Voltaire, Histoire de Charles XII

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Voltaire, Histoire de Charles XII [FRA]

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HISTOIRECI^^RLESXII.ROIDESUEDE.PARVOIiTAIRE.AIIEDITIONSTEREOTYPE,Avecdes notesenanglais l'usagedes coleiiaUATRiME EDITION, REVUEET CORRIGEE.CHARLESDEB2HR, 102BROADWAY,NEW-YOR^32SOUTHSIXTHSTREET,PHILADELPHIA.1832.fSZ'SOUTHERNDISTRICTOFNEW-YORK,ss.REITREMEMBERED,that on the twenty-th'rd day ofMarch,'A.D.1830, inthefifty-fourth yearoftheIndepeiidenceoftheUnitedSiateaof America CharlesdeBehr,of thesaiddistrict,hathdepositedinthisofficethe title of abook, the right whereofheclaimsasproprietor,inthewordsfoUowing, towit:'Histoire de ClarlesXII,Roi de Sude,par Vol'-\ire. EditionBtr>type,avecdesnoteen?pereur quecellede l'hrsie. Ce fut lui qui, par sesvictoires, contribuaalorseneffet l'abaissement de la maison d'Autriche, entre-prisedontonattribuetoutela gloireau cardinal deRichelieiLquisavait l'art desefaireune rputation, tandisqueGustavesebornait^fairedegrandeschoses. Ilallaitporterlaguerreau-deldu Danube, etpeut-tre dtrner l'empereur, lo'rsqu'ilfut tu, l'gedetrente-sept ans, dans la bataillede Lutzen.qu'ilgagnacontreValstein, emportantdansle tombeaule nomdegrand, lesregretsdunord, et l'estimede sesennemis.Safille Christine, neavecun gnierare, aima mieuxcon-verseravecdes savantsque de rgner sur un peuple qui neconnaissait que les armes. Elle se rendit aussi illustre enquittantle trne,quesesanctresl'taientpourl'avoir conquisouaffermi. Les protestants l'ont dchire,^comme si onnepouvaitpasavoir de grandesvertus sons croire Lather; etles papestriomphrenttropde laconversiojid'une femmequin'taitquephilosophe. Elle se retira Rome,o elle passale restede ses jours dansle centredes arts qu'elle aimait, etpourlesquels elleavaitrenoncun empire l'gedevingt-septans.Avantd'abdiquer, elleengageales tatsde la Sudelireensa place son cousin Charles Gustave,diximede ce nom36HISTOIREfils ducomte palatin, duc de Deux-Ponts. Ce roi ajouta denouvelles conqutes celles de Gustave-Adolphe. Il portad'abord sesarmesenPologne,oil gagna la clbrebatailledeVarsovie, qui dura troisjours;il fit long-temps laguerreheureusementcontreles Danois, assigealeur capitale, runitlaScaniela Sude, et fit assurer,du moinspour untemps,lapossession deSlesvick au ducdeHolstein. Ensuite,ayant prou-vdes revers, etfaitlapaixavecsesennemis, il tournason am-bitioncontreses sujets. Il conutledesseind'tablirenSudelapuissance arbitraire;maisil mourut l'gedetrente-septans, comme le grand Gustave, avant d'avoir puachever,cetouvraged^ despotisnie,queson fils Charles XIlevajusqu'aucomble.Charles XI, guerrier commetous sesanctres, futplusab-solu qu'eux: il abolit l'autorit du snat, qui fut dclar lesnatduroi, etnon du royaume. Il tait frugal, vigilant, la-borieux, tel qu'on l'etaim,si sondespotismen'etrduitlessenti^entsdeses sujetspourlui celuide lacrainte.Il pousa,en1680, Ulrique-Elonore, fille deFrdric III,roide Danemarck, princesse vertueuse, et digne deplus deconfiance que son poux nelui entmoigna: decemariagenaquitle roi CharlesXII,l'hommeleplusextraordinairepeut-trequiait jamais t surla terre,quiarunienluitouteslesgrandesqualitsdesesaeux, etqui n'aeu d'autre dfautnid'autremalheurquedeles avoirtoutesoutres. C'estluidontonse proposeici d'crire ce qu'on a appris de certain tou-chantsapersonneet sesactions.Lepremier livrequ'on lui fit lire fiit l'ouvrage de SamuelPuflendorf, afin qu'ilptconnatre de bonne heure ses tatset ceux de ses voisins. Il apprit d'abord l'allemand, qu'ilparlatoujoursdepuisaussibienquesalangue maternelle. Al'gedesept ans il savait manier un cheval. Les exercicesviolentsoil se plaisait, etqui dcouvraient sesinclinationsmartiales, luiformrent de bonne heure uneconstitutionvi-DE CHARLES XII.27goureuse, capablede soutenir les fatigues o le portait sontemprament,{Quoiquedouxdanssonenfance, il avaituneopinitretin-surmontable: le seul moyen de le plier^" tait de le piquerd'honneur;11avecle motdegloireonobtenaittoutdelui. Ilavaitdel'aversionpourle latin, maisdsqu'onlui eutditquele roidePologneet le roi deDanemarckl'entendaient, il l'ap-pritbienvite, etenretintassezpourle parlerlerestedesavie.Ons'y prit delammemanirepour l'engager entendre lefranais;maisil s'obstinatant qu'il vcut nejamaiss'enser-vir, mmeavecdesambassadeursfranaisqui nesavaient pointd'autrelangue.Dsqu'il eutquelqueconnaissancede la langue latine onluifit traduireQ,uinte-Curce: ilpritpource livreungotquelesujet luiinspiraitbeaucoupplusencoreque lestyle. Celuiqui luiexpliquaitcetauteurluiayant demandcequ'il pensaitd'Alexandre:" Jepense,dit le prince,quejevoudraislui res-sembler." Mais, luidit-on, il n'avcuque trente-deux ans."Ah! reprit-il, n'est-ce pas assez quandon a conquis desroyaumes T' On nemanquapasderapportercesrponses auroi sonpre, quis'cria." Voil unenfantquivaudramieuxquemoi,etqui iraplusloinquele grandGustave." Un jourils'amusait dansl'appartement duroiregarder deuxcartesgo-graphiques,l'uned'uneville deHongrieprise par lesTurcssurl'empereur, etl'autredeRiga,capitalede la Livonie,provinceconquisepar les Sudois depuisunsicle;aubasde la cartede laville hongroiseilyavaitcesmotstirs du livre deJob."Dieu mel'adonne, Dieume l'a te;le nom du Seigneursoitbni."Le jeuneprinceayantlu cesparoles, pritsur-le-champuncrayon,et crivitau basdelacartedeRiga : "Dieumel'adonne, le Diable ne mel'terapas.* Ainsi dansles actions* Deuxambassadeursde France en Sude m'ontcont cefait.38HISTOIREles plus indiffrentesde son enfance ce naturel itidomtabielaissait souventchapper de ces traits qui caractrisentlesmes singulires, et qui marquaient ce qu'il devait tre unjour.Il avait onze ans lorsqu'il perditsa mre. Cette princessemourutd'unemaladiecause, dit-on,par les chagrinsqueluidonnaitsonmari, et parles eftorts qu'elle faisaitpour les dis-simuler. CharlesXI. avaitdpouilldeleurs biensungrandnombredeses sujets, parle moyend'une espcede cour dejustice nomme la chambre des liquidations; une foule decitoyensruinsparcette chambre,nobles,marchands,fermiers,veuves, orphelins, remplissaient lesruesde Stockhohn, et ve-naienttousles jourslaporte du palaispousserdes crisinu-tiles; lareinesecourutces malheureuxdetoutcequ'elleavait;elle leurdonnasonargent, ses pierreries, sesmeubles, ses ha-bitsmme. Q,uandelle n'eutplusrien leur donner elle sejeta en larmes aux pieds de son mari, pour le prierd'avoircompassiondeses sujets. Leroi luirponditgravement,"Ma-dame, nousvousavons prise pournousdonnerdes enfants, etnonpournousdonnerdesavis." Depuiscetempsil latraita,dit-on, avecuneduretquiavanasesjours.Ilmourutquatreansaprselle, dans laquarante-deuximeannede son ge, et dans la trente-septimedeson rgne,lorsquel'empire, l'Espagne, la Hollande, d'unct, la Francedel'autre, venaientderemettreladcisiondeleursquerelles sa mdiation, et qu'il avaitdjentam l'ouvragede la paixentrecespuissances.Il laissason fils, gdequinze ans,untrneaffermi, etrespectaudehors, dessujetspauvres, maisbelliqueuxet sou-mis, avec des financesenbonordre, mnagespardesminis-tres habiles.Charles XII son avnement non seulement se trouvamatreabsoluet paisibledelaSudeetdela Finlande,maisilrgnaitencoresurla Livonie, laCarlie, l'Ingrie;il possdaitDE CHARLES XII.29Tsmar,Vibourg, les isles de Rugen,d'Oesel, etla plus bellepartie de la Pomranie, le duch de Brme et de Verden;toutes conqutes de ses anctres, assuressacouronne parune longue possession, et par la foi des traits solennels deMunsteret d'Oliva,soutenusdelaterreurdesarmessudoises.LapaixdeRysvick,commencesouslesauspicesdupre, futconcluesousceuxdufils : il fut lemdiateurdel'Europedsqu'ilcommenargner.Les lois sudoisesfixent la majoritdes rois quinzeans;maisCharles XI,absolu en tout,retardaispar son testamentcelledesonfils jusqu'dix-huit: il favorisait parcette dispo-sition les vues ambitieuses de sa mre, Edwige-Elonore deHolstein, veuve de Charles X. Cette princesse fut dclareparle roisonfils, tutricedujeuneroi son petit-fils, et rgentedu royaumeconjointementavecunconseilde cinqpersonnes.Largente avaiteu part aux affaires sous le rgneduroison fils;elle tait avance en ge;mais son ambition, plusgrandequeses forces et que son gnie, lui faisaitesprer dejouirlong-tempsdesdouceursdel'autorit sousle roisonpetit-fils : elle Ploignait autant qu'elle pouvait des affaires. Lejeune prince passait son temps la chasse, ou s'occupaitfairela revuedestroupes; il faisaitmme quelquefoisl'exerciceavecelles : ces amusements ne semblaient que l'effet naturelde lavivacit de son ge;il ne paraissait dans sa conduiteaucundgotquiptalarmer la rgente, et cetteprincesseseflattait que lesdissipationsdecesexercices le rendraientinca-pabled'application, et qu'elleengouverneraitpluslong-temps.Un jour,aumoisdenovembre,la mmearmedelamortdesonpre, il venaitdefairelarevuede plusieurs rgiments;leconseiller d'tat Piper tait auprs de lui;le roi paraissaitabm dansunerverieprofonde."Puis-jeprendrela libert,lui ditPiper, dedemandervotremajestquoielle songesisrieusement1Je songe, rpondit le prince, queje mesens^gnedecommandercesbravesgens;et jevoudraisqueni30HISTOIREeuxni moi nereussions l'ordre d'unefemme." Pipersaisitdans le moment l'occasion de faire une grande flsrtune. Iln'avaitpasassezdecrdit pour oser se charger lui-mme del'entreprisedangereused'terla rgencela reine, et d'avan-cer la majoritdu roi;il proposacette ngociation aucomteAxelSparre,hommeardent, etquicherchaitsedonnerdelaconsidration;il le flatta de la confiancedu roi. Sparrelecrut, sechargeadetout, et ne travaillaque pour Piper. Lesconseillers de la rgence furent bientt persuads : c'taitquiprcipiterait^3l'excutionde cedessein, pours'en faireunmriteauprsduroi.Usallrentencorpsenfairelapropositionla reine, quines'attendaitpasunepareilledclaration. Lestats-gnrauxtaientassemblsalors;les conseillersde la rgenceypropo-srentl'affaire : il n'yeut pas unevoix contre;la chose futemporte d'une rapidit querien ne pouvaitarrter; desortequeCharles XIIsouhaitadergner, etentroisjours les tatslui dfrrentlegouvernement. Lepouvoirdelareineetsoncrdit tombrent en un instant. Elle menadepuis unvieprive,plus sortablesonge, quoiquemoins son humeur.Leroifutcouronnle 24 dcembresuivant;il fit sonentredansStockholmsur unchevalalezan, ferr d'argent, ayantlesceptrelamain, etla couronneentte, auxacclamations detoutunpeuple, idoltrede ce qui est nouveau, et concevanttoujoursdegrandesesprancesd'un jeuneprince.L'archevqued'Upsalestenpossessiondefairela crmoniedusacreet du couronnement;c'est de tantdedroits quesespr-dcesseurs s'taient arrogs, presque le seul qui lui reste.Aprsavoir, selonl'usage, donnl'onctionauprince, il tenaitentresesmains la couronnepour la lui remettre surla tte;Charlesl'arracha^^ des mains del'archevque, et secouronnalui-mme,enregardant firementleprlat. Lamultitude,quitout air de grandeur imposetoujours, applaudit l'actionduroi;ceux m^esqei avaient lepiiiB gmisousledeftpctimae duDE CHARLES XII.31preselaissrententranerlouer dans le fils cette fiertquitaitl'auguredeleurservitude.Ds que Charles fut maitre, il donna sa confiance et lemaniementdesaliresauconseiller Piper, quifut bienttsonpremier ministre sansenavoir le nom. Peude joursaprsil le fit comte, cequi est une qualit minente enSude, etnon un vain titre qu'on puisse prendre sans consquencecommeenFrance.Lespremierstemps de l'administrationduroi nedonnrentpointdeluides idesfavorables: il parutqu'il avaitt plusimpatientquedignedergner. Il n'avait la vritaucunepassiondangereuse;maisonnevoyait danssa conduiteque desemportementsde jeunesse, etdel'opinitret : ilparaissait inap-pliqu et hautain : les ambassadeursqui taient sacourleprirentmme pour ungniemdiocre, etle peignirent telleurs matres. LaSudeavait delui lamme opinion;personneneconnaissaitsoncaractre;il l'ignoraitlui-mme, lorsquedesoragesformstout--coupdansle norddonnrentsestalentscachsoccasiondesedployer.