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Table des matières

Samedi 22 mai 1813 ......................................... 5

Pont à Mousson 1772-1792 ............................. 17

L’arme savante 1792-1796 .............................. 59

Le général Bonaparte 1797-1800...................... 93

Le Premier Consul 1800-1804 .......................... 217

L’empire 1805-1806 ......................................... 377

Index des dates .................................................. 449

Index personnages ............................................ 459

Documentation .................................................. 465

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Samedi 22 mai 1813

Nous sommes en Saxe et bien loin de la France. La guerre a recommencé et notre armée se bat contre la coalition de la Russie et de la Prusse. L’offensive générale est bien engagée par nos troupes.

Depuis mon réveil, je suis inquiet et de mauvais pressentiments occupent toutes mes pensées. L’image renvoyée par le miroir que tient mon domestique alors que je me rase en est la confirmation. J’achève de m’habiller, endosse mon uniforme bleu foncé galonné de feuilles de chêne d’or et noue ma ceinture blanche et or. En sortant, je tends ma montre à mon domestique en lui disant.

– Tiens, mon vieux Coursot, si le sort veut que j’aie la gueule cassée aujourd’hui, tu la garderas.

– Je trouve Monseigneur bien triste ce matin, me répond-il.

Je ne lui ai pas adressé une seule parole depuis mon lever et la brièveté de mon discours l’a surpris, bien qu’il fût accoutumé à la sobriété de ma conversation.

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Le soleil levant découvre une large plaine entrecoupée de petits bois qui s’étend devant le campement impérial. Le quartier général est installé en avant de Reichenbach ; au loin se dessinent quelques collines et je distingue le village de Makersdorff qui protège la route de Görlitz et la Silésie. Devant nous se tiennent les cantonnements des différents corps de notre armée. Je peux en distinguer les masses sombres : les corps d’armée de Bertrand, MacDonald, Marmont et Oudinot. En arrière se trouve le corps de cavalerie de Latour-Maubourg puis la Garde Impériale. Proche des collines fermant l’horizon se trouvent les troupes prussiennes de Blücher et de Barclay ainsi que les russes de Tormasof et Gortchakov protégés par Miloradovitch.

Je donne les dispositions de la journée aux officiers de la Maison Impériale qui se sont rassemblés devant ma tente et m’attendent pour recevoir les consignes. L’activité est déjà très importante au quartier général, l’Empereur s’étant levé dès l’aube pour donner à ses officiers les ordres de poursuite des troupes ennemies,

Le campement est disposé à proximité d’un petit bouquet d’arbres où se trouve la berline de l’Empereur, un fourgon de la suite impériale contenant les réserves et la cuisine roulante. Les tentes en toile rayée sont montées, celle de l’Empereur est entourée d’un piquet de grenadiers de la Garde. Valets de pied, grenadiers, chasseurs à cheval, estafettes, officiers d’état major, aides de camp, tous s’affairent en ce début de matinée ensoleillée.

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Je retrouve de duc de Vicence (1) qui a revêtu son habit bleu barbeau de grand écuyer et ensemble, nous rejoignons l’Empereur qui est entouré du nouveau prince de la Moskova, du vice-roi d’Italie, du duc de Raguse, du duc de Reggio, du duc de Tarente, du duc de Trévise, du baron de Planta (2) et de leurs officiers généraux. Il est assis sur un tronc d’arbre et des cartes sont dispersées sur la table pliante qui se trouve derrière lui. A proximité se tiennent le piquet de chasseurs à cheval et le valet préposé aux cartes. Les secrétaires se trouvent près d’un feu de bivouac allumé pour la nuit qui achève de se consumer et rédigent les notes dictées par l’Empereur. Les chevaux des attelages sont regroupés près du sous-bois sous la surveillance des cochers qui s’entretiennent avec Roustan.

L’Empereur commente la bataille de la veille, s’informe des pertes subies par l’armée et donne ses ordres pour la journée. Le prince de Wagram (3) connaissant déjà les ordres, se trouve dans son campement avec ses aides de camp et son état major pour prendre toutes les dispositions nécessaires.

