Traité Sur La Tolerance - Voltaire

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Traité Sur La Tolerance - Voltaire

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  • Project Gutenberg's Trait sur latolrance, by Francois-Marie Arouet

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    Title: Trait sur la tolrance

    Author: Francois-Marie Arouet

    Release Date: February 19, 2013[EBook #42131]

    Language: French

  • *** START OF THIS PROJECT GUTENBERGEBOOK TRAIT SUR LA TOLRANCE ***

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  • Au lecteur

  • TABLE

    DES

    CHAPITRES.

    CHAP. I. HIstoireabrge de la mort deJean Calas,

    page1

    CHAP. II. Consquencesdu supplice de Jean

    16

  • Calas,CHAP. III. Ide de la

    Rforme du seiziemesiecle,

    19

    CHAP. IV. Si laTolrance estdangereuse; & chezquels Peuples elle estpratique,

    25

    CHAP. V. Comment laTolrance peut treadmise,

    36

    CHAP. VI. Sil'Intolrance est de

    41

  • droit naturel & dedroit humain?

    CHAP. VII. Sil'Intolrance a tconnue des Grecs?

    42

    CHAP. VIII. Si lesRomains ont ttolrants?

    46

    CHAP. IX. Des Martyrs, 55CHAP. X. Du danger des

    fausses lgendes, &de la perscution,

    72

    CHAP. XI. Abus del'Intolrance,

    80

  • CHAP. XII. Sil'Intolrance fut dedroit divin dans leJudasme, & si ellefut toujours mise enpratique?

    88

    CHAP. XIII. ExtrmeTolrance des Juifs,

    111

    CHAP. XIV. Sil'Intolrance a tenseigne par Jesus-Christ?

    123

    CHAP. XV. Tmoignagescontre l'Intolrance,

    133

    CHAP. XVI. Dialogue 137

  • entre un Mourant &un Homme qui seporte bien,

    CHAP. XVII. Lettrecrite au Jsuite LeTellier, par unBnficier, le 6 Mai1714,

    141

    CHAP. XVIII. Seuls caso l'Intolrance estde droit humain,

    146

    CHAP. XIX. Relationd'une dispute decontroverse la

    150

  • Chine,CHAP. XX. S'il est utile

    d'entretenir le Peupledans la superstition?

    153

    CHAP. XXI. Vertu vautmieux que science,

    158

    CHAP. XXII. De laTolranceuniverselle,

    161

    CHAP. XXIII. Priere Dieu,

    166

    CHAP. XXIV.Postscriptum,

    168

    CHAP. XXV. Suite & 176

  • Conclusion,

    A l'occasion de la mort deJean Calas.

  • CHAPITRE

    PREMIER.

    Histoire abrge de la mort

    de Jean Calas.

    LE meurtre de Calas, commis dansToulouse avec le glaive de la

  • Justice, le 9me Mars 1762, est undes plus singuliers vnements quimritent l'attention de notre ge &de la postrit. On oublie bienttcette foule de morts qui a pri dansdes batailles sans nombre, non-seulement parce que c'est la fatalitinvitable de la guerre, mais parceque ceux qui meurent par le sort desarmes, pouvaient aussi donner lamort leurs ennemis, & n'ont pointpri sans se dfendre. L o ledanger & l'avantage sont gaux,l'tonnement cesse, & la piti mme

  • s'affaiblit: mais si un Pere defamille innocent est livr aux mainsde l'erreur, ou de la passion, ou dufanatisme; si l'accus n'a de dfenseque sa vertu, si les arbitres de savie n'ont risquer en l'gorgeantque de se tromper, s'ils peuvent tuerimpunment par un arrt; alors lecri public s'leve, chacun craintpour soi-mme; on voit quepersonne n'est en sret de sa viedevant un Tribunal rig pourveiller sur la vie des Citoyens, &toutes les voix se runissent pour

  • demander vengeance.

    Il s'agissait, dans cette trangeaffaire, de Religion, de suicide, deparricide: il s'agissait de savoir siun pere & une mere avaient tranglleur fils pour plaire Dieu, si unfrere avait trangl son frere, si unami avait trangl son ami, & si lesJuges avaient se reprocher d'avoirfait mourir sur la roue un pereinnocent, ou d'avoir pargn unemere, un frere, un ami coupables.

    Jean Calas, g de soixante &

  • huit ans, exerait la profession deNgociant Toulouse depuis plusde quarante annes, & tait reconnude tous ceux qui ont vcu avec luipour un bon pere. Il tait Protestant,ainsi que sa femme & tous sesenfants, except un qui avait abjurl'hrsie, & qui le pere faisait unepetite pension. Il paraissait siloign de cet absurde fanatismequi rompt tous les liens de laSocit, qu'il approuva laconversion de son fils Louis Calas,& qu'il avait depuis trente ans chez

  • lui une servante zle Catholique,laquelle avait lev tous sesenfants.

    Un des fils de Jean Calas,n o mm Marc-Antoine, tait unhomme de Lettres: il passait pour unesprit inquiet, sombre & violent. Cejeune homme ne pouvant russir ni entrer dans le ngoce, auquel iln'tait pas propre, ni tre reuAvocat, parce qu'il fallait descertificats de Catholicit, qu'il neput obtenir, rsolut de finir sa vie,& fit pressentir ce dessein un de

  • ses amis: il se confirma dans sarsolution par la lecture de tout cequ'on a jamais crit sur le suicide.

    Enfin, un jour, ayant perdu sonargent au jeu, il choisit ce jour lmme pour excuter son dessein. Unami de sa famille, & le sien, nommLavaisse, jeune-homme de dix-neufans, connu par la candeur & ladouceur de ses murs, fils d'unAvocat clebre de Toulouse, taitarriv[1] de Bordeaux la veille; ilsoupa par hasard chez les Calas. Lepere, la mere, Marc-Antoine leur

  • fils ain, Pierre leur second fils,mangerent ensemble. Aprs lesouper on se retira dans un petits a l l o n ; Marc-Antoine disparut:enfin, lorsque le jeune Lavaissevoulut partir, Pierre Calas & luitant descendus, trouverent en-bas,auprs du magasin, Marc-Antoine,en chemise, pendu une porte, &son habit pli sur le comptoir; sachemise n'tait pas seulementdrange; ses cheveux taient bienpeigns: il n'avait sur son corpsaucune playe, aucune

  • meurtrissure.[2]

    On passe ici tous les dtailsdont les Avocats ont rendu compte:on ne dcrira point la douleur & ledsespoir du pere & de la mere:leurs cris furent entendus desvoisins. Lavaisse & Pierre Calas,hors d'eux-mmes, coururentchercher des Chirurgiens & laJustice.

    Pendant qu'ils s'acquittaient dece devoir, pendant que le pere & lamere taient dans les sanglots &

  • dans les larmes, le Peuple deToulouse s'attroupait autour de lamaison. Ce Peuple est superstitieux& emport; il regarde comme desmonstres ses freres qui ne sont pasde la mme Religion que lui. C'est Toulouse qu'on remercia Dieusolemnellement de la mort de Henritrois, & qu'on fit serment d'gorgerle premier qui parlerait dereconnatre le grand, le bon Henriquatre. Cette Ville solemnisee nc o r e tous les ans, par uneProcession & par des feux de joye,

  • le jour o elle massacra quatremille Citoyens hrtiques, il y adeux siecles. En vain six Arrts duConseil ont dfendu cette odieusefte, les Toulousains l'ont toujoursclbre comme les jeux floraux.

    Quelque fanatique de lapopulace s'cria que Jean Calasavait pendu son propre fils Marc-Antoine. Ce cri rpt fut unanimeen un moment. D'autres ajouterentque le mort devait le lendemainfaire abjuration; que sa famille & lejeune Lavaisse l'avaient trangl,

  • par haine contre la ReligionCatholique: le moment d'aprs onn'en douta plus; toute la Ville futpersuade que c'est un point deReligion chez les Protestants, qu'unpere & une mere doivent assassinerleur fils, ds qu'il veut se convertir.

    Les esprits une fois mus nes'arrtent point. On imagina que lesProtestants du Languedoc s'taientassembls la veille; qu'ils avaientchoisi la pluralit des voix unbourreau de la secte; que le choixtait tomb sur le jeune Lavaisse;

  • que ce jeune homme, en vingt-quatre heures, avait reu la nouvellede son lection, & tait arriv deBordeaux pour aider Jean Calas, safemme & leur fils Pierre, trangler un ami, un fils, un frere.

    Le Sr. David, Capitoul deToulouse, excit par ces rumeurs, &voulant se faire valoir par unep r o m p t e excution, fit uneprocdure contre les Regles & lesOrdonnances. La famille Calas, laservante Catholique, Lavaissefurent mis aux fers.

  • On publia un monitoire nonmoins vicieux que la procdure. Onalla plus loin. Marc-Antoine Calastait mort Calviniste; & s'il avaitattent sur lui-mme, il devait tretran sur la claye: on l'inhuma avecla plus grande pompe dans l'EgliseSt. Etienne, malgr le Cur quiprotestait contre cette profanation.

    Il y a dans le Languedoc quatreConfrairies de Pnitents, la blanche,la bleue, la grise, & la noire. LesConfreres portent un long capuceavec un masque de drap perc de

  • deux trous pour laisser la vue libre:ils ont voulu engager M. le Duc deFitz-James, Commandant de laProvince, entrer dans leur Corps,& il les a refuss. Les Confreresblancs firent Marc-Antoine Calasun Service solemnel comme unMartyr. Jamais aucune Eglise neclbra la fte d'un Martyr vritableavec plus de pompe; mais cettepompe fut terrible. On avait levau-dessus d'un magnifiquecatafalque, un squlette qu'on faisaitmouvoir, & qui reprsentait Marc-

  • Antoine Calas, tenant d'une mainune palme, & de l'autre la plumedont il devait signer l'abjuration del'hrsie, & qui crivait en effetl'arrt de mort de son pere.

    Alors il ne manqua plus aumalheureux qui avait attent sur soi-mme, que la canonisation; tout lePeuple le regardait comme un Saint:quelques-uns l'invoquaient; d'autresallaient prier sur sa tombe, d'autreslui demandaient des miracles,d'autres racontaient ceux qu'il avaitfaits. Un Moine lui arracha

  • quelques dents pour avoir desreliques durables. Une dvote, unpeu sourde, dit qu'elle avait entendule son des cloches. Un Prtreapoplectique fut guri aprs avoirpris de l'mtique. On dressa desverbaux de ces prodiges. Celui quicrit cette relation, possede uneattestation qu'un jeune homme deToulouse est devenu fou pour avoirpri plusieurs nuits sur le tombeaudu nouveau Saint, & pour n'avoir puobtenir un miracle qu'il implorait.

    Quelques Magistrats taient de

  • la Confrairie des Pnitents blancs.Ds ce moment la mort de JeanCalas parut infaillible.

    Ce qui sur-tout prpara sonsupplice, ce fut l'approche de cettefte singuliere que les Toulousainsclebrent tous les ans en mmoired'un massacre de quatre milleHuguenots; l'anne 1762 taitl'anne sculaire. On dressait dansla Ville l'appareil de cettesolemnit; cela mme allumaitencore l'imagination chauffe duPeuple: on disait publiquement que

  • l'chafaud sur lequel on rouerait lesCalas, serait le plus grand ornementde la fte; on disait que laProvidence amenait elle-mme cesvictimes pour tre sacrifies notresainte Religion. Vingt personnes ontentendu ces discours, & de plusviolents encore. Et c'est de nosjours! & c'est dans un temps o laPhilosophie a fait tant de progrs!& c'est lorsque cent Acadmiescrivent pour inspirer la douceurdes murs! Il semble que lefanatisme, indign depuis peu des

  • succs de la raison, se dbatte souselle avec plus de rage.

