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    TOPIQUES FREUDIENNES DU MYTHE. THSES SUR LAMYTHENFORSCHUNGANALYTIQUEPaul-Laurent AssounL'Esprit du temps | Topique

    2003/3 - no 84pages 173 184

    ISSN 0040-9375

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-topique-2003-3-page-173.htm

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    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Assoun Paul-Laurent, Topiques freudiennes du mythe. Thses sur la Mythenforschunganalytique ,

    Topique, 2003/3 no 84, p. 173-184. DOI : 10.3917/top.084.0173

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    La moindre des choses, pour une exploration des mythes, linterface de

    lanthropologie et de la psychanalyse, est de sassurer de la prise freudienne surla question du mythe. Par o le prend-il, lui, Freud, le mythe ? Comment ledfinit-il ? Quel en est le mode dusage ?

    Il y a bien une contribution freudienne la Mythenforschung, cettedimension de la recherche (Forschung) qui sapplique aux mythes, dans lecadre de sa contribution gnrique et diversifie au lien social 1.

    En apparence, les choses sont simples : les mythes existent ils sontcrits et produits , il sagirait de dterminer la lecture analytique qui peut entre faite.

    Encore faut-il, pour fixer la problmatique de lanthropologie analy-

    tique dont la question du mythe (Mythenfrage) est un lment majeur,situer la perce ralise par Freud sur la question gnrique en son lieu propre.Cela revient marquer les thses fondamentales de la mythologique freu-dienne, ainsi que les dplacements quinduit lentendement freudien 2

    sur lapprhension du mythe. Lexemple du mythe, voil la chose-mmede lanthropologie psychanalytique. Cest pourquoi il est essentiel ici de fixerla posture freudienne envers la chose mythologique , par quoi elle affecteen retour lanthropologie en y introduisant la considration de la causalitinconsciente.

    Topiques freudiennes du mythe.Thses sur laMythenforschung

    analytique

    Paul-Laurent Assoun

    Topique,2003, 84, 173-184.

    1. P.L. Assoun,Freud et les sciences sociales. Psychanalyse et thorie de la culture,ArmandColin, Cursus , 1993, chapitre 5, Mythe, inconscient et culture, pp. 61-69.

    2. P.L. Assoun,Lentendement freudien. Logos et Anank, Gallimard, 1984.

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    LOBJET MYTHE

    On rappellera la dfinition nuclaire du mythe. Il sagit dun rcit, dune miseen squence dvnements raconts (voil ce qui sest pass , et alors , etpuis , etc.), sans cesse rcrit. Rcit dactes, notamment dexploits, venantanimer et dnouer un drame.

    Cercitest soutenu par unecroyancequi laccrdite en mme temps quilsoutient par un cercle constitutif cette croyance : comment, pour le mytholo-gue , raconter le mythe sans y croire et laccrditer? Et cest de le raconter, inlas-sablement, que le destinataire du rcit y croit, en quelque sorte, de plus en plus.

    Ce rcit crdible et cru donne lieu une pratique: issu du groupe, il ensoutient la praxis par lerituel: la mythologie est lidologie du rite ; le rite,la mise en acte du mythe.

    Enfin, le mythe a une ambition explicative : fonctiontiologiqueinhrente sa narrativit le mythe est en ce sens une thorie sociale auto-gnre.

    Il ne resterait plus la psychanalyse qu intervenir pour dgager les compo-santes inconscientes du mythe.

    On aurait pourtant tort de croire que la psychanalyse accrdite lide duninconscient du mythe : cest plutt la croyance spontane et immanente du

    Mythenforscher, du foreur des mythes.

    LA TOPIQUE FREUDIENNE DU MYTHE

    Un premier constat, propre introduire une gne (utile) dans notre plaisir dchiffrer les mythes laide de linstrument freudien : si Freud touche unegrande diversit de mythes, crire au pluriel, comme il se doit, il semblecomme dessein ne jamais sy attarder, au point de frustrer son lecteur, toujoursgourmand quon lui raconte les histoires en dtail.

