Vade-mecum: Le crime de génocide et les crime contre l'humanité au Rwanda

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Au sortir de l’horreur qu’a connu le peuple rwandais entre avril et juillet 1994, la volonté d’échapper à la tentation de la vengeance a été affirmée avec force. Il fallait mettre fin au cycle de l’impunité, identifier et sanctionner les coupables, et rendre justice aux victimes. C’est dans cette voie que le législateur rwandais s’est résolument engagé, dans la conviction que la justice était un préalable indispensable à toute possibilité de réconciliation. Mais il était entendu que la justice ne pourrait contribuer à rendre concevable l’idée de vivre à nouveau ensemble qu’à condition qu’elle distingue les innocents des coupables et que ses décisions inspirent le respect. Ce n’est qu’en étant aussi équitable que possible, que la justice pourrait être perçue comme telle, et jouer le rôle essentiel dont elle était investie.

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LE CRIME DE GENOCIDE ET LES CRIMES CONTRE L’HUMANITE

DEVANT LES JURIDICTIONS ORDINAIRES DU RWANDA

AVOCATS SANS FRONTIERES Kigali et Bruxelles 2004

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Sorti de presse en 2004 Dépôt légal : D/2004/9711/6 © ASF-B, 2004 ISBN 9077321063 Diffusion générale: Avocats Sans Frontières

chaussée de Haecht 159 - 1030 Bruxelles Editeur responsable : Caroline Stainier Tous droits de reproduction, même d’extraits, traduction, adaptation, y compris les micro-films et les supports informatiques, réservés pour tous pays. IMPRIME AU RWANDA

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Responsable du Projet Rwanda à Avocats Sans Frontières en Belgique.

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Suprême du Rwanda, Coordinateur de Projet à Avocats Sans Frontières au Rwanda.

�������������� ������������������� ������������������� ������������������� �����,Juriste, Ancien Avocat, Ancien

Chef de Mission Avocats Sans Frontières au Rwanda, et Ancien Responsable de Projets Afrique à Avocats Sans Frontières en

Belgique.

����� ����!�"��#��$�� ����!�"��#��$�� ����!�"��#��$�� ����!�"��#��$�, Juriste, Chercheur spécialisé en droits humains, processus de démocratisation et

justice pénale,Chef de Mission Avocats Sans Frontières au Rwanda.

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La réalisation de cet ouvrage a été rendue possible grâce au soutien financier de la Direction du Développement et de la Coopération Suisse (DDC). Que le bureau de la Coopération à l’Ambassade de Suisse à Kigali trouve ici l’expression de notre gratitude pour la compréhension dont il a fait preuve, acceptant de tenir compte des importants changements législatifs intervenus au cours du projet, et d’en adapter les délais en conséquence.

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AVANT-PROPOS C’est à l’occasion de séminaires de formation organisés à l’intention des magistrats rwandais qu’Avocats Sans Frontières a commencé à prendre la mesure des difficultés juridiques –sans parler des difficultés humaines - auxquelles étaient confrontés les juges appelés à faire application de la loi organique du 30 août 19961, qui régissait alors le contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994. Certes, ces magistrats n’étaient pas tous juristes. Pourtant, leur expérience leur avait appris à jongler avec le droit et à rendre la justice. Et c’est à une tâche immense, ingrate, et qui requérait beaucoup de courage qu’ils s’étaient attelés, prononçant les premiers jugements de condamnation, les premiers jugements d’acquittement, et les premières décisions rendant justice et hommage aux victimes, dans des dossiers qui touchaient aux pires des déchirements qu’ait jamais connu le pays. Malgré le travail accompli, malgré une recherche toujours plus grande de rigueur juridique, malgré le nombre de décisions rendues, le système judiciaire classique n’aurait pu venir à bout, dans un délai acceptable, d’un contentieux dont l’ampleur et la gravité n’avaient jamais connu d’égal. C’est alors que fut conçu le « processus Gacaca » : un système de justice participative, incluant l’ensemble de la population rwandaise, tentant d’allier rapidité, équité et appropriation de la justice du génocide par la population. Avec l’entrée en vigueur de la loi organique de 20012 qui portait création des juridictions Gacaca, le rôle des juridictions ordinaires dans ce contentieux était considérablement transformé, mais il n’en restait pas moins essentiel: d’une part, elles restaient saisies des

1 Loi organique n° 08/96 du 30/08/96 sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises à partir du 1er octobre 1990, Journal Officiel n°17 du 01/09/1996. 2 Loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 portant création des “Juridictions Gacaca” et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, Journal Officiel n°6 du 15 mars 2001, telle que modifiée et complétée par la loi organique n° 33/2001 du 22/06/2001 modifiant et complétant la loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 portant création des “Juridictions Gacaca” et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, Journal Officiel n°14 du 15 juillet 2001.

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Avant-Propos

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dossiers déjà pendants devant elles ; d’autre part et surtout, elles restaient investies du pouvoir de juger ceux à qui, parmi les accusés, l’on attribuait les faits les plus graves et les responsabilités les plus lourdes. La loi qui instaurait le « processus Gacaca » avait été rédigée, en priorité, à l’intention des juridictions Gacaca. En ce qui concerne les juridictions ordinaires, elle était souvent silencieuse, lacunaire ou ambivalente, rendant la tâche des tribunaux encore plus périlleuse. C’est alors que naquit l’idée d’un « vade-mecum »: il s’agissait de tenter de rédiger, en s’appuyant sur les nombreux échanges, questions et tentatives de solution enregistrés au cours des séminaires de formation, une « grille de lecture » de la loi organique qui créait les juridictions Gacaca, à l’usage des magistrats, et de tous les acteurs judiciaires appelés à intervenir devant les tribunaux ordinaires, dans le cadre du contentieux du génocide et des massacres. La loi organique de 2001 n’a, en réalité, jamais été appliquée quant au fond par les juridictions ordinaires. D’une part, les leçons tirées du lancement des Gacaca dans 751 cellules sélectionnées pour la phase-pilote du processus ont amené le législateur à remettre l’ouvrage sur le métier. D’autre part, l’immense chantier de la réforme judiciaire a produit d’importants effets entre-temps. C’est donc à une nouvelle loi organique, celle qui a été adoptée le 19 juin 20043, que les juridictions ordinaires auront à se référer. Mais en outre, le cadre juridique dans lequel elles auront à connaître du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité, est entièrement bouleversé : c’est une nouvelle Constitution4 qui est en vigueur depuis le 4 juin 2003 ; ce sont de nouveaux tribunaux qui sont en place, en vertu du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires adopté

3 Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, Journal Officiel, n° spécial du 19 juin 2004. 4 Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2003, adoptée par référendum du 26 mai 2003, Journal Officiel, n° spécial du 4 juin 2003, telle qu’amendée par la Révision n° 1 du 02/12/2003 de la Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2004, Journal Officiel, n° spécial du 02/12/2003.

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le 5 avril 20045 ; ces juridictions s’inscrivent dans un système pyramidal complètement renouvelé, dont le sommet est occupé par une Cour Suprême aux pouvoirs et au fonctionnement radicalement différents de l’ancienne, et qui est elle aussi régie par une nouvelle loi6 ; c’est, en matière pénale, un nouveau Code de procédure pénale7, adopté le 17 mai 2004, qui est en vigueur... Le besoin de la « grille de lecture » déjà imaginée auparavant s’en voyait donc encore renforcé. Enfin, la volonté de professionnaliser les fonctions juridiques dans le cadre de la réforme judiciaire a eu pour effet de voir le corps des magistrats très largement renouvelé. Devant les nouveaux Tribunaux de Province ou de la Ville de Kigali, qui auront à connaître, au premier degré, des dossiers des accusés de « première catégorie »8, la large majorité des magistrats désormais en place n’ont jamais, par le passé, connu du contentieux du génocide et des massacres. Leur tâche sera d’autant plus difficile que les dossiers d’un tel degré de gravité, au pénal, ne sont pas de leur ressort naturel : en effet, en droit commun, c’est désormais la Haute Cour de la République qui est seule compétente pour juger les civils accusés d’assassinat et de meurtre. Et leur responsabilité sera d’autant plus lourde que le nouveau Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires généralise les sièges à juge unique9. C’est à ces nouveaux juges que cet ouvrage, écrit en hommage à ceux qui les ont précédés, est dédié. Puisse-t-il les assister dans une oeuvre décisive pour l’avenir du pays. Puissent-ils, dans leur travail, avoir

5 Loi organique n° 07/2004 du 25/04/2004 portant Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires, Journal Officiel n° 14 du 15 juillet 2004. 6 Loi organique n° 01/2004 du 29/01/2004 portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême, Journal Officiel n° 3 du 1er février 2004. 7 Loi n° 13/2004 du 17/05/2004 portant Code de procédure pénale, Journal Officiel, n° spécial du 30 juillet 2004. 8 Sous réserve des compétences exercées par les juridictions militaires. Voir à ce sujet le chapitre consacré à la compétence d’attribution. 9 Article 16 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.

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toujours à l’esprit qu’« On ne peut juger celui qui a commis des violations en ne respectant pas soi-même les droits de l’Homme »10.

10 Louis JOINET, in Question de l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme, Rapport final établi en application de la décision 1996/119 de la Sous-Commission des droits de l’Homme des Nations-Unies, point 28.

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CHAPITRE INTRODUCTIF

LA GENESE DE LA LOI ORGANIQUE DU 19 JUIN 2004 Au sortir de l’horreur qu’a connu le peuple rwandais entre avril et juillet 1994, la volonté d’échapper à la tentation de la vengeance a été affirmée avec force. Il fallait mettre fin au cycle de l’impunité, identifier et sanctionner les coupables, et rendre justice aux victimes. C’est dans cette voie que le législateur rwandais s’est résolument engagé, dans la conviction que la justice était un préalable indispensable à toute possibilité de réconciliation. Mais il était entendu que la justice ne pourrait contribuer à rendre concevable l’idée de vivre à nouveau ensemble qu’à condition qu’elle distingue les innocents des coupables et que ses décisions inspirent le respect. Ce n’est qu’en étant aussi équitable que possible, que la justice pourrait être perçue comme telle, et jouer le rôle essentiel dont elle était investie. Dans une recherche difficile de l’équilibre entre cette exigence éthique, et une réalité faite, d’un côté, de dizaines de milliers d’accusés détenus dans l’attente de procès, et de l’autre d’un système judiciaire à reconstruire presque entièrement, la loi organique « sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises à partir du 1er octobre 1990 »11 fut adoptée le 30 août 1996 par l’Assemblée Nationale de Transition. Elle présentait de nombreuses particularités par rapport au droit commun de la procédure pénale, tentant de répondre à ce contexte unique : le préambule de la loi affirme, d’une part, « qu’il est essentiel, pour parvenir à la réconciliation et à la justice au Rwanda, d’éradiquer à jamais la culture de l’impunité » et d’autre part « que la situation exceptionnelle que connaît le pays impose d’adopter des mesures adaptées permettant de répondre au besoin de justice du peuple rwandais »12.

11 Loi organique n° 08/96 du 30/08/1996 sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises à partir du 1er octobre 1990, Journal Officiel n° 17 du 01/09/1996. Dans la suite de l’ouvrage, elle sera souvent désignée par “la loi organique du 30 août 1996” ou “la loi organique de 1996”. 12 Voir le préambule de la loi organique du 30 août 1996, ibid.

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--------------------La loi créait des Chambres spécialisées auprès des Tribunaux de première instance et des juridictions militaires : elles seraient spécialement affectées au contentieux du génocide et des massacres. De même, les Officiers du Ministère Public près les Chambres spécialisées s’y verraient eux aussi spécialement affectés. Elle instaurait le principe de la « procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité » : celle-ci, en accordant aux accusés qui y recouraient des réductions importantes de peines, devait accélérer le traitement des dossiers et favoriser la manifestation de la vérité, les accusés en aveu étant appelés à dénoncer leurs co-auteurs et complices. Pour tenter de rendre compte, de manière plus précise que ne pouvait le faire le Code pénal, des différents modes de participation et des responsabilités très diverses que pouvaient porter les personnes ayant fait leur le projet génocidaire, le législateur innovait, créant des « catégories », de la première, à laquelle devaient être rattachés les plus grands responsables soit par leur influence, soit par le nombre ou l’horreur particulière des crimes commis, à la quatrième, à laquelle devaient être rattachés les auteurs d’atteintes aux biens commises en relation avec le génocide et les crimes contre l’humanité. Selon la catégorie dans laquelle était classé le prévenu, la peine serait plus (1ère catégorie) ou moins (4ème catégorie) élevée. Enfin, dans un souci de rapidité, et de manière à éviter l’engorgement des juridictions, l’accès à un deuxième degré de juridiction était étroitement restreint : était exclu du droit d’interjeter appel l’accusé ayant recouru à la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité. Mais surtout, l’appel n’était recevable que pour autant que l’appelant ait soulevé des questions de droit, ou ait invoqué des erreurs de faits flagrantes. De même, les possibilités de pourvoi en cassation étaient strictement limitées. Cette tentative de réponse judiciaire exceptionnelle à une situation exceptionnelle allait permettre de démarrer les procès du génocide et des massacres dès la fin de l’année 1996. Malgré le travail considérable réalisé par les Chambres spécialisées, et malgré l’instauration de la pratique de procès groupés, le système judiciaire classique, en dépit des aménagements apportés par la première

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loi organique, n’était pas en mesure d’absorber, dans des délais raisonnables, un contentieux d’une telle importance. Face au constat que les dizaines de milliers de personnes détenues, accusées d’avoir participé au génocide et aux autres crimes contre l’humanité ne pourraient être jugées avant plusieurs dizaines d’années, même si les tribunaux travaillaient à un rythme soutenu, fallait-il accepter l’idée de procès interminables ou se résoudre à des mesures d’amnistie ? Le choix du statu quo et donc de la poursuite des procès devant les juridictions ordinaires appliquant la loi organique du 30 août 1996 ne pourrait se faire qu’au mépris du principe du « droit à être jugé dans un délai raisonnable », tant à l’égard des accusés que des victimes. Les droits de détenus présumés innocents s’accommoderaient de moins en moins de la prolongation des détentions préventives, qui, de surcroît, représentaient une charge extrêmement lourde dans le budget de l’Etat. A l’opposé, une mesure d’amnistie générale ne pourrait être vécue que comme une nouvelle victoire de l’impunité. Dans un cas comme dans l’autre, la justice serait perdante, et les espoirs de la voir jouer un rôle de jalon essentiel sur la voie de la réconciliation se verraient gravement compromis. S’inspirant de la Gacaca, cadre traditionnel de résolution des conflits, le législateur allait alors instaurer les « Juridictions Gacaca »13, tentative de réponse à l’immense défi que représentait l’arriéré judiciaire lié au contentieux du génocide et des massacres. Ce faisant, il espérait en outre faire œuvre de plus grande efficacité dans les poursuites, et de plus grande appropriation, par la population, de la justice du génocide et des

13 Loi organique n° 40/2000 du 26/01/ 2001 portant création des « Juridictions Gacaca » et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, Journal Officiel n° 6 du 15 mars 2001, telle que modifiée et complétée par la loi organique n° 33/2001 du 22/6/2001 modifiant et complétant la loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 portant création des “Juridictions Gacaca” et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, Journal Officiel n° 14 du 15 juillet 2001. Dans la suite de l’ouvrage, ces deux lois seront fréquemment désignées par “la loi organique de 2001” ou “la loi organique du 26 janvier 2001” ou “les lois organiques de 2001”

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crimes contre l’humanité. Le préambule de la loi indique que l’objectif du processus imaginé va bien au-delà de la répression :

[…] « Considérant la nécessité, pour parvenir à la réconciliation et à la justice au Rwanda, d’éradiquer à jamais la culture de l’impunité et d’adopter les dispositions permettant d’assurer les poursuites et le jugement des auteurs et des complices sans viser seulement la simple répression, mais aussi la réhabilitation de la société rwandaise mise en décomposition par les mauvais dirigeants qui ont incité la population à exterminer une partie de cette société ; Considérant qu’il importe de prévoir des peines permettant aux condamnés de s’amender et de favoriser leur réinsertion dans la société rwandaise sans entrave à la vie normale de la population »14.

En faisant de chaque Rwandais une partie prenante du processus de justice, le législateur espérait, non seulement favoriser l’émergence de la vérité, mais également permettre qu’il fasse « siennes » les décisions prises, qu’elles soient favorables ou défavorables aux accusés. Et qu’ainsi, petit à petit, la perspective d’avoir à nouveau à vivre ensemble puisse redevenir concevable. Le système Gacaca était structuré de manière pyramidale : il était composé de quatre niveaux, correspondant aux niveaux administratifs : cellule, secteur, district, province. A chacun des trois premiers niveaux était dévolue la compétence de juger les faits relevant d’une catégorie, de la moins lourde (4ème catégorie au niveau de la cellule) à la plus lourde (2ème catégorie, au niveau du district), et chaque juridiction de niveau supérieur constituant l’instance d’appel du niveau inférieur. Devaient cependant échapper au système de justice participative, en phase de jugement, les personnes accusées de faits ou de responsabilités les rattachant à la première catégorie : ils restaient en effet justiciables des tribunaux ordinaires. C’est en 2002 que les activités des premières juridictions Gacaca furent entamées : n’étaient concernées, dans un premier temps, que 751

14 Préambule de la loi organique de 2001.

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Juridictions Gacaca de Cellule, sélectionnées pour participer à la phase pilote du processus. Entre-temps, le projet de nouvelle Constitution allait être adopté par voie de referendum le 25 mai 2003, et promulgué le 4 juin 200315. Le génocide et les crimes contre l’humanité occupent une place prépondérante dans la nouvelle Constitution. Il est fait référence au génocide dès les premiers paragraphes du préambule. Plusieurs dispositions ont trait directement au contentieux lié aux événements de 1994. Ainsi, le caractère imprescriptible du génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre est consacré par l’article 13. L’article 14 évoque la question des victimes: « L’Etat, dans la limite de ses capacités, prend des mesures spéciales pour le bien-être des rescapés démunis du génocide commis au Rwanda du 1er octobre 1990 au 31 décembre 1994 (…) » En son chapitre V, consacré au Pouvoir judiciaire, la Constitution établit la distinction entre juridictions ordinaires et juridictions spécialisées. Deux types de juridictions relèvent de cette dernière qualification : il s’agit des Juridictions Gacaca et des juridictions militaires16. Au sein de la Sous-section 2 de ce même chapitre, intitulée « Des juridictions spécialisées », l’article 152 est consacrée aux juridictions Gacaca et au Service National de suivi de leurs activités :

« Il est institué des juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, excepté ceux qui relèvent de la compétence d’autres juridictions.

15 Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2003, op. cit. 16 Article 143.

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Une loi organique détermine l’organisation, la compétence, et le fonctionnement de ces juridictions. Une loi institue un Service National chargé du suivi, de la supervision et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca qui jouit d’une autonomie de gestion administrative et financière. Cette loi détermine également ses attributions, son organisation, son fonctionnement ».

En fin de compte, à l’exception des phases « pré-juridictionnelles » qu’ont pu clôturer les Juridictions Gacaca des cellules qui ont participé à la phase « pilote » du processus, et mis à part le fait que les Tribunaux de Première Instance ont succédé aux Chambres spécialisées, abolies, la loi organique du 26 janvier 2001 n’a jamais été appliquée de bout en bout : aucun dossier « instruit » par une juridiction de Cellule n’a abouti à un jugement prononcé sous son empire. Le législateur a, en effet, choisi de tenir compte des leçons tirées de l’expérience-pilote, et des difficultés concrètes rencontrées dans la mise en oeuvre de la loi organique de 2001, et d’y apporter les aménagements qu’il jugeait nécessaires avant de lancer le processus Gacaca dans tout le pays. C’est ainsi que, le 19 juin 2004, a été adoptée la « Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 »17. Certains des principes instaurés pour la première fois par la loi organique de 1996 sont maintenus: il en va ainsi du principe de la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité – désormais dénommée “procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses” - qui permet toujours à celui qui y recourt de bénéficier d’importantes réductions de peines; il en va également ainsi du mécanisme de la catégorisation. 17 Journal Officiel, n° spécial du 19 juin 2004. Dans la suite de l’ouvrage, cette loi sera souvent désignée par “la loi organique de 2004” ou “la loi organique du 19 juin 2004”.

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Mais ces mécanismes ont connu des aménagements profonds. Il en va de même pour « l’architecture Gacaca » qui, des quatre différents niveaux qu’elle distinguait, est descendue à deux niveaux (cellule et secteur), par souci de plus grande proximité par rapport à la population, et de plus grande rapidité: les dossiers de deuxième catégorie seront désormais aux mains des Juridictions Gacaca de Secteur – au nombre de 1545 dans tout le pays - plutôt qu’aux mains des Juridictions Gacaca de District - au nombre de 106 dans tout le pays -. Par contre, le principe du maintien de la compétence exclusive des juridictions ordinaires pour ce qui est du jugement des personnes accusées de faits ou de responsabilités qui les classent en première catégorie subsiste pleinement: en ce qui les concerne, la “justice participative” s’arrête au niveau de la phase pré-juridictionnelle, assumée, tous dossiers confondus, par les Juridictions Gacaca de Cellule. A ce jour donc, trois lois organiques se sont succédées (ou plus exactement, quatre, si l’on compte la loi du 22 juin 2001 qui modifiait et complétait la loi organique du 26 janvier 2001) pour régir le contentieux du génocide. Désormais, seule la loi organique adoptée le 19 juin 2004 est en vigueur.

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CHAPITRE II

LE PRINCIPE DU DROIT A UN PROCES EQUITABLE Introduction Si le souci de voir traiter de manière équitable ceux qui sont accusés d’avoir pris part aux atrocités qu’a connues le pays peut paraître décalé au regard de l’ampleur et de la gravité inouïes des crimes commis, il convient d’insister sur le fait que la recherche de l'équité dans le procès pénal est une nécessité, que c'est la condition sine qua non de l'acceptation même de la décision qui sera rendue. En l’absence de l’ensemble des garanties qui caractérisent le droit à un procès équitable, la procédure judiciaire ne servirait jamais que l’arbitraire, et ne pourrait prétendre être le ferment de quelque réconciliation que ce soit.

Le procès se doit d’être d’autant plus équitable que les accusations sont terribles, et que les peines encourues sont lourdes : le juge appelé à se prononcer sur la culpabilité d’une personne accusée du crime suprême assume une responsabilité immense vis-à-vis des victimes, vis-à-vis de l’accusé, et vis-à-vis de la société dans son ensemble.

Enfin, sur le plan strictement juridique, rappelons que l’Etat rwandais est lié par les obligations qui découlent des instruments internationaux qu’il a ratifiés. Certains d’entre eux édictent d’importantes règles ayant trait au procès équitable. Les instruments internationaux les plus pertinents, pour le Rwanda, en la matière sont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après le Pacte)18 et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (ci-après la Charte)19.

18 Le Pacte international sur les droits civils et politiques, du 19 décembre 1966, a été ratifié par le Rwanda par le Décret-loi n° 8/75 du 12 février 1975. 19 La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, du 27 juin 1981, a été signée par le Rwanda le 11 novembre 1981 et ratifiée par la loi n° 10/1983 du 17 mai 1983.

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Le principe du droit à un procès équitable

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L’article 14 du Pacte a valeur de référence universelle pour le droit à un procès équitable. Il se lit comme suit : “Article 14 1. Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute

personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie du procès soit dans l'intérêt des bonnes mœurs, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l'intérêt de la vie privée des parties en cause l'exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l'estimera absolument nécessaire lorsqu'en raison des circonstances particulières de l'affaire la publicité nuirait aux intérêts de la justice; cependant, tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l'intérêt de mineurs exige qu'il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants.

2. Toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée

innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 3. Toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine

égalité, au moins aux garanties suivantes:

a) A être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle; b) A disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix; c) A être jugée sans retard excessif; d) A être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix; si elle n'a pas de

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Le principe du droit à un procès équitable

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défenseur, à être informée de son droit d'en avoir un, et, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, à se voir attribuer d'office un défenseur, sans frais, si elle n'a pas les moyens de le rémunérer; e) A interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge; f) A se faire assister gratuitement d'un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience; g) A ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable.

4. La procédure applicable aux jeunes gens qui ne sont pas encore

majeurs au regard de la loi pénale tiendra compte de leur âge et de l'intérêt que présente leur rééducation.

5. Toute personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire

examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi.

6. Lorsqu'une condamnation pénale définitive est ultérieurement

annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu'un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu'il s'est produit une erreur judiciaire, la personne qui a subi une peine en raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu'il ne soit prouvé que la non-révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable en tout ou partie.

7. Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour

laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays.”

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Le principe du droit à un procès équitable

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L’article 7 de la Charte africaine consacre également le droit à un procès équitable, énoncé comme suit : Article 7 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit

comprend :

a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur; b) le droit à la présomption d'innocence, jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente; c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix; d) le droit d'être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale.

2. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne

constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n'a pas été prévue au moment où l'infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant.”

Il convient de souligner que « les traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication au journal officiel, une autorité supérieure à celle des lois organiques et des lois ordinaires » en vertu de l’article 190 de la Constitution20. Par conséquent, ayant valeur infra-constitutionnelle, mais supra-législative, les textes internationaux qui lient la République du Rwanda devraient l’emporter, le cas échéant, sur les lois qui régissent le contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité : ils s’imposeront donc au juge appelé à connaître de ce contentieux.

20 Constitution du 04/06/2003, J.O. n° spécial du 04 juin 2003.

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Le principe du droit à un procès équitable

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En droit interne, la Constitution garantit le droit à un procès équitable, décliné dans de nombreux textes législatifs. Seront invoqués essentiellement, outre la loi organique qui régit le contentieux du génocide (et les lois organiques qui l’ont précédée), les dispositions pertinentes du Code pénal21 et du Code de procédure pénale22. En effet, les règles de procédure de droit commun s’appliquent en principe devant les tribunaux de droit commun qui connaissent du contentieux du génocide, sauf dans les cas où la loi organique en dispose autrement23. Dans le présent chapitre, l’on s’attachera à examiner les règles essentielles qui, en droit rwandais, se rapportent au droit à un procès équitable. L’examen de la jurisprudence produite à ce jour dans le cadre du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité permettra d’évaluer l’application qui a pu en être faite par les cours et tribunaux rwandais (1). Certaines de ces règles pouvant être sujettes à des limitations, le régime auquel doit obéir toute restriction éventuelle sera précisé (2). Enfin, les recours qui s’offrent au citoyen rwandais qui estime avoir été privé de son droit à un procès équitable seront examinés (3). 1. LA SUBSTANCE DU DROIT A UN PROCES EQUITABLE

AU RWANDA

A la lecture des textes nationaux et internationaux, il est possible d’identifier une douzaine de règles qui constituent la clef de voûte du grand édifice du droit à un procès équitable : le droit à un tribunal indépendant et impartial, le droit à l’information sur le dossier, le droit à la présomption d’innocence, le droit à la comparution personnelle, le droit d’être assisté d’un défenseur de son choix, le droit à l’égalité des armes et au principe du contradictoire, le droit au silence, le droit à un procès public, le droit à une décision motivée, le droit à être jugé dans un

21 Décret-loi n° 21/77 du 18 août 1977 instituant le Code Pénal, J.O. 1978, n° 13 bis. 22 Code de procédure pénale, loi n° 13/2004 du 17/05/2004, J.O. n° spécial du 30 juillet 2004. 23 Voir article 2, §2 et article 100 de la loi n° 16/2004 du 19 juin 2004 et le chapitre consacré aux principes d’interprétation de la loi organique. Dans la loi organique du 30 août 1996, l’article 39 édictait une règle similaire.

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délai raisonnable, le droit au respect de la légalité des délits et des peines et le droit de bénéficier de la règle du non bis in idem. 1.1. Le droit à un tribunal indépendant et impartial Le droit de toute personne accusée à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial découle des textes internationaux ratifiés par le Rwanda. L’article 14 alinéa 1er du Pacte dispose : « (…) Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial (…) ». L’indépendance et l’impartialité du tribunal, bien que liées, ne se confondent pas24. 1.1.1. L’indépendance du Tribunal L’indépendance peut être entendue comme le fait pour le tribunal de ne pas être soumis à une influence extérieure ; c’est le fait d’être exempt de toute pression émanant d’une autorité extérieure au tribunal. En ce sens, l’indépendance s’intéresse donc à l’environnement du juge. Le type d’ingérence que le principe de l’indépendance du tribunal cherche à écarter concerne l’intervention du pouvoir exécutif. Il peut s’agir d’injonction au juge, d’intimidation ou même de mutation intempestive au cours d’un dossier. C’est pourquoi l’une des formes de protection du juge contre les immixtions de l’exécutif réside dans les garanties que peuvent lui offrir le système de nomination et le principe de l’inamovibilité. Le système de nomination et de promotion des juges doit respecter un certain degré de transparence. En effet, un système de nomination des juges opaque peut affecter l’indépendance du juge qui aurait une « dette de reconnaissance » envers celui qui l’a fait nommer, ou qui pourrait être enclin à rendre des décisions qui plaisent à celui qui détient le pouvoir de décider d’une promotion. L’article 140 de la Constitution consacre le principe de l’indépendance de la justice. Le principe d’une désignation par des instances collégiales 24 A titre comparatif, voir TULKENS Françoise et BOSLY D. Henri, La notion européenne de tribunal indépendant et impartial, la situation en Belgique, in Revue de Science criminelle et de droit comparé, 1990, Pp 677-691.

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Le principe du droit à un procès équitable

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telles que le Sénat25 et le Conseil Supérieur de la Magistrature26 est de nature à renforcer l’indépendance du juge. Le principe de l’inamovibilité vise à éviter un changement intempestif des juges au gré des avantages que l’on voudrait tirer de leur présence dans telle ou telle affaire, ou une mutation prononcée en représailles à une décision qui ne plaît pas. Au Rwanda le principe de l’inamovibilité a été renforcé dans la Constitution du 04 juin 2003. La désignation du Président et du Vice-président de la Cour Suprême pour « un mandat unique de huit ans »27 leur permet d’échapper aux pressions qui pourraient être exercées s’ils avaient la possibilité de briguer un second mandat. Pour ce qui est des autres juridictions, c’est le Conseil Supérieur de la magistrature qui décide désormais de la nomination, de la promotion et de la révocation des juges. En définitive, l’essentiel est de faire en sorte que le magistrat soit hors d’atteinte des pressions que pourrait exercer sur lui son environnement institutionnel28. En-dehors des conditions objectives qui favorisent son indépendance, il appartient au juge lui-même de s’imposer cette hauteur, de la conquérir et de la maintenir. 1.1.2. L’impartialité du tribunal L’impartialité présuppose l’indépendance en ce sens que l’on ne peut l’imaginer lorsque la décision est dictée au juge par des circonstances extérieures à l’affaire dont il a connaissance. Cependant, l’impartialité s’intéresse à la personne même du juge, à sa position à l’égard des parties au procès. Le juge doit se situer à équidistance entre les différentes parties au procès : il devra être récusé s’il apparaît que ce n’est pas le cas, et qu’il semble, objectivement ou subjectivement, être de parti pris à l’égard de l’une d’elles.

25 Articles 147 et 148 de la Constitution du 04 juin 2003. Ces dispositions organisent l’élection des juges à la Cour Suprême, y compris le Président et le Vice-président, par le Sénat, sur proposition du Président de la République. 26 Art. 157, Constitution du 04 juin 2003. Cette disposition donne pouvoir au Conseil Supérieur de la Magistrature, dont est exclu l’exécutif, d’organiser la carrière des juges notamment la nomination, la promotion et la révocation. 27 Art. 147, ibid. 28 JOSSERAND Sylvie, Impartialité des magistrats en procédure pénale, LGDJ, 1998, P.432.

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En droit rwandais, les causes de récusation sont énoncées à l’article 172 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires ; y sont visés l’existence d’un intérêt personnel, les liens de parenté, de subordination, d’amitié ou d’inimitié du juge avec l’une des parties... Peu d’exemples de récusation ont été relevés dans le contentieux du génocide29. Sans recourir aux notions d’impartialité objective ou subjective30, l’article 172 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires considère le fait que le juge ait connu de l’affaire, précédemment, à un autre titre, comme une autre cause de récusation. Tel est par exemple le cas lorsque le juge est intervenu dans le dossier comme Officier de Police Judiciaire ou Officier du Ministère Public. Si l’on procède d’un point de vue objectif, l’on exclura en toutes circonstances le juge qui a connu précédemment, à quelque titre que ce soit, du cas porté devant lui. Alors que d’un point de vue subjectif l’on s’attachera simplement à déterminer si les conditions dans lesquelles il a connu de l’affaire sont de nature à forger chez lui un pré-jugement. Dans cette dernière hypothèse, il ne pourrait plus siéger dans la même affaire. L’on peut s’interroger sur la pratique qui permet, que ce soit en droit commun ou dans le cadre du contentieux du génocide, à un juge qui a tranché la question de la détention préventive en Chambre du Conseil, de siéger ultérieurement pour connaître du fond de l’affaire. Le juge qui a décidé de placer un inculpé en détention provisoire a dû nécessairement, en vertu de l’article 93 du nouveau Code de procédure pénale, estimer qu’« il existe contre lui des indices sérieux de culpabilité ». Amené ensuite à connaître de la même affaire au fond, ne sera-t-il pas nécessairement habité d’un préjugé, ou du moins le prévenu n’aura-t-il pas toutes les raisons de le penser ? Une telle pratique heurte la règle de l’impartialité du juge ici évoquée.

29 Voir cependant un cas de récusation de l’ensemble du Tribunal pour cause de suspicion légitime, demandée par le prévenu et retenue par la Cour de Cassation dans, RMP 42.031/S8/NKM/NRA, TPI Gikongoro, Affaire. BIZIMANA Antoine, 20/02/2002, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome III, décision n° 4. 30 Voir TULKENS Françoise et BOSLY D. Henri, op. cit.

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1.2. Le droit à la présomption d’innocence Le droit pour la personne accusée d’être présumée innocente est reconnu pratiquement dans les mêmes termes par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques que dans la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. L’un31 et l’autre32 textes envisagent la jouissance de ce droit tant que la culpabilité de l’accusé n’a pas été légalement établie par une juridiction compétente. La Constitution du Rwanda du 04 juin 2003 se veut encore plus exigeante. En effet aux termes de l’article 19 de la Constitution, « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit légalement et définitivement établie à l’issue d’un procès public et équitable au cours duquel toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été accordées ». Pour que la présomption d’innocence33 d’un prévenu soit levée, il faut donc que sa culpabilité ait été légalement établie, au terme d’un procès public34 et équitable, au cours duquel il aura bénéficié des garanties nécessaires à sa défense. En subordonnant la perte de la présomption d’innocence à ces trois conditions particulières dont les deux dernières ne sont pas expressément évoquées dans les textes internationaux, la Constitution du Rwanda a élevé le seuil d’exigence quant au respect de la présomption d’innocence. Le respect de ce seuil paraît d’autant plus important dans un contentieux aussi difficile que celui du génocide et des massacres.

31 Voir Art. 14 al. 2, Pacte International relatif aux droits civils et politiques : « toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». 32 Voir Art. 7 al.1-b), Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend (…) le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ». 33 Egalement consacrée par l’article 44 al.2 du Code de procédure pénale: « Le prévenu est présumé innocent tant que sa culpabilité n’est pas établie par une condamnation devenue définitive. Aussi longtemps que sa culpabilité n’est pas établie, le prévenu n’est pas tenu de fournir la preuve de son innocence ». 34 Il ne faut cependant pas perdre de vue la possibilité de huis clos prévue par la loi, notamment par l’article 141 de cette même Constitution du 04 juin 2003.

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Le principe du droit à un procès équitable

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A l’examen de la jurisprudence du contentieux du génocide au Rwanda, c’est essentiellement sous l’angle des questions liées à la charge de la preuve, à la liste des accusés de première catégorie et aux aveux que des interrogations surgissent quant au respect de la présomption d’innocence. 1.2.1. La présomption d’innocence et la charge de la preuve Que le fardeau de la preuve pèse sur la partie qui porte l’accusation est un corollaire de la règle de la présomption d’innocence. La personne accusée étant présumée innocente, il appartient à l’accusation de fournir les preuves de l’infraction et de son imputabilité à l’accusé. L’article 44 du Code de procédure pénale énonce clairement la règle : « La charge de la preuve d’une infraction incombe au Ministère Public ou, en cas de constitution de partie civile ou de citation directe, à la victime ou à ses ayants cause »35. En l’absence de preuves à même d’emporter la conviction du juge, le doute doit profiter à l’accusé36. Dans le contentieux du génocide, l’on peut noter que cette règle est généralement observée. C’est, fréquemment, le fait que le Ministère public n’ait pas fourni de preuve emportant la conviction du tribunal qui motive les acquittements prononcés à ce jour par les tribunaux37.

35 Cette règle est la même que celle que prévoyait l’article 16 de l’ancien Code de procédure pénale du 23 février 1963. 36 Art 153 du Code de procédure pénale : « Le doute profite au prévenu . Si une instruction aussi complète que possible n’est pas parvenue à lever le doute sur la culpabilité, le prévenu doit être acquitté ». Ce texte reprend en d’autres termes l’art. 20 de l’ancien Code de procédure pénale du 23 février 1963. 37 Ces cas sont très nombreux ; à titre d’illustration voir : - RMP 51.498/S4/CM/KBY/97, Ch. Sp. TPI Kibuye, 10/12/1998, affaire KABIRIGI

Anastase et Consorts, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 9, 26ème feuillet, 4ème Constate, P.153 : «°Constate que le ministère public n'a pas rapporté de preuves indubitables de l'intention délictueuse de MUHAYIMANA Cyprien relativement aux infractions de génocide, d'assassinat, de pillage et d'association de malfaiteurs qui lui sont reprochées… »

- RMP 82915/S4/ND/NSE, Ch. Sp. TPI Kibungo, 14/10/1999, Affaire

NIYONSENGA Jean Bosco, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, 3ème feuillet, 1er Constate, in fine : « constate que… celle de pillage n'est pas établie à sa charge car le Ministère Public n'a pas rapporté la preuve de la participation de l'intéressé à des actes de pillage ».

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En revanche, la prévention est régulièrement déclarée établie à l’encontre des accusés contre lesquels l’accusation a fourni des preuves « tangibles »38. Cependant, il est arrivé que la juridiction renverse la charge de la preuve, violant par le même fait le droit de la personne accusée à la présomption d’innocence. Tel est le cas dans une décision de la Chambre spécialisée du Tribunal de Première Instance de Nyamata : « Constate qu’en-dehors de ses dénégations, Hakizimana César n’apporte pas la preuve qu’il n’a commis aucun acte criminel… »39. Etonnamment, cette décision n’a pas été frappée d’appel. Des juridictions d’appel n’ont pourtant pas hésité à censurer des jugements qui faisaient fi de la présomption d’innocence. Tel a été le cas d’une décision de la Cour d’Appel de Kigali en date du 10 juin 1999 : « Constate que l’article 16 du Code de procédure pénale sur lequel Maître Boubacar Diabira, conseil de Kanyamikenke, a basé son appel a effectivement été violé tel qu’il ressort de la copie du jugement, au 6ème « Constate » du 3ème « feuillet » qui est libellé comme suit : Constate que les moyens de défense présentés par Kanyamikenke au sujet du meurtre de Astérie ne sauraient emporter sa conviction et qu’ainsi rien ne prouve que les accusations portées contre lui par Murekatete sont fausses, cette motivation étant en violation flagrante des dispositions légales quant à la charge de la preuve en matière pénale »40. 1.2.2. La présomption d’innocence et la liste de la première

catégorie La liste de la première catégorie est une liste publiée en principe au moins deux fois par an au Journal Officiel à l’initiative du Parquet Général de la République.

38 La plupart des décisions de condamnation sont motivées par cet élément. 39 RMP 101 828/S1/BA/Nmta, Ch. Sp. TPI Nyamata, 28/06/2000, affaire HAKIZIMANA César et Consorts, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, décision n° 9, 11ème feuillet, 3ème Constate, P. 215. 40 RMPA 1/003/AVG, Cour d’Appel de Kigali, 10/06/1999, Affaire KANYAMIKENKE C/ MP, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, décision n° 13, 8ème feuillet, 2ème Constate, P. 295.

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Elle contient les noms des personnes suspectées d’avoir commis, dans le cadre du génocide et des autres crimes contre l’humanité, des actes les rangeant dans la première catégorie. Il s’agit des personnes accusées d’avoir planifié, organisé, supervisé, encadré le génocide ou d’avoir incité à le commettre ; des personnes accusées d’avoir agi en position d’autorité ; des personnes accusées d’être des « meurtriers de grand renom » en raison du zèle qui les animait, ou de la méchanceté excessive avec laquelle elles ont agi ; des personnes accusées d’actes de torture ; des personnes accusées de viol ou d’actes de torture sexuelle, et enfin, des personnes accusées d’avoir commis des actes dégradants sur des cadavres41. Le problème que pose la publication de cette liste est celui de savoir si elle ne viole pas la présomption d’innocence. Cette liste ne fait-elle pas de ceux qui y figurent des « présumés génocidaires » ? Il y a lieu de nuancer. La loi elle-même, en évoquant cette liste, n’emploie pas le terme de présomption ou « présumés génocidaires ». La loi du 30 août 1996 qui instaura cette liste énonçait « au fur et à mesure que les enquêtes progressent, une liste des personnes poursuivies ou accusées d’avoir commis des actes les rattachant à la première catégorie est dressée et mise à jour par le Procureur général près la Cour Suprême »42. Il s’agit donc bien de personnes poursuivies ou accusées43. La nouvelle loi organique du 19 juin 2004, en son article 51, ne parle pas de « présumés génocidaires », mais fait obligation au Procureur Général de la République de publier deux fois par an, « la liste des noms des personnes classées dans la première catégorie lui adressée par les juridictions Gacaca des cellules » à qui il revient de « catégoriser » les prévenus en phase pré-juridictionnelle. L’instruction d’audience des affaires concernant les personnes accusées d’avoir commis des faits les rattachant à la première catégorie ne se distingue pas de l’instruction d’audience en droit commun. Pas plus que pour un autre prévenu, il n’est requis de la personne dont le nom figure sur la liste de première catégorie d’apporter la preuve de son innocence.

41 Voir le chapitre consacré à la catégorisation. 42 Voir Art. 9 al.1er, loi organique du 30/08/1996, op. cit. 43 Même la nouvelle loi organique du 19 juin 2004, en son article 51, ne mentionne pas des « présumés génocidaires ».

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Enfin, la réalité judiciaire a elle-même démontré que les juges pouvaient connaître en toute impartialité des cas de personnes dont le nom figurait sur la liste de première catégorie. Les juges peuvent librement décider, sur la base des preuves fournies par l’accusation, de condamner le prévenu (lorsque les preuves sont suffisantes) ou de l’acquitter (lorsque les preuves n’emportent pas leur conviction). Le respect de la présomption d’innocence par les juges, en dépit de la publication du nom de l’accusé sur la liste de première catégorie, peut être illustré par l’affaire à charge de Monseigneur MISAGO Augustin. Monseigneur MISAGO, Evêque de Gikongoro au Sud-ouest du Rwanda, avait été mis sur la liste des accusés de la première catégorie du crime de génocide et des crimes contre l’Humanité. Après un procès particulièrement tendu et fortement médiatisé, le prévenu a été acquitté par une décision de la Chambre spécialisée du Tribunal de Première Instance de Kigali en date du 15/06/200044, les juges ayant estimé que le Ministère Public n’avait rapporté aucune preuve de la responsabilité de Monseigneur MISAGO dans les crimes dont il était accusé. Il appartient donc au tribunal saisi d’un dossier concernant un accusé figurant sur la liste de première catégorie publiée au Journal Officiel de le considérer, au même titre que n’importe quel prévenu, comme présumé innocent. 1.2.3. La présomption d’innocence et les aveux La loi organique du 30 août 1996 qui régissait le contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité a instauré la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité qui permettait à l’accusé dont les aveux respectaient un certain nombre de conditions de fond et de forme de bénéficier d’une réduction de peine substantielle. Les lois organiques de 2001 et de 2004 ont ensuite maintenu le principe, en en aménageant et en en assouplissant les conditions. C’est désormais de « procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses » que l’on parle45. Les aveux pouvant être proposés dès la phase pré-juridictionnelle ou d’instruction, la question est de savoir si l’accusé qui a recouru à cette

44 Seul le dispositif de cette décision a été lu en audience publique ; le texte de la décision n’est pas à ce jour disponible in extenso. 45 Voir le chapitre consacré à cette procédure.

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procédure continue, en dépit de ses aveux, de bénéficier de la présomption d’innocence jusqu’à l’issue du jugement. D’une part, la juridiction de jugement est appelée à vérifier le caractère volontaire, libre et conscient de l’aveu qui a été fait46. Par conséquent, l’on considère que le seul fait de l’aveu ne peut suffire à établir la culpabilité du prévenu.

D’autre part, la personne qui a fait des aveux en phase d’instruction est libre de les rétracter au moment du jugement en audience. Dans nombre de cas, les prévenus disent avoir avoué sous la torture, sous l’effet de pressions, sous la promesse de récompenses, par crainte de représailles ou encore, disent que le procès-verbal n’est pas conforme à leurs déclarations. Des aveux rétractés ne peuvent, dans le cadre du contentieux du génocide, être retenus comme élément de preuve contre l’accusé47. Il arrive également que les aveux ne correspondent pas à la réalité, et que l’examen du dossier révèle que l’accusé qui, pourtant, avait avoué les faits, n’en était pas l’auteur. Enfin, rappelons que l’enregistrement d’aveux ne dispense pas le juge de vérifier si, outre le fait matériel reconnu, l’élément intentionnel requis pour que l’accusé soit déclaré coupable était bel et bien présent. Par conséquent, il importe de respecter la présomption d’innocence même à l’égard d’un prévenu qui a avoué les crimes dont il est accusé. 1.3. Le droit à l’information sur le dossier Ce droit est formulé dans différents textes comme étant le droit pour l’accusé d’être informé de la nature et des motifs de l’accusation portée contre lui dans les plus courts délais, dans une langue qu’il comprend, et de façon détaillée. A ce droit à l’information proprement dit s’ajoute celui de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

46 Voir l’article 64 de la loi organique du 19 juin 2004 qui réglemente l’audience en cas de procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses. Voir. également, dans le même sens, l’article 10 de la loi organique du 30/08/1996. 47 Voir en ce sens l’article 13 de l’ancienne loi organique du 30/08/1996.

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Le droit à l’information sur le dossier judiciaire est garanti par l’article 14 al. 3-a) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’article 64 du nouveau Code de procédure pénale énonce que « lors de la première comparution, l’Officier du Ministère Public vérifie l’identité du prévenu et lui fait connaître expressément chacun des faits dont il est saisi ainsi que la qualification juridique de ces faits. Mention de ces faits et de leur qualification juridique est portée au procès-verbal ». La même disposition offre à la personne poursuivie la possibilité de se faire assister du conseil de son choix, et oblige l’officier du Ministère Public à l’informer de ce droit. La personne poursuivie doit : 1.3.1. Etre informée…

- des motifs de l’accusation : les faits matériels qui lui sont reprochés.

- de la nature de l’accusation : la qualification juridique des faits qui lui sont reprochés et les sanctions auxquelles l’exposent ces faits.

Les motifs et la nature de l’accusation doivent fournir à la personne poursuivie les informations lui permettant de préparer sa défense en pleine connaissance de cause. Ce droit à l’information englobe également le droit à ce que les préventions à charge soient correctement libellées dans l’acte d’accusation, le droit d’avoir accès aux conclusions du Ministère Public et des parties civiles ainsi qu’à toutes les pièces du dossier. En ce qui concerne le contentieux du génocide, le droit à l’information est particulièrement développé à propos de la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité. Toute personne poursuivie a le droit d’être informée de son droit et de son intérêt à recourir à la procédure d’aveu. Cette obligation d’informer le prévenu incombait déjà au Ministère Public sous l’empire des lois de 1996 et de 2001 qui régissaient le contentieux du génocide. On a ainsi vu la juridiction de jugement sanctionner le non-respect de cette exigence. La loi organique du 19 juin 2004 fait peser l’obligation d’informer sur un plus grand nombre d’acteurs que celles qui l’ont précédée: « le siège de la

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juridiction, l’Officier de police judiciaire ou l’Officier du Ministère Public chargé de l’instruction sont tenus d’informer le prévenu de son droit et de son intérêt à recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses »48. 1.3.2. Dans un court délai… La notion de court délai ne peut se mesurer en nombre d’heures, de jours, de semaines ou de mois prédéterminés. Il s’agit surtout de tenir compte de l’acte de procédure à partir duquel il devient indispensable que la personne accusée soit informée. De manière générale, l’information est censée être donnée concomitamment à l’arrestation du suspect, ou immédiatement après : celui qui procède à l’arrestation est censé savoir pourquoi il y procède, et celui qui la subit est en droit de savoir pourquoi. L’article 64 du Code de procédure pénale impose à l’Officier du Ministère Public de signifier à la personne poursuivie les motifs et la nature des faits dont il est saisi au moment de sa première comparution. 1.3.3. Dans une langue qu’il comprend Le droit pour le prévenu de se voir signifier les motifs et la nature de l’accusation dans une langue qu’il comprend inclut la nécessité de recourir à un interprète lorsque le prévenu ne comprend pas la langue utilisée : la personne accusée doit pouvoir comprendre l’accusation formulée à son encontre. Ne satisfait donc pas à l’exigence d’informer le prévenu le fait de lui fournir cette information dans une langue qu’il ne comprend pas. Cette exigence doit être respectée autant au cours de l’instruction que lors des audiences de jugement. 1.4. Le droit à la comparution personnelle du prévenu La présence du prévenu aux audiences est considérée comme la circonstance garantissant le respect optimal de ses droits. Ce droit est

48 Art. 58 al. 2, loi organique n° 16/2004 du 19/6/2004, op. cit.

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consacré dans plusieurs instruments internationaux et notamment à l’article 14, al. 3, paragraphe d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui dispose que toute personne accusée d’une infraction pénale a droit « …à être présente au procès … ». Les dispositions de l'article 2 de la loi n° 12/1984 du 12 mai 198449 relative au mandat de représentation ou d'assistance judiciaire prévoient que « le prévenu comparaît en personne…toutefois dans les poursuites relatives à des infractions à l'égard desquelles la peine d'emprisonnement prévue par la loi n'est pas supérieure à deux ans, le prévenu peut comparaître par un avocat porteur d'une procuration spéciale ou par fondé de pouvoir spécial agréé par le tribunal ». L’article 139 du nouveau Code de procédure pénale énonce « en matière de crime et délit, le prévenu comparaît en personne… »50. Tel que libellée, la comparution personnelle apparaît avant tout comme un devoir. La comparution constitue cependant également un droit dont le prévenu ne peut être privé. C’est ainsi qu’un jugement par défaut ne peut être prononcé qu’à l’égard d’une personne qui avait, au préalable, été régulièrement citée51, et que l’impossibilité dans laquelle elle s’est trouvée de comparaître lui ouvre l’accès à une voie de recours spécifique, l’opposition, qui doit lui permettre de comparaître en personne. Si l’accusé est détenu, il appartient aux juges, garants de l’équité du procès, de vérifier si sa non-comparution éventuelle procède de sa volonté, ou si c’est l’administration pénitentiaire qui n’a pas pris les dispositions requises pour assurer sa présence. Dans le cadre du contentieux du génocide, il est arrivé que le Ministère Public requière que le prévenu quitte la salle d’audience, "afin de faciliter la manifestation de la vérité" ou de "faciliter la libre expression des témoins ou co-prévenus". Ce fut le cas dans l’affaire KANYABUGANDE François et Consorts, devant la Chambre spécialisée du Tribunal de Première Instance de Byumba. Le Ministère Public avait, avec insistance, réclamé que certains prévenus quittent la salle, afin de permettre à ceux de leurs co-prévenus en aveux de présenter leur

49 Loi n° 12/84 du 12 mai 1984 relative au mandat de représentation ou d’assistance judiciaire. 50 Art. 139 al. 1er, loi n° 13/2004 du 17/05/2004 portant Code de procédure pénale, op.cit. 51 Article 155 du Code de procédure pénale.

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déposition « librement ». La Chambre Spécialisée a finalement donné raison à la défense qui, à juste titre, avait fait valoir que le prévenu ne peut être privé du droit de prendre part à sa propre cause52. La nouvelle loi n° 15/2004 du 12/6/200453 pourrait, à cet égard, poser un problème d’interprétation. L’article 68 dispose que « les témoins sont entendus séparément, en présence, ou s’il échet, en l’absence des parties, si elles comparaissent ». Il convient cependant de préciser que cette disposition est rangée dans le titre II relatif à la preuve en matière civile, et le Titre III relatif à la preuve en matière pénale ne contient pas de disposition similaire. L’application de cette disposition en matière pénale, sur pied de l’article 120 de la loi54 ne pourrait se faire sans heurter de front le droit du prévenu à comparaître en personne. Enfin, ce droit de comparution personnelle ne se réduit pas seulement à la faculté d’être présent physiquement. Il faut que l’accusé puisse effectivement participer aux débats, qu’il puisse se défendre. 1.5. Le droit d’être assisté d’un défenseur de son choix En ce qui concerne le droit d’être assisté par un défenseur de son choix, il y a lieu de distinguer l’affirmation du principe de la pratique telle qu’elle apparaît à l’examen de la jurisprudence accessible à ce jour dans le cadre du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité. 1.5.1. Une large consécration textuelle du droit d’être assisté L’article 14 alinéa 3 –d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques réunit le droit à la comparution personnelle et le droit d’être assisté d’un défenseur de son choix. La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples dispose, quant à elle, en son article 7 alinéa 1 –c) que la personne accusée a le droit à la défense y compris celui de se faire assister gratuitement.

52 RP 003/I/C. SP/96/BY, Ch. Sp. TPI Byumba, 02/05/1997, affaire KANYABUGANDE François et Consorts, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome III, décision n° 2, lire surtout le 9ème feuillet, Pp. 67-68. 53 Loi n° 15/2004 du 12/06/2004 portant modes et administration de la preuve, J.O. n° spécial du 19 juillet 2004. 54 Qui prévoit que les règles énoncées en matière civile peuvent en principe s’appliquer en matière pénale.

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Au Rwanda, le droit de se défendre a valeur constitutionnelle. En effet, la Constitution du 04 juin 2003 formule le droit de la défense en des termes très larges et très fermes : « Etre informé de la nature et des motifs de l’accusation, le droit de la défense sont les droits absolus à tous les états et degrés de la procédure devant toutes les instances administratives et judiciaires et devant toutes les autres instances de prise de décision »55. Plusieurs textes confirment et précisent ce droit de la défense : il en va ainsi, notamment, de l’article 144 du Code portant organisation, fonctionnement et compétence judiciaires, qui énonce « Les droits de la défense et le droit à la défense, à tous les stades de la procédure sont reconnus aux personnes justiciables de juridictions militaires ». En vertu de la Constitution, aucune instance de prise de décision, fût-elle judiciaire ou administrative, ne devrait pouvoir statuer au Rwanda sans avoir donné l’opportunité de se défendre aux personnes concernées par la décision. Cette formulation généreuse ne manquera pas de susciter la polémique notamment devant les juridictions Gacaca, à propos desquelles l’idée que les droits de la défense n’auraient pas lieu d’être est régulièrement affirmée56. La défense doit pouvoir s’exercer à tous les stades du procès, depuis l’information de la police judiciaire jusqu’à la décision définitive, « à tous les états et degrés de la procédure ». La Constitution ne mentionne pas de manière expresse le droit d’être assisté d’un défenseur de son choix ; ce droit va cependant sans dire puisque d’autres textes, et notamment, la loi du 19 mars 1997 portant création du Barreau57, consacrent ce droit. De surcroît, rappelons que l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, ratifiée par le Rwanda, consacre ce droit de manière explicite.

55 Voir article 18 al. 3, Constitution du 04 juin 2003, op cit. L’article 14 al. 3 de l’ancienne Constitution du 10 juin 1991 se contentait de disposer simplement que « la défense est un droit absolu à tous les états et degrés de la procédure ». 56 Il faut du reste noter qu’aucun texte n’a formellement exclu le droit à la défense devant les juridictions Gacaca, ce qui aurait été contraire à la Constitution. 57 Voir article 6, 50 et 96 de la loi n° 3/97 du 19 mars 1997, portant création du Barreau au Rwanda, J.O. n° 8 du 15/04/1997.

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De même, plusieurs textes reconnaissent le droit du justiciable indigent de bénéficier d’une assistance judiciaire gratuite : ainsi, la nouvelle loi portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême prévoit la possibilité de bénéficier d’une telle assistance en matière pénale58, comme en matière civile. 1.5.2. Une réalité plus contrastée du droit d’être assisté En dépit des dispositions légales évoquées, la mise en pratique du droit de se défendre et plus précisément celui d’être assisté d’un défenseur de son choix, gratuitement au besoin, n’a pas toujours été chose aisée dans le cadre du contentieux du génocide. La première loi organique de 1996 régissant le contentieux du génocide au Rwanda autorisait expressément l’Etat à se dérober à son devoir de pourvoir à l’assistance judiciaire. En effet l’article 36 de cette loi, bien que reconnaissant le droit de chaque personne accusée à être assistée d’un défenseur de son choix, excluait le fait que cette assistance puisse se faire aux frais de l’Etat59. Le caractère particulièrement volumineux du contentieux du génocide au Rwanda combiné à l’état encore modeste de l’organisation des structures de la défense, et au manque de moyens du gouvernement ont, de fait, exclu des accusés et des victimes du bénéfice de l’assistance judiciaire60. Au début des procès, certains sièges des anciennes chambres spécialisées s’étaient montrés réticents à accorder des remises aux justiciables qui, à la première audience, comparaissaient seuls et exprimaient le souhait d’être assistés d’un avocat : les juges qualifiaient fréquemment une telle

58 Article 68, combiné aux articles 48 et 49 de la loi organique n° 01/2004 du 29 janvier 2004 portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême. 59 L’article 36 de la loi organique du 30/08/1996, op cit, est ainsi libellée : « les personnes poursuivies en application de la présente loi organique jouissent du droit de la défense reconnu à toute personne poursuivie en matière criminelle, et notamment le droit d’être défendues par le défenseur de leur choix, mais non aux frais de l’Etat ». 60 Même si l’action d’ASF puis celle du Barreau de Kigali et celle du Corps des Défenseurs Judiciaires ont permis de répondre à une partie non négligeable des besoins en matière d’assistance judiciaire, en faveur des accusés et en faveur des victimes.

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demande de « manœuvres dilatoires »61. Cette qualification de manœuvre dilatoire révélait souvent, de la part du juge, une confusion entre le respect du délai d’assignation qui est de huit jours avant l’audience et le temps nécessaire pour se trouver un avocat62. Il faut cependant souligner que les Cours d’Appel n’ont pas hésité à infirmer les jugements rendus en violation du droit d’être assisté par un avocat. Ainsi, dans l’affaire NDIKUMWAMI Léonidas63, la Cour d’Appel de Kigali constate que « la décision condamnant le prévenu à la peine capitale qui a été rendue sans permettre au prévenu d’être assisté de son avocat viole la Constitution du 10 juin 1991 et l’article 36 de la Loi Organique du 30 août 1996 »64. De même, la Cour d'Appel de Cyangugu, dans l’affaire MUNYAGABE Théodore « constate que MUNYAGABE Théodore a été privé du droit à la défense par un avocat de son choix comme cela est prévu à l'article 36 de la Loi organique du 30/08/1996, parce qu'il a demandé au tribunal de remettre l'affaire pour avoir un avocat qui l'assiste mais que cela lui a été refusé par le tribunal comme cela apparaît dans les procès-verbaux de l'audience du 14/02/1997 »65. La tendance à mieux faire respecter le droit du prévenu, ainsi que celui des parties civiles, de se faire assister d’un avocat s’est ensuite accentuée de manière très nette, devant l’ensemble des juridictions qui avaient à connaître du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité : de nombreuses remises d’audience ont été accordées pour

61 RPA 003/R1/97, Cour d’Appel de Cyangugu, 06/07/1999, affaire MUNYANGABE Théodore, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome III, décision n° 13, 5ème feuillet, dernier paragraphe, 1er "Constate", P. 263. 62 RPA 006/97, Cour d’Appel de Cyangugu, 30/06/1999, affaire NTAGOZERA Emmanuel et consorts, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, Décision n° 14, 6ème feuillet, 1er « attendu ». Dans cette affaire, aux appelants qui se plaignent de n’avoir pas été assistés en première instance, le Ministère public réplique que les intéressés ayant été informés de la date d’audience, il leur incombait de chercher des avocats en vue d’assurer leur défense. 63 RPA n° 04/97/R1/KIGALI, Cour d’Appel de Kigali, 30/05/1997, affaire NDIKUMWAMI Léonidas, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 15, 7ème feuillet in fine, P. 248. 64 Ce prévenu fut acquitté à la suite d’un nouveau jugement par cette même Cour. 65 RPA 003/R1/97, Cour d’Appel de Cyangugu, 06/07/1999, affaire MUNYANGABE Théodore, déjà citée.

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que les parties soient mises en mesure de l’exercer concrètement, en “se cherchant un avocat”66. Plus récemment, l’on constate que là où la demande de remise est formulée par le prévenu, elle bénéficie souvent de la compréhension des représentants du Ministère Public et des parties civiles, qui semblent avoir pris la mesure de ce droit d’être assisté. 1.6. Le droit à l’égalité des armes et au principe du contradictoire L’égalité des armes et le principe des débats contradictoires sont consacrés par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques67. Les deux règles, égalité des armes et principe du contradictoire sont étroitement liées, et s'imbriquent, mais ne se confondent pas. 1.6.1. L’égalité des armes L'égalité des armes est le droit pour chaque partie d'avoir la possibilité raisonnable d'exposer sa cause dans des conditions qui ne la désavantagent pas par rapport à la partie adverse. Il importe donc de veiller à ce que le prévenu et le Ministère public soient traités de manière égale par la juridiction de jugement : « Le droit à un traitement égal par une juridiction, particulièrement en matière criminelle, signifie en premier lieu, l’accès de la défense et du Ministère Public aux mêmes chances de préparation et de présentation de leurs plaidoiries et réquisitoires au cours du procès. Autrement dit, ils doivent défendre leur cas devant la juridiction sur un même pied d’égalité »68. Cette égalité de traitement suppose donc que les moyens dont disposent défense et accusation ne soient pas disproportionnés.

66 RMP 43715/S7/KC, Ch. Sp. TPI Butare, 19/09/1997, affaire SIBOMANA Marc, Recueil de jurisprudence contentieux du génocide, ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome I, janvier 2002, décision n° 1, P. 13. Voir aussi, RP 0010/C.G - C.S/ 98, Ch. Sp. du Conseil de guerre, 22/12/1998, affaire Sous-Lieutenant DUSABEYESU Eustache, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome I, Décision n° 15, P. 196. 67 Notamment en son article 14, 3e . 68 Commission Africaine de Droits de l’Homme et des Peuples, Avocats Sans Frontières (pour le compte de Gaëtan BWAMPAMYE) C/Burundi, Communication n° 231/99, 28ème session ordinaire, 23 octobre- 6 novembre 2000.

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Le droit à l’égalité des armes implique aussi l’obligation, pour les juridictions de traiter de manière égale les différents accusés qu’elles ont en charge de juger. Pour être mis en position d’ « égalité » par rapport au Ministère public, le prévenu doit disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Il doit donc avoir accès au dossier répressif et doit pouvoir communiquer librement avec son avocat. Le prévenu a également le droit de faire citer des témoins, au même titre que le Ministère Public. Certaines décisions du contentieux du génocide ne manquent pas de lui reconnaître cette faculté69. L’égalité ne doit cependant pas s’apprécier en termes mathématiques, la juridiction restant souveraine en matière d’admissibilité des moyens de preuve. A titre d’illustration, il ne sera pas forcément question pour une partie de faire entendre le même nombre de témoins que la partie adverse ou de disposer exactement du même temps de plaidoirie que l’adversaire. Mais il convient d’éviter une disproportion telle qu’elle rompt le principe d’égalité. 1.6.2. Le principe du contradictoire ou le droit aux débats

contradictoires Tous les éléments qui sont susceptibles d'influencer la décision du juge doivent être soumis à la contradiction. Le droit aux débats contradictoires implique la possibilité de se défendre, de répliquer aux arguments de la partie adverse, d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et à décharge… Dans la législation rwandaise, le principe du contradictoire est affirmé à l’article 119 de la loi du 12/06/2004 portant modes et administration de la preuve. Ce texte, dans la lignée de l'article 17 de l’ancien Code de procédure pénale du 23 février 1963 dispose : «en matière pénale, la

69 Voir RMP 4974/S12/UJ, Ch. Sp. TPI Kigali, 22/02/1999, affaire RUTAYISIRE Théogène, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 10, 2ème feuillet, 6ème « Attendu », P. 166. Voir aussi RMP 78 868/S2/KRL, Ch. Sp. TPI Cyangugu, 06/08/1998, affaire RWAMULINDA Antoine et Consorts, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome III, décision n° 3, 10ème feuillet, 3ème attendu, P. 104. Le Tribunal rendant jugement prononce la remise pour permettre la déposition des témoins à décharge.

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preuve peut être établie par tous moyens de fait ou de droit pourvu qu'ils soient soumis aux débats contradictoires ». Dans le contentieux du génocide, les juges ont parfois fondé leur décision de soumettre le témoin au débat contradictoire sur l’article 14 alinéa 3-e) du Pacte international sur les droits civils et politiques. Tel a été le cas dans une décision en date du 27/07/1998 de la Chambre spécialisée du Conseil de guerre, en cause BIZIMANA et consorts70. De même, les juges ont été amenés à affirmer que le principe du contradictoire doit s’étendre à tous les actes susceptibles de fonder la décision du juge, y compris notamment les descentes effectuées par la juridiction sur les lieux des faits. Dans l’affaire TWAHIRWA François, la Chambre spécialisée du Tribunal de Première Instance de Kibungo a notamment indiqué que la descente sur les lieux des faits devait se faire en présence des juges et des parties71. 1.7. Le droit au silence : le droit de ne pas être forcé de témoigner

contre soi-même ou de s’avouer coupable Aux termes de l’article 14 alinéa 3-g) du Pacte international sur les droits civils et politiques, la personne accusée d’une infraction pénale a le droit de ne pas être forcée de témoigner contre elle-même et de ne pas être contrainte à s’avouer coupable. Cette disposition implique la possibilité pour l’accusé de garder le silence s’il le souhaite. Le droit au silence implique qu’aucune conséquence relative à la culpabilité du prévenu ne doit être tirée de son silence. Viole le droit au silence du prévenu, toute décision de culpabilité qui serait motivée par le refus de s’exprimer du prévenu. L’adage populaire selon lequel « qui ne dit mot consent » n’a ici aucune valeur. La règle serait plutôt, en la matière: QUI NE DIT MOT NE CONSENT PAS. Un autre corollaire important du droit au silence est que jamais le prévenu ne peut être contraint à avouer. Tous les aveux obtenus

70 RMP 1879/AM/KGL/IKT/97, Conseil de Guerre Butare, 27/07/1998, affaire BIZIMANA Pierre alias RWATSI et Consorts (décision non encore éditée). 71 RMP 8842/ND/S3/Kgo/SJ, Ch. Sp. TPI Kibungo, 16 juin 1999, affaire TWAHIRWA François, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome I, à partir du 12ème « Attendu » de la décision, P. 44.