En me voyant arriver le chapeau à plumetis blanc sous le bras, l’Empereur me dit :

« – Et bien, Duroc, la nuit n’a pas été bonne me semble-t-il car tu as la tête des mauvais jours. »

« – En effet, sire, je suis tourmenté. »

L’Empereur se lève sans répondre et poursuit la lecture des cartes posées sur la table de campagne, il frappe son long manteau gris de sa cravache et son esprit est ailleurs : Après la bataille de Bautzen, la prise des villages fortifiés des environs de la ville et la

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retraite générale de la veille, les troupes ennemies ont décidé de mettre de l’espace entre leurs armées et les troupes françaises qui les talonnent. Il mènera lui-même la chasse, le terrain étant propice à l’usage de la cavalerie. Il s’adresse au général Lefebvre-Desnouettes, commandant la première division de la cavalerie de la Garde :

« Faites une omelette de ma garde, mais laissez moi arriver avec mon infanterie. Toute ma cavalerie sera engagée dans la poursuite avec le corps de cavalerie de Latour-Maubourg. Votre intervention doit empêcher Miloradovitch de contenir notre avancée. »

Le général salue et quitte l’état major pour rejoindre son commandement.

Les aides de camp du major-général Berthier quittent le quartier impérial et prennent la route au grand galop pour transmettre les ordres impériaux aux différents généraux des divisions. Tout se met en place pour les combats à venir.

Avec sa lunette, l’Empereur observe les mouvements de l’infanterie de la jeune garde qui se déploie dans la plaine ; les troupes commencent à prendre leurs positions à mesure que les ordres arrivent.

Serrés les uns contre les autres, les cavaliers s’étalent en ligne sur plusieurs rangs : Les chevau-légers de la première division de la garde commandée par le général Lefebvre-Desnouettes se distinguent par leurs couleurs vives et leur lance à la flamme blanche et rouge, les uniformes bleus du premier régiment du général Krasinski, écarlates du second régiment du général Colbert et verts pour les

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escadrons de Berg sous les ordres du major Toll. A ses côtés se trouvait la deuxième division de la garde sous le commandement du général d’Ornano avec le colback et le frac vert des chasseurs à cheval du général Guyot, les casques brillants et les crinières des dragons du général Letort, les bonnets d’ourson des grenadiers à cheval du général Laferrière et des gendarmes d’élite du colonel Mekenem.

S’aligne ensuite le corps de cavalerie commandé par le général Latour Maubourg :

Tout d’abord la cavalerie légère dont la première division est composée des hussards, chevau-légers et chasseurs à cheval sous les ordres du général Bruyères, et la deuxième division du général Chastel avec ses chasseurs à cheval ; puis les deux régiments de grosse cavalerie, des cuirassiers et dragons des généraux Bordesoulle et Doumec dont les cuirasses et les casques brillent sous le soleil.

C’est l’artillerie du général Drouot qui ouvre les hostilités de la journée. Les troupes ennemies dont le but est de nous retarder pour protéger la retraite des troupes alliées, sont surprises par la menace des attaques de la cavalerie française qui s’est déployée dans la plaine en ordre de bataille. Les premiers combats se déroulent à la sortie de Reichenbach. Les russes se défendent avec acharnement, toujours sur le point d’être cernés mais s’échappant en bon ordre et nous infligeant de lourdes pertes. Ils réussissent à retarder notre poursuite du gros des troupes alliées, les colonnes se heurtant aux lignes de défenses russes dont Wurschen est le centre ; L’Empereur décide alors de lancer toutes ses forces dans les attaques et ordonne au maréchal Ney de s’en rendre maître.

