MANUEL
DE
RELIGION ET DE MORALE,
ou
LIVRE DE PRIÈRES UNIVERSEL
POUR LES CHRÉTIENS ÉCLAIRÉS
DE TOUTES LES COMMUNIONS.
PAR J. G. E. O'EGGER,
ANCIEN PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE,
PREMIER-VICAIRE DEMISSIONNAIRE DE LA CATHEDRALE DE PARIS.
The Lord hath endued thee with reason to maintain
thy dominion..., O praise his goodness with songs of
thanksgiving , and meditate , in silence , on the
wonders of his love ; let thy heart overflow with
gratitude, and aknowledgment ; let the language of
thy lips speak praise and adoration ; let the actions
of thy life show thy love to his law.
Robert Dodsley, Economy of human life.
PARIS.
BAUDOUIN FRÈRES, ÉDITEURS,
BUE DE VAUGIBABD , 17.
M. DCCC. XXVII.
Plusieurs personnes seront très-
etonnées de voir traiter, dans un simple livre
de prières , les questions les plus profondes de.
la Religion et de la morale. La classe à laquelle
vous l'adressez , me dira-t-on , ne saurait vous,
comprendre. —Mais le siècle des lumières aussi-
bien que de l'incrédulité , dans lequel nous vi
vons , ne me justijiera-t-il pas suffisamment ? —
Quand on est en état de comprendre les ob
jections , n'est-on pas également en état de saisir
les réponses ? —, Et si à une première lecture
la jeunesse , si intelligente de nos jours , ne me
comprendpas , qui l'empêche d'étudier ce Ma
nuel à fond, et de demander à ses maîtres
l'explication des endroits difficiles ? •— // est
une vérité démontrée : c'est que la civilisation
a fait un pas ; il faut que la murale publique
en fasse un également. Accoutumons -nous à
ne point raisonner du siècle de Louis-le-Légis-
lateur comme des autres siècles !
Sans doute que si l'on me prouve que mon
ouvrage est susceptible de changemens utiles r
je serai prêt à les admettre. Mais , jusqu'à pré
sent , les personnes de piété et de goût qui l'ont
examiné .
n'ont
fait que m'encourager par leur flatteuse appro
bation. — Aussi, puisje me rendre le témoi
gnage d'une entière impartialité. Aucun parti
ne peut se plaindre : le vice et l'erreur ont été
les seuls objets de ma poursuite. Je n'avance pas
non plus de système nouveau. Le petit nombre
d'idées nouvelles que je manifeste ne sont , dans
le vrai , que des vérités évidentes , mais qui
n'avaient jamais été bien développées. N'est -il
pas évident , par exemple , que, par sa nature,
l'homme morau est placé partout entre les infinis ;
-que , pour être parfaitement libre , il doive y être
placé , et qu'ily a effectivement l'infini entre un
athée et un saint? — N'est-il pas évident que
des miracles tropfrappons détruisent la liberté
humaine ; que le philosophe qui en demandait
pour se convertir , demandait fort naïvement
une absurdité ; et qu'il n'y a aucun mérite à
croire à l'évidence , puisque nous ne sommes
pas libres de nous y refuser? — N'est-il pas
évident que , dans le système des pélasgiens et
de leurs confrères les philosophes les plus ré
vérés dans le monde , on explique toutes les
grandes vérités de la morale et de la Religion,
de manière à ce que l'incrédulité, na plus le mol
à dire? — N'est-il pas évident , enfin, que tout
parait clair dans la Religion et la morale , pour
celui qui cherche la vérité avec simplicité de
cœur, et qui sait se rendre digne de la connaître,
tandis que tout nest que ténèbres pour l'impie
qui ferme les yeux à la lumière ? — Voilà ce
pendant , en peu de mots , toutes les idées peu
communes que j'ai cru devoir développer , et
que je serai toujours prêt à défendre contre qui
conque serait assez téméraire ou assez insensé
pour oser les attaquer
O'EGGER.
VWVVWWVWWW'VWWWWWtX'WX'VVX'VV\WWVWIW\,WW^WWVWWWWVWVkW !W
AVERTISSEMENT
DE L'AUTEUR.
L'éclat que ma renonciation récente aux
fonctions ecclésiastiques a produit dans le
public, et la curiosité, ou, pour mieux dire,
l'intérêt qu'elle a excité, sembleraient me faire
un devoir de profiter de la publication de cet
ouvrage pour donner des explications détail
lées sur les motifs de ma conduite ; néan
moins , par des raisons particulières que cha
cun peut aisément deviner et apprécier , je
m'en tiendrai encore ici à quelques réflexions
générales.
Déjà , par Yesprit qu'on est à même de re
marquerdans cet ouvrage, il est facile de s'aper
cevoir que ma manière de voir , en fait de
religion , diffère essentiellement de celle du
clergé actuel. — Je me suis permis, en effet ,
^examiner assez librement certains points de
doctrine ; j'ai généralisé le christianisme ; j'ai
Vj AVERTISSEMENT DE L AUTEUR.
pris le mot même de catholique dans son vrai
sens , dans un sens tout-à-fait universel. A
legard de la charité, je l'ai mise , d'après l'É
vangile , tellement au-dessus de la foi , que
toute division haineuse dans la chrétienté pa
raît aussi absurde en elle-même , qu'elle est
dangereuse pour la paix des Etats. J'ai reconnu
des abus là où d'autres croient voir le bien ;
j'ai attribué la cause du dépérissement du
christianisme sur la terre, précisément à ceux
qui s'en disent les principaux propagateurs ,
les plus forts , et même les uniques soutiens ;
enfin , j'ai cherché partout à faire ressortir
l'accord parfait qui existe entre le vrai chris
tianisme et la, vraie philosophie.
Mais il y a plus. En examinant de prés les
modifications légères en apparence , mais im
portantes pour le fond , que j'ai fait subir k
certaines locutions théologiques , et ma ma
nière pai-ticulière d'exprimer certaines vérités,
on peut voir assez clairement ma pensée sur
tout ce qui regarde la religion et la discipline
ecclésiastique. Peut - être même des hommes
pénétrans découvriront-ils dans ce livre tout
je système du christianisme primitif et vrai-»
AVERTISSEMENT DE LALTEUR. V>j
ment universel qui doit conduire nécessaire
ment à la concorde fraternelle de toutes les
communions particulières : peut-être y aper
cevront-ils ce principe salutaire d'après lequel
une autorité toute spirituelle , toute morale , et
qui ne peut tirer sa force que de la supé
riorité des lumières et des vertus , ne pourrait
jamais exercer aucun empiétement sur une
autorité temporelle et coërcitive , et d'après le
quel aussi toute communion chrétienne, quelle
qu'elle soit , pourrait toujours partager les
bienfaits de toute espèce de gouvernement, et
jouir pleinement de tous ses droits , sans em
brasser pour cela , en particulier , aucune des
reformes introduites ou à introduire , pourvu
que celles-ci mettent toujours , avec l'Apôtre,
la charité au-dessus de la foi , et ne se rendent
pas elles-mêmes indignes de tous les droits so
ciaux par l'affreux principe de l'intolérance.
Dans l'espoir que bientôt tous les chrétiens
éclairés de l'univers se familiariseront avec de
semblables idées , qui , une fois admises , ren
draient les gouvernemens, aussi-bien que la chré
tienté, plus tranquilles et plus prospères ; dans
l'espoir qu'un peu plus tard il me sera permis de
viij AVERTISSEMENT DE L AUTEUR.
parler tout-à-fait clairement, je prie les lecteurs
de se contenter encore , pour le moment , de
ces courtes réflexions , plus que suffisantes
d'ailleurs pour faire voir qu'en renonçant aux
fonctions ecclésiastiques que je remplissais,
depuis sept ans , sous les yeux mêmes de
M. l'archevêque de Paris , loin d'avoir été in
fluencé par aucun motif temporel , ni aucune
considération humaine , il m'a fallu , au con
traire, m'élever au-dessus •de ces motifs et de
ces considérations , pour ne suivre que l'im
pulsion de ma conscience.
O'EGGER,
Ancien Professeur de philosophie ,
Premier-Vicaire démissionnaire
de la cathédrale de Paris.
MANUEL
DE
RELIGION ET DE MORALE.
DE LA
RELIGION DE JÉSUS-CHRIST.
A CÉLESTIN.
C'est en votre faveur , mon cher Célestin , que
j'ai rédigé ce nouveau Manuel de religion et de
morale. Puisse le Seigneur vous faire goûter les
vérités salutaires qu'il renferme ! Puisse-t-il im
primer profondément dans votre cœur les senti-
mens que j'ai tâché d'exprimer , et qui sont si
naturels à l'homme sensible ! la plus douce paix,
le bonheur le plus durablfe , serait alors votre
partage.
Puisse de même le Dieu des chrétiens bénir gé-
néialement mes efforts, ramener tous les esprits
égarés , et réunir de nouveau tous les cœurs ,
comme ils l'ont été dans les beaux jours du chris
3 DE LA RELIGION DE JÉSUS - CHRIST.
tianisme , lorsque l'on pouvait dire avec vérité
que la multitude des croyans n'avait qu'un cœur
et qu'une âme ! La génération nouvelle qui se
présente serait alors plus heureuse que ne l'a été
celle qui s'efface.
Vous savez , Célestin , qu'au milieu des égarc-
mens de l'athée , du matérialiste , de l'incrédule ,
de l'indifférent , du superstitieux et de l'impie ,
il doit rester nécessairement des principes inva
riables ,fondés sur l'éternelle vérité , et indépen-
dans des opinions des mortels ; qu'au milieu du
débordement des passions humaines, toutes plus
injustes les unes que les autres, il doit toujours
demeurer de vraies vertus ; que, malgré la licence
la plus effrénée , l'homme de bien ne laissera pas
de reconnaître des devoirs sacrés ; qu'enlin , en
dépit des efforts de l'impiété et de l'athéisme, il
y aura toujours un Dieu dans le ciel, une Reli
gion sur la terre, et une Conscience dans le cœur
humain ! Ecriez-vous donc ici avec moi : Sainte
Vérité , je vous adore ! car vous êtes Dieu ! Vertus
adorables , je vous reconnais et vous chéris ! On
a beau vous calomnier et vous méconnaître , un
jour nous trouverons vos divins originaux sur
les degrés du trône de l'Eternel ! Immortelle et
céleste voix , divine Conscience ! juge infaillible
du bien et du mal, qui rendez l'homme semblable
à Dieu .' c'est vous qui faites l'excellence de ma
nature et la moralité de mes actions ! Devoirs
DE LA RELIGION DE JÉSUS- CHRIST. 3
sacrés , imposés nécessairement à toute créature
libre , pour sa perfection et son bonheur ! je vous
révère et vous embrasse avec transport. Vous seuls
me rattachez à mon Créateur et à la société !
Religion de Jésus-Christ , religion de mes pères !
vous serez encore ma joie , ma consolation et mon
espoir ! Jusqu'aujourd'hui, la philosophie du siècle
n'a pu enfanter une religion plus sainte ni plus
capable de faire le bonheur des hommes.
Tels doivent être vos sentimens , Célestin , et
tels doivent être aussi les vôtres, chrétiens éclairés
du dix-neuvième siècle , si toutefois il vous reste
encore dans le cœur une seule étincelle de ce feu
sacré que Jésus-Christ a apporté du ciel ! Il s'agit
aujourd'hui de réunir vos efforts contre l'ennemi
commun ! Votre union seule pourra sauver doré
navant la religion de sa ruine , et la société de sa
dissolution ; cette union de sentimens et de vo
lontés , cette uniformité d'opinions et de croyances,
cette harmonie généra e qui fait la solidité des
institutions aussi-bien que Je charme de la vie !
Et quel lien pourra paraître plus fort pour resser
rer les noeuds qui doivent unir les hommes , que
celui de la religion? Religion signifie union, union
divine , union en Dieu ! Soyez donc unis , et ne
soyez qu'un, comme le Père et le Fils eux-mêmes
sont unis et ne sont qu'un , par le plus ineffable
des mystères du christianisme ! C'est le vœu de
Jésus , et sa prière au Père céleste.
4 DE LA RELIGION DE JÉSUS - CHRIST.
Vous êtes créé pour le bonheur, Célestin ;
cherchez donc ce bonheur ; mais cherchez-le par
les voies que le Créateur a lui-même indiquées.
Il désire que vous soyez heureux , heureux même
dès cette vie , autant que la nature de votre être
le comporte. 11 veut même votre bonheur plus
fortement et plus efiicacement que vous , puisqu'il
vous défend de vous arrêter à une félicité vaine
et chimérique , et qu'il vous invite instamment
à conquérir le vrai bonheur pour lequel vous avez
été tiré du néant.
Mais ce vrai bonheur ne se trouve pas sur cette
terre ; tous les sages l'ont dit , et Jésus vous le
déclare. Cherchez donc uniquement à vous en as
surer pour la vie à venir ; et contentez-vous , en
attendant, du petit nombre de vraies jouissances
que la terré offre à ses habitans , parce que vous
n'êtes pas en état maintenant de goûter une plus
grande félicité. Dans cette vie, nous ne pouvons
guère prétendre à autre chose qu'à Yespérance
d'un contentement parfait qui peut devenir plus
tard notre partage. Et cette douce espérance, le
seul bien réel d'ici-bas , ne peut être fondée que
sur la vertu , comme la vertu ne peut être fondée
que sur la religion -, laquelle a seule le droit de
promettre aux hommes en général une vie éternelle
pour récompense.
Connaissez donc votre religion , et étudiez Jé
sus , votre grand , votre divin modèle. Marchez
DE LA RELIGION DE JÉSUS - CHRIST. 5
sur ses traces ; imitez ses exemples. Si vous avez
le courage de le suivre dans sa carrière laborieuse
et pleine de vertus, vous le suivrez aussi dans son
éternel triomphe. Mais , en imitant Jésus-Christ ,
cherchez par vous-même à découvrir les véritables
traces que ce maître divin a imprimées sur cette
terre pendant sa vie mortelle , et ne vous laissez
point égarer par des esprits aveugles ou passion
nés. Dieu vous a donné, comme à tous les autres
hommes, la raison pour lumière , et la conscience
pour guide. Suivez ces deux compagnes célestes ;
elles vous conduiront infailliblement à la foi et à
une obéissance raisonnable, et vous feront recon
naître sans peine les pas de l'Homme-Dieu.
Quel salut pour la société, si cette jeunesse
nombreuse et intéressante , qui fait aujourd'hui
son unique espoir , connaissait bien le véritable
esprit de la religion de Jésus-Christ ! si elle savait
apprécier toute la beauté, toute la pureté, la pro
fondeur comme l'admirable simplicité de sa doc
trine ! et surtout , si elle pratiquait à l'envi toutes
les vertus douces et sociales dont il nous a laissé
de si touchans exemples ! On pourrait espérer alors
de voir bientôt reparaître sur la terre la belle , la
noble union , la salutaire uniformité de pensées
et de sentimens , la céleste harmonie , la bien
veillance réciproque, la douceur, la franchise et
la confiance. La flamme des passions furieuses
s'éteindrait dans tous les cœurs. Plus de divergence
f) D£ LA RELIGION DU JliSIJ S - CHRIST.
d'opinions ; plus d'opposition d'intérêts ; plus de
haines, de divisions ni civiles ni religieuses: on
oublierait jusqu'aux noms de sectes et de factions!
Quel spectacle ! quel exemple pour l'univers ! Alors
s'accomplirait aussi par toute la terre cette con
solante prédiction de Jésus : « En ce temps-là , il
» n'y aura plus qu'une bergerie et qu'un pasteur.»
Oui , j'espère tout de la nouvelle génération.
Malgré ce qu'on a pu dire contre les mœurs ac
tuelles, je l'ose assurer, la jeunesse chrétienne du
dix-neuvième siècle n'a encore, en quelque sorte,
qu'à suivre le penchant de son cœur pour être ver
tueuse , pieuse , généreuse et noble. Et si en gé
néral elle n'est pas ce qu'elle pourrait être , c'est
qu'il y a eu partout , et depuis bien des années ,
un vice malheureux et funeste dans l'enseignement
de la morale , vice sans lequel il était impossible
qu'il s'offrît parmi nous tant d'exemples d'impiété,
d'incrédulité, de haines , de cruautés, de persé
cutions , de désordres de tout genre , qui ont pres
que donné lieu de croire que des masses entières
de nations avaient dégénéré.
C'est à ceux à qui Dieu a accordé la puissance
et un haut empire sur la religion et la morale des
peuples, à voir s'ils n'ont pas quelque reproche h
se faire sous ce rapport , ou quelque grand moyen
à essayer pour remédier au mal. Le temps presse ,
le remède est urgent : Un peu plus tard il sera
peut-être impossible de relever la chrétienté de
DE LA RELIGION DE JÉSUS- CHRIST. 7
Ses ÉPOUVANTABLES RUINES , et ILS EN RÉPONDRONT
devant l'Eternel.
Pour nous, Célestin, quoique nos moyens soient
bien faibles , contribuons de tout notre pouvoir
au grand œuvre de la régénération des peuples ,
depuis si long-temps égarés, et poussés en quelque
sorte malgré eux dans tous les abîmes. C'est là ce
qui m'a encouragé dans la pénible composition
de ce livre de prières d'un genre nouveau , que le
siècle m'a semblé exiger impérieusement. Les bases
elles-mêmes de toute religion et de toute morale
étant détruites ou ébranlées généralement , il faut
songer à consolider partout dans les cœurs un nou
veau fondement pour les asseoir. L'histoire sera
mon juge, et celui qui voit le fond des cœurs
sera mon rémunérateur. De votre côté , il faut
que vous deveniez absolument un disciple éclairé
de Jésus-Christ, un modèle parfait de toutes les
vertus chrétiennes. C'est là votre tâche. Si vous la
remplissez dignement, croyez-moi, vous trouverez
encore des imitateurs ! oui , de nombreux imita
teurs ! Le Seigneur s'est encore réservé un certain
nombre d'âmes fortes qui n'ont point fléchi le genou
devant Baal. Les bannières du déisme seront in
sensiblement abandonnées , comme insulïisantes
pour les masses ; et , pour les athées , ifs au
ront toujours honte de se déclarer ouvertement!
Les hommes d'un esprit mûr, d'un jugement so
lide, en voyant la conduite noble que vous aurez
,
8 DE LA RELIGION DE JÉSt S - CHRIST.
adoptée , et les exemples que vous donnerez
d'une piété éclairée et raisonnable , d'un chris
tianisme pur , se joindront à vous avec joie ; ils
entraîneront bientôt la masse des nations, et ra
mèneront des temps plus heureux. La raison aura
toujours un grand empire sur les âmes nobles et
sur les cœurs bien faits. L'univers serait trop à
plaindre si les temps ne devaient plus revenir où
Ton pourra encore prononcer sans rougir les noms ,
de Dieu , de Vertu , de Piété et de Religion.
Agréez donc ce livre , qui renferme la croyance
et les sentimens d'un adorateur selon le véritable
esprit de Jésus-Christ , comme un gage assuré du
désir ardent que j'ai de vous voir parfait et heu
reux dans le Seigneur. Je l'ai intitulé Manuel,
afin que vous vous souveniez qu'il doit toujours
être entre vos mains. Vous y puiserez , en effet ,
la force , le courage , les vertus , les lumières et
les consolations qui vous seront nécessaires aux
différentes époques, que dis-je ? tous les jours et
dans toutes les circonstances de votre vie. Vous
y trouverez les réflexions et les sentimens qui oc
cuperont toujours une âme sensible au moment
du réveil. Vous y verrez également dans quelles
dispositions un être doué de raison , et surtout un
chrétifin éclairé, doit terminer la journée, et s'a
bandonner au sommeil, lequel est une image , ou
plutôt un état voisin de la mort , état pendant
lequel souvent les plus étonnantes facultés propres
DE LA RELIGION DE JÉSUS - CHRIST. 9
à une vie future se développent. Tous les jours il
vous offrira la matière qui pourra servir à vos sé
rieuses réflexions. J'ai tâché de choisir pour cet
effet les sujets les plus attachans et les plus graves,
comme les plus utiles et les plus indispensables
de nos jours; dans ce siècle indéfinissable, où tout
le monde erre sans principes fixes , sans plan de
vie, sans but et malheureusement sans la moindre
inquiétude ; où une indifférence totale semble
avoir paralysé tous les cœurs ; comme si , en
effet, on était enfin parvenu à se convaincre qu'il
n'existe réellement ni principes , ni vertus , ni
devoirs , ni vie future , ni Créateur, ni espoir pour
l'homme.
Mon ami , j'y ai aussi joint les exercices indis
pensables de votre religion , tels que ceux de l'as
sistance au renouvellement du sacrifice solennel ,
le jour du Seigneur , où l'assemblée des chrétiens
célèbre le souvenir de la passion , de la mort et
de l'amour infini de Jésus ; où toute âme se rem
plit de grâces , et où tous les cœurs prennent une
nouvelle trempe par une édification mutuelle et
publique ; ceux de la confession , ou de l'aveu de
ses fautes , où le chrétien reconnaît ses torts et ses
erreurs , et où il prend la résolution, toujours plus
ferme, de marcher d'un pas toujours plus sûr dans
les sentiers de la perfection et du vrai bonheur;
ceux , enfin , de la communion où nous rece
vons le gage précieux de l'immortalité et d'une
IO DE LA RELIGION DE JÉSUS - CHIIIST.
parfaite réconciliation avec le souverain Seigneur,
aussi-bien qu'avec nos frères.
A Dieu ne plaise que vous imitiez en rien
l'aveuglement des prétendus sages du siècle, qui
croient s'élever au-dessus de leurs contemporains
par le mépris qu'ils affectent pour la religion, et
l'indécence avec laquelle ils tournent en dérision
les plus saintes institutions ! comme si la religion
n'était pas, par elle-même , un objet si grand et
si vénérable, que les abus eux-mêmes, que la
faiblesse humaine pourrait quelquefois y mêler,
devraient encore être traités avec égards au ju
gement d un esprit solide et droit , jusqu'au mo
ment du moins que les circonstances permet
traient de les supprimer ! Non, Célestin , vous
n'imiterez jamais une conduite aussi vile et aussi
odieuse. Vous reconnaissez avec moi ces grandes
vérités qui sont les fondemens éternels de l'édi
fice social : que la religion est la base de la mo
rale publique; qu'il serait plus avantageux pour
une nation d'avoir une religion imparfaite que
de n'en avoir aucune ; mais qu'il vaudrait encore
mieux n'en avoir aucune , que de laisser géné
ralement avilir celle qui est reconnue , parce
que son avilissement entraînerait infailliblement
la perte de tout principe et de toute morale.
Et vous en conclurez que vous devez donc res
pecter d'autant plus la religion chrétienne dans
laquelle vous avez eu le bonheur de naître , qu'elle
m: LA RELIGION DE JÉSCS - CHRIST. I I
est d'ailleurs la plus parfaite que la philosophie
puisse concevoir.
La religion est la première pierre qu'il faut poser,
lorsqu'on veut travailler à consolider les bases du
bonheur des peuples. Jamais, dans un état, la reli
gion n'a été mise en honneur, sans qu'elle ait fait
sentir aussitôt son influence salutaire pour la pro
spérité générale. Mais aussi ne l'a-t-on jamais
avilie impunément ! Quelle religion pourra-t-on
donner encore à l'univers , si on ne lui conserve
celle de Jésus - Christ ? Les sages du siècle , qui
détruisent toujours sans jamais rien édifier, n'ont
pas encore dit un mot de la religion qu'ils vou
draient voir substituer au christianisme. Et, si
par-là ils ont prétendu nous faire entendre qu'il
n'en faut avoir aucune, autant eût valu dire à
l'homme sage de renoncer à tout espoir et à la
vie ! Malheur ! oui malheur à l'homme sensible,
à l'homme juste , à l'homme sociable qui serait
condamné à vivre au milieu d'un peuple qui au
rait rompu la barrière de tous les principes reli
gieux ! il serait infailliblement la triste victime
de tous ses sentimens hbnnêtes.
O Dieu ! qu'ils sont coupables ceux qui ont été
la première cause du dépérissement du christia
nisme sur la terre ! Quelle responsabilité devant
le Créateur et Sauveur du genre humain ! Avec
quel soin les personnes d'un certain rang, et dont
l'exemple dirige des milliers de leurs semblables ,
12 DE LA RELIGION DE JÉSUS - CHRIST.
devraient éviter de donner au peuple même le plus
léger soupçon d'un manque de foi et. de religion !
Une personne qui a reçu de l'éducation peut abso
lument conserver quelques principes de justice et de
convenance, même sans avoir l'esprit de la religion
dans laquelle elle a été élevée ; mais ijb peuple ,
privé de sa religion, ne peut être qu'une bête
féroce déchaînée, qui ravage et?qui dévore! Il n'est
capable de sentir sa liberté et sa vie que dans le
déchaînement des passions les plus basses et les
plus furieuses.
Le peuple ne fait en effet aucune différence en
tre un usage religieux et un autre, ni entre un
point de doctrine et un autre : il les range tous
sur la même ligne ; et en voyant une personne
que son rang ou ses lumières ont placée au-dessus
de lui, négliger ou mépriser la plus indifférente
des pratiques , il croira l'imiter en tenant la con
duite la plus immorale, par où il voudra se dis
tinguer de la foule. Cette vérité est si importante,
que c'est une obligation stricte , pour les déposi
taires de l'autorité, d'abolir entièrement et sans
/ délai tout usage qui ne conviendrait plus au siècle.
Ainsi , Célestin , persuadé qu'en méprisant la
religion , vous accuseriez par-là même d'incapacité
ou de pusillanimité le souverain qui la protège ou
la tolère ; que vous taxeriez de faiblesse d'esprit
tous ceux d'entre vos contemporains qui la recon
naissent ou la pratiquent; que vous censureriez vos
DE LA RELIGION DE JÉSUS - CIIRIST. I 3
ancêtres de plusieurs siècles, vous qui n'êtes que
d'hier ! persuadé enfin, qu'en tournant en dérision
un seul des usages religieux de votre nation , vous
porteriez un coup fatal à la morale publique, je
vous verrai toujours raisonnable à cet égard , tou
jours noble et grand dans votre conduite, tou
jours digne du Créateur et de vous-même. Vous
respecterez tout ce qui aura le moindre rapport
à la religion , vous serez plein d'égards envers ses
plus humbles ministres ; que dis-je ? vous traiterez
même avec ménagement, comme nous venons de
le remarquer , jusqu'aux légers abus que le temps
introduit nécessairement dans toute institution
faite pour des hommes, jusqu'à ce que le moment
favorable de les abolir soit arrivé.
C'est ainsi que vous trouverez dans ce Manuel
tous les grands principes sur lesquels reposent la
religion, la morale, la félicité, et par conséquent
les plus douces espérances du genre humain : prin
cipes sacrés , sans lesquels il n'y a et il ne peut y
avoir, dans la société, ni paix, ni ordre, ni justice,
ni vertu, ni bonheur, ni espoir pour l'homme.
Nourrissez donc votre esprit de ces vérités salu
taires , et remplissez tous les jours votre cœur de
ces sentimens célestes. Enrichissez, perfectionnez
incessamment votre âme. Ne cessez jamais un mo
ment de vous rapprocher de la ressemblance du
modèle divin qui est proposé à votre imitation dans
la personne sacrée de Jésus. Rendez-vous d'un iu
l4 DE LA RELIGION DE JÉSUS - CHRIST.
stant à l'autre plus digne de votre éternel Créateur.
Marchez, en un mot, de vertu en vertu, de perfection
en perfection ; vous marcherez en même temps de
gloire en gloire, de bonheur en bonheur. Dieu lui-
même ne pourrait vous rendre plus heureux, si
vous ne deveniez plus parfait, parce que vous êtes
un Etre libre et intelligent. Mais , pendant toute
l'éternité, le Seigneur pourra ajouter à chaque in
stant un degré de plus à votre félicité, à mesure que
vous ferez vous-même quelques progrès dans la
perfection, le bonheurétant inséparable dela vertu,
aussi-bien que le malheur du vice. Quelle vocation
pour un être doué de raison! Quelle perspective
pour un esprit qui réfléchit I
Que le Dieu de toute-puissance et de toute bonté
soit avec vous ! qu'il vous fortifie, et vous encou
rage ; qu'il guide lui-même vos pas chanceîans
dans les nombreuses épreuves de cette vie ; qu'il
dirige lui-même votre course sur cette mer ora
geuse et pleine d'écueils , et vous mène au port du
salut! Que la sainte paix de Jésus-Christ règne à
jamais dans votre cœur, et que le calme parfait
dont il fait jouir ses vrais disciples, ne soit jamais
troublé un seul moment dans votre âme !
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
AU MOMENT DU RÉVEIL.
D i e d de bonté , mon Créateur et mon père ! la
lumière d'un jour nouveau me réveille et me rap
pelle à mes occupations ordinaires : c'est une
nouvelle création, une vie nouvelle, un nouveau
bienfait de votre part ajouté à tant d'autres !
Conserver et créer n'est qu'un même acte de votre
volonté toute-puissante.
Le jour d'hier est anéanti pour moi; je suis
mort pour ce jour, comme pour toute la partie
de ma vie qui est déjà écoulée. Il ne m'en reste
en etFet qu'un simple souvenir ! souvenir doux et
consolant , si j'ai pratiqué la vertu et si j'ai fait le
Bien ; mais souvenir pénible et amer, si, en me
raidissant contre ma raison et ma conscience , j'ai
fait le mal et me suis livré' à mes passions in
justes. !
Seigneur, le nouveau jour qui luit, le seul qui
soit vraiment à ma disposition, je veux l'employer
tout entier à procurer votre pius grande gloire , en
travaillant au bonheur de mes semblables et à
ma propre perfection. Et votre g'oire, ô bonté
l6 HËFLEXIONS ET SENTIMES S
suprême ! se trouve-t-elle autre part que dans le
bien-être de vos créatures? Non, sans doute. Je
puis donc le dire avec vérité , si je suis fidèle à la
résolution que je viens de prendre , je ne ferai
autre chose aujourd'hui que travailler efficacement
à ma véritable félicité.
Je me sens tout renouvelé : mes membres , par
un sommeil doux et paisible, ont repris toute leur
vigueur. Je me sens armé d'un nouveau courage,
de nouvelles forces, et je suis prêt à entreprendre
toute espèce de travail. Serais-je assez à plaindre
pour méconnaître un seul instant que tous ces
dons ne sont qu'un présent non mérité de votre
infinie bonté ? Ah ! que rna première occupation
soit donc aussi de vous rendre mes devoirs ! Que
les prémices de mes pensées et de mes sentimens
vous soient donc aussi consacrées, ô Créateur tout-
puissant et tout bon ! A quel autre les offrirais-je
qu'à vous?
Quelle douce émotion de la plus profonde re
connaissance remplit mon cœur, lorsque je réfle
chis aux bienfaits que votre main paternelle a ré
pandus sur moi pendant cette nuit , et à ceux dont
elle est prête à me combler encore durant ce jour !
Si je revois la lumière, si je puis encore éprouver
ici-bas les effets de votre bonté aimable, n'est-ce
point par une pure grâce de votre douce provi
dence et de votre amour sans bornes? N'aurait-il
pas pu arriver que je m'endormisse hier pour ne
AU MOMENT DU RÉVEIL.
plus me réveiller? Le sort de plusieurs de mes
semblables , dont- le sommeil a été changé en une
mort soudaine, n'aurait-il pas pu me frapper éga
lement? Les ténèbres de la tombe couvriraient
maintenant mes paupières; ma bouche serait gla
cée , et mon oreille sourde à la voix de l'amitié !
Mon cœur aurait cessé de battre , et tous mes
membres seraient paralysés ! Pour moi, j'aurais
passé aux régions de l'immortalité I Et dans quel
état, ô mon Dieu ! Peut-être qu'à l'heure qu'il est,
je tremblerais devant votre tribunal de sainteté et
de justice !
Mais non, le Seigneur a voulu prolonger ma
vie. Le temps et les moyens me sont encore don
nés de reconnaître mes erreurs et les faiblesses de
mon cœur , et de réparer tous mes torts. Ces mal^
heureuses chutes d'hier même ne serviront qu'à
me faire sentir mon inexpérience et mon néant ,
et qu'à m'avertir de me tenir mieux sur mes gar
des aujourd'hui , afin de ne plus oublier Dieu ni
la vertu.
Je suis donc rendu à la société, et je revois une
épouse vertueuse , une mère tendre, un enfant
chéri , un bon père , un vertueux époux , un géné
reux bienfaiteur, des amis, des proches, des pa-
rens. Je revois aussi mes ennemis, les personnes
envers lesquelles j'ai eu des torts , peut-être encore
hier ! Je revois même les lieux où je me suis égaré,
et où j'ai eu le malheur de pécher ! Seigneur, je le
a
1-8 RÉFLEXIONS ET SENTIMEKS
reconnais ; si vous prolongez encore ma vie en ce
jour, c'est uniquement pour me fournir l'occasion
de mieux mériter à vos yeux ; pour m'amener à
mieux reconnaître vos bienfaits, et à travailler
plus eflicacement à mon bonheur, en corrigeant
toutes mes erreurs, en réparant toutes mes fautes;
enfin , pour me convaincre toujours davantage que
votre fidélité est toujours la même et votre bonté
toujours nouvelle. O mon Dieu ! pour tant de la
veurs, recevez le sacrifice d'un cœur reconnaissant,
et agréez la promesse sacrée que je fais ici en votre
présence, de fuir aujourd'hui avec tout le soin
possible les occasions qui pourraient devenir dan
gereuses à ma foi et à ma vertu , et de rechercher
avec une ardeur infatigable celles où je pourrai
amasser des trésors d'amour et de miséricorde
pour l'éternité ! Bénissez cette résolution , ce vœu
que je forme , de me conduire en ce jour avec une
prudence et une sagesse véritablement dignes d'un
chrétien.
Réflexions consolantes qui m'êtes sans doute
suggérées par l'Esprit de toute sainteté, soyez tou
jours présentes à mon âme ! Sentimens purs et
divins qui remplissez mon cœur , pénétrez-le tou
jours plus avant ! Oui, je puis, je dois me réjouir
d'une si belle et si riante matinée ;el!e me rappelle
ce grand moment, aussi solennel qu'imposant, de
la résurrection pour la vie à venir , quand je me
réveillerai d'entre les morts ! Plus d'une fois dans
AU MOMENT DU RÉVEIL. ig
ma vie de brillantes matinées ont réjoui mon âme
au moment du réveil ; mais combien ne sera-t-elle
pas plus brillante, cette matinée la dernière de
toutes , ce glorieux réveil pour un jour éternel,
sans nuages , sans changemens , et sans ombre de
vicissitude ! Les récompenses et la gloire du Tout-
Puissant réjouiront éternellement l'ami sincère et
toujours fidèle de la vertu !
Elevez-vous , ô mon âme ! élevez-vous au-dessus
de cette ombre que projette la terre , et que les
mortels appellent la nuit , et contemplez cette
lumière immense et sans fin que jamais nuit ne cou
vrit de ses voiles ! Quand vous aurez triomphé des
ténèbres de la mort , vous serez ainsi plongée dans
l'océan des clartés éternelles du Dieu de la vérité,
de la vie et de la félicité ! La lumière de tous les
soleils n'est qu'une faible image de la gloire du
Seigneur. O mon Créateur I ô source intarissable
de tout bien ! combien mon amour pour vous s'en
flamme au souvenir de vos infinies merveilles !
combien tous mes semblables me deviennent chers,
quand je me rappelle nos immortelles destinées !
Je me hâte donc , Seigneur, de reprendre les
diverses occupations de mon état. Je veux remplir
en ce jour tous mes devoirs avec exactitude et
selon ma conscience. Ma résolution à cet égard est
ferme et inébranlable. Je ne consentirai à aucun
désir , à aucune pensée indigne de vous , et je
n'exécuterai aucune entreprise qui pourrait m'at
20 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
tirer ce soir les reproches de ma conscience ou le»
vôtres. i
Rien ne vous est caché , ô mon Dieu ! vous con
naissez mon cœur, vous en démêlez tous les replis,
et aucun mortel ne saurait vous en imposer. Vous
connaissez mieux que moi le degré de ma sincérité.
Ma volonté est prononcée pour le bien, sans doute :
je veux même marcher d'un pas ferme sous l'œil
de votre éternelle Providence ; mais la chair, vous
le savez , est faible : accordez-moi donc le secours
de votre grâce divine , afin qu'avec la bonne vo
lonté qui m'anime dans ce moment, je trouve aussi
la force de demeurer fidèle à la foi et à la vertu.
Il m'est démontré que je ne pourrai trouver par
aucune autre voie la paix et le contentement du
cœur.
En suivant ainsi les préceptes de la vraie sagesse,
que votre religion seule enseigne , je vous consa
crerai de même le reste de mes jours dont le
nombre sera peut-être plus petit que je ne pense,
et j'estimerai toujours plus le témoignage consolant
d'une conscience pure et sans tache , que tous les
trésors et le faux éclat du monde.
Éloignez de moi , ô mon Dieu ! toutes les ten
tations dangereuses et qui pourraient m'ébranler.
Si votre sagesse divine juge convenable d'éprouver
aujourd'hui ma vertu , ma fidélité et mon amour
par des assauts difficiles à surmonter, alors soyez
a ma droite , et soutenez mon courage chancelant
AU MOMENT DU RÉVEIL. 2 1
par cette grande pensée , que vous êtes vous-même
le témoin éternel et incorruptible de tous mes
sentimens, de toutes mes démarches et de tous mes
sacrifices. Faites qu'à la fin de ce jour mon cœur
puisse se remplir d'une secrète joie , en le considé
rant comme un de ces jours pleins que j'aurai mis
en réserve pour l'éternité.
Mon Créateur et mon Père ! bénissez d'avance
toutes les bonnes œuvres que j'espère accomplir
aujourd'hui par suite de ces résolutions. Faites que
je remplisse avec une véritable joie tous les devoirs
que mon état m'impose.Veillez aussi sur mes biens,
ma santé , mon honneur et ma réputation , et
étendez de même votre bras puissant et protecteur
sur tous ceux qui me sont chers, afin qu'ils ne
soient frappés d'aucun de ces malheurs qui rem
pliraient mon cœur d'amertume ; ou bien , s'il
plaisait au ciel de me visiter en ce jour par quelque
dure épreuve , apprenez-moi alors à me résigner
avec une entière confiance en votre bonté pater
nelle , et à mettre tout mon espoir en vous. Oui,
je crois que je pourrai supporter, avec une patience
et un courage vraiment dignes d'un chrétien, tous
les malheurs auxquels la vie de ce monde nous
expose, ainsi que toutes les traverses que les passions
injustes de mes semblables pourraient me susciter.
Dirigez mes pas , ô mon Dieu ! selon votre bon
plaisir , car vous seul savez ce qui pourra me con
duire plus heureusement à ma fin.
23 IÏÉFLEX. ET SENT. AU MOMENT DU RÉVEIL.
J'élève aussi ma prière vers vous, Père univer
sel , ainsi que Jésus-Christ me l'a enseigné , pour
vos autres enfans, mes frères et mes sœurs, et
généralement pour tous mes semblables. Remplis
sez toute la terre de vos bénédictions. Étendez vos
bienfaits sur tous les humains ; que tous aient à se
réjouir au souvenir de votre bonté toute-puissante,
et qu'en reconnaissant votre main paternelle ils
exaltent vos bienfaits infinis ! Que votre volonté
sainte soit l'unique règle de la conduite de toutes
les créatures raisonnables !
Ces pensées m'accompagneront aujourd'hui dans
toutes mes occupations. Soyez avec moi, Seigneur,
et je n'aurai à craindre aucun mal. Ah ! je le sais
assez , vous ne voulez ni ne pouvez abandonner un
faible enfant que vous avez créé , et qui vous a été
spécialement consacré par Jésus-Christ !
Amen.
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
SUR DIVERS SUJETS
DE RELIGION ET DE MORALE.
».vw\wwwwwwww
PREMIER SUJET-
l'homme.
Je m'occuperai aujourd'hui quelques instans de
moi-même : est-il un sujet qui me touche de plus
près ? Combien de personnes n'ont jamais réfléchi
sérieusement sur la merveille de leur existence !
Moi tout le premier , distrait dès l'enfance par les
objets terrestres qui nous entourent sans cesse et
absorbent notre attention , je n'ai jamais fait un
retour bien sérieux sur mon propre être. Après
avoir étudié la nature et les propriétés de mille
objets qui sont placés hors de moi , je suis obligé
d'avouer que je m'ignore encore moi-même.
En jetant un regard curieux sur la structure
admirable de mon corps, et en réfléchissant atten
tivement à ce qui se passe au dedans de moi , je
suis touché , pour la première fois , d'un profond
24 RÉFLEXIONS ET SENT1MENS
sentiment de surprise à la vue de la merveille de
mon existence. Où suis-je ? Qui suis-je? Quels sont
mes rapports avec la société , et mon rang dans
l'univers ?
Quant à mon corps, il est sans contredit l'ou
vrage le plus parfait qui se rencontre sur la terre.
Tout y est ménagé avec un art merveilleux ,
et qui effraie l'imagination. Il reçoit de tous côtés
les impressions des objets extérieurs sans en être
blessé. Il est pourvu de différentes espèces d'or
ganes , afin qu'il puisse éviter tout ce qui l'offense
ou le détruit. La délicatesse des diverses parties ,
quoiqu'elle ail le à une finesse inconcevable, s'accorde
avec la force et la solidité. Le jeu de tous les ressorts
n'est pas moins aisé que ferme.A peine puis-jesentir
le mouvement de mon cœur, dont l'effort est si pro
digieux ; tandis que je sens les moindres mouve
mens du dehors, si peu qu'ils viennent à moi. Les
artères battent, le sang circule, les esprits coulent,
toutes les parties s'incorporent leur nourriture, sans
distraire mes pensées, sans troubler mon sommeil,
sans exciter tant soit peu mon sentiment : tant' il
existe de règle et de proportion , de délicatesse et
de douceur dans de si grands mouvemens !
Tant d'organes si bien arrangés et si propres
aux usages pour lesquels ils sont faits , la disposi
tion des valvules , les pulsations du cœur et des
artères, la délicatesse des parties du cerveau, et la
variété de ses mouvemens dont dépendent tous les
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2$
autres , la distribution du sang et des esprits , les
effets divers de la respiration, qui sont d'un si grand
usage dans le corps.... tout cela est d'une économie,
et , s'il est permis d'user de ce mot , d'un méca
nisme si admirable , qu'on ne le peut voir sans
ravissement , ni assez admirer la sagesse qui en a
établi les règles.
Il n'est guère de machine connue que je ne re
trouve dans mon corps. Pour sucer quelque liqueur,
les lèvres servent de tuyau , et la langue sert de
piston. Au poumon est attachée la trachée-artère,
comme une espèce de flûte douce , ou un instru
ment à vent, qui, s'ouvrant plus ou moins, modifie
l'air et diversifie les tons. La langue est comme un
archet qui , frappant à la fois les dents et le palais,
produit, de concert avec les lèvres , des sons d'une
prodigieuse variété. L'œil a ses humeurs et son cris
tallin ; les réfractions s'y ménagent avec plus d'art
que dans les verres les mieux taillés. Il a aussi sa
prunelle qui se dilate et se resserre ; tout se règle
sur l'axe de la vision et s'ajuste aux distances ,
comme les lunettes à longue vue. L'oreille a son
tambour où une peau aussi délicate que bien
tendue résonne au moindre bruit qui agite l'air;
elle a aussi dans un os fort dur des cavités prati
quées pour faire retentir la voix et multiplier le
son , comme il arrive dans les échos ou parmi les
rochers. Les vaisseaux ont leurs valvules tournées
en tous sens. Les os et les muscles ont leurs poulies
20" RÉFLEXIONS ET 8ENTIMENS
et leurs leviers; les proportions qui font les équi
libres et la multiplication des forces mouvantes y
sont observées dans une justesse où rien ne manque,
où rien ne reste à désirer. Et au surplus , tous ces
rouages sont si simples, le jeu en est si aisé et
la structure si délicate , que tout autre machine
est grossière en comparaison.
A rechercher de plus près les appareils, on y voit
toutes sortes de tissus : rien n'est mieux filé , rien
n'est mieux passé, rien n'est serré plus exactement.
Nul ciseau , nul tour, nul pinceau ne peut appro
cher de la perfection avec laquelle la nature tourne
et arrondit ses sujets.
Tout ce que peut faire la séparation et le mé
lange des liqueurs, leur précipitation, leur diges
tion, leur fermentation et le reste, est pratiqué si
habilement dans mon corps, qu'auprès de ces opé
rations la chimie la plus fine n'est qu'une ignorance
très-grossière.
On voit aussi à quel dessein chaque chose a été
faite : pourquoi le cœur , pourquoi le cerveau ,
pourquoi les esprits , pourquoi la bile , pourquoi
le sang, pourquoi les autres humeurs. Dirai -je
que mon sang n'est pas fait pour arroser mon
corps et le nourrir; que mon estomac et les eaux
qu'il jette par ses glandes ne sont p;is faits pour
préparer par la digestion la formation du sang;
que mes artères et mes veines ne sont pas faites
de la manière qu'il faut pour le contenir, pour le
i
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 27
porter partout , pour le faire circuler continuelle
ment, ou que le cœur n'est pas fait pour donner l'im
pulsion à cette circulation ? Dirai-je que la langue
ou les lèvres , avec leur prodigieuse mobilité , ne
sont pas faites pour former la voix en mille sortes
d'articulations, ou que la bouche n'a point été mise
à la place la plus convenable pour transmettre la
nourriture à l'estomac; que les dents n'y sont point
placées pour rompre cette nourriture et la rendre
capable d'entrer ; que les eaux qui coulent dessus
ne sont pas propres à la ramollir , et ne viennent
pas pour cela à point nommé ; ou que ce n'est pas
pour ménager les organes et la place, que la bouche
est pratiquée de manière que tout y sert également
pour la parole et la nourriture ? Dirai-je que ma
main , avec ses doigts si déliés et leurs ongles si
admirablement ménagés , n'est pas faite pour le
travail, ni placée de manière à pouvoir soigner tout
le corps ; que les pieds ne m'ont point été donnés
pour me transporter partout où je veux ; que l'œil
enfin n'est point fait pour voir, ni l'oreille pour
entendre ? Certes , je ne suis ni assez stupide ni
assez insensé pour outrager la raison d'une manière
aussi grossière et aussi révoltante.
Mais quel être plus admirable mille fois anime
ce corps? Qu'est-ce que cet esprit , quelle est cette
âme , ou ce moi, qui vient de faire toutes les ré
flexions précédentes , et de former ces divers rai-
sonnemens? O surprise! serait-ce encore ici une
28 RÉFLEXIONS ET SEJVTIMENS
opération secrète de ce même corps que j'examine;
un autre jeu de nerfs encore plus fins et d'humeurs
encore plus déliées? Mais quel rapport peut-il y
avoir entre la nourriture grossière que je prends , et
la pensée, le jugement, là raison, ce moi surtout
qui demeure toujours individuellement le même ,
quoique les parties matérielles changent sans cesse,
au point que dans peu d'années tout mon corps se
renouvelle ? Un composé de chair et d'os , qui
pense, qui raisonne, qui s'admire lui-même ! Non,
la matière organisée n'est point susceptible d'une
telle perfection! Ce qui constitue vraiment l'intelli
gence individuelle dans l'homme doit être tout
autre chose que ce que prétend l'anatomiste ou le
physiologiste grossier. Etsije trouve que l'existence
des êtres purement spirituels ne répugne point à
l'essence des choses ,' je serai convaincu que c'en
est un qui m'anime. Mais pourquoi l'existence d'un
être purement spirituel et étranger à la matière se
rait-elle impossible? L^sprit n'est-il pas plus conce
vable que le corps lui-même? Les philosophes ne
peuvent faire autant d'objections contre la création
des êtres immatériels que contre celle des corps.
Dire qu'un objet n'est point matériel, ce n'est pas
dire qu'il n'est rien : le moi intelligent est sans doute
un véritable être ; et si nous ne pouvons nous en
faire une idée , c'est uniquement parce qu'il en est
de l'âme comme d'un sixième sens, ou d'une hui
tième couleur primitive : nous n'avons jamais vu
SUR DIVERf? SUJETS DE RELIGION. 2g
d'objets semblables. Oui, cet être simple séparé de
la matière, cette âme qui me donne le sentiment et
la vie , ne peut être méconnue par un homme raison
nable. Et, quoique je ne puisse m'en former une
idée exacte , je dois encore avouer qu'elle m'est
plus intimement connue que ce corps lui-même
qui lui est uni ; car , après tout, mon âme, c'est ma
raison, c'est moi; tandis que le corps n'est qu'un in
strument dont je me sers , et qui m'est en quelque
sorte étranger. Le somnambulisme, dont les phé
nomènes sont si surprenans et si inexplicables pour
les matérialistes du jour, prouve jusqu'à l'évidence
que ce n'est point l'œil qui voit, ni l'oreille qui en
tend, ni en général le corpsqui sent; mais que toutes
ces fonctions sont le propre de l'âme, laquelle est un
être individuel, et qui peut exister sans les organes.
Maintenant donc, pourquoi suis-je sur cette
terre? Quelle main habile m'y a placé? Quelle est
la fin de mon être?Je connais bien l'usage de chaque
partie de mon corps ; mais mon être tout entier ,
quelle en sera la destination ? Quel est mon rang,
mon emploi dans la grande chaîne des êtres créés?
Suis-je fait uniquement pour cette terre, pour la so
ciété du genre humain, ou bien ai-je des rela tions avec
le Créateur et avec un monde plus parfait? 0 vous
tous, êtres qui m'environnez! beau firmament! ad
mirable nature! et vous, terre, parlez.... je vous
interroge ! Qu'exige de moi ce souverain Seigneur,
dont vous m'annoncez l'existence , la grandeur et
30 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
la majesté? Vous êtes muets! — Mais que votre
silence me parait éloquent !—Oui je suis un des rois
de ce globe! Être libre et intelligent, je dois aller
à ma fin par moi-même. J'interrogerai donc mes
semblables, je m'interrogerai moi-même : ma rai
son et mon cœur me parleront du Dieu qui m'a créé !
O mon Créateur, mon éternel bienfaiteur! Ah !
pourquoi , pourquoi êtes-vous un Dieu caché ?
SLR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3i
SECOND SUJET
DIEU.
Ou est cette source éternelle qui répand inces
samment la lumière, la vie et le bonheur sur tous
les globes et sur toutes les créatures? Où est cette
première action d'où dérive toute force, toute vertu ,
tout mouvement, par laquelle tout a reçu l'être, et
par laquelle tout se conserve ? Où est cette cause
première qui ne dépend que d'elle-même , et qui
est l'unique principe de tout ce que je vois , de tout
ce que je sens , de tout ce que j'entends ? Où est-elle ,
cette première, cette suprême raison , cette sagesse
immense , cette bonté infinie qui a laissé de si bril
lantes traces autour de moi dans l'empire de la
création? Tout ce qui m'environne ne porte-t-il
pas l'empreinte d'une puissance illimitée, d'une sa
gesse sans bornes et d'une bonté qui embrasse tout?
O vous ! de quel nom vous appellerai-je ? Créateur,
Dieu , Eternel , Etre des êtres , le ciel et la terre
m'annoncent votre existence ! Le bruit de la feuille
qui tombe me parle de vous , comme celui du fleuve
qui se précipite dans l'abîme. Chaque grain de
sable , chaque plante , chaque brin d'herbe , l'homme
et le vermisseau , tout ce qui a l'être bu la vie, me
32 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
raconte vos merveilles. Je vous vois dans la lumière
du soleil aussi bien que dans la faible lueur de l'in
secte de la nuit. Je vous entends dans le chant de
l'oiseau comme dans le rugissement du lion. Je
vous reconnais dans la voix d'un ami comme dans
le bruit du tonnerre ou le mugissement des vagues
de la mer. En un mot , je reconnais votre action
divine danschaque vertu quim'anime etm'échauffe ;
et il n'est point de force dans mon corps, point de
puissance dans mon âme, qui ne me dise en un
langage ineffable : Il y a un Dieu, un Créateur;
adore-le ! Seigneur , vous avez été, vous êtes et
vous serez ! !
Oui, ma raison et mon cœur se réunissent pour
m'assurer qu'il existe un Dieu. Que dis-je ? ce corps
lui-même, dans sa structure admirable, m'apprend
qu'il existe un auteur divin. Le jeune enfant plein
de candeur et de simplicité, et dont la raison com
mence à se développer, m'annonce ce Dieu dont la
bonté brille dans tous ses traits. ^Toutes les nations
reconnaissent l'Etre éternel , quoiqu'elles l'adorent
de diverses manières; et tous les jours des mil
lions de mes semblables lui adressent leurs vœux :
l'homme civilisé comme le sauvage , l'Européen
éclairé comme l'Américain simple et grossier , le
philosophe aussi bien que le laboureur; l'athée lui-
même , et le matérialiste , tendent vers lui leurs bras
et l'invoquent au moment du naufrage ! Qui pourra
donc vous méconnaître , ô mon Dieu! — Qui ? —
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 33
L'impie lui seul dira dans son cœur : Dieu n'est pas ;
et son cœur le démentira !
En effet, l'âme corrompue , la conscience agitée
par les remords sans espoir de repentir , l'esprit
aveugle , la passion injuste , un cœur flétri par le
crime , enfin l'homme au désespoir, pourront seuls
douter de l'existence d'un Dieu créateur et rému
nérateur! ii , ; • .t i i • ' -
Voici comment raisonne le philosophe vain, or
gueilleux et indigne de ce nom : Je ne comprends
pas un Dieu créateur, éternel, immense, infini,...
donc il n'existe pas; et voici le langage solide et
humble du vrai philosophe et de la raison : Je ne
comprends pas un Dieu créateur, éternel , immense,
infini y... donc jesuis un être borné, mais Dieu n'en
existe pas moins. De ce que je ne le comprends
pas , il ne s'ensuit pas que je doive l'anéantir: c'est
à moi de m'anéantir devant lui. Moins je le
comprends , plus je l'adore. Je. m'anéantis en sa
présence, et me réjouis de le voir si fort élevé au-
dessus de tout ce qui est créé , et. de nia faible
conception. Si je le comprenais , il ne serait plus
le Dieu de mon cœur : le Dieu de mon cœur est
un Dieu incompréhensible. <,,
Pour moi, Seigneur , que je suis heureux de vous
reconnaître ! que je suis heureux de pouvoir ainsi
élever mon âme et mon cœur jusqu'à vous, ô source
éternelle de toute perfection , de toute beanté et
de toute félicité ! Du haut de votre trône immuable ,
3
34 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
ô vous qui habitez une lumière inaccessible! jetez
un regard sur l'ouvrage de vos mains ! Du fond de
l'abîme j'ose élever un œil timide jusqu'à vous , et .
vous dire que je vous reconnais, que je vous aime ,
et que je me sens pénétré de reconnaissance en
vers mon Créateur. Périssent ceux qui vous mé
connaissent ! Qu'ils soient anéantis ces stupides qui
préfèrent le néant au Dieu éternel ! ou plutôt, Sei
gneur , dans votre pitié et votre miséricorde infinie ,
éclairez ces pauvres aveugles et les rappelez à vous ;
car, hors de vous , il n'est point de vrai bonheur.
Comme la vie humaine me semblerait sombre et
triste sans vous , ô mon Dieu ! comme elle me pa
raîtrait vide de plaisirs ! Si j'étais un simple jeu du
hasard , que pourrais-je espérer pour la suite ? A
qui pourrais-je confier le soin de ma destinée? Sur
qui pourrais-je me reposer de mon sort? ou plutôt,
que n'aurais-je point à redouter! Ce même hasard,
aveugle et sourd, qui m'aurait produit, ne pour
rait-il pas aussi me rendre éternellement malheu
reux sans que je pusse m'en plaindre ? Dieu de
mon cceur! si je n'étais persuadé que vous êtes mon
Créateur, et que vous serez éternellement mon pro
tecteur, je porterais envie à l'être irraisonnable qui
me suit, car son sorjt serait plus heureux que le
mien. La raison, le sentiment , ne seraient plus
alors pour moi qu'un martyre continuel et un
bourreau qui me rappelleraient incessamment mes
malheurs. Comment donc , ô Dieu de mon bon-
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 35
heur! ce penchant qui m'entraîne vers vous, ce
désir inquiet qui vous cherche et vous réclame ,
comment serait-il chimérique et sans ohjet? Ah ! ce
désir est entré si avant dans mon âme ! il a péné
tré si profondément dans mon cœur !
Esprit troublé et faible, rassurez-vous ! Dieu l'E
ternel est le Créateur de tous les mondes, aussi-bien
que du vôtre. Vous avez été produit par son souffle
immortel. Oui, je le crois d'une foi ferme et iné
branlable , et je me réjouis dans cette foi de toute
la plénitude de mon cœur.
Maintenant donc, je sens mieux le prix de mon
existence ; je ne me trouve plus abandonné, seul et
isolé au milieu de mes semblables qui sont tous
faibles comme moi. Je ne suis plus un jeu de l'a
veugle hasard , mais je suis votre ouvrage , l'ou
vrage de vos mains , le produit de votre sagesse et
de votre bonté; je suis, Seigneur, votre créature,
votre enfant. Vous ne me voulez que du bien , et
j'ai même appris à vous appeler du doux nom de
Père l
Maintenant la paix la plus profonde , la joie la
plus pure remplit mon âme. Je sais de qui je pro
viens et en qui je crois ; je sais de quoi je puis me
réjouir ou me consoler ; sur qui je puis me reposer
de mon sort. Je sais que c'est vous, ô mon Dieu !
qui êtes le créateur de tous les êtres , le père de
tous les hommes , et le mien , et que vous le serez
éternellement. Rien ne pourra donc m'arracher du
3.
36 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
cœur cette douce persuasion , cette foi bienfaisante ;
et je veux me laisser aller aujourd'hui tout entier
à ce doux sentiment et que je viens de vous , et que
je vous appartiens. La reconnaissance, l'amour et
une joie inefFable s'emparent de mon âme à cette
grande, à cette sublime pensée, et j'éprouve les
émotions les plus saintes et les plus sacrées.
Puisse, ô mon Dieu ! ce sentiment de reconnais
sance ne point vous déplaire dans le cœur d'une
faible et chétive créature ! Puisse -t- il vous être
agréable ! — Ah ! qûi m'apprendra à entrer dans vos
vues, Seigneur? qui m'enseignera votre volonté?
Daignez m'instruire vous - même ; vos désirs se
ront des ordres pour moi ! Vos commandemens
sont doux ; ils mènent à la perfection, parce que
la perfection mène à la félicité. Faites que j'ap
prenne à vous connaître toujours de plus en plus ,
et que je ne cherche mon bonheur qu'en vous par
l'accomplissement de votre éternelle volonté.
SUR DIVEKS SUJETS DE RELIGION.
W\tfW\W\^IVIVWW\V\WWVl\'V*WVWWWWlWWWIWWWVw\x\w\w\w\ww\
TROISIÈME SUJET.
PERFECTIONS DE DIEU.
Dieu est l'éternelle et immuable perfection. Il est
le grand modèle proposé à l'imitation de l'homme
et de tous les esprits créés. Quel que soit le degré de
perfection auquel ceux-ci soient déjà parvenus , ou
la hauteur à laquelle ils pourront s'élever encore
pendant toute l'éternité , il restera toujours une
distance infinie entre la plus parfaite des créatures
et le Créateur! Cependant, quelle vocation pour,
l'homme et pour tous les êtres intelligens !
Quoiqu'en Dieu la perfection ne soit , à propre
ment parler, qu'Une, quoiqu'elle soit indivisible,
je la contemplerai néanmoins sous les divers rap
ports que la faiblesse de l'esprithumain y distingue.
Une sainte frayeur s'empare de moi au mo
ment que je médite de pénétrer dans le sanctuaire
de la Divinité ! Je me reconnais indigne d'en pro
noncer même le nom ; comment serais-je en état de
dénombrer toutes les merveilles de ses ineffables et
incompréhensibles perfections! Qui êtes-vous donc,
Seigneur , et où est le trône de votre immense em
pire ? Il me semble ici entendre une voix secrète
au fond de mon âme qui me répond : Je suis celui
qui est ; les créatures ne sont pas ; leur existence
38 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
n'est que secondaire : pour moi , j'existe par moi-
même , et je suis l'être par excellence !
Grand Dieu ! ayez pitié de moi ; je me sens tout
opprimé de votre- gloire ! Laquelle , de vos éter
nelles perfections , fera le premier sujet de mes
réflexions et de mes extases ? Parlerai-je de votre
grandeur et de votre majesté suprême? Non; l'es
prit d'un mortel , tout étendu que vous l'ayez créé ,
ne les a jamais mesurées. Personne n'a jamais sondé
cet abîme sans fond! Mais je m'arrêterai d'abord à
cette perfection aimable dans laquelle vous semblez
vous-même vous complaire davantage , et que
vous regardez, pour ainsi dire, comme le plus bel
apanage de votre Divinité ; votre Bol\té infinie. On
a dit que la bonté était une vertu royale : non ,
c'est une vertu divine; que dis-je? c'est la perfec
tion elle - même tout entière ; c'est Dieu ! Bonté ,
bonté suprême, c'est le nom que diverses nations
ont donné au Seigneur, selon leurs diverses langues.
Soyez donc aussi ma vertu favorite, ma vertu
chérie , la vertu de mon cœur, ô bonté , ô tendresse ,
ô miséricorde ! Tous les sentimens précieux et di
vins vous accompagnent ; l'amour , la charité , la
sensibilité , la douceur , la pitié , l'humanité , la
condescendance, l'affabilité, la prévenance et la lon
ganimité.
Vous êtes éternel , ô mon Dieu ! c'est-à-dire
que pour vous il n'y a point de temps , parce que
vous ne connaissez ni changemens ni vicissitudes.
SLR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3g
Vous avez été, vous êtes, et vous serez. Quand ce
monde aura vieilli , vous le changerez comme on
change un vêtement : pour vous , vous serez encore
le même, car vous êtes revêtu de lumière ! Quand
tous ces globes étincelans auront disparu les uns
après les autres dans la voûte des cieux ; quand le
ciel et la terre ne seront plus , vos années ne se trou
veront pas encore diminuées , car vous êtes l'ancien
des jours ! Soyez donc loué, Seigneur , et soyez béni
ilans tous les siècles , et au delà des siècles. Pour
moi , je ne , suis que d'hier,; ma vie n'est qu'un
souffle ; je ne suis qu'un faible vermisseau, quoique
créé' à votre image et animé par votre toute-puis
sance. Lorsque vous avez tiré du néant toute la
création ; lorsque vous avez appelé tous les astres
-par leurs noms, et que vous avez dit à la terre
de paraître , alors vous m'avez appelé également à
l'existence, ahn que je pusse vous aimer et ressentir
tous vos bienfaits.
Dieu créateur : quel titre imposant! comme il
exprime bien la puissance , la grandeur , la majes
té ! Je remonte en esprit avant tous les siècles jus
qu'à cet espace sans nom qui précéda la création ,
lorsqu'il n'y avait encore ni temps ni époques : là ,
je trouve mon Dieu, l'Eternel, existant en lui-
même et heureux de son propre bonheur ! Tout à
coup , il le désire , et la première étoile se montre ,
la terre paraît , la première aurore luit , le soleil
s'élance dans sa carrière et éclaire le grand abîme ;
40 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
les temps commencent, et les années se succèdent
*, pour former des siècles ! Le Créateur a arrondi
tous les globes entre ses doigts , et les a posés
sur leurs propres centres, pour se contre-balancer
dans l'immensité ! Il a fait la terre par sa vertu ; il
a préparé l'univers par sa sagesse ; il a étendu les
cieux par son intelligence , et il a fini par créer
l'homme, le roi de ces vastes domaines. Et cet
homme c'est moi! Etre intelligent et libre, le
Créateur demande de moi un culte volontaire , le
culte de la vertu , de la justice , de la vérité. O Dieu î
que je ne souille donc jamais en moi votre image
divine ; que je ne méconnaisse donc jamais la no
blesse de mon être ! Vous m'avez communiqué
comme une portion de votre essence , de votre rai
son , de votre liberté , de votre indépendance éter
nelle : que je sois malheureux et misérable à ja
mais, si j'abuse de tous ces dons , si vous avez enrichi
un ingrat, et si je ne mets pas ma gloire à vous
imiter en tout ! Vous m'avez fait moi-même l'arti
san de mon bonheur : quelle perfection pour une
créature ! Insensé ! et j'ai osé quelquefois m'en
prendre à mon noble et généreux bienfaiteur, des
malheurs qui me sont arrivés ! Mon Dieu l si je ne
vous ai pas bien connu jusqu'à ce jour; si je ne me
suis pas bien connu moi-même ; c'est que l'on ne
m'avait point encore fourni de pensées assez éle
vées sur la nature de votre être et du mien ; c'est
que ma raison n'était point encore assez cultivée
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 41
pour pouvoir me suggérer des idées plus justes.
Mais aujourdhui je reconnais que la liberté dontje *
jouis est entière et parfaite , et que vous ne pouvez
ni ne voulez la contraindre en aucune manière. Je
sais que vous n'avez en vue que le bonheur de toutes
vos créatures , et qu'aucune d'entre elles ne sera
malheureuse que par sa propre faute.
Dieu immense , Dieu tout-puissant : il est présent
en tous lieux , et partout son autorité est absolue :
rien ne saurait résister à sa volonté suprême ! Qui
mettra des bornes à sa puissance ? qui en mettra
à son immensité ? O hommes ! soyez saisis d'éton-
nement et adorez en silence ! car le Seigneur est
encore infiniment plus grand en lui-même qu'il
ne s'est montré dans ses œuvres ! Qui pourra l'em
pêcher de créer encore mille mondes plus riches et
plus beaux que celui que nous connaissons ? Ce
n'est qu'en tremblant que le philosophe doit lui as
signer les limites de l'impossible pour bornes de
sa puissance!
Si je remonte au plus* haut des cieux , je vous y
trouve , ô mon Dieu ! Si je descends au plus pro
fond des abîmes, je vous y rencontre ! Si je prends
mon essor, et que je me transporte au delà des
mers , votre main m'y conduit ! Où irai - je
donc me cacher quand je méditerai le crime ? La
nuit pourra-t-elle couvrir mes démarches a vos
yeux? Non : les ténèbres sont pour vous aussi
éblouissantes que les rayons du soleil ! Je me con
4? RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
duirai donc toujours d'une manière qui puisse vous
être agréable et nie donner quelque assurance au
moment terrible où ma dépouille mortelle viendra
à se dissoudre , où le voile tombera , et où je vous
verrai tel que vous êtes , ô vous , aujourd'hui le Dieu
invisible , mais qui ne laissez pas d'être toujours à
mes côtés et de me suivre partout de l'œil de votre
providence !
Dieu est la voie , la vérité et la vie : que je marche
donc dans cette voie ! c'est celle de la perfection et
dela vraie félicité! Que je m'approche donc de
plus en plus du Seigneur! je m'élèverai par-là de
vertu en vertu et de gloire en gloire. Ainsi que la
vérité , Dieu se trouve partout ; il est présent par
tout ; il est partout le même : dans tous les lieux
où il sera vrai de dire que la vertu est aimable,
Dieu s'y trouvera , car il est la vérité. Est-il un seul
objet dans la nature qui plaise autant à l'esprit hu
main que la vérité? est-il un seul objet qui lui donne
de plus grandes extases , et qui soit le but le plus
continuel de ses recherches et de ses poursuites?
— Faites donc , Seigneur , que je sois toujours
vrai , et que je nourrisse incessamment mon âme
de science et de vérité.
Dieu est aussi la vie , la source de toute vie ; il
n'y a point de vie sans lui : faites donc aussi , ô
mon Dieu ! que je ne vive que pour vous , et que
je vive éternellement en vous ! Ah ! n'anéantissez
jamais une âme qui vous connaît et qui vous al
SUR fc-IVERS SUJETS DE RELIGION. 4^
teint , parce que vous l'avez créée à votre image ;
une âme qui vous aime et s'élève jusqu'à vous !
Seigneur , vous êtes encore infiniment juste ,
quoique infiniment miséricordieux ; de même que
vous jouissez d'une parfaite liberté , quoique vous
soyez immuable. Vous êtes saint dans le suprême
degré ; et cependant vous permettez le mal dans
vos créatures libres. Vos perfections ne sont point
semblables aux perfections des hommes , et vos
pensées ne sont point leurs pensées. Vous êtes le
Dieu incompréhensible aux mortels !
Ecoutez donc cette prière , ô Dieu incompréhen
sible! Je sais que jamais je ne vous connaîtrai aussi
parfaitement que vous vous connaissez vous-même,
quand bien même mon âme se perfectionnerait éter
nellement : mais éternellement je pourrai décou
vrir en vous de nouvelles perfections , et des mer
veilles nouvelles dans vos ouvrages ! Faites donc
que je commence, dès à présent, à marcher sur la
route de la perfection, et à devenir saint comme
vous êtes saint! Vous n'avez pu séparer le bon
heur de la perfection ; mais vous pouvez me rendre
tous les jours plus heureux , à mesure que j'en
trerai mieux moi-même dans toutes les vues de
votre amour !
-
44RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
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QUATRIÈME SUJET.
DESTINÉE DE l'hOMME.
Il n'y a pas le moindre doute que je puisse con
naître ma destinée, et découvrir les desseins conçus
par le Maître de la nature en me créant ; sans cela
je serais incontestablement le plus mal partagé de
tous les êtres qui m'entourent. Connaissant la des
tination de la plupart de ces êtres, et les condui
sant à leurs fins par des moyens propres, il n'y au
rait donc que l'homme , le plus noble de tous „
dont j'ignorerais l'emploi , et qui me paraîtrait
comme égaré , comme déplacé sur cette terre ! La
nature , si sage et si prévoyante partout ailleurs ,
n'aurait donc travaillé ici qu'en aveugle , et unique
ment pour le malheur des créatures intelligentes !
Non , il est impossible que le souverain Seigneur
de toutes choses m'ait laissé dans l'ignorance de ce
qui me touche de si près! Je puis connaître ma
destinée et les moyens d'y parvenir ! Doué de
raison et de liberté , je dois m'avancer moi-même
vers mon but , et ce but doit être digne de moi
aussi-bien que du Créateur.
C'est à la lumière de la raison dont l'Eternel m'a
orné, et à celle de la religion dont il m'a fait parti
cipant, que je veux examiner, en ce moment, la
SLB DIVERS SUJETS DE RELIGION. ' ^5
question intéressante de ma destinée , ou du Lut
que Dieu a pu avoir en me créant.
Je dois poser d'abord un grand principe : cet
Etre si bon, si sage et si puissant, qui m'a placé
sur cette terre , n'a pu avoir d'autre intention que
celle de me rendre heureux. Comment imaginer
qu'il eût voulu faire servir sa toute -puissance à
produire des créatures malheureuses ?
Mais comme par ma nature je suis un être in
telligent et libre, Dieu a dû nécessaibement me
donner des lois , et j'ai dû nécessairement encore
devenir moi-même l'instrument de mon propre
bonheur. Qu'ai-je donc à faire pour parvenir à cette
vraie félicité qui est ma fin, si. ce n'est d'entrer
volontairement dans les desseins sublimes que le
ciel a sur moi , et de ne contrarier en rien ses vues
bienfaisantes en abusant lâchement de la liberté
entière qui m'a été donnée pour ma perfection ?
Éclairez , ô Soleil éternel de vérité ! éclairez en
ce moment ma raison , si j'ai eu le malheur de
l'obscurcir moi-même par mes passions , mes pré
jugés et mes crimes , ou si j'ai eu le malheur de
naître de parens ou d'ancêtres qui ont négligé la
science du salut depuis plusieurs générations , afin
que je puisse reconnaître mon véritable but , vos
désirs et mes vrais intérêts.
La destinée de l'homme sur la terre est noble
et grande ; ses relations sublimes avec la société et
avec le ciel le prouvent d'une manière incontes
46 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
table. Et quand même , par une supposition im
possible , je n'aurais aucun rapport avec un monde
plus parfait, le prix de mon être serait encore en
quelque sorte grand , et mon but noble et relevé.
Pourquoi aurais-je reçu ce corps , ce chef-d'œuvre
de puissance et de sagesse, qui est en même temps
si délicat dans toutes ses parties , et si solide et
durable dans sa force? qui est si sensible, et ce
pendant si endurci aux peines et aux travaux ?
Pourquoi cet esprit , avec ses vastes conceptions et
ses rares talens ; cette raison qui comprend tout;
cette imagination qui se rend tout présent ; cette
mémoire qui sait tout rappeler ; ce vol rapide de
la pensée qui traverse l'empire de la création ,
qui de cette terre s'élance au ciel et revient ap
profondir les abîmes de la mer ?Pourquoi ces désirs
insatiables qui ne reposent jamais, cette lutte con
tinuelle de forces opposées; ces passions sublimes
quand elles sont vertueuses , mais si terribles dans
leurs écarts ? Oui , ma destinée , à ne me considérer
que comme citoyen de cet univers , est déjà grande !
Placé par le Créateur sur ce vaste théâtre , je dois y
exercer mes forces et déployer mes vertus.Tout au
tour de moi se range l'immense création ; je suis en
état d'en admirer la beauté. Enflammé , extasié à la
vue de ses merveilles innombrables , je puis élever
mon admiration, mes sentimens de reconnaissance,
mon amour , mes adorations , jusqu'au pied du
trône de la Divinité ! Toutes les bénédictions du
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4"]
ciel remplissent la terre ; la nature étale partout
ses richesses et son abondance; roi d'ici -bas , je
jouis seul de ces biens , seul je me rends la nature
tributaire. Le plaisir , la joie , les plus douces
consolations , se trouvent semés partout sur le
chemin de la vie : si je ne sais les apprécier ni les
distinguer des fausses jouissances ; si je ne sais me
les approprier au milieu d'une vie pleine d'inno
cence et de vertu , ce n'est qu'à moi-même que je
dois m'en prendre.
Je révère donc d'abord dans l'homme cet instru
ment de la Providence qui peut et doit servir au
bien général , et contribuer à faire fleurir partout
la vérité et la vertu. L'homme doit aider à dimi
nuer les souffrances de toute l'espèce humaine, et
à en augmenter la félicité par sa bienfaisante cha
rité , son amour et sa sollicitude , par son travail ,
son assiduité , sa douceur et sa patience. Il doit
assurer et consolider de tout son pouvoir le bien-
être de ses semblables , en se perfectionnant lui-
même , en formant son cœur, en ornant son esprit
et en ennoblissant tout son être ; en un mot ,
l'homme sur la terre doit chercher à établir autour
de lui le bonheur par la vertu , la justice et la
vérité , et s'assurer pour jamais cette paix de la
conscience et cette approbation intérieure qui re
lève si puissamment toutes les jouissances et adou
cit toutes les peines.
Mais la vie de ce monde n'est pas la seule ni la
48 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
dernière destinée des humains. Nous portons en
quelque sorte le sceau de l'immortalité empreint
sur notre front et dans tout notre être. Dieu peut
en effet nous perfectionner , et nous perfectionner
encore; il peut nous rendre heureux, et augmenter
sans cesse notre bonneur, moyennant notre propre
coopération , et pendant une éternité I Telle ne
serait-elle donc pas la grande et noble destinée des
mortels? Ah! si l'homme sentait toujours hien sa
grandeur , s'il était toujours bien pénétré de la
noblesse de son être, enrichi et privilégié au-dessus
de toutes les autres créatures qui l'environnent;
s'il pensait incessamment au haut degré de perfec
tion qu'il pourrait déjà posséder, et à celui auquel
il pourra encore atteindre par ses vertus pendant
les années éternelles, sans doute il aurait honte
de se dégrader jusqu'à la bassesse du vice ! sans
doute il saurait se mettre au-dessus de toutes les
faiblesses de son cœur, et secouer cette insouciance
qui l'arrête sur le chemin de la perfection, et
l'éloigne de sa destinée !
Tous les êtres sont destinés à servir l'homme ,
roi de la terre , et aucun d'entre eux ne se
porte hors de la sphère de cet univers. Toutes les
chaînes des êtres subalternes viennent aboutir
à l'homme, lequel forme ce grand anneau par où
notre monde tient à un autre système. Seul je
m'élance hors de la sphère étroite de ce monde !
seul je me sens destiné à quelque chose qui jn'est
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 49
point terrestre , mais céleste ! De même que les
divers règnes de la nature se confondent ici-bas ,
et se tiennent comme par la main , de même notre
monde animé passe imperceptiblement au monde
des pures intelligences. Qui oserait prétendre que
la grande chaîne de la création se trouve terminée
à l'homme? Quel philosophe a jamais eu la té
mérité de dire : Voilà la dernière borne des œuvres
du Créateur?— Et si le sort d'un seul individu ne
vous frappe point assez , quoique le vrai philosophe
doive raisonner ici d'un seul homme comme de
tous les hommes ; étendez un peu vos idées , con
sidérez toutes les générations à la fois ! Serez-vous
assez insensé pour vous persuader que la masse
entière du genre humain n'a été créée uniquement
par le Tout-Puissant que pour vivre et pour mou
rir? Ne voyez-vous pas que ce serait un jeu, et
un jeu indigne de l'Eternel , que de ne créer que
pour un temps limité des êtres sensibles et in-
telligens ?
L'incrédule dira dans son langage toujours
vague : Qu'en savons-nous? cèt univers , tel que
nous l'habitons, est peut-être nécessaire dans le
grand Tout, quoique l'homme périsse. Inconsé
quence et contradiction ! Sans doute que tous les
mondes, divers* ne forment qu'un ensemble , dont
le nôtre ne fait qu'une très-petite partie ; mais les
véritables liens par lesquels nous tenons au grand
Tout , quels sont-ils ? quels sont nos rapports avec
4
JO BÉFLEXIOXS ET SENTIMENS
les mondes plus parfaits? Apparemment qu'il y
a d'autres liaisons qui réunissent les parties d'un si
grand ensemble , que celle de l'attraction newto-
nienne ! De bonne foi , la religion, la vie future,
l'immortalité, voilà les seuls vrais fondemens des
relations que nous puissions avoir avec un autre
monde , et par où nous puissions tenir à ce grand
Tout qui vous extasie.
Au reste , ne croyons pas non plus que quelques
chétives planètes éloignées les unes des autres
soient seules habitées. Elles ne sont que les pépi
nières du monde spirituel et invisible. La nature
n'est point morte et solitaire ; non, les espaces sont
peuplés , et des milliers d'êtres spirituels nous
entourent et nous dirigent souvent sans que nous
nous en doutions !
La raison me dit donc en général , eu égard à
la bonté et à la puissance du Créateur, que je suis
destiné à la félicité. Mais si je demande des détails
sur le bonheur pour lequel je suis créé , ou sur la
manière dont j'ai à me conduire pour y parvenir,
ma raison s'obscurcit, elle devient incertaine, elle
se tait ; probablement parce que les hommes ont
négligé depuis bien des siècles leurs destinées im
mortelles, et qu'ils se sont enfoncés peu à peu dans
les ténèbres du vice, et ont ainsi insensiblement
perdu les traditions primitives et les lumières
divines communiquées nécessairement aux pre
miers hommes. Une vaine philosophie ne peut
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 5l
plus que nous dire : Sois honnête homme , et
assurément celui qui t'a créé ne t'abandonnera
pas. Encore , nos prétendus sages se contredisent-
ils en un point si important. Souvent ils réfutent
eux-mêmes dans une page ce qu'ils viennent de
prouver dans l'autre. Je. ne puis donc écouter
ici exclusivement ni Rousseau , ni Voltaire , ni
Helvétius , ni Diderot , ni Bajle , ni Mirabeau ,
ni aucun des philosophes anciens ou modernes ,
tous plus ou moins passionnés, tous plus ou moins
attachés à leurs propres systèmes. Mais je dois
écouter la sainte voix de ma conscience , de ma
raison, et surtout celle de ma religion. J'invoquerai
le Créateur, et il saura éclairer mon esprit et for
tifier mon jugement. J'écouterai la voix de l'uni
vers. Je m'égarerai plus difficilement avec la foule
des peuples , que je ne ferais , en ce point , avec
un philosophe isolé , fût-il le premier génie de son
siècle , ni avec une secte particulière , se crût-elle
la seule éclairée.
Et quand on ferait encore mille fois plus d'ob
jections que l'on n'en a fait contre l'existence de
Dieu , contre l'immortalité de l'âme ou contre le
christianisme; quand mon propre cœur me dirait:
Il n'y a point de Dieu , je me prosternerais encore
tous les jours avec les nations entières qui l'adorent.
La voix respectable du genre humain repousse et
confond tout blasphémateur isolé , et anéantit son
blasphème.
i.
5l RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Je serai donc intimement persuadé que ma des
tinée s'étend au delà du tombeau , et que la plus
noble partie de mon être , susceptible d'une féli
cité éternelle , survivra à la dissolution de ce corps
terrestre. Cette vie n'est qu'un germe, qu'un bou
ton qui s'ouvre ; la fleur paraîtra plus tard , et le
fruit la suivra de près.
O mon Dieu ! que ces considérations sont ca
pables de remplir mon âme d'une sainte joie, d'un
saint enthousiasme !
Maintenant aussi , l'univers entier se présente à
moi sous un autre jour. Cette courte vie n'est plus
qu'un lieu d'épreuve , d'exercice et de préparation
pour l'éternité. Oui, c'est sur cette terre que je
dois faire mes préparatifs pour la vie à ve*nir ;
comme cet homme prévoyant qùi , quittant son
lieu natal , se dispose à s'embarquer pour les ré
gions encore inconnues d'un nouveau.monde. Main
tenant je me sens infiniment élevé au-dessus de
cette terre et de l'orbite étroit du firmament , car
mon âme mûrit pour l'éternité. Remplie d'espoir,
de confiance et d'un secret pressentiment de la vie
future, mon âme s'élance avec résolution à travers
la vallée sombre de cette première vie , jusqu'aux
portes éternelles.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 53
WWW«MVWVWVWMMUMIWMWVVWVWVM1YVVW1Wl\HWW\W\Vl\WVVMWWV
CINQUIÈME SUJET.
l'athéisme.