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irrégulièrement doivent être écartés. L’irrégularité de l’aveu peut être liée à la contrainte exercée pour l’obtenir ou même à la ruse ou à la fraude utilisées. En droit interne, la nouvelle loi sur les modes et administration de la preuve n’aborde l’aveu que dans le titre réservé à la preuve en matière civile. L’article 110 alinéa 4 reconnaît la possibilité de révoquer l’aveu lorsqu’il est fait à la suite « d’une contrainte physique ou d’une erreur de fait »72. En application de l’article 120 de la même loi, cette disposition prévue en matière civile peut s’appliquer également en matière pénale73. 1.8. Le droit à un procès public Le droit à un procès public comporte deux aspects : la publicité des débats et la publicité du prononcé de la décision. La publicité des débats et celle du prononcé peuvent être considérées comme une garantie fondamentale de la justice et de son caractère non-arbitraire. L’article 141 de la Constitution garantit le droit à un procès public. Ce texte organise différemment la publicité des audiences et la publicité du prononcé de la décision. En ce qui concerne la publicité des audiences, l’article 141 alinéa 1er dispose : « les audiences des juridictions sont publiques sauf huis clos prononcé par une juridiction lorsque cette publicité est dangereuse pour l’ordre public ou les bonnes mœurs »74. En droit rwandais – comme ailleurs - la règle de la publicité des audiences n’a donc pas un caractère absolu. Elle peut être limitée par le huis clos. Les causes qui peuvent entraîner le prononcé du huis clos sont limitées: seules peuvent le justifier les exigences de la protection de l’ordre public et des bonnes mœurs. Dans le contentieux du génocide, les cas de huis clos n’ont pas été nombreux à ce jour. L’on peut cependant signaler le huis clos prononcé par le Conseil de Guerre dans l’affaire RWAHAMA Anaclet, huis clos devant permettre à deux jeunes filles qui accusaient le prévenu de viol de

72 Article 100 al. 4, loi n° 15/2004 du 12/06/2004 portant modes et administration de la preuve, op.cit. 73 Article 120, ibid : « Sans préjudice de l’article 119 de la présente loi, les dispositions relatives à la preuve en matière civile, peuvent s’appliquer en matière pénale ». 74 Article 141 al. 1er, Constitution du 04 juin 2004, op. cit.

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témoigner plus sereinement et plus discrètement75. Le fait pour la juridiction de publier ensuite le nom des jeunes filles en question paraît peu cohérent par rapport à cette première approche plus respectueuse. Le maintien de l’anonymat des victimes eût été plus adéquat. En ce qui concerne la publicité du prononcé, l’article 141 alinéa 2 de la Constitution prévoit que tout jugement « (…) doit être prononcé avec ses motifs et ses dispositifs en audience publique »76. Cette disposition suggère que, contrairement à la règle de la publicité des débats, le principe de la publicité du prononcé de la décision ne souffre pas d’exceptions. 1.9. Le droit à une décision judiciaire motivée L’obligation qu’a le juge de motiver la décision qu’il rend a valeur constitutionnelle. En effet, l’article 141 alinéa 2 in limine, indique que «tout jugement ou arrêt doit être motivé et entièrement rédigé »77. Ce texte fait non seulement obligation au juge de rédiger entièrement sa décision avant de la prononcer, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici78, mais il fait surtout obligation au juge de motiver sa décision. L’obligation de motivation est une garantie fondamentale contre l’arbitraire : le juge est ainsi tenu de révéler les éléments à partir desquels il a pu forger sa conviction, et expliciter le raisonnement qui a été le sien. La décision doit être motivée en fait et en droit. Les motifs en question doivent être affirmatifs. Ne satisfont pas à l’obligation de motiver, les décisions dans lesquelles il y a :

- une absence ou une insuffisance des motifs, en ce que les motifs ne permettent pas de savoir ce qui a déterminé le juge ;

- une contrariété entre motifs ou entre motifs et dispositif. La contrariété entre motifs qui s’annulent ne permet pas de dire

75 RMP 1555/AM/KGL/NZF/97, Ch. Sp. du Conseil de guerre, 24/11/1998, affaire RWAHAMA Anaclet, Recueil de jurisprudence ASF et Cour suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 18, 12ème feuillet, à partir du 8ème « Attendu », P. 297 et Ss. 76 Article 141 al. 2 in fine, Constitution du 04 juin 2004, op. cit. 77 Article 141 al. 2 in limine, Constitution du 04 juin 2004, op cit. 78 L’on sait que, dans la pratique, le texte du jugement ou de l’arrêt n’était, dans la plupart des cas, disponible que plusieurs mois après le prononcé du seul dispositif en audience publique.

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finalement pour quelle solution le juge a opté, alors que la contrariété entre motifs et dispositif illustre une incohérence, voire un manque de logique dans le raisonnement du juge.

- des motifs hypothétiques ou dubitatifs, notamment lorsque le juge au lieu d’être affirmatif émet des suppositions, recourant par exemple au mode conditionnel ;

- des motifs ne répondant pas aux arguments des parties. - des motifs erronés ou dépourvus de base légale. Il s’agit de

motifs contenant soit une erreur de fait soit une erreur de droit.

Dans le cadre du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité, il est arrivé que les juges d’appel déclarent le recours recevable79 et infirment la décision des premiers juges en raison du caractère inadéquat de la motivation. Dans l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Cyangugu en date du 06/07/1999, en cause MUNYANGABE Théodore, la Cour constate que le tribunal ne montre pas de preuves sur lesquelles il s’est fondé pour affirmer que « le conseil de sécurité a envoyé le prévenu exterminer ceux qui ont demandé secours »80. Le défaut de motivation est l’une des raisons qui amèneront la Cour à déclarer l’appel recevable et à réformer le jugement prononcé en première instance. 1.10. Le droit à être jugé dans un délai raisonnable Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable est une garantie fondamentale lors du procès pénal. Il est d’autant plus impérieux que le prévenu est en détention préventive. L’article 14 alinéa 3-c) du Pacte international sur les droits civils et politiques exige que la personne accusée soit jugée « sans retard excessif ». La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, en son article 7 alinéa 1-d), énonce clairement le droit de la personne accusée d’être jugée dans un délai raisonnable.

79 Rappelons que, sous l’empire de la loi organique de 1996, seuls les appels fondés sur une question de droit ou sur une erreur de fait manifeste étaient recevables (article 24). Le défaut de motivation a pu être retenu au titre de “violation de la loi” et valoir au recours d’être déclaré recevable. 80 RPA 003/R1/97 , Cour d’appel de Cyangugu, 06/07/1999, affaire MUNYANGABE Théodore, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome III, 6ème feuillet, 4ème « Constate » in fine, P. 264.

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Pour la computation de la durée d’un procès, on tient compte du moment où la personne a été inculpée ou même du moment de la détention comme dies a quo (date du début) et du moment où la décision définitive sur l’accusation pénale est rendue comme dies ad quem (date de fin). La question qui se pose ici est justement celle de l’appréciation du caractère “raisonnable” du délai. A partir de quand peut-on estimer que la durée du procès est excessive ou déraisonnable et que, partant, le procès n’est plus équitable ? Il est important de souligner qu’il n’existe pas un nombre prédéterminé de jours, de semaines, de mois ou d’années à partir desquels l’on peut conclure à un retard excessif de la procédure. Le caractère raisonnable de la durée du procès s’apprécie in concreto, au cas par cas, au regard de trois éléments pertinents :

� La nature et la complexité de l’affaire : il s’agit de tenir compte du type d’affaire en cause. L’on exigera qu’une affaire de vol simple soit jugée dans un délai moins long qu’une affaire de criminalité transfrontalière, pour laquelle une série de procédures complexes sont requises. Dans le contentieux du génocide, le jugement d’un seul prévenu qui a recouru à la procédure d’aveu devrait nécessiter moins de temps qu’un procès groupé de 80 prévenus dont la majorité plaide non coupable.

� Le comportement de l’accusé : il s’agit de vérifier si l’accusé

n’est pas lui-même à l’origine, en partie au moins, du retard accusé dans le traitement de la cause. L’accusé dont l’attitude est à l’origine de ce retard ne pourra valablement s’en prévaloir. Les demandes répétées et intempestives de renvoi, les manœuvres manifestement dilatoires, les obstructions diverses à l’avancée du procès sont autant d’attitudes qui pourront amener à écarter l’invocation, par celui qui en est l’auteur, de la violation de son droit à être jugé dans un délai raisonnable.

� Le comportement des autorités : lorsque le retard accusé par le

procès est dû aux dysfonctionnements de l’administration de la justice, le caractère déraisonnable de la durée du procès devra être supporté par l’Etat. Les services judiciaires de l’Etat, notamment les juges et le Ministère Public ainsi que

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l’administration pénitentiaire et les greffes se doivent donc d’éviter d’être à l’origine du retard.

Dans les procès du génocide, il y a certes eu des cas où le procès a pu se tenir relativement rapidement par rapport au moment où l’enquête avait été enclenchée et où l’inculpé avait été placé en détention préventive. Mais c’est loin d’être la règle. La détention préventive s’est rapidement généralisée en cette matière, et les cas de détention prolongée sans jugement sont encore trop nombreux. Certes, la complexité de l’affaire est souvent avérée81. Il n’en reste pas moins que le dépassement manifeste du délai raisonnable pourrait, dans certains cas, amener le juge à déclarer les poursuites irrecevables. La violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable pourrait également exposer l’Etat rwandais à des condamnations82 au plan international. Notons à ce sujet que l’argument du manque de moyens n’est pas recevable devant les instances internationales de recours évoquées plus loin. Par la mise en place des juridictions Gacaca, l’Etat rwandais tente notamment de répondre à l’exigence du délai raisonnable. Notons également que la longueur des détentions préventives déjà subies est l’une des raisons qui ont été invoquées pour motiver les nombreuses mesures de libérations provisoires intervenues depuis 200383. 1.11. Le droit au principe de la légalité des délits et des peines Le principe de la légalité des délits et des peines, dans son acception originelle latine «nullum crimen, nulla poena sine lege», est une garantie fondamentale contre l’arbitraire du législateur et du juge: pas d’infraction sans texte et pas de peine sans texte. Une condamnation ne peut se fonder sur une incrimination et une peine de circonstance, définies a posteriori.

81 On peut aussi tenir compte ici de l’ampleur exceptionnelle du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité. 82 Pour les recours possibles contre l’Etat rwandais, voir troisième partie de ce chapitre. 83 Par instruction du Président de la République en date du 1er janvier 2003, l’Etat rwandais a décidé de procéder à la libération provisoire des détenus mineurs, et des prévenus majeurs en aveux et classés dans les catégories autres que la première.

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L’article 15 alinéa 1er du Pacte international sur les droits civils et politiques dispose : « nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international au moment où elles ont été commises ». L’article 7 alinéa 2 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples abonde dans le même sens : « Nul ne peut être condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international au moment où elles ont été commises ». Ces principes du droit international sont également consacrés en droit interne rwandais, notamment par la Constitution du 04 juin 2003 dont l’article 18 alinéa 2 énonce que « nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné que dans les cas prévus par la loi en vigueur au moment de la commission de l’acte ». Au lendemain du génocide et des crimes contre l’humanité de 1994, s’est posée la question du fondement juridique sur lequel pourraient s’appuyer les poursuites et les condamnations de ces actes. D’une part, l’Etat rwandais avait ratifié la Convention du 9 décembre 194884 sur la prévention et la répression du crime de génocide, mais d’autre part il n’avait pas pris de dispositions internes sanctionnant spécifiquement ce crime. La convention prévoyait des incriminations, mais aucun texte interne ne les rendait opérantes. Le législateur a alors recouru à la notion de « double incrimination ». La loi du 30/08/1996 ainsi que celles qui lui ont succédé ont opéré une sorte de fusion entre le droit international et le droit positif interne. Le droit international incriminait le crime de génocide, les crimes contre l’Humanité et les crimes de guerre, tandis que le Code pénal rwandais prévoyait et sanctionnait des actes pouvant être constitutifs de tels crimes. Le recours à l’un et à l’autre visait le respect de la légalité des infractions et de la légalité des peines. L’un des principaux corollaires du principe de la légalité est celui de la non-rétroactivité de la loi pénale. La loi pénale ne s’applique qu’aux faits commis postérieurement à son entrée en vigueur.

84 Convention ratifiée par Décret-loi n° 08/75 du 12/02/1975.

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Lors de la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en 1948, la question de la possibilité de réprimer de manière spécifique les crimes nazis, en dépit même du principe de non-rétroactivité de la loi pénale, fit l’objet de discussions importantes. C’est, alors, le concept de « crimes contre l’humanité » qui permit de résoudre la question. Les crimes en question révoltaient la conscience humaine dans son ensemble, et l’on a considéré que la reconnaissance universelle de leur caractère criminel était antérieure à leur commission, même si c’était de manière implicite. C’est ainsi que, traduisant ce raisonnement, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 précise, au second alinéa de l’article 15 que « rien dans le présent article ne s'oppose au jugement ou à la condamnation de tout individu en raison d'actes ou omissions qui, au moment où ils ont été commis, étaient tenus pour criminels, d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations ». Le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale implique également celui de la non-rétroactivité de la peine la plus sévère. L’article 15 alinéa 1er du Pacte dispose : « (…) il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ». C’est pratiquement la même disposition qui est inscrite à l’article 20 alinéa 2 de la Constitution du 04 juin 2004. Le droit à un procès équitable ne permet pas que les règles soient changées en cours de route, au détriment de l’accusé. La non-rétroactivité de la loi pénale connaît une importante exception : celle de l’application immédiate de la loi la plus douce. Lorsqu’une nouvelle loi pénale prévoit une peine nouvelle, moins sévère que celle qui était prévue au moment de la commission des faits, le prévenu non encore jugé définitivement doit en bénéficier. Cette règle est expressément consacrée par l’article 15 alinéa 1er du Pacte : « si postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l’application d’une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ». Ces différents principes pourraient avoir une incidence particulière en ce qui concerne les peines prévues par la loi organique du 19 juin 2004 : il s’agira de vérifier si les peines ne sont pas plus sévères que celles qui étaient prévues par le Code pénal, qui était en vigueur à l’époque du génocide, ou que celles que prévoyaient les deux lois organiques antérieures. Le juge devra, en application du principe constitutionnel de

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non-rétroactivité de la loi pénale, écarter une peine plus sévère que celle qui était prévue par les lois de 1996 et de 2001. En revanche, il devra, en vertu du principe d’application immédiate de la loi la plus douce, appliquer à tous les dossiers déjà en cours les peines prévues par la loi organique du 19 juin 200485 qui, dorénavant, régit le contentieux du génocide. 1.12. Le droit au principe du non bis in idem et le droit à bénéficier

d’une indemnisation en cas d’erreur judiciaire Le Pacte international sur les droits civils et politiques prévoit distinctement le principe du non bis in idem et le droit de bénéficier d’une indemnisation en cas d’erreur judiciaire. 1.12.1. Le droit à la règle du non bis in idem Aux termes de l’article 14, alinéa 7, du Pacte international sur les droits civils et politiques, « nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ». Ce texte exclut clairement la possibilité d’être jugé une seconde fois pour un fait à propos duquel une décision définitive est déjà intervenue. Dans le contentieux du génocide, l’application de ce principe risque d’être mise à mal notamment devant les juridictions Gacaca. En effet, l’article 93 de la loi organique du 19 juin 2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions Gacaca dispose : « Le jugement peut être révisé lorsque : 1° une personne acquittée par un jugement coulé en force de chose jugée rendu par une juridiction ordinaire et que par après la Juridiction Gacaca constate sa culpabilité ;

85 Le respect du principe de l’application immédiate de la loi pénale la plus douce ne devrait pas poser de problème puisque la nouvelle loi organique est, en vertu de l’article 100, applicable immédiatement aux dossiers déjà en cours.

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2° une personne reconnue coupable par un jugement coulé en force de chose jugée rendu par une juridiction ordinaire et que par après la Juridiction Gacaca constate son innocence ; 3° une personne condamnée à une peine contraire à la loi selon les faits à sa charge (…) » Ce texte ouvre la possibilité d’avoir à répondre une seconde fois de faits pour lesquels l’on a été préalablement acquitté ou condamné. Le Rwanda ayant ratifié le Pacte, et ayant prévu dans sa Constitution que « les traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication au journal officiel, une autorité supérieure à celle des lois organiques et des lois ordinaires, sous réserve, pour chaque accord ou traité de son application par l’autre partie »86, l’on peut soutenir que le principe du non bis in idem contenu dans le Pacte devrait primer sur la « révision » prévue par la loi nouvelle loi organique sur les juridictions Gacaca. En outre, cette disposition de la loi organique ne manquera pas de poser des problèmes d’ordre pratique. En effet, il est prévu que « seule la Juridiction Gacaca d’appel a la compétence de réviser les jugements ainsi rendus »87. On peut dès lors se demander si la Juridiction Gacaca d’appel pourra réviser même les décisions judiciaires des personnes classées en première catégorie. Ceci reviendrait à reconnaître à cette juridiction la compétence pour les cas de première catégorie, en contradiction avec l’intention du législateur de n’attribuer cette compétence qu’aux seules juridictions ordinaires. De manière générale, il apparaît que la révision telle qu’organisée par la loi organique du 19 juin 2004 ici mentionnée heurte le principe du non bis in idem et s’écarte de la notion traditionnelle de révision qui est censée être faite par une juridiction supérieure et exclusivement en faveur du prévenu88.

86 Article 190, Constitution du 04 juin 2003, op. cit. 87 Article 93 alinéa 3, loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004, op. cit. 88 Sur la notion même de révision et son application, voir le chapitre consacré aux « voies de recours » dans le présent ouvrage.

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1.12.2. Le droit à la réparation en cas d’erreur judiciaire Aux termes de l’article 14 alinéa 6 du Pacte international sur les droits civils et politiques, « lorsqu’une condamnation pénale définitive est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire, la personne qui a subi une peine en raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu’il ne soit prouvé que la non révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable en tout ou partie ». Ce texte postule le principe de l’indemnisation en cas d’erreur judiciaire et engage les Etats parties à prévoir l’indemnisation pour cause d’erreur judiciaire dans leur législation interne. Dans sa législation interne, le Rwanda a prévu également l’indemnisation en cas d’erreur judiciaire constatée suite à une procédure de révision. L’article 183 du nouveau Code de procédure pénale dispose : « le jugement de révision d’où résultera l’innocence d’un condamné pourra, sur demande d’une partie, lui allouer des dommages-intérêts à raison du préjudice que lui aura causé la condamnation ». L’Etat rwandais est ainsi cohérent quant à l’engagement pris en ratifiant le Pacte. 2. LE REGIME GENERAL DE RESTRICTION DES DROITS

Certaines des règles relatives au droit à un procès équitable sont susceptibles d’être soumises à certaines restrictions. Toute limitation d’un droit doit cependant obéir à un régime strict : le droit doit demeurer la règle et la limitation, l’exception. Les trois conditions auxquelles toute limitation est soumise sont la légalité, la nécessité et la proportionnalité. 2.1. La légalité de la restriction Toute limitation d’un droit doit être prévue par la loi89. La légalité de la limitation est calquée sur le principe même de la légalité des délits et des peines. Dans la limitation des droits reconnus, on peut dire : « pas de limitation sans texte ».

89 Entendue au sens large de “texte normatif”.

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Le juge ou toute autre personne intervenant dans une procédure judiciaire ne peut donc arbitrairement décider de limiter les droits de la personne accusée tels qu’ils sont reconnus par les textes internationaux ratifiés par le Rwanda et par les textes nationaux qui ont consacré ces droits. Si nous prenons l’exemple de la publicité des audiences, le juge ne peut limiter ce droit qu’en se basant sur le fait que le huis clos (limitation) est prévu par la Constitution (article 141), dans les cas où le maintien de l’ordre public ou la protection des bonnes mœurs sont en jeu. 2.2. La nécessité de la restriction Toute restriction à l’une des règles du droit à un procès équitable doit satisfaire à la condition de nécessité. Celui qui décide de la limitation doit montrer en quoi elle est nécessaire pour protéger du risque qu’il entend éviter ou pour protéger l’intérêt que l’on entend sauvegarder. Si nous prenons l’exemple du huis clos, il ne suffit pas de montrer que cette limitation est prévue par un texte. Il faut ensuite, en ce qui concerne la nécessité de la mesure, montrer en quoi l’ordre public ou les bonnes mœurs sont menacés, et en quoi le huis clos peut résoudre le problème de l’atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. L’exigence de « nécessité » vise à vérifier la justification concrète de la mesure restrictive, et son adéquation par rapport au risque invoqué. 2.3. La proportionnalité de la restriction La limitation d’un droit relatif au procès équitable, comme de tout droit fondamental susceptible d’être soumis à des restrictions, doit être proportionnelle au risque que l’on veut prévenir. L’on pourrait illustrer cette exigence, a contrario, par le dicton « on ne prend pas un marteau pour tuer une mouche ». En ce qui concerne par exemple les restrictions au droit à des débats publics, il peut s’avérer qu’un huis clos partiel serait suffisant pour éviter le problème invoqué : s’il apparaît que cette mesure est nécessaire pour la sécurité d’un seul témoin, son maintien à l’ensemble des débats constituerait une restriction disproportionnée et donc illégitime au droit à un procès public.

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3. LES RECOURS EN CAS DE VIOLATION DES REGLES DU DROIT A UN PROCES EQUITABLE

C’est, en priorité, au juge national qu’il incombe de veiller au respect de l’ensemble des règles relatives au droit à un procès équitable. Et c’est à son égard que le justiciable revendiquera ce respect. A l’issue d’une procédure judiciaire, le justiciable peut cependant avoir le sentiment que ses droits n’ont pas été respectés. Le justiciable pourrait alors avoir recours aux systèmes de protection prévus par la Charte africaine des droits de l’Homme ou à celui prévu par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 3.1. La protection régionale : la Commission et la Cour africaines

des droits de l’Homme et des peuples La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples n’avait pas initialement prévu de mécanisme de protection juridictionnelle des droits qui y sont proclamés. Certains des rédacteurs de la Charte, à l’instar du juge KEBA MBAYE, avaient estimé qu’en Afrique, l’on n’est pas souvent en litige au sens contentieux du terme et qu’il fallait donc privilégier la conciliation à la voie judiciaire. La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples a donc longtemps été le seul mécanisme permettant de sanctionner la violation des droits reconnus dans la Charte. Elle a produit, à cet égard, une oeuvre fort intéressante qui mérite d’être mieux connue90. La Commission a cependant montré quelques limites notamment dues au fait que ses décisions n’étaient pas revêtues de la force obligatoire d’une décision juridictionnelle. L’idée de la Cour africaine a ainsi fait son chemin jusqu’à l’adoption d’un protocole le 9 juin 1998 à Ouagadougou.

90 A propos du droit à un procès équitable, voir par exemple la décision de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples dans l’affaire Avocats Sans Frontières (Pour le compte de Gaëtan BWAMPAMYE) C. Burundi, Communication n° 231/99, décision adoptée durant la 28ème session ordinaire, 23 octobre –6 novembre 2000.

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Ce protocole est maintenant entré en application après le dépôt de 15 instruments de ratification, parmi lesquels celui du Rwanda91. Il reste donc à mettre matériellement en place la Cour qui sera le véritable nouvel organe de protection des droits proclamés dans la Charte. Le droit de saisine individuel n’est cependant possible que pour les ressortissants des Etats qui ont non seulement ratifié le Protocole mais aussi accepté la clause facultative qui conditionne une telle saisine, ce qui n’est pas encore le cas de la République du Rwanda. 3.2. Le système du Pacte international relatif aux droits civils et

politiques : le Comité des droits de l’Homme Le Comité des droits de l’Homme est un organe qui a été mis en place par le Pacte international sur les droits civils et politiques. Il est composé de 18 personnalités indépendantes qui examinent les rapports faits par les Etats et aussi les communications (plaintes) faites par les Etats ou les individus. C’est par le biais des « communications » que celui qui s’estime victime de la violation de l’un des droits reconnus par le Pacte (y compris le droit à un procès équitable) peut mettre en cause la manière dont l’Etat partie au Pacte s’acquitte de ses obligations. La saisine du Comité n’est cependant possible que si l’Etat concerné en a accepté le principe au préalable. Pour les communications (plaintes) émanant d’un autre Etat-partie, il faut que l’Etat visé n’ait pas émis de réserve à l’article 41 du Pacte, qui met en place ce mécanisme. Si les Etats s’abstiennent d’une telle réserve, il faut cependant bien constater qu’en réalité, ils ne s’accusent mutuellement que très rarement de violations du Pacte. Pour les communications (plaintes) individuelles, il faut que l’Etat ait ratifié le premier protocole facultatif qui a été adopté le même jour que le Pacte. Certains Etats, comme le Rwanda, n’ont pas encore ratifié ce

91 Le Rwanda a ratifié le protocole portant création de la Cour Africaine des droits de l’Homme et des peuples par Arrêté Présidentiel n° 12 /01 du 27/03/2003, J.O. n° Spécial du 28/04/2003.

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protocole. La conséquence est que le citoyen rwandais ne peut, actuellement, saisir directement le Comité des Droits de l’Homme lorsqu’il estime que ses droits ont été violés. Lorsque l’Etat Rwandais aura ratifié le protocole, en revanche, le citoyen pourra saisir le Comité des Droits de l’Homme à condition que les voies de recours internes soient épuisées, et que l’affaire ne soit pas pendante devant une autre instance internationale, telle que la Cour africaine, par exemple. Conclusion « Si le droit n’est pas l’armurier des innocents, à quoi sert-il ? 92» Le droit à un procès équitable se situe au confluent de tous les droits. La protection des droits par le juge est l’un des moyens sûrs pour garantir leur respect optimal. Les règles relatives au droit à un procès équitable sont nombreuses et doivent être envisagées dans une perspective dynamique. Les virtualités de ce droit essentiel sont infinies et peuvent être précisées tous les jours grâce au travail du juge qui doit se percevoir comme le rempart de tous les droits.

92 Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n’aura pas lieu.

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CHAPITRE III

LE ROLE DES JURIDICTIONS ORDINAIRES DANS LE « PROCESSUS GACACA »

Introduction Tant la Constitution93 que le nouveau Code d’organisation, fonctionnement, et compétence judiciaires94 qualifient les Juridictions Gacaca de « juridictions spécialisées ». Elles font indéniablement partie du système judiciaire : la Constitution les évoque dans le chapitre qu’il consacre au « pouvoir judiciaire », et leur place dans la loi organique portant Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires le confirme. Pourtant, leur rôle est spécifique et conjoncturel. Leur création a été motivée par les problèmes spécifiques soulevés par le contentieux du génocide et des massacres. Et elles sont appelées à disparaître lorsque ce contentieux aura été clôturé. Elles font partie du « pouvoir judiciaire », tout en s’inscrivant dans sa marge : elles échappent en effet pour une grande part au système pyramidal dans lequel s’inscrivent les juridictions de droit commun et les juridictions militaires. Les décisions qu’elles prononcent ne sont en principe pas susceptibles d’un recours devant la Haute Cour de la République, devant la Haute Cour Militaire, ou devant la Cour Suprême, les Juridictions Gacaca obéissant à leur propre « pyramide ». Dans le même temps, le système Gacaca s’articule étroitement au système judiciaire classique : il investit en effet les juridictions de droit commun d’un rôle essentiel, celui de connaître des dossiers qu’il estime relever de la « première catégorie », ceux à propos desquels les enjeux sont les plus lourds, que ce soit à l’égard des accusés – qui encourent jusqu’à la peine de mort - ou à l’égard des victimes - qui demandent que

93 Article 143 de la Constitution. 94 Article 2, loi du 19 juin 2004.

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Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »

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des comptes leur soient rendus, en priorité, par les plus grands responsables du génocide-. Dans le présent chapitre, l’on s’attache à identifier la manière dont les rôles respectifs des Juridictions Gacaca et des juridictions ordinaires s’articulent, pour pouvoir cerner la manière dont celles-ci s’inscrivent dans le « processus Gacaca » : après avoir décrit la structure pyramidale des juridictions Gacaca (1), l’on décrira de manière succincte leur organisation et leur composition (2), pour souligner le rôle central joué par les Juridictions Gacaca de Cellule dans l’ensemble du processus, en tant qu’instance d’instruction (3). L’on évoquera enfin le rôle de passerelle joué par le Ministère Public (4), et les dossiers qui échappent au système Gacaca (5). 1. UNE STRUCTURE PYRAMIDALE Les Juridictions Gacaca sont organisées en structure pyramidale. Les Juridictions Gacaca inférieures sont les Juridictions Gacaca de Cellule, créées au sein de chacune des cellules que compte le pays95. Au deuxième niveau, se situent les Juridictions Gacaca de Secteur, créées au sein de chacun des secteurs que compte le pays96. Au dernier niveau, se situent les Juridictions Gacaca d’Appel, créées elles aussi au sein de chacun des secteurs que compte le pays97. Les principes retenus par la loi organique de 2001 sont maintenus : à chaque échelon est dévolue la responsabilité de juger une partie de personnes accusées d’avoir participé au génocide ou autres crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, en fonction de la catégorie de laquelle elles paraissent relever, sur base de la gravité présumée de leur implication dans ces

95 Il existe donc en principe 9013 Juridictions Gacaca de Cellule, sous réserve de fusions qui seraient rendues nécessaires, en application de l’article 6 de la loi organique du 19 juin 2004. 96 Il existe donc en principe 1545 Juridictions Gacaca de Secteur, sous réserve de fusions qui seraient rendues nécessaires, en application de l’article 6 de la loi organique du 19 juin 2004. 97 Il existe donc en principe 1545 Juridictions Gacaca d’appel au niveau du Secteur.

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Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »

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infractions, et chaque Juridiction Gacaca constituant l’instance d’appel de la juridiction inférieure98. Le jugement des personnes accusées de faits ou de responsabilités qui les rangent dans la première catégorie relève, quant à lui, des juridictions ordinaires. Cependant, la loi organique de 2004 a resserré et simplifié l’architecture du système Gacaca. La loi organique de 2001 prévoyait, en effet, outre les Juridictions Gacaca de Cellule et de Secteur, des Juridictions Gacaca de District et des Juridictions Gacaca de Province : le jugement des dossiers de quatrième catégorie était du ressort des Juridictions Gacaca de Cellule, celui des dossiers de troisième catégorie était du ressort des Juridictions Gacaca de Secteur, celui des dossiers de deuxième catégorie était du ressort des Juridictions Gacaca de District, et les Juridictions Gacaca de Province étaient l’instance d’appel des décisions prononcées en premier ressort par les Juridictions Gacaca de District. Cette simplification voulue par le législateur de 2004 est liée à la disparition de l’ancienne troisième catégorie, fondue dans la deuxième99 : le législateur a en effet choisi de ne pas exiger, dès la phase pré-juridictionnelle, la distinction entre les atteintes à l’intégrité physique portées dans l’intention de donner la mort, et les atteintes à l’intégrité physique portées sans intention de donner la mort, laissant à la juridiction de fond le soin de trancher la question de l’élément intentionnel, et d’en tirer les conséquences requises en ce qui concerne la peine. Ce faisant, la disparition des anciennes juridictions de District et de Province a aussi pour effet d’alourdir considérablement la tâche et la responsabilité des Juridictions Gacaca créées au niveau des secteurs : elles doivent désormais juger tous les dossiers de la nouvelle « deuxième catégorie »100, en première instance pour ce qui concerne les Juridictions

98 Sous réserve toutefois du fait que les jugements relatifs aux atteintes aux biens, en l’absence d’accusations de faits d’une autre nature, relèvent de la compétence des juridictions Gacaca de Cellule, et ne sont pas susceptibles d’appel. Voir article 94 de la loi organique du 19 juin 2004. 99 Voir à ce sujet le chapitre consacré à la catégorisation. 100 Les accusés de deuxième catégorie encourent, en l’absence de recours à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, une peine d’emprisonnement de vingt-cinq à trente ans.

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Gacaca de Secteur, et en degré d’appel pour ce qui concerne les Juridictions Gacaca d’Appel. Le rôle des juridictions ordinaires est, pour sa part, inchangé 101. En ce qui concerne le jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, la loi organique du 19 juin 2004 distribue les compétences comme suit :

� Les Juridictions Gacaca de Cellule sont compétentes pour :

• juger, en premier et en dernier ressort, les personnes accusées de n’avoir commis que des infractions contre les biens, celles classées dans la 3ème catégorie;

• connaître de l’opposition formée contre les jugements qu’elles ont rendus par défaut.

� Les Juridictions Gacaca de Secteur sont compétentes pour :

• connaître au premier degré des infractions dont les auteurs

ont été classés dans la 2ème catégorie, à savoir:

1. «les personnes que les actes criminels ou de participation criminelle rangent parmi les auteurs, coauteurs ou complices d’homicides volontaires ou d’atteintes graves contre les personnes ayant entraîné la mort;

2. les personnes qui, dans l’intention de donner la mort, ont causé des blessures ou commis d’autres violences graves mais auxquelles les victimes n’ont pas succombé, ainsi que leurs complices ;

3. les prévenus ayant commis d’autres actes criminels ou de participation criminelle envers les personnes sans

101 Article 2, alinéa 2, de la loi organique du 19 juin 2004 .

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l’intention de donner la mort, ainsi que leurs complices »102;

• connaître de l’opposition formée contre les jugements

qu’elles ont rendus par défaut. • connaître de l’appel d’autres décisions que celles relatives

aux biens rendues par les Juridictions Gacaca de Cellule103.

� Les Juridictions Gacaca d’Appel sont compétentes pour :

• connaître en degré d’appel des jugements prononcés au premier degré par les Juridictions Gacaca de Secteur ;

• connaître de l’opposition formée contre les jugements qu’elles ont rendus par défaut.

� Les juridictions ordinaires sont compétentes pour juger les

personnes qui relèvent de la première catégorie, à savoir :

1. « la personne que les actes criminels ou de participation criminelle rangent parmi les planificateurs, les organisateurs, les incitateurs, les superviseurs et les encadreurs du crime de génocide ou des crimes contre l’humanité, ainsi que ses complices ;

2. la personne qui, agissant en position d’autorité au

niveau national, au niveau de la Préfecture, au niveau de la Sous-Préfecture ou de la Commune, au sein des partis politiques, de l’armée, de la gendarmerie, de la police communale, des confessions religieuses ou des milices, a commis ces infractions ou a encouragé les autres à les commettre, ainsi que ses complices ;

3. le meurtrier de grand renom qui s’est distingué dans le

milieu où il résidait ou partout où il est passé, à cause du zèle qui l’a caractérisé dans les tueries ou la méchanceté excessive avec laquelle elles ont été exécutées, ainsi que ses complices ;

102 Article 51 de la loi organique Gacaca 2004, 2ème catégorie. 103 Notamment appel des jugements des infractions prévues aux articles 29 et 30 de la loi organique du 19 juin 2004 (article 42, al 2, loi organique du 19 juin 2004).

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4. la personne qui a commis les actes de tortures quand bien même les victimes n’en seraient pas succombées, ainsi que ses complices ;

5. la personne qui a commis l’infraction de viol ou les actes

de tortures sexuelles ainsi que ses complices ;

6. la personne qui a commis les actes dégradants sur le cadavre ainsi que ses complices»104.

Le lien hiérarchique qui unit les Juridictions Gacaca entre elles est coupé au niveau des juridictions ordinaires. D’une part, les juridictions ordinaires n’agissent pas en tant qu’instances d’appel pour les décisions prononcées par les Juridictions Gacaca. D’autre part, une fois saisies, elles agissent au sein de leur propre système pyramidal : elles obéissent à leurs propres règles de procédure – sauf exceptions prévues par la loi organique - et, notamment, les voies de recours ouvertes à l’encontre des décisions qu’elles prononcent sont en principe celles du droit commun105. 2. L’ORGANISATION ET LA COMPOSITION DES

JURIDICTIONS GACACA L’organisation et la composition des Juridictions Gacaca obéissent à un système pyramidal, qui va de la population de la cellule, pour aboutir au Siège de la Juridiction Gacaca d’Appel. Chaque Juridiction Gacaca comprend trois organes106: une Assemblée Générale, un Siège et un Comité de Coordination. L’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de Cellule est composée de tous les habitants de la cellule âgés de 18 ans au moins107. Elle élit en son sein le Siège de la Juridiction Gacaca de Cellule, qui sera composé de neuf Inyangamugayo, personnes intègres. Elle élit également cinq membres suppléants.

104 Article 51 de la loi organique du 19 juin 2004, catégorie 1. 105 Voir le chapitre consacré aux voies de recours. 106 Article 5 de la Loi organique du 19 juin 2004. 107 Si leur nombre n’atteint pas deux cents, plusieurs cellules peuvent être fusionnées. Voir article 6 de la loi organique du 19 juin 2004.

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Pour être éligible comme Inyangamugayo, il faut être de nationalité rwandaise, être âgé de vingt-et-un ans au moins, et répondre aux conditions suivantes :

1. « n’avoir pas participé au génocide ; 2. être exempt d’esprit de divisionnisme ; 3. n’avoir pas été condamné par un jugement coulé en force de

chose jugée à une peine d’emprisonnement de six mois au moins ;

4. être de bonne conduite, vie et mœurs ; 5. dire toujours la vérité ; 6. être honnête ; 7. être caractérisé par l’esprit de partage de la parole108 »109.

Les membres de l’ensemble des Sièges des Juridictions Gacaca de Cellule qui font partie d’un même secteur sont, d’office, membres de l’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de ce secteur. Une fois élus, se joignent à eux les membres du Siège de la Juridiction Gacaca de Secteur et de la Juridiction Gacaca d’Appel correspondantes. Ensemble, ils forment l’Assemblée Générale du Secteur qui fera office, à la fois, d’Assemblée Générale pour la Juridiction Gacaca de Secteur, et pour la Juridiction Gacaca d’Appel110. L’Assemblée Générale de Secteur élit en son sein, d’une part, neuf membres qui composeront le Siège de la Juridiction Gacaca d’Appel, et cinq suppléants, et d’autre part, neuf membres qui composeront le Siège de la Juridiction Gacaca de Secteur, et cinq suppléants111. Enfin, le Siège de chaque Juridiction Gacaca élit en son sein le Comité de Coordination, composé d’un Président, de deux vice-Présidents et de deux Secrétaires112. L’ensemble du système est « suivi, supervisé et coordonné » par le Service National de suivi, de supervision et de coordination des activités

108 Article 14 de la loi organique du 19 juin 2004. 109 Voir également les incompatibilités énoncées à l’article 15 de la loi organique du 19 juin 2004. 110 Article 7 de la loi organique du 19 juin 2004. 111 Article 13 de la loi organique du 19 juin 2004. 112 Article 11 de la loi organique du 19 juin 2004.

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des Juridictions Gacaca (S.N.J.G.) 113 qui remplace ainsi le Département des Juridictions Gacaca, ancienne section de la Cour Suprême, dans les fonctions qui étaient les siennes sous l’empire de la loi organique de 2001. S’il peut donner les instructions nécessaires relatives à la bonne marche des activités des Juridictions Gacaca et suivre de près le comportement des Inyangamugayo, il est interdit au Service National d’enjoindre les Juridictions Gacaca de juger dans tel sens ou tel autre114.

3. LE ROLE CENTRAL DES JURIDICTIONS GACACA DE

CELLULE COMME INSTANCE D’INSTRUCTION Comme on l’a vu, la Juridiction Gacaca de Cellule est investie du pouvoir d’une juridiction de fond : c’est à elle qu’il revient de juger les personnes accusées uniquement d’infractions aux biens, commises dans l’intention de participer au génocide et aux massacres. De même que les Juridictions Gacaca de Secteur et d’Appel, elle a en outre le pouvoir d’exercer les compétences qui sont liées à cette attribution : d’une part, elle peut recevoir l’aveu, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses des auteurs115, assigner accusés ou témoins, ordonner ou procéder à des perquisitions, prononcer des mesures conservatoires en ce qui concerne les biens des personnes accusées116, procéder à des enquêtes, entendre des témoins et même décerner des mandats d’amener aux accusés117, mais d’autre part, elle dispose aussi du pouvoir de connaître de délits commis au cours de l’audience ou en marge de l’audience, en rapport avec les affaires dont elle traite, de « poursuivre et réprimer les fauteurs de troubles dans la Juridiction »118, notamment les cas d’omission de témoignage ou de refus de témoignage, et les cas de tentative de pression ou de chantage visés aux articles 29 et 30 de la loi organique du 19 juin 2004.

113 Créé par la loi n° 08/2004 du 28/04/2004 portant Création, organisation, attributions et fonctionnement du Service National chargé du suivi, de la supervision et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca. 114 Article 50 de la loi organique du 19 juin 2004. 115 Voir le chapitre consacré à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses. 116 Voir article 39 de la loi organique du 19 juin 2004. 117 A ce sujet, il y a lieu de s’interroger sur l’applicabilité des dispositions du nouveau Code de procédure pénale relatives aux conditions et au contrôle juridictionnel de la détention provisoire. Voir les articles 93 à 114 du Code de procédure pénale. 118 Article 39, 6° de la loi organique du 19 juin 2004.

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En revanche, elle est la seule a être investie d’une compétence essentielle, dont l’exercice se répercute sur l’ensemble du processus judiciaire du génocide et des massacres, y compris en ce qu’il implique les juridictions ordinaires : elle pose des actes qui s’apparentent à ceux qui, en droit commun de la procédure pénale, relèveraient de l’enquête préliminaire et de l’instruction préparatoire. Du travail à son niveau, dépendra enfin la saisine de la juridiction de jugement. L’on distingue donc, dans les pouvoirs conférés à la Juridiction Gacaca de Cellule, ceux qui relèvent de la phase juridictionnelle de ceux qui relèvent de la phase pré-juridictionnelle. C’est à la Juridiction Gacaca de Cellule qu’il appartient de « mener l’enquête ». Elle s’appuie pour ce faire sur le devoir qu’ont « tous les habitants de la cellule (…) de relater les faits qui se sont produits là où ils habitaient et (d’en) fournir des preuves en dénonçant les auteurs et en identifiant les victimes »119. Ils sont appelés à livrer les informations dont ils disposent au cours des réunions de l’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de Cellule, à qui il revient en effet d’assister le siège de la Juridiction Gacaca dans la confection de la liste : « a. des personnes qui habitent la cellule ; b. des personnes qui habitaient la cellule avant le génocide, les

lieux de leur réinstallation et les voies et moyens utilisés pour y parvenir ;

c. des personnes qui ont été, dans la cellule, victimes du génocide (ou d’autres crimes contre l’humanité)120;

d. des personnes qui ne résidaient pas dans la cellule mais qui y ont été tuées ;

e. des personnes qui résidaient dans la cellule mais qui ont été tuées à d’autres endroits ;

f. des victimes et leurs biens endommagés ;

119 Article 33, in fine, de la loi organique Gacaca 2004. 120 Cette disposition omet les victimes d’ « autres crimes contre l’humanité ». La lecture du dernier alinéa de l’article 34, qui définit la victime comme toute personne qui a subi l’un des actes énumérés « à cause de son ethnie ou ses opinions contraires à l’idéologie du génocide » indique cependant qu’elles doivent évidemment figurer sur la liste des victimes.

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g. des auteurs présumés des infractions visées par la (…) loi organique ».

L’Assemblée Générale doit également « présenter les moyens de preuve et les témoignages à charge ou à décharge pour les auteurs présumés de crime de génocide ou de crimes contre l’humanité »121 : Sur la base des informations ainsi recueillies en Assemblée Générale, le Siège de la Juridiction Gacaca de Cellule peut procéder à des enquêtes sur les témoignages déposés122. Il doit enfin établir la version finale de la liste123 mentionnée plus haut. Une fois ce dossier d’« instruction » clôturé, le Siège de la Juridiction Gacaca de Cellule va, au vu des éléments qu’elle a pu rassembler, procéder à la « catégorisation » des personnes qui figurent sur la liste des accusés qu’elle a établie, en fonction de leur implication présumée dans le génocide ou les massacres, et de la gravité des actes dont elles ont à répondre. De la proposition de catégorie faite à ce stade, dépendra la désignation de la juridiction compétente pour en connaître. C’est en effet encore la Juridiction Gacaca de Cellule qui, en fonction de la catégorie qu’elle retient à ce stade du processus, saisit la juridiction ou l’instance appropriée : elle conservera, pour en connaître dans la phase juridictionnelle, les dossiers de troisième catégorie ; elle transmettra à la Juridiction Gacaca de Secteur les dossiers de deuxième catégorie ; enfin, elle transmettra les dossiers de première catégorie au Ministère Public, qui saisira à son tour les juridictions de droit commun. En-dehors de la question des dossiers qui leur avaient été transmis avant l’entrée en vigueur de la loi organique du 19 juin 2004, et dont ils restent saisis124, la saisine des tribunaux ordinaires dans le cadre du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité dépend donc d’une décision prise, en phase pré-juridictionnelle, par la Juridiction Gacaca de Cellule.

121 Article 33 de la loi organique du 19 juin 2004. 122 Article 34, 5° de la loi organique du 19 juin 2004. 123 Article 34 de la loi organique du 19 juin 2004. 124 Voir article 100 de la loi organique du 19 juin 2004.

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4. LE MINISTERE PUBLIC : UN ROLE DE « PASSERELLE » ENTRE LES JURIDICTIONS GACACA ET LES JURIDICTIONS ORDINAIRES

Le Ministère Public joue ici le rôle d’intermédiaire entre le système Gacaca et le système judiciaire ordinaire. Tous les dossiers de première catégorie lui sont transmis par la Juridiction Gacaca de Cellule, avant qu’il en saisisse à son tour la juridiction ordinaire appropriée. De même, si une Juridiction Gacaca de Secteur constate, au stade préliminaire de l’examen de l’affaire, que c’est à mauvais escient qu’un dossier lui a été transmis, elle en restera saisie pour examen au fond s’il concerne, à son estime, des faits qui rattachent le prévenu à la troisième catégorie, tandis qu’elle transmettra le dossier au Ministère Public si les faits lui paraissent relever de la première catégorie125 : la Juridiction Gacaca de Secteur peut en effet juger des dossiers « en-deça » de sa compétence normale, mais elle ne peut outrepasser celle-ci. Le Ministère Public à qui un dossier de première catégorie a été transmis saisira alors la juridiction ordinaire appropriée. 5. LES DOSSIERS QUI ÉCHAPPENT AU SYSTEME GACACA Deux types de dossiers échappent au système Gacaca proprement dit. Il s’agit, d’une part, des dossiers de viol et de tortures sexuelles, et d’autre part, des dossiers qui avaient déjà été transmis par le Parquet aux juridictions ordinaires, avant l’entrée en vigueur de la loi organique du 19 juin 2004, pour toutes les infractions qualifiées de génocide ou de crimes contre l’humanité par la loi. En ce qui concerne les dossiers de violences sexuelles, cette exception est la traduction d’un souci de confidentialité à l’endroit des victimes. Celles-ci sont invitées à déposer plainte entre les mains d’un ou de plusieurs Inyangamugayo en qui elles ont confiance, qui transmettra le dossier « secrètement » au Ministère Public, sans qu’il ait au préalable été débattu en Assemblée Générale. La victime peut également choisir de déposer plainte directement entre les mains du Ministère Public, qui

125 Article 36, 4° de la loi organique du 19 juin 2004.

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poursuit les enquêtes, sans passer par la Juridiction Gacaca. Les actes de viol et de tortures sexuelles classent les personnes qui en sont accusées en première catégorie : dans un cas comme dans l’autre, le Ministère Public saisira, aux fins de jugement, la juridiction ordinaire compétente, sans détour par le système Gacaca126. En ce qui concerne les dossiers dont avaient été saisies les juridictions ordinaires avant l’entrée en vigueur de la loi organique de 2004, le régime transitoire mis en place par la loi organique de 2004 prévoit que celles-ci127 en restent saisies128 et ce, quelle que soit la catégorie dans laquelle il a été proposé de classer l’accusé : sous l’empire de la loi organique de 1996, en effet, les Chambres spécialisées des tribunaux ordinaires – abrogées par la loi organique de 2001 - étaient compétentes pour l’ensemble du contentieux du génocide et des massacres, quelle que soit la catégorie. Ces dossiers échapperont donc eux aussi au système Gacaca. Conclusion Le système Gacaca est un système hybride qui, sollicitant une institution de droit coutumier, intègre dans le même temps des concepts propres au système de droit écrit, au droit pénal, et à la procédure pénale. Tout en s’appuyant sur les vertus de la « mise en débat » d’une affaire qui déchire la communauté, il prévoit des jugements et des sanctions. De même, le système Gacaca fait appel, d’une part, à des « Juridictions Gacaca » qui lui sont propres, et dont l’existence est strictement conjoncturelle, et d’autre part, à des juridictions pénales ordinaires qui s’inscrivent dans la durée, et sont compétentes dans les contentieux les plus divers.

126 Voir article 38 de la loi organique du 19 juin 2004. 127 Sous réserve, bien entendu de l’application du nouveau Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires, qui a pour effet de transférer les dossiers qui relevaient du Tribunal de Première Instance au Tribunal de Province ou de la Ville de Kigali correspondant, les dossiers qui relevaient d’une Cour d’Appel, à la Haute Cour de la République, les dossiers qui relevaient du Conseil de Guerre, au Tribunal Militaire, les dossiers qui relevaient de la Cour Militaire, à la Haute Cour Militaire et les dossiers qui étaient pendants devant la Cour de Cassation, à la Cour Suprême. Voir articles 180 et suivants du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires. Voir également le chapitre consacré aux compétences d’attribution. 128 Article 100 de la loi organique du 9 juin 2004.

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Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »

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C’est encore de dualité qu’il est question, si l’on considère, d’une part, que les Juridictions Gacaca sont investies d’une immense confiance et d’un énorme crédit, postulant les vertus de la justice participative et l’idée que c’est de la « base » que la vérité pourra le mieux émerger, et d’autre part, que c’est aux juridictions ordinaires, professionnalisées, que restent confiés, en phase de jugement, les dossiers les plus délicats, à savoir, ceux qui concernent les personnes accusées des faits les plus graves et des responsabilités les plus lourdes dans le génocide et les autres crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994. Tout en laissant aux Juridictions Gacaca de Cellule le soin d’instruire ces dossiers les plus lourds, le législateur a choisi d’en confier le jugement à des juridictions de droit commun, estimant sans doute que les enjeux requéraient qu’ils soient traités par des tribunaux composés de professionnels, et devant lesquels l’ensemble des garanties procédurales sont de mise. L’articulation harmonieuse des rôles des unes et des autres sera le gage de la réussite du processus Gacaca et du règlement judiciaire du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité dans son ensemble.

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CHAPITRE IV

L’APPLICATION DE LA LOI ORGANIQUE DU 19 JUIN 2004 DANS LE TEMPS, ET SON ARTICULATION AVEC D’AUTRES

INSTRUMENTS JURIDIQUES

Introduction La loi organique du 19 juin 2004 succède à deux autres textes qui, avant elle, ont régi le contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité. La question de l’application dans le temps de cette nouvelle loi, et du sort des dossiers dont l’examen avait été entamé sous l’empire des autres textes se pose. D’autre part, la nouvelle loi organique concerne, à la fois, les juridictions Gacaca dont elle définit et borne les compétences, mais également les juridictions ordinaires, dans la mesure où celles-ci restent compétentes. En ce qui concerne ces dernières, que la loi organique n’a nullement vocation à régir intégralement, se pose la question des limites entre l’application de la loi organique, et celle du droit commun. Dans ce chapitre, l’on évoquera les principes qu’édicte la loi quant à l’étendue de sa propre application par rapport aux juridictions ordinaires: la loi organique est d’applicabilité immédiate (1), sauf dans les cas prévus par la loi organique, c’est le droit commun de la procédure qui s’applique devant les juridictions ordinaires (2) et la loi organique s’applique aux juridictions ordinaires en ce qui concerne l’objet du litige (3). 1. LE PRINCIPE DE L’APPLICABILITE IMMEDIATE La nouvelle loi est d’application immédiate, à dater de sa publication, à savoir, le 19 juin 2004 : Article 106 : « La présente loi organique entre en vigueur le jour de sa publication au Journal Officiel de la République du Rwanda ».

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L’application de la loi organique du 19 juin 2004 dans le temps, et son articulation avec d’autres instruments juridiques

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1.1. L’applicabilité aux affaires en cours La nouvelle loi est d’application immédiate aux affaires en cours, déjà pendantes devant les tribunaux. Son entrée en vigueur n’a cependant pas pour effet de dessaisir les tribunaux qui avaient été valablement saisis sous l’empire des lois antérieures. De même, les actes de procédure régulièrement posés sous l’empire de ces lois restent valables. Article 100 : « Les affaires déjà transmises aux tribunaux avant la publication de la présente loi organique au Journal Officiel de la République du Rwanda seront jugées par ces mêmes tribunaux. Ils appliquent les dispositions relatives à la procédure de droit commun sous réserve des dispositions particulières prévues par la présente loi organique. Quant à l’objet de litige, les dispositions de la présente loi organique sont appliquées ». 1.2. L’abrogation expresse des lois antérieures régissant le

contentieux du génocide, et implicite des autres dispositions antérieures contraires

La nouvelle loi a pour effet d’abroger les dispositions des lois qui, jusqu’à la date de son entrée en vigueur, régissaient le contentieux du génocide et des massacres. Plus généralement, elle abroge toutes dispositions antérieures contraires, dont l’application doit par conséquent être écartée si une disposition de la loi organique retient une solution divergente. Article 105 : « La loi organique n° 08/96 du 30 août 1996 portant organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide et des crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 (et le 31 décembre 1994), et la loi organique n° 40/2000 du 26 janvier 2001 portant création des juridictions Gacaca et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, telle que modifiée et complétée à ce jour, ainsi que toutes les autres dispositions antérieures contraires à la présente loi organique, sont abrogées».

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L’application de la loi organique du 19 juin 2004 dans le temps, et son articulation avec d’autres instruments juridiques

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2. L’APPLICATION DU DROIT COMMUN DE LA PROCEDURE PAR LES JURIDICTIONS DE DROIT COMMUN, SOUS RESERVE DES EXCEPTIONS PREVUES PAR LA LOI

2.1. La règle générale : application du droit commun de la procédure Saisies d’un dossier lié au contentieux du génocide ou des massacres, les juridictions ordinaires doivent en principe appliquer les règles de procédure du droit commun. Article 2, al. 2 : « Les personnes relevant de la première catégorie telles que définies par l’article 51 de la présente loi organique sont justiciables des juridictions ordinaires qui appliquent les règles de procédure de droit commun (...)» 2.2. Le droit commun de la procédure n’est écarté que si la loi

organique le spécifie Les juridictions ordinaires ne s’écarteront de la procédure de droit commun que dans les cas où la loi organique l’indique. Article 2, al. 2, in fine : « (les) juridictions ordinaires (…) appliquent les règles de procédure de droit commun sous réserve des exceptions prévues par la présente loi organique ». Les procédures particulières mises en place par la loi Gacaca ne s’appliqueront donc que dans les cas où la lecture des dispositions qui y sont relatives indique qu’elles visent les juridictions ordinaires aussi bien que les juridictions Gacaca. Il en va ainsi, par exemple, de la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, qui peut bénéficier aux prévenus de 1ère catégorie. Ces principes s’appliquent tant pour les nouveaux dossiers que pour les dossiers qui avaient déjà été transmis aux juridictions ordinaires et n’avaient pas encore été définitivement jugés à la date de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

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L’application de la loi organique du 19 juin 2004 dans le temps, et son articulation avec d’autres instruments juridiques

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3. L’APPLICATION DE LA LOI ORGANIQUE EN CE QUI CONCERNE L’ « OBJET DU LITIGE »

La loi spécifie que, s’agissant de l’« objet du litige »129, c’est la loi organique qui prévaut. Par « objet du litige », le législateur entend désigner le fond, à savoir, essentiellement, les infractions visées par la loi organique, et les peines qu’elle prévoit. Article 2, al. 3 : « Quant à l’objet du litige, on applique exclusivement les dispositions de la présente loi organique ». Cela étant, la distinction entre les dispositions qui, au sein de la loi organique, relèvent de « l’objet du litige » et les autres n’est pas toujours commode, et le juge devra parfois faire oeuvre d’interprétation. Conclusion L’ensemble des règles générales qu’énonce la loi organique quant à son applicabilité dans le temps et quant à son articulation avec d’autres instruments juridiques ne résout pas toutes les questions que le magistrat des juridictions ordinaires aura à se poser dans le traitement pratique du contentieux du génocide. La loi du 19 juin 2004 est en effet silencieuse sur un certain nombre de points. Son énoncé, autant que le libellé de l’article 1er témoignent de ce qu’elle a été rédigée à destination des juridictions Gacaca dont elle règle l’ « organisation, la compétence et le fonctionnement », et non pas à celle des juridictions ordinaires. La loi ne réserve qu’une attention très limitée au rôle résiduel mais fondamental qu’elles conservent dans le traitement du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité : seul l’article 2, al. 2 mentionne ce rôle de manière explicite. Pour le surplus, le juge doit tantôt faire application de la loi organique, tantôt recourir au droit commun, tantôt faire œuvre d’interprétation. Il sera guidé dans cette interprétation et aura à résoudre une série de questions à la lumière des

129 En kinyarwanda : « ku byerekeye ikiburanwa » ; en anglais : « the subject of the action ».

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L’application de la loi organique du 19 juin 2004 dans le temps, et son articulation avec d’autres instruments juridiques

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principes généraux du droit, des conventions internationales qui lient la République du Rwanda, de la Constitution et du droit commun.

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CHAPITRE V

LES REGLES ATTRIBUTIVES DE COMPETENCE AUX JURIDICTIONS ORDINAIRES

Introduction Le deuxième alinéa de l’article 2 de la loi organique du 19 juin 2004 rend seules compétentes, comme juridictions de jugement, les « juridictions ordinaires » pour juger les personnes accusées d’actes qui les rattachent à la première catégorie des auteurs, coauteurs ou complices du génocide ou d’autres crimes contre l’humanité. Il s’agit de déterminer quelles juridictions sont compétentes au plan matériel (1), de s’interroger sur le sort qui doit être réservé aux affaires connexes dont certains auteurs sont justiciables des juridictions ordinaires, et d’autres sont justiciables des juridictions Gacaca (2), et enfin, d’évoquer la compétence territoriale des juridictions ordinaires dans le contentieux du génocide et d’autres crimes contre l’humanité (3). 1. LA DETERMINATION DU TRIBUNAL COMPETENT AU

PLAN MATERIEL 1.1. La compétence des juridictions ordinaires pour les personnes

classées en première catégorie Les juridictions ordinaires restent seules compétentes pour juger les personnes accusées d’actes qui les rattachent à la « première catégorie », autrement dit, les personnes qui ont à répondre des faits et des responsabilités les plus graves dans le génocide et les massacres et qui, en conséquence, encourent les peines les plus lourdes. Les dossiers des personnes que la Juridiction Gacaca a, en phase pré-juridictionnelle, classées en première catégorie sont donc transmis au Parquet qui, à son tour, saisit la juridiction ordinaire compétente.

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Article 2, al. 2 : « Les personnes relevant de la première catégorie telles que définies par l’article 51 de la présente loi organique sont justiciables des juridictions ordinaires (…) ». Cette disposition fait écho à l’article 152 de la Constitution, qui dit : « Il est institué des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité (…), excepté ceux qui relèvent de la compétence d’autres juridictions ». 1.2. Quelles sont les « juridictions ordinaires » compétentes ? 1.2.1. La compétence des tribunaux de Province et de la Ville de

Kigali au premier degré, et la compétence de la Haute Cour en degré d’appel

Alors que la loi organique de 1996 avait créé, au sein des Tribunaux de Première Instance et des juridictions militaires, des Chambres Spécialisées pour connaître du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité130, la loi organique de 2001 les avait abolies131. En phase de jugement, les dossiers de « première catégorie » étaient attribués aux Tribunaux de première instance au premier degré, et aux Cours d’Appel en degré d’appel. La loi organique du 19 juin 2004 ne désigne pas précisément les juridictions « ordinaires » dorénavant compétentes pour juger les prévenus classés en « première catégorie ». Il convient dès lors de s’en référer à la nouvelle loi organique n° 07/2004 du 25/04/2004 portant Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires. L’article 28 évoque l’existence et la compétence des juridictions Gacaca, confirmant qu’elles sont « chargées des poursuites et du jugement du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, à l’exception des crimes dont la loi attribue la compétence à d’autres juridictions ».

130 Article 19 de la loi organique du 30 août 1996. 131 Article 96 de la loi organique du 26 janvier 2001.

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C’est l’article 72 qui charge expressément les Tribunaux de Province et de la Ville de Kigali de « juger les personnes que les actes constitutifs du crime de génocide et des crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, rangent dans la première catégorie ». Il convient de noter que cette compétence n’est pas « naturelle » pour les Tribunaux de Province et de la Ville de Kigali : rappelons en effet que, en application de l’article 89 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires, c’est la Haute Cour qui, en principe, est compétente, au premier degré, en matière de meurtre et d’assassinat. Par définition, la majorité des prévenus de première catégorie seront accusés de meurtres ou d’assassinats –constitutifs du crime de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité-. Le caractère exceptionnel de cette compétence est confirmé à la lecture de l’article 89 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires : si c’est à la Haute Cour qu’il attribue la compétence de juger au premier degré, notamment, les civils accusés de crime de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité, il est précisé que c’est «à l’exception de ceux commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 qui restent de la compétence des juridictions Gacaca et des Tribunaux de Province et de la Ville de Kigali ».

La compétence extraordinaire qui revient ainsi aux Tribunaux de Province et de la Ville de Kigali est d’autant plus lourde qu’ils siègeront dorénavant à juge unique, en application de l’article 16 du nouveau Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires. En application du droit commun, c’est à la Haute Cour qu’il revient de juger, en degré d’appel, les personnes accusées de faits les classant dans la première catégorie des auteurs du crime de génocide et des autres crimes contre l’humanité : elle est en effet compétente pour connaître « de l’appel des jugements rendus au 1er ou au 2ème degré par les Tribunaux de Province ou de la Ville de Kigali siégeant en matière pénale »132.

132 Article 105 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.

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1.2.2. La question de la compétence des juridictions militaires à l’égard des militaires

S’agissant du cas particulier des militaires, il subsiste une incertitude. L’article 138 de la loi organique portant Code d’organisation, fonctionnement et compétences judiciaires désigne le Tribunal militaire comme étant « compétent pour juger les militaires, quel que soit leur grade, poursuivis pour le crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 que la loi range dans la première catégorie ». L’on sait d’autre part que tant cette loi que la Constitution classent les juridictions militaires parmi les « juridictions spécialisées », par opposition aux juridictions qualifiées d’« ordinaires ». Or, s’agissant du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité, l’article 2 de la loi organique du 19 juin 2004, en son point 2, réserve aux « juridictions ordinaires » la compétence de juger les personnes relevant de la première catégorie. Il y a donc, en apparence, contradiction entre l’article 2.2 de la loi du 19 juin 2004 et l’article 138 de la loi portant Code d’organisation, fonctionnement et compétences judiciaires. Une série d’arguments plaident cependant en faveur de la compétence des juridictions militaires pour les militaires relevant de la première catégorie. Soulignons d’abord le fait que la date d’entrée en vigueur de la loi organique portant Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires133 est postérieure à celle d’entrée en vigueur de la loi portant organisation, compétence et fonctionnement des Juridictions Gacaca134. Toutes deux entraient en vigueur le jour de leur publication au

133 En vertu de son article 187, le jour de sa publication au Journal Officiel, soit le 15 juillet 2004. 134 En vertu de son article 106, le jour de sa publication au Journal Officiel, soit le 19 juin 2004.

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Journal Officiel. La loi “Gacaca” a été publiée le 19 juin 2004, tandis que la loi portant “organisation” a été publiée le 15 juillet 2004. La loi organique du 26 janvier 2001 excluait expressément, pour les infractions relevant de son champ d’application, le bénéfice des privilèges de poursuite et de juridiction prévus par le droit commun : « les personnes bénéficiant du privilège de poursuite et du privilège de juridiction en application des lois en vigueur sont, lorsqu’elles sont soupçonnées d’avoir commis des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, poursuivies suivant la procédure prévue par la présente loi organique et sont justiciables des juridictions qu’elle prévoit »135 : sous son empire, les militaires échappaient à la compétence des juridictions militaires. La loi organique de 2004, pour sa part, s’abstient de reproduire une disposition similaire. Ce silence quant à la question des privilèges de poursuite et de juridiction semble indiquer que le législateur a souhaité, à cet égard, en revenir au droit commun et, par conséquent, à la règle qui veut que les militaires soient jugés par les juridictions militaires. Rappelons d’autre part que l’article 152 de la Constitution limite la compétence qu’elle attribue aux juridictions Gacaca dans le contentieux du génocide aux crimes qui ne relèvent pas de la compétence d’« autres juridictions », sans exclure les juridictions militaires. En vertu de l’article 154 de la Constitution: “(...)Le Tribunal Militaire connaît au premier degré de toutes les infractions commises par les militaires quel que soit leur grade", tandis que l’article 155 précise que c’est à la Haute Cour Militaire qu’il appartient de juger « au premier degré de toutes les infractions d’atteinte à la sûreté de l’Etat et d’assassinat commises par les militaires quel que soit leur grade ». En conséquence, l’interprétation qui priverait les juridictions militaires de la compétence de juger les militaires accusés d’actes de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité et classés en première catégorie ne pourrait se faire qu’au mépris de la Constitution. Cet ensemble d’éléments amène les auteurs à considérer que, en visant les “juridictions ordinaires” en son article 2.2, la loi portant organisation,

135 Article 2, 4è§, de la loi organique du 26 janvier 2001.

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compétence et fonctionnement des Juridictions Gacaca vise en réalité les juridictions “classiques”, c’est-à-dire autres que les Juridictions Gacaca. En conséquence, ils sont d’avis que les militaires accusés d’infractions constitutives du crime de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité au sens de la loi du 19 juin 2004, et classés en première catégorie, sont justiciables, au premier degré, du Tribunal militaire. Et c’est à la Haute Cour Militaire qu’il revient de juger, en degré d’appel, les militaires accusés de faits les classant dans la première catégorie des auteurs du crime de génocide et des autres crimes contre l’humanité : elle est en effet compétente « pour connaître en appel des jugements rendus par le Tribunal militaire »136. 1.3. Les juridictions compétentes pour les dossiers en cours 1.3.1. Les juridictions compétentes C’est l’article 100 de la loi organique du 19 juin 2004 qui régit le sort des dossiers en cours, déjà pendants devant une juridiction ordinaire à sa date d’entrée en vigueur. Il se lit comme suit : Article 100 : « Les affaires déjà transmises aux tribunaux avant la publication de la présente loi organique au Journal Officiel de la République du Rwanda seront jugées par ces mêmes tribunaux. Ils appliquent les dispositions relatives à la procédure de droit commun sous réserve des dispositions particulières prévues par la présente loi organique. Quant à l’objet du litige, les dispositions de la présente loi organique sont appliquées ». Cette disposition soulève une légère difficulté d’interprétation. En effet, les affaires déjà pendantes avaient été introduites devant les anciennes Chambres Spécialisées, sous l’empire de la loi organique du 30 août 1996, puis transférées devant les Tribunaux de première instance ou le Conseil de Guerre, sous l’empire de la loi organique du 26 janvier 2001. Or, les Chambres Spécialisées ont été abolies par la loi du 26 janvier 2001, et tant les Tribunaux de première instance que le Conseil de Guerre l’ont été le 15 juillet 2004, date de l’entrée en vigueur de la loi organique 136 En application de l’article 155 de la Constitution et de l’article 139 du Code portant organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.