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L’Empereur est à cheval depuis le milieu de la matinée. Avec Berthier et un de ses aides de camp, Mortier, Soult, Caulaincourt, deux aides de camp et deux officiers d’ordonnance, Roustan, le page de service porte lunette et le chasseur du portefeuille, nous essayons de rester au plus près de lui. A 200 toises suivent les autres aides de camp et officiers de sa maison, les aides de camp des généraux qui lui sont attachés ; puis ceux du major général et les officiers dont il a le plus besoin, ainsi que les généraux commandant l’artillerie et le génie. Suit enfin tout l’état major et ce qui lui est attaché, formant un quatrième groupe sous les ordres d’un général.

En regardant cette masse multicolore et bruyante dont les déplacements soulèvent d’importants nuages de poussière qui signalent leur position à l’artillerie ennemie, je dis à Caulaincourt :

« – je suis inquiet de ce que la suite nombreuse et voyante du quartier général attire trop l’attention sur l’endroit où se trouve l’Empereur. Il faut lui proposer de réduire le nombre de personnes l’accompagnant lors de ses reconnaissances. »

« – je partage votre inquiétude, monsieur le Grand Maréchal, tous ces officiers en grand uniforme se remarquent de loin et font courir grand risque à l’Empereur », me répond le duc de Vicence.

Au milieu de l’après midi, les pièces d’artillerie à cheval russes sont attelées et se replient au trot en suivant la retraite des troupes. L’Empereur ne peut cacher un mouvement d’humeur en voyant l’arrière garde ennemie lui échapper :

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« – comment peut-on avoir un tel manque de résultat après une telle boucherie ? Je n’aurai pas de prisonniers, ces gens là renaissent donc de leurs cendres, ils ne me laisseront pas un clou. »

A ce moment, un chasseur de l’escorte est fauché par un boulet ennemi qui renverse trois autres cavaliers de l’escorte, il roule sous les pieds du cheval de l’Empereur qui fait un écart.

« – la fortune nous en veut bien aujourd’hui, me dit l’Empereur en regardant emmener le blessé secouru par deux chasseurs à cheval. ».

Je suis gagné par la tristesse et dit à Marmont que je rejoins :

« – mon ami, l’Empereur est insatiable de combats et de victoires, nous y resterons tous, telle est notre destinée. »

« – Ne peux-tu point lui faire entendre raison ? »

« – il y a bien longtemps qu’il n’écoute plus son entourage, même les plus dévoués et les plus sincères d’entre nous. »

Il hausse les épaules, reconnaissant notre impuissance, et me répond :

« – qu’y pouvons-nous, avons-nous un autre choix que de lui donner notre vie ? Nous n’avons pas comme Murat de royaume à préserver. »

Les mauvaises pensées de ce matin me reviennent : la mort de mon ami Bessières, la blessure de mon beau frère le capitaine Hervas à la tête de ses chasseurs, la disparition de tant de camarades de combat. Décidément, tout confirme mes inquiétudes sur l’avenir.

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A une heure de l’après-midi, l’Empereur demande un déjeuner préparé et servi en cinq minutes. Nous mangeons rapidement pendant qu’il fait le point sur la situation et l’évolution des combats de la matinée. Le couvert est levé en un quart d’heure comme à son habitude et nous remontons à cheval. L’Empereur décide que le quartier général s’arrêtera à Reichenbach à l’issue de la journée pour y établir son bivouac. Je m’éloigne pour prendre les dispositions nécessaires et donner les ordres pour faire préparer les logements.

De retour à l’état-major, le maréchal Mortier me dit que l’ennemi tient encore du côté de Makersdorff où les russes se sont retranchés, l’Empereur a décidé de rejoindre l’avant-garde de son armée pour se rendre compte de la manœuvre de contournement du vill age qu’effectue le 3e corps d’armée du maréchal Ney. Je rejoins l’Empereur qui, mécontent de ses généraux, leur adresse ses remontrances. Personne ne dit mot sous l’orage impérial. Depuis le début du printemps, il a retrouvé une flambée dynamique, semble rajeuni et revigoré, est partout où sa présence est nécessaire. Les succès remportés récemment le grisent et il pense avoir retrouvé sa bonne étoile. Je regarde la scène et dit à Caulaincourt :