^5Troispuissants princes, voulant seprvaloirde sonextrmejeunesse, conspirrentsa ruinepresque enmmetemps. Lepremier fut Frdric IV, roi de Danemarck, son cousin;lesecond,Auguste,lecteur deSaxe, roi de Pologne;Pierre-le-Grand, czar deMoscovie, tait le troisime, et le plusdange-reux. Il fautdvelopper l'originedeces guerresquiont pro-duitdesigrandsvnements,etcommencer parleDanemarck,De deuxsurs qu'avait CharlesXII, l'aneavaitpousleduc deHolstein,jeune princeplein debravoureetdedouceur:le ducopprimparleroi deDanemarck,vintStockholmavecsonpousese jeter entreles brasduroi, et lui demanderdusecours, non seulementcomme son beau-frre, maiscommeau roi d'unenationquiapourles Danoisunehaineirrconci-liable.L'anciennemaisondeHolstein, fondue danscelle^< d'OIden*33 HISTOIREbourg, taitmontesur le trne deDanemarck,parlection,en1449.Tous lesroyaumesdunordtaientalorslectifs : ce-luideDanemarckdevint bientt hrditaire. Undeses rois,nomm Cliristiern III, eut pour son frre Adolpheune ten-dresseoudes mnagementsdont onnetrouvegure d'exem-plechez les princes. Il nevoulaitpoint le laissersans sou-verainet, maisil nepouvaitdmembrer ses propres tats : ilpartageaaveclui, par unaccordbizarre,les duchs deHolstein-GottorpetdeSlesvick, tablissantque lesdescendantsd'Adol-phegouverneraientdsormaisle Holstein conjointement aveclesroisde Danemarck;que ces deux duchs leur appartien-draient en commun, et que le roide Danemarcknepourraitrien innover^~dansleHolsteinsansle duc, nileducsansleroi.Uneunion si trange, dontpourtant ilyavaitdj eu un ex-empledans la mme maisonpendantquelques annes, tait,depuisprsdequatre-vingtsans,unesourcedequerellesentrelabranchedeDanemarcket celledeHolstein-Gottorp, les roischerchanttoujoursopprimerles ducs, et les ducs trein-dpendants. Ilenavaitcot la libert et la souverainet audernierduc: il avaitrecouvr l'une et l'autreauxconfrencesd'Altena, en1689,parl'entremisedela Sude,del'Angleterre,et de la Hollande, garants de l'excution du trait. Maiscommeun trait entre les souverains n'est souvent qu'unesoumissionlancessitjusqu'cequele plusfortpuisseac-cablerleplus faible, laquerelle renaissait plusenvenimequejamais entre le nouveau roi de Danemarck et le jeuneduc.Tandisque leduetait Stockholm les Danoisbasaientdjdesactes d'hostilitdanslepaysdeHolstein,etseliguaientse-crtementavecle roidePologne,pouraccablerle roideSudelui-mme.Frdric-Auguste, lecteurde Saxe, que ni l'loquence etlesngociationsde l'abb dePolignac, niles grandesqualitsaprincedeConti, sonconcurrentautrne, n'avaientpuem-pcherd'tre lu depuis deux ans roi de Pologne,tait unDECHARLESXlt. 93'prince moins connuencore parsaforce de corps incroyable,queparsa bravoure, et la galanteriedeson esprit. Sa courtait la plusbrillantede l'Europeaprscelle de Louis XIV.Jamaisprincene futplusgnreux,nedonna plus, n'accom-pagnasesdonsdetantdegrce. Il avaitachet lamoitidessuffragesdelanoblessepolonaise,et forc l'autreparl'approched'une arme saxonne. Il crut avoir besoin de ses troupespourse mieux affermirsur le trne;mais il fallait un pr-texte pour les retenir en Pologne: les destina attaquerle roi de Sude en Livonie, l'occasion que l'on va rap-porterLaLivonie, la plusbelle et laplusfertileprovincedunord,avaitappartenuautrefoisauxchevaliersdel'ordreteutonique:les Russes, les Polonais et les Sudois s'en taient disputla possession. La Sude l'avaitenlevedepuis prs decentannes, et elle lui avait tenfincdesolennellement par lapaixd'Oliva.Le feu roi Charles XI,dans ses svrits pour ses sujetsn'avait pas pargn les Livoniens;il les avaitdpouills deleurs privilges, etd'une partiede leur patrimoine. Patkul,malheureusementclbredepuispar samorttragique, fut d-putdelanoblesselivoniennepour porter au trnelesplaintesdelaprovince: il fit sonmatre uneharanguerespectueuse,maisforte, etpleinedecette loquence mlequedonnelacala-mitquandelle est jointela hardiesse. Mais les roisnere-gardenttropsouventces haranguespubliquesquecomme descrmoniesvainesqu'il estd'usagede souffrir sansyfaire at-tention. ToutefoisCharlesXI, dissimulquandil neselivraitpas aux emportements de sa colre, frappa doucementsurl'paule de Patkul:"Vous avez parl pour votre patrieenbravehomme,lui dit-il;jevousen estime, continuez." Maispeudejoursaprs il le fit dclarer coupable de lse-majest,et commetelcondamner!a mor', Patkxil,quis'tait cach,pitkfuite; il portadans la Pologne-ses resaentiincnts. H34HISTOIRE'futadmis depuisdevantleroi Auguste, CharlesXItait mort;maislasentencedePatkul, etsonindig)jdtionsubsistaient. Ilreprsenta aumonarquepolonaisla facilite dela conqute delaLivonie;despeuples dsesprsprts secouerle joug deJaSude;un roienfant, incapabledesedfendre. Ces solli-citations furent bien reues d'un prince dj tent de cetteconqute. Augustesoncouronnementavaitpromisde faireses effortspour recouvrer les provincesque la Pologne avaitperdues: il crutparson irruption en Livonieplaire la r-publique, et affermirsonpouvoir;maisil setrompa dans cesdeuxidesquiparaissaientsi vraisemblables. Tout fut prtbientt pouruneinvasion soudaine, sans mme daigner re-courird'abord lavaineformalitdesdclarationsde guerreetdesmanifestes. Lenuagegrossissait^^en mmetempsductdelaMoscovie. Le monarquequi la gouvernaitmritel'attention delapostrit.Pierre Alexiowitz, czar de Russie, s'tait dj rendu re-doutablepar la bataille qu'il avait gagne sur les Turcs en1697,et par la prise d'Azof, qui lui ouvrait l'empirede lamerNoire; maisc'tait pardes actions plus tonnantesquedesvictoiresqu'il cherchait le nomde grand. LaMoscovieouRussieembrasse le nordde l'Asieetcelui de l'Europe, et,depuis les frontires de la Chine,s'tend l'espacede quinzecentslieues jusqu'auxconfins de la Pologneetde laSude.Maisce paysimmensetait peineconnude l'Europe avantleczarPierre. LesMoscovites taient moins civiliss quelesMexicains quand ils furentdcouverts par Cortez;ns tousesclaves de matres aussi barbaresqu'eux, ils croupissaienti9dans l'ignorance, dans le besoindetousles arts, etdansl'in-sensibilitde ces besoinsqui touffait toute industrie. Uneancienne loi sacre parmi eux leur dfendait sous peinedemort de sortirdeleurpayssans la permission de leur patri-arche. Cette loi, faite pour leur terlesoccasionsdeconna-treleur joug, plaisait unenationqui, dans l'abme desonDECHARLES XII.3oignoranceet de sa misre, ddaignaittoutcommerce aveclesnationstrangres.L'redesMoscovitescommenait la cration dumonde;ils comptaient7207 ansau commencementdu sicle pass,* sanspouvoirrendre raison de cettedate ; le premier jourde leurannevenait au13denotremoisdeseptembre. Ils allguaientpourraisondecette tablissement qu'il tait vraisemblablequeDieu avait cr le mondeen automne, dansla saisonoulesfruits dela terre sontdansleur maturit. Ainsilesseulesap-parences de connaissances qu'ils eussent taientdes erreursgrossires : personne nesedoutait^oparmieuxque l'automnedeMoscovie pt tre le printemps d'un autre pays danslesclimats opposs. Il n'y avait pas long-temps que le peu-ple avaitvoulubrlerMoscoule secrtaired'unanibassadeurdePerse, quiavaitprdituneclipsede soleil. Ils ignoraientjusqu'l'usagedeschiffres; ils se servaientpourleurs calculsdepetites boulesenfiles dansdesfils d-'archal:-'il n'yavait pasd'autremaniredecompter danstouslesbureaux derecettes,etdansle trsorduczar.Leur religion tait et est encorecelle des chrtiens grecs,maismle de superstitions, auxquelles ils taient d'autantplus fortement attachsqu'elles taientplus extravagantes, etquelejougentait plusgnant. Peude Moscovitesosaientmangerdu pigeonparcequele Saint-Espritestpeintenformede colombe. Ils observaient rgulirement quatre carmes par an,et danscestempsd'abstinence ils n'osaientsenourrir nid'ufsnidelait. Dieuet S. Nicolastaient les objetsdeleurculte,st, immdiatementaprseux,le czaret lepatriarche. L'autoritdecedernier taitsansbornescomme leurignorance: il ren-daitdesarrts demort, etinfligeait les supplicesles plus cruelssansqu'onptappeler""desontribunal. Il se promenaitchevaldeuxfois l'an, suividetoutsonclerg encrmonie: et 1peuple s.^prosternaitdansUsrues cov. x:.i'usde sescorpsd'arme, eto il devaittablirdesmagasins. Cetteretraite laissa le roi Stanislaspaisiblesouve-raindepresquetoute la Pologne.Le seulqui letroublt alors dans ses tats taitlecomteSiniawski, grandgnralde lacouronne, de la nominationduroi Auguste. Cet homme, qui avaitd'assez grands talentsetbeaucoupd'ambition, tait la tte d'un tiers parti, il nereconnaissaitni Augusteni Stanislas;et aprsavoir tout tentpourse fairelire lui-mme,il secontentaitd'tre chefdeparti,ne pouvant pas tre roi. Les troupes de la couronne,quitaientdemeuressousses ordres,n'avaient gured'autresoldequela libert depillerimpunment leur propre pays. Tousceuxqui craignaientcesbrigandagesouqui en souffraient sedonnrentbienttStanislas,dontla puissance s'affermissaitdejourenjour.Leroi deSuderecevaitalors danssoncamp d'Altranstadlesambassadeursdepresquetous les princesde la chrtient.Lesunsvenaientle s'applierdequitterles terres de l'empire;les autreseussentbienvouluqu'ilettourn sesarmes contrel'empereur;lebruit s'taitmme rpandupartout qu'ildevaitse joindrela France pour accabler la maison d'Autriche.Parmi tous ces ambassadeurs vint le fameux Jean, duc deMarlborough, delapart d'Anne, reinedela Grande-Bretagne.Cethommequi n'ajamais assigdeville qu'il n'ait prise, nidonn de bataille qu'il n'ait gagne, tait Saint-Jamesunadroitcourtisan;dansleparlementunchefde parti;danslespaystrangersle plushabilengociateur desonsicle. Ilavaitfaitautantdemalla Franceparsonespritque parses armes.116HISTOIREOnentendudireau secrtairedestats-gnraux, M.Fagel,hommed'untrsgrandmrite, queplus d'une fois les tats-gnrauxayantrsolu de s'opposer cequeleducdeMarl-borough devait leur proposer, le duc arrivait, leurparlait enfranais, langue dans laquelle il s'exprimait trs -mal, et lespersuadaittous: c'estce quelelordBolingbrokem'aconfirm.Il soutenaitavecle prince Eugne,compagnonde ses vic-toires, etavecHeinsius,grandpensionnairedeHollande,toutlepoidsdesentreprisesdes allis contrela France. Il savaitqueCharlestaitaigriescontrel'empireetcontre l'empereur;qu'il tait sollicit secrtement parles Franais,etque si ceconqurantembrassaitle partide Louis XIVlesallisseraientopprims.IlestvraiqueCharlesavaitdonnsaparole denese mlerenriendelaguerrede Louis XIVcontreles allis;mais leducdeMarlboroughnecroyaitpas qu'ilyetunprinceassezesclavedesaparolepournelapassacrifiersa grandeuretsonintrt. Il partit doncdelaHayedansle desseind'allersonderlesintentionsduroi de Sude. M,Fabrice, quitaitalorsauprsde CharlesXlt,m'aassurquele duc deMarl-borough,enarrivant, s'adressasecrtement, nonpasaucomtePiper, premierministre, maisaubarondeGortz, qui commen-aitpartageravecPiperlaconfianceduroi : il arrivammedansle carrossedecebaronauquartierdeCharlesXl, et ilyeut des froideurs mai-qucesentre lui et le chancelier Piper.Prsentensuitepar Piper,avecRobinson, ministred'Angle-terre, il parlaauroi en franais : il lui dit qu'il s'estimeraitheureuxdepouvoirapprendresoussesordrescequ'il ignoraitdel'artdelaguerre. Leroinerponditcecomplimentparaucunecivilit, et parut oublierquec'tait Marlboroughquilui parlait. Jesaismmequ'iltrouvaque ce grand hominetait vtud'unemaniretroprecherche,et avait l'air trop peuguerrier. Laconversation fut fatigante et gnrale, CharlesXIIs'exprimantensudois, etRobinsonservantd'interprte.DECHARLESXII. 