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portant nouveau Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires : elle remplace en effet toutes les anciennes juridictions par les nouvelles juridictions qu’elle met en place137. Il ne peut évidemment être question de laisser le soin de poursuivre l’examen de dossiers en cours à des juridictions abolies… Il convient par conséquent de lire l’article 100 de la loi organique du 19 juin 2004 à la lumière des dispositions pertinentes du nouveau Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires. Son article 181 se lit comme suit : « Les affaires non encore jugées au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi organique seront portées d’office et sans frais au rôle des juridictions nouvelles compétentes pour les connaître de la manière ci-après : (…) 2°au rôle des Tribunaux de Province et de la Ville de Kigali, les affaires dont sont saisis les Tribunaux de 1er Instance, à l’exception de celles (que) la présente loi organique attribue à d’autres juridictions ; 3°au rôle de la Haute Cour de la République, les affaires dont sont saisis les Cours d’Appel (...) 4°au rôle du Tribunal Militaire, les affaires dont était saisi le Conseil de Guerre (...)» ; 5°au rôle de la Haute Cour Militaire, les affaires dont était saisie la Cour Militaire siégeant comme une juridiction d’appel (...) ». Il va donc de soi que le jugement des dossiers de première catégorie en cours sera désormais du ressort, en première instance, des Tribunaux de Province et de la Ville de Kigali, et en degré d’appel, de la Haute Cour de la République ou, s’agissant de militaires, en première instance, du Tribunal militaire et en degré d’appel, de la Haute Cour Militaire.

137 Article 180 de la loi organique portant Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.

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Les règles attributives de compétence aux juridictions ordinaires

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1.3.2. La question de la compétence dans le cadre de dossiers autres que de première catégorie dont les juridictions avaient été saisies sous l’empire de la loi organique de 1996

Sous l’empire de la loi organique du 30 août 1996, les Chambres Spécialisées étaient compétentes, quelle que soit la catégorie dans laquelle le Parquet proposait de classer l’accusé au vu des préventions dont il avait à répondre : les Chambres Spécialisées avaient donc à connaître des dossiers de chacune des quatre catégories qui étaient alors distinguées par la loi. La loi organique de 2001 et celle de 2004 font de la catégorisation non seulement une technique qui permet de distinguer entre les différents degrés de responsabilité et, donc, de moduler la peine, mais en outre, un critère d’attribution de compétence : en effet, de la catégorie dans laquelle la Juridiction Gacaca de Cellule aura, en phase pré-juridictionnelle, proposé de classer un accusé, dépendra la détermination de la juridiction compétente pour le juger. L’article 100 de la loi organique de 2004 règle le sort des dossiers qui avaient, sous l’empire de l’ancienne loi, été introduits devant la juridiction compétente à l’époque, et qui, à l’heure de son entrée en vigueur, n’avaient pas encore fait l’objet d’une décision définitive : les Tribunaux de Province ou de la Ville de Kigali seront compétents en première instance, et la Haute Cour de la République sera compétente en degré d’appel, (ou, pour les militaires, le Tribunal Militaire en première instance, et la Haute Cour Militaire en degré d’appel) indépendamment de la catégorie dans laquelle avait été classé le prévenu à l’origine. Cependant, la juridiction compétente appliquera à ces dossiers en cours les règles de fond de la nouvelle loi : en tant que la catégorisation détermine la peine, elle aura à se référer aux définitions nouvelles des catégories, et en ce qui concerne les peines prévues, elle aura à prononcer celles qui sont prévues par la nouvelle loi, sous réserve, le cas échéant, du respect du principe de non-rétroactivité de la loi pénale. En application du dernier alinéa de l’article 100 de la loi organique du 19 juin 2004, le dossier dont une juridiction ordinaire avait été saisie sous l’empire de l’ancienne loi reste du ressort de cette juridiction, même si, par ailleurs, l’accusé concerné devrait être co-prévenu dans une affaire de

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même catégorie, pendante devant une Juridiction Gacaca : la juridiction ordinaire statuera sur son sort, tandis que la Juridiction Gacaca statuera sur le sort des co-prévenus, sans jonction possible des dossiers. 2. LA QUESTION DE LA CONNEXITE ENTRE UNE AFFAIRE

PENDANTE DEVANT UNE JURIDICTION ORDINAIRE, ET UNE AFFAIRE PENDANTE DEVANT UNE JURIDICTION GACACA

En droit commun, «lorsque plusieurs personnes, justiciables de juridictions de degré différent sont poursuivies l’une et l’autre à raison de leur participation à une même infraction ou à des infractions connexes, elles sont jugées l’une et l’autre par la juridiction compétente du degré le plus élevé »138. L’application de cette règle au contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité aurait pour effet de dessaisir les Juridictions Gacaca de tous les dossiers à propos desquels un lien de connexité peut être établi avec un auteur de « première catégorie », renvoyé devant une juridiction ordinaire. Telle n’a pas été la volonté du législateur : en dépit d’un tel lien de connexité, les personnes restent justiciables de la Juridiction Gacaca, ou de la juridiction ordinaire, chacune pour ce qui la concerne139. L’accusé traduit devant une juridiction ordinaire pourra seulement être appelé à témoigner devant la Juridiction Gacaca, dans l’affaire concernant ses coauteurs, et inversement. 3. LA COMPETENCE TERRITORIALE

Les dispositions qui, dans la loi organique du 19 juin 2004, concernent la compétence territoriale visent exclusivement les Juridictions Gacaca140. Par conséquent, en ce qui concerne les tribunaux ordinaires, en application du principe énoncé à l’article 2 de la loi, c’est au droit commun qu’il faut recourir en cette matière.

138 Article 150 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires. 139 Voir article 2, dernier alinéa, de la loi organique du 19 juin 2004. 140 Voir le libellé des articles 44 et 45 de la loi organique du 19 juin 2004.

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Rappelons que les articles 117 et suivants du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires régissent la compétence territoriale en droit commun.

L’on détermine la compétence territoriale d’une juridiction, en fonction du lieu où l’infraction a été commise, du lieu de résidence du prévenu ou du lieu où le prévenu a été trouvé. Les règles de droit commun en matière de connexité et de jonction s’appliquent également. Conclusion En confiant aux « juridictions ordinaires » la compétence de juger les « personnes relevant de la première catégorie », l’article 2, al. 2 de la loi organique du 19 juin 2004 semble viser en réalité tant les juridictions de droit commun que les juridictions militaires. Cette disposition de la nouvelle loi organique ne peut se lire seule : le nouveau Code d’organisation, fonctionnement et compétences judiciaires permet d’en décliner le principe. En première instance, seront compétents, soit les Tribunaux de Province ou de la Ville de Kigali, soit le Tribunal militaire. En degré d’appel, sera compétente soit la Haute Cour de la République, soit la Haute Cour Militaire. La plupart des accusés de première catégorie pourront en outre bénéficier d’un troisième degré de juridiction, exercé devant la nouvelle Cour Suprême141. La compétence qui incombe ainsi aux « juridictions ordinaires » est essentielle : c’est à elles qu’il appartient de trancher les dossiers les plus complexes, de déclarer coupables ou innocents ceux qui sont accusés des responsabilités et des actes de participation les plus graves dans le génocide et les crimes contre l’humanité et, le cas échéant, de prononcer les peines les plus sévères. Le législateur a manifestement estimé que de telles charges ne pouvaient être assumées que par des juges professionnels, qu’il investit, ce faisant, d’une confiance lourde de responsabilités.

141 Voir à ce sujet le chapitre consacré aux voies de recours.

CHAPITRE VI

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Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité au Rwanda

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LE CHAMP MATERIEL DU CONTENTIEUX DU GENOCIDE ET

DES CRIMES CONTRE L’HUMANITE AU RWANDA Introduction L’intitulé de la loi organique du 19 juin 2004 définit le champ de son application : elle porte en effet sur le jugement des « infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 ». L’article 1er de la loi confirme ce champ d’application et le précise : « La présente loi organique porte sur l’organisation, la compétence et le fonctionnement des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, ou des infractions prévues par le Code pénal qui, selon les accusations du Ministère Public ou les témoignages à charge aussi bien que les aveux du prévenu, ont été commis dans l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité». Il paraît intéressant de relever les nuances qui différencient le champ d’application de la loi adoptée en juin 2004 de celles qui l’ont précédée, plus précises : la loi organique du 30 août 1996 et la loi organique du 26 janvier 2001. � La loi organique de 1996 portait sur l’organisation des poursuites des

infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises à partir du 1er octobre 1990142;

Son objet se définissait comme suit : « l’organisation et la mise en jugement des personnes poursuivies d’avoir, à partir du 1er

142 J.O. n° 17 du 1/09/1996.

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Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité au Rwanda

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octobre 1990, commis des actes qualifiés et sanctionnés par le Code pénal et qui constituent :

a) soit des crimes de génocide ou des crimes contre

l’humanité tels que définis dans la Convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, dans la Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et les Protocoles additionnels, ainsi que dans celle du 26 novembre 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, toutes trois ratifiées par le Rwanda ;

b) soit des infractions visées au Code pénal qui, selon ce

qu’allègue le Ministère Public ou admet l’accusé, ont été commises en relation avec les événements entourant le génocide et les crimes contre l’humanité »143.

� La loi organique de 2001 portait sur l’organisation des poursuites des

infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 144;

Son objet se définissait comme suit : « l'organisation de la mise en jugement des personnes poursuivies pour avoir, entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, commis des actes qualifiés et sanctionnés par le Code pénal et qui constituent :

a) soit des crimes de génocide ou des crimes contre l'humanité tels que définis par la Convention, du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, par la Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et les Protocoles Additionnels, ainsi que par celle du 26 novembre 1968 sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.

143 Article premier de la loi organique n° 08/96 du 30/8/96 144 J.O. n° 6 du 15/03/2001. La loi du 26 janvier 2001 allait être modifiée et complétée par la loi du 22 juin 2001, J.O. n° 14 du 15/07/2001.

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Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité au Rwanda

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b) soit des infractions visées au Code pénal qui, selon les

accusations du Ministère Public ou les témoignages à charge voire ce qu'admet le prévenu, ont été commises dans l'intention de faire le génocide ou les crimes contre l'humanité »145 .

En ce qui concerne le champ d’application dans le temps, la loi du 19 juin 2004 ne pose guère de difficulté. Même si la plupart des infractions effectivement poursuivies concernent les événements de 1994, le législateur a souhaité laisser aux juges la possibilité de connaître des actes antérieurs considérés comme ayant constitué les prémices du génocide et des crimes contre l’humanité de 1994 : c’est le cas notamment des massacres de Bahima, du massacre des Bagogwe et du massacre des Tutsi du Bugesera en 1990 et en 1991. C’est ainsi que, comme c’était déjà le cas sous l’empire des lois organiques de 1996 et de 2001, la date choisie comme point de départ du champ d’application de la loi dans le temps est celle du 1er octobre 1990. Le législateur a également fixé un terme au champ d’application rationae temporis de la loi qui régit le contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité : la date du 31 décembre 1994146. C’est ainsi que, pour être couverts par la loi organique du 19 juin 2004, les actes visés doivent avoir été commis au cours de la période qui s’étend du 1er octobre 1990 au 31 décembre 1994. Rappelons qu’entre-temps, une loi plus générale a été adoptée, visant le crime de génocide, les crimes contre l’Humanité et les crimes de guerre autres que ceux qui sont couverts par la loi organique du 19 juin 2004147. En ce qui concerne le champ matériel d’application, c’est-à-dire la détermination précise des infractions que la loi réprime148, la question est nettement plus complexe. 145 Article 1er de la loi organique n°40/2000 du 26 janvier 2001. 146 Terme déjà introduit par la loi organique de 2001. 147 Loi n° 33/bis/2003 du 06/09/2003 réprimant le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, J.O. n° 21 du 01/11/2003. 148 Cette question a eu une importance particulière à l’époque des Chambres Spécialisées créées par la loi de 1996 au sein des juridictions ordinaires. Ces chambres avaient compétence exclusive pour connaître des infractions visées par la loi n° 08/96 du

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D’une part, la loi organique du 19 juin 2004 s’abstient de toute définition du crime de génocide et du crime contre l’humanité. Il paraît indispensable de passer en revue les éléments constitutifs particuliers de ces crimes d’une gravité exceptionnelle (1). D’autre part, sans que le législateur l’ait expressément indiqué – contrairement d’ailleurs à ce qui avait été fait pour les lois de 1996 et de 2001-, pour rendre ces deux notions opérationnelles en termes de qualification, de poursuites et de sanctions, il s’agit de vérifier les infractions qui, dans le Code pénal rwandais, peuvent, moyennant la réunion des autres éléments constitutifs du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité, répondre à ces qualifications (2). Il s’agit ensuite d’étudier la notion subsidiaire d’« autres infractions commises dans l’intention de faire le génocide » (3). Il y aura enfin lieu de se pencher sur la question des infractions prévues par d’autres textes que le Code pénal et qui pourraient avoir été commises « avec l’intention de faire le génocide » (4). 1. CRIME DE GENOCIDE ET AUTRES CRIMES CONTRE

L’HUMANITE

1.1. La loi de 2004 : absence de définition du crime de génocide et du crime contre l’humanité

30/08/1996 et ne pouvaient donc pas connaître d’autres infractions eussent-elles été commises durant la période du génocide et des massacres.

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Si la loi organique du 19 juin 2004 a pour objet les « poursuites et (le) jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité », elle s’abstient de définir ces notions. Seul le préambule fait mention de la Convention internationale du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide149, d’une part, et de la Convention internationale du 26 novembre 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, ces deux conventions ayant été ratifiées par décret-loi n° 08/75 du 12 février 1975150. Il paraît donc utile de se pencher sur les définitions juridiques du crime de génocide et du crime contre l’humanité consacrées par ces deux instruments internationaux, mais également sur celles retenues par le Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda et par le Statut de la Cour Pénale Internationale, et enfin, sur celles proposées par la loi n° 33bis/2003 du 6 septembre 2003 réprimant le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. L’examen du Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda paraît d’autant plus pertinent dans le cadre du présent ouvrage que l’objet du Statut est proche de celui de la loi organique du 19 juin 2004151. Son

149 C’est d’ailleurs erronément que le préambule dit que “le crime de génocide et les crimes contre l’humanité sont prévus par la Convention internationale du 09 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide”: celle-ci ne vise en effet que le crime de génocide, et pas les autres crimes contre l’humanité. 150 Tant la loi organique du 30 août 1996 que celle du 26 janvier 2001 situaient cette référence à l’article 1er, dans la définition même de leur champ d’application, y ajoutant la Convention de Genève du 12 août 1948 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et ses Protocoles additionnels. Cette troisième référence visait vraisemblablement les infractions graves au droit international humanitaire (article 3 commun aux quatre Conventions de Genève), et le Protocole II qui concerne les conflits internes. 151 Article 1er : “Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994”.

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rôle dans la répression du génocide et des massacres de 1994 vient compléter celui des juridictions rwandaises, et des autres juridictions nationales compétentes. Le Statut de la Cour Pénale Internationale a été adopté le 17 juillet 1998 par la “Conférence diplomatique des plénipotentiaires des Nations Unies sur l’établissement d’une Cour Pénale Internationale”. Il est entré en vigueur le 1er juillet 2002, date à compter de laquelle les crimes qu’il vise152 sont susceptibles d’être poursuivis et réprimés par cette instance153. Cet instrument constitue l’expression et la consécration du droit international coutumier le plus récent, et offre une synthèse de la Convention de 1948, des Statuts du Tribunal Pénal International pour le Rwanda et de celui du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie, et de l’expérience tirée de la jurisprudence de ces deux tribunaux ad hoc. A ce titre, les définitions qu’il propose sont essentielles et font largement autorité à l’heure actuelle: elles sont les plus poussées et les plus abouties à ce jour, reflétant les évolutions récentes du droit international pénal et représentant le plus grand consensus international quant à ces définitions. Enfin, le présent ouvrage ne peut faire l’économie d’examiner les définitions retenues par la loi rwandaise du 6 septembre 2003154, la « loi générale sur le crime de génocide et les crimes contre l’humanité » dont l’adoption avait été annoncée dès 1996155 : elle fait dorénavant pleinement partie du corpus juridique rwandais et, à ce titre, constitue indiscutablement l’un des éléments qui guideront le praticien du droit dans l’interprétation des concepts juridiques que la loi organique du 19 juin 2003 s’abstient de définir.

152 A savoir, aux termes de l’article 5, le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression, qualifiés de “crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la Communauté internationale”. 153 La compétence de la Cour Pénale Internationale n’est pas rétroactive: elle n’est pas compétente pour juger des atrocités qu’a connues le Rwanda en 1994. 154 Il convient à cet égard de noter que, contrairement à la loi organique adoptée le 19 juin 2004, la loi du 6 septembre 2003 vise non seulement le crime de génocide et les crimes contre l’humanité, mais également les crimes de guerre, définis en référence aux Conventions de Genève du 12 août 1949 et à leurs protocoles additionnels. 155 Voir Art. 38 de la loi organique du 30 août 1996 sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité.

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1.2. La notion de crime de génocide

1.2.1. L’origine du concept C’est pendant la deuxième guerre mondiale que Raphaël Lemkin, un juriste juif polonais exilé aux Etats-Unis, a forgé le terme de « génocide » : il s’agissait de rendre compte de la gravité exceptionnelle et du caractère tout à fait particulier de l’extermination planifiée et systématique des Juifs, des Tsiganes ou encore des Témoins de Jéhova par le régime nazi : « Par « génocide », nous voulons dire la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique. Ce nouveau mot, forgé par l’auteur pour décrire une pratique ancienne dans ses développements modernes, est constitué par le mot grec ancien genos (race, tribu) et le latin cide (tuerie), correspondant donc dans sa formation à des mots tels que tyrannicide, homicide, infanticide, etc. »156. Le 11 décembre 1946, l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptait une importante résolution visant à faire sien le concept : « Le génocide est le refus du droit à l’existence à des groupes humains entiers, de même que l’homicide est le refus du droit à l’existence à un individu ; un tel refus bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l’humanité, qui se trouve ainsi privée des apports culturels ou autres de ces groupes, et est contraire à la loi morale ainsi qu’à l’esprit et aux fins des Nations Unies. On a vu perpétrer des crimes de génocide qui ont entièrement ou partiellement détruit des groupements raciaux, religieux, politiques ou autres. La répression du crime de génocide est une affaire d’intérêt international. L’Assemblée Générale, en conséquence,

156 Raphaël Lemkin, Axis Rule in Occupied Europe. Laws of Occupation. Analysis of Government. Proposal for Redress, p.79.

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Affirme que le génocide est un crime de droit des gens que le monde civilisé condamne, et pour lequel les auteurs principaux et leurs complices, qu’ils soient des personnes privées, des fonctionnaires ou des hommes d’Etat, doivent être punis, qu’ils agissent pour des raisons raciales, religieuses, politiques ou pour d’autres motifs ; (...) »157. L’examen de la définition proposée révèle que l’élément central à la base de la notion de génocide est le refus du droit à l’existence à des groupes humains entiers. Par ailleurs, l’Assemblée Générale insistait d’emblée sur le fait que la répression d’un crime d’une telle gravité s’imposait à l’égard de ses auteurs principaux, quelles que soient leur qualité ou leur fonction. Dans la même résolution, l’Assemblée Générale chargeait ensuite le Conseil économique et social de rédiger un projet de Convention sur le crime de génocide : les travaux ainsi entamés aboutirent, en 1948, à l’adoption de la Convention des Nations Unies sur la prévention et la répression du crime de génocide. 1.2.2. La définition du génocide dans les instruments internationaux 1.2.2.1. Dans la Convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide C’est la Convention de 1948 qui, en premier, a proposé une définition juridique structurée de la notion de génocide. La Convention est aujourd’hui considérée comme faisant partie du droit international coutumier. Son article 2 se lit comme suit : « Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe ;

157 Résolution n° 96 adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies, en sa cinquante-cinquième séance plénière, le 11 décembre 1946.

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b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ».

La Convention s’attache ensuite à détailler les différents modes de participation criminelle qui peuvent caractériser le génocide : l’article 3 incrimine non seulement le génocide proprement dit, mais également,

- l’entente en vue de commettre le génocide ; - l’incitation directe et publique à commettre le génocide ; - la tentative de génocide ;(et) - la complicité dans le génocide ».

Enfin, la Convention précise que la qualité ou la fonction de l’auteur importe peu : selon l’article 4, toutes les personnes ayant commis le génocide ou un des actes de participation précités sont punissables, « qu’elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers ». 1.2.2.2. Dans le Statut du Tribunal Pénal International pour

le Rwanda En son article 2.2., le Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda158 reproduit exactement la définition du crime de génocide énoncée à l’article 2 de la Convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide. De même, il précise que sont également punissables l’entente, l’incitation, la tentative et la complicité159.

L’article 6.1. est plus précis en ce qui concerne la participation criminelle :

158 Adopté par la résolution n° 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, en sa 3453ème séance, le 8 novembre 1994. 159 Article 2.3.

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« Quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux articles 2 à 4 160du présent Statut est individuellement responsable dudit crime ». Dans le même esprit que celui de l’article 4 de la Convention de 1948, le Statut précise que la qualité officielle d’un accusé ne constitue ni une cause d’immunité ni une circonstance atténuante. « La qualité officielle d’un accusé, soit comme chef d’État ou de gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale et n’est pas un motif de diminution de la peine »161. 1.2.2.3. Dans le Statut de la Cour Pénale Internationale L’article 6 du Statut reproduit la définition du crime de génocide de la Convention de 1948. En outre, cet instrument précise le double « élément psychologique » nécessaire pour que l’accusé puisse être considéré comme pénalement responsable et être puni pour les crimes – et donc notamment le génocide - qui relèvent de sa compétence : l’auteur doit avoir agi avec intention et connaissance, notions qui sont ensuite définies. « Article 30 : l’élément psychologique

1. Sauf disposition contraire, nul n'est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d'un crime relevant de la compétence de la Cour que si l'élément matériel du crime est commis avec intention et connaissance.

2. Il y a intention au sens du présent article lorsque:

a) Relativement à un comportement, une personne entend adopter ce comportement;

160 L’article 6 concerne tant le crime de génocide, que les crimes contre l’humanité et les violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II, qui sont du ressort du TPIR. 161 Article 6.2.

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b) Relativement à une conséquence, une personne entend causer cette conséquence ou est consciente que celle-ci adviendra dans le cours normal des événements.

3. Il y a connaissance, au sens du présent article, lorsqu'une

personne est consciente qu'une circonstance existe ou qu'une conséquence adviendra dans le cours normal des événements. «Connaître» et «en connaissance de cause» s'interprètent en conséquence ».

1.2.3. La définition du génocide dans la loi du 6 septembre 2003

réprimant le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre

En son article 2, la loi du 6 septembre 2003 s’inspire largement de la Convention de 1948. Elle innove cependant, visant, outre un groupe humain « national », « ethnique », « racial » ou « religieux » un groupe « régional ». « Le crime de génocide s'entend de l'un des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, régional, ethnique, racial ou religieux, que ce soit en temps de paix ou en temps de guerre:

- 1) Meurtre de membres du groupe; - 2) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de

membres du groupe; - 3) Soumission intentionnelle des membres du groupe à des

conditions d'existence devant entraîner leur destruction physique totale ou partielle ;

- 4) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

- 5) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe ».

Au même titre que l’article 3 de la Convention de 1948, la loi de 2003 prévoit, en son article 17162 la répression de l’entente, la complicité et la tentative. 162 Qui concerne l’ensemble des crimes visés par la loi.

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Elle incrimine en outre « l’omission d’agir (…) de la part de ceux qui avaient connaissance d'ordres donnés en vue de l'exécution d'un tel crime ou de faits qui en commencent l'exécution ». Elle nuance cependant considérablement cette incrimination, précisant que l’omission n’est punissable que dans les limites des possibilités d’action de la personne concernée, et que si cette personne pouvait empêcher la consommation de l’infraction ou y mettre fin. Article 17: « Sans préjudice des dispositions du Code pénal relatives à la tentative et à la participation criminelle, les actes ci-après sont punis des peines prévues pour les infractions visées par la présente loi :

1. l'ordre, même non suivi d'effet, de commettre l'un des crimes visés par la présente loi;

2. la proposition ou l'offre de commettre un tel crime et l'acceptation de pareille proposition ou offre;

3. l'incitation, par la parole, l'image ou l'écrit, à commettre un tel crime, même non suivie d'effet;

4. l'entente en vue de commettre un tel crime, même non suivie d' effet;

5. la complicité de commettre un tel crime, même non suivie d'effet; 6. l'omission d'agir, dans les limites de leur possibilité d'action, de

la part de ceux qui avaient connaissance d'ordres donnés en vue de l'exécution d'un tel crime ou de faits qui en commencent l'exécution, et pouvaient en empêcher la consommation ou y mettre fin;

7. la tentative de commettre un tel crime ». L’article 18 exclut qu’un quelconque intérêt puisse justifier les crimes que la loi prévoit. La même disposition refuse toute pertinence à la qualité d’officiel : elle ne constitue nullement une cause d’exonération de la responsabilité pénale, pas plus qu’elle ne motive le bénéfice de circonstances atténuantes163. 1.2.4. Les trois éléments constitutifs du crime de génocide 163 Article 18, 2è alinéa.

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L’examen de ces différentes définitions permet de mettre en lumière les trois éléments constitutifs qui, indiscutablement, caractérisent le crime de génocide et sans la réunion desquels il est erroné de parler de génocide au sens juridique, sous peine de banalisation de ce crime.

� Il faut que l’acte incriminé soit l’un de ceux visés à l’article 2 de la Convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide : le meurtre, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, la soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner la destruction physique, les mesures visant à entraver les naissances ou le transfert forcé d’enfants.

� Il faut que l’acte ou les actes commis l’aient été à l’encontre de

membres d’un groupe spécifique, national, racial, ethnique ou religieux.

� Il faut enfin que l’auteur ait été animé du « dol spécial » qui

caractérise plus spécifiquement le crime de génocide : il doit avoir été animé par l’intention de détruire, en tout ou en partie, le groupe comme tel.

La jurisprudence du Tribunal Pénal International pour le Rwanda propose une synthèse et une illustration concrète de ces éléments constitutifs. Ainsi, dans le jugement prononcé à l’encontre de Jean-Paul AKAYEZU, le tribunal d’Arusha précise: “Concrètement, pour que l'un quelconque des actes incriminés au paragraphe (2) de l'article 2 du Statut soit constitutif de génocide, il doit avoir été commis à l'encontre d'un ou de plusieurs individus, parce que cet ou ces individus étaient membres d'un groupe spécifique et en raison même de leur appartenance à ce groupe. Aussi, la victime de l'acte est choisie non pas en fonction de son identité individuelle, mais bien en raison de son appartenance nationale, ethnique, raciale ou religieuse. La victime de l'acte est donc un membre du groupe, choisi en tant que tel, ce qui signifie finalement que la victime du crime de génocide est le groupe lui-même et non pas seulement l'individu”164.

164 Jugement AKAYEZU, prononcé par le Tribunal International Pénal pour le Rwanda le 2 septembre 1998, §521.

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1.3. La notion de crime contre l’humanité 1.3.1. L’origine du concept La notion de « crime contre l’humanité » s’est forgée au cours des siècles, pour désigner des actes d’une gravité et d’une ampleur telles que la seule qualification de « crime » ne pouvait suffire à en rendre compte. Ils furent désignés tantôt par « crimes contre la famille humaine », tantôt par « crimes de lèse-humanité », ou encore par « infractions aux lois de l’humanité », et enfin par « crimes contre l’humanité » pour signifier qu’ils ébranlaient l’humanité dans son ensemble. La Convention de La Haye (IV) de 1907, dont est issue la fameuse « clause Martens », entend placer populations et belligérants « sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique ». Mais c’est face aux crimes commis par les Nazis au cours de la seconde guerre mondiale que le concept fut élaboré de manière structurée. Le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 1945, créé « en vue d’assurer la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des puissances européennes de l’Axe » allait en fournir la première définition juridique, consacrée par le jugement du Tribunal. La notion de crimes contre l’humanité devait ensuite s’affiner et se préciser, à la faveur des procès de Tokyo, puis de l’affaire Eichmann en Israël, et des affaires Barbie, Touvier et Papon en France, pour être consacrée dans le Statut du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie, le Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda et, enfin, dans le Statut de la Cour Pénale Internationale. 1.3.2. La définition du crime contre l’humanité dans les

instruments internationaux

1.3.2.1. Dans la Convention du 26 novembre 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité : renvoi au Statut du Tribunal de Nuremberg

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L’article premier de la Convention du 26 novembre 1968 énonce que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, quelle que soit la date à laquelle ils ont été commis. Cet instrument ne propose pas de définition de la notion, mais renvoie au Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 1945 et aux résolutions 3 (I) et 95 (I) de l’Assemblée Générale des Nations Unies des 13 février 1946165 et 11 décembre 1946166. L’article 6 (c) du Statut du Tribunal de Nuremberg définit les crimes contre l’humanité de la manière suivante : « L'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime entrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime ». La Convention de 1968 ajoute à cette énumération, en son article premier : « L’éviction par une attaque armée ou l’occupation et les actes inhumains découlant de la politique d’apartheid, ainsi que le crime de génocide, tel qu’il est défini dans la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, même si ces actes ne constituent pas une violation du droit interne du pays où ils ont été commis » : le crime de génocide est donc considéré comme l’une des catégories possibles du crime contre l’humanité. Le Statut du Tribunal de Nuremberg prévoit que : « Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis sont

165 Résolution « Privilèges et Immunités des Nations Unies ». 166 Résolution qui prend acte de l’accord relatif à la création du Tribunal militaire international de Nuremberg.

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responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes, en exécution de ce plan »167. Tout comme les instruments étudiés plus haut à propos du crime de génocide, le Statut du Tribunal de Nuremberg exclut que la qualité officielle d’un accusé puisse l’exonérer de sa responsabilité pénale, ou constituer un motif de circonstance atténuante. « La situation officielle des accusés, soit comme chef d'Etat, soit comme hauts fonctionnaires, ne sera considérée ni comme une excuse absolutoire, ni comme un motif de diminution de la peine »168. Enfin, l’ordre du supérieur hiérarchique ne dégage pas l’auteur de sa responsabilité, mais peut éventuellement motiver le bénéfice de circonstances atténuantes: « Le fait que l'accusé a agi conformément aux instructions de son gouvernement ou d'un supérieur hiérarchique ne le dégagera pas de sa responsabilité, mais pourra être considéré comme un motif de diminution de la peine, si le Tribunal décide que la justice l'exige »169. 1.3.2.2. Dans le Statut du Tribunal Pénal International pour le

Rwanda L’article 3 du Statut du TPIR énumère les actes qui peuvent se voir qualifier de « crimes contre l’humanité » : il s’agit de l’assassinat, de l’extermination, de la réduction en esclavage, de l’expulsion, de l’emprisonnement, de la torture, du viol, des persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses et d’ « autres actes inhumains ». Pour répondre à la qualification de « crimes contre l’humanité », il faut en outre que les actes en question aient été commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique, que cette attaque ait été dirigée contre une population civile et que cette population ait été ciblée en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse. Enfin, l’auteur doit avoir eu la connaissance de ce que l’acte qu’il commettait participait d’une telle attaque.

167 Article 6. 168 Article 7. 169 Article 8.

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1.3.2.3. Dans le Statut de la Cour Pénale Internationale C’est l’article 7(1) et (2) du Statut de la CPI qui offre la définition la plus précise et la plus détaillée du crime contre l’humanité, synthèse des évolutions récentes du droit pénal international. L’énumération des « actes inhumains » qui peuvent être qualifiés de « crimes contre l’humanité » est la suivante : le meurtre ; l’extermination ; la réduction en esclavage ; la déportation ou le transfert forcé de population ; l’emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; la torture ; le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable; la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour; les disparitions forcées de personnes ; le crime d'apartheid; d’autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale170. Il faut en outre que l’acte en question ait été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, que cette attaque ait été lancée contre une population civile, et que l’auteur ait eu connaissance de cette attaque. Il est précisé que l’ «attaque lancée contre une population civile», est « le comportement qui consiste en la commission multiple d'actes visés au paragraphe 1 à l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque ». Le Statut de Rome s’attache ensuite à définir certains des actes qui peuvent être constitutifs de crimes contre l’humanité. 170 Article 7, §1er.

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L’extermination est le fait, notamment, « d'imposer intentionnellement des conditions de vie, telles que la privation d'accès à la nourriture et aux médicaments, calculées pour entraîner la destruction d'une partie de la population ». La réduction en esclavage est « le fait d'exercer sur une personne l'un quelconque ou l'ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété, y compris dans le cadre de la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants ». La déportation ou transfert forcé de population est « le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d'autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international ». La torture est « le fait d'infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle; l'acception de ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles ». La grossesse forcée, consiste en « la détention illégale d'une femme mise enceinte de force, dans l'intention de modifier la composition ethnique d'une population ou de commettre d'autres violations graves du droit international. Cette définition ne peut en aucune manière s'interpréter comme ayant une incidence sur les lois nationales relatives à la grossesse ». La persécution est le « déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du droit international, pour des motifs liés à l'identité du groupe ou de la collectivité qui en fait l'objet ». Le crime d'apartheid est constitué d’ « actes inhumains analogues à ceux que vise le paragraphe 1, commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l'intention de maintenir ce régime ». La disparition forcée de personnes vise « les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l'autorisation, l'appui ou l'assentiment de cet État ou de cette

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organisation, qui refuse ensuite d'admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l'endroit où elles se trouvent, dans l'intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée ». Enfin, rappelons que l’important « élément psychologique » visé à l’article 30 du Statut est requis tant pour le crime de génocide que pour le crime contre l’humanité : pour que l’auteur puisse être considéré comme pénalement responsable et condamné pour crimes contre l’humanité, il doit avoir agi avec intention et connaissance. 1.3.3. La définition du crime contre l’humanité dans la loi du 6

septembre 2003 réprimant le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre

Sans s’y référer de manière explicite, la loi du 6 septembre 2003 s’inspire dans ses grandes lignes de la définition du Statut de la Cour Pénale Internationale : celle qu’elle propose est donc plus précise que celle du Statut du Tribunal de Nuremberg, auquel renvoie la Convention de 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité. A l’instar du Statut du TPIR, cependant, elle prévoit une exigence supplémentaire quant à la motivation de l’attaque : il faut en effet que cette attaque ait été lancée contre une population civile en raison de la nationalité, des opinions politiques, de l’ethnie ou de la religion de celle-ci. Il existe cependant deux nuances par rapport au Statut du TPIR en ce domaine : d’une part, la loi du 6 septembre 2003 omet le critère de « race »171 et d’autre part, elle préfère à la notion d’ « appartenance politique » celle d’ « opinion politique ». Article 5 : « Le crime contre l'humanité s'entend de l'un des actes ci-après commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre la population civile à cause de sa nationalité, de ses opinions politiques, son ethnie ou sa religion :

1. meurtre ; 2. extermination ; 3. réduction en esclavage ;

171 Que l’on retrouve cependant à propos de la persécution.

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4. déportation ou transfert forcé de la population ; 5. emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté de

mouvement en violation de la loi ; 6. torture ; 7. viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, stérilisation forcée et

toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; 8. persécutions pour des raisons politiques, ethniques, raciales ou

religieuses ou pour toute autre forme de discrimination ; 9. disparitions forcées ; 10. apartheid ; 11. autres actes inhumains de caractère analogue à des actes

précités causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ».

1.3.4. Les éléments constitutifs du crime contre l’humanité L’examen de ces différentes définitions permet de mettre en lumière les éléments constitutifs qui caractérisent le crime contre l’humanité et sans la réunion desquels il est erroné de parler de crime contre l’humanité, sous peine de banalisation de ce crime.

� l’acte considéré doit être inhumain, c’est-à-dire qu’il doit, de par sa nature, causer, de manière intentionnelle, de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ;

� l’acte considéré doit s'inscrire dans le cadre d'une attaque

généralisée ou systématique : il ne peut s’agir d’un acte isolé, aussi inhumain soit-il;

� l'attaque dans le cadre de laquelle s’inscrit l’acte considéré doit

être dirigée contre les membres d'une population civile;

� A ces trois éléments constitutifs essentiels, tant le Statut du TPIR que la loi du 6 septembre 2003 en ajoutent un quatrième : l'acte doit être commis pour un ou plusieurs motifs discriminatoires,

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notamment pour des motifs d'ordre national, politique, ethnique, racial172 ou religieux.

Les auteurs sont d’avis que ce critère s’applique à l’objet de la loi organique du 19 juin 2004 ; il ne pose d’ailleurs guère de difficulté d’application, les actes dont le législateur a visé la répression ayant été effectivement commis pour des motifs d’ordre ethnique ou politique. En résumé : Rappelons que le génocide constitue une catégorie de l’ensemble plus vaste des crimes contre l’humanité possibles. S’agissant des événements qu’a connus le Rwanda en 1994, l’on désigne par « génocide » l’ensemble des actes qui visaient l’extermination des Tutsi, tandis que la notion d’ « autres crimes contre l’humanité » désigne généralement les actes inhumains qui visaient les opposants Hutu au régime de l’époque et au projet génocidaire de celui-ci. Certaines décisions prises par les juridictions rwandaises sous l’empire des anciennes lois organiques opèrent d’ailleurs la distinction : le juge spécifie que telle victime a été visée en raison des opinions politiques qui lui étaient prêtées, ou que telle autre l’a été en raison de son ethnie :

(le prévenu est accusé d’)« avoir assassiné ABANGANYINGABO, UGIRASHEBUJA et son épouse ainsi que TWAHIRWA, le premier à cause de son refus de collaborer à l’extermination des Tutsi, les autres à cause de leur ethnie Tutsi »173.

Ou encore, la victime a perdu la vie parce qu’elle tentait de résister au projet génocidaire :

172 Critère omis par la loi du 6 septembre 2003. 173 RMP 1018/93/s1/ba/Nta,Ch. Sp. TPI de Nyamata, 30/03/1998, en cause Ministère Public contre MURANGIRA, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome IV, décision n° 10, P.195.

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« (Le témoin) a expliqué que l’Adjudant-chef REKERAHO Emmanuel a tué RUHUMA en lui reprochant de ne pas faire preuve de zèle dans les massacres des Tutsi et d’avoir caché des Tutsi »174.

La Constitution du 4 juin 2003 appuie la nuance : l’article 152 dispose en effet « Il est institué des Juridictions GACACA chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 ». La distinction est plus sensible encore dans la version en kinyarwanda du texte « Ibyaha bya jenoside n’ibindi byaha byibasiye inyokomuntu ». C’est la formulation de cette disposition constitutionnelle qui a amené le législateur de 2004 à substituer à la conjonction « ou » la conjonction « et », assortie de la précision « d’autres » : de « Loi organique portant création des Juridictions GACACA et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 » du 26 janvier 2001, l’on est passé à « Loi organique portant organisation, compétence et fonctionnement des Juridictions GACACA chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis… » du 19 juin 2004. Le juge est ainsi appelé à préciser si les faits qui lui sont soumis et qu’il estime établis sont constitutifs ou non du crime de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité, et à motiver la qualification retenue. 2. LES INFRACTIONS PREVUES PAR LE CODE PENAL,

SUSCEPTIBLES D’ETRE CONSTITUTIVES DE CRIME DE GENOCIDE OU D’AUTRES CRIMES CONTRE L’HUMANITE

Parmi les infractions prévues par le Code pénal qui peuvent, moyennant les conditions énoncées plus haut, être constitutives du crime de génocide

174 RMP 2636/AM/KGL/IKT/96, Ch. Sp. du Conseil de Guerre, 30/08/1999, affaire REKERAHO Emmanuel et Consorts, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome VI, décision 11, 78ème feuillet, 2ème « Constate ».

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ou d’autres crimes contre l’humanité, l’on peut retenir essentiellement l’assassinat et le meurtre, l’enlèvement, la séquestration et la torture, et le viol ; enfin, les coups et blessures volontaires, s’ils atteignent un degré de gravité tel qu’ils constituent des actes inhumains (crime contre l’humanité) et/ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale (crime de génocide). Quoique la jurisprudence produite à ce jour dans le contentieux du génocide se fonde sur la loi organique du 30 août 1996, son examen est riche d’enseignement pour le praticien qui sera appelé à appliquer la loi organique du 19 juin 2004. 2.1. L’assassinat

L’assassinat se définit en droit rwandais comme « le meurtre commis avec préméditation ou guet-apens »175. En droit commun, il est passible de la peine de mort. Cette infraction qui nécessite que l’élément intentionnel soit manifeste et identifiable avant la commission de l’infraction par des actions préalables (attente de la victime pour lui porter atteinte, organisation préalable de l’action...) est très largement retenue comme constitutive de crime de génocide. L’appréciation du caractère prémédité de l’acte varie en fonction des circonstances. Elle peut se déduire :

- de la planification préalable de l’acte :

« Constate que l’infraction d’assassinat est établie à charge de RWANTELI car toutes les victimes ont été tuées après préméditation comme l’affirment tous les témoins, la preuve éclatante étant qu’il y a eu une réunion à l’endroit dénommé CAVEA au cours de laquelle il a été décidé que les Tutsi devaient mourir et que ce plan a été mis à exécution »176.

175 Article 312 Code pénal, Titre II : Des infractions contre les personnes. 176 RMP 78 003/S2/NY.U/BMG, Ch. Sp. TPI Cyangugu, 08/10/1997, affaire RWANTELI Védaste, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome IV, décision n° 3, 20ème feuillet, 4ème « Constate », P. 73.

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- ou simplement par la participation active à une attaque visant, consciemment, à tuer un groupe particulier de personnes :

« Constate que le crime de génocide et l’infraction d’assassinat sont établis à charge de UWIHANGANYE Etienne et SIBOMANA car ils les reconnaissent eux-mêmes et qu’ils en sont chargés par leur coprévenu NSABIMANA, que chacun d’eux avoue avoir participé aux attaques dont l’objectif était d’exterminer les Tutsi tel que cela se faisait dans tout le pays, qu’ils ont fouillé partout dans la brousse où ils ont délogé RUTAYISIRE et MUZEHE et qu’ils les ont tués à coups de massues »177.

Le défaut de préméditation entraîne, quant à lui, une possible requalification de l’infraction en meurtre comme l’indique le raisonnement suivant :

« Constate que le crime d'assassinat n'est pas établi à sa charge car il est évident que son acte n'était pas prémédité car tout au départ il a proposé que la victime soit conduite chez le Conseiller mais que, par la suite, il a changé d'avis, que c'est à ce moment-là qu'il l'a frappée à coups de massue alors que la victime était ligotée »178.

Est également considéré comme assassin, au regard du Code pénal « celui qui, pour l’exécution de son crime, quelle qu’en soit la dénomination, emploie des tortures ou commet des actes de barbarie »179 ; les mutilations infligées à la victime constituent, au même titre que la préméditation ou le guet-apens, une circonstance aggravante du meurtre, qui est alors automatiquement assimilé à un assassinat, qu’il y ait eu préméditation ou non. La jurisprudence rwandaise, à ce titre, tend à retenir ce caractère spécifique de l’infraction de l’homicide accompagné de tortures : 177 RMP 82515/S4/ND/NSE, Ch. Sp. TPI Kibungo, 03/02/2000, affaire NSABIMANA Célestin, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, décision n° 6, 3ème feuillet, 2ème « Constate », P. 144. 178 RMP 110 498/S1/NK.A/NT.M/N.G, Ch. Sp. TPI Rushashi, 11/11/1999, affaire SENDAKIZE Stanislas, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, décision n° 11, 12ème feuillet, 5ème « Constate », Pp. 251-252. 179 Article 316 du Code pénal.

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« (La Chambre Spécialisée) constate que SENDAKIZE doit être puni pour (…) l’assassinat précédé de tortures : le concerné ayant poignardé sa victime la première fois qu'elle n'en est pas morte et s'est sauvée, que son bourreau l'a poursuivie et l'a une nouvelle fois poignardée » 180.

Le seul fait que l’assassinat soit établi ne suffit pas à qualifier l’acte de crime de génocide : il faut en outre que cet acte ait visé les membres d’un groupe spécifique, et que son auteur ait été animé du « dol spécial » requis. C’est ainsi que certaines Chambres Spécialisées se sont considérées comme incompétentes dans un certain nombre de cas dont l’examen permettait de conclure qu’ils étaient étrangers au projet génocidaire. Dès lors que l’intention de commettre le génocide n’était pas établie, il s’agissait de faits de droit commun ne relevant pas de leur compétence :

« (La Chambre Spécialisée) constate qu’en vertu de l’article 1er de la Loi organique n° 08/96 du 30/08/1996 sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité commises à partir du 1er octobre 1990, la Chambre Spécialisée est incompétente pour connaître de l’infraction d’assassinat d’Emmanuel et MUGABO qui a été commise en juillet 1991 au camp militaire de KIGALI car, selon le témoignage de HABIMANA Ananie, MUGABO et Emmanuel auraient été tués non en raison de leur ethnie, mais à cause d’une dette qu’ils avaient envers MUZATSINDA Emmanuel, que cette infraction relève ainsi de la compétence des juridictions ordinaires »181.

Saisi d’une situation semblable, le Tribunal de Province ou de la Ville de Kigali, ou le Tribunal Militaire devrait suivre un raisonnement similaire: n’étant pas compétent, en droit commun, pour connaître de l’assassinat,

180 RMP 110 498/S1/NK.A/NT.M/N.G, Ch. Sp. TPI Rushashi, 11/11/1999, affaire SENDAKIZE Stanislas, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, décision n° 11, 11ème feuillet, 6ème « Constate », P. 251. 181 RMP 9009/S11/NG/KE, Ch. Sp. TPI Kigali, 17/03/1998, affaire MUZATSINDA Emmanuel, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome VI, décision n° 7, 19ème feuillet, 2ème « Constate ».

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ces juridictions devraient se dessaisir, au profit de la Haute Cour de la République ou de la Haute Cour Militaire182. 2.2. Le meurtre

En vertu de l’article 311 du Code pénal, « l’homicide commis avec l’intention de donner la mort est qualifié de meurtre ». En droit commun, il emporte la peine d’emprisonnement à perpétuité pour l’auteur reconnu coupable. Cette atteinte volontaire à l’intégrité physique d’autrui commise dans le but d’entraîner sa mort ne nécessite pas qu’il y ait eu préméditation de l’acte, au contraire de ce qui est requis pour l’assassinat. L’intention et le caractère volontaire de l’acte doivent cependant être manifestes pour qu’une telle qualification puisse être retenue. Cette infraction exclut donc des actes commis sans que l’intention préalable de donner la mort soit établie. Compte tenu de la spécificité du contentieux du génocide et des actes perpétrés, où l’action planifiée et préméditée était la règle, cette infraction n’est que rarement retenue dans le contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité : la majorité des homicides volontaires retenus sont qualifiés d’assassinat. Néanmoins, il y a parfois lieu de distinguer entre le dol spécial requis pour le génocide (l’intention de détruire en tout ou en partie le groupe visé) et le caractère prémédité ou non de l’acte considéré : il arrive que le juge constate qu’un homicide volontaire, bel et bien commis à l’encontre de la victime en raison de son ethnie et dans l’intention de participer au projet de destruction de cette ethnie, a été commis au hasard de la rencontre entre le bourreau et sa victime. 2.3. L’enlèvement, la séquestration et la torture

L’acte d’enlever ou de faire enlever, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir par violences, ruses ou menaces une personne est réprimé comme étant un attentat à la liberté individuelle par l’article 388 du Code 182 Voir le chapitre consacré aux règles attributives de compétence.

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pénal. En droit commun, cet acte est punissable d’un emprisonnement de cinq à dix ans. Cet acte peut être en outre être assorti de circonstances aggravantes : la durée de la détention (une détention d’une durée de plus d’un mois entraîne une peine de 20 ans d’emprisonnement) ou le fait que la victime a fait l’objet de tortures durant la séquestration (l’auteur est alors punissable de la peine d’emprisonnement à perpétuité et, si les tortures ont entraîné la mort, de la peine de mort). Comme pour l’homicide volontaire, la torture ne constitue pas une infraction distincte, mais bien une circonstance aggravante de l’infraction principale de séquestration. Cette infraction d’enlèvement et de séquestration n’a été que très rarement retenue dans le contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité à ce jour. La jurisprudence en la matière concerne essentiellement des actes commis par des autorités administratives locales ou par des autorités militaires qui ont, au cours de la période du génocide, enfermé des victimes avant de les tuer ou de les faire tuer, ou séquestré des femmes afin de les violer. C’est ainsi que cette infraction a été notamment retenue dans une décision du Conseil de guerre, en cause du Sous-Lieutenant DUSABEYEZU Eustache183. Alors que, sous l’empire des lois organiques de 1996 et de 2001, c’est la troisième catégorie qui, visant les « autres atteintes graves à la personne » semblait le mieux adaptée à cette infraction, elle pourrait désormais valoir classement en première catégorie si la circonstance aggravante de la torture est retenue. En effet, la nouvelle loi organique classe en première catégorie « la personne qui a commis les actes de tortures quand bien même les victimes n’en seraient pas succombées, ainsi que ses complices »184.

183 RMP 0010/CG-CS/98, 22/12//1998, affaire DUSABEYEZU Eustache, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome I, décision n° 15, P. 236 où l’infraction de séquestration et d’enlèvement est déclarée établie à charge du prévenu. 184 Article 1er – 4°), loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004. Voir à ce sujet le chapitre consacré à la catégorisation.

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Il convient, à ce sujet, de relever qu’en l’absence d’une définition autonome et précise de la torture en droit rwandais, le rattachement automatique des auteurs de faits de cette nature à la première catégorie ne va pas sans poser de problèmes. Saisi de faits qualifiés de « torture » en phase pré-juridictionnelle, le juge aura à vérifier si ces faits correspondent aux définitions de la torture communément admises en droit international. Rappelons que le Statut de la Cour Pénale Internationale la définit comme « le fait d'infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle »185. Plus précise encore, la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, qui tient lieu de référence universelle, la définit comme suit : « le terme "torture" désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite (...) »186. 2.4. Le viol Le viol est réprimé par l’article 360 du Code pénal. Cette disposition ne contient pas de définition de ce crime. Il est cependant clair que le viol implique l’exercice d’une forme de violence envers la victime. A la violence est assimilé « le fait d’abuser d’une personne qui, par l’effet d’une maladie, par l’altération de ses facultés ou par toute autre cause accidentelle, a perdu l’usage de ses sens ou en a été privée par quelque artifice »187. L’usage de menaces, de violences ou de ruse permettra au

185 Article 7. 186 Article 1er. 187 Article 360 du Code pénal.

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juge de différencier l’acte forcé et contraint de l’acte consenti entre personnes majeures. En droit commun, la peine encourue par l’auteur de viol est de cinq à dix ans d’emprisonnement, en l’absence des circonstances aggravantes prévues par le code. Il convient d’examiner dans quelles conditions le viol peut être considéré comme crime de génocide et/ou comme crime contre l’humanité. La Convention internationale du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide ne vise pas expressément le viol. Cependant, il est possible de le rattacher aux « atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale » des membres du groupe dont l’auteur recherche l’extermination totale ou partielle, atteintes visées à l’article II-b de la Convention. Le viol peut, d’autre part, être considéré, bien évidemment, comme un acte inhumain (d’ailleurs expressément cité dans le Statut du TPIR en son article 3 et dans celui de la Cour Pénale Internationale en son article 7) qui, s’il intervient dans le cadre d’une attaque généralisée, visant une population civile pour des raisons discriminatoires, peut être constitutif de crime contre l’humanité. Aujourd’hui, il n’est plus discuté que le viol a été largement utilisé, au cours de conflits récents, comme « arme de guerre », et qu’il peut être, selon les cas, constitutif du crime de génocide188 ou d’autres crimes contre l’humanité. L’on commence à peine à prendre la mesure de l’ampleur de la pratique du viol dans le contexte du génocide de 1994 au Rwanda. L’un des révélateurs de cette échelle est celui de la transmission, dans des proportions terribles, du virus VIH/SIDA aux victimes du viol. Pourtant, la reconnaissance des victimes et la répression des viols commis dans le cadre des événements de 1994 continuent à se heurter à d’importantes difficultés. Le prix à payer par la victime qui a le courage de dénoncer les faits qu’elle a subis est souvent insupportable : elle voit, trop généralement, s’ajouter à la difficulté de surmonter le traumatisme du crime subi, le drame de la stigmatisation sociale, sans pouvoir compter automatiquement sur un encadrement psychologique adéquat. 188 TPIR, n° 96-4-T, affaire AKAYEZU.

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Au plan judiciaire, les tribunaux paraissent peu enclins à déclarer établis des faits de viol. Dans bon nombre de cas, la parole de la victime est opposée à celle de l’auteur présumé189. Les tribunaux sont loin d’accorder systématiquement plus de crédit aux déclarations de la victime. Sous l’empire de la loi organique de 1996, seuls les auteurs d’« actes de tortures sexuelles » -non autrement définis- étaient rangés en première catégorie190. Sous la loi organique de 2001 et celle du 19 juin 2004 désormais en vigueur, « la personne qui a commis les actes de viol ou les actes de tortures sexuelles ainsi que ses complices »191 relèvent de la première catégorie. Il s’agit, d’une part, de protéger la victime de la « publicité » des débats devant les juridictions Gacaca et, d’autre part, d’affirmer le caractère de gravité particulière que revêt ce crime. Sous l’empire de l’ancienne loi, des faits de viol n’entraînaient pas nécessairement le classement en première catégorie, s’ils n’étaient pas assortis de « tortures sexuelles »192. Ainsi un prévenu convaincu de viol sur une mineure a été classé en deuxième catégorie :

« Constate que l’infraction de viol d’une mineure de moins de 16 ans est établie à charge de NDUWUMWAMI Viateur car, après avoir tué M.R., il a directement emmené sa fille N. J. pour la violer, la menaçant de la tuer comme sa mère en cas de résistance (…)

« Constate que les infractions commises par NDUWUMWAMI

Viateur le rangent dans la deuxième catégorie »193.

189 RMP 1663/AM/KGL/NZF/97, Ch. Sp. Conseil de Guerre, 26/11/1998, affaire Sergent BARAYAGWIZA Ildephonse, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome III, décision n° 17. Pp 309 et suivantes. Dans cette affaire le prévenu est acquitté car la déclaration de la plaignante est jugée peu crédible, celle-ci ayant vu le prévenu plusieurs fois après les faits sans le dénoncer aux autorités. La circonstance qu’elle ait été amenée à rester sous la « protection » du prévenu n’ôte cependant rien au fait qu’à l’origine, elle ait été contrainte à cette relation. 190 Voir article 2 Catégorie 1-d), loi organique du n° 08/96 du 30/08/1996. 191 Voir article 51 catégorie 1-5°), loi organique n° 19/2004 du 19 juin 2004. 192 Dans plusieurs cas les auteurs de viol étaient classés dans une catégorie autre que la première tant qu’ils n’étaient pas déclarés coupables d’un acte distinct, entraînant le classement en première catégorie. 193 RMP 79119/S2/BA, Ch. Sp. TPI Cyangugu, 06/10/1997, affaire NDUWUMWAMI Viateur, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 3, Pp 41-42. L’anonymat est ici le fait des auteurs.

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Dans des cas de jurisprudence qui retiennent l’infraction de viol ou de « tortures sexuelles », les juges mettent en évidence :

- l’abus de confiance commis par un « protecteur » envers sa victime :

« Constate que le Caporal NDAZIGARUYE est coupable de

l’infraction de viol sur P.B. car, comme elle le dit, le Caporal NDAZIGARUYE l’a enlevée aux meurtriers qui allaient la tuer dont son grand frère CANGA, et l’a conduite dans sa maison où il l’a violée cette nuit-là et deux autres fois quand il revenait dans la région »194.

- ou l’humiliation que le bourreau a fait subir à la victime :

« Constate que les violences et les tortures sexuelles commises à

l’égard de MMT sont établies à charge de NYECUMI parce qu’il apparaît dans sa défense qu’il a participé au viol de MMT, lui faisant perdre sa dignité de mère »195.

2.5. Les coups et blessures volontaires

Les coups et blessures volontaires sont prévus par les articles 318 et suivants du Code pénal. L’on distingue selon qu’ils ont été portés avec préméditation ou guet-apens196, selon qu’ils ont provoqué une incapacité197 ou encore selon qu’ils ont provoqué la mort alors même que l’auteur n’avait pas eu l’intention de la donner198. En l’absence de l’une de ces circonstances aggravantes, en droit commun, l’auteur de coups et

194 RMP 1444/AM%/KGL/NZF/97, Ch. Sp. du Conseil de Guerre, 16/08/1999, affaire Caporal NDAZIGARUYE Emmanuel, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome IV, décision n°17, 28ème feuillet, 10ème « Constate », P. 363. L’anonymat est ici le fait des auteurs. 195 RMP 21660/S4/MBF, 08/08/97, Ch. Sp. TPI Gitarama, affaire KABERUKA G. et Consorts, 30ème feuillet, 8ème constate. Affaire non encore publiée. 196 Article 318 al. 2 du Code pénal. Ceci constitue une circonstance aggravante. 197 Article 319 du Code pénal. 198 Article 321 du Code pénal.

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blessures volontaires encourt une peine d’emprisonnement d’un mois à un an, et/ou une amende de cinq cents à deux mille francs. Dans le contexte du génocide et des massacres au Rwanda, les coups et blessures ne peuvent être considérés comme constitutifs de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité que s’ils atteignent un degré de gravité tel qu’ils constituent des « atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale », ou des « actes inhumains », assortis des autres éléments constitutifs du crime de génocide (membre d’un groupe visé ; une volonté d’exterminer ce groupe en tout ou en partie) ou des crimes contre l’humanité (attaque généralisée ; contre une population civile ; élément discriminatoire). En l’absence d’un tel degré de gravité, ils ne pourraient être sanctionnés sur pied de la loi organique du 19 juin 2004 qu’en tant qu’« autres infractions prévues par le Code pénal ayant été commises dans l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité ». La jurisprudence en la matière n’apporte que peu d’exemples de coups et blessures sans intention de donner la mort. Le plus souvent, l’acte est considéré comme ayant été commis avec une telle intention199, et les coups et blessures s’apparentent dès lors, dans la plupart des cas, à une tentative de meurtre ou d’assassinat. Le peu de cas recensés dans la jurisprudence a amené le législateur à fondre l’ancienne troisième catégorie dans la deuxième. Cependant, la distinction est maintenue en ce qui concerne la peine200 : l’auteur dont il est établi qu’il était animé de l’intention de donner la mort sera sanctionné plus sévèrement que l’auteur dont il n’est pas permis d’affirmer qu’il avait cette intention. Le juge est donc appelé à examiner cette question, et à motiver la qualification retenue, puisqu’elle conditionnera la hauteur de la peine. 3. LES AUTRES INFRACTIONS PREVUES PAR LE CODE

PENAL ET COMMISES « AVEC L’INTENTION DE FAIRE 199 RMP 39509/S4/MBF, Ch. Sp. TPI Ruhengeri, 25/03/1999, affaire RWAGAKIGA, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, décision n°10, 2ème et 7ème feuillets, Pp. 226 et 232. 200 Les points 1°) et 2°) de la Catégorie 2 concernant ceux qui ont agi avec l’intention de donner la mort, alors que le point 3°) de cette Catégorie 2 concerne ceux qui ont agi sans intention de donner la mort. Voir article 51 Catégorie 2, loi organique du 19 juin 2004.

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LE GENOCIDE OU D’AUTRES CRIMES CONTRE L’HUMANITE »

Outre les infractions constitutives du crime de génocide et de crimes contre l’humanité proprement dits, le législateur rwandais a inclus, dans le champ d’application matériel de la loi organique régissant le contentieux du génocide, les infractions au Code pénal «commises dans l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité ». Rigoureusement, ces infractions ne constituent pas en elles-mêmes le crime de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité et ne devraient, par conséquent, pas être qualifiées comme telles. Il y a lieu de souligner, à cet égard, la nuance qui distingue le libellé de l’article 1er de la loi organique de 2004 de celui de l’article 1er de la loi organique de 1996. Alors que la loi de 1996 visait, subsidiairement aux infractions constitutives de génocide et de crimes contre l’humanité, les infractions prévues par le Code pénal et « commises en relation avec les évènements entourant le génocide et les crimes contre l’humanité », la loi de 2001 et surtout celle de 2004, désormais en vigueur, visent les infractions commises « dans l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité ». La distinction peut avoir une certaine incidence : la nouvelle formulation est plus restrictive que celle qui avait été retenue à l’origine. La formulation « des évènements entourant le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité » retenue dans la loi de 1996 visait le contexte plutôt que l’intention de l’auteur de l’infraction. Sous l’empire de la nouvelle loi, l’accent est mis sur l’intention : il ne suffit pas qu’une infraction ait été commise à l’époque ni même dans le contexte du génocide et des massacres pour qu’elle entre automatiquement dans le champ d’application de la loi du 19 juin 2004. Il faut qu’elle ait été commise effectivement dans l’intention de perpétrer le génocide : ainsi, le voleur qui aurait mis à profit le contexte de chaos général qui régnait en 1994 pour dérober des biens à ses voisins ne tombera pas nécessairement sous le coup de la loi du 19 juin 2004, s’il n’est pas établi qu’il était animé non seulement de l’intention de voler, mais en outre de l’intention et de la conscience de participer au projet criminel général du génocide et des autres crimes contre l’humanité.

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3.1. L’association de malfaiteurs L’infraction d’association de malfaiteurs est visée aux articles 281 à 283 du Code pénal : « toute association formée, quel que soit le nombre de ses membres ou sa durée, dans le but d’attenter aux personnes ou aux propriétés, est un crime qui existe par le seul fait de l’organisation de la bande »201 . Les créateurs, organisateurs, provocateurs et chefs d’une telle association encourent, en droit commun, une peine de cinq à vingt ans d’emprisonnement, tandis que les autres membres peuvent être condamnés à une peine de cinq à dix ans d’emprisonnement. Pour que l’infraction d’association de malfaiteurs puisse être retenue, il y a lieu d’examiner les éléments suivants :

- le nombre : même si l’article 281 du Code pénal indique « quel que soit le nombre », l’on ne peut imaginer une association de malfaiteurs formée d’une seule personne ;

- la volonté : il faut que la volonté de s’associer existe. Ceci distingue l’association des malfaiteurs d’un regroupement qui serait le fruit du hasard ;

- le but : les malfaiteurs doivent s’être associés dans le but de porter atteinte aux personnes et/ou aux biens.

Ne pouvant être retenue à elle seule comme constitutive de crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, l’association de malfaiteurs peut s’inscrire dans le cadre de ce contentieux comme infraction commise dans « l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité ». Ainsi, est discutable la motivation de l’association de malfaiteurs suivante : « Constate que l’infraction d’association de malfaiteurs est établie à

charge de BIZIMANA Antoine car, même s’il n’a pas commis de meurtre, il avait l’habitude de se promener en compagnie de quelques-uns des tueurs tels que REKERAHO (…)»202.

201 Article 281 du Code pénal. 202 RMP 42031/S8/NKM/NRA, TPI Gikongoro, 20/02/2002, affaire BIZIMANA Antoine Alias MABUYE, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome III,

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En revanche sont plus pertinents, les raisonnements suivants : Exemple 1 :

« Constate que (…) l’infraction d’association de malfaiteurs n’est pas établie à leur charge car l’existence de cette infraction exige qu’il y ait eu une concertation préalable au cours de laquelle les personnes s’accordent sur un même acte qu’ils mettent ensuite à exécution »203.

Exemple 2

« Constate que l’infraction d’association de malfaiteurs n’est pas établie à sa charge car le Ministère Public et les témoins n’ont pas rapporté de preuves palpables, le (seul) fait que ses frères étaient des Interahamwe ne peut signifier qu’elle a fait partie d’une association de malfaiteurs dès lors qu’il n’y a aucun acte qu’elle aurait commis avec ce groupe de gens »204.

Exemple 3

« Constate que l’infraction d’association de malfaiteurs n’est pas établie à sa charge car tel qu’il a été dit précédemment, aucune preuve ne montre qu’il y a eu un groupe de malfaiteurs organisé avec, à sa tête, des chefs connus, qu’il y a eu seulement un attroupement de gens, les uns ayant pour but de tuer alors que d’autres n’ont rien fait »205.

décision n° 4, 22ème feuillet, 1er « Constate », P.136. Le prévenu BIZIMANA a été par la suite acquitté par la Cour d’Appel de Nyabisindu par un arrêt en date du 11/12/2002 qui a écarté ce raisonnement sur l’association de malfaiteurs. 203 RMP 98 228/S2/HJD, Cour d’Appel de Nyabisindu, 14/11/1997, affaire NYILISHEMA André, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome VI, décision n° 9, 7ème feuillet, 1er « Constate ». 204 RMP 7049/S1/MB, Ch. Sp. TPI Kigali, affaire MUKAKAYIJUKA Hadidja, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda Tome III, décision n° 9, 10ème feuillet, 1er « Constate », P. 214. 205 RMP 110 498/S1/NK.A/NT.M/N.G., Ch. Sp. TPI Rushashi, 11/11/1999, affaire SENDAKIZE Stanislas, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda,Tome V, décision n° 11, 12ème feuillet, 6ème « Constate », P. 252.