    Treize Juges s'assemblerent tousles jours pour terminer le Procs.On n'avait, on ne pouvait avoiraucune preuve contre la famille;mais la Religion trompe tenait lieude preuve. Six Juges persisterentlongtemps condamner Jean Calas,son fils, & Lavaisse la roue, & lafemme de Jean Calas au bucher.Sept autres, plus modrs, voulaientau moins qu'on examint. Les dbatsfurent ritrs & longs. Un des

  • Juges, convaincu de l'innocence desaccuss, & de l'impossibilit ducrime, parla vivement en leurfaveur; il opposa le zele del'humanit au zele de la svrit; ildevint l'Avocat public des Calasdans toutes les maisons deToulouse, o les cris continuels dela Religion abuse demandaient lesang de ces infortuns. Un autreJuge, connu par sa violence, parlaitdans la Ville avec autantd'emportement contre les Calas,que le premier montrait

  • d'empressement les dfendre.Enfin l'clat fut si grand, qu'ilsfurent obligs de se rcuser l'un &l'autre; ils se retirerent lacampagne.

    Mais, par un malheur trange, leJuge favorable aux Calas eut ladlicatesse de persister dans sarcusation, & l'autre revint donnersa voix contre ceux qu'il ne devaitpoint juger: ce fut cette voix quiforma la condamnation la roue;car il y eut huit voix contre cinq, undes six Juges opposs ayant la fin,

  • aprs bien des contestations, passau parti le plus svere.

    Il semble que quand il s'agitd'un parricide, & de livrer un Perede famille au plus affreux supplice,le jugement devrait tre unanime,parce que les preuves d'un crime siinoui[3] devraient tre d'unevidence sensible tout le monde:le moindre doute, dans un caspareil, doit suffire pour fairetrembler un Juge qui va signer unArrt de mort. La faiblesse de notreraison & l'insuffisance de nos Loix

  • se font sentir tous les jours; maisdans quelle occasion en dcouvre-t-on mieux la misere que quand laprpondrance d'une seule voix faitrouer un Citoyen? Il fallait dansAthenes cinquante voix au-del dela moiti pour oser prononcer unjugement de mort. Qu'en rsulte-t-il? ce que nous savons trs-inutilement, que les Grecs taientplus sages & plus humains quenous.

    Il paraissait impossible queJean Calas, vieillard de soixante-

  • huit ans, qui avait depuis long-temps les jambes enfles & faibles,et seul trangl & pendu un filsg de vingt-huit ans, qui tait d'uneforce au-dessus de l'ordinaire; ilfallait absolument qu'il et tassist dans cette excution par safemme, par son fils Pierre Calas,par Lavaisse, & par la servante. Ilsne s'taient pas quitts un seulmoment le soir de cette fataleaventure. Mais cette suppositiontait encore aussi absurde quel'autre: car comment une servante

  • zle Catholique aurait-elle pusouffrir que des Huguenotsassassinassent un jeune-hommelev par elle, pour le punir d'aimerla Religion de cette servante?Comment Lavaisse serait-il venuexprs de Bordeaux pour tranglerson ami, dont il ignorait laconversion prtendue? Commentune mere tendre aurait-elle mis lesmains sur son fils? Comment tousensemble auraient-ils pu tranglerun jeune-homme aussi robustequ'eux tous, sans un combat long &

  • violent, sans des cris affreux quiauraient appell tout le voisinage,sans des coups ritrs, sans desmeurtrissures, sans des habitsdchirs?

    Il tait vident que si leparricide avait pu tre commis, tousles accuss taient galementcoupables, parce qu'ils ne s'taientpas quitts d'un moment; il taitvident qu'ils ne l'taient pas; iltait vident que le pere seul nepouvait l'tre; & cependant l'arrtcondamna ce pere seul expirer sur

  • la roue.

    Le motif de l'arrt tait aussiinconcevable que tout le reste. LesJuges qui taient dcids pour lesupplice de Jean Calas,persuaderent aux autres que cevieillard faible ne pourrait rsisteraux tourments, & qu'il avoueraitsous les coups des bourreaux soncrime & celui de ses complices. Ilsfurent confondus, quand cevieillard, en mourant sur la roue,prit Dieu tmoin de soninnocence, & le conjura de

  • pardonner ses Juges.

    Ils furent obligs de rendre unsecond arrt contradictoire avec lepremier, d'largir la mere, son filsPierre, le jeune Lavaisse & laservante: mais un des Conseillersleur ayant fait sentir que cet arrtdmentait l'autre, qu'ils secondamnaient eux-mmes, que tousles accuss ayant toujours tensemble dans le temps qu'onsupposait le parricide,l'largissement de tous lessurvivants prouvait invinciblement

  • l'innocence du pere de familleexcut; ils prirent alors le parti debannir Pierre Calas son fils. Cebannissement semblait aussiinconsquent, aussi absurde que toutle reste: car Pierre Calas taitcoupable ou innocent du parricide;s'il tait coupable, il fallait le rouercomme son pere; s'il tait innocent,il ne fallait pas le bannir. Mais lesJuges effrays du supplice du pere,& de la pit attendrissante aveclaquelle il tait mort, imaginerentsauver leur honneur en laissant

  • croire qu'ils faisaient grace au fils;comme si ce n'et pas t uneprvarication nouvelle de fairegrace: & ils crurent que lebannissement de ce jeune homme,pauvre & sans appui, tant sansconsquence, n'tait pas une grandeinjustice, aprs celle qu'ils avaienteu le malheur de commettre.

    On commena par menacerPierre Calas dans son cachot, de letraiter comme son pere s'iln'abjurait pas sa Religion. C'est ceque ce jeune homme[4] atteste par

  • serment.

    Pierre Calas, en sortant de laVille, rencontra un Abbconvertisseur, qui le fit rentrer dansToulouse; on l'enferma dans unCouvent de Dominicains, & l on lecontraignit remplir toutes lesfonctions de la Catholicit; c'taiten partie ce qu'on voulait, c'tait leprix du sang de son pere; & laReligion qu'on avait cru venger,semblait satisfaite.

    On enleva les filles la mere;

  • elles furent enfermes dans unCouvent. Cette femme presquearrose du sang de son mari, ayanttenu son fils ain mort entre sesbras, voyant l'autre banni, prive deses filles, dpouille de tout sonbien, tait seule dans le monde, sanspain, sans esprance, & mourantede l'excs de son malheur. Quelquespersonnes ayant examin mrementtoutes les circonstances de cetteaventure horrible, en furent sifrappes, qu'elles firent presser laD a m e Calas, retire dans une

  • solitude, d'oser venir demanderjustice aux pieds du Trne. Elle nepouvait pas alors se soutenir, elles'teignait; & d'ailleurs tant neAnglaise, transplante dans uneProvince de France ds son jeunege, le nom seul de la Ville de Parisl'effrayait. Elle s'imaginait que laCapitale du Royaume devait treencore plus barbare que celle deToulouse. Enfin le devoir de vengerla mmoire de son mari l'emportasur sa faiblesse. Elle arriva Parisprte d'expirer. Elle fut tonne d'y

  • trouver de l'accueil, des secours &des larmes.

    La raison l'emporte Paris surle fanatisme, quelque grand qu'ilpuisse tre; au-lieu qu'en Provincece fanatisme l'emporte presquetoujours sur la raison.

    M r . De Beaumont, clebreAvocat du Parlement de Paris, pritd'abord sa dfense, & dressa uneconsultation, qui fut signe dequinze Avocats. Mr. Loiseau, nonmoins loquent, composa un

  • Mmoire en faveur de la famille.Mr. Mariette, Avocat au Conseil,dressa une Requte juridique, quiportait la conviction dans tous lesesprits.

    Ces trois gnreux dfenseursdes Loix & de l'innocenceabandonnerent la veuve le profitdes ditions de leurs Plaidoyers.[5]Paris & l'Europe entiere s'murentde piti, & demanderent justiceavec cette femme infortune. L'arrtfut prononc par tout le Public long-temps avant qu'il pt tre sign par

  • le Conseil.

    La piti pntra jusqu'auMinistere, malgr le torrentcontinuel des affaires, qui souventexclut la piti, & malgr l'habitudede voir des malheureux, qui peutendurcir le cur encore davantage.On rendit les filles la mere: on lesvit toutes trois couvertes d'un crpe& baignes de larmes, en fairerpandre leurs Juges.

    Cependant cette famille eutencore quelques ennemis, car il

  • s'agissait de Religion. Plusieurspersonnes, qu'on appelle en Francedvotes,[6] dirent hautement qu'ilvalait bien mieux laisser rouer unvieux Calviniste innocent, qued'exposer huit Conseillers deLanguedoc convenir qu'ilss'taient tromps; on se servit mmede cette expression: Il y a plus deMagistrats que de Calas; & oninfrait de l que la famille Calasdevait tre immole l'honneur dela Magistrature. On ne songeait pasque l'honneur des Juges consiste

  • comme celui des autres hommes rparer leurs fautes. On ne croit pasen France que le Pape, assist deses Cardinaux, soit infaillible: onpourrait croire de mme que huitJuges de Toulouse ne le sont pas.Tout le reste des gens senss &dsintresss disaient que l'Arrt deToulouse serait cass dans toutel'Europe, quand mme desconsidrations particulieresempcheraient qu'il ft cass dansle Conseil.

    Tel tait l'tat de cette tonnante

  • aventure, lorsqu'elle a fait natre des personnes impartiales, maissensibles, le dessein de prsenterau Public quelques rflexions sur latolrance, sur l'indulgence, sur lacommisration, que l'AbbHouteville appelle Dogmemonstrueux, dans sa dclamationampoule & errone sur des faits, &que la raison appelle l'appanage dela nature.

    Ou les Juges de Toulouse,entrans par le fanatisme de lapopulace, ont fait rouer un pere de

  • famille innocent, ce qui est sansexemple; ou ce pere de famille & safemme ont trangl leur fils ain,aids dans ce parricide par un autrefils & par un ami, ce qui n'est pasdans la nature. Dans l'un ou dansl'autre cas l'abus de la Religion laplus sainte a produit un grandcrime. Il est donc de l'intrt duGenre-humain d'examiner si laReligion doit tre charitable oubarbare.

  • CHAPITRE II.

    Consquences du supplice

    de Jean Calas.

    SI les Pnitents blancs furent lacause du supplice d'un innocent, dela ruine totale d'une famille, de sadispersion, & de l'opprobre qui nedevrait tre attach qu' l'injustice,

  • mais qui l'est au supplice; si cetteprcipitation des Pnitents blancs clbrer comme un Saint, celuiqu'on aurait d traner sur la claye,a fait rouer un pere de famillevertueux; ce malheur doit sans douteles rendre pnitents en effet pour lereste de leur vie: eux & les Jugesdoivent pleurer, mais non pas avecun long habit blanc & un masque surle visage, qui cacheraient leurslarmes.

    On respecte toutes lesConfrairies; elles sont difiantes:

  • mais quelque grand bien qu'ellespuissent faire l'Etat, gale-t-il cemal affreux qu'elles ont caus?Elles semblent institues par le zelequi anime en Languedoc lesCatholiques contre ceux que nousnommons Huguenots. On diraitqu'on a fait vu de har ses freres;car nous avons assez de religionpour har & perscuter, nous n'enavons pas assez pour aimer & poursecourir. Et que serait-ce, si cesConfrairies taient gouvernes pardes enthousiastes, comme l'ont t

  • autrefois quelques Congrgationsdes Artisans & des Messieurs, chezlesquels on rduisait en art & ensystme l'habitude d'avoir desvisions, comme le dit un de nos plusloquents & savants Magistrats?Que serait-ce si on tablissait dansles Confrairies ces chambresobscures, appelles chambres demditation, o l'on faisait peindredes diables arms de cornes & degriffes, des gouffres de flammes,des croix & des poignards, avec lesaint nom de JESUS au-dessus du

  • tableau? Quel spectacle pour desye ux dja fascins, & pour desimaginations aussi enflammes quesoumises leurs Directeurs!

