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TABLE DES MATIÈRES 1. Comparaison entre La Vendetta de 1830 et le « Furne corrigé » 2. Comparaison entre Les Dangers de l'inconduite de 1830 et Gobseck dans le « Furne corrigé » 3. Comparaison entre Le Bal de Sceaux de 1830 et le « Furne corrigé » 4. Comparaison entre Gloire et malheur de 1830 et La Maison du chat-qui-pelote dans le « Furne corrigé » 5. Comparaison entre La Femme vertueuse de 1830 et Une Double famille dans le « Furne corrigé » 6. Comparaison entre La Paix du ménage de 1830 et le « Furne corrigé » 7. Le syntagme « vie privée » dans la Physiologie du mariage 8. Le syntagme « vie privée » dans l'ensemble de La Comédie humaine 9. Le mot « scène(s) » dans la Physiologie du mariage 10. Le mot « scène(s) » dans les Scènes de la vie privée 11. Le mot « scène(s) » dans l'ensemble de La Comédie humaine 12. Bibliographie

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TABLE DES MATIÈRES

1. Comparaison entre La Vendetta de 1830 et le « Furne corrigé »

2. Comparaison entre Les Dangers de l'inconduite de 1830 et Gobseck dans le « Furne corrigé »

3. Comparaison entre Le Bal de Sceaux de 1830 et le « Furne corrigé »

4. Comparaison entre Gloire et malheur de 1830 et La

Maison du chat-qui-pelote dans le « Furne corrigé »

5. Comparaison entre La Femme vertueuse de 1830 et Une

Double famille dans le « Furne corrigé »

6. Comparaison entre La Paix du ménage de 1830 et le « Furne corrigé »

7. Le syntagme « vie privée » dans la Physiologie du mariage

8. Le syntagme « vie privée » dans l'ensemble de La Comédie

humaine

9. Le mot « scène(s) » dans la Physiologie du mariage

10. Le mot « scène(s) » dans les Scènes de la vie privée

11. Le mot « scène(s) » dans l'ensemble de La Comédie

humaine

12. Bibliographie

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13. La Vendetta – faux départs

14. Le Bal de Sceaux – faux départ

15. Gloire et malheur – faux départs

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Comparaison entre La Vendetta de 1830 et

le «  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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Comparaison entre La Vendetta de 1830 et

le «  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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SCÈNES DE LA VIE PRIVÉE¶ PUBLIÉES¶

PAR M. BALZAC,¶ AUTEUR DU DERNIER CHOUAN, OU LA BRETAGNE EN 1800.¶

¶ IL existe sans doute des mères auxquelles une éducation exempte de préjugés n’a raviaucune des grâces de la femme, en leur donnant une instruction solide sans nullepédanterie. Mettront-elles ces leçons sous les yeux de leurs filles?.... L’auteur a osél’espérer. Il s’est flatté que les bons esprits ne lui reprocheraient point d’avoir parfoisprésenté le tableau vrai de mœurs que les familles ensevelissent aujourd’hui dans l’ombreet que l’observateur a quelquefois de la peine à deviner. Il a songé qu’il y a bien moinsd’imprudence à marquer d’une branche de que certains esprits pourront lui reprocher des’être souvent appesanti sur des détails en apparence superflus. Il sait qu’il sera facile del’accuser d’une sorte de GARRULITÉ puérile. Souvent ses tableaux paraîtront avoir tousles défauts des compositions de l’école hollandaise sans en offrir les mérites. Maisl’auteur peut s’excuser en disant qu’il n’a destiné son livre qu’à des intelligences pluscandides et moins blasées, moins instruites et plus indulgentes que celles de ces critiquesdont il décline la compétence.¶

¶ IRE SCÈNE.¶¶

LA VENDETTA.¶ DÉDIÉ A PUTTINATI,¶

SCULPTEUR MILANAIS.¶

VERS la fin du mois de septembre de l’année 1800, un étranger, suivi d’unefemme et d’une petite fille, arriva devant le palais des Tuileries. Il se tint assez long-temps auprès des décombres d’une maison récemment démolie, En 1800, vers la fin dumois d’octobre, un étranger, accompagné d’une femme et d’une petite fille, arriva devantles Tuileries à Paris, et se tint assez long-temps auprès des décombres d’une maisonrécemment démolie, à l’endroit où s’élève aujourd’hui l’aile commencée qui devait unirle château de Catherine de Médicis au Louvre des Valois. Il resta là, debout, les brascroisés, la tête inclinée et la relevait parfois pour regarder alternativement le palaisconsulaire, et sa femme assise auprès de lui sur une pierre. Quoique l’inconnue parût nes’occuper que de la petite fille âgée de neuf à dix ans dont les longs cheveux noirs étaientcomme un amusement entre ses mains, elle ne perdait aucun des regards que lui adressaitson compagnon. Un même sentiment, autre que l’amour, unissait ces deux êtres, et restalà, debout, les bras croisés, la tête presque toujours inclinée ; s’il la relevait, c’était pourregarder successivement le palais consulaire, puis sa femme qui s’était assise auprès delui sur une pierre. Quoique l’inconnue parût ne s’occuper que de la petite fille, âgée deneuf à dix ans, dont elle caressait les longs cheveux noirs, elle ne perdait jamais un seuldes regards que lui lançait son compagnon. Un même sentiment, autre que l’amour, lesunissait sans doute et animait d’une même inquiétude leurs mouvemensmouvements etleurs pensées. La misère est peut-être le plus puissant de tous les liens. Ils étaient mariés,et la petite fille semblait être le dernier fruit de leur union.¶ L’inconnu L’étranger avaitune de ces têtes fortes, abondantes en cheveux, larges et graves, qui se sont souventoffertes au pinceau des Carraches ; mais ces . Ces cheveux si noirs étaient mélangés

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d’une grande quantité de cheveux blancs, et ces traits . Quoique nobles et fiers , ses traitsavaient un ton de dureté qui les gâtait en ce moment. Il était grand. Malgré sa force etvigoureux, quoiqu’il parûtsa taille droite, il semblait avoir plus de soixante ans. Sesvêtemensvêtements délabrés annonçaient qu’il venait d’un pays étranger.¶ Sa femmeavait au moins cinquante ans. Sa Quoique la figure jadis belle étaitet alors flétrie. Sonattitude trahissait de la femme trahît une tristesse profonde ; mais, quand son mari laregardait, elle s’efforçait de sourire en tâchant d’affecteraffectant une contenance calme.La petite fille restait debout, malgré la fatigue dont les marques frappaient son jeunevisage, hâlé par le soleil, portait les marques.. Elle avait une tournure italienne, de grandsyeux noirs sous des sourcils bien arqués, une noblesse native, une grâce indéfinissable.¶vraie. Plus d’un passant se sentait ému au seul aspect de ce groupe dont les personnagesne faisaient aucun effort pour cacher un désespoir aussi profond que l’expression en étaitsimple ; mais la source de cette fugitive obligeance qui distingue les Parisiens, se tarissaitbien vite, car, aussitôtpromptement. Aussitôt que l’inconnu se croyait l’objet del’attention de quelque oisif, il le regardait d’un air si farouche, que le flaneurflâneur leplus intrépide hâtait le pas comme s’il eût marché sur un serpent.¶ Tout- Après êtredemeuré long-temps indécis, tout à- coup le grand étranger passa la main sur son front.Il , il en chassa, pour ainsi dire, les pensées qui l’avaient sillonné de rides, et prit sansdoute un parti désespéré. Il jeta Après avoir jeté un regard perçant sur sa femme et sur safil le, il tira de sa veste un long poignard ; puis, le donnanttendit à sa compagne, il et luidit en italien :¶ : – Je vais voir si les Bonaparte se souviendrontsouviennent de nous !...¶Alors. Et il marcha d’un pas lent et assuré vers l’entrée du palais.¶ L’étranger , où il futnaturellement arrêté par un soldat de la garde consulaire avec lequel il ne put paslong-temps discuter très-long-temps ; car, en . En s’apercevant de l’obstination de l’inconnu,la sentinelle lui présenta sa bayonnettebaïonnette en manière d’ultimatum. Le hasardvoulut que l’on vînt en ce moment relever le soldat de sa faction ;, et alors, le caporalindiqua fort obligeamment à l’aventurier l’étranger l’endroit où se tenait l’officier quicommandait le le commandant du poste.¶

– Faites savoir à Bonaparte que Bartholoméo di Piombo voudrait lui parler ?...,dit l’étranger l’italien au capitaine de service.¶

Cet officier eut beau représenter à Bartholoméo qu’on ne voyait pas le premierconsul sans lui avoir préalablement demandé par écrit une audience, l’étranger voulutabsolument que le militaire allât prévenir Bonaparte. L’officier, objectant objecta les loisde la consigne, et refusa formellement d’obtempérer à l’ordre de ce singulier solliciteur.Alors Bartholoméo, fronçant fronça le sourcil, et jetantjeta sur le commandant un regardterrible sur le capitaine, , et sembla le rendre responsable de tout ce qui pourrait arriverde malheureux. Il des malheurs que ce refus pouvait occasionner ; puis, il garda lesilence, se croisa fortement les bras sur la poitrine, et alla se placer sous le portique quisert de communication entre la cour et le jardin des Tuileries.¶ Les gens qui veulentfortement une chose sont presque toujours admirablement bien servis par le hasard. Aumoment où Bartholoméo di Piombo s’asseyait sur une des bornes qui sont auprès del’entrée des Tuileries, il arriva une voiture arriva, etd’où descendit Lucien Bonaparte,alors ministre de l’intérieur, en descendit.¶

– Ah, Lucien ! Loucian, il est bien heureux pour Bartholoméo moi de terencontrer !..., s’écria l’étranger.¶

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Ces mots, prononcés en patois corse, arrêtèrent Lucien qui au moment où ils’élançait sous la voûte. Il, il regarda Bartholoméo, le son compatriote et le reconnut, etsur un . Au premier mot que ce dernier Bartholoméo lui dit à l’oreille, il laissa échapperun signe de tête, et fit montrer le Corseemmena le corse avec lui chez Bonaparte.¶ Ilsparvinrent tous deux jusqu’au cabinet du premier consul.. Murat, Lannes, Rapp s’y setrouvaient. dans le cabinet du premier consul. En voyant entrer Lucien, suivi d’unhomme aussi hétéroclitesingulier que l’était Piombo, chacun se tut.la conversation cessa.Lucien prit Napoléon par la main, ils se dirigèrent ensemble vers l’embrâsure et leconduisit dans l’embrasure de la croisée ; et, là, après. Après avoir échangé quelquesparoles avec son frère, le premier consul fit un geste de main auquel obéirent Murat etLannes : ils sortirent.Lannes en s’en allant. Rapp feignit de n’avoir rien vu et resta., afinde pouvoir rester. Bonaparte l’interpellal’ayant interpellé vivement, et l’aide-de-camps’en alla sortit en rechignant dans la pièce voisine.. Le premier consul, entendantquientendit le bruit des pas de Rapp dans le salon voisin, sortit brusquement et le vit sepromener le longprès du mur qui séparait le cabinet du salon.¶

– Tu ne veux donc pas me comprendre, ? dit le premier consul. J’ai besoin d’êtreseul avec mon compatriote…¶.¶

– Un Corse !...corse, répondit l’aide-de-camp. Raison de plus pour rester là !...jeJe me défie toujourstrop de ces gens-là pour ne pas...¶

Il s’arrêta.¶ Le premier consul ne put s’empêcher de sourire, et poussa légèrementson fidèle officier par les épaules. Rapp sortit.¶

– Eh bien, que viens-tu faire ici, mon pauvre Bartholoméo ?... dit le premierconsul à Piombo.¶

– Te demander asile et protection, si tu es un vrai Corsecorse, réponditBartholoméo d’un ton brusque.¶

– Quel malheur a pu te chasser du pays ?... Tu en étais, il y a six mois, le plusriche, le plus...¶

– J’ai tué tous les Porta !..., répliqua le Corsecorse d’un son de voix profond et enfronçant les sourcils.¶

Le premier consul fit deux pas en arrière comme s’il eût bondi.¶un hommesurpris.¶

– Vas-tu me trahir ?... s’écria Bartholoméo en jetant un regard sombre àBonaparte. – Sais-tu qu’il y a que nous sommes encore quatre Piombo enCorse ?...¶corse ?¶

Lucien prit le bras de son compatriote, et le secouant : .¶– Viens-tu donc ici pour menacer mon frère ?...le sauveur de la France ? lui dit-il

vivement.¶ Bonaparte fit un signe à Lucien, qui se tut ; puis, regardant. Puis il regardaPiombo, il et lui dit :¶ : – Pourquoi donc as-tu tué les Porta ?¶

Les yeux du Corse lancèrent comme un éclair.¶ – Nous avions fait amitié,répondit-il, fait amitié. Les Barbantaniles Barbanti nous avaient réconciliés. Lelendemain du jour où nous trinquâmes pour noyer nos querelles, je les quittai parce quej’avais affaire à Bastia. Ils restèrent chez moi, et ils mirent le feu à ma vigne de Longone.Ils ont tué mon fils Grégorio. Ma fille Ginevra et ma femme leur ont échappé, c’est sansdoute parce qu’ ; elles avaient communié le matin et que, la viergeVierge les a protégées.Quand je revins, je ne trouvai plus ma maison, je la cherchais les pieds dans sacendre !...¶ Bartholoméo s’arrêta et parut succomber sous ses souvenirs.¶ – cendres.

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Tout- à- coup, je heurtai le corps de Grégorio, reprit-il, et,que je reconnus à la lueur de lalune, je le reconnus.. – Oh ! ce sont les Porta qui ont fait cela,le coup ! me dis-je. J’allaisur-le-champ dans les Pâquis. J’yMâquis, j’y rassemblai quelques hommes auxquelsj’avais rendu service, entends-tu, Bonaparte ?... et nous marchâmes sur la vigne desPorta. Nous sommes arrivés à neufcinq heures du matin, et à dixsept ils étaient tousdevant Dieu. Giacomo prétend qu’Élizaqu’Elisa Vanni a sauvé un enfant, le petit Luigi ;mais je l’avais attaché moi-même dans son lit avant de mettre le feu à la maison. Bref,j’aiJ’ai quitté l’île avec ma femme et ma fille, sans avoir pu vérifier s’il était vrai queLuigi Porta vécût encore.¶

Bonaparte, immobile, regardait Bartholoméo avec curiosité, mais sansétonnement.¶

– Combien étaient-ils ?... demanda Lucien.¶– Sept, répondit Piombo. Ils ont été vos persécuteurs, dans les temps, leur dit-il.

Mais cesCes mots ne réveillèrent aucune expression de haine chez les deux frères.¶ – AhAh ! vous n’êtes plus Corses !...corses, s’écria Bartholoméo avec une sorte dedésespoir. Adieu.¶ – Autrefois je vous ai protégés !..., ajouta-t-il d’un ton de reproche.¶– Sans moi, ta mère ne serait pas arrivée vivante à Marseille, dit-il en s’adressant àBonaparte qui restait pensif, le coude appuyé sur le manteau de la cheminée.¶

– En conscience, Piombo, répondit Napoléon, je ne puis pas te prendre sous monaile, car je. Je suis devenu le chef d’une grande nation, je commande la république, et jedois en faire exécuter les lois.¶

– Ah ! ah ! dit Bartholoméo.¶– Mais je puis fermer les yeux…, reprit Bonaparte. Le préjugé de la Vendetta

empêchera long-temps le règne des lois en Corsecorse, ajouta-t-il en se parlant à lui-même. – Il faut cependant le détruire – à tout prix.¶

Bonaparte resta un moment silencieux, et Lucien fit signe à Piombo de ne riendire. Le Corsecorse agitait déjà la tête de droite à et de gauche d’un air improbateur.¶

– Demeure ici, reprit le consul en s’adressant à Bartholoméo, nous n’en sauronsrien. Je ferai acheter tes propriétés ; etpropriétés afin de te donner d’abord les moyens devivre. Puis, dans quelque temps, plus tard, nous penserons à toi. – Mais plus deVendetta ! – Songe qu’à Paris il Il n’y a pas de Pâquis, et que si mâquis ici. Si tu y jouesdu poignard, il n’y aurait pas de grâce à espérer. Ici la loi protège tous les citoyens, etl’on ne se fait pas justice soi-même.¶

– Eh bien !– Il s’est fait le chef d’un singulier pays, répondit Bartholoméo enprenant la main de Lucien et la serrant. Mais vous me reconnaissez dans le malheur, cesera maintenant entre nous à la vie à la mort, et vous pourrezpouvez disposer de tous lesPiombo.¶

A ces mots, le front du Corsecorse se dérida, et il regarda autour de lui avecsatisfaction.¶

– Vous n’êtes pas mal ici ?... , dit-il souriant, comme s’il voulait y loger. C’est unpalais !...¶Et tu es habillé tout en rouge comme un cardinal.¶

– Il ne tiendra qu’à toi de parvenir et d’avoir un palais à Paris !..., dit Bonapartequi toisait son compatriote. Il m’arrivera plus d’une fois de regarder autour de moi pourchercher un ami dévoué auquel je puisse me confier…¶.¶

Un soupir de joie sortit de la vaste poitrine de Piombo, puis il qui tendit la mainau premier consul, en lui disant :¶ : – Il y a encore du Corsecorse en toi !...¶!¶

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Bonaparte sourit, et . Il regarda silencieusement cet homme, qui lui apportait, enquelque sorte avec lui, l’air de sa patrie ; , de cette île où, naguère, il avait été reçu avectant d’enthousiasme, à son retour d’Egyptesauvé si miraculeusement de la haine du partianglais, et qu’il ne devait plus revoir. Il fit un signe à son frère, et ce dernier qui emmenaBartholoméo di Piombo. Lucien s’enquit avec intérêt de la situation financière del’ancien protecteur de leur famille. Alors Piombo, amenant amena le ministre del’i ntérieur auprès d’une fenêtre, et lui montra sa femme et Ginevra, assises toutes deuxsur un tas de pierres, et dit :¶.¶

– Nous sommes venus de Fontainebleau, ici, à pied, et nous n’avons pas uneobole, lui dit-il .¶

Lucien donna sa bourse à son compatriote et lui recommanda de venir le trouverle lendemain, afin d’aviser aux moyens d’assurer le sort de sa famille : car la . La valeurde tous les biens que Piombo possédait en Corse,corse ne pouvait guère le faire vivrehonorablement à Paris.¶

Bartholoméo plein de joie et d’espérance, retourna auprès de sa femme et deGinevra.¶ Les proscrits obtinrent ce soir-là un asile, du pain et la protection du premierconsul.¶ ¶ Ce simple récit des motifs qui amenèrent à Paris, Bartholoméo di Piombo et safamille, ne doit être considéré que comme une introduction nécessaire à l’intelligence desscènes qui vont suivre.¶ ¶ L’ATELIER.¶ M. Quinze ans s’écoulèrent entre l’arrivée de lafamille Piombo à Paris et l’aventure suivante, qui, sans le récit de ces événements, eût étémoins intelligible.¶

Servin, l’un de nos artistes les plus distingués, conçut le premier l’idée d’ouvrirun atelier pour les jeunes personnes qui veulent prendre des leçons de peinture. C’était unhommeAgé d’une quarantaine d’années, de mœurs pures, et entièrement livré à son art.Il , il avait épousé par inclination la fille d’un général sans fortune.¶ D’abord les Lesmères conduisirent d’abord elles-mêmes leurs filles chez le professeur ; mais puis ellesfinirent par les y envoyer quand elles eurent bien connu ses principes et apprécié les soinsle soin qu’il mettait à mériter la confiance.¶ Il était entré dans le plan du peintre den’accepter pour écolières que des demoiselles appartenant à des familles riches ouconsidérées, afin de n’avoir pas à subir de reproches à subir sur la composition de sonatelier. Il ; il se refusait même à prendre les jeunes filles qui voulaient devenir artistes, etauxquelles il aurait fallu donner certains enseignemensenseignements sans lesquels il n’yan’est pas de talent possible en peinture.¶ Insensiblement, la sa prudence et, lasupériorité avec lesquelles il initiait ses élèves aux mystères de son secrets de l’art, lacertitude où les mères étaient de savoir leurs filles en compagnie de jeunes personnesbien élevées, et la sécurité qu’inspiraient le caractère, les mœurs, le mariage de l’artiste,lui valurent dans les salons une flatteuseexcellente renommée. Quand une jeune fillemanifestait le désir d’apprendre à peindre ou à dessiner, et que sa mère demandaitconseil : – Envoyez-la chez Servin ! – était la réponse que faisaient les peintres eux-mêmes.¶ de chacun. Servin devint donc une nécessité, une autorité,pour la peintureféminine une spécialité, une célébrité pour la peinture féminine, comme Herbault pourles chapeaux, Leroy pour les modes, et Chevet pour les comestibles. Il était reconnuqu’une jeune femme qui avait pris des leçons chez Servin pouvait juger en dernier ressortles tableaux du Musée, faire supérieurement un portrait, copier une toile, et peindre unson tableau de genre. Cet artiste suffisait ainsi à tous les besoins de l’aristocratie. Malgréles rapports qu’il avait avec les meilleures maisons de Paris, il était indépendant, patriote,

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et il conservait avec tout le monde ce ton léger, spirituel, parfois ironique, et cette libertéde jugement qui distinguent les peintres.¶ Il avait poussé le scrupule de ses précautionsjusques dans l’ordonnance du local destiné àoù étudiaient ses écolières. L’entrée dugrenier qui régnait au-dessus de ses appartemensappartements avait été murée ; et, pour .Pour parvenir à cette retraite, aussi sacrée qu’un harem, il fallait monter par un escalierpratiqué dans l’intérieur de son logement. L’atelier, occupantqui occupait tout le comblede la maison, avait offrait ces proportions énormes qui surprennent toujours les curieuxquand, arrivés à soixante pieds du sol, ils s’attendent à voir les artistes logés dans unegouttière. Cette espèce de galerie était profusément éclairée par d’immenses châssisvitrés et garnis de ces grandes toiles vertes à l’aide desquelles les peintres disposent de lalumière. Une foule de caricatures, de têtes, faites au trait, avec de la couleur ou la pointed’un couteau, sur les murailles peintes en gris foncé, prouvaitprouvaient, sauf ladifférence de l’expression, que les filles les plus distinguées ont dans l’esprit autant defolie que les hommes. peuvent en avoir. Un petit poêle et de ses grands tuyaux, quidécrivaient un effroyable zig-zag, avant d’atteindre les hautes régions du toit, étaientl’infaillible ornement de cet atelier. Une planche, régnant régnait autour des murs, etsoutenait les plus beaux des modèles en plâtre qui gisaient confusément placés, les unsblancs encore, les autres essuyés à demi, mais la plupart couverts pour la plupart d’uneblonde poussière. Au-dessous de ce rayon, et ça et là, une tête de Niobé, pendue à unclou, montrait sa pose de douleur ;, une Vénus souriait ;, une main se présentaitbrusquement aux yeux comme celle d’un pauvre demandant l’aumône ;, puis quelquesquelque écorchés, jaunis par la fumée, avaient l’air de membres arrachés la veille à descercueils. Enfin ; enfin des tableaux, des dessins, des mannequins, des cadres sans toiles,et des toiles sans cadres, achevaient de donner à cette pièce irrégulière l’indéfinissable laphysionomie d’un atelier :atelier que distingue un singulier mélange d’ornement et denudité, de misère et de richesse, de soin et d’incurie,. Cet immense vaisseau, où toutparaît petit, même l’homme. Il y a dans un atelier de peinture quelque chose qui, sent lacoulisse d’opéra : ce sont ; il s’y trouve de vieux linges, des armures dorées, deslambeaux d’étoffe, des machines ; puismais il y a je ne sais quoi de grand, d’infinicomme la pensée. Le : le génie et la mort sont là :; la Diane, ou l’Apollon auprès d’uncrâne ou d’un squelette ;, le beau et le désordre ; la réalité et, la poésie ;poésie et laréalité, de riches couleurs dans l’ombre ;, et souvent tout un drame qui semble crier dansle silence. Tout y est leimmobile et silencieux. Quel symbole d’une tête d’artiste.¶ !¶

Au moment où commence cette histoire, le brillant soleil du mois de juilletilluminait l’atelier ;, et deux rayons capricieux le traversaient dans toute sa profondeur eny traçant de larges bandes d’or diaphanes où brillaient les des grains d’une inévitable depoussière.¶ Une douzaine de chevalets élevaient leurs flèches aiguës, semblables à desmâts de vaisseau dans un port.¶ Dix Plusieurs jeunes filles animaient cette scène, par lavariété de leurs physionomies, de leurs attitudes, et par la différence de leurs toilettes.Les fortes ombres que jetaient les serges vertes disposées, placées suivant les besoins dechaque chevalet, produisaient une multitude de contrastes, de piquanspiquants effets declair-obscur. C’étaitCe groupe formait le plus beau de tous les tableaux de l’atelier.¶ Une jeune fille, blonde et candidemise simplement se tenait loin de ses compagnes,travaillait avec courage. Elle semblait en paraissant prévoir le malheur. Elle était misesimplement. Elle se tenait loin de ses compagnes. Nulle ; nulle ne la regardait, ne luiadressait la parole. Elle : elle était la plus jolie, la plus modeste, et – la moins riche.¶

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Deux groupes principaux, séparés l’un de l’autre, par une faible distance, indiquaientdeux sociétés, deux esprits jusques dans cet atelier où les rangs et la fortune devaient êtreoubliés.¶ auraient dû s’oublier. Assises ou debout, ces jeunes filles, entourées de leursboîtes à couleurs, jouant avec leurs pinceaux ou les préparant, maniant leursbrillanteséclatantes palettes, peignant, parlant, riant, chantant, abandonnées à leur naturel,laissant voir leur caractère, formaient composaient un spectacle inconnu aux hommes.¶Celle : celle-ci, fière, hautaine, capricieuse, aux cheveux noirs, aux belles mains, lançaitau hasard la flamme de ses regards. Celle-là ; celle-là, insouciante et gaie, le sourire surles lèvres, les cheveux châtains, les mains blanches et délicates ;, vierge française, légère,sans arrière -pensée, vivant de sa vie actuelle. Une ; une autre, rêveuse, mélancolique,pâle, penchant la tête comme une fleur qui tombe. Sa ; sa voisine, au contraire, grande,indolente, aux habitudes musulmanes, l’œil long, noir, humide, ; parlant peu, maissongeant et regardant à la dérobée la tête d’Antinoüs. Une autre était au Au milieud’elles, comme le jocoso d’une pièce espagnole, pleine d’esprit, et de saillies,épigrammatique, les espionnant épigrammatiques, une fille les espionnait toutes d’un seulcoup d’œil, les faisant faisait rire, levant et levait sans cesse une sa figure trop vive pourn’être pas jolie. Elle ; elle commandait au premier groupe des écolières. Il quicomprenait les filles de banquier, de notaire, et de négociant ; toutes riches ;, maisessuyant toutes les dédains imperceptibles quoique poignans,poignants que leurprodiguaient les autres jeunes personnes appartenant à l’aristocratie.¶ Ces dernièresCelles-ci étaient gouvernées par la fille d’une marquised’un huissier du cabinet du roi,petite créature aussi sotte que vaine, et fière d’avoir pour père un homme de ayant unecharge à la cour, et revêtu d’une charge. Elle était blanche, fluette, maladive, et aussisotte que vaine. Elle ; elle voulait toujours paraître avoir compris du premier coup lesobservations du maître, et semblait travailler par grâce. Elle ; elle se servait d’un lorgnon,ne venait que très- parée, tard, et suppliait ses compagnes de parler bas. Ce Dans cesecond groupe était riche de , on eût remarqué des tailles délicieuses, de des figuresdistinguées ; mais les regards de ces jeunes filles n’avaient point de offraient peu denaïveté. Si leurs attitudes étaient élégantes, et leurs mouvemensmouvements gracieux,les figures manquaient de franchise, et l’on devinait facilement qu’elles appartenaient àun monde où la politesse façonne de bonne heure les caractères, où l’abus des jouissancessociales tue les passions et où les formules développentsentiments et développel’égoïsme.¶ Lorsque l’atelier était complet, que personne ne manquait à cette réunionétait complète, il y avait se trouvait dans le nombre de ces jeunes filles, des têtesenfantines, des visages vierges d’une pureté ravissante, des vierges visages dont labouche légèrement entr’ouverte laissait voir des dents vierges, et sur laquelle errait unsourire de vierge. Alors l’atelierL’atelier ne ressemblait pas alors à un sérail, mais à ungroupe d’anges assis sur un nuage dans le ciel.¶

Il était environ A midi, et M. Servin n’avait pas encore paru. Ses écolièressavaient qu’il achevait un tableau pour l’exposition ; et que depuisDepuis quelques jours,la plupart du temps il restait à un autre atelier, qu’il avait en ville.ailleurs et où il achevaitun tableau pour l’exposition.. Tout- à- coup, mademoiselle de MonsaurinAmélie Thirion,chef du parti aristocratique de cette petite assemblée, parla long-temps à sa voisine, et ilse fit un grand silence dans le groupe des nobles. Le patriciennes; le parti de la banqueétonné, se tut également, et tâcha de deviner le sujet d’une semblable conférence ; mais lesecret des jeunes monarchistesultrà fut bientôt publié.¶ Mademoiselle de

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Monsaurinconnu. Amélie se leva. Elle prit à quelques pas d’elle un chevalet qui était à sadroite, et le plaçapour le replacer à une assez grande distance du noble groupe, près d’unecloison grossière qui séparait l’atelier d’une mansarde. Ce d’un cabinet obscur était enpartie dû à l’irrégularité du mur mitoyen qui faisait là un coude assez profond. Ce petitcoin était en quelque sorte les gémonies de l’atelier. On y jetait où l’on mettait les plâtresbrisés, les toiles condamnées par le professeur. On y mettait le poêle quand on ledémontait, et la provision de bois en hiver.¶ L’action de mademoiselle de Monsaurindevait être bien hardie, car elle d’Amélie excita un murmure de surprise. La jeuneélégante n’en tint compte et acheva de déménager sa jeune compagne absente, quui nel’empêcha pas d’achever ce déménagement en roulant vivement près du chevalet, une laboîte à couleurs, en y portant et le tabouret sur lequel elle s’asseyait, et, tout jusqu’à untableau de Rubens dont elle faisait une copie. Ce Prudhon que copiait sa compagneabsente. Après ce coup de parti qui devait avoir des suites funestes, excita unestupéfaction générale ; etd’état, si le côté droit se mit à travailler silencieusement, le côtégauche pérora longuement sur cet acte de vigueur.¶

– Que va dire mademoiselle Piombo ?, demanda une jeune fille à mademoisellePlantaMathilde Roguin, l’oracle malicieux du premier groupe.¶ – Elle n’est pas fille àparler !, répondit-elle. Mais ; mais dans cinquante ans elle se souviendra de cette injurecomme si elle l’avait reçue la veille, et saura s’en venger cruellement. C’est une personneavec laquelle je ne voudrais pas être en guerre.¶

– La proscription dont la frappent ces demoiselles la frappent est d’autant plusinjuste, dit une autre jeune fille, qu’avant-hier, mademoiselle Ginevra était fort triste ; carson père venait, dit-on, de donner sa démission. Ce serait donc ajouter à son malheur,tandis qu’elle a été fort bonne pour ces demoiselles pendant tout ce temps-ci.les Cent-Jours. Leur a-t-elle jamais dit une parole qui pût les blesser ? Elle évitait au contraire deparler politique. Mais elles nos Ultras paraissent agir plutôt par jalousie que par esprit departi.¶

– J’ai envie d’aller chercher le chevalet de mademoiselle Piombo, et de le mettreauprès du mien !..., dit Fanny Planta.¶ Mathilde Roguin. Elle se leva, mais une réflexionla fit rasseoir.¶ : – Avec un caractère comme celui de mademoiselle Ginevra, dit-elle, onne peut pas savoir de quelle manière elle prendrait notre politesse, et il vaut mieuxattendreattendons l’événement.¶

– La voici !...– Ecco la, dit languissamment la jeune fille aux yeux noirs.¶En effet, le bruit des pas d’une personne qui montait l’escalier retentit dans la

salle, et ces mots : – «. Ce mot : – « La voici ! la voici !» ayant passé » passa de boucheen bouche, et le plus profond silence régna dans l’atelier.¶

Pour comprendre l’importance de l’ostracisme exercé par mademoiselle deMonsaurinAmélie Thirion, il est nécessaire d’ajouter que cette scène avait lieu vers la findu mois de juillet 1815. Le second retour des Bourbons venait de troubler bien desamitiés qui avaient résisté au mouvement de la première restauration. En ce moment, lesfamilles même étaient presque toutes divisées d’opinions, et le fanatisme politiquerenouvelait, renouvelaient plusieurs de ces déplorables scènes qui, à toutes les époques deguerre civile ou religieuse, souillent l’histoire des hommes.de tous les pays aux époquesde guerre civile ou religieuse. Les enfansenfants, les jeunes filles, les vieillardspartageaient la fièvre monarchique à laquelle le gouvernement était en proie. La discordese glissait sous tous les toits, et la défiance teignait de sa sombre couleur ses sombres

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couleurs les actions et les discours les plus intimes.¶ Ginevra Piombo aimait Napoléonavec idolâtrie. Comment , et comment aurait-elle pu le haïr : l’empereur? l’Empereurétait son compatriote et le bienfaiteur de son père. Le baron de Piombo était un desserviteurs de Napoléon qui avaient coopéré le plus efficacement à son au retour de l’îled’Elbe. Incapable de renier sa foi politique, jaloux même de la confesser, le vieux baronde Piombo était restérestait à Paris au milieu de ses ennemis. Ginevra Piombo pouvaitdonc être d’autant mieux mise au nombre des personnes suspectes, qu’elle ne faisait pasmystère du chagrin que cette la seconde restauration causait à sa famille. Les seuleslarmes qu’elle eût peut-être versées dans sa vie, lui furent arrachées par la doublenouvelle de la captivité de Bonaparte sur le Bellérophon et de l’arrestation deLabédoyère.¶

Toutes les Les jeunes personnes qui composaient le groupe des nobles, dansl’atelier, appartenaient aux familles royalistes les plus exaltées de Paris. Il serait difficilede donner une idée des exagérations de cette époque et de l’horreur que causaient lesbonapartistes. L’action de mademoiselle de Monsaurin, touteQuelque insignifiante etpetite qu’elle peutque puisse paraître aujourd’hui, était en ce moment l’action d’AmélieThirion, elle était alors une expression de haine toute fort naturelle.¶ Depuis le jour où Ginevra Piombo, l’une des premières écolières de M. Servin, était venue à l’atelier,elleavait occupéoccupait la place dont on voulait la priver. Le depuis le jour où elle étaitvenue à l’atelier ; le groupe aristocratique l’avait insensiblement entourée. Alors cette :la chasser d’une place qui lui appartenait en quelque sorte. L’en chasser était non-seulement lui faire une injure, mais lui causer une afflictionespèce de peine ; car lesartistes ont tous une place de prédilection pour leur travail. Mais l’animadversionpolitique entrait peut-être pour peu de chose dans la conduite de ce petit côté droitCôtéDroit de l’atelier.¶ Ginevra Piombo, la plus forte des élèves de Servin, était l’objet d’uneprofonde jalousie. Elle était la plus forte et la plus instruite des élèves de M. Servin. Le :le maître professait la plus haute admiration autant d’admiration pour les talents que pourses talens, et peut-être aussi pour son le caractère, sa beauté, ses manières et ses opinions.Aussi de cette élève favorite qui servait-elle de terme à toutes ses comparaisons.Enfinelle était son élève favorite. Sans ; enfin, sans qu’on s’expliquât l’ascendant que cettejeune personne avaitobtenait sur tout ce qui l’entourait, elle exerçait une influenceimmense sur ce petit monde qui ne pouvait lui refuser son admiration. En effet, sa voixétait séduisante, ses manières avaient je ne sais quoi de pénétrant, et son regard produisaitpresque sur ses compagnes le même un prestige que presque semblable à celui deBonaparte sur ses soldats.¶ Le parti aristocratique L’aristocratie de l’atelier avait résoludepuis plusieurs jours la chute de cette reine ; mais, personne n’ayant encore osés’éloigner d’elle, mademoiselle de Monsaurinde la bonapartiste, mademoiselle Thirionvenait de frapper un coup décisif, afin de rendre ses compagnes complices de sa haine.Quant au reste des jeunes filles,Quoique Ginevra était fût sincèrement aimée par deux outrois d’entre elles ; maisdes Royalistes, presque toutes, étant chapitrées au logis paternelrelativement à la politique, elles jugèrent avec ce tact particulier aux femmes, qu’ellesdevaient rester indifférentes à la querelle.¶ A son arrivée, Ginevra Piombo fut doncaccueillie par un profond silence. Elle était grande, bien faite, et d’une blancheuréclatante.De toutes les jeunes filles venues jusqu’alors dans l’atelier de Servin, elle étaitla plus belle, la plus grande et la mieux faite. Sa démarche avaitpossédait un caractère denoblesse et de grâce qui imprimaitcommandait le respect. De toutes les jeunes filles qui

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avaient paru jusqu’alors dans l’atelier de M. Servin, elle était la plus belle. Sa figure,puissante de vie et empreinte d’intelligence, semblait rayonner., tant y respirait cetteanimation particulière aux corses et qui n’exclut point le calme. Ses longs cheveux noirs,ses yeux et ses cils noirs appartenaient àexprimaient la passion. LesQuoique les coins desa bouche se dessinaientdessinassent mollement, et que ses lèvres peut-êtrefussent un peutrop fortes étaient pleines de grâce et de, il s’y peignait cette bonté ; mais, parbonté quedonne aux êtres forts la conscience de leur force. Par un singulier caprice de la nature, ladouceur et le charme de son visage étaientse trouvait en quelque sorte démentis par lapartie supérieure. C’était une fidèle image de son caractère. Il y avait sur son un front demarbre une expression de où se peignait une fierté presque sauvage. Les , où respiraientles mœurs de la Corse y étaient écrites tout entières ; mais c’Corse. Là était le seul lienqu’il y eût entre elle et son pays natal ; car: dans tout le reste de sa personne, les grâcesitaliennes, la simplicité, l’abandon des beautés lombardes séduisaient tout-à-coup. Pourlui faire de la peine, il ne si bien qu’il fallait ne pas la voir. C’était une jeune fille pour luicauser la moindre peine. Elle inspirait un si prestigieusevif attrait que, par prudence, sonvieux père ne lui permettait d’aller la faisait accompagner jusqu’à l’atelier que dans unemise plus que simple.. Le seul défaut de cette créature véritablement poétique venait dela puissance même d’une beauté si largement développée.Elle : elle avait l’aird’uned’être femme. Elle s’était refusée au joug du mariage, par amour pour son père etsa mère, dont elle voulait embellir les en se sentant nécessaire à leurs vieux jours, et alorssa passion pour la peinture remplaçait toutes les autres. Elle commençait à peindre demanière à faire croire qu’elle deviendrait une artiste célèbre.¶. Son goût pour la peintureavait remplacé les passions qui agitent ordinairement les femmes.¶

– Vous êtes bien silencieuses aujourd’hui, mesdemoiselles, dit-elle après avoirfait deux ou trois pas au milieu de ses compagnes.¶ – Bonjour, ma petite Laure…,ajouta-t-elle d’un ton doux et caressant en s’approchant de la jeune fille qui peignait loindes autres. – Cette tête est fort bien faite ! Vos bien ! Les chairs sont un peu trop roses ;,mais cela tout en est dessiné à merveille.¶

Laure leva la tête, regarda Ginevra d’un air attendri, et leurs figures s’épanouirentun moment.en exprimant une même affection. Un faible sourire anima les lèvres del’I taliennel’italienne qui paraissait triste ; puis elle songeuse, et qui se dirigea lentementvers sa place en regardant avec nonchalance les dessins ou les tableaux, et en disantbonjour à chacune des jeunes filles qui composaient ledu premier groupe. Mais elle nes’aperçut pas , sans s’apercevoir de la curiosité particulière et toute nouvelle insolitequ’excitait sa présence. On eût dit d’une reine dans sa cour.¶ Elle ne donna aucuneattention au profond silence qui régnait parmi les patriciennes. Elle , et passa devant leurcamp sans prononcer un seul mot. Sa préoccupation était fut si grande qu’elle se mit àson chevalet, ouvrit sa boîte à couleurs, prit ses brosses, revêtit ses manches brunes,ajusta son tablier, regarda son tableau, examina sa palette sans penser, pour ainsi dire, àce qu’elle faisait.¶ Toutes les têtes du premier groupegroupe des bourgeoises étaienttournées vers elle. Si les jeunes personnes du camp de mademoiselle deMonsaurinThirion ne mettaient pas tant de franchise que leurs compagnes dans leurimpatience, leurs regards de côté et leurs œillades n’en étaient pas moins dirigées surGinevra di Piombo.¶

– Elle ne s’aperçoit de rien !, dit mademoiselle Planta.¶Roguin.¶

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AuEn ce moment où ces paroles étaient prononcées, Ginevra quitta l’attitudeméditative dans laquelle elle avait contemplé sa toile, et tourna la tête vers le groupearistocratique. Elle mesura d’un seul coup- d’œil la distance qui l’en séparait, et garda lesilence.¶

– Elle ne croit pas qu’on ait eu la pensée de l’insulter !..., dit mademoisellePlanta ; carMathilde, elle n’a ni pâli, ni rougi. – Comme ces demoiselles vont être vexéessi mademoiselle de Piombo elle se trouve mieux à sa nouvelle place qu’à l’ancienne !...– Vous êtes là hors de ligne, mademoiselle !..., ajouta-t-elle alors à haute voix ens’adressant à Ginevra.¶

L’ItalienneL’italienne feignit de ne pas entendre ;, ou peut-être n’entendit-ellepas. Elle , elle se leva brusquement, et longea avec une certaine lenteur la cloison quiséparait le cabinet noir de l’atelier.¶ Elle était pensive, recueillie, et paraissait parutexaminer le châssis d’où venait le jour. Elle en y donnant tant d’importance qu’ellemonta sur une chaise pour attacher beaucoup plus haut la serge verte qui interceptait lalumière. Quand elle fut Arrivée à cette hauteur, elle vit à un pied environ au-dessus de satête atteignit à une crevasse assez légère dans la cloison. Le, le véritable but de sesefforts, car le regard qu’elle y jeta sur cette fente ne peut se comparer qu’à celui d’unavare découvrant les trésors d’Aladin. Elle ; elle descendit vivement, revint à sa place,ajusta son tableau, et feignit d’être mécontente du jour.¶ Alors elle, approcha de lacloison une table, sur laquelle elle mit une chaise ; puis, grimpant, grimpa lestement surcet échafaudage, elle atteignit à et regarda de nouveau par la crevasse. Elle ne jeta qu’unregard dans le cabinet, le trouva alors éclairé par un jour de souffrance qu’on avaitouvert, et ce qu’elle y aperçut produisit sur elle une sensation si vive qu’elle entressaillit.¶

– Vous allez tomber, mademoiselle Ginevra !..., s’écria Laure.¶Toutes les jeunes filles regardèrent l’imprudente qui chancelait ; mais, comme si

la . La peur de voir arriver ses compagnes auprès d’elle lui eût donnédonna du courage,elle retrouva ses forces, rétablit miraculeusement l’ et son équilibre, se tourna vers Laure,en se dandinadandinant sur la sa chaise, et dit d’une voix émue :¶ : – Bah ! c’est encoreun peu plus solide qu’un trône !...¶ Elle se hâta d’arracher la serge, descendit, repoussala table et la chaise bien loin de la cloison, et revint à son chevalet. Elle , et fit encorequelques essais en ayant l’air de chercher une masse de lumière qui lui convînt ; mais son. Son tableau ne l’occupait guères, et, son but était de s’approcher le plus près possible ducabinet noir. Enfin auprès duquel elle se plaça, comme elle le désirait, auprès à côté de laporte, et. Puis elle se mit à préparer sa palette en gardant le plus profond silence.¶ Bientôt A cette place, elle entendit bientôt plus distinctement, à cette place, le léger bruit qui,l’avant-la veille, avait si fortement excité sa curiosité et fait parcourir à sa jeuneimagination le vaste champ des conjectures. Alors, elle Elle reconnut facilement larespiration forte et régulière d’un de l’homme endormi. qu’elle venait de voir. Sacuriosité était satisfaite au delà de ses souhaits, mais elle se trouvait chargée d’uneimmense responsabilité. Elle venait d’aprcevoir, àA travers la crevasse, elle avait entrevul’aigle impériale d’un uniforme proscrit, et, sur un lit de sanglesangles faiblement éclairépar le jour de la lucarne, la figure d’un officier. de la Garde. Elle devina tout : c’était unbanni.Servin cachait un proscrit. Maintenant elle tremblait qu’une de ses compagnes nevînt examiner son tableau, et n’entendît ou la respiration de ce malheureux, ou quelqueronflementaspiration trop fortforte, comme celle qui était arrivée à son oreille pendant la

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dernière leçon. Cependant elle Elle résolut de rester auprès de cette porte, en se fiant àson adresse pour déjouer le les chances du sort.¶

– Il vaut mieux que je sois là, pensait-elle, pour prévenir un événementaccidentsinistre, que de laisser le pauvre prisonnier à la merci d’une étourderie.¶ Tel était lesecret de l’indifférence apparente que Ginevra avait manifestée en trouvant son chevaletdérangé. Elle en était , elle en fut intérieurement enchantée ; car , puisqu’elle avait pusatisfaire assez naturellement une curiositéqui l’avait sa curiosité : puis, en ce moment,elle était trop vivement occupée ; et, dans ce moment, elle pensait à toute autre chosequ’à préoccupée pour chercher la raison efficiente de ceson déménagement.¶ Il n’y a riende Rien n’est plus mortifiant pour des jeunes filles, comme pour tout le monde, que devoir une méchanceté, une insulte, ou un bon mot, manquer manquant leur effet par suitedu dédain qu’en témoigne la victime. Il semble que la haine envers un ennemi s’accroissede toute la hauteur à laquelle il s’élève au-dessus de nous.¶ La conduite de Ginevra diPiombo devint une énigme pour toutes ses compagnes. Ses amies comme ses ennemiesfurent également surprises ; car on lui accordait toutes les qualités possibles, hormisl’oubli le pardon des injures.¶ Quoique les occasions de déployer ce vice de caractèreeussent été rarement offertes à Ginevra dans les événemens de la événements de sa vied’atelier, les exemples qu’elle avait pu donner de ses dispositions vindicatives et de safermeté, n’en avaient pas moins laissé des impressions très-profondes dans l’esprit de sescompagnes.¶ Après bien des conjectures, mademoiselle PlantaRoguin finit par trouverdans le silence de l’Italienne,l’italienne une grandeur d’âme au-dessus de tout éloge ;, etson cercle, inspiré par elle, forma le projet d’humilier l’aristocratie de l’atelier. Ellesparvinrent merveilleusement à leur but, et les par un feu de sarcasmes du côté gaucheavaient abattuqui abattit l’orgueil du côté droit, quand l’arrivée de Côté Droit. L’arrivéede madame Servin mit fin à cette lutte d’amour- propre.¶ Mais mademoiselle deMonsaurin, avec Avec cette finesse qui accompagne toujours la méchanceté, Amélieavait remarqué, analysé, commenté la prodigieuse préoccupation qui empêchait Ginevrad’entendre la dispute aigrement polie dont elle était l’objet. Alors la La vengeance quemademoiselle PlantaRoguin et ses compagnes tiraient de mademoiselle de Monsaurinainsi queThirion et de son groupe, eut alors le fatal effet de faire rechercher par les jeunesfil les nobles,Ultras la cause du silence que gardait Ginevra di Piombo. La belleItalienneitalienne devint donc le centre de tous les regards, et fut épiée par ses amiescomme par ses ennemies. Or il Il est bien difficile de cacher la plus petite émotion, leplus léger sentiment, à douzequinze jeunes filles curieuses, inoccupées, dont la malice etl’esprit ne demandent que des secrets à deviner, des intrigues à créer, à déjouer ;, et quisavent donnertrouver trop d’interprétations différentes à un geste, à une œillade, à uneparole, pour ne pas en découvrir la véritable signification. Ainsi, au bout d’un quart-d’heure, Aussi le secret de Ginevra di Piombo fut -il bientôt en grand péril d’être connu.¶ En ce moment, la présence de madame Servin produisit un entr’acte dans le drame quise jouait sourdement au fond de ces jeunes cœurs, et dont les sentimenssentiments, lespensées, les progrès étaient exprimés par des phrases presque allégoriques, par demalicieux coups- d’œil, par des gestes, et par le silence même, souvent plus intelligibleque la parole.¶ Aussitôt que madame Servin entra dans l’atelier, ses yeux se portèrentsur la porte du cabinet auprès de laquelle était Ginevra. Dans les circonstances présentes,ce regard ne fut pas perdu pour personne ; mais. Si d’abord aucune des écolières n’y fitattention. Plus, plus tard, mademoiselle de MonsaurinThirion s’en souvint, et alors elle

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s’expliqua la défiance, la crainte et le mystère qui donnaient en ce momentdonnèrentalors quelque chose de fauve aux yeux de la jolie femme de leur maître.¶madameServin.¶

– Mesdemoiselles, dit cette dernière-elle, monsieur Servin ne pourra pas veniraujourd’hui.¶ Puis, complimentant Puis elle complimenta chaque jeune personne, causantavec elle, et en recevant de toutes une foule de ces caresses féminines qui sont autantdans la voix et dans les regards que dans les gestes, elle . Elle arriva promptement auprèsde Ginevra, dominée par une inquiétude qu’elle déguisait en vain.¶ L’ItalienneL’italienne et la femme du peintre se firent un signe de tête amical. Elles , et restèrenttoutes deux silencieuses, l’une peignant, l’autre regardant peindre. La respiration forte dumilitaire s’entendait facilement, mais madame Servin ne parut pas s’en apercevoir, et sadissimulation était si grande, que Ginevra fut tentée de l’accuser d’une surdité volontaire.Cependant l’inconnu se remua dans son lit. Alors elleL’italienne regardafixémentfixement madame Servin, qui lui dit alors, sans que son visage éprouvât la pluslégère altération :¶ – Je ne sais à quoi donner la préférence. : – Votre copie est aussi belleque l’original !.... S’il me fallait choisir, je serais fort embarrassée.¶

– M.onsieur Servin n’a pas mis sa femme dans la confidence de ce mystère, pensaGinevra qui, après avoir répondu à la jeune femme par un doux sourire d’incrédulité,fredonna une cansonnettacanzonnetta de son pays, pour couvrir le bruit que pourrait fairele prisonnier.¶

C’était quelque chose de si insolite que d’entendre la studieuse Italienneitaliennechanter, que toutes les jeunes filles surprises, la regardèrent ; et, plus. Plus tard, cettecirconstance servit de preuvepreuves aux charitables suppositions de la haine. MadameServin s’en alla bientôt, et la séance s’acheva sans autres événemens.¶ événements.Ginevra laissa partir toutes ses compagnes sans manifester l’intention de les suivre. Elleparaissaitet parut vouloir travailler long-temps encore ; mais le elle trahissait à son insuson désir qu’elle avait de rester seule se trahissait à son insu ;, car à mesure que sescompagnes sortaientles écolières se préparaient à sortir, elle leur jetait des regardsd’impatience. mal déguisée. Mademoiselle de MonsaurinThirion, devenue en peud’heures une cruelle ennemie pour celle qui la primait en tout, devina, par un instinct dehaine, que la feinte assiduité que la fausse application de sa rivale cachait un mystère.Elle avait été frappée plus d’une fois de l’air attentif avec lequel Ginevra s’était mise àécouter un bruit que personne n’entendait ; mais l’expression. L’expression qu’ellesurprit, en dernier lieu, dans les yeux de l’Italienne,l’italienne fut pour elle un trait delumière qui l’éclaira sur ce qu’elle devait faire. Oubliant donc à dessin son sac, elle . Elles’en alla la dernière de toutes les écolières, et descendit chez madame Servin aveclaquelle elle causa un instant. Mais, feignant de s’apercevoir que son sac lui manquait,elle ; puis elle feignit d’avoir oublié son sac, remonta tout doucement à l’atelier. Elle vitGinevra grimpant, et aperçut Ginevra grimpée sur un échafaudage fait à la hâte, et siabsorbée dans la contemplation du tableau que le trou de la cloison lui permettait dedécouvrir, qu’elle n’entendait mêmemilitaire inconnu qu’elle n’entendit pas le léger bruitque produisaient les pas de sa compagne ; mais il . Il est vrai de dire, aussi, que, suivantune expression de Walter- Scott, celle-ciAmélie marchait comme sur des œufs.¶ Quandmademoiselle de Monsaurin eut regagné, elle regagna promptement la porte de l’atelier,elle et toussa ;. Ginevra tressaillit, tourna la tête, vit son ennemie, devint aussi rouge quele plus éclatant coquelicot des champs, et rougit, s’empressa de détacher la serge pour

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donner le change sur ses intentions ; mais la jeune fille avait disparu.¶ Ginevra intentionset descendit en hâte, rangeaaprès avoir rangé sa boîte à couleurs et . Elle quitta l’atelier,en emportant, gravée dans son souvenir, l’image d’une tête d’homme aussi gracieuse quecelle de l’Endymion, chef-d’œuvre de Girodet qu’elle avait copié peu dequelques joursauparavant. La figure de l’inconnu était aussi frêle, aussi blanche, aussi pure que celle dufavori de Diane.¶ – Proscrire un homme si jeune !.... – Qui donc peut-il être ?....¶, carce n’est pas le maréchal Ney ?¶

Ces deux phrases sont l’expression la plus simple de toutes les idées que Ginevracommenta pendant deux jours.¶ Le surlendemain, quelque malgré sa diligence qu’elle fitpour arriver la première à l’atelier, elle y trouva mademoiselle de MonsaurinThirion quis’y était fait conduire en voiture. Ginevra et son ennemie s’observèrent long-temps ; maiselles se composèrent des visages impénétrables l’une pour l’autre. Mademoiselle deMonsaurinAmélie avait vu la tête ravissante de l’inconnu ; mais heureusement etmalheureusement tout- à- la- fois, les aigles et l’uniforme n’étaient pas placés dansl’espace que la fente lui avait permis d’apercevoir. Alors elle se perdaitElle se perditalors en conjectures.¶ Tout- à- coup M. Servin arriva beaucoup plus tôt qu’àl’ordinaire.¶

– Mademoiselle Ginevra, dit-il après avoir jeté un coup- d’œil sur l’atelier,pourquoi vous êtes-vous mise là ? – Le jour est mauvais. – Approchez-vous donc de cesdemoiselles, et descendez un peu votre rideau.¶

Puis il s’assit auprès de la jeune fille nommée Laure et s’occupa de corriger son ,dont le travail méritait ses plus complaisantes corrections.¶

– Comment donc ! s’écria-t-il, voici une tête supérieurement faite !.... Vous serezune seconde Ginevra.¶

Le maître alla de chevalet en chevalet, grondant, flattant, plaisantant, et faisant,comme toujours, plutôt craindre plutôt ses plaisanteries que ses réprimandes.¶ Cependantl’Italienne L’italienne n’avait pas obéi aux observations du professeur. Elle était restée etrestait à son poste avec la ferme intention de ne pas s’écarter de son poste.s’en écarter.Elle prit une feuille de papier et se mit à exécuter à la seppiacroquer à la sépia la tête dupauvre reclus. Une œuvre conçue avec passion porte toujours un cachet particulier. Lafaculté d’imprimer aux traductions de la nature ou de la pensée des couleurs vraies,constitue le génie, et souvent la passion en tient lieu. Aussi, dans la circonstance où setrouvait Ginevra, la persécution que l’intuition qu’elle devait à sa mémoire lui faisaitéprouvervivement frappée, ou la nécessité peut-être, cette mère des grandes choses, luiprêta -t-elle un talent surnaturel. La tête de l’officier fut jetée sur le papier avec un artmerveilleux. Il semblait qu’un Dieu animât les yeux, la main, le pinceau de la jeuneartiste. Elle éprouvait un au milieu d’un tressaillement intérieur qu’elle attribuait à lacrainte, maiset dans lequel un physiologiste aurait reconnu la fièvre de l’inspiration. Sonœil furtif se Elle glissait souvent de temps en temps un regard furtif sur ses compagnes,afin de pouvoir cacher le lavis en cas d’indiscrétion de leur part ; mais malgré . Malgréson active surveillance, il y eut un moment où elle n’aperçut pas le lorgnon que sonimpitoyable ennemie braquait sans pudeur sur le mystérieux dessin. en s’abritant derrièreun grand portefeuille. Mademoiselle Monsaurin reconnaissantThirion, qui reconnut lafigure de l’inconnudu proscrit, leva brusquement la tête au-dessus d’un cadre immensequi avait protégé sa trahison ; mais , et Ginevra serra aussitôt la feuille de papier.¶

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– Pourquoi êtes-vous doncdont restée là, malgré mon avis, mademoiselle ?.....demanda gravement le professeur à Ginevra.¶

L’écolière tourna vivement son chevalet de manière à ce que personne ne pût voirson tableau ; puis, mettant son lavis sur la toile, elle , et dit d’une voix émue en lemontrant à son maître :¶ : – Ne trouvez-vous pas comme moi que ce jour est plusfavorable, et ? ne dois-je pas rester là…¶ ?¶

M. Servin pâlit. Une pudique rougeur envahit le front de la jeune fille. RienComme rien n’échappe aux yeux perçansperçants de la haine ; aussi, mademoiselle deMonsaurinThirion se mit, pour ainsi dire, en tiers dans les émotions qui agitèrent lemaître et l’écolière.¶

– Vous avez raison, dit M. Servin. – Mais vous en saurez bientôt plus que moi,ajouta-t-il en riant forcément.¶ Il y eut une pause pendant laquelle le professeurcontempla la tête.¶ de l’officier. – Ceci est un chef-d’œuvre !....d’œuvre digne deSalvator Rosa, s’écria-t-il avec une énergie d’artiste.¶

Ce fut comme s’il eût donné un signal. ToutesA cette exclamation, toutes lesjeunes personnes se levèrent. Mademoiselle de Monsaurin était accourue, etmademoiselle Thirion accourut avec la vélocité du tigre qui se jette sur sa proie. En cemoment le proscrit, éveillé sans doute,par le bruit se remua. Ginevra fit tomber sontabouret, prononça des phrases assez incohérentes et se mit à rire. Mais ; mais elle avaitplié le portrait et l’avait confié à jeté dans son portefeuille avant que sa redoutableennemie eût pu l’apercevoir. Le chevalet fut entouré, et M. Servin détailla à haute voixles beautés de la copie que faisait en ce moment son élève favorite. Tout, et tout lemonde fut dupe de ce stratagême, excepté mademoiselle de Monsaurinstratagème, moinsAmélie qui, se plaçant en arrière de ses compagnes, essaya d’ouvrir le portefeuille où elleavait vu mettre le lavis. Ginevra saisit le carton et le plaça devant elle, sans mot dire. Lesdeux jeunes filles s’examinèrent alors en silence. La haine se mit entre elles.¶

– Allons, mesdemoiselles, à vos places !..., dit M. Servin. Si vous voulez ensavoir faire autant que mademoiselle de Piombo, il ne faut pas toujours parler modes oubals, et baguenauder comme vous faites.¶

Quand toutes les jeunes personnes eurent regagné leurs chevalets, M. Servins’assit auprès de Ginevra.¶

– Ne valait-il pas mieux que ce mystère fût découvert par moi que par uneautre ?... dit l’Italiennel’italienne en parlant à voix basse.¶ – Oui, répondit le peintre, carvous. Vous êtes patriote… et ; mais, ne le fussiez-vous pas, ce serait encore à vous queàqui je l’eussel’aurais confié !...¶

Le maître et l’écolière se jetèrent un regard profond. Ils se comprirententièrement.¶ Aussi , et Ginevra ne craignit pas plus de demander :¶ : – Qui est-ce ?...¶?¶

– C’est l’amiL’ami intime de Labédoyère, celui qui, après l’infortuné colonel, acontribué le plus à la réunion du septième avec les grenadiers de l’île d’Elbe…. Il a été àWaterloo, il était chef d’escadron dans la garde…¶Garde, et revient de Waterloo.¶

– Comment n’avez-vous pas brûlé son uniforme, son shakos, et ne lui avez-vouspas donné des habits bourgeois ?... dit vivement Ginevra.¶

– On doit m’en apporter ce soir.¶– Vous auriez dû fermer notre atelier pendant quelques jours.¶– Il va partir.¶

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– C’est sa perte…– Il veut donc mourir ? dit la jeune fille. Laissez-le chez vouspendant le premier moment de la tourmente…. Paris est encore le seul endroit de laFrance où l’on puisse cacher sûrement un homme. – C’Il est votre ami ?... demanda-t-elle.¶

– Non, il n’a pas d’autres titres à ma recommandation que son malheur. Voicicommecomment il m’est tombé sur les bras. Mon : mon beau-père, qui avait repris duservice pendant cette campagne, a rencontré ce pauvre jeune homme, et l’a très-subtilement sauvé des griffes de ceux qui ont arrêté Labédoyère. Il voulait le défendre,l’insensé !...¶!¶

– C’est vous qui le nommez ainsi ?...! s’écria Ginevra, en lançant un regard desurprise au peintre, qui garda le silence un moment.¶

– Mon beau-père est trop espionné pour pouvoir garder quelqu’un chez lui, reprit-il. Il me l’a amené donc nuitamment amené la semaine dernière. Et j’avaisJ’avais espéréle dérober à tous les yeux en le mettant dans ce coin, le seul endroit de la maison où ilsoit puisse être en sûreté.¶

– Si je puis vous être utile, s’écria doucement la jeune fille, employez-moi !...¶– Eh bien ! nous , dit Ginevra, je connais le consulterons…maréchal Feltre.¶

– Eh bien ! nous verrons, répondit le peintre.¶Cette conversation dura trop long-temps pour ne pas être remarquée de toutes les

jeunes filles. M. Servin quitta Ginevra, revint encore à chaque chevalet, et donna de silongues leçons qu’il était encore sur l’escalier quand sonna l’heure à laquelle sesécolières avaient l’habitude de partir.¶ – Vous oubliez votre sac, mademoiselle deMonsaurin ?...Thirion, s’écria le professeur en courant après la jeune fille qui descendaitjusqu’au métier d’espion pour satisfaire sa haine.¶

La curieuse élève vint chercher son sac, en manifestant un peu de surprise de sonétourderie ;, mais le soin de M. Servin fut, pour elle, une nouvelle preuve de l’existenced’un mystère dont elle avait déjà soupçonné la gravité. Elle n’était pas douteuse ; elleavait déjà inventé tout ce qui devait être, et pouvait dire comme l’abbé Vertot :¶ – : Monsiègesiége est fait.¶ Elle descendit bruyamment l’escalier et tira violemment la porte quidonnait dans l’appartement de M. Servin, afin de faire croire qu’elle sortait ; mais elleremonta doucement, et se tint derrière la porte de l’atelier.¶ Quand le peintre et Ginevrase crurent seuls, le premier il frappa d’une certaine manière à la porte de la mansarde qui, tourna aussitôt, tourna sur ses gonds rouillés et criards. L’ItalienneL’italienne vitparaître un jeune homme grand et bien fait, dont l’uniforme impérial lui fit battre lecœur. L’officier avait un bras en écharpe, et la pâleur de son teint accusait de vivessouffrances. En apercevant une inconnue, il tressaillit et jeta un cri.¶ Mademoiselle deMonsaurin. Amélie, qui ne pouvait rien voir, trembla de rester plus long-temps. Il ; maisil lui suffisait d’avoir entendu et le cri de l’officier et le grincement de la porte. Elle , elles’en alla sans bruit.¶

– Ne craignez rien, dit le peintre à l’officier, Mademoisellemademoiselle est lafil le du plus fidèle ami de l’empereurl’Empereur, le baron de Piombo.¶

Le jeune militaire ne conserva plus de doute sur le patriotisme de Ginevra, aprèsl’avoir vue. Elle avait en ce moment une expression céleste.¶

– Vous êtes blessé, ? dit-elle d’un son de voix qui trahissait une émotionprofonde.¶

– Oh ! ce n’est rien, Mademoiselle. La mademoiselle, la plaie se referme.¶

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En ce moment, les voix criardes et perçantes des colporteurs arrivèrent jusqu’àl’atelier.¶ – : « Voici le jugement qui condamne à mort...¶ Tous trois tressaillirent. Lesoldat entendit, le premier, un nom qui le fit pâlir ; il chancela et s’assit.¶

– C’est Labédoyère… ! dit-il en tombant sur le tabouret.¶Ils se regardèrent en silence. Des gouttes de sueur se formèrent sur le front livide

du jeune homme. Il , il saisit, d’une main et par un geste de désespoir, les touffes noiresde sa chevelure, et appuya son coude sur le bord du chevalet de Ginevra.¶

– Après tout, dit-il en se levant brusquement, Labédoyère et moi, nous savions ceque nous faisions…. Nous connaissions le sort qui nous attendait après le triomphecomme après la chute. Il meurt pour sa cause, et moi je me cache !...¶ ... Il allaprécipitamment vers la porte de l’atelier ;, mais plus leste que lui, Ginevra s’était élancéeet lui en barrait le chemin.¶

– Rétablirez-vous l’empereur ?...l’Empereur ? dit-elle ; croyez. Croyez-vouspouvoir relever un ce géant quand il lui-même n’a pas su lui-même rester debout…¶ ?¶

Le jeune homme revint lentement vers le peintre immobile.¶ – Que voulez-vousque je devienne ?... dit-il alors le proscrit en s’adressant aux deux amis que lui avaitenvoyés le hasard. Je n’ai pas un seul parent dans le monde. L’empereur , Labédoyèreétait mon père, et Labédoyère protecteur et mon ami. – Ma famille, c’était eux. Je, je suisseul. Demain ; demain je serai peut-être proscrit ou condamné. Je, je n’ai jamais eu quema paiepaye pour fortune. J’ai, j’ai mangé mon dernier écu pour venir arracherLabédoyère à son sort, et tâcher de l’emmener. La ; la mort est donc une nécessité pourmoi. – C’est un asile sans danger ! – Quand on est décidé à mourir, il faut savoir vendresa tête au bourreau. Je pensais tout- à- l’heure, que la vie d’un honnête homme vaut biencelle de deux traîtres, et qu’un coup de poignard bien placé peut donnerl’i mmortalité !...¶!¶

Cet accès de désespoir effraya le peintre et Ginevra elle-même ; mais elle mêmequi comprit bien le jeune homme. ElleL’italienne admira cette belle tête et cette voixdélicieuse dont la douceur était à peine altérée par des accensaccents de fureur. Puis, ;puis elle jeta tout- à- coup du baume sur toutes les plaies de l’infortuné.¶

– Monsieur, dit-elle, quant à votre détresse pécuniaire, permettez-moi de vousoffrir huit cents francs… Ils sont à moi.l’or de mes économies. Mon père est riche, je suisson seul enfant, il m’aime, et, je suis bien sûre qu’il ne me blâmera pas…. Ne vous faitespas scrupule d’accepter. Nos : nos biens viennent de l’empereur :l’Empereur, nousn’avons pas un centime qui ne soit un souvenireffet de sa munificence. N’est-ce pas êtrereconnaissansreconnaissants que d’obliger un de ses fidèles soldats. ? Prenez donc cettesomme avec aussi peu de façons que j’en mets à vous l’offrir. Ce n’est que del’argent !..., ajouta-t-elle d’un ton de mépris.¶ – Maintenant, quant à des amis….., vousen trouverez….¶ ! Là, elle leva fièrement la tête, et ses yeux brillèrent d’un éclatinusité.¶ – La tête qui tombera demain devant une douzaine de fusils, sauve la vôtre !...,reprit-elle. Attendez que cet orage passe, et vous pourrez aller chercher du service àl’étranger, si l’on ne vous oublie…. pas, ou dans l’armée française si l’on vous oublie.¶

Il existe dans les consolations que donne une femme, une délicatesse qui atoujours quelque chose de maternel, de prévoyant, de complet ; mais . Mais quand, à cesparoles de paix et d’espérance, se joignent la grâce des gestes, cette éloquence de ton quivient du cœur, et que surtout la bienfaitrice est belle, il est difficile à un jeune homme derésister.¶ Le jeune officier Le colonel aspira l’amour par tous les sens. Il était ravi. Une

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légère teinte rose nuança ses joues blanches, ses yeux perdirent un peu de la mélancoliequi les ternissait, et il dit d’un son de voix particulier :¶ : – Vous êtes un ange debonté !.... – Mais Labédoyère….., ajouta-t-il, Labédoyère !....¶!¶

A ce cri, ils se regardèrent tous trois en silence, et ils se comprirent. Ce n’étaitplus des amis de vingt minutes, mais de vingt ans.¶

– Mon cher, reprit M. Servin, pouvez-vous le sauver ?...¶?¶– Non, mais je Je puis le venger !...¶!¶Ginevra tressaillit.¶ L’inconnu était peut-être trop : quoique l’inconnu fût beau

pour un homme, et cependant, son aspect n’avait point ému la jeune fille ; car la doucepitié que les femmes trouvent dans leur cœur pour les misères qui n’ont rien d’ignoble,avait étouffé chez Ginevra toute autre affection ; mais entendre un cri de vengeance,rencontrer dans ce proscrit une âme italienne, du dévouement pour Napoléon, de lagénérosité... C’en à la corse ?... c’en était trop pour elle.¶ Elle , elle contempla doncl’officier avec une émotion respectueuse qui lui agita fortement le cœur. C’étaitPour lapremière fois qu’, un homme lui faisait éprouver un sentiment aussi vif. Elle Commetoutes les femmes, elle se plut à mettre l’âme de l’inconnu en harmonie avec la beautédistinguée de ses traits et, avec les heureuses proportions de sa taille qu’elle admirait enartiste. Elle avait été menée,Menée par le hasard, de la curiosité à la pitié, de la pitié à unintérêt puissant, elle arrivait de cet intérêt à des sensations si profondes, qu’elle crutdangereux de rester là plus long-temps.¶

– A demain !..., dit-elle en laissant à l’officier le plus doux de ses sourires pourconsolation.¶

En voyant ce sourire, qui jetait comme un nouveau jour sur la figure de Ginevra,l’inconnu oublia tout pendant un instant. Une péri indienne n’aurait pas été plus belle.¶

– Demain, répondit-il bientôt avec tristesse, demain, Labédoyère...¶Ginevra se retourna, mit un doigt sur ses lèvres, et le regarda comme si elle lui

disait :¶ : – Calmez-vous, soyez prudent…¶.¶Alors le jeune homme s’écria : – O Dio ! che non vorrei vivere dopo averla

veduta !… (Oh (O Dieu ! qui ne voudrait vivre, après l’avoir vue !)¶L’accent particulier avec lequel il prononça cette phrase, fit tressaillir Ginevra.¶

– Vous êtes Corse ?...corse ? s’écria-t-elle en revenant à lui, le cœur palpitant d’aise.¶– Je suis né en Corsecorse, répondit-il ; mais j’ai été amené très-jeune à Gênes ;

et, aussitôt que j’eus atteint l’âge auquel on entre au service militaire, je me suis engagé.¶La beauté de l’inconnu n’était plus rien pour Ginevra. L’attrait, l’attrait surnaturel

que lui prêtaient ses opinions bonapartistesson attachement à l’Empereur, sa blessure, sonmalheur, son danger même, tout disparut aux yeux de Ginevra, ou plutôt tout se fonditdans un seul sentiment, nouveau, délicieux. Ce proscrit était un enfant de la corse, il enparlait le langage chéride Ginevra, c’était un enfant de la Corse.chéri ! La jeune fille restapendant un moment immobile, retenue par une sensation magique. Elle; elle avait eneffet sous les yeux un tableau vivant auquel tous les sentimenssentiments humains réuniset le hasard donnaient de bien vives couleurs.¶ D’après ; sur l’invitation de M. Servin,l’officier s’était assis sur un divan ; et , le peintre, ayant avait dénoué l’écharpe quiretenait le bras de son hôte, et s’occupait à en défaire l’appareil afin de panser la blessure.Ginevra frissonna en voyant la longue et large plaie que faite par la lame d’un sabre avaitfaite sur l’avant-bras du jeune homme. Elle , et laissa échapper un cri.une plainte.L’inconnu leva la tête vers elle et se mit à sourire. Il y avait quelque chose de touchant et

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qui allait à l’âme dans l’attention avec laquelle le peintre Servin enlevait la charpie ettâtait les chairs meurtries, ; tandis que la figure du blessé, quoique pâle et maladive,exprimait, à l’aspect de la jeune fille, plus de plaisir que de souffrance. Une artiste devaitadmirer involontairement cette opposition de sentimenssentiments, et les contrastes queproduisaient la blancheur des linges, la nudité du bras, avec l’uniforme bleu et rouge del’o fficier.¶ En ce moment, une obscurité douce enveloppait l’atelier. Le ; mais undernier rayon de soleil illuminait d’un dernier rayon vint éclairer la place où se trouvaitle proscrit, de en sorte que sa noble et blanche figure, ses cheveux noirs, sesvêtemensvêtements, tout était fut inondé par le jour. Ce fut comme un présage pour lasuperstitieuse Italienne.Cet effet si simple, la superstitieuse italienne le prit pour unheureux présage. L’inconnu ressemblait ainsi à un ange de lumière. Il venait de célestemessager qui lui faire faisait entendre le langage de leur la patrie, et alors Ginevra était lamettait sous le charme des souvenirs de son enfance, pendant que dans son cœur naissaitun sentiment aussi frais, aussi pur que son premier âge d’innocence. Un silence profondrègnait. Tout concourut à graver cette scène dans la mémoire de Ginevra. Elle demeura,pendantPendant un moment bien court, elle demeura songeuse et comme plongée dansune pensée infinie, ; puis, rougissant elle rougit de laisser voir sa préoccupation, elleéchangea un doux, mais un et rapide regard avec le proscrit, et s’enfuit en le voyanttoujours.¶ Le lendemain n’était pas un jour de leçon, Ginevra vint à l’atelier ; et,comme ce n’était pas jour de leçon, le prisonnier resta put rester auprès de sacompatriote. M. Servin ayant précisément ; Servin, qui avait une esquisse à terminer,permit au reclus ded’y demeurer dans l’atelier, et serviten servant de mentor aux deuxjeunes gens qui s’entretinrent souvent en italien.¶ corse. Le pauvre soldat raconta les sessouffrances qu’il avait éprouvées pendant la déroute de Moscou. Il , car il s’était trouvé,à l’âge de dix- neuf ans, au passage de la BérésinaBérézina, seul de son régiment,ayantaprès avoir perdu dans ses camarades, les seuls hommes qui pussent s’intéresser àun orphelin. Il peignit en traits de feu le grand désastre de Waterloo. Sa voix était fut unemusique pour l’Italienne.l’italienne. Elevée à la corse, Ginevra n’avait pas été élevée à lafrançaise : elle était, en quelque sorte, la fille de la nature, et elle ignorait le mensonge. Ily avait de la naïveté dans la puissance de son caractère et de sa beauté ; car elle se livraitsans détour à ses impressions et , elle les avouait, ou plutôt les laissait deviner sans lemanège de cette coquetterie manége de la petite et calculatrice coquetterie des jeunesfil les de Paris. Aussi, pendant Pendant cette journée, elle resta plus d’une fois, sa paletted’une main, son pinceau de l’autre, sans que le pinceau s’abreuvât des couleurs de lapalette. Les : les yeux attachés sur l’officier et la bouche légèrement entr’ouverte, elleécoutait, se tenant toujours prête à donner un coup de pinceau qu’elle ne donnait jamais.Elle ne s’étonnait pas de trouver tant de douceur dans les yeux du jeune homme, car ellesentait les siens devenir doux malgré sa volonté. de les tenir sévères ou calmes. Puis, ellepeignait ensuite avec une attention particulière et pendant des heures entières, sans leverla tête, parce qu’il était là, près d’elle, la regardant travailler. La première fois qu’il vints’asseoir pour la contempler en silence, elle lui dit d’un son de voix ému, et après unelongue pause :¶ : – Cela vous amuse donc de voir peindre ?...¶ Ce jour-là, elle appritqu’il se nommait Louis. Ils convinrent, avantLuigi. Avant de se séparer, ils convinrentque, les jours d’atelier, s’il arrivait quelque événement politique important, Ginevra l’eninstruirait en chantant, à voix basse, des certains airs italiens.¶

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Le lendemain, mademoiselle de MonsaurinThirion apprit, sous le secret, à toutesses compagnes, que Ginevra di Piombo était aimée d’un jeune homme qui venait,pendant les heures consacrées aux leçons, s’établir dans le cabinet noir de l’atelier.¶

– Vous qui prenez son parti, dit-elle à mademoiselle PlantaRoguin, examinez-labien, et vous verrez à quoi elle passera son temps.¶

Ginevra fut donc observée avec une attention diabolique. On écouta ses chansonscapricieuses, on épia ses regards. Au moment où elle ne croyait être vue de personne, unedouzaine d’yeux étaient incessamment arrêtés sur elle. Ainsi prévenues, ces jeunes fillesinterprêtèrentinterprétèrent dans leur sens vrai les agitations qui passèrent sur la brillantefigure de l’Italiennel’italienne, et ses gestes, et l’accent particulier de sesfredonnemensfredonnements, et l’air attentif dont elle écoutaitavec lequel on la vitécoutant des sons indistincts qu’elle seule entendait à travers la cloison.¶ Au bout d’unehuitaine de jours, il n’y avait qu’semaine, une seule des quinze élèves de M. Servin quin’eût pas trouvé le moyen de voirServin, Laure, avait résisté à l’envie d’examiner Louispar la crevasse de la cloison…. c’était Laure, cette jeune; et jolie personne, pauvre etassidue, qui, par un instinct de la faiblesse, aimait véritablement Ginevra, et laelledéfendait encore. Mademoiselle Planta la belle corse; mademoiselle Roguin voulut lafaire rester Laure sur l’escalier à l’heure du départ, afin de lui prouver l’intimité deGinevra et du beau jeune homme en les surprenant ensemble ; mais Laureelle refusa dedescendre à un espionnage que la curiosité ne justifiait pas : aussi , et devint-elle l’objetd’une réprobation universelle.¶

Le comte de Monsaurin ayant été nommé pair de France, son impertinenteBientôt la fille de l’huissier du cabinet du roi trouva qu’il était au-dessous de sadignitépeu convenable de venir à l’atelier d’un peintre, et surtout d’un peintre dont lesopinions avaient une teinte de patriotisme ou de bonapartisme, ce qui, à cette époque,étaitsemblait une seule et même chose. Elle , elle ne revint donc plus chez M. Servin, quirefusa poliment d’aller chez elle. Elle. Si Amélie oublia facilement Ginevra ; mais, lemal qu’elle avait semé devait porterporta ses fruits.¶ En effet , insensiblement et soit par Insensiblement, par hasard, par caquetage ou par pruderie, toutes les autres jeunespersonnes instruisirent leurs mères de l’étrange aventure qui se passait à l’atelier. Ce futune rumeur générale dans toutes les familles. Un jour mademoiselle PlantaMathildeRoguin ne vint pas ; et , la leçon suivante ce fut une autre jeune fille. Enfin ; enfin troisou quatre demoiselles, qui étaient restées les dernières, ne revinrent plus.¶ L’atelier restadésert. Ginevra et mademoiselle Laure, sa petite amie, furent pendant deux ou trois joursles seules habitantes de cette vaste solitude. L’Italiennel’atelier désert. L’italienne nes’apercevaits’aperçut point de l’abandon dans lequel elle se trouvait, et ne recherchaitmême pas la cause de l’absence de ses compagnes. AyantDès qu’elle eût inventé depuispeu des les moyens de correspondre mystérieusement avec Louis, elle vivaitvécut àl’atelier comme dans une délicieuse retraite, seule au milieu d’un monde, ne pensant qu’àl’officier et aux dangers qui le menaçaient.¶ Cette jeune fille, siquoique sincèrementadmiratrice des nobles caractères, prêchait Louis, afin qu’il qui ne veulent pas trahir leurfoi politique, pressait Louis de se soumîtsoumettre promptement à l’autorité royale ; mais, afin de le garder en France, et Louis ne voulait point se soumettre pour ne pas sortir desa cachette. Si les passions ne naissent et ne grandissent que sous l’influenced’évènemens extraordinaires et causes romanesques, on peut dire que jamais tant decirconstances ne concoururent à lier deux êtres par un même sentiment. L’amitié de

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Ginevra pour Louis et de Louis pour elle, fit ainsi plus de progrès en un mois qu’uneamitié du monde n’en fait en dix ans dans un salon. L’adversité estn’est-elle pas la pierrede touche des caractères ; or,? Ginevra put donc apprécier facilement Louis et , leconnaître. Ils , et ils ressentirent bientôt une estime réciproque l’un pour l’autre. Puis,Ginevra étant plusPlus âgée que Louis, Ginevra trouvait une quelque douceur extrême àêtre courtisée par un jeune homme déjà si grand, si éprouvé par le sort, et qui joignait, àl’expérience d’un homme de trente ans, la beauté, les grâces de l’adolescence. De soncôté, Louis ressentaitressentit un indicible plaisir à se laisser protéger en apparence parune jeune fille de vingt-cinq ans. Il y avait dans ce sentiment un certain orgueilinexplicable. C’était N’était-ce pas une preuve d’amour. Mais l’union de la force et de lafaiblesse,L’union de la douceur et de la fierté, de la force et de la faiblesse avait enGinevra d’irrésistibles attraits, etaussi Louis était fut-il entièrement subjugué par elle.IlsEnfin, ils s’aimaient si profondément déjà, qu’ils n’avaient eun’eurent besoin ni de sele direnier, ni de se le nier. Une exquise délicatesse, un naturel enchanteur présidaient àleur douce viedire.¶

Un jour, et vers le soir, Ginevra entendit un le signal favori.convenu, Louisfrappait avec une épingle sur la boiserie, de manière à ne pas produire plus de bruitqu’une araignée essayant d’attacher ses réseaux. Il qui attache son fil, et demandait ainsià sortir de sa retraite. L’Italienne , elle jeta un coup- d’œil dans l’atelier, et ne voyantvitpas la petite Laure, elle et répondit au signal. Louis ouvrit; mais ouvrant la porte, maiscomme il était debout et que sa vue plongeait sur l’atelier, il Louis aperçut la modestejeune fillel’écolière, et rentra précipitamment. Ginevra étonnée se leva, elle vit Laure, etallant aussitôt auprès Etonnée, Ginevra regarde autour d’elle :¶ , trouve Laure, et lui diten allant à son chevalet : – Vous restez bien tard, mon cher ange, lui dit-elle.ma chère.Cette tête me paraît pourtant achevée. Il, il n’y a plus qu’un reflet à indiquer sur le hautde cette tresse de cheveux.¶

– Vous seriez bien bonne, dit Laure d’une voix émue, si vous vouliez me corrigercette copie, au moins je pourrais conserver quelque souvenir chose de vous....¶

– Je veux bien, répondit Ginevra, sûre de pouvoir ainsi la congédier. – Je croyais,reprit-elle en donnant de légers coups de pinceau, que vous aviez beaucoup de chemin àfaire pour venirde chez vous à l’atelier ?¶.¶

– Oh ! Ginevra, je vais m’en aller !...aller et pour toujours, s’écria la jeune fille enpleurant, et pour toujours…¶d’un air triste.¶

L’Italienne ne fut pas autant– Vous quittez monsieur Servin, demanda l’italiennesans se montrer affectée de ces paroles pleines de mélancolie, qu’elle l’eût comme ellel’aurait été un mois auparavant.¶

– Vous quittez M. Servin ? demanda-t-elle.¶ – Vous ne vous apercevez doncpas, Ginevra, que depuis quelque temps il n’y a plus ici que vous et moi.¶ ?¶

– C’est vrai !..., répondit Ginevra, frappée tout- à- coup comme par unsouvenir…. Ces demoiselles seraient-elles malades ?..., se marieraient- elles ?..., ou leurspères seraient-ils tous arrivés à la pairie…¶de service au château ?¶

– Toutes ont quitté M.monsieur Servin…, répondit Laure.¶– Et pourquoi ?...¶?¶– A cause de vous, Ginevra !...¶– De moi ! répéta l’Italiennela fille corse en se levant, le front menaçant, l’air fier

et les yeux étincelans.¶étincelants.¶

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– Oh ! ne vous fâchez pas, ma bonne mademoiselle Ginevra, s’écriadouloureusement Laure. Mais ma mère aussi veut que je quitte l’atelier. Toutes cesdemoiselles ont dit que vous aviez un amantune intrigue, que M.monsieur Servin seprêtait à ce qu’ilqu’un jeune homme qui vous aime demeurât dans le cabinet noir… Je nel’ai ; je n’ai jamais cru ;cru ces calomnies et je n’en ai rien dit à ma mère ; mais hier.Hier au soir, madame Planta qui l’a rencontrée Roguin a rencontré ma mère dans un bal, et lui a demandé si elle m’envoyait toujours ici. Sur la réponse affirmative quede mamère lui a faite, elle lui a répété toutes les calomnies les mensonges de ces demoiselles.Maman m’a bien grondée ; car, elle a prétendu que je devais savoir tout cela, que j’avaismanqué de à la confiance en elle, qui règne entre une mère et sa fille en ne l’eninstruisant pas.lui en parlant pas. O ma chère Ginevra ! moi qui vous prenais pourmodèle et à qui j’aurais tant voulu ressembler !... Ah ! que, combien je suis fâchée de neplus pouvoir êtrerester votre amie… Mais prenez garde ?compagne...¶

– Nous nous retrouverons dans la vie : les jeunes filles se marient... dit Ginevra.¶– Quand elles sont riches, répondit Laure.¶– Viens me voir, mon père a de la fortune...¶– Ginevra, reprit Laure attendrie, madame PlantaRoguin et ma mère doivent venir

demain chez M.monsieur Servin, pour lui faire des reproches, au moins qu’il en soitprévenu.¶

La foudre tombée à deux pas de Ginevra, l’aurait moins étonnée que cetterévélation.¶

– Qu’est-ce que cela leur faisait !...? dit-elle naïvement.¶– Tout le monde trouve cela fort mal. Maman dit que c’est contre lescontraire aux

mœurs…¶...¶– Et vous, Laure, qu’en pensez -vous ?...¶?¶La jeune fille regarda Ginevra. Leurs , leurs pensées se confondirent. ; Laure ne

retint plus ses larmes, se jeta au cou de son amie et l’embrassa.¶ En ce moment, M.Servin arriva.¶ – Mademoiselle Ginevra, dit-il avec enthousiasme, j’ai fini montableau !....., on le vernit ! – . Qu’avez-vous donc ?... Il paraît que toutes ces demoisellesprennent des vacances, ou sont à la campagne….¶

Laure ayant promptement séchésécha ses larmes, salua M. Servin, et se retira.¶– Voici trois jours que l’atelier – L’atelier est désert… depuis plusieurs jours, dit

Ginevra. Ces , et ces demoiselles ne reviendront plus.¶– Bah !...¶?...¶– Oh, ! ne riez pas ?..., reprit Ginevra, écoutez-moi. Je : je suis la cause

involontaire de la perte de votre réputation…..¶L’artiste se mit à sourire, et dit en interrompant son écolière :¶ : – Ma

réputation !?... mais, dans quelques jours, mon tableau sera exposé.¶– Il ne s’agit pas de votre talent, dit l’Italienne.l’italienne ; mais de votre moralité.

Ces demoiselles ont publié que M. Louis était renfermé ici, qu’il m’aimait, que vous lesaviez, et que vous vous prêtiez... à... notre amour...¶

– Il y a du vrai là-dedans, mademoiselle, répondit le professeur…¶ Ginevrarougit.¶ – . Les mères de ces demoiselles sont des bégueules, reprit-il. Si elles étaientvenues me trouver, tout se serait expliqué ; mais . Mais que je prenne du souci de toutcela ? la vie est trop courte !¶

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Et le peintre fit craquer ses doigts par-dessus sa tête.¶ Louis, qui avait entenduune partie de cette conversation, accourut aussitôt.¶

– Vous allez perdre toutes vos écolières !, s’écria-t-il, et je vous aurai ruiné.¶L’artiste, prenant prit la main de Louis et celle de Ginevra, les joignit.¶ – Vous

vous marierez, mes enfans ?...enfants ? leur demanda-t-il avec une touchante bonhomie.¶ Ils baissèrent tous deux les yeux, et leur silence fut le premier aveu qu’ils se firent.¶ – Eh bien ! reprit M. Servin, vous serez heureux, n’est-ce pas ? Y a-t-il quelque chose quipuisse payer le bonheur de deux êtres tels que vous ?...¶?¶

– Je suis riche !..., dit Ginevra, et vous me permettrez de vous indemniser...¶– Indemniser !?... s’écria M. Servin. Quand on saura que j’ai été victime des

calomnies de quelques sottes, et que je cachais un proscrit, ; mais tous les libéraux deParis m’enverront leurs filles. Alors je ! Je serai peut-être alors votre débiteur...¶

Louis serrait la main de son protecteur sans pouvoir prononcer une parole ;, maisenfin il lui dit d’une voix attendrie :¶ : – C’est donc à vous que je devrai ma Ginevra ettoute ma félicité...¶

– Soyez heureux !, je vous unis, dit le peintre avec une onction comique et enimposant les ses mains sur la tête des deux amans, je vous unis !...¶ amants. Cetteplaisanterie d’artiste mit fin à leur attendrissement. Ils se regardèrent tous trois en riant,car ils étaient tous trois pleins de naturel.¶ L’Italienne. L’italienne serra la main de Louispar une violente étreinte et avec une simplicité d’action dignes des mœurs de sa patrie.¶

Ce fut un de ces momens de fête dont le souvenir devait être éternel.¶ – Ah çà,mes chers enfansenfants, reprit M. Servin, vous croyez que tout ça va maintenant àmerveille ? – Eh bien, vous vous trompez.¶

Les deux amansamants l’examinèrent avec étonnement.¶– Rassurez-vous, je suis le seul que votre espièglerieespiéglerie embarrasse !

Madame Servin est un peu collet-monté, et je ne sais en vérité pas comment nous nousarrangerons avec elle...¶

– Dieu ! j’oubliais ! s’écria Ginevra. Demain, madame PlantaRoguin et la mèrede Laure doivent venir vous...¶

– J’entends ! dit le peintre en interrompant.¶– Mais vous pouvez vous justifier, reprit la jeune fille en laissant échapper un

geste de tête plein d’orgueil. – Monsieur Louis, dit-elle en se tournant vers lui enet leregardant avec finesse, ne doit plus avoir d’antipathie pour le gouvernement royal ?...¶Louis se mit à sourire.¶ – Eh bien, reprit-elle après l’avoir vu souriant, demain matinj’enverrai une pétition à l’un des personnages les plus influensinfluents du ministère de laguerre, à un homme qui ne peut rien refuser à la fille du baron de Piombo. Nousobtiendrons un pardon tacite pour le commandant Louis. – , car ils ne voudront pas vousreconnaître le grade de colonel. Et vous pourrez, ajouta-t-elle en s’adressant à M. Servin,confondre les mères de mes charitables compagnes en leur disant la vérité.¶

– Vous êtes un ange !... s’écria M. Servin.¶Cette scène décida de l’avenir de Ginevra.¶

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1 Les perles dont les couronnes héraldiques sont surmontées avaient été remplacées par des plumes dans lesarmoiries de la noblesse impériale.

LA DÉSOBÉISSANCE.¶ ¶ – IL – Il est six heures, et Ginevra n’est pas encore de retour !.., s’écria Bartholoméo.¶ – Elle n’est jamais rentrée si tard !, répondit la femme de Piombo.¶ Les deux vieillards se regardèrent avec toutes les marques d’une anxiété peu ordinaire.Bartholoméo, tropTrop agité pour rester en place, Bartholoméo se leva et fit deux fois le tour deson salon assez lestement pour un homme de soixante-dix-sept ans.¶ Grâces Grâce à saconstitution robuste, Piombo il avait subi peu de changemenschangements depuis le jour de sonarrivée à Paris. Malgré, et malgré sa haute taille, il se tenait encore droit ; mais ses. Ses cheveux, devenus blancs et rares, laissaient à découvert un crâne large et protubérant qui donnait unehaute idée de son caractère et de sa fermeté. Sa figure marquée de rides profondes avait pris untrès- grand développement et gardait ce teint pâle qui inspire la vénération. Tous ses traits étaientmarqués de rides profondes. La fougue des passions régnait encore dans le feu surnaturel de sesyeux dont les sourcils n’avaient pas entièrement blanchi, et qui conservaient leur terriblemobilité. L’aspect de cette tête était sévère, mais on voyait que Bartholoméo avait le droit d’êtreainsi. Sa bonté, sa douceur n’étaient guère connues que de sa femme et de sa fille ; car, dans.Dans ses fonctions ou devant un étranger, il ne déposait jamais la majesté que le temps imprimaità sa figure et à sa personne. Il avait même , et l’habitude de froncer ses gros sourcils et son front,de contracter les rides de son visage et, de donner une fixité à son regard qui leune fixiténapoléonienne, rendait réellement peu abordable.¶ son abord glacial. Pendant le cours de sa viepolitique, il avait été si généralement craint, qu’il passait pour peu sociable. Mais ; mais il n’estpas difficile d’expliquer comment il s’était attiré les causes de cette réputation. La vie, les mœurset la fidélité de Piombo faisaient la censure de la plupart des courtisans.¶ Bartholoméo avait laprobité la plus sévère. Malgré les missions délicates dont il fut chargé et quiconfiées à sadiscrétion, et qui pour tout autre eussent été lucratives pour tout autre, il ne possédait pas plusd’une douzainetrentaine de mille livres de rente en inscriptions sur le grand -livre. Or, si Si l’onvient à songer au bon marché des rentes sous l’empire et, à la libéralité de Napoléon envers ceuxde ses fidèles serviteurs qui savaient parler, il est facile de voir que le baron de Piombo était unhomme d’une trempe peu commune. Il probité sévère, il ne devait même son plumage1 de baronqu’à la nécessité dans laquelle Napoléon avait cru être de revêtir d’un s’était trouvé de lui donnerun titre son envoyé secret auprès d’une puissanceen l’envoyant dans une cour étrangère.Bartholoméo avait toujours professé une haine implacable pour les traîtres dont s’entouraNapoléon était entouré.en croyant les conquérir à force de victoires. Ce fut lui qui, dit-on, fittrois pas vers la porte du cabinet de l’empereur, après lui avoir donné le conseil de se débarrasserde trois hommes en France, la veille du jour où il partit pour sa célèbre et admirable campagnede 1814.¶ Depuis le 8 juilletsecond retour des Bourbons, Bartholoméo ne portait plus ladécoration de la légion d’honneur. Enfin, jamaisLégion d’Honneur. Jamais homme n’offrit uneplus belle image de ces vieux républicains, amis incorruptibles de l’empire, etl’Empire, quirestaient comme les vivansvivants débris des deux gouvernemensgouvernements les plusénergiques que le monde ait connus. Si le baron de Piombo déplaisait à quelques courtisans, ilavait les Daru, les Drouot, les Carnot pour amis. Aussi, quant au reste des hommes politiques,depuis le huit juillet surtout, il Waterloo, s’en souciait -il autant que des bouffées de fumée qu’il

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tirait de son cigare.¶ ¶ La prophétie de Napoléon s’était réalisée ; car Bartholoméo di Piomboavait acquis, moyennant la somme assez modique que Madame, mère de l’empereur, lui avaitdonnée de ses propriétés en Corse, l’ancien hôtel des comtes de Givryde Portenduère, danslequel il n’avait faitne fit aucun changement. Presque toujours logé aux frais du gouvernement, iln’habitait cette maison que depuis la catastrophe de Fontainebleau. Suivant l’habitude des genssimples et de haute vertu, le baron et sa femme ne donnaient rien au faste extérieur : les leursmeubles étaient rares chez eux, et la plupart provenaient de l’ancien ameublement de l’hôtel.Mais il faut dire aussi que lesLes grands appartemens,appartements hauts d’étage, sombres et nusde cette demeure, les larges glaces encadrées dans de vieilles bordures dorées et presque noires,étaient merveilleusement et ce mobilier du temps de Louis XIV, étaient en rapport avecBartholoméo et sa femme, personnages dignes de l’antiquité.¶ Sous l’empire,l’Empire etpendant les cent jours, Bartholoméo, Cent-Jours, en exerçant des fonctions largement rétribuées,le vieux Corse avait eu un grand train de maison ; mais c’était, plutôt dans le but de fairehonneur à sa place que dans le dessein de briller. Sa vie et celle de sa femme étaitétaient sifrugales, si frugale, si tranquilletranquilles, que leur modeste fortune était plus que suffisante àsuffisait à leurs besoins. A leurs yeux,Pour eux, leur fille Ginevra valait toute les richesses dumonde ; elle faisat leur bonheur, et tout était subordonné à ses désirs, et même à ses caprices. Saparole était la loi de la maison.¶ Quand. Aussi, quand, en mai 1814, le baron de Piombo quitta saplace, congédia ses gens et ferma la porte de son écurie, Ginevra n’eut aucun regret. Elle était ,simple et sans faste comme ses parens. A parents, n’eut-elle aucun regret : à l’exemple desgrandes âmes, elle mettait son luxe dans la force des sentimens ; etsentiments, comme elleplaçait sa félicité, dans la solitude et le travail. Puis, ces trois êtres s’aimaient trop pour que lesdehors de l’existence eussent quelque prix à leurs yeux.¶ Souvent, et surtout depuis la secondeet effroyable chute de Napoléon, Bartholoméo et sa femme passaient des soirées délicieuses àentendre Ginevra toucher du piano ou chanter. Il y avait pour eux un immense secret de plaisirdans la présence, dans la moindre parole de leur fille. Ils , ils la suivaient des yeux avec unetendre inquiétude. Ils , ils entendaient son pas dans la cour, quelque léger qu’il pût être.Semblables à des amansamants, ils savaient rester des heures entières, silencieux tous trois,entendant mieux ainsi que par des paroles, l’éloquence de leurs âmes. Ce sentiment profondétait, la vie même des deux vieillards et, animait toutes leurs pensées. Ce n’étaientn’était pastrois vies humaines, c’en était plutôt existences, mais une seule, qui, semblable à la flamme d’unfoyer, se divisait en trois langues de feu.¶ Quelquefois Si quelquefois le souvenir des bienfaits etdu malheur de Napoléon, ou si la politique du moment triomphaient de la constante sollicitudedes deux vieillards ; mais c’était parce que Ginevra , ils pou- vaient en parler sans rompre lacommunauté de leurs pensées : Ginevra ne partageait toutes -elle pas leurs passions politiques.L’ardeur ? Quoi de plus naturel que l’ardeur avec laquelle ils se réfugiaient dans le riche cœur deleur unique enfant était toute naturelle.enfant ? Jusqu’alors, les occupations d’une vie publiqueavaient absorbé l’énergie peu communedu baron de Piombo ; mais en quittant les ses emplois, leCorse eut besoin de rejeter son énergie dans le dernier sentiment qui lui restât. Puis ; puis, à partles liens qui unissent un père et une mère à leur fille, il y avait peut-être, à l’insu de ces troisâmes despotiques, une puissante raison au fanatisme de leur passion réciproque : ils s’aimaientsans partage. Le , le cœur tout entier de Ginevra appartenait à son père, comme à elle celui dePiombo. Enfin ; enfin, s’il est vrai que nous nous attachions les uns aux autres, plus par nosdéfauts que par nos qualités, Ginevra répondait merveilleusement bien à toutes les passions deson père.¶ De- là procédait la seule imperfection de cette triple vie.¶ Ginevra était entière dansses volontés, vindicative, emportée comme Bartholoméo l’avait été pendant sa jeunesse. Le

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Corse s’était compluse complut à développer ces sentimenssentiments sauvages dans le cœur desa fille, absolument comme un lion apprend à ses lionceaux à fondre sur une leur proie. Mais cetapprentissage de vengeance ne pouvant en quelque sorte se faire qu’au logis paternel, Ginevra nepardonnait rien à son père, et il fallait qu’il lui cédât.¶ Piombo ne voyait que des enfantillagesdans ces querelles factices ; mais Ginevra avait prisl’enfant y contracta l’habitude de dominer sesparens.parents. Au milieu de ces tempêtes que Bartholoméo aimait à exciter, un mot detendresse, un regard suffisaient pour apaiser leurs âmes courroucées, et ils n’étaient jamais siprès d’un baiser que quand ils se menaçaient.¶ Cependant, depuis cinq années environ, Ginevra,devenue plus sage que son père, évitait constamment ces sortes de scènes. Sa fidélité, sondévoûmentdévouement, l’amour qui triomphait dans toutes ses pensées et son admirable bonsens avaient fait justice de ses colères.¶ Mais ; mais il n’en était pas moins résulté un bien grandmal ; car: Ginevra vivait avec son père et sa mère sur le pied d’une égalité toujours funeste.¶Enfin, pour Pour achever de faire connaître tous les changemenschangements survenus chez cestrois personnages depuis leur arrivée à Paris, Piombo et sa femme n’ayant point d’, gens sansinstruction, avaient laissé Ginevra étudier à sa fantaisie. Au gré de ses caprices de jeune fille, elleavait tout appris et tout quitté :, reprenant et laissant chaque pensée tour- à- tour, jusqu’à ce quela peinture fût devenue sa passion dominante. Elle avait plutôt en musique le sentiment de cetart, que de l’instruction ; mais son âme suffisait à tout ; car ; elle la portait sur tout, et c’eût étéune créature parfaite, si elle eût eu une sa mère avait été capable de diriger ses études, del’éclairer et de mettre en harmonie les présens dont dons de la nature avait été prodigue enverselle. Sa grâce était native, etnature : ses défauts provenaient de la funeste éducation que le vieuxCorse avait pris plaisir à lui donner.¶ Après avoir pendant long-temps fait plier crier sous ses pas les feuilles du parquet, le grandvieillard sonna. Un domestique parut.¶ – Allez au-devant de mademoiselle Ginevra !, dit-il.¶ – J’ai toujours regretté notre de ne plus avoir de voiture pour elle !.., observa la baronne.¶ – Elle n’en a pas voulu !.., répondit Piombo en regardant sa femme qui, accoutumée depuisquarante ans à son rôle d’obéissance, baissa les yeux.¶ La Déjà septuagénaire, grande, sèche, pâle et ridée, la baronne avait plus de soixante ans. Elleétait grande, sèche, pâle, ridée, et ressemblait parfaitement à ces vieilles femmes que Schnetz etFleury mettentmet dans les scènes italiennes de leurs ses tableaux de genre. Elle était presquetoujours ; elle restait si habituellement silencieuse, et l’on qu’on l’eût prise pour une nouvellemadame Shandy, si ; mais un mot, un regard, un geste n’avaient pas annonçé que ses sentimensgardaient touteannonçaient que ses sentiments avaient gardé la vigueur et la fraîcheur de lajeunesse. Sa toilette, dépouillée de coquetterie, manquait souvent de goût. Elle restaithabituellement Elle demeurait ordinairement passive, plongée dans une bergère, au repos commeune sultane Validé, attendant ou admirant sa Ginevra, son orgueil et sa vie. La beauté, la toilette,la grâce de sa fille, semblaient être devenues siennes. Tout pour elle était bien quand Ginevraétaitse trouvait heureuse. Ses cheveux avaient blanchi, et quelques mèches se voyaient toujoursau-dessus de son front blanc et ridé, ou le long de ses joues creuses.¶ – Voilà un moisquinze jours environ, dit-elle, que Ginevra rentre un peu plus tard.....¶ – Jean n’ira pas assez vite !.., s’écria l’impatient vieillard. Puis, croisant avec brusquerie quicroisa les basques de son habit bleu, il saisit son chapeau, l’enfonça sur sa tête, prit sa canne etpartit.¶ – Tu n’iras pas loin !.., lui cria sa femme.¶

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En effet, la porte cochère s’était reouverte et fermée, et la vieille mère entendait la soie de larobele pas de Ginevra crier dans la cour.¶ Bartholoméo reparut tout- à- coup portant entriomphe, comme si c’eût été une plume, sa fille, qui se débattait dans ses bras.¶ – La voici !.., la Ginevra, la Ginevrettina, la Ginevrina, la Ginevrola, la Ginevretta, laGinevra bella !....¶ – Mon père, vous me faites mal !.. cria-t-elle enfin..¶ Aussitôt elle Ginevra fut posée à terre avec une sorte de respect. Elle agita la tête par ungracieux mouvement pour dire àrassurer sa mère que c’était une ruse et la rassurer, car ellequidéjà s’effrayait déjà. Aussitôt le , et pour lui dire : c’est une ruse. Le visage terne et pâle de labaronne reprit des alors ses couleurs et une espèce de gaîté comme par enchantement.gaieté.Piombo se frottait les mains avec une force extrèmeextrême, symptôme le plus certain de sa joie.Il ; il avait pris cette habitude à la cour, en voyant Napoléon se mettre en colère contre ceux deses généraux ou de ses ministres qui le servaient mal ou qui avaient commis quelque faute. TouslesLes muscles de sa figure s’étaientune fois détendus, et la moindre ride de son front exprimaitla bienveillance. Ces deux vieillards offraient, en ce moment, une image exacte de ces plantessouffrantes auxquelles un peu d’eau donnerend la vie. après une longue sécheresse.¶ – A table, à table ! s’écria Piombo.¶ Et il présentale baron en présentant sa large main àGinevra, en la nommant – qu’il nomma Signora Piombella ! AutrePiombellina, autre symptômede gaîté.gaieté auquel sa fille répondit par un sourire.¶ La coquette lui lança le plus doux de ses regards.¶ – Ah çà, lui dit Piombo en sortant de table,sais-tu que ta mère a observé que, m’a fait observer que depuis un mois, tu restes beaucoup pluslong-temps que de coutume à ton atelier ? Il paraît que la peinture vapasse avant nous fairetort.....¶ – Oh mon père !..¶ – Ginevra nous prépare sans doute quelque surprise, dit sa la mère.¶ – Tu m’apporterais un tableau ?..tableau de toi ? s’écria le Corse en frappant dans ses mains.¶ – Oui, je suis très-occupée à l’atelier, répondit-elle.¶ – Qu’as-tu donc, Ginevra ? – Tu pâlis ! lui dit sa mère.¶ – Non ! s’écria la jeune fille en laissant échapper un geste de résolution, non, il ne sera pas ditque Ginevra Piombo aura menti une fois dans sa vie !...¶ En entendant cette singulière exclamation, Piombo et sa femme regardèrent leur fille d’un airétonné.¶ – J’aime un jeune homme....., ajouta-t-elle d’une voix émue.¶ Puis, sans oser regarder ses parensparents, elle abaissa ses larges paupières, comme pourvoiler le feu de ses yeux.¶ – Est-ce un prince ? lui demanda ironiquement son père.¶ Le en prenant un son de voix dePiomboqui fit trembler la mère et la fille.¶ – Non, mon père, répondit-elle avec modestie, c’est un jeune homme sans fortune....¶ – Il est donc bien beau..... ?¶ – Il est malheureux.¶ – Que fait-il ?¶ – C’est le compagnon– Compagnon de Labédoyère. Il, il était proscrit, sans asile. M., Servinl’a caché, et.....¶ – Servin est un honnête garçon, qui s’est bien comporté !..., s’écria Piombo ; mais vous faitesmal, vous, ma fille, d’aimer un autre homme que votre père...¶ – Il ne dépend pas de moi de ne pas aimer..., répondit doucement Ginevra.¶

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– Je me flattais, reprit son père, que ma Ginevra me serait fidèle jusqu’à ma mort ;, que messoins et ceux de sa mère seraient les seuls qu’elle aurait reçus ; et, que notre tendresse n’auraitpas rencontré dans son âme de tendresse rivale, et que...¶ – Vous ai-je reproché votre fanatisme pour Napoléon ? dit Ginevra. N’avez-vous aimé quemoi ? N’avezn’avez-vous pas été des mois entiers en ambassade, et ? n’ai-je pas supportécourageusement vos absences ? Il yLa vie a des nécessités qu’il faut savoir subir...¶ – Ginevra !...¶ – Non, vous ne m’aimez pas pour moi, et vos reproches trahissent un insupportable égoïsme.¶ – Tu accuses l’amour de ton père !, s’écria Piombo, les yeux flamboyans.flamboyants.¶ – Mon père, je ne vous accuserai jamais, répondit Ginevra avec plus de douceur que sa mèretremblante n’en attendait. Vous avez raison dans votre égoïsme, comme moij’ai raison dans monamour. Le ciel m’est témoin que jamais fille n’a mieux rempli ses devoirs auprès de sesparens.parents. Je n’ai jamais vu que bonheur et amour là où d’autres voient souvent desobligations. Voici quinze ans que je ne me suis pas écartée de dessous votre aile protectrice ;, etce fut un bien doux plaisir pour moi que de charmer vos jours. Mais serais-je donc ingrate en meliv rant au charme d’aimer, en cherchantdésirant un épouxépoux qui me protège après vous ?¶ – Ah ! tu comptes avec ton père !..., Ginevra..., reprit le vieillard d’un ton sinistre.¶ Il se fit une pause effrayante pendant laquelle personne n’osa parler. Enfin, Bartholoméorompit le silence en s’écriant d’une voix déchirante :¶ – Oh ! reste avec nous, reste viergeauprès de ton vieux père !... Je ne saurais te voir aimeraimant un homme. – Ginevra ? – Tu , tun’attendras pas long-temps ta liberté...¶ – Mais, mon père, songez donc que nous ne vous quitterons pas, que nous serons deux à vousaimer, que vous connaîtrez le protecteur l’homme aux soins duquel vous me laisserez ! – Vousserez doublement chéris, par moi et par lui ;: par lui qui est encore moi, et par moi qui suis toutlui-même.¶ – O ! Ginevra, ! Ginevra ! s’écria le Corse, en serrant les poings, pourquoi ne t’es-tu pasmariée quand Napoléon m’avait accoutumé à cette idée, et qu’il te présentait des ducs et descomtes... ?¶ – Ils ne m’aimaient pas...par ordre, dit la jeune fille. D’ailleurs, je ne voulais pas vous quitter,et ils m’auraient emmenée avec eux... :¶ – Tu ne veux pas nous laisser seuls, dit Piombo, ; mais te marier, c’est nous isoler ; car je ! Jete connais, ma fille, tu ne nous aimeras plus...¶ – MariaElisa, ajouta-t-il en regardant sa femme qui restait immobile et comme stupide ;Maria, nous n’avons plus de fille ! – Elle , elle veut se marier.¶ Le vieillard s’assit après avoir levé les mains en l’air, comme pour invoquer Dieu ; puis ilresta courbé, comme accablé sous sa peine.¶ Ginevra vit l’agitation de son père, et lamodération de sa colère lui brisa le cœur. Elle ; elle s’attendait à une crise, à des fureurs ; mais,elle n’avait pas armé son âme contre la paix et la douceur. paternelle.¶ – Mon père, dit-elle d’une voix touchante, non, vous ne serez jamais abandonné par votreGinevra !.... Mais aimez-la aussi un peu pour elle ? – . Si vous saviez comme il m’aime ! Ah ! cene serait pas lui qui me ferait de la peine !!¶ – Déjà des comparaisons !..., s’écria Piombo avec un accent terrible. Non, je ne puissupporter cette idée !..., reprit-il. S’il t’aimait comme tu mérites de l’être, il me tuerait ; et s’il net’aimait pas, je le poignarderais...¶

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Et lesLes mains de Piombo tremblaient, et ses lèvres tremblaient, et son corps tremblait, etses yeux lançaient des éclairs. ; Ginevra seule pouvait soutenir son regard, car alors elle allumaitses yeux s’animaient, et la fille était digne du père.¶ – OhOh ! t’aimer ! Quel est l’homme digne de cette vie ? reprit-il. T’aimer comme un pèrec’est, n’est-ce pas déjà vivre dans le paradis, ; qui donc sera jamais digne d’être ton époux !?¶ – Lui !, dit Ginevra, lui dont de qui je me sens indigne !....¶ – Lui !.....? répéta machinalement Piombo, qui. Qui, lui ?...¶ – Celui que j’aime...¶ – Est ce qu’il peut te connaître encore assez pour t’adorer... ?¶ – Mais, mon père, reprit Ginevra, éprouvant un mouvement d’impatience ;, quand il nem’aimerait pas, du moment queoù je l’aime....¶ – Tu l’aimes donc !.....? s’écria Piombo.¶ Ginevra inclina doucement la tête.¶ – Alors, tul’aimes – Tu l’aimes alors plus que nous. ?¶ – Ces deux sentimenssentiments ne peuvent pas se comparer, répondit-elle.¶ – L’un est plus fort que l’autre ?, reprit Piombo.¶ – Je crois que oui..., dit Ginevra.¶ – Tu ne l’épouseras pas !... Ce cri furieux, cria le Corse dont la voix fit résonner les vitres dusalon.¶ – Je l’épouserai, répliqua tranquillement Ginevra.¶ – Mon Dieu ! mon Dieu !... s’écria la mère, comment finira cette querelle !? Santa Virgina, !mettez-vous entre eux.¶ Le baron, qui se promenait à grands pas, vint s’asseoir. Une ; une sévérité glacéerembrunissait son visage ;, il regarda fixement sa fille, et lui dit d’une voix douce et affaiblie :¶ – Eh bien ?! Ginevra, ! non, tu ne l’épouseras pas. Oh ! ne me dis pas : oui ! ce soir.. Laisse ?...laisse-moi croire le contraire. Veux-tu voir ton père à genoux, et ses cheveux blancs prosternésdevant toi... ? je vais te supplier... ¶ – Ginevra Piombo, répondit-elle, n’a pas été habituée à promettre et à ne pas tenir., répondit-elle. Je suis votre fille.¶ – Elle a raison, dit la baronne, nous sommes mises au monde pour nous marier...¶ – Ainsi, vous l’encouragez dans sa désobéissance., dit le baron à sa femme qui frappée de cemot se changea en statue.¶ – Ce n’est pas désobéir, répondit Ginevra, que de se refuser à un ordre injuste., réponditGinevra.¶ – Il ne peut pas être injuste quand il émane de la bouche de votre père, ma fille !..... Etpourquoi Pourquoi me jugez- - vous ?... La répugnance que j’éprouve n’est-elle pas un conseild’en haut ? Je vous préserve peut-être d’un malheur...¶ – Le malheur serait qu’il ne m’aimât pas !....¶ – Toujours lui !...¶ – Oui, toujours, reprit-elle, il. Il est ma vie, mon bien, ma pensée, et même. Même en vousobéissant, il serait toujours dans mon cœur. Me défendre de l’épouser, n’est-ce pas vous fairehaïr ?¶ – Tu ne nous aimes plus..., s’écria Piombo.¶ – Oh ! dit Ginevra en agitant la tête.¶ – Eh bien, ! oublie-le, reste-nous fidèle..... Après nous... tu comprends.¶ – Mon père,voulez-vous me faire désirer votre mort ? s’écria Ginevra.¶

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– Je vivrai plus long-temps que toi ; car les enfans,! Les enfants qui n’honorent pas leursparens,parents meurent promptement !..., s’écria son père, parvenu au dernier degré del’exaspération.¶ – Raison de plus pour me marier promptement et être heureuse !... dit-elle.¶ Ce sang-froid, cette puissance de raisonnement achevèrent de troubler Piombo. Le , le sanglui porta violemment à la tête, et il son visage devint pourpre. C’était effrayant à voir.¶ Ginevrafrissonna. Elle , elle s’élança comme un oiseau sur les genoux de son père ; et, lui passant sesbras d’amour autour du cou, elle lui caressa le visage, les cheveux, et s’écria tout attendrie :¶ – Oh ! oui, que je meure la première !.... car je Je ne te survivrais pas, mon père, mon bonpère !¶ – Oh ! O ma Ginevra !..., ma folle, ma Ginevrina, ma Ginevretta !.. répondit Piombo donttoute la colère se fondit, à cette caresse, comme une glace sous les rayons du soleil.¶ – Il était temps que vous finissiez !..., dit la baronne d’une voix émue.¶ – Pauvre maman !...mère !¶ – Ah ! Ginevretta !... ma Ginevra bella !...¶ Et le père jouait avec sa fille comme avec un enfant de six ans. Il , il s’amusait à défaire lestresses ondoyantes de ses cheveux, à la faire sauter. Il ; il y avait de la folie dans l’expression desa tendresse. Bientôt sa fille le gronda, en l’embrassant, et tenta d’obtenir, par la grâce de sesjeux et en plaisantant, l’entrée de son Louis au logis ; mais, tout en plaisantant aussi, son le pèrerefusait.. Elle bouda, revint, bouda encore ; maispuis, à la fin de la soirée, elle se trouva toutecontente d’avoir gravé dans le cœur de son père et son amour pour Louis et l’idée d’un mariageprochain.¶ Le lendemain elle ne parla plus de son amour, elle alla plus tard à l’atelier, et elle enrevint de bonne heure. Elle ; elle devint plus caressante pour son père qu’elle ne l’avait jamaisété, et se montra pleine de reconnaissance, comme pour le remercier du consentement qu’ilsemblait donner à son mariage par son silence.¶ Le soir, elle faisait long-temps de la musique, etsouvent elle s’écriait :¶ – Il faudrait une voix d’homme pour ce nocturne !¶ Elle était Italienne,c’est tout dire. Au bout de huit jours, sa mère lui fit un signe, elle vint, ; puis à l’oreille et à voixbasse :¶ – J’ai amené ton père, à le recevoir, lui dit-elle.¶ Ginevra sauta de joie comme unenfant.¶ – Oh ! – O ma mère ! oh ! que je suis vous me faites bien heureuse !...¶ Ce jour-là, Ginevra eut donc le bonheur de revenir à l’hôtel de son père, en donnant le bras àLouis. C’étaitPour la seconde fois que, le pauvre officier sortait de sa cachette.¶ Les activessollicitations que Ginevra faisait faire auprès du duc de Feltre, alors ministre de la guerre,avaient été couronnées d’un plein succès. Louis venait d’être réintégré sur le contrôle desofficiers en disponibilité. C’était un bien grand pas vers un meilleur avenir.¶ Le jeune chef debataillon ayant été instruit Instruit par son amie de toutes les difficultés qui l’attendaient auprèsdu baron, le jeune chef de bataillon n’osait avouer la crainte qu’il avait de ne pas lui plaire. Cethomme si courageux contre l’adversité, si brave sur un champ de bataille, tremblait en pensant àson entrée dans le salon de des Piombo. Ginevra le sentit tressaillirtressaillant, et cette émotion,dont elle devinait le principe était leur bonheur, fut pour elle une délicieusenouvelle preuved’amour.¶ – Comme vous êtes pâle !... lui dit-elle, quand ils arrivèrent à la porte de l’hôtel.¶ – O Ginevra ! s’il ne s’agissait que de ma vie...¶ Quoique Bartholoméo avait sans doute été fut prévenu par sa femme de la présentationofficielle de celui que Ginevra aimait ; car, en entendant le pas de sa fille, il n’alla pas à sarencontre et, resta dans le fauteuil où il avait l’habitude d’être assis. Il était sombre, et la sévéritéde son front avait quelque chose de glacial.fut glaciale.¶

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– Mon père, dit Ginevra, je vous amène une personne que vous aurez sans doute plaisir àvoir. Voici M. : monsieur Louis, un soldat qui combattait à quatre pas de l’empereur au à Mont-St.Saint-Jean...¶ Le baron de Piombo se leva, jeta un regard furtif sur Louis, et lui dit d’une voix sardonique :¶ – Monsieur n’est pas décoré ?¶ – Je ne porte pas la légion-d’honneur...plus la Légion-d’Honneur, répondit timidement Louisqui restait humblement debout.¶ Ginevra , blessée de l’impolitesse de son père, avança une chaise.¶ La réponse de l’officiersatisfit le vieux serviteur de Napoléon.¶ Madame Piombo, s’apercevant que les sourcils de sonmari reprenaient leur position naturelle, se hasarda à dire :¶ dit pour ranimer la conversation :– La ressemblance de monsieur avec Nina Porta est étonnante. Ne trouvez-vous pas queMonsieurmonsieur a toute la physionomie des Porta ?¶ – Cela est tout– Rien de plus naturel, répondit le jeune homme sur qui les yeuxflamboyansflamboyants de Piombo s’arrêtèrent, Nina était ma sœur...¶ – Tu es Luigi Porta ?... demanda le vieillard d’une voix faible, mais en lui lançant un regardfurieux..¶ – Oui !¶ . Bartholoméo di Piombo se leva. Il, chancela et , fut obligé de s’appuyer sur unechaise. Il et regarda sa femme. Maria, Elisa Piombo vint à lui ; et, tous puis les deux vieillardssilencieux et se donnantse donnèrent le bras, et sortirent du salon en abandonnant leur fille avecune sorte d’horreur.¶ Luigi Porta stupéfait regarda Ginevra. Elle était devenue, qui devint aussiblanche qu’une statue de marbre, et se tenait debout, resta les yeux fixésfixes sur la porte parverslaquelle son père et sa mère venaient de disparaître. Il y avait dans leuravaient disparu : cesilence et leurcette retraite eurent quelque chose de si solennel qu’elle en était effrayée, etc’étaitque, pour la première fois peut-être que, le sentiment de la crainte entrait dans son cœur.Elle joignit ses mains, et, les pressant l’une contre l’autre avec force, elle et dit d’une voix siémue qu’elle ne pouvait guère être entendue que d’par un amant :¶ – Oh ! qu’il y a – Combiende malheur dans un mot !...¶ – Si je suis étonné, Ginevra, c’est parce que vous êtes saisie d’effroi. Mais, auAu nom denotre amour, qu’ai-je donc dit ?, demanda Luigi Porta.¶ – Mon père, répondit-elle, ne m’a jamais parlé de notre déplorable histoire, et j’étais tropjeune quand j’ai quitté la Corse pour la savoir.¶ – Nous serions ennemis ?..en vendetta, demanda Luigi en tremblant.¶ – Oui. En questionnant ma mère, j’ai appris que les Porta ayant avaient tué mes frères etbrûlé notre maison, mon. Mon père avait massacré toute cettevotre famille. – Comment avez-vous survécu, vous qu’il croyait avoir attaché aux colonnes d’un lit avant de mettre le feu à lamaison. ?¶ – Je ne sais, répondit Luigi. A six ans, j’ai été amené à Gênes, chez un vieillard nomméColonna. Aucun détail sur ma famille ne m’a été donné. Je savais seulement que j’étais orphelin, et sans fortune, et que . Ce Colonna était mon tuteur.¶ J’ai me servait de père, et j’ai porté sonnom, jusqu’au jour où je suis entré au service. AlorsComme il m’a fallu des actes pour prouverqui j’étais, et alors seulement le vieux Colonna m’a dit alors que moi, faible et presque enfantencore, j’avais des ennemis. Il m’a engagé à ne prendre que le nom de Luigi pour leur échapper.C’est ce que j’ai fait.¶ – Partez, partez, Luigi !..., s’écria Ginevra. Je vais ; mais non, je dois vous accompagner.Tant que vous êtes dans la maison de mon père, vous n’avez rien à craindre ; mais aussitôt quevous en sortirez, prenez bien garde à vous ; car aussitôt que vous en sortirez, ! vous marcherez

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de danger en danger. Mon père a deux Corses à son service, et si ce n’est pas lui qui menaceravos jours, ce seront c’est eux.¶ – Ginevra, dit-il, cette haine héréditaire existera-t-elle donc entre nous ?...¶ La jeune fille sourit tristement et baissa la tête.¶ Elle la releva bientôt avec une sorte defierté, et dit :¶ – Oh – O Luigi ! , il faut que nos sentimenssentiments soient bien purs et biensincères, pour que j’aie la force de marcher dans la voie où je vais entrer !.... Mais il s’agit d’unbonheur qui doit durer toute la vie, n’est-ce pas ?...¶ Luigi ne répondit que par un sourire, et pressa la main de Ginevra. La jeune fille compritqu’il n’y avait qu’un véritable amour qui pût pouvait seul dédaigner en ce moment lesprotestations vulgaires. L’expression calme et consciencieuse des sentimenssentiments de Luigien annonçait en quelque sorte la leur force et la leur durée. Alors la La destinée de ces deuxépoux fut alors accomplie.¶ Ginevra entrevit de bien cruels combats à soutenir ; mais l’idéed’abandonner son amantLouis, idée qui peut-être avait flotté dans son âme, s’évanouitcomplètement. Elle était à complétement. A lui pour toujours.¶ Elle , elle l’entraîna tout- à- coupavec une sorte d’énergie hors de l’hôtel, et ne le quitta qu’au moment où il atteignit la maisondans laquelle M. Servin lui avait loué un modeste logement.¶ Quand Ginevra elle revint chezson père, elle avait pris cette espèce de sérénité que donne une résolution forte. Aucune : aucunealtération dans ses manières ne peignit une d’inquiétude. Elle leva, sur son père et sa mère,qu’elle trouva prêts à se mettre à table, des yeux dénués de hardiesse et pleins de douceur. Elle ;elle vit que sa vieille mère avait pleuré, et la rougeur de ces paupières flétries ébranla un momentson cœur, ; mais elle cacha son émotion... Piombo, silencieux et sombre, semblait être en proie àune douleur trop violente, trop concentrée pour qu’il pût la trahir par des expressions ordinaires.Les gens servirent le dîner ; mais dîner auquel personne n’y ne toucha. L’horreur de la nourritureest un des symptômes qui trahissent les grandes crises de l’âme. Tous trois se levèrent sansqu’aucun d’eux se fût adressé la parole. Tout s’était accompli par gestes.¶ Quand Ginevra futplacée entre son père et sa mère dans leur grand salon sombre et solennel, Piombo voulut parler,mais il ne trouva pas de voix ; il essaya de marcher, et ne trouva pas de force ; alors , il revints’asseoir et sonna.¶ – JeanPiétro, dit-il enfin au domestique, allumez du feu, j’ai froid...¶ Ginevra tressaillit et regarda son père avec anxiété. Le combat qu’il se livrait devait êtrehorrible, car sa figure était bouleversée. Ginevra connaissait l’étendue du péril qui la menaçait ;,mais elle ne tremblait pas ; tandis que les regards furtifs que Bartholoméo jetait sur sa fille,semblaient annoncer qu’il craignait en ce moment le caractère dont il avait si complaisammentdéveloppé la violence. était son propre ouvrage. Entre eux, tout devait être extrème.extrême.Aussi, la certitude du change- ment qui pouvait s’opérer dans les sentimenssentiments du père etde la fille, animait-elle le visage de la baronne d’une expression de terreur.¶ – Ginevra, vous aimez l’ennemi de votre famille, dit enfin Piombo sans oser la regarder, vousaimez l’ennemi de votre famille. sa fille.¶ – Cela est vrai !, répondit-elle.¶ – Il faut choisir entre lui et nous. Notre vendetta fait partie de nous-mêmes : qui . Quin’épouse pas ma vengeance, n’est pas de ma famille.¶ – Mon choix est fait !, répondit-elle encore Ginevra d’une voix calme.¶ La tranquillité de la jeune sa fille trompa Bartholoméo.¶ – O ma chère fille !.. s’écria-t-il.¶ Puis le vieillard qui montra ses paupières humectées pardes larmes, les premières et les seules qu’il répandit dans sa vie, humectèrent ses paupières..¶ – Je serai sa femme !....., dit brusquement Ginevra.¶