« – observez-vous l’Empereur, il vient d’avoir des victoires après des revers et ce serait le moment de tirer la leçon du malheur, mais il n’a pas changé. La fin de tout ceci ne saurait être heureuse. »

A sept heures du soir, aux derniers rayons du soleil, l’Empereur monte sur un plateau qui domine la plaine et voyant l’ennemi en position derrière le ravin, ordonne au maréchal Ney d’attaquer. Les

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troupes n’arrivent pas assez vite et l’Empereur descend rapidement le chemin creux du village pour voir au plus près la progression de l’infanterie et observer la manœuvre des cavaliers du général Lefebvre-Desnouettes partis à la charge de l’arrière garde formée par les russes de Miloradovitch. Les engagements font rage dans la plaine et les lanciers se trouvent en difficulté devant la résistance acharnée des russes qui ne cèdent pas un morceau de terrain. L’Empereur donne l’ordre au général Latour-Maubourg de se porter vers Reichenbach avec le premier corps de cavalerie pour le dégager de ce mauvais pas.

Avec Mortier, Kirgener, Soult et Lebrun, nous traversons Markersdorf. Le village est étiré en longueur. La route coupe une vallée profonde, se dirige à gauche puis monte en pente douce. Devant nous, un groupe de cavaliers, resserré pour la traversée du village, arrive en masse compacte sur le plateau. Nous gagnons le tertre planté de quelques pommiers où l’Empereur suit les opérations tout en parlant de la violence de l’affrontement des troupes et de l’issue de la journée. En avançant lentement, la conversation avec Kirgener porte sur les batailles gagnées depuis le début de la campagne et de l’importance que tient l’artillerie dans les batailles modernes, sur l’engagement et l’état des troupes ainsi que sur l’espoir d’un proche armistice.

Alors que la bataille semble se terminer car nous remarquons que l’artillerie russe retire les dernières pièces encore engagées, le bruit d’un galop de cheval attire notre attention et nous voyons arriver vers nous à vive allure l’aide de camp du général Bruyères.

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Nous nous arrêtons pour nous entretenir avec lui. Arrivé à notre hauteur, il nous apprend la blessure du général touché par un boulet qui lui a emporté les deux cuisses alors qu’il chargeait les russes à la tête de sa division en entraînant ses cavaliers au combat. Je suis consterné par cette nouvelle et c’est à peine si j’entends au loin, une batterie russe qui tire trois coups de canon avant de se retirer. Un bruit épouvantable provient du chemin creux que nous venons de quitter, un arbre est fauché et je me sens soulevé et jeté brutalement au sol. Une douleur horrible me secoue le ventre avant que je ne perde connaissance. Tout s’est déroulé en une fraction de seconde.

Je reprends conscience dans une ferme où l’on m’a transporté. Je suis étendu sur un lit, trempé de sueur et grelottant de fièvre, l’habit déchiré est couvert de sang. La douleur est intolérable alors que les chirurgiens Yvan et Larrey s’affairent autour de moi pour me prodiguer des soins. Larrey m’informe sur l’état de ma blessure que je sais être très grave. Les parois du bas ventre sont arrachées et les soins qu’essaient de m’apporter Yvan me font souffrir davantage.

« – cessez de me panser car cela est inutile ; j’ai trop parcouru les champs de bataille après les combats et vu l’état des blessés pour connaître mon sort et savoir ma mort prochaine. »

« – Monseigneur, il est de mon devoir de vous soigner, » me répond Yvan.

« – alors je vous demande seulement de m’achever. »

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Un murmure parcourt la chambre et un bruit de bottes se fait entendre. Je tourne la tête avec grande difficulté, la douleur étant insupportable et j’aperçois au travers des perles de sueurs qui inondent mon front, la silhouette de l’Empereur.

« – Garde espoir, Frioul, nous te tirerons de ce mauvais pas là » me dit-il.

« – Sire, je ne m’abuse pas, mais je souffre et par pitié, faites-moi donner de l’opium »

L’Empereur s’assoit près du lit et me prend la main.