    Un inventaire nest pas inutile, car il dpasse les attentes. On relve quelque

    trente-cinq rfrences des motifs mythologiques dans son uvre publie3

    .

    3. Un relev des fragments mythographiques dans les Gesammelte Werke (G.W.) rvle quilest question de la naissance dAdam (G.W. I, 23), des Arunta (G.W. IX, 141), des mythes astraux(G.W. X, 25 ; XIV, 95), dexposition des enfants (G.W. XVI, 107), de la bisexualit (G.W. V, 34,G.W. XIII, 62), de Platon, de laveuglement (G.W. XII, 243), du mythe christique (G.W. IX,185), des dmons et de Dyonisos (G.W. IX, 185), de la rnovation (G.W. XVI, 8), de Faust (G.W.XIII, 318), du feu (G.W., XII, 126 ; G.W. XVI, 4), de la naissance du hros (G.W. XVI, 106-111),de Mose (G.W. XVI, 108-110, 161), de la dvoration (G.W. XIV, 133, 239), de lge dor (G.W.IX, 141), des dieux tueurs danimaux (G.W. IX, 181), des hros (G.W, XVI, 6, 106), de lhydre

    de Lerne (G.W. XVI, 7), de linceste (G.W. XI, 347), de Jonas (G.W. X, 14, 19), de Joseph (G.W.XVI, 213), de Kronos (G.W. X, 9 ; G.W XII, 58 ; G.W. XIV, 133, 239), du labyrinthe (G.W XV,26), de Mde (G.W. V, 222), de la Mduse (G.W. XII, 126 ; G.W. XIII, 296 ;G.W. XV, 25 ; G.W.XVI, 4 ; XVII, 47), de Narcisse (G.W. VIII, 170 ;G.W. XII, 6), de la nature (G.W. IX, 32),dOrphe (G.W. IX, 185), de Promthe (G.W. XVI, 4), des animaux (G.W. IX, 178, 181 ; G.W.XIII, 153), des Titans (G.W. IX, 185), de Tobias (G.W. XII, 175), des desses de la mort (G.W.X, 31-37), de lImmacule Conception, ...du meurtre du pre (G.W. IX, 186).

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    Il y a deux exceptions cette clause de non-dveloppement : celle du mythede Promthe qui fait lobjet dun dchiffrement plus systmatique et celle dela Mduse : encore le premier est-il en quelque sorte impos comme unappendice un dveloppement duMalaise dans la cultureet le second lobjetdun dveloppement princeps non publi (quoique revenant dans des allusionsrcurrentes de luvre).

    Dautre part, cette diversit ne va pas dans tous les sens. On peut y distinguerplusieurs sous-ensembles.

    En premier lieu, comme il se doit, la mythologie grecque se taille la partdu lion : Dyonisos, Mde, Narcisse, Promthe, Mde, Kronos et les Titans du cycle hsiodique , le mythe orphique, le thme mythique du labyrinthe du cycle du Minotaure , de lhydre de Lerne du cycle dHercule , deMduse, des desses de la mort, de laveuglement et de la rnovation... ainsiquun certain dipe.

    En second lieu, rfrences bibliques qui, quoiquantithtiques la mytho-logique , fournissent Freud des allusions comme versions de lorigine : Adam,Jonas, Joseph, Tobias, sans compter la rfrence majeure Mose.

    En dehors de ces deux sous-ensembles majeurs, on trouve des allusionslimites dautres sphres culturelles, tels les Aruntas comme il se doit, dans

    le contexte de lexploration ethnologique deTotem et tabou, ce qui impose unpoint de vue interculturel .

    Reste dune part une allusion ponctuelle aux mythes chrtiens du mythechristique lImmacule Conception , dautre part lallusion au grand mythede la modernit, celui de Faust.

    Enfin last but not least, le texte freudien engendre un mythe indit, celuidu meurtre du pre et son corrlat, le mythe de la naissance du hros ,dmarqu de Rank.