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Ainsi, il faut donc que l’individu en cause ait eu la volonté personnelle de s’associer avec d’autres dans un projet commun d’atteinte aux personnes et/ou aux biens. Notons que, là où l’infraction est retenue, la catégorisation est malaisée : aucune des trois catégories existantes n’est réellement adéquate, et, sous l’empire de la loi organique de 1996, le juge se gardait, la plupart du temps, de motiver précisément le classement qu’il retenait. 3.2. L’attentat ayant pour but de porter la dévastation,

le massacre ou le pillage L’infraction d’attentat ayant pour but de porter la dévastation, le massacre ou le pillage est prévue à l’article 168 du Code pénal. Cette infraction non explicitement définie dans le code figure parmi les atteintes à la sûreté intérieure de l’Etat sous le titre premier du livre deuxième du Code pénal, qui recense les infractions contre la chose publique. En droit commun, son auteur encourt une peine de quinze à vingt ans d’emprisonnement. Le Code pénal vise ici à ériger en infraction l’acte qui a pour but de déstabiliser le régime en place, de porter atteinte au bon fonctionnement de l’Etat et à son autorité. Les actes commis pendant le génocide avaient en commun de viser la destruction des Tutsi et des opposants au régime en place ; plutôt que d’avoir pour but la déstabilisation du pouvoir alors en place, ils visaient au contraire le maintien de son caractère discriminatoire. Il y a donc en principe incompatibilité entre la définition de l’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat qui caractérise l’infraction définie à l’article 168 du Code pénal et les circonstances du génocide, qui excluent l’attentat ayant pour but de porter la dévastation, le massacre ou le pillage » du champ d’application matériel de la loi organique du 19 juin 2004. Cependant, les divergences d’interprétation quant à l’infraction d’attentat ayant pour but de porter la dévastation par le massacre et le pillage sont notables à l’examen de la jurisprudence dans le contentieux du génocide au Rwanda. Deux tendances s’affrontent :

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Certaines juridictions mettent en avant le fait de dévaster les structures existantes, de piller les biens publics ou privés dans le chaos du génocide et de massacrer hommes et bétails dans ce cadre. L’élément d’atteinte aux pouvoirs établis s’efface pour laisser place à la nature de l’acte. Un tel raisonnement est illustré par les exemples suivants : Exemple 1

« Constate qu’est établie à charge de NZIRASANAHO et MUNYAKAZI Pascal, la prévention d’avoir dévasté le pays par les massacres massifs, car partout où ils menaient des attaques, tuant les innocents cités plus haut, ils ne se privaient pas de détruire leurs maisons et piller leurs biens »206.

Exemple 2

« (La Chambre Spécialisée) constate qu’elle est également coupable du crime de dévastation du pays et porter massacres puisqu’elle a dirigé les massacres dans le secteur MUHIMA où ils ont pillé et fouillé à la recherche de Tutsi et de ceux qu’ils appelaient complices, victimes qu’ils exécutaient dès qu’ils les découvraient, ce qui a mis tout MUHIMA à feu et à sang»207.

Ici également, si l’infraction est déclarée établie, la « catégorisation » de son auteur est malaisée : elle ne correspond rigoureusement à aucune des catégories prévues par les lois régissant le contentieux du génocide. D’autres tribunaux privilégient au contraire une interprétation stricte du Code pénal: quelle que soit la nature et l’ampleur des faits, ils ne peuvent s’apparenter à l’infraction en question, puisque, par définition, les auteurs ne visaient pas à déstabiliser le pouvoir en place mais, au contraire, estimaient agir en sa faveur. Dans les exemples suivants, l’infraction d’attentat ayant pour but de porter la dévastation par le massacre et le

206 RMP 042/97/Cs/Nmta/Gde, Ch. Sp. Nyamata, 09/09/1998, affaire NZIRASANAHO Alexis, Recueil de Jurisprudence ASF/Cour Suprême du Rwanda, Tome I, décision n° 11, 7ème feuillet, avant dernier « Constate », P. 149. 207 RMP 6509/S12NRV, Ch. Sp. TPI Kigali, 17/07/1998, affaire KAMATAMU Euphrasie et Consorts, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome I, décision n° 10, 7ème « Constate », P. 131.

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pillage est considérée comme ne pouvant être retenue dans le cadre du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité. Exemple 1

« (La Chambre Spécialisée) déclare que les infractions à charge de tous les prévenus à l’exception de RUGASIRA N. et de NDAHIMANA Elias sont établies sauf l’infraction de dévastation car il n’y a pas eu atteinte à la sûreté de l’Etat puisque l’Etat était au courant des actes commis »208.

Exemple 2

« (La Chambre Spécialisée) constate que l’infraction d’attentat ayant pour but de porter la dévastation, le massacre ou le pillage prévue par l’article 168 du Code pénal rwandais vise la déstabilisation des institutions en place au moment de sa commission, que dans le cas présent les auteurs présumés ne visaient pas le pouvoir d’alors mais que leur but était plutôt de le soutenir, que NTARWANDA Jean Baptiste ne devrait donc pas être poursuivi de ce chef même au cas où il serait prouvé qu’il a commis les faits qui lui sont reprochés »209.

Il convient enfin de noter que la soustraction de bétail ou de matériaux de construction, même isolée, a été occasionnellement qualifiée de « pillage » et réprimée sur pied de l’article 168, là où la qualification de « vol » aurait mieux correspondu à la réalité de l’acte et à sa gravité relative. 3.3. La violation de domicile La violation de domicile d’autrui est réprimée aux articles 304 et 305 du Code pénal, en tant qu’atteinte au droit des particuliers. Se rend coupable de cette infraction « celui qui pénètre contre la volonté de l’occupant 208 RMP 61 312/S5/ML/NKT-91/01/99, Ch. Sp. TPI Gisenyi, 12/02/1999, affaire GAKURU Tharcisse, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 5, 9ème feuillet, 1er « Déclare », P. 82. 209 RMP 270842/S4/M.P., Ch. Sp. TPI Gitarama, 05/04/1999, affaire NTARWANDA Jean Baptiste, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome IV, décision n° 6, 17ème feuillet, 5ème « Constate », P.136.

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d’une maison, un appartement, une chambre, ou tout autre logement ou leurs dépendances clôturées ». En droit commun, son auteur encourt une peine d’emprisonnement de huit jours à deux mois et/ou une amende maximale de deux mille francs. La violation peut être assortie de circonstances aggravantes : c’est le cas lorsqu’elle est commise soit à l’aide de menaces ou de violences contre les personnes, soit au moyen d’effraction, d’escalade ou de fausses clefs. Comme le précise l’article 304 du Code pénal210, ces infractions ne concernent pas les perquisitions effectuées par les autorités habilitées dans le cadre de leur fonction et autre cas d’intrusion chez autrui permis par la loi. La violation de domicile a été retenue principalement, dans le cadre du contentieux du génocide, pour caractériser deux types d’actions :

- l’intrusion de particuliers dans le but de rechercher les victimes et /ou de piller leurs biens ;

Exemple 1

« Constate que MVUMBAHE Denys est aussi coupable des

infractions d’association de malfaiteurs, de violation de domicile et de vol à l’aide de violences parce qu’avant d’assassiner NDEKEZI Donatien, ils l’ont d’abord recherché jusqu’à le déloger de la maison de Marcianne UKWITEGETSE où il se cachait en dessous de feuilles de haricots sèches (…) »211.

Exemple 2

« Constate que KANYABUGANDE est coupable de l’infraction de violation de domicile après la mort de Juvénal HABYARIMANA ancien chef de l’Etat (avril 1994) car les

210 « Celui qui, sans ordre de l’autorité et hors les cas où la loi permet d’entrer dans le domicile des particuliers contre leur volonté se sera introduit (…)» 211 RMP 56 204/S4/NA/KBY, Ch. Sp. TPI Kibuye, 16/07/2000, affaire MVUMBAHE Denys, Recueil de Jurisprudence ASF/Cour Suprême du Rwanda,Tome VI, décision n° 6, 18ème feuillet, 1er « Constate »

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membres des attaques dirigées par lui se sont introduits dans des maisons à la recherche des victimes à tuer ainsi que dans tous les endroits où elles avaient trouvé refuge et se cachaient »212.

- l’intrusion hors les cas où la loi le permet et sans mandat

spécifique d’agents de l’Etat ;

« Constate que lors des attaques organisées par l’Adjudant-chef REKERAHO Emmanuel, des personnes ont été tuées et des domiciles ont fait l’objet de fouilles illégales, qu’il est ainsi coauteur des infractions de violation de domicile et de fouille illégale prévues et réprimées par les articles 32 et 35 du Code de procédure pénale, ainsi que par l’article 304 du Code pénal livre II »213.

Pour que cette infraction soit retenue comme ayant été commise « dans l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité », il faut que la conscience et la volonté de l’auteur de participer à ce projet criminel soient établies, et le juge devra le spécifier dans sa motivation. Notons enfin que, tout comme pour l’association de malfaiteurs et l’attentat ayant pour but de porter la dévastation, le massacre ou le pillage, la catégorisation est malaisée. 3.4. Les atteintes aux biens

Certains des actes réprimés à ce jour sur pied de l’article 168 du Code pénal en tant qu’attentat ayant pour but de porter la dévastation du pays par les massacres et les pillages nous paraissent relever en réalité de la catégorie des atteintes aux biens: dans de nombreux cas, les qualifications de vol, vol à main armée, incendie et destruction de bien appartenant à autrui ou de destruction d’animaux paraissent plus adéquates. C’est le raisonnement suivi dans l’extrait de jugement suivant : 212 RMP 10 529/S3/ND/KB, Ch. Sp. TPI Byumba, 02/05/1997, affaire KANYABUGANDE François, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome III, décision n° 2, 20ème feuillet, 9ème « Constate » ; P.84. 213 RMP 2636/AM/KGL/IKT/96, Ch. Sp. du Conseil de Guerre, 30/08/1999, affaire REKERAHO Emmanuel et Consort, Recueil de jurisprudence ASF/Cour Suprême du Rwanda, Tome VI, décision 11, 80ème feuillet, 4ème « Constate ».

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« Constate que l’infraction de dévastation du pays par les massacres et

les pillages reprochée à HAKIZIMANA Augustin n’est pas établie à sa charge car elle relève du domaine de l’atteinte aux pouvoirs établis ; qu’il doit plutôt être puni pour celle de vol avec violences qui est établie à sa charge »214.

Les atteintes aux biens entraînent le classement de leur auteur en troisième catégorie (anciennement quatrième catégorie), et ne peuvent être sanctionnés par une peine d’emprisonnement. � Le vol, le vol à main armée et l’extorsion

Le vol et ses variantes sont prévus aux articles 399 à 403 ter du Code pénal. Ces infractions, compte tenu de leur nature, sont des atteintes à la propriété privée : elles ne peuvent, en tant que telles, être considérées comme constitutives du crime de génocide et de crimes contre l’humanité. Cependant, dans nombre de cas ces infractions constituent un prolongement de l’action génocidaire en ce sens que la dépossession matérielle peut précéder ou suivre l’anéantissement physique de l’individu membre du groupe visé. Dans ce cas, la dépossession des biens fait corps avec l’intention de commettre le génocide et les crimes contre l’humanité. Le problème se pose surtout à l’égard de ceux qui ont commis uniquement des atteintes aux biens, à l’exclusion de tout meurtre ou atteinte grave à l’intégrité physique des personnes. Dans ces cas, il y a lieu de distinguer entre ceux qui ont pu profiter du chaos pour s’approprier le bien d’autrui et ceux qui, sciemment et volontairement, participaient au projet génocidaire, s’emparant des biens de telle personne en raison de son ethnie, pour contribuer à son anéantissement. Dans le cadre du contentieux du génocide, les vols avec violences ou sous menaces (de mort) constituent une part importante des infractions relatives aux atteintes aux biens d’autrui.

214 RMP 0452/S13/RE, TPI de Kigali, 06/04/2001, affaire HAKIZIMANA Augustin, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda,Tome V, décision n° 8, 15ème feuillet, 3ème « Constate », P. 198.

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« Constate que MVUMBAHE est aussi coupable des infractions

(…) de vol à l’aide de violences parce (...) qu’après avoir sorti NDEKEZI de la maison, ils l’ont dépouillé de l’argent qu’il avait et ont également exigé de Marcienne de leur donner la somme de 1.000 Frw, qu’ils ont ensuite demandé à NDEKEZI de leur donner une autre somme d’argent pour le relâcher »215.

� L’incendie et la destruction de biens appartenant à autrui

L’infraction d’incendie volontaire et ses variantes (incendie de maisons habitées ou non, incendie d’autres éléments appartenant à autrui) sont prévues aux articles 437 à 443 du Code pénal. La destruction d’objets ou de monuments est prévue à l’article 444 du Code pénal. Le fait de dégrader ou de renverser de tels objets est assimilé à leur destruction. La destruction de récoltes, la dégradation d’arbres et d’autres propriétés sont, quant à elles, visées à l’article 447 du Code pénal. Les éléments constitutifs de ces infractions doivent être identifiés de manière précise par le juge. La maison a-t-elle été incendiée ou détruite? par qui ? était-elle habitée ? Il faut en outre, pour qu’ils tombent sous le coup de la loi organique du 19 juin 2004, que les faits procèdent de l’intention de commettre le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité. Dans le cas suivant les juges ont cherché à établir ces éléments :

« Constate qu’à propos de l’infraction d’incendie des maisons reprochées aux prévenus, même s’il apparaît que plusieurs maisons ont été en fait détruites ou incendiées, aucune des enquêtes effectuées ne démontre d’une manière irréfutable que ce sont eux qui les ont détruites »216.

� La destruction d’animaux

215 RMP 56 204/S4/NA/KBY, Ch. Sp. TPI Kibuye, 16/07/2000, affaire MVUMBAHE Denys, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda,Tome VI, décision n° 6, 18ème feuillet, 1er « Constate ». 216 RMP 960858/S2/HAV, Ch. Sp. TPI Gikongoro, 28/03/1997, affaire MUNYAWERA Vénuste, Recueil de Jurisprudence ASF/Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 4, 12ème feuillet, dernier « Constate », P. 57.

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Cette infraction prévue à l’article 450 du Code pénal est définie comme l’action de celui qui aura « méchamment et sans nécessité, tué ou gravement blessé des bestiaux ou animaux domestiques appartenant à autrui ». La réunion des éléments constitutifs de cette infraction doit être constatée par le juge. Dans le contentieux du génocide et des massacres, cette infraction ne peut éventuellement être retenue que si elle est clairement associée à la logique d’anéantissement des membres des groupes humains visés. Il y a donc lieu de vérifier si elle précède, accompagne ou suit les crimes commis à l’encontre des propriétaires et procède de la même volonté. Dans la pratique, à ce jour, les juges ne se sont apparemment guère attachés à vérifier l’absence de nécessité ou la méchanceté requises pour cette infraction :

« Constate que seule la 5ème infraction de destruction volontaire d’animaux domestiques appartenant à autrui est établie à charge de MBARUBUKEYE John et de RUVUZAMPAMA Laurent car eux-mêmes avouent avoir abattu le bétail de GATSIMBANYI et de NKURIKIYINKA, qu’également tous leurs codétenus affirment qu’ils se sont partagés la viande provenant des vaches pillées ; MBARUBUKEYE les appelant par leurs noms tandis que NYIRIMIGABO distribuait sa part à chacun »217.

Il y a enfin lieu de souligner encore que de tels actes ont pu être retenus en tant qu’infraction de « pillage », et réprimés, à tort, sur pied de l’article 168 du Code pénal, alors que les biens pillés sont des biens privés et ne correspondent pas à la volonté d’attenter à la sécurité de l’Etat que requiert cette infraction. Le libellé de la prévention suivante illustre cette tendance :

217 RMP 82 693/S4/ND, Ch. Sp. TPI Kibungo, 29/09/2000, affaire UKEZIMFURA Jean, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome VI, décision n° 5, 10ème feuillet, 1er « Constate ».

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« Avoir dans les mêmes circonstances de temps et de lieux pillé le bétail appartenant aux victimes, article 168 du Code pénal »218.

3.5. L’outrage à cadavre L’outrage à cadavre, visé par le Code pénal dans le cadre de « pratiques interdites » est définie comme l’action menée par « celui qui aura méchamment déterré ou mutilé un cadavre humain ou l’aura outragé de quelque manière que ce soit » et est réprimé par l’article 352. En droit commun, son auteur encourt une peine d’emprisonnement de deux mois à deux ans et/ou une amende de mille à cinq mille francs. Cette infraction présuppose que l’auteur agisse sur un cadavre : il y a lieu de la distinguer des sévices infligés à une personne mourante. La prévention d’outrage à cadavre n’a pas été souvent retenue, à ce jour, dans le contentieux du génocide. Quelques cas sont cependant à signaler, tel que le fait de brûler les corps de personnes que l’on a assassinées219, le fait de jeter dans les latrines les cadavres220, ou encore le fait de découper en morceaux les corps de victimes. Innovant par rapport aux textes qui l’ont précédée, la loi du 19 juin 2004, classe l’auteur de l’outrage à cadavre en première catégorie221, ce qui paraît constituer une entorse au principe de non-rétroactivité de la loi pénale. 3.6. L’infraction de non-assistance à personne en danger L’article 256, 2° du Code pénal incrimine « Quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ni pour les tiers, il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours ».

218 RMP 61 312/S5/ML/N.K.T-91/01/99, Ch. Sp. Gisenyi, 12/02/1999, affaire GAKURU Tharcisse, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 5, 2ème feuillet, 4ème « Avoir », P. 69. 219 RPA 44/I/98/NZA, Cour d’appel de Nyabisindu, 26/05/1999, Affaire. MUKANYANGEZI Joséphine, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, décision n° 14. P.304. Voir les préventions. 220 RMP 39347/S4, Ch. Sp. TPI Ruhengeri, 17/08/1999, affaire NDINKABANDI Gaspard alias IRIKONJE et consorts, 5ème et 10ème feuillets, décision non encore publiée. 221 Voir article 51 Catégorie 1- 5°), loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004.

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Une telle abstention constitue l’infraction de non-assistance à personne en danger. Pour que cette infraction soit établie, deux conditions préalables sont requises :

� L’existence d’une personne en péril; � La possibilité d’apporter un secours à la personne en péril ou de

le provoquer, sans risque pour soi ni pour les tiers. L’élément « matériel » de l’infraction consiste dans,

� le fait de s’abstenir de porter personnellement cette assistance, et � le fait de s’abstenir de provoquer le secours d’un tiers.

Enfin, l’infraction ne pourra être retenue contre l’auteur de l’abstention que si celle-ci était volontaire.

Dans le cadre du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité, cette infraction soulève plusieurs difficultés.

1. Peut-on, dans le même temps, accuser un même individu d’actes de commission avec l’intention de détruire tout ou partie du groupe et lui reprocher de n’avoir pas porté secours aux membres du groupe. En d’autres termes, peut-on reprocher à un assassin de n’avoir pas porté secours à sa victime ?

La logique voudrait que si un acte de commission, avec l’intention de détruire tout ou partie du groupe, est reproché à l’individu, l’on ne lui reproche plus la non-assistance aux membres du groupe. Le fait de retenir à la fois l’assassinat constitutif du crime de génocide et l’infraction de non-assistance à personne en danger à charge de la même personne, pour les mêmes victimes, n’ajoute du reste rien à la répression. Le concours d’infractions amènera à prononcer la peine prévue pour l’infraction la plus grave.

2. Peut-on imaginer dans le contexte du génocide, une personne qui

n’aurait commis que la seule infraction de non-assistance à personne en danger ? Dans le cas où seule cette infraction caractériserait le mieux l’attitude du prévenu, la non-assistance à

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personne en danger pourrait, théoriquement, être retenue. Mais encore y aurait-il lieu de prouver que, non seulement, l’action que le prévenu s’est abstenu de poser n’aurait pas présenté de risque pour lui-même ou pour des tiers – ce qui, dans le cadre des événements de 1994, paraît peu réaliste - que cette abstention était volontaire, mais qu’en outre, en s’abstenant, le prévenu entendait contribuer au projet génocidaire.

Certes, le droit international prévoit, parmi les modes de participation criminelle au crime de génocide ou aux crimes contre l’humanité, certaines abstentions d’agir. Il n’en est cependant question qu’en ce qui concerne le partage des responsabilités entre un supérieur hiérarchique et son subalterne : ainsi, aux yeux du Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, le supérieur hiérarchique doit être tenu responsable d’actes commis par un subordonné s’il connaissait les intentions de celui-ci (ou avait des raisons de les connaître) et s’était abstenu d’agir pour l’empêcher de les mettre à exécution, ou s’il était au courant (ou avait des raisons de l’être) des actes effectivement commis par le subordonné, et s’était abstenu de sanctionner ces actes : « Le fait que l’un quelconque des actes visés aux articles 2 à 4 du présent Statut a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s’il savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs »222. Il s’agit ici, non pas de réprimer l’infraction de non-assistance à personne en danger, mais bien de rendre compte du fait que, dans certains cas, l’abstention d’agir d’un supérieur hiérarchique peut équivaloir à une approbation tacite, voire à une incitation: lorsque des massacres sont commis en présence d’une autorité qui ne fait rien pour s’y opposer, il ne s’agit pas là de simple non-assistance à personne en danger, mais d’un cas de complicité des crimes commis. Par son silence, l’autorité couvre les massacres, acquiesce et délivre un message d’impunité aux criminels. Dans de tels cas, il peut donc y avoir une forme de responsabilité, par omission d’agir, pour crime de génocide ou crimes contre l’humanité.

222 Article 6.3. du Statut du TPIR.

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Le Statut de Rome instaurant la Cour Pénale Internationale est plus exigeant encore: pour que la responsabilité “par omission” du supérieur hiérarchique soit engagée, le commandement ou le contrôle, et l’autorité dont il disposait devaient être “effectifs”223. Dans le même sens, rappelons que l’article 17 de la loi du 6 septembre 2003 qui réprime le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ne rend l’omission d’agir punissable que si la personne était effectivement en mesure d’empêcher la consommation de l’infraction ou d’y mettre fin, et uniquement dans les limites des possibilités dont elle disposait réellement. La jurisprudence du contentieux du génocide et des massacres s’est divisée sur la question de la non-assistance à personne en danger. L’on peut distinguer, grosso modo, deux périodes. Dans un premier temps, de nombreuses juridictions ont retenu l’infraction de non-assistance à personne en danger comme étant soit constitutive du crime de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité, soit commise en relation avec le génocide ; parmi celles-ci certaines ont cependant privilégié une approche nuancée, veillant à apprécier les possibilités réelles d’action dont disposait le prévenu auquel l’omission est reprochée, notamment au regard de sa qualité d’autorité.

« (La Chambre Spécialisée) constate que l’infraction de non-assistance à personne en danger reprochée à KANYABUGANDE est établie à sa charge, car, en sa qualité d’autorité et étant en possession d’un fusil, il avait les moyens de s’opposer aux attaques et aurait pu défendre les victimes s’il ne faisait pas partie desdites attaques »224.

Par la suite, nombre de juges ont écarté cette infraction, la considérant comme incompatible avec le crime de génocide.

223 Article 28 du Statut de la CPI: “Responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques”. 224 RMP 10 529/S3/ND/KB, Ch. Sp. TPI Byumba, 02/05/1997, affaire KANYABUGANDE François, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome III, décision n°2, 20ème feuillet, 8ème « Constate », P. 84.

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Exemple 1

« Constate que l’infraction de non-assistance à personne en danger reprochée à tous les prévenus ne peut être reçue et examinée car il est inconcevable qu’une personne poursuivie pour avoir eu l’intention de tuer puisse également se voir reprocher de ne pas avoir assisté ou provoqué du secours en faveur de la victime qu’il voulait tuer »225.

Exemple 2

« Constate que n’est pas établie à leur charge l’infraction de non-assistance à personnes en danger car il leur était impossible de prendre part à des expéditions qui tuaient les Tutsi, et de leur apporter en même temps assistance »226.

4. LES FAITS REPRIMES PAR D’AUTRES TEXTES QUE LE CODE PENAL : LA QUESTION DES INFRACTIONS SUR LES ARMES A FEU

Les infractions relatives aux armes à feu, notamment la détention illégale d’armes à feu, le port d’armes prohibées et la distribution d’armes à feu ne sont pas prévues par le Code pénal. Elles sont érigées en infractions par un texte particulier, le Décret-loi n° 12/79 du 07 mai 1979227. La question est de savoir si ces infractions rentrent dans le champ matériel du contentieux du génocide et des massacres au Rwanda. En sa seconde partie, l’article 1er de la loi organique du 19 juin 2004 fait directement et exclusivement référence au Code pénal pour les infractions autres que celles qui sont constitutives de crime de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité, mais qui ont été commises avec « l’intention de faire le génocide ». L’on peut donc estimer que la volonté du législateur a été de viser les seules infractions prévues par le Code pénal, ce qui exclut 225 RMP 49 932/S7, TPI Butare, 14/03/2003, affaire Dr HIGIRO Célestin, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, décision n° 1, 40ème feuillet, 5ème « Constate », P. 58. 226 RMP 21249/S4/KL, Ch. Sp. TPI Gitarama, 22/10/1999, affaire SIBORUGIRWA Azarias et Consort, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 7, 9ème feuillet, 2ème « Constate », P. 105. 227 J.O. 1979, P. 343.

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du champ matériel du contentieux les infractions prévues par le Décret-loi du 07 mai 1979 sur les armes à feu. Ces infractions ne constitueraient alors, éventuellement, que des éléments de preuve quant à la commission du génocide ou d’autres crimes contre l’humanité. Une telle lecture de la loi, rigoureuse d’un point de vue juridique, rend cependant mal compte du contexte qui prévalait en 1994 : le génocide a été rendu possible notamment par la distribution illégale d’armes à grande échelle, leur détention et leur utilisation. L’examen de la jurisprudence montre à quel point la question est controversée. A ce jour, trois tendances se sont dessinées : � Une première tendance considère que les infractions sur les armes à

feu rentrent pleinement dans le champ matériel du contentieux du génocide et de massacres de 1990 à 1994 au Rwanda. Elle a souvent été constatée sous l’empire de la loi organique du n° 08/96 du 30/08/1996.

Cette loi avait mis en place des Chambres spécialisées pour le contentieux du génocide. Le simple fait pour le juge de se prononcer sur ces infractions relatives aux armes à feu équivalait alors à dire qu’il s’estimait compétent à en connaître comme infractions rentrant dans ce contentieux. Ainsi certains juges ont retenu ces infractions228. Certains autres ne les ont pas retenues, non parce qu’ils ne s’estimaient pas compétents pour en connaître mais parce que les éléments constitutifs n’étaient pas réunis. Tel est le cas du juge qui ne retient pas la détention illégale d’arme à feu au motif que l’accusé l’avait légalement reçue229.

� Une deuxième tendance considère que ces infractions peuvent être

rattachées au contentieux du génocide si elles sont connexes à des

228 RMP 21660/S4/MBF, 08/08/97, Ch. Sp. TPI Gitarama, affaire KABERUKA G. et Consorts. Affaire non encore publiée. 229 RMP 10 529/S3/ND/KB, Ch. Sp. TPI Byumba, 02/05/1997, affaire KANYABUGANDE François, Recueil de jurisprudence ASF/Cour Suprême du Rwanda, Tome III, décision n°2.

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infractions effectivement constitutives du crime de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité. Cette tendance peut être illustrée par l’extrait de jugement suivant :

«l’infraction de détention illégale d’armes à feu reprochée à RUTAYISIRE Théogène devrait être connexe à toutes les infractions dont il est acquitté, que dès lors qu’il n’a pas utilisé ce fusil pour commettre des actes de génocide que le Tribunal est appelé à connaître, il n’y a pas lieu de le condamner et le Tribunal l’en acquitte »230.

� Une troisième tendance considère que ces infractions ne rentrent pas

dans le champ matériel du contentieux du génocide et des massacres au Rwanda. Elle s’est affirmée de manière de plus en plus importante, et paraît majoritaire dans la jurisprudence la plus récente.

Cette position peut être illustrée par l’extrait de jugement suivant :

« Constate que la compétence matérielle des chambres spécialisées est prévue par les articles 1er et 19 de la Loi organique du 30/08/1996 (…) Que l’infraction de port illégal d’arme est prévue par une loi particulière différente de celle relative au crime de génocide et des dispositions du Code pénal rwandais, que par voie de conséquence la Chambre Spécialisée n’est pas compétente pour en connaître »231.

Même si ce raisonnement s’appuie sur l’ancienne loi de 1996, et que la question conditionnait alors la compétence matérielle des chambres spécialisées, il demeure largement d’actualité. Sous l’empire de la loi organique du 19 juin 2004, l’on peut synthétiser de la manière suivante: 230 RMP 4974/S12/UJ, 22/02/1999, Ch. Sp. TPI Kigali, affaire RUTAYISIRE Thèogène, Recueil de jurisprudence ASF/Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 10, 13éme feuillet, 4ème « Constate ». P. 176. 231 RMP 270842/S4/M.P., Ch. Sp. TPI Gitarama, 05/04/1999, affaire NTARWANDA Jean Baptiste, Recueil de Jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome IV, décision n° 6, 17ème feuillet, 4ème « Constate ».P. 136.

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- le juge ne pourra pas connaître des infractions aux armes à feu prévues par le décret-loi du 07 mai 1979 en tant qu’elles seraient constitutives du crime de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité, puisque ces infractions ne constituent pas en elles-mêmes les crimes visés, même si elles ont constitué des moyens de perpétrer ces crimes.

- le juge ne pourra pas connaître de ces infractions sur les armes à

feu en tant qu’infractions prévues par le Code pénal et commises « dans l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité », puisque ces infractions ne sont pas prévues par le Code pénal.

- le juge pourra cependant connaître de ces infractions sur les

armes à feu en tant qu’infractions connexes, relevant du droit commun.

Conclusion L’identification des infractions qui relèvent du champ matériel d’application de la loi du 19 juin 2004, et leur qualification n’est pas chose aisée. La difficulté est due, au moins en partie, au fait que la législation rwandaise n’avait pas envisagé avant ces terribles événements un texte spécifique réprimant le génocide et les crimes contre l’humanité. Il a donc fallu tenter de concilier le droit commun et les conventions internationales : c’est ainsi, qu’en 1996, le législateur a décidé de recourir à la technique de la « double incrimination ». Dans un premier temps, le juge aura systématiquement à vérifier si les faits qui lui sont soumis présentent l’ensemble des éléments constitutifs requis pour être qualifiés d’infraction, selon le Code pénal rwandais. S’il répond par l’affirmative, il aura à vérifier ensuite si l’acte en question est l’un de ceux visés par la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide : meurtre, atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner la destruction physique, mesures visant à entraver les naissances ou transfert forcé d’enfants. Si c’est le cas, il

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devra vérifier si l’auteur visait les membres du groupe ethnique Tutsi en tant que tels, et s’il était animé par l’intention de détruire en tout ou en partie ce groupe ethnique. Ce n’est que s’il répond par l’affirmative à l’ensemble de ces questions que le juge déclarera l’auteur coupable de crime de génocide. Si l’acte incriminé n’est pas l’un des actes matériels visés par la Convention contre le génocide, ou s’il ne visait pas les membres de l’ethnie Tutsi en tant que tels, il y aura lieu de vérifier s’il peut être qualifié d’« acte inhumain » au sens où l’entendent les définitions du crime contre l’humanité en droit international. Dans l’affirmative, le juge devra vérifier si l’acte a été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique visant une population civile, et s’il a été commis pour des motifs discriminatoires. Ce n’est que s’il répond par l’affirmative à l’ensemble de ces questions que le juge déclarera l’auteur coupable de crime contre l’humanité. Enfin, si l’acte matériel ne se rattache pas à l’un de ceux visés par la Convention de 1948 contre le génocide, et s’il ne peut être qualifié d’« acte inhumain » au sens où l’entendent les définitions du crime contre l’humanité, le juge aura à vérifier si l’infraction peut être considérée comme ayant été commise avec l’intention de commettre le génocide ou les autres crimes contre l’humanité : il distinguera ainsi le criminel « opportuniste » de celui qui savait et voulait participer au projet génocidaire. Ces distinctions sont subtiles et la tâche du juge est complexe. Mais ce n’est qu’au prix d’une telle rigueur que justice peut être faite. Car ce n’est pas faire honneur à la mémoire des victimes que de ne pas traduire, par la qualification appropriée, la différence entre le vol d’une tôle, et l’extermination d’hommes, de femmes et d’enfants dont le seul tort était d’être Tutsi, ou d’être considérés comme des opposants réels ou en puissance.

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CHAPITRE VII

LA CATEGORISATION Introduction Le principe de la mise en catégorie des personnes accusées de crime de génocide et d’autres crimes contre l'humanité commis au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 a été instauré par le premier texte appelé à régir ce contentieux, la loi organique du 30 août 1996. Le législateur estima alors que les simples qualifications classiques du droit pénal rwandais et les échelles de peine qu’il prévoyait ne pouvaient suffire à rendre compte des responsabilités très variables que portaient les personnes qui, d’une manière ou d’une autre, avaient pris part au projet génocidaire. Il fallait distinguer entre le concepteur et l’exécutant, entre le voleur de bétail et l’auteur de dizaines d’assassinats, entre le supérieur hiérarchique et son subalterne. C’est ainsi que la loi organique du 30 août 1996 avait créé quatre « catégories » au sein desquelles devaient être classées les personnes ayant à répondre d’actes de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité, ou de faits commis en relation avec le génocide, en fonction de la gravité et de l’importance des faits qui leur étaient reprochés : de la première catégorie - les responsabilités les plus lourdes- à la quatrième catégorie - les responsabilités les moins lourdes-. De la catégorie dans laquelle ils étaient classés allait dépendre l’importance de la peine qu’ils encourraient. La première catégorie regroupait les instigateurs et autres grands responsables, les personnes ayant agi en position d’autorité, les grands meurtriers et les auteurs d’actes de torture sexuelle. La deuxième catégorie regroupait les auteurs d’homicides volontaires ou d’atteintes graves contre les personnes, ayant entraîné la mort. La troisième catégorie regroupait les auteurs d’autres atteintes graves contre les personnes.

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Enfin, la quatrième catégorie regroupait les personnes ayant commis des infractions contre les propriétés232. Avec la loi organique du 26 janvier 2001, quatre innovations allaient voir le jour en matière de catégorisation. Les trois premières ont trait à la définition des différentes catégories, à laquelle il fut apporté quelques nuances. Il s'agit d'abord du sort des responsables de Cellule ou de Secteur accusés de génocide ou de massacres que la loi organique de 1996, en les nommant parmi les « personnes ayant agi en position d’autorité » classait en 1ère catégorie. Au contraire, la loi organique de 2001 ne les cite plus nommément : un tel classement n’a donc plus un caractère automatique. Il s'agit ensuite du cas de l'auteur de viol que le législateur de 2001 range en 1ère catégorie, alors que la loi de 1996 y rattachait uniquement les auteurs d’actes de tortures sexuelles. Enfin, la loi organique de 2001 rattache expressément à la deuxième catégorie, l'auteur des coups et blessures donnés avec intention de donner la mort. La quatrième innovation apportée par la loi de 2001 est relative à l'instance qui propose le classement du prévenu dans une catégorie lors de la phase d'instruction. A dater du 15 mars 2001, c'est aux Juridictions Gacaca de Cellule qu'il appartient de procéder à cette proposition de catégorisation233. Cette pré-catégorisation détermine la Juridiction Gacaca ou la juridiction ordinaire compétente pour juger au fond. En 2004, le législateur maintient les changements apparus en 2001 et innove sur d’autres points. Il procède d’abord à une extension du champ de la première catégorie en y incluant de nouvelles préventions : les tortures et les actes dégradants sur cadavre valent désormais à leurs auteurs d’être classés en première catégorie. D’autre part, il opère une fusion entre les anciennes deuxième et troisième catégories. Les infractions qui, sous l’empire de la loi de 2001, relevaient de l’ancienne 3ème catégorie (autres atteintes graves à la personne, commises sans l’intention de donner la mort) sont désormais incluses dans la 2ème catégorie, subdivisée elle-même en trois sous-catégories. Le nombre des catégories distinguées est, par conséquent, 232 Voir article 2 de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996. 233 Voir article 34, e, de la loi organique du 26/01/2001.

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passé de quatre à trois. Et de ce fait, l’ancienne 4ème catégorie, qui concerne les atteintes aux biens, est désormais appelée catégorie 3. L’architecture du système Gacaca est bouleversée. Le principe de l’attribution de compétence à une juridiction donnée en fonction de la catégorisation opérée lors de la phase pré-juridictionnelle est maintenu. Le jugement des prévenus de troisième (ancienne 4ème) catégorie incombe toujours aux Juridictions Gacaca de Cellule. Mais le jugement des prévenus de 2ème catégorie redescend au niveau des Juridictions Gacaca de Secteur. Et c’est également au niveau du secteur que sont créées des Juridictions Gacaca d’Appel, compétentes pour juger les deuxièmes catégories en degré d’appel. Les Juridictions Gacaca de District et de Province disparaissent. Enfin, les juridictions ordinaires restent compétentes pour juger les personnes classées en première catégorie au stade pré-juridictionnel. Les changements intervenus dans la définition des différentes catégories en 2001 et en 2004 ne sont pas sans incidence. D’une part, ils peuvent avoir pour effet une attribution de compétence différente de celle prévue antérieurement. Le prévenu qui, sur la base de la loi antérieure s’attendait à être jugé par tel juge sera en fin de compte jugé par un autre234. Le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale ne s’y oppose pas, puisque ce principe ne concerne pas les règles de procédure et de compétence, pour lesquelles l’applicabilité immédiate est généralement la règle. D’autre part, les innovations intervenues dans la définition des différentes catégories sont susceptibles d’avoir une incidence sur la fourchette des peines applicables : le transfert de certaines infractions d’une catégorie à l’autre rend le prévenu passible d’une peine autre que celle qui était prévue sous l’empire des lois organiques de 1996 et de 2001. Il y a lieu de vérifier, au cas par cas, si ce transfert de catégorie n’a pas pour effet d’aggraver la situation du prévenu, ce qui serait contraire au principe de non-rétroactivité de la loi pénale.

234 Rappelons cependant qu’en vertu de l’article 100 de la loi organique du 19 juin 2004, les affaires qui avaient été transmises aux tribunaux avant son entrée en vigueur restent de la compétence de ces tribunaux.

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Désormais, la définition des différentes catégories est la suivante : « Selon les actes de participation aux infractions visées à l’article premier de la présente loi organique et commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, la personne poursuivie peut être classée dans l’une des catégories suivantes : Catégorie 1 :

1. la personne que les actes criminels ou de participation criminelle rangent parmi les planificateurs, les organisateurs, les incitateurs, les superviseurs et les encadreurs du crime de génocide ou des crimes contre l’humanité, ainsi que ses complices ;

2. la personne qui, agissant en position d’autorité au niveau

national, au niveau de la Préfecture, au niveau de la Sous-Préfecture ou de la Commune, au sein des partis politiques, de l’armée, de la gendarmerie, de la police communale, des confessions religieuses ou des milices, a commis ces infractions ou a encouragé les autres à les commettre, ainsi que ses complices ;

3. le meurtrier de grand renom qui s’est distingué dans le milieu où

il résidait ou partout où il est passé, à cause du zèle qui l’a caractérisé dans les tueries ou la méchanceté excessive avec laquelle elles ont été exécutées, ainsi que ses complices ;

4. la personne qui a commis les actes de tortures quand bien même

les victimes n’en seraient pas succombées, ainsi que ses complices ;

5. la personne qui a commis l’infraction de viol ou les actes de

tortures sexuelles ainsi que ses complices ; 6. la personne qui a commis les actes dégradants sur le cadavre

ainsi que ses complices.(...)

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Catégorie 2 :

1. la personne que les actes criminels ou de participation criminelle rangent parmi les auteurs, coauteurs ou complices d’homicides volontaires ou d’atteintes graves contre les personnes ayant entraîné la mort, ainsi que ses complices ;

2. la personne qui dans l’intention de donner la mort, a causé des

blessures ou commis d’autres violences graves mais auxquelles les victimes n’ont pas succombé, ainsi que ses complices ;

3. la personne ayant commis d’autres actes criminels ou de

participation criminelle à la personne sans intention de donner la mort, ainsi que ses complices.

Catégorie 3 : La personne ayant seulement commis des infractions contre les biens. Toutefois, l’auteur desdites infractions qui, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi organique, a convenu soit avec la victime, soit devant l’autorité publique ou en arbitrage, d’un règlement à l’amiable, ne peut plus être poursuivi pour les mêmes faits »235. Dans le présent chapitre, l’on s’attachera à rappeler la double nature de la catégorisation (1), à identifier l’instance chargée de la catégorisation en phase pré-juridictionnelle (2), à relever les infractions rattachées à une catégorie différente de celle qui était prévue sous l’empire de la loi de 2001 (3), à examiner la question de la liste des personnes accusées d’infractions les rattachant à la première catégorie (4) et enfin, à évoquer la situation du complice (5). 1. LA NATURE DE LA CATEGORISATION Il est utile de rappeler que la « catégorisation » s’opère en deux temps, chacune de ces deux étapes ayant des effets juridiques distincts. La première, que l’on pourrait qualifier de catégorisation provisoire, se situe en phase d’instruction et fait partie du dossier d’accusation. Elle

235 Article 51 de la loi organique du 19 juin 2004.

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était proposée par le parquet dans la loi de 1996, mais relève de la compétence de la Juridiction Gacaca de Cellule depuis le 15 mars 2001. La seconde phase de la catégorisation se situe en fin du processus judiciaire. Il s’agit de la mise en catégorie à laquelle le tribunal Gacaca ou ordinaire doit procéder dès lors qu’il reconnaît le prévenu coupable de tout ou de partie des faits pour lesquels il était poursuivi. 1.1. La catégorisation comme processus de détermination de la

juridiction de fond compétente C’est la catégorisation « provisoire », opérée en phase pré-juridictionnelle par les juridictions Gacaca de Cellules, qui détermine la juridiction qui sera habilitée à connaître de l’affaire au fond. En fonction de la catégorie retenue par la juridiction de Cellule, le jugement sera du ressort de telle ou telle juridiction : aux Juridictions Gacaca de Cellule incombe le jugement des personnes classées en troisième catégorie, aux Juridictions Gacaca de Secteur incombe le jugement des personnes classées en deuxième catégorie, et aux Juridictions ordinaires incombe le jugement des personnes classées en première catégorie. Saisie d’un dossier pour examen au fond, la Juridiction Gacaca de Secteur a, comme toute juridiction, le devoir de vérifier la validité de sa saisine, c’est-à-dire de vérifier sa compétence in limine litis. S’il s’avère que le classement en deuxième catégorie est manifestement inapproprié, il y a lieu de distinguer :

� Soit les chefs d’accusation ne justifient en réalité qu’un classement en troisième catégorie. La Juridiction Gacaca de Secteur reste saisie du dossier et l’examine quant au fond, pour prononcer, le cas échéant, la condamnation du prévenu à la seule réparation des dommages causés aux biens236.

� Soit les chefs d’accusation justifieraient en réalité un classement

en première catégorie. Dans ce cas, la Juridiction Gacaca de Secteur doit se dessaisir du dossier, et le transmettre au Ministère

236 Voir le chapitre consacré aux peines

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Public qui, à son tour, saisira la juridiction ordinaire compétente237.

Il en va de même en degré d’appel : saisie d’une affaire considérée comme relevant de la deuxième catégorie en première instance, la Juridiction Gacaca d’Appel vérifiera, in limine litis, sa compétence, en vérifiant l’adéquation entre les chefs d’accusation et la catégorie proposée. Si les faits semblent relever en réalité de la troisième catégorie, elle reste saisie et tranche au fond, comme si elle agissait en premier et en dernier ressort238. Si les faits semblent relever en réalité de la première catégorie, elle transmet le dossier au Ministère Public, aux fins de saisine de la juridiction ordinaire compétente239. En ce qui concerne la compétence, le législateur applique donc une règle de bon sens : qui peut le plus peut le moins.

� La juridiction saisie de faits qui devraient en réalité relever de la compétence d’une juridiction inférieure reste saisie, et tranche au fond.

� En revanche, aucune juridiction ne peut outrepasser ses

compétences normales : la Juridiction Gacaca qui constate que les faits dont elle est saisie relèvent en réalité de la première catégorie doit renvoyer le dossier au Ministère Public, afin que

237 Article 36, 4° de la loi organique du 19 juillet 2004: “Le siège de la Juridiction Gacaca du Secteur exerce les attributions suivantes: (...)

4° connaître et trancher les cas relevant de sa compétence en vertu de la présente loi, après s’être assuré de la catégorisation des prévenus déférés devant lui suivant leurs chefs d’accusation et transmettre les dossiers des prévenus au Ministère Public lorsqu’ils sont de la première catégorie.”

238 Article 92 de la loi organique du 19 juin 2004: “Si la Juridiction Gacaca saisie de l’appel estime que l’appelant a été classé dans une catégorie inexacte, elle le range dans la catégorie correspondant aux infractions à charge et le juge en premier et dernier ressort.” En quelque sorte, la Juridiction Gacaca d’appel “annule” le premier jugement, puis procède à un nouvel examen du dossier. La précision qu’elle juge alors “en premier et en dernier ressort” paraît cohérente par rapport au fait que les jugements relatifs aux biens ne sont pas susceptibles d’appel. 239 Article 92 précité, combiné à l’article 37, 3° de la loi organique du 19 juin 2004: “Le siège de la Juridiction Gacaca d’appel exerce les attributions suivantes: (...)

3° connaître et trancher les cas relevant de sa compétence en vertu de la présente loi, après s’être assuré de la catégorisation des prévenus déférés devant lui suivant leurs chefs d’accusation et transmettre les dossiers des prévenus au Ministère Public lorsqu’ils sont de la première catégorie.”

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celui-ci puisse saisir la juridiction ordinaire compétente, seule habilitée à juger les affaires relevant de la première catégorie.

1.2. La catégorisation comme facteur de détermination de la peine

applicable La catégorie « provisoire » proposée par le parquet dans son dossier d’accusation ne liait pas le tribunal. Tout comme dans le cadre du fonctionnement normal des tribunaux ordinaires, en effet, le juge a toute liberté de retenir ou non les éléments à charge et les qualifications proposées. Il en va de même pour la catégorie retenue désormais par la Juridiction Gacaca de Cellule. Elle n’est jamais qu’une proposition. Elle ne lie pas le juge du fond qui a toute latitude pour la retenir ou pour la rejeter sur la base de son propre examen des faits240. Il lui appartient, à l’issue des débats, de déclarer établis, en tout ou en partie, les faits à charge du prévenu, ou de l’en acquitter. Si tout ou partie des faits sont établis, le juge procédera ensuite à la mise en catégorie du prévenu, en fonction de la gravité des faits retenus. Cette catégorisation est définitive – sous réserve bien entendu de l’exercice des voies de recours - et détermine l’échelle des peines possibles241. 2. L’INSTANCE COMPETENTE POUR CATEGORISER EN

PHASE PRE-JURIDICTIONNELLE 2.1. Une compétence confiée aux juridictions Gacaca de Cellule

Sous l’empire de la loi de 1996, le parquet portait l’entière responsabilité de l’accusation. Il inculpait le prévenu, présentait au tribunal le dossier tel qu’il avait été instruit, libellait les préventions, et proposait le classement du prévenu dans une catégorie donnée. La loi de 2001 opère une véritable révolution confirmée par le texte de 2004. A dater du 15 mars 2001, c'est aux Juridictions Gacaca de Cellule

240 Daniel de Beer, Commentaire et Jurisprudence de la loi du 30/08/1996 sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crime contre l’Humanité, n° 66, P.43 et suivantes. Voir aussi le Manuel explicatif sur la loi organique portant création des juridictions Gacaca, Chap. 6, section 10, Pp. 90-91. 241 Voir. le chapitre consacré aux peines.

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qu'il appartient de proposer la catégorisation242. C’est le pouvoir d’inculpation et son corollaire, la catégorisation, qui sont désormais confiés aux Juridictions Gacaca de Cellule. Bien qu’il abroge la loi de 2001, le législateur de 2004 maintient la date-charnière du 15 mars 2001243 pour la transmission des dossiers du Parquet aux Juridictions Gacaca244. Aucune mise en catégorie qui aurait été proposée par le Parquet après le 15 mars 2001 ne pourra donc être retenue. Le changement d’instance habilitée à catégoriser dans la phase d’instruction ne transforme pas la nature juridique et le poids de cette catégorisation provisoire : si elle détermine la juridiction compétente, elle ne lie pas le juge du fond. 2.2. La question des dossiers dont les Parquets avaient entamé

l’instruction avant la date du 15 mars 2001

Depuis le 15 mars 2001, les Parquets ont dû transmettre les dossiers en leur possession aux Juridictions Gacaca de Cellule. Bien que les Juridictions Gacaca de Cellule soient appelées à catégoriser, un nombre important de dossiers contenaient déjà des informations à charge ou à décharge du prévenu, voire une proposition de catégorisation. L’ensemble des éléments émanant du Parquet doit être considéré comme une simple information figurant au dossier transmis à la Juridiction Gacaca de Cellule, qui a toute latitude pour déterminer les faits éventuels à retenir contre le prévenu et en conséquence la catégorie dans laquelle elle le classera245. Toute autre interprétation, qui voudrait notamment

242 Article 34, 6°, de la loi organique de 2004 et article 34, e, de l’ancienne loi organique de 2001 243 Il s’agit, à l’origine, de la date de publication de la loi du 26 janvier 2001, marquant le moment de son entrée en vigueur. C’est cette entrée en vigueur qui allait déterminer la démarcation entre les dossiers déjà transmis, dont les tribunaux restent saisis, et qui ne devraient plus nécessairement repasser par la phase “Gacaca” du processus, et les autres qui, quel qu’ait été l’état d’avancement de l’instruction, doivent être automatiquement transférés à la Juridiction Gacaca de Cellule compétente. 244 Reconnaissant ainsi les effets produits par la loi de 2001 entre la date de sa promulgation et celle de l’entrée en vigueur de la loi du 19 juin 2004. 245 Voir Manuel explicatif sur la loi organique portant création des juridictions Gacaca, Chap. 6, section 10, Pp. 90-91.

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reconnaître à la catégorie retenue initialement par le Parquet un caractère contraignant à l’égard de la Juridiction Gacaca violerait le texte et l’esprit de la loi. Ainsi lors des procès devant les Juridictions Gacaca, la catégorie initialement retenue par le Parquet ne pourra être invoquée contre le prévenu. De même devant les juridictions ordinaires, et pour les dossiers transmis après le 15 mars 2001, le Ministère Public pourra requérir uniquement sur la base des éléments à charge retenus par la Juridiction Gacaca de Cellule, et il ne sera pas autorisé à invoquer des infractions retenues dans son dossier initial et rejetées par la Juridiction Gacaca. Le Ministère Public ne peut requérir « contre » le dossier tel qu’il a été instruit par la Juridiction Gacaca de Cellule. 2.3. La question des dossiers transmis aux tribunaux avant le 15

mars 2001 Le sort des dossiers transmis aux tribunaux avant le 15 mars 2001, et dans lesquels un jugement définitif n’est pas encore intervenu, est régi par l’article 100246 de la loi organique du 19 juin 2004. Les juridictions originellement saisies restent compétentes247. Rappelons que les règles de procédure applicables sont celles de droit commun, sauf exception précisée par la loi, mais qu’en ce qui concerne l’ « objet du litige », c’est la nouvelle loi qui s’applique. En ce qui concerne ces dossiers « d’avant le 15 mars 2001 », c’est le Ministère Public qui a mené l’instruction, qui a libellé les préventions et proposé une catégorisation. Deux questions principales se posent : devra-t-il, le cas échéant, adapter la catégorie retenue à l’origine compte tenu de l’entrée en vigueur, entre-temps, de la nouvelle loi organique qui, sur un certain nombre de points, change la définition des catégories ? Et doit-il

246 Article 100 de la loi organique du 19 juin 2004 « Les affaires déjà transmises aux tribunaux avant la publication de la présente loi organique au Journal Officiel de la République du Rwanda seront jugées par ces mêmes tribunaux. Ils appliquent les dispositions relatives à la procédure de droit commun sous réserve des dispositions particulières prévues par la présente loi organique. Quant à l’objet du litige, les dispositions de la présente loi organique sont appliquées ». 247 Etant entendu que les Chambres spécialisées ont été abolies, et que les tribunaux de Province et de la Ville de Kigali se substituent aux anciens tribunaux de première instance, et que le tribunal militaire se substitue à l’ancien Conseil de guerre. Voir à ce sujet le chapitre consacré aux règles attributives de compétences.

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tenir compte, dans ses réquisitions, d’informations complémentaires fournies à propos du dossier par la Juridiction Gacaca de Cellule compétente ? A ce sujet, les situations suivantes pourraient se présenter :

� des informations émanant de la Juridiction Gacaca de Cellule, et transmises au Parquet, disculpent entièrement ou partiellement un prévenu dont le dossier avait été transmis devant une Chambre spécialisée avant le 15 mars 2001. Le Ministère Public devra tenir compte dans ses réquisitions des éléments qui tendent à disculper le prévenu ou à atténuer sa responsabilité, en raison de son devoir d’instruire à charge et à décharge ;

� la Juridiction Gacaca propose de classer un prévenu dans une

catégorie inférieure à celle qui avait été retenue à l’origine par le Parquet. La catégorisation proposée par la Juridiction Gacaca n’aura pas pour effet de dessaisir le Tribunal, qui reste compétent en vertu de l’article 100 de la loi organique. Le Parquet devra requérir le classement tel qu’il est proposé par la Juridiction Gacaca, sous réserve bien sûr d’une inadéquation manifeste entre les chefs d’accusation retenus et la catégorie proposée.

� la Juridiction Gacaca, informée de faits nouveaux, propose de

classer en première catégorie un prévenu classé initialement en deuxième catégorie par le Parquet. Le Parquet ne pourra se fonder sur ces éléments nouveaux. Ils peuvent justifier la constitution d’un nouveau dossier qui devra être valablement instruit, mais le Ministère Public n’est pas autorisé à inclure ces faits dans le dossier dont le tribunal avait été préalablement saisi. Si par contre, il s’agit des mêmes faits autrement catégorisés en raison des innovations que présente la nouvelle loi organique à cet égard, le représentant du Parquet devra s’en tenir à la qualification initiale, plus favorable au prévenu, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi pénale248.

� un prévenu accusé de viol et classé dans l’ancienne troisième

catégorie par le Parquet, est désormais classé en 1ère catégorie par

248 Voir également, à ce sujet, le chapitre consacré aux peines.

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la Juridiction Gacaca de Cellule, qui tient compte des nouvelles règles de la catégorisation. En dépit de la règle énoncée à l’article 100 de la loi organique, le Ministère Public ne pourra, en vertu du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale, proposer une nouvelle catégorisation qui aurait pour effet d’aggraver la situation juridique du prévenu. Il devra donc proposer son classement dans la nouvelle deuxième catégorie, et requérir une peine qui ne soit pas supérieure au maximum de celle qu’il aurait été en droit de requérir sous l’empire de la loi organique de 1996.

2.4. Les dossiers de viol et de tortures sexuelles: une exception à la

compétence de “catégorisation provisoire” des juridictions Gacaca de Cellule

La loi organique du 19 juin 2004 prévoit un tempérament au pouvoir de catégoriser reconnu aux Juridictions Gacaca de Cellule. Lorsque le Parquet a été saisi de faits de viol ou de torture sexuelle, il ne transmet pas le dossier à la Juridiction Gacaca de la Cellule249. Il poursuit l’instruction du dossier lui-même et, implicitement, procède au classement en première catégorie pour saisir immédiatement la juridiction ordinaire compétente. Il s’agit d’une part d’éviter un aller-retour superflu entre la Juridiction Gacaca de Cellule et le Parquet et, d’autre part, de garantir aux victimes d’actes de violences sexuelles le bénéfice de la confidentialité qui leur est reconnue par ailleurs. 3. LES INFRACTIONS RATTACHEES A UNE CATEGORIE

DIFFERENTE DE CELLE QUI ETAIT PREVUE SOUS L’EMPIRE DES ANCIENNES LOIS

3.1. Les responsables de Secteur et de Cellule Les lois de 2001 et 2004 prévoient, pour les responsables de Secteur et de Cellule poursuivis pour avoir pris part à des actes de génocide ou de massacres, un régime pénal plus favorable que celui qui était en vigueur précédemment. Sous l’empire de la loi de 1996, en effet, ces autorités administratives se voyaient classées d’office en première catégorie, comme toutes les autres autorités administratives, en tant que « personnes ayant agi en position d’autorité »250. 249 Article 47, alinéa 4 de la loi organique du 19 juin 2004. 250 Article 2 de la loi organique du 30 août 1996.

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Le classement de ces autorités en première catégorie a perdu son caractère automatique. Les responsables de Secteur et de Cellule sont classés dans la catégorie qui correspond aux infractions dont ils sont effectivement reconnus coupables. En revanche, leur qualité d’autorité leur vaut d’encourir la peine la plus sévère prévue pour la catégorie en question251. Ainsi un responsable de Secteur ou de Cellule, pourrait être classé en 2ème catégorie sur la base des infractions retenues à sa charge. Dans ce cas, s’il n’a pas recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, il encourt une condamnation à une peine d’emprisonnement de 30 ans (maximum prévu pour les 1ère et 2ème subdivisions de cette catégorie). Bien que le texte ne le précise pas, il va de soi que le principe de l’application de la peine la plus sévère aux autorités de Secteur ou de Cellule ne peut concerner les faits valant à leur auteur classement en première catégorie. Pas plus que ce n’est le cas pour les autres « personnes ayant agi en position d’autorité », leur seule qualité de dirigeants n’expose pas automatiquement les responsables de Secteur et de Cellule classés en première catégorie à la peine de mort : une lecture différente de l’article 52 de la loi organique du 19 juin 2004 équivaudrait à sanctionner automatiquement les responsables de Secteur et de Cellule aussi, voire plus sévèrement que leurs supérieurs hiérarchiques. L’intention du législateur était, au contraire, d’ouvrir la possibilité d’une sanction moins lourde pour les autorités inférieures. Enfin, il reste entendu que le simple fait d'occuper l’une des positions d'autorité énumérée par la loi252 ne suffit pas pour se voir condamner en cette qualité. Encore faut-il avoir été reconnu coupable d'au moins un crime de génocide ou d’un crime contre l’humanité rentrant dans la compétence de la loi, et que ce crime ait été commis dans le cadre de la fonction que confère cette position d'autorité ou en usant de cette autorité.

251 Article 52 de la loi organique du 19 juin 2004. 252 Que ce soit Responsables de Secteur ou de Cellule, ou l’une des autorités visées à l’article 51, catégorie 1, 2°, de la loi organique du 19 juin 2004.

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3.2. L’auteur de viol La loi organique de 1996 prévoyait le classement en première catégorie de « la personne qui a commis des actes de torture sexuelle »253. L’article consacré à la catégorisation ne faisait pas mention spécifiquement de l’infraction de viol. En l’absence de circonstances aggravantes, celle-ci ne pouvait par conséquent être rattachée qu’à l’ancienne 3ème catégorie, en tant qu’ « atteinte grave à la personne ». La loi organique de 2001 allait apporter une modification importante à cet état de fait, ajoutant l’auteur de viol aux personnes à classer en première catégorie. La loi organique du 19 juin 2004 a maintenu cette nouvelle classification254. Désormais, l’auteur de viol encourt le classement en première catégorie, au même titre que l’auteur de tortures sexuelles. En classant son auteur en 1ère catégorie, le législateur a voulu assurément souligner la gravité intrinsèque du viol mais aussi le caractère massif et particulièrement odieux du phénomène durant la période du génocide et des massacres, véritable « arme de guerre » au service du projet génocidaire. Par ailleurs, le classement en première catégorie a pour effet de rendre compétentes les juridictions ordinaires, plutôt que les Juridictions Gacaca. En y rattachant l’auteur du viol, le législateur évite à la victime de devoir exposer les faits devant la population de sa cellule. Dans le même ordre d’idée, la loi offre à la victime du viol le « choix » de la personne à qui elle décidera de confier sa plainte. L’inyangamugayo qui reçoit une telle plainte la transmet ensuite « secrètement » au Ministère Public, et l’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de la cellule n’en connaîtra pas. Ni la plainte, ni l’aveu ne peuvent être faits en public. L’huis clos est automatique et même obligatoire255. Il s’agit donc de protéger les victimes de toute publicité, et de garantir l’anonymat à celles qui craignent la stigmatisation sociale que pourrait

253 Article 2, alinéa 2,d de la loi organique du 30 août 1996. 254 Article 51 al.1, 5° de la loi organique du 19 juin 2004. 255 Article 38 de la loi organique du 19 juin 2004.

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entraîner une démarche faite publiquement. Il y a lieu de saluer ces innovations, d’espérer que ces procédures seront le gage d’un véritable respect de la dignité des victimes, et de poursuites plus efficaces contre les auteurs de viols commis dans le contexte du génocide et des autres crimes contre l’humanité. En revanche, le transfert de l’auteur de viol de l’ancienne troisième catégorie à la première soulève des objections en raison de son incidence sur la peine: il aggrave considérablement le sort du prévenu, au mépris du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale. Sous l’empire de l’ancienne loi organique du 30 août 1996, l’auteur d’un viol encourait une condamnation à une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans256. En cas de recours à la procédure d’aveu, la peine pouvait être réduite à un tiers ou à la moitié de cette peine, selon que l’aveu avait été fait avant ou après le début des poursuites257. Une application mécanique de la loi organique du 19 juin 2004 entraînerait désormais la condamnation d’un auteur de viol à la condamnation à mort ou à l’emprisonnement à perpétuité. En cas de recours à la procédure d’aveu avant que la Juridiction Gacaca ait fait figurer son nom sur la liste des auteurs, la peine serait de 25 à 30 ans d’emprisonnement. Il s’agit donc d’une aggravation très conséquente. En outre, la sanction nouvelle découlant du classement automatique de l’auteur de viol en première catégorie aurait pour effet étonnant d’entraîner une peine nettement plus sévère pour le viol que pour l’assassinat ou le meurtre, qui relèvent, quant à eux, de la 2ème catégorie. Confronté à un cas de viol qui n’aurait pas été assorti de tortures, le juge devra recourir au principe de la non-rétroactivité de la loi pénale, consacré notamment tant par l’article 15, alinéa 1er du Pacte International relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Rwanda, que par l’article 20, alinéa 2 de la Constitution258 et l’article 1er du Code pénal. Il écartera donc, à l’égard de l’auteur d’un viol, les peines que la nouvelle

256 En vertu de l’article 14 de l’ancienne loi, qui renvoie au Code pénal. Celui-ci réprime le viol en son article 360. 257 Articles 15, b et 16, b de la loi organique du 30 août 1996. 258 Voir à ce sujet le chapitre consacré au droit à un procès équitable.

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loi organique lie au classement en première catégorie259, pour en revenir aux peines qui étaient prévues par le Code pénal, antérieurement aux événements de 1994, et qui avaient été confirmées dans la première loi organique régissant le contentieux du génocide et des massacres : l’auteur de viol sera condamné à une peine de cinq à dix ans d’emprisonnement. 3.3. L’auteur de tortures A l’exception des tortures sexuelles, la loi de 1996 ne faisait aucune allusion explicite à la question de la torture. En dehors des tortures sexuelles, les faits de tortures pouvaient être inclus dans la troisième catégorie qui regroupait les personnes coupables d’ « autres atteintes graves à la personne » n’ayant pas entraîné la mort. Il y a lieu de souligner en outre que le Code pénal ne réprime pas la torture en tant que telle, et n’en propose pas de définition. La torture est érigée en circonstance aggravante d’infractions telles que l’homicide volontaire ou l’enlèvement et la séquestration260. Comme c’est le cas pour l’auteur de viol, la situation de la personne poursuivie pour tortures est aggravée par l’entrée en vigueur de la loi de 2004, qui entraîne désormais son classement en première catégorie. Le raisonnement développé à propos de l’auteur de viol vaut, mutatis mutandis, pour l’auteur de tortures261. Appliquant les principes généraux du droit, le magistrat sera sage en reconnaissant au prévenu le bénéfice de la loi pénale la moins sévère. Il va cependant sans dire que l’argument de la non-rétroactivité de la loi pénale ne concerne pas l’auteur de tortures sexuelles, ni le « meurtrier de grand renom » qui se serait distingué par la « méchanceté excessive » (assimilable à des actes de torture) avec laquelle il aurait exécuté des tueries : la loi organique prévoyait déjà leur classement en 1ère catégorie, et l’entrée en vigueur de la loi organique du 19 juin 2004 n’a pas pour effet d’aggraver leur situation.

259 Ceci ne concerne évidemment que les cas où il n’y a pas d’autres éléments valant classement en première catégorie. 260 Voir les développements relatifs à cette question dans le chapitre consacré au champ d’application matériel de la loi organique. 261 Dans ce cas aussi, ce raisonnement ne concerne que celui pour qui il n’y a pas d’autres actes commis valant classement en première catégorie.

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3.4. Les actes dégradants sur les cadavres Ni la loi organique de 1996, ni celle de 2001 n’évoquaient les « actes dégradants sur les cadavres ». La loi adoptée le 19 juin 2004 innove donc entièrement, d’une part, en en faisant mention expresse, et d’autre part, en classant ses auteurs dans la première catégorie, leur faisant ainsi encourir la peine de mort ou l’emprisonnement à perpétuité. L’exposé des motifs de la loi de 2004 indique la raison invoquée par le législateur pour faire figurer expressément ces actes parmi ceux qui relèvent du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité et, en outre, pour l’assimiler aux infractions les plus graves : « Dans la première catégorie, il a été ajouté (...) les auteurs d’outrages à cadavres car ces infractions révèlent la méchanceté extrême avec laquelle elles ont été commises »262. Certes, les outrages à cadavres heurtent la conscience. Pour autant, le raisonnement qui amène à les réprimer plus sévèrement que des assassinats, et qui donc équivaut à considérer qu’un assassin serait moins « méchant » que la personne qui a déterré un cadavre et lui a manqué de respect paraît discutable. Rappelons que l’outrage à cadavre est réprimé par le Code pénal qui le définit comme l’action menée par « celui qui aura méchamment déterré ou mutilé un cadavre humain ou l’aura outragé de quelque manière que ce soit 263». Il entraîne une peine d’emprisonnement de deux mois à deux ans et/ou une amende de mille à cinq mille francs. La possibilité de voir prononcer la peine de mort pour un acte que le droit pénal commun, en vigueur à l’époque de l’infraction, punit d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans heurte de plein fouet le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale. Saisi d’un dossier d’outrage à cadavre, le juge pourrait invoquer légitimement l’article 20, alinéa 2 de la Constitution, l’article 15, alinéa 1er du Pacte International relatif aux droits civils et politiques et l’article

262 Voir exposé des motifs de la loi n° 16/2004 du 19/06/2004. 263 Article 352 du Code pénal.

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1er du Code pénal. S’il déclare les faits établis, il ne prononcera pas une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à deux ans264. 3.5. L'auteur d’« autres atteintes graves contre les personnes » La loi organique de 2004, confirmant celle de 2001, classe en 2ème catégorie l'auteur qui, dans l’intention de causer la mort, a causé des blessures ou d’autres violences graves à des victimes qui y ont cependant survécu265. C’est en réalité une forme de tentative de meurtre ou d’assassinat que le législateur vise ainsi, en la sanctionnant de la même manière que l’acte lui-même. La loi de 1996 n’évoquait pas la tentative punissable. Soulignons cependant que le Code pénal met sur un même pied la tentative punissable266 de crime ou de délit et le crime ou le délit lui-même267. La loi de 2004 inclut également dans la deuxième catégorie la personne qui a commis d’autres atteintes graves contre les personnes, sans intention de donner la mort268. Bien qu’il relève désormais de la deuxième catégorie plutôt que de l’ancienne troisième catégorie, l’auteur de telles atteintes à l’intégrité physique des personnes ne voit en réalité pas sa situation aggravée. Au sein de la nouvelle 2ème catégorie, en effet, le législateur distingue, pour ce qui est de la peine applicable, entre les deux premières sous-

264 Il pourrait en être autrement si l’outrage à cadavre intervenait dans la foulée d’homicides, et participait de la même volonté d’anéantissement et de déshumanisation du groupe visé. La notion de “méchanceté extrême” retenue par le législateur pour caractériser le “tueur de grand renom” paraît cependant suffisante pour répondre à cette hypothèse. 265 Article 51, catégorie 2, 2°. 266 Définie par l’article 21 du Code pénal comme suit: “il y a tentative punissable lorsque la résolution de commettre une infraction a été manifestée par des actes extérieurs, non équivoques, formant commencement d’exécution, et qui, devant avoir pour conséquence directe et immédiate de consommer l’infraction, n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur.” 267 Article 24 du Code pénal. 268 Article 51, catégorie 2, 3°. La formulation retenue en français n’est pas heureuse: “la personne ayant commis d’autres actes criminels ou de participation criminelle à la personne sans l’intention de donner la mort...”

