Témoignage pharmaceutique sur la «vraie» Dame aux Camélias · 2017. 11. 2. · Revue d'histoire...

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Revue d'histoire de la pharmacie Témoignage pharmaceutique sur la «vraie» Dame aux Camélias Thierry Lefebvre Abstract Pharmaceutical testimony on the «true» Lady of the Camellias. The author presents and comments on an invoice from the Pharmacy of Béral for Alphonsine Plessis (1824-1847), the «Lady of the Camellias» in the novel by Alexandre Dumas fils, covering the period 24th April to 8th October 1846. He attempts to discern the treatment followed based on information in the invoice. Zusammenfassung Pharmazeutisches Zeugnis bezüglich der «echten» Dame aux Camélias. Der Verfasser veröffentlicht und bespricht eine Rechnung der Apotheke von Béral für Alphonsine Plessis (1824-1847), die «Dame aux Camélias» im Roman von Alexandre Dumas fils, welche dem Zeitraum vom 24. April bis 8. Oktober 1846 entspricht. Davon ausgehend versucht er die entsprechende Behandlung zu erkennen. Citer ce document / Cite this document : Lefebvre Thierry. Témoignage pharmaceutique sur la «vraie» Dame aux Camélias. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 80année, n°293, 1992. pp. 197-202. doi : 10.3406/pharm.1992.3587 http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1992_num_80_293_3587 Document généré le 07/01/2016

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  • Revue d'histoire de la pharmacie

    Témoignage pharmaceutique sur la «vraie» Dame aux CaméliasThierry Lefebvre

    AbstractPharmaceutical testimony on the «true» Lady of the Camellias.The author presents and comments on an invoice from the Pharmacy of Béral for Alphonsine Plessis (1824-1847), the «Lady ofthe Camellias» in the novel by Alexandre Dumas fils, covering the period 24th April to 8th October 1846. He attempts to discernthe treatment followed based on information in the invoice.

    ZusammenfassungPharmazeutisches Zeugnis bezüglich der «echten» Dame aux Camélias.Der Verfasser veröffentlicht und bespricht eine Rechnung der Apotheke von Béral für Alphonsine Plessis (1824-1847), die«Dame aux Camélias» im Roman von Alexandre Dumas fils, welche dem Zeitraum vom 24. April bis 8. Oktober 1846 entspricht.Davon ausgehend versucht er die entsprechende Behandlung zu erkennen.

    Citer ce document / Cite this document :

    Lefebvre Thierry. Témoignage pharmaceutique sur la «vraie» Dame aux Camélias. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 80ᵉ

    année, n°293, 1992. pp. 197-202.

    doi : 10.3406/pharm.1992.3587

    http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1992_num_80_293_3587

    Document généré le 07/01/2016

    http://www.persee.frhttp://www.persee.fr/collection/pharmhttp://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1992_num_80_293_3587http://www.persee.fr/author/auteur_pharm_387http://dx.doi.org/10.3406/pharm.1992.3587http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1992_num_80_293_3587

  • Témoignage pharmaceutique

    sur la « vraie » Dame aux Camélias

    ON le sait, La Dame aux Camélias s'inspire de faits réels. Derrière Armand Duval et Marguerite Gautier, les deux principaux

    protagonistes du roman, se dissimulent en effet l'auteur, Alexandre Dumas fils, et celle qui fut quelques mois durant son amante, Alphonsine Plessis.

    Cette dernière naquit en 1824 et devint très vite, sous le pseudonyme de Marie Duplessis, l'une des courtisanes les plus en vogue du Tout-Paris. Vers 1844, elle contracta la tuberculose ; le mal ne cessa alors d'empirer, jusqu'à son décès, survenu le 3 février 1847 : elle n'avait que vingt-trois ans !

    Le document qui fait l'objet de cette communication appartient à Mme Roxanne Debuisson 1 et m'a été communiqué par notre collègue Warolin. Il s'agit d'un mémoire de médicaments provenant de la « Pharmacie de Béral », 12, rue de la Paix, à Paris.

    Cette facture, qui consiste en une feuille recto- verso de 24 x 16,5 cm, est adressée à « Mademoiselle Marie Plessy » (sic) qui, comme indiqué, habitait alors un coquet entresol au 11, boulevard de la Madeleine, toujours à Paris. Elle porte sur une période qui va du 24 avril 1846 au 8 octobre de la même année, soit à peine quatre mois avant sa mort, avec une totale absence de fournitures entre le 27 avril et le 6 août.