« – sire, toute ma vie a été consacrée à votre service et je ne la regrette que par l’utilité dont elle pouvait vous être encore »

« – Tais-toi, nous en reparlerons plus tard, il faut maintenant te reposer et l’on va te soigner »

Du sang jaillit de ma bouche et je suffoque un instant. L’Empereur veut se lever pour appeler les chirurgiens qui sont en retrait. Ma main le retient et d’une voix qui n’est plus qu’un murmure, je lui dis :

« – Sire, allez-vous en, ce spectacle est trop pénible pour vous »

J’ai lâché la main de l’Empereur et mon regard voilé par la souffrance se pose sur lui. Ma tête roule sur la couverture qui me sert d’oreiller :

« – de l’opium, je vous en supplie, faite moi donner de l’opium »

« – sire, j’ai vécu en honnête homme, je ne me reproche rien. Je laisse une fille, votre majesté lui servira de père. »

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Je me sens défaillir, je ferme les yeux pendant de longues minutes. Alors qu’Yvan s’approche de moi avec un médicament pour soulager ma douleur, je sens la présence de l’Empereur toujours à mes côtés. Je lui dis :

« – Mon dieu, ne puis-je donc mourir tranquille ? »

« – Adieu donc, mon ami » me dit l’Empereur.

Il quitte la pièce en s’appuyant sur le duc de Dalmatie (4) et sur le grand écuyer, suivi des autres officiers.

Sous l’action de la drogue, la douleur s’atténue et je me sens apaisé. Je baisse les paupières, mon esprit s’évade ;

Je me souviens…

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Pont à Mousson 1772-1792

Ce fut le 25 octobre 1772 à trois heures de l’après midi, dans la ville de Pont-à-Mousson que je vins à la vie. Je reçus le titre de Chevalier du Roc de Brion. Baptisé le lendemain à l’église de Sainte Croix en Rieupt, j’ai eu pour parrain mon cousin Géraud Christophe de Michel Du Roc, comte de Brion et pour marraine ma tante Marie-Hélène du Roc de Latude.

Originaire du Gévaudan, reconnue d’ancienne noblesse par jugement rendu le 27 janvier 1689 de M. de Lamoignon, intendant du Languedoc, la famille du Roc possédait de nombreux fiefs qui par lettres patentes de 1756 furent érigés en marquisat sous le nom de Brion.

Mon père, Claude Sidoine de Michel, Chevalier du Roc était l’un des sept enfants de Géraud Pierre de Michel, seigneur de Brion, d’Aldy, du Mas et Reyrac.

Le Chevalier, capitaine au régiment de Custine Dragons était arrivé en cette ville cinq ans auparavant à l’époque où la Lorraine venait d’être rattachée au royaume de France à la suite du décès, le 23 février

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1766, de son souverain nominal et ancien roi de Pologne le duc Stanislas Leszczynski. Il avait quitté l’armée pour raison de santé et venait d’épouser ma mère Anne Dauphine PAPIGNY qu’il avait rencontrée à Lunéville. Ils s’étaient installés en meublé dans la paroisse de Sainte Croix en Rieupt, sur la rive gauche de la Moselle qui traverse la ville « du Pont ».

J’étais le troisième enfant arrivé au foyer du Chevalier, Pierre était né le 12 octobre 1769 et Marie Hélène le 13 octobre 1770. Avec la naissance de Jeanne Magdeleine le 12 avril 1775, le meublé devint trop étroit et mon père fit l’acquisition d’une maison rue de la Grande Traverse, qu’il revendra plus tard aux comtes de la Tour en Woëvre.

Pont à Mousson était une petite ville de Lorraine peu éloignée de Nancy et de Metz, répartie sur les deux rives de la Moselle et dominée par une colline appelée Mousson. Le pont qui franchissait la rivière avait donné son nom à la ville. Elle disposait de nombreuses paroisses qui dépendaient de l’évêché de Metz pour celle située sur la rive droite et de l’évêché de Toul pour les paroisses de la rive gauche de la Moselle. Sa population comprenait 1650 feux.