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catégories (auteur d’homicides volontaires ou atteintes graves ayant entraîné la mort d’une part et auteur de blessures ou autres violences graves dans l’intention de donner la mort d’autre part) et la troisième (autres atteintes graves sans intention d’homicide) : les personnes classées dans les deux premières sous-catégories encourent une peine d’emprisonnement de 25 à 30 ans, tandis que les personnes classées dans la troisième sous-catégorie encourent une peine de 5 à 7 ans seulement269. La fusion des anciennes troisième et deuxième catégories en une nouvelle deuxième catégorie, subdivisée elle-même en trois sous-catégories n’a, en réalité, pas d’incidence sur les peines : l’auteur d’atteintes graves contre les personnes sans intention de donner la mort encourt finalement la même peine que sous l’empire de l’ancienne loi organique. Le regroupement opéré visait, d’une part, à faciliter la tâche de « catégorisation provisoire » confiée aux Juridictions Gacaca de Cellule (il est en effet bien difficile de tenter de déterminer l’intention de l’auteur au simple stade de l’ « instruction ») et d’autre part, à simplifier et rationaliser l’architecture du système Gacaca : il s’avérait, en effet, qu’en pratique, très peu de dossiers pouvaient être classés dans l’ancienne troisième catégorie, et que l’existence d’un « niveau » de Juridiction Gacaca pour traiter uniquement ces dossiers ne se justifiait pas. Si le transfert des auteurs d’atteintes graves à la personne sans intention de donner la mort ne contrevient pas au principe de la non-rétroactivité de la loi pénale, il importe en revanche d’insister sur le fait que, dès lors qu’il considère les violences établies au plan matériel, le juge devra impérativement se pencher sur la réalité ou l’absence d’intention de donner la mort, et motiver sa décision à cet égard. La peine finalement prononcée sera en effet fonction de cette appréciation de l’intention criminelle, pouvant aller du simple au quadruple selon que l’auteur n’était pas ou était animé de l’intention de donner la mort.

269 En l’absence de recours à la procédure d’aveu.

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4. LA LISTE DES PERSONNES ACCUSEES D’APPARTENIR A LA PREMIERE CATEGORIE

Reprenant une pratique instaurée en 1996, la loi organique du 19 juin 2004 impose au Procureur Général de la République de publier une liste des personnes accusées de relever de la première catégorie. La nouvelle loi innove sur deux points : la liste sera publiée désormais deux fois par an ; d’autre part, elle sera constituée sur la base des informations provenant des Juridictions Gacaca de Cellule. Pour le surplus, la publication d’un nom sur cette liste n’a d’autre effet que celle d’une catégorie « provisoire » : elle ne lie nullement le juge, appelé à apprécier les éléments de fait et de droit, habilité à acquitter l’accusé le cas échéant, à requalifier les faits qui lui sont soumis, et in fine, à classer l’accusé dans la catégorie à laquelle les faits effectivement établis à sa charge le rangent. La publication de cette liste devrait n’avoir aucune incidence sur la présomption d’innocence dont l’accusé bénéficie.

5. LA SITUATION DU COMPLICE Dérogeant au Code pénal, la loi organique de 1996 définissait le complice de manière restrictive. Pour être condamné comme complice, il fallait avoir prêté une aide indispensable à la commission de l’infraction270. La loi de 2004271, en son article 53, en revient à une définition plus proche, en substance, de celle du droit commun : « le complice est celui qui aura, par n’importe quel moyen, prêté une aide à commettre l’infraction (...) »272. Le sort réservé au complice ne diffère pas de celui de l’auteur et du co-auteur. Le complice sera en principe sanctionné comme l’auteur principal. La qualité d’auteur, de coauteur ou de complice n’a donc, en principe, aucune incidence positive ou négative sur la catégorisation.

270 Article 3, al. 1, 1ère partie de la loi organique du 30 août 1996. 271 A l’instar de la loi organique de 2001. 272 Comparer avec la définition beaucoup plus détaillée de l’article 91 du Code pénal.

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Il va cependant de soi que le juge sera appelé à tenir compte de l’importance réelle de la participation criminelle dans la détermination de la peine, au sein de la fourchette dont il dispose : un complice dont le rôle fut secondaire ne devrait pas être condamné à une peine aussi sévère que l’auteur principal. Conclusion La loi organique du 19 juin 2004 attribue à la « catégorisation » une fonction double. D’une part, elle détermine, en phase pré-juridictionnelle, la juridiction qui sera compétente pour connaître de l’affaire au fond : Juridiction Gacaca de Cellule, Juridiction Gacaca de Secteur, ou juridiction ordinaire. Cette opération de « pré-catégorisation », qui n’a pas de caractère définitif, relève de la compétence de la Juridiction Gacaca de Cellule. Dans cette acception, les règles qui déterminent la catégorisation constituent des « règles de procédure », au sens où l’entend l’article 2 de la loi organique du 19 juin 2004, à l’applicabilité immédiate desquelles rien ne s’oppose. D’autre part, la catégorisation vise à distinguer les différents degrés de participation et de responsabilité dans le génocide et les crimes. A ce titre, elle déterminera les limites inférieures et supérieures des peines que peut prononcer le juge. Cette opération de « catégorisation finale » relève de la compétence du juge du fond, qui y procédera à l’issue de l’examen de l’affaire. Dans cette acception, les règles qui déterminent la catégorisation constituent des « règles de fond », au sens où l’entend l’article 2 de la loi organique du 19 juin 2004. Déterminant la peine applicable, ces règles sont sujettes à la vérification systématique de leur compatibilité avec le principe de non-rétroactivité de la loi pénale : leur application ne peut avoir pour effet d’aggraver la situation de l’accusé.

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CHAPITRE VIII

LA PROCEDURE D’AVEU, DE PLAIDOYER DE CULPABILITE, DE REPENTIR ET D’EXCUSES

Introduction La procédure d’aveu apparaît pour la première fois en droit rwandais dans la loi organique du 30 août 1996. S’inspirant du modèle anglo-saxon du « plea bargaining », elle consiste à accorder des réductions de peines substantielles273 au prévenu qui, moyennant le respect d’un certain nombre de conditions, avoue sa participation au crime de génocide, aux autres crimes contre l’humanité ou aux autres infractions couvertes par la loi organique. En instaurant ce système, le législateur entendait favoriser les aveux. D’une part, compte tenu des circonstances dans lesquelles s’étaient déroulés le génocide et les massacres, la possibilité d’une reconstitution des faits aussi fidèle que possible à la vérité, reposait quasi-exclusivement sur le recueil de témoignages et, singulièrement, sur celui des personnes ayant pris part aux atrocités. Dès lors que, pour pouvoir bénéficier des réductions des peines prévues par la procédure d’aveu, les accusés devaient non seulement reconnaître les faits dont ils étaient personnellement coupables, mais en outre dénoncer leurs coauteurs et complices, cette procédure faciliterait les poursuites à l’égard des auteurs qu’aucune victime survivante n’était en mesure de mettre en cause. D’autre part, l’aveu des crimes commis par une part importante de leurs auteurs paraissait seule susceptible de fonder la perspective même éloignée d’une réconciliation. Enfin, la procédure d’aveu devait avoir pour effet de simplifier et d’accélérer la procédure, et d’alléger le rôle dévolu aux juridictions de jugement, submergées par un contentieux d’une ampleur inouïe.

273 Voir le chapitre consacré aux peines.

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Instauré dès 1996, le principe de la procédure d’aveu a été maintenu dans la loi organique de 2001 puis dans celle de 2004. Les aménagements apportés par la loi organique du 19 juin 2004 concernent essentiellement le contenu des aveux (1), les instances chargées de recueillir les aveux (2), les formes que doit revêtir la procédure d’aveu (3), l’incidence de la découverte de faits autres que ceux avoués (4), l’incidence du moment où interviennent les aveux (5), le cas particulier de l’aveu de faits de violence sexuelle (6) et la question de l’appel du prévenu qui a recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses (7). Le présent chapitre s’attachera enfin à examiner la question de la place de la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses devant les juridictions ordinaires (8). 1. LE CONTENU DES AVEUX

Intitulée « procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité » sous l’empire de la loi organique de 1996, la procédure d’aveu est désormais désignée par l’expression « procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses ». Le législateur semble ainsi vouloir mettre l’accent sur l’importance de la demande d’excuses exprimée. Cette demande d’excuses doit être adressée publiquement « aux victimes, si elles sont encore vivantes et à la société rwandaise »274. Les déclarations du prévenu ne pourront être reçues au titre d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses qu’à la condition de contenir :

1. «la description détaillée sur tout ce qui se rapporte à l’infraction avouée, notamment le lieu où elle a été commise, la date, comment elle a été commise, les témoins, les victimes et le lieu où il a jeté leurs corps ainsi que les biens qu’il a endommagés ;

274 Article 54, alinéa 2, loi organique du 19 juin 2004.

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2. les renseignements relatifs aux coauteurs et aux complices ainsi que tout autre renseignement utile à l’exercice de l’action publique ;

3. les excuses présentées pour les infractions que le requérant a

commises »275.

2. LES INSTANCES COMPETENTES POUR RECUEILLIR LES AVEUX

La loi de 2004 offre plusieurs possibilités aux prévenus qui veulent recourir à la procédure d’aveu. Ils peuvent avouer les faits commis soit devant la Juridiction Gacaca de Cellule, au stade de la phase pré-juridictionnelle276, soit devant la juridiction de jugement277, soit encore devant l’Officier de la Police Judiciaire ou devant l’Officier du Ministère Public pour les dossiers qui n’ont pas encore été transmis à la Juridiction Gacaca compétente278. Pour produire leur plein effet, tant au bénéfice du système judiciaire, du prévenu, que de la société rwandaise, la possibilité d’offrir des aveux doit subsister le plus longtemps possible. Le libellé de l’article 65 de la loi organique du 19 juin 2004 ne laisse subsister aucun doute à ce sujet. Le Président de la Juridiction Gacaca de Secteur ou d’Appel, saisie d’un dossier dans lequel il n’y a pas eu de recours à la procédure d’aveu, est tenu de faire lecture au prévenu des articles de la loi qui concernent la procédure d’aveu, et de lui demander s’il souhaite y recourir. Il s’agit de laisser au prévenu la faculté d’y recourir, même tardivement. Le législateur met ainsi fin à une longue controverse née des interprétations diverses de la loi de 1996. Les Chambres Spécialisées étaient, globalement, divisées en deux camps sur la question. Les unes estimaient que des aveux pouvaient être

275 Article 54, alinéa 4 de la loi organique du 19 juin 2004. 276 Article 34, 2° de la loi organique du 19 juin 2004. 277 Articles 36-2°, 62 et 63 de la loi organique du 19 juin 2004. 278 Articles 59 à 61 de la loi organique du 19 juin 2004.

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présentés pour la première fois à l’audience. Les autres estimaient au contraire que le prévenu devait avoir offert ses aveux avant la transmission du dossier répressif au tribunal pour qu’ils soient recevables. L’Officier du Ministère Public ou l’Officier de la Police Judiciaire peuvent également recevoir des aveux dans certains dossiers: les affaires dont la Juridiction Gacaca de Cellule n’a pas encore entamé l’examen, et à propos desquelles ils « poursuivent l’exercice de leur mission de recevoir les dénonciations et les plaintes et de procéder aux devoirs d’instruction concernant les infractions prévues par la loi organique »279 , d’une part, et les affaires de violence sexuelle, d’autre part280. L’Officier du Ministère Public ne dispose pas du pouvoir de décision ultime quant au sort à réserver à l’aveu qu’il a reçu. Qu’il estime que les aveux devraient être acceptés ou rejetés, il doit clôturer son dossier et le transmettre accompagné d’une note de fin d’instruction ou d’une note explicative à la Juridiction Gacaca de Cellule à qui revient la décision finale de rejet ou d’acceptation des aveux après vérification de leur exactitude281. La décision d’acceptation des aveux par la Juridiction Gacaca de Cellule lie la juridiction saisie de l’examen du dossier au fond : elle organisera l’audience selon la procédure fixée à l’article 64, laquelle ne lui reconnaît pas le pouvoir de rejeter les aveux. Par contre, en cas de rejet des aveux par la Juridiction Gacaca de Cellule ou en cas d’absence d’aveux l’audience devra être tenue selon la procédure fixée à l’article 65, qui oblige le juge à inviter le prévenu à recourir à nouveau à la procédure d’aveu. En résumé, si des aveux sont acceptés par l’organe chargé de l’instruction (la Juridiction Gacaca de Cellule), le juge ne peut les rejeter. Si par contre les aveux sont rejetés par l’organe chargé de l’instruction, alors le juge du fond a le devoir d’offrir au prévenu la possibilité d’y recourir à nouveau.

279 Article 46 de la loi organique du 19 juin 2004. 280 Article 38, dernier alinéa°: « Il n’est pas permis, pour cette infraction, de faire l’aveu en public ». 281 Article 60 de la loi organique du 19 juin 2004.

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Et c’est uniquement dans ce cas qu’il a pouvoir d’examiner la substance de ces aveux282. 3. UN FORMALISME SIMPLIFIE Sous l’empire de la loi organique de 1996, la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité devait obéir à un formalisme très contraignant : ainsi, par exemple, chaque étape de la procédure faisait l’objet d’un procès-verbal, suivant des modalités rigoureuses : l’information sur le droit de recourir à l’aveu, le recueil des aveux, l’acceptation ou le rejet des aveux, etc. A l’occasion de la mise en place des Juridictions Gacaca, le législateur a simplifié toute la procédure d’aveu, tant devant l’Officier du Ministère Public que devant les juridictions. Le nombre et le contenu des procès-verbaux ont été réduits. Désormais le Ministère Public ou la Police Judiciaire reçoit les aveux en établissant un procès-verbal signé par le prévenu. En cas d’acceptation, il rédige une note de fin d’instruction et transmet le dossier à la Juridiction Gacaca de Cellule. En cas de rejet, il en fait cas dans une note explicative qu’il transmet également à la Juridiction Gacaca de Cellule compétente. C’est, enfin, la Juridiction Gacaca de Cellule qui, après vérification de l’exactitude des aveux, décidera de leur rejet ou de leur acceptation283. Devant les Juridictions Gacaca la procédure est encore plus simple : les aveux se font oralement ou par écrit et sont consignés dans un procès-verbal284.

282 Il faut encore préciser qu’en cas d’aveux, les magistrats doivent épuiser la procédure d’aveu et ne peuvent poursuivre l’audience sur les cas des autres prévenus en reportant la décision sur les aveux. Enfin en cas de rejet, les aveux qu’avait proposés le prévenu ne peuvent pas être utilisés comme preuve à sa charge. 283 Articles 59 et 60 de la loi organique du 19 juin 2004. 284 Articles 62 et 63 de la loi organique du 19 juin 2004.

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4. L’INCIDENCE DE LA DECOUVERTE DE FAITS NOUVEAUX

Les avantages consentis dans la procédure d’aveu sont tels qu’il y a lieu de se protéger contre les justiciables qui chercheraient à détourner la procédure d’aveu de sa finalité en mentant, notamment par omission. La personne qui a recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses sans reconnaître l’ensemble des faits dont elle était coupable court un risque considérable. La découverte de faits nouveaux, postérieurement au jugement qui lui a permis de bénéficier d’une réduction de peine, entraîne de nouvelles poursuites à son encontre. Dans le cadre de ces nouvelles poursuites285, l’accusé encourt la peine maximale prévue pour la catégorie à laquelle les faits le rattacheront286. 5. L’INCIDENCE DU MOMENT OU INTERVIENT L’AVEU Le moment où intervient l’aveu est déterminant pour l’octroi du bénéfice des différentes réductions de peine prévues par la loi. Selon que le prévenu figurait déjà ou non sur la liste des auteurs du génocide dressée par la Juridiction Gacaca de Cellule au moment où il a recouru aux aveux, il bénéficiera d’avantages plus ou moins importants, ou en sera privé. Même en ce qui concerne les prévenus de la première catégorie, le moment de la publication, par le Procureur Général de la République, de la liste des noms des personnes accusées de tels faits est devenu sans incidence287 : seul le fait que son nom figure ou non sur la liste dressée par la Juridiction Gacaca est décisif.

285 Cette hypothèse ne nous paraît pas contraire au principe du non bis in idem, dans la mesure où les faits poursuivis sont distincts des faits pour lesquels le prévenu a déjà été condamné. 286 Article 57 de la loi organique du 19 juin 2004. 287 En dépit du maintien de la publication d’une telle liste, prévue à l’article 51, catégorie 1 in fine.

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Les aveux présentés après que le nom du prévenu accusé de faits le rattachant à la première catégorie ait été ajouté à la liste de la Juridiction Gacaca de Cellule n’ont en principe pas d’incidence sur la peine. Pour pouvoir bénéficier de la réduction de peine prévue à l’article 72, alinéa 2 de la loi organique du 19 juin 2004288, l’accusé de première catégorie doit donc avoir recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses avant que son nom y soit inscrit. Sous l’empire de la loi organique de 1996, l’accusé de première catégorie qui avait recouru, dans les formes et délais requis, à la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité ne bénéficiait pas, formellement, d’une réduction de peine : du fait de ses aveux, il se voyait rattaché non plus à la première, mais bien à la deuxième catégorie. C’est en raison de cette « recatégorisation » qu’il encourait une peine moins lourde que s’il n’avait pas recouru à la procédure d’aveu. Ce mécanisme avait entraîné une certaine confusion. Optant pour un système plus simple, la nouvelle loi organique de 2004 ne parle plus de « changement de catégorie » pour l’accusé de première catégorie qui a avoué. Elle se borne à indiquer que les « auteurs de génocide de la première catégorie » qui ont recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, avant que leurs noms soient inscrits sur la liste dressée par la Juridiction Gacaca de Cellule, bénéficient d’une « commutation de peine »289 : ils encourent une peine de vingt-cinq à trente ans d’emprisonnement, plutôt que la peine de mort ou l’emprisonnement à perpétuité en l’absence d’aveu ou si l’aveu a été rejeté. L’aveu n’a donc pas d’incidence sur la catégorisation ni, par voie de conséquence, sur la détermination de la juridiction compétente : l’accusé de première catégorie est justiciable des juridictions ordinaires, qu’il ait recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, ou pas. Les prévenus de deuxième catégorie peuvent avouer à tout moment et bénéficier des avantages de la procédure d’aveu. Mais les avantages seront plus ou moins importants selon qu’ils auront avoué avant ou après

288 Qui lui permet d’encourir une peine d’emprisonnement de vingt-cinq à trente ans, plutôt que la peine de mort ou l’emprisonnement à perpétuité. 289 Article 55 de la loi organique du 19 juin 2004.

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que leurs noms aient été inscrits sur la liste des accusés par la Juridiction Gacaca de Cellule290. Les prévenus de troisième catégorie ne sont pas spécifiquement visés par les dispositions qui se rapportent à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses. Ils peuvent cependant, bien évidemment, y recourir, comme « toute personne ayant commis les infractions visées à l’article premier de la présente loi organique »291. La procédure d’aveu n’aura cependant pas d’incidence sur la peine qu’ils encourent292. Il y a lieu de préciser que si un prévenu a fait des aveux qui ont été rejetés par la Juridiction Gacaca de Cellule, il peut encore les renouveler devant la juridiction de jugement. Si la juridiction de jugement accepte ces mêmes aveux sans éléments nouveaux, alors le moment des aveux à prendre en compte pour la détermination de la peine sera celui où il les avait faits devant la Juridiction Gacaca de Cellule : on considérera donc qu’il les a faits avant d’avoir été mis sur la liste des accusés. 6. LE CAS PARTICULIER DES INFRACTIONS A CARACTERE

SEXUEL Le législateur a fait le choix de protéger la victime de viol et de tortures sexuelles de toute publicité en lui offrant la possibilité de porter plainte « secrètement », soit auprès de l’Inyangamugayo de son choix, soit auprès du Parquet, et de bénéficier d’un procès à huis clos293. Cette démarche s’étend à la procédure d’aveu : le dernier alinéa de l’article 38 de la loi de 2004 exclut explicitement l’aveu public de cette infraction. 290 Article 56 de la loi organique du 19 juin 2004. 291 Article 54 de la loi organique du 19 juin 2004. 292 Le fait, cependant, pour la personne qui a commis uniquement des infractions contre les biens, d’avoir convenu d’un accord à l’amiable avec sa victime l’exonère de toutes poursuites. Le fait de conclure un accord implique l’aveu du fait, et la reconnaissance de la victime comme telle. La logique est comparable à celle qui permet au prévenu des autres catégories en aveu de bénéficier de réductions de peine. 293 Il est cependant fait entorse à ce principe de confidentialité à l’article 34, f de la loi organique du 19 juin 2004: le Siège de la Juridiction Gacaca de la Cellule y est appelé à établir la liste “des victimes et de leurs biens endommagés”, et les victimes de viol et de tortures sexuelles figurent parmi celles qui doivent y figurer en vertu du dernier alinéa de cet article.

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Cette interdiction de publicité ne peut pourtant priver l’auteur de viol ou de tortures sexuelles de son droit de recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses294. Il ne pourra cependant la présenter que devant le Ministère Public, et pas devant l’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de Cellule. En ce qui concerne la détermination des peines, la personne accusée d’actes de violence sexuelle bénéficiera du même régime que n’importe quel autre accusé de la première catégorie 295: selon qu’il aura recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses avant ou après que son nom ait été inscrit par la Juridiction Gacaca de Cellule sur la liste des accusés qu’elle dresse, il bénéficiera ou non de la « commutation de peine » prévue par la loi. 7. LA QUESTION DE L’APPEL PAR LES PREVENUS AYANT

RECOURU A LA PROCEDURE D’AVEU, DE PLAIDOYER DE CULPABILITE, DE REPENTIR ET D’EXCUSES

Sous l’empire de la loi organique du 30 août 1996, « les jugements rendus sur acceptation de la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité » n’étaient pas susceptibles d’appel296. Le législateur n’a pas maintenu cette restriction au principe du double degré de juridiction. C’est qu’en effet l’aveu de faits matériels n’entraîne pas nécessairement accord quant à la qualification juridique retenue, ni quant à la catégorisation retenue, ou encore quant à la peine prononcée. Il paraissait donc légitime de permettre à la personne en aveu, mais qui estime avoir été sanctionnée trop sévèrement, de soumettre son dossier à une juridiction supérieure.

294 Article 54 de la loi organique du 19 juin 2004. 295 Sous réserve, cependant, de vérification de ce que la peine ainsi déterminée ne se heurte pas au principe de non-rétroactivité de la loi pénale. 296 Article 24 in fine de la loi organique du 30 août 1996.

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8. LA PLACE DE LA PROCEDURE D’AVEU, DE PLAIDOYER DE CULPABILITE, DE REPENTIR ET D’EXCUSES DEVANT LES JURIDICTIONS ORDINAIRES

Dans l’important 2ème chapitre qu’elle consacre à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, la loi organique du 19 juin 2004 ne fait aucunement mention du rôle des juridictions ordinaires en la matière. Pourtant, les accusés de première catégorie peuvent, comme tous les autres, recourir à cette procédure et, s’ils l’ont fait avant que leurs noms figurent sur la liste des auteurs dressée par la Juridiction Gacaca de Cellule, bénéficier de la commutation des peines que la loi prévoit. 8.1. Les tribunaux ordinaires saisis de dossiers de première catégorie

dans lesquels les accusés ont recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses

L’aveu d’un accusé de première catégorie n’a, comme on l’a vu, plus aucune espèce d’incidence ni sur la catégorisation ni, par conséquent, sur la désignation du juge compétent au fond. Les tribunaux ordinaires auront donc à connaître de dossiers classés en première catégorie, dans lesquels l’accusé a recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses devant la Juridiction Gacaca de Cellule. Si les aveux et les excuses ont été acceptés par la Juridiction de Cellule, le tribunal ordinaire saisi du fond de l’affaire aura à entériner l’aveu, sous réserve cependant de la vérification du caractère non contraint des aveux, de l’adéquation entre les faits avoués et les qualifications juridiques retenues et de l’adéquation entre les qualifications juridiques retenues et la catégorie proposée. 8.2. La question des aveux présentés pour la première fois devant la

juridiction ordinaire Comme exposé plus haut, contrairement aux aveux présentés par les accusés de deuxième catégorie, ceux faits par des accusés de première

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catégorie n’ont d’incidence sur la peine que s’ils ont été antérieurs à la mention du nom du prévenu sur la liste des accusés que dresse la Juridiction Gacaca de Cellule. En principe donc, l’accusé qui présenterait ses aveux et ses excuses pour la première fois devant une juridiction ordinaire – ce que rien ne peut l’empêcher de faire - ne peut voir sa peine commuée, et n’en tirera aucun bénéfice au plan pénal : la saisine de la juridiction ordinaire suppose en effet qu’au préalable, la Juridiction Gacaca de Cellule aura clôturé l’instruction à son égard, pour le classer en première catégorie, et qu’elle aura nécessairement fait figurer son nom sur la liste des accusés qu’elle dresse. Il y a cependant lieu de nuancer l’affirmation selon laquelle l’aveu devant la juridiction ordinaire ne serait d’aucun effet d’un point de vue pénal, sur trois plans. D’une part, le juge pourra éventuellement tenir compte des aveux et excuses émis pour le faire bénéficier des « circonstances atténuantes »297 dans les limites prévues par la loi organique. D’autre part, l’accusé de première catégorie qui déclare vouloir recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses devant la juridiction ordinaire invoquera peut-être, pour expliquer le caractère tardif de cet aveu, qu’il avait avoué précédemment ou manifesté depuis longtemps son intention d’avouer, sans que le Ministère Public ait jamais recueilli les aveux en question. Dans cette hypothèse, le juge devra combler la lacune, permettre au prévenu de détailler ses aveux et se pencher sur le contenu des aveux. Au moment de la détermination de la peine, le Tribunal aura à s’interroger sur le moment où le prévenu a manifesté pour la première fois son intention d’avouer : selon que ce moment est antérieur ou postérieur à l’inscription du prévenu sur la liste des accusés dressée par les Juridictions Gacaca de Cellule, l’accusé de première catégorie aura

297 Voir Article 81, alinéa 1er, loi organique du 19/06/2004 ; voir sur ce point la section qui examine la question des circonstances atténuantes sous le chapitre consacré aux peines.

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droit ou non à la commutation de peine visée à l’article 54 de la loi organique du 19 juin 2004. Enfin, la situation des accusés de première catégorie dont les dossiers avaient été transmis par le Parquet avant la date du 15 mars 2001 doit être précisée. Les dossiers transmis par les Parquets aux anciennes Chambres Spécialisées, et qui n’ont pas encore fait l’objet d’un jugement définitif à la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi organique restent du ressort des juridictions ordinaires, quelle que soit la catégorie retenue en phase d’instruction.

Par définition, ces dossiers, instruits par le Parquet avant l’instauration des Juridictions Gacaca, ont échappé au système Gacaca en phase pré-juridictionnelle. � Soit le prévenu de la première catégorie d’un dossier transmis avant

le 15 mars 2001 qui avoue en audience a déjà été mis sur la liste des accusés de sa cellule, auquel cas ses aveux ne pourront lui valoir de voir sa peine commuée ;

� Soit au moment où ce prévenu avoue en audience, la Juridiction

Gacaca de Cellule ne l’a pas encore inscrit sur la liste des accusés ou a terminé ses travaux sans l’y inscrire du tout, auquel cas ce prévenu se trouvera dans la situation des personnes qui avouent « avant que leurs noms ne soient mis sur la liste dressée par la Juridiction Gacaca de la Cellule » : le Tribunal devra vérifier la conformité de ses aveux aux exigences de l’article 54 de la loi organique du 19 juin 2004, et le faire bénéficier de la commutation de peine prévue à l’article 72, alinéa 2 de cette même loi organique.

Conclusion C’est la problématique du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité qui a amené le législateur à prévoir un régime pénal particulier pour les « repentis ». La nature presque exclusivement testimoniale des preuves qu’il est possible de recueillir en cette matière

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l’a en effet amené à favoriser l’aveu, et la dénonciation des coauteurs ou complices. Il y a lieu de noter que les lois organiques qui, à ce jour, ont régi le contentieux du génocide, semblent avoir fait école : le nouveau Code de procédure pénale paraît retenir le principe de la « procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses » qui avait fait son apparition en 1996 en droit rwandais : son article 35 permet au juge de « réduire jusqu’à concurrence de la moitié la peine prévue pour l’infraction » en cas d’ « aveu vérifié sincère, présenté par l’inculpé », au stade de l’enquête préliminaire.

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CHAPITRE IX

LES PEINES

Introduction Dans la loi de 2004, comme dans celle de 1996, la détermination de la peine passe par plusieurs filtres : s’il estime établis certains ou tous les faits à charge du prévenu, le juge doit le placer dans l’une des catégories prévues par la loi, qui déterminera la fourchette des peines applicables à la situation. La peine définitivement retenue dans cette fourchette sera fonction de ce que le prévenu a ou non recouru à la procédure d’aveu, du moment où il y a recouru, de sa qualité éventuelle de mineur au moment des faits, ainsi que de tout élément pertinent que l’audience aura révélé. Alors que la loi de 1996 renvoyait dans certains cas aux peines prévues par le Code pénal - c’était le cas pour les condamnés de l’ancienne troisième catégorie -, la loi de 2004 a établi une échelle précise de peines, censée couvrir toutes les hypothèses qu’elle vise et ce, afin de faciliter la tâche des juges et, singulièrement, des Inyangamugayo peu familiers du Code pénal. Le présent chapitre s’attache à identifier les différentes peines applicables aux différentes situations (1). Sont ensuite examinées la question des peines accessoires (2), la notion de travaux d’intérêt général (3), la question du concours idéal ou matériel d’infractions (4), les cas où le maximum de la peine prévue pour la catégorie retenue doit être prononcé (5) et les « circonstances atténuantes » prévues par la loi (6). 1. LES PEINES PREVUES PAR LA LOI ORGANIQUE Les peines qu’encourent les accusés d’infractions qui relèvent du champ d’application de la loi organique du 19 juin 2004 sont l’objet du chapitre IV de la loi, qui comprend les articles 72 à 81.

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Le tableau suivant synthétise les peines applicables en fonction des différentes situations prévues par la loi. L’on distingue, d’abord, selon la catégorie : 1ère catégorie, 2ème catégorie 1° et 2°, 2ème catégorie 3° et enfin 3ème catégorie298. Ensuite, l’on distingue selon que l’accusé a recouru ou non à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, et s’il y a recouru, selon qu’il l’a fait après ou avant que son nom n’ait été inscrit sur la liste des accusés dressée par la Juridiction Gacaca de Cellule. Pour chacune des peines principales, l’on indique si la possibilité d’effectuer la moitié de la peine sous forme de travaux d’intérêt général (« TIG ») est prévue ou non. Enfin, l’on indique si la situation peut entraîner condamnation à des peines accessoires et, le cas échéant, lesquelles. Au rang des peines accessoires, nous avons compté la publication des noms des personnes condamnées sur une liste affichée au bureau du Secteur de leur domicile. La situation des mineurs d’âge de plus de quatorze ans au moment des faits est dissociée de celle des majeurs : leur sort est détaillé, dans le même ordre logique que pour les majeurs, dans la partie inférieure du tableau.

298 Le lecteur est renvoyé au chapitre consacré à la catégorisation pour la définition des différentes catégories.

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Les peines

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Catégories Pas d’aveux Aveux après

liste des accusés Aveux avant liste des accusés

Peines accessoires

Catégorie 1 Peine de mort ou perpétuité Pas de TIG

Peine de mort ou perpétuité Pas de TIG

25 à 30 ans Pas de TIG

Dégradation civique totale et perpétuelle + affichage liste publique

Catégorie 2 1° et 2°

25 à 30 ans Pas de TIG

12 à 15 ans dont la moitié en TIG

7 à 12 ans dont la moitié en TIG

Dégradation civique + affichage liste publique

Catégorie 2 3° 5 à 7 ans dont la moitié en TIG

3 à 5 ans dont la moitié en TIG

1 à 3 ans dont la moitié en TIG

affichage liste publique

Catégorie 3 Réparation Réparation Réparation Catégorie 1 mineur

10 à 20 ans Pas de TIG

10 à 20 ans Pas de TIG

8 à 10 ans Pas de TIG

Dégradation civique totale et perpétuelle + affichage liste publique

Catégorie 2 1° et 2° mineur

8 à 10 ans Pas de TIG

6 à 7,5 ans dont la moitié en TIG

3,5 à 6 ans dont la moitié en TIG

Dégradation civique + affichage liste publique

Catégorie 2 3° mineur

2,5 ans à 3,5 ans dont la moitié en TIG

1,5 an à 2,5 ans dont la moitié en TIG

6 mois à 1,5 an dont la moitié en TIG

affichage liste publique

Catégorie 3 mineur

Réparation Réparation Réparation

Globalement, les peines désormais prévues sont similaires à celles qui étaient d’application sous l’empire des deux lois organiques antérieures. Il y a cependant lieu de souligner que, dans certains cas, la nouvelle loi a pour effet d’améliorer le sort des accusés ou du moins de le clarifier. Il en est ainsi en ce qui concerne l’accusé de première catégorie qui n’a pas recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses. Il est passible de la peine de mort ou de l’emprisonnement à perpétuité. La formulation de la disposition de la loi organique de 1996 qui le concernait (« Les personnes de la première catégorie encourent la peine de mort ») avait suscité une controverse. Certains estimaient que dès lors qu’un condamné était classé en première catégorie, la peine de

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mort était la seule peine possible, tandis que d’autres considéraient qu’il s’agissait de la peine maximale, éventuellement susceptible d’être réduite, par le jeu des circonstances atténuantes. La loi de 2004 a pour effet de clarifier les choses, offrant formellement au juge une alternative: il peut prononcer la peine de mort ou l’emprisonnement à perpétuité. Cette alternative claire à la peine de mort fait écho au préambule de la loi organique de 2004, qui insiste sur l’importance de « prévoir des peines permettant aux condamnés de s’amender et de favoriser leur réinsertion dans la société rwandaise ». Le législateur semble ainsi conforter le moratoire de fait observé quant à la peine de mort, depuis les exécutions du 24 avril 1998. Par ailleurs, les négociations entamées avec le Tribunal Pénal International pour le Rwanda à propos de la perspective de transfert, vers les juridictions nationales rwandaises, de dossiers actuellement traités à Arusha, auront pour effet de rouvrir le débat sur la peine de mort. Le principe du transfert ne pourra être acquis qu’à la condition que le Rwanda renonce à prononcer la peine de mort à l’encontre des accusés qui seraient concernés par ce transfert299. Immanquablement, se posera la question de la discrimination que représenterait, dans ces conditions, le maintien de la possibilité de la peine de mort à l’égard des accusés qui n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes de la part du TPIR. Rappelons, à cet égard, les termes du préambule du Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, adopté par l’Assemblée générale des Nations-Unies le 15 décembre 1989 : « Les Etats parties au présent Protocole,

Convaincus que l'abolition de la peine de mort contribue à promouvoir la dignité humaine et le développement progressif des droits de l'homme, Rappelant l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée le 10 décembre 1948, ainsi que l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté le 16 décembre 1966,

299 Voir à ce sujet le communiqué de l’Agence Hirondelle, en date du 14 septembre 2004.

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Notant que l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques se réfère à l'abolition de la peine de mort en des termes qui suggèrent sans ambiguïté que l'abolition de cette peine est souhaitable, Convaincus que toutes les mesures prises touchant l'abolition de la peine de mort doivent être considérées comme un progrès quant à la jouissance du droit à la vie, Désireux de prendre, par le présent Protocole, l'engagement international d'abolir la peine de mort » (...)

Les condamnés de la première catégorie dont la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses a été acceptée300 voient leur sort amélioré : ils sont désormais passibles d’une peine d’emprisonnement de 25 à 30 ans, alors que, sous l’empire de la loi organique de 1996, ils encouraient l’emprisonnement à perpétuité, et sous celui de la loi organique de 2001 l’emprisonnement à perpétuité ou une peine d’emprisonnement de trente ans. Leur situation est identique à celle des condamnés de deuxième catégorie 1° et 2° qui n’ont pas avoué, sous réserve de la dégradation civique, moins étendue pour ces derniers. La situation des condamnés de la deuxième catégorie 1° et 2° qui ont avoué est quasiment inchangée par rapport à celle qui prévalait avec les lois de 1996 et de 2001301. Le sort des condamnés de la deuxième catégorie 3° est identique à celui qui était prévu par la loi de 2001, qu’ils aient avoué ou pas302. Enfin, les condamnés de troisième catégorie ne sont pas passibles de peines d’emprisonnement : ils sont tenus uniquement, en vertu de l’article 75 de la loi organique du 19 juin 2004, de réparer les dommages causés

300 Etant ici rappelé que l’aveu présenté après inscription sur la liste est sans incidence sur la peine pour les condamnés de première catégorie. 301 Sous réserve cependant d’une nuance curieuse, et discutable, en sa défaveur : sous l’empire de la loi de 1996, un tel accusé ayant recouru à la procédure d’aveu « avant poursuites » encourait une peine maximale de 11 ans, alors que s’il a avoué « avant liste », il est désormais passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 12 ans d’emprisonnement. Cette légère aggravation avait déjà été introduite par la loi organique de 2001. 302 Etant entendu que la nouvelle 2ème catégorie 3° est comparée à l’ancienne 3ème catégorie.

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aux biens d’autrui. Le fait que le condamné de troisième catégorie ait avoué ou non est indifférent. Il s’agit d’une amélioration du sort des auteurs d’atteintes aux biens : sous l’empire de la loi de 1996, en effet, ils étaient susceptibles d’être condamnés à une peine d’emprisonnement assortie du sursis, à moins d’avoir conclu et respecté, avant le jugement, un règlement à l’amiable avec les victimes, quant à la réparation civile de leurs biens. Il y a lieu de noter que la condamnation « à la réparation des dommages causés aux biens d’autrui » visée à l’article 75 de la loi organique ne vise pas uniquement les condamnés de troisième catégorie : elle doit être prononcée contre toute personne reconnue coupable « d’avoir commis des infractions contre les biens », quelle que soit la catégorie dans laquelle elle a été classée303. 2. LES PEINES ACCESSOIRES

Dans les situations qu’elle décrit, la loi permet d’assortir la peine principale d’une peine accessoire, la dégradation civique304. L’étendue de la dégradation civique possible est fonction de la catégorie retenue à charge de la personne reconnue coupable. Le fait qu’elle ait ou non recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses est ici sans incidence. La qualité de mineur d’âge est, elle aussi, indifférente. Ainsi, les personnes classées en première catégorie sont passibles de la dégradation la plus large, à savoir la « dégradation perpétuelle et totale »305. Les personnes classées en deuxième catégorie, 1° et 2° encourent la privation permanente du droit de vote, du droit d’éligibilité, du droit d’être expert ou témoin dans les actes, dans les décisions et dans les procès et de celui de déposer en justice autrement que pour donner de simples renseignements, du droit de posséder et de porter des armes, du droit de servir dans les forces armées ou dans la Police Nationale, du

303 Voir à ce sujet le chapitre consacré à l’indemnisation. 304 Voir article 76 de la loi organique du 19 juin 2004. 305 Cette dégradation porte sur tous les droits énumérés à l’article 66 du Code pénal.

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droit d’exercer une fonction de l’Etat et du droit d’exercer la profession d’enseignant ou de médecin tant dans le secteur public que privé306. La loi crée en outre une forme de « dégradation civique » inconnue du droit commun : l’inscription du nom du condamné sur « une liste affichée au bureau du Secteur de leur domicile »307. Cette inscription, qui se veut infamante, semble devoir être automatique308. Seuls les condamnés de troisième catégorie échappent à cette inscription. 3. LES TRAVAUX D’INTERET GENERAL Les travaux d’intérêt général sont une innovation de la loi de 2001. La loi organique du 19 juin 2004 en a repris le principe. Entre-temps, leur organisation et leur réglementation ont fait l’objet de l’Arrêté Présidentiel n° 26/01 du 10 décembre 2001. Au contraire de la « réparation des dommages causés aux biens d’autrui »309, qui suppose un lien direct entre la prestation et le tort causé, les travaux d’intérêt général sont conçus comme visant l’intérêt de la société dans son ensemble. Ils constituent une modalité d’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée par le juge : là où la loi en prévoit la possibilité, ce mécanisme permet à l’accusé de ne rester en prison que pour la moitié de la durée de la peine prononcée, et d’effectuer le reste de la peine en liberté, sous la forme des travaux d’intérêt général qui lui auront été assignés. La seconde moitié de sa peine est donc « commuée » en travaux d’intérêt général310, forme de sursis conditionnel à la peine d’emprisonnement. Les travaux d’intérêt général ne concernent pas les condamnés de troisième catégorie. Tous les condamnés de première catégorie, qu’ils soient mineurs ou non, en aveux ou non, sont exclus de leur bénéfice. Les condamnés de deuxième catégorie, 1° et 2° qui n’ont pas recouru à la procédure d’aveu,

306 Article 76, 2° de la loi organique du 19 juin 2004. 307 Voir article 76, 3° de la loi organique du 19 juin 2004. 308 D’après le libellé du §3 de l’article 76, aucune latitude ne semble être laissée au juge. 309 Voir article 75 de la loi organique du 19 juin 2004. 310 Voir article 80 de la loi organique du 19 juin 2004.

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de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses en sont également exclus. Ne peuvent donc en bénéficier que :

� les condamnés de deuxième catégorie, 3°, qu’ils aient recouru à la procédure d’aveu ou non, et qu’ils aient ou non été mineurs d’âge au moment des faits ;

� les condamnés de deuxième catégorie, 1° et 2°, qui ont recouru à

la procédure d’aveu, qu’ils aient ou non été mineurs d’âge au moment des faits.

Si la personne concernée n’ « exécute pas convenablement ces travaux », le « sursis » dont elle bénéficiait est révoqué, et elle devra purger le reste de la peine en prison311. 4. LE CONCOURS IDEAL OU MATERIEL D’INFRACTIONS Le concours d’infractions est défini comme suit par le Code pénal : « Il y a concours d’infractions lorsque plusieurs infractions ont été commises par le même auteur sans qu’une condamnation définitive soit intervenue entre ces infractions »312. Le concours est qualifié d’ « idéal » lorsqu’un fait unique est susceptible de plusieurs qualifications pénales, lorsque plusieurs faits distincts, constituant des infractions distinctes, procèdent d’une intention délictueuse unique, ou lorsque ces infractions distinctes constituent des circonstances aggravantes l’une de l’autre313. Le concours est qualifié de « réel » ou « matériel », lorsque des faits distincts se sont succédés dans le temps, sans autre lien entre eux que l’identité de leur auteur314.

311 Article 80 de la loi organique du 19 juin 2004. 312 Article 92 du Code pénal. 313 Article 93 du Code pénal. 314 Article 94 du Code pénal.

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Le Code pénal traite de manière détaillée la question de la ou des peines à appliquer, et de la manière dont elles peuvent ou non se cumuler selon les cas315, en droit commun. La loi organique du 19 juin 2004 simplifie les choses : l’article 77 prévoit qu’en cas de concours idéal ou matériel d’infractions, si chacune de ces infractions relève de la même catégorie, l’accusé sera condamné à la peine maximale prévue pour cette catégorie316. La loi n’indique pas de manière explicite ce qu’il en est des cas de concours idéal ou matériel d’infractions, dans lesquels les différentes infractions relèveraient de catégories distinctes. C’est, en réalité, le mécanisme de la catégorisation qui permet de résoudre la question. Dans la plupart des cas, les prévenus ont à répondre de différentes infractions, entre lesquelles il y a concours317. Au moment où il procède à la catégorisation, le juge reprendra l’ensemble des faits et classera le prévenu dans la catégorie qui correspond aux faits les plus graves commis. Exemple : La personne reconnue coupable, à la fois, d’avoir été l’un des planificateurs du génocide et des massacres et d’avoir commis, sans l’intention de donner la mort, des atteintes graves contre les personnes constitutives de crimes contre l’humanité, sera rangée en première catégorie, les faits les plus graves « absorbant » les faits relativement moins graves. Dans ce cas, en l’absence de recours à la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, le juge prononcera la peine de mort ou la peine d’emprisonnement à perpétuité. Ce n’est que si l’accusé est reconnu coupable de plusieurs infractions qui, même si elles étaient considérées séparément les unes des autres, entraîneraient chacune le classement dans une seule et même catégorie, que la règle inscrite à l’article 77 de la loi organique s’applique.

315 Voir articles 93 et 94 du Code pénal. 316 Article 77 de la loi organique du 19 juin 2004. 317 Le concours est presque nécessairement “idéal”: les infractions reprochées relevant toutes du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité, elles sont évidemment liées entre elles par une intention délictueuse unique.

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Exemple : L’auteur qui a commis d’une part des assassinats constitutifs du crime de génocide, et d’autre part d’autres atteintes graves contre les personnes ayant entraîné la mort, elles aussi constitutives du crime de génocide, se trouve dans l’une des situations visées par cette disposition. Chacune des infractions, prises individuellement, vaudrait à son auteur un classement en catégorie 2.1°. Le concours d’infractions amènera le juge non pas à cumuler les peines qu’il a prononcées pour les mêmes infractions considérées individuellement, mais bien la peine la plus grave de la catégorie en question : en l’absence de recours à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, et si l’auteur était majeur au moment des faits, la peine sera en principe de 30 ans d’emprisonnement, sous réserve des éventuelles circonstances atténuantes que le tribunal lui reconnaîtrait. L’article 77 nuance la règle, dans un cas, celui où le prévenu a commis plusieurs infractions qui toutes relèvent de la 2ème catégorie, 3° : la peine à prononcer ne sera pas la peine maximale prévue pour la deuxième catégorie dans son ensemble, mais bien la peine maximale prévue pour cette « sous-catégorie », à savoir, 7 ans d’emprisonnement pour un adulte, en l’absence de recours à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses. Cette précision provient de la trace laissée par l’ancienne troisième catégorie : si le législateur a « fusionné » les anciennes deuxième et troisième catégories, cette fusion n’a pas pour effet d’aggraver la situation pénale de l’auteur d’ « autres atteintes graves contre les personnes, sans intention de donner la mort ». Il aurait été illogique d’infliger à l’auteur de plusieurs faits qui relèvent de la 2ème catégorie, 3°, le maximum de la peine prévue pour le condamné de 2ème catégorie, 1°, ou 2°, c’est-à-dire 30 ans d’emprisonnement pour un majeur, en l’absence de recours à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses. 5. LES CAS OU LE MAXIMUM DE LA PEINE PREVUE DANS

LA CATEGORIE RETENUE DOIT ETRE PRONONCE Outre ce qu’elle prévoit s’il y a concours idéal ou matériel d’infractions, la loi indique deux cas dans lesquels le juge doit en principe prononcer le maximum de la peine prévue dans la catégorie retenue, sous réserve de la reconnaissance éventuelle de circonstances atténuantes : celui des

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personnes ayant agi en position d’autorité au niveau du Secteur et de la Cellule d’une part, et celui où, après condamnation, il s’avère que les aveux d’un condamné étaient incomplets. La nouvelle loi organique a pour effet de faire échapper les autorités du niveau de la Cellule et du Secteur au caractère quasi-automatique du classement en première catégorie des « personnes ayant agi en position d’autorité ». En contrepartie, la loi prévoit à leur égard l’application du maximum de la peine prévue dans la catégorie dans laquelle elles sont classées318. Comme on l’a vu sous le chapitre consacré à la catégorisation, cette règle ne saurait s’appliquer pour la 1ère catégorie ; elle aurait alors l’effet inverse de celui qui était visé par le législateur en soustrayant ces autorités de l’énumération des autorités qui figurent au point 2 de la première catégorie, leur faisant encourir automatiquement la peine de mort alors que le juge dispose de l’alternative entre la peine de mort et l’emprisonnement à perpétuité pour les autorités supérieures. La seconde hypothèse constitue une forme de sanction à l’égard de l’accusé qui aurait détourné la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses de sa finalité, en omettant certains faits dans ses aveux. Si ces autres faits sont découverts après un jugement qui lui accorde le bénéfice des réductions de peines liées à la procédure d’aveu, il sera jugé pour ces faits, et encourra le maximum de la peine prévue319. 6. LES « CIRCONSTANCES ATTENUANTES » PREVUES PAR

LA LOI En son article 81, la loi, s’écartant du droit commun, restreint l’application des circonstances atténuantes au prévenu : le juge n’est plus autorisé à descendre en dessous de la peine minimale de la catégorie considérée. La reconnaissance par le juge de « circonstances atténuantes » vaudra au prévenu de se voir condamner « à la peine minimale d’emprisonnement ou de travaux d’intérêt général prévue par la (...) loi organique». Rigoureusement parlant, il ne s’agit pas d’un régime de « circonstances atténuantes ». Les circonstances atténuantes, au sens commun, sont celles 318 Article 52 de la loi organique du 19 juin 2004. 319 Article 57 de la loi organique du 19 juin 2004.

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qui « précédant, accompagnant ou suivant l’infraction, atténuent la culpabilité de son auteur »320 et qui, précisément, autorisent le juge, dans l’appréciation de la peine, à descendre au-dessous du minimum légal prévu pour l’infraction en question, dans les limites fixées à l’article 83 du Code pénal321. Notons que le libellé de l’article 81 pose une difficulté d’interprétation. L’on a vu en effet que les travaux d’intérêt général ne constituent pas une forme autonome de peine, mais bien une modalité d’exécution de la peine. Dans les cas prévus par la loi, la moitié de la peine d’emprisonnement prononcée par le juge est « commuée » en travaux d’intérêt général, pour la durée de la deuxième moitié de la peine. Le juge ne peut concrètement condamner à une « peine minimale de travaux d’intérêt général ». Il devra se contenter de condamner le prévenu au minimum de la peine d’emprisonnement prévue par la loi, et la moitié de celle-ci pourra être commuée en travaux d’intérêt général. Conclusion Globalement, les peines fixées par la loi organique du 19 juin 2004 pour chaque catégorie sont égales, voire inférieures à celles qui étaient prévues antérieurement pour les catégories correspondantes. En revanche, il y a lieu de souligner encore que l’extension de la définition de la première catégorie a pour effet d’aggraver considérablement le sort de certains accusés. Il en est ainsi pour l’auteur de viol, pour l’auteur de tortures, et pour l’auteur d’outrages à cadavre322. Le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale consacré notamment par l’article 15 alinéa 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, par l’article 20 alinéa 2 de la Constitution, et par l’article 1er du Code pénal devrait ici amener le juge à prononcer les peines

320 Article 82 du Code pénal. 321 La différence par rapport au régime de droit commun est de taille: à titre d’exemple, alors qu’en vertu de la loi organique, les “circonstances atténuantes” reconnues à un condamné qui, autrement, aurait encouru la peine de mort lui permettent d’être condamné plutôt à l’emprisonnement à perpétuité, l’article 83 du Code pénal permet de remplacer la peine de mort “par une peine d’emprisonnement qui ne sera pas inférieure à cinq ans.” 322 Voir à ce sujet le chapitre consacré à la catégorisation.

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inférieures qui étaient prévues antérieurement, par le Code pénal ou les lois organiques de 1996 et de 2001. Le chapitre que la loi organique du 19 juin 2004 consacre aux peines a pour vocation de couvrir tous les cas de figure possibles. Rappelons cependant que certaines des infractions susceptibles d’être considérées comme des infractions « commises dans l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité » au sens de l’article premier de la loi ne sont que difficilement « catégorisable » si l’on s’en tient à la définition rigoureuse des catégories. Il en va ainsi, notamment, de l’association de malfaiteurs, de la violation de domicile ou de la non-assistance à personne en danger, qualifications auxquelles les juges statuant dans des dossiers du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité ont fréquemment recouru par le passé. La loi organique du 19 juin 2004 est silencieuse quant au sort qu’il convient de leur réserver323.

323 La pratique démontre que, dans la plupart des cas, ces infractions sont « noyées » parmi d’autres, et que la question de la catégorisation ne se pose pas réellement. Il en va cependant tout autrement si, finalement, une seule de ces infractions est retenue par le juge. Dans ce cas, les juges avaient tendance, sans motivation précise, à classer l’accusé en troisième catégorie (ancienne), qui faisait office en quelque sorte de « catégorie résiduaire ».

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CHAPITRE X

LA MINORITE PENALE DANS LE CONTENTIEUX DU GENOCIDE ET DES CRIMES CONTRE L’HUMANITE

Introduction Dans la plupart des législations nationales, la minorité du délinquant est traitée de manière particulière et emporte des conséquences quant à la responsabilité pénale et quant à la sanction. De manière générale, l’on peut schématiser le traitement de la responsabilité pénale des mineurs en présentant deux grands régimes :

� Un premier type de régime considère qu’il n’y a pas de différence à opérer de manière systématique entre la répression du mineur et celle de l’adulte. Les peines prévues, surtout en ce qui concerne les crimes, sont les mêmes. Mais en pratique, le juge peut apprécier le degré de responsabilité du mineur et il arrive souvent que la peine soit moins forte que celle qui aurait été appliquée au délinquant majeur. Ce régime est cependant très minoritaire324.

� Un second type de régime, plus répandu, fait coexister un double

système quant à la prise en compte de la qualité de mineur en droit pénal: d’une part, un système d’irresponsabilité pénale se traduisant par l’exclusion de toutes formes de poursuites, et la prise de mesures d’éducation et de redressement jusqu’à un certain âge, et d’autre part, un système de responsabilité atténuée se traduisant par des peines allégées au-delà de cet âge325. Le régime d’irresponsabilité pénale du mineur jusqu’à un certain âge se fonde sur le postulat que, jusqu’à cet âge, l’enfant ne peut être doué du plein discernement. En raison de son immaturité, il ne

324 De manière générale, ce système est appliqué en Angleterre, où l’on associe à des mesures privatives de liberté des mesures visant la réinsertion sociale. Une autre variante existe dans certains Etats des Etats-Unis d’Amérique, l’Illinois par exemple, qui considèrent qu’à partir d’un certain âge proche de la majorité, le mineur peut être condamné comme le majeur pour les crimes les plus graves (vol à main armée, viol, etc.). 325 Tel est par exemple le cas du régime appliqué en France notamment depuis l’ordonnance du 2 février 1945 qui prévoit des mesures éducatives pour les enfants de moins de 13 ans et la possibilité de peines réduites pour les mineurs de 13 à 18 ans.

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peut avoir pleinement voulu et compris son acte, et il ne peut par conséquent avoir à en répondre pénalement. Le régime de responsabilité atténuée identifie un compromis entre le sentiment que les infractions ne peuvent plus rester impunies au-delà d’un certain âge, et celui que le mineur ne peut être sanctionné de manière aussi sévère qu’un adulte. Il faut notamment éviter que la hauteur des sanctions compromette toute chance de réinsertion et de reclassement social.

Le système de droit commun que connaît le Rwanda relève du second type de régime, prévoyant le double système d’irresponsabilité pénale jusqu’à un certain âge, et de responsabilité pénale atténuée au-delà de cet âge. Au-delà de ces aspects généraux, la question de la minorité pénale revêt une importance particulière dans le contentieux du génocide au Rwanda, et soulève des questions particulièrement sensibles au plan humain :

� La conscience humaine a été singulièrement choquée par l’implication de très jeunes personnes dans les crimes qui ont été perpétrés. Les décisions rendues dans le cadre du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité commis au Rwanda permettent, parfois, de mesurer l’instrumentalisation à laquelle un grand nombre de jeunes ont été soumis. Si des adultes censés être doués de plus de discernement invoquent fréquemment les pressions qui les auraient amenés à prendre part à des atrocités, a fortiori, les mineurs ont largement agi sous influence. Ainsi, dans nombre de cas, des mineurs disent avoir agi sous l’influence des adultes qui s’attachaient à les convaincre de ce que « les enfants devaient être tués par d’autres enfants »326.

� Il n’est pas aisé de dégager une position consensuelle sur

l’opportunité et l’adéquation des poursuites et des sanctions contre les mineurs à l’issue d’un conflit armé. Nombreux sont

326 Voir pour illustration, RMP 82515/S4/ND/NSE, Ch. Sp. TPI KIBUNGO, affaire NSABIMANA Célestin et Consorts, 03/02/2000, Recueil de jurisprudence ASF et Cour suprême du Rwanda, Tome V, décision n° 6, 2ème et 3ème feuillets.

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ceux qui les considèrent d’abord comme des victimes327 qui doivent être soutenues et bénéficier d’un programme de réinsertion. L’enrôlement, de force, des enfants-soldats dans différents conflits aux horreurs les plus insoutenables renforce sûrement ce point de vue. Mais par ailleurs, il est difficilement acceptable de laisser ces mêmes horreurs impunies.

Au Rwanda, la volonté de briser le cycle de l’impunité et de la vengeance au lendemain du génocide et des crimes contre l’humanité a amené le pays à se doter d’une législation qui tente de sanctionner adéquatement les atrocités commises en 1994. La nécessité de la prise en compte du caractère spécifique de la criminalité juvénile dans le cadre du génocide et des massacres ne paraît pourtant pas avoir figuré parmi les principales priorités à l’époque où a été conçu le premier texte appelé à régir leur répression : la loi organique de 1996 est quasiment muette en ce qui concerne les auteurs mineurs au moment des faits, renvoyant de manière implicite au régime de droit commun. Les lois qui allaient lui succéder allaient, elles, être plus explicites. Avant d’étudier ces différents régimes, il convient de préciser que, lorsqu’on évoque la question des poursuites et de la répression à l’égard des mineurs, le seul âge considéré est celui qu’avait l’intéressé à l’époque des faits qui lui sont reprochés. La longueur du temps qui a pu s’écouler entre le jour où l’acte punissable a été commis et la date du jugement est sans pertinence. La personne sera ou non punissable, et bénéficiera ou non de l’excuse de minorité en fonction de l’âge qu’elle avait au moment des faits. En ce qui concerne la détermination de l’âge, la pratique révèle que des difficultés concrètes peuvent surgir. Il arrive que des documents officiels se contredisent quant à la date de naissance de l’intéressé, l’un accréditant la thèse selon laquelle il était mineur au moment des faits (ou, dans une autre hypothèse, n’avait pas 327 Voir lettre de trois organisations sierra-léonaises (Sierra-Leone Bar Association, Campaign for Good Governance et Association of Journalists) adressée au Conseil de Sécurité de l’ONU, le 10 décembre 2000, lors des discussions sur le Statut du Tribunal Pénal Spécial pour la Sierra-Léone. Ces organisations estimaient que le Procureur avait mieux à faire qu’à se préoccuper des poursuites à l’égard d’enfants-soldats qui avaient plus besoin d’un programme de réhabilitation.

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atteint l’âge requis pour être poursuivi), et l’autre accréditant la thèse selon laquelle il était majeur au moment des faits (ou, dans la seconde hypothèse, avait atteint l’âge minimum pour être poursuivi). Il y a alors lieu soit d’établir en quoi l’un des documents fait foi par rapport à l’autre328, soit, à défaut, d’appliquer au mineur poursuivi l’hypothèse la plus favorable, c'est-à-dire celle qui retient la date de naissance la plus récente.

Il peut également arriver que le mineur ne dispose pas du tout de document d’état civil ou alors dispose d’un document ne mentionnant que son année de naissance. Comme on le verra, c’est l’âge de quatorze ans qui fait charnière entre l’irresponsabilité pénale et la possibilité de poursuivre le mineur, et c’est l’âge de dix-huit ans qui fait charnière entre le bénéfice de l’excuse de minorité, et la répression prévue à l’égard d’un adulte. Les exemples les plus pertinents en l’espèce sont :

� celui dans lequel l’on dispose d’un document qui indique que le prévenu est né en 1980, et donc qu’il a eu son 14ème anniversaire dans le courant de l’année 1994, sans précision de jour et de mois et

� celui dans lequel l’on dispose d’un document qui indique que le

prévenu est né en 1976, et donc qu’il a eu son 18ème anniversaire dans le courant de l’année 1994, sans précision de jour et de mois.

En l’absence d’indications précises, le mineur doit se voir appliquer l’hypothèse la plus favorable, c’est-à-dire que l’on devra agir comme s’il était né le 31 décembre 1980 dans le premier exemple, et comme s’il était né le 31 décembre 1976 dans le second exemple. Le raisonnement doit amener à considérer, dans le premier exemple, que le prévenu n’avait pas atteint l’âge de quatorze ans lors des événements qui se sont déroulés 328 Voir RMP 51.489/S4/C.M/KBY/97, Ch. Sp. TPI KIBUYE, affaire KABIRIGI Anastase et Consorts, 10/12/1998, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision N°9. Dans cette affaire le problème s’est posé à propos de la contradiction sur la date de naissance d’un mineur entre une fiche de recensement et la carte nationale d’identité. Le Tribunal a accordé foi à la fiche de recensement en raison de son antériorité.

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d’avril à juillet 1994, et qu’il ne peut être poursuivi ni sanctionné ; dans le second exemple, que le prévenu n’avait pas atteint l’âge de dix-huit ans à cette époque, et qu’il doit par conséquent bénéficier de l’excuse de minorité. A ce jour, trois régimes de traitement de la minorité se sont succédés dans le contentieux du génocide au Rwanda.

� Le régime applicable sous l’empire de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996 portant organisation des poursuites des infractions constitutives de crime de génocide ou de crimes contre l’Humanité commises au Rwanda à partir du 1er octobre 1990 (1) ;

� Le régime applicable sous l’empire des lois organiques n°

40/2000 du 26/01/2001 portant création des « Juridictions Gacaca » et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide et de crimes contre l’Humanité commises au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, et n° 33/2001 du 22/06/2001 modifiant et complétant la Loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 (2) ;

� Le régime applicable depuis la nouvelle loi n° 16/2004

du 19/6/2004, portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’Humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 (3) ;

1. LA MINORITE PENALE ET LA LOI ORGANIQUE DU 30

AOUT 1996 : APPLICATION DU DROIT COMMUN La Loi organique de 30 août 1996 ne prévoyait pas de régime particulier quant à la responsabilité pénale des mineurs et la sanction de leurs actes. Les seules dispositions qu’elle consacrait aux mineurs, ont trait au

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jugement des mineurs par des magistrats pour enfants329 et à la représentation par le Ministère Public, d’office ou sur demande, des intérêts civils des mineurs dépourvus de représentants légaux330. Dans le silence de la loi, c'est le droit commun du Code pénal, qui s'appliquait aux infractions de génocide ou de crimes contre l’humanité commis par des mineurs331. Les dispositions pertinentes en la matière sont les articles 70, 77, 82, 83 et 84 du Code pénal. Elles permettent de dégager, d’une part une présomption d’irresponsabilité pénale du mineur de 14 au plus (1) et d’autre part, un régime d’excuse de minorité et d’atténuation de peine pour le mineur âgé de plus de 14 ans à moins 18 ans (2). Il y aura lieu ensuite d’examiner la possibilité, sous l’empire de l’ancienne loi, de cumuler l’application de l’excuse de minorité et d’autres mécanismes d’atténuation de la peine, tels que le recours à la procédure d’aveu et les circonstances atténuantes (3). 1.1. La présomption d'irresponsabilité pénale à l'égard des mineurs de 14 ans au plus En réalité, le Code pénal n'aborde pas expressément la question de la responsabilité (ou de l'irresponsabilité) pénale du mineur de 14 ans au plus. L'article 77 du Code pénal se borne à désigner les mineurs âgés de "plus de 14 ans et de moins de 18 ans", indiquant qu’ils bénéficient d’une excuse atténuante de responsabilité. C’est par déduction que l’on peut dire que, le Code pénal n’envisageant la répression du délinquant que s’il a plus de quatorze ans, il ne peut y avoir de répression jusqu’à cet âge. Le mineur de quatorze ans au plus bénéficie donc d’une présomption d’irresponsabilité pénale : l’enfant est censé n’avoir pas encore la capacité entière de « vouloir », ce qui exclut l’élément moral de l’infraction et, par voie de conséquence, la

329Art. 19 al 3, L.O. n° 08/96 du 30/08/1996, J.O. n° 17 du 01/09/1996. Cette disposition n’a pas été systématiquement mise en oeuvre, des mineurs ayant été fréquemment jugés par les mêmes sièges que les adultes. 330Art. 27, Ibid. 331L’article 14 de la loi organique du 30 août 1996 renvoie expressément au Code pénal pour ce qui est des peines, à l’exclusion des exceptions qu’elle prévoit.

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responsabilité pénale. Cette présomption d’irresponsabilité pénale du mineur est absolue, irréfragable. Jusqu’à l’âge de quatorze ans, étant exonéré de toute forme de responsabilité pénale, l’enfant ne peut être jugé, encore moins condamné. Le simple fait de constater qu’il avait, au plus, 14 ans au moment des faits, suffit à exclure sa responsabilité pénale. Seules des mesures éducatives sont susceptibles d’être prises à son égard. Il s’agit d’une cause d’exonération de la responsabilité pénale, au même titre que la démence ou la contrainte irrésistible, visées à l’article 70 du Code pénal. Le régime de responsabilité atténuée du mineur s’applique au jeune « âgé de plus de quatorze ans et de moins de dix-huit ans ». A contrario, l’irresponsabilité du mineur le couvre donc jusqu’à la date de son quatorzième anniversaire, ce jour étant inclus dans la période d’irresponsabilité. Dans la jurisprudence du contentieux du génocide connue à ce jour, c’est cette interprétation du Code pénal, excluant la responsabilité pénale du mineur jusqu’à l’âge de 14 ans inclus qui a été retenue. Il n’y a pas à ce jour, de cas de jugement concernant un mineur âgé de 14 ans au plus au moment des faits. En revanche, des mineurs ont été détenus, à la suite du génocide et des massacres, sans que l’on soit certain de leur âge : il faut craindre que des enfants très jeunes, âgés de quatorze ans au plus au moment des faits, aient ainsi été emprisonnés. Grâce à l’action d’organisations non gouvernementales oeuvrant sur le terrain au Rwanda, des listes concernant des cas douteux ont pu être transmises au Parquet Général près la Cour Suprême, et certaines de ces démarches ont abouti à la libération de ces jeunes, dont la détention ne pouvait se justifier juridiquement. 1.2. L'excuse atténuante de minorité pour les mineurs âgés de

« plus de 14 ans et de moins de 18 ans » L’excuse atténuante de minorité est l’hypothèse explicitement prévue par l’article 77 du Code pénal rwandais. Elle s’applique au mineur à partir de plus de 14 ans (soit à partir de 14 ans + 1 jour) jusqu’à moins de 18 ans (soit 18 ans – 1 jour). Le mineur de cette tranche d'âge bénéficie d'une excuse de minorité. Il est considéré comme pénalement responsable, mais

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les peines qui lui sont applicables (au cas où il serait nécessaire de lui en appliquer) doivent être réduites par rapport à celles qu’encourrait un majeur pour des faits semblables, en application de l’article 77 du Code pénal, de la manière suivante : - « S’il a encouru la peine de mort ou l’emprisonnement à perpétuité,

il sera condamné à une peine de dix à vingt ans d’emprisonnement » : si pour la même infraction le majeur encourt la peine de mort ou l’emprisonnement à perpétuité, le mineur ne sera condamné qu’à une peine d’emprisonnement allant de 10 à 20 ans.