    Il y a eu des temps, on ne le saitque trop, o des Confrairies ont tdangereuses. Les Frrots, lesFlagellants ont caus des troubles.La Ligue commena par de tellesassociations. Pourquoi se distinguerainsi des autres Citoyens? s'encroyait-on plus parfait? cela mmeest une insulte au reste de la Nation.Voulait-on que tous les Chrtiens

  • entrassent dans la Confrairie? Ceserait un beau spectacle quel'Europe en capuchon & en masque,avec deux petits trous ronds au-devant des yeux! Pense-t-on debonne foi que Dieu prfere cetaccotrement un justaucorps? Il ya bien plus; cet habit est ununiforme de Controversistes, quiavertit les Adversaires de se mettresous les armes; il peut exciter uneespece de guerre civile dans lesesprits; elle finirait peut-tre par defunestes excs, si le Roi & ses

  • Ministres n'taient aussi sages queles fanatiques sont insenss.

    On sait assez ce qu'il en a cotdepuis que les Chrtiens disputentsur le dogme; le sang a coul, soitsur les chafauds, soit dans lesbatailles, ds le quatrieme sieclejusqu' nos jours. Bornons-nous iciaux guerres & aux horreurs que lesquerelles de la rforme ontexcites, & voyons quelle en a tla source en France. Peut-tre untableau raccourci & fidele de tantde calamits ouvrira les yeux de

  • quelques personnes peu instruites,& touchera des curs bien faits.

  • CHAPITRE III.

    Ide de la Rforme du

    seizieme siecle.

    LOrsqu' la renaissance desLettres, les esprits commencerent s'clairer, on se plaignitgnralement des abus; tout lemonde avoue que cette plainte tait

  • lgitime.

    Le Pape Alexandre VI avaitachet publiquement la Tiare, & sescinq btards en partageaient lesavantages. Son fils, le Cardinal Ducde Borgia, fit prir, de concert avecle Pape son pere, les Vitelli, lesUrbino, les Gravina, lesOliveretto, & cent autres Seigneurs,pour ravir leurs domaines. Jules II,anim du mme esprit, excommuniaLouis XII, donna son Royaume aupremier occupant, & lui-mme lecasque en tte, & la cuirasse sur le

  • dos, mit feu & sang une partiede l'Italie. Lon X, pour payer sesplaisirs, trafiqua des Indulgences,comme on vend des denres dans unmarch public. Ceux qui s'leverentcontre tant de brigandages, n'avaientdu moins aucun tort dans la morale;voyons s'ils en avaient contre nousdans la politique.

    Ils disaient que JESUS-CHRISTn'ayant jamais exig d'annates, ni derserves, ni vendu des dispensespour ce monde, & des indulgencespour l'autre, on pouvait se dispenser

  • de payer un Prince tranger leprix de toutes ces choses. Quand lesannates, les procs en Cour deRome, & les dispenses quisubsistent encore aujourd'hui, nenous coteraient que cinq centsmille francs par an, il est clair quenous avons pay depuis Franois I,en deux cents cinquante annes, centvingt millions; & en valuant lesdiffrents prix du marc d'argent,cette somme en compose uned'environ deux cents cinquantemillions d'aujourd'hui. On peut donc

  • convenir sans blasphme, que lesHrtiques, en proposant l'abolitionde ces Impts singuliers, dont lapostrit s'tonnera, ne faisaient pasen cela un grand mal au Royaume,& qu'ils taient plutt bonscalculateurs que mauvais sujets.Ajoutons qu'ils taient les seuls quisussent la Langue Grecque, & quiconnussent l'antiquit. Nedissimulons point que, malgr leurserreurs, nous leur devons ledveloppement de l'esprit humain,long-temps enseveli dans la plus

  • paisse barbarie.

    Mais comme ils niaient lePurgatoire, dont on ne doit pasdouter, & qui d'ailleurs rapportaitbeaucoup aux Moines; comme ils nervraient pas des reliques qu'ondoit rvrer, mais qui rapportaientencore davantage; enfin, comme ilsattaquaient des dogmes trs-respects,[7] on ne leur rponditd'abord qu'en les faisant brler. LeRoi qui les protgeait, & lessoudoyait en Allemagne, marchadans Paris la tte d'une

  • Procession, aprs laquelle onexcuta plusieurs de cesmalheureux; & voici quelle fut cetteexcution. On les suspendait au boutd'une longue poutre qui jouait enbascule sur un arbre debout; ungrand feu tait allum sous eux, onles y plongeait, & on les relevaitalternativement; ils prouvaient lestourments & la mort par degrs,jusqu' ce qu'ils expirassent par leplus long & le plus affreux suppliceque jamais ait invent la barbarie.

    Peu de temps avant la mort de

  • Franois I, quelques Membres duParlement de Provence, anims pardes Ecclsiastiques contre lesHabitants de Mrindol & deCabriere, demanderent au Roi desTroupes pour appuyer l'excutionde dix-neuf personnes de ce Pays,condamnes par eux; ils en firentgorger six mille, sans pardonner niau sexe, ni la vieillesse, ni l'enfance; ils rduisirent trenteBourgs en cendres. Ces Peuples,jusqu'alors inconnus, avaient tortsans doute d'tre ns Vaudois,

  • c'tait leur seule iniquit. Ils taienttablis depuis trois cents ans dansd e s dserts, & sur des montagnesqu'ils avaient rendu fertiles par untravail incroyable. Leur viepastorale & tranquille retraaitl'innocence attribue aux premiersges du monde. Les Villes voisinesn'taient connues d'eux que par letrafic des fruits qu'ils allaientvendre; ils ignoraient les procs &la guerre; ils ne se dfendirent pas;on les gorgea comme des animauxfugitifs qu'on tue dans une

  • enceinte.[8]

    Aprs la mort de Franois I,Prince plus connu cependant par sesgalanteries & par ses malheurs quepar ses cruauts, le supplice demille Hrtiques, sur-tout celui duConseiller au Parlement Dubourg,& enfin le massacre de Vassy,armerent les perscuts, dont lasecte s'tait multiplie la lueurdes buchers, & sous le fer desbourreaux; la rage succda lapatience; ils imiterent les cruautsde leurs ennemis: neuf guerres

  • civiles remplirent la France decarnage; une paix plus funeste quela guerre, produisit la St.Barthelemi, dont il n'y avait aucunexemple dans les annales descrimes.

    La Ligue assassina Henri III &Henri IV, par les mains d'un FrereJacobin, & d'un monstre qui avaitt Frere Feuillant. Il y a des gensqui prtendent que l'humanit,l'indulgence, & la libert deconscience, sont des choseshorribles; mais en bonne foi,

  • auraient-elles produit des calamitscomparables?

  • CHAPITRE IV.

    Si la Tolrance est

    dangereuse; & chez quels

    Peuples elle est pratique.

    QUelques-uns ont dit que si l'onusait d'une indulgence paternelle

  • envers nos freres errants, qui prientDieu en mauvais Franais, ce seraitleur mettre les armes la main,qu'on verrait de nouvelles bataillesde Jarnac, de Moncontour, deCoutras, de Dreux, de St. Denis,&c. C'est ce que j'ignore, parce queje ne suis pas Prophete; mais il mesemble que ce n'est pas raisonnerconsquemment, que de dire: Ceshommes se sont soulevs quand jeleur ai fait du mal, donc ils sesouleveront quand je leur ferai dubien.

  • J'oserais prendre la libertd'inviter ceux qui sont la tte duGouvernement, & ceux qui sontdestins aux grandes places, vouloir bien examiner mrement, sil'on doit craindre en effet que ladouceur produise les mmesrvoltes que la cruaut a fait natre;si ce qui est arriv dans certainescirconstances, doit arriver dansd'autres; si les temps, l'opinion, lesmurs sont toujours les mmes?

    Les Huguenots, sans doute, ontt enivrs de fanatisme, & souills

  • de sang comme nous: mais lagnration prsente est-elle aussibarbare que leurs peres? le temps,la raison qui fait tant de progrs, lesbons Livres, la douceur de laSocit, n'ont-ils point pntr chezceux qui conduisent l'esprit de cesPeuples? & ne nous appercevons-nous pas que presque toute l'Europea chang de face depuis environcinquante annes?

    Le Gouvernement s'est fortifipar-tout, tandis que les murs sesont adoucies. La Police gnrale,

  • soutenue d'armes nombreusestoujours existantes, ne permet pasd'ailleurs de craindre le retour deces temps anarchiques, o desPaysans Calvinistes combattaientdes Paysans Catholiques,enrgiments la hte entre lessemailles & les moissons.

    D'autres temps, d'autres soins. Ilserait absurde de dcimeraujourd'hui la Sorbonne, parcequ'elle prsenta requte autrefoispour faire brler la Pucelled'Orlans; parce qu'elle dclara

  • Henri III dchu du droit de rgner,qu'elle l'excommunia, qu'elleproscrivit le grand Henri IV. On nerecherchera pas, sans doute, lesautres Corps du Royaume quicommirent les mmes excs dansces temps de frnsie; cela seraitnon-seulement injuste, mais il yaurait autant de folie qu' purgertous les Habitants de Marseilleparce qu'ils ont eu la peste en 1720.

    Irons-nous saccager Rome,comme firent les troupes deCharles-quint, parce que Sixte-

  • quint, en 1585, accorda neuf ansd'indulgence tous les Franais quiprendraient les armes contre leurSouverain? & n'est-ce pas assezd'empcher Rome de se porterjamais des excs semblables?

    La fureur qu'inspirent l'espritdogmatique & l'abus de la ReligionChrtienne mal entendue, a rpanduautant de sang, a produit autant dedsastres en Allemagne, enAngleterre, & mme en Hollande,qu'en France: cependant aujourd'huila diffrence des Religions ne cause

  • aucun trouble dans ces Etats; le Juif,le Catholique, le Grec, le Luthrien,le Calviniste, l'Anabatiste, leSocinien, le Memnoniste, leMorave & tant d'autres, vivent enfreres dans ces Contres, &contribuent galement au bien de laSocit.

    On ne craint plus en Hollandeque les disputes d'un Gomar[9] surla prdestination fassent trancher latte au grand Pensionnaire. On necraint plus Londres que lesquerelles des Presbytriens & des

  • Episcopaux pour une Lithurgie &pour un surplis, rpandent le sangd'un Roi sur un chafaud.[10]L'Irlande peuple & enrichie, neverra plus ses Citoyens Catholiquessacrifier Dieu pendant deux moisses Citoyens Protestants, lesenterrer vivants, suspendre lesmeres des gibets, attacher lesfilles au cou de leurs meres, & lesvoir expirer ensemble; ouvrir leventre des femmes enceintes, entirer les enfants demi-forms, &les donner manger aux porcs &

  • aux chiens; mettre un poignard dansla main de leurs prisonniersgarrots, & conduire leurs brasdans le sein de leurs femmes, deleurs peres, de leurs meres, de leursfilles, s'imaginant en fairemutuellement des parricides, & lesdamner tous en les exterminant tous.C'est ce que rapporte Rapin-Toiras,Officier en Irlande, presquecontemporain; c'est ce querapportent toutes les Annales, toutesles Histoires d'Angleterre, & ce quisans doute ne sera jamais imit. La

  • Philosophie, la seule Philosophie,cette sur de la Religion, adsarm des mains que lasuperstition avait si long-tempsensanglantes; & l'esprit humain, aurveil de son ivresse, s'est tonndes excs o l'avait emport lefanatisme.

    Nous-mmes, nous avons enFrance une Province opulente, o leLuthranisme l'emporte sur leCatholicisme. L'Universit d'Alsaceest entre les mains des Luthriens:ils occupent une partie des Charges

  • municipales; jamais la moindrequerelle religieuse n'a drang lerepos de cette Province depuisqu'elle appartient nos Rois.Pourquoi? c'est qu'on n'y aperscut personne. Ne cherchezpoint gner les curs, & tous lescurs seront vous.

