque
l’élève joue un suraigu est assez récurrent chez les clarinettistes et un travail sur les harmoniques
est très bénéfique pour l’élève de premier cycle. En effet, cela lui permet de prendre conscience
physiquement des différents « placements » de langue, de gorge, en fonction des registres
(chalumeau, clairon, suraigu). De plus, le professeur va initier un travail sur le souffle et sa
projection, sur la conduction et la vitesse d’air, sur le déploiement du son, afin que le rendu
musical de la pièce soit satisfaisant.
Le vibrato
Dans « Les cordes sensibles », l’élève doit expérimenter la technique du vibrato à la
clarinette (mesure 19). Pierre DUTRIEU spécifie : « Vibrato avec les lèvres ». L’obligation
23
d’avoir une embouchure souple et détendue ainsi qu’une vitesse d’air constante et stable est
fondamentale pour obtenir l’effet sonore de ce mode de jeu. L’élève se met donc à chercher, à
tester, à ressentir et analyser ses sensations afin de trouver le rendu sonore désiré du
compositeur.
Jeu dans les cordes du piano / Bruits de clés
En plus des modes de jeu affiliés à la clarinette, l’interprète de la pièce « Les cordes
sensibles » est amené à élargir son champ de production sonore. En effet, il va devoir intervenir
sur un autre instrument, le piano, comme le mentionne le compositeur à la mesure 21 : « Avec
un crayon en bois, taper légèrement sur la barre transversale dans le piano ». Juste le rythme
et les nuances sont écrites.
A la mesure 23, le clarinettiste doit transcrire cette action sur sa clarinette. Il s’agit alors
pour lui d’expérimenter le mode jeu qu’on appelle « bruitage de clés » sur sa clarinette. Pour
guider le jeune musicien dans sa réalisation, Pierre DUTRIEU indique : « Bruits de clés, utiliser
si possible les clés des auriculaires en les percutant suffisamment ». Pierre DUTRIEU propose
en fait une manière d’obtenir une matière sonore qu’on apparente au « bruits de clés ». En ce
sens il laisse la voie grande ouverte au jeune clarinettiste soucieux et curieux d’explorer les
autres possibilités sonores, non traditionnelles, de sa clarinette.
Avec toutes les prospections personnelles et musicales que suscitent cette partition
contemporaine chez le jeune clarinettiste, ainsi que la réalisation des différents modes de jeu
qu’elle contient, « Les cordes sensibles » de Pierre DUTRIEU est une pièce pertinente sur le
plan pédagogique qui a tout à fait sa place dans le répertoire lié à l’enseignement de la clarinette
au premier cycle.
c) Une notion de transversalité
L’univers dans lequel la pièce « Les cordes sensibles » évolue, implique une mise en
scène indissociable de l’œuvre en elle-même. En effet, l’invitation à un jeu théâtral du musicien
dans cette pièce fait corps avec la notion de transversalité artistique qui prévaut entre autres
dans le Schéma National d’Orientation Pédagogique de Musique d’avril 2008, à savoir : « de
24
favoriser les liens entre les arts qui concourent au spectacle vivant »19. En cela, elle incite le
jeune interprète à positionner puis élargir sa réflexion autour de son « rôle de musicien » et à
développer des aptitudes fondamentales et complémentaires à son jeu clarinettistique.
Rôle musicien-comédien
Dans cette pièce pédagogique, le compositeur invente un scénario autour du jeu du
clarinettiste et sa relation intrinsèque avec le piano. L’élève doit rentrer dans la peau d’un
personnage fictif, avec un état psychologique particulier et une action précise à effectuer. Pierre
DUTRIEU écrit le prologue suivant : « C’est l’histoire d’un clarinettiste qui, une fois prêt à
jouer pour son audition, se rend subitement compte que son pianiste, censé l’accompagner, est
absent. Il va alors devoir composer avec cette absence pour tenter de faire lui-même son propre
accompagnement d’où naitront les résonnances des cordes du piano mises en vibration par
phénomène de sympathie »20. Il s’avère ici que le rôle du jeune clarinettiste sur scène est
quasiment celui qu’il doit interpréter théâtralement. Le comédien-musicien doit « simuler » une
sorte d’improvisation alors que le musicien-comédien suit sa partition écrite.
Sur le plan pédagogique, cette pièce est très riche car elle insinue un « rôle de musicien-
comédien / comédien-musicien » à double sens. Seulement il est orienté vers un seul but sous-
jacent : faire prendre conscience au jeune élève qu’un musicien sur scène c’est comme un acteur
de théâtre sur scène : leur rôle c’est d’interpréter la pièce. En ce sens cela ouvre un champ de
réflexion pour l’élève qu’il n’est peut-être pas nécessaire de creuser de manière approfondie
mais du moins c’est une ouverture d’esprit que cette pièce lui apporte.