- « S’il a encouru une peine d’emprisonnement ou une peine

d’amende, les peines qui pourront être prononcées contre lui ne pourront s’élever au-dessus de la moitié de celles auxquelles il aurait été condamné s’il avait eu dix-huit ans ». Le mineur encourt, tout au plus, la moitié de la peine d’emprisonnement ou d’amende qui aurait été possible s’il s’était agi d’un adulte. Il est important, au regard de la formulation du texte, de souligner que la moitié dont il est question ici est un maximum : il est donc permis au juge d’aller en deçà.

Dans le contentieux du génocide, sous l’empire de la loi organique de 1996, la peine de mort et l’emprisonnement à perpétuité correspondaient à un classement en première et en deuxième catégorie.332 Les condamnés de troisième catégorie encouraient, pour leur part, les peines prévues par le Code pénal. Et enfin, les condamnés de quatrième catégorie pouvaient être condamnés à une peine d’emprisonnement assortie de sursis, à moins d’un règlement amiable relatif à la réparation des biens de la victime. En ce qui concerne les mineurs, les conséquences suivantes pouvaient en être déduites :

� le mineur classé en première ou deuxième catégorie encourait une peine d’emprisonnement de 10 à 20 ans333 ;

332 Voir art. 14 a) et b), L.O. du 30/08/1996, op. cit. 333 En application du 1er tiret de l’article 77 du Code pénal rwandais.

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� le mineur classé en troisième catégorie encourait, au plus, la moitié de la peine prévue pour l’adulte de la même catégorie334 ;

� pour les mineurs de la quatrième catégorie, la réparation civile

par voie de règlement amiable devait être privilégiée335. A défaut, le mineur pouvait être condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou inférieure à la moitié de la peine qui aurait été encourue par un adulte dans un cas similaire, cette peine étant nécessairement assortie du sursis336.

1.3. Le cumul du bénéfice de l’excuse de minorité, du bénéfice de

la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité et des circonstances atténuantes

L’application de l’excuse de minorité, en tant que prescription d’ordre public, ne peut avoir pour effet de priver le mineur du bénéfice d’autres mécanismes de réduction de la peine auxquels peut prétendre toute personne poursuivie dans le cadre du contentieux du génocide et des massacres au Rwanda. Ces mécanismes de réduction de peines découlent, d’une part, de la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité instaurée par la loi organique du 30 août 1996 et, d’autre part, du droit commun relatif aux circonstances atténuantes. Rappelons que le principe de la « procédure d’aveu » introduite en droit rwandais par la loi organique de 1996 – et dont le principe, légèrement aménagé, a été maintenu dans la loi organique de 2004 - est que toute personne qui y recourt régulièrement et dans les formes prévues se voit accorder d’importantes réductions de peines. Cette procédure d’aveu

334 En application du 2ème tiret de l’article 77 du Code pénal. Il y a lieu de considérer la peine prévue par le Code pénal pour l’infraction retenue. A titre d’illustration, s’il s’agit de coups et blessures avec guet-apens, entraînant une incapacité permanente, punis d’une peine d’emprisonnement de 5 à 10 ans pour l’adulte, le mineur encourt une peine de deux ans et demi à cinq ans. 335 Il faut cependant souligner que l’accusé mineur au moment des faits ne peut être déclaré responsable au plan civil. Ses parents ou tuteurs doivent être cités comme civilement responsables. 336 Voir Art. 14 d), L.O. du 30/08/1996, op. cit.

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étant un droit reconnu à toute personne prévenue337, rien ne saurait priver le mineur du bénéfice d’y recourir et de jouir de ses avantages. Sous l’empire de la loi organique de 1996, dans le cas du mineur de plus de quatorze ans, les réductions de peines liées à la procédure d’aveu étaient donc à combiner et à cumuler avec les réductions prévues par l’article 77 du Code pénal en raison de l’excuse de minorité. De même, en droit commun, les articles 82, 83 et 84 du Code pénal organisent le régime des circonstances atténuantes qui peuvent être reconnues à toute personne condamnée. Ce régime de circonstances atténuantes était également applicable au mineur. L’on peut résumer de la façon suivante :

� Tout mineur dont les aveux avaient été acceptés devait se voir appliquer la réduction de peine prévue au titre de la procédure d’aveu faite avant338 ou après339 poursuites ;

� Tout mineur dont les aveux avaient été acceptés devait se

voir appliquer la réduction de peine liée à l’excuse de minorité, conformément à l’article 77 du Code pénal ;

� Tout mineur dont les aveux étaient acceptés et à qui

étaient reconnues des circonstances atténuantes, devait se voir appliquer une troisième réduction de peine souverainement appréciée par le juge, en plus des deux premières réductions liées à la procédure d’aveu et à l’excuse de minorité.

La jurisprudence sur la loi organique du 30 août 1996 illustre largement cette possibilité de cumul. En témoigne par exemple le « constate » suivant : « Constate que pour tous ces motifs, MINANI François doit bénéficier d'une diminution de peine telle que prévue aux articles 16- a) de la loi

337 Voir Art. 4, Ibid. 338 Art. 15, ibid. 339 Art. 16, ibid.

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organique du 30/08/1996, 77 alinéa 3 et 83 alinéa 4 du Code pénal Livre I »340. Les trois mécanismes de réduction de peines ici évoqués ont été appliqués et cumulés. En définitive, ce mineur de la deuxième catégorie a été condamné à une peine d’emprisonnement de 5 ans :

� au titre de la procédure d’aveu après poursuites des personnes relevant de la deuxième catégorie (article 16-a de la Loi organique de 1996), il encourait un emprisonnement de 12 à 15 ans ;

� au titre de l’excuse de minorité (article 77 du Code pénal), la

première peine devait être réduite, au moins de moitié ; soit une peine de 6 à 7 ans et demi ;

� au titre des circonstances atténuantes (article 83 du Code pénal),

le juge a réduit souverainement cette dernière peine : d’où une réduction à 5 ans d’emprisonnement.

Si le principe de ces mécanismes de réduction de la peine du mineur qui avaient cours sous l’empire de la loi organique 30 août 1996 ont inspiré le législateur de 2001 et de 2004, le régime de la répression du jeune criminel a fait l’objet de quelques aménagements. 2. LE REGIME DE LA MINORITE PENALE SOUS L’EMPIRE

DE LA LOI ORGANIQUE DE 2001 : DES DISPOSITIONS INSPIREES DU DROIT COMMUN

Si la situation générale du mineur auteur du crime de génocide ou autres crimes contre l’humanité n’a pas véritablement changé sous l’empire de la loi de 2001 (1), ce texte avait cependant laissé non résolues, un certain nombre de difficultés (2).

340 RP 007/GIT/CH.S/97, Ch. Sp. TPI Gitarama, affaire MINANI François, 23/09/1997, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 6, 3ème feuillet, 6ème constate, P. 91.

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2.1. La situation générale de la responsabilité du mineur sous la loi de 2001

En s’inspirant du Code pénal, la loi organique du 26 janvier 2001 (telle que modifiée le 22 juin 2001) a consacré explicitement la présomption d’irresponsabilité du mineur âgé de moins de 14 ans et intégré en son sein des dispositions relatives à la répression du mineur à partir de l’âge de plus de 14 ans à moins de 18 ans341. 2.1.1. Une consécration explicite de l’irresponsabilité pénale du

mineur âgé de moins de 14 ans L’article 74 alinéa 2 de la loi organique du 26 janvier 2001 dispose : « Les mineurs qui, au moment des faits leur reprochés, étaient âgés de moins de 14 ans, ne peuvent être poursuivis, mais peuvent être placés dans des centres de rééducation ». Cette disposition venait consacrer, de manière explicite, la présomption irréfragable d’irresponsabilité pénale du mineur de cette tranche d’âge, alors qu’elle n’était que sous-entendue dans l’article 77 du Code pénal. Avec cette disposition, le législateur a voulu combler le « vide » du Code pénal qui n’avait pas manqué de susciter quelque débat. Désormais, il était dit clairement que les mineurs âgés de moins de 14 ans au moment des faits ne pouvaient pas être poursuivis, mais qu’ils pouvaient bénéficier de mesures favorisant leur réintégration, notamment par le placement dans un centre de rééducation. 2.1.2. La répression du mineur de plus de 14 ans et de moins de

18 ans La répression du mineur de plus de 14 ans et de moins de 18 ans était organisée dans la loi organique du 26 janvier 2001 en fonction de la catégorisation des accusés. La matière était régie par l’article 74 alinéa 1er de cette loi qui dispose :

341 La disposition principale sur la question de la minorité dans ce texte de 2001 est son article 74.

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« Les enfants convaincus du crime de génocide et de crimes contre l’humanité qui, à l’époque des faits, étaient âgés de plus de quatorze ans et de moins de dix-huit ans sont condamnés :

- à la peine réduite d’emprisonnement de dix à vingt ans s’ils relèvent de la 1ère catégorie ;

- s’ils relèvent de la 2ème ou de la 3ème catégorie, à la peine

réduite d’emprisonnement égale à la moitié de celle prévue par la présente loi organique pour les prévenus majeurs de même catégorie ».

En réalité, cette disposition de la loi organique de 2001 s’inspirait largement de l’excuse de minorité prévue par l’article 77 du Code pénal. L’on peut dire que, de manière générale, cette loi avait repris les solutions déjà prévues par le Code pénal :

- le mineur de la première catégorie qui aurait encouru la peine de mort s’il avait été adulte, voyait sa peine réduite à une peine d’emprisonnement de 10 à 20 ans, comme dans le Code pénal ;

- le mineur de la deuxième ou de la troisième catégorie voyait sa

peine réduite à la moitié de celle prévue pour l’adulte de même catégorie. Si ce n’est qu’à la différence du Code pénal qui prévoit la moitié comme un maximum, l’article 74 de la loi de 2001 mentionne une peine « égale à la moitié » ;

- le mineur de la quatrième catégorie ne risquait plus la moitié de

la peine avec sursis qui était prévue par la loi organique de 1996342 puisque cette peine n’était plus prévue par la loi organique de 2001343, seule la réparation des dommages causés étant possible.

342 Art. 14- d) loi organique du 30/08/1996, op. cit. 343 Art. 71, loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001, telle que modifiée et complétée par la loi organique n° 33/2001 du 22/06/2001. Cette disposition ne prévoyait plus que la seule réparation civile des dommages causés pour les condamnés pour les atteintes aux biens, à l’exclusion de toute sanction pénale.

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Il y avait cependant une différence fondamentale dans le raisonnement : alors que dans le Code pénal (et partant la loi organique de 1996) le raisonnement s’opérait à partir de la peine prévue pour l’adulte, dans la nouvelle loi de 2001, le raisonnement était fonction de la catégorie dans laquelle était classé le mineur accusé. Cette différence dans le raisonnement pouvait poser quelques difficultés dans l’application, en équité, du texte de 2001. 2.2. Les difficultés posées par le texte de 2001 A la lecture de l’article 74 de la loi organique de 2001, il apparaît que, en dépit du souci de clarifier la question de l’irresponsabilité pénale des enfants, la loi ne couvre pas absolument toutes les hypothèses. D’une part, le libellé des dispositions pertinentes laisse subsister une légère incertitude quant à l’âge exact jusqu’auquel le mineur est exonéré de toute responsabilité pénale. D’autre part, le traitement de la deuxième catégorie n’était pas toujours clair. Enfin, le législateur avait omis de régler le cas du mineur de première catégorie ayant recouru à la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité. 2.2.1. Une imprécision dans la détermination de l’âge à partir

duquel peut s’exercer la répression Le législateur de 2001 a veillé à confirmer de manière expresse le principe selon lequel aucune répression ne peut être exercée à l’encontre des jeunes enfants. C’est ainsi qu’il a prévu que le mineur de « moins de 14 ans » ne pouvait être poursuivi. Cependant, cette précision est imparfaite. Elle ne correspond pas exactement à la période de présomption d’irresponsabilité prévue par le droit commun. Dans le Code pénal, cette période ne se situe pas à « moins de 14 ans » mais jusqu’à l’âge de 14 ans inclus puisque l’article 77 de ce Code ne fait débuter la possibilité de répression qu’à « plus de 14 ans ». Ensuite, le texte de l’article 74 de la loi de 2001 recèle une incohérence interne : alors que la répression qui peut être exercée à l’égard des mineurs concerne ceux qui sont « âgés de plus de 14 ans et de moins de 18 ans » au moment de faits, la période de l’irresponsabilité ne s’étend

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que jusqu’à « moins de 14 ans ». Aucune des deux hypothèses n’incluait le jour des 14 ans. 2.2.2. Des difficultés dans le traitement de la deuxième catégorie Dans le cas de la deuxième catégorie, l’article 74 de loi organique de 2001 avait prévu d’appliquer au mineur la moitié de la peine prévue pour le majeur. Cependant, aux termes de l’article 69- a) de la même loi, le majeur de la deuxième catégorie encourait « la peine d’emprisonnement de 25 ans ou l’emprisonnement à perpétuité ». S’il est aisé de déterminer la moitié de 25 ans, il en est autrement de la moitié de la « perpétuité ». La loi de 2001 ne répondait pas à la question de la manière dont le juge pouvait calculer la durée de la peine. 2.2.3. Le cas du mineur de la première catégorie, en aveu Les mineurs de la première catégorie, comme tous les prévenus de la même catégorie, restaient justiciables des juridictions ordinaires344. Au regard de la loi de 2001, il pouvait donc arriver que le mineur classé en première catégorie par la Juridiction Gacaca de Cellule recoure à la procédure d’aveu devant la juridiction ordinaire. Le problème qui se posait était que la loi de 2001 n’avait pas prévu cette hypothèse de l’aveu du mineur de première catégorie devant le siège de la juridiction ordinaire. Fallait-il lui appliquer le principe retenu pour les mineurs de deuxième et troisième catégorie, à savoir la moitié de la peine dont un adulte de la même catégorie était passible ? Si c’était là le raisonnement à suivre, compte tenu du fait que l’adulte de première catégorie en aveu encourait une peine de 25 ans ou l’emprisonnement à perpétuité, l’excuse de minorité aurait ramené cette peine de 12 ans et demi à la « moitié de la perpétuité », ici aussi impossible à déterminer. Le mineur de première catégorie ayant recouru à la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité risquait de se voir condamné à une peine égale, voire supérieure à celle encourue par le mineur de première 344 Art. 2 al.2, loi organique du 26/01/2001, op.cit.

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catégorie qui n’avait pas avoué : en effet, celui-ci risquait une peine de dix à vingt ans d’emprisonnement. Le silence de la loi sur ce point avait donc pour effet de priver le mineur de première catégorie de tout bénéfice lié à la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité. La nouvelle loi organique de 2004 a tenté d’apporter une solution à ces problèmes, en organisant de manière plus exhaustive le traitement de la minorité pénale. 3. LE REGIME DE LA MINORITE PENALE SOUS L’EMPIRE

DE LA LOI ORGANIQUE DU 19 JUIN 2004 : LE DROIT POSITIF ACTUELLEMENT APPLICABLE DANS LE CONTENTIEUX DU GENOCIDE

Le nouveau régime de la minorité dans le contentieux du génocide n’est pas déterminé uniquement par la loi organique du 19 juin 2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions Gacaca. Il s’inscrit également dans le nouvel environnement juridique et judiciaire né de la réforme entamée en 2003. Ainsi, notamment, le nouveau Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires345 ainsi que le nouveau Code de procédure pénale346 doivent être pris en considération. Ce nouveau cadre juridique confie le traitement des cas des mineurs à des chambres spécialisées (1). Ces Chambres spécialisées appliqueront, en ce qui concerne le contentieux du génocide, un régime inspiré du droit commun, mais spécifique. Ce régime concerne les limites de la minorité pénale (2) et les peines applicables au mineur compte tenu de l’excuse de minorité, de la catégorisation et des aveux (3).

345 Loi organique n° 07/2004 du 25/04/2004 portant Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires, J.O. n° 14 du 15 juillet 2004. 346 Loi n° 13/2004 du 17/5/2004 portant Code de procédure pénale.

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3.1. La compétence des chambres spécialisées pour mineurs dans le contentieux du génocide

L’article 74 du nouveau Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires dispose : « Les mineurs auxquels est imputée une infraction ne sont justiciables que de la Chambre spécialisée pour mineurs du Tribunal de Province ou de la Ville de Kigali »347. Ce texte crée donc, au sein des Tribunaux de Province et du Tribunal de la Ville de Kigali, des Chambres spécialisées pour connaître des infractions dont sont accusés les mineurs. Dans la loi organique du 30 août 1996 déjà, chaque Chambre spécialisée en matière de génocide devait comprendre en son sein au moins un siège composé de magistrats pour enfants348. Dans les faits, cette exigence de la loi organique de 1996 n’a pas été mise en application. Il y a lieu de tout mettre en œuvre afin que les Chambres spécialisées pour mineurs puissent fonctionner effectivement, notamment en ce qui concerne le contentieux du génocide. Ceci serait de nature à favoriser, chez le juge, l’attention, la sérénité et l’expertise particulières que requiert la situation des personnes accusées d’avoir pris part au génocide alors qu’elles étaient très jeunes. Le fait de soustraire ces personnes à l’influence des adultes est également susceptible de favoriser une parole plus libre, et de contribuer à la manifestation de la vérité. L’expérience a montré, notamment au sein de l’ancien Tribunal de Première Instance de Kibungo, que les mineurs jugés séparément des adultes étaient plus enclins à présenter des aveux. L’on peut se demander ce qu’il y a lieu de faire lorsqu’un mineur est accusé de participation criminelle en lien avec des adultes accusés d’être ses coauteurs ou complices. Dans cette hypothèse, doivent s’appliquer les dispositions de la loi organique du 19 juin 2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des Juridictions Gacaca qui prévoient que les personnes accusées restent justiciables des juridictions qui leur sont

347 Loi organique n° 07/2004 du 25/04/2004, portant Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires, op. cit. 348 Voir Art 19 al. 3, loi organique du n° 08/96 du 30/08/1996, op. cit.

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attribuées par la loi « (…) même si leurs coauteurs sont justiciables des juridictions différentes de celles qui rendent leurs jugements. Dans ce cas, ces coauteurs peuvent être convoqués pour donner des témoignages dans le même procès »349. En application de ce texte, le mineur dont l’affaire relève de la compétence des juridictions ordinaires350 restera donc justiciable de la Chambre spécialisée pour mineurs du Tribunal de Province ou de la Ville de Kigali, même en cas de lien de participation criminelle avec des adultes. L’application de ce principe au cas des mineurs est d’ailleurs conforme au caractère exclusif351 de la compétence attribuée aux Chambres spécialisées pour mineurs du Tribunal de Province et de la Ville de Kigali par l’article 74 du code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires. 3.2. La détermination des limites de la minorité pénale 3.2.1. Une imprécision persistante à propos du mineur de 14 ans La détermination de l’âge exact à partir duquel la répression du mineur est possible n’a pas été clarifiée par la nouvelle loi organique du 19 juin 2004. Le texte de la loi contient en effet deux dispositions qui ne sont pas parfaitement cohérentes. Alors que l’article 78 rend possible la répression à partir de plus de 14 ans, l’article 79 n’exonère de poursuites que le mineur de moins de 14 ans. La nouvelle loi organique laisse persister une lacune apparue dans la loi organique de 2001 : le sort du mineur âgé de 14 ans exactement au moment des faits n’est pas réglé. Trois éléments au moins plaident en faveur d’une répression qui ne serait possible qu’à partir de l’âge de quatorze ans et un jour.

� C’est cette solution qui est prévue, de manière implicite, par le Code pénal, en son article 77.

349 Article 2 al. 4, loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004, op.cit. 350 C’est le cas des mineurs dont le classement en première catégorie a été proposé par les juridictions Gacaca de Cellule et des mineurs dont les dossiers avaient été transmis aux Cours et Tribunaux avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. 351 Les mineurs ne sont justiciables QUE de la Chambre spécialisée pour mineurs du Tribunal de Province et de la Ville de Kigali.

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� Aucune peine n’est prévue par la loi organique pour le cas du mineur âgé de 14 ans au jour des faits. Or il ne peut y avoir de peine sans texte.

� Dans le silence des textes, l’on ne peut appliquer au mineur que

l’hypothèse qui lui est la plus favorable, celle qui fait commencer la répression le plus tard possible.

D’un point de vue pratique, cependant, cette lacune n’aura probablement que peu d’incidence. 3.2.2. La question de l’incidence de l’entrée en vigueur du nouveau

Code de procédure pénale Une polémique plus importante pourrait surgir en ce qui concerne l’âge à partir duquel la répression peut s’exercer à l’égard du mineur, à la lumière du nouveau Code de procédure pénale. En effet, les articles 184 et suivants de ce texte352 indiquent implicitement 12 ans et un jour comme étant désormais l’âge-charnière au-delà duquel la répression pénale est possible. L’article 192 du texte se veut plus précis : « Les mineurs âgés de plus de 12 ans et de moins de dix huit ans sont jugés par la Chambre des mineurs suivant la procédure de droit commun ». Ce texte illustre, de la part du législateur rwandais, une volonté de répression plus marquée à l’égard des délinquants mineurs. La loi organique du 19 juin 2004 a, pour sa part, confirmé le principe de l’exclusion de toute responsabilité pénale pour les personnes qui étaient âgée de quatorze ans au plus au moment des faits, prévoyant cependant la possibilité de les placer dans un camp de solidarité353 pour une période de trois mois. La question qui se pose est celle de savoir si la baisse de l’âge à partir duquel le mineur ne bénéficie plus de la cause exonératoire de responsabilité sera désormais d’application dans le contentieux du génocide. Il y a lieu de répondre par la négative :

352 Loi n° 13/2004 du 17/5/ 2004 portant Code de procédure pénale, Op.cit. 353 Dont l’organisation doit faire l’objet d’un Arrêté du Premier Ministre. Voir article 79 de la loi organique du 19 juin 2004.

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� En vertu du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale : le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale concerne non seulement les incriminations et les peines, mais également, bien sûr, tous autres éléments qui déterminent le caractère punissable ou non de l’acte. Les dispositions du nouveau Code de procédure pénale qui ont pour effet de permettre la répression d’un mineur à partir de l’âge de 12 ans et un jour rendent évidemment punissables des faits qui ne l’étaient pas auparavant : ceux commis par un enfant entre l’âge de douze et quatorze ans. La circonstance que cette nouvelle disposition figure dans une loi qualifiée « de procédure » est indifférente : elle ne change en effet pas la nature de « fond » de la règle qui définit la minorité pénale. Cette règle nouvelle ne peut s’appliquer aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur. Elle ne s’applique qu’aux faits commis postérieurement à la date du 30 juillet 2004354, et ne peut donc avoir aucune incidence pour les faits couverts par la loi organique du 19 juin 2004 : la répression des infractions liées au génocide et aux massacres de 1994 n’est possible qu’à l’égard des personnes qui étaient âgée de plus de 14 ans au moment des faits.

� En raison de la spécificité de la loi réprimant les faits de

génocide : les faits constitutifs du crime de génocide et des autres crimes contre l’humanité commis au Rwanda du 1er octobre 1990 au 31 décembre 1994 sont prévus et réprimés par une loi particulière355. Or la loi particulière l’emporte sur la loi générale selon la règle generalia specialibus non derogant (les dispositions générales ne dérogent pas aux dispositions spéciales).

Dans le contentieux du génocide, la répression continue de n’être possible à l’égard d’un mineur que s’il était âgé de plus de quatorze ans au moment des faits.

354 Date de publication de la loi n° 13/2004 du 17/5/2004 portant Code de procédure pénale, qui, en vertu de l’article 277, marque son entrée en vigueur. 355 Comme mentionné au début de ce texte, il y a d’abord eu la loi organique du 30/08/1996, ensuite la loi organique du 26 janvier 2001 modifiée et complétée par la loi du 22 juin 2001 et maintenant la loi du 19 juin 2004.

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3.3. Les peines applicables au mineur : un lien entre l’excuse de minorité, la catégorisation et la procédure d’aveu, de repentir et d’excuses

Il paraît important de rappeler ici que l’excuse de minorité constitue une obligation d’ordre public pour le juge. Elle doit être retenue en faveur de l’accusé par le juge même lorsqu’elle n’est pas plaidée. Le seul constat que l’accusé se trouvait dans la tranche d’âge de plus de 14 ans et moins de 18 ans au moment des faits suffit à le faire bénéficier de l’excuse de minorité. Le bénéfice de l’excuse de minorité n’est donc soumis à aucune autre condition. Avec la nouvelle loi organique du 19 juin 2004, la peine du mineur sera déterminée en fonction de trois éléments : l’application de l’excuse de minorité, la catégorie dans laquelle est rangé le mineur et le recours ou l’absence de recours356 à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, d’excuses et de repentir. En ce qui concerne le détail des peines prévues selon les différents cas de figure possibles, le lecteur est renvoyé au chapitre consacré aux peines. Rappelons que la minorité de l’auteur est sans incidence en ce qui concerne la nouvelle troisième catégorie. Seule la condamnation à la réparation des dommages matériels causés peut être prononcée à l’encontre de la personne reconnue coupable exclusivement d’atteintes aux biens, qu’elle ait été mineure ou majeure au moment des faits. Conclusion La nouvelle loi organique du 19 juin 2004 ne bouleverse pas fondamentalement le régime de la minorité déjà en vigueur sous l’empire des lois organiques de 1996 et 2001. Tout comme celles-ci, elle consacre pour une large part des solutions déjà envisagées par le Code pénal rwandais. Si la nouvelle loi a eu le mérite de clarifier un certain nombre de questions que la loi de 2001 omettait de résoudre, il subsiste quelques 356 A laquelle nous assimilons le rejet des aveux.

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imprécisions notamment en ce qui concerne l’âge à partir duquel la répression du mineur est possible. Par ailleurs, l’expérience des Chambres spécialisées qui ont eu à traiter du contentieux du génocide indique que des discussions peuvent surgir quant à la détermination de l’âge réel de l’accusé au moment des faits. En cas d’incertitude, il y aura toujours lieu d’appliquer à la personne poursuivie la disposition la plus favorable ou l’hypothèse la plus favorable. Notons que la loi organique du 19 juin 2004, contrairement à celle de 1996, n’aborde pas la question des intérêts civils du mineur. Par application des dispositions de droit commun, les intérêts civils de la personne encore mineure357 pourront être représentés par ses ayants droits, ses représentants légaux, ou, à défaut, par le Ministère Public. La minorité civile dont il est question ici concerne l’individu qui n’a pas encore atteint vingt et un ans358. Enfin, il faut souligner l’impact considérable que les importantes restrictions apportées par la loi organique de 2004 à la notion et à la portée des « circonstances atténuantes »359pourraient avoir, en particulier, sur la situation des auteurs qui étaient mineurs au moment du génocide. Les tribunaux seront privés de la possibilité de réduire la peine en dessous du minimum légal, alors que, dans nombre de décisions prononcées sous l’empire de la loi organique de 1996, les juges ont pu recourir à ce mécanisme légal de réduction de peine, rendant compte de ce que c’est à l’instigation d’adultes et sous leur influence que bon nombre d’enfants et d’adolescents ont été amenés à commettre des atrocités.

357 Dans ce cas-ci, la minorité s’apprécie bien évidemment au moment de la demande et non au moment de faits, contrairement à ce qui est le cas pour le mineur poursuivi. 358 Voir article 360 du Code civil, loi n° 42.1998 du 27 octobre 1998, J.O. 1989, P. 9. 359 Voir à ce sujet le chapitre consacré aux peines.

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CHAPITRE XI

LE DROIT A REPARATION DES VICTIMES DU GENOCIDE ET DES AUTRES CRIMES CONTRE L’HUMANITE

Introduction La terminologie utilisée par les trois lois qui, depuis 1996, ont régi le contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité au Rwanda varie pour désigner les questions qui touchent au droit à réparation des victimes. Le législateur de 1996 et celui de 2001 parlaient de « dommages et intérêts », notion à laquelle le législateur de 2004 lui a préféré celle de «dédommagement » ou de « réparation des dommages ». La question du droit à réparation des victimes du génocide et des crimes contre l’humanité est un sujet douloureux, difficile et sensible. Comment définir la notion de victime ? Comment évaluer la douleur qui n’a pas de prix ? Comment trouver la voie qui permettrait aux victimes d’être reconnues ? Comment les aider à vivre encore, malgré tout ? Et enfin, si toutes ces questions passent notamment – mais certainement pas exclusivement - par une indemnisation, que faire par rapport à des condamnés insolvables, et un Etat qui n’a pas les moyens de rencontrer des besoins immenses ?

Les auteurs qui, au plan international, se sont penchés sur la question de la lutte contre l’impunité des auteurs de violations flagrantes des droits de l’homme considèrent le droit à réparation des victimes comme l’un de ses éléments essentiels. Ils distinguent plusieurs types de mesures de « réparation » : les mesures individuelles et les mesures de portée générale. Ils considèrent qu’au plan individuel, la réparation adéquate devrait couvrir l’intégralité des préjudices subis par la victime, et comprendre des mesures de « restitution », des mesures d’« indemnisation » et des mesures de « réadaptation ».

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Les mesures collectives, qui contribuent également à la « réparation », sont des mesures de portée générale essentiellement symbolique360. Au plan juridique, c’est essentiellement la question de l’indemnisation qui retient l’attention. Rappelons qu’en droit commun, l’indemnisation est fonction de l’importance du dommage subi. Le droit à l’indemnisation sera accordé à la victime pour autant que, du dommage, l’on puisse remonter au fait qui l’a causé, et que ce fait ait constitué une faute, dont l’auteur est identifiable. La matière de la responsabilité civile et de l’action civile sont régies, principalement, par les articles 258 à 260 du Livre III du Code Civil, les articles 161 à 166 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires361, et les articles 9 à 17 et 130 à 138 du Code de procédure pénale362. L’action civile est celle qui résulte d’une infraction. Elle est « celle qui a pour objet la réparation du dommage causé par une infraction »363. S’agissant du contentieux du génocide et des massacres, il y a donc lieu d’examiner la manière et les limites dans lesquelles les victimes d’infractions couvertes par la loi organique peuvent obtenir réparation. Il paraît utile de se pencher sur les solutions que les lois organiques de 1996 (1) et de 2001 (2) avaient retenues à propos de l’indemnisation, mais dont la loi organique du 19 juin 2004 s’est considérablement éloignée, afin de mieux cerner ensuite la place faite à cette question par la nouvelle loi (3).

360 Voir le Rapport final établi par M. Louis JOINET, Rapporteur Spécial auprès de la Sous-Commission des Droits de l’Homme, sur la “Question de l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme”, E/CN.4/Sub2/1997/20 du 26 juin 1997, et son Annexe II qui contient « L’ensemble des principes pour la protection et la promotion des droits de l’Homme par la lutte contre l’impunité ». Voir en particulier le Principe 39. 361 Correspondant aux anciens articles 135 à 139 du Code d’organisation et de compétence judiciaires, Décret-loi n° 09/80 du 07/07/1980. 362 Correspondant aux anciens articles 71 et 72 du Code de procédure pénale, loi du 23 février 1963. 363 Article 161 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.

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Le droit à réparation des victimes du génocide et des autres crimes contre l’humanité

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1. L’INDEMNISATION SOUS L’EMPIRE DE LA LOI DU 30 AOUT 1996

1.1. Les principes

Les articles 27 à 32 de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996 portant organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité commises à partir du 1er octobre 1990 renvoyaient aux « règles ordinaires relatives à la dénonciation, à la plainte et à l’action civile »364, en y apportant quelques aménagements:

� Les victimes, agissant en personne ou par l’intermédiaire d’associations légalement constituées, pouvaient déclencher leur action en dédommagement par voie de constitution de partie civile, lors du dépôt, auprès du Ministère Public, de la plainte qui déclenchait la mise en mouvement de l’action publique365. Si, dans les six mois, le Ministère Public n’avait pas saisi la juridiction compétente, la partie civile pouvait agir par voie de la citation directe devant le tribunal366.

� Le Ministère Public représentait, d’office ou sur demande, les

intérêts civils des mineurs et autres incapables dépourvus de représentants légaux, contre les auteurs des crimes dont ils avaient été les victimes367.

� Les condamnés relevant des 2ème, 3ème et 4ème catégories

encouraient la responsabilité civile découlant des actes criminels qu’ils avaient commis personnellement tandis que, dérogeant au droit commun de la responsabilité civile, l’article 30 de la Loi organique n° 08/96 du 30/08/1996 faisait porter aux condamnés de 1ère catégorie la responsabilité civile conjointe et solidaire pour

364 Voir article 29, alinéa 1 de la loi organique du 30 août 1996. 365 Voir article 29, alinéa 2, de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996. Cette procédure s’écartait du droit commun qui veut que la partie lésée par une infraction se constitue partie civile par une déclaration reçue au greffe de la juridiction appelée à connaître de l’infraction génératrice de cette action civile : voir article 131 du Code de procédure pénale (ancien article 71). 366 A notre connaissance, jamais cette faculté n’a été exercée par une victime. 367 Voir article 27 de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996.

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tous les dommages causés dans le pays368. Ce principe, retenu par la loi de 2001, n’apparaît plus dans celle de 2004.

� Sur requête du Ministère Public, la juridiction saisie d’une action

publique en matière de génocide ou de crime contre l’humanité pouvait allouer des dommages et intérêts en faveur des victimes non encore identifiées, à verser dans un Fonds d’indemnisation des victimes369.

1.2. Les victimes

La loi de 1996 ne proposait pas de définition stricte de la victime, et ne fixait pas de limite notamment quant au lien de parenté ou d’alliance pertinent par rapport à la victime directe, et ne précisait pas s’il y avait lieu de tenir compte d’autres rapports sociaux, tels que ceux qui lient à une domestique ou à une personne à charge. La victime pouvait être toute personne qui puisse être considérée comme ayant été lésée par l’infraction de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité, jusqu’à inclure même des victimes non encore identifiées. 1.3. L’évaluation du préjudice Dans la pratique des Chambres spécialisées, « l’absence de directives permettant d’assurer un minimum de cohérence entre les différentes politiques d’indemnisation suivies par les tribunaux »370 a malheureusement favorisé la plus grande disparité entre les montants alloués au titre de dommages et intérêts. Les exemples recueillis dans les décisions judiciaires suivantes en offrent une illustration éloquente371 : les montants indiqués représentent les

368 Article 30, alinéa 1er et 2, de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996. 369 Article 30, in fine et 32, alinéa 1er, de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996. La loi qui devait rendre ce Fonds opérationnel n’a jamais vu le jour. Au cœur du système de l’indemnisation prévu par la loi de 2001, le Fonds n’est plus évoqué dans la loi organique de 2004. 370 Daniel DE BEER, Commentaire et Jurisprudence de la Loi Rwandaise du 30/08/1996 sur l’Organisation des Poursuites des Infractions Constitutives du Crime de Génocide et de Crime contre l’Humanité, Alter Egaux Editions, avril 1999, 2e éd., P. 71, n° 115. 371 Recueil de Jurisprudence sur le contentieux du Génocide, ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome. III, Pp. 50, 153 et 183-186.

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dommages matériels et/ou moraux accordés pour la perte d’un proche, en fonction du lien de parenté qui unissait le défunt à la partie civile. Les montants indiqués sont exprimés en francs rwandais. Juridiction conjoint enfant parent frère/sœur grands-

parents ou petits-enfants

oncle, tante, neveu, cousin, beau-frère

Conseil de Guerre372

10.000.000 7.000.000

8.000.0004.000.000

5.000.000 5.000.0003.000.000

3.000.000 2.000.000

TPI BYUMBA - - - 800.000 - -TPI BUTARE - - 5.000.000 3.000.000 - 1.000.000TPI GISENYI A toute la famille sans précision

5.000.000de liens de ou

parenté 4.000.000

2.000.000

TPI KIBUNGO 2.000.000 1.000.000 1.500.000 800.000 - 500.000CYANGUGU - 1.000.000 1.100.000 - - -

Des décisions disponibles actuellement, ne se dégage aucune tendance dominante dans le choix des critères d’évaluation du préjudice par les tribunaux. Certaines juridictions paraissent avoir été très restrictives dans l’évaluation du préjudice, d’autres très, voire excessivement, généreuses. Là où certaines juridictions n’indiquent aucun repère objectif dans l’évaluation du dommage moral, d’autres ont tenté une approche plus rigoureuse, calquée sur l’Instruction Ministérielle n° 01/87 du 14/09/1987 portant détermination des dommages et intérêts matériels pour perte de revenus et des dommages et intérêts moraux en cas d’accidents de la circulation373. Si la lecture des jugements trahit les difficultés rencontrées par les juges pour évaluer le préjudice subi par une personne déterminée, en raison,

372 Jugement inédit : RP0003/CG GS/98, Conseil de Guerre, affaire UKURIKIYIMFURA Joseph et consort, 17/04/2001, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, Pp 353-385. 373 In Codes et Lois du Rwanda, vol. I , 2e édition, 1995, p. 258 ; l’attribution des dommages et intérêts était prévue ainsi qu’il suit :

- pour un conjoint survivant : de 100.000 Frw à 500.000 Frw - pour un parent ou un enfant légitime : de 50.000 Frw à 100.000

Frw - pour un frère, une sœur ou toute autre personne à charge : de

50.000 Frw à 80.000 Frw.

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essentiellement, de la mort d’un proche au cours du génocide et des massacres, il est non seulement plus difficile, mais bien impossible, d’évaluer le préjudice et, partant, l’indemnisation en faveur des « victimes non encore identifiées » : en l’absence de victime précise, il ne pouvait être question de dommage précis, et encore moins de preuve du dommage en question. Les juges en étaient donc réduits à statuer ex aequo et bono (mu bwitonzi n’ubushishozi by’Urukiko), la formule consacrée ne pouvant pourtant suffire à masquer le caractère aléatoire de leur évaluation. 1.4. Les difficultés de recouvrement des dommages et intérêts

alloués par les juridictions Outre le problème d’équité que soulèvent de telles différences, se pose, de manière lancinante, la question de l’effectivité des décisions en ce qu’elles portent sur les intérêts civils des victimes. En dépit de l’abondance des jugements définitivement rendus, ces décisions sont restées lettres mortes quant au recouvrement des dommages et intérêts alloués: les victimes n’ont pas pu faire exécuter les jugements prononcés en leur faveur374. La plupart des débiteurs des dommages et intérêts alloués sont détenus et/ou insolvables.

Par ailleurs, les très nombreuses condamnations civiles prononcées contre l’Etat par les juridictions - sans que l’Etat, d’ailleurs, veille à se faire représenter aux audiences - sont elles aussi restées lettres mortes. Les sommes parfois extrêmement élevées allouées par les juridictions au titre de dommages et intérêts paraissent souvent en décalage total par rapport à la situation réelle de victimes qui vivent dans le dénuement moral et matériel le plus total.

374 Seules, finalement, les victimes de prévenus de l’ancienne quatrième catégorie ont pu être indemnisées, en raison du fait que, pour échapper à une condamnation au pénal, ces prévenus devaient conclure et respecter un accord visant la réparation des biens endommagés. Cependant, peu de cas de quatrième catégorie “pure” se présentent dans la pratique.

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Le fait, pour une victime, d’avoir obtenu, sur papier, la condamnation de son bourreau ou du bourreau de ses proches au paiement de sommes élevées au point d’en perdre tout rapport avec la réalité375 constitue-t-il une forme de satisfaction morale? Ou le fait de lui avoir fait miroiter la possibilité de bénéficier d’un tel dédommagement, qu’elle ne pourra jamais recouvrer concrètement, ne fait-il qu’ajouter au désarroi d’une personne démunie? C’est à la suite de ces nombreuses difficultés qu’en concevant le système Gacaca, le législateur de 2001 avait prévu la création d’un Fonds d’Indemnisation, censé bénéficier de manière équitable et effective à toutes les victimes.

2. L’INDEMNISATION SOUS L’EMPIRE DE LA LOI

ORGANIQUE N° 40/2000 DU 26 JANVIER 2001 PORTANT CREATION DES JURIDICTIONS GACACA

2.1. Les principes Innovant par rapport à la loi organique de 1996, la loi portant création des Juridictions Gacaca prévoyait la création d’un Fonds d’Indemnisation des victimes du génocide ou de crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994. Il s’agissait, d’une part, d’un moyen pour l’Etat d’assumer ses responsabilités. D’autre part, le Fonds d’Indemnisation devait favoriser un traitement plus équitable des victimes: il serait susceptible d’indemniser non seulement les personnes victimes d’infractions dont les auteurs avaient été identifiés et poursuivis, mais également toutes celles dont le cas ne pourrait jamais être soumis à une juridiction, faute d’identification de l’auteur, ou faute de la possibilité de le poursuivre, suite à son décès ou à sa disparition.

375 Voir jugement RP0003/CG GS/98, Conseil de Guerre, affaire UKURIKIYIMFURA Joseph et consort, 17/04/2001, Recueil de jurisprudence ASF et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, Pp 353-385. Montants inédits°: 476.000.000 Frw de dommages moraux à charge d’un caporal et d’un soldat simple des ex-forces armées rwandaises.

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2.2. Les victimes Pas plus que celle de 1996, la loi organique de 2001 ne détermine les degrés de parenté ou d’alliance qui peuvent être pris en compte dans l’octroi d’une indemnisation. La loi organique de 2004 ne considère pas non plus cette question. Par contre, la loi instaurant les Juridictions Gacaca a omis la catégorie des « victimes non identifiées » des personnes à qui une indemnisation pouvait être accordée: en vertu de l’article 90, les dommages et intérêts ne pouvaient être alloués qu’aux personnes identifiées dont on établissait la liste, et dont on dressait l’inventaire du préjudice subi. La loi de 2004 ne retient pas non plus la notion de « victimes non identifiées ». 2.3. Les organes intervenant dans la détermination et l’évaluation

du préjudice La loi organique de 2001 reconnaît aux Juridictions Gacaca de Cellule la compétence de déterminer le préjudice subi par les victimes des infractions dont elle régissait la répression, ou leurs ayants droit. C’est à elles qu’il revenait en effet d’établir la liste des victimes, et de donner une indication des dommages subis par elles ou leurs ayants droit à l’aide des informations qui leur avaient été fournies par l’Assemblée Générale376. Les membres du siège devaient remplir à cet effet une « Fiche Partie Civile », en fournissant les informations demandées377. Cette fiche devait ensuite être transmise à la juridiction de jugement. Les prévenus des 2ème, 3ème et 4ème catégories étaient justiciables des Juridictions Gacaca suivant leurs compétences respectives378 et les prévenus de 1ère catégorie étaient justiciables des tribunaux ordinaires : ce 376 Voir Article 34 de la loi organique de 2001. 377 Voir la Fiche Partie Civile dans le Manuel Explicatif de la Loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 sur les Juridictions Gacaca, Document Cour Suprême, Département des Juridictions GACACA, ASF-Belgique, 2001 ; la loi de 2004 maintient le même système. 378 Article 2, alinéa 2 et articles 39-42 de la loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 sur les Juridictions Gacaca.

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sont ces juridictions de jugement qui, sur la base de la « fiche partie civile », étaient appelées à fixer les montants à allouer, en se conformant au barème qui devait être fixé par la loi sur le Fonds d’Indemnisation. 2.4. La question de la responsabilité de l’Etat 2.4.1. L’immunité civile de l’Etat, en contrepartie de la création

d’un Fonds d’Indemnisation L’article 91 de la loi organique de 2001 dispose : « Toute action civile dirigée contre l’Etat devant les juridictions ordinaires et devant les Juridictions Gacaca doit être déclarée irrecevable du fait qu’il accepte son rôle dans le génocide ». Le raisonnement est le suivant: en créant un Fonds d’Indemnisation au bénéfice des victimes du génocide et des crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 et en s’engageant à y verser un pourcentage de son budget annuel, l’Etat estimait assumer ses responsabilités vis-à-vis des victimes. En contrepartie, et en réaction aux nombreuses condamnations civiles prononcées contre l’Etat par les Chambres spécialisées et les Cours d’Appel statuant dans le cadre du contentieux du génocide, la loi organique de 2001 écarte toute possibilité de voir l’Etat reconnu comme civilement responsable des dommages causés par les auteurs du génocide et des autres crimes contre l’humanité. 2.4.2. Une immunité à caractère rétroactif Le principe de l’immunisation de l’Etat contre les actions civiles dirigées contre lui concernait non seulement les actions à venir – c’est-à-dire les actions civiles postérieures au 15 mars 2001, date d’entrée en vigueur de la loi organique du 26 janvier 2001 - mais également les affaires qui étaient pendantes devant les tribunaux, dont les jugements n’étaient pas encore coulés en force de chose jugée à cette date. L’article 91, in fine, prenait le soin de préciser que « s’agissant des décisions judiciaires ayant acquis l’autorité de la chose jugée, leur exécution se conformera, en ce qui concerne les dommages et intérêts mis à charge de l’Etat, au barème fixé par la loi régissant le Fonds

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d’indemnisation » : de fait, l’immunisation couvrait donc également les décisions judiciaires définitives portant condamnation de l’Etat, le montant finalement octroyé étant celui fixé par le barème légal, et non pas celui qui avait antérieurement été déterminé par le juge. La conformité de cette disposition avec le principe du respect de l’autorité de la chose jugée, quoi qu’elle tente d’en dire, paraissait discutable.

2.5. Un Fonds d’Indemnisation qui n’a pas encore vu le jour L’article 32 de la loi organique de 1996 et l’article 90 de la loi organique de 2001 parlent d’une loi portant création, organisation et fonctionnement d’un Fonds d’Indemnisation des victimes du génocide ou de crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994. Un projet de loi est en gestation depuis plus de trois ans. Il semble que les principales difficultés rencontrées au cours des discussions qui ont pu entourer ce projet concernaient, d’une part, la question de la définition de la « victime », et d’autre part, le caractère démesuré des chiffres avancés (pourtant modestes au regard des souffrances subies) au regard des possibilités budgétaires de l’Etat. Le projet semble n’avoir plus progressé depuis de longs mois, et la nouvelle loi organique de 2004 n’en fait pas état. Rappelons que la loi organique de 2001 n’a jamais véritablement été mise en vigueur. Les dispositions relatives à l’indemnisation n’ont connu qu’un modeste début d’application, les Juridictions Gacaca des cellules qui ont participé à la « phase pilote » ayant été amenées à établir la liste des parties civiles et de leurs biens endommagés. 3. L’INDEMNISATION SOUS LE REGIME DE LA LOI

ORGANIQUE DE 2004 La loi organique du 19 juin 2004 offre une définition de la victime : il s’agit de « toute personne dont les siens ont été tués, qui a été pourchassée pour être tuée mais qui s’est échappée, qui a subi des tortures sexuelles ou qui a été violée, qui a été blessée ou qui a subi toute autre violence, dont les biens ont été pillés, dont la maison a été détruite ou les biens ont été endommagés d’une autre manière, à cause de son ethnie ou ses opinions contraires à l’idéologie du génocide ».

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En dépit de cette définition, l’analyse des dispositions que la loi organique de 2004 consacre à la question de la réparation ou de l’indemnisation révèle cependant l’attention particulière, sinon exclusive, accordée à l’indemnisation des préjudices liés aux atteintes aux biens. Le législateur laisse le soin de déterminer les « autres actions à mener en faveur des victimes » à une loi particulière ultérieure379, non encore adoptée. 3.1. Une importante incertitude quant au sort à réserver à la

question des dommages matériels et moraux En ce qui concerne les dommages matériels autres que ceux liés aux atteintes aux biens et les dommages moraux - question par rapport à laquelle, en réalité, l’indemnisation liée aux seules atteintes aux biens paraît secondaire - la loi organique de 2004 est quasiment muette. Elle charge les Juridictions Gacaca de Secteur et d’Appel d’établir la liste des victimes et des « préjudices corporels subis » ou des «infractions subies par elles »380. Mais elle se garde de préciser ce qu’il advient concrètement de l’énumération des préjudices que les juridictions sont tenues de faire figurer dans les jugements qu’elles rendent381. Le sort à réserver au problème de l’indemnisation des dommages matériels et moraux semble n’avoir pu être tranché à l’occasion de l’adoption de la nouvelle loi. La solution à cette question difficile est reportée sine die, et est suspendue à l’adoption d’une loi sur le Fonds

379 Article 96 de la loi organique du 19 juin 2004. 380 Voir les articles 64, 7° et 9°; 65, 5°f ; 66, 2°f et g et 67, 9° de la loi organique de 2004 dont les versions françaises, qui parlent de « préjudice corporel » et les versions anglaises, qui parlent de « offences suffered » sont discordantes, la version française paraissant nettement plus restrictive. La version kinyarwanda parle, quant à elle, de « la liste des victimes » à établir par le siège de la Juridiction Gacaca ainsi que de la liste de « toutes les infractions qu’elles ont subies» : « ikora urutonde rw’abahohotewe n’ibyaha buri wese yakorewe ». Cette version ne permet pas de trancher cette discordance. L’on peut considérer que la victime qui aura, devant l’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de Cellule, indiqué les infractions qu’elle a subies, n’aura pas alors à revenir nécessairement, au moment du jugement, sur ces mêmes infractions mais plutôt évoquer son seul préjudice corporel ou matériel. 381 Article 67, 9° de la loi organique du 19 juin 2004.

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d’Indemnisation dont on a vu que le projet n’avait pu aboutir à ce jour, ou à celle de la loi particulière qui, selon les termes de l’article 96, est appelée à déterminer « les autres actions à mener en faveur des victimes ».

Quand, en son article 96, la loi organique de 2004 évoque « les autres actions à mener en faveur des victimes » qui devront être définies dans une loi particulière ultérieure, elle semble viser, plutôt que la stricte « indemnisation », des mesures de « réadaptation » des victimes et des mesures sociales, individuelles ou collectives, de portée symbolique. La question de l’indemnisation des dommages moraux et matériels – autres que ceux liés aux atteintes aux biens - au sens strict resterait alors entière. 3.2. L’indemnisation des biens matériels endommagés L’article 75 de la loi organique du 19 juin 2004 dispose : « Les prévenus accusés d’avoir commis des infractions contre les biens sont condamnés à la réparation des dommages causés aux biens d’autrui ». 3.2.1. Les victimes et la réparation visée à l’article 95 de la loi La réparation visée par l’article 95 de la loi est loin de couvrir l’ensemble des préjudices subis par les victimes, telles qu’elles sont définies à l’article 34 in fine382. Seuls les dommages qui découlent d’atteintes aux biens sont susceptibles d’une condamnation civile se fondant sur cette disposition. La réparation des dommages postulée doit être proportionnelle à l’importance du préjudice subi. La victime doit préciser l’ensemble des biens endommagés, détruits ou volés pour lesquels elle réclame l’indemnisation. La charge de la preuve lui incombe.

382 Pour rappel, il s’agit de “toute personne dont les siens ont été tués, qui a été pourchassée pour être tuée mais qui s’est échappée, qui a subi des tortures sexuelles ou qui a été violée, qui a été blessée ou qui a subi toute autre violence, dont les biens ont été pillés, dont la maison a été détruite ou les biens ont été endommagés d’une autre manière, à cause de son ethnie ou ses opinions contraires à l’idéologie du génocide”.

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S’il s’agit d’un ayant droit d’une victime décédée, il doit prouver, d’une part, les liens qui l’unissaient à la victime directe et, d’autre part, en quoi les dommages matériels causés lui portent préjudice personnellement. La réparation visée à l’article 95 de la loi organique ne sera accordée qu’aux victimes qui en font la demande et établissent le préjudice qu’elles déclarent avoir subi. Le législateur n’a pas retenu la notion de « victimes non identifiées » qui avait soulevé des difficultés sous l’empire de la loi organique de 1996. 3.2.2. Les juridictions compétentes pour statuer sur l’indemnisation

des atteintes aux biens visée à l’article 95 L’article 94 de la loi organique de 2004 dispose : « Les procès relatifs aux biens endommagés sont rendus par la Juridiction Gacaca de la Cellule ou par les autres juridictions dans lesquelles sont poursuivis les accusés ». Pour ce qui les concerne, par conséquent, les juridictions ordinaires saisies des dossiers de première catégorie, ou des autres dossiers qui leur avaient été confiés avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, seront amenées à statuer sur la réparation relative aux atteintes aux biens. La loi organique de 2004 ne prévoyant pas de disjonction des actions publique et civile en cas de saisine simultanée des deux, la Juridiction Gacaca de Secteur et même d’Appel peuvent elles aussi être amenées à se prononcer sur la réparation relative aux atteintes aux biens comme les tribunaux ordinaires. 3.2.3. Les modes de réparation prévus pour les victimes de

dommages causés aux biens L’article 95 de la loi détaille les modalités de la réparation relative aux biens endommagés ou détruits. Cette disposition prescrit trois types de réparation des dommages causés aux biens :

� La réparation sous forme de restitution des biens pillés, là où elle est possible. La restitution peut être soit directe (dans l’hypothèse où les biens qui ont fait l’objet de l’infraction sont intacts et restent disponibles) soit indirecte, par la

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restitution de l’équivalent en nature. Le principe de la restitution directe n’est, en réalité, qu’une application de la règle énoncée à l’article 163 nouveau du Code portant organisation, fonctionnement et compétence judiciaires383.

� La réparation sous forme de paiement de dommages et

intérêts, c’est-à-dire le paiement d’une somme d’argent couvrant la valeur des biens détruits ou endommagés ;

� La réparation sous forme d’exécution de travaux ayant la

même valeur que les biens détruits ou endommagés. Outre le mode de réparation retenu, le juge est appelé à arrêter les délais d’exécution de la condamnation civile384 : pour ce faire, il tentera de trouver l’équilibre entre la situation de la victime et les possibilités matérielles du condamné. Devant les Juridictions Gacaca de Cellule, le prévenu de troisième catégorie est appelé, en phase de jugement, à préciser le mode de réparation qui a sa préférence, ainsi qu’à en proposer les modalités et les délais : « Le siège de la Juridiction explique aux prévenus les façons de réparation des dommages causés prévue par la loi organique, demande à chacun la façon qu’il préfère et la période de la mettre en application une fois qu’il sera reconnu coupable »385. Toutes les juridictions de jugement appelées à statuer sur la réparation de biens endommagés, et donc notamment les juridictions ordinaires, pourraient, de même, recueillir l’avis des prévenus quant au mode de réparation le plus indiqué avant de prendre leur décision sur ce point. 3.2.4. L’évaluation des biens endommagés ou détruits La question de l’évaluation des biens ne se pose pas si la restitution est possible. En revanche, il y a lieu de déterminer la valeur des biens

383 Cet article se lit comme suit: “La restitution des objets sur lesquels a porté l’infraction est prononcée d’office lorsqu’ils ont été retrouvés en nature et que la propriété n’en est pas contestée.” 384 Article 95, alinéa 2 de la Loi organique du 19 juin 2004. 385 Article 68, 12° de la Loi organique du 19 juin 2004.

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endommagés ou détruits dès lors que c’est la réparation sous forme de paiement de dommages et intérêts, ou la réparation sous forme de travaux « ayant même valeur » qui est retenue. Pour déterminer la hauteur du dédommagement, le juge évaluera la somme d’argent nécessaire pour acquérir, aujourd’hui, un bien de même nature que celui qui a été détruit ou endommagé. Il y aura lieu, en outre, de tenir compte de l’état plus ou moins usagé du bien au moment de l’infraction. En ce qui concerne les biens endommagés ou détruits, le prévenu peut, dans certains cas, être condamné à effectuer les travaux qui permettront leur remise en état ou la reconstruction d’un bien équivalent. Si une telle remise en état n’est pas possible, le prévenu peut être condamné à effectuer des prestations dont la rémunération correspondrait à la valeur du bien détruit ou endommagé. Dans tous les cas, les travaux prescrits par l’article 95 de la loi organique de 2004 se distinguent des « Travaux d’intérêt général »386. En effet, comme on l’a vu dans le chapitre consacré aux peines, les « TIG » sont effectués au profit de la société dans son ensemble et constituent une modalité d’exécution d’une peine d’emprisonnement, alors que les travaux à la réalisation desquels le prévenu peut être contraint en vertu de l’article 95 constituent une condamnation civile, et sont effectués au profit d’une victime individuelle, en guise de réparation du préjudice que lui ont causé les infractions commises. 3.2.5. Le cas des dommages aux biens causés par un auteur décédé,

incapable ou mineur d’âge L’article 75 se borne à dire que les prévenus reconnus coupables d’infractions contre les biens sont condamnés à la réparation des dommages causés aux biens d'autrui.

386 Les TIG sont organisés et réglementés par l’Arrêté présidentiel n° 26/01 du 10/12/2001.

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La loi ne traite pas de manière explicite des situations dans lesquelles l’auteur, quoique identifié, est décédé, incapable ou mineur d’âge. Rappelons que le principe est celui de la responsabilité personnelle de celui qui a causé un préjudice à autrui. Cependant, le droit commun admet des nuances au principe: celle qui permet de diriger l’action civile contre les personnes civilement responsables, et celle qui permet de la diriger contre les héritiers du délinquant, s’il est décédé387. En cas de décès de l’auteur, il y a lieu de distinguer:

� Si les biens volés sont en possession de ses enfants ou de son conjoint, ils doivent être restitués en conformité avec l’article 95 de la loi organique. La restitution par équivalent pourrait également se concevoir.

� A défaut, seule la voie de l’indemnisation par les héritiers paraît

concevable. Le juge aura cependant égard à leur situation pour déterminer les modalités et délais de paiement.

� En revanche, la condamnation à la réparation par la voie de

l’exécution de travaux de valeur équivalente ne paraît pas possible. Cette condamnation ne peut jamais concerner que l’auteur lui-même: l’on ne peut condamner quelqu’un à effectuer des prestations en raison des manquements d’un autre.

Si l’auteur est un mineur âgé de plus de quatorze ans et de moins de dix-huit ans, il y a lieu de distinguer :

� Si les biens sont encore en sa possession, il peut être condamné à la restitution « directe ».

387 Voir notamment l’article 11 du nouveau Code de procédure pénale qui dispose : « L’action civile peut être exercée contre (...) les personnes civilement responsables. Elle peut également être exercée contre les héritiers des délinquants », et l’article 104 du Code pénal qui dispose: “La mort de l’auteur de l’infraction (...) ne (préjudicie) pas l’action civile pour la réparation du dommage causé par l’infraction”.

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� A défaut, ses parents, en tant que «civilement responsables », peuvent être condamnés à la restitution de biens équivalents, ou au paiement de dommages et intérêts correspondant à la valeur du bien endommagé ou détruit par leur enfant.

� La condamnation de l’auteur qui était mineur de plus de quatorze ans au moment des faits à l’exécution de travaux ayant la même valeur que les biens endommagés ou détruits paraît concevable. En revanche, la condamnation des « civilement responsables » à l’exécution des travaux ne peut être prononcée. Cette condamnation ne peut jamais concerner que l’auteur lui-même : l’on ne peut condamner quelqu’un à effectuer des prestations en raisons des manquements d’un autre.

Si l’auteur est un mineur âgé de quatorze ans au plus, rappelons qu’il ne peut être ni poursuivi, ni condamné pour crime de génocide ou crime contre l’humanité388. Ni lui, ni les personnes qui en étaient civilement responsables au moment des faits, ne peuvent être condamnés sur la base de la loi organique du 19 juin 2004, que ce soit au plan civil ou au plan pénal. Reste alors, pour les victimes, la voie de l’action civile de droit commun, exercée devant les tribunaux compétents en la matière, ou encore, la réparation qui pourrait éventuellement découler des « autres actions à mener en faveur des victimes », qui doivent être déterminées par une loi particulière à venir. 3.3. Les juridictions ordinaires et l’indemnisation des dommages

moraux et matériels En vertu de l’article 94, les juridictions ordinaires auront à connaître des demandes civiles liées aux atteintes aux biens dont seront accusées les personnes dont le jugement est de leur ressort, dans le cadre du champ d’application de la loi organique du 19 juin 2004. La loi est en revanche muette en ce qui concerne la possibilité, pour les juridictions ordinaires, de connaître d’actions civiles relatives aux dommages moraux ou matériels autres que ceux découlant des atteintes aux biens.

388 Article 79 de la loi organique de 2004.

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Le droit à réparation des victimes du génocide et des autres crimes contre l’humanité

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Le principe énoncé à l’article 2, alinéa 2, de la loi organique, qui fait de l’application du droit commun de la procédure la règle, sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, pourrait amener les juridictions ordinaires saisies d’actions civiles qui viseraient l’indemnisation du dommage lié, par exemple, à la mort d’un conjoint ou d’un parent, ou encore aux séquelles physiques et psychologiques d’un viol, à se déclarer compétentes et à en connaître389. Rien dans la loi ne semble exclure une telle possibilité. Le silence de la loi en la matière plaide donc en faveur de l’application du droit commun et, notamment, de l’application de l’article 161 du nouveau Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires qui dispose: “l’action civile résultant d’une infraction est celle qui a pour objet la réparation du dommage causé par une infraction. L’action civile appartient à la partie lésée par l’infraction ou à ses ayants droit », de l’article 162 qui dispose : « l’action civile peut être poursuivie en même temps que l’action publique et devant la même juridiction. Elle peut également être poursuivie séparément » et de l’article 145 du même texte, qui étend le principe aux juridictions militaires390. Cependant, en l’absence de directives qui doteraient le juge de critères objectifs susceptibles de le guider dans l’évaluation des dommages, en l’absence d’un Fonds d’Indemnisation des victimes, et en l’absence d’une prise de position claire de l’Etat quant aux limites des responsabilités qu’il assume, les difficultés rencontrées sous l’empire de la loi organique de 1996 sont appelées à se reproduire: jurisprudence disparate quant aux critères d’appréciation du dommage moral, et quant aux montants accordés; impossibilité d’exécution du jugement obtenu dès lors que le condamné – et c’est presque toujours le cas - est insolvable, et qu’aucun Fonds d’Indemnisation ne peut compenser sa défaillance; possibilité

389 Une telle possibilité paraît en revanche exclue pour les Juridictions Gacaca de jugement: la compétence et le fonctionnement des Juridictions Gacaca se bornent en effet à la description explicite qu’en fait la loi organique. Saisie d’une réclamation portant sur des dommages autres que ceux relatifs aux biens endommagés, la Juridiction Gacaca devrait se borner à l’acter. Une telle mention ne pourrait éventuellement avoir d’effet que si et quand le Fonds d’Indemnisation voit le jour. 390 « L’action en réparation du dommage causé par une infraction de la compétence des juridictions militaires peut être poursuivie en même temps que l’action publique devant les juridictions militaires, soit séparément devant les juridictions civiles compétentes ».

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nouvelle de voir condamner l’Etat solidairement, sans aucune garantie de recouvrement concret. 3.4. La question de la responsabilité de l’Etat Comme on l’a vu, le caractère disparate de la jurisprudence produite sous l’empire de la loi organique de 1996 en ce qui concerne l’indemnisation des victimes, et les condamnations innombrables prononcées contre l’Etat rwandais en matière civile en vertu du “principe de continuité de l’Etat” avaient amené le législateur de 2001 à prémunir l’Etat de toute nouvelle condamnation civile, moyennant quoi était annoncée la création d’un Fonds d’Indemnisation des victimes du génocide, au financement duquel un pourcentage du budget de l’Etat serait consacré. Ce Fonds d’Indemnisation symbolisait la reconnaissance de sa responsabilité par l’Etat, tout en en limitant la portée. C’est la loi organisant ce Fonds qui, désormais, déterminerait les critères objectifs permettant d’indemniser de manière équitable toutes les victimes. Face au problème que représentaient les importantes condamnations civiles devenues définitives prononcées contre l’Etat, la loi allait jusqu’à prévoir une disposition dont la conformité avec le principe de l’autorité de la chose jugée était discutable: l’exécution des condamnations civiles prononcées précédemment contre l’Etat se bornerait aux montants déterminés in abstracto par le barème que devait fixer la loi créant le Fonds d’Indemnisation annoncé, et ne couvrirait pas l’intégralité des dommages alloués aux victimes par des décisions judiciaires définitives. La nouvelle loi organique du 19 juin 2004 n’évoque plus ni le Fonds d’Indemnisation au bénéfice des victimes du génocide et des crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, ni la question des limites de la responsabilité civile de l’Etat, ni la question du sort à réserver aux décisions judiciaires définitives le condamnant au paiement de dommages et intérêts. Un tel silence ouvre à nouveau la porte à toutes les difficultés rencontrées sous l’empire de la loi organique de 1996. En théorie, de nouvelles condamnations de l’Etat sont possibles. La question de l’exécution des jugements antérieurs est entière. Et surtout, le Fonds d’Indemnisation ne semble pas près de voir le jour.

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Conclusion L’accent mis par la nouvelle loi organique sur la seule réparation des biens endommagés ou détruits révèle en réalité l’embarras du législateur quant à la question plus large de la réparation en général, et de l’indemnisation en particulier. La loi organique de 1996 se voulait généreuse à l’égard des victimes, la loi organique de 2004 se veut moins ambitieuse, et plus réaliste. Elle traduit ainsi la nouvelle disposition constitutionnelle qui, tout en affirmant le devoir de l’Etat à l’égard des victimes, semble réduire son engagement quant aux mesures à prendre en faveur du bien-être des victimes, d’une part aux seuls rescapés nécessiteux391, et d’autre part aux limites de ses capacités. Le Fonds d’Indemnisation au bénéfice des victimes du génocide et des crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 annoncé dans la loi organique de 2001 n’a toujours pas vu le jour. La nouvelle loi organique se borne à renvoyer la question des « autres actions à mener en faveur des victimes », actions non autrement définies, à une loi spéciale, que le législateur doit adopter ultérieurement. En réalité, les questions touchant à l’indemnisation des victimes sont reportées sine die. Comme on l’a vu, au plan juridique, rien ne semble interdire aux juridictions ordinaires saisies de dossiers qui relèvent du contentieux du génocide et des massacres de recevoir et de statuer sur des actions civiles exercées contre les accusés par des victimes qui postuleraient l’indemnisation de préjudices autres que ceux liés aux atteintes aux biens et donc, d’allouer des dommages et intérêts pour les dommages moraux et matériels liés à la perte d’êtres chers ou aux actes inhumains endurés. Mais la question de l’effectivité de telles décisions resterait entière de même que celle de l’équité entre les victimes.