Pouk m'attacher au Seigneur de plus en plus,
pour consolider en moi cette foi si consolante d'un
<)lre créateur et conservateur ; pour me porter enfin
jusqu'à me complaire et me réjouir dans cette foi ,
je considérerai aujourd'hui les inconséquences et
les malheurs de l'athée.
Quelle félicité peut-il donc goûter ici-bas, ce
malheureux déserteur de la source même de la
vie ? Quel sera l'espoir de celui qui méconnaît
le Dieu de qui provient tout bien véritable et tout
don parfait ? de celui qui a renoncé à l'éternelle
perfection et à la beauté incréée : de cet infor
tuné en un mot qui est sans Dieu? Quelle grande
pensée pourra transporter et ravir son âme ? Quel
noble sentiment pourra venir échauffer son cœur?
Les merveilles de la nature ni la majesté infinie du
grand Etre ne l'ont jamais exalté ; il s'est isolé
dans la création , et il a choisi le néant pour sa re
traite.
Mais quelle raison l'homme pourrait-il avoir de
nier l'existence d'un être infiniment puissant , infi
niment sage et bon , dont l'essence est la perfec
$4. RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
tion : être adorable , que tout lui annonce et dont
le ciel et la terre, l'homme et l'animal, chaque
feuille et chaque grain de sable lui prouvent l'exis
tence ?
L'unique raison qu'on ait alléguée jusqu'aujomv
d'hui contre des preuves aussi nombreuses que les
rayons du soleil , et qui démontrent l'existence de
Dieu , c'est qu'on ne saurait le comprendre. Mais ,
ô hommes faibles et vains , vous , ' malheureux
mortels , qui ne vous comprenez pas vous-mêmes ,
dites- moi, comprenez -vous mieux une matière
éternelle qu'un Dieu éternel ? expliquez - vous
plus facilement l'existence d'un être imparfait que
celle de l'être parfait ? concevez -vous mieux
une création sans créateur, que vous ne concevez
un être dont la volonté infiniment efficace ait
produit tout ce que nous voyons dans l'univers?
Ne faut-il pas qu'après avoir dépouillé l'Être des
êtres de ces qualités qui vous paraissent si in
compréhensibles, vous les accordiez ensuite , par
la plus insigne des folies, à la vile matière et k
l'atome ?
Avouez donc que vous avez toutes les raisons
de reconnaître un Dieu créateur et conserva
teur , et que vous n'en avez aucune de nier son
existence. Et si , à défaut de raisons , vous étiez
assez méprisables pour mettre en avant l'impu
nité du crime , et l'intérêt que vous croiriez avoir
de nier l'existence d'un être éternel et souverain
SUR DIVERS StîJETS DE RELIGION. 55
Maître; sans doute qu'alors vous seriez indignes
d'une réfutation.
Mais , ô ciel ! pourquoi faut -il que j'avoue
ici' moi-même , que des hommes faibles ont
souvent prêché plus efficacement l'athéisme , en
prêtant à Dieu leurs idées ridicules , cruelles et
absurdes, que n'ont jamais fait les incrédules les
plus déterminés ? _ "
Seigneur! faites-moi connaître en ce moment,
d'une manière bien vive et bien lumineuse, tout
ce qu'il y a de désolant dans le système horrible
de celui qui a dit dans son cœur, Dieu n'est pas :
faites -moi bien sentir quel malheur c'est pour
l'impie lui-même que de vous méconnaître. Hélas !
c'est un Dieu infiniment bon, un père infiniment
tendre qu'il méconnaît.
Il n'y a point de Dieu ; donc il n'y a rien à
craindre ni à espérer après cette vie ; je puis satis
faire tous mes désirs déréglés et toutes mes pas
sions injustes ; il n'y a ni justice, ni lois , ni vertu ,
ni devoirs qui me retiennent : je sacrifierai tout à
ce que je croirai pouvoir contribuer à mon bon
heur sur la terre ; je suis mon dieu à moi-même !
Frémissez, ô mon âme, à ce raisonnement qui se
trouve dans le cœur de tout athée ; quoique sou
vent il n'ose pas l'avouer aux autres hommes ni à
lui-même ! Oui, Voilà le système honteux , la sa
gesse affreuse de l'athée. Quand je veux examiner
de près et approfondir ce mystère d'iniquité , il
56 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
me semble que j'entre dans un désert , vaste sé
jour de ténèbres , de désordres et d'horreurs : lois,
justice, vérité, vertu , gloire , bonté , amitié , bon
heur , espoir , tout disparaît à mes yeux ; je ne
trouve plus de réalité , plus de consistance dans
les choses humaines ; rien ne saurait plus avoir de
charme pour mon cœur ; les hommes me parais
sent des fantômes ; un ami , un protecteur , n'est
plus qu'une imag? mensongère ; le juste et le cri
minel se confondent dans ma pensée , ainsi que la
vérité et l'erreur ; toute la nature et la vie humaine
ne sont plus qu'une cruelle illusion ; enfin , je me
trouble et m'échappe à moi-même !
Il n'y a point de Dieu ! Malheur à moi ! Je suis
donc orphelin dans ce monde injuste où l'homme
ne cherche d'ordinaire son bonheur qu'aux dépens
du bonheur de ses semblables ! Jl est donc vrai ,
que je n'ai point de père dans les cieux ; point
de protecteur; point de témoin de mes souffrances ,
point de rémunérateur de mes vertus ! Homme
juste ! vous avez beau donner à l'univers le spec
tacle de l'innocence la plus pure , vous avez beau
ne pas cesser un moment , pendant la plus longue
vie , d'accomplir tous vos devoirs , de pratiquer les
vertus les plus difficiles, et de faire les sacrifices
les plus pénibles ; la mort , l'affreuse mort , vous
mettra de niveau avec le débauché, l'usurier, le
meurtrier , l'empoisonneur et le parricide !
Il n'y a point de Dieu ! vous qui essuyez les re
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 5j
vers dé l'aveugle fortune , il ne vous reste aucune
consolation , aucun espoir ! Vertu , innocence ,
larmes , prières , tout est inutile ! Ce n'est point
à un Dieu infiniment bon que vous avez affaire,
c'est un hasard cruel et inexorable qui vous amène
tous vos malheurs; un hasard aveugle, qui vous
rendra peut-être encore plus misérables après cette
vie , que vous ne l'aurez été dans celle-ci : personne
ne pouvant vous répondre qu'il ne vous précipitera
pas sans que vous puissiez vous plaindre, dans des
souffrances plus horribles mille fois que ne ferait
Dieu lui-même dans ses justes châtimens.
Il n'y a point de Dieu ! Malheureux de toute con
dition , c'est donc en vain que vous élevez les yeux
au ciel , et que vous fatiguez les airs de vos gémisse-
mens ! Mères désolées, qui voyez vos enfans souffrir
de la misère et de la faim : vous-mêmes , infortu
nés petits innocens , qui n'auriez jamais dû naître ;
c'est en vain que vous levez vos mains défaillantes
vers l'asile suprême : le ciel est sourd , il est d'ai
rain ; il est plus dur encore et plus inflexible que
le cœur de ce mauvais riche , à la porte duquel vous
tendez la main ! Vous , qui êtes le jouet de la per
fidie de vos frères.; vous, qui souffrez jusqu'à la
mort la persécution des grands, sans oser vous
plaindre ; vous , que la justice humaine condamne
au dernier supplice, sur l'accusation de témoins
calomniateurs, et dont le nom même demeurera
létri dans l'histoire ou dans l'opinion de vos sem
58 RÉFLEXIONS ET SENTIMENT
blables ; jamais votre innocence ne sera reconnue ,
jamais vous ne serez vengés ; il ne vous sera jamais
rendu aucune justice; jamais la tache imprimée à
votre nom ne sera effacée !!!
Il n'y a point de Dieu ! O mon âme ! vous ne sau
riez supporter plus long-temps une idée aussi acca
blante. Rassurez-vous donc, et consolez-vous: avant
la naissance de tous les athées , avant l'aurore et
l'étoile du matin , votre Dieu régnait dans le ciel ;
et il y régnera dans tous les siècles des siècles.
Oui, Seigneur, vous existez : tout me le prouve:
vous êtes mon Créateur et mon espoir. C'est vous
qui,parun acte de votre volonté toute-puissante,
avez produit les élémens inconcevables de la ma
tière dont l'union a formé tous les mondes. C'est
votre volonté qui a établi les règles invariables
d'après lesquelles tout s'est combiné avec cet ordre
que nous admirons dans l'univers.
La nature n'est donc plus une illusion; la vie
humaine n'est donc plus un songe cruel ; les hommes
ne sont donc plus de vains fantômes. Mes amis,
mes bienfaiteurs , tous ceux qui me sont chers ,
existent donc réellement en Dieu et par Dieu ; et le
Seigneur peut me les conserver éternellement. Moi-
même,je suis l'œuvre du Créateur, qui me fera sur
vivre à la mort et à la dissolution de mon corps.
Le hasard aveugle n'aura donc jamais aucune in
fluence sur le sort de l'univers et sur le mien. La
yertu a donc aussi son prix et sa beauté, et le via•
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 5()
sa laideur et son châtiment; les lois sociales sont
sanctionnées et reprennent leur vigueur ; tous les
devoirs humains deviennent stricts et réels; il n'est
plus permis de se souiller de tous les crimes et de
chercher l'impunité dans un lâche et affreux suicide :
il existe un Dieu! ! ! -,
Ainsi , la foi en Dieu , semblable à un nouveau
soleil , ranime tout dans la nature; elle donne à
tous les êtres comme une nouvelle vie : elle opère
une nouvelle création au milieu du néant de l'a
théisme. Quel autre que le Sei^ieur suprême pour
rait faire entrer ainsi la joie, la confiance, l'espoir et
le bonheur dans le cœur des faibles mortels ? Oui, je
le vois, et je le sens; je ne puis vivre sans vous, ô
mon Dieu! vous êtes le Dieu de mon cœur; et il n'y a
point de félicité hors d» vous. Si vous n'existiez pas,
si je ne savais que vous êtes certainement mon Créa
teur, mon protecteur, le témoin de mes combats
et de mes victoires , et le rémunérateur de la vertu :
je maudirais le jour de ma naissance ; je maudirais
toute raison et toute sensibilité ; et je tiendrais le
néant et l'éternel oubli préférables à la vie de ce
monde.
O mon Dieu ! préservez toujours mon esprit de
l'orgueil et de la vanité ; conservez toujours mon
cœur pur; et l'affreux athéisme n'aura jamais aucun
charme pour moi, et je ne douterai jamais un seul
instant de votre existence. J'ose même, Seigneur,
nie laisser aller ici à la pensée consolante, que le
60 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
nombre des vrais athées est infiniment moins grand
qu'on ne le suppose communément ; et qu'il n'y
en a peut-être pas plus sur la terre qu'il n'y a d'in
sensés ordinaires.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 6l
SIXIÈME SUJET.
• LA PROVIDENCE.
Le ciel et la terre, tout ce qui est en moi et hors
de moi m'annonce un Dieu dont l'aimable Provi
dence pourvoit à tout, dirige et conduit tout vers
la perfection et le bonheur. Y a-t-il dans la nature
entière un seul objet qui puisse être caché aux yeux
de l'Éternel ? Le Roi des rois peut-il ignorer ce qui
se passe dans son royaume? Ne connaît-il pas tous
les besoins, tous les désirs, toutes les pensées,
les vices et les vertus de ses créatures? Tous les êtres
ne sont-ils pas en sa puissance? Ge Dieu infiniment
bon pourrait-il , d'un autre côté , négliger l'œuvre de
ses mains , ou mépriser cet être intéressant qu'il a
créé raisonnable et libre, et sur le front duquel il a
fait éclater un rayon de sa gloire? Pourrait-il être
insensible à son amour ou à sa haine ; voir d'un œil
indifférent son bonheur et son malheur , ses vices
et ses vertus , ou l'abandonner entièrement au
hasard ?
Tout cela est aussi évidemment impossible, que
le serait un monde ou une création , sans un Dieu
créateur.
Là où le bien-être général dépend des soins et de
6a RÉFLEXIONS ET SKNTIMENS
la prévoyance de l'homme , là sans doute Lien des
points doivent être négligés, ou même entièrement
oubliés. Nous manquons tantôt de sagesse et d'in
telligence, tantôt de puissance ou de bonne vo
lonté ; notre vue faible ne peut apercevoir qu'un
petit nombre de rapports , et n'embrasser qu'un
cercle très-étroit ; mais l'œil du Seigneur, l'œil de
la Providence, placé au plus haut des cieux, voit
tput à la fois et embrasse tout d'un seul regard! La
puissance indéfinie du Créateur règle et ordonne
tout avec sagesse , sa bonté et son amour s'étendent
à tout. Il n'y a absolument que ces êtres privilégiés
à qui il a laissé une pleine et entière liberté , qui
puissent contrarier quelquefois cette Providence ,
ou plutôt lui donner une autre direction.
Non , rien de tout ce qui n'a pas été trop insi
gnifiant pour l'action créatrice, ne peut être in
digne des soins du Seigneur. Il .voit et connaît la
plus chétive de ses créatures, et la dirige aussi bien
que l'être le plus intéressant de ses vastes domaines.
La Providence de Dieu , sa sollicitude paternelle
pour tous les êtres qu'il a produits , et son amour
pour ceux qu'il a doués de sensibilité , ne peuvent
donc pas être plus méconnus que sa puissance et
sa sagesse. Et si nous croyons voir quelquefois des
contradictions acet égard dans les divers événemens
fie la vie humaine , ou si nous découvrons des dés
ordres réels , nous devons être intimement con
vaincus que tout cela ne vient que des agens libres
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 63
qui DM troublé l'ordre de la Providence. Ce qui est
réellement mal ne peut en aucun cas provenir de
Dieu. Dieu n§ demande que la perfection et le
bonheur de ses créatures ; et quand celles-ci s'é
garent , il sait tirer le bien du mal même , en ré
tablissant l'ordre dans une vie future , à laquelle la
vie présente ne sert que de préparation. Le vice
comme le malheur, ne peuvent jamais être que
conditionnels , et la vertu leur sert de contre
poids.
O mon Dieu ! je vous adore donc en ce moment
comme le Roi des rois $ comme le souverain Maître
et le Modérateur éternel de tous les mondes. Je
vous reconnais pour un Père plein de tendresse et
de soin envers toutes ses créatures , et, en particu
lier , pour mon Père. Nous sommes tous vos en-
fans; nous vivons, nous respirons , nous agissons
en vous. Vous montrez à chacun d'entre nous sa
place dans votre royaume; vous comptez nos jours
et le nombre des battemens de nos cœurs. Vous
connaissez tous nos besoins , et vous savez y
pourvoir avec une sagesse et une bonté vraiment
paternelles. Nos plus secrètes pensées vous sont
connues ; nos plus légers soupirs se font en
tendre au ciel; vous jugez, vous pesez toutes nos
œuvres : car vous les connaissez toutes ; celles qui
s'exécutent dans les ténèbres comme celles qui
s'accomplissent à la face des cieux. Tout a été
fait par vous ; par vous , tout se conserve ; et à
64 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
vous seul est due la gloire, pendant les siècles
éternels.
La Providence de Dieu n'ayanfcrien excepté ,
rien n'ayant pu échapper à cet Etre qui a la pléni
tude de toute science , qui embrasse le passé et le
présent, et qui pénètre même dans l'avenir, je
suis donc aussi moi-même l'objet de ses soins et de
sa sollicitude, quelque inférieur que soit le degré que
j'occupe dans la création. Rien ne m'arrivera sans
que le Seigneur en ait connaissance : les cheveux de
ma tête sont tous comptés , et aucun n'en sera dé
rangé qu'il ne le sache. Il conduit les destinées de
tous les mondes et de leurs habitans divers , et il
aide même les êtres libres dans leurs propres desti
nées. 0 Dieu ! que votre puissance est donc grande
et votre bonté infinie ! Tout ce que vous approu
vez ou ordonnez est bon et sage : tout ce que
vous faites est bien fait ; soit que vous condamniez
où que vous absolviez ; soit que vous punissiez ou
que vous récompensiez. Pourvu que je sois moi-
même vertueux et prudent, et que je n'abuse point
de ma liberté pour contrarier les vues bienfaisantes
de votre providence; pourvu que je veuille moi-
même efficacement mon bonhenr ; vous saurez me
rendre heureux : heureux au delà de mes mérites.
Vous saurez même me dédommager amplement
de toutes mes souffrances , dans ce lieu où vous ré
servez à chacun une riche compensation de tous
les sacrifices qu'il aura pu faire.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 65
Quel bonheur pour moi, ô mon Créateur! de
me trouver ainsi placé sous votre surveillance im
médiate, sous la tutelle d'un père infiniment bon,
infiniment sage et infiniment puissant ! Que je
m'estime heureux de ne m'être pas tout-à-fait aban
donné à moi-même au milieu de mes faiblesses et de
mes passions déréglées ; et que mes volontés, mes
souhaits et mes désirs, qui sont souvent ceux d'un
enfant, ne fassent pas toujours loi! Quelle tran
quillité , quel calme , quelle confiance je puis con
server jusque dans les plus terribles révolutions ,
jusqu'au milieu des plus affreuses destructions et
des ravages les plus effrayans ! Si , de mon côté ,
je fais tous nies efforts pour être vertueux et juste,
avec quelle consolation je puis envisager toutes
mes futures destinées ! toujours votre main pater
nelle me conduira !
Seigneur , je crois pouvoir me rendre le témoi
gnage que mon cœur est sincèrement attaché à la
vertu ; que ma volonté est prononcée pour le bien,
pour la vérité et la justice : je m'abandonne donc
à votre douce providence avec une confiance vrai
ment filiale, persuadé que v^us vous chargez du
soin de ma félicité éternelle. Je serai toujours bien
éloigné de comparer les prétentions d'une raison
obscure et incertaine à vos sages et éternels dé
crets. Vous seul savez d'une manière certaine par
quelles voies j'arriverai plus sûrement à mon but.
Vos pensées ne sont point celles des hommes :
66 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
vos vues ne sont point les vues des humains ,
et vos jugemens diflèrent des nôtres de tout l'éloi-
gnement du ciel. C'est pourquoi , dans les grandes
alarmes , je dirai a mon cœur inquiet : C'est le
Seigneur qui te conduit , ce Dieu de bonté et de
sagesse qui t'a créé pour le bonheur. Tes maux ne
viennent que de toi-même, ou des créatures libres
qui t'environnent; supporte-les avec patience, et
attends avec calme la vie d'une riche compensa
tion. Pourquoi te troubler, pourquoi trembler, si
ta volonté pour le bien n'a jamais varié ; ou si ,
après un égarement passager, tu es revenu sincère
ment au Seigneur ? Continue toujours à chercher
le royaume de Dieu, la vérité, la justice, et laisse
tous les autres soins à la Providence. Plus tu auras
pratiqué de vertus, plus tu seras heureux. Dieu
lui-même ne pourrait donner le bonheur suprême
à celui qui n'en aurait point pratiqué , car le bon
heur suprême consiste exclusivement dans le sou
venir de la vertu.
Aujourd'hui, sans doute, je marche encore dans
les ténèbres, parce que je ne connais qu'en énigme
et ne vois que par la foi ; mais le jour viendra
qu'une lumière éternelle m'environnera, et que la
gloire du Dieu de vérité illuminera mon âme ! Alors
je verrai les rapports divers de mes destinées : je
verrai comment Dieu m'aura fourni les occasions
de me sanctifier, lorsque ma volonté était sincère ;
j'admirerai comment le Seigneur , dans sa bonté ,
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 6j
m'aura rappelé de mes égaremens, et comment ma
vertu se sera perfectionnée dans l'infirmité ; je verrai
aussi comment les destinées des mondes divers ,
celles des nations et celles de tous les êtres intell i-
gens tiennent ensemble; et je m'écrierai en adorant
profondément la sagesse éternelle : Tout ce que le
Seigneur a fait est bien fait; qu'il soit loué , exalté
et béni dans tous les siècles!
5.
G8 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
SEPTIÈME SUJET.
LE DEISME.
Les partisans du déisme sont plus nombreux
que jamais. Une infinité de personnes dans toutes
les classes de la société ont penché plus ou moins
vers ce système , surtout depuis deux ou trois
centsans que les lettres ont commencé à renaître.
Les révolutions dernières ont engendré un grand
nombre de déistes parmi nous, et le sort pré
caire de la religion chrétienne les multiplie en
core tous les jours. Divisé comme il est , on juge
le christianisme indigne detre approfondi ; on
ne cherche en général à en connaître que les
contradictions et les abus que l'on a exagérés le
plus possible; et l'on abandonne ainsi une croyance
ancienne, jamais bien connue, pour embrasser
un système vague qui ne sera jamais capable de
satisfaire un esprit réfléchi.
J'examinerai donc aujourd'hui , avec la plus
grande impartialité , cette question si importante
du déisme. Je sens que la tranquillité de ma vie
et le repos de mon cœur dépendent en grande partie
de ma croyance à cet égard.
En premier lieu , je ne saurais me persuader que
le plus grand nombre des déistes de nos jours
\
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 69
aient réfléchi sérieusement au sj'stème qu'ils ont
embrassé , ni qu'ils aient déposé entièrement leurs
préjugés pour bien faire un examen aussi im
portant ; et je suis persuadé que si l'esprit de
présomption du siècle, le plus vain qui fût jamais,
eût permis à la plupart de nos déistes d'examiner
le christianisme avec une entière impartialité ,
plusieurs considérations les eussent certainement
inquiétés.
Parcourez l'histoire du peuple de Dieu, celle
de la vie et de la mort de Jésus-Christ , qui s'y
rattache , et enfin celle de l'établissement du
christianisme dans tout l'univers ; rappelez tous
ces faits surprenans qui n'ont en quelque sorte cessé
de se succéder les ujp aux autres depuis l'origine
du genre humain jusqu'à nos jours : pensez- vous
qu'il se trouve un seul philosophe raisonnable et
sensé qui ait le courage d'attribuer tant et de si
grands événemens au seul fanatisme ? Je le vou
drais rencontrer , cet homme assez téméraire pour
oser soutenir que ce qu'il y a eu de plus grand
dans l'univers n'a pourtant été, dans la réalité, que
chimère et qu'illusion ! ! ! Non ; tant que le monde
existera , l'histoire du peuple juif, l'avénement du
Messie attendu et sa vie extraordinaire , présente
ront le phénomène le plus surprenant dont les an
nales du genre humain puissent faire mention ; et
il ne sera jamais sage de se déclarer pour le déisme
aussi légèrement qu'on le fait.
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Mais il y a plus : le déisme est un poste si diffi
cile à tenir, que plusieurs sont tombés jusque dans
l'abîme du matérialisme le plus insensé , après
avoir fait le premier faux pas en abandonnant la
foi chrétienne. Nous en avons des exemples frap-
pans , même parmi les plus grands hommes ; et
si vous considérez les masses, vous verrez jusqu'à
l'évidence la nécessité de croyances positives. Le
déisme n'a jamais été une religion chez aucun
peuple , quoique l'on convienne généralement
qu'une religion et un culte public sont la base
indispensable de la morale des nations. Les idées
que nous fournit le déisme sur Dieu , sur ses per
fections , sur sa conduite à l'égard du genre hu
main , et sur les devoirs de»l'homme envers son
Créateur , sont si vagues et si incertaines , qu'il
n'a jamais inspiré aux peuples en général ni la
crainte ni l'espérance , et qu'il a toujours été d'une
nullité complète en fait de morale publique. Qu'on
nous dise , en effet , quelles vertus le déisme a
fait naître, et quels vices il a réprimés chez les
nations.
Cependant , ce système si peu satisfaisant a de
puissans attraits pour les génies superficiels du
dix-neuvième siècle.
Est-il donc si difficile, ô mon Dieu ! de se per
suader que vous vous soyez laissé toucher du sort
de celles de vos créatures sensibles qui ont été assez
infortunées pour s'égarer loin des routes de la perfec
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. *Jl
tion et de la félicité? Est-il donc si incroyable que
vous soyez venu converser avec les hommes, et que
vous ayez voulu leur tracer un modèle de conduite
qui pût les ramener au bien, à la vérité, à la justice
et au bonheur? Ne devrions-nous pas trouver bien
plus étrange que le Dieu de toute bonté n'eût jamais
conversé avec ses créatures , et n'eût jamais pris
aucune part à leurs malheurs !
Je n'examinerai point aujourd'hui au long toutes
ces questions diverses ; elles méritent chacune
d'être discutées en particulier, et avec la plus grande
attention. Je m'arrêterai à une seule considération*
qui suffira pour me décider , en attendant que
j'examine les preuves éclatantes de la divinité de
Jésus-Christ et de son Evangile. Le déiste est-il
aussi heureux que le chrétien éclairé ? Est-il aussi
vertueux, et a-t-il autant de raisons de l'être?
En un mot , se prépare-t-il aussi efficacement que
lui au bonheur éternel? Ces questions une fois ré
solues , je prendrai facilement un parti.
Les déistes rejettent ce Dieu si affable des chré
tiens, qui se communique à ses créatures avec
tant de bonté; ce Dieu si doux et si bienfaisant,
dont la sollicitude paternelle veille aux moindres
besoins des hommes ; ce Dieu si humble , qui ne
dédaigne pas de se rabaisser jusqu'à prendre la
forme humaine pour enseigner à la terre les vo
lontés immuables du ciel; ce Dieu martyr qui n'a
pas craint de s'exposer à mourir comme le der
^3 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
nier et le plus malheureux des enfans d'Adam, en
venant donner à l'univers le spectacle de toutes les
vertus , et lutter tout seul contre la perversité , la
corruption , les ténèbres et les préjugés du genre
humain. Il est indigne , disent les déistes , de cette
majesté suprême de se rabaisser jusqu'à l'homme:
Dieu règne au plus haut des cieux, et il ne s'oc
cupe en aucune manière des petits intérêts de la
terre , laquelle n'est qu'un grain de sable dans la
création.
Mais , quand on veut ainsi anéantir l'homme ,
dans la vue d'élever et d'exalter la Divinité, ne doit-
on pas craindre de se méprendre étrangement sur
l'excellence de la nature humaine? Dieu est sans
doute infiniment grand , et infiniment élevé au-
dessus des faibles mortels : mais, après le Créateur,
concevez-vous bien une créature plus grande et plus
excellente que ne l'est un être intelligent et libre,
un être indépendant dans ses actions et qui est
véritablement lne image de l'éternel ? Non , il
est impossible à l'esprit humain de concevoir
un genre d'êtres plus parfait que ne le sont les
hommes et les anges ; et je ne vois nullement que
celui dont la pensée embrasse toute la création et
s'élève jusqu'au Créateur , soit si indigne de ses
égards.
Au reste , est-il bien constant que ce soit la haute
idée que les déistes se sont faite de la divinité , qui
leur a inspiré les sentimens qu'ils manifestent , et
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 7J
qui leur a mis dans la bouche le langage qu'ils
tiennent ? N'auraient-ils pas peut-être quelque autre
motifde préférer le déisme au christianisme ; quel
que motif moins noble, provenant de quelque vice
secret du cœur , et sur lequel ils se feraient illusion?
On sait assez qu'un fils bien né ne craint pas les
regards de son père; qu'il ne se plaint pas de son
assiduité à surveiller ses moindres démarches; qu'il
ne cherche point à l'éviter ni à se soustraire à son
autorité; qu'au contraire il se plaît à lui rendre
compte de ses pensées , de ses désirs , et de ses en
treprises.
Je croirais donc volontiers que c'est le mauvais
naturel et la propre dépravation de la majeure par
tie des déistes de tous les temps , qui !es ont portés
à désirer que le Maître suprême soit plus éloigné
de cette terre : et qui par conséquent leur ont fait
paraître leur système plus plausible. Cette Provi
dence, à laquelle rien n'échappe, les incommode;
cet œil toujours ouvert au haut du ciel, les gêne;
ce témoin éternel de leurs moindres démarches
les importune, et ils redoutent ce juge incorrup
tible de toutes leurs pensées. Comment ne pas
craindre, en effet, un Dieu qui voit tout, pré
sent à tout, qui croit que tout lui appartient;
un Dieu curieux et inquiet, sans cesse occupé de
l'homme ? —
Mais, quoi qu'il en soit de leurs pensées secrètes,
les déistes en sont-ils plus heureux après avoir éloi
74 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
gué leur Dieu de la sorte? Non, au contraire : ils
sont nécessairement moins capables de goûter les
vraies jouissances que la terre offre à l'homme sen
sible ; ils ont moins de raisons d'aimer et de pra
tiquer la vertu; et, par conséquent, ils travaillent
moins efficacement à leur vrai bonheur que ne fait
le chrétien éclairé.
Ne nous faisons donc point illusion sur ce sys
tème, quelque répandu qu'il soit; et sachons que
la plupart des déistes tiennent de très-près à l'a
théisme. Ils seraient même presque tous athées , si
on pouvait l'être sans rougir à ses propres yeux. Ils
se déclarent à la vérité pour le déisme; mais ils se
réservent de ne rendre à leur Etre suprême que
les devoirs qu'ils voudront bien juger convenables.
Ils assignent au Dieu que leur imagination a en
quelque sorte créé, le ciel pour demeure; et ils ne
veulent pas qu'il punisse le crime d'une manière
digne de lui , ni même qu'il récompense la vertu ,
par la raison spécieuse que la vertu est sa récom
pense à elle-même. C'est-à-dire , qu'ils détruisent
leur Dieu autant qu'il est en eux ; puisqu'un Dieu
sans providence , sans bonté et sans justice , cesse
d'être Dieu. Et dans ce système vague, qui n'a ja
mais été bien défini, reviennent à peu près les
mêmes conséquences horribles qu'entraîne l'a
théisme.
Et ici, examinons encore un point sur lequel tous
les déistes sont d'accord : savoir la révélation. On sait
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. JO
qu'ils la nient d'une voix unanime. Otons donc pour
un moment toute révélation , et voyons ce que de
viendra l'homme , ce que deviendra la société hu
maine. Malheureux mortels ! Il sera donc bien vrai
de dire que vous êtes semblables à ces enfans infor
tunés qui n'ont point eu le bonheur de voir ni de
connaître les auteurs de leurs jours ! Il sera donc
vrai de dire que Dieu, après vous avoir jetés comme
au hasard sur un coin de cette terre abandonnée ,
vous a entièrement oubliés dans ce labyrinthe de
doutes et d'incertitudes , et n'a plus reparu depuis !
Il sera donc vrai de dire , que ce Jésus , si admi
rable dans sa doctrine, dans ses vertus et jusque
dans ses souffrances , n'a cependant été qu'un en
thousiaste insensé , ou un vil imposteur qui , par
des prodiges inconcevables et par une mort pleine
d'une lugubre majesté , a ravi l'encens et les adora
tions dus à la divinité ! Malheur à moi ! je ne saurai
donc plus à quoi m'en tenir sur la nature de mes
relations avec mon Créateur ; je ne pourrai donc
plus dire au juste, ni d'où je viens , ni où je vais ,
ni qui je suis ; je serai une énigme inexplicable à
moi-même ; je demeurerai dans une entière in
certitude touchant la vie future et l'immortalité !
Que dis-je ? je ne pourrai pas même savoir d'une
manière bien positive si mon âme survit au corps
ou non ; car la raison ni la philosophie ne peuvent
lever entièrement mes doutes à cet égard , vu les
contradictions innombrables et inconcevables de
^6 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
nos sages. L'ouvrier y l'habitant fie la campagne,
en un mot la grande majorité du genre humain ,
ne sera jamais capable d'acquérir la moindre no
tion certaine touchant sa dernière fin et ses devoirs
envers le Tout-Puissant !
O mon âme ! paumez-vous être heureuse avec
un système si rempli de doutes? pourriez- vous
être satisfaite d'une croyance aussi vague et aussi
informe? Non ; pour être heureuse, vous a^ez be
soin de croire, comme vous avez besoin d'aimer ;
l'incertitude est pour vous un état d'angoisse et
d'anxiété qui détruit nécessairement tout votre
bonheur. Attachez-vous donc à l'histoire sainte qui
raconte les dùTérens rapports que les hommes ont
eus dans divers temps avec le Créateur ; admirez
cette grande mesure de l'apparition du Seigneur
lui-même au moment où les mortels égarés avaient
généralement perdu le chemin de la vérité et du
bonheur ; adorez en silence la bonté infinie de votre
éternel Bienfaiteur ; et ne trouvez jamais indigne de
lui tout ce qui pourra vous donner une plus haute
idée de sa tendresse et de son amour. Après s'être
montré aux hommes sous divers emblèmes moins
parfaits (son essence divine ne pouvant être vue),
est-il étonnant que le Créateur se soit enfin aussi
manifesté à nous revêtu de l'humanité sainte de
Jésus-Christ son fils , laquelle est plus qu'un em
blème , laquelle est un emblème personnifié , au
point qu'en voyant le Sauveur on voit le Père
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 77
céleste, et qu'en lui parlant on parle au Créateur?
Ne serait-ce point là l'unique manière de voir Dieu,
de parler à Dieu face à face ? Oui ; il semble
qu'éternellement il serait resté quelque chose à
désirer aux hommes et aux esprits bienheureux ,
sans l'incarnation du Verbe.
'jS RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
l\\VW\\WVWWVW\WVW\VVWWW\VVWVVVVMWVVWWWW'VWWWWW\W W<W
HUITIÈME SUJET.
l'indifférence en matière de religion.
Ce froid glaçant de notre siècle pour tout ce qui
a le moindre rapport à la religion , est devenu une
maladie contagieuse qui a paralysé presque tous les
cœurs. La société chrétienne se trouve dans un état
de langueur voisin de la mort, et le silence des
tombeaux commence à y régner. Ce malheur, au
quel on ne porte presque aucune attention, paraît
épouvantable aux yeux de l'homme qui réfléchit.
Si nous reconnaissons ,• avec tous les sages légis
lateurs , que la religion est la base de la morale
publique , de la paix et de la félicité des peuples ,
nous devons avouer aussi qu'une nation devenue
absolument insensible pour sa religion n'est donc
plus touchée non plus de son propre bonheur; et
une pareille léthargie n'est point naturelle.
• L'indifférence religieuse , qui se fait remarquer
dans ce siècle, ne peut, en effet, se comparer qu'à
ce silence morne de toute la nature , qui précède
d'ordinaire les tempêtes et les tremblemens de
terre ; et elle nous présage des orages politiques et
de funestes bouleversemens , si la prudence ne
parvient à éclairer tous les esprits pendant qu'ils
SUR DIVEKS SUJETS DE RELIGION. 7g
sont encore calmes. Les hommes endormis ne se
réveilleront que pour rallumer des dissensions plus
terribles ; les passions ne reparaîtront que pour
s'entre-dévorer, et il se présentera enfin une der
nière, mais effrayante lutte , entre le mensonge et
la vérité.
La majorité des peuples , il est vrai , est trop
éclairée aujourd'hui pour pouvoir être guidée plus
long-temps par une obéissance aveugle , et pour se
soumettre à une foi qui varie selon la démarcation
des états*, ou , plutôt , des provinces du même
royaume. Comme il n'y a qu'un Dieu , quune
vérité et Qu'une raison , il ne peut y avoir de
même qu'une morale et quune religion chez une
nation civilisée ; et il est devenu indispensable
d'établir partout des principes uniformes de con
duite et de croyance , si l'on veut ramener les
peuples à l'amour de tout bien.
Mais quand il serait vrai , quand il serait incon
testable que l'indifférence religieuse viendrait en
partie des pratiques absurdes qu'on a mêlées au
culte , en serait-elle moins déraisonnable en elle-
même ?
0 mon Dieu ! faites que je reconnaisse claire
ment dans cette méditation tout ce qu'il y a de
déraisonnable dans la doctrine de l'indifférence, et
éloignez la dissolution de l'ordre social , en mon
trant à tous mes contemporains qu'il n'est point
permis à l'homme sensé de demeurer indifférent
8o RÉFLEXIONS ET SENT1MENS "
touchant vos immuables volontés et la manière de
parvenir à la perfection et au vrai bonheur.
D'où peut donc provenir cette prétendue indif
férence dont les incrédules de nos jours cherchent'
à se faire un rempart ? Sans doute qu'elle n'est
point le produit d'une conviction intérieure , ni le
résultat de réflexions profondes et d'un mûr exa
men. Non, elle paraît plutôt l'enfant de la paresse
et la ressource de tous ceux qui manquent de ca
pacité pour se décider à embrasser un parti plutôt
que l'autre. L'indifférence si générale du* siècle ne
peut être née que de la défaite honteuse qu'une
philosophie vaine et stérile a essuyée *Ûe la part
d'une religion inébranlable dans ses bases, et qu'elle
avait attaquée avec trop d'assurance. Au transport
et à la fureur impuissante ont succédé ce calme
apparent et cet état léthargique qui caractérisent
nos temps malheureux.
Rien n'empêche assurément qu'un homme rai
sonnable ne demeure indifférent à l'égard de toutes
les questions spéculatives ou insolubles , ainsi qu'à
l'égard de toutes les doctrines ou observances
vaines ; mais la folie seule peut porter son apathie
jusque dans les intérêts qui touchent directement
au bonheur de la société et à l'honneur dû à la
Divinité ! Comment un homme sensé pourrait-il
rester neutre entre le Créateur et un vil imposteur,
entre la vérité et le mensonge , entre la félicité et
le néant? Une entière indifférence touchant des
SUR DIVERS SUJETS Dfi RELIGION. 8l
intérêts aussi graves serait évidemment le som
meil , ou plutôt la mort de toute raison et de tout
jugement.
Ce peu de réflexions suffirait déjà pour me con
vaincre que celui qui se donne pour indifférent
doit être encore plus inconséquent et plus malheu
reux que nous n'avons vu le déiste , et que , par
suite , son système ne saurait me convenir ; mais
n'importe , je veux connaître de plus près encore
ce nouveau monstre de la raison égarée que l'on a
désigné sous le nom d'indifférentisme.
L'indifférence , en matière religieuse , non plus
que le déisme, ne peut êt*e, dans le fond, qu'un
athéisme pratique. Voici quel doit être le raisonne
meut de l'indifférent , et le langage le plus naturel
que l'on puisse lui prêter : —Professer des principes
et une foi quelconque, c'est s'engager à s'y confor
mer dans sa conduite , ou bien à être toute sa vie en
contradiction avec soi-même : professer l'athéisme,
c'est se déclarer l'ennemi du genre humain ; s'en
gager à soutenir une lutte inégale avec l'univers
aux pieds de la Divinité ; c'est prétendre que la
vertu n'a aucune prérogative sur le vice ; que le
meurtrier a le même sort que l'homme bienfai
sant ; c'est , en un mot , entrer dans un chaos qui
effraie l'esprit et dessèche le cœur. Que ferai-je
donc dans une pareille alternative? Je dirai a tout
le monde , et , s'il est possible , je persuaderai à
mon propre cœur que je suis absolument indiffé
6
8a RÉFLEXIONS ET SENTI MENS
rent à l'égard de toutes ces choses. Je ne connais
en effet ni Dieu , ni mon propre être , ni le fon
dement de mes craintes ou de mes espérances. Je
ne sais quels devoirs j'ai à remplir envers mon
Créateur, ni même si ce Créateur existe. J'ignore
donc aussi quelle religion je dois suivre , ce que
je dois penser de cette mort qui m'enlèvera bien
tôt; et, enfin, jusqu'à quel point je puis croire au
bonheur et au malheur d'une v:e future. En con
sultant des personnes instruites , je pourrais sans
doute parvenir à fixer mon esprit, à surmonter
mes préjugés , à me tracer un plan de conduite et
un système de morale digne d'un être intelligent...
Mais je ne veux pas m'en donner la peine ; je suis,
à cet égard , dans une entière indifférence. . .
Quel délire dans un pareil langage ! Malheureux !
vous avez réuni en un seul système tout ce que
le matérialisme le plus insensé , le plus horrible
athéisme et l'incrédulité la plus absolue ont en
semble d'odieux et de désolant pour la morale et
la félicité publique ! Serviteur paresseux et mé
chant, qui évitez de connaître vos devoirs pour
vous ménager une misérable excuse, si vous ne les
ayez pas remplis , pensez-vous pouvoir vous jouer
ainsi impunément du Créateur éternel et incom
préhensible ? Ne voyez-vous pas que vous insultez à
la fois à Dieu , à la nature et à la raison ? ;
Cette dernière et méprisable arme de l'indifle-
rence a été inventée principalement pour coin
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 83
battre la religion chrétienne. L'indifférent s'efforce
de jeter un regard de mépris sur un ennemi re
doutable avec lequel il n'ose plus entrer en lice,
et à qui , par la mauvaise foi la plus insigne, il
ne reproche que des abus désavoués par le chrétien
lui-même. Mais que l'on exagère autant qu'on le
voudra les abus qui se sont glissés dans le chris
tianisme , ce ne sera jamais une raison d'être en
tièrement indifférent à son égard. S'il est vrai qu'il
faut renoncer à tous les abus, il est vrai aussi qu'on
doit s'attacher d'autant plus fortement à tous les
bons principes et à la vérité, toujours la même,
toujours immuable comme l'Eternel.
L'indifférence religieuse est également contraire
au bonheur et à la nature de l'homme. Un esprit
aussi vif, aussi inquiet que le nôtre, cherche né
cessairement à se fixer ; la vérité est en quelque
sorte sa nourriture ; il ne peut s'empêcher de
prendre un parti, surtout quand il s'agit de sa fé
licité ; et le doute, l'incertitude et l'indécision sont
pour lui un état violent qu'il ne saurait supporter
long-temps.
11 n'est que deux suppositions dans lesquelles
l'indifférence pourrait être raisonnable; d'abord, s'il
était prouvé qu'il est impossible à l'homme de trou
ver la vérité ; et ensuite si la vérité, une fois trouvée,
lui était entièrement inutile. Or, on ne démontrera
jamais ni l'un ni l'autre. L'homme serait alors le
plus misérable de tous les êtres sortis des mains
6.
84 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
du Créateur, et il aurait droit de maudire la rai
son , la sensibilité et l'intelligence !
Après avoir reconnu aussi clairement toutcequ'il
y a de monstrueux dans le système de l'indifférence
en matière de religion, faites-moi la grâce, ô mon
Dieu ! de sentir dans mon cœur une grande ardeur
pour la vérité , un grand zèle pour votre volonté
sainte et pour tous mes devoirs! Oui, Seigneur, je
méditerai , j'examinerai ; je ne rougirai pas de con
sulter des personnes instruites sur tous les sujets
de mes doutes. Je pèserai toutes les vérités de la
morale dans le sanctuaire de ma conscience , à la
lumière de la raison éclairée par la foi, en présence
et sous les yeux même du Seigneur , jusqu'à ce que
mon esprit soit fixé et mes principes irrévocable
ment arrêtés, jusqu'à ce que je me sois tracé un
plan de conduite et un système de morale dont
je n'aie point à rougir; persuadé que, jusque-là ,
toute indifférence est absurde.
SUR DIVERS SUJETS UE RELIGION. 85
NEUVIÈME SUJET.
l'immortalité.
Cette vie ne saurait être l'unique destinée de
l'homme : tant de raisons nous autorisent à nous
regarder comme les habitans futurs d'un monde
plus parfait ! Les vues, les facultés et les forces de
l'esprit , qui ne sont point entièrement développées
ni déploj'éês ici-bas; cette soif ardente pour la
science et la vérité, qui ne saurait s'apaiser ; ce
penchant secret vers la perfection ; ce désir inquiet
de l'immortalité : et , d'un autre côté , ces désor
dres dans la morale ; ces contradictions dans les
destinées des humains , lesquelles ne peuvent se
concilier avec la bonté , la sagesse et la justice de
l'Etre modérateur souverain de tous les mondes ;
cette vertu humiliée, cette innocence persécutée;
ce vice heureux, ce crime triomphant tout fait
naître dans mon cœur cette espérance bien fondée
que ma destinée doit donc s'étendre au délit du
tombeau, et que cette vie n'est qu'un germe dans
L'attente de son développement ) qu'un bouton ou
une Jleur qui s'ouvre, mais que lefruit ne s'est
pas encorefait apercevoir.
Un écrivain célèbre, dans un de ces mouvemens
d'enthousiasme que la vérité seule peut inspirer ,
86 RÉFLEXIONS ET SENTIMEJNS
s'est écrié: S'il n'y avait point de Dieu , il faudrait
l'inventer ! Nous devons dire absolument la même
chose de l'âme humaine , de son immortalité , et de
tout ce qui a rapport à la vie future. Car , que Dieu
riexiste pas , ou que nous riayons aucune espèce
de rapports avec lui, c'est évidemment la même
chose, y. it . . . • ... »
De tout ce que j'ai déjà découvert jusqu'ici par
mes différentes méditations, et par la seule force de
la raison donnée à l'homme, je pourrais déjà tirer
des conclusions infaillibles relatives à cette vérité
consolante de l'immortalité , qui est la base de la
morale, fe garant de la paix et de la justice, et l'u
nique fondement de toutes les espérances des mor
tels; mais je me plais à m'arrêter plus long-temps
à une vérité qui peut et qui doit avoir une in
fluence si marquée sur mes vertus et mon bonheur.
Je me rappellerai donc aujourd'hui sommairement
tous les motifs de crédibilité que la raison me four
nit de l'immortalité.
Quant aux vaines clameurs de ces esprits faibles ,
qui se contentent de nier l'existence, la spiritua
lité et l'immortalité de l'âme , sans en donner de
bonnes raisons , je ne prendrai pas la peine de
m'y arrêter. Il en coûte si peu pour nier une vérité!
En général , c'est faire trop d'honneur aux athées ,
aux matérialistes , aux incrédules et aux impies ,
que de s'occuper long-temps et sérieusement de
leurs vains discours , bornés d'ordinaire à quelques
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 87
invectives , ou bien à quelques plaisanteries dé
placées. Il ne suffit pas de mer simplement l'exis
tence de Dieu , la spiritualité de l'âme , et la vérité
d'une vie future, pour ébranler ma foi et mon es
pérance ; elles reposent sur despreuves, et sur des
preuves trop solides. Il faudraitprouver toutes ces
désolantes doctrines; il faudrait me faire voir, par
des raisonnemens , que je n'ai point d'âme; qu'il
n'y a point de Dieu ; qu'en vain j'attends une vie
future.... Alors seulement il serait temps d'entrer
en lice. Malheur , cependant ; oui , malheur au
génie infernal dont les sophismes spécieux et
un affreux abus d'esprit parviendraient à faire
accréditer sur la terre cette espérance de malheurs
et cet amour du néant ! Il aurait travaillé efficace
ment à la ruine du genre humain I ' •
Levons donc aujourd'hui un coin de ce voile
mystérieux qui couvre , aux yeux des mortels , les
siècles futurs. Avec quelle joie je reconnais que cette
vie si courte et si frêle n est pas ma dernière desti
née , ni ma dernière fin; que tout n'est point perdu
avec elle; qu'au delà de la tombe il est une vie nou
velle ; que la mort ne m'oie pas tout sentiment
d'existence ; que l'immortalité, en un mot, est mon
partage ! ! !
Oui , mon âme est immortelle \ Le moi ne saurait
s'éteindre : l'être intelligent et individuel ne «aurait
s'effacer de la création dont aucun atome ne peut
périr! Je reconnais dans mon intérieur un désir
88 RÉFLEXIONS ET SENT1MENS
insurmontable pour la lélicité ; j'y reconnais un
penchant si violent et si prononcé pour la science ,
que je ne saurais m'en dépouiller ni le surmonter;
j'y reconnais un amour de la vérité qui ne me laisse
jamais eu repos, qui m'agite et me cause des trans
ports continuels ; mon cœur nourrit aussi inces
samment le désir de devenir parfait, et mon âme
forme sans cesse le vœu d'exister encore après cette
vie.
Or ce sont là autant de preuves irréfragables de
l'immortalité.
Dans ce monde je ne saurais parvenir à une féli
cité sans nuage. Jamais homme sur la terre n'a été
parfaitement heureux ; personne n'est jamais par
venu à cet état où il ne lui serait rien resté à dé
sirer ni à espérer. Si donc il n'est point de vie
future pour l'homme , je ne puis concevoir pour
quelle raison le Créateur a mis dans le cœur humain
ce désir insatiable de la félicité.
Dans cette vie, le plus beau génie, la science la
plus profonde, la plus haute sagesse, ne sont ja-.
mais qu'une .simple ébauche. Quand l'homme a
parcouru toutes les branches des connaissances hu
maines , il commence seulement à bien concevoir
son ignorance ; semblable à celui qui gravit sur une
haute montagne , il voit à chaque pas les domaines
de la création s'agrandir, jusqu'à ce qu'arrivé au
.sommet, il acquière la certitude que des millions
d'objets échappent à ses regards et se perdent dans
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 89
le lointain. Quels trésors de science le célèbre Ba
con , par exemple, n'avait-il pas amassés ! Il con
servait en quelque sorte dans sa mémoire la nature
tout entière : l'histoire du genre humain y était
écrite ; les quatre parties du globe y étaient tracées
avec leurs détails immenses ; tous les souvenirs de
sa propre vie y étaient enfouis ; là se retrouvaient
les mots des principales langues anciennes et mo
dernes , les connaissances de physique , d'astrono
mie, d'histoire naturelle, de lois, de coutumes,
d'opinions , de religions , toutes les vérités morales
et le monde métaphysique ! Et cependant le désir
d'apprendre n'avait encore fait que s'irriter chez ce
grand homme ; et cette âme était encore susceptible
de s'orner , de s'enrichir et de se perfectionner !
Telles sont les forces prodigieuses que Dieu a mises
en nous, et elles ne prouveraient pas l'immortalité
aussi-bien que l'immatérialité de nos âmes ! Qui ne
voit que, sans une vie future, il eût été inutile et
absurde de donner à l'homme ces facultés éton
nantes et en quelque sorte infinies pour la science
et la sagesse ?
Sur cette terre , je ne puis parvenir à une vertu
parfaite. Le meilleur des mortels demeure toujours
sujet à mille faiblesses et à mille erreurs. Plus on
fait de progrès dans la perfection , mieux on voit
combien on est au-dessous de ce que la nature hu
maine peut devenir. S'il n'est point d'immortalité,
Dieu nous aurait donc proposé un but que nous
QO RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
ne saurions atteindre ! Nous ne pourrions devenir
parfaits comme le Père céleste est parfait ! La
cruelle mort et un anéantissement éternel nous ar
rêteraient donc dès notre première entrée dans la
carrière de la perfection ! ! !
Maintenant , je le demande , peut-on attendre de
la sagesse infinie du Créateur , sagesse que nous ad
mirons partout ailleurs, qu'elle se soit montrée
aveugle en ce seul point , et en un point si impor
tant? Peut-on croire que l'Architecte éternel ait
posé dans la nature humaine un fondement qui ne
reçoive point d'édifice ? qu'il ait donné à notre âme
une force superflue , des facultés inutiles et des ta-
lens qui ne seront jamais exercés? Est- il possible
que je me persuade que ce désir ardent , ce vœu
que la nature forme en nous pour l'immortalité ,
ne nous ait été donné que pour nous tourmenter ?
Non , le Seigneur suprême n'est point tombé dans
cette grossière contradiction ! L'homme juste ne
saurait périr , tandis qu'un vil insecte se réveille au
printemps pour vivre d'une vie nouvelle !
Si notre Dieu est vraiment un Dieu de justice et
de sainteté, qui punisse le crime et récompense la
vertu , il faut encore que nous reconnaissions une
autre vie après celle-ci ; car , quelque ingénieux que
puissent paraître tous les systèmes de compensation
à notre siècle incrédule , je ne saurais me persuader
que le meurtrier et son infortunée victime soient
également vertueux et>également heureux. Ne
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. t)I
voyons-nous pas tous les jours succomber l'inno
cence, tandis que l'injustice et l'inhumanité triom
phent? Ne voyons-nous pas la vertu humiliée, mé
connue , mourir souvent dans l'obscurité , tandis que
l'homme violent , l'oppresseur du faible , goûte tran
quillement les fruits odieux de ses rapines et de ses
vexations atroces ?N'arrive-t-il pas que des milliers
d'innocentes victimes sans défense meurent en in
voquant le secours d'en haut contre le tyran qui vit
dans la gloire et l'abondance , et qui jouira même
d'une espèce d'immortalité dans l'histoire de l'u
nivers?
Oui , l'immortalité est aussi incontestablement
prouvée que l'existence du Créateur et son éternelle
justice !
Réjouissez-vous donc , ô mon âme ! et louez le
Seigneur. La tombe ne me renfermera pas tout en
tier ; la partie la plus noble de mon être me survivra ;
je suis immortel! Ah ! que cette vérité m'est chère!
qu'elle me paraît salutaire et consolante ! Comme
elle est concordante avec cette sainte vertu qui
adoucit toutes les peines ; qui relève , qui tranquil
lise , qui fortifie et qui encourage tout être sensible ;
qui prolonge l'heure de la joie, et qui fait passer les
jours du malheur ! Si je suis heureux , je puis me
dire : Ton bonheur ne finira pas avec ta vie , pourvu
que tu ne te rendes pas toi-même indigne des fa
veurs du ciel. Si , au contraire, l'heure de la douleur
a sonné ; si je suis conduit à l'école des revers , où
92 RÉFLEXIONS ET SENTI MENS
la vertu se perfectionne , alors je trouve ma force
et ma consolation dans cette immortelle pensée :
il est une vie qui est la riche récompense et la juste
compensation de nos souffrances sur la terre! Alors
je relève mon courage abattu , et je ranime mon
espoir languissant, par ces paroles que j'adresse
à mon propre cœur : Tu ne peux être frappé
d'aucun mal que tu ne puisses changer en béné
diction : aucune peine rie peut te contrister, qui
ne puisse être changée plus tard en joie, pourvu
que tu marches toujours sur le chemin de la vertu,
de la sagesse et de la prudence. Que le moment le
plus terrible de la vie s'approche ; que l'heure fatale
vienne à sonner, et que la mort et la destruction s'a
vancent vers mon lit de douleur , je les verrai arri
ver de sang-froid ; rempli que je suis de cette foi
vivifiante de l'immortalité, la mort ne saurait avoir
pour moi de terreurs. Pour moi , la mort n'est nul
lement ce qu'elle paraît être : ce n'est point un
anéantissement , c'est un passage à une vie meil
leure où réside la justice ; c'est un retour à la maison
paternelle. L'enveloppe seule tombe en poussière :
mais la partie essentielle de mon être , c'est-à-dire ,
le moi, retourne vers le Créateur !
O mon Dieu ! détruisez, dans un si grand nom
bre d'esprits aveugles de nos jours, cette pensée
aussi injurieuse envers vous qu'absurde en elle-'
même, que tout est admirable dans la nature; que
l'harmonie, qui y règne est parfaite ; que tous les
i
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. ^5
êtres y sont à leur place , et qu'aucun atome ne
s'en peut égarer ni se perdre ; mais que l'âme hu
maine y périt, et que la vertu seule y est aban
donnée !
Mais , ô ciel ! est-il bien vrai qu'il se soit trouvé
des êtres raisonnables qui aient tenu un pareil' lan
gage ? Non , on m'a trompé , jamais homme n'a
parlé de la sorte ! Je le voudrais voir , en effet, cet
insenséquiosera it soutenir que 1 a vertu périt comme
le vice ! Je le voudrais rencontrer , ce monstre qui
oserait outrager ainsi la nature et le suprême Mo
dérateur des mondes ï II est une immortalité , ou
il n'est point de Dieu !
Soyez loué, Seigneur, Dieu de la vie ! soyez loué
et exalté. Que les esprits immortels célèbrent votre
bonté et votre puissance infinie; qu'ils ne cessent
de chanter les merveilles de votre création ; qu'ils
s'inclinent devant le trône de votre toute-puissance ,
et qu'ils adorent vos incompréhensibles perfections !
Quand viendra le jour où il me sera permis de me
joindre à leurs légions brillantes , d'unir ma voix
à leurs voix , et de mêler mes transports à leurs
transports ? Quand serai-je capable de comprendre
combien vos bontés envers vos créatures sont inef
fables? Quand me sera-t-il donné d'apprécier vos
grandeurs et de vous adorer d'une manière aussi
parfaite que vous le méritez?
Sainte espérance de l'immortalité , soyez bénie !
Vous fermez toutes les avenues de mon cœur aux
94 RÉFLEXIONS ET SEN'TIMENS
sentimens et aux désirs qui seraient indignes du
Créateur et de moi ; et vous me remplissez d'une
force céleste pour l'accomplissement de te ut bien !
Vous relevez toutes les jouissances de la vie ; vous
doublez toutes les joies, et vous adoucissez toutes
les peines! Vous seule soutenez mes paschancelans
dans les sentiers difficiles ; vous seule me conduisez
d'une manière sûre au milieu des écueils et des
tempêtes de ce monde ; vous seule vivifiez toute la
nature! Sainte espérance de l'immortalité, soyez
bénie ! »
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. C)5
DIXIÈME SUJET. .
l'incrédulité.
Je plains quelquefois le s*ort de l'aveugle, du
sourd et muet, de ces malheureux qui, manquant
d'un de leurs sens , sont réduits à vivre au milieu
de leurs semblables sans presque pouvoir com
muniquer avec eux , ni leur faire partager leurs
plaisirs et leurs peines. Comment donc ne pren-
drais-je aucune part au malheur de l'incrédule ,
mille fois plus à plaindre? Cet infortuné ne con
naît plus son Dieu ni son bienfaiteur ; à peine re-
marque-t-il les bienfaits qu'il en reçoit tous les
jours. Il n'entend plus cette voix divine qui parle
au cœur de l'homme de bien. Pour lui, plus d'en
tretiens ineffables avec l'Etre des êtres ; son oreille
est sourde aux discours consolans de la religion ;
et il reste muet au milieu de la nature , laquelle
célèbre partout d'une voix unanime la gloire de son
auteur.
O mon Dieu! avec quelle satisfaction j'ai reconnu
que les vrais incrédules sont en plus petit nombre
qu'on ne le dit communément ! D'après cette opi
nion exagérée nous ne serions plus qu'un peuple
de misérables1.
0,6 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
,
Pourrai-je assez concevoir tout ce qu'il y a de
sinistre et de désolant dans ces paroles : un jeune
homme sans principes ; une jeune personne sans
religion; une épouse, une mère sans croyance et
sans foi ; un père , un époux , un citoyen incré
dule ?
Plus je réfléchis sur l'incrédulité , plus je me per
suade que c'est l'étatle plus malheureux et le plus
affligeant que l'on puisse imaginer. Quelle confu
sion , quel trouble dans une âme qui ne sait plus
ni croire ni espérer ! Quel abîme de doutes , d'in
certitudes, de craintes et surtout d'inconséquences !
Otez de dessus la terre la foi en un Dieu vengeur
et rémunérateur ; ôtez même seulement la religion
et les relations que l'espèce humaine a eues dans
divers temps avec la Divinité ; toutes vos notions
seront confondues : vertu , honneur , justice , lois ,
ordre, bonheur, espoir, tout disparaîtra; votre
esprit sera enveloppé de ténèbres ; votre cœur
isolé se flétrira ; vous sentirez s'anéantir tout votre
être !
Quelles jouissances l'incrédule peut-il donc se
promettre ? Il ne croit point à la félicité future , et ,
je l'ose dire, il est incapable de bien goûter les
plaisirs de cet univers, quelque vains qu'ils soient.
L'idée d'un éternel anéantissement doit venir em
poisonner tous les momens heureux de sa vie !
Quelle pensée accablante , quelle désespérante ré
flexion pour celui qui sait l'apprécier ! je pense
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 97
aujourd'hui, je sens mon existence, j'ai mille douces
relations avec des êtres sensibles ; encore quelques
jours de vie, et je rentre pour jamais dans le néant!!!
Ce cœur , cette âme , ce moi se perdra ; le souve
nir même d'une félicité goûtée s'effacera de la créa
tion ! Plus de joie , aucun sentiment de l'existence
pendant une éternité ! plus de vérité , plus de
lumières, mais des ténèbres éternelles et un éter
nel oubli ! ! ! Hélas ! une fois atteint par le froid
de la mort, jamais je ne reparaîtrai dans la chaîne
des êtres! L'homme réfléchi, le vrai philosophe ,
est attéré par de semblables considérations. Oui ,
il a le cœur étroit et resserré , celui qui n'ose s'éle
ver jusqu'à un Dieu créateur , jusqu'à une vie fu
ture et une immortalité !
Mais si , au lieu de prospérités terrestres , l'in
crédule reçoit en partage les revers et les malheurs
de la vie que la méchanceté humaine a rendus si
fréquens de nos jours , qui le soutiendra dans des
épreuves quelquefois si terribles , et sous le poids
desquelles une créature aussi faible que l'homme ,
abandonné à ses propres forces, se trouve écrasée?
Quand nous n'avons ni Dieu ni religion à invoquer
dans nos disgrâces, le désespoir et une mort vio
lente deviennent notre unique ressource. Une ex
périence funeste prouve tous les jours cette triste
vérité.
Tout incrédule, qui voudra être conséquent dans
ses principes , commettra nécessairement toutes
98 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
sortes d'injustices et de violences. Se laissant aller
à toutes ses passions déréglées , il ne cherchera
partout qu'à éviter la rigueur des lois humaines.
Mais parce qu'il est rare que tous les crimes de
meurent cachés , il s'attirera donc nécessairement
bien des disgrâces. Et comme il est encore plus rare
que l'homme parvienne à faire taire entièrement
sa conscience et à se persuader que le vice est vertu,
il sentira donc incessamment le ver rongeur du
remords déchirer son cœur : quoi qu'il fasse , une
crainte vague de châtimens mérités , un noir
pressentiment de malheurs le poursuivront dans
le monde comme dans la solitude.
Cependant l'incrédule , si malheureux en lui-
même , fera encore le malheur de tous ceux qui
l'approchent. Sa carrière , suite d'inconséquences et
de faussetés, ne peut inspirer de confiance. Suivez-le
dans les principales époques de sa vie. Au sortir
des écoles et de l'enfance , vous remarquerez en lui
une vanité d'autant plus ridicule, qu'elle n'aura pas
de talens réels pour motifs ; elle dominera tous ses
autres défauts. Vous verrez un front pâle et abattu ,
la lenteur de la vieillesse , sans la prudence ni l'expé
rience qui relèvent l'éclat des cheveux blancs; vous
verrez , en un mot , un jeune homme qui s'ima
ginera savoir goûter les plaisirs de la vie, mais
dont la vie ne sera en effet qu'une mort lente , et
dont le corps ne sera qu'un cadavre ambulant.
D'un côté, vous entendrez les gémissemens d'une
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 99
mère désolée ; de l'autre, les remontrances inutiles
d'un père malheureux et découragé , et toute la
famille versera souvent en secret bien des larmes
amères.
Si le temps vient ensuite où l'incrédule doit con
tracter des liens sacrés , l'innocence et la vertu y
auront la moindre part; le contrat religieux , le
serment , le sacrement ne seront pour lui que de
simples formalités. Il ne fait , dans le vrai , que
se jouer de l'être faible que la tendresse a conduit
dans ses bras. A la vérité, il se présente devant les
autels , mais il contriste le ministre du Seigneur ;
il jure au nom d'un Dieu que son cœur méconnaît,
et contre lequel sa bouche blasphème l II prononce
le serment de fidélité ; mais le malheureux , sans
Dieu et sans religion, ne donne aucun garant de
la sincérité de ses sentimens ; et s'il n'avait pas
renoncé , d'un autre côté , à cet honneur, Tunique
idole qu'il prétend lui rester encore , il rougirait
de passer un contrat aussi inégal avec sa faible
compagne , de bonne foi , et qui signe , sans le
savoir, la promesse fatale d'être malheureuse sans
se plaindre I
Quelle éducation un père incrédule donnera-t-ij
à ses enfans ? de quel œil pourra-t-il les voir ? Ce
n'est point Dieu qui les lui a confiés comme un
dépôt sacré , afin de les former à toutes les vertus,
et les rendre plus tard dignes du ciel : ce sont de
malheureuses victimes, vouées par le hasard et une
7-
IOO RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
„ passion aveugle , aux souffrances d'une vie courte
et misérable. Il ne leur transmettra donc que son
incrédulité avec tous les vices et tous les malheurs
qui l'accompagnent.
Les relations que l'incrédule a nécessairement
avec la société ne sont pas, d'un autre côté, bien
rassurantes : le moyen de faire des conventions
avec l'incrédulité! La propriété d'autrui sera-t-elle
bien sacrée aux, yeux de celui pour qui rien au
monde n'est sacré ? Les sentimens religieux sont
les seuls garans des contrats particuliers qui ne
reposent que sur la bonne foi ; ils sont encore
les seuls garans de l'exactitude avec laquelle on
remplit les autres engagemens , même ceux que
la loi surveille , parce que l'esprit humain est
inépuisable comme la chicane quand il s'agit de
tromper. Qui l'ignore ? Comment doue se fier à
celui qui croit que le voleur , le meurtrier ne périt
pas plus misérablement que l'homme juste et bien
faisant , et que le tombeau couvrira les crimes de
l'un comme les vertus de l'autre ? Le malheureux,
qui lui ressemblera , osera seul contracter avec
lui ; ils chercheront à se tromper mutuellement ;
et , dans les contrats qu'ils passeront , il y aura
toujours deux criminels et une victime.
Oui , on se le dissimulerait en vain , l'incrédule
est en quelque sorte né pour le malheur de tous
ceux qui l'approchent, et par conséquent plus
particulièrement pour le malheur de sa propre
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. IOI
famille. Comment consolerait-il dans les revers et
les infortunes de la vie , une épouse éplorée et des
enfans désolés, lui qui ne sait ni se soutenir ni se
rassurer lui-même ? Pourrait-il leur tenir le lan
gage de ce père de famille chrétien qui , en pareille
occasion , s'adresse aux siens avec une sainte as
surance et s'écrie : — Mes bien-aimés , les humi
liations et la pauvreté viennent de nous tomber
en partage ; la prudence humaine n'a pu détourner
le coup qui nous frappe ; mais la prudence chré
tienne pourra beaucoup pour en adoucir les ri
gueurs. Le Dieu du ciel verra comment notre vertu
se perfectionnera dans l'adversité; il verra à quel
degré s'élèvera notre patience et notre résignation,
notre confiance et notre amour ! Il nous jugera
sans doute dignes des récompenses éternelles !
Mes bien-aimés , cette vie est courte ; l'homme a
besoin de peu de choses sur la terre , et il n'en a
pas besoin long-temps. Au delà de la tombe est
une vie d'une riche compensation : là Jésus , le
premier-né d'entre les morts , le premier modèle
de la vertu couronnée , là nos vertueux ancêtres ,
là le bonheur nous attendent ! Encore quelques an
nées de combats, et la victoire est à nous ! — Non ,
l'infortuné mécréant ne saurait tenir à sa famille
un langage si plein de puissantes consolations :
heureux si sur lui seul il porte une main sacrilége
dans ces tristes circonstances ! On a vu de ces
hommes, sans croyance et sans Dieu, commencer
102 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
par le meurtre de ceux qui leur étaient chers ,
avant de se soustraire eux-mêmes , par un lâche
et affreux suicide , aux malheurs d'une vie qui
leur était devenue insupportable !
Ce portrait de l'incrédule , pour être horrible ,
n'en est pas moins fidèle.
O mon Dieu ! que je vous rends donc grâces de
cette foi et de ces principes salutaires qui ont pris
racine dans mon cœur ! ah ! ne permettez pas que
je vienne jamais à les perdre ! Faites, au contraire,
que je m'y attache tous les jours davantage , et
qu'ils me conduisent à la perfection et au bonheur.
O vérités consolantes d'une religion inébranlable ,
pour moivous êtes un port assuré contre la tempête !
Espoir sacré , fortifiez toujours mon âme ! Vous
êtes l'ancre de l'homme juste au moment des tri
bulations ! Foi de mes pères , foi universelle ,
croyance de tous les peuples éclairés , je fais gloire
de vous professer ! Que l'impiété cesse enfin de
vouloir me prouver la vérité de ses désolantes
doctrines , et me montrer la vanité de ma foi et
de mon espérance : jusqu'à mon dernier soupir je
veux croire et espérer.
Donnez , Seigneur , à tous mes semblables , et
en particulier à toutes les personnes qui me sont
chères, et à qui je suis uni par les liens du sang
et de l'amitié , ces principes de vie , cette foi
salutaire , et délivrez la société humaine de cette
profonde incrédulité qui , après avoir rompu avec
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. Io3i
le ciel, brise tous les liens sociaux et prépare aux
nations une ruine inévitable. Faites que , sur la
foi en votre saint nom et sur tous les bons prin
cipes , s'élève l'édifice du bonheur général I
104 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
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ONZIÈME SUJET.
RELIGION.
La religion en général, la religion chrétienne
dans laquelle je suis né : tels sont les sujets de
mes réflexions en ce jour.
Par religion, j'entends l'assemblage des de
voirs que les hommes ont à remplir envers leur
Créateur. Est-il un sujet plus grand , plus im
portant? en est-il un plus digne de fixer mon at
tention ?
Je vois naître la religion avec le genre humain.
Aussi ancienne que le monde, elle a toujours fait
la principale occupation des hommes, au point
que l'histoire de l'univers n'est presque autre chose
que l'histoire de la religion. Dès le premier instant
de leur création, les êtres intelligens ont rendu
hommage à la main puissante qui venait de les
tirer du néant. Ils se sont humiliés devant l'Eter
nel et l'ont adoré en courbant leurs fronts dans
la poussière. Ils ont senti que le plus noble usage
de cette raison qu'ils venaient de recevoir était
d'admirer les grandeurs et les perfections infinies
de l'Etre créateur, et de s'anéantir en sa présence.
Il est dans la nature et l'essence même des choses
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 10J
qu'il s'établisse des relations et des devoirs réci
proques entre le Créateur et ses créatures raison
nables: de là naît la religion, nécessaire à l'homme,
et qui s'établira toujours dans toute société hu
maine.
Aussi la religion a-t-elle été la première cause
de la civilisation chez tous les peuples. C'est elle
qui tire les hommes de cette barbarie dans laquelle
on ne manque jamais de retomber quand on l'a
bandonne. Sans la religion, point de liens sociaux ,
point de devoirs réciproques, point de justice, de
lois , de vertus , de paix , de bonheur ; point de
civilisation-. Ce sont nos seuls devoirs religieux qui
nous mettent en rapport avec l'Etre des êtres , avec
ce Dieu incompréhensible qui crée et qui dispose
des mondes créés selon son bon plaisir ; et ce pre
mier, ce précieux lien entre le Créateur et la créa
ture peut aussi seul consolider tous les autres liens
de la vie.
Si j'examine le genre d'occupation des plus
grands génies dont le genre humain peut se glo
rifier , je vois que la religion a fait un des prin
cipaux sujets de leurs méditations profondes ;
elle semblait même seule les occuper tout en
tiers-, parce qu'ils sentaient mieux que les autres
hommes toute l'importance d'un si grand ob
jet. Déjà, parmi les anciens, je trouve un Zo-
roastre, un Confucius, un Aristote, un Socrate,
un Platon , un Cicéron , et un grand nombre
1 OÔ RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
d'autres sages dont les noms passeront aux géné
rations les plus reculées , occupés à rechercher la
nature des relationsqui existent entre l'homme etla
Divinité. Au commencement de l'ère chrétienne ,
je rencontre un saint Jérôme, un saint Augustin ,
un saint Ambroise , un saint Jean Chrysostome ,
consacrant à la religion leurs vies laborieuses. Dans
ces derniers temps viennent tous ces esprits su
blimes et profonds qui nous ont fourni tant de
grandes idées touchant l'Éternel et ses immuables
perfections : les Bâcon , les Descartes , les Newton ,
les Leibnitz , les Bossuet , les Fénélon , les Pascal ,
et une infinité d'autres.
Si je considère même le commun des hommes ,
je vois que la nature leur a flonné , à tous indis
tinctement , un si profond sentiment de vénéra
tion pour tout ce qui a rapport à la religion , qu'à
différentes époques des nations entières se sont
soulevées pour défendre ses droits , et que des
milliers de nos respectables ancêtres n'ont pas
balancé un instant de donner leur vie pour la re
ligion.
Ce n'est donc pas une chose de peu de consé
quence ou de pure spéculation que la religion:
c'est un objet de la plus haute importance ;
que dis-je! c'est le seul objet qui puisse et qui
doive véritablement intéresser les hommes sur la
terre. Autant que le ciel est élevé au-dessus de
toutes les choses terrestres , autant que le Créa
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I 0"J
teur est élevé au-dessus de toutes ses créatures;
autant que l'éternité surpasse le temps en durée ,
autant les devoirs religieux l'emportent sur tous
les autres devoirs de la vie humaine.
Mais si , abandonnant ces considérations géné
rales, j'examine maintenant avec attention la re
ligion chrétienne dans laquelle je suis né , quelle
haute idée je dois prendre des devoirs qu'elle me
prescrit !
Que la religion chrétienne est belle aux yeux de
l'homme exempt de préjugés , et qui en a com
pris le véritable esprit ! Quelle paix profonde elle
établit dans une âme qui s'y est sincèrement
attachée ! La source de ses consolations toutes-
puissantes n'a jamais tari ! Elle résout les doutes
dans lesquels la raison , abandonnée à elle-même,
précipiterait aujourd'hui la plupart des humains;
elle calme toutes nos inquiétudes ; elle soutient les
faibles mortels dans les malheurs que la méchan
ceté humaine a multipliés si étrangement sur la
terre ; elle les encourage au moment de leur passage
pour l'éternité ; elle enseigne des préceptes aussi
courts que précis , et fournit des exemples de
vertu, aussi admirables qu'entraînans, pour arriver
à la perfection et au bonheur.
D'où proviennent en général les incrédules, les
impies , les blasphémateurs , les athées , les ma^
térialistes , les indifférens , et tous ceux qui de nos
jours ne savent plus à quoi s'en tenir touchant les
J08 RÉFLEXIONS ET SEiYTIMEÏÎS
vérités morales et religieuses ? La difficulté d'ex
pliquer le mal , sous un homme infiniment bon ,
infiniment puissant et sage , est certainement une
des principales sources qui les produisent. C'est
là pour ainsi dire le désespoir de la philosophie.
Eh bien ! la religion chrétienne tranche ce nœud
de la manière la plus satisfaisante. Elle nous ap
prend que l'homme a été créé à l'image même
de Dieu ; qu'ayant reçu en partage la raison , l'in
dépendance dans ses actions et une liberté qui
exclut toute influence étrangère, il est devenu un
des êtres les plus intéressans de toute la création ,
un être dont la perfection est telle , qu'il a été
chargé lui-même de travailler à son propre bon
heur ; mais que , dès les premiers temps , il a été
assez infortuné pour abuser du don précieux de
la liberté , et pour s'égarer loin des chemins de la
félicité ; qu'en conséquence, un Homme-Dieu a
paru sur la terre pour le ramener au bien, en of
frant à l'univers, dans sa personne sacrée, un
exemple frappant de toutes les vertus aussi-bien
que du bonheur qui attend le juste à la fin de sa
carrière mortelle ; et tout philosophe de bonne
foi sera toujours obligé d'avouer que la religion
chrétienne , malgré les autres difficultés qu'elle
pourrait présenter , explique seule d'une ma
nière satisfaisante l'énigme de l'homme , et que
ses mystères sont moins effrayans pour la raison
que ne l'est cette désolante incrédulité qui ne lève
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. IOg
aucun de nos doutes , mais qui au contraire les
multiplie jusqu'à l'infini.
Quelles sont les plus grandes peines et les in
quiétudes les plus réelles qu'une âme sensible
puisse éprouver ici-bas ? — Je n'en connais point
de plus accablantes que celles qui la tourmentent
à la suite de grandes erreurs et de grands égare-
mens ; lorsque , frappée tout à coup d'une clarté
céleste , elle vient à reconnaître tous ses torts ,
toute l'injustice de sa conduite , toute la noirceur
de son ingratitude envers le Créateur, et enfin tous
les malheurs qu'elle s'est attirés. Une âme géné
reuse tomberait nécessairement dans le désespoir
. en faisant ces tristes réflexions , si la religion ne
lui offrait ses puissantes consolations , avec les
moyensde renti er en grâce auprès duTout-Puissant.
La raison est bien assez forte pour nous assurer que
le Seigneur est infiniment bon et infiniment mi
séricordieux ; mais comme elle nous dit en même
temps qu'il est aussi infiniment saint et infiniment
juste, jamais nous ne pourrons savoir d'une manière
positive quand Dieu a pardonné, ni à quelles con
ditions il peut pardonner. Lorsque donc la philo
sophie impuissante nous abandonne, ou ne peut
qu'augmenter notre désespoir, la religion chré
tienne fait entendre sa sainte voix , et l'autorité
qu'elle a sur la conscience de l'homme est assez
grande pour relever le courage de l'âme sensible
qui se repent de ses égaremens et qui désire mai
1 lO RÉFLEXIONS ET SENTJMENS
cher de nouveau d'un pas ferme dans la carrière
de la perfection , car elle lui annonce son pardon
au nom même de l'Eternel.
Aucune religion n'est en outre plus capable de
soutenir nos pas chancelans dans les épreuves de
Ja vie. Jésus , l'Homme - Dieu , l'innocence et la
douceur même, le Juste par excellence, est mort
dans les opprobres, abandonné de ceux qu'il avait
éclairés sur leurs intérêts véritables, et qu'il avait
comblés de bienfaits : ses vertus divines n'ont pu
le soustraire au supplice épouvantable de la croix !
Après un si douloureux exemple de la part du
Maître , quelles souffrances seront trop grandes
pour le disciple ? Quel sort sera trop rigoureux ,
quelle mort trop amère pour le chrétien ? Jésus ,
qui commandait à toute la nature , pouvait sans
doute éviter les tourmens affreux et le trépas igno
minieux que ses atroces contemporains lui prépa
raient à la fleur de l'âge ; mais il repousse cou
rageusement cette pensée , et il veut librement
devenir la victime de son zèle pour la vérité, et
s'immoler par amour pour les hommes ! Il veut
devenir le héros et le martyr de toutes les vertus,
et donner un grand exemple, capable de faire uue
impression salutaire sur toutes les générations et
de ramener tous les hommes égarés sur le chemin
de la perfection et du vrai bonheur ! Oui, à la vue
de l'Homme -Dieu , le vrai chrétien pourra tout
endurer, tout supporter sur la terre ! La religion
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. III
lui donnertt la main, et il s'appuiera sur la croix I
C'est même principalement dans le malheur que
la religion chrétienne montre toute sa supériorité
sur une vaine philosophie dont le soin est de tenir
toujours un dard caché sur elle pour se ravir lâche
ment la vie au moindre revers.
Au moment de la mort , quand le monde entier
n'est plus en état de secourir l'homme; quand l'ami
lui-même est forcé d'abandonner l'ami , cette reli
gion consolante accourt et imprime au mourant
un caractère d'immortalité : Allez avec confiance ,
s'écrie-t-elle , âme chrétienne ; cet ami tendre qui
demeure fidèle jusqu'au delà du tombeau , vous
accompagnera ! Ne craignez point les ténèbres
d'une froide tombe , lHomme-Dieu y a reposé le
premier ! Ne soyez point effrayée à la rencontre de
la pâle mort , Jésus l'a vaincue et lui a ôté toute
son amertume : il est ressuscité , et il vous res
suscitera'! Une tenture noire, un crêpe léger,
vous séparent seuls du monde des esprits parfaits ,
où le Seigneur , où vos ancêtres , où le bonheur
vous attendent! — Et vous, continue la religion,
en s'adressant à la famille désolée ; vous , tristes
parens et amis ; vous, enfans délaissés, essuyez, es
suyez vos larmes! Pourquoi vous contiister comme
ceux qui n'ont point d'espérance? Ignorez -vous
que vous ne restez point orphelins sur la terre; que
votre véritable père , votre véritable protecteur est
le Dieu vivant , et que les adieux de la mort ne
112 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
sont point des adieux éternels? IgnoreS-vous que
la vie de ce monde n'est qu'un court passage , et
que dans peu vous serez tous réunis dans le séjour
du vrai bonheur, où la mort n'exerce plus son em
pire? Ah ! consolez-vous les uns les autres dans
l'heureux espoir que vous a donné le Premier-né
d'entre les morts, et dites: Encore quelques jours,
et les portes éternelles s'ouvriront aussi pour nous !
— Telles sont les paroles de consolation que nous
adresse la religion chrétienne, au moment le plus
terrible de la vie. Et je le demande : quel cœur
serait assez dur , quelle âme assez insensible pour
ne se point laisser pénétrer de l'onction divine d'un
pareil langage que le Tout -Puissant a lui-même
autorisé et sanctionné ?
Enfin, les maximes que cette religion nous pro
pose, pour arriver à la perfection et à la vraie féli
cité, sont aussi claires et précises , que les exemples
de vertu qu'elle nous présente sont entraînans.
Quel est le prince, quel est le sujet, qui, après
avoir lu l'Evangile, ne sache au juste comment il
doit se comporter pour être agréable à la Divinité?
Aimez Dieu par-dessus toutes choses ; aimez votre
prochain comme vous-même , et vous vivrez !
Quelle différence , quelle différence immense
entre les leçons et les consolations célestes que nous
donne la religion chrétienne , et ce néant effroyable
dont l'incrédulité et l'impiété voudraient faire leur
espoir et leur appui ! — Oui, si l'on a dit autre
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. Il3
fois de la philosophie, qu'elle est descendue du ciel
pour éclaira• les humains et hriser leurs chaînes ,
c'est de la religion qu'on avoulu parler ! Fille du ciel ,
soyez donc ma consolation et ma joie ! que j'oublie
ma droite , si jamais je vous oublie ! Que ma langue
s'attache à mon palais , si vous ne demeurez tou
jours l'unique objet de mes plus chères affections !
Que je sois misérable éternellement , si je ne m'at
tache point à vous suivre comme le seul guide
certain capable de me conduire dans les bras de
mon Créateur! , . .
Après ces considérations , quel insensé croira
donc encore pouvoir se mettre au-dessus des devoirs
religieux , devoirs aussi sacrés qu'indispensables ?