    Ici, un bref rappel biographique s'impose. Au début de 1846, Marie Duplessis met un terme à sa liaison avec Franz Liszt. Le 3 février, elle part pour Londres avec un de ses riches amants, le comte Edouard Perrégeaux, et l'épouse le 21 février : union éphémère dont on ne parle déjà plus à son retour à Paris, en mars ou avril (retour qui explique les deux facturations pharmaceutiques du 24 au 27 avril). « A la belle saison », donc probablement en mai 1846, Marie Duplessis repart, cette fois-ci pour la Belgique et l'Allemagne. Jules Janin la rencontre à Bruxelles en juin 2. Il semblerait aussi qu'elle ait fréquenté de manière assidue quelques stations thermales, en particulier Ems, Wiesbaden et Baden-Baden.

    Communication présentée à la Société d'Histoire de la Pharmacie le 3 mars 1991.

    1. Mme Roxanne Debuisson (19, bd Henri-TV, 75004 Paris) possède une remarquable collection de documents pharmaceutiques.

    2. Janin (J.) : Mademoiselle Marie Duplessis, Paris, 1851.

    REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE, XXXTX, N" 293, 2' TRIM. 1992.

  • 198 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE

    âf? l/SS' a/ ^/L é/S&J.

    MEMOIRE DES M EDI CAJMENS FOURNIS

    M. _ *&*

  • LA DAME AUX CAMÉLIAS 199

    Courant octobre, outre Béral, trois autres officines semblent avoir été mises à contribution : la Pharmacie Gibon, la Pharmacie Deresnes et la Pharmacie Hottet-Chomet.

    Pour le Dr Lemay, le constat s'impose : en perdant la santé, la Dame aux Camélias perdit aussi nombre de ses riches amants, et donc la majeure partie de ses revenus. Celle qui déclarait : « Lorsque mes dettes présentes sont payées, je m'empresse d'en contracter de nouvelles pour justifier les anciennes » 5, celle-là même fut vite débordée par ses créanciers ; on la menaça de saisie, et cette dernière survint d'ailleurs quelques jours après son décès.

    Nous avons confirmation de cette hypothèse au verso du présent mémoire : on y lit en effet que le créancier de la Pharmacie de Béral a « reçu des mains de Monsieur Bourgneut, huissier, la somme de cent cinquante francs », soit (à trente centimes près) la dette contractée par Marie Duplessis.

    La date est particulièrement révélatrice : le 27 août 1848, soit plus d'un an et demi après la mort de la débitrice ! L'argent provenait sans doute de la vente aux enchères de février 1847, décrite dans les premières pages du roman d'Alexandre Dumas fils. Selon Johannes Gros, on y brada tous les effets de la défunte, y compris un lot de clysopompes, racheté 12 francs par un certain Gauthier 6.

    Sans trop s'avancer, on peut donc conclure du présent mémoire que, le 8 octobre 1846, la Pharmacie de Béral mit un terme à toute forme de crédit à l'égard de Marie Duplessis.

    QUEL TRAITEMENT POUR QUELLE PATHOLOGIE ?

    Récemment, dans un « plaidoyer pour les notes et factures anciennes de pharmacie », notre collègue Julien se demandait si l'on pouvait établir « un lien entre les produits délivrés et l'état de santé des destinataires » et, par là, « discerner à travers la facture une thérapeutique » 7.

    Le mémoire de la Pharmacie de Béral, à défaut de logique de soins, témoigne de l'impuissance thérapeutique face au fléau phtisique. L'auscultation systématique, préconisée par Laënnec, ne remonte en effet qu'à 1817 ; le mot « tuberculose » lui-même reste d'invention relativement récente (1834, Schônlein) ; bon an mal an, en ce milieu de siècle, la terrible maladie continue à faucher les tranches vives de la population, comme en témoignent les statistiques d'époque.

    5. Vienne (F.-R.) : La vérité sur la Dame aux Camélias, Paris, Ollendorf, 1887. 6. Gros (J.) : Une page du romantisme galant : Alexandre Dumas et Marie Duplessis, Paris,

    L. Conard, 1922. 7. Julien (P.) : Plaidoyer pour les notes et factures anciennes de pharmacie, in Rev. Hist.

    Pharm., n°284, 1er trim. 1990, p. 81-92.

