Tension et rugosité dans la musique non-tonale

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HAL Id: hal-02986457 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02986457 Submitted on 3 Nov 2020 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Tension et rugosité dans la musique non-tonale Daniel Pressnitzer, Stephen Mcadams, Suzanne Winsberg, Joshua Fineberg To cite this version: Daniel Pressnitzer, Stephen Mcadams, Suzanne Winsberg, Joshua Fineberg. Tension et rugosité dans la musique non-tonale. Journées d’Informatique Musicale, May 1996, île de Tatihou, France. hal- 02986457

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HAL Id: hal-02986457https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02986457

Submitted on 3 Nov 2020

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Tension et rugosité dans la musique non-tonaleDaniel Pressnitzer, Stephen Mcadams, Suzanne Winsberg, Joshua Fineberg

To cite this version:Daniel Pressnitzer, Stephen Mcadams, Suzanne Winsberg, Joshua Fineberg. Tension et rugosité dansla musique non-tonale. Journées d’Informatique Musicale, May 1996, île de Tatihou, France. �hal-02986457�

Tension et rugosit�e dans la musiquenon�tonale�

Daniel Pressnitzer� IRCAM� � Pl� Stravinsky� F������ Paris� pressnitzer�ircam�fr

Stephen McAdams� IRCAM et Laboratoire de Psychologie Experimentale CNRS�� UniversiteRene Descartes� EPHE� � rue Serpente� F������ Paris� smc�ircam�fr

Suzanne Winsberg� IRCAM� winsberg�ircam�fr

Joshua Fineberg� IRCAM� �neberg�ircam�fr

R�esum�e� L�objectif de cette �etude est de d�eterminer si la notion musicale de tension et d�etentepeut rester pertinente dans un cadre non�tonal� et dans quelle mesure elle peut �etre expliqu�ee et mo�d�elis�ee par la rugosit�e psychoacoustique� Huit accords de la pi�ece �Streamlines� J� Fineberg� ��� ont �et�e enregistr�es avec des instruments acoustiques� de mani�ere �a constituer des timbres orchestrauxfusionn�es� Une premi�ere exp�erience montre qu�une hi�erarchie est clairement per�cue par les sujets�mais que les �echelles de tension et de rugosit�e sont signi�cativement distinctes� Les di��erences se�raient d�ues �a des sp�eci�cit�es contenues dans certains des timbres� Une deuxi�eme exp�erience sur lesm�emes timbres orchestraux remix�es permet de con�rmer cette hypoth�ese� et indique cette fois deux�echelles confondues� Un mod�ele bas�e sur les r�esultats de Hutchinson et Knopo� ��� fournit despr�evisions satisfaisantes� La di��erence observ�ee entre les deux conditions exp�erimentales permet dediscuter du champ d�application potentiel d�un tel mod�ele�

� Introduction

L�etude des mouvements de tensions et detentes au cours du temps constitue la base des analysesharmoniques classiques� Par exemple� lors d�une cadence� le septi�eme degre d�une gammemajeure estconsidere comme instable� dissonant� et appelle une resolution sur la tonique� stable� Cet instabiliteconstitue une tension� sa resolution une detente� Cette notion est consideree comme fondamentale parnombre de theoriciens de la musique tonale �Schenker� ������ �Lerdahl and Jackendo�� �� �� posentl�existence d�un tel reseau de tension et detente comme axiome elementaire d�un des composantsde leur theorie generative de la musique � la reduction prolongationnelle� Les elements faibles pourleur hierarchie sont source de tension� resolue par le passage �a un element de valeur hierarchiqueplus forte� �Bigand� ����� a demontre que ces mouvements de tension etaient per�cus �a la fois pardes sujets musiciens et non�musiciens� pour des melodies et pour des accords� soulignant donc leurimportance dans l�ecoute musicale� Ces etudes rev�elent aussi l�in�uence de l�acculturation implicitede l�auditeur � ainsi� un compositeur de musique tonale peut�il s�appuyer e�cacement sur un ensemblede r�egles desormais connues pour faire ressentir ces mouvements�Le probl�eme est sensiblement di�erent pour un compositeur ne desirant pas faire reference �a la tona�lite� Prenons l�exemple de la musique dite �spectrale�� Le point commun des compositeurs regroupes�a tort ou �a raison� sous cette etiquette est la volonte de b�atir un syst�eme harmonique base sur lastructure du son lui�m�eme� Le de� d�une telle approche est de donner �a l�auditeur des points dereference naturellement comprehensibles� car contenus dans le materiau� tout en permettant d�ex�ploiter les possibilites nouvelles o�ertes par l�informatique musicale dans le domaine de la synth�eseou de l�assistance �a la composition� La gen�ese de la sequence d�accords choisie pour constituer lamati�ere de l�etude est �a ce titre exemplaire� La partition de l�extrait de �Streamlines� J� Fineberg�reorchestre par le compositeur pour le besoin de l�etude est donnee en �gure �� Un reservoir de ma�teriaux a d�abord ete constitue par analyses acoustiques de sons de contrebasse dans des modes dejeu inhabituels� Les accords ont ensuite ete choisis par le compositeur et agences de mani�ere �a suivreun contour precis de tensions qui etait requis pour des raisons musicales� Ces accords n�ont aucunefonction tonale simple� Un moyen inedit de les hierarchiser au niveau de la tension est donc neces�saire� Le crit�ere retenu pour classer ces accords est de leur attribuer une valeur basee sur un calcul duplus grand commun diviseur des notes fondamentales qui les constituent� Plus cette valeur est elevee�

Fig� � � Streamlines J� Fineberg � Partition de l�extrait utilis�e� Les accords indiqu�es au�dessus dela partition ont �et�e enregistr�es isolement� sans rythme� avec une m�eme dynamique� et constituent leshuits timbres orchestraux soumis �a l�exp�erimentation�

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Fig� � � La tension calcul�ee par l�algorithme original�

plus l�accord est qualitativement considere comme porteur de tension �gure �� la morphologie seulede la courbe a ete utilisee par le compositeur plut�ot que la valeur numerique attribuee �a chacun destimbres��� Plusieurs questions sont alors legitimes � la notion de tension reste�t�elle pertinente pour detels accords ne rentrant pas dans la theorie harmonique classique� Dans la pi�ece reelle� le mouvementest souligne par le rythme et les dynamiques et le contour de tension est e�ectivement clairementperceptible� Toutefois� l�indice utilise pour le calcul precompositionnel est purement spectral � pour�etre coherent� la tension doit �etre fondee sur la seule base des di�erences de timbre entre ces accords�L�experience presentee a pour premier but de demontrer l�existence claire d�une hierarchie de tensionnon�tonale ne s�appuyant ni sur le rythme� ni sur les di�erences de dynamique�Le deuxi�eme objectif de l�experimentation est d�explorer le lien potentiel entre la grandeur psychoa�coustique appelee �rugosite� et cette tension non�tonale� La rugosite psychoacoustique est un attributperceptif du son qui a ete introduit par �Helmholtz� ������ Elle est liee �a la perception de �uctuationsd�amplitude rapides� d�une frequence de modulation situee entre �� et ��� Hz� Deux sons proches enfrequence entendus simulanement vont donner lieu �a des battements qui peuvent �etre rugueux� Uneseconde mineure jouee dans le registre medium ou grave du piano en est un exemple� La rugosite afait l�objet de nombreuses etudes experimentales� qui se sont attachees �a quanti�er sa perception et �aproposer des mecanismes auditifs permettant de la comprendre��Plomp and Levelt� ����� ont permisd�etablir le lien entre rugosite et bande critique gr�ace �a une etude portant sur des paires de sinusdont le registre et l�ecart en frequence varient �� �Terhardt� ����� a adopte un point de vue leg�ere�ment di�erent en introduisant l�etude de sinus modules en amplitude� soulignant ainsi le caract�eretemporel du phenom�ene� D�autres etudes plus recentes avec des sons plus complexes incluant des

�� La bande critique ��Fletcher� ������ denit la resolution frequentielle de l�oreille� et decoule principalement de lamecanique de la membrane basilaire�

bruits �Aures� �� ��� con�rment le lien etroit entre la perception de la rugosite et certaines carac�teristiques du syst�eme auditif� comme l�analyse frequentielle e�ectuee par la membrane basilaire etla caracteristique passe�bas de la perception temporelle de la modulation d�amplitude�Toutes ces etudes tendent donc �a demontrer l�existence d�un attribut sonore clairement de�ni lie �ades mecanismes auditifs peripheriques� Si un lien peut �etre etabli entre cet attribut quanti�able et lanotion fondamentale de tension� cela laisse entrevoir la possibilite de re�echir �a un mod�ele de calculprevisionnel pouvant presenter un reel inter�et musical�

� Partie exp�erimentale

La partie experimentale �a pour objet d�etablir� si cela est pertinent� une echelle de tension et uneechelle de rugosite pour les accords presentes en �gure �� De mani�ere �a eviter un jugement directdi�cile �a de�nir sans introduire de quelconques adjectifs induisant une preference esthetique� uneprocedure de comparaison simple entre accords arranges par paires est adoptee� Une premi�ere ex�perience est menee avec les accords enregistres en prise directe par des instruments acoustiques�en �situation de concert�� Cet enregistrement contient toutes les speci�cites liees �a l�interpretation�naturelles dans une telle situation� Une deuxi�eme experience� selon le m�eme protocole� est realiseeavec une version remixee des accords� et represente une version �discographique� conforme aux v uxdu compositeur� Les accords di��erent entre eux principalement par leurs caracteristiques spectrales�et non par leur dynamique ou une quelconque fonction tonale � nous preferons donc nous y referercomme �a des timbres orchestraux�

��� Exp�erience �prise directe�

����� M�ethode

Stimuli � Huit accords extraits de la pi�ece �Streamlines� �Joshua Fineberg� ����� ont ete interpretes pardes instrumentistes de lensemble �Itineraire� �deux ��utes� une clarinette� un alto et un violon� Leshuits accords ont ete joues isolement� sous la direction du compositeur� avec une m�eme duree� selon lam�eme nuance �dal niente � mezzo forte � dal niente� Ils constituent les huits timbres orchestraux dontnous parlerons desormais

Appareillage � Lenregistrement a ete e�ectue dans la salle de concert de lIRCAM� avec un couple demicrophones ORTF Schoeps place �a �m des instrumentistes La prise stereo a ete reportee numeri�quement sur disque dur �a �� � kHz de frequence dechantillonage et �� bits de resolution dynamique Lors de lexperience� le sujet etait enferme seul dans une cabine insonorisee� et repondait au moyendu programme PsiExp de Benett Smith� implante sur une station NeXT Les stimuli etaient di�usessur un casque ouvert AKG K���� Le niveau decoute mesure etait autour de �� dBA� modi�able surdemande

Sujets � Le groupe experimental etait constitue de �� sujets� et ne comportait pas les auteurs Les sujetsavaient de �� �a �� ans� avec une moyenne de �� ans� et provenaient dhorizons divers � certains tra�vaillant �a lIRCAM� dautres recrutes par base de donnees Ils etaient payes pour leur participation�a lexperience Le groupe comporte � musiciens professionels ou semi professionels �compositeurs etinstrumentistes�� � musiciens amateurs �instrumentistes occasionnels� et �� non�musiciens

Protocole � Lexperience comporte deux parties� lune portant sur la tension lautre sur la rugosite Leshuits timbres sont arranges en �� paires �toutes les combinaisons de timbres di�erents dans un ordrecomme dans lautre� qui sont presentees en ordre aleatoire La t�ache consiste �a faire un jugementcomparatif �a choix force entre les deux elements de la paire La question �gurant sur la consigneecrite est � Entre les deux sons de cette paire� percevez�vous une �evolution du type tension�d�etente ou

au contraire du type d�etente�tension� Il est precise que les sujets peuvent employer les crit�eres qui leursemblent appropries pour de�nir les mots �tension� et �detente� Apr�es cinq essais de familiarisation�cette premi�ere partie dure environ �� mn La deuxi�eme partie consiste �a focaliser lattention du sujetsur un attribut perceptif particulier� la rugosite Cet attribut est introduit par un exemple� un sinus de���� Hz module �a �� Hz� dont les sujets peuvent faire varier eux�m�emes la profondeur de modulationde � � �a ��� � La rugosite de lexemple passe ainsi de � �a � asper �selon �Zwicker and Fastl� ������ La t�ache consiste ensuite� de facon similaire �a la premi�ere partie� �a faire un jugement comparatif �plusrugueux�moins rugueux� ou �moins rugueux�plus rugueux� pour toutes les paires