391 D’ailleurs mises sur le même pied que “les personnes handicapées, les personnes sans ressources, les personnes âgées ainsi que d’autres personnes vulnérables”. Voir article 14 de la Constitution.

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Il y a lieu de se demander si le principe de la réparation intégrale du préjudice subi s’accommode de la persistance de ces incertitudes, et de la volonté de plus grand « réalisme » affichée par l’Etat. Comme on l’a vu, le “droit à réparation” des victimes de violations du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire se décline de plusieurs manières: il comprend tant des mesures individuelles que des mesures de portée générale. Parmi les mesures individuelles, l’on distingue:

� les “mesures de restitution”, qui doivent “tendre à ce que la victime se retrouve dans la situation qui prévalait antérieurement” 392,

� les “mesures d’indemnisation” et � les mesures de “réadaptation”, qui “englobent la prise en charge

médicale et psychologique ainsi que l’accès à des services juridiques et sociaux”393.

Par “mesures de portée générale”, l’on entend notamment des gestes tels que:

� “La reconnaissance publique, par l’Etat, de sa responsabilité; � Les déclarations officielles réhabilitant des victimes dans leur

dignité; � Les cérémonies commémoratives, dénomination de voies

publiques, monuments, etc. � Les hommages périodiques aux victimes;

392 Voir le Principe 42 des “Principes Joinet”, op.cit. La restitution “implique que soient rétablis, entre autres, l’exercice de ses libertés individuelles, le droit à la citoyenneté, à la vie de famille, au retour dans son pays, à l’emploi et à la propriété”. Elle ne se réduit donc pas à la “restitution” des biens au sens où l’entend l’article 95 de la loi organique du 19 juin 2004. 393 Voir le Principe 42 des “Principes Joinet”, op.cit. Voir également le Rapport final établi par M. Cherif BASSIOUNI, Rapporteur Spécial auprès de la Sous-Commission des Droits de l’Homme des Nations-Unies, sur “Les Droits à restitution, indemnisation et réadaptation des victimes de violations flagrantes des droits de l’Homme et des libertés fondamentales”, E/CN.4/2000/62 et son Annexe qui contient un projet de “Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations du droit international, relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire”, et en particulier le Principe 24.

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� La prise en compte dans les manuels d’histoire et de formation aux droits de l’Homme de la narration fidèle des violations d’une exceptionnelle gravité qui ont été commises”394.

S’agissant “des mesures de réadaptation” à l’égard des victimes du génocide et des massacres commis au Rwanda, l’on peut citer les aides apportées par le Fonds d’Aide aux Rescapés du Génocide (le “FARG”) 395 dans le domaine de la santé ou de l’éducation. S’agissant des “mesures de portée générale” dites “satisfactoires” à l’égard des victimes du génocide et des massacres commis au Rwanda, l’on peut citer la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat, lors de l’annonce de la création d’un Fonds d’Indemnisation, la reconnaissance officielle, par certains Etats étrangers, de la part de responsabilité qu’ils portent dans les événements de 1994, l’organisation des cérémonies de commémoration, ou encore, l’institution d’une “Journée mondiale commémorative du génocide rwandais”, que les Nations Unies célébreront dorénavant chaque année, à la date du 7 avril. En réalité, la portée extrêmement restrictive de la « réparation » telle qu’elle est envisagée par la loi organique de 2004 semble attribuer aux modestes mesures individuelles sur lesquelles elle met l’accent – la réparation de biens endommagés, si possible en nature, ou par l’exécution d’un travail de valeur équivalente - une vertu symbolique potentielle : limitée mais réaliste, cette « réparation » contribuerait à rétablir les victimes dans leur dignité, permettrait aux condamnés de traduire concrètement leurs regrets, et pourrait constituer un pas dans la longue voie de la réconciliation du peuple rwandais. Pour autant, le Rwanda ne pourra faire l’économie d’un traitement en profondeur de la question de l’indemnisation. Certes, les victimes adhèrent à l’idée et savent mieux que personne qu’aucune somme d’argent ne peut compenser la perte d’un conjoint,

394 Voir le Principe 44 des “Principes Joinet”, op.cit. 395 Le Fonds d’assistance aux rescapés les plus nécessiteux du génocide et des massacres perpétrés au Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 a été créé par la loi n° 02/98 du 22 janvier 1998, in Journal Officiel, 1998, Pp. 221 et ss.

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d’un parent, d’un enfant, d’un frère ou d’une sœur dans les conditions atroces qui furent celles de 1994. Certes, les victimes savent que l’ampleur et la quantité des dommages sont sans commune mesure avec les moyens budgétaires de l’Etat. Certes enfin, elles savent que la situation matérielle des unes appelle une intervention plus urgente que celle des autres. Cependant, elles estiment, à juste titre, qu’une indemnisation juste396 participe de la reconnaissance de leur douleur, de leur droit à la justice, de la lutte contre l’impunité et de l’espoir d’une réconciliation. Et surtout, dix ans après le génocide et les massacres, les victimes demandent à sortir de l’incertitude, et attendent l’adoption promise de la loi sur le Fonds d’Indemnisation et/ou de la loi sur les « autres actions à mener en faveur des victimes du génocide ». Qui, à leur tour, ne pourront voir le jour que si la question de leur financement trouve une solution.

396 Qui devrait “être égale au montant évaluable financièrement des entiers dommages subis et notamment:

a) du préjudice physique ou moral, y compris la douleur, les souffrances et les chocs émotionnels;

b) de la perte d’une chance, y compris dans le domaine de l’éducation; c) des dommages matériels et des pertes de revenus, y compris le manque à

gagner; d) des frais encourus pour l’assistance juridique et les expertises.”,

voir le Principe 41 des “Principes Joinet”, op.cit.

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CHAPITRE XII

LES VOIES DE RECOURS Introduction La loi organique du 19 juin 2004 consacre son Vième chapitre aux voies de recours.

L’article 85 se lit comme suit : « Les voies de recours reconnues par la présente loi organique sont les suivantes : l’opposition, l’appel et la révision du jugement ».

Ce chapitre se subdivise ensuite en trois sections, consacrées respectivement à l’opposition, l’appel et la révision.

L’examen des sections qui concernent l’opposition et l’appel révèle qu’elles sont destinées exclusivement aux juridictions Gacaca, et qu’elles ne visent pas les juridictions « ordinaires ».

Ainsi, l’article 86, qui concerne l’opposition, semble à première vue avoir une portée générale, mais la fin du deuxième alinéa indique clairement que la disposition ne concerne que les Juridictions Gacaca : « Les décisions judiciaires concernées par la présente loi organique qui ont été rendues par défaut, peuvent être frappées d’opposition . L’opposition est portée devant la juridiction qui a rendu le jugement. Le demandeur fait enregistrer son action auprès du Secrétariat de la Juridiction Gacaca ».

Il en va de même pour l’appel. Les articles 89, 90 et 92 de la loi organique ne concernent manifestement que les Juridictions Gacaca : l’article 89 évoque l’appel des décisions rendues par les Juridictions Gacaca de Cellule ; l’article 90 ne parle que de l’appel formé contre une « Juridiction Gacaca » ; l’article 92 n’évoque que la Juridiction Gacaca saisie de l’appel d’un jugement qui porte une catégorisation inexacte .

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Les voies de recours

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La portée exacte de l’article 91 est moins claire : il indique le délai pour interjeter appel, qui est de quinze jours, soit à dater du prononcé contradictoire du jugement, soit à dater du jour suivant la signification du jugement rendu par défaut, qui n’a pas été frappé d’opposition. Par ailleurs, il est précisé que l’affaire est jugée selon les mêmes formes qu’au premier degré. Mais l’économie entière de la section indique encore une fois que c’est exclusivement des Juridictions Gacaca qu’il s’agit.

A l’instar de l’intitulé de la loi organique qui vise les juridictions Gacaca –et dont le contenu n’évoque que très secondairement les juridictions ordinaires-, toute l’économie du chapitre qu’elle consacre aux voies de recours indique donc qu’il concerne prioritairement, voire uniquement les juridictions Gacaca, à l’exclusion des juridictions ordinaires. Compte tenu du silence de la loi organique en ce qui concerne les voies de recours à l’encontre des décisions rendues par les juridictions ordinaires, il y a lieu d’en revenir au principe énoncé à l’article 2, 2ème alinéa : en application de cette disposition, ce sont les règles de procédure de droit commun qui s’appliquent s’agissant des voies de recours. L’opposition (1), l’appel (2) et l’appel devant la Cour Suprême (3) seront donc, dans les conditions visées dans la loi organique du 25 avril 2004 portant code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires, accessibles aux parties à un procès du contentieux du génocide et des massacres portés devant une juridiction ordinaire. Enfin, le « recours en révision » visé à l’article 93 de la loi organique du 19 juin 2004 appelle des commentaires particuliers (4). 1. L’OPPOSITION 1.1. Une opposition qui suit la procédure de droit commun Moyennant le respect des conditions édictées par le Code de procédure pénale, opposition pourra être formée contre les jugements pris par défaut par les juridictions civiles et militaires statuant dans le cadre du contentieux du génocide et d’autres crimes contre l’humanité. L’on parle de jugement par défaut lorsque la personne n’a pas comparu, alors qu’elle

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Les voies de recours

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avait été régulièrement citée397. L’opposition est une voie de recours qui doit permettre à la personne qui n’a pas pu bénéficier du principe du débat contradictoire d’être, si elle le souhaite, rétablie dans ce droit. Par ailleurs, rappelons que l’opposition ne sera recevable que si l’opposant peut faire valoir « une cause grave qui justifie pleinement sa défaillance antérieure »398, appréciée par la juridiction. L’article 161 du Code de procédure pénale consacre le principe selon lequel « opposition sur opposition ne vaut ». C’est la juridiction qui a prononcé le jugement par défaut qui statue sur l’opposition formée. Saisie d’un recours en opposition qu’elle juge recevable, elle doit mettre à néant le premier jugement et reprendre en entier l’examen de l’affaire399. Soulignons qu’il doit être sursis à l’exécution du jugement –et donc, le cas échéant, à l’emprisonnement prononcé par le jugement par défaut- jusqu’à expiration du délai d’opposition et, si l’opposition est exercée, jusqu’au jugement sur opposition400. Enfin, il convient de rappeler que les jugements rendus par les juridictions militaires peuvent, au même titre que les décisions prononcées par des juridictions civiles, faire l’objet d’opposition401. 1.2. Une incertitude quant au délai d’opposition L’article 87 de la loi organique du 19 juin 2004 se lit comme suit : « Le délai d’opposition est de quinze (15) jours calendriers à compter du jour de la signification du jugement rendu par défaut », là où le Code de procédure pénale prévoit : « Le condamné par défaut peut faire opposition au jugement dans les dix (10) jours qui suivent celui de la signification »402.

397 Article 155 du Code de procédure pénale. 398 Article 160 du Code de procédure pénale. 399 Article 163 du Code de procédure pénale. 400 Article 162 du Code de procédure pénale. 401 Article 141 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires. La version française de cette disposition est erronée. 402 Article 158 du Code de procédure pénale.

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Les voies de recours

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Deux interprétations paraissent possibles :

� Soit l’on considère que l’article 87 de la loi organique concerne l’opposition contre tout jugement prononcé par défaut en application de la loi organique, que ce soit par une Juridiction Gacaca ou par une juridiction ordinaire. Si c’est d’une juridiction ordinaire qu’il s’agit, il y a lieu de faire application du deuxième alinéa de l’article 2 de la loi organique : le droit commun de la procédure est écarté si la loi organique y fait exception. C’est donc, en l’espèce, le délai prévu par l’article 87, plus favorable à l’accusé, qui l’emporte.

� Soit l’on considère que la section consacrée par la loi organique à

l’opposition ne concerne, dans son ensemble, que les juridictions Gacaca. C’est le droit commun de la procédure qui s’applique à cette voie de recours dès lors qu’elle concerne les juridictions ordinaires. Par conséquent, le délai visé à l’article 158 du Code de procédure pénale, moins favorable à l’accusé, s’applique aux affaires qui, dans le cadre du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité, relèvent de la compétence des juridictions ordinaires.

Dans la mesure où, d’une part, l’article 87 de la loi organique ne paraît pas être restreint, quant à son champ d’application, aux seules juridictions Gacaca, et compte tenu de ce qu’en cas d’incertitude, c’est l’hypothèse la plus favorable à l’accusé qui doit être privilégiée, les auteurs penchent pour la première des deux solutions. Tant que ce doute n’aura pas été complètement levé par la jurisprudence, cependant, les conseils des accusés veilleront à former opposition dans le délai de dix jours visé à l’article 158 du Code de procédure pénale, par mesure de précaution. 2. L’APPEL 2.1. Application de la procédure de droit commun

Toute décision prononcée au premier degré soit par un Tribunal de Province ou par le Tribunal de la Ville de Kigali, soit par le Tribunal militaire statuant dans le cadre du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité est susceptible d’appel.

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Les voies de recours

243

Le droit d’interjeter appel est reconnu au prévenu, au civilement responsable, à la partie civile mais uniquement quant au volet civil de l’affaire, et au Ministère Public403. C’est la Haute Cour de la République qui connaît, en degré d’appel, des affaires jugées en première instance par les Tribunaux de Province et le Tribunal de la Ville de Kigali404 dans le cadre du contentieux du génocide et d’autres crimes contre l’humanité. C’est La Haute Cour Militaire qui connaît en appel des jugements rendus au premier degré par le Tribunal Militaire, dans le cadre du contentieux du génocide et d’autres crimes contre l’humanité405.

Enfin, la règle générale qui veut que le prévenu acquitté ou condamné soit à une peine avec sursis, soit à simple amende soit encore à une peine égale ou inférieure à la détention préventive est immédiatement remis en liberté nonobstant appel du Parquet peut trouver une exception en matière de poursuites pour crimes de génocide ou autres crimes contre l’humanité s’il y a des preuves que sa libération peut porter atteinte à l’ordre public : si le Ministère Public requiert le maintien en détention, la juridiction d’appel statue sur cette question par décision motivée406. 2.2. Une incertitude quant au délai d’appel L’article 91 de la loi organique du 19 juin 2004 se lit comme suit : « Le délai pour interjeter appel est de quinze (15) jours calendriers à partir du prononcé contradictoire du jugement ou à partir du jour suivant la signification du jugement rendu par défaut qui n’a pas été frappé d’opposition. (...) », là où le Code de procédure pénale prévoit : « Le délai d’appel est de trente (30) jours à compter du jour du prononcé de l’arrêt pour la partie qui était présente ou représentée à l’audience où l’arrêt a été prononcé ou qui, ayant été dûment avisée du jour de cette dernière, ne s’y est point présentée ni fait représenter. (...) »407.

403 Article 164 du Code de procédure pénale. 404 Article 105 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires. 405 Article 139 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires. 406 Article 170 du Code de procédure pénale. 407 Article 64 de la Loi organique n° 01/2004 du 29/01/2004 portant organisation, fonctionnement et compétences de la Cour Suprême.

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Les voies de recours

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Deux interprétations paraissent possibles :

� Soit l’on considère que l’article 91 de la loi organique concerne l’appel contre tout jugement prononcé au premier degré en application de la loi organique, que ce soit par une Juridiction Gacaca ou par une juridiction ordinaire. Si c’est d’une juridiction ordinaire qu’il s’agit, il y a lieu de faire application du deuxième alinéa de l’article 2 de la loi organique : le droit commun de la procédure est écarté si la loi organique y fait exception. C’est donc, en l’espèce, le délai prévu par l’article 91 de la loi organique, moins favorable à l’accusé, qui l’emporte.

� Soit l’on considère que la section consacrée par la loi organique à

l’appel, ne concerne, dans son ensemble, que les juridictions Gacaca. C’est dans cet ensemble que l’article 91, seule disposition de cette section à ne pas exclure explicitement les juridictions ordinaires, se situe. C’est donc le droit commun de la procédure qui s’applique à cette voie de recours dès lors qu’elle concerne les juridictions ordinaires. Par conséquent, le délai visé à l’article 165 du Code de procédure pénale, plus favorable à l’accusé, s’applique aux affaires qui, dans le cadre du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité, relèvent de la compétence des juridictions ordinaires.

En cas d’incertitude, rappelons que c’est en principe l’interprétation la plus favorable à l’accusé qui doit l’emporter, et donc, en l’espèce, la seconde de ceux deux solutions. Tant que ce doute n’aura pas été complètement levé par la jurisprudence, cependant, les conseils des accusés veilleront à interjeter appel dans le délai de quinze jours visé à l’article 91 de la loi organique du 19 juin 2004, par mesure de précaution. 2.3. Un droit de recours moins restrictif que sous l’empire des

anciennes lois organiques régissant le contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité

La loi organique du 30 août 1996 sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité avait, par rapport au droit commun, introduit trois restrictions

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Les voies de recours

245

importantes au recours en appel. D’une part, elle limitait la recevabilité de ce recours aux seuls appels sur des questions de droit ou sur des erreurs de fait flagrantes. D’autre part, saisie d’un recours, la juridiction d’appel statuait sur pièces, sans tenir nécessairement d’audiences au cours desquelles de nouveaux débats contradictoires auraient pu se tenir. Enfin, l’accusé ayant bénéficié de la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité était exclu du droit d’interjeter appel408.

La première restriction a fait l’objet d’importantes difficultés d’application : d’une part, il était, en pratique, difficile de motiver de manière concrète les actes d’appel en invoquant des questions de droit ou des erreurs de fait flagrantes, cette exigence se heurtant bien souvent à la question du respect du délai d’appel. En effet, dans la grande majorité des cas, la motivation du jugement au premier degré n’était en réalité portée à la connaissance de la partie que bien après l’écoulement de ce délai, en raison de la pratique qui dissociait le prononcé du dispositif du jugement de sa rédaction écrite. D’autre part, une abondante jurisprudence témoigne de la difficulté d’interprétation de la notion de « question de droit » et de celle d’ « erreur de fait flagrante »409.

C’est ainsi que la loi organique du 26 janvier 2001 portant création des Juridictions Gacaca et organisation des poursuites des infractions du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité n’avait pas reproduit cette condition particulière de recevabilité. Elle n’avait pas non plus retenu la règle de l’examen sur pièces du recours en appel.

En revanche, elle avait maintenu l’exclusion du bénéfice de l’appel à l’accusé qui avait eu recours à la procédure d’aveux et de plaidoyer de culpabilité410.

La loi organique du 19 juin 2004 ne maintient plus aucune des restrictions : dorénavant, l’appel n’est pas soumis à des conditions de recevabilité particulières, l’examen de l’appel fait l’objet de débats contradictoires et enfin, aucune disposition n’interdit plus à la personne

408 Article 24 de l’ancienne loi organique du 30 août 1996 sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l'humanité. 409 Voir à ce sujet les Recueils de jurisprudence, Avocats Sans Frontières-Belgique et Cour Suprême. 410 Article 86, alinéa 2 de la loi organique du 26 janvier 2001.

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condamnée après avoir recouru avec succès à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses d’interjeter appel de la décision prononcée. Notons que la loi organique de 2001 avait instauré un appel sur la décision de « catégorisation »411. La nouvelle loi organique de 2004 n’a pas retenu cette possibilité. Il appartient simplement au juge saisi de vérifier sa compétence, in limine litis. La loi organique fait sien, en la matière, le principe « qui peut le plus peut le moins » : la Juridiction Gacaca de Secteur qui s’aperçoit qu’elle a été saisie à tort, la catégorisation retenue par la Juridiction Gacaca de Cellule paraissant erronée, reste saisie du fond de l’affaire s’il s’agit d’un dossier qui aurait dû être classé en troisième catégorie, mais doit transmettre le dossier au Parquet pour saisine de la juridiction ordinaire s’il s’agit d’un dossier qui aurait dû être classé en première catégorie412. Suivant le même principe, la juridiction ordinaire saisie de manière erronée connaîtra du dossier au fond puisque, par définition, la catégorie dans laquelle le prévenu aurait dû être classé est nécessairement inférieure à celle qu’ont à connaître les juridictions ordinaires. Notons enfin que les jugements relatifs aux biens endommagés ne sont pas susceptibles d’appel413. Il s’agit essentiellement des jugements prononcés par la Juridiction Gacaca de Cellule. Mais il se peut également que le dossier d’une personne accusée de faits qui la rattachent à la première catégorie soit, dans le même temps, jugée pour des atteintes aux biens. Il semble que la volonté du législateur ait été d’exclure de l’appel le volet qui concerne les biens endommagés. L’ensemble des règles évoquées ici sont des règles de procédure : elles sont bien évidemment d’application immédiate, y compris aux dossiers déjà en cours avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi organique.

411 Article 86, alinéa 1er de la loi organique du 26 janvier 2001: “L'appel des décisions classant les prévenus dans les différentes catégories peut être formé devant la juridiction devant laquelle l'affaire a été déférée ». 412 Voir articles 36, 4°, 37, 3° et 92 de la loi organique du 19 juin 2004. 413 Article 94 de la loi organique du 19 juin 2004.

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3. L’APPEL DEVANT LA COUR SUPREME La Constitution, le nouveau Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires et la nouvelle loi organique portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême investissent cette haute juridiction d’un rôle qui, jusqu’à leur entrée en vigueur, était inédit en droit rwandais : ces instruments instaurent, dans les cas qu’ils précisent, une nouvelle voie de recours pleine et entière à l’encontre de certaines décisions prises en degré d’appel. Il s’agit donc, en droit rwandais, de l’introduction d’un troisième degré de juridiction, qui va au-delà de l’ancien pourvoi en cassation. Il s’agit d’apprécier si et dans quel cas ce nouveau recours sera d’application dans les dossiers du contentieux du génocide et d’autres crimes contre l’humanité. L’article 145 de la Constitution charge la Cour Suprême de statuer sur les appels formés contre les décisions prononcées en degré d’appel par la Haute Cour de la République et par la Haute Cour Militaire, dans les cas prévus par la loi414.

414 La version française et la version anglaise de cette disposition diffèrent. La version anglaise dit en effet“the jurisdiction of the Supreme Court (…) includes inter alia (…) hearing appeals against decisions of the High Court of the Republic and the Military High Court rendered in their first or appellate degrees as provided for by the law ”, là où la version française charge la Cour Suprême “de statuer au fond sur les affaires en appel et en dernier degré jugées par la Haute Cour de la République et la Haute Cour Militaire, dans les conditions prévues par la loi ». La version kinyarwanda, qui fait foi, parle de « ku rwego rwa » (au premier degré) et « ku rwa kabiri » (au deuxième degré). Son examen, de même que la mise en parallèle de cette disposition constitutionnelle avec les dispositions pertinentes du Code portant organisation, fonctionnement et compétence judiciaires (article 108) et de la loi portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême (article 62) indiquent donc que la version française est inexacte.

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3.1. L’appel à l’encontre de décisions prononcées par la Haute Cour de la République

C’est l’article 43, alinéa 2, de la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême qui énonce les quatre cas dans lesquels ce « troisième degré de juridiction » est possible à l’encontre des décisions prononcées par la Haute Cour de la République: « La Cour Suprême statue (…) sur les appels formés contre les arrêts rendus au second degré par la Haute Cour de la République: 1°lorsque l’affaire intéresse la sécurité du pays ; 2°lorsque la décision attaquée n’est pas motivée, est fondée sur une loi inexistante, viole les règles de fond et de procédure prescrites à peine de nullité ou a été rendue par une juridiction incompétente ; 3°lorsque le montant de la condamnation ou la valeur du litige est égal ou excède vingt millions de francs rwandais ; 4°lorsque la peine prononcée par la Haute Cour de la République ou la Haute Cour Militaire, statuant au second degré, est égale ou supérieure à dix ans d’emprisonnement ». La deuxième et la quatrième de ces hypothèses peuvent être rencontrées dans le cas d’arrêts rendus en degré d’appel dans le cadre du contentieux du génocide. En vertu de la deuxième hypothèse, il est donc possible d’introduire un appel devant la Cour Suprême à l’encontre de décisions prises en degré d’appel par la Haute Cour de la République en invoquant un défaut de motivation de l’arrêt attaqué, le fait qu’elle soit fondée sur une loi inexistante, une violation des règles de fond, une violation des règles de procédure prescrites à peine de nullité, ou l’incompétence de la juridiction qui a prononcé la décision. Les causes permettant d’exercer ce recours s’apparentent ici à celles qui, sous l’empire des anciennes lois, permettaient d’introduire un pourvoi en cassation. Mais la similitude s’arrête là : en effet, l’appel devant la Cour Suprême, pour autant qu’il soit recevable, ouvre la voie à un nouvel examen du fond par cette nouvelle juridiction. La quatrième hypothèse trouvera également à s’appliquer dans le cadre du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité : si la Haute Cour de la République déclare, en degré d’appel, un accusé

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coupable des faits qui lui sont reprochés et confirme qu’il relève de la première catégorie, elle prononcera presque nécessairement, même en cas d’aveux, une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à dix ans, sauf dans le cas d’un mineur qui a recouru à la procédure d’aveu avant d’être inscrit sur la liste des accusés415. Sa décision, dès lors, sera susceptible d’un nouvel appel devant la Cour Suprême. L’article 65 de la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême confirme indirectement, mais de manière explicite, que ce « troisième degré de juridiction » s’applique au contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité. Cette disposition énonce le principe selon lequel le prévenu détenu qui est acquitté par la Haute Cour de la République, celui qui est condamné à une peine assortie de sursis, celui condamné uniquement à une peine d’amende ou enfin celui condamné à une peine ne dépassant pas la durée de la détention préventive qu’il a subie doit être immédiatement mis en liberté, même si le Parquet interjette appel devant la Cour Suprême. Cet article énumère ensuite les cas exceptionnels où il peut être dérogé à ce principe de mise en liberté : c’est le cas notamment « lorsque le prévenu est poursuivi pour crimes de génocide et crimes contre l’humanité, (…) et (qu’il) y a des preuves que sa libération peut porter atteinte à l’ordre public ». Dans cette hypothèse, le Ministère public peut demander à la Cour Suprême de prononcer une nouvelle mesure de détention préventive à son encontre. Le délai d’appel devant la Cour Suprême est de trente jours416. 3.2. L’appel à l’encontre de décisions prononcées par la Haute

Cour Militaire L’article 43 de la loi portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême n’évoque expressément comme étant susceptibles d’appel devant la plus haute juridiction, en ce qui concerne les décisions prononcées au deuxième degré par la Haute Cour Militaire, que les arrêts portant condamnation à une peine d’emprisonnement au moins égale à dix ans. Si l’on s’en tient au texte, il semble que les trois autres cas où il

415 Voir le chapitre consacré aux peines. 416 Article 64 de la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême.

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est permis de faire appel, devant la Cour Suprême, d’un arrêt prononcé au deuxième degré par la Haute Cour de la République, ne pourraient bénéficier aux parties à une affaire ayant été tranchée, en degré d’appel, par la Haute Cour Militaire. Cette restriction paraît se confirmer à la lecture de l’article 141, alinéa 2 de la loi organique portant Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires, qui dit : « (Les) arrêts rendus par la Haute Cour Militaire au deuxième degré (…)peuvent faire objet d’appel devant la Cour Suprême lorsque la peine prononcée est égale ou supérieure à dix ans d’emprisonnement. », sans énoncer d’autre hypothèse. Cette restriction paraît cependant peu conforme au principe de l’égalité des citoyens devant la loi, consacré par l’article 11 de la Constitution. Elle serait tout particulièrement porteuse d’inégalité et de discrimination à l’égard des civils qui, par le jeu des règles de la connexité, seraient justiciables des juridictions militaires en raison de la qualité de militaire d’un de leurs co-accusés417. Sans doute s’agit-il d’une lacune. Il paraît en effet peu compréhensible que la volonté du législateur ait pu être d’exclure les personnes –militaires ou non- jugées au second degré par la Haute Cour Militaire du bénéfice d’un recours devant la Cour Suprême, singulièrement pour défaut de motivation, application d’une loi inexistante, violation de dispositions de fond, violation de règles de procédure prescrites à peine de nullité, ou incompétence de la juridiction inférieure.

417 Voir article 149 de la loi organique portant Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires:”Lorsque plusieurs personnes, justiciables les unes des juridictions ordinaires, les autres des juridictions militaires, sont poursuivies conjointement à raison de leur participation à une même infraction ou à des infractions connexes, elles sont jugées l’une et l’autre par la juridiction militaire compétente.”

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4. LE RECOURS EN REVISION L’article 93 de la loi organique du 19 juin 2004 se lit comme suit : « Le jugement peut être révisé lorsque : 1°une personne acquittée par un jugement coulé en force de chose jugée rendu par une juridiction ordinaire et que par après la Juridiction Gacaca constate sa culpabilité ; 2°une personne reconnue coupable par un jugement coulé en force de chose jugée rendu par une juridiction ordinaire et que par après la Juridiction Gacaca constate son innocence ; 3°une personne condamnée à une peine contraire à la loi selon les faits à sa charge. Seules les parties au procès et leurs descendants, ont droit de demander la révision du jugement. Seule la Juridiction Gacaca d’Appel a la compétence de réviser les jugements ainsi rendus ». 4.1. Un recours qui déroge au droit commun Tel que conçu, et dans la mesure où il peut concerner les personnes acquittées par un jugement définitif prononcé par une juridiction ordinaire, ce recours est totalement inconnu du droit commun. Rappelons en effet que dans la procédure pénale de droit commun, le recours en révision ne peut jamais être exercé qu’« au bénéfice de toute personne reconnue coupable d’un crime et d’un délit » et, par conséquent, jamais au détriment d’une personne innocentée par la justice. Il n’est possible que dans les cas suivants : « 1°lorsque, après une condamnation pour homicide, des pièces seront présentées propres à faire naître de suffisants indices sur l’existence de la prétendue victime de l’homicide ; 2°lorsque, après une condamnation pour un délit, un nouvel arrêt ou jugement aura condamné pour le même fait un autre accusé ou prévenu et que les deux condamnations ne pouvant se concilier, leur contradiction fera preuve de l’innocence de l’un ou de l’autre condamné :

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3°lorsqu’un des témoins entendus aura été, postérieurement à la condamnation, poursuivi et condamné pour faux témoignage contre l’accusé ou le prévenu. Le témoin ainsi condamné ne pourra pas être entendu dans les nouveaux débats ; 4°lorsque, après une condamnation, un fait viendra à se produire ou à se révéler ou lorsque des pièces inconnues lors de débats seront présentées, de nature à établir l’innocence du condamné »418. En d’autres termes, il s’agit d’une voie de recours extraordinaire: elle constitue, à l’égard de la personne condamnée injustement, le moyen ultime de réparer l’erreur judiciaire subie. Cette action peut être mue même à titre posthume : les descendants d’un condamné peuvent décider d’y recourir pour laver le nom de leur parent. Ce recours est et doit rester exceptionnel, puisqu’il concerne une décision pénale définitive. 4.2. Quelles décisions sont visées ? Une lecture attentive de l’article 93 permet de distinguer selon les trois hypothèses qu’il vise. Tant l’hypothèse concernant la personne innocentée que celle concernant la personne déclarée coupable visent uniquement les décisions prononcées par des juridictions ordinaires419. En revanche, et faute de cette même précision, l’hypothèse relative à la peine contraire à la loi semble viser tous les jugements, quelle que soit la juridiction qui les a prononcés. Il faut donc considérer, à la lecture de cette disposition, que :

� la décision définitive par laquelle une Juridiction Gacaca prononce la condamnation d’un prévenu est susceptible d’un recours en révision si et seulement si la peine prononcée est contraire à la loi.

418 Article 180 du Code de procédure pénale. 419 En effet, les points 1° et 2° précisent « un jugement coulé en force de chose jugée rendu par une juridiction ordinaire ».

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� la décision définitive par laquelle une juridiction ordinaire prononce la condamnation d’un prévenu est susceptible d’un recours en révision si la peine prononcée est contraire à la loi ou si, ultérieurement, la Juridiction Gacaca d’Appel constate son innocence ;

� la décision définitive par laquelle une juridiction ordinaire

prononce l’acquittement d’un prévenu est susceptible d’un recours en révision si ultérieurement la Juridiction Gacaca d’Appel constate sa culpabilité.

4.3. Une dérogation discutable à la hiérarchie des juridictions En droit commun, le recours en révision est porté « devant la juridiction qui a rendu la décision attaquée en dernier ressort »420, alors que l’article 93 de la loi organique du 19 juin 2004 confère à la Juridiction Gacaca d’Appel compétence exclusive pour connaître des recours en révision, que ce soit à l’encontre d’une décision définitive prononcée par une Juridiction Gacaca ou d’une décision définitive prononcée par une juridiction ordinaire. Comme on l’a vu plus haut, en ce qui concerne les cas soumis aux « juridictions ordinaires » visées par la loi organique, c’est, dans la très grande majorité des cas, la Cour Suprême qui prononcera la décision définitive, après que l’affaire ait été soumise, en première instance, soit à un tribunal de Province ou de la Ville de Kigali, soit au Tribunal Militaire, puis en degré d’appel, soit à la Haute Cour de la République, soit à la Haute Cour Militaire, pour enfin aboutir devant la Cour Suprême. A suivre à la lettre le prescrit de l’article 93 de la loi organique, des décisions prononcées par la Cour Suprême deviendraient ainsi susceptibles d’être mises à néant par une juridiction spécialisée, composée de juges non professionnels, et qui se situe en marge de la hiérarchie que la Constitution met en place dans le chapitre qu’elle

420 Article 182 du Code de procédure pénale. Noter la contradiction avec l’article 45 de la loi portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême qui, au titre des « compétences extraordinaires » de la Cour Suprême, attribue à celle-ci exclusivement celle de « connaître en matière pénale des recours en révision quelle que soit la juridiction qui a statué ».

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consacre au Pouvoir Judiciaire. De surcroît, la règle qui attribue à la Juridiction Gacaca d’Appel le pouvoir de réviser une décision définitive prononcée par une juridiction ordinaire revient à lui donner compétence pour juger les cas de première catégorie : cette règle apparaît comme une incohérence par rapport au prescrit de l’article 2 de la même loi, qui exclut précisément de la compétence des juridictions Gacaca le jugement des personnes classées en première catégorie en phase pré-juridictionnelle, pour le confier aux juridictions ordinaires. Le pouvoir exorbitant ainsi conféré aux Juridictions Gacaca d’Appel semble contraire à l’article 144 de la Constitution qui fait de la Cour Suprême la plus haute juridiction du pays : ses décisions s’imposent à tous, que ce soit « les pouvoirs publics, (…)toutes les autorités administratives, civiles, militaires et juridictionnelles, ainsi (que les) particuliers ». Seule la Cour Suprême –ou, le cas échéant, d’autres juridictions qui auraient prononcé la décision coulée en force de chose jugée- devrait être habilitée à connaître d’un tel recours. 4.4. Une exception discutable au principe de l’autorité de la chose

jugée Une même personne ne peut être poursuivie une seconde fois pour des faits qui ont fait l’objet d’un jugement coulé en force de chose jugée, c’est-à-dire lorsque la cause a été irrévocablement jugée à son égard, et qu’elle ne peut plus faire l’objet d’aucun recours : c’est l’idée que traduit le concept d’ « autorité de la chose jugée ». Il s’agit d’un principe général de droit, essentiel dans un Etat de droit. Il est en effet fondé sur « le respect nécessaire des décisions judiciaires. Le renouvellement des poursuites, même en cas de survenance d’éléments nouveaux, aboutirait à créer un véritable état d’insécurité sociale. La chose jugée empêche qu’une personne qui a fait l’objet d’une poursuite répressive puisse être à nouveau poursuivie à l’avenir pour le même fait »421.

421 Henri-D. BOSLY, Damien VANDERMEERSCH, Droit de la procédure pénale, 2è édition, La Charte, Bruxelles, p. 188.

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Ce principe, traditionnellement désigné par l’adage latin «non bis in idem »422 est consacré par l’article 14 du Pacte International relatif aux Droits civils et politiques, auquel la République du Rwanda est partie : « Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ». Il est en outre expressément reconnu tant par le Statut du Tribunal pénal international423 que par le Statut de la Cour pénale internationale424. Enfin et surtout, le droit rwandais le consacre lui aussi, faisant de la « chose jugée » une cause d’extinction de l’action publique425. La seule exception que la plupart des législations nationales tolèrent, est celle qui permet, dans des conditions très strictes et étroitement limitées, à une personne condamnée de manière définitive, victime d’une erreur judiciaire, de faire valoir un fait nouveau ou une circonstance nouvelle qu’il n’était pas à même d’établir au moment du jugement, et dont la preuve de son innocence paraît résulter : il s’agit de l’action en révision classique. L’extension de la révision, voie de recours exceptionnelle, au cas de décisions définitives d’acquittement nous paraît inappropriée. Elle est manifestement contraire au principe du non bis in idem et crée une insécurité juridique permanente pour toute personne ayant été jugée dans le cadre du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité. En effet, tant que les juridictions Gacaca de Cellule n’auront pas définitivement terminé leur travail, les personnes acquittées resteraient sous la menace de devoir faire face à une nouvelle procédure, portant exactement sur les mêmes accusations que celles dont elles ont pourtant été blanchies. Cette possibilité pourrait accréditer l’idée que même un acquittement ne suffit pas à laver d’une accusation de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité. Une telle situation présente des

422 Expression que l’on pourrait traduire par « pas deux fois pour la même chose ». 423 Article 9. 424 Article 20. 425 Article 3 du Code de procédure pénale : «L’action publique s’éteint par la mort du prévenu, la prescription, l’amnistie, l’abrogation de la loi et par la chose jugée ».

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dangers considérables quant à l’idée même de la justice, et quant au respect qui lui est dû. Conclusion Les voies de recours ouvertes aux parties à un procès qui relève du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité, justiciables des « juridictions ordinaires » au sens de l’article 2, alinéa 2 de la loi organique du 19 juin 2004 sont celles du droit commun. Les règles de procédure applicables à l’opposition, l’appel et l’appel devant la Cour Suprême sont celles prévues par le Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires, et par la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême. Un léger doute subsiste cependant quant au délai applicable pour l’opposition et pour l’appel. Enfin, le recours en révision tel qu’il semble être conçu par la loi organique du 19 juin 2004 appelle un certain nombre d’observations et de questions, d’une part quant à sa conformité avec les principes non bis in idem et d’autre part quant à sa compatibilité avec la hiérarchie des juridictions dessinée par la Constitution.

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ANNEXE Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994

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Journal Officiel n° Spécial du 19 juin 2004 LOI ORGANIQUE N° 16/2004 DU 19/06/2004 PORTANT ORGANISATION, COMPETENCE ET FONCTIONNEMENT DES JURIDICTIONS GACACA CHARGEES DES POURSUITES ET DU JUGEMENT DES INFRACTIONS CONSTITUTIVES DU CRIME DE GENOCIDE ET D’AUTRES CRIMES CONTRE L’HUMANITE COMMIS ENTRE LE 1ER OCTOBRE 1990 ET LE 31 DECEMBRE 1994 Nous, KAGAME Paul, Président de la République ; LE PARLEMENT A ADOPTE ET NOUS SANCTIONNONS, PROMULGUONS LA LOI ORGANIQUE DONT LA TENEUR SUIT, ET ORDONNONS QU’ELLE SOIT PUBLIEE AU JOURNAL OFFICIEL DE LA REPUBLIQUE DU RWANDA. Le Parlement : La Chambre des Députés, en sa séance du 17 juin 2004 ; Le Sénat, en sa séance du 10 juin 2004 ; Vu la Constitution de la République du Rwanda du 04 juin 2003 telle que révisée à ce jour, spécialement en ses articles 9-1° et 2°, 61, 62, 88, 90, 93, 108, 118-7°, 152 et 201 ; Revu la loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 portant création des Juridictions Gacaca et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, telle que modifiée et complétée à ce jour ; Revu la loi organique n° 08/96 du 30 août 1996 sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises à partir du 1er octobre 1990; Revu le décret-loi n° 09/80 du 07 juillet 1980 portant code d’organisation et de compétence judiciaires approuvé par la loi n° 01/82 du 26 janvier 1982 tel que modifié et complété à ce jour ; Revu le décret-loi n° 21/77 du 18 août 1977 instituant le Code Pénal tel que modifié et complété à ce jour ;

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Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions gacaca

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Revu la loi du 23 février 1963 portant code de procédure pénale, tel que modifiée et complétée à ce jour ; Considérant le crime de génocide et les crimes contre l’humanité commis au Rwanda à partir du 1er octobre 1990 jusqu’au 31 décembre 1994 ; Considérant que ces infractions ont été commises publiquement, sous les yeux de la population, qu’ainsi elle doit relater les faits, révéler la vérité et participer à la poursuite et au jugement des auteurs présumés ; Considérant que le devoir de témoignage est une obligation morale de tout Rwandais patriote, nul n’étant en droit de s’y dérober pour quelque cause que ce soit ; Considérant que les actes commis sont des infractions prévues et punies par le Code Pénal, et constitutifs du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité ; Considérant que le crime de génocide et les crimes contre l’humanité sont prévus par la Convention internationale du 09 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide ; Considérant que la Convention internationale du 26 novembre 1968 prévoit l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ; Considérant que le Rwanda a ratifié ces deux conventions par le décret-loi n° 8/75 du 12 février 1975 approuvant et ratifiant diverses Conventions Internationales relatives aux droits de l’homme, au désarmement, à la prévention et à la répression de certains actes susceptibles de mettre en danger la paix entre les hommes et les nations et les a publiées au Journal Officiel de la République du Rwanda, sans toutefois, lors de la perpétration de ces crimes, avoir prévu les sanctions spéciales pour ceux-ci ; Considérant, en conséquence, que les poursuites doivent être fondées sur le Code Pénal ; Considérant la nécessité, pour parvenir à la réconciliation et à la justice au Rwanda, d’éradiquer à jamais la culture de l’impunité et d’adopter les dispositions permettant d’assurer les poursuites et le jugement rapide des auteurs et leurs complices sans viser seulement la simple répression, mais aussi la réhabilitation de la société rwandaise mise en décomposition par les mauvais dirigeants qui ont incité la population à exterminer une partie de cette société ; Considérant qu’il importe pour la société rwandaise de résoudre elle-même les problèmes causés par le génocide et ses conséquences;

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Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions gacaca

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Considérant qu’il importe de prévoir des peines permettant aux condamnés de s’amender et de favoriser leur réinsertion dans la société rwandaise sans entrave à la vie normale de la population ; ADOPTE : TITRE PREMIER : DU CHAMP D’APPLICATION Article premier : La présente loi organique porte sur l’organisation, la compétence et le fonctionnement des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, ou des infractions prévues par le code pénal qui, selon les accusations du Ministère Public ou les témoignages à charge aussi bien que les aveux du prévenu, ont été commis dans l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité. Article 2 : Les personnes que les actes commis ou les actes de participation criminelle rangent dans les 2ème et 3ème catégories telles que définies par l’article 51 de la présente loi organique sont justiciables des Juridictions Gacaca tel que prévu par le titre II de la présente loi organique. Les Juridictions Gacaca appliquent les dispositions de la présente loi organique. Les personnes relevant de la première catégorie telles que définies par l’article 51 de la présente loi organique sont justiciables des juridictions ordinaires qui appliquent les règles de procédure de droit commun, sous réserve des exceptions prévues par la présente loi organique. Quant à l’objet de litige, on applique exclusivement les dispositions de la présente loi organique. Les personnes susmentionnées dans les alinéas précédents sont justiciables des juridictions prévues par ces alinéas, même si leurs coauteurs sont justiciables des juridictions différentes de celles qui rendent leurs jugements. Dans ce cas, ces coauteurs peuvent être convoqués pour donner des témoignages dans le même procès.

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Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions gacaca

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TITRE II: DE LA CREATION, DE L’ORGANISATION ET DE LA COMPETENCE DES JURIDICTIONS GACACA ET DES RELATIONS AVEC LES AUTRES INSTITUTIONS

CHAPITRE PREMIER : DE LA CREATION ET DE

L’ORGANISATION DES JURIDICTIONS GACACA

SECTION PREMIERE : DE LA CREATION ET DU RESSORT Article 3 : Il est créé une Juridiction Gacaca de la Cellule au niveau de chaque Cellule, une Juridiction Gacaca de Secteur et une Juridiction Gacaca d’Appel au niveau de chaque Secteur de la République du Rwanda. Ces Juridictions connaissent, dans les limites établies par la présente loi organique, des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994. Article 4 : Sous réserve des dispositions de l’alinéa deux et trois de l’article 6 de la présente loi organique : 1° le ressort de la Juridiction Gacaca de la Cellule est la Cellule ; 2° le ressort de la Juridiction Gacaca du Secteur est le Secteur ; 3° le ressort de la Juridiction Gacaca d’Appel est le Secteur.

SECTION II : DES ORGANES DES JURIDICTIONS GACACA Sous-section première : Des dispositions communes Article 5 : La Juridiction Gacaca de la Cellule comprend une Assemblée Générale, un Siège de la Juridiction Gacaca et un Comité de Coordination. La Juridiction Gacaca du Secteur tout comme la Juridiction Gacaca d’Appel est composée d’une Assemblée Générale, d’un Siège de la Juridiction Gacaca et d’un Comité de Coordination. L’instance compétente pour désigner les membres du Siège ou ceux du Comité de Coordination est aussi compétente pour leur remplacement.

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Sous-section 2 : De l’Assemblée Générale Article 6 : L’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de la Cellule est composée de tous les habitants de la Cellule âgés d’au moins dix huit (18) ans. Lorsqu’il apparaît que dans une cellule donnée le nombre des habitants âgés ou dépassant dix-huit (18) ans n’atteint pas deux cents (200), cette Cellule peut être fusionnée avec une autre Cellule du même Secteur et forment une Juridiction Gacaca de la Cellule. Il en est de même lorsqu’il est constaté que le nombre des personnes intègres prévu à l’article 8 de la présente loi organique n’est pas atteint. Les Cellules fusionnées procèdent à des nouvelles élections de désignation de personnes intègres. Lorsque les Cellules fusionnées ne parviennent pas à atteindre le nombre des personnes intègres requis et que dans ce Secteur il n’y a pas d’autres Cellules, ces Cellules sont fusionnées avec la Cellule du Secteur voisin. Les Secteurs dont les Cellules sont fusionnées sont à leur tout fusionnés. La décision de fusion de Cellules est prise par le Service National chargé du suivi de la supervision et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca, à son initiative ou sur demande du Maire de District ou de la Ville, et en informe le Préfet de la Province ou le Maire de la Ville de Kigali. Article 7 : L’Assemblée Générale du Secteur est composée des organes suivants : 1° les Sièges des Juridictions Gacaca des Cellules qui composent ce

Secteur ; 2° le Siège de la Juridiction Gacaca du Secteur ; 3° le Siège de la Juridiction Gacaca d’Appel.

Sous-section 3 : Du siège de la Juridiction Gacaca

Article 8 : Chaque Siège de la Juridiction Gacaca est composé de neuf (9) personnes intègres et dispose de 5 remplaçants.

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Article 9 : Avant d’entre (r) en fonction, tout membre du Siège de la Juridiction Gacaca prête serment devant l’Assemblée Générale en ces termes : « Moi,……………………, je jure solennellement à la Nation : 1° de remplir loyalement les fonctions qui me sont confiées ; 2° de garder fidélité à la République du Rwanda ; 3° d’observer la Constitution et les autres lois ; 4° d’œuvrer à la consolidation de l’unité nationale ; 5° de remplir consciencieusement ma charge de représentant du peuple

rwandais sans discrimination aucune ; 6° de ne jamais utiliser les pouvoirs qui me sont dévolus à des fins

personnelles ; 7° de promouvoir le respect des libertés et des droits fondamentaux de la

personne et de veiller aux intérêts du peuple rwandais. En cas de parjure, que je subisse les rigueurs de la loi. Que Dieu m’assiste. » Article 10 : Un membre d’un Siège d’une Juridiction Gacaca ne peut siéger ou prendre des décisions dans une affaire le concernant ou dans laquelle est poursuivi : 1° son (sa) conjoint (e) ; 2° son parent, son grand-père et sa grand-mère, ses frères et sœurs, ses

enfants, ses petits enfants ou ceux de son (sa) conjoint (e) ; 3° ses oncles, ses tantes, ses cousins et ses demi-frères et sœurs ; 4° le prévenu avec lequel existe une inimitié grave ; 5° le prévenu avec lequel il entretient des liens profonds d’amitié ; 6° le prévenu dont il a la responsabilité ou dont il est tuteur ; 7° et tout autre prévenu dont le lien avec la personne intègre pourrait

entraver la liberté de cette dernière. Dans l’une de ces hypothèses, le membre du Siège doit se récuser, à défaut, toute personne au courant de l’existence de l’une de ces causes en informe, avant la plaidoirie quant au fond, le Siège qui décide de le récuser toutes affaires cessantes. Toutefois, la personne ainsi récusée est admise à donner des témoignages à charge ou à décharge.

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Sous-section 4 : Du Comité de Coordination Article 11 : Les membres du Siège de la Juridiction Gacaca choisissent parmi eux et à la majorité absolue, le Comité de Coordination composé d’un Président, d’un premier Vice-Président, d’un deuxième Vice-Président et de deux Secrétaires et sachant tous bien lire et écrire le Kinyarwanda. Les membres du Comité de Coordination sont élus pour un mandat d’une (1) année renouvelable ; Les secrétaires des Juridictions Gacaca assurent les fonctions de rapporteurs et celles de secrétariat de ces Juridictions. Article 12 : Le Comité de Coordination exerce les attributions suivantes : 1° convoquer, présider les réunions et coordonner les activités du Siège de la

Juridiction Gacaca ; 2° enregistrer les plaintes, les témoignages et les preuves déposés par la

population ; 3° recevoir les dossiers des prévenus justiciables des Juridictions Gacaca ; 4° enregistrer les déclarations d’appel formé contre les jugements des

Juridictions Gacaca ; 5° transmettre à la Juridiction Gacaca d’Appel les dossiers dont les

jugements sont frappés d’appel ; 6° rédiger les décisions prises par les organes de la Juridiction Gacaca ; 7° collaborer avec les autres institutions pour mettre en application les

décisions de la Juridiction Gacaca ; SECTION III : DES MEMBRES DES ORGANES DES JURIDICTIONS

GACACA Article 13 : L’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de la Cellule choisit en son sein neuf (9) personnes intègres qui forment son siège et cinq (5) remplaçants. L’Assemblée Générale du Secteur choisit en son sein neuf (9) personnes intègres qui forment le siège de la Juridiction Gacaca d’Appel et cinq (5) remplaçants ainsi que neuf (9) personnes intègres qui forment le Siège de la Juridiction Gacaca du Secteur et cinq (5) remplaçants.

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Les élections des personnes intègres sont organisées et dirigées par la Commission Nationale Electorale. Les modalités d’organisation des élections des membres des organes des Juridictions Gacaca sont déterminées par un arrêté présidentiel. Article 14 : Les membres des sièges des Juridictions Gacaca sont des Rwandais intègres élus par les Assemblées Générales des Cellules dans lesquelles ils résident. Est intègre, tout Rwandais remplissant les conditions suivantes : 1° n’avoir pas participé au génocide ; 2° être exempt d’esprit de divisionnisme ; 3° n’avoir pas été condamné par un jugement coulé en force de chose jugée

à une peine d’emprisonnement de six (6) mois au moins ; 4° être de bonne conduite, vie et mœurs ; 5° dire toujours la vérité ; 6° être honnête ; 7° être caractérisé par l’esprit de partage de la parole.

Toute personne intègre, âgé de vingt un (21) ans au moins et remplissant toutes les conditions exigées par la présente loi organique, peut être élue membre des organes des Juridictions Gacaca, sans discrimination aucune notamment de sexe, d’origine, de religion, d’opinion ou de position sociale. Article 15 : Ne peut être élu membre du Siège de la Juridiction Gacaca : 1° la personne exerçant une activité politique ; 2° le responsable dans l’administration de l’Etat ; 3° le militaire ou le membre de la Police Nationale encore en fonction ; 4° le magistrat de carrière ; 5° le membre d’un organe directeur d’une formation politique.

Cette interdiction d’être élue est levée pour la personne qui démissionne de ses fonctions et dont la démission est acceptée. Les responsables dans l’administration de l’Etat susmentionnés au point 2 du premier alinéa du présent article sont le Préfet de la Province, le Maire de la Ville de Kigali, les autres membres du Comité Exécutif de la Ville de Kigali, de

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la Ville ou du District, les membres du Comité Politique et Administratif au niveau du Secteur et de la Cellule. Ne peut élire ou être élue intègre, la personne figurant sur la liste des présumés génocidaires. Toutefois, les personnes ayant seulement commis des infractions contre les biens peuvent élire. Article 16 : Toute personne élue membre des organes des Juridictions Gacaca est remplacée pour l’une des causes suivantes : 1° trois (3) absences successives non justifiées aux séances des organes des

Juridictions Gacaca ; 2° condamnation à une peine d’emprisonnement d’au moins six (6) mois ; 3° semer la division ; 4° exercice de l’une des activités prévues à l’article 15 de la présente loi

organique ou occupation d’un emploi susceptible d’entraver la participation aux séances des organes des Juridictions Gacaca ;

5° atteinte d’une maladie susceptible de l’empêcher de participer aux séances des organes des Juridictions Gacaca ;

6° accomplissement de tout acte incompatible avec la qualité de personne intègre ;

7° démission volontaire; 8° décès.

La perte de la qualité de membre de la Juridiction Gacaca pour trois (3) absences successives non justifiées aux séances des organes des Juridictions Gacaca, pour avoir semé le divisionnisme et pour acte incompatible avec la qualité de personne intègre est décidée par écrit par les membres du Siège de la Juridiction Gacaca après consultation de l’Assemblée Générale de la Cellule de son ressort. Le membre ainsi démis fait l’objet d’un blâme devant l’Assemblée Générale et ne peut être élu au titre de personne intègre dans un quelconque organe. Les autres causes de remplacement énumérées dans cet article sont constatées par l’organe de la Juridiction Gacaca dont faisait partie la personne à remplacer.

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SECTION IV : DU FONCTIONNEMENT DES ORGANES DES JURIDICTIONS GACACA

Article 17 : L’Assemblée Générale de Juridiction Gacaca de la Cellule tient une réunion ordinaire une fois par semaine, une réunion d’évaluation une fois par trimestre et des séances extraordinaires chaque fois que de besoin. Elle est convoquée et dirigée par le Président du Comité de Coordination, de son initiative ou sur demande d’au moins un tiers (1/3) des membres du Siège de la Juridiction Gacaca. Lorsque le Président justifie d’un motif légitime qui l’empêche ou refuse de convoquer l’Assemblée Générale, celle-ci est convoquée par l’un des Vice-Présidents. Article 18 : L’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de la Cellule ne siège valablement que si au moins cent (100) de ses membres sont présents. Article 19 : L’Assemblée Générale du Secteur tient une réunion ordinaire une fois par trimestre et des séances extraordinaires chaque fois que de besoin. Elle est convoquée et dirigée par le Président de la Juridiction Gacaca d’Appel, à son initiative ou sur demande d’un quart (¼) de ses membres et le Président de la Juridiction Gacaca du Secteur en est le Vice-Président. Lorsque le Président ou le Vice-Président de l’Assemblée Générale justifie d’un motif qui l’empêche ou refuse de convoquer l’Assemblée Générale, celle-ci est convoquée par le plus âgé des personnes intègres sur demande d’un quart (¼) de ses membres. Les personnes intègres présentes choisissent parmi elles le Président. Article 20 : L’Assemblée Générale du Secteur ne siège valablement que si au moins deux tiers (2/3) de ses membres sont présents.

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Article 21 : Les audiences des Juridictions Gacaca sont publiques, sauf le huis-clos décidé par la Juridiction Gacaca (ou) sur demande de toute personne intéressée et prononcé par un jugement pour des raisons d’ordre public ou de bonnes mœurs. Le délibéré est secret. Article 22 : Dans la Juridiction Gacaca de la Cellule, l’heure et le jour des séances sont fixés par l’Assemblée Générale. Dans les autres Juridictions Gacaca, l’heure et le jour des séances sont fixés par les membres du Siège de la Juridiction qui en informent la population. Article 23 : Le Siège de la Juridiction Gacaca ne peut se réunir valablement que si au moins sept (7) de ses membres sont présents. Lorsque ce quorum n’est pas atteint suite aux membres absents, la séance est reportée. Lorsque ce quorum n’est pas atteint et que les membres du Siège ne sont plus encore disponibles pour des raisons différentes, il est complété par les remplaçants. Lorsque ce quorum n’est pas atteint suite à la récusation ou au retrait de certains des membres du Siège, il est complété par les remplaçants jusqu’à ce que la décision soit prise ou jusqu’à ce que le procès prenne fin. Lorsque tous les membres du Siège se sont retirés ou récusés, on fait recours aux membres du Siège de la Juridiction Gacaca la plus proche ayant la même compétence que celle-ci, jusqu’à ce que la décision soit prise ou jusqu’à ce que le procès prenne fin. Cela n’empêche pas que ces personnes intègres provenant de la Juridiction voisine continuent leurs activités dans la Juridiction de leur ressort. La Juridiction qui se récuse ou se retire ou toute autre personne intéressée en informent immédiatement le Service National chargé du suivi, de la supervision et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca qui, à son tour, choisit la Juridiction Gacaca dans laquelle peuvent être réquisitionnées les personnes intègres.

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Article 24 : Les décisions du Siège de la Juridiction Gacaca sont prises par consensus et à défaut, à la majorité absolue de ses membres. A défaut d’une telle majorité, il est procédé à un nouveau vote ; chaque membre du Siège de la Juridiction Gacaca devant toutefois choisir entre les deux (2) positions ayant recueilli précédemment le plus de voix. Article 25 : Les jugements doivent être motivés. Ils sont signés ou marqués de l’empreinte digitale de tous les membres du Siège de la Juridiction Gacaca qui ont siégé et pris part au délibéré. Article 26 : Chaque fois qu’elles en ressentent le besoin, les Juridictions Gacaca peuvent s’assurer du concours de conseillers juridiques désignés par le Service National chargé du suivi, de la supervision et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca. Article 27 : Le Comité de Coordination de la Juridiction Gacaca se réunit autant de fois que de besoin sur convocation de son Président, à son initiative ou sur demande d’au moins deux (2) de ses membres. Lorsque le Président justifie d’un motif légitime qui l’empêche de convoquer le Comité de Coordination, celui-ci est convoqué par l’un des Vice-Présidents. Article 28 : Pour siéger valablement, le Comité de Coordination doit réunir au moins trois (3) de ses membres. Article 29 : Participer aux activités des Juridictions Gacaca est une obligation pour tout Rwandais. Toute personne qui omet ou refuse de témoigner sur ce qu’elle a vu ou sur ce dont elle a connaissance, de même que celle qui fait une dénonciation mensongère, est poursuivie par la Juridiction Gacaca qui en a fait le constat. Elle

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encourt une peine d’emprisonnement allant de trois (3) à six (6) mois. En cas de récidive, le prévenu encourt une peine d’emprisonnement allant de six (6) mois à un (1) an. Est considérée comme personne ayant omis de témoigner sur ce qu’elle a vu ou sur ce dont elle a connaissance, toute personne dont on a constaté qu’elle disposait des informations sur une affaire quelconque révélée par les autres, étant présente et ayant préféré (de) ne rien dire à ce propos. Est considérée comme personne ayant refusé de donner des témoignages : 1° toute personne interrogée au cours du procès, sachant qu’elle dispose de

témoignages ou que par après, il est constaté qu’elle en disposait et qu’elle n’a rien déclaré, en s’abstenant de parler ou en faisant fi de répondre à la question posée ;

2° toute personne convoquée dans la Juridiction et qui refuse intentionnellement de comparaître, sans motif valable afin de ne pas être interrogée alors que la convocation lui est parvenue.

Est considérée comme personne qui a fait une dénonciation mensongère, toute personne qui a donné des témoignages en certifiant qu’elle dit la vérité et qu’elle en a des preuves, qui prête serment et y appose sa signature, et que par après il est constaté qu’elle a dit des mensonges et qu’elle l’a fait intentionnellement. L’infraction de tromperie fait objet de jugement au cours du procès proprement dit auquel l’auteur de ladite infraction a donné des témoignages, après avoir constaté que celui-ci a intentionnellement menti. Article 30 : Toute personne qui exerce ou tente d’exercer des pressions sur les témoins ou sur les membres de la Juridiction Gacaca est passible d’une peine d’emprisonnement allant de trois (3) mois à un (1) an. En cas de récidive, elle encourt une peine d’emprisonnement allant de six (6) mois à deux (2) ans. Sont considérés comme actes exerçant une pression sur les membres du Siège de la Juridiction Gacaca, toutes les actions, les paroles ou le comportement qui ont pour objet de forcer ces membres à agir contre leur volonté ou de les intimider, et que par conséquent, en s’y dérobant, certains ou tous les membres du siège peuvent subir des conséquences néfastes. Toutefois, lorsque cette intimidation a eu lieu, ce sont les dispositions du code pénal et celles du code de procédure pénale qui sont appliquées dans les tribunaux ordinaires.

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Est considéré comme tentative d’exercer une pression sur les membres du Siège de la Juridiction, tout comportement tel que ce soit, en paroles ou en actions, qui fait preuve qu’il y a eu l’acte de vouloir forcer les membres de la Juridiction à prendre une décision allant dans un ou l’autre sens. Est considéré comme acte de chantage aux membres du Siège de la Juridiction Gacaca ou aux témoins, toute parole ou toutes les actions de nature à intimider les témoins ou les membres du Siège de la Juridiction Gacaca en vue d’imposer à tout prix le souhait de l’auteur de l’acte. Est considérée comme tentative de faire des chantages aux membres du siège de la Juridiction Gacaca ou aux témoins ; toute parole ou toutes les actions qui indiquent qu’elles ont pour objet d’intimider les témoins ou les membres du Siège de la Juridiction Gacaca en vue d’imposer à tout prix le souhait de l’auteur de l’acte. Article 31 : Les jugements rendus conformément aux articles 29 et 30 de la présente loi organique peuvent être frappés d'opposition ou d’appel suivant la procédure prévue par la présente loi organique. Article 32 : Le Siège de la Juridiction Gacaca dans lequel les infractions susmentionnées dans les articles 29 et 30 de la présente loi organique ont été commises, suspend l’audience, se retire et examine s’il s’agit d’une infraction qui doit être poursuivie conformément à ces articles. S’il constate que l’infraction doit être poursuivie sur base de ces articles, il communique le jour auquel est fixé le procès, le prévenu en est notifié, tout est enregistré dans le cahier d’activités et le siège reprend ses activités. Lorsque l’infraction est commise en dehors de l’audience de la Juridiction Gacaca, la victime peut présenter sa plainte par écrit ou devant l’Assemblée Générale. Lorsqu’elle présente sa plainte devant l’Assemblée Générale, l’affaire est enregistrée et fait l’objet d’ordre du jour de la séance suivante. Lorsque la plainte a été adressée au Président, il la transmet au secrétaire de la Juridiction qui, l’enregistre dans le cahier d’activités, mentionne la partie demanderesse, l’objet, la date de sa transmission et la date de sa réception par le Président. L’enregistrement ainsi fait, le Président informe les membres de l’Assemblée Générale qui se mettent d’accord sur la date de l’examen de cette plainte.

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Le jour du procès, le Président vérifie si le quorum de personnes intègres requis est complet, si le prévenu est présent et des témoins s’il y en a, leur identification est enregistrée, après quoi il rappelle ce que prévoit la loi, fait la lecture de la plainte, donne la parole au prévenu pou présenter ses moyens de défense et pour présenter ses témoins à décharge. Après la prise de la parole à tour de rôle, le Président donne la parole aux témoins à charge et toute personne voulant la prendre dans l’Assemblée Générale, il demande au prévenu s’il a quelque chose à ajouter, à la fin, le Siège se retire, délibère et rend la décision. Ce jugement est enregistré dans le cahier d’activités et tous les membres du Siège y apposent leurs signatures. Lorsque le Siège rend la décision d’emprisonnement, il dresse le mandat d’arrêt, le transmet au représentant du service de sécurité le plus proche ou au représentant du Service National chargé du suivi des activités des Juridictions Gacaca afin de le transmettre à son tour aux services compétents. Ne peuvent pas faire objet d’un mandat d’arrêt provisoire, les personnes poursuivies des infractions visées aux articles 29 et 30 de la présente loi organique, sauf les personnes susmentionnées à l’article 30, lorsqu’elles sont poursuivies par le Ministère Public. SECTION V : DES ATTRIBUTIONS DES JURIDICTIONS GACACA Sous-section première : Des attributions des organes de la Juridictions

Gacaca de la Cellule Article 33 : L’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de la Cellule exerce les attributions suivantes : 1° élire les membres du Siège de la Juridiction Gacaca de la Cellule et leurs

remplaçants ; 2° pour les non membres du Siège, assister aux activités de la Juridiction

Gacaca de la Cellule et ne prendre la parole que sur demande ; 3° assister le siège de la Juridiction Gacaca à la confection de la liste : a. des personnes qui habitent la Cellule ;

b. des personnes qui habitaient la Cellule avant le génocide, les lieux de leur réinstallation et les voies et moyens utilisés pour y parvenir ;

c. des personnes qui ont été, dans la Cellule, victimes du génocide ; d. des personnes qui ne résidaient pas dans la Cellule mais qui y ont été

tuées ;

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e. des personnes qui résidaient dans la Cellule mais qui ont été tuées à d’autres endroits ;

f. des victimes et leurs biens endommagées ; g. des auteurs présumés des infractions visées par la présente loi

organique ; 4° présenter les moyens de preuve et les témoignages à charge ou à décharge

pour les auteurs présumés de crime (de) génocide ou de crimes contre l’humanité ;

5° examiner et adopter le rapport d’activités établi par la Juridiction Gacaca. Tous les habitants de la Cellule doivent relater les faits qui se sont produits notamment là où ils habitaient et fournir des preuves en dénonçant les auteurs et en identifiant les victimes. Article 34 : Le Siège de la Juridiction Gacaca de la Cellule exerce les attributions suivantes : 1° à l’aide de l’Assemblée Générale, établir la liste : a. des personnes qui habitent la Cellule ;

b. des personnes qui habitaient la Cellule avant le génocide, les lieux de leur réinstallation et les voies et moyens utilisés pour y parvenir ;

c. des personnes qui ont été (tuées) dans la Cellule, victimes du génocide ;

d. des personnes qui ne résidaient pas dans la Cellule mais qui y ont été tuées ;

e. des personnes qui résidaient dans la Cellule mais qui ont été tuées à d’autres endroits ;

f. des victimes et leurs biens endommagés ; g. des auteurs présumés des infractions visées par la présente loi

organique ;

2° recevoir l’aveu, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses des auteurs des crimes de génocide ;

3° rassembler tous les dossiers transmis par le Ministère Public ; 4° prendre acte des offres de preuves, des témoignages et d’autres

informations sur la préparation et l’exécution du génocide ; 5° procéder à des enquêtes sur les témoignages déposés ; 6° procéder à la catégorisation des prévenus tel que prévu par la présente loi

organique ; 7° connaître des infractions commises par les prévenus classés dans la

troisième catégorie ; 8° statuer sur la récusation des membres du Siège de la Juridiction Gacaca ;

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9° transmettre à la Juridiction Gacaca du Secteur les dossiers des prévenus classés dans la deuxième catégorie ;

10° transmettre au Ministère Public les dossiers des prévenus classés dans la première catégorie ;

11° élire les membres du Comité de Coordination. La victime visée dans le point 1° -f, est toute personne dont les siens ont été tués, qui a été pourchassée pour être tuée mais qui s’est échappée, qui a subi des tortures sexuelles ou qui a été violée, qui a été blessée ou qui a subi toute autre violence, dont les biens ont été pillés, dont la maison a été détruite ou les biens ont été endommagés d’une autre manière, à cause de son ethnie ou ses opinions contraires à l’idéologie du génocide. Sous-section 2 : Des attributions de la Juridiction Gacaca du Secteur et

celles de la Juridiction Gacaca d’Appel Article 35 : L’Assemblée Générale du Secteur exerce les attributions suivantes :

1° superviser le fonctionnement de toutes les juridictions du Secteur sans toutefois s’immiscer dans leur manière de rendre les jugements ;

2° remplacer les personnes intègres de la Juridiction Gacaca du Secteur et de la Juridiction Gacaca d’Appel ;

3° recevoir et résoudre les problèmes de fonctionnement des Juridictions Gacaca qui ne sont pas en rapport avec le fait de rendre les jugements ;

4° rédiger un rapport pour le Service National chargé du suivi, de la supervision et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca et lui prodiguer des conseils.