Les premières années de ma vie s’écoulèrent entre les paroisses Sainte Croix en Rieupt et Saint Laurent au rythme des saisons si rudes de ce pays lorrain et des crues de la rivière. Notre famille menait alors une vie discrète des nobles peu fortunés de province où les distractions étaient à la fois rares et simples.

Le Chevalier nous assurait une première éducation et nous racontait souvent ses exploits de batailles dans les armées du Roi. Il nous détaillait les manœuvres

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des troupes, l’assaut des cavaliers, les accidents qui lui sont survenus à la guerre, sa surdité qui s’était aggravée durant les dernières campagnes. Il avait consacré la majeure partie de son patrimoine à l’achat d’une compagnie de dragons dans le régiment d’Armenonville. Pour sa vaillante conduite pendant la guerre de sept ans, il reçut en 1753, la croix de Chevalier de Saint-Louis. Nous l’écoutions sans mot dire, émerveillés par son discours et partageant sa fierté.

Il correspondait avec les autres membres de sa famille restés à Marvejols ou ses environs. Son frère aîné, Pierre, avait hérité du patrimoine de son père, ses deux autres frères Jean-Christophe, abbé du Roc, chanoine de l’église de Marvejols et Charles-Almanric dit monsieur de Viala, capitaine et Chevalier de Saint Louis, devait se contenter comme lui de revenus modestes. C’est ainsi que nous connaissions l’existence de notre parenté qui se trouvait dans la vallée des Cévennes.

Aux périodes de foires et marchés commerciaux, la place de la ville neuve connaissait une activité débordante de vie et de cris des marchands venus de toute la région. Elle était bordée de belles maisons à arcades où nous nous promenions à l’abri du mauvais temps ou du soleil, profitant de l’occasion que nous offraient ces manifestations pour organiser une sortie familiale. Je me surprenais à regarder les paysans saluer le Chevalier avec déférence, lui marquant un profond respect. J’étais à ce moment, fier de ce qu’il fut mon père et d’appartenir à sa famille, tant il s’attachait à soutenir l’honorabilité de son nom. Puis mon regard se posait sur la place où se trouvaient les étals des marchands proposant leurs produits, les

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bêtes d’élevage, tout cela autour de la fontaine qui apportait un peu de fraîcheur les jours d’été. Elle se composait d’un fut carré, d’une large corniche moulurée, d’un dôme orné des armes de Lorraine et surmontant le tout, d’un aigle doré portant une couronne ducale, dernier vestige du duché de Lorraine. Des supports pendaient deux lanternes et un large bassin circulaire retenait l’eau déversée par quatre statues de Neptune. Des chaînes étaient disposées en cercle autour du bassin et tenaient les animaux errants et le bétail à belle distance de l’eau.

Le temps passait ainsi selon les saisons, entre les jeux d’enfants et une première éducation donnée par le Chevalier dans le respect des valeurs morales et la dévotion au Roi que nous devions servir fidèlement car il était la représentation de Dieu sur la terre ; ce fut au cours de l’année 1781 que j’entrais au collège de Pont à Mousson. Cette même année voyait la naissance du Dauphin de France Louis Joseph Xavier le 22 octobre.

Le collège se trouvait sur l’autre rive de la Moselle, entre le pont et la cure de la vieille église de la paroisse Saint Martin. Il faisait face à l’ancienne université dont il était séparé par une portion de rue sans issue qui avait été nommée « rue du cul de sac du presbytère » et bordait la Moselle. Le maire royal François Trouard de Riolle avait obtenu la création de l’école royale militaire pour compenser la perte de l’Université (1).

Passé le pont, c’était la rive droite de la Moselle, l’autre ville, le départ vers un monde inconnu pour un enfant de neuf ans dont la vie avait toujours été organisée de ce côté-ci. A l’occasion des promenades au bord de la rivière avec mon frère, nous regardions