117Marlborough,quinesehtaitjamaisdefairesespropositions,et quiavait,par une longue habitude, acquisPart de demcler^^ leshommes, etdepntrerlesrapportsqui sontentreleursplusse-crtes penses,leursactions,leurs gestes,leurs discours, tudiaattentivementleroi. Enlui parlant deguerreengnralilcrutapercevoir dansCharlesXII une aversion naturelle pour laFrance;il remarqua qu'il se plaisaitparlerdes conqutesdesallis. Il luiprononalenomduczar, et vitquelesyeuxdu rois'allmnaienttoujours cenom, malgr la modrationdecetteconfrence: il aperutdeplussurunetableunecartedeMoscovie. Ilneluienfallutpas davantagepourjuger quelevritabledessein duroideSudeetsaseuleambitiontaientdedtrnerle czaraprsle roidePologne. Il compritquesice prince restait en Saxe c'taitpour imposerquelquescon-ditions unpeudures l'empereurd'Allemagne. Il savaitbienquel'empereurnersisterait pas, etqu'ainsiles affaires seter-mineraientaisment. Il laissaCharles XII son penchantnaturel;et, satisfaitdel'avoirpntr,il nelui fit aucunepro-position. Cesparticularitsm'onttconfirmespar madameladuchessedeMarlborough, saveuve, encorevivante.*Commepeudengociationss'achventsansargent,etqu'onvoitquelquefoisdesministres quivendentlahaineoulafaveurdeleurmatre,oncrutdanstoutel'Europe quele ducde Marl-boroughn'avaitrussiauprs duroideSude qu'endonnantproposunegrossesommeaucomteFiper;et lammoiredeceSudoisenestrestefltne^"jusqu'aujourd'hui. Pour moi,quiairemontautantqu'ilm'at possible la sourcedecebruit,j'aisuquePiperavaitreu un prsentmdiocre del'em-pereurparlesmainsducomtedeWratislau,avec le consente-mentduroisonmatre, et rien du duc de Marlborough. IIestcertainqueCharles taitinflexible dans le dessein d'aller*L'auteur crivait en 1727 Onvoit par d'autres dates^uel'ouvrageatretouchdepuisplusieursreprises.118HISTOIREdtrnerl'empereurdesRusses, qu'ilnerecevait alorsconseildepersonne,et qu'il n'avaitpasbesoin desavis ducomtePiperpourprendrede PierreAlexiowitz unevengeancequ'ilcher-chaitdepuissi long-temps.Enfincequiachvede justifierce ministre, c'estl'honneurrendulong-temps aprs sa mmoireparCharles XII, qui,ayantapprisquePipertaitmortenRussie,fit transporter soncorpsStockholm, etluiordonnases dpens des obsquesmagnifiques.Leroi, quin'avaitpointencoreprouvderevers, ni mmede retardementdansses succs,croyaitqu'uneannelui suffi-raitpourdtrnerle czar, et qu'il pourraitensuite revenirsursespass'rigerenarbitre^^ del'Europe; mais il voulaitaupa-ravanthiunilierl'empereurd'Allemagne.LebarondeStralheim,envoydeSudeVienne,avait eudansunrepasunequerelleavecle comtedeZobor,chambellande l'empereur: celui-ci ayant refus de boire la sant deCharlesXII,etayantditdurement queceprinceenusaittropmalavecsonmaitre, Stralheisn lui avait donnundmenti^^etunsoufilet,^3 gtavaitos, aprscetteinsulte, demanderr-parationlacourimpriale. LacraintededplaireauroideSudeavaitforc l'empereur bannir son sujet, qu'il devaitvenger. CharlesXIInefutpassatisfait;il voulutqu'onluilivrtlecomtede Zobor. Lafiert dela courdeViennefutobligedeflchir;^'*on mitle comteentrelesmainsdu roi,quile renvoya, aprs l'avoir gard quelque temps prisonnierSttin.Ildemandadeplus, contretoutes les lois desnations, qu'onlui livrt quinze cents malheureux Moscovites, qui, ayantchappsesarmes, avaientfui jusquesurles terres del'em-pire. Ilfallut encorequela courdeVienneconsentit cettetrangedemande; et si l'envoymoscovite Vienne n'avedtadroitementfait vadercesmalheureuxpardiverschemins, Ustaienttous livresleurstnnemis.DE CHARLES XII. 119Latroisimeetladerniredeses demandesfutla plusforte.Il se dclarale protecteur des su.jets protestantsdel'empereuren Silsie,provinceappartenantelamaisond'Autriche, nonJ'empire. Ilvoulutquel'empereur leur accordt deslibertsetdesprivilges, tablis lavritparlestraitsdeVestphalie,mais teints, oudumoinsludspar ceuxdeRysvick. L'em-pereur, quinechercaaitqu'loigner unvoisinsi dangereux,plia"*^ encore, etaccordatoutcequ'onvoulut. Les luthriensdeSilsie eurentplusdecentglises, queles catholiquesfurentobhgsdeleurcder parcetrait;maisbeaucoupdesescon-cessions, que leurassuraitla fortune du roi de Sude, leurfurentraviesdsqu'ilnefutplusentatd'imposerdes lois.L'empereur, quifit ces concessions forces, et qui plia entoutsouslavolontdeCharles XI,s'appelaitJcseph;il taitfils ande Lopold, et frre deCharlesVI, qui lui succdadepuis. L'internonce du pape, qui rsidait alors auprs deJoseph, lui fit des reproches fort vifs dece qu'un empereurcathoUquecommeluiavait fait cder l'intrtdesaproprere-ligionceuxdeshrtiques." Voustesbienheureux, luir-ponditl'empereuren riant, quele roi de Sude ne m'ait pasproposdemefaireluthrien;car, s'il l'avait voulu,jenesaispascequej'aurais fait."LecomtedeWratislau, sonambassadeurauprsdeCharlesXII,apportaLeipsickle traitenfaveur des Sdsiens,signdela main de son maitre. Alors Charles dit qu'il taitlemeilleuramidel'empereur;cependantil nesut passansdpitqueRomel'ettraversautantqu'elle l'avaitpu. Il regardaitavecmprisla faiblesse decette cour, qui, ayantaujourd'huilamoitidel'Europepour ennemieirrconciliable,esttoujoursendfiance''^del'autre,etnesoutientsoncrditqueparl'habi-let des ngociations;cependantil songeait sevengerd'elle.Il ditaucomtedeWratislauqueles SudoisavaientautrefoissubjuguRome, etqu'ils n'avaient pasdgnrcommeelle.Il fit avertirlepapequ'illui redemanderait unjourleseffets130HISTOIREquelareineChristineavait laisss Rome. Onnesaitjus-qu'ocejeune conqurantet port es ressentimentset sefearmes, si lafortuneetsecond ses desseins. Rienne luipa-raissait alors impossible: il avait mme envoysecrtementplusieurs officiers enAsie,etjusquedansl'Egypte, pourleverleplandes villes, etl'informer des forcesde ces tats. Il estcertain que, si quelqu'unet pu renverserl'empire des Per-sansetdesTurcs, et passer ensuiteenItalie, c'tait CharlesXl. Il tait aussi jeune qu'Alexandre, aussiguerrier, aussientreprenant, plusinfatigable,plusrobuste, etplustemprant;etles Sudoisvalaientpeut-tre mieuxqueles Macdoniens:mais depareilsprojets,quisonttraitsdedivinsquandilsrus-sissent,nesontregardsque commedeschimres quandonestmalheureux.Enfin, toutesles difficults tant aplanies,^''' toutes ses vo-lontsexcutes, aprs avoirhumilil'empereur,donnlaloidans l'empire,avoirprotg sareligion luthrienne aumilieudescatholiques, dtrn un roi, couronnunautre, sevoyantlaterreurdetousles princes, il seprparapartir. Lesdli-cesdela Saxe, o il tait rest oisif uneanne, n'avaientenrienadoucisamanire devivre. Il montaitchevaltrois foispar jour, selevait quatreheuresdu matin, s'habillait seul, nebuvaitpointde vin, ne restait tablequ'unquart-d'heure,ex-eraitsestroupestouslesjours,etneconnaissaitd'autreplaisirqueceluidefairetremblerl'Europe.LesSudois ne savaientpointencoreo le roi voulait lesmenei;: on se doutait seulement dans l'arme que Charlespourrait aller Moscou. Il ordonna, quelques jours avantsondpart, songrandmarchaldes logisdeluidonnerparcritlaroutedepuis Leipsick.... il s'arrta un moment cemot;et, depeurquele marchaldeslogisneptriendevinerdesesprojets, il ajoutaenriant, jusqu' toutes les capitalesdel'Europe. Lemarchallui apportaunelistedetoutescesroutes,lattedesquellesil avaitaffectdemettreengrossesDE CHARLES XII. 121lettres, RoutedeLeipsickStockholm. LaplupartdesSu-doisn'aspiraient qu' yretourner;maisleroitait bienloigndesongerleurfairerevoirleurpatrie."Monsieurlemar-chal, dit-il, jevoisbien ovousvoudriezme mener;mais nousneretourneronspasStockholm sitt."L'armetait djenmarche,etpassaitauprsdeDresde:Charles tait latte,couranttoujoursselonsa coutumedeuxou troiscentspasdevantses gardes. Onle perdittout d'uncoupdevue: quelquesofficierss'avancrent brideabattue^^poursavoiroil pouvait tre : oncourutdetouscts;on nele trouvapoint: l'alarmeesten un moment danstoutel'arme:on fait halte;lesgnrauxs'assemblent;ontaitdjdanslaconsternation: onapprit enfind'un Saxonqui passait cequ'taitdevenule roi.L'envielui avait pris, enpassant si prsdeDresde, d'allerrendreunevisiteauroi Auguste: il taitentrchevaldansla ville, suividetroisou quatreofficiers gnraux. Onleurdemanda-leurnom la barrire: Charlesdit qu'il s'appelaitCari, et qu'il taitdraban;chacunprit un nomsuppos. LecomteFlemming, les voyantpasserdans laplacen'eutque letempsdecouriravertir son matre. Tout ce qu'on pouvaitfaire dansune occasionpareille s'tait djprsent l'ideduministre : il enparlaitAuguste;Charlesentratout bottdanslachambre, avantqu'Augusteeteu mme letempsderevenirdesa surprise. Il tait malade alors, et enrobe dechambre: il s'habilla en hte. Charles djeuna avec luicommeunvoyageurqui\ientprendrecong desonami;en-suiteilvoulutvoirles fortifications. Pendantlepeudetempsqu'ilemployales parcourir, unLivonienproscriten Sude,qui servait dans les troupesdeSaxe, crut que jamais il nes'offrirait une occasion plus favorable d'obtenir sa grce :il conjura le roi Auguste de la demander Charles, biensrque ce roi nerefuseraitpascette lgre condescendanceun prince qui il venait d'ter une couronne, et entre11123HISTOIREles mains duquel il ctait dans ce moment. Auguste sechargea aisment de cette affaire. Il tait un peu loignduroi deSude, et s'entretenait avec Hord,gnralsudois." Jecrois, lui dit-ilensouriant,quevotrematre ne me refuserapas.Vousnele connaissezpas, rpartit le gnraiHord;ilvousrefuseraplutt ici que par-tout ailleurs." Auguste nelaissa pasdedemanderauroi, entermespressants,la grceduLivonien : Charlesla refusad'une manire ne se la pasfaire demanderunesecondefois. Aprsavoirpassquelquesheuresdanscette trange visite, il embrassaleroi Auguste,etpartit. Il trouva,enrejoignantsonarme, tousses gnrauxencore en alarmes : ils lui dirent qu'ils comptaient assigerDresde,encasqu'onetretenu sainajest prisonnire. Bon!dit le roi, onn'oserait. Lelendemain, sur la nouvellequ'onreutqueleroi AugustetenaitconseilextraordinaireDresi-e,"Vousverrez, dit le baronde Stralheim, qu'ils dlibrentsurcequ'ils devaientfaire hi^r." Aquelquesjoursde l, Rens-child tantvenutrouver le roi, lui parla avec tonnementdecevoyagede Dresde."Jemesuis fi, dit Charles, sur mabonnefortune: j'ai vucependant un momentquin'tait pasbien net;Flemming n'avait nulle envie que je sortisse deDresdesi tt.'FINDUTROISIEMELIVRE,DECHARLESXII.12BLIVREaUATRIEME.ARGUMENT.CharlesvictorieuxquittelaSaxe;poursuitleczar; s'enfoncedans rUkraine. Ses pertes. Sa blessure. Bataille dePultava. Suitede cette bataille. Charlesrduit fuiren Turquie. SarceptionenBessarabie.Charles partit enfin de Saxe en septembre1707, suivid'unearmedequarante-troismille hommes,autrefoiscouvertedefer, etalorsbrillanted'oret d'argent,et enrichie desdpouil-lesde laPologneetdela Saxe;chaquesoldatemportaitavecluicinquantecusd'argent comptant;nonseulementtouslesrgiments taient complets, mais ilyavaitdanschaquecom-pagnieplusieurs surnumraires. Outrecettearme, lecomteLevenhaupt, l'undesesmeilleursgnraux,l'attendait enPo-logneavecvingtmille hommes;il avaitencore uneautre armedequinzemillehommes en Finlande, et