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Bartholoméo eut comme un éblouissement ; mais il repritrecouvra son sang-froid etrépliqua :¶ – Cela ne sera – Ce mariage ne se fera pas de mon vivant, car je n’y consentiraijamais...¶ Ginevra garda le silence.¶ – Mais, dit le baron en continuant, songes-tu que Luigi estle fils de celui qui a tué tes frères... ?¶ – Il avait six ans au moment où le crime a été commis ;, il doit en être bien innocent,répondit-elle.¶ – Un Porta !..? s’écria Bartholoméo.¶ – Mais, ai-je jamais pu partager cette haine !..? dit vivement la jeune fille. M’avez-vousélevée dans cette croyance qu’un Porta était un monstre ? Pouvais-je penser qu’il restât un seulde ceux que vous aviez tués ? N’est-il pas plus naturel que vous fassiez céder votre vendetta quemoi mon amour ?...à mes sentiments ?¶ – Un Porta !..? dit Piombo. Mais si Si son père t’avait jadis trouvée dans ton lit, tu ne vivraispas. Il , il t’aurait donné cent fois la mort...¶ – Cela se peut, répondit-elle ; , mais son fils m’a donné plus que la vie... Sa seule vuem’apporte Voir Luigi, c’est un bonheur sans lequel il n’y a pas de vie. Il m’a appris à sentir !jene saurais vivre. Luigi m’a révélé le monde des sentiments. J’ai peut-être vuaperçu des figuresplus belles encore que la sienne, mais aucune ne m’a autant charmée comme lui ; j’ai peut-êtreentendu des voix..... non, non, jamais de plus mélodieuses... Il Luigi m’aime !... Il , il sera monmari.¶ – Jamais !.., dit Piombo en se levant et en criant avec une violence inouïe. . J’aimerais mieuxte savoir mortevoir dans ton cercueil, Ginevra !¶ Alors il. Le vieux Corse se leva, se mit àparcourir à grands pas le salon, et laissa échapper ces paroles après des pauses qui pei- gnaienttoute son agitation :¶ – Vous croyez peut-être l’emporter surfaire plier ma volonté ?– Détrompezdétrompez-vous.¶ Je : je ne veux pas qu’un Porta soit mon gendre...¶ Telle est masentence.¶ Qu’il ne soit plus question de ceci entre nous.¶ Je suis Bartholoméo di Piombo,entendez-vous, Ginevra ?¶ – Attachez-vous quelque sens mystérieux à ces paroles ?, demanda-t-elle froidement.¶ – Oui, ellesElles signifient que j’ai un poignard, et que je ne crains pas les la justice deshommes !... Nous autres Corses, nous allons nous expliquer avec Dieu.¶ La jeune fille se leva.¶ – Eh bien, ! dit-elle la fille en se levant, je suis Ginevra di Piombo, etje déclare que dans six mois je serai la femme de Luigi Porta !.¶ – Vous êtes un tyran, mon père !.., ajouta-t-elle après une pause effrayante.¶ Bartholoméo serra ses poings, et, frappant et frappa sur le marbre de la cheminée :¶ – Ah !nous sommes à Paris..., dit-il en murmurant.¶ Puis il Il se tut, se croisa les bras, pencha la tête sur sa poitrine, et ne prononça plus une seuleparole pendant toute la soirée.¶ La jeune fille affecta un sang-froid incroyable après Après avoirpronocé son arrêt. Elle exprimé sa volonté, la jeune fille affecta un sang-froid incroyable ; elle semit au piano, chanta, joua des morceaux ravissansravissants avec une grâce et un sentiment quiannonçaient une parfaite liberté d’esprit, triomphant ainsi de son père dont le front ne paraissaitpas s’adoucir.¶ Le vieillard ressentit cruellement cette tacite injure tacite ; mais il recueillait, etrecueillit en ce moment un des fruits amers de l’éducation qu’il avait donnée à sa fille. Lerespect est une barrière qui protège autant un père et une mère qu’un enfant : elle éviteque lesenfants, en évitant à ceux-là des chagrins, à ceux-ci des chagrins ; à celui-là, des remords.¶ Lelendemain, Ginevra, voulantqui voulut sortir à l’heure ordinaire à laquelleoù elle avait coutumede se rendre à l’atelier, trouva la porte de l’hôtel fermée pour elle. Bartholoméo avait donnél’ordre de ne pas laisser passer sa fille. Ginevra inventa ; mais elle eut bientôt inventé un moyen

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d’instruire Luigi Porta des sévérités dont elle était victime.¶ paternelles. Une femme- de-chambre qui ne savait pas lire, fit parvenir au jeune officier la lettre que lui écrivit Ginevra.Pendant cinq jours les deux amansamants surent correspondre, grâces à ces ruses qu’on saittoujours machiner à vingt ans. Le père et la fille se parlèrent rarement. Tous deuxgardaientgardant au fond du cœur un principe de haine. Ils , ils souffraient, maisorgueilleusement et en silence. ReconnaissantEn reconnaissant combien étaient forts les liensd’amour qui les attachaient l’un à l’autre, ils semblaient essayeressayaient de les briser, sanspouvoir y parvenir. Nulle pensée douce ne venait plus comme autrefois faire brillerégayer lestraits sévères de Bartholoméo quand il contemplait sa Ginevra. Il était morne. La jeune fille avaitquelque chose de farouche en regardant son père. Le , et le reproche siégeait sur ce son frontd’innocence. Elle ; elle se livrait bien à d’heureuses pensées ;, mais parfois des remordssemblaient ternir ses yeux. Il n’était même pas difficile de deviner qu’elle ne pourrait jamaisjouir tranquillement d’une félicité, qui feraitfaisait le malheur de ses parens.parents. ChezBartholoméo comme chez sa fille, toutes les irrésolutions causées par la bonté native de leursâmes devaient néanmoins échouer devant leur fierté et, devant cette la rancune particulière auxCorses. En effet ils Ils s’encourageaient l’un et l’autre dans leur colère, et fermaient les yeux surl’avenir. Peut-être aussi se flattaient-ils mutuellement que l’un céderait à l’autre.¶ Le jour de la naissance de Ginevra, sa mère, désespérée de cette désunion qui prenait uncaractère grave, médita de réconcilier le père et la fille, grâces aux souvenirs de cetanniversaire.¶ Ils étaient réunis tous trois dans la chambre de Bartholoméo ; mais. Ginevra,devinant devina l’intention de sa mère à l’hésitation peinte sur son visage, souriait et sourittristement.¶ En ce moment, un domestique annonça deux notaires. Ils accompagnés deplusieurs témoins qui entrèrent.¶ Bartholoméo regarda fixémentfixement ces deux hommes deloi, dont les figures froidement compassées avaient quelque chose de blessant pour des âmesaussi passionnées que l’étaient celles des trois principaux acteurs de cette scène. Le vieillard setourna vers sa fille d’un air inquiet, et il vit sur son visage une expression de contentement et unsourire de triomphe qui lui firent fit soupçonner quelque catastrophe. Alors ; mais il affecta degarder, à la manière des sauvages, une immobilité mensongère. Son visage fut impassible et ilregarda en regardant les deux notaires avec une sorte de curiosité calme.¶ Les étrangerss’assirent après y avoir été invités par un geste du vieillard.¶ – Monsieur est sans doute M.monsieur le baron de Piombo ?..., demanda le plus âgé. desnotaires.¶ Bartholoméo s’inclina.¶ Le notaire fit un léger mouvement de tête et, regarda Ginevralajeune fille avec la sournoise expression d’un employé au trésor.¶ Puis, garde du commerce quisurprend un débiteur ; et il tira sa tabatière, l’ouvrit, y prit une pincée de tabac, se mit à la humerà petits coups, d’abord en cherchant les premières phrases de son discours, ; puis en lesprononçant, il fit des repos continuels (manœuvre oratoire que ce signe – représentera très-imparfaitement).¶ – Monsieur, dit-il, – nous sommes envoyés vers vousje suis monsieur Roguin, notaire demademoiselle votre fille, et nous venons, – mon collègue et moi, – pour accomplir le vœu de laloi, et – mettre un terme aux divi- sions qui – paraîtraient – s’être introduites – entre vous etmademoiselle votre fille, – au sujet – de – son – mariage avec M.monsieur Luigi Porta, – monclient..¶ Cette phrase, assez pédantesquement débitée, parut probablement trop belle au notaire àmaître Roguin pour qu’on pût la comprendre d’un seul coup, il s’arrêta, en regardantBartholoméo avec une expression particulière aux gens d’affaires et qui tient le milieu entre la

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servilité et la familiarité. Habitués à feindre de prendre beaucoup d’intérêt aux pour lespersonnes avec lesquelles auxquelles ils parlent, les notaires finissent par faire contracter à leurfigure l’habitude d’une grimace qu’ils revêtent et quittent comme leur petit pallium officiel. Cemasque de bienveillance, dont il le mécanisme est si facile de à saisir le mécanisme et lafausseté, irrita tellement Bartholoméo qu’il lui fallut rappeler toute sa raison pour ne pas jeter lenotaire monsieur Roguin par les fenêtres. Une, une expression de colère se glissa dans toutes sesrides ;, et, en la voyant, l’homme de la loi le notaire se dit en lui-même :¶ – Je produis del’effet !¶ – Mais, reprit-il d’une voix mielleuse, monsieur le baron, dans ces sortes d’occasions, notreministère commence toujours par être essentiellement conciliateur... – Daignez donc avoir labonté de m’entendre ?. – Il est évident que mademoiselle Ginevra PiomboPiombo – atteintaujourd’huiaujourd’hui même – l’âge auquel il suffit de faire des sommations respectueusesactesrespectueux pour qu’il soit passé outre à la célébration d’un mariage, – malgré le défaut deconsentement des parens...parents. Or,, – il est d’usage dans les familles – qui jouissent d’unecertaine considération, – qui appartiennent à la société, – qui conservent quelque dignité,– auxquelles il importe enfin de ne pas donner au public le secret de leurs divisions, – et qui,d’ailleurs, ne veulent pas se nuire à elles-mêmes en frappant de réprobation l’avenir de deuxjeunes époux, (car – c’est se nuire à soi-même !) – il est d’usage, – dis-je, – parmi ces familleshonorables – de ne pas laisser subsister des actes semblables, – qui – restent ;, qui – sont desmonumensmonuments d’une division qui – finit – par cesser.¶ – Du moment, monsieur, où unejeune personne a recours aux sommations respectueusesactes respectueux, elle annonce uneintention trop décidée, pour qu’un père et – une mère, ajouta-t-il en se tournant vers la baronne,puissent espérer de lalui voir suivre leurs avis... – Alors la – La résistance paternelle étant alorsnulle – par ce fait – d’abord ;, – puis, étant infirmée par la loi, il est constant que tout hommesage, après avoir fait une dernière remontrance à son enfant, – lui donne la liberté de......¶ Lenotaire Monsieur Roguin s’arrêta, car il s’aperçut qu’il aurait pu en s’apercevant qu’il pouvaitparler deux heures ainsi, sans obtenir de réponse. Puis, il éprouvait, et il éprouva d’ailleurs uneémotion particulière à l’aspect de l’homme qu’il essayait de convertir. En effet, il Il s’était faitune révolution extraordinaire sur le visage de Bartholoméo. Toutes : toutes ses rides contractéeslui donnaient un air de férocitécruauté indéfinissable, et il jetait sur le notaire un regard detigre.¶ La baronne étaitdemeurait muette et passive. Ginevra, calme et résolue, attendait ; car,elle savait que la voix du notaire était plus puissante que la sienne, et alors elle semblait s’êtredécidée à garder le silence.¶ Au moment où l’homme de la loiRoguin se tut, cette scène devintsi effrayante, et même les deux que les témoins étrangers tremblèrent ; car: jamais peut-être ilsn’avaient été accueillisfrappés par un semblable silence. IlsLes notaires se regardèrent commepour se consulter, se levèrent et allèrent ensemble à la croisée.¶ – As-tu jamais rencontré des cliensclients fabriqués comme ceux-là ?...., demanda le plusâgéRoguin à son confrère.¶ – Il n’y a rien à en tirer !, répondit le plus jeune. A ta place, moi, je m’en tiendrais à la lecturede ma sommation.mon acte. Le vieux ne me paraît pas amusant. Il , il est colère, et tu negagneraisgagneras rien à vouloir discuter avec lui...¶ Alors le vieux notaire chargé des intérêts de Luigi, tiraMonsieur Roguin lut un papier timbrécontenant un procès-verbal rédigé à l’avance ; et, après l’avoir lu, il l’avance et demandafroidement à Bartholoméo quelle était sa réponse.¶ – Il y a donc en France des lois qui détruisent le pouvoir paternel ?....., demanda leCorse.corse.¶

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– Monsieur... reprit le notairedit Roguin de sa voix mielleuse.¶ – Qui arrachent une fille à son père... ?¶ – Monsieur...¶ – Qui privent un vieillard de sa dernière consolation... ?¶ – Monsieur, votre fille ne vous appartient que...¶ – Qui le tuent... ?¶ – Monsieur, permettez ?...¶ Il n’y a peut-être rien deRien n’est plus affreux que le sang-froid et lesraisonnemensraisonnements exacts d’un notaire au milieu des scènes passionnées où ils ontcoutume d’intervenir. Les deux figures que Piombo avait devant lui,voyait lui semblèrentéchappées de l’enfer. Sa , sa rage froide et concentrée ne connut plus de bornes au moment où lavoix calme et presque flûtée de son petit antagoniste prononça ce fatal – : « permettez. »¶ Alorsil ? » Il sauta sur un long poignard suspendu par un clou au-dessus de sa cheminée, et s’élançasur sa fille. Les Le plus jeune des deux notaires et l’un des témoins se jetèrent entre lui etGinevra ; mais il Bartholoméo renversa brutalement les deux conciliateurs en leur montrant unefigure en feu et des yeux flamboyansflamboyants qui paraissaient plus terribles que ne l’était laclarté du poignard.¶ Quand Ginevra se vit en présence de son père, elle le regarda fixement d’unair de triomphe, s’avança lentement vers lui, et s’agenouilla.¶ – Non ! non ! s’écria Piombo, je ne saurais !...¶ Et il lança, dit-il en lançant si violemmentson arme, qu’elle alla s’enfoncer dans la boiserie.¶ – EhEh ! bien, grâce ! grâce !, dit-elle. Vous hésitez à me donner la mort, et vous me refusezla vie !... Oh !. O mon père, jamais je ne vous ai tant aimé, accordez-moi Luigi ?.. – Je vousdemande votre consentement à genoux !.. O mon père, votre : une fille s’humilie devant vous !...Mon peut s’humilier devant son père, mon Luigi ou la mort !je meurs.¶ L’irritation violente qui la suffoquait l’empêcha de parlercontinuer, elle ne trouvait plus devoix ; mais ses efforts convulsifs disaient assez qu’elle était entre la vie et la mort.¶ Bartholoméo la repoussa durement. sa fille.¶ – Fuis !..., dit-il. La Luigi Porta ne saurait être Ginevraune Piombo. Je n’ai plus de fille ! – Jen’ai pas la force de te maudire ; mais je t’abandonne, et tu n’as plus de père !¶ . Ma GinevraPiombo est enterrée là !, s’écria-t-il d’un son de voix profond ; et ilprofond en se pressapressantfortement le cœur.¶ – Sors, donc, malheureuse !.., ajouta-t-il après un moment de silence. Sors,sors, et ne reparais plus devant moi !¶ . Puis, prenantil prit Ginevra par le bras et la serrant avecune force surnaturelle, il l’entraîna, et la conduisit silencieusement hors de la maison.¶ ¶ —¶ ¶ – Luigi, s’écria Ginevra en entrant dans le modeste appartement où était l’officier ;,mon Luigi ? – , nous n’avons d’autre fortune que notre amour !....¶ – Nous sommes plus riches que tous les rois de la terre !.., répondit-il.¶ Mon père et ma mère m’ont abandonnée, dit-elle avec une profonde mélancolie.¶ – Je t’aimerai pour eux.¶ – Nous serons donc bien heureux !..? s’écria-t-elle avec une gaîtégaieté qui avaiteut quelquechose d’effrayant.¶ – Oh oui !...– Et, toujours, répondit-il en la serrant sur son cœur.¶

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LE MARIAGE.¶ ¶

LE Le lendemain du jour où Ginevra quitta la maison de son père, elle alla priermadame Servin de lui accorder un asile et sa protec- tion jusqu’à l’époque fixée par la loipour son mariage avec Luigi Porta ; mais . Là, commença pour elle fit là un premierl’ apprentissage des chagrins que le monde sème autour de ceux qui ne suivent pas sesusages. Madame Servin était trèsTrès-affligée du tort que l’aventure de Ginevra faisait àson mari ; aussi , madame Servin reçut-elle froidement la fugitive. Elle , et lui apprit pardes paroles poliment circonspectes, qu’elle ne devait pas compter sur son appui. Tropfière pour insister, Ginevra, mais étonnée d’un égoïsme auquel elle n’était pas habituée,la jeune corse alla se loger dans l’hôtel garni le plus voisin de la maison où demeuraitLuigi, et attendit impatiemment le jour de son mariage.¶ Luigi . Le fils des Portavenaitvint passer toutes ses journées aux pieds de sa fiancée. Son future ; son jeuneamour, la pureté de ses paroles dissipaient les nuages que la réprobation paternelleamassait sur le front de Ginevra. Il la fille bannie, et il lui peignait l’avenir si beau,qu’elle finissait par sourire ; et, chaque jour, des scènes ravissantes lui faisaientinsensiblement, sans néanmoins oublier la rigueur de ses parens.¶parents.¶

Un matin, la servante de l’hôtel lui remit à Ginevra plusieurs paquets volumineux,apportés par un inconnu. C’étaientmalles qui contenaient des étoffes, du linge, et unefoule de choses nécessaires à une jeune femme qui se met en ménage. Elle ; ellereconnut dans cet envoi, la prévoyante bonté d’une mère. En , car en visitant cesprésensprésents, elle trouva une bourse contenant où la baronne avait mis la somme quilui appartenait, et à laquelle la baronne avait joint à sa fille, en y joignant le fruit de seséconomies. L’argent était accompagné d’une lettre par laquelleoù la Maria Piombomèreconjurait sa la fille d’abandonner son funeste projet de mariage, s’il en était encoretemps. Elle lui avouait qu’ ; il lui avait fallu, disait-elle, des précautions inouïes pour luifaire parvenir ces faibles secours. Elle lui disait à Ginevra ; elle la suppliait de ne pasl’accuser de dureté, si, par la suite, elle la laissait dans l’abandon ; car , elle craignait dene pouvoir plus l’assister, tant Bartholoméo avait pris des mesures sévères pour l’enempêcher. Elleelle la bénissait, lui souhaitait de trouver le bonheur, dans ce fatalmariage, si elle y persistait, en lui assurant qu’elle ne pensait qu’à sa fille chérie.¶ En cetendroit, des larmes avaient effacé plusieurs mots de la lettre.¶

– Oh ! ma mère, ma mère !... s’écria Ginevra tout attendrie.¶ Elle éprouvait lebesoin de se jeter à ses genoux, de la voir, et de respirer l’air bienfaisant de la maisonpaternelle. Elle ; elle s’élançait déjà, quand Luigi entra. Elle ; elle le regarda, et toute satendresse filiale s’évanouit, ses larmes se séchèrent. Elle, elle ne se sentit pas la forced’abandonner Luigi. Il étaitcet enfant si malheureux et si aimant ! Savoir qu’on est l’.Etre le seul espoir d’une noble créature, l’aimer, et l’abandonner ?... ce sacrifice étaitestune trahison. dont sont incapables de jeunes âmes. Ginevra eut la générosité d’ensevelirsa douleur au fond de son âme. Puis l’amour donne aux cœurs dont il s’empare uneindifférence pour tout ce qui est hors de leur sphère, qui va jusqu’à la férocité.¶

Enfin, le jour du mariage arriva.¶ , Ginevra ne vit personne autour d’elle ; car.Luigi avait profité du moment où elle s’habillait pour aller chercher les témoinsnécessaires à la signature de leur acte de mariage.¶ Ces témoins étaient de braves gens.L’un, ancien maréchal -des -logis de hussards, avait contracté, à l’armée, envers Luigi,de ces obligations qui ne s’effacent jamais du cœur d’un honnête homme. Il ; il s’était

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mis loueur de voitures et possédait quelques fiacres. L’autre, entrepreneur demaçonnerie, était le propriétaire de la maison où les nouveaux époux devaient demeurer.¶Ils Chacun d’eux se fit accompagner par un ami, puis tous quatre vinrent avec Luigiprendre la mariée. Ces gens peuPeu accoutumés aux grimaces sociales, et ne voyant rienque de très-simple dans le service qu’ils rendaient à Luigi, ces gens s’étaient habillésproprement, mais sans luxe, de manière que et rien n’annonçait qu’ils fissent partie du lejoyeux cortègecortége d’une noce. Ginevra, elle-même, s’était misese mit très-simplement, afin de se conformer à sa fortune ; cependantnéanmoins sa beauté avaitquelque chose de si noble et de si imposant, qu’à son aspect, la parole expira sur leslèvres des deux témoins, qui se croyaientcrurent obligés de lui adresser un compliment ;,ils la saluèrent avec respect, elle s’inclina. Alors ; ils la regardèrent en silence et ne surentplus que l’admirer ; mais cette . Cette réserve jeta du froid entre eux ; car la. La joie nepeut éclater que parmi des gens qui se sentent égaux. Le hasard voulut donc que tout fûtsombre et grave autour des deux fiancés, et que rien. Rien ne reflétâtrefléta leur félicité.¶Comme l’église L’église et la mairie n’étaient pas très- éloignées de l’hôtel, Luigi donnale bras à sa fiancée ; et. Les deux corses, suivis des deuxquatre témoins que leur imposaitla loi, ils voulurent y allèrent tous aller à pied, sans pompe, et avec dans une simplicitéqui dépouillaitdépouilla de tout appareil cette grande scène de la vie sociale, de toutesolennité.. Ils trouvèrent dans la cour de la mairie une foule d’équipages qui annonçaientune nombreuse compagnie. Ils , ils montèrent et arrivèrent à une grande salle où lesmariés, dont le bonheur était indiqué pour ce jour-là, attendaient assez impatiemment lemaire du quartier.¶ Ginevra alla s’asseoir avec s’assit près de Luigi au bout d’un grandbanc. Leurs et leurs témoins restèrent debout, faute de siéges.¶ Il y avait là deux sièges.Deux mariées pompeusement habillées de blanc, chargées de rubans, de dentelles, deperles, et couronnées de bouquets de fleurs d’oranger dont les frais boutons satinéstremblaient sous le leur voile diaphane dont elles étaient parées. Leurs , étaient entouréesde leurs familles joyeuses, et accompagnées de leurs mères les accompagnaient etqu’elles regardaient d’un air tout à la fois satisfait et craintif. Elles étaient entourées deleurs familles joyeuses. Toutes les jeunes filles jalouses, félicitaient les mariées, de lavoix, du geste ou du regard ; et ces dernières ne pouvaient rien voir qui ne fût embelli parelles ; car ; tous les yeux réfléchissaient leur bonheur. Chaque , et chaque figure semblaitleur prodiguer des bénédictions. Elles faisaient l’orgueil, le plaisir de leurs parens. Lespères, les témoins, les frères, les sœurs allaient et venaient. On eût dit, comme un essaimde papillons se jouant dans un rayon de soleil prêt à qui va disparaître. C’était un beauspectacle !... Il n’y avait personne qui ne sentîtChacun semblait comprendre la valeur dece moment fugitif de où, dans la vie humaine, où, le cœur se trouve entre deuxespérances : les souhaits du passé et, les promesses de l’avenir.¶ A cet aspect, Ginevrasentit son cœur se gonfler ; mais aussi elle , et pressa le bras de Luigi, et Luigi qui luilança un regard qui valait toutes les fêtes de la terre.. Une larme roula dans les yeux dujeune Corse ; carcorse, il ne comprit jamais mieux qu’alors tout ce que sa Ginevra luisacrifiait. Cette larme précieuse fit oublier à la jeune fille l’abandon dans lequel elle setrouvait. L’amour versa des trésors de lumière sur cette scène ; et alors,entre les deuxamans, dont les cœurs battaient avec force et à l’unisson,amants, qui ne virent plusqu’eux au milieu de ce tumulte. Ils : ils étaient là, seuls, dans cette foule, tels qu’ilsdevaient être dans la vie. Leurs témoins, indifférens à uneindifférents à la cérémonie dontils ignoraient l’intérêt, causaient tranquillement de leurs affaires.¶

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– L’avoine est bien chère !...., disait le maréchal-des-logis au maçon.¶– Elle n’est pas encore si renchérie que le plâtre, proportion gardée !.., répondit

l’entrepreneur.¶Et ils firent un tour dans la salle.¶– Comme on perd du temps ici !..., s’écria le maçon en remettant dans sa poche

une grosse montre d’argent.¶Luigi et Ginevra, serrés l’un contre l’autre, semblaient ne faire qu’une même

personne. C’étaitCertes, un bien puissant contraste quepoète aurait admiré ces deux têtesravissantes, unies par un même sentiment, également colorées, mélancoliques etsilencieuses, exprimant les mêmes pensées, au même moment, en présence de deux nocesbourdonnantes, devant quatre familles tumultueuses, étincelantes de parure, dediamansdiamants, de fleurs, et dont la gaîtégaieté avait quelque chose d’insolent.depassager. Tout ce que ces groupes bruyansbruyants et splendides mettaient de joie endehors, Luigi et Ginevra l’ensevelissaient au fond de leurs cœurs. C’était d’unD’un côté,le grossier fracas terrestre des corps ; du plaisir ; de l’autre, le délicat silence des joiespaisibles de l’âmeâmes joyeuses : la terre et le ciel.¶ Mais la tremblante Ginevra nepouvait tout-à-faitsut pas entièrement dépouiller les faiblesses de la femme ; et,superstitieuse. Superstitieuse comme une Italienneitalienne, elle voulut voir un présagedans ce contraste. Elle, et garda au fond de son cœur un sentiment d’effroi, invincibleautant que son amour. N’était-ce pas aussi un effet Tout à coup, un garçon de bureau à lalivrée de cette loi humainela Ville ouvrit une porte à deux battants, l’on fit silence, et savoix retentit comme un glapissement en vertu appelant monsieur Luigi de laquelle tousnos plaisirs sont empreints d’une teinte noire ?¶ Tout-à-coup, un employé ouvrit uneporte à deux battans, l’on fit silence, et sa voix retentit comme un glapissement.¶ Ilappelait M. Luigi Porta et mademoiselle Ginevra di Piombo.¶ Ce fut un moment de hontepour les deux époux. Ce moment causa quelque embarras aux deux fiancés. La célébritédu nom de Piombo, attirant attira l’attention, les spectateurs cherchèrent cetteune nocequi semblait devoir être somptueuse. Ginevra se leva, et ses regardsfoudroyansfoudroyants d’orgueil imposèrent à toute la foule. Donnant, elle donna le brasà Luigi, elle et marcha d’un pas ferme. Les deux suivie de ses témoins la suivaient.¶ . Unmurmure d’étonnement qui alla en croissant, un chuchotement général vint rappeler àGinevra que le monde lui demandait compte de l’absence de ses parens. La parents : lamalédiction paternelle la suivait partout.¶semblait la poursuivre.¶

– Attendez les familles ?, dit le maire à l’employé qui lisait promptementl’acte.¶les actes.¶

– Le père et la mère protestent ! répondit flegmatiquement le secrétaire.¶– Des deux côtés… ? reprit le maire.¶– L’époux est orphelin.¶– Où sont les témoins, les amis ?...¶ ?¶– Les voici ! répondit encore le secrétaire, en montrant les deuxquatre hommes

immobiles et muets, qui, les bras croisés, ressemblaient à deux des statues.¶– Mais, s’il y a protestation… ? dit le maire.¶– Les sommations respectueusesactes respectueux ont été légalement faites…faits

répliqua l’employé, en se levant pour transmettre au fonctionnaire les pièces annexées àl’acte de mariage.¶

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Ce débat bureaucratique avaiteut quelque chose de flétrissant. C’était et contenaiten peu de mots toute une histoire. La haine des Porta et des Piombo, de terribles passionsétaient analysées, furent inscrites sur une page de l’état civill’Etat Civil, comme, sur lapierre d’un tombeau, sont gravées, en quelques lignes, les annales d’un peuple, et souventmême en un mot : –Roberspierre – ou Napoléon.¶ Ginevra tremblait. Semblable à lacolombe qui, traversant les mers, n’avait que l’arche pour poser ses pieds, elle ne pouvaitréfugier son regard que dans les yeux de Luigi. Tout car tout était sombre triste et froidautour d’elle. Le maire avait un air improbateur et sévère ; et son commis regardait lesdeux époux avec une curiosité malveillante. Rien n’eut jamais moins l’air d’une fête.C’était comme Comme toutes les choses de la vie humaine quand elles sont dépouilléesde leurs accessoires, – une misère ; – ce fut un fait simple en lui-même, mais immensepar la pensée.¶ Enfin, après Après quelques interrogations auxquelles les épouxrépondirent, après quelques paroles marmotéesmarmottées par le maire, et après avoirsigné l’apposition de leurs nomssignatures sur le registre, Luigi et Ginevra furent unis. Ilstraversèrent, Les deux jeunes corses dont l’alliance offrait toute la tête baissée, et honteuxcomme des coupables,poésie consacrée par le génie dans celle de Roméo et Juliettetraversèrent deux haies de parensparents joyeux auxquels ils n’appartenaient pas, et quis’impatientaient presque du retard que leur causait ce mariage si triste en apparence.¶ Quand la jeune fille se trouva dans la cour de la mairie et sous le ciel, un soupirs’échappa de son sein. Elle ressemblait à une captive délivrée.¶

– Oh ! toute ma vie, toute une vie de soins et d’amour suffira-t-elle pourreconnaître le courage et la tendresse de ma Ginevra !.? lui dit Luigi.¶

A ces mots que accompagnés par des larmes de bonheur accompagnaient, lamariée oublia toutes ses souffrances ; car elle avait souffert de se présenter devant lemonde, en réclamant un bonheur que sa famille refusait de sanctionner.¶

– Pourquoi les hommes se mettent-ils donc entre nous ?.. dit-elle avec une naïvetéde sentiment qui ravit le pauvre Luigi.¶

Le plaisir rendit les deux époux plus légers ; ils . Ils ne voyaientvirent ni ciel, niterre, ni maisons, et il semblait qu’ils eussent et volèrent comme avec des ailes en allantàvers l’église.¶ Enfin ils arrivèrent à une petite chapelle obscure et devant un autel sanspompe, où un vieux prêtre, chagrin, célébra leur union.¶ Là, comme à la mairie, ilsfurent entourés par les deux noces qui les poursuivaientpersécutaient de leur éclat.L’église, pleine d’amis et de parens,parents retentissait du bruit que faisaient lescarrosses, les bedeauxbédeaux, les suisses, les prêtres. Les autels brillaient de tout le luxeecclésiastique., les couronnes de fleurs d’oranger qui paraient les statues de la Viergesemblaient être neuves. On ne voyait que fleurs, que parfums, que ciergesétincelansétincelants, que coussins de velours brodés d’or ; et les couronnes de fleursd’oranger qui paraient les statues de la Vierge avaient été renouvelées. Il semblait que.Dieu fûtparaissait être complice de cette joie d’un jour.¶ Quand il fallut tenir, au-dessusdes têtes de Luigi et de Ginevra, ce symbole d’union éternelle, ce joug de satin blanc,doux, brillant, léger pour les uns, et de plomb pour le plus grand nombre, le prêtrechercha des yeux, mais en vain, les jeunes garçons qui, d’ordinaire, remplissentjoyeusement cetce joyeux office, mais ce fut en vain ; il fallut les faire remplacer par unenfant de chœur et par le maréchal-des-logis. : deux des témoins les remplacèrent.L’ecclésiastique fit à la hâte une instruction aux époux, sur les périls de la vie, sur lesdevoirs qu’ils auraient à apprendreenseigneraient un jour à leurs enfansenfants ; et à ce

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sujet, il glissa un reproche indirect sur l’absence des parensparents de Ginevra ; puis,après les avoir unis devant Dieu, comme le maire les avait unis devant la loiLoi, il se hâtad’acheveracheva sa messe et les quitta.¶

– Dieu les bénisse ! dit le hussarddit Vergniaud au maçon sous le porche del’église. Jamais deux créatures ne furent mieux faites l’une pour l’autre. Lesparensparents de cette fille-là sont des infirmes. Je ne connais pas de soldat plus braveque le majorcolonel Louis ! Si tout le monde s’était comporté comme lui, je ne sais pasce quil’autre y serait arrivé…..¶ encore. La bénédiction du soldat, la seule qui, dans cejour, leur eût été donnée, répandit comme un baume sur le cœur de Ginevra.¶

– Adieu, mon brave ! dit Luigi au maréchal, je te remercie.¶ – Tout à votreservice, mon major, âme, individu, chevaux et voitures, tout est à vous…¶ Ils seséparèrent en se serrant la main, et Luigi remercia cordialement son propriétaire.¶

– Adieu, mon brave, dit Luigi au maréchal, je te remercie.¶– Tout à votre service, mon colonel. Ame, individu, chevaux et voitures, chez

moi tout est à vous.¶– Comme il t’aime !..l’aime ! dit Ginevra.¶Mais Luigi entraîna vivement la jeune fillesa mariée à la maison qu’ils devaient

habiter, et ils atteignirent bientôt leur modeste appartement. Là, et, là, quand la porte futrefermée, Luigi, prenant prit sa femme dans ses bras et la serrant avec force, s’écria :¶– Oh ! en s’écriant : – O ma Ginevra ! car maintenant tu es à moi, ici est la véritablefête !.. – . Ici, reprit-il, tout nous sourira !...¶

Ils parcoururent ensemble les trois chambres dontqui composaient leur logementétait composé.. La pièce d’entrée servait de salon et de salle à manger. A droite, setrouvait une chambre à coucher ;, à gauche, un grand cabinet que Luigi avait fait arrangerpour sa chère épouse. Là étaientfemme et où elle trouva les chevalets, la boîte à couleurs,les plâtres, les modèles, les mannequins, les tableaux, les cadres, les porte-feuilles,humbportefeuilles, enfin tout le mobilier de l’artiste.¶

– C’est ici que je travaillerai !.... – Je travaillerai donc là, dit-elle avec uneexpression enfantine.¶ Elle regarda long-temps la tenture, les meubles ;, et toujours ellese retournait vers Luigi, et lui souriait finement, comme pour le remercier. En effet, , caril y avait une sorte de magnificence dans ce petit réduit. Une : une bibliothèque contenaitles livres favoris de Ginevra ;, au fond était un piano.¶ – Mais, c’est ici que nousvivrons !.... dit-elle enfin.¶ Elle s’assit sur un divan, attira Luigi près d’elle, et lui serrantla main :¶ : – Tu as bon goût !..., dit-elle d’une voix caressante.¶

– Oh ! que je suisTes paroles me font bien heureux !.., dit-il.¶– Mais voyons donc tout ?.., demanda Ginevra à laquelle qui Luigi avait fait un

mystère des ornemensornements de cette retraite.¶Alors ils Ils allèrent alors vers une chambre nuptiale, toute fraîche, toute brillante,

et blanche comme une vierge, gracieuse image de leur union.¶– Oh ! sortons, sortons !.. dit Luigi en riant.¶– Mais je veux tout voir ?...¶ . Et l’impérieuse Ginevra visita l’ameublement avec

le soin curieux d’un antiquaire examinant le fruste d’une médaille. Elle , elle toucha lessoieries, elle et passa tout en revue avec le contentement naïf d’une jeune mariée quidéployedéploie les richesses de sa corbeille.¶ – Nous commençons par nous ruiner ?...,dit-elle d’un air moitié joyeux, moitié chagrin.¶ – C’est vrai ! tout l’arriéré de ma soldeest là !, répondit Luigi. Je l’ai vendu à un juifbrave homme nommé Gigonnet.¶

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– Pourquoi ?... reprit-elle d’un ton de reproche où perçait une satisfaction secrète.Crois-tu que je serais moins heureuse sous un toit ?... ? Mais, reprit-elle, tout cela estbien joli…, et c’est à nous !...¶ . Luigi la contemplait avec tant d’enthousiasme qu’ellebaissa les yeux et lui dit :¶ : – Allons voir le reste !¶.¶

Au-dessus de ces trois chambres et , sous les toits, il y avait un cabinet pourLuigi, une cuisine et une chambre de domestique. Ginevra fut très-satisfaite de son petitdomaine. La , quoique la vue s’y trouvait bientrouvât bornée par le large mur d’unemaison voisine, et que la cour d’où venait le jour, était bien fût sombre et étroite ; mais .Mais les deux amansamants avaient le cœur si joyeux, et mais l’espérance leurembellissait si bien l’avenir, qu’ils ne purent jamais voulurent apercevoir que decharmantes images dans leur mystérieux asile. Ils étaient au fond de cette vaste maison etperdus dans l’immensité de Paris, comme deux perles, dans leur nacre, au sein desprofondes mers. Pour : pour tout autre, c’eût été une prison ;, pour eux, ce fut unparadis.¶ Les premiers jours de leur union appartinrent à l’amour. Il leur était fut tropdifficile de se vouer tout- à- coup à un au travail assidu, et ils ne surent pas résister aucharme de leur propre passion. Luigi restait des heures entières couché aux pieds de saGinevrafemme, admirant la couleur de ses cheveux, la coupe de son front, le ravissantencadrement de ses yeux, et la pureté, la blancheur des deux arcs sous lesquels ilss’agitaientglissaient lentement en exprimant le bonheur d’un amour satisfait ; tandis que .Ginevra caressait la chevelure de son Luigi, ne sans se lassant jamais de voir ce qu’ellenommaitlasser de contempler, suivant une de ses expressions, la beltà folgorante de sonépouxce jeune homme, la finesse de ses traits ; et toujours plus séduite par la noblesse deses manières de même qu’, comme elle le séduisait toujours par la grâce entraînante dessiennes. Ils jouaient comme des enfansenfants avec des riens, et ces riens les ramenaienttoujours à leur passion ;, et ils ne cessaient leurs jeux que pour tomber dans toute larêverie du far niente. Alors, unUn air chanté par Ginevra, leur reproduisait encore lesineffables joies, les nuances délicieuses de leur amour. Puis, ils allaient, unissant leurspas comme ils avaient uni leurs âmes, parcourantils parcouraient les campagnes, en yretrouvant leur amour partout :, dans les fleurs, sur les cieux, au sein des teintes ardentesdu soleil couchant ; ils le lisaient jusques sur les nuées capricieuses qui se combattaientdans les airs. Une journée ne ressemblait jamais à la précédente, car leur amour allaitcroissant parce qu’il était vrai. Ils s’étaient éprouvés en peu de jours, et ils avaientinstinctivement reconnu que leurs âmes étaient de celles dont les richesses inépuisablessemblent toujours promettre de nouvelles jouissances pour l’avenir. C’était l’amour danstoute sa naïveté, avec ses interminables causeries, ses phrases inachevées, ses longssilences, son repos oriental et sa fougue. Luigi et Ginevra avaient tout compris del’amour. N’estL’amour n’est-il pas comme la mer qu’on voit en un moment, que qui, vuesuperficiellement ou à la hâte, est accusée de monotonie par les âmes vulgaires accusentde monotonie ;, tandis, que ça et là, dans la foule, descertains êtres privilégiés peuventpasser leur vie à l’admirer, y découvrant en y trouvant sans cesse dechangeanschangeants phénomènes qui les ravissent.¶ ?¶

Cependant, un jour, la prévoyance vint tirer les jeunes époux de leur Eden. Il leur , il était devenu nécessaire de travailler pour vivre.¶ Ginevra, qui avaitpossédait un talentparticulier pour imiter les vieux tableaux, se mit à faire des copies. Elle et se formabientôt une clientèle parmi les brocanteurs.¶ De son côté, Luigi chercha très- activementde l’occupation ; mais il était bien fort difficile à un jeune officier, dont tous les

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talenstalents se bornaient à bien connaître la stratégie, de trouver de l’emploi à Paris.Enfin, un jour que, lassé de ses vains efforts, il avait le désespoir dans l’âme, en voyantque le fardeau de leur existence n’était supporté que par tombait tout entier sur Ginevra,il songea à tirer parti d’un bien faible talent qu’il possédait. Son de son écriture , qui étaitfort belle, et il avait le don d’ecrire aussi vite que bien.. Avec une constance dont safemme lui donnait l’exemple lui était donnée par sa femme, il alla solliciter les avoués,les notaires, les avocats de Paris. La franchise de ses manières, sa situation, intéressèrentvivement en sa faveur. Il , et il obtint assez de copies et d’expéditions pour être obligé dese faire aider par des jeunes gens. Insensiblement il éleva un bureau d’écritures qui eutune certaine vogue. Insensiblement il entreprit les écritures en grand. Le produit de cebureau et, le prix des tableaux de Ginevra, finirent par mettre le jeune ménage dans uneaisance dont les deux époux étaient fiersqui le rendit fier, car ce bien-être elle provenaitde leur son industrie.¶ Ce fut pour eux le plus beau moment de leur vie. Les journéess’écoulaient rapidement entre les occupations et les joies de l’amour. Le soir, quand ilsavaientaprès avoir bien travaillé, ils se retrouvaient avec bonheur, dans la petite cellule deGinevra. La musique les consolait de leurs fatigues. Alors jamais Jamais une expressionde mélancolie ne venait vint obscurcir les traits de la jeune femme, et jamais elle ne sepermit une plainte. Elle savait toujours apparaître à son Luigi, le sourire sur les lèvres, etles yeux rayonnans de joie.rayonnants. Tous deux caressaient une pensée dominante quileur eût fait trouver du plaisir aux occupations travaux les plus rudes. : Ginevra se disaitqu’elle travaillait pour Luigi ;, et Luigi, pour Ginevra. Parfois, en l’absence de son mari,la jeune femme son- geait au bonheur parfait qu’elle aurait eu, si cette vie d’amour s’étaitécoulée en présence de son père et de sa mère ; et alors , elle tombait alors dans unemélancolie profonde. Elle éprouvait toute en éprouvant la puissance des remords. De ;de sombres tableaux passaient comme des ombres dans son imagination : c’était ellevoyait son vieux père seul, ou sa mère pleurant le soir, et dérobant ses larmes àl’inflexible Piombo ; ces deux têtes blanches et graves, elle les voyait quelquefois sedresserdressaient soudain devant elle, et il lui semblait qu’elle ne devait plus lescontempler qu’à la lueur fantastique du Souvenir.souvenir. Cette idée la poursuivaitcomme un pressentiment.¶ Elle célébra l’anniversaire de son mariage en donnant à sonmari un portrait qu’il avait souvent désiré. C’était, celui de sa Ginevra. Jamais la jeuneartiste n’avait rien composé d’ausde si remarquable. A part une ressemblance parfaite,l’éclat de sa beauté, la pureté de ses sentimenssentiments, le bonheur de l’amour y étaientrendus avec une sorte de magie. Le chef-d’œuvre fut inauguré.¶ Ils passèrent encore uneautre année au sein de l’aisance. Alors l’histoireL’histoire de leur vie peut se faire alorsen trois mots : ils Ils étaient heureux. Il ne leur arriva donc aucun événement qui mérited’être rapporté.¶

Au commencement de l’hiver de l’année 18171819, les marchands de tableauxconseillèrent à Ginevra de leur donner autre chose que des copies, parce qu’car ils nepouvaient plus les vendre. Alors madame Luigi avantageusement par suite de laconcurrence. Madame Porta reconnut le tort qu’elle avait eu de ne pas s’exercer à peindredes tableaux de genre. Elle aurait qui lui auraient acquis un nom. Elle essaya ; mais ilfallut des modèles. Elle, elle entreprit aussi de faire des portraits ; mais elle eut à luttercontre une foule d’artistes encore moins riches qu’elle. ne l’était. Cependant, commeLuigi et Ginevra avaient amassé quelque argent, ils ne désespérèrent pas de l’avenir.¶ Ala fin de l’hiver, au mois d’avril 1818 de cette même année, Luigi travaillait sans

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relâche ; mais il avait tant de concurrens, et . Lui aussi luttait contre des concurrents : leprix des écritures était avait tellement baissé, qu’il ne pouvait plus employer personne, etil se trouvait dans la nécessité de consacrer plus de temps qu’autrefois à son labeur pouren retirer la même somme.¶ Sa femme avait fini plusieurs tableaux qui n’étaient pas sansmérite ; mais les marchands n’achetaient même pasachetaient à peine ceux des artistes enréputation., Ginevra les offrit à vil prix, sans pouvoir les vendre.¶ Leur La situation étaitde ce ménage eut quelque chose d’épouvantable. Leurs : les âmes des deux épouxnageaient dans le bonheur ;, l’amour les accablait de ses trésors, et la Pauvreté se levaitcomme un squelette au milieu de cette moisson de plaisirs. Ils, et ils se cachaient l’un àl’autre leurs inquiétudes. C’était auAu moment où Ginevra se sentait prête à près depleurer en voyant son Luigi souffrir, qu’elle souffrant, elle le comblait de caresses ; de.De même que Luigi gardait un noir chagrin au fond de son cœur, en exprimant à Ginevrale plus tendre amour. Il semblait qu’ils trouvassentIls cherchaient une compensation àtous leurs maux dans l’exaltation de leurs sentimens ; et alors sentiments, et leurs paroles,leurs joies, leurs jeux étaient empreintss’empreignaient d’une espèce de frénésie. Ilsavaient peur de l’avenir. Or, quelQuel est le sentiment dont la force puisse se comparer àcelle d’une passion qui doit cesser le lendemain, tuée par la Mortmort ou par laNécessité ?nécessité ? Quand ils se parlaient de leur indigence, c’était en riant. Ils ilséprouvaient le besoin de se tromper l’un et l’autre, et tous deux saisissaient avec uneégale ardeur le plus léger espoir.¶ Une nuit, Ginevra chercha vainement Luigi auprèsd’elle. Elle , et se leva tout effrayée. Une faible lueur qui se dessinait surreflétée par lemur noir de la petite cour, lui fit deviner que Luigi son mari travaillait pendant la nuit. IlLuigi attendait que sa femme fût endormie avant de monter à son cabinet. Quatre heuressonnèrent. Le jour commençait à poindre., Ginevra se recoucha, et feignit de dormir.,Luigi revint. Il était accablé de fatigue et de sommeil. Elle, et Ginevra regardadouloureusement cette belle figure sur laquelle les travaux et les soucis imprimaient déjàquelques rides. Des larmes roulèrent dans les yeux de la jeune femme.¶

– C’est pour moi, dit-elle, qu’il passe lesdes nuits à écrire…¶, dit-elle enpleurant.¶

Une pensée vint séchersécha ses larmes. Elle songeait à imiter Luigi.¶ Le jourmême, elle alla chez un riche marchand d’estampes, et à l’aide d’une lettre derecommandation qu’elle se fit donner par un brocanteur pour le négociant par ElieMagus, un de ses marchands de tableaux, elle en obtint l’une entreprise de ses coloriages.Le jour, elle peignait et s’occupait des soins du ménage. Puis ; puis quand la nuit arrivait,elle coloriait des gravures. Ainsi, cesCes deux jeunes gens,êtres épris d’amour,n’entraientn’entrèrent alors au lit nuptial que pour en sortir. Ils Tous deux ils feignaienttous deux de dormir, et, par dévouement, se quittaient aussitôt que l’un avait trompél’autre.¶ Une nuit, Luigi succombant à l’espèce de fièvre que lui causaitcausée par untravail sous le poids duquel il commençait à succomber, se leva pour ouvrir la petiteplier, ouvrit la lucarne de son cabinet. Il respirait pour respirer l’air pur du matin, etsemblait oubliersecouer ses douleurs à l’aspect du ciel, quand, en abaissant ses regards, ilaperçut une forte la lueur projetée sur le mur qui faisait face aux fenêtres del’appartement de Ginevra. Ilpar la lampe de Ginevra, le malheureux, qui devina tout. Il ,il descendit, marcha doucement et surprit sa femme au milieu de son atelier, enluminantdes gravures.¶

– Oh ! Ginevra ! Ginevra !... s’écria-t-il.¶

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Elle fit un saut convulsif sur sa chaise et rougit.¶ – Pouvais-je dormir, dit-elle,tandis que tu t’épuisais de fatigue ? dit-elle.¶

– Mais c’est à moi seul qu’appartient le droit de travailler ainsi.¶– Puis-je rester oisive, répondit la jeune épouse femme dont les yeux se

mouillèrent de larmes, quand je sais que chaque morceau de pain nous coûte presque unegoutte de ton sang !..? Je mourrais si je ne joignais pas mes efforts aux tiens…. Tout nedoit-il pas être commun entre nous, plaisirs et peines…¶ ?¶

– A-t-elle – Elle a froid !.., s’écria Luigi avec désespoir. Ferme donc mieux tonschallchâle sur ta poitrine, ma Ginevra, la nuit est humide et fraîche…¶.¶

Ils vinrent devant la fenêtre. La, la jeune femme était dans les bras de son mari.Elle appuya sa tête sur le sein de son bien-aimé ;aimé qui la tenait par la taille, et, tousdeux ensevelis dans un silence profond, regardèrent le ciel qui s’que l’aube éclairaitlentement. Des nuages d’une teinte grise se succédaientsuccédèrent rapidement, et lalueur, grandissant à l’orient, devenait devint de plus en plus vivelumineux.¶

– Vois-tu, dit Ginevra, c’est un présage ! Nous : nous serons heureux.¶– Oui, au ciel !....., répondit Luigi avec un sourire amer. – Oh,O Ginevra ! toi qui

méritais tous les trésors de la terre !..¶...¶– J’ai ton cœur !..., dit-elle avec un accent de joie.¶– Ah ! je ne me plains pas, reprit-il en la serrant fortement contre lui. Et il couvrit

de baisers ce visage délicat qui commençait à perdre la fraîcheur de la jeunesse ;, maisdont l’expression était si tendre et si douce, qu’il ne pouvait jamais le voir sans êtreconsolé.¶

– Quel silence ! dit Ginevra. Mon ami, je trouve un grand plaisir à veiller ! Il y aquelque chose. La majesté de majestueux dans la nuit. Il est vraiment contagieuse, elleimpose, elle inspire, il y a je ne sais quelle puissance dans cette idée : tout dort et jeveille !...¶

– Oh ! ma Ginevra !, ce n’est pas d’aujourd’hui que je sens tout ce qu’il y a degracieux et de délicat danscombien ton âme !... mais âme est délicatement gracieuse !Mais voici l’aurore, viens dormir.¶

– Oui, répondit-elle, si je ne dors pas seule…. Oh ! que j’ai. J’ai bien souffert lanuit où je me suis aperçue que mon Luigi veillait sans moi !...¶!¶

Le courage avec lequel ces deux jeunes époux gens combattaient le malheur,reçut pendant quelque temps sa récompense ; mais l’événement qui metordinairementpresque toujours le comble à la félicité des ménages, devait leur devint êtrefuneste.¶ : Ginevra eut un fils. Il était qui, pour se servir d’une expression populaire, futbeau comme le jour. Le sentiment de la maternité doubla les forces de la jeune femme.Luigi emprunta pour subvenir aux dépenses des couches de Ginevra, de sorte que dans.¶

Dans les premiers momensmoments, elle ne sentit donc pas tout le malaise de sasituation.¶ Ils , et les deux époux se livrèrent tous deux au bonheur d’élever un enfant ;mais ce. Ce fut leur dernière félicité.¶ Ils luttèrent d’abord courageusement, commeComme deux nageurs, qui unissent leurs efforts pour rompre un courant, les deux corsesluttèrent d’abord courageusement ; mais parfois aussi, ils s’abandonnaient à une apathie,semblable à ces sommeils qui précèdent la mort. Bientôt ; et bientôt ils se virent obligésde vendre leurs bijoux. La Pauvreté se montra tout- à- coup, non pas hideuse, mais vêtuesimplement. Elle était, et presque douce et à supporter, sa voix n’avait rien d’effrayant.Elle , elle ne traînait après elle ni désespoir, ni lambeaux, ni spectres ;, ni haillons, mais

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elle faisait perdre le souvenir et les habitudes de l’aisance. Elle ; elle usait les ressorts del’orgueil. Puis, vint la Misère dans toute son horreur, insouciante de ses haillonsguenilleset foulant aux pieds tous les sentimenssentiments humains ; mais il est de nobles âmesqui ne balancent jamais à l’aspect des tableaux qu’elle déroule…¶ . Sept ou huit moisaprès la naissance du petit PaoloBartholoméo, l’on aurait eu de la peine à reconnaîtredans une la mère allaitant un qui allaitait cet enfant malingre, l’original de cetl’ admirable portrait, devenu le seul ornement d’une chambre nue et déserte. Ginevra étaitsans. Sans feu, au milieu de l’hiver. Les par un rude hiver, Ginevra vit les gracieuxcontours de sa figure avaient disparu. Ses se détruire lentement, ses jouesétaientdevinrent blanches comme de la porcelaine et ses yeux semblaient avoir pâli. Elleregardaitpâles comme si les sources de la vie tarissaient en pleurantelle. En voyant sonenfant amaigri, décoloré, et elle ne souffrait que de cette jeune misère. , et Luigi deboutet silencieux n’avait pasplus le courage de sourire à son fils.¶

– J’ai couru tout Paris !....., disait-il d’une voix sourde ; mais, je n’y connaispersonne, et comment oser demander à des indifférens…. Hardyindifférents ? Vergniaud,le nourrisseur, mon pauvre Hardy, le brave maréchal-des-logisvieil Egyptien, estimpliqué dans une conspiration et , il a été mis en prison ! – D’ailleurs, et d’ailleurs, ilm’a prêté tout ce dont il pouvait disposer !. Quant à notre propriétaire ?.. Il, il ne nous arien demandé depuis un an…¶.¶

– Mais nous n’avons besoin de rien….., répondit doucement Ginevra en affectantun air calme.¶

– Chaque jour qui arrive, reprit Luigi avec terreur, amène une difficulté deplus…¶, reprit Luigi avec terreur.¶

La faim était à leur porte.¶ Luigi prit tous les tableaux de Ginevra, le portrait,plusieurs meubles dont on desquels le ménage pouvait encore se passer, etil vendit tout àvil prix. La, et la somme qu’il en obtint prolongea l’agonie du ménage pendant quelquesmomens.¶ Ce fut dansmoments. Dans ces jours de malheur que, Ginevra montra toute lasublimité de son caractère et l’étendue de sa résignation. Elle supportait héroïquement,elle supporta stoïquement les atteintes de la dou- leur. Son ; son âme énergique lasoutenait contre tous les maux. Elle, elle travaillait d’une main défaillante, auprès de sonfils mourant. Elle, expédiait les soins du ménage avec une activité miraculeuse, etsuffisait à tout. Elle était même heureuse encore, quand elle voyait, sur les lèvres deLuigi, un sourire d’étonnement à l’aspect de la propreté qu’elle faisait régner dansl’unique chambre où ils s’étaient réfugiés.¶

– Mon ami, je t’ai gardé ce morceau de pain, lui dit-elle un soir qu’il rentraitfatigué, je t’ai gardé ce morceau de pain.¶

– Et toi ?¶– Moi, j’ai dîné ! Cher, cher Luigi, je n’ai besoin de rien. Prends !...¶Et la douce expression de son visage, le pressait encore plus que sa parole,

d’accepter une nourriture dontde laquelle elle se privait.¶ , Luigi l’embrassa. C’était parun de ces baisers de désespoir, qui se donnaient, en 1793, entre amansamis à l’heure oùl’on montaitils montaient ensemble à l’échafaud. En ces momensmoments suprêmes,deux êtres se voient cœur à cœur. Aussi, le malheureux Luigi, comprenant tout- à- coupque sa femme était à jeun, partagea -t-il la fièvre qui la dévorait. Alors, il frissonna et,sortit en prétextant une affaire pressante.¶ Il , car il aurait mieux aimé prendre le poisonle plus subtil, plutôt que d’éviter la mort en mangeant le dernier morceau de pain qui se

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trouvait chez lui. Il sortit sans satisfaire sa faim, et se mit à errer dans Paris au milieu desvoitures les plus brillantes, au sein de ce luxe insultant qui éclate partout. Il ; il passavitepromptement devant les boutiques des changeurs où l’or étincelait. Enfinétincelle ;enfin, il résolut de se vendre, de s’offrir comme remplaçant pour le service militaire, enespérant que ce sacrifice sauverait Ginevra ;, et que, pendant son absence, elle pourraitrentrer en grâce auprès de Bartholoméo.¶ Il alla donc trouver un de ces hommes qui fontla traite des blancs, et il éprouva une sorte de bonheur à reconnaître en lui un ancienofficier de la garde impériale.¶

– Il y a deux jours que je n’ai mangé, lui dit-il, d’une voix lente et faible, que jen’ai mangé ! Ma ma femme meurt de faim. Elle , et ne m’adresse pas une plainte. Elle ,elle expirerait en souriant, je crois…. De grâce, mon camarade, ajouta-t-il avec un sourireamer, achète-moi d’avance. Je , je suis robuste, je ne suis plus au service, et je....¶

L’officier donna une somme à Luigi, en à -compte sur celle qu’il s’engageait à luiprocurer.¶ L’infortuné poussa un rire convulsif, quand il tint une poignée de piècesd’or… Il , il courut de toute sa force vers sa maison, haletant, et criant parfois : – Oh !ma Ginevra ! Ginevra !¶ Il commençait à faire nuit quand il arriva chez lui. Il entra toutdoucement, craignant de donner une trop forte émotion à sa femme, qu’il avait laisséetrès-faible. Les derniers rayons du soleil pénétrant par le haut des fenêtres,la lucarnevenaient mourir sur le visage de Ginevra qui dormait assise sur une chaise. Elle tenait entenant son enfant sur son sein et le serrait fortement.¶

– Réveille-toi, ma chère Ginevramon âme, dit-il sans s’apercevoir de la pose deson enfant qui, en dans ce moment, conservait un éclat surnaturel.¶

AEn entendant cette voix, la pauvre mère ouvrit les yeux ; et, rencontrant ,rencontra le regard de Luigi, elle et sourit ;, mais Luigi jeta un cri d’épouvante, carGinevra était tout-à-fait changée, et c’était : à peine s’il la reconnaissait. Il lui montrareconnut-il sa femme quasi folle à qui par un geste d’une sauvage énergie, il montra l’orqu’il avait à la main. La jeune femme. Ginevra se mit à rire machinalement ; mais, ettout- à- coup elle s’écria d’une voix affreuse :¶ : – Louis ! mon l’ enfant est froid !......¶ . Elle regarda son fils et s’évanouit ; car il: le petit Barthélémy était mort.¶ Luigi prit safemme dans ses bras en lui laissant son sans lui ôter l’enfant qu’elle serrait avec uneforce incompréhensible ; puis, l’ayantet après l’avoir posée sur le lit, il sortit pour appelerau secours.¶

– Oh ! mon Dieu ! dit-il à son propriétaire qu’il rencontra sur l’escalier, j’ai del’or , et mon enfant est mort de faim. – Sa, sa mère se meurt et j’étouffe…. Aidez, aidez-nous….¶ ?¶

Il revint comme un désespéré vers Ginevrasa femme, et laissa l’honnête maçons’occupantoccupé, ainsi que plusieurs voisins, de rassembler tout ce qui pouvait soulagerune misère inconnue jusqu’alors, tant les deux épouxcorses l’avaient soigneusementcachée par un sentiment d’orgueil. Luigi avait jeté son or sur le plancher, et s’étaitagenouillé au chevet du lit où gisait Ginevra.¶sa femme.¶

– Mon père, s’écriait-elle dans son délire, prenez soin de mon fils et de Luigi…¶ !prenez soin de mon fils qui porte votre nom, s’écriait Ginevra dans son délire.¶

– Oh ! mon ange, ! calme-toi, lui disait Luigi en l’embrassant, de beaux joursnous attendent.¶

Cette voix et cette caresse lui rendirent quelque tranquillité.¶

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– Oh ! mon Louis, ! reprit-elle en le regardant avec une attention extraordinaire,écoute-moi bien ?. Je sens que je meurs, mais cela. La mort est tout naturelnaturelle, jesouffrais trop – , et puis – un bonheur aussi grand que le mien, ne pouvait devait se payerque par la mort. – . Oui, mon Luigi, console-toi ! – . J’ai été si heureuse…, que si jerecommençais à vivre, j’accepterais encore notre destinée !.... Je suis une mauvaisemère ; car: je te regrette encore plus que je ne regrette mon enfant…¶ . – Mon enfant !,ajouta-t-elle d’un son de voix profond. Deux larmes se détachèrent de ses yeuxmouransmourants, et soudain elle pressa le cadavre qu’elle n’avait pu réchauffer.¶ – Donne ma chevelure à mon père, en souvenir de sa Ginevra, reprit-elle, dis. Dis-luibien que je ne l’ai jamais accusé....¶ Sa tête tomba sur le bras de son époux.¶

– Non, tu ne peux pas mourir !, s’écria Luigi. Le , le médecin va venir…. Nousavons du pain ! – . Ton père va te recevoir en grâce. La prospérité s’est levée pour nous.Reste, mon avec nous, ange de bonté !...¶ beauté ! Mais ce cœur fidèle et plein d’amourdevenait froid., Ginevra tournait instinctivement les yeux vers celui qu’elle adorait, maiselle n’était presque quoiqu’elle ne fût plus sensible à rien. Des : des images confusess’offraient à son esprit, prêt à près de perdre tout souvenir de la terre. Cependant elle Ellesavait que Luigi était là ;, car elle serrait toujours plus fortement la sa main glacée, qu’illui avait abandonnée. Elle et semblait vouloir se retenir au-dessus d’un précipice où ellecroyait tomber.¶

– Mon ami, dit-elle enfin, tu as froid, je vais te réchauffer là.¶Elle voulut mettre la main de son mari sur son cœur ;, mais elle expira.¶ Deux

médecins, des prêtresun prêtre, des voisins, entrèrent en ce moment en apportant tout cequi était nécessaire pour sauver les deux époux et calmer leur désespoir.¶ Ils Cesétrangers firent beaucoup de bruit d’abord ;, mais quand ils furent tous entrés, un affreuxsilence régna dans cette chambre.¶

¶ ¶ LE CHATIMENT.¶ ¶ Pendant que cette scène avait lieu, Bartholoméo et sa femmeétaient assis dans leurs fauteuils antiques, chacun à un coin de la vaste cheminée dontl’ardent brasier réchauffait à peine l’immense salon de leur hôtel.¶ La pendule marquaitminuit.¶ Depuis long-temps les deux époux avaient temps le vieux couple avait perdu lesommeil.¶ En ce moment, ils étaient silencieux comme deux vieillards tombés enenfance et qui regardent tout sans rien voir.¶ Leur salon désert, mais plein de souvenirspour eux, était faiblement éclairé par une seule lampe qu’il laissaient près de mourir ; et,sans. Sans les flammes pétillantes du foyer, ils eussent été dans une obscurité complète.¶ Un de leurs amis venait de les quitter.¶ La , et la chaise, sur laquelle il s’était assispendant sa visite, se trouvait entre les deux époux.¶ corses. Piombo avait déjà jeté plusd’un regard sur cette chaise. Ces , et ces regards étaient autantpleins d’idées. Ils sesuccédaient comme des remords.¶ La , car la chaise vide était celle de Ginevra.¶ MariaElisa Piombo épiait les expressions qui passaient sur la blanche figure de son mari, maisbien . Quoiqu’elle fût habituée à deviner les sentimenssentiments du Corsecorse, d’aprèsles changeantes révolutions de ses traits, ils étaient tour à tour si menaçansmenaçants et simélancoliques, qu’elle ne pouvait plus lire dans cette âme incompréhensible.¶

Bartholoméo succombait-il sous les puissanspuissants souvenirs que réveillaitcette chaise ?¶ Etait était-il choqué de voir qu’elle venait de servir pour la première fois àun étranger, depuis le départ de sa fille ?¶ L’heure l’heure de sa clémence, cette heure sivainement attendue jusqu’alors, avait-elle sonné ?¶

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Telles furent lesCes réflexions qui agitèrent successivement le cœur deMariad’Elisa Piombo. Il y eutPendant un instant où la physionomie de son mari devint siterrible, qu’elle trembla d’avoir osé employer une ruse même aussi simple pour fairenaître l’occasion de parler de Ginevra.¶ En ce moment, la bise chassa si violemment lesflocons de neige sur les persiennes, que les deux vieillards entendirent un purent enentendre le léger bruissement.¶ Alors la La mère de Ginevra frissonna et baissa la têtepour dérober ses larmes à l’implacable Piombo.¶ son mari. Tout- à- coup un soupir sortitde la poitrine du vieillard. Sa , sa femme le regarda, il était abattu. Alors, elle osa parlerde sa fille hasarda pour la seconde fois, depuis trois ans, à lui parler de sa fille.¶

– Si Ginevra avait froid !..; s’écria-t-elle doucement.¶ Piombo tressaillit.¶ – Ellea peut-être faim !..., dit-elle en continuant.¶ Le Corsecorse laissa échapper une larme.¶– Je sais – Elle a un enfant, et ne peut pas le nourrir, son lait s’est tari, reprit vivement lamère avec l’accent du désespoir, qu’elle a un enfant et qu’elle ne peut pas le nourrir,parce que son lait s’est tari.¶

– Qu’elle vienne ! qu’elle vienne !, s’écria Piombo. Oh ! mon enfant chéri ! Monenfant, tu m’as vaincu ! Ginevra !...¶

La mère se leva comme pour aller chercher sa fille.¶ En ce moment, la portes’ouvrit avec fracas ;, et un homme, dont le visage n’avait plus rien d’humain, surgittout- à- coup devant eux.¶

– Morte ! Nos deux familles devaient s’exterminer l’une par l’autre, cria-t-il.– Morte ! morte !...tout….¶ Puis, car voilà tout ce qui reste d’elle, dit-il en posant sur unetable la longue chevelure noire de Ginevra :¶.¶

– Voilà tout ce qui reste d’elle !..¶ Les deux vieillards frissonnèrent comme s’ilseussent reçu une commotion de la foudre. Comme ils ne voyaient, et ne virent plus Luigi,cette scène avait le caractère d’une épouvantable apparition.¶

– Il nous épargne un coup de feu, car il est mort !.., s’écria lentementBartholoméo en regardant à terre.¶

– Et notre fille aussi ! répondit la mère en se levant par un mouvement saccadé.Puis elle fit trois pas.¶ Piombo resta debout, immobile, les yeux secs.¶ – Rien ! dit-ild’une voix sourde en contemplant les cheveux. – Plus rien !.. Et seul !...¶ Paris, janvier 1830.¶

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Comparaison entre Les Dangers de

l'inconduite de 1830 et Gobseck dans le

«  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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Comparaison entre Les Dangers de

l'inconduite de 1830 et Gobseck dans le

«  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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II E SCÈNE.¶ LES DANGERS DE L’INCONDUITE.¶

GOBSECK¶A MONSIEUR LE BARON BARCHOU DE PENHOEN.¶

Parmi tous les élèves de Vendôme, nous sommes je crois, les seuls qui se sont retrouvés aumilieu de la carrière des lettres, nous qui cultivions déjà la philosophie à l’âge où nous nedevions cultiver que le De viris ! Voici l’ouvrage que je faisais quand nous nous sommes revus,et pendant que tu travaillais à tes beaux ouvrages sur la philosophie allemande. Ainsi nousn’avons manqué ni l’un ni l’autre à nos vocations. Tu éprouveras donc sans doute à voir ici tonnom autant de plaisir qu’en a eu à l’y inscrire.¶ Ton vieux camarade de collége,¶ DE BALZAC.¶1840.¶

—¶¶

LA soirée finissait toujours assez tard chez madame la vicomtesse de Grandlieu. Pendant unenuit de A une heure du matin, pendant l’hiver dernierde 1829 à 1830, il se trouvait encore à uneheure du matin dans son le salon de la vicomtesse de Grandlieu deux personnes étrangères à safamille. Un jeune et très-joli homme sortit en entendant sonner la pendule. Quand le bruit de sala voiture retentit au-dehors, madame de Grandlieu jeta dans la cour, la vicomtesse ne voyantplus que son frère et un regard inquiet autour d’elle ; et, s’apercevant qu’ il ne restait plus quedeux hommes assis à une table d’écarté, elle ami de la famille qui achevaient leur piquet,s’avança vers sa fille comme pour lui parler.¶

C’était une jeune personne élégamment mise, charmante, et qui, debout, devant lacheminée du salon, semblait examiner un garde-vue en lithophanie, et qui écoutait le bruit quefaisait le du cabriolet dans la rue, tout en ayant l’air d’examiner un beau garde-vue enlithophanie, nouveauté qui venait de paraître.¶de manière à justifier les craintes de sa mère.¶– Camille, dit la vicomtesse en regardant sa fille avec attention, je vous préviens que si vouscontinuez à tenir avec le jeune comte de Restaud la conduite que vous avez eue ce soir, je vousm’obligerez à ne plus le recevrai plus chez moi….¶ – Maman.…¶

– Assez, Camille.… Ecoutez moi, vous êtes fille unique, vous êtes riche ; or, vous nedevez pas songer à épouser un jeune homme qui n’a aucune espèce de fortune. Vous avezconfiance en moi, ma chère enfant, laissez-moi donc un peu vous conduire dans la vie. Ce n’estpas à recevoir. Ecoutez, mon enfant, si vous avez confiance en ma tendresse, laissez-moi vousguider dans la vie. A dix-sept ans l’on peut ne sait juger ni de l’avenir, ni du passé, ni decertaines convenances.…considérations sociales. Je ne vous ferai qu’une seule observation.– ErnestMonsieur de Restaud a une mère qui mangerait des millions. Il l’adore et la soutientavec une piété filiale digne des plus grands éloges, il a surtout un soin extrême de son frère et desa sœur, ce , une femme mal née, une demoiselle Goriot qui estjadis a fait beaucoup parlerd’elle. Elle s’est si mal comportée avec son père qu’elle ne mérite certes pas d’avoir un si bonfils. Le jeune comte l’adore et la soutient avec une piété filiale digne des plus grands éloges ; il asurtout de son frère et de sa sœur un soin extrême. – Quelque admirable que soit cette conduite,ajouta la comtesse d’un air fin ; mais, tant que sa mère existera, toutes les familles tremblerontde confier à ce petit Restaud l’avenir et la fortune d’une jeune fille à M. le comte de Restaud.¶– J’ai entendu quelques mots qui me donnent envie d’intervenir entre vous et mademoiselleCamille !....de Grandlieu, s’écria un des deux hommes occupés à faire une partie d’écarté.¶

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l’ami de la famille. – J’ai gagné, M.monsieur le marquis…comte, dit-il en s’adressant àson adversaire, je vais. Je vous laisser laisse pour courir au secours de votre nièce !...¶

– Voilà ce qui s’appelle avoir des oreilles d’avoué !...., s’écria la vicomtesse.CommentMon cher Derville, comment avez-vous pu m’écouter ? j’ai parlé presqu’à l’oreille deCamille.¶entendre ce que je disais tout bas à Camille ?¶– J’ai entendu par les yeux !compris vos regards, répondit l’avoué en s’approchant du feu.¶

Il s’assitDerville en s’asseyant dans une bergère au coin de la cheminée ; le viel oncle deCamille.¶

L’oncle se mit à côté d’elle ;de sa nièce, et madame de Grandlieu prit place sur unechaise qui se trouvait chauffeuse, entre la bergère de l’avoué et la petite causeuse sur laquelleétaient sa fille et l’oncle.¶Derville.¶

– Il est temps, dit l’avouémadame la vicomtesse, que je vous conte une histoire, qui auradeux mérites : d’abord elle présentera de fortes leçons à mademoiselle Camille ; puis, elle vousfera modifier le jugement que vous portez sur la fortune d’Ernest……¶du comte Ernest deRestaud.¶

– Une histoire !... s’écria Camille, oh ! commencez vite, mon bon ami….¶. Commencezdonc vite, monsieur.¶L’avoué Derville jeta sur madame de Grandlieu un regard qui lui fit comprendre à la vicomtessetout l’intérêt que pourrait avoir ce récit.¶ devait l’intéresser. La vicomtesse de Grandlieu, étantétait par sa fortune et par l’antiquité de son nom, une des femmes les plus remarquables dufaubourg Saint-Germain, l’une des plus riches, l’une des mieux pensantes, l’une des plus nobles, ; et, s’il ne doitsemble pas sembler très-naturel qu’un petit avoué de Paris pût lui parlâtausparler si familièrement et se comportât chez elle d’une manière si cavalière, chez elle.Cependant il n’est pas difficileil est néanmoins facile d’expliquer ce rare phénomène de la viearistocratique.¶ . Madame de Grandville était Grandlieu, rentrée en France avec la familleroyale. Elle , était venue habiter Paris, où elle n’avait d’abord vécu fort modestement, grâces auxque de secours que accordés par Louis XVIII lui avait accordés sur les fonds de la listecivile.Liste Civile, situation insupportable. L’avoué ayant eu eut l’occasion de découvrir desquelques vices de forme dans la vente que la république avait jadis faite de l’hôtel de Grandlieu,et prétendit qu’il devait être restitué à la vicomtesse. Il avait entrepris le procès à ses risques etpérils, l’avait gagné et avait rendu cette propriété à madame de Grandlieu.¶ Il entreprit ce procèsmoyennant un forfait, et le gagna. Encouragé par ce succès, il avaitchicana si bien su chicaner ledomaine extraordinaire de la couronne, et la régie de l’enregistrement, qu’il avait obtenu je nesais quel hospice, qu’il en obtint la restitution de la forêt de Grandlieu ; plus, celle deLiceney.Puis, il fit encore recouvrer quelques actions sur le canal d’Orléans, et certains immeubles assezimportans, dont l’empereur avait doté des établissemensimportants que l’Empereur avait donnésen dot à des établissements publics. L’habileté, le dévouement Ainsi rétablie par l’habileté dujeune avoué avaient si bien rétabli, la fortune de madame de Grandlieu, qu’en 1820, ellepossédait déjà cent s’était élevée à un revenu de soixante mille livres de rente. Depuis, francsenviron, lors de la loi sur l’indemnité qui lui avait rendu des sommes immenses, grâces aux soinsdu jeune légiste qui était devenu l’ami de la famille.¶ Il avait plus de quarante ans. C’était unhommeénormes. Homme de haute probité, savant, modeste, et de bonne compagnie. Sa , cetavoué devint alors l’ami de la famille. Quoique sa conduite envers madame de Grandlieu luiavait eût mérité l’estime et la clientèle de la plupart des des meilleures maisons du faubourgSaint-Germain ; mais , il ne profitait pas de cette faveur comme en aurait pu le faireprofiter unhomme ambitieux. A l’exception de l’hôtel de Grandville, où il venait passer quelquefois la

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soirée, il n’allait nulle part. Il aimait passionnément le travail ; et, d’ailleurs, il trouvait trop debonheur dans son ménage pour rechercher les plaisirs du monde. Il résistait aux offres de lavicomtesse qui voulait lui faire vendre sa charge et le jeter dans la magistrature, carrière où, parses protections, il aurait obtenu le plus rapide avancement. A l’exception de l’hôtel de Grandlieu,où il passait quelquefois la soirée, il n’allait dans le monde que pour y entretenir ses relations. Ilétait fort heureux que sa probité et ses talenstalents eussent été mis en lumière par l’affaire desondévouement à madame de Grandlieu ; , car il aurait couru le risque de laisser dépérir son étude.Il Etude. Derville n’avait pas une âme d’avoué.¶ Depuis que le comte Ernest de Restaud s’étaitintroduit chez madame de Grandlieu, et que l’avouéla vicomtesse, et que Derville avaitdécouvert la sympathie qui unissaitde Camille au pour ce jeune homme, il était devenu aussiassidu chez madame de Grandlieu qu’que l’aurait été un dandy de la Chaussée-d’Antinnouvellement admis dans les cercles du noble faubourg.¶ Quelques jours auparavant, il s’étaittrouvé assis dans un bal auprès de mademoiselle Camille de Grandlieu, et lui avait dit en luimontrant le jeune comte :¶ : – Il est dommage que ce garçon-là n’ait pas deux ou trois millions,n’est-ce pas ?...¶ – Est-ce un malheur ?... je Je ne le crois pas, avait-elle répondu. M. Ernestonsieur de Restaud a beaucoup de talent, il est instruit, il est et bien vu du ministre auprès duquelil a été placé, il porte un beau nom ; et, je . Je ne doute pas qu’il ne soit un jourdevienne unhomme très-remarquable. Il Ce garçon-là trouvera tout autant de fortune qu’il en voudra, le jouroù il sera parvenu au pouvoir…¶ . – Oui, mais s’il était déjà riche…¶ Camille avait rougi.¶ ? – S’il était riche, mon bon ami, mais dit Camille en rougissant. Mais toutes les jeunes personnesqui sont ici se le disputeraient, avaiajouta-t-elle répondu en montrant les quadrilles.¶ – Et alors,avait reprisrépondu l’avoué, mademoiselle Camille de Grandlieu ne serait plus la seule verslaquelle il tournerait les yeux….. Voilà pourquoi vous rougissez, Camille ? Vous vous sentez dugoût pour lui, n’est-ce pas ?.... Allons, dites…¶ . Camille s’était brusquement levée.¶

– Elle l’aime !, avait pensé l’avoué. Et depuis ce jour-là, Camille s’était aperçue que sonami, le légiste, approuvait le sentiment naissant qu’elle avait pour le jeune comte Ernest deRestaud.¶Derville. Depuis ce jour, Camille avait eu pour l’avoué des attentions inaccoutuméesen s’apercevant qu’il approuvait son inclination pour le jeune comte Ernest de Restaud. Jusque-là, quoiqu’elle n’ignorât aucune des obligations de sa famille envers Derville, elle avait eu pourlui plus d’égards que d’amitié vraie, plus de politesse que de sentiment ; ses manières, aussi bienque le ton de sa voix lui avaient toujours fait sentir la distance que l’étiquette mettait entre eux.La reconnaissance est une dette que les enfants n’acceptent pas toujours à l’inventaire.¶L’avoué prit donc la parole, et raconta les scènes qu’on va lire. Elles sont aussi fidèlementrendues que peuvent le permettre les différences qui distinguent – Cette aventure, dit Dervilleaprès une conversation verbeuse, d’une narration écrite.¶ ¶ L’USURIER.¶ ¶ – Comme je joue un rôle dans cette aventure, et qu’ellepause, me rappelle lesseules circonstances les plus romanesques de ma vie, vous me permettrez, j’espère, de suivremes inspirations. Figurez-vous, mademoiselle, que j’ai vingt-sept ans, et que les événemens demon histoire sont arrivés hier.. Vous riez déjà, reprit-il, en entendant un avoué vous parler d’unroman dans sa vie ! Mais j’ai eu vingt-cinq ans comme tout le monde, et à cet âge j’avais déjà vud’étranges choses. Je vais dois commencer par vous parler d’un personnage dont que vous nepouvez guères vous faire une idée : c’est un USURIER.¶ USURIER : saisirezpas connaître. Ils’agit d’un usurier. Saisirez-vous bien cette figure ? Elle est figure pâle et blafarde, et à laquelleje voudrais que l’académie me permît de lui donner le nom de face lunaire. Elle ressemble à del’argent, elle ressemblait à du vermeil dédoré. ? Les cheveux sont de mon usurier étaient plats,soigneusement peignés et d’un gris cendré. Le Les traits de son visage est, impassible commeautant que celui de M. de Talleyrand : ce sont des traits , paraissaient avoir été coulés en bronze.

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L’œil, aussi jaune que celui d’une fouine, n’a presque point de cils. Le nez est pointu, et leslèvres minces.Jaunes comme ceux d’une fouine, ses petits yeux n’avaient presque point de cils etcraignaient la lumière ; mais l’abat-jour d’une vieille casquette les en garantissait. Son nezpointu était si grêlé dans le bout que vous l’eussiez comparé à une vrille. Il avait les lèvresminces de ces alchimistes et de ces petits vieillards peints par Rembrandt ou par Metzu. Cethomme parleparlait bas, d’un ton doux, et ne s’emportes’emportait jamais. Ses petits yeux sonttoujours garantis de la lumière par la doublure verte d’une vielle casquette. Il est vêtu de noir.Son âge estétait un problêmeproblème : on ne saitpouvait pas savoir s’il est était vieux avant letemps, ou s’il a avait ménagé sa jeunesse afin qu’elle lui servît toujours.¶ Sa chambre est Toutétait propre comme l’habit d’un Anglais, mais tout y est et râpé dans sa chambre, pareille, depuisle tapis du lit jusqu’au drap vert du bureau. Il semble que ce soit le jusqu’au tapis du lit, au froidsanctuaire d’une vieille fille qui passeraitde ces vieilles filles qui passent la journée à frotter devieux leurs meubles. Tout y est négatif ou rèche. En hiver, je n’ai jamais vu les tisons de sonfoyer se rejoindre ; et ils fument sans flamber, presque, toujours enterrés au milieu d’dans untalus de cendre.¶ La vie de cet homme s’écoule sans faire plus de bruit que le sable d’unehorloge antique.s, y fumaient sans flamber. Ses actions, depuis l’heure de son lever jusqu’à sesaccès de toux, le soir, sont étaient soumises à la régularité d’une pendule. C’ést, C’était enquelque sorte, un homme-modèle que le sommeil remonte.remontait. Si vous touchez un cloportecheminant sur un papier, il s’arrête et fait le mort ; de même, cet hommes’interrompts’interrompait au milieu de son discours et se tait, quand une taisait au passaged’une voiture passe, afin de ne pas forcer sa voix. A l’imitation de Fontenelle, il tend àéconomiseréconomisait le mouvement vital, et concentreconcentrait tous lessentimenssentiments humains dans le moi. Aussi sa vie s’écoulait-elle sans faire plus de bruitque le sable d’une horloge antique. Quelquefois ses victimes crientcriaient beaucoup ets’emportent,, s’emportaient ; puis il se fait chez luiaprès il se faisait un grand silence, commedans une cuisine où l’on égorge un canard.¶ Jusqu’à sept heures du Vers le soir, il est grave ;mais à huit heures, l’homme-billet se changechangeait en un homme ordinaire : c’est le mystèrede la transmutation des , et ses métaux se métamorphosaient en cœur humain. AlorsS’il étaitcontent de sa journée, il se frottefrottait les mains et il aen laissant échapper par les ridescrevassées de son visage une sorte de gaîté semblablefumée de gaieté, car il est impossibled’exprimer autrement le jeu muet de ses muscles, où se peignait une sensation comparable aurire à vide de Bas-de-Cuir ; mais . Enfin, dans ses plus grands accès de joie, sa conversation esttoujours restait monosyllabique., et sa contenance était toujours négative. Tel est le voisin dontque le hasard m’a gratifiém’avait donné dans la maison que j’habitej’habitais rue des Grès.¶ ,quand je n’étais encore que second clerc et que j’achevais ma troisième année de Droit. Cettemaison, qui n’a pas de cour, est humide et sombre et humide. Elle n’a pas de cour et lesappartemens ne . Les appartements n’y tirent leur jour que de la rue. La distribution claustralequi divise le bâtiment en chambres d’égale grandeur, et en ne leur laisselaissant d’autre issuequ’une porte donnant sur un long corridor éclairé par des jours de souffrance, annonce que lamaison a fait jadis fait partie d’un couvent. Cet A ce triste aspect est tellement triste, que, lagaîtégaieté d’un fils de famille est déjà expiréeexpirait avant qu’il entre n’entrât chez monvoisin. La : sa maison et lui se ressemblent. C’est ressemblaient. Vous eussiez dit de l’huître etson rocher.¶ Sa vie est un mystère. Le seul être avec lequel il communiqecommuniquait,socialement parlant, c’est était moi. Il vient ; il venait me demander du feu ; il m’emprunte,m’empruntait un livre, un journal ;, et, me permettait le soir, je suis le seul auquel il permetted’entrer dans sa cellule et auquel il parle volontiers., où nous causions quand il était de bonne

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humeur. Ces marques de confiance sont étaient le fruit d’un voisinage de septquatre années. A-et de ma sage conduite, qui, faute d’argent, ressemblait beaucoup à la sienne. Avait-il desparensparents, des amis ? je Etait-il riche ou pauvre ? Personne n’aurait pu répondre à cesquestions. Je ne sais. Je n’aivoyais jamais vu un soud’argent chez lui. Toute sa Sa fortune estsous se trouvait sans doute dans les caves de la Banque. Il reçoitrecevait lui-même ses billets, etil m’a dit que sur chaque effet il percevait deux francs pour la course qu’en nécessite lerecouvrement. Il a les jambes sèches en courant dans Paris d’une jambe sèche comme celles celled’un cerf. Du reste, il est Il était d’ailleurs martyr de sa prudence : un. Un jour que, par hasard, ilportait de l’or sur lui,l’or ; un double napoléon se fit jour, on ne sait comment, à travers songousset ; un locataire qui le suivait dans l’escalier le ramassa le la pièce et la lui présenta.¶ – Cela ne m’appartient pas !...., répondit-il avec un geste de surprise, je n’ai jamais d’or chezmoi, ni sur moi !...¶ . A moi de l’or ! Vivrais-je comme je vis si j’étais riche ? Le matin, ilapprêteapprêtait lui-même son café sur un réchaud de tôle qui ne bouge pas de , qui restaittoujours dans l’angle noir de sa cheminée. Un ; un rôtisseur lui apporte son apportait à dîner.Une Notre vieille portière montemontait à une heure fixe pour approprier la chambre. Enfin, parun hasard une singularité que Sterne appellerait une prédestination, cet homme se nommeM.nommait Gobseck.¶ – Je déclare que votre voisin m’intéresse prodigieusement !.. s’écria levieil oncle.¶ – Je le considérais comme un athée, si l’humanité, la sociabilité sont une religion,reprit l’avoué. Aussi, m’étais-je proposé de l’examiner. C’est ce que j’appelais étudierl’anatomie de l’homo duplex, de l’homme moral.¶ – Mais ne m’interrogez plus, Monsieur lemarquis, autrement vous éteindriez ma verve. Je reprends le fil de mon improvisation.¶ Un soir,j’entrai chez cet homme qui s’était fait or. Je le trouvai sur son fauteuil, immobile comme unestatue, les yeux arrêtés sur le manteau de la cheminée, où il semblait lire des bordereauxd’escompte. Une lampette de portier, fumeuse, sale, et dont le pied avait été jadis vert, jetait unelueur rougeâtre sur ce visage pâle. Il leva les yeux sur moi et ne me dit rien ; mais ma chaiseétait préparée auprès de lui ; elle m’attendait.¶ – Cet être-là pense-t-il ? me dis-je. Sait-il s’il y aun Dieu, un sentiment, des femmes, un bonheur ?..... Je le plaignis comme j’aurais plaint unmalade ; mais je comprenais bien aussi que, s’il avait un million à la Banque, il devait possédertoute la terre par la pensée.¶ – Bonjour, père Gobseck, lui dis-je.¶ Il tourna la tête vers moi, etses gros sourcils noirs se rapprochèrent légèrement. Cette inflexion caractéristique équivalait auplus gai sourire d’un méridional.¶ – Vous êtes aussi sombre que le jour où l’on est venu vousannoncer la faillite de ce….. libraire. Est-ce que vous n’avez pas été payé aujourd’hui ? car noussommes le 31, je crois…¶ C’était la première fois que je lui parlais d’argent. Il me regarda et merépondit de sa voix douce qui ressemble pas mal aux sons que tire de sa flûte un élève qui n’en apas l’embouchure :¶ – Je m’amuse…¶ – Vous vous amusez donc quelquefois ?¶ Il haussa lesépaules et me jeta un regard de pitié.¶ – Croyez-vous qu’il n’y ait de poètes que ceux quiimpriment des vers ? me demanda-t-il.¶ – De la poésie dans cette tête !... pensais-je.¶ – Il n’y apas de vie plus brillante que la mienne, dit-il en continuant.¶ Son œil s’anima.¶ Ecoutez-moi,reprit-il. Par le récit des événemens de la matinée, vous devinerez tous mes plaisirs.¶ Il se leva, ilalla pousser le verrou de sa porte, tira un rideau de vieille tapisserie dont les anneaux crièrent surla tringle, et revint s’asseoir.¶ – Ce matin, me dit-il, je n’avais que deux effets à recevoir, parceque tous les autres étaient donnés la veille comme comptant à mes pratiques. Le premier billetm’avait été présenté par un beau jeune homme. Il était venu en tilbury. Le papier, signé par l’unedes plus jolies femmes de Paris, mariée à un riche propriétaire, avait été souscrit je ne saispourquoi ! Il était de mille francs. Le second billet, d’égale somme, devait être acquitté par unedame, car il était signé Fanny Malvaut. Il m’avait été présenté par un marchand de toiles. La

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comtesse demeurait rue du Helder, et Fanny, rue Montmartre. Si vous saviez les conjecturesromanesques que j’ai faites en m’en allant d’ici ce matin ! Quelle joie orgueilleuse m’a ému enpensant que si ces deux femmes n’étaient pas en mesure, elles allaient me recevoir avec autantde respect que si j’étais leur propre père !... Que de choses la comtesse n’allait-elle pas faire pourmille francs !.. Prendre un air affectueux ; me parler de cette voix douce qu’elle réserve peut-êtreà l’endosseur du billet ; me prodiguer des paroles caressantes, me supplier peut-être, et moi.....¶Là, le vieillard me jeta un regard glacial.¶ – Et moi, inébranlable !... reprit-il, je suis là commeun vengeur ; j’apparais comme un remords ; mais laissons les hypothèses. J’arrive.¶ – Madamela comtesse est couchée… me dit une femme de chambre.¶ – Quand sera-t-elle visible ?¶ – Amidi.¶ – Madame la comtesse est malade ?¶ – Non, Monsieur ; mais elle est rentrée du bal à troisheures.¶ – Je m’appelle Gobseck….. Dites-lui mon nom. Je serai ici à midi.¶ Et je m’en vais,après avoir signé ma présence sur le tapis somptueux qui déguisait les dalles de l’escalier.¶Parvenu rue Montmartre, à une maison de peu d’apparence, je pousse une vieille porte cochèreet je vois une de ces cours obscures où le soleil ne pénètre jamais. La loge du portier était noire,et le vitrage ressemblait à la manche d’une douillette trop long-temps portée : il était gras, brunet lésardé.¶ – Mademoiselle Fanny Malvaut ?...¶ – Elle est sortie ; mais si c’est pour un billet,l’argent est là…¶ – Je reviendrai, dis-je. Car du moment où le portier avait la somme, je voulaisconnaître la jeune fille ; je me figurais qu’elle était jeune.¶ Je passe la matinée à voir les gravuresétalées sur le boulevard, et à midi sonnant, je traversais le salon qui précédait la chambre de lacomtesse.¶ – Madame ne fait que de sonner à l’instant, me dit la femme de chambre, et je necrois pas qu’elle soit visible.¶ – J’attendrai !¶ Et je m’assieds sur un fauteuil doré.¶ A peine lespersiennes furent-elles ouvertes que la femme de chambre accourut et me dit :¶ – Entrez,Monsieur….¶ Par le ton qu’elle mit à ces paroles, je devinai que sa maîtresse n’était pas enmesure. Mais quelle belle femme je vis !... Elle avait jeté à la hâte sur ses épaules nues un châlede cachemire, dans lequel elle s’enveloppait si bien que ses formes ravissantes étaientcomplètement dessinées. Elle était vêtue d’un élégant peignoir aussi blanc que neige. Sescheveux noirs s’échappaient confusément de dessous un joli madras, capricieusement noué sur satête à la manière des créoles. Son lit offrait le tableau d’un désordre pittoresque. On voyait queson sommeil avait été agité. Un peintre aurait payé pour rester au milieu de cette scène.¶ C’étaitd’abord sous des draperies voluptueusement attachées, un oreiller jeté sur un édredon de soiebleue et dont les garnitures en dentelle se détachaient vivement sur ce fond d’azur. Sur une largepeau d’ours, étendue aux pieds des lions ciselés dans l’acajou du lit, brillaient deux souliers desatin blanc, jetés là avec toute l’incurie que cause la lassitude d’un bal. Sur une chaise était unerobe froissée, dont les manches touchaient à terre. Des bas, que le zéphir aurait emportés, étaienttortillés autour du pied d’un fauteuil, et de blanches jarretières flottaient le long d’une causeuse.Des fleurs, des diamans, des gants, un bouquet, une ceinture gisaient çà et là. Je sentais unevague odeur de parfums. Un éventail de prix, à moitié déplié, encombrait la cheminée. Lestiroirs de la commode restaient ouverts. Tout était luxe et désordre, beauté sans harmonie,richesse et misère. La figure fatiguée de la comtesse ressemblait à cette chambre parsemée desdébris d’une fête. Ces brimborions épars me faisaient pitié ; rassemblés, ils avaient causé, laveille, quelque délire. C’étaient comme les vestiges d’un amour foudroyé par le remords ;l’image d’une vie de dissipation, de luxe, de bruit : efforts de Tantale pour embrasser des plaisirssans substance. Quelques rougeurs semées sur le visage de la jeune femme attestaient la finessede sa peau ; ses traits étaient comme grossis ; le cercle brun qui se dessinait sous ses yeux étaientplus fortement marqué qu’à l’ordinaire. Néanmoins la nature avait assez d’énergie en elle pourque ces indices de folie n’altérassent pas sa beauté. Ses yeux étincelaient ; elle ressemblait à

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l’une de ces Hérodiades, dues au pinceau de Léonard de Vinci (car j’ai brocanté les tableaux).Elle était puissante de vie et de force. Rien de mesquin dans les contours, ni dans les traits, negênait la pensée. Elle inspirait l’amour, mais elle me semblait plus forte que l’amour. Elle m’aplu. Il y avait long-temps que mon cœur n’avait battu. J’étais déjà payé ; car j’offre plus de millefrancs d’une sensation qui me fasse souvenir de ma jeunesse.¶ – Monsieur, me dit-elle en meprésentant une chaise, auriez-vous la complaisance d’attendre ?...¶ – Jusqu’à demain midi,Madame, répondis-je en repliant le billet que je lui avais présenté…. Je n’ai le droit de protesterqu’à cette heure-là…¶ Puis en moi-même je me disais : – Paye ton luxe, paye ton nom, paye tonbonheur, paye le monopole dont tu jouis. Il y a des tribunaux, des juges, des échafauds pour lesmalheureux sans pain ; mais pour vous qui couchez sur la soie et sous la soie, il y a des remords,des grincemens de dents cachés sous un sourire, et des griffes d’acier qui vous pressent le cœur.¶– Un protêt !... y pensez-vous ?... s’écria-t-elle en me regardant. Vous auriez aussi peu d’égardspour moi !...¶ – Si le roi me devait, madame, et qu’il ne me payât pas, je l’assignerais…¶ En cemoment, nous entendîmes frapper doucement à la porte de la chambre.¶ – Je n’y suis pas !...s’écria impérieusement la jeune femme.¶ – Émilie, je voudrais cependant bien vous voir...¶– Pas en ce moment, mon cher, répondit-elle d’une voix moins dure, mais sans douceurnéanmoins.¶ – C’est une plaisanterie, car vous parlez à quelqu’un…¶ Et un homme, qui nepouvait être que le comte, entra tout-à-coup. La comtesse me regarda. – Je la compris. Elledevint mon esclave. Ah ! il y a eu un temps où j’étais assez bête pour ne pas protester.¶ – Queveut monsieur !..... me demanda le comte.¶ Je vis la femme frissonner. La peau blanche etsatinée de son cou devint rude. Elle avait, suivant un terme familier, la chair de poule. Moi jeriais, sans qu’aucun de mes muscles tressaillît.¶ – Monsieur est un de mes fournisseurs..… dit-elle.¶ Le comte me tourna le dos, mais je tirai le billet à moitié hors de ma poche. Alors, à cemouvement inexorable, la jeune femme vint à moi, me présenta un diamant.¶ – Prenez, dit elle,et allez-vous-en !...¶ Nous échangeâmes les deux valeurs, je la saluai, je sortis. Le diamant valaitbien une douzaine de cents francs. Je trouvai dans la cour deux équipages somptueux que l’onnettoyait, des valets qui brossaient leurs livrées et ciraient leurs bottes. Voilà, me dis-je, ce quiamène ces gens-là chez moi ; ce qui leur fait voler décemment des millions, ou trahir leur patrie.Pour ne pas se crotter en allant à pied on prend une bonne fois un bain de boue !... Maisprécisément, en ce moment, la grande porte s’ouvrit, et livra passage à l’élégant tilbury du jeunehomme qui m’avait présenté le billet.¶ – Monsieur, lui dis-je quand il fut descendu, voici deuxcents francs que je vous prie de rendre à madame la comtesse, et vous lui ferez observer que jetiendrai à sa disposition, pendant huit jours, le gage qu’elle m’a remis ce matin. Il prit les deuxcents francs, et laissa échapper un sourire moqueur, comme s’il eût dit : – Ah ! ah ! elle a payé !Ma foi, tant mieux !¶ J’ai lu sur cette physionomie l’avenir de la comtesse.¶ Je me rendis rueMontmartre, chez mademoiselle Fanny. Je montai un petit escalier bien raide ; et, arrivé aucinquième étage, je fus introduit dans un appartement fraîchement décoré où tout était d’unepropreté merveilleuse. Je n’aperçus pas la moindre trace de poussière sur les meubles simplesqui ornaient la chambre où me reçut mademoiselle Fanny. C’était une jeune fille parisienne : têteélégante et fraîche, air avenant, des cheveux châtains bien peignés qui, retroussés en deux arcssur les tempes, donnaient de la finesse à des yeux bleus, purs comme du cristal. Elle était vêtuesimplement. Le jour, passant à travers de petits rideaux tendus aux carreaux, jetait une lueurdouce sur cette céleste figure. Elle ouvrait du linge ; et, autour d’elle, de nombreux morceaux detoile taillés me dénoncèrent ses occupations habituelles. Elle m’offrit une image idéale de lasolitude. Quand je lui présentai le billet, je lui dis que je ne l’avais pas trouvée le matin.¶ – Mais,dit-elle, les fonds étaient chez la portière.¶ Je feignis de ne pas entendre.¶ – Mademoiselle sort

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de bonne heure, à ce qu’il paraît ?¶ – Oh ! je suis rarement hors de chez moi ; mais quand ontravaille la nuit, il faut bien prendre quelquefois des bains…¶ Je la regardai, et d’un coup-d’œilje devinai tout. C’était une fille appartenant à quelque famille autrefois riche et que le malheurcondamnait au travail. Il y avait je ne sais quel air de vertu, de modestie, répandu dans tous sestraits, et une noblesse native. Autour d’elle tout était en rapport avec ses manières. Il me semblaque j’habitais une atmosphère de sincérité, de candeur. Je respirais à mon aise. J’aperçus unesimple couchette en bois peint surmontée d’un crucifix orné de deux branches de buis. J’étaistouché. Je me sentais disposé à lui laisser l’argent que je vérifiais, ainsi que le diamant de lacomtesse ; mais je pensai que ce présent lui serait peut-être fatal ; et, toute réflexion faite, jegardai le tout, d’autant que le diamant vaut bien quinze cents francs pour une actrice ou unemariée. – Et puis, me dis-je, elle a peut-être aussi un petit cousin qui se ferait une épingle dudiamant, et mangerait les mille francs !¶ Quand vous êtes entré, je pensais que Fanny Malvautserait une bonne petite femme.¶ Pendant quinze jours, je songerai à cette vie pure et solitaire,l’opposant à celle de cette comtesse qui a déjà un pied dans le vice !¶ – Eh bien ! reprit-il aprèsun moment de silence profond, pendant lequel je l’examinais, croyez-vous que ce ne soit rienque de pénétrer ainsi dans les plus secrets replis du cœur humain, d’épouser la vie des autres, dela voir à nu ? Ce sont des spectacles toujours variés : des plaies hideuses, des chagrins mortels,des scènes d’amour, des misères que les eaux de la Seine attendent, des joies de jeune hommequi mènent à l’échafaud, des rires de désespoir et des fêtes somptueuses. Hier une tragédie : unpère qui s’asphyxie, parce qu’il ne peut plus nourrir ses enfans ; demain, ce sera une comédie :un jeune homme essaiera de jouer la scène de M. Dimanche, avec des variantes. J’ai entenduvanter l’éloquence de Mirabeau. Je l’ai bien écouté dans le temps. Il ne m’a jamais ému. Maissouvent une jeune fille amoureuse, un vieux négociant sur le penchant d’une faillite, une mèrequi veut cacher la faute de son fils, un homme sans pain, un grand sans honneur, m’ont faitfrissonner par la puissance de leur parole. Acteurs sublimes, ils jouaient pour moi seul. Mais onne me trompe pas. Mon regard est comme celui de Dieu ! il voit les cœurs. Rien ne nous estcaché. Que me manque-t-il ? je possède tout. L’on ne refuse rien à qui lie et délie les cordonsd’un sac. L’on achète les ministres et les consciences, c’est le pouvoir ; l’on achète les femmes etleurs plus tendres caresses, c’est le plaisir et la beauté ; l’on achète tout. Nous sommes les roissilencieux et inconnus de la vie ; car l’argent, c’est la vie. Mais si j’ai joui de tout, je me suisrassasié de tout. Nous sommes dans Paris une trentaine ainsi. Liés par le même intérêt, nous nousrassemblons certains jours de la semaine dans un café près du Pont-Neuf. Là, nous nous révélonstous les mystères de la finance. Aucune fortune ne peut nous mentir ; car nous possédons lessecrets de toutes les familles, et nous avons une espèce de livre noir où s’inscrivent les notes lesplus importantes sur le crédit public, la banque et le commerce. Nous analysons les actions lesplus indifférentes. Nous sommes les casuistes de la Bourse. Comme moi, tous sont arrivés àn’aimer, à l’instar des jésuites, le pouvoir et l’argent que pour le pouvoir et l’argent même.¶– Ici, dit-il, en me montrant sa chambre nue et froide ; ici, l’amant le plus fougueux, qui s’irrited’une parole et tire l’épée pour un mot, prie à mains jointes ; ici, prie le négociant le plusorgueilleux ; ici, prie la femme la plus vaine de sa beauté ; ici, prie le militaire le plus fier, prientl’artiste le plus célèbre et l’écrivain dont le nom est promis à la postérité ; ici enfin, ajouta-t-il enportant la main à son front, est une balance dans laquelle se pèsent les successions et même Paristout entier !...¶ – Croyez-vous maintenant qu’il n’y ait pas de jouissances sous ce masque blancdont l’immobilité vous a si souvent étonné ?.... dit-il en me tendant son visage blême qui sentaitl’argent.¶ Je retournai chez moi stupéfait. Ce petit vieillard sec avait grandi. Il s’était changé àmes yeux en une image fantastique : j’avais vu le pouvoir de l’or personnifié. La vie, les

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hommes me faisaient horreur.¶ – Tout doit-il donc se résoudre par l’argent ? me demandais-je.¶Je me souviens de ne m’être endormi que très-tard. Je voyais des monceaux d’or autour de moi.La figure de cette belle comtesse m’occupa long-temps, et j’avouerai à ma honte qu’elle éclipsaitcomplètement l’image de cette douce et charmante créature vouée au travail et à l’obscurité.¶

Mais le Quand plus tard je fis ses affaires, j’appris qu’au moment où nous nousconnûmes il avait environ soixante-seize ans. Il était né vers 1740, dans les faubourgs d’Anvers,d’une Juive et d’un Hollandais, et se nommait Jean-Esther Van Gobseck. Vous savez combienParis s’occupa de l’assassinat d’une femme nommée la belle Hollandaise ? quand j’en parlai parhasard à mon ancien voisin, il me dit, sans exprimer ni le moindre intérêt ni la plus légèresurprise : – C’est ma petite nièce. Cette parole fut tout ce que lui arracha la mort de sa seule etunique héritière, la petite-fille de sa sœur. Les débats m’apprirent que la belle Hollandaise senommait en effet Sara Van Gobseck. Lorsque je lui demandai par quelle bizarrerie sa petitenièce portait son nom : – Les femmes ne se sont jamais mariées dans notre famille, me répondit-il en souriant. Cet homme singulier n’avait jamais voulu voir une seule personne des quatregénérations femelles où se trouvaient ses parents. Il abhorrait ses héritiers et ne concevait pasque sa fortune pût jamais être possédée par d’autres que lui, même après sa mort. Sa mère l’avaitembarqué dès l’âge de dix ans en qualité de mousse pour les possessions hollandaises dans lesgrandes Indes, où il avait roulé pendant vingt années. Aussi les rides de son front jaunâtregardaient elles les secrets d’événements horribles, de terreurs soudaines, de hasards inespérés, detraverses romanesques, de joies infinies : la faim supportée, l’amour foulé aux pieds, la fortunecompromise, perdue, retrouvée, la vie maintes fois en danger, et sauvée peut-être par cesdéterminations dont la rapide urgence excuse la cruauté. Il avait connu l’amiral Simeuse, M. deLally, M. de Kergarouët, M. d’Estaing, le bailli de Suffren, M. de Portenduère, lord Cornwallis,lord Hastings, le père de Tippo-Saeb et Tippo-Saeb lui-même. Ce Savoyard, qui servitMadhadjy-Sindiah, le roi de Delhy, et contribua tant à fonder la puissance des Marhattes, avaitfait des affaires avec lui. Il avait eu des relations avec Victor Hughes et plusieurs célèbrescorsaires, car il avait long-temps séjourné à Saint-Thomas. Il avait si bien tout tenté pour fairefortune qu’il avait essayé de découvrir l’or de cette tribu de sauvages si célèbres aux environs deBuenos-Ayres. Enfin il n’était étranger à aucun des événements de la guerre de l’indépendanceaméricaine. Mais quand il parlait des Indes ou de l’Amérique, ce qui ne lui arrivait avecpersonne, et fort rarement avec moi, il semblait que ce fût une indiscrétion, il paraissait s’enrepentir. Si l’humanité, si la sociabilité sont une religion, il pouvait être considéré comme unathée. Quoique je me fusse proposé de l’examiner, je dois avouer à ma honte que jusqu’audernier moment son cœur fut impénétrable. Je me suis quelquefois demandé à quel sexe ilappartenait. Si les usuriers ressemblent à celui-là, je crois qu’ils sont tous du genre neutre. Etait-il resté fidèle à la religion de sa mère, et regardait-il les chrétiens comme sa proie ? s’était-il faitcatholique, mahométan, brahme ou luthérien ? Je n’ai jamais rien su de ses opinions religieuses.Il me paraissait être plus indifférent qu’incrédule. Un soir j’entrai chez cet homme qui s’était faitor, et que, par antiphrase ou par raillerie, ses victimes, qu’il nommait ses clients, appelaient papaGobseck. Je le trouvai sur son fauteuil immobile comme une statue, les yeux arrêtés sur lemanteau de la cheminée où il semblait relire ses bordereaux d’escompte. Une lampe fumeusedont le pied avait été vert jetait une lueur qui, loin de colorer ce visage, en faisait mieux ressortirla pâleur. Il me regarda silencieusement et me montra ma chaise qui m’attendait. – A quoi cetêtre-là pense-t-il ? me dis-je. Sait-il s’il existe un Dieu, un sentiment, des femmes, un bonheur ?Je le plaignis comme j’aurais plaint un malade. Mais je comprenais bien aussi que, s’il avait desmillions à la Banque, il pouvait posséder par la pensée la terre qu’il avait parcourue, fouillée,

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soupesée, évaluée, exploitée. – Bonjour, papa Gobseck, lui dis-je. Il tourna la tête vers moi, sesgros sourcils noirs se rapprochèrent légèrement ; chez lui, cette inflexion caractéristiqueéquivalait au plus gai sourire d’un Méridional. – Vous êtes aussi sombre que le jour où l’on estvenu vous annoncer la faillite de ce libraire de qui vous avez tant admiré l’adresse, quoique vousen ayez été la victime. – Victime ? dit-il d’un air étonné. – Afin d’obtenir son concordat, ne vousavait-il pas réglé votre créance en billets signés de la raison de commerce en faillite ; et quand ila été rétabli, ne vous les a-t-il pas soumis à la réduction voulue par le concordat ? – Il était fin,répondit-il, mais je l’ai repincé. – Avez-vous donc quelques billets à protester ? nous sommes letrente, je crois. Je lui parlais d’argent pour la première fois. Il leva sur moi ses yeux par unmouvement railleur ; puis, de sa voix douce dont les accents ressemblaient aux sons que tire desa flûte un élève qui n’en a pas l’embouchure : – Je m’amuse, me dit-il. – Vous vous amusezdonc quelquefois ? – Croyez-vous qu’il n’y ait de poètes que ceux qui impriment des vers, medemanda-t-il en haussant les épaules et me jetant un regard de pitié. – De la poésie dans cettetête ! pensé-je, car je ne connaissais encore rien de sa vie. – Quelle existence pourrait être aussibrillante que l’est la mienne ? dit-il en continuant, et son œil s’anima. Vous êtes jeune, vous avezles idées de votre sang, vous voyez des figures de femme dans vos tisons, moi je n’aperçois quedes charbons dans les miens. Vous croyez à tout, moi je ne crois à rien. Gardez vos illusions, sivous le pouvez. Je vais vous faire le décompte de la vie. Soit que vous voyagiez, soit que vousrestiez au coin de votre cheminée et de votre femme, il arrive toujours un âge auquel la vie n’estplus qu’une habitude exercée dans un certain milieu préféré. Le bonheur consiste alors dansl’exercice de nos facultés appliquées à des réalités. Hors ces deux préceptes, tout est faux. Mesprincipes ont varié comme ceux des hommes, j’en ai dû changer à chaque latitude. Ce quel’Europe admire, l’Asie le punit. Ce qui est un vice à Paris, est une nécessité quand on a passéles Açores. Rien n’est fixe ici-bas, il n’y existe que des conventions qui se modifient suivant lesclimats. Pour qui s’est jeté forcément dans tous les moules sociaux, les convictions et les moralesne sont plus que des mots sans valeur. Reste en nous le seul sentiment vrai que la nature y aitmis : l’instinct de notre conservation. Dans vos sociétés européennes, cet instinct se nommeintérêt personnel. Si vous aviez vécu autant que moi vous sauriez qu’il n’est qu’une seule chosematérielle dont la valeur soit assez certaine pour qu’un homme s’en occupe. Cette chose... c’estL’OR. L’or représente toutes les forces humaines. J’ai voyagé, j’ai vu qu’il y avait partout desplaines ou des montagnes : les plaines ennuient, les montagnes fatiguent ; les lieux ne signifientdonc rien. Quant aux mœurs, l’homme est le même partout : partout le combat entre le pauvre etle riche est établi, partout il est inévitable ; il vaut donc mieux être l’exploitant que d’êtrel’exploité ; partout il se rencontre des gens musculeux qui travaillent et des gens lymphatiquesqui se tourmentent ; partout les plaisirs sont les mêmes, car partout les sens s’épuisent, et il neleur survit qu’un seul sentiment, la vanité ! La vanité, c’est toujours le moi. La vanité ne sesatisfait que par des flots d’or. Nos fantaisies veulent du temps, des moyens physiques ou dessoins. Eh ! bien, l’or contient tout en germe, et donne tout en réalité. Il n’y a que des fous ou desmalades qui puissent trouver du bonheur à battre les cartes tous les soirs pour savoir s’ilsgagneront quelques sous. Il n’y a que des sots qui puissent employer leur temps à se demanderce qui se passe, si madame une telle s’est couchée sur son canapé seule ou en compagnie, si ellea plus de sang que de lymphe, plus de tempérament que de vertu. Il n’y a que des dupes quipuissent se croire utiles à leurs semblables en s’occupant à tracer des principes politiques pourgouverner des événements toujours imprévus. Il n’y a que des niais qui puissent aimer à parlerdes acteurs et à répéter leurs mots ; à faire tous les jours, mais sur un plus grand espace, lapromenade que fait un animal dans sa loge ; à s’habiller pour les autres, à manger pour les

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autres ; à se glorifier d’un cheval ou d’une voiture que le voisin ne peut avoir que trois joursaprès eux. N’est-ce pas la vie de vos Parisiens traduite en quelques phrases ? Voyons l’existencede plus haut qu’ils ne la voient. Le bonheur consiste ou en émotions fortes qui usent la vie, ou enoccupations réglées qui en font une mécanique anglaise fonctionnant par temps réguliers. Au-dessus de ces bonheurs, il existe une curiosité, prétendue noble, de connaître les secrets de lanature ou d’obtenir une certaine imitation de ses effets. N’est-ce pas, en deux mots, l’Art ou laScience, la Passion ou le Calme ? Hé ! bien, toutes les passions humaines agrandies par le jeu devos intérêts sociaux, viennent parader devant moi qui vis dans le calme. Puis, votre curiositéscientifique, espèce de lutte où l’homme a toujours le dessous, je la remplace par la pénétrationde tous les ressorts qui font mouvoir l’Humanité. En un mot, je possède le monde sans fatigue, etle monde n’a pas la moindre prise sur moi. Ecoutez-moi, reprit-il, par le récit des événements dela matinée, vous devinerez mes plaisirs. Il se leva, alla pousser le verrou de sa porte, tira unrideau de vieille tapisserie dont les anneaux crièrent sur la tringle, et revint s’asseoir. – Ce matin,me dit-il, je n’avais que deux effets à recevoir, les autres avaient été donnés la veille commecomptant à mes pratiques. Autant de gagné ! car, à l’escompte, je déduis la course que menécessite la recette, en prenant quarante sous pour un cabriolet de fantaisie. Ne serait-il pasplaisant qu’une pratique me fît traverser Paris pour six francs d’escompte, moi qui n’obéis àrien, moi qui ne paye que sept francs de contributions. Le premier billet, valeur de mille francsprésentée par un jeune homme, beau fils à gilets pailletés, à lorgnon, à tilbury, cheval anglais,etc., était signé par l’une des plus jolies femmes de Paris, mariée à quelque riche propriétaire, uncomte. Pourquoi cette comtesse avait-elle souscrit une lettre de change, nulle en droit, maisexcellente en fait ; car ces pauvres femmes craignent le scandale que produirait un protêt dansleur ménage et se donneraient en paiement plutôt que de ne pas payer ? Je voulais connaître lavaleur secrète de cette lettre de change. Etait-ce bêtise, imprudence, amour ou charité ? Lesecond billet, d’égale somme, signé Fanny Malvaut, m’avait été présenté par un marchand detoiles en train de se ruiner. Aucune personne, ayant quelque crédit à la Banque, ne vient dans maboutique, où le premier pas fait de ma porte à mon bureau dénonce un désespoir, une faillite prèsd’éclore, et surtout un refus d’argent éprouvé chez tous les banquiers. Aussi ne vois-je que descerfs aux abois, traqués par la meute de leurs créanciers. La comtesse demeurait rue du Helder,et ma Fanny rue Montmartre. Combien de conjectures n’ai-je pas faites en m’en allant d’ici cematin ? Si ces deux femmes n’étaient pas en mesure, elles allaient me recevoir avec plus derespect que si j’eusse été leur propre père. Combien de singeries la comtesse ne me jouerait-ellepas pour mille francs ? Elle allait prendre un air affectueux, me parler de cette voix dont lescâlineries sont réservées à l’endosseur du billet, me prodiguer des paroles caressantes, mesupplier peut-être, et moi... Là, le vieillard me jeta son regard blanc. – Et moi, inébranlable !reprit-il Je suis là comme un vengeur, j’apparais comme un remords. Laissons les hypothèses.J’arrive. – Madame la comtesse est couchée, me dit une femme de chambre. – Quand sera-t-ellevisible ? – A midi. – Madame la comtesse serait-elle malade ? – Non, monsieur ; mais elle estrentrée du bal à trois heures. – Je m’appelle Gobseck, dites-lui mon nom, je serai ici à midi. Et jem’en vais en signant ma présence sur le tapis qui couvrait les dalles de l’escalier. J’aime à crotterles tapis de l’homme riche, non par petitesse, mais pour leur faire sentir la griffe de la Nécessité.Parvenu rue Montmartre, à une maison de peu d’apparence, je pousse une vieille porte cochère,et vois une de ces cours obscures où le soleil ne pénètre jamais. La loge du portier était noire, levitrage ressemblait à la manche d’une douillette trop long-temps portée, il était gras, brun,lézardé. – Mademoiselle Fanny Malvaut ? – Elle est sortie, mais si vous venez pour un billet,l’argent est là. – Je reviendrai, dis-je. Du moment où le portier avait la somme, je voulais

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connaître la jeune fille ; je me figurais qu’elle était jolie. Je passe la matinée à voir les gravuresétalées sur le boulevard ; puis à midi sonnant, je traversais le salon qui précède la chambre de la.comtesse. – Madame me sonne à l’instant, me dit la femme de chambre, je ne crois pas qu’ellesoit visible. – J’attendrai, répondis-je en m’asseyant sur un fauteuil. Les persiennes s’ouvrent, lafemme de chambre accourt et me dit : – Entrez, monsieur. A la douceur de sa voix, je devinaique sa maîtresse ne devait pas être en mesure. Combien était belle la femme que je vis alors !Elle avait jeté à la hâte sur ses épaules nues un châle de cachemire dans lequel elle s’enveloppaitsi bien que ses formes pouvaient se deviner dans leur nudité. Elle était vêtue d’un peignoir garnide ruches blanches comme neige et qui annonçait une dépense annuelle d’environ deux millefrancs chez la blanchisseuse en fin. Ses cheveux noirs s’échappaient en grosses boucles d’un jolimadras négligemment noué sur sa tête à la manière des créoles. Son lit offrait le tableau d’undésordre produit sans doute par un sommeil agité. Un peintre aurait payé pour rester pendantquelques moments au milieu de cette scène. Sous des draperies voluptueusement attachées, unoreiller enfoncé sur un édredon de soie bleue, et dont les garnitures en dentelle se détachaientvivement sur ce fond d’azur, offrait l’empreinte de formes indécises qui réveillaientl’imagination. Sur une large peau d’ours, étendue aux pieds des lions ciselés dans l’acajou du lit,brillaient deux souliers de satin blanc, jetés avec l’incurie que cause la lassitude d’un bal. Surune chaise était une robe froissée dont les manches touchaient à terre. Des bas que le moindresouffle d’air aurait emportés, étaient tortillés dans le pied d’un fauteuil. De blanches jarretièresflottaient le long d’une causeuse. Un éventail de prix, à moitié déplié, reluisait sur la cheminée.Les tiroirs de la commode restaient ouverts. Des fleurs, des diamants, des gants, un bouquet, uneceinture gisaient çà et là. Je respirais une vague odeur de parfums. Tout était luxe et désordre,beauté sans harmonie. Mais déjà pour elle ou pour son adorateur, la misère, tapie là-dessous,dressait la tête et leur faisait sentir ses dents aiguës. La figure fatiguée de la comtesse ressemblaità cette chambre parsemée des débris d’une fête. Ces brimborions épars me faisaient pitié ;rassemblés, ils avaient causé la veille quelque délire. Ces vestiges d’un amour foudroyé par leremords, cette image d’une vie de dissipation, de luxe et de bruit, trahissaient des efforts deTantale pour embrasser de fuyants plaisirs. Quelques rougeurs semées sur le visage de la jeunefemme attestaient la finesse de sa peau, mais ses traits étaient comme grossis, et le cercle brunqui se dessinait sous ses yeux semblait être plus fortement marqué qu’à l’ordinaire. Néanmoinsla nature avait assez d’énergie en elle pour que ces indices de folie n’altérassent pas sa beauté.Ses yeux étincelaient. Semblable à l’une de ces Hérodiades dues au pinceau de Léonard de Vinci(j’ai brocanté les tableaux), elle était magnifique de vie et de force ; rien de mesquin dans sescontours ni dans ses traits, elle inspirait l’amour, et me semblait devoir être plus forte quel’amour. Elle me plut. Il y avait long-temps que mon cœur n’avait battu. J’étais donc déjà payé !je donnerais mille francs d’une sensation qui me ferait souvenir de ma jeunesse. – Monsieur, medit-elle en me présentant une chaise, auriez-vous la complaisance d’attendre ? – Jusqu’à demainmidi, madame, répondis-je en repliant le billet que je lui avais présenté, je n’ai le droit deprotester qu’à cette heure-là. Puis, en moi-même, je me disais : – Paie ton luxe, paie ton nom,paie ton bonheur, paie le monopole dont tu jouis. Pour se garantir leurs biens, les riches ontinventé des tribunaux, des juges, et cette guillotine, espèce de bougie où viennent se brûler lesignorants. Mais, pour vous qui couchez sur la soie et sous la soie, il est des remords, desgrincements de dents cachés sous un sourire, et des gueules de lions fantastiques qui vousdonnent un coup de dent au cœur. – Un protêt ! y pensez-vous ? s’écria-t-elle en me regardant,vous auriez si peu d’égards pour moi ! – Si le roi me devait, madame, et qu’il ne me payât pas,je l’assignerais encore plus promptement que tout autre débiteur. En ce moment nous entendîmes

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frapper doucement à la porte de la chambre. – Je n’y suis pas ! dit impérieusement la jeunefemme. – Anastasie, je voudrais cependant bien vous voir. – Pas en ce moment, mon cher,répondit-elle d’une voix moins dure, mais néanmoins sans douceur. – Quelle plaisanterie ! vousparlez à quelqu’un, répondit en entrant un homme qui ne pouvait être que le comte. La comtesseme regarda, je la compris, elle devint mon esclave. Il fut un temps, jeune homme, où j’aurais étépeut-être assez bête pour ne pas protester. En 1763, à Pondichéry, j’ai fait grâce à une femme quim’a joliment roué. Je le méritais, pourquoi m’étais-je fié à elle ? – Que veut monsieur ? medemanda le comte. Je vis la femme frissonnant de la tête aux pieds, la peau blanche et satinée deson cou devint rude, elle avait, suivant un terme familier, la chair de poule. Moi, je riais, sansqu’aucun de mes muscles ne tressaillît. – Monsieur est un de mes fournisseurs, dit-elle. Le comteme tourna le dos, je tirai le billet à moitié hors de ma poche. A ce mouvement inexorable, lajeune femme vint à moi, me présenta un diamant : – Prenez, dit elle, et allez-vous-en. Nouséchangeâmes les deux valeurs, et je sortis en la saluant. Le diamant valait bien une douzaine decents francs pour moi. Je trouvai dans la cour une nuée de valets qui brossaient leurs livrées,ciraient leurs bottes ou nettoyaient de somptueux équipages. – Voilà, me dis-je, ce qui amène cesgens-là chez moi. Voilà ce qui les pousse à voler décemment des millions, à trahir leur patrie.Pour ne pas se crotter en allant à pied, le grand seigneur, ou celui qui le singe, prend une bonnefois un bain de boue ! En ce moment, la grande porte s’ouvrit, et livra passage au cabriolet dujeune homme qui m’avait présenté le billet. – Monsieur, lui dis-je quand il fut descendu, voicideux cents francs que je vous prie de rendre à madame la comtesse, et vous lui ferez observerque je tiendrai à sa disposition pendant huit jours le gage qu’elle m’a remis ce matin. Il prit lesdeux cents francs, et laissa échapper un sourire moqueur, comme s’il eût dit : – Ha ! elle a payé.Ma foi, tant mieux ! J’ai lu sur cette physionomie l’avenir de la comtesse. Ce joli monsieurblond, froid, joueur sans âme se ruinera, la ruinera, ruinera le mari, ruinera les enfants, mangeraleurs dots, et causera plus de ravages à travers les salons que n’en causerait une batteried’obusiers dans un régiment. Je me rendis rue Montmartre, chez mademoiselle Fanny. Je montaiun petit escalier bien raide. Arrivé au cinquième étage, je fus introduit dans un appartementcomposé de deux chambres où tout était propre comme un ducat neuf. Je n’aperçus pas lamoindre trace de poussière sur les meubles de la première pièce où me reçut mademoiselleFanny, jeune fille parisienne, vêtue simplement : tête élégante et fraîche, air avenant, descheveux châtains bien peignés, qui, retroussés en deux arcs sur les tempes, donnaient de lafinesse à des yeux bleus, purs comme du cristal. Le jour, passant à travers de petits rideauxtendus aux carreaux, jetait une lueur douce sur sa modeste figure. Autour d’elle, de nombreuxmorceaux de toile taillés me dénoncèrent ses occupations habituelles, elle ouvrait du linge. Elleétait là comme le génie de la solitude. Quand je lui présentai le billet, je lui dis que je ne l’avaispas trouvée le matin. – Mais, dit-elle, les fonds étaient chez la portière. Je feignis de ne pasentendre. – Mademoiselle sort de bonne heure, à ce qu’il paraît ? – Je suis rarement hors de chezmoi ; mais quand on travaille la nuit, il faut bien quelquefois se baigner. Je la regardai. D’uncoup d’œil, je devinai tout. C’était une fille condamnée au travail par le malheur, et quiappartenait à quelque famille d’honnêtes fermiers, car elle avait quelques-uns de ces grains derousseur particuliers aux personnes nées à la campagne. Je ne sais quel air de vertu respirait dansses traits. Il me sembla que j’habitais une atmosphère de sincérité, de candeur, où mes poumonsse rafraîchissaient. Pauvre innocente ! elle croyait à quelque chose : sa simple couchette en boispeint était surmontée d’un crucifix orné de deux branches de buis. Je fus quasi touché. Je mesentais disposé à lui offrir de l’argent à douze pour cent seulement, afin de lui faciliter l’achat dequelque bon établissement. – Mais, me dis-je, elle a peut-être un petit cousin qui se ferait de