  • 200 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE

    À l'image de leurs confrères, les médecins successifs de Marie Duplessis Davaine (le futur découvreur de la bactéridie charbonneuse), Manec (de

    la Salpêtrière), Louis (de l'Hôtel-Dieu) et Chomel (médecin ordinaire du Roi) se contentèrent de tâtonner, sans jamais s'attaquer aux racines du mal. Première constatation : la médecine humorale continue à régner sans

    partage ! « Résultat d'une dissolution putride des humeurs », selon Lan- thois 8, la phtisie doit être traitée en conséquence. Le 21 août, Marie Duplessis subit donc l'épreuve des sangsues et de son corollaire convulsivant, le Laudanum de Rousseau, un vin d'opium à usage externe. Le 27, vient le tour d'un vésicatoire proposé pour les états congestifs, mais aussi dans la tuberculose ; et qui dit vésicatoire, dit pansement (ce qui explique le sparadrap et la poudre composée du même jour). Le 29, une pommade (probablement épispastique), accompagnée les jours suivants de magnésie, d'emplâtre, de sparadrap et de poudre composée, suggère une, voire deux rééditions de la même épreuve. Un traitement si cruel peut expliquer, à lui seul, les quatre paquets de morphine du 30 août.

    Dans un registre voisin, on remarque les huit lavements du 17 août et leurs accessoires indispensables, la. canule (15 août) et la. seringue (16 août).

    Les manifestations pulmonaires, quant à elles, ne font l'objet que de soins palliatifs : le sirop de limaçons est employé pour ses propriétés fluidifiantes ; le sirop de Lamouroux, un pectoral à base de mou de veau, de jujube et de sirop d'opium, importe dans l'organisme du lichen d'Islande, un produit alors très en vogue dans les milieux phtisiques ; quant au demi-looch composé du 21 août, il peut s'agir du fameux looch pectoral, une préparation à base de sureau, d'huile d'amandes douces, de gomme arabique, de polygala et de violettes, particulièrement recommandée pour les tuberculeux. Signalons enfin le saccharure de pulsatille qui, comme toutes les préparations à base d'anémones, devait posséder des propriétés anticatarrha- les et sédatives de la toux ; selon Dorvault, le saccharure, « union intime du sucre avec les principes médicamenteux », aurait été proposé par... Béral.

    Accoutumée à la fréquentation des stations thermales, Marie Duplessis s'approvisionnait aussi régulièrement en eaux minérales : l'Eau de Pullna, une eau sulfatée-chlorurée provenant d'une célèbre source de Bohême, possédait des propriétés purgatives et anticatarrhales ; quant à l'Eau de Bonnes, importée de Bormio en Lombardie, sa nature sulfatée-calcique lui conférait des propriétés cholagogues et diurétiques ; au XIVe siècle, selon E.-H. Guitard, « on combat(tait) la dyspnée et la toux en se frottant la poitrine d'Eau de Bormio » 9.

    Quelques produits plus communs retiennent également notre attention, sans pourtant nous instruire sur la pathologie de Marie Duplessis : le

    8. Cité par Grellet (I.) & Kruse (C.) : Histoires de la tuberculose. Les fièvres de l'âme (1800-1940), Paris, Ramsay, 1983.

    9. Guitard (E.-H.) : Le prestigieux passé des eaux minérales, Paris, Société d'Histoire de la Pharmacie, 1951.

  • LA DAME AUX CAMÉLIAS 201

    DATE PRODUITS PRLX en francs et centimes

    1845 Note fournie montant à 14,75 1846 24-04 Pilules 1,60 27-04 Eau de Pullna 2,00 06-08 Pilules 8,00 13-08 Caléfacteur 6,00

    Disque en cristal 2,00 Pilules 6,00

    15-08 Can(n)ules en gomme élastique 3,00 16-08 Sirop de limaçons 2,00

    Sirop de Lamouroux 2,25 Seringue 10,00

    17-08 Huit lavements 8,00 21-08 1/2 looch composé 1,00

    Sangsues 6,00 Laudanum de Rousseau 1,50

    22-08 Pilules 6,00 Plantes 2,50 Pastilles Vichy 2,00 Pilules 1,50

    24-08 Deux bains 5,00 25-08 Pilules 1,50 26-08 Teinture de Digitale 0,50

    Liniment 2,50 27-08 Vésicatoire 0,50

    Sparadrap 0,60 Poudre composée 1,50

    29-08 Pommade 1,00 30-08 Quatre paquets morphine 1,00 31-08 Poudre composée 2,50 01-09 Magnésie 2,50