Qui êtes-vous , ô hommes , pour vouloir vous sous
traire à la juridiction du Très-Haut , du Dieu du
ciel, conservant toujours un empire suprême sur
les peuples et sur les rois mêmes de la terre? Quel
aveuglement de la part d'un pauvre, d'un malheu
reux , que de renoncer à son unique consolation !
Quel aveuglement et quelle contradiction de la
part des grands , de soutenir que la religion n'est
faite que pour le peuple , et de ne la point pra
tiquer eux-mêmes , tandis que c'est toujours chez
eux que le peuple va choisir ses modèles !
Seigneur, je ne puis nrempêcher d'avouer ici
mes propres torts et mes propres contradictions :
la raison éclairée et ma conscience intime se réunis
sent pour condamner ma négligence actuelle de
s
1 I 4 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
mes devoirs religieux. Dans la suite, je ne suivrai
donc plus aveuglément les maximes et les cou
tumes d'une génération orgueilleuse , égarée plus
que jamais dans ses idées sur la religion. Persuadé
que la religion peut tout pour le bien général de
la société et pour ma félicité particulière , je m'y
attacherai irrévocablement ; je m'éclairerai sur les
devoirs qu'elle impose , et je défendrai toujours
avec zèle ses droits imprescriptibles contre tous
ces aveugles qui ne cherchent à la perdre que parce
qu'ils ne sont pas capables d'en reconnaître le
véritable esprit.
SDR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I l5
\\VV\\WWWVWWWWIVIUAWVW\W* VWWVWWWA\.WWVA\VWWVWV
DOUZIÈME SUJET.
DU CHRISTIANISME.
•
Le christianisme a contribué puissamment à la
civilisation de l'univers : ses plus grands ennemis
ont été forcés d'en conyenir. Que l'on considère la
dureté barbare et l'inconcevable férocité des pre
miers peuples que la terre a nourris, et l'on verra
combien de chemin le christianisme nous a fait
faire pour nous amener au point de civilisation où
nous sommes parvenus. Avant Jésus- Christ , le
législateur divin , quel séjour triste que le monde
pour l'homme sage et bon ! On n'y trouvait alors
généralement aucune croyance fixe, aucune vertu
pure , aucune lumière pour l'esprit , aucun repos
pour le cœur , aucune connaissance certaine de
Dieu, d'un éternel avenir, en mot, aucun espoir
consolant pour l'homme. Le doute, l'incertitude,
le pyrrhonisme universel , la superstition , l'in
crédulité, l'inhumanité, le crime et le malheur
régnaient généralement sur la terre dans ces temps
obscurs et reculés. De l'homme libre on avait fait
un esclave misérable , dont les maux étaient sans
remède , et l'état désespéré. On ne savait pres
que rendre alors , à la Divinité défigurée , d'autre
culte que celui de lui sacrifier des victimes hu
8.
Il6 RÉFLEXIONS ET SENTIMEXS
maines; et l'on pouvait véritablement douter, si le
genre humain avait en effet un Dieu bon pour créa
teur! Mais, tout à coup, Jésus paraît! Il apporte
du ciel la lumière et la vérité, la consolation et
l'espoir, la victoire et la liberté , la vertu et le bon
heur : le christianisme sauve le genre humain !
Des millions d'habitans de cette terre sont par
venus par Jésus et sa vivifiante doctrine à connaître
toutes les vérités nécessaires au salut , à rempor
ter une victoire glorieuse sur leurs passions et leurs
préjugés, enfin a établir au milieu de leur cœur
une paix inaltérable. Moi-même , ne dois-je point
l'avouer, le christianisme, depuis que je l'ai appro
fondi, nem'a-t-il pas rendu plus heureux? Et ne m'a-
t-il pas mis sur une voie oùje puis le devenirtousles
jours davantage? Je reconnais maintenantque Dieu
est un père plein de tendresse , d'amour et de miséri
corde, même poursesenfans égarés; un père toujours
prêt à montrer de l'indulgence, prêt à accorder le
pardon à tous ceux qui , touchés d'un sincère re
pentir, viennent avec une confiance filiale se jeter
dans ses bras paternels.Toutesces notions célestes
ont été apportées parJésus à l'homme malheureux ,
pour ranimer son espoir et lui assurer le repos et
le bonheur. Combien je serais à plaindre , si je n'a
vais point ces connaissances et ces notions rassu
rantes que le christianisme me donne ! Combien ,
au contraire, je puis devenir sage, bon etheureux, si
je me conduis selon les maximes et les exemples de
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I Vf
Jésus-Christ ! En me rappelant tout ce que ce grand
Maître a fait et enseigné , quelle facilité étonnante
je sens pour remplir chacun de mes devoirs, pour
surmonter toutes mes passions coupables ! Quelle
force , pour ainsi dire plus qu'humaine , s'empare
de mou cœur pour l'accomplissement de tout bien,
au souvenir des promesses ineffables de cetHomme-
Dieu ! Quelle douce paix, quel consolant espoir rem
plit mon âme ! Avec quelle secrète satisfaction je
puis penser à mon Créateur ! Avec quelle sérénité je
puis envisager la mort et l'éternel avenir! Combien
enfin je puis contribuer au bonheur de mes sem
blables par une bienfaisante charité I
Oui, sans doute, une doctrine capable de rendre
l'homme si sage , si vertueux , si bon , si heureux
et si bienfaisant , doit venir nécessairement de
Dieu ; et celui qui vient l'enseigner à la terre ,
doit être plus qu'un homme ordinaire ! Cette seule
considération mise en avant, qui donc pourrait
m'arrêter encore dans la voie du christianisme ?
Que l'incrédulité fasse naître mille fois plus de dif
ficultés sur l'Evangile , que n'en ont fait tous les
philosophes ensemble ; qu'elle invente, des objec
tions mille fois plus fortes que toutes celles
faites contre la religion chrétienne : comment ses
discours pourraient-ils me toucher ou m'ébranler,
maintenant que je connais par ma propre expé
rience la vertu salutaire de cette foi et de cette doc
trine, et leur heureuse influence sur ma félicité
/
Il8 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
particulière et sur le bien-être général ? Que les abus
y soient encore mille fois plus multipliés et les sectes
mille fois plus divisées que ne le prétend l'incré
dule, comment en serais-je troublé , puisque je suis
convaincu que ces abus, ces divisions me sont aussi
étrangers qu'ils le sont au véritable esprit du chris
tianisme ? Quel présent du ciel dont les faibles
humains n'aient point abusé? Il est inévitable au
jourd'hui qu'il y ait des scandales , des hérésies ,
des schismes , des divisions , des persécutions et
toutes sortes de misères sur la terre : mais les vertus
qui y peuvent éclater doivent contre-balancer ces
malheurs. Jésus- Christ l'a déclaré lui-même, et
la raison éclairée ne peut tenir un autre langage.
L'homme juste , le chrétien éclairé , a lui-même le
mérite de découvrir la vérité obscurcie , de sup
porter toutes les épreuves de la vie , et de surmon
ter tous les obstacles qui se rencontrent sur la route
de la perfection , pour arriver à la félicité suprême :
ce qui sans doute est le plus beau privilége que
le Créateur puisse accorder à une créature intelli
gente. * i
Cependant, disons-le, nous ne sommes peut-être
plus aussi éloignés du temps où la plupart de ces
divisions, qui ont si profondémenthumilié la société
chrétienne , vont cesserentièrement : tous les esprits
paraissentdisposésaujourd'buià un rapprochement.
Quand les passions se taisent , la raison se fait en
tendre et la vérité reparaît. Jamais le soleil ne brille
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I 1 9
d'une lumière plus pure ni plus éclatante qu'après
l'orage. Nous pouvons donc espérer que l'oracle de
Jésus-Christ s'accomplira bientôt : « En ce temps , il
» n'y aura plus qu'un bercail et qu'un pasteur. » Il
faut bien que cette prédiction ait aussi enfin son
accomplissement , comme toutes les autres que
l'Homme-Dieu avait faites.
Pour moi , j'ai eu le bonheur de naître dans des
temps plus tranquilles. Le Seigneur m'a préservé
du malheur de vivre dans les siècles et les lieux où
ces grandes dissensions ont éclaté. J'aurais peut-être
été encore plus faible ou plus passionné que ceux à
qui l'on reproche ces sortes de scandales. Mais il
suffit que je n'y aie jamais pris aucune part ; que je
puisse déclarer avec vérité que je renonce même en
ce moment à tout attachement pour mon propre
sens ; que je dépose toute prévention , toute animo-
sité ; que je n'ai ni haine ni esprit de parti , et que je
suis et demeure uni de cœur à tous les vrais chré
tiens de l'univers , plaignant tous les autres hommes,
mais ne laissant pas de les aimer , et attendant avec
patience que les oracles du Seigneur s'accomplis
sent, et que la grande œuvre qu'il a commencée
ici-bas soit portée à sa perfection.
Quel sublime et imposant spectacle la réunion de
tous les chrétiens de l'univers offrirait à la terre ! Ah!
qui me donnera d'en être l'heureux témoin? Toute
l'immense chrétienté prosternée ensemble , pour
la première fois, aux pieds de l'Eternel, demandant
120 KÉlfLEXIOiNS ET SENTIMENS
entin le triomphe de la vérité , le triomphe d'une
religion divine sur le point de s'éteindre, et de
laisser la victoire à l'incrédulité! Les impies qui,
de toutes parts, font déjà éclater leur joie inique,
demeureraient alors confondus ! Quelle heureuse
époque, ô mon Dieu ! Quelle jubilation parmi les
esprits célestes ! Quel événement salutaire pour les
hommes ! C'est de ce jour que l'on commencerait à
dater de la paix et du bonheur de la terre !
Seigneur, du haut des cieux, jetez un regard fa
vorable sur le genre humain , un regard de propi-
tiation sur cette admirable société que vous avez
formée, et quevous vous êtes acquise au prix de votre
sang ! Pardonnez à tous les chrétiens leurs erreurs
et leurs égaremens; éclairez tous les esprits et pré
parez tous les cœurs , afin qu'ils puissent se ranger
tous sous les bannières sacrées du Christianisme.
Faites sentir à ceux à qui vous avez confié une partie
de votre autorité, et qui tiennent entre leurs mains
les destinées des peuples, que, pour obtenir promp-
tement le grand bienfait de la réunion ,. il faut se
résoudre à prendre de grandes mesures; que , sans
une réunion générale, il est impossible d'établir
parmi les hommes un système universel de morale ,
ou de concilier les opinions , les sentimens et les
intérêts divers; que les infidèlesne seront vraiment
inexcusables dans leurs erreurs, aux yeux de la
raison , que quand l'univers éclairé sera d'accord
dans sa foi ; que, comme la raison et la vérité , la
SUR DIVERS SUJliTS DE RELIGION. 12 1
religion ne peut être qu Une; que si de petites
nuances sont indispensables, vu la diversité des ca
ractères , si elles sont même salutaires , il est ab
surde de persécuter ses frères par charité; qu'enfin
l'Evangile de Jésus-Christ pourra seul établir sur la
terre une paix générale et une tranquillité perpé
tuelle : faites en un mot sentir à tous les hommes
qu'il est un meilleur ordre de choses pour la société
que celui qui existe, mais que, sans la religion
chrétienne, aucune sagesse humaine ne l'établira !
RÉFLEXIONS ET SENT1MENS
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TREIZIÈME SUJET.
DE LA FOI EN JÉSUS - CHRIST , HOMME -DIEU.
Plusieurs sages de l'antiquité voyaient dans
l'homme un être si misérable et si méchant , qu'ils
le jugeaient absolument indigne de la moindre at
tention de la Divinité. N'auraient-ils pas dû con
clure tout le contraire des malheurs de l'espèce hu
maine , en se rappelant que la bonté de Dieu sur
passe toutes ses autres perfections ?
Quand le Créateur, dans sa sagesse éternelle , se
décida à produire des êtres auxquels il accorderait
le don divin d'une liberté entière et parfaite, il a
étéà la véritéforcé d'admettre aussi toutes les suites
funestes que le mauvais usage d'une prérogative
aussi précieuse pduvait entraîner ; mais, dans la
supposition même d'un abus de la part des créa
tures intelligentes et libres , ne serait-ce pas évi -
demment calomnier la Divinité , que de prétendre
qu'elle a été capable de les abandonner entièrement
à leur triste sort, sous le prétexte que leurs malheurs
n'étaient que leur propre ouvrage? A moins donc
de dire que l'idée que nous nous formons en géné
ral de la bonté , de la tendresse et de l'infinie mi
séricorde du Seigneur, est inexacte, il sera plus
naturel mille fois de croire que l'homme malheur
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 123
rcux soit devenu url objet de sollicitude toute par
ticulière pour l'Auteur divin de ses jours, que de se
persuader que cet Etre tout-puissant et bon ait
été capable d'abandonner sa créature précisément
à l'époque où elle avait un besoin plus urgent de
ses secours. Ainsi , n'en déplaise à la sagesse du
siècle, nous pouvons dire avec vérité que ce furent
notre perversité et nos malheurs eux-mêmes , qui
attirèrent le Très-Haut sur notre terre, et qui le
déterminèrent à apporter quelque remède efficace
à nos maux, et à nous ménager quelques puissantes
consolations dans nos disgrâces ; d'autant plus que,
dans le gouvernement des êtres libres, il doit né
cessairement se rencontrer un point où le Créateur
agisse, pour ainsi dire, d'après son bon plaisir;
car, si tout, absolument tout, était déjà réglé et
enchaîné de toute éternité , Dieu ne paraîtrait plus
en rien libre lui-même.
La religion chrétienne m'apprend en effet que
la rédemption est une œuvre de miséricorde, que
Jésus-Christ est le Dieu consolateur des humains ,
une lumière céleste qui alui dans les ténèbres et les
ombres de la mort, le modèle vivant de la perfec
tion proposé à l'imitation de l'homme, et un guide
assuré sur les routes du vrai bonheur.
Si je viens à reconnaître clairement que le genre
humain a eu besoin, dans le temps , d'un secours
extraordinaire de la part de son Créateur, et qu'il a
été absolument possible de le lui ménager , par
124 RÉFLEXIONS ET SENTIMEBS
quelque moyen que ce fût , même par la grande
mesure de l'apparition de Jésus-Christ , pourrai-je
douter un seul instant que ce secours lui ait été ac
cordé ? Non ; le moindre doute à cet égard serait
une injure faite à la bonté divine et à l'amour im
mense du Très -Haut, toujours prêt, pour ainsi
dire , à faire tous les sacrifices pour le salut de ses
créatures. ,
Mais qui peut nier que les hommes aient eu be
soin , dans le temps , d'un consolateur plus qu'hu
main, qui pût apporter quelque remède efficace à
leurs maux , et leur ménager quelques puissantes
consolations dans leurs disgrâces? Qui peut nier
qu'ils aient eu besoin d'exemples de vertus plus
qu'humaines , pour sortir de l'abîme du vice , dans
lequel ils s'étaient malheureusement , mais libre
ment enfoncés ? Quel philosophe osera soutenir
que le genre humain n'a pas eu un besoin urgent
de lumières célestes, au milieu de ces épaisses té
nèbres , fruit de tous le crimes qui n'avaient cessé
d'aller croissant , depuis les égaremens auxquels le
premier des humains s'était déjà laissé entraîner?
Evidemment la passion et le préjugé seuls peuvent
nier, sans en donner aucune preuve, tant de grandes
vérités.
En premier lieu, il n'est que trop vrai qu'aujour
d'hui les hommes sont en général très-malheureux.
Que chacun mette dans une balance ses peines et
ses jouissances dans le cours de sa vie , il verra que
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 125
les premières auront été très-réelles et en grand
nombre , tandis que les dernières lui paraîtront
aussi rares que vaines et frivoles. Et si vous me dites
que les hommes libres sont eux-mêmes les auteurs
de leurs maux , je vous demanderai s'ils en sont
pour cela moins à plaindre aux jeux de la raison
et de la Divinité? Non, ils n'en sont que d'autant
plus dignes de pitié. Quel homme aujourd'hui ne
naît pas dans les larmes et la faiblesse, et dont
la vie ne soit point un tissu de misères ? A bien
considérer la vie humaine, faisons -nous autre
chose sur la terre qu'errer quelques années au mi
lieu des tombeaux de nos pères? Ne faut-il pas que
chacun d'entre nous voie expirer sous ses yeux celle
dont il tient le jour et qui l'a nourri de son lait ?
Ne faut-il pas que chacun ferme la paupière à
celui qui a soigné sa jeunesse et lui a donné les
premières leçons de vertu ? N'avons-nous pas tous
des frères, des soeurs, des amis, des proches à
pleurer et à regretter ? Tous ceux qui sont chers à
notre cœur ne tombent-ils pas à nos côtés, frappés
les uns après les autres par la mort cruelle et inexo
rable qui affecte toujours de rompre les liens les
plus étroits et les plus tendres par lesquels nous
tenons à la vie? Oui, errer quelques années au mi
lieu des tombeaux de nos ancêtres , et tomber enfin
épuisés de larmes et usés par les peines et les tra
vaux dans la même tombe : voilà un tableau rac
courci , mais fidèle , de la vie humaine ? Qui ne
I2Ô RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
conviendra quelle est si vaine et si remplie de
misères , que , sans les espérances que Jésus-Christ
nous a fait concevoir , et sans les consolations puis
santes qu'il nous a données en ressuscitant le pre
mier, il eût été avantageux pour l'homme de ne
point naître ?
Cependant, a côté de ces malheurs, qui ne dé
pendent plus de la prudence des hommes, je re
marque encore une méchanceté et une perversité
qui me choquent dans des êtres aussi nobles que
ceux qui ont reçu en partage la sensibilité, l'intelli
gence et la liberté! Leurs passions, semblables à des
lorrens débordés, les entraînent dans l'abîme de
tous les excès. Par le mauvais exemple, pour eux
une véritable contagion, le mensonge, l'injustice
et la cruauté se sont en quelque sorte attachés à
leur nature. Lisez l'histoire : vous y verrez sou
vent les mortels travailler eux-mêmes à se rendre
encore plus malheureux qu'ils ne le sont par leur
condition présente. Non contens des infirmités ,
des revers , de la maladie , de la pauvreté , de la
mort , ils font souvent passer en usage les plus
exécrables désordres , les injustices les plus criantes ,
le vol , le meurtre et le carnage : le fort opprimant
partout le faible ; les hommes publics eux-mêmes
abusant lâchement de leur pouvoir pour subjuguer
ou persécuter ceux qui sont hors d'état de se défen
dre ! On a vu souvent couler des torrens de sang et
de larmes ; on s'est égorgé par millions ; et le cri du
i
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. l l'J
désespoir s'est fait entendre ! Hélas ! dans plus d'un
siècle, la terre ne se présente à nous que sous l'i
mage d'une boucherie vaste et dégoûtante , et n'offre
qu'un théâtre immense d'horreurs de tous genres !
horreursque, sans doute, le Tout-Puissant n'avait
point en vue , lorqu'il se décida à produire le monde.
Quel autre qu'un Jésus, qu'un Homme-Dieu, eût
été capable de ramener généralement l'univers à
des sentimens de justice , et à l'amour de la vé
rité et de la vertu ? Et , où en serions-nous aujour
d'hui , sans l'heureuse révolution opérée dans la
morale du genre humain par la prédication de
l'Evangile de paix ? Oui , il a fallu quW Dieu vînt
donner à la terre le spectacle de toutes les vertus ,
fournir aux hommes égarés des exemples divins ,
et leur montrer le chemin de la perfection et du
bonheur , en le parcourant lui-même jusqu'à la
fin , malgré la fureur jalouse et atroce de contem
porains pervers , dont l'aveuglement fut assez pro
fond pour condamner à une mort épouvantable,
l'Innocent, le Juste par excellence, le Bienfaiteur
éternel de l'humanité ! il a fallu qu'wre Dieu vînt
nous ramener à une conduite plus digne de notre
céleste origine et de nos immortelles destinées.
Enfin , l'ignorance et les ténèbres des humains
ont été généralement si profondes, pour ce qui
concerne leur salut éternel , avant l'apparition du
Seigneur sur la terre, qu'ils s'étaient livrés à l'ido
lâtrie la plus absurde et la plus humiliante pour
,'
128 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
l'esprit humain , laquelle allait jusqu'à adorer des
statues monstrueuses et de vils animaux , et jus
qu'à sacrifiera de semblables divinités des victimes
humaines!!! Dans les siècles même les plus éclai
rés, les hommes se sont souvent efforcés de détruire
sur la terre la foi au Créateur , et d'étouffer dans
tous les cœurs la croyance de l'immortalité , cet
unique fondement des vertus. Ils ont voulu couper
ainsi , jusque dans la racine , leurs plus belles es
pérances ! Quel aveuglement et quelle fureur! direz-
vous. —'Cependant-, quelle triste vérité ! et notre
siècle lui-même en est la preuve. Combien donc
l'univers a-t-il dû être disposé à recevoir avec trans
port et reconnaissance ces lumières du ciel que
Jésus , l'Envoyé du Créateur , le Libérateur promis
et désiré , l'Ange de la nouvelle alliance entre le
ciel et la terre, est venu apporter aux hommes, de
bonne volonté ?
La nature et la condition de l'homme appuient
donc ma foi en Jésus - Christ , Dieu Sauveur du
monde. Mais, si je jette un coup d'œil sur l'histoire
du genre humain , pourrai-je le méconnaître ?
Tout se rapporte admirablement , tout se sup
pose mutuellement dans la loi ancienne et la loi
nouvelle. Nos livres saints racontent la création
de l'homme , sorti d'entre les mains de l'Eter
nel dans un état de perfection qui ne laisse rien
à désirer ; enrichi du don de la raison , il jouit
d'une liberté entière et parfaite , d'une indépen
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 12*9
dance absolue dans ses actions. Ils rapportent
ensuite sa chute déplorable , fruit de l'abus cou
pable de cette liberté précieuse qui lui avait été
donnée à une autre fin. Cependant un libérateur
est promis par l'infinie bonté du Créateur ; il est »
attendu pendant quatre mille ans. Jusque-là tout
figure d'avance, tout prépare son arrivée. Dieu prédit
d'une manière assez claire ce dont la perversité lm-
maine sera capable, et ce que fera Jésus, l'Homme-
Dieu , pour ramener les mortels égarés à des sen-
timens de justice , de vertu , de bonté , de douceur,
de charité, et les remettre sur la route de la per
fection et du vrai bonheur. Ce sont les descendans
d'un homme trouvéJuste auxyeux du Seigneur,
qui deviennent les dépositaires de ses volontés.
Une nation placée au milieu des trois principales
parties du monde , et qui se trouve par-là en re
lation avec tous les peuples , attend l'envoyé du
ciel. L'empire romain s'étend dans l'univers entier
auquel Auguste donne quelques momens de paix.
Dans ces circonstances favorables , ménagées évi
demmentpar le suprême Modérateur des desti
nées des mortels, et au milieu de cette nation
dont l'histoire est et demeurera toujours un
phénomène très-extraordinaire auxyeux mêmes
de la philosophie , Jésus-Christ paraît ! Il prêche
avec la tranquille majesté d'un esprit revêtu d'une
mission supérieure, et qui n'a d'autre fonction sur
la terre que d'y établir la vertu, la piété, la justice
9
l3o RÉFLEXIONS ET SÉNTIMENS
et l'amour entre les mortels. Sérieux , mesuré
dans ses actions , ingénu , simple et sublime dans
ses discours , son âme semble calme , transparente
et profonde comme l'éther céleste; souverainement
doux et aimant , un saint zèle contre l'impiété et
les vices grossiers dont la vue l'afflige , peut seul
l'animer ou le passionner un instant. Prêt à souf
frir tous les tourmens et la mort même , plutôt
que de se détourner de la voie de la raison éclairée,
de la vérité et de la justice , qui seule conduit à
la félicité, il donne à toutes les générations à venir
des exemples divins de toutes les vertus ! Que
l'incrédule décide donc maintenant, s'il en a le
courage ; qu'il décide , avec sa légèreté ordinaire ,
que ce Jésus , à la personne sacrée de qui se
rattache toute l'histoire du genre humain , n'a été
simplement qu'un homme !
Pendant les courtes années de sa prédication,
Jésus jette les semences impérissables d'une doc
trine d'adoration pure , de justice , d'amour , de
charité , de vérité ; ou plutôt , il ne fait que sanc
tionner ces doctrines et vivifier de nouveau ces se
mences innées dans tous les cœurs , mais que les
hommes avaient eu le malheur de négliger. Et ce
qui est un prodige aussi surprenant que sa mis
sion et toute sa personne, c'est qu'un membre
de la nation la plus égoïste , la plus opiniâtrément
individuelle , la plus ennemie du genre humain ,
conçoive le premier l'idée d'une religion univer
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. l3l
selle , d'une église cosmopolite , de la fraternité de
tous les hommes sous l'autorité d'un père commun :
un Dieu, une croyance, un culte, unefamille ,
un amour! Idée prodigieuse pour le siècle et sur
tout pour la Judée.
Jésus meurt enfin victime de la jalousie et de la
haine de ses malheureux contemporains , après
avoir lutté tout seul contre la perversité du genre
humain , et il achève, par sa douceur et par la belle
mort d'un martyr de la vérité, l'exemple des plus
difficiles vertus ! La société qu'il a formée s'étend
dans l'univers entier , malgré les passions et la
liberté laissée à l'homme ; et nous-mêmes, nous
naissons dans cette foi et cette croyance.
De quelle nature était donc un être si extraordi
naire, un être qui ne ressemble à aucun des grands
hommes dont l'histoire nous ait transmis l'image ,
et dont la vie sans tache comme sans affectation
ne laisse pas entrevoir une seule des faiblesses de
l'humanité ? Le souverain Modérateur des mondes
a-t-il dirigé tous ces grands événemens arrivés sur
notre globe , ou bien est-ce le hasard ? Jésus était-il
notre Dieu, notre éternel Créateur; ou n'était-il
que l'envoyé du Dieu notre Créateur? Répondez, ô
vous , hommes faibles et vains , qui parlez quel
quefois d'une manière si inconsidérée, du grand,
du divin législateur des hommes, de Jésus-Christ,
de l'Homme-Dieu !
Pauvre et chétive incrédulité, combien tu nou?
9
1^2 RÉFLEXIONS ET SENTIMEXS
inspires de pitié , quand tu oses avancer que
Jésus-Christ n'était qu'un mortel ordinaire ! Vois
l'heureuse , l'immense révolution qu'il a opérée
dans la morale des nations, à l'âge de trente ans,
et demeure à jamais confondue , en comparant le
succès de tes efforts multipliés pour détruire , avec
celui qu'il a obtenu à lui seul pour édifier ?
Qu'as-tu fait sur la terre depuis que tu as dit avec
tant d'emphase par la bouche d'un de tes plus
grands cor \ phées : «Je suis las d'entendre dire que
» douze pêcheurs ont changé la face de la terre ? »
Qu'as-tu fait depuis cette époque ? Quel est ton
ouvrage ? Quelques misérables égarés , qui ne
savent plus à quoi s'en tenir sur le vrai bon
heur : voilà ton ouvrage ! Cesse donc de nous
vanter tes prétendues lumières, et adore avec nous
Jésus , le grand , le divin Instituteur des nations,
l'Envoyé de Dieu , et le Fils de sa droite !
La divinité de Jésus -Christ ne peut être mé
connue que par des personnes passionnées et pré
occupées , dont l'esprit est aveuglé et le cœur flétri,
et qui ne sont pas capables de sentir ni d'appré
cier ce qui est vraiment beau , vraiment grand ,
Taiment digne de l'Eternel !
D'un autre côté , quel trésor précieux serait
ravi aujourd'hui au genre humain , si I on parve
nait à lui enlever la foi en Jésus , le Dieu de toute
consolation ! Le dernier charme de la vie dis
paraîtrait avec lui , et il ne resterait aux hu
SVR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 1 33
mains que leurs misères , leurs ténèbres , leurs
injustices et leurs crimes , le désespoir , et enfin
la mort!
Faites en effet , pour un moment , disparaître
Ja foi en Jésus-Christ , ce guide divin des hommes
dans les sentiers de l'éternelle félicité ; ôtez les
doctrines, les lumières et les espérances qu'il nous
a données ; que deviendra la société ? Que devien
dra le genre humain , que deviendrez-vous vous-
même ? Hélas ! notre globe sera donc comme
oublié , comme perdu dans l'immensité ! Le
Créateur ne se sera jamais mis en peine de notre
sort ! Abandonnés absolument à notre propre fai
blesse au milieu des maux sans nombre de la vie ,
nous serons donc encore incertains si les deux
extrémités de notre chétive existence n'aboutis
sent pas au néant ! Nous serons en droit de mau
dire la sensibilité, l'intelligence et la raison ! Plus
d'espoir consolant pour l'homme! Plus de guide
assuré vers le céleste séjour! Cette vie future dont
on m'a souvent entretenu ne sera elle-même
qu'une chimère ! En vain j'espérerai rencontrer
un jour ce Créateur tout-puissant , à qui on attri
buait la formation de ce vaste univers ; à mesure
que j'avancerai dans l'éternité , cet Etre inconnu
dans son essence , et à jamais invisible , fuira
devant moi ; je ne pourrai jamais le saisir et
m'entretenir avec lui face à face. En vain je me
flatterai de retrouver plus tard , dans un monde
1 34 RÉFLEXIONS ET SËNTIMENS
plus heureux, ce père chéri , cette excellente mère,
cette tendre épouse , cet enfant , cet ami , que la
cruelle mort m'a enlevés ici-bas.... O Dieu ! en
core une fois , quel trésor précieux on ravirait
aujourd'hui au genre humain, si l'on parvenait
à lui enlever la foi en Jésus , le premier-né d'eiftre
les morts , le Dieu de toute consolation ! Oui , le
dernier charme de la vie disparaîtrait nécessaire
ment avec lui , et il ne resterait aux malheureux
humains que leurs misères , leurs ténèbres , leurs
injustices , leurs crimes , et enfin le désespoir et
la mort ! !
Sans doute que les écrivains du siècle dernier
ne prévoyaient point les malheurs sanglans qu'ils
préparaient aux hommes , en voulant briser ce
lien précieux qui rattache la terre au ciel , et qui
seul consolide tous les autres liens de la vie so
ciale ; autrement ils auraient peut-être sacrifié la
vaine gloire d'écrivains hardis à la paix et à la
tranquillité de la terre ! avec d'autant plus de rai
son , qu'ils ne pouvaient point espérer de réussir
entièrement dans une entreprise impie contre la
Providence qui régit l'univers. Il fallait se faire
illusion , il fallait ignorer l'histoire du genre hu
main , il fallait être athée , pour se persuader que
l'établissement du christianisme sur notre globe
n'avait été que l'ouvrage du mensonge , de la folie
et du crime, et que la Divinité n'y avait jamais eu
aucune part.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. l35
0 mon Dieu {-éclairez tous mes contemporains
sur un point aussi important pour leur repos et
leur bonheur que celui de la foi de Jésus-Christ ,
Dieu-Homme , le modèle de tous les humains et
leur guide vers l'éternité. Pour moi, Seigneur, vous
le savez , je vous ai toujours adoré dans la grande
œuvre de la rédemption , comme dans celle de
l'admirable création. Je me réjouis en ce moment de
vos triomphes sur l'incrédulité. Je reconnais , dans
votre heureux avénement sur cette terre, votre bonté
immense , votre amour infini , votre tendresse et
votre miséricorde sans bornes. J'y reconnais aussi
cette sagesse incompréhensible et évidemment di
vine qui reluit dans toutes vos œuvres , et par la
quelle vous avez su ménager aux hommes des
moyens de retour à la vertu, sans gêner en aucune
manière leur liberté , moyennant ces mystères vrai
ment adorables dont les choses divines demeurent
enveloppées, et par où le mérite de croire et de
faire nous est laissé à nous-mêmes. Ah l ne per
mettez pas que les pénibles démarches de votre pè
lerinage mortel soient perdues pour moi L Faites
plutôt qu'en vous reconnaissant je vous imite, et
qu'en vous imitant je parvienne à la perfection et
au bonheur pour lesquels j'-.i été créé.
ï36 RÉFLEXIONS ET SENTI MENS
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QUATORZIÈME SUJET
DU CODE DE L'ÉVANGILE.
La Sainteté de l'Evangile parle à mon cœur:
ces paroles sont aussi vraies qu'elles doivent être
peu suspectes aux jeux des personnes du monde.
Mais quel chrétien n'a pas éprouvé le même sen
timent à la lecture de ce code divin ? Est-il pos
sible qu'on en lise un seul chapitresans être touché
jusqu'au fond du cœur de sa sublime simplicité ?
Et au lieu d'être choqué de ces choses inconcevables
qui s'y rencontrent, l'homme vraiment éclairé ne
doit-il pas admirer, de plus, cette Providence évi
demment divine , qui a su nous aider d'une manière
si positive à revenir sur la route de la perfection et
du bonheur, sansgêneren rien notre libre arbitre,
unique base du mérite ? — Quelle admirable dispo
sition de la part de la Divinité, que d'avoir entouré
sa religion de mystères impénétrables, et d'avoir
ménagé si bien ses merveilles même les plus frap
pantes, que l'homme injuste et immoral puisse en
core absolument s'aveugler au point de mécon
naître Dieu et la vertu !
Sans doute Jésus -Christ eût pu rédiger lui-
même le code de ses douces lois, opérer des mira
cles permanens qui se seraient renouvelés tous les
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 1 37
jours d'une manière visible sur l'autel du sacrifice ,
etforcerles générations les plus perverses et les plus
obstinées à suivre ses divins exemples ; mais alors
il eût anéanti toute espèce de mérite dans les créa
tures intelligentes. Si tout dans l'Evangile était pré
senté de manière à ce que l'impie ni l'incrédule
n'eussent plus le mot à dire, personne ne serait
plus libre dans sa croyance ni dans ses actions mo
rales; car il faudrait avoir renoncé à la raison et à
la nature humaine, pour se conduire autrement
que d'après les maximes de vie et de salut qu'il
nous enseigne.
Il y a donc des choses inconcevables dans l'Evan
gile , et elles ont dû s'y rencontrer. Des merveilles
plus frappantes eussent porté atteinte à l'intégrité
de la liberté humaine : Heureux, dit Jésus-Christ
lui-même , heureux ceux qui n'ont point vu et qui
ont cependant cru fermement.
Je ne m'arrêterai pas plus long-temps en cet en
droit à ces déclamations si peu philosophiques
que la sagesse du siècle s'est permises contre les
choses obscures et les contradictions apparentes de
nos livres saints; mais je m'attacherai particuliè
rement à admirer les grands etpuissans motifs de
vertu qui nous sont suggérés dans l'Evangile. Que
ses maximes sont claires , précises et bien adaptées
aux divers états de la vie! Que les exemples de
Jésus-Christ sont facilement appréciés de tout le
monde! Le riche et le pauvre, le savant et l'igno
l38 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
rant, y trouvent leur conduite tracée. Tous les
hommes , tous les malheureux , les rois même de
la terre , sur le trône ou sur l'échafaud, y puisent
de grandes leçons ou de puissantes consolations !
Quelle différence entre l'Evangile et les autres
livres de morale que nous connaissons ! Ce code di
vin, malgré toutes les choses inconcevables que
des philosophes superficiels regrettent d'y rencon
trer, a changé la face de la terre, se trouve entre
les mains du sage aussi-bien que du simple ouvrier ,
se voit dans le palais des princes comme dans la
chaumière du pauvre ! tandis que les autres ou
vrages de morale , composés par les plus célèbres
philosophes, écrits dans le style le plus pur, et ne
contenant pas une seulede ces choses inconcevables,
sont à peine connus de quelques savans! Ne faut-il
pas s'écrier ici que l'Evangileporte donc avec lui
des caractères de vérité, et par conséquent de
divinité , qui ne' sauraient être méconnus des
hommes ?
Aussi n'est-il point d'autre livre qui nous pré
sente autant et de si grands motifs de pratiquer
toutes les vertus. Le code des Evangiles a mis le
sceau de la Divinité à la croyance d'une vie future ,
unique fondement de toute morale ; tous les motifs
de vertu que la lumière naturelle nous fournit y
sont appuyés par les exemples mêmes d'un Dieu!
S'il est vrai que la raison donne aux hommes , qui
ont le loisir de la cultiver , des preuves irrécusables
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION, l3g
en faveur de l'immortalité et des peines et récom
penses futures, l'Évangile donne une sanction di
vine à ces leçons de la simple raison ! Et si l'homme
instruit et éclairé , parvenu à se convaincre que
la tranquillité de la vie et le bonheur futur ne
dépendent uniquement que de la vertu ; que la
tristesse , le dégoût , le remords et le désespoir sont
les véritables fruits du vice, peut déjà être réglé
dans sa conduite et même vertueux jusqu'à un cer
tain point , combien plus ne le sera pas un chré
tien , qui , outre ces motifs naturels de vertu , aura
encore tous les motifs religieux , les promesses re
cueillies de la bouche même du Seigneur , et cette
persuasion que la plus légère tache devra être effa
cée pour entrer dans le royaume des cieux , et que
la moindre bonne action y recevra au contraire sa
récompense ! Quelles vertus pourraient paraître
trop difficiles pour un Disciple de ce Jésus , de cet
Homme-Dieu qui a marché devant lui , en lui
donnant l'exemple des vertus les plus héroïques,
d'une humilité divine, d'une douceur infinie , d'une
céleste modestie, d'une innocence parfaite, d'une
bonté, d'une charité sans bornes, d'une patience ,
d'une résignation incompréhensibles, d'une géné
rosité, d'une fermeté dans les sentiers de la justice
et de la vérité, que la crainte des tourmens ni de la
mort n'a pu ébranler ; enfin d'un amour pour ses
semblables, que les opprobres les plus humilians
n'ont pu décourager, que l'ingratitude même la
l4o RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
plus noire n'a pu refroidir ? Quelles actions grandes
et nobles pourraient être au-dessus des forces du
vrai chrétien ? Quel renoncement , quel désintéres
sement , quel sacrifice pourrait effrayer son âme
généreuse ? Imaginez, si vous le pouvez, quelque
moyen certain de rehausser et de renforcer plus
puissamment la morale du genre humain , que les
exemples divins et les mystérieuses doctrines de
l'Evangile ! Oui , l'Évangile est fait pour ennoblir,
élever l'homme jusqu'à la Divinité !
Quelle considération pourra, par exemple, me
donner une idée plus haute et plus sublime de tout
ce qu'on appelle bonté, humanité, amour, humi
lité , générosité , que la vue d'un Dieu fait homme ,
passant par tous les états de cette vie malheureuse,
depuis la faiblesse de l'enfance jusqu'aux souf
frances de l'homme de douleur, pour venir secou
rir , consoler, rassurer les humains, et leur donner
l'exemple de la résignation avec laquelle une créa
ture raisonnabledoitsupporterles disgrâces de cette
vie mortelle ?
Que pourra-t-on me dire de plus fort pour m'in-
spirer de l'horreur pour tous les vices , que de m'ap-
prendre qu'un Dieu mourut autrefois dans les tour-
mens les plus épouvantables , et du genre de mort
le plus terrible , pour être venu sur la terre dans la
vue de ramener l'homme égaré à des sentimens
d'amour, d'ordre et de justice ?
Quel motif plus puissant pourra-t-on me suggé~
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 1^1
rer pour m'inspirer une confiance entière en la
bonté paternelle de mon Créateur , qu'en m'assu-
rant qu'il a exposé Jésus , son fils unique , à toute
la perversité des hommes pour le salut du genre
humain, quoiqu'il prévît tout ce que ce fils chéri
aurait à souffrir , en venant donner , au milieu
d'un monde corrompu , le spectacle de toutes les
vertus ?
Quelle considération plus efficace pourra me
porter à aimer et à estimer le plus pauvre , le plus
malheureux des hommes , le plus petit , le dernier
de mes semblables , que cette pensée : Jésus-Christ
est venu sur la terre pour lui aussi -bien que pour
le premier des monarques ! Il a voulu être son
sauveur et son frère !
Comment m'engager plus efficacement à veiller
sur la pureté de mon cœur , qu'en me disant :
Vous êtes le temple vivant de l'Esprit de Dieu!
vous êtes un membre de cette société sainte dont
l'immaculée personne de Jésus est le chef! vous
faites partie de la sainte famille ! car vous êtes frère
de l'Homme-Dieu ?
Qu'y a-t-il au monde de plus fort et de plus
puissant, pour m'engager à être charitable, bien
faisant , généreux et noble , que cette réflexion :
quand vous faites du bien au pauvre, quand vous
soulagez l'infirme, quand vous visitez le malade et
le prisonnier, quand vous essuyez les larmes du
malheureux et que vous donnez du pain et des
1^2 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
habits à celui qui est exposé à la faim et aux
injures des saisons; en un mot, quand vous faites
quelque bien au dernier, au plus misérable des
hommes, c'est à Jésus lui-même, à Jésus en per
sonne que vous le faites ?
Pauvre philanthropie! que tes discours sont glacés
et stériles , qu'ils sont impuissans et arides , à côté
d'une seule sentence de l'Evangile de Jésus-Christ î
Que d'innombrables légions de cœurs bienfaisans ,
d'âmes charitables , de martyrs de l'humanité , cette
seule parole du Sauveur a produites : Ce que vous
aurezfait au plus petit de mes disciples , c'est à
moi-même que vous l'aurezfait! Paroles évidem
ment divines , demeurez toujours gravées au fond
de tous les cœurs ! Qui pourra énumérer les bonnes
actions dont elles ont été la cause depuis dix-huit
cents ans ? Qui pourra faire le récit de celles qui se
font encore tous les jours, et se feront jusqu'à la fin
du monde , par le même principe ? Quelle diffé
rence entre les mesures que prend le Créateur ,
lorsqu'il veut agir efficacement sur les destinées de
la terre , et celles que voudraient employer les vains
sages du siècle !
L'Evangile de Jésus-Christ est donc seul capable
de rendre toutes les nations aussi vertueuses et aussi
heureuses que la nature humaine le comporte ; et ,
sans l'Evangile, aucune sagesse terrestre ne réussira
dans cette entreprise.
Faites, Seigneur, que je sente dans toute son
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. ifô
étendue le bienfait de vos divines leçons . et sur-
tout que je vive selon vos vivifiantes maximes.
Faites que jamais je ne rougisse de ce riche testa
ment que vous avez fait en faveur des hommes en
quittant la terre , et par lequel vous leur avez légué
la paix , la félicité et la gloire éternelle ; faites enfin
que je ne ressemble en rien à ces aveugles qui ,
rejetant ce testament , ne sauraient avoir part à
votre céleste héritage , et dont les contradictions
sans nombre semblent déjà être ici-bas une secrète
réprobation.
Que le code sacré de Jésus-Christ soit donc tou
jours entre mes mains! Que, malgré les choses in
concevables qu'il renferme, je le préfère toujours
à ces livres dangereux dont l'unique principe est
de n'en avoir aucun ; où l'immortalité même de
l'homme est présentée comme un problème , où
enfin des personnes imprudentes puisent le poison
de l'incrédulité absolue , compagne inséparable de
tous les vices et de tous les malheurs !
Que les douces lois de l'Evangile se répandent
sur l'un et l'autre hémisphère pour le bonheur gé
néral de l'univers.
1 44 RÉFLEXIONS ET SENTIMËNS
QUINZIÈME SUJET.
I,A VIE DE JÉSUS-CHRIST.
La sainte vie du Sauveur du monde sera en ce
moment le sujet de mes considérations. Un Dieu a
marché devant moi; je veux l'imiter, je veux le
suivre ! Quel modèle admirable , engageant et
entraînant il m'a laissé de la plus parfaite vertu !
Aucun défaut , aucune tache , aucune ombre de
péché n'a pu être trouvée en lui. Au contraire ,
tout ce qui est grand , élevé , noble et divin ,
éclatait dans sa personne. Jésus était l'innocence
et la sainteté mêmes. De tout son cœur et de toute
son âme il se consacra à l'œuvre difficile et
pénible à laquelle son Père l'avait appelé ; il
parcourut , sans détourner les yeux , la grande
carrière que le ciel lui avait tracée. Rempli d'une
paix et d'une joie profondes, qui vivifiaient tout
ce qui avait le bonheur de l'approcher, il ac
complit en peu d'années l'ouvrage de la rédemp
tion et du salut des hommes. Aucune peine ne lui
coûte , aucune humiliation ne peut abattre son
courage, ni l'ingratitude affaiblir son zèle. Un
amour prêt à tout sacrifier l'armait incessam
ment de cette force toute - puissante qui l'aidait
à tout entreprendre , à tout souffrir , et à porter
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I 45
toutes ses entreprises à une heureuse fin. De quel
œil plein de sagesse et de profondeur il voyait les
plaisirs trompeurs de la vie ! Avec quelle justesse
il savait apprécier combien est grande la vanité
de tout ce que nous appelons biens et avantages
ici-bas ! A son exemple , chacun peut mainte
nant apprécier les biens terrestres à leur juste
valeur. Il vécut content dans l'état le plus pauvre
et le plus humble de la société , parce qu'il por
tait avec lui le contentement et la paix du cœur
partout où il dirigeait ses pas. Il savait jouir dans
l'innocence , et se créer des plaisirs là même où nous
ne faisons souvent que nous préparer mille peines
et mille chagrins.
Quelle joie pure la vue de l'aimable Nature
n'excitait-elle pas dans son cœur ! avec quel enthou
siasme il en remarquait toutes les merveilles !
Personne ne sut mieux que lui apprécier la beauté
de tous les êtres de l'immense création ! Et cette
divine Providence , source de tout ordre et de toute
harmonie, avec quelle admiration il en contemplait
incessamment les décrets! Partout il reconnaissait
les traces du Créateur et son infinie sagesse.
Jésus demandait bien peu de choses pour vivre
heureux. Nous lisons continuellement dans sa vie
la confirmation de cette grande vérité , que ni les
richesses , ni le rang, ni la fortune , ni l'accomplis
sement de tous les désirs du cœur , ne peuvent
rendre l'homme vraiment heureux ni content, et
»4h KÉFLEXIOXS ET SKNTIMENS
qu'une conscience sans tache et une vie pure et
bienfaisante sont l'unique source du bonheur.
Que dirai-je des autres vertus innombrables du
Sauveur , dont les charmes irrésistibles entraî
naient tous les cœurs sensibles et droits? Il sup
portait les faiblesses de ses semblables avec une
douceur si divine ! guérissait les malades avec tant
de bonté ! instruisait les pauvres avec une ardeur
si infatigable! O ciel! quelle douceur et quelle ten
dresse remplirent son cœur! Ses plus cruels ennemis
pouvaient être persuadés qu'ils en étaient aimés
sincèrement, et qu'il dépendait d'eux seuls de deve
nir ses meilleurs amis. Aussi souffrait-il tout patiem
ment et avec une longanimité sans exemple. S'il
combattait sans cesse l'erreur et le vice , il ne haïs
sait ni ne persécutait pas pour cela l'esclave même
le plus méprisable du péché. Ceux que l'orgueil
humain rebutait , Jésus se faisait un plaisir de
les accueillir : il étendait même aux pécheurs
et aux incrédules son affection , parce qu'il les
croyait tous plus ignorans et plus faibles que
médians. Partout il aimait l'homme :1e juste pour
ses vertus ; le' vicieux dans l'espoir de le rendre
meilleur.
Jésus-Christ était encore humain et bienfaisant,
en prenant ces mots dans leur signification la plus
étendue et la plus noble. Ses travaux immenses et
son zèle infatigable n'avaient d'autre but que de
répandre par toute la terre la vérité et la vertu ,
si:k DIVERS STjJGTS DE RELIGION. I/|7
et par celles-ci la paix et le bonheur. Il cherchait
partout à faire valoir les droits de l'humanité. Le
faible et l'opprimé trouvaient toujours en lui un
défenseur généreux. Il ne cessait de recomman
der le petit orphelin et la veuve abandonnée; prê
chant sans relâche la charité , la bonté réciproque,
l'amour de ses semblables; inspirant à tous les
cœurs l'esprit de patience, de tolérance , de longa
nimité , de bienveillance , et attirant par-là , sur
l'univers et sur ses habitans , les bienfaits de toutes
les vertus et les plus riches bénédictions du ciel ,
jusqu'aux générations les plus reculées.
C'est par ces principes divins , émanés immé
diatement du ciel , que Jésus fit des prosélytes
de tous ceux d'entre ses contemporains probes et
exempts des diverses passions qui aveuglent tou
jours plus ou moins l'esprit; et, en général, de
tous les hommes sincères et de bonne volonté; et sa
grande entreprise pour la régénération de l'espèce
humaine , son grand ouvrage, semblable à un ma
jestueux édifice , se tient encore debout au milieu
de l'univers , comme un objet d etonnement et d'ad
miration pour tous les peuples et toutes les gé
nérations.
Avec quelle simplicité cependant Jésus com
mença son grand travail ! Voici les premières pa
roles qu'il prononça , paroles bien différentes des
vains discours de nos prétendus sages et des philo
sophes du siècle : heureux les pauvres d'esprit ,
10.
f /ffi RÉFLEXIONS ET SENTIMEWS
c'est-à-dire heureux ceux qui sont humbles et pe
tits à leurs yeux ; les riches qui possèdent comme
ne possédant pas, et qui s'appauvrissent à force
r!c bienfaits ; les grands de la terre qui savent
se rabaisser jusque sous le chaume , et reconnaître
le prix de la simplicité , de l'humilité et même
de la pauvreté : car le royaume des cieux sera leur
récompense. Heureux les hommes doux , ils pos
séderont la terre en attendant qu'ils soient mi»
en possession de la patrie céleste. Heureux ceux
qui pleurent , car le Seigneur lui - même les
consolera et essuiera leurs larmes ; leur vertu se
perfectionnera dans l'infirmité , et le Dieu juste ,
qui ne fait acception des personnes , leur réser
vera une riche compensation dans la vie à venir.
Heureux ceux gui ontfaim et soif de la justice;
après avoir cherché incessamment pendant leur
vie à satisfaire un besoin si louable , ils seront ras
sasiés éternellement ; ils seront revêtus de gloire ;
ils seront inondés d'un torrent de délices , et la
vérité deviendra leur, nourriture. Heureux les mi
séricordieux , c'est-à-dire heureux ceux qui auront
pardonné de grand cœur à leurs injustes ennemis,
qui auront fait du bien à leurs persécuteurs, qui
auront remis généreusement la dette au pauvre
insolvable ; car ils trouveront miséricorde à leur
tour au pigd du trône de celui qui ne se laissera ja
mais vaincre en générosité par ses créatures. Heu
reux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront
SLR DIVERS SUJETS DE RELIGION. l4g
Dieu ; il leur sera donné de contempler les splen
deurs de la gloire éternelle , et cette lumière inac
cessible infiniment plus pure que les rayons du
soleil. Heureux les pacifiques qui savent souffrir
en secret, plutôt que d'altérer la sainte paix et la
divine harmonie qui doit régner entre des frères :
car ils seront appelés les enfans de Dieu. Heu
reux enfin tous ceux que l'on appelle malheu
reux dans le monde ; ceux qui souffrent la per
sécution pour la justice ; ceux dont l'innocence
est méconnue ; ceux que la calomnie a noircis ;
car, s'ils savent endurer tout avec patience et ré
signation , leur mérite sera grand aux yeux du
Seigneur ; outre qu'il est déjà noble et grand , ici-
bas, de souffrir pour une aussi belle cause que la
cause de Dieu et de la vertu.
Quel courage , quelle force , quelle onction di
vine ces paroles si simples de Jésus-Christ n'ont-
elles pas répandus dans le cœur de tous les mal
heureux et de tous les infortunés depuis dix-huit
cents ans ! Et combien de consolations ne ré
pandront-elles pas encore dans le sein de tous les
affligés pendant toutes les générations à venir ! O
Dieu ! faites que j'apprécie bien tout ce qu'il y a
de grand , de noble , de majestueux et de divin
dans l'admirable vie de Jésus , le Fils de votre
droite , afin que je sente aussi dans mon intérieur
un désir ardent d'imiter ses exemples !
Que le flambeau de la vertu brille toujours dau&
l5o RÉFLEXIONS ET SliNTIMENS
vos mains , s'écriait souvent Jésus-Christ dans ses
prédications , afin que les hommes voient vos
bonnes œuvres, et glorifient votre Père qui est dans
les cieux en vous imitant. Mais ne faites jamais
rien par vaine gloire , ni uniquement pour être
vus ou admirés des hommes ; comptez pour rien
le suffrage des faibles mortels. Cherchez à l'envi
à vous surpasser les uns les autres en vertu et en
perfection , car je suis venu perfectionner la loi.
Dans la suite , celui qui aura simplement contristé
son frère , injuriant en lui l'image du Très-Haut ,
sera digne des peines éternelles. On ne jurera plus
en aucune manière , ni par le ciel , ni par la terre,
ni par son âme ; mais le langage des vrais enfans
de Dieu sera simple , oui , non. Il ne sera plus
permis de tirer vengeance des offenses reçues ; on
ne fera plus de distinction entre le frère et l'étran
ger, car tous les hommes sont frères , quelque pays
qu'ils habitent, et on pardonnera à ses plus grands
ennemis , oubliant même les torts les plus graves
qu'ils pourront avoir ; on leur pardonnera chaque
fois qu'ils seront retombés ; que dis-je ? on aimera
ses ennemis ; on leur fera du bien ; on priera pour
ses calomniateurs et ses persécuteurs ; en un mot ,
on cherchera éternellement à devenir parfait comme
le Père céleste est parfait !
Telles ont été les principales maximes de Jésus-
Christ , et telle a aussi été sa vie ; car il n'a jamais
prescrit aux hommes que ce qu'il avait pratiqué
SUR DIVERS SUJETS DE' RELIGION. l5l
lui-même le premier. Quelle perfection et quelle
carrière ! !
Agréez, ô mon Dieu ! la résolution généreuse qui
se forme ici naturellement dans mon cœur ; agréez
la protestation solennelle que je fais d'imiter doré
navant le grand, le divin modèle qui m'est présenté
dans la personne sacrée de Jésus. Oui , ma vie sera
dans la suite conforme à la sienne I Etant son dis
ciple , et me glorifiant encore du nom de chrétien,
je dois être prêt à chaque instant à vivre et à mou- '
rir, comme lui , pour la vérité et pour la vertu.
l5a RÉFLEXIONS ET SENTIMENT
W\IWVW \-\\VMWVvVÏWVWAVWVA^WWWWWWVWWWVAV\V\W*W\Vvw\w\*V\ VV
• SEIZIÈME SUJET.
LES SOUFFRANCES DE JÉSU S - CHRIST.
La considération de la vie de Jésus a fait naître
dans mon cœur des sentimens chrétiens, et m'a
inspiré des résolutions louables. Je me rappellerai
aujourd'hui ses souffrances et les diverses circon
stances de sa passion, dans ces moraens cruels où
sa vertu se déploya tout entière.
Quoique la compassion , la douleur et une hor
reur secrète soient les principaux sentimens que
ce déicide, à jamais lamentable, commis sur la per
sonne sacrée de Jésus-Christ , doive inspirer à un
être sensible, il est vrai néanmoins que le souvenir
de la passion de l'Homme-Dieu réveille aussi né
cessairement dans nos cœurs tous les autres grands
sentimens dont l'âme humaine est susceptible.
O vous qui n'avez jamais bien senti toute la
grandeur, toute la majesté, tout le sublime ni tout
le consolant de la religion chrétienne , contemplez,
contemplez en ce moment avec moi le spectacle
lugubre , mais imposant , du Calvaire ! Et si la pa
tience et la douceur inaltérables de Jésus dans ses
tourmens excitent votre compassion ; si son inno
cence et son triste sort touchent votre sensibilité ;
si sa bonté et sa tendresse, toujours les mêmes, lui
SCB DIVERS SUJETS DE RELIGION. l53
attirent votre bienveillance et votre affection ; si les
miracles éclatans qu'il opère en mourant réveillent
en vous de Tâtonnement ; enfin, si avant d'expirer
il a le bonheur de proférer une seule parole qui aille
à votre cœur ; ah ! ne l'endurcissez pas , ce cœur !
laissez-vous toucher et attendrir ! ces louables , ces
nobles impressions seront les avant - coureurs de
votre salut I et si quelques larmes se présentaient
dans vos yeux , en apprenant tout ce que Jésus a
souffert par amour pour vous, ah! ne les réprimez
point , ces larmes ! ce ne sont point les larmes de
la faiblesse humaine , mais les larmes précieuses
du sentiment et de la vertu , telles qu'en ont ré
pandues de grands hommes sur les ruines de leur
patrie.
Elevez -vous donc, ô mon âme! élevez -vous
jusqu'au ciel ; et vous, mon cœur, mettez-vous pour
quelques instans au-dessus des faibles intérêts de
cette vie mortelle , car je vais m'occuper en ce
moment de choses divines ; je vais contempler des
vérités de salut ! Les élévations et les transports
de l'âme, les sentimens et les élans du cœur l'em
portent d'autant sur tous les intérêts temporels ,
que l'esprit immortel l'emporte sur le corps cor
ruptible !
Jamais aucun juste n'a éprouvé de souffrances,
de douleurs aussi amères , de malheurs aussi
nombreux et aussi grands que le Fils de Marie.
Jésus sort de la retraite d'une vie cachée , et paraît
I 54 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
au.milieu de sa nation comme législateur divin,
comme consolateur et bienfaiteur de l'humanité ;
et , à l'instant , mille obstacles s'élèvent , mille per
sécutions lui sont suscitées, persécutions qui pa
raissent devoir nécessairement abattre son courage,
fatiguer sa patience , ralentir son zèle et rendre
vains tous ses nobles efforts ! L'histoire de ses pré
dications est remplie de contrariétés affligeantes
de toute espèce , et qui révoltent tous les cœurs
sensibles. Quel profond chagrin a dû s'emparer du
cœur de Jésus-Christ lorsqu'il eut enfin la décou
rageante conviction qu'un aveuglement incurable
perdait irrévocablement ses contemporains, en
leur faisant rejeter sans examen sa doctrine bien
faisante ! lorsqu'il ne les vit opposer que l'é-
goïsme , la perversité et l'endurcissement à ses
vues salutaires pour le bonheur du genre hu
main ! lorsqu'il prévit tout ce que l'inhumanité,
l'injustice et l'atrocité de son siècle lui feraient
endurer pour traverser ses desseins , et qu'en
fin sa mort seule , avec de si douloureuses cir
constances , pourrait faire quelque impression
sur un petit nombre de cœurs encore droits ! Ce
pendant , ce que son âme tendre commença à
souffrir alors, ne fut que le prélude des souffrances
horribles qui l'attendaient à la fin de sa vie.
Quels souvenirs pénibles et déchirans ne rap
pelle pas la grande , la sanglante catastrophe du
Calvaire! Quelle douleur muette, quelle stupeur
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I 55
o'excite-t-elle pas dans une âme sensible ! Je pense
à la vie humble , retirée , modeste et exemplaire
que Jésus a menée ; je me rappelle la belle car
rière qu'il a parcourue en faisant le bien ; je ne
vois en lui que bonté, que douceur, que tendresse,
que sensibilité , au point que les enfans innocens
eux-mêmes se pressaient autour de lui ; je me re
présente ce cœur sincère et aimant, ouvert à tous
les hommes , même à ses plus cruels ennemis ;
je me retrace en esprit ces sublimes , ces conso
lantes vérités qu'il apportait du ciel , et qu'il ensei
gnait sans la moindre ostentation , sans la moindre
prétention; je compte enfin ses pénibles démarches
et ses travaux sans nombre pour le bonheur de
l'espèce humaine , le suivant pas à pas dans la
Judée , et cherchant en vain la plus légère tache
dans sa conduite ; et je le vois traîner au supplice!!!
Je le vois accablé d'outrages, de traitemens atroces,
rassasié d'opprobres et d'humiliations ! ! ! Et ce
Juste par excellence , ce Bienfaiteur éternel de
l'humanité va mourir de la mort la plus ter
rible , du genre de mort le plus épouvantable ! ! !
Hommes barbares ! c'est une croix que vous pré
parez à votre Sauveur [ Comme un agneau il se
laissera conduire à la mort sans ouvrir la bouche,
sans laisser échapper une plainte, ni un murmure,
ni un soupir ! O Dieu ! ô Jésus ! le cœur me saigne,
il se remplit d'amertume , il est déchiré !
Oui , mon âme est désolée au souvenir du sort
I 56 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
épouvantable et des souffrances inconcevables de
Jésus, fils de Marie, n'eût-il été qu'un homme!
Mais la religion me dit qu'il était le Créateur de
cet univers, l'Auteur même de la vie, venu sur la
terre pour ramener l'homme égaré à des sentimens
d'humanité, de justice et de vertu; et chaque cir
constance de sa passion me le dit ! Ne faut-il pas ,
en effet, une générosité, une grandeur d'âme plus
qu humaine , pour prier en laveur de bourreaux
acharnés , et leur sourire le pardon du haut d'une
croix infamante , au moment d'expirer ? Oui , il y
a quelque chose de divin dans cette scène du Cal
vaire I Quelle grandeur , quelle majesté dans le
douloureux spectacle de la passion ! ! ! Non , non ,
ce n'est point là l'exécution d'un malfaiteur , ni
même celle d'un juste d'entre les enfans des
hommes ! Ce gage d'amour laissé au genre hu
main par Jésus la veille de sa mort , dans un
temps où la perversité était à son comble, où la du
reté et l'inhumanité se montraient sous les formes
les plus atroces ; est-ce un gage donné par un
homme ? Voyez les contemporains de Jésus ; l'in
nocence , la douceur et la vertu les rendent jaloux
et furieux; ils ne savent qu'insulter à cet amour, à
cette tendresse divine , et se rendre coupables d'un
affreux déicide ! Et ce nom d'ami , ce baiser donné
par un Judas, et reçu avec la prévision et la convic
tion de la trahison ; cette agonie, cette prière au Père
éternel ; cette réponse calme et pleine de douceur
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I 5*7
donnée à un valet brutal pour un soufflet reçu en
présence du juge de la nation ; ces consolations
admirables données aux filles de Jérusalem
sont-ce donc là les actes d'un simple mortel ? Non ,
encore une fois; il n'v a qu'un Dieu qui soit ca
pable de souffrir comme Jésus-Christ a souffert!
Seigneur, apprenez-moi à réfléchir d'une manière
convenable sur vos souffrances et sur vos vertus
comme homme. Le souvenir de votre passion ne
doit point être pour moi un souvenir passager et
stérile ; il doit faire dans mon cœur des impressions
permanentes , et le disposer à l'exécution de tout
bien. Qui pourrait vous envisager, ô Dieu souffrant
et tout-puissant ! et n'être point touché ni ébranlé
jusqu'au fond de l'âme? Qui pourrait jamais ou
blier ce que vous avez enduré par amour pour
l'homme ? Qui ne se sentirait échauffé et entraîné
par vos divins exemples? Vous avez souffert quoique
parfaitement innocent, et la conviction de l'in
justice ne vous a point inspiré de haine; vous n'avez
point rendu le mal pour le mal ; vous n'avez point
fait de menaces ; vous n'avez pas même eu la pensée
d'appeler la vengeance du ciel sur vos injustes per-
sécuteurs.Vous avez fait plus encore : vous av^z prié
pour vos bourreaux ! Cependant vous n'avez point
été insensible à vos maux ; vous avez ressenti toutes
vos souffrances : on vous a vu même craindre et
trembler ; mais vous n'êtes jamais tombé dans le
découragement ; vous avez supporté avec une pa
I 58 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
tience divine et ihie vertu héroïque les tourmens f
l'agonie et la mort, conservant jusqu'à la fin une
confiance inébranlable en votre Père céleste !
Seigneur , vous êtes mon modèle dans vos souf
frances comme dans tout le reste de votre vie di
vine : faites que je supporte , avec autant de pa
tience que vous , toutes les contradictions de cette
vie, ainsi que les misères inséparables de la nature
humaine ; les injustices et les persécutions de mes
, semblables, comme les infirmités et les épreuves
dans lesquelles la vertu se perfectionne , afin
qu'après avoir souffert avec vous je puisse espérer
d'entrer aussi avec vous dans la gloire.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGIOX. iSç
WWWMVA\l\V*VW\WUl\VWIWmWWW'\\\WVl\AIWWWWIWVVW\VIVWW*
DIX-SEPTIÈME SUJET.
/
LA MORT DE JÉ Sn S-C HRI ST.
Je contemplerai en ce jour un spectacle incon
testablement divin , quoiqu'infiniment douloureux.
En portant mes regards en arrière sur les siècles
passés, je vois la montagne sainte et tout l'horizon
se couvrir d'obscurité. Une foule tumultueuse de
peuple est sortie des portes de la ville de paix et
s'est portée vers le Golgotha. J'entends demander
à grands cris la mort d'un juste ! Quel est cet in
fortuné déchiré de coups et dont les chairs tombent
en lambeaux? Chargé de sa croix, il s'avance len
tement , mais avec dignité et majesté , vers le lieu
du dernier supplice ! Gomme autrefois le jeune
et innocent Isaac , il gagne en silence le sommet
de la même montagne, sans laisser échapper un
soupir , une plainte , une larme ! — Quel est
son crime ? — Il n'a jamais fait que du bien aux
hommes ! Ce n'est donc pas au supplice qu'on le
mène ? Non , c'est à un sacrifice qu'il se prépare !
sacrifice infiniment moins odieux aux yeux de l'E
ternel , parce qu'il était prévu et consenti pour le
salut des hommes, que ces sacrifices horribles de vic
times humaines souvent offerts pour lui être agréa
bles , par des hommes privés de la connaissance du
lf>0 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
vrai Dieu. L'innocence de Jésus, sa vertu, son obéis
sance , effacent en quelque sorte les horreurs du
crime de déicide qui se commet sur sa personne sa
crée, et font que le ciel peut voir couler son sang
sans frémir et sans faire rentrer la création dans le
néant ! Jésus se livre . Jésus s'offre et se sacrifie lui-
même! Il cède volontairement à laveuelement deo
ses contemporains , et il sait que le spectacle de sa
mort peut ramener l'univers à la justice et à l'amour.
A la lueur pâle de ce jour d'un deuil universel,
j'aperçois le plus doux, le plus humain, le plus
sensible, le plus juste, le plus vertueux, le meil
leur comme le plus beau des enfans des hommes ,
tombé à terre sous le fardeau de la croix , couvert
de sang et de poussière , entouré d'une troupe
d'hommes dégradés, féroces , de véritables tigres !
Dans cet état affreux, je reconnais cependant mon
Dieu et mon Créateur ! Oui , c'est ici le Dieu ca
ché : c'est le suprême Modérateur de l'univers qui
se manifeste! Oui, c'est lui! Son amour pour moi
l'a attiré sur çette terre malheureuse ; il a voulu
agir efficacement sur la moralité du genre humain,
et ramener les hommes égarés sur le chemin de la
perfection et du bonheur; et telle est la récompense
que lui décernent ses infortunées créatures ! Il faut
mourir! O mon Dieu! c'est donc de là que vient
cette mystérieuse parole que vous avez prononcée
après les égaremens auxquels le premier de tous
les humains s'était déjà laissé aller , parole qui doit
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. l6l
faire frissonner tout esprit réfléchi : Je me repens
d'avoir créé l'homme ! — J'adore , Seigneur , et
je ne blasphème pas !
Mon cœur s'est laissé quelquefois toucher d'un
trait d'humanité et de générosité; j'ai quelquefois
versé des larmes, en voyant un Vincent de Paule
se charger des chaînes d'un malheureux forçat , et
se mettre à sa place. Quels sentimens divins, quelles
divines émotions doivent donc transporter et ravir
mon âme, en voyant Jésus-Christ se livrer pour
tous les hommes, et mourir indistinctement pour
ses amis et ses ennemis!!! 0 Dieu! quelle scène
que la scène du Calvaire ! Coulez donc, mes larmes !
oui, coulez librement ! Elles ne sont point le pro
duit de la faiblesse, mais le tribut d'un cœur sen
sible et compatissant; ce sont les larmes de la
reconnaissance , du sentiment , les larmes de la
vertu !
Je, vois Jésus cruellement attaché et élevé sur
l'arbre de la croix ! Voilà l'étendard terrible sous
lequel toutes les familles égarées du genre humain
doivent venir se ranger ! Les aberrations de la rai
son et les abus de la liberté doivent trouver là un
terme ! Là , les incertitudes de l'incrédulité et l'in
constance de l'esprit humain doivent venir se fixer!
Là, les divisions et les haines doivent venir expirer !
Là , l'homme simple et bon doit trouver la paix !
Là , après s'être perdu sur l'océan immense des
connaissances humaines ; après avoir reconnu que
1 1
l6a RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
l'homme ne sait rien , le philosophe orgueilleux
doit avouer son insufliance ! Fils de Sophronisque I
qu'eussiez-vous fait s'il vous eût été donné de con
naître Jésus-Christ ? Aucun autre n'eût été votre
maître ! Vous nous avez montré jusqu'où peut
aller l'homme : ici c'est un Dieu ! Jésus donne
tout son sang et meurt pour nous ! Comme ses
plaies sont livides ! comme sa poitrine se soulève !
comme son cœur , rempli à la fois de pitié et d'a
gonie , palpite d'amour pour nous ! — O mon
Dieu!
Un feu intérieur consume la sainte victime : elle
cherche à remplir toutes les prophéties, afin que
les hommes ne puissent en aucune manière mécon
naître celui qui leur avait été promis pour libéra
teur ; elle demande quelques gouttes d'eau. Ce
faible, ce dernier soulagement lui sera impitoya
blement refusé ! On lui offre, à la place , du fiel et
du vinaigre ! Hommes cruels , créatures infortu
nées , est-il possible que votre perversité vous ait
entraînés jusqu'à cet excès d'inhumanité? O Jésus!
vous vous adressez au Ciel! Appelez-vous peut-être
les vengeances célestes sur vos persécuteurs?—Non ;
voici sa prière, ô mortels ! Mon Père, pardonnez-
leur ; ils ne savent ce qu'ils font ! — Patience
divine , vous ne vous laisserez donc jamais vaincre!
Jésus se montre plus qu'un héros, il se montre Dieu
jusqu'à la lin ! Déjà il promet une place dans le ciel
à celui qui meurt repentant à sa droite ! — Sei-,
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 1 63
gneur , quand je verrai luire mon dernier jour ,
qu'il me soit aussi donné d'entendre de votre bouche
divine ces paroles si consolantes : Dès aujourd'hui
vous serez avec moi dans le Paradis !
Mais quel spectacle touchant s'offre sous la croix !
O tendresse , ô piété filiale ! — Ma mère , voici un
autre fils à la place de celui qui vous est ravi : Jean ,
voiejvotremère. —Maintenant tout estconsommé !
Jésus a terminé sa pénible carrière. Je l'entends
soupirer, jeter un grand cri : il remet son âme
entre les mains de son Père ! Le voyez-vous ? il
incline sa tête sur sa poitrine sacrée! Il expire !!!
La Nature se couvre de, deuil à la mort de son
Auteur; elle s'enveloppe de ténèbres comme d'un
crêpe. Le tonnerre gronde ; la foudre sillonne
les cieux; elle éclaire celte scène sanglante d'un
Dieu mourant ! Le tumulte s'apaise ; la foule
effrayée garde au loin un morne silence , et re
connaît trop tard l'horreur de son crime ; elle
se retire en se frappant la poitrine ! Le centu
rion, plein d!effroi, s'écrie de loin : Cet homme
était vraiment le Fils de Dieu!!! La terre tremble ,
le temple s'ébranle , le voile du Saint des saints se
déchire, les rochers se fendent, les monumens s'en-
tr'ouvrent, la cendre des tombeaux se ranime, les
ossemens des justes s'agitent et les morts ressusci
tent!!! O Dieu! la Nature entière va-t-elle donc se
dissoudre et s'anéantir avec son créateur ? Jérusa
lem , Jérusalem ! Et tu ne reconnais pas là ton Dieu !
1 1 .
1 64 REFLEXIONS ET SENTIMENS
Ah ! reconnais- le, reconnais-le, et retourne vers
lui!
Faibles humains ! aveugles mortels ! vous de
mandez des miracles! Philosophes, vains sages du
siècle ! vous croiriez peut-être en Jésus-Christ, si ,
à l'invitation des anciens du peuple, il fût des
cendu de la croix! Mais pensez-vous que le Sei
gneur suprême vous ressemble ? Souvene-zvous que
Jésus est un héros , mais non un héros comme
ceux d'ici-bas , faible et vain. De grands hommes
sont morts, il est vrai, pour la vérité, la justice,
l'amitié, la patrie ; l'histoire nous parle de leur
héroïsme ; mais qui osera les comparer au héros
dë la croix , à Jésus , au Fils de Marie ?
Sans' doute que Jésus-Christ eût pu descendre
dela croix, et ajouter ce miracle à tant d'autres qui
ne lui avaient coûté qu'un acte de sa volonté ; mais
alors que serait-il arrivé? Que Jésus serait mort sur
le trône d'Israël , environné de la gloire des autres
grands rois de sa nation? Mais était-ce là son but?
Non : Jésus ne voulait point être roi ; il voulait être
le consolateur de tous les malheureux et deshommes
les plus malheureux du genre humain; de ces mi
sérables eux-mêmes que la justice ou l'injustice de
la terre condamne à mourir du dernier supplice !
Voilà quel était son but, et ce but il l'a atteint! ! !
Le vrai chrétien , dans les plus épouvantables mal
heurs , trouve en Jésus-Christ une résignation qui
l'étonne et le console ! De grands hommes , dans
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I 65
leurs illustres malheurs, des mendians, dans leur
mort obscure, en ont donné des preuves à l'uni
vers. Us ont su mourir tranquilles sous la hache
de l'injustice! tandis que l'incrédule tremble sou
vent , se replie comme un ver de terre , et tombe
dans le désespoir à l'approche du trépas !
O vous, Dieu bienfaisant, qui avez surmonté
ainsi les terreurs de la mort , et qui lui avez enlevé
toute son amertume ! que votre exemple est grand !
qu'il est digne d'imitation ! Vous avez quitté la vie
à la suite de la plus parfaite préparation à la mort,
et avec l'intime conviction que vous aviez entière
ment et dignement rempli votre vocation. Toute
votre vie n'avait été qu'une préparation continuelle
pour arriver à ce terme fatal.Vous aviez rempli avec
le plus grand zèle et la plus inébranlable fermeté
cette grande mission dont votre Père céleste vous
avait chargé ; vous aviez été le divin Instituteur
des hommes, le guide et le sauveur de tous ceux
qui étaient égarés loin des routes de la félicité ; le
médecin de tous les malades, le consolateur de
Lous les affligés , l'exemple et le modèle de perfec
tion proposé à toutes les générations : votre tâche
était remplie , et il ne vous restait qu'à retourner
vers celui qui vous avait envoyé. Faites -moi la
grâce, Seigneur, de me préparer aussi bien à la
mort que vous l'avez fait , de vivre comme vous
avez vécu , de pratiquer à votre exemple toutes
les vertus , afin qu'à ma dernière heure , dans ce
I 66 BÉFLEXIONS ET SENTIMES
moment toujotkts terrible, même pour l'homme
de bien , je puisse m ecrier avec vous , dans la
conviction d'avoir bien rempli ma destinée : O
Dieu ! recevez mon âme , je la remets entre vos
mains !
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 167
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DIX-HUITIÈME SUJET.
LA RÉSURRECTION DE JÉSU S - CH B I ST.
Le souvenir de votre mort, ô Homme-Dieu ! a
rempli mon cœur d'amertume ; mon âme en a été
profondément affligée. Toutefois , au milieu du
trouble où je suis encore , une lueur d'espoir vient
réjouir mon esprit ! Je me rappelle en ce moment
qu'il est écrit : « Le Seigneur ne permettra pas que
son Saint voie la corruption ; » et ailleurs : « Les
pleurs du soir seront changés en joie le lendemain ; »
et encore: « Le tombeau du Rédempteur sera glo
rieux ! » Vérité consolante! Le juste ne saurait périr!
Le Créateur est tenu de le ressusciter , pour le ré
compenser dignement ! Jésus sort glorieux et res
plendissant de son tombeau ; il s'élève au plus haut
des cieux ! .
Béni soit Dieu, le père de notre Seigneur Jésus-
Christ, qui, par son infinie miséricorde , l a ressus
cité d'entre les morts, et a ranimé ainsi en nous l'es
poir d'une vie future et éternelle, où résident la jus-
lice et la félicité ! Soyez béni vous-même , ô Triom
phateur céleste I ô le Premier-né d'entre les morts !
et daignez agréer toute notre reconnaissance, pour
vos exemples de vertu et vos grâces ineffables ; pour
vos consolations sans nombre , et la sainte espé
lG8 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
rancede la résurrection que vous nous avez donnée.
Votre gloire actuelle nous est un sûr garant de la
bonté avec laquelle nous accueillera votre Père cé
leste aii moment de notre mort; car il est devenu
aussi notre Père !
Quel bonheur pour moi de voir Jésus, mon
Maître , ressuscité ! Avec quelle confiance et quelle
joie je puis maintenant m'approcher du trône de
l'Eternel! C'est en votre nom , Seigneur, que je m'en
approche ! Comment le Dieu suprême rejetterait-il
un cœur contrit et humilié à la vue de ses égare-
mens , et lorsque vos divines leçons lui ont inspiré
le désir d'éviter dans la suite jusqu'à l'ombre du
mal ?
Votre résurrection glorieuse , ô Jésus ! m'est en
outre une preuve incontestable de la vérité de
votre doctrine et de la solidité de vos promesses.
Si je marche sur la routé que vous m'avez tracée ,
je puis être assuré de ne point me perdre , puis
que vous êtes la voie , la vérité, la résurrection et
la vie ! Quel bonheur donc, quel bonheur pour
moi, faible et chétive créature, de voir tout l'in
térêt que le Créateur a pris à mon sort ! La mort
inévitable pour l'homme a perdu pour moi toutes
ses terreurs. Jésus vit , et je vivrai avec lui ! Celui
qui croit en lui vivra , quoiqu'il meure ! Et com
ment ne crOirais-je pas à votpe parole , ô vous qui
êtes vraiment ressuscité d'entre les morts ? Oui ,
ma foi en vous est inébranlable ! Que cette foi sa
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 169
lutaire fortifie donc mon âme pour l'heure de la
destruction de ce corps mortel > et qu'elle m'en
courage dans tous les combats de la vie !
Quel homme serait assez malheureux et assez
ennemi du bonheur du genre humain , pour dou
ter de la résurrection de Jésus, modèle de la nôtre.
Qui oserait , qui pourrait ainsi isoler notre globe
dans la création, en détruisant tous nos rapports
avec le Créateur? Ah ! si Jésus-Christ n'était point
ressuscité, notre espérance serait donc vaine! notre
foi ne serait donc qu'une illusion ! nous serions
donc les plus misérables des hommes ! Hélas ! nous
serions plus à plaindre mille fois que les êtres
privés de raison ! Plus d'espoir consolant pour
l'homme mortel ! plus de certitude de nos desti
nées futures! le malheur serait notre possession ,
et le néant notre héritage !
Ce qui , à mes yeux , met en quelque sorte le
sceau de la Divinité à notre foi relativement à la
résurrection de Jésus-Christ, c'est le monde entier
changé et converti en peu d'années, par ses courtes
prédications ; sa religion établie partout sur les
ruines du paganisme ; la constance des martyrs ;
ce sont ces édifices inanimés eux-mêmes qui
s'élèvent en son honneur, au midi, au nord , au
levant et au couchant ; c'est l'étendard de sa croix
arboré sur les lieux les plus éminens dê l'univers ,
en commençant par leCapitole; ce sont enfin ces
solennités instituées par toute la terre en mémoire
170 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
des principales époques de la vie de Jésus-Christ;
et en particulier cette fête de Pâques, anniversaire
du plus heureux événement dont l'histoire fasse
mention, et qui se célèbre déjà dans l'univers
depuis quatre mille ans, tant par les descendans
d'Israël qui ont survécu au tombeau des siècles et
des nations , que par les chrétiens qui la célébreront
jusqu'à la fin des temps. Ne sont-ce pas là comme
autant de médailles de la résurrection ? Sans doute
le suprême Modérateur de l'univers n'aurait pas
permis qu'un imposteur parvînt à faire prostituer
leur encens et leurs adorations à toutes les géné
rations humaines !
Quelle joie pure, quelle joie divine la belle so
lennité de Pâques répand dans tous les cœurs ! Qui
pourrait arrêter les saints transports , l'allégresse
universelle qui pénètre toutes les âmes, quand l'an
née ramène cejour que le Seigneur a fait, ce jour rem
pli d'un pressentiment divin de la gloire éternelle?
L'incrédule lui-même et l'impie ont peine à se
défendre de cet enthousiasme religieux que réveille
dans tous les pays chrétiens la solennelle ma
tinée du beau jour de Pâques. En effet, Jésus-
Christ n'a pas triomphé seul en ce jour immortel :
c'est la nature humaine , c'est chaque homme en
particulier qui ont remporté un triomphe éternel!
aussi s'apeftoit-on bien dans le temps de cette grande
fête qu'il n'y a ni schismes ni hérésies sur la terre.
Tous les peuples, qui ont connaissance de la venue
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I7I
de Jésus-Christ , font retentir unanimement ce cri
d'allégresse : Jésus est ressuscité ! Louons le Sei
gneur ! C'est aujourd'hui le jour du triomphe de la
nature humaine! Chantons, célébrons la gloire du
Premier-né d'entre les morts ! c'est le jour que le
Seigneur a fait !
Oui, Jésus est véritablement ressuscité, les jours
de ses souffrances sont passés , tous les obstacles
sont surmontés ; et maintenant il vit pour ne plus
mourir. Sa mission était sans doute difficile, ses
épreuves terribles ; mais il a su vaincre toutes les
difficultés, et rendre vains tous les efforts des mé
dians ! Semblable au soleiLqui s'élève radieux dans
le firmament et dissipe les ténèbres de la nuit, Jé
sus monte au plus haut des cieux, et s'élève jusque
dans le sein de l'éternelle Vérité , après avoir dé
truit l'empire du mensonge et du crime. A la vé
rité , il lui a fallu souffrir et endurer beaucoup pour
entrer dans sa gloire , comme il l'a dit lui-même ;
mais il a su s'armer de force et de patience , et
combattre courageusement jusqu'au terme désiré.