Développement de la présence scénique
En plus des bienfaits engendrés par l’ouverture d’esprit de l’élève à son rôle de
musicien-comédien, nous pouvons souligner un autre aspect pédagogique important, en lien
avec cette relation. En effet, le jeune musicien avec cette pièce et ce rôle de « musicien-
comédien aborde la scène différemment qu’à l’ordinaire. En ce sens il commence à développer
une présence scénique due au scénario et à la partition inventée par le compositeur. Cela a des
19 Introduction commune à l'enseignement initial de la musique, de la danse et de l'art dramatique-enjeux artistique – enjeux artistiques 20 Annexe 4
25
répercussions directes sur son assurance dans son jeu à la clarinette qui est plus assumé car le
morceau de musique fait partie d’une globalité expressive et artistique
Prolongement de l’imaginaire
Avec cette notion de pluridisciplinarité artistique et l’intervention d’un scénario et d’un
jeu théâtrale, l’élève mobilise beaucoup son imagination. Il se plonge alors dans l’univers créé
par le scénario et installe un monde fictif qui lui est propre, dans lequel il évolue et dont il est
l’acteur principal. Puisque cette pièce est une interaction permanente entre le clarinettiste et le
piano virtuel, elle l’amène, par l’imagination, à développer son oreille, son écoute, une attention
particulière tout en apprivoisant l’esthétique musicale contemporaine et son apprentissage de la
clarinette.
Par exemple, le début de la pièce commence par une succession « si clairon ». Cette
note n’est pas évidente à la clarinette surtout pour un élève de premier cycle. L’enjeu ici, est
d’aborder son exécution de façon amusante, ludique puisqu’il est rattaché à un contexte
imaginaire.
Un peu plus loin dans l’œuvre, le compositeur écrit à la mesure 5 : « écouter les
résonnances du piano ». Ici, ce sont l’écoute et l’oreille de l’élève clarinettiste qui sont mis à
l’honneur et viennent nourrir son imaginaire.
Nous comprenons donc en quoi la pièce « Les cordes sensibles » développe et prolonge
les bienfaits lié à l’imaginaire de l’élève et comment l’enseignant se sert de cette pièce pour
dispenser son enseignement.
Outil pour la concentration globale
L’intérêt d’associer plusieurs domaines artistiques, ici musique et théâtre, est un bon
moyen pédagogique pour développer la concentration globale, dans le sens où elle n’est pas
figée mais mobile. En effet, l’élève clarinettiste ne sera pas uniquement focalisé sur sa clarinette
mais devra faire attention dans cette pièce à ses déplacements, à ses différentes expressions
scéniques, à son interaction avec le public… Tous ces diverses axes de concentrations font sens
ave la musique qu’il joue et participent à sa concentration globale.
Cette concentration globale peut aussi s’avérer être un outil pédagogique pour palier au
trac si l’élève est concerné.
26
Grâce à cette analyse détaillée et appliquée de la pièce pédagogique « Les cordes
sensibles » pour clarinette sib et résonnances de piano obligées de Pierre DUTRIEU et sa mise
en relation avec l’enseignement de la clarinette pour un élève de premier cycle, nous
distinguons mieux ses enjeux pédagogiques propres.
En effet, cette œuvre est garante du développement de l’ouverture d’esprit et de la
curiosité de l’élève sur le plan culturel et personnel. De plus, elle assure l’essor du ressenti
musical sensoriel et corporel du jeune clarinettiste et vise à renforcer les interactions de
transversalités artistiques que nous retrouvons dans le Schéma National d’Orientation
Pédagogique de Musique d’avril 2008.
27
CONCLUSION
Après avoir soulevé et répondu dans notre première partie, à l’ambivalence reconnue
entre l’« étude » et la « pièce pédagogique », nous avons pu dresser notre définition de ce qu’est
une « pièce pédagogique », à savoir : « Une « pièce pédagogique » est directement associée à
l’enseignement. Ce que nous entendons par là, c’est qu’il s’agit d’une pièce composée dans le
but de répondre aux besoins spécifiques que nécessite l’apprentissage de la musique au moyen
d’un instrument. Il s’agit donc d’un morceau adapté à une ou plusieurs difficultés singulières,
d’ordre technique et musical, mais ne se résume en aucun cas à l’écriture d’un « exercice »,
car il doit être le reflet d’une expression artistique. Les pièces pensées et composées en vue
d’un apprentissage peuvent concerner tous les niveaux d’exécution instrumentale, du débutant
à l’expert. »21
Ainsi nous avons redonné du sens à notre problématique : « Quels sont les enjeux des
pièces pédagogiques contemporaines pour l’enseignement de la clarinette, au premier
cycle ? ».
Afin d’entamer notre réflexion, nous nous sommes appuyés sur les prérogatives du
Schéma National d’Orientation Pédagogique de Musique d’avril 2008 ainsi que sur
l’Introduction commune à l'enseignement initial de la musique, de la danse et de l'art
dramatique. Nous en avons déduit des enjeux majeurs et nous sommes venus soutenir nos
réponses en nous reportant sur diverses pièces pédagogiques telles que « On a caché le vase de
soisson ! » 2013, de Claude Henry JOUBERT, « Magnétique » 2013, de Grégoire LORIEUX
et le recueil de « Pièces Contemporaines » 2008, dirigé par Aude RICHARD-CAMUS, pour
savoir comment ces pièces pédagogiques contemporaines participent à la concrétisation des
objectifs admis dans le schéma de 2008.