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l’argent avec sa signature, et grugerait la pauvre fille. Je m’en suis donc allé, me mettant engarde contre mes idées généreuses, car j’ai souvent eu l’occasion d’observer que quand labienfaisance ne nuit pas au bienfaiteur, elle tue l’obligé. Lorsque vous êtes entré, je pensais queFanny Malvaut serait une bonne petite femme ; j’opposais sa vie pure et solitaire à celle de cettecomtesse qui, déjà tombée dans la lettre de change, va rouler jusqu’au fond des abîmes du vice !Eh ! bien, reprit-il après un moment de silence profond pendant lequel je l’examinais, croyez-vous que ce ne soit rien que de pénétrer ainsi dans les plus secrets replis du cœur humain,d’épouser la vie des autres, et de la voir à nu ? Des spectacles toujours variés : des plaieshideuses, des chagrins mortels, des scènes d’amour, des misères que les eaux de la Seineattendent, des joies de jeune homme qui mènent à l’échafaud, des rires de désespoir et des fêtessomptueuses. Hier, une tragédie : quelque bonhomme de père qui s’asphyxie parce qu’il ne peutplus nourrir ses enfants. Demain, une comédie : un jeune homme essaiera de me jouer la scènede monsieur Dimanche, avec les variantes de notre époque. Vous avez entendu vanterl’éloquence des derniers prédicateurs, je suis allé parfois perdre mon temps à les écouter, ilsm’ont fait changer d’opinion, mais de conduite, comme disait je ne sais qui, jamais. Hé ! bien,ces bons prêtres, votre Mirabeau, Vergniaud et les autres ne sont que des bègues auprès de mesorateurs. Souvent une jeune fille amoureuse, un vieux négociant sur le penchant de sa faillite,une mère qui veut cacher la faute de son fils, un artiste sans pain, un grand sur le déclin de lafaveur, et qui, faute d’argent, va perdre le fruit de ses efforts, m’ont fait frissonner par lapuissance de leur parole. Ces sublimes acteurs jouaient pour moi seul, et sans pouvoir metromper. Mon regard est comme celui de Dieu, je vois dans les cœurs. Rien ne m’est caché. L’onne refuse rien à qui lie et délie les cordons du sac. Je suis assez riche pour acheter lesconsciences de ceux qui font mouvoir les ministres, depuis leurs garçons de bureau jusqu’à leursmaîtresses : n’est-ce pas le Pouvoir ? Je puis avoir les plus belles femmes et leurs plus tendrescaresses, n’est-ce pas le Plaisir ? Le Pouvoir et le Plaisir ne résument-ils pas tout votre ordresocial ? Nous sommes dans Paris une dizaine ainsi, tous rois silencieux et inconnus, les arbitresde vos destinées. La vie n’est-elle pas une machine à laquelle l’argent imprime le mouvement.Sachez-le, les moyens se confondent toujours avec les résultats : vous n’arriverez jamais àséparer l’âme des sens, l’esprit de la matière. L’or est le spiritualisme de vos sociétés actuelles.Liés par le même intérêt, nous nous rassemblons à certains jours de la semaine au café Thémis,près du Pont-Neuf. Là, nous nous révélons les mystères de la finance. Aucune fortune ne peutnous mentir, nous possédons les secrets de toutes les familles. Nous avons une espèce de livrenoir où s’inscrivent les notes les plus importantes sur le crédit public, sur la Banque, sur leCommerce. Casuistes de la Bourse, nous formons un Saint-Office où se jugent et s’analysent lesactions les plus indifférentes de tous les gens qui possèdent une fortune quelconque, et nousdevinons toujours vrai. Celui-ci surveille la masse judiciaire, celui-là la masse financière ; l’un lamasse administrative, l’autre la masse commerciale. Moi, j’ai l’œil sur les fils de famille, lesartistes, les gens du monde, et sur les joueurs, la partie la plus émouvante de Paris. Chacun nousdit les secrets du voisin. Les passions trompées, les vanités froissées sont bavardes. Les vices, lesdésappointements, les vengeances sont les meilleurs agents de police. Comme moi, tous mesconfrères ont joui de tout, se sont rassasiés de tout, et sont arrivés à n’aimer le pouvoir etl’argent que pour le pouvoir et l’argent même. Ici, dit-il, en me montrant sa chambre nue etfroide, l’amant le plus fougueux qui s’irrite ailleurs d’une parole et tire l’épée pour un mot, prieà mains jointes ! Ici le négociant le plus orgueilleux, ici la femme la plus vaine de sa beauté, icile militaire le plus fier prient tous, la larme à l’œil ou de rage ou de douleur. Ici prient l’artiste leplus célèbre et l’écrivain dont les noms sont promis à la postérité. Ici enfin, ajouta-t-il en portant

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la main à son front, se trouve une balance dans laquelle se pèsent les successions et les intérêtsde Paris tout entier. Croyez-vous maintenant qu’il n’y ait pas de jouissances sous ce masqueblanc dont l’immobilité vous a si souvent étonné, dit-il en me tendant son visage blême quisentait l’argent. Je retournai chez moi stupéfait. Ce petit vieillard sec avait grandi. Il s’étaitchangé à mes yeux en une image fantastique où se personnifiait le pouvoir de l’or. La vie, leshommes me faisaient horreur. – Tout doit-il donc se résoudre par l’argent ? me demandais-je. Jeme souviens de ne m’être endormi que très-tard. Je voyais des monceaux d’or autour de moi. Labelle comtesse m’occupa. J’avouerai à ma honte qu’elle éclipsait complètement l’image de lasimple et chaste créature vouée au travail et à l’obscurité ; mais le lendemain matin, à travers lesnuagesnuées de mon réveil, la pure et céleste douce Fanny m’apparut dans toute sa beauté, et jene pensai plus qu’à elle.¶

– Voulez-vous un verre d’eau sucrée ?... dit la vicomtesse en interrompantl’avouéDerville.¶

– Volontiers, répondit-il.¶Madame de Grandlieu sonna.¶

– Mais, dit-elle, je ne vois là-dedans rien qui puisse nous concerner…¶, dit madame deGrandlieu en sonnant.¶

– Sardanapale !... s’écria l’avoué (c’étaitDerville en lâchant son juron). Je, je vais bienréveiller mademoiselle Camille en lui disant que son bonheur dépend aujourd’huidépendaitnaguère du pèrepapa Gobseck ; et quant, mais comme le bonhomme est mort à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, monsieur de Restaud entrera bientôt en possession d’une belle fortune. Ceci veutdes explications. Quant à Fanny Malvaut ?..., vous la connaissez ?... – C’est, c’est ma femme !¶

– Le pauvre garçon !, répliqua la vicomtesse, avouerait cela devant vingt personnes, avecsa franchise ordinaire.¶

– Je le crierais à tout l’univers.…, dit l’avoué.¶– Buvez, buvez, mon pauvre ami ; vous Derville. Vous ne serez jamais rien, que le plus

heureux et le meilleur des hommes…¶.¶– Vous allez continuer ? dit Camille.¶ – Certainement.¶

– Je vous ai laissé rue du Helder, chez une comtesse !..., s’écria le vieux marquis enmontrant unel’oncle en relevant sa tête légèrement assoupie. Qu’en avez-vous fait ?...¶?¶

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L’AVOUÉ.¶ ¶

QUELQUES – Quelques jours après la conversation que j’avais eue avec M.Gobseckle vieux Hollandais, je passai ma thèse., reprit Derville. Je fus reçu licencié endroitDroit, et puis, avocat. La confiance que le vieil avare avait en moi, s’accrutbeaucoup. Il me consultait gratuitement sur les affaires épineuses dans lesquelles ils’embarquait avec une audace incroyabled’après des données sûres, et cetqui eussentsemblé mauvaises à tous les praticiens. Cet homme, sur lequel personne n’aurait puprendre le moindre empire, écoutait mes conseils avec une sorte de respect. Il est vraiqu’il s’en était trouvait toujours très-bien trouvé.. Enfin, le jour où je fus nommé maître-clerc de l’étude où je travaillais depuis trois ans, je quittai la maison de la rue desGrésGrès, et j’allai demeurer chez mon patron, qui me donnait la table et , le logement.¶ et cent cinquante francs par mois. Ce fut un beau jour ! Quand je fis mes adieux àl’usurier, il ne me témoigna ni amitié ni déplaisir. Il , il ne m’engagea pas à le venir voirquelques fois ; mais voir ; il me jeta seulement un de ces regards profonds qui, chez lui,semblent semblaient en quelque sorte trahir le don de seconde vue.¶ Au bout de huitjours, je reçus la visite de mon ancien voisin. Il , il m’apportait une affaire assez difficile.C’était, une expropriation. Il ; il continua ses consultations gratuites auprès de moi, avecautant de liberté que s’il me payait fort cher.. A la fin de la seconde année, de 1818 à1819, mon patron, homme de plaisir et fort dépensier, se trouva dans une gêneconsidérable. Il était , et fut obligé de vendre sa charge. En Quoique en ce moment (nousétions en 1816), les études n’avaientles Etudes n’eussent pas encore acquis la valeurexorbitante à laquelle elles sont montées aujourd’hui, de sorte qu’en mon patron donnaitla sienne, en n’en demandant soixante-dixque cent cinquante mille francs de sa charge,mon patron la donnait presque.. Un homme actif, instruit et , intelligent, pouvait en deuxannées, gagner vivre honorablement, payer les intérêts de cette somme, et s’en libérer endix années pour peu qu’il inspirât de confiance.¶ Je Moi, le septième enfant d’un petitbourgeois de Noyon, je ne possédais pas une obole, et je ne connaissais dans le mondeentier, d’autre capitaliste que le pèrepapa Gobseck. Une pensée ambitieuse, et une je nesais quelle lueur d’espoir me prêtèrent le courage d’aller le trouver l’usurier.¶ . Un soirdonc, je cheminai lentement jusqu’à la rue des Grés.Grès. Le cœur me battit bienfortement quand je frappai à la sombre porte.¶ maison. Je me souvenais de tout ce quem’avait dit autrefois le vieil avare, dans un temps où j’étais bien loin de soupçonner laviolence des angoisses qui commençaient au seuil de cette porte.¶ J’allais donc le priercomme tant d’autres…¶ . – EhEh ! bien, non, me dis-je, un honnête homme doit garderpartout garder sa dignité. La fortune ne vaut pas une lâcheté.¶ , montrons-nous positifautant que lui. Depuis mon départ, le pèrepapa Gobseck avait loué ma chambre pour nepas avoir de voisin ; il avait aussi fait poser une petite chattière grillée au milieu de saporte ;, et ceil ne futm’ouvrit qu’après avoir reconnu ma figure qu’il m’ouvrit.¶ .– HéHé ! bien, me dit-il de sa petite voix flûtée, il paraît que votre patron vend sonétude…¶ Etude. – Comment savez-vous cela ? – Il n’en a encore parlé qu’à moi…¶

. Les deux lèvres du vieillard se tirèrent vers les coins de sa bouche, absolumentcomme des rideaux ; puis,, et ce sourire muet fut accompagné d’un regard profond etfroid.¶

– Il fallait cela pour que je vous visse chez moi ?.., ajouta-t-il d’un ton sec etaprès une pause pendant laquelle je demeurai confondu…¶

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. – Ecoutez-moi, M.monsieur Gobseck, repris-je avec autant de calme que je pusen affecter ; car le affecter devant ce vieillard qui fixait sur moi des yeux impassibles etdont le feu clair me troublait.¶

Il fit un geste comme pour me dire : parlez ?¶ – Parlez. – Je sais qu’il est fort difficile de vous émouvoir ; ainsi, je. Aussi ne

perdrai -je pas mon éloquence à essayer de vous peindre la situation d’un orphelin quin’a pas un clerc sans le sou, qui n’espère qu’en vous, et n’a dans le monde d’autre cœurque le vôtre auquel dans lequel il puisse confier les inquiétudestrouver l’intelligence deson avenir. Tout cela est fort beau ; mais les Laissons le cœur. Les affaires se fontcomme des affaires, et non pas comme des romans, avec de la sensiblerie. Voici le fait.L’étude de mon patron rapporte annuellement entre ses mains une trentainevingtaine demille francs, ; mais je crois qu’entre les miennes elle en vaudra cinquante. – quarante. Ilveut la vendre soixante-dix cinquante mille francs, et je écus. Je sens là, dis-je en mefrappant le front, que si vous pouviez me prêter la somme nécessaire à cette acquisition,je serais libéré en deux dans dix ans…¶

. – Voilà parler ?... s’écria doucement, répondit le pèrepapa Gobseck.¶ Il qui me tendit la main et me la serra.¶ – la mienne. Jamais, depuis que je suis dans les affaires, reprit-il, personne ne

m’a déduit plus clairement les motifs de sa visite. – Des garanties ?... dit-il en me toisantde la tête aux pieds. – Néant. – , ajouta-t-il après une pause. Quel âge avez-vous ?...¶

– Vingt-sept cinq ans… dans dix jours, répondis-je.¶ ; sans cela, je ne pourrais traiter. – Juste ! – Hé ! bien ? – Possible. – Ma foi, il

faut aller vite sans cela, j’aurai des enchérisseurs. – Apportez moi demain matin votreextrait de naissance, et nous parlerons de votre affaire. J’y : j’y songerai.¶

Le lendemain, à huit heures, j’étais chez le vieillard. Il prit le papier officiel, mitses lunettes, toussa, cracha, s’enveloppa dans sa houppelande noire, et lut l’extrait desregistres de la mairie tout entier ; puis . Puis il le tourna, le retourna, me regarda,retoussa, s’agita sur sa chaise, et enfin il me dit :¶

: – C’est une affaire que nous allons tâcher d’arranger…¶ . Je tressaillis…¶ . – Je tire cinquante pour cent de mes fonds, reprit-il.¶ , quelquefois cent, deux cents, cinq cents pour cent. A ces mots, je pâlis.¶ – Mais, en faveur de notre connaissance, je me contenterai de douze et demi pour

cent d’intérêt, cela par... Il hésita. – Eh ! bien oui, pour vous je me contenterai de treizepour cent par an. Cela vous va-t-il ?¶

– Oui, répondis-je.¶ – Mais si c’est trop, répliqua-t-il, défendez-vous ; moi, je , Grotius ! Il m’appelait

Grotius en plaisantant. En vous demande douze et demidemandant treize pour cent ;mais, je fais mon métier ; voyez si vous pouvez les payer ?.. – . Je n’aime pas un hommequi tope à tout ?. Est-ce trop ?¶

– Non, dis-je, je serai quitte pour prendre un plus de mal.¶ – Parbleu, ce sont vos cliens qui payeront cela !...¶ ! dit-il en me jetant son malicieux regard oblique, vos clients paieront. – Non, de

par tous les diables !..., m’écriai-je, ce sera moi !.... Je me couperais la main plutôt qued’écorcher le monde…¶

! – Bonsoir…, me dit le pèrepapa Gobseck.¶

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1 orig. : une

– Mais les honoraires sont tarifés.…, repris-je.¶ – Ils ne le sont pas, reprit-il, pour les transactions, pour les attermoyemens,

attermoiements, pour les conciliations !.. Alors vous . Vous pouvez alors compter desmille francs, des dix six mille francs même, suivant l’importance des intérêts, pour vosconférences, vos courses, vos projets d’actes, vos mémoires et votre verbiage. Il fautsavoir rechercher ces sortes d’affaires. Je vous recommanderai comme le plus savant et leplus habile des avoués, et je vous enverrai tant de procès de ce genre-là, que vous ferezcrever tous vos confrères de jalousie. Werbrust, Palma, Gigonnet, mes confrères, vousdonneront leurs expropriations, ; et , Dieu sait s’ils en ont !.. Alors vous Vous aurezdeux clientelles !..ainsi deux clientèles, celle que vous achetez et celle que je vousfais…ferai. Vous devriez presque me donner quinze pour cent de mes soixante-dix millefrancs.¶

cent cinquante mille fracs. – Soit, mais pas plus, dis-je.¶ avec la fermeté d’un homme qui ne voulait plus rien accorder au delà. Le

pèrepapa Gobseck se radoucit.¶ et pa- rut content de moi. – Je payeraipaierai moi-même, reprit-il, la charge à

votre patron, de manière à m’établir un privilége bien solide sur le prix et lecautionnement.¶

– Oh ! tout ce que vous voudrez pour les garanties…¶ . – Puis , vous m’en représenterez la valeur en soixante-dix quinze lettres- de-

change acceptées en blanc, chacune pour une somme de dix mille francs.¶ – Pourvu que cette double valeur soit constatée….¶ . – Non, s’écria Gobseck, pourquoi en m’interrompant. Pourquoi voulez-vous

avoir moinsque j’aie plus de confiance en moi que je n’en ai en vous…¶ que vous n’en avez en moi ? Je gardai le silence.¶ – Et puis vous ferez, dit-il en continuant avec un ton de bonhomie, toutes mes

affaires sans exiger d’honoraires, tant que je vivrai ;, n’est-ce pas ?..¶ – Soit, pourvu qu’il n’y ait pas d’avances de fonds…¶ – C’est juste !. – Juste ! dit-il. – Ah çà, reprit le vieillard dont la figure avait peine

à prendre un air de bonhomie, vous me permettrez d’aller vous voir ?..¶ – Vous me ferez toujours plaisir…¶ . – Oui, mais le matin, cela serait bien difficile ; vous . Vous aurez vos affaires, et

j’ai les miennes…¶ . – Venez le soir.¶ – OhOh ! non !.., répondit-il vivement, vous devez aller dans le monde, voir vos

cliens ; et moi, clients. Moi j’ai mes amis, à mon café.¶ – Eh – Ses amis ! pensai-je. Eh ! bien,, dis-je ? pourquoi ne pas prendre l’heure

du dîner ?..¶ – C’est cela !.., dit Gobseck. Après la Bourse, à cinq heures…. EhEh ! bien, vous

me verrez tous les mercredis et les samedis. Nous causerons de nos affaires comme un1

couple d’amis…. Ah ! ah ! je suis gai quelquefois, quand j’ai . Donnez-moi une aile deperdrix devant moi et un verre de vin de Champagne.¶

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, nous causerons. Je sais bien des choses qu’aujourd’hui l’on peut dire, et qui vousapprendront à connaître les hommes et surtout les femmes. – Va pour la perdrix et leverre de vin de Champagne !..¶

– Oh ! ne . – Ne faites pas de folies, carautrement vous perdriez ma confiance. Neprenez pas un grand train de maison. Ayez une vieille bonne ! Si je désire, une seule.J’irai vous visiter, c’est pour m’assurer de votre santé, . J’aurai un capital placé sur votretête, hé ! hé ! je dois m’informer de vos affaires…. Allons ? – Venez , venez ce soir avecvotre patron.¶

– Pourriez-vous me dire, s’il n’y a pas d’indiscrétion à vous questionner,demandai-je au le demander, dis-je au petit vieillard quand nous atteignîmes au seuil dela porte, qu’est-ce que de quelle importance était mon extrait de baptême a fait à mondans cette affaire ?..¶

M. Jean-Esther Van Gobseck haussa les épaules, puis il sourit malicieusement enme répondant :¶

– Que et me répondit : – Combien la jeunesse est sotte !.... Apprenez donc,monsieur l’avoué, car il faut que vous le sachiez pour ne pas vous laisser prendre,qu’avant trente ans, la probité et le talent sont encore des espèces d’hypothèques ; maisque, passé. Passé cet âge, l’on ne peut plus guères compter sur un homme.¶

Et il ferma sa porte.¶ Un Trois mois après, j’étais avoué. Bientôt j’eus le bonheur, madame, de pouvoir

entreprendre l’affaireles affaires concernant la restitution de vos propriétés. Le gain deces procès me fit connaître, et en moins de deux ans, je me trouvai, malgré. Malgré lesintérêts énormes que j’avais à payer à Gobseck, en moins de cinq ans je me trouvai libred’engagemens, et possesseur d’une honnête fortune. Ce fut alors quej’épousaid’engagements. J’épousai Fanny Malvaut. Nous nous aimions que j’aimaissincèrement, et la . La conformité de nos destinées, de nos travaux, de nos succès ajoutaitje ne sais quoi de touchant àaugmentait la puretéforce de nos sentimens.¶

sentiments. Un de ses oncles, fermier devenu riche, était mort en lui laissantsoixante-dix mille francs qui m’aidèrent à m’acquitter. Depuis ce jour, ma vie n’a éténefut que bonheur et prospérité. Ne parlons donc plus de moi ; car il n’y a, rien d’aussin’est insupportable qu’comme un homme heureux.¶

Revenons à nos personnages. Un moisan après l’acquisition de mon étude, je metrouvai fus entraîné, presque malgré moi, à dans un déjeuner de garçon. Ce repas était lasuite d’une gageure qu’perdue par un de mes camarades avait perdue contre un jeunehomme alors fort en vogue dans le monde élégant.¶ Ce fat Monsieur de Trailles, la fleur du dandysme de ce temps là, jouissait d’uneimmense réputation. Il était la fleur du dandysme de ce temps là.....¶

– Mais il en jouit encore, dit le comte de Born en interrompant l’avoué. Nul neportaitporte mieux un habit, ne conduisaitconduit un tandem mieux un Tandem. Toutesles femmes en raffolaient.que lui. Maxime a le talent de jouer, de manger et de boire avecplus de grâce que qui que ce soit au monde. Il se connaissaitconnaît en chevaux, enchapeaux, en tableaux. Il dépensait près de Toutes les femmes raffolent de lui. Il dépensetoujours environ cent mille francs par an, sans qu’on lui connûtconnaisse une seulepropriété, ni un seul coupon de rente. Il avait le talent de jouer, de manger et de boireavec plus de grâce que qui que ce fût au monde.¶

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C’était le typeType de la chevalerie errante de nos salons, de nos boudoirs, de nosboulevards ;, espèce amphibie qui tient autant de l’homme que de la femme. C’était , lecomte Maxime de Trailles est un être singulier, bon à tout et propre à rien ;, craint etméprisé ;, sachant et ignorant tout ;, aussi prèscapable de commettre un bienfait que derésoudre un crime ;, tantôt lâche et tantôt noble ;, plutôt couvert de boue que taché desang ;, ayant plus de soucis que de remords ;, plus occupé de bien digérer que de penser ;,feignant des passions et ne ressentant rien ; anneau. Anneau brillant qui pourrait unir lebagneBagne à la haute société. C’était enfin un homme appartenant, Maxime de Traillesest un homme qui appartient à cette classe éminemment intelligente d’où s’élancentparfois un Mirabeau, un Pitt, un Richelieu ;, mais qui le plus souvent fournit des Jeffries,des Laubardemontcomtes de Horn, des Fouquier-Tinville et des Coignard.¶

J’avais – Eh ! bien, reprit Derville après avoir écouté le frère de la vicomtesse,j’avais beaucoup entendu parler de ce personnage, et par ce pauvre père Goriot, l’un demes clients, mais j’avais évité déjà plusieurs fois le dangereux honneur de me rencontreravec lui.sa connaissance quand je le rencontrais dans le monde. Cependant moncamarade me fit de telles instances pour obtenir de moi, d’aller à son déjeuner, que je nepouvais m’en dispenser sans être taxé de bégueulisme.¶

Il vous serait difficile de concevoir un déjeuner de garçon., madame. C’estd’abord une magnificence et une recherche rares en fait de service et de comestibles.C’est, le luxe d’un avare qui, par vanité, devient fastueux pour un jour. En entrant, on estsurpris de l’ordre qui règne sur une table éblouissante d’argent, de cristaux, de lingedamassé. Cette pompe est merveilleuse. La vie est là dans sa fleur. Les : les jeunes genssont frais, gracieux. Ils , ils sourient et, parlent bas. Ils et ressemblent à de jeunesmariées, autour d’eux tout est vierge. Puis deuxDeux heures plus tard, c’est comme unaprès, vous diriez d’un champ de bataille après le combat. Partout : partout des verresbrisés, des serviettes foulées, chiffonnées ; ça et là des mets entamés qui répugnent àvoir ; puis, ce sont c’est des cris à fendre la tête, des toasts plaisants, un feud’épigrammes et de mauvaises plaisanteries, des visages empourprés, des yeuxenflammés qui ne disent plus rien, des confidences involontaires qui disent tout.¶

Au milieu d’un tapage infernal, les uns cassent des bouteilles, d’autres entonnentdes chansons. L’on ; l’on se porte des défis. Il , l’on s’embrasse ou l’on se bat ; il s’élèveun parfum détestable composé de cent odeurs et des cris composés de cent voix. On ;personne ne sait plus ce qu’on qu’il mange, ce qu’on qu’il boit, ni ce qu’on dit. Les qu’ildit ; les uns sont tristes, les autres babillent ; celui-ci est monomane et répète le mêmemot comme une cloche qu’on a mise en branle, et ; celui-là veut commander au tumulte ;le plus sage propose une orgie. Si unquelque homme de sang-froid entrait, il se croirait àune Bacchanale.¶

quelque bacchanale. Ce fut au milieu d’un tumulte semblable et dont rien ne peutvous donner l’idée, que le chefmonsieur de ce festin classiqueTrailles essaya des’insinuer dans mes bonnes grâces. J’avais à peu près conservé ma raison et, j’étais surmes gardes. Quant à lui, quoiqu’il affectât d’être décemment ivre, il était plein de sang-froid et songeait à ses affaires. En effet, je ne sais comment cela se fit ;, mais en sortantdes salons de Grignon, sur les neuf heures du soir, il m’avait entièrement ensorcelé, et jelui avais promis de l’amener le lendemain chez M.notre papa Gobseck, le lendemain.¶

. Les mots : honneur, – vertu, – comtesse, – femme honnête, – malheur, s’étaientplacés, grâces, grâce à sa langue dorée, placés comme par magie, dans ses discours.

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Lorsque je me réveillai le lendemain matin, et que je voulus me souvenir de ce quej’avais fait la veille, j’eus beaucoup de peine à lier quelques idées.¶

Enfin, il me sembla que je ne sais quelle comtesse la fille d’un de mes clientsétait en danger de perdre sa réputation, l’estime et l’amour de son mari, si elle ne trouvaitpas une cinquantaine de mille francs dans la matinée. Il y avait des dettes de jeu, desmémoires de carrossier, de l’argent perdu à la loterie ; et, mon je ne sais à quoi. Monprestigieux convive m’avait assuré qu’elle était assez riche pour réparer par quelquesannées d’économie, l’échec qu’elle allait faire à sa fortune.¶

Alors seulement, Seulement alors je commençai à deviner la cause des instancesde mon camarade ; mais j’avoue. J’avoue, à ma honte, que je ne me doutais nullement,de l’importance qu’il y avait pour mon séducteurle papa Gobseck à se raccommoder avecM. Gobseck.¶

ce dandy. Au moment où je me levais, le jeune fashionablemonsieur de Traillesentra.¶

– Monsieur le vicomte, lui dis-je après nous être adressé lescomplimenscompliments d’usage, je ne vois pas que vous ayez besoin de moi, pour vousprésenter chez M.Van Gobseck. C’est, le plus poli, le plus anodin de tous les capitalistes.Il vous donnera de l’argent s’il en a, ou plutôt si vous lui présentez des garantiessuffisantes…¶

. – Monsieur, me répondit-il, il n’entre pas dans ma pensée de vous forcer à merendre un service, quand même vous me l’auriez promis…¶

. – Sardanapale, ! me dis-je en moi-même, laisserais-je croire à cet homme-là queje lui manque de parole !¶

? – J’ai eu l’honneur de vous dire hier que je m’étais fort mal- à- propos brouilléavec le pèrepapa Gobseck ; et, dit-il en continuant. Or, comme il n’y a guères que lui àParis qui puisse cracher, en un moment, et le lendemain d’une fin de mois, une centainede mille francs, je vous avais prié de faire ma paix avec lui….. Mais n’en parlons plus...¶

Il Monsieur de Trailles me regarda d’un air poliment insultant et se disposait às’en aller, quand je lui dis :¶

. – Je suis prêt à vous conduire.¶ , lui dis-je. Lorsque nous arrivâmes rue des Grès, le jeune hommedandy regardait

autour de lui avec une attention et une inquiétude qui m’étonnèrent. Son visage devenaitlivide, rougissait et, jaunissait tour- à- tour. Il était en proie à une angoisse horrible, cardes , et quelques gouttes de sueur parurent sur son front quand il aperçut la porte de lamaison de M. Gobseck.¶

Au moment où nous descendîmes de tilburycabriolet, un fiacre entra dans la ruedes Grès.Grés. L’œil de faucon du jeune homme lui permit de distinguer une femme aufond de cette voiture ; et alors, une. Une expression de joie presque sauvage anima safigure. Il , il appela un petit garçon qui passait et lui donna son cheval à tenir.¶

Nous montâmes chez le vieil avare.¶ – Pèreescompteur. – Monsieur Gobseck, lui dis-je, je vous amène un de mes plus

intimes amis…¶ – Dont (de qui je me défie autant que du diable, ajoutai-je à l’oreille du

vieillard.¶ – ). A ma considération, vous lui rendrez vos bonnes grâces (au taux ordinaire), et

vous le tirerez de peine…¶

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– Si (si cela vous convient…¶ Le vicomte). Monsieur de Trailles s’inclina devant l’usurier, s’assit, et prit pour

l’écouter une de ces attitudes courtisanesques dont il est impossible de rendre la gracieusebassesse.¶

Le père Gobseck était resté vous eût séduit ; mais mon Gobseck resta sur sachaise, au coin de son feu, immobile, impassible. Il Gobseck ressemblait à la statue deVoltaire vue le soir sous le péristyle du Théâtre-Français. Il , il souleva légèrement,comme pour saluer, la casquette grise toute usée dont avec laquelle il se couvrait le chef,et le peu de crâne jaune qu’il montra achevait sa ressemblance avec le marbre.¶

– Je n’ai d’argent que pour mes pratiques…, dit l’usurier.¶ -il. – Vous êtes donc bien fâché que j’aie étéje sois allé me ruiner ailleurs que

chez vous, ? répondit le jeune hommecomte en riant.¶ – Ruiner ?..! reprit le père Gobseck d’un ton d’ironie.¶ – Allez-vous dire que l’on ne peut pas ruiner un homme qui ne possède rien ?..

Mais je vous défie de trouver à Paris un plus beau capital que moi ?..celui-ci, s’écria lefashionable en se levant et tournant sur ses talons.¶

Cette bouffonnerie presque sérieuse n’eut pas le don d’émouvoir Gobseck.¶ – Ne suis-je pas l’ami intime des Ronquerolles, des de Marsay, des Franchessini,

des deux Vandenesse, des Ajuda-Pinto, enfin, de tous les jeunes gens les plus à la modedans Paris ? Je suis au jeu l’allié d’un prince et d’un ambassadeur que vous connaissez.J’ai mes revenus à Londres, à Carlsbad, à Baden, à Bath. N’est-ce pas la plus brillantedes industries ?¶

– Vrai.¶ – Vous faites de moi une éponge de moi, mordieu ! et vous m’encouragez à me

gonfler au milieu du monde, pour me presser dans les moments de crise ; mais vous êtesaussi des éponges, et la mort vous pressera !..¶

. – Possible.¶ – Sans les dissipateurs, que deviendriez-vous ? car nous sommes tous à nous

deux l’âme et le corps.¶ – Juste…¶ . – Allons, une poignée de main, mon vieux papa Gobseck, et de la

magnanimité… Si , si cela est vrai, juste et possible.¶ – Vous venez à moi, répondit froidement l’usurier, parce que Girard, Palma,

Werbrust et Gigonnet ont le ventre plein de vos lettres de change. Ils les, qu’ils offrentpartout, à cinquante pour cent de perte ; maisor, comme ils n’ont probablement fournique moitié de la valeur, elles ne valent pas vingt-cinq…¶

– . Serviteur.¶ ! Puis-je décemment, dit Gobseck en continuant, prêter une seule obole à un

homme qui doit trente mille francs, et ne possède pas un denier. D’autant que vous ?Vous avez perdu dix mille francs, avant-hier au bal, chez M. Lafitte.¶

le baron de Nucingen. – Monsieur, répondit le jeune homme comte avec une rareimpudence, et en revenant verstoisant le vieillard, mes affaires ne vous regardent pas.Qui a terme, ne doit rien.¶

– Vrai !¶ – Mes lettres de change seront acquittées.¶ – Possible !¶

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– Et dans ce moment, la question entre nous, se réduit à savoir si je vous présentedes garanties suffisantes pour la somme que je viens vous emprunter…¶

. – Juste.¶ Le bruit que faisait le fiacre en s’arrêtant à la porte, retentit au-dehors.¶ dans la chambre. – Je vais aller chercher quelque chose qui vous satisfera peut-

être, s’écria le jeune homme.¶ – Oh – O mon fils !... s’écria le père Gobseck en se levant et me tendant les bras,

quand l’emprunteur eut disparu, s’il a de bon gages, tu me sauves la vie !.. j’en J’enserais mort. Werbrust et Gigonnet ont cru me faire une farce…. Grâce à toi, je vais bienrire ce soir à leurs dépens !..¶

. La joie du vieillard avait quelque chose d’effrayant.¶ Ce fut le seul moment d’expansion qu’il eut avec moi ; mais, malgré . Malgré la

rapidité de cette joie, elle ne sortira jamais de mon souvenir.¶ – Faites-moi le plaisir de rester ici.…, ajouta-t-il ; car, bien que je sois armé et

que je sois sûr de mon coup, je me défie singulièrement de cet homme….¶ . Quoique je sois armé, sûr de mon coup, comme un homme qui jadis a chassé le

tigre, et fait sa partie sur un tillac quand il fallait vaincre ou mourir, je me défie de cetélégant coquin. Il alla se rasseoir sur un fauteuil, devant son bureau. Sa figure redevintblême et calme.¶

– Oh !, oh !... reprit-il en se tournant vers moi, vous allez sans doute voir unpersonnage dont la belle créature de qui je vous ai parlé jadis ; car, j’entends dans lecorridor les pas d’une femme.¶

un pas aristocratique. En effet, le jeune homme revint en donnant la main à unedame femme en qui me parut avoir vingt-cinq à vingt-six ans. Elle était d’une beautéremarquable, et je n’eus pas de peine à reconnaître en ellereconnus cette comtesse dontGobseckle lever m’avait autrefois été dépeint la détresse et le lever.¶

par Gobseck, l’une des deux filles du bonhomme Goriot. La comtesse ne me vitpas d’abord, je me tenais dans l’embrasure de la fenêtre, le visage à la vitre. En entrantdans la chambre humide et sombre de l’usurier, elle jeta un regard de défiance sur levicomte.Maxime. Elle était si belle que, malgré ses fautes, je la plaignis. Elle souffraitintérieurement, et l’on voyait qu’uneQuelque terrible angoisse agitait son cœur. Ses , sestraits nobles et fiers avaient une expression convulsive.¶

Je crus deviner que ce, mal déguisée. Ce jeune homme était devenu pour elle,comme un mauvais génie. J’admirais le père Gobseck, qui, troisquatre ans plus tôt, avaitcompris la destinée de ces deux êtres sur un seul mot, d’après un geste, une inflexion devoix.¶ une première lettre de change. – Probablement, me dis-je, ilce monstre à visage d’ange lagouverne par tous les ressorts possibles : la vanité, la jalousie, le plaisir, l’entraînementdu monde. Les .¶

– Mais, s’écria la vicomtesse, les vertus mêmes de cette femme sont ont été pourlui des armes :, il lui a fait verser des larmes de dévouement ;, il exaltea su exalter en ellela générosité naturelle à sonnotre sexe, et il abusea abusé de sa tendresse, et il pour luivendvendre bien cher des plaisirs de criminels.¶

– Je vous avoue, Camille, dit l’avoué en s’adressant à mademoiselle plaisirs. – Jevous l’avoue, dit Derville qui ne comprit pas les signes que lui fit madame de Grandlieu,que si je ne pleurai pas sur le sort de cette malheureuse créature, si brillante aux yeux du

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monde et si épouvantable pour qui lisait dans son cœur, c’est que ; non, je frémissaisd’horreur en contemplant son assassin, ce jeune homme dont le front était si pur, labouche si fraîche, le sourire si gracieux, les dents si blanches, la peau douce et quiressemblait à un ange.¶

Ils étaient en ce moment tous deux devant leur juge, qui, sévère et froid, lesexaminait comme un vieux dominicain du XVI<^>e<D>seizième siècle devait épier lestortures de deux mauresMaures, au fond des souterrains du Saint-Office.¶

– Monsieur, dit-elle d’une voix tremblante, existe-t-il un moyen d’obtenir le prixdes diamansdiamants que voici…¶

Elle lui tendit un écrin.¶ En , mais en me réservant le droit de les racheter ?..¶ , dit-elle d’une voix tremblante en lui tendant un écrin. – Oui, madame, répondis-

je, c’est en intervenant et me montrant. Elle me regarda, me reconnut, laissa échapper unfrisson, et me lança ce coup-d’œil qui signifie en tout pays : Taisez-vous ! – Ceci, dis-jeen continuant, constitue un acte que nous appelons une vente à réméré…. L’on cède ettransporte , convention qui consiste à céder et transporter une propriété mobilière ouimmobilière pour un temps déterminé, à l’expiration duquel on peut rentrer dans sonbienl’objet en litige, moyennant une somme fixée.¶

Elle respira plus facilement.¶ Le vicomte Le comte Maxime fronça le sourcil, car il se doutait bien que l’usurier

donnerait alors une plus faible somme sur les diamansdes diamants, valeur sujette à deshausses et des baisses très-capricieuses.¶

. Gobseck était, immobile. Il, avait saisi sa loupe et contemplait silencieusementl’écrin.¶

Je vivrais Vivrais-je cent ans que , je n’oublierais pas le merveilleux tableau quenous offrit sa figure. Ses joues pâles s’étaient colorées. Ses , ses yeux, où lesscintillements des pierres semblaient se répéter, brillaient d’un feu surnaturel. Il se leva,alla au jour et, tint les diamansdiamants près de sa bouche démeublée, comme s’il voulaiteût voulu les dévorer. Les scintillemens de cette admirable parure semblaient se répéterdans ses yeux. Il marmottait de vagues paroles. Il soulevait, en soulevant tour à tour lesbracelets, les girandoles, les colliers, les diadêmes, et les diadèmes, qu’il présentait aujourà la lumière pour en juger l’eau, la blancheur, la taille. Il ; il les sortait de l’écrin, lesy remettait, les y reprenait encore, les faisait jouer en leur demandant tous leurs feux,plus enfant que vieillard, ou plutôt enfant et vieillard tout ensemble.¶

– Beaux diamans ! – diamants ! Cela aurait valu trois cent mille francs avant larévolution. – – Quelle eau ! Beaux diamans ! – Voilà de vrais diamants d’Asie venus deGolconde ou de Visapour ! En connaissez-vous le prix ?... Non, non, il n’y a queGobseck est le seul à Paris qui sache les apprécier cela…. Sous l’empire il aurait encorefallu plus de deux cent mille francs pour faire une parure semblable…¶

. Il fit un geste de dégoût et ajouta :¶ : – Maintenant le diamant perd tous les jours !...¶ – Le , le Brésil, l’Asie nous en accablent depuis la paix…¶ – On, et jette sur les places des diamants moins blancs que ceux de l’Inde. Les

femmes n’en porteportent plus qu’à la Cour…¶ Mais, toutcour. Madame y va ? Tout en lançant ces terribles paroles, il examinait

avec une joie indicible les pierres l’une après l’autre.¶

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: – Sans tache. – , disait-il. Voici une tache. – Voici une paille. – Beaudiamant…¶

Et son . Son visage blême était si bien illuminé par les feux de ces pierreries, queje le comparais à ces vieux miroirs verdâtres qu’on trouve dans les auberges de province,et qui acceptent les reflets lumineux sans les répéter et donnent la figure d’un hommetombant en apoplexie, au voyageur assez hardi pour s’y regarder.¶

– EhEh ! bien ? dit le vicomte en frappant sur l’épaule de Gobseck.¶ Le vieil enfant tressaillit. Il laissa ses hochets, les mit sur son bureau, s’assit, et

redevint usurier, dur, froid et, poli comme une colonne de marbre, dur, froid et poli.¶ : – Combien vous faut-il ?¶ – Cent mille francs, pour trois ans…¶ , dit le comte. – Possible !¶ Puis il tira dit Gobseck en tirant d’une boîte d’acajou des balances inestimables

pour leur justesse, c’était son écrin. à lui ! Il pesa les pierres, en évaluant à vue de pays,(et Dieu sait comme !) le poids des montures. Pendant cette opération, la figure deGobseck l’escompteur luttait entre la joie et la sévérité. Ce visage cadavéreux éclairé parces pierreries avait je ne sais quoi d’horrible.¶

La comtesse était immobile et plongée dans une stupeur dont je lui tenais compte.Il , il me sembla qu’elle comprenait toute l’horreurmesurait la profondeur du précipicevers lequeloù elle marchait.tombait. Il y avait encore des remords dans cette âme defemme et, il ne fallait peut-être qu’un effort, une main charitablement tendue pour lasauver. – Je , je l’essayai.¶

– Ces diamansdiamants sont à vous, madame ?... lui demandai-je d’une voixclaire.¶

Elle frissonna.¶ – Oui, monsieur…, répondit-elle en me lançant un regard d’orgueil.¶ – Voulez-vous faire le réméré ? – Faites le réméré, bavard ! me dit Gobseck en se

levant et me donnant montrant sa place au bureau.¶ – Madame est sans doute mariée ?... demandai-je.¶ encore. Elle inclina vivement la tête.¶ – Je ne ferai pas l’acte !..., m’écriai-je.¶ – Et pourquoi ?... dit Gobseck.¶ – Pourquoi ? repris-je en entraînant le vieillard dans l’embrâsurel’embrasure de

la fenêtre, et pour lui parlantparler à voix basse ; mais cette . Cette femme est étant enpuissance de mari. La vente à , le réméré sera nulle, et , vous ne pourriez pas exciper deopposer votre ignorance des faits. Il serait d’un fait constaté par l’acte que…¶

même. Vous seriez donc tenu de représenter les diamants qui vont vous êtredéposés, et dont le poids, les valeurs ou la taille seront décrits. Gobseck m’interrompitpar un signe de tête, et se tournant vers les deux coupables :¶

: – Il a raison, dit-il. Tout est changé. Quatre- vingt mille francs comptant, et vousme laisserez les diamans !... leur didiamants, ajouta-t-il d’une voix sourde et flûtée.¶

En fait de meubles, la possession vaut titre. – Mais…, répliqua le jeune homme.¶ – A prendre ou à laisser, reprit Gobseck, en remettant l’écrin à la comtesse.¶ Je me penchai vers elle, et lui dis à l’oreille :¶ , j’ai trop de risques à courir. – Vous feriez mieux de vous jeter aux pieds de

votre mari !...¶

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, lui dis-je à l’oreille en me penchant vers elle. L’usurier comprit sans doute mesparoles au mouvement de mes lèvres, et il me jeta un regard qui avait quelque chosed’infernal.¶

froid. La figure du jeune homme devint livide ; car l’hésitation. L’hésitation de lacomtesse était palpable. Il Le comte s’approcha d’elle, et, quoiqu’il parlât très-bas,j’entendis :¶

: – Adieu, Émiliechère Anastasie, sois heureuse ! quantQuant à moi, demain jen’aurai plus de soucis.¶

– Monsieur, s’écria la jeune femme, en s’adressant à Gobseck, j’accepte vosoffres.¶

– Allons donc ?..! répondit le vieillard, vous êtes bien difficile à confesser, mabelle dame.¶

Il signa un bon de cinquante mille francs tiré à vue sur la banqueBanque, et leremit à la comtesse.¶

– Maintenant, dit-il avec un sourire qui ressemblait assez à celui de Voltaire, jevais vous compléter votre somme par trente mille francs de lettres de change dont vousne me contesterez pas la bonté. ne me sera pas contestée. C’est de l’or en barres.¶

Et il présenta Monsieur vient de me dire : Mes lettres de change seront acquittées,ajouta-t-il en présentant des traites souscrites par le vicomte, et comte, toutes protestéesla veille à la requête de celui de ses confrères qui, probablement, les lui avait vendues àbas prix.¶

La figure du Le jeune homme devint aussi horrible à voir que celle d’un tigre. Ilpoussa un rugissement et s’écria :¶

au milieu duquel domina le mot : – Vieux coquin !..¶ Le pèrepapa Gobseck ne sourcilla pas ; mais , il tira d’un carton une sa paire de

pistolets, et dit froidement :¶ : – En ma qualité d’insulté, je tirerai le premier…¶ – Vous . – Maxime, vous devez des excuses à Monsieur ?... monsieur, s’écria

doucement la tremblante comtesse.¶ – Je n’ai pas eu l’intention de vous offenser…, dit le jeune homme en

balbutiant.¶ – Je le sais bien, répondit tranquillement Gobseck, vous n’aviez que

l’intentionvotre intention était seulement de ne pas payer vos lettres de change.¶ La comtesse salua, se leva , salua, et disparut, en proie sans doute à une profonde

horreur. Le vicomteMonsieur de Trailles fut forcé de la suivre ; mais avant de sortir :¶ : – S’il vous échappe une indiscrétion, Messieursmessieurs, dit-il, j’aurai votre

sang ou vous aurez le mien.¶ – Ainsi soit-il !.. – Amen, lui répondit Gobseck en serrant ses pistolets.¶ Puis, quand Pour jouer son sang, faut en avoir, mon petit, et tu n’as que de la

boue dans les veines. Quand la porte fut fermée et que les deux voitures partirent,ilGobseck se leva et, se mit à sauter de joiedanser en répétant comme un aliéné :¶

: – J’ai les diamans !..diamants ! j’ai les diamans… dediamants ! Les beauxdiamans !..diamants, quels diamans…diamants ! et pas cher…. Ah ! ah !WerbrustWertrust et Gigonnet, vous avez cru attraper le vieux papa Gobseck !... Ah !c’est votre maître !... Ego sum papa ! je suis votre maître à tous ! Intégralement payé !

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Comme ils seront sots, ce soir, quand je leur conterai celal’affaire, entre deux parties dedominos.¶

domino ! Cette joie sombre, cette férocité de sauvage, excitées par la possessionde quelques cailloux blancs, me firent tressaillir. J’étais muet et stupéfait.¶

– Ah, ah ! te voilà, mon garçon., dit-il. Nous dînerons ensemble ; nous . Nousnous amuserons… chez toi, par exemple ; car je n’ai pas de ménage ; et tous. Tous cesrestaurateurs, avec leurs coulis, leurs sauces et, leurs vins, empoisonneraient le diable.¶

L’expression de mon visage lui rendit subitement sa froide impassibilité.¶ – Vous ne concevez pas cela !, me dit-il en s’asseyant au coin de son feu.¶ Il foyer où il mit son poêlon de fer -blanc plein de lait sur le réchaud et me dit :¶ . – Voulez-vous déjeuner avec moi ? reprit-il, il y en aura peut-être assez pour

deux.¶ – Merci, répondis-je, je ne déjeune qu’à midi.¶ En ce moment des pas précipités retentirent dans le corridor, et l’inconnu.

L’inconnu qui survenait, s’arrêtant à la porte s’arrêta sur le palier de M. Gobseck, etfrappa violemment. Ces plusieurs coups avaient, pour ainsi dire,qui eurent un caractèrede fureur. L’usurier se leva, alla reconnaître par la chattière, et ouvrit.¶

Je vis entrer à un homme de trente-cinq ans environ.¶ Il , qui sans doute lui parut inoffensif, malgré cette colère. Le survenant

simplement vêtu, ressemblait au feu duc de Richelieu, c’était le comte que vous avez dûrencontrer et qui avait, passez-moi cette expression, la tournure aristocratique deshommes d’état de votre faubourg. Il était simplement vêtu et ressemblait un peu au feuduc de Richelieu. Sa figure empreinte d’une mélancolie habituelle témoignait en cemoment d’une irritation violente.¶

– Monsieur, dit-il, en s’adressant à Gobsek qui avait pris son attitudeGobseckredevenu calme, ma femme sort d’ici ?¶

– Possible.¶ – EhEh ! bien !, monsieur ?¶ – Eh bien !¶ – Ne , ne me comprenez-vous pas ?...¶ – Je n’ai pas l’honneur de connaître madame votre épouse…, répondit

l’usurier…. J’ai reçu beaucoup de monde ce matin : des femmes, des hommes….., desdemoiselles qui ressemblaient à des jeunes gens, et il des jeunes gens qui ressemblaient àdes demoiselles.. Il me serait bien difficile de.....¶

– Trève de stratagêmes – Trêve de plaisanterie, monsieur, je parle de la femmequi sort à l’instant de chez vous.¶

– Comment puis-je savoir si elle est votre femme ?... , demanda l’usurier. Je , jen’ai jamais eu l’avantage de vous voir.¶

– Vous vous trompez, monsieur Gobseck, dit l’inconnu,le comte avec un profondaccent d’ironie. Nous nous sommes rencontrés dans la chambre de ma femme, un matin.Vous veniez toucher un billet souscrit par elle, un billet qu’elle ne devait pas.¶

– Ce n’était pas mon affaire de rechercher de quelle manière elle en avait reçu lavaleur ?..., répliqua Gobseck, en lançant un regard malicieux au comte. – J’avaisescompté l’effet à l’ un de mes confrères.¶

– D’ailleurs, monsieur, dit le capitaliste sans s’émouvoir ni presser son débit eten versant du café dans sa jatte de lait, vous me permettrez de vous faire observer qu’il

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ne m’est pas prouvé que vous ayez le droit de me faire des remontrances chez moi. Je : jesuis majeur !¶

majeur depuis l’an soixante et un du siècle dernier. – Monsieur, vous venezd’acheter à vil prix des diamansdiamants de famille qui n’appartenaient pas à ma femme.– Ce sont des diamans de famille.¶

– Sans me croire obligé de vous mettre dans le secret de mes affaires, je vousdirai, monsieur le comte, que si vos diamansdiamants vous ont été pris par madame lacomtesse, vous auriez dû prévenir tous , par une circulaire, les joailliers de Paris par unecirculaire, de ne pas les acheter, car elle a pu les vendre en détail.¶

– Monsieur ! s’écria le comte, vous connaissiez ma femme ?...¶ – Juste !¶ . – Vrai ? – Elle est en puissance de mari.¶ – Possible !¶ . – Elle n’avait pas le droit de disposer de ces diamans...¶ – Vrai.¶ – Eh bien ! monsieur…¶ diamants... – Juste. – EhEh ! bien !, monsieur ? – Eh ! bien monsieur, je connais

votre femme, elle est en puissance de mari, mais – je ne je le veux bien, elle est sousbien des puissances ; mais – je – ne – connais pas –vos diamans ; et, comme diamants. Simadame la comtesse signe des lettres- de- change, elle peut sans doute faire le commerce,et acheter des diamans…¶

diamants, en recevoir pour les vendre, ça s’est vu ! – Adieu, monsieur !, s’écria lecomte, pâle de colère, il y a des tribunaux !...¶

. – Juste !¶

. – Monsieur que voici, ajouta-t-il en me montrant, a été témoin de la vente.¶ – Possible.¶ Le comte allait sortir, quand tout-à-. Tout à coup, sentant l’importance de cette

affaire, je m’interposai entre les parties belligérantes.¶ – Monsieur le comte, dis-je, vous avez raison, et M.monsieur Gobseck n’aest

sans aucun tort. Vous ne sauriez poursuivre l’acquéreur, sans intenter un procès à sansfaire mettre en cause votre femme, et l’odieux de cette affaire ne retomberait pas sur elle,seulement.¶

Je suis avoué, et je me dois à moi-même encore plus qu’au qu’à mon caractèredont je suis revêtu,officiel de vous déclarer que les diamansdiamants dont vous parlez,ont été achetés par M.monsieur Gobseck en ma présence. Mais ; mais je crois que vousauriez tort de contester la légalité de cette vente. M. dont les objets sont d’ailleurs peureconnaissables. En équité, vous auriez raison ; en justice, vous succomberiez. MonsieurGobseck est trop honnête homme pour nier qu’elleque cette vente ait été effectuée à sonprofit ;, surtout quand ma conscience et mon devoir me forcent à l’avouer… Intentâssiez.Mais intentassiez-vous un procès…, monsieur le comte ?, l’issue en serait douteuse.Mais,Je vous pouvez faire une transaction amiableconseille donc de transiger avecM.monsieur Gobseck, et consentirqui peut exciper de sa bonne foi, mais auquel vousdevrez toujours rendre le prix de la vente. Consentez à un réméré de sept à huit mois,d’un an même, laps de temps qui vous permettra de rendre la somme empruntée parmadame la comtesse.¶

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à moins que vous ne préfériez les racheter dès aujourd’hui en donnant desgaranties pour le paiement. L’usurier trempait son pain dans la tasse de café et mangeaitavec une parfaite indifférence ; cependant mais au mot de réméré et de transaction, il meregarda comme s’il disait :¶

: – Le gaillard ! comme il profite de mes leçons.¶ De mon côté, je lui ripostai par une œillade qu’il comprit à merveille. En effet,

l’affaireL’affaire était fort douteuse, ignoble ; et il étaitil devenait urgent de transiger.J’aurais dit la vérité et Gobseck n’aurait pas eu la ressource de la dénégation…¶

, j’aurais dit la vérité. Le comte me remercia par un bienveillant sourire.¶ Après un débat dans lequel l’adresse et l’avidité de Gobseck auraient mis en

défaut toute la diplomatie d’un Congrèscongrès, je préparai un acte de réméré, par lequelle comte reconnut avoir reçu de l’usurier une somme de quatre-vingt-dixcinq millefrancs, déduction faite des intérêts compris, et moyennant la reddition de laquelle M.Gobseck s’engageait à remettre les diamansdiamants au comte, dans un an, à compter dece jour, faute de quoi, l’écrin appartiendrait à l’usurier.¶

. – Quelle dilapidation !...... s’écria le mari en signant. Comment jeter un pont surcet abîme ?...¶

– Monsieur, dit gravement le père Gobseck, avez-vous beaucoup d’enfans ?...¶ d’enfants ? Cette demande fit tressaillir le comte comme si, semblable à un savant

médecin, l’usurier eût mis tout- à- coup le doigt sur le siégesiège du mal.¶ Le mari ne répondit pas.¶ – EhEh ! bien, reprit Gobseck, en comprenant le douloureux silence du comte, je

sais toute votre histoire par cœur. Cette femme est un démon : vous l’aimez malgré sesfautes :démon que vous aimez peut-être encore ; je le crois bien, elle m’a émue… Maisvous . Peut-être voudriez -vous sauver votre fortune, la réserver à un ou deux de vosenfans…enfants. EhEh ! bien, jetez-vous dans le tourbillon du monde, jouez et, perdezcette fortune, venez trouver souvent le père Gobseck, on dira que j’ai été votre ruine… je. Le monde dira que je suis un juif, un arabe, un usurier, un corsaire, que je vous aurairuiné ! Je m’en moque… ! Si l’on m’insulte, je mets mon homme à bas, personne ne tireaussi bien le pistolet et l’épée que votre serviteur. On le sait ! Puis, ayez un ami, si vouspouvez en rencontrer un auquel vous ferez une vente simulée de vos biens…¶

. – N’appelez-vous pas cela un fidéi-commis ?.... me demanda-t-il en se tournantvers moi.¶

Le comte parut entièrement absorbé dans ses pensées, et nous quitta en noussaluant.¶

disant : – Vous aurez votre argent demain, monsieur, tenez les diamants prêts.– Ça m’a l’air d’être bête comme un honnête homme ?, me dit froidement le pèreGobseck quand le comte fut parti.¶

– Dites plutôt bête comme un homme passionné…¶ L’usurier hocha la tête.¶ . – Le comte vous doit les frais de l’acte…, s’écria-t-il en me voyant prendre

congé de lui.¶ Quelques tempsjours après cette scène qui m’avait initié aux terribles mystères

de la vie d’une femme à la mode, je vis entrer le comte, un matin, dans mon cabinet. Ilétait fort triste, changé, vieilli.¶

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– Monsieur, dit-il, je viens vous consulter sur des intérêts graves, en vous déclarant quej’ai en vous la confiance la plus entière, et j’espère vous en donner une grande preuve.despreuves. Votre conduite envers madame de Grandlieu (vous, dit le comte, est au-dessusde tout éloge.¶

– Vous voyez, madame, dit l’avoué à la vicomtesse, que j’ai mille fois reçu devous le prix d’une action toutebien simple), – votre conduite est au-dessus de tout éloge.¶

. Je m’inclinai respectueusement, et je répondis que je n’avais fait que remplir undevoir d’honnête homme.¶

– EhEh ! bien !, monsieur, j’ai pris beaucoup d’informations sur le singulierpersonnage auquel vous devez votre état., me dit le comte. D’après tout ce que l’on m’ena dit, je crois que c’estj’en sais, je reconnais en Gobseck un philosophe de l’écolecynique. Mais que Que pensez-vous de sa probité ?...¶

– Monsieur le comte, répondis-je, M. Gobseck est mon bienfaiteur... à quinzepour cent !, ajoutai-je en riant. Mais son avarice ne m’autorise pas à le peindreressemblant au profit d’un inconnu.¶

– Oh parlez – Parlez, monsieur ? – ! Votre franchise ne peut nuire ni à M.Gobseck, ni à vous ; car je . Je ne m’attends pas à rencontrertrouver un ange dans unprêteur.¶

– M. sur gages. – Le papa Gobseck, repris-je, est intimement convaincu d’unprincipe qui domine toute sa vie.sa conduite. Selon lui, l’argent est une marchandise quel’on peut, en toute sûreté de conscience, vendre cher ou bon marché, suivant sa rareté.lescas. Un capitaliste est à ses yeux un homme qui entre, par le fort denier qu’il réclame deson argent, comme associé par anticipation dans les entreprises et les spéculationslucratives. A part ses principes financiers et ses observations philosophiques sur la naturehumaine, qui lui permettent de se conduire en apparence comme un usurier, je suisintimement persuadé que, sorti de ses affaires, c’il est l’homme le plus délicat et le plusprobe qu’il y ait à Paris. Il y aexiste deux hommes en lui : il est avare et philosophe, petitet grand. Si je mourais en laissant des enfans,enfants il en serait le leur tuteur. Voilà,monsieur, sous quel aspect l’expérience m’a montré le père Gobseck. Je ne connais riende sa vie passée. Il peut avoir été corsaire, il a peut-être traversé l’Asie, l’Amériquelemonde entier en trafiquant des diamansdiamants ou des hommes ;, des femmes ou dessecrets d’état, mais je jure que c’est qu’aucune âme humaine n’a été ni plus fortementtrempée ni mieux éprouvée.¶

Le jour où je lui ai porté la somme qui m’acquit- tait envers lui, je lui demandai,non sans quelques précautions oratoires, quel sentiment l’avait poussé à me faire payer desi énormes intérêts, et par quelle raison, voulant m’obliger, moi son ami, il ne s’était paspermis un bienfait complet. – Mon fils, je t’ai dispensé de la reconnaissance en tedonnant le droit de croire que tu ne me devais rien, aussi sommes-nous les meilleurs amisdu monde. Cette réponse, monsieur, vous expliquera l’homme mieux que toutes lesparoles possibles. – Mon parti est irrévocablement pris, me dit le comte. Je vous pried’avoir la complaisance de préparerPréparez les actes nécessaires pour transporter à M.Gobseck la propriété de tous mes biens…. Je ne me fie qu’à vous, monsieur, pour larédaction de la contre-lettre par laquelle M. Gobseckil déclarera que cette vente estsimulée, et prendra l’engagement de remettre toute ma fortunema fortune administrée parlui comme il sait administrer, entre les mains de mon fils aîné, à l’époque de sa majorité.Maintenant, monsieur, je vous avouerai queil faut vous le dire : je craindrais de garder

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cet acte précieux chez moi, et que l’attachement. L’attachement de mon fils pour sa mèreme fait également redouter de lui confier cette contre-lettre : Oserai. Oserais-je vous prierd’en être le dépositaire ? En cas de mort, M. Gobseck m’a promis de vousinstituerinstituerait légataire de mes propriétés. Ainsi, tout est prévu.¶

Le comte frissonna garda le silence pendant un moment et parut très-agité.¶ – Mille pardons, monsieur, me dit-il après une pause, je souffre beaucoup, et ma

santé me donne les plus vives craintes. Des chagrins récensrécents ont troublé ma vied’une manière cruelle. Ils , et nécessitent la grande mesure que je prends et qui me futconseillé par votre vieil ami.¶

. – Monsieur, lui dis-je, permettez-moi de vous remercier d’abord de la confianceque vous avez en moi. Mais, je dois la justifier en vous faisant observer que par lescesmesures vous voulez prendre, vous exhérédez complètementcomplétement vos... autres…enfans. enfants. Ils portent votre nom, et ne. Ne fussent-ils que les enfansenfants d’unefemme que vous auriez autrefois aimée, maintenant déchue, ils ont droit à une certaineexistence. Je vous déclare que je n’accepte point la charge dont vous voulez bienm’honorer, si leur sort n’est pas fixé.¶

Ces paroles firenttirent tressaillir violemment le comte. Quelques larmes luivinrent aux yeux ; puis, il me serra la main en me disant :¶

: – Je ne vous connaissais pas encore tout entier !.... Vous venez de me causerautantà la fois de la joie queet de la peine. Nous fixerons la part de ces enfans-là,enfantspar les dispositions de la contre-lettre.¶ Il me quitta, et quand je Je le reconduisis jusqu’à la porte de mon étude, et il me semblaquevoir ses traits étaient épanouis par le sentiment de satisfaction que lui causait cet actede justice.¶– Eh bien ! mademoiselleVoila, Camille, quelles leçons cette histoire ne renferme-t-ellepas déjà pour lescomment de jeunes femmes qui s’embarquent si légèrement sur desabîmes,. Il suffit quelquefois d’une contredanse, d’un air chanté au piano, d’une partie decampagne pour décider d’effroyables malheurs. On y court à la voix présomptueuse de lavanité, de l’orgueil, sur la foi d’un sourire, ou par folie, par étourderie. ? La Honte, leRemords, et la Misère, sont trois Furies entre les mains desquelles elles doiventinfailliblement tomber. Il suffit quelquefois d’une contredanse, d’un air chanté au piano,d’une partie de campagne pour décider un effroyable malheur…¶ les femmes aussitôtqu’elles franchissent les bornes...¶– Ma pauvre Camille a bien besoinse meurt de sommeil, dit la vicomtesse. eninterrompant l’avoué. Va, ma fille, va dormir, tes chers yeux se ferment. Son ton cœurn’a pas besoin de tableaux effrayanseffrayants pour rester pur et vertueux, et le reste devotre histoire ne doit plus être raconté qu’à moi, vieille mère qui a presque des oreilles degarçon.¶Mademoiselle Camille de Grandlieu comprit sa mère, et sortit.¶– Vous avez étéêtes allé un peu trop loin, mon cher Émilemonsieur Derville, dit lavicomtesse, les avoués ne sont ni mères de famille, ni prédicateurs.¶– Mais les gazettes sont mille fois plus...¶

– Pauvre Émile,Derville ! dit la vicomtesse en interrompant l’avoué, cela est biendeje ne vous !... Est-ce que vous reconnais pas. Croyez-vous croyezdonc que ma fillelit lise les journaux ?...¶ – Continuez ?...., ajouta-t-elle après une pause.¶

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LA MORT DU MARI.¶ ¶ TROIS– Trois mois après la ratification des ventes consenties, par le comte, au profitde Gobseck…¶...¶– Vous pouvez nommer le comte de Restaud, puisque ma fille n’est plus là ?, dit lavicomtesse en interrompant le narrateur.¶

– Soit ! reprit l’avoué. Eh bien, trois mois Long-temps après cette scène, jen’avais pas encore reçu la contre-lettre qui devait me rester entre les mains.¶ Un A Paris,les avoués sont emportés par un courant qui ne leur permet de porter aux affaires de leursclients que le degré d’intérêt qu’ils y portent eux-mêmes, sauf les exceptions que noussavons faire. Cependant, un jour que l’usurier dînait chez moi, je lui demandai, en sortantde table, s’il savait pourquoi je n’avais plus entendu parler de M.monsieur de Restaud.¶ – Il y a d’excellentes raisons pour cela, me répondit-il. Le gentilhomme est à la mort.C’est une âme tendre. Or, ceux qui ne connaissentde ces âmes tendres qui ne connaissantpas la manière de tuer le chagrin, se laissent toujours tuer par lui. La vie est un travail, unmétier, et qu’il faut se donner la peine de l’apprendre.d’apprendre. Quand un homme asu la vie, à force d’en avoir éprouvé les douleurs, sa fibre se corrobore et acquiert unecertaine souplesse, et il peut qui lui permet de gouverner sa sensibilité.¶ Je laissaiGobseck faire de la morale à sa manière ; et, prétextant une affaire pressante, noussortîmes.¶ J’arrivai promptement rue du Helder. Je fus introduit dans un salon où lacomtesse jouait avec un jeune garçon et une petite fille. ; il fait de ses nerfs, des espècesde ressorts d’acier qui plient sans casser ; si l’estomac est bon, un homme ainsi préparédoit vivre aussi long-temps que vi- vent les cèdres du Liban qui sont de fameux arbres.– Le comte serait mourant ? dis-je. – Possible, dit Gobseck. Vous aurez dans sasuccession une affaire juteuse. Je regardai mon homme, et lui dis pour le sonder :– Expliquez-moi donc pourquoi nous sommes, le comte et moi, les seuls auxquels vousvous soyez intéressé ? – Parce que vous êtes les seuls qui vous soyez fiés à moi sansfinasserie, me répondit-il. Quoique cette réponse me permît de croire que Gobseckn’abuserait pas de sa position, si les contre-lettres se perdaient, je résolus d’aller voir lecomte. Je prétextai des affaires, et nous sortîmes. J’arrivai promptement rue du Helder. Jefus introduit dans un salon où la comtesse jouait avec ses enfants. En m’entendantannoncer, elle se leva par un mouvement brusque, vint à ma rencontre, et s’assit, sansmot dire, en m’indiquant de la main un fauteuil vacant auprès du feu. Quand je laregardai, elle avait misElle mit sur sa figure ce masque impénétrable sous lequel lesfemmes du monde savent si bien cacher leurs passions. Elle était déjà bien changée. Leschagrins avaient déjà fané ce visage dont il ne restait plus que visage ; les lignesmerveilleuses qui en faisaient autrefois lale mérite, restaient seules pour témoigner de sabeauté.¶ – Il est très-essentiel, madame, que je puisse parler à M.monsieur le comte...¶ – Vous seriez donc plus favorisé que moi…je ne le suis, répondit-elle en m’interrompant.M.onsieur de Restaud ne veut voir personne. Il , il souffre à peine que son médecinvienne le voir. Il , et repousse tous les soins, même mes soins… Cesles miens. Lesmalades ont des fantaisies si bizarres !.. Ce ils sont comme des enfans :enfants, ils nesavent ce qu’ils veulent…¶ . – Peut-être savent-ils, comme les enfans,enfants, savent-ilstrès-bien ce qu’ils veulent…¶ . La comtesse rougit.¶ Je me repentis presque d’avoir faitcette réplique, digne de Gobseck.¶ – Mais, repris-je pour changer de conversation, il estimpossible, madame, que M.monsieur de Restaud demeure perpétuellement seul.¶ – Il ason fils aîné près de lui, et n’agrée que les services de cet enfant-là.¶ dit-elle. J’eus beau

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regarder la comtesse, cette fois, elle ne rougit plus ;, et il me parut qu’elle s’était affermiedans la résolution de ne pas me laisser pénétrer ses secrets.¶ – Vous devez comprendre,madame, que ma démarche n’est point indiscrète, repris-je. Elle est fondée sur desintérêts puissans...¶ puissants... Je me mordis les lèvres ; car je sentis, en sentant que jem’embarquais dans une fausse route. Aussi, la comtesse profita-t-elle sur-le-champ demon étourderie.¶ – Mes intérêts ne sont point séparés de ceux de mon mari, monsieur,dit-elle ; et rien. Rien ne s’oppose à ce que vous vous adressiez à moi...¶ – L’affaire quim’amène ne concerne que M.monsieur le comte !..., répondis-je avec fer- meté.¶ – Je leferai prévenir, répliqua-t-elle, du désir que vous avez de le voir.¶ Le ton poli et, l’airqu’elle prit pour prononcer cette phrase, ne me trompèrent pas. Je, je devinai qu’elle neme laisserait jamais parvenir auprèsjusqu’à son mari. Je causai pendant un moment dechoses indifférentes, afin de pouvoir l’observer.¶ Il me sembla que depuis le jouroùobserver la comtesse ; mais, comme toutes les femmes qui se sont fait un plan, elleétait venue vendre ses diamans à Gobseck, son mauvais génie avait achevé de de lapousser dans l’abîme. Elle savait dissimuler avec cette rare perfection qui, chez lesfemmespersonnes de votre sexe, est le dernier degré de la perfidie. Oserais-je le dire,j’attendaisj’appréhendais tout d’elle, et cette appréhension n’était fondée que surmêmeun crime. Ce sentiment provenait d’une vue de l’avenir qui se révélait dans ses gestes,dans ses regards, dans ses manières, et le sonjusque dans les intonations de sa voix. Je laquittai.¶ Maintenant je vais vous raconter les scènes qui terminent cette aventure, en yjoignant les circonstances que le temps m’a révélées, et les détails que la perspicacité deGobseck et ou la mienne m’am’ont fait deviner.¶ Du moment où le comte de Restaudparut se plonger dans un tourbillon de plaisirs, et vouloir dissiper sa fortune, il se passaentre les deux époux des scènes dont le secret a été impénétrable ; mais ellesimpénétrable et qui permirent au comte de juger sa femme encore plus défavorablementqu’il ne l’avait fait jusqu’alors. Aussitôt qu’il tomba malade, et qu’il fut obligé des’aliter, il se manifesta une profonde horreurson aversion pour la comtesse et pour sesdeux derniers enfans. Il enfants ; il leur interdit l’entrée de sa chambre ;, et, quand ilsessayèrent d’éluder cette consigne, leur désobéissance amena des crises si dangereusespour M.monsieur de Restaud, que le médecin conjura la comtesse de ne pas enfreindreles ordres de son mari.¶ Madame de Restaud ayant vu successivement les terres, lespropriétés de la famille, et même l’hôtel où elle demeurait, passer entre les mains duterrible de Gobseck, qui semblait réaliser, quant à leur fortune, le personnage fantastiqued’un ogre, comprit sans doute les desseins de son mari.¶ Quoique le vicomte fût habile, ilétait cependant bien difficile qu’il pût Monsieur de Trailles, un peu trop vivementpoursuivi par ses créanciers, voyageait alors en Angleterre. Lui seul aurait pu apprendre àla comtesse les précautions secrètes que j’avais Gobseck avait suggérées à M. de Restaud,de manière que les suppositions des deux complices durent être fautives.monsieur deRestaud contre elle. On dit qu’elle résista long-temps à donner sa signature, indispensableaux termes de nos lois pour valider la vente des biens, et néanmoins le comte l’obtint. Lacomtesse croyait que son mari avait capitalisé toutecapitalisait sa fortune, et que le petitvolume de billets qui la représentait était déposé, soitserait dans une cachette, chez unnotaire, soit ou peut-être à la Banque. Suivant ses calculs, M.monsieur de Restaud devaitposséder nécessairement un acte quelconque pour donner à son fils aîné la facilité derecouvrer sa fortune. Alors, elle ceux de ses biens auxquels il tenait. Elle prit donc leparti d’établir autour de la chambre de son mari, une la plus exacte surveillance exacte..

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Elle régna despotiquement dans sa maison, qui fut soumise à un son espionnage defemme, c’est tout dire.. Elle restait toute la journée assise dans le salon attenant à lachambre de son mari, et d’où elle m’avait reçu et qui attenait à la chambre de son mari.De-là elle pouvait en entendre les ses moindres paroles et même les ses plus légersmouvemens.mouvements. La nuit, elle faisait tendre un lit dans cette pièce, et la plupartdu temps elle ne dormait pas. Le médecin était fut entièrement dans ses intérêts. Cedévouement parut admirable. Elle savait, avec cette finesse naturelle aux personnesperfides, déguiser la répugnance que M.monsieur de Restaud manifestait pour elle, etjouait si parfaitement la douleur en perfection. Elle , qu’elle obtint une sorte de célébrité.Quelques prudes trouvèrent même qu’elle rachetait ainsi ses fautes. Mais elle avaittoujours devant les yeux la misère qui l’attendait à la mort du comte, si elle manquait deprésence d’esprit pendant une seule minute.. Ainsi cette femme, repoussée du lit dedouleur où gémissait son mari, avait tracé un cercle magique autour de lui. Elle était là,loin à l’entour. Loin de lui, et près de lui, disgraciée et toute -puissante, épouse dévouéeen apparence, mais guettantelle guettait la mort et la fortune, comme cet insecte deschamps qui, au fond du précipice de sable qu’il a su arrondir en spirale, y attend soninévitable proie en écoutant chaque grain de poussière qui tombe.¶ Le censeur le plussévère ne pouvait s’empêcher de reconnaître que la comtesse portait loin le sentiment dela maternité au plus haut degré. Elle était idolâtre. La mort de son père fut, dit-on, uneleçon pour elle. Idolâtre de ses enfans et les élevait à merveille. Elleenfants, elle leuravait entièrement dérobé le tableau de ses désordres, et leur âge la servitlui avait permisd’atteindre à merveille en ce point. Elle en était aimée autant qu’elle pouvait le souhaiter.J’avouerai même,son but et de s’en faire aimer, elle leur a donné la meilleure et la plusbrillante éducation. J’avoue que je ne puis me défendre pour cette femme d’un sentimenthonorable pour elle et dontadmiratif et d’une compatissance sur laquelle Gobseck meplaisante encore. Je crois fermement qu’à A cette époque, la comtesse avait reconnutoute, qui reconnaissait la bassesse du vicomte, et qu’elle avait déjà expiéde Maxime,expiait par des larmes de sang, les fautes de sa vie passée.¶ Alors, quelqu’ Je le crois.Quelque odieuses que fussent les mesures qu’elle prenait pour reconquérir la fortune deson mari, elles ne lui étaient -elles pas dictées par son amour maternel et par le désir deréparer ses torts envers eux. Comme toutes lesses enfants ? Puis, comme plusieursfemmes qui ont subi les orages d’une passion, peut-être éprouvait-elle sentait le besoin deredevenir vertueuse, et peut. Peut-être ne connaissaitconnut-elle bien le prix de la vertuqu’au moment où elle allait recueillirrecueillit la triste moisson, semée par le crime.seserreurs. Chaque fois que le jeune Ernest sortait de chez son père, il subissait uninterrogatoire de la dernière sévérité,inquisitorial sur tout ce que le comte avait fait et dit.L’enfant se prêtait complaisamment aux désirs de sa mère ; et, avec la naïveté de lajeunesse, les attribuantmère qu’il attribuait à un tendre sentiment, et il allait au -devant detoutes les questions.¶ Ma visite fut un trait de lumière pour la comtesse. Elle qui voulutvoir en moi le ministre des vengeances de son mari. Elle décréta dans sa sagesseducomte, et résolut de ne pas me laisser approcher du moribond.¶ J’avoue que, mu Mû[Coquille du Furne : Mu.] par un pressentiment sinistre, je désirais vivement me procurerun entretien avec le comte. Je monsieur de Restaud, car je n’étais pas sans inquiétude surla destinée des contre-lettres. Si ; si elles tombaient entre les mains de la comtesse, etqu’elle voulût elle pouvait les faire valoir, et il se serait élevé des procès interminablesentre elle et Gobseck ; car je . Je connaissais assez l’usurier pour savoir qu’il ne

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restituerait jamais les biens à la comtesse, et il y avait de nombreux élémenséléments dechicane dans la contexture de ces titres dont l’action ne pouvait être exercée que parmoi.¶ Alors, pour Je voulus prévenir tant de malheurs, et j’allai chez la comtesse uneseconde fois chez la comtesse.¶

– J’ai remarqué, madame, dit l’avouéDerville à la vicomtesse de Grandlieu et enprenant le ton calculé d’une confidence, qu’il existe certains phénomènes morauxauxquels nous ne faisons pas assez attention dans le monde. Naturellement observateur,j’ai porté dans les affaires d’intérêt que je traite et où les passions sont si vivement misesen jeu, un esprit d’analyse psychologique involontaire. Or , j’ai toujours admiré avec unesurprise nouvelle que les intentions secrètes et les idées que portent en eux deuxadversaires, sont presque toujours réciproquement devinées par eux.. Il y a se rencontreparfois entre deux ennemis la même lucidité de raison, la même puissance de vueintellectuelle qu’entre deux amansamants qui lisent dans l’âme l’un de l’autre.¶ Ainsi,quand nous fûmes tous deux en présence, la comtesse et moi, je compris tout- à- coup lacause de l’antipathie qu’elle avait pour moi, bien quoiqu’elle déguisât sessentimenssentiments sous les formes les plus gracieuses de la politesse et de l’aménité.J’étais un confident imposé, et il est impossible qu’une femme ne haïsse pas un hommedevant qui elle est obligée de rougir. Quant à elle, elle devina subitement que si j’étaisl’homme en qui son mari plaçait sa confiance et qu’, il ne m’avait pas encore remis safortune. Notre conversation, dont je vous fais grâce, est restée dans mon souvenir commeune des luttes les plus dangereuses que j’aie eues à subir.j’ai subies. La comtesse avait unesprit d’une supériorité inimaginable. Elle était, douée par la nature de toutes les desqualités nécessaires pour séduire. Elle m’enlaça, m’enveloppa, se montrant exercerd’irrésistibles séductions, se montra tour- à- tour, souple, fière, caressante, confiante, ;elle alla même jus- qu’à tenter d’allumer ma curiosité, d’éveiller l’amour dans mon cœur.Elle afin de me dominer : elle échoua ; mais ce fut une rude épreuve.. Quand je priscongé d’elle, je surpris dans ses yeux, une expression de haine et de fureur, qui me fittrembler. Nous nous séparâmes ennemis. Elle m’aurait vu, je crois, mettre en pièce outirer à quatre chevaux avec délices ; tandis que je ne me sentais que de la pitié pourelle.Elle aurait voulu pouvoir m’anéantir, et moi je me sentais de la pitié pour elle,sentiment qui, pour certains caractères, équivaut à la plus cruelle injure. Ce sentimentperça dans les dernières considérations que je lui présentai, et je . Je lui laissai, je crois,une profonde terreur dans l’âme ; car je lui déclarai que, de telle l’âme en lui déclarantque, de quelque manière qu’elle pût s’y prendre, elle serait nécessairement ruinée.¶ – Sije voyais M.monsieur le comte, au moins le bien de vos enfans...¶ enfants... – Je serais àvotre merci !..., dit-elle avec en m’interrompant par un geste de dégoût.¶ Une fois lesquestions posées entre nous d’une manière aussi franche, je résolus de sauver sans leconcours de personne, cette famille de la misère qui l’attendait. Déterminé à commettredes illégalités judiciaires, si elles étaient nécessaires pour parvenir à mon but, voici quelsfurent mes préparatifs. Je fis poursuivre M.monsieur le comte de Restaud pour unesomme due fictivement à Gobseck, et j’obtins des condamnations.¶ La comtesse cachanécessairement cette procédure, mais j’avaisj’acquérais ainsi le droit de faire apposer lesscellés à la mort du comte. Alors je Je corrompis alors un des gens de la maison, etj’obtins de lui la promesse qu’au moment même où le comte son maître serait sur le pointd’expirer, il viendrait me prévenir, fût-ce au milieu de la nuit. J’étais déterminé à , afinque je pusse intervenir tout- à- coup, à effrayer la comtesse en la menaçant d’une subite

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apposition de scellés, et à sauver ainsi les contre-lettres. J’appris plus tard que cettefemme étudiait le code en entendant les plaintes de son mari mourant !... Quelseffroyables tableaux ne présenteraient pas les âmes de ceux qui environnent les litsfunèbres, si l’on pouvait en peindre les idées !? Et toujours la fortune est le mobile desintrigues qui s’élaborent, des plans qui se forment, des trames qui s’ourdissent !¶ Laissons maintenant de côté ces détails assez fastidieux de leur nature, mais qui ont puvous donner la clef de bien des permettre de deviner les douleurs.¶ de cette femme,celles de son mari, et qui vous dévoilent les secrets de quelques intérieurs semblables àcelui-ci. Depuis deux mois le comte de Restaud, résigné à son sort, était resté demeuraitcouché, seul, dans sa chambre. Une maladie mortelle avait lentement affaibli son corps etmême son esprit. Il était plongé dans une noire mélancolie. En proie à ces fantaisies demalade dont la bizarrerie semble inexplicable, il s’opposait à ce qu’on appropriât sonappar- tement, il se refusantrefusait à toute espèce de soin, et même à ce qu’on fît son lit.Cette extrême apathie s’était empreinte à la longue dans tout ce qui l’entouraitautour delui : les meubles de sa chambre restaient en désordre ; tout y était couvert de. Lapoussière et de, les toiles d’araignées. Riche couvraient les objets les plus délicats. Jadisriche et recherché dans ses goûts, il se complaisait alors dans le triste spectacle que luioffrait cette pièce. Table, commode, où la cheminée, le secrétaire, et les chaises étaientencombrés des objets que nécessite une maladie. Il y avait autour de lui : des fioles videsou pleines, presque toutes sales ; du linge épars, des assiettes brisées, une bassinoireouverte devant le feu, une baignoire. C’était un chaos disgracieux. encore pleine d’eauminérale. Le sentiment de la destruction se lisait en tout. La mort était exprimé danschaque détail de ce chaos disgracieux. La mort apparaissait dans les choses avantd’envahir la personne, et cette chambre ressemblait à un cimetière jonché d’os.. Le comteayant avait horreur du jour, les persiennes des fenêtres étaient fermées, et l’obscuritéajoutait encore à la sombre physionomie de ce triste lieu. Le malade avaitconsidérablement maigri. Ses yeux étaient restés brillans, mais , où la vie semblait s’yêtre réfugiée., étaient restés brillants. La blancheur livide de son visage avait quelquechose d’horrible à voir, surtout par suite de, que rehaussait encore la longueurextraordinaire de ses cheveux qu’il n’avait jamais voulu laisser couper. Ils , et quidescendaient en longues mèches plates le long de ses joues et le faisaient ressembler àces. Il ressemblait aux fanatiques, jadis habitans habitants du désert. Il n’avait que trente-sept ans, et naguères il était jeune, brillant, heureux, élégant. Le chagrin éteignait en luitous les sentimenssentiments humains.¶ en cet homme à peine âgé de cinquante ans, quetout Paris avait connu si brillant et si heureux. Au commencement du mois de décembre1819de l’année 1824, un matin, il regarda son fils Ernest qui était assis au pied de son lit,et qui le contemplait douloureusement.¶ – Souffrez-vous plus ?....vous ? lui avaitdemandé l’enfant.¶ le jeune vicomte. – Non ! dit-il avec un effrayant sourire, tout est iciet autour du cœur !¶ Et après avoir montré sa tête, il pressa ses doigts décharnés sur sapoitrine creuse, par un geste qui fit pleurer Ernest.¶ – Pourquoi donc ne vois-je pas venirM ?.…. (c’était de moi dont il parlait)monsieur Derville ? demanda-t-il à son valet dechambre qui entra.¶ Ce valet de chambre qu’il croyait lui être très-attaché, mais qui étaittout- à- fait dans les intérêts de la comtesse.¶ – Comment, Joseph !Maurice, s’écria lemoribond qui se mit sur son séant et parut avoir recouvré toute sa présence d’esprit ;,voici sept ou huit fois que je vous envoie chez mon avoué, depuis quinze jours, et il n’estpas venu !? Croyez-vous que l’on puisse se jouer de moi ? Allez le chercher sur-le-

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champ, à l’instant, et ramenez-le…. Si vous n’exécutez pas mes ordres, je me lèveraimoi-même et j’irai...¶ – Madame, dit le valet de chambre en sortant, vous avez entenduM.monsieur le comte ?, que dois-je faire ?¶ – Vous feindrez d’aller chez l’avoué, et vousreviendrez dire à monsieur, que son homme d’affaires est allé à quarante lieues d’ici pourun procès important. Vous ajouterez qu’on l’attend à la fin de la semaine…¶ – Commeles . – Les malades s’abusent toujours sur leur sort, pensa la comtesse, il croira pouvoirremettre sa confidence au et il attendra le retour de cet homme.¶ Le médecin avaitdéclaré la veille, qu’il était difficile que le comte passât la journée.¶ Quand deux heuresaprès, le valet de chambre vint deux heures après, faire à son maître cette réponsedésespérante, le moribond parut très-agité.¶ – Mon Dieu ! mon Dieu ! répéta-t-il àplusieurs reprises, je n’ai confiance qu’en vous !...¶ . Il regarda son fils pendant long-temps ;, et lui dit enfin, il lui dit d’une voix affaiblie :¶ : – Ernest, mon enfant, tu es bienjeune ; mais tu as bon cœur et tu comprends sans doute toute la sainteté d’une promessefaite à un mourant, à un père..… Te sens-tu capable de garder un secret, de l’ensevelir entoi-même de manière à ce que ta mère elle-même ne s’en doute pas ?... Aujourd’hui, monfils, il ne reste que toi dans cette maison à qui je puisse me fier. Tu ne trahiras pas maconfiance ?...¶ – Non, mon père.¶ – EhEh ! bien !, Ernest, je te remettrai, dans quelquesmomensmoments, un paquet cacheté. Il qui appartient à M. M……. Tu le monsieurDerville, tu le conserveras de manière à ce que personne ne sache que tu le possèdes ;, tut’échapperas de l’hôtel et tu le jeterasjetteras à la petite poste qui est au bout de la rue…¶. – Oui, mon père.¶ – Je puis compter sur toi ?...¶ – Oui, mon père.¶ – Viensm’embrasser ?. Tu me rends ainsi la mort moins amère, mon cher enfant ; et, dans dix oudouze . Dans six ou sept années, tu comprendras alors toute l’importance de ce secret ;, etalors, tu seras bien récompensé de ton adresse et de ta fidélité, alors tu sauras combien jet’aime…. Laisse-moi seul un moment et empêche qui que ce soit d’entrer ici.¶ Ernestsortit, et vit sa mère debout dans le salon.¶ – Ernest, lui dit-t-elle, viens ici ?¶ . Elles’assit auprès du feu, miten prenant son fils entre ses deux genoux, et le pressant avecforce sur son cœur, elle l’embrassa.¶ – Ernest, ton père vient de te parler ?...¶ . – Oui,maman.¶ – Que t’a-t-il dit ?¶ – Je ne puis pas le répéter, maman.¶ – Oh ! mon cherenfant, s’écria la comtesse en l’embrassant avec enthousiasme, que combien de plaisir mefait ta discrétion me fait plaisir !...! Ne jamais mentir et rester fidèle à sa parole, sontdeux principes qu’il ne faut jamais oublier.¶ – OhOh ! que tu es belle, maman ! Tu n’asjamais menti, toi !... j’en suis bien sûr !...¶ – Si. – Quelquefois, mon cher Ernest, j’aimenti, et . Oui, j’ai manqué à ma parole ; mais il est parole en des circonstances devantlesquelles cèdent toutes les lois.¶ Écoute, Ecoute mon petit Ernest, tu es assez grand,assez raisonnable, pour t’apercevoir que ton père me repousse, ne veut pas de messoins…, et cela n’est pas naturel, car tu sais combien je l’aime. Cela n’est pas naturel…¶– Non– Oui, maman.¶ – Eh bien ! mon – Mon pauvre enfant, dit la comtesse enpleurant, ce malheur-là est le résultat d’insinuations perfides. De méchantes gens ontcherché à me séparer de ton père, dans le but de satisfaire leur avidité. Ils veulent nouspriver de notre fortune et se l’approprier. Si ton père était bien portant, la division quiexiste entre nous, cesserait bientôt ; car , il m’écouterait ; et, comme il est bien bon etbien, aimant, il reconnaîtrait mon innocence… Mais son erreur ; mais sa raison s’est unpeu altérée, et les préventions qu’il avait contre moi sont devenues une idée fixe, uneespèce de folie. C’est un , l’effet de sa maladie…. La prédilection que ton père a pour toiest une nouvelle preuve du dérangement de ses facultés ; car tu . Tu ne t’es jamais

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aperçu, qu’avant sa maladie, il aimât moins Pauline et Georges que toi. Tout est capricechez lui. Or, par suite de la La tendresse qu’il a pour toi, ilte porte pourrait lui suggérerl’i dée de te donner des commissions secrètes à faire, des ordres à exécuter…. Si tu neveux pas ruiner ta famille, mon cher ange, et ne pas voir ta mère mendiermendiant sonpain un jour comme une pauvresse des rues, il faut tout lui dire...¶ – Ah ! ah !... s’écriale comte, qui, ayant ouvert la porte, se montra tout- à- coup presque nu, et, déjà mêmeaussi sec, aussi décharné qu’un squelette.¶ Ce cri sourd produisit un effet terrible sur lacomtesse.¶ Elle , qui resta immobile et comme frappée de stupeur ; car son. Son mariétait si frêle et si pâle, qu’il semblait sortir d’une de la tombe, et que ce fût uneapparition.¶ . – Vous avez abreuvé ma vie de chagrins… Voulez-vous donc , et vousvoulez troubler ma mort ?.., pervertir la raison de mon fils, en faire un homme vicieux,cria-t-il d’une voix rauque.¶ La comtesse alla se jeter au pieds de ce mourant que lesdernières émotions de la vie rendaient presque hideux. Elle et y versa un torrent delarmes.¶ – Grâce, ! grâce !.. s’écria-t-elle.¶ – Avez-vous eu de la pitié pour moi ?..demanda-t-il.¶ Je vous ai laissée dévorer votre fortune, voulez-vous maintenant dévorerla mienne, ruiner mon fils ! – EhEh ! bien, oui, pas de pitié pour moi !... Soyez, soyezinflexible !..., dit-elle, mais les enfans !...enfants ! Condamnez-moi votre veuve à vivredans un couvent, j’obéirai ; je ferai, pour expier mes fautes envers vous, tout ce qu’ilvous plaira de m’ordonner ; mais que les enfansenfants soient heureux !... Oh ! lesenfans !...les enfants ! les enfans !...¶ enfants ! – Je n’ai qu’un enfant !.. , répondit lecomte en tendant, par un geste désespéré, un son bras décharné vers son fils.¶ – Dieu !..pardon !... repentir… repentir !... – Pardon ! repentie, repentie !... criait la comtesse enembrassant les pieds humides de son mari ; car les. Les sanglots l’empêchaient de parler,et des mots vagues, incohérensincohérents sortaient de son gosier brûlant.¶ – Que– Après ce que vous disiez-vous donc à Ernest !.... Beau, vous osez parler de repentir !..¶A ces mots dit le moribond qui renversa la comtesse en agitant le pied.¶ – Vous meglacez !... di ajouta-t-il avec une indifférence qui eut quelque chose d’effrayant.¶ Vousavez été mauvaise fille, vous avez été mauvaise femme, vous serez mauvaise mère. Lamalheureuse femme tomba évanouie.¶ Le mourant regagna son lit, s’y coucha, et perditconnaissance quelques heures après, il avait perdu connaissance.. Les prêtres vinrent luiadministrer les sacremens.sacrements. Il était minuit quand il expira. La scène du matinavait épuisé le reste de ses forces et de sa sensibilité.¶ . J’arrivai à minuit précis avec lepèrepapa Gobseck.¶ Nous A la faveur du désordre qui régnait, nous nous introduisîmes,grâces au désordre qui régnait, jusques jusque dans le petit salon qui précédait la chambremortuaire.¶ Nous y , et où nous trouvâmes les trois enfansenfants en pleurs, et entre deuxprêtres qui devaient passer la nuit près du corps.¶ Ernest vint à moi et me dit que sa mèrevoulait être seule dans la chambre du comte.¶ – N’y entrez pas, dit-il avec uneexpression admirable dans l’accent et le geste, elle y prie !...¶ Gobseck se mit à rire, dece rire muet qui lui était particulier ; mais moi, j’étais. Je me sentais trop ému par lesentiment qui éclatait sur la jeune figure d’Ernest, pour partager son ironie.¶ l’ironie del’avare. Quand l’enfant vit que nous marchions vers la porte, il alla s’y coller et cria :¶ encriant : – Maman, voilà des Messieursmessieurs noirs qui te cherchent !..¶ Le pèreGobseck enleva l’enfant comme si c’eût été une plume, et ouvrit la porte.¶ Quelspectacle s’offrit à nos regards !¶ Depuis dix minutes que le comte était expiré, sa femmeavait forcé tous les tiroirs et le secrétaire, les tables étaient ouvertes, et il Un affreuxdésordre régnait dans cette chambre un affreux désordre. La. Echevelée par le désespoir,

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les yeux étincelants, la comtesse était presque échevelée, les yeux étincelansdemeuradebout, interdite, au milieu de hardes, de papiers, de chiffons, bouleversés. Confusionhorrible à voir en présence de hardes. Le ce mort. A peine le comte était-il expiré, que safemme avait forcé tous les tiroirs et le secrétaire, autour d’elle le tapis était couvert dedébris autour d’elle, et ils s’élevaient à près de deux pieds. Quelques, quelques meubles,quelques et plusieurs portefeuilles avaient été brisés. Il n’y avait rien qui ne portât, toutportait l’empreinte de ses mains hardies et spoliatrices. C’était une confusion horrible àvoir en présence de ce mort.¶ Il paraît que, . Si d’abord, ses recherches avaient étévaines ; mais , son attitude et son agitation me firent supposer qu’elle avait fini pardécouvrir les mystérieux papiers.¶ Je jetai un coup-d’œil sur le lit ;, et, avec l’instinctque nous donne l’habitude des affaires, je devinai ce qui s’était passé.¶ Le cadavre ducomte se trouvait dans la ruelle du lit, presque en travers, le nez tourné vers les matelas,etdédaigneusement jeté avec le même dédain qu’comme une des enveloppes de papierqui étaient à terre. ; car lui aussi n’était plus qu’une enveloppe. Ses membres raidis etinflexibles lui donnaient quelque chose de grotesquement horrible. Cela faisait frémir.¶Le mourant avait sans doute caché la contre-lettre sous son oreiller, comme pour lapréserver de toute atteinte jusqu’à sa mort ; et sa femme. La comtesse avait peut-être,dans sa rage, deviné la pensée du comte. Au surplus, ce sentimentde son mari, quid’ailleurs semblait être écritécrite dans son le dernier geste, dans la convulsion de ses desdoigts crochus. L’oreiller avait été jeté en bas du lit, et le pied de la comtesse y étaitencore imprimé.¶ Elle nous regardait avec des yeux hagards, et, debout, immobile, elleattendait nos premiers mots en haletant.¶ A ; à ses pieds, et devant elle, je vis uneenveloppe qui avait dû être cachetéeun papier cacheté en plusieurs endroits. Remarquantles aux armes du comte, je la le ramassai vivement, et j’y lus une suscription indiquantque le contenu devait m’en être remis.¶ Je regardai la comtesse fixement, et la comtesseavec la sévérité perspicace sévérité d’un juge interrogeantqui interroge un coupable.¶ Laflamme du foyer dévorait les restes des papiers. Il paraît qu’enEn nous entendant venir,la comtesse les y avait lancés. Elle venait sans doute de s’en saisir ; et, la manière dont lacontre-lettre était pliée, ne lui ayant probablement permis de n’y lire, que les en croyant,à la lecture des premières dispositions faites par le comte, pour ses deux derniers enfans,elle avait cru, dans son égarementque j’avais provoquées en faveur de ses enfants,anéantir un testament qui les privait de leur fortune. Une conscience bourrelée et l’effroiinvolontaire qu’inspiré par un crime inspire à ceux qui le commettent, lui avaient ôtél’usage de la réflexion. ElleEn se voyaitvoyant surprise, elle voyait peut-être l’échafaud,et sentait le fer rouge du bourreau.¶ Cette femme attendait nos premiers mots enhaletant, et nous regardait avec des yeux hagards. – Ah Madame !Ah ! madame, dis-je,en retirant de la cheminée un fragment que le feu n’avait pas atteint. Vous, vous avezruiné vos enfans !.. Ces enfants ! ces papiers étaient desleurs titres de propriété…¶ . Sabouche se remua, comme si elle allait avoir une attaque de paralysie, elle frissonna et meregarda d’un air hébété.¶ . – Hé, ! hé ! s’écria Gobseck.¶ Cette exclamation de l’usurierdont l’exclamation nous fit l’effet du grincement produit par un flambeau de cuivre,quand on le pousse sur un marbre.¶ Après une pause, le vieillard me dit d’un toncalme :¶ – Est-ce que vous voudriez : – Voudriez-vous donc faire croire à madame lacomtesse, que je ne suis pas légitimementle légitime propriétaire des biens que m’avendus M.monsieur le comte ? Mais cetteCette maison m’appartient même depuis uneheure !..¶ un moment. Un coup de massue appliqué soudain sur ma tête, m’aurait moins

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causé moins de douleur et de surprise.¶ La comtesse remarqua mon effroi le regardd’indignationindécis que je jetai sur l’usurier.¶ – Monsieur, monsieur ! lui dit-elle,Monsieur ?...¶ Elle ne trouva pas sans trouver d’autres paroles.¶ – Vous avez un fidéi-commis ?... lui demandai-je.¶ – Possible.¶ – Abuseriez-vous donc du crime commis parmadame ?¶ – Juste.¶ Je sortis, laissant la comtesse assise auprès du lit de son mari, etpleurant à chaudes larmes.¶ Le père Gobseck me suivit. Quand nous nous trouvâmesdans la rue, je me séparai de lui ;, mais il vint à moi, et me lança un de ces regardsprofonds par lesquels il sonde les cœurs.¶ , et me dit de sa voix flûtée qui prit des tonsaigus : – Tu te mêles de juger ton bienfaiteur !... me dit-il.¶ me juger ? Depuis ce temps-là, nous nous sommes peu vus. Le père Gobseck habitea loué l’hôtel du comte, il vapasser les étés dans les terres, fait le seigneur, construit les fermes, répare les moulins, leschemins, et plante des arbres. Il a renoncé à son métier d’usurier, et il a été nommédéputé. Il veut être nommé baron et désire la croix. Il ne va plus qu’en voiture.¶ Un jourje le rencontrai dans une allée aux Tuileries.¶ – La comtesse mène une vie héroïque, luidis-je, elle . Elle s’est consacrée à l’éducation de ses enfans. Elle les enfants qu’elle aparfaitement élevés. L’aîné est un charmant sujet...¶ – Ah ! ah ! dit-il, la pauvre femmes’en est donc tirée… J’en suis bien aise. – Il jura. – Elle était belle !¶ – Possible. – Mais,repris-je, ne devriez-vous pas aider…¶ Ernest ?. – Aider Ernest !... s’écria Gobseck.Non, non, il faut qu’il s’épure et se forme dans l’infortune…non. Le malheur est notreplus grand maître. Il manquera toujours quelque chose à, le malheur lui apprendra labontévaleur de celui qui n’a pas connu la peine…¶ l’argent, celle des hommes et celledes femmes. Qu’il navigue sur la mer parisienne ! quand il sera devenu bon pilote, nouslui donnerons un bâtiment. Je le quittai désespéré.¶ Enfin il y a huit jours, je l’ai été voir.Je l’ai instruitsans vouloir m’expliquer le sens de ses paroles. Quoique monsieur deRestaud, auquel sa mère a donné de la répugnance pour moi, soit bien éloigné de meprendre pour conseil, je suis allé la semaine dernière chez Gobseck pour l’instruire del’amour d’Ernest pour qu’Ernest porte à mademoiselle Camille, en le pressantd’accomplir son mandat, puisque le jeune comte arrive à sa majorité. Le vieil escompteurétait depuis long-temps au lit et souffrait de la maladie qui devait l’emporter. Il ajournasa réponse au moment où il pourrait se lever et s’occuper d’affaires, il ne voulait sansdoute ne se défaire de rien tant qu’il aurait un souffle de vie ; sa réponse dilatoire n’avaitpas d’autres motifs. En le trouvant beaucoup plus malade qu’il ne croyait l’être, je restaiprès de lui pendant assez de temps pour reconnaître les progrès d’une passion que l’âgeavait convertie en une sorte de folie. Afin de n’avoir personne dans la maison qu’ilhabitait, il s’en était fait le principal locataire et il en laissait toutes les chambresinoccupées. Il n’y avait rien de changé dans celle où il demeurait. Les meubles, que jeconnaissais si bien depuis seize ans, semblaient avoir été conservés sous verre, tant ilsétaient exactement les mêmes. Sa vieille et fidèle portière, mariée à un invalide quigardait la loge quand elle montait auprès du maître, était toujours sa ménagère, sa femmede confiance, l’introducteur de quiconque le venait voir, et remplissait auprès de lui lesfonctions de garde-malade. Malgré son état de faiblesse, Gobseck recevait encore lui-même ses pratiques, ses revenus, et avait si bien simplifié ses affaires qu’il lui suffisait defaire faire quelques commissions par son invalide pour les gérer au dehors. Lors du traitépar lequel la France reconnut la république d’Haïti, les connaissances que possédaitGobseck sur l’état des anciennes fortunes à Saint-Domingue et sur les colons ou lesayant-cause auxquels étaient dévolues les indemnités, le firent nommer membre de la

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commission instituée pour liquider leurs droits et répartir les versements dus par Haïti. Legénie de Gobseck lui fit inventer une agence pour escompter les créances des colons oude leurs héritiers, sous les noms de Werbrust et Gigonnet avec lesquels il partageait lesbénéfices sans avoir besoin d’avancer son argent, car ses lumières avaient constitué samise de fonds. Cette agence était comme une distillerie où s’exprimaient les créances designorants, des incrédules, ou de ceux dont les droits pouvaient être contestés. Commeliquidateur, Gobseck savait parlementer avec les gros propriétaires qui, soit pour faireévaluer leurs droits à un taux élevé, soit pour les faire promptement admettre, luioffraient des présents proportionnés à l’importance de leurs fortunes. Ainsi les cadeauxconstituaient une espèce d’escompte sur les sommes dont il lui était impossible de serendre maître ; puis, son agence lui livrait à vil prix les petites, les douteuses, et celles desgens qui préféraient un paiement immédiat, quelque minime qu’il fût, aux chances desversements incertains de la république. Gobseck fut donc l’insatiable boa de cette grandeaffaire. Chaque matin il recevait ses tributs et les lorgnait comme eût fait le ministre d’unnabab avant de se décider à signer une grâce. Gobseck prenait tout depuis la bourriche dupauvre diable jusqu’aux livres de bougie des gens scrupuleux, depuis la vaisselle desriches jusqu’aux tabatières d’or des spéculateurs. Personne ne savait ce que devenaientces présents faits au vieil usurier. Tout entrait chez lui, rien n’en sortait. – Foi d’honnêtefemme, me disait la portière vieille connaissance à moi, je crois qu’il avale tout sans quecela le rende plus gras, car il est majeur…¶sec et maigre comme l’oiseau de monhorloge. Enfin, lundi dernier, Gobseck m’envoya chercher par l’invalide, qui me dit enentrant dans mon cabinet : – Venez vite, monsieur Derville, le patron va rendre sesderniers comptes ; il a jauni comme un citron, il est impatient de vous parler, la mort letravaille, et son dernier hoquet lui grouille dans le gosier. Quand j’entrai dans la chambredu moribond, je le surpris à genoux devant sa cheminée où, s’il n’y avait pas de feu, il setrouvait un énorme monceau de cendres. Gobseck s’y était traîné de son lit, mais lesforces pour revenir se coucher lui manquaient, aussi bien que la voix pour se plaindre.– Mon vieil ami, lui dis-je en le relevant et l’aidant à regagner son lit, vous aviez froid,comment ne faites-vous pas de feu ? – Je n’ai point froid, dit-il, pas de feu ! pas de feu !Je vais je ne sais où, garçon, reprit-il en me jetant un dernier regard blanc et sans chaleur,mais je m’en vais d’ici ! J’ai la carphologie, dit-il en se servant d’un terme qui annonçaitcombien son intelligence était encore nette et précise. J’ai cru voir ma chambre pleined’or vivant et je me suis levé pour en prendre. A qui tout le mien ira-t-il ? Je ne le donnepas au gouvernement, j’ai fait un testament, trouve-le, Grotius. La Belle Hollandaiseavait une fille que j’ai vue je ne sais où, dans la rue Vivienne, un soir. Je crois qu’elle estsurnommée la Torpille, elle est jolie comme un amour, cherche-la, Grotius ? Tu es monexécuteur testamentaire, prends ce que tu voudras, mange : il y a des pâtés de foie gras,des balles de café, des sucres, des cuillers d’or. Donne le service d’Odiot à ta femme.Mais à qui les diamants ? Prises-tu, garçon ? j’ai des tabacs, vends-les [Coquille duFurne : vend-les.] à Hambourg, ils gagnent un demi. Enfin j’ai de tout et il faut toutquitter ! Allons, papa Gobseck, se dit-il, pas de faiblesse, sois toi-même. Il se dressa surson séant, sa figure se dessina nettement sur son oreiller comme si elle eût été de bronze,il étendit son bras sec et sa main osseuse sur sa couverture qu’il serra comme pour seretenir, il regarda son foyer, froid autant que l’était son œil métallique, et il mourut avectoute sa raison, en offrant à la portière, à l’invalide et à moi, l’image de ces vieuxRomains attentifs que Lethière a peints derrière les Consuls, dans son tableau de la mort

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des Enfants de Brutus. – A-t-il du toupet, le vieux Lascar ! me dit l’invalide dans sonlangage soldatesque. Moi j’écoutais encore la fantastique énumération que le moribondavait faite de ses richesses, et mon regard qui avait suivi le sien restait sur le monceau decendres dont la grosseur me frappa. Je pris les pincettes, et quand je les y plongeai, jefrappai sur un amas d’or et d’argent, composé : sans doute des recettes faites pendant samaladie et que sa faiblesse l’avait empêché de cacher ou que sa défiance ne lui avait paspermis d’envoyer à la Banque. – Courez chez le juge de paix, dis-je au vieil invalide, afinque les scellés soient promptement apposés ici ! Frappé des dernières paroles deGobseck, et de ce que m’avait récemment dit la portière, je pris les clefs des chambressituées au premier et au second étages pour les aller visiter. Dans la première pièce quej’ouvris j’eus l’explication des discours que je croyais insensés, en voyant les effets d’uneavarice à laquelle il n’était plus resté que cet instinct illogique dont tant d’exemples noussont offerts par les avares de province. Dans la chambre voisine de celle où Gobseck étaitexpiré, se trouvaient des pâtés pourris, une foule de comestibles de tout genre et mêmedes coquillages, des poissons qui avaient de la barbe et dont les diverses puanteursfaillirent m’asphyxier. Partout fourmillaient des vers et des insectes. Ces présentsrécemment faits étaient mêlés à des boîtes de toutes formes, à des caisses de thé, à desballes de café. Sur la cheminée, dans une soupière d’argent étaient des avis d’arrivage demarchandises consignées en son nom au Havre, balles de coton, boucauts de sucre,tonneaux de rhum, cafés, indigos, tabacs, tout un bazar de denrées coloniales ! Cettepièce était encombrée de meubles, d’argenterie, de lampes, de tableaux, de vases, delivres, de belles gravures roulées, sans cadres, et de curiosités. Peut-être cette immensequantité de valeurs ne provenait pas entièrement de cadeaux et constituait des gages quilui étaient restés faute de paiement. Je vis des écrins armoriés ou chiffrés, des services enbeau linge, des armes précieuses, mais sans étiquettes. En ouvrant un livre qui mesemblait avoir été déplacé, j’y trouvai des billets de mille francs. Je me promis de bienvisiter les moindres choses, de sonder les planchers, les plafonds, les corniches et lesmurs afin de trouver tout cet or dont était si passionnément avide ce Hollandais digne dupinceau de Rembrandt. Je n’ai jamais vu, dans le cours de ma vie judiciaire, pareils effetsd’avarice et d’originalité. Quand je revins dans sa chambre, je trouvai sur son bureau laraison du pêle-mêle progressif et de l’entassement de ces richesses. Il y avait sous unserre-papier une correspondance entre Gobseck et les marchands auxquels il vendait sansdoute habituellement ses présents. Or, soit que ces gens eussent été victimes de l’habiletéde Gobseck, soit que Gobseck voulût un trop grand prix de ses denrées ou de ses valeursfabriquées, chaque marché se trouvait en suspens. Il n’avait pas vendu les comestibles àChevet, parce que Chevet ne voulait les reprendre qu’à trente pour cent de perte.Gobseck chicanait pour quelques francs de différence, et pendant la discussion lesmarchandises s’avariaient. Pour son argenterie, il refusait de payer les frais de lalivraison. Pour ses cafés, il ne voulait pas garantir les déchets. Enfin chaque objet donnaitlieu à des contestations qui dénotaient en Gobseck les premiers symptômes de cetenfantillage, de cet entêtement incompréhensible auxquels arrivent tous les vieillardschez lesquels une passion forte survit à l’intelligence. Je me dis, comme il se l’était dit àlui-même : – A qui toutes ces richesses iront-elles ?... En pensant au bizarrerenseignement qu’il m’avait fourni sur sa seule héritière, je me vois obligé de fouillertoutes les maisons suspectes de Paris pour y jeter à quelque mauvaise femme uneimmense fortune. Avant tout, sachez que, par des actes en bonne forme, le comte Ernest

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de Restaud sera sous peu de jours mis en possession d’une fortune qui lui permetd’épouser mademoiselle Camille, tout en constituant à la comtesse de Restaud sa mère, àson frère et à sa sœur, des dots et des parts suffisantes.¶

Il me demanda quinze jours, pour me donner une réponse. Hier, il m’a dit quecette alliance lui convenait et que le jour où elle aurait lieu, il constituerait à Ernest unmajorat de cent mille livres de rente… Mais que de choses j’ai apprises sur Gobseck !..C’est un homme qui s’était amusé à faire de la vertu, comme il faisat jadis l’usure, avecune perspicaité, un tact, une sécurité de jugement inimaginables. Il méprise les hommesparce qu’il lit dans leurs âmes comme dans un livre, et se plaît à leur verser le bien et lemal tour-à-tour. C’est un dieu, c’est un démon ; mais plus souvent démon que dieu.¶Autrefois, je voyais en lui le pouvoir de l’or personnifié…… Eh bien, maintenant, il estpour moi comme une image fantastique du DESTIN.¶ – Pourquoi vous êtes-vous donctant intéressé à moi et à Ernest ? lui dis-je hier.¶ – Parce que vous et son père êtes lesseules hommes qui se soient jamais fiés à moi.¶ – Eh bien, dit la vicomtesse, nous feronsnommer Gobseck baron et nous verrons !...¶ – C’est tout vu ! s’écria le vieux marquis eninterrompant sa sœur pour faire croire qu’il n’avait pas dormi, et qu’il était au fait del’histoire. C’est tout vu !...¶– Eh ! bien, cher monsieur Derville, nous y penserons,répondit madame de Grandlieu. Monsieur Ernest doit être bien riche pour faire acceptersa mère par une famille comme la nôtre. Songez que mon fils sera quelque jour duc deGrandlieu, il réunira la fortune des deux maisons de Grandlieu, je lui veux un beau-frèreà son goût.¶

– Mais, dit le comte d Born, Restaud porte de gueules à la traverse d’argentaccompagnée de quatre écussons d’or chargés chacun d’une croix de sable, et c’est untrès vieux blason.¶

– C’est vrai, dit la vicomtesse, d’ailleurs Camille pourra ne pas voir sa belle-mèrequi a fait mentir la devise le RES TUTA !.¶

– Madame de Beauséant recevait madame de Restaud, dit le vieil oncle.¶– Oh ! dans ses raouts, répliqua la vicomtesse.¶ Paris, janvier 1830.¶

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Comparaison entre Le Bal de Sceaux de

1830 et le «  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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Comparaison entre Le Bal de Sceaux de

1830 et le «  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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III E SCÈNE.¶LE BAL DE SCEAUX.¶

¶ A HENRI DE BALZAC,¶Son frère¶

HONORÉ.¶—

MONSIEUR leLe comte de Fontaine, chef de l’une des plus anciennes famillesdu Poitou, avait servi la cause des Bourbons avec intelligence et courage pendant leslongues guerres la guerre que les Vendéensvendéens firent à la république. Ayant euassez de bonheur pour échapper aux proscriptions, aux Après avoir échappé à tous lesdangers dequi menacèrent les chefs royalistes durant cette époque orageuse et salutaireépoque de l’histoire contemporaine, il disait gaîment qu’il faisait partie gaiement : – Jesuis un de ceux qui s’étaient tous se sont fait tuer sur les marches du trône, car il avait été ! Cette plaisanterie n’était pas sans quelque vérité pour un homme laissé parmi les mortsà la sanglante journée des Quatre-Chemins.¶ Quoique ruiné par des confiscations, cefidèle Vendéenvendéen refusa constamment de remplir les places lucratives qui que luifurent offertes parfit offrir l’empereur Napoléon. Invariable dans sa religionaristocratique, il en avait aveuglément suivi les maximes, quand il jugea convenable de sechoisir une compagne. Au mépris des séductions dont l’entourait la famille d’un richeparvenu de la révolution, l’ex-comte épousa une jeune fille sans fortune, mais quiappartenait à la meilleure maison de la province.¶Malgré les séductions d’un richeparvenu révolutionnaire qui mettait cette alliance à haut prix, il épousa une demoiselle deKergarouët sans fortune, mais dont la famille est une des plus vieilles de la Bretagne.¶

La restaurationRestauration surprit M.monsieur de Fontaine chargé d’unenombreuse famille. Quoiqu’il n’entrât pas alors dans les idées du généreux gentilhommede solliciter des grâces, il céda néanmoins aux désirs de sa femme, quitta la petite terreson domaine dont le revenu modique suffisait à peine aux besoins de ses enfansenfants,et vint à Paris.¶ Contristé de l’avidité avec laquelle ses anciens camarades convoitaientlafaisaient curée des places, et des richesses et des nouvelles dignités del’Empireconstitutionnelles, il allait retourner à sa terre, lorsqu’il reçut une lettreministérielle, par laquelle, une excellence une Excellence assez connue lui annonçait sanomination au grade de maréchal-de-camp, en vertu de l’ordonnance qui permettait auxofficiers des armées catholiques de compter les vingt premières années inédites du règnede Louis XVIII, comme années de service. Puis quelquesQuelques jours après, leVendéenvendéen reçut encore, sans aucune sollicitation, et d’office, la croix de l’ordre dela Légion-d’Honneur et celuicelle de Saint-Louis.¶ Ebranlé dans sa résolution par cesgrâces successives, dont qu’il crut devoir au souvenir du monarque, il ne se croyaitredevable au souvenir du Roi, il pensa, qu’il ne devaitcontenta plus se contenter de menersa famille, comme il l’avait pieusement fait chaque dimanche, crier vive le Roi dans lasalle des maréchaux, aux passage des princes Maréchaux aux Tuileries quand ils lesprinces se rendaient à la chapelle. Il , il sollicita la faveur d’une entrevue particulière.¶ Cette audience lui fut gracieusement , très-promptement accordée, mais il se trouva quesa visite n’eut rien de particulier ; car le . Le salon royal était presque plein de vieuxserviteurs dont les têtes poudrées, vues d’une certaine hauteur, ressemblaient, par leuragglomération, à un tapis de neige. Il Là, le gentilhomme retrouva beaucoup d’ancienscompagnons, qui le reçurent d’un air un peu froid, ; mais les princes lui parurent

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adorables.¶ Cette, expression d’enthousiasme qui lui échappa au gentilhomme, quand leplus gracieux de ses maîtres, dont il n’était de qui le comte ne se croyait connu que denom, ayant été à vint lui, lui serra serrer la main et le proclama à haute voix : le plus purdes Vendéens. Mais il ne vint àvendéens. Malgré cette ovation, aucune de ces augustespersonnes n’eut l’idée d’aucun de lui demander le compte de ceux dont il était entouré delui demander ni le compte des ses pertes qu’il avait subies, ni celui de l’argent qu’il avaitsi généreusement versé dans les caisses de l’armée catholique ; et il . Il s’aperçut, un peutard, qu’il avait fait la guerre à ses dépens.¶ Aussi à Vers la fin de la soirée, il hasardacrutpouvoir hasarder une spirituelle allusion fort spirituelle à l’état de ses affaires, état quidevait être semblable à celui de bien des gentilshommes ; le roi . Sa Majesté se prit à rired’assez bon cœur, car tout ce qui était marquétoute parole marquée au coin de l’espritavait le don de lui plaire ; mais il elle répliqua néanmoins par une de ces royalesplaisanteries dont la douceur est plus à craindre, que la colère d’une réprimande.¶ Undes plus intimes confidensconfidents du Roi roi ne tarda pas à s’approcher duVendéenvendéen calculateur ; et, auquel il fit entendre, par une phrase fine et polie, il fitentendre à M. de Fontaine que le moment n’était pas encore venu de compter avec lesmaîtres ; qu’il y avait : il se trouvait sur le tapis des mémoires beaucoup plus arriérés quele sien, et qui devaient sans doute servir à l’histoire de la révolution.¶ Révolution. Lecomte sortit prudemment du groupe vénérable qui décrivait un respectueux demi-cercledevant l’auguste famille ; etpuis, après avoir, non sans peine, dégagé son épée du sein dela petite forêt de parmi les jambes grêles où elle s’était engagée, il regagna pédestrement,à travers la cour des Tuileries, le modeste fiacre qu’il avait laissé en station sur le quai.Puis, avecAvec cet esprit rétif qui distingue la noblesse de vieille roche, chez laquelle lesouvenir de la Ligue et des Barricades n’est pas encore éteint, il se plaignit dans le sonfiacre, à haute voix et de manière à se compromettre, sur le changement survenu à lacour.¶ – Autrefois, se disait-il, chacun parlait librement au Roiroi de ses petites affaires,et tous les seigneurs pouvaient à leur aise lui demander des grâces et de l’argent. Nevoilà-t-il pas qu’, et aujourd’hui l’on n’obtiendra pas, sans scandale, de se fairerembourser les le remboursement des sommes avancées pour son service. ? Morbleu ! lacroix de Saint-Louis et le grade de maréchal-de-camp ne valent pas six trois cent milleliv res ; et je les ai certes livres que j’ai, bel et bien, dépensées pour la cause royale. Jeveux reparler au Roiroi, en face, et dans son cabinet.¶

Cette scène refroidit d’autant plus le zèle de monsieur de Fontaine, que sesdemandes d’audience restèrent constamment sans réponse, et qu’il . Il vit d’ailleurs lesintrus de l’Empire arriverl’empire arrivant à quelques-unes des charges réservées sousl’ancienne monarchie aux meilleures maisons dans l’ancienne monarchie.¶

– Tout est perdu, dit-il un matin, je crois, morbleu, que. Décidément, le Roi estroi n’a jamais été qu’un révolutionnaire, et, sans. Sans Monsieur, qui au moins ne dérogepas, et console ses fidèles serviteurs, je ne sais en quelles mains irait un jour la couronnede France, si cela ce régime continuait. Décidément ce qu’ils appellent le régimeLeurmaudit système constitutionnel est le plus mauvais de tous les systèmes degouvernementgouvernements, et ne pourra jamais convenir à la France. Louis XVIII a etM. Beugnot nous ont tout gâté à St.-Saint-Ouen.¶

Alors le Le comte, au désespoir, se prépara désespéré se préparait à retourner à saterre, en abandonnant avec noblesse ses prétentions à une toute indemnité. Tout-à-coup,les évènemens du vingt marsEn ce moment, les événements du Vingt-Mars annoncèrent

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une nouvelle tempête qui menaçait d’engloutir la légitimitéle roi légitime et sesdéfenseurs. Semblable à ces gens généreux qui ne renvoient pas un serviteur par untemps de pluie, M.monsieur de Fontaine emprunta à gros intérêts sur sa terre, pour suivrela monarchie en déroute, sans savoir si cette complicité d’émigration lui serait pluspropice que ne l’avait été son dévouement passé.¶ Il avait, il est vrai, remarqué qu’à lacour les ; mais après avoir observé que les compagnons de l’exil étaient mieux reçus etplus avancés en faveur que les braves qui , jadis, avaient protesté, les armes à la main,contre l’établissement de la république, et il espérait que cette fois le peut-être espéra-t-iltrouver dans ce voyage lui serait plus profitable qu’un à l’étranger plus de profit que dansun service actif et périlleux à l’intérieur.¶ Ses calculs de courtisannerie ne furent pas,cette fois, une de ces vaines spéculations qui, après avoir promis promettent sur le papierdes résultats superbes, et ruinent par leur exécution.¶ Il fut donc, selon le mot du plusspirituel et du plus habile de nos diplomates, un des cinq cents fidèles serviteurs quipartagèrent l’exil de la cour à Gand, et l’ un des cinquante mille qui enrevinrent.¶ Pendant cette courte absence de la royauté, M.monsieur de Fontaine eut lebonheur d’être employé par Louis XVIII lui-même. Il eut, et rencontra plus d’uneoccasion de donner au Roi des roi les preuves d’une grande probité politique et d’unattachement sincère. Un soir, que le monarque n’ayant n’avait rien de mieux à faire, il sesouvint du bon mot dit par M.monsieur de Fontaine aux Tuileries. Le vieuxVendéen,vendéen ne laissant pas échapper un tel à-propos, et raconta son histoire assezspirituellement pour que ce Roiroi, qui n’oubliait rien, pût se la rappeler en temps utile.L’auguste littérateur remarqua la tournure fine donnée à quelques notes dont il avaitconfié la rédaction avait été confiée au discret gentilhomme, et cette dernièrecirconstance . Ce petit mérite inscrivit M.monsieur de Fontaine, dans la mémoire duRoiroi, parmi les plus loyaux serviteurs de sa couronne.¶ Alors au Au second retour, lecomte de Fontaine fut un de ces envoyés extraordinaires qui parcoururent lesdépartemens. Il départements, avec la mission de juger souverainement les fauteurs de larébellion ; mais il usa modérément du de son terrible pouvoir qui lui était confié ; et,aussitôt. Aussitôt que cette juridiction temporaire eut cessé, ille grand-prévôt s’assit dansun des fauteuils du conseil-d’étatConseil-d’Etat, devint député, parla peu, écoutabeaucoup, et changea considérablement d’opinion. Enfin, grâce à quelquesQuelquescirconstances qui ont échappé à l’investigation des plus curieux , inconnues auxbiographes, il entrale firent entrer assez avant dans l’intimité du prince, pour qu’un jourle malicieux monarque l’interpellât ainsi en le voyant entrer :¶: – Mon ami Fontaine, jene m’aviserais pas de vous nommer directeur-général ni ministre, car ni ! Ni vous ni moi,si nous étions employés, ne resterions en place, à cause de nos opinions. Legouvernement représentatif a cela de bon qu’il nous ôte la peine que nous avions jadis, derenvoyer nous-mêmes nos pauvres amis les Secrétaires-d’état.secrétaires d’Etat. Notreconseil est une véritable hôtellerie, où l’opinion publique nous envoie souvent desinguliers voyageurs, ; mais enfin nous saurons toujours où placer nos fidèles serviteurs.¶

Cette ouverture moqueuse fut suivie d’une ordonnance qui nommait M.donnait àmonsieur de Fontaine à une place fort lucrativeadministration dans l’administration du ledomaine extraordinaire de la Couronne. Par suite de l’intelligente attention avec laquelleM. de Fontaineil écoutait les phrases sardoniques sarcasmes de son royal ami, son nom setrouva toujours sur les lèvres du princede Sa Majesté, toutes les fois qu’il y eut lieu defallut créer une commission quelconque.dont les membres devaient être lucrativement

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appointés. Il eut le bon esprit de taire la faveur dont l’honorait le Roi monarque et sutl’entretenir par la une manière piquante dont il racontait secrètementde narrer, dans unede ces causeries familières dont auxquelles Louis XVIII était aussi avide que dese plaisaitautant qu’aux billets agréablement écrits, toutes les anecdotes politiques et, s’il est permisde se servir de cette expression, les cancans diplomatiques ou parlementaires dontl’époque était féconde.qui abondaient alors. On sait que les détails de sagouvernementabilité, mot adopté par l’auguste railleur, l’amusaient infiniment.¶ Grâce aubon sens, à l’esprit et à l’adresse de M.monsieur le comte de Fontaine, chaque membre,si jeune qu’il fût, de sa nombreuse famille , quelque jeune qu’il fût, finit, ainsi qu’il ledisait plaisamment à son maître, par se poser comme un ver -à -soie, sur les feuilles dubudget.¶ Ainsi, par les bontés du Roiroi, l’aîné de ses fils parvint à une place fortéminente dedans la magistrature inamovible. Le second qui était, simple capitaine avantla restauration, obtint une légion immédiatement après son retour de Gand ; puis, à lafaveur des mouvemensmouvements de 1815, pendant lesquels on observa peu lesrèglemensméconnut les règlements, il passa dans la garde royale, repassa dans les gardes-du-corps, revint dans la ligne, et, de là, se trouva un beau matin lieutenant-général auxenvironsavec un commandement dans la garde, après l’affaire du Trocadéro.¶ Le dernier,nommé sous-préfet, ne tarda pas à devenirdevint bientôt maître des requêtes et directeurd’une administration parisienne qui était à municipale de la Ville de Paris, où il setrouvait à l’abri des tempêtes législatives.¶ Toutes ces Ces grâces sans éclat étaient,secrètes comme la faveur du chef de la famille, et passaientcomte, pleuvaient inaperçues.Quoique le père et les trois fils eussent chacun assez de sinécures pour jouir chacun d’unrevenu budgétaire presqu’presque aussi considérable que celui d’un directeur-général,leur fortune politique n’excita l’envie de personne, car dans . Dans ces temps de premierétablissement du système constitutionnel, peu de personnes avaient des idées bien justessur les régions paisibles du budget, dans lesquelles où d’adroits favoris surent trouverl’équivalent des abbayes détruites. Mais M.Monsieur le comte de Fontaine, qui naguèresencore se vantait de n’avoir pas lu la Charte, et se montrait jadis si courroucé contre lesgens de courl’avidité des courtisans, ne tarda pas à faire voirprouver à son auguste maîtrequ’il comprenait aussi bien que lui l’esprit et les ressources du représentatif.¶ Cependant,malgré la sécurité des carrières qu’il avait ouvertes à ses trois fils, et malgré les avantagespécuniaires qui résultaient du cumul de ses quatre places, M.monsieur de Fontaine setrouvait à la tête d’une famille trop nombreuse famille pour pouvoir rétablir promptementet facilement rétablir sa fortune. Ses trois fils étaient riches d’avenir, de faveur et detalent ; mais il avait trois filles, et craignait de lasser la bonté du monarque. Il imagina dene jamais lui parler que d’une seule de ces vierges pressées d’allumer leur flambeau. LeRoi, ayant Le roi avait trop bon goût pour laisser son œuvre imparfaite, aida au . Lemariage de la première avec un receveur-général, Planat de Baudry fut conclu par une deces phrases royales qui ne coûtent rien et valent des millions.¶ Un soir que où lemonarque était maussade, il se prit à souriresourit en apprenant qu’il existait encore unedemoiselle de Fontaine, et il lui trouva, pour mari, l’existence d’une autre demoiselle deFontaine qu’il fit épouser à un jeune magistrat d’extraction bourgeoise, il est vrai, maisriche et, plein de talent. Il se fit même un malin plaisir de le créer , et qu’il créa baron.¶Mais lorsque Lorsque, l’année suivante, le Vendéenvendéen parla de mademoiselleÉmilie de Fontaine, le Roiroi lui répondit, de sa petite voix aigrelette :¶ : – Amicus Plato,sed magis amica natio.¶Natio. Puis, quelques jours après, il régala son ami Fontaine d’un