    Les deux rfrents mythiques de la mtapsychologie dipe et Narcisse

    ne font lobjet daucun traitement hermneutique. Ce sont des oprateurs dusujet inconscient. Cest pourquoi Freud en donne un argument 4, fidle, assezsolide mais sommaire et slectionne sans tats dmes les lments pertinentspour dgager le complexe et la structure. Sauf prciser que nos thories(mtapsychologiques) sont nos mythes : ainsi de la doctrine pulsionnelle (Trieblehre) 5.

    On en entrevoit les consquences pour une mthodologie dapprhensionpsychanalytique de la mythologique.

    En attendant, cela produit des dplacements majeurs sur lintelligibilit du

    mythe.

    4.Un souvenir denfance de Lonard de Vinci, G.W. VIII, 170.5. Ainsi Einstein , inPourquoi la guerre?

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    LA PSYCHANALYSE LA CONQUTE DU MYTHE

    Que sont les mythes dans le discours freudien ? Les produits sculaires delaVolksphantasie( imagination populaire ) 6.

    Cest en quelque sorte la jouissance des peuples, qui sourd de leurs rcitsfondateurs. En eux, vient lexpression, sous forme projective, le contenuinconscient interne.

    La mtapsychologie est, ne loublions pas, en sa premire acception, une psycho-mythologie7 : la conception mythologique du monde nest que de la psychologie projete vers le monde extrieur . Cela suppose lobscure

    perception interne par le sujet de son propre appareil psychique ce qui estdsign comme perception endopsychique . Cest en ce sens que, comme ille dit Jones en 1908, le sujet de la mythologie doit tre conquis par nosvues 8. Limage de la conqute, assez belliqueuse, se retrouve dans la corres-pondance avec Jung : la mythologie doit tre entirement conquise par nous 9.Cest ainsi que les thories infantiles de la sexualit sont indispensables pourla comprhension du mythe 10. Si la mythologie doit tre investie par lapsychanalyse sur ce mode conqurant, cest quil sagit dun continent quisemble sauto-suffire et gnrer en quelque sorte sa propre hermneutique.

    La science de linconscient est doncEntlarvung, dmasquement du mythe. Tout a, cest des histoires... Comme lun de ses fils qui se dtournait avecmpris dune histoire ds lors quil apprenait quelle tait invente, le crateurde la psychanalyse, sans bouder son plaisir de dchiffrer le rcit, le confronteau rel inconscient qui le sous-tend. La psychanalyse est dans le mouvementqui, bien en de de lAufklrung, traite le mythe comme dguisement et le ds-hermneutise en quelque sorte.

    Ainsi savoir lire les mythes, cest les d-masquer , en en dchiffrant lajouissance encrypte. LaMythenforschungfreudienne porte en elle une critiquevirtuelle de toute hermneutique mythique.

    LAMYTHENFORSCHUNGFREUDIENNE

    En premier lieu, Freud traite donc le mythe comme un matriel dmasquer en contraste de Jung qui y cherche et y dcouvre une cl delInconscient. Cela suppose de le ramener au rel (inconscient).

    6.Lcrivain et le fantasmer, 1908, G.W. VII.7. Lettre Fliess du 12 dcembre 1897, inLa naissance de la psychanalyse et Psycho-pathologie de la vie quotidienne, ch. VII.

    8. Lettre Jones.9. Lettre Jung, 17 octobre 1909, in S. Freud, C.G. Jung, Correspondance, Gallimard,

    T.1.10. Lettre Jung du 12 dcembre 1909, op. cit.

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    Ainsi faut-il en entendre sa mise au point : Nous ne croyons pas, avecmaints chercheurs de mythes (Mythenforschers) que les mythes sont cueillis(abgelesen: littralement tombs lire) du ciel, ils ont plutt t projetsau ciel 11. Freud renoue l avec le premier geste de lvhmrisme, qui conoitles dieux du mythe religieux comme des projections. Il adhre aussi bien limpratif feuerbachien de rapatriement sur terre des contenus clestes 12.Les mythes et allgories font marcher dans le rel des crations endopsychiques,des projections vivantes.