Heureux si, dans la suite, je sais ranimer aussi
mon courage chancelant , au milieu des peines
et des épreuves de la vie, et raviver en moi le
zèle de la vertu , par la pensée du triomphe de
Jésus-Christ ! Ce n'est pas toujours l'heure de la
douleur qui sonne ; dans le fleuve de la vie , le
Seigneur a fait couler le plus de consolations qu'il
lui a été possible; que dis-je? l'âme innocente et
1^2 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
vertueuse y rencontre même des plaisirs purs ; mais
chaque fois que le moment de renoncer au plaisir,
pour suivre le devoir , sera arrivé, je saurai me mon
trer grand et généreux comme Jésus. Oui , chaque
fois que la vertu demandera des sacrifices, je saurai
les faire de grand cœur. Quand mon innocence sera
méconnue , quand ma sincérité m'attirera des per
sécutions, quand mes intentions les plus pures et
les plus droites seront calomniées , ou quand le
ciel voudra me visiter , en disposant inopinément
de ceux qui me seront chers plus que ma propre
vie , et que le découragement ou la pusillanimité
voudront se glisser dans.mon âme, je penserai aux
vertus couronnées dans la personne de Jésus , à sa
patience , à sa confiance immense en la bonté de
son Père, aux consolations toutes - puissantes de
sa religion; et je vaincrai avec lui, je triompherai
avec lui , et avec lui je ressusciterai enfin pour la
gloire !
O Dieu de mon salut et mon éternel espoir !
vous qui sortez glorieux du tombeau ; vous qui
vivez et qui pouvez donner la vie ; qui êtes des
cendu aux ombres de la mort , et qui en êtes re
venu pour porter la vie au monde ! que la foi en
votre puissance fortifie donc dans mon cœur le goût
des choses futures et célestes, afin que je puisse
vous suivre avec plus de résolution que jamais sur
la route de la perfection et du bonheur, ayant
sans cesse devant les yeux cette douce espérance ,
,
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I 73
d'arriver un jour où vous êtes allé nous préparer
une place. Ah ! si je demeure fidèle aux règles
de sagesse que vous m'avez données ; si je demeure
constamment l'imitateur zélé des exemples de
vertu que vous avez proposés à tous les humains ;
si je ne m'écarte en rien du sentier que vous m'a
vez tracé ; ou si , après un égarement passager ,
j'ai soin de revenir aussitôt à mon devoir ; puis-je
douter un seul instant que je ne sorte aussi un jour
glorieux et triomphant du tombeau où l'on m'aura
mis, pour vivre de cette vie nouvelle qui ne sera
plus sujette à la mort , et dont vous nous avez of
fert un modèle dans votre personne sacrée ? Puis-je
douter que la mort elle-même ne soit pour moi
une véritable et nouvelle vie? Non, je n'en puis
plus douter après la résurrection du Premier-né
d'entre les morts ! Comme vous , Seigneur, je pour
rai m'écrier un jour : Mon pèlerinage sur la terre
est fini ; ma vocation est remplie; toutes mes peines
sont terminées ; j'ai triomphé de tous les obstacles ;
j'ai surmonté toutes les épreuves; et, maintenant,
je surmonte la mort elle-même en proférant ce cri
de l'immortalité : 0 mort ! où est ton aiguillon?
qu'as-tu fait de ta proie ? qu'est devenue ta vic
toire? Gloire , honneur, louange et reconnaissance
au Créateur, qui me fait triompher de la tombe
et de la mort par. Jésus-Christ !
I"j4 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
)
IU\WW1WWWVWWWWWWWVWWW\MVWWWWWWWWVWWWV\IVHUAWUV
DIX-NEUVIÈME SUJET.
IMITATION DE JÉSU S - C HR I ST.
J'ai considéré Jésus-Christ dans sa vie, dans ses
souffrances et dans sa mort. J'ai trouvé partout en
lui le modèlele plus parfaitqui puisse être proposé à
l'imitation des hommes. Il a bien voulu passer par
tous les états de la vie, afin de fournir des exemples
de conduite à toutes les classes de la société : aux
riches et aux pauvres, à la jeunesse et à l'âge mur,
aux personnes heureuses et aux infortunés; aux
princes et aux sujets, aux magistrats et aux ouvriers.
Et, avant d'instruire, il a commencé—par prati
quer lui-même , persuadé que l'exemple attire bien
plus d'imitateurs à la vertu que tous les beaux dis
cours. C'est de Jésus que viennent les lumières, les
vertus et les vérités salutaires qui se sont propa
gées sur la terre. C'est par lui que le Créateur s'est
manifesté au monde d'une manière plus distincte
qu'il n'avait fait par toutes ses œuvres, et par tous
les autres signes de sa présence. Jésus est la preuve
vivante et palpable de l'existence du Dieu caché : il
est l'emblème personnifié duCréateur, invisible par
son essence. Aucun genre de preuves ne devait man
quer à l'homme pour le convaincre entièrement de
SUR DIVERS SVJETS DE RELIGION. 1^5
cette vérité importante , afin que le méchant fût
pleinement inexcusable dans ses désordres.C'est par
Jésus que nous avons appris à donner au Souverain
des cieux le doux nom de Père, et à mettre toute
notre confiance en sa tendresse paternelle, persuadés
qu'il ne veut être honoré que par l'amour. Nous
connaissons aussi maintenant toute la bonté, toute
la dignité , tout le prix de la vertu ; et nous atten
dons , avec une foi ferme et inébranlable , une vie
meilleure, récompense de l'homme juste. La vé
rité, exempte de préjugés et de superstitions, est
devenue le but de nos louables efforts, comme le
seul moyen d'éclairer nos esprits et de mettre notre
cœur en repos.
O modèle sacré de la vertu la plus pure et la plus
sublime ! avec quelle force vous confirmez votre
doctrine et tous vos discours par vos nombreux
exemples! Comment, en vous voyant, les hommes
n'aimeraient-ils pas encore le Créateur? comment
n'aimeraient - ils pas la vertu ? comment n'aime
raient-ils pas leurs semblables ? Jamais malheu
reux n'eut recours à vous, et ne s'en retourna sans
être soulagé. Votre bouche fut toujours prête à
consoler, votre cœur toujours ouvert à la compas
sion, votre main toujours disposée à secourir l'in
fortune. Rien au monde ne put jamais refroidir ni
ralentir l'ardeur de votre charité; l'ingratitude la
plus noire, et l'obstination la plus déraisonnable
ne purent affaiblir un seul instant votre zèle im
I76 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
mense pour le bien de l'humanité. Vous avez été
le premier à nous enseigner l'art si difficile de gar
der un profond silence au milieu des outrages les
plus grossiers et les plus injustes, et de les sup
porter avec une douceur divine. Le ressentiment ,
la vengeance, l'animosité, la haine, furent des
sentimens absolument étrangers à votre cœur : en
un mot, toute votre vie sans tache fut si pure, que
vos ennemis même les plus implacables ne purent
vous convaincre de la moindre faute. O ciel ! où
trouver une vertu dont Jésus ne nous ait point
laissé les exemples les plus parfaits et les plus
dignes d'une éternelle imitation! Bénissez donc,
Seigneur, cette résolution irrévocable de mon cœur :
Dorénavant je veux marcher d'un pasferme et
inébranlable sur les traces de Jésus , mon divin
modèle. Oui , je l'imiterai autant qu'il est donné à
la nature humaine de le faire ! Pendant toutes les
années de ma jeunesse, l'obéissance,à de bons pa-
rens qui ne désirent que mon bonheur, sera ma
vertu favorite; car c'est là tout ce que l'Évangile
nous raconte des premières années de Jésus : Il était
soumis à Joseph et à Marie. Et c'est à l'obéissance
que se réduisent effectivement tous les devoirs des
jeunes gens. A mesure que j'avancerai en âge , je
retracerai toutes les autres vertus du Sauveur du
monde ; et ma conduite sera en tout si honnête et
si réglée, si pure et si exemplaire, que mes enne
mis eux-mêmes seront contraints d'avouer qu'ils ne
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. fin
peuvent me faire un reproche fondé. Dans mes re
lations avec le monde, la prudence, la simplicité
et la douceur du vrai chrétien, ne m'abandonne
ront jamais. Je rencontrerai mes ennemis et mes
injustes persécuteurs ainsi que Jésus rencontra
Judas dans le jardin des Oliviers, lorsqu'en re
cevant le baiser perfide de la trahison > il dit ces
paroles capables d'amollir un rocher : Mon ami ,
quel est votre dessein? Ainsi que Jésus, je ren
drai le bien pour le mal ; je prierai pour ceux qui
me calomnieront. A son exemple , je garderai le
silence lorsqu'on m'outragera , ou bien je me dé
fendrai paisiblement et sans m'émouvoir, comme
il le fit devant le grand-prêtre, lorsqu'un valet lui
frappa au visage : Sij'ai malparlé , montrez-moi
en quoifai manqué ; et si j'ai bien parlé , pour
quoi mefrappez-vous? Patience vraiment divine,
qui n'avait point eu d'exemple jusqu'alors, et qui
depuis a eu si peu d'imitateurs. 0 vous ! qui portez
à votre côté un fer meurtrier auquel vous attachez
tant de prix, dites-nous, ne vous semble-t-il pas
qu'il y ait plus de noblesse et plus de véritable gran
deur dans cette conduite de Jésus-Christ , que dans
la vôtre de tous les jours , lorsque vous vous
croyez follement obligés de laver une injure, sou
vent imaginaire, dans le sang de votre semblable?
On méprise quelquefois une religion sans se trou
ver la force d'imiter les vertus de son auteur ! On
tourne quelquefois en dérision ce christianisme
I 2
178 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
dont on n'a pas le courage de mettre en pratique
la morale trop parfaite et trop sublime.
Mais quoi, ô Dieu de mon salut! je suis votre
disciple , votre imitateur ; vous êtes mon exemple ,
mon modèle : et , chargé d'une croix infamante ,
je vous vois monter le Golgotha et vous avancer
lentement vers le lieu du dernier supplice! Dois-je
aussi vous suivre sur cette route ensanglantée ?
Faut-il, pour être véritablement chrétien, que je
meure d'une mort terrible? C'est ici, oui, c'est
ici que je dois me faire des idées justes et claires
sur ce que je dois imiter dans votre sublime dé
vouement. Non , Seigneur , votre intention n'a
point été que les supplices fussent le partage
de tous les hommes ; car vous êtes l'éternelle sa
gesse, et vous n'avez produit des créatures sen
sibles que pour les rendre heureuses, heureuses
même sur cette terre , autant que le bonheur est
compatible avec leur nature et leur condition. Non,
vous n'avez point voulu faire servir votre toute-
puissance à créer des êtres malheureux ! Vous-même
n'avez point recherché le supplice de la croix ; vous
n'avez fait que céder à l'aveuglement et à la per
versité de vos malheureux contemporains. Ainsi
les chrétiens, qui, dans divers siècles, ont cherché
à ruiner leur santé et à détruire leur corps , n'ont
certainement pas saisi le véritable esprit du christia
nisme; avec la meilleure volonté, ils ont fait un tort
très-considérable à votre religion toute sainte.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I^g
Pour moi , je ne rechercherai point les souf
frances, ni les supplices, ni la mort; mais je crois
qu'avec votre grâce,je souffrirais, même le martyre,
pour la vérité, pour la vertu, pour le bonheur gé
néral de mes contemporains, pour l'amourde vous ,
Seigneur, si l'injustice des hommes venait à m'y
condamner ! Instruit et devenu sage par les lu
mières dont vous avez daigné m'éclairer, je ne serai
jamais l'ennemi absurde de moi-même, ni celui de
l'espèce humaine; mais je supporterai, avec une
résignation entière, les croix et les épreuves in
séparables de cette vie , ou celles dont la méchan
ceté de mes frères aveugles m'affligera. Vous vous
êtes ainsi conduit vous-même sur la terre pen
dant votre vie mortelle , ô Dieu de sagesse et d'a
mour I
Que m'enseigne donc Jésus-Christ du haut de
sa croix? Jésus est le héros et le martyr de la
vertu , et il veut qu'à son exemple je porte toutes
les vertus jusqu'à l'héroïsme ! 11 veut que je sois si
patient, si résigné, si charitable, si tolérant, si
rempli de longanimité, de condescendance et d'o
béissance , que la mort même et les supplices des
tyrans ne puissent me détourner de la pratique de
ces belles vertus. Il veut que je porte le renon
cement, l'abnégation, le désintéressement, la gé
nérosité, jusqu'à me priver, quand il le faut, même
du nécessaire , pour voler au secours de mes frères
infortunés. Il veut que j'aie dans le caractère une
l80 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
douceur, une candeur, une simplicité, une naïveté
qui me rende en quelque sorte semblable aux
petits enfans ! Enfin , il veut , en me l'apprenant
par son douloureux exemple, que je porte l'amour
de mes semblables , et même l'amour de mes en
nemis , jusqu'à m exposer à la mort pour eux,
dans l'occasion.
Mais quel mortel, ô mon Dieu! sera capable
d'imiter de tels exemples de vertu ? Personne as
surément ne pourra vous égaler, Seigneur: vous
êtes le fils du Dieu vivant , et l'homme n'est que
misère et que faiblesse! Je ne pourrai donc jamais
vous suivre que de loin sur la route de la perfec
tion , et je resterai toujours infiniment au-dessous
de mon modèle! Cependant ne me faudrait- il
pas être né pour la bassesse et le malheur, si je
balançais un seul instant à vous suivre ? Oui ,
Seigneur, oui, je ferai tous mes efforts pour vous
ressembler , dussé-je y travailler éternellement.
Persuadé que tout ce que vous avez fait , vous [avez
fait en tant qu'hommefaible et mortel, aucune
des vertus dont vous m'avez donné l'exemple ne
doit me paraître au-dessus des forces de l'homme.
Heureux, mille fois heureux si , à la fin de ma car
rière , je puis me rendre le consolant témoignage
d'avoir aspiré à cette perfection divine dont vous
nous avez tracé le modèle. Je serais en effet in
digne du nom de chrétien , si je ne faisais en ce
moment le vœu solennel de vous imiter autant qu'il
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. l8l
est donné à la faiblesse de ma nature de le faire !
Et jusqu'où , ô mon Dieu ! ne peut-on point aller
sous un Maître tel que vous ? Vous avez les paroles
de la vie éternelle! Oui, je réitère ici le vœu so
lennel et irrévocable de netre plus chrétien seule
ment de nom, mais un zélé, un généreux disciple
de Jésus-Christ ! Bien loin de rougir dans la suite
de lui ou de sa doctrine , je ferai rougir,par ma
conduite , l'incrédule et l'impie lui-même , ainsi
que tous les hommes vicieux , quelle que soit leur
opinion.
l83 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
VINGTIÈME SUJET- ,
TOLÉRANCE.
La charité chrétienne bien entendue n'est autre
chose que la tolérance la plus pure, puisque Jésus-
Christ a été , dans le vrai , l'homme le plus tolérant
qui ait jamais paru sur la terre. La tolérance bien
entendue ne peut donc différer de la charité du
vrai chrétien; charité que la religion a toujours en
seignée, et qu'elle a enseignée avec infiniment plus
d'efficacité que n'a jamais fait la philosophie ,
quoique les chrétiens se soient souvent écartés des
sages leçons de leur divin Maître. Ceux qui, de
nos jours , ne cessent de parler de tolérance , et
sont presque toujours très-intolérans eux-mêmes ,
tant nous sommes sujets à nous faire illusion!
n'ont assurément jamais bien réfléchi sur la signi
fication de ce mot. Moi-même me suis-je peut-être
rendu coupable envers la société et le christianisme,
relativement au devoir sacré de la tolérance dans
la morale. Je veux donc voir aujourd'hui ce qu'il
faut entendre par tolérance , jusqu'à quel point
on peut être tolérant ; surtout, je veux me faire
des idées claires et précises du véritable esprit de
la charité chrétienne.
Un chrétien éclairé , qui vivra selon les vrais
SUR. DIVERS SUJETS DE RELIGION. l83
principes enseignés par Jésus-Christ (et il n'y a que
celui-là que je regardecomme un chrétien véritable),
sera toujours bon , affable , prévenant , doux , plein
delonganimité , toujours prêt à pardonner les torts ,
à excuser les erreurs et les faiblesses de ses sem
blables , toujours disposé à leur rendre toutes sortes
de bons offices, sans aucun égard à la différence
de religion , de nation , d'opinions ; il n'y aura
pour lui ni juif, ni grec, ni sauvage , ni infidèle, ni
incrédule , ni athée même , toutes les fois qu'il s'a
gira d'être utile au prochain. Il aidera de ses con
seils , il prodiguera son bien , selon les circon
stances; et, avant de donner, il ne demandera
jamais, qui êtes-vous? En un mot, a l'exemple de
Jésus-Christ, il sera le plus tolérant des hommes,
parce qu'il sera le plus, charitable des mortels. Et,
nous pouvons le dire avec assurance, malgré les
malheurs du christianisme , il se rencontre encore
dans toutes les communions des chrétiens éclairés
qui sont dans ces belles dispositions, tandis qu'on
ne trouve presque jamais , parmi les coryphées de
la tolérance philosophique , une disposition bien
prononcée à obliger ceux qui ne partagent pas
leurs opinions ; que dis-je? quelques-uns ne peu
vent même rencontrer un chrétien ferme dans sa
croyance, sans chercher à l'humilier et à le con
sister. Et à en juger par leur seule conduite à cet
égard, on pourrait déjà conclure qu'ils ont donc
embrassé le parti de l'erreur ; carjamais les vraies
I 84 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
lumières n'ont rendu l'homme injuste, inhumain,
persécuteur.
En réfléchissant mûrement sur la tolérance , je
crois qu'on ne peut s'empêcher de reconnaître les
vérités suivantes : Il y a obligation stricte pour
tous les hommes , et surtout pour le chrétien , d'être
tolérant au suprême degré , parce qu'il y a obliga
tion pour lui d'avoir la charité avant tout.— To
lérer le vice, l'erreur grossière, le mensonge et
l'imposture, quand ils sont évidens et qu'on peut
les détruire sans inconvénient , c'est une faiblesse
impardonnable, c'est un aveuglement et une folie !
la sainte vérité devant être respectée partout ,
comme le malheur et la vertu , ou plutôt, comme
Dieu lui-même. — En général, il n'est permis de
tolérer que ce qui n'est pas contraire à la justice, à la
morale, et par conséquent au bien public, ou enfin
certainsabus qu'il serait dangereux de déraciner tout
à coup, etqui demandent, pour être abolis, un temps
et des conjonctures favorables que la prudence doit
choisir et préparer. —Tolérer le pour et le contre,
dans des points devenus aujourd'hui évidens pour
tout le monde , et dont dépendent la paix , la
tranquillité , le bonheur de la terre , la moralité des
nations, l'honneur de la divinité, c'est une absur
dité criminelle que l'on ne devrait plus rencon
trer dans un siècle tel que le nôtre, et parmi des
peuples éclairés tels que le sont maintenant la plu
part des peuples de l'Europe !
SDR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I 85
D'après ce dernier principe, il semble que l'on
pourrait conclure que le christianisme, même chez
les sectes les plus fortement prononcées, est encore
quelquefois plus sainement tolérant , ou du moins,
plus conséquent dans sa conduite, que ne l'est une
philosophie réformatrice , dont le mode ne res
semble pas 'toujours à l'infinie douceur du grand
Instituteur des nations. En effet, qu'une Eglise
quelconque soit persuadée qu'elle est seule en pos
session des vrais principes qui conduisent à la per
fection et au bonheur , et qu'en conséquence elle
lasse tous ses efforts pour s'opposer aux progrès
de maximes qu'elle regarderait comme subver
sives de la félicité et de la paix des sociétés, je ne
vois en cela rien que de conséquent ; mais que les
sages du siècle fassent une énumération effrayante
des abus horribles et dangereux de la religion ;
qu'ils soutiennent qu'elle n'est évidemment que
le produit de l'ignorance , du mensonge et du
fanatisme; et que de tout cela ils concluent qu'il
faut donc être tolérant, il me semble que c'est
une inconséquence absurde. Je leur dirai : « Non,
vous ne pouvez tolérer tant d'horribles abus et
tant d'erreurs pernicieuses ; il faut les déraciner
et les détruire, sans tarder, ces ennemis de la
félicité publique ! A qui appartient-il de mettre
l'ordre convenable dans le culte et les croyances ?
Est-ce à ceux que l'on traite aujourd'hui d'esprits
faibles , ou bien à ceux qui croient avoir reçu
I 86 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
du ciel plus de lumières et un jugement plus so
lide? Réformez donc, dès que vous le pourrez, tous
les abus que vous rencontrerez ; vous mériterez bien
devant Dieu et devant les hommes : mais jusque-
là , ne faites pas un crime à un chrétien , quel
qu'il soit , de son exactitude à remplir tous ses de
voirs religieux à la manière de ses ancêtres. Bien
plus : prouvez clairement , si vous en êtes capables ,
qu'il n'y a point de Dieu, point de vie future, et
que, par suite, le vice, la vertu, le bien, le mal,
le bonheur et le malheur à venir, ne sont que
des chimères ! ou que Jésus-Christ n'était qu'un
homme, et que sa religion n'est qu'un tissu de
fables; ou, enfin, que, jusqu'à ce jour, on n'a
pas bien saisi l'esprit de sa doctrine : prouvez tout
cela aussi clairement que les chrétiens prouvent
tout le contraire , et dès lors , seuls , ils seront
plus tolérans que n'aura jamais été la sagesse du
siècle, m
Et que l'on ne dise point , aujourd'hui que les
entreprises gigantesquesde l'incrédulité ontéchoué,
qu'il est impossible de faire goûter la vérité au
monde; car alors il serait souverainement ridi
cule de continuer à déclamer contre l'erreur avec
ce zèle amer que l'on y a mis jusqu'à ce jour. Le
monde serait trop misérable et trop à plaindre , si
la vérité , qui est la vie des intelligences , ne pou
vait jamais percer au travers des ténèbres de l'igno
rance ! L'homme aime la vérité naturellement et
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 187
nécessairement ; il l'aime avec passion ; il l'aime
autant qu'il hait les ténèbres et qu'il déteste le men
songe ; et les préjugés ou un intérêt particulier
peuvent seuls retenir, un certain temps, l'homme
aveugle dans l'éloignement du soleil de la vérité ;
mais il y reviendra avec joie chaque fois que ces
obstacles viendront à être levés.
Il est impossible de faire goûter la vérité au
monde ! Vains sages du siècle , que la vanité in
spire , vous la goûtez cependant , cette adorable vé
rité ! Etes-vous d'une nature supérieure a celle de
vos concitoyens? Ah ! soyez persuadés que la véri
table raison exerce son empire sur tous les esprits ,
et que les hommes les plus grossiers sont encore
ceux qui lui obéissent le plus facilement"; qu'il ne
s'agit que de savoir bien présenter la vérité, pour
la faire triompher généralement. Vous vous éton
nez que vos doctrines nouvelles n'aient point été
accueillies partout, et qu'elles ne se soient point
répandues dans l'univers entier avec la rapidité de
l'éclair, aussitôt que vous les avez annoncées : in
sensés ! vous ignorez donc que vous êtes mille fois
plus divisés sur vos principes, que ne l'ont jamais
été les diverses sectes chrétiennes ! N'ayez en vue
que le bonheur de l'homme et celui de la société ;
suivez la raison avec simplicité, et sachez vous
arrêter à ses bornes ; quand vous ne comprenez
plus , adorez ! et le genre humain est à vos pieds !
Mais que penser de ces zélateurs aveugles, de.
I 88 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
ces sages contre nature , qui , sous prétexte de tolé
rance , persécutent si peu philosophiquement des
chrétiens de notre siècle , qui n'ont fait ni la reli
gion ni la discipline ecclésiastique , mais qui se font
un devoir de professer ou d'enseigner le christia
nisme tel qu'ils l'ont reçu de leurs ancêtres ? —
N'est-ce point là une inconséquence , une injustice
et une barbarie que l'on devrait à peine soup
çonner chez des nations sauvages, et qui ne savent
encore ce que c'est que lumières ni civilisation ?
De quel droit peut-on faire aujourd'hui un crime ,
a une personne privée, des abus énormes dont on
prétend que la religion a été l'occasion ou le pré
texte dans divers siècles , mais , qu'au fond , l'Évan
gile a toujours désavoués ? Quel est le ministre
même de cette religion qui puisse répondre , de
nos jours, de tout ce qui s'est passé dans des temps
reculés , pourvu que de son côté il agisse avec tous
les ménagemens possibles?—De bonne foi, soyons
tolérans nous-mêmes les premiers , si nous ne vou
lons pas prêcher inutilement la tolérance aux au
tres ! Réformons l'erreur , éclairons l'ignorance ;
mais, au nom de Dieu , ne persécutons pas !
Il faudrait être encore bien imbu de préjugés
pour ne point reconnaître, à l'époque où nous
vivons , que tous les hommes et tous les partis
ont eu leurs torts ; et que le zèle du bien lui-même ,
pour ne pas dire un intérêt privé adroitement dis
simulé, les a souvent portés dans des excès con
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 1 8f>
traires : concluons-en que nous devons donc par
donner les uns aux autres des faiblesses qui étaient
une suite inévitable de l'ignorance et de la cor
ruption de l'espèce humaine , mais que la religion
aussi-bien que la saine philosophie ont toujours
déplorées et déploreront toujours. Que le souve
nir de toutes les dissensions passées soit entière
ment effacé de nos esprits ; peut-être n'y avons-
nous jamais pris part personnellement. Si nous
sommes vraiment sages , vraiment éclairés , nous
comprendrons enfin que les haines, les persécu
tions, les disputes, les récriminations, et surtout
une horrible effusion du sang fraternel, ne sont au
cunement capables de rapprocher l'homme de la
perfection , de la vérité et du bonheur , mais que
nous trouverons tous ces biens dans l'union , dans
la vraie tolérance et dans la charité chrétienne ,
base de notre sainte religion. Nous voyons main
tenant qu'il a été impossible à l'incrédulité de
détruire entièrement le christianisme sur la terre ,
comme elle s'en était flattée dans son délire in
sensé , et que la toute - puissance divine n'a pas
besoin de la protection des hommes pour empê
cher Yenfer de prévaloir. Reconnaissons donc
l'œuvre du Créateur, et rentrons franchement dans
le sein de la grande famille qu'il a formée ici-bas
pour le bien du genre humain , persuadés que
les abus , même réels , n'existent plus. Le chris
tianisme ne défend pas à l'homme de penser ;
igO RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Jésus- Christ n'a point prétendu enchaîner ni
anéantir la raison , qui est aussi un souffle du
Créateur; mais il a arboré l'étendard de sa religion
sur notre globe, afin que tout mortel qui s'égare
sur le vaste océan de ses pensées , au milieu du dé
chaînement de toutes les passions , puisse se re
connaître, éviter les écueils, et revenir dans un
port assyré. Cherchons donc , réfléchissons, raison
nons, lisons les Ecritures ; mais, si nous ne trou
vons point le bonheur, revenons nous ranger sous
les bannières de Jésus-Christ , ce guide divin des
faibles mortels sur les routes de l'immortalité, plu
tôt que d'invoquer le désespoir et le néant.
Seigneur, faites-moi la grâce de ne jamais me
passionner, de ne jamais m'aveugler , et, surtout,
de ne jamais mépriser ni persécuter aucun de mes
frères pour cause d'opinion , comme font encore
aujourd'hui tant de mes malheureux contempo
rains qui oublient que les liens de la charité sont
plus forts que ceux de la foi , et qu'avec ces liens ,
aucune division , aucun schisme ne pavaitpossible.
Mais aidez-moi à me montrer toujours un chrétien
universel , aussi fidèle qu'éclairé. Donnez-moi l'es
prit d'une vraie tolérance , c'est-à-dire celui de la
charité, qui est douce, qui est patiente, qui ne
prend point d'humeur, qui supporte tout, qui ne
se réjouit point du mal de son semblable, mais
qui, au contraire, sait partager ses plaisirs et ses
peines. Faites enfin que je supporte avec autant
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 191
de longanimité les faiblesses, les erreurs et les
torts de tous les hommes, que je voudrais qu'on
supportât les miens. Répandez aussi, Seigneur, le
même esprit sur tous mes frères, afin qu'après
nous être tolérés, que dis-je? après nous être aimés,
comme vous nous avez aimés tous , nous puissions
être unis éternellement dans le séjour de la vraie
félicité où régnera une harmonie éternelle, une
concorde , une charité sans fin , un accord et un
amour parfaits.
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
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VINGT-UNIÈME SUJET.
CHARITÉ CHRÉTIENNE.
Ce n'est point une froide tolérance, c'est la cha
rité, c'est un amour réciproque que le christia
nisme recommande aux hommes. Je m'arrêterai
donc quelques instans à ce sentiment divin qui
constitue le bonheur de tous les êtres sensibles.
De tout temps les hommes ont eu de puissans
motifs pour s'entr'aimer. Ils ont toujours eu le
même Dieu pour père, et ont dû, en conséquence,
se regarder comme frères et s'aimer comme tels.
Mais, dans le christianisme, tout conspire à resser
rer davantage les liens qui nous unissent les uns
aux autres. Nous y sommes devenus plus particu
lièrement les enfans de l'Eternel , les héritiers de
sa gloire , les frères et les cohéritiers de Jésus-
Christ! Il nous donne aussi à tous la même foi, les
mêmes espérances , et nous assure que nous par
tagerons ensemble la félicité éternelle. Si donc
nous frémissons à la vue de deux frères selon la
chair qui , au lieu de s'entr'aimer et de se prêter un
secours mutuel , se haïssent, se persécutent et s'é
gorgent, quelle horreur ne doivent pas nous inspi
rer des chrétiens qui ne penseraient qu'à se rendre
malheureux les uns les autres, et à s'entre-détruire ?
SUR DIVERS SOJETS DE RELIGION. I C;3
puisque les liens que la charité de Jésus-Christ a
formés entre eux , sont bien plus sacrés que tous
les liens de la chair et du sang. Cependant , où
sont aujourd'hui les nations chrétiennes , où sont
les familles même, parmi lesquelles on ne voit
point régner l'envie , la jalousie , les haines , les
dissensions etles plus furieuses persécutions PHélas !
l'injustice et l'oppression sont organisées partout!
le meurtre et même le fratricide se commettent
d'après de certaines règles !
Ouvrons l'Evangile: que de motifs n'y trouvons-
nous pas d'avoir tous cette bonté réciproque qui
seule peut faire le bonheur et le charme de la vie !
Nous y voyons d'abord un Dieu, mu par ce même
sentiment précieux, descendre des cieux pour se
confondre avec les mortels sur la terre. Nous le
voyons naître, vivre et mourir comme le plus mal
heureux d'entre eux, afin de leur donner des exem
ples divins de toutes les vertus. A chaque page
nous trouvons l'amour fraternel recommandé de la
manière la plus forte, dans le code si doux des
lois de Jésus-Christ. Cet Homme-Dieu ne cesse
de nous l'inculquer et par ses discours et par ses
exemples. Tous les lieux de son passage sont de
meurés célèbres par quelque action éclatante de
charité. Ici, il consolait les affligés; là, il instrui
sait les ignorans ; plus loin , il soulageait les mal
heureux et nourrissait les pauvres. Sur cette hau
teur, son cœur plein d'humanité fut tellement ému
.3
I 94 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
de compassion à la vue de la misère et du besoin
de la multitude , qu'il fit usage de sa volonté créa
trice pour leur procurer des alimens. Dans ce
temple , une grande pécheresse éprouva les effets
de sa miséricorde. Sur son chemin, il guérit toutes
sortes de maladies et d'infirmités humaines. A
l'entrée de cette ville , il ressuscita un tiis unique
pour le rendre à une veuve désolée. Dans ce jardin
il reçut avec bonté le baiser de ce disciple perfide,
qui l'abordait exprès pour le trahir. Sur cette col
line coule encore le sang qu'il versa pour ses frères
coupables. O Dieu ! si nous sommes encore chré
tiens, si nous nous faisons encore gloire de vous
regarder comme notre modèle , que nous sommes
éloignés de vous dans la carrière de la charité et de
l'amour! nous qui} bien loin de vouloir faire quelque
sacrifice au bien-être de nos semblables , ne son
geons souvent qu'à satisfaire nos passions crimi
nelles aux dépens même de leur nécessaire!!!
L'amour fraternel : quel respectable , quel saint
commandement de notre religion ! Quel bienfait
pour la société, pour chaque famille, pour chaque
personne privée, et surtout pour les malheureux ,
que ce feu sacré allumé par Jésus-Christ sur la terre!
Quelle source intarissable de bénédictions pour
l'univers! Comme tout ce' que nous apprend l'E
vangile est divin ! Enlevez de son cœur le sentiment
céleste de l'amour de ses semblables , nul ne peut
remplir sa vocation dans cette vie. L'homme a été en
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I g5
quelque sorte créé et mis au monde pour aimer et
faire le bien. Dieu l'a pourvu, pour cet effet, d'un
cœur tendre et compatissant, dont l'amour est la vie.
Jamais, dans le monde connu, n'a vécu de per
sonne assez dépourvue de sensibilité , pour que son
cœur n'ait point été échauffé, au moins quelque
fois , par ces sentimens nobles et divins qui
distinguent l'homme de tous les êtres qui l'en
vironnent. La bonté , l'humanité , la pitié , la ten
dresse , ennoblissent le dernier des mendians, tan
dis que la dureté , l'insensibilité , l'inhumanité ,
ravalent les plus grands monarques bien au-dessous
du dernier de leurs sujets. Quelle bénédiction un
homme plein de charité n'est-il pas pour tous ses
concitoyens , quelquefois pour tous ses contem
porains , et même pour les générations suivantes !
L'univers les a connus ces hommes de miséricorde,
dont le plaisir le plus doux , l'occupation la plus
chère , l'unique consolation , étaient de diminuer le
nombre des infortunés, d'essuyer des larmes, d'ar
rêter les sanglots , de créer le bonheur dans des
familles désolées , de prévenir tous les maux. Au
contraire , quel fléau pour l'espèce humaine qu'un
cœur dénué de sensibilité , qu'un cœur inhumain
et féroce ! c'est un véritable monstre dans la so
ciété. Le monarque dur et insensible imposera
à ses sujets un fardeau qu'ils ne pourront porter ;
il punira sans pitié et sans miséricorde , même les
fautes les plus légères. Le père de famille sera
i5.
I96 RÉFLEXIONS ET SENT1MENS
une vraie bête féroce au milieu de ce qu'il y a de
plus touchant dans toute la création ; il se laissera
aller tous les jours aux mouvemens les plus ora
geux , et ne fera que le malheur de ceux qui au
raient dû trouver les consolations et la félicité dans
sa tendresse. Le riche verra d'un œil sec la misère
de la veuve et les souffrances de l'orphelin; le pauvre
et l'opprimé ne trouveront en lui que froideur et que
grossièreté ;il rebutera même un ami dans la gêne ;
que dis-je?le malheureux ne connaîtra pas l'ami
tié ! il ne sera point l'imitateur du Dieu bon sur la
terre , ni le bienfaiteur de l'humanité. Jamais sa
bouche ne s'ouvrira pour porter des consolations;
son oreille n'écoutera jamais les accens plaintifs
de la misère ; il pourra voir couler des ruisseaux
de larmes sans en essuyer une seule ! Et la charité
chrétienne ne serait pas le premier , le plus saint
des devoirs que la religion nous prescrit , et sans
laquelle , Jésus-Christ l'a enseigné lui-même , il
n'y a point de religion !
Seigneur, que d'actions de grâces j'ai à vous
rendre de m'avoir donné un cœur sensible et hu
main ! Ah ! faites qu'il ne soit jamais subjugué et
endurci par des passions viles et coupables ; que
j'accroisse au contraire sa sensibilité , et que je- le
rende digne de vous aimer vous-même. Le cœur
susceptible de sentimens nobles et généreux est le
seul capable de goûter le vrai bonheur : il sera
d'autant plus heureux qu'il saura mieux aimer.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I 97
Mais comment dois-je aimer mes semblables? C'est
«mcore une question digne de fixer quelques mo-
mens mon attention.
Dieu avait dit dans l'ancienne loi : « Vous aime
rez votre prochain comme vous-même, c'est-à-dire
d'un amour réel et effectif, d'un amour qui se ma
nifeste dans toutes les occasions où vous pouvez
lui procurer quelque avantage ; qui Vous porte à
cacher avec soin ses défauts et ses imperfections ;
qui vous rende ingénieux à le disculper ; car telles
sont les dispositions de votre cœur à l'égard de vous-
même. » Dans la loi nouvelle, Jésus-Christ nous fait
un précepte d'aimer notre frère comme il nous a
aimés lui-même : quelle perfection ! Il a porté l'a
mourjusqu'à mourir pour nous : quelle tendresse ! Et
s'il nous a tant aimés, ne devons-nous pas aussi être
prêts à donner la vie pour nos semblables?—Non,
il ne sera point dit, Seigneur, que vous ayez seul
pratiqué la charité parmi les mortels ! Et moi aussi ,
je veux aimer mes semblables ! Et moi aussi , je
veux me sacrifier tout entier pour le bien des hu
mains et la gloire de mon Dieu ! Ne suis-je pas
votre disciple, Seigneur? Et serait-ce en vain que
vous avez donné tant d'exemples d'amour à la terre?
Rien ne me coûtera donc dans la suite , pour prou
ver à mes frères l'ardeur de ma charité. Vous avez
agrandi , ennobli le cœur humain ! L'espèce hu
maine n'est plus qu'une famille dont le globe ter
restre est la patrie , dont la charité est la pre
I gS RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
mière de toutes les lois dont toutes les autres
dérivent ! 0 Dieu ! que ces prétendues sociétés
philanthropiques , qui concentrent leur amour et
leur tendresse sur un petit nombre de frères, doi
vent paraître petites aux yeux du chrétien éclairé
qui connaît vos leçons divines de charité universelle !
Aussi n'oublierai-je jamais ces paroles pleines d'un
feu divin , que vous désiriez graver dans tous les
cœurs: Aimez-vous'les uns les autres comme je vous
ai aimés : c'est à cette marque que l'on vous recon
naîtra pour mes disciples. Celui qui dit qu'il aime
Dieu , tandis qu'il hait son frère , est un menteur ,
et la vérité n'est point en lui. Si vous n'aimez point
votre frère que vous voyez, comment aimerez-vous
Dieu que vous ne voyez pas ? Aimez tous les
hommes , aimez même vos ennemis ; telle est la
perfection de la loi. Si vous n'aimez que ceux qui
vous aiment, que faites-vous de plus que les publi-
cains ? Si vous ne faites du bien qu'à ceux qui
vous en font, quel mérite avez-vous? Et si vous ne
saluez que vos frères, quelle vertu montrez-vous?
Les pécheurs n'en font-ilspas autant? Aimez donc
vos ennemis; faites du bien à ceux qui vous persé
cutent ; priez pour ceux qui vous haïssent et vous
calomnient ; alors seulement vous serez les dignes
enfans de votre Père qui est dans les cieux.
Oui , Seigneur, je vous fais en ce moment la
promesse solennelle d'aimer, à votre exemple , tous
les hommes, ,de cette terre , sans distinction, sans
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 199
différence! ou, si j'en admets quelqu'une , elle ne
pourra qu'être favorable à ceux d'entre mes sem
blables qui croiront devoir se déclarer mes enne
mis ; je leur témoignerai encore plus d'amour ,
et par là je les forcerai à rentrer dans le devoir
de la charité des enfans de Dieu , persuadé qu'il
n'est point d'ennemi dont on ne puisse faire son
meilleur ami.
300 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
VINGT-DEUXIÈME SUJET.
DE L'ÉDUCATION.
Par une bonne éducation donnée généralement
à la jeunesse, l'univers pourrait être régénéré en
peu d'années , et ses habitans rendus plus heureux.
Ce sujet important , et duquel dépend le bonheur
des sociétés comme des familles particulières, sera
aujourd'hui l'objet de mes réflexions.
On a voulu prétendre que l'éducation morale
d'un enfant pouvait être différée jusqu'à l'âge de
quinze ans, et qu'il était même prudent de ne lui
parler de principes religieux que vers cette époque ;
système absurde qui n'a pas besoin de réfuta
tion. L'homme le plus grossier sait que, quand
l'arbre a pris son pli , il n'est plus temps de le re
dresser. Si vous voulez exercer les membres d'un
enfant dès sa plus tendre jeunesse pour les rendre
forts et souples, pourquoi faudra-t-il attendre quinze
ans avant d'exercer son entendement , sa sensi
bilité et ses dispositions à la vertu et à la piété? Ces
nobles qualités, qui, sans doute, ne dépendent
pas exclusivement de la vigueur des nerfs et des
muscles, ne se fortifient-elles pas aussi par l'exer
cice? L'incrédule et l'athée seraient donc véritable
ment plus conséquens, s'ils ne pensaient jamais à
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 201
donner aucune espèce d'éducation à leurs enfans ,
et les laissaient vivre et mourir dans les plaisirs
et les distractions du monde. Pourquoi tourmenter
l'homme pendant les trente premières années de
sa vie , afin de le rendre un peu plus heureux pen
dant les trente dernières qu'il ne verra peut-être
jamais, et où l'on est déjà moins apte à goûter
le bonheur ? Et que sont donc les sciences , les con
naissances humaines et les vertus elles-mêmes, si
tout s'éteint avec ce souffle de vie, notre partage
sur la terre ?
Les maximes de l'Evangile changent bien les
idées des hommes ! Le vrai chrétien est persuadé
qu'il ne saurait penser trop tôt à l'éducation de ces
êtres immortels que le ciel a confiés à sa vigilante
tendresse. Quand on pense , en effet , que toute la
moralité dela vie d'un enfant dépend des premières
impressions qu'il reçoit, comment ne serait -on
pas soigneux de lui en donner de bonnes dès
l'âge le plus tendre? Quand on pense que le vice,
aussi-bien que la vertu, peut s'inoculer ainsi et aller
croissant d'une génération à l'autre, comment ne
pas trembler à la seule idée d'une négligence cou
pable dans l'éducation ? Si nous voyons de nos
jours des crimes atroces , des meurtres, des parri
cides, des déréglemens de toute espèce, de noirs
attentats dans tous les genres , regarderons-nous
comme les plus coupables les individus eux-mêmes
qui donnent ces horribles scènes à l'univers ? Non ,
202 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
le mal vient ordinairement de plus haut ; il peut
avoir sa source dans les générations précédentes ;
et les premiers coupables , que dis*je ? les seuls
coupables peut-être, aux yeux de Dieu, reposent
depuis long- temps dans la tombe! Un père né
glige l'éducation de son fils; celui-ci, par suite,
scandalise ses enfans : à leur tour ils donnent à
leurs descendans l'exemple de tous les crimes ;
l'orage enfin éclate , et vomit , au milieu de la
société , ces monstres qui effraient l'univers ! Ce
pendant le germe funeste , posé dans le prin
cipe , n'a fait que se développer , et le criminel
qui subit le dernier supplice pour de nombreux
forfaits , peut être moins coupable devant le su
prême Scrutateur des cœurs , que les parens ou
les maîtres qui l'ont élevé; que dis-je? ces furieux
eux-mêmes , qui , après s'être souillés de tous les
crimes, attentent lâchement à leurs propres jours ,
peuvent être plus dignes des miséricordes du ciel
que plusieurs de leurs ancêtres qui , aux yeux du
monde , auront paru honnêtes et irréprochables.
Jamais l'on ne devient un scélérat consommé en
peu d'années; peut-être a-t-ilfalluplusieurs géné
rations pourJormer un Néron. Les personnes
privées, ainsique les familles et les nations entières,
ne dégénèrent qu'insensiblement. Le vice de l'édu
cation, semblable à un mauvais levain , corrompt
peu à peu toute une masse.
Ne nous étonnons donc plus de cette déclara
SUH DIVERS SUJETS DE RELIGION. 200
tion terrible du Seigneur : Il vaudrait mieux
qu'un hommefut précipité aufond de la mer ,
que de le voir scandaliser un faible et inno
cent enfant , puisqu'il ne peut savoir quel sera le
terme du mal dont il jette la première semence ;
ni de ces autres paroles : Nejugez ni ne condam
nez personne , car Dieu seul connaît les vrais cou
pables. O mon Dieu ! que votre doctrine est en
tout conservatrice de la société et protectrice du
faible ! Tremblez , ô vous à qui le ciel a confié en
dépôt ces êtres précieux créés pour le bonheur,
destinés à devenir un jour les dignes habitans de
la Jérusalem céleste ! Votre responsabilité est
grande devant le Seigneur ; vous répondrez âme
pour âme !!
C'est donc la foi en Dieu , la croyance d'une vie
future où la vertu sera récompensée et le vice
puni , et , en général , un respect sans bornes pour
tout ce qui a le moindre rapport à la religion ,
que l'on doit chercher à inspirer avant tout à
la jeunesse, parce que telle est l'unique base des
véritables vertus. Former le cœur et le carac
tère des jeunes gens , voilà toute l'éducation. Les
sciences et les belles connaissances ne viennent
qu'au second rang , et les parens ou les maîtres ne
peuvent se contenter, à cet égard, de faire à leurs
enfans ou à leurs disciples de belles exhortations :
l'exemple est indispensable ! Dès l'âge de sept ans,
un fils est souvent capable de sentir tout le ridicule
2o4 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
de la contradiction qui se trouve dans la conduite
d'un père irréligieux et immoral qui ose l'exhorter
à la piété et à la vertu.
Cependant, s'agira-t-ild'éducation?Les principes
religieux seront la dernière chose dont on s'occu
pera dans ce siècle d'indiflerence et d'incrédulité.
Faut-il s'étonner si la morale s'altère, et si les gé
nérations se pervertissent ? Des parens générale
ment indifFérens ou impies, élevés dans ces temps
de troubles où tous les principes étaient renversés,
ne pensent aujourd'hui à transmettre à leurs des-
cendaus que leur propre irréligion , avec tous les
vices qui en découlent : enfans malheureux qui
rempliront d'amertume les dernières années des
auteurs de leurs jours, et élèveront des enfans plus
i dépravés encore qu'eux-mêmes !
En suivant l'esprit de la religion de Jésus-Christ
dans toute sa rigueur , il est vrai de dire qu'il faut
déjà penser à l'éducation d'un enfant, même long
temps avant sa naissance.Telle est la distance entre
les doctrines salutaires et conservatrices de l'Evan
gile, et les doctrines prétendues philosophiques,
anti-sociales et subversives de toute moralité. Non-
seulement une mère chrétienne doit veiller avec
soin sur ses propres passions , persuadée qu'elle
peut transmettre en un instant le germe de tous
les vices physiques et moraux à ses descendans;
mais les jeunes chrétiens eux-mêmes, destinés à
devenir plus tard les propagateurs du genre hu
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2o5
main, doivent déjà se conduire de manière que,
par une vie irréprochable , ils puissent faire part à
ceux qui naîtront d'eux de tous les avantages d'un
corps sain et apte à tout le bien dont la Nature
ne manque jamais de combler ses productions,
quand elle n'a point été gênée dans son travail.
S'il naît en effet de ces enfans infortunés qui
apportent au monde le germe des maladies , des
dispositions à tous les vices , ou des difformités
corporelles , et dont l'existence est un pénible
fardeau pour eux-mêmes et pour la société, ne
devons-nous pas l'attribuer à un désordre amené
par un agent libre , plutôt qu'à la sage nature dont
les règles sont trop bien établies pour souffrir par
elles-mêmes des aberrations aussigrossières? Nous
ne pouvons point assigner, au juste, jusqu'à quel
point la volonté d'un homme peut agir sur la vo
lonté d'un autre; mais il estprouvé, aujourd'hui,
que cette action existe; le physique et le moral
lui sont soumis , et l'influence peut être très-forte
de la part des parens sur leuFS enfans , à raison de
l'union intime qui existe entre eux ; aussi y dé-
couvre-t-on ordinairement une ressemblance très-
prononcée tant au corps qu'à l'âme ; et de cette
manière seulement on conçoit comment une fa
mille ou un peuple entier peut s'abrutir au point
de falloir plusieurs générations pour le ramener
à sa première perfection. De cette manière , et
seulement ainsi , peut s'entendre cette déclaration
2o6 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
effrayante des livres saints : Le Seigneur venge
l'iniquité des pères sur les en/ans , jusqu'à la
quatrième et cinqcième génération. Car, à propre
ment parler , Dieu ne fait point porter au fils
l'iniquité du père , car l'inconduite du fils est la
conséquence et souvent le résultat de celle du père»
La Nature elle-même dicte aux parens ce qu'ils
doivent faire pour leurs enfans, au momentde leur
naissance et dans le jeune âge , et ceux qui sont
capables de négliger ou d'abandonner leurs nour
rissons se rangent infiniment au-dessous de la
brute la plus dépourvue de raison et de sensibilité.
Mais c'est au moment que la raison des jeunes en-
fans se développe , et que leur jugement se forme ,
qu'ils demandent le plus de soins, ce qui, comme
il est très-probable , a lieu bien long-temps avant
l'âge de sept ans, puisque nous venons de prouver
que les vices et les vertus des parens peuvent ,
même avant leur naissance , exercer sur eux une
triste influence. C'est donc aussi dès la mamelle
qu'on doit leur mettre sous les yeux de grands
exemples de vertu, de justice, de bonté, de géné
rosité, d'héroïsme, et surtout de religion et de
piété, et en éloigner tout ce qui pourrait produire
sur eux des impressions contraires.
Pendant les études où les jeunes gens se forment
aux sciences et aux arts, et surtout pendant qu'ils
s'occupent des principes religieux , il faut chercher
à leur inspirer généralement un saint respect pour
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2O7
l'adorable vérité. L'impiété ni la superstition ne
doivent jamais pouvoir l'outrager : l'opprimer ou
affecter de donner le moindre appui au mensonge et
à Terreur, c'est lui fournir l'occasion de s'en venger
plus tard, de la manière la plus terrible , sur des
familles et sur des nations entières.
Les plus chers intérêts de la société et des per
sonnes privées, ceux des parens comme des en-
fans , sont compromis quand on néglige l'édu
cation. Si des scènes affligeantes , et qui font la
honte de la nature humaine, se renouvellent si
fréquemment de nos jours , telle en est la funeste
cause : il n'en faut point chercher d'autre. Combien
de fois ne voit-on pas le vieillard à cheveux blancs
' réclamer de ses enfans, et en vain, le respect qui lui
est dû ! Un fils ingrat et dénaturé ne lui répond
que par des mépris! Dans une infinité de familles,
la vie, déjà devenue assez amère par elle-même,
n'est-elle pas encore empoisonnée par des reproches,
des murmures, des jalousies , des haines, des dis
sensions journalières? Le cri horrible du blas
phème , de la grossièreté, de l'impiété et du déses
poir ne cesse de s'y faire entendre ! Hélas ! ne
voit- on pas même des enfans infortunés porter
une main sacrilége sur les auteurs de leurs jours ,
et ravir la vie à ceux dont ils l'avaient reçue ! fruit
malheureux, mais bien naturel, d'une éducation
tout-à-fait négligée.
Une éducation soignée et chrétienne inspire, au
20Ô BÉFLEXIONS ET SENTIMESS
contraire, naturellement aux familles ces vertu»
paisibles et sociales qui font le bonheur de la vie, et
qui rendent agréables à Dieu, estimables aux yeux
des hommes , les jeunes gens qui ont eu le bon
heur de la recevoir. La bonté , la douceur, l'obéis
sance, la modestie, la condescendance, l'humilité,
la prévenance, la simplicité, la candeur, la naïveté,
l'assiduité aux occupations utiles , l'habitude du
travail, l'ordre, l'amour de tout ce qui est louable,
sont l'apanage des.enfans élevés selon les maximes
et les exemples de Jésus-Christ ! Quel beau , quel
touchant spectacle présente une famille chrétienne
et vertueuse ! Comme elles sont touchantes ces con
tinuelles attentions de la piété filiale et de l'amour
paternel, cette tendresse réciproque d'une mère et
d'une fdle ! Qu'il est doux ce commerce non inter
rompu de prévenances et d'assiduités, de reconnais
sance, d'affection et d'amour ! La paix du Seigneur
règne dans de semblables familles : jamais on n'y
entend une expression qui blesse, jamais une parole
dure, jamais un mot de reproche ! Jésus-Christ lui-
même se plaît au milieu d'elles : il bénit les parens
à cause de leurs enfans vertueux, et il bénit les en-
fans jusqu'à la quatrième et cinquième généra
tion , et récompense ainsi les vertus de leurs pères.
Tous les maux de la vie s'y adoucissent. Dans les
revers imprévus , on s'y console mutuellement par
les considérations que l'Evangile suggère, et la mort
elle-même s'y présente sous des traits moins ef
SUR DÏVERS SUJETS DE RELIGION. 20O,
frayans. De pieux enfans ferment, en versant des
larmes adoucies par la religion , les yeux d'un
père vénérable, d'une mère tendre , qu'ils espèrent
revoir dans l'éternité; et ceux-ci quittent la terre
sans regret, emportant avec eux dans la tombe
la certitude de laisser des enfans qui feront hon
neur a leur mémoire , et qui , plus tard , vien
dront se presser dans leurs bras, les uns après les
autres , dans le sein du Créateur et de la félicité
qu'il a préparée pour toutes ses créatures.
O mon Dieu ! aidez-moi à accomplir les nom
breuses résolutions que de semblables réflexions
doivent exciter naturellement dans mon cœur, pour
mon propre bonheur et pour le bonheur de tous
ceux qui dépendront de moi.
2 10 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
VINGT-TROISIÈME SUJET.
DEVOIES SOCIAUX.
Mon Dieu , vous nous avez tous destinés à mener
une vie active. Malheur à celui qui ne répondra
point à sa destinée, et qui se laissera dominer par
la paresse ! Il détruira la paix , la tranquillité et le
bonheur de sa vie : le dégoût, l'ennui, la misère
et la honte seront son partage.
Par un effet de votre sagesse éternelle , ô
Créateur tout -puissant et bon ! vous avez soumis
l'homme à mille besoins pressans auxquels il ne
peut satisfaire qu'avec peine , et par un travail
continuel. // n'existe point d'autre voie pour
procurer le bonheur et la perfection de la so
ciété des êtres libres. Vous avez donc voulu que
l'homme rencontrât journellement mille embarras
et mille obstacles qu'il ne peut surmonter que
par des efforts opiniâtres ; et que par le travail
seul il pût se préparer les besoins et les agrémens
de la vie. Voila pourquoi nous voyons sur la terre
des hommes de tant de différentes conditions et
de tâ*nt d'états divers : des riches, des pauvres, des
princes , des sujets , des commerçans, des labou
reurs , des magistrats , des ouvriers, des maîtres et
des serviteurs. Et toutes ces conditions méritent
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 211
des égards, puisque la diversité de rang et de for
tune est rigoureusement nécessaire pour la for
mation d'une société. Dieu lui-même n'aurait pu
introduire un autre ordre de choses. Mais il a .eu
soin que chaque état , le plus humble comme le
plus brillant, pût trouver des jouissances et des
consolations à côté de ses peines et de ses soucis,
et dans une proportion tellement exacte , qu'au
cun homme ne peut raisonnablement envier le
sort d'un autre , ni désirer d'être placé dans des
circonstances différentes de celles où il se trouve.
Point de condition qui n'ait ses désagrérnens : le
trône même n'en est point exempt , comme des
esprits faibles le peuvent penser . Combien , hélas !
le diadème ne cache-t-il pas de soucis sur le front
qui le porte I Point de condition aussi qui n'ait
ses avantages. Les plus humbles les trouvent dans
le sein même de la simplicité , de l'oubli et de
la paix. La belle , la bienfaisante Nature est créée
pour tous les humains. Chacun peut goûter les
plaisirs innocens qu'elle offre. Il ne faut pour cela
que des yeux pour admirer et un cœur pour sen
tir. A quel homme seraient donc interdites, sinon
par sa propre faute , les , douceurs du bonheur
domestique avec sa famille , ses parens , ses amis ,
ses connaissances et ses relations intimes ? Quel
homme est incapable de ressentir les émotions de
la religion et de la vertu ? Il ne lui faut qu'aimer
ses devoirs et les remplir.
212 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Avant d'entrer dans le détail des différens de
voirs sociaux imposés à chaque état , il est utile
de faire remarquer que ces mots de liberté et d'e-
galitè , mis en avant dans divers temps et dans
diverses contrées pour égarer les peuples, ne sont
que des chimères lorsqu'ils sont pris dans le sens
qu'on leur attribue communément. Comme il est de
la nature et de l'essence même des choses qu'il entre
dans la société humaine des rangs , des fortunes
et des conditions diversifiés jusqu'à l'infini, nous
naissons tous nécessairement dépendans les uns
des autres ; et en ce sens , les grands dépendent
aussi-bien des petits , que les petits des grands.
Que ferait un roi sans sujets , un chef quelconque
sans administrés, un commerçant sans relations,
un fabricant , un cultivateur sans ouvriers labo
rieux et industrieux ? — Si vous me demandez
pourquoi l'un naît sur le trône, et l'autre dans une
chaumière ; pourquoi celui-ci de parens riches et
opulens, et celui-là dans la pauvreté et la misère, je
vous répondrai que ces divergences sont des effets
de la liberté humaine ; que Dieu ne fait que suivre
l'ordre éternel ; qu'il ne peut changer l'essence
des choses ; mais que la religion et la morale en
forment le contke-poids nécessaire, à ce point
que nul ne puisse dire que Dieufait acception de
personne. Dans le christianisme seul, les hommes
peuvent être dits vraiment libres et égaux : libres ,
lorsqu'ils remplissent tous leurs devoirs , et qu'il
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2l3
riy a point de loi contre eux; égaux devant
Dieu et en Jésus-Christ , qui s'est rangé du côté
des infortunés pour leur ôter tout prétexte de
plaintes. Le complément du système ingénieux
de la compensation ne peut être que la vie future
et la religion. Si vous en faites abstraction , ce
système est en défaut , ou il prouvera tout au
plus que, les hommes sont tous également mal
heureux; et alors Dieu ne sera qu'un tyran, et
la Nature qu'une force motrice aveugle et cruelle.
Maintenant donc , quels sont les différens devoirs
de tout homme en société , et quels sont en par
ticulier les miens? Je veux les remplir tous, et
entrer avec la dernière exactitude dans les vues
du Créateur, persuadé que là est toute la fin de
l'homme. Il n'y a , en effet, ni sagesse ni félicité
pour celui qui veut agir en sens contraire.
Les devoirs sociaux peuvent être réduits à trois
classes principales : devoirs envers Dieu , devoirs
envers nous-mêmes, devoirs envers nos semblables.
Parcourons-les rapidement.
Nos devoirs envers le Seigneur suprême sont in
contestablement les premiers. Par notre nature et
condition , nous sommes des êtres dépendans ,
lorsque lui seul est entièrement indépendant. Il est
notre Dieu, notre Créateur, notrePère.Noussommes
l'ouvrage de ses mains, ses créatures, ses enfans.
Nous devons donc lui rendre un culte et un culte
igne de lui; nous sommes donc obligés de lui
ai4 HKFLEXIONS ET SENTIMEMS
obéir , de l'aimer et detre pénétrés continuellement
envers lui de tous les sentimens de la piété filiale.
Il est notre éternel bienfaiteur : nos cœurs lui
doivent donc des témoignages continuels de recon
naissance et de gratitude. Il est le Maître absolu de
tout ce qui existe , le souverain Seigneur et Modé
rateur des cieux et de tous les mondes : nous lui
devons donc une soumission entière et une obéis
sance parfaite. Et puisque nous avons le bon
heur d'être chrétiens et de jouir des lumières de
l'Evangile , c'est donc pour nous un devoir in
dispensable de suivre les leçons et les exemples de
Jésus-Christ , et de vivre en tout d'une manière
conforme à ses préceptes, à ses maximes, même
à ses conseils. •
Les devoirs envers nous-mêmes regardent, ou
notre corps , ou notre âme. A l'égard du corps ,
nous sommes obligés d'en avoir un soin raison
nable , de le fortifier par des exercices utiles , d'en
entretenir la vigueur et la santé, de ne jamais
ternir son éclat ni sa beauté par des excès et des
bassesses criminelles. Pour ce qui est de notre
âme, il y a obligation stricte pour nous de l'orner
de diverses manières, de l'enrichir de belles con
naissances , autant que les circonstances de la vie
nous le permettent , surtout de connaissances re
latives au salut éternel. Il y a obligation stricte
pour nous de l'ennoblir, de la perfectionner; en
un mot, de la rapprocher tous les jours davantage
T.
SDR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3 I 5
de la ressemblance du Père céleste, notre modèle,
par l'exercice de toutes sortes de vertus ; car les
vertus l'ornent et l'enrichissent encore plus que ne
font la connaissance des sciences, des arts et des
lettres.
Enfin , les devoirs sans nombre envers la société ,.
selon les divers états où nous nous trouvons placés,
sont ceux de père , de fils , d'époux , d'ami , de pa
rent ; ceux des personnes d'un rang élevé , des
princes , des magistrats ; ceux des commerçans, des
ouvriers, des maîtres et des serviteurs. Tous les
membres de la grande famille sont obligés de sa
crifier leurs avantages particuliers à ceux de la so
ciété entière. Chaque individu , et le prince encore
plus que tout autre , doit préférer , strictement
parlant, les avantages de la communauté à sa li
berté personnelle, à son bonheur, et même à
sa vie. Nous avons , sous ce rapport , des exemples
bien touchans. Tous doivent aussi savoir renon
cer à leurs aises et à leurs satisfactions particu
lières, pour le plus grand bien d'un certain nombre
de leurs semblables : l'équité , la loyauté , j'oserai
mêrnedire la justice , demandent impérieusement
de tels sacrifices.
Etes-vous père , votre devoir est de former à la
vertu et à la piété, par vos exemples aussi-bien que
par vos exhortations , les enfans qui vous ont été
confiés par la Providence , afin que , plus tard , ils
puissent faire l'ornement et le soutien de la société,
2l6 RÉFLEXIONS ET SENT1MENS
et peupler enfin la cité céleste, qui nous attend tous.
Etes-vous fils, vous devez aimer vos parens, les
respecter, leur obéir avec docilité , les prévenir par
toutes sortes de bons offices , et leur donner toutes
les satisfactions qui dépendent de vous. Etes-vons
époux, la fidélité, l'assiduité, la patience, la condes
cendance, sont vos vertus spéciales. Tenez-vous un
rang élevé dans la société , souvenez-vous que vous
êtes le défenseur de la vérité et de la justice, le pro
tecteur né de la veuve et de l'orphelin ; que vous
êtes le refuge naturel de tous les malheureux, la
ressource de tous les faibles , de tous les opprimés ,
le père de tous les pauvres qui se trouvent sous votre
juridiction. Etes-vous riche, la bienfaisance doit
être votre vertu et votre occupation chérie. Etes-
vous pauvre , restez dans cet état de gêne et d'hu
miliation , si vous n'en pouvez sortir que par des
voies injustes ; remplissez avec courage et exacti
tude vos humbles devoirs ; souffrez avec patience et
résignation , et pensez que l'homme a besoin de
bien peu de chose ici-bas , et qu'il n'en a pas besoin
long-temps ! Etes-vous maître, votre devoir est de
ne pas exiger trop de sueurs de la part de ceux
qui ont eu le malheur de naître dans la dépen
dance , et qui sont obligés de vous servir. Permet
tez-leur donc tous les jours de réparer les forces
perdues à votre service, et donnez-leur quelquefois
une petite part aux jouissances que la Nature a pré
parées pour soulager 1 homme dans les peines sans
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2 I "J
nombre de la vie ; souvenez-vous sans cesse qu'ils
sont hommes comme vous, et que vous êtes homme
comme eux. Etes-vous serviteur, êtes-vous né dans
un état humble et dépendant , souvenez-vous , et
ne l'oubliez jamais , qu'à considérer les choses selon
la religion et la raison éclairée, vous êtes nécessaire
ment autant avantagé par leSeigneur queles grands
de la terre. L'éclat qui les environne peut bien vous
éblouir ; mais cet éclat, au fond, les gêne plus que
chez les infortunés l'indigence et l'oubli. Faites
tourner vos souffrances au profit de la vertu, et
rendez - vous grand aux yeux de la religion; cette
grandeur vaut bien celle du monde. Rappelez-vous
que vous avez deux maîtres à servir , dont l'un ne
vous demande que ce qu'il y a de matériel et de
grossier dans votre ouvrage , et ne vous offre qu'un
petit et chétif salaire pour vos sueurs ; tandis que
l autre ne demande que votre patience et vos sen-
timens intérieurs , pour lesquels il vous promet le
bonheur éternel . Pensez que vous ferez bien plus faci-
lement votre salut dans les souffrances, les travaux ,
les humiliations et les infirmités , puisque la vertu
s'y perfectionne , et que Dieu saura vous réserver
une riche et juste compensation dans l'éternité, de
tout ce qui vous aura été refusé dans le temps.
Qu'il soit donc toujours loin de mon cœur , Sei
gneur , de désirer une autre fortune , une autre
condition , ou des circonstances différentes de celles
oùjeme trouve placé. Faites-moi seulement la grâce
2l8 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
de bien remplir les devoirs divers quemon état m'im
pose, et je m'estimerai toujours trop heureux sur
la terre dans toutes les situations où je pourrai me
trouver.Tous lesdevoirs que vous désirez que chacun
de nous remplisse , sont destinés à contribuer au
bien de la société entière, et sont des moyens ef
ficaces pour parvenir au bonheur parfait réservé
indistinctement pour tous. J'adore , ô mon Dieu !
vos sages conseils, et je vais, dès ce moment, me
remettre avec plus de zèle que jamais à remplir
tous lesdifféreus devoirs de mon état , envers vous,
Seigneur, envers moi-même et envers mes sem
blables.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3 I 9
/WWWWWVWWVWIM'WWWWWWVWWWW *A
VINGT-QUATRIÈME SUJET.
LA VERTU.
Rien de plus commun de nosjours que d'entendre
parler avantageusement dela vertu. Tout le monde
l'estime , tout le monde l'admire ; il n'est pas même
jusqu'au vice qui ne lui rende les plus grands hom
mages. Cependant , en même temps , rien de plus
rare à rencontrer aujourd'hui qu'une vertu solide
et réelle, une vertu méritoire devant Dieu, à l'é
preuve des tentations de cette vie, et au-dessus de
l'orgueil ou de l'intérêt propre. D'où peut venir
une si étrange contradiction ? Serait-ce de l'absence
des principes de religion parmi nous , et parce que
les hommes n'agissent plus par des motifs surna
turels ; parce que, renonçant à la foi, et rompant
avec le monde des intelligences pures , ils se sont
isolés dans la Nature , au point qu'un vil égoïsme
ou une passion aveugle est leur seul mobile ?
Nous savons bien que nous ne pouvons jamais
agir que par un motifd'intérêt quelconque. Vouloir
nous faire agir sans motif, c'est nous demander un
effet sans cause. Le philosophe ridicule du jour
peut seul prétendre à être vertueux pour l'amour
d'un mot , pour l'honneur. Le vrai chrétien lui-
même agit donc par intérêt , lorsqu'il fait le bien
320 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
dans la vue d'une récompense future et céleste.
Mais cet intérêt , bien loin de dégrader la vertu ,
ne fait au contraire que la sanctionner. Il est
Jouable, il est selon Dieu et dans l'ordre éternel ;
tandis que l'intérêt , qui fait agir les personnes du
monde, rend toutes leursvertus vicieuses, parce qu'il
est personnel , souvent criminel ; parce qu'il n'est
qu'un véritable égoïsme.
Toute vertu a donc nécessairement un motif;
mais il faut que ce motif soit placé hors de la
sphère de ce monde, qu'il soit divin et éternel.
Sans cette condition, il n'est point de vertus réelles.
Quelques anciens de bonne foi , et un grand
nombre de modernes qui aiment , par-dessus toutes
choses, les belles phrases, ont prétendu trouver le
motif de la vertu dans la vertu même , savoir ,
dans la beauté , dans les charmes qui lui sont pro
pres. Mais quel esprit , tant soit peu réfléchi,
ne découvre aussitôt tout ce qu'il y a de chi
mérique dans cette prétention , capable d'éblouir
au premier abord ? Je dirai à ces moralistes su
blimes : Si la vertu paraît belle, le crime paraît
utile ! Présentez à la fois au cœur humain l'utile et
le beau ; lequel des deux choisira-t-il ? Sera-t-il long
temps en suspens? Soyez intimement persuadés que
bien souvent la vertu sera méconnue. Je soutiendrai
donc toute ma vie que la vertu ne se paye point suf
fisamment elle-même sur cette terre, et que, si
l'on fait abstraction des espérances immortelles de
SDR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 23!
l'homme juste, il est impossible qu'elle ait un
autre mobile que l'intérêt particulier , ou un avi
lissant égoïsme qui la paralyse et la détruit.
Il est donc constant aussi que les vertus chré
tiennes sont seules réelles, méritoires et, de plus,
, à l'épreuve de toutes les attaques des passions,
puisque leur motif est dans le ciel , et qu'elles
n'attendent rien sur ta terre. Toutes supposent
un effort pénible, un sacrifice, une abnégation
qui , en faisant murmurer la nature et la concu
piscence, les rendent vraiment méritoires. De là
cette doctrine admirable de l'Evangile, qui fait con
sister toute la perfection dans l'abnégation de soi-
même. Que serait en effet une vertu qui ne nous
coûterait rien , que nous pratiquerions par goût ,
par un penchant naturel du cœur ? Quel pourrait
en être le mérite? Si quelqu'un veut me suivre, dit
Jésus-Christ , qu'il renonce à lui-même , et qu'il se
charge de sa croix. Les humiliations, les opprobres,
les mépris , les persécutions , les souffrances iné
vitables , font donc le mérite de la vertu , aussi-
bien que la gloire du vrai chrétien : doctrine dia
métralement opposée à l'égoïsme du siècle.
Je ne m'arrêterai point ici à faire sentir tout le
faible , ni à montrer tout le néant de ces vertus
prétendues que le monde se glorifie encore d'a
voir conservées , malgré le dépérissement de tous
les principes , et au milieu des ruines de la reli
gion. Le monde déclare lui-même que , pour être
222 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
un modèle achevé de cette perfectibilité où la na
ture humaine peut atteindre , il suffit d'être hon
nête homme , c'est-à-dire de nefaire tort à per
sonne, ou, du moins, de ne pas commettre de
ces injustices criantes et de ces crimes énormes
qui font le scandale de toute une contrée. Je me
contenterai donc de jeter un coup d'œil sur les ver
tus mâles et solides du christianisme.
Qui pourrait nier que les motifs qui font agir
un disciple de Jésus - Christ soient sublimes ,
universels et capables de porter l'homme aux
actions les plus grandes , les plus héroïques et
les plus méritoires devant Dieu ? Le chrétien
peut regarder d'un œil tranquille les événemens
les plus terribles de la vie humaine. Les révolu
tions des états et des empires , et tout le choc des
passions des hommes , ne sont pour lui que de
simples occasions de pratiquer toutes les vertus ,
de faire éclater sa grandeur d'âme , sa généro
sité , sa patience , sa résignation , sa charité , son
désintéressement, son amour pour la justice, pour
l'ordre et la vérité, et il tirera le bien du mal
même, à l'exemple du Créateur tout -puissant !
Les motifs qui font agir le disciple de Jésus-
Christ sont donc sublimes , puisqu'ils sont divins.
Mais ils sont aussi universels , de tous les temps
et de tous les lieux, car ils sont immu bles comme
l'ordre éternel. Placez le chrétien dans quelque
état, dans quelque condition que vous voudrez;
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 233
qu'il soit riche ou pauvre, comblé d'honneurs ou
couvert d'opprobres ; qu'il soit dans la joie ou
dans les souffrances , sur le trône ou sur l'écha-
faud, vous le verrez toujours portant dans son
cœur la loi de son Créateur , le désir de lui plaire
et d'accomplir sa sainte volonté. Il aimera, il pra
tiquera toujours la vertu , non pas par orgueil ou
par un intérêt avilissant , mais parce qu'il veut
entrer dans les vues du Seigneur , et se confor
mer à l'ordre éternel , lequel exige que toute créa
ture raisonnable et libre marche à la félicité
suprême par la perfection.
Enfin, les motifs de vertu, dans le christianisme,
sont aussi grands que nombreux ; ils sont ca
pables de porter l'homme aux plus généreuses
entreprises , aux plus belles , aux plus nobles ac
tions. «Un chrétien a continuellement un enfer à
éviter et un Ciel à conquérir. Le premier devien
drait le châtiment de ses infidélités et de ses
crimes ; le second sera la récompense de ses mé
rites et de ses vertus. Un Homme-Dieu a marché
devant lui dans la carrière de la vie parfaite où
il voit des exemples continuels d'une vertu plus
qu'humaine et d'une sagesse évidemment divine I
Aussi , que le chrétien soit réduit à la dernière
extrémité où les disgrâces de la vie peuvent îpé-
cipiter l'homme mortel ; que , semblable à JesÉs ,
son maître , il soit poursuivi par le malheur et l'in
fortune jusqu'à la mort ; qu'abandonné de tous
224 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
ses contemporains, son innocence soit méconnue;
qu'il meure dans les tourmens et les opprobres ;
en un mot, qu'il soit arraché du trône pour périr
sur l'échafaud ! dans cet abîme de toutes les dis
grâces , il portera un regard sur le Calvaire , un
autre vers le Ciel; et, en expirant, il accordera
sans ostentation le pardon a ses bourreaux ! Il
ne verra plus dans les hommes acharnés à sa
perte que des frères égarés qu'il aime encore ;
et , plus calme dans ses souffrances que ceux-ci
dans leur rage , il priera pour eux le Père com
mun : Seigneur , pardonnez-leur , ils ne savent ce
qu'ils font! Voilà, voilà jusqu'où l'homme, si faible
par lui-même, est capable de porter la vertu
quand il s'appuie sur la croix de Jésus-Christ !
Que le monde, que la philosophie nous mon
trent un certain nombre de leurs coryphées qui
aient porté les vertus morales jusqu'à l'héroïsme et
jusqu'à la mort : hélas ! un misérable respect hu
main est pour eux un écueil inévitable où toutes leurs
vertus d'apparat viennent souvent échouer. Voyez,
au contraire , ces millions de héros chrétiens que
la religion a formés, ces légions d'héroïnes aux
quelles elle a prêté sa force , ces nombreux martyrs
de la charité et de l'humanité que le torrent de la
réwplution a lui-même respectés ; et jugez entre le
christianisme et la stérile sagesse du siècle ! O re
ligion de Jésus-Christ ! que tes détracteurs sont
faibles et aveugles !
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 225
VINGT-CINQUIÈME SUJET.
LA SAGESSE.
La vraie sagesse doit consister à se pénétrer par
faitement de toutes les vues du Créateur; mais le
Créateur n'a pu se proposer que la félicité des
hommes : leur sagesse consiste donc à travailler sans
relâche à leur véritable félicité.
Le genre humain a toujours reconnu cette
vérité; et les hommes ont recherché le bonheur
dans tous les temps. Mais on n'est pas aussi
bien d'accord quand il s'agit de décider en quoi
consiste et où se trouve la vraie félicité vers la
quelle un penchant si irrésistible nous entraîne.
Les sages des siècles antérieurs ont pris sou
vent des routes diamétralement opposées dans
ces recherches importantes. Ainsi , les Épicu
riens croyaient trouver le véritable bonheur de
l'homme dans les diverses jouissances qu'offre la
vie de ce monde ; les Stoïciens , dans Je mépris
de tous les plaisirs ; les Platoniciens , dans une
vertu qui paraît aujourd'hui chimérique , parce
qu'elle n'avait aucune base solide , et n'était fon
dée uniquement que sur l'orgueil et la vanité. Les
uns plaçaient le bonheur suprême dans l'étude de
la nature , des arts et des sciences ; les autres ,
-T20 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
dans la possessiou des richesses, des honneurs,
ries dignités et de la gloire. Alexandre , pour être
heureux, veut posséder l'univers; Diogène brise
le vase qui lui reste.
Je ne m'arrêterai donc point à l'examen de la
sagesse des anciens. Depuis tant de siècles on a pu
évidemment reconnaître le vide et le néant de tout
ce qui n'est que terrestre et périssahle ; et de toutes
les sectes anciennes il ne nous reste effectivement
que leurs noms.
D'un autre côté , je crois qu'en général les
prétendus sages de nos jours seraient fort em
barrassés de nous donner une idée claire et pré
cise de leurs divers systèmes de sagesse. Les uns
alFectent de mépriser et de calomnier pendant
toute leur vie la morale chrétienne , et de la
tourner en dérision dans toutes les rencontres.
Les autres se déclarent déistes ouvertement ,
quoiqu'à peine ils osent encore prononcer pu
bliquement le nom de Dieu , ou avouer qu'ils
mettent en lui leur espoir : sagesse informe et
confuse, qui ne présente qu'un amas de doutes,
d'incertitudes ; chaos affreux où régnent encore
les ténèbres et l'horreur ! Une haine aveugle
contre Jésus-Christ et sa religion caractérise gé
néralement les sages encore en enfance du dix-
neuvième siècle ; et ils seraient capables de nier
toutes les vérités fondamentales de la morale, jus
qu'aux peines et aux récompenses futures, et enfin
SITR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 227
jusqu'à l'immortalité, cette unique base de la vertu ,
par la seule raison que l'Evangile les annonce.
La plupart même d'entre eux croient montrer
un esprit supérieur et s'assurer une gloire solide,,
en anéantissant le sens moral , la conscience et
les remords. Dans cette dernière classe , il faut
ranger tous les athées , tous les matérialistes , tous
les indiflérens; et, en général, tous ceux qui doutent
de la vertu et qui désespèrent de la vérité et du
bonheur.
Mais quelle sagesse, ô mon Dieu ! ou plutôt quelle
folie ! Un mot renverse cette prudence humaine.
Tous ces hommes dont nous venons de parler
sont-ils plus heureux que le vrai chrétien? Le sont-ils
même autant? Non, car on les entend se plaindre
sans cesse. Donc ils n'ont pas trouvé la vraie sa
gesse.
De tous les sages que je connaisse , le chrétien
seul me semble pouvoir être heureux. Il est le seul
dont les idées , les principes , la croyance , le sys
tème, en un mot, soient entièrement fixés et arrêtés.
Le chrétien éclairé n'agit point en aveugle ni à
l'aventure, comme le font encore tant de personnes
qui se targuent d'une sagesse prétendue , mais qui ,
semblables aux pauvres d'ici-bas , vivent en morale
aujour le jour, adoptant des principes duTérens,
selon les différentes circonstances où elles se trou
vent. Non , l'Evangile à la main , le chrétien rend
raison de tout, il explique tout, il a des notions
■ 5.
2 28 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
claires et positives sur ce qu'il craint et ce qu'il
espère. Il est exactement instruit de ce qu'il doit
pratiquer et de ce qu'il lui importe d'éviter ; de
ce qu'il doit faire pour établir dans son cœur le
contentement , la paix et l'espérance , le seul
bien réel de la vie de ce monde, et pour par
venir sûrement au bonbeur éternel de la vie à
venir. Jamais l'idée épouvantable de l'anéantisse
ment ne vient effraj'er son âme ; le doute même
et l'inquiétude sont des sentimens étrangers à son
cœur. Rien ne le contriste , rien ne l'abat. Il s'a
bandonne , avec une confiance filiale , à la bonté ,
à la puissance et à l'amour de son Créateur et de
son Sauveur , et par-là il trouve des consolations
dans le sein même des souffrances ; tandis que tous
ses plaisirs se trouvent doublés par la secrète ap
probation du Ciel et celle de sa propre conscience.
Il possède donc la sagesse véritable , et Jésus seul
l'a enseignée au monde dans toute sa pureté.
La sagesse chrétienne paraîtra méprisable aux
yeux des hommes sans système*, qui ne jugent
des choses que d'après les fausses idées que leurs
passions et leurs préjugés leur suggèrent ; il leur
semblera que les mesures prises par le chrétien
pour arriver au vrai bonheur lui sont dictées par
l'extravagance et la folie; mais, au fond, personne
n'est plus sage , personne n'est plus grand ni plus
heureux que le disciple éclairé de Jésus-Christ.
En effet, n'est- il pas sage de croire en un Dieu
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 22 (J
créateur, tout-puissant et éternel , et de se confier
entièrement à sa bonté infinie ? N'est-il pas sage de
regarder les peines et les souffrances de cette vie
comme des épreuves de la vertu, ou comme des
punitions paternelles destinées à corriger l'homme
plutôt qu'à le rendre malheureux? N'est-il pas sage
de chercher le vrai bonheur dans une vie à venir,
puisqu'il ne se trouve pas dans celle-ci, et de se con
tenter, sur la terre, de l'espérance que donne la vertu,
et que la religion fait naître ou qu'elle confirme dans
nos cœurs ? N'est-il pas infiniment sage d'acheter,
par des sacrifices passagers, une félicité sans fin, une
récompense éternelle, un poids immense de gloire,
et de s'interdire les jouissances injustes et frivoles
d'un instant , pour s'épargner des regrets et des
remords qui ne finiront plus ? Cette conduite ne
serait-elle pas encore infiniment sage , même dans
la supposition que les peines ou récompenses fu
tures ne seraient qu'une hypothèse , ce que nous
sommes bien éloignés d'accorder au philosophe du
siècle , ne pouvant concevoir en aucune manière
que l'Etre éternel crée, récompense et punisse seu
lement pour un temps limité , parce que ce serait
là une espèce de jeu absolument indigne de lui ?
-—Or, telle est cependant la foi et la conduite du
chrétien.
Mais le christianisme ne rend pas moins grand
qu'il ne rend sage. Quoi de plus grand que de se
mépriser soi - même et d'estimer tous les autres ?