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quatrain assez innocent qu’il intitulait appelait une épigramme, et dans lequel il leplaisantait sur ses trois filles si habilement présentées à son attention, produites sous laforme d’une trinité, car c’était, s’il . S’il faut en croire la chronique, dans l’unité en troispersonnes que le monarque avait été prendre chercher son bon mot dans l’unité des troispersonnes divines.¶

– Si Votre Majesté voulait le roi daignait changer son l’ épigramme enépithalame ?.... dit le comte en essayant de faire tourner cette boutade à son profit.¶

– Je Si j’en vois la rime, je n’en vois pas la raison, répondit aigrement le Roi.¶ Ladurement le roi qui ne goûta point cette plaisanterie faite sur sa poésie ne plut pas auRoi ; et, à compter de quelque douce qu’elle fût.¶

Dès ce jour, son commerce avec monsieur de Fontaine eut moins d’aménité avecmonsieur de Fontaine.¶ Le comte conçut d’autant plus de chagrin de cette espèce dedisgrâce, que cette fille était, comme le sont . Les Rois aiment plus qu’on ne le croit lacontradiction. Comme presque tous les enfants venus les derniers enfans dans toutes lesfamilles, , Émilie de Fontaine était un Benjamin gâté par tout le monde. Lerefroidissement du monarque à son égard fit causa donc d’autant plus de peine à M. deFontaineau comte, que jamais mariage ne paraissaitfut plus difficile à conclure que celuide cette fille chérie.¶ Pour concevoir tous ces obstacles, il faut pénétrer dans l’enceintedu bel hôtel où l’administrateur était logé aux dépens de la couronne.¶MademoiselleListe-Civile. Émilie, ayant avait passé son enfance à la terre de Fontaine, yavait joui en y jouissant de cette abondance qui suffit aux premiers plaisirs des enfans.Ses de la jeunesse ; ses moindres désirssouhaits y étaient des lois pour ses sœurs, pour sesfrères, pour sa mère, et même pour son père, car tous. Tous ses parens enparentsraffolaient. Elle était arrivée d’elle. Arrivée à l’âge de raison, précisément au moment oùsa famille fut comblée des capricieuses faveurs de la fortune., l’enchantement de sa viecontinua. Le luxe dont elle fut entouréede Paris lui sembla une chose tout aussi naturelleque cette naturel que la richesse de en fleurs et de ou en fruits, que l’air pur, les bois etl’ et que cette opulence champêtre qui avaient fait firent le bonheur de ses premièresannées. De même qu’elle n’avait éprouvé aucune contrariété dans son enfance, quand ellevoulait satisfaire de joyeux désirs, de même elle se vit encore obéie, lorsqu’à l’âge dequatorze ans, elle se lança dans le tourbillon du monde. Comprenant ainsi, par degrés, lesjouissances de la fortune, elle apprécia les avantages de la parure, devint amoureuse del’élégance, s’habitua aux dorures des salons, au luxe des équipages, aux complimensflatteurs, aux recherches de la toilette, aux bijoux, aux parfums des fêtes, aux vanités dela cour. Tout lui sourit. Elle vit de la bienveillance dans tous les yeux pour elle, etcomme les enfansAccoutumée ainsi par degrés aux jouissances de la fortune, lesrecherches de la toilette, l’élégance des salons dorés et des équipages lui devinrent aussinécessaires que les compliments vrais ou faux de la flatterie, que les fêtes et les vanitésde la cour. Comme la plupart des enfants gâtés, elle en profita pour tyrannisertyrannisaceux qui l’aimaient, tandis qu’elle réservaitet réserva ses coquetteries auxindifférens.indifférents. Ses défauts ne firent que grandir avec elle.¶ Son père et sa mèredevaient tôt ou tard , et ses parents allaient bientôt recueillir les fruits amers de cetteéducation funeste. Mademoiselle Émilie de Fontaine était arrivée à l’âge de A dix-neufans sans avoir , Émilie de Fontaine n’avait pas encore voulu faire de choix parmi lesnombreux jeunes gens dont que la politique de M.monsieur de Fontaine peuplaitassemblait dans ses fêtes. Cette jeune personne Quoique jeune encore, elle jouissait dans

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le monde de toute la liberté d’esprit que peut y avoir une femme mariée. Sa beauté étaitsi remarquable que, pour elle, paraître dans un salon c’était régner ; or, semblable .Semblable aux rois, elle n’avait pas d’amis, et devenait se voyait partout le sujet d’uneconspiration de flatterie, l’objet d’une complaisance à laquelle un naturel meilleur que lesien n’eût peut-être pas résisté. Parmi les hommes, les vieillards eux-mêmes n’avaientpas Aucun homme, fût-ce même un vieillard, n’avait la force de contredire les opinionsd’une jeune fille qui les charmait d’un dont un seul regard. Élevée avec un soinparticulier, pour tout ce ranimait l’amour dans un cœur froid. Elevée avec des soins quiconcernait ce qu’on nomme les talens d’agrémentmanquèrent à ses sœurs, elle peignaitassez bien, parlait l’italien et dessinait encore mieux. Elle étaitl’anglais, jouait du pianod’une forcefaçon désespérante sur le piano, avait une; enfin sa voix délicieuse, déchiffraità livre ouvert, dansait, perfectionnée par les meilleurs maîtres, avait un timbre quidonnait à merveille, et savait entretenir une conversation spirituelle sur son chantd’irrésistibles séductions. Spirituelle et nourrie de toutes les littératures. Elle parlaitl’italien et l’anglais ; bref, elle aurait pu faire croire que, comme dit Mascarille, les gensde qualité viennent au monde en sachant tout. Elle éblouissait les gens superficiels, et sontact naturel l’aidant à reconnaître les gens profonds, elle déployait pour eux tant decoquetteries, qu’à la faveur de ses séductions, elle savait échapper à leur sérieuxexamen.¶ Alors elle pouvait parler Elle raisonnait facilement sur la peinture italienne oulit térature anglaise, jugerflamande, sur le Moyen-âge ou la Renaissance ; jugeait à tort età travers, faire les livres anciens ou nouveaux, et faisait ressortir avec une cruelle grâced’esprit les défauts d’un tableau ou d’un ouvrage, le moindre mot d’elle. La plus simplede ses phrases était reçureçue par la foule idolâtre, comme par les Turcs un feftafetfa duprophète par les Turcs.¶ Sultan. Elle éblouissait ainsi les gens superficiels ; quant auxgens profonds, son tact naturel l’aidait à les reconnaître ; et pour eux, elle déployait tantde coquetterie, qu’à la faveur de ses séductions, elle pouvait échapper à leur examen. Cevernis séduisant, cette brillante écorce couvraient couvrait un cœur insouciant, l’opinioncommune à beaucoup de jeunes filles que personne n’habitait une sphère assez élevéepour pouvoir comprendre l’excellence de son âme, et un orgueil qui s’appuyait autant sursa naissance que sur sa beauté.¶ En l’absence du sentiment violent qui règneravage tôt outard dans le cœur d’une femme, elle portait sa jeune ardeur dans un amour immodéré dela richesse et des distinctions. Elle professait , et témoignait le plus profond mépris pourtous les gens qui n’étaient pas nobles.roturiers. Fort impertinente avec la nouvellenoblesse, elle faisait tous ses efforts pour que ses parens essayassent de marcherparentsmarchassent de pair au milieu des familles les plus anciennesillustres du faubourg Saint-Germain.¶

Ces sentimensCes sentiments n’avaient pas échappé à l’œil observateur deM.monsieur de Fontaine, etqui plus d’une fois il eut à gémir des sarcasmes et des bonsmots d’Émilie, lors des mariages du mariage de ses deux premières filles. On doits’étonner, eut à gémir des sarcasmes et des bons mots d’Émilie. Les gens logiquess’étonneront d’avoir vu le vieux Vendéen donner vendéen donnant sa première fille à unreceveur-général qui possédait bien, à la vérité, quelques anciennes terres seigneuriales,mais dont le nom n’était cependant pas précédé de cette particule à laquelle le trône dûtdut tant de défenseurs, et la seconde à un magistrat trop récemment baronifié, honneurencore trop récent pour faire oublier que le père avait vendu des sacs de farine.¶fagots.Ce notable changement dans les idées du noble Vendéen, et, au moment où il atteignait

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sa soixantième année, époque à laquelle les hommes quittent rarement leurs croyances,n’était pas dû seulement à la déplorable habitation de la moderne Babylone où tous lesgens de province finissent par perdre leurs rudesses ; la nouvelle conscience politique ducomte de Fontaine était encore le résultat des conseils et de l’amitié du Roi et de sesconseils.roi. Ce prince philosophe avait pris plaisir à convertir le Vendéenvendéen auxidées sages qu’exigeaient la marche du dix-neuvième siècle et le changement subi par larénovation de la monarchie.¶ Louis XVIII avait une fusion à opérer parmivoulait fondreles partis, comme Napoléon eut la sienne à faire entreavait fondu les choses et leshommes. Le Roiroi légitime, peut-être aussi spirituel que son rival, agissait en senscontraire : il. Le dernier chef de la maison de Bourbon était aussi empressé à satisfaire letiers-état et les gens de l’empire, en contenant le clergé, que l’Empereur l’avait été lepremier des Napoléon fut jaloux d’attirer auprès de lui les grands seigneurs ou à de doterl’Église.l’église. Confident des royales pensées, le conseiller-d’étatConseiller d’Etat étaitinsensiblement devenu l’un des chefs les plus influensinfluents et les plus sages de ceparti modéré qui désirait vivement, au nom de l’intérêt national, la fusion de toutes lesdes opinions. Il prêchait les coûteux principes salutaires du gouvernement constitutionnelet secondait de toute sa puissance les jeux de la bascule politique qui permettait à sonmaître de gouverner la France au milieu des dernières agitations de la révolution.. Peut-être M.monsieur de Fontaine se flattait-il d’arriver à la pairie par un de ces coups de ventlégislatifs dont il voyait des les effets si bizarres ; car unbizarres surprenaient alors lesplus vieux politiques. Un de ses principes les plus fixes consistait à ne plus reconnaître enFrance d’autre noblesse que la pairie, puisquedont les familles à manteau bleu étaient lesseules qui eussent des privilèges. – En effetpriviléges.¶

– Une noblesse sans priviléges, disait-il, comment concevoir une noblesse sansprivilèges, c’est un manche sans outil.¶

Aussi éloigné du parti de ManuelLafayette que du parti de la La Bourdonnaye, ilentreprenait avec ardeur la réconciliation générale, d’où devaient sortir une ère nouvelleet de brillantes destinées pour la France. Il cherchait à convaincre toutes les familles chezlesquelles il avait accèsles familles qui hantaient ses salons et ceux où il allait, du peu dechances favorables qu’offraient désormais la carrière militaire et l’administration ; et il .Il engageait les mères à lancer leurs enfansenfants dans les professions indépendantes etindustrielles, en leur donnant à entendre que les emplois militaires et les hautes fonctionsdu gouvernement finiraient par appartenir très-constitutionnellement aux cadets desfamilles nobles de la pairie, et que . Selon lui, la nation avait conquis une part assez largedans l’administration par son assemblée élective, par les places de la magistrature, et parcelles de la finance, qui, disait-il, seraient toujours comme autrefois l’apanage desnotabilités du tiers-état.¶ Les nouvelles idées du chef de la famille de Fontaine, et lessages alliances qui en étaient résultéesrésultèrent pour ses deux premières filles, avaientrencontré une forte oppositionde fortes résistances au sein de son ménage.¶ La comtessede Fontaine resta fidèle à toutes sesaux vieilles croyances aristocratiques, peut-être parcequ’elle appartenait aux Montmorency du côté de que ne devait pas renier une femme quiappartenait aux Rohan par sa mère. Aussi fut-elle un moment contraire Quoiqu’elle se fûtopposée pendant un moment au bonheur et à la fortune qui attendaient ses deux fillesaînées, mais elle fut forcée de céderse rendit à ces considérations secrètes que les épouxse confient le soir quand les leurs têtes reposent sur le même oreiller.¶ M. Monsieur deFontaine démontra froidement à sa femme, par d’exacts calculs, que le séjour de Paris,

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l’obligation d’y représenter, et la splendeur de sa maison, (splendeur qu’il ne blâmait paspuisqu’elle était si tardivement venue qui les dédommagerdédommageait des privationsqu’ils avaient si courageusement partagées au fond de la Vendée,) qu’enfin les dépensesfaites pour leurs fils absorbaient la plus grande partie de leur revenu budgétaire, et qu’il .Il fallait donc saisir, comme une faveur céleste, l’occasion qui se présentait pour eux,d’établir si richement leurs filles aussi richement ; qu’elles . Ne devaient -elles pas jouirun jour de soixante ou , de quatre-vingt deux mille livres de rente ; que des? Desmariages aussi avantageux ne se rencontraient pas tous les jours pour des filles sans dot ;et qu’enfin. Enfin, il était temps de penser à économiser, pour augmenter les revenus dela terre de Fontaine, afin de et reconstruire l’antique fortune territoriale de leurla famille.Madame de Fontaine La comtesse céda, comme toutes les mères l’auraientl’eussent fait,à sa place, quoique de meilleure grâce peut-être, à des argumens aussi arguments sipersuasifs ; mais elle déclara qu’au moins sa fille Émilie ne serait mariée que de lamanière la plus brillante et au gré de à satisfaire l’orgueil qu’elle avait contribuémalheureusement contribué à développer dans cette jeune âme.¶

Ainsi les événemensévénements qui auraient dû répandre la joie dans cette familley introduisirent un léger levain de discorde. Le receveur-général et le jeune présidentmagistrat furent en butte aux froideurs d’un cérémonial tout particulier que que surentcréer la comtesse et sa fille Émilie eurent le talent de créer.. Leur étiquette trouva bienplus amplement lieu d’exercer ses tyrannies domestiques, lorsque : le lieutenant-généralépousa lamademoiselle Mongenod fille unique d’un riche banquier ; quand le magistratle président se maria sensément avec une demoiselle dont le père, tout deux ou trois foismillionnaire qu’il était, faisait, avait fait le commerce des toiles peintes, et quedu sel ;enfin le troisième frère se montra fidèle à ces doctrines roturières en prenant sa jeuneépouse dans la famille d’un riche notaire de Paris.¶ pour femme mademoiselle Grossetêtefille unique du Receveur général de Bourges. Les trois belles-sœurs et, les deux beaux-frères trouvaient tant de charmes et d’avantages personnels à rester dans la haute sphèredes puissances politiques et à parcourir dans les salons du faubourg Saint-Germain, que,tous, qu’ils s’accordèrent tous pour former une petite cour à la hautaine Émilie. Ce pacted’intérêt et d’orgueil n’était ne fut cependant pas tellement bien cimenté que la jeunesouveraine n’excitât souvent des révolutions dans son petit état.¶ Etat. Des scènes, que lebon ton ne pouvait entièrement désavouern’eût pas désavouées, entretenaient, entre tousles membres de cette puissante famille, une humeur moqueuse qui, sans altérersensiblement l’amitié affichée en public, dégénérait quelquefois dans l’intérieur ensentimenssentiments peu charitables. Ainsi, la femme du lieutenant-général, devenuevicomtessebaronne, se croyait tout aussi noble qu’une RohanKergarouët, et prétendaitque cent bonnes mille livres de rente lui donnaient le droit d’être aussi impertinente quesa belle-sœur Émilie à laquelle elle souhaitait parfois avec ironie un mariage heureux, enfaisant observerannonçant que la fille de tel pair venait d’épouser monsieur un tel....¶ Parle bon goût de ses voitures et la richesse de ses toilettes, la femme du baron de Fontaines’amusait à éclipser Émilie, qui se promettait bien de prendre sa revanche quand elleserait mariée.¶ , tout court. La femme du vicomte de Fontaine s’amusait à éclipser Émiliepar le bon goût et par la richesse qui se faisaient remarquer dans ses toilettes, dans sesameublements et ses équipages. L’air moqueur dont avec lequel les belles-sœurs et lesdeux beaux-frères accueillaientaccueillirent quelquefois les prétentions avouées parmademoiselle de Fontaine excitait en chez elle un courroux qui ne se calmait jamais que

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par une pluieà peine calmé par une grêle d’épigrammes.¶ Enfin, lorsque Lorsque le chefde la famille éprouva un peu de quelque refroidissement dans la tacite et précaire amitiédu monarque, il trembla d’autant plus, que jamais sa fille chérie n’avait, par suite desdéfis railleurs de ses sœurs, jamais sa fille chérie n’avait jeté ses vues si haut.¶

Ce fut auAu milieu de ces circonstances et au moment où cette petite luttedomestique était devenue fort grave, que le monarque, auprès duquel M.monsieur deFontaine croyait rentrer en grâce, fut attaqué de la maladie dont il devait périr. En effetleLe grand politique qui sut si bien conduire son vaisseausa nauf au sein des orages, netarda pas à succomber.¶ Incertain de la faveur à venir, le comte de Fontaine fit donc lesplus grands efforts pour rassembler autour de sa dernière fille l’élite des jeunes gens àmarier. Ceux qui ont été à mêmetâché de chercher à résoudre le problème difficile dequeprésente l’établissement d’une fille, orgueilleuse et fantasque, comprendront peut-êtretoutes les peines que se donna le pauvre Vendéen.¶ vendéen. Achevée au gré de sonenfant chéri, cette dernière entreprise aurait eût couronné dignement la carrière que lecomte parcourait depuis dix ans à Paris. Car, par Par la manière dont sa familleenvahissait les traitemenstraitements de tous les ministères, elle pouvait se comparer à lamaison d’Autriche, qui, par ses alliances, menace d’envahir toute l’Europe. Aussi levieux Vendéenvendéen ne se rebutait-il pas dans ses présentations de prétendus, tant ilavait à cœur le bonheur de sa fille. Mais ; mais rien n’était plus plaisant que lamanièrefaçon dont l’impertinente créature prononçait ses arrêts et jugeait le mérite de sesadorateurs.¶ Il semblait qu’elle fût On eût dit que, semblable à l’une de ces princessesdes Mille et un Jours, qui étaient si riches et si belles qu’elles avaient Émilie fût assezriche, assez belle pour avoir le droit de choisir parmi tous les princes du monde. Ellefaisait mille ; ses objections étaient plus bouffonnes les unes que les autres. Tantôt : l’unavait les jambes trop grosses ou les genoux cagneux, l’autre était myope, celui-cis’appelait Durand, celui-là boîtait ;boitait, presque tous étaientlui semblaient tropgras.....¶ Et plus Plus vive, plus charmante, plus gaie que jamais après avoir rejeté deuxou trois prétendus, elle s’élançait vers dans les fêtes de l’hiver, et courait aux bal,s où sesyeux perçansperçants examinaient les célébrités du jour ; où souvent, à l’aide de sonravissant babil, elle parvenait à deviner les secrets du cœur, où elle se plaisait àtourmenter tous les jeunes gens et à exciter avec une coquetterie instinctive des demandesqu’elle rejetait toujours.¶ La nature lui avait donné en profusion les avantagesnécessaires au à ce rôle qu’elle jouait.¶ de Célimène. Grande et svelte, Émilie deFontaine avait possédait une démarche imposante ou folâtre, à son gré. Son col un peulong lui permettait de prendre de merveilleusescharmantes attitudes de dédain etd’impertinence. Elle s’était fait un fécond répertoire de ces airs de tête et de ces gestesféminins qui expliquent si cruellement ou si heureusement les demi-mots et les sourires.De beaux cheveux noirs, des sourcils très-fournis et fortement arqués prêtaient à saphysionomie une expression de fierté que la coquetterie autant que son miroir lui avaientapprisapprit à rendre terrible ou à tempérer par la fixité ou par la douceur de son regard,par l’immobilité ou par les légères inflexions de ses lèvres, par la froideur ou la grâce deson sourire.¶ . Quand Émilie voulait s’emparer d’un cœur, sa voix pure ne manquait pasde mélodie ; mais elle savait pouvait aussi lui imprimer aussi une sorte de clarté brèvequand elle entreprenait de paralyser la langue indiscrète d’un cavalier. Sa figure blancheet son front de marbred’albâtre étaient semblables à la surface limpide d’un lac qui tour àtour se ridaitride sous l’effort d’une brise ou reprenaitreprend sa sérénité joyeuse. Plus

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d’un jeune homme en proie à ses dédains et plein de dépit, l’accusait de jouer lacomédie ; mais il y avait tant de feu et tant de promesses dans ses yeux noirs, qu’ellefaisait bondir malgré eux tous les cœurs de ses élégans danseurs, sous les blancs gilets etles fracs noirs. quand l’air se calme. Plus d’un jeune homme en proie à ses dédainsl’accusa de jouer la comédie ; mais elle se justifiait en inspirant aux médisants le désir delui ;paire et les soumettant aux dédains de sa coquetterie. Parmi les jeunes filles à lamode, nulle ne savait, mieux qu’elle, ne savait prendre un air de hauteur en recevant lesalut d’un homme qui n’avait que dude talent, ou déployer cette politesse insultante pourles personnes qu’elle regardait comme ses inférieures, et verser les trésors dequi fait denos égaux des inférieurs, et déverser son impertinence sur tous ceux qui essayaient demarcher de pair avec elle. Bref, elle Elle semblait, partout où elle se trouvait, recevoirplutôt des hommages que des complimens ; et, compliments, et même chez une princessemême, sa tournure et ses airs eussent converti le fauteuil sur lequel elle se serait assise, enun trône impérial.¶

Ce fut alors, mais trop tard, que M.Monsieur de Fontaine découvrit trop tardcombien l’éducation de la fille qu’il aimait le plus avait été faussée par la tendresse dontelle était encore l’objet.de toute la famille. L’admiration que le monde témoigne d’abordà une jeune personne, et dont il se venge plus tardmais de laquelle il ne tarde pas à sevenger, avait encore exalté l’orgueil d’Émilie et accru sa confiance en elle-même. Lesbontés dont elle était comblée par tous ceux qui l’entouraient, développèrent dans soncœur . Une complaisance générale avait développé chez elle l’égoïsme naturel auxenfansenfants gâtés qui, semblables à des rois, s’amusent de tout ce qui les approchecomme les rois avec leurs gens.¶ . En ce moment, la grâce de la jeunesse et le charme destalenstalents cachaient à tous les yeux ces défauts, d’autant plus odieux chez une femmequ’elle ne peut plaire constamment que par le dévouement et l’abnégation d’elle-même.Mais par l’abnégation ; mais rien n’échappe à l’œil d’un bon père. Alors M. de Fontainevoulut essayer : monsieur de Fontaine essaya souvent d’expliquer à sa fille les principalespages du livre énigmatique de la vie. Ce fut une vaineVaine entreprise. En effet, il ! Ileut trop souvent à gémir sur l’indocilité capricieuse et sur la sagesse ironique de sa fille,pour persévérer dans une tâche aussi difficile à son âge, que l’était celle de corriger unnaturel aussi pernicieux. naturel. Il se contenta donc de donner de temps à autre en tempsdes conseils pleins de douceur et de bonté ; mais il avait la douleur de voir ses plustendres paroles glisserglissant sur le cœur de sa fille, comme s’il eût été de marbre.¶ Lesyeux d’un père se dessillent si tard, qu’il fallut au vieux Vendéenvendéen plus d’uneépreuve pour s’apercevoir de l’air de condescendance avec laquelle sa fille lui accordaitde rares caresses. Elle ressemblait à ces jeunes enfansenfants qui paraissent dire à leurmère : – dépêcheDépêche-toi de m’embrasser pour que j’aille jouer ?. Enfin, Émiliedaignait avoir de la tendresse pour ses parens.parents. Mais souvent, par des capricessoudains qui semblent inexplicables chez les jeunes filles, elle s’isolait et ne se montraitplus que rarement. Elle ; elle se plaignait d’avoir à partager avec trop de mondel’affection et le cœur de son père et de sa mère. Elle , elle devenait jalouse de tout, mêmede ses frères et de ses sœurs ; et. Puis, après avoir pris bien de la peine à créer un désertautour d’elle, elle cette fille bizarre accusait la nature entière de ce qu’elle restait seule.sasolitude factice et de ses peines volontaires. Armée de son expérience de vingt ans, ellecondamnait le Sort, sort parce que, ne sachant pas que le premier principe du bonheur esten nous, elle demandait aux choses de la vie de le lui donner le bonheur.. Elle aurait fui

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au bout du globe, pour éviter des mariages semblables à ceux de ses deux sœurs ; etparfoisnéanmoins, elle avait dans le cœur une affreuse jalousie de les voir mariées, richeset heureuses. Enfin, quelquefois elle donnait à penser à sa mère, qui était victime de sesprocédés tout autant que M.monsieur de Fontaine, qu’elle était en proie à quelque avaitun grain de folie.¶ Mais cette Cette aberration était assez explicable. En effet, : rien n’estplus commun que cette secrète fierté qui naît dans le née au cœur des jeunes personnesque la nature a douées d’une grande beauté et qui appartiennent à une famille un peuélevéedes familles haut placées sur l’échelle sociale. Puis ensuite elles , et que la nature adouées d’une grande beauté. Presque toutes sont presque toutes persuadées que leursmères, arrivées à l’âge de quarante ou cinquante ans, ne peuvent plus ni sympathiser avecleurs jeunes âmes, ni en concevoir les fantaisies. Elles s’imaginent que la plupart desmères sont, jalouses de leurs filles, et veulent les habiller à leur mode dans le desseinprémédité de les éclipser et ou de leur ravir des hommages. De là, souvent, des larmessecrètes ou de sourdes révoltes contre la prétendue tyrannie maternelle.¶ Au milieu deces chagrins qui deviennent réels quoiqu’, quoique assis sur une base imaginaire, ellesont encore la manie de composer un thème pour leur existence, et elles se tirent à elles-mêmes leurun brillant horoscope, sans autre ; leur magie que celle de consiste à prendreleurs rêves pour des réalités. Ainsi, elles résolvent secrètement, dans leurs longuesméditations, de n’accorder leur cœur et leur main qu’à l’homme qui possédera tel ou telavantage. Elles ; elles dessinent dans leur imagination un type auquel il faut, bon gré malgré, que leur futur ressemble, et ce n’est qu’après. Après avoir expérimenté la vie et faitles réflexions sérieuses qu’amènent les années, ce n’est qu’à force de voir le monde etson train prosaïque, à force d’exemples malheureux que, les brillantes belles couleurs deleur figure idéale s’abolissent et qu’s’abolissent ; puis, elles se trouvent un beau jour, aumilieu du dans le courant de la vie, tout étonnées d’être heureuses sans la nuptiale poésiede leurs rêves.¶ Mademoiselle Émilie de Fontaine avait, suivant Suivant cette poétique,mademoiselle Émilie de Fontaine avait arrêté, dans sa fragile sagesse d’un jour, unprogramme auquel devrait devait se conformer celui qu’elle aimerait.son prétendu pourêtre accepté. De là venaient tous ses dédains et ses impertinens sarcasmes.¶

– Avant tout– Quoique jeune et de noblesse ancienne, s’était-elle dit, il sera jeune,et de noblesse ancienne. Encore faut-il qu’il soit pair de France ou fils aîné d’un pair,parce qu’il ! Il me serait insupportable de ne pas voir mes armes peintes sur lespanneaux de ma voiture au milieu des plis flottansflottants d’un manteau d’azur. C’estd’ailleurs un passeport pour par, et de ne pas courir comme les princes dans la grandeallée du milieu aux promenadesdes Champs-Elysées, les jours de Longchamp. Et puis,D’ailleurs, mon père prétend que ce sera un jour la plus belle dignité de France. Je leveux militaire, en me réservant de lui faire donner sa démission ; mais surtout qu’il aitune décoration, parce qu’on nous portera, et je le veux décoré pour que l’on nous porteles armes.¶

Enfin, toutes cesCes rares qualités n’étaient ne servaient à rien encore, si cet êtrede raison n’avaitne possédait pas encore une grande amabilité, une jolie tournure, del’esprit, et s’il n’était pas svelte. Cette dernière grâce La maigreur, cette grâce du corps,toute quelque fugitive qu’elle pouvaitpût être, surtout dans un gouvernementreprésentatif, était une qualitéclause de rigueur. Mademoiselle de Fontaine avait unecertaine mesure idéale qui lui servait de modèle, et le. Le jeune homme qui, au premiercoup- d’œil, ne remplissait pas les conditions de maigreur voulues par le prospectus,

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n’obtenait même pas un second regard.¶– Oh ! mon Dieu, voyez combien ce monsieur est-il gras !, était chez elle

l’expression du dernier degréla plus haute expression de son mépris.¶A l’entendre, les gens d’une honnête corpulence étaient incapables de

sentimenssentiments, mauvais maris et indignes d’entrer dans une société bien civilisée.Chez les femmesQuoique ce fût une beauté recherchée en orient, l’embonpoint étaitluisemblait un malheur ; quoique, après tout, ce fût une beauté recherchée en Orientmalheurchez les femmes ; mais, chez un homme, c’était un crime.¶ Toutes ces Ces opinionsparadoxales amusaient grâces , grâce à une certaine gaîtégaieté d’élocution ; mais M. deFontaine. Néanmoins, le comte sentit que plus tard les prétentions de sa fille, dontcertains esprits féminins, clairvoyans et peu charitables, commençaient à apercevoir leridicule allait être visible pour certaines femmes aussi clairvoyantes que peu charitables,deviendraient un fatal sujet de raillerie. Il craignit que les idées bizarres de sa fille ne sechangeassent en mauvais ton. Il tremblait même que le monde impitoyable ne se moquâtdéjà d’une personne qui restait si long-temps en scène sans donner un dénouement audrame qu’elle dénoûment à la comédie qu’elle y jouait. Plus d’un acteur, mécontent d’unrefus, paraissait attendre le moindre incident malheureux pour se venger ; et lesindifférens. Les indifférents, les oisifs, commençaient à se lasser, car : l’admirationsemble êtreest toujours une fatigue pour l’espèce humaine. Or, le Le vieuxVendéenvendéen savait mieux que personne, que s’il n’existe qu’un faut choisir avec artle moment d’entrer sur les tréteaux du monde, sur ceux de la cour, dans un salon, ou surla scène, il n’y en a qu’un non plus pour ; il est encore plus difficile d’en sortir.¶

à propos. Aussi, pendant le premier hiver qui suivit l’avènement de Charles X autrône de S. M. Charles X, il, redoubla -t-il d’efforts, conjointement avec ses trois fils etses gendres, pour réunir dans les brillans salons de son hôtel les meilleurs partis que Pariset les différentes députations des départemensdépartements pouvaient présenter. L’éclatde ses fêtes, le luxe de sa salle à manger et ses dîners parfumés de truffes rivalisaientavec les célèbres repas par lesquels les ministres du temps s’assuraient les votesle vote deleurs soldats parlementaires.¶

L’honorable Vendéen futdéputé fut alors signalé comme un des pluspuissanspuissants corrupteurs de la probité législative de cette illustre chambre quisembla mourir d’indigestion ; et, chose. Chose bizarre, ce fut aux efforts qu’il faisait ! sestentatives pour marier sa fille, qu’il dut de se maintenir le maintinrent dans une éclatantefaveur. Peut-être trouva-t-il quelque avantage secret à vendre deux fois ses truffes. Cetteaccusation portée par due à certains libéraux railleurs, qui se vengeaient quicompensaient, par l’abondance des de leurs paroles, de la rareté de leursadhérensadhérents dans la chambre, n’eût aucun succès. La conduite du gentilhommepoitevin était en général si noble et si honorable, qu’il ne reçut pas une seule de cesépigrammes dont par lesquelles les malins journaux de cette époque assaillirent les troiscents votansvotants du centre, les ministres, les cuisiniers, les directeurs généraux, lesprinces de la fourchette et les défenseurs d’office qui soutenaient l’administration -Villèle.¶ A la fin de cette campagne, pendant laquelle M.monsieur de Fontaine avait, àplusieurs reprises, fait donner toutes ses troupes, il crut que son assemblée de prétendusne serait pas, cette fois, une fantasmagorie pour sa fille, et qu’il était temps de laconsulter.¶ . Il avait une certaine satisfaction intérieure d’avoir si bien rempli son devoirde père ; et, comme il avait . Puis, après avoir fait flèche de tout bois, il espérait que de ,

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parmi tant de cœurs offerts à la capricieuse Émilie, il pouvait s’en êtrerencontrérencontrer au moins un qu’elle eût distingué. Incapable de renouveler cet effort,il était commeet d’ailleurs lassé de la conduite de sa fille ; aussi, vers la fin du carême, unmatin que la séance de la chambre ne réclamait pas trop impérieusement son vote,attendu que c’était le jour destiné aux pétitions, il résolut de faire un coup d’autorité.¶

consulter. Pendant qu’un valet de chambre dessinait artistement, sur son crânejaune, le delta de poudre qui complétait, avec des ailes de pigeon pendantes, sa coiffurevénérable, le père d’Émilie ordonna, à un vieux serviteur, non sans une secrète émotion,à son vieux valet de chambre d’aller avertir l’orgueilleuse demoiselle de comparaîtreimmédiatement devant le chef de la famille.¶

– Joseph, dit-il au valet de chambre, qui avait lui dit-il au moment où il eutachevé sa coiffure, ôtez cette serviette, tirez ces rideaux, mettez ces fauteuils en place,secouez le tapis de la cheminée et remettez-le bien droit, essuyez partout ?... Allons !.. Etdonnez Donnez un peu d’air à mon cabinet en ouvrant la fenêtre.¶

Le comte, en multipliant multipliait ses ordres, essoufflaessoufflait Joseph, qui,devinant les intentions de son maître, restitua quelque splendeurfraîcheur à cette piècenaturellement la plus négligée de toute la maison. Il, et réussit à imprimer une sorted’harmonie à des monceaux de comptes, et quelque symétrie aux cartons, aux livres et,aux meubles de ce sanctuaire où se débattaient les intérêts du domaine de la couronne.¶royal. Quand Joseph eut achevé de mettre un peu d’ordre dans ce chaos et de placer enévidence, comme dans un magasin de nouveautés, les choses qui pouvaient être les plusagréables à voir et, ou produire par leurs couleurs une sorte de poésie bureaucratique, ils’arrêta au milieu du dédale des paperasses qui, étalées en quelques endroits, étaientétalées même jusques jusque sur le tapis, il s’admira lui-même un moment, hocha la têteet sortit.¶ Mais le Le pauvre sinécuriste ne partagea pas la bonne opinion de sonserviteur ; et, avant . Avant de s’asseoir dans son immense fauteuil à oreilles, au dosrecourbé et garni en maroquin rouge, il jeta un regard de méfiance autour de lui, examinad’un air hostile la blancheur de sa robe de chambre, en chassa quelques grains de tabac,s’essuya soigneusement le nez, rangea les pelles et les pincettes, attisa le feu, releva lesquartiers de ses pantoufles, rejeta en arrière sa petite queue qui s’était horizontalementlogée entre le col de son gilet et celui de sa robe de chambre ;, et, après lui avoir fait fitreprendre sa position perpendiculaire ; puis, il donna un coup de balai aux cendres d’unfoyer qui pouvait attesterattestait l’obstination de son catarrhe. Enfin le vieuxVendéenvieillard ne s’assit, qu’après avoir repassé une dernière fois en revue son cabinet,en espérant que rien n’y pourrait donner lieu à ces aux remarques aussi plaisantesqu’impertinentes par lesquelles sa fille chérie, abusant de sa tendresse sexagénaire, avaitcoutume de répondre à ses sages avis. En cette occurrence, il ne voulait pascompromettre sa dignité paternelle. Il prit délicatement une prise de tabac, et toussa deuxou trois fois comme s’il se disposait à demander l’appel nominal ; car il entendit: ilentendait le pas léger de sa fille, qui entra en fredonnant un air de l’opéra deld’ilBarbiere.¶

– Bonjour, mon père...... que Que me voulez-vous donc si matin ?......¶?¶Et, après Après ces paroles jetées comme la ritournelle de l’air qu’elle chantait,

elle embrassa son pèrele comte, non pas avec cette tendresse familière qui rend lesentiment filial, chose si douce, mais avec l’insouciante légèreté d’une maîtresse sûre detoujours plaire quoi qu’elle fasse.¶

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– Ma chère enfant..........., dit gravement M.monsieur de Fontaine, je t’ai faitvenir pour causer très-sérieusement avec toi, sur ton avenir. La nécessité où tu es en cemoment de choisir un mari de manière à assurer rendre ton bonheur.. durable...¶

– Mon bon père...... reprit, répondit Émilie en employant les sons les pluscaressanscaressants de sa voix, pour interrompre le comte pour l’interrompre, il mesemble que l’armistice que nous avons conclu relativement à mes prétendus n’est pasencore expiré.¶

– Émilie, cessons aujourd’hui de badiner sur un sujet aussi important. Depuisquelque temps tous les efforts de ceux qui t’aiment véritablement, ma chère enfant, seréunissent pour te procurer un établissement convenable, et ce serait te rendre êtrecoupable d’ingratitude que d’accueillir légèrement les marques d’intérêt que je ne suispas seul à te prodiguer.¶

En entendant ces paroles la jeune fille avait jetéet après avoir lancé un regardmalicieusement investigateur sur les meubles du cabinet paternel. Elle , la jeune fille allaprendre celui des fauteuils qui paraissait avoir le moins servi aux solliciteurs, ellel’apporta elle-même de l’autre côte de la cheminée, de manière à se placer en face de sonpère ; puis, prenant , prit une attitude si grave qu’il était impossible de n’y pas voir lestraces d’une moquerie, elle et se croisa les bras sur la riche garniture d’une pèlerine à laneige dont elle froissa les nombreuses ruches de tulle. furent impitoyablement froissées.Après avoir regardé de côté, et en riant, la figure soucieuse de son vieux père, elle rompitle silence :¶.¶

– Je ne vous ai jamais entendu dire, mon boncher père, que le gouvernement fîtses communications en robe de chambre ; mais. Mais, ajouta-t-elle en souriant,n’importe, le peuple n’estne doit pas être difficile !... Elle sourit.. Voyons donc vosprojets de loi et vos présentations officielles.....¶

– Je n’aurai pas toujours la facilité de t’vous en faire, petite jeune folle !... Enfinmon Ecoute, Émilie. Mon intention, mademoiselle, n’est pas de compromettre plus long-temps mon caractère, qui est une partie de la fortune de mes enfansenfants, à recruter cerégiment de danseurs que tu mets en déroute à chaque printemps. Déjà tu as été la causeinnocente de bien des brouilleries dangereuses avec certaines familles, mais j’espère.J’espère que tu comprendras. mieux aujourd’hui les difficultés de ta position et de lanôtre.¶ Émilie, tu Tu as vingt -deux ans, ma fille, et voici près de cinqtrois ans que l’onte voit rester fille.tu devrais être mariée. Tes frères, tes deux sœurs sont tous établisrichement et heureusement. Mais, mon enfant, les dépenses que nous ont suscitées cesmariages, et le train de maison que tu fais tenir à ta mère , ont absorbé tellement nosrevenus que c’est tout au plus si je , qu’à peine pourrai -je te donner cent mille francs dedot. Dès aujourd’hui je veux m’occuper du sort à venir de ta mère. Il , qui ne doit pasêtre sacrifié par moi à ses enfans ; et sacrifiée à ses enfants. Émilie, si je veux, Émilie,que lorsque je viendraivenais à manquer à ma famille, madame de Fontaine ne soitsaurait être à la merci de personne ; et qu’elle continue, et doit continuer à jouir del’aisance dontpar laquelle j’ai récompensé trop tard son dévouement à mes malheurs...¶ Tu vois, mon enfant, que la faiblesse de ta dot n’est pas en rapport avec toutes ne sauraitêtre en harmonie avec tes idées de grandeur ?... encore cette somme est-elle . Encoresera-ce un sacrifice que je n’ai fait pour aucun autre de mes enfans,enfants ; mais ils sesont généreusement accordés à ne pas se prévaloir un jour de l’avantage que nous faisonsta mère et moiferons à un enfant trop chéri.¶

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– Dans leur position !...... dit Émilie en agitant la tête avec ironie.¶– Ma fille, que je ne vous entendene dépréciez jamais déprécier ainsi ceux qui

vous aiment. Sachez qu’il n’y a que les pauvres de généreux ! Les riches ont toujoursd’excellentes raisons pour ne pas abandonner vingt mille francs à un parent....¶ Ehbien, ! ne boude pas, mon enfant ? Et voyons ?.. Dis-moi, tu es raisonnable, , et parlonsde nosraisonnablement. Parmi les jeunes gens ? N’asgens à marier, n’as-tu pas remarquéparmi eux M. de Montalant ?...¶monsieur de Manerville ?¶

– Oh ! il dit zeu au lieu de jeu, il regarde toujours son pied parce qu’il le croitpetit, et il se mire !... D’ailleurs, il est blond et, je n’aime pas les blonds..........¶

– Eh bien, M. de Sérisy ?.....¶ ! monsieur de Beaudenord ?¶– Il n’est pas noble. Il est mal fait et gros. A la vérité il est brun. Il faudrait que

ces deux messieurs s’entendissent pour réunir leurs fortunes, et que le premier donnât soncorps et son nom au second, qui garderait ses cheveux, et, alors.... peut-être....................¶

– Qu’as-tu à dire contre M. de Saluces ?......¶monsieur de Rastignac ?¶– Il s’est fait banquier.........¶ – M. de Comines ?......¶ – Il– Madame de Nucingen

banquier, dit-elle malicieusement.¶– Et le vicomte de Portenduère, notre parent ?¶– Un enfant qui danse mal ; mais, et d’ailleurs sans fortune. Enfin, mon père, tous

ces gens-là n’ont pas de titres, et je . Je veux être au moins comtesse comme l’est mamère.¶

– Tu n’as donc vu personne cet hiver, qui......¶– Non, mon père.......¶– Que veux-tu donc ?....¶?¶– Le fils d’un pair de France........¶– Ma fille, dit M. de Fontaine en se levant, vous êtes folle !.... dit monsieur de

Fontaine en se levant.¶Mais tout- à- coup il leva les yeux au ciel, sembla puiser une nouvelle dose plus

forte de résignation dans une pensée religieuse ; etpuis, jetant un regard de pitiépaternelle sur son enfant, qui devint émue, il lui prit la main, la serra, et lui dit avecattendrissement :¶ : – Dieu m’m’en est témoin !, pauvre créature égarée, que ! j’aiconsciencieusement rempli mes devoirs de père envers toi, que dis-jeconsciencieusement, ? avec amour, mon Émilie. Oui, Dieu le sait, que, cet hiver j’aiamené près de toi plus d’un honnête homme dont les qualités, les mœurs, le caractèrem’étaient connus, et tous nous ont paru dignes de toi. Mon enfant, ma tâche est remplie.D’aujourd’hui je te rends l’arbitre de ton sort, me trouvant heureux et malheureux toutensemble de me voir déchargé de la plus lourde des obligations paternelles. Je ne sais passi, long-temps encore, tu entendras une voix qui, par malheur, n’a jamais été sévère ;mais souviens-toi, que le bonheur conjugal ne se fonde pas tant sur des qualités brillanteset sur la fortune, que sur une estime réciproque. Cette félicité est, de sa nature, modesteet sans éclat. Va, ma fille, mon aveu est acquis à celui que tu me présenteras pourgendre ; mais si tu devenais malheureuse, songe que tu n’auras pas le droit d’accuser tonpère. Je ne me refuserai pas à faire des démarches et à t’aider ; seulement, si tu fais unque ton choix, qu’il soit soit sérieux, définitif ; car: je ne compromettrai pas deux fois lerespect dû à mes cheveux blancs.¶

L’affection que lui témoignait son père, et l’accent solennel qu’il mit à sononctueuse allocution touchèrent vivement mademoiselle de Fontaine ; mais elle dissimula

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son attendrissement, et sautant avec légèretésauta sur les genoux du comte qui s’étaitassis tout tremblant encore, elle lui fit les caresses les plus douces, et le câlina avec unetant de grâce féminine si suave que le front du vieillard se dérida. Quand Émilie jugeaque son père était remis de sa pénible émotion, elle lui dit à voix basse :¶

: – Je vous remercie bien de votre gracieuse permissionattention, mon cher père.Vous avez arrangé votre appartement pour recevoir votre fille chérie ?. Vous ne saviezpeut-être pas la trouver si folle et si rebelle ?.... Mais, mon père, c’est est-il donc biendifficile d’épouser un pair de France ?..... Vous vous prétendiez qu’on en faisait pardouzaines.... Ah ! du moins vous ne me refuserez pas des conseils au moins !...¶

– Non, pauvre enfant, non, et je te crierai plus d’une fois : Prends garde ! Songedonc, que la pairie est un ressort trop nouveau dans notre gouvernementabilité, commedisait le feu roi, pour que les pairs puissent posséder de grandes fortunes. – Ceux qui sontriches veulent le devenir encore plus ; car le. Le plus opulent de tous les membres denotre pairie n’a pas la moitié du revenu que possède le moins riche lord de la chambrehaute du parlement anglais.en Angleterre. Or tous les pairs de France sans exception,chercheront pour leurs fils tous de riches héritières pour leurs fils, n’importe où elles setrouveront ; car la. La nécessité où ils sont tous de faire tous des mariages d’argent dureraencore plus de cent ans. Mais il deux siècles. Il est possible qu’en attendant l’heureuxhasard que tu désires, recherche qui peut te coûter tes plus belles années, tes charmes,(car on s’épouse considérablement par amour dans notre siècle)), tes charmes, dis-je,opèrent un prodige. Lorsque l’expérience se cache sous un visage aussi frais que le tien,l’on peut en espérer des merveilles. Tu N’as-tu pas d’abord la facilité de reconnaître lesvertus dans le plus ou le moins de volume que prennent les corps. Ce ? ce n’est pas unpetit mérite. Aussi n’ai-je pas besoin de prévenir une personne aussi sage que toi, detoutes les difficultés de l’entreprise. Je suis certain que tu ne supposeras jamais à uninconnu du bon sens en lui voyant une figure flatteuse, ou des vertus, parce qu’il aura enlui trouvant une jolie tournure.¶ Enfin je suis parfaitement de ton avis sur l’obligationdans laquelle sont tous les fils de pair d’avoir un air à eux et une manière d’êtredesmanières tout- à- fait distinctive. Aujourd’hui ques. Quoique aujourd’hui rien ne marqueles rangsle haut rang, ces jeunes gens-là doivent avoirauront pour toi, peut-être, un je nesais quoi qui les fasse reconnaître.te les révélera. D’ailleurs, tu tiens ton cœur en bridecomme un bon cavalier certain de ne pas laisser broncher son coursier. Ma fille ?...– Bonne, bonne chance.¶

– Tu te moques de moi, mon père ?.... EhEh ! bien, je te déclare que j’irai plutôtmourir au couvent de mademoiselle de Condé, que de ne pas être la femme d’un pair deFrance.¶

Elle s’échappa des bras de son père, et, toute fière d’être sa maîtresse, elle s’enalla en chantant l’air de Cara non dubitare du Matrimonio secreto.¶ Ce jour-là, le Parhasard fit que toute la famille se trouva réunie pour fêter fêtait ce jour-là l’anniversaired’une fête domestique ; et, au. Au dessert, madame BonnevalPlanat, la femme dureceveur-général et l’aînée d’Émilie, parla assez hautement d’un jeune Américain,possesseur d’une immense fortune, lequelqui, devenu passionnément épris de sa sœur, luiavait fait des propositions extrêmement brillantes.¶

– C’est un banquier, je crois ? , dit négligemment Émilie. Je n’aime pas les gensde finance.¶

– Mais, Émilie, répondit le baron de Villaine, le mari de la seconde sœur de

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mademoiselle de Fontaine, vous n’aimez pas non plus la magistrature, de manière que jene vois pas trop, si vous repoussez les propriétaires non titrés, dans quelle classe vouschoisirez un mari.¶

– Surtout, Émilie, avec ton système de maigreur, ajouta le lieutenant-général.¶– Je sais, répondit la jeune fille, ce qu’il me faut.¶– Ma sœur veut un grandbeau nom ! , un beau jeune homme, un bel avenir,dit la

baronne de Fontaine, et cent mille livres de rente.¶, enfin monsieur de Marsay parexemple !¶

– Je sais, ma chère sœur, reprit Émilie, que je ne ferai pas un sot mariage commej’en ai tant vu faire. D’ailleurs, pour éviter ces discussions nuptiales que j’exècre, jedéclare que je regarderai comme les ennemis de mon repos ceux qui me parleront demariage.¶

Un oncle d’Émilie, vieillard septuagénaireun vice-amiral, dont la fortune venaitde s’augmenter d’une vingtaine de mille livres de rente, par suite de la loi d’indemnité, etqui étaitvieillard septuagénaire en possession de dire de dures vérités à sa petite -niècedontde laquelle il raffolait, s’écria, pour dissiper l’aigreur de cette conversation :¶

: – Ne tourmentez donc pas cettema pauvre Émilie. Ne ! ne voyez-vous pasqu’elle attend la majorité du duc de Bordeaux ?¶!¶

Un rire universel accueillit la plaisanterie du vieillard.¶– Prenez garde que je ne vous épouse, vieux fou !.... s’écria repartit la jeune fille

dont heureusement les dernières paroles furent heureusement étouffées par le bruit.¶– Mes enfansenfants, dit madame de Fontaine, pour adoucir cette impertinence,

Émilie, de même que vous tous, ne prendra conseil que de sa mère, de même que vousavez tous pris conseil de votre père.¶

– Oh, mon Dieu ! je n’écouterai que moi dans une affaire qui ne regarde quemoi !..., dit fort distinctement mademoiselle de Fontaine.¶

Tous les regards se portèrent alors sur le chef de la famille. Chacun semblait êtrecurieux de voir comment il allait s’y prendre pour maintenir sa dignité. Non-seulement,le vénérable Vendéenvendéen jouissait d’une grande considération dans le monde ; maisencore, plus heureux que bien des pères, il était apprécié par sa famille, dont tous lesmembres avaient su reconnaître les qualités solides qui lui servirentservaient à faire lafortune de tous ses parens. Aussi des siens ; aussi était-il entouré de ce profond respectqui règne dansque témoignent les familles anglaises et dans quelques maisonsaristocratiques du continent pour le au représentant de l’arbre généalogique. Il s’établitun profond silence, et les yeux des convives se portèrent alternativement sur la figureboudeuse et altière de l’enfant gâté et sur les visages sévères de monsieur et de madamede Fontaine.¶

– J’ai laissé ma fille Émilie maîtresse de son sort.¶ Telle, fut la réponse que laissatomber le comte d’un son de voix profond et agité.¶

Tous les parensLes parents et les convives regardèrent alors mademoiselle deFontaine avec une curiosité mêlée de pitié ; car cette . Cette parole semblait annoncer quela bonté paternelle s’était lassée de lutter contre un caractère que toute la famille savaitêtre incorrigible. Les gendres murmurèrent, et les frères lancèrent à leurs femmes dessourires moqueurs. Puis, dèsDès ce moment, chacun cessa de s’intéresser au mariage del’orgueilleuse fille. Son vieil oncle fut le seul qui, en sa qualité d’ancien marin, osâtcourir des bordées avec elle, et essuyer ses boutades, n’étant sans être jamais embarrassé

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de lui rendre feu pour feu.¶ Quand la belle saison fut venue et queaprès le vote dubudget eut été voté, cette famille, véritable modèle des familles parlementaires de l’autrebord de la Manche, qui ont un pied dans toutes les administrations et dix voix auxCommunes, s’envola, comme une nichée d’oiseaux, vers les beaux sites d’Aulnay,d’Antony et de Châtenay.¶ L’opulent receveur-général avait récemment acheté dans cesparages une maison de campagne pour sa femme, car il qui ne restait à Paris que pendantles sessions. Quoique la belle Émilie méprisât la roture, ce sentiment n’allait pas jusqu’àdédaigner les avantages de la fortune, quioiqu’elle fût amassée par des les bourgeois. Elle, elle accompagna donc sa sœur à la sa villa somptueuse, moins par amitié pour lespersonnes de sa famille qui s’y réfugièrent, que parce que le bon ton ordonneimpérieusement à toute femme qui se respecte d’abandonner Paris pendant l’été.¶ Or, les Les vertes campagnes de Sceaux remplissaient admirablement bien les conditions ducompromis signé entre exigées par le bon ton et le devoir des charges publiques.¶

Comme il est un peu douteux que la réputation du bal champêtre de Sceaux aitjamais dépassé la modeste l’ enceinte du département de la Seine, il est nécessaire dedonner quelques détails sur cette fête hebdomadaire qui, par son importance,menacemenaçait alors de devenir une institution. Les environs de la petite ville deSceaux jouissent d’une renommée dûedue à des sites qui passent pour êtreravissans.ravissants. Peut-être sont-ils fort ordinaires et ne doivent-ils leur célébrité qu’àla stupidité des bourgeois de Paris, qui, au sortir des abîmes de moëllonmoellon où ilssont ensevelis, seraient disposés à admirer une plaineles plaines de la Beauce. Cependantles poétiques ombrages d’Aulnay, les collines d’Antony et de Fontenay-aux-Roseslavallée de Bièvre étant habités par quelques artistes qui ont voyagé, par des étrangers,gens fort difficiles, et par nombre de belles dames jolies femmes qui ne manquent pas debon goût, il est à croire que les Parisiensparisiens ont raison.¶ Mais Sceaux possède unautre attrait non moins puissant pour le Parisien.sur le parisien. Au milieu d’un jardind’où la vue découvrese découvrent de délicieux aspects, se trouve une immense rotonde,ouverte de toutes parts, dont le dôme aussi léger que vaste est soutenu par d’élégantspiliers. Sous ce Ce dais champêtre estprotège une salle de danse célèbre.. Il est rare queles propriétaires les plus collets-montés du voisinage n’émigrent pas une fois ou deux,pendant la saison, vers ce palais de la TerpsychoreTerpsichore villageoise, soit encavalcades brillantes, soit dans ces élégantes et légères voitures qui saupoudrent depoussière les piétons philosophes. L’espoir de rencontrer là quelques femmes du beaumonde et d’en être vud’être vus par elles, l’espoir moins souvent trompé d’y voir dejeunes paysannes aussi rusées que des juges, fait voleraccourir le dimanche, au bal deSceaux, de nombreux essaims de clercs d’avoués, de disciples d’Esculape et de jeunesgens dont le teint blanc et la fraîcheur sont entretenus par l’air humide des arrière-boutiques parisiennes. Aussi bon nombre de mariages bourgeois ont commencése sont-ilsébauchés aux sons de l’orchestre qui occupe le centre de cette salle circulaire, et si . Si letoit pouvait parler, que d’amours ne raconterait-il pas ? Cette intéressante mêléerendrendait alors le bal de Sceaux plus piquant que ne le sont deux ou trois autres balsdes environs de Paris, sur lesquels il a l’avantage inappréciable de sa rotonde, la beautédu site et de la beauté les agréments de son jardin.¶ lui donnaient d’incontestablesavantages. Émilie fut , la première à manifester, manifesta le désir d’aller faire peuple àce joyeux bal de l’arrondissement. Elle ne se promettait pas peu de , en se promettant unénorme plaisir à se trouver au milieu de cette assemblée. C’était la première fois qu’elle

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désirait On s’étonna de son désir d’errer au sein d’une telle cohue. On sait que ; maisl’incognito est un plaisir très-vif n’est-il pas pour les grands. une très-vive jouissance ?Mademoiselle de Fontaine se plaisait donc à se figurer d’avance toutes ces tournurescitadines. Elle , elle se voyait laissant dans plus d’un cœur bourgeois le souvenir d’unregard et d’un sourire enchanteurs. Elle , riait déjà des danseuses à prétentions, et taillaitses crayons pour les scènes dontavec lesquelles elle comptait enrichir les pages de sonalbum.¶ satirique. Le dimanche n’arriva jamais assez tôt au gré de son impatience. Lasociété du pavillon BonnevalPlanat se mit en route à pied, afin de ne pas commettred’indiscrétion sur le rang des personnages qui allaientvoulaient honorer le bal de leurprésence. L’on On avait dîné de bonne heure, et, pour comble de plaisir. Enfin, le moisde mai favorisa cette escapade aristocratique par la plus belle de ses soirées.Mademoiselle de Fontaine resta fut tout surprise de trouver, sous la rotonde, aussi bonnecompagnie que celle dont quelques quadrilles étaient composés. de personnes quiparaissaient appartenir à la bonne compagnie. Elle reconnutvit bien, çà et là des ,quelques jeunes gens qui avaient semblaient avoir employé les économies d’un mois pourbriller pendant une journée, elle vit bien quelques et reconnut plusieurs couples dont lajoie trop franche n’accusait rien de conjugal, ; mais elle n’eut qu’à glaner au lieu derécolter. Elle s’étonna de voir le plaisir habillé de percale ressembler si fort au plaisirrevêtu de satin, et la bourgeoisie danserdansant avec autant de grâce que la noblesse,quelquefois mieux. que ne dansait la noblesse. La plupart des toilettes étaient simples,mais et bien portées. Enfin les députésCeux qui, dans cette assemblée, représentaient lessuzerains du territoire, c’est-à-dire les paysans, se tenaient dans leur coin avec uneincroyable politesse dans leur coin.. Il fallut même à mademoiselle Émilie une certaineétude des divers élémenséléments qui composaient cette réunion avant qu’elle pût depouvoir y trouver un sujet de plaisanterie. Mais elle n’eut ni le temps de se livrer à sesmalicieuses critiques, ni le loisir d’entendre beaucoup de ses propos interrompus queCharlet, Henri Monnier et l’observateur saillants que les caricaturistes recueillent avectant de délices.¶

joie. L’orgueilleuse créature rencontra subitement dans ce vaste champ, une fleur,la métaphore est de saison, dont l’éclat et les couleurs agirent sur son imagination avectout le prestigeles prestiges d’une nouveauté. Il nous arrive souvent de regarder une robe,une tenture, un papier blanc avec assez de distraction pour n’y pas apercevoir sur-le-champ une tache ou quelque point brillant, qui plus tard frappent tout- à- coup notre œilcomme s’ils y survenaient à l’instant seulement où nous les voyons. Ce fut ; par uneespèce de phénomène moral assez semblable à celui-là, que Mllemademoiselle deFontaine reconnut, dans le un jeune homme qui s’offrait à ses regards, le type de toutesles des perfections extérieures qu’elle rêvait depuis si long-temps.¶

En ce moment elle était assiseAssise sur une de ces chaises grossières quidécrivaient l’enceinte obligée de la salle, et elle s’était placée à l’extrémité du groupeformé par sa famille, afin de pouvoir se lever ou s’avancer suivant ses fantaisies. Elle enagissait effectivement avec les, en se comportant avec les vivants tableaux et les groupesofferts par cette salle, comme si c’eût été une à l’exposition du Musée, braquant avecimpertinence ; elle braquait impertinemment son lorgnon sur une figurepersonne qui setrouvait à deux pas d’elle, et faisantfaisait ses réflexions comme si elle eût critiqué ouloué une tête d’étude, une scène de genre. Ses regards, après avoir erré sur cette vastetoile animée, furent tout- à- coup saisis (par cette expression rendra mieux l’effet), par

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une figure qui semblait avoir été mise exprès dans un coin du tableau, sous le plus beaujour, comme un personnage hors de toute proportion avec le reste. Émilie s’étonnad’avoir remarqué si tard cet inconnu.¶ Il était grandL’inconnu, rêveur et solitaire.Légèrement, légèrement appuyé sur une des colonnes qui supportaientsupportent le toit,il avait les bras croisés et se tenait gracieusement penché comme s’il se fût placé là pourpermettre à un peintre de faire son portrait. Mais cette attitude distinguée,Quoique pleined’élégance et de fierté, n’avait rien de forcé : c’était chez lui une pose sans cette attitudeétait exempte d’affectation. Aucun geste ne démontrait qu’il eût mis sa face de troisquarts et qu’il eût faiblement incliné sa tête à droite, comme Alexandre, comme lordByron, et quelques autres grands génieshommes, dans le seul but d’attirer sur luil’attention. Son regard fixe et immobile paraissait suivre une danseuse et prouvait qu’ilétait absorbé par cette contemplation. Son regard fixe suivait les mouvements d’unedanseuse, en trahissant quelque sentiment profond. Sa taille svelte et dégagée rappelaitles belles proportions de l’Apollon. De beaux cheveux noirs se bouclaient naturellementsur son front élevé. Une de ses mains tenait à la fois son chapeau et une petite cravache.Enfin l’inconnu avait cette taille svelte et dégagée qui rappelle à la mémoire les bellesproportions de l’Apollon.¶ En D’un seul coup d’œil Mllemademoiselle de Fontaineremarqua l’extrême la finesse de son linge ;, la fraîcheur de ses gants de daim sortis desateliers de Walkerchevreau évidemment pris chez le bon faiseur, et la petitesse d’un piedmerveilleusement bien chaussé dans une botte du cuir le plus fin. Il n’avait sur luide peaud’Irlande. Il ne portait aucun de ces ignobles brimborions, dont se chargent les ancienspetits-maîtres de la garde nationale, ou les AdonisLovelace de comptoir. Seulement unruban noir auquel était suspendu son lorgnon, flottait sur un gilet d’une blancheurirréprochable.¶ coupe distinguée. Jamais la difficile Émilie n’avait vu les yeux d’unhomme ombragés par des cils aussi longs et aussi recourbés. La mélancolie et la passionrespiraient dans cette figure caractérisée par un teint olivâtre et mâle. Sa bouche semblaittoujours prête à sourire et à relever les coins de deux lèvres éloquentes ; mais cettedisposition n’annonçait pas de gaîté. C’était, loin de tenir à la gaieté, révélait plutôt unesorte de grâce triste. La mélancolie et la passion respiraient dans cette figure d’un teintolivâtre et mâle.¶ L’observateur le plus rigide n’aurait pu s’empêcher de penser, envoyant l’inconnu, que c’était un homme de talent attiré de sa région supérieure à cettefête de village par un intérêt puissant. Il y avait trop d’avenir dans cette tête, trop dedistinction dans sa la personne, pour qu’on pût en dire : – voilà Voilà un bel homme, ouun joli homme. C’était un de ces personnages qu’on désire ! on désirait le connaître.¶ Envoyant l’inconnu, l’observateur le plus perspicace n’aurait pu s’empêcher de le prendrepour un homme de talent attiré par quelque intérêt puissant à cette fête de village.¶

Cette masse d’observations ne coûta guère à Émilie que deux minutes qu’unmoment d’attention, pendant laquellelequel cet homme privilégié fut, soumis à uneanalyse sévère, et après laquelle il devint l’objet d’une silencieuse et secrète admiration.Elle ne se dit pas : – Il faut qu’il soit Pairpair de France ! Maismais – Oh ! s’il est noble,et il doit l’être.......¶ Elle n’acheva pas Sans achever sa pensée, etelle se levant tout- à-coup, elle alla, suivie de son frère le lieutenant-général, jusqu’à vers cette colonne enparaissant regarder avec une merveilleuse attention les joyeux quadrilles ; mais, par unartifice d’optique familier à plus d’une dameaux femmes, elle ne perdait pas un seul desmouvemensmouvements du jeune homme dont , de qui elle s’approcha. Lorsqu’elle futauprès de lui, ilL’inconnu s’éloigna poliment, comme pour céder la place aux deux

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survenans, et il alla, près de là, s’appuyersurvenants, et s’appuya sur une autre colonne.¶La capricieuse jeune fille fut Émilie, aussi piquée de la politesse de l’étranger, qu’ellel’eût été d’une impertinence ; et alors, dans son dépit, elle, se mit à causer avec son frèreen élevant la voix beaucoup plus que le bon ton ne le permettait. Ellevoulait ; elle prit desairs de tête, fit des multiplia ses gestes gracieux et rit sans trop en avoir sujet, moins pouramuser son frère que pour attirer l’attention de l’imperturbable inconnu.¶ Aucun de cespetits artifices ne réussit. Alors mademoiselle de Fontaine, suivant desyeuxMademoiselle de Fontaine suivit alors la direction que prenaient les regards du jeunehomme, et aperçut la cause de cette insouciance apparente.¶

Au milieu du quadrille qui se trouvait devant elle, dansait une jeune personnecharmante, simple, pâle, et semblable à ces déités écossaises que Girodet a placées dansson immense composition des guerriers français reçus par Ossian. Émilie crut reconnaîtreen elle une jeune vicomtesse anglaiseillustre lady qui était venue habiter depuis peu detemps une campagne voisine.¶ Elle avait pour cavalier un jeune homme de quinze ans,aux mains rouges, en pantalon de nankin, en habit bleu, en souliers blancs. Il était facilede voir , qui prouvait que son amour pour la danse ne la rendait pas difficile sur le choixde ses partners. Ses mouvemensmouvements ne se ressentaient pas de son apparentefaiblesse ; mais une rougeur légère colorait déjà ses joues blanches, et son teintcommençait à s’animer.¶ Mademoiselle de Fontaine s’approcha du quadrille pourpouvoir examiner l’étrangère au moment où elle reviendrait à sa place, pendant que lesvis-à-vis répéteraient la figure qu’elle exécutait alors. Lorsqu’Émilie commença cetexamen, elle vit. Mais l’inconnu s’avancers’avança, se pencherpencha vers la joliedanseuse, et elle la curieuse Émilie put entendre distinctement ces paroles, quoiqu’ellesfussentquoique prononcées d’une voix à la fois impérieuse et douce :¶ : – Clara, jemonenfant, ne veuxdansez plus que vous dansiez.¶

Clara fit une petite moue boudeuse, mais elle inclina la tête en signe d’obéissanceet finit par sourire.¶ Après la contredanse, le jeune homme prit toutes eut les précautionsd’un amant, en mettant sur les épaules de la jeune fille un schallchâle de cachemire, et illa fit asseoir de manière à ce qu’elle fût à l’abri du vent.¶ Puis bientôt mademoiselle deFontaine , qui les vit se lever et se promener autour de l’enceinte comme des gensdisposés à partir.¶ La curieuse Émilie , trouva le moyen de les suivre sous prétexted’admirer les points de vue du jardin, et son . Son frère se prêta avec une malicieusebonhomie aux caprices d’une de cette marche assez vagabonde. Mademoiselle deFontaine put voir les deux inconnus monterÉmilie aperçut alors ce beau couple montantdans un élégant tilbury que gardait un domestique à cheval et en livrée. Au ; au momentoù du haut de son siège le jeune homme fut assis et tâcha de rendre les mettait ses guideségales, elle obtint d’abord de lui un de ces regards qu’on que l’on jette sans but sur lesgrandes foules, mais ; puis elle eut la faible satisfaction de lelui voir retourner la tête àdeux reprises différentes, et la jeune inconnue l’imita, par jalousie peut-être.¶. Etait-cejalousie ?¶

– Je présume que tu as maintenant assez vuobservé le jardin, lui dit son frère, etque nous pouvons retourner à la danse.¶

– Je le veux bien, répondit-elle, je suis sûre que c’est la vicomtesse Abergaveny...J’ai reconnu sa livrée.¶. Croyez-vous que ce soit une parente de lady Dudley ?¶

– Lady Dudley peut avoir chez elle un parent, reprit le baron de Fontaine ; maisune jeune parente, non !¶

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Le lendemain, mademoiselle de Fontaine manifesta le désir de faire unepromenade à cheval. Insensiblement elle accoutuma son vieil oncle et ses frères àl’accompagner dans certaines courses matinales, très-salutaires, disait-elle, pour sa santé.Elle affectionnait singulièrement les maisonsalentours du village habitées par lavicomtesse ; mais, malgré habité par lady Dudley. Malgré ses manœuvres de cavalerie,elle ne rencontra pas l’inconnu revit pas l’étranger aussi promptement que la joyeuserecherche à laquelle elle se livrait pouvait le lui faire espérer.¶ Elle retourna plusieursfois au bal de Sceaux, sans pouvoir y rencontrerretrouver le jeune homme qui était venutout à coup anglais tombé du ciel pour dominer ses rêves et les embellir. Quoique rienn’aiguillonne plus le naissant amour d’une jeune fille qu’un obstacle, il y eut cependantun moment où mademoiselle Émilie de Fontaine fut sur le point d’abandonner sonétrange et secrète poursuite ; car elle désespéra, en désespérant presque du succès d’uneentreprise dont la singularité peut donner une idée de la hardiesse de son caractère.¶ Elleaurait pu en effet tourner long-temps autour du village de Châtenay sans revoir soninconnu, car la . La jeune Clara, puisque tel est le nom que Mademoisellemademoisellede Fontaine avait entendu, n’était ni vicomtesse, nipas anglaise, et l’le prétendu étrangern’habitait pas plus qu’elle les bosquets fleuris et embaumés de Châtenay.¶ Un soir,Émilie étant sortie à cheval avec son oncle, qui depuis les beaux jours avait obtenu de sagoutte une assez longue cessation d’hostilités, ils rencontrèrent la calèche de lavicomtesse. Cette fois c’était bien l’étrangère. Elle avait pour compagnon un gentlementrès-prude et très-élégant dont la fraîcheur et le coloris, dignes d’une jeune fille,n’annonçaient pas plus la pureté du cœur qu’une brillante toilette n’est un indice defortune. Hélas ! les deux étrangers n’avaient rien dans leurs traits ou dans leur contenancequi pût ressembler aux deux séduisans portraits que l’amour et la jalousie avaient gravésdans la mémoire d’Émilie. Elle rencontra lady Dudley. L’illustre étrangère avait auprèsd’elle dans sa calèche monsieur de Vandenesse. Émilie reconnut ce joli couple, et sessuppositions furent en un moment dissipées comme se dissipent les rêves. Dépitéecomme toute femme frustrée dans son attente, elle tourna bride sur-le-champ avec ledépit d’une femme frustrée dans son attente. Son si rapidement, que son oncle eut toutesles peines du monde à la suivre, tant elle faisait galoperavait lancé son petit cheval avecrapiditéponey.¶

– Apparemment que je suis– Je suis apparemment devenu trop vieux pourcomprendre ces esprits de vingt ans, se dit le marin en mettant son cheval au galop, oupeut-être la jeunesse d’aujourd’hui ne ressemble-t-elle plus à celle d’autrefois ?.... J’étaiscependant un fin voilier et j’ai toujours bien su prendre le vent.. Mais qu’a donc manièce ? La voilà maintenant qui marche à petits pas comme un gendarme en patrouille lanuit dans les rues de Paris. Ne dirait-on pas qu’elle veut cerner ce brave bourgeois quim’a l’air d’d’être un auteur rêvassant à ses poésies, car il a, je crois, un souvenir enalbum à la main. Je suis par Par ma foi , je suis un grand sot ! c’est peut-être Ne serait-cepas le jeune homme en quête duquel de qui nous sommes.¶ ?¶

En achevant A cette pensée le vieux marin fit marcher tout doucementmodéra lepas de son cheval sur le sable, de manière à pouvoir arriver sans bruit auprès de sa nièce.L’ancien voltigeurLe vice-amiral avait fait trop de noirceurs dans les années 1771, etsuivantes, époqueépoques de nos annales où la galanterie était en honneur, pour ne pasdeviner sur-le-champ qu’Émilie avait, par le plus grand hasard, rencontré l’inconnu dubal de Sceaux. Malgré le voile que l’âge répandait sur ses yeux gris, le comte de

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Kergarouët sut reconnaître les indices d’une agitation extraordinaire chez sa nièce, endépit de l’immobilité qu’elle essayait d’imprimer à son visage. Les yeux perçansperçantsde la jeune demoiselle fille étaient fixés avec une sorte de stupeur sur l’étranger quimarchait paisiblement devant elle.¶

– C’est bien celaça ! se dit le marin, elle va le suivre comme un vaisseaumarchand suit un corsaire dont il a peur. – . Puis, quand il ne sera plus là, qu’elle l’auravu s’éloigner, elle sera au désespoir de ne pas savoir qui elle aime, et d’ignorer si c’est unmarquis ou un bourgeois. Vraiment les jeunes têtes devraient toujours avoir auprèsd’elles une vieille perruque comme moi avec elles ?....¶

Alors le marin Il poussa tout- à- coup son cheval à l’improviste, de manière àfaire partir celui de sa nièce ; mais, passant, et passa si vite entre elle et le jeunepromeneur, il le serra de si près qu’il le força de se jeter sur le talus de verdure dontquiencaissait le chemin était encaissé.. Arrêtant aussitôt son cheval, le comte, tout en colère,s’écria :¶ : – Ne pouviez-vous pas vous ranger ?¶

– Ah ! pardon, monsieur !, répondit l’inconnu. J’oubliais que c’était à J’ignoraisque ce fût à moi de vous faire des excuses de ce que vous m’aviez renversé.¶avez faillime renverser.¶

– EhEh ! l’ami, finissons, reprit aigrement le marin en prenant un son de voixdont le ricanement avait quelque chose d’insultant, je suis un vieux loup de mer engravépar ici, ne vous émancipez pas avec moi, car, morbleu, j’ai la main légère !¶.¶

Et en En même temps le comte leva plaisamment sa cravache comme pourfouetter son cheval, mais il en et toucha l’épaule de son interlocuteur.¶

– Ainsi, blanc-bec, ajouta-t-il, que l’on soit en disant : – Le bourgeois libéral estraisonneur, tout raisonneur doit être sage en bas de la cale.¶

Le jeune homme, irrité, gravit le talus de la route en entendant ce sarcasme. Il ;il se croisa les bras et répondit d’un ton fort ému :¶ : – Monsieur, je ne puis croire, envoyant vos cheveux blancs, que vous vous amusiez encore à chercher des duels...¶ – Cheveux blancs !....? s’écria le marin, en l’interrompant, tu en as menti par ta gorge, ilsne sont que gris. Si j’ai fait la cour à vos grand’-mères je n’en suis que plus habile à lafaire à vos femmes, si elles en valent la peine toutefois....¶

Une dispute aussi bienainsi commencée, devint en quelques secondes si chaude,que le jeune adversaire oublia le ton de modération qu’il s’était efforcé de conserver ; et,au. Au moment où le comte de Kergarouët vit sa nièce arriverarrivant à eux avec toutesles marques d’une vive inquiétude, il donnait son nom à son antagoniste, en lui disant degarder le silence devant la jeune personne confiée à ses soins.¶ L’inconnu ne puts’empêcher de sourire, et remit une carte au vieux marin, en lui faisant observer qu’elledonnait son adresse à Paris, mais qu’il habitait une maison de campagne à Chevreuse ;puis,, et s’éloigna rapidement après la lui avoir indiquée en peu de mots, il s’éloignarapidement.¶

– Vous avez manqué blesser ce pauvre pékinpéquin, ma nièce !, dit le comte ens’empressant d’aller au-devant d’Émilie. Vous ne savez donc plus tenir votre cheval enbride. Vous me laissez là compromettre ma dignité pour couvrir vos folies ; tandis que sivous étiez restée, un seul de vos regards ou une de vos paroles polies, une de celles quevous dites si joliment quand vous n’êtes pas impertinente, aurait tout raccommodé, luieussiez-vous cassé le bras.¶

– EhEh ! mon cher oncle !, c’est votre cheval, et non le mien, qui est la cause de

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cet accident. Je crois, en vérité, que vous ne pouvez plus monter à cheval, vous n’êtesdéjà plus si bon cavalier que vous l’étiez l’année dernière. Mais au lieu de dire desriens......¶

– DiableDiantre ! des riens !..... Ce n’est donc rien qu’que de faire uneimpertinence à votre oncle ?.....¶?¶

– Ne devrions-nous pas aller savoir si ce jeune homme est blessé !...? Il boite,mon oncle, voyez donc ?.......¶

– Non, il court !. AhAh ! je l’ai rudement morigéné......¶– Ah ! mon oncle, c’est bien deje vous !.....vous reconnais là.¶– Halte-là, ma nièce, dit le comte en arrêtant le cheval d’Émilie par la bride. Je ne

vois pas la nécessité de faire des avances à quelque boutiquier trop heureux d’avoir étéjeté à terre par une jeune fille ou un vieux marin aussi nobles que nous.......¶charmantejeune fille ou par le commandant de la Belle-Poule.¶

– Pourquoi croyez-vous que ce soit un roturier, mon cher oncle ?... Il me semblequ’il a des manières fort distinguées....¶

– Tout le monde a des manières aujourd’hui, ma nièce.......¶– Non, mon oncle, tout le monde n’a pas l’air et la tournure que donne l’habitude

des salons, et je parieraiparierais avec vous volontiers que ce jeune homme est noble.¶ – Vous n’avez pas trop eu le temps de l’examiner ?......¶

– Mais ce n’est pas la première fois que je le vois......¶– Et ce n’est pas non plus la première fois que vous le cherchez....., lui répliqua le

comtel’amiral en riant.¶Émilie rougit et, son oncle se plut à la laisser quelque temps dans l’embarras,

mais à la fin ; puis il lui dit :¶ : – Émilie, vous savez que je vous aime comme monenfant, précisément parce que vous êtes la seule de la famille qui ayez cet orgueillégitime que nous donne une haute naissance. Corbleu !Diantre ! ma petite -nièce, quiaurait cru que les bons principes deviendraient si rares !....? Eh bien, je veux être votreconfident, ma. Ma chère petite ; car, je vois que ce jeune gentilhomme ne vous est pasindifférent !.... Chut !... Ils se moqueraient de nous dans la famille, si nous nousembarquions sous un fauxméchant pavillon. Vous savez ce que cela veut dire ?. Ainsi,laissez-moi vous aider, ma nièce. Gardons-nous tous deux le secret, et je vous prometsd’amener ce brick-là sous votre feu croisé,de l’amener au milieu de notre du salon....¶

– Et quand, mon oncle ?......¶?¶– Demain.....¶– Mais, mon cher oncle, je ne serai obligée à rien ?....¶?¶– A rien du tout, et vous pourrez le bombarder, l’incendier, et le laisser là comme

une vieille caraque si cela vous plaît !. Ce ne sera pas le premier, n’est-ce pas ?......¶?¶– Que Etes-vous êtes bon !, mon oncle.¶ !¶Aussitôt que le comte fut rentré, il mit ses besicles, tira secrètement la carte de sa

poche et lut : M. Maximilien Longueville, rue du Sentier.¶MAXIMILIENLONGUEVILLE, RUE DU SENTIER.¶

– Soyez tranquille, ma chère nièce..., dit-il à Émilie, vous pouvez le harponner entoute sécurité de conscience, il appartient à l’ une de nos familles historiques, ; et s’iln’est pas pair de France, il le sera infailliblement....¶

– D’où savez-vous cela ?.........¶tant de choses ?¶– C’est mon secret.....¶

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– Vous connaissez donc son nom ?...¶?¶Le comte inclina en silence sa tête grise, qui ressemblait assez à un vieux tronc de

chêne autour duquel auraient voltigé quelques feuilles roulées par le froid de l’automne.¶A d’automne ; à ce signe, sa nièce vint essayer sur lui le pouvoir toujours neuf de sescoquetteries. Instruite dans l’art de cajoler le vieux marin, elle lui prodigua les caressesles plus enfantines, les paroles les plus tendres ; elle alla même jusqu’à l’embrasser, afind’obtenir de lui la révélation d’un secret aussi important. Le vieillard, qui passait sa vie àfaire jouer à sa nièce de ces sortes de scènes, et qui les payait souvent par le prix d’uneparure, ou par l’abandon de sa loge aux Italiensitaliens, se complut cette fois à se laisserprier et surtout caresser.¶ Mais, comme il faisait durer ses plaisirs trop long-temps,Émilie se fâcha, passa des caresses aux sarcasmes, et bouda. Elle , puis elle revint,dominée par la curiosité, et le. Le marin diplomate obtint solennellement de sa nièce unepromesse d’être à l’avenir plus réservée, plus douce, moins volontaire, de dépenser moinsd’argent, et surtout de lui tout dire. Le traité conclu et signé par un baiser qu’il déposasur le front blanc de sa nièced’Émilie, il l’amena dans un coin du salon, l’assit sur sesgenoux ; et, plaçant, plaça la carte sous ses deux pouces et ses doigts, de manière à lacacher, il découvrit lettre à lettre le nom de Longueville ; puis, refusant, et refusa fortobstinément d’en laisser voir davantage, il garda la carte.¶ . Cet évènementévénementrendit plus intense le sentiment secret de mademoiselle de Fontaine plus intense. Ellequidéroula pendant une grande partie de la nuit les tableaux les plus brillansbrillants desrêves dontpar lesquels elle avait nourri ses espérances. Enfin grâces, grâce à ce hasardimploré si souvent imploré, elle avait, Émilie voyait maintenant tout autre chose qu’unêtre de raison pour créer une qu’une chimère à la source aux des richesses imaginairesdontavec lesquelles elle se plaisait à doterdorait sa vie future.¶ Ignorant,commeconjugale. Comme toutes les jeunes personnes, ignorant les dangers de l’amour etdu mariage, elle se passionna pour les dehors trompeurs du mariage et de l’amour. C’estN’est-ce pas dire assez que son sentiment naquit comme naissent presque tous cescaprices du premier âge, douces et cruelles erreurs qui exercent une si fatale influence surl’existence des jeunes filles assez inexpérimentées pour ne s’en remettre qu’à elles-mêmes du soin de leur bonheur à venir.¶ ? Le lendemain matin, avant qu’Émilie fûtréveillée, son oncle avait couru à Chevreuse.¶ En reconnaissant, dans la cour d’unélégant pavillon, le jeune homme qu’il avait si résolument insulté la veille, il alla vers luiavec cette affectueuse politesse des vieillards de l’ancienne cour.¶

– Eh ! mon cher monsieur, qui aurait dit que je me ferais une affaire, à l’âge desoixante-treize ans, avec le fils ou le petit-fils d’un de mes meilleurs amis..... ? Je suiscontrevice-amiral, monsieur, c’est. N’est-ce pas vous dire que je m’embarrasse aussi peud’un duel que de fumer un cigare de la Havane...... Dans mon temps, c’était une partie deplaisir, et deux jeunes gens ne pouvaient devenir intimes qu’après avoir vu la couleur deleur sang. Mais, ventre-dieu,de-biche ! hier, j’avais, en ma qualité de marin, embarqué unpeu trop de rhum à bord, et j’ai sombré sur vous... Touchez- là ?! J’aimerais mieuxrecevoir cent coups de cravacherebuffades d’un Longueville que de faire lecauser lamoindre malpeine à cettesa famille-là...¶

TelleQuelque froideur que le jeune homme se fût efforcés’efforçât de marquer aucomte de Kergarouët, il ne put long-temps tenir à la franche bonté et à la franchise de sesmanières, il et se laissa serrer la main. Alors le comte ajouta :¶.¶

– Vous alliez monter à cheval, dit le comte, ne vous gênez pas. Mais venez avec

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moi, à moins que vous n’ayez des projets, car venez avec moi, je vous invite à dîneraujourd’hui au pavillon de Bonneval.Planat. Mon neveu, le comte de Fontaine, y sera, et,c’est un homme essentiel à connaître !..... AhAh ! je prétends, morbleu ! , vousdédommager de ma brusquerie en vous présentant à cinq des plus jolies femmes de Paris.Hé, ! hé !.. jeune homme, votre front se déride !.... – . J’aime les jeunes gens !... , etj’aime à les voir heureux. CelaLeur bonheur me rappelle les bienfaisantes années de1771, 1772 et autres,ma jeunesse où les aventures ne manquaient pas plus que lesduels !.... On était gai, alors !.. Aujourd’hui, vous raisonnez, et l’on s’inquiète de tout,comme s’il n’y avait eu ni XVe ni XVI e siècle !....¶quinzième ni seizième siècles.¶

– Mais, Monsieur, monsieur, n’avons-nous avons, je crois,pas raison, car leXVI e ? Le seizième siècle n’a donné que la liberté religieuse à l’Europe, et le XIXe.dix-neuvième lui donnera la liberté pol....¶

– Ah ! ne parlons pas politique..... Je suis une ganache d’ultrà, voyez-vous. Maisje n’empêche pas les jeunes gens d’être révolutionnaires, pourvu qu’ils me laissent laliberté de serrer ma petite queue à la Frédéric dans son ruban noir.....¶au Roi la liberté dedissiper leurs attroupements.¶

A quelques pas de là, lorsque le comte et son jeune compagnon furent au milieudes bois, le marin, avisant avisa un jeune bouleau assez mince, arrêta son cheval ; et,prenant , prit un de ses pistolets, il en logea et la balle alla se loger au milieu de l’arbre, àquinze pas de distance.¶

– Vous voyez, mon bravecher, que je ne crains pas un duel !, dit-il avec unegravité comique, en regardant M.monsieur Longueville.¶

– Ni moi non plus, reprit ce dernier, qui, ayant armé arma promptement sonpistolet, visa le trou fait par la balle du comte, et ne plaça pas la sienne très-loinprès de cebut.¶

– Voilà ce qui s’appelle un jeune homme bien élevé !....., s’écria le marin avecune sorte d’enthousiasme.¶

Alors pendantPendant la promenade qu’il fit avec celui qu’il regardait déjàcomme son neveu, il trouva mille occasions de l’interroger sur toutes les bagatelles dontla parfaite connaissance constituait, selon son code particulier, un gentilhommeaccompli.¶

– Avez-vous des dettes ?......., demanda-t-il enfin à son compagnon après bien desquestions.¶

– Non, monsieur.¶– Comment ! vous payez tout ce qui vous est fourni ?.....¶?¶– Exactement, monsieur, ; autrement, nous perdrions tout crédit et toute espèce de

considération.¶– Mais au moins vous avez plus d’une maîtresse ?...... AhAh ! vous

rougissez !...... Ventredieu, mon camarade, ?... les mœurs ont bien changé !. Avec cesidées d’ordre légal, de kantisme et de liberté, la jeunesse s’est gâtée. Vous n’avez niGuimard, ni Duthé, ni créanciers, et vous ne savez pas le blason ; mais, mon jeune ami,vous n’êtes pas élevé !.... Sachez que celui qui ne fait pas ses folies au printemps les faiten hiver. Mais ventredieu, siSi j’ai eu 80,000quatre-vingt mille livres de rente à70soixante-dix ans, c’est que j’en avaisai mangé le doublecapital à trente ans.... Oh !avec ma femme, en tout bien tout honneur. Néanmoins, vos imperfections nem’empêcheront pas de vous annoncer au pavillon Bonneval.Planat. Songez que vous

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m’avez promis d’y venir, et je vous y attends..¶– Quel singulier petit vieillard !......., se dit le jeune Longueville, il est vert

comme un pré,et gaillard ; mais tout bonhomme qu’il peutquoiqu’il veuille paraître bonhomme, je ne m’y fierai pas. J’irai au pavillon Bonneval, parce qu’il y a de joliesfemmes, dit-on, mais y rester à dîner, il faudrait être fou !......¶

Le lendemain, sur les vers quatre heures, au moment où toute la compagnie étaitéparse dans le salonles salons ou au billard, un domestique annonça aux habitanshabitantsdu pavillon de Bonneval : – M. Planat : Monsieur de Longueville.¶ Au nom dupersonnage dont le favori du vieux comte de Kergarouët avait entretenu la famille, tout lemonde , jusqu’au joueur qui allait fairemanquer une bille, accourut, autant pour observerla contenance de mademoiselle de Fontaine, que pour juger le phénix humain qui avaitmérité une mention honorable au détriment de tant de rivaux.¶ Une mise aussi éléganteque simple, des manières pleines d’aisance, des formes polies, une voix douce et d’untimbre qui faisait vibrer les cordes du cœur, concilièrent à M.monsieur Longueville labienveillance de toute la famille. Il ne sembla pas étranger au luxe oriental de la demeuredu fastueux receveur -général. Quoique sa conversation fût celle d’un homme du monde,chacun put facilement deviner qu’il avait reçu la plus brillante éducation et que sesconnaissances étaient aussi solides qu’étendues.¶ Il trouva si bien le mot propre dans unediscussion assez légère suscitée par le vieux marin, sur les constructions navales, qu’unedame luides femmes fit observer, qu’il semblait être sorti de l’écolel’EcolePolytechnique.¶

– Je crois, madame, répondit-il, qu’on peut regarder comme un titre de gloire d’yavoir été élève.¶être entré.¶

Malgré toutes lesde vives instances qui lui furent faites, il se refusa avec politesse,mais avec fermeté, au désir qu’on lui témoigna de le garder à dîner, et il arrêta lesobservations des dames en disant qu’il était l’Hippocrate d’une jeune sœur dont la santétrès-délicate exigeait beaucoup de soins.¶

– Monsieur est sans doute médecin ?...., demanda avec ironie une des belles-sœurs d’Émilie.¶

– Monsieur est sorti de l’écolel’Ecole Polytechnique !, répondit avec bontémademoiselle de Fontaine, dont la figure s’anima des teintes les plus riches, au momentoù elle apprit que la jeune fille du bal était la sœur de M.monsieur Longueville.¶

– Mais, ma chère, on peut être médecin et avoir été à l’écolel’EcolePolytechnique, n’est-ce pas, monsieur ?¶

– Madame, rien ne s’y oppose, répondit le jeune homme, rien ne s’y oppose.¶Tous les yeux se portèrent sur Émilie qui regardait alors avec une sorte de

curiosité inquiète le séduisant inconnu. Elle respira plus librement quand elle l’entenditajouter en souriant :¶ il ajouta, non sans un sourire : – Je n’ai pas l’honneur d’êtremédecin, madame, et j’ai même renoncé à entrer dans le service des Ponts et ponts-et-chaussées afin de conserver toute mon indépendance.¶

– Et vous avez bien fait, dit le comte. Mais comment pouvez-vous regardercomme un honneur d’être médecin ?.... ajouta le noble Breton. Ah ! mon jeune ami, pourun homme comme vous !....¶

– M.onsieur le comte, je respecte infiniment toutes les professions qui ont un butd’utilité.¶

– Eh ! nous sommes d’accord ! – Vous : vous respectez ces professions-là,

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j’imagine, comme un jeune homme respecte une douairière.¶La visite de M.monsieur Longueville ne fut ni trop longue, ni trop courte. Il. se

retira au moment où il s’aperçut qu’il avait plu à tout le monde, et que la curiosité dechacun s’était éveillée sur son compte.¶

– C’est un rusé compère !, dit le comte en rentrant au salon, après l’avoirreconduit.¶

Mademoiselle de Fontaine, qui seule était dans le secret de cette visite, avait faitune toilette assez recherchée pour attirer les regards du jeune homme ; mais elle eut lepetit chagrin de voir qu’il ne fit lui accorda pas à elle autant d’attention qu’elle croyait enmériter. La famille fut assez surprise du silence dans lequel elle se renferma. Eneffet,s’était renfermée. Émilie était habituée à déployer déployait ordinairement pour lesnouveaux venus tous les trésors de sa coquetterie, toutes les ruses de son babil spirituel,et l’inépuisable éloquence de ses regards et de ses attitudes. Soit que la voix mélodieusedu jeune homme et l’attrait de ses manières l’eussent charmée, ou même qu’elle aimâtsérieusement, et que ce sentiment eût opéré en elle un changement, son maintien perditen cette occasion toute affectation. Devenue simple et naturelle, elle dut sans douteparaître plus belle. Quelques-unes de ses sœurs et une vieille dame, amie de la famille,pensèrent que c’étaitvirent un raffinement de coquetterie. dans cette conduite. Ellessupposèrent que, jugeant le jeune homme digne d’elle, Émilie se proposait peut-être dene se montrer que lentement ses avantages, afin de l’éblouir tout- à- coup, au moment oùelle lui aurait plu.¶ Toutes les personnes de la famille étaient curieuses de savoir ce quecette capricieuse fille pensait de ce gracieux jeune homme. Mais cet étranger ; maislorsque, pendant le dîner, chacun prit plaisir à doter M.monsieur Longueville d’unequalité nouvelle, en prétendant l’avoir seul découverte grâce à une observation quepersonne n’avait faite, mademoiselle de Fontaine resta muette pendant quelque temps.¶Mais tout-à-coup ; un léger sarcasme de son oncle la réveilla tout à coup de son apathie.Elle , elle dit d’une manière assez épigrammatique que cette perfection céleste devaitcouvrir quelque grand défaut, et qu’elle se garderait bien de juger à la première vue unhomme qui paraissait être aussi habile. Elle ajouta que ; – ceux qui plaisaient ainsi à toutle monde ne plaisaientplaisent à personne, ajouta-t-elle, et que le pire de tous les défautsétaitest de n’en avoir aucun.¶ Comme toutes les jeunes filles qui aiment, elle Émiliecaressait l’espérance de pouvoir cacher son sentiment au fond de son cœur en donnant lechange aux Argus dont elle était entouréequi l’entouraient ; mais, au bout d’unequinzaine de jours, il n’y eut pas un des membres de cette nombreuse famille qui ne fûtinitié dans ce petit secret domestique.¶ Émilie crut apercevoir, à A la troisième visitefaite par M.que fit monsieur Longueville, qu’elle en avait été le sujet.Émilie crut y êtrepour beaucoup. Cette découverte lui causa un plaisir si enivrant qu’elle l’étonna quandelle put réfléchir., qu’elle en fut étonnée en y réfléchissant. Il y avait là quelque chose depénible pour son orgueil. Habituée à se faire le centre du monde, elle était fut obligée dereconnaître une force qui l’attirait hors d’elle-même. Elle ; elle essaya de se révolter,mais elle ne put chasser de son cœur l’élégantela séduisante image du jeune homme. Puisvinrent bientôt des inquiétudes.¶ En effet, deux Deux qualités de M.monsieurLongueville, très-contraires à la curiosité générale, et surtout à celle de mademoiselle deFontaine, étaient une discrétion et une modestie incroyables. Il ne parlait jamais ni de lui,ni de ses occupations, ni de sa famille.inattendues. Les finesses dont qu’Émilie semaitdans sa conversation et les piègespiéges qu’elle y tendait pour se faire donner par

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arracher à ce jeune homme des détails sur lui-même étaient tous inutiles. Son amour-propre la rendit avide de révélations., il savait les déconcerter avec l’adresse d’undiplomate qui veut cacher des secrets. Parlait-elle peinture ? M., monsieur Longuevillerépondait en connaisseur. FitFaisait-elle de la musique ? Le , le jeune hommeprouvaprouvait sans fatuité qu’il était assez fort sur le piano. Un soir, il avait enchantéenchanta toute la compagnie, lorsqueen mariant sa voix délicieuse s’unit à celle d’Émiliedans un des plus beaux duos de Cimarosa. Mais ; mais, quand on essaya de s’informers’il était artiste, il plaisanta avec tant de grâce, qu’il ne laissa pas aux à ces femmes, etmême aux plus si exercées dans l’art de deviner les sentimenssentiments, la possibilitéde décider ce qu’il était réellement.découvrir à quelle sphère sociale il appartenait. Avecquelque courage que le vieil oncle jetât le grappin sur ce bâtiment, Longuevilles’esquivait avec tant de souplesse, qu’il sut afin de se conserver tout le charme dumystère. Il ; et il lui fut d’autant plus facile de rester le bel inconnu au pavillonBonnevalPlanat, que la curiosité n’y excédait pas les bornes de la politesse.¶ AlorsÉmilie, que tourmentée de cette réserve tourmentait, espéra tirer meilleur parti de la sœurque du frère pour ces sortes de confidences. Secondée par son oncle, qui s’entendait aussibien à cette manœuvre qu’à celle d’un bâtiment, elle essaya de mettre en scène lepersonnage jusqu’alors muet de mademoiselle Clara Longueville. La société du pavillonBonneval manifesta bientôt le plus grand désir de connaître une aussi aimable personne,et de lui procurer quelque distraction. Un bal sans cérémonie fut proposé et accepté.¶Les damesfemmes ne désespérèrent pas complètementcomplétement de faire parler unejeune fille de seize ans.¶

Malgré ces petits nuages amoncelés par ces mystères le soupçon et créés par lacuriosité, un jour éclatant éclairait la vieune vive lumière pénétrait l’âme demademoiselle de Fontaine. Elle qui jouissait délicieusement de l’existence depuis qu’ellela rapportaiten la rapportant à un autre qu’à elle. Elle commençait à concevoir lesrapports sociaux. Soit que le bonheur nous rende meilleurs, soit qu’elle fût trop occupéepour tourmenter les autres, elle devint moins caustique, plus indulgente, plus douce ; et le. Le changement de son caractère enchanta sa famille étonnée. Peut-être, après tout, sonamour allait-il être plus tard un égoïsme à deux.¶ se métamorphosait-il en amour.Attendre l’arrivée de son timide et secret adorateur, était une joie céleste.profonde. Sansqu’un seul mot d’amourde passion eût été prononcé entre eux, elle se savait qu’elle étaitaimée, et avec quel art ne se plaisait-elle pas à faire déployer au jeune inconnu tous lestrésors de son d’une instruction. qui se montra variée ! Elle s’aperçut qu’elle en aussiétait observée avec soin, et alors elle essaya de vaincre tous les défauts que son éducationavait laissélaissés croître en elle. C’était N’était-ce pas déjà un premier hommage rendu àl’amour, et un reproche cruel qu’elle s’adressait à elle-même. ? Elle voulait plaire, elleenchanta ; elle aimait, elle fut idolâtrée.¶ Sa famille , la sachant qu’elle étaitpuissammentbien gardée par son orgueil, lui donnait assez de liberté pour qu’elle pûtsavourer ces petites félicités enfantines qui donnent tant de charme et de violence auxpremières amours. Plus d’une fois , le jeune homme et mademoiselle de Fontaine semirent à errerpromenèrent seuls dans les allées d’un de ce parc assez vaste où la natureétait parée comme une femme qui va au bal. Plus d’une fois, ils eurent de ces entretienssans but et sans ni physionomie dont les phrases les plus vides de sens sont celles quicachent le plus de sentimens.sentiments. Ils admirèrent souvent ensemble le soleilcouchant et ses riches couleurs ;. Ils cueillirent des marguerites, pour les effeuiller ;, et

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chantèrent les duos les plus passionnés, en se servant des notes rassembléestrouvées parPergolèse ou Boyeldieu, comme de truchemenspar Rossini, comme de truchementsfidèles pour exprimer leurs secrets.¶

Le jour du bal arriva. Clara Longueville et son frère, que les valets s’obstinaient àdécorer de la noble particule, en furent les plus beaux ornemens ; et, pourhéros. Pour lapremière fois de sa vie, mademoiselle de Fontaine vit le triomphe d’une jeune fille avecplaisir. Elle prodigua sincèrement à Clara ces caresses gracieuses et ces petits soins queles femmes ne se rendent ordinairement entre elles, que pour exciter la jalousie deshommes. Mais Émilie avait un but, elle voulait surprendre des secrets. MademoiselleMais, en sa qualité de fille, mademoiselle Longueville montra plus de réserve encore quefinesse et d’esprit que son frère. Elle déploya même en sa qualité de fille, plus de finesseet d’esprit que lui ; car, elle n’eut pas même l’air d’être discrète ; mais elle eut soin dediscrète et sut tenir la conversation sur des sujets étrangers àaux intérêts matériels, toutintérêt individuel, et sut l’empreindre d’un si en y jetant un si grand charme, quemademoiselle de Fontaine en conçut une sorte d’envie, et la surnomma Clara, la sirène.¶Quoique Émilie avait eut formé le dessein de faire causer Clara, ce fut Clara quiinterrogea Émilie. Elle ; elle voulait la juger, elle en et fut jugée. Elle par elle ; elle sedépita souvent d’avoir laissé percer son caractère dans quelques réponses que lui arrachamalicieusement Clara, dont l’air modeste et candide éloignait tout soupçon de perfidie.¶Il y eut un moment où mademoiselle de Fontaine parut fâchée d’avoir fait contre lesroturiers une imprudente sortie provoquée par Clara.¶

– Mademoiselle, lui dit cette charmante créature, j’ai tant entendu parler de vouspar Maximilien, que j’avais le plus vif désir de vous connaître par attachement pour lui ;mais vouloir vous connaître, c’estn’est-ce pas vouloir vous aimer.¶ ?¶

– Ma chère Clara, j’avais peur de vous déplaire en parlant ainsi de ceux qui nesont pas nobles.¶

– Oh, ! rassurez-vous. Aujourd’hui, ces sortes de discussions sont sans objet, et,quant. Quant à moi, elles ne m’atteignent pas. Je : je suis en dehors de la question.¶

TouteQuelque ambitieuse que fût cette réponse, mademoiselle de Fontaine enressentit une joie profonde ; car, semblable à tous les gens passionnés, elle l’expliquacomme, s’expliquent les oracles, dans le sens qui s’accordait avec ses désirs. Alors elles’élança, et revint à la danse, plus joyeuse que jamais ; et, en regardant M. Longueville,dont les formes et, dont l’élégance surpassaient peut-être celles de son type imaginaire,elle. Elle ressentit une satisfaction de plus en songeant qu’il était noble. Ses, ses yeuxnoirs scintillèrent, et elle dansa avec tout le plaisir qu’on y trouve à ce mystérieux dédalede pas et de mouvemens en présence de celui qu’on aime. Jamais ilsles deux amants nes’entendirent mieux qu’en ce moment ; et plus d’une fois ils sentirent le bout de leursdoigts frémir et trembler, lorsque les lois de la contredanse leur imposèrent la doucetâche de les effleurermariaient.¶

Les deux amans atteignirentCe joli couple atteignit le commencement del’automne, au milieu des fêtes et des plaisirs de la campagne, en se laissant doucementabandonner au courant du sentiment le plus doux de la vie, et en lui permettant de sefortifierle fortifiant par mille petits accidensaccidents que chacun peut imaginer, car : lesamours se ressemblent toujours en quelques points. Ils L’un et l’autre, ils s’étudiaient,autant que l’on peut s’étudier quand on aime.¶

– Enfin, jamais amourette n’a si promptement tourné en mariage d’inclination,

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disait le vieil oncle qui suivait les deux jeunes gens de l’œil, comme un naturalisteexamine un insecte au microscope, jamais affaire n’a si vite tourné en mariaged’inclination.¶

Ce mot effraya monsieur et madame de Fontaine. Le vieux Vendéenvendéencessa d’être aussi indifférent au mariage de sa fille qu’il avait naguères promis de l’être.Il alla chercher à Paris des renseignemens qu’il n’yrenseignements et n’en trouva pas.Inquiet de ce mystère, et ne sachant pas encore quel serait le résultat de l’enquête qu’ilavait prié un administrateur parisien de lui faire sur la famille Longueville, il crut devoiravertir sa fille de se conduire prudemment. L’observation paternelle fut reçue avec unefeinte obéissance pleine d’ironie.¶

– Au moins, ma chère Émilie, si vous l’aimez, ne le lui avouez pas....¶ !¶– Mon père, il est vrai que je l’aime, mais j’attendrai pour le lui dire que vous me

le permettiez.¶– Cependant, Émilie, songez que vous ignorez encore quelle est sa famille, son

état.¶– Si je l’ignore c’est que , je le veux bien. Mais, mon père, vous avez souhaité me

voir mariée, vous m’avez donné la liberté de faire un choix ;, le mien est faitirrévocablement. Que , que faut-il de plus ?¶

– Il faut savoir, ma chère enfant, si celui que tu as choisi est fils d’un pair deFrance ?..., répondit ironiquement le vénérable gentilhomme.¶

Émilie resta un moment silencieuse ; mais relevant. Elle releva bientôt la tête, elleregarda son père en , et lui disant dit avec une sorte d’inquiétude :¶ : – Est-ce queles Longueville ?.......¶

– Sont éteints en la personne du vieux duc de Rostein-Limbourg, qui a péri surl’échafaud en 1793. Il était le dernier rejeton de la dernière branche cadette.......¶

– Mais, mon père, il y a de fort bonnes maisons issues de bâtards......... L’histoirede France est pleinefourmille de princes qui mettaient des barres à leurs écus.¶leur écu.¶

– Tes idées ont bien changé !, dit le vieux gentilhomme en souriant.¶Le lendemain était le dernier jour que la famille de M. de Fontaine dût passer au

pavillon Bonneval.Planat. Émilie, que l’avis de son père avait fortement inquiétée,attendit avec une vive impatience l’heure à laquelle M. le jeune Longueville avaitl’habitude de venir, afin d’obtenir de lui une explication.¶ Elle sortit après le dîner etalla errer se promener seule dans le parc ; carparc en se dirigeant vers le bosquet auxconfidences où elle savait que l’empressé jeune homme viendrait la chercherait ; et touten courant, elle songeait à la meilleure manière de surprendre au sein du bosquet sombreoù ils causaient souvent. Aussi ce fut de ce côté qu’elle se dirigea en songeant à lamanière dont elle s’y prendrait pour réussir à surprendre, sans se compromettre, un secretsi important sans se compromettre. C’étaitimportant : chose assez difficile.¶ En effet,jusqu’à ! Jusqu’à présent, aucun aveu direct n’avait sanctionné le sentiment qui l’unissaità M. Longueville.cet inconnu. Elle avait secrètement joui, comme luiMaximilien, de ladouceur d’un premier amour ; mais aussi fiers l’un que l’autre, il semblait que chacund’eux craignît de s’avouerd’avouer qu’il aimât.¶ Maximilien Longueville, à qui Claraavait inspiré sur le caractère d’Émilie des soupçons qui n’étaient pas sans fondement surle caractère d’Émilieassez fondés, se trouvait à chaque instanttour à tour emporté par laviolence d’une passion de jeune homme, et retenu par le désir de connaître et d’éprouverla femme à laquelle il devait confier tout son avenir et le bonheur de sa vie. Il ne voulait

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essayer de combattre . Son amour ne l’avait pas empêché de reconnaître en Émilie lespréjugés qui gâtaient le ce jeune caractère d’Émilie, préjugés que son amour ne l’avaitpas empêché de reconnaître en elle, qu’après s’être assuré qu’il en était aimé; mais ildésirait savoir s’il était aimé d’elle avant de les combattre, car il ne voulait pas plushasarder le sort de son amour que celui de sa vie entière. Alors il . Il s’était doncconstamment tenu dans un silence que ses regards, son attitude et ses moindres actionsdémentaient.¶ De l’autre côté, la fierté naturelle à une jeune fille, encore augmentée chezmademoiselle de Fontaine par la sotte vanité que lui donnaient sa naissance et sa beauté,l’empêchait d’aller au-devant d’une déclaration qu’une passion croissante lui persuadaitquelquefois de solliciter.¶ Aussi les deux amansamants avaient -ils instinctivementcompris leur situation sans s’expliquer leurs secrets motifs ; car il y a . Il est desmomensmoments de la vie où le vague plaît à de jeunes âmes : et par. Par cela même quel’un et l’autre avaient trop tardé de parler, ils semblaient tous deux se faire un jeu cruelde leur attente, l’un cherchant. L’un cherchait à découvrir s’il était aimé par l’effort quecoûterait un aveu à son orgueilleuse maîtresse, et l’autre, espérant de espérait voir rompreà tout moment un trop respectueux silence.¶

Mademoiselle de Fontaine s’était assiseAssise sur un banc rustique, et songeait àtous les évènemensÉmilie songeait aux événements qui venaient de se passer. Chaquejour de pendant ces trois mois lui semblait être le brillant pétale d’une fleur radieuse etembaumée.pleins d’enchantements. Les craintes soupçons de son père étaient lesdernières dont son âme pouvait être atteinte. Elle craintes qui pouvaient l’atteindre, elleen fit même justice par deux ou trois de ces réflexions de jeune fille inexpérimentée quilui semblèrent victorieuses.¶ Avant tout, elle convint avec elle-même qu’il étaitimpossible qu’elle se trompât ; en effet, pendant . Durant toute une la saison, elle n’avaitpu apercevoir en M. Maximilien, ni un seul geste, ni une seule parole qui indiquassentune origine ou des occupations communes ; et il avait dans la discussion une habitudequibien mieux, sa manière de discuter décelait un homme occupé des hauts intérêts dupays.¶ – D’ailleurs, se dit-elle, un homme de bureau, un financier ou un commerçantn’auraientn’aurait pas eu le loisir de rester une saison entière à me faire la cour au milieudes champs et des bois, en dispensant son temps aussi libéralement qu’un noble qui adevant lui toute une vie libre de soins.¶ Elle était plongée dans une s’abandonnait aucours d’une méditation beaucoup plus intéressante pour elle que toutes ces penséespréliminaires, quand un léger bruissement du feuillage lui annonça que depuis unmoment elle étaitMaximilien la contemplait sans doute contemplée avec la plus profondeadmiration.¶

– Savez-vous que cela est fort mal, lui dit-elle en souriant, de surprendre ainsi lesjeunes filles ? lui dit-elle en souriant.¶

– Surtout, répondit-il, lorsqu’elles sont occupées de leurs secrets, réponditfinement Maximilien.¶

– Pourquoi n’aurais-je pas les miens, puisque ? vous avez bien les vôtres ?.....¶!¶– Vous pensiez donc réellement à a vos secrets, ? reprit-il en riant.¶– Non, je songeais aux vôtres. Les miens ?.., je les connais.....¶– Mais, s’écria doucement le jeune homme en saisissant le bras de mademoiselle

de Fontaine et le mettant sur sous le sien, car elle s’était levée ; peut-être mes secretssont-ils les vôtres, et vos secrets, les miens.¶

Ils avaientAprès avoir fait quelques pas et, ils se trouvaienttrouvèrent sous un

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massif d’arbres que les couleurs du couchant enveloppaient comme d’un nuage rouge etbrun. Cette magie naturelle imprima une sorte de solennité à ce moment.¶ L’action viveet libre du jeune homme, et surtout l’agitation de son cœur bouillant dont les pulsationsprécipitées parlaient au bras frais de d’Émilie, la jeune fille sentait les pulsationsprécipitées, l’avaient jetéejetèrent dans une exaltation d’autant plus puissante qu’ellen’était pénétrante qu’elle ne fut excitée que par les accidensaccidents les plus simples etles plus innocens.innocents. La réserve dans laquelle vivent les jeunes filles du grandmonde donne une force incroyable aux explosions de leurs sentimenssentiments, et c’estun des plus grands dangers qui puissepuissent les atteindre quand elles rencontrent unamant passionné.¶ Jamais les yeux d’Émilie et de Maximilien n’avaient dit tant parlé.deces choses qu’on n’ose pas dire. En proie à cette ivresse, ils oublièrent aisément lespetites stipulations de l’orgueil, de la défiance, et les froides considérations de leurraison.la défiance. Ils ne purent même s’exprimer d’abord que par un serrement demainmains qui servit d’interprète à leurs joies et à leursjoyeuses pensées.¶

– Monsieur, j’ai une question à vous faire, dit en tremblant et d’une voix émuemademoiselle de Fontaine après un long silence et après avoir fait quelques pas avec unecertaine lenteur ; j’ai une question à vous faire.. Mais, songez, de grâce, qu’elle m’est enquelque sorte commandée par la situation assez étrange où je me trouve vis-à-vis de mafamille.¶

Une pause effrayante pour Émilie succéda à ces phrases qu’elle avait presquebégayées ; et, pendant. Pendant le moment que dura le silence, cette jeune fille si fièren’osa soutenir le regard éclatant de celui qu’elle aimait, car elle avait un secret sentimentde la bassesse des mots suivanssuivants qu’elle ajouta :¶ – Êtes: – Etes-vous noble ?...¶?¶

Quand ces dernières paroles furent prononcées, elle aurait voulu être au fond d’unlac.¶

– Mademoiselle, reprit gravement M. Longueville dont la figure s’altérasensiblement et qui altérée contracta une sorte de dignité sévère, je vous promets derépondre sans détour à cette demande quand vous aurez répondu avec sincérité à celleque je vais vous faire ?¶ . Il quitta le bras de la jeune fille, qui, tout- à- coup, se crutseule dans la vie, et lui dit :¶ : – Dans quelle intention me questionnez-vous sur manaissance ?.......¶ Elle demeura immobile, froide et muette.¶ – Mademoiselle, repritMaximilien, n’allons pas plus loin, si nous ne nous comprenons pas. – Je vous aime !...,ajouta-t-il, d’un son de voix profond et attendri.¶ Eh bien, ! reprit-il, d’un air joyeuxaprès avoir entendu l’exclamation de bonheur que ne put retenir la jeune fille ne putretenir, pourquoi me demander si je suis noble ?...¶?¶

– Parlerait-il ainsi s’il ne l’était pas ?.... s’écria une voix intérieure, qu’Émilie crutsortie du fond de son cœur. Elle releva gracieusement la tête, sembla puiser une nouvellevie dans le regard du jeune homme, et lui tendit le bras comme pour faire une nouvellealliance.¶

– Vous avez cru que je tenais beaucoup à des dignités ?..., demanda-t-elle avecune finesse malicieuse.¶

– Je n’ai pas de titres à offrir à ma femme !, répondit-il, d’un air moitié gai,moitié sérieux. Mais si je la prends dans un haut rang et parmi celles que leur la fortune ahabituéespaternelle habitue au luxe et aux plaisirs de l’opulence, je sais à quoi un tel cechoix m’oblige. L’amour donne tout, ajouta-t-il avec gaîté ;gaieté, mais auxamansamants seulement. Quant aux époux, il leur faut un peu plus que le dôme du ciel,

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des fruits et le tapis des prairies.¶– Il est riche, se ditpensa-t-elle. Quant aux titres, il veut peut-être veut-il

m’éprouver !... On lui aura dit que j’étais entichée de noblesse, et que je n’avais voulunevoulais épouser qu’un pair de France. Ce sont mesMes bégueules de sœurs qui m’aurontjoué ce tour-là.¶ – Je vous assure, monsieur, dit-elle à haute voix, que j’ai eu des idéesbien exagérées sur la vie et le monde ; mais aujourd’hui, ditreprit-elle, avec intention enle regardant d’une manière à le rendre fou, je sais où sont nos pour une femme lesvéritables richesses.¶ – J’ai besoin de croire que vous parlez à cœur ouvert, répondit-il,avec une sorte de gravité douce. Mais cet hiver, ma chère Émilie, dans moins de deuxmois, peut-être, je serai fier de ce que je pourrai vous offrir, si vous tenez aux jouissancesde la fortune. Ce sera le seul secret que je garderai- là, (dit-il montraen montrant soncœur) ; car de sa réussite dépend mon bonheur......, je n’ose dire le nôtre ?....¶

– Oh dites, dites...¶ !¶Ce fut au milieu des plus doux propos qu’ils revinrent à pas lents rejoindre la

compagnie au salon. Jamais mademoiselle de Fontaine ne trouva son amantprétendu plusaimable, et aussi ni plus spirituel. Ses : ses formes sveltes, ses manières engageantes luisemblèrent plus charmantes encore depuis une conversation qui venait en quelque sortede lui confirmer la possession d’un cœur digne d’être envié par toutes les femmes.¶ Ilschantèrent un duo italien avec une expression si ravissantetant d’expression, quel’assemblée les applaudit avec une sorte d’enthousiasme. Leur adieu eut prit un accent deconvention qui cachait le sentiment le plus délicieux.sous lequel ils cachèrent leurbonheur. Enfin, cette journée devint pour la jeune fille, comme une chaîne qui la lia pourtoujoursplus étroitement encore à la destinée de ce brillant l’ inconnu. La force et ladignité qu’il avait déployéesvenait de déployer dans la scène secrète pendant laquelleoùils s’étaient révélé leurs sentimens,sentiments avaient peut-être aussi imposé àmademoiselle de Fontaine, ce respect sans lequel il n’y an’existe pas de véritable amour.¶Lorsque restée Lorsqu’elle resta seule avec son père dans le salon, le vénérableVendéenvendéen s’avança vers elle, lui prit affectueusement les mains, et lui demanda sielle avait acquis quelque lumière sur la fortune, l’état et et sur la famille de M.demonsieur Longueville, elle répondit :¶.¶

– Oui, mon cher et bien-aimé père, répondit-elle, je suis plus heureuse que je nepouvais le désirer, et M.. Enfin monsieur de Longueville est le seul homme que je veuilleépouser.¶

– C’est bien, Émilie, reprit le comte, je sais ce quiqu’il me reste à faire.¶– Connaîtriez-vous quelque obstacle ? demanda-t-elle avec une véritable anxiété.¶– Ma chère enfant, ce jeune homme est absolument inconnu ; mais, à moins que

ce ne soit un malhonnête homme, du moment où tu l’aimes, il m’est aussi cher qu’unfils.¶

– Un malhonnête homme !.....? reprit Émilie ; oh !, je suis bien tranquille !. Mononcle, qui nous l’a présenté, peut vous répondre de lui ; car c’est lui qui nous l’aprésenté !....¶ – . Dites, cher oncle, a-t-il été flibustier, forban, corsaire ?....¶?¶

– Bon ! je Je savais bien que j’allais me trouver là, s’écria le vieux marin en seréveillant.¶ Il regarda dans le salon ;, mais sa nièce avait disparu comme un feu St.Saint-Elme, pour se servir de son expression habituelle.¶

– Eh bien !, mon oncle, ! reprit M.monsieur de Fontaine, comment avez-vous punous cacher tout ce que vous saviez sur ce jeune homme. ? Vous avez cependant dû vous

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apercevoir de nos inquiétudes. EstMonsieur Longueville est-il de bonne famille ?¶– Je ne le connais ni d’Èved’Eve ni d’Adam !, s’écria le comte de Kergarouët. Me

fiant au tact de cette petite folle, je lui ai amené son AdonisSaint-Preux par un moyen àmoi connu. Je sais qu’ilque ce garçon tire le pistolet admirablement, chasse très-bien,joue merveilleusement au billard, aux échecs, et au trictrac, et qu’ ; il fait des armes etmonte à cheval comme feu le chevalier de St.-Georges.Saint-George. Il a une éruditioncorsée relativement à nos vignobles. Il calcule comme Barême, dessine, danse et chantebien. Que diable Eh ! diantre, qu’avez-vous donc, vous autres ? – Si ce n’est pas là ungentilhomme parfait, montrez-moi un bourgeois qui sache tout cela. Trouvez-moi unhomme qui vive aussi noblement que lui ?... Fait-il quelque chose ? Compromet-il sadignité à aller dans des bureaux, à se courber devant de petits gentillâtresdes parvenusque vous appelez des Directeursdirecteurs-généraux ?... Il marche droit... C’est unhomme. Mais, au surplus, je viens de retrouver dans la poche de mon gilet la carte qu’ilm’a donnée quand il croyait que je voulais lui couper la gorge. Pauvre, pauvre innocent !La jeunesse d’aujourd’hui n’est guère rusée !. Tenez, la voici.¶

– Rue du Sentier, n° 5..., dit M.monsieur de Fontaine, en murmurant pendantqu’il cherchait à cherchant à se rappeler, parmi tous les renseignemens qu’on luirenseignements qu’il avait donnés,obtenus celui qui pouvait concerner le jeune inconnu.Que diable cela signifie-t-il ? Ceci est la demeure de MM. Georges Brummer,SchilkenMessieurs Palma, Werbrust et compagnie. Ce sont des banquiers dont leprincipal commerce est celui des mousselines, calicots, et toiles peintes, que sais-je.– Ah ! ah ! en gros demeurent là. Bon, j’y suis. ! Longueville, le député, a un intérêt dansleur maison. – Oui, ; mais je ne connais à Longueville qu’un fils de trente-deux ans, quine ressemble pas du tout à celui-ci. Il lui au nôtre et auquel il donne cinquante milleliv res de rente en mariage, afin de lui faire épouser la fille d’un ministre, car ; il a envied’être fait pair tout comme un autre. – Jamais je ne lui ai entendu parler de ce fils-là. – Ila bien deux filles ; mais, aucune, il me semble, ne se nomme Clara.Maximilien. A-t-ilune fille ? Qu’est-ce que cette Clara ? Au surplus, permis à plus d’un intrigant des’appeler Longueville. – Mais la maison Brummer, SchilkenPalma, Werbrust etcompagnie, n’est-elle pas à moitié ruinée par une spéculation au Mexique ou auxIndes... ? J’éclaircirai tout cela.¶ – Tu parles tout seul comme si tu étais sur un théâtre, ettu parais me compter pour zéro, dit tout- à- coup le vieux marin. Tu ne sais donc pas ques’il est gentilhomme, j’ai plus d’un sac dans mes écoutilles pour parer à son défaut defortune.¶ ?¶

– Quant à cela !.... , s’il est fils de Longueville, il n’a besoin de rien ; mais, ditM.monsieur de Fontaine en agitant la tête de droite à gauche, M. de Longueville ledéputé son père n’a même pas acheté de savonnette à vilain. Avant la révolution, il étaitprocureur, ; et le de qu’il a pris depuis la restauration lui appartient tout autant que lamoitié de sa fortune.¶

– Bah ! bah !..... s’écria gaîment le marin, heureux ceux dont les pères ont étépendus !., s’écria gaiement le marin.¶

Trois ou quatre jours après cette mémorable journée, et par dans une de ces bellesmatinées du mois de novembre qui font voir aux Parisiensparisiens leurs boulevardsnettoyés soudain, grâces au par le froid piquant d’une première gelée, mademoiselle deFontaine, parée d’une fourrure nouvelle qu’elle voulait mettre à la mode, était sortie avecune deux de ses belles-sœurs et madame la baronne de Fontaine sur lesquelles elle avait

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jadis décoché le plus d’épigrammes.¶ Ces trois damesfemmes étaient bien moins invitéesà cette promenade parisienne par l’envie d’essayer une voiture très-élégante et des robesqui devaient donner le ton aux modes de l’hiver, que par le désir de voir une merveilleusepélerine dont pèlerine qu’une de leurs amies avait remarqué la coupe élégante etoriginale,remarquée dans un riche magasin de lingerie situé au coin de la rue de la Paix.¶Quand les trois dames furent entrées dans la boutique, madame la baronne de Fontainetira Émilie par la manche et lui montra des yeux M. Maximilien Longueville assis dans lecomptoir, et rendantoccupé à rendre avec toute la une grâce mercantile en usage lamonnaie d’une pièce d’or à la lingère avec laquelle il semblait en conférence, car il . Lebel inconnu tenait à la main quelques échantillons qui ne laissaient aucun doute sur sonhonorable profession.¶ Émilie pâlit ; et, sans Sans qu’on pût s’en apercevoir, elle Émiliefut saisie d’un frisson glacial. Cependant, grâces grâce au savoir -vivre de la bonnecompagnie, elle dissimula parfaitement la rage qu’elle avait dans le cœur, et répondit à sasœur un : – Je le savais !...... dont la richesse d’intonation et l’accent inimitable eussentfait envie à mademoiselle Mars.¶

la plus célèbre actrice de ce temps. Elle s’avança vers le comptoir. M.Longueville leva la tête, mit les échantillons dans sa poche de côté avec une grâce et unsang-froid désespérant ; et, saluant, salua mademoiselle de Fontaine, il et s’approchad’elle en lui jetant un regard pénétrant.¶

– J’enverrai– Mademoiselle, dit-il à la lingère qui l’avait suivile suivit d’un airtrès-inquiet, j’enverrai régler ce compte, car ; ma maison le veut ainsi.¶ – Mais, tenez,ajouta-t-il à l’oreille de la jeune femme en lui remettant un billet de mille francs, prenez.– Ce : ce sera une affaire entre nous.¶ – Vous me pardonnerez, j’espère, mademoiselle,dit-il en se retournant vers Émilie. Vous aurez la bonté d’excuser la tyrannie qu’exercentles affaires.¶

– Mais il me semble, mon chermonsieur, que cela m’est fort indifférent !......,répondit mademoiselle de Fontaine en le regardant avec une assurance et un aird’insouciance moqueuse qui pouvaient faire croire qu’elle le voyait pour la premièrefois.¶

– Parlez-vous sérieusement ?, demanda Maximilien d’une voixaltérée.¶entrecoupée.¶

Émilie lui avait tournétourna le dos avec une incroyable impertinence. Ce peu demots, ayant été prononcés à voix basse, étaient échappésavait échappé à la curiosité desdeux belles-sœurs de l’orgueilleuse fille. En quelques secondes la pélerine fut achetée, etmademoiselle de Fontaine remonta précipitamment en voiture.¶ . Quand, après avoir prisla pèlerine, les trois dames furent placées dans l’élégante calècheremontées en voiture,Émilie, qui se trouvait assise sur le devant, ne put s’empêcher d’embrasser, par sondernier regard, la profondeur de cette odieuse boutique, au sein de laquelle où elle vit M.Maximilien, pâle, immobile,aximilien debout et les bras croisés, et resté debout dansl’attitude d’un homme supérieur au mal dont il étaitmalheur qui l’atteignait si subitementatteint.. Leurs yeux se rencontrèrent, et semblables à et se lancèrent deux éclairs, ils selancèrent des rayons d’une implacable rigueur.regards implacables. Chacun d’eux espéraqu’il blessait cruellement le cœur qu’il aimait, et une minute après, ils . En un momenttous deux se trouvèrent aussi loin l’un de l’autre que s’ils eussent été, l’un à la Chine etl’autre au Groënland.¶ La vanité a n’a-t-elle pas un souffle qui dessèche tout, et en cemoment mademoiselle de Fontaine vivait dans la froide atmosphère de ce sentiment. ? En

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proie au plus violent combat, qui puisse agiter le cœur d’une jeune fille, ellemademoiselle de Fontaine recueillit la plus ample moisson de douleurs que jamais lespréjugés et les petitesses eussentaient semée dans une âme humaine. Son visage, frais etvelouté naguères, était sillonné de tons jaunes, de taches rouges, et parfois les teintesblanches de ses joues se verdissaient soudain. Dans l’espoir de dérober son trouble à sessœurs, elle leur montrait en riant soit des passans, des toilettes, soit des chosesridicules,ou un passant ou une toilette ridicule ; mais ce rire était convulsif, etintérieurement, elle . Elle se sentait plus vivement blessée de la compassion silencieusedont de ses généreuses compagnes l’accablèrent à leur insu, sœurs que des épigrammespar lesquelles elles auraient pu se venger. Elle employa tout son esprit à les entraîner sesdeux sœurs dans une conversation dontoù elle essaya de se faire une arme contre elles,cherchant à d’exhaler sa colère par des contradictions insensées. Elle accabla lecommerce et les négociansparadoxes insensés, en accablant les négociants des injures lesplus piquantes et d’épigrammes de mauvais ton.¶ Elle rentra pour se mettre au lit ; carelle En rentrant, elle fut saisie d’une fièvre dont le caractère eut d’abord quelque chosede dangereux. Mais au Au bout de huit joursd’un mois, les soins de ses parensparents,ceux du médecin, la rendirent aux vœux de sa famille. Chacun espéra que cette leçonpourrait servir à serait assez forte pour dompter le caractère d’Émilie ; mais elle d’Émiliequi reprit insensiblement ses anciennes habitudes ; et, au bout de quinze jours, elle vouluts’élancerhabitudes et s’élança de nouveau dans le monde.¶ Elle prétendit qu’il n’y avaitpas de honte à se tromper ; que, si elle avait . Si, comme son père quelqu’, elle avaitquelque influence à la Chambrechambre, disait-elle, elle provoquerait une loi pourobtenir que les commerçanscommerçants, surtout les marchands de calicoscalicot, fussentmarqués au front comme les moutons du Berry, jusqu’à la troisième génération ; ou . Ellevoulait que les nobles eussent seuls le droit de porter ces anciens habits français quiallaient si bien aux courtisans de Louis XV ; qu’enfin c’était. A l’entendre, peut-êtreétait-ce un malheur pour la monarchie, s’il qu’il n’y avaiteût aucune différence visibleentre un marchand et un pair de France ; puis mille. Mille autres plaisanteries, faciles àdeviner, se succédaient rapidement quand un incident imprévu la mettait sur ce sujet.¶Mais ceux qui aimaient Émilie remarquaientremarquèrent à travers ses railleries uneteinte de mélancolie, qui leur fit croire que M.. Évidemment, Maximilien Longuevillerégnait toujours au fond de ce cœur inexplicable. Parfois elle devenait douce commependant la saison fugitive qui vit naître son amour, et parfois aussi elle se montrait plusinsupportable qu’elle ne l’avait que jamais été ; mais chacun excusait en silence. Chacunexcusa les inégalités d’une humeur qui prenait sa source dans une souffrance tout à lafois secrète et connue.¶ Le comte de Kergarouët obtint un peu d’empire sur elle, grâces àun surcroît de prodigalités, genre de consolation qui manque rarement son effet sur lesjeunes Parisiennes.¶ parisiennes. La première fois que mademoiselle de Fontaine alla aubal, ce fut chez l’ambassadeur de Naples. Au moment où elle prit place au se plaça dansle plus brillant des quadrilles, elle aperçut M. Longueville à quelques pas d’elle, et sonamant dédaigné Longueville qui fit un léger signe de tête au partenaire à qui elle donna lamain.¶à son danseur.¶