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Fig� � � �Echelles de tension �a droite et de rugosit�e �a gauche pour les huits timbres obtenues paranalyse BTL� et r�esultats des �� bootstrap�

����� Hi�erarchie de tension et de rugosit�e

De mani�ere �a pouvoir comparer les resultats de l�experience et les previsions compositionnelles�nous devons arranger les huits timbres selon une echelle lineaire� L�experience fournit pour chaquesujet �� jugements de superiorite de tension ou de rugosite� correspondant aux comparaisons detoutes les paires de timbres dans un ordre comme dans l�autre� La methode de Bradley�Terry�LuceBTL� �David� �� �� a ete adoptee pour de�nir cette echelle� Nous faisons l�hypoth�ese que chacundes timbres Ti poss�ede une valeur �vraie� de tension �i� correspondant �a l�echelle recherchee� Lorsd�une comparaison entre deux timbres i et j� le sujet ne compare pas directement les valeurs �iet �j recherchees mais plut�ot les variables aleatoires associees ti et tj � centrees sur �i et �j � Dansl�hypoth�ese BTL� la variable aleatoire suit une loi en secante hyperbolique� Ainsi� la probabilite que�i soit juge superieur �a �j est donnee par l�equation ��� Les probabilites �ij sont estimees par laproportion de jugements obtenus pij� et en inversant �� on obtient les estimes ti des �i�

�ij ! H�i � �j� ! ���� " tanh����i � �j��� ��

Ainsi� nous disposons pour chaque timbre d�une valeur de tension et d�une valeur de rugosite� Pourveri�er si les valeurs di��erent signi�cativement entre deux stimuli� il faut examiner si leur ecart estsuperieur �a l�ecart�type des resultats� Ceci est justement ce que fait une analyse de variance� Toutefois�une analyse de variance presume une erreur normale� ce que nous ne voulons pas a�rmer �a priori� Latechnique du bootstrap permet d�estimer la stabilite d�un param�etre comme l�ecart�type en utilisantune distribution empirique� par opposition �a l�hypoth�ese de distribution normale �Efron� �� ��� Ladistribution empirique est obtenue par tirage avec remise de l�echantillon experimental de sujets reel�Nous avons e�ectue ��� replications de l�experience par bootstrap� en tirant au sort avec remise ��sujets de notre groupe experimental� ce qui constitue une taille adequate pour estimer l�ecart�type�Efron and Tibshirani� ������ Les resultats de ces ��� replications traites eux aussi par la methodeBTL sont representes �gure �� La valeur BTL obtenue avec le groupe de sujets reel est indiquee parune etoile�Il appara�#t que les stimuli presentent des di�erences signi�catives selon les echelles considerees�L�examen des nuages de points indique que l�erreur experimentale n�est pas normale� justi�ant lamethode d�analyse employee� La �gure � permet une comparaison des deux echelles obtenues� enpresentant les valeurs BTL reellement obtenues� reliees entre elles pour faciliter la lecture� et leserreurs standard estimees par bootstrap� Il existe des di�erences signi�catives entre les deux echelles�De plus� les courbes obtenues ne sont pas en accord avec les previsions compositionnelles�

����� Di��erence entre les �echelles

Gr�ace �a l�analyse par bootstrap� nous pouvons a�rmer qu�il existe une echelle signi�cative de tensionnon�tonale entre les di�erents timbres etudies� La rugosite est elle aussi une grandeur pertinente pourcaracteriser ces timbres� au vu de la stabilite des resultats obtenus� Toutefois� on peut remarquerque les deux echelles di��erent signi�cativement en plusieurs endroits� Ceci indique qu�il existe des

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Fig� � � Comparaison des �echelles de tension trait plein et de rugosit�e pointill�es � avec �ecarts typeestim�es par bootstrap