    Je ne dis pas que tous ceux quine sont point de la Religion duPrince doivent partager les places& les honneurs de ceux qui sont dela Religion dominante. EnAngleterre, les Catholiques,

  • regards comme attachs auPrtendant, ne peuvent parvenir auxemplois; ils payent mme doubletaxe; mais ils jouissent d'ailleurs detous les droits des Citoyens.

    On a souponn quelquesEvques Franais de penser qu'iln'est ni de leur honneur, ni de leurintrt, d'avoir dans leur Diocesedes Calvinistes; & que c'est l leplus grand obstacle la Tolrance:je ne le puis croire. Le Corps desEvques en France est compos degens de qualit, qui pensent & qui

  • agissent avec une noblesse digne deleur naissance; ils sont charitables& gnreux, c'est une justice qu'ondoit leur rendre: ils doivent penserque certainement leurs Diocsainsfugitifs ne se convertiront pas dansles Pays trangers, & que, retournsauprs de leurs Pasteurs, ilspourraient tre clairs par leursinstructions, & touchs par leursexemples; il y aurait de l'honneur les convertir: le temporel n'yperdrait pas; & plus il y aurait deCitoyens, plus les terres des Prlats

  • rapporteraient.

    Un Evque de Varmie, enPologne, avait un Anabatiste pourFermier, & un Socinien pourReceveur; on lui proposa dechasser & de poursuivre l'un parcequ'il ne croyait pas laconsubstantiabilit, & l'autre parcequ'il ne baptisait son fils qu'quinze ans: il rpondit qu'ilsseraient ternellement damns dansl'autre monde, mais que dans cemonde-ci ils lui taient trs-ncessaires.

  • Sortons de notre petite sphere,& examinons le reste de notreglobe. Le grand Seigneur gouverneen paix vingt Peuples de diffrentesReligions; deux cents mille Grecsvivent avec scurit dansConstantinople; le Muphti mmenomme & prsente l'Empereur lePatriarche Grec; on y souffre unPatriarche Latin. Le Sultan nommedes Evques Latins pour quelquesIsles de la Grece,[11] & voici laformule dont il se sert; Je luicommande d'aller rsider Evque

  • dans l'Isle de Chio, selon leurancienne coutume & leurs vainescrmonies. Cet Empire est remplide Jacobites, de Nestoriens, deMonotlites; il y a des Cophtes, desChrtiens de St. Jean, des Juifs, desGuebres, des Banians. Les AnnalesTurques ne font mention d'aucunervolte excite par aucune de cesReligions.

    Allez dans l'Inde, dans la Perse,dans la Tartarie; vous y verrez lamme tolrance & la mmetranqui l l i t . Pierre-le-Grand a

  • favoris tous les Cultes dans sonvaste Empire: le Commerce &l'Agriculture y ont gagn, & leCorps politique n'en a jamaissouffert.

    Le Gouvernement de la Chinen'a jamais adopt, depuis plus dequatre mille ans qu'il est connu, quele Culte des Noachides, l'adorationsimple d'un seul Dieu: cependant iltolere les superstitions de Fo, &une multitude de Bonzes qui seraitdangereuse, si la sagesse desTribunaux ne les avait pas toujours

  • contenus.

    Il est vrai que le grandEmpereur Yont-Chin, le plus sage& le plus magnanime peut-trequ'ait eu la Chine, a chass lesJsuites; mais ce n'tait pas parcequ'il tait intolrant, c'tait aucontraire parce que les Jsuitesl'taient. Ils rapportent eux-mmesdans leurs Lettres curieuses, lesparoles que leur dit ce bon Prince:Je sais que votre Religion estintolrante; je sais ce que vousavez fait aux Manilles & au Japon;

  • vous avez tromp mon Pere,n'esprez pas me tromper demme. Qu'on lise tout le discoursqu'il daigna leur tenir, on letrouvera le plus sage & le plusclment des hommes. Pouvait-il eneffet retenir des Physiciensd'Europe, qui, sous prtexte demontrer des thermometres & desolipiles la Cour, avaient soulevdja un Prince du sang? & qu'auraitdit cet Empereur, s'il avait lu nosHistoires, s'il avait connu nos tempsde la ligue, & de la conspiration

  • des poudres?

    C'en tait assez pour lui d'treinform des querelles indcentesdes Jsuites, des Dominicains, desCapucins, des Prtres sculiersenvoys du bout du monde dans sesEtats: ils venaient prcher la vrit,& ils s'anathmatisaient les uns lesautres. L'Empereur ne fit donc querenvoyer des perturbateurstrangers: mais avec quelle bontles renvoya-t-il? quels soinspaternels n'eut-il pas d'eux pourleur voyage, & pour empcher qu'on

  • ne les insultt sur la route? Leurbannissement mme fut un exemplede tolrance & d'humanit.

    Les Japonois[12] taient les plustolrants de tous les hommes, douzeReligions paisibles taient tabliesdans leur Empire: les Jsuitesvinrent faire la treizieme; maisbientt n'en voulant pas souffrird'autre, on sait ce qui en rsulta; uneguerre civile, non moins affreuseque celles de la Ligue, dsola cePays. La Religion Chrtienne futnoye enfin dans des flots de sang.

  • Les Japonois fermerent leur Empireau reste du monde, & ne nousregarderent que comme des btesfarouches, semblables celles dontles Anglais ont purg leur Isle. C'esten vain que le Ministre Colbert,sentant le besoin que nous avionsdes Japonois, qui n'ont nul besoinde nous, tenta d'tablir uncommerce avec leur Empire; il lestrouva inflexibles.

    Ainsi donc notre Continententier nous prouve qu'il ne faut niannoncer ni exercer l'intolrance.

  • Jettez les yeux sur l'autrehmisphere, voyez la Caroline, dontle sage Loke fut le Lgislateur; toutpere de famille qui a sept personnesseulement dans sa maison, peut ytablir une Religion son choix,pourvu que ces sept personnes yconcourent avec lui. Cette libertn'a fait natre aucun dsordre. Dieunous prserve de citer cet exemplepour engager chaque maison sefaire un culte particulier: on ne lerapporte que pour faire voir quel'excs le plus grand o puisse aller

  • la tolrance, n'a pas t suivi de laplus lgere dissension.

    Mais que dirons-nous de cespacifiques Primitifs, que l'on anomms Quakres par drision, &qui, avec des usages peut-treridicules, ont t si vertueux, & ontenseign inutilement la paix au restedes hommes? Ils sont enPensilvanie au nombre de centmille; la discorde, la controversesont ignores dans l'heureuse Patriequ'ils se sont faite: & le nom seulde leur Ville de Philadelphie, qui

  • leur rappelle tout moment que leshommes sont freres, est l'exemple &la honte des Peuples qui neconnaissent pas encore la tolrance.

    Enfin cette tolrance n'a jamaisexcit de guerre civile; l'intolrancea couvert la terre de carnage. Qu'onjuge maintenant entre ces deuxrivales, entre la mere qui veut qu'ongorge son fils, & la mere qui lecede pourvu qu'il vive.

    Je ne parle ici que de l'intrtdes Nations; & en respectant,

  • comme je le dois, la Thologie, jen'envisage dans cet article que lebien physique & moral de laSocit. Je supplie tout Lecteurimpartial de peser ces vrits, deles rectifier & de les tendre. DesLecteurs attentifs, qui secommuniquent leurs penses, vonttoujours plus loin que l'Auteur.[13]

  • CHAPITRE V.

    Comment la Tolrance

    peut tre admise.

    J'Ose supposer qu'un Ministreclair & magnanime, un Prlathumain & sage, un Prince qui saitque son intrt consiste dans legrand nombre de ses Sujets, & sa

  • gloire dans leur bonheur, daignejetter les yeux sur cet Ecrit informe& dfectueux; il y supple par sespropres lumieres; il se dit lui-mme: Que risquerai-je voir laterre cultive & orne par plus demains laborieuses, les tributsaugments, l'Etat plus florissant?

    L'Allemagne serait un dsertcouvert des ossements desCatholiques, Evangliques,Rforms, Anabatistes, gorgs lesuns par les autres, si la paix deWestphalie n'avait pas procur

  • enfin la libert de conscience.

    Nous avons des Juifs Bordeaux, Metz, en Alsace; nousavons des Luthriens, desMolinistes, des Jansnistes; nepouvons-nous pas souffrir &contenir des Calvinistes peu prsaux mmes conditions que lesCatholiques sont tolrs Londres?Plus il y a de sectes, moins chacuneest dangereuse; la multiplicit lesaffaiblit; toutes sont rprimes parde justes Loix, qui dfendent lesassembles tumultueuses, les

  • injures, les sditions, & qui sonttoujours en vigueur par la forcecoactive.

    Nous savons que plusieursChefs de famille, qui ont lev degrandes fortunes dans les Paystrangers, sont prts retournerdans leur Patrie; ils ne demandentque la protection de la Loinaturelle, la validit de leursmariages, la certitude de l'tat deleurs enfants, le droit d'hriter deleurs peres, la franchise de leurspersonnes; point de Temples

  • publics, point de droit aux Chargesmunicipales, aux dignits: lesCatholiques n'en ont ni Londres,ni en plusieurs autres Pays. Il nes'agit plus de donner des privilegesimmenses, des places de sret une faction; mais de laisser vivre unPeuple paisible, d'adoucir desEdits, autrefois peut-trencessaires, & qui ne le sont plus:ce n'est pas nous d'indiquer auMinistere ce qu'il peut faire; il suffitde l'implorer pour des infortuns.

    Que de moyens de les rendre

  • utiles, & d'empcher qu'ils ne soientjamais dangereux! La prudence duMinistere & du Conseil, appuye dela force, trouvera bien aisment cesmoyens, que tant d'autres Nationsemployent si heureusement.

    Il y a des fanatiques encore dansla populace Calviniste; mais il estconstant qu'il y en a davantage dansla populace Convulsionnaire. La liedes insenss de St. Mdard estcompte pour rien dans la Nation,celle des Prophetes Calvinistes estanantie. Le grand moyen de

  • diminuer le nombre des Maniaques,s'il en reste, est d'abandonner cettemaladie de l'esprit au rgime de laraison, qui claire lentement, maisinfailliblement les hommes. Cetteraison est douce, elle est humaine,elle inspire l'indulgence, elletouffe la discorde, elle affermit lavertu, elle rend aimablel'obissance aux Loix, plus encoreque la force ne les maintient. Etcomptera-t-on pour rien le ridiculeattach aujourd'hui l'enthousiasmepar tous les honntes gens? Ce

  • ridicule est une puissante barrierecontre les extravagances de tous lesSectaires. Les temps passs sontcomme s'ils n'avaient jamais t. Ilfaut toujours partir du point o l'onest, & de celui o les Nations sontparvenues.

    Il a t un temps o l'on se crutoblig de rendre des Arrts contreceux qui enseignaient une Doctrinecontraire aux Cathgoriesd'Aristote, l'horreur du vuide, auxquiddits, & l'universel de la partde la chose. Nous avons en Europe

  • plus de cent volumes deJurisprudence sur la Sorcellerie, &sur la maniere de distinguer les fauxSorciers des vritables.L'excommunication des sauterelles,& des insectes nuisibles auxmoissons, a t trs-en usage, &subs i s te encore dans plusieursRituels; l'usage est pass, on laisseen paix Aristote, les Sorciers & lessauterelles. Les exemples de cesgraves dmences, autrefois siimportantes, sont innombrables: ilen revient d'autres de temps en

  • temps; mais quand elles ont fait leureffet, quand on en est rassassi,elles s'anantissent. Si quelqu'uns'avisait aujourd'hui d'treCarpocratien, ou Eutichen, ouMonothlite, Monophisite,Nestorien, Manichen, &c.qu'arriverait-il? On en rirait commed'un homme habill l'antique avecune fraise & un pourpoint.