– Ce jeune homme est un de vos amis ?....., demanda-t-elle à son cavalier d’un airde dédain.¶

– Je le crois– Rien que mon frère, répondit-il. – C’est mon frère.¶Émilie ne put s’empêcher de tressaillir.¶

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– Ah ! si vous le connaissiez ?.. reprit-il d’un ton d’enthousiasme. C’est , c’estbien la plus belle âme qui soit au monde.......¶

– Savez-vous mon nom ?......, lui demanda Émilie en l’interrompant avecvivacité.¶

– Non, mademoiselle. C’est un crime, je l’avoue, de ne pas avoir retenu un nomqui est sur toutes les lèvres, je devrais dire dans tous les cœurs. Cependant, ; mais j’aiune excuse valable. J’arrive : j’arrive d’Allemagne. Mon ambassadeur, qui est à Paris encongé, m’a envoyé ce soir ici pour servir de chaperon à son aimable femme, que vouspouvez voir là-bas dans un coin.¶

– Mais c’est un– Un vrai masque tragique !, dit Émilie, après avoir examinél’ambassadrice.¶

– C’estVoilà cependant sa figure.. reprit de bal, repartit en riant le jeune homme.Il faudra bien que je la fasse danser ! aussi,Aussi ai-je voulu avoir unecompensation... ...¶ Mademoiselle de Fontaine s’inclina.¶

– J’ai été bien surpris, continua dit le babillard secrétaire d’ambassade encontinuant, de trouver mon frère ici. En arrivant de Vienne, j’ai appris que le pauvregarçon était malade et au lit. Je comptais bien le voir avant d’aller au bal ; mais lapolitique ne nous laisse pas toujours le loisir d’avoir des affections de famille ; et, eneffet, la. La padrona della casa ne m’a pas permis de monter chez mon pauvreMaximilien.¶

– Monsieur votre frère n’est pas comme vous dans la diplomatie ?.... dit Émilie.¶– Non, dit le secrétaire en soupirant, le pauvre garçon !!....¶ L’étourdi secrétaire

soupira et reprit :¶ – Il s’est sacrifié pour moi !.... Lui et ma sœur Clara ont renoncévolontairement à la fortune de mon père, afin qu’il pût réunir sur ma tête un immensemajorat ; car mon. Mon père rêve la pairie, comme tous ceux qui votent pour leministère. – Il a la promesse d’être nommé pair, ajouta-t-il à voix basse. – Alors monfrère, aprèsAprès avoir réuni quelques capitaux, mon frère s’est mis dans alors associé àune maison de banque, ; et il a promptement réussi !...¶ Je je sais qu’il vient de faire avecle Brésil une spéculation qui peut le rendre millionnaire ; et je suis. Vous me voyez toutjoyeux d’avoir contribué par mes relations diplomatiques à lui en assurer leau succès.J’attends même avec impatience une dépêche de la légation brésilienne qui sera de natureà lui dérider le front. – Comment le trouvez-vous ?¶

– Mais la figure de monsieur votre frère ne me semble pas être celle d’un hommeoccupé d’argent...¶

Le jeune diplomate scruta par un seul regard la figure en apparence calme de sadanseuse.¶

– Comment, ! dit-il en souriant, les demoiselles devinent donc aussi les penséesd’amour à travers les fronts muets ?¶ – Monsieur votre frère est amoureux ?.., demanda-t-elle en laissant échapper un geste de curiosité.¶

– Oui !. Ma sœur Clara, pour laquelle il a des soins maternels, m’a écrit qu’ils’était amouraché, cet été, d’une fort jolie personne ; mais depuis, je n’ai pas eu des denouvelles de ses amours.¶ Croiriez-vous que le pauvre garçon se levait à cinq heures dumatin, et allait expédier ses affaires, afin de pouvoir se retrouver à quatre heures à lacampagne de la belle : aussi? Aussi a-t-il abîmé un charmant cheval de race pure dontqueje lui avais fait cadeau.envoyé. Pardonnez-moi mon babil, mademoiselle, mais : j’arrived’Allemagne ; et, depuis. Depuis un an, je n’ai pas entendu parler correctement le

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français ;, je suis sevré de visages français et rassasié d’allemands, si bien que, dans marage patriotique, je parlerais, je crois, aux chimères d’un candélabre, pourvu qu’ellesfussent faites en France. parisien. Puis, si je cause avec autant d’abandon pourun abandonpeu convenable chez un diplomate, la faute en est à vous, mademoiselle ?.... n’est. N’est-ce pas vous qui m’avez montré mon frère ?...... et quand Quand il est question de lui, jesuis intarissable. Oh ! jeJe voudrais pouvoir dire à la terre entière combien il est bon etgénéreux. Il ne s’agissait de rien moins que de cent vingt mille livres de rente, querapporte la terre de Longueville et dont il a laissé disposer en ma faveur !¶.¶

Si mademoiselle de Fontaine obtint desces révélations aussi importantes, elle lesdut en partie à l’adresse avec laquelle elle sut interroger son confiant cavalier, dumoment où elle apprit qu’il était le frère de son amant dédaigné. Cette conversation,tenue à voix basse et maintes fois interrompue, roula sur tant de sujets divers, qu’il estinutile de la rapporter en entier.¶

– Est-ce que vous avez pu, sans quelque peine, voir monsieur votre frèrevendrevendant des mousselines et des calicots ?... demanda Émilie, après avoir accomplila troisième figure de la contredanse ?¶.¶

– D’où savez-vous cela ?.... lui demanda le diplomate ; car,. Dieu merci ! tout endébitant un flux de paroles, j’ai déjà l’art de ne dire que ce que je veux, ainsi que tous lesapprentis ambassadeurs-diplomates de ma connaissance.¶

– Vous me l’avez dit, je vous assure.¶M.onsieur de Longueville regarda sa danseuse mademoiselle de Fontaine avec un

étonnement plein de perspicacité. Un soupçon entra dans son âme. Il interrogeasuccessivement les yeux de son frère et de sa partenaire ; et alors devinant tout, danseuse,il devina tout, pressa ses mains l’une contre l’autre ; puis, levant, leva les yeux auplafond, se mit à rire et dit :¶ : – Je ne suis qu’un sot !.... Vous êtes la plus belle personnedu bal..........., mon frère vous regarde à la dérobée, il danse malgré la fièvre, et vousfeignez de ne pas le voir. – Faites son bonheur, dit-il, en la reconduisant auprès de sonvieil oncle ;, je n’en serai pas jaloux ; mais je tiendrai mon cœur à deux mainstressailleraitoujours un peu en vous nommant : – Manommant ma sœur......¶

Cependant les deux amansamants devaient être aussi inexorables l’un que l’autrepour eux-mêmes.¶ Vers les deux heures du matin, l’on servit un ambigu dans uneimmense galerie où, pour laisser les personnes d’une même coterie libres de se réunir, lestables avaient été disposées comme elles le sont chez un restaurateur, de manière à laisserles personnes d’une même coterie libres de se réunir.¶ les restaurateurs. Par un de ceshasards qui arrivent toujours aux amansamants, mademoiselle de Fontaine se trouvaplacée à une table voisine de celle autour de laquelle se mirent les personnes les plusdistinguées de la fête, et, Maximilien faisait partie de ce groupe. Émilie , qui prêta uneoreille attentive aux discours tenus par ses voisins, et alors elle put entendre une de cesconversations qui s’établissent si facilement entre les dames de trente ansjeunes femmeset les jeunes gens qui ont les grâces et la tournure de Maximilien Longueville.¶

L’interlocutrice du jeune banquier était une duchesse napolitaine, dont les yeuxlançaient des éclairs, et dont la peau blanche avait l’éclat du satin. L’intimité que le jeuneLongueville affectait d’avoir avec elle blessa d’autant plus mademoiselle de Fontainequ’elle venait de rendre à son amant vingt fois plus de tendresse qu’elle ne lui en portaitjadis.¶

– Oui, monsieur, dans mon pays, le véritable amour sait faire toute espèce de

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sacrifices, disait la duchesse en minaudant.¶– Vous êtes plus passionnées que les Françaisesne le sont les françaises, dit

Maximilien dont le regard enflammé tomba sur Émilie. Elles sont tout vanité.¶– Oh, monsieur– Monsieur, reprit vivement la jeune fille avec vivacité, cela est

fort mal , n’est-ce pas une mauvaise action que de calomnier sa patrie. ? Le dévouementest de tous les pays.¶

– Croyez-vous, mademoiselle, reprit l’Italiennel’italienne avec un souriresardonique, qu’une Parisienneparisienne soit capable de suivre son amant partout celuiqu’elle aimerait ?¶

– Ah ! entendons nous, madame !. On va dans un désert y habiter une tente, maisalleron ne va pas s’asseoir dans un comptoir ?..¶une boutique.¶

Elle acheva sa pensée en laissant échapper un geste de dégoût.¶ Ce fut ainsi quedédain. Ainsi l’influence exercée sur Émilie par une sa funeste éducation, tua deux foisson bonheur naissant, et lui fit manquer toute son existence. La froideur apparente deMaximilien et le sourire d’une femme lui arrachèrent un de ces sarcasmes cruels dont ellene se refusait jamais la perfide jouissance.¶

les perfides jouissances la séduisaient toujours. – Mademoiselle, lui dit à voixbasse M. Longueville à la faveur du bruit que firent les damesfemmes en se levant detable, personne ne formera pour votre bonheur des vœux plus ardensardents que ne leseront les miens pour votre bonheur. Permettezmiens : permettez-moi de vous donnercette assurance en prenant congé de vous ; car, dans. Dans quelques jours, je partirai pourl’I talie.¶

– Avec une duchesse, sans doute ?¶– Non, mademoiselle, mais avec une maladie mortelle peut-être.¶– N’est-ce pas une chimère ?.., demanda Émilie en lui lançant un regard inquiet.¶– Non, dit-il, il y aest des blessures qui ne se cicatrisent jamais...¶– Vous ne partirez pas !..., dit l’impérieuse jeune fille en souriant.¶– Je partirai, reprit gravement Maximilien.¶– Vous me trouverez mariée au retour..... Je, je vous en préviens ?...., dit-elle avec

coquetterie.¶– Je le souhaite.¶– L’impertinent !, s’écria-t-elle, se venge-t-il assez cruellement !....¶?¶Quinze jours après, M. Maximilien Longueville, deux fois millionnaire, partit

avec sa sœur Clara pour les chaudes et poétiques contrées de la belle Italie, laissantmademoiselle de Fontaine en proie aux plus violensviolents regrets.¶ Épousant laquerelle de son frère, le Le jeune et sémillant secrétaire d’ambassade tiraépousa laquerelle de son frère, et sut tirer une vengeance éclatante des dédains d’Émilie enpubliant les motifs de la rupture des deux amans, et en rendantamants. Il rendit avecusure à son ancienne sa danseuse les sarcasmes qu’elle avait jadis lancés. Il surMaximilien, et fit souvent sourire plus d’une excellence, quand il peignaitExcellence enpeignant la belle ennemie des comptoirs, l’amazone qui prêchait une croisade contre lesbanquiers, la jeune fille dont l’amour s’était évaporé devant un demi-tiers de mousseline.C’était un feu d’artifice continuel. Aussi leLe comte de Fontaine fut-il obligé d’user detout son crédit pour faire obtenir à M. Auguste Longueville une mission en Russie, afinde soustraire sa fille au ridicule que son ce jeune et dangereux persécuteur versait sur elleà pleines mains sur elle.¶ . Bientôt le ministère fut , obligé de lever une conscription de

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pairs, pour soutenir les opinions aristocratiques qui chancelaient dans la noble chambre àla voix puissante d’un illustre écrivain. M. , nomma monsieur Guiraudin de Longuevillefut nommé pair de France et vicomte. M.onsieur de Fontaine obtint aussi la pairie,récompense due autant à sa fidélité pendant les mauvais jours ainsi qu’à son nomhistorique qui manquait à la Chambrechambre héréditaire.¶ Ce fut vers Vers cetteépoque que mademoiselle de Fontaine, âgée de vingt-deux ans, se mit à faire , Émiliedevenue majeure fit sans doute de sérieuses réflexions sur la vie. Elle ; car elle changeainsensiblement de ton et de manières. Au : au lieu de s’exercer à dire des méchancetés àson oncle, elle lui prodigua les soins les plus affectueux. Elle lui apportaitapporta sabéquille avec une persévérance de tendresse qui faisait rire les plaisans. Elle luioffraitplaisants ; elle lui offrit le bras, allait dans sa voiture, et l’accompagnait dans toutesses promenades. Elle ; elle lui persuada même qu’elle n’était point incommodéeparaimait l’odeur de la pipe, et lui lisaitlut sa chère Gazette de FranceQuotidienne aumilieu des bouffées de tabac que le malicieux marin lui envoyait à dessein. Elle apprit ;elle étudia le piquet pour faire la partie du tenir tête au vieux comte. Enfin ; enfin cettejeune personne si fantasque écoutait avec une attention miraculeuseécouta sanss’impatienter les récits que son oncle recommençait périodiquement soitpériodiques ducombat de la Belle-Poule soit, des manœuvres de la Ville-de-Paris, de la premièreexpédition de M.monsieur de Suffren, ou de la bataille d’Aboukir.¶ Quoique le vieuxmarin eût souvent dit qu’il connaissait trop sa longitude et sa latitude pour se laissercapturer par une jeune corvette, un beau matin, les salons de Paris apprirent que lemariage de mademoiselle de Fontaine avait épousé le et du comte de Kergaroüet.¶ Lajeune comtesse donna des fêtes splendides pour s’étourdir ; mais elle trouva sans doute lenéant au fond de ce tourbillon donttourbillon : le luxe cachait imparfaitement le vide et lemalheur de son âme souffrante ; car la plupart du temps, malgré les éclats d’une gaietéfeinte, sa belle figure exprimait une doucesourde mélancolie. Émilie paraissait pleined’attentions et d’égards pour son Émilie prodigua d’ailleurs ses attentions à son vieuxmari, qui, souvent, en s’en allant dans son appartement le soir au bruit d’un joyeuxorchestre, disait en riant à ses vieux camarades qu’ildisait : – Je ne se reconnaissait plus,et qu’il ne croyait pas qu’à l’âge de 75 ans il dût s’embarquer comme pilote sur laBELLE ÉMILIE.¶ Du reste, la me reconnais plus. Devais-je donc attendre à soixante-douze ans pour m’embarquer comme pilote sur LA BELLE ÉMILIE, après vingt ans degalères conjugales. La conduite de la comtesse était fut empreinte d’une telle sévérité demœurs, que la critique la plus clairvoyante n’avaitn’eut rien à y reprendre. L’on pensaitque le contreLes observateurs pensèrent que le vice-amiral s’était réservé le droit dedisposer de sa fortune pour enchaîner plus fortement sa femme ; mais cette: suppositionfaisait injure à injurieuse et pour l’oncle et à pour la nièce. L’attitude des deux épouxétait mêmefut d’ailleurs si savamment calculée, qu’il devint presque impossible aux plusmalicieux observateurs de pouvoir que les jeunes gens les plus intéressés à deviner lesecret de ce ménage ne purent deviner si le vieux comte traitait sa femme en amantépouxou en père. On lui entendait dire souvent qu’il avait recueilli sa nièce comme unenaufragée, et que, jadis, sur son vaisseau, il n’avaitil n’abusait jamais abusé del’hospitalité quand il lui arrivait de sauver un ennemi de la fureur des orages. Bientôt lacomtesse de Kergarouët rentra insensiblement dans une obscurité qu’elle semblait désireret Paris cessa de s’occuper d’elle.¶Quoique la comtesse aspirât à régner sur Paris etqu’elle essayât de marcher de pair avec mesdames les duchesses de Maufrigneuse, de

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Chaulieu, les marquises d’Espard et d’Aiglemont, les comtesses Féraud, de Montcornet,de Restaud, madame de Camps et mademoiselle Des Touches, elle ne céda point àl’amour du jeune vicomte de Portenduère qui fit d’elle son idole.¶

Deux ans après son mariage, elle se trouvait plus brillante qu’en aucun jour passéau milieu dans un des antiques salons du faubourg Saint-Germain où l’on admirait soncaractère, digne des anciens temps, était admiré, lorsque tout-à-coup la voix sonore d’unlaquais annonça M.Émilie entendit annoncer monsieur le vicomte de Longueville.Heureusement pour la comtesse qu’elle était ensevelie ; et dans un le coin du salon etoccupée à faire où elle faisait le piquet de l’évêque de Persépolis, alors son émotion nefutput être remarquée de personne.¶ En : en tournant la tête, elle avait vu entrer M.Maximilienson ancien prétendu dans tout l’éclat de la jeunesse. La mort de son père etcelle de son frère, tué par l’inclémence du climat de Pétersbourg, avaient posé sur cettetête ravissantela tête de Maximilien les plumes héréditaires du chapeau de la pairie. Sonimmense ; sa fortune égalait ses connaissances et son mérite. La ; la veille même, sajeune et bouillante éloquence avait éclairé la sagesse législative de l’assemblée. En cemoment, il apparaissait à Émilie comme un ange de lumière. Il étaitapparut à la tristecomtesse, libre et paré de tous les dons que la triste comtesse avait rêvés pour son idole.Le vicomte était l’orgueil des salons et l’objet des soins de toutesavantages qu’elledemandait jadis à son type idéal. Toutes les mères qui avaient des chargées de filles àmarier. Il était réellement faisaient de coquettes avances à un jeune homme doué desvertus qu’on lui supposait en admirant sa grâce ; et, plusmais mieux que toute autre,Émilie savait qu’ilque le vicomte de Longueville possédait cette fermeté de caractère qui,dans un mari, estlaquelle les femmes prudentes voient un gage de bonheur pour unefemme.¶

Tournant alors. Elle jeta les yeux sur l’amiral, qui, selon son expression familière,paraissait devoir tenir encore long-temps sur son bord, elle jeta un regard de résignationdouloureuse sur cette tête grise. Elle revit en un coup-d’œilet maudit les erreurs de sonenfance pour les condamner, soupira, maudit les lingères, et M..¶

En ce moment, monsieur de Persépolis lui dit en ce moment avec une certainesagrâce épiscopale :¶ : – Ma belle dame, puisque vous avez écarté le roi de cœur, j’aigagné ; mais. Mais ne regrettez pas votre argent, je le donnerai à réserve pour mes petitsséminaires.¶

Paris, décembre 1829.¶

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Comparaison entre Gloire et malheur de

1830 et La Maison du chat-qui-pelote dans

le «  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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Comparaison entre Gloire et malheur de

1830 et La Maison du chat-qui-pelote dans

le «  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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IVME SCÈNE.¶ ¶ GLOIRE ET MALHEUR.¶

¶ LA MAISON DU CHAT-QUI-PELOTE¶

DÉDIÉ A MADEMOISELLE MARIE DE MONTHEAU¶IL existait encore, il y a peu de temps, au Au milieu de la rue Saint-Denis, et

presqu’presque au coin de celle la rue du Petit-Lion, existait naguère une de ces maisonsprécieuses, qui donnent aux romanciers et aux antiquaires,historiens la facilité dereconstruire par analogie l’ancien Paris dans leurs ouvrages.. Les mursmenaçansmenaçants de cette bicoque avaient l’air d’avoir été chargéssemblaient avoir étébariolés d’hiéroglyphes ; en effet, quel. Quel autre nom le flâneur pouvait-il donner auxX et aux V tracés en profusion par que traçaient sur la façade les pièces de boistransversales ou diagonales qui se voyaient sur la façade ? Ces bois vermoulus sedessinaient d’autant mieux sur la chemise jaunâtre, passée à la maison par dessinées dansle badigeonneur, que badigeon par de petites lézardes parallèles, et taillées en dents descie, semblaient indiquer que ? Évidemment, au passage de la plus légère voiture,chacune de ces solives s’agitait dans sa mortaise, au passage d’une voiture trop pesante..Ce vénérable édifice était surmonté d’un toit triangulaire. Ce toit, dont il n’existeraaucunmodèle ne se verra bientôt plus de modèles à Paris. Cette couverture, tordue par lesintempéries du climat parisien, s’avançait de trois pieds sur la rue, autant pour garantirdes eaux pluviales le seuil de la porte, que pour abriter la lucarne sans appui et le murd’un grenier qui avait été et sa lucarne sans appui. Ce dernier étage fut construit enplanches, clouées l’une sur l’autre comme des ardoises, afin sans doute de ne pas chargerlacette frêle maison.¶

Par une matinée pluvieuse du , au mois de mars, un jeune homme, soigneusementenveloppé d’un dans son manteau, se tenait sous l’auvent de la d’une boutique qui faisaiten face à cette maison, et paraissait l’examinerde ce vieux logis qu’il examinait avec toutl’enthousiasme d’un historien. Il est vrai queun enthousiasme d’archéologue. A la vérité,ce débris de l’opulencela bourgeoisie du XVeseizième siècle pouvait offriroffrait àl’observateur plus d’un problème à résoudre. Chaque étage avait sa A chaque étage, unesingularité. Au : au premier, quatre fenêtres longues, étroites et très-, rapprochées l’unede l’autre, avaient des carreaux de bois dans leur partie inférieure, afin de produire cejour douteux, à la faveur duquel un habile marchand donneprête aux étoffes la couleurvoulue par le chaland.souhaitée par ses chalands. Le jeune homme semblait plein dedédain pour cette partie essentielle de la maison, car ses yeux ne s’y étaient pas encorearrêtés. Son attention, faiblement excitée par les Les fenêtres du second étage , dont lesjalousies relevées laissaient voir, au travers de grands carreaux en verre de Bohême, depetits rideaux de mousseline assez roux,rousse, ne l’intéressaient pas davantage. Sonattention se portait plus particulièrement au troisième, sur d’humbles croisées bien plushumbles du troisième. Ces dernières, dont le bois grossiertravaillé grossièrement auraitmérité d’être placé au Conservatoire des arts et métiers pour y indiquer le point dedépartles premiers efforts de la menuiserie française, étaient garnies de . Ces croiséesavaient de petites vitres d’une couleur si verte, que, sans son excellente vue, le jeunehomme n’aurait pu apercevoir les rideaux de toile à carreaux bleus qui cachaient lesmystères de cet appartement aux yeux des profanes.¶ Parfois, l’impatient cetobservateur, fatigué, soit de cette ennuyé de sa contemplation sans résultat, soit ou du

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silence dans lequel la maison était ensevelie, ainsi que tout le quartier, abaissait sesregards vers les régions inférieures. Alors, un Un sourire involontaire se dessinait sur safigurealors sur ses lèvres, quand il revoyait la boutique. où se rencontraient en effet deschoses assez risibles. Une formidable pièce de bois, horizontalement appuyée sur quatrepiliers qui paraissaient courbés par le poids de cette maison décrépite, avait reçu étérechampie d’autant de couches de diverses peintures diverses que la joue d’une vieilleduchesse. en a reçu de rouge. Au milieu de cette large poutre mignardement sculptée,était fixé se trouvait un antique tableau représentant un chat qui pelotait.¶ Ce chef-d’œuvre désespérant Cette toile causait l’inextinguible gaîtéla gaieté du jeune homme ;et il faut dire aussi, qu’il serait difficile à un peintre moderne de donner à un chat unefigure aussi merveilleusement sérieuse, de lui faire tenir, d’une manière plus comique, .Mais il faut dire que le plus spirituel des peintres modernes n’inventerait pas de charge sicomique. L’animal tenait dans une de ses pattes de devant une raquette aussi grande quelui, et de le dresser aussi plaisammentse dressait sur ses pattes de derrière pour mirerl’ une énorme balle que lui renvoyait un gentilhomme en habit brodé. Dessin, couleurs,accessoires, attitudes, tout était traité avec un rare talent. Le temps avait altéréde manièreà faire croire que l’artiste avait voulu se moquer du marchand et des passants. En altérantcette peinture naïve de manière à rendre la scène, le temps l’avait rendue encore plusgrotesque par quelques incertitudes qui mettaient l’admirateur dans l’embarras.devaientinquiéter de consciencieux flâneurs. Ainsi la queue mouchetée du chat était découpée detelle sorte qu’on pouvait la prendre pour un spectateur, tant la queue des chats de nosancêtres était grosse, haute et fournie.¶ A droite du tableau, et sur un champ d’azur quidéguisait imparfaitement la pourriture du bois, les passans pouvaient lire Guillaume,passants lisaient GUILLAUME ; et à gauche, successeur du sieur Chevrel. L’intempériedu climat parisien avait SUCCESSEUR DU SIEUR CHEVREL. Le soleil et la pluieavaient rongé la plus grande partie de l’or moulu, parcimonieusement appliqué sur leslettres de cette inscription, dans laquelle les U remplaçaient les V et réciproquement,selon les lois de notre ancienne orthographe.¶ Afin de rabattre l’orgueil de ceux quicroient que le monde devient de jour en jour plus spirituel, et que le modernecharlatanisme asurpasse tout surpassé, il convient de faire observer ici que ces enseignes,dont l’étymologie semble bizarre à plus d’un négociant parisien, sont les tableaux mortsde vivansvivants tableaux à l’aide desquels nos espiègles ancêtres avaient réussi à amenerles chalands dans leurs maisons. Ainsi la truie qui Truie-qui-file, le singe Singe-vert, etc.,étaientfurent des animaux en cage dont l’adresse émerveillait les passanspassants, et dontl’éducation prouvait la patience de l’industriel au XVequinzième siècle. L’heureuxpossesseur d’une semblable curiosité s’enrichissaitDe semblables curiosités enrichissaientplus vite leurs heureux possesseurs que toutes les Providence, les Bonne-Foifoi, les Grâce-de -Dieu et les Décollation de saint Jean-Baptiste, qui se voient encore rue Saint-Denis.¶Cependant il étai difficile de croire que ce fût à la délicieuse peinture de ce chat qu’étaitdue la faction de l’inconnu qui avait aussi ses singularités. Son manteau, plissé avec ungoût inné pour l’imitation des élégantes Cependant l’inconnu ne restait certes pas là pouradmirer ce chat, qu’un moment d’attention suffisait à graver dans la mémoire. Ce jeunehomme avait aussi ses singularités. Son manteau, plissé dans le goût des draperiesantiques, laissait voir de petits piedsune élégante chaussure, d’autant plusbrillans,remarquable au milieu de la boue noire du pavé parisien, que le jeune hommeparisienne, qu’il portait des bas de soie blancs dont les mouchetures attestaient son

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impatience. Sous son chapeau, quelques boucles de cheveux noirs, défrisés par l’humiditéet retombant sur son col, indiquaient qu’il était coiffé à la Caracalla, coiffure que larécente résurrection de la sculpture et l’admiration pour l’antique avaient mise à la mode.Une cravatte éblouissante de blancheur rendait encore plus pâle sa figure tourmentée. Onoubliait facilement les contours bizarres, la bouche trop large et très-sinueuse de cevisage original, grâce au feu tour-à-tour sombre et pétillant qui s’échappait de deux yeuxnoirs. Des gants blancs déchirés annonçaient que l’inconnu sortait sans doute de quelquenoce, car il était six heures et demie du matin. Sauf Il sortait sans doute d’une noce oud’un bal, car à cette heure matinale il tenait à la main des gants blancs, et les boucles deses cheveux noirs défrisés éparpillées sur ses épaules indiquaient une coiffure à laCaracalla, mise à la mode autant par l’École de David que par cet engouement pour lesformes grecques et romaines qui marqua les premières années de ce siècle. Malgré lebruit que faisaient quelques maraîchers attardés qui passaient passant au galop enréveillant les échospour se rendre à la grande halle, cette rue si agitée avait alors uncalme dont il est difficile de concevoir la magie si l’on n’a pas n’est connue que de ceuxqui ont erré dans Paris désert, à ces heures, où son bruit infernaltapage, un momentapaisé, renaît et s’entend dans le lointain comme la grande voix de la mer.¶ Cet étrangejeune homme formait un tableau un peu plus devait être aussi curieux que celui pour lescommerçants du Chat-qui-pelote : sa bouche souriait avec amertume ; son front, plissépar une violente contrariété, avait quelque chose de fatal ; car , que le crâne est ce quel’homme a de plus prophétique. Quand la peau brune de ce front haut et large restait unieet tendue, il respirait le génie, la grâce, et de concert avec les yeux, il faisait mentir toutesles prédictions d’un visage repoussant s’il n’eût été sans cesse ennobli par unephysionomie spirituelle ; mais quand ce front, chargé de rides qui ressemblaient aux jeuxde l’eau, exprimait une passion trop forte, cette figure causait une sorte d’effroi : mobileà l’excès, la joie, la douleur, l’amour, la colère, le dédain, s’y succédaient avec quelquechose de si communicatif qu’on devait involontairement partager les affections qu’ilplaisait à ce jeune homme d’exprimer.¶ Il Chat-qui-pelote l’était pour lui. Une cravateéblouissante de blancheur rendait sa figure tourmentée encore plus pâle qu’elle ne l’étaitréellement. Le feu tour à tour sombre et pétillant que jetaient ses yeux noirs s’harmoniaitavec les contours bizarres de son visage, avec sa bouche large et sinueuse qui secontractait en souriant. Son front, ridé par une contrariété violente, avait quelque chosede fatal. Le front n’est-il pas ce qui se trouve de plus prophétique en l’homme ? Quandcelui de l’inconnu exprimait la passion, les plis qui s’y formaient causaient une sorted’effroi par la vigueur avec laquelle ils se prononçaient ; mais lorsqu’il reprenait soncalme, si facile à troubler, il y respirait une grâce lumineuse qui rendait attrayante cettephysionomie où la joie, la douleur, l’amour, la colère, le dédain éclataient d’une manièresi communicative que l’homme le plus froid en devait être impressionné. Cet inconnu sedépitait avec tant de violence si bien au moment où l’on ouvrit précipitamment la lucarnedu grenier, qu’il n’y vit pas apparaître trois joyeuses figures toutes rondelettes, blanches,roses, et mais aussi communes que ces le sont les figures du Commerce sculptées sur lesmonumens.certains monuments. Ces trois faces, encadrées par la lucarne, eurent l’air deces rappelaient les têtes d’anges bouffis dont on accompagne semés dans les nuages duqui accompagnent le Père éternel. Les jeunes apprentis respirèrent les émanations de larue avec une avidité qui prouvaitdémontrait combien l’atmosphère de leur grenier étaitchaude et méphytique. Celui des méphitique. Après avoir indiqué ce singulier

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factionnaire, le commis auquel appartenait la figure la plus joviale montra aux autres lesingulier factionnaire, puis en un moment ilqui paraissait être le plus jovial disparut etrevint, en tenant à la main un instrument dont le métal inflexible a été récemmentdétrônéremplacé par un cuir souple et poli. Ces trois visages souple ; puis tous prirentune expression malicieuse en regardant l’étranger, qui tout-à-coup fut aspergéle badaudqu’ils aspergèrent d’une petite pluie fine et blanchâtre, dont le parfum prouvait que lestrois mentons venaient d’être rasés.¶ Elevés Élevés sur la pointe de leurs pieds, etréfugiés au fond de leur grenier pour jouir de la colère de la leur victime, les commiscessèrent tout-à-coup leurs riresde rire en voyant l’insouciant dédain avec lequel le jeunehomme secoua son manteau, et le profond mépris que peignit sa figure, quand il leva lesyeux sur la lucarne vide.¶ Mais en En ce moment, une main blanche et délicate fitremonter, vers son imposte,l’imposte la partie inférieure d’une des grossières croisées dutroisième étage, au moyen de ces ingénieuses coulisses dont le tourniquet capricieux neretient pas toujours les lourds vitrages qui lui sont confiés. Alors le jeune artiste reçut larécompenselaisse souvent tomber à l’improviste le lourd vitrage qu’il doit retenir. Lepassant fut alors récompensé de sa longue attente. La délicieuse figure d’une jeune filleaussi , fraîche qu’comme un de ces blancs calices qui fleurissent au sein des eaux,apparut se montra couronnée de la d’une ruche en mousseline froissée qui donnait à sonfront, à sa tête, un air d’innocence admirable ;. Quoique couverts d’une étoffe brune, soncou blanc, son sein virginal, couverts d’une étoffe brune en désordre, se voyaient, sesépaules s’apercevaient, grâce à de légers interstices ménagés par les mouvemensignorésmouvements du sommeil. Aucune expression de contrainte n’altérait la grâceingénueni l’ingénuité de ce visage et, ni le calme de ces yeux immortalisés par avancedans les sublimes compositions de Raphaël : c’était la même grâce, la même tranquillitéde ces vierges devenues proverbiales.¶ Il existait un ravissantcharmant contraste produitpar la jeunesse des joues de cette figure, sur laquelle le sommeil avait laissé comme misen relief une surabondance de vie, et par la vieillesse de cette fenêtre massive auxcontours grossiers, dont l’appui était noir. La jeune fille à moitié éveillée etsemblableSemblable à ces fleurs de jour, qui n’ont pas encore au matin déplié toutes leurtuniques rouléesleur tunique roulée par le froid des nuits, la jeune fille, à peine éveillée,laissa errer ses yeux bleus sur les toits voisins, et regarda le ciel ; etpuis, par une sorted’habitude, elle les baissa sur les sombres régions de la rue, où ils rencontrèrent aussitôtceux de l’artiste. Elle devint rouge comme une cerise, sans doute par son adorateur : lacoquetterie la fit sans doute souffrir d’être vue ainsi en déshabillé, elle se retira vivementen arrière, le tourniquet tout usé tourna, et la croisée redescendit avec cette rapidité qui,de nos jours, a fait donnervalu un nom odieux à cette tristenaïve invention de nosancêtres. La , et la vision avait disparu. Il semblait que disparut. Pour ce jeune homme laplus brillante des étoiles du matin eût semblait avoir été soudain cachée par un nuagenoir.¶

Pendant tous ces petits événemensévénements, les lourds volets intérieurs quidéfendaient le léger vitrage de la boutique du Chat-qui-pelote, s’étaient avaient étéenlevés comme par magie. La vieille porte à heurtoir avait tourné sur ses gonds, s’étaitfutrepliée sur le mur intérieur de la maison, et par un vieux serviteur, presque vraisemblablement contemporain de l’enseigne, attachait, qui d’une main tremblante, àcette porte, un y attacha le morceau de drap carré sur lequel étaient brodés,était brodé ensoie jaune, l’enseigne et le nom classique de Guillaume, successeur de Chevrel.¶ Il eût

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été difficile à plus d’un passant de deviner le genre de commerce de M.monsieurGuillaume ; car à. A travers les gros barreaux de fer qui protégeaient extérieurement saboutique, on n’à peine y apercevait que -on des paquets enveloppés de toile brune aussinombreux qu’une cohorte de que des harengs qui traversequand ils traversent l’Océan.Cependant, malgré Malgré l’apparente simplicité, pour ne pas dire plus, de cette gothiquefaçade, M.monsieur Guillaume était, de tous les marchands drapiers de Paris, celui dontles magasins se trouvaient toujours les le mieux fournis, dont les relations avaient le plusd’étendue, et dont la probité commerciale, le plus d’exactitude. Lorsque ne souffrait pasle moindre soupçon. Si quelques-uns de ses confrères avaient concluconcluaient desmarchés urgens avec le gouvernement, sans avoir la quantité de drap voulue, il étaittoujours prêt à la leur livrer, dans les huit jours, le drap nécessaire à l’habillement de nosarmées, quelquelque considérable que fût le nombre d’aunes qu’ils eussent promis.depièces soumissionnées. Le rusé négociant avait connaissait mille manières de s’y prendrepour s’attribuer le plus fort bénéfice sans se trouver obligé, comme eux, de courir chezdes protecteurs, d’y faire des bassesses ou de riches présens. Si ces fournisseurs del’empireprésents. Si les confrères ne pouvaient le payer qu’en excellentes traites un peulongues, il indiquait son notaire comme un homme accommodant ; et il savait encoretirer une seconde mouture du sac, grâce à cet expédient, qui avait fait faisait direproverbialement aux négociansnégociants de la rue Saint-Denis : « – Dieu vous garde dunotaire de M.monsieur Guillaume ! » pour désigner un escompte onéreux.¶ Le vieuxnégociant se trouva debout comme par miracle, sur le seuil de sa boutique, au moment oùle domestique se retira. M.onsieur Guillaume regarda de tous côtés la rue Saint-Denis, lesboutiques voisines et le temps, comme un homme qui débarque au HâvreHavre et revoitla France après un long voyage. Bien convaincu que rien n’avait changé pendant sonsommeil, il aperçut alors le jeune artiste passant en faction qui, de son côté, regardait contemplait le patriarche de la draperie, comme M. de Humboldt dut contemplerexaminer le premier Kanguroosgymnote électrique qu’il rencontravit en Amérique.¶ M.Monsieur Guillaume portait de larges culottes de velours noir, des bas chinés, et dessouliers carrés et ornés de à boucles d’argent. Son habit à pans carrés, à basques carrées,à collet carré, environnaitenveloppait son corps légèrement voûté, d’un drap verdâtregarni de grands boutons de en métal blanc, mais rougis par un long l’ usage. Ses cheveuxgris, tout plats, étaient si exactement aplatis et peignés sur son crâne jaune, qu’ils lefaisaient ressembler à un champ sillonné. Ses petits yeux verts paraissaient avoir été ,percés comme avec une vrille, et flamboyaient sous deux arcs marqués d’une faiblerougeur à défaut de sourcils. Ses longues Les inquiétudes avaient inscrittracé sur sonfront des rides horizontales aussi nombreuses que les plis d’un fichu.de son habit. Cettefigure blême annonçait la patience, la sagesse commerciale, et l’espèce de cupidité ruséeque réclament les affaires.¶ A cette époque, on voyait moins rarement qu’aujourd’hui deces vieilles familles qui où se conservaient, comme de précieuses traditions, les mœurs,les costumes caractéristiques de leurs professions, et qui étaient restées au milieu de lacivilisation nouvelle semblables à comme ces débris antédiluviens retrouvés par M.Cuvier.¶ dans les carrières. Le chef de la famille Guillaume était un de ces notablesgardiens des anciens usages. On : on le surprenait à menacer un confrère du syndic, àregretter le prévôt des marchandsPrévôt des Marchands, et jamais il ne parlait d’unjugement du tribunal de commerce sans le nommer la sentence des consuls. C’était Levésans doute en vertu de ces coutumes, que, levé le premier de sa maison, il attendait là de

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pied ferme l’arrivée de ses trois commis, pour les gourmander en cas de retard.¶ Cesjeunes disciples de Mercure ne connaissaient rien de plus redoutable que l’activitésilencieuse avec laquelle le patron scrutait leurs visages et leurs mouvemensmouvements,le lundi matin, ou quand il soupçonnait qu’ils pouvaient avoir commis quelqueescapade.en y recherchant les preuves ou les traces de leurs escapades. Mais, en cemoment, le vieux drapier ne faisaitfit aucune attention à eux tantses apprentis, il étaitoccupé à chercher le motif de la sollicitude avec laquelle le jeune homme en bas de soieet en manteau portait alternativement les yeux sur son enseigne, sur lui, et sur lesprofondeurs de son magasin. Le jour, devenu plus éclatant, permettait d’d’y apercevoir lebureau grillégrillagé, entouré de rideaux en vieille soie verte, où se tenaient les livresimmenses, oracles muets de la maison. Le trop curieux étranger semblait convoiter cepetit local, ety prendre le plan d’une salle à manger latérale, éclairée par un vitragepratiqué dans le plafond, et d’où la famille réunie devait facilement voir, pendant sesrepas, les plus légers accidensaccidents qui pouvaient arriver sur le seuil de la boutique.Un si grand amour pour son logis paraissait suspect à un négociant qui avait subi lerégime de la terreur ; et M.du Maximum. Monsieur Guillaume pensait donc asseznaturellement que cette figure sinistre en voulait à la caisse du Chat-qui-pelote.¶ Le plusâgé des commis ayant joui assez Après avoir discrètement du combat de regardsjoui duduel muet qui avait lieu entre son patron et l’inconnu, se le plus âgé des commis hasardaà de se placer sur la dalle où était M.monsieur Guillaume ; puis, , en voyant que le jeunehomme contemplait contempler à la dérobée les croisées du troisième, il . Il fit deux pasdans la rue, leva la tête, et crut avoir aperçu mademoiselle Augustine Guillaume seretirerqui se retirait avec précipitation.¶ Le drapier, mécontent Mécontent de laperspicacité de son premier commis, le drapier lui lança un regard de travers ; mais tout-à- coup les craintes mutuelles que la présence de ce passant excitait dans l’âme dumarchand et de l’amoureux apprenticommis se calmèrent. Ils virent l’inconnu faire signeàL’inconnu hêla un fiacre matinal qui se rendait à une place voisine, et montery montarapidement le marche-pied de la voiture en affectant une trompeuse indifférencetrompeuse.. Ce départ mit un certain baume dans le cœur des deux autres commis, assezinquiets de retrouver la victime de leur aspersion.¶plaisanterie.¶

– Hé bien, messieurs, qu’avez-vous donc à rester là, les bras croisés ? ditM.monsieur Guillaume à ses trois néophytes ; mais . Mais autrefois, sarpejeu ! quandj’étais chez le sieur Chevrel, j’avais à cette heure-ci déjà visité déjà plus de deux piècesde drap.¶

– Il faisait donc clair jour de meilleure heure ?, dit le second commis que cettetâche concernait. .¶

Le vieux négociant ne put s’empêcher de sourire.¶ Quoique deux de ces troisjeunes gens, confiés à ses soins par leurs pères, riches manufacturiers de Louviers et deSedan, n’eussent qu’à demander cent mille écusfrancs pour les avoir , le jour où ilsseraient en âge de s’établir, M. Guillaume croyait de son devoir de les tenir sous la féruled’un antique despotisme, inconnu de nos jours dans les brillansbrillants magasinsmodernesmodernes dont les commis veulent être riches à trente ans : il les faisaittravailler comme des nègres, et à. A eux trois, ils ces commis suffisaient à une besognequi mettraitaurait mis sur les dents dix de ces employés, dont le sybaritisme enfleaujourd’hui les colonnes du budget.¶ Aucun bruit ne troublait la paix de cette maisonsolennelle, où les gonds, les serrures, semblaient toujours huilés, et dont le moindre

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meuble avait cette propreté respectable qui annonce un ordre et une économie sévères.Souvent, le plus espiègle des commis s’était amusé à écrire sur le fromage degruyèreGruyère qu’on leur abandonnait au déjeuner, et qu’ils se plaisaient à respecter, ladate de sa réception primitive. Cette malice et quelques autres semblables faisaientparfois sourire la plus jeune des deux filles de M. Guillaume, cette la jolie vierge quivenait d’apparaître au passant enchanté. Quoique le plus jeunechacun des apprentis payât, et même le plus ancien, payât une très-forte pension, aucun d’eux n’eût été assez hardipour rester à la table du patron, au moment où le dessert y était servi. Lorsque madameGuillaume parlait d’accommoder la salade, ces pauvres jeunes gens tremblaient ensongeant avec quelle parcimonie son inexorablesa prudente main savait y épancherl’huile. Il ne fallait pas qu’ils s’avisassent de passer une nuit dehors, sans avoir justifiédonné long-temps à l’avance le sujet de un motif plausible à cette irrégularité. Enfin,chaque Chaque dimanche, et à tour de rôle, deux commis accompagnaient la familleGuillaume à la messe de Saint-Leu et aux vêpres. Mesdemoiselles Virginie et Augustine,modestement vêtues d’indienne, donnaientprenaient chacune le bras à d’un commis, etmarchaient en avant, sous les yeux perçansperçants de leur mère, qui fermait ce petitcortége domestique avec son mari, accoutumé par elle à porter deux gros paroissiensreliés en maroquin noir.¶ Le second commis n’avait pasd’appointemens.d’appointements. Quant à celui que septdouze ans de persévérance et dediscrétion initiaient aux secrets de la maison, il recevait huit cents francs en récompensede ses labeurs. Mais àA certaines fêtes de famille, il était gratifié de quelques cadeauxauxquels la main sèche et ridée de madame Guillaume donnait seule du prix : c’était desbourses en filet qu’elle avait soin d’emplir de coton pour en faire valoir les leurs dessinsà jour, ou des bretelles fortement conditionnées, et ou des paires de bas de soie bienlourdes. Quelquefois, mais rarement, ce premier ministre était admis à partager lesplaisirs de la famille, soit quand elle allait à la campagne ;, soit quand, après des moisd’attente, elle se décidait à user de son droit à demander, en louant une loge, une pièceque tout à laquelle Paris ne voyaitpensait plus. Quant aux deuxtrois autres commis, labarrière de respect, qui séparait jadis un maître drapier de ses apprentis, était placée sifortement entre eux et le vieux négociant, qu’il leur eût été plus facile de voler une piècede drap que de faire plierdéranger cette auguste étiquette.¶ Cette réserve peut paraîtreridicule aujourd’hui ; mais aussi, ces vieilles maisons étaient des écoles de mœurs et deprobité ; les. Les maîtres adoptaient leurs apprentis ; le . Le linge d’un jeune homme étaitsoigné, réparé et , quelquefois renouvelé par la maîtresse de la maison ; si un . Uncommis tombait -il malade, il étaitdevenait l’objet de soins vraiment maternels ; et. Encas de danger, le patron prodiguait son argent pour appeler les plus célèbres docteurs, encas de danger ; bref, il ; car il ne répondait pas seulement des mœurs et du savoir de cesjeunes gens à leurs parens.parents. Si l’un d’eux tombait dans quelque infortune, onsavait apprécier un caractère, honorable et par le caractère, éprouvait quelque désastre,ces vieux négociants savaient apprécier l’intelligence qu’on avait développés, et cesvieux négocians qu’ils avaient développée, et n’hésitaient pas à confier le bonheur deleurs filles à celui auquel ils avaient, pendant si long-temps, confié leurs fortunes.¶ M.Guillaume était un de ces hommes antiques : , et s’il en avait les ridicules, il en avait lecœur ettoutes les qualités. Aussi M. ; aussi Joseph Lebas, son premier commis, orphelinet sans fortune, était-il, dans son idée, l’époux qu’il destinait à le futur époux de Virginie,sa fille aînée. Mais M. Joseph n’avait pas adopté ne partageait point les pensées

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symétriques de son patron, qui n’aurait pas, pour un empire, n’aurait pas marié saseconde fille avant la première ; et l’infortuné. L’infortuné commis se sentait le cœurentièrement pris pour mademoiselle Augustine la cadette.¶ Afin de justifier cettepassion, qui avait grandi secrètement, il est nécessaire de pénétrer plus avant dans lesressorts du gouvernement absolu qui régissait la maison du vieux marchand drapier.¶

M. Guillaume avait deux filles. L’aînée, mademoiselle Virginie, était tout leportrait de sa mère. Or, madameMadame Guillaume, fille du sieur Chevrel, se tenait sidroite sur la banquette de son comptoir, que plus d’une fois elle avait entendu desplaisansplaisants parier qu’elle y était empalée. Sa figure maigre et longueannonçaittrahissait une dévotion outrée. Sans grâces et sans manières aimables, madameGuillaume ornait habituellement sa tête presque sexagénaire d’un bonnet dont la formeétait invariable et qui avait des garni de barbes comme celui d’une veuve. Tout levoisinage l’appelait la sœur tourière. Sa parole était brève, et ses gestes les plus gracieuxavaient quelque chose des mouvemensmouvements saccadés d’un télégraphe ; et son.Son œil, clair comme celui d’un chat, semblait en vouloir à tout le monde de ce qu’elleétait laide. Mademoiselle Virginie, élevée comme sa jeune sœur sous les lois despotiquesde leur mère, avait atteint l’âge de vingt-huit ans. La jeunesse atténuait l’air disgracieuxque sa ressemblance avec sa mère donnait parfois à sa figure ; mais la rigueur maternellel’avait dotée de deux grandes qualités, qui pouvaient tout contre-balancer : elle étaitdouce et patiente.¶ Mademoiselle Augustine, à peine âgée de dix-huit ans, ne ressemblaitni à son père ni à sa mère ; elle. Elle était de ces personnes filles qui, par l’absence detout lien physique avec leurs parensparents, font croire à ce dicton de prude : Dieu donneles enfans.enfants. Augustine était petite, ou, pour la mieux la peindre, mignonne.Gracieuse et pleine de candeur, un homme du monde n’aurait pu reprocher à cettecharmante créature que des gestes mesquins ou certaines attitudes communes, et parfoisde la gêne. Sa figure silencieuse et immobile respirait cette mélancolie passagère quis’empare de toutes les jeunes filles trop faibles pour oser résister aux volontés d’unemère.¶ Toujours modestement vêtues, les deux sœurs ne pouvaient satisfaire lacoquetterie innée chez la femme, que par un luxe de propreté qui leur allait à merveille,et les mettait en harmonie avec ces comptoirs luisansluisants, avec ces rayons sur lesquelsle vieux domestique ne souffrait pas un grain de poussière, et avec la simplicité antiquede tout ce qui se voyait autour d’elles. Obligées, par leur genre de vie, à chercher desélémenséléments de bonheur en dans des travaux obstinés, Augustine et Virginien’avaient donné jusqu’alors que du contentement à leur mère, qui s’applaudissaitsecrètement de la perfection du caractère de ses deux filles.¶ Il est facile d’imaginer lesrésultats de l’éducation qu’elles avaient reçue. ElevéesÉlevées pour le commerce,habituées à n’entendre que des raisonnemensraisonnements et des calculs tristementmercantiles, n’ayant apprisétudié que la grammaire, la tenue des livres, un peu d’histoirejuive, l’histoire de France dans Le Ragois, et ne lisant que les auteurs dont la lecture leurétait permise par leur mère permettait l’entrée au logis, leurs idées n’avaient pas prisbeaucoup d’étendue. Elles : elles savaient parfaitement tenir un ménage ;, ellesconnaissaient le prix des choses ; et, appréciant, elles appréciaient les difficultés que l’onéprouve à amasser l’argent, elles étaient économes et avaient une sorte de portaient ungrand respect pour les aux qualités d’un du négociant. Malgré la fortune de leur père,elles étaient aussi habiles à faire des reprises, qu’à festonner. ; souvent leur mère parlaitde leur apprendre la cuisine afin qu’elles sussent bien ordonner un dîner, et pussent

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gronder une cuisinière en connaissance de cause. Ignorant les plaisirs du monde, etvoyant comment s’écoulait la vie exemplaire de leurs parensparents, elles ne portaientjetaient que bien rarement leurs regards au- delà de l’enceinte de cette vieille maisonpatrimoniale qui, pour leur mère, était tout l’univers.¶ Les réunions occasionnées par lessolennités de famille formaient tout l’avenir de leurs joies terrestres. Quand le grandsalon situé au second étage devait recevoir leur oncle le notairemadame Roguin, unedemoiselle Chevrel, de quinze ans moins âgée que sa cousine et qui portait des diamants ;le jeune Rabourdin, sous-chef aux Finances ; monsieur César Birotteau, riche parfumeur,et sa femme qui avait des diamans ; un cousin chef de division au ministère de la guerre ;les négocians les mieux famésappelée madame César ; monsieur Camusot, le plus richenégociant en soieries de la rue des Bourdonnais ;et son beau-père monsieur Cardot deuxou trois vieux banquiers, et quelques jeunes des femmes de mœurs irréprochables ; lesapprêts nécessités par la manière dont l’argenterie, les porcelaines de Saxe, les bougies,les cristaux, les bougies, étaient serrés,empaquetés faisaient une diversion à la taciturnitéde la vie ordinairemonotone de ces trois femmes. Alors elles qui allaient et venaient, sedonnaienten se donnant autant de mouvement que des religieuses qui reçoivent un pour laréception de leur évêque ; et. Puis quand , le soir, fatiguées toutes trois d’avoir essuyé,frotté, déballé, et mis en place tous les ornemensles ornements de la fête, les deux jeunesfil les aidaient leur mère à se coucher, madame Guillaume leur disait : – Nous n’avonsrien fait aujourd’hui, mes enfans !...¶ enfants ! Lorsque, dans ces assemblées solennelles,madame Guillaumela sœur tourière permettait de danser en confinant les parties deboston, de wisthwisht et de trictrac, dans sa chambre à coucher, c’était de ces cetteconcession était comptée parmi les félicités qui ne pouvaient être surpassées que par leles plus inespérées, et causait un bonheur égal à celui d’aller à deux ou trois grands balsoù monsieur Guillaume menait ses filles à l’époque du carnaval.¶ Enfin, une fois par an,l’honnête drapier donnait une fête pour laquelle il n’épargnait rien n’était épargné.Telles. Quelque riches et élégantes que fussent les personnes invitées, elles se gardaientbien d’y manquer, ; car les maisons les plus considérables de la place avaient recours àl’immense crédit, à la fortune ou à la vieille expérience de monsieur Guillaume.¶ Maisles deux filles de ce digne négociant ne profitaient pas autant qu’on pourrait le supposerdes renseignemensenseignements que le monde offre à de jeunes âmes. Elles apportaientdans ces réunions, qui semblaient inscrites d’ailleurs sur le carnet d’échéanced’échéancesde la maison, des parures dont la mesquinerie les faisait rougir. Leur manière de dansern’avait rien de remarquable, et la surveillance maternelle ne leur permettait pas desoutenir la conversation autrement que par : oui et non,par Oui et Non avec leurscavaliers. Puis la loi de la vieille enseigne du Chat-qui-pelote leur ordonnait d’êtrerentrées à onze heures, moment où les bals et les fêtes commencent à s’animer.¶ Ainsileurs plaisirs, en apparence assez conformes à la fortune de leur père, devenaient souventinsipides par des circonstances qui tenaient aux habitudes et aux principes de cettefamille ; mais, quant. Quant à leur vie habituelle, une seule observation achèvera de lapeindre : madame. Madame Guillaume exigeait que ses deux filles fussent habillées etdescenduesde grand matin, qu’elles descendissent tous les jours à la même heure, etsoumettait leurs occupations étaient soumises à une régularité monastique.¶ CependantAugustine avait reçu du hasard une âme assez élevée pour sentir le vide de cetteexistence. Parfois ses yeux bleus se relevaient comme pour interroger les profondeurs decet escalier sombre et de ces magasins humides ; puis, après . Après avoir sondé ce

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silence de cloître, elle semblait écouter de loin d’indistinctesde confuses révélations decette vie passionnée qui met les sentimenssentiments à un plus haut prix que les choses.AlorsEn ces moments son visage se colorait, ses mains inactives laissaient tomber lablanche mousseline sur le chêne poli du comptoir, et bientôt sa mère lui disait d’une voixqui restait toujours aigre même dans les tons les plus doux : – Augustine, ! à quoi pensez-vous donc, mon bijou ?...¶ Peut-être Hippolyte Comtecomte de Douglas et le Comte deComminges, deux romans trouvés par Augustine dans l’armoire d’une cuisinière quemadame Guillaume avait récemment renvoyée par madame Guillaume, contribuèrent-ilsà développer les idées de cette jeune fille. Elle qui les avait furtivement dévorés pendantune longue nuitles longues nuits de l’hiver précédent. Les expressions vagues de désirvague, la voix douce, la peau de jasmin et les yeux bleus d’Augustine, avaient doncallumé dans l’âme du pauvre orphelinLebas un amour aussi violent que respectueux.¶ Par un caprice facile à comprendre, Augustine ne se sentait aucun goût pour M. JosephLebas,l’orphelin : peut-être était-ce parce qu’elle ne se savait pas en être aimée ; mais, enaimée par lui. En revanche, les longues jambes, les cheveux châtains, les grosses mains etl’encolure vigoureuse du premier commis avaient trouvé une secrète admiratrice dansmademoiselle Virginie, qui, malgrémalgré ses cinquante mille écus de dot, n’étaitdemandée en mariage par personne.¶ Rien n’était de plus naturel que ces deux passionsinverses nées au sein du dans le silence de ces comptoirs obscurs comme fleurissent desviolettes dans la profondeur d’un bois. La muette et constante contemplation, quiréunissait les yeux de ces jeunes gens par un besoin violent de distraction au milieu detravaux obstinés et d’une paix religieuse, devait tôt ou tard exciter dessentimenssentiments d’amour. L’habitude de voir une figure fait qu’on y découvrey faitdécouvrir insensiblement les qualités de l’âme, et qu’on finit par en oubliereffacer lesdéfauts.¶

– Au train dont y va cet homme-là y va, nos filles ne tarderont pas à se mettre àgenoux devant un prétendu ! se dit M.monsieur Guillaume en lisant, un matin, le premierdécret par lequel Napoléon anticipa sur les classes de conscrits. Alors le vieuxmarchand.¶

Dès ce jour, désespéré de voir sa fille aînée se faner, et se souvenantle vieuxmarchand se souvint d’avoir épousé mademoiselle Chevrel à peu près dans la situation oùse trouvaient Joseph Lebas et Virginie, calcula que, tout en mariant. Quelle belle affaireque de marier sa fille, il acquitterait et d’acquitter une dette sacrée, en rendant à unorphelin le bienfait qu’il avait reçu jadis.¶ M. Joseph avait de son prédécesseur dans lesmêmes circonstances ! Agé de trente-trois ans. Il pensa qu’il y avait déjà , Joseph Lebaspensait aux obstacles que quinze ans de différence mettaient entre l’âge d’Augustine et lesien, et troplui. Trop perspicace d’ailleurs pour ne pas deviner les desseins deM.monsieur Guillaume, il en connaissait assez les principes inexorables pour savoir quejamais la cadette ne se marierait avant l’aînée. Alors le Le pauvre commis ayant un cœur,dont le cœur était aussi excellent que ses jambes étaient longues et son buste épais,souffrait donc en silence.¶

Tel était l’état des choses dans cette petite république, qui, au milieu de la rueSaint-Denis, ressemblait assez à une succursale de la Trappe. Mais pour rendre uncompte exact des événemensévénements extérieurs comme des sentimenssentiments, ilest nécessaire de remonter à quelques mois avant la scène par laquelle commence cettehistoire.¶ Or, à A la nuit tombante, un jeune homme passant devant l’obscure boutique

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du Chat-qui-pelote, y était resté un moment en contemplation à l’aspect d’une scène d’untableau qui aurait arrêté tous les peintres du monde. Le magasin, n’étant pas encoreéclairé, formait un plan entièrement noir, au fond duquel se voyait la salle à manger dumarchand. Sur la table ronde une Une lampe astrale y répandait ce jour douxjaune quidonne tant de grâce aux tableaux de l’école hollandaise. Le linge éblouissant deblancheurblanc, l’argenterie, les cristaux, formaient de brillansbrillants accessoires quis’embellissaient encore par de puissantesqu’embellissaient encore de vives oppositionsd’ombre et de entre l’ombre et la lumière. La figure du père de famille et celle de safemme, les visages des commis et l’image céleste de la jeune les formes puresd’Augustine, à deux pas de laquelle se voyaittenait une grosse fille joufflue, composaientun groupe si curieux, ; ces têtes étaient si originales, et chaque caractère avait uneexpression si franche et si forte,franche ; on devinait si bien la paix, le silence et lamodeste vie de cette famille, que, pour un artiste accoutumé à exprimer la nature et à lasentir, il y avait quelque chose de désespérant à vouloir rendre un jour cette scènefortuite.¶ Le Ce passant était un jeune peintre, qui, sept ans auparavant, avait remporté legrand prix. de peinture. Il revenait de Rome. Son âme nourrie de poésie, ses yeuxrassasiés de Raphaël et de Michel-Ange, avaient soif de la nature et de la véritévraie,après une longue habitation du pays pompeux où tout est grand ; du moins l’art a jetépartout son grandiose. Faux ou juste, tel était son sentiment personnel. Abandonné àtoute long-temps à la fougue des passions italiennes, son cœur demandait une de cesvierges modestes et recueillies que, malheureusement pour lui, il n’avait su trouver qu’enpeinture à Rome.¶ De l’enthousiasme, imprimé à son âme exaltée par le tableau naturelqu’il contemplait, il passa naturellement à une profonde admiration pour la figureprincipale. : Augustine paraissait pensive et ne mangeait pas ; elle paraissait pensive ;et,point ; par une disposition de la lampe dont la lumière tombait entièrement sur sonvisage, elleson buste semblait se mouvoir dans un cercle de feu qui détachait plusvivement les contours de sa tête et l’illuminait d’une manière presquequasi surnaturelle.L’artiste vit en elle la compara involontairement à un ange exilé. qui se souvient du ciel.Une sensation presque inconnue, un amour frais et délicieuxlimpide et bouillonnantinonda son cœur. Après être resté demeuré pendant un moment comme écrasé sous lepoids de ses idées, il s’arracha à son bonheur, rentra chez lui, ne mangea pas, ne dormitpas ; et, lepoint. Le lendemain, il entra dans son atelier, pour n’en sortir qu’après avoirdéposé sur la une toile la magie de cette scène dont le souvenir l’avait en quelque sortefanatisé.¶ Mais sa Sa félicité ne fut pas complette,fut incomplète tant qu’il ne posséda pasun fidèle portrait fidèle de son idole. Il passa plusieurs fois devant la maison du Chat-qui-pelote ; il osa même y entrer une ou deux fois sous le masque d’un déguisement, afin devoir de plus près la ravissante créature que madame Guillaume couvrait de son aile ; et,pendant . Pendant huit mois entiers, adonné à son amour et, à ses pinceaux, il restainvisible pour ses amis les plus intimes, oubliant le monde, la poésie, le théâtre, lamusique et tout ce qui lui était cher.¶ , et ses plus chères habitudes. Un matin, Girodet,forçant força toutes ces consignes que les artistes connaissent et savent éluder, parvint àlui et le réveilla par cette interrogationdemande : – Que mettras-tu au Salon ?¶ L’artistesaisit la main de son ami, l’entraîne à son atelier, découvre un petit tableau de chevalet etun portrait. Après une lente et avide contemplation des deux chefs-d’œuvre, Girodetsaute au cou de son camarade et l’embrasse, car il ne trouva pointsans trouver de paroles

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pour l’éloge. Ce qu’il éprouva ne pouvait . Ses émotions ne pouvaient se rendre quecomme il le sentitles sentait, d’âme à âme.¶

– Tu es amoureux ? dit Girodet.¶Ils Tous deux savaient l’un et l’autre que les plus beaux portraits de Titien, de

Raphaël et de Léonard de Vinci, n’étaient dûs qu’au sentiment de l’amour ; et alors sontdus à des sentiments exaltés, qui, sous diverses conditions, engendrent d’ailleurs tous leschefs-d’œuvre. Pour toute réponse, le jeune artiste inclina la tête.¶

– Es-tu heureux de pouvoir être amoureux ici, en revenant d’Italie ; mais je ! Jene te conseille pas de mettre celade telles œuvres au Salon, ajouta le grand peintre ; vois.Vois-tu, ces deux tableaux-là ne n’y seraient pas sentis. Ces couleurs vraies, ce travailprodigieux, ne peuvent pas encore être appréciés. Le , le public n’est plus accoutumé àtant de profondeur. Les tableaux que nous peignons, mon bon ami, ne sont que desécrans, des paravens.paravents. Tiens, faisons plutôt des vers, et traduisons Anacréon ? Jet’assure qu’les Anciens ! il y a plus de gloire à en attendre , que de celanos malheureusestoiles.¶

Malgré cet avis charitable, les deux tableauxtoiles furent exposés.¶ exposées. Lascène d’intérieur fit une révolution dans la peinture. Elle donna naissance à ces tableauxde genre dont il s’importe une si grandela prodigieuse quantité importée à toutes nosexpositions, qu’on pourrait faire croire qu’ils s’obtiennent par des procédés purementmécaniques. Quant au portrait, il y aest peu d’artistes qui ne gardent le souvenir de cettetoile vivante, à laquelle tout un le public, toujoursquelquefois juste en masse, laissa lacouronne que Girodet y plaça lui-même. Les deux tableaux furent entourés d’une fouleimmense : on . On s’y tua, comme disent les dames.femmes. Des spéculateurs, de desgrands seigneurs couvrirent ces deux toiles de doubles napoléons ; mais , l’artiste refusaobstinément de les vendre ; il , et refusa même d’en faire des copies. On lui offrit unesomme énorme pour les laisser graver :, les marchands ne furent pas plus heureux que lesgens de cour.¶ Cette ne l’avaient été les amateurs. Quoique cette aventure fît du bruitdansoccupât le monde ; mais, elle n’était pas de nature à parvenir au fond de la petiteThébaïde de la rue Saint-Denis. Cependant la femme du notaire, ; néanmoins, en venantfaire une visite à madame Guillaume, la femme du notaire parla à de l’exposition devantAugustine, qu’elle aimait beaucoup, de l’exposition, et lui en expliqua l’origine et le but.Le babil de madame VernierRoguin inspira naturellement à Augustine le désir de voir lestableaux, et la hardiesse de demander secrètement à sa tante d’allercousine del’accompagner au Louvre avec elle.. La tantecousine réussit assez bien dans lanégociation qu’elle entama auprès de madame Guillaume ; car elle obtint , pour obtenirla permission d’arracher sa nièce,petite cousine à ses tristes travaux pendant environ deuxheures, à ses tristes travaux.¶ . La jeune fille pénétra donc, à travers la foule, jusqu’autableau couronné. Un frisson la fit trembler comme une feuille de bouleau, quand elle sereconnut. Elle eut peur et regarda autour d’elle pour rejoindre sa tante, dont madameRoguin, de qui elle avait été séparée par un flot de monde l’avait séparée. Alors, . En cemoment ses yeux effrayés rencontrèrent la figure enflammée du jeune peintre. Elle serappela tout à coup la physionomie d’un promeneur que, curieuse, elle avait souventremarqué, en croyant que c’était un nouveau voisin.¶

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1 orig. : toute

. – Vous voyez ce que l’amour m’a fait faire !...inspiré, dit l’artiste à l’oreille dela timide créature, qui resta tout1 épouvantée de ces paroles.¶

Elle trouva un courage surnaturel pour fendre la presse, et pour rejoindre satantecousine encore occupée à percer la masse de du monde qui l’empêchait d’arriverjusqu’au tableau.¶

– Vous seriez étouffée !..., s’écria Augustine. Partons, ma tante.¶, partons !¶Mais il y ase rencontre, au Salon, certains momensmoments pendant lesquels

deux femmes ne sont pas toujours libres de diriger leurs pas dans les galeries du Louvre..Mademoiselle Guillaume et sa tantecousine furent placéespoussées à quelques pas dusecond tableau, par suite des mouvemensmouvements irréguliers que la foule leurimprima. Cette fois, madame Vernier et Augustine eurentLe hasard voulut qu’elleseussent la facilité d’approcher ensemble de la toile illustrée par la mode, d’accord cettefois avec le talent. La tante fit une L’ exclamation de surprise perdueque jeta la femme dunotaire se perdit dans le brouhaha et les bourdonnemensbourdonnements de la foule ;maisquant à Augustine , elle pleura involontairement à l’aspect de cette merveilleusescène. Puis,, et par un sentiment presqu’presque inexplicable, elle mit un doigt sur seslèvres, en apercevant à deux pas d’elle la figure extatique du jeune artiste.¶ Il L’inconnurépondit par un signe de tête et désigna du doigt madame VernierRoguin, comme untrouble -fête, pour afin de montrer à la jeune fille Augustine qu’elle était comprise. Cettepantomime jeta comme un brasier dans le corps de la pauvre fille. Elle se crut en quelquesort qui se trouva criminelle ; car elle se figura, en se figurant qu’il venait de se conclureun pacte entre elle et l’inconnu.¶ l’artiste. Une chaleur étouffante, le continuel aspect desplus brillantes toilettes, et l’étourdissement que devait produire produisaient surAugustine la variété de des couleurs vives, la multitude des figures vivantes et ou peintes,la profusion des cadres d’or, lui firent éprouver une espèce d’enivrement qui redoubla sescraintes. Elle se serait peut-être évanouie, si, malgré ce chaos de sensations, il ne s’étaitélevé au fond de son cœur une jouissance inconnue et que la rapidité dequi vivifia toutson invasion rendait presque cruelle.¶ Alorsêtre. Néanmoins, elle se crut sous l’empire dece démon dont la voix tonnante des prédicateursles terribles piéges lui avait annoncé de siterribles effets.étaient prédits par la tonnante parole des prédicateurs. Ce moment fut pourelle comme un moment de folie.¶ Elle se vit accompagnée jusqu’à la voiture de satantecousine par ce jeune homme resplendissant de bonheur et d’amour. Alors Augustineen En proie à une irritation toute tout nouvelle, à une ivresse qui la livrait en quelquesorte à la nature, Augustine écouta la voix éloquente de son cœur. Elle , et regardaplusieurs fois le jeune peintre en laissant paraître le trouble dont elle était saisie.qui lasaisissait. Jamais l’incarnat de ses joues n’avait été plus brillant, et n’avait formé de plusvigoureux contrastecontrastes avec la blancheur de sa peau. C’était la L’artiste aperçutalors cette beauté dans toute sa fleur, la cette pudeur dans toute sa gloire. Elle pensaavecAugustine éprouva une sorte de joie, mêlée de terreur, en pensant que sa présencecausait la félicité de celui dont le nom était sur toutes les lèvres, dont le talent donnaitl’immortalité humaine à de passagères images !. Elle en était aimée !..... Il il lui étaitimpossible d’en douter.¶ Quand elle ne vit plus l’artiste, elle entendit encore retentirdans son cœur ces paroles simples : – « voussimples retentissaient encore dans son cœur :

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– « Vous voyez ce que l’amour m’a fait faire. » Alorsinspiré. » Et les palpitationsdevenues plus profondes de son cœur lui semblèrent une douleur, car elle sentait tant sonsang plus riche aller réveiller la vie dans toutes les régions de son faible corps.¶ ardentréveilla dans son être de puissances inconnues. Elle allégua feignit d’avoir un grand malde tête pour éviter de répondre aux questions de sa tantecousine relativement auxtableaux ; mais, au retour, madame VernierRoguin ne put s’empêcher de parler àmadame Guillaume de la célébrité obtenue par le Chat-qui-pelote, et Augustine tremblade tous ses membres en entendant dire à sa mère qu’elle irait au salonSalon pour y voirsa maison. La jeune fille insista de nouveau sur sa souffrance pour avoir, et obtint lapermission d’aller se coucher.¶

– Voilà ce qu’on gagne à tous ces spectacles !....., s’écria M.monsieur Guillaume.Des , des maux de tête !.... C’est. Est-ce donc bien amusant de voir en peinture ce qu’onrencontre tous les jours dans les rues.notre rue ? Ne me parlez pas de ces artistes ?...c’estartistes qui sont, comme vos auteurs, tous Meuredes meure-de-faim !..... Que diableont-ils besoin de prendre ma maison pour la vilipender dans leurs tableaux !...¶?¶

– Cela pourra nous faire vendre quelques aunes de drap ?drap de plus, dit JosephLebas.¶

Cette observation n’empêcha pas que les arts et la pensée ne fussent condamnésencore une fois au tribunal de ces hommes intéressés ; et, commedu Négoce. Comme ondoit bien le penser, ces discours ne donnèrent pas grand espoir à Augustine.¶ Elle eut quipendant la nuit toute entière pour se livrerlivra à la première méditation de l’amour. Lesévénemensévénements de cette journée furent comme un songe qu’elle se plut àreproduire plus d’une fois. Seule, elle dans sa pensée Elle s’initia aux craintes, auxespérances, aux remords, à toutes ces ondulations de sentiment qui devaient bercer uncœur simple et timide comme le sien. Quel vide elle reconnut dans cette noire maison, etquel trésor elle trouva dans son âme ! EtreÊtre la femme d’un homme de talent, partagersa gloire ! Quels ravages cette idée ne devait-elle pas faire au cœur d’une jeunefilleenfant élevée au sein de cette famille simple ?famille ? Quelle espérance ne devait-elle pas éveiller chez une jeune fillepersonne qui, nourrie jusqu’alors de principesvulgaires, avait désiré une vie élégante. C’était un ? Un rayon de soleil était tombé dansune cette prison souterraine.¶ . Augustine aima tout- à- coup. En elle tant desentimenssentiments étaient flattés à la fois, qu’elle devait succomber ! Elle ne calculasuccomba sans rien. calculer. A dix-huit ans, l’amour ne jette-t-il pas son prisme entre lemonde et les yeux d’une jeune fille ? Elle se crut Incapable de soutenirdeviner les rudeschocs qui résultent de l’alliance d’une femme aimante et simple avec un homme puissantd’imagination ;, elle pensa crut être appelée à faire le bonheur de celui-ci, ou plutôt ellene pensa à rien, n’apercevant aucunes disparatessans apercevoir aucune disparate entreelle et lui ; car, pour. Pour elle, le présent était fut tout l’avenir.¶

Quand le lendemain son père et sa mère revinrent du Salon, leurs figuresattristées annonçaientannoncèrent quelque désappointement. D’abord, les deux tableauxavaient été retirés par le peintre capricieux ; puis, madame Guillaume avait perdu sonschall de dentelle noire.châle de cachemire. Apprendre que les tableaux venaient dedisparaître après sa visite au Salon, fut pour Augustine la révélation d’une délicatesse desentiment que les femmes savent toujours apprécier , même instinctivement.¶

Le matin, où, rentrant d’un bal, HenriThéodore de Sommervieux (c’, tel était lenom que la renommée avait apporté à Augustine)dans le cœur d’Augustine, fut aspergé

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par les commis du Chat-qui-pelote, pendant qu’il attendait l’apparition de sa naïve amie,laquellequi ne le savait certes pas là, les deux amansamants se voyaient pour la quatrièmefois seulement, depuis la scène du Salon.¶ Les obstacles que le régime de la maisonGuillaume devait opposeropposait au caractère fougueux de l’artiste, donnaient à sapassion pour Augustine une violence difficile à décrire.facile à concevoir. Commentaborder une jeune fille, assise dans un comptoir entre deux femmes telles quemademoiselle Virginie et madame Guillaume ? Comment, comment correspondre avecelle, quand sa mère ne la quitte pas des yeux ?¶ quittait jamais ? Habile, comme tous lesamants, à se forger des malheurs, comme tous les amans, HenriThéodore se créait unrival dans l’un des commis, et mettait les autres dans les intérêts de celui-ci.son rival. S’iléchappait à tant d’argusd’Argus, il se voyait échouant sous les yeux sévères du vieuxnégociant ou de madame Guillaume. Partout des barrières, partout le désespoir. ! Laviolence même de sa passion empêchait le jeune peintre de trouver cesexpédiensexpédients ingénieux qui, chez les prisonniers etcomme chez les amansamants,semblent être le dernier effort de la raison humaine échauffée par un sauvage besoin deliberté ou par le feu plus actif de l’amour. Alors Henri de SommervieuxThéodoretournait alors dans le quartier avec l’activité d’un fou, comme si le mouvement pouvaitlui suggérer des ruses.¶ Après s’être bien tourmenté l’imagination, il inventa de gagner àprix d’or la servante joufflue. Quelques lettres se succédèrentfurent donc échangées deloin en loin pendant la quinzaine qui suivit la malencontreuse matinée où M.monsieurGuillaume et HenriThéodore s’étaient si bien examinés. En ce moment, les deux jeunesgens étaient convenus de se voir à une certaine heure du soir jour et le dimanche, à Saint-Leu, pendant la grand’messe. De plus,messe et les vêpres. Augustine avait envoyé à soncher HenriThéodore la liste de tous les parens et de tous les des parents et des amis de lafamille, chez lesquels le jeune peintre tâcha d’avoir accès, afin d’intéresser, s’il étaitpossible, à ses joyeuses peines, amoureuses pensées, s’il était possible, une de ces âmesoccupées d’argent, de commerce, et auxquelles une passion véritable devait sembler laspéculation la plus monstrueuse et la plus, une spéculation inouïe du monde.¶ Au reste.D’ailleurs, rien ne changea dans les habitudes du magasin de draps ; et, siChat-qui-pelote. Si Augustine fut distraite, si elle monta à sa chambre , contre toute espèced’obéissance aux lois de la charte domestique, elle monta à sa chambre pour y aller,grâce à un pot de fleurs, établir des signaux ; si elle soupira, si elle pensa enfin, personne,pas même sa mère, ne s’en aperçut.¶ Cette circonstance causera sans doute quelquesurprise à ceux qui auront réussi à comprendrecompris l’esprit de cette maison, où unepensée entachée de poésie qui, par hasard, animait un visage, devait produire un contrasteavec toutes les expressions, les êtres et les choses. Ce fait était d’autant plusextraordinaire qu’Augustine, où personne ne pouvait se permettre ni un geste, ni unregard qui ne fussent vus et analysés par madame Guillaume ou par Joseph Lebas..Cependant rien n’était de plus naturel. Le : le vaisseau si tranquille qui naviguait sur lamer orageuse de la place de Paris, sous le pavillon du Chat-qui-pelote, était la proied’une de ces tempêtes qu’on pourrait nommer équinoxiales par suiteà cause de leur retourpériodique.¶ Depuis quinze jours, les quatrecinq hommes de l’équipage, madameGuillaume et mademoiselle Virginie, étaient occupés s’adonnaient à ce travail excessifdésigné sous le nom d’inventaire. Alors onOn remuait tous les ballots et l’on vérifiaitl’aunage des pièces pour s’assurer de la valeur exacte du coupon restant ; on. Onexaminait soigneusement la carte appendue au paquet pour reconnaître en quel temps les

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draps avaient été achetés ; l’on en. On fixait le prix actuel. M. GuillaumetoujoursToujours debout, son aune à la main, la plume derrière l’oreille, monsieurGuillaume ressemblait assez à un capitaine commandant la manœuvre. Sa voix aiguë,passant par un judas, pour interroger la profondeur des écoutilles du magasin d’en bas,faisait entendre ces barbares locutions barbares du commerce qui ne s’exprime que parénigmes.¶ : – Combien d’H-N-Z ?¶ – Enlevé.¶ – Que reste-t-il de Q-X ?¶ – Deuxaunes.¶ – Quel prix ?¶ – Cinq-cinq-trois.¶ – Portez à trois A, tout, J-J ;, tout, M-P ;, etle reste de V-D-O. Mille autres phrases tout aussi intelligibles ronflaient à travers lescomptoirs comme des vers de la poésie moderne que des fanatiquesromantiques seseraient cités pour entretenir l’enthousiasme d’un grand homme.¶ afin d’entretenir leurenthousiasme pour un de leurs poètes. Le soir, M. Guillaume, enfermé avec son commiset sa femme, soldait les comptes, portait à nouveau, écrivait aux retardataires, et dressaitdes factures. Tous trois préparaient ce travail immense dont le résultat tenait sur un carréde papier tellière, et prouvait à la maison Guillaume, qu’il existait tant en argent, tant enmarchandises, tant en traites, et billets, etc. ; qu’elle ne devait pas un sou et, qu’il luiétait dû cent ou deux cent mille francs ; que le capital avait augmenté ; que les fermes, lesmaisons, les rentes allaient être ou arrondies, ou réparées, ou doublées ; et qu’enconséquence, c’était un devoir. De là résultait la nécessité de recommencer, avec plusd’ardeur que jamais, à ramasser de nouveaux écus, sans qu’il vînt à la en tête de à cescourageuses fourmis de se demander : – « A quoi bon ? »¶ C’était à A la faveur de cetumulte annuel que, l’heureuse Augustine échappait à l’investigation de ses argus.¶Argus. Enfin, un samedi soir, la clôture de l’inventaire eut lieu. Les chiffres du total actifoffraientoffrirent assez de zéros pour qu’en cette circonstance, M. Guillaume levât laconsigne sévère qui régnait toute l’année au dessert. Le sournois drapier se frotta lesmains, et permit à ses commis de rester à sa table ; mais à. A peine chacun des hommesde l’équipage achevait-il son petit verre d’une liqueur de ménage, que l’on entendit leroulement d’une voiture. La famille alla voir Cendrillon aux Variétés, tandis que les deuxderniers commis reçurent chacun un écu de six francs avecet la facultépermission d’alleroù bon leur semblerait, pourvu qu’ils fussent rentrés à minuit.¶

Malgré cette débauche, le dimanche matin, le vieux marchand drapier, qui avaitfait fit sa barbe dès six heures, endossa un son habit marron de drap fin dont il examinaittoujours le teint et la laine avec un certain dont les superbes reflets lui causaient toujoursle même contentement, il attacha des boucles d’or aux jarretières d’une oreilles de sonample culotte de soie très-ample et aux oreilles de ses souliers ; puis à , vers sept heures,au moment où tout dormait encore dans la maison, il se dirigea vers le petit cabinetpratiqué au bout de attenant à son magasin du premier étage. Le jour y venait d’unecroisée armée de gros barreaux de fer, et donnantqui donnait sur une petite cour carréeformée de murs si noirs qu’elle ressemblait assez à un puits.¶ Le vieux négociant ouvritlui-même ces volets garnis de tôle qu’il connaissait si bien. Il , et releva une moitié duvitrage, en le faisant glisser dans sa coulisse. L’air glacé de la cour vint rafraîchir lachaude atmosphère de ce cabinet, qui exhalait cette l’ odeur particulière aux bureaux. Lemarchand resta debout, et posa la main posée sur le bras crasseux d’un fauteuil de canne,doublé de maroquin, dont la couleur primitive était effacée. Il , il semblait hésiter à s’yasseoir. Il regarda d’un air attendri le bureau à double pupitre, où la place de sa femme setrouvait ménagée du , dans le côté opposé à la sienne, par une petite arcade pratiquéedans le mur. Il contempla les cartons numérotés, les ficelles, les ustensiles, le carreaules

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fers à marquer le drap, la caisse, objets dont l’origine étaitd’une origine immémoriale !..,et il crut se revoir devant l’ombre évoquée du sieur Chevrel. Il avança le même tabouretsur lequel il s’était jadis assis en présence de son défunt patron. Ce tabouret, garni de cuirnoir, et dont le crin s’échappait toujoursdepuis long-temps par les coins mais sans seperdre, il le plaça d’une main tremblante au même endroit où son prédécesseur l’avaitmis ; puis, dans une agitation difficile à décrire, il tira la sonnette qui correspondait auchevet du lit de Joseph Lebas.¶ Quand ce coup décisif eut été frappé, le vieillard, pourqui ces souvenirs étaientfurent sans doute trop lourds, prit trois ou quatre lettres dechange qui lui avaient été présentées à escompter, et il les regardait sans les voir, quandJoseph Lebas se montra tout à coup.¶soudain.¶

– Asseyez-vous là, lui dit M. Guillaume, en lui désignant le tabouret.¶Or,Comme jamais le vieux maître -drapier n’avait fait asseoir son commis devant

lui., Joseph Lebas en tressaillit.¶– Que pensez-vous de ces traites ?, demanda M. Guillaume.¶– Elles ne seront pas payées.¶– Comment ?¶– Mais j’ai su qu’avant-hier Leroux et Cie Etienne et compagnie ont fait tous leurs

paiemenspaiements en or.¶– Oh ! oh !... s’écria le drapier, il faut être bien malade pour laisser voir sa bile !

– Mais parlons. Parlons d’autre chose. – Joseph, l’inventaire est fini ?¶.¶– Oui, Monsieurmonsieur, et le dividende est un des plus beaux que vous ayez

eus.¶– Ne vous servez donc pas de ces nouveaux mots !. Dites le produit, Joseph.

Savez-vous, mon garçon, que c’est un peu à vous que nous devons ces résultats... Aussi,je ! aussi, ne veux -je plus que vous ayez d’appointemens.d’appointements. MadameGuillaume m’a donné l’idée de vous offrir un intérêt... Hein, Joseph ! CelaGuillaume etLebas, ces mots ne ferait-ilferaient-ils pas une belle raison sociale, que Guillaume, Lebaset Cie, car on ? On pourrait mettre et compagnie, pour arrondir la signature.¶

Les larmes vinrent aux yeux de Joseph Lebas qui fit tous ses efforts pours’efforça de les cacher, en s’écriant :¶ . – Ah !, monsieur Guillaume !... Commentcomment ai-je pu mériter tant de bontés, je ? Je n’ai fait que mon devoir. Je suis pauvre,et c’étaitC’était déjà tant que de. vous intéresser à un pauvre orph....¶

Il brossait le parement de sa manche gauche avec la manche droite, et il n’osaitregarder le vieillard qui souriait, en pensant que ce modeste jeune homme avait sansdoute besoin, comme lui autrefois, d’être encouragé pour rendre l’explication pluscomplète.¶

– Cependant, reprit le père de Virginie, vous ne méritez pas beaucoup cettefaveur, Joseph ! car vous Vous ne mettez pas en moi autant de confiance que j’en mets envous ?...¶ . (Le commis releva brusquement la tête.¶ .) – Vous avez les secretsle secret dela caisse ; depuis. Depuis deux ans je vous ai dit presque toutes mes affaires ; je . Je vousai fait voyager en fabrique ; enfin. Enfin, pour vous, je n’ai rien sur le cœur !... mais .Mais vous ?..?... vous avez une inclination, et vous ne m’en avez pas touché un seulmot !...¶ . (Joseph Lebas rougit.¶ .) – Ah, ! ah ! s’écria monsieur Guillaume, vouspensiez donc tromper un vieux renard comme moi !...? Moi ! à qui vous avez vu devinerla faillite Lecoq et m’en tirer !...¶

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2 orig. : verds

– Comment, monsieur ? répondit Joseph Lebas en examinant son patron avecautant d’attention que son patron l’examinait ;, comment, vous sauriez qui j’aime ?...¶?¶

– Je sais tout, vaurien !...., lui dit le respectable et rusé marchand en luiprenanttordant le bout de l’oreille. Et je te pardonne, – car j’ai fait de même !¶.¶

– Et vous me l’accorderiez ?...¶?¶– Oui, et avec cinquante mille écus !... Je , et je t’en laisserai autant, et nous

marcherons sur de nouveaux frais avec une nouvelle raison sociale !. Nous brasseronsencore des affaires, garçon !..., s’écria le vieux marchand en s’exaltant, se levant etagitant ses bras ; car vois. Vois-tu, mon gendre, il n’y a que le commerce !... Ce sont lesimbécilles Ceux qui se demandent quels plaisirs on y trouve.¶ Oh ! être sont desimbéciles. Être à la piste des affaires ; – , savoir comment vagouverner sur la place ; – ,attendre avec anxiété, comme au jeu, si les Etienne et compagnie font faillite ; – , voirpasser un régiment de la garde impériale quand on l’a habillé ; – habillé de notre drap,donner un croc en jambe au voisin, loyalement s’entend ! – faire fabriquer à meilleurmarché ; – marché que les autres ; suivre une affaire qu’on ébauche, qui commence, quigrandit, qui chancelle, qui et réussit ; connaître comme un ministre de la police tous lesressorts des maisons de commerce pour ne pas faire fausse route ; les juger, se tenirdebout devant les naufrages ; avoir des amis, par correspondance, dans toutes les villesmanufacturières !... Ouf !... Ah, c’est , n’est-ce pas un jeu perpétuel, Joseph ! C’est ?Mais c’est vivre, ça ! Je mourrai dans ce tracas-là, comme le vieux Chevrel, n’en prenantcependant plus qu’à mon aise...¶ Dans la chaleur de la sa plus forte improvisation que, lepère Guillaume eût jamais faite, il n’avait presque pas regardé son commis qui pleurait àchaudes larmes.¶ – Eh bien, ! Joseph, mon pauvre garçon ?, qu’as-tu donc !...¶?¶

– Ah, ! je l’aime tant, tant, monsieur Guillaume, que je crois.... que le cœur memanque., je crois...¶

– Eh bien ! garçon, dit le marchand attendri, tu es plus heureux que tu ne crois,sarpejeu, car elle t’aime !.... Je le sais...., moi ! !¶

Et il cligna ses deux petits yeux verts2 en regardant de côté son commis.¶Joseph Lebas cria, dans son enthousiasme :¶ – Mademoiselle Augustine,

mademoiselle Augustine !.. s’écria Joseph Lebas dans son enthousiasme.¶Et il Il allait s’élancer hors du cabinet, quand il se sentit arrêté par un bras de fer.

C’était , et son patron stupéfait qui le ramenait vigoureusement devant lui.¶– Qu’est-ce que fait donc Augustine dans cette affaire-là ?.... demanda monsieur

Guillaume dont la voix glaça sur-le-champ le pauvremalheureux Joseph Lebas.¶– N’est-ce pas elle... que... j’aime... balbutia ? dit le commis.¶ M. Guillaume,

déconcerté en balbutiant. Déconcerté de son défaut de perspicacité, Guillaume se rassit etmit sa tête pointue dans ses deux mains pour réfléchir à la bizarre position dans laquelleil se trouvait.¶ Joseph Lebas honteux et au désespoir resta debout.¶

– Joseph !..., reprit tout-à-coup le négociant avec une dignité froide, c’étaitje vousparlais de Virginie dont je vous parlais.. L’amour ne se commande pas, je le sais. Jeconnais votre discrétion ;, nous oublierons cela ; car je. Je ne marierai jamais Augustineavant Virginie. Votre intérêt sera de dix pour cent.¶

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Le commis, auquel l’amour donna je ne sais quel degré de courage etd’éloquence, joignit les mains, prit la parole, parla pendant un quart d’heure à M.Guillaume avec tant de chaleur, et de sensibilité, que la situation changea. S’il s’était agid’une affaire commerciale, le vieux négociant aurait eu des règles fixes pour prendre unerésolution ; mais, jeté à mille lieues du commerce, sur la mer des sentimens,sentiments,et sans boussole, il flotta irrésolu devant un événement aussi original, se disait-il ; etalors, entraîné. Entraîné par sa bonté naturelle, il battit un peu la campagne.¶

– Que diable– Et, diantre, Joseph, tu n’es pas sans savoir que j’ai eu mes deuxenfansenfants à dix ans de distance ! Mademoiselle Chevrel n’était pas belle, elle n’acependant pas à se plaindre de moi. Fais donc comme moi. Enfin, ne pleure pas, es-tubête ? Que veux-tu, ? cela s’arrangera peut-être, nous verrons. Il y a toujours moyen dese tirer d’affaire. Nous autres hommes nous ne sommes pas toujours comme desCéladons pour nos femmes... tu Tu m’entends ? Madame Guillaume est dévote, et...All ons, sarpejeu, mon enfant..., donne ce matin le bras à Augustine pour aller à lamesse !...¶

Telles furent les phrases jetées à l’aventure par M. Guillaume. La conclusion quiles terminait ravit l’amoureux commis : il songeait déjà à l’un de ses amis pourmademoiselle Virginie à l’un de ses amis, quand il sortit du cabinet enfumé, en serrant lamain de son futur beau-père, après lui avoir dit, d’un petit air entendu, que touts’arrangerait au mieux.¶ – Que va penser madame Guillaume !... fut l’idée qui? Cetteidée tourmenta prodigieusement le brave négociant quand il se trouva fut seul.¶

Au déjeuner, madame Guillaume et Virginie, auxquelles le marchand -drapieravait laissé provisoirement ignorer le son désappointement du matin, regardèrent assezmalicieusement Joseph Lebas, qui resta grandement embarrassé. La pudeur du commislui concilia merveilleusement l’amitié de sa belle-mère. La matrone redevint si gaiequ’elle regarda M.monsieur Guillaume en souriant, et se permit quelques petitesplaisanteries d’un usage immémorial dans ces innocentes familles innocentes : elle . Ellemit en question la conformité de la taille de Virginie et de M. celle de Joseph, pour leurdemander de se mesurer. Ces niaiseries préparatoires eurent le pouvoir d’attirerattirèrentquelques nuages sur le front du chef de famille. Il , et il afficha même un tel amour pourle décorum, qu’il ordonna à Augustine de prendre le bras du premier commis, pour alleren allant à Saint-Leu. Madame Guillaume, étonnée de cette pudeurdélicatesse masculine,honora son mari d’un signe de tête d’approbation. Le cortége, parti partit donc de lamaison gothique, s’achemina donc dans un ordre qui ne pouvait suggérer aucuneinterprétation malignemalicieuse aux voisins.¶

– Ne trouvez-vous pas, mademoiselle Augustine, disait le commis en tremblant,que la femme d’un négociant qui a un bon crédit, comme M. monsieur Guillaume, parexemple, pourrait s’amuser un peu plus que ne s’amuse madame votre mère, pourraitporter des diamansdiamants, aller en voiture. ? Oh ! moi, d’abord, si je me mariais, jevoudrais avoir toute la peine, et voir ma femme heureuse. Je ne la mettrais pas dans moncomptoir.... parce que, voyez Voyez-vous, dans la draperie, les femmes n’y sont plusaussi nécessaires qu’qu’elles l’étaient autrefois. Monsieur Guillaume a eu raison d’agircomme il a fait, puisqueet d’ailleurs c’était le goût de madame votre mère.son épouse.Mais, qu’une femme sache donner un coup de main à la comptabilité, à lacorrespondance, au détail, aux commandes, à son ménage, afin de ne pas rester par tropoisive, c’est tout. Et, passé A sept heures, quand la boutique serait fermée, moi je

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m’amuserais..., j’irais au spectacle, et dans le monde..... Vous Mais vous ne m’écoutezpas.¶

– Si fait, monsieur Joseph, mais que . Que dites-vous de la peinture ?... C’est làun bel état.¶

– Oui, il y a des maîtres peintresje connais un maître peintre en bâtiment,monsieur Lourdois, qui onta des écus….¶

Ce fut enEn devisant ainsi que, la famille atteignit l’église de Saint-Leu. Là,madame Guillaume retrouva ses droits. Elle , et fit mettre, pour la première fois,Augustine à côté d’elle ; et . Virginie, placée prit place sur la troisièmequatrième chaise,prit place à côté de monsieur Lebas. Pendant le prône, tout alla à merveillebien entreAugustine et Henri de Sommervieux,Théodore qui, debout derrière un pilier, priait desyeuxsa madone avec ferveur ; mais au lever-Dieu, madame Guillaume s’aperçut, un peutard, que sa fille Augustine tenait son livre de messe au rebours. Elle se disposait à lagourmander vigoureusement, quand, rabaissant son voile noir, elle interrompit sa lectureet se mit à regarder dans la direction qu’affectionnaient les yeux de sa fille. A l’aide deses besiclesbésicles, elle vit le jeune artiste, dont l’élégance mondaine annonçait plutôtquelque capitaine de cavalerie en congé, qu’un négociant du quartier. Il est difficiled’imaginer l’état violent dans lequel se trouva une femme telle que madame Guillaume,qui se flattait d’avoir parfaitement élevé ses filles, en reconnaissant, dans le cœurd’Augustine, un amour clandestin dont le danger lui fut exagéré par sa pruderie et parson ignorance lui exagérèrent le danger.. Elle crut sa fille gangrenée jusqu’au cœur.¶

– Tenez d’abord votre livre à l’endroit, mademoiselle !, dit-elle à voix basse, maisen tremblant de colère.¶ Elle arracha vivement le paroissienParoissien accusateur, et leremit de manière à ce que les lettres fussent dans leur sens naturel ; puis elle ajouta :¶ .– N’ayez pas le malheur de lever les yeux autre part que sur vos prières ;, ajouta-t-elle,autrement, vous auriez affaire à moi. Après la messe, votre père et moi nous aurons àvous parler.¶

Ces paroles furent comme un coup de foudre pour la pauvre Augustine. Elle sesentit défaillir ; mais combattue entre la douleur qu’elle éprouvait et la crainte de faireune esclandre dans l’église, elle eut le courage de cacher ses angoisses. Cependant, il étaitfacile de deviner l’état violent de son âme en voyant son paroissienParoissien trembler etdes larmes tomber sur chacune des pages qu’elle tournait.¶ L’artiste recueillit un Auregard enflammé des yeux secs deque lui lança madame Guillaume, et comprit lemystère. Ill’artiste vit le péril où tombaient ses amours, et sortit, la rage dans le cœur,décidé à tout oser.¶

– Allez dans votre chambre, mademoiselle ! dit madame Guillaume à sa fille enrentrant au logis. Nous ; nous vous ferons appeler ; et surtout, ne vous avisez pas de d’ensortir.¶

La conférence que les deux époux eurent ensemble fut si secrète, qu’il seraitdifficile d’en donner le procès-verbal.que rien n’en transpira d’abord. Cependant,Virginie, qui avait, encouragé sa sœur par mille douces représentations, encouragé sasœur, poussa la complaisance jusqu’à se glisser auprès de la porte de la chambre àcoucher de sa mère, chez laquelle la discussion avait lieu, pour y écouter et recueillirquelques phrases. Au premier voyage qu’elle fit du troisième au second étage, elleentendit son père qui s’écriait :¶ : – Madame, vous voulez donc tuer votre fille ?...¶?¶

– Ma pauvre enfant, dit Virginie à sa sœur éplorée, papa prend ta défense !¶

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– Et que veulent-ils faire à Henri ?...Théodore ? demanda l’innocente créature.¶Alors la La curieuse Virginie redescendit, alors ; mais cette fois elle resta plus

long-temps, car : elle apprit que M. Lebas aimait Augustine.¶ Il était écrit que, dans cettemémorable journée, une maison ordinairement si calme serait un enfer. M.onsieurGuillaume désespéra Joseph Lebas en lui confiant qu’Augustine aimait l’amourd’Augustine pour un étranger. Lebas, qui avait déjà averti son ami de demandermademoiselle Virginie en mariage, vit ses espérances renversées. Mademoiselle Virginie,accablée de savoir que M. Joseph l’avait en quelque sorte refusée, fut prise d’unemigraine. Enfin, laLa zizanie, semée entre les deux époux par l’explication que monsieuret madame Guillaume avaient eue ensemble, et où, pour la troisième fois de leur vie, ilsse trouvaienttrouvèrent d’opinions différentes, se manifesta d’une manière terrible.¶ Enfin , à quatre heures après midi, Augustine, pâle, tremblante et les yeux rouges,comparut devant son père et sa mère. La pauvre petiteenfant raconta naïvement la tropcourte histoire de ses amours. Rassurée par l’allocution de son père, qui lui avait promisde l’écouter en silence, elle prit un certain courage en prononçant devant sesparens,parents le nom de Henrison cher Théodore de Sommervieux dont elle , et en fitmalicieusement sonner la particule aristocratique. Alors, enEn se livrant au charmeinconnu de parler de ses sentimenssentiments, elle trouva assez de hardiesse pourdéclarer avec une innocente fermeté, qu’elle aimait M. Henrimonsieur de Sommervieux,qu’elle le lui avait écrit ;, et ajouta, les larmes aux yeux, elle ajouta, que ce : – Ce seraitfaire son mon malheur que de lame sacrifier à un autre.¶

– Mais, Augustine, vous ne savez donc pas ce que c’est qu’un peintre !...? s’écriasa mère avec horreur.¶

– Madame Guillaume !... dit le vieux père en la regardant ; et il imposaimposantsilence à sa femme.¶ – Augustine, dit-il, les artistes sont en général des Meuremeure-de-faim. Ils sont trop dépensiers et presquepour ne pas être toujours de mauvais sujets. J’aifourni feu monsieurM. Joseph Vernet, feu monsieurM. Lekain et feumonsieurM. Noverre. Ah ! si tu savais combien ce monsieurM. Noverre, monsieurM. lechevalier de Saint-Georges, et surtout monsieurM. Philidor, ont joué de tours à ce pauvremonsieurpère Chevrel.... Ce sont ! C’est de drôles de corps, je le sais bien !.... Ça vous atous un babil, des manières... JamaisAh ! jamais ton monsieur Sumer.. Somm...¶

– De Sommervieux, mon père !¶– Eh bien, ! de Sommervieux, soit ! Jamais il n’aura été aussi agréable avec toi

que M. le chevalier de Saint-George l’a été Georges le fut avec moi, le jour où j’obtinsune sentence des consuls contre lui.... Aussi était-ce des gens de qualité d’autrefois...¶

– Mais, mon père, M. Henrimonsieur Théodore est noble..., et il m’a écrit qu’ilétait riche... Son père s’appelait le comtechevalier de Sommervieux, avant la révolution.¶

A ces paroles, M. monsieur Guillaume regarda sa terrible moitié, qui, en femmecontrariée, frappait le plancher du bout du pied et gardait un morne silence. Evitant ; elleévitait même de jeter ses yeux courroucés sur Augustine, elle et semblait laisser à M.monsieur Guillaume toute la responsabilité d’une affaire aussi grave, puisque ses avisn’étaient pas écoutés. Cependant, Néanmoins, malgré son flegme apparent, quand elle vitson mari prendre aussi prenant si doucement son parti sur une catastrophe qui n’avait riende commercial, elle s’écria :¶ : – En vérité, monsieur, vous êtes d’une faiblesse avec vosfilles... mais...¶

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Le bruit d’une voiture qui s’arrêtait à la porte interrompit tout- à- coup lamercuriale que le vieux négociant redoutait déjà.¶ En moins d’une minuteun moment,madame VernierRoguin se trouva au milieu de la chambre ;, et, regardant les trois acteursde cette scène domestique :¶ : – Je sais tout !.., ma cousine, dit la tante,-elle d’un air deprotection. .¶

Madame VernierRoguin avait un défaut, celui de croire que la femme d’unnotaire de Paris pouvait jouer le rôle d’une petite- maîtresse. .¶

– Je sais tout, répéta-t-elle, et je viens dans l’arche de Noé, comme la colombe,avec la branche d’olivier.¶ J’ai lu cette allégorie dans le Génie duChristianismechristianisme, dit-elle en se retournant vers madame Guillaume ; et, lacomparaison doit vous plaire, ma cousine.¶ – Savez-vous, ajouta-t-elle en souriant àAugustine, que ce M. monsieur de Sommervieux est un homme charmant. ? Il m’a donnéce matin mon portrait fait de main de maître. Cela vaut au moins six mille francs... .¶

A ces mots, elle frappa doucement sur les bras de M. monsieur Guillaume ; et le .Le vieux négociant ne put s’empêcher de faire avec ses lèvres une petitegrosse moue quilui était particulière.¶

– Je connais beaucoup M.monsieur de Sommervieux, reprit la tante. Il y acolombe. Depuis une quinzaine de jours qu’il est venu il vient à mes soirées et, il en afait le charme. Aussi, suis-je son avocat. Il m’a conté toutes ses peines : je peines et m’aprise pour avocat. Je sais de ce matin qu’il adore Augustine, et il l’aura. Ah ! cousine,n’agitez pas ainsi la tête en signe de refus ?... Savez-vous qu’on prétend. Apprenez qu’ilsera nommécréé baron, et qu’il vient d’être nommé chevalier de la légiond’honneurLégion-d’Honneur par l’Empereurl’empereur lui-même, au Salon. M. VernierestRoguin est devenu son notaire et connaît ses affaires. Eh bien ! ilmonsieur deSommervieux possède, en bons biens au soleil, vingt-quatre douze mille livres de rente.Savez-vous que le beau-père d’un homme comme lui peut devenir quelque chose, mairede son arrondissement, par exemple ! N’avez-vous pas vu M.monsieur Dupont être faitcomte de l’Empire l’empire et sénateur parce qu’il était pour être venu, en sa qualité demaire et qu’il avait été en poste, complimenter l’Empereurl’empereur sur son entrée àVienne. OhOh ! ce mariage-là se fera !. Je l’adore, moi, ce bon jeune homme !. Saconduite envers Augustine ne se voit que dans les romans. Va, ma petite, tu serasheureuse, et tout le monde voudrait être à ta place. J’ai chez moi, à mes soirées, madamela duchesse de Carigliano qui raffole de M. Henrimonsieur de Sommervieux : il y amême de. Quelques méchantes langues qui disent qu’elle ne vient chez moi que pour lui,comme si une duchesse d’hier était déplacée chez son notaire.¶une Chevrel dont lafamille a cent ans de bonne bourgeoisie.¶

– Augustine, reprit la tantemadame Roguin après une petite pause, j’ai vu leportrait !... Dieu, que c’ ! qu’il est beau. Sais-tu que l’Empereurl’empereur a voulu levoir, et qu’il ? Il a dit en riant, au GrandVice-Connétable, que s’il y avait beaucoup defemmes comme celle-là à sa cour pendant qu’il y venait tant de rois, il se faisait fort demaintenir toujours la paix en Europe.¶ Est-ce flatteur ?¶

Le reste est facile à deviner. Les orages par lesquels cette journée avait commencédevaient ressembler à ceux de la nature, et ramener, comme eux, le en ramenant un tempsle plus calme et le plus serein. Madame VernierRoguin déploya tant de séductions dansses discours ;, elle sut attaquer tant de cordes, à la fois, dans les cœurs secs de monsieuret de madame Guillaume, qu’elle finit par en trouver une sensible dont elle tira parti.¶ A

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cette singulière époque, le commerce et la finance avaient plus que jamais la folle maniede s’allier aux grands seigneurs, et les généraux de l’empire profitèrent assez bien de cesdispositions. M. onsieur Guillaume s’élevait singulièrement contre cette déplorablepassion. Ses axiômesaxiomes favoris étaient que, pour trouver le bonheur, une femmedevait épouser un homme de sa classe ; que l’on était toujours tôt ou tard puni d’avoirvoulu monter trop haut ; que l’amour résistait si peu aux tracas du ménage, qu’il fallaittrouver l’un chez l’autre des qualités bien solides pour être heureux ; qu’il ne fallait pasqu’unque l’un des deux époux en sût plus que l’autre, parce qu’on devait avant tout secomprendre ; qu’un mari qui parlait grec et la femme latin, risquaient de mourir de faim.C’était là une Il avait inventé cette espèce de proverbe qu’il avait inventé lui-même.. Ilcomparait les mariages, ainsi faits, à ces anciennes étoffes de soie et de laine où, dont lasoie finissait toujours par couper la laine. Cependant, il y ase trouve tant de vanité aufond du cœur de l’homme, que toute la prudence du pilote qui gouvernait si bien le Chat-qui-pelote, succomba sous l’agressive volubilité de madame Vernier.Roguin. La sévèremadame Guillaume fut même, la première à trouver,, trouva dans l’inclination de sa fille,des motifs pour déroger à ces principes, et pour consentir à recevoir au logis monsieurHenri de Sommervieux, qu’elle se promettait bien promit de soumettre à un rigoureuxexamen.¶

Le vieux négociant alla trouver Joseph Lebas. Il , et l’instruisit de l’état deschoses. A six heures et demie, la salle à manger, illustrée par le peintre célèbre, réunitsous son toit de verre, madame et monsieur VernierRoguin, le jeune peintre et sachèrecharmante Augustine, Joseph Lebas qui prenait son bonheur en patience, etmademoiselle Virginie dont la migraine avait cessé. Monsieur et madame Guillaumevirent en perspective leurs enfansenfants établis et les destinées du Chat-qui-peloteremises en des mains habiles. Leur contentement fut au comble, lorsqu’quand, au dessertHenri de Sommervieux, Théodore leur fit présent de l’étonnant tableau qu’ils n’avaientpas pu voir, et qui représentait l’intérieur de cette vieille boutique, à laquelle était dû tantde bonheur.¶

– C’est-y gentil !, s’écria monsieur Guillaume. Dire qu’on voulait donner trentemille francs de cela !¶.¶

– Mais c’est qu’on y voittrouve mes barbes !..., reprit madame Guillaume.¶– Et ces étoffes dépliées !..., ajouta monsieur Lebas ;, on les prendrait avec la

main.¶– Les draperies font toujours très-bien, répondit le peintre. Nous serions trop

heureux, nous autres artistes modernes, d’atteindre à la perfection de la draperie antique.¶– Vous aimez donc la draperie ?..., s’écria monsieurle père Guillaume. Eh bien,

sarpejeu, ! touchez là, mon jeune ami. Puisque vous estimez le commerce, nous nousentendrons. Eh ! pourquoi le mépriserait-on ? Le monde a commencé par là,puisqu’puisque Adam a vendu le paradis pour une pomme. Ça n’a pas été une fameusespéculation, par exemple !...¶!¶

Et le vieux négociant se mit à éclater d’un gros rire franc, excité par le vin deChampagne qu’il avait fait faisait circuler généreusement.¶ Le bandeau dontqui couvraitles yeux du jeune artiste étaient couverts fut si épais qu’il trouva presque de l’amabilité àses futurs parens.parents aimables. Il ne dédaigna même pas de les égayer par quelquescharges de bon goût. Aussi plut-il généralement.¶ Le soir, quand le salon meublé dechoses très-cossues, pour se servir de l’expression de M. Guillaume, se trouvafut désert ;

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et pendant que madame Guillaume s’en allait de table en cheminée, de candélabre enflambeau, soufflant avec précipitation les bougies, le brave négociant, qui savait toujoursvoir clair aussitôt qu’il s’agissait d’affaires ou d’argent, attira sa fille Augustine auprès delui ; etpuis, après l’avoir prise sur ses genoux, il lui tint ce discours :¶

– Ma chère enfant, tu épouseras ton M. de Sommervieux, puisque tu le veux ;permis à toi de risquer ton capital de bonheur. Mais je ne me laisse pas prendre à cestrente mille francs que l’on gagne à gâter de bonne toile. Je sais que l’argentbonnestoiles. L’argent qui vient si vite, s’en va de même. N’ai-je pas entendu dire ce soir, à cejeune écervelé, que si l’argent était rond, c’était pour rouler. Il ne sait donc pas que s’il !S’il est rond pour les gens prodigues, il est plat pour les gens économes n’ignorent pasqu’il est plat pour s’amasser.qui l’empilent. Or, mon enfant, ce beau garçon-là parle de tedonner des voitures, des diamans ?...diamants ? Il a de l’argent, qu’il le dépense pourtoi ?, bene sit ! Je je n’ai rien à y voir. Mais quant à ce que je te donne, je ne veux pasque des écus si péniblement amassésensachés s’en aillent en carrosses ou en colifichets.Qui dépense trop n’est jamais riche. Avec cinquanteles cent mille écus de ta dot onn’achète pas encore tout Paris ; et, tu. Tu as beau avoir à recueillir un jour quelquescentaines de mille francs, je te les ferai attendre, sarpejeu, ! le plus long-temps possible.J’ai donc attiré ton prétendu dans un coin ;, et, vois-tu, un homme qui a mené la failliteLecocq n’a pas eu grand’grande peine à faire consentir un artiste à se marier séparé debien biens avec sa femme. J’aurai l’œil au contrat pour quebien faire stipuler lesdonations qu’il se propose de te constituer soient soigneusement hypothéquées.. Allons,mon enfant, j’espère être grand-père, sarpejeu, et ! je veux m’occuper déjà de mes petits-enfans !.... Jureenfants : jure-moi donc ici, là, de ne jamais rien faire, rien signer en faitd’argent que par mon conseil ; ouet si j’allais trouver trop tôt le père Chevrel, jure-moide consulter le jeune Lebas, ton beau-frère. Promets-le-moi.¶

– Oui, mon père, je vous le jure.¶A ces mots prononcés d’une voix douce, le vieillard baisa sa fille sur les deux

joues et . Ce soir-là, tous les amansamants dormirent, ce soir là, presqu’ presque aussipaisiblement que monsieur et madame Guillaume.¶

Quelques mois après ce mémorable dimanche, le maître-autel de Saint-Leu futtémoin de deux mariages bien différens.¶ différents. Augustine et le jeune Henri deSommervieuxThéodore s’y présentèrent dans tout l’éclat du bonheur, entourés desprestiges de l’amour, les yeux pleins d’amour, parés de toilettes élégantes et, attendus parun brillant équipage. Venue dans un bon remise avec sa famille, Virginie, donnant appuyée sur le bras au modeste M. Lebas et venue dans un bon remise avec sa famille, àson père, suivait sa jeune sœur humblement, en et dans de plus simples atours, sa jeunesœur, comme une ombre nécessaire aux harmonies de ce tableau.¶ Monsieur Guillaumes’était donné toutes les peines imaginables pour obtenir à l’église que Virginie fût mariéeavant Augustine ; mais il eut la douleur de voir le haut et le bas clergé s’adresser en toutecirconstance à la plus élégante des mariées.¶ Il entendit quelques-uns de ses voisinsapprouver singulièrement le bon sens de mademoiselle Virginie qui faisait, disaient-ils, lemariage le plus solide, et restait fidèle au quartier ; tandis qu’ils lancèrent sur Augustinequelques brocards suggérés par l’envie : elle l’envie sur Augustine qui épousait unartiste, un noble. Ils ; ils ajoutèrent avec une sorte d’effroi, que, si les Guillaume avaientde l’ambition, la draperie était perdue. Un vieux marchand d’éventails ayant dit que cemange-tout-là l’aurait bientôt mise sur la paille, le père Guillaume s’applaudit in petto de

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la sa prudence des dans les conventions matrimoniales qu’il avait rédigées.¶ . Le soir, lafamille se sépara après un bal somptueux, et suivi d’un de ces soupers plantureux, dont lesouvenir commence à se perdre dans la génération présente a tout-à-fait perdu lesouvenir.¶ Monsieur, monsieur et madame Guillaume restèrent dans leur hôtel de la ruedu Colombier, où la noce avait eu lieu. Monsieur, monsieur et madame Lebasretournèrent dans leur remise à la vieille maison de la rue Saint-Denis pour y diriger labarquenauf du Chat-qui-pelote. L’artiste,, l’artiste ivre de bonheur, prenant prit entre sesbras sa chère Augustine, l’enleva vivement quand leur coupé arriva rue des Trois- -Frères, et la porta dans le plus élégant un appartement de Paris.¶que tous les arts avaientembelli.¶

La fougue de passion dont Henri était possédé,qui possédait Théodore fit dévorerau jeune ménage près d’une année entière, sans que le moindre nuage vînt altérer ledélicieux l’ azur du ciel sous lequel ils vivaient. Pour euxces deux amants, l’existencen’eut rien de pesant, et leur mariage fut alors une source féconde de joie et de bonheur.L’âme puissante et pleine de poésie de Henri de Sommervieux . Théodore répandait surchaque journée une incroyabled’incroyables fioriture de plaisirs, un luxe d’expansion, deregards et de discours enivrans. Il savait il se plaisait à varier l’opulence de sesemportemensles emportements de la passion, par la molle langueur de ces momens derepos où les âmes sont lancées si haut dans l’extase qu’elles semblent y méconnaîtretoute oublier l’union corporelle.¶ La timide et Incapable de réfléchir, l’heureuseAugustine vivait dans les cieux. Incapablese prêtait à l’allure onduleuse de réfléchir,sonbonheur : elle ne croyait pas faire encore assez en se livrant tout entière toute à l’amourpermis et saint du mariage. Elle ne connaissait, ; simple et naïve, elle ne connaissaitd’ailleurs ni la coquetterie des refus, ni l’empire qu’une jeune demoiselle du grandmonde se crée sur un mari par d’adroits caprices. Elle ; elle aimait trop pour calculerl’avenir. Elle , et n’imaginait pas qu’une vie aussi délicieuse pût jamais cesser. EllefaisaitHeureuse d’être alors tous les plaisirs de son mari, elle crut que cet inextinguibleamour serait toujours pour elle la plus belle de toutes les parures, comme sondévouement et son obéissance seraient un éternel attrait. Enfin, la félicité de l’amourl’avait rendue si brillante, que sa beauté lui inspira de l’orgueil et lui donna la consciencede pouvoir toujours régner sur un homme aussi facile à enflammer que l’étaitHenrimonsieur de Sommervieux.¶ Ainsi son état de femme ne lui apporta d’autresenseignemensenseignements que ceux de l’amour. Au sein de ce bonheur, elle restalal’ignorante petite fille ignorante qui vivait obscurément rue Saint-Denis. Elle , et nepensa point à prendre les manières, l’instruction, le ton du monde dans lequel elle devaitvivre. Ses paroles étant des paroles d’amour, elle y déployait bien une sorte de souplessed’esprit et une certaine délicatesse d’expression, ; mais c’était le elle se servait dulangage employé par commun à toutes les femmes quand elles se trouvent plongées dansune la passion qui semble être leur élément.¶ Si, par hasard, une idée discordante aveccelles de HenriThéodore était exprimée par Augustine, le jeune artiste en riait, comme onrit des premières fautes de langue que fait un étranger, mais qui finissent par fatiguer, s’ilne se corrige pas.¶ Cependant Malgré tant d’amour, à l’expiration de cette année, dont lecharme ne pouvait se comparer qu’à la rapidité avec laquelle elle s’écoula, Henri aussicharmante que rapide, Sommervieux sentit un matin la nécessité de reprendre ses travauxet ses habitudes. Sa femme était d’ailleurs enceinte. Il revit ses amis. Pendant les longuessouffrances de l’année où, pour la première fois, une jeune femme nourrit et élève un

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enfant, il travailla sans doute avec ardeur, ; mais aussi parfois il retourna chercherquelques distractions dans le grand monde. La maison où il allait le plus volontiers étaitfut celle de la duchesse de Carigliano, qui avait fini par attirer chez elle le célèbre artiste.Quand Augustine fut rétablie et que , quand son fils ne réclama plus ces soins assidus quiinterdisent à une mère les plaisirs du monde, HenriThéodore en était arrivé à vouloiréprouver cette jouissance d’amour-propre que nous donne la société, quand nous yapparaissons avec une belle femme, objet d’envie et d’admiration, et que nous lapossédons.¶ . Parcourir les salons, en s’y montrant avec l’éclat emprunté de la gloire deson mari ;, se voir jalousée par toutes les femmes, fut pour Augustine une nouvellemoisson de plaisirs ; mais aussi ce fut le dernier reflet que devait jeter pour elle le sonbonheur conjugal. En effet, elle Elle commença par offenser la vanité de son mari,quand, malgré de vains efforts, elle laissa percer son ignorance, l’impropriété de sonlangage et l’étroitesse de ses idées.¶ Le caractère de Henri de Sommervieux, domptéDompté pendant près de deux ans et demi par les premiers emportemensemportements del’amour,, le caractère de Sommervieux reprit, avec la tranquillité d’une possession moinsjeune, sa pente et ses habitudes un moment détournées de leur cours. La poésie, lapeinture, et les exquises jouissances de l’imagination possèdent, sur les esprits élevés, desdroits imprescriptibles. Ces besoins d’une âme forte n’avaient pas été trompés chezHenriThéodore pendant ces deux années, seulement ils avaient trouvé seulement unepâture nouvelle. Mais, quand Quand les champs de l’amour furent parcourus ;, quand lepoètel’artiste eut, comme les enfansenfants, cueilli des roses et des bluetsbleuets avec unetelle avidité qu’il ne s’apercevait pas que ses mains ne pouvaient plus les tenir, la scènechangea. Si le peintre montrait à sa femme les croquis de ses plus belles compositions lesplus belles, il l’entendait s’écrier comme son père :¶ eût fait le père Guillaume : – C’estbien joli !...¶ L’ Cette admiration sans chaleur qu’elle témoignait à son mari ne provenaitpas d’un sentiment consciencieux, c’était l’admirationmais de la croyance sur parole del’amour. Elle Augustine préférait un regard au plus beau tableau, et le . Le seul sublimequ’elle connût était celui du cœur. Enfin, HenriThéodore ne put se refuser à l’évidenced’une vérité cruelle : Augustine sa femme n’était pas sensible à la poésie. Elle , ellen’habitait pas sa sphère. Elle , elle ne le suivait pas dans tous ses caprices, dans sesimprovisations, dans ses joies, dans ses douleurs. Elle ; elle marchait terre à terre dans lemonde réel., tandis qu’il avait la tête dans les cieux. Les esprits ordinaires ne peuvent pasapprécier les souffrances renaissantes de l’être, qui, uni à un autre par le sentiment le plusintime de tous les sentiments, est obligé de refouler sans cesse les plus chères expansionsde sa pensée, et de faire rentrer dans le néant les images qu’une puissance magique leforce à créer. Pour lui, c’est un ce supplice est d’autant plus vifcruel, que le sentiment,qu’il porte à son compagnon, ordonne, par sa première loi, de vivre de cœur à cœur, dene jamais rien se dérober l’un à l’autre, et de confondre avant tout les âmes et leseffusions de la pensée. Or, on aussi bien que les épanchements de l’âme. On ne trompepas impunément les volontés de la nature : elle est inexorable comme la nécessité.¶HenriNécessité, qui, certes, est une sorte de nature sociale. Sommervieux se réfugia dansle calme et le silence de son atelier, en espérant que l’habitude de vivre avec des artistespourrait former sa femme, et développer,ait en elle, les germes de haute intelligenceengourdis que quelques esprits supérieurs, croyent préexistans dans toutes lesintelligences. Mais croient préexistants chez tous les êtres ; mais Augustine était tropsincèrement religieuse pour ne pas être effrayée du ton des artistes. Elle entendit, au Au

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premier dîner que donna son mari,Théodore, elle entendit un jeune peintre diredisantavec cette enfantine légèreté qu’elle ne sut pas reconnaître et qui absout une plaisanteriede toute irréligion :¶ : – Mais, Madamemadame, votre paradis n’est pas plus beau que laTransfiguration de Raphaël. ? EhEh ! bien !..., je me suis lassé de la regarder.¶ Augustine apporta donc dans cette société brillantespirituelle un esprit de défiance quin’échappait à personne. Elle , elle gêna. Les artistes gênés sont impitoyables : ilsfuyentfuient ou se moquent. Madame Guillaume avait, entre autres ridicules, celuid’outrer la dignité qui lui semblait l’apanage d’une femme mariée, ; et quoiqu’elle s’enfût souvent moquée, Augustine ne put sut pas se défendre d’une légère imitation de lapruderie maternelle. Cette exagération de pudeur, que n’évitent pas toujours les femmesvertueuses, suggéra quelques épigrammes à coups de crayon, dont l’innocent badinageétait de trop bon goût pour que M. de Sommervieux pût s’en fâcher : elles . Cesplaisanteries eussent été même plus cruelles, que ce n’étaitelles n’étaient après tout quedes représailles exercées sur lui par ses amis. Mais rien n’était ne pouvait être léger pourune âme qui recevait aussi facilement que celle d’Henride Théodore des impressionsétrangères. Aussi éprouva-t-il insensiblement une froideur qui ne pouvait aller qu’encroissant. Pour arriver au bonheur conjugal, il faut gravir une montagne dont l’étroitplateau est bien près d’un revers aussi rapide que glissant : , et l’amour du peintre ladéclinait.¶ Henri, jugeantle descendait. Il jugea sa femme incapable d’apprécier lesconsidérations morales qui justifiaient, à ses propres yeux, la singularité de ses manières,envers elle, se croyaitet se crut fort innocent ; de même qu’Augustine, n’ayant rien à sereprocher, innocent en lui cachant des pensées qu’elle ne comprenait pas et des écarts peujustifiables au tribunal d’une conscience bourgeoise. Augustine se renferma dans unedouleur morne et silencieuse.¶ Ces sentimens Ces sentiments secrets mirent entre lesdeux époux un voile qui devait s’épaissir de jour en jour. Sans que son mari manquâtd’égards envers elle, Augustine ne pouvait s’empêcher de trembler en le lui voyantréserver pour le monde tous les trésors d’esprit et de grâce qu’il venait jadis mettre à sespieds. Elle Bientôt, elle interpréta à sa manièrefatalement les discours spirituels qui setiennent dans le monde sur l’inconstance des hommes. Elle ne se plaignit pas ;, mais sonattitude équivalait à des reproches. BientôtTrois ans après son mariage, cette femmejeune et jolie qui passait si brillante dans son brillant équipage, qui vivait dans une sphèrede gloire et de richesse enviée de tant de gens insouciansinsouciants et incapablesd’apprécier justement les situations de la vie, fut en proie à des violensde violentschagrins. Ses ; ses couleurs pâlirent. Elle , elle réfléchit, elle compara, et ; puis, lemalheur lui déroula les premiers textes de l’expérience. Elle résolut de restercourageusement dans le cercle de ses devoirs, en espérant que cette conduite généreuselui recouvreraitferait recouvrer tôt ou tard l’amour de son mari ; mais il n’en fut pasainsi.¶ Quand M. de Sommervieux, fatigué de travail, sortait de son atelier, Augustinene cachait pas si vitepromptement son ouvrage, que le peintre ne pût s’apercevoir que safemme raccommodaitapercevoir sa femme raccommodant avec toute la minutie d’unebonne ménagère, le linge de la maison et le sien. Elle fournissait, avec générosité et, sansmurmure, l’argent nécessaire aux prodigalités de son mari ; mais, dans le désir deconserver la fortune de son cher HenriThéodore, elle se montrait économe soit pour elle,soit dans certains détails de l’administration domestique, toutes idées incompatibles avecle laisser. Cette conduite est incompatible avec le laissez-aller des artistes, qui, sur la finde leurs carrièresleur carrière, ont tant joui de la vie, qu’ils ne se demandent jamais la

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raison de leur ruine.¶ Mais il Il est inutile de marquer chacune des dégradations decouleur par lesquelles la teinte brillante de leur Lune de Miel atteignit à une lune de miels’éteignit et les mit dans une profonde obscurité. Un soir, la jeune, belle et tristeAugustine, qui, depuis long-temps entendait son mari parlerparlant avec enthousiasme demadame la duchesse de Carigliano, reçut d’une amie quelques avis méchammentcharitables sur la nature de l’attachement de son mari qu’avait conçu Sommervieux pourcette célèbre coquette qui donnait le ton à de la cour et aux modes.¶ impériale. A vingt-et un ans, dans tout l’éclat de la jeunesse, et de la beauté, Augustine se vit trahie pourune femme de trente-deuxsix ans. En se sentant malheureuse au milieu du monde et deses fêtes désertes pour elle, la pauvre petite ne comprit plus rien à l’admiration qu’elle yexcitait et, ni à l’envie qu’elle inspirait. Sa figure prit une nouvelle expression. Lamélancolie versa dans ses traits la douceur de la résignation et la pâleur d’un amourdédaigné. Elle ne tarda pas à être courtisée par les hommes les plus séduisansséduisants ;mais elle resta solitaire et vertueuse.¶ Quelques paroles de dédain, échappées à son mari,lui donnèrent un incroyable désespoir. Une lueur fatale lui fit entrevoir les défauts decontact, qui, par suite des mesquineries de son éducation, empêchaient l’union complètede son âme avec celle d’Henri. Elle de Théodore : elle eut assez d’amour pour l’absoudreet pour se condamner. Elle pleura des larmes de sang, et reconnut trop tard, qu’il est desmésalliances d’esprit, comme aussi bien que des mésalliances de mœurs et de rangs.. Ensongeant aux délices printanières de son union, elle comprit toute l’étendue du bonheurpassé, et convint en elle même qu’une si riche moisson d’amour était une vie touteentière qui ne pouvait se payer que par du malheur. Cependant elle aimait tropsincèrement pour perdre toute espérance : aussi . Aussi osa-t-elle entreprendre à vingt- etun ans de s’instruire et de rendre son imagination au moins digne de celle qu’elleadmirait.¶ – Si je ne suis pas poète, se disait-elle, au moins je comprendrai la poésie.¶ Et déployant alors cette force de volonté, cette énergie que les femmes possèdent toutesquand elles aiment, madame de Sommervieux tenta de changer son caractère, ses mœurset ses habitudes. Mais ; mais en dévorant des volumes, en apprenant avec courage, ellene réussit qu’à devenir moins ignorante. La légèreté de l’esprit et les grâces de laconversation sont un don de la nature ou le fruit d’une éducation commencée au berceau.Elle pouvait apprécier la musique, en jouir ;, mais non chanter avec goût. Elle comprit lalit térature et les beautés de la poésie ;, mais il était trop tard pour en orner sa rebellemémoire. Elle entendait avec plaisir les entretiens du monde ;, mais elle n’y fournissaitrien de brillant. Ses idées religieuses et ses préjugés d’enfance se montrèrent à chaquepas, et s’opposèrent à l’exaltation de ses idées.la complète émancipation de sonintelligence. Enfin, il s’était glissé, contre elle, dans l’âme d’Henride Théodore, uneprévention qu’elle ne put vaincre. L’artiste se moquait de ceux qui lui vantaient safemme, et ses plaisanteries étaient assez fondées. Il : il imposait tellement à cette jeuneet touchante créature, qu’en sa présence et, ou en tête -à -tête, elle tremblait. Embarrasséepar son trop grand désir de plaire, elle sentait son esprit et ses connaissances s’évanouirdans un seul sentiment.¶ La fidélité d’Augustine déplut même à ce mari cet infidèlemari, qui semblait l’engager à commettre des fautes en l’accusanttaxant sa vertud’insensibilité. Augustine s’efforça en vain d’abdiquer sa raison, de se plier aux caprices,aux fantaisies de son mari, et de se vouer à l’égoïsme de sa vanité, ; elle ne recueillitpoint le fruit de ces sacrifices. Peut-être avaient-ils tous deux laissé passer le moment oùles âmes peuvent se comprendre. Un jour le cœur trop sensible de la jeune épouse reçut

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un de ces coups qui font si fortement plier les liens du sentiment, qu’on peut les croirerompus. Elle s’isola. Mais bientôt une fatale pensée lui suggéra d’aller chercher desconsolations et des conseils au sein de sa famille.¶

Un matin donc, elle se dirigea vers la grotesque façade de l’humble et silencieusemaison où s’était écoulée son enfance. Elle soupira en revoyant cette croisée d’où, unjour, elle avait envoyé un premier baiser à celui qui répandait aujourd’hui sur sa vieautant de gloire que de malheur. Rien n’était changé dans l’antre où se rajeunissaitcependant l’esprit du le commerce de la draperie. La sœur d’Augustine occupait aucomptoir antique la place de sa mère. La jeune affligée rencontra son beau-frère, laplume derrière l’oreille. Elle en, elle fut à peine écoutée, tant il avait l’air affairé, attenduque ; les redoutables signaux d’un inventaire général se faisaient autour de lui :; aussi laquitta-t-il en la priant d’excuser.¶ Elle fut reçue assez froidement par sa sœur, qui luimanifesta un peu de quelque rancune. En effet, ce n’était guère qu’en passant,qu’Augustine, brillante et descendant d’un joli équipage, était n’était jamais venue voirsa sœur. qu’en passant. La femme du prudent Lebas s’imaginait déjà que l’argent était lacause première de cette visite matinale, et elle essaya de se maintenir sur un ton deréserve qui, fit sourire plus d’une fois, fit sourire Augustine. Cette dernièreLa femme dupeintre vit que, sauf les barbes au bonnet, sa mère avait trouvé, dans Virginie, unsuccesseur qui conserveraitconservait l’antique honneur du Chat-qui-pelote.¶ Audéjeuner, Augustine s’aperçut de elle aperçut, dans le régime de la maison, certainschangemens dans le régime de la maison, lesquels changements qui faisaient honneur aubon sens de Joseph Lebas. Les : les commis ne se levèrent pas au dessert, et on leurlaissait la faculté de parler. L’abondance, et l’abondance de la table annonçait uneaisance sans luxe. La jeune élégante aperçut trouva les coupons d’une loge aux Françaiset à l’Opéra-Comique, où elle se souvint d’avoir vu sa sœur de loin en loin. MadameLebas avait sur les épaules un cachemire dont la magnificence attestait la générosité aveclaquelle son mari s’occupait d’elle. Enfin, les deux époux marchaient avec leur siècle.Augustine fut bientôt pénétrée d’attendrissement, en se trouvant témoinreconnaissant,pendant les deux tiers de cette journée, du le bonheur égal, sans exaltation, il est vrai,mais aussi sans orages, de que goûtait ce couple convenablement assorti. Ils avaientaccepté la vie comme une entreprise commerciale où il s’agits’agissait de faire, avanttout, honneur à ses affaires. La femme, n’ayant pas rencontréEn ne rencontrant pas dansson mari un amour excessif, la femme s’était appliquée à le faire naître ; et quand JosephLebas se trouva insensiblement. Insensiblement amené à estimer, à chérir safemmeVirginie, le temps que le bonheur mit à éclore, fut, pour euxJoseph Lebas et poursa femme, un gage de sa durée. Aussi, lorsque la plaintive Augustine, racontant sesdouleurs, exposa la sa situation dans laquelle elle se trouvait, elle eût douloureuse, eût-elle à essuyer le déluge de lieux communs que la morale de la rue Saint-Denis fournissaità sa sœur.¶

– Le mal est fait, ma femme, dit Joseph Lebas, et il faut chercher à donner debons conseils à notre sœur.¶ A ces mots Puis, l’habile négociant analysa un peulourdement toutes les ressources de la situation ; que les lois et les mœurs pouvaientoffrir à Augustine pour sortir de cette crise ; il en numérota, pour ainsi dire, toutes lesconsidérations ;, les rangea par leur force dans des espèces de catégories, comme s’il sefût agi de marchandises de diverses qualités ; puis, il les mit en balance, les pesa, etconclut en développant la nécessité où était sa belle-sœur de prendre un parti violent qui

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ne satisfit point l’amoureuse Augustine.¶ Le sentiment profond l’amour qu’elle portait àson mariressentait encore pour son mari ; aussi ce sentiment se réveilla-t-il dans toute saforce quand elle entendit Joseph Lebas parler d’un moyen violent. Elleparlant de voiesjudiciaires. Augustine remercia ses deux amis, et revint chez elle encore plus indécisequ’elle ne l’était avant de les avoir consultés.¶ Alors elle Elle hasarda de se rendre alorsà l’antique hôtel de la rue du Colombier, dans le dessein de confier ses malheurs à sonpère et à sa mère. La pauvre petite femme, car elle ressemblait à ces malades qui, arrivésà un état désespéré, essayent qui essaient de toutes les recettes et se confient même auxremèdes de bonne femme. Les deux vieillards la reçurent leur fille avec une effusion desentiment dont elle fut attendrie. Il est vrai de dire aussi que cette qui l’attendrit. Cettevisite leur apportait une distraction ; et, pour eux, un distraction était distraction qui, poureux, valait un trésor. En effet, depuisDepuis quatre ans, ils marchaient dans la vie commedes navigateurs sans but et sans boussole. Assis au coin de leur feu, ils se racontaient l’unà l’autre tous les désastres du Maximum ;, leurs anciennes acquisitions de draps ;, lamanière dont ils avaient évité des les banqueroutes, et surtout cette célèbre faillite Lecoqqui étaitLecocq, la bataille de Marengo de M.du père Guillaume. Puis, quand ils avaientépuisé les vieux procès, ils récapitulaient les antiques additions de leurs inventaires lesplus productifs, et se narraient encore les vieilles histoires du quartier St.Saint-Denis.¶ Adeux heures, M.le père Guillaume allait à pied, donner un coup- d’œil à l’établissementdu Chat-qui-pelote. En ; en revenant il s’arrêtait à toutes les boutiques, autrefois sesrivales, et dont les jeunes propriétaires espéraient, toujours en vain, entraîner le vieuxnégociant dans quelqu’quelque escompte aventureux, que, selon sa coutume, il nerefusait jamais positivement.¶ Deux bons chevaux normands mouraient de gras -fondudans l’écurie de l’hôtel ; car, madame Guillaume ne s’en servait guère que pour allersefaire traîner tous les dimanches à la grand’-messe de sa paroisse. Trois fois par semaine,ce respectable couple tenait table ouverte, attendu que, grâce. Grâce à l’influence de songendre Sommervieux, le père Guillaume ayant avait été nommé membre du comitéconsultatif pour l’habillement des troupes. Depuis que son mari s’était ainsi trouvé placéhaut dans l’administration, madame Guillaume avait pris la résolution de vivrebourgeoisement etdétermination de représenter. Les appartemens : ses appartementsétaient encombrés de tant d’ornemensd’ornements d’or et d’argent, et de meubles sansgoût mais de valeur certaine, que la moindre chambrepièce la plus simple y ressemblait àune chapelle. L’économie et la prodigalité semblaient se disputer dans chacun desaccessoires de cet hôtel ; et l’on. L’on eût dit que M.monsieur Guillaume avait eu en vuede faire un placement d’argent mêmejusque dans l’acquisition d’un flambeau.¶ Aumilieu de ce bazar, dont la richesse accusait le désœuvrement des deux époux, le célèbretableau de M. de Sommervieux avait obtenu la place d’honneur. Il, et il faisait laconsolation de monsieur et de madame Guillaume qui tournaient vingt fois par jour leursyeux enharnachés de besicles,bésicles vers cette image de leur ancienne existence, poureux, si active et si amusante.¶ L’aspect de cet hôtel et de cet appartementcesappartements où tout avait une senteur de vieillesse et de médiocrité, le spectacle donnépar ces deux êtres, qui semblaient échoués sur un rocher d’or, bien loin du monde et desidées qui font vivre, surprirent Augustine. Elle ; elle contemplait en ce moment laseconde partie du tableau dont elle avait vu le commencement l’avait frappée chezJoseph Lebas :, celui d’une vie agitée quoique sans mouvement, espèce d’existencemécanique et instinctive semblable à celle des castors. Elle ; elle eut alors je ne sais quel

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orgueil de ses chagrins, en pensant qu’ils prenaient leur source dans un bonheur de dix-huit mois qui valait à ses yeux mille existences comme celle dont elle comprenaitactuellement tout le vide.¶ lui semblait horrible. Cependant elle cacha ce sentiment peucharitable, et déploya pour ses vieux parens, et, déployantparents, les grâces nouvelles deson esprit, les coquetteries de tendresse que l’amour lui avait révélées, elle et les disposafavorablement à écouter ses doléances matrimoniales. Les vieilles gens ont un faible pources sortes de confidences, et madame. Madame Guillaume, surtout, voulut être instruitedes plus légers détails de cette vie étrange qui, pour elle, avait quelque chose de fabuleux.Les voyages du baron de La Hontan, qu’elle commençait toujours sans jamais lesachever, ne lui apprirent rien de plus inouï sur les sauvages du Canada.¶

– Comment, mon enfant, ton mari s’enferme avec des femmes toutes nues, et tuas la simplicité de croire que c’est pour les dessiner !...¶qu’il les dessine ?¶

A cette exclamation, la grand’mère, posant posa ses lunettes sur une petitetravailleuse, secoua ses jupons et plaça ses mains jointes sur ses genoux élevés par unechaufferette, son piédestal favori.¶

– Mais, ma mère, tous les peintres sont obligés d’avoir des modèles.¶– Il s’est bien gardé de nous dire tout cela quand il t’a demandée en mariage !....