    Ceci est un premier avertissement qui vaut comme lnonc de la Thse I :

    Le freudisme nest pas une hermneutique des mythes. La thorie analytiquedu mythe est une analyse structurale du texte mytho-logique, partir dun traitqui en trahit le travail de dformation.

    LE (SEUL) MYTHE SCIENTIFIQUE

    Cela nous permet dy inscrire les dplacements fconds sur le champ delanthropologie des mythes.

    Dplacement 1. Voici tout dabord de quoi nous consoler : le crateur de lapsychanalyse semble avoir cr un mythe neuf. On serait tent de dire queFreud a rallong la liste des mythes dun nouveau, de son cru, issu de sonPhantasieren mythographique, nommment le meurtre du pre . Il est sansdoute important de noter que Freud est un inventeur de mythe. Cest toujourscela quil dpose dans la corbeille pleine craquer de mythes, mais alors,unmythe, cest un peu mince...

    De fait, comme mythologue, il a plutt russi son coup : ce meurtre dupre, il la accrdit comme rcit mythique quoique cela ouvre un dbat

    intense : faut-il y croire, ce rcit, et sur lautorit de quoi ? De sa cliniqueet/ou de son anthropologie ?Il date de la section 5 deTotem et tabou, o Freud prend la parole comme

    le ferait nimporte quel narrateur, qui se lve et raconte.coutons dune oreille mythophilique cette histoire du mythographe

    Freud, qui nous est devenue trop familire : Un jour les frres rvolts serunirent, abattirent et mangrent le pre et mirent fin la horde originaire 13.Ce rcit est fil pour rpondre une question : celle du trou entre ltat origi-naire de la socit qui na jamais fait lobjet dune observation et ce que nousconstatons, des liens dhommes (Mnnerverbnde).

    11.Le motif du choix des coffrets, G.W. X, 25.12. Sur le lien entre Freud et Feuerbach, cf.Notre Freud, la philosophie et les philosophes,

    P.U.F., Quadrige, 2e d.., 1995.13.Totem et tabou, G.W. IX, 171.

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    Quel genre de mythe est-ce l ?a/ dabord il lappelle un mythe scientifique . Et un mythe scientifique,

    cest quand mme trs particulier. Le mythe se soutient de son opposition aulogos et la science, qui relaient lambition explicative du mythe, donc deprincipe le remplacent. De deux choses lune: ou bien, cest un mythe, et ane peut pas tre scientifique; ou bien, cest scientifique, et le terme mythe est dplac, ou du moins la smantique doit-elle en tre rvise.

    Que veut dire ici wissenschaftlich ? Cest que, dabord, il accorde une portescientifique lhypothse de la horde primitive (atkinsonienne) ; quil y a unchamp scientifique ethnologique de Frazer Taylor. Cest surtout que, sous

    leffet du Phantasieren 14, on peut, mieux, on doit accoler les acquis de la sciencedu vivant et du social au savoir de linconscient.Totem et tabouest ce texte quise veut agissant dans le registre de la science et na aucun sens ailleurs cestce geste qui fonde lanthropologie psychanalytique , dont nous tenons quela rptition engage la recherche.

    Freud insiste donc : je vais vous fourbir un mythe scientifique . Cest, onle comprend, un mythe unique en son genre...

    b/ on la vu dans le contexte, sil faut un mythe, cest parce quil y a un trou

    entre lorigine (non observe) et la ralit sociale visible. Un trou dans le relne se bouche que par une fiction, elle-mme taye sur le repas primitif (Robertson Smith), dont il se sert, selon sa belle image, comme dune gondole pour naviguer sur ce canal soudain accessible, au-del du fatras dela littrature antrieure. Mais ce mythe nest autre aux yeux de Freud que lathorie du rel collectif, saisi depuis le rel inconscient.

    c/ chez Freud, il y a la fois la production de ce mythe lui, dautre part unethorie du mythe, enfin une interprtation des mythes.

    La thorie du mythe est drive de la production du mythe scientifique.Cela nous impose notre Thse II.Le Meurtre du Pre est loprateur minimal

    et ncessaire de d-mythitification.