    La Nation commenait entr'ouvrir les yeux, lorsque lesJ sui tes Le Tellier & Doucinfabriquerent la Bulle Unigenitus,

  • qu'ils envoyerent Rome; ilscrurent tre encore dans ces tempsd'ignorance, o les Peuplesadoptaient sans examen lesAssertions les plus absurdes. Ilsoserent proscrire cette proposition,qui est d'une vrit universelle danstous les cas & dans tous les temps;La crainte d'une excommunicationinjuste ne doit point empcher defaire son devoir: c'tait proscrire laraison, les liberts de l'EgliseGallicane, & le fondement de lamorale; c'tait dire aux hommes,

  • Dieu vous ordonne de ne jamaisfaire votre devoir, ds que vouscraindrez l'injustice. On n'a jamaisheurt le sens commun pluseffrontment; les Consulteurs deRome n'y prirent pas garde. Onpersuada la Cour de Rome quecette Bulle tait ncessaire, & quela Nation la desirait; elle fut signe,scelle & envoye, on en sait lessuites: certainement si on les avaitprvues, on aurait mitig la Bulle.Les querelles ont t vives, laprudence & la bont du Roi les a

  • enfin appaises.

    Il en est de mme dans unegrande partie des points quidivisent les Protestants & nous; il yen a quelques-uns qui ne sontd'aucune consquence, il y en ad'autres plus graves, mais surlesquels la fureur de la dispute esttellement amortie, que lesProtestants eux-mmes ne prchentaujourd'hui la controverse enaucune de leurs Eglises.

    C'est donc ce temps de dgot,

  • de satit, ou plutt de raison, qu'onpeut saisir comme une poque & ungage de la tranquillit publique. Lacontroverse est une maladiepidmique qui est sur sa fin, &cette peste, dont on est guri, nedemande plus qu'un rgime doux.Enfin l'intrt de l'Etat est que desfils expatris reviennent avecmodestie dans la maison de leurpere; l'humanit le demande, laraison le conseille, & la politiquene peut s'en effrayer.

  • CHAPITRE VI.

    Si l'Intolrance est de droit

    naturel & de droit humain.

    LE droit naturel est celui que lanature indique tous les hommes.Vous avez lev votre enfant, ilvous doit du respect comme sonpere, de la reconnaissance comme

  • son bienfaicteur. Vous avez droitaux productions de la terre que vousavez cultive par vos mains, vousavez donn & reu une promesse,elle doit tre tenue.

    Le droit humain ne peut trefond en aucun cas que sur ce droitde nature; & le grand principe, leprincipe universel de l'un & del'autre, est dans toute la terre: Nefais pas ce que tu ne voudrais pasqu'on te ft. Or, on ne voit pascomment, suivant ce principe, unhomme pourrait dire un autre:

  • Crois ce que je crois & ce que tune peux croire, ou tu priras : c'estce qu'on dit en Portugal, enEspagne, Goa. On se contente prsent dans quelques autres Paysde dire: Crois, ou je t'abhorre;crois, ou je te ferai tout le mal queje pourrai; monstre, tu n'as pas maReligion, tu n'as donc point deReligion; il faut que tu sois enhorreur tes voisins, ta Ville, ta Province.

    S'il tait de droit humain de seconduire ainsi, il faudrait donc que

  • le Japonois dtestt le Chinois, quiaurait en excration le Siamois;celui-ci poursuivrait lesGangarides, qui tomberaient sur lesHabitants de l'Indus; un Mogolarracherait le cur au premierMalabare qu'il trouverait; leMalabare pourrait gorger lePersan, qui pourrait massacrer leTurc; & tous ensemble se jetteraientsur les Chrtiens, qui se sont silong-temps dvors les uns lesautres.

    Le droit de l'Intolrance est

  • donc absurde & barbare; c'est ledroit des tigres; & il est bien plushorrible: car les tigres ne dchirentque pour manger, & nous noussommes extermins pour desparagraphes.

  • CHAPITRE VII.

    Si l'Intolrance a t

    connue des Grecs.

    LEs Peuples, dont l'Histoire nous adonn quelques faiblesconnaissances, ont tous regardleurs diffrentes Religions commedes nuds qui les unissaient tous

  • ensemble; c'tait une association duGenre-humain. Il y avait une especede droit d'hospitalit entre lesDieux comme entre les hommes. UnEtranger arrivait-il dans une Ville,il commenait par adorer les Dieuxdu Pays; on ne manquait jamais devnrer les Dieux mmes de sesennemis. Les Troyens adressaientdes prieres aux Dieux quicombattaient pour les Grecs.

    Alexandre alla consulter, dansles Dserts de la Libie, le DieuAmmon, auquel les Grecs donnerent

  • le nom de Zeus & les Latins deJupiter, quoique les uns & lesautres eussent leur Jupiter & leurZeus chez eux. Lorsqu'on assigeaitune Ville, on faisait un sacrifice &des prieres aux Dieux de la Ville,pour se les rendre favorables.Ainsi, au milieu mme de la guerre,la Religion runissait les hommes,& adoucissait quelquefois leursfureurs, si quelquefois elle leurcommandait des actions inhumaines& horribles.

    Je peux me tromper; mais il me

  • parat que de tous les anciensPeuples polics, aucun n'a gn lalibert de penser. Tous avaient uneReligion; mais il me semble qu'ilsen usaient avec les hommes commeavec leurs Dieux; ilsreconnaissaient tous un Dieusuprme, mais ils lui associaientune quantit prodigieuse deDivinits infrieures; ils n'avaientqu'un culte, mais ils permettaientune foule de systmes particuliers.

    Les Grecs, par exemple,quelque religieux qu'ils fussent,

  • trouvaient bon que les Epicuriensniassent la Providence & l'existencede l'ame. Je ne parle pas des autresSectes, qui toutes blessaient lesides saines qu'on doit avoir del'Etre crateur, & qui toutes taienttolres.

    Socrate qui approcha le plusprs de la connaissance duCrateur, en porta, dit-on, la peine,& mourut martyr de la Divinit;c'est le seul que les Grecs ayent faitmourir pour ses opinions. Si ce futen effet la cause de sa

  • condamnation, cela n'est pas l'honneur de l'Intolrance, puisqu'onne punit que celui qui seul renditgloire Dieu, & qu'on honora tousceux qui donnaient de la Divinitles notions les plus indignes. Lesennemis de la tolrance ne doiventpas, mon avis, se prvaloir del'exemple odieux des Juges deSocrate.

    Il est vident d'ailleurs, qu'il futla victime d'un parti furieux animcontre lui. Il s'tait fait des ennemisirrconciliables des Sophistes, des

  • Orateurs, des Potes, quienseignaient dans les Ecoles, &mme de tous les Prcepteurs quiavaient soin des enfants dedistinction. Il avoue lui-mme dansson Discours rapport par Platon,qu'il allait de maison en maisonprouver ces Prcepteurs qu'ilsn'taient que des ignorants: cetteconduite n'tait pas digne de celuiqu'un Oracle avait dclar le plussage des hommes. On dchanacontre lui un Prtre, & unConseiller des cinq cents, qui

  • l'accuserent; j'avoue que je ne saispas prcisment de quoi, je ne voisque du vague dans son apologie; onlui fait dire en gnral, qu'on luiimputait d'inspirer aux jeunes gensdes maximes contre la Religion &le Gouvernement. C'est ainsi qu'enusent tous les jours lescalomniateurs dans le monde: maisil faut dans un Tribunal des faitsavrs, des chefs d'accusationprcis & circonstancis; c'est ceque le procs de Socrate ne nousfournit point: nous savons seulement

  • qu'il eut d'abord deux cents vingtvoix pour lui. Le Tribunal des cinqcents possdait donc deux centsvingt Philosophes: c'est beaucoup;je doute qu'on les trouvt ailleurs.Enfin, la pluralit fut pour la cigu;mais aussi, songeons que lesAthniens, revenus eux-mmes,eurent les accusateurs & les Jugesen horreur; que Melitus, leprincipal auteur de cet Arrt, futcondamn mort pour cetteinjustice; que les autres furentbannis, & qu'on leva un Temple

  • Socrate. Jamais la Philosophie nefut si bien venge, ni tant honore.L'exemple de Socrate est au fond leplus terrible argument qu'on puisseallguer contre l'intolrance. LesAthniens avaient un Autel ddiaux Dieux trangers, aux Dieuxqu'ils ne pouvaient connatre. Y a-t-il une plus forte preuve, non-seulement d'indulgence pour toutesles Nations, mais encore de respectpour leurs cultes?

    Un honnte homme qui n'estennemi ni de la raison, ni de la

  • littrature, ni de la probit, ni de lapatrie, en justifiant depuis peu laSaint-Barthelemi, cite la guerre desPhocens, nomme la guerresacre, comme si cette guerre avaitt allume pour le culte, pour ledogme, pour des arguments deThologie; il s'agissait de savoir qui appartiendrait un champ: c'est lesujet de toutes les guerres. Desgerbes de bled ne sont pas unsymbole de crance; jamais aucuneVille Grecque ne combattit pour desopinions. D'ailleurs que prtend cet

  • homme modeste & doux? veut-ilque nous fassions une guerresacre?

  • CHAPITRE VIII.

    Si les Romains ont t

    tolrants.

    CHez les anciens Romains, depuisRomulus jusqu'aux temps o lesChrtiens disputerent avec lesPrtres de l'Empire, vous ne voyezpas un seul homme perscut pour

  • ses sentiments. Cicron douta detout; Lucrece nia tout; & on ne leuren fit pas le plus lger reproche: lalicence mme alla si loin, que Plinele Naturaliste commence son Livrepar nier un Dieu, & par dire que s'ilen est un, c'est le Soleil. Cicrondit, en parlant des Enfers: Non estanus tam excors qu credat: Il n'ya pas mme de vieille assezimbcille pour les croire. Juvenald i t : Nec pueri credunt: Lesenfants n'en croyent rien. Onchantait sur le Thtre de Rome:

  • Post mortem nihil est, ipsaquemors nihil: Rien n'est aprs lamort, la mort mme n'est rien.Abhorrons ces maximes, &, tout auplus, pardonnons-les un Peupleque les Evangiles n'clairaient pas;elles sont fausses, elles sont impies;mais concluons que les Romainstaient trs-tolrants, puisqu'ellesn'exciterent jamais le moindremurmure.

    Le grand principe du Snat & duPeuple Romain tait: Deorumoffensa diis cur; C'est aux Dieux

  • seuls se soucier des offensesfaites aux Dieux. Ce Peuple Roi nesongeait qu' conqurir, gouverner, & policer l'Univers.Ils ont t nos Lgislateurs commenos vainqueurs; & jamais Csar,qui nous donna des fers, des loix &des jeux, ne voulut nous forcer quitter nos Druides pour lui, toutgrand Pontife qu'il tait d'uneNation notre Souveraine.

    Les Romains ne professaientpas tous les cultes, ils ne donnaientpas tous la sanction publique,

  • mais ils les permirent tous. Ilsn'eurent aucun objet matriel deculte sous Numa, point desimulacres, point de statues; bienttils en leverent aux Dieux MajorumGentium, que les Grecs leur firentconnatre. La Loi des douze Tables,Deos peregrinos ne colunto, serduisit n'accorder le culte publicqu'aux Divinits suprieures ouinfrieures approuves par le Snat.Isis eut un Temple dans Rome,jusqu'au temps o Tibere ledmolit, lorsque les Prtres de ce

  • Temple, corrompus par l'argent deMundus, le firent coucher dans leTemple sous le nom du DieuAnubis, avec une femme nommePauline. Il est vrai que Joseph estle seul qui rapporte cette histoire; iln'tait pas contemporain, il taitcrdule & exagrateur. Il y a peud'apparence que dans un tempsaussi clair que celui de Tibere,une Dame de la premiere conditionet t assez imbcille pour croireavoir les faveurs du Dieu Anubis.