Article 36 : Le Siège de la Juridiction Gacaca du Secteur exerce les attributions suivantes :

1° procéder à des enquêtes, si nécessaire sur les témoignages déposés ; 2° recevoir l’aveu, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses des

auteurs de crimes de génocide ; 3° statuer sur la récusation des membres du Siège de la Juridiction Gacaca ; 4° connaître et trancher les cas relevant de sa compétence en vertu de la

présente loi, après s’être assuré de la catégorisation des prévenus déférés devant lui suivant leurs chefs d’accusation et transmettre les dossiers des prévenus au Ministère Public lorsqu’ils sont de la première catégorie ;

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5° connaître de l’appel formé contre des jugements rendus par les Juridictions Gacaca de la Cellule ;

6° élire les membres du Comité de Coordination. Article 37 : Le siège de la Juridiction Gacaca d’Appel exerce les attributions suivantes :

1° procéder, en cas de besoin, à des enquêtes, si nécessaire sur les témoignages déposés ;

2° statuer sur la récusation des membres du Siège de la Juridiction Gacaca ; 3° connaître et trancher les cas relevant de sa compétence en vertu de la

présente loi, après s’être assuré de la catégorisation des prévenus déférés devant lui suivant leurs chefs d’accusation et transmettre les dossiers des prévenus au Ministère Public lorsqu’ils sont de la première catégorie ;

4° connaître de l’appel formé contre les jugements rendus par le(s) Juridiction (s) Gacaca du Secteur ;

5° élire les membres du Comité de Coordination. Article 38 : Concernant les infractions de viol ou de tortures sexuelles, la victime choisit parmi les membres du Siège de la Juridiction Gacaca de la Cellule, une ou plusieurs personnes intègres à qui elle présente sa plainte, ou la transmet par écrit. Lorsqu’elle n’a pas confiance en ces membres du siège, elle porte secrètement sa plainte à la Police Judiciaire ou au Ministère Public. En cas de décès de la victime ou si elle se trouve dans une incapacité de déposer sa plainte, celle-ci peut être portée secrètement par toute personne concernée par l’affaire selon la procédure déterminée à l’alinéa précédent. La personne intègre qui reçoit une telle plainte, la transmet secrètement au Ministère Public afin que ce dernier poursuive des enquêtes. Il n’est pas permis, pour cette infraction, de faire l’aveu en public. Personne non plus n’est permise d’en déposer la plainte publiquement. Toute la procédure est à huis-clos pour cette infraction.

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CHAPITRE II : DE LA COMPETENCE DES JURIDICTIONS GACACA Article 39 : Les Juridictions Gacaca exercent des compétences dont disposent les tribunaux pénaux ordinaires pour juger les prévenus sur base des témoins à charge et à décharge et d’autres preuves qui seraient déposées. Elles peuvent : 1° assigner n’importe quelle personne à comparaître ; 2° ordonner et procéder à la perquisition du prévenu. Cette perquisition doit

toutefois respecter la propriété privée du prévenu et les droits de la personne humaine ;

3° prendre des mesures conservatoires des biens des auteurs présumés des infractions de génocide ;

4° prononcer des peines et ordonner le coupable à la réparation ; 5° ordonner la main-levée de la saisie des biens des personnes acquittées ; 6° poursuivre et réprimer les fauteurs de troubles dans la Juridiction ; 7° Inviter le Ministère Public à comparaître en vu de se prononcer en cas de

besoin sur les dossiers ayant fait l’objet d’enquête judiciaire : 8° décerner des mandats d’amener aux auteurs présumés des infractions et

ordonner leur mise en détention préventive ou leur libération provisoire, s’il y a lieu.

Article 40 : Le Service National chargé du suivi, de la supervision et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca, à son initiative ou sur demande du Siège de la Juridiction Gacaca concernée par le cas ou toute autre personne intéressée met en place les instructions déterminant la façon de trancher le conflit de compétence et assure le suivi de leur mise en application. SECTION PREMIERE : DE LA COMPETENCE D’ATTRIBUTION Sous-section première : De la Juridiction Gacaca de la Cellule Article 41 : La Juridiction Gacaca de la Cellule connaît en premier et en dernier ressort, les affaires des personnes poursuivies uniquement des infractions contre les biens. Elle connaît aussi de l’opposition formée contre les jugements qu’elle a rendus par défaut.

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En outre, la Juridiction Gacaca de la Cellule procède à la catégorisation des prévenus présumés auteurs des infractions définies à l’article premier et à l’article 51 de la présente loi organique. Sous-section 2 : De la Juridiction Gacaca du Secteur Article 42 : La Juridiction Gacaca du Secteur connaît au premier degré des infractions dont les auteurs sont classés dans la deuxième catégorie et connaît aussi de l’opposition contre les jugements qu’elle a rendus par défaut. Elle connaît, en outre, de l’appel des jugements des infractions prévues à l’article 29 et 30 de la présente loi organique et celui des autres décisions prises par la Juridiction Gacaca de la Cellule. Sous-section 3 : De la Juridiction Gacaca d’Appel Article 43 : La Juridiction Gacaca d’Appel connaît de l’appel formé contre les jugements rendus au premier degré par la Juridiction Gacaca du Secteur de son ressort. Elle connaît également de l’opposition formée contre des jugements qu’elle a rendus par défaut. SECTION II : DE LA COMPETENCE TERRITORIALE Article 44 : Est compétente pour connaître de l’infraction, la Juridiction Gacaca du lieu où elle a été commise. Les prévenus poursuivis des infractions commises à des endroits différents sont justiciables des Juridictions Gacaca compétentes, en vertu du premier alinéa du présent article. Article 45 : Lorsqu’il ressort du dossier à communiquer à la Juridiction Gacaca conformément à l’article 47 de la présente loi organique que le prévenu a commis des infractions à des endroits différents, le Ministère Public transmet son dossier à chaque Juridiction Gacaca de la Cellule où ont été perpétrées ces infractions.

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CHAPITRE III : DES RELATIONS ENTRE LES JURIDICTIONS GACACA ET LES AUTRES INSTITUTIONS

SECTION PREMIERE : DES RELATIONS ENTRE LE MINISTERE

PUBLIC ET LES JURIDICTIONS GACACA Article 46 : Les organes du Ministère Public poursuivent l’exercice de leur mission de recevoir les dénonciations et les plaintes et de procéder aux devoirs d’instruction concernant les infractions prévues par la présente loi organique. Toutefois, avant d’entamer l’instruction, ils doivent s’assurer que la Juridiction Gacaca de la Cellule n’a pas encore jugé ou n’a pas encore commencé à examiner ces affaires afin de ne pas faire un travail inutile. Les dossiers instruits par les organes du Ministère Public conformément au premier alinéa du présent article, sont transmis à la Juridiction Gacaca compétente de la Cellule. Article 47 : Les dossiers instruits par le Ministère Public non encore transmis aux tribunaux compétents à la date du 15 mars 2001, doivent être transmis à la Juridiction Gacaca de la Cellule où chaque infraction a été commise aux fins de catégorisation des prévenus. Les organes du Ministère Public continuent de communiquer aux Juridictions Gacaca des Cellules ou à la Juridiction appelée à connaître de l’affaire, les preuves recueillies à l’encontre des personnes poursuivies dans les dossiers qu’ils ont instruits. Lorsque la Juridiction Gacaca de la Cellule qui a procédé à la catégorisation a déjà transmis le dossier à la juridiction compétente pour en connaître alors que celle-ci n’a pas encore reçu le dossier de l’organe du Ministère Public concerné, celui-ci envoie des preuves recueillies à la Juridiction Gacaca de la Cellule et réserve une copie à la Juridiction Gacaca compétente pour en connaître. Lorsque du dossier du prévenu, il s’avère qu’il est poursuivi de viol ou de torture sexuelle, le Ministère Public ne transmet pas le dossier à la Juridiction Gacaca de la Cellule.

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Article 48 : Le Procureur Général de la République assure la supervision des organes du Ministère Public pour ce qui est des affaires prévues par la présente loi organique. SECTION II : DES RELATIONS ENTRE LES ORGANES

ADMINISTRATIFS ET LES JURIDICTIONS GACACA Article 49 : Les responsables des organes administratifs dans lesquels sont établies les Juridictions Gacaca mettent à la disposition de celles-ci les infrastructures nécessaires à leur fonctionnement et motivent la population à y participer activement. En collaboration avec le Service National chargé du suivi, de la supervision et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca, ils suivent de près leur fonctionnement et leur fournissent le matériel dont elles ont besoin. SECTION III : DES RELATIONS ENTRE LES JURIDICTIONS

GACACA ET LE SERVICE NATIONAL CHARGE DU SUIVI, DE LA SUPERVISION ET DE LA COORDINATION DES ACTIVITES DES JURIDICTIONS GACACA

Article 50 : Le Service National des Juridictions Gacaca assure le suivi, la supervision et la coordination des activités des Juridictions Gacaca au niveau national. En outre, il met en place les instructions relatives à la bonne marche des activités des Juridictions Gacaca ainsi que le comportement des personnes intègres, mais il ne lui est pas permis d’enjoindre à ces Juridictions le sens de rendre les jugements. TITRE III : DE LA POURSUITE DES INFRACTIONS ET DU

JUGEMENT CHAPITRE PREMIER : DES PERSONNES POURSUIVIES Article 51 : Selon les actes de participation aux infractions visées à l’article premier de la présente loi organique et commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, la personne poursuivie peut être classée dans l’une des catégories suivantes :

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Catégorie 1 : 1° la personne que les actes criminels ou de participation criminelle rangent

parmi les planificateurs, les organisateurs, les incitateurs, les superviseurs et les encadreurs du crime de génocide ou des crimes contre l’humanité, ainsi que ses complices ;

2° la personne qui, agissant en position d’autorité : au niveau la Préfecture, au niveau de la Sous-Préfecture ou de la Commune, au sein des partis politiques, de l’armée, de la gendarmerie, de la police communale, des confessions religieuses ou des milices, a commis ces infractions ou aencouragé les autres à les commettre, ainsi que ses complices ;

3° le meurtrier de grand renom qui s’est distingué dans le milieu où il résidait ou partout où il est passé, à cause du zèle qui l’a caractérisé dans les tueries ou la méchanceté excessive avec laquelle elles ont été exécutées, ainsi que ses complices ;

4° la personne qui a commis les actes de tortures quand bien même les victimes n’en seraient pas succombées, ainsi que ses complices ;

5° la personne qui a commis l’infraction de viol ou les actes de tortures sexuelles ainsi que ses complices ;

6° la personne qui a commis les actes dégradants sur le cadavre ainsi que ses complices ;

Le Procureur Général de la République publie, au moins deux fois par an, la liste des noms des personnes classées dans la première catégorie lui adressée par les Juridictions Gacaca des Cellules. Catégorie 2 : 1° la personne que les actes criminels ou de participation criminelle rangent

parmi les auteurs, coauteurs ou complices d’homicides volontaires ou d’atteintes grave contre les personnes ayant entraîné la mort, ainsi que ses complices ;

2° la personne qui dans l’intention de donner la mort, a causé des blessures ou commis d’autres violences graves mais auxquelles les victimes n’ont pas succombé, ainsi que ses complices ;

3° la personne ayant commis d’autres actes criminels ou de participation criminelle à la personne sans l’intention de donner la mort, ainsi que ses complices.

Catégorie 3 : La personne ayant seulement commis des infractions contre les biens. Toutefois, l’auteur desdites infractions qui, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi organique, a convenu soit avec la victime, soit devant l’autorité publique ou en

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arbitrage, d’un règlement à l’amiable, ne peut plus être poursuivi pour les mêmes faits. Article 52 : Les personnes en position d’autorité au niveau du Secteur et de la Cellule au moment du génocide sont classées dans la catégorie correspondant aux infractions qu’elles ont commises, mais leur qualité de dirigeant les expose à la peine la plus sévère prévue pour les prévenus se trouvant dans la même catégorie. Article 53 : Pour l’application de la présente loi organique, le complice est celui qui aura, par n’importe quel moyen, prêté une aide à commettre l’infraction aux personnes dont il est question à l’article 51 de la présente loi organique. Le fait que l’un quelconque des actes visés par la présente loi organique a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s’il avait ou pouvait savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour en punir les auteurs ou empêcher que ledit acte ne soit commis alors qu’il en avait les moyens. CHAPITRE II : DE LA PROCEDURE D’AVEU, DE PLAIDOYER DE

CULPABILITE, DE REPENTIR ET D’EXCUSES SECTION PREMIERE : DE L’ADMISSIBILITE ET DES CONDITIONS

DE LA PROCEDURE D’AVEU, DE PLAIDOYER DE CULPABILITE, DE REPENTIR ET D’EXCUSES

Article 54 : Toute personne ayant commis les infractions visées à l’article premier de la présente loi organique a droit de recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses. La demande d’excuses est publiquement adressée aux victimes, si elles sont encore vivantes et à la société rwandaise. Pour être reçues au titre d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, les déclarations du prévenu doivent contenir :

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1° la description détaillée sur tout ce qui se rapporte à l’infraction avouée, notamment le lieu où elle a été commise, la date, comment elle a été commise, les témoins, les victimes et le lieu où il a jeté leurs corps ainsi que les biens qu’il a endommagés ;

2° les renseignements relatifs aux coauteurs et aux complices ainsi que tout autre renseignement utile à l’exercice de l’action publique ;

3° les excuses présentées pour les infractions que le requérant a commis. Article 55 : Les auteurs de génocide de la première catégorie qui ont recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses avant que leurs noms ne soient mises sur la liste dressée par la Juridiction Gacaca de la Cellule bénéficient d’une commutation des peines de la manière prévue par la présente loi organique. Article 56 : Les prévenus de la deuxième catégorie qui bénéficient de la commutation des peines de la manière prévue par la présente loi organique sont ceux : 1° qui présentent leurs aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les

excuses avant que la Juridiction Gacaca de la Cellule ne dresse une liste des auteurs des infractions de génocide ;

2° qui, figurant déjà sur cette liste, recourent à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité et d’excuses, après que la liste des auteurs des infractions de génocide ait été établie.

Article 57 : S’il est découvert ultérieurement des infractions qu’une personne n’avait pas avouées, elle sera poursuivie, à tout moment, pour ces infractions et pourra être classée dans la catégorie à laquelle la rattachent les infractions commises, auquel cas, elle encourt le maximum de la peine prévue pour cette catégorie. SECTION II : DE LA PROCEDURE D’AVEU, DE PLAIDOYER DE

CULPABILITE, DE REPENTIR ET D’EXCUSES Article 58 : La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses est proposée devant le Siège de la Juridiction Gacaca, devant l’Officier de la Police Judiciaire ou devant l’Officier du Ministère Public chargé de l’instruction suivant l’article 46 de la présente loi organique.

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Le Siège de la Juridiction, l’Officier de la Police Judiciaire ou l’Officier du Ministère Public chargé de l’instruction sont tenus d’informer le prévenu de son droit et de son intérêt à recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses. Sous-section première : De la procédure d’aveu, de plaidoyer de

culpabilité, de repentir et d’excuses devant l’Officier de la Police Judiciaire ou devant l’Officier du Ministère Public

Article 59 : Pour les dossiers non encore transmis devant la Juridiction Gacaca de la Cellule, la Police Judiciaire ou le Ministère Public reçoit les aveux, l’offre de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses. Les aveux, l’offre de plaidoyer, de repentir et d’excuses sont recueillis et transcrits par un Officier de la Police Judiciaire ou du Ministère Public. S’ils sont transmis par écrit, l’Officier de la Police Judiciaire ou du Ministère public en demande confirmation au requérant. Le requérant signe ou marque d’une empreinte digitale le procès-verbal contenant les aveux, le plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses ou leur confirmation et, s’il y en a un, le document contenant les aveux transmis par écrit par le requérant, devant l’Officier de la Police Judiciaire ou du Ministère Public qui les a reçus. L’Officier de la Police Judiciaire ou du Ministère Public signe le procès-verbal. Article 60 : Si l’Officier du Ministère Public constate que les aveux, l’offre de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses remplissent les conditions exigées, il clôture le dossier en établissant une note de fin d’instruction contenant les préventions établies par l’aveu et transmet le dossier à la Juridiction Gacaca de la Cellule compétente. En cas de rejet de la procédure d’aveu, de l’offre de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses à défaut de répondre aux conditions exigées par la loi ou lorsque l’enquête a révélé que le prévenu n’a pas dit la vérité, l’Officier du Ministère Public en fait cas dans une note explicative, clôture le dossier qu’il transmet à la Juridiction Gacaca de la Cellule compétente. La Juridiction Gacaca de la Cellule vérifie si les aveux, l’offre de plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses présentés devant l’Officier de la Police Judiciaire ou du Ministère Public sont exacts, les accepte ou les rejette.

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Article 61 : Le procès-verbal contenant les aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses établis par l’Officier de la Police Judiciaire ou celui du Ministère Public en vertu des articles 59 et 60 de la présente loi organique est transmis à la Juridiction Gacaca de la Cellule où a été commise l’infraction, et est lu en public lorsque la personne concernée n’a pas pu venir présenter ses excuses publiquement à cause d’un empêchement absolu. Sous-section 2: De la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de

repentir et d’excuses devant les Juridictions Gacaca Article 62 : Les personnes qui ont commis des crimes de génocide peuvent recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses devant le Siège de la Juridiction Gacaca. Sans préjudice des dispositions du deuxième alinéa de l’article 54 de la présente loi organique, les aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses des prévenus se font oralement ou au moyen de déclarations écrites signées ou marquées de leur empreinte digitale. Article 63 : Les aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses font l’objet d’un procès-verbal par le secrétaire de la Juridiction Gacaca est signé ou marqué d’une empreinte digitale du prévenu et par les membres du Siège de la Juridiction Gacaca. Le Siège de la Juridiction Gacaca vérifie si les aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses remplissent les conditions fixées par la loi et si les déclarations du requérant sont exactes. CHAPITRE III : DE L’AUDIENCE ET DU JUGEMENT SECTION PREMIERE : DE L’AUDIENCE ET DU JUGEMENT DANS

LES JURIDICTIONS GACACA DU SECTEUR ET CELLES D’APPEL

Article 64 : En cas de procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, l’audience est organisée comme suit :

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1° le Président de la séance appelle la cause et invite les prévenus à la barre ; 2° chaque prévenu décline son identité ; 3° le Président de la séance demande à la victime de décliner son identité ; 4° le Secrétaire de la Juridiction énonce la prévention et lit le procès-verbal

d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses ; 5° le Président de la séance invite chaque prévenu à réagir ; 6° toute personne qui le souhaite prend la parole pour témoigner à charge ou

à décharge du prévenu qui, à son tour, répond aux questions éventuelles lui posées. Toute personne intervenant au titre de témoin doit prêter serment de dire la vérité en élevant la main droite au ciel et en disant : « Je prends Dieu à témoin de dire la vérité » ;

7° la victime énumère les préjudices corporels subis et comment ils ont été commis si elle en a connaissance ;

8° le prévenu, s’il est présent, réagit sur les déclarations de la victime ; 9° le Siège de la Juridiction établit la liste des victimes et les préjudices

corporels subis par chacune, le prévenu prend la parole pour réagir là-dessus ;

10° le Secrétaire de la Juridiction lit le procès-verbal d’audience ; le Siège de la Juridiction vérifie la conformité de son contenu aux déclarations des intervenants, et au besoin, le procès-verbal est corrigé ;

11° le Siège de la Juridiction demande successivement à la victime et au prévenu, s’ils ont quelque chose à ajouter ;

12° les parties au procès et les autres personnes ayant pris la parole au cours du procès ainsi que les membres du Siège apposent leurs signatures ou leurs empreintes digitales sur le procès-verbal contenant le plaidoyer de culpabilité du prévenu ;

13° les débats sont déclarés clos à moins que le Siège n’ordonne toute mesure d’instruction complémentaire qu’il estime nécessaire.

Article 65 : Dans les dossiers ne contenant pas l’aveu, le plaidoyer de culpabilité et la présentation des excuses ou lorsque la Juridiction Gacaca les a rejetés, l’audience est organisée comme suit : 1° le Président de la séance appelle la cause et invite les prévenus à la barre ; 2° chaque prévenu décline son identité ; 3° le Président de l’audience demande à la victime de décliner son identité ; 4° le Secrétaire de la juridiction énonce la prévention ;

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5° le Président de la séance lit, à l’attention des prévenus les articles 54, 55 et 57 de la présente loi organique afin qu’ils comprennent la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, et leur demandent s’ils veulent y recourir. Ceux qui veulent recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses sont immédiatement invités à le faire et l’audience se poursuit selon les conditions judiciaires décrites pour ceux qui recourent à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses. Pour ceux qui ne veulent pas recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, l’audience se poursuit de la manière suivante :

a. le Président de la séance résume l’affaire et énonce les preuves recueillies établissant la culpabilité du prévenu ;

b. le Président de l’audience invite le prévenu à présenter ses moyens de défense ;

c. la parole est donnée aux personnes qui veulent témoigner à charge et à décharge et, au besoin, le Ministère Public éventuellement convoqué, est entendu. Toute personne intervenant au titre de témoin doit prêter serment de dire en élevant la main droite au ciel en disant : « Je prends Dieu à témoin de dire la vérité » ;

d. le prévenu présente ses moyens de défense ; e. toute personne qui le souhaite prend la parole et le prévenu répond

aux questions lui posées ; f. le Siège de la Juridiction établit la liste des victimes et les préjudices

corporels subis par chacune, le prévenu est invité à réagir ; g. le secrétaire de la juridiction lit le procès-verbal d’audience, le Siège

de la Juridiction vérifie la conformité de son contenu aux déclarations des intervenants et, au besoin, le procès-verbal est corrigé ;

h. le Siège de la Juridiction demande successivement à la victime et au prévenu, s’ils ont quelque chose à ajouter ;

i. les parties au procès et les autres personnes ayant pris la parole au cours du procès ainsi que les membres du Siège de la Juridiction Gacaca apposent leurs signatures ou leurs empreintes digitales sur le procès-verbal d’audience ;

j. les débats sont déclarés clos, à moins que le Siège de la Juridiction Gacaca n’ordonne toute mesure d’instruction complémentaire qu’il estime nécessaire.

Article 66 : Dans les dossiers des prévenus n’ayant ni domicile ni résidence connus au Rwanda dont il est question à l’article 98 de la présente loi organique, l’audience se déroule comme suit :

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1° le Président de l’audience appelle la cause et invite les prévenus à la barre ;

2° lorsque les prévenus sont présents, l’audience est poursuivie conformément à l’article 65 de la présente loi organique. Lorsque les uns sont présents et les autres sont absents, pour ceux qui sont présents, l’audience est poursuivie conformément à l’article 65 de la présente loi organique, pour ceux qui sont absents et en cas de défaut, l’audience se poursuit comme suit :

a. le Président de l’audience demande à la victime de décliner son identité ;

b. le Secrétaire de la Juridiction énonce la prévention ; c. le Président de l’audience résume l’affaire, il énonce les preuves

recueillies établissant la culpabilité du prévenu ; d. la parole est donnée aux témoins, et au besoin, le Ministère Public

éventuellement convoqué, est entendu ; e. toute personne qui le souhaite prend la parole quand elle la demande ; f. la victime énumère les préjudices corporels subis et comment ils ont

été commis ; g. le Siège demande à la victime si elle a quelque chose à ajouter aux

débats ; h. les parties au procès et les autres personnes ayant pris la parole au

cours du procès ainsi que les membres de la Juridiction Gacaca apposent leurs signatures ou leurs empreintes digitales sur le procès-verbal d’audience ;

i. les débats sont déclarés clos, à moins que le Siège de la Juridiction Gacaca n’ordonne toute mesure complémentaire qu’il estime nécessaire.

En ce qui concerne le prononcé, la signification et l’opposition au jugement rendu dans de telles circonstances, il est fait application des dispositions applicables aux jugements par défaut. Article 67 : Tout jugement rendu par la Juridiction Gacaca du Secteur et celle d’Appel indique : 1° la juridiction qui l’a rendu ; 2° les noms des membres du Siège qui ont pris part au délibéré ; 3° l’identité des parties aux procès ; 4° chacune des préventions mises à charge du prévenu ; 5° les moyens présentés par les parties aux procès ; 6° les motifs du jugement ;

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7° l’infraction dont le prévenu est reconnu coupable ; 8° les peines prononcées ; 9° l’identité des victimes et la liste des préjudices corporels subis ; 10° la présence ou l’absence des parties ; 11° l’ouverture au public des audiences et du prononcé ; 12° le lieu et la date du jugement ; 13° les dispositions de la présente loi organique appliquées ; 14° la mention du délai de recours.

SECTION II : DE L’AUDIENCE ET DU JUGEMENT DANS LA

JURIDICTION GACACA DE LA CELLULE Article 68 : Dans les dossiers contenant des infractions commises contre les biens, l’audience est organisée comme suit : 1° le Président de l’audience appelle le ménage concerné par l’audience ; 2° le Président de l’audience rappelle les biens de ce ménage endommagés

qu’on a pu identifier à partir de la fiche des victimes et leurs biens endommagés ;

3° le président de l’audience accorde la parole à toute personne qui souhaite ajouter quelque chose à ce qui est mentionné sur cette fiche ;

4° le Siège approuve la liste des biens endommagés ; 5° le Président de l’audience rappelle les personnes ayant pris part à

l’endommagement des biens de ce ménage à partir de la liste des prévenus ;

6° tout prévenu décline son identité ; 7° le Président de l’audience demande au représentant du ménage dont les

biens ont été endommagés ou tout autre bénéficiaire de décliner son identité ;

8° le secrétaire de l’audience énonce chacun des biens endommagés et les personnes ayant pris part à cet endommagement ;

9° le président de l’audience demande à chaque prévenu de donner des explications et de présenter ses moyens de défense ;

10° le président de l’audience demande au représentant du ménage ou toute autre personne qui le souhaite de réagir sur la défense du prévenu ;

11° les membres du Siège de la Juridiction Gacaca approuvent la liste des victimes ; des biens endommagés et les personnes présumées, chaque prévenu prend la parole pour réagir ;

12° le siège de la Juridiction explique aux prévenus les façons de réparation des dommages causés prévue par la loi organique, demande à chacun la façon qu’il préfère et la période de la mettre en application une fois qu’il serait reconnu coupable ;

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13° le secrétaire de la Juridiction lit le procès-verbal d’audience. La Juridiction vérifie la conformité de son contenu aux déclarations des intervenants et, au besoin le procès-verbal est corrigé ;

14° le Siège demande successivement à la victime et au prévenu, s’ils ont quelque chose à ajouter aux débats ;

15° les parties au procès et les autres personnes ayant pris la parole au cours du procès ainsi que les membres du Siège de la Juridiction Gacaca apposent leurs signatures ou leurs empreintes digitales sur le procès-verbal d’audience ;

16° les débats sont déclarés clos à moins que le Siège n’ordonne toute mesure d’instruction complémentaire qu’il estime nécessaire.

Article 69 : Le jugement des infractions commises contre les biens rendu par la Juridiction Gacaca de la Cellule indique : 1° la juridiction qui l’a rendu ; 2° les noms des membres du siège qui ont pris part au délibéré ; 3° l’identité des parties aux procès ; 4° les biens endommagés à réparer ; 5° le résumé des moyens présentés par les parties au procès ; 6° les motifs du jugement ; 7° les biens endommagés et les personnes qui doivent les réparer ; 8° l’identité des personnes dont les biens ont été endommagés et la liste des

biens endommagés de chacune ; 9° la procédure et la période de dédommager ; 10° la présence ou l’absence des parties ; 11° l’ouverture au public des audiences et du prononcé du jugement ; 12° le lieu et la date du jugement ; 13° les dispositions de la présente loi organique appliquée.

Article 70 : Lorsque l’audience est close ou s’il s’avère nécessaire de prendre une décision quelconque, le Siège se retire, délibère et prend la décision le jour même ou le lendemain. Le jugement ou la décision prise sont prononcés en public, lors de la réunion ou lors de l’audience suivante avant de débuter cette réunion ou cette audience.

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SECTION III : DE LA POLICE D’AUDIENCE Article 71 : L’audience doit se dérouler dans l’ordre. Toute personne prenant la parole doit être caractérisée par la discipline en parole ou en actes devant les personnes intègres, les parties au procès, les témoins et le public en général. Le Président de l’audience peut couper la parole à toute personne qui ne respecte pas la procédure de la prendre sans l’engueuler ou la brutaliser d’aucune manière. Si nécessaire, le Président de l’audience peut donner des remarques à la personne qui perturbe l’ordre public dans la Juridiction, la chasser ou l’emprisonner dans un délai ne dépassant pas quarante huit (48) heures, suivant la gravité de la faute commise. Si l’infraction commise est celle de violence, le Siège remet l’auteur de cette infraction aux organes chargés d’assurer la sécurité, et il est poursuivi conformément aux dispositions du droit commun. CHAPITRE IV : DES PEINES Article 72 : Les prévenus relevant de la première catégorie qui n’ont pas voulu recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses dans les conditions fixées à l’article 54 de la présente loi organique ou dont l’aveu, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses ont été rejetés, encourent la peine de mort ou d’emprisonnement à perpétuité. Les prévenus relevant de la première catégorie qui ont recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses dans les conditions prévues à l’article 54 de la présente loi organique encourent une peine d’emprisonnement allant de vingt cinq (25) à trente (30) ans au maximum. Article 73 : Les prévenus relevant de la 2ème catégorie visés dans les points 1 et 2 de l’article 51 de la présente loi organique : 1° n’ont pas voulu recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de

culpabilité, de repentir et d’excuses ou dont l’aveu, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses ont été rejetés, encourent la peine d’emprisonnement allant de vingt cinq (25) à trente (30) ans ;

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2° figurant déjà sur la liste des auteurs des infractions du génocide dressée par la Juridiction Gacaca de la Cellule, lorsqu’ils ont recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses après que ladite liste ait été établie, encourent une peine d’emprisonnement allant de douze (12) à quinze (15) ans au maximum, mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est commué en prestation de travaux d’intérêt général ;

3° présentent leurs aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses avant que la Juridiction Gacaca de la Cellule ne dresse la liste des auteurs des infractions de génocide, encourent une peine d’emprisonnement allant de sept (7) à douze (12) ans au maximum, mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est commué en prestation de travaux d’intérêt général.

Les prévenus relevant de la 2ème catégorie visés dans le point 3 de l’article 51 de la présente loi organique : 1° n’ont pas voulu recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité,

de repentir et d’excuses ou dont l’aveu, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses ont été rejetés, encourent une peine d’emprisonnement allant de cinq (5) à sept (7) ans au maximum, mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est commué en prestation de travaux d’intérêt général ;

2° figurant déjà sur la liste des auteurs des infractions de génocide dressée par la Juridiction Gacaca de la Cellule, recourent à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentit et d’excuses après que la liste ait été établie, encourent une peine d’emprisonnement allant de trois (3) à cinq (5) ans, mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est commué en prestation de travaux d’intérêt général ;

3° présentent leurs aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses avant que la Juridiction Gacaca de la Cellule ne les mette sur la liste des auteurs des infractions de génocide, encourent une peine d’emprisonnement allant de un (1) an à trois (3) ans, mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est commué en prestation de travaux d’intérêt général.

Article 74 : Si le condamné à une peine d’emprisonnement avec commutation de la peine en travaux d’intérêt général se rend coupable d’une autre infraction, le sursis équivalent à toute la période de ces travaux encourus cesse d’être considéré et il rentre dans la prison pour y passer la moitié de la peine d’emprisonnement qui reste et les poursuites sont engagées contre lui pour la nouvelle infraction.

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Article 75 : Les prévenus accusés d’avoir commis des infractions contre les biens, sont condamnés à la réparation des dommages causés aux biens d’autrui. Article 76 : Les personnes reconnues coupables du crime de génocide ou des crimes contre l’humanité aux termes de la présente loi organique, encourent la peine de la dégradation civique de la manière suivante : 1° la dégradation perpétuelle et totale, conformément au Code Pénal du

Rwanda, pour les personnes de la 1ère catégorie ; 2° les personnes relevant de la 2ème catégorie visées aux points 1 et 2 de

l’article 51 de la présente loi organique, encourent la privation permanente du droit de :

a. vote ; b. éligibilité ; c. être expert, témoin dans les actes, dans les décisions et dans les

procès et de déposer en justice autrement que pour donner de simples renseignements ;

d. possession et de port d’armes ; e. servir dans les forces armées ; f. servir dans la Police Nationale ; g. exercer une fonction de l’Etat ; h. exercer la profession d’enseignant ou la profession médicale dans le

secteur public ou privé. 3° les personnes relevant de la première et de la deuxième catégorie font

l’objet d’une liste affichée au bureau du Secteur de leur domicile. Article 77 : Lorsqu’il y a concours idéal ou matériel d’infraction dont chacune range le prévenu dans la même catégorie, il sera prononcé le maximum de la peine prévue pour ladite catégorie. Toutefois, le prévenu ayant seulement commis les infractions le rangeant dans la 2ème catégorie, point 3, est condamné au maximum de peine prévue pour ladite catégorie, point 3. Article 78 : Les personnes reconnues coupables de crime de génocide et de crimes contre l’humanité qui, à l’époque des faits, étaient âgées de plus de quatorze (14) ans et de moins de dix-huit (18) ans sont condamnés :

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1° s’ils relèvent de la 1ère catégorie et n’ont pas voulu recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir ou d’excuses ou dont les aveux, le plaidoyer de culpabilité, de repentir et les excuses ont été rejetés, encourent une peine d’emprisonnement allant de dix (10) à vingt (20) ans au maximum ;

2° s’ils relèvent de la 1ère catégorie et qu’ils ont présenté leurs aveux, le plaidoyer de culpabilité, de repentir et les excuses conformément à l’article 60 de la présente loi organique, encourent une peine d’emprisonnement allant de huit (8) à dix (10) ans au maximum ;

3° s’ils relèvent de la 2ème catégorie, points 1 et 2 de l’article 51 de la présente loi organique :

a. n’ont pas voulu recourir à la procédure d’aveux, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses ou dont l’aveu, le plaidoyer, le repentir et les excuses ont été rejetés, encourent une peine d’emprisonnement allant de huit (8) à dix (10) ans au maximum ; figurant déjà sur la liste des auteurs des infractions de génocide dressée par la Juridiction Gacaca de la Cellule, s’ils ont présenté leurs aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses après que ladite liste ait été établie, encourent une peine d’emprisonnement allant de six (6) à sept (7) ans et six (6) mois, mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est commué en prestation de travaux d’intérêt général ;

b. présentent leurs aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses avant que la Juridiction Gacaca de la Cellule ne les mette sur cette liste, encourent une peine d’emprisonnement allant de trois (3) ans et six mois à six (6) ans au maximum, mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est commué en prestation de travaux d’intérêt général ;

4° S’ils relèvent de la 2ème catégorie, point 3 de l’article 51 de la présente loi organique :

a. n’ont pas voulu recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses ou dont l’aveu, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses ont été rejetés, encourent une peine d’emprisonnement allant de deux (2) ans et six (6) mois à trois (3) ans et six (6) mois au maximum, mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est commué en prestation de travaux d’intérêt général ;

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b. figurant déjà sur la liste des auteurs des infractions de génocide dressée par la Juridiction Gacaca de la Cellule, s’ils présentent les aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses, après que ladite liste ait été établie, encourent une peine d’emprisonnement allant de un (1) an et (6) six mois à deux (2) ans et six (6) mois au maximum, mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est commué en prestation de travaux d’intérêt général ;

c. présentent les aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses avant que la Juridiction Gacaca de la Cellule ne les mette sur cette liste, encourent une peine d’emprisonnement allant de six (6) mois à un (1) an et six (6) mois, mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison et le reste est commué en prestation de travaux d’intérêt général.

Article 79 : Les personnes qui, au moment des faits leurs reprochés, étaient âgées de moins de quatorze (14) ans, ne peuvent être poursuivis, mais peuvent être placées dans les camps de solidarité pour une période de trois (3) mois. L’Arrêté du Premier Ministre détermine, les modalités d’organisation de ces camps de solidarité. Article 80 : Lorsque le condamné à une peine d’emprisonnement avec commutation de la moitié de la peine en travaux d’intérêt général n’exécute pas convenablement ces travaux, il est retourné en prison pour y purger la période qui reste. Un Arrêté Présidentiel détermine des travaux d’intérêt général et les modalités de leur exécution. Article 81 : En cas de condamnation, il ne peut être infligé une peine qui est en dessous des peines prévues par la présente loi organique sous prétexte de circonstances atténuantes. Par contre, quand il y a constatation des circonstances atténuantes, on applique la peine minimale d’emprisonnement ou de travaux d’intérêt général prévues par la présente loi organique. La personne reconnue coupable de crime de génocide ne peut bénéficier d’une liberté provisoire lorsqu’elle a commencé à exécuter sa peine.

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CHAPITRE V : DE LA CITATION DU PREVENU ET DE LA SIGNIFICATION DES JUGEMENTS

Article 82 : Les citations sont lancées à la diligence du secrétaire de la Juridiction Gacaca et sont signifiées à la personne du prévenu par l’intermédiaire des organes de base ou de l’administration du lieu de détention. La personne citée qui refuse de comparaître fait l’objet d’un mandat d’amener. Article 83 : A la clôture des débats, les parties au procès et les personnes présentes à l’audience sont informées du jour et de l’heure du prononcé du jugement. Article 84 : Lorsque le jugement est prononcé, les parties présentes au procès apposent leurs signatures ou marquent de leurs empreintes digitales dans le registre des présences au prononcé. Lorsque les parties ne sont pas satisfaites du prononcé de jugement, elles déclarent qu’elles interjettent l’appel et la mention en est faite. Le jugement rendu par défaut ou prononcé en l’absence du prévenu est valablement signifié par acte de notification que le secrétaire de la Juridiction transmet à la partie défaillante par l’intermédiaire du Coordinateur de Secteur de sa résidence ou de l’administration du lieu de sa détention. Le jugement rendu contre une personne qui n’a ni domicile ni résidence connus au Rwanda est signifié selon le mode prévu pour l’assignation prévue à l’article 99 de la présente loi organique. CHAPITRE VI : DES VOIES DE RECOURS Article 85 : Les voies de recours reconnues par la présente loi organique sont les suivantes : l’opposition, l’appel et la révision du jugement.

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SECTION PREMIERE : DE L’OPPOSITION Article 86 : Les décisions judiciaires concernées par la présente loi organique qui ont été rendues par défaut, peuvent être frappées d’opposition. L’opposition est portée devant la juridiction qui a rendu le jugement. Le demandeur fait enregistrer son action auprès du Secrétaire de la Juridiction Gacaca. L’opposition n’est recevable que si la partie défaillante exhibe un motif grave et légitime qui l’a empêché de comparaître dans le procès. La juridiction apprécie souverainement l’admissibilité des raisons justifiant l’opposition. Article 87 : Le délai d’opposition est de quinze (jours) (15) jours calendriers à compter du jour de la signification du jugement rendu par défaut. Article 88 : Opposition sur opposition ne vaut. SECTION II : DE L’APPEL Article 89 : Les jugements relatifs aux biens rendus par la Juridiction Gacaca de la Cellule ne sont pas susceptibles d’appel ; tandis que la Juridiction Gacaca du Secteur juge en dernier ressort les autres jugements frappés d’appel. La Juridiction Gacaca d’Appel statue en dernier ressort l’appel formé contre les jugements rendus en premier ressort par la Juridiction Gacaca du Secteur. Article 90 : Seules les parties au procès ont qualité pour former appel contre un jugement rendu par une Juridiction Gacaca. Article 91 : Le délai pour interjeter appel est de quinze (15) jours calendriers à partir du prononcé contradictoire du jugement ou à partir du jour suivant la signification

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du jugement rendu par défaut qui n’a pas été frappé d’opposition. L’affaire est jugée dans les mêmes formes qu’au premier degré. Article 92 : Si la Juridiction Gacaca saisie de l’appel estime que l’appelant a été classé dans une catégorie inexacte, elle le range dans la catégorie correspondant aux infractions à charge et le juge en premier et en dernier ressort. Toutefois, si la Juridiction constate que le prévenu est classé en 1ère catégorie, elle transmet son dossier au Ministère Public. SECTION III : DE LA REVISION DU JUGEMENT Article 93 : Le jugement peut être révisé lorsque : 1° une personne acquittée par un jugement coulé en force de chose jugée

rendu par une juridiction ordinaire et que par après la Juridiction Gacaca constate sa culpabilité ;

2° une personne reconnue coupable par un jugement coulé en force de chose jugée rendu par une juridiction ordinaire et que par après la Juridiction Gacaca constate son innocence ;

3° une personne condamnée à une peine contraire à la loi selon les faits à sa charge.

Seules les parties au procès et leurs descendants, ont droit de demander la révision du jugement. Seule la Juridiction Gacaca d’Appel a la compétence de réviser les jugements ainsi rendus. CHAPITRE VII : DU DEDOMMAGEMENT Article 94 : Les procès relatifs aux biens endommagés sont rendus par la Juridiction Gacaca de la Cellule ou par les autres juridictions dans lesquelles sont poursuivis les accusés. Toutefois, ces procès ne sont pas susceptibles d’appel.

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Article 95 : La réparation des dommages causés se fait comme suit : 1° restituer les biens pillés si c’est possible ; 2° payer les biens endommagés ou exécuter les travaux ayant la même valeur que les biens endommagés. La Juridiction oblige toute personne qui doit réparer, les modalités et le délai de paiement. Lorsque la personne condamnée à la réparation ne respecte pas les modalités et le délai lui accordées, l’exécution du jugement est assurée par la puissance publique. Article 96 : Les autres actions à mener en faveur des victimes sont déterminées par une loi particulière. TITRE IV : DES DISPOSITIONS DIVERSES, TRANSITOIRES ET FINALES Article 97 : L’action publique et les peines relatives aux infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Article 98 : Les juridictions appelées à connaître, en vertu de la présente loi organique, des infractions de génocide et des crimes contre l’humanité, peuvent connaître des actions dirigées contre des personnes qui n’ont ni domicile ni résidence connus au Rwanda ou qui se trouvent à l’extérieur du territoire rwandais, lorsqu’il existe des preuves concordant ou des indices sérieux de culpabilité, qu’elles aient pu ou non être préalablement interrogées. Article 99 : Lorsque le prévenu n’a ni domicile ni résidence connus au Rwanda, le délai d’assignation est d’un (1) mois. Le secrétaire ou le greffier de la juridiction compétente, en personne ou par l’intermédiaire d’autres organes, fait afficher une copie d’assignation au siège de la Juridiction qui doit connaître de l’affaire, et aux bureaux des Districts ou des Villes, des Provinces ou de la Ville de Kigali.

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300

La copie d’assignation peut seulement être affichée aux endroits destinés à cet effet. L’instruction à l’audience pour les personnes ainsi assignées se fait, devant les Juridictions Gacaca, dans l’ordre établi à l’article 66 de la présente loi organique et, devant les tribunaux ordinaires, selon l’ordre suivi dans les affaires à juger par défaut. Article 100 : Les affaires déjà transmises aux tribunaux avant la publication de la présente loi organique au Journal Officiel de la République du Rwanda seront jugées par ces mêmes tribunaux. Ils appliquent les dispositions relatives à la procédure de droit commun sous réserve des dispositions particulières prévues par la présente loi organique. Quant à l’objet de litige, les dispositions de la présente loi organique sont appliquées. Toutefois, lorsqu’il est constaté qu’un prévenu poursuivi de cette manière est co-prévenu dans une affaire pendante devant la Juridiction Gacaca et relevant de la même catégorie, les dispositions de l’article 2 de la présente loi organique sont appliquées. Article 101 : Le Service National chargé du suivi, de la supervision et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca arrête des instructions qui déterminent la façon dont les organes des Juridictions Gacaca prévus par la loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 portant organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 telle que modifiée et complétée à ce jour sont remplacés par ceux prévus par la présente loi organique. Article 102 : Les élections portant remplacement de la personne intègre qui n’est plus en mesure de s’acquitter de ses tâches pour une raison que ce soit, sont dirigées par le Comité de Coordination de la Juridiction du lieu des élections. Toutefois, lorsqu’il y a des personnes intègres figurant sur la liste des remplaçants, ce sont les premiers numéraux qui remplacent sans autres entraves, suivant leur ordre numérique.

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Article 103 : La première réunion de l’Assemblée Générale du Secteur tenue après la publication de la présente loi organique au Journal Officiel de la République du Rwanda est composée de toutes les personnes intègres élus au niveau du Secteur, que ce soit celles qui font partie de la Juridiction Gacaca de la Province ou de la ville de Kigali, de la Juridiction Gacaca du District ou de la Ville, de la Juridiction Gacaca du Secteur ainsi que celles des Juridictions des Cellules qui composent le Secteur. Cette réunion a seulement pour objet d’élire les personnes intègres qui forment le siège de la Juridiction Gacaca d’Appel et leurs remplaçants et celles constituant le siège de la Juridiction Gacaca du Secteur et leurs remplaçants. Les personnes intègres qui ne sont pas élues regagnent leurs cellules respectives afin que puissent être choisies en leur sein neuf (9) personnes intègres qui forment le Siège de la Juridiction Gacaca de la Cellule et cinq (5) remplaçants. Article 104 : Les personnes condamnées par les Juridiction Gacaca conformément aux articles 32 et 37 de la loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 portant création des juridictions Gacaca et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de Génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 telle que modifiée et complétée à ce jour, purgent leurs peines en vertu des dispositions prévues par la présente loi organique. Celles qui viennent de passer au moins six (6) mois en prison seront libérées dès la publication de la présente loi organique au Journal Officiel de la République du Rwanda. Article 105 : La loi organique n° 08/96 du 30 août 1996 partant organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide et des crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990, et la loi organique n° 40/2000 du 26 janvier 2001 portant création des juridictions Gacaca et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, telle que modifiée et complétée à ce jour, ainsi que toutes les autres dispositions antérieures contraires à la présente loi organique, sont abrogées.

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302

Article 106 : La présente loi organique entre en vigueur le jour de sa publication au Journal Officiel de la République du Rwanda. Kigali, le 19/6/2004

Le Président de la République KAGAME Paul

(sé)

Le Premier Ministre MAKUZA Bernard

(sé)

Le Ministre de la Justice MUKABAGWIZA Edda

(sé)

Le Ministre de l’Administration Locale, du Développement Communautaire et de Affaires Sociales

BAZIVAMO Christophe (sé)

Vu et scellé du Sceau de la République

Le Ministre de la Justice

MUKABAGWIZA Edda (sé)

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303

TABLE DES MATIERES AVANT-PROPOS

7

CHAPITRE INTRODUCTIF : LA GENESE DE LA LOI ORGANIQUE DU 19/06/2004

11

CHAPITRE II : LE PRINCIPE DU DROIT A UN PROCES EQUITABLE

19

Introduction

19

1. LA SUBSTANCE DU DROIT A UN PROCES EQUITABLE AU RWANDA

23

1.1. Le droit à un tribunal indépendant et impartial 24 1.1.1. L’indépendance du Tribunal 24 1.1.2. L’impartialité du Tribunal 25 1.2. Le droit à la présomption d’innocence 27 1.2.1. La présomption d’innocence et la charge de la preuve 28 1.2.2. La présomption d’innocence et la liste de la 1ère

catégorie

29 1.2.3. La présomption d’innocence et les aveux 31 1.3. Le droit à l’information sur le dossier 32 1.3.1. Etre informé 33 1.3.2. Dans un court délai 34 1.3.3. Dans une langue qu’il comprend 34 1.4. Le droit à la comparution personnelle du prévenu 34 1.5. Le droit d’être assisté d’un défenseur de son choix 36 1.5.1. Une large consécration textuelle du droit d’être

assisté

36 1.5.2. Une réalité plus contrastée du droit d’être assisté 38 1.6. Le droit à l’égalité des armes et au principe du

contradictoire

40 1.6.1. L’égalité des armes 40 1.6.2. Le principe du contradictoire ou le droit aux débats

contradictoires

41 1.7. Le droit au silence : le droit de ne pas être forcé de

témoigner contre soi-même ou de s’avouer coupable

42 1.8. Le droit à un procès public 43 1.9. Le droit à une décision judiciaire motivée 44

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304

1.10. Le droit à être jugé dans un délai raisonnable 45 1.11. Le droit au principe de la légalité des délits et des

peines

47 1.12. Le droit au principe de non bis in idem et le droit à

bénéficier d’une indemnisation en cas d’erreur judiciaire

50 1.12.1 Le droit à la règle du non bis in idem 50 1.12.2 Le droit à la réparation en cas d’erreur judiciaire 52 2. LE REGIME GENERAL DE RESTRICTION DES DROITS 52 2.1. La légalité de la restriction 52 2.2. La nécessité de la restriction 53 2.3. La proportionnalité de la restriction 53 3. LES RECOURS EN CAS DE VIOLATION DES REGLES

DU DROIT A UN PROCES EQUITABLE

54 3.1. La protection régionale : la Commission et la Cour

Africaines des droits de l’Homme et des Peuples

54 3.2. Le système du Pacte international relatif aux droits

civils et politiques : le Comité des Droits de l’Homme

55 Conclusion

56

CHAPITRE III : LE ROLE DES JURIDICTIONS ORDINAIRES DANS LE « PROCESSUS GACACA »

57 Introduction

57

1. UNE STRUCTURE PYRAMIDALE 58 2. L’ORGANISATION ET LA COMPOSITION DES

JURIDICTIONS GACACA

62 3. LE ROLE CENTRAL DES JURIDICTIONS GACACA DE

CELLULE COMME INSTANCE D’INSTRUCTION

64 4. LE MINISTERE PUBLIC : UN ROLE DE

« PASSERELLE » ENTRE LES JURIDICTIONS GACACA ET LES JURIDICTIONS ORDINAIRES

67 5. LES DOSSIERS QUI ECHAPPENT AU SYSTEME

GACACA

67 Conclusion

68

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305

CHAPITRE IV : L’APPLICATION DE LA LOI ORGANIQUE DU 19/06/2004 DANS LE TEMPS, ET SON ARTICULATION AVEC D’AUTRES INSTRUMENTS JURIDIQUES

71 Introduction

71

1. LE PRINCIPE DE L’APPLICABILITE IMMEDIATE 71 1.1. L’applicabilité aux affaires en cours 72 1.2. L’abrogation expresse des lois antérieures régissant le

contentieux du génocide, et implicite des autres dispositions antérieures contraires

72 2. L’APPLICATION DU DROIT COMMUN DE LA

PROCEDURE PAR LES JURIDICTIONS DE DROIT COMMUN, SOUS RESERVE DES EXCEPTIONS PREVUES PAR LA LOI

73 2.1. La règle générale : application du droit commun de la

procédure

73 2.2. Le droit commun de la procédure n’est écarté que si la

loi organique le spécifie

73 3. L’APPLICATION DE LA LOI ORGANIQUE EN CE QUI

CONCERNE « L’OBJET DU LITIGE »

74 Conclusion

74

CHAPITRE V : LES REGLES ATTRIBUTIVES DE COMPETENCE AUX JURIDICTIONS ORDINAIRES

77 Introduction

77

1. LA DETERMINATION DU TRIBUNAL COMPETENT AU PLAN MATERIEL

77

1.1. La compétence des juridictions ordinaires pour les personnes classées en 1ère catégorie

77

1.2. Quelles sont les « juridictions ordinaires » compétentes ?

78

1.2.1 La compétence des tribunaux de Province et de la Ville de Kigali au 1er degré, et la compétence de la Haute Cour en degré d’appel

78

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306

1.2.2 La question de la compétence des juridictions militaires à l’égard des militaires

80

1.3. Les juridictions compétentes pour les dossiers en cours 82 1.3.1. Les juridictions compétentes 82 1.3.2. La question de la compétence dans le cadre de

dossiers autres que de première catégorie dont les juridictions avaient été saisies sous l’empire de la loi organique de 1996

84 2. LA QUESTION DE LA CONNEXITE ENTRE UNE

AFFAIRE PENDANTE DEVANT UNE JURIDCTION ORDINAIRE, ET UNE AFFAIRE PENDANTE DEVANT UNE JURIDICTION GACACA

85 3. LA COMPETENCE TERRITORIALE 85 Conclusion

86

CHAPITRE VI : LE CHAMP MATERIEL DU CONTENTIEUX DU GENOCIDE ET DES CRIMES CONTRE L’HUMANITE AU RWANDA

87 Introduction

87

1. CRIME DE GENOCIDE ET AUTRES CRIMES CONTRE L’HUMANITE

91

1.1. La loi de 2004 : absence de définition du crime de génocide et du crime contre l’humanité

91

1.2. La notion du crime de génocide 93 1.2.1. L’origine du concept 93 1.2.2. La définition du génocide dans les instruments

internationaux

94 1.2.2.1 Dans la convention du 09 décembre 1948 sur la

prévention et la répression du crime de génocide

94 1.2.2.2 Dans le Statut du Tribunal Pénal International pour

le Rwanda

95 1.2.2.3 Dans le Statut de la Cour Pénale Internationale 96 1.2.3. La définition du génocide dans la loi du 6/09/2003

réprimant le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre

97 1.2.4. Les trois éléments constitutifs du crime de génocide 99

Page 305: Vade-mecum: Le crime de génocide et les crime contre l'humanité au Rwanda

307

1.3. La notion du crime contre l’humanité 100 1.3.1. L’origine du concept 100 1.3.2. La définition du crime contre l’humanité dans les

instruments internationaux

101 1.3.2.1 Dans la Convention du 26 novembre 1968 sur

l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité : renvoi au Statut du Tribunal de Nuremberg

101 1.3.2.2 Dans le Statut du Tribunal Pénal International pour

le Rwanda

102 1.3.2.3 Dans le Statut de la Cour Pénale Internationale 103 1.3.3. La définition du crime contre l’humanité dans la loi

du 06/09/2003 réprimant le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre

105 1.3.4. Les éléments constitutifs du crime contre l’humanité 106 2. LES INFRACTIONS PREVUES PAR LE CODE PENAL,

SUSCEPTIBLES D’ETRE CONSTITUTIVES DE CRIME DE GENOCIDE OU D’AUTRES CRIMES CONTRE L’HUMANITE

109 2.1. L’assassinat 109 2.2. Le meurtre 112 2.3. L’enlèvement, la séquestration et la torture 113 2.4. Le viol 115 2.5. Les coups et les blessures volontaires 118 3. LES AUTRES INFRACTIONS PREVUES PAR LE CODE

PENAL ET COMMISES « AVEC L’INTENTION DE FAIRE LE GENOCIDE OU D’AUTRES CRIMES CONTRE l’HUMANITE »

119 3.1. L’association de malfaiteurs 120 3.2. L’attentat ayant pour but de porter la dévastation, le

massacre ou le pillage

122 3.3. La violation de domicile 125 3.4. Les atteintes aux biens 127 3.5. L’outrage à cadavre 130 3.6. L’infraction de non-assistance à personne en danger 131 4. LES FAITS REPRIMES PAR D’AUTRES TEXTES QUE LE

CODE PENAL : LA QUESTION DES INFRACTIONS SUR LES ARMES A FEU

135 Conclusion 138

Page 306: Vade-mecum: Le crime de génocide et les crime contre l'humanité au Rwanda

308

CHAPITRE VII : LA CATEGORISATION 141 Introduction

141

1. LA NATURE DE LA CATEGORISATION 145 1.1. La catégorisation comme processus de détermination de

la juridiction de fond compétente

146 1.2. La catégorisation comme facteur de détermination de la

peine applicable

148 2. L’INSTANCE COMPETENTE POUR CATEGORISER EN

PHASE PRE-JURIDICTIONNELLE

148 2.1. Une compétence confiée aux juridictions Gacaca de

Cellule

148 2.2. La question des dossiers dont les Parquets avaient

entamé l’instruction avant la date du 15 mars 2001

149 2.3. La question des dossiers transmis aux tribunaux avant le

15 mars 2001

150 2.4. Les dossiers de viol et de tortures sexuelles : une

exception à la compétence de « catégorisation provisoire » des juridictions Gacaca de Cellule

152 3. LES INFRACTIONS RATTACHEES A UNE CATEGORIE

DIFFERENTE DE CELLE QUI ETAIT PREVUE SOUS L’EMPIRE DES ANCIENNES LOIS

152 3.1. Les responsables de Secteur et de Cellule 152 3.2. L’auteur de viol 154 3.3. L’auteur de tortures 156 3.4. Les actes dégradants sur les cadavres 157 3.5. L’auteur d’autres atteintes graves contre les personnes 158 4. LA LISTE DES PERSONNES ACCUSEES

D’APPARTENIR A LA PREMIERE CATEGORIE

160 5. LA SITUATION DU COMPLICE 160 Conclusion

161

Page 307: Vade-mecum: Le crime de génocide et les crime contre l'humanité au Rwanda

309

CHAPITRE VIII : LA PROCEDURE D’AVEU, DE PLAIDOYER DE CULPABILITE, DE REPENTIR ET D’EXCUSES

163 Introduction

163

1. LE CONTENU DES AVEUX 164 2. LES INSTANCES COMPETENTES POUR RECUEILLIR

LES AVEUX

165 3. UN FORMALISME SIMPLIFIE 167 4. L’INCIDENCE DE LA DECOUVERTE DE FAITS

NOUVEAUX

168 5. L’INCIDENCE DU MOMENT OU INTERVIENT L’AVEU 168 6. LE CAS PARTICULIER DES INFRACTIONS A

CARACTERE SEXUEL

170 7. LA QUESTION DE L’APPEL PAR LES PREVENUS

AYANT RECOURU A LA PROCEDURE D’AVEU, DE PLAIDOYER DE CULPABILITE, DE REPENTIR ET D’EXCUSES

171 8. LA PLACE DE LA PROCEDURE D’AVEU, DE

PLAIDOYER DE CULPABILITE, DE REPENTIR ET D’EXCUSES DEVANT LES JURIDICTIONS ORDINAIRES

172 8.1. Les tribunaux ordinaires saisis de dossiers de 1ère

catégorie dans lesquels les accusés ont recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses

172 8.2. La question des aveux présentés pour la première fois

devant la juridiction ordinaire

172 Conclusion

174

CHAPITRE IX : LES PEINES 177 Introduction

177

1. LES PEINES PREVUES PAR LA LOI ORGANIQUE 177 2. LES PEINES ACCESSOIRES 182 3. LES TRAVAUX D’INTERET GENERAL 183 4. LE CONCOURS IDEAL OU MATERIEL D’INFRACTIONS 184

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310

5. LES CAS OU LE MAXIMUM DE LA PEINE PREVUE DANS LA CATEGORIE RETENUE DOIT ETRE PRONONCE

186 6. LES CIRCONSTANCES ATTENUANTES PREVUES

PAR LA LOI

187 Conclusion

188

CHAPITRE X : LA MINORITE PENALE DANS LE CONTENTIEUX DU GENOCIDE ET DES CRIMES CONTRE L’HUMANITE

191 Introduction

191

1. LA MINORITE PENALE ET LA LOI ORGANIQUE DU 30/08/1996 : APPLICATION DU DROIT COMMUN

195

1.1. La présomption d’irresponsabilité pénale à l’égard des mineurs de 14 ans au plus

196

1.2. L’excuse atténuante de minorité pour les mineurs âgés de « plus de 14 ans et de moins de 18 ans »

197

1.3. Le cumul du bénéfice de l’excuse de minorité, du bénéfice de la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité et des circonstances atténuantes

199 2. LE REGIME DE LA MINORITE PENALE SOUS

L’EMPIRE DE LA LOI ORGANIQUE DE 2001 : DES DISPOSITIONS INSPIREES DU DROIT COMMUN

201 2.1. La situation générale de la responsabilité du mineur

sous la loi de 2001

202 2.1.1. Une consécration explicite de l’irresponsabilité

pénale du mineur âgé de moins de 14 ans

202 2.1.2. La répression du mineur de plus de 14 ans et de moins

de 18 ans

202 2.2. Les difficultés posées par le texte de 2001 204 2.2.1. Une imprécision dans la détermination de l’âge à

partir duquel peut s’exercer la répression

204 2.2.2. Des difficultés dans le traitement de la 2ème catégorie 205 2.2.3. Le cas du mineur de la 1ère catégorie, en aveu 205

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311

3. LE REGIME DE LA MINORITE PENALE SOUS L’EMPIRE DE LA LOI ORGANIQUE DU 19/06/2004 : LE DROIT POSITIF ACTUELLEMENT APPLICABLE DANS LE CONTENTIEUX DU GENOCIDE

206 3.1. La compétence des Chambres Spécialisées pour

mineurs dans le contentieux du génocide

207 3.2. La détermination des limites de la minorité pénale 208 3.2.1. Une imprécision persistante à propos du mineur de

14 ans

208 3.2.2. La question de l’incidence de l’entrée en vigueur du

nouveau Code de procédure pénale

209 3.3. Les peines applicables au mineur : un lien entre

l’excuse de minorité, la catégorisation et la procédure d’aveu, de repentir et d’excuses

211 Conclusion

211

CHAPITRE XI : LE DROIT A REPARATION DES VICTIMES DU GENOCIDE ET DES AUTRES CRIMES CONTRE L’HUMANITE

215 Introduction

215

1. L’INDEMNISATION SOUS L’EMPIRE DE LA LOI DU 30/08/1996

217

1.1. Les principes 217 1.2. Les victimes 218 1.3. L’évaluation du préjudice 218 1.4. Les difficultés de recouvrement des dommages et

intérêts alloués par les juridictions

220 2 L’INDEMNISATION SOUS L’EMPIRE DE LA LOI

ORGANIQUE N° 40/2000 DU 26/01/2001 PORTANT CREATION DES JURIDICTIONS GACACA

221 2.1. Les principes 221 2.2. Les victimes 222 2.3. Les organes intervenant dans la détermination et

l’évaluation du préjudice

222 2.4. La question de la responsabilité de l’Etat

223

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312

2.4.1. L’immunité civile de l’Etat, en contrepartie de la création d’un Fonds d’Indemnisation

223

2.4.2. Une immunité à caractère rétroactif 223 2.5. Un Fonds d’Indemnisation qui n’a pas encore vu le

jour

224 3. L’INDEMNISATION SOUS LE REGIME DE

LA LOI ORGANIQUE DE 2004

224 3.1. Une importante incertitude quant au sort à réserver à

la question des dommages matériels et moraux

225 3.2. L’indemnisation des biens matériels endommagés 226 3.2.1. Les victimes et la réparation visée à l’article 95 de la

loi

226 3.2.2. Les juridictions compétentes pour statuer sur

l’indemnisation des atteintes aux biens visée à l’article 95

227 3.2.3. Les modes de réparation prévus pour les victimes de

dommages causés aux biens

227 3.2.4. L’évaluation des biens endommagés ou détruits 228 3.2.5. Le cas des dommages aux biens causés par un auteur

décédé, incapable ou mineur d’âge

229 3.3. Les juridictions ordinaires et l’indemnisation des

dommages moraux et matériels

231 3.4. La question de la responsabilité de l’Etat 233 Conclusion

234

CHAPITRE XII : LES VOIES DE RECOURS

239

Introduction

239

1. L’OPPOSITION 240 1.1. Une opposition qui suit la procédure de droit commun 240 1.2. Une incertitude quant au délai d’opposition 241 2. L’APPEL 242 2.1. Application de la procédure de droit commun 242 2.2. Une incertitude quant au délai d’appel 243 2.3. Un droit de recours moins restrictif que sous l’empire

des anciennes lois organiques régissant le contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité

244 3. L’APPEL DEVANT LA COUR SUPREME 247

Page 311: Vade-mecum: Le crime de génocide et les crime contre l'humanité au Rwanda

313

3.1. L’appel à l’encontre de décisions prononcées par la Haute Cour de la République

248

3.2. L’appel à l’encontre de décisions prononcées par la Haute Cour Militaire

249

4. LE RECOURS EN REVISION 251 4.1. Un recours qui déroge au droit commun 251 4.2. Quelles décisions sont visées ? 252 4.3. Une dérogation discutable à la hiérarchie des

Juridictions

253 4.4. Une exception discutable au principe de l’autorité de la

chose jugée

254 Conclusion

256

ANNEXE

257

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994

259

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Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement toutes celles et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à rendre possible la réalisation de cet ouvrage. Leurs remerciements s’adressent d’abord à Daniel de Beer, qui est à l’origine du projet. Ils souhaitent tout particulièrement exprimer leur gratitude à Anne Sophie OGER et à François MUGABO, dont les commentaires ont toujours été éclairants, et dont l’appui intellectuel et moral fut extrêmement précieux. Le « Vade-Mecum » n’aurait pas pu voir le jour sans l’enthousiasme et l’énergie de stagiaires et de bénévoles, dont les recherches et les questions ont constitué les fondations sur lesquelles nous avons pu construire notre ouvrage. Merci beaucoup à Lydia MUTYEBELE NGOI, Hélène QUEAU, Esther DAVID, Frédéric CASIER, Sébastien KAYEMBE N’KOS KESHA et Caroline ROULIN. Enfin, toute l’équipe de la « Missrwa » a été mise à contribution. Qu’elle trouve ici l’expression de notre�reconnaissance.