Afin de cibler plus précisément notre problématique dans son contexte d’enseignement
de la clarinette au premier cycle, nous nous sommes arrêtés sur l’analyse appliquée d’une pièce
pédagogique de Pierre DUTRIEU composée en 2009 et intitulée « Les cordes sensibles ». Nous
avons pu en extraire ses enjeux pédagogiques propres ainsi que ses apports pour un élève
clarinettiste et ses réponses face aux recommandations du Schéma National d’Orientation
Pédagogique de Musique d’avril 2008.
21 Cf partie I – tentative de définition
28
Les enjeux pédagogiques primordiaux et fondamentaux désormais reconnus au
répertoire pédagogique contemporain de la clarinette pour le premier cycle, je souhaite rebondir
sur la réponse que Claude CROUSIER m’a faite lors de notre rencontre du 25 mars 2015 suite
à la question suivante : « A partir de quand faut-il initier les élèves clarinettistes à la musique
contemporaine ? » celui-ci affirmait : « Le plus tôt possible, surtout ne pas attendre, le plus tôt
est le mieux ! ». Cette réplique fait écho je trouve à « Jatékok » 1979, de Gyorgy KURTAG. En
effet, cette œuvre est un recueil de pièces pédagogiques pour le piano où il s'agit de familiariser
les enfants à la musique nouvelle dès leurs tous premiers contacts avec l'instrument. La série
des « Játékok » est à la fois moins et plus qu'une pédagogie du piano. Moins, car elle n'établit
aucun dogme de méthode, et plus, car elle établit une introduction non seulement aux différents
langages contemporains et aux techniques pianistiques qu’ils requièrent, une libération de
l’imagination des enfants et un retour à l’essence même de l’expression musicale, mais aussi
un laboratoire d’inspirations, de techniques et d’expressions dans une forme franchement
dépouillé et élémentaire, autrement dit, un accès à la pensée compositionnelle.
Plusieurs pièces de « Jatékok » furent interprétées lors du colloque intitulé « Musique
contemporaine & pédagogie – Hors de nos frontières » organisé par MUSICA TEMPORALIA
le dimanche 27 mai 2015 à l’Espace Culturel d’Anglemont. Cette journée faisait un « tour du
monde » sur l’état actuel de l’enseignement de la musique contemporaine au piano grâce à
plusieurs intervenants de nationalités différentes (japonaise, italienne, brésilienne, argentine).
Il en est ressorti un manque de répertoire pédagogique conséquent sur le plan des pièces
contemporaines, partout dans le monde. Il était récurrent d’entendre le désintéressement des
compositeurs face la pédagogie et le manque d’échanges entre les pédagogues et les
compositeurs. La seule référence resta « Jatékok » de Gyorgy KURTAG.
Pour en revenir la clarinette, je ne connais pas ni n’ai trouvé de pareils recueils destinés
aux débutants de premières ou deuxièmes années. Claude CROUSIER me disait qu’il a
commencé à composer des pièces pédagogiques car d’une part cela s’imposait à lui face à la
demande et aux besoins de ses élèves et d’autre part pour pallier au manque de répertoire
pédagogique contemporain de la clarinette. Cette réaction est venue conforter l’initiative que
j’ai entreprise il y a quelques mois et qui m’incite à composer des pièces pédagogiques destinées
aux tout jeunes clarinettistes débutants22. En effet, cette démarche participe au fondement de
l’enseignement de la clarinette que je souhaite dispenser par la suite.
22 Annexe 5
29
BIBLIOGRAPHIE
TEXTES DE LOI
- Schéma National d’Orientation Pédagogique de Musique d’avril 2008
- Introduction commune à l'enseignement initial de la musique, de la danse et de l'art
dramatique-enjeux artistique
OUVRAGES GENERAUX
- Dictionnaire de la musique, LAROUSSE, 2005
- Principes fondamentaux d’éducation musicale et leur application, Maurice
MARTENOT, édition MAGNARD, collection MARTENOT, 1990
- Yves NAT, du pianiste compositeur au poète pédagogue, Claude JOUHANNA, Edition
L’HARMATTAN, Collection UNVIVERS MUSICAL, 2005
- Le « je » musical, Claude CROUSIER, éditions Onésime, 2000
SITES WEB
- http://brahms.ircam.fr/works/work/9775/
ARTICLES
- Le mag du piano ; Histoire & documents : « les Technische Studien, chemin vers la
technqiue de Liszt ? », Bruno Moysan, 12 octobre 2010
CONFERENCES et INTERVIEW
- Colloques « Musique contemporaine & pédagogie, hors de nos frontières », Musica
Temporalia, 17 mai 2015, Espace Culturel d’Anglemont
- Interview de Claude CROUSIER, 25 mars 2015, CRR de Cergy-Pontoise
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