    Mais que cette anecdote soit

  • vraie ou fausse, il demeure certainque la superstition Egyptienne avaitlev un Temple Rome avec leconsentement public. Les Juifs ycommeraient ds le temps de laguerre Punique; ils y avaient desSynagogues du temps d'Auguste, &ils les conserverent presquetoujours, ainsi que dans Romemoderne. Y a-t-il un plus grandexemple que la tolrance taitregarde par les Romains comme laloi la plus sacre du droit des gens?

    On nous dit qu'aussi-tt que les

  • Chrtiens parurent, ils furentperscuts par ces mmes Romainsqui ne perscutaient personne. Il meparat vident que ce fait est trs-faux; je n'en veux pour preuve queSt. Paul lui-mme. Chap. 21. & 22.LesActes des Aptres nous apprennentque St. Paul tant accus par lesJuifs de vouloir dtruire la LoiMosaque par JESUS-CHRIST, St.Jacques proposa St. Paul de sefaire raser la tte, & d'aller sepurifier dans le Temple avec quatreJuifs, afin que tout le monde sache

  • que tout ce que l'on dit de vous estfaux, & que vous continuez garder la Loi de Mose.

    Paul, Chrtien, alla doncs'acquitter de toutes les crmoniesJudaques pendant sept jours; maisles sept jours n'taient pas encorecouls, quand des Juifs d'Asie lereconnurent; & voyant qu'il taitentr dans le Temple, non-seulement avec des Juifs, mais avecdes Gentils, ils crierent laprofanation: on le saisit, on le menadevant le Gouverneur Flix, &

  • ensuite on s'adressa au Tribunal deFestus. Les Juifs en fouledemanderent sa mort; Actes desAptres, Chap. 25.Festus leur rpondit:Ce n'est point la coutume desRomains de condamner un hommeavant que l'accus ait sesaccusateurs devant lui, & qu'on luiait donn la libert de se dfendre.

    Ces paroles sont d'autant plusremarquables dans ce MagistratRomain, qu'il parat n'avoir eu nulleconsidration pour St. Paul, n'avoirsenti pour lui que du mpris; tromp

  • par les fausses lumieres de saraison, il le prit pour un fou; il luidit lui-mme qu'il tait endmence, Act. des Ap. Ch. 26. v.34.mult te litter ad insaniamconvertunt. Festus n'couta doncque l'quit de la Loi Romaine, endonnant sa protection un inconnuqu'il ne pouvait estimer.

    Voil le St. Esprit lui-mme quidclare que les Romains n'taientpas perscuteurs, & qu'ils taientjustes. Ce ne sont pas les Romainsqui se souleverent contre St. Paul,

  • ce furent les Juifs. St. Jacques,frere de JESUS, fut lapid par l'ordred'un Juif Saducen, & non d'unRomain: les Juifs seuls lapiderentSt. Etienne;[14] & lorsque St. Paulgardait les manteaux des excuteurs,certes il n'agissait pas en CitoyenRomain.

    Les premiers Chrtiensn'avaient rien sans doute dmleravec les Romains; ils n'avaientd'ennemis que les Juifs dont ilscommenaient se sparer. On saitquelle haine implacable portent tous

  • les Sectaires ceux quiabandonnent leur secte. Il y eut sansdoute du tumulte dans lesSynagogues de Rome. Sutone dit,dans la Vie de Claude, Judosimpulsore Christo assidutumultuantes Roma expulit. Il setrompait, en disant que c'tait l'instigation de CHRIST: il ne pouvaitpas tre instruit des dtails d'unPeuple aussi mpris Rome quel'tait le Peuple Juif, mais il ne setrompait pas sur l'occasion de cesquerelles. Sutone crivait sous

  • Adrien, dans le second siecle; lesChrtiens n'taient pas alorsdistingus des Juifs aux yeux desRomains. Le passage de Sutonefait voir que les Romains, loind'opprimer les premiers Chrtiens,rprimaient alors les Juifs qui lesperscutaient. Ils voulaient que laSynagogue de Rome et pour sesfreres spars la mme indulgenceque le Snat avait pour elle; & lesJuifs chasss revinrent bienttaprs; ils parvinrent mme auxhonneurs malgr les Loix qui les en

  • excluaient: c'est Dion Cassius &Ulpien qui nous l'apprennent.[15]Est-il possible qu'aprs la ruine deJrusalem les Empereurs eussentprodigu des dignits aux Juifs, &qu'ils eussent perscut, livr auxbourreaux & aux btes, desChrtiens qu'on regardait commeune secte de Juifs!

    Nron, dit-on, les perscuta.Tacite nous apprend qu'ils furentaccuss de l'incendie de Rome, &qu'on les abandonna la fureur duPeuple. S'agissait-il de leur crance

  • dans une telle accusation? Non sansdoute. Dirons-nous que les Chinois,que les Hollandais gorgerent, il y aquelques annes, dans lesFauxbourgs de Batavia, furentimmols la Religion? Quelqueenvie qu'on ait de se tromper, il estimpossible d'attribuer l'intolrance le dsastre arriv sousNron quelques malheureux demi-Juifs & demi-Chrtiens.[16]

  • CHAPITRE IX.

    Des Martyrs.

    IL y eut dans la suite des MartyrsChrtiens: il est bien difficile desavoir prcisment pour quellesraisons ces Martyrs furentcondamns; mais j'ose croirequ'aucun ne le fut sous les premiersCsars, pour sa seule Religion; on

  • les tolrait toutes; comment aurait-on pu rechercher & poursuivre deshommes obscurs, qui avaient unculte particulier, dans le tempsqu'on permettait tous les autres?

    L e s Titus, les Trajans, lesAntonins, les Decius n'taient pasdes barbares: peut-on imaginerqu'ils auraient priv les seulsChrtiens d'une libert dontjouissait toute la terre? Les aurait-on seulement os accuser d'avoirdes mysteres secrets, tandis que lesmysteres d'Isis, ceux de Mitras,

  • ceux de la Desse de Syrie, toustrangers au culte Romain, taientpermis sans contradiction? Il fautbien que la perscution ait eud'autres causes, & que les hainesparticulieres, soutenues par laraison d'Etat, ayent rpandu le sangdes Chrtiens.

    Par exemple, lorsque St.Laurent refuse au Prfet de Rome,Cornelius Secularis, l'argent desChrtiens qu'il avait en sa garde, ilest naturel que le Prfet &l'Empereur soient irrits; ils ne

  • savaient pas que St. Laurent avaitdistribu cet argent aux pauvres, &qu'il avait fait une uvre charitable& sainte, ils le regarderent commeun rfractaire, & le firent prir.[17]

    Considrons le martyre de St.Polyeucte. Le condamna-t-on poursa Religion seule? Il va dans leTemple, o l'on rend aux Dieux desactions de graces pour la victoirede l'Empereur Decius; il y insulteles Sacrificateurs, il renverse &brise les Autels & les Statues: quelest le Pays au monde o l'on

  • pardonnerait un pareil attentat? LeChrtien qui dchira publiquementl'Edit de l'Empereur Diocltien, &qui attira sur ses freres la grandeperscution, dans les deux dernieresannes du regne de ce Prince,n'avait pas un zele selon la science;& il tait bien malheureux d'tre lacause du dsastre de son parti. Cezele inconsidr qui clata souvent,& qui fut mme condamn parplusieurs Peres de l'Eglise, a tprobablement la source de toutesles perscutions.

  • Je ne compare point, sans doute,les premiers Sacramentaires auxpremiers Chrtiens; je ne mets pointl'erreur ct de la vrit: maisFarel, prdcesseur de JeanCalvin, fit dans Arles la mmechose que St. Polyeucte avait faiten Armnie. On portait dans lesrues la Statue de St. Antoinel'Hermite en procession; Fareltombe avec quelques-uns des sienssur les Moines qui portaient St.Antoine, les bat, les disperse, &jette St. Antoine dans la riviere. Il

  • mritait la mort qu'il ne reut pas,parce qu'il eut le temps de s'enfuir.S'il s'tait content de crier cesMoines, qu'il ne croyait pas qu'uncorbeau et apport la moiti d'unpain St. Antoine l'Hermite, ni queSt. Antoine et eu des conversationsavec des Centaures & des Satyres,il aurait mrit une forterprimande, parce qu'il troublaitl'ordre; mais si le soir, aprs laprocession, il avait examinpaisiblement l'histoire du corbeau,des Centaures & des Satyres, on

  • n'aurait rien eu lui reprocher.

    Quoi! les Romains auraientsouffert que l'infame Antinos ftmis au rang des seconds Dieux, &ils auraient dchir, livr aux btestous ceux auxquels on n'auraitreproch que d'avoir paisiblementador un juste! Quoi! ils auraientreconnu un Dieu suprme[18], unDieu Souverain, matre de tous lesDieux secondaires, attest par cetteformule, Deus optimus maximus, &ils auraient recherch ceux quiadoraient un Dieu unique!

  • Il n'est pas croyable que jamaisil y et une Inquisition contre lesChrtiens sous les Empereurs, c'est--dire, qu'on soit venu chez eux lesinterroger sur leur crance. On netroubla jamais sur cet article ni Juif,ni Syrien, ni Egyptien, ni Bardes, niDruides, ni Philosophes. LesMartyrs furent donc ceux quis'leverent contre les faux Dieux.C'tait une chose trs-sage, trs-pieuse de n'y pas croire; mais enfin,si, non contents d'adorer un Dieu enesprit & en vrit, ils claterent

  • violemment contre le culte reu,quelque absurde qu'il pt tre, onest forc d'avouer qu'eux-mmestaient intolrants.

    Tertullien, dans sonApologtique,avoue qu'on regardaitles Chrtiens comme des factieux;Chap. 39.l'accusation tait injuste,mais elle prouvait que ce n'tait pasla Religion seule des Chrtiens quiexcitait le zele des Magistrats. Chap.35.Il avoue que les Chrtiensrefusaient d'orner leurs portes debranches de laurier dans les

  • rjouissances publiques pour lesvictoires des Empereurs: on pouvaitaisment prendre cette affectationcondamnable pour un crime de leze-Majest.

    La premiere svrit juridiqueexerce contre les Chrtiens, futcelle de Domitien; mais elle seborna un exil qui ne dura pas uneanne : Facile cptum repressitrestitutis quos ipse relegaverat , ditTertullien. Lactance, dont le styleest si emport, convient que depuisDomitien jusqu' Decius Chap.

  • 3.l'Eglise fut tranquille &florissante. Cette longue paix, dit-il,fut interrompue quand cet excrableanimal Decius opprima l'Eglise:post multos annos extititexecrabile animal Decius, quivexaret Ecclesiam.

    On ne veut point discuter ici lesentiment du savant Dodwel, sur lepetit nombre des Martyrs; mais siles Romains avaient tant perscutla Religion Chrtienne, si le Snatavait fait mourir tant d'innocents pardes supplices inusits, s'ils avaient

  • plong des Chrtiens dans l'huilebouillante, s'ils avaient expos desfilles toutes nues aux btes dans leCirque, comment auraient-ils laissen paix tous les premiers Evquesde Rome? St. Irene ne comptepour Martyr, parmi ces Evques,que le seul Tlesphore, dans l'an139 de l'Ere vulgaire; & on n'aaucune preuve que ce Tlesphoreait t mis mort. Zphiringouverna le troupeau de Romependant dix-huit annes, & mourutpaisiblement l'an 219. Il est vrai

  • que dans les anciens Martyrologes,on place presque tous les premiersPapes; mais le mot de martyr n'taitpris alors que suivant sa vritablesignification: martyre voulait diretmoignage, & non pas supplice.

    Il est difficile d'accorder cettefureur de perscution avec la libertqu'eurent les Chrtiens d'assemblercinquante-six Conciles, que lesEcrivains Ecclsiastiques comptentdans les trois premiers siecles.