Si je l’avais su, je n’aurais pas donné ma fille à un homme qui fait un pareil métier... Lareligion défend cela :ces horreurs là, ça n’est pas moral. Et àA quelle heure nous disais-tudonc qu’il rentre chez lui ?¶

– Mais à une heure, deux heures...¶Là, lesLes deux époux se regardèrent avecdans un profond étonnement.¶– Il joue donc, ? dit M.monsieur Guillaume ; car il. Il n’y avait que les joueurs

qui, de mon temps, rentrassent si tard.¶Augustine fit une petite moue qui repoussait cette accusation.¶– Il doit te faire passer de cruelles nuits à l’attendre, reprit madame Guillaume ;

mais . Mais, non, tu te couches, n’est-ce pas, et ? Et quand il a perdu, ille monstre teréveille ?¶.¶

– Non, ma mère, il est au contraire quelquefois très-gai. Assez souvent même,quand il fait beau, il me propose de me lever, pour aller dans les bois...¶

– Dans les bois ?..., à ces heures-là !? Tu as donc un bien petit appartement qu’iln’a pas assez de sa chambre, de ses salons, et qu’il lui faille ainsi courir pour... maisMaisc’est pour t’enrhumer, que le scélérat, qu’il te propose ces parties-là !.... Il veut sedébarrasser de toi... A-t-on jamais vu un homme établi, et qui a un commerce tranquille,galoper galopant ainsi comme un loup-garou ?...¶?¶

– Mais, ma mère, vous ne comprenez -donc pas que, pour développer son talent,il a besoin d’exaltation. Il aime même beaucoup ces sortes de les scènes qui...¶

– Ah ! je lui en ferais de belles, des scènes, moi !..., s’écria madame Guillaume.en interrompant sa fille. Comment peux-tu garder des ménagemensménagements avec unhomme pareil ? D’abord, je n’aime pas qu’il ne boive que de l’eau, et qu’il ait tant. Càn’est pas sain. Pourquoi montre-t-il de la répugnance à voir les femmes manger.quandelles mangent ? Quel singulier genre ! Mais c’est un fou. Tout ce que tu nous en as ditn’est pas possible., Un homme ne peut pas partir de sa maison sans souffler mot et nerevenir que dix jours après. Il te dit qu’il a été à Dieppe pour peindre la mer... Est, est-cequ’on peint la mer ?... Il te fait des contes à dormir debout.¶

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Augustine ouvrit la bouche pour défendre son mari ; mais madame Guillaume luiimposa silence par un geste de main auquel elle obéit par un reste d’habitude la fit obéir,et sa mère s’écria d’un ton sec :¶ : – Tiens, ne me parle pas de cet homme-là ! Il il n’ajamais mis le pied dans une église que pour te voir et t’épouser : or, les . Les gens sansreligion sont capables de tout. Est-ce que M. Guillaume s’est jamais avisé de me cacherquelque chose..., de rester des trois jours sans me dire ouf, et ensuite de babiller ensuitecomme une pie borgne ainsi que le fait ton mari ?¶

– Ma chère mère, vous jugez trop sévèrement les gens supérieurs : s’ils. S’ilsavaient des idées semblables à celles des autres, ce ne seraient plus des gens deà talent.¶

– Eh bien, ! que les gens de à talent restent chez eux et ne se marient pas !.Comment, ! un homme à talent rendra sa femme malheureuse ;! et parce qu’il a dutalent, ; ce sera bien !? Talent, talent !.... Il n’y a pas tant de talent à dire comme lui blancet noir à toute minute ;, à couper la parole aux gens ;, à battre du tambour chez soi ;, à nejamais vous laisser savoir sur quel pied danser ;, à forcer une femme d’attendre pour dene pas s’amuser avant que les idées de monsieur ne soient gaies, et à vouloir qu’ellesoitd’être triste, si l’ondès qu’il est triste...¶

– Mais, ma mère, le propre de ces imaginations là, c’est d’être....¶– Qu’est-ce que c’est que ces imaginations-là ?... reprit madame Guillaume en

interrompant encore sa fille. Il en a de belles, ma foi. ! Qu’est-ce qu’un homme auquel ilprend tout- à- coup, sans consulter de médecin, la fantaisie de ne manger que deslégumes ; encore? Encore, si c’était par religion, celasa diète lui servirait à quelquechose ; mais il n’en a pas plus qu’un huguenot. A-t-on jamais vu un homme aimer,comme lui, les chevaux plus quequ’il n’aime son prochain ;, se faire friser les cheveuxcomme un payen ;païen, coucher des statues sous de la mousseline ;, faire fermer sesfenêtres le jour pour travailler à la lampe ?... Tiens, laisse-moi, s’il n’était pas sigrossièrement immoral, ce il serait un homme bon à mettre aux petites-maisons.Petites-Maisons. Consulte M. Charbonneaumonsieur Loraux, le vicaire de St.-Saint-Sulpice, etdemande-lui ce qu’il pense de son avis sur tout cela ? Il , il te dira que ton mari ne seconduit pas comme un chrétien....¶

– OhOh ! ma mère, ! pouvez-vous croire cela ?...¶– Oui, je le crois !.. C’est parce que tu Tu l’as aimé que, tu n’aperçois rien de ces

choses-là. Mais même dans, moi, vers les premiers temps de son mariage, je me souviensde l’avoir rencontré aux dans les Champs-Elysées. Il était à cheval. Eh bien, ! il galopaitpar moment ventre à terre, et puis il s’arrêtait pour aller pas à pas ; je t’assure que je . Jeme suis dit alors : – Voilà un homme qui n’a pas de jugement.¶

– Ah ! s’écria monsieur Guillaume en se frottant les mains, comme j’ai bien faitde t’avoir mariée séparée de biens avec cet original-là.¶ !¶

Mais quand Quand Augustine eut l’imprudence de raconter les griefs véritablesqu’elle avait à exposer contre son mari, les deux vieillards restèrent muets d’indignation.Le mot de divorce fut bientôt prononcé par madame Guillaume. A ce Au mot de divorce,l’i nactif négociant fut comme réveillé.¶ Stimulé par l’amour qu’il avait pour sa fille, etun peu aussi par l’agitation qu’un procès allait donner à sa vie sans occupation et sansévénemens, monsieurévénements, le père Guillaume prit la parole. Il se mit à la tête de lademande en divorce, la dirigea, plaida presque, et il offrit à sa fille de se charger de tousles frais, de voir les juges, les avoués, les avocats, de remuer ciel et terre. MaismadameMadame de Sommervieux, effrayée, refusa les services de son père, et dit qu’elle

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ne voulait pas se séparer de son mari, dût-elle être dix fois plus malheureuse encore.Augustine , et ne parla plus de ses chagrins. Après avoir été accablée par sesparensparents de tous ces petits soins muets et consolateurs par lesquels les deuxvieillards essayèrent de la dédommager, mais en vain, de ses peines de cœur, elleAugustine se retira convaincue de l’inutilité, du danger même qu’il y avaiten sentantl’impossibilité de parvenir à faire bien juger les hommes supérieurs par des espritsfaibles. Elle apprit qu’une femme devait cacher à tout le monde, même à ses parens, cesparents, des malheurs pour lesquels le monde n’a point de on rencontre si difficilementdes sympathies. Les orages et les souffrances des sphères élevées ne peuvent être sontappréciés que par les nobles esprits qui les habitent ; et, en tout. En toute chose, nous nepouvons être jugés que par nos pairs.¶

Alors la La pauvre Augustine se retrouva donc dans la froide atmosphère de sonménage, livrée à toute l’horreur de ses méditations. L’étude n’était plus rien pour elle,puisque l’étude ne lui avait pas rendu le cœur de son mari. Elle pensait avec amertumequ’elle s’était initiéeInitiée aux secrets de ces âmes de feu, de manière à ne pas avoircomme elles la ressource de créer pour se distraire des chagrins, et qu’ainsi elle maisprivée de leurs ressources, elle participait avec force à leurs peines sans partager leursplaisirs. Elle s’était dégoûtée du monde, qui lui semblait mesquin et petit devant lesévénemensévénements des passions ; enfin . Enfin, sa vie était manquée.¶ Un soir, ellefut frappée d’une pensée qui vint illuminer la nuit de ses ténébreux chagrins comme unrayon céleste. Cette idée ne pouvait sourire qu’à un cœur aussi pur et, aussi vertueux quel’était le sien. Elle résolut d’aller chez la duchesse de Carigliano, non pas pour luiredemander le cœur de son mari ;, mais pour s’y instruire des artifices qui le lui avaientenlevé ; mais pour intéresser à la mère des enfansenfants de son ami cette orgueilleusefemme du monde ; mais pour la fléchir et la rendre complice de son bonheur à venircomme elle était l’instrument de son malheur présent.¶ Un matinjour donc, la timideAugustine, armée d’un courage surnaturel, monta en voiture, à deux heures après midi,pour essayer d’arriverde pénétrer jusqu’au boudoir de la célèbre coquette, qui n’étaitjamais visible avant cette heure-là.¶ Madame de Sommervieux ne connaissait pas encoreles antiques et somptueux hôtels du faubourg Saint-Germain. Quand elle parcourut cesvestibules majestueux, ces escaliers grandioses, ces salons immenses ornés de fleurs,malgré les rigueurs de l’hiver, et décorés avec ce goût particulier aux femmes qui sontnées dans l’opulence ou avec les habitudes distinguées de l’aristocratie, Augustine eut unaffreux serrement de cœur affreux. Elle cœur : elle envia les secrets de cette élégancedontde laquelle elle n’avait jamais eu l’idée. Elle , elle respira un air de grandeur qui luirévéla le mystère deexpliqua l’attrait que de cette maison possédait pour son mari. Quandelle parvint aux petits-appartemens appartements de la duchesse, elle éprouva de lajalousie et une sorte de désespoir, en y admirant la voluptueuse disposition des meubles,des draperies, et des étoffes tendues. Là, le désordre était une grâce ;, là, le luxe affectaitune espèce de dédain pour la richesse ; et il y avait autant d’hommages rendus aux arts età la simplicité que de bon goût.. Les parfums répandus dans cette douce atmosphèreflattaient l’odorat sans l’offenser ; l’accord des pièges tendus à l’œil par tous les . Lesaccessoires de l’appartement, s’harmoniaient avec ceux d’une vue ménagée par desglaces sans tain sur les pelouses d’un jardin planté d’arbres verts, enchantait les regards ;tout . Tout était séduction, et le calcul ne s’y sentait pas.point. Le génie de la maîtresse deces appartemensappartements respirait tout entier dans le salon où attendait Augustine.

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Elle tâcha d’y deviner le caractère de sa rivale par l’aspect des objets épars ; mais il yilsavait là quelque chose d’impénétrable dans la profusionle désordre comme dans lasymétrie, et pour la simple Augustine ce fut lettres closes. Tout ce qu’elle put y voir,c’est que la duchesse était une femme supérieure en tant que femme. Alors elle Elle eutalors une pensée douloureuse.¶

– Hélas ! serait-il vrai, se dit-elle, qu’un cœur aimant et simple ne suffitsuffisepas à un artiste ; et pour balancer le poids de ces âmes fortes, faut-il les unir à des âmesféminines dont la puissance soit égalepareille à la leur. ? Si j’avais été élevée commecette syrènesirène, au moins nos armes eussent été égales au moment de la lutte.¶

– Mais je n’y suis pas !.....¶ Ces mots secs et brefs, quoique prononcés à voixbasse dans le boudoir voisin, furent entendus par Augustine, dont le cœur palpita.¶

– Mais cette – Cette dame est là !....., répliqua la femme de chambre.¶– Vous êtes folle, faites donc entrer, répondit la duchesse ; faites donc entrer ! Sa

duchesse dont la voix devenue douce avait pris l’accent affectueux de la politesse : il étaitclair qu’. Évidemment, elle désirait alors être entendue.¶

Augustine s’avança timidement. Elle vit, auAu fond de ce frais boudoir, elle vit laduchesse voluptueusement couchée sur une ottomane. Ce siège, de en velours gros bleu,était placévert placée au centre d’une espèce de demi-cercle dessiné par les plis les plusmoelleux et les plus délicats d’une mousseline élégamment jetée.tendue sur un fondjaune. Des ornemensornements de bronze et d’or, placésdoré, disposés avec un goûtexquis, relevaient la blancheur de rehaussaient encore cette espèce de dais sous lequel laduchesse était posée comme une statue antique. La couleur foncée du velours ne luilaissait perdre aucun moyen de séduction. Un demi- jour, ami de sa beauté, semblait êtreplutôt un reflet qu’une lumière. Quelques fleurs rares élevaient leurs têtes embaumées au-dessus des vases de Sèvres les plus riches.¶ Au moment où ce tableau s’offrit aux yeuxd’Augustine étonnée, elle avait marché si doucement, qu’elle put surprendre un regard del’enchanteresse. Ce regard semblait dire à une personne que la femme du peintren’aperçut pas d’abord :¶ : – Restez, vous allez voir une jolie femme, et vous m’égayerezcette ennuyeuse me rendrez sa visite moins ennuyeuse.¶

A l ’aspect d’Augustine, la duchesse se leva et la fit asseoir auprès d’elle surl’ottomane.¶

– A quoi dois-je le bonheur de cette visite, madame ?... dit-elle avec un sourireplein de grâces.¶

– Que Pourquoi tant de fausseté !....? pensa Augustine qui ne répondit que parune inclination de tête. .¶

Ce silence était commandé ; car la . La jeune femme voyait devant elle un témoinde trop à cette scène.¶ Ce personnage était un homme ; et, de tous les colonels del’armée, c’était le plus jeune, le plus élégant et le mieux fait. Son costume demi-bourgeois faisait ressortir toutes les grâces de sa personne. Sa figure, pleine de vie, dejeunesse, et déjà fort expressive, était encore animée par de petites moustaches relevéesen pointe et noires comme du jais, par une impériale bien fournie, par des favorissupérieurementsoigneusement peignés et par une forêt de cheveux noirs assez endésordre. Il badinait avec une cravache, en manifestant une aisance et une liberté quiallaient admirablementséyaient à l’air satisfait de sa physionomie ainsi qu’à l’exquise larecherche de sa toilette. Les : les rubans attachés à sa boutonnière étaient noués avecdédain, et il paraissait bien plus vain de sa jolie tournure que de son courage. Augustine

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regarda la duchesse de Carigliano en lui montrant le colonel par un coup- d’œil donttoutes les prières furent comprises.¶

– Eh bien, adieu, coloneld’Aiglemont, nous nous retrouverons au bois deBoulogne.¶

Ces mots furent prononcés par la syrènesirène comme s’ils étaient le résultatd’une stipulation antérieure à l’arrivée d’Augustine. Elle , elle les accompagna d’unregard menaçant que l’officier méritait peut-être pour l’admiration qu’il témoignait encontemplant la modeste fleur qui contrastait si bien avec l’orgueilleuse duchesse.¶ Lejeune fat s’inclina en silence, tourna sur les talons de ses bottes, et s’élançagracieusement hors du boudoir.¶ En ce moment, Augustine, épiant sa rivale qui semblaitsuivre des yeux le brillant officier, surprit dans ce regard un sentiment dont toutes lesfemmes connaissent les fugitives expressions. Alors elle sont connues de toutes lesfemmes. Elle songea avec la douleur la plus profonde que sa visite allait être inutile. Ellepensa que : cette artificieuse duchesse était trop avide d’hommages, pour ne pas avoir unle cœur de bronze.¶sans pitié.¶

– Madame, dit Augustine d’une voix entrecoupée, la démarche que je fais en cemoment auprès de vous va vous sembler bien singulière ; mais le désespoir a sa folie, etil doit faire tout excuser. Je m’explique trop bien pourquoi M. de SommervieuxThéodorepréfère votre maison à toute autre, et pourquoi votre esprit exerce tant d’empire sur lui !..HélasHélas ! je n’ai qu’à rentrer en moi-même pour en trouver des raisons plus quesuffisantes. Mais j’adore mon mari, madame. Deux ans de larmes n’ont point effacé sonimage de mon cœur, quoique j’aie perdu le sien. Dans ma folie, j’ai osé concevoir l’idéede lutter avec vous, ; et je viens à vous, vous demander par quels moyens je puistriompher de vous-même.¶

– Oh !, madame ! s’écria la jeune femme en saisissant avec ardeur la main de sarivale, qui la lui laissa prendre, je ne prierai jamais Dieu pour mon propre bonheur avecautant de ferveur que je l’implorerais pour le vôtre, si vous m’aidiez à reconquérir, je nedirai pas l’amour, mais l’amitié de M. de Sommervieux... Je n’ai plus d’espoir qu’envous. Ah ! dites-moi, comment vous avez pu lui plaire et lui faire oublier les premiersjours de...¶

A ces mots, Augustine, suffoquée par des sanglots impérieuxmal contenus, futobligée de s’arrêter. Toute honteuseHonteuse de sa faiblesse, elle cacha son joli visagedans un mouchoir qu’elle inonda de ses larmes.¶

– EtesÊtes-vous donc enfant, ma chère petite belle !.....? dit la duchesse, qui,séduite par la nouveauté de cette scène et attendrie malgré elle en recevant l’hommageque lui rendait la plus parfaite vertu qui fût peut-être à Paris, prit le mouchoir de la jeunefemme et se mit à lui essuyer elle-même les yeux en la flattant par quelquesmonosyllabes murmurés avec une gracieuse pitié.¶ Après un moment de silence, lacoquette, mettantemprisonnant les jolies mains de la pauvre Augustine entre les siennesqui avaient un rare caractère de beauté noble et de puissance, lui dit d’une voix douce etaffectueuse :¶ : – Pour premier avis, je vous conseillerai, ma chère petite, de ne paspleurer ainsi, parce que les larmes enlaidissent. Il faut savoir prendre son parti sur leschagrins. Ils qui rendent malade et , car l’amour ne reste pas long-temps sur un lit dedouleur. La mélancolie donne bien d’abord une certaine grâce qui plaît ;, mais elle finit

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3 orig. : alonger

par allonger3 les traits et flétrir la plus ravissante de toutes les figures. Ensuite, les nostyrans ont l’amour-propre de vouloir que leurs esclaves soient toujours gaies.¶

– Ah, ! madame, il ne dépend pas de moi de ne pas sentir ! Comment peut-on,sans éprouver mille morts, voir terne, décolorée, indifférente, une figure qui jadisrayonnait d’amour et de joie ?... Ah je Je ne sais pas commander à mon cœur.¶

– Tant pis, ma chère belle ; mais je crois déjà savoir toute votre histoire. D’abord,imaginez-vous bien, mon ange, que si votre mari vous a été infidèle, je ne suis pas sacomplice. Si j’ai tenu à l’avoir dans mon salon, c’est, je l’avouerai, par amour-propre : ilétait célèbre et n’allait nulle part. Je vous aime déjà trop, mon ange, pour vous dire toutesles folies qu’il a faites pour moi. Je ne vous en révélerai qu’une seule, parce qu’elle nousservira peut-être à vous le ramener et à le punir de l’audace qu’il met dans ses procédésavec moi. Il finirait par me compromettre. Je connais assez trop le monde, ma bellechère,pour ne pas vouloir me mettre à la discrétion d’un homme trop supérieur : sachez. Sachezqu’il faut se laisser faire la cour par eux, mais les épouser !... c’est une faute. Nous autresfemmes, nous devons admirer les hommes de génie, en jouir comme d’un spectacle, maisvivre avec eux ?...! jamais !.... Fi donc, ! c’est vouloir prendre plaisir à regarder lesmachines de l’Opéral’opéra, au lieu de rester dans une loge, à y savourer de ses brillantesill usions. Mais chez vous, ma pauvre enfant, le mal est arrivé, n’est-ce pas ?... Ehbienbien ! il faut essayer de vous armer contre la tyrannie.¶

– Ah !, madame, ! avant d’entrer dans ce petit sanctuaire et ici, en vous y voyant,j’ai déjà reconnu quelques artifices dont je n’avais aucune idée.¶que je ne soupçonnaispas.¶

– Eh bien, chère petite, venez me voir quelquefois, et vous ne serez pas long-temps sans posséder la science de ces bagatelles, d’ailleurs assez importantes au reste ;car les. Les choses extérieures sont, pour les sots, la moitié de la vie ; et il y apour cela,plus d’un homme de talent qui se trouve un sot malgré tout son esprit. Mais je gage quevous n’avez jamais rien su refuser à Henri.¶Théodore ?¶

– Le moyen, madame, de refuser quelque chose à celui qu’on aime.¶ !¶– Oh, chère petite niaise, je vous adorerais !... Mais sachez– Pauvre innocente, je

vous adorerais pour votre niaiserie. Sachez donc que plus nous aimons et, moins nousdevons laisser apercevoir à un homme, surtout à un mari, l’étendue de notre passion ; carc’est . C’est celui qui aime le plus qui est tyrannisé, et, qui pis est, délaissé tôt ou tard.Celui qui veut régner, doit...¶

– Comment, madame, faudra-t-il donc dissimuler, calculer, devenir fausse, sefaire un caractère artificiel et..... pour toujours ?.... Oh, ! comment peut-on vivreainsi ?..... Est-ce que vous pouvez...¶

Elle hésita et, la duchesse sourit.¶– Ma chère, reprit la grande dame d’une voix grave, le bonheur conjugal a été de

tout temps une spéculation. C’est, une affaire qui demande une attention particulière. Sivous continuez à parler passion quand je vous parle mariage, nous ne nous entendronsbientôt plus.¶ – Écoutez-moi ? Ecoutez-moi, continua-t-elle en prenant le ton d’uneconfidence. J’ai été à même de voir quelques-uns des hommes supérieurs de notreépoque. J’ai remarqué que ceuxCeux qui s’étaientse sont mariés avaientont, à quelques

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exceptions près, épousé des femmes nulles. EhEh ! bien , ces femmes-là lesgouvernaient, comme l’empereur nous gouverne, et en étaient..., sinon aimées, du moinsrespectées. par eux. J’aime assez les secrets, surtout ceux qui nous concernent, pourm’être amusée à chercher le mot de cette énigme. EhEh ! bien, mon ange, ces bonnesfemmes-là avaient le talent d’analyser le caractère de leurs maris, ; sans s’épouvantercomme vous de leur supériorité. Elles leurs supériorités, elles avaient adroitementremarqué les qualités qui leur manquaient ; puis, et soit qu’elles possédassent cesqualités-là, ou qu’elles feignissent de les avoir, elles trouvaient moyen d’en faire un sigrand étalage aux yeux de leurs maris qu’elles finissaient par leur imposer. Enfin,apprenez encore que ces âmes qui paraissent si grandes ont toutes un petit grain de folieque nous devons savoir exploiter. Puis, enEn prenant la ferme volonté de les dominer, enne s’écartant jamais de ce but, en y rapportant toutes nos actions, nos idées, noscoquetteries, nous maîtrisons ces esprits éminemment capricieux qui, par la mobilitémême de leurs pensées, nous donnent les moyens de les influencer.¶

– Oh ciel ! s’écria la jeune femme épouvantée, voilà donc la vie !.... C’est uncombat.....¶

– Où il faut toujours menacer, reprit la duchesse en riant. Notre pouvoir est toutfactice. Aussi ne faut-il jamais se laisser mépriser par un homme ; car: on ne se relèvepas de là.d’une pareille chute que par des manœuvres odieuses. Venez, ajouta-t-elle, jevais vous donner un moyen de mettre votre mari à la chaîne.¶

Elle se leva, pour guider en souriant la jeune et innocente apprentie des rusesconjugales à travers le dédale de son petit palais. Elles arrivèrent toutes deux à unescalier dérobé qui communiquait aux appartemensappartements de réception. Quand laduchesse tourna le secret de la porte, elle s’arrêta ; et, regardant, regarda Augustine avecun air inimitable de finesse et de grâce :¶ : – Tenez, le duc de Carigliano m’adore…. Eh,eh ! bien, il n’ose pas venirentrer par ici cette porte sans ma permission ; et cependant,.Et c’est un homme qui a l’habitude de commander à des milliers de soldats !.... Il saitaffronter des les batteries, mais pas celle-ci…. dit-elle en mettant deux doigts de sa maindroite sous chacun de ses yeux étincelans.¶devant moi… il a peur.¶

Augustine soupira.¶ Elles parvinrent à une somptueuse galerie où la femme dupeintre fut amenée par la duchesse devant le portrait qu’Henrique Théodore avait fait demademoiselle Guillaume.¶ A cette vue A cet aspect, Augustine jeta un cri.¶

– Je savais bien qu’il n’était plus chez moi, dit-elle en revenant à la vie, mais....ici !....¶!¶

– Ma bellechère petite, je ne l’ai exigé que pour voir jusqu’à quel degré de bêtiseun homme de génie peut atteindre. Tôt ou tard, il vous aurait été rendu par moi ; mais ,car je ne m’attendais pas au plaisir de voir ici l’original devant la copie. Je veux que,pendant le déjeunerPendant que nous allons faire, car il faut achever notre conversation,mon secrétaireje le fasseferai porter dans votre voiture ; et si. Si, armée de ce talisman,vous n’êtes pas maîtresse de votre mari, pendant cent ans !.., vous n’êtes pas une femme,et vous mériteriezméritez votre sort.¶ !¶

Augustine baisa la main de la duchesse, qui prit la jeune innocente dans ses bras,la pressa sur son cœur, et l’embrassa avec une tendresse d’autant plus affectueuse et vivequ’elle devait être oubliée le lendemain.¶ Cette scène aurait peut-être à jamais ruiné lacandeur et la pureté d’une femme moins vertueuse qu’Augustine. Les à qui les secretsrévélés par la duchesse étaient pouvaient être également salutaires et funestes. La , car la

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politique astucieuse des hautes sphères sociales ne convenait pas plus à Augustine quel’étroite raison de Joseph Lebas, ou ni que la niaise morale de madame Guillaume.Étrange effet des fausses positions où nous jettent les moindres contre-sens commis dansla vie ! Augustine ressemblait alors à un pâtre des Alpes surpris par une avalanche : s’ilhésite et qu’il veuille, ou s’il veut écouter les cris de ses compagnons, le plus souvent ilpérit. Dans ces grandes crises, il faut, suivant la belle expression d’un philosophe, que lecœur se brise ou se bronze.¶

Madame de Sommervieux revint chez elle en proie à une agitation qu’il seraitdifficile de décrire. La Sa conversation qu’elle venait d’avoir avec la duchesse deCarigliano éveillait une foule d’idées contradictoires dans son esprit. Elle était,commeComme les moutons de la fable, pleine de courage en l’absence du loup. Elle, ellese haranguait elle-même et se traçait d’admirables plans de conduite ; elle concevait millestratagêmesstratagèmes de coquetterie ; elle parlait même à son mari, retrouvant, loin delui, toutes les ressources de cette éloquence vraie qui n’abandonne jamais les femmes ;puis, en songeant au regard fixe et clair de HenriThéodore, elle tremblait déjà.¶ Quandelle demanda si M. de Sommervieuxmonsieur était chez lui, la voix lui manqua presque ;et, en. En apprenant qu’il ne reviendrait pas dîner, elle éprouva un mouvement de joieinexplicable. Semblable au criminel qui se pourvoit en cassation contre son arrêt de mort,un délai, siquelque court qu’il pût être, lui semblait une vie entière.¶ Plaçant Elle plaça leportrait dans sa chambre, elle et attendit son mari, livrée en se livrant à toutes lesangoisses de l’espérance et de la crainte. Elle pressentait trop bien que cette tentativeallait décider de tout son avenir, pour ne pas frissonner au à toute espèce de bruit dechaque voiture, et, même au murmure de sa pendule, qui semblait appesantir ses terreursen les lui mesurant.¶ Elle tâcha de tromper le temps par mille artifices. Elle eut l’idée defaire une toilette qui la rendîtrendit semblable de en tout point au portrait. Puis,connaissant le caractère inquiet de M. de Sommervieux, son mari, elle fit éclairer sonappartement d’une manière inusitée, certaine qu’en rentrant la curiosité l’amènerait chezelle.¶ Minuit sonna, quand, au cri du jockei, la porte de l’hôtel s’ouvrit et la . La voituredu peintre roula sur le pavé de la cour silencieuse.¶

– Qu’est-ce que Que signifie cette illumination ?...., demanda HenriThéodored’une voix joyeuse, en entrant dans la chambre de sa femme.¶

SaisissantAugustine saisit avec adresse un moment aussi favorable, Augustine elles’élança au cou de son mari, et lui montra le portrait.¶ L’artiste resta immobile commeun rocher. Ses, et ses yeux se dirigèrent alternativement sur Augustine et sur la toileaccusatrice. La timide épouse, demi-morte, qui épiait le front changeant, le front terriblede son mari ; et, , en vit par degrés, elle en vit les rides expressivess’amoncelers’amoncelant comme des nuages. Elle ; puis, elle crut sentir son sang sefiger dans ses veines, quand, par un regard flamboyant et d’une voix profondémentsourde, elle fut interrogée.¶

– Où avez-vous trouvé ce tableau ?...¶?¶– La duchesse de Carigliano me l’a rendu...¶– Vous le lui avez demandé ?...¶?¶– Je ne savais pas qu’il fût chez elle.¶La douceur ou plutôt la mélodie enchanteresse de la voix de cet ange eût attendri

des Cannibales ;, mais non pas un Parisienartiste en proie aux tortures de la vanitéblessée.¶

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– Cela est digne d’elle !..., s’écria l’artiste d’une voix tonnante. Je mevengerai !..., dit-il en se promenant à grands pas ;, elle en mourra de honte ;: je lapeindrai ! Ouioui, je ferai la représenterai sous les traits de Messaline sortant à la nuit dupalais de Claude, à la nuit, déguisée !...¶

– Henri !...– Théodore ?.. dit une voix mourante.¶– Je la tuerai...¶– Henri !...¶ – Mon ami !¶– Elle aime ce petit colonel de cavalerie, parce qu’il monte bien à cheval...¶– Henri !...¶ – Théodore !¶– Eh ! laissez-moi !, dit le peintre à sa femme avec un son de voix qui ressemblait

presque à un rugissement.¶Il serait odieux de peindre toute cette scène à la fin de laquelle l’ivresse de la

colère suggéra à M. de Sommervieuxl’artiste des paroles et des actes qu’une femme,moins jeune qu’Augustine, aurait attribués à la démence..................................................¶

.............................................................................................................................¶........................................................................................................................................¶

¶ ¶ ¶ Sur les huit heures du matin, le lendemain, madame Guillaume surprit sa fille

pâle, les yeux rouges, la coiffure en désordre, tenant à la main un mouchoir trempé depleurs, contemplant sur le parquet les fragmensfragments épars d’une toile déchirée et lesmorceaux d’un grand cadre doré mis en pièces.¶

. Augustine, que la douleur rendait presque insensible, montra ces débris par ungeste empreint de désespoir.¶

– Et voilà peut-être une grande perte !.., s’écria la vieille régente du Chat-qui-pelote. Il était ressemblant, c’est vrai. Mais ; mais j’ai appris qu’il y a sur le boulevardun homme qui fait des portraits charmanscharmants pour cinquante écus !..¶

– Ah !, ma mère !...¶!¶– Pauvre petite !, tu as bien raison, ! répondit madame Guillaume, abusée par le

qui méconnut l’expression du regard deque lui jeta sa fille. Va, mon enfant, l’on n’estjamais si tendrement aimée que par sa mère…. Viens, ma. Ma mignonne ? Je , je devinetout ; mais viens me direconfier tes chagrins ? Je, je te consolerai. Ne t’ai-je pas déjà ditque cet homme-là était un fou ?... Ta femme de chambre m’a déjà conté de belleschoses ; mais ... Mais c’est donc un véritable monstre ?¶!¶

Augustine mit un doigt sur ses lèvres pâlies, comme pour implorer de sa mère unmoment de silence.¶ Pendant cette terrible nuit, le malheur lui avait fait trouver dans sonâme ce trésor de patience et decette patiente résignation qui, chez les mères et chez lesfemmes aimantes, paraît mille fois plus riche quesurpasse, dans ses effets, l’énergiehumaine, et qui,révèle peut-être, annonce que Dieu a mis dans le cœur de ces ravissantescréatures desdes femmes l’existence de certaines cordes dont il a privé celui de que Dieua refusées à l’homme.¶

¶ ¶ ¶ Une inscription, gravée sur un marbre tumulairecippe du cimetièreMontmartre, indiquait indique que madame de Sommervieux était est morte à vingt-septans ; et . Dans les simples lignes de cette épitaphe, un poète, ami de cette célestetimidecréature, voyait, dans les simples lignes de cette épitaphe, voit la dernière scène d’un

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drame.¶ Chaque année, au jour solennel du deux2 novembre, il ne passaitpasse jamaisdevant ce jeune cippe marbre sans se demander s’il ne fallaitfaut pas des femmes plusfortes qu’que ne l’était Augustine pour les puissantes étreintes du génie.¶

– Les fleurs humbles et modestes fleurs, écloses dans les vallées, meurent peut-être, se disaitdit-il, quand elles sont transplantées trop près des cieux, aux régions où seforment les orages, où le soleil est brûlant.¶

Maffliers, octobre 1829.¶

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Comparaison entre Gloire et malheur de

1830 et La Maison du chat-qui-pelote dans

le «  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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IVME SCÈNE.¶ ¶ GLOIRE ET MALHEUR.¶

¶ LA MAISON DU CHAT-QUI-PELOTE¶

DÉDIÉ A MADEMOISELLE MARIE DE MONTHEAU¶IL existait encore, il y a peu de temps, au Au milieu de la rue Saint-Denis, et

presqu’presque au coin de celle la rue du Petit-Lion, existait naguère une de ces maisonsprécieuses, qui donnent aux romanciers et aux antiquaires,historiens la facilité dereconstruire par analogie l’ancien Paris dans leurs ouvrages.. Les mursmenaçansmenaçants de cette bicoque avaient l’air d’avoir été chargéssemblaient avoir étébariolés d’hiéroglyphes ; en effet, quel. Quel autre nom le flâneur pouvait-il donner auxX et aux V tracés en profusion par que traçaient sur la façade les pièces de boistransversales ou diagonales qui se voyaient sur la façade ? Ces bois vermoulus sedessinaient d’autant mieux sur la chemise jaunâtre, passée à la maison par dessinées dansle badigeonneur, que badigeon par de petites lézardes parallèles, et taillées en dents descie, semblaient indiquer que ? Évidemment, au passage de la plus légère voiture,chacune de ces solives s’agitait dans sa mortaise, au passage d’une voiture trop pesante..Ce vénérable édifice était surmonté d’un toit triangulaire. Ce toit, dont il n’existeraaucunmodèle ne se verra bientôt plus de modèles à Paris. Cette couverture, tordue par lesintempéries du climat parisien, s’avançait de trois pieds sur la rue, autant pour garantirdes eaux pluviales le seuil de la porte, que pour abriter la lucarne sans appui et le murd’un grenier qui avait été et sa lucarne sans appui. Ce dernier étage fut construit enplanches, clouées l’une sur l’autre comme des ardoises, afin sans doute de ne pas chargerlacette frêle maison.¶

Par une matinée pluvieuse du , au mois de mars, un jeune homme, soigneusementenveloppé d’un dans son manteau, se tenait sous l’auvent de la d’une boutique qui faisaiten face à cette maison, et paraissait l’examinerde ce vieux logis qu’il examinait avec toutl’enthousiasme d’un historien. Il est vrai queun enthousiasme d’archéologue. A la vérité,ce débris de l’opulencela bourgeoisie du XVeseizième siècle pouvait offriroffrait àl’observateur plus d’un problème à résoudre. Chaque étage avait sa A chaque étage, unesingularité. Au : au premier, quatre fenêtres longues, étroites et très-, rapprochées l’unede l’autre, avaient des carreaux de bois dans leur partie inférieure, afin de produire cejour douteux, à la faveur duquel un habile marchand donneprête aux étoffes la couleurvoulue par le chaland.souhaitée par ses chalands. Le jeune homme semblait plein dedédain pour cette partie essentielle de la maison, car ses yeux ne s’y étaient pas encorearrêtés. Son attention, faiblement excitée par les Les fenêtres du second étage , dont lesjalousies relevées laissaient voir, au travers de grands carreaux en verre de Bohême, depetits rideaux de mousseline assez roux,rousse, ne l’intéressaient pas davantage. Sonattention se portait plus particulièrement au troisième, sur d’humbles croisées bien plushumbles du troisième. Ces dernières, dont le bois grossiertravaillé grossièrement auraitmérité d’être placé au Conservatoire des arts et métiers pour y indiquer le point dedépartles premiers efforts de la menuiserie française, étaient garnies de . Ces croiséesavaient de petites vitres d’une couleur si verte, que, sans son excellente vue, le jeunehomme n’aurait pu apercevoir les rideaux de toile à carreaux bleus qui cachaient lesmystères de cet appartement aux yeux des profanes.¶ Parfois, l’impatient cetobservateur, fatigué, soit de cette ennuyé de sa contemplation sans résultat, soit ou du

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silence dans lequel la maison était ensevelie, ainsi que tout le quartier, abaissait sesregards vers les régions inférieures. Alors, un Un sourire involontaire se dessinait sur safigurealors sur ses lèvres, quand il revoyait la boutique. où se rencontraient en effet deschoses assez risibles. Une formidable pièce de bois, horizontalement appuyée sur quatrepiliers qui paraissaient courbés par le poids de cette maison décrépite, avait reçu étérechampie d’autant de couches de diverses peintures diverses que la joue d’une vieilleduchesse. en a reçu de rouge. Au milieu de cette large poutre mignardement sculptée,était fixé se trouvait un antique tableau représentant un chat qui pelotait.¶ Ce chef-d’œuvre désespérant Cette toile causait l’inextinguible gaîtéla gaieté du jeune homme ;et il faut dire aussi, qu’il serait difficile à un peintre moderne de donner à un chat unefigure aussi merveilleusement sérieuse, de lui faire tenir, d’une manière plus comique, .Mais il faut dire que le plus spirituel des peintres modernes n’inventerait pas de charge sicomique. L’animal tenait dans une de ses pattes de devant une raquette aussi grande quelui, et de le dresser aussi plaisammentse dressait sur ses pattes de derrière pour mirerl’ une énorme balle que lui renvoyait un gentilhomme en habit brodé. Dessin, couleurs,accessoires, attitudes, tout était traité avec un rare talent. Le temps avait altéréde manièreà faire croire que l’artiste avait voulu se moquer du marchand et des passants. En altérantcette peinture naïve de manière à rendre la scène, le temps l’avait rendue encore plusgrotesque par quelques incertitudes qui mettaient l’admirateur dans l’embarras.devaientinquiéter de consciencieux flâneurs. Ainsi la queue mouchetée du chat était découpée detelle sorte qu’on pouvait la prendre pour un spectateur, tant la queue des chats de nosancêtres était grosse, haute et fournie.¶ A droite du tableau, et sur un champ d’azur quidéguisait imparfaitement la pourriture du bois, les passans pouvaient lire Guillaume,passants lisaient GUILLAUME ; et à gauche, successeur du sieur Chevrel. L’intempériedu climat parisien avait SUCCESSEUR DU SIEUR CHEVREL. Le soleil et la pluieavaient rongé la plus grande partie de l’or moulu, parcimonieusement appliqué sur leslettres de cette inscription, dans laquelle les U remplaçaient les V et réciproquement,selon les lois de notre ancienne orthographe.¶ Afin de rabattre l’orgueil de ceux quicroient que le monde devient de jour en jour plus spirituel, et que le modernecharlatanisme asurpasse tout surpassé, il convient de faire observer ici que ces enseignes,dont l’étymologie semble bizarre à plus d’un négociant parisien, sont les tableaux mortsde vivansvivants tableaux à l’aide desquels nos espiègles ancêtres avaient réussi à amenerles chalands dans leurs maisons. Ainsi la truie qui Truie-qui-file, le singe Singe-vert, etc.,étaientfurent des animaux en cage dont l’adresse émerveillait les passanspassants, et dontl’éducation prouvait la patience de l’industriel au XVequinzième siècle. L’heureuxpossesseur d’une semblable curiosité s’enrichissaitDe semblables curiosités enrichissaientplus vite leurs heureux possesseurs que toutes les Providence, les Bonne-Foifoi, les Grâce-de -Dieu et les Décollation de saint Jean-Baptiste, qui se voient encore rue Saint-Denis.¶Cependant il étai difficile de croire que ce fût à la délicieuse peinture de ce chat qu’étaitdue la faction de l’inconnu qui avait aussi ses singularités. Son manteau, plissé avec ungoût inné pour l’imitation des élégantes Cependant l’inconnu ne restait certes pas là pouradmirer ce chat, qu’un moment d’attention suffisait à graver dans la mémoire. Ce jeunehomme avait aussi ses singularités. Son manteau, plissé dans le goût des draperiesantiques, laissait voir de petits piedsune élégante chaussure, d’autant plusbrillans,remarquable au milieu de la boue noire du pavé parisien, que le jeune hommeparisienne, qu’il portait des bas de soie blancs dont les mouchetures attestaient son

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impatience. Sous son chapeau, quelques boucles de cheveux noirs, défrisés par l’humiditéet retombant sur son col, indiquaient qu’il était coiffé à la Caracalla, coiffure que larécente résurrection de la sculpture et l’admiration pour l’antique avaient mise à la mode.Une cravatte éblouissante de blancheur rendait encore plus pâle sa figure tourmentée. Onoubliait facilement les contours bizarres, la bouche trop large et très-sinueuse de cevisage original, grâce au feu tour-à-tour sombre et pétillant qui s’échappait de deux yeuxnoirs. Des gants blancs déchirés annonçaient que l’inconnu sortait sans doute de quelquenoce, car il était six heures et demie du matin. Sauf Il sortait sans doute d’une noce oud’un bal, car à cette heure matinale il tenait à la main des gants blancs, et les boucles deses cheveux noirs défrisés éparpillées sur ses épaules indiquaient une coiffure à laCaracalla, mise à la mode autant par l’École de David que par cet engouement pour lesformes grecques et romaines qui marqua les premières années de ce siècle. Malgré lebruit que faisaient quelques maraîchers attardés qui passaient passant au galop enréveillant les échospour se rendre à la grande halle, cette rue si agitée avait alors uncalme dont il est difficile de concevoir la magie si l’on n’a pas n’est connue que de ceuxqui ont erré dans Paris désert, à ces heures, où son bruit infernaltapage, un momentapaisé, renaît et s’entend dans le lointain comme la grande voix de la mer.¶ Cet étrangejeune homme formait un tableau un peu plus devait être aussi curieux que celui pour lescommerçants du Chat-qui-pelote : sa bouche souriait avec amertume ; son front, plissépar une violente contrariété, avait quelque chose de fatal ; car , que le crâne est ce quel’homme a de plus prophétique. Quand la peau brune de ce front haut et large restait unieet tendue, il respirait le génie, la grâce, et de concert avec les yeux, il faisait mentir toutesles prédictions d’un visage repoussant s’il n’eût été sans cesse ennobli par unephysionomie spirituelle ; mais quand ce front, chargé de rides qui ressemblaient aux jeuxde l’eau, exprimait une passion trop forte, cette figure causait une sorte d’effroi : mobileà l’excès, la joie, la douleur, l’amour, la colère, le dédain, s’y succédaient avec quelquechose de si communicatif qu’on devait involontairement partager les affections qu’ilplaisait à ce jeune homme d’exprimer.¶ Il Chat-qui-pelote l’était pour lui. Une cravateéblouissante de blancheur rendait sa figure tourmentée encore plus pâle qu’elle ne l’étaitréellement. Le feu tour à tour sombre et pétillant que jetaient ses yeux noirs s’harmoniaitavec les contours bizarres de son visage, avec sa bouche large et sinueuse qui secontractait en souriant. Son front, ridé par une contrariété violente, avait quelque chosede fatal. Le front n’est-il pas ce qui se trouve de plus prophétique en l’homme ? Quandcelui de l’inconnu exprimait la passion, les plis qui s’y formaient causaient une sorted’effroi par la vigueur avec laquelle ils se prononçaient ; mais lorsqu’il reprenait soncalme, si facile à troubler, il y respirait une grâce lumineuse qui rendait attrayante cettephysionomie où la joie, la douleur, l’amour, la colère, le dédain éclataient d’une manièresi communicative que l’homme le plus froid en devait être impressionné. Cet inconnu sedépitait avec tant de violence si bien au moment où l’on ouvrit précipitamment la lucarnedu grenier, qu’il n’y vit pas apparaître trois joyeuses figures toutes rondelettes, blanches,roses, et mais aussi communes que ces le sont les figures du Commerce sculptées sur lesmonumens.certains monuments. Ces trois faces, encadrées par la lucarne, eurent l’air deces rappelaient les têtes d’anges bouffis dont on accompagne semés dans les nuages duqui accompagnent le Père éternel. Les jeunes apprentis respirèrent les émanations de larue avec une avidité qui prouvaitdémontrait combien l’atmosphère de leur grenier étaitchaude et méphytique. Celui des méphitique. Après avoir indiqué ce singulier

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factionnaire, le commis auquel appartenait la figure la plus joviale montra aux autres lesingulier factionnaire, puis en un moment ilqui paraissait être le plus jovial disparut etrevint, en tenant à la main un instrument dont le métal inflexible a été récemmentdétrônéremplacé par un cuir souple et poli. Ces trois visages souple ; puis tous prirentune expression malicieuse en regardant l’étranger, qui tout-à-coup fut aspergéle badaudqu’ils aspergèrent d’une petite pluie fine et blanchâtre, dont le parfum prouvait que lestrois mentons venaient d’être rasés.¶ Elevés Élevés sur la pointe de leurs pieds, etréfugiés au fond de leur grenier pour jouir de la colère de la leur victime, les commiscessèrent tout-à-coup leurs riresde rire en voyant l’insouciant dédain avec lequel le jeunehomme secoua son manteau, et le profond mépris que peignit sa figure, quand il leva lesyeux sur la lucarne vide.¶ Mais en En ce moment, une main blanche et délicate fitremonter, vers son imposte,l’imposte la partie inférieure d’une des grossières croisées dutroisième étage, au moyen de ces ingénieuses coulisses dont le tourniquet capricieux neretient pas toujours les lourds vitrages qui lui sont confiés. Alors le jeune artiste reçut larécompenselaisse souvent tomber à l’improviste le lourd vitrage qu’il doit retenir. Lepassant fut alors récompensé de sa longue attente. La délicieuse figure d’une jeune filleaussi , fraîche qu’comme un de ces blancs calices qui fleurissent au sein des eaux,apparut se montra couronnée de la d’une ruche en mousseline froissée qui donnait à sonfront, à sa tête, un air d’innocence admirable ;. Quoique couverts d’une étoffe brune, soncou blanc, son sein virginal, couverts d’une étoffe brune en désordre, se voyaient, sesépaules s’apercevaient, grâce à de légers interstices ménagés par les mouvemensignorésmouvements du sommeil. Aucune expression de contrainte n’altérait la grâceingénueni l’ingénuité de ce visage et, ni le calme de ces yeux immortalisés par avancedans les sublimes compositions de Raphaël : c’était la même grâce, la même tranquillitéde ces vierges devenues proverbiales.¶ Il existait un ravissantcharmant contraste produitpar la jeunesse des joues de cette figure, sur laquelle le sommeil avait laissé comme misen relief une surabondance de vie, et par la vieillesse de cette fenêtre massive auxcontours grossiers, dont l’appui était noir. La jeune fille à moitié éveillée etsemblableSemblable à ces fleurs de jour, qui n’ont pas encore au matin déplié toutes leurtuniques rouléesleur tunique roulée par le froid des nuits, la jeune fille, à peine éveillée,laissa errer ses yeux bleus sur les toits voisins, et regarda le ciel ; etpuis, par une sorted’habitude, elle les baissa sur les sombres régions de la rue, où ils rencontrèrent aussitôtceux de l’artiste. Elle devint rouge comme une cerise, sans doute par son adorateur : lacoquetterie la fit sans doute souffrir d’être vue ainsi en déshabillé, elle se retira vivementen arrière, le tourniquet tout usé tourna, et la croisée redescendit avec cette rapidité qui,de nos jours, a fait donnervalu un nom odieux à cette tristenaïve invention de nosancêtres. La , et la vision avait disparu. Il semblait que disparut. Pour ce jeune homme laplus brillante des étoiles du matin eût semblait avoir été soudain cachée par un nuagenoir.¶

Pendant tous ces petits événemensévénements, les lourds volets intérieurs quidéfendaient le léger vitrage de la boutique du Chat-qui-pelote, s’étaient avaient étéenlevés comme par magie. La vieille porte à heurtoir avait tourné sur ses gonds, s’étaitfutrepliée sur le mur intérieur de la maison, et par un vieux serviteur, presque vraisemblablement contemporain de l’enseigne, attachait, qui d’une main tremblante, àcette porte, un y attacha le morceau de drap carré sur lequel étaient brodés,était brodé ensoie jaune, l’enseigne et le nom classique de Guillaume, successeur de Chevrel.¶ Il eût

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été difficile à plus d’un passant de deviner le genre de commerce de M.monsieurGuillaume ; car à. A travers les gros barreaux de fer qui protégeaient extérieurement saboutique, on n’à peine y apercevait que -on des paquets enveloppés de toile brune aussinombreux qu’une cohorte de que des harengs qui traversequand ils traversent l’Océan.Cependant, malgré Malgré l’apparente simplicité, pour ne pas dire plus, de cette gothiquefaçade, M.monsieur Guillaume était, de tous les marchands drapiers de Paris, celui dontles magasins se trouvaient toujours les le mieux fournis, dont les relations avaient le plusd’étendue, et dont la probité commerciale, le plus d’exactitude. Lorsque ne souffrait pasle moindre soupçon. Si quelques-uns de ses confrères avaient concluconcluaient desmarchés urgens avec le gouvernement, sans avoir la quantité de drap voulue, il étaittoujours prêt à la leur livrer, dans les huit jours, le drap nécessaire à l’habillement de nosarmées, quelquelque considérable que fût le nombre d’aunes qu’ils eussent promis.depièces soumissionnées. Le rusé négociant avait connaissait mille manières de s’y prendrepour s’attribuer le plus fort bénéfice sans se trouver obligé, comme eux, de courir chezdes protecteurs, d’y faire des bassesses ou de riches présens. Si ces fournisseurs del’empireprésents. Si les confrères ne pouvaient le payer qu’en excellentes traites un peulongues, il indiquait son notaire comme un homme accommodant ; et il savait encoretirer une seconde mouture du sac, grâce à cet expédient, qui avait fait faisait direproverbialement aux négociansnégociants de la rue Saint-Denis : « – Dieu vous garde dunotaire de M.monsieur Guillaume ! » pour désigner un escompte onéreux.¶ Le vieuxnégociant se trouva debout comme par miracle, sur le seuil de sa boutique, au moment oùle domestique se retira. M.onsieur Guillaume regarda de tous côtés la rue Saint-Denis, lesboutiques voisines et le temps, comme un homme qui débarque au HâvreHavre et revoitla France après un long voyage. Bien convaincu que rien n’avait changé pendant sonsommeil, il aperçut alors le jeune artiste passant en faction qui, de son côté, regardait contemplait le patriarche de la draperie, comme M. de Humboldt dut contemplerexaminer le premier Kanguroosgymnote électrique qu’il rencontravit en Amérique.¶ M.Monsieur Guillaume portait de larges culottes de velours noir, des bas chinés, et dessouliers carrés et ornés de à boucles d’argent. Son habit à pans carrés, à basques carrées,à collet carré, environnaitenveloppait son corps légèrement voûté, d’un drap verdâtregarni de grands boutons de en métal blanc, mais rougis par un long l’ usage. Ses cheveuxgris, tout plats, étaient si exactement aplatis et peignés sur son crâne jaune, qu’ils lefaisaient ressembler à un champ sillonné. Ses petits yeux verts paraissaient avoir été ,percés comme avec une vrille, et flamboyaient sous deux arcs marqués d’une faiblerougeur à défaut de sourcils. Ses longues Les inquiétudes avaient inscrittracé sur sonfront des rides horizontales aussi nombreuses que les plis d’un fichu.de son habit. Cettefigure blême annonçait la patience, la sagesse commerciale, et l’espèce de cupidité ruséeque réclament les affaires.¶ A cette époque, on voyait moins rarement qu’aujourd’hui deces vieilles familles qui où se conservaient, comme de précieuses traditions, les mœurs,les costumes caractéristiques de leurs professions, et qui étaient restées au milieu de lacivilisation nouvelle semblables à comme ces débris antédiluviens retrouvés par M.Cuvier.¶ dans les carrières. Le chef de la famille Guillaume était un de ces notablesgardiens des anciens usages. On : on le surprenait à menacer un confrère du syndic, àregretter le prévôt des marchandsPrévôt des Marchands, et jamais il ne parlait d’unjugement du tribunal de commerce sans le nommer la sentence des consuls. C’était Levésans doute en vertu de ces coutumes, que, levé le premier de sa maison, il attendait là de

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pied ferme l’arrivée de ses trois commis, pour les gourmander en cas de retard.¶ Cesjeunes disciples de Mercure ne connaissaient rien de plus redoutable que l’activitésilencieuse avec laquelle le patron scrutait leurs visages et leurs mouvemensmouvements,le lundi matin, ou quand il soupçonnait qu’ils pouvaient avoir commis quelqueescapade.en y recherchant les preuves ou les traces de leurs escapades. Mais, en cemoment, le vieux drapier ne faisaitfit aucune attention à eux tantses apprentis, il étaitoccupé à chercher le motif de la sollicitude avec laquelle le jeune homme en bas de soieet en manteau portait alternativement les yeux sur son enseigne, sur lui, et sur lesprofondeurs de son magasin. Le jour, devenu plus éclatant, permettait d’d’y apercevoir lebureau grillégrillagé, entouré de rideaux en vieille soie verte, où se tenaient les livresimmenses, oracles muets de la maison. Le trop curieux étranger semblait convoiter cepetit local, ety prendre le plan d’une salle à manger latérale, éclairée par un vitragepratiqué dans le plafond, et d’où la famille réunie devait facilement voir, pendant sesrepas, les plus légers accidensaccidents qui pouvaient arriver sur le seuil de la boutique.Un si grand amour pour son logis paraissait suspect à un négociant qui avait subi lerégime de la terreur ; et M.du Maximum. Monsieur Guillaume pensait donc asseznaturellement que cette figure sinistre en voulait à la caisse du Chat-qui-pelote.¶ Le plusâgé des commis ayant joui assez Après avoir discrètement du combat de regardsjoui duduel muet qui avait lieu entre son patron et l’inconnu, se le plus âgé des commis hasardaà de se placer sur la dalle où était M.monsieur Guillaume ; puis, , en voyant que le jeunehomme contemplait contempler à la dérobée les croisées du troisième, il . Il fit deux pasdans la rue, leva la tête, et crut avoir aperçu mademoiselle Augustine Guillaume seretirerqui se retirait avec précipitation.¶ Le drapier, mécontent Mécontent de laperspicacité de son premier commis, le drapier lui lança un regard de travers ; mais tout-à- coup les craintes mutuelles que la présence de ce passant excitait dans l’âme dumarchand et de l’amoureux apprenticommis se calmèrent. Ils virent l’inconnu faire signeàL’inconnu hêla un fiacre matinal qui se rendait à une place voisine, et montery montarapidement le marche-pied de la voiture en affectant une trompeuse indifférencetrompeuse.. Ce départ mit un certain baume dans le cœur des deux autres commis, assezinquiets de retrouver la victime de leur aspersion.¶plaisanterie.¶

– Hé bien, messieurs, qu’avez-vous donc à rester là, les bras croisés ? ditM.monsieur Guillaume à ses trois néophytes ; mais . Mais autrefois, sarpejeu ! quandj’étais chez le sieur Chevrel, j’avais à cette heure-ci déjà visité déjà plus de deux piècesde drap.¶

– Il faisait donc clair jour de meilleure heure ?, dit le second commis que cettetâche concernait. .¶

Le vieux négociant ne put s’empêcher de sourire.¶ Quoique deux de ces troisjeunes gens, confiés à ses soins par leurs pères, riches manufacturiers de Louviers et deSedan, n’eussent qu’à demander cent mille écusfrancs pour les avoir , le jour où ilsseraient en âge de s’établir, M. Guillaume croyait de son devoir de les tenir sous la féruled’un antique despotisme, inconnu de nos jours dans les brillansbrillants magasinsmodernesmodernes dont les commis veulent être riches à trente ans : il les faisaittravailler comme des nègres, et à. A eux trois, ils ces commis suffisaient à une besognequi mettraitaurait mis sur les dents dix de ces employés, dont le sybaritisme enfleaujourd’hui les colonnes du budget.¶ Aucun bruit ne troublait la paix de cette maisonsolennelle, où les gonds, les serrures, semblaient toujours huilés, et dont le moindre

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meuble avait cette propreté respectable qui annonce un ordre et une économie sévères.Souvent, le plus espiègle des commis s’était amusé à écrire sur le fromage degruyèreGruyère qu’on leur abandonnait au déjeuner, et qu’ils se plaisaient à respecter, ladate de sa réception primitive. Cette malice et quelques autres semblables faisaientparfois sourire la plus jeune des deux filles de M. Guillaume, cette la jolie vierge quivenait d’apparaître au passant enchanté. Quoique le plus jeunechacun des apprentis payât, et même le plus ancien, payât une très-forte pension, aucun d’eux n’eût été assez hardipour rester à la table du patron, au moment où le dessert y était servi. Lorsque madameGuillaume parlait d’accommoder la salade, ces pauvres jeunes gens tremblaient ensongeant avec quelle parcimonie son inexorablesa prudente main savait y épancherl’huile. Il ne fallait pas qu’ils s’avisassent de passer une nuit dehors, sans avoir justifiédonné long-temps à l’avance le sujet de un motif plausible à cette irrégularité. Enfin,chaque Chaque dimanche, et à tour de rôle, deux commis accompagnaient la familleGuillaume à la messe de Saint-Leu et aux vêpres. Mesdemoiselles Virginie et Augustine,modestement vêtues d’indienne, donnaientprenaient chacune le bras à d’un commis, etmarchaient en avant, sous les yeux perçansperçants de leur mère, qui fermait ce petitcortége domestique avec son mari, accoutumé par elle à porter deux gros paroissiensreliés en maroquin noir.¶ Le second commis n’avait pasd’appointemens.d’appointements. Quant à celui que septdouze ans de persévérance et dediscrétion initiaient aux secrets de la maison, il recevait huit cents francs en récompensede ses labeurs. Mais àA certaines fêtes de famille, il était gratifié de quelques cadeauxauxquels la main sèche et ridée de madame Guillaume donnait seule du prix : c’était desbourses en filet qu’elle avait soin d’emplir de coton pour en faire valoir les leurs dessinsà jour, ou des bretelles fortement conditionnées, et ou des paires de bas de soie bienlourdes. Quelquefois, mais rarement, ce premier ministre était admis à partager lesplaisirs de la famille, soit quand elle allait à la campagne ;, soit quand, après des moisd’attente, elle se décidait à user de son droit à demander, en louant une loge, une pièceque tout à laquelle Paris ne voyaitpensait plus. Quant aux deuxtrois autres commis, labarrière de respect, qui séparait jadis un maître drapier de ses apprentis, était placée sifortement entre eux et le vieux négociant, qu’il leur eût été plus facile de voler une piècede drap que de faire plierdéranger cette auguste étiquette.¶ Cette réserve peut paraîtreridicule aujourd’hui ; mais aussi, ces vieilles maisons étaient des écoles de mœurs et deprobité ; les. Les maîtres adoptaient leurs apprentis ; le . Le linge d’un jeune homme étaitsoigné, réparé et , quelquefois renouvelé par la maîtresse de la maison ; si un . Uncommis tombait -il malade, il étaitdevenait l’objet de soins vraiment maternels ; et. Encas de danger, le patron prodiguait son argent pour appeler les plus célèbres docteurs, encas de danger ; bref, il ; car il ne répondait pas seulement des mœurs et du savoir de cesjeunes gens à leurs parens.parents. Si l’un d’eux tombait dans quelque infortune, onsavait apprécier un caractère, honorable et par le caractère, éprouvait quelque désastre,ces vieux négociants savaient apprécier l’intelligence qu’on avait développés, et cesvieux négocians qu’ils avaient développée, et n’hésitaient pas à confier le bonheur deleurs filles à celui auquel ils avaient, pendant si long-temps, confié leurs fortunes.¶ M.Guillaume était un de ces hommes antiques : , et s’il en avait les ridicules, il en avait lecœur ettoutes les qualités. Aussi M. ; aussi Joseph Lebas, son premier commis, orphelinet sans fortune, était-il, dans son idée, l’époux qu’il destinait à le futur époux de Virginie,sa fille aînée. Mais M. Joseph n’avait pas adopté ne partageait point les pensées

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symétriques de son patron, qui n’aurait pas, pour un empire, n’aurait pas marié saseconde fille avant la première ; et l’infortuné. L’infortuné commis se sentait le cœurentièrement pris pour mademoiselle Augustine la cadette.¶ Afin de justifier cettepassion, qui avait grandi secrètement, il est nécessaire de pénétrer plus avant dans lesressorts du gouvernement absolu qui régissait la maison du vieux marchand drapier.¶

M. Guillaume avait deux filles. L’aînée, mademoiselle Virginie, était tout leportrait de sa mère. Or, madameMadame Guillaume, fille du sieur Chevrel, se tenait sidroite sur la banquette de son comptoir, que plus d’une fois elle avait entendu desplaisansplaisants parier qu’elle y était empalée. Sa figure maigre et longueannonçaittrahissait une dévotion outrée. Sans grâces et sans manières aimables, madameGuillaume ornait habituellement sa tête presque sexagénaire d’un bonnet dont la formeétait invariable et qui avait des garni de barbes comme celui d’une veuve. Tout levoisinage l’appelait la sœur tourière. Sa parole était brève, et ses gestes les plus gracieuxavaient quelque chose des mouvemensmouvements saccadés d’un télégraphe ; et son.Son œil, clair comme celui d’un chat, semblait en vouloir à tout le monde de ce qu’elleétait laide. Mademoiselle Virginie, élevée comme sa jeune sœur sous les lois despotiquesde leur mère, avait atteint l’âge de vingt-huit ans. La jeunesse atténuait l’air disgracieuxque sa ressemblance avec sa mère donnait parfois à sa figure ; mais la rigueur maternellel’avait dotée de deux grandes qualités, qui pouvaient tout contre-balancer : elle étaitdouce et patiente.¶ Mademoiselle Augustine, à peine âgée de dix-huit ans, ne ressemblaitni à son père ni à sa mère ; elle. Elle était de ces personnes filles qui, par l’absence detout lien physique avec leurs parensparents, font croire à ce dicton de prude : Dieu donneles enfans.enfants. Augustine était petite, ou, pour la mieux la peindre, mignonne.Gracieuse et pleine de candeur, un homme du monde n’aurait pu reprocher à cettecharmante créature que des gestes mesquins ou certaines attitudes communes, et parfoisde la gêne. Sa figure silencieuse et immobile respirait cette mélancolie passagère quis’empare de toutes les jeunes filles trop faibles pour oser résister aux volontés d’unemère.¶ Toujours modestement vêtues, les deux sœurs ne pouvaient satisfaire lacoquetterie innée chez la femme, que par un luxe de propreté qui leur allait à merveille,et les mettait en harmonie avec ces comptoirs luisansluisants, avec ces rayons sur lesquelsle vieux domestique ne souffrait pas un grain de poussière, et avec la simplicité antiquede tout ce qui se voyait autour d’elles. Obligées, par leur genre de vie, à chercher desélémenséléments de bonheur en dans des travaux obstinés, Augustine et Virginien’avaient donné jusqu’alors que du contentement à leur mère, qui s’applaudissaitsecrètement de la perfection du caractère de ses deux filles.¶ Il est facile d’imaginer lesrésultats de l’éducation qu’elles avaient reçue. ElevéesÉlevées pour le commerce,habituées à n’entendre que des raisonnemensraisonnements et des calculs tristementmercantiles, n’ayant apprisétudié que la grammaire, la tenue des livres, un peu d’histoirejuive, l’histoire de France dans Le Ragois, et ne lisant que les auteurs dont la lecture leurétait permise par leur mère permettait l’entrée au logis, leurs idées n’avaient pas prisbeaucoup d’étendue. Elles : elles savaient parfaitement tenir un ménage ;, ellesconnaissaient le prix des choses ; et, appréciant, elles appréciaient les difficultés que l’onéprouve à amasser l’argent, elles étaient économes et avaient une sorte de portaient ungrand respect pour les aux qualités d’un du négociant. Malgré la fortune de leur père,elles étaient aussi habiles à faire des reprises, qu’à festonner. ; souvent leur mère parlaitde leur apprendre la cuisine afin qu’elles sussent bien ordonner un dîner, et pussent

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gronder une cuisinière en connaissance de cause. Ignorant les plaisirs du monde, etvoyant comment s’écoulait la vie exemplaire de leurs parensparents, elles ne portaientjetaient que bien rarement leurs regards au- delà de l’enceinte de cette vieille maisonpatrimoniale qui, pour leur mère, était tout l’univers.¶ Les réunions occasionnées par lessolennités de famille formaient tout l’avenir de leurs joies terrestres. Quand le grandsalon situé au second étage devait recevoir leur oncle le notairemadame Roguin, unedemoiselle Chevrel, de quinze ans moins âgée que sa cousine et qui portait des diamants ;le jeune Rabourdin, sous-chef aux Finances ; monsieur César Birotteau, riche parfumeur,et sa femme qui avait des diamans ; un cousin chef de division au ministère de la guerre ;les négocians les mieux famésappelée madame César ; monsieur Camusot, le plus richenégociant en soieries de la rue des Bourdonnais ;et son beau-père monsieur Cardot deuxou trois vieux banquiers, et quelques jeunes des femmes de mœurs irréprochables ; lesapprêts nécessités par la manière dont l’argenterie, les porcelaines de Saxe, les bougies,les cristaux, les bougies, étaient serrés,empaquetés faisaient une diversion à la taciturnitéde la vie ordinairemonotone de ces trois femmes. Alors elles qui allaient et venaient, sedonnaienten se donnant autant de mouvement que des religieuses qui reçoivent un pour laréception de leur évêque ; et. Puis quand , le soir, fatiguées toutes trois d’avoir essuyé,frotté, déballé, et mis en place tous les ornemensles ornements de la fête, les deux jeunesfil les aidaient leur mère à se coucher, madame Guillaume leur disait : – Nous n’avonsrien fait aujourd’hui, mes enfans !...¶ enfants ! Lorsque, dans ces assemblées solennelles,madame Guillaumela sœur tourière permettait de danser en confinant les parties deboston, de wisthwisht et de trictrac, dans sa chambre à coucher, c’était de ces cetteconcession était comptée parmi les félicités qui ne pouvaient être surpassées que par leles plus inespérées, et causait un bonheur égal à celui d’aller à deux ou trois grands balsoù monsieur Guillaume menait ses filles à l’époque du carnaval.¶ Enfin, une fois par an,l’honnête drapier donnait une fête pour laquelle il n’épargnait rien n’était épargné.Telles. Quelque riches et élégantes que fussent les personnes invitées, elles se gardaientbien d’y manquer, ; car les maisons les plus considérables de la place avaient recours àl’immense crédit, à la fortune ou à la vieille expérience de monsieur Guillaume.¶ Maisles deux filles de ce digne négociant ne profitaient pas autant qu’on pourrait le supposerdes renseignemensenseignements que le monde offre à de jeunes âmes. Elles apportaientdans ces réunions, qui semblaient inscrites d’ailleurs sur le carnet d’échéanced’échéancesde la maison, des parures dont la mesquinerie les faisait rougir. Leur manière de dansern’avait rien de remarquable, et la surveillance maternelle ne leur permettait pas desoutenir la conversation autrement que par : oui et non,par Oui et Non avec leurscavaliers. Puis la loi de la vieille enseigne du Chat-qui-pelote leur ordonnait d’êtrerentrées à onze heures, moment où les bals et les fêtes commencent à s’animer.¶ Ainsileurs plaisirs, en apparence assez conformes à la fortune de leur père, devenaient souventinsipides par des circonstances qui tenaient aux habitudes et aux principes de cettefamille ; mais, quant. Quant à leur vie habituelle, une seule observation achèvera de lapeindre : madame. Madame Guillaume exigeait que ses deux filles fussent habillées etdescenduesde grand matin, qu’elles descendissent tous les jours à la même heure, etsoumettait leurs occupations étaient soumises à une régularité monastique.¶ CependantAugustine avait reçu du hasard une âme assez élevée pour sentir le vide de cetteexistence. Parfois ses yeux bleus se relevaient comme pour interroger les profondeurs decet escalier sombre et de ces magasins humides ; puis, après . Après avoir sondé ce

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silence de cloître, elle semblait écouter de loin d’indistinctesde confuses révélations decette vie passionnée qui met les sentimenssentiments à un plus haut prix que les choses.AlorsEn ces moments son visage se colorait, ses mains inactives laissaient tomber lablanche mousseline sur le chêne poli du comptoir, et bientôt sa mère lui disait d’une voixqui restait toujours aigre même dans les tons les plus doux : – Augustine, ! à quoi pensez-vous donc, mon bijou ?...¶ Peut-être Hippolyte Comtecomte de Douglas et le Comte deComminges, deux romans trouvés par Augustine dans l’armoire d’une cuisinière quemadame Guillaume avait récemment renvoyée par madame Guillaume, contribuèrent-ilsà développer les idées de cette jeune fille. Elle qui les avait furtivement dévorés pendantune longue nuitles longues nuits de l’hiver précédent. Les expressions vagues de désirvague, la voix douce, la peau de jasmin et les yeux bleus d’Augustine, avaient doncallumé dans l’âme du pauvre orphelinLebas un amour aussi violent que respectueux.¶ Par un caprice facile à comprendre, Augustine ne se sentait aucun goût pour M. JosephLebas,l’orphelin : peut-être était-ce parce qu’elle ne se savait pas en être aimée ; mais, enaimée par lui. En revanche, les longues jambes, les cheveux châtains, les grosses mains etl’encolure vigoureuse du premier commis avaient trouvé une secrète admiratrice dansmademoiselle Virginie, qui, malgrémalgré ses cinquante mille écus de dot, n’étaitdemandée en mariage par personne.¶ Rien n’était de plus naturel que ces deux passionsinverses nées au sein du dans le silence de ces comptoirs obscurs comme fleurissent desviolettes dans la profondeur d’un bois. La muette et constante contemplation, quiréunissait les yeux de ces jeunes gens par un besoin violent de distraction au milieu detravaux obstinés et d’une paix religieuse, devait tôt ou tard exciter dessentimenssentiments d’amour. L’habitude de voir une figure fait qu’on y découvrey faitdécouvrir insensiblement les qualités de l’âme, et qu’on finit par en oubliereffacer lesdéfauts.¶

– Au train dont y va cet homme-là y va, nos filles ne tarderont pas à se mettre àgenoux devant un prétendu ! se dit M.monsieur Guillaume en lisant, un matin, le premierdécret par lequel Napoléon anticipa sur les classes de conscrits. Alors le vieuxmarchand.¶

Dès ce jour, désespéré de voir sa fille aînée se faner, et se souvenantle vieuxmarchand se souvint d’avoir épousé mademoiselle Chevrel à peu près dans la situation oùse trouvaient Joseph Lebas et Virginie, calcula que, tout en mariant. Quelle belle affaireque de marier sa fille, il acquitterait et d’acquitter une dette sacrée, en rendant à unorphelin le bienfait qu’il avait reçu jadis.¶ M. Joseph avait de son prédécesseur dans lesmêmes circonstances ! Agé de trente-trois ans. Il pensa qu’il y avait déjà , Joseph Lebaspensait aux obstacles que quinze ans de différence mettaient entre l’âge d’Augustine et lesien, et troplui. Trop perspicace d’ailleurs pour ne pas deviner les desseins deM.monsieur Guillaume, il en connaissait assez les principes inexorables pour savoir quejamais la cadette ne se marierait avant l’aînée. Alors le Le pauvre commis ayant un cœur,dont le cœur était aussi excellent que ses jambes étaient longues et son buste épais,souffrait donc en silence.¶

Tel était l’état des choses dans cette petite république, qui, au milieu de la rueSaint-Denis, ressemblait assez à une succursale de la Trappe. Mais pour rendre uncompte exact des événemensévénements extérieurs comme des sentimenssentiments, ilest nécessaire de remonter à quelques mois avant la scène par laquelle commence cettehistoire.¶ Or, à A la nuit tombante, un jeune homme passant devant l’obscure boutique

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du Chat-qui-pelote, y était resté un moment en contemplation à l’aspect d’une scène d’untableau qui aurait arrêté tous les peintres du monde. Le magasin, n’étant pas encoreéclairé, formait un plan entièrement noir, au fond duquel se voyait la salle à manger dumarchand. Sur la table ronde une Une lampe astrale y répandait ce jour douxjaune quidonne tant de grâce aux tableaux de l’école hollandaise. Le linge éblouissant deblancheurblanc, l’argenterie, les cristaux, formaient de brillansbrillants accessoires quis’embellissaient encore par de puissantesqu’embellissaient encore de vives oppositionsd’ombre et de entre l’ombre et la lumière. La figure du père de famille et celle de safemme, les visages des commis et l’image céleste de la jeune les formes puresd’Augustine, à deux pas de laquelle se voyaittenait une grosse fille joufflue, composaientun groupe si curieux, ; ces têtes étaient si originales, et chaque caractère avait uneexpression si franche et si forte,franche ; on devinait si bien la paix, le silence et lamodeste vie de cette famille, que, pour un artiste accoutumé à exprimer la nature et à lasentir, il y avait quelque chose de désespérant à vouloir rendre un jour cette scènefortuite.¶ Le Ce passant était un jeune peintre, qui, sept ans auparavant, avait remporté legrand prix. de peinture. Il revenait de Rome. Son âme nourrie de poésie, ses yeuxrassasiés de Raphaël et de Michel-Ange, avaient soif de la nature et de la véritévraie,après une longue habitation du pays pompeux où tout est grand ; du moins l’art a jetépartout son grandiose. Faux ou juste, tel était son sentiment personnel. Abandonné àtoute long-temps à la fougue des passions italiennes, son cœur demandait une de cesvierges modestes et recueillies que, malheureusement pour lui, il n’avait su trouver qu’enpeinture à Rome.¶ De l’enthousiasme, imprimé à son âme exaltée par le tableau naturelqu’il contemplait, il passa naturellement à une profonde admiration pour la figureprincipale. : Augustine paraissait pensive et ne mangeait pas ; elle paraissait pensive ;et,point ; par une disposition de la lampe dont la lumière tombait entièrement sur sonvisage, elleson buste semblait se mouvoir dans un cercle de feu qui détachait plusvivement les contours de sa tête et l’illuminait d’une manière presquequasi surnaturelle.L’artiste vit en elle la compara involontairement à un ange exilé. qui se souvient du ciel.Une sensation presque inconnue, un amour frais et délicieuxlimpide et bouillonnantinonda son cœur. Après être resté demeuré pendant un moment comme écrasé sous lepoids de ses idées, il s’arracha à son bonheur, rentra chez lui, ne mangea pas, ne dormitpas ; et, lepoint. Le lendemain, il entra dans son atelier, pour n’en sortir qu’après avoirdéposé sur la une toile la magie de cette scène dont le souvenir l’avait en quelque sortefanatisé.¶ Mais sa Sa félicité ne fut pas complette,fut incomplète tant qu’il ne posséda pasun fidèle portrait fidèle de son idole. Il passa plusieurs fois devant la maison du Chat-qui-pelote ; il osa même y entrer une ou deux fois sous le masque d’un déguisement, afin devoir de plus près la ravissante créature que madame Guillaume couvrait de son aile ; et,pendant . Pendant huit mois entiers, adonné à son amour et, à ses pinceaux, il restainvisible pour ses amis les plus intimes, oubliant le monde, la poésie, le théâtre, lamusique et tout ce qui lui était cher.¶ , et ses plus chères habitudes. Un matin, Girodet,forçant força toutes ces consignes que les artistes connaissent et savent éluder, parvint àlui et le réveilla par cette interrogationdemande : – Que mettras-tu au Salon ?¶ L’artistesaisit la main de son ami, l’entraîne à son atelier, découvre un petit tableau de chevalet etun portrait. Après une lente et avide contemplation des deux chefs-d’œuvre, Girodetsaute au cou de son camarade et l’embrasse, car il ne trouva pointsans trouver de paroles

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pour l’éloge. Ce qu’il éprouva ne pouvait . Ses émotions ne pouvaient se rendre quecomme il le sentitles sentait, d’âme à âme.¶

– Tu es amoureux ? dit Girodet.¶Ils Tous deux savaient l’un et l’autre que les plus beaux portraits de Titien, de

Raphaël et de Léonard de Vinci, n’étaient dûs qu’au sentiment de l’amour ; et alors sontdus à des sentiments exaltés, qui, sous diverses conditions, engendrent d’ailleurs tous leschefs-d’œuvre. Pour toute réponse, le jeune artiste inclina la tête.¶

– Es-tu heureux de pouvoir être amoureux ici, en revenant d’Italie ; mais je ! Jene te conseille pas de mettre celade telles œuvres au Salon, ajouta le grand peintre ; vois.Vois-tu, ces deux tableaux-là ne n’y seraient pas sentis. Ces couleurs vraies, ce travailprodigieux, ne peuvent pas encore être appréciés. Le , le public n’est plus accoutumé àtant de profondeur. Les tableaux que nous peignons, mon bon ami, ne sont que desécrans, des paravens.paravents. Tiens, faisons plutôt des vers, et traduisons Anacréon ? Jet’assure qu’les Anciens ! il y a plus de gloire à en attendre , que de celanos malheureusestoiles.¶

Malgré cet avis charitable, les deux tableauxtoiles furent exposés.¶ exposées. Lascène d’intérieur fit une révolution dans la peinture. Elle donna naissance à ces tableauxde genre dont il s’importe une si grandela prodigieuse quantité importée à toutes nosexpositions, qu’on pourrait faire croire qu’ils s’obtiennent par des procédés purementmécaniques. Quant au portrait, il y aest peu d’artistes qui ne gardent le souvenir de cettetoile vivante, à laquelle tout un le public, toujoursquelquefois juste en masse, laissa lacouronne que Girodet y plaça lui-même. Les deux tableaux furent entourés d’une fouleimmense : on . On s’y tua, comme disent les dames.femmes. Des spéculateurs, de desgrands seigneurs couvrirent ces deux toiles de doubles napoléons ; mais , l’artiste refusaobstinément de les vendre ; il , et refusa même d’en faire des copies. On lui offrit unesomme énorme pour les laisser graver :, les marchands ne furent pas plus heureux que lesgens de cour.¶ Cette ne l’avaient été les amateurs. Quoique cette aventure fît du bruitdansoccupât le monde ; mais, elle n’était pas de nature à parvenir au fond de la petiteThébaïde de la rue Saint-Denis. Cependant la femme du notaire, ; néanmoins, en venantfaire une visite à madame Guillaume, la femme du notaire parla à de l’exposition devantAugustine, qu’elle aimait beaucoup, de l’exposition, et lui en expliqua l’origine et le but.Le babil de madame VernierRoguin inspira naturellement à Augustine le désir de voir lestableaux, et la hardiesse de demander secrètement à sa tante d’allercousine del’accompagner au Louvre avec elle.. La tantecousine réussit assez bien dans lanégociation qu’elle entama auprès de madame Guillaume ; car elle obtint , pour obtenirla permission d’arracher sa nièce,petite cousine à ses tristes travaux pendant environ deuxheures, à ses tristes travaux.¶ . La jeune fille pénétra donc, à travers la foule, jusqu’autableau couronné. Un frisson la fit trembler comme une feuille de bouleau, quand elle sereconnut. Elle eut peur et regarda autour d’elle pour rejoindre sa tante, dont madameRoguin, de qui elle avait été séparée par un flot de monde l’avait séparée. Alors, . En cemoment ses yeux effrayés rencontrèrent la figure enflammée du jeune peintre. Elle serappela tout à coup la physionomie d’un promeneur que, curieuse, elle avait souventremarqué, en croyant que c’était un nouveau voisin.¶

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1 orig. : toute

. – Vous voyez ce que l’amour m’a fait faire !...inspiré, dit l’artiste à l’oreille dela timide créature, qui resta tout1 épouvantée de ces paroles.¶

Elle trouva un courage surnaturel pour fendre la presse, et pour rejoindre satantecousine encore occupée à percer la masse de du monde qui l’empêchait d’arriverjusqu’au tableau.¶

– Vous seriez étouffée !..., s’écria Augustine. Partons, ma tante.¶, partons !¶Mais il y ase rencontre, au Salon, certains momensmoments pendant lesquels

deux femmes ne sont pas toujours libres de diriger leurs pas dans les galeries du Louvre..Mademoiselle Guillaume et sa tantecousine furent placéespoussées à quelques pas dusecond tableau, par suite des mouvemensmouvements irréguliers que la foule leurimprima. Cette fois, madame Vernier et Augustine eurentLe hasard voulut qu’elleseussent la facilité d’approcher ensemble de la toile illustrée par la mode, d’accord cettefois avec le talent. La tante fit une L’ exclamation de surprise perdueque jeta la femme dunotaire se perdit dans le brouhaha et les bourdonnemensbourdonnements de la foule ;maisquant à Augustine , elle pleura involontairement à l’aspect de cette merveilleusescène. Puis,, et par un sentiment presqu’presque inexplicable, elle mit un doigt sur seslèvres, en apercevant à deux pas d’elle la figure extatique du jeune artiste.¶ Il L’inconnurépondit par un signe de tête et désigna du doigt madame VernierRoguin, comme untrouble -fête, pour afin de montrer à la jeune fille Augustine qu’elle était comprise. Cettepantomime jeta comme un brasier dans le corps de la pauvre fille. Elle se crut en quelquesort qui se trouva criminelle ; car elle se figura, en se figurant qu’il venait de se conclureun pacte entre elle et l’inconnu.¶ l’artiste. Une chaleur étouffante, le continuel aspect desplus brillantes toilettes, et l’étourdissement que devait produire produisaient surAugustine la variété de des couleurs vives, la multitude des figures vivantes et ou peintes,la profusion des cadres d’or, lui firent éprouver une espèce d’enivrement qui redoubla sescraintes. Elle se serait peut-être évanouie, si, malgré ce chaos de sensations, il ne s’étaitélevé au fond de son cœur une jouissance inconnue et que la rapidité dequi vivifia toutson invasion rendait presque cruelle.¶ Alorsêtre. Néanmoins, elle se crut sous l’empire dece démon dont la voix tonnante des prédicateursles terribles piéges lui avait annoncé de siterribles effets.étaient prédits par la tonnante parole des prédicateurs. Ce moment fut pourelle comme un moment de folie.¶ Elle se vit accompagnée jusqu’à la voiture de satantecousine par ce jeune homme resplendissant de bonheur et d’amour. Alors Augustineen En proie à une irritation toute tout nouvelle, à une ivresse qui la livrait en quelquesorte à la nature, Augustine écouta la voix éloquente de son cœur. Elle , et regardaplusieurs fois le jeune peintre en laissant paraître le trouble dont elle était saisie.qui lasaisissait. Jamais l’incarnat de ses joues n’avait été plus brillant, et n’avait formé de plusvigoureux contrastecontrastes avec la blancheur de sa peau. C’était la L’artiste aperçutalors cette beauté dans toute sa fleur, la cette pudeur dans toute sa gloire. Elle pensaavecAugustine éprouva une sorte de joie, mêlée de terreur, en pensant que sa présencecausait la félicité de celui dont le nom était sur toutes les lèvres, dont le talent donnaitl’immortalité humaine à de passagères images !. Elle en était aimée !..... Il il lui étaitimpossible d’en douter.¶ Quand elle ne vit plus l’artiste, elle entendit encore retentirdans son cœur ces paroles simples : – « voussimples retentissaient encore dans son cœur :

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– « Vous voyez ce que l’amour m’a fait faire. » Alorsinspiré. » Et les palpitationsdevenues plus profondes de son cœur lui semblèrent une douleur, car elle sentait tant sonsang plus riche aller réveiller la vie dans toutes les régions de son faible corps.¶ ardentréveilla dans son être de puissances inconnues. Elle allégua feignit d’avoir un grand malde tête pour éviter de répondre aux questions de sa tantecousine relativement auxtableaux ; mais, au retour, madame VernierRoguin ne put s’empêcher de parler àmadame Guillaume de la célébrité obtenue par le Chat-qui-pelote, et Augustine tremblade tous ses membres en entendant dire à sa mère qu’elle irait au salonSalon pour y voirsa maison. La jeune fille insista de nouveau sur sa souffrance pour avoir, et obtint lapermission d’aller se coucher.¶

– Voilà ce qu’on gagne à tous ces spectacles !....., s’écria M.monsieur Guillaume.Des , des maux de tête !.... C’est. Est-ce donc bien amusant de voir en peinture ce qu’onrencontre tous les jours dans les rues.notre rue ? Ne me parlez pas de ces artistes ?...c’estartistes qui sont, comme vos auteurs, tous Meuredes meure-de-faim !..... Que diableont-ils besoin de prendre ma maison pour la vilipender dans leurs tableaux !...¶?¶

– Cela pourra nous faire vendre quelques aunes de drap ?drap de plus, dit JosephLebas.¶

Cette observation n’empêcha pas que les arts et la pensée ne fussent condamnésencore une fois au tribunal de ces hommes intéressés ; et, commedu Négoce. Comme ondoit bien le penser, ces discours ne donnèrent pas grand espoir à Augustine.¶ Elle eut quipendant la nuit toute entière pour se livrerlivra à la première méditation de l’amour. Lesévénemensévénements de cette journée furent comme un songe qu’elle se plut àreproduire plus d’une fois. Seule, elle dans sa pensée Elle s’initia aux craintes, auxespérances, aux remords, à toutes ces ondulations de sentiment qui devaient bercer uncœur simple et timide comme le sien. Quel vide elle reconnut dans cette noire maison, etquel trésor elle trouva dans son âme ! EtreÊtre la femme d’un homme de talent, partagersa gloire ! Quels ravages cette idée ne devait-elle pas faire au cœur d’une jeunefilleenfant élevée au sein de cette famille simple ?famille ? Quelle espérance ne devait-elle pas éveiller chez une jeune fillepersonne qui, nourrie jusqu’alors de principesvulgaires, avait désiré une vie élégante. C’était un ? Un rayon de soleil était tombé dansune cette prison souterraine.¶ . Augustine aima tout- à- coup. En elle tant desentimenssentiments étaient flattés à la fois, qu’elle devait succomber ! Elle ne calculasuccomba sans rien. calculer. A dix-huit ans, l’amour ne jette-t-il pas son prisme entre lemonde et les yeux d’une jeune fille ? Elle se crut Incapable de soutenirdeviner les rudeschocs qui résultent de l’alliance d’une femme aimante et simple avec un homme puissantd’imagination ;, elle pensa crut être appelée à faire le bonheur de celui-ci, ou plutôt ellene pensa à rien, n’apercevant aucunes disparatessans apercevoir aucune disparate entreelle et lui ; car, pour. Pour elle, le présent était fut tout l’avenir.¶

Quand le lendemain son père et sa mère revinrent du Salon, leurs figuresattristées annonçaientannoncèrent quelque désappointement. D’abord, les deux tableauxavaient été retirés par le peintre capricieux ; puis, madame Guillaume avait perdu sonschall de dentelle noire.châle de cachemire. Apprendre que les tableaux venaient dedisparaître après sa visite au Salon, fut pour Augustine la révélation d’une délicatesse desentiment que les femmes savent toujours apprécier , même instinctivement.¶

Le matin, où, rentrant d’un bal, HenriThéodore de Sommervieux (c’, tel était lenom que la renommée avait apporté à Augustine)dans le cœur d’Augustine, fut aspergé

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par les commis du Chat-qui-pelote, pendant qu’il attendait l’apparition de sa naïve amie,laquellequi ne le savait certes pas là, les deux amansamants se voyaient pour la quatrièmefois seulement, depuis la scène du Salon.¶ Les obstacles que le régime de la maisonGuillaume devait opposeropposait au caractère fougueux de l’artiste, donnaient à sapassion pour Augustine une violence difficile à décrire.facile à concevoir. Commentaborder une jeune fille, assise dans un comptoir entre deux femmes telles quemademoiselle Virginie et madame Guillaume ? Comment, comment correspondre avecelle, quand sa mère ne la quitte pas des yeux ?¶ quittait jamais ? Habile, comme tous lesamants, à se forger des malheurs, comme tous les amans, HenriThéodore se créait unrival dans l’un des commis, et mettait les autres dans les intérêts de celui-ci.son rival. S’iléchappait à tant d’argusd’Argus, il se voyait échouant sous les yeux sévères du vieuxnégociant ou de madame Guillaume. Partout des barrières, partout le désespoir. ! Laviolence même de sa passion empêchait le jeune peintre de trouver cesexpédiensexpédients ingénieux qui, chez les prisonniers etcomme chez les amansamants,semblent être le dernier effort de la raison humaine échauffée par un sauvage besoin deliberté ou par le feu plus actif de l’amour. Alors Henri de SommervieuxThéodoretournait alors dans le quartier avec l’activité d’un fou, comme si le mouvement pouvaitlui suggérer des ruses.¶ Après s’être bien tourmenté l’imagination, il inventa de gagner àprix d’or la servante joufflue. Quelques lettres se succédèrentfurent donc échangées deloin en loin pendant la quinzaine qui suivit la malencontreuse matinée où M.monsieurGuillaume et HenriThéodore s’étaient si bien examinés. En ce moment, les deux jeunesgens étaient convenus de se voir à une certaine heure du soir jour et le dimanche, à Saint-Leu, pendant la grand’messe. De plus,messe et les vêpres. Augustine avait envoyé à soncher HenriThéodore la liste de tous les parens et de tous les des parents et des amis de lafamille, chez lesquels le jeune peintre tâcha d’avoir accès, afin d’intéresser, s’il étaitpossible, à ses joyeuses peines, amoureuses pensées, s’il était possible, une de ces âmesoccupées d’argent, de commerce, et auxquelles une passion véritable devait sembler laspéculation la plus monstrueuse et la plus, une spéculation inouïe du monde.¶ Au reste.D’ailleurs, rien ne changea dans les habitudes du magasin de draps ; et, siChat-qui-pelote. Si Augustine fut distraite, si elle monta à sa chambre , contre toute espèced’obéissance aux lois de la charte domestique, elle monta à sa chambre pour y aller,grâce à un pot de fleurs, établir des signaux ; si elle soupira, si elle pensa enfin, personne,pas même sa mère, ne s’en aperçut.¶ Cette circonstance causera sans doute quelquesurprise à ceux qui auront réussi à comprendrecompris l’esprit de cette maison, où unepensée entachée de poésie qui, par hasard, animait un visage, devait produire un contrasteavec toutes les expressions, les êtres et les choses. Ce fait était d’autant plusextraordinaire qu’Augustine, où personne ne pouvait se permettre ni un geste, ni unregard qui ne fussent vus et analysés par madame Guillaume ou par Joseph Lebas..Cependant rien n’était de plus naturel. Le : le vaisseau si tranquille qui naviguait sur lamer orageuse de la place de Paris, sous le pavillon du Chat-qui-pelote, était la proied’une de ces tempêtes qu’on pourrait nommer équinoxiales par suiteà cause de leur retourpériodique.¶ Depuis quinze jours, les quatrecinq hommes de l’équipage, madameGuillaume et mademoiselle Virginie, étaient occupés s’adonnaient à ce travail excessifdésigné sous le nom d’inventaire. Alors onOn remuait tous les ballots et l’on vérifiaitl’aunage des pièces pour s’assurer de la valeur exacte du coupon restant ; on. Onexaminait soigneusement la carte appendue au paquet pour reconnaître en quel temps les

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draps avaient été achetés ; l’on en. On fixait le prix actuel. M. GuillaumetoujoursToujours debout, son aune à la main, la plume derrière l’oreille, monsieurGuillaume ressemblait assez à un capitaine commandant la manœuvre. Sa voix aiguë,passant par un judas, pour interroger la profondeur des écoutilles du magasin d’en bas,faisait entendre ces barbares locutions barbares du commerce qui ne s’exprime que parénigmes.¶ : – Combien d’H-N-Z ?¶ – Enlevé.¶ – Que reste-t-il de Q-X ?¶ – Deuxaunes.¶ – Quel prix ?¶ – Cinq-cinq-trois.¶ – Portez à trois A, tout, J-J ;, tout, M-P ;, etle reste de V-D-O. Mille autres phrases tout aussi intelligibles ronflaient à travers lescomptoirs comme des vers de la poésie moderne que des fanatiquesromantiques seseraient cités pour entretenir l’enthousiasme d’un grand homme.¶ afin d’entretenir leurenthousiasme pour un de leurs poètes. Le soir, M. Guillaume, enfermé avec son commiset sa femme, soldait les comptes, portait à nouveau, écrivait aux retardataires, et dressaitdes factures. Tous trois préparaient ce travail immense dont le résultat tenait sur un carréde papier tellière, et prouvait à la maison Guillaume, qu’il existait tant en argent, tant enmarchandises, tant en traites, et billets, etc. ; qu’elle ne devait pas un sou et, qu’il luiétait dû cent ou deux cent mille francs ; que le capital avait augmenté ; que les fermes, lesmaisons, les rentes allaient être ou arrondies, ou réparées, ou doublées ; et qu’enconséquence, c’était un devoir. De là résultait la nécessité de recommencer, avec plusd’ardeur que jamais, à ramasser de nouveaux écus, sans qu’il vînt à la en tête de à cescourageuses fourmis de se demander : – « A quoi bon ? »¶ C’était à A la faveur de cetumulte annuel que, l’heureuse Augustine échappait à l’investigation de ses argus.¶Argus. Enfin, un samedi soir, la clôture de l’inventaire eut lieu. Les chiffres du total actifoffraientoffrirent assez de zéros pour qu’en cette circonstance, M. Guillaume levât laconsigne sévère qui régnait toute l’année au dessert. Le sournois drapier se frotta lesmains, et permit à ses commis de rester à sa table ; mais à. A peine chacun des hommesde l’équipage achevait-il son petit verre d’une liqueur de ménage, que l’on entendit leroulement d’une voiture. La famille alla voir Cendrillon aux Variétés, tandis que les deuxderniers commis reçurent chacun un écu de six francs avecet la facultépermission d’alleroù bon leur semblerait, pourvu qu’ils fussent rentrés à minuit.¶

Malgré cette débauche, le dimanche matin, le vieux marchand drapier, qui avaitfait fit sa barbe dès six heures, endossa un son habit marron de drap fin dont il examinaittoujours le teint et la laine avec un certain dont les superbes reflets lui causaient toujoursle même contentement, il attacha des boucles d’or aux jarretières d’une oreilles de sonample culotte de soie très-ample et aux oreilles de ses souliers ; puis à , vers sept heures,au moment où tout dormait encore dans la maison, il se dirigea vers le petit cabinetpratiqué au bout de attenant à son magasin du premier étage. Le jour y venait d’unecroisée armée de gros barreaux de fer, et donnantqui donnait sur une petite cour carréeformée de murs si noirs qu’elle ressemblait assez à un puits.¶ Le vieux négociant ouvritlui-même ces volets garnis de tôle qu’il connaissait si bien. Il , et releva une moitié duvitrage, en le faisant glisser dans sa coulisse. L’air glacé de la cour vint rafraîchir lachaude atmosphère de ce cabinet, qui exhalait cette l’ odeur particulière aux bureaux. Lemarchand resta debout, et posa la main posée sur le bras crasseux d’un fauteuil de canne,doublé de maroquin, dont la couleur primitive était effacée. Il , il semblait hésiter à s’yasseoir. Il regarda d’un air attendri le bureau à double pupitre, où la place de sa femme setrouvait ménagée du , dans le côté opposé à la sienne, par une petite arcade pratiquéedans le mur. Il contempla les cartons numérotés, les ficelles, les ustensiles, le carreaules

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fers à marquer le drap, la caisse, objets dont l’origine étaitd’une origine immémoriale !..,et il crut se revoir devant l’ombre évoquée du sieur Chevrel. Il avança le même tabouretsur lequel il s’était jadis assis en présence de son défunt patron. Ce tabouret, garni de cuirnoir, et dont le crin s’échappait toujoursdepuis long-temps par les coins mais sans seperdre, il le plaça d’une main tremblante au même endroit où son prédécesseur l’avaitmis ; puis, dans une agitation difficile à décrire, il tira la sonnette qui correspondait auchevet du lit de Joseph Lebas.¶ Quand ce coup décisif eut été frappé, le vieillard, pourqui ces souvenirs étaientfurent sans doute trop lourds, prit trois ou quatre lettres dechange qui lui avaient été présentées à escompter, et il les regardait sans les voir, quandJoseph Lebas se montra tout à coup.¶soudain.¶

– Asseyez-vous là, lui dit M. Guillaume, en lui désignant le tabouret.¶Or,Comme jamais le vieux maître -drapier n’avait fait asseoir son commis devant

lui., Joseph Lebas en tressaillit.¶– Que pensez-vous de ces traites ?, demanda M. Guillaume.¶– Elles ne seront pas payées.¶– Comment ?¶– Mais j’ai su qu’avant-hier Leroux et Cie Etienne et compagnie ont fait tous leurs

paiemenspaiements en or.¶– Oh ! oh !... s’écria le drapier, il faut être bien malade pour laisser voir sa bile !

– Mais parlons. Parlons d’autre chose. – Joseph, l’inventaire est fini ?¶.¶– Oui, Monsieurmonsieur, et le dividende est un des plus beaux que vous ayez

eus.¶– Ne vous servez donc pas de ces nouveaux mots !. Dites le produit, Joseph.

Savez-vous, mon garçon, que c’est un peu à vous que nous devons ces résultats... Aussi,je ! aussi, ne veux -je plus que vous ayez d’appointemens.d’appointements. MadameGuillaume m’a donné l’idée de vous offrir un intérêt... Hein, Joseph ! CelaGuillaume etLebas, ces mots ne ferait-ilferaient-ils pas une belle raison sociale, que Guillaume, Lebaset Cie, car on ? On pourrait mettre et compagnie, pour arrondir la signature.¶

Les larmes vinrent aux yeux de Joseph Lebas qui fit tous ses efforts pours’efforça de les cacher, en s’écriant :¶ . – Ah !, monsieur Guillaume !... Commentcomment ai-je pu mériter tant de bontés, je ? Je n’ai fait que mon devoir. Je suis pauvre,et c’étaitC’était déjà tant que de. vous intéresser à un pauvre orph....¶

Il brossait le parement de sa manche gauche avec la manche droite, et il n’osaitregarder le vieillard qui souriait, en pensant que ce modeste jeune homme avait sansdoute besoin, comme lui autrefois, d’être encouragé pour rendre l’explication pluscomplète.¶

– Cependant, reprit le père de Virginie, vous ne méritez pas beaucoup cettefaveur, Joseph ! car vous Vous ne mettez pas en moi autant de confiance que j’en mets envous ?...¶ . (Le commis releva brusquement la tête.¶ .) – Vous avez les secretsle secret dela caisse ; depuis. Depuis deux ans je vous ai dit presque toutes mes affaires ; je . Je vousai fait voyager en fabrique ; enfin. Enfin, pour vous, je n’ai rien sur le cœur !... mais .Mais vous ?..?... vous avez une inclination, et vous ne m’en avez pas touché un seulmot !...¶ . (Joseph Lebas rougit.¶ .) – Ah, ! ah ! s’écria monsieur Guillaume, vouspensiez donc tromper un vieux renard comme moi !...? Moi ! à qui vous avez vu devinerla faillite Lecoq et m’en tirer !...¶

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2 orig. : verds

– Comment, monsieur ? répondit Joseph Lebas en examinant son patron avecautant d’attention que son patron l’examinait ;, comment, vous sauriez qui j’aime ?...¶?¶

– Je sais tout, vaurien !...., lui dit le respectable et rusé marchand en luiprenanttordant le bout de l’oreille. Et je te pardonne, – car j’ai fait de même !¶.¶

– Et vous me l’accorderiez ?...¶?¶– Oui, et avec cinquante mille écus !... Je , et je t’en laisserai autant, et nous

marcherons sur de nouveaux frais avec une nouvelle raison sociale !. Nous brasseronsencore des affaires, garçon !..., s’écria le vieux marchand en s’exaltant, se levant etagitant ses bras ; car vois. Vois-tu, mon gendre, il n’y a que le commerce !... Ce sont lesimbécilles Ceux qui se demandent quels plaisirs on y trouve.¶ Oh ! être sont desimbéciles. Être à la piste des affaires ; – , savoir comment vagouverner sur la place ; – ,attendre avec anxiété, comme au jeu, si les Etienne et compagnie font faillite ; – , voirpasser un régiment de la garde impériale quand on l’a habillé ; – habillé de notre drap,donner un croc en jambe au voisin, loyalement s’entend ! – faire fabriquer à meilleurmarché ; – marché que les autres ; suivre une affaire qu’on ébauche, qui commence, quigrandit, qui chancelle, qui et réussit ; connaître comme un ministre de la police tous lesressorts des maisons de commerce pour ne pas faire fausse route ; les juger, se tenirdebout devant les naufrages ; avoir des amis, par correspondance, dans toutes les villesmanufacturières !... Ouf !... Ah, c’est , n’est-ce pas un jeu perpétuel, Joseph ! C’est ?Mais c’est vivre, ça ! Je mourrai dans ce tracas-là, comme le vieux Chevrel, n’en prenantcependant plus qu’à mon aise...¶ Dans la chaleur de la sa plus forte improvisation que, lepère Guillaume eût jamais faite, il n’avait presque pas regardé son commis qui pleurait àchaudes larmes.¶ – Eh bien, ! Joseph, mon pauvre garçon ?, qu’as-tu donc !...¶?¶

– Ah, ! je l’aime tant, tant, monsieur Guillaume, que je crois.... que le cœur memanque., je crois...¶

– Eh bien ! garçon, dit le marchand attendri, tu es plus heureux que tu ne crois,sarpejeu, car elle t’aime !.... Je le sais...., moi ! !¶

Et il cligna ses deux petits yeux verts2 en regardant de côté son commis.¶Joseph Lebas cria, dans son enthousiasme :¶ – Mademoiselle Augustine,

mademoiselle Augustine !.. s’écria Joseph Lebas dans son enthousiasme.¶Et il Il allait s’élancer hors du cabinet, quand il se sentit arrêté par un bras de fer.