    Contre la clture scientifique du dni du sujet, Freud introduit une crituremythographique; contre le mensonge du mythe, il introduit le rcit quedissimule tout mythe : criture du rel.

    Cest le mythe le plus lmentaire et le plus invraisemblable, mais quele symptme rend irrfutable. Aussi ne sentend-il que depuis le symptme.Pour le dire en termes extrmes : toute criture mythique est rcriture frau-

    duleuse du meurtre du pre. Celui-ci nonce donc le refoul originairedu collectif.

    14. Sur cette catgorie, cf. notreLentendement freudien. Logos et Anank, Gallimard, 1984etIntroduction la mtapsychologie freudienne, P.U.F., Quadrige, 1993.

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    Cest l un point de vue sur lexplication de Freud avec le judasme. Sansredployer toute ltude surLhomme Mose et la religion monothiste, quel estle rsultat ? Dire que les Juifs ont rpt sur leur prophte lActe doriginequi le sanctifie comme pre symbolique, cest signifier quils sont dans lerapport maximal de proximit avec le Pre. Cest le refoul paternel qui travaillele texte biblique tout entier. Do lantipathie viscrale de l esprit juif expression problmatique laquelle Freud se confronte la mentalit magiquequi sous-tend la mythologie 15. LaGensenest pas la variante mythologiquejuive, bien que le texte juif vienne se heurter, comme celui de tous les autrespeuples, la question de lOrigine et corrlativement du sexuel. Le christianisme

    est un retour du mythe : Dans le mythe christique, le pch originel de lhommeest indniablement un pch (Versndigung) contre le Pre-Dieu (Gottvater) 16.Do le regain de jouissance collective quil implique et qui en quelque sorteen garantit le succs historique.

    LE GNRATEUR MYTHIQUE : LE MENSONGE HROQUE

    Mais voici le dplacement 2, celui de la gnalogie du mythe. Elle apparat

    avec le plus de clart dansPsychologie collective et analyse du moi, partir delhypothse de Rank ds 1909, mais qui va samplifier avec lintroduction de son mythe. Cela donne lieu la dfinition la plus spcifique du mythe chezFreud : Le mythe est... le pas par lequel lindividu sort de la psychologie desmasses. Le premier mythe tait certainement le mythe psychologique, le mythedes hros 17. Le mythe est donc un pas ou une enjambe (Schritt) par lequelle sujet sort de la psychologie des masses. En premier lieu, le mythe ralise,par le rcit, lacte de dgagement de la psychologie de masses : il ralise unesorte dmancipation, il secoue le collier. En second lieu, ce mythe gnrateurrepose sur un remaniement du pome (Umdichtung) ou, pour le dire avec moins

    de nuances, un mensonge ou, avec plus dexactitude, un trucage .Ce trucage, on peut le situer avec prcision : dans la ralit nonce par le

    mythe scientifique princeps, cest le groupe de fils rvolts qui, sous la pressionde loppression et de la ncessit, ont mis mort lUrvater. Cest l la vritau plan de laMassenpsychologie. Dans la version mythique, cest cens trelacte unique et volontaire dun seul qui sest soulev et a triomph par sespropres forces du pre : cela commence par le fait dtre n son insu, ce quisuppose quand mme que la mre ait fait son homme un enfant dans le dos...Le mythe du hros sent la Mre (Mutterleib).

    Pourquoi est-ce l le mythe gnrateur, le mythe tiologique ? Parce que cestl explication de lvnement, en mme temps que son dguisement minimal

    15. Lettre de Freud Ehrenwald du 14 dcembre 1937.16.Totem et tabou, G.W. IX, 185.17.Psychologie collective et analyse du moi, G.W. XIII, 153.

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    ou basique. Cest une supplance thorique la question de lOrigine, surlesquels sobnubilent avec complaisance et volupt les rcits mythiques.

    On assiste en effet la saga dun individu dexception, qui ralise desexploits. Cela permet de faire sans cesse allusion lExploit venir bout duPre sans avouer ce que le hros est cens raliser. Cest l lexploit desexploits, dcrypter derrire toute saga.