    Il y eut des perscutions; mais si

  • elles avaient t aussi violentesqu'on le dit, il est vraisemblableque Tertullien, qui crivit avec tantde force contre le culte reu, neserait pas mort dans son lit. On saitbien que les Empereurs ne lurentpas son Apologtique; qu'un Ecritobscur, compos en Afrique, neparvient pas ceux qui sont chargsdu gouvernement du monde: mais ildevait tre connu de ceux quiapprochaient le Proconsuld'Afrique; il devait attirer beaucoupde haine l'Auteur; cependant il ne

  • souffrit point le martyre.

    Origene enseigna publiquementdans Alexandrie, & ne fut point mis mort. Ce mme Origene, quiparlait avec tant de libert auxPaens & aux Chrtiens, quiannonait JESUS aux uns, qui niait unDieu en trois Personnes aux autres,avoue expressment dans sontroisieme Livre contre Celse, qu'il ya eu trs-peu de Martyrs, & encorede loin loin; cependant, dit-il, lesChrtiens ne ngligent rien pourfaire embrasser leur Religion par

  • tout le monde; ils courent dans lesVilles, dans les Bourgs, dans lesVillages.

    Il est certain que ces coursescontinuelles pouvaient tre aismentaccuses de sdition par les Prtresennemis, & pourtant ces missionssont tolres malgr le PeupleEgyptien, toujours turbulent,sditieux & lche; Peuple qui avaitdchir un Romain pour avoir tuun chat; Peuple en tout tempsmprisable, quoi qu'en disent lesadmirateurs des pyramides.[19]

  • Qui devait plus soulever contrelui les Prtres & le Gouvernementq u e St. Grgoire Taumaturge,disciple d'Origene? Grgoire avaitvu pendant la nuit un vieillardenvoy de Dieu, accompagn d'unefemme resplendissante de lumiere:cette femme tait la Ste. Vierge, &ce vieillard tait St. Jeanl'Evangliste. St. Jean lui dicta unsymbole, que St. Grgoire allaprcher. Il passa, en allant Nocsare, prs d'un Temple ol'on rendait des oracles, & o la

  • pluye l'obligea de passer la nuit; ily fit plusieurs signes de croix. Lelendemain, le grand Sacrificateur duTemple fut tonn que les dmonsqui lui rpondaient auparavant, nevoulaient plus rendre d'oracles: illes appella; les diables vinrent pourlui dire qu'ils ne viendraient plus;ils lui apprirent qu'ils ne pouvaientplus habiter ce Temple, parce queGrgoire y avait pass la nuit, &qu'il y avait fait des signes de croix.Le Sacrificateur fit saisir Grgoire,qui lui rpondit: Je peux chasser

  • les dmons d'o je veux, & lesfaire entrer o il me plara.Faites-les donc rentrer dans monTemple, dit le Sacrificateur. AlorsGrgoire dchira un petit morceaud'un volume qu'il tenait la main, &y traa ces paroles: Grgoire, Sathan; je te commande de rentrerdans ce Temple: on mit ce billet surl'Autel; les dmons obirent, &rendirent ce jour-l leurs oraclescomme l'ordinaire; aprs quoi ilscesserent, comme on le sait.

    C'est St. Grgoire de Nysse qui

  • rapporte ces faits dans la Vie de St.Grgoire Taumaturge . Les Prtresdes Idoles devaient sans doute treanims contre Grgoire, & dansleur aveuglement le dfrer auMagistrat; cependant leur plusgrand ennemi n'essuya aucuneperscution.

    Il est dit dans l'Histoire de St.Cyprien, qu'il fut le premier Evquede Carthage condamn la mort. Lemartyre de St. Cyprien est de l'an258, de notre Ere; donc pendant untrs-long-temps aucun Evque de

  • Carthage ne fut immol pour sareligion. L'Histoire ne nous ditpoint quelles calomnies s'leverentcontre St. Cyprien, quels ennemis ilavait, pourquoi le Proconsuld'Afrique fut irrit contre lui. St.Cyprien crit Cornelius, Evquede Rome: Il arriva depuis peu unemotion populaire Carthage, &on cria par deux fois qu'il fallaitme jetter aux lions. Il est bienvraisemblable que lesemportements du Peuple froce deCarthage furent enfin cause de la

  • mort de Cyprien; & il est bien srque ce ne fut pas l'Empereur Gallusqui le condamna de si loin pour sareligion, puisqu'il laissait en paixCorneille qui vivait sous ses yeux.

    Tant de causes secretes semlent souvent la causeapparente, tant de ressorts inconnusservent perscuter un homme,qu'il est impossible de dmler,dans les siecles postrieurs, lasource cache des malheurs deshommes les plus considrables, plus forte raison celle du supplice

  • d'un Particulier qui ne pouvait treconnu que par ceux de son parti.

    Remarquez que St. GrgoireTaumaturge, & St. Denis, Evqued'Alexandrie, qui ne furent pointsupplicis, vivaient dans le tempsd e St. Cyprien. Pourquoi, tantaussi connus pour le moins que cetEvque de Carthage, demeurerent-ils paisibles? & pourquoi St.Cyprien fut-il livr au supplice?N'y a-t-il pas quelque apparenceque l'un succomba sous des ennemispersonnels & puissants, sous la

  • calomnie, sous le prtexte de laraison d'Etat, qui se joint si souvent la Religion, & que les autreseurent le bonheur d'chapper lamchancet des hommes?

    Il n'est gures possible que laseule accusation de Christianismeait fait prir St. Ignace, sous leclment & juste Trajan, puisqu'onpermit aux Chrtiens del'accompagner & de le consolerquand on le conduisit Rome[20]. Ily avait eu souvent des sditionsdans Antioche, ville toujours

  • turbulente, o Ignace tait Evquesecret des Chrtiens: peut-tre cessdi tions, malignement imputesaux Chrtiens innocents, exciterentl'attention du Gouvernement, qui futtromp, comme il est trop souventarriv.

    St. Simon, par exemple, futaccus devant Sapor d'tre l'espiondes Romains. L'Histoire de sonmartyre rapporte que le Roi Saporlui proposa d'adorer le Soleil: maison sait que les Perses ne rendaientpoint de culte au Soleil; ils le

  • regardaient comme un emblme dubon principe, d'Oromase, ouOrosmade, du Dieu Crateur qu'ilsreconnaissaient.

    Quelque tolrant que l'on puissetre, on ne peut s'empcher de sentirquelque indignation contre cesdclamateurs, qui accusentDiocltien d'avoir perscut lesChrtiens, depuis qu'il fut sur leTrne: rapportons-nous-en Eusebe de Csare, son tmoignagene peut tre rcus; le favori, lepangyriste de Constantin, l'ennemi

  • violent des Empereurs prcdents,doit en tre cru quand il les justifie:voici ses paroles: Hist. Ecclsiastiq. Liv.8.Les Empereurs donnerent long-temps aux Chrtiens de grandesmarques de bienveillance; ils leurconfierent des Provinces; plusieursChrtiens demeurerent dans lePalais; ils pouserent mme desChrtiennes; Diocltien prit pourson pouse Prisca, dont la fille futfemme de Maximien Galere, &c.

    Qu'on apprenne donc de cetmoignage dcisif ne plus

  • calomnier; qu'on juge si laperscution excite par Galere,aprs dix-neuf ans d'un regne declmence & de bienfaits, ne doitpas avoir sa source dans quelqueintrigue que nous ne connaissonspas.

    Qu'on voye combien la fable dela Lgion Thbaine ou Thbenne,massacre, dit-on, toute entierepour la Religion, est une fableabsurde. Il est ridicule qu'on ait faitvenir cette Lgion d'Asie par legrand St. Bernard; il est impossible

  • qu'on l'et appelle d'Asie pourvenir appaiser une sdition dans lesGaules, un an aprs que cettesdition avait t rprime: il n'estpas moins impossible qu'on aitgorg six mille hommesd'Infanterie, & sept cents Cavaliers,dans un passage o deux centshommes pourraient arrter uneArme entiere. La relation de cetteprtendue boucherie commence parune imposture vidente: Quand laterre gmissait sous la tyrannie deDiocltien, le Ciel se peuplait de

  • Martyrs. Or cette aventure, commeon l'a dit, est suppose en 286,temps o Diocltien favorisait leplus les Chrtiens, & o l'EmpireRomain fut le plus heureux. Enfin cequi devrait pargner toutes cesdiscussions, c'est qu'il eut jamais deLgion Thbaine: les Romainstaient trop fiers & trop senss pourcomposer une Lgion de cesEgyptiens qui ne servaient Romeque d'esclaves, Verna Canopi: c'estcomme s'ils avaient eu une LgionJuive. Nous avons les noms des

  • trente-deux Lgions qui faisaient lesprincipales forces de l'EmpireRomain; assurment la LgionThbaine ne s'y trouve pas.Rangeons donc ce conte avec lesvers acrostiches des Sibylles quiprdisaient les miracles deJESUS-CHRIST, & avec tant de piecessupposes, qu'un faux zele prodiguapour abuser la crdulit.

  • CHAPITRE X.

    Du danger des fausses

    lgendes, & de la

    perscution.

    LE mensonge en a trop long-tempsimpos aux hommes; il est temps

  • qu'on connaisse le peu de vritsqu'on peut dmler travers cesnuages de fables qui couvrentl'Histoire Romaine, depuis Tacite& Sutone, & qui ont presquetoujours envelopp les Annales desautres Nations anciennes.

    Comment peut-on croire, parexemple, que les Romains, cePeuple grave & svere, de qui noustenons nos Loix, ayent condamndes Vierges Chrtiennes, des fillesde qualit, la prostitution. C'estbien mal connatre l'austere dignit

  • de nos Lgislateurs, qui punissaientsi svrement les faiblesses desVestales. Les Actes sinceres deRuinart rapportent ces turpitudes;mais doit-on croire aux Actes deRuinart, comme aux Actes desAptres? Ces Actes sinceres disent,aprs Bollandus, qu'il y avait dansla Ville d'Ancyre sept ViergesChrtiennes, d'environ soixante &dix ans chacune; que le GouverneurThodecte les condamna passerpar les mains des jeunes gens de laVille, mais que ces Vierges ayant

  • t pargnes, (comme de raison) illes obligea de servir toutes nues auxmysteres de Diane, auxquels,pourtant, on n'assista jamais qu'avecun voile. S. Thodote, qui lavrit tait Cabaretier, mais quin'en tait pas moins zl, pria Dieuardemment de vouloir bien fairemourir ces saintes filles, de peurqu'elles ne succombassent latentation: Dieu l'exaua; leGouverneur les fit jetter dans un lacavec une pierre au cou: ellesapparurent aussi-tt Thodote, &

  • le prierent de ne pas souffrir queleurs corps fussent mangs despoissons: ce furent leurs propresparoles.

    Le St. Cabaretier & sescompagnons allerent pendant la nuitau bord du lac, gard par dessoldats; un flambeau cleste marchatoujours devant eux, & quand ilsfurent au lieu o taient les Gardes,un Cavalier cleste, arm de toutespieces, poursuivit ces Gardes lalance la main: St. Thodote retiradu lac les corps des Vierges: il fut

  • men devant le Gouverneur, & leCavalier cleste n'empcha pasqu'on ne lui trancht la tte. Necessons de rpter que nousvnrons les vrais Martyrs, maisqu'il est difficile de croire cettehistoire de Bollandus & deRuinart.

    Faut-il rapporter ici le Conte dujeune St. Romain? On le jetta dansle feu, dit Eusebe, & des Juifs quitaient prsents, insulterent JESUS-CHRIST qui laissait bruler sesConfesseurs, aprs que Dieu avait

  • tir Sidrac, Mizac & Abdenago dela fournaise ardente. A peine lesJuifs eurent-ils parl, que St.Romain sortit triomphant du bucher:l'Empereur ordonna qu'on luipardonnt, & dit au Juge qu'il nevoulait rien avoir dmler avecDieu. (tranges paroles pourDiocltien!) Le Juge, malgrl'indulgence de l'Empereur,commanda qu'on coupt la langue St. Romain; & quoiqu'il et desbourreaux, il fit faire cetteopration par un Mdecin. Le jeune

  • Romain, n begue, parla avecvolubilit ds qu'il eut la languecoupe. Le Mdecin essuya unerprimande; & pour montrer quel'opration tait faite selon lesregles de l'art, il prit un passant, &lui coupa juste autant de langue qu'ilen avait coup St. Romain, dequoi le passant mourut sur lec ha mp : car, ajoute savammentl'Auteur, l'Anatomie nous apprendqu'un homme sans langue nesaurait vivre. En vrit, si Eusebea crit de pareilles fadaises, si on

  • ne les a point ajoutes ses Ecrits,quel fond peut-on faire sur sonHistoire?