denouvellesrecruesluivenaientde Sude. Avec toutesces forces onne doutapasqu'ilnedtdtrnerleczar.Cetempereur tait alors en Lithuanie, occup ranimerun parti auquelle roi Auguste semblaitavoirrenonc: sestroupes, divises en plusieurscorps, fuyaientdetous ctsaupremier bruitde l'approcheduroide Sude: il avait recom-mandlui-mmetous ses gnraux de nejamais attendrece conqurantavecdesforcesingales;etil taitbienobi.LeroideSude,aumilieu desa marchevictorieuse, reutunambassadeur delapartdesTurcs. L'ambassadeureut sonau-dience au quartier ducomte Piper; c'tait toujourschezceministre quesefaisaient les crmonies d'clat: il soutenait124HISTOIREladignitdesonmatrepardes dehors qui avaient alors unpeudemagnificence;et le roi, toujours plus mal log, plusmalservi, etplus simplementvtuque le moindreofficier deson arme, disait que son palais tait le quartier de Piper.L'ambassadeur turc prsentaCharles cent soldats sudoisqui, ayanttprispar desCalmouks, etvendus enTurquie,avaientt rachets parlegrand-seigneur,et quecet empereurenvoyaitau roicommele prsentle plusagrable qu'ilptluifaire;nonquela fiert ottomane prtendt rendre hommage la gloiredeCharles Xl,maisparceque le sultan, enneminatureldesempereursdeMoscovieetd'Allemagne, voulait sefortifier contreeuxde l'amitidela Sudeet del'alliance dela Pologne. L'ambassadeur complimenta Stanislas sur sonavnement: ainsiceroi futreconnuenpeude tempsparl'Al-lemagne, laFrance, l'Angleterre, l'Espagne, et laTurquie: iln'y eut que le pape quivoulut attendre pourle reconnatreque letemps et affermi sur sa tte cette couronue qu'miedisgrcepouvaitfairetomber.ApeineCharleseut-il donnaudience l'ambassadeurdelaPorteottomane qu'il courutchercher les Moscovites. LestroupesduczartaientsortiesdePologne,etytaientrentresplusde vingtfois pendantle coursdelaguerre: ce pays,ouvertdetoutesparts, n'aj'^ant point de placesfortes quicoupentlaretraited'unearme, laissait auxRussesla libert derepara-tresouventau mme endroitoils avaienttbattus,et mmedepntrerdanslepaysaussiavantquele vainqueur. Pen-dantle sjourde Charlesen Saxe, leczar s'tait avancjus-qu'Lopold,l'extrmit mridionale dela Pologne : il taitalorsvers le nord, Grodno en Lithuanie, cent heues deLepold.Charleslaissaen PologneStanislas,qui, assistdedixmilleSudoisetdesesnouveauxsujets, avait conserversonnou-veauroyaume contre les ennemis trangers et domestiques:DE CHARLES XII.125pourm il se mit la tte de sa cavalerie, et marcha versGrodnoaumilieudesglaces, aumoisdejanvier1708.Il avaitdjpass leNimendeuxlieues dela ville, et leczarnesavait encoreriendsamarche, Ala premirenou-vellequeles Sudoisarrivent, leczarsortparlaporte du nord,etCharlesentreparcelle quiestaumidi. Leroin'avaitavecluiquesixcentsgardes;leresten'avaitpulesuivre. Leczarfuyaitavec plus de deuxnullehommes,dans l'opinionque touteunearmeentrait dansGrodno. Ilapprendlejour mme paruntransfuge polonaisqu'il n'aquitt la place qu' six centshommes, etquele grosdel'armeennemietait encoreloigndeplusdecinq lieues : il neperd point de temps;il dtachequinzecentschevauxdesatroupe l'entrede la nuit, pourallersurprendre le roi de Sude dans la ville. Les quinzecents Moscovites arrivrentlafaveurdel'obscuritjusqu'lapremiregarde sudoisesans trereconnus. Trentehom-mes composiient cette garde; ils soutinrent seuls un demi-quart-d'heure l'effort desquinze cents hommes. Le roi, quitaitl'autreboutde la ville, accourutbienttavecle reste desessixcentsgardes;les Russess'enfuirentavecprcipitation.Sonarmenefut paslong-tempssans le joindre, ni lui sanspoursuivrel'ennemi. Touslescorps moscovites rpandus dansla Lithuanieseretiraientenhteductde l'orient, dans lepalatinat deMinski,prsdesfrontires dela Moscovie,otaitleur rendez-vous. LesSudois, quele roi partageaaussi endiverscorps, necessrentdeles suivre pendant plusdetrentelieuesdechemin;ceuxquifuyaient,et ceuxquipoursuivaient,'faisaientdesmarchesforcespresquetouslesjours, quoiqu'onftauniiheudel'hiver. Ilyavaitdjlong-tempsquetoutesles saisonstaientdevenuesgalespourles soldatsdeCharleset pourceuxduczar: la seuleterreurqu'inspirait lenomduroiCharlesmettaitalorsdeladiffrenceentrelesRussesetlesSudois.DepuisGrodnojusqu'auBorysthne,entirantversl'orient,128HISTOIREcesontdesmarais, desdserts, desfortsimmenses;danslesendroits qui sont cultivs on ne trouve pointdevivres;lespaysansenfouissentdans la terre^ tousles grains, et toutcequipeut s'yconserver: il fautsonderla terreavecdegrandesperchesferrespourdcouvrirsesmagasinssouterrains. LesMoscoviteset les Sudoisse servirenttour--tourde cespro-visions; maison n'en trouvait pastoujours, et ellesn'taientJ)assuffisantes.Leroide Sude, quiavait prvuces extrmits, avait faitapporter dubiscuitpourlasubsistancedeson arme: rien nel'arrtaitdanssamarche. Aprsqu'ileuttravers la fort deMinski, oil fallutabattretoutmomentdesarbrespour faireunchemin ses troupeset son bagage, il setrouva, le 2&juin1708,devantlariviredeBrzine, vis--vis Borislou.Leczaravait rassemblencetendroitlaplusgrandepartiede ses forces;ilytaitavantageusementretranch : sondes-seintaitd'empcherles Sudoisdepasserlarivire. CharlespostaquelquesrgimentssurleborddelaBrzine, l' oppo-site deBorislou,commes'il avaitvoulutenterlepassage lavuede l'ennemi. Danslemmetemps il remonte avec sonarmetrois lieuesau-delverslasourcedelarivire;ilyfaitjeterunpont, passe sur le ventre un corps de trois millehommes qui dfendaitceposte, et marchel'armeennemiesanss'arrter. LesRusses nel'attendirentpas;ils dcamp-rent, etseretirrentvers le Borysthne, gtanttousles che-mins, et dtruisanttout surleurroutepourretarderaumoinsles Sudois.Charlessurmontatous les obstacles, avanant toujoursversleBorysthne.IlrencontrasursoncheminvingtmilleMos-covitesretranchsdansun Heu nomm Hollosin, derrireunmarais,auquel onne pouvaitaborderqu'enpassant unerivire.Charlesn'attenditpaspourles attaquerquele restedesonin-fanterieftarriv;il sejettedansl'eaulattedeses gardespied;il traversela rivireetle marais, ayantsouvent de l'eauDECHARLESXII.137ftU-dessusdespaules. Pendantqu'il allaitainsi auxennemis,il avaitordonnsacavalerie de faire le tourdumaraispourprendre les ennemis en flanc. Les Moscovites,tonnasqu'aucune barrire ne pt les dfendre, furent enfoncsenmmetempsparle roi, qui les attaquait pied, et parle ca-valerie sudoise.Cettecavalerie s' tantfaitjourtraverslesennemis,joignitle roiau milieu du combat;alorsil montacheval : maisquel-quetempsaprsiltrouvadansla mle mijeunegentilhommesudoisnommGyllenstiern, qu'il aimait beaucoup, bless ethorsd'tatdemarcher;il leforaprendresoncheval, etcon-tinuadecommanderpied latte de son infanterie. Detouteslesbatailles qu'ilavait donnes celle-ci tait peut-trelaplusglorieuse, celleo il avaitessuy les plusgrands dan-gers, eto il avaitmontr le plusd'habilet : onenconservalammoireparune mdaille o on lisait d'un ct: Silvce,paludes, aggres, hostes victi;et de l'autre ce vers de Lu-cain: Victricescopiasaliumlaturusinorbem.LesRusses,chassspar-tout,repassrentleBorysthne,quisparelaPolognede leur pays. Charles ne tarda pas lespoursuivre;ilpassace grand fleuveaprseuxMohilou,der-nirevilledela Pologne, qui appartient tanttaux Polonais,tanttauxczars;destinecommuneauxplacesfrontires.Leczar, quivit alorssonempire,oil venaitdefairenatreles arts etle commerce,enproieuneguerre capable deren-verser danspeutoussesgrandsdesseins,etpeut-tresontrne,songeaparlerdepaix: il fit hasarderquelques propositionspar un gentilhomme polonais quivint l'arme de Sude.CharlesXII,accoutum n'accorder la paix sesennemisquedansleurscapitales, rpondit:"JetraiteraiavecleczarMoscou." Gluand onrapporta au czarcette rponse hautaine:"MonfrreCharles, dit-il,prtendfairetoujoursl'Alexandrejmaisjemeflatte qu'ilnetrouverapasenmoiunDarius."DeMohilou,placeole roitraversaleBorysthne, sivoua12SHISTOIREremontez aunord le longdece fleuve, toujours sur lesfron-tires dePologneetdeMoscovie,voustrouveztrente lieues lepaysdeSmolensko,par opasselagranderoutequivadePo-logneMoscou. Leczarfuyaitparcechemin;le roi lesui-vait grandesjournes. Une partie de l' arrire-gardemos-covitefutplusd'unefoisauxprisesavecles dragons de l' avant-gardesudoise. L'avantagedemeuraitpresquetoujours cesderniers;mais ils s'affaiblissaient forcedevaincredansdepetitscombatsquinedcidaientrien, eto ils perdaient tou-oursdumonde.Le22septembredecetteanne, 1708, le roi attaquaauprsdeSmolenskouncorpsdedixmillehommesdecavalerieetdesixmilleCalmouks.CesCalmoulissontdes Tartaresqui habitent entre le ro-yaumed'Astracan, domaine du czar, et celuide Samarcande,paysdesTartaresusbecks, et patriede Timur,connusouslenomdeTamerlan. Lepays desCalmoukss'tend l'orientjusqu'auxmontagnesquisparentle Mogoldel'Asie occiden-tale : ceuxquihabitentversAstracansonttributaires du czar:il prtendsureuxunem.pireabsolu;maisleurvievagabondel'empched'entre le matre,et fait qu'il seconduitavec euxcomme le grand-seigneuraveclesArabes,tanttsouffrantleursbrigandages, ettantt les punissant. Ilya toujours decesCalmouksdans les troupesde Moscovie;le czar tait mmeparvenulesdisciplinercommelerestedeses soldats.Leroi fonditsurcettearmen'ayantaveclui quesix rgi--mentsdecavalerieet quatremille fantassins. Il enfonad'a-bord les Moscovitesla tte desonrgimentd'Ostrogotliie;lesennemisseretirrent. Leroiavanasureuxpardesche-minscreux et ingaux o les Calmouks taient caches: Usparurentalors et se jetrent entre le rgimentole roi cora-Tattait et le restdel'arme sudoise, Al'instant et RussesetCalmouks entourrentce rgiment, et percrent jusqu'auroi;ilsturent deuxaides-de-campqui combattaientauprs deDECHARLESXII 129sa personne. Le chevalduroifut tusouslui: uncuyer lui enprsentaitunautre; mais l'cuyeretlecheval furent percsdecoups. Charlescombattit piedentourdequelquesoffi-ciersquiaccoururentincontinentautourdelui.Plusieursfurent pris, blesssou tus,ou entransloinduroi parlafoule quise jetait sur eux;il ne restait que cinqhommesauprsdeCharles: ilavaittuplusde douzeennemisdesamain sansavoirreuuneseuleblessure, parcebonheurinexprimable qui jusqu'alors l'avait accompagnpar-tout, etsurlequel il comptatoujours. EnfinuncolonelnommDar-dof se fait jourtravers des Calmouks avec seulement unecompagniedesonrgiment;il arrivetempspourdgagerleroi : lerestedesSudoisfit mainbassesurcesTartares. L'ar-merepritsesrangs: Charlesmontacheval;et,toutfatiguqu'il tait, il poursuivitles RussespendantdeuxUeues.Levainqueurtaittoujoursdanslegrand chemindelacapi-taledelaMoscovie. Ilyade Smolensko, auprs duquel sedonnacecombat,jusqu' Moscou, environcent denosheuesfranaises: l'arme n'avait presque plusdevivres. Onpriafortementleloid'attendrequelegnralLevenhaupt, quide-vait lui en ameneravecun renfortdequinze mille hommes,vntle joindre Nonsevilement le roi, qui rarementprenaitconseil,n'coutapointcet avisjudicieux, mais, augrandton-nementde toutel'arme, il quittalechemindeMoscou, et fitmarcheraumidiversl'Ukraine, paysdes Cosaques, situ en-trela petiteTartane, laPologne, et la Moscovie. Cepaysaenvironcentdenoslieuesdu midi auseptentrion, et presqueautantdel'orientaucouchant;il estpartag endeuxpartiespeuprsgalesparle Borysthne,quile traverseencoulantdu nord-ouestausud-est;laprincipaleville est Bathurin, surlapetite riviredeSem. Lapartie la plus septentrionale del'Ukraineestcultive etriche;laplusmridionalesitueprsduquarante-huitimedegr, est undespays les plus fertilesdu monde et les plus dserts; le mauvais gouvernementyJ30HISTOIREtouffait' lebienqnela