    AUTEUR DU MYTHE, MYTHE DE LAUTEUR

    Mieux : cest lAuteur qui produit le mythe en racontant lhistoire de sonhros qui endosse la paternit fictive du meurtre ainsi enjoliv . Cest une

    Beschnigung une version enjolive de lActe brutal, crime en runion .Car pour Freud, cest bien le rel : dsirer tuer le pre et lavoir fait, a faitdeux , comme il le souligne Jones quelque peu interloqu.

    La version infantile en est le roman familial. Cest aussi la vocation litt-raire : se faire un nom de la renomme de son hros. Pas moyen de se faire un

    nom que de se faire accrditer comme lauteur du meurtre du pre (cf. le malet la littrature ). Do lide capitale de la fonction de lauteur moderne deremettre la disposition de son lecteur le sens du mythe originaire 18. Freudintroduit dans le grand Rcit mythique car le Rcit mythique est sans fin, ilest proprement logorrhique une ponctuation majeure. Tout mythe, cod,comme il se doit, dans la culture du groupe qui se le raconte est le travestis-sement du mythe nonable sur le fondement du savoir inconscient, commemeurtre du pre.

    Quest-ce dire, sinon que les peuples sont prts se raconter tout et

    nimporte quoi (un nimporte quoi soigneusement ficel), plutt que le rcitque les rcits servent voquer et dguiser, soit le Meurtre du Pre ? La psycha-nalyse prend la parole prodigieux coup de pied dans les curies dAugias dela mythographie (tant lon nchappe pas au mythe, dans la mtaphore) pouradresser son avertissement aux peuples mythologisants : vous mythologisez parce que vous ne voulez pas avouer que vos anctres ont tu le pre, pourne pas lavouer. Le mythe est un euphmisme du meurtre du pre, unesupplance bavarde de cet aveu impossible. Ce sont, comme mensonges actifs,des variantes du mythe du hros . Lanthropologie psychanalytique du mythene peut lentendre qu ne pas perdre de vue que le mythe ment, activement,

    brillamment.

    18. Sur cette ide contenue dansLe thme du choix des coffrets (1913), cf. notre commen-taire inLittrature et psychanalyse. Freud et la cration littraire, Ellipses/Marketing, 1995.

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    DU HROS LA FEMME: LE CUR DU MYTHE

    Ainsi, le hros est le meurtrier hroque accrdit par lUrdichtung, la fictionoriginaire. On voit que le meurtre du pre comporte comme annexe ce mythedu hros et le dnonce comme une rcriture frauduleuse, tout en en mesurantla porte comme gnrateur mytho-logique. Cest aussi le moment de chercher la femme ...

    Thse III.Il y a un reste dans ce mythe, cest le fminin, que le mythe localiseen le m-disant, reliquat structural.

    Alors quon pourrait reprocher au mythe freudien dtre patriarcal, il apparatque la fonction de ce mythe est de cerner le point obscur de la socialit.Cela se marquea contrarioau fait que la femme est hors de lacte originaire :elle est celle qui na pas tu le pre. La femme est au lieu mme du rapt:si lUrvaterest celui qui rapte les femmes, en un raptus, le meurtre est destin les lui ravir. Version inconsciente de la circulation des femmes .

    La mise en scne de lenlvement des femmes style enlvement desSabines pourrait tre une Umdichtung : les fils feignent de se chourraverles femmes pour accomplir leur fondation. Couverture de lvnement vritable :

    ils se sont coaliss pour mettre mort la bte paternelle primitive.Le ravissement (lenlvement des femmes) fait ainsi cho au ravissement,

    soit la jouissance fminine, en cho de la mort du Pre. Point dUnheimliche.

    Un effet pervers est quelle finit par tre inculpe comme cause du meurtre :cest cause delle que lon a t oblig de tuer le pre, cest donc de safaute 19.