    On nous donne le martyre deSte. Flicit & de ses sept enfants,envoys, dit-on, la mort par lesage & pieux Antonin, sans nommerl'Auteur de la relation. Il est bienvraisemblable que quelque Auteur,plus zl que vrai, a voulu imiterl'Histoire des Macabes; c'est ainsique commence la relation: Ste,Flicit tait Romaine, elle vivaitsous le regne d'Antonin: il est

  • clair, par ces paroles, que l'Auteurn'tait pas contemporain de Ste.Flicit; il dit que le Prteur lesjugea sur son Tribunal dans lechamp de Mars; mais le Prfet deRome tenait son Tribunal auCapitole, & non au champ de Mars,qui, aprs avoir servi tenir lesComices, servait alors aux revuesdes Soldats, aux courses, aux jeuxmilitaires: cela seul dmontre lasupposition.

    Il est dit encore, qu'aprs lejugement, l'Empereur commit

  • diffrents Juges le soin de faireexcuter l'Arrt; ce qui estentirement contraire toutes lesformalits de ces temps-l, & celles de tous les temps.

    Il y a de mme un saintHyppolite, que l'on suppose tranpar des chevaux, comme Hyppolitefils de Thse. Ce supplice ne futjamais connu des anciens Romains;& la seule ressemblance du nom afait inventer cette fable.

    Observez encore que dans les

  • Relations des martyres, composesuniquement par les Chrtiensmmes, on voit presque toujoursune foule de Chrtiens venirlibrement dans la prison ducondamn, le suivre au supplice,recueillir son sang, ensevelir soncorps, faire des miracles avec lesreliques. Si c'tait la Religion seulequ'on et perscute, n'aurait-on pasimmol ces Chrtiens dclars quiassistaient leurs freres condamns,& qu'on accusait d'oprer desenchantements avec les restes des

  • corps martyriss? Ne les aurait-onpas traits comme nous avons traitles Vaudois, les Albigeois, lesHussites, les diffrentes sectes desProtestants? nous les avons gorgs,brls en foule, sans distinction nid'ge ni de sexe. Y a-t-il dans lesRelations avres des perscutionsanciennes un seul trait qui approchede la St. Barthelemi, & desmassacres d'Irlande? Y en a-t-il unseul qui ressemble la Fteannuelle qu'on clebre encore dansToulouse, fte cruelle, fte

  • abolissable jamais, dans laquelleun Peuple entier remercie Dieu enprocession, & se flicite d'avoirgorg il y a deux cents ans quatremille de ses Concitoyens?

    Je le dis avec horreur, maisavec vrit: c'est nous Chrtiens,c'est nous qui avons tperscuteurs, bourreaux, assassins!& de qui? de nos freres. C'est nousqui avons dtruit cent Villes, leCrucifix ou la Bible la main, &qui n'avons cess de rpandre lesang, & d'allumer des buchers,

  • depuis le regne de Constantinjusqu'aux fureurs des Cannibalesqui habitaient les Cvennes; fureurs,qui, graces au Ciel, ne subsistentplus aujourd'hui.

    Nous envoyons encorequelquefois la potence, depauvres gens du Poitou, duVivarais, de Valence, deMontauban. Nous avons pendudepuis 1745, huit personnages deceux qu'on appelle Prdicants, ouMinistres de l'Evangile, quin'avaient d'autre crime que d'avoir

  • pri Dieu pour le Roi en patois, &d'avoir donn une goutte de vin &un morceau de pain lev quelquesPaysans imbcilles. On ne sait riende cela dans Paris, o le plaisir estla seule chose importante, o l'onignore tout ce qui se passe enProvince & chez les Etrangers. Cesprocs se font en une heure, & plusvite qu'on ne juge un dserteur. Si leRoi en tait instruit, il ferait grace.

    On ne traite ainsi les PrtresCatholiques en aucun PaysProtestant. Il y a plus de cent

  • Prtres Catholiques en Angleterre& en Irlande, on les connat, on lesa laiss vivre trs-paisiblementdans la derniere guerre.

    Serons-nous toujours lesderniers embrasser les opinionssaines des autres Nations? Elles sesont corriges; quand nouscorrigerons-nous? Il a fallu soixanteans pour nous faire adopter ce queNewton avait dmontr; nouscommenons peine oser sauverla vie nos enfants parl'inoculation; nous ne pratiquons

  • que depuis trs-peu de temps lesvrais principes de l'agriculture;quand commencerons-nous pratiquer les vrais principes del'humanit? & de quel frontpouvons-nous reprocher aux Paensd'avoir fait des Martyrs, tandis quenous avons t coupables de lamme cruaut dans les mmescirconstances?

    Accordons que les Romains ontfait mourir une multitude deChrtiens pour leur seule Religion;en ce cas, les Romains ont t trs-

  • condamnables. Voudrions-nouscommettre la mme injustice? &quand nous leur reprochons d'avoirperscut, voudrions-nous treperscuteurs?

    S'il se trouvait quelqu'un assezdpourvu de bonne foi, ou assezfanatique, pour me dire ici:Pourquoi venez-vous dveloppernos erreurs & nos fautes? pourquoidtruire nos faux miracles & nosfausses lgendes? elles sontl'aliment de la pit de plusieurspersonnes; il y a des erreurs

  • ncessaires; n'arrachez pas du corpsun ulcere invtr qui entraneraitavec lui la destruction du corps:voici ce que je lui rpondrais.

    Tous ces faux miracles, parlesquels vous branlez la foi qu'ondoit aux vritables, toutes ceslgendes absurdes que vous ajoutezaux vrits de l'Evangile, teignentla Religion dans les curs; trop depersonnes qui veulent s'instruire, &qui n'ont pas le temps de s'instruireassez, disent: Les Matres de maReligion m'ont tromp, il n'y a donc

  • point de Religion; il vaut mieux sejetter dans les bras de la nature quedans ceux de l'erreur; j'aime mieuxdpendre de la Loi naturelle quedes inventions des hommes.D'autres ont le malheur d'allerencore plus loin; ils voyent quel'imposture leur a mis un frein, & ilsne veulent pas mme du frein de lavrit; ils penchent vers l'Athisme:on devient dprav, parce qued'autres ont t fourbes & cruels.

    Voil certainement lesconsquences de toutes les fraudes

  • pieuses & de toutes lessuperstitions. Les hommesd'ordinaire ne raisonnent qu' demi;c'est un trs-mauvais argument quede dire: Voragin, l'auteur de lalgende dore, & le JsuiteRibadeneira, compilateur de lafleur des Saints, n'ont dit que dessottises; donc il n'y a point de Dieu:Les Catholiques ont gorg uncertain nombre d'Huguenots, & lesHuguenots leur tour ont assassinun certain nombre de Catholiques;donc il n'y a point de Dieu. On s'est

  • servi de la Confession, de laCommunion & de tous lesSacrements, pour commettre lescrimes les plus horribles; donc iln'y a point de Dieu: Je conclurais aucontraire, donc il y a un Dieu, quiaprs cette vie passagere, danslaquelle nous l'avons tant mconnu,& tant commis de crimes en sonnom, daignera nous consoler de tantd'horribles malheurs; car considrer les guerres de Religion,les quarante schismes des Papes,qui ont presque tous t sanglants,

  • les impostures qui ont presquetoutes t funestes, les hainesirrconciliables allumes par lesdiffrentes opinions, voir tous lesmaux qu'a produit le faux zele, leshommes ont eu long-temps leurenfer dans cette vie.

  • CHAPITRE XI.

    Abus de l'Intolrance.

    MAis quoi! sera-t-il permis chaque Citoyen de ne croire que saraison, & de penser ce que cetteraison claire ou trompe luidictera? Il le faut bien,[21] pourvuqu'il ne trouble point l'ordre; car ilne dpend pas de l'homme de

  • croire, ou de ne pas croire; mais ildpend de lui de respecter lesusages de sa Patrie: & si vousdisiez que c'est un crime de ne pascroire la Religion dominante,vous accuseriez donc vous-mmesles premiers Chrtiens vos peres, &vous justifieriez ceux que vousaccusez de les avoir livrs auxsupplices.

    Vous rpondez que la diffrenceest grande, que toutes les Religionssont les ouvrages des hommes, &que l'Eglise Catholique Apostolique

  • & Romaine est seule l'ouvrage deDieu. Mais en bonne foi, parce quenotre Religion est divine, doit-ellergner par la haine, par les fureurs,par les exils, par l'enlvement desbiens, les prisons, les tortures, lesmeurtres, & par les actions degraces rendues Dieu pour cesmeurtres? Plus la ReligionChrtienne est divine, moins ilappartient l'homme de lacommander; si Dieu l'a faite, Dieula soutiendra sans vous. Vous savezque l'intolrance ne produit que des

  • hypocrites ou des rebelles; quellefuneste alternative! Enfin, voudriez-vous soutenir par des bourreaux laReligion d'un Dieu que desbourreaux ont fait prir, & qui n'aprch que la douceur & lapatience?

    Voyez, je vous prie, lesconsquences affreuses du droit del'intolrance: s'il tait permis dedpouiller de ses biens, de jetterdans les cachots, de tuer un Citoyen,qui sous un tel degr de latitude neprofesserait pas la Religion admise

  • sous ce degr, quelle exceptionexempterait les premiers de l'Etatdes mmes peines? La Religion liegalement le Monarque & lesmendiants: aussi, plus de cinquanteDocteurs ou Moines ont affirmcette horreur monstrueuse, qu'il taitpermis de dposer, de tuer lesSouverains qui ne penseraient pascomme l'Eglise dominante; & lesParlements du Royaume n'ont cessde proscrire ces abominablesdcisions d'abominablesThologiens.[22]

  • Le sang de Henri-le-Grandfumait encore, quand le Parlementde Paris donna un Arrt quitablissait l'indpendance de laCouronne, comme une Loifondamentale. Le CardinalDuperron, qui devait la pourpre Henri-le-Grand, s'leva dans lesEtats de 1614 contre l'Arrt duParlement, & le fit supprimer. Tousles Journaux du temps rapportentles termes dont Duperron se servitdans ses harangues: Si un Prince sefaisait Arien, dit-il, on serait bien

  • oblig de le dposer.

    Non assurment, Monsieur leCardinal; on veut bien adopter votresupposition chimrique, qu'un denos Rois ayant lu l'Histoire desConciles & des Peres, frappd'ailleurs de ces paroles, mon Pereest plus grand que moi, les prenanttrop la lettre, & balanant entre leConcile de Nice & celui deConstantinople, se dclart pourEusebe de Nicomdie, je n'enobirais pas moins mon Roi, je neme croirais pas moins li par le

  • serment que je lui ai fait; & si vousosiez vous soulever contre lui, &que je fusse un de vos juges, je vousdclarerais criminel de leze-Majest.

    Duperron poussa plus loin ladispute, & je l'abrege. Ce n'est pasici le lieu d'approfondir ceschimeres rvoltantes; je mebornerai dire avec tous lesCitoyens, que ce n'est pas parce queHenri IV. fut sacr Chartres qu'onlui devait obissance, mais parceque le droit incontestable de la

  • naissance donnait la Couronne cePrince, qui la mritait par soncourage & par sa bont.

    Qu'il soit donc permis de direque tout Citoye