natures'efforcedefaireauxhommes.Leshabitantsdeces cantonsvoisi]:s de la petiteTartarie nesemaientni neplantaient, parceque les Tartares deBudziac,ceuxdePrcop,lesMoldaves,touspeuplesbrigands, auraientravagleurs, moissons.L'Ukraineatoujoursaspirtrelibre; maistantentouredelaMoscove,destatsdugrand-seigneur,etdela Pologne,il luia fallu chercher un protecteur, et par consquent unmatre dans l'un decestrois tats. Elle semitd'abordsouslaprotectiondelaPologne, qui la traitatropen sujette;ellesedonnadepuisauMoscovite, quilagouvernaenesclave au-tantqu'il leput. D'abord les Ukrainiens jouirent du privi-lged'lireunprincesouslenomdegnral;maisbienttilsfurentdpouillsdecedroit, etleurgnralfutnommparlacourdeMoscou.Celuiquiremphssaitalors cetteplace taitungentilhommepolonaisnommMazeppa, ndansle palatinatdePodoie;ilavait t levpagedeJean Casimir, et avait pris sacourquelqueteinturedesbelles-lettres. Uneintriguequ'ileutdanssa jeunesseaveclafemme d'un gentilhomme polonais ayanttdcouverte, le mari le fit hertoutnusurunchevalfarou-che, et le laissa allerencet tat. Lecheval,qui taitdupaysdel'Ukraine,yretourna, etyporta Mazeppa demi-mortdefatigueetdefaim. Ctuelquespaysanslesecoururent : ilrestaloncr-tempsparmieux, et sesignaladansplusieurs courses con-tre lesTartares. Lasupriorit deseslumiresluidonna unegrandeconsidrationparmilesCosaques: sarputations'aug-mentant de jouren jour, obligea le czarle faire prince del'Ukraine.Unjour, tanttable Moscouavec le czar, cetempereurluiproposadediscipliner les Cosaques, et de rendreces peu-plesplusdpendants. Mazepparponditquela situation del'Ukraineet le gniede cettenationtaientdesobstacles in-surmontables. Le czar, qui commenait trechauffpaiDECHARLESXII.131le vin, etquinecommandaitpastoujourssacolre, l'appelatratre, et lemenaade le faireempaler.Mazeppa de retour en Ukraine formale projetd'une r-volte : l'armedeSude, quip^rutbienttaprssurles fron-tires, lui enfacilita les moyens: il prit la rsolutiond'treindpendant, et deseformer unpuissant royaume del'Ukraineet desdbrisdel'empiredeRussie, C'taitunhommecou-rageux, entreprenant, etd'untravail infatigable, quoiquedansune grande vieillesse. Il se ligua secrtement avec le roideSudepourhterlachuteduczar, etpourenprofiter.Leroiluidonnarendez-vousauprsde lariviredeDesna;MazeppaproiTiit des'yrendre avectrentemille hommes, desmunitionsde guerre, des provisions de bouche, et sestrsorsquitaient immenses. L'armesudoise marcha doncdecectaugrandregretdetousles officiers, qui ne savaientriendu traitdu roi avec les Cosaques. Charles envoya ordreLevenhauptde Im amener en diligence sestroupesetdesprovisions dans l'Ukraine, o il projetaitde passer l'hiver,afin que s' tantassur de ce pays il ptconqurirla Mos-covie au printemps suivant;et cependant il s'avana verslariviredeDesna, quitombedansle BorysthneKiovie.Lesobstaclesqu'onavaittrouvs jusqu'alors dans la routetaientlgersencomparaison de ceuxqu'on rencontra danscenouveauchemin;il fallut traverserunefortde cinquantelieues, pleinedemarcages. LegnralLagercron, quimar-chaitdevantaveccinq mille hommes et despionniers, garal'arme vers l'orient, trente Ueues de la vritable route.Aprsquatre joursdemarchele roireconnut la fautedeLa-gercron : onseremitavec peine danslechemin;maispresquetoute l'artillerie et tous les chariots restrent embourbs ouabimsdansles marais.Enfin, aprsdouze joursd'unemarchesi pnible, pendantlaquelle les Sudoisavaient consomm lepeude biscuit quileurrestait, cettearme,extnuedelassitude etde faim,ar-133HISTOIRErive sur les bords de la Desna, dans l'endroit oMazeppaavait marqu le rendez-vous; mais, au lieu d'y trouver peprince, ontrouva uncorps de Moscovites qui avanait versl'autre borddelarivire. Leroifut tonn;maisil rsolutsur-le-champde passer la Desna, etd'attaquer lesennemis.Lesbordsdecette ri\dre taient si escarpsqu'on futobligdedescendre les soldatsavecdes cordes. Ils traversrent larivireselonleurmanireaccoutume, lesunssurdes radeauxfaits lahte, les autresla nage. LecorpsdesMoscovites,quiarrivaitdanscetemps-l,n'taitquedehuitmille hommes;il me rsista pas long-temps, et cet obstacle fut encoresur-mont.Charlesavanaitdanscespaysperdus,incertaindesarouteet de lafidUt de Mazeppa: ce Cosaqueparut enfin, maispluttcommeun fugitif que commeunalli puissant. LesMoscovites avaient dcouvert et prvenu ses desseins. Ilstaientvenusfondre^sur sesCosaques, qu'ils avaient taillsenpices : ses principaux amis, pris les armes la main,avaientpri au. nombredetrente par le supplice dela roue;sesvilles taient rduites en cendres, ses trsors piU'?, lesprovisions qu'il prparait au roi de Sude saisies : peineavait-ilpuchapperavecsix mille hommes et quelquesche-vaux chargs d'or et d'argent. Toutefois il apportait auroi l'esprance de se soutenir parses intelligences dans cepaysinconnu, etl'affectiondetouslesCosaques, qui, enragscontreles Russes, arrivaientpartroupesaucamp, et lefirentsubsister.Charles esprait au moins que son gnral Levenhauptviendraitrparer cette mauvaise fortune. Il devait amenerenviron quinze mille Sudois, qui valaient mieuxque centmilleCosaques, et apporter des provisions de guerre et debouche. Il arriva -peu-prs dans le mme tat que Ma-zeppa.Il avait dj pass le Borysthne au-dessusde Mohilou,DECHARLESXII.^33et s'tait avanc vingtdenoslieues au-del, surle cheminde l'Ukraine. Il amenait au roi un convoi de huit millechariots, avec l'argent qu'il avait lev en Lithuanie sur saroute. Q,uand il futverslebourgdeLesno,prsdel'endroitolesri^iresdeProniaetSossasejoignentpouraller tomberloinau-dessousdansle Borysthne le czarparutla tte deprsdequarantemillehommes.Le gnral sudois, qui n'en avait pas seize mille com-plets, nevoulutpasseretrancher. Tantdevictoires avaientdonnauxSudois une si grande confiance, qu'ils ne s'in-fomiaicntjamaisdunombredeleursennemis,maisseulementdulieuoils taient. Levenhauptmarchadonceux sansbalancer, le 7d'octobreaprsmidi. Danslepremierchoc lesSudoisturentquinzecents Moscovites. La confusion semitdansl'armeduczar;onfuyaitde tous cts. L'empe-reurdesRussesvit le momento il allait tre entirementdfait : il sentaitquele salutde ses tats dpendait de cettejourne, et qu'il tait perdusiLevenhauptjoignait le roi deSudeavecunearmevictorieuse.Dsqu'il vit que sestroupes commenaient reculer, ilcourut l'arrire-garde,otaientdesCosaques et des Cal-mouks:"Je vousordonne, leur dit-il, de tirersurquiconquefuira, etdemetuermoi-mme, sij'taisassez lchepour meretirer." Delil retournal'avant-garde, etralliases troupeslui-mme, aid du prince MenzikofF et duprince Gallitzin.Levenhaupt, quiavait des ordres pressants de rejoindbresonmatre, aimamieuxcontinuer sa marchequerecommencerlecombat,croyantenavoirassez faitpour ter auxennemis larsolutiondele poursuivre.Ds le lendemainonze heures le czar l'attaquaau bordd'un marais, et tendit son arme pour l'envelopper. LesSudois firent face^ par-tout: on se battit pendant deuxheuresavecuneopinitret gale. LesMoscovitesperdirent13134HISTOIREtrois foisplusdemonde;maisaucunnelcha pied,etlavic-toirefutindcise.A quatreheureslegnralBayeramena auccarunrenfortdetroupes. Labataille recommenaalorspourlatroisimefoisavec plus de furie et d'acharnement: elle dura jusqu' lanuit: enfin le nombrel'emporta;les Sudoisfurent rompus,enfoncs, 5 etpousssjusqu'leur bagage. Levenhauptralliasestroupesderrireseschariots. LesSudoistaientvaincus,mais ils ne s'enfuirent,point. Ils taientenviron neuf mUlehommes,dontaucunne s'carta : legnralles mit enordredebataille aussi facilementque s'ils n'avaientpointt vain-cus. Leczar,del'autre ct, passalanuitsouslesarmes: ildfenditauxofnciers, souspeined'tre casss, etauxsoldats,souspeinedemort, des'carterpourpiller.Le lendemain encore il commandaaupoint du jour unenouvelleattaque. Levenhaupts'taitretirquelquesmilles,dansunlieu avantageux, aprs avoirenclou^ unepartie desoncanonetmisle feuses chariots.Les Mosco\ites arrivrent assez temps pour empchertout le convoid'treconsumparlesflammes;ils sesaisirentdeplusde six millechariots qu'ils sauvrent. Leczar, quivoulaitacheverla dfaitedes Sudois, envoyaun de ses g-nraux,nommPhulg, lesattaquer encorepourlacinquimefois : ce gnralleur offrit une capitulation honorable. Le-venhauptla refusa,et livra un cinquime combat,aussisanglantqueles premiers. De neufmille soldats qu'il avaitencore, ilenperditenvironlamoiti;l'autreneput treforce: enfin,la nuitsurvenant, Levenhaupt, aprsavoirsoutenucinqcom-batscontrequarantemille hommes,passalaSossa avecenvironcinqmille combattantsqui lui restaient. Leczar perditprsdedixmillehommesdansces cinqcombats,o ileutlagloiredevaincre les Sudois;et Levenhauptcelle dedisputer troisjours lavictoire, et de seretirersansavoir t forcdanssondernierposte. Il vintdoncaucampdeson matreavecl'houDE CHARLES XII.135neuTdes'tresibien dfendu,maisn'amenantavec luini mu-nitionniarme.LeroideSudesetrouvaainsi sansprovisionsetsanscom-munication avec la Pologne, entour d'ennemis, aumilieud'unpaysoil n'avaitgurederessourcequesoncourage.Danscetteextrmitle mmorablehiverde1709,pluster-ribleencoresurcesfrontiresdel'Europequenousnel'avonssentienFrance, dtruisit unepartiede sonarme. Charlesvoulaitbraverlessaisonscommeil faisaitsesennemis;il osaitfaire de longues marchesdetroupespendantce froid mortel:cefut dansunedecesmarchesque deuxmille hommestomb-rentmorts de froidsous ses yeux. Les cavahers n'avaientplusdebottes;les fantassin^taient sans souherset presquesans habits : ils taientrduits sefaire des chaussures depeauxdebtes, comme ils pouvaient;souventils manquaientdepain. Onavait trduitjeterpresquetous lescanons dansdes maraisetdans desrivires,faute de chevaux pour lestraner.Cettearme,auparavant si florissante, tait rduite vingt-quatremillehommesprtsmourir defaim. Onnerecevaitplusdenouvelles delaSude,eton nepouvait yenfanetenir.Danscet tatun seul officierse plaignit :"Hquoi! lui ditle roi, vousennuyez-vousd'tre loindevotrefemme1 Sivoustesunvraisoldat,jevousmneraisi loinquevouspourrezpeinerecevoirdesnouvellesdeSudeunefois entrois ans,"LemarquisdeBrancas, depuisambassadeurenSude,m'acont qu'un soldat osa prsenter auroi avec murmure,enprsencedetoutel'arme,un morceau de painnoiret moisi,'''fait d'orgeetd'avoine, seule nourriture qu'ils avaientalors, etdontils n'avaient pasmme suffisamment. Le roi reutlemorceaudepainsanss'mouvoir, lemangeatout entier, etditensuitefroidementausoldat:"Il n'est pas bon, maisil peutI semanger." Cetrait, toutpetit qu'il est, si cequi augmentelerespectet laconfiancepeuttre petit, contribua plus que136HISTOIREtoutle reste faire supporterl'armesudoisedesextrmi-tsquieussentt intolrablessoustoutautregnral.Danscette situation il reut enfin des nouvellesdeStock-holm;elles lui apprirentla mortde la duchessedeHolstein,sasur,quela petite-vroleenlevaaumoisdedcembre1708,dansla vingt-septimeanne de songe. C'taituneprin-cesseaussi douce etaussi compatissante que son frre taitimprieuxdans sesvolonts, et implacabledans sesvengean-ces. Il avaittoujourseupourelle beaucoupdetendresse;ilfutd'autantplusafflig de saperte, que, commenant alorsdevenirmalheureux, il endevenaitunpeuplussensible.Ilappritaussiqu'onavaitlev destroupeset del'argent,enexcutiondeses ordres;mais rien nepouvaitarriverjusqu'son camp, puisqu'entre lui et Stockholm ilyavait prs decinq cents lieues traverser, et des ennemis suprieurs ennombrecombattre.Le czar,aussiagissantque lui, aprs avoirenvoyde nou-vellestroupes