    Mais le fminin sinscrit plus radicalement, sous linstance de la DesseMre, comme point de rsistance lhistoire, figure du rel : cest dit demimots (comme il se doit ) dans Grande est la Diane des Ephsiens .

    Par ailleurs la puissance de la mre se manifeste par le mythe du hros, carle hros est somme toute fabriqu par la mre. Cest le phallus actif de la mre ses exploits dailleurs sentent le collier ...

    Les mythes tendent tous surmonter la violence de lorigine en la suturantou encore en rintgrant lOrigine maternelle. Le mythe cherche faire delUn, selon une logique naturaliste . Or le mythe princeps du hros savretre lui-mme la version phallique de lUne : du hros, selon le jeu homopho-nique de Lacan, la mre se pare et, ce faisant, sempare. LUnique tue le preet arbore le phallus en trophe la Mre ce qui est vrifier dans le texte des

    mythes.

    19.Psychologie collective et analyse du moi, ch. XII.

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    LE MYTHE AU TRAVAIL : LE MYTHOLOGUE FREUDIEN

    De ces attendus thoriques, quelle conclusion mthodologique tirer?Ce rcit freudien, quelle croyance soutient-il ? De quelle croyance est-il

    issu ? Du sujet inconscient.Quelle pratique anime-t-il ? La praxis analytique, en tant quelle ne cesse

    de se confronter aux effets de laVatersehnsucht. Quexplique-t-il ? Lentre delinterdit dans lespce humaine. Comment travailler sur les mythes, ds lorsque lon a mesur la mutation impose par lentendement freudien lanthro-pologie?

    Tout dabord en renonant lide dun Inconscient mythique, dun incons-cient du Mythe. Comme si les peuples avaient un inconscient. Inconscient alorsforcment ethnique. Le mythe est mme en un sens un mot-pige, si prestigieuxet invitable soit-il, car, lutilisant, on suppose irrsistiblement que cest delinconscient en barres...

    Les mythes ne sont pas une expression de lInconscient cest l limpassedu jungisme et on sait que, ds lors que Jung sadonna linconscient desmythes, il perdit le contact avec la psychanalyse entendons avec cette fonctionde la vrit issue du sujet inconscient. Jung a cherch un corps lInconscient

    collectif et il la trouv dans le Mythe et dans ses mtamorphoses symboliques,sur lequel il se jette ds lors goulment. Il et mieux fait de sarrter lessentiel,comme quand il montra la concordance des formations dlirantes de ladmence prcoce avec les cosmogonies mythologiques des peuples anciens .On sait au reste que cest chez un jungien que Freud dit avoir trouv, avec lesconcordances entre la pense psychotique et les expressions collectives, lidegerminale deTotem et tabou 20.

    LA JOUISSANCE MYTHIQUE OU LE CORPS

    D-mythifier est une exigence, ds lors que le mythe est toujours sexuelet renvoie au rcit mdiateur entre le groupe et son totem. Il touche au corps.Exemple : la lgende du labyrinthe se laisse reconnatre comme la repr-sentation dune naissance anale : les couloirs entrelacs sont lintestin (Darm),le fil dAriane le cordon ombilical (Nabelschnur) 21. On notera limportance du symbolisme organique dans la trame des mythes. Cest pourquoi il nhsitepas dans sa collaboration avec Oppenheim en faire la nomenclature.

    Le mythe marque larticulation organique de la question symbolique

    avec le corps.

    20. La formation paranoaque du dlire de J. Honegger, disciple de Jung, les 30 et 31 mars1910 au Congrs de Nuremberg

    21.Nouvelles confrences sur la psychanalyse, G.W. XV, 26.

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    Cest donc limaginaire de la castration. Le complexe de castration estun moteur mythologique sans pareil ce qui fait lminence du mythe deMduse.