C’était , et son patron stupéfait qui le ramenait vigoureusement devant lui.¶– Qu’est-ce que fait donc Augustine dans cette affaire-là ?.... demanda monsieur

Guillaume dont la voix glaça sur-le-champ le pauvremalheureux Joseph Lebas.¶– N’est-ce pas elle... que... j’aime... balbutia ? dit le commis.¶ M. Guillaume,

déconcerté en balbutiant. Déconcerté de son défaut de perspicacité, Guillaume se rassit etmit sa tête pointue dans ses deux mains pour réfléchir à la bizarre position dans laquelleil se trouvait.¶ Joseph Lebas honteux et au désespoir resta debout.¶

– Joseph !..., reprit tout-à-coup le négociant avec une dignité froide, c’étaitje vousparlais de Virginie dont je vous parlais.. L’amour ne se commande pas, je le sais. Jeconnais votre discrétion ;, nous oublierons cela ; car je. Je ne marierai jamais Augustineavant Virginie. Votre intérêt sera de dix pour cent.¶

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Le commis, auquel l’amour donna je ne sais quel degré de courage etd’éloquence, joignit les mains, prit la parole, parla pendant un quart d’heure à M.Guillaume avec tant de chaleur, et de sensibilité, que la situation changea. S’il s’était agid’une affaire commerciale, le vieux négociant aurait eu des règles fixes pour prendre unerésolution ; mais, jeté à mille lieues du commerce, sur la mer des sentimens,sentiments,et sans boussole, il flotta irrésolu devant un événement aussi original, se disait-il ; etalors, entraîné. Entraîné par sa bonté naturelle, il battit un peu la campagne.¶

– Que diable– Et, diantre, Joseph, tu n’es pas sans savoir que j’ai eu mes deuxenfansenfants à dix ans de distance ! Mademoiselle Chevrel n’était pas belle, elle n’acependant pas à se plaindre de moi. Fais donc comme moi. Enfin, ne pleure pas, es-tubête ? Que veux-tu, ? cela s’arrangera peut-être, nous verrons. Il y a toujours moyen dese tirer d’affaire. Nous autres hommes nous ne sommes pas toujours comme desCéladons pour nos femmes... tu Tu m’entends ? Madame Guillaume est dévote, et...All ons, sarpejeu, mon enfant..., donne ce matin le bras à Augustine pour aller à lamesse !...¶

Telles furent les phrases jetées à l’aventure par M. Guillaume. La conclusion quiles terminait ravit l’amoureux commis : il songeait déjà à l’un de ses amis pourmademoiselle Virginie à l’un de ses amis, quand il sortit du cabinet enfumé, en serrant lamain de son futur beau-père, après lui avoir dit, d’un petit air entendu, que touts’arrangerait au mieux.¶ – Que va penser madame Guillaume !... fut l’idée qui? Cetteidée tourmenta prodigieusement le brave négociant quand il se trouva fut seul.¶

Au déjeuner, madame Guillaume et Virginie, auxquelles le marchand -drapieravait laissé provisoirement ignorer le son désappointement du matin, regardèrent assezmalicieusement Joseph Lebas, qui resta grandement embarrassé. La pudeur du commislui concilia merveilleusement l’amitié de sa belle-mère. La matrone redevint si gaiequ’elle regarda M.monsieur Guillaume en souriant, et se permit quelques petitesplaisanteries d’un usage immémorial dans ces innocentes familles innocentes : elle . Ellemit en question la conformité de la taille de Virginie et de M. celle de Joseph, pour leurdemander de se mesurer. Ces niaiseries préparatoires eurent le pouvoir d’attirerattirèrentquelques nuages sur le front du chef de famille. Il , et il afficha même un tel amour pourle décorum, qu’il ordonna à Augustine de prendre le bras du premier commis, pour alleren allant à Saint-Leu. Madame Guillaume, étonnée de cette pudeurdélicatesse masculine,honora son mari d’un signe de tête d’approbation. Le cortége, parti partit donc de lamaison gothique, s’achemina donc dans un ordre qui ne pouvait suggérer aucuneinterprétation malignemalicieuse aux voisins.¶

– Ne trouvez-vous pas, mademoiselle Augustine, disait le commis en tremblant,que la femme d’un négociant qui a un bon crédit, comme M. monsieur Guillaume, parexemple, pourrait s’amuser un peu plus que ne s’amuse madame votre mère, pourraitporter des diamansdiamants, aller en voiture. ? Oh ! moi, d’abord, si je me mariais, jevoudrais avoir toute la peine, et voir ma femme heureuse. Je ne la mettrais pas dans moncomptoir.... parce que, voyez Voyez-vous, dans la draperie, les femmes n’y sont plusaussi nécessaires qu’qu’elles l’étaient autrefois. Monsieur Guillaume a eu raison d’agircomme il a fait, puisqueet d’ailleurs c’était le goût de madame votre mère.son épouse.Mais, qu’une femme sache donner un coup de main à la comptabilité, à lacorrespondance, au détail, aux commandes, à son ménage, afin de ne pas rester par tropoisive, c’est tout. Et, passé A sept heures, quand la boutique serait fermée, moi je

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m’amuserais..., j’irais au spectacle, et dans le monde..... Vous Mais vous ne m’écoutezpas.¶

– Si fait, monsieur Joseph, mais que . Que dites-vous de la peinture ?... C’est làun bel état.¶

– Oui, il y a des maîtres peintresje connais un maître peintre en bâtiment,monsieur Lourdois, qui onta des écus….¶

Ce fut enEn devisant ainsi que, la famille atteignit l’église de Saint-Leu. Là,madame Guillaume retrouva ses droits. Elle , et fit mettre, pour la première fois,Augustine à côté d’elle ; et . Virginie, placée prit place sur la troisièmequatrième chaise,prit place à côté de monsieur Lebas. Pendant le prône, tout alla à merveillebien entreAugustine et Henri de Sommervieux,Théodore qui, debout derrière un pilier, priait desyeuxsa madone avec ferveur ; mais au lever-Dieu, madame Guillaume s’aperçut, un peutard, que sa fille Augustine tenait son livre de messe au rebours. Elle se disposait à lagourmander vigoureusement, quand, rabaissant son voile noir, elle interrompit sa lectureet se mit à regarder dans la direction qu’affectionnaient les yeux de sa fille. A l’aide deses besiclesbésicles, elle vit le jeune artiste, dont l’élégance mondaine annonçait plutôtquelque capitaine de cavalerie en congé, qu’un négociant du quartier. Il est difficiled’imaginer l’état violent dans lequel se trouva une femme telle que madame Guillaume,qui se flattait d’avoir parfaitement élevé ses filles, en reconnaissant, dans le cœurd’Augustine, un amour clandestin dont le danger lui fut exagéré par sa pruderie et parson ignorance lui exagérèrent le danger.. Elle crut sa fille gangrenée jusqu’au cœur.¶

– Tenez d’abord votre livre à l’endroit, mademoiselle !, dit-elle à voix basse, maisen tremblant de colère.¶ Elle arracha vivement le paroissienParoissien accusateur, et leremit de manière à ce que les lettres fussent dans leur sens naturel ; puis elle ajouta :¶ .– N’ayez pas le malheur de lever les yeux autre part que sur vos prières ;, ajouta-t-elle,autrement, vous auriez affaire à moi. Après la messe, votre père et moi nous aurons àvous parler.¶

Ces paroles furent comme un coup de foudre pour la pauvre Augustine. Elle sesentit défaillir ; mais combattue entre la douleur qu’elle éprouvait et la crainte de faireune esclandre dans l’église, elle eut le courage de cacher ses angoisses. Cependant, il étaitfacile de deviner l’état violent de son âme en voyant son paroissienParoissien trembler etdes larmes tomber sur chacune des pages qu’elle tournait.¶ L’artiste recueillit un Auregard enflammé des yeux secs deque lui lança madame Guillaume, et comprit lemystère. Ill’artiste vit le péril où tombaient ses amours, et sortit, la rage dans le cœur,décidé à tout oser.¶

– Allez dans votre chambre, mademoiselle ! dit madame Guillaume à sa fille enrentrant au logis. Nous ; nous vous ferons appeler ; et surtout, ne vous avisez pas de d’ensortir.¶

La conférence que les deux époux eurent ensemble fut si secrète, qu’il seraitdifficile d’en donner le procès-verbal.que rien n’en transpira d’abord. Cependant,Virginie, qui avait, encouragé sa sœur par mille douces représentations, encouragé sasœur, poussa la complaisance jusqu’à se glisser auprès de la porte de la chambre àcoucher de sa mère, chez laquelle la discussion avait lieu, pour y écouter et recueillirquelques phrases. Au premier voyage qu’elle fit du troisième au second étage, elleentendit son père qui s’écriait :¶ : – Madame, vous voulez donc tuer votre fille ?...¶?¶

– Ma pauvre enfant, dit Virginie à sa sœur éplorée, papa prend ta défense !¶

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– Et que veulent-ils faire à Henri ?...Théodore ? demanda l’innocente créature.¶Alors la La curieuse Virginie redescendit, alors ; mais cette fois elle resta plus

long-temps, car : elle apprit que M. Lebas aimait Augustine.¶ Il était écrit que, dans cettemémorable journée, une maison ordinairement si calme serait un enfer. M.onsieurGuillaume désespéra Joseph Lebas en lui confiant qu’Augustine aimait l’amourd’Augustine pour un étranger. Lebas, qui avait déjà averti son ami de demandermademoiselle Virginie en mariage, vit ses espérances renversées. Mademoiselle Virginie,accablée de savoir que M. Joseph l’avait en quelque sorte refusée, fut prise d’unemigraine. Enfin, laLa zizanie, semée entre les deux époux par l’explication que monsieuret madame Guillaume avaient eue ensemble, et où, pour la troisième fois de leur vie, ilsse trouvaienttrouvèrent d’opinions différentes, se manifesta d’une manière terrible.¶ Enfin , à quatre heures après midi, Augustine, pâle, tremblante et les yeux rouges,comparut devant son père et sa mère. La pauvre petiteenfant raconta naïvement la tropcourte histoire de ses amours. Rassurée par l’allocution de son père, qui lui avait promisde l’écouter en silence, elle prit un certain courage en prononçant devant sesparens,parents le nom de Henrison cher Théodore de Sommervieux dont elle , et en fitmalicieusement sonner la particule aristocratique. Alors, enEn se livrant au charmeinconnu de parler de ses sentimenssentiments, elle trouva assez de hardiesse pourdéclarer avec une innocente fermeté, qu’elle aimait M. Henrimonsieur de Sommervieux,qu’elle le lui avait écrit ;, et ajouta, les larmes aux yeux, elle ajouta, que ce : – Ce seraitfaire son mon malheur que de lame sacrifier à un autre.¶

– Mais, Augustine, vous ne savez donc pas ce que c’est qu’un peintre !...? s’écriasa mère avec horreur.¶

– Madame Guillaume !... dit le vieux père en la regardant ; et il imposaimposantsilence à sa femme.¶ – Augustine, dit-il, les artistes sont en général des Meuremeure-de-faim. Ils sont trop dépensiers et presquepour ne pas être toujours de mauvais sujets. J’aifourni feu monsieurM. Joseph Vernet, feu monsieurM. Lekain et feumonsieurM. Noverre. Ah ! si tu savais combien ce monsieurM. Noverre, monsieurM. lechevalier de Saint-Georges, et surtout monsieurM. Philidor, ont joué de tours à ce pauvremonsieurpère Chevrel.... Ce sont ! C’est de drôles de corps, je le sais bien !.... Ça vous atous un babil, des manières... JamaisAh ! jamais ton monsieur Sumer.. Somm...¶

– De Sommervieux, mon père !¶– Eh bien, ! de Sommervieux, soit ! Jamais il n’aura été aussi agréable avec toi

que M. le chevalier de Saint-George l’a été Georges le fut avec moi, le jour où j’obtinsune sentence des consuls contre lui.... Aussi était-ce des gens de qualité d’autrefois...¶

– Mais, mon père, M. Henrimonsieur Théodore est noble..., et il m’a écrit qu’ilétait riche... Son père s’appelait le comtechevalier de Sommervieux, avant la révolution.¶

A ces paroles, M. monsieur Guillaume regarda sa terrible moitié, qui, en femmecontrariée, frappait le plancher du bout du pied et gardait un morne silence. Evitant ; elleévitait même de jeter ses yeux courroucés sur Augustine, elle et semblait laisser à M.monsieur Guillaume toute la responsabilité d’une affaire aussi grave, puisque ses avisn’étaient pas écoutés. Cependant, Néanmoins, malgré son flegme apparent, quand elle vitson mari prendre aussi prenant si doucement son parti sur une catastrophe qui n’avait riende commercial, elle s’écria :¶ : – En vérité, monsieur, vous êtes d’une faiblesse avec vosfilles... mais...¶

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Le bruit d’une voiture qui s’arrêtait à la porte interrompit tout- à- coup lamercuriale que le vieux négociant redoutait déjà.¶ En moins d’une minuteun moment,madame VernierRoguin se trouva au milieu de la chambre ;, et, regardant les trois acteursde cette scène domestique :¶ : – Je sais tout !.., ma cousine, dit la tante,-elle d’un air deprotection. .¶

Madame VernierRoguin avait un défaut, celui de croire que la femme d’unnotaire de Paris pouvait jouer le rôle d’une petite- maîtresse. .¶

– Je sais tout, répéta-t-elle, et je viens dans l’arche de Noé, comme la colombe,avec la branche d’olivier.¶ J’ai lu cette allégorie dans le Génie duChristianismechristianisme, dit-elle en se retournant vers madame Guillaume ; et, lacomparaison doit vous plaire, ma cousine.¶ – Savez-vous, ajouta-t-elle en souriant àAugustine, que ce M. monsieur de Sommervieux est un homme charmant. ? Il m’a donnéce matin mon portrait fait de main de maître. Cela vaut au moins six mille francs... .¶

A ces mots, elle frappa doucement sur les bras de M. monsieur Guillaume ; et le .Le vieux négociant ne put s’empêcher de faire avec ses lèvres une petitegrosse moue quilui était particulière.¶

– Je connais beaucoup M.monsieur de Sommervieux, reprit la tante. Il y acolombe. Depuis une quinzaine de jours qu’il est venu il vient à mes soirées et, il en afait le charme. Aussi, suis-je son avocat. Il m’a conté toutes ses peines : je peines et m’aprise pour avocat. Je sais de ce matin qu’il adore Augustine, et il l’aura. Ah ! cousine,n’agitez pas ainsi la tête en signe de refus ?... Savez-vous qu’on prétend. Apprenez qu’ilsera nommécréé baron, et qu’il vient d’être nommé chevalier de la légiond’honneurLégion-d’Honneur par l’Empereurl’empereur lui-même, au Salon. M. VernierestRoguin est devenu son notaire et connaît ses affaires. Eh bien ! ilmonsieur deSommervieux possède, en bons biens au soleil, vingt-quatre douze mille livres de rente.Savez-vous que le beau-père d’un homme comme lui peut devenir quelque chose, mairede son arrondissement, par exemple ! N’avez-vous pas vu M.monsieur Dupont être faitcomte de l’Empire l’empire et sénateur parce qu’il était pour être venu, en sa qualité demaire et qu’il avait été en poste, complimenter l’Empereurl’empereur sur son entrée àVienne. OhOh ! ce mariage-là se fera !. Je l’adore, moi, ce bon jeune homme !. Saconduite envers Augustine ne se voit que dans les romans. Va, ma petite, tu serasheureuse, et tout le monde voudrait être à ta place. J’ai chez moi, à mes soirées, madamela duchesse de Carigliano qui raffole de M. Henrimonsieur de Sommervieux : il y amême de. Quelques méchantes langues qui disent qu’elle ne vient chez moi que pour lui,comme si une duchesse d’hier était déplacée chez son notaire.¶une Chevrel dont lafamille a cent ans de bonne bourgeoisie.¶

– Augustine, reprit la tantemadame Roguin après une petite pause, j’ai vu leportrait !... Dieu, que c’ ! qu’il est beau. Sais-tu que l’Empereurl’empereur a voulu levoir, et qu’il ? Il a dit en riant, au GrandVice-Connétable, que s’il y avait beaucoup defemmes comme celle-là à sa cour pendant qu’il y venait tant de rois, il se faisait fort demaintenir toujours la paix en Europe.¶ Est-ce flatteur ?¶

Le reste est facile à deviner. Les orages par lesquels cette journée avait commencédevaient ressembler à ceux de la nature, et ramener, comme eux, le en ramenant un tempsle plus calme et le plus serein. Madame VernierRoguin déploya tant de séductions dansses discours ;, elle sut attaquer tant de cordes, à la fois, dans les cœurs secs de monsieuret de madame Guillaume, qu’elle finit par en trouver une sensible dont elle tira parti.¶ A

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cette singulière époque, le commerce et la finance avaient plus que jamais la folle maniede s’allier aux grands seigneurs, et les généraux de l’empire profitèrent assez bien de cesdispositions. M. onsieur Guillaume s’élevait singulièrement contre cette déplorablepassion. Ses axiômesaxiomes favoris étaient que, pour trouver le bonheur, une femmedevait épouser un homme de sa classe ; que l’on était toujours tôt ou tard puni d’avoirvoulu monter trop haut ; que l’amour résistait si peu aux tracas du ménage, qu’il fallaittrouver l’un chez l’autre des qualités bien solides pour être heureux ; qu’il ne fallait pasqu’unque l’un des deux époux en sût plus que l’autre, parce qu’on devait avant tout secomprendre ; qu’un mari qui parlait grec et la femme latin, risquaient de mourir de faim.C’était là une Il avait inventé cette espèce de proverbe qu’il avait inventé lui-même.. Ilcomparait les mariages, ainsi faits, à ces anciennes étoffes de soie et de laine où, dont lasoie finissait toujours par couper la laine. Cependant, il y ase trouve tant de vanité aufond du cœur de l’homme, que toute la prudence du pilote qui gouvernait si bien le Chat-qui-pelote, succomba sous l’agressive volubilité de madame Vernier.Roguin. La sévèremadame Guillaume fut même, la première à trouver,, trouva dans l’inclination de sa fille,des motifs pour déroger à ces principes, et pour consentir à recevoir au logis monsieurHenri de Sommervieux, qu’elle se promettait bien promit de soumettre à un rigoureuxexamen.¶

Le vieux négociant alla trouver Joseph Lebas. Il , et l’instruisit de l’état deschoses. A six heures et demie, la salle à manger, illustrée par le peintre célèbre, réunitsous son toit de verre, madame et monsieur VernierRoguin, le jeune peintre et sachèrecharmante Augustine, Joseph Lebas qui prenait son bonheur en patience, etmademoiselle Virginie dont la migraine avait cessé. Monsieur et madame Guillaumevirent en perspective leurs enfansenfants établis et les destinées du Chat-qui-peloteremises en des mains habiles. Leur contentement fut au comble, lorsqu’quand, au dessertHenri de Sommervieux, Théodore leur fit présent de l’étonnant tableau qu’ils n’avaientpas pu voir, et qui représentait l’intérieur de cette vieille boutique, à laquelle était dû tantde bonheur.¶

– C’est-y gentil !, s’écria monsieur Guillaume. Dire qu’on voulait donner trentemille francs de cela !¶.¶

– Mais c’est qu’on y voittrouve mes barbes !..., reprit madame Guillaume.¶– Et ces étoffes dépliées !..., ajouta monsieur Lebas ;, on les prendrait avec la

main.¶– Les draperies font toujours très-bien, répondit le peintre. Nous serions trop

heureux, nous autres artistes modernes, d’atteindre à la perfection de la draperie antique.¶– Vous aimez donc la draperie ?..., s’écria monsieurle père Guillaume. Eh bien,

sarpejeu, ! touchez là, mon jeune ami. Puisque vous estimez le commerce, nous nousentendrons. Eh ! pourquoi le mépriserait-on ? Le monde a commencé par là,puisqu’puisque Adam a vendu le paradis pour une pomme. Ça n’a pas été une fameusespéculation, par exemple !...¶!¶

Et le vieux négociant se mit à éclater d’un gros rire franc, excité par le vin deChampagne qu’il avait fait faisait circuler généreusement.¶ Le bandeau dontqui couvraitles yeux du jeune artiste étaient couverts fut si épais qu’il trouva presque de l’amabilité àses futurs parens.parents aimables. Il ne dédaigna même pas de les égayer par quelquescharges de bon goût. Aussi plut-il généralement.¶ Le soir, quand le salon meublé dechoses très-cossues, pour se servir de l’expression de M. Guillaume, se trouvafut désert ;

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et pendant que madame Guillaume s’en allait de table en cheminée, de candélabre enflambeau, soufflant avec précipitation les bougies, le brave négociant, qui savait toujoursvoir clair aussitôt qu’il s’agissait d’affaires ou d’argent, attira sa fille Augustine auprès delui ; etpuis, après l’avoir prise sur ses genoux, il lui tint ce discours :¶

– Ma chère enfant, tu épouseras ton M. de Sommervieux, puisque tu le veux ;permis à toi de risquer ton capital de bonheur. Mais je ne me laisse pas prendre à cestrente mille francs que l’on gagne à gâter de bonne toile. Je sais que l’argentbonnestoiles. L’argent qui vient si vite, s’en va de même. N’ai-je pas entendu dire ce soir, à cejeune écervelé, que si l’argent était rond, c’était pour rouler. Il ne sait donc pas que s’il !S’il est rond pour les gens prodigues, il est plat pour les gens économes n’ignorent pasqu’il est plat pour s’amasser.qui l’empilent. Or, mon enfant, ce beau garçon-là parle de tedonner des voitures, des diamans ?...diamants ? Il a de l’argent, qu’il le dépense pourtoi ?, bene sit ! Je je n’ai rien à y voir. Mais quant à ce que je te donne, je ne veux pasque des écus si péniblement amassésensachés s’en aillent en carrosses ou en colifichets.Qui dépense trop n’est jamais riche. Avec cinquanteles cent mille écus de ta dot onn’achète pas encore tout Paris ; et, tu. Tu as beau avoir à recueillir un jour quelquescentaines de mille francs, je te les ferai attendre, sarpejeu, ! le plus long-temps possible.J’ai donc attiré ton prétendu dans un coin ;, et, vois-tu, un homme qui a mené la failliteLecocq n’a pas eu grand’grande peine à faire consentir un artiste à se marier séparé debien biens avec sa femme. J’aurai l’œil au contrat pour quebien faire stipuler lesdonations qu’il se propose de te constituer soient soigneusement hypothéquées.. Allons,mon enfant, j’espère être grand-père, sarpejeu, et ! je veux m’occuper déjà de mes petits-enfans !.... Jureenfants : jure-moi donc ici, là, de ne jamais rien faire, rien signer en faitd’argent que par mon conseil ; ouet si j’allais trouver trop tôt le père Chevrel, jure-moide consulter le jeune Lebas, ton beau-frère. Promets-le-moi.¶

– Oui, mon père, je vous le jure.¶A ces mots prononcés d’une voix douce, le vieillard baisa sa fille sur les deux

joues et . Ce soir-là, tous les amansamants dormirent, ce soir là, presqu’ presque aussipaisiblement que monsieur et madame Guillaume.¶

Quelques mois après ce mémorable dimanche, le maître-autel de Saint-Leu futtémoin de deux mariages bien différens.¶ différents. Augustine et le jeune Henri deSommervieuxThéodore s’y présentèrent dans tout l’éclat du bonheur, entourés desprestiges de l’amour, les yeux pleins d’amour, parés de toilettes élégantes et, attendus parun brillant équipage. Venue dans un bon remise avec sa famille, Virginie, donnant appuyée sur le bras au modeste M. Lebas et venue dans un bon remise avec sa famille, àson père, suivait sa jeune sœur humblement, en et dans de plus simples atours, sa jeunesœur, comme une ombre nécessaire aux harmonies de ce tableau.¶ Monsieur Guillaumes’était donné toutes les peines imaginables pour obtenir à l’église que Virginie fût mariéeavant Augustine ; mais il eut la douleur de voir le haut et le bas clergé s’adresser en toutecirconstance à la plus élégante des mariées.¶ Il entendit quelques-uns de ses voisinsapprouver singulièrement le bon sens de mademoiselle Virginie qui faisait, disaient-ils, lemariage le plus solide, et restait fidèle au quartier ; tandis qu’ils lancèrent sur Augustinequelques brocards suggérés par l’envie : elle l’envie sur Augustine qui épousait unartiste, un noble. Ils ; ils ajoutèrent avec une sorte d’effroi, que, si les Guillaume avaientde l’ambition, la draperie était perdue. Un vieux marchand d’éventails ayant dit que cemange-tout-là l’aurait bientôt mise sur la paille, le père Guillaume s’applaudit in petto de

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la sa prudence des dans les conventions matrimoniales qu’il avait rédigées.¶ . Le soir, lafamille se sépara après un bal somptueux, et suivi d’un de ces soupers plantureux, dont lesouvenir commence à se perdre dans la génération présente a tout-à-fait perdu lesouvenir.¶ Monsieur, monsieur et madame Guillaume restèrent dans leur hôtel de la ruedu Colombier, où la noce avait eu lieu. Monsieur, monsieur et madame Lebasretournèrent dans leur remise à la vieille maison de la rue Saint-Denis pour y diriger labarquenauf du Chat-qui-pelote. L’artiste,, l’artiste ivre de bonheur, prenant prit entre sesbras sa chère Augustine, l’enleva vivement quand leur coupé arriva rue des Trois- -Frères, et la porta dans le plus élégant un appartement de Paris.¶que tous les arts avaientembelli.¶

La fougue de passion dont Henri était possédé,qui possédait Théodore fit dévorerau jeune ménage près d’une année entière, sans que le moindre nuage vînt altérer ledélicieux l’ azur du ciel sous lequel ils vivaient. Pour euxces deux amants, l’existencen’eut rien de pesant, et leur mariage fut alors une source féconde de joie et de bonheur.L’âme puissante et pleine de poésie de Henri de Sommervieux . Théodore répandait surchaque journée une incroyabled’incroyables fioriture de plaisirs, un luxe d’expansion, deregards et de discours enivrans. Il savait il se plaisait à varier l’opulence de sesemportemensles emportements de la passion, par la molle langueur de ces momens derepos où les âmes sont lancées si haut dans l’extase qu’elles semblent y méconnaîtretoute oublier l’union corporelle.¶ La timide et Incapable de réfléchir, l’heureuseAugustine vivait dans les cieux. Incapablese prêtait à l’allure onduleuse de réfléchir,sonbonheur : elle ne croyait pas faire encore assez en se livrant tout entière toute à l’amourpermis et saint du mariage. Elle ne connaissait, ; simple et naïve, elle ne connaissaitd’ailleurs ni la coquetterie des refus, ni l’empire qu’une jeune demoiselle du grandmonde se crée sur un mari par d’adroits caprices. Elle ; elle aimait trop pour calculerl’avenir. Elle , et n’imaginait pas qu’une vie aussi délicieuse pût jamais cesser. EllefaisaitHeureuse d’être alors tous les plaisirs de son mari, elle crut que cet inextinguibleamour serait toujours pour elle la plus belle de toutes les parures, comme sondévouement et son obéissance seraient un éternel attrait. Enfin, la félicité de l’amourl’avait rendue si brillante, que sa beauté lui inspira de l’orgueil et lui donna la consciencede pouvoir toujours régner sur un homme aussi facile à enflammer que l’étaitHenrimonsieur de Sommervieux.¶ Ainsi son état de femme ne lui apporta d’autresenseignemensenseignements que ceux de l’amour. Au sein de ce bonheur, elle restalal’ignorante petite fille ignorante qui vivait obscurément rue Saint-Denis. Elle , et nepensa point à prendre les manières, l’instruction, le ton du monde dans lequel elle devaitvivre. Ses paroles étant des paroles d’amour, elle y déployait bien une sorte de souplessed’esprit et une certaine délicatesse d’expression, ; mais c’était le elle se servait dulangage employé par commun à toutes les femmes quand elles se trouvent plongées dansune la passion qui semble être leur élément.¶ Si, par hasard, une idée discordante aveccelles de HenriThéodore était exprimée par Augustine, le jeune artiste en riait, comme onrit des premières fautes de langue que fait un étranger, mais qui finissent par fatiguer, s’ilne se corrige pas.¶ Cependant Malgré tant d’amour, à l’expiration de cette année, dont lecharme ne pouvait se comparer qu’à la rapidité avec laquelle elle s’écoula, Henri aussicharmante que rapide, Sommervieux sentit un matin la nécessité de reprendre ses travauxet ses habitudes. Sa femme était d’ailleurs enceinte. Il revit ses amis. Pendant les longuessouffrances de l’année où, pour la première fois, une jeune femme nourrit et élève un

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enfant, il travailla sans doute avec ardeur, ; mais aussi parfois il retourna chercherquelques distractions dans le grand monde. La maison où il allait le plus volontiers étaitfut celle de la duchesse de Carigliano, qui avait fini par attirer chez elle le célèbre artiste.Quand Augustine fut rétablie et que , quand son fils ne réclama plus ces soins assidus quiinterdisent à une mère les plaisirs du monde, HenriThéodore en était arrivé à vouloiréprouver cette jouissance d’amour-propre que nous donne la société, quand nous yapparaissons avec une belle femme, objet d’envie et d’admiration, et que nous lapossédons.¶ . Parcourir les salons, en s’y montrant avec l’éclat emprunté de la gloire deson mari ;, se voir jalousée par toutes les femmes, fut pour Augustine une nouvellemoisson de plaisirs ; mais aussi ce fut le dernier reflet que devait jeter pour elle le sonbonheur conjugal. En effet, elle Elle commença par offenser la vanité de son mari,quand, malgré de vains efforts, elle laissa percer son ignorance, l’impropriété de sonlangage et l’étroitesse de ses idées.¶ Le caractère de Henri de Sommervieux, domptéDompté pendant près de deux ans et demi par les premiers emportemensemportements del’amour,, le caractère de Sommervieux reprit, avec la tranquillité d’une possession moinsjeune, sa pente et ses habitudes un moment détournées de leur cours. La poésie, lapeinture, et les exquises jouissances de l’imagination possèdent, sur les esprits élevés, desdroits imprescriptibles. Ces besoins d’une âme forte n’avaient pas été trompés chezHenriThéodore pendant ces deux années, seulement ils avaient trouvé seulement unepâture nouvelle. Mais, quand Quand les champs de l’amour furent parcourus ;, quand lepoètel’artiste eut, comme les enfansenfants, cueilli des roses et des bluetsbleuets avec unetelle avidité qu’il ne s’apercevait pas que ses mains ne pouvaient plus les tenir, la scènechangea. Si le peintre montrait à sa femme les croquis de ses plus belles compositions lesplus belles, il l’entendait s’écrier comme son père :¶ eût fait le père Guillaume : – C’estbien joli !...¶ L’ Cette admiration sans chaleur qu’elle témoignait à son mari ne provenaitpas d’un sentiment consciencieux, c’était l’admirationmais de la croyance sur parole del’amour. Elle Augustine préférait un regard au plus beau tableau, et le . Le seul sublimequ’elle connût était celui du cœur. Enfin, HenriThéodore ne put se refuser à l’évidenced’une vérité cruelle : Augustine sa femme n’était pas sensible à la poésie. Elle , ellen’habitait pas sa sphère. Elle , elle ne le suivait pas dans tous ses caprices, dans sesimprovisations, dans ses joies, dans ses douleurs. Elle ; elle marchait terre à terre dans lemonde réel., tandis qu’il avait la tête dans les cieux. Les esprits ordinaires ne peuvent pasapprécier les souffrances renaissantes de l’être, qui, uni à un autre par le sentiment le plusintime de tous les sentiments, est obligé de refouler sans cesse les plus chères expansionsde sa pensée, et de faire rentrer dans le néant les images qu’une puissance magique leforce à créer. Pour lui, c’est un ce supplice est d’autant plus vifcruel, que le sentiment,qu’il porte à son compagnon, ordonne, par sa première loi, de vivre de cœur à cœur, dene jamais rien se dérober l’un à l’autre, et de confondre avant tout les âmes et leseffusions de la pensée. Or, on aussi bien que les épanchements de l’âme. On ne trompepas impunément les volontés de la nature : elle est inexorable comme la nécessité.¶HenriNécessité, qui, certes, est une sorte de nature sociale. Sommervieux se réfugia dansle calme et le silence de son atelier, en espérant que l’habitude de vivre avec des artistespourrait former sa femme, et développer,ait en elle, les germes de haute intelligenceengourdis que quelques esprits supérieurs, croyent préexistans dans toutes lesintelligences. Mais croient préexistants chez tous les êtres ; mais Augustine était tropsincèrement religieuse pour ne pas être effrayée du ton des artistes. Elle entendit, au Au

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premier dîner que donna son mari,Théodore, elle entendit un jeune peintre diredisantavec cette enfantine légèreté qu’elle ne sut pas reconnaître et qui absout une plaisanteriede toute irréligion :¶ : – Mais, Madamemadame, votre paradis n’est pas plus beau que laTransfiguration de Raphaël. ? EhEh ! bien !..., je me suis lassé de la regarder.¶ Augustine apporta donc dans cette société brillantespirituelle un esprit de défiance quin’échappait à personne. Elle , elle gêna. Les artistes gênés sont impitoyables : ilsfuyentfuient ou se moquent. Madame Guillaume avait, entre autres ridicules, celuid’outrer la dignité qui lui semblait l’apanage d’une femme mariée, ; et quoiqu’elle s’enfût souvent moquée, Augustine ne put sut pas se défendre d’une légère imitation de lapruderie maternelle. Cette exagération de pudeur, que n’évitent pas toujours les femmesvertueuses, suggéra quelques épigrammes à coups de crayon, dont l’innocent badinageétait de trop bon goût pour que M. de Sommervieux pût s’en fâcher : elles . Cesplaisanteries eussent été même plus cruelles, que ce n’étaitelles n’étaient après tout quedes représailles exercées sur lui par ses amis. Mais rien n’était ne pouvait être léger pourune âme qui recevait aussi facilement que celle d’Henride Théodore des impressionsétrangères. Aussi éprouva-t-il insensiblement une froideur qui ne pouvait aller qu’encroissant. Pour arriver au bonheur conjugal, il faut gravir une montagne dont l’étroitplateau est bien près d’un revers aussi rapide que glissant : , et l’amour du peintre ladéclinait.¶ Henri, jugeantle descendait. Il jugea sa femme incapable d’apprécier lesconsidérations morales qui justifiaient, à ses propres yeux, la singularité de ses manières,envers elle, se croyaitet se crut fort innocent ; de même qu’Augustine, n’ayant rien à sereprocher, innocent en lui cachant des pensées qu’elle ne comprenait pas et des écarts peujustifiables au tribunal d’une conscience bourgeoise. Augustine se renferma dans unedouleur morne et silencieuse.¶ Ces sentimens Ces sentiments secrets mirent entre lesdeux époux un voile qui devait s’épaissir de jour en jour. Sans que son mari manquâtd’égards envers elle, Augustine ne pouvait s’empêcher de trembler en le lui voyantréserver pour le monde tous les trésors d’esprit et de grâce qu’il venait jadis mettre à sespieds. Elle Bientôt, elle interpréta à sa manièrefatalement les discours spirituels qui setiennent dans le monde sur l’inconstance des hommes. Elle ne se plaignit pas ;, mais sonattitude équivalait à des reproches. BientôtTrois ans après son mariage, cette femmejeune et jolie qui passait si brillante dans son brillant équipage, qui vivait dans une sphèrede gloire et de richesse enviée de tant de gens insouciansinsouciants et incapablesd’apprécier justement les situations de la vie, fut en proie à des violensde violentschagrins. Ses ; ses couleurs pâlirent. Elle , elle réfléchit, elle compara, et ; puis, lemalheur lui déroula les premiers textes de l’expérience. Elle résolut de restercourageusement dans le cercle de ses devoirs, en espérant que cette conduite généreuselui recouvreraitferait recouvrer tôt ou tard l’amour de son mari ; mais il n’en fut pasainsi.¶ Quand M. de Sommervieux, fatigué de travail, sortait de son atelier, Augustinene cachait pas si vitepromptement son ouvrage, que le peintre ne pût s’apercevoir que safemme raccommodaitapercevoir sa femme raccommodant avec toute la minutie d’unebonne ménagère, le linge de la maison et le sien. Elle fournissait, avec générosité et, sansmurmure, l’argent nécessaire aux prodigalités de son mari ; mais, dans le désir deconserver la fortune de son cher HenriThéodore, elle se montrait économe soit pour elle,soit dans certains détails de l’administration domestique, toutes idées incompatibles avecle laisser. Cette conduite est incompatible avec le laissez-aller des artistes, qui, sur la finde leurs carrièresleur carrière, ont tant joui de la vie, qu’ils ne se demandent jamais la

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raison de leur ruine.¶ Mais il Il est inutile de marquer chacune des dégradations decouleur par lesquelles la teinte brillante de leur Lune de Miel atteignit à une lune de miels’éteignit et les mit dans une profonde obscurité. Un soir, la jeune, belle et tristeAugustine, qui, depuis long-temps entendait son mari parlerparlant avec enthousiasme demadame la duchesse de Carigliano, reçut d’une amie quelques avis méchammentcharitables sur la nature de l’attachement de son mari qu’avait conçu Sommervieux pourcette célèbre coquette qui donnait le ton à de la cour et aux modes.¶ impériale. A vingt-et un ans, dans tout l’éclat de la jeunesse, et de la beauté, Augustine se vit trahie pourune femme de trente-deuxsix ans. En se sentant malheureuse au milieu du monde et deses fêtes désertes pour elle, la pauvre petite ne comprit plus rien à l’admiration qu’elle yexcitait et, ni à l’envie qu’elle inspirait. Sa figure prit une nouvelle expression. Lamélancolie versa dans ses traits la douceur de la résignation et la pâleur d’un amourdédaigné. Elle ne tarda pas à être courtisée par les hommes les plus séduisansséduisants ;mais elle resta solitaire et vertueuse.¶ Quelques paroles de dédain, échappées à son mari,lui donnèrent un incroyable désespoir. Une lueur fatale lui fit entrevoir les défauts decontact, qui, par suite des mesquineries de son éducation, empêchaient l’union complètede son âme avec celle d’Henri. Elle de Théodore : elle eut assez d’amour pour l’absoudreet pour se condamner. Elle pleura des larmes de sang, et reconnut trop tard, qu’il est desmésalliances d’esprit, comme aussi bien que des mésalliances de mœurs et de rangs.. Ensongeant aux délices printanières de son union, elle comprit toute l’étendue du bonheurpassé, et convint en elle même qu’une si riche moisson d’amour était une vie touteentière qui ne pouvait se payer que par du malheur. Cependant elle aimait tropsincèrement pour perdre toute espérance : aussi . Aussi osa-t-elle entreprendre à vingt- etun ans de s’instruire et de rendre son imagination au moins digne de celle qu’elleadmirait.¶ – Si je ne suis pas poète, se disait-elle, au moins je comprendrai la poésie.¶ Et déployant alors cette force de volonté, cette énergie que les femmes possèdent toutesquand elles aiment, madame de Sommervieux tenta de changer son caractère, ses mœurset ses habitudes. Mais ; mais en dévorant des volumes, en apprenant avec courage, ellene réussit qu’à devenir moins ignorante. La légèreté de l’esprit et les grâces de laconversation sont un don de la nature ou le fruit d’une éducation commencée au berceau.Elle pouvait apprécier la musique, en jouir ;, mais non chanter avec goût. Elle comprit lalit térature et les beautés de la poésie ;, mais il était trop tard pour en orner sa rebellemémoire. Elle entendait avec plaisir les entretiens du monde ;, mais elle n’y fournissaitrien de brillant. Ses idées religieuses et ses préjugés d’enfance se montrèrent à chaquepas, et s’opposèrent à l’exaltation de ses idées.la complète émancipation de sonintelligence. Enfin, il s’était glissé, contre elle, dans l’âme d’Henride Théodore, uneprévention qu’elle ne put vaincre. L’artiste se moquait de ceux qui lui vantaient safemme, et ses plaisanteries étaient assez fondées. Il : il imposait tellement à cette jeuneet touchante créature, qu’en sa présence et, ou en tête -à -tête, elle tremblait. Embarrasséepar son trop grand désir de plaire, elle sentait son esprit et ses connaissances s’évanouirdans un seul sentiment.¶ La fidélité d’Augustine déplut même à ce mari cet infidèlemari, qui semblait l’engager à commettre des fautes en l’accusanttaxant sa vertud’insensibilité. Augustine s’efforça en vain d’abdiquer sa raison, de se plier aux caprices,aux fantaisies de son mari, et de se vouer à l’égoïsme de sa vanité, ; elle ne recueillitpoint le fruit de ces sacrifices. Peut-être avaient-ils tous deux laissé passer le moment oùles âmes peuvent se comprendre. Un jour le cœur trop sensible de la jeune épouse reçut

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un de ces coups qui font si fortement plier les liens du sentiment, qu’on peut les croirerompus. Elle s’isola. Mais bientôt une fatale pensée lui suggéra d’aller chercher desconsolations et des conseils au sein de sa famille.¶

Un matin donc, elle se dirigea vers la grotesque façade de l’humble et silencieusemaison où s’était écoulée son enfance. Elle soupira en revoyant cette croisée d’où, unjour, elle avait envoyé un premier baiser à celui qui répandait aujourd’hui sur sa vieautant de gloire que de malheur. Rien n’était changé dans l’antre où se rajeunissaitcependant l’esprit du le commerce de la draperie. La sœur d’Augustine occupait aucomptoir antique la place de sa mère. La jeune affligée rencontra son beau-frère, laplume derrière l’oreille. Elle en, elle fut à peine écoutée, tant il avait l’air affairé, attenduque ; les redoutables signaux d’un inventaire général se faisaient autour de lui :; aussi laquitta-t-il en la priant d’excuser.¶ Elle fut reçue assez froidement par sa sœur, qui luimanifesta un peu de quelque rancune. En effet, ce n’était guère qu’en passant,qu’Augustine, brillante et descendant d’un joli équipage, était n’était jamais venue voirsa sœur. qu’en passant. La femme du prudent Lebas s’imaginait déjà que l’argent était lacause première de cette visite matinale, et elle essaya de se maintenir sur un ton deréserve qui, fit sourire plus d’une fois, fit sourire Augustine. Cette dernièreLa femme dupeintre vit que, sauf les barbes au bonnet, sa mère avait trouvé, dans Virginie, unsuccesseur qui conserveraitconservait l’antique honneur du Chat-qui-pelote.¶ Audéjeuner, Augustine s’aperçut de elle aperçut, dans le régime de la maison, certainschangemens dans le régime de la maison, lesquels changements qui faisaient honneur aubon sens de Joseph Lebas. Les : les commis ne se levèrent pas au dessert, et on leurlaissait la faculté de parler. L’abondance, et l’abondance de la table annonçait uneaisance sans luxe. La jeune élégante aperçut trouva les coupons d’une loge aux Françaiset à l’Opéra-Comique, où elle se souvint d’avoir vu sa sœur de loin en loin. MadameLebas avait sur les épaules un cachemire dont la magnificence attestait la générosité aveclaquelle son mari s’occupait d’elle. Enfin, les deux époux marchaient avec leur siècle.Augustine fut bientôt pénétrée d’attendrissement, en se trouvant témoinreconnaissant,pendant les deux tiers de cette journée, du le bonheur égal, sans exaltation, il est vrai,mais aussi sans orages, de que goûtait ce couple convenablement assorti. Ils avaientaccepté la vie comme une entreprise commerciale où il s’agits’agissait de faire, avanttout, honneur à ses affaires. La femme, n’ayant pas rencontréEn ne rencontrant pas dansson mari un amour excessif, la femme s’était appliquée à le faire naître ; et quand JosephLebas se trouva insensiblement. Insensiblement amené à estimer, à chérir safemmeVirginie, le temps que le bonheur mit à éclore, fut, pour euxJoseph Lebas et poursa femme, un gage de sa durée. Aussi, lorsque la plaintive Augustine, racontant sesdouleurs, exposa la sa situation dans laquelle elle se trouvait, elle eût douloureuse, eût-elle à essuyer le déluge de lieux communs que la morale de la rue Saint-Denis fournissaità sa sœur.¶

– Le mal est fait, ma femme, dit Joseph Lebas, et il faut chercher à donner debons conseils à notre sœur.¶ A ces mots Puis, l’habile négociant analysa un peulourdement toutes les ressources de la situation ; que les lois et les mœurs pouvaientoffrir à Augustine pour sortir de cette crise ; il en numérota, pour ainsi dire, toutes lesconsidérations ;, les rangea par leur force dans des espèces de catégories, comme s’il sefût agi de marchandises de diverses qualités ; puis, il les mit en balance, les pesa, etconclut en développant la nécessité où était sa belle-sœur de prendre un parti violent qui

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ne satisfit point l’amoureuse Augustine.¶ Le sentiment profond l’amour qu’elle portait àson mariressentait encore pour son mari ; aussi ce sentiment se réveilla-t-il dans toute saforce quand elle entendit Joseph Lebas parler d’un moyen violent. Elleparlant de voiesjudiciaires. Augustine remercia ses deux amis, et revint chez elle encore plus indécisequ’elle ne l’était avant de les avoir consultés.¶ Alors elle Elle hasarda de se rendre alorsà l’antique hôtel de la rue du Colombier, dans le dessein de confier ses malheurs à sonpère et à sa mère. La pauvre petite femme, car elle ressemblait à ces malades qui, arrivésà un état désespéré, essayent qui essaient de toutes les recettes et se confient même auxremèdes de bonne femme. Les deux vieillards la reçurent leur fille avec une effusion desentiment dont elle fut attendrie. Il est vrai de dire aussi que cette qui l’attendrit. Cettevisite leur apportait une distraction ; et, pour eux, un distraction était distraction qui, poureux, valait un trésor. En effet, depuisDepuis quatre ans, ils marchaient dans la vie commedes navigateurs sans but et sans boussole. Assis au coin de leur feu, ils se racontaient l’unà l’autre tous les désastres du Maximum ;, leurs anciennes acquisitions de draps ;, lamanière dont ils avaient évité des les banqueroutes, et surtout cette célèbre faillite Lecoqqui étaitLecocq, la bataille de Marengo de M.du père Guillaume. Puis, quand ils avaientépuisé les vieux procès, ils récapitulaient les antiques additions de leurs inventaires lesplus productifs, et se narraient encore les vieilles histoires du quartier St.Saint-Denis.¶ Adeux heures, M.le père Guillaume allait à pied, donner un coup- d’œil à l’établissementdu Chat-qui-pelote. En ; en revenant il s’arrêtait à toutes les boutiques, autrefois sesrivales, et dont les jeunes propriétaires espéraient, toujours en vain, entraîner le vieuxnégociant dans quelqu’quelque escompte aventureux, que, selon sa coutume, il nerefusait jamais positivement.¶ Deux bons chevaux normands mouraient de gras -fondudans l’écurie de l’hôtel ; car, madame Guillaume ne s’en servait guère que pour allersefaire traîner tous les dimanches à la grand’-messe de sa paroisse. Trois fois par semaine,ce respectable couple tenait table ouverte, attendu que, grâce. Grâce à l’influence de songendre Sommervieux, le père Guillaume ayant avait été nommé membre du comitéconsultatif pour l’habillement des troupes. Depuis que son mari s’était ainsi trouvé placéhaut dans l’administration, madame Guillaume avait pris la résolution de vivrebourgeoisement etdétermination de représenter. Les appartemens : ses appartementsétaient encombrés de tant d’ornemensd’ornements d’or et d’argent, et de meubles sansgoût mais de valeur certaine, que la moindre chambrepièce la plus simple y ressemblait àune chapelle. L’économie et la prodigalité semblaient se disputer dans chacun desaccessoires de cet hôtel ; et l’on. L’on eût dit que M.monsieur Guillaume avait eu en vuede faire un placement d’argent mêmejusque dans l’acquisition d’un flambeau.¶ Aumilieu de ce bazar, dont la richesse accusait le désœuvrement des deux époux, le célèbretableau de M. de Sommervieux avait obtenu la place d’honneur. Il, et il faisait laconsolation de monsieur et de madame Guillaume qui tournaient vingt fois par jour leursyeux enharnachés de besicles,bésicles vers cette image de leur ancienne existence, poureux, si active et si amusante.¶ L’aspect de cet hôtel et de cet appartementcesappartements où tout avait une senteur de vieillesse et de médiocrité, le spectacle donnépar ces deux êtres, qui semblaient échoués sur un rocher d’or, bien loin du monde et desidées qui font vivre, surprirent Augustine. Elle ; elle contemplait en ce moment laseconde partie du tableau dont elle avait vu le commencement l’avait frappée chezJoseph Lebas :, celui d’une vie agitée quoique sans mouvement, espèce d’existencemécanique et instinctive semblable à celle des castors. Elle ; elle eut alors je ne sais quel

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orgueil de ses chagrins, en pensant qu’ils prenaient leur source dans un bonheur de dix-huit mois qui valait à ses yeux mille existences comme celle dont elle comprenaitactuellement tout le vide.¶ lui semblait horrible. Cependant elle cacha ce sentiment peucharitable, et déploya pour ses vieux parens, et, déployantparents, les grâces nouvelles deson esprit, les coquetteries de tendresse que l’amour lui avait révélées, elle et les disposafavorablement à écouter ses doléances matrimoniales. Les vieilles gens ont un faible pources sortes de confidences, et madame. Madame Guillaume, surtout, voulut être instruitedes plus légers détails de cette vie étrange qui, pour elle, avait quelque chose de fabuleux.Les voyages du baron de La Hontan, qu’elle commençait toujours sans jamais lesachever, ne lui apprirent rien de plus inouï sur les sauvages du Canada.¶

– Comment, mon enfant, ton mari s’enferme avec des femmes toutes nues, et tuas la simplicité de croire que c’est pour les dessiner !...¶qu’il les dessine ?¶

A cette exclamation, la grand’mère, posant posa ses lunettes sur une petitetravailleuse, secoua ses jupons et plaça ses mains jointes sur ses genoux élevés par unechaufferette, son piédestal favori.¶

– Mais, ma mère, tous les peintres sont obligés d’avoir des modèles.¶– Il s’est bien gardé de nous dire tout cela quand il t’a demandée en mariage !....

Si je l’avais su, je n’aurais pas donné ma fille à un homme qui fait un pareil métier... Lareligion défend cela :ces horreurs là, ça n’est pas moral. Et àA quelle heure nous disais-tudonc qu’il rentre chez lui ?¶

– Mais à une heure, deux heures...¶Là, lesLes deux époux se regardèrent avecdans un profond étonnement.¶– Il joue donc, ? dit M.monsieur Guillaume ; car il. Il n’y avait que les joueurs

qui, de mon temps, rentrassent si tard.¶Augustine fit une petite moue qui repoussait cette accusation.¶– Il doit te faire passer de cruelles nuits à l’attendre, reprit madame Guillaume ;

mais . Mais, non, tu te couches, n’est-ce pas, et ? Et quand il a perdu, ille monstre teréveille ?¶.¶

– Non, ma mère, il est au contraire quelquefois très-gai. Assez souvent même,quand il fait beau, il me propose de me lever, pour aller dans les bois...¶

– Dans les bois ?..., à ces heures-là !? Tu as donc un bien petit appartement qu’iln’a pas assez de sa chambre, de ses salons, et qu’il lui faille ainsi courir pour... maisMaisc’est pour t’enrhumer, que le scélérat, qu’il te propose ces parties-là !.... Il veut sedébarrasser de toi... A-t-on jamais vu un homme établi, et qui a un commerce tranquille,galoper galopant ainsi comme un loup-garou ?...¶?¶

– Mais, ma mère, vous ne comprenez -donc pas que, pour développer son talent,il a besoin d’exaltation. Il aime même beaucoup ces sortes de les scènes qui...¶

– Ah ! je lui en ferais de belles, des scènes, moi !..., s’écria madame Guillaume.en interrompant sa fille. Comment peux-tu garder des ménagemensménagements avec unhomme pareil ? D’abord, je n’aime pas qu’il ne boive que de l’eau, et qu’il ait tant. Càn’est pas sain. Pourquoi montre-t-il de la répugnance à voir les femmes manger.quandelles mangent ? Quel singulier genre ! Mais c’est un fou. Tout ce que tu nous en as ditn’est pas possible., Un homme ne peut pas partir de sa maison sans souffler mot et nerevenir que dix jours après. Il te dit qu’il a été à Dieppe pour peindre la mer... Est, est-cequ’on peint la mer ?... Il te fait des contes à dormir debout.¶

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Augustine ouvrit la bouche pour défendre son mari ; mais madame Guillaume luiimposa silence par un geste de main auquel elle obéit par un reste d’habitude la fit obéir,et sa mère s’écria d’un ton sec :¶ : – Tiens, ne me parle pas de cet homme-là ! Il il n’ajamais mis le pied dans une église que pour te voir et t’épouser : or, les . Les gens sansreligion sont capables de tout. Est-ce que M. Guillaume s’est jamais avisé de me cacherquelque chose..., de rester des trois jours sans me dire ouf, et ensuite de babiller ensuitecomme une pie borgne ainsi que le fait ton mari ?¶

– Ma chère mère, vous jugez trop sévèrement les gens supérieurs : s’ils. S’ilsavaient des idées semblables à celles des autres, ce ne seraient plus des gens deà talent.¶

– Eh bien, ! que les gens de à talent restent chez eux et ne se marient pas !.Comment, ! un homme à talent rendra sa femme malheureuse ;! et parce qu’il a dutalent, ; ce sera bien !? Talent, talent !.... Il n’y a pas tant de talent à dire comme lui blancet noir à toute minute ;, à couper la parole aux gens ;, à battre du tambour chez soi ;, à nejamais vous laisser savoir sur quel pied danser ;, à forcer une femme d’attendre pour dene pas s’amuser avant que les idées de monsieur ne soient gaies, et à vouloir qu’ellesoitd’être triste, si l’ondès qu’il est triste...¶

– Mais, ma mère, le propre de ces imaginations là, c’est d’être....¶– Qu’est-ce que c’est que ces imaginations-là ?... reprit madame Guillaume en

interrompant encore sa fille. Il en a de belles, ma foi. ! Qu’est-ce qu’un homme auquel ilprend tout- à- coup, sans consulter de médecin, la fantaisie de ne manger que deslégumes ; encore? Encore, si c’était par religion, celasa diète lui servirait à quelquechose ; mais il n’en a pas plus qu’un huguenot. A-t-on jamais vu un homme aimer,comme lui, les chevaux plus quequ’il n’aime son prochain ;, se faire friser les cheveuxcomme un payen ;païen, coucher des statues sous de la mousseline ;, faire fermer sesfenêtres le jour pour travailler à la lampe ?... Tiens, laisse-moi, s’il n’était pas sigrossièrement immoral, ce il serait un homme bon à mettre aux petites-maisons.Petites-Maisons. Consulte M. Charbonneaumonsieur Loraux, le vicaire de St.-Saint-Sulpice, etdemande-lui ce qu’il pense de son avis sur tout cela ? Il , il te dira que ton mari ne seconduit pas comme un chrétien....¶

– OhOh ! ma mère, ! pouvez-vous croire cela ?...¶– Oui, je le crois !.. C’est parce que tu Tu l’as aimé que, tu n’aperçois rien de ces

choses-là. Mais même dans, moi, vers les premiers temps de son mariage, je me souviensde l’avoir rencontré aux dans les Champs-Elysées. Il était à cheval. Eh bien, ! il galopaitpar moment ventre à terre, et puis il s’arrêtait pour aller pas à pas ; je t’assure que je . Jeme suis dit alors : – Voilà un homme qui n’a pas de jugement.¶

– Ah ! s’écria monsieur Guillaume en se frottant les mains, comme j’ai bien faitde t’avoir mariée séparée de biens avec cet original-là.¶ !¶

Mais quand Quand Augustine eut l’imprudence de raconter les griefs véritablesqu’elle avait à exposer contre son mari, les deux vieillards restèrent muets d’indignation.Le mot de divorce fut bientôt prononcé par madame Guillaume. A ce Au mot de divorce,l’i nactif négociant fut comme réveillé.¶ Stimulé par l’amour qu’il avait pour sa fille, etun peu aussi par l’agitation qu’un procès allait donner à sa vie sans occupation et sansévénemens, monsieurévénements, le père Guillaume prit la parole. Il se mit à la tête de lademande en divorce, la dirigea, plaida presque, et il offrit à sa fille de se charger de tousles frais, de voir les juges, les avoués, les avocats, de remuer ciel et terre. MaismadameMadame de Sommervieux, effrayée, refusa les services de son père, et dit qu’elle

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ne voulait pas se séparer de son mari, dût-elle être dix fois plus malheureuse encore.Augustine , et ne parla plus de ses chagrins. Après avoir été accablée par sesparensparents de tous ces petits soins muets et consolateurs par lesquels les deuxvieillards essayèrent de la dédommager, mais en vain, de ses peines de cœur, elleAugustine se retira convaincue de l’inutilité, du danger même qu’il y avaiten sentantl’impossibilité de parvenir à faire bien juger les hommes supérieurs par des espritsfaibles. Elle apprit qu’une femme devait cacher à tout le monde, même à ses parens, cesparents, des malheurs pour lesquels le monde n’a point de on rencontre si difficilementdes sympathies. Les orages et les souffrances des sphères élevées ne peuvent être sontappréciés que par les nobles esprits qui les habitent ; et, en tout. En toute chose, nous nepouvons être jugés que par nos pairs.¶

Alors la La pauvre Augustine se retrouva donc dans la froide atmosphère de sonménage, livrée à toute l’horreur de ses méditations. L’étude n’était plus rien pour elle,puisque l’étude ne lui avait pas rendu le cœur de son mari. Elle pensait avec amertumequ’elle s’était initiéeInitiée aux secrets de ces âmes de feu, de manière à ne pas avoircomme elles la ressource de créer pour se distraire des chagrins, et qu’ainsi elle maisprivée de leurs ressources, elle participait avec force à leurs peines sans partager leursplaisirs. Elle s’était dégoûtée du monde, qui lui semblait mesquin et petit devant lesévénemensévénements des passions ; enfin . Enfin, sa vie était manquée.¶ Un soir, ellefut frappée d’une pensée qui vint illuminer la nuit de ses ténébreux chagrins comme unrayon céleste. Cette idée ne pouvait sourire qu’à un cœur aussi pur et, aussi vertueux quel’était le sien. Elle résolut d’aller chez la duchesse de Carigliano, non pas pour luiredemander le cœur de son mari ;, mais pour s’y instruire des artifices qui le lui avaientenlevé ; mais pour intéresser à la mère des enfansenfants de son ami cette orgueilleusefemme du monde ; mais pour la fléchir et la rendre complice de son bonheur à venircomme elle était l’instrument de son malheur présent.¶ Un matinjour donc, la timideAugustine, armée d’un courage surnaturel, monta en voiture, à deux heures après midi,pour essayer d’arriverde pénétrer jusqu’au boudoir de la célèbre coquette, qui n’étaitjamais visible avant cette heure-là.¶ Madame de Sommervieux ne connaissait pas encoreles antiques et somptueux hôtels du faubourg Saint-Germain. Quand elle parcourut cesvestibules majestueux, ces escaliers grandioses, ces salons immenses ornés de fleurs,malgré les rigueurs de l’hiver, et décorés avec ce goût particulier aux femmes qui sontnées dans l’opulence ou avec les habitudes distinguées de l’aristocratie, Augustine eut unaffreux serrement de cœur affreux. Elle cœur : elle envia les secrets de cette élégancedontde laquelle elle n’avait jamais eu l’idée. Elle , elle respira un air de grandeur qui luirévéla le mystère deexpliqua l’attrait que de cette maison possédait pour son mari. Quandelle parvint aux petits-appartemens appartements de la duchesse, elle éprouva de lajalousie et une sorte de désespoir, en y admirant la voluptueuse disposition des meubles,des draperies, et des étoffes tendues. Là, le désordre était une grâce ;, là, le luxe affectaitune espèce de dédain pour la richesse ; et il y avait autant d’hommages rendus aux arts età la simplicité que de bon goût.. Les parfums répandus dans cette douce atmosphèreflattaient l’odorat sans l’offenser ; l’accord des pièges tendus à l’œil par tous les . Lesaccessoires de l’appartement, s’harmoniaient avec ceux d’une vue ménagée par desglaces sans tain sur les pelouses d’un jardin planté d’arbres verts, enchantait les regards ;tout . Tout était séduction, et le calcul ne s’y sentait pas.point. Le génie de la maîtresse deces appartemensappartements respirait tout entier dans le salon où attendait Augustine.

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Elle tâcha d’y deviner le caractère de sa rivale par l’aspect des objets épars ; mais il yilsavait là quelque chose d’impénétrable dans la profusionle désordre comme dans lasymétrie, et pour la simple Augustine ce fut lettres closes. Tout ce qu’elle put y voir,c’est que la duchesse était une femme supérieure en tant que femme. Alors elle Elle eutalors une pensée douloureuse.¶

– Hélas ! serait-il vrai, se dit-elle, qu’un cœur aimant et simple ne suffitsuffisepas à un artiste ; et pour balancer le poids de ces âmes fortes, faut-il les unir à des âmesféminines dont la puissance soit égalepareille à la leur. ? Si j’avais été élevée commecette syrènesirène, au moins nos armes eussent été égales au moment de la lutte.¶

– Mais je n’y suis pas !.....¶ Ces mots secs et brefs, quoique prononcés à voixbasse dans le boudoir voisin, furent entendus par Augustine, dont le cœur palpita.¶

– Mais cette – Cette dame est là !....., répliqua la femme de chambre.¶– Vous êtes folle, faites donc entrer, répondit la duchesse ; faites donc entrer ! Sa

duchesse dont la voix devenue douce avait pris l’accent affectueux de la politesse : il étaitclair qu’. Évidemment, elle désirait alors être entendue.¶

Augustine s’avança timidement. Elle vit, auAu fond de ce frais boudoir, elle vit laduchesse voluptueusement couchée sur une ottomane. Ce siège, de en velours gros bleu,était placévert placée au centre d’une espèce de demi-cercle dessiné par les plis les plusmoelleux et les plus délicats d’une mousseline élégamment jetée.tendue sur un fondjaune. Des ornemensornements de bronze et d’or, placésdoré, disposés avec un goûtexquis, relevaient la blancheur de rehaussaient encore cette espèce de dais sous lequel laduchesse était posée comme une statue antique. La couleur foncée du velours ne luilaissait perdre aucun moyen de séduction. Un demi- jour, ami de sa beauté, semblait êtreplutôt un reflet qu’une lumière. Quelques fleurs rares élevaient leurs têtes embaumées au-dessus des vases de Sèvres les plus riches.¶ Au moment où ce tableau s’offrit aux yeuxd’Augustine étonnée, elle avait marché si doucement, qu’elle put surprendre un regard del’enchanteresse. Ce regard semblait dire à une personne que la femme du peintren’aperçut pas d’abord :¶ : – Restez, vous allez voir une jolie femme, et vous m’égayerezcette ennuyeuse me rendrez sa visite moins ennuyeuse.¶

A l ’aspect d’Augustine, la duchesse se leva et la fit asseoir auprès d’elle surl’ottomane.¶

– A quoi dois-je le bonheur de cette visite, madame ?... dit-elle avec un sourireplein de grâces.¶

– Que Pourquoi tant de fausseté !....? pensa Augustine qui ne répondit que parune inclination de tête. .¶

Ce silence était commandé ; car la . La jeune femme voyait devant elle un témoinde trop à cette scène.¶ Ce personnage était un homme ; et, de tous les colonels del’armée, c’était le plus jeune, le plus élégant et le mieux fait. Son costume demi-bourgeois faisait ressortir toutes les grâces de sa personne. Sa figure, pleine de vie, dejeunesse, et déjà fort expressive, était encore animée par de petites moustaches relevéesen pointe et noires comme du jais, par une impériale bien fournie, par des favorissupérieurementsoigneusement peignés et par une forêt de cheveux noirs assez endésordre. Il badinait avec une cravache, en manifestant une aisance et une liberté quiallaient admirablementséyaient à l’air satisfait de sa physionomie ainsi qu’à l’exquise larecherche de sa toilette. Les : les rubans attachés à sa boutonnière étaient noués avecdédain, et il paraissait bien plus vain de sa jolie tournure que de son courage. Augustine

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regarda la duchesse de Carigliano en lui montrant le colonel par un coup- d’œil donttoutes les prières furent comprises.¶

– Eh bien, adieu, coloneld’Aiglemont, nous nous retrouverons au bois deBoulogne.¶

Ces mots furent prononcés par la syrènesirène comme s’ils étaient le résultatd’une stipulation antérieure à l’arrivée d’Augustine. Elle , elle les accompagna d’unregard menaçant que l’officier méritait peut-être pour l’admiration qu’il témoignait encontemplant la modeste fleur qui contrastait si bien avec l’orgueilleuse duchesse.¶ Lejeune fat s’inclina en silence, tourna sur les talons de ses bottes, et s’élançagracieusement hors du boudoir.¶ En ce moment, Augustine, épiant sa rivale qui semblaitsuivre des yeux le brillant officier, surprit dans ce regard un sentiment dont toutes lesfemmes connaissent les fugitives expressions. Alors elle sont connues de toutes lesfemmes. Elle songea avec la douleur la plus profonde que sa visite allait être inutile. Ellepensa que : cette artificieuse duchesse était trop avide d’hommages, pour ne pas avoir unle cœur de bronze.¶sans pitié.¶

– Madame, dit Augustine d’une voix entrecoupée, la démarche que je fais en cemoment auprès de vous va vous sembler bien singulière ; mais le désespoir a sa folie, etil doit faire tout excuser. Je m’explique trop bien pourquoi M. de SommervieuxThéodorepréfère votre maison à toute autre, et pourquoi votre esprit exerce tant d’empire sur lui !..HélasHélas ! je n’ai qu’à rentrer en moi-même pour en trouver des raisons plus quesuffisantes. Mais j’adore mon mari, madame. Deux ans de larmes n’ont point effacé sonimage de mon cœur, quoique j’aie perdu le sien. Dans ma folie, j’ai osé concevoir l’idéede lutter avec vous, ; et je viens à vous, vous demander par quels moyens je puistriompher de vous-même.¶

– Oh !, madame ! s’écria la jeune femme en saisissant avec ardeur la main de sarivale, qui la lui laissa prendre, je ne prierai jamais Dieu pour mon propre bonheur avecautant de ferveur que je l’implorerais pour le vôtre, si vous m’aidiez à reconquérir, je nedirai pas l’amour, mais l’amitié de M. de Sommervieux... Je n’ai plus d’espoir qu’envous. Ah ! dites-moi, comment vous avez pu lui plaire et lui faire oublier les premiersjours de...¶

A ces mots, Augustine, suffoquée par des sanglots impérieuxmal contenus, futobligée de s’arrêter. Toute honteuseHonteuse de sa faiblesse, elle cacha son joli visagedans un mouchoir qu’elle inonda de ses larmes.¶

– EtesÊtes-vous donc enfant, ma chère petite belle !.....? dit la duchesse, qui,séduite par la nouveauté de cette scène et attendrie malgré elle en recevant l’hommageque lui rendait la plus parfaite vertu qui fût peut-être à Paris, prit le mouchoir de la jeunefemme et se mit à lui essuyer elle-même les yeux en la flattant par quelquesmonosyllabes murmurés avec une gracieuse pitié.¶ Après un moment de silence, lacoquette, mettantemprisonnant les jolies mains de la pauvre Augustine entre les siennesqui avaient un rare caractère de beauté noble et de puissance, lui dit d’une voix douce etaffectueuse :¶ : – Pour premier avis, je vous conseillerai, ma chère petite, de ne paspleurer ainsi, parce que les larmes enlaidissent. Il faut savoir prendre son parti sur leschagrins. Ils qui rendent malade et , car l’amour ne reste pas long-temps sur un lit dedouleur. La mélancolie donne bien d’abord une certaine grâce qui plaît ;, mais elle finit

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3 orig. : alonger

par allonger3 les traits et flétrir la plus ravissante de toutes les figures. Ensuite, les nostyrans ont l’amour-propre de vouloir que leurs esclaves soient toujours gaies.¶

– Ah, ! madame, il ne dépend pas de moi de ne pas sentir ! Comment peut-on,sans éprouver mille morts, voir terne, décolorée, indifférente, une figure qui jadisrayonnait d’amour et de joie ?... Ah je Je ne sais pas commander à mon cœur.¶

– Tant pis, ma chère belle ; mais je crois déjà savoir toute votre histoire. D’abord,imaginez-vous bien, mon ange, que si votre mari vous a été infidèle, je ne suis pas sacomplice. Si j’ai tenu à l’avoir dans mon salon, c’est, je l’avouerai, par amour-propre : ilétait célèbre et n’allait nulle part. Je vous aime déjà trop, mon ange, pour vous dire toutesles folies qu’il a faites pour moi. Je ne vous en révélerai qu’une seule, parce qu’elle nousservira peut-être à vous le ramener et à le punir de l’audace qu’il met dans ses procédésavec moi. Il finirait par me compromettre. Je connais assez trop le monde, ma bellechère,pour ne pas vouloir me mettre à la discrétion d’un homme trop supérieur : sachez. Sachezqu’il faut se laisser faire la cour par eux, mais les épouser !... c’est une faute. Nous autresfemmes, nous devons admirer les hommes de génie, en jouir comme d’un spectacle, maisvivre avec eux ?...! jamais !.... Fi donc, ! c’est vouloir prendre plaisir à regarder lesmachines de l’Opéral’opéra, au lieu de rester dans une loge, à y savourer de ses brillantesill usions. Mais chez vous, ma pauvre enfant, le mal est arrivé, n’est-ce pas ?... Ehbienbien ! il faut essayer de vous armer contre la tyrannie.¶

– Ah !, madame, ! avant d’entrer dans ce petit sanctuaire et ici, en vous y voyant,j’ai déjà reconnu quelques artifices dont je n’avais aucune idée.¶que je ne soupçonnaispas.¶

– Eh bien, chère petite, venez me voir quelquefois, et vous ne serez pas long-temps sans posséder la science de ces bagatelles, d’ailleurs assez importantes au reste ;car les. Les choses extérieures sont, pour les sots, la moitié de la vie ; et il y apour cela,plus d’un homme de talent qui se trouve un sot malgré tout son esprit. Mais je gage quevous n’avez jamais rien su refuser à Henri.¶Théodore ?¶

– Le moyen, madame, de refuser quelque chose à celui qu’on aime.¶ !¶– Oh, chère petite niaise, je vous adorerais !... Mais sachez– Pauvre innocente, je

vous adorerais pour votre niaiserie. Sachez donc que plus nous aimons et, moins nousdevons laisser apercevoir à un homme, surtout à un mari, l’étendue de notre passion ; carc’est . C’est celui qui aime le plus qui est tyrannisé, et, qui pis est, délaissé tôt ou tard.Celui qui veut régner, doit...¶

– Comment, madame, faudra-t-il donc dissimuler, calculer, devenir fausse, sefaire un caractère artificiel et..... pour toujours ?.... Oh, ! comment peut-on vivreainsi ?..... Est-ce que vous pouvez...¶

Elle hésita et, la duchesse sourit.¶– Ma chère, reprit la grande dame d’une voix grave, le bonheur conjugal a été de

tout temps une spéculation. C’est, une affaire qui demande une attention particulière. Sivous continuez à parler passion quand je vous parle mariage, nous ne nous entendronsbientôt plus.¶ – Écoutez-moi ? Ecoutez-moi, continua-t-elle en prenant le ton d’uneconfidence. J’ai été à même de voir quelques-uns des hommes supérieurs de notreépoque. J’ai remarqué que ceuxCeux qui s’étaientse sont mariés avaientont, à quelques

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exceptions près, épousé des femmes nulles. EhEh ! bien , ces femmes-là lesgouvernaient, comme l’empereur nous gouverne, et en étaient..., sinon aimées, du moinsrespectées. par eux. J’aime assez les secrets, surtout ceux qui nous concernent, pourm’être amusée à chercher le mot de cette énigme. EhEh ! bien, mon ange, ces bonnesfemmes-là avaient le talent d’analyser le caractère de leurs maris, ; sans s’épouvantercomme vous de leur supériorité. Elles leurs supériorités, elles avaient adroitementremarqué les qualités qui leur manquaient ; puis, et soit qu’elles possédassent cesqualités-là, ou qu’elles feignissent de les avoir, elles trouvaient moyen d’en faire un sigrand étalage aux yeux de leurs maris qu’elles finissaient par leur imposer. Enfin,apprenez encore que ces âmes qui paraissent si grandes ont toutes un petit grain de folieque nous devons savoir exploiter. Puis, enEn prenant la ferme volonté de les dominer, enne s’écartant jamais de ce but, en y rapportant toutes nos actions, nos idées, noscoquetteries, nous maîtrisons ces esprits éminemment capricieux qui, par la mobilitémême de leurs pensées, nous donnent les moyens de les influencer.¶

– Oh ciel ! s’écria la jeune femme épouvantée, voilà donc la vie !.... C’est uncombat.....¶

– Où il faut toujours menacer, reprit la duchesse en riant. Notre pouvoir est toutfactice. Aussi ne faut-il jamais se laisser mépriser par un homme ; car: on ne se relèvepas de là.d’une pareille chute que par des manœuvres odieuses. Venez, ajouta-t-elle, jevais vous donner un moyen de mettre votre mari à la chaîne.¶

Elle se leva, pour guider en souriant la jeune et innocente apprentie des rusesconjugales à travers le dédale de son petit palais. Elles arrivèrent toutes deux à unescalier dérobé qui communiquait aux appartemensappartements de réception. Quand laduchesse tourna le secret de la porte, elle s’arrêta ; et, regardant, regarda Augustine avecun air inimitable de finesse et de grâce :¶ : – Tenez, le duc de Carigliano m’adore…. Eh,eh ! bien, il n’ose pas venirentrer par ici cette porte sans ma permission ; et cependant,.Et c’est un homme qui a l’habitude de commander à des milliers de soldats !.... Il saitaffronter des les batteries, mais pas celle-ci…. dit-elle en mettant deux doigts de sa maindroite sous chacun de ses yeux étincelans.¶devant moi… il a peur.¶

Augustine soupira.¶ Elles parvinrent à une somptueuse galerie où la femme dupeintre fut amenée par la duchesse devant le portrait qu’Henrique Théodore avait fait demademoiselle Guillaume.¶ A cette vue A cet aspect, Augustine jeta un cri.¶

– Je savais bien qu’il n’était plus chez moi, dit-elle en revenant à la vie, mais....ici !....¶!¶

– Ma bellechère petite, je ne l’ai exigé que pour voir jusqu’à quel degré de bêtiseun homme de génie peut atteindre. Tôt ou tard, il vous aurait été rendu par moi ; mais ,car je ne m’attendais pas au plaisir de voir ici l’original devant la copie. Je veux que,pendant le déjeunerPendant que nous allons faire, car il faut achever notre conversation,mon secrétaireje le fasseferai porter dans votre voiture ; et si. Si, armée de ce talisman,vous n’êtes pas maîtresse de votre mari, pendant cent ans !.., vous n’êtes pas une femme,et vous mériteriezméritez votre sort.¶ !¶

Augustine baisa la main de la duchesse, qui prit la jeune innocente dans ses bras,la pressa sur son cœur, et l’embrassa avec une tendresse d’autant plus affectueuse et vivequ’elle devait être oubliée le lendemain.¶ Cette scène aurait peut-être à jamais ruiné lacandeur et la pureté d’une femme moins vertueuse qu’Augustine. Les à qui les secretsrévélés par la duchesse étaient pouvaient être également salutaires et funestes. La , car la

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politique astucieuse des hautes sphères sociales ne convenait pas plus à Augustine quel’étroite raison de Joseph Lebas, ou ni que la niaise morale de madame Guillaume.Étrange effet des fausses positions où nous jettent les moindres contre-sens commis dansla vie ! Augustine ressemblait alors à un pâtre des Alpes surpris par une avalanche : s’ilhésite et qu’il veuille, ou s’il veut écouter les cris de ses compagnons, le plus souvent ilpérit. Dans ces grandes crises, il faut, suivant la belle expression d’un philosophe, que lecœur se brise ou se bronze.¶

Madame de Sommervieux revint chez elle en proie à une agitation qu’il seraitdifficile de décrire. La Sa conversation qu’elle venait d’avoir avec la duchesse deCarigliano éveillait une foule d’idées contradictoires dans son esprit. Elle était,commeComme les moutons de la fable, pleine de courage en l’absence du loup. Elle, ellese haranguait elle-même et se traçait d’admirables plans de conduite ; elle concevait millestratagêmesstratagèmes de coquetterie ; elle parlait même à son mari, retrouvant, loin delui, toutes les ressources de cette éloquence vraie qui n’abandonne jamais les femmes ;puis, en songeant au regard fixe et clair de HenriThéodore, elle tremblait déjà.¶ Quandelle demanda si M. de Sommervieuxmonsieur était chez lui, la voix lui manqua presque ;et, en. En apprenant qu’il ne reviendrait pas dîner, elle éprouva un mouvement de joieinexplicable. Semblable au criminel qui se pourvoit en cassation contre son arrêt de mort,un délai, siquelque court qu’il pût être, lui semblait une vie entière.¶ Plaçant Elle plaça leportrait dans sa chambre, elle et attendit son mari, livrée en se livrant à toutes lesangoisses de l’espérance et de la crainte. Elle pressentait trop bien que cette tentativeallait décider de tout son avenir, pour ne pas frissonner au à toute espèce de bruit dechaque voiture, et, même au murmure de sa pendule, qui semblait appesantir ses terreursen les lui mesurant.¶ Elle tâcha de tromper le temps par mille artifices. Elle eut l’idée defaire une toilette qui la rendîtrendit semblable de en tout point au portrait. Puis,connaissant le caractère inquiet de M. de Sommervieux, son mari, elle fit éclairer sonappartement d’une manière inusitée, certaine qu’en rentrant la curiosité l’amènerait chezelle.¶ Minuit sonna, quand, au cri du jockei, la porte de l’hôtel s’ouvrit et la . La voituredu peintre roula sur le pavé de la cour silencieuse.¶

– Qu’est-ce que Que signifie cette illumination ?...., demanda HenriThéodored’une voix joyeuse, en entrant dans la chambre de sa femme.¶

SaisissantAugustine saisit avec adresse un moment aussi favorable, Augustine elles’élança au cou de son mari, et lui montra le portrait.¶ L’artiste resta immobile commeun rocher. Ses, et ses yeux se dirigèrent alternativement sur Augustine et sur la toileaccusatrice. La timide épouse, demi-morte, qui épiait le front changeant, le front terriblede son mari ; et, , en vit par degrés, elle en vit les rides expressivess’amoncelers’amoncelant comme des nuages. Elle ; puis, elle crut sentir son sang sefiger dans ses veines, quand, par un regard flamboyant et d’une voix profondémentsourde, elle fut interrogée.¶

– Où avez-vous trouvé ce tableau ?...¶?¶– La duchesse de Carigliano me l’a rendu...¶– Vous le lui avez demandé ?...¶?¶– Je ne savais pas qu’il fût chez elle.¶La douceur ou plutôt la mélodie enchanteresse de la voix de cet ange eût attendri

des Cannibales ;, mais non pas un Parisienartiste en proie aux tortures de la vanitéblessée.¶

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– Cela est digne d’elle !..., s’écria l’artiste d’une voix tonnante. Je mevengerai !..., dit-il en se promenant à grands pas ;, elle en mourra de honte ;: je lapeindrai ! Ouioui, je ferai la représenterai sous les traits de Messaline sortant à la nuit dupalais de Claude, à la nuit, déguisée !...¶

– Henri !...– Théodore ?.. dit une voix mourante.¶– Je la tuerai...¶– Henri !...¶ – Mon ami !¶– Elle aime ce petit colonel de cavalerie, parce qu’il monte bien à cheval...¶– Henri !...¶ – Théodore !¶– Eh ! laissez-moi !, dit le peintre à sa femme avec un son de voix qui ressemblait

presque à un rugissement.¶Il serait odieux de peindre toute cette scène à la fin de laquelle l’ivresse de la

colère suggéra à M. de Sommervieuxl’artiste des paroles et des actes qu’une femme,moins jeune qu’Augustine, aurait attribués à la démence..................................................¶

.............................................................................................................................¶........................................................................................................................................¶

¶ ¶ ¶ Sur les huit heures du matin, le lendemain, madame Guillaume surprit sa fille

pâle, les yeux rouges, la coiffure en désordre, tenant à la main un mouchoir trempé depleurs, contemplant sur le parquet les fragmensfragments épars d’une toile déchirée et lesmorceaux d’un grand cadre doré mis en pièces.¶

. Augustine, que la douleur rendait presque insensible, montra ces débris par ungeste empreint de désespoir.¶

– Et voilà peut-être une grande perte !.., s’écria la vieille régente du Chat-qui-pelote. Il était ressemblant, c’est vrai. Mais ; mais j’ai appris qu’il y a sur le boulevardun homme qui fait des portraits charmanscharmants pour cinquante écus !..¶

– Ah !, ma mère !...¶!¶– Pauvre petite !, tu as bien raison, ! répondit madame Guillaume, abusée par le

qui méconnut l’expression du regard deque lui jeta sa fille. Va, mon enfant, l’on n’estjamais si tendrement aimée que par sa mère…. Viens, ma. Ma mignonne ? Je , je devinetout ; mais viens me direconfier tes chagrins ? Je, je te consolerai. Ne t’ai-je pas déjà ditque cet homme-là était un fou ?... Ta femme de chambre m’a déjà conté de belleschoses ; mais ... Mais c’est donc un véritable monstre ?¶!¶

Augustine mit un doigt sur ses lèvres pâlies, comme pour implorer de sa mère unmoment de silence.¶ Pendant cette terrible nuit, le malheur lui avait fait trouver dans sonâme ce trésor de patience et decette patiente résignation qui, chez les mères et chez lesfemmes aimantes, paraît mille fois plus riche quesurpasse, dans ses effets, l’énergiehumaine, et qui,révèle peut-être, annonce que Dieu a mis dans le cœur de ces ravissantescréatures desdes femmes l’existence de certaines cordes dont il a privé celui de que Dieua refusées à l’homme.¶

¶ ¶ ¶ Une inscription, gravée sur un marbre tumulairecippe du cimetièreMontmartre, indiquait indique que madame de Sommervieux était est morte à vingt-septans ; et . Dans les simples lignes de cette épitaphe, un poète, ami de cette célestetimidecréature, voyait, dans les simples lignes de cette épitaphe, voit la dernière scène d’un

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drame.¶ Chaque année, au jour solennel du deux2 novembre, il ne passaitpasse jamaisdevant ce jeune cippe marbre sans se demander s’il ne fallaitfaut pas des femmes plusfortes qu’que ne l’était Augustine pour les puissantes étreintes du génie.¶

– Les fleurs humbles et modestes fleurs, écloses dans les vallées, meurent peut-être, se disaitdit-il, quand elles sont transplantées trop près des cieux, aux régions où seforment les orages, où le soleil est brûlant.¶

Maffliers, octobre 1829.¶

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Comparaison entre La Femme vertueuse de

1830 et Une Double famille dans

le «  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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Comparaison entre La Femme vertueuse de

1830 et Une Double famille dans

le «  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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VME SCÈNE.¶LA FEMME VERTUEUSE.¶

UNE DOUBLE FAMILLE¶A MADAME LA COMTESSE LOUISE DE TURHEIM,¶

Comme une marque du souvenir et de l’affectueux respect de son humble serviteur,¶DE BALZAC.¶

____¶¶

LALa rue du Tourniquet-St.Saint-Jean était encore, il y a cinq à six ans,, naguèreune des rues les plus tortueuses et les plus obscures du vieux quartier qui entoure l’Hôtel-de-Ville, à Paris. Elle serpentait le long des petits jardins de la préfecture Préfecture de Pariset venait aboutir dans la rue du Martroi, précisément à l’angle d’un vieux mur maintenantabattu. C’était là qu’était situé En cet endroit se voyait le tourniquet auquel cette rue a dûson nom. Il , et qui ne fut guères détruit qu’en 1823, lorsque la ville de Paris fit construire,sur l’emplacement d’un jardin situé en cet endroitjardinet dépendant de l’Hôtel-de-Ville,une salle de bal pour la fête donnée au duc d’Angoulême à son retour d’Espagne.¶ Quant àl’entrée La partie la plus large de la rue du Tourniquet par était à son débouché dans la ruede la Tixeranderie, où elle n’offrait pas n’avait que cinq pieds de largeur, et c’étaitcependant la partie la moins étroite de la chaussée. En temps de pluie, les eaux, débouchantde ce côté pour se jeter dans le ruisseau de la Tixeranderie, ne laissaient pas aux fantassinsles plus affairés un seul pavé sur lequel ils pussent poser . Aussi, par les temps pluvieux,des eaux noirâtres baignaient-elles promptement le pied des vieilles maisons qui bordaientcette rue, en entraînant les ordures déposées par chaque ménage au coin des bornes. Lestombereaux ne pouvant point passer par-là, les habitants comptaient sur les orages pournettoyer leur rue toujours boueuse, et comment aurait-elle été propre ? lorsqu’en été le pied.Des flots, aussi noirs que ceux du Cocyte, battaient aussitôt le pied des vieilles maisons quibordaient cette voie boueuse, en entraînant les débris déposés par chaque ménage au coindes petites portes basses. Comme il n’était permis à aucun tombereau de passer par-là, leshabitans se reposaient de la salubrité de leur rue sur les orages et sur la bonté du ciel.¶Lorsqu’un brillant soleil d’été dardait en plein mididarde en aplomb ses rayons sur Paris,une nappe d’or, aussi tranchante que la lame d’un sabre, venait, pendant une heure tout auplus, illuminerilluminait momentanément les ténèbres de cette rue, mais sans pouvoirsécher l’humidité permanente qui régnait dans les depuis le rez-de-chaussée et aux premiersétages jusqu’au premier étage de ces maisons noires et silencieuses. Souvent Les habitants,qui au mois de juin, les habitans de ces espèces de tombeaux n’ allumaient leurs lampesqu’à cinq heures du soir ; mais en hiver, ils, ne les éteignaient jamais.¶ Aujourd’hui même, en hiver. Encore aujourd’hui, si un quelque courageux piéton formait le dessein de serendre veut aller du Marais sur les quais, en prenant, au bout de la rue du Chaume, l’obscurchemin, tracé par les rues de l’Homme-Armé, des Billettes, et des Deux-Portes, et qui mèneau qui mènent à celle du Tourniquet-St.-Saint-Jean par des voies encore plus étroites quecelle dont nous avons donné l’idée, il lui semblerait ne marcher, il croira n’avoir marché quesous des caves. Cependant presquePresque toutes les rues de l’ancien Paris, dont leshistorienschroniques ont tant vanté la splendeur, ressemblaient à ce dédale humide etsombre où les antiquaires peuvent encore admirer quelques singularités ; et nos ancêtres yvivaient gras et bien portans, au dire de nos bisaïeules.¶ Avant la démolition de lasingularités historiques. Ainsi, quand la maison qui occupait le coin droit formé par les rues

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du Tourniquet et de la Tixeranderie subsistait, les observateurs y remarquaient les vestigesde deux gros anneaux de fer scellés dans le mur, dernier un reste de ces chaînes que lequartenier faisait jadis tendre, tous les soirs, pour la sûreté publique.¶ Cette obscuremaison, l’une des plus remarquables du quartierremarquable par son antiquité, avait étébâtie avec des précautions qui prouvaient toute attestaient l’insalubrité de ces anciennesdemeures auxquelles les passans donnaient le nom de cloaques. L’architecte en ancienslogis, car pour assainir le rez-de-chaussée, on avait élevé les berceaux des cavesde la cave àdeux pieds environ au-dessus du sol, afin de permettre à l’air, tout humide qu’il était,d’assainir le rez-de-chaussée en ventilant un peu les planchers. Cet exhaussement desfondations ce qui obligeait à monter trois marches pour entrer dans la maison. Elle avait unepetite Le chambranle de la porte bâtarde, dont le chambranle décrivait, dans sa partiesupérieure, un cintre plein ; et la pierre saillante qui en formait , dont la clef était sculptée ;mais ornée d’une tête de femme et d’arabesques rongés par le temps avait rongé, de sesdents infatigables, la tête de femme et les arabesques qui ornaient ce linteau.¶ . Troisfenêtres, dont l’appui se trouvaitles appuis se trouvaient à hauteur d’homme, semblaientappartenirappartenaient à un petit appartement complet, situé dans la partie dude ce rez-de-chaussée de cette maison qui avait vue donnait sur la rue du Tourniquet. d’où il tirait sonjour. Ces croisées, aussi dégradées que la porte antique, étaient défendues par de grosbarreaux de en fer très-espacés et qui s’élargissaient en basfinissant par une saillie ronde.Le bois de ces fenêtres garnies de petits carreaux d’un verre brun, mais propre, semblaitvermoulu. Quelque semblable à celle qui termine les grilles des boulangers. Si pendant lajournée quelque passant curieux essayait-il d’interroger de l’œiljetait les mystères quecachaientyeux sur les deux chambres dont se composait cet appartement se composait, il luiétait impossible de d’y rien voir un seul des meubles placés loin des croisées ; et il fallait,car pour pouvoir découvrir, dans la seconde chambre, deux lits en serge verte réunis sous laboiserie d’une vieille alcôve, qu’un rayon de il fallait le soleil bien vif illuminât la rue.¶Mais du mois de juillet ; mais le soir, survers les cinq trois heures, quandune fois lachandelle était allumée, l’observateur apercevaiton pouvait apercevoir, à travers la fenêtre dela première pièce, une vieille femme, assise sur une escabelle au coin d’une cheminée enpierre, attiser le feu d’un où elle attisait un réchaud sur lequel reposait l’espoir d’un repasfrugal. Alors il n’était pas difficile d’inventorier de l’œil lesmijotait un de ces ragoûtssemblables à ceux que savent faire les portières. Quelques rares ustensiles de cuisine et oude ménage, accrochés au fond de cette salle. se dessinaient dans le clair-obscur. A cetteheure, une vieille table, posée sur un une X et , mais dénuée de linge, attendait qu’on lachargeât était garnie de quelques couverts d’étain et de l’unique du plat surveillécuisiné parla vieille.¶ Trois méchantes chaises au plus meublaient cette espèce d’antichambrepièce, quiservait à la fois de cuisine et de salle à manger. Au-dessus de la tablette de la cheminées’élevaits’élevaient un fragment de miroir, un briquet, trois verres, des allumettes et ungrand pot blanc tout ébréché. On croyait voir le temple de la misère. Le carreau de lasallechambre, les ustensiles, la cheminée, tout plaisait néanmoins par la propreté qui yrégnait ; et cet asile sombre et froid respirait un l’esprit d’ordre et d’économie.¶ que respiraitcet asile sombre et froid. Le visage pâle et ridé de la vieille femme était même en harmonieavec l’obscurité de la rue et la rouille de la maison : à . A la voir au repos, sur sa chaise, oneût dit qu’elle faisait partie de l’immeuble au sein duquel elle vivait. Sa tenait à cette maisoncomme un colimaçon tient à sa coquille brune ; sa figure, où je ne sais quelle vagueexpression de malice triomphait d’perçait à travers une bonhomie affectée, était couronnée

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par un bonnet de tulle rond et plat sous lequel elle qui cachait assez mal des cheveux blancs.Elle était toujours vêtue d’une robe d’étoffe brune. Ses ; ses grands yeux gris étaient aussicalmes que la rue, et les rides nombreuses de son visage pouvaient se comparer auxcrevasses des murs. Soit qu’elle fût née dans la misère, soit qu’elle fût déchue d’unesplendeur passée, elle paraissait résignée depuis long-temps à la simplicité monastique deson sa triste existence.¶ Depuis le lever du soleil jusqu’au soir, sauf les momensexcepté lesmoments où elle préparait les repas et ceux où elle s ’abs entait chargée d’un panier elles’absentait pour aller chercher les provisions, cette vieille femme se tenait demeurait dansl’autre chambre devant la dernière croisée. Là, elle était, en face d’une jeune fille quisemblait n’avoir jamais bougé du. A toute heure du jour les passants apercevaient cettejeune ouvrière, assise dans un vieux fauteuil de velours rouge sur lequel on la voyaittoujours assise.¶ A toute heure du jour les passans apercevaient la jeune ouvrière, le coupenché sur un métier à broder et, travaillant avec ardeur à de merveilleuses parures.. Samère, ayant avait un tambour vert sur les genoux, et s’occupait à faire du tulle ; mais sesdoigts n’étaient plus si agiles qu’autrefois à remuerremuaient péniblement les bobines, et savue paraissait faible ; ; sa vue était affaiblie, car son nez sexagénaire portait une paire de cesantiques lunettes qui se tiennent d’elles-mêmes, sur le bout des narines, par la force aveclaquelle elles les compriment.¶ Quand venait le soir, une lampe était plaçée entre A la nuit,ces deux laborieuses créatures, et sa plaçaient entre elles une lampe dont la lumière, passantà travers deux globes de verre remplis d’une eau pured’eau, jetait sur le métier et sur letambourleur ouvrage une forte lueur blanche qui permettait de voir faisait voir à l’une lesfils les plus déliés, fournis par les bobines etde son tambour, et à l’autre les dessins les plusdélicats tracés sur l’étoffe que brodait l’ouvrière.¶ à broder. La courbure des barreaux avaitpermis à la jeune fille de placer,mettre sur l’appui de la croisée, fenêtre une longue caisse enbois pleine de terre, d’où s’élançaient où végétaient des pois de senteur, des capucines, unpetit chèvrefeuille malingre et des volubilis, dont les tiges débiles grimpaient autour des auxbarreaux. Ces plantes presque étiolées donnaientproduisaient de pâles fleurs. C’était une,harmonie de plus qui jetait mêlait je ne sais quoi de triste et de doux dans le tableauoffertprésenté par lacette croisée , dont la baie servait de cadre à encadrait bien ces deuxfigures.¶ A l’aspect fortuit de cette scène d’cet intérieur, le passant le plus égoïste emportaitdes idées de travail, de modestie, et une image complète des luttes de cette la vie terrestre.En effet, il n’était pas difficile de voir, au premier coup-d’œil, que la jeuneque mène à Parisla classe ouvrière, car la brodeuse ne vivaitparaissait vivre que par de son aiguille, et queces deux femmes n’avaient rien à attendre que de leur courage. Ce fragile métier était toutleur revenu.. Bien des gens n’atteignaient pas le tourniquet sans s’être demandé commentun tel souterrain pouvait contenir des habitans, et comment une jeune fille pouvait yconserver des couleurs. en vivant dans cette cave. Un étudiant passait-il par là pour gagnerle pays latin, sa jeune et vive imagination lui faisait déplorer comparer cette vie obscure etvégétative, semblable à celle du lierre qui tapisse de froides murailles, ou à celle de cespaysans voués au travail, et qui naissent, labourent et , meurent ignorés du monde qu’ils ontnourri. Un rentier se disait, après avoir examiné la maison avec l’œil d’un propriétaire :– Que deviendront ces deux femmes si la broderie vient à n’être plus de mode ? Chaquepassant acceptait les sensations que lui donnaient ce spectacle, un des milliers dont l’œil duParisien peut se repaître dans une promenade ; mais sur les cinquante personnes quitraversaient, journellement et comme des ombres, cette rue ténébreuse, aucune peut-être nese sentait le cœur ému d’une compassion vraie. Cependant la nature humaine est si bizarre

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qu’il ne faudrait pas la flétrir sans ménagemens, par un arrêt aussi absolu.¶ Parmi les gensqu’une place à l’Hôtel-de-Ville ou au Palais forçait à passer par cette rue à des heures fixes,soit pour se rendre à leurs affaires, soit pour retourner dans leurs quartiers respectifs, peut-être se trouvait-il quelque cœur charitable ?. Peut-être un homme veuf ou un Adonis dequarante ans, à force de sonder les replis de cette vie malheureuse, comptait-il sur ladétresse de la mère et de la fille, pour, un jour, posséder, à bon marché, l’innocenteouvrière dont il admirait périodiquement les mains agiles et potelées, le cou frais et la peauéblouissante de blancheur ? Ce dernierblanche, attrait était dû, sans doute, à l’habitation decette rue sans soleil.¶ Mais peut, excitaient son admiration. Peut-être aussi, quelqu’ quelquehonnête employé à douze cents francs d’appointemensd’appointements, témoin journalierde l’ardeur dont que cette jeune fille était possédée pour le travail, admirateurportait autravail, estimateur de ses mœurs pures, attendait-il une augmentation de traitement ou uneplace supérieure avant de lui offrir sa main,de l’avancement pour unir une vie obscure à unevie obscure, un labeur obstiné à un autre, apportant au moins et un bras d’homme poursoutenir cette existence, et un paisible amour, décoloré comme les fleurs de la croisée.¶ Ilsemblait que ces De vagues espérances animassentanimaient les yeux ternes et gris de lavieille mère. En effet, le Le matin, après le plus modeste de tous les déjeuners, elle revenaitprendre son tambour, plutôt par maintien que par obligation, car elle posait ses lunettes surune petite travailleuse de bois rougi,rouge aussi vieille qu’elle ;, et alors, elle passait enrevue, de huit heures et demie à dix heures environ, tous les gens habitués à traverser la rue.Elle : elle recueillait leurs regards, faisait des observations sur leurs démarches, sur leurstoilettes, sur leurs physionomies. Elle , et semblait leur marchander sa fille, tant ses yeuxbabillards essayaient d’établir entre elle et eux, de sympathiques affections, par un manégedigne des coulisses. On devinait facilement que cette revue était pour elle un spectacle, etpeut-être son seul plaisir peut-être.¶ Rarement sa . La fille levait rarement la tête. La ; lapudeur, ou peut-être le sentiment pénible de sa détresse, semblait retenir sa figure attachéesur le métier productif. Pour métier ; aussi, pour qu’elle consentît à montrermontrât auxpassanspassants sa petite mine malicieuse et chiffonnée, il fallait que sa mère eût devait-elleavoir poussé quelqu’quelque exclamation de surprise. Alors seulement, l’employé qui avaitmis une L’employé vêtu d’une redingote neuve, ou celui qui s’était montré donnant le brasà l’habitué qui se produisait avec une femme à son bras, pouvaient alors voir le nezlégèrement retroussé de l’ouvrière, sa petite bouche qui ressemblait à un ruban rose froncésur une robe, et ses yeux gris pétillanstoujours pétillants de vie, malgré la fatigue dont elleétait accablée. Ses ses accablantes fatigues ; ses laborieuses insomnies ne se trahissaientguères que par le un cercle plus ou moins blanc, dessiné sous chacun de ses yeux, sur lapeau fraîche de ses pommettes animées.¶ . La pauvre chère enfant semblait être née pourl’amour et la gaieté :, pour l’amour, qui avait peint, au-dessus de ses paupières bridées,deux arcs parfaits, et qui lui avait donné une si ample forêt de cheveux châtains qu’ellepouvait, aurait pu se trouver sous sa chevelure, se trouver comme sous un pavillonimpénétrable à l’œil d’un amant ; pour la gaieté, qui agitait ses deux narines mobiles, quiformait deux fossettes dans ses joues fraîches et lui faisait si vitepromptement oublier sespeines ; enfin pour la gaieté qui, semblable à , cette fleur de l’espérance, qui lui donnaitprêtait la force d’apercevoir, sans frémir, l’aride chemin de sa vie.¶ La tête de la jeune filleétait toujours merveilleusement biensoigneusement peignée. SelonSuivant l’habitude desouvrières de Paris, toute sa toilette lui semblait faitefinie quand elle avait capricieusementdisposé sa coiffure lissé ses cheveux et retroussé en deux arcs le petit bouquet de cheveux

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bruns qui se jouait de chaque côté des tempes, faisant ressortir ainsi par un contraste ettranchait sur la blancheur de sa peau. La naissance de sa chevelure avait tant de grâce, laligne de bistre, nettement dessinée sur son col,cou donnait une si charmante idée de sajeunesse et de ses attraits, que l’observateur, en la voyant penchée sur son ouvrage, sansque le bruit lui fit relever la tête, pouvait devait l’accuser d’un raffinement de coquetterie.D’ausDe si séduisantes promesses excitaient la curiosité de plus d’un jeune homme qui seretournait en vain dans l’espérance de voir ce modeste visage.¶

– Caroline, nous avons un habitué de plus, et aucun de nos anciens ne le vaut !¶.¶Ces paroles, prononcées à voix basse par la mère, dans une matinée du mois d’août

1815, avaient vaincu l’indifférence de la jeune ouvrière ; mais quand elle ouvrière quiregarda vainement dans la rue, : l’inconnu était déjà passéloin.¶

– Il Par où s’est donc -il envolé ?... demanda-t-elle.¶– Il reviendra sans doute à quatre heures, je le verrai venir, et je t’avertirai en te

poussant le pied. Je suis sûre qu’il repassera ; car voilà , voici trois jours qu’il prend parnotre rue. Il ; mais il est inexact dans ses heures. Le : le premier jour il est arrivé à sixheures ;, avant-hier à quatre ;, et hier à trois. Je me souviens de l’avoir vu autrefois de loinen loin.temps à autre. C’est sans doute un quelque employé de la préfecture qui aura changéd’appartement dans le Marais.¶ – Tiens, ajouta-t-elle, après avoir jeté un coup- d’œil dansla rue, notre monsieur à l’habit marron a pris perruque.... Comme , comme cela le change !¶

Puis, comme le Le monsieur à l’habit marron était devait être celui des habitués quifermait la procession quotidienne, car la vieille mère, remettant remit ses lunettes, reprit sonouvrage, non sans avoir poussé en poussant un soupir et jetéjeta sur sa fille un si singulierregard, qu’il eût été difficile à Lavater lui-même, de l’analyser. Il y avait à la fois de :l’admiration et de, la reconnaissance, mais aussi une sorte d’espérance pour un meilleuravenir, mêlées’y mêlaient à l’orgueil de posséder une fille aussi jolie.¶ Le soir , sur lesquatre heures, la vieille fut fidèle à pousserpoussa le pied de Caroline, qui leva son visageblanc et rose, le nez assez à temps cette fois, pour voir le nouvel acteur dont la présencedevaitle passage périodique allait animer cettela scène.¶ L’inconnu paraissait avoir trente-cinq ans environ. C’était un homme grand Grand, mince, pâle et vêtu de noir. Sa démarche ,cet homme d’environ quarante ans avait quelque chose de solennel. Quand dans ladémarche et le maintien ; quand son œil fauve et perçant rencontra le regard terni de lavieille, il la fit trembler, car elle lui crut s’apercevoir que cet homme avait le pouvoirle donou l’habitude de lire au fond des cœurs. Son , et son abord devait être aussi glacial quel’était l’air de cette rue froide. Il se tenait très-droit.. Le teint terreux et verdâtre de sonceterrible visage était-il le résultat de travaux excessifs, ou produit par une santé frêle etmaladive ?...santé ? Ce fut un problème fut résolu par la vieille mère de vingt manièresdifférentes chaque soir et chaque matin.¶ Quant à différentes ; mais le lendemain Carolineelle devina, tout d’abord sur ce visage austère et abattu,front facile à se rider les tracesd’une longue souffrance d’âme. Ce front facile à se rider, ces Légèrement creusées, lesjoues légèrement creusées de l’inconnu gardaient l’empreinte du sceau dont avec lequel lemalheur marque ses sujets, comme pour leur laisser la consolation de se reconnaître d’unœil fraternel et de s’unir pour lui résister. Si le regard de la jeune fille s’anima d’abordd’une curiosité bien innocente, il prit une douce expression de sympathie et de pitié àmesure que l’inconnu s’éloignait, semblable au dernier parent qui ferme un convoi.¶ Lachaleur était en ce moment si forte et la distraction du passant monsieur si grande, qu’iln’avait pas remis son chapeau en traversant cette rue malsaine ; alors, Caroline put alors

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remarquer, pendant le moment fugitif où elle l’observa, quelle l’apparence de sévérité étaitrépandue sur sa figure par la manière dont ses que les cheveux se relevaientrelevés enbrosse au-dessus de son du front large.¶ répandaient sur cette figure. Si le regard de lajeune fille s’anima d’abord d’une curiosité tout innocente, il prit une douce expression desympathie à mesure que le passant s’éloignait, semblable au dernier parent qui ferme unconvoi. L’impression, vive, mais sans charme, ressentie par Caroline à l’aspect de cethomme, ne ressemblait à aucune des sensations que les autres habitués lui avaient faitéprouver. C’était : pour la première fois que , sa compassion s’exerçait sur un autre que surelle-même et sur sa mère. Elle ; elle ne répondit rien à toutes les aux conjectures bizarresqui fournirent un aliment à l’agaçante loquacité de la vieille ; mais, tout en tirant, et tirasilencieusement sa longue aiguille dessus et dessous le tulle tendu, ; elle regrettait de ne pasavoir assez vu l’étranger, et attendit au lendemain pour porter sur lui un jugement définitif.¶Néanmoins, c’était peut-être Pour la première fois qu’un aussi, l’un des habitués de la ruelui suggérait autant de réflexions ; car ordinairement. Ordinairement, elle n’opposait qu’unsourire triste à toutes les aux suppositions de sa mère qui lui créait un amant dans chaquepassant. espérait trouver un protecteur pour sa fille. Si de semblables idées, beaucoup tropimprudemment présentées par cette mère à Caroline, n’éveillaient point en elle de mauvaisespensées, il ne fallait l’attribuer qu’à n’éveillèrent aucune mauvaise pensée, il fallait attribuerl’insouciance de Caroline à ce travail obstiné et, malheureusement nécessaire, qui consumaitles forces de sa précieuse jeunesse, et devait infailliblement altérer un jour la limpiditémagique de ses yeux, ou lui ravir à ses joues blanches les tendres couleurs dont ses jouesblanches étaient encore nuancées.¶ qui les nuançaient encore. Pendant deux grands moisenviron, la nouvelle connaissancele monsieur noir, tel fut son surnom, eut une allure très-capricieuse. L’inconnu : il ne passait pas toujours par la rue du Tourniquet, et son infidélitéétait palpable ; car la vieille le voyait souvent le soir sans l’avoir aperçu le matin quand, ilprenait cette route en affection. Il ne revenait pas à des heures aussi fixes que les autresemployés qui servaient de pendule à madame Crochard. Enfin, sauf ; enfin, excepté lapremière rencontre, où son regard avait inspiré une sorte de crainte à la vieille mère, jamaisses yeux ne parurent faire attention à l’aspect au tableau pittoresque que présentaient cesdeux gnomesgnômes femelles.¶ A l’exception de deux grandes portes aussi viellesqu’Hérode, et de la boutique obscure d’un ferrailleur, il n’existait à cette époque, dans la ruedu Tourniquet n’offrait , que des fenêtres grillées qui éclairaient par des jours de souffranceles escaliers de quelques maisons voisines par des jours de souffrance ; et alors,voisines ; lepeu de curiosité du passant ne pouvait donc pas se justifier par de dangereuses rivalités.Aussi ; aussi, madame Crochard était-elle piquée de voir son monsieur noir, toujoursgravement préoccupé, tenir tenant les yeux baissés vers la terre ou levés en avant, commes’il eût voulu lire l’avenir dans le brouillard du Tourniquet.¶ Un Néanmoins, un matin,vers la fin du mois de septembre, la tête lutine de Caroline Crochard se détachait sibrillamment sur le fond obscur de sa chambre ; elle se montrait , et se montra si fraîche ausein milieu des fleurs tardives et des feuillages flétris entrelacés autour des barreaux de lafenêtre ; et le tableau journalier présentait alors enfin la scène journalière présenta desoppositions d’ombre et de lumière, de blanc et de rose, si curieusement bien mariées soitavec les festons de à la mousseline, que brodaitfestonnait la gentille ouvrière, soit avec lestons bruns et rouges des fauteuils, que l’inconnu contempla fort attentivement les effetspiquans de cette scène.¶ Mais il faut avouer aussi, que, fatiguéede ce vivant tableau.Fatiguée de l’indifférence de son monsieur noir, la vieille mère avait, à la vérité, pris le parti

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de faire un tel cliquetis avec ses bobines, que le passant morne et soucieux futfût peut-êtrecontraint par ce bruit insolite à contempler les humbles et douces misères de ce tableau.¶regarder chez elle. L’étranger échangea seulement avec Caroline, seulement, un regard,rapide, il est vrai, mais par lequel leurs âmes eurent un léger contact. Ils , et ils conçurenttous deux le pressentiment qu’ils penseraient l’un à l’autre. Aussi,Quand le soir, à quatreheures, quand l’inconnu revint, Caroline distingua le bruit de ses pas sur le pavé criard ;, et,quand ils s’examinèrent, il y eut, de part et d’autre, une sorte de préméditation. Les : lesyeux du passant furent animés d’un sentiment de bienveillance et il sourit tandis que qui lefit sourire, et Caroline rougissait. Larougit : la vieille mère les observa tous deux d’un airsatisfait. A compter de cette mémorable matinée, le monsieur noir traversa, deux fois parjour, la rue du Tourniquet, sauf à quelques exceptions près, que les deux femmes surentreconnaître. Ellesremarquer ; elles jugèrent, d’après l’irrégularité de ses heures de retour,qu’il n’était ni aussi promptement libre, ni aussi strictement exact qu’un employésubalterne.¶ Pendant les trois premiers mois de l’hiver, matin et soir, deux fois par jour,Caroline et le passant se virent ainsi pendant le temps bien court qu’il mettait à franchirl’espace de chaussée occupé par la porte et par les trois fenêtres de la maison. Mais de jourenDe jour, en jour cette vision rapide contracta une entrevue eut un caractère d’intimitébienveillante et douce qui pritfinit par contracter quelque chose de fraternel. Leurs âmesCaroline et l’inconnu parurent d’abord se comprendre ; puis, à force d’examiner l’un etl’autre leurs visages, ils en prirent lentement et en détail, une connaissance approfondie. Cefut bientôt comme une visite que le passant faisaitdevait à Caroline.¶ Le dimanche ou ; siun jour, par hasard, son monsieur noir ne lui apportait paspassait sans lui apporter lesourire à demi formé par sa bouche éloquente et ou le regard ami de ses yeux noirsbruns, illui manquait quelque chose à la petite ouvrière. C’était unechose dans sa journéeincomplète.. Elle ressemblait à ces vieillards pour lesquels la lecture de leur journal estdevenue un tel plaisir, que, le lendemain d’une fête solennelle, ils s’en vont, tout déroutés,demandant, autant par mégarde que par impatience, la feuille quotidienne, à l’aide delaquelle ils trompent un moment le vide de leur existence. Mais ces fugitives apparitionsavaient, autant pour l’inconnu que pour Caroline, l’intérêt d’une lecture. C’était la causeriefamilière de entre deux amis. La jeune fille ne pouvait pas plus dérober à l’œil intelligent deson silencieux ami, une tristesse, une inquiétude, un malaise, que celui-ci ne pouvait cacherà Caroline une préoccupation.¶ – – « Il a eu du chagrin hier !... » était une pensée quinaissait souvent au cœur de l’ouvrière quand elle contemplaiten contemplant, la figurealtérée du monsieur noir.¶ – Oh – » Oh ! il a beaucoup travaillé ! » était une exclamationdue à d’autres nuances que Caroline savait distinguer.¶ L’inconnu devinait aussi que lajeune fille avait passé son dimanche à finir la robe dont il connaissait si bien leau dessin. Il de laquelle il s’intéressait ; il voyait, aux approches des termes de loyer quelquesinquiétudes assombrir, cette jolie figure assombrie par l’inquiétude, et il savaitdevinaitquand Caroline avait veillé. Mais ; mais il avait surtout remarqué comment les penséestristes qui défloraient les traits gais et délicats de cette jeune tête, s’étaient graduellementdissipées se dissipèrent à mesure que leur connaissance avait vieilli.¶ Quand la biseinexorable de Lorsque l’hiver vint sécher les tiges, les fleurs et les feuillages du jardinparisien qui décoraitfleurissait la fenêtre, et que la fenêtre se ferma, l’inconnu n’avaitne vitpas vu, sans un sourire doucement malicieux, la clarté extraordinaire du carreau qui setrouvaitde la vitre à la hauteur de la tête de Caroline. L’absence d’un foyer généreux etLaparcimonie du feu, quelques traces d’une rougeur qui couperosait la figure des deux

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femmes, lui dénoncèrent l’indigence du petit ménage ; mais si alors unequelquedouloureuse compassion se peignaitpeignit alors dans ses yeux, Caroline lui opposait unvisage fier et brillant de opposa fièrement une gaieté.¶ feinte. Cependant tous lessentimens,sentiments éclos au fond de leurs cœurs, y restaient ensevelis, sans qu’aucunévénement ne leur en apprît l’un à l’autre la force et l’étendue. Ils, ils ne connaissaientmême pas le son de leurs voix. Il y a plus, cesCes deux amis muets se gardaient, commed’un malheur, de s’engager dans une plus intime union. Chacun d’eux semblait craindred’apporter à l’autre une infortune plus pesante que celle qu’il aurait à partager.dont lepartage le tentait. Était-ce cette pudeur d’amitié qui les arrêtait ainsi ? Était-ce l’appréhensiond’égoïsme ou la cette appréhension de l’égoïsme ou cette méfiance atroce qui séparent tousles habitanshabitants réunis dans les murs d’une nombreuse cité ? Ou plutôt laLa voixsecrète de leur conscience les avertissait-elle d’un péril prochain ? Il serait impossibled’expliquer le sentiment qui les rendait aussi ennemis qu’amis, aussi indifférensindifférentsl’un à l’autre qu’ils étaient attachés, aussi unis d’instinct,par l’instinct que séparés par lefait. Peut-être chacun d’eux voulait-il conserver ses illusions.¶ On eût dit, parfois, quel’inconnu que le monsieur noir craignait d’entendre sortir des quelques paroles grossièresde ces lèvres aussi fraîches, aussi pures qu’une fleur, et que Caroline ne se croyait pasdigne de cet être mystérieux en qui tout révélait le pouvoir et la fortune.¶ Quant à madameCrochard, cette tendre mère semblait , presque mécontente de l’indécision dans laquellerestait sa fille. Elle, montrait une mine boudeuse à son monsieur noir auquelà qui elle avaitjusques-là toujours souri d’un air aussi complaisant que servile. Jamais elle ne s’étaitplainte si amèrement à sa fille d’être, encore à son âge, obligée de faire la cuisine. A ; àaucune époque ses rhumatismes et son catarrhe ne lui avaient arraché autant degémissemens. Enfin, ses doigts engourdis ne surentgémissements ; enfin, elle ne sut pasfaire, pendant cet hiver, le nombre d’aunes de tulle sur lequel Caroline avait toujourscompté.¶ jusqu’alors. Dans ces circonstances et vers la fin du mois de décembre, à l’époqueoù le pain était le plus cher, et où l’on ressentait déjà le commencement de cette cherté desgrains qui rendit l’année 1816 si cruelle aux pauvres gens, le passant remarqua, sur levisage de la jeune fille dont il ignorait encore le nom lui était inconnu, les traces affreusesd’une pensée secrète que ses sourires bienveillansbienveillants ne dissipèrent pas. Bientôt,il reconnut, dans les yeux de Caroline, les flétrissansflétrissants indices d’un travailnocturne.¶ Le douze janvier 1816, l’inconnu revenait, un soir sur le minuit, et Dans une desdernières nuits de ce mois, le passant revint, contrairement à ses habitudes, vers une heuredu matin par la rue du Tourniquet-Saint-Jean, lorsque, dans le . Le silence de la nuit, ilentendit, lui permit d’entendre de loin, avant d’arriver à la maison de Caroline, la voixpleurarde de la vieille mère et celle plus douloureuse de la jeune ouvrière, quidont les éclatsretentissaient mêlées aux sifflemensmêlés aux sifflements d’une pluie de neige.¶ Alors ; iltâcha d’arriver à pas lents ; puis, au risque d’être pris pour un voleurde se faire arrêter, il setapit devant la croisée et se mit à pour écouter, la mère et la fille en les examinant la mère etla fille par le plus grand des trous qui faisaient ressemblerdécoupaient les rideaux demousseline jaunie, et les rendaient semblables à ces grandes feuilles de chou mangées enrond par de voraces insectes.des chenilles Le curieux passant vit un papier timbré sur latable qui séparait les deux métiers et sur laquelle était posée la lampe entre les deux globespleins d’eau. Il reconnut facilement une assignation. Madame Crochard pleurait., et la voixde Caroline lui parlait, sa voix troublée avait un son guttural qui en altérait sensiblement letimbre doux et caressant.¶

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– Pourquoi tant te désoler, ma mère ?... Monsieur RigoletMolineux ne vendra pasnos meubles et ne nous chassera pas avant que j’aie terminé cette robe !... Encore ; encoredeux nuits, et j’irai la porter chez madame Chignard.¶Roguin.¶

– Et si elle te fait attendre comme toujours... ? mais en tout cas, le prix de ta robepayerapaiera-t-il aussi le boulanger ?¶

Le spectateur de cette scène possédait une telle habitude de lire sur les visages, qu’ilcrut entrevoir autant de fausseté dans la douleur de la mère que de vérité dans le chagrinsans emphase de la fille. Il ; il disparut avec une célérité fantasmagorique ; mais quaranteminutes s’étaient à peine écoulées, qu’il était revenu.¶ aussitôt, et revint quelques instantsaprès. Quand il regarda par le trou de la mousseline, il ne vit plus que Caroline. Lala mèreétait couchée. Penchée ; penchée sur son métier, la jeune ouvrière travaillait avec uneinfatigable activité. Sur ; sur la table, à côté de l’assignation, il y avait se trouvait unmorceau de pain triangulairement coupé et, posé sans doute là pour la nourrir pendant lanuit, ou peut-être lui rappelertout en lui rappelant la récompense de son courage.¶L’inconnu Le monsieur noir frissonna d’attendrissement et de douleur. Il tenait à la mainune , il jeta sa bourse de soie verte qui contenait dix pièces d’or, il la jeta, à travers uncarreau de papier,une vitre fêlée de manière à la faire tomber aux pieds de la jeune fille ;puis, sans jouir de sa surprise, il s’évada le cœur palpitant, les joues en feu.¶ Le lendemain,le triste et sauvage étrangerinconnu passa en affectant un air préoccupé ;, mais il ne putéchapper à la récompense qui l’attendait. Des larmes roulaient dans les yeux reconnaissancede Caroline. Elle qui avait ouvert la fenêtre et s’amusait à bêcher, avec un couteau, la caissecarrée couverte de neige, prétexte dont la maladresse ingénieuse annonçait à son bienfaiteurqu’elle ne voulait pas, cette fois, le voir à travers les vîtres.¶ Elle fit à son dédaigneuxprotecteur vitres. La brodeuse fit, les yeux pleins de larmes, un signe de tête à sonprotecteur comme pour lui dire :¶ : – Je ne puis vous payer qu’avec le cœur !...¶ Il . Mais lemonsieur noir parut ne rien comprendre à l’expression de cette reconnaissance vraie. Lesoir, quand il re- passa, Caroline était occupée, qui s’occupait à recoller une feuille de papiersur la vîtrevitre brisée. Alors elle sourit du, put lui sourire des anges, en montrant, commeune promesse, l’émail blanc de ses dents brillantes.¶ Le monsieur noir prit dès- lors unautre chemin et ne se montra plus dans la rue du Tourniquet.¶

¶ ¶ ¶ ¶ ¶ ¶ ¶ Dans les premiers jours du mois de mai suivant, un samedi matin que

Caroline apercevait, entre les deux lignes noires des maisons, une faible portion d’un cielbleu sans nuages, et pendant qu’elle arrosait avec un verre d’eau le pied de sonchèvrefeuille, elle dit à sa mère :¶ : – Maman, il faut aller demain nous promener àMontmorency ?¶ ! A peine cette phrase étaitfut-elle prononcée d’un air joyeux, que lemonsieur noir vint à passer, plus triste et plus accablé que jamais.¶ Le ; le chaste etcaressant regard que Caroline lui jeta pouvait passer pour une invitation.¶ Le Aussi, lelendemain, quand madame Crochard, vêtue d’une redingote de mérinos brun rouge, d’unchapeau de soie et d’un schallchâle à grandes raies imitant le cachemire, se présenta avec safille pour choisir un coucou au coin de la rue du Faubourg-Saint-Denis et de la rued’Enghien, ils y trouvèrent leur y trouva-t-elle son inconnu, planté sur ses pieds, comme unhomme qui attend sa femme.¶ Un sourire de plaisir dérida la figure triste de l’étrangerquand il aperçut Caroline dont le petit pied était chaussé des de guêtres de en prunellecouleur puce, dont la robe blanche, emportée par un vent perfide pour les femmes malmalfaites, dessinait des formes attrayantes, et dont la figure, ombragée par un chapeau de paille

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de riz doublédoublée en satin rose, était comme illuminée d’un reflet céleste. Sa ; sa largeceinture de couleur puce faisait valoir une taille à saisir tenir entre les deux mains. Ses ; sescheveux, partagés en deux bandeaux de bistre sur un front blanc comme de la neige, luidonnaient un air de candeur que rien ne démentait. Le plaisir semblait la rendre Carolineaussi légère que la paille élégante de son chapeau ; mais il y eut en elle une espérance quiéclipsa tout- à- coup sa parure et sa beauté quand elle vit le monsieur noir.¶ Ce dernierCelui-ci, qui semblait irrésolu, fut peut-être décidé à servir de compagnon de voyage àCarolinel’ouvrière par la subite révélation subite du bonheur qu’elle ressentait. Alors il quecausait sa présence. Il loua, pour aller à Saint-Leu-Taverny, un cabriolet dont le chevalparaissait assez bon, et ; il offrit à madame Crochard et à sa fille d’y prendre place. Lavieille mère accepta sans se faire prier ; et ce ne fut qu’mais au moment où la voiture setrouva sur la route de Saint-Denis, qu’elle s’avisa d’avoir des scrupules et dehasarderhasarda quelques civilités sur la gêne qu’elle et sa fille que deux femmes allaientcauser à leur compagnon.¶ – Monsieur voulait peut-être se rendre seul à Saint-Leu ? dit-elle avec une fausse bonhomie.¶ Mais elle ne tarda pas à se plaindre de la chaleur, et surtoutde son catarrhe, qui, disait-elle, ne lui avait pas permis de fermer l’œil une seule foispendant la nuit. Aussi ; aussi, à peine la voiture eut-elle atteint Saint-Denis, que madameCrochard parut endormie.¶ Quelques ; quelques-uns de ses ronflemensronflementssemblèrent suspects à l’inconnu qui, fronçantau monsieur noir, qui fronça les sourcils,regarda en regardant la vieille mèrefemme d’un air singulièrement soupçonneux.¶

– OhOh ! elle dort !..., dit naïvement Caroline ;, elle n’a pas cessé de tousser depuishier soir. Elle doit être bien fatiguée….¶

Pour toute réponse, le compagnon de voyage jeta sur la jeune fille un rusé sourirecomme s’ilpour lui disait dire : – Innocente créature !..., tu ne connais pas ta mère !¶Cependant, malgré sa défiance, et au bout d’une demi-heure, quand la voiture roula sur laterre dans cette longue avenue de peupliers qui conduit à Eaubonne, le monsieur noir crutmadame Crochard réellement endormie ; mais peut-être aussi ne voulait-il plus examinerjusqu’à quel point ce sommeil était feint ou véritable.¶ En effet, soit Soit que la beauté duciel, l’air pur de la campagne et ces parfums enivransenivrants répandus par les premièrespousses des peupliers, par les fleurs du saule, et par celles des épines blanches, eussentdisposé son cœur à s’épanouir comme s’épanouissait la nature ; soit qu’une plus longuecontrainte lui devînt importune, ou soit que les yeux pétillanspétillants de Caroline eussentrépondu à l’inquiétude des siens, l’inconnu le monsieur noir entreprit, avec sa jeunecompagne, qui ne dormait pas,elle une conversation aussi vague que lesbalancemensbalancements des arbres sous l’effort de la brise, aussi vagabonde que lesdétours du papillon dans l’air bleu, aussi peu raisonnée que la voix doucement mélodieusedes champs, mais empreinte comme ellela nature d’un mystérieux amour. A cette époque ,la campagne n’est-elle pas frémissante comme une fiancée qui a revêtu sa robe d’hyménée,et ne convie-t-elle pas au plaisir les âmes les plus obtuses ?¶ Ah ! quitterfroides ? Quitterles rues froides et ténébreuses du Marais, pour la première fois depuis le dernier automne,et se trouver au sein de l’harmonieuse et pittoresque vallée de Montmorency, ; la traverserau matin, en ayant devant les yeux l’infini de ses horizons, et pouvoir reporter, de là, sonregard sur des yeux qui peignent aussi l’infini en exprimant l’amour !.... Ah !, quels cœursresteraient glacés, quelles lèvres garderaient un secret !¶ ? L’inconnu trouva Caroline plusgaie que spirituelle, plus aimante qu’instruite ; mais, si son rire accusait de la folâtrerie, sesparoles promettaient un sentiment vrai. Quand, aux interrogations sagaces de son

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compagnon, la jeune fille répondait par une effusion de cœur dontque les classes inférieuressont moins avares que prodiguent sans y mettre de réticences comme les gens huchés sur leparquet des hauts salons, du grand monde, la figure du monsieur noir s’animait et semblaitrenaître. Sa ; sa physionomie perdait par degrés la tristesse qui en contractait les traits ;puis, de teinte en teinte, elle prit un air de jeunesse et un caractère de beauté qui rendirentCaroline toute fière et heureuse.¶ L’ouvrière et fière. La jolie brodeuse devina que sonprotecteur était un être , sevré depuis long-temps de tendresse et d’amour, de plaisir et decaresses, ou que peut-être il ne croyait pas plus au dévouement d’une femme. Enfin, unesaillie inattendue du léger babil de Caroline enleva le dernier voile qui ôtait à la figure del’inconnu toute sa splendeur. Ce dernier sa jeunesse réelle et son caractère primitif, ilsembla faire un éternel divorce avec des idées importunes, et il déploya toute la vivacitéd’âme que décelait alors cachait la solennité de sa figure redevenue jeune.¶ . La causeriedevint insensiblement si familière, qu’au moment où la voiture s’arrêta aux premièresmaisons du long village de Saint-Leu, Caroline nommait l’inconnu monsieur Eugène, et,pourRoger. Pour la première fois seulement, la vieille mère se réveilla.¶

– Caroline, elle aura tout entendu !...., dit EugèneRoger d’une voix soupçonneuse àl’oreille de la jeune fille.¶

Caroline répondit par un ravissant sourire d’incrédulité : il d’incrédulité qui dissipale nuage sombre que la crainte d’un calcul chez la mère avait répandurépandue sur le frontde cet homme défiant.¶ Sans s’étonner de rien et approuvant tout, madame Crochardapprouva tout, suivit sa fille et M. Eugènemonsieur Roger dans le parc de Saint-Leu, où lesdeux jeunes gens étaient convenus d’aller pour y visiter les riantes prairies et les bosquetsembaumés que le goût de la reine Hortense a rendus si célèbres.¶

– Mon Dieu ! que, combien cela est beau !... s’écria Caroline, lorsque , montée surla croupe verte où commence la forêt de Montmorency, elle aperçut, à ses pieds, l’immensevallée qui déroulait les richesses de ses côteaux semésses sinuosités semées de villages, leshorizons bleuâtres de ses collines, ses clochers, ses prairies, ses champs, et dont lemurmure vint expirer à l’oreille de la jeune fille comme un bruissement de la mer. Les troisvoyageurs cotoyèrent les délicieux rivages côtoyèrent les bords d’une rivière factice, et ilsarrivèrent à cette vallée suisse dont le châletchalet reçut plus d’une fois la reine Hortense etNapoléon.¶ Quand Caroline se fut assise, avec un saint respect, sur le banc de bois moussuoù s’étaient reposés des rois, des princesses et l’Empereurl’empereur, madame Crochardmanifesta le désir opiniâtre d’allerde voir de plus près un pont suspendu entre deux rochersqu’elle qui s’apercevait au loin ;, et, se dirigeant vers cette curiosité champêtre, elle laissa enlaissant son enfant sous la garde de M. Eugène monsieur Roger, mais en lui disant qu’ellene le les perdrait pas de vue.¶

– EhEh ! quoi !, pauvre petite, s’écria EugèneRoger, vous n’avez jamais désiré lafortune et les jouissances du luxe ? Vous ne souhaitez pas quelquefois de porter les bellesrobes que vous brodez ?¶

– Je vous mentirais, M. Eugènemonsieur Roger, si je vous disais que je ne pensepas au bonheur dont jouissent les riches. Ah, ! oui, je songe souvent, quand je m’endorssurtout, au plaisir que j’aurais de voir ma pauvre mère ne pas être obligée d’aller, tel tempsqu’il fasse, par le mauvais temps chercher nos petites provisions !..., à son âge !.... Jevoudrais que le matin, une femme de ménage lui apportât, pendant qu’elle est encore au lit,son café bien sucré avec du sucre blanc. Elle aime à lire des romans, la pauvre bonne

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femme !.. Eh, eh ! bien, je préférerais lui voir user ses yeux à sa lecture favorite, plutôt qu’àremuer des bobines depuis le matin jusqu’au soir. Il lui faudrait aussi un peu de bon vin.Enfin je voudrais la savoir heureuse, elle est si bonne !...¶!¶

– Elle vous a donc bien prouvé sa bonté ?..¶?¶– Oh !... oui, répliqua la jeune fille d’un son de voix profond.¶ Puis après un assez

court moment de silence, pendant lequel les deux jeunes gens regardèrent madameCrochard qui, parvenue au milieu du pont rustique, les menaçait du doigt, Caroline reprit :¶: – OhOh ! oui, elle me l’a prouvé !.... Combien ne m’a-t-elle pas soignée quand j’étaispetite !... Elle a vendu ses derniers couverts d’argent pour me mettre en apprentissage chezla vieille fille qui m’a appris à broder. Et mon pauvre père !... Que combien de mal n’a-t-ellea pas eu pour lui faire passer heureusement ses derniers momens.¶ moments ! A cette idée,la jeune fille tressaillit et se fit un voile de ses deux mains.¶ – Ah, ! bah, ne pensons jamaisaux malheurs passés !..., dit-elle en essayant de reprendre un air enjoué.¶ Elle rougit ens’apercevant que M. EugèneRoger s’était attendri, mais elle n’osa le regarder.¶

– Que faisait donc votre père ?....., demanda-t-il.¶– Mon père était danseur à l’Opéral’opéra avant la révolution, dit-elle de l’air le plus

naturel du monde, et ma mère chantait dans les chœurs. Mon père, qui commandait lesévolutions sur le théâtre, ayant mis en ligne les vainqueursse trouva par hasard à la prise dela Bastille, obtint le grade de capitaine et se . Il fut reconnu par quelques-uns des assaillantsqui lui demandèrent s’il ne dirigerait pas bien une attaque réelle, lui qui en commandait defeintes au théâtre. Mon était brave, il accepta, conduisit à les insurgés, et fut récompensé parle grade de capitaine dans l’armée de Sambre-et-Meuse, où il se comporta de manière àmonter rapidement en grade. En dernier lieu, il a été nommé major, il devint colonel ; mais ilfut si grièvement blessé à Lutzen qu’il est revenu mourir à Paris, après deux ansun an demaladie... Ah ! que de chagrins nous avons eus !.. Et puis, les Les Bourbons sont arrivéset….., ma mère n’ayant pu obtenir de pension, et nous sommes retombées, elle et moi, dansune situation tellesi grande misère, qu’il a fallu travailler pour vivre...¶ Depuis quelquetemps, la bonne femme est devenue maladive, ; aussi jamais je ne l’ai -je vue si peurésignée. Elle ; elle se plaint, ; et je le conçois ! Elle a connu l’abondance et une , elle agoûté les douceurs d’une vie heureuse... Quant à moi... je, qui ne saurais regretter une vie etun mondedes délices que je n’ai pas connus. Jeconnues, je ne demande qu’une seule choseau ciel ?¶...¶

– Quoi ?.. dit vivement M. EugèneRoger qui semblait rêveur.¶– Que les femmes portent toujours des tulles brodés ; et alors... mon ouvrage me

suffira toujours bien.¶brodés pour que l’ouvrage ne manque jamais.¶La franchise de ces aveux intéressa le jeune homme, qui regarda d’un œil moins

hostile madame Crochard quand elle revint vers eux d’un pas lent.¶– EhHé bien, mes enfansenfants, avez-vous bien jasé ?..., leur demanda-t-elle d’un

air tout à la fois indulgent et railleur et indulgent ! – . Quand on pense, M. EugènemonsieurRoger, que le petit caporal s’est assis là où vous êtes !.., reprit-elle après un moment desilence. ! – Pauvre homme !... ajouta-t-elle. Mon , mon mari l’aimait-il !... Ah ! Crochard aaussi bien fait de mourir, car il n’aurait pas enduré de le savoir là où ils l’ont mis !....¶

M. EugèneRoger posa un doigt sur ses lèvres, et la bonne vieille, hochant la tête, ditd’un air sérieux :¶ : – Suffit !..., on aura la bouche close et la langue morte !...¶ – . Mais,ajouta-t-elle en ouvrant les deux bords de son corsage et montrant une croix et son ruban

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rouge suspendus à son colcou par une faveur noire, ils ne m’empêcheront pas de porter ceque l’autre a donné à mon pauvre Crochard, et je me ferai certes enterrer avec...¶

En entendant des paroles, qui, à cette époque, passaient alors pour très-séditieuses,M. EugèneRoger interrompit la vieille mère en se levant brusquement et ils achevèrent unjoyeux pèlerinage, et ils retournèrent au village à travers les allées du parc. Le jeune hommes’absenta pendant quelques instansinstants pour aller commander un repas chez le meilleurtraiteur de Taverny ; puis il revint chercher les deux damesfemmes, et les y conduisit en lesfaisant passer par les sentiers de la forêt.¶ Le dîner fut gai. M. EugèneRoger n’était déjàplus cette ombre sinistre qui passait naguères rue du Tourniquet. Il , il ressemblait moins aumonsieur noir qu’à un jeune homme confiant, prêt à s’abandonner au courant de la vie,comme ces deux femmes insouciantes et laborieuses, qui, le lendemain peut-être,manqueraient de pain. Enfin, ; il paraissait être sous l’influence des joies du premier âge ;car , son sourire avait quelque chose de caressant et d’enfantin.¶ Quand, sur les cinqheures, le joyeux dîner fut terminé par quelques verres de vin de Champagne, EugènefutRoger proposa le premier à proposer d’aller danser sous les châtaigniers au balchampêtre du village., où Caroline et son protecteur lui dansèrent donc ensemble. Leurs :leurs mains se pressèrent avec intelligence, et leurs cœurs battirent animés d’une mêmeespérance. Sous ; et sous le ciel bleu, aux rayons obliques et rouges du couchant, leursregards arrivèrent à un éclat qui, pour eux, faisait pâlir celui du ciel.¶ Etrange Étrangepuissance d’une idée et d’un désir ! Rien ne leur semblait impossible ! L’âme, dans cesmomensimpossible à ces deux êtres. Dans ces moments magiques, ne prévoit que dubonheur et il semble que où le plaisir jette ses reflets jusques sur l’avenir.¶ , l’âme neprévoit que du bonheur. Cette brillante et pure jolie journée avait déjà créé, pour tous deux,de célestes des souvenirs auxquels ils ne pouvaient rien comparer dans le passé de leurexistence. La source serait-elle donc plus gracieuse que le fleuve ;, le désir serait-il plusravissant que la jouissance ;, et, ce qu’on espère, plus attrayant que tout ce qu’onpossède ?¶

– Voilà donc la journée déjà finie !... Telle fut l’exclamation qui s’échappa du cœurde l’inconnu, quand A cette exclamation échappée à l’inconnu au moment où cessa la danseeut cessé.¶ , et Caroline le regarda d’un air compatissant en lui voyant reprendre une légèreteinte de tristesse sur sa figure.¶

– Pourquoi ne seriez-vous pas aussi content à Paris qu’ici ? dit-elle. Le bonheurn’est-il qu’à St.Saint-Leu ?... Il me semble maintenant que je ne puis être malheureuse nullepart...¶

L’inconnuRoger tressaillit à ces paroles dictées par ce sentiment de pitié doucedouxabandon qui entraîne toujours les femmes plus loin qu’elles ne comptentveulent aller, demême qu’une extrême que la pruderie leur donne parfoissouvent plus de cruauté qu’ellesn’en ont.¶ Pour la première fois , depuis le regard qui avait en quelque sorte commencé leuramitié, Eugène et Caroline et Roger eurent une même pensée. Ils ; s’ils ne l’exprimèrentpas ; mais, ils la sentirent au même moment par une mutuelle impression semblable à celled’un bienfaisant foyer qui les aurait consolés des atteintes de l’hiver.¶ Alors ; puis, commes’ils eussent craint leur silence, ils se rendirent alors à l’endroit où leur modeste la voitureles attendait ; mais avant de se confier, pour retourner à Paris, aux flancs disjoints et auxroues à demi-brisées de leur coucoud’y monter, ils se prirent fraternellement par la main, etcoururent dans une allée sombre devant madame Crochard. Quand ils ne virent plus le

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blanc bonnet de tulle qui leur indiquait la vieille mère comme un point à travers lesfeuilles :¶ : – Caroline ?..! dit EugèneRoger d’une voix troublée et le cœur palpitant.¶ Lajeune fille confuse recula de quelques pas, car elle comprit toute la puissance de encomprenant les désirs que cette interrogation d’amour. Mais, folâtre et badinerévélait ;néanmoins, elle tendit unesa main d’albâtre qui fut baisée avec ardeur ; et si elle la laissabaiser, c’est qu’ardeur et qu’elle retira vivement, car en se levant sur la pointe des pieds, elleavait aperçu sa mère. Madame Crochard fit semblant de ne rien voir, comme si, par unsouvenir de ses anciens rôles de l’Opéra, elle eût dû ne figurer là qu’en a- parte.¶

_________________¶ ¶ Il L’aventure de ces deux jeunes gens ne se continua pas rue du Tourniquet. Pour

retrouver Caroline et Roger, il est nécessaire de se transporter au milieu du Paris moderneoù il existe, dans les maisons nouvellement bâties à Paris, de ces appartemensappartementsqui semblent faits exprès pour que de jeunesnouveaux mariés y passent leur Lune de Miel.Les lune de miel : les peintures et les papiers y sont frais jeunes comme les époux, et ladécoration en est dans sa fleur comme leur amour :; tout y est en harmonie avec de jeunesidées, avec de bouillansbouillants désirs.¶ Or, au Au milieu de la rue du HelderTaitbout,dans une maison dont la pierre de taille était encore blanche, dont les colonnes du vestibuleet de la porte, sans n’avaient encore aucune souillure, et dont les murs encoreéclatansreluisaient de cette peinture d’un blanc de plomb dont on les couvre aujourd’hui, ily avaitcoquette que nos premières relations avec l’Angleterre mettaient à la mode, setrouvait, au second étage, un petit appartement traitéarrangé par l’architecte avec unecomplaisance toute particulière : il semblait qu’il comme s’il en eût deviné la destination.¶Une très-jolie simple et fraîche antichambre, revêtue en stuc à hauteur d’appui, donnaitentrée dans un salon et dans une petite salle à manger. Le salon communiquait à unedélicieuse jolie chambre à coucher près deà laquelle se trouvaitattenait une salle de bain. Lescheminées y étaient toutes garnies de hautes glaces encadrées avec recherche ; les . Lesportes avaient, pour ornemens,ornements des arabesques de bon goût, et les cornichesétaient d’un style pur. Un amateur aurait reconnu là, mieux qu’ailleurs, cette science dedistribution et de décor qui distingue les œuvres de nos architectes modernes.¶ Cet Carolinehabitait depuis un mois environ cet appartement était habité depuis un mois environ par unejeune femme. Elle l’avait trouvé tout meublé, pour elle, par un de ces tapissiers qui peuventpasser pour des que guident les artistes.¶ La description succincte de la pièce la plusimportante suffira pour donner une idée des merveilles que ce mystérieux réduit avaitprésentées à celle qui en était alors la maîtresse.cet appartement offrait aux yeux de Carolineamenée par Roger. Des tentures de percalineen étoffe grise, égayées par desagrémensagréments en soie verte, décoraient les murs de sa chambre à coucher. Lesmeubles, couverts en casimir clair, lui offraient présentaient les formes gracieuses et légèrescrééesordonnées par le dernier caprice de la mode. Une : une commode en bois indigène,incrustée de filets bruns, recelaitgardait les trésors de sa la parure, et le ; un secrétaire pareillui servait à écrire de doux billets sur un papier parfumé. Le ; le lit, drapé à l’antique nepouvait lui inspirer que des idées de volupté par la mollesse et les plis séducteurs de sesmousselines élégamment jetées. Les ; les rideaux de soie grise à franges vertes étaienttoujours étendus de manière à intercepter le jour. Une ; une pendule de bronze représentaitl’Amour couronnant Psyché. Enfin ; enfin un tapis, à dessins gothiques imprimés sur unfond rougeâtre, faisait ressortir tous les accessoires de ce lieu plein de délices.¶ En faced’une brillante psyché se trouvait une petite toilette, devant laquelle la jeune femme

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assise,l’ex-brodeuse s’impatientait de la science peu expéditive de sonde Plaisir, un illustrecoiffeur.¶

– Espérez-vous finir ma coiffure aujourd’hui ?... dit-elle.¶– Mais, madame– Madame a les cheveux si longs et si épais !..., répondit le fameux

Plaisir.¶La petite femmeCaroline ne put s’empêcher de sourire. La flatterie de l’artiste avait

sans doute réveillé, dans son cœur, le souvenir des louanges passionnées que lui adressaitson bien aimé,ami sur la beauté d’une chevelure dont il était idolâtre.¶ qu’il idolâtrait. Lecoiffeur parti, une la femme de chambre se présenta, et la déesse du temple tintvint tenirconseil avec elle sur la toilette qui plairait le plus à monsieur. Comme il faisait froid,(l’onRoger. On était alors au commencement de septembre 1816), il faisait froid : une robede grenadine verte garnie en chinchilla, fut choisie.¶ Aussitôt que la sa toilette fut terminée,la jolie femmeCaroline s’élança vers le salon, y ouvrit une croisée qui donnaitpar où l’onsortait sur l’élégant balcon dontqui décorait la façade de la maison était décorée ; puis,croisantet se croisa les bras pour s’appuyer sur une rampe en fer bronzé, elle resta là dansune attitude charmante, non pour s’offrir à admiration des passanspassants et les voirtournertournant la tête vers elle ;, mais pour ne pas cesser de regarder la petite portion de leboulevard qu’elle pouvait apercevoir au bout de la rue du Helder.Taitbout. Cette échappéede vue, que l’on comparerait volontiers au trou pratiqué pour les acteurs sur dans un rideaude théâtre, lui permettait de distinguer une multitude de voitures élégantes et une foule demonde emportées avec la rapidité d’des ombres chinoises.¶ La jeune femme, ignorant s’il Ignorant si Roger viendrait à pied ou en voiture, examinaitl’ancienne ouvrière de la rue duTourniquet examina tour- à- tour les piétons et les tilburys, voitures légères récemmentimportées en France par les Anglais. Des expressions de mutinerie et d’amour passaient sursa jeune figure, quand, après un quart d’heure d’attente, son œil perçant ou son cœur ne luiavaient pas encore montréindiqué celui qu’elle savait devoir venir. Que deQuel mépris oud’insouciance était peint, quelle insouciance se peignaient sur son beau visage, pour toutesles créatures qui s’agitaient comme des fourmis sous ses pieds ! Comme ses yeux gris,pétillanspétillants de malice, étincelaient ! Elle était là pour elle-même, sans se douter quetous les jeunes gens emportaient mille confus désirs à l’aspect de ses formes attrayantes.Elle . Toute à la passion, elle évitait même leurs véridiques les hommages avec autant desoin que les plus fières en mettent à les recueillir pendant leurs promenades à Paris. Elle , etne s’inquiétait certes guères si le souvenir de sa peau blanche, figure penchée ou de sonpetit pied qui dépassait le balcon ;, si la piquante image de ses yeux animés et de son nezvoluptueusement retroussé, s’effaceraient ou non, le lendemain, du cœur despassanspassants qui l’avaient admirée ; carl’admiraient : elle ne voyait qu’une figure etn’avait qu’une idée.¶ Enfin, quand Quand la tête mouchetée d’un certain cheval bai-brun,vint à dépasser la haute ligne tracée, dans l’espace, par les maisons, la jeune femmeCarolinetressaillit et se haussa sur la pointe des pieds pour tâcher de reconnaître plus vite les guidesblanches et la couleur vert foncé du tilbury. C’estC’était lui !... Il a tourné Roger tournel’angle de la rue, et, après avoir vuvoit le balcon, il a, par une caresse du fouet, averti lenoble animalfouette son cheval qui, en moins d’une seconde, est parvenu s’élance et arriveà cette porte bronzée qui lui est aussi connue qu’à à laquelle il est aussi habitué que sonmaître.¶ La porte de l’appartement ayant été fut ouverte d’avance par la femme de chambre,qui a avait entendu le petit cri de joie jeté par sa maîtresse, un homme. Roger se précipitevers le salon, bientôt il presse la jolie femmeCaroline dans ses bras, et l’embrasse avec cette

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effusion de sentiment que provoquent toujours les réunions peu fréquentes de deux êtresqui s’aiment. Il ; il l’entraîne, ou plutôt ils marchent, par une volonté unanime,quoiqu’quoique enlacés dans les bras l’un de l’autre, vers cette chambre discrète etembaumée. Une ; une causeuse les reçoitreçut devant le foyer, et ils secontemplentcontemplèrent un moment en silence, en n’exprimant leur bonheur que par lesvives étreintes de leurs mains, ne en se communiquant leurs pensées que par un longregard.¶

– Oui, c’est lui !..., dit-elle enfin ; oui, c’est mon Eugène !...toi. Sais-tu que voicideuxtrois grands jours que je ne t’ai vu... Deux siècles !, un siècle ! Mais qu’as-tu ?. tu asdu chagrin...¶

– Ma pauvre Caroline...¶– Oh ! c’est celavoilà, ma pauvre Caroline !..¶...¶– Non, ne ris pas..., mon ange, car ; nous ne pouvons pas aller ce soir à

Feydeau !¶.¶Caroline fit une petite mine boudeuse, mais qui se dissipa tout- à- coup. Son visage

resplendit, et elle s’écria :¶.¶– Que jeJe suis une sotte ! Comment puis-je penser au spectacle quand je te vois...