ausecoursdes confdrs en Pologne, runiscontre Stanislas, sous le gnral Siniawski, s'avana bienttdans l'Ukraine, au milieudecerude hiver, pour faire tte^auroide Sude: l il continua dans la politiqued'affaiblirsonennemipardepetits combats;jugeantbien que l'armesudoise prirait entirement la longue,^ puisqu'elle nepouvaittrerecrute. Il fallaitquelefroid ft bienexcessif,puisquelesdeuxennemisfurentcontraints des'accorder unesuspensiond'armes. Mais, ds lepremier fvrier, onrecom-menase battreaumilieudesglacesetdesneiges.Aprsplusieurs petits combats et quelquesdsavantages,leroivitaumois d'avrilqu'il ne lui restaitplusquedix-huitmille Sudois. Mazeppa seul, ce prince des Cosaques, lefaisait subsister;sanscesecours l'armeet pri de faimetdemisre. Le czar, dans cette conjoncture, fit proposer Mazeppa de rentrersous sa domination: mais le Cosaquefutfidlesonnouvelalli, soitque le suppliceaffreuxde laDE CHARLtS XII. 137roue, dontavaientprisesamis,le ftcraindrepourlui-mme,soit qu'ilvoultles venger.Charles, avecses dix-huit milleSudois,n'avaitperduniledesseinni l'esprancedepntrer jusqu' Moscou. Il alla,versla fin demai, investir Pultava, sur la rivire Vorskla,l'e-xtrmitorientaledel'Ukraine, treize grandes lieuesduBorysthne: ce terrain est celui des Zaporaviens, le plustrangepeuplequisoitsurla terre. C'estunramasd'anciensRusses, Polonais, et Tartares, faisanttous profession d'uneespce dechristianismeetd'unbrigandagesemblablecelui desflibustiers. Ils lisentunchef, qu'ilsdposentouqu'ils gor-gent souvent: ils ne souffrent point de femmes chez eux,maisils vontenlevertous les enfantsvingtettrentelieuesla ronde,!et les lventdans leurs murs. L't ils sonttoujoursencampagne;l'hiver ils couchent dans des grangesspacieuses,quicontiennentquatre ou cinq cents hommes. Ilsnecraignentrien;ilsviventlibres;ilsaffrontent lamortpourleplus lgerbutin, avec la mme intrpidit queCharles XIIlabravaitpourdonnerdescouronnes. Leczarleur fitdonnersoixante milleflorins, dans l'esprance qu'ils prendraientt'onparti : ils prirentson argent, et se dclarrent pour CharlesXII, par les soinsdeMazeppa;mais ils servirent trs-peu,parcequ'ils trouvent ridicule de combattre pour autre chosequepourpiller. C'taitbeaucoupqu'ilsnenuisissent^ipas:ilyeneut environdeuxmille tout au plusqui firent le ser-vice. Onprsentadixde leurschefsunmatin au roi, maisoneut biende lapeineobtenird'euxqu'ilsnefussentpointivres;carc'est par-lqu'ilscommencentla journe. Onlesmenalatranche;ilsyfirent paratre leur adresse tireravecdelonguescarabines;car, tant montssurlerevers, ilstuaientladistance desixcents pasles ennemisqu'ils choisis-saient. CharlesajoutacesbanditsquelquesmilleValaquesqueluivenditle kande la petite Tartarie: il assigeaitdoncPultavaavectoutessestroupesde Zaporaviens, deCosaques,12*138 HISTOIREdeValaques, qui,joints sesdix-huitmille Sudois, faisaientune arme d'environ trente millehommes,mais une armedlabre, manquantdetout. LeczaravaitfaitdePultavaunmagasin. Si leroi le prenait,il serouvraitle cheminde Mos-cou, et pouvaitaumoinsattendredans l'abondancede touteschosesles secoursqu'ilespraitencorede Sude,deLivonie,dePomranie, et de Pologne. Saseuleressource tantdoncdansla prise de Pultava, il en pressa le sige avec ardeur.Mazeppa,quiavaitdesintelligencesdanslaville,l'assura qu'ilenserait bienttlematre: l'esprancerenaissaitdans l'arme;les soldats regardaient laprisede Pultava connue la fin detoutesleursmisres.Leroi s'aperut, dslecommencementdusige, qu'il avaitenseignl'artdela guerresesennemis. LeprinceMenzi-koff, malgr toutes ses prcautions, jeta du secours dans laville: lagarnisonparcemoyensetrouvafortedeprsde cinqmillehommes.Onfaisaitdessorties, etquelquefoisavecsuccs;onfit jouerone mine;^^mais cequirendaitlavilleimprenable,c'taitl'ap-procheduczar, quis'avanaitavecsoixante etdix millecom-battants. CharlesXIIalla les reconnatrele 27mai,jourdesanaissance, etbattitundeleursdtachements: mais commeil retournait soncamp, il reutuncoupde carabine, quiluiperalabotte, et luifracassal'osdutalon. Onne remarquapassursonvisagelemoindrechangementqui ptfaire soup-onnerqu'il taitbless : il continuadonnertranquillementsesordres, et demeuraencoreprsdesixheurescheval. Undesesdomestiques s' apercevantquele souUerde la botte duprincetaittoutsanglant, courut chercherdeschirurgiens: ladouleurduroicommenaittre si cuisantequ'il fallutl'aiderdescendredecheval, etl'emporterdans sa tente. Les chi-rurgiensvisitrentsaplaie : ils furentd'avis de lui couper lajambe. La consternationdel'arme tait, inexprimable. Unchinurgien,nommNeuman,plushabileetplushardique lesDECHARLESXII.139autres, assuraquenfaisantdeprofondesincisions,il sauveraitla jambeduroi."Travaillezdonc tout--l' heure,^si^i ditleroi;taillezhardiment;necraignezrien." Il tenaitlui-mmesa jambeaveclesdeuxmains,regardantlesincisionsqu'onluifaisait, commesil'oprationett faitesurunautre.Dansletempsmmequ'onluimettaitun appareilil ordon^naunassautpour le lendemain;maispeine avait-ildonncet ordrequ'onvintlui apprendre que toutel'armeennemies'avanait sur lui. Il fallut alors prendre un autre parti.Charles, bless et incapable d'agir, se voyait entre le Borys-thne et larivire quipasse Pultava, dans unpaysdsert,sansplacesdesret, sansmunitions, vis--visunearmequiluicoupait la retraite et les vivres. Danscette extrmit, iln'assemblapointdeconseildeguerre,commetantderelationsl'ont dbit;mais lanuitdu7au8 de juillet il fit venir lefeld-marchalRenschUddanssatente, et luiordonnasansd-libration,commesansinquitude, detoutdisposer pouratta-querleezarle lendemain: R,enschild necontestapoint,etsortitpourobir. Alaportsdelatente duroi il rencontrale comtePiper, avecqui il taitfort mal depuislong-temps,comme ilarrive souvent entre le ministre et le gnral: Piperluide-manda s'il n'yavait rien de nouveau. Non, dit le gnralfroidement, etpassa outrepourallerdonner sesordres. DsquelecomtePiperfutentrdansla tente; Renschildnevousa-t-il rienappris? lui dit le roi. Rien, rpondit Piper: Hbien,jevousapprendsdonc,reprit leroi,que demainnousdon-nonsbataille. LecomtePiper futeffrayd'unersolution sidsespre;maisilsavaitbienqu'onnefaisaitjamaischangerson matred'ide;il nemarquasontonnementqueparsonsilence, etlaissa Charlesdormir jusqu'lapointe dujour.Cefutle8juilletdel'anne1709quesedonnacettebatailledcisivede Pultava, entrelesdeuxplussinguliers monarquesquifussentalors danslemonde: CharlesXIIillustreparneufannes de victoires, Pierre Alexiowitz par neufannes de140 iHISTOIREpeinesprisespour formerdestroupes galesauxtroupes su-doises; l'un glorieux d'avoirdonndes tats, l'autre d'avoircivilislessiens;Charlesaimantlesdangers,et necombattantque pourlagloire, Alexiowitz nefuyantpoint le pril, et nefaisant la guerrequepourses intrts;le monarquesudoislibral pargrandeur d'ame, le moscovite ne donnant jamaisquepar quelque vue;celui-l d'une sobrit et d'uueconti-nencesansexemple,d'un naturel magnanime, et qui n'avaitt barbare qu'une fois; celui-ci n'ayant pas dpouill'* larudessedesonducation et deson pays, aussi terrible sessujetsqu'admirableauxtrangers, et tropadonndesexcsquiont mmeabrgses jours. Charles avait le titre d'In-vincible, qu'un momentpouvaitlui ter;les nations avaientdj donnPierreAlexiowitzlenomdeGrand, qu'uned-faitenepouvait lui faireperdre, parcequ'il nele devait pasdesvictoires.Pouravoir uneidenettedecette bataille, etduheuoellefutdonne, il fautsefigurer Pultavaau nord, lecampdu roide Sudeausud, tirant un peuvers l'orient, sonbagageder-rire luienvironunmille, etla riviredePultava au nord delaville, coulantdel'orientl'occident.Leczaravait pass la rivire une lieuede Pultava,ductdel'occident, etcommenaitformersoncamp.A lapointedujourlesSudoisparurenthorsdeleurstran-ches avec quatrecanonsde ferpourtoute artillerie;lerestefutlaissdanslecampavecenvirontrois millehommes;qua-tre mille demeurrent au bagage: desorteque l'armesu-doisemarcha auxennemisforte d'environvingtunmillehom-mes,dontilyavaitenviron seizemille Sudois.Les gnraux Renschild, Roos, Levenhaupt, Slipenbak,Hoom,Sparre,Hamilton, le princedeWirtemberg,parentduKM, etquelquesautres,dontlaplupartavaient vulabataille deNarva,faisadent toussouvenbles officiers subalternesdecettejourne o huit milleSudois avaientdtruitune armedeDECHARLES XII.141quatre-vingt mille Moscovites dans uncampretranch : lesofficiers le disaient aux soldats; tous s'encourageaientenmarchant.Leroiconduisaitlamarche,portsurunbrancardlattetlesoninfanterie. Unepartiedelacavalerie s'avanaparsonordre pour attaquercelle des ennemis;la bataillecommenaparcet engagement quatre heures et demie du matin: lacavalerieennemietaitl'occident, la droitedu campmos-covite;leprinceMenzikoffet lecomteGolowinl'avaientdis-poseparintervallesentredes redoutesgarniesdecanons: legnralShpenbak, lattedesSudois,fonditsurcette cava-lerie. Tousceuxquiont servidanslestroupessudoises sa-ventqu'il tait presque impossiblede rsisterla fureur deleur premierchoc;les escadronsmoscovitesfurent rompusetenfoncs: le czaraccourutlui-mmepourlesrallier;soncha-peau fut percd'uneballedemousquet;Menzikoffeuttroischevauxtussouslui : les Sudoiscrirentvictoire.Charlesnedoutapasquele batailleneft gagne: il avaitenvoyaumiUeudelanuit le gnralCreutsaveccinqmillecavahersoudragons,quidevaientprendreles ennemisenflanctandisqu'il les attaqueraitdefront;maissonmalheurvoulutqueCreutss'gart, etnepartpoint. Le czar, qui s'taitcru perdu, eut letempsderallier sacavalerie: il fonditsontoursur^^celleduroi, qui, n'tant point soutenueparle d-tachementdeCreuts,futrompue sontour;Slipenbak mmefutfait prisonnierdans cetengagement: enmmetempssoi-xanteet douzecanonstiraientdu campsur la cavalerie su-doise;et l'infanterierussienne,dbouchant deses lignes,venaitattaquercelledeCharles.Le czar dtacha alors le prince Menzikoff pour aller seposterentrePultavaet les Sudois: leprince Menzikoff ex-cutaavechabilet etavec promptitude l'ordredeson maitre;nonseulement il coupala communication entrel'arme su-;doiseet lestroupesrestesaucamp devantPultava,mais ayantU2HISTOIRErencontruncorpsde rservede trois mille hommes, il l'en-veloppaetletailla enpices. SiMenzikofF fitcette manuvredelui-mme, la Russielui dutsonsalut;dle czarl'ordonna,il taitimtligneadversairede CharlesXII. Cependantl'in-fanteriemoscovite sortaitdeseslignes,ets'avanaitenbatailledanslaplaine: d'unautre ct la cavaleriesudoiseseralliait unquartdelieue del'armeennemie;etleroi, aidde sonfeld-marchalRenschild,ordonnaittoutpouruncombatgnral.Ilrangeasurdeuxlignesce qui lui restait de troupes,soiiinfanterieoccupantle centre, sa cavalerieles deuxailes.Leczardisposasonarmedemme: il avaitl'avantagedu nom-breetceluidesoixanteetdouzecanons,tandisquelesSudoisneluienopposaientquequatre,etqu'ils commenaient man-querdepoudre.L'empereur moscovite taitaucentredesonarme,n'ayantalorsque le titre demajor-gnral,et semblaitobiraug-nralCzermetoff;maisil allait,commeempereur, derangenrang,montsurunchevalturc,qui taitunprsent du grand-seigneur,exhortantles capitaineset les soldats,et promettant chacundesrcompenses.Aneufheuresdumatin la bataillerecommena: une despremiresvolesdu canonmoscoviteemportalesdeuxche-vaux dubrancarddeCharles: il enfit atteler deuxautres: unesecondevolemitlebrancardenpices, et renversale roi: devingt-quatredrabansquiserelayaientpourle porter, vingtettmfurenttus.LesSudoisconsternss'branlrent,et. lecanonennemicontinuant les craser, la premireligne