facteurs autres que la rugosite qui in�uent sur les jugements de tension des sujets� Nous faisonsl�hypoth�ese que parmi ces facteurs� il en est qui sont d�us �a des speci�cites d�interpretation� liees�a la situation de concert� Un premier type de speci�cites est une �speci�cite de surface�� Pour lestimbres T�� T� et T� les ��utes doivent jouer dans un registre aig$u� et ceci �a mezzo piano� Cettenuance est extr�ement di�cile �a obtenir dans un tel registre� et la note de ��ute ressort des timbres�Un deuxi�eme type de speci�cite est une �speci�cite tonale�� Le timbre T� contient un accord presqueparfait majeur � une quinte juste si triple di�ese � fa quart de di�ese entre les deux ��utes�� et unetierce presque majeure fa note en si bemol donc re di�ese pour la clarinette�� Ces intervalles auraientd�u dispara�#tre perceptivement avec l�impression de fusion generale voulue par le compositeur� maisdu fait d�un desequilibre entre les instruments ils deviennent saillant� Nous voudrions veri�er cettehypoth�ese� et preciser le rapport entre tension et rugosite pour ce qui a ete ecrit et pense par lecompositeur � une deuxi�eme experience est donc mise en place� o�u les speci�cites sont diminueesgr�ace �a un remixage des accords destine �a favoriser davantage la fusion� Cette manipulation a etee�ectuee sous la supervision du compositeur� de mani�ere �a rester musicalement realiste� et pourrait�etre le resultat discographique de l�enregistrement de concert�

��� Exp�erience �remixage�

����� M�ethode

Stimuli� Les m�emes accords que ceux de la condition �prise directe� sont utilises Nous avions utiliseune prise stereophonique de ces accords� mais nous disposions aussi dun enregistrement multipistesavec chaque instrument sur une piste Les volumes des di�erents instruments ont ete homogeneises demani�ere �a obtenir une meilleure fusion

Appareillage � La prise de son a ete realisee avec � microphones KM ��� Neuman� places chacun �a �� cmdun instrumentiste Le mixage a ete realise sur une table Neve serie V �a partir dun lecteur multipiste�� �� A Sony vers un DAT ���� Sony Une reverberation arti�cielle Lexicon a ete rajoutee pour rendreun e�et de salle semblable �a celui present sur lenregistrement du couple

Sujets � �� sujets �ages de �� �a �� ans ont passe cette experience� avec une moyenne d�age de �� ans Ces sujetsnavaient pas passe la condition �prise directe�� mais ont ete recrutes de la m�eme mani�ere Le groupecompte � non�musiciens� � musiciens amateurs et � musiciens professionnels ou semi�professionels Ilsetaient remuneres pour passer lexperience

Protocole experimental � le protocole a ete maintenu strictement identique entre les deux experiences

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Fig� � � Comparaison des �echelles de tension trait plein et de rugosit�e pointill�es � avec erreursstandard estim�ees par bootstrap� pour les timbres de l�exp�erience �remixage��

����� Hi�erarchie de tension et de rugosit�e

La �gure � represente les resultats des analyses BTL pour les nouvelles donnees� ainsi que l�ecart�typeestime par bootstrap� Elle est l�equivalent de la �gure � avec les timbres reequilibres� Les courbes detension et de rugosite evoquent la hierarchie obtenue precedemment� ce qui est d�u �a la tr�es grandesimilitude des stimuli employes dans les deux conditions� Les resultats obtenus sont encore une foistr�es stables� indiquant la pertinence des dimensions jugees� Les di�erences entre les stimuli sonthautement signi�catives� Nous con�rmons ainsi certains resultats� et ce avec un groupe de sujetsindependant� Le resultat nouveau est que cette fois la rugosite per�cue est tr�es fortement correlee �ala tension musicale le coe�cient de correlation entre les deux courbes est r ! ����� intervalle decon�ance �a �� % estime par boostrap et percentile � r � ��� � ������ � ! ������ Cette correlation aete obtenue apr�es reequilibrage des niveaux d�enregistrement de nos stimuli� ce qui a eu pour e�etd�augmenter leur degre de fusion perceptive� Toutefois� la hierarchie obtenue di��ere de celle prevuepar l�algorithme base sur les fondamentales virtuelles presente en introduction de cette etude �gure��� Si la premi�ere partie de la courbe a ete bien pressentie� la deuxi�eme partie est en desaccordavec les previsions� notamment pour le timbre � prevu comme �detendu�� Pourtant ce timbre estbien porteur de tension� comme l�indiquent les jugements� Or il est aussi per�cu comme rugueux �la rugosite semble donc �etre un meilleur predicteur de la tension evoquee� Un modele de rugositepourrait donc apporter une aide appreciable pour l�interpretation et l�etablissement previsionnel del�echelle de tension� C�est un tel mod�ele que nous allons examiner� �a la lumi�ere de nos resultatsexperimentaux�

� Mod�elisation

��� Pr�esentation du mod�ele de calcul de rugosit�e

Le mod�ele envisage decoule directement de l�etude de �Hutchinson and Knopo�� ��� �� les base decette etude etant les resultats experimentaux de �Plomp and Levelt� ����� cites dans l�introduction�Le mod�ele prend comme donnees initiales les frequences Fi et amplitudes Ai des di�erents com�posantes spectrales du son �a etudier� Ces frequences et amplitudes sont �a rapprocher �a l�idee dedensite spectrale moyenne� mais les amplitudes restent hautement indicatives� Chaque composantest compare �a tous les autres� Pour chaque couple de composants� un nombre adimensionnel g corres�pondant �a la courbe proposee par �Plomp and Levelt� ����� est calcule en fonction du rapport entreleur ecart frequentiel et la largeur calculee de la bande critique �a la frequence moyenne consideree� Labande critique est calculee selon la formule proposee par �Hutchinson and Knopo�� ��� �� le nombreg gr�ace �a une formule de �Bigand et al�� ������ Deux composants eloignes de plus de ��� % de la

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Fig� � � Calcul de rugosit�e pour les huits accords exp�erimentaux� en consid�erant � harmoniques pourchaque fondamentale�

bande critique ont un g egal �a zero� deux autres eloignes de �� % de la bande critique ont un g de�� Les di�erents g partiels sont ensuite sommes� en normalisant quant aux amplitudes� Le resultatsdu calcul est donne par ���

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Ce mod�ele a ete implemente dans l�environnement d�aide �a la composition Patchwork� gr�ace �a G� As�sayag� Il comporte un module de calcul proprement dit� qui peut recevoir un ensemble de notes ou defrequences provenant d�une partition� par exemple�� Il comporte aussi un generateur de composantesfrequentielles �a partir de fondamentales� car la forme du �spectre� utilise nombre d�harmoniqueset amplitudes respectives� a une in�uence determinante sur le resultats des calculs� En e�et� lesbattements entre harmoniques constituent une source essentielle de rugosite� Si l�ecart entre les fon�damentales depasse une bande critique� les battements entre harmoniques sont m�eme la seule sourcede rugosite� Il importe donc d�emettre une hypoth�ese sur la forme reelle des spectres qui vont �etregeneres au moment de la realisation sonore de la partition�

��� �Evaluation du mod�ele avec les stimuli utilis�es

Ce mod�ele tr�es simple est destine �a une phase precompositionnelle� et les donnees choisies pourl�alimenter sont donc les frequences fondamentales constituants les accords ecrits par le compositeur�Ces frequences fondamentales ont ete associees �a un spectre d�amplitude� Compte tenu du registre etdes instrument employes� des �spectres� harmoniques de � partiels avec une decroissance d�amplitudeen ��n� sont employes� Ceci est bien entendu une grande simpli�cation� mais reste plausible� Lesresultats du calcul par le mod�ele sont presentes �gure �� Il existe un bon ajustement entre les resultatsdu mod�ele et les jugements experimentaux de rugosite de l�experience avec les timbres remixes �gure��� Le coe�cient de correlation des deux echelles est de r ! �� � r � ��� � ������ �! ������ Le mod�elepermet donc une bonne prediction de la rugosite per�cue� et traduit notament le fait que le timbreT� ait ete juge rugueux� Du fait de la similitude entre les deux echelles� le mod�ele donne donc aussiune bonne prevision de la tension musicale jugee r ! ����� r � ����� �� ��� � ! ������� Ceci est unresultat interessant� mais qu�il convient de temperer du fait des limites connues de ce mod�ele�

��� Limites du mod�ele

Ce mod�ele� destine �a un calcul exploratoire� comporte bien des faiblesses theoriques� Tout d�abord�la formule utilisee pour calculer la bande critique a depuis ete revisee �Moore and Glasberg� �� ���Le mod�ele ne reproduit les experiences de �Plomp and Levelt� ����� qu�avec une formule que l�on sait

donc desormais incorrecte� Plus grave� la prise en compte des amplitudes n�est fondee sur aucuneetude experimentale� mais sur une conjecture de sommation lineaire de rugosites partielles� Lesseules etudes experimentales prises en compte sont basees sur l�interaction de � sons purs� �a partirdesquels on extrapole �a n sons purs� On sait desormais que l�in�uence du niveau est plus complexe�comme l�avaient d�ailleurs dej�a remarque �Kameoka and Kuriyagawa� ������ Cette in�uence� pour unson complexe� ne peut �etre dissociee des probl�emes de phase et de coherence entre les signaux eninteraction� Il convient donc de discuter dans quelle mesure les resultats d�un tel mod�ele peuvents�averer dignes d�inter�et�

� Discussion

Cette etude est le fruit d�une collaboration avec un compositeur� et ceci nous appara�#t important�a souligner� Les stimuli soumis �a l�experimentation ont ete tires d�une uvre existante� Ils ont eteenregistres avec des instruments acoustiques en situation de concert� puis remixes dans une situationproche de l�edition discographique� Le compromis inevitable entre le contr�ole rigoureux de tous lesparam�etres mis en jeu et la validite ecologique de l�experience est ici consciemment bien clair � nousavons opte pour une situation musicalement realiste� La question que nous abordons� la hierarchie detension des timbres� est motivee par les preoccupations rencontrees par le compositeur au moment del�ecriture de la pi�ece� Les conditions particuli�eres de l�etude nous ont amene �a des methodes d�analysesstatistiques non parametriques� c�est �a dire ne supposant pas les hypoth�eses de normalite ne pouvant�etre veri�ees que dans des situation experimentales comportant un plus grand nombre de sujets�Apr�es une etude experimentale� nous sommes en mesure de preciser la grandeur psychoacoustique�dej�a connue et etudiee par ailleurs� qui est sous�jacente au probl�eme pose� Nous pouvons aussi preciserles limites d�une telle interpretation� ce qui est peut��etre aussi important que l�interpretation elle�m�eme�Nous avons projete les di�erences entre les timbres� presentes par paires� sur des echelles lineaires�La dimension de rugosite s�est revelee bien presente dans les stimuli� comme le montre la coherencedes reponses obtenues� et pertinente musicalement� du fait de sa correlation presque parfaite avec lahierarchie de tension dans la deuxi�eme condition experimentale� Mais la premi�ere experience montreaussi que d�autres facteurs sont sans doute presents dans la perception de la tension musicale detimbres orchestraux� La sonie est sans doute in�uente� m�eme si les instrumentistes ont joue �a lam�eme nuance� Nous n�avions alors pas� dans un premier temps� retouche �a cette interpretation pourse placer en situation de concert� La hauteur globale percue de timbres peut aussi sans doute avoirune in�uence� Un facteur lie �a la centro$#de spectrale pourrait aider �a expliquer la tension evoqueespar les timbres T�� T� et T� lors de la premi�ere experience� en rendant compte de la saillance desnotes de ��ute aig$ues�Nous avons aussi tente de supprimer les e�ets d�us au contexte et �a la succession temporelle destimbres � en e�et� tous les ordres possibles de paires sont presentes aleatoirement� Or la perceptions�inscrit dans le temps� et l�in�uence l�evolution de la representation mentale de la forme musicale aucours du temps sont ici ignorees� Nous avons attribue �a chacun de nos timbre une valeur de tensionet de rugosite � or ces timbres poss�edent un debut et une �n� la valeur attribuee represente�t�elleune moyenne� un maximum� un instant precis� N�est�elle pas susceptible de varier en fonction ducontexte� et des processus d�ecoute volontaire� Les reponses �a ces question sont sans doute positives�et restent �a preciser�Ceci precise donc ce que l�on peut attendre et ce que l�on ne peut pas attendre d�un mod�ele de rugositecomme celui presente� Le mod�ele nous a permis de prevoir la rugosite jugee par les sujets dans le casde l�experience �remixage�� Les timbres etaient alors homog�enes au niveau des dynamiques et desregistres� Ils possedaient une grande fusion perceptive� Ils ne presentaient pas non plus de fonctiontonale simple susceptible d�in�uencer le jugements des sujets par une sorte de reference exterieuredi�cilement contr�olable� Si� par contre� comme cela etait le cas avec l�experience �prise directe��ces conditions d�homogeneite ne sont pas assurees� alors les previsions du mod�ele deviennent nonpertinentes� Dans tous les cas un tel mod�ele ne peut rendre compte de l�in�uence du contexte� dela memorisation et des processus d�attention volontaire� De fait� ses imprecisions theoriques sont en

quelque sorte masquees par les limites inherentes �a l�approche adoptee� Neanmoins� son utilisation�si elle reste consciente des limites des nombres etiquetes sur le materiau musical peut constituer uneaide �a la composition inspiree de principes perceptifs plut�ot que de theories purement arbitraires�

� Conclusion

Nous avons alors montre que des stimuli orchestraux complexes� di�erant principalement par leurtimbre� sans fonction harmonique classique� peuvent evoquer des mouvements de tension et de de�tente� Ces mouvements sont per�cus �a la fois par des sujets musiciens ou non musiciens� et entre�tiennent un lien avec la rugosite des di�erents stimuli� Ce lien est d�autant plus etroit que diversesspeci�cites sont maintenues �a l�arri�ere plan� Si le materiau est homog�ene� la rugosite psychoacoustiquedevient une grandeur remarquable � en e�et� ce phenom�ene lie �a des mecanismes auditifs periphe�riques est une caracteristique de surface correlee avec une notion musicale fondamentale� Son calculprevisionnel par un mod�ele simple est alors possible�Ceci peut presenter un reel inter�et musical� En e�et� la perception de degres de tension distincts pournos timbres est sans doute plus fragile que dans un contexte tonal� elle peut notamment �etre moduleepar une interpretation particuli�ere� mais elle est demontree� Un geste musical peut ainsi �etre pense�avec� et non �en depit�du materiau� qui n�est plus neutre et retrouve une fonction harmonique� Larugosite represente alors un moyen de formalisation d�une harmonie non�tonale possedant une realiteperceptive�

R�ef�erences

�Aures� ����� Aures� W ������ Ein Berechnungsverfahren der Rauhigkeit Acustica� ����������

�Bigand� ����� Bigand� E ������ The in�uence of implicit harmony� rythm and musical training on theabstraction of tension�relaxation schemas in tonal music phrases Contemporary Music Review� ��� �����������

�Bigand et al � ����� Bigand� E � Parncutt� R � and Lerdhal� F ������ Perception of musical tension inshort chord sequences � the in�uence oh harmonic function� sensory dissonance� horizontal motion� andmusical training Perception and Psychophysics� �������������

�David� ����� David� H A ������ The Method of Paired Comparisons Oxford University Press� secondedition� revised edition

�Efron� ����� Efron� B ������ Nonparametric estimates of standard error � the jacknife� the bootstrap� andother methods Biometrika� ����������

�Efron and Tibshirani� ����� Efron� B and Tibshirani� R J ������ An Introduction to the Bootstrap Chap�man � Hall

�Fletcher� ����� Fletcher� H ������ Auditory patterns Rev� Mod� Phys�� ��������

�Helmholtz� ����� Helmholtz� H L F v ������ On the Sensations of Tone as the Physiological Basis forthe Theory of Music Dover� reprinted from english �nd ed � ���� edition trans A J Ellis� from German�th ed � ����

�Hutchinson and Knopo�� ����� Hutchinson� W and Knopo�� L ������ The acoustic component of westernconsonance Interface� ������

�Kameoka and Kuriyagawa� ����� Kameoka� A and Kuriyagawa� M ������ Consonance theory part i J�Acoust� Soc� Amer�� ������������

�Lerdahl and Jackendo�� ����� Lerdahl� F and Jackendo�� R ������ A generative theory of tonal music M I T Press� Cambridge� MA

�Moore and Glasberg� ����� Moore� B C J and Glasberg� B R ������ Suggested formulae for calculatingauditory��lter bandwidths and excitation patterns J� Acoust� Soc� Amer�� �������������

�Plomp and Levelt� ����� Plomp� R and Levelt� W ������ Tonal consonance and critical bandwidth J�Acoust� Soc� Amer�� ����������

�Schenker� ����� Schenker� H ������ Der Freie Satz Universal Edition� Vienna Trans E Oster ������Free Composition� New York� Longman

�Terhardt� ����� Terhardt� E ������ On the perception of periodic sound �uctuation �roughness� Acustica�����������

�Zwicker and Fastl� ����� Zwicker� E and Fastl� H ������ Psychoacoustics� Facts and Models SpringerVerlag� Berlin