    Emplâtre 0,50 04-09 Trois bouteilles d'Eau de Bonnes 4,50 05-09 6 bandes sparadrap 1,50 09-09 Poudre pour l'usage externe 2,00 13-09 Mélange pour frictions 4,00

    Trois bouteilles Eau de Bonnes 4,50 16-09 Deux bouteilles Eau de Bonnes 3,00 17-09 ... au vinaigre 3,00

    Pommade 2,00 20-09 Deux bouteilles Eau de Bormes 3,00 / :

    Eau de Pullna 2,00 /' L 22.09 Eau de Pullna 2,00 /-o 25-09 Eau de Bormes 3,00 l » 26-09 Pilules 1,00 V 28-09 Eau de Bormes 3,00 Y

    Pommade 1,50 07-10 Pilules sulfate de quinine 3,60 08-10 Saccharure de Pulsatille 1,00

    Total 150,30

  • 202 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE

    bicarbonate de soude, sous le label des déjà célèbres pastilles de Vichy, et le sulfate de quinine, une découverte encore récente, dont on ne sait trop, en l'absence de posologie, l'usage circonstanciel. Quant à la teinture de digitale du 26 août, elle laisse présumer un retentissement cardiaque de la maladie.

    Enfin, l'incertitude est totale quant aux pilules mentionnées à plusieurs reprises sans autre précision : les unes coûtaient 1 ,60 fr, les autres 8 fr, d'autres encore 6 fr, 1,50 fr ou 1 fr.

    Bien sûr, il aurait été préférable d'étudier ce mémoire au vu d'autres factures similaires, celles citées par le Dr Lemay par exemple : leur réunion fournirait en effet un excellent corpus et rendrait possible l'établissement d'un calendrier thérapeutique.

    Toujours est-il que ce témoignage, bien que fragmentaire, révèle l'extraordinaire affinité de Marie Duplessis pour les pratiques thérapeutiques ; à tel point que l'on peut regretter le mutisme d'Alexandre Dumas à ce sujet. Mais peut-être est-ce là une des faiblesses évidentes du roman...

    Thierry LEFEBVRE, 7, bd des Deux-Communes 94 1 20 Fontenay-sous-Bois

    BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE

    Issartel (C.) : Les Dames aux Camélias, de l'histoire à la légende, Paris, Le Chêne, 1981. Poirot-Delpech : Marie Duplessis, la Dame aux Camélias. Une vie romantique. Paris,

    Ramsay, 1981. Saunders (E.) : La Dame aux Camélias et les Dumas. Paris, Corréa, 1951. Toussaint (P.) : Marie Duplessis, la vraie Dame aux Camélias. Paris, Gallimard, 1958. On doit aussi au Dr Lucien Graux : Les factures de la Dame aux Camélias, édité à Paris par

    « Les Amis du Dr Lucien Graux ».

    SUMMARY

    Pharmaceutical testimony on the « true » Lady of the Camellias. The author presents and comments on an invoice from the Pharmacy of Béral for Alphonsine Plessis (1824-1847), the « Lady of the Camellias » in the novel by Alexandre Dumas fils, covering the period 24th April to 8th October 1846. He attempts to discern the treatment followed based on information in the invoice.

    ZUSAMMENFASSUNG

    Pharmazeutisches Zeugnis bezuglich der « echten » Dame aux Camélias. Der Verfasser verôffentlicht und bespricht eine Rechnung der Apotheke von Béral fiir Alphonsine Plessis (1824-1847), die « Dame aux Camélias » im Roman von Alexandre Dumas fils, welche dem Zeitraum vom 24. April bis 8,Oktober 1846 entspricht.Davon ausgehend versucht er die entsprechende Behandlung zu erkennen.

    InformationsInformations sur Thierry LefebvreCet article cite :Pierre Julien. Plaidoyer pour les notes et factures anciennes de pharmacie, Revue d'histoire de la pharmacie, 1990, vol. 78, n° 284, pp. 81-92.

    Cet article est cité par :Cécile Raynal, Thierry Lefebvre. Le thermalisme, un patrimoine à vau-l'eau. L'exemple de Bussang, Revue d'histoire de la pharmacie, 2004, vol. 92, n° 342, pp. 191-208.

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    IllustrationsMémoire de la Pharmacie de Béral pour la Dame aux Camélias (1845-1846)Tableau reprenant des dates et des prix de produits pharmaceutiques

    PlanQuel traitement pour quelle pathologie ?Bibliographie complémentaire