-
23o RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
c'est l'humilité du vrai chrétien. Quoi de plus
grand que d'être sévère envers soi-même , et de se
montrer doux , indulgent et affable à l'égard de
tout le monde ? c'est la mortification du chrétien
solide. Quoi de plus grand que d'aimer ses enne
mis , de pardonner les injures sincèrement , de
souffrir les injustices et les outrages sans se plaindre,
d'oublier tout , même jusque sous la hache du
bourreau ? c'est la charité du chrétien éclairé. Il
est bien plus grand , avec de pareils sentimens ,
que ces sages du monde, petits et vains, qui se
croient obligés de venger un léger affront, une
offense souvent imaginaire, par l'effusion du sang
fraternel. Qu'il est grand, le chrétien, et combien
son abjection est plus noble mille fois que tout
l'orgueil de la sagesse du siècle î Aussi n'est -il
pas absolument rare de le voir trouver la gloire ,
même sur la terre. Nous avons vu , et nous
voyons encore tous les jours , de ces hommes de
miséricorde , dont les noms chéris et vénérés de
meureront gravés dans tous les cœurs jusqu'aux gé
nérations les plus reculées , tandis que la mémoire
des plus grands conquérans se perdra, et que leurs
noms , et les marbres où ils sont inscrits , auront
disparu.
Qu'il est heureux , enfin , ce chrétien possesseur
d'un Dieu si bon, si puissant, et qui lui est si inti
mement attaché! un Dieu pour père, pour créateur!
un Dieu pour consolateur et pour ami ! un Dieu
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 23 I
pour modèle de vie , et pour rémunérateur de
toutes les vertus ! Qu'il est heureux dans sa foi,
ce chrétien qui trouve dans l'Evangile un centre
de vérité inébranlable, auquel il peut s'identifier
irrévocablement et avec tant de confiance ! Son
esprit se fixe et se calme ; son cœur se repose
doucement dans le sein de l'espérance chrétienne.
Dès qu'il connaît la vraie source de ses maux ,
il en connaît le remède. Il goûte la paix la plus
solide sur la terre , et se prépare efficacement à la
félicité éternelle ! — Sagesse de mon Dieu ! heu
reuse, heureuse l'âme qui sait vous reconnaître !
Et comment la sagesse chrétienne ne serait-elle
point la véritable ? Seule elle peut convenir à tous
les hommes et à tous les individus. Dans le chris
tianisme , le prince comme le sujet , le savant
comme l'ignorant , le magistrat et l'ouvrier ,
l'homme heureux et l'infortuné , peuvent tous tra
vailler également à leur vrai bonheur sans sortir
de leur condition ! Tandis que tous les autres
systèmes connus ne peuvent jamais convenir qu'à
quelque classe particulière de la société , que le
Créateur, souverainement impartial, auraitfavo
risée plus que les autres.
O mon Dieu ! éclairez-moi de plus en plus sur
la vraie sagesse ! éclairez tous les hommes sur leurs
vrais intérêts ! Quelles actions de grâces vous ren-
drai-je, Seigneur, pour le bienfait inestimable de
la sagesse chrétienne dont vous m'avez rendu
232 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
participant ? La lumière éclatante de l'Evangile
m'environne, tandis que les soi-disant sages du siècle
cherchent encore , comme en tâtonnant dans les
ténèbres , le chemin qui conduit l'homme à la fé
licité pour laquelle il a été créé. Que je serais
coupable, que je serais misérable et à plaindre si,
avec tant de lumières et de moyens, je ne m'a
vançais pas rapidement dans la perfection , et si je
venais à manquer le but de mon être , le bonheur
éternel ! — Ces considérations doivent donc en
flammer de nouveau mon zèle pour la perfection,
et me donner une nouvelle force pour marcher
d'un pas ferme et inébranlable dans la carrière de
toutes les vertus chrétiennes.
SUK DIVERS SUJETS DE RELIGION. 233
***W\W\W\VWvWWWVlW\WWWW\WWWWWWWWWWWWMMUMAIMWWW
VINGT-SIXIÈME SUJET.
LES TENTATIONS ET LES VICTOIRES.
Parmi les grands avantages qu'offre le christia
nisme , il faut remarquer celui de la force et du
courage qu'il nous donne afin de pouvoir surmonter
tous les obstacles qui s'opposent à notre avance
ment dans la perfection. Pourvu que le chrétien
s'arme de bonne heure des sages conseils , des sou
venirs encourageans et des consolantes promesses
que Jésus lui a laissés pour l'heure de la tentation ,
il pourra rencontrer, sans s'étonner, tous les dan
gers nombreux auxquels il peut être exposé, même
avec la certitude d'en triompher.
Si je considère attentivement ma position ici-
bas , je ne puis disconvenir que j'ai à combattre
des tentations qui , autant par leur nombre que
par leur attrait puissant sur mes sens , peuvent
devenir très-funestes à ma vertu. Mais si, en même
temps , j'examine mûrement la nature de la reli
gion que Jésus a établie , et les sages dispositions
qu'il a faites , si bien calculées sur les besoins de
l'homme , je ne puis disconvenir que je ne sois
armé, d'un autre côté, de toute la force nécessaire
pour ne point succomber et pour sortir victorieux
de toutes les attaques.
234 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Ce corps périssable et fragile, cette enveloppe
terrestre d'un esprit immortel , est sans contredit
une source féconde de tentations qui inquiètent
nécessairement l'ami de la vertu. Les maladies , les
souffrances qui le minent , les accidens fâcheux
auxquels il est exposé , en font souvent un fardeau
accablant pour l'âme , et empêchent celle-ci de
s'élancer librement au delà des choses créées , et
jusqu'au pied du trône de l'Eternel. Les passions
les plus injustes , les désirs les plus vils , peuvent
m'entraîner si je ne me tiens sur mes gardes. Que
dis-je ? cet esprit lui-même, que je regarde comme
un être d'un ordre infiniment plus parfait , m'ex
pose à mille dangers et me jette dans mille con
tradictions , surtout quand je veux outre-passer les
bornes qui lui sont prescrites. Ma raison n'est
point infaillible ; je prends souvent l'erreur pour la-
vérité ; mon imagination est toujours prête à me
séduire et a me tromper , et le cercle des connais
sances qui doivent m'élever à la certitude est extrê
mement étroit. Souvent , lorsque je devrais croire,
je doute encore ; lorsque je devrais être fixé , je
balance ; et je réfléchis quand je devrais être en
pleine action.
Mais ne dépend-il pas de moi d'endurcir ce corps
si faible , par une vie active et sobre , et de me le
soumettre par ma vigilance ? La raison et l'expé
rience ne peuvent-elles pas m'aider à prévoir et à
écarter les accidens funestes ? Et pourquoi donc la
S15R DIVERS SUJETS DE RELIGION. 235
liberté et l'intelligence ont-elles été accordées à
l'homme , sinon pour veiller sur tout son être et
le perfectionner sans cesse ? Ne puis-je pas , par
des exercices sagement réglés , par des occupa
tions utiles , et surtout par la méditation sur les
devoirs de l'homme, me rendre, jusqu'à un cer
tain point, le maître de mes passions, de mes
désirs , en diminuant peu à peu l'action puissante
de ce corps terrestre sur l'esprit qui doit lui ser
vir de guide ? Cet esprit lui - même , débarrassé
de ses préjugés et des ténèbres de l'ignorance
premier élément d'une intelligence créée , cet
esprit éclairé par la foi et conduit par l'autorité
de la société universelle formée par Jésus-Christ,
ne parviendra-t-il pas à reconnaître la vérité de
tout ce qui peut avoir une influence salutaire sur
la morale , de tout ce qui peut former l'homme
à la bonté , à la vertu , et lui assurer le vrai bon
heur? Oui, par le secours de la raison, de la
liberté et de la religion , le chrétien peut et doit
régler tout et se régler lui-même, selon l'ordre
éternel.
Les tentations que me suscite mon propre cœur
sont , il est vrai , plus nombreuses encore, et ont
des suites encore plus tristes pour ma vertu. Ce
cœur est si faible et si nonchalant dans le bien , si
prompt dans le mal, si inconstant dans ses résolu
tions, si facilement découragé au moindre revers,
enfin , si présomptueux et si vain dans les heureux
336 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
succès ! Quelle peine n'en coûte-t:il pas a l'ami sii>*
cère de la vertu pour surmonter tant de désirs in
justes, tant de penchans pervers, tant de passions
furieuses ; pour préserver son cœur des charmes
trompeurs du vice et des plaisirs grossiers ; pour
l'enflammer du zèle de tout bien et de toute vé
rité,- et parvenir ainsi à la perfection! Je ne
puis dissimuler qu'il se trouve encore ici une
source intarissable des plus dangereuses tentations.
Mais le vrai chrétien ne trouve-t-il pas encore une
fois dans sa religion la force d'en triompher heu
reusement? L'Evangile lui apprend à rendre fort
et constant dans le bien ce cœur si facile à la sé
duction. Il lui apprend à veiller sans cesse sur ses
moindres mouvemens, et à ne le jamais perdre de
vue. Il lui apprend, en un mot , à s'étudier lui-
même^ à suivre de près son intérieur, et à se tenir
continuellement sur ses gardes. Et une heureuse
expérience a prouvé que ceux qui , dès leur jeu
nesse, ont soin de se former ainsi à la vertu, d'après
les règles de la sagesse chrétienne, parviennent à
un état de perfection véritablement digne de Dieu
et d'un être créé à son image !
Sans doute qu'au commencement il en coûte à
la nature de l'homme pour mettre toutes les puis
sances du cœur au niveau de la raison éternelle. On
succombe quelquefois par surprise ou par faiblesse;
mais , dans ces circonstances , la même religion
nous dit que Dieu est un Père infiniment miséri-.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2$']
cordieux et indulgent, qui sait pardonuer ! et qu'en
conséquence , bien loin de se décourager , l'homme
qui a succombé doit , au contraire , faire servir
l'expérience même de sa faiblesse à son avance
ment dans la perfection.
Si l'espoir de parvenir un jour , avec le secours
de l'Homme-Dieu , à guérir mon cœur de toutes
ses faiblesses , à le remplir de l'amour de la
vertu et de la vérité , et à l'armer de la force né
cessaire pour l'exécution de tout bien , n'est pas
capable de me porter à surmonter généreusement
mes tentations diverses, alors je ne connais plus
de ressort assez puissant pour me faire agir.
Cependant , outre ces ennemis de la perfection
que je porte au dedans de moi-même, je rencontre
encore dans le monde mille piéges extérieurs où
mon innocence peut se prendre à tout moment.
Les écueils que le monde présente , surtout dans
ces temps d'irréligion et d'impiété , sont aussi
nombreux qu'inévitables : ici ce sont les richesses ,
les honneurs , l'ambition et l'avarice; là les plaisirs
et les mauvais exemples , qui se réunissent , en
quelque sorte , pour m'attaquer , pour corrompre
ma fidélité et pour ternir l'éclat de mes vertus.
Mais le vrai chrétien trouve encore moyen de se
faciliter une glorieuse victoire sur ce monde cor
rupteur. Il remplit tous les jours son cœur d'un
amour effectif pour le Seigneur, et d'un zèle ardent
auquel rien ne semble impossible. L'approbation
238 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
de cet Être chéri , de cet Etre créateur et rému
nérateur , toujours présent à sa pensée, forme
en lui un puissant contre -poids pour arrêter
les passions injustes que réveille un monde aveu
gle et léger ; et jamais ses exemples pervers ,
ses sollicitations ni ses artifices ne pourront l'é
branler. Le repos d'une conscience sans tache , les
promesses futures , l'espérance d'une riche com
pensation dans l'éternité, les exemples de Jésus-
Christ et ses leçons divines , sont des considéra
tions qui rendront toujours le chrétien fidèle
capable de tous les genres de sacrifices : il passera
tcute sa vie dans la gêne , la contrainte , l'oppo
sition avec les maximes et les coutumes perverses
de son siècle , et même dans les persécutions ,
plutôt que de consentir à ce qui serait criminel
et indigne d'un disciple de l'Evangile!
Remplissez-moi donc , Seigneur , tous les jours
de ma vie , de votre divin amour ; fortifiez inces
samment dans mon cœur la foi en Jésus, le grand
Instituteur des hommes ; alors je n'aurai jamais à
craindre aucun des ennemis de mon salut , et je
triompherai , à la fin , de la mort elle-même ,
cette dernière épreuve de la vertu , après avoir
triomphé heureusement de tous les autres obstacles
qui me retiennent éloigné de vous et du suprême
bonheur.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGIOX. a3g
VINGT-SEPTIÈME SUJET.
LA MORT.
Malgré mes efforts, le temps passe avec plus de
rapidité encore qu'un rayon de lumière ne s'élance
dans l'espace, et une tombe humide et sombre me
recevra à la fin de ma courte carrière. Ni l'âge ni
la force ne sauvent du trépas ; le plus petit acci
dent, le souffle d'un air un peu trop froid peut
me renverser sur le lit de douleur d'où je ne me
relèverai plus. Oui, à chaque instant, je puis ar
river à cette époque d'une conséquence infinie pour
moi , à ce terme fatal où les chemins de la vie et
de la mort se divisent ; où , d'un côté , brillera
la lumière de l'immortalité , et de l'autre s'épais
siront les ténèbres éternelles. — Encore quelques
momens, et mon dernier jour luira; je verrai pour
la dernière fois le soleil qui éclaire cette terre ;
j'entendrai pour la dernière fois la voix d'un ami ;
pour la dernière fois je serrerai la main d'une per
sonne chérie , d'un père , d'une épouse , d'un en
fant ! O Dieu ! le tombeau s'ouvre , mon front se
couvre d'une sueur glaciale; le froid de la mort saisit
tout mon corps , paralyse tous mes membres ,
engourdit tous mes sens ; mon sang cesse de cir
2^0 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
culer, mes yeux s'éteignent, ma tête se penche, et
la dernière flamme de la vie s'échappe !
Quel état effrayant , ô mon Dieu ! c'est l'état
voisin de l'anéantissement. O Mort ! que tu es li
vide ! ton nom seul me glace d'effroi ! Cependant
tu seras aujourd'hui le sujet de mes médita
tions. Avec tes horribles traits je veux chercher à
me familiariser , afin que , s'il est possible , je
puisse , à la fin de ma carrière, t'attendre de sang-
froid.
Qu'est-ce donc que la mort ?
La mort est ce sommeil paisible qui n'est plus
troublé par aucun songe ; cette léthargie pro
fonde , cette paralysie totale qui ferme pour ja
mais l'œil à la lumière et rend l'oreille sourde à
la voix de l'amitié. Oui , je la connais , la mort ;
je l'ai vue : — elle est pâle et livide », cruelle et
inexorable; ses traits sont hideux. Hélas! je ne
l'ai vue souvent que de trop près ! Elle est venue
souvent abattre inopinément à mes côtés les têtes
les plus chères, et la cruelle a toujours affecté de
rompre les liens les plus étroits qui m'attachaient
à la vie.
A entendre les sages du siècle , la mort est une
chose fort simple et fort naturelle. Puisque c'est peu
à peu que nous prenons notre accroissement, il faut
bien qu'arrivés au plus haut période de force et
de santé , nous déclinions xle même , et que nous
succombions enfin aux accidens de la vie , aux
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. • 2^1
maladies , à la misère , aux chagrins ou à la vieil
lesse. Mais si nous consultons la religion, elle nous
donne de tout autres notions touchant la mort.
Selon la religion , la mort est , pour ainsi dire ,
un accident contre nature, puisqu'il semble ne
point être entré dans le premier plan de la Divi
nité. Les livres saints disent formellement que
Dieu n'a point fait la mort , mais qu'elle est la
suite de l'abus que l'homme a fait de sa liberté.
La religion me paraît ici plus lumineuse que la
raison. Pourquoi , s'il n'y avait point eu de la
faute de l'homme , le Créateur , infiniment bon
et infiniment puissant , eût-il voulu que ses créa
tures , soumises à mille disgrâces sur cette terre ,
ne pussent être soustraites à leurs maux que par
une mort plus terrible encore? Dira- 1- on que
la mort est le passage nécessaire pour arriver à
une vie meilleure? Mais quelle apparence que le
Seigneur ait voulu choisir un passage aussi épou
vantable? — O mon Dieu! pardonnez à un esprit
inquiet et troublé ; je ne veux point scruter vos
jugemens profonds comme l'abîme. Je ne sais
quelle conduite vous eussiez tenue à l'égard de
l'homme , si l'homme n'eût point abusé de sa li
berté ; mais je ne saurais regarder la mort que
comme la suite d'un crime. Tout mon être frémit ,
toutes les puissances de mon âme sont ébranlées
à la seule idée de mort et de destruction. Ici , la
froide raison s'écrie nécessairement : Ah ! mieux
16
•2/\?. RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
eût valu n'avoir jamais existé ! — Etre sensible !
vous avez senti l'existence , vous avez admiré un
point de l'immense création , vous avez connu
Dieu et le bonheur, et vous allez rentrer dans le
néant!!! Le ver de terre lui-même se débat au
moment de quitter la vie.; comment l'homme qui
réfléchit ne reculerait-il pas , plein d'effroi , à l'ap
proche de la mort ? — Malheur donc à celui qui
demeure indifférent aux consolations du christia
nisme ! Par ses riches promesses et ses secours
puissans , la religion chrétienne est seule capable
d'adoucir l'amertume de cet effroyable passage
et de cette séparation désolante pour des êtres
sensibles.
Quand l'athée , quand l'incrédule , quand tous
les hommes pervers, qui font aujourd'hui vanité de
la prétendue force de leur esprit, se trouveront
tout à coup arrivés à ce terme fatal dont les con
séquences sont éternelles et infinies; à ce moment
le plus solennel de la vie , où toutes les illusions
du monde cessent , où il s'agit de s'enfoncer pour
jamais dans une nuit éternelle; alors leur âme,
effrayée à la vue de l'anéantissement, réclamera
avec instance la foi en Dieu et en une vie future.
Peut-être même que l'idée d'un Sauveur, tel que
Jésus ressuscité , leur paraîtrait alors consolante.
Mais une conscience chargée d'injustices et souillée
de crimes, un dernier effort d'orgueil, repoussera
l'idée d'un Dieu donnant une vie éternelle à ses
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
créatures. Il en résultera un conflit intérieur, le dé
chirement de l'âme , et ce désespoir que le pécheur
mourant peut seul éprouver !
Hélas ! la mort a des rigueurs , même pour
l'homme juste , même pour le chrétien. Il faut
qu'il s'arme d'un saint courage pour supporter
dignement cette dernière et rude épreuve de la
vertu. Il faut que sa confiance dans le Seigneur soit
sans bornes, pour que la vue d'une famille chérie,
qui se plaint de l'arrêt du ciel , ne parvienne pas
à l'ébranler !
Cependant la pensée de la mort , quelque lu
gubre et désolante qu'elle soit , a pourtant ceci de
salutaire qu'elle doit nous empêcher de la perdre
de vue. Elle dissipe puissamment les vaines illu
sions du monde ; elle nous fait juger sainement
des objets, et nous apprend à les apprécier tous à
leur juste valeur. Le souvenir de la mort qui range
tous les hommes sous le même niveau , et les fait
rentrer nus dans une poussière commune, quel
frein pour le vice , quelle digue contre les passions
coupables ! O mon Dieu ! où les hommes égarés
n'eussent-ils pas porté leurs atrocités , si cette mort
cruelle et juste ne venait souvent les arrêter au
milieu d'une carrière abominable!!! Que de ré
flexions de tous genres se présentent en ce moment
à mon esprit !
Après avoir médité sur les différens devoirs de
l'homme envers Dieu , envers lui-même et envers
244 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
la société , ainsi que sur les terreurs de la mort et
l'horreur qu'elle inspire nécessairement à la Nature,
que penser maintenant de ces frénétiques , de ces
monstres de lâcheté qui commettent un sacrilége
attentat sur leur propre existence, désespèrent de
la charité de leurs semblables et de la bonté du
Créateur, et outragent à la fois Dieu , la Nature et
l'humanité? Qu'en penser? Hélas! après ce duel
aussi horrible quefroid et prémédité , sans cesse
et toujours condamné par la raison éclairée , la
saine philosophie , la religion et la patrie , quoi
qu'un usage barbare et l'opinion des têtes faibles
l'approuvent et le préconisent ; après ce duel
abominable , dis-je , le suicide paraît ce qu'il y a
de plus atroce dans les crimes dont les malheureux
mortels peuvent se souiller ! — O ciel ! j'y vois la
réunion de tous les crimes, la violation manifeste
de toutes les lois divines et humaines , un mépris
formel de tous les devoirs de l'homme et de la
sainte voix de la Nature, une lâcheté , une témé
rité sans nom !
O mon Dieu ! réveillez donc dans le cœur de
créatures aussi nobles que le sont les hommes, des
sentimens plus grands et plus dignes de vous et
de leurs destinées immortelles !
Pour moi, Seigneur, j'ai la ferme confiance que,
soutenu par votre religion sainte et par tous les
bons principes , je pourrai supporter toutes les
épreuves de cette vie; que ma vertu sortira tou
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. %/\5
jours victorieuse de toutes les tentations ; que je
remplirai ainsi ma vocation sublime, et ne* quit
terai cette vallée de misère et de larmes que pour
recevoir la couronne promise à la persévérance.
J'espère même supporter avec courage la der
nière et terrible catastrophe de la mort à laquelle
je forme la résolution de me préparer chaque
jour de ma vie. Tout me la rappelle sur cette terre
de destruction , où tout se précipite sans relâche
vers la dissolution. Chaque pas m'y porte ; la
naissance est le premier pas vers la tombe , et l'on
meurt en quelque sorte à tous les instans de la
vie.—Ah ! si, jusqu'à la fin, j'ai pratiqué la justice ;
si ma conscience me rend, dans mes derniers mo-
mens , le consolant témoignage d'avoir bien rem
pli ma tâche ; surtout si , lors de mes dernières
agonies, ce Jésus, cet ami tendre, le seul qui de
meure fidèle jusqu'au delà du tombeau , m'ac
compagne , ah ! sans doute qu'alors je triompherai
de la mort , après avoir surmonté tous les autres
obstacles , et je ressusciterai glorieux en poussant
ce cri de l'immortalité : « O Mort! où est mainte
nant ta victoire ? où sont tes traits? qu'est devenue
ta proie ? — Tes traits sont émoussés , et tes ter
reurs ont été changées en rayons de gloire ! —
Béni soit celui qui m'a donné la victoire sur mes
passions, sur le vice , le malheur et la mort, par
Jésus-Christ ! Que ses miséricordes , sa bonté et sa
puissance soient exaltées à jamais ! »
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
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VINGT-HUITIÈME SUJET.
LE JUGEMENT.
Une vérité aussi importante qu'incontestable ,
c'est qu'après notre mort nous serons tous jugés
par le Seigneur. Rassemblés en sa présence, nous
rendrons tous compte du bien et du mal que nous
aurons opérés pendant notre séjour sur la terre.
Dieu doit à sa sainteté infinie de prouver authen-
tiquement , et à la face de toutes les générations ,
qu'il n'a point coopéré à l'iniquité , comme des
insensés ont osé Fen accuser ; qu'il n'a point été
Je complice du méchant quand celui-ci a prospéré
dans ses injustices , et qu'enfin tous ses jugemens
sont justes à l'égard des élus comme à l'égard des
réprouvés pour l'éternité. Pour nier le jugement ,
il faudrait nier aussi les peines et les récompenses
de la vie à venir , qui supposent un jugement
préalable; mais où est l'esprit assez pervers pour
oser soutenir que la vertu périt comme le vice, et
que le sort de l'homme juste et bon ne diffère de
celui de l'homme criminel que par les malheurs
et les souffrances qui sont d'ordinaire le partage
du premier sur la terre ?
Oui , il faut que tôt ou tard les crimes soient
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2^
punis, les injustices vengées, les torts et les scan
dales réparés, comme il faut que toutes les nobles
actions de la vertu soient enfin récompensées ,
et les généreux sacrifices reconnus publiquement,
avec appareil , et sous les jeux du Juge suprême !
autrement, Dieu ne serait pas Dieu I Et où l'in
nocence opprimée et écrasée sous les pieds du
tyran irait-elle donc , après une mort injuste ,
porter ses plaintes, s'il n'existait pas un tribunal
éternel ?
J'ai vu de grands désordres sur la terre , dit le
prophète ; j'ai vu le vice en honneur et la vertu
opprimée , et j'ai dit : Plus tard, le Seigneur ré
tablira l'ordre ! Cette conclusion est parfaitement
juste , et jamais un vrai philosophe ne prétendra
à la nier. Ce n'est donc point une illusion que ce
jugement dernier annoncé par l'Évangile ! Non ,
le jour du Seigneur arrivera nécessairement. Il
arrivera ce jour grand et formidable de la ma
nifestation des œuvres ! Quel spectacle imposant !
Jésus , le plus vertueux d'entre les enfans des
hommes , en qui réside corporellement toute la
plénitude de la Divinité • Jésus , le juge naturel
des vivans et des morts , paraîtra tout à coup
entouré de gloire et de majesté, accompagné de
toutes les vertus des cieux ! et la mémoire per
sonnelle de chaque individu sera comme un livre
où toute sa vie morale est écrite ! Tous les crimes
des mortels , depuis Adam , désobéissant à Dieu ,
BÉFLEXIONS ET SENTIMENS
jusqu'aux égaremens du dernier rejeton de sa race,
seront rappelés alors ! L'hypocrisie sera sans
masque, et la vertu sans fard ! Toutes les œuvres ^
de ténèbres seront produites au grand jour ; toutes
les actions basses et avilissantes , toutes les noir
ceurs , toutes les perfidies , seront dévoilées aux
yeux du Seigneur, en présence des esprits par
faits, immortels habitaus des cieux, et de tous les
hommes qui auront vécu sur la terre ! D'un autre
côté , la vertu sera exaltée , et toutes les actions
nobles et généreuses, cachées sous le voile de l'hu
milité , seront produites avec éclat pour l'honneur
de l'humanité ; chacun rect-ra enfin selon ses
œuvres. Alors, tous les êtres intelligens, depuis
l'ange le plus parfait jusqu'au plus obscur des mor
tels , s'écrieront d'un commun accord : « Oui, le
Créateur est juste autant qu'il est bon et miséri
cordieux ! Tous ses j ugemens sont remplis d'équité I
Gloire , louanges , actions de grâces , adoration à
l'Etre des êtres , et à Jésus , le fils de sa droite ,
pendant les siècles des siècles ! » — Les réprouvés
eux-mêmes se retireront sans murmurer! O
Dieu ! combien grand , combien imposant , com
bien terrible le jour où vous apparaîtrez pour
juger les hommes I Chaque individu des innom
brables familles du genre humain rendra compte
jusqu'à la dernière obole; le jugement de l'homme
pervers sera un jugement de rigueur , et les jus
tices elles-mêmes seront jugées !!!
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
Homme infortuné ! tu fus sur la terre le fléau
de tes semblables , injuste , inhumain , dur ,
atroce, le persécuteur de l'innocent, l'oppresseur
du faible , un meurtrier, un usurier, un monstre !
que deviendras-tu dans le moment épouvantable
où tu seras amené en la présence du Seigneur?
Hélas ! tu ne pourras pas même supporter les
regards des justes !!! Et toi, dont la gloire ici-
bas consiste dans le libertinage , l'impiété , l'in
crédulité , dans le matérialisme et l'athéisme ,
quels seront tes sentimens quand tu te verras un
être immortel en relation avec le Dieu éternel ?
Alors il ne te restera qu'à t'écrier avec fureur et
désespoir : Je me suis donc trompé !!! et c'est
d'une éternité qu'il s'agira !
Si les jugemens des hommes eux-mêmes, les
jugemens des faibles et injustes mortels, sont déjà
tellement rigoureux et formidables , que Jes cri
minels pâlissent devant les tribunaux , jusqu'à
s'évanouir quand la loi prononce leur sentence
de mort ! quelle crainte , quelle frayeur , quel
désespoir ne saisira donc pas le malfaiteur qui se
verra en même temps accusé , convaincu et con
damné par le Juge suprême , et par sa propre
CONSCIENCE !
Dieu de bonté ! je ne puis m'arrêter plus long
temps à ces pensées lugubres , à ces jugemens
funestes que vous prononcerez vous-même avec
une douleur profonde ; actuellement un spectacle
25o RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
consolant se présente à mes yeux : je vois cette
légion brillante des bienheureux , des bénis du
Père céleste , invités à partager la gloire immor
telle. Cette vue est capable de rassurer mon âme
effrayée , de ranimer ma foi , mon courage et mon
espoir.
Le corps des hommes assez généreux pour user
d'une manière noble de leur liberté , qui non-
seulement auront évité le mal , mais se seront
exercés dans la pratique de tout bien, sera re
vêtu de lumière , comme celui de Jésus sur le
mont Thabor. Plus de corps terrestre, mais un
corps céleste, glorieux et incorruptible comme
celui du Seigneur après sa résurrection ! La tête
de ces hommes nobles et vraiment grands, sortis
vainqueurs de toutes les faiblesses et de toutes
les passions humaines, sera ceinte du laurier de
l'immortalité ; ils continueront de marcher de
vertu en vertu , de gloire en gloire , de bonheur
en bonheur , pendant toute l'éternité ! O mon
Créateur ! quel saint enthousiasme s'empare de
moi ! De quel saint transport mon âme est ravie ,
quand je pense à la destinée glorieuse de l'homme
juste ! à cette félicité préparée par votre toute-
puissance à vos élus ! Quel heureux changement ,
par la suite , dans tout mon être , si je suis fidèle I
Que l'incrédule préfère l'anéantissement , qu'il se
compare tant qu'il voudra à la brute, je n'envie
point un tel sort ; son espoir n'excite point mon
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 25 1
envie : je le plains , au contraire , car mon es
poir est plus riche , il est divin , il est éternel !
Seigneur , vous voyez que mon âme a osé at
teindre jusqu'à vous , qu'un rayon de votre gloire
l'a pénétrée : ah ! n'anéantissez jamais un être
sensible qui commence à se faire une idée du
vrai bonheur! anéantissez plutôt ces âmes stu-
pides qui affectent de vous méconnaître , parce
qu'elles désespèrent de votre bonté et de votre
puissance. Je renouvelle ici solennellement la pro
testation de ne me rendre jamais indigne du bien
fait de l'existence ! Jésus m'a enseigné le chemin
de la perfection et de la vraie félicité qui réside
en vous; par lui je veux participer à vos bontés;
par lui je continuerai à triompher de tous les
obstacles que#la vie de ce monde m'oppose, et
enfin j'en sortirai vainqueur , comme un athlète
sort de l'arène pour être couronné. Pour y par
venir , il faut , je le sais , avoir généreusement
combattu , il faut s'être montré partout plus grand
que le malheur. Dans cette intention , et dès ce
moment, je m'attacherai à porter des fruits de
charité , d'humilité , d'abnégation , de douceur ,
d'affabilité , de condescendance , de justice , de
vérité , de patience , de résignation , de zèle et
d'amour ! Oui , dès ce moment je ferai servir
toutes les circonstances de ma vie , la prospérité
iinssi-bien que l'adversité, à me rapprocher tous
les jours davantage du degré de perfection que
252 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
vous exigez de ceux qui doivent être vos éternels
amis.
Quel puissant encouragement pour toutes les
vertus , quelle barrière épouvantable opposée au
crime , que cette attente de peines et de récom
penses , en présence des esprits immortels , au
grand jour de la manifestation des œuvres ! Com
ment une main impie et sacrilége a- t-elle entre
pris d'arracher de tous les cœurs cette foi salutaire,
le garant le plus assuré de la paix , du bonheur
et de l'espoir de la terre ? Comment une sagesse
insensée a-t-elle osé mettre en problème l'immor
talité de l'homme , et couper ainsi dans sa racine
ses plus chères, ses uniques espérances? Comment
a-t-on pu confondre le bien et le mal , le vice et
la vertu , la vérité et le mensonge , l'homme juste
et le criminel ? Quelle audace dans la profanation
de l'image de la Divinité dans ces créatures nobles
qui participent à sa nature , à sa science et à sa
liberté éternelles ?
Puissent nos malheurs au moins nous instruire !
puisse la génération nouvelle recueillir un exemple
salutaire de celle qui passe , et n'a fait , au milieu
de ses égaremens , que languir et que gémir !
O Dieu éternel et immuable ! je tremble quand
je pense que le sort des hommes mortels dépend
autant d'eux - mêmes que de vous ! Mais enfin ,
ils sont libres , ils sont intelligens ! ils ont Jésus
pour guide efepour modèle! Votre toute-puissance
SCR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 253
n'eût pu faire plus pour le bonheur de vos créa
tures. Aucun homme , aucune nation , aucun
monde , ne peut vous rendre responsable de ses
malheurs.
254 . RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
VINGT-NEUVIÈME SUJET.
LE BONHEUR ET LE MALHEUR ÉTERNELS.
C'est ici , ô Dieu , Dieu créateur! que ma raison
confondue et consternée, autant que faible et obs
cure , doit se taire et adorer en silence ! Le mal
heur éternel d'une des créatures sorties de vos mains
toutes-puissantes , c'est , à mes yeux , le plus grand
et le plus profond des mystères de votre religion
sainte! Cependant la foi chrétienne m'apprend
cette vérité désolante d'une éternelle réprobation ,
comme elle m'enseigne les vérités les plus conso
lantes pour l'homme. Le même Évangile, la même
parole divine annoncent le salut et le malheur
éternels. Et le philosophe , idole de son siècle, n'a
osé nier absolument les remords et les peines sans
fin du méchant : il s'est contenté d'avouer son
ignorance à cet égard , et d'exprimer un doute ,
non moins effrayant, je l'ose dire, que la foi du
chrétien ! — Dois-je donc m'étonner , Seigneur ,
de vos grandes mesures pour le salut de tout le
genre humain?
Je ne séparerai point ces deux grands sujets ,
du bonheur et du malheur éternels , pour ne point
désespérer de la bonté infinie du Créateur , en
m'occupant exclusivement de sa justice.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. ^55
En considérant attentivement ces grandes véri
tés , ces vérités dignes d'une éternelle méditation ,
je ne puis m'empêcher de me dire en moi-même :
« Non , on ne traite point aussi légèrement les
» choses de Dieu ; on ne se moque pas aussi im-
» punément de l'Etre éternel , que les impies et
» les libertins du siècle croient pouvoir le faire !
» Le nom seul du souverain Modérateur des cieux
» est sacré et adorable ! Dieu fait tout en Dieu !
» Il s'est montré Dieu dans sa création , il s'est
» montré Dieu dans son amour : puis-je m'étonner
» qu'il se montre aussi Dieu dans ses châtimens et
» ses récompenses ? — O mon Créateur ! vous êtes
» grand ! vous saurez garder votre rang pendant
» toute l'éternité, et vous ne céderez jamais votre
» gloire k un autre ! »
Qu'elle est étonnante cette manière sublime,
autant que vraie, dont Je législateur d'Israël parle
de ces grandes vérités qui justifient la sagesse
éternelle aux yeux de la raison ! Voici comment
Moïse fait parler le Créateur lui-même, à l'égard
du bonheur et du malheur éternels : « Mortels , je
» prends aujourd'hui à témoins le ciel et la terre
» que j'ai mis devant vos yeux la vie et la mort, la
» bénédiction et la malédiction : choisissez donc, et
» choisissez la vie , afin que vous viviez éterneïle-
» ment , vous et vos desGendans 1 S'il vous paraît
» trop dur de servir le Seigneur votre Dieu, voyez
» ce que vous avez à faire , et à quoi vous voulez
256 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
» vous résoudre. Je vous ai créés intelligens et
» libres ! Voyez donc à qui vous voulez vous at-
» tacher. » •
D'après cet oracle , nous pouvons dire , avec vé
rité , que Dieu ne sauve ni ne damne les hommes
selon une volonté arbitraire de sa part ; mais que
les hommes eux-mêmes se saisissent des récom
penses éternelles, ou se précipitent librement dans
l'éternel abîme. Dieu n'a fait autre chose qu'atta
cher le remords et l'infortune à la poursuite du
crime, et semer le bonheur sur les pas de la vertu.
Qui donc oserait dire qu'il n a point agi selon les
règles de la sagesse éternelle ?
Ayant une fois résolu de créer des êtres libres et
intelligens comme il l'est lui-même, le Créateur a
été forcé d'admettre aussi toutes les conséquences
que pouvait entraîner le mauvais usage de ce don si
magnifique de la liberté qui est une participation
de la nature divine. Et le misérable lui-même , qui
se perd éternellement, ne pourra demander sans
blasphème pourquoi le Seigneur l'a créé intelli
gent et libre ! car ces qualités sont les présens les
plus riches que le Tout-Puissant peut accorder à
une créature.
L'âme sensible de quelques écrivains eût désiré
qu'après cette vie il y en eût une autre dans la
quelle on pût encore mériter et démériter , afin
d'y pouvoir réparer les fautes commises dans celle-
ci. Cette charité ingénieuse est sans doute bien
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2^
respectable ; mais malheureusement elle ne tranche
point la difficulté , elle ne fait qu'en reculer la so
lution. Ceux qui, dans cette seconde vie, au lieu
de réparer leurs fautes, en commettraient de nou
velles , finiraient toujours par prendre irrévoca
blement la route de l'éternel malheur devant lequel
tremble la raison des faibles humains.
Pour moi , ô mon Dieu ! quoique terrifié à la
pensée de l'éternelle perdition , j'adore cependant
votre justice divine , et je bénis votre bonté et
votre miséricorde infinie dans la grande mesure
de la rédemption. Et quel philosophe serait assez
aveugle pour ne point envisager avec un saint res
pect les souffrances , les humiliations , les maximes
et les exemples de Jésus-Christ , de cet Homme-
Dieu , de cette victime sanglante de la perversité
humaine, offerte si douloureusement en sacrifice
de propitiation , malgré l'effroi dont ces vérités
frappent une faible raison ? Oui , dès ce moment
je dois m'écrier , comme feront un jour tous les
esprits créés , même les réprouvés pour l'éternité :
« Le Créateur est juste; sa sagesse est sans bornes ;
sa miséricorde est infinie, et sa bonté sera toujours
la même ! Tout ce qu'il a fait est bien fait , et tout
ce qu'il a ordonné est sagement ordonné. Gloire,
honneur et louanges au Seigneur! »
Je me garderai bien de vouloir scruter aujour
d'hui les secrets de la justice éternelle, relatifs à
ceux qui auront abusé de leur liberté pour se
'7-
a58 RÉFLEXIONS ET SliXTIMENS
perdre. Tout ce que je sais , c'est qu'éloignés du
Créateur et des esprits bienheureux, ces infortunés
ne voudront jamais plus entendre parler de lu
mière , de vérité , de vertu , de gloire , ni de bon
heur pendant l'éternité!!! Homme sensible, faites-
vous une idée , si vous le pouvez , d'un malheur
auquel l'anéantissement serait mille fois préfé
rable!!!
Cependant, gardez -vous bien d'interroger le
Très-Haut sur l'adoption d'un système qui expose
ses créatures à encourir l'épouvantable châtiment
de regrets inutiles et éternels ! Car , n'y eût - il
même qu'un seul juste qui fît servir sa liberté à
sa perfection et à son suprême bonheur, Dieu
serait encore en droit de créer notre univers ,-
puisqu'un seul juste, qui se sauve, vaut infiniment
plus que tous les lâches qui se damnent.
La condamnation est une suite nécessaire du
crime. Avez -vous commis un attentat horrible,
un affreux parricide : eh bien ! cette action sera
éternellement présente à votre mémoire, et le re
mords vous tourmentera éternellement! Il ne dé
pend plus de Dieu que le crime n'ait point été
commis : vous n'avez pas le droit, non plus, de lui
demander qu'il vous prive de votre mémoire , de
vos remords , ni de votre existence. Et , en sup
posant même que le Ciel puisse vous pardonner,
EST -IL BIEN DANS LA NATURE DES CHOSES QUE VOUS
PUISSIEZ VOUS PARDONNER VOUS-MÊME ? .
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 25g
Au surplus, si l'idée d'un éternel malheur effraie,
le ciel , la félicité éternelle tont le contre-poids
consolant de cette vérité terrible ! Dieu récom
pense comme il punit ! Détournons donc nos re
gards stupéfiés à l'aspect de cette justice infinie
du Seigneur , et contemplons sa bonté et sa ten
dresse, auxquelles il semble attacher lui-même le
plus de prix. O Dieu ! vos merveilles à l'égard de
l'homme vertueux sont pareillement incompré
hensibles : l'œil n'a point vu , l'oreille n'a point
entendu , et le cœur de l'homme ne saurait com
prendre maintenant ce que vous avez préparé pour
vos élus. Tout ce que nous savons , c'est que vous
êtes tout-puissant, et que vous épuiserez , en quel
que sorte , vos trésors éternels pour récompenser
dignement la vertu !
En cherchant quelquefois à me faire une idée
du vrai bonheur , je me représente un état de paix
et de tranquillité dans lequel on ne connaît plus
la douleur , les peines , les soupirs et les larmes.
Ame faible ! ce ne sont encore là que des absences
de maux , et non la félicité réelle que le Seigneur
a mise en réserve dans les trésors de son infinie
puissance pour le bonheur d'une créature sensible!
Quand je considère tout ce que nous avons à
souffrir ici-bas, cette misère qui nous touche , cette
pauvreté qui tend la main ; lorsque j'entends parler
de ces guerres abominables, de ces dissensions , de
ces haines , de ces persécutions , de ces injustices
»7-
260 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
dont, sur la terre, le sang et les larmes qui coulent
par torrens , sont 1 infaillible et cruel résultat ;
lorsque je rencontre ces machines épouvantables ,
inventées pour la destruction, et que les cris confus
de la douleur et du désespoir parviennent jusqu'à
moi, je me dis : O Dieu! que l'échange du Ciel
contre cette malheureuse terre sera doue heureux !
Hélas! un vaste cimetière engloutit ici les géné
rations à mesure qu'elles naissent ! ici , l'homme
fait, sur une plage déserte, ses préparatifs pour
le vojage de l'éternité ! Dans le Ciel , en présence
du Créateur , au milieu des esprits parfaits, dans
la compagnie de toutes ces personnes chéries sur
les tombes desquelles je pleure aujourd'hui , la
félicité éternelle se dévoilera tout entière à mes re
gards ! Que de sensations nouvelles ! Quel torrent
de délices inconnues ! Que de scènes divines pré
sentera l'Étemel , béatifiant ses créatures par la
vue de toute vérité ! Notre univers , avec toutes
les richesses que la main du Seigneur y a étalées,
n'est qu'un point imperceptible dans l'immensité
des domaines célestes ! O mon Dieu ! ! !
SUR DIVEHS SUJETS DE RELIGION. 26 I
WVVWWV-VWW>^VVWVW\WWWVWWVAVVW'VVAVVVVV VWkwwvwwwwuw
TRENTIÈME ET DERNIER SUJET.
OBSCURITÉS ET MYSTÈRES DANS LA RELIGION ET DANS LA
MORALE.
Pourquoi Dieu est-il un Dieu caché? Pourquoi
ces mystères impénétrables el ces difficultés inso
lubles dans la religion et la morale ? Pourquoi ces
ténèbres qui enveloppent l'esprit humain , et en
tourent le flambeau de la foi lui-même ? Pour
quoi enfin ces choses inconcevables dans l'Evan
gile et le» autres Ecritures divines? Toutes ces
questions, l'incrédulité a cru les faire tourner à son
avantage. Le vrai philosophe, cependant, et le
vrai métaphysicien , comme le chrétien éclairé ,
trouvent ces dispositions , non-seulement sages ,
mais nécessaires dans la nature même des choses.
Je ne m'arrêterai point aujourd'hui à cette con
sidération générale que , dans tout ce qui touche
l'éternel Créateur, il doive y avoir toujours, et né
cessairement , des choses incompréhensibles pour
ses créatures , quand bien même celles-ci auraient
été créées mille fois plus parfaites ; puisqu'alors ,
elles auraient peut-être pu découvrir aussi mille
fois plus de difficultés. Je ne remarquerai pas
non plus que , s'il est vrai que les ténèbres cou
vrent notre esprit et enveloppent la religion, c'est
262 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
à nous-mêmes à les dissiper autant qu'il est pos
sible , puisqu'il n'y a pas moins de mérite à trou
ver la vérité cachée qu'à surmonter les passions et
à corriger les autres faiblesses de la Nature ; et que
nous devons opérer nous-mêmes notre perfection
sous tous les rapports, sous celui de la connais
sance de la vérité comme sous tous les autres. Mais
j'entrerai, en ce moment, autant que la force de
la raison humaine le permet, dans le fond même
de toutes ces questions de l'incrédulité , point es
sentiel qui peut fixer mes incertitudes etme rassurer
dans ma foi.
Rien ne me paraît moins philosophique que ces
plaintes éternelles des prétendus sages du siècle, re
latives aux mystères et aux choses inconcevables
qui se rencontrent à chaque pas dans la religion.
Ces difficultés , ces obscurités , sont absolument
nécessaires , non-seulement à cause de la nature
même d'un être borné, mais aussi pour conserver
à cet être une liberté intacte.
En effet, comment concevrai-je le mérite et le
démérite de l'homme, point sur lequel toute mo
rale et toute religion repose , si ce n'est par une
liberté pleine , entière et parfaite dans ce même
homme ; par une volonté si indépendante de sa
part, et si absolue, que dieu lui-même ne puisse
plus le gêner ni le contraindre en aucune ma
nière dans sgs actions ?
Et comment concevrai-je cette liberté pleine y
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2Ô3
entière et parfaite, et cette indépendance de vo
lonté , telles qu'elles sont requises pour que le bien
et le mal moral soient attribués individuellement
à l'homme, sans ces mystères, ces obscurités et
ces choses inconcevables qui offensent la sagesse
du siècle dans la religion , la morale et surtout dans
l'Evangile? Une vue trop claire dans les choses de
Dieu, ne diminuerait-elle pas évidemment la li
berté de l'homme , et par-là même la bonté ou^a
malice de ses actions? N'anéantirait-elle pas né
cessairement le mérite et le démérite? Oui, il est
indispensable quel'homme soit placé partout entre
des infinis , pour être libre. Il faut que le Créateur
se soit entièrement retiré, et pour ainsi dire caché
sous le voile du mystère ; sans cela , point de li
berté!
Un exemple rendra cette vérité frappante. Si
un voleur ou un meurtrier , familiarisé avec le
crime, venait tout à coup à apercevoir la hache de
la justice suspendue d'une manière visible sur sa
tête , et prête à chaque instant à tomber sur lui au
premier écart, il ne pourrait plus ni voler ni as
sassiner; et il n'en serait pas pour cela plus hon
nête homme. De même, si une personne qui fait
le bien , avait toujours devant les jeux une récom
pense riche , capable d'éblouir et absolument cer~
taine , ses bonnes actions perdraient beaucoup de
leur mérite, au jugementmême de tous les hommes.
Faisons donc l'application à la religion chré
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
tienne de vérités si universellement reconnues. Si
l'abîme de l'éternelle perdition était ouvert sous
nos pas, comme l'est un gouffre terrestre, et que
nous vissions avec autant de clarté la liaison d'un
malheur éternel avec le péché , que nous voyons le
danger de mort d'un homme qui se précipiterait
dans ce gouffre , sans doute que nous ne commet
trions plus aucun péché ; nous n'en pourrions même
plus commettre , et nous n'en serions pas pour cela
plus louables. Si , d'un autre côté, une main vi
sible nous présentait incessamment du haut du ciel
la récompense de chaque bonne action que nous
faisons, ou que, par un autre miracle éclatant ,
qui aurait lieu tous les jours sous nos propres
jeux , Dieu voulait bien nous encourager dans la
pratique de toutes les vertus chrétiennes ; nous ne
pourrions plus nous empêcher d'être vertueux ; et
nous n'en aurions pas pour cela plus de mérite.
Il est donc indispensable que la religion, que la
morale, que l'Evangile lui-même, soient envelop
pés du voile mystérieux de la foi. Aucun vrai philo
sophe n'en pourra jamais disconvenir. C'est évi
demment , par une disposition aussi sage , que
notre liberté demeure intacte ; que le bien , le mal ,
le vice , la vertu , la connaissance de la vérité ou le
mensonge, et, par suite, la perfection ou la dé
gradation , bases du bonheur et du malheur , sont
individuellement notre ouvrage ; et j'oserais pres
que avancer qu'il y a une proportion géométrique
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2Ô5
entre les lumières et les ténèbres que nous trouvons
dans la morale et la religion. Si Pascal , Leibnitz ,
et une infinité d'autres, dans les différentes sectes ,
avaient bien réfléchi sur cette vérité , ils auraient
parlé plus clairement qu'ils n'ont fait de la liberté
morale de l'homme , et l'on n'aurait point avancé ,
d'un côté, des systèmes ridicules, et, de l'autre,
des assertions horribles.
Il ne faut donc pas nous attendre à ce que l'on
parvienne jamais , ici-bas , à dissiper toutes les té*
nèbres, à résoudre toutes les difficultés philoso
phiques , ni à lever tous les doutes en matière de
morale et de religion, moins encore qu'en toute
autre. La liberté de l'homme en serait visiblement
altérée. Quel que soit le degré de perfection au
quel l'espèce humaine puisse atteindre, i| restera
toujours pour nous des mystères impénétrables.
Les sciences exactes elles-mêmes conserveront les
leurs; et cette perfectibilité illimitée, qui a tant
enthousiasmé les sages des derniers temps , n'est
point le partage de l'homme sur cette terre. Lhomme
immortel , le moi impérissable , cette âme , en un
mot , que l'on voudrait méconnaître , en est seu
lement susceptible , dans une vie qui s'étend au
delà du tombeau. Ici-bas, nous resterons toujours
placés entre les infinis. Dieu a voulu être un Dieu
caché; et il a du l'être, jusqu'au grand jour de
la manifestation , où nous ne le verrons plus idéa
lement , mais face à face.
a66 RÉFLEXIONS ET 5ENTIMEWS
Et ici , admirons la force du génie divin et la
profondeur de l'esprit créateur , qui ont agi dans
l'arrangement de l'univers : comment Dieu a tout
admirablement combiné dans son plan pour laisser
à l'homme la plénitude de sa liberté, afin d'attei ndre
le grand but de la religion! Des esprits intelligens
sont unis à la matière organisée, pour ménager un
lien entre la nature purement animale, et entre le
monde des intelligences qui se rapprochent davan
tage de la nature de l'Etre incréé. L'homme , orné
d'une âme intelligente , fait rentrer, d'une manière
presque imperceptible, la chaîne des êtres composés
de corps et d'esprit, dans le règne, si je puis user
de ce mot, des intelligences pures; règne immense
sans doute, et infiniment plus riche que ceux que
nous connaissons et qui se donnent si admirable
ment la main. Qui donc oserait dire que l'homme
est le dernier anneau de la chaîne dei êtres créés?
Cependant, quelque merveilleuse que soit la Na
ture, tout y est combiné avec tant de simplicité,
que l'homme puisse absolument s'aveugler au point
de méconnaître l'Architecte éternel, le Dieu de vé
rité et de justice, qui récompense et qui punit,
lorsque cet homme veut se laisser aller à tous les
désordres d'un cœur corrompu. C'est alors qu'il
dit en entrant dans l'abîme : Dieu n'est pas !
• Tandis que l'homme juste et vertueux, qui cherche
le royaume de Dieu avec sincérité et simplicité de
cœur, trouve l'image de son éternel Bienfaiteur
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 207
empreinte sur tous les objets de la Nature, et recon
naît partout la main paternelle de la Providence !
Le mode que Dieu a choisi pour la propagation
du genre humain , démontre aussi clairement ses
desseins à l'égard de la liberté de l'homme. Nous
arrivons sur la terre, et nous nous trouvons placés
au milieu de la société , sans nous en apercevoir.
Ce n'est qu'à un certain âge , et lorsque notre raison
commence à se développer, que , frappés de la mer
veille de l'e;;istence , nous nous disons tout à coup
en nous-mêmes : D'où viens-tu ? Qui es-tu ? N'est-il
pas évident que le but de Dieu, dans cette conduite,
a été de laisser les hommes livrés à leur propre vo
lonté?— Si nous sortions tous d'entre les mains du
Créateur dans l'état de l'homme parfait, comme
en sortirent nos premiers païens , notre surprise
serait trop grande, et il nous serait impossible de
méconnaître l'Auteur de nos jours. Mais non, Dieu
est resté derrière le voile, et nous sommes entière
ment livrés à nous-mêmes. Il arrive de là que celui
qui consulte sans prévention la lumière de sa raison,
et qui n'a aucun motif de nier l'existence de Dieu,
ne doute jamais un instant qu'il ne soit la créature
de l'Etre éternel : cette vérité lui paraît évidente ;
il ne considère ses parens que comme un instru
ment aveugle entre les mains du Tout-Puissant;
tandis que l'homme criminel ou le philosophe or
gueilleux soutiendra que c'est le hasard qui a tout
fait, et qu'il provient lui-même d'une chaîne
2Ô8 JtÉFLF-XIONS ET SKNTIMENS
d'êtres prolongée jusqu'à l'infini. Il en arrive en
core que celui-là, dont la conscience est pure et la
volonté droite reconnaîtra la différence du bien et
du mal jusqu'aux plus petites nuances, pendant
que l'incrédule, qui s'est aveuglé sur les choses di
vines, et l'homme coupable que le remords agite,
s'efforceront de prouver que toutes les actions sont
indifférentes en elles-mêmes. 11 en arrive , en un
mot, que, d'un côté , Vhomme peut s'éle\>er à
un degré de perfeetion morale illimité ; tandis
que , de l'autre , il peut effacer dans son esprit
et dans son cœur jusqu'aux traces des vérités
les plus claires , des notions les plus communes ,
et des sentimens les plus distinctifs d'un être-
sensible.
Jésus-Christ , la preuve vivante et palpable de
l'existence du Dieu caché; Jésus-Christ , la sagesse
incréée , a également , dans la prédication de son
Evangile , eu soin de se conduire de manière à ne
porter aucune atteinte à la liberté de l'homme. Il
s'est abstenu d'écrire lui-même , sans doute pour
laisser plus de latitude à la foi et plus de mérite
à la vertu du chrétien. S'il eût voulu rédiger par
lui-même le code sacré qui nous dirige , il l'eût
fait nécessairement d'une manière parfaite , au
point que l'incrédule eût été condamné au silence
le plus absolu, et dès lors il eût détruit la liberté des
hommes, puisqu'alors il eût fallu être insensé pour
ne se pas régler en tout sur l'Evangile. Et , en
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 26y
général , si tous les miracles qu'il a opérés étaient
plus frappons pour nous qu'ils ne le sont au
simple récit d'hommes droits , nods serions moins
libres, et moins propres à mériter et à démériter.
Voilà pourquoi Jésus-Christ déclare à saint Tho
mas qu'il est moins heureux que ceux qui croi
ront sans avoir vu , de leurs propres yeux , les
miracles multipliés dont il avait été le témoin,
parce que ceux-ci avaient ôté toute espèce de mé
rite à sa foi.
Cette balance de la liberté de l'homme établie
par le Créateur , balance indispensable pour le
mérite et le démérite , résultat , en partie , des
obscurités , des mystères , des difficultés insolubles
et des choses inconcevables qui se trouvent dans
la religion et la morale, est demeurée si parfaite
jusqu'au dix -huitième siècle, malgré les raison-
nemens et les écrits des plus beaux génies qui ont
orné l'espèce humaine , et même , ce qui est
admirable , malgré les éclatantes lumières de
l'Evangile de Jésus- Christ , que des écrivains
hardis , aidés de malheureuses circonstances de
temps et d'abus, sont encore parvenus à entraîner
un grand nombre de leurs malheureux contem
porains jusque dans l'abîme de cette incrédulité
presque absolue qui ose mettre en problème l'im
mortalité de l'homme , la différence essentielle
entre le bien et le mal , et l'existence même de
l'éternel Créateur !
37O RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Quoique l'esprit humain s'égare nécessairement
quand il veut scruter jusqu'à la nature et l'es-
cence des choses , et surtout des choses divines ,
il me semble cependant que la raison doit acquies
cer à cette manière d'expliquer les desseins de
Dieu à l'égard des mystères que la philosophie du
jour regrette de voir dans la morale et dans la
religion. Mais, en général, quand notre esprit
trouve des bornes , nous devons être assez francs
pour les reconnaître, et savoir nous écrier avec
l'Apôtre : O profondeurs impénétrables de la
science et de la sagesse du Seigneur !
Mon Créateur et mon Dieu ! Modérateur su
prême des cieux et de tous les mondes ! Dieu ca
ché et incompréhensible ! donnez-moi, je vous en
supplie , cette simplicité de foi qui caractérise vos
plus humbles serviteurs. Je crois que je m'égarerai
plus difficilement avec eux qu'avec les prétendus
sages du siècle. Faites, surtout, qu'au lieu de perdre
souvent un temps précieux à scruter des points
obscurs qui sont et qui nécessairement ont du
être placés au-dessus de l'entendement hu
main , je me fasse plutôt souvent ces questions :
Suis-je devenu meilleur depuis une telle époque ?
Suis-je plus content de moi-même ; ai-je plus
de raison de l'être ? Le Créateur peut -il être
satisfait de mes efforts dans la pratique de
toutes les vertus ? Que voudrais-je avoir cru ,
que voudrais-je avoirfait à Vheure de ma mort ?
SDB DIVERS SUJETS DE RELIGION. a^I
De combien me suis-je rapproché , depuis un
tel temps , de la perfection et du vrai bonheur
qui en est inséparable ? Ces réflexions , bien
méditées , me seront plus profitables mille fois,
que si je parvenais à expliquer tous les mystères.
DE LA RELIGION CHRÉTIENNE.
A CÉLESTINE.
En s'adressant à la jeune personne et à la femme
chrétiennes, on devrait être naturellement dispensé
de leur parler d'autre chose que des divers senti-
mens de piété et de dévotion , puisqu'on ne sau
rait les supposer étrangères aux premiers principes
de toute religion, sans les soupçonner en même
temps capablesdes plus grands écarts . Cependan t , il
faut malheureusement le dire, nous sommes tombés
si bas dans ce siècle d'incrédulité, qu'il est devenu
nécessaire de ranimer jusqu'aux principes fonda
mentaux de la vraie morale, dans le cœur même de
la femme , de la jeune chrétienne et de l'enfant !
L'esprit d'irréligion , semblable à un torrent qui
grossit à mesure qu'il avance, entraîne notre siècle
dans l'abîme , avec une force pour ainsi dire ma
gique! Quel charme secret peuvent donc avoir,
pour le cœur humain , le doute , l'incertitude et
l'incrédulité?Quel plaisir inexplicable peut-ou trou
ver à renoncer à tout espoir ?— Tel est cependant
le délire qui s'est emparé des nations. O Dieu I
quand permettrez-vous que le sort de votre reli-
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2^3
I
gion sainte soit moins précaire sur la terre ? Com
ment lui rèndra-t-on quelque éclat? Quand pourra-
t-elle faire sentir à l'univers l'influence salutaire
qu'elle exerce nécessairement sur le bonheur gé
néral? — Quel siècle que celui où l'on est réduit
à entendre les personnes même du sexe, non-
seulement dansles villes, mais dans les hameaux ,
nier froidement l'existence d'un Etre suprême ,
ou, du moins, la vérité d'un avenirpour l'homme !
où de nouvelles pyrrhoniennes révoquent en doute,
les uns après les autres, les plus grands principes
de la religion et de la morale ! Comment un peuple
voudrait-il se flatter de conserver ses mœurs, lors
que les bases mêmes de toute morale, de toute re
ligion sont détruites jusque dans le cœur de la
femme et du faible enfant ?
Je ne crains pas de le dire, elles sont générale
ment ébranlées sur la terre. Sous le prétexte de
tirer les peuples du fanatisme, on les a plongés
dans un abîme plus effrayant! 11 est devenu urgent
de poser partout, et dans tous les cœurs, de nou
veaux fondemens aux mœurs sociales , si l'on dé
sire que l'ordre puisse se rétablir, et la félicité
publique renaître. *
Je sais , Célestine , que vous avez été assez sage
et assez sensée pour ne point sortir, jusqu'à pré
sent, du cercle dans lequel votre sexe est partout
circonscrit. Vous avez conservé jusqu'à ce jour cette
simplicité de foi , cette religion non raisonneuse ,
18
2^4 RÉFLEXIONS ET SENTIMEN3
si recommandai )les dans des âmes naturellement
timides et faibles , en général bien éloignées de
pouvoir s'ériger en arbitres de la foi, ou se donner
pour juges compétens des principes religieux. Ce
pendant, comme vous êtes destinée à vivre dans
un monde véritablement égaré , et qui , évidem
ment, dans ses relations avec le Créateur , ne saj^
plus ce qu'il doit adopter; dans un monde devenu
trop semblable à un vaisseau sans ancre, sans pi
lote et sans boussole , et qui ignorerait le port
même où il doit aborder, vous ne serez point éton
née si je vous engage aussi à vous pénétrer des
divers sujets de réliexions sérieuses soumises à
l'examen de tous les chrétiens pour vous prémunir
contre le malbeur , je ne dirai pas d'une incrédu
lité absolue, vous en êtes incapable, mais même
dun doute vague dont votre esprit, n'ayant pas
la force de se préserver, vous rendrait criminelle
peut-être , mais malheureuse très-certainement le
reste de vos jours. Croyez-moi , la religion et ses
puissantes- consolations vous sont indispensables
pour avoir la force de supporter toutes les épreuves
de cette vie, qui, malgré la délicatesse et la fai
blesse de votre sexe, semblent vous atteindre d'une
manière plus particulière.
Affermissez-vous donc dans la foi de ces grandes
vérités , bases éternelles de toute morale , quel que
soit le tourment de l'incrédulité pour les ébranler :
^— l'existence de Dieu; — sa providence pleine de
SCR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2j5
sollicitude , qui veille à nos moindres besoins et
sur nos moindres démarches ; — l'immortalité de
l'homme ; les peines et récompenses futures; —
la divinité de la religion et dela morale de Jésus-
Christ, et la confiance inébranlable que par lui
seul l'homme est conduit au vrai bonheur.... At
tachez-vous irrévocablement à la foi de vos pères
et de tous les vrais chrétiens. Vous vous égarerez
plus difficilement avec cette société antique et
respectable, que vous ne feriez avec les prétendus
sages du siècle, fort embarrassés de nous assigner
aujourd'hui même un seul principe sur lequel ils
puissent s'accorder ; fussiez-vous même dans l'er
reur, vous seriez excusable de vous être égarée avec
l'univers chrétien !
Epurez vos sentimens religieux , et adoptez à
cet égard une conduite aussi noble que ferme. Re
noncez à toute petitesse , à toute superstition , à
toute observance inutile et puérile ; mais soyez
d'autant plus exacte et plus inébranlable dans tout
ce qui tient essentiellement à une religion pure ,
à un christianisme éclairé. Par une conduite irré
prochable forcez l'impiété elle-même à vous res
pecter; autrement vous ne parviendrez jamais à la
possession de cette approbation publique et de ce
témoignage si précieux dç votre propre conscience,
indispensablement nécessaires pour assurer votre
tranquillité sur la terre , et votre bonheur éternel
dans la vie future.
18.
1*]<0 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Rappelez-vous qu'en général on ne demande
de l'homme que la profession franche et sincère
îles grands principes de religion et de morale que
nous avons précédemment exposés , et une con
duite conséquente qui y soit strictement conforme ;
mais que l'on exige quelque chose en outre de la
femme et de la jeune chrétienne, une piété et une
dévotion tendres , suite nécessaire , en effet , des
sentimens religieux chez les personnes du sexe.
Tous les sentimens , plus tendres et plus délicats
chez elles , exigent que les sentimens de religion
se montrent aussi au dehors d'une manière plus
sensible. Qui ne sait qu'un amour plus ardent du
Dieu de toute bonté et de Jésus mourant par cha
rité et par vertu, qu'un désir plus vif de la paix et
de la félicité publiques, que l'espérance du bonheur,
la crainte du Seigneur et la confiance en son saint
nom ; en un mot, que toutes les émotions de la
religion sont en quelque sorte naturelles à des âmes
tendres, aimantes et faibles, pleines d'une exquise
sensibilité ? Et au milieu des ruines de tous les
principes religieux ne s'accorde-t-on pas encore
généralement dans le monde à regarder comme
une chose désolante qu'une femme se donne pour
philosophe ; qu'une mère se pique d'incrédulité ;
qu'une épouse soit étrangère à la religion , une
jeune personne à la piété?
Il faut donc avoir de la piété , Célestine , beau
coup de piété, une piété même tendre, mais une
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. I^n
piété véritable et éclairée , une dévotion solide et
réelle. Si le grand Apôtre a dit que la piété est
utile à tout , que les promesses les plus riches lui
sont garanties , et pour cette vie et pour la vie
future , c'est sans doute d'une piété éclairée qu'il
a voulu parler. Vous savez assez qu'une fausse
dévotion , qu'une piété ridicule ne peuvent servir
qu'à vous rendre méprisable aux yeux des hommes,
et condamnable aux yeux de Dieu. S'il est vrai
que les impies se sont déchaînés contre la religion
chrétienne , depuis quelques années , de la ma
nière la plus cruelle, il n'est pas moins vrai que
plusieurs chrétiens , par leur faiblesse , leur ont
fourni des armes. Il paraît même incontestable
que si l'on n'avait jamais rien outré ni poussé à
l'excès dans la religion , en prêtant à l'éternelle
Sagesse les pensées rétrécies des mortels, jamais
l'impiété ni l'incrédulité n'eussent osé faire au
christianisme hjs blessures profondes qui aujour
d'hui le mettent à deux doigts de sa perte. L'a
théisme et le matérialisme eux-mêmes , je l'ose
dire, auraient respecté des opinions qui, de leur
propre aveu , n'auraient jamais pu que contri
buer au bonheur de la société , à l'ordre et à la
paix publics, en augmentant parmi les peuples
l'horreur du vice , et par l'encouragement puis
sant de toutes les vertus sociales.
Cependant , souvenons-nous que ce n'est pas à
la philosophie du jour, et encore moins à l'incré
278 BÉFLEXIONS ET SENTIMENS
dulité absolue , de prescrire des règles de piété et
de dévotion , ainsi qu'on a voulu le faire. Je sou
tiens même qu'il n'appartient point aux incrédules
d'élever la voix contre le fanatisme religieux ; que
la religion et la raison éclairée par l'Évangile peu
vent seules apprendre à tous les hommes en quoi
consiste la vraie dévotion et la vraie piété envers
Dieu , et ramener tous les esprits qui tendent à
s'égarer.
Tout excès est blâmable , dit la raison ; et la
vertu, qui tient toujours un juste et louable milieu,
a consacré ce principe. Je l'avouerai cependant ,
j'aurais préféré de voir régner dans la société un
excès de piété , de religion et de zèle pour le règne
de Dieu, qu'un excès contraire, celui de l'impiété,
de l'irréligion et de l'immoralité. Sur ce point
vous me voyez en opposition complète avec
l'esprit d'une fausse sagesse et d'une philosophie
réformatrice , dont tout le but e* d'arrêter les
derniers élans d'une génération perverse et mal
heureuse qui sent encore qu'elle a besoin d'un
Dieu. Ne cherchons point follement à anéantir des
sentimens qui sont naturels au cœur humain, qui
se sont toujours manifestés depuis qu'il y a eu des
hommes , et se manifesteront toujours dans la
société. Cherchons plutôt, si nous sommes véri
tablement sages , à régler et à perfectionner des
sentimens que l'on ne saurait détruire sans anéan
tir l'homme !
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 279
En quoi consiste donc cette piété véritable du
chrétien , le partage des personnes de votre sexe ,
et dont on l'exige plus particulièrement? Ecoutez
la raison éclairée par le flambeau de la foi ;
écoutez Jésus-Christ, le divin Instituteur du genre
humain ; écoutez l'Evangile qui renferme sa doc
trine et ses exemples ; en un mot, écoulez Dieu,
et non les hommes ! Fuyez l'hypocrisie et les
pratiques futiles : craignez d'avilir cette religion
sublime établie par la Sagesse éternelle. Ne cher
chez point à paraître meilleure que les autres, et
surtout ne vous persuadez pas , dans votre cœur,
que vous êtes réellement meilleure. Ne condamnez
jamais personne , afin que vous ne soyez point
condamnée. Ayez avant tout la charité. Que l'hu
milité soit, ensuite, votre vertu favorite. Cachez
vos bonnes œuvres. Craignez de jious distinguer
et de vous singulariser. Ne comptez pour rien le
suffrage des faibles mortels, et n'ayez en vue que
votre Père céleste qui voit toutes vos démarches,
tous les mouvemens les plus secrets de votre cœur,
et qui les juge. Souvenez-vous que ce n'est pas par
le nombre des prières que le Seigneur est honoré,
encore moins par celles qui ne sont récitées que du
bout des lèvres ; que le Tout-Puissant a en abo
mination toute superstition autant que l'impiété;
que, par conséquent, il ne demande pas de vaines
pratiques ni des observances superflues. Évitez
soigneusement toute petitesse et toute minutie :
280 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
l'Eternel en est incapable, et sa religion doit être
en tout aussi grande et aussi élevée que le sont ses
pensées. Rappelez -vous que Jésus -Christ n'est
point venu nous imposer un joug insupportable ,
mais un joug doux et léger, capable de nous faire
trouver la paix du cœur. — Soyez persuadée que
le Seigneur est infiniment éloigné d'exiger l'exté
nuation de votre corps et labréviation de vos
jours : il n'entre pas même dans ses desseins éter
nels que vous vous refusiez les délassemens inno-
cens et les vraies jouissances de cette vie , pourvu
que vous les goûtiez avec sagesse et sobriété , et
que vous n'oubliiez point les actions de grâce. Si
vous avez de la force et de la santé , employez-les
à travailler utilement au bonheur de votre pro
chain : soulagez le faible et le pauvre ; visitez l'in
firme , le prisonnier ; aidez la veuve et l'orphelin ;
soignez le malade ; faites en sorte que tant de
vos malheureux frères, qui n'ont pas même en
mourant un linceul ou une bière pour reposer
leur triste dépouille, soient enterrés décemment;
enfin , devenez un ange tutélaire et une seconde
mère pour tant d'infortunées qui , d'abord en
traînées dans l'abîme par la misère , sont aban
données ensuite et rebutées , pour ainsi dire , de
tout l'univers , et périssent misérablement , avec
la croyance d'être devenues indignes de toute
consolation , et incapables de revenir à Dieu, à
la vertu et au bonheur! Vous entrerez ainsi véri-
SUR DIVERS SUJETS DE KELIGION. 28 I
tablement dans les vues de Jésus, du Rédempteur,
du sage Législateur ; et vous vous rendrez plus
agréable à l'Eternel que si vous affaiblissiez votre
corps de toute autre manière.— Sachez que Dieu
ne veut , n'a jamais voulu , et n'a jamais pu vou
loir autre chose que le bonheur de ses créatures.
Il vous désire uniquement heureuse , heureuse
même dans cette vie , autant que votre nature
présente le comporte. Il désire même votre bon
heur plus efficacement que vous, puisque, d'après
ses sages exhortations, c'est une félicité réelle et
véritable que vous devez chercher dans l'innocence
et la perfection de votre être. C'est donc pour le
bonheur , et le bonheur seul , que vous avez été
tirée du néant : comprenez-le bien , et commencez
enfin à être véritablement sage et véritablement
pieuse. N'écoutez plus ces esprits faibles et incer
tains qui obscurcissent les vérités les plus claires ,
surchargent et altèrent la doctrine de Jésus-Christ,
se montrent plus exigeans que le Créateur lui-
même , et vont chercher au loin un bonheur que
le ciel a mis à la disposition de chacun de nous.
La vraie piété n'est donc autre chose qu'un
amour sincère du Dieu d'amour ; qu'une ten
dresse filiale pour le meilleur des Pères qui nous
a comblés , autant qu'il l'a pu , des biens ter
restres et des biens de la grâce. Et cet amour ,
cette tendresse , doivent nous porter à remplir
avec joie tous nos devoirs religieux , à nous entre
282 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
tenir souvent avec le Seigneur dans la prière et
l'oraison, à nous pénétrer de plus en plus d'un sen
timent de cette crainte filiale qui nous empêche de
lui déplaire , mais qui n'exclut jamais la confiance
en son infinie bonté. Une véritable piété est
touchée surtout de la tendresse de Jésus et de
Marie, lorsque les solennités annuelles rappellent
aux chrétiens tout ce qui a été fait pour ramener
l'univers égaré à des sentimens de justice, de vertu,
de douceur et d'humanité, k l'amour de la vé
rité et des vrais biens. Par-là même , la véritable
piété rejaillit sur tout ce qui est sacré , sur tout
ce qui tient à Dieu et à sa religion sainte , sur les
esprits bienheureux qui sont dans le ciel près du
trône de l'Eternelle majesté , sur les pères et mères
qui tiennent auprès des enfans la place de Dieu, et
qui méritent toute leur piété fdiale; enfin, sur les
défunts eux-mêmes qui nous ont précédés dans
le voyage de l'éternité, pour les cendres de qui
nous devons avoir une vénération religieuse , et
auxquels nous sommes obligés d'accorder quelque
fois un pieux souvenir.
Ayez donc de la piété , Célestine ; montrez dans
vos exercices de dévotion toute l'exactitude des
vraies/ chrétiennes , des chrétiennes éclairées qui
vous entourent. Mais si vous voulez vous élever à
une perfection plus haute que le commun des
fidèles , cachez alors soigneusement vos pratiques
particulières et surabondantes , de peur que la
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 283
vanité ne devienne pour vous une tentation ter
rible et un piége inévitable. Fuyez , sur toutes
choses , ce zèle amer , cette piété austère et rebu
tante qui donne de l'odieux à une religion si
douce et si consolante par elle-même , et rendez-
vous propre cette piété aimable et bienfaisante
qui gagne tous les cœurs et les attache irrévoca
blement à Dieu , à la vertu et au bonheur. Culti
vez surtout dans votre cœur cet esprit d'une vraie
tolérance , c'est-à-dire de la charité chrétienne ,
qui couvre d'un voile épais tous les torts, tous les
défauts du prochain , et qui ne pense jamais de
mal. Secourez tous les hommes , et faites du bien
indistinctement à tous les malheureux, de quelque
religion , de quelque opinion, de quelque croyance
ou secte qu'ils soient; et avant de donner, ne de
mandez jamais : Quj, êtes-vous? C'est ainsi que
vous accomplirez la loi de Jésus-Christ.
S'il est vrai , comme on l'a dit , que les hommes
font les lois, et les femmes les mœurs , je crois
pouvoir ajouter avec autant de vérité que , si les
hommes découvrent et assignent les grands prin
cipes de la morale et de la religion, ce sont aussi
les femmes qui doivent cultiver en eux les senti-
mens de piété et de dévotion , et qu'elles sont
peut être seules capables aujourd'hui de ressusci
ter parmi nous , en peu de temps , le véritable
esprit du christianisme. Si les personnes du sexe
avaient généralement une piété solide, une religion
284 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
éclairée , une dévotion bien entendue, sans doute
qu'aucun homme , aucun philosophe ne serait
assez barbare pour vouloir leur ravir des sentimens
qui font leur unique bonheur, une foi et une es
pérance qui font leur unique consolation sur la
terre. Au contraire, on verrait bientôt les hommes,
eux-mêmes, non-seulement respecter et aimer ,
mais pratiquer exactement les différens devoirs
religieux.
Vous voyez , Célestine , combien vous pouvez
devenir utile à la société, en même temps que vous
travaillerez à votre propre perfection et à votre
propre bonheur. Tâchez donc d'acquérir bientôt
cette véritable piété chrélienne , source de toutes
les autres vertus douces et sociales qui sont propres
à votre cœur. Ah ! si vous saviez de combien l'hu
milité , la modestie , la douceur , la piété , re
haussent tous les autres avantages de la nature,
je vous verrais brûler d'une ardeur tout inquiète
pour l'acquisition de ces précieuses qualités. For
mez , d'après les divers sujets de réflexions et de
sentimens rédigés à votre intention , formez votre
piété et toutes vos vertus sur celles de Marie ,
l'admirable mère de Jésus. Étudiez soigneuse
ment ses grands exemples , et marchez sur ses
nobles traces , car tout en elle était sublime et
réel , et digne du Très-Haut : auec cette conduite
vous serez heureuse , et vous contribuerez effica
cement au bonheur général. Et, n'en doutez pas,
SUR DIVERS SUJETS DE REUGION. 285
la vraie piété trouvera encore de nombreuses imi
tatrices par toute la chrétienté. Votre exemple
sera entraînant , et il sera suivi ! Oui , nous pou
vons encore espérer de voir s'effectuer cette réu
nion désirable de tous les sentimens , de toutes
les opinions raisonnables , et de tous les inté
rêts des hommes en société : c'est pour cette
grande fin que Jésus-Christ , que le Fils de Dieu
est venu visiter cette terre , et la religion qu'il y
a établie est de nature à conduire la société hu
maine à ce degré de perfection. Si les passions des
hommes ne contrarient pas ses vues de miséri
corde , il se formera , sous l'étendard qu'il a ar
boré , une réunion générale , et toutes les na
tions diverses ne formeront plus qu'une seule
famille ; grande époque dans l'histoire du genre
humain : alors on commencera à compter des
années de paix et de félicité suv la terre. Et il
faudra bien que l'on revienne enfin généralement
aux vrais principes ; il faudra bien que tout le
monde finisse par admettre tout ce qui est rai
sonnable , et par respecter tout ce qui est res
pectable. L'univers serait trop à plaindre si l'on
s'obstinait plus long -temps à méconnaître les
véritables sources de l'ordre social et les vrais fon-
demens de la morale publique; si l'on voulait ab
solument renoncer à tout espoir pour l'homme ,
et se résoudre à n'avoir jamais rien de fixe ni de
certain. L'univers serait trop malheureux s'il devait
286 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS , etc.
toujours être permis de blasphémer contre Dieu ,
d'outrager la vertu , la piété et la religion !
Oui, un heureux pressentiment me dit que, in
struits par nos propres disgrâces et nos propres
fureurs , nous reconnaîtrons enfin , que dans le
christianisme seul les hommes peuvent trouver ce
bonheur, qu'ils ont inutilement cherché jusqu'au
jourd'hui dans des institutions purement hu
maines.
Que la grâce d'en haut vous fortifie , Célestine ,
dans toutes vos louables entreprises pour votre
sanctification et celle des personnes qui vous sont
chères, et que la paix de Jésus et de Marie péuitre
toujours plus avant dans votre cœur !
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
SUR
QUELQUES SUJETS PLUS PARTICULIERS
A LA JEUNE PERSONNE ET A LA FEMME CHRÉTIENNES.
, v
s
PREMIER SUJET.
MARIE , MODÈLE PARTICULIER DE LA JEUNE PERSONNE
ET DE LA FEMME CHRÉTIENNES.
Je ne m'arrêterai pas à célébrer les grandeurs de
Marie, ni à raconter les priviléges sublimes et les
faveurs extraordinaires dont elle a été honorée par
le Souverain des cieux. Elle est trop au-dessus de
mes faibles éloges, ayant été élevée au-dessus
des anges et des chérubins , et proposée à tous les
êtres sensibles comme le plus parfait modèle à
imiter après la Divinité elle-même. Mais je m'at
tacherai d'une manière toute particulière à consi
dérer ses vertus, afin de les imiter fidèlement. C'est
aussi principalement en l'imitant qu'on l'honore ,
comme tous les autres saints ; une admiration
stérile , des hommages vains ne sauraient plaire
288 BÉFLEXIONS ET SENTIMENS
à la plus humble des créatures. Je veux donc
marcher sur ses traces , je veux lui devenir sem
blable !
A la vérité, Marie est la patronne et le modèle
de perfection de tous les chrétiens; mais elle l'est,
d'une manière plus particulière , de la jeune per
sonne et de la femme chrétiennes, de même qu'elle
est la principale consolation des affligés et le refuge
plus particulier du pécheur. Rien ne me paraît plus
frappant dans la religion chrétienne que cette at
tention de la Divinité , d'avoir donné , dans la
personne de Marie , un modèle particulier aux
personnes du sexe , afin qu'elles pussent se for
mer plus facilement à toutes les vertus qui leur
sont propres. Aucune autre religion sùr la terre
ne présente un semblable avantage, que la bonté
infinie de Dieu et la nature du cœur humain doivent
cependant faire considérer comme bien naturel.
La dévotion tendre et toute spéciale que les
jeunes chrétiennes ont d'ordinaire pour Marie , et
qu'elles portent souvent jusqu'à s'occuper presque
exclusivement de son culte et de la décoration
de sa statue et de ses images , prouve qu'il était
conforme a la nature des choses qu'un modèle de
perfection, pris au milieu d'elles, fût élevé jusqu'aux
cieux par des faveurs toutes spéciales.
Mais les âmes affligées , les cœurs abreuvés d'a
mertume , que ne trouvent - ils pas dans Marie ?
Les consolations les plus douces et les plus ton
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 289
chantes , des forces toutes divines pour supporter
avec patience et résignation les misères insépa
rables de cette vie. Qui pourrait se désespérer dans
ses peines , en se rappelant que l'humble et ver
tueuse Marie, la Mère de Jésus, fut aussi la Mère
des douleurs? en se rappelant que personne sur la
terre n'a eu à souffrir autant qu'elle; que personne,
en même temps, n'a supporté ses peines avec au
tant de constance ; et enlin , qu'elle en a été am
plement dédommagée par le Tout-Puissant ?
Mais si la majesté infinie de Dieu a de quoi at-
térer les faibles mortels et confondre toutes les
créatures , l'homme égaré ne peut - il pas recourir ,
avec une entière confiance , à l'intercession de cette
Mère, la plus tendre qui fût jamais ? — Ce mal
heureux pécheur , qui ne se reconnaît plus digne
d'approcher du trône éclatant de la Divinité, mille
fois outragée par lui; cet infortuné, précipité dans
l'abîme du crime ; cet homme , couvert d'iniqui
tés et de forfaits, qui craint d'élever des mains
teintes de sang vers un Dieu vengeur; n'est-il pas
infiniment consolant pour eux de trouver cette
puissante Médiatrice entre le ciel et la terre , qui
peut leur ouvrir les voies de la réconciliation ,
et les introduire en quelque sorte dans le sanc
tuaire du Très-Haut , pour obtenir miséricorde et
pardon? ;..