    Comme le fantasme, qui toffe le dsir et soutient la ralit, le mythe faitpalpiter le dsir collectif et soutient le rel insu du groupe. Ce nest pas unhasard si les contes et lgendes fournissent un aliment aux rves et si lescontes des enfants prennent loccasion la place de leurs souvenirs denfance.Aussi bien Freud nest-il pas trop regardant : il ratisse large quand il puise dansles Rves dans le folklore fournies par Hans Oppenheim 22. Lessentiel estde vrifier que le mythe jamais ne perd de vue ce fait du corps, du sexuel et

    de linterdit. Ce qui claire sa raction la contestation malinowskienne : Quoi, ces gens-l nont donc pas danus.... Foin de longs dbats : il suffitde rappeler la libido et son appartenance corporelle, contre toute tentativede dsexualisation.

    LE MYTHOLOGUE MYOPE

    Ainsi devient audible lide freudienne que la formation des mythes

    (Mythenbildung) est le produit dune dformation (Entstellung): ce nest pasles appauvrir que de souligner ce point. Il convient dcarter les dfigurations historiques pour ramener les formes manifestes de motifs mythologiques leurs formes originelles .

    Cela ne peut se faire que par lanalyse des traits (Zge), par exemplele voyage de Promthe, la nature de son dlit, sa punition. La dformationse produit grce deux lments : le symbolisme et la transformation dansle contraire. Le mythe empaquette la vrit inconsciente en dtournant notreattention sur ces traits , sur lesquels le mythologue freudien saffaire avec

    une ncessaire myopie.Le retour du mythe dans le travail nvrotique du symptme est l essentiel.La mythique Baub surgit dans liconographie dun rapport au pre 23.

    Ainsi Freud emprunte-t-il Storfer la rfrence linstitution largementrpandue du mariage de Tobias , soit la coutume de labstinence dans lestrois premires nuits , interprte comme une reconnaissance des privilgesdes patriarches 24.

    On trouve dans une note de lhistoire de la nvrose de lHomme aux loupsune allusion au lien entre lincontinence urtrale et le feu : allusion des ractions et cohrences de lhistoire de la civilisation de lhumanit dont on

    22. Rves dans le folklore, inRsultats, ides problmes,T. 1, PUF, pp. 145-168.23.Parallres mythologiques une reprsentation obsessionnelle plastique.24.Le tabou de la virginit, G.W. XII, 175.

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    trouve des traces dans le mythe et le folklore 25 ce qui se dchane acontrariodans le dluge urtral de Gargantua 26. Bref, cest cette partielli-sation du regard qui en fait la fcondit et explique la moisson de faitsescomptable dune anthropologie proprement analytique.

    JUSTE UNE HISTOIRE...

    Ainsi Freud rpte-t-il un effet majeur du judasme, de prendre reboursla jouissance du mythe, qui alimente la jouissance indigne des nations sauf

    inscrire ce geste dans lordre de la science. Juste une histoire , donc, ce rcit que Freud rencontre ce dimanche ou

    samedi de pluie. Ainsi depuis Freud, nous avons ce mythe-l. prsent quilla racont, un shabbat de pluie, il est crit et inoubliable. Il nous la mis dansla tte, dans la mesure mme o le nvros la mis dans la sienne. Cest de nepas le perdre de vue que la petite horde freudienne alimente ses objets : necesser de le mditer, sans pour autant le psalmodier, pour rester la hauteur dela clinique et du collectif. Cest le rcit qui vient planter une pine gante dansla Mythologie des nations. Sil est vrai que tout mythe est celui que toute nation

    se raconte pour ne pas avouer le forfait, cest ce dni qui les maintient dans luni-versel. Lexhaustion mne cette forme au-del de laquelle la rduction nestpas possible. Freud crira donc ce mythe invraisemblable que lui ont dict ses nvross . Il lintroduit comme un cheval de Troie dans le camp des mythes. Cadeau empoisonn la mythologique : confirmation que cest aussi leplus prcieux...

    Paul-Laurent ASSOUN144 rue Lecourbe

    75015 Paris

    25. partir de lhistoire dune nvrose infantile, ch. VIII, G.W. XII, 126, n 1.26. Cf. notre contribution : Limago et la dmesure. Leffet gant inconscient , inAnalyses

    et rflexions sur Rabelais, Gargantua, Ellipses/Marketing, 2003.

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