serepliasurlaseconde,etlasecondes'enfuit. Ce nefutencettedernireactionqu'unelignededixmillehommesdel'infante-rierussequimitendroutel'armesudoise;tantles chosestaientchanges!Touslescrivainssudoisdisentqu'ilsauraient gagn labataillesi on n'avaitpoint fait defautes;maistousles offi-ciersprtendentquec'entaitunegrandedeladonner,et uneDE CHARLES XII. 43plusgrandeencoredes'enfermerdanscespaysperdus, maigrel'avisdesplussages, contreunennemi aguerri, trois foisplusfortqueCharles XIIparle nombred'hommes, etparlesres-sourcesquimanquaientauxSudois. LesouvenirdeNarvafutlaprincipalecausedu malheurdeCharlesPultava.DjleprincedeWirtemberg, legnralRenschild,etplu-sieursofficiersprincipauxtaient prisonniers, le campdevantPultavaforc,ettoutdans uneconfusionlaquelle il n'yavaitplusde ressource. LecomtePiperavecquelques officiersdela chancellerie taient sortis dececamp, etnesavaientni cequ'ilsdevaient faire, nicequ'taitdevenule roi; ils couraientde ct et d'autre dans la plaine: un major,nommBehr,s'offrit delesconduire au bagage;mais les nuages de pous-sireet de fumequicou\Taientlacampagne, et l'garementd'espritnatureldanscette dsolation,les conduisirentdroitsurlacontrescarpedela villemme,oils furenttousprisparlagarnison.Leroinevoulut point fuir, et ne pouvait se dfendre.Ilavaitencemomentauprsdeluile gnral Poniatowski, co-loneldelagardesudoise duroi Stanislas, hommed'\mmritbrare, quesonattachement pour la personne deCharlesavaitengag le sui^ire enUkraine sans au^cuncommandement:c'taitunhommequi,danstoutesoccurencesdesavie,et danslesdangersoles autresn'onttoutauplus^^quedelavaleur,prittoujours sonpartisur-le-champ, et bienetavecbonheur:il fit signe deuxdrabans, qui prirent le roi par-dessous lesbras, etlemirentchevalmalgr lesdouleursextrmesdesablessure.Poniatowski, quoiqu'iln'etpointde commandementdansl'arme, devenu encetteoccasiongnralparncessit, ralliacinq cents cavaliers auprsde la personne du roi;les unstaientdesdrabans, les autres des officiers, quelques uns desimplescavaliers: cette trouperassemble, et ranime par lemalheurdesonprince, sefitjourtravers^''plusde dix rgi.144'HISTOIREmentsmoscovites, etconduisitCharles aumilieudesennemisl'espaced'unelieue,jusqu'aubagagedel'armesudoise.Leroifuyantet poursuivieutson cheval tu sous lui;lecolonelGieta,blessetperdanttoutsonsang,lui donnalesien.Ainsionremitdeuxfois chevaldanssafuitececonqurantquin'avaitpuymonterpendantlabataille.Cetteretraite tonnante tait beaucoup dans un si grandmalheur;maisilfallait fuir plusloin: ontrouva dansle bagagele carrosseduc/mtePiper;car le roi n'eneut jamaisdepuisqu'il sortitde Stockholm: onlemitdanscettevoiture, etl'onpritavecprcipitation la route du Borysthne. Le roi, qui^^depuislemoment o onl'avait mis chevaljusqu'son arriveaubagage, n'avaitpasditunseulmot, demandaalorscequ'-taitdevenule comte Piper. "Ilestpris avectoutelachancel-lerie,"luirpondit-on. "Etle gnralRenschild, et le ducdeWirtemberg'?"ajouta-t-il. "Ils sont aussi prisonniers," lui ditPoniatow^ski." PrisonnierschezdesRussesf repritCharlesenhaussantles paules;isallonsdonc,allons plutt chez lesTurcs." Onne remarquaitpourtantpointd'abattementsurson visage;etquiconquel'et vualors, etetignorsontat,,n'etpointsouponnqu'il taitvaincuetbless.Pendantqu'il s'loignait,lesRusses saisirent son artilleriedanslecampdevantPultava, sonbagage, sa caisse militaire,oils trouvrentsix millionsenespces, dpouillesdesPolo-naiset desSaxons. Prs deneufmille hommes sudoisoucosaquesfurenttusdanslabataille;environsixmille furentpris. Il restaitencoreenviron seizemillehommes,tant su-dois etpolonaisquecosaques,quifuyaientversleBorysthne,souslaconduitedugnralLevenhaupt;il marcha d'unctavecses troupesfugitives : le roiallapar unautrecheminavecquelquescavaliers.Lecarrosseoil taitrompit dansla mar-che;onle remitcheval. Pour comblededisgrce il s'garapendantlanuitdansunbois;l,soncourage nepouvant plussuppler sesforces puises, lesdouleursdesablessurede-DECHARLESXll.145venues plus insupportables par la fatigue, son cheval tanttombdelassitude, il secoucha quelquesheuresaupiedd'unarbre, endangerd'tre surpris toutmomentpar les vain-queursquile cherchaientdetouscts.Enfin, lanuitdu9au10juillet, il setrouvavis--visleBo-rysthue: Levenhauptvenaitd'arriveravec lesdbrisdel'ar-me: les Sudoisrevirentavecunejoiemlede douleurleurroi qu'ils croyaient mort. L'ennemiapprochait;onn'avaitnipontpourpasserle fleuve,ni tempspourenfaire, nipoudrepoursedfendre, ni provisions pourempcher de mourirdefaimunearmequi n'avait mangdepuisdeuxjours. Ce-pendantles reatesdecettearmetaientdes Sudois, etceroivaincutaitCharlesXII. Presquetousles officierscroyaientqu'on attendrait ldepiedfermeles Russes, etqu'onpriraitouqu'onvaincrait sur le borddu Borysthne.Charlesetprissansdoutecette rsolution s'il n'et t accablde fai-blesse : saplaiesuppurait, il avaitlafivre : et onaremarququelaplupartdeshommeslesplusintrpidesperdent danslafivre de lasuppurationcetinstinct devaleurqui,comme lesautres vertus, demandeunette libre. Charles n'tait pluslui-mme;c'est cequ'onm'a assur, etquiest plusvraisem-blable. On l'entrana commeun malade qui ne seconnatplus. Ilyavaitencorepar bonheur ime mauvaise calchequ'onavait amene tout hasardjusqu'en cet endroit; onl'embarqua sur unpetit bateau: le roi semitdansun autreavec le gnral Mazeppa. Celui-ci avait sauv plusieurscoffres pleins d'argent;mais lecouranttant trop rapide, etunvent violent commenant souffler, ceCosaque jetaplusdes trois quartsde ses trsorsdansle fleuvepour soulagerlebateau. Mullern, chancelierduroi, etlecomtePoniatowski,hommeplusque jamaisncessaireauroiparlesressources queson esprit lui fournissait dans les disgrces,passrentdansd'autres barques avec quelques officiers. Trois cents cava-liers, etuntrs grand nombredePolonaisetdeCosaques,sa146HISTOIREfiantsurlabant de leurs chevaux, hasardrent depasser hfleuvelanage,leurtroupebienserrersistaitaucourant,etrompaitles vagues;maistous ceuxquis'cartrent un peuau-dessous furent emports et abims dans le fleuve. Detousles fentassinsquirisqurentle passage aucunn'arriva l'autrebord.Tandisqueles dbrisde l'armetaientdanscetteextrmi-t, le prince Menzikolf s'approchaitavec dix millecavaliers',ayantchacununfantassinencroupe. LescadavresdesSu-doismortsdanslechemin,deleursblessures, defatigue, etdefaim, montraientassezauprince MenzikofFla routequ'avaitprise le grosde l'armefugitive : leprinceenvoyaaugnralsudoisun trompette pour lui offrir unecapitulation, quatreofficiers gnraux furent aussitt envoys par Levenhauptpourrecevoirla loi du vainqueur. Avantce jourseize millesoldats duroiCharlesXIIeussentattaqutoutesles forcesdel'empire moscovite, et eussentprijusqu'audernierpluttquedeserendre; maisaprs unebatailleperdue,aprsavoirfuipen-dant deuxjours, nevoyantplusleurprince,quitait contraint defuir lui-mme, lesforces dechaquesoldattant puises, leurcourage n'tant plus soutenupar aucuneesprance, l'amourde laviel'emporta surl'intrpidit.Il n'y eutquele colonelTroutfetre qui, voyantapprocher lesMoscovites, s' branla^^avecunbataillonsudois pourles charger, esprant entranerle restedestroupes;mais Levenhauptfut oblig d'arrter cemouvementinutile. Lacapitulation futacheve;cettearmeentirefutfaite prisonnirede guerre. Q^uelquessoldats,d-sesprsde tomberentreles maiusdesMoscovites, seprcipi^-trentdansleBorysthne;deux officiersdu rgiment de cebraveTroutfetres' entreturent;le restefutfait esclave. Ilsdfilrenttousenprseiice duprinceMenzikoff, mettantlesar-messespieds,commetrentemilleMoscovitesavaientfait neufans auparavantdevantleroideSudeNarva. Mais,aulieuDE CHARLES XII. 147quele roi avait alorsrenvoytouscesprisonniersMoscovites,^u'ilneCi?.ignaitpas,le czarretint les Sudoispris Pultava.Ces malheureux furentdisperssdepuis dans les tatsduczar, maisparticulirement enSibrie, vaste province de lagrande Tartarle, qui, duct de l'orient, s'tendjusqu'auxfrontires de l'empire chinois. Dans ce pays barbare, ol'usagedupainn'taitpasmmeconnu,les Sudois, devenusingnieux parlebesoin,y exercrentlesmtierset lesartsdontils pouvaientavoir quelque teinture.20 Alors toutes les dis-tinctionsquela fortunemetentre les hommesfurentbannies:l'officier qui neputexercer aucun mtierfutrduitfendreetporterle boisdusoldatdevenutailleur,drapier, mc]iuisier,oumaon,ouorfvre, etquigagnaitdequoisubsister. Gluel-quesofficiers devinrentpeintres,d'autresarcliitectes: ilyeneutqyi enseignrentles langues,les mathmatiques;ilsytablirentmme des coles publiques, qui avec le temps devinrent siutiles et si connuesqu'onyenvoyaitdes enfantsdeMoscou.LecomtePiper,premierministreduroi de Sude,futlong-temps enfermPtersbourg. Leczartait persuad,commele restede l'Europe, quece ministre avait vendu son matreauducde Marlborough, et avait attir sur la Moscovie lesarmes de la Sude qui auraient pu pacifierl'Europe: il luirenditsacaptivit plusdure. Ce ministre mourut quelquesannes aprs en Moscovie,peu secouru par sa famille quivivait Stockholm dansl'opulence, et plaint inutilement parsonroi, quinevoulutjamaiss'abaisseroffrirpoursonminis-treuneranonqu'il craignaitquele czar n'accepttpas; caril n'yeutjamaisdecarteld'changeentreCharlesetle czar.L'empereurmoscovite, pntrd'unejoie qu'ilnesemettaitpasenpeine de dissimuler, recevait surle champ de bataillelesprisonniersq^onluiamenait-enfoule, etdemandaittoutmoment: "Oestdoncmonfrre Charles'?"Il fit aux gnraux sudois l'honneur de lesinvitersaabe,Entreautresquestionsqu'illeur fit il demandaaug-JVhensliall wemc4,IdvTwlT^enshaiit be?l caiinoibehappy,lovepartedIromlliee.148HISTOIREnralRenschild combienlestroupesduroisonmatrepou-vaientmonteravant la bataille. Renschildrpondit que leroiseulenavaitla liste, qu'il ne communiquait personne;maisque pour luiil pensaitquele toutpeuvaitallerenvirontrentemille hommes;savoirdix-huitmille Sudoisetle resteCosaques. Le czar parut surpris, et demandacomment ilsavaient pu hasarderdepntrerdans un pays si recul, etd'assigerPultavaaveccepeudemonde. "Nous n'avonspastoujourst consults, repritle gnralsudois;mais,commefidlesserviteurs, nousavonsobiauxordresde notrematre,sansjamaisycontredire." Leczar setourna cette rponsevers quelques-uns de ses courtisans autrefois souponnsd'avoirtrempdansdesconspirationscontrelui :" Ah! dit-il,voilcommeil fautservirsonsouverain." Alorsprenant unverredevin:"A la sant, dit-il, demesmatresdansl'art delaguerre." Renschildlui demandaquitaientceuxqu'il ho-norait d'un si beau titre."Vous, messieurs les gnrauxsudois," repritleczar.*'Votremajestestdoncbieningrate,reprit le comte, d'avoirtantmaltrait ses matres!"Leczar,aprsle repas,fitrendrelespes touslesofficiersgnraux,etlestraita commeunprincequivoulaitdonner ses sujetsdesleonsdegnrosit et de la poUtesse qu'U connaissait.Maiscemmeprincequi traita si bienlesgnrauxsudois,fitrouertouslesCosaquesquitombrentdanssesmains.Cependant cette armesudoise, sortie de la Saxe si tri-omphante, n'taitplus; lamoitiavaitpride misre, l'autremoiti tait esclaveoumassacre. CharlesXII avait perduenun jourle fruitdeneuf ansdetravaux,etdeprsdecentcombats: il fuyaitdans une mchante calche, ayant sonctle major-gnral Hord, blessdangereusement;le restedesa troupe suivait, lesuns pied, lesautrescheval, quel-ques uns dans des charrettes, traversundsert o ils nevoyaientnihuttes, nitentes,nihommes,nianimaux,ni che-mins; tout ymanquaitjusqu'l'eaumme.C'tait dansleDECHARLEBXII.149comneicernentde juillet. Le pays est situauquarante-septiiJLie degr : le sablearidedudsertrendait la chaleurdusoleil plusinsupportable;leschevauxtombaient;leshommestaient prsdemourirdesoi. Un ruisseaud'eaubourbeusefutPuniqueressource qu'ontrouva vers la nuit;on remplitdesoutresdecette eau, qui sauva lavie lapetitetroupeduroideSude. Aprscinq jours de marche il setrouva surle rivagedu fleuve Hypanis, aujourd'hui nomm le Eoghpar les barbares, quiontdfigurjusqu'aunomde cespays,quedescolonies grecquesfirent fleurir autrefois. Ce fleuvese jointquelques millesde lauBorysthne, ettombeavecluidanslamerNoire.Au-deldu Bogh, ductdu midi, est lapetiteville d'Oc-zakou, frontiredel'empiredes Turcs. Leshabitants, voyantvenir euxunetroupedegensde guerredont l'habillementet lelangage leur taient inconnus, refusrent de les passer Oczacousans unordredeMehemetbcha, gouverneur dela ville. Leroienvoyaunexprs ce gouverneur pour luidemander lepassage;ce Turc, incertain de ce qu'il devaitfaire, dansunpays oune faussedmarchecotesouvent lavie, n'osarien prendre sur lui sans avoir auparavantlaper-missiondusraskierde laprovince, quirside Benderdansla Bessarabie. Fendantqu'onattendaitcette permission, lesRusses, quiavaient pris l'arme du roi prisonnire, avaientpass le Borysthne, et approchaient pour le prendre lui-mme: enfin le bcha d'Oczakou envoya dire au roi qu'Ufourniraitunepetite barquepoursapersonneet pourdeuxoutrois hommesdesasuite. Danscetteextrmit les Sudoisprirentdeforcecequ'ils ne pouvaient avoir de grf^quel-quesunsallrent l'autre bord, dans une petite nacelle, sesaisirdequelquesbateaux, etlesamenerleurrivage : cefutleursalut;carlespatronsdes barques turques, craignantdeperdre ano occasion de gagner beaucoup, vinrent enfouleoffrirleurs services. Prcismentdans le mmetempsla re-13*150HISTOIREponsefavorabledusraskierde Benderarrivaitaussi;etleroieutladouleurdevoircinqcents hommesdesasuitesaisisparsesennemis, dont il entendaitles bravades insultantes. Lebchad'Oczakoului demanda,paruninterprte, pardondecesretardements qui taientcause de la prisedecescinq centshommes,etle supplia devouloir bien ne point s'enplaindreaugrand-seigneur. Charles le promit, nonsansluifaireunerprimandeconunes'iletparl undesessujets.Lecommandant de Bender, qui taiten mmetemps seraskier, titre quirpond celuide gnral, et bcha de laprovince, quisignifiegouverneuretintendant, envoya ennteunagacompUmenterle roi, et lui offrirunetentemagnifique,aveclesprovisions, lebagage, les chariots, lescommodits, lesofficiers, toute la suite ncessairepourleconduireavecsplen-deur jusqu'Bender: cartel estl'usage desTurcs,nonseule-mentdedfrayeraslesambassadeurs jusqu'au lieu deleurr-sidence,mais de fournirtout abondamment aux princesrfugiscbez-euxpendantletempsdeleursjour.PINDUaUATRIEMELIVRE.DECHARLESXII. 51LIVRECINaUIEME.ARGUMENT.EtatdelaPorteottomane. Charlessjourneprs de Ben-der. Sesoccupations. SesintrigueslaPorte. Sesdes-seins. Augusteremonte sursontrne. Leroide Dane-TnarckfaitunedescenteenSude. Tous les autrestatsde Charlessontattaqus. LeczartriomphedansMoscou.AffaireduPruth. Histoiredelaczarine^paysannedeve-nueimpratrice,AcHMETIII gouvernaitalors l'empiredeTurquie: il avaittmisen1703surle trne, laplacedesonfrre Mustapha,parunervolutionsemblable celle qui avaitdonnenAn-gleterre la couronnedeJacques II songendreGuillaume.Mustapha, gouvern par son muphti, que les Turcsabhor-raient, souleva contre lui tout l'empire;sonarme, avecla-quelle il comptaitpimir lesmcontents, se joignit eux: ilfutpris, dpos en crmonie, etsonfrretir dusrailpourdevenirsultan, sansqu'ilyetpresqueunegouttedesangderpandue. Achmetrenfermalesultandposdansle sraildeConstantinople, oUvcutencorequelquesannes, augrandtonnementde la Turquie,accoutumevoir la mortdesesprincessuivretoujoursleurdtrnement.Lenouveausultan, pour toute rcompensed'unecouronnequ'ildevaitaux ministres, aux gnraux, aux officiers desjanissaires, enfinceuxqui avaienteupart la rvolution,les fit tousprirlesunsaprsles autres, depeur^qu'un jourilsn'ententassentune seconde. Par le sacrifice de tant debravesgensil aaiblitles forcesdel'empire;mais il aennit153HISTOIREsontrne,dumoins^pourquelquesannes. Il s'appliquade-puis amasserdestrsors. C'est le premier des ottomansquiaitosaltrerunpeu la monnaie, et tablirdenouveauximpts;maisil atobligdes'ari*terdans cesdeuxentre-prises, decrainted'unsoulvement; car la rapacit et la ty-ranniedu grand-seigneur ne s'tendent presque jamais quesurlesofficiersdel'empire,qui,quelsqu'ilssoient,sontesclavesdomestiquesdusultan: maisle restedesmusulmans vit dansunescuritprofonde, sanscraindrenipourleursvies,ni pourleursfortunes, nipourleurlibert.Teltait l'empereurdes Turcs chez qui le roideSudevintchercher un asile. Il lui crivit ds qu'il fut sur sesterres;salettre estdu13 juillet 1709: il encourutplusieurscopies diffrentes, qui toutes passentaujourd'hui pour infi-dles;maisde toutes cellesque j'ai vues il n'enestaucunequinemarqut de la hauteur, et qui neftplusconforme son courage qu' sa situation. Lesultan nelui fitrponsequeverslafindeseptembre;la fiert delaPorteottomanefitsentirCharles XII ladiffrence qu'ellemettait entre l'em-pereurturcetunroi d' unepartiede la Scandinavie,chrtien,vaincu, et fugitif. Au reste toutes ces lettres^ que les roiscriventtrs-rarementeux-mmes,ne sontquedevaines for-malitsquinefontconnatreni lecaractredessouverainsnileursaffaires.Charles XII, en Turquie, n'tait en effet qu'un captifhonorablement trait. Cependant il concevait le desseind'armerl'empireottomancontresesennemis;il se flattait deramener la Pologne sousle joug, etdesoumettrela Russie:il avaitunenvoy Constantinople;maisceluiqui le servitleplusdanssesvastesprojets fut lecomtePoniatowski,lequeiallaConstantinoplesansmission, et serenditbienttnces-saireauroi,agrablelaPorte,et enfin dangereux aux grands-visirsmmes.Un de ceuxquisecondrent plus adroitementsesdesseinsDECHARLESXII.153fut le mdecin Fonseca, Portugais, Juif tabli Constanti-nople,hommesavantetdli,capabled'affaires, et le seulphi-losophepeut-trede sanation: saprofession lui procuraitdesentreslaPorteottomane, etsouvent la confiancedesvisirs.Jel'ai fortconnuParis, il m'a confirmtoutes les particu-laritsquejevais raconter. LecomtePoniatowski m'aditlui-mmeetm'acrit qu'il avaiteul'adresse de faire tenirdeslettres lasultanevalid, mrede l'empereurrgnant, autre-foismaltraiteparsonfils, maisquicommenait prendreducrdit^dansle srail. UneJuive, qui approchait souvent decette princesse, necessaitdelui raconterlesexploitsdu roideSude, et la charmait par ses rcits. Lasultane, par unesecrteinclinationdont presquetoutes les femmessesententsurprisesenfaveurdes hommes extraordinaires, mme sanslesavoirvus, prenaithautementdans le srail le parti de ceprince;ellenel'appelaitqueson lien."Cluandvoulez-vousdonc, disait-elle quelquefoisausultan son fils, aider mon liondvorerceczar1"Elle passa mmepar-dessus les lois aus-tresdu srail, au pointd'criredesamain plusieurs lettresaucomtePoniatowski, entre les mains duquelellessontencoreautempsqu'on critcette histoire.Cependant on avaitconduitle roiavechonneurBender,par le dsert qui s'appelait autrefois la solitudedesGctes.LesTurcseurentsoinquerien nemanqut sur sa route detoutcequipouvaitrendresonvoyageplusagrable;beaucoupdePolonais, deSudois, deCosaques, chappslesunsaprsles autresdes mains des Moscovites, venaient par difterentscheminsgrossirsasuitesurlaroute;il avaitavecluidix -huitcentshommesquand il setrouva Bender;toute cemondetait nourri, log, euxetleurschevaux, auxdpens dugrand-seigneur.Le roi voulutcamper auprs de Bender, an lieu de de-meurer dans la ville. Le sraskier Jussuf, bcha, lui fitdresser une tente maj^ifique, et on en fournit tous les154HISTOIREseigneursde sa suite. Clueque temps aps le prince se fitbtirunemaisondanscet endroit;ses officiers en firent au-tantsonexemple;les soldats dressrentdes baraques : desortequececampdevintinsensiblementunepetite ville. Leroin'tantpointencoreguridesablessure, il fallut lui tirerdu pied un os cari;maisdsqu'il put montercheval ilreprit sesfatiguesordinaires,toujoursselevantavantle soleil,lassanttroischevaux par jour, faisant faire l'exercice sessoldats. Pourtoutamusementil jouaitquelquefois auxchecs.Siles petiteschosespeignentleshommes, il estpermisderap-porterqu'il faisaittoujoursmarcherle roi cejeu;ils'enser-vaitplusquedesautrespices, et par-l il perdaittoutes lesparties.Il setrouvaitBender dans une abondance detouteschoses,bienrarepourunprincevaincuet fugitif; car outre les pro-visionsplus quesuflnsantes, et les cinq cents cus par jourqu'ilrecevaitde lamagnificenceottomane, il tirait encore del'argent delaFrance,et ilempruntaitdesmarchandsdeCons-tantinople. Une partie de cet argentservit mnager desintriguesdansle srail, acheterlafaveurdesvisirs,oupro-curer leur perte: il rpandait l'autre partie avec profusionparmises officiers etles janissairesquiluiservaient degardesBender. Grothusen, sonfavoriettrsorier, tait le dispen-sateurdeseslibralits : c'taitunhommequi, contrel'usagede ceuxqui sonten cetteplace, aimait autantdonner quesonmatre. Il lui apporta un jour un compte de soixantemillecusendeux lignes : Dixmillecusdonns aux Su-doisetauxjanissairespar les ordresgnraux desamajest,et le restemang par moi," Voil comme j'aime que mesamismerendentleurscomptes, ditceprince: MuUern mefaitlire despagesentires pour des sommesdedixmille francs ;j'aimemieux le style laconiquede Grothusen." Unde sesvieuxofficiers, souponnd'treun peu avare, se plaignit luidecequesa majest donnait tout Grothusen:"JeneDECHARLESXII.155donnede l'argent, rpondit le roi, qu' ceux qui savent enfaireusage." Cettegnrosit le rduisitsouvent n'avoirpasdequoidonner. Plusd'conomiedansseslibralitsettaussihonorableetplusutile;maisc'tait le dfaut de ceprincedepousserl'excstoutelesvertus.Beaucoupd'trangers accouraientde Constantinople pourle voir. Les Turcs, les Tartaresduvoisinageyvenaient enfoule;tous le respectaientet l'admiraient. Sonopinitret s'abstenirduvin, etsa rgularit assisterdeuxfoisparjouraux prires publiques, leur faisaient dire: "C'est un vraimusulman." Ils brlaientd'impatiencede marcheravecluilaconqutedelaMoscovie.Dansceloisir deBender, quifutpluslongqu'ilnepensaitril pritinsensiblementdugotpourlalecture. Lebaron Fa-brice,gentilhommeduducdeHolstein, jeunehommeaimable,quiavaitdansl'esprit cette gaietetcetourais qui plaitauxprinces, futceluiquil'engagealire. Il taitenvoy auprsdelui Benderpourymnagerles intrts'*du jeuneducdeHolstein, et ilyrussiten se rendantagrable. Il avaitlutous les auteursfranais : il fit lire au roi les tragdies dePierre Corneille, celles de Racine, et les ouvrages de Des-praux. Leroinepritnulgotauxsatiresdecedernier,quieneffetnesont passesmeilleurespices;maisil aimaitfort^sesautres crits. duandonlui lutce trait de la satirehui-timeol'auteurtraite Alexandrede fou et d'enrag, il d-chirale feuillet.Detouteslestragdiesfranaises,Mithridate tait celle quiluiplaisaitdavantage, parcequela situationde ce roi vaincuetrespirantlavengeance, taitconformela sienne. Ilmon-traitavecle doigtM.Fabriceles endroitsquile frappaient;maisil n'envoulaitlireaucuntouthaut^ ni hasarder jamaisunmotenfranais. Mmequandil vit depuis BenderM.Dsaleurs,ambassadeurde France la Porte, homme d'unmritedistingu,maisquine savaitque sa langue naturelle^156 HISTOIREil rponditcetambassadeurenlatin;et surceque M. D-saleurs protesta qu'il