Oh ! te ? Te voir, n’est-ce pas le seul spectacle que j’aime ?..¶ Et elle se complut à passer,s’écria-t-elle en passant ses doigts potelés et caressans dans les cheveux d’Eugène.¶deRoger.¶

– Je suis obligé d’aller chez notre chef d’état-major. Nous le procureur-général,nous avons en ce moment une affaire épineuse. Il m’a rencontré dans la grande salle, ; etcomme c’est moi qui porte la parole, il m’a engagé à venir dîner avec lui ; mais, ma chérie,tu peux aller à Feydeau avec ta mère, je vous y rejoindrai si la conférence finit de bonneheure.¶

– Aller au spectacle sans toi !..., s’écria-t-elle avec une expression d’étonnement ;,ressentir un plaisir que tu ne partagerais pas !..!... Oh ! mon Eugène !Roger, vousmériteriez de ne pas être embrassé !¶ Et , ajouta-t-elle en lui sautasautant au cou par unmouvement aussi naïf que voluptueux.¶

– Allons, petite folle, il faut que je parte...¶ – Méchant.¶ – Oh, Caroline, il faut queje rentre je dois rentrer pour m’habiller, il y a . Le Marais est loin d’ici au Marais, et j’aiencore quelques affaires.. à terminer.¶

– Monsieur, reprit Caroline en l’interrompant, prenez garde à ce que vous dites-là !ces paroles ! Ma mère m’a avertiedit que , quand les hommes commencent à nous parlerde leurs affaires, ils ne nous aiment plus nous aimer quand ils parlent de nous quitter pourleurs affaires !...¶

– Caroline !..., ne suis-je pas venu ?... n’ai-je pas dérobé cette heure-ci à monimpitoyable....¶

– Chut !..., dit-elle en mettant un doigt sur la bouche d’Eugène. Chut ! Ne de Roger,chut, ne vois-tu pas que je me moque.¶ !¶

En ce moment ils étaient revenus tous les deux dans le salon. Les yeux d’Eugènetombèrent sur, Roger y aperçut un meuble apporté le matin même par l’ébéniste. C’était : levieux métier en bois de rose, dont le produit avait nourrinourrissait Caroline et sa mèrequand elles habitaient la rue du Tourniquet-St.-Saint-Jean. Il, avait été remis à neuf, et unerobe de tulle d’un riche dessin y était déjà tendue.¶

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– HéEh ! bien, mon bon Eugèneami, ce soir je travaillerai... En brodant, je mecroirai encore à ces premiers jours où tu passais devant moi sans mot dire, mais non passans me regarder ; à ces jours où le souvenir de tes doux regards me tenait éveillée pendantla nuit. O mon cher métier !... C’est, le plus beau meuble de mon salon, quoiqu’il ne mevienne pas de toi !..¶ – Tu ne sais pas ?..., dit-elle en s’asseyant sur les genoux del’inconnuRoger qui, ne pouvant résister à d’enivrantes ses émotions, était tombé sur dansun fauteuil.... Écoute-moi donc ? Je je veux donner aux pauvres tout ce que je gagnerai avecma broderie... car tu Tu m’as faite si riche !.. Oh ! que Combien j’aime cette jolie terre deBellefeuille..., moins pour ce qu’elle est, que parce que c’est toi qui me l’as donnée !....Mais, dis-moi, mon EugèneRoger, je voudrais m’appeler Caroline de Bellefeuille.. Cela sepeut-il ? Tu dois savoir ça ?...¶, le puis-je ? tu dois le savoir : est-ce légal ou toléré ?¶

Eugène fitEn voyant une petite moue d’affirmation qui lui était suggéréeinspirée àRoger par sa haine pour le nom de Crochard. Alors , Caroline sauta légèrement et frappa ensigne de joieen frappant ses mains l’une contre l’autre.¶

– Il me semble, s’écria-t-elle, que je t’appartiendrai bien mieux. ainsi. Ordinairementune fille renonce à son nom et prend celui de son mari...¶ Une idée importune qu’ellechassa aussitôt la fit rougir ; puis prenant Eugène, elle prit Roger par la main, elleet le menadevant un piano ouvert.¶ – Écoute ?..., dit-elle. Je sais maintenant ma sonate comme unange !...¶ . Et ses doigts couraient déjà sur les touches d’ivoire, quand elle se sentit saisie etenlevée par la taille.¶

– Caroline..., je devrais être loin !...¶– Tu veux partir... ? eheh ! bien, va-t’en, car ce que tu veux, je le veux...¶ Elle dit

ces paroles -elle en boudant ; mais elle sourit après avoir regardé la pendule, et s’écriajoyeusement :¶

– Je t’aurai toujours gardé un quart- d’heure de plus !...¶– Adieu, madame mademoiselle de Bellefeuille ?, dit Eugène, -il avec une la douce

ironie d’amour.¶de l’amour.¶Après avoir pris Elle prit un baiser donné ou reçu de bon cœur, elle , et reconduisit

son protecteur bien-aimé jusquesRoger jusque sur le seuil de la porte. Quand : quand lebruit de ses des pas ne retentit plus dans l’escalier, elle accourut sur le courut au balconpour le voir montermontant dans le tilbury léger, pour lui en voir prendre les guides, pourrecueillir un dernier regard, entendre le coup de fouet, le roulement des roues sur le pavé, etpour suivre des yeux le brillant cheval, le chapeau du maître, le galon d’or quiceignaitgarnissait celui du jockey, enfin pour regarder même long-temps encore après quel’angle noir de la rue lui eut avait dérobé cette vision.¶

___________________¶ ¶

Cinq ans après l’installation de mademoiselle Caroline de Bellefeuille dans la joliemaison de la rue du HelderTaitbout, il s’y passa, pour la seconde fois, une de ces scènesdomestiques qui resserrent si puissamment encore les liens d’affection entre deux êtres quis’aiment.¶ Au milieu du salon bleu, et en face de devant la fenêtre qui s’ouvrait sur lebalcon, un petit garçon de quatre ans et demi faisait un tapage infernal en fouettant le soncheval de carton sur lequel il était monté, et dont les deux arcs recourbés qui en soutenaientles pieds n’allaient pas assez vite au gré du tapageur. Sa à son gré ; sa jolie petite tête, dontles à cheveux blonds retombaientretombant en mille boucles sur une collerette brodée,

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sourit comme une figure d’ange à sa mère, quand, du fond d’une bergère, elle lui dit :¶ :– Pas si haut !tant de bruit, Charles !..., tu vas réveiller ta petite sœur.¶ Alors le Le curieuxenfant, descendant descendit alors brusquement de cheval, arriva sur la pointe des pieds,comme s’il eût craint de faire du bruit le bruit de ses pas sur le tapis ; puis, mettant, mit undoigt entre ses petites dents et, demeura dans une de ces attitudes enfantines qui n’ont tantde grâces que parce que rien n’y est forcé, il leva tout doucement en est naturel, et leva levoile de mousseline blanche qui cachait le frais visage d’une petite fille endormie sur lesgenoux de sa mère.¶

– Elle dort donc, Eugénie ?.... dit-il tout étonné.¶ Pourquoi donc qu’elle dort quandnous sommes éveillés ?.... ajouta-t-il en ouvrant de grands yeux noirs qui flottaient dans unfluide abondant.¶

– Dieu seul sait cela !... , répondit Caroline en souriant.¶Puis la La mère et l’enfant contemplèrent la cette petite fille qui avait été, baptisée le

matin même.¶ Caroline était alors Alors âgée ded’environ vingt-quatre ans environ. Un,Caroline offrait tous les développements d’une beauté qu’un bonheur sans nuage, s et desplaisirs constansconstants avaient développé toute sa beauté. C’était une fait épanouir. Enelle la femme était accomplie. LesCharmée d’obéir aux désirs de son cher Eugène ayant étédes lois pourRoger, elle, elle avait réussi à acquériracquis les connaissances qui luimanquaient. Elle , elle touchait assez bien du piano et chantait agréablement. Ignorant lesusages d’une société qu’elle avait toujours fuie en obéissant à cet axiôme qui dit : qui l’eutrepoussée et où elle ne serait point allée quand même on l’y aurait accueillie, car la femmeheureuse ne va pas dans le monde, elle n’avait su ni prendre cette élégance de manières, niapprendre cette conversation pleine de mots et vide de pensées qui font le charme des acours dans les salons. En ; mais, en revanche, elle s’était efforcée d’acquérirconquitlaborieusement les connaissances utilesindispensables à une mère qui n’a d’autre ambitionque d’élever parfaitement ses enfans. Le sentiment de la maternité s’était développé en elle àun haut degré.dont toute l’ambition consiste à bien élever ses enfants. Ne pas quitter sonfils, lui donner dès le berceau ces leçons de tous les momensmoments qui gravent dans ende jeunes âmes, le goût du beau et du bon en tout, le préserver de toute influence extérieure,etmauvaise, remplir à la fois les pénibles fonctions de la bonne et les douces obligationsd’une mère, étaienttels furent ses uniques plaisirs. Elle avait une âme si Dès le premierjour, cette discrète et si douce créature se résigna si bien à ne point faire un pas hors de lasphère enchantée où pour elle se trouvaient toutes ses joies, qu’après six ans de l’union laplus tendre, elle ne connaissait encore à son épouxami que le nom d’Eugène ; car elles’était, dès le premier jour, résignée à ne pas faire un pas hors de la sphère enchantée oùpour elle se trouvait le bonheur. La Roger. Placée dans sa chambre à coucher, la gravure dutableau de Psyché arrivant avec sa lampe pour voir l’Amour malgré sa défense, étaittoujours devant ses yeux dans sa chambre à coucher.¶ lui rappelait les conditions de sonbonheur. Pendant ces six années d’amour et de joie, ses modestes plaisirs n’avaientnefatiguèrent jamais fatigué par une ambition mal placée le cœur d’Eugènede Roger, vraitrésor de bonté. Jamais elle n’avait souhaité un diamant, une parure coûteuse. Elle avaitrefuséne souhaita ni diamants ni parures, et refusa le luxe d’une voiture vingt fois offerte àsa vanité. Attendre sur le balcon l’arrivée d’Eugènela voiture de Roger, aller avec lui auspectacle, ou errerse promener ensemble pendant les beaux jours dans les environs deParis ;, l’espérer, le voir, et l’espérer encore, étaient l’histoire simple de toute sa vie, pauvred’événemensd’événements, mais pleine d’amour.¶ En berçant actuellement sur ses genoux

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par une chanson la fille qu’elle avait eue deux venue quelques mois avant cette journée, ellese plut à évoquer les souvenirs du temps passé. Elle s’arrêta plus volontiers sur tous lesmois de septembre, époque à laquelle, chaque année, son EugèneRoger l’emmenait àBellefeuille y passer ces beaux jours qui semblent appartenir à toutes les saisons : car alorsla. La nature est alors aussi prodigue de fleurs que de fruits, les soirées sont chaudes ettièdes, les matinées fraîchessont douces, et l’éclat de l’été succède souvent à la doucemélancolie de l’automne.¶ Elle songeait avec délices que, pendant Pendant les premierstemps de son amour, elleCaroline avait expliquéattribué l’égalité d’âme et la douceur decaractère, dont son ami lui donnait tant de preuves, lui furent données par Roger, à la raretéde leurs entrevues toujours désirées, et par la à leur manière dont ils vivaient : n’étantdevivre qui ne les mettait pas sans cesse en présence l’un de l’autre, comme un mari et unefemme.le sont deux époux. Elle se souvint alors avec délices que, tourmentée de vainescraintes, elle l’avait épié en tremblant, pendant leur premier séjour à cette petite terre duGatinais. Espionnage d’amour aussi doux qu’inutile ! Chacun : inutile espionnaged’amour ! chacun de ces mois de bonheur avait passépassa comme un songe, au sein d’unamour qui ne se démentait pas, car elled’une félicité qui ne se démentit jamais. Elle avaittoujours vu à cet ce bon être de bonté, un tendre sourire sur les lèvres, sourire qui semblaitêtre l’écho du sien...¶ A ces tableaux d’amour trop puissammentvivement évoqués, sesyeux se mouillèrent de larmes ; car, elle crut ne pas aimer assez. Elle était et fut tentée devoir, dans le malheur de sa situation équivoque, une espèce d’impôt mis par le sort sur safélicité.son amour. Enfin, une invincible curiosité lui faisait fit chercher pour la millièmefois les événemens qui avaient pu événements qui pouvaient amener un homme aussiaimant qu’Eugèneque Roger à ne jouir que d’un bonheur clandestin., illégal. Elle forgeaitmille romans, précisément pour se dispenser d’admettre la véritable raison que, depuislong-temps elle avait devinée, et mais à laquelle elle essayait de ne pas croire.¶ Gardant Ellese leva, tout en gardant son enfant endormi dans ses bras, elle se leva pour aller présider,dans la salle à manger, à tous les préparatifs du dîner. Ce jour était le 6 mai 1822,anniversaire de la promenade au parc de Saint-Leu, pendant laquelle sa vie avait étéfutdécidée. Aussi ; aussi chaque année, ce jour ramenait-il une fête aussi douce que secrète.¶de cœur. Caroline désigna le linge damassé qui devait servir au repas ; elle veilla àrepas etdirigea l’arrangement du dessert ; et quand elle eut pris, . Après avoir pris avec bonheur,tous les soins qui pouvaient avoir une influence immédiate sur le bien-être de son cherEugènetouchaient Roger, elle déposa Eugénie dans un petit berceau d’acajou, etla petite filledans sa jolie barcelonnette, vint se placer sur le balcon.¶ Elle et ne tarda pas àa voir paraîtrele cabriolet par lequel son ami, parvenu à la maturité humainede l’homme, avait remplacél’élégant tilbury des premiers jours. Eugène entra dans le salon, et aprèsAprès avoir essuyéle premier feu des caresses de Caroline et du petit espiègle qui l’appelait papa, ilRoger allaau berceau, contempla le sommeil de sa fille et, la baisa sur le front. Puis, tirant, et tira de lapoche de son habit un long papier bariolé de lignes noires :¶.¶

– Caroline, dit-il, voici la dot de cette petite crieuse.¶ Mademoiselle mademoiselleEugénie de Bellefeuille.¶

La mère prit avec reconnaissance le titre dotal qui était, une inscription au grand-livre de la dette publique.¶

– Pourquoi trois mille francs de rente à Eugénie, quand tu n’as donné que quinzecents francs à Charles ?¶

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– Charles, mon ange, sera un homme, répondit-il. Quinze cents francs lui suffiront,parce que, avec. Avec ce revenu, un homme courageux est au-dessus de la misère. Si, parhasard, il était ton fils est un homme nul, je ne veux pas qu’il puisse faire des folies. S’il ade l’ambition, cette modicité de fortune lui inspirera le goût du travail. Eugénie est femme, illui faut une dot.¶

Le père se mit à jouer avec Charles, dont les caressantes démonstrationsannonçaient avec quelle l’indépendance et quelle la liberté il était élevé.de son éducation.Aucune crainte, établie entre le père et l’enfant, ne détruisait ce charme qui récompense dessoins de la paternité. La de ses obligations, et la gaîté de cette petite famille était aussi douceque vraie. Le soir, une lanterne magique vint étaler,étala sur une toile blanche, sespiègespiéges et ses mystérieux tableaux, à la grande surprise du petit de Charles. Plus d’unefois, les joies célestes de cette innocente créature excitèrent des fou-s rires sur les lèvresd’Eugène et de Caroline.¶ et de Roger. Quand, plus tard, le petit garçon fut couché, la petitefille se réveilla, et il fallut lui laisser prendres’éveilla demandant sa limpide nourriture.Alors, à A la clarté d’une lampe, au coin du foyer, le soir, dans cette chambre de paix et deplaisir, EugèneRoger s’abandonna donc au charmebonheur de contempler le tableau suaveque lui présentait cet enfant suspendu au sein de sa mère.¶ Caroline était blanche et , fraîchecomme un lis nouvellement éclos ; ses éclos et dont les cheveux retombant sur son cou pardes retombaient en milliers de boucles brunes encadraient sa tête comme d’un feuillage noir,et la qui laissaient à peine voir son cou. La lueur faisait ressortir toutes ses les grâces, decette jeune mère en multipliant sur elle, autour d’elle, sur ses vêtemensvêtements et surl’enfant, ces effets pittoresques produits par les combinaisons de l’ombre et de la lumière.Le visage de cette mèrefemme calme et silencieuse parut mille fois plus doux que jamais àEugène qui regardait avec amourRoger, qui regarda tendrement ces lèvres chiffonnées etvermeilles desquelles il n’avait pas d’où jamais encore entendu sortir une seule aucuneparole discordante. n’était sortie. La même pensée brillait dans les yeux de Caroline, quiexaminait Eugène qui examina Roger du coin de l’œil, soit pour jouir de l’effet qu’elleproduisait sur lui, soit pour deviner l’avenir de cette la soirée d’amour.¶

L’inconnu , qui comprit toute la coquetterie de ce regard fin et voluptueux, car il, ditavec une feinte tristesse :¶ : – Il faut que je parte. J’ai une affaire très-grave à terminer, etl’on m’attend chez moi. Le devoir avant tout, n’est-ce pas, ma chérie.¶ ?¶

Caroline le regarda l’espionna d’un air à la fois triste et doux ;, mais avec cetterésignation qui ne laisse ignorer aucune des douleurs d’un sacrifice :¶ : – Adieu !..., dit-elle.Va-t’en ; car si ! Si tu restais une heure de plus, je ne te donnerais pas facilement ta liberté.¶

– Mon ange, répondit-il alors en souriant, j’ai trois jours de congé, et je suis censé àvingt lieues de Paris.¶

La fête fut complète.¶ ¶ ______________________________________¶ ¶ Quelques jours après

l’anniversaire du six de ce 6 mai, mademoiselle de Bellefeuille accourut un matin dans larue Saint-Louis, au Marais, en souhaitant ne pas arriver trop tard dans une maison fortdécente où elle se rendait ordinairement tous les deuxhuit jours. Un exprès était venu venaitde lui apprendre que sa mère, madame Crochard, allait succombersuccombait à unecomplication de douleurs produites en chez elle par les ses catarrhes et les par sesrhumatismes dont elle était affligée.¶ . Pendant que le conducteur du cocher de fiacrefouettait ses chevaux, d’après une invitation pressante que Caroline avait fortifiéefortifia par

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la promesse d’un ample pour-boire, les vieilles femmes timorées, dont desquelles la veuveCrochard avait s’était fait sa une société, pendant ses derniers jours, venaientd’introduireintroduisaient un prêtre dans l’appartement commode et propre que occupé parla vieille comparse de l’Opéra occupait au second étage de la maison.¶ La servante demadame Crochard, ignorant ignorait que la jolie demoiselle chez laquelle sa maîtresse allaitsi souvent dîner, était fût sa propre fille, avait été une ; et, l’une des premières à solliciter lesecours, elle sollicita l’intervention d’un confesseur, en espérant que cet ecclésiastique luiserait au moins aussi utile qu’à la malade.¶ Entre deux bostons, ou en se promenant auJardin jardin Turc, les vieilles femmes avec lesquelles la veuve Crochard caquetait tous lesjours, avaient réussi à réveiller, dans le cœur glacé de leur amie, quelques scrupules sur savie passée, quelques idées d’avenir, quelques craintes sur relatives à l’enfer et quelques , etcertaines espérances de pardon dans fondées sur un sincère retour à la religion.¶ Or, dans Dans cette solennelle matinée, trois douairières vieilles femmes de la rue Saint-François etde la Vieille-Rue-du-Temple, étaient donc venues s’établir dans le salon où madameCrochard les recevait tous les mardis. A tour de rôle, l’une d’elles quittait son fauteuil pouraller au chevet du lit tenir compagnie à la pauvre vieille, et la consoler en lui disant que cen’était absolument rien que la faiblesse dont elle gémissait sur son lit funèbre.¶ lui donnerde ces faux espoirs avec lesquels on berce les mourants. Cependant, quand la crise leurparut prochaine, et qu’un lorsque le médecin, appelé la veille, déclara qu’il ne répondait pasrépondit plus de la veuve, les trois dames, hochant la tête, se consultèrent. pour décider s’ilfallait avertir mademoiselle de Bellefeuille. Françoise préalablement entendue, il fut arrêtéque, moyennant quinze sous, qu’un commissionnaire partirait pour la rue duHelder,Taitbout prévenir mademoiselle de Bellefeuille, dont les quatre femmes redoutaientla jeune parente dont l’influence sur l’esprit de la malade. Ellesparaissait si redoutable auxquatre femmes ; mais elles espérèrent que l’Auvergnatl’auvergnat ramènerait trop tard cettejeune personne, qui avait une dotée d’une si grande part de dans l’affection de madameCrochard.¶ Si la Cette veuve avait été adulée et , évidemment riche d’un millier d’écus derente, ne fut si bien choyée par le trio femelle, c’est qu’elle leur parut jouir d’un millierd’écus de rente. Or, comme que parce qu’aucune de ces bonnes amies, ni même Françoise,ne lui connaissaient d’héritier ; comme . L’opulence dont jouissait mademoiselle deBellefeuille, à laquelle qui madame Crochard s’était interdits’interdisait de donner le douxnom de fille par suite des us de l’ancien Opéra, jouissait d’une certaine opulence ; cesbonnes âmes se sentaient peu gênées, par leur conscience, danslégitimait presque le plan,formé par elles,ces quatre femmes de se partager la succession future de la veuveCrochardmourante.¶

La plus vielleBientôt celle des trois sibylles qui tenait la malade en arrêt, vintmontrer une tête branlante au couple inquiet, et dit :¶ : – Il est temps d’envoyer cherchermonsieur l’abbé de Fontanon, car, encore. Encore deux heures, et elle n’aura ni sa tête, ni laforce d’écrire un mot.¶

La vieille servante édentée partit donc, et revint avec un homme vêtu d’uneredingote noire. Il avait une figure commune : son Un front était étroit, annonçait un petitesprit chez ce prêtre, déjà doué d’une figure commune ; ses joues larges et pendantes, sonmenton double. Ses doublé témoignaient d’un bien-être égoïste ; ses cheveux poudrés luidonnaient un air doucereux tant qu’il ne levait pas des yeux bruns, petits, à fleur de tête, etqui n’auraientn’eussent pas été mal placés sous les sourcils d’un tartare.¶

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– Monsieur l’abbé, lui disait Françoise, je vous remercie bien de vos avis ; maisaussi, comptez que j’ai eu un fier soin de cette chère femme-là !...¶ . La domestique au pastraînant et à la figure en deuil, se tut en voyant que la porte de l’appartement était ouverte, etque la plus insinuante des trois douairières était accouruestationnait sur le palier pour être lapremière à parler au confesseur. Quand l’ecclésiastique eut complaisamment essuyé la triplebordée des discours mielleux et dévots des amies de la veuve, il alla s’asseoir au chevet dulit de madame Crochard. La décence et une certaine retenue, força forcèrent les trois dameset la vieille Françoise de demeurer toutes quatre dans le salon à se faire des mines dedouleur qu’il n’appartenait qu’à ces faces ridées de jouer avec autant de perfection qu’ellesy en mettaient.¶. ¶

– AhAh ! c’est-y malheureux !..... s’écria Françoise, en poussant un soupir. Voilàpourtant la quatrième maîtresse que j’aurai le chagrin d’enterrer. La première m’a laissé centfrancs de viager, la seconde cinquante écus, et la troisième mille écus de comptant... Aprèstrente ans de service, voilà tout ce que je possède...¶ !¶

La domestique ayant, comme servante, le usa de son droit d’aller et venir, en profitapour sortir et se rendre dans un petit cabinet d’où elle pouvait entendre le prêtre.¶

– Je vois avec plaisir, disait M. Fontanon, que vous avez, ma fille, dessentimenssentiments de piété, car ; vous portez sur vous quelque une sainte relique....¶

Madame Crochard fit un mouvement vague qui n’annonçait pas qu’elle eût tout sonbon sens ;, car elle montra la croix impériale de la légion d’honneur.Légion-d’Honneur.L’ecclésiastique recula d’un pas, mais en voyant la figure de l’empereur ; puis il serapprocha bientôt de sa pénitente, qui s’entretint avec lui d’un ton si bas que pendantquelque temps Françoise fut quelque temps sans rien entendre. Mais n’entendit rien.¶

– Malédiction sur moi ! s’écria tout à coup, la vieille s’écria :¶ – Malédiction surmoi ! , ne m’abandonnez pas !.. – . Comment, monsieur l’abbé, vous croyez que j’aurai àrépondre de l’âme de ma fille ?...¶?¶

L’ecclésiastique parlait trop bas et la cloison était trop épaisse pour que Françoisepût devenir aussi coupable qu’elle voulait l’être.¶tout entendre.¶

– Hélas ! s’écria la veuve en pleurant, le scélérat ne m’a rien laissé dont jepuissepusse disposer !.... En prenant ma pauvre Caroline, il m’a séparée d’elle et ne m’aconstitué que trois mille livres de rente, dont le fonds appartient à ma fille...¶

Françoise se sauva et accourut au salon.¶ – Madame a une fille et n’a que duviager !... dit-elle.¶, cria Françoise en accourant au salon.¶

Les trois douairières vieilles se regardèrent avec un étonnement profond. Celled’entr’d’entre elles dont le nez et le menton prêts à se rejoindre annonçaientjoindretrahissaient une sorte de supériorité d’hypocrisie et de finesse, cligna des yeux ; puis quand,et dès que Françoise eut tourné le dos, elle fit à ses deux amies un signe qui signifiait :¶voulait dire : – Cette fille-là est une fine mouche.... Elle, elle a déjà été couchée sur troistestamens.¶ Alors les testaments. Les trois vieilles femmes restèrent.¶ L’abbé donc ; maisl’abbé reparut bientôt, et quand il eut dit un mot, les douairièressorcières dégringolèrent decompagnie les escaliers après lui, en laissant Françoise seule avec sa maîtresse.¶ MadameCrochard, dont les souffrances redoublèrent cruellement, eut beau sonner en ce moment saservante, celle-ci se contentait de crier :¶ : – Eh, ! on y va !... tout- Tout à- l’heure.¶ ! Lesportes des armoires et des commodes allaient et venaient comme si Françoise eût cherchéun quelque billet de loterie égaré.¶ Ce fut à A l’instant où la cette crise atteignait à son

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dernier période que , mademoiselle de Bellefeuille arriva auprès du lit de sa mère pour luiprodiguer de douces paroles.¶

– Oh, ! ma pauvre mère, quecombien je suis criminelle !.... Tu souffres, et je ne lesavais pas ;, mon cœur ne me le disait pas....., mais ! Mais me voici.....¶

– Caroline...¶– Quoi !¶?¶– Elles m’ont amené un prêtre.....¶– Mais un médecin.... donc, reprit mademoiselle de Bellefeuille. Françoise ?...., un

médecin. ! Comment ces dames n’ont-elles pas envoyé chercher le docteur ?¶– Elles m’ont amené un prêtre...., reprit la vieille en poussant un soupir.¶– Comme elle souffre !.... et pas une potion calmante ;, rien sur sa table.....¶La mère fit un signe indistinct, mais que l’œil pénétrant de Caroline devina, et car

elle se tut pour la laisser parler.¶– Elles m’ont amené un prêtre, ... soi-disant pour me confesser. – La souffrance

obligea madame Crochard à faire une pause.¶– Prends garde à toi, Caroline !..., lui cria péniblement la vieille comparse par un

dernier effort. Il est venu un, le prêtre qui m’a arraché le nom de ton bienfaiteur...¶– Et qui a pu te le dire, ma pauvre mère ?...¶?¶La vieille expira en essayant de prendre un air malicieux.¶ Si mademoiselle de

Bellefeuille avait pu observer le visage de sa mère, elle eût vu ce que personne ne verra,– rire la Mort.¶

¶ –¶ ¶ Pour comprendre l’intérêt caché dans les cinq tableaux qui précèdentquecache l’introduction de cette Scène, il faut que l’imagination du lecteur les abandonne enoublier un moment les personnages, pour se prêter au récit d’événemens biend’événementsantérieurs, mais dont le dernier vient se rattacher à la mort de madame Crochard.¶ Ces deuxparties formeront alors une même histoire qui, par une loi particulière à la vie parisienne,avait produit deux actions distinctes.¶

Là les deux tableaux séparés n’en formeront plus qu’un, et le narrateur serafacilement absous d’avoir présenté une double histoire puisqu’elle existait véritablement endeux actions distinctes.¶ ¶ __________________¶ ¶ ¶ Le 30 mars 1806, un jeunehommeVers la fin du mois de novembre 1805, un jeune avocat, âgé ded’environ vingt-septsix ans environ, descendait vers trois heures du matin le grand escalier de l’hôtel oùdemeurait l’Archi-Chancelier de l’Empire. Arrivé dans la cour, il n’aperçut aucune voiture.Or, comme il était en culotte courte, en bas de soie, gilet, habit noirs et qu’il faisait froidencostume de bal, par une fine gelée, il ne put s’empêcher de jeter une douloureuseexclamation de douleur où perçait néanmoins cette gaîté qui abandonne rarement unFrançais.¶ Il regarda vainement , car il n’aperçut pas de fiacre à travers les grilles de l’hôtel,car il n’aperçut pas de fiacre et n’entendit même pas dans le lointain le bruit des aucun deces bruits produits par les sabots et ou par la voix enrouée d’un de ces Automédonsnocturnes. Le silence était complet. Une seule voiture attendait. Elle appartenait au descochers parisiens. Quelques coups de pied frappés de temps en temps par les chevaux duGrand-Juge que le jeune homme venait de laisser achevantà la bouillotte de Cambacérès, ded’Aigrefeuille et de deux intimes de la maison.¶ retentissaient dans la cour de l’hôtel àpeine éclairée par les lanternes de la voiture. Tout- à- coup le jeune homme se sentit frapper, amicalement frappé sur l’épaule. Il, se retourna, et reconnut le Grand-Juge. Un et le salua.

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Au moment où le laquais dépliait le marche-pied du carrosse ministériel et , l’ancienlégislateur devinantde la Convention devina l’embarras du pauvre pèlerin, lui dit gaiement :¶de l’avocat. – La nuit tous les chats sont gris. Un , lui dit-on gaiement. Le Grand-Juge ne secompromettra pas en mettant un avocat dans son chemin..... ! Surtout, ajouta-t-il, s’il si cetavocat est le neveu d’un ancien collègue, l’une des lumières de ce grand conseil-d’étatConseil-d’Etat qui a donné le Code Napoléon à la France !....¶ . Le jeune avocatsautapiéton monta dans la voiture sur un geste du chef suprême de la justice ; et le Grand-Juge y monta lestement. Maisjustice impériale. – Où demeurez-vous ? demanda le ministreà l’avocat avant que la portière ne fût refermée par le valet de pied qui attendait l’ordre :¶– Où demeurez-vous ? demanda le ministre à l’avocat.¶ . – Quai des Augustins,monseigneur.¶ – Au quai des Augustins, Joseph.¶ Les chevaux s’élancentpartirent, et voilàle jeune avocat homme se vit en tête-à-tête avec un ministre auquel il n’avait pas pu adresserune seule avait tenté vainement d’adresser la parole pendant avant et après le somptueuxdîner de Cambacérès, et qui avait même paru l’évitercar le Grand-Juge l’avait visiblementévité pendant toute la soirée.¶ – EhEh ! bien, monsieur de GrandvilleGranville, vous êtesen assez beau chemin ?....¶ – Mais, tant que je serai à côté de Votre Excellence.......¶– Non, je – Je ne plaisante pas, dit gaiement le magistrat. Je sais que votrele ministre.Votre stage est terminé. Vous avez fort bien plaidé certaines causes embrouillées ; et depuis deux ans, et vos défenses dans le procès Ximeuse et d’Hauteserre vous ont placébien haut. – J’ai cru jusqu’aujourd’hui que mon dévouement à ces malheureux émigrés menuisait. – Vous êtes bien jeune, dit le ministre d’un ton grave. Mais, reprit-il après unepause, vous avez beaucoup plu ce soir à l’Archi-Chancelier. Vous vous destinez sans douteà la Entrez dans la magistrature du parquet. Nous , nous manquons de sujets. Le neveud’un homme dont à qui Cambacérès et moi sommes les amis,nous portons le plus vif intérêtne doit pas rester avocat faute de protection et de bienveillance, car votre. Votre oncle nousa aidés à traverser des temps bien orageux, jeune homme !...... et cela ne s’oublie pas !......¶et ces sortes de services ne s’oublient pas. Le ministre se tut pendant un moment, mais ilreprit bientôt.¶

– Avant deux mois, il y aurapeu, reprit-il, j’aurai trois places vacantes au tribunal depremière instance et à la cour d’appelimpériale de Paris, vous choisirezvenez alors me voir,et choisissez celle qui vous conviendra, et alors vous viendrez me voir. – Jusques là .Jusque-là travaillez, et ne venez pas vous présenter mais ne vous présentez point à mesaudiences. – D’abord, je suis accablé de travail, et ; puis, vos concurrens, sachant que vousêtes sur les rangs, vous nuiraient vos concurrents devineraient vos intentions et pourraientvous nuire auprès du patron.... Si je Cambacérès et moi en ne vous aidisant pas dit un motce soir, c’était pour vous garantirnous vous avons garanti des dangers de la faveur.¶

A peineAu moment où le ministre avait-il achevéacheva ces derniers mots, que lavoiture s’arrêtas’arrêtait sur le quai des Augustins. Le , le jeune avocat remercia songénéreux protecteur avec une effusion de cœur assez vive son généreux protecteur des deuxplaces qu’il lui avait accordées si à propos, et il se trouvamit à frapper rudement à la portede la plus belle maison du quai, frappant à coups redoublés, car la bise sifflait avec rigueursur la soie qui couvrait ses mollets. Enfin un vieux portier tira le cordon, et quand l’avocatpassa devant la loge :¶ – M. Grandville, M. Grandville !.. cria une voix enrouée:– Monsieur Granville, il y a une lettre pour vous !¶ , cria-t-il d’une voix enrouée. Le jeunehomme prit la reçut ;lettre, et tâcha, malgré le froid, il tâcha d’en lire l’écriture à la lueurd’un pâle réverbère dont la mèche était sur le point d’expirer.¶ – C’est de mon père !

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s’écria-t-il. Et, en prenant son bougeoir que, d’une main tremblante, le portier avait finifinitpar allumer,. Et il monta rapidement dans son appartement pour y lire la lettrepaternelle.¶suivante :¶

¶ ¶ « Prends le courrier. Si, et si tu peux arriver promptement ici, ta fortune est faite.Mademoiselle Angélique Bontems a perdu sa sœur ; ainsi, la voilà fille unique. Nous, etnous savons qu’elle ne te hait pas. Maintenant, madame Bontems peut lui laisser auxenvirons deà peu près quarante mille francs de rentes, outre ce qu’elle lui donnera en dot ;j’ai donc . J’ai préparé les voies. Tout le monde t’aime ici. Adieu.¶ » P. S. Nos amiss’étonneront peut-être de voir d’anciens nobles comme nous s’allier à la famille Bontemsdont le . Le père Bontems a été un bonnet rouge foncé et qui a acheté à vil prixpossédaitforce biens nationaux. achetés à vil prix. Mais d’abord sa veuve il n’a eu que des prés demoines ; et ensuite, puisque moines qui ne reviendront jamais ; puis, si tu as déjà dérogé ente faisant avocat, je ne vois pas pourquoi nous reculerions devant une autreimpertinence.concession aux idées actuelles. La petite aura trois cent mille francs, je t’endonne deux cent, et, comme le bien de ta mère doit valoir cinquante mille écus ou à peuprès, je te vois, donc en passeposition, mon cher fils, si tu veux te jeter dans la magistrature,de devenir sénateur tout comme un autre. Mon beau-frère le conseiller d’état,Conseillerd’État ne te donnera pas un coup de main pour cela, par exemple ; mais, comme il n’est pasmarié, sa succession te reviendra un jour. Si : si tu n’étais pas sénateur de ton chef, tuaurais donc sa survivance. De là tu seras juché assez haut pour voir venir lesévénemens.événements. Adieu, je t’embrasse. »¶

Le jeune de GrandvilleGranville se coucha ce soir-làdonc en faisant mille projetsplus beaux les uns que les autres. Il lui fut impossible de dormir. Il se voyaitpuissammentPuissamment protégé par l’Archi-Chancelier, par le Grand-Juge et par sononcle maternel, l’un des rédacteurs du Code. A son âge, il allait débuter, dans un posteenvié, devant la première courCour de l’empire ;l’Empire, et il se voyait membre de ceparquet privilégié où l’Empereur choisirait infailliblementoù Napoléon choisissait les hautsfonctionnaires de l’état. De plus, à point nommé, ilson Empire. Il se présentait à lui de plusune fortune assez brillante pour l’aider à soutenir son rang ; car, auquel n’aurait pas suffi lechétif revenu de sixcinq mille livresfrancs que lui donnait une terre recueillie par lui dans lasuccession de sa mère, allait probablement se changer en un revenu de trente mille francs.¶Au milieu de ses jeunes . Pour compléter ses rêves d’ambition et depar le bonheur, il faisaitapparaîtreévoqua la figure naïve de mademoiselle Angélique Bontems, la compagne desjeux de son enfance. Tant qu’il n’avait eu que quinze ans, n’eut pas l’âge de raison, sonpère et sa mère ne s’étaients’opposèrent point opposés à son intimité avec la jolie fille deleur voisin de campagne ; mais quand, pendant les courtes apparitions que les vacances luipermirent delaissaient faire à Bayeux, ses parensparents, entichés de noblesse, s’aperçurentde son amitié pour la jeune fille, ils lui avaient défendudéfendirent de penser à elle.¶ Depuisdix ans Grandville, Granville n’avait donc pu voir que par momensmoments celle qu’ilnommait sa petite femme. Ces momensDans ces moments, dérobés à l’active surveillancede leurs familles, ne leur avaient laissé d’autre loisir que celui de se dire à peineéchangèrent-ils de vagues paroles, échangées en passant l’un devant l’autre dans unecontredanse ; et leurs l’église ou dans la rue. Leurs plus beaux jours furent ceux où, réunispar l’une de ces fêtes champêtres nommées en Normandie, des assemblées, ils avaient eu lafaculté de s’examiners’examinèrent furtivement et en perspective. Le jeune Grandville serappelait même que, pendantPendant ses deux dernières vacances, il n’avait vu que trois

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Granville vit deux fois Angélique dont , et le regard baissé et , l’attitude triste de sa petitefemme lui firent juger qu’elle était courbée sous quelque despotisme inconnu.¶ Aussitôtque Arrivé dès sept heures du matin sonnèrent, le au bureau des Messageries de la rueNotre-Dame-des-Victoires fut pris d’assaut par, le jeune avocat normand, et il trouvaheureusement une place dans la voiture qui, partait à cette heure matinale, partait pour laville de Caen.¶ Ce L’avocat stagiaire ne fut revit pas sans une émotion profonde quel’avocat stagiaire revit les clochers de la cathédrale de Bayeux. Aucune espérance de sa vien’ayant encore été trompée, son cœur s’ouvrait à tous les sentimens douxaux beauxsentiments qui agitent si naturellement de jeunes âmes.¶ Après le trop long banquetd’allégresse pour lequel il était attendu par son père et par quelques amis, l’impatient jeunehomme fut conduit vers une certaine maison située rue Teinture, et bien connue de lui. Lecœur lui battit avec force quand son père, que l’on continuait d’appeler à Bayeux le comtede GrandvilleGranville, frappa rudement à une petite porte cochère toute basse, dont lapeinture verte tombait par écailles. Il était environ quatre heures du soir.¶ Une jeuneservante, coiffée d’un bonnet de coton, salua les deux arrivans par unemessieurs par unecourte révérence courte et vive, et répondit que ces dames allaient bientôt revenir de vêpres.Alors le Le comte et son fils entrèrent dans une salle basse servant de salon, et quiressemblait assez à un semblable au parloir de d’un couvent.¶ Des boiserieslambris ennoyer poli assombrissaient cette pièce, autour de laquelle quelques chaises en tapisserie etd’antiques fauteuils étaient symétriquement rangés. La cheminée en pierre n’avait pour toutornement qu’une glace verdâtre, de chaque côté de laquelle sortaient les branchescontournées de ces anciens candelabrescandélabres fabriqués à l’époque de la paixd’Utrecht. Sur la boiserie qui faisait en face à lade cette cheminée, le jeuneGrandvilleGranville aperçut un énorme crucifix d’ébène et d’ivoire admirablement sculptéet entouré de buis bénit. La pièce était Quoiqu’éclairée par trois croisées qui tiraient leurjour d’une petite cour et d’un jardin de province dont les carrés symétriques se dessinaientsur un sable jauneétaient dessinés par de longues raies de buis. La sombre , la pièce enrecevait si peu de jour, qu’à peine voyait-on sur la muraille, parallèle à ces croisées, étaitgarnie de trois tableaux d’église, dûs dus à quelque savant pinceau, et achetés sans doutependant la révolution par le vieux Bontems, qui, en sa qualité de chef du district, ne s’étaitjamais oublié.n’oublia jamais ses intérêts. Depuis le plancher soigneusement ciré, jusqu’auxrideaux de toile à carreaux verts, tout brillait d’une propreté monastique.¶ Involontairementle cœur du jeune homme se serra à l’aspect de la dans cette silencieuse retraite au sein delaquelle où vivait Angélique. La continuelle habitation des brillansbrillants salons de Pariset le tourbillon des fêtes avaient facilement fait oublier à Grandvilleeffacé les existencessombres et paisibles de la province. Le dans le souvenir de Granville, aussi le contraste enétait fut-il pour lui si subit en ce moment, qu’il éprouva une sorte de frémissement intérieurdifficile à exprimer.. Sortir d’une assemblée chez Cambacérès où la vie se montrait siample, les âmes si grandioses, où le reflet de l’éclat impérial était si puissantoù les espritsavaient de l’étendue, où la gloire impériale se reflétait vivement, et tomber tout- à- coupdans un cercle d’idées si étroites et si mesquines !... c’était , n’était-ce pas être transportéd’Italiede l’Italie au Groënland. Aussi, le jeune avocat se ? – Vivre ici, ce n’est pas vivre,dit-il en examinant ce salon méthodique. – Vivre ici...... ce n’est pas vivre.¶ deméthodiste. Le vieux comte, s’apercevantqui s’aperçut de l’étonnement de son fils, alla leprendre par la main, l’entraîna devant une croisée d’où venait encore un peu de jour, et

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pendant que la servante allumait les vieilles bougies des flambeaux :¶, il essaya de dissiperles nuages que cet aspect amassait sur son front.¶

– Écoute, mon enfant ? La, lui dit-il, la veuve du père Bontems est furieusementdévote... Quand le diable devint vieux.... tu sais... ! Je vois que l’air du bureau te fait faire lagrimace ; eh. Eh ! bien, voici le fait.la vérité. La vieille femme est assiégée par les prêtres.Ils , ils lui ont persuadé qu’il était toujours temps de gagner le ciel. Or, , et pour être plussûre de d’avoir saint Pierre et de ses clefs, elle les achète. Elle va à la messe tous les jours,entend tous les offices, communie tous les dimanches que Dieu fait, et s’amuse à restaurerles chapelles. Elle a donné à la cathédrale tant d’ornemensd’ornements, d’aubes, dechapes, ; elle a chamarré le dais de tant de plumes, qu’à la procession de la dernière Fête-Dieu, il y avait une foule dont tu ne peux pas avoir d’idée. Les comme à une pendaisonpour voir les prêtres étaient magnifiquement habillés, et toutes les croix dorées et leursustensiles dorés à neuf. Aussi, cette maison est -elle une vraie terre-sainte. C’est moi qui aiempêché la vieille folle de donner ces trois tableaux : il y a là un Dominicain, unRaphaëltableaux à l’église, un Dominiquin, un Corrége et un André del Sarto, qui valentbeaucoup d’argent.....¶

– Mais Angélique ?..., demanda vivement le jeune homme.¶– Si tu ne l’épouses pas, Angélique est perdue...., dit le comte, si tu ne l’épouses

pas.. Nos bons apôtres lui ont conseillé de vivre vierge..... et martyre. J’ai eu toutes lespeines du monde à réveiller son petit cœur en lui parlant de toi, – quand je l’ai vue filleunique. Mais ; mais tu comprends aisément qu’une fois mariée, tu l’emmèneras à Paris ;que là, les diamans, les modes. Là, les fêtes, le mariage, la comédie et l’entraînement de lavie parisienne lui feront facilement oublier les confessionnaux, les jeûnes, les cilices et lesmesses dont ces saintes femmes-là se nourrissent exclusivement ces créatures.¶

– Mais les cinquante mille livres de rente provenusrentes provenues des biensecclésiastiques, ne retourneront-ilselles pas ?....¶

– Nous y voilà !, s’écria le comte d’un air fin. En considération du mariage, car lavanité de madame Bontems n’a pas été peu chatouillée par l’idée d’enter les Bontems surl’arbre généalogique des GrandvilleGranville, la susdite mère donne sa fortune en toutepropriété à la petite, en ne s’en réservant que l’usufruit.. Aussi le sacerdoce s’oppose-t-il àton mariage. Mais ; mais j’ai fait publier les bans, tout est prêt, et en huit jours tu seras horsdes griffes de la mère, ou de ses abbés, et tu possèderas. Tu posséderas la plus jolie fille deBayeux, une petite commère qui ne te donnera pas de chagrin, parce que ça aura desprincipes. Elle a été mortifiée, comme ils disent dans leur jargon, par les jeûnes, par lesprières, et, ajouta-t-il d’un ton plus basà voix basse, par sa mère qui est une dévote dugrand style : elle est maigre, pâle, a les yeux enfoncés, ne regarde jamais en face... c’est toutdire...¶

Un coup frappé discrètement à la porte imposa silence au comte, qui crut voir entrerles deux dames. La porte du salon s’ouvrit. Un petit domestique à l’air affairé se montra ;,mais , intimidé par l’aspect des deux personnages, il fit un signe à la bonne qui vint auprèsde lui. Il était vêtuVêtu d’un gilet de drap bleu à petites basques qui flottaient sur seshanches, et d’un pantalon rayé, bleu et blanc. Il, ce garçon avait les cheveux coupés enrond, et : sa figure ressemblait à celle d’un enfant de chœur, tant elle peignait cettecomponction forcée que contractent tous les habitanshabitants d’une maison dévote.¶

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– Mademoiselle Gatienne, savez-vous où sont les livres particuliers depour l’officede la Vierge ? Les dames de la congrégation du Sacré-Cœur font faire ce soir uneprocession dans l’église.¶

Gatienne alla chercher les livres.¶– Y en a-t-il encore pour long-temps, mon petit milicien ?..., demanda le comte.¶– Oh, ! pour une demi-heure au plus.¶– Allons voir ça, il y a de jolies femmes !..., dit le père à son fils ; et d’ailleurs cela.

D’ailleurs, une visite à la cathédrale ne peut pas nous nuire de nous trouver là....¶Le jeune avocat suivit son père d’un air irrésolu.¶– Qu’as-tu donc ?... lui demanda le comte.¶– J’ai, mon père ;, j’ai... que j’ai raison.¶ – Tu n’as encore rien dit.¶– Oui, mais j’ai pensé que vous avez vingtconservé dix mille livres de rente. Vous

de votre ancienne fortune, vous me les laisserez le plus tard possible, je le désire. – Mais, ;mais si vous me donnez deux cent mille francs pour faire un sot mariage, vous mepermettrez de ne vous en demander que centcinquante mille, pour éviter un malheur, etjouir, tout en restant garçon, d’une fortune égale à celle que pourrait m’apporter votredemoiselle Bontems.¶

– Es-tu fou ?...¶?¶– Non, mon père. Voici le fait : le . Le Grand-Juge m’a promis avant-hier une place

au parquet de dixParis. Cinquante mille francs. Vos cent mille livres, jointes, joints à ce queje possède et aux appointements de ma place, me feront un revenu de vingtdouze millefrancs, et j’aurai à Paris. J’aurai, certes alors, des chances de fortune mille fois préférables àtoutes celles que peut offrir d’une alliance aussi pauvre de bonheur qu’elle est riche enbiens.¶

– On voit bien, répondit le père en souriant, que tu n’as pas vécu dans l’ancienrégime ! Tu saurais qu’on ne s’embarrasse jamais d’une femme !¶. Est-ce que noussommes jamais embarrassés d’une femme, nous autres !..¶

– Mais, mon père, aujourd’hui le mariage est devenu.....¶– Ah ! çà, ! dit le comte, en interrompant son fils, tout ce que mes vieux camarades

d’émigration me chantent, est donc bien vrai ?... La révolution nous a donc légué desmœurs sans gaîté ? Elle gaieté, elle a donc empesté les jeunes gens de principeséquivoques !.... Tu parles donc,? Tout comme mon beau-frère le jacobin, tu vas me parlerde nation, de morale publique, de désintéressement ?... Oh !. O mon Dieu ! sans les sœursde l’empereur et ses sœurs, que deviendrions-nous !....¶?¶

Comme le vieux seigneur achevait ces paroles, son fils et lui entrèrent, en riant, sousles voûtes de la cathédrale. Ce vieillard encore vert, que les paysans de ses terres appelaienttoujours le seigneur de Grandville, Granville, acheva ces paroles en entrant sous les voûtesde la cathédrale. Nonobstant la sainteté des lieux, il fredonna même, tout en prenant de l’eaubénite, un air de l’opéra de Rose et Colas, en prenant de l’eau bénite. Il et guida son fils lelong des galeries latérales de la nef, en s’arrêtant à chaque pilier pour examiner dans l’égliseles rangées de têtes qui s’y trouvaient alignées comme le sont des soldats à la parade.¶ L’office particulier du Sacré-Cœur allait commencer. Les dames qui faisaient partie deaffiliées à cette congrégation, étant placées près du chœur, le comte et son fils se dirigèrentvers cette portion de la nef, et s’adossèrent à l’un des piliers les plus obscurs, d’où ilspouvaientpurent apercevoir la masse entière de ces têtes qui faisaient ressembler l’église à

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ressemblaient à une prairie émaillée de fleurs.¶ Tout- à- coup, à deux pas du jeuneGrandvilleGranville, une voix plus douce qu’il ne semblait possible à une créature humainede la posséder, détonna comme le premier rossignol qui chante après l’hiver. Ces accens,accompagnésQuoiqu’accompagnée de mille voix de femmefemmes et fortifiés par les sonsde l’orgue, arrivèrent insensiblement à une clarté si pure, que Grandville en frissonna, carcette voix faisait vibrer trop fortement son oreille et son cœur. Elle remuaitremua ses nerfs,comme s’ils eussent été attaqués par ces les notes trop riches et trop vives qu’on tire ducristal.¶ Ilde l’harmonica. Le parisien se retourna, et vit une jeune personne dont la figureétait, par suite de l’inclination de sa tête, entièrement ensevelie sous un large chapeaud’étoffe blanche, mais il et pensa que d’elle seule venait cette suave claire mélodie. Il ; ilcrut reconnaître Angélique, malgré la pelisse de mérinos brun dont elle était enveloppée, etil qui l’enveloppait, et poussa le bras de son père, qui, regardant alors de ce côté, lui dit àl’oreille :¶.¶

– Oui, ce sontc’est elles !...¶ Puis,, dit le comte après avoir regardé dans la directionque lui indiquait son fils. Le vieux seigneur montra, par un geste, à son fils, le visage pâled’une vieille femme dont les yeux, fortement bordés d’un cercle noir, avaient déjà vu lesétrangers sans que son regard faux eût paru s’être écarté du quitter le livre de prières qu’elletenait.¶ Les parfums pénétrans de l’encens arrivant par nuages jusqu’aux deux femmes,Angélique leva la tête vers l’autel, comme pour les aspirer ; et alors à Angélique leva la têtevers l’autel, comme pour aspirer les parfums pénétrants de l’encens dont les nuagesarrivaient jusqu’aux deux femmes. A la lueur mystérieuse que répandaientrépandue dans cesombre vaisseau, par les cierges, la lampe de la nef et quelques bougies allumées auxpiliers, le jeune homme aperçut alors une figure qui ébranla toutes ses résolutions.¶ Leblanc Un chapeau de moire blanche encadrait exactement un visage d’une admirablerégularité, par l’ovale que décrivait le ruban de satin, noué sous un petit menton à fossette.Sur un front de marbreétroit, mais très-mignon, des cheveux, couleur d’or pâle, seséparaient en deux bandeaux et retombaient autour des joues comme l’ombre d’un feuillagesur une touffe de fleurs. Les deux arcs des sourcils étaient dessinés avec cette correctionque l’on peut remarquer sur les admire dans les belles figures chinoises. Le nezpresqu’aquilin, presque aquilin, possédait une fermeté rare dans ses contours, et les deuxlèvres ressemblaient à deux lignes roses qu’un pinceau délicat aurait tracées avec amour.par un pinceau délicat. Les yeux, d’un bleu pâle, exprimaient la candeur d’un cœur pur.. SiGrandville aperçutGranville remarqua dans ce visage une sorte de rigidité silencieuse sur cecalme visage, il n’en accusa pas la compagne de son enfance, l’attribuant aux sentimensputl’attribuer aux sentiments de dévotion dont qui animaient alors Angélique était alorsanimée.¶ . Les saintes paroles de la prière passaient entre deux rangées de perles ; et comme, d’où le froid permettait de voir s’en échapper sortir comme un nuage de parfums,involontairement. Involontairement le jeune homme essaya de se pencher pour respirer cettehaleine divine. Ce mouvement attira l’attention de la jeune fille, et son regard fixe élevé versl’autel, se tourna sur GrandvilleGranville, que l’obscurité ne lui laissa voirqu’indistinctement, mais en qui elle reconnut le compagnon de son enfance, son prétendu....Elle rougit, et : un souvenir plus puissant que la prière vint donner un éclat surnaturel àsonsou visage., elle rougit. L’avocat tressaillit de joie en voyant les espérances de l’amourvaincre les espérances de l’autre vie vaincues par les espérances de l’amour, et la gloire dusanctuaire éclipsée par un homme.¶ Le des souvenirs terrestres ; mais son triomphe deGrandville eut cependantdura peu de durée.peu : Angélique abaissa son voile, prit une

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contenance calme, puis elle et se remit à chanter sans que le timbre de sa voix accusât laplus légère émotion. Le jeune avocatGranville se trouva sous la tyrannie d’un seul désir, ettoutes ses idées de prudence s’évanouirent. Quand l’office fut terminé, son impatience étaitdéjà devenue si grande, que, sans laisser les deux dames retourner seules chez elles,l’amoureux Grandvilleil vint aussitôt saluer son amie d’enfance.¶ sa petite femme. Unereconnaissance, timide de part et d’autre, se fit sous le porche antique de la cathédrale, enprésence des fidèles. Madame Bontems devint tremblantetrembla d’orgueil en prenant lebras du comte de M. de GrandvilleGranville, qui, forcé de le lui offrir devant tant demonde, sut fort mauvais gré à son fils d’une impatience aussi peu décente.¶ Pendantenviron quinze jours qui s’écoulèrent entre la présentation officielle du jeune vicomte deGrandville,Granville comme prétendu de mademoiselle Angélique Bontems, et le joursolennel de son mariage, il vint assiduementassidûment trouver sa douceson amie dans lesombre parloir, auquel il s’accoutuma. Ses longues visites eurent pour but d’épier lecaractère d’Angélique ;, car la sa prudence de l’avocat s’était heureusement réveillée lelendemain de son entrevue avec . Il surprit presque toujours sa future.¶ Il la surprenaitpresque toujours assise devant une petite table en bois de Sainte-Lucie, et occupée àmarquer elle-même le linge qui devait composer son trousseau. Elle Angélique ne parlajamais la première de religion. Si le jeune avocat se plaisait à jouer avec le riche chapeletcontenu dans un petit sac en velours vert, et s’il contemplait en riant la relique quiaccompagne toujours cet instrument de dévotion, Angélique lui prenait doucement lechapelet des mains en lui jetant un regard suppliant ; puis, et, sans mot dire, elle le remettaitdans le sac qu’elle serrait aussitôt.¶ Si, parfois Granville se hasardait malicieusement,Grandville se hasardait à déclamer contre certaines pratiques de la religion, Angélique luirépondait avec un la jolie normande l’écoutait en lui opposant le sourire bienveillant :¶ –dela conviction. – « Il ne faut rien croire, ou croire tout ce que l’Église enseigne. – , répondait-elle. Voudriez-vous d’une femme qui n’eût pas de pour la mère de vos enfants, d’une fillesans religion ?.... Non. Eh bien, comment puis-je blâmer ce que l’Église admet ? non. Quelhomme oserait être juge entre les incrédules et Dieu qu’elle représente ?...¶ Cette petite voixclaire Dieu ? Eh ! bien, comment puis-je blâmer ce que l’Église admet ? » Angéliquesemblait alors animée par une si onctueuse charité, que le jeune avocat était tenté de croire àce qu’elle croyait en lui voyait tourner sur lui des regards si pénétrés. La , qu’il fut parfoistenté d’embrasser la religion de sa prétendue ; la conviction profonde où elle était demarcher dans le vrai sentier, réveillait dans le jeune cœur de son fiancé, réveilla dans lecœur du futur magistrat des doutes dont elle savait s’emparer. L’amour embellissait ainsi deson prestige tous leurs pas, leurs discours et leurs regards. Angélique semblait heureused’accomplir un devoir en s’abandonnant à l’inclination qu’elle avait eue dès son enfance, etson prétendu était alors trop passionné pour s’apercevoir que si la religion n’avait paspermis à sa compagne de se livrer au sentiment qu’elle éprouvait, il se serait bientôt séchédans son cœur comme une plante arrosée d’un acide mortel.¶ qu’elle essayait d’exploiter.Granville commit alors l’énorme faute de prendre les prestiges du désir pour ceux del’amour. Angélique fut si heureuse de concilier la voix de son cœur et celle du devoir ens’abandonnant à une inclination conçue dès son enfance, que l’avocat trompé ne put savoirlaquelle de ces deux voix était la plus forte. Les jeunes gens ne sont -ils pas tous disposés àse fier aux promesses d’un joli visage : ils concluent, à conclure de la beauté de l’âme parcelle des traits ;? un sentiment indéfinissable les porte à croire que la perfection moraleaccompagneconcorde toujours à la perfection physique. Telle fut l’histoire des sentimens du

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jeune Grandville, pendant cette quinzaine dévorée comme un livre intéressant dont on attendle dénouement.Si la religion n’eût pas permis à Angélique, de se livrer à ses sentiments, ilsse seraient bientôt séchés dans son cœur comme une plante arrosée d’un acide mortel. Unamoureux aimé pouvait-il reconnaître un fanatisme si bien caché ? Telle fut l’histoire dessentiments du jeune Granville pendant cette quinzaine dévorée comme un livre dont ledénouement intéresse. Angélique attentivement épiée, lui parut être la plus douce de toutesles femmes, et il se surprit même à rendre grâces à madame Bontems, qui, en lui inculquantsi fortement des principes de religionreligieux, l’avait en quelque sorte façonnée aux peinesdu mariage.¶ de la vie. Au jour choisi pour la signature du fatal contrat, madame Bontemsfit sacramentalement promettresolennellement jurer à son gendre de respecter les pratiquesreligieuses de sa fille, de lui donner une entière liberté de conscience, de la laissercommunier, aller à l’église, à confesse, autant qu’elle le voudrait, et de ne jamais lacontrarier dans le choix de ses directeurs.¶ En ce moment solennel, Angélique contemplaitson futur d’un air si pur et si candide, qu’il que Granville n’hésita pas à se lier envers ellepar un prêter le serment. demandé. Un sourire effleura les lèvres d’unde l’abbé Fontanon,homme pâle qui dirigeait les consciences de la maison. Mademoiselle Bontems fit Par unléger mouvement de tête comme pour répondre, mademoiselle Bontems promit à son amiqu’elle n’abuserait de ne jamais abuser de cette promesse.¶ liberté de conscience. Quant auvieux comte, il sifflait tout bas l’air de : va-t-Va-t’en voir s’ils viennent

Jean !.......¶viennent !¶_____¶ ¶

Après quelques jours accordés aux fêtes données à l’occasion de son mariage,Grandville et sa femme, enfermés dans une bonne berline, voyageaient en poste versretours de noce si fameux en province, Granville et sa femme revinrent à Paris, où le jeuneavocat était fut appelé par sa nomination aux fonctions de substitut du procureur-générald’Avocat-Général près la cour impériale de la Seine.¶ Quand les deux époux ycherchèrent un appartement, la petite femmeAngélique employa l’influence qu’elle exerçaitsur son marique la lune de miel prête à toutes les femmes pour le déterminer Granville àprendre un grand appartement situé au rez-de-chaussée d’un hôtel qui faisait le coin de laVieille-Rue-du-Temple et de la rue Neuve-St.-Saint-François. La principale raison qu’elledonna de son affection, choix fut que cette maison était se trouvait à deux pas de la rued’Orléans, où il y avait une église, et voisine d’une petite chapelle, sise rue Saint-Louis.¶– – « Il est d’une bonne ménagère, de faire des provisions, » lui répondit son mari en riant,de faire des provisions !.....¶ Elle remarqua . Angélique lui fit observer avec justesse que lequartier du Marais avoisinaitavoisine le Palais de Justice, et que tous les magistrats qu’ilsvenaient de visiter y demeuraient. Un jardin assez vaste donnait, pour un jeune ménage, duprix à l’appartement, car : les enfansenfants, si le cielCiel leur en envoyait, pourraient yprendre l’air. La , la cour en était spacieuse et, les écuries très-étaient belles. Le substitut quiaurait désiréL’Avocat-Général désirait habiter un hôtel de la Chaussée-d’Antin, où tout estjeune et vivant, où les modes apparaissent dans leur nouveauté, où la population desboulevards est élégante, d’où il y a moins de chemin à faire pour gagner les spectacles ettrouverrencontrer des distractions, ; mais il fut obligé de céder aux patelineries d’une jeunefemme, qui réclamait une première grâce ;, et pour lui complaire, il s’enterra au dans leMarais.¶ Comme les Les fonctions que Grandville avait à remplirde Granvillenécessitèrent, tout d’abord, un travail d’autant plus assidu, qu’il était aussi épineux que futnouveau pour lui, il s’occupa, très-activement et donc avant tout, de l’ameublement de son

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cabinet et de l’emménagement de sa bibliothèque.¶ Il , il s’installa promptement dans unepièce, qui fut bientôt encombrée de dossiers, et laissa sa jeune femme diriger en tout libertéla décoration de la maison. Il était enchanté de jeter Il jeta d’autant plus volontiersAngélique dans l’embarras charmant de ces des premières acquisitions de ménage, sourcede tant de plaisirs et de souvenirs pour les jeunes femmes ; car il se sentait , qu’il futhonteux de la priver de sa présence plus souvent que ne le voulaient les douces lois de lalune de miel.¶ Au bout d’une quinzaine de jours, le substitut, qui s’était promptement mis Une fois au fait de son travail, l’Avocat-Général permit à sa femme de le prendre par lebras, de le tirer hors de son cabinet et de l’emmener pour examinerlui montrer l’effet desameublemensameublements et des décorations qu’il n’avait encore vus qu’en détail et oupar parties. .¶

S’il est vrai, d’après un adage, qu’on peutpuisse juger une maîtresse de maisonfemme en voyant le seuil de la porte de sa maison, les appartemensappartements doivent entraduire l’son esprit avec encore plus de fidélité.¶ Soit que madame de GrandvilleGranvilleeût misaccordé sa confiance en à des tapissiers sans goût, soit qu’elle eût inscrit son proprecaractère dans un ordremonde de choses qui procédât d’elle seule, le substitut fut toutordonné par elle, le jeune magistrat fut surpris de la sécheresse dont son âme se trouvacomme flétrie quand il eut parcouru et de la froide solennité qui régnaient dans sesappartemens.¶ Il appartements : il n’y aperçut rien de gracieux, tout y était discord, et rienn’y ne récréait les yeux. L’esprit de rectitude et de petitesse qui avait présidé au empreintdans le parloir de Bayeux, semblait revivre, revivait dans son hôtel, sous de larges lambriscirculairement creusés et ornés de ces arabesques dont les longs filets contournés sont de simauvais goût.¶ Dans le désir d’excuser sa femme, le jeune homme revint sur ses pas. Il,examina de nouveau la longue antichambre haute d’étage, par laquelle on entrait dansl’appartement. La couleur des boiseries, demandée au peintre par sa femme, était tropsombre, et le velours d’un vert très-foncé, qui couvrait les banquettes, ajoutait au sérieux decette pièce, peu importante, il est vrai ;, mais qui donne toujours l’idée d’une maison, demême qu’on juge l’esprit d’un homme sur sa première visite. Elle phrase. Une antichambreest une espèce de préface qui doit tout annoncer et cependant, mais ne rien promettre. C’estune espèce de préface.¶ Le jeune substitut se demanda quisi sa femme avait pu choisir lalampe à lanterne antique qui se trouvait au milieu de cette salle nue, pavée d’un marbreblanc et noir, et décorée d’un papier qui figuraitoù étaient simulées des assises de pierressillonnées ça et là de mousse verte. UnUn riche mais vieux baromètre élégant était accrochéau milieu d’une des parois, comme pour en mieux faire sentir le vide.¶ A cet aspect, lejeune homme regarda sa femme. Il , il la vit si contente des galons rouges qui bordaient lesrideaux de percale, si contente du baromètre et de la statue décente dont , ornement d’ungrand poêle gothique était orné, qu’il n’eut pas le barbare courage de détruire une illusion sifortement établie chez elle.¶ de si fortes illusions. Au lieu de condamner sa femme,GrandvilleGranville se condamna lui-même. Il , il s’accusa d’avoir manqué à son premierdevoir, qui lui ordonnaitcommandait de guider à Paris les premiers pas d’une jeune filleélevée rue Teinture.¶ Il est facile de deviner parà Bayeux. Sur cet échantillon , qui nedevinerait pas la décoration des autres pièces.¶ ? Que pouvait-on attendre d’une jeunefemme qui prenait l’alarme en voyant les jambes nues d’une cariatide, qui repoussait avecvivacité un candelabrecandélabre, un flambeau, un meuble, dès qu’elle y apercevait la nuditéd’un torse égyptien. ? A cette époque l’école de David étantarrivait à l’apogée de sa gloire,tout se ressentait en France de la correction de son dessin et de son amour pour les formes

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antiques qui faisait fit en quelque sorte de sa peinture une sculpture coloriée. Aucune detoutes les inventions du luxe impérial ne put donc obtenirn’obtint droit de bourgeoisie chezmadame de Grandville.¶ Le grand et Granville. L’immense salon carré de son hôtelconserva le blanc et l’or fanés dont il fut ornéqui l’ornaient au temps de Louis XV. On yvoyait partout des , et où l’architecte avait prodigué les grilles en losanges et cesinsupportables festons dûsdus à la stérile fécondité stérile des crayons de cette époque.¶ Sitout, chez elle, avait été en harmonie ; si Si l’harmonie eût régné du moins, si les meubleseussent fait affecter à l’acajou moderne les formes contournées mises à la mode par le goûtcorrompu de Boucher, sa la maison d’Angélique n’aurait offert que le plaisant contraste dejeunes gens vivant au dix-neuvième siècle comme s’ils eussent appartenu au dix-huitième ;mais une foule de choses y étaient en discord.produisaient des antithèses ridicules. Lesconsoles, les pendules, les flambeaux représentaient ces attributs guerriers dont que lestriomphes de l’Empire rendirent si chers à Paris était comme inondé en ce moment ; et, les .Ces casques grecs, les ces épées romaines croisées, les boucliers dûsdus à l’enthousiasmemilitaire de l’empire et qui décoraient et qui décorèrent alors les meubles les plus pacifiques,ne s’accordaient guères avec les arabesques délicates et prolixes dont arabesques, délices demadame de Pompadour fut charmée.¶ . La dévotion porte à je ne sais quelle humilitéfatigante qui n’exclut pas l’orgueil, et soit. Soit modestie, soit penchant, madame deGrandvilleGranville semblait avoir horreur des couleurs douces et claires. Peut-être aussiavaipensa-t-elle pensé que la pourpre et le brun convenaient à la dignité du magistrat.¶ Mais, au surplus, comment une jeune fille accoutumée à une vie austère, aurait-elle puconcevoir ces voluptueux divans qui donnentinspirent de mauvaises pensées, ces boudoirsélégansélégants et perfides qui où s’ébauchent les péchés ?... Le pauvre substitut étaitmagistrat fut désolé...¶ Au ton d’approbation par lequel il souscrivaitsouscrivit aux élogesque sa femme se donnait elle-même, elle s’aperçut que rien ne plaisait à son mari. Elle ; ellemanifesta tant de chagrin de n’avoir pas réussi, que l’amoureux GrandvilleGranville vit unepreuve d’amour dans cette peine profonde, au lieu d’y voir une blessure d’amourfaite àl’amour-propre. Il pensa qu’uneUne jeune fille subitement arrachée à la médiocrité desidées de province et , inhabile à sentir l’influence d’un art qui lui était inconnu, n’avait puaux coquetteries, à l’élégance de la vie parisienne, pouvait-elle donc mieux faire. Il ? Lemagistrat préféra croire que les choix de sa femme avaient été dominés par les fournisseurs,plutôt que de s’avouer la vérité. Moins amoureux, il auraiteût senti que les marchands, siprompts à deviner l’esprit de leurs chalands, avaient béni le cielCiel de leur avoir envoyéune jeune dévote sans goût, pour les aider à se défairedébarrasser des choses passées demode. Bref, ilIl consola donc sa jolie Normandenormande.¶

– Le bonheur, ma chère Angélique, ne nous vient pas d’un meuble plus ou moinsjoliélégant, il dépend de la douceur, de la complaisance et de l’amour d’une femme.¶

– Mais c’est mon devoir de vous aimer !...., et jamais devoir ne me plaira tant àaccomplir, reprit doucement Angélique ; et, ajouta-t-elle, jamais devoir ne me plaira tant àaccomplir.¶

La nature a mis dans le cœur de la femme un tel désir de plaire, un tel besoind’amour, que, même, chez une jeune dévote, les idées d’avenir et de salut peuventdoiventsuccomber sous les premières joies de l’hyménée ; alors. Aussi, depuis le mois d’avril,époque à laquelle ils s’étaient mariés, jusqu’au commencement de l’hiver, les deux épouxvécurent-ils dans une parfaite union.¶ L’amour et le travail ont la vertu de rendre unhomme assez indifférent aux choses extérieures. M. de Grandville, obligéObligé de passer

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au Palais la moitié de la journée, appelé à débattre les graves intérêts de la vie ou de lafortune des hommes, était moins susceptibleGranville put moins qu’un autre d’apercevoircertaines choses dans l’intérieur de son ménage. Si, le vendredi, sa table se trouvaitexclusivement trouva servie en maigre ; et, si, par hasard, il demandait pourquoi aucun ildemanda sans l’obtenir un plat de viande n’y apparaissait, sa femme, à laquellel’évangilequi l’Évangile interdisait tout mensonge, savait,sut néanmoins par mille de petitesruses, permises dans l’intérêt de la religion, rejeter son dessein prémédité ou sur sonétourderie, ou sur le dénuementdénûment des marchés, et même elle se justifiait au ; elle sejustifia souvent aux dépens du cuisinier qu’elle allaitet alla quelquefois jusqu’à le gronder.¶Ainsi elle faisait faire à son mari son salut incognito, car A cette époque les jeunesmagistrats n’étaient pas à cette époque aussi instruits qu’aujourd’hui des jours maigres, desn’observaient pas comme aujourd’hui les jeûnes, les quatre-temps, et des les veilles de fête.Or, comme M. de Grandville n’apercevait rien de régulier dans le retours ; ainsi Granvillene remarqua point d’abord la périodicité de ces repas servis en maigre, etmaigres que safemme avaiteut d’ailleurs le soin perfide de les rendre très-délicats au moyen de sarcelles,de poules d’eau, de pâtés au poisson, dont les chairs amphibies et ou l’assaisonnementtrompaient le goût ; le substitut. Le magistrat vécut donc très-orthodoxement sans lesavoir.¶ et fit son salut incognito. Les jours ordinaires, il ne savait pasignorait si sa femmeallait ou non à la messe ; et les dimanches, il avait la par une condescendance assez naturellede l’accompagner à l’église ; car il il l’accompagnait à l’église, comme pour lui savaitbeaucoup de grétenir compte de la voir ce qu’elle lui sacrifiersacrifiait quelquefois lesvêpres. ; il ne put tout d’abord reconnaître la rigidité des mœurs de sa femme. Lesspectacles étant insupportables en été à cause des chaleurs, GrandvilleGranville n’eut pasmême l’occasion d’une pièce à succès pour proposer à sa femme de la mener à la comédie,et cette ; ainsi la grave question du théâtre ne fut pas agitée.¶ Enfin, (s’il est permis des’occuper d’un sujet aussi délicat,) dans les premiers momensmoments d’un mariageauquel un homme a été déterminé par la beauté d’une jeune fille, il lui est difficile qu’il semontrede se montrer exigeant dans ses plaisirs. La jeunesse est plus gourmande quefriande, et d’ailleurs la possession seule est un charme. Comment s’apercevrait-on dereconnaîtrait-on la froideur, de la dignité ou de la réserve d’une femme, quand on lui prêtel’exaltation que l’on ressent, quand elle se colore du feu dont on est animé ? Il faut arriver àune certaine tranquillité de jouissanceconjugale pour voir qu’une dévote attend l’amour, lesbras croisés. Grandville se trouvaGranville se crut donc assez heureux, jusqu’au momentoù un événement funeste vint influer sur les destinées de son mariage.¶ Au mois denovembre 18071808, le chanoine de la cathédrale de Bayeux, qui jadis dirigeait lesconsciences de madame Bontems et de sa fille, vint à Paris, amené par l’ambition deparvenir à l’une des cures de la capitale, poste qu’il envisageait peut-être comme le marche-pied d’un évêché. En ressaisissant tout l’empire qu’il avait euson ancien empire sur sonouaille, il frémit de la trouver déjà si changée par l’air de Paris.¶ Madame de Grandville futsaisie de frayeur aux et voulut la ramener dans son froid bercail. Effrayée par lesremontrances de l’ex-chanoine, homme de trente-huit ans environ, qui apportait au milieudu clergé de Paris, si tolérant et si éclairé, cette âpreté du catholicisme de laprovinceprovincial, cette implacable rigidité de maximes et cette inflexible bigoterie dont lesexigences multipliées sont autant de liens qui retiennent puissammentpour les âmestimorées dans une voie bien peu semblable à celle de l’évangile.¶ , madame de Granville fitpénitence et revint à son jansénisme. Il serait fatigant et superflu de peindre avec exactitude

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les divers incidens qui, insensiblement, incidents qui amenèrent insensiblement le malheurau sein de ce ménage. Il , il suffira peut-être de raconter les principaux traits,faits sans lesranger scrupuleusement par époque et par ordre.¶ Cependant, la première mésintelligencede ces jeunes époux fut assez frappante.¶ Quand M. de Grandville menaGranvilleconduisit sa femme dans le monde, elle ne fit aucune difficulté refusa pas d’aller auxréunions graves, aux dîners, aux concerts, aux assemblées des magistrats placés au-dessusde son mari par la hiérarchie judiciaire ; mais elle sut, pendant quelque temps, prétexter desmigraines toutes les fois qu’il s’agissait d’un bal. Un jour Grandville, Granville, impatientéde ces indispositions de commande, supprima la lettre qui annonçait un bal chez unconseiller d’état ; et, trompantConseiller d’État, il trompa sa femme par une invitationverbale, il la mena, un soir queet dans une soirée où sa santé n’avait rien d’équivoque, il laproduisit au milieu d’une fête magnifique.¶

– Ma chère, lui dit-il au retour du bal, en lui voyant un air triste dont il s’offensaquil’offensa, votre condition de femme, le rang que vous occupez dans le monde et la fortunedont vous jouissez, vous imposent des obligations qu’aucune loi divine ne saurait abroger.– N’êtes-vous pas la gloire de votre mari ? Vous devez donc venir au bal quand j’y vais, ety paraître convenablement.¶

– Mais, mon ami, qu’avait donc ma toilette de si malheureux ?¶– Il s’agit de votre air, ma chère. Quand un jeune homme vous parle et vous aborde,

vous devenez si sérieuse, qu’un plaisant pourrait croire que à la fragilité de votre vertu estfragile.. Vous semblez craindre qu’un sourire ne vous compromette. Vous aviez vraimentl’air de prier demander à Dieu pour tous les le pardon des péchés véniels qui pouvaient secommettre, ce soir. autour de vous. Le monde, mon cher ange, n’est pas un couvent. Mais,puisque tu parles de toilette, je t’avouerai que c’est aussi un devoir pour toi de suivre lesmodes et les usages du monde.¶

– Voudriez-vous que je montrasse ma gorge mes formes comme ces femmeseffrontées qui se décolletentdécollètent de manière à laisser plonger des regards impudiquessur leurs épaules nues, sur...¶

– Il y a de la différence, ma chère, dit le substitut en l’interrompant, entre découvrirtout le buste, et donner de la grâce à son corsage !.... Vous avez un triple rang de ruches detulle qui vous enveloppent le cou jusqu’au menton. Il semble que vous ayez sollicité votrecouturière d’ôter toute forme gracieuse à vos blanches épaules et aux contours de votresein, avec autant de soin qu’une coquette en met à obtenir de la sienne des robes quidessinent les formes les plus secrètes. Votre buste est enseveli sous des plis si nombreux,que tout le monde s’en moquait ; et vous se moquait de votre réserve affectée. Voussouffririez si je vous rapportaisrépétais les discours saugrenus que l’on a tenus sur vous.¶

– Ceux à qui ces obscénités plaisent ne seront pas chargés du poids de nosfautes !... dit , répondit sèchement la jeune femme d’une manière sentencieuse.¶

– Vous n’avez pas dansé ?..., demanda Grandville.¶Granville.¶– Je ne danserai jamais !..., répliqua-t-elle.¶– Si je vous disais que vous devez danser ?..., reprit vivement le magistrat, et . Oui,

vous devez suivre les modes, porter des fleurs dans vos cheveux, vous faire faire desparures, mettre des diamans...diamants. Songez donc, ma belle, que les gens riches, et nousle sommes, sont obligés d’entretenir le luxe dans un état. – Il ! Ne vaut-il pas mieux faire

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prospérer les manufactures que de répandre son argent en aumônes par des les mainsétrangères.¶du clergé ?¶

– Vous parlez en homme d’état, dit Angélique.¶– Et vous en homme d’église, répondit-il vivement.¶La discussion devint très-aigre. Madame GrandvilleGranville mit, dans ses

réponses, toujours douces et prononcées d’un même son de voix aussi clair que celui d’unesonnette d’église, un entêtement qui annonçait trahissait une influence sacerdotale.¶ Quand,en réclamant ses les droits que lui constituait la promesse de Granville, elle prononçadit queson confesseur lui avait défendait spécialement défendu d’aller au bal, le magistrat essayade lui prouver que ce prêtre outrepassait les règlemensrèglements de l’Église.¶ Cettedispute odieuse, théologique, fut renouvelée avec beaucoup plus de violence et d’aigreur depart et d’autre, quand M. de GrandvilleGranville voulut mener sa femme au spectacle.Enfin, le magistrat, dans le seul but de battre en brèche la pernicieuse influence que exercéesur sa femme par l’ex-chanoine exerçait sur sa femme, engagea la querelle de manière à ceque madame de Grandville, défiée par luiGranville mise au défi, écrivit en cour de Rome,sur la question de savoir si une femme pouvait, sans compromettre son salut, se décolleter,aller au bal et au spectacle, pour complaire à son mari.¶ La réponse du vénérable Pie VII nese fit pas long-temps attendre. Elle tarda pas, elle condamnait hautement la résistance de lafemme, et blâmait le confesseur, et cette . Cette lettre, véritable catéchisme conjugal,semblait avoir été dictée par la voix tendre de Fénelon dont elle respirait la grâce et ladouceur.¶ y respiraient. « Une femme est bien partout où elle se trouve quand elle estconduite parla conduit son époux. Si elle commet des péchés, par son ordre, ce ne sera pasà elle à en répondre un jour. »¶ » Ces deux passages de l’homélie du Pape, pape le firentaccuser d’irréligion par madame de Grandville et Granville et par son confesseur. Maisavant que le bref n’arrivât, le substitut s’était aperçus’aperçut de la stricte observance deslois ecclésiastiques que sa femme lui faisait garder imposait les jours maigres. Il , et ilordonna à ses gens de lui servir du gras pendant toute l’année ; et, tel. Quelque déplaisirque cet ordre causât à sa femme, M. de GrandvilleGranville, qui du gras et du maigre sesouciait fort peu de faire gras ou maigre, le maintint avec une fermeté virile.¶ En effet lamoindre La plus faible créature vivante et pensante estn’est-elle pas blessée dans ce qu’ellea de plus cher, quand elle accomplit, par l’instigation d’une autre volonté que la sienne, unechose qu’elle était eût naturellement portée à exécuter.faite. De toutes les tyrannies, la plusodieuse est celle qui ôte perpétuellement à une l’âme le mérite de ses actions et de sespensées. On : on abdique sans avoir régné. La parole la plus douce à prononcer, lesentiment le plus doux à exprimer, expirent quand nous les croyons commandés, et plutôtque de renoncer à sa volonté on se jette dans un sentiment contraire ; car entre mourir ou secouper un membre, personne n’hésite.¶ . Bientôt le jeune magistrat devait en arriva àrenoncer à recevoir ses amis, à donner une fête ou un dîner : sa maison semblait s’êtrecouverte d’un crêpe.¶ Une maison dont la maîtresse est dévote prend un aspect toutparticulier. Les domestiques, toujours placés sous la surveillance de la femme, ne sontchoisis que parmi ces personnes soi-disant pieuses qui ont des figures à elles. De mêmeque le garçon le plus jovial, entré une fois dans la gendarmerie, aura le visage gendarme, demême les gens qui s’adonnent aux pratiques de la dévotion contractent un caractère dephysionomie uniforme. L’habitude ; l’habitude de baisser les yeux, de garder une attitudede componction, les revêt d’une livrée hypocrite que les fourbes savent prendre à merveille.Puis, les dévotes forment une sorte de république :, elles se connaissent toutes ; et, les

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domestiques dont elles se servent sont comme une race à part , qu’elles conservent serecommandent les unes aux autres, sont comme une race à part conservée par elles à l’instarde ces amateurs de chevaux qui n’en admettent pas un dans leurs écuries dont l’extrait denaissance ne soit en règle.¶ Alors plus Plus les prétendus impies viennent à examiner unemaison dévote, et plus ils reconnaissent alors que tout y est empreint de je ne sais quelledisgrâce. Ils : ils y trouvent tout à la fois, une apparence d’avarice et ou de mystère commechez les usuriers, et l’cette humidité parfumée d’encens qui règne dans les refroiditl’atmosphère des chapelles. Cette régularité mesquine, cette pauvreté d’idées, que tout trahit,ne s’exprime que par un seul mot, et ce mot est : – est bigoterie. Dans ces sinistres etimplacables maisons, la bigoterie se peint dans les meubles, dans les gravures, dans lestableaux ;: le parler y est bigot ;, le silence, est bigot ; et les figures, sont bigotes. Latransformation des choses et des hommes en bigoterie est un mystère inexplicable, mais lefait est là. Chacun peut avoir observé que les bigots ne marchent pas, ne s’asseyent pas, neparlent pas, comme marchent, s’asseyent et parlent les gens du monde. Chez ; chez eux l’onest gêné ;, chez eux, l’on ne rit pas ;, chez eux, la raideur, la symétrie règnent en tout, depuisle bonnet de la maîtresse de la maison, jusqu’à une pelotte à sa pelote aux épingles. Les ;les regards n’y sont pas francs, les gens y semblent des ombres, et la dame du logis paraîtassise sur un trône de glace.¶ Un matin, le pauvre GrandvilleGranville remarqua avecdouleur et tristesse tous les symptômes de la bigoterie dans sa maison. Il y a,se rencontre depar le monde, certaines sociétés où les mêmes effets existent, sans être produits par lesmêmes causes. L’ennui trace autour de ces maisons malheureuses un cercle d’airain quirenferme l’horreur du désert et l’infini du vide. Alors un Un ménage n’est pas alors untombeau, c’est pis, c’estmais quelque chose de pire, un couvent.¶ Au sein de cette sphèreglaciale, le magistrat considéra sa femme sans passion. Alors : il remarqua avec , non sansune vive peine, l’étroitesse d’idées que trahissait la manière dont les cheveux étaientimplantés sur le front bas et légèrement creusé d’Angélique. Il creusé ; il aperçut dans larégularité si parfaite des traits de son du visage je ne sais quoi d’arrêté et, de rigide qui luirendit bientôt haïssable la feinte douceur par laquelle il avait étéfut séduit. Il devinait qu’unjour ces lèvres minces pourraient lui dire : –, un malheur arrivant : « C’est pour ton bien,mon ami !... quand un malheur arriverait.¶ . » La figure de madame de Grandville avait prisGranville prit une teinte blafarde et, une expression sérieuse qui tuait la joie chez lesautres.ceux qui l’approchaient. Ce changement étaitfut-il opéré par les habitudes ascétiquesd’une dévotion qui n’est pas plus la piété que l’avarice n’est la charité ? Oùl’économie,était-il produit par la sécheresse naturelle de son âme ?... Il aux âmes bigotes ? il seraitdifficile de prononcer. Peut-être sa divine : la beauté était-elle une illusion. En effet,l’imperturbablesans expression est peut-être une imposture. L’imperturbable sourire parlequel elle contractait que la jeune femme fit contracter à son visage en regardantGrandvilleGranville, paraissait être, chez elle, une formule jésuitique de bonheur parlaquelle elle croyait satisfaire à toutes les exigences du mariage. Enfin, ; sa charité blessait,sa beauté sans passion paraissaitsemblait une monstruosité à celui qui la connaissait, et iln’y avait pas jusqu’à la plus douce de ses paroles ceux qui n’impatientât. Elle laconnaissaient, et la plus douce de ses paroles impatientait ; elle n’obéissait pas à dessentimenssentiments, mais à des devoirs.¶ Il y a est des défauts qui, chez une femme,peuvent céder aux leçons fortes données par l’expérience ou par un mari ;, mais rien ne peutcombattre la tyrannie des fausses idées religieuses. Une éternité bienheureuse à conquérir,mise en balance avec un plaisir mondain, triomphe de tout, et fait tout supporter. C’est

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N’est-ce pas l’égoïsme divinisé, c’est le moi par-de-là le tombeau. ? Aussi, le pape fut-ilcondamné auan tribunal de l’infaillible chanoine et de la jeune dévote ; car ne. Ne pas avoirtort est un des sentimenssentiments qui remplacent tous les autres chez ces âmesdespotiques.¶ Depuis quelque temps, il s’était établi un secret combat entre les idées desdeux époux, et le jeune magistrat se fatigua bientôt d’une lutte qui ne devait jamais cesser.Et, en effet, quel Quel homme, quel caractère peut résisterrésiste à la vue d’un visageamoureusement hypocrite, et a une représentationremontrance catégorique opposée auxmoindres volontés. ? Quel parti prendre contre une femme qui se fait une armesert de votrepassion en faveur depour protéger son insensibilité, qui estsemble résolue à rester douce-ment inexorable, qui se prépare à jouer le rôle de victime avec délices, qui et regarde unmari comme un instrument de Dieu, comme un mal dont les atteintes lui éviteront leflagellations lui évitent celles du purgatoire.¶ ? Quelles sont les peintures par lesquelles onpourrait donner l’idée de ces femmes qui font haïr la vertu en outrant les plus douxpréceptes d’une religion que saint Jean résumait par : aimez-vous !...Aimez-vous les uns lesautres. Existait-il dans un magasin de modes, un seul chapeau condamné à rester en étalageou à partir pour les îles, GrandvilleGranville était sûr de voir sa femme s’en parer. S’il ; s’ilse fabriquait une étoffe d’une couleur ou d’un dessin malheureux, elle s’en affublait ; carces . Ces pauvres dévotes sont désespérantes dans leur toilettes ; et le . Le manque de goûtest un des défauts, qui sont inséparables de la fausse dévotion.¶ Ainsi, dans cette intimeexistence qui veut le plus d’expansion, Grandville était Granville fut sans compagne. Il : ilalla seul dans le monde, dans les fêtes, au spectacle ; car rien. Rien chez lui ne sympathisaitavec lui. Un grand crucifix placé entre le lit de sa femme et le sien, était là comme lesymbole de sa destinée. Ne représentait Ne représente-t-il pas une divinité mise à mort, unhomme-dieu tué dans toute la beauté de la vie et de la jeunesse. ? L’ivoire de cette croixn’était pas plus froidavait moins de froideur qu’Angélique crucifiant son mari au nom de lavertu ; car ce. Ce fut entre leurs deux lits séparés, que naquit le malheur. Là Angélique :cette jeune femme ne voyait là que des devoirs dans les plaisirs de l’hyménée ; et là, s’étaitlevée, un soir,. Là, par un mercredi des cendres, se leva l’observance des jeûnes, pâle etlivide figure qui, un certain mercredi des cendres, avait d’une voix brève ordonnéordonnaun carême complet, sans que monsieur de Grandville eût jugéGranville jugeât convenabled’écrire cette fois au pape, afin d’avoir l’avis du consistoire, sur la manière d’observer lecarême, les quatre-temps et les veilles de grande fête.¶ grandes fêtes. Le malheur du jeunemagistrat était fut immense ; car, il ne pouvait même pas se plaindre. Qu’avait, qu’avait-il àdire ?... Il il possédait une femme, jeune, jolie, attachée à ses devoirs, vertueuse, le modèlede toutes les vertus !... Elle elle accouchait chaque année d’un enfant, elle les nourrissaittous elle-même et les élevait dans les meilleurs principes. Elle était La charitable, c’était unAngélique fut promue ange.¶ Les vieilles femmes qui composaient la société au sein delaquelle elle vivait, (car à cette époque, les jeunes dames femmes ne s’étaient pas encoreavisées de se lancer par ton dans la haute dévotion), admiraientadmirèrent toutes ledévouement de madame Grandville et la regardaientde Granville, et la regardèrent, sinoncomme une vierge, au moins comme une martyre. Elles accusaientaccusèrent, non pas lesscrupules de la femme, mais la barbarie procréatrice du mari.¶ Insensiblement M. deGrandville, Granville, accablé de travail, sevré de plaisirs et fatigué du monde où il erraitsolitaire, tomba àvers trente-deux ans dans le plus affreux marasme. La vie lui étaitfutodieuse. Ayant une trop haute idée des obligations que lui imposait sa place, pour donnerl’exemple d’une vie irrégulière, il essaya de s’étourdir par de grands travauxle travail, et

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entreprit alors un grand ouvrage sur le droit. Mais il ne jouit pas long-temps de cettetranquillité monastique sur laquelle il avait cru qu’il lui serait au moins permis de compter.¶Quand sa femmecomptait. Lorsque la divine Angélique le vit déserterdésertant les fêtes dumonde, et travailler et travaillant chez lui avec une sorte de régularité, elle essaya de leconvertir ; car un. Un véritable chagrin pour elle était de savoir à son mari persister dansdes opinions peu chrétiennes. Elle , elle pleurait quelquefois en pensant que si son épouxvenait à périr, il mourrait dans l’impénitence finale, sans que jamais elle pût espérer del’arracher aux flammes éternelles de l’enfer.¶ Alors M. de Grandville fut Granville fut doncen butte aux petites idées, aux raisonnemensraisonnements vides, aux étroites pensées parlesquelleslesquels sa femme, qui croyait avoir remporté une première victoire, voulutessayer d’en obtenir une seconde en le ramenant dans le giron de l’église.l’Église. Ce fut làle dernier coup.¶ Quoi de plus affligeant que ces luttes sourdes, dont on peut toujours sefaire une idée en se figurant un entêtement de dévote aux prises avec la raison éclairée oùl’entêtement des dévotes voulait l’emporter sur la dialectique d’un magistrat. Quel plaisirprendrait-on à ces ? Quoi de plus effrayant à peindre que ces aigres pointilleries auxquellesles gens passionnés préfèrent des coups de poignard. M. de Grandville ? Granville désertasa maison, où tout lui étaitdevenait insupportable. Ses enfans : ses enfants, courbés sous ledespotisme froid de leur mère, n’osaient pas suivre leur père au spectacle, etGrandvilleGranville ne pouvait leur procurer des plaisirs dontaucun plaisir sans leur attirerdes punitions de leur terrible mère savait toujours les punir.¶ . Cet homme si aimant futamené à une indifférence, à un égoïsme pire que la mort. Il sauva du moins ses fils de cetenfer en les mettant de bonne heure au collége, et se réservant le droit de les fairesortir.diriger. Il intervenait rarement entre la mère et les filles ; mais il était résolurésolut deles marier aussitôt qu’elles atteindraient l’âge de nubilité. S’il avaiteût voulu prendre unparti violent, rien ne l’aurait justifié ; et: sa femme, ayant pour elle appuyée par unformidable cortègecortége de douairières, l’eûtl’aurait fait condamner par la terre entière.Alors GrandvilleGranville n’eut donc d’autre ressource que de vivre dans un isolementcomplet. Mais ; mais courbé sous la tyrannie du malheur, ses traits flétris par le chagrin etpar les travaux lui déplaisaient à lui-même, et il redoutait même le sourire des . Enfin, sesliaisons, son commerce avec les femmes du monde, auprès desquelles il désespérait detrouver des consolations, il les redoutait.¶

L’histoire didactique de ce triste ménage, n’offrit, pendant les treizequinze annéesqui s’écoulèrent de 18071806 à 1821, aucune scène digne d’être rapportée.¶ Madame deGrandvilleGranville resta exactement la même du moment où elle perdit le cœur de sonmari, que pendant les jours où elle se disait heureuse. Elle fit des neuvaines pour prier Dieuet les saints de l’éclairer sur les défauts qui avaient dépludéplaisaient à son époux et de luienseigner les moyens de ramener la brebis égarée ; mais plus ses prières avaient de ferveuret , moins GrandvilleGranville paraissait au logis. Depuis cinq ans environ, le magistrat quiavait obtenu, depuis la restauration, l’Avocat-Général, à qui la Restauration donna de hautesfonctions dans le gouvernementla magistrature, s’était logé à l’entresol de son hôtel, pouréviter de vivre avec la comtesse de Grandville.¶ Granville. Chaque matin il se passait unescène qui, s’il faut en croire les médisances du monde, se répète au seinsain de plus d’unménage où elle est produite par certaines incompatibilités d’humeur, par des maladiesmorales ou physiques, ou par des travers qui conduisent bien des mariages aux malheursretracés dans cette histoire.¶ Sur les huit heures du matin, une femme de chambre,ressemblait assez semblable à une religieuse, venait sonner à l’appartement du comte de

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Grandville.Granville. Introduite dans le salon qui précédait le cabinet du magistrat, elleredisait au valet de chambre, et toujours du même ton, le message de la veille.¶ – Madamefait demander à M. monsieur le comte s’il a bien passé la nuit, et s’il lui ferasi elle aura leplaisir de déjeuner avec elle.¶ lui. – Monsieur, répondait le valet- de- chambre, après avoirétéêtre allé parler à son maître, présente ses hommages à madame la comtesse, et la pried’agréer ses excuses. Une ; une affaire importante l’oblige à se rendre au Palais.¶ Uninstant après, la femme- de- chambre se présentait de nouveau et demandait de la part deMadame madame si elle aurait le bonheur de voir M.monsieur le comte avant son départ.¶ – Il est parti !, répondait le valet, tandis que parfois souvent le cabriolet était encore dans lacour.¶ Ce dialogue par ambassadeur, devint un cérémonial quotidien. Le valet- de- chambrede GrandvilleGranville, qui, favori de son maître, causait plus d’une querelle dans leménage par son irréligion et par le relâchement de ses mœurs, se rendait même assezsouvent quelquefois par forme dans le cabinet où son maître n’était pas, et revenait faire lesréponses d’usage.¶ L’épouse affligée guettait quelquefois toujours le retour de son mari, etse mettait sur le perron afin de se trouver sur son passage. Elle arrivait et arriver devant luicomme un remords. La taquinerie vétilleuse qui anime les caractères monastiques, faisait lefond de celui de madame de GrandvilleGranville, qui, alors âgée de trente-cinq ans,paraissait en avoir quarante.¶ Quand Grandville, obligé par le décorum, Granville adressaitla parole à sa femme ou restait à dîner au logis, elle triomphaitheureuse de lui faire subiretimposer sa présence et, ses discours aigres-doux, et l’insupportable ennui de sa sociétébigote. Elle, elle essayait alors de le mettre en faute devant ses gens et ses charitablesamies.¶ La présidence d’une cour royale ayant étéfut offerte au comte de Grandville dont lafamille étaitGranville, en ce moment très-bien en cour, il l’avait refusée en priantpria leministère de le laisser à Paris. Ce refus, dont les raisons étaient inconnues, donna lieunefurent connues que du Garde-des-sceaux, suggéra les plus bizarres conjectures aux intimesamies et au confesseur de la comtesse de faire les plus bizarres conjectures. Grandville avaitprès. Granville, riche de cent mille livres de rente. Il, appartenait à l’une des meilleuresmaisons de la Normandie. Sa ; sa nomination à une présidence était un échelon pour arriverà la pairie. D’où ; d’où venait ce peu d’ambition ? D’oùd’où venait l’abandon de son grandouvrage sur le droit ? D’oùd’où venait cette dissipation qui, depuis près de six années,l’avait rendu étranger à sa maison, à sa famille, à ses travaux, à tout ce qui devait lui êtrecher ?...¶ Le confesseur de la comtesse, qui, pour parvenir à un évêché, comptait autant surl’appui des maisons où il avait accèsrégnait que sur les services rendus à une congrégationdont il étaitde laquelle il fut l’un des plus ardensardents propagateurs, se trouva désappointépar le refus de Grandville.¶ Il se prit à dire, sous la forme de Granville et tâcha de lecalomnier par des suppositions, que, : si M.monsieur le comte avait tant de répugnance àvenir en pour la province, c’était peut-être à causes’effrayait-il de la nécessité où il serait d’ymener une conduite régulière ; que, obligé? forcé de donner l’exemple des bonnes mœurs, ilserait contraint d’y vivrevivrait avec la comtesse, de laquelle une passion illicite pouvaitseule l’éloigner ; et qu’il fallait être ? une femme aussi pure que l’était madame deGrandville pour se refuser à reconnaître les dérangemensmadame de Granvillereconnaîtrait-elle jamais les dérangements survenus dans la conduite de son mari...¶ ?... Lesbonnes amies trouvèrent ces suppositions si lucides qu’elles les transformèrent en vérités.¶Madame de Grandville ces paroles qui malheureusement n’étaient pas des hypothèses, etmadame de Granville fut frappée comme d’un coup de foudre. N’ayant aucune idéeSansidées sur les mœurs du grand monde ni de ses mœurs, de, ignorant l’amour, ni de et ses

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folies, elle n’avait jamais penséAngélique était si loin de penser que le mariage pûtcomporter des incidens différensincidents différents de ceux qui avaient eu lieu entre elle etGrandville. Elle croyait son marilui aliénèrent le cœur de Granville qu’elle le crut incapablede ce qu’elle considérait comme un crime ; et quand ilfautes qui pour toutes les femmessont des crimes. Quand le comte ne réclama plus rien d’elle, elle avait imaginé que le calmedont il paraissait jouir était dans la nature. Enfin ; enfin, comme elle lui avait donné tout ceque son cœur pouvait renfermer d’affection pour un homme, et que les conjectures de sonconfesseur ruinaient complétement les illusions dont elle s’était nourrie jusqu’en cemoment, elle prit la défense de son mari et voulut le justifier aux yeux des autres, mais sanspouvoir détruire le un soupçon qui venait de se glissersi habilement glissé dans son âme.Ces appréhensions causèrent de tels ravages dans sa faible tête qu’elle en tomba malade.¶Elle , et devint la proie d’une fièvre lente, et comme ces événemens se passèrent. Cesévénements se passaient pendant le carême de l’année 1822, et qu’elle ne voulut pasconsentir à cesser ses austérités, elleet arriva par degrèslentement à un état de consomptionqui fit trembler pour ses jours. Les regards indifférens de M. de Grandvilleindifférents deGranville la tuaient. Les soins et les attentions qu’il avait pour elledu magistratressemblaient à ceux qu’un neveu s’efforce de prodiguer au à un vieil oncle dont il doithériter.¶ . Quoique la comtesse, ayant eût renoncé à son système de taquinerie et deremontrances, et qu’elle essayât d’accueillir son mari par de douces paroles, elle ne pouvaitlui cacher entièrement ses véritables pensées,l’aigreur de la dévote perçait et détruisaitsouvent par un mot le bon effet produit par un autre.¶ l’ouvrage d’une semaine. Vers la findu mois de mai, les chaudes- haleines du printemps et, un régime plus nourrissant ayantrestituéque celui du carême rendirent quelques forces à madame de Grandville, elle vintunGranville. Un matin, au retour de la messe, elle vint s’asseoir dans son petit jardin, surun banc de pierre. En recevant où les caresses du soleil, elle pensait à toute lui rappelèrentles premiers jours de son mariage, elle embrassa sa vie qu’elle embrassait d’un coup- d’œilafin de voir en quoi elle avait manquépu manquer à ses devoirs de mère et d’épouse, quandson confesseur. L’abbé Fontanon apparut alors dans une agitation difficile à décrire.¶

– Vous serait-il arrivé quelque malheur, mon père ?..., lui demanda-t-elle avec unefiliale sollicitude toute filiale.¶

– Ah ! je voudrais, répondit le prêtre normand, que toutes les infortunes dont vousafflige la main de Dieu vous afflige me fussent départies !... Mais; mais, ma respectableamie, ce sont c’est des épreuves auxquelles il faut savoir vous soumettre.¶

– Eh, ! peut-il m’arriver des châtimenschâtiments plus grands que ceux dontparlesquels sa providence m’accable en se servant de mon mari comme d’un instrument decolère.¶ ?¶

– Préparez-vous, ma fille, à plus de mal encore que nous n’en supposions jadis avecvos pieuses amies.¶

– Alors, je Je dois alors remercier Dieu, répondit la comtesse, de ce qu’il daigne seservir de vous pour me transmettre ses volontés ;, plaçant ainsi, comme toujours, les trésorsde sa miséricorde auprès des fléaux de sa colère, comme jadis en bannissant Agar ilbannissait Agar et lui découvrait une source dans le désert.¶ – Il a mesuré vos peines à laforce de votre résignation et au poids de vos fautes.¶

– Parlez, je suis prête à tout entendre.¶ A ces mots, la comtesse leva les yeux auciel, et ajouta :¶ – : Parlez, M.monsieur Fontanon !...¶

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– Depuis sept ans, M. de Grandvillemonsieur Granville commet le péché d’adultèreavec une concubine.¶ – Oh ciel !¶ – Il en de laquelle il a deux enfans. Ilenfants, et il adissipé pour ce ménage adultérin plus de cinq cent mille francs qui devaientdevraientappartenir à sa famille légitime.¶

– Il faudrait que je le visse de mes propres yeux !..., dit la comtesse.¶– Gardez-vous-en bien !, s’écria l’abbé, vous. Vous devez pardonner, ma fille ; , et

attendre, dans la prière, que Dieu éclaire votre époux ;, à moins d’employer, contre lui, lesmoyens que vous offrent les lois humaines...¶

La longue conversation que l’abbé Fontanon eut alors avec sa pénitente produisit unchangement violent dans la personne de la comtesse. Elle ; elle le congédia, et reparut chezelle,se montra la figure presque colorée. Elle allait et venait avec une à ses gens qui furenteffrayés de son activité inaccoutumée. Elle de folle : elle commanda d’atteler ses chevaux,ordre qu’elle donnait rarement. Elle les décommanda, elle changea d’avis vingt fois dans lamême heure ; mais enfin, comme si elle prenaiteût pris une grande résolution, elle partit surles trois heures, laissant tout son monde étonné de la sa maison étonnée d’une si subiterévolution qui s’était si subitement faite en elle.¶

– Monsieur doit-il revenir dîner ?..., avait-elle demandé au valet de chambre auquelà qui elle ne parlait jamais ?¶.¶

– Non, madame...¶– L’avez-vous conduit au palaisPalais ce matin ?...¶?¶– Oui, madame...¶– N’est-ce pas aujourd’hui lundi ?...¶?¶– Oui, madame...¶– Je croyais qu’il n’y avait pas de palais le lundi !...¶ – On va donc maintenant au

Palais le lundi.¶– Que le diable t’emporte !... s’écria le valet en voyant partir sa maîtresse qui dit au

cocher : rue Taitbout.¶¶

___________¶ ¶

Mademoiselle de Bellefeuille était en deuil et pleurait. Auprès ; auprès d’elle,EugèneRoger tenait une des mains de son amie entre les siennes, gardait le silence, etregardait tour à tour soit le petit Charles qui ne comprenant rien au deuil de sa mère et nerestait muet que parce qu’ilen la voyaitvoyant pleurer, soit et le berceau où dormait Eugénie,soit et le visage de Caroline sur lequel la tristesse ressemblait à une pluie tombant à traversles rayons d’un joyeux soleil.¶ – EhEh ! bien, oui, mon ange, dit EugèneRoger après unlong silence ;, voilà le grand secret, je suis marié à un autre.... Mais un jour, je l’espère,nous ne ferons qu’une même famille. Ma femme est depuis le mois de mars dans un étatdésespéré. Je : je ne souhaite pas sa mort ; mais, s’il plaît à Dieu de l’appeler à lui, je croisqu’elle sera plus heureuse dans le paradis qu’au milieu d’un monde dont elle ne comprendni les peines ni les plaisirs ne l’affectent.¶

– Oh que– Combien je hais cette femme !... Comment a-t-elle pu te rendremalheureux ?... Cependant c’est à ce malheur que je dois ma félicité !...¶

Ses larmes se séchèrent tout à coup.¶

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– Caroline, espérons !..., s’écria EugèneRoger en prenant un baiser. Neconçoist’effraie pas de crainte dece qu’a pu dire cet abbé. C’est leQuoique ce confesseur dema femme, il est vrai ; mais soit un homme redoutable par son influence dans laCongrégation, s’il essayait de troubler notre bonheur, je saurais prendre un parti....¶

– Que ferais-tu ?¶– Nous irions en Italie, je fuirais...¶Un cri retentit, jeté dans le salon voisin, il fit à la fois frissonner le comte de

GrandvilleRoger et trembler mademoiselle de Bellefeuille. Ils qui se précipitèrent dans lesalon où ils et y trouvèrent la comtesse évanouie.¶ Quand ellemadame de Granville repritses sens, elle jeta un profond soupirsoupira profondément en se voyant entre son mari lecomte et sa rivale. Elle qu’elle repoussa par un geste involontaire plein de mépris le bras decette dernière qui se .¶

Mademoiselle de Bellefeuille se leva pour se retirer.¶– Vous êtes chez vous, mademoiselle !madame, restez, dit GrandvilleGranville en

arrêtant sa maîtresseCaroline par le bras.¶Puis saisissantLe magistrat saisit sa femme mourante, il la porta jusqu’à sa voiture,

et y monta auprès d’elle.¶– Qui donc a pu vous amener à désirer ma mort, à me fuir ?..., demanda la comtesse

d’une voix faible en contemplant son mari avec autant d’indignation que de douleur.– N’étais-je pas jeune ?, vous m’avez trouvée belle !... Qu’avez, qu’avez-vous à mereprocher... ? Vous ai-je trompé ? N’ai, n’ai-je pas été une épouse vertueuse et sage ? Moncœur n’a conservé que votre image ;, mes oreilles n’ont entendu que votre voix !. A queldevoir ai-je manqué ?... Que , que vous ai-je refusé ?...¶?¶

– Le bonheur !..., répondit le comte d’une voix ferme . Vous le magistrat. Voussavez, madame, qu’il y a il est deux manières de servir Dieu. Certains chrétiens s’imaginentqu’en entrant à des heures fixes dans une église pour y dire des paterPater noster, qu’en yentendant régulièrement la messe et en s’abstenant de tout péché, ils gagneront le ciel... ;ceux-là, madame, vont en enfer ; car, ils n’ont point aimé Dieu pour lui-même, ils ne l’ontpoint adoré comme il veut l’être, ils ne lui ont fait aucun sacrifice. Ils sont Quoique doux enapparence et , ils sont durs à leur prochain. Ils ; ils voient la règle, la lettre, et non l’esprit.Voilà comment comme vous en avez agi avec votre époux terrestre.¶ Vous avez sacrifiémon bonheur à votre salut. Vous , vous étiez en prières quand j’arrivais à vous le cœurjoyeux ;, vous pleuriez quand vous deviez m’égayer ;égayer mes travaux, vous n’avez susatisfaire à aucune exigence de mes plaisirs...¶

– Et s’ils étaient criminels ?..., s’écria la comtesse avec feu, fallait-il donc perdremon âme pour vous plaire !¶?¶

– C’eût été un sacrifice... dit froidement Grandville, qu’une autre plus aimante a eule courage de me faire !.., dit froidement Granville.¶

La comtesse se tordit les mains.¶ – O mon Dieu !, s’écria-t-elle en pleurant, tul’entends... ! Était-il digne des prières et des austérités au milieu desquelles je me suisconsumée pour racheter ses fautes et les miennes !...? A quoi sert la vertu ?¶

– A gagner le ciel, ma chère !. On ne peut être à la fois l’épouse d’un homme etcelle de Jésus-Christ ;, il y aurait bigamie ; et,: il faut savoir opter entre un mari et uncouvent. Vous avez dépouillé votre âme, au profit de l’avenir, de tout l’amour, de tout le

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dévouement que Dieu y avait misvous ordonnait d’avoir pour moi, et vous n’avez gardé aumonde que des sentimenssentiments de haine...¶

–Je ne Ne vous ai -je donc point aimé ?..., demanda-t-elle.¶– Non, madame.¶– Qu’est-ce donc que l’amour ?..., demanda involontairement la comtesse.¶– L’amour, ma chère !..., répondit GrandvilleGranville avec une sorte de surprise

ironique. Vous , vous n’êtes pas en état de le comprendre. Le ciel froid de la Normandie nepeut pas être celui de l’Espagne : voilà toute votre histoire.. Sans doute la question desclimats est le secret de notre malheur. Se plier à nos caprices, les deviner, trouver desplaisirs dans une douleur, nous sacrifier l’opinion du monde, l’amour-propre, la religionmême, et ne regarder ces offrandes que comme des grains d’encens brûlés en l’honneur del’idole !... Voilà , voilà l’amour...¶

– Des L’amour des filles de l’opéra !..., dit la comtesse avec horreur. De tels feuxdoivent être peu durables, et ne vous laisser bientôt que des cendres ou des charbons, desregrets ou du désespoir.¶ Une épouse, monsieur, doit vous offrir, à mon sens, une amitiévraie, une chaleur égale... elle a une dignité à conserver, et...¶

– Vous parlez de chaleur comme les nègres parlent de la glace !..., répondit le comteavec un sourire sardonique. Songez que la plus humble de toutes les pâquerettes est plusséduisante que la plus orgueilleuse et la plus brillante des épines-roses qui nous attirent auprintemps par leurs pénétranspénétrants parfums et leurs vives couleurs...¶ Du resteD’ailleurs, ajouta-t-il, je vous rends justice. Vous vous êtes si bien tenue dans la ligne dudevoir apparent prescrit par la loi, que, pour vous démontrer en quoi vous avez failli à monégard, il faudrait entrer dans certains détails que votre réserve dignité ne saurait supporter,et vous instruire de choses qui vous sembleraient le renversement de toute morale.¶

– Vous osez parler de morale, s’écria la comtesse que les réticences de son marirendirent furieuse ; en sortant de la maison où vous avezallez dissipé la fortune de vosenfans... où..enfants, dans un lieu de débauche, s’écria la comtesse que les réticences de sonmari rendirent furieuse.¶

– Madame, je vous arrête là..., dit le comte avec sang-froid en interrompant safemme. Si mademoiselle de Bellefeuille est riche, elle ne l’est aux dépens de personne.MonMou oncle était maître de sa fortune et , il avait plusieurs héritiers. Or, ; de son vivant,et par pure amitié pour celle qu’il considérait comme une nièce, il lui a donné sa terre deBellefeuille. Quant au reste, je le tiens de ses libéralités...¶

– C’était– Cette conduite est digne d’un jacobin !..., s’écria la pieuse Angélique.¶– Madame, vous oubliez que votre père fut un de ces jacobins que vous, femme,

condamnez avec si peu de charité !..., dit sévèrement le comte. Mais leLe citoyen Bontems,ajouta-t-il, a signé des arrêts de mort tandis que dans le temps où mon oncle n’a rendu quedes services à la France.¶

Madame de GrandvilleGranville se tut. Mais, après un moment de silence, lesouvenir de ce qu’elle venait de voir réveillant dans son âme une jalousie que rien ne sauraitéteindre dans le cœur d’une femme, elle dit à voix basse et comme si elle se parlait à elle-même :¶ : – Peut-on perdre ainsi son âme et celle des autres !...¶!¶

– Eh, ! madame, reprit le comte fatigué de cette conversation, c’est peut-être est-cevous qui répondrez un jour de tout ceci !...¶ . Cette parole fit trembler la comtesse.¶ – Vousserez sans doute excusée aux yeux du juge indulgent qui appréciera nos fautes, dit-il, par la

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bonne foi avec laquelle vous avez accompli mon malheur. Je ne vous hais point, je hais lesgens qui ont faussé votre cœur et votre raison. Vous avez prié pour moi, commemademoiselle de Bellefeuille m’a donné son cœur et m’a comblé d’amour. Il fallait quevous fissiez l’un et l’autre. Il fallaitVous deviez être tour à tour et ma maîtresse et la saintepriant au pied des autels. Vous devez me rendre la Rendez-moi cette justice d’avouer que jene suis ni pervers, ni débauché. Mes mœurs sont pures, et ce n’est qu’. Hélas ! au bout desept années de douleur que, le besoin d’être heureux m’a, par une pente insensible,amenéconduit à aimer une autre femme que vous, à me créer une autre famille que lamienne. Du reste, neNe croyez pas d’ailleurs que je sois le seul ?... Il: il existe dans cetteville des milliers de maris qui amenés tous ont été conduits par des causes diverses à cettedouble existence.¶

– Grand dieu !...Dieu ! s’écria la comtesse, quecombien ma croix est devenuelourde à porter !.... Si l’époux que tu m’as donnéimposé dans ta colère ne peut trouver ici -bas de félicité que par ma mort, rappelle-moi dans ton sein ?...¶

– Si vous aviez eu toujours d’ausde si admirables sentimenssentiments et cedévouement, nous serions encore heureux !, dit froidement le comte.¶

– HéEh bien, ! reprit Angélique en versant un torrent de larmes, pardonnez-moi sij’ai pu commettre des fautes ! Ouioui, monsieur, je suis prête à vous obéir en tout, certaineque vous ne désirerez rien que de juste et de naturel. Je : je serai désormais tout ce quevous voulezvoudrez que soit une épouse !...¶

– Madame, si votre intention est de me faire dire que je ne vous aime plus, j’aurail’affreux courage de vous éclairer. Puis-je commander à mon cœur ?, puis-je effacer en uninstant les souvenirs de quinze années de douleur ? – Je n’aime plus ! ces. Ces parolesenferment un mystère tout aussi profond que celui contenu dans le mot : – mot j’aime.L’estime, la considération, les égards, s’obtiennent, disparaissent, reviennent ; mais quant àl’amour, je me prêcherais mille ans, que je ne le ferais pas renaître.., surtout pour unefemme qui s’est vieillie à plaisir.¶

– Ah ! M.monsieur le comte, je désire bien sincèrement que ces paroles ne voussoient pas prononcées un jour par celle que vous aimez, avec le ton et l’accent que vous ymettez...¶

– Voulez-vous porter ce soir une robe à la grecque et venir à l’Opéra ?¶A Le frisson que cette demande, causa soudain à la comtesse frissonna

involontairement.¶ ¶ CONCLUSION.¶ ¶ fut une muette réponse. Dans les premiers joursdu mois de décembre 18291833, un homme dont les cheveux entièrement blanchis et laphysionomie semblaient annoncer qu’il avait subi plus de était plutôt vieilli par les chagrinsque d’hiverspar les années, car il ne paraissait guères avoir plus de cinquante-huitenvironsoixante ans, passait à minuit environ par la rue de Gaillon.¶ Arrivé devant une maison depeu d’apparence et qui n’avait que haute de deux étages, il s’arrêta pour y examiner une desfenêtres élevées en mansarde à des distances égales au milieu de la toiture. Une faible lueurcolorait à peine cette humble croisée dont quelques-uns des carreaux avaient été remplacéspar du papier.¶ Le passant regardait cette clarté vacillante et jaunâtre avec l’indéfinissablecuriosité des flaneursflâneurs parisiens, quand lorsqu’un jeune homme sortit tout- à- coupde la maison. Comme les pâles rayons du réverbère frappaient la figure du curieux, il neparaîtra pas étonnant que, malgré la nuit, le jeune homme se soit avancés’avançât vers le

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passant avec ces précautions dont on use à Paris quand on craint de se tromper enrencontrant une personne de connaissance.¶

– HéHé ! quoi !, s’écria-t-il, c’est vous, M.monsieur le comte !...président, seul, àpied, à cette heure, et si loin de la rue St.Saint-Lazare... ! Permettez-moi d’avoir l’honneurde vous offrir le bras. Le pavé, ce soir, ou pour mieux dire, ce matin, est si glissant que... sinous ne nous soutenions pas l’un l’autre, dit-il, afin de ménager l’amour-propre duvieillard, il nous serait bien difficile d’éviter une chute...¶

– Mais, mon cher monsieur, je n’ai encore que cinquante cinq ans !,malheureusement pour moi, répondit le comte de Grandville ; et unGranville. Un médecin,promis comme aussi célèbre que vous à une haute célébritél’êtes, doit savoir qu’à cet âge,un homme est dans toute sa force...¶

– Alors vous Vous êtes donc alors en bonne fortune ?..., reprit le médecin, car vousHorace Bianchon. Vous n’avez pas, je pense, l’habitude d’aller à pied dans Paris. Quandon a d’aussi beaux chevaux que les vôtres...¶

– Mais, la plupart du temps, répondit M. de Grandvillele comte Granville, quand jene vais pas dans le monde, je reviens du Palais-Royal ou de chez M. de Livry,du cercle desÉtrangers à pied...¶

– Et en portant sans doute sur vous de fortes sommes !..., s’écria le médecin ; maisc’est docteur. N’est-ce pas appeler le poignard des assassins...¶

– Je ne crains pas ceux-là !..., répliqua le comte de GrandvilleGranville d’un airtriste et insouciant.¶

– Mais au du moins l’on ne s’arrête pas..., reprit le médecin en en- traînant l’ancienle magistrat vers le boulevard ; encore. Encore un peu, je croirais que vous voulez me volervotre dernière maladie et mourir d’une autre main que de la