Quel présent inappréciable le Seigneur n'a-t-il
donc pas fait au genre humain en lui donnant
'9
3g© RÉFLEXIONS Eî SENTIMENS
Marie, mère de Jésus, pour patrone?—^Le Sau
veur nous a laissé l'exemple de ces vertus solides et
mâles qui triomphent des plus grands malheurs ,
des plus affreux tourmens , et de la mort elle-
même ; Marie est le modèle de ces vertus douces
et tendres, apanage, des personnes du sexe, de ces
vertus domestiques qui font le bonheur et le charme
de la vie. Jésus-Christ était Dieu; et quoique tout
ce qu'il a fait et souffert, il l'ait fait et souffert selon
l'humanité , l'homme faible pouvait cependant se
sentir découragé en voulant le suivre dans sa car
rière divine : Marie , créature fragile comme nous ,
nous laisserait sans excuse , si nous refusions de
la suivre dans sa route glorieuse vers la perfection
éternelle.
O vous donc qui , par votre humilité , votre pu
reté , votre douceur , votre piété vous qui , par
toutes les vertus , vous êtes rendue digne d'être
la mère du Dieu consolateur des humains , et
avez mérité de nous être proposée comme le plus
parfait modèle de perfection après l'Être incréé ;
du haut de ce trône de gloire où vous êtes élevée
maintenant, jetez un regard favorable sur nous!
souvenez-vous de ces faibles enfans que vous avez
laissés dans cette vallée de larmes. Souvenez-vous
de moi en particulier dans ce moment où vous
êtes l'objet de mes pensées. Je suis cette jeune
chrétienne qui doit marcher sur vos traces : hélas !
vous connaissez ma faiblesse , vous n'ignorez pas
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 29 1
combien de dangers m'environnent de toutes parts.
Après m'avoir si puissamment attirée vers la per
fection par vos sublimes exemples, daignez m'ob-
tenir, auprès du Père des lumières, des forces suf
fisantes, afin que je puisse exécuter tous mes bons
desseins. — Je suis cette pécheresse inconsidérée
qui a fait abus de toutes les grâces du ciel , et qui
s'est plongée dans tous les désordres et tous les
malheurs; je me reconnais, avec amertume, in
digne de m'adresser au Dieu trois fois saint : ah !
préparez , préparez vous-même les voies à ma ré
conciliation ! Le repos et la paix ont fui de mon
cœur; il n'est plus de bonheur pour moi sur la
terre : vous êtes mon seul espoir ! Je n'ose plus
appeler Dieu mon père, ni Jésus mon frère ; je les
déshonorerais en les nommant ainsi : ah ! par
donnez-moi si j'ose encore vous donner le nom de
mère ! — Je suis cette âme affligée et abreuvée
d'amertume, tourmentée par de rudes épreuves.
Mon cœur a été profondément blessé. Cette per
sonne chérie, cet époux, ce père, cet enfant, ce
protecteur hélas ! vous le savez , la mort , la
cruelle mort les a ravis à ma tendresse , à ma re
connaissance ! vous seule pouvez verser quelque con
solation dans mon âme déchirée. — Je suis cette
infortunée que la misère accable , que le malheur
poursuit , que l'injustice persécute , et que la ca
lomnie la plus atroce a noircie; mon courage,
l'espoir lui-même , m'abandonnent ! Hâtez done
•9-
2g2 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
votre secours ! rappelez vivement à mon esprit
toutes vos souffrances pendant votre vie sur la
terre , et comment vous avez su vous résigner.
Rappelez-moi comment vous avez été privée de
votre fils chéri par le crime le plus affreux , et
apprenez-moi à imiter et votre patience , et votre
résignation ; soyez ma consolation comme vous
avez été la joie et la consolation d'Israël. Ah ! je le
sens vivement aujourd'hui : en vain ornerais -je
votre image dans le temple , si je ne suis pas moi-
même votre plus bel ornement ! en vain allume-
rais-je mille flambeaux en votre honneur, si mon
esprit n'est que ténèbres ! en vain je vous consa
crerais tout ce que je possède, si je ne vous con
sacre , avant tout, mon cœur ! je sens vivement
que tous ces soins sont inutiles et superflus , si je
ne commence pas enfin à marcher sur vos traces !
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 293
wwx\w
SECOND SUJET.
FIDÉLITÉ A DIEU.
On sait que Marie fut prévenue par des grâces
qui n'ont été accordées à aucune autre créature ;
aussi , le Seigneur ne demande-t-il pas qu'aucune
autre mortelle s'élève à la même hauteur. Il suffit
de nous rapprocher tous, plus ou moins, du grand
modèle qui nous est proposé dans sa personne,
selon la mesure de grâces qui nous est donnée ,
et les mouvemens de l'esprit de Dieu qui se fait
sentir à tout âge et dans toutes les circonstances
de la vie , au fond d'u*n cœur fidèle à suivre la voix
d'en haut , et à correspondre avec promptitude à
tous les desseins de la divine Providence.
La raison de Marie ne commence pas plus tôt à
se développer, elle n'apprend pas plus tôt les vues
de miséricorde du Créateur qui voulait enfin en
voyer le Messie promis , qu'elle se hâte de porter
ses pas vers le temple pour s'y consacrer entière
ment au service du Seigneur, ainsi que la tradition
nous l'apprend. Cette grande démarche , dans un
âge si tendre, devint la source de toutes,ses per
fections. Que de grâces , en effet ,• ne devait point
lui attirer une promptitude aussi admirable à se
WWWWVWVWVVWWWWWV
ag4 \ RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
donner au Seigneur, à ce Dieu de majesté qui
ne se laisse jamais vaincre en générosité par ses
créatures !
Une fois consacrée au service du Très-Haut dans
le temple , Marie ne pense plus qu'à y mener une
vie pleine d'innocence , une vie toute divine ; vie
simple , à la vérité , mais bien éclatante aux yeux
du Ciel. La modestie , l'humilité , l'amour de
Dieu , la douceur , la bonté , toutes les vertus , se
faisaient remarquer en elle. Aussi , vers ce temps
le Seigneur, qui ne manque jamais d'accorder des
grâces plus grandes à mesure qu'on s'y montre
plus fidèle , révéla à son humble servante le prix
qu'il attache à la vertu de pureté et de chasteté.
Convaincue aussitôt de quelle utilité pouvait être
à l'univers corrompu un grand et éclatant exemple
sous ce rapport, Marie fait dans l'instant même,
et au milieu d'une nation où la stérilité était un
opprobre , ce vœu si glorieux d'une virginité per
pétuelle. Elle prouve ainsi ce dont l'homme est
capable quand il a la ferme volonté du bien : sa<-
crifice généreux agréé par le ciel; car, dès lors,
la vertu de pureté devint comme une chose sacrée
aux yeux de l'univers chrétien ! Qui peut caU
culer l'influence salutaire de cette seule démarche
de Marie sur le sort de l'espèce humaine? Où
en serajt l'univers aujourd'hui , sans les grands
exemples de Jésus et de Marie , suivis , dans les
siècles subséquens , par ces légions de vierges chré^
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 2g5
tiennes qui ont mis partout la modestie en hon
neur sur la terre ? Qui peut savoir si , à défaut du
christianisme, toute chair n'eût pas de nouveau
corrompu sa voie, comme il était arrivé au com
mencement ; et si les suites du libertinage et de
tous les crimes n'eussent point amené , peut-être ,
l'extinction du genre humain ? Hommes irréflé
chis du siècle ! au lieu de vous attacher à tourner
tout en dérision , admirez les moyens employés
par le Créateur, quand il veut influer efficacement
sur le sort de ses créatures sans toucher en rien,
à leur parfaite liberté. Partout vous remarquerez
la sagesse des institutions du christianisme , et la
salutaire influence de la religion établie par Jésus-
Christ , si vous savez vous dépouiller de toute pré
vention et vous mettre au-dessus des préjugés du
monde , et , surtout , si vous savez les considérer
dans leur véritable esprit, en faisant abstraction
de tout ce qui n'est que l'ouvrage de la liberté hu-.
maine et de la superstition.
Cette promptitude de Marie à se soumettre à,
toutes les vues de la Providence , à suivre les.
moindres impressions de l'esprit divin, lui fit donc
faire des progrès si rapides dans la perfection ,
qu'elle se vit bientôt en état de pouvoir remplir
les grands desseins de miséricorde par lesquels le
Tout-Puissant voulait réjouir l'univers et étonner
les habitans de la cité céleste. Déjà un envoyé du.
çiel vient la saluer en l'appelant pleine de grâces ,
296 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
et lui annoncer la gloire dont elle va être comblée
en devenant la mère du Sauveur promis depuis le
commencement. Mais, au lieu de concevoir en cet
instant le moindre sentiment de vanité, Marie ne
profite d'une circonstance si glorieuse que pour
faire éclater la plus profonde humilité et l'obéis
sance la plus parfaite. « Je suis la servante du
« Seigneur ; qu'il me soit fait» selon ta parole. »
Aussi marchera-t-elle de vertu en vertu, de per
fection en perfection, et bientôt elle s'élancera
au - dessus même des intelligences pures qui se
tiennent sur les degrés du trône éternel , pour
prendre sa place dans les rayons d'une splendeur
et d'une gloire divines !
0 la plus parfaite des créatures sorties des mains
de l'Eternel ! Vierge vraiment admirable ! par cette
fidélité à toutes les impressions de la grâce , fidé
lité qui s'est manifestée en vous dès votre plus tendre
jeunesse , et qui ne s'est jamais démentie , vous
vous êtes élevée insensiblement à cette hauteur
prodigieuse qui étonne et confond les faibles
mortels ! Soutenue par vos beaux exemples , je
puis donc aussi, moyennant une fidélité semblable,
aspirer à quelque degré de perfection , de gloire
et de félicité ! Quel espoir encourageant pour une
âme généreuse ! Quelle serait la jeune chrétienne
assez insensée pour ne pas chercher incessamment
à vous suivre, quoique de loin? Pour moi, je forme
dès aujourd'hui la résolution ferme et inébranlable
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGIOxX. 297
de vous imiter dans toutes vos vertus , autant que
mes forces me le permettront. Oui , dès ce mo
ment je commence à marcher sur vos traces. O
Dieu ! il me semble entendre une voix angélique
et secrète qui me dit : « Courage , âme pieuse^!
soyez inébranlable dans votre résolution ; Dieu
vous a donné une volonté si forte et si puissante ,
que lui-même ne peut plus l'arrêter quand elle est
bien prononcée ; tournez-la donc , cette volonté si
puissante , vers le bien , puisqu'après tout vous
êtes libre de vous donner au bien, et soyez per
suadée que le bras du Seigneur n'est point encore
raccourci. Si vous êtes fidèle , de grandes choses
peuvent être opérées en vous par celui qui est
tout- puissant ; il peut ajouter quelque degré de
plus à votre perfection et à votre bonheur pour
l'éternité. Suivez donc ces bonnes inspirations que
l'Esprit divin ne cesse de donner à tous les hu
mains dès les premières années de leur vie , et
jusque dans leur vieillesse , et le Ciel coopérera à
votre salut et à votre gloire éternelle. A la vérité ,
vous n'égalerez jamais Marie , mais vous pourrez
obtenir après elle une des premières places dans
les cieux. Comme elle, vous pouvez encore faire
l'admiration des esprits célestes, et forcer toutes
les générations humaines à vous appeler bien
heureuse. »
Oui , qui que vous soyez , âmes chrétiennes ,
prenez courage ; vous pouvez toutes aspirer à la
298 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
plus haute perfection : dans quelque état , dans
quelque condition que vous soyez nées , riches et
pauvres , grands et petits , princes et sujets ; c'est
pour une perfection et une félicité .illimitées que
tout être sensible et libre a été tiré du néant.
SUR DIVEES SUJETS DE RELIGION. 299
%/VW"WW\\WWVWWWWWW»W\VWW*W^\XVWWWWW\^WVWVV^vvwvwvvw»
TROISIÈME SUJET.
l'humilité.
Qu'est-ce que l'humilité ? Quels sont les avan
tages de l'humilité ? Gomment imiterai -je Marie
dans son humilité profonde ?
L'humilité , comme la vertu des vertus , doit
être naturellement la plus difficile de toutes , celle
dont la pratique doit coûter davantage à la nature
humaine ; aussi une véritable humilité est-elle
plus rare encore à rencontrer parmi les hommes
que le vrai mérite. Jésus et Marie ont été les pre
miers à la mettre en honneur sur la terre , et ils
ont depuis bien peu d'imitateurs. Cependant cette
vertu présente à Ehomme des avantages inappré
ciables , comme la base de tout l'édifice de la
perfection.
On a dit que l'humilité consistait dans une con
naissance parfaite de soi-même ; mais cette défi
nition nous en donne-t-elle une notion bien claire
et bien exacte? — A la vérité, si nous nous con
naissions toujours bien nous-mêmes , et si nous
étions d'une exacte impartialité sur nos qualités et
nos défauts, nous serions toujours assez humbles;
cependant, il semble que la véritable humilité,
l'humilité chrétienne , doive renfermer quelque
300 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
chose de plus pénible à la nature qu'une apprécia
tion simple et exacte de soi-même. L'humilité, dans
mon cœur, devra donc être une persuasion intime
que je ne suis rien ; que je n'ai aucun avantage sur
mes semblables ; que toutes les personnes qui m'en
tourent ont des qualités préférables aux miennes ;
en un mot , je devrai en quelque sorte estimer tous
les autres en me considérant moi-même comme
indigne de leurs moindres égards.
S'il en coûte pour être vraiment humble ; si la
nature souffre de cette abnégation , l'humilité offre
aussi des avantages inappréciables. Principe de
toutes les vertus , elle est une source abondante
de paix pour les personnes privées comme pour
les société. Quel trouble, quelle inquiétude, quelle
passion peuvent agiter une âme parfaitement
humble ? N'est-elle pas toujours persuadée qu'on a
pour elle tous les égards qui lui sont dus ? Rien
donc ne saurait l'émouvoir. L'effet même particu
lier de cette précieuse vertu de l'humilité est d'éta
blir, dans les familles et les sociétés , ce bel ordre ,
cette harmonie parfaite, ce précieux commerce
de services mutuels et de prévenances obligeantes
qui font le charme de la vie sociale ; car chaque
membre de ces familles et sociétés privilégiées se
regarde comme le serviteur de tous les autres. A
quelle vertu une âme vraiment humble pourrait-
elle être étrangère? La douceur est une suite né
cessaire de l'humilité , et Jésus-Christ ne l'en se
SUR DIVERS SUJETS DE REMOION. 3oi
pare point : Apprenez de moi , dit-il , à être doux
et humble de cœur. La tolérance , la charité , en
dérivent aussi. Une personne humble ne saurait
être arrogante ni exigeante; au contraire, la pré
venance est pour elle un devoir et une satisfaction.
En un mot , la patience , la longanimité , toutes
les qualités douces , toutes les vertus sociales que
le monde sait estimer comme la religion , ne sont
qu'une suite nécessaire d'une humilité véritable.
Oui , le monde lui-même n'a pu se défendre de
marquer son estime pour une aussi rare vertu ;
elle y a toujours été accueillie avec distinction.
Malgré ces calomniateurs insensés de toute vertu ,
qui prétendent que l'humilité ôte à l'âmé tout son
ressort , et la rend incapable de grandes choses ,
on a toujours reconnu qu'elle était le signe le plus
certain du vrai mérite , et que la défiance de ses
propres forces en provoquait au contraire de toutes
nouvelles émanées d'un Dieu qui résiste aux su
perbes et donne sa grâce aux humbles. Aussi, les
personnes du monde ont-elles toujours tâché de
conserver au moins les. formes extérieures qui rap
pellent la vertu de l'humilité dont elles jugeaient la
pratique réelle trop difficile. Dans leurs assemblées
cérémonieuses on doit toujours céder le pas, choisir
toujours la dernière place , cacher avec soin sa su
périorité, et relever les moindres qualités des autres.
Mais ce que le mondejpe fait plus que par pure gri
mace, le vrai chrétien doit le faire par un principe
302 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
religieux, et chercher à plaire à Dieu en même
temps qu'il captive la bienveillance des hommes.
Comment donc m'affermirai-je en peu de temps
dans . cette vertu si rare de l'humilité ? — Si le
Seigneur me fait la grâce d'être bien impartiale dans
l'examen que je vais faire des différens avantages
sur lesquels se pourrait fonder mon amour-propre,
je reconnaîtrai facilement tous les motifs d'être
humble. Et bien loin de vouloir jamais m'élever, je
ne penserai plus quà m'humilier profondément ,
non- seulement devant le Dieu trois fois saint,
mais même en présence des âmes justes d'entre
mes semblables.
Ce dont je pourrais tirer vanité , ce sont les ri
chesses , la naissance , le nom , les agrémens du
corps, le rang, l'esprit , les talens Mais, avant
de m'enorguillir de ces avantages, voyons ce que
je puis répondre aux questions suivantes : Com
ment ai-je amassé ma fortune , employé rhes ri
chesses et mon crédit ? ma conscience ne me re-
proche-t-elle rien à cet égard? Comment ai-je
rempli les obligations de mon rang ? Ai-je été la
protectrice de l'innocence, le soutien de la faiblesse ?
N'ai-je point fait éprouver sans raison le poids de
ma supériorité à ceux qui avaient le malheur de
vivre dans ma dépendance ? et ne me suis-je pas
rendue méprisable à leurs yeux ? — Les agrémens
du corps n'ont-ils pas été l^j premiers écueils de
ma vertu? Ai-je véritablement lieu de me louer
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3o3
de ces dons de la Nature? Enfin, quel esprit m'a
nime ? Est-ce l'esprit de bonté , de douceur , de
charité ? l'esprit de Dieu ? ou n'est-ce pas plutôt
l'esprit de malice , de méchanceté , l'esprit d'irré
ligion et d'impiété ? Ah ! si je veux réfléchir sé
rieusement , je ne trouverai que de vrais sujets de
confusion , même dans ces prétendus avantages
dont je serais tentée de m'enorgueillir.
D'autre part , si je consulte le Sage , que me
dit-il? Tout sur la terre n'est que vanité et afflic
tion d'esprit , hors de servir Dieu. Si je m'adresse
à l'Apôtre, quelle réponse me fait-il ? il me répond
par ces paroles accablantes pour un esprit orgueil
leux : Tout ce que vous avez , vous l'avez reçu ;
et si vous Pavez reçu , comment voudriez - vous
vous en glorifier comme si vous ne l'aviez point
reçu ?3
O mon Dieu ! que la pensée de vouloir m'enor
gueillir soit donc toujours bien éloignée de mon
cœur, et que je me dise souvent en moi-même :
Oserais-je , sans rougir, soutenir un parallèle entre
moi et Marie ? Non sans doute. Cependant Marie
a été la plus humble de toutes les créatures ! Je
dois donc être humble aussi , et savoir me mettre
à ma place , c'est-à-dire à la dernière.
Reconnaissant ainsi toutes les raisons que j'ai de
pratiquer la sainte vertu d'humilité , je m'adresse
à vous, Vierge admirable, pour obtenir les grâces
dont j'ai besoin.— A,h! ne me refusez point, en ce
3o4 RÉFLEXIONS ET SENTJMENS
moment votre puissante protection ! Vos exemples
d'humilité et de modestie ont été grands et dignes
d'une éternelle imitation! 0 ciel! avec quelle sainte
conviction , au moment même d'être choisie pour
mère de Dieu entre mille autres filles d'Israël qui
avaient aussi amassé des richesses, mais que vous
aviez surpassées toutes , vous avez déclaré que vous
n'en étiez que L'humble servante ! i— Et quand il
s'est agi de faire une offrande dans le temple , le
jour de la Purification , selon la loi de Moïse , avec
quelle profonde humilité vous avez voulu offrir
votre don à la manière des pauvres ! avec quel
empressement , en un mot , vous avez cherché à
vous humilier et à vous abaisser dans toutes les
circonstances de votre vie! Ah! s'il vous était donné
de revenir sur la terre, après avoir repoussé un culte
qui n'appartient qu'à Dieu seul, vous renverseriez les
autels que les hommes élèvent en votre honneur!
Aidez-moi donc aussi à vous imiter dans votre con
duite aussi difficile que méritoire , afin que eet
oracle de votre divin Fils s'accomplisse plus tard
sur moi :dans le ciel : Ceux qui se seront humiliés
sur. la terre seront glorifiés dans le Seigneur:
SLR DIVERS SUJETS DE RELIGION. îk>5
QUATRIÈME SUJET.
INNOCENCE, VERTUS PURES ET SANS TACHE.
L'innocence et les vertus de Marie ont été aussi
précieuses aux yeux de Dieu que sa profonde hu
milité. Se tenir exempt des plus légères souillures ,
éviter jusqu'à l'ombre du mal, voilà en quoi con
siste principalement la perfection. Que ces qualités
remarquables dans Marie, que les grands exemples
qu'elle nous a laissés m'inspirent le désir ardent
de les imiter avec constance ! ...
Personne ne peut envisager avec quelque atten
tion les différentes époques de la vie de Marie sans
reconnaître aussitôt que toutes ses vertus ont été
pures et sans tache. Il est impossible de découvrir
en elle une seule pensée, un seul désir qui pût être
regardé comme la plus légère faute envers Dieu ou
le prochain. Sa conduite a été en tout exactement
ce qu'elle devait être. Jamais elle n'a manqué en
rien à la vénération, à l'anWur ni à la soumission
qu'elle devait au Seigneur, pas même dans ces
terribles épreuves dont sa vie toute sainte fut tra
versée. Jamais elle n'a désiré s'élever contre les
vues de la Providence et les contrarier; au con
traire , elle a fait sans murmurer le sacrifice de
son Fils unique, pour se soumettre aux décrets du
3o6 KÉFLEXIONS ET SENT1MENS
ciel qui voulait que Jésus s'exposât à la mort pour
retirer le genre humain de l'abîme qu'il s'était
creusé. Et comment pourrait- on avoir une idée
différente des vertus de Marie , quand on pense
qu'elle a été spécialement choisie pour devenir la
mère de l'Homme-Dieu ?
Mais sa conduite envers tous ses contemporains
n'est-elle pas une nouvelle preuve de sa pureté et
de ses vertus intactes ? Ceux de ses compatriotes
qui eurent le bonheur de l'approcher et de la con
naître plus particulièrement, ne furent-ils point
forcés de lui rendre cette justice, que ses exemples
de modestie , de réserve', de franchise , de sincé
rité, de patience et de soumission , de bonté et de'
charité , étaient si évidens , qu'ils faisaient l'im
pression la plus heureuse sur tous les cœurs ? Où
trouvera-t"-on , dans une vie aussi exemplaire , lé'
moindre tort contre le prochain ? Marie n'a-t-élle
pas été, au contraire, par sa tendresse, la conso
lation d'Israël et du monde entier? À-t-on jamais
pù remarquer en elle lâ plus petite tracé d'un désir
contraire à quelque loi que ce fût dans l'intérêt de
la société ? À-t-éïle éveillé le soupçon de ïa plus
légère passion capable de scandaliser?'
Abreuvée d'amertume, et couverte d'opprobres ;
objet des outrages les plus cruels comme les plus
injustes ; inondée du sang innocent de son Fils
chéri ; recevant dans ses bras maternels le corps
inanimé de cette déplorable victime de l'humaine
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3c>7
perversité ; quand elle a pu dire avec vérité aux
tilles d'Israël : Venez , et voyez s il est une dou
leur semblable à ma douleur; dans ces momens
véritablement affreux, lui est-il échappé une seule
invective contre les juges et les bourreaux de Jésus-
Christ? A-t-elle ressenti dans son cœur la moindre
haine, le moindre ressentiment ou le plus léger
désir de vengeance ? . •
Non : personne ne peut envisager la vie de Marie
sans reconnaître avec joie que son innocence et
ses vertus pures et sans tache lui ont mérité les
faveurs et les grâces insignes dont elle a été com
blée. — Par ces mœurs douces et cette conduite
absolument intacte, elle parvint aussi à établir en
elle cette tranquillité, cette paix inaltérable et ce
contentement divin qui ne l'abandonnèrent jamais
dans les circonstances même les plus pénibles de
sa vie.
0 vous, la plus parfaite et la plus pure des
créatures, comme la plus intéressante de toutes
les filles de David ! obtenez-moi du ciel un cœur
semblable au vôtre , un cœur sensible aux charmes
d'une vertu intacte, "afin que vos exemples puissent
y laisser des traces profondes. Je veux apprendre
de vous à veiller sans cesse sur tous les mouvemens
de mon âme , pour me conserver pure comme
vous. Je veux apprendre de vous à ne jamais
troubler le calme de ma vie par des légèretés ou
des folies , et à ne jamais ternir l'éclat des vertus
20.
3©8 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
même les plus difficiles à conserver intactes. En
un mot, je veux apprendre de vous à mener une
vie tellement irréprochable, que toute la terre soit
forcée d'avouer que désormais, en aucun point,
ma conduite ne saurait provoquer de censure.
Oui, dès ce moment je ne veux plus manquer,
de propos délibéré , à aucun de mes devoirs.
Quel bonheur pour moi si , à l'exemple de Ma
rie , je demeure inébranlable dans cette réso
lution jusqu'à la fin de ma carrière , et si mon
courage et ma fidélité ne se démentent plus !
Combien les consolations de la piété et de la reli
gion auront alors de force pour pénétrer mon cœur
du sentiment de la paix du Seigneur ! Combien
l'espérance chrétienne me paraîtra consolante en
me rendant digne de la protection du Tout-
Puissant ! Avec quelle confiance je pourrai porter
mes regards vers la cité céleste !
0 vous, jeunes chrétiennes! qui que vous soyez,
efforcez-vous de prendre Marie pour le modèle
constant de votre conduite ! Plus vous vous eu
rapprocherez , plus vous augmenterez votre bon
heur, même sur la terre, au milieu des peines et
des épreuves. Ah ! tâchez donc d'être toujours en
état de pouvoir prononcer, sans rougir , les noms
de Vertu et de Marie ! .
Et vous , qui n'avez pas encore commencé à
marcher sur les traces de la plus pure des vierges,
craignez de vous dire ses enfers! craignez de vous
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3©<|
dire les sœurs de Jésus-Christ , si vous ressemblez
encore , le moins du monde , à ces malheureuses
victimes de toutes les passions , dont vous déplo
rez vous-mêmes tous les jours les fautes et les
malheurs ! Craignez même de vous donner pour
chrétiennes si vous ne sentez pas encore au fond
de votre cœur un désir ardent d'imiter Marie dans
son innocence parfaite comme dans toutes ses
autres vertus. Vous annoncer comme chrétiennes,
sans l'être de cœur et de fait , ce serait mentir à
votre conscience , tromper le public ; ce serait
déshonorer la famille sainte.
JtÉFLEXIONS ET SENTIMENS
CINQUIÈME SUJET.
PATIENCE ET RÉSIGNATION.
Aucune créature n'a eu autant à souffrir de l'in
justice et de la cruauté des hommes que Marie , la
mère de Jésus. Il n'est point donné au cœur hu
main de concevoir toute l'étendue de ses souf
frances. Une mère , qui perd son fds unique par la
mort la plus terrible , peut à peine s'en faire une
légère idée. Il est impossible de décrire tous les
tourmens qui déchirèrent le cœur de Marie , ni
faire sentir toute l'amertume de sa douleur. Ce
pendant , la douceur , la patience et la résignation
n'ont jamais éprouvé la moindre altération dans
cette âme divine ! Elle se rassurait et se consolait
dans le Seigneur ; elle ne voyait dans les persécu teurs
de son Fils que des frères aveugles, plutôt à plaindre
que haïssables. Elle priait donc en secret pour eux
avec Jésus , afin que le Ciel voulût bien les changer
et les éclairer , et son cœur généreux ne sut ja
mais que pardonner ! Elle excusait même , autant
que possible , dans ses contemporains , la cruauté
la plus atroce ! « Que le sang de mon fils, s'écriait
cette divine mère, que ce sang , s'il faut qu'il coule,
efface du moins les péchés du monde, et le ramène
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 5l I
à la vertu et à la vérité qu'il leur a enseignées !
Que ce sang soit pour l'univers, égaré et mal
heureux , une source de salut et de bénédiction !
Qu'après avoir ajouté encore ce crime à- tous les
autres , il ouvre du moins les yeux sur la profon
deur de sa perversité , et que l'horreur d'une si
épouvantable catastrophe fasse une impression sa
lutaire sur les générations à venir !
Quelle tendresse dans ce langage de Marie!
quelle bonté , et en même temps quelle confiance
en Dieu , quelle résignation , quel héroïsme ! Oui y
de tels sentimens sont véritablement dignes du
Dieu sauveur du genre humain , et de celle qu'il
a choisie pour mère \ Le cœur de l'homme est trop
faible pour apprécier autant de vertu ; il en de
meure confondu d'admiration et d'étonnement !
O Marie I modèle parfait d'une patience toute
divine ! apprenez-moi à souffrir, avec autant de ré
signation que vous , les diverses épreuves de la
vie , et toutes les persécutions que l'injustice de
mes semblables me suscitera. Faites qu'au milieu
des plus grands tourmens, l'animosité, le désir de
la vengeance, le découragement et le désespoir,
n'entrent jamais dans mon cœur; que ma patience
soit toujours inaltérable, et ma douceur toujours la
même ; que mon âme penche toujours du côté de
la miséricorde ; que je sois toujours prête à par
donner, et que ma confiance en Dieu ne se dé
mente jamais.
3l2 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Je suis accablée d'infortunes et de malheurs ;
les plus terribles épreuves sont venues m'assaillir ;
persécutée par mes semblables , calomniée , mé
prisée , je me vois abandonnée de toutes parts :
eh bien l Seigneur , Dieu du ciel , Père infiniment
bon ! à l'exemple de Marie , j'adore vos jugemens
incompréhensibles , et je baise votre main pater
nelle. Que vous m'envoyiez des bénédictions , ou
que vous permettiez que la malédiction des hommes
retombe sur moi , vous ne voulez jamais autre
chose que ma perfection et mon bonheur. Si je
reçois tous les jours vos bienfaits sans nombre ,
pourquoi n'accepterais -je pas aussi les infirmités
par lesquelles la vertu se perfectionne? pourquoi
ne les accepterais-je pas avec la même reconnais
sance , puisque tout doit enfin contribuer à mon
éternelle félicité , si de mon côté je suis fidèle ?
Oui r pourvu que je ne mette point moi-même
d'obstacle à mon salut , vous me conduirez sûre
ment à ma fin , quelque chemin que vous jugiez
convenable de me faire prendre , ô vous qui savez
tirer le bien du mal même ! Je ne murmure donc
pas contre mon sort , ni contre le ciel , ni même
contre mes frères injustes et égarés ; mais, à l'exem
ple de Jésus et de Marie, je prie pour eux, en vous
disant du fond du cœur : Pardonnez - leur, Sei
gneur, ils ne savent ce qu'ils font !
La mort, la cruelle mort, vient de me ravir ce
que j'avais de plus cher au monde ! Vous venez
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3 i 3
d'exiger, ô mon Créateur! le sacrifice de cette per
sonne que j'aimais plus que ma propre vie, de cet
époux , de ce fils , de ce père , de ce protecteur !
Vous ne voulez pas que je sois insensible aux coups
qui me frappent ni à la perte que je fais , mais
vous voulez que je vous en fasse le sacrifice, et que
j'imite Marie dans la force avec laquelle elle sup
porta la mort de son fils unique! Eh bien [Seigneur,
oui, je vous le fais, ce sacrifice pénible ; je ne me
plains pas de vos arrêts ! Il est vrai , mes larmes
coulent, mais je ne les répands que dans votre pré
sence , ô mon Dieu i je me dérobe aux yeux des
hommes pour ne confier mes peines qu'à vous seul!
Mon cœur abattu cherche à la vérité des consola
tions , mais il n'en cherche qu'en vous ! La nature
se révolte ; mais la religion , mais les exemples de
Jésus et de Marie m'apprennent à triompher de
la nature elle-même!
O mon âme ! louez le Seigneur. Dites que sa
sainte et adorable volonté soit faite en tout et
partout ! Le ciel et la terre lui sont soumis : pour
quoi moi , faible et chétive créature , ne me sou-
mettrais-je pas aussi ? — Comment oserais-je me
plaindre de mes disgrâces? Suis-je bien sûre que
je ne me les suis point attirées moi - même par
des imprudences ou des désordres ? Comment
me permettrais -je de murmurer contre le Sei
gneur? Le Seigneur se plaît-il dans les souffrances
de ses créatures? Ne dois-je pas le remercier plutôt
!
3 1 4 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
d'avoir permis qu'une occasion favorable me don
nât la facilité d'expier mes erreurs sans nombre?'
Et fût-il vrai que mon Créateur m'eût envoyé des
malheurs tout exprès pour éprouver ma vertu , ma
résignation et mon amour , ne serait-ce point alora
le moment de manifester des sentimens véritable
ment dignes du ciel, plutôt que de me laisser aller
à une lâche pusillanimité , ou à ce désespoir résul
tat ordinaire de l'incrédulité ? Ne me suffit-il pas de
savoir que Dieu est infiniment bon, infiniment sage
et infiniment puissant , pour m'abandonner sans
réserve à sa providence ? Je me souviendrai donc
sans cesse des souffrances et de la résignation de
Marie ; et dans mes peines , toujours bien légères à
côté des siennes, je dirai avec elle au Tout-Puissant :
Seigneur ! dans la vie et dans la mort vous êtes
mon Dieu ! entre vos mains je remets mon sort
pour l'éternité ! .
SDR DIVERâ SUJETS DE RELIGION. 3i5
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SIXIÈME SUJET.
AMOUR DE DIEU, SERVICE CONTINUEL DU SEIGNEUR.
Je vous salue, ô la plus parfaite des vierges! et
je reconnais que vous avez été véritablement rem
plie de grâces. Votre cœur, pénétré de l'amour di
vin, fut un autel où s'offrait un sacrifice continuel.
Toutes les actions, toutes les pensées de votre vie
furent dictées par un esprit de religion et d'amour
de Dieu. Vous rapportiez tout à Dieu. La grande
pensée de cet Etre qui remplit l'univers, cette pen
sée qui élève l'âme et la rend capable de grandes
choses , cette conviction intime que vous vous
trouviez partout dans la sainte présence de celui qui
dirige la destinée de tous les mortels, devint, chez
vous, la première cause de cette sainteté qui vous
méritera les éloges des générations les plus reculées.
Oui, la vie de Marie fut un service continuel du
Seigneur. Dans tout ce qui lui arrivait , elle n'en
visageait que l'éternel témoin de ses actions, et le
juge incorruptible de chaque mouvement de son
cœur. Elle n'ignorait pas qu'avec une telle con
duite on parvient à s'élever à une haute sainteté
par les actions les plus simples en apparence. Et
c'est ainsi que , s'enrichissant de jour en jour de
tous les mérites de la vertu , elle conserva dans
3l6 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
leur état primitif l'innocence et la pureté de son
cœur. ,
Hélas ! par les mêmes moyens , j'aurais pu
augmenter prodigieusement mon trésor dans le
ciel ! Dans ce moment je pourrais déjà être riche
devant Dieu , et mûVe pour l'éternité ! tandis que
je languis encore dans le honteux esclavage de
mes passions et dans la lèpre du péché. Seigneur,
quand commencerai-je donc à vous servir comme
vous le méritez ? Quand penserai-je sérieusement
à travailler à ma perfection et à ma félicité ? 0 mon
Dieu ! que je regrette le temps perdu ! Mais s'il
est vrai , Seigneur , que je commence tard à vous
servir, au moins , faites-moi la grâce de demeurer
fidèle , jusqu'à mon dernier soupir , à la résolution
que je forme aujourd'hui. Faites qu'à l'exemple
de l'admirable Marie, je sanctifie jusqu'à mes
moindres actions pendant le reste de mes jours.
Et alors, si je n'arrive point riche en mérite et en
bonnes œuvres au terme de ma carrière mortelle,
au moins pourrai-je espérer le pardon de mes
fautes passées.
Ainsi , dès aujourd'hui je veux m'accoutumer à
ne voir que Dieu dans tout ce qui m'arrive , à n'a
voir en vue que lui seul dans toutes mes démar
ches. Dans la prospérité je lui rendrai grâces , et
dans les revers je porterai vers lui mes regards.
Dès aujourd'huije veux chercher à m'élever à un tel
degré de sainteté, que mes peines elles-mêmes me
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3 I <J
paraissent de véritables jouissances. Oui , dès ce
moment je reconnaîtrai et adorerai , en tout et
partout , la sainte volonté du Créateur ; je m'effor
cerai de m'y conformer dans ma conduite autant
que la faiblesse humaine peut le permettre.
Dieu de bonté ! en suivant l'exemple de Marie ,
le reste de ma vie sera un sacrifice non interrompu.
Quelles prières , quelles adorations pourraient vous
être plus agréables que des journées passées dans
l'exercice de tout bien ? A la vérité , je ne pourrai
point passer tout mon temps dans votre saint
temple ; mais je remplirai tous les devoirs de mon
état, et, par les occupations les plus simples en
apparence, j'arriverai à la perfection.
Quel bonheur pour moi , dans la suite , si je
m'attache irrévocablement à suivre les exemples
de Marie dans son zèle pour le service de Dieu !
Et pourquoi ne les suivrais-je pas , ces exemples
sacrés ? Ne m'est-il pas permis , aussi-bien qu'à
Marie, de m'encourager sans cesse par la pensée
du Seigneur suprême? Ne suis-je pas, comme elle,
placée sous la surveillance du ciel? N'est-ce pas
toujours la même providence paternelle qui di
rige tous les événemens de notre vie?— Oui, moi
seule je me suis opposée jusqu'à présent à ma fé
licité, car Dieu n'a jamais cessé un seul instant
de la chercher : c'est là son unique désir ; et les
moindres changemens qui surviennent à ma si
tuation ne sont que l'effet des conseils de son éter
3 I 8 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
nelle sagesse qui m'appelle sans cesse au bonheur
par la perfection. Si j'entre dans ses vues, si je ne
contrarie en rien les effets de sa bonté , il me
conduira à ma fin par" des voies sûres et infaillibles ;
il saura faire servir mes faiblesses passées elles-
mêmes à mon avancement spirituel.
Que cette grande et salutaire pensée de la pré
sence de Dieu fasse donc une impression profonde
et durable sur mon cœur. Que ce souvenir donne à
toutes mes paroles , à toutes mes entreprises , à
tous mes désirs la direction convenable , afin que,
dans la prospérité, je ne me laisse point aveugler
au point de faire un mauvais usage de mes biens ,
et que , dans l'adversité , je puisse toujours de
meurer ferme et résignée.
Oui, mon Dieu! la résolution irrévocable en
est prise ; à l'exemple de la divine mère de Jésus,
je veux m'efforcer à ne plus voir que vous dans la
Nature entière, et à entrer, avec toute l'exactitude
qui me sera possible, dans toutes les vues de votre
tendresse. Je rechercherai avec soin et empresse
ment toutes les occasions de pratiquer quelque
vertu et de faire quelque bien. Je m'exercerai dans
la patience, dans l'humilité, la modestie, dans la
charité, la piété , la religion, dans la bienfaisance
et toutes les œuvres de miséricorde, et surtout dans
la fidélité et la confiance filiale que je vous dois.
Je remplirai avec joie tous mes devoirs , même
ceux qui paraissent humbles et petits aux yeux du
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3 H)
monde. Le bien-être spirituel et temporel de mes
semblables sera en même temps l'objet continuel
de ma sollicitude. Donner des conseils, porter des
secours et des consolations , faire , en un mot ,
le bien , sera mon occupation la plus chère. Et si,
à l'exemple de Marie , je remplis bien ces diverses
résolutions; si , jusqu'à la fin de ma carrière, j'ai le
bonheur de ne les plus perdre un seul instant de
vue , avec quelle douce consolation je pourrai me
rendre alors , pendant toute l'éternité , le témoi
gnage précieux d'avoir consacre ma vie à un ser
vice non interrompu du Très-Haut! Quelle joie,
quel triomphe de pouvoir me dire incessamment
que mon amour pour Dieu a brûlé d'une flamme
continue, et qu'il n'a fait que s'accroître à chaque
instant, dépuis le moment où, moyennant votre
grâce, j'ai persisté avec fidélité dans mes résolu
tions ! Quelle gloire de pouvoir m'applaudir éter
nellement d'avoir choisi le véritable chemin de la
félicité ! "
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ilO BÉFUiXIONS ET SENTXMENS
SEPTIÈME SUJET.
LA VERTU RICHEMENT RÉCOMPENSÉE.
Je vous félicite , divine Marie , au moment de
votre départ pour une vie meilleure. Je me réjouis
de voir approcher le terme de toutes vos peines ,
et les riches récompenses qui vont couronner vos
vertus. Par là vous donnez à l'univers une preuve,
aussi consolante qu'incontestable , qu'une vertu so
lide et pure peut seule rendre l'homme heureux.
Vous y avez trouvé vous-même le contentement
pour le temps , et la félicité pour l'éternité, et vous
êtes vraiment pour nous l'exemple de la vertu ri
chement récompensée.
- Nous ne disons rien de trop lorsque nous avan
çons que toute votre vie n'a été, qu'une suite de
pensées et d'actions véritablement dignes du Créa
teur ; aussi pouvons -nous ajouter que la récom
pense , qui tôt ou tard suit immanquablement la
vertu, vous fut donnée dès cette vie., et que votre
félicité ne fit que s'accroître jusqu'au moment glo
rieux où le Très-Haut épuisa en quelque sorte sur
vous les trésors de sa toute-puissance.
La plus tendre jeunesse de Marie, déjà marquée
par tant d'innocence et de vertu , lui mérita d'être
proposée , comme un modèle accompli. , à toutes
,
v /
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 32 I
les jeunes personnes de son temps. Il lui suffisait
de se faire connaître pour se concilier l'affection
et l'estime de tous ses contemporains. Éloignée
du monde , de ses faux plaisirs et des soins ter
restres , seule et retirée dans le sein de l'oubli,
elle trouva dans son propre cœUr une consolation ,
une paix que le monde ne saurait donner. Une
foi ferme et inébranlable devint la base de toule's
ses vertus ; une paix durable s'établit dans cette
âme remplie de confiance en Dieu, et de l'espoir
d'un avenir meilleur.
L'intérieur de Marie ne fut jamais troublé par
aucune passion dominante. Jamais d'orage , ja
mais le plus léger nuage dans cette âme noble et
pure ! Contente de ce que le ciel accorde pour la
vie, soumise à toutes les destinées de la Provi
dence , armée d'un courage inébranlable pour les
heures de tribulations , cette Vierge établit en elle-
même une source de félicité. Elle put attendre Je
terme de son pèlerinage terrestre avec un calme
parfait; elle savait que ce pèlerinage, quoique dur,
ne pouvait se terminer que par un bonheur sans
fin.
On peut le dire : la douceur et l'amour faisaient
le fond du caractère de Marie ; ces vertus furent
inaltérables en elle , et ne se démentirent jamais ;
aussi sera-t-elle toujours le plus beau modèle qui
puisse être proposé aux épouses fidèles , aux mères
tendres, aux véritables amies, et à toutes les jeunes
322 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
chrétiennes qui aspirent à la perfection. Si , pour
soutenir l'égalité de son humeur dans les situations
variées et difficiles de la vie , ses efforts furent pé
nibles , elle fut digne aussi de l'estime et de l'ap
probation universelles, ainsi que de l'attachement
de toutes les personnes vertueuses qui la con
nurent. Que dis-je ? elle obtint la haute approba
tion de la Divinité elle-même, et les faveurs les plus
signalées du ciel ! Que pouvait-il donc manquer à
son bonheur, même dès cette vie ? Humble, pauvre,
abandonnée , persécutée , quoique descendant des
rois d'Israël, elle était riche en vertus, et aimée
du Seigneur.
Oui, Marie prit le véritable chemin du bonheur.
Elle sut mettre au profit de sa perfection toutes
les circonstances de sa vie, et ses souffrances elles-
mêmes contribuèrent à consolider la paix de son
cœur. Son entière confiance en Dieu la conduisit
jusqu'au terme de sa carrière mortelle , et son
passage à l'éternité ne put être pour elle que le
passage à la gloire suprême. Aussi son nom est-il
resté en bénédiction parmi nous. Son souvenir
sera toujours cher aux âmes sensibles ; elle sera
appelée heureuse jusqu'aux générations les plus
reculées; et, ce qui est plus glorieux encore, toutes
les âmes droites et généreuses, remplies d'une vé
nération profonde pour ses vertus et la sainteté
de sa vie, s'efforceront, jusqu'à la fin du monde,
de marcher sur ses traces !
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3a3
Quelle preuve éclatante la vie de Marie ne nous
offre-t-elle donc pas de cette vérité qui devrait être
gravée en caractères d'or dans tous les temples, et
en caractères de feu dans tous les cœurs, qu'une
vertu solide et pure est seule capable de rendre
l'homme véritablement heureux ! —Non ; tout bien
considéré , je ne pourrai jamais appeler heureux
celui qui ne trouve pas dans son cœur la paix et le
contentement que donne la vertu. Et comment
pourrait-il donc goûter le bonheur , cet esclave
méprisable du vice , que mille soucis et mille re
mords agitent? L'or, les pierreries et la gloire
humaine ne donnent pas la paix ; et quand bien
même je verrais le monde s'étourdir un certain
temps sur son véritable état ; quand il serait vrai
qu'il réussît à se distraire pendant quelques jours
par les plaisirs bruyans qu'il invente sans cesse ;
quand je le surprendrais même endormi entre les
bras de la volupté , de quelle durée pourrait être
cette image prétendue du bonheur? O ciel ! comme
les suites funestes du désordre et du crime sont
promptes à attaquer et à poursuivre le malheureux
qui s'y est livré ! Comme la paix et la tranquillité
disparaissent subitement d'un cœur irréligieux et
coupable! Comme les cruels remords s'acharnent à
tourmenter une âme pécheresse ! Comment donc
pourrait-il y avoir un seul moment de paix pour
l'infortuné qui ne peut plus prononcer le nom de -
vertu sans rougir, ni se rappeler la pensée de Dieu
,i i .
3^4 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
sans terreur? Comment concevrait - il un senti
ment de confiance ou d'amour filial, celui-là qui
ne peut penser à la vie future , à la mort , au ciel
et à l'éternité qu'avec effroi, qu'avec horreur? Non,
point de bonheur pour l'homme criminel. La vraie
félicité n'est réservée qu'à la vertu, car elle éprouve
déjà ici-bas un avant-goût du bonheur éternel.
Comment ne sacrifierais-je pas tout pour suivre
cette voix puissante du Seigneur et l'invitation
de Marie , qui ne cessent de m'appeler à la perfec
tion chrétienne, tandis que mille expériences me
prouvent clairement que la. félicité et la perfection
sont unies aussi intimement entre elles que le sont
les perfections de Dieu dans son essence divine ; et
lorsque , par mes propres raisonnemens , je trouve
que l'imitatrice zélée de Marie peut seule goûter le
bonheur , et qu'elle le goûte même au milieu des
tribulations de la vie ?
O mon Dieu l dès aujourd'hui je suis à vous et
au bonheur ! Dans toutes les rencontres, et à chaque
instant de ma vie , je serai prête à suivre la voix
salutaire de la vertu, d'après les exemples de Jésus
et de Marie , pour ma tranquillité sur la terre et
ma félicité dans le séjour éternel de la gloire , où
seulement la vertu recevra sa véritable couronne et
une récompense digne d'elle !
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3n5
,VAA\1\WH\\VVV*WW\WWWVXWWWW\VWWWWVVWWVWWVAXWw\yWXVWW V
HUITIÈME SUJET.
LA PRIÈRE ET l'oRAISON.
Quelle consolation et quel bonheur pour moi
*le trouver un ami puissant , grand et noble pro
tecteur, toujours disposé à me secourir et à alléger
mes peines ; à qui je pusse confier tous les jours
mes peines , mes besoins divers ! Ce serait rencon
trer un trésor, selon l'expression de l'Écriture !
Ame de peu de foi ! chaque chrétien n'a-t-il donc
pas à ses côtés cet ami fidèle , ce puissant conso
lateur, ce noble protecteur ? Le Souverain du ciel
et de la terre n'a-t-il pas lui-même , le premier ,
établi entre lui et les humains des relations intimes
et étroites ? Vous pouvez vous adresser à lui , à
toute heure et avec une pleine confiance , comme
à un confident , comme à un père , et lui faire
incessamment part de vos craintes et de vos es
pérances. Son oreille est toujours attentive à vos
prières , et son cœur toujours penché vers vous. Il
ne demande même qu'à vous seconder dans vos
efforts pour parvenir au vrai bonheur, puisqu'à
cette fin toute créature intelligente et sensible a
été tirée du néant.
Pourquoi suis-je obligée de prier ? Que dois-je
326 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
demander dans mes prières ? Comment dois-je
m'entretenir avec Dieu dans mes oraisons? 0 vous,
Vierge pure et sainte , qui , la première , avez eu
des communications si intimes avec le Très-Haut,
après m'avoir donné tant d'autres exemples , en
seignez-moi encore à le prier comme il le faut.
Pourquoi Dieu veut-il être prié ? Pourquoi ne
m'accorde-t-il pas, sans de pressantes sollicitations,
tout ce dont je puis avoir besoin? Ne connaît-il
pas beaucoup mieux que moi tout ce qui m'est né
cessaire et utile ? — Telles sont les questions , ou
plutôt les blasphèmes d'une impiété toujours aveu
gle qui n'a point vu , ou n'a point voulu voir, que
si le Tout-Puissant avait adopté un semblable sys
tème à notre égard , il eût ainsi détruit toute es
pèce de relation entre le ciel et la terre , et que
nous eussions été tous semblables à cet enfant
malheureux de l'Evangile , qui avait reçu sa légi
time , et qui n'avait plus rien à espérer de son
père. Cet argument captieux du philosophe du
siècle est-il donc un langage digne d'un sage , et
surtout d'un législateur? Attaquer inconsidérément
l'usage de la prière , c'est se mettre en opposition
avec le genre humain , et par conséquent la sainte
nature ! C'est outrager la bonté et la puissance
du Créateur autant que la raison humaine. Com
ment le profond philosophe , auteur de ce para
doxe , ne put-il pas se rappeler que Dieu peut
accorder des faveurs conditionnelles , et attacher
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3 37
certains bienfaits aux prières ferventes de ses créa
tures sensibles , sans que pour cela il soit obligé
de changer ses décrets éternels ? Pour moi, je ne
me mettrai jamais en peine de la puissance du
Seigneur, il peut, sans aucun doute, m'accorder
toutes les faveurs dont je saurai me rendre digne ;
et de plus grandes encore , car son pouvoir ne re
connaît point de bornes au ciel ni sur la terre.
Avant que je fusse en état de prier , le Seigneur
m'avait déjà accordé une infinité de bienfaits. Il
m'avait donné l'existence, le premier de tous les
biens ; il m'avait fait naître de bons parens ; il avait
amené dans mes bras des amies vertueuses ; enfin,
il m'avait fait trouver partout de nobles protec
teurs , des bienfaiteurs généreux , dont il a été
lui-même le premier : comment donc aujourd'hui
serais-je assez ingrate ou assez aveugle , pour
trouver mauvais que ce Maître souverain de tous
ses dons en ait attaché quelques-uns à mes prières
ferventes , sans vouloir ne les accorder qu'à de
vives instances ?
Cependant, nous pouvons encore ajouter ici cette
réflexion de l'Evangile que , dans nos prières ,
nous devons demander , surtout , les biens dont
l'objet est notre salut éternel , la grâce de bien
faire ; que tout le reste nous sera donné comme
par surcroît ; et cela , parce qu'il faut que le mérite
de la vertu nous soit propre , et qu'il puisse nous
être appliqué. Si le Seigneur nous rendait sages,
3aS RÉFLEXIONS ET SENTIMEMS
pieux , vertueux , parfaits , malgré nous , ou sans
que notre volonté y fût pour quelque chose , à
quelle récompense pourrions-nous donc prétendre ?
Nos prières ne seront donc jamais inutiles ni
superflues, si nous avons soin de chercher, avant
tout , le royaume de Dieu et sa justice , et si nous
ne demandons les biens terrestres qué%K>mme des
moyens de salut et des occasions de faire le bien.
Aussi , l'Eglise n'a-t-elle pas mis dans la bouche
de ses enfans seulement des prières intéressées;
mais, quand nous prions, nous louons Dieu, nous
le bénissons , nous l'adorons , nous lui rendons
grâces de ses bienfaits sans nombre. Dans nos
prières , nous excitons au fond de nos cœurs des
senlimens d'affection, de dévouement, de recon
naissance, d'bumilité, d'anéantissement devant la
majesté éternelle. Dans nos prières, nous nous
entretenons avec l'Etre des êtres, qui sait se com
muniquer avec tant de bonté à l'âme vertueuse ;
nous méditons sur les vices et les vertus, sur la
manière de fuir les uns et de pratiquer les autres.
En un mot, dans nos prières, nous nous occupons
directement , spécialement , et le plus utilement
pour nous , de notre perfection et de notre fé
licité.
Ainsi , je vois donc déjà quels biens je dois de
mander à Dieu dans mes prières. Seigneur, dirai-je
au Tout- Puissant , bienfaiteur de vos créatures !
â l'exemple de Salomon , je vous demande , avant
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. O29
tout , le don de la sagesse , préférable à tous les
trésors de la terre. Je vous demande le don de
charité , l'esprit de bonté , de douceur , l'esprit de
patience , de longanimité , l'esprit de sainteté et
de justice. Fortifiez , ô mon Dieu ! et dirigez ma
volonté , afin que je n'aspire jamais qu'aux vrais
biens. Sans la vertu , je méprise souverainement
les richesses, les honneurs et les grandeurs. du
monde. Donnez - moi , Seigneur , la science des
saints et toutes les connaissances célestes ; sans
elles je n'oserais même pas vous demander les
vaines lumières du siècle , ni les connaissances
obscures et incertaines des sages de la terre.
Mais comment dois -je prier? Autrefois les
apôtres firent la même question à Jésus-Christ ,
et ce divin instituteur des nations leur répondit:
Quand vous priez, dites : « Notre Père, qui êtes
» aux cieux , que votre nom soit sanctifié , que
» votre règne arrive , que votre volonté soit faite
» sur la terre comme au ciel ; donnez -nous au-
» jourd'hui notre pain quotidien , pardonnez-nous
» nos offenses , comme nous pardonnons à ceux
» qui nous ont offensés ; et ne nous laissez point
» succomber à la tentation , mais délivrez-nous du
» mal. Amen.» Voilà donc la prière des prières,
cette prière enseignée par Jésus lui-même; cette
prière que je ne saurais jamais trop répéter, parce
qu'elle contient l'abrégé de toutes les autres. Voilà
ces paroles divines qui ne doivent point être sim^
33o HÉFLEXIOKS ET SENTIMENS
plement sur mes lèvres , mais dans mon cœur ;
puisqu'elles expriment , avec une précision admi
rable , tous les sentimens dont je dois être animée
envers Dieu et le prochain. Si les sages de l'anti
quité ont essayé de donner aux hommes quelques
formules de prières , ces formules n'étaient évi
demment que les faibles étincelles de ce soleil de
toute vérité qui, aujourd'hui, éclaire tout homme
appelé dans ce monde.
Faites donc, ô mon Dieu ! que toutes mes prières
soient telles que vous les désirez. Et vous , admi
rable mère de Jésus-Christ , en tout mon modèle ,
mettez dans mon cœur un langage aussi pur, aussi
naïf et aussi simple que le vôtre au Seigneur, lors
que vous demandiez le salut du monde , en appe
lant le Sauveur sur la terre.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 33 I
XXXVWXXXMVUWUWVW\\WXVWVXVVVXXVVWXXXXWXXXVXA\XVXVWXXWXWXWWWWXWWXX»
NEUVIÈME SUJET.
DE LA BIENFAISANCE.
Encore une vertu qui doit être comme parti
culière aux jeunes personnes et aux femmes chré
tiennes : c'est la vertu des cœurs bien nés, la vertu
des coeurs sensibles , la céleste bienfaisance. Il est
devenu indispensable , aujourd'hui , de ranimer ,
parmi nous , cette vertu précieuse par le feu sacré
de la charité chrétienne. On ne peut plus se le
dissimuler; un égoïsme honteux et un athéisme
désolant ont tari toutes les sources de la bienfai
sance. Mais si l'incrédulité et l'impiété sont dures
et insensibles ; si la prétendue philanthropie est
froide et impuissante, la religion saura bien encore
amollir les cœurs , si l'on vient , de fait , à lui
rendre quelque influence de morale publique. Une
seule sentence de Jésus-Christ a produit plus de
bien sur la terre que tous les ouvrages des mo
ralistes et toutes les sociétés se disant philanthro
piques : « Ce que vous aurez fait pour le dernier,
pour le plus humble , pour le plus pauvre de mes
disciples , c'est pour moi personnellement que
vous l'aurez fait. » Que de bien ce peu de paroles
n'a-t-il pas produit sur la tewe depuis dix-huit
cents ans! Que d'actes d'humanité, de générosité,
332 RÉFLEXIONS ET SENTIMEMS
«l'héroïsme , n'a point fait éclater cette religieuse
persuasion ! Que d'infortunés soulagés ! Que de
malheureux consolés ! Que de larmes essuyées !
Le nombre de ces légions d'âmes charitables qui
se sont sacrifiées de tout temps , dans le christia
nisme , pour le Service des pauvres et le soulage
ment des malades , est incalculable. Et tous les
jours encore des milliers de ces filles admirables
de saint Vincent de Paule deviennent les martyrs
de l'humanité souffrante , sur la seule foi des pro
messes que leur a faites Jésus-Christ !
Non , rien n'est plus capable de nous rendre
généreux et nobles, grands et magnifiques dans
nos sacrifices pour le bien de nos semblables , que
les mystérieuses vérités de l'Evangile , et les tou-
chans exemples de Jésus et de Marie. Je tâche
rai donc ,v par des souvenirs religieux , de renou
veler aujourd'hui ma tendresse envers ceux de mes
frères et sœurs en Jésus - Christ , qui n'ont reçu
pour partage suf la terre que la misère et les
souffrances.
La raison nous apprend que nous sommes tous
les enfans d'un même père tendre qui veut que
nous ayons tous également, de quoi subvenir aux
besoins indispensables de la vie. 11 est donc bien
juste que nous nous regardions tous comme frères,
et que nous nous aimions comme tels ; que nous
nous prêtions un secours mutuel , et que nous évi
tions soigneusement qu'aucun de nos semblables
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 333
ne soit victime secrète de la faim et de la misère. Si
Dieu s'est trouvé dans la nécessité d'admettre sur la
terre mille états différens et mille conditions di
verses, ce qui entrait nécessairement dans le plan
d'une société, il a su mettre également dans le cœur
de tous les hommes le précieux sentiment de la pitié
et de la commisération ; il nous a donné à tous des
entrailles de miséricorde , nécessairement émues
à l'aspect des misères humaines, si, par des pas
sions avilissantes , nous n'avons pas détruit en
nous cette divine sensibilité; et il a voulu que la
bienfaisance et la charité rétablissent l'équilibre
rompu par le partage inégal des biens terrestres.
La bienfaisance est,donc née en quelque sorte avec
le cœur humain ; et celui qui peut amasser des
richesses, tandis que ses frères manquent du néces-
cessaire ; celui qui peut vivre dans l'abondance ,
tandis que ses frères manquent de pain ; celui qui
peut se vêtir et se loger richement et se couvrir
d'or et de pierreries , tandis que ses frères sont
sans asile, sans vêtemens, exposés à la rigueur
des saisons , n'est assurément point un homme ,
c'est , dans la société , un monstre dont les pas
sions ont corrompu le cœur.
Mais ce sentiment louable et naturel chez tous
les hommes a encore été perfectionné par Jésus-
Christ. « Celui , dit-il , qui voit son frère dans le
besoin et la souffrance, et qui resserre ses entrailles
pour ne le point soulager, comment la charité
334 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
de Dieu demeurerait-elle en lui? » Non, sans doute,
un cœur dur et inhumain ne saurait être l'ami
d'un Dieu , tout amour ; d'un Dieu attiré sur la
terre par la seule charité, et qu'elle a immolé pour
le salut de tous les hommes. Aussi , lorsque le
sentiment de l'humanité , perfectionné par la
charité chrétienne , remplit bien notre cœur, com
bien la vue d'un riche avare qui entasse trésor
sur trésor et qui chasse durement le pauvre du
seuil de sa porte, nous révolte ! Nous éclatons né
cessairement , dans ces rencontres , en murmures
et en reproches. Combien , au contraire , notre
cœur, à l'aspect de l'acte d'une généreuse bien
faisance , est satisfait ! C'est alors que , pour ainsi
dire malgré nous , nous nous écrions : Ah ! bénie,
mille fois bénie cette âme sensible et charitable ;
elle est , sur la terre , l'image la plus parfaite du
Dieu de toute bonté, qui nourrit la terre entière!
0 mon Dieu ! conservez et augmentez en moi
cette précieuse sensibilité pour les malheurs de
mes semblables ! Pourrais-je donc me dégrader au
jourd'hui , parce que j'en éprouve toute la force ?
Qu'elle est affligeante , en effet , la pensée qui me
reporte sur tant d'ouvriers pauvres , de parens
infortunés qui, après un travail opiniâtre pendant
une longue journée , ne peuvent , le soir , rap
porter à leur femme exténuée , à leurs nombreux
enfans affamés, qu'un pain trempé de leurs sueurs
et de leurs larmes , insuffisant , hélas ! pour les
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 335
alimenter tous ; qui n'ont d'autre asile qu'un gre
nier où l'on n'aperçoit pour tout meuble que
quelques brins de paille sur lesquels ils ne peu
vent trouver le repos ni réparer leurs forces épui
sées ! N'est - il pas affreux d'apprendre que des
malheureux , accablés de misère et de fatigues ,
meurent chaque jour abandonnés , et sans laisser
pas même le linceul dont leur dépouille mortelle
aurait dû être enveloppée en attendant le jour du
Seigneur? JN'est-ce donc pas un spectacle déchi
rant que celui de personnes , remplies de délica
tesse et de sentimens d'honneur, réduites, faute
de vêtemens décens , à ne pouvoir se rendre dans
le temple du Seigneur pour y adorer notre Père
commun ; que celui de parens réduits à une
extrême pauvreté , n'ayant que des larmes à
donner à leurs enfans , qui ne cessent de leur de
mander du pain ? Et à la vue d'une telle misère ,
ô mon Dieu ! je ne serais point attendrie! et je ne
volerais pas au secours de tant d'infortunés partout
où je le puis ! et je ne chercherais pas , avec une
sollicitude inquiète , la retraite obscure de la
pauvreté et des larmes ! Ah! si l'humanité, si la
charité , était à un tel point un sentiment mé
connu par mon cœur , que j'aurais honte de me
dire chrétienne !
Lorsqu'à la fin de la journée le Père de famille
viendra demander , à chacun de ses serviteurs ,
compte de son travail; lorsqu'il verra que plusieurs
336 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
de ses enfans ont succombé sous le poids de lèifr
misère , combien seront attérans les reproches
amers qu'il adressera au mauvais riche ? « Mal
heureux , s'écriera-t-il , comment avez-vous laissé
mourir de faim votre frère? Comment avez-vous
permis que la misère exposât votre sœur à la plus
affreuse destinée ? N'avais-je pas mis sur la terre
tout le nécessaire pour l'entretien de toutes mes
créatures ? n'étiez-vous pas bien partagé du côté
de la fortune , et ne vous avais-je pas donné un
cœur sensible ? Comment donc n'avez-vous songé
ridiculement qu'à amasser le superflu ? Comment
n'avez-vous fait aucune action généreuse qui puisse
témoigner maintenant en votre faveur? Retirez-
vous , et allez cacher votre honte dans les abîmes
éternels, car vous êtes éternellement indigne du
ciel et de moi. » O Dieu ! quel coup de foudre ces
justes reproches ne seront-ils pas pour le cœur
dur et inhumain au dernier jour , au jour du ju
gement !
Seigneur l je crois pouvoir me rendre ce con
solant témoignage : je ne mériterai point, à cet
égard , votre terrible condamnation ! Si je n'ai
point été, jusqu'à ce jour , généreuse et noble au
tant qu'il convient à une imitatrice de Marie , au
moins vais-je me montrer telle dès aujourd'hui ,
et jusqu'à la fin de ma vie. Oui, je veux renouveler
parmi nous ces grands exemples si fréquens dans
la primitive église , de céder au pauvre tout mon
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. OJ^
superflu , comme un bien qui leur appartient I
Que dis-je ? je veux partager même mon néces
saire avec ceux de mes frères et sœurs entièrement
dénués de tout secours ! Je veux visiter, soulager,
consoler le malade , le vieillard , le prisonnier. Je
veux nourrir le pauvre, la veuve désolée, l'orphe
lin abandonné. Je veux ramener dans le chemin
de la vertu ceux et celles qui ont pris celui du vice
et du malheur. Je veux que la charité de Jésus et
de Marie , la bienfaisance chrétienne , dans le sens
le plus noble et le plus parfait, fasse ma plus douce
occupation ! Je veux , en un mot , que le repos ,
que le sommeil , que le bonheur me fuient tant
que je saurai qu'il reste près de moi un seul mal
heureux dont je puisse atténuer les peines !
Et si , le reste de ma vie , je suis fidèle à ces ré
solutions , avec quelle assurance je pourrai me
présenter au dernier jour devant le tribunal du
Juge suprême des vivans et des morts! Le pauvre,
le nécessiteux que j'aurai soulagés dans leurs souf
frances , dont j'aurai apaisé la faim ; l'étranger à
qui j'aurai donné l'hospitalité ; le malade que j'au
rai soigné ; l'ignorant que j'aurai instruit dans les
voies de la perfection ; le faible et l'opprimé dont
j'aurai fait valoir les droits , se presseront autour
de moi , et Jésus s'avancera plein d'une bonté di
vine, en m'adressant ces paroles rassurantes pour
l'éternité : « Ame fidèle , prenez courage ! J'ai été
pauvre , j'ai été nu , j'ai été malade et en prison ,
22
338 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
et vous avez partagé avec moi ; vous m'avez visité
et consolé ; vous avez essuyé mes larmes. Tout ce
que vous avez fait pour le plus pauvre, pour le
plus humble , pour le dernier de mes disciples ,
c'est pour moi personnellement que vous l'avez
fait. Je ne veux point me laisser vaincre en géné
rosité par mes créatures ; entrez dans le royaume
des cieux , venez y partager ma gloire éternelle ! »
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 33g
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...
SOUVENIRS PIEUX DES DÉFUNTS; VISITE ANNUELLE AUX
CHAMPS DU SEIGNEUR.
:'u , , >• ;- i-;.:iiî-u'..:;.-i zih ;.~.it»i
Je m'arrête aujourd'hui sur vos tombes , ô vous
qui m'avez précédé dans la carrière de la vie ! Je
viens dans l'asile de la mort recueillir des leçons
de sagesse et de vertu. Quelle multitude de mo-
numens lugubres ! Quelle foule de tristes inscrip
tions ! De quelque çôté que je porte mes regards,
je ne rencontre que des témoignages de douleur
et de regrets amers. Ici coulent les larmes de
l'amour paternel , de la piété filiale , de la ten
dresse fraternelle ; là , les pleurs de l'amour con
jugal, de l'amitié, de la reconnaissance Mais
partout aussi je vois réclamer, pour l'homme , le
glorieux privilége de l'immortalité. C'est unique
ment dans les souvenirs de la vertu, c'est dans le
Seigneur seul que l'on trouve sa consolation et que
l'on, ranime son espoir. — 0 vous donc qui fûtes
si chers à mon cœur ! vous n'êtes ici que dans un
lieu de repos , et vous ne dormez pas pour tou
jours : l'homme, créé à l'image de Dieu, ne saurait
périr , pendant que l'insecte se réveille à la saison
nouvelle ; la fleur reparaît, l'herbe même reverdit
22.'
Z/fO RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
sur vos tombes ; la nature entière me donne un
pressentiment de l'immortalité
Quelle barrière fatale sépare ici la génération
actuelle des précédentes ! O ciel ! dans ce lieu furent
déposées ces nombreuses dépouilles mortelles ,
animées autrefois d'âmes immortelles ! Elles ont
successivement éprouvé les sentimens divers de la
joie , des souffrances , de la crainte , de l'espé
rance; la vertu et peut-être, hélas î le crime , ont
exercé sur elles une heureuse ou fatale influence I
maintenant elles sont enveloppées des ombres de
la mort , jusqu'à ce que la voix puissante de l'Ange
se fasse entendre : O morts ! levez-vous.
Qu'elles sont imposantes , les vérités que me
suggèrent ces tombes ! Combien éloquente» et
persuasives les leçons données par cette poussière
insensible !
Je ne m'arrêterai point aujourd'hui à une dou
leur stérile, bien-aimés que mon cœur regrette ! Si
je me trouve ici sur vos tombes , père estimable ,
mère tendre , du moins je n'ai point abrégé vos
jours par de mauvais procédés. Mon cœur ne me
reproche rien; ma tendresse fdiale ne s'est point
démentie ; j'ai rempli à votre égard tout ce qu'elle
m'inspirait, et, en ce moment, je n'ai d'autre
regret que celui de vous avoir perdus ! Vous savez
d'ailleurs, mes défunts parens et amis, vous' savez
que je vous ai payé le tribut de larmes exigé
par la nature. Dieu et la religion veulent que je
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 34 I
me console maintenant , dans l'espoir donné par
Jésus-Christ qu'un jour je vous reverrai , et que
vos âmes chéries m'attendent au delà du tombeau.
La raison elle-même me rassure: «La sainte na
ture , s'écrie-t-elle , est trop sage partout pour que
vous puissiez la soupçonner capable de commettre
cette injustice horrible envers les êtres les plus
parfaits, de les anéantir totalement après quelques
années de souffrance; tandis que, dans toute la
création , pas un atome ne périt. Certes , si la
nature n'eût su terminer les maux de cette vie que
par une mort plus terrible encore , elle eût sans
doute laissé les hommes dans le néant, car le néant
eût été préférable ! Je me console donc , et au lieu
de pleurer sur vos cendres, je médite sur nos'des-
tinées à venir.
Ainsi que vous l'avez été pendant votre vie , je
suis mortelle , faible et fragile. En un instant je
puis vous rejoindre : il ne faut qu'un souffle pour
m'enlever de cette terre. Depuis l'année précédente
je n'ai point visité cette terre sainte, et les nouvelles
tombes que j'y remarque en grand nombre me
prouvent la fragilité étonnante de la vie humaine,
et ne m'en avertissent que trop. Que de victimes la
mort s'est choisies dans ce court espace de temps !
O Dieu ! avec quelle rapidité mes jours fuient sur
les ailes du temps ! A peine l'homme a-t-il celui
de faire quelques actions qui seront l'objet de son
jugement pour l'éternité, lorsqu'il se sent frappé
Z^l RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
inopinément par la mort. Il n'y a que peu d'an
nées , j'avais encore des frères , des sœurs , des
amies , un père chéri , une mère pleine de ten
dresse : semblables à des plantes fraîches et vigou
reuses , ils paraissaient devoir encore vivre long
temps ; eh bien ! ils ont passé comme des fleurs
qui éclosent le matin et sont fanées avant la fin du
jour ! La terre fut privée des fruits qu'ils voulaient
produire , et des bénédictions qui devaient les ac
compagner.
Le moment triste , mais doux , que je passe ici ,
devra donc laisser des traces profondes dans mon
âme pour le reste de ma vie. O vous ! mes bien-
aimés , arrachés si tôt à ma tendresse , vous m'ap
prenez encore , après votre mort , ces vérités im
portantes et capables de ranimer toutes les vertus :
vous m'avertissez de la courte durée de la vie , de
la fragilité et du néant de toutes les choses hu
maines ; enfin , de la nécessité de me disposer
promptement à l'éternité qui, peut-être, va bientôt
commencer pour moi.
O mon Dieu ! s'il est sage de me souvenir sans
cesse que je suis sujette à la mort, n'est-ce pas pour
moi un sujet de vous bénir, lorsque des réflexions
salutaires me font sentir vivement la vanité des
biens périssables. Comment, à la vue de ces tombes
éloquentes, pourrais-je encore attacher du prix aux
plus grands biens de la terre ? Que deviennent ,
quand je foule cette poussière , insensible résidu
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
de tant de corps jadis animés , que deviennent
la gloire et tous les honneurs de ce monde? Ah!
sans doute, le souvenir d'une bonne action vaut
plus que toutes les grandeurs humaines! La figure
de ce monde change incessamment. La plus bril
lante fortune , le plus grand bonheur d'iei-bas ne
durent qu'un instant. A l'ombre de ces saules pleu
reurs , dans le silence qui règne.sous ces cyprès ,
une voix secrète ne cesse de me répéter ces paroles
pleines d'une lugubre mais sainte vérité : Le sort
de l'homme sur la terre est de souffrir , et le
terme de sa vie est la mort. Ce qu'on appelle
joie, dans le monde, n'est qu'une illusion, et ses
plaisirs n'existent pas. O sainte vertu ! compagne
adorable de l'homme mortel I O espoir consolant
de l'immortalité ! vous seuls avez quelque chose de
réel aux yeux de l'âme sensible et de l'homme ré
fléchi !
Encore quelques-unes de ces années qui passent
comme autant d'éclairs , et j'aurai pris ma place
dans cette sombre vallée dela mort ; j'aurai traversé
la vie pour entrer dans l'éternité ! Ma dépouille
mortelle sera couchéee, en ce lieu de repos, dans une
étroite et humide tombe ! Moi-même je me le suis
choisi ; mais alors moi, cet esprit immortel , chargé
des souvenirs de bonnes ou de mauvaises actions ,
retourné auprès du Créateur , je serai réunie à
l'univers des génies , des anges , des esprits par
faits I Non , les plaisirs , les honneurs et tous les
344 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
biens terrestres ne méritent pas que je les pour
suive avec autant d'âpreté que de sollicitude. Mais
les biens célestes , les jouissances que donne la
vertu , les consolations de la religion , chaîne invi
sible par laquelle je tiens à l'éternité , n'en de
viennent que plus désirables à mes yeux.
Mais ces tombes qui m'environnent , et dont la
voix éloquente me donne la conviction de la des
truction et de la mort , ne me parlent pas , avec
moins de force, de la résurrection et de la vie.
Nous ne trouverons point , il est vrai , dans des
dépouilles mortelles confiées à la terre , inhumai
nement exhumées par la main d'un insensé ou
d'un impie , la preuve de l'existence des âmes qui
les animèrent ; mais elles se découvrent à nous par
les plus hautes pensées sur les perfections immua
bles du Créateur , et sur l'exeellence de la nature
humaine; et les traces de l'immortalité sont ainsi
inspirées au génie de l'homme capable de grandes
et vastes idées ! 0 vous ! autrefois malheureux ,
vous qui avez appris sur cette terre ce que sont les
souffrances et les larmes ! Vous qui avez peut-être
succombé sous les coups de la tyrannie, et qui avez
été précipités de bonne heure dans la tombe par
d'atroces contemporains ! âmes pures et vertueuses !
innocentes et patientes victimes ! comment, après
tant de souffrances et de vertu, seriez-vous rentrées
pour jamais dans le néant ! — Parce que vos per
sécuteurs ont été cruels au point de vous ravir la
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 345
vie, il n'y aurait plus de justice pour vous!!! O
Dieu ! je frissonne à cette pensée ; mon cœur, mon
esprit , ma raison , la repoussent avec une égale
indignation. Non, non ; le Créateur de cet univers,
le suprême Modérateur des destinées de tous les
mondes , est trop sage pour avoir laissé sa grande
œuvre dans un tel état d'imperfection. Un vil in
secte se réveille à la saison nouvelle , et l'homme
juste périrait !! — Il est donc vrai que ces cendres
inanimées m'annoncent la résurrection et la vie !
Jésus , le Dieu sauveur qui , dans sa personne sa
crée, a bien voulu nous donner un modèle des
corps glorieux , se tient debout sur ces tombes ,
afin de rappeler plus tard à la vie tous ceux qui
espèrent en lui. C'est ici le champ du Père de fa
mille : au temps de la moisson, il enverra ses anges ;
et ces corps mortels , tombés aujourd'hui *n dis
solution , seront glorifiés ! En attendant , la partie
la plus noble , que dis-je ? vous-mêmes , mes frères
et sœurs , vous survivez ! Le moi est impérissable ,
indestructible, immortel. Vous n'avez fait que me
précéder dans ce lieu où Jésus est allé nous pré
parer une place à tous.
Seigneur , fortifiez en moi de jour en jour l'a
mour de la vertu et le désir de la perfection de mon
être , afin que je puisse avoir part à la résurrection
et à la vie.
J'implore aussi , ô mon Dieu ! votre indulgence
et votre pardon pour ceux d'entre mes parens et
346 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
amis qui auraient encore à trembler au pied du
tribunal de votre justice éternelle. Souvenez-vous
qu'ils sont les frères de Jésus en qui vous avez mis
toutes vos complaisances, et les enfans de Marie,
la mère de Jésus , dont les vertus ont honoré l'hu
manité , et qui a rendu , par ces mêmes vertus ,
tous les chrétiens et chrétiennes , que dis-je ? tous
les hommes de cette terre, dignes de vos infinies
bontés. Transférez-les donc dans ce lieu de repos
où nous devons un jour nous rejoindre tous, afin
de recevoir , comme le prix de leurs bonnes ac
tions et de leur persévérance , l'éternelle félicité
que vous avez préparée pour tous ceux qui l'auront
méritée.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
■
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
AVANT DE S'ENDORMIR.
Je touche donc encore au terme d'une journée I
Dieu de bonté et de miséricorde, c'est une portion
bien considérable d'une vie qui doit être si courte.
J'ai passé ce jour sans aucun accident fâcheux,
sous votre conduite et votre protection paternelles,
et je le termine par le sentiment de la reconnais
sance la plus profonde. Soyez loué , Seigneur, et
soyez béni ! Que mon cœur sente bien vivement
avec quelle tendresse vous traitez votre créature et
la comblez de bienfaits! Comment ai-je mérité un
meilleur sort que plusieurs de mes frères , atteints
aujourd'hui par quelques coups funestes ? Votre
œil a veillé sur moi, et votre main a écarté tout
ce qui pouvait me nuire. Vous avez béni mon tra
vail et toutes mes entreprises , et vous les avez
couronnés de succès. Vous m'avez donné de la
force et du courage : vous m'avez même fait trouver
du plaisir dans l'accomplissement de tous mes de
voirs. C'est à vous seul que je suis redevable de tous
les sentimens agréables et doux que j'ai éprouvés,
et de tous les momens heureux que j'ai passés. C'est
348 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
vous-même qui avez touché mon cœur, qui avez
ravi mon âme. à la vue de l'aimable nature et des
divers objets de votre admirable création. C'est
votre main divine qui a conduit vers moi ce bien
faiteur, cet ami, ce consolateur, et le repos lui-
même que je vais prendre est un bienfait de votre
sagesse. Que de raisons n'ai-je donc pas, Seigneur,
de m'abandonner entièrement à votre bonté pa
ternelle ; de me jeter dans vos bras avec toute la
confiance d'un enfant ; de vous obéir avec joie ;
de vous aimer en esprit et en vérité, et de vous té
moigner ma reconnaissance autant qu'il peut être
permis à mon faible individu I
Que je serais heureux , ô mon Dieu ! si , dans
l'examen que je vais faire en ce moment de ma
conscience , je ne trouvais aucun sujet de repro
ches , et si je pouvais m'approcher de vous avec
un cœur parfaitement pur ! Dieu de toute sain
teté ! vous avez connu le motif de chacune de mes
entreprises. La pensée la plus secrète de mon
âme , mon plus léger désir ne vous ont point été
cachés. Vous connaissez aussi les fautes et les er
reurs dont j'ai pu me rendre coupable en ce jour,
causes infaillibles du trouble de ma tranquillité et
de ma paix intérieure. Daignez me faire sentir
vivement tous mes torts, afin que je sois porté à
la douleur et au regret qu'ils doivent faire naître
en moi , et que je fasse la résolution sincère de ne
plus vous offenser. Pardonnez-moi selon la gran
SCR DIVERS SUJETS DE RELIGION. O49
deur de votre miséricorde et de votre indulgence
paternelles , afin que mon cœur , contrit et humi
lié , trouve grâce devant vous , et que la paix et
la joie puissent y rentrer. La vue de votre bonté
infinie me disposera enfin à travailler efficacement
à ma perfection , et à ne plus m'exposer aux fautes
les plus légères.
Daignez, Seigneur, me rendre également at
tentif aux défauts qui pourraient me paraître in-
signifians, quoique très-dangereux en eux-mêmes;
apprenez-moi à veiller sur moi-même avec tant de
soin, que dans peu j'éprouve, par ma propre expé
rience , combien chaque degré d'accroissement de
perfection augmente mon bonheur.
La fin de ce jour doit aussi me rappeler lâ courte
durée de la vie , et le compte que j'aurai à rendre
à son terme. Peut-être le souverain Juge m'ap-
pellera-t-il dès demain. Hélas ! peut-être encore
aujourd'hui ! Cette considération doit; donc m'en-
gager puissamment à me conduire sans cesse avec
prudence et sagesse , et a vivre de manière que
l'approche de ma dernière heure ne m'occasione
aucune terreur. •-•
Plein de ces réflexions , pénétré de ces senti-
mens , uniquement occupé de votre bonté ét de
votre amour, je livrerai ce corps fatigué au repos
que votre providence lui a rendu nécessaire. Dieu
tout-puissant et bon, vous veillerez sur moi pen
dant que je ne saurai rien de moi-même , et que je
350 RÉFLEXIONS ET SEOTIMENS
serai hors d'état de me protéger. C'est donc à vous
seul que je me confie , ô mon Créateur, conserva
teur de mon être ! à vous qui m'avez déjà comblé
de tant de bienfaits que je n'avais point mérités, et
pendant cette nuit je me remets entre vos mains.
Faites que je trouve , comme à l'ordinaire , la
paix et la tranquillité sous votre protection, et
détournez de moi , ainsi que de tous ceux qui me
sont chers, les dangers et les malheurs de la nuit.
Que votre bras tout-puissant soit étendu sur notre
bon monarque, et que votre main pleine des plus
abondantes bénédictions les répande sur l'Etat et
sur chacun de ses membres. Soyez à la droite de
tout homme qui vous reconnaît et vous sert avec
zèle ; communiquez vos lumières et vos grâces à
ceux qui vous méconnaissent. Soyez la consolation
de tous les malheureux, de ceux d'entre mes frères
infortunés dépourvus d'asiles , et qui peut-être ,
avant de se retirer , n'ont pu satisfaire à leur
faim, ni réparer leurs forces perdues pendant le
jour. Secourez ces familles nombreuses et pauvres
que la misère tiendra éveillées pendant toute la
nuit. O Dieu ! puisqu'il n'y a plus d'humanité sur
la (erre, vous seul pouvez les soulager dans leurs
maux ! .. . , , • .:; • .. • ij. , ... . -
Pour moi, Seigneur,, qui me vois comblé de
biens, et que vous avez sans doute jugé trop faible
pour pouvoir supporter quelque misère, remplis
sez du moins mon cœur d'une vive reconnaissance,
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 35 1
et faites-moi la grâce de bien employer ma for
tune. Faites enfin que je m'endorme doucement
dans le sentiment de vos bonnes grâces et de votre
amour, afin qu'après avoir réparé mes forces par le
repos , je puisse me réveiller demain plein d'une
sainte joie , et que je me sente armé d'un nouveau
courage pour vivre en vrai chrétien , pratiquer
toutes les vertus religieuses et sociales , et remplir
tous mes devoirs.
Amen.
35a . ' RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
"""" ' " " ~ " ' ' — , ,, _
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
, .. POUR LE DIMANCHE.
Au moment du réveil.
Je vous salue, jour du Seigneur, jour d'une
préparation plus particulière pour l'immortalité !
Vous me rappelez ce grand jour de repos qui n'aura
plus de lendemain après la semaine pénible de
cette vie.
Comme ce saint jour encourage puissamment
toutes les vertus ! C'est avec un cœur content et
satisfait que je puis porter aujourd'hui mes regards
sur la société ; car je vois des millions de mes frères
déposer le fardeau d'un pénible travail , et oublier
quelques momens leur pauvreté et leur misère. Je
les vois , Seigneur , se rassembler, avec une tou
chante harmonie , au pied de vos autels , pour
vous adorer, vous et votre divin Fils. Ils se ré
jouissent au souvenir de votre sagesse , de votre
puissance et de votre bonté infinie. En ce moment
heureux , le dernier, le plus pauvre de mes conci
toyens , sent aussi le bienfait de la vie. Il s'est ar-
StR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 353
raché pour quelques heures aux occupations et
aux soucis qui le pressent pendant toute la se
maine , et il est accouru vers vous , 6 Père de
tous les hommes! avec autant de joie et une
confiance aussi filiale que le riche tout couvert
d'or, parce qu'il vous apporte pour présent un
cœur purl
Aujourd'hui tant de bonnes pensées , tant de
généreux sentimens, tant de pieux désirs, tant de
louables résolutions , sont réveillés dans tous les
cœurs par l'exposition simple de la doctrine la
plus consolante , et par le souvenir d'un amour
sans bornes et d'une miséricorde infinie ! — Tant
de bons desseins sont formés en ce jour , et seront
exécutés plus tard ! le pauvre , le malade , l'affligé ,
le prisonnier, s'en ressentiront ! Soyez donc béni ,
ô jour du Seigneur ! Oui , soyez béni, et demeurez
toujours un jour sacré pour moi !
Je vous loue , je vous adore et vous rends grâces,
6 mon Dieu ! de cette admirable disposition de
votre éternelle sagesse qui a consacré le septième
jour, afin qu'il fût sanctifié par toutes les généra
tions !
Le saint dimanche doit être la source de biens
innombrables pour le genre humain. Telle était
l'intention du Créateur. — Et n'a-t-il pas atteint
son but? Moi-même, n'ai-je pas senti mille fois
la salutaire influence de ce saint jour? En me réu
nissant , dans votre sainte maison , avec tous mes
25'
354 nÉFLEXIONS ET SENTIMENS
frères , combien de fois , Seigneur , j'y ai trouvé
de repos pour un cœur inquiet et agité ! Com
bien de fois j'ai trouvé de consolations dans mes
chagrins , de courage pour surmonter mes pas
sions , et de force pour l'exécution de tout bien !
Combien de fois j'ai trouvé de lumières pour un
esprit troublé et de solutions à mes doutes !
— Et dans mes erreurs et mes égaremens , com
bien de fois je me suis vu ramené dans la bonne
voie!
Touché du sentiment de la plus profonde véné
ration et de l'amour filial le plus ardent , je me
présenterai donc aujourd'hui devant vous, ô Père
commun des hommes ! J'unirai ma voix à celle de
vos vrais adorateurs pour célébrer avec eux vos
louanges et votre amour. Quel bonheur indicible
pour une créature raisonnable , que celui de pou
voir s'élever jusqu'à vous et vous reconnaître dans
vos ouvrages ! Oui , Seigneur , je sens que je suis
l'objet de votre sollicitude paternelle ; que c'est
vous qui voulez me mener à la perfection et au
bonheur ! Si je cherche moi-même , avec une vo
lonté ferme , à accomplir toute justice ; si la vertu
et la véritable félicité qu'elle procure me touchent,
je puis m'abandonner avec une entière sécurité à
la conduite de votre providence. Heureux ! oui ,
mille fois heureux l'homme qui voit en vous un
père , et desfrères dans ses concitoyens ! Heureux
le chrétien qui , plein de zèle et d'ardeur, s'avance
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 355
courageusement vers le but que votre sagesse lui a
proposé !
Je bannirai aujourd'hui de mon cœur tout ce
qui pourrait arrêter ces transports, et surtout cette
salutaire influence de la sagesse et de la vérité. Je
consacrerai une partie de ces heures de délasse
ment que mon Créateur m'a ménagées, à une mé
ditation sérieuse , mais paisible , sur l'état de mon
àme et de ma conscience. Je me dirai : Où en
es-tu dans tes rapports avec Dieu ? où en es-tu
avec tes semblables et avec toi-même? — Ces
questions ne me sont-elles pas de la plus haute
importance ? Plus il m'est facile de m'égarer sur
le chemin de la vie , de courir à ma perte et de
me précipiter dans l'abîme , plus il est nécessaire
de m'arrêter de temps en temps dans ma car
rière mortelle, et de porter un regard en avant
sur la partie intéressante de celle qui me reste
encore à parcourir, afin de ne point manquer mon
but. Je me ferai donc aujourd'hui quelques-unes
des questions suivantes, et mon cœur devra y ré
pondre.
Pourquoi ne suis-je pas encore devenu inébran
lable dans ma foi, m entièrement affermi dans
toutes les vertus ?
Pourquoi n'ai-je pas encore trouvé l'entier repos
de mon cœur; pourquoi sùis-je encore enclin à la
jouissance des plaisirs purement terrestres ?
Comment ferai-je pour devenir plus parfait , et
23
356 RÉFLEXIONS Et SENTIMENS
par-là plus heureux? Quels différens moyens m'est-iï
possible de mettre en usage ?
Pourquoi ne trouvai-je pas encore mon unique
plaisir et mon unique consolation, à m'entrete-
nir avec Dieu de la vie future et de l'immorta
lité^ ?
Après avoir médité sur l'un de ces sujets sè->
rieux , je prendrai des résolutions relatives; réso
lutions saintes , que le Seigneur ne manquera pas
de bénir du haut du ciel , et que je mettrai en
pratique pendant la semaine, jusqu'à l'heureux
retour d'un autre jour de- repos et de salut.
Par quel aveuglement inconcevable arrive-t-il
donc que l'observation de ce saint jour soit au
jourd'hui si généralement négligée parmi nous , à
la honte du christianisme , à la honte de la raison
éclairée ! Les idolâtres étaient plus exacts autrefois
à observer religieusement leurs jours de fête, que
nous ne le sommes dans ces temps d'impiété et
d'irréligion , qui auraient fait rougir les païens !
Gomment ose-t-on se glorifier du progrès des lu
mières au milieu d'une corruption qui nous con
duirait dans peu à l'ancienne barbarie ? L'obser
vation exacte du dimanche et la sanctification du
septième jour, instituée par le Créateur lui-même,
est , je l'ose dire sans crainte d'être contredit par
la philosophie , la principale cause de toute civi
lisation. Otez ces jours de réunion en présence de
l'Eternel , où les familles se rassemblent , où l'on
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3bn
cesse généralement des travaux mécaniques et
grossiers , où l'ouvrier , où le laboureur, cette classe
la plus nombreuse de la société , s'occupent quel
ques instans des vérités morales et de la religion
de Jésus-Christ ; et vous verrez , dès la première
année , les peuples redevenir sauvages , et toiites
les nations dégénérer en peu de temps : lumières,
morale , civilisation , religion , sciences et arts
même, tout se perdra.
Qui peut donc avoir contribué , parmi nous ,
à cette espèce d'abolition du saint jour du di
manche , de ce jour de repos et de délassement ,
de ce jour du Seigneur ? Sans doute que ce ne
sont pas ces malheureux ouvriers dont les sueurs,
pendant toute la semaine sans avoir jamais un mo
ment de relâche , ne leur procurent pas souvent ,
après les travaux les plus pénibles , de quoi répa
rer leurs forces épuisées ! — C'est encore ici un
fruit de cette haine aveugle que des forcenés ont
jurée à toute religion, et qui, pour la détruire ,
détruiraient , je crois , l'espèce humaine ! Oui ,
c'est la dureté, l'inhumanité et l'avarice du siècle
qu'il faut principalement en accuser , quoiqu'on >
se flatte plus que jamais de douceur et de philan
thropie.
Quels moyens , Seigneur , pourront rendre de
nouveau le jour qui vous est consacré à l'obser
vance des peuples? Hélas ! on avait déjà proposé,
il y a quelques années , cette mesure extrême, de
358 RÉFLEXIONS ET SENTIMES
fermer les temples du Seigneur pendant toute la
semaine , afin de rendre le culte plus solennel le
jour du dimanche , et attirer ainsi la foule des
adorateurs. Les chrétiens de nos jours seraient-ils
tombés à ce point d'indifférence qu'ils eûssent be
soin de tels remèdes? N'y aurait-il plus autre chose à
espérer pour le christianisme?—Dans quels abîmes
la société humaine ne se précipiterait-elle point
alors dans les siècles qui vont suivre? 0 Dieu!
cette question fait frémir l'esprit réfléchi et l'ami
de l'humanité !
Pour moi , Seigneur , je vous rends grâces et
vous remercie , du plus profond de mon cœur ,
de toutes les lumières , de toutes les consola
tions et de tous les bons sentimens que m'a sou
vent procurés le jour qui vous est consacré. Je
me sens comme rapproché du ciel depuis hier !
Et je vous promets solennellement de me rendre
de jour en jour plus exact à observer et à sanc
tifier le saint dimanche. Je connais trop bien
maintenant mes vrais intérêts et ceux de la so
ciété , pour négliger encore ce premier devoir du
chrétien. Encore une fois, soyez mille fois béni,
ô jour de repos , jour de préparation à l'immor
talité !
Donnez ! ô Père de tous les hommes ! donnez
à tous mes semblables le même goût des choses
saintes , afin qu'ils reconnaissent les avantages de
vos solennités. Faites-leur sentir vivement com
SDR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 35^
Lien vous trouvez de complaisance , et combien ils
trouveront de consolation dans ces réunions toutes
saintes où le petit et le grand , le prince et le
sujet, le riche et le pauvre , le jeune homme et
le vieillard , tous prosternés ensemble dans vos
temples, dans la maison de toutes grâces, viennent
y chanter vos louanges , exalter vos bienfaits , et
s'entretenir de leurs espérances immortelles!
En entrant dans le Temple du Seigneur.
Mon Créateur et mon Dieu ! je parais devant
vous dans l'assemblée solennelLe des chrétiens ,
pénétré du sentiment le plus profond de respect
et d'adoration , et plein d'une confiance vraiment
filiale ; car je sais que vous êtes en même temps
tout- puissant et tout miséricordieux. Je viens
vous .adorer en esprit et en vérité , vous offrir
un cœur reconnaissant, vous exposer mes besoins
et prendre part à l'action la plus touchante de la
religion , qui renouvelle la mémoire de la pas
sion , de la mort et de l'amour immense du Ré
dempteur du monde. Faites-moi , Seigneur , la
grâce d'y assister avec un esprit recueilli , un cœur
touché , et une âme remplie de sentimens divins,
afin que , sortant de votre saint temple , fortifié ,
consolé , et armé d'un courage tout nouveau , je
me porte, pendant toute la semaine , avec un zèle
infatigable , à l'exécution de tous mes différens
36o RÉFLEXIONS ET 8ENTIMENS
devoirs, et à la pratique constante de toutes les
vertus. Bénissez-moi , ô mon Dieu . bénissez toute
cette assemblée ; et que Jésus-Christ, selon sa pro
messe , soit au milieu de nous.
Amen.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 36 1
LA MESSE,
ou
CONSÉCRATION SOLENNELLE DU PAIN ET DU VIN ,
EN MÉMOIRE DE JÉSUS - CHRI ST.
Humble aveu des fautes commises.
Malgré mes fautes nombreuses , mes torts et
mes erreurs, j'ose encore me présenter devant vous,
ô Dieu trois fois saint ! Vous , devant qui ne pa
raissent d'ordinaire que les esprits purs et les in
telligences parfaites ! De l'abîme de mon néant et
de ma misère, je porte un regard timide vers vous
en demandant grâce et miséricorde. Oui, ô mon
Père ! j'ai péché contre le ciel et contre vous ; j'ai
péché contre moi-même ! Mon cœur , confus et
honteux , mais rempli de regrets amers et de ré
solutions louables , avoue sa faute avec sincérité ,
et atténd son pardon de votre indulgence pater
nelle !
Dieu de bonté ! vous ne sauriez repousser ce
faible enfant qui, après s'être égaré, vient chercher
la paix et la consolation auprès de vous. Déjà vous
362 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
étendez vers lui votre main toute-puissante ; déjà
vous le rassurez , en voyant sa confiance filiale et
son sincère repentir.
Aucune crainte servile ne m'éloignera donc de
vous , Seigneur ! Quoique pécheur , votre sainteté
infinie ne doit point m'effrayer, car votre clémence
est également sans bornes. Et avec un cœur
vraiment touché , entièrement changé , avec un
cœur qui ne saurait arrêter ses élans , je m'écrie :
Seigneur, ayez pitié de moi! Dieu d'amour, ne
m'abandonnez pas! Seigneur, soyez à ma droite!
Jésus , qui êtes venu sur la terre pour le pécheur
plutôt que pour le juste , je vous demande grâce ,
indulgence*, pardon et miséricorde !
Amen.
Adoration, Louanges, Actions de grâces.
Honneur et gloire à Dieu au plus haut des
cieux ! Paix et salut sur la terre aux hommes d'une
bonne volonté! Nous vous louons, Seigneur, nous
vous bénissons, nous vous adorons et vous rendons
mille actions de grâces pour vos infinies bontés !
O Dieu ! avec quel empressement vous avez en
voyé le Fils de votre droite nous secourir , en
nous annonçant, par lui, l'indulgence et le pardon;
en nous rendant l'espoir et la vie ! Le ciel et la
terre exalteront éternellement votre saint nom , à
cause des preuves aussi éclatantes d'une bonté et
d'une puissance illimitées!
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 363
Louanges , bénédictions et actions de grâces à
vous , ô Fils de l'Eternel , qui n'avez point hésité
de venir sur cette terre ! Avec quel amour et quelle
bonté vous avez quitté le ciel , ô Dieu de notre
salut ! Avec quelle joie vous avez abordé cette re
traite de la misère et de la perversité, en y échan
geant la gloire immortelle contre les humiliations I
Vous n'ignoriez pas le triste sort que l'innocence
et la vertu éprouveraient au milieu de l'humaine
perversité ; mais cette considération n'a pu vous
arrêter ; vous avez voulu vous exposer à tout ce
que la vie de l'homme a de plus amer et de plus
douloureux, pour ramener les mortels égarés sur
le chemin de l'immortalité. Honneur donc , et
gloire à celui qui est venu nous annoncer la paix
et le bonheur ; à celui qui a secouru tous les in
fortunés et consolé tous les affligés ; qui a apporté
du ciel la vérité et la lumière , la consolation et
l'espoir! Oui , c'est avec une jubilation toute sainte
que nous unissons nos voix à celles des esprits cé
lestes , et que nous chantons : Gloire à Dieu au
plus haut des cieux , et paix sur la terre aux
hommes d'une bonne volonté!
Amen.
Les bienfaits de l'Evangile , Résolutions.
Dieu de bonté ! lorsque je pense aux rapports
que j'ai avec vous ! lorsque je me considère vive
ment comme votre créature , votre enfant , quelle
364 RÉFLEXIONS ET SENTIMEN3
joie profonde s'empare de mon cœur ! De combien,
cependant , la dignité , le prix de mon être se
trouve-t-il encore rehaussé par la qualité de chré
tien, de disciple de Jésus - Christ l Je suis un
membre de cette société admirable formée sur la
terre par l'Homme-Dieu ! de cotte société qui doit
répandre tant de bénédictions sur toutes les gé
nérations ! Quel honneur pour moi ! quelle su
blime vocation! Oui, ô mon Dieu ! l'unique route
de la perfection est là ; vous connaître , vous et
votre Fils , envoyé par vous sur la terre , est le
gage de la vie dans l'éternité. Maintenant, riche
ou pauvre , revêtu de dignités ou enseveli dans
l'oubli, je suis toujours un enfant privilégié ! Ré
jouissez-vous donc , ô mon âme ! et louez le Sei
gneur qui , dans sa miséricorde , a jeté sur vous
un regard de complaisance ; reconnaissez toutes
vos prérogatives , et sentez toute votre dignité.
Que je suis heureux de me voir environné de la
lumière divine de l'Evangile ! Elle m'a enseigné ,
ô mon Créateur ! à vous regarder comme le père
le plus tendre et comme l'ami le plus fidèle; Je
sais , à n'en pouvoir douter , que vous ne cherchez
que mon bonheur, et que je n'ai qu'à m'abandon-
ner entièrement à votre conduite. Vous avez , je le
vois , préféré de faire valoir les droits de l'amour
et de la reconnaissance , plutôt que d'employer
ceux de l'autorité et de la contrainte. A chaque
instant de ma vie je puis donc avoir recours à vous
SCft DIVERS SUJETS DE RELIGION. 365
avec une pleine confiance , puisque votre bonté
et votre puissance ont éclaté d'une manière aussi
remarquable dans l'œuvre de la rédemption ! Je
sais également que je n'aurai jamais à redouter
aucun mal , pourvu que, de mon côté, je marche
dans les sentiers de la justice, et que ma volonté
demeure toujours ferme et droite. Je sais que vos
commandemens sont doux ; que vous n'exigez ja
mais l'impossible de vos faibles créatures , et que
vous êtes toujours plein d'indulgence et de bonté,
même envers ceux de vos enfans qui s'égarent.
Je sais , en un mot , que vous me ménagez , ainsi
qu'à tous les hommes , le temps et les moyens
nécessaires pour parvenir à la félicité éternelle par
Jésus-Christ. Encore une fois , que je suis donc
heureux de me voir environné des lumières salu
taires de l'Evangile !
Mais aussi , que je serais coupable , que je serais
à plaindre , si je n'étais pas en même temps plus
vertueux et plus parfait que tous ceux à qui les
mêmes avantages n'ont point été accordés ! Jésus
m'a laissé tant de touchantes instructions , tant
de beaux exemples , que je demeurerais absolu
ment sans excuse, si je ne devenais un modèle de
perfection. Je renouvelle donc encore une fois, ô
mon Dieu ! et plus solennellement que jamais , la
résolution irrévocable de marcher sur les traces de
Jésus - Christ , et de ne plus penser et agir que
comme Jésus-Christ a pensé et agi. La lumière de
366 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
son Evangile m'éclairera, et sa sainte vertu m'ar
mera de force et de courage.
Je vous rends grâces , ô mon Dieu ! de vos bon
tés infinies. Elles ont paru, en quelque sorte, plus
inépuisables dans l'ordre de la grâce , que dans
l'ordre de la nature. Faites que je vive et que je
meure d'une manière digne de vous !
Amen.
Offrandes et Sacrifices.
C'est du pain et du vin que vous offre votre mi
nistre , Dieu créateur et suprême dispensateur de
tous les biens. 11 vous fait cette offrande au nom
de tous ceux qui sont ici présens , en mémoire du
grand sacrifice du Calvaire où Jésus s'est offert
et sacrifié tout entier.
Dieu du ciel ! que votre charité a été grande
envers nous ! Qu'elle s'est manifestée d'une ma
nière éclatante dans la grande résolution d'envoyer
sur la terre votre propre Fils ! Sans doute que vous
saviez ce dont les hommes égarés étaient capables.
Sans doute que vous n'ignoriez pas jusqu'à quel
point une vertu pure et une innocence parfaite les
rendraient jaloux et inhumains. Vous saviez po
sitivement que Jésus-Christ , en venant prêcher la
vérité au monde , deviendrait la triste victime de
cette perversité profonde capable de tous les excès,
et cependant vous n'avez pas hésité un instant de
l'envoyer pour le salut du monde !
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 067
I
Et vous , divin Sauveur du genre humain ! Que
votre amour immense , pour le salut du genre hu
main , s'est hien fait remarquer dans cette promp
titude admirable avec laquelle vous vous êtes rendu
à l'invitation de votre Père éternel ! Vous n'avez
point redouté les persécutions, ni les tourmens,
ni la mort ; la crainte même de faire des ingrats
ne vous a point retenu !
Que pourrons-nous donc vous offrir, Seigneur, qui
soit digne de tant de générosité , faibles et chétives
créatures que nous sommes ? Il est écrit qu'un
cœur pénétré de regrets de ses fautes , qu'un cœur
contrit et humilié , mais rempli du ferme désir
d'améliorer sa conduite , est le plus beau sacrifice
de propitiation qui puisse vous être offert. Eh
bien ! ô mon Dieu ! tel est le sacrifice que nous
vous offrons. Agréez ces cœurs reconnaissans , en
flammés du désir de tout bien , que cette assem
blée nombreuse s'empresse de vous offrir. Agréez
nos biens et notre vie , tout ce que nous avons et tout
ce que nous sommes. Agréez la soumission entière
et l'obéissance parfaite que nous vous promettons.
C'est avec joie que nous vous faisons, en ce mo
ment , le sacrifice de tout ce que nous avons de
plus cher , le sacrifice de toutes nos passions , le
sacrifice de tous nos penchans , de tous nos désirs ,
contraires à vos saintes lois. Surtout , Seigneur ,
nous vous faisons le sacrifice de tous les sentimens
de haine et d'animosité que nous pourrions avoir
368 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
conservés jusqu'ici envers quelques-uns de nos
frères !
En particulier , j'ose vous offrir mon cœur , ô
mon Dieu ! quelque indigne qu'il ait été de vous
jusqu'aujourd'hui. Vous pouvez le purifier entière
ment, et le remplir de sentimens dignes des cieux.
Vous pouvez l'enflammer de l'amour divin et
l'embraser tout entier d'une sainte ardeur pour la
vertu. Je vous fais aussi, en particulier, le sacri
fice de ma volonté* Ordonnez , Seigneur , selon
votre bon plaisir, de toutes les facultés de mon
âme et de mon corps. Vous êtes mou Créateur et
souverain Seigneur , vous qui conservez toujours
une haute domination sur les monarques mêmes
de la terre, et qui tenez tous les empires et tous les
mondes entre vos mains.
O Dieu ! quand je me rappelle ces anciens sa
crifices de victimes humaines que les hommes
vous ont souvent offerts dans leur cruel aveugle
ment , croyant se rendre agréables à vos yeux par
de telles atrocités : quand je pense que , sans le
christianisme , nous serions peut-être rassemblés
nous-mêmes en ce moment , autour d'une in
nocente et malheureuse victime , pour offrir un
sacrifice horrible ; avec quelle profonde satisfac
tion , avec quelle joie et quelle reconnaissance
ne vois-je pas l'accomplissement de cet oracle de
votre prophète ! « Les temps viendront , dit le
» Seigneur, que du levant jusqu'au couchant on
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 36a.
» m'offrira par toute la terre une victime pure et
» sans tache. »
Dieu d'amour ! daignez donc agréer la protesta-
tation solennelle que je renouvelle encore une fois,
en présence de vos saints autels , de ne vouloir
appartenir qu'à vous, et de vouloir éternellement
vous aimer comme vous m'avez aimé ; d'aimer aussi
mon prochain par amour pour vous ; de ne faire,
à cet"égard, aucune distinction entre mes sem
blables , de quelque nation , de quelque religion
qu'ils soient; d'aimer même, d'une tendresse par
ticulière , mes plus grands ennemis. Comment
pourriez-vous agréer mes offrandes, si je conservais
le moindre sentiment de haine, ou le plus léger
désir de vengeance dans mon cœur ? Jamais des
dons offerts avec une main ensanglantée ne vous
lurent agréables.
Dieu incompréhensible! avant de renouveler les
mystères de votre immense charité , et le mémo
rial de la passion de Jésus-Christ , souffrez encore
que je vous fasse amende honorable de la mort
douloureuse à laquelle ce Juste par excellence a
été condamné par des hommes égarés. O ciel ! il
est impossible de revenir sur les temps passés !
Cette tache sera éternelle pour l'espèce humaine ,
aussi -bien que le triomphe de l'amour dans la
personne de Jésus !
Amen.
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Jésus-Christ, selon sespromesses, se rendprésent
au milieu de l'assemblée des chrétiens.
Maintenant , ô mon Dieu et mon Créateur !
ravissez mon âme au delà des choses créées ;
transportez-moi jusque dans l'assemblée des es
prits parfaits , au pied du trône éternel ; car, en
ce moment, vous allez vous montrer tel que vous
êtes , c'est-à-dire , tout-puissant , tout miséricor
dieux et incompréhensible! Je vais donc m'anéan-
tir devant vous , et unir ma voix à celle des-saintes
intelligences qui environnent sans cesse votre trône
étincelant, pour célébrer avec elles votre gloire et
votre amour ; pour chanter les trésors infinis de
votre bonté, en exaltant jusqu'aux cieux votre nom
et vos faveurs !
Il est vrai , je compte trop peu et suis trop in
signifiant dans votre création pour pouvoir cé
lébrer dignement vos louanges; mais je sais qu'un
père infiniment indulgent aime à entendre le lan
gage à peine articulé de ses plus petits enfans.
Incapable d'arrêter les transports de mon cœur ,
et saintement fier de pouvoir aussi m'élever jus
qu'à vous , je m'écrie donc , avec l'assemblé au
guste qui reçoit au milieu d'elle le Roi des rois :
« Saint , saint , saint est le Seigneur , le Dieu de
» tous les mondes. Le ciel et la terre sont remplis
» de sa gloire et de sa -majesté ! Béni soit celui qui
» vient au -nom du Seigneur ! Esprits célestes ,
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3^1
» soyez dans la jubilation ! Chérubins , entonnez
» un cantique nouveau ! »
O mémorial sacré d'un amour sans bornes et
au-dessus de l'intelligence humaine! Comment, ô
mon Dieu ! avez-vous opéré ces merveilles signalées
pour les enfans des hommes ? J'adore , Seigneur ,
j'adore en silence ! Mon esprit se trouble, ma
raison se confond, et je me tais ! Uniquement oc
cupé de bénir mille fois votre puissance et votre
amour infinis, je vous adore en ce moment comme
présent parmi nous; >'.,,,. >
O Dieu ! qui pourra saisir et comprendre
cette générosité avec laquelle votre Fils s'est sa
crifié pour nous ! Voilà jusqu'où est allé l'amour
de Jésus pour moi ! Un homme pouvait-il
aller jusque - là ? un Dieu pouvait - il aller plus
loin? — Quel amour! — Mais, d'un autre côté,
quelle sagesse ! — Elle est évidemment divine. O
ciel ! le miracle s'opère sous mes propres yeux ,
et cependant ma liberté demeure intacte ; car le
Dieu tout-puissant veut que la foi seule m'atteste
ses invisibles merveilles. Ah ! quand le Modéra
teur suprême de toutes les choses créées veut in
fluer sur les destinées de ses créatures sensibles ,
comme il sait en employer les moyens ! comme
il sait se servir des voies les plus simples pour
changer la direction de tous esprits! Qui peut savoir
quel serait aujourd'hui le sort du genre humain ,
sans les institutions divines faites par Jésus-Christ
24.
3y2 v RÉFLEXIONS ET SENT1MENS
parmi nous il y a dix-huit siècles ? Et qui peut
savoir ce qu'il serait devenu dans la suite des
temps ? — O Dieu ! encore une fois., j'adore et je
me tais !
Que ne suis-je en état, Seigneur, d'éprouver,
dans toute son étendue , l'émotion sainte que la
vue d'un tel spectacle de charité devrait exciter
dans mon cœur ! Que le pouvoir de me livrer et
me sacrifier tout entier par amour pour vous, gé
néreux Sauveur du monde , ne m'est-il également
donné ! Que ne puis -je surmonter entièrement
toutes mes passions , pour obéir , pour aimer ,
pardonner , souffrir et mourir comme vous ! Sei
gneur , vous êtes la voie , la vérité et la vie ; je
crois en vous , j'espère en vous, je me confie sans
réserve à votre bonté , à votre puissance et à votre
amour. Après tout ce que vous avez fait pour
moi, comment pourrais-je encore douter que vous
veuillez me conduire au bonheur éternel , si je le
veux sincèrement moi-même? Je mets donc mon
sort entre vos mains , et je ne serai point cou-
fondu !
Sainte victime ! je vous adore avec le sentiment
de la plus profonde vénération et du plus ardent
amour. Vous êtes , à la vérité , cachée à mes yeux ;
mais, je le sens, vous êtes pleine de vie dans mon
cœur ; vous êtes intimement présente à mon âme :
que votre sainte présence m'encourage donc dans
le bien , et me préserve de tout mal.
Sur divers sujets de religion. 070
Père de tous les hommes, jetez aussi un regard
favorable sur tous mes frères et sœurs ici présens ,
et agréez la prière que je fais ici pour eux. Que
vos célestes bénédictions se répandent sur tous les
humains, sur les pères des peuples et sur leurs
sujets, pour le bonheur général de l'univers. En
particulier, Seigneur, bénissez toutes lès personnes
qui sont chères à mon cœur, mes parens, mes amis ,
mes proches , mes bienfaiteurs, et surtout mes en
nemis. Donnez-nous à tous la connaissance de la.
vérité , et portez-nous à la pratique constante de
toutes les vertus. '
Amen.
Paraphrase de là Prière enseignée par Jésus-
Christ.
Notre Père, Père infiniment tendre, infiniment
bon , infiniment miséricordieux ; Père des orphe
lins et de tous les malheureux; Père de tous les
hommes , notre Créateur et notre Dieu !
Que votre nom soit sanctifié; que votre sagesse
et votre puissance soient reconnues et exaltées en
tous lieux ; que par toute la terre on chante vos
louanges , en célébrant vos bienfaits ; que votre
amour surtout , et votre tendresse , soient exaltés
jusqu'aux cieux , dans toute l'immense création !
Que votre règne arrive ; ce règne de paix et de
justice; ce règne bien différent du règne des rois
de la terre. Que votre religion vivifiante et con
3^4 BÉFLEXIONS ET SENTIMENS
servatrice, que les lois si douces de l'Evangile se
répandent sur tout le globe ; que tous les humains
connaissent et pratiquent les maximes divines de
Jésus , relatives à la perfection , et qu'ils imitent à
l'envi ses vertus et ses exemples.
Que votre volonté soit faite en la terre comme
au ciel; cette volonté divine , cette volonté ado
rable ; ô Dieu ! votre volonté est toujours la meil
leure ! Pour nous , nous ne sommes que des aveu
gles ; nous ne savons pas ce qui nous est bon et
utile : que votre volonté , éternellement éclairée
des rayons de la Divinité , ait donc seule aussi son
accomplissement , car elle n'est qu'amour pour
nous ! l'amour est l'esprit de tous les commande-
mens de Dieu ! Faites-nous, bien sentir cette vé
rité , Seigneur ! Gravez dans nos cœurs une con
viction profonde de l'immensité de votre sagesse,
de votre bonté , de votre amour , et surtout de la
sainteté de toutes vos volontés , afin qu'elles de
viennent aussi sacrées pour nous sur la terre, qu'elles
le sont pour les esprits purs dans le ciel.
Donnez -nous aujourd'hui notre pain quoti
dien. Nous ne demandons pas l'abondance des
biens terrestres, ni un superflu inutile. Semblables
à ces enfans qui demandent tous les jours , avec
confiance , de la nourriture à un bon père , nous
ne nous mettons point en peine du lendemain ;
nous ne demandons que le nécessaire pour aujour
d'hui , car nous savons que vous connaissez tous
SUR DIVEKS SUJETS DE RELIGION. 6^5
nos besoins divers , et que vous êtes le Dieu de
tous les siècles. Donnez nous seulement la santé ;
bénissez nos travaux ; rendez nos cœurs humains
et compatissans ; et alors , ne cherchant avec in
quiétude que le royaume des cieux, nous pourrons
encore , après nous être procuré le nécessaire pour
nous-mêmes , goûter le plaisir de la bienfaisance ,
en soulageant nos frères infirmes et indigens.
Pardonnez - nous nos offenses comme nous
pardonnons nous -mêmes à ceux qui nous ont
offensés. Oui , ô mon Dieu ! pardonnez - nous ,
si nous avons été assez faibles ou assez insensés
pour oser vous déplaire et quitter le chemin de
la vertu, afin d'errer dans les sentiers difficiles
où l'on ne trouve qu'amertume : pardonnez-nous ,
car nous avons commencé nous-mêmes par par
donner à ceux qui nous avaient offensés. Comment
oserions -nous espérer pardon et indulgence, si
nous étions encore durs , inhumains , sans pitié et
sans miséricorde envers nos frères? Et en même-
temps , comment nous serait-il possible de douter
de votre indulgence paternelle , en nous souvenant
de Jésus-Christ et de ses pénibles sacrifices ?
Ne nous laissez pas succomber à la tentation.
Soutenez nos pas chancelans dans les malheurs et
les épreuves de cette vie. Montrez-nous les écueils
et les orages si fréquens sur la mer de ce monde.
Délivrez notre faiblesse de la tentation , ou plutôt,
Seigneur, donnez-nous la force de la combattn;
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
sans nous laisser vaincre, et d'en sortir victorieux
et triomphans. Que le souvenir de votre sainte et
intime présence et des riches promesses de la vertu,
nous arme incessamment d'une force surnaturelle
qui trouve sa gloire dans les dangers.
Enfin , délivrez-nous du mal : principalement
du mal moral, Seigneur, car il est le plus terrible,
il est l'unique mal réel de la terre ! Pour les autres
maux inséparables dela vie, ce sont des épreuves sa
lutaires par lesquelles la vertu se perfectionne, la pa
tience et la justice éclatent. Ces maux sont d'ailleurs
bien supportables, quand on connaît Jésus-Christ !
puisque la mort elle-même a perdu son amertume
pour le vrai chrétien I C'est donc du péché seul
que nous demandons d'être délivrés, ô mon Dieu!
afin que nous puissions incessamment marcher,
sous vos yeux , vers le bonheur , par le chemin de
la perfection.
Amen ! C'est le vœu que nous formons tous pour
tous ceux qui sont ici présens à vos saints mystères,
et , en général , pour tous les humains.
Communion, Actions de grâces.
Jésus , Homme-Dieu ! je bénis vbtre saint nom ,
j'adore votre puissance et votre bonté, et vous rends
grâces pour vos nombreuses instructions , vos di
vins exemples, et surtout pour cet amour im
mense avec lequel vous vous êtes sacrifié pour le
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3^
salut du genre humain. Vous venez , Seigneur, de,
me donner l'assurance que, par votre vie, par votre
mort , et par tous les moyens de salut que vous
nous avez ménagés, vous m'avez rendu à la vertu,
à la vérité et au bonheur. C'est à moi maintenant
à correspondre fidèlement à tant de faveurs. Vous
désirez me mener à cette hauteur de perfection de
ne plus vivre que d'une vie divine ; car , par la
participation au sacrement de votre amour, vous-
voulez vivre en moi. Vivez donc , Seigneur, Dieu
de charité ! vivez en moi , afin que je vive éter
nellement en vous !
Amen.
Bénédictions , Fceux pour le bien public.
Que toutes vos plus abondantes bénédictions
descendent sur nous , Père du ciel I au moment
que votre ministre forme de pieux souhaits pour
toute cette assemblée dont le cœur vient d'être ré
généré. Bénissez tous nos concitoyens , notre bon
monarque, et tous ceux qui nous gouvernent. Soyez
vous-même leur lumière , leur force et leur justice,
afin que nous coulions des jours heureux et tran
quilles sur la terre , en attendant le bonheur éter
nel. Bénissez-moi en particulier, ô mon Dieu! afin
que je puisse accomplir toutes mes bonnes réso
lutions et exécuter toutes mes louables entreprises.
Sans votre assistance divine, je ne saurais atteindre
le but que vous m'avez proposé.
O78 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Entretenez donc dans mon cœur tous les bons
sentimens , toutes les impressions salutaires et
toutes les bonnes pensées qui viennent de s'y
former en votre présence : alors je porterai de
dignes fruits de vie. Aidez de même de votre se
cours divin toutes les personnes qui me sont chères,
afin que , remplis de foi, d'espoir et d'amour, nous
nous rapprochions tous du Père des lumières, en
qui se trouve la source de l'éternelle félicité.
. . < Amen.
SLR DIVliRS SLJCTS DE RELIGION.
LES VÊPRES.
Rien de plus propre a réveiller tous les senti-
mens religieux , à exciter dans toutes les âmes un
saint enthousiasme , que l»chant des cantiques en
commun. Aussi , le chant a-t-il fait , dans tous
les temps , une partie principale du culte. Les
chrétiens n'ont pas manqué de se réunir, dès les
premiers siècles , dans la soirée du jour du Sei
gneur, pour chanter des cantiques spirituels et des
hymnes d'actions de grâces, et célébrer les gran
deurs et les miséricordes infinies du Créateur.
Telle est l'origine des vêpres, qui commençaient
généralement à l'entrée de la nuit. Rien n'est plus
conforme à l'esprit du christianisme, ni plus salu
taire que cet usage. Ce saint exercice paraît même ,
en quelque sorte , naturel au cœur humain , qui
aime tout ce qui le dilate , l'élève et le transporte ;
et nous pourrions demander ici aux enfans du
siècle, de quelle réunion, de quelle assemblée, de
quelles réjouissances du monde ils sont jamais
sortis avec une âme aussi calme et aussi tranquille,
avec un cœur aussi satisfait , que ne sort le chrétien
d'une belle cérémonie religieuse et d'un nombreux
concours d'adorateurs , où son cœur a été élevé
38o RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
,
jusqu'au ciel , et son âme transportée jusqu'à l'Au
teur de l'être ! Il faut l'avouer : à côté de la majesté
de la religion, de ses pompes, de ses solennités,
et des grands et nobles sentimens qu'elle inspire ,
tout paraît petit et vain sur la terre. Les anciens
le savaient bien. — Quelle richesse , quelle splen
deur ils mettaient dans leurs cérémonies reli
gieuses! — Le vrai malheur de notre siècle, c'est
de ne savoir plus goûtet les choses de Dieu. Mais
espérons qu'avec les vrais principes , ce goût re
naîtra aussi généralement.
Ceux qui ne comprennent pas les psaumes de
l'Eglise , et ils sont en grand nombre , peuvent
chanter , le jour du Seigneur , quelques-unes des
odes sacrées qui suivent; elles ont été tirées, autant
que possible, de nos meilleurs poètes , et on y cé
lèbre les grandeurs de Dieu , les merveilles sans
nombre de sa création', et ses miséricordes infi
nies envers l'homme juste.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
ODE PREMIERE.
Mowemcns d'une âme qui s'élève à la connaissance
de Dieu par la contemplation de ses ouvrages.
Les cieux instruisent la terre
A révérer leur Auteur,
Tout ce que leur globe enserre
Célèbre un Dieu créateur.
Quel plus sablime cantique
Que ce concert magnifique
De tous les célestes corps !
Quelle grandeur infinie !
Quelle divine harmonie
Résulte de leurs accords!
De sa puissance immortelle
Tout parle , tout nous instruit.
Le jour au jour la révèle ,
La nuit l'annonce à la nuit.
Ce grand et superbe ouvrage «
N'est point pour l'homme un langage
Obscur et mystérieux :
Sou admirable structure
Est la voix de la nature
Qui se fait entendre aux yeux.
Dans une éclatante voûte
Il a placé , de ses mains ,
Ce soleil , qui dans sa route
Eclaire tous les humains.
RÉFLEXIONS ET SENTIMEXS
Environné de lumière ,
Cet astre ouvre sa carrière
Comme un époux glorieux
Qui , dès l'aube matinale ,
De sa couche nuptiale
Sort brillant et radieux.
L'univers à sa puissance
Semble sortir du néant.
Il prend sa course et s'avance
Comme un superbe géant.
Bientôt sa marche féconde
Embrasse le tour du monde
Dans le cercle qu'il décrit ;
Et par sa chaleur puissante
La nature languissante
Se ranime et se nourrit.
O que tes œuvres sont belles !
Grand Dieu , quels sont tes bienfaits !
Que ceux qui te sont fidèles
Sous ton joug trouvent d'attraits !
Ta crainte inspire la joie .
Elle assure notre voie ,
Elle nous rend triomphans :
Elle éclaire la jeunesse
Et fait briller la sagesse
Dans les plus faibles enfans.
Soutiens ma foi chancelante ,
Dieu puissant ! inspire-moi
Cette crainte vigilante
Qui fait pratiquer ta loi.
Loi sainte , loi désirable ,
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 383
:
Ta richesse est préférable
A la richesse de l'or ;
Et ta douceur est pareille
Au miel dont la jeune abeille
Compose son cher trésor.
Mais sans tes clartés sacrées ,
Qui peut connaître , Seigneur,
Les faiblesses égarées
Dans les replis de son coeur ?
Prête-moi tes feux propices ,
Viens m'aider à fuir les vices
Qui s'attachent à mes pas.
Viens consumer par ta flamme
Ceux que je vois dans mon âme
Et ceux que je n'y vois pas.
Si de leur triste esclavage
Tu viens dégager mes sens ;
Si tu détruis leur ouvrage ,
Mes jours seront innocens.
J'irai puiser sur ta trace
Dans les sources de ta grâce;'
Et de ces eaux abreuvé ,
Ma gloire fera connaître
Que le Dieu qui m'a fait naître
Est le Dieu qui m'a sauvé
i
384 - RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
ODE DEUXIÈME.
Œuvres admirables du ' Créateur ; sa bonté envers
les hommes.
0 suprême grandeur ! ô sagesse ineffable !
Ton nom remplit la terre , et ta gloire admirable
Eblouit en tous lieux.
Les anges devant toi baissent leurs yeux timides ;
Monarque qui , du haut du trône où tu résides ,
Sous tes pieds vois les cieux !
Ce stupide mortel , s'il est vrai qu'il t'ignore ,
De l'enfant qu'au berceau le lait nourrit encore
Peut prendre des leçons.
La langue de l'entant qui tient de toi la vie ,
Pour bénir ta puissance et confondre l'impie ,
Forme les premiers sons.
Pour moi , lorsque la nuit vient déployer ses voiles
Où. tes prodigues mains ont semé tant d'étoiles ,
Je t'adresse ma voix.
Lorsque l'astre du jour rentre dans sa carrière ,
Je redouble mes chants, et c'est dans sa lumière
La tienne que je vois.
D'ouvrages merveilleux la foule est innombrable ;
L'homme n'y paraît plus que l'amas méprisable
De la chair et du sang. *•
Dans ta cour , toutefois , que tes bontés l'honorent !
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 385
Presqu'égal aux esprits qui sans cesse t'adorent ,
Il tient le second rang.
Tu veux qu'à ses besoins ici-bas tout conspire.
Les plus fiers animaux reconnaissent l'empire
Qu'il a reçu de toi.
Ceux qui de l'Océan parcourent les abîmes ,
Ceux qui fendent de l'air les campagnes sublimes ,
Tous respectent leur roi.
Que de biens tu nous fais , ô Sagesse ineffable !
Ton nom remplit la terre , et ta gloire admirable
Eblouit en tous lieux.
Les anges devant toi baissent leurs yeux timides ,
Monarque qui , du haut du trône où tu résides ,
Sous tes pieds vois les cieux !
ODE TROISIÈME.
Faiblesse des mortels ; puissance de Dieu.
Mon âme , louez le Seigneur ;
Rendez un légitime honneur
A l'objet éternel de vos justes louanges.
Oui , mon Dieu , je veux désormais
Partager la gloire des anges ,
Et consacrer ma vie à chanter vos bienfaits.
Renonçons au stérile appui
Des grands qu'on implore aujourd'hui ;
Ne fondons point sur eux une espérance folle.
Leur pompe , indigne de nos vœux ,
386 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
N'est qu'un simulacre frivole ,
Et les solides biens ne dépendent pas d'eux.
Comme nous , esclaves du sort ,
Comme nous , jouets de la mort ,
La terre engloutira leurs grandeurs insensées ,
Et périront en même jour
Ces vastes et hautes pensées
Qu'adorent maintenant ceux qui leur font la cour.
Dieu seul doit faire notre espoir ;
Dieu , de qui l'immortel pouvoir
Fit sortir du néant le ciel , la terre et l'onde ,
Et qui , tranquille au haut des airs ,
Anima d'une voix féconde
Tous les êtres semés dans ce vaste univers.
Heureux qui du Ciel occupé,
Et d'un faux éclat détrompé ,
Met de bonne heure en lui toute son espérance :
Il protège la vérité ,
Il saura prendre la défense
Du juste que l'impie aura persécuté.
C'est le Seigneur qui nous nourrit ,
C'est le Seigneur qui nous guérit.
Il prévient nos besoins , il adoucit nos gênés :
Il assure nos pas craintifs ,
Il déhe , il brise nos chaînes ,
Et nos tyrans , par lui , deviennent nos captifs.
Il offre au timide étranger
Un bras prompt à le protéger ,
Et l'orphelin retrouve en lui un second père.
SLR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 387
De la veuve il devient l'époux ,
Et , par un châtiment sévère,
Il confond les pécheurs conjurés contre nous.
Les jours des rois sont dans sa main ;
Leur règne est un règne incertain
Dont le doigt du Seigneur a marqué les limites.
Mais de son règne illimité
Les bornes ne seront prescrites
Ni par la fin des temps , ni par l'éternité.
ODE QUATRIÈME.
Dieu fait triompher la vertu , lajustice , l'innocence,
la paix et la vérité.
Le Seigneur est connu dans nos climats paisibles.
Il habite avec nous , et ses secours visibles
Ont de son peuple heureux prévenu les souhaits.
Ce Dieu , de ses faveurs nous comblant à toute heure ,
A fait de sa demeure
La demeure de paix.
Du haut de la montagne où sa grandeur réside ,
II" a brisé fa lance et l'épée homicide
Sur qui l'impiété fondait son ferme appui.
Le sang des malheureux a fait fumer la terre :
Mais le feu de la guerre
S'est éteint devant lui.
Insensés ! qui , remplis d'une vapeur légère ,
Ne prenez pour conseil qu'une ombre mensongère
388 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Qui vous peint des trésors chimériques et vains ;
Le réveil suit de près vos trompeuses ivresses ,
Et toutes vos richesses
S'écoulent de vos mains.
L'ambition guidait vos escadrons rapides :
Vous dévoriez déjà dans vos courses avides
Toutes les régions qu'éclaire le soleil ;
Mais le Seigneur se lève , il parle , et sa menace
Convertit votre audace
En un morne sommeil.
Contre les inhumains tes jugemens augustes
S'élèvent, Dieu puissant ! pour sauver tous les justes
Dont le cœur devant toi s'abaisse avec respect.
Ta justice, paraît de feu étincelante,
Et la terre tremblante
S'arrête à ton aspect.
Mais ceux pour qui ta main opère ces miracles ,
N'en cueilleront le fruit qu'en suivant tes oracles ,
En bénissant ton nom , en pratiquant ta loi.
Quel encens est plus pur qu'un si saint exercice ?
Quel autre sacrifice
Serait digne de toi ?
Ce sont là les présens , grand Dieu ! que tu demandes.
Peuples , ce ne sont pas vos pompeuses offrandes
Qui le peuvent payer de ses dons immortels.
C'est par une humble foi , c'est par un amour tendre
Que l'homme peut prétendre
D'honorer ses autels.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 38g
AAWV WVWWVWWWW\WWWWVW\WWWW\VWW\ <iWVWW\WV
ODE CINQUIÈME.
La Providence divine dans l'ordre moral.
Pardonne, Dieu puissant, pardonne à ma faiblesse.
A l'aspect des médians , confus , épouvanté ,
Le trouble m'a saisi , mes pas ont hésité ;
Mon zèle m'a trahi , Seigneur , je le confesse ,
En voyant leur prospérité.
Cette mer d'abondance où leur âme se noie ,
Ne craint ni les écueils , ni les vents rigoureux :
Ils ne partagent point nos fléaux douloureux ;
Ils marchent sur les fleurs , ils nagent dans la joie ;
Le sort n'ose changer pour eux.
Voilà donc d'où leur vient cette audace intrépide
Qui n'a jamais connu craintes ni repentirs.
Enveloppés d'orgueil , nageant dans les plaisirs ,
Enivrés de bonheur , ils ne prennent pour guide
Que leurs plus insensés désirs.
Leur bouche ne vomit qu'injures et blasphèmes ,
Et leur cœur ne nourrit que désirs vicieux.
Ils affrontent la terre , ils attaquent les cieux ;
Ils n'élèvent leur voix que pour vanter eux-mêmes
Leurs forfaits les plus odieux.
De là , je l'avoûrai , naissait ma défiance.
Si sur tous les mortels Dieu tient les yeux ouverts ,
Comment , sans les punir, voit-il ces cœurs pervers ?
3gO RÉFLEXIONS ET SBNTIMENS
Et , s'il ne les voit point, comment peut sa science
Embrasser tout cet univers ?
C'était en ces discours que j'exhalais ma plainte.
Mais , ô coupable erreur ! ô transports indiscrets !
Quand je pensais ainsi , j'ignorais tes secrets ;
J'offensais tes élus , et je portais atteinte
A l'équité de tes décrets.
Je croyais pénétrer tes jugemens augustes ;
Mais , grand Dieu ! mes efforts ont toujours été vains:
Jusqu'à ce qu'éclairé du flambeau de tes saints ,
J'ai reconnu la fin qu'à ces hommes injustes
Réservent tes puissantes mains.
J'ai vu que leurs honneurs , leur gloire , leur richesse ,
Ne sont que des filets tendus à leur orgueil ;
Que le port n'est pour eux qu'un véritable écueil ,
Et que ces lits pompeux où s'endort leur mollesse ,
Ne couvrent qu'un affreux cercueil.
Puis-je assez exalter l'adorable clémence
Du Dieu qui m'a sauvé d'un si mortel danger ?
Sa main contre moi-même a su me protéger ;
Et son divin amour m'offre un bonheur immense
Pour un mal faible et passager.
Que me reste-t-il donc à chérir sur la terre ,
Et qu'ai-je à désirer au céleste séjour ?
La nuit qui me couvrait cède à l'éclat du jour ;
Mon esprit ni mes sens ne me font plus la guerre ;
Tout est absorbé par l'amour.
Car, enfin je le vois , le bras de la justice ,
Quoique lent à frapper , se tient toujours levé
-SU» DIVERS SUJETS DE RELIGION. 3g I
Sur ces hommes charnels dont l'esprit dépravé
Ose à de faux objets offrir le sacrifice
D'un cœur pour lui seul réservé.
ODË SIXIÈME.
Dieu Juge suprême.
Paraissez , roi des rois , venez , juge suprême ,
Faire éclater votre courroux
Contre l'orgueil et le blasphème
De l'impie armé contre vous-
Le Dieu de l'univers est le Dieu des vengeances.
Le pouvoir et le droit de punir les offenses
N'appartient qu'à ce Dieu jaloux.
Jusques à quand , Seigneur , sWffrirez-vous l'ivresse
De ces superbes criminels ,
De qui la malice transgresse
Vos ordres les plus solennels ,
Et dont l'impiété barbare et tyrannique
Au crime ajoute encore le mépris ironique
De vos préceptes éternels.
Ils ont sur votre peuple exercé leur furie ,
Ils n'ont pensé qu'à l'affliger.
Ils ont semé dans leur patrie
L'horreur , le trouble et le danger ;
Ils ont de l'orphelin envahi l'héritage ,
Et leur main sanguinaire a déployé sa rage
Sur la veuve et sur l'étranger.
92 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Ne songeons , ont-ils dit , quelque prix qu'il en coûte,
Qu'à nous ménager d'heureux jours.
Du haut de la céleste voûte
Dieu n'entendra point nos discours.
Nos offenses par lui ne seront point punies.
Il ne les verra point , et de nos tyrannies
Il n'arrêtera point le cours.
Quel charme vous séduit , quel esprit vous conseille ?
Hommes insensés , dites-nous ,
Celui qui forma votre oreille
Sera sans oreilles pour vous ?
Celui qui fit vos yeux ne verra point vos crimes ?
Et celui qui punit les rois les plus sublimes ,
Pour vous seuls retiendra ses coups ?
Il voit , n'en doutez plus , il entend toute chose ;
Il lit jusqu'au fond de vos cœurs.
L'artifice en vain se propose
D'éluder ses arrêts vengeurs :
Rien n'échappe aux regards de ce juge sévère
Le repentir lui seul peut calmer sa colère
Et fléchir ses justes rigueurs.
Ouvrez , ouvrez les yeux , et laissez-vous conduire
Aux divins rayons de sa foi.
Heureux celui qu'il daigne instruire
Dans la science de sa loi {
C'est l'asile du juste , et la simple innocence
Y trouve son repos ; tandis que la licence
N'y trouve qu'un sujet d'effroi.
Qui me garantira des assauts de l'envie ?
Sa fureur n'a pu s'attendrir.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
Si vous n'aviez sauvé ma vie ,
Grand Dieu ! j'étais prêt à périr.
Je vous ai dit : Seigneur, ma mort est infaillible ;
Je succombe. Aussitôt votre bras invincible
S'est armé pour me secourir.
Non , non f c'est vainement qu'une main sacrilège
Contre moi décoche ses traits ;
Votre trône n'est point un siège
Souillé par d'injustes décrets.
Vous ne ressemblez point à ces rois implacables
Qui ne font exercer leurs lois impraticables
Que pour accabler leurs sujets.
Toujours à vos élus l'envieuse malice
Tendra ses filets captieux ;
Mais toujours votre loi propice
Confondra les audacieux.
Vous anéantirez ceux qui vous font la guerre j
Et si l'impiété vous juge sur la terre ,
Vous la jugerez dans les cieux.
394 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
ODE SEPTIÈME.
Caractère de l'homme juste.
Seigneur , dans ta gloire adorable
Quel mortel est digne d'entrer ?
Qui pourra , grand Dieu ! pénétrer
Ce sapctuaire impénétrable
Où tes saints inclinés , d'un œil respectueux ,
Contemplent de ton front l'éclat majestueux ?
Ce sera celui qui du vice
Evite le sentier impur ,
Qui marche d'un pas ferme et sûr
Dans le chemin de la justice ,
Attentif et fidèle à distinguer sa voix ,
Intrépide et sévère à maintenir ses lois.
Ce sera celui dont la bouche
Rend hommage à la vérité ,
Qui , sous un air d'humanité ,
Ne cache point un cœur farouche ,
Et qui , par des discours faux et calomnieux ,
Jamais à la vertu n'a fait baisser les yeux;
Celui devant qui le superbe ,
Enflé d'une vaine splendeur ,
Paraît plus bas dans sa grandeur
Que l'insecte caché sous l'herbe ;
Qui , bravant du méchant le faste couronné ,
Honore la vertu du juste infortuné ;
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 395
Celui , dis-je , dont les promesses
Sont un gage toujours certain ;
Celui qui , d'un infâme gain ,
Ne sait point grossir ses richesses ;
Celui qui , sur les dons du coupable puissant ,
N'a jamais décidé du sort de l'innocent.
Qui marchera dans cette voie ,
Comblé d'un éternel bonheur ,
Un jour, des élus du Seigneur
Partagera la sainte joie ;
Et les frémissemens de l'enfer irrité ' .
Ne pourront faire obstacle à sa félicité.
ODE HUITIÈME.
Invitation à tous les chrétiens de l'univers à se
réunir pour adorer Dieu et chanter ses louanges
en commun.
D'un cantique nouveau que la sainte harmonie
Exalte le Seigneur qui créa l'univers ;
Que , pour chanter son nom , toute la nature unie
Réponde à nos pieux concerts.
Célébrez ses grandeurs et sa gloire accomplie ;
Qu'à bénir son saint nom tous vos soins soient bornés ;
Que le jour et la nuit sans cesse l'on publie
Tous les biens qu'il nous a donnés.
A qui le méconnaît , faites de ses oracles
Comprendre la lumière et recevoir les fruits :
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Annonce! son pouvoir , et de ses grands miracles
Que tous les peuples soient instruits.
Qu'ils apprennent combien sa grandeur est immense ,
Qu'on dqjt toute louange à son nom glorieux ;
Et qu'il est par sa haute et terrible puissance
Au-dessus de tous les faux dieux.
Ces faux dieux adorés des peuples infidèles ,
Que sont-ils ? des métaux muets , inanimés
Mais c'est par notre Dieu , par ses mains éternelles ,
Que les cieux ont été formés.
La gloire l'accompagne , et sa splendeur éclaire
De son trône brillant l'auguste majesté.
Sa présence remplit son divin sanctuaire
De grandeur et de sainteté.
Nations , que chacun apporte son offrande
Aux pieds d'un Dieu si grand , si puissant et si bon :
Rendez toute la gloire et l'honneur que demande
Son saint , son adorable nom.
Apportez votre hostie ; entrez , remplis de zèle ,
Au portique du temple à son nom consacré.
Que Dieu soit à jamais , par son peuple fidèle ,
Dans son sanctuaire adoré.
Que d'un profond respect toute la terre tremble
Au seul aspect d'un Dieu si terrible en grandeur ;
Dites aux nations que l'Evangile assemble :
Voici le règne du Seigneur.
Sa parole a rendu la terre inébranlable :
Elle a , par son pouvoir , repris sa fermeté ;
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.3<J7
Arbitre souverain du juste et du coupable ,
Il les juge avec équité.
Que la terre ravie en tressaille sans cesse :
Cieux , réjouissez-vous „ et vous , profondes mers !
Que la nature inspire une même allégresse
A tous ses ornemens divers.
Qu'au comble de la joie on voie en sa présence
Les arbres s'incliner et les monts se lever :
Le Seigneur est venu , par sa toute-puissance ,
Et nous juger, et nous sauver.
Par sa droite justice , unie à sa tendresse ,
Tous les peuples seront jugés dans l'équité :
Et , jugeant les mortels , il tiendra sa promesse
D'une entière fidélité !
IMMMMMMMWVWW\,\M/WVWM^^IWMIMim%mmilVMMWMWVWMVW
ODE NEUVIÈME.
Sacrifices vraiment agréables à Dieu.
Le Roi des cieux et de la terre
Descend au milieu des éclairs ;
Sa voix , comme un bruyant tonnerre ,
S'est fait entendre dans les airs.
Dieux mortels , c'est vous qu'il appelle ;
Il tient la balance éternelle
Qui doit peser tous les humains.
Dans ses yeux la flamme étincelle »
Et le glaive brille en ses mains.
RÉFLEXIONS ET 8ENT1MCXS
Ministres de ses lois augustes ,
Esprits divins qui le servez ,
Assemblez la troupe des justes
Que les œuvres ont éprouvés ;
Et de ces serviteurs utiles
Séparez les âmes serviles
Dont le zèle , oisif en sa foi ,
Par des holocaustes stériles
A cru satisfaire à la loi.
Allez , saintes intelligences ,
Exécuter ses volontés ;
Tandis qu'à servir ses vengeances ,
Les cieux et la terre invités ,
Par des prodiges innombrables ,
Apprendront à ces misérables
Que leur jour fatal est venu
Qui fera connaître aux coupables
Le juge qu'ils ont méconnu.
Ecoutez ce juge sévère,,
Hommes charnels , écoutez tous !
Quand je viendrai, dans ma colère :
Lancer mes jugemens sur vous ,
Vous m'alléguerez les victimes
Que sur mes autels légitimes
Chaque jour vous sacrifiez ;
Mais ne pensez pas que vos crimes
Par là puissent être expiés.
Que m'importent vos sacrifices ,
Vos offrandes et vos troupeaux ?
Dieu boit-il le sang des génisses ?
Mange-t-il la chair des taureaux ?
SUU DIVERS SUJET.* DE RELIGION.
Ignorez-vous que son empire
Embrasse tout ce qui respire
Et sur la terre et dans les mers ,
Et que son souffle seul inspire
L'âme à tout ce vaste univers ?
Offrez , à l'exemple des anges ,
A ce Dieu votre unique appui ,
Un sacrifice de louanges ,
Le seul qui soit digne de lui.
Chantez d'une voix ferme et sûre
De cet auteur de la nature
Les bienfaits toujours renaissant :
Mais sachez qu'une main impure
Peut souiller le plus pur encens.
11 a dit à l'homme profane :
Oses-tu , pécheur criminel ,
D'un Dieu dont la loi te condamne ,
Chanter le pouvoir éternel ?
Toi qui , courant à ta ruine ,
Fus toujours sourd à ma doctrine ;
Et malgré mes secours puissans ,
Rejetant toute discipline ,
N'a pris conseil que de tes sens :
Si tu voyais un adultère ,
C'était lui que tu consultais ;
Tu respirais le caractère
Du voleur que tu fréquentais.
Ta bouche abondait en malice ;
Ton coeur, plein d'un vil artifice ,
Contre ton frère encouragé ,
S'applaudissait du précipice
Où ta fraude l'avait plongé.
400 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Contre une impiété si noire
Mes foudres furent sans emploi : •
Et voilà ce qui t'a fait croire
Que ton Dieu pensait comme toi.
Mais apprends , homme détestable ,
Que ma justice formidable
Ne se laisse point prévenir ,
Et n'en est pas moins redoutable
Pour être tardive à punir.
Pensez-y donc , âmes grossières ;
Commencez par régler vos mœurs.
Moins de faste dans vos prières ,
Plus d'innocence dans vos cœurs.
Sans une âme légitimée
Par la pratique confirmée
De mes préceptes immortels ,
Votre encens n'est qu'une fumée
Qui déshonore mes autels.
ODE DIXIÈME.
Les jugemens de Dieu.
Peuples , élevez vos concerts ,
Poussez des cris de joie et des chants de victoire-
Voici le roi de l'univers
Qui vient faire éclater son triomphe et sa gloire.
La justice et la vérité
Servent de fondement à son trône terrible.
Une profonde obscurité
Aux regards des humains la rend inaccessible.
SL'R DIVERS StIJETS DE RELIGION.
Pleine d'horreur et de respect ,
La terre a tressailli sous ses voûtes brisées ;
Les monts , fondus à son aspect ,
S'écoulent dans le sein des ombres embrasées.
De ses jugemens redoutés
La trompette céleste a porté le message ,
Et dans les airs épouvantés
En ces terribles mots sa voix s'ouvre un passage :
Soyez à jamais confondus,
Adorateurs impurs de profanes idoles ,
Vous qui , par des vœux défendus ,
Invoquez de vos mains les ouvrages frivoles !
C'est moi qui du plus haut des cieux ,
Du monde que j'ai fait règle les deslinées.
C'est moi qui brise ses faux dieux ,
Misérables jouets des vents et des années.
Par' ma puissance raffermis,
Méprisez du méchant la haine et l'artifice :
L'ennemi de vos ennemis
A détourné sur eux les traits de leur malice.
Conduits par mes vives clartés ,
Vous n'avez écouté que mes lois adorables ;
Jouissez des félicités
Qu'ont mérité pour vous mes bontés secourables.
Venez donc , venez en ce jour
Signaler de vos cœurs l'humble reconnaissance ;
Et , par un respect plein d'amour ,
Sanctifiez en moi votre réjouissance.
26
403 RJSFIBXIONS ET SENTIMENS
ODE ONZIÈME.
Désirs de l'immortalité.
Que la demeure où tu résides ,
Dieu puissant , a d'attraits pour moi !
Et que mes transports sont rapides
Quand mon cœur s'élève vers toi !
Mon âme tombe en défaillance.
Que ma flamme a de violence !
Mon Dieu , que mon zèle est fervent !
Oui , tout plein de l'objet que j'aime ,
Mon cœur se trouble , et ma chair même
Tressaille au nom du Dieu vivant.- 't
Dans les déserts la tourterelle
Loin du chasseur va se cacher ,
Et trouve un asile pour elle
Dans le sein de quelque rocher.
Loin du monde où tout me désole ,
C'est à ton temple que je vole :
Et dans l'ombre de ce saint lieu ,
Toujours caché , toujours tranquille,
Tels autels seront mon asile ,
Mon Roi , mon Seigneur et mon Dieu !
Tandis que ta sainte assemblée
Y forme des concerts charmans ,
Notre aride et sombre vallée
Retentit de gémissemens.
Que la carrière est longue et rude !
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
De tristesse et de lassitude
Que de voyageurs abattus !
Mais celui que ta main soulève ,
De vertus en vertus selève
Jusqu'à la source des vertus.
C'est à toi-même qu'il arfive
Sur les ailes de son amour.
Quand mon âme ici-bas captive
Le suivra-t-elle en ton séjour ?
Hélas ! de loin je le contemple ;
Un seul jour passé dans ton temple
Est bien plus cher à mes désirs ,
Qu'une longue suite d'années
Aux yeux du monde fortunées ,
Qu'un siècle entier de ses plaisirs.
A la porte du sanctuaire
N'être admis qu'au dernier des rangs
Est un honneur que je préfère
A toutes les faveurs des grands.
Chez eux habitent les caprices ,
Les trahisons , les injustices ;
Mais , dans la maison du Seigneur ,
Rien de souillé n'ose paraître :
La sainte majesté du Maître
En fait le temple du bonheur.
Qu'un cœur touché de tes promesses
Trouve de chîrmes dans ta loi !
0 Dieu prodigue en tes largesses !
Heureux qui n'espère qu'en toiJ .
Si nous marchons dans l'innocence ,
Nous recevrons sa récompense ;
26.
4o4 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Et nous ne serons point jaloux
Qu'ornés de nos mêmes couronnes,
Les pécheurs à qui tu pardonnes ,
Près de toi brillent avec nous.
ODE DOUZIÈME.
Souvenirs de l'immortalité.
Voici , voici le jour propice
Où le Dieu pour qui j'ai souffert
Va me tirer du précipice
Que le péché m'avait ouvert.
De l'imposture et de l'envie
Contre ma vertu poursuivie
Les traits ne seront plus lancés ;
Et les soins mortels de ma vie
De l'immortalité seront récompensés.
Loin de cette terre funeste
Transporté sur l'aile des vents ,
La main d'un ministre céleste
M'ouvre la terre des vivans :
Près des saints j'y prendrai ma place ,
J'y ressentirai de la grâce
L'intarissable écoulement ;
Et , voyant mon roi face à face, ,
L'éternité pour moi ne sera qu'un moment.
Qui m'affranchira de l'empire
Du monde où je suis enchaîné ?
De la délivrance où j'aspire
Qu.and viendra le jour fortuné ?
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
Quand pourrai-je , rompant les charmes
Où ce triste vallon de larmes
De ma vie endort les instans ,
Trouver la fin de mes alarmes
Et le commencement du bonheur que j'attends ?
Grand Dieu ! daigne sur ton esclave
Jeter un regard paternel !
Confonds le crime qui te brave ;
Mais épargne le criminel.
Et s'il te faut un sacrifice ,
Si de ta suprême justice
L'honneur doit être réparé ,
Venge-toi seulement du vice
En le chassant des cœurs dont il s'est emparé.
C'est alors que de ma victoire
J'obtiendrai les fruits les plus doux ,
En chantant avec eux la gloire
Du Dieu qui nous a sauvés tous.
Agréable et sainte harmonie !
Pour moi quelle joie infinie !
Quelle gloire , de voir un jour
Leur troupe avec moi réunie
Dans les mêmes concerts et dans le même amour !
Pendant qu'ils vivent sur la terre ,
Prépare du moins leur fierté
Par la crainte de ton tonnerre
A ce bien pour eux souhaité ;
Et les retirant des abîmes
Où dans des nœuds illégitimes
Languit leur courage abattu ,
Fais que l'image de leurs crimes
Introduise en leurs cœurs celle de la vertu.
4o6 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
1WMAWWWVWWWWW\W\VWVWWWWWAWWVVW\WWWW\W\WWWvwwwv
LE MAGNIFICAT.
Sentimens humbles et sublimes de Marie.
Je chante du Seigneur Jes bienfaits et la gloire.
De ses dons immortels , présens à ma mémoire ,
Mon âme s'occupe en ce jour.
Mon cœur et mon esprit ont tressailli de joie ; .
J'attendais mon Sauveur : le Très-Haut me l'envoie:
Que ne lui doit point mon amour !
Oui , malgré mon néant , ô faveur ravissante !
Il a daigné , du ciel , sur son humble servante
Jeter un regard de bonté.
Oui , ce qu'a fait pour moi sa piété généreuse
Me vaudra pour jamais le nom de bienheureuse
Par tous les siècles répété.
L'Etre à qui le pouvoir appartient par essence
A signalé pour moi sa force et sa puissance
Par des miracles éclatans. . .
Le nom de l'Eternel est la sainteté même.
Celui qui tremble aux pieds de sa grandeur suprême
Lui sera cher dans tous les temps.
Son bras est déployé , sa main forte et terrible
A confondu l'orgueil du mortel inflexible
Qui ne respirait que fureur.
Il a du front des rois fait tomber la couronne ,
Renversé les tyrans arrachés de leur trône ,
Et mis les humbles en honneur.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4°7
Prêt à combler les vœux du juste qui soupire ,
Et dont l'âme altérée aux seuls vrais biens aspire ,
Il les lui prodigue aujourd'hui.
Tandis que l'opulent qui , sur son abondance ,
De ses besoins remplis fonde l'indépendance ,
Sort pauvre et nu de devant lui.
Il choisit Israël ; il en fit son partage ,
Exact à nous tenir tout ce que d'âge en âge
Sa bonté nous avait promis.
Abraham notre aïeul , et sa race fidèle ,
De sa bouche ont reçu la promesse immortelle
Du don qu'il fait à ses amis. .
\uuvvwumuumunvvuuwtwuvnuuWMim\vm W\VWVW vv\VWV
LE DOMINE SALFUM.
Vœux pour la prospérité et la vraie grandeur du
Monarque.
O Dieu qui par un choix propice
Daignâtes élire , entre tous ,
Un homme qui fût parmi nous
L'oracle de votre justice ,
Inspirez, inspirez au Roi ,
Avec l'amour de votre loi
Et l'horreur de la violence ,
Cette clairvoyante équité
Qui de la fausse vraisemblance
Sait discerner la vérité.
Que par des jugemens sévères
Sa voix rassure l'innocent ;
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Que de son peuple gémissant
Sa main soulage les misères ;
Que jamais le mensonge obscur
Des pas de l'homme libre et pur
N'ose à ses yeux souiller la trace ;
Et que le vice fastueux
Ne soit point assis à la place
Du mérite humble et vertueux.
Ainsi du plus haut des montagnes
La paix et tous les dons des cieux ,
Comme un fleuve délicieux,
Viendront arroser nos campagnes.
Son règne à ses peuples chéris
Sera ce qu'aux champs défleuris
Est l'eau que le ciel leur envoie ;
Et tant que luira le soleil ,
L'homme , plein d'une sainte joie ,
Le bénira dès son réveil.
Son trône deviendra l'asile
De l'orphelin persécuté ;
Son équitable austérité
Soutiendra le faible pupille.
Le pauvre , sous ce défenseur ,
Ne craindra plus que l'oppresseur
Lui ravisse son héritage ;
Et le champ qu'il aura semé
Ne deviendra plus le partage
De l'usurpateur affamé.
Ses dons , versés avec justice ,
Du pâle calomniateur
Ni du servile adulateur
Ne nourriront point l'avarice :
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
Pour eux son front sera glacé ;
Le zèle désintéressé ,
Seul digne de sa confiance,
Fera renaître pour jamais
Les délices et l'abondance ,
Inséparables de la paix.
Alors la juste renommée
Répandue au delà des mers ,
Jusqu'aux confins de l'univers
Avec éclat sera semée.
Ses ennemis , humiliés ,
Mettront leur orgueil à ses pieds ;
Et des plus éloignés rivages,
Les rois , frappés de sa grandeur ,
Viendront , par de riches hommages ,
Briguer sa puissante faveur.
Ils diront : Voilà le modèle
Que doivent suivre tous les rois ;
C'est de la sainteté des lois
Le protecteur le plus fidèle :
L'ambitieux immodéré ,
Et des eaux du siècle enivré ,
N'ose paraître en sa présence ;
Mais l'humble ressent son appui ,
Et les larmes de l'innocence
Sont précieuses devant lui.
De ses triomphantes années
Le temps respectera le cours ,
Et d'un long ordre d'heureux jours
Ses vertus seront couronnées ;
Ses vaisseaux , par les vents poussés ,
Vogueront des climats glacés
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Aux bords de l'ardente Libye i
La mer enrichira ses ports ;
Et pour lui l'heureuse Arabie
Epuisera tous ses trésors.
Tel qu'on voit la tête chenue
D'un chêne , autrefois arbrisseau ,
Egaler le plus haut rameau
Du cèdre caché dans la nue ;
Tel , croissant toujours en grandeur,
Il égalera la splendeur
Du potentat le plus superbe.
Et ses redoutables sujets
Se multiplîront comme l'herbe
Autour des humides marais.
Qu'il vive ! et que dans leur mémoire
Les rois lui dressent des autels !
Que les cœurs de tous les mortels
Soient les monumens de sa gloire î
Et vous j ô Maître des humains !
Qui de vos bienfaisantes mains
Formez les monarques célèbres ,
Montrez-vous à tout l'uuivers ;
Et daignez chasser les ténèbres
Dont nos faibles yeux sont couverts.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 41 1
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LE DEUM.
Actions de grâces , joie , transports.
Notre voix te bénit , notre cœur te révère ,
Grand Dieu ! souverain Maître ! inconcevable Père !
Tes enfans , répandus en cent climats divers ,
T'adorent comu.e Roi de ce grand univers.
Ces célestes esprits , qui vivent de toi-même ,
Relèvent à l'envi ta puissance suprême.
Des Trônes , des Vertus , les cœurs étincelans ,
Les sages Chérubins , les Séraphins brûlans ,
Chantent, dans les Concerts de leurs voix enflammées :
Saint , saint , saint est le Dieu , le Seigneur des armées.
Ta grandeur invisible et visible en tous lieux
Remplit le vaste enclos de la terre et des cieux ;
Les envoyés du Verbe , eux qui l'ont fait connaître ,
Les Prophètes dont l'œil vit ce qui devait être ,
Et de tes saints martyrs l'escadron généreux
Rendent gloire à ton nom qui les rend bienheureux.
Du Midi jusqu'au Nord , de l'Inde jusqu'au Tage ,
L'Eglise , une en tous lieux , rend un céleste hommage
A toi , Père éternel, source de majesté,
A ton unique Fils , rayon de ta clarté ;
A ton Esprit divin , qui par ses saintes flammes
Guérit seul tous nos maux et console nos âmes.
4l2 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
0 Jésus ! roi de gloire , égal au Dieu très-haut .
Miroir de sa splendeur , sans tache et sans défaut ;
Tu n'as pas dédaigné , pour le salut du monde ,
D'entrer dans l'humble sein d'une Vierge féconde :
Vainqueur, même à la croix, d'un bras puissant et fort
En mourant tu brisas l'aiguillon de la mort !
En sortant du Aombeau tu rouvris aux fidèles
Du céleste palais les portes éternelles.
Tu règnes dans le ciel , sur la terre , en tout lieu ,
Dans la gloire du Père , à la droite de Dieu.
Et nous croyons qu'un jour , armé de ton tonnerre,
Tu viendras dans les airs juger toute la terre.
Combats donc pour les tiens , et protège des cieux
Tes captifs rachetés de ton sang précieux ;
Mets-nous avec ces saints /que ton Père te donne ,
Pour porter avec toi ta royale couronne.
Seigneur , sauve ton peuple , assiste tes enfans ,
Fais vaincre tes soldats et les rends triomphans.
Avant que le grand astre ouvre au ciel sa carrière ,
Nos voix pour te bénir préviennent la lumière :
Guide aujourd'hui nos pas , aide-nous à marcher ;
Pardonne nos erreurs , garde-nous de pécher.
L'homme pour te servir n'ayant rien de soi-même ,
Toute notre espérance est ta bonté suprême ;
C'est notre unique appui , notre bien , notre paix :
Qui n'espère qu'en toi ne périra jamais.
SLR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
RÉFLEXIONS ET SENTIMENS ,
POUR LA CONFESSION ET LA COMMUNION
SOLENNELLES
AU TEMPS PASCAL.
( Rentrez ici dans l'intérieur de votre propre conscience )
elle seule doit vous guider. Faites , par conséquent ,
peu ou point d'attention aux vains argumens des autres
hommes. )
Il est inconcevable jusqu'à quel point ces grands,
ces divins exercices de la confession et de la com
munion annuelles sont négligés parmi les chré
tiens de nos jours. Rien cependant de plus salu
taire et de plus propre à nous faire faire des progrès
rapides dans la perfection. Et le moins que l'Eglise
puisse exiger de ceux qui veulent porter le nom
de chrétiens, c'est de participer une fois l'an , selon
l'esprit du christianisme , au sacrement de l'amour
de Jésus-Christ , et de célébrer les mystères de sa
charité dans la sainte quinzaine de Pâques, qui
rappelle tant et de si touchans souvenirs. Com
ment un véritable chrétien pourrait-il passer ce
temps de salut sans songer à sa réconciliation avec
4 1 4 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
le Créateur ? Quel homme pourrait vivre , plus
d'une année , dans l'éloignement du Seigneur et
dans l'inquiétude du crime , à moins d'avoir en
tièrement perdu tout sentiment de. piété , et de
s'être laissé aveugler et corrompre par les plus viles
passions ? O mon Dieu ! éclairez , éclairez tant de
mortels si frivoles et si indifférens sur leur salut :
montrez à la chrétienté l'abîme épouvantable où
elle se précipite en négligeant les ressources di
vines que vous avez ménagées dans votre religion
à la faiblesse de l'homme. Oui , notre cœur lui-
même nous conduirait au sanctuaire de la ré
conciliation , si l'injustice ne l'avait pas entière
ment dénaturé ! Voyez cet enfant encore simple
et innocent ; il a aussi un père qu'il offense quel
quefois. Que fait-il dès qu'il reconnaît avoir en-
encouru sa disgrâce? Son propre cœur le lui dicte.
La paix et la tranquillité ont fui; pour lui , plus
de joie ni de repûs qu'il ne se soit jeté aux pieds
de ce père tendre , et ne lui ait avoué sa faute
avec une sincère naïveté , en demandant son par
don sur la promesse de se corriger. Mais s'il est
vrai que tous les hommes , que les monarques
mêmes de la terre , ne sont que de petits , que
de faibles enfans auprès du Créateur suprême et
du Père de la nature , pourquoi n'auraient-ils pas
tous envers lui une piété aussi fdiale et des senti-
mens aussi naturels? Et comment des incrédules,
des têtes faibles et des libertins seraient-ils par
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4^
venus à jeter assez de ridicule sur cette action sa
crée de la réconciliation de l'homme avec son Dieu,
pour arrêter partout l'élan d'une âme sensible et
franche ? Cet acte , j'ose le dire , est peut-être ce
qu'il y a de plus grand dans la création !
Pour moi , les sarcasmes d'un monde aveugle
et vain , ni un faux respect humain n'en impose
ront à mon âme , et ne lui feront pas la loi. Le
monde peut crier aux abus , moi je sais que les
voix de la nature et de la religion , loin de récla
mer les abus , les repoussent , mais qu'elles de
mandent le sacrement dans sa pureté , et une
véritable réconciliation du pécheur avec son Dieu.
Le monde se plaindra de l'usage de dérouler les
replis de sa conscience et de dévoiler ses plus
secrètes pensées devant un homme faible et mortel
comme tout autre; moi, tout persuadé que je
sois que le chrétien éclairé peut se contenter, pour
cet acte important, de s'éprouver simplement lui-
même , selon l'invitation de l'Apôtre , je m'esti
merai heureux de pouvoir m'entretenir de l'im
portante affaire de ma réconciliation avec un
homme instruit et impartial, qui connaît le cœur
humain et les lois du Seigneur , afin d'en re
cevoir les avis salutaires dont j'ai besoin, en même
temps que j'en obtiens la tranquillisante assurance
d'être l'entré en grâce avec mon Créateur. Oui , je
reconnaîtrai toujours que cette institution divine,
si bien adaptée à la nature de l'homme, qui a
4 I 6 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
besoin de cérémonies extérieures qui s'accordent
avec les sentimens de son âme , est la seule ca
pable de rendre généralement à tous les hommes
égarés , par surprise ou par faiblesse , le courage
nécessaire pour rentrer dans les sentiers de la per
fection et recommencer à y marcher d'un pas
assuré.
PRÉPARATION.
Me voici devant vous , ô mon Dieu ! vous , le
témoin invisible et incorruptible de toutes les
actions et de toutes les pensées de ma vie : vous ,
le suprême Scrutateur des cœurs , qui démêlez
jusqu'aux derniers replis de ma conscience ! me
voici devant vous ! Je m'arrête un moment sur le
chemin de mon pèlerinage terrestre, afin de por
ter un regard sur ma vie passée et sur l'état de
mon intérieur, afin d'examiner , avec franchise et
impartialité , de combien je me suis rapproché ou
éloigné de ce modèle divin de la perfection , pro
posé à mon imitation. Mais ici , je sais que j'ai
besoin de toutes vos grâces , ô mon Dieu ! Cette
recherche si nécessaire est en même temps si dif
ficile ! Que d'obstacles se présentent partout ! Je
dois en ce moment reconnaître toutes mes fai
blesses, avouer toutes mes erreurs, tous mes torts,
tous mes vices ; et mon amour-propre s'y oppose
avec obstination ! Un cœur gâté sait faire tant de
représentations , tant d'objections , que je me sens
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4' 7
presque assez faible pour fuir encore une fois tout
examen sérieux ! Me sera-t-il bien possible , au
milieu de tant d'obstacles , de reconnaître toute
1 enormité de mes égaremens, si vous ne me sou
tenez , ô Dieu tout-puissant ! Ayez donc pitié de ma
faiblesse et de mon impuissance; encouragez-moi,
fortifiez mon âme par votre divin esprit ; soyez à
ma droite, afin que je puisse reconnaître et déplorer
vivement toutes mes passions criminelles , et par
venir , après un humble et sincère aveu , à mener
une vie meilleure ! Donnez-moi , ô le plus tendre
des pères ! un repentir véritable de mes fautes ,
avec une résolution inébranlable de m'en corriger!
Soyez propice aux vœux d'un faible enfant qui,
plein de trouble et d'inquiétude , vous appelle à
son secours , et à qui il serait impossible , sans
votre assistance , d'amener à un heureux terme
les précieux sentimens dont son cœur vient de se
remplir.
Amen.
examen de conscience.
Il faut savoir enfin aujuste quelles sont les dispo
sitions intérieures de mon âme. Je veux, enfin, me
rendre compte à moi-même de toutes mes actions
passées et connaître ma véritable situation avec
mon Créateur, avec mes semblables, en un mot,
en ce moment je veux savoir ce que j'ai à craindre
et à espérer dans l'affaire de mon salut éternel.
27
-4 1 S RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Qui sait si demain , si dans quelques instans
je serai encore assez maître de disposer de mon
temps et de mes facultés pour faire un examen aussi
sérieux et une revue aussi importante? Déjà je suis
dans votre présence , ô Dieu caché et incompré
hensible, mais intimement présent à tout mortel!
Vous voyez mon âme et ses pensées diverses : je
vais donc m'interroger sans réserve , et mon cœur
devra répondre. •
Amour de Dieu.
L'amour le plus pur est le fondement et l'esprit
de la religion. Quel a donc été mon amour envers
le Seigneur suprême , le premier et le plus noble
de mes bienfaiteurs ? Quelle a été ma reconnais
sance et mon affection pour Jésus , le divin Légis
lateur et le Sauveur du genre humain ?
Ai-je pensé souvent , et avec complaisance , à
mon Créateur et au Dieu de mon salut?
Ai-je formé de nombreux désirs de lui plaire ,
de le voir , de le posséder; et me suis-je réjoui de
lui appartenir?
Ai-je fait de continuels efforts pour accomplir en
tout et partout sa sainte et adorable volonté?
Ai-je toujours été intimement persuadé que tout
ce que j'ai et tout ce que je suis n'est qu'un don
pur et gratuit de celui qui n'avait aucun besoin des
créatures , et qui ne les a produites que pour les
rendre heureuses ? . • , >
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4'9
Ne me suis-je jamais laissé aller à un criminel
mécontentement ou à d'injustes plaintes touchant
sa sage et paternelle Providence?
N'ai je point murmuré, blasphémé? N'ai-je point
abusé du nom trois fois saint de l'Etre des êtres,
en le prononçant dans des circonstances incon
venantes ?
Me sui^-je montré modeste et réservé , lorsque
desjours de prospérité me sont tombés en partage,
et que le ciel couronnait d'un heureux succès mes
diverses entreprises ?
N'ai-je point été, au contraire, impatient, in
quiet et découragé dans mes disgrâces et mes re
vers , perdant aussitôt toute confiance en Dieu
quand je rencontrais des chemins difficiles et se
més de ronces et d'épines ?
N'ai-je point prétendu que tout devait se régler
sur mes fantaisies , mes volontés et mes aveugles
désirs ?
Enfin , ai-je toujours tâché de conserver la foi au
Seigneur, et l'attachement à tous les bons principes?
Amour de mes semblables.
'Quels ont été mes sentimens de charité pour
mes frères , c'est-à-dire pour tous les hommes de
quelque nation ou religion qu'ils soient ?
Comment me suis-je comporté , en particulier,
envers ceux que la nature ou le sang m'attachent
27.
420 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
plus étroitement , ovi que le commerce de la vie
met en une liaison plus intime avec moi, des pa-
rens, des frères et sœurs, des amis, des proches,
des serviteurs ?
Ne me suis-je jamais oublié jusqu'à prendre de
l'humeur , et jusqu'à nourrir dans mon intérieur
de l'aversion, de la haine et de l'animosité contre
mes semblables ?
Ai-je toujours pardonné franchement et sincè
rement à mes ennemis , ou à ceux que je croyais
l'être ; et ne nté suis-je point réjoui en secret de
leurs maux?
Ai-je eu en horreur le meurtre et l'affreuse guerre?
et n'ai-je point adopté en cela les idées d'un monde
aveugle en fait de morale , ou celles d'une abomi
nable politique ?
N'ai-je point cherché à fomenter des partis , des
divisions , des factions dans la société ?
Ai-je évité de faire de la peine à mes semblables
par des propos , des soupçons , des accusations
injustes et de fausses imputations ?
Ai-je été persuadé qu'en ôtant , par un seul
mot peu charitable , la paix du cœur à un de mes
frères , je lui faisais souvent plus de mal que si je
lui enlevais une grande partie de ses biens ter
restres?
Ne me suis-je point plu à railler ceux de mes
frères à qui il me semblait que le Seigneur avait
accordé moins de facultés d'esprit qu'à moi, et
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 42<I
dont la piété ne me paraissait pas aussi éclairée
que la mienne ? Surtout , ne me suis-je point per
mis de les mépriser , et de les contrister en les
traitant de têtes faibles et de fanatiques ?
N'ai-je point maltraité l'étranger et l'inconnu ,
le jugeant sur les apparences ? Ai-je plaint partout
le pauvre , le malheureux , le persécuté , et même
le criminel ?
N'ai-je point été moins prévenant et moins dis
posé à rendre service envers ceux qui étaient d'une
nation, d'une religion, ou d'une opinion différentes
de la mienne ?
N'ai-je offensé aucun de mes semblables par des
paroles peu mesurées ? Aucun n'a-t-il droit de se
plaindre de mes procédés ?
N'ai-je point jugé trop sévèrement la conduite et
les démarches des personnes qui m'entouraient ?
N'ai-je point été sans pitié, sans miséricorde, sans
bonté de cœur, quand j'ai été obligé de les con
damner? Surtout, n'ai-je point pris plaisir à pu
blier partout leurs défauts et leurs torts? .
N'ai-je manqué à aucun de mes semblables par
des reproches , des mépris ou des railleries, qu'il
ue méritait pas ?
N'ai-je point fait tort à la réputation de mon
prochain, principalement des personnes qui ont
besoin de la bonne renommée de leur talent ou
de leur probité pour gagner leur vie ? Aucun père
de famille n'a-t-il été réduit à la misère et à la
4^2 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
gêne par suite de mes propos qui tendaient a lui
faire perdre le crédit publie ?
Et, si j'ai été capable de toutes ces fautes graves*
les ai-je commises par légèreté et d'une manière
inconsidérée , ou avec préméditation ?
Enfin, qu'ai-je fait, ou que ferai-je pour réparer
tous les torts , et ces fautes grossières dont je me
suis rendu coupable ?
Injustices.
Ai-je été fidèle , intègre et loyal dans mes actes
de commerce, quant aux gains , aux contrats , aux
ventes , aux achats , aux échanges ? et ne suis-je
point forcé de me faire ici le honteux reproche
d'avoir trompé mon frère qui agissait franchement ;
d'avoir vexé mes semblables par nombre de bas
sesses, d'injustices, palliées quelquefois, mais tou
jours très-réelles?
N'ai-je point volé , pillé , soustrait par fraude ,
du par d'infâmes usures, le bien de mon prochain,
ou retenu lâchement ce qui ne m'appartenait pas ?
Ne me suis-je point persuadé, avec tant d'aveu
gles commerçans de nos jours, qu'il est permis de
vendre à tout prix ?
L'avarice et la cupidité d'un gain sordide ne
m'ont-ils point fait aimer les troubles , les révolu
tions, les désordres de la guerre? • >
Ai-je toujours fait l'aumône aux pauvres selon
si;r divers sujets de religion. 423
mes facultés ? et n'ai-je point été égoïste et inhu
main au point de posséder du superflu pendant cpje
mes voisins manquaient du nécessaire et mouraient
de faim ?
Surtout, ne me suis-je point fait illusion sur ce
qu'on doit appeler le superflu, en me persuadant fol
lement qu'un faste qui insulte à la misère publique
est nécessaire pour soutenir mon rang ?
Et , si j'ai été assez insensé, assez faible et mé
prisable pour me rendre coupable sous des rapports
si humilians , qu'ai-je fait, ou comment ferai -je
pour réparer mes torts et satisfaire à tous ceux qui
ont droit de se plaindre ?
Scandale. • ,
N'ai-je jamais été le séducteur de mes frères? Ne
les ai-je jamais engagés ni entraînés au mal , soit
par des discours peu réfléchis, soit par des propos
ou des actes criminellement prémédités , ou par
des conseils perfides ?
N'ai-je point donné de ces mauvais exemples
auxquels les personnes présentes résistent diflîci-
lement ? j t;-; -
N'ai-je point livré à l'impression des raisonne-
mens faux contre la'religion et la morale publique ?
et n'ai-je point insulté à la sainte nalure et aux
mœurs ?
Quelles sont les suites terribles qu'ont eues mes
424 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
crimes en ce genre ? Et comment pourrai-je arrêter
les progrès du mal? Ai-je vraiment assez de cou
rage pour condamner publiquement ma conduite,
pour rétracter ce que j'ai dit , pour détromper et
ramener sur la voie de la vérité et de la vertu ceux
que mes discours ou mes écrits auraient égarés?
Ne me suis-je point , d'un autre côté, follement
scandalisé de la conduite et des démarches de la
plupart de mes concitoyens, me croyant en tout
meilleur qu'eux , trouvant du mal dans toutes leurs
actions, interprétant mal leurs intentions, ne leuF
en supposant jamais de bonnes , et imputant a
crimes jusqu'à leurs bonnes œuvres?
Ne me suis-je point persuadé , dans mon cœur,
que je valais infiniment mieux que toutes les per
sonnes qui me paraissent moins exactes que moi
dans l'accomplissement des devoirs extérieurs de
piété et de dévotion ?
Ai-je été persuadé que Dieu seul connaît le degré
de mérite et de démérite de l'homme sur la terre,
parce qu'il connaît seul les grâces qu'il lui a don
nées , l'éducation qu'il a reçue , et la force des ten
tations auxquelles il s'est trouvé exposé ? et me
suis-je, en conséquence, abstenu de juger ou de
condamner qui que ce soit , afin de n'êtré point
condamné moi-même?
D'après cet oracle de Jésus-Christ qui nous dé
fend de juger nos frères , ai-je été intimement per
suadé que le criminel lui-même qui , pour de nom
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
breux forfaits , est condamné par la justice hu
maine , peut être moins coupable devant Dieu que
ceux qui ont été chargés de son éducation , ou
qu'un hypocrite dont personne ne connaît les pen
sées ni la vie privée ? En conséquence , ai-je eu
soin de m'occuper toujours plus de ma propre
conduite que de celle des autres , persuadé que
chacun a assez à faire de se surveiller soi-même?
Enfin , si je me reconnais coupable sous quel
qu'un de ces rapports , comment ferai-je pour me
corriger au plus tôt ?
Bierifaisance.
La bienfaisance a-t-elle fait ma plus chère occu
pation? a-t-elle fait mon unique joie véritable?
l'ai-je regardée comme le premier de mes de
voirs ?
Ai-je aidé partout où je le pouvais, et de mes
biens et de mes conseils , sans jamais demander
aux malheureux : Qui êtes-vous ? avant de voler
à leur secours ?
Ai-je consolé, soulagé tous les infortunés à qui
je pouvais être utile? Ai-je eu du plaisir à essuyer
des larmes , à arrêter des sanglots ?
Ai-je cherché , avec une sollicitude inquiète , la
retraite obscure du pauvre honteux que la faim et
les misères de tous gem,es rongent en secret?
Quandje l'ai pnfaire, ai-je appelé le bonheur dans
4^6 RÉFLEXIONS ET SESTIMENS . .
ces familles nombreuses et honnêtes d'où le man
que du nécessaire a banni la joie ?
Me suis-je cru, pour cela, obligé de faire des sa
crifices considérables, quand mes facultés me l'ont
permis? Combien de familles industrieuses ai-je
relevées, en leur avançant les sommes nécessaires?
A combien de malheureux ai-je aidé à retrouver
leur subsistais ? Y a-t-il beaucoup de pauvres qui
aient lieu de bénir mon nom ?
Ne faut-il pas que j'avoue ici , à la honte du
christianisme et des sentimens d'humanité que
l'Auteur de la nature a mis dans le cœur de tous les
hommes , que j'ai fait des dépenses et des embel-
lissemens inutiles, pendant que plusieurs de mes
pauvres concitoyens mouraient de besoin ?
Ai-je servi de père à l'orphelin ? ai-je été le sou
tien , la consolation de la veuve désolée , et l'ami
de cœur de tous les infortunés , de quelque na
tion , de quelque religion qu'ils fussent , quand
même ils auraient été eux-mêmes la cause de leurs
disgrâces ?
Sur quoi ont roulé, le plus ordinairement., mes
pensées, mes spéculations, mes désirs ? L'ambition
et l'avarice n'ont-elles pas dégradé mon cœur ni
avili mon âme ? pourrais-je avouer , sans rougir ,
quels vœux j'ai formés , quels procédés j'ai suivis?
et ne serais-je point forcé de mépriser celui de mes
semblables en qui je découvrirais les mêmes désirs
injustes et immodérés , et le même égoïsme dont
SUR DIVE1S SUJETS DE RELIGION. 427
je n'ai pas eu honte de me rendre coupable moi-
même ?
Enfin, si j'ai été assez heureux pour faire quel
que bien, l'ai-je toujours fait dans des intentions
pures, n'ayant jamais en vue d'autres récompenses
que celles du Dieu invisible , persuadé que tout
autre motifdégrade la sainte vertu de bienfaisance?
Ai-je répandu , d'ailleurs , mes largesses avec la
prudence convenable ; et n'ai-je point quelquefois
nourri la paresse , mère de tous les vices , aux
dépens de la véritable indigence?
Religion.
Ai-je eu soin de bien m'instruire dans la reli
gion , et n'ai-je point recherché les sciences hu
maines, les connaissances obscures et incertaines
du monde , plutôt que la science de Dieu ?
Me sais-je donné quelque peine pour pénétrer et
saisir le véritable esprit de la religion? N'ai-je point
méprisé ce que je ne connaissais pas? N'ai-je point
blasphémé ce que j'ignorais ? • . „• •
N'ai-je point cherché à ébranler les fondemens
de toute morale, de toute justice , de toute vertu ,
en niant follement l'existence d'un Dieu créateur
et rémunérateur, la spiritualité ou l'immortalité
de l'âme , et les autres grandes vérités de la re
ligion ?
Ai-je été persuadé que le mot honneur, aussi
vide de sens que ceux qui le prononcent , ne peut
428 RÉFLEXIONS ET SEATIMENS
pas être la base de la morale publique, ni le prin
cipe de toutes les vertus sociales ?
N'ai-je pas persécuté ou méprisé mes semblables
pour cause d'opinions, en matière religieuse comme
en tout autre ? N'ai-je pas eu des opinions exagé
rées ; et me suis -je souvenu qu'en général elles
rendent les hommes plus malheureux que toutes
les misères inséparables de la vie ?
Me suis-je, en conséquence, contenté de plaindre
ceux que je croyais dans l'erreur , lorsque je n'ai
pu les éclairer ? , S
Ai-je été tolérant , ou plutôt ai-je bien connu
jusqu'où doit aller la charité chrétienne ?
N'ai-je point traité de faux dévots ceux d'entre
mes frères qui se croyaient obligés de remplir des
pratiques de dévotion que je regardais moi-même
comme superflues ; ai-je toujours fait réflexion que
le Seigneur regarde principalement le cœur , et
qu'une prière naïve et simple lui est plus agréable
que des phrases savantes et philosophiques?
Enfin , ai-je eu soin d'inculquer aussi des prin
cipes religieux dans le cœur de tous ceux sur qui
j'avais autorité , et de les y entretenir , persuadé
que si , par ma négligence ou mes mauvais exem
ples, j'ai élevé de mauvais sujets autour de moi, je
réponds devant Dieu de tous leurs crimes ?
jyiauvais.es habitudes.
Quelle a été ma passion dominante; quel peu-
SIÎR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 429
chant m'a entraîné avec plus d'empire? quel vice
ai-je conservé long-temps ? quelles fautes ai-je com
mises par habitude?
Me sui6-je donné quelque peine pour arrêter une
passion entraînante , pour corriger des habitudes
mauvaises ?
Les résolutions que j'ai souvent faites à cet égard
ont-elles été fortes et sincères ? et comment les
ai-je observées ?
Combien de fois ai-je manqué à mes meilleures
résolutions ; et y ai-je manqué par surprise , par
inadvertance, ou malgré les représentations vives
et réitérées de ma conscience ?
Lorsque je suis retombé souvent dans les mêmes
fautes , quoique je renouvelasse sans cesse mes
bonnes résolutions, n'ai-je pas fini par me décou
rager au point de renoncer à tout espoir de me
corriger ? et n'ai-je point ensuite poursuivi la car
rière du vice , sans plus de réflexion ?
Vertus.
' Ai-je fait tous mes efforts pour déraciner tous
mes vices , et les remplacer par des vertus ?
Ne me suis-je point glorifié de mes faiblesses ,
tirant vanité de mes désordres, au lieu d'en rougir
devant Dieu et devant les hommes ?
N'ai-je point humilié , raillé , persécuté l'inno
cence et la vertu , en traitant d'âmes simples et
43û RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
de petits esprits ceux d'entre mes semblables qui
y attachaient un grand prix?
Ne me suis-je point laissé aller, avec les liber
tins , au mépris de toute morale , de tout principe
de religion et de vertu , afin de me livrer plus li
brement à des actions criminelles, sacrifiant ainsi
l'estime de toutes les personnes honnêtes, ruinant
ma santé , et ternissant l'éclat immortel que Dieu
a imprimé sur le visage de l'homme ?
N'ai-je point abusé brutalement de ce qu'il y a
de plus sacré dans la nature , et n'ai-je point attiré
par-là , à mes descendans ainsi qu'à moi-même ,
des maladies et des infirmités honteuses ?
N'ai-je point cherché à éteindre dans mon cœur,
et dans le cœur de ceux que je fréquentais, la foi
en un Dieu rémunérateur, la croyance de l'immor
talité et des peines et récompenses futures , bases
de toute vertu?
N'ai-je point ainsi été cause de désordres dans
les familles , de malheurs domestiques qui ont
désolé des ménages qui auraient été heureux sans
moi, parce que, sans moi, ils n'eussent jamais
perdu leurs principes de vertu?
N'ai-je point été assez injuste pour exiger des
autres une pureté et une réserve que je ne savais
point estimer moi-même ?
Enfin, comment ferai-je pour réparer mes torts
sans nombre à cet égard ?
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
Devoirs de l'Etat.
( Voyez la méditation sur les différais devoirs sociaux , page 210.)
Comment ai-je rempli les devoirs de mon état
ou de ma charge ? S'il me fallait rendre compte
tout à l'heure de ma conduite , comment pa
raîtrais- je devant le tribunal du Juge suprême?
N'aurais-je point lieu de rougir ou de trembler
devant Dieu ?
N'ai-je point fait sentir follement le poids de ma
supériorité à ceux qui avaient le malheur d'être nés
sous ma dépendance?
La société n'a-t-elle pas lieu de se plaindre de
ma négligence ? Aucun de mes semblables n'a-t-il
rien à me reprocher sous le rappprt des devoirs de
mon état?
Dieu peut-il être content de moi ; puis-je l'être
de moi-même? Suis-je devenu meilleur depuis la
dernière fois que j'ai fait une pareille revue sérieuse
de ma vie ?
De combien me suis-je rapproché de la perfec
tion que le Seigneur demande de moi pour mon
bonheur , ou de combien m'en suis-je éloigné ?
Ai-je eu soin de perfectionner par des connaissan
ces analogues, et surtout par la science des choses
divines et éternelles , une âme que je dois élever
peu à peu à la hauteur des esprits parfaits, et un
cœur qui doit un jour posséder Dieu ? Ai-je cher
ché , en conséquence , à pratiquer toutes les vertus
432 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
chrétiennes , et à suivre les exemples de Jésus-
Christ mon modèle ?
Enfin , quelles sont les fautes qui me pèsent
davantage? et, en général, quels pourraient être
mes motifs d'espérance ou de crainte , si je devais
.paraître en ce moment même devant mon Créa
teur ?
Telles sont à peu près les questions que l'on peut
se faire dans l'examen de sa vie passée. Chacun, ce
pendant , doit s'en tenir strictement à sa propre
conscience. C'est la loi sacrée de la nature près la
quelle les opinions erronées des hommes sont sans
poids et sans force. Personne ne sera jugé ni con
damné que d'après sa propre conscience ; celle de
tous les autres hommes n'y sera pour rien ; et la
seule chose qu'il y ait à remarquer ici , c'est que
chacun doit se tenir sur ses gardes , afin de con
server toujours à cette conscience précieuse tout le
ressort et toute la délicatesse que l'innocence lui
donne , et ne pas s'en faire une fausse en écoutant
les préjugés.
VÉRITABLE CONTRITION; RÉSOLUTION D'UNE VIE
MEILLEURE.
Mon Père , j'ai péché , et maintenant je n'ose
plus porter mes regards vers vous. Je ne puis plus
m'approcher de vous avec cette confiance filiale ,
ni avec cette sainte joie que je ressentais autre
SUR DIVERS SCJETS DE RELIGION. 4^3
fois. Je n'ai plus cette assurance que l'innocence
donne à vos vrais enfans. Je tremble, je suis in
quiet , et ma conscience me fait les reproches les
plus amers.
Seigneur ! vous ayez toujours été envers moi
d'une bonté si paternelle ! tous les jours vous me
comblez de bénédictions si abondantes ; vous se
mez sans cesse sur le chemin de mon pèlerinage
des jouissances et des consolations si douces ; vous
désirez , avec une ardeur si vive , de me voir heu
reux ! Et moi, ô ciel ! avec quelle ingratitude je
me suis conduit de mon côté ! C'est avec une es
pèce de fureur et de folie que j'ai transgressé vos
sages lois et que j'ai enfreint vos plus saintes or
donnances, en oubliant également vos promesses
et vos menaces ! — Insensé ! je ne faisais pas ré
flexion qu'il était bien plus facile de pratiquer les
vertus, même les plus méritoires et les plus dif
ficiles , que de supporter toutes les inquiétudes et
les misères qu'entraînent le crime et le désordre.
Maintenant qu'il est trop tard , je reconnais plei
nement combien il est dur et amer d'avoir aban
donné Dieu et la vertu !
Mon Dieu ! que je me sens humilié , honteux ,
confondu en votre présence ! Ah ! si je n'avais ja
mais quitté la voie de vos saints commandemens,
qui conduit à la perfection et au bonheur ; si je
n'avais jamais méprisé vos saintes volontés , en me
révoltant contre elles , quelle joie je ressentirais
28
434 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
en ce moment! Alors, quelle gloire, quel triomphe
pour mon cœur ! tandis que je me vois aujour
d'hui réduit à rougir devant vous et à mes propres
yeux ! Depuis que je suis devenu l'esclave aveugle
de mes passions ; depuis que le ver rongeur de
ma conscience s'est réveillé ; depuis ce moment
fatal mon âme ne peut plus trouver de repos.
Quel bien , quel plaisir , quel trésor terrestre
peuvent me tenir lieu de vertu et remplacer mon
innocence ? A quoi peuvent me servir toutes les
richesses et toutes les grandeurs du monde , si je
suis forcé de me condamner, de me mépriser et
de m'abhorrer moi-même ? Malheureux que j'ai
été et que je suis , de m'être laissé éblouir par les
faux attraits du péché , et de m'y être laissé hon
teusement entraîner , tandis que la vertu seule
peut rendre heureux ! Oui, je le sens à présent plus
vivement que jamais : toutes les peines réelles de
cette vie sont le fruit des fautes et des égaremens
.des mortels !
Cependant jusqu'aujourd'hui , Seigneur , vous
n'avez encore fait que me traiter avec ménagement,
douceur et indulgence. Si, par malheur, j'avais
été inopinément arraché à ce qui m'attachait si fort
à la terre pour paraître devant vous , grand Dieu !
que serais-je devenu ? S'il est vrai qu'un jour vous
devez rendre à chacun selon ses œuvres , quel eût
été mon lot et mon partage ? Si rien d'impur ne
peut entrer dans ce lieu où un rayon de la gloire
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. fô5
de Dieu réjouit les élus , quel eût été mon sort ,
et dans quel abîme eussé-je été réduit à cacher
mon éternelle honte ?
Qu'ai-je fait , Seigneur ! et à quoi ai-je pensé
jusqu'à ce jour? Où en suis-je même encore en ce
moment? Comme le désordre et le crime, comme
l'injustice et la passion m'ont rendu misérable !
Et combien plus à plaindre aurais-je pu devenir
encore , si je ne venais de reconnaître mes torts et
mes égaremens ! Non, il n'y a point de paix pour
l'impie ! il n'y a point de bonheur sur toutes autres
routes que celles de la vertu ! Je ne demeurerai
donc pas plus long-temps dans mon funeste aveu
glement et dans le danger imminent de mon
éternelle ruine. Et comment pourrais-je rester en
core un seul instant en votre présence, dans l'état
humiliant et vil où je me vois réduit ? Gomment %
me verrais-je forcé plus long-temps à prononcer sans
cesse ma propre condamnation ? Non /Seigneur ,
non ; mon aveuglement ne fera point d'ultérieurs
progrès. Je ne m'endormirai pas sur le bord de
l'abîme , en oubliant la calamité irréparable qui
me menace. Dès ce moment je déteste , j'abhorre
et j'abjure le vice, l'erreur, et même l'imperfec
tion ! Je renonce solennellement , en votre pré
sence , à l'esclavage honteux de mes passions,
quelles que soient les représentations et les oppo
sitions que fasse un cœur corrompu. Je risquerai
tout plutôt , j'endurerai plutôt toutes les souf-
28.
436 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
françes , tous les mépris et toutes les persécutions
du monde , que de m'exposer de nouveau à vous
déplaire. Aucun effort, aucun moyen, aucun tra
vail ne me seront pénibles quand il s'agira d'obéir
à vos saintes lois , quand ils seront nécessaires â
mon avancement ou à mon affermissement dans la
vertu.
Oui , je me conduirai , à l'avenir , avec pru
dence et sagesse, en suivant exactement les règles
infaillibles de ma conscience. Plein de vénération
et d'amour pour toute justice , je réparerai autant
qu'il sera en moi , et dès aujourd'hui, les torts que
je puis avoir causés ; et je m'efforcerai généreuse
ment à regagner , par mon zèle et mon assiduité ,
tout ce que j'ai perdu par une si longue et si cou
pable négligence. Il ne m'échappera plus une seule
circonstance de faire le bien ; j'en rechercherai
même les occasions.
Etre tout-puissant , Etre immense ! mon Dieu
et mon Créateur ! ce que je vous promets en ce
moment avec tant de solennité , sera exécuté avec
votre grâce ! J'en renouvellerai tous les jours la
résolution généreuse. Je ne perdrai plus un seul
instant de vue vos saintes et adorables volontés ,
qui ne renferment que votre amour pour tous les
hommes , et pour moi en particulier. Et , pour
m'armer d'une force surnaturelle dans l'accom
plissement de mes résolutions, je penserai sans
cesse aux riches promesses que vous avez faites à
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
la vertu , et aux maux inévitables , tôt ou tard
résultat du vice. L'image , constamment présente
à ma pensée , de votre présence intime en tous
lieux , rendra mon cœur et mon esprit toujours at
tentifs, et la crainte de me rendre indigne de votre
approbation et de votre amour étouffera dans mon
âme toutes les mauvaises pensées et tous les désirs
criminels dès leur naissance.
Vous voyez , ô mon Dieu ! combien ma volonté
en ce point est sincère et franche ! mais vous voyez
aussi combien elle est faible. Mille fois je vous ai
fait les promesses les plus belles, et mille fois j'ai
été trouvé infidèle ! Cependant cette considération
ne doit point me décourager ; au contraire , elle
doit m'apprendre à mieux veiller sur moi-même ,
et à me tenir sur mes gardes mieux que je n'ai
jamais fait. Donnez-moi seulement votre grâce,
Seigneur ; et , fort de l'amour de la vertu , je serai
capable de tout entreprendre et de tout exécuter.
Amen.
. avant d'entrer dans le tribunal de la
réconciliation.
(Pourlespersonnes qui auront assez de religionpour croire
que cette démarcheparticulière leur sera profitable.)
Plein de ces réflexions , avec un cœur touché et
rempli de regrets, et dans une sainte impatience
d'obtenir grâce , pardon et miséricorde , je vais
438 RÉFLEXtOINS ET SENTIMEttS
donc m'approchor du ministre de la religion et
de la morale, ô mon Dieu! pour lui avouer mes
erreurs , mes injustices et tous mes torts , comme
j'ai été forcé de me les 'avouer à moi-même. C'est
en votre nom qu'il m'écoutera. Il est l'homme
dont l'état et le caractère doivent m'inspirer autant
de confiance que de vénération ; l'homme qui ,
chargé de sonder les faiblesses du cœur humain
jusque dans ses derniers replis, me fera encore
mieux connaître le véritable état de mon âme,
car il est plus éclairé que moi et plus impartial. Il
m'aidera de ses conseils, m'éclairera sur les points
délicats sur lesquels , malgré ma bonne volonté ,
je me suis peut-être encore fait illusion ; il m in
diquera les sentiers d'une vie meilleure ; et après
avoir réglé mon intérieur , m'assurera la paix >• le
pardon et les consolations après lesquelles mon
cœur soupire.
Déjà je me prosterne devant vous avec une con
fiance vraiment filiale , ô Père infiniment tendre
et miséricordieux ! Pourrez-vous repousser de votre
sein cet enfant faible et égaré qui , touché d'un
repentir sincère , et rempli du désir de se corriger
de tous ses défauts , vient se jeter à vos pieds pour
rentrer en grâce? Non , vous le recevrez avec bonté ;
vous le serrerez même avec transport dans vos bras
paternels,
Jésus , Dieu sauveur , Dieu législateur , mon
unique consolation ! soutenez mon courage et ma
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4^9
résolution. Faites que je ne voie ici que le Seigneur,
que je n'aie en vue que le Seigneur, et que j'oublie
en ce moment l'homme à qui je parle. Soyez dans
mon cœur et sur mes lèvres , afin qu'après avoir
avoué avec franchise tous mes torts , j'en puisse ob
tenir le pardon, et recommencer avec un nouveau
zèle à pratiquer toutes les vertus.
Amen.
en sortant du tribunal de la réconciliation.
Je viens de renoncer solennellement à tous les
désordres de mon cœur , à toutes mes passions ,
et à• l'esclavage avilissant du péché. Je viens de
briser mes chaînes , et mes égaremens passés
me sont pardonnés! O Dieu ch? bonté ! c'est ici,
c'est ici que l'homme devrait bien reconnaître toute
la grandeur de votre inépuisable miséricorde !
Toujours vous êtes prêt à pardonner, pourvu que
ce soit un repentir sincère qui ramène le pécheur
vers vous , eût-il commis les plus grands crimes !
Quelle consolation douce et vivifiante a ranimé
mon âme ! Qui a donné cette nouvelle vie à mon
cœur? Je suis renouvelé tout entier, je me sens
absolument changé. Non , je ne suis plus le même
que tout à l'heure , car tout à l'heure j'étais un
pécheur , et maintenant je suis un juste ! Mes
fautes me sont remises. J'en ai pour garant la
parole de Jésus - Christ ; j'en ai pour 'garant la
44° RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
bonté et l'amour de mon Créateur , et surtout ce
profond sentiment de paix , depuis si long-temps
inconnu à mon cœur. J'ai déjà rempli en partie
les conditions que le Très-Haut avait mises à mon
pardon. Je dois aussi remplir les autres ; celle de
réparer tous les dommages que j'ai causés à mon
prochain; celle, surtout, de ne plus retomber dans
mes premiers déréglemens. J'ai avoué devant Dieu,
sans détour, tout ce en quoi je me reconnaissais
coupable ; fidèle à ne me rien déguiser ni atté
nuer en rien la gravité de mes fautes : mes péchés
sont donc oubliés, j'en ai obtenu le plein , entier
et absolu pardon. Je puis de nouveau prononcer
sans confusion les noms &innocence et de vertu,
en entendre parler sans rougir. Je puis penser à
l'immortalité, no%seulement sans crainte, mais
avec espoir, confiance et joie ! J'ai pardonné moi-
même à tous mes ennemis ; j'ai renoncé à toute
haine , à toute animosité , à tout désir de ven
geance ; j'en ai fait le sacrifice volontaire , et dès
lors agréable au Père commun ; j'ai fait miséri
corde pour obtenir miséricorde ; j'ai pardonné pour
obtenir pardon.
Mon Dieu ! faites-moi la grâce de bien sentir
l'immensité du bienfait que vous m'avez octroyé ,
et l'énormité de l'ingratitude noire dont je me
rendrais coupable , si, par la suite, je devenais en
core criminel. Mais que dis-je , Seigneur ? ce mal
heur ne. marrivera pas ! Je m'efforcerai de fuir
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 44 1
toutes les occasions qui pourraient me détourner
du sentier de la vertu , et me ravir cette nouvelle
innocence qui est l'unique principe de la félicité !
Je vous rends grâces , ô mon Dieu ! de vos miséri
cordes infinies , par Jésus-Christ notre Seigneur.
Amen.
^vant la communion , ou la sainte cène.
( On sait qu'il y a dans le christianisme différentes ma
nières d'envisager cet acte imposant ; chacun doit donc
s'édifier au milieu de ses frères , suivant ses lumières et
sa conscience , sans vouloir s'isoler des autres, et se
persuader que c'est une absurdité desplus inconcevables
que de rompre les liens de la charité et de la fraternité
pour cause d'opinions ; la charité étant plus indispen
sable dans le christianisme que la foi et l'espérance
quipeuvent se perdre, tandis que la charité demeurera
éternellement.)
Je m'approcherai donc maintenant avec con
fiance de ce banquet sacré que vous avez préparé
vous-même, et auquel vous avez invité tous ceux
qui vous appartiennent, avec une tendresse si parti
culière ! Je vais donc célébrer, Seigneur, le souvenir
de votre amour incompréhensible , et recevoir le
gage de ma parfaite réconciliation, le gage de l'im
mortalité, le gage de la résurrection et de la gloire
future! Que ne puis-jebien comprendre toute l'im
portance de la démarche que je vais faire ! Dieu
infiniment bon , ayez pitié de moi ! Qui suis-je,
442 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
pour que vous daigniez vous souvenir de moi , et
jeter un regard si favorable sur le dernier des fils
de l'homme ? Qui suis-je,pour que vous descendiez
si bas, que de vouloir vous humilier jusqu'à venir
vous unir à moi ?
O souvenir d'un amour sans bornes et d'une
miséricorde infinie ! Serai-je bien assez pénétré de
vénération , de piété et d'amour , pour ne point
m'asseoir indignement à cette table sacrée? O vous,
qui changez les substances comme il vous plaît !
vous qui changez même le cœur des hommes de
bonne volonté I ah ! préparez, préparez vous-même
mon âme à la réception de mon immortel Bien
faiteur , de Jésus , du Fils de votre complaisance !
Faites que je reconnaisse humblement mon néant
et les merveilles que vous voulez opérer en moi.
Qu'une paix inaltérable règne dans mon âme ;
que cette paix ne soit jamais troublée par aucun
désir coupable , par aucune passion criminelle !
que mon cœur devienne un sanctuaire digne d'être
la source de toute bénédiction !
Faites aussi , divin Rédempteur et Législateur
du genre humain , que le souvenir lugubre de
votre mort se grave profondément dans ma pen
sée, afin que je ne perde jamais un instant de
vue tout ce que vous avez fait et souffert par
amour pour moi , car vous êtes mon modèle dans
la vie et dans la mort. Faites que je comprenne
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 44^
tout le bonheur qu'il y a de se trouver au nombre
de vos disciples et de vos imitateurs.
Que la réception de votre être adorable j ô mon
Dieu ! nourrisse et fortifie mon âme ! que cette
nourriture céleste la soutienne et l'encourage dans
l'exécution de tout bien, de toute vertu! Que votre
esprit , Seigneur, m'anime! qu'au lieu de moi-même
J ésus-Christ vive en moi avec sa douceur infinie, avec
son incomparable modestie, avec sa charité toute
divine, avec son zèle ardent, enfin avec toutes ses
vertus , tous ses dons et toutes ses grâces !
Amen.
i ' •
APRÈS LA COMMUNION , OU- LA SAINTE CÈNE.
Nourri de la manne céleste , je vous adore ,
Seigneur , et vous rends d'éternelles actions de
grâces. Maintenant je vous appartiens, car je vous
ai assuré moi-même la possession de mon cœur
pour jamais. Maintenant aussi vous m'appartenez,
car vous vous êtes donné à moi tout entier , en
m'admettant à cette table dont ne s'approchent
que vos véritables amis. Quel bonheur , quel bon
heur indicible pour moi ! pour moi, faible et ché-
tive créature ! Je viens de recevoir mon Créateur,
avec l'assurance de toute sa bienveillance et de
tout son amour !
A présent donc , Seigneur , que vous ne pouvez
rien me refuser , je vf>us demande instamment la
444 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
grâce de demeurer éternellement un de vos plus
fidèles imitateurs dans vos combats comme dans
vos victoires , dans vos souffrances comme dans
vos triomphes , dans votre vie comme dans votre
mort. Soutenez ma faiblesse par votre vertu, afin
que je ne sois jamais ébranlé dans ma foi , afin
que l'amour divin , qui échauffe en ce momentmon
cœur , ne refroidisse plus , et afin que le feu sacré
de toute vertu et de toute vérité m'embrase éter
nellement.
Comment pourrais-je encore me perdre , main
tenant que j'ai trouvé en vous la lumière , la vé
rité et la vie ? Comment pourrais-je faillir de nou
veau, nourri que je suis de votre substance divine
elle-même? Non, je sens que j'irai à présent, dans
la force que m'a donnée cette précieuse nourriture,
jusqu'à votre montagne sainte. . '.
Si je ne perds plus l'esprit de Jésus-Christ ; si ,
dans la suite, lui seul m'anime et donne la vie à
toutes mes pensées , à tous mes désirs , à toutes
mes volontés , à toutes mes démarches , que d'ac
tions méritoires pour la vie éternelle , à la fin de
ma carrière ! Oui , éternellement je conserverai
dans mon cœur cet amour du Seigneur, ce zèle
pour la vérité et la vertu , cette charité ardente
pour mes semblables ! Par un exercice constant
dans la perfection chrétienne , j'ajouterai de nou
veaux fleurons à la couronne de l'immortalité qui
se prépare pour moi dans le» cieux ! Tous les ans,
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 44^
Seigneur, je célébrerai ainsi votre Pàque jusqu'à
la fin de ma vie, avec cette différence que, moyen
nant votre grâce, vous me trouverez tous les ans
plus parfait et plus digne de vous. Depuis quatre
mille ans cette solennité admirable réjouit et ra
nime vos vrais adorateurs ! Oui , tous les ans je
renouvellerai ainsi tout mon être en me rappelant
votre amour , et en recevant le véritable agneau
pascal je remplirai mon âme de vos bénédictions.
Et alors , ô mon Créateur et mon Dieu ! alors ,
après voir contracté une union si étroite , une
liaison si intime avec vous pendant ma vie mor
telle, je pourrai aussi espérer de vous recevoir, au
moment de la mort , comme un ami consolateur,
comme le gage de l'immortalité et de la résurrec
tion glorieuse , comme le principe de vie éternelle,
comme le Dieu fidèle aux siens, même au delà
du tombeau. .
Amen.
i
446 RÉFLEXIONS ET SEKTIMEWS
PLAN Ï)E VIE}
SYSTÈME DE RELIGION ET DE MORALE.
Je ne prétends point tracer ici le modèle d'un
plan de vie que chacun puisse adopter. Je ne le
ferai pas même à l'égard d'un système de morale.
Les états, le6 facultés de l'esprit, les conditions,
les situations des hommes sont trop variés , pour
que ce que j'indique ici paraisse entièrement pra
ticable ; mais j'invite tous les jeunes chrétiens et
chrétiennes à se tracer à eux-mêmes les plans in
dispensables à l'uniformité de leur conduite et au
répos de leurs jours. Je crois que chacun en trou
vera tous les matériaux convenables dans les di
verses réflexions répandues dans ce Manuel. J'a
jouterai seulement qu'il serait à souhaiter que l'on
mit par écrit un travail aussi important , qui doit
servir de boussole pendant toute la vie, afin de
ne le jamais perdre de vue. On ne ferait alors qu'y
ajouter les nouveaux articles que les diverses épo
ques dela vie exigeraient, ou le perfectionner, si l'on
acquérait de nouvelles lumières.
Quelle honte , pour un être doué de raison ,
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 447
d'ignorer ce qu'il croit et ce qu'il espère , de
vivre sans plan , d'agir sans but , et d'être abso
lument hors d'état de rendre raison de sa con
duite ! Croirait-on que telle est pourtant la si
tuation du plus grand nombre des hommes du
siècle des lumières? Quel est le jeune homme de
nos jours, même instruit dans les diverses branches
des sciences humaines, à qui l'idée soit seulement
venue de ne vouloir plus vivre en aveugle , de vou
loir enfin fixer sa croyance et ses principes , et se
tracer un plan de vie ? Ne fuit-on pas généralement
toute règle ? Et la vie est-elle devenue autre chose
qu'une suite d'inconséquences?
Oui , la conduite des hommes de ce siècle est
marquée au coin de la versatilité et de la foli^ Dans
une réunion on se dit philosophe , dans l'autre
on parait chrétien. Devant telle personne on se
donne, par vanité, pour incrédule, pour matéria
liste, tandis que, par honte, on n'ose se dire athée
devant telles autres. On parle avec enthousiasme de
religion, de morale, de principes, de justice, de
vertu, quand la conversation en fournit l'occasion;
et , le moment d'après, on déclare sans détour que
l'on ne croit ni à la vie future, ni à l'immortalité ,
ni aux récompenses de la vertu, ni aux peines du
crime , vérités qui sont précisément les bases de
toute morale et de toute religion ; et au milieu de
tant et de si étranges contradictions , il n'est pas
pas même bien clair que l'on soit indifférent par
448 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
principe. Quelle conduite pour un être raisonnable !
et quel chaos qu'une telle existence !
Combien voit-on aujourd'hui d'esprits solides
et réfléchis , même parmi les hommes graves et
les personnes en places , qui , interrogés , puissent
déclarer sans hésiter ce qu'ils croient et ce qu'ils
espèrent ; quelles sont leurs idées touchant la vie
future et les relations de l'homme avec son Créa-*
teur • quelles mesures sages ont-ils prises afin de
s'assurer le bonheur pour le temps et pour l'éter
nité? Ne sont -ils pas obligés d'avouer qu'ils se
trouvent , à cet égard , dans un vague indéfinis
sable? qu'ils ne savent même plus quel nom don
ner à la Divinité? qu'ils sont véritablement em
barrassés chaque fois qu'il s'agit de prononcer son
nom adorable ? Dieu bon : Mais c'est là le nom
qu'emploie le commun du peuple. — Créateur :
Mais la création est-elle possible ? — Sauveur,
Rédempteur : Mais est-il concevable que la Divi
nité ait jamais paru sur la terre? — Etre su
prême : Mais le malheur des temps a attaché à ces
mots des souvenirs trop déchirans et trop humi-
lians pour le siècle.
On s'enveloppe donc , pour l'ordinaire , dans les
expressions vagues de nature, d'agent, de force, ou
plutôt on évite, autant que possible, de parler de
la Divinité en aucune manière. Et comment une
société , tombée aussi bas en l'ait de morale , ne-
serait-elle pas sur le point de sa dissolution ? . 4
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 44')
Quand certaines personnes , même prises dans
les premiers rangs de la société , et chargées de
créer ou de surveiller le bonheur des peuples,
veulent raisonner aujourd'hui sur les principes re
ligieux , sur les bases de la vertu et de la morale
publique , leur langage est devenu absolument ri
dicule! Ce nom trois fois saint que toutes les
puissances terrestres invoquent, a paru tellement
avili sur la terre, qu'on a eu honte de le mettre
à la tête du code des lois comme une sanction
indispensable , et qu'on ne peut plus donner que
les échafauds pour fondement à la justice et aux
vertus sociales ! ,
Aussi, commentées personnes prétendues éclai
rées se consolent-elles dans leurs disgrâces , dans
les revers de la fortune et les malheurs de la vie ?
Comment consolent-elles leurs familles , dans ces
circonstances pénibles où la, mort cruelle sépare
des époux, des parens, des amis? Il faut avoir été
à portée de les entendre pour le croire!! — « Si
» l'on n'avait point de religion, » disent-elles dans
ces momens douloureux, « en vérité, on serait
» tenté de se détruire! mais la religion !... hélas!
» il faut respecter ce grand Etre , ou plutôt cette
» force, cette puissance qui nous a produits. Avec
» le temps, d'ailleurs, les souffrances se calment;
» on oublie les plus grands malheurs, on se fait
» à toutes les situations de la vie. Avec les années,
» on parvient jusqu'à trouver une certaine com
29
/pO RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
» plaisance dans les disgrâces passées , et jusqu'à
» éprouver une émotion douce au souvenir des
» qualités aimables qui nous rendaient chères les
» personnes qui ne sont plus ! ! Consolons - nous
» donc les uns les autres par ces considérations... »
Quel langage glacial ! et surtout combien in
sensé ! v
Oui , je le soutiendrai jusqu'à la mort, il y a
une faiblesse , une bassesse et une contradiction
impardonnables, de la part d'un être doué de rai
son , de vivre sans principes fixes, sans but et sans
plan ! Il est surtout souverainement indigne , de
la part d'un disciple du divin Jésus, de ne pouvoir
ou de n'oser se montrer véritablement chrétien.
Les croyances religieuses ne seront jamais désho
norantes à ce point qu'il faille les cacher comme
on cache les crimes !
Il est donc indispensable que tous les jeunes
chrétiens et chrétiennes , et en général tous les
hommes tant soit peu réfléchis , arrêtent , dès
qu'ils en sont capables , leur système de morale ;
qu'ils adoptent des principes ; qu'ils se rendent
compte à eux-mêmes de leur foi et de leur con
duite ; qu'ils se proposent un but ; en un mot ,
qu'ils se tracent un plan , et qu'ensuite ils mon
trent assez de force de caractère et de grandeur
d'âme pour mener une vie qui y soit strictement
conforme , afin de demeurer d'accord avec eux-
mêmes.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4^1
Je le sais bien : c'est une chose fort difficile que
de fixer sa croyance dans ce siècle indéfinissable
où l'on ne tient plus à rien ; où rien ne paraît plus
stable ; où tout est confondu dans le christianisme
et les idées religieuses ; les exercices indispensables
avec les abus et les pratiques vaines , le mensonge
avec la vérité ; où mille sectes forment mille pré
tentions diverses. Mais ces difficultés, loin dé re
buter des âmes vraiment grandes et vraiment
nobles , doivent au contraire les enflammer d'un
saint zèle pour connaître la vérité. Nous essaie
rons donc de donner quelques idées sur un point
aussi important , et nous nous adresseronsplus di
rectement à ceux qui ont eu le malheur deperdre
lafoi dans les derniers troubles.
Dès que vous parlez aujourd'hui de religion et
de christianisme dans le monde , il vous effraie
aussitôt par mille questions difficiles ; les unes
relatives à la conduite de Dieu à l'égard du genre
humain; les autres sur la prédestination, la li
berté, la prescience; les dernières enfin, et les
plus nombreuses , sur les contradictions , les
choses inconcevables qu'offrent les divines Écri
tures, et sur les abus religieux. .
Toutes ces difficultés , cependant , peuvent se
résoudre de la manière la plus simple et la plus
satisfaisante pour celui qui veut bien se dépouiller
de tout préjugé. Et l'on ne conçoit pas trop com
ment ce génie bizarre du dernier siècle, après
^52 RÉFLEXIONS ET SESTIMENS
avoir raisonné avec tant de profondeur sur les dif
ficultés les plus abstraites de la religion naturelle,
n'a plus su faire l'application d'aucun de ses prin
cipes, quand il s'est agi de la religion chrétienne.
Ces principes sont et doivent être les mêmes de
part et d'autre.
En premier lieu , de tant dq questions que
l'incrédulité ne cesse de nous faire, en est -il
beaucoup qui doivent influer sur notre conduite,
en un mot , qui nous regardent directement ?
Non , évidemment non ! ce sont , pour la plu
part, des secrets de la providence du Dieu in
compréhensible, qui ne nous touchent nullement;
et nous devrions nous contenter, pour ce qui nous
concerne, des vérités pratiques qui nous ont été
enseignées personnellement en notre qualité d'in
dividus et de chrétiens , d'après lesquelles notre
conduite doit se régler, et d'après lesquelles aussi
nous serons jugés , en abandonnant à la sagesse
du Seigneur le soin de décider du sort de tous
les autres hommes, selon la mesure des grâces
que chacun a reçues , et le nombre des talens qui
lui ont été confiés ; et en nous souvenant , sur
tout , qu'il est écrit : Ne jugez ni ne condamnez
personne.
Mais, en outre, il n'est point impossible de
répondre directement à toutes ces questions des
incrédules , questions qu'ils proposent d'un air si
triomphant, eux qui, niant tout, ou abandonnant
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. fâi
tous les principes dès qu'ils se sentent pressés un
peu vivement , sont très-i'arement dans le cas de
prouver, et à qui l'on pourrait faire raille fois
plus de questions difficiles que n'en présente le
christianisme , s'ils voulaient se charger d'y ré
pondre , et se montrer en général un peu moins
commodes.
Il fut un temps où l'Église , toujours pleine de
sagesse , dérobait aux fidèles d'épineuses difficul
tés que le peuple n'était en effet point appelé à
discuter; mais l'époque est arrivée où des solu
tions satisfaisantes doivent être données à tout
le monde , même au campagnard et a l'ouvrier !
puisque les objections les plus difficiles et les plus
inquiétantes Se sont répandues jusque dans les
ateliers et les chaumières. Cette considération nous
décide à traiter cetté importante matière dans un
livre qui peut être mis entre les mains de tous les
fidèles.
Pour être court et à la portée de tous , nous ne
raisonnerons ici que d'après les principes mêmes
des philosophes les plus révérés dans le monde.
Si vous reconnaissez , si vous saisissez bien ces
deux grandes vérités que presque tous les écri
vains célèbres ont soutenues , depuis le temps des
gymnosophistes jusqu'à celui de Montesquieu et
des autres qui l'ont suivi, d'une souveraine , et
éternelle liberté et indépendance de la part de
Dieu , et d'une liberté pleine , entière , parfaite ,
4^>4 RÉFLEXIONS ET SENT1MENS
ET , DANS SON GENRE , INDÉPENDANTE , de la part d&
l'homme créé à son image ; toutes les difficultés
d'un monde incrédule et vain disparaîtront à vos
yeux , et vous pourrez vivre et mourir heureux
dans le sein du christianisme.
Vous concevrez que l'Eternel agit d'une manière
souverainement libre dans les merveilles du salut
du genre humain comme dans celles de la créa
tion, et qu'il choisit pour cet eBet les temps et les,
lieux selon son bon plaisir, uniquement guidé par
sa sagesse suprême dont chacun n'est pas toujours,
le juge.
Vous concevrez que les hommes des premiers
siècles , encore voisins de l'époque frappante de
la création , et conservant encore les traditions,
fraîches des instructions données avant au père
des humains , pouvaient encore être suffisamment
éclairés,, en fait de morale, pour travailler efficace
ment à leur perfection et à leur bonheur jusqu'aux
temps de l'avénement de Jésus - Christ , lorsque
les nations diverses , livrées à l'idolâtrie et à tous,
les genres de crimes et de superstitions, eurent,
le besoin indispensable d'un Réparateur céleste ,
sans l'arrivée duquel le genre humain périssait
sans retour.
Vous concevrez encore que, si jusqu'aujourd'hui
la doctrine salutaire et vivifiante du Fils de Dieu
n'est pas répandue généralement sur toute la terre,,
ce mal ne vient nullement du Très -Haut, mais
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4^5
bien des hommes insoucians à qui aucune puissance
n'a pu ni voulu ôter leur liberté pour le bien et
le mal , et qui , par conséquent , contrarient en
ce point les vues de miséricorde du Seigneur.
Jésus-Christ, en quittant la terre, a dit: Allez
prêcher les vérités du salut à tout l'univers. Les
Apôtres ont commencé cette grande œuvre par les
efforts les plus nobles et les plus louables ; elle
marche encore de nos jours , et nous devons es
pérer que, plus tard, tous les homrftes s'éclaire
ront de cette lumière divine, se rangeront du côté
de la vérité , et se réuniront , sous l'empire de
l'Evangile , pour travailler, d'un commun accord ,
à leur perfection et à leur félicité : les institu
tions de Jésus-Christ sont de nature à conduire-
la société humaine à ce degré de perfection ;
mais , encore une fois , le Créateur n'a ni pu ni
voulu ôter à l'homme sa liberté morale oui
fait la gloire comme l'essence de son être. Et il
n'est malheureusement que trop vrai que les
hommes , quels qu'ils soient , abusent tous les
jours de cette liberté précieuse pour agir direc
tement contre les vœux de la Providence qui ne
désire que la félicité de ses créatures.
Avec le principe que nous avons mis en avant ,
vous concevrez même ce qui paraît inconcevable
dans l'Evangile. H y a une sagesse infinie , im
mense et évidemment divine , dans la manière
dont Jésus-Christ a su agir sur la moralité de
4^6 RÉFLEXIOUS ET SENTIMENS
1 espèce humaine, sans toucher le moins du monde
à sa liberté. Incrédules ! il faut adorer ici , et non
blasphémer ! Le Créateur ne fait que toucher de
son doigt une seule roue de la grande machine
de sa création, et il fait prendre une autre di
rection aux mondes et à leurs habitans ! Et quand
il veut opérer des merveilles ici-bas, surtout dans
l'ordre de la morale et du salut des créatures sen
sibles , ne vous y trompez pas , il s'y prend au
trement qdte les faibles mortels et que tous les
prétendus sages du siècle! Le jour viendra que nous
reconnaîtrons clairement l'admirable influence que
l'apparition de Jésus-Chi ist aura eue sur les des
tinées des innombrables familles du genre hu
main , non-seulement pendant cette vie , mais
pendant l'éternité.
Il est vrai, me direz -vous, avec le principe
que vous avez mis en avant et contre lequel nous
ne saurions nous élever , puisqu'il est le nôtre ,
vous détruisez la plupart des grandes objections
contre le christianisme. Mais pourquoi des difficul
tés, absolument insurmontables à l'esprit humain,
dans les fondemens mêmes de toute morale et
de toute religion ? Pourquoi les preuves qui éta
blissent nos croyances religieuses ne sont - elles
pas d'une rigueur mathématique ? Pourquoi , en
un mot , Dieu a-t-il laissé cette grande œuvre si
imparfaite ?
Nous avons déjà vu , dans le dernier des sujets
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4^7
de réflexions qui sont à la tête de ce Manuel , que
les difficultés en question sont indispensablement
ET MÉTAPHYSIQUEMENT NÉCESSAIRES fOlir COllServer Ù
l'homme cette liberté pleine , entière et parfaite,
d'où dérive la moralité de ses actions. Nous pou
vons ajouter ici queplusieurs de ces difficultés peu
vent aussi venir des hommes. Moïse , les prophètes,
aussi-bien que les apôtres, ont toujours conservé
leur franc arbitre dans toute sa force; que dis-je?
ils n'ont pas même été toujours exempts des fai
blesses de l humanité ! Et Dieu l'a permis ainsi ,
parce qu'il est de toute nécessité qu'il y ait toujours
assez de ténèbres et de mystères dans la religion et
la morale , pour que l'impie puisse s'aveugler au
point de douter de tout, de nier tout , et de dire
dans son cœur pervers : Dieu n'est pas. Autre
ment , plus de liberté absolue pour l'honn
Une vue trop claire dans les choses de Dieu
des merveilles trop frappantes , la détruisent
S'il n'y avait aucune objection à faire contre l'É
vangile , si tout y était d'une évidence palpable, si
ce code sacré , dont l'inventeur serait plus éton
nant que le héros , ne contenait pas aussi des
choses inconcevables , il faudrait être insensé
pour ne pas croire au christianisme , et pour ne
PAS vivre selon ses saintes maximes#et par-la même
TOUT LE MÉRITE DE LA CONDUITE DU CHRÉTIEN SE TROU
VERAIT ANÉANTI.
Depuis long-temps la philosophie demande les
Isentr
458 .RÉFLEXIONS ET SEHTÏMENS
raisons pour lesquelles les hommes doivent res
pecter en silence les mystères et les difficultés
inconcevables de la religion. Nous venons de les
dire, ces raisons, et nous attendons que l'on nous
prouve que ce ne sont pas les véritables.
Il est étonnant jusqu'où l'esprit humain est par
venu , dans les divers siècles , pour renverser les
grandes vérités de la morale et de la religion. En
attendant , ces vérités restent cependant ce qu'elles
onttoujours été. L'incrédule fera d'inutiles tentatives
pour les anéantir, et le chrétien n'aura jamais de
raisonnemens assez forts contre l'impie qui voudra
bien s'aveugler. Il est de la nature des preuves
de morale de n'être point d'une rigueur mathé
matique. Si vous parveniez à prouver tjne seule
des véritésfondamentales de la religion , comme
Jtel prouve le rapport des angles ou des nombres,
"'•qpus auriez renversé toute la morale. La diffé
rence du bien et du mal, du vice et de la vertu,
de la vérité et du mensonge, existent et existeront
toujours sur la terre , ainsi que la foi d'une vie
future. On reconnaîtra toujours la justice et la
conscience ; on craindra dans tous les temps les
peines dues au crime, et on espérera les récom
penses promises à la vertu ; en un mot , Dieu et
l'éternité demirent , et les générations seules
s'évanouissent ! Que chacun donc, pendant son
court passage , se hâte de se préparer , selon 1»
mesure de ses forces, à traverser le sombre avenir
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4^9
qui nous sépare de l'éternité ! Pensez-y, ô esprit im
mortel qui m'animez! pensez-y sérieusement. Cette
affaire est de la plus haute importance, et vous re
garde individuellement. Personne ne peut s'en occu
per que vous-même, car vous êtes un être individuel
et actifpar sa nature. C'est à vous-même à éviter
les malheurs futurs , et à vous préparer ce bon
heur éternel , ce bonheur suprême qui consiste
dans le souvenir de la vertu , et que Dieu même
ne peut donner sans elle. Le temps arrivera où
l'univers entier ne sera plus rien pour vous , où
tous les hommes , avec tous les trésors , ne pour
ront plus vous secourir! La grâce de Dieu peut,
à la vérité , vous aider d'une manière spéciale
dans l'affaire de votre salut , pendant votre pèle
rinage terrestre ; mais il vous faut implorer ce se
cours divin , et , surtout , il faut n'y point mettre
d'obstacle. Votre liberté , à cet égard , est en
tière , et vous n aurez à vous en prendre qu'a
vous-même, si le malheur devientpar la suite votre
partage. .
Ainsi, qu'on ne nous parle donc plus, avec tant
de véhémence, de tous les schismes, de toutes les.
guerres , de toutes les dissensions et persécutions
atroces dont le christianisme a été l'occasion; car,
de tous les abus que les hommes ont faits des
bontés de la Divinité, depuis la mort cruelle dont
ils ont récompensé le Fils de Dieu pour les pé
nibles démarches de son amour, jusqu'aux abus
4^0 IlÉFLEXIOHS ET SEÎITIMEHS
que l'on reproche aujourd'hui à l'Eglise mère, et
assez nombreux chez toutes les sectes , qui en est
responsable ? le Créateur, ou les créatures? Dieu ,
ou les hommes? Est-ce Jésus-Christ, ouïes êtres
libres qui ont contrarié les vues de t Eternelle
sagesse? — La question n'est pas difficile à ré
soudre.
Mais enfin , selon la doctrine chrétienne, Dieu
a créé des hommes qu'il prévoyait certainement
devoir se perdre éternellement. Si donc il a prévu \
que nous serions réprouvés , qu'y pouvons -nous
faire? Et s'ils nous a créés expressément pour le
vrai bonheur, qu'est-il besoin de nous en occuper?
Blasphémateurs!!! jusqu'à quand méconnaîtrez-
vous encore que Dieu vous a créés a son image ?
qu'il vous a faits participans d'une émanation de
cette liberté éternelle dont il jouit lui-même ?
Jusqu'à quand méeonnaîtrez-vous que vous êtes
du nombre des êtres les plus intéresSans de
son immense création , chargés Vous-mêmes de
votre propre perfection et de vo/re propre bon
heur? Ne sentirez-vous pas enfin toute la dignité
.de votre nature ? Dieu vous a fait connaître le
bien et le mal, le vice et la vertu , la vérité et le
mensonge , la vie et la mort , le bonheur et le
malheur, et il vous a dit : Choisissez , mais choi
sissez la vie, afin que vous viviez éternellement!
Mais il ne vous a pas créés pour la damnation;
il n'a pas prévu que vous vous damneriez, il n'a
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION.
pas même prévu que vous blasphémeriez ! sans
cela vous eut-il créés ? Malheureux! !! ne blasphé
mez donc plus ! mais adorez le Seigneur, et opé
rez votre salut avec crainte et tremblement ! les
possibilités seules, à cet égard, ont été prévues, et
non les réalités! Travaillez à votre bonheur éternel !
et le Créateur ne vous réprouvera pas , car il ne ré
prouve personne ! c'est le pécheur lui-même qui se
prononce à lui-même son éternelle sentence de ré
probation !!! —Et nous l'avons déjà dit , riy eût il,
sur tout le genre humain , qu'un seul homme qui
parvînt à la suprême félicité en perfectionnant
son être , et en se conduisant envers son Créateur
et son Rédempteur avec la générosité convenable,
ce seul homme, ce seul élu, serait d'un plus grand
prix que tous les misérables qui seraient assez
lâches pour se damner ! Et même, dflns une sup
position aussi terrible, aucun philosophe ne pour
rait dire au Seigneur : II ne vous étaitpointpermis
d'adopter un pareil système. — Il est donc trop
vrai que l'on a trop appris aux personnes simples
et grossières , et aux nombreux demi - savans de
ce siècle , à faire un argument absurde sur la
prescience de Dieu Jfcir la liberté de l'homme,
et sur ce qu'on appelle prédestination , sans leur
donner en même temps une solution satisfaisante.
« Si Dieu a prévu que j'agirais de telle manière,
» je le ferai malgré que j'en aie ; s'il a prévu le
» contraire, j'agirai certainement d'une manière
46a RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
» opposée. Ou Dieu a prévu que je me damnerais,
» ou il rte l'a pas prévu; s'il la prévu, comment
» puis-je démentir sa prévision?»
Il faut répondre, toujours d'après les principes
mêmes de l'incrédulité , que ni la philosophie ,
ni la métaphysique , ni la raison humaine , ne
nous empêchent point de soutenir ici que Dieu
N'a RIEN PRÉVU DE TOUTES CES CHOSES !
Que pourrait en effet répondre l'incrédule, si
on lui disait , avec les anciens sages et avec les
philosophes les plus révérés dans le monde :
« Qu'il n'y aucune réalité dans les actions morales
avant qu'elles n'arrivent par la libre détermina
tion de l'homme ; que , dans bette opinion , Dieù
paraît plus grand, l'homme un être plus inté
ressant, et que tout s'y explique plus facilement
en morale comme en religion ; que ce serait une
cruauté , de la part du Tout-Puissant , de créer
des êtres sensibles dont il prévoirait , d'une ma
nière certaine , l'éternel malheur ; qu'en consé
quence , puisque Dieu nous a une fois créés , nous
devons en conclure que sa puissance a été assez
grande pour nous donner une liberté si parfaite,
que lui-même ne pût phiS'j/frcvoir si nous , nous
nous déciderions pour le bien ou pour le mal, et
par suite, si nous serions heureux ou malheu
reux ? L'incrédule pourrait-il nous reprocher que
nous détruisons la prescience de Dieu ? Non : nous
lui dirions que, de même que Dieu ne peut pas
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. fôZ
faire l'impossible , de même il ne peut pas pré-'
voir ce qu'il est impossible de prévoir. Et nous
noterions rien à cette perfection de Dieu , par
laquelle il prévoit les événemens dans l'avenir ;
mais nous établirions sa puissance mieux qu'elle
ne l'a jamais été. Car elle serait assez grande
pour le mettre en état de donner aux êtres in-
telligens une liberté indépendante.
Encore une fois , la philosophie ne peut se tirer
de cet abîme. Là , sont les bornes de l'esprit hu
main. Elle raisonnera pour et contre ; mais les
bases de la morale.et de la religion n'en seront
nullement ébranlées. Le christianisme nous ap
prend que , si nous nous conduisons imprudem
ment , nous pourrons nous perdre pour une éter
nité ; mais que nous sommes entièrement libres
de nous procurer un éternel bonheur , et que les
moyens d'être élus ne nous manquent pas. C'est
à quoi le vrai chrétien s'en tient avec humilité, et
il ne demande pas la solution d'argumens absurdes ;
il ne les propose pas même. Jésus- Christ lui a
laissé assez d'instructions et assez d'exemples pour
qu'il puisse bien faire et devenir heureux, et cela
lui suffit !
Reconnaissons donc , reconnaissons enfin que
l'homme est un être bien différent de ce que les
philosophes, ou plutôt les anatomistes du siècle
voudraient prétendre ! Les aveugles ne veulent
point voir que nous tenons à un autre règne plus ^
464 RÉFLEXIONS ET SENTIMEN3
sublime, à celui des intelligences ^pures ! Ils ne
veulent point savoir que les facultés admirables de
notre esprit prouvent, de toutes parts, que nous
touchons immédiatement à l'univers des esprits
parfaits, et que , par conséquent, notre vocation,
c'est Yimmortalité , c'est la perfection, c'est la
vraie félicité ! !
O homme ! élevez , étendez vos pensées ; peu
plez l'immensité d'êtres intell igens ; et ne dites
jamais : Voici la dernière borne des œuvres et de
la puissance de l'éternel Créateur ! — Dieu est un
être infiniment plus grand que tous les plus su
blimes génies ne l'ont jamais soupçonné ! Et
l'homme lui-même, l'homme, un être individuel ,
doué de raison et de liberté, par où il tient en
quelque sorte de la nature divine , et maître ,
dans la création , d'agir selon , ou même contre
l'ordre éternel , est une créature bien plus inté
ressante que ne pourront jamais le concevoir les
philosophes de tous les jours; et rien de tout ce
que Dieu a fait pour nous ne doit nous étonner
depuis que l'écrivain sacré a prononcé ce mot
terrible qui se trouve à la tête de nos livres saints,
qu'au jour de la chute du premier des humains ,
lequel transgressa le commandement le plus fa
cile à observer, et le seul , je le répète , le seul
QUI PDT LUI ÊTRE DONNÉ ALORS , Didl Se REPENTIT
d'avoir créé l'homme !!!
Convenons donc aussi que tout homme de bonne
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4^5
volonté , depuis le plus profond des sages jusqu'à
l'ouvrier le plus grossier, peut très-bien établir son
système de morale sur les bases du christianisme.
Car, quand bien même il serait vrai de dire qu'en
voulant approfondir toutes les questions de la re
ligion et de la morale , vous trouveriez tant de
difficultés opposées de toutes parts, que, restant
dans un pjrrhonisme involontaire , vous seriez
tenté d'adopter , à cet égard , la devise de Mon
taigne : Que sais-je P Je pourrais encore vous ré
pondre : VOUS EN SAVEZ ASSEZ POUR ÊTRE VERTUEUX
et pour devenir heureux; et la morale, aussi-bien
que la doctrine de Jésus - Christ , subsisterait
dans toute sa force ; car il est métuphysiquement
nécessaire que l'homme moral se trouve placé
partout entre les infinis.
Que tout homme qui ne veut point agir en in
sensé se hâte donc de s'éclairer sur sa croyance
et ses espérances. Qu'il s'empresse de se rendre
compte à lui-même , et se mette en état d'entrer
dans sa vocation sublime. Tous les individus le
peuvent également. Ils sont tous également avan
tagés dans le christianisme, qui seul établit une
égalité admirable entre les riches et les pauvres ,
entre les princes et les esclaves , entre les grands
et les petits , entre les hommes fortunés et les
malheureux. Jésus-Christ s'est rangé du côté de
ce, derniers , et il leur a dit : Ne vous plaignez
plus.
/j66 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
En général, pour sentir vivement toute la grau»
deur de l'œuvre étonnante que cet Homme-Dieu a
opérée parmi nous , il faut se rappeler tout ce qui
aurait pu arriver sur la^terre depuis dix-huit
siècles , et encore tout ce qu auraientpu amener
LA SUITE DES TEMPS et les ANNÉES ÉTERNELLES , SBnS
son heureux avénement. Qui peut savoir si , sans
les doctrines conservatrices de Jésus - Christ , et
sans ses divins exemples de soumission , d'ordre ,
de dépendance de l'autorité, d'amour, d obéis
sance jusqu'à la mort , et jusqu'à la mort de la
croix, le genre humain n'eût pas trouvé depuis
long-temps son tombeau dans tous ses égaremens
et dans tous ses crimes? Qui peut dire au juste à
quels excès la multitude des intérieurs et des in
fortunés se serait portée dans les divers siècles ,
sans la puissante barrière posée par le divin Insti
tuteur des hommes, qui a montré, par ses paroles
et par sa conduite , que la pauvreté et les souf
frances peuvent avoir autant d'avantages réels que
la fortune et les grandeurs de la terre , quand on
les supporte en chrétien ? Qui a déclaré que la
misère est nécessaire en morale , et que le travail
est salutaire et indispensable dans la société? —
Voyez quelle tournure les affaires commencent à
prendre chez les diverses nations de la terre ,
depuis que le véritable esprit de la religion de
Jésus-Christ a été généralement méconnu. Voyez
l'insubordination et l'anarchie menacer la société
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4'^7
humaine d'une prochaine dissolution , et 'dites
que ce n'est pas le christianisme qui , dans les
"vues de la Providence , devra devenir le contre
poids nécessaire pour rétablir l'ordre dans l'uni
vers ! Absolument parlant , les hommes peuvent
encore aujourd'hui contrarier les desseins de la
.Sagesse éternelle. L'histoire des siècles suivons
résoudra ce problème auxyeux des générations
à veniy, et les chefs spirituels et temporels du
siècle présent seront responsables de tous les
événemens !
Mais s'il est vrai, comme je n'en doute pas, que
c'est la religion établie par Jésus -Christ qui doit
sauver les générations actuelles d'une anarchie
universelle et véritablement épouvantable , c'est
aux grands de la terre à donner ici les premiers
exemples : ces hommes infortunés , qui se sont
crus souvent au-dessus des lois, parce qu'une flat
terie perfide les entretenait dans ces fauses idées
qui ont causé souvent laur perte ; tandis que je ne
crains point, au contraire, de leur assurer qu'ils sont
tenus à une exactitude d'autant plus exemplaire
dans leur soumission aux lois, du christianisme ,
qu'ils sontplus élevés en gloire et en dignité , tout
devant être compensé. Une croyance raisonnable,
d'ailleurs, ne déshonore personne, pas même les plus
glorieux monarques. Bien plus, hors la morale et la
religion , il n'existe point de véritable puissance „
ni de vraie gloire , ni de solide grandeur.
468 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS
Que chacun se trace donc un système de mo
rale et de religion , et un plan de vie d'après les
maximes de Jésus-Christ répandues dans ce Ma*-
nuel , et qu'il travaille ainsi sans relâche à son
repos , à la paix de son cœur , à sa perfection et
à sa félicité, et par-là au bonheur général pour
le temps et pour l'éternité. ' ,
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 4^9
W AiVW*VW\,WWV\'»AiWlAiW\\XWA'VW*\^
LITANIES DES YERTUS.
Seigneur, donnez-nous une foi raisonnable.— Seigneur, etc.
Jésus , ranimez notre espérance. — Jésus , etc.
Esprit de Dieu , enflammez dans nos cœurs le feu de la
charité. — Esprit de Dieu , etc.
Trinité sainte , faites-nous la grâce de pratiquer toutes les
vertus chrétiennes. — Trinité sainte , etc.
L'amour de Dieu , qui est le principe de toute per- ^
fection.
La crainte du Seigneur , qui est le commencement
de la sagesse.
L'amour du prochain , qui est l'abrégé des lois.
L'amour des ennemis , qui est un effort digne d'un
cœur généreux.
L'humilité , qui est la base de toutes les vertus.
La modestie , qui est l'apanage du vrai mérite.
La bonté, la piété, la bienfaisance et la miséricorde,
qui doivent soulager tous les maux de l'humanité.
La douceur, la longanimité, la patience et la rési
gnation , qui donnent la paix du cœur.
La condescendance , la prévenance , l'esprit d'union
. et d'harmonie , qui assurent la paix de la so
ciété.
Là prudence , la sagesse , le zèle et le courage , qui
portent à.un heureux terme les plus nobles en
treprises.
n i-rt
S» ^
4^0 RÉFLEXIONS ET SENTIMENS.
O mon Dieu ! donnez-nous à tous l'esprit de piété
et de religion.
Donnez-nous l'esprit de pureté , d'innocence et de
réserve.
Donnez-nous l'amour de la sainte vérité.
Donnez-nous l'amour de toute justice.
Donnez-nous enfin la générosité et la grandeur
d'âme nécessaires à la pratique constante de toutes
les vertus chrétiennes.
Inspirez-nous , au contraire , autant d'horreur pour
tous les vices , que nous ressentons d'amour pour
toutes les vertus.
Pour l'incrédulité et l'indifférence , qui mènent à
l'athéisme.
Pour l'athéisme et le matérialisme , qui mènent au
désespoir.
Pour la haine , la vengeance , l'envie et la jalou
sie, qui nous rendent aussi malheureux que cou
pables.
Pour l'orgueil , la vanité et l'ambition , qui troublent
l'ordre social, et rie s'élèvent que sur de sanglantes
ruines.
Pour la dureté , l'inhumanité, l'avarice et l'égoïsme
du siècle , qui voient d'un oeil sec toutes les mi
sères.
Pour les injustices, les vexations, les usures et les
tromperies , qui empêchent la société de prospé
rer.
Pour les guerres et les meurtres , auxquels les mor
tels faibles se sont tellement accoutumés , qu'ils
n'en sentent plus l'horreur.
SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION. 47 1
O mon Dieu ! délivrez-nous au plus tôt de cet esprit ^
d'irréligion et d'impiété , qui a fait partout tant
de progrès.
Délivrez-nous de tout esprit de schisme et de di
vision dans les opinions religieuses, aussi-bien que
civiles.
Délivrez-nous de tout esprit d'intolérance et de I 53
persécution , si opposé à la charité de Jésus- I §
Christ.
Délivrez-nous de toute superstition et de toute pe- [ g
titesse indigne du Créateur.
Délivrez-nous des préjugés, de l'ignorance, de l'a
veuglement et de toutes les erreurs.
Délivrez-nous du mensonge , de la médisance , de
la calomnie et de toute fausseté.
Délivrez-nous de la présomption et de la témérité
qui nous jettent dans tous les abîmes. | ci5
Délivrez nous de la lâcheté et de la paresse , qui
est la mère de tous les vices.
Délivrez-nous de la légèreté , de l'intempérance et
de toutes les bassesses indignes du chrétien et de
l'homme. *
Délivrez nous des péchés de scandale et d'habi
tude.
Délivrez-nous de tous les vices.
Dieu de bonté , exaucez-nous.
Dieu d'amour , sauvez-nous.
PRIÈRE.
o
en
O mon Dieu ! qui avez dit : « Je prends aujourd'hui
» à témoin le ciel et la terre que j'ai mis devant vos yeux
fyll RÉFLEXIONS ET SENTIMENS , etc.
» la lumière et les ténèbres , la vie et la mort , choisissez.,
» mais choisissez la vie ! » faites-nous la grâce d'éviter par
tout l'erreur et le péché ; afin que nous puissions nous
élever peu à peu à une perfection digne du bonheur éter
nel , et capable de le goûter.
Amen.
FIN
vvwwwwwvwvuvivuuwvw\u\/W VW•VWWWWIWWVIW VWlWlUW\VWVW
TABLE DES MATIÈRES.
Pa6cs.
Avertissement de l'Auteur v
De la Religion de Jésus-Christ. A Célestin 1
Réflexions et sentimens au moment du réveil 14
Réflexions et sentimens sur divers sujets de religion. . 23
1". Sujet. L'Homme id.
2e. Sujet. Dieu 31
3e. Sujet. Perfections de Dieu 37
4e. Sujet. Destinée de l'homme 44
5°. Sujet. L'Athéisme 53
6e. Sujet. La Providence 61
7e. Sujet. Le Déisme 68
8e. Sujet. L'Indifférence en matière de religion. . 78
9e. Sujet. L'Immortalité 85
10e. Sujet. L'Incrédulité 95
11e. Sujet. Religion 104
12e. Sujet. Du Christianisme 115
13e. Sujet. De la foi en Jésus-Christ, Homme-Dieu. 122
14e. Sujet. Du code de l'Evangile 136
15e. Sujet. La Vie de Jésus-Christ 144
16e. Sujet. Les Souffrances de Jésus-Christ. •. . . 152
17e. Sujet. La Mort de Jésus-Christ 159
18e. Sujet. La Résurrection de Jésus-Christ. ... 167
19e. Sujet. Imitation de Jésus-Christ 174
20e. Sujet. Tolérance 182
21e. Sujet. Charité chrétienne 192
22e. Sujet. De l'Éducation 200
\ _
4/4 TABLE DES MATIÈRES.
Pas»*.
23*. Sujet. Devoirs sociaux 210
24*. Sujet. La Vertu 219
25e. Sujet. La Sagesse. . f , . , • , 224
26'. Sujet. Les Tentations et les Victoires. . . . . 233
27e. Sujet. La Mort 239
28*. Sujet. Le Jugement 246
29». Sujet. Le Bonheur et le Malheur éternels. . 254
30e. Sujet. Obscurités et Mystères dans la religion
et dans la morale 261
De la Piété chrétienne. A Célestine 272
Réflexions et sentimens sur quelques sujets plus parti
culiers à la jeune personne et à la femme chrétiennes. 287
ier. Sujet. Marie, modèle particulier de la jeune
personne et de la femme chrétiennes, id.
2". Sujet. Fidélité à Dieu. 293
3e. Sujet. L'Humilité. 299
4*. Sujet. Innocence, Vertus pures et sans tache. 305
5e. Sujet. Patience et Résignation 310
6e. Sujet. Amour de Dieu , service continuel du
Seigneur ..315
7e. Sujet. La Vertu richement récompensée. . . 320
8e. Sujet. La Prière et l'Oraison. . 325
; 9e. Sujet. De la Bienfaisance. 331
30e. Sujet. Souvenirs pieux des défunts ; Visite an
nuelle aux champs du Seigneur. . . 339
Réflexions et sentimens avant de s'endormir 347
Réflexions et sentimens pour le dimanche 352
Au moment du réveil id.
En entrant dans le temple du Seigneur 359
La Messe , ou Consécration solennelle du pain et du vin
en mémoire de Jésus-Christ. . . . , 361
Humble aveu des fautes commises id.
Adoration , Louanges , Actions de grâces 362
Les Bienfaits de l'Évangile ; Résolutions 363.
TABLE DES MATIÈRES. 475
P.|Ç«,.
Offrandes et Sacrifices 366
Jésus-Christ, selon ses promesses, se rend présent au
milieu de l'assemblée des chrétiens. : 370
Paraphrase de la prière enseignée par Jésus-Christ. 373
Communion, Actions de grâces 376
Bénédictions , Vœux pour le bien public 377
Les Vêpres 379
Odes sacrées sur divers sujets 381
Le Magnificat. — Sentimens humbles et sublimes
de Marie 406
Le Domine salvum. — Vœux pour la prospérité et la
grandeur du monarque 407
Le Te Deum. — Actions de grâces, joie , transports. 411
Réflexions et sentimens pour la confession et la com
munion solennelles au temps pascal 413
Préparation 416
Examen de conscience 417
Véritable contrition, résolution d'une vie meilleure. 432
Avant d'entrer dans le tribunal de la réconciliation. 437
En sortant du tribunal de la réconciliation. . . . '. 439
Avant la communion , ou la sainte Cène 441
Après la communion , ou la sainte Cène 443
Plan de vie ; Système de religion et de morale. . . . 446
Litanies des vertus 469
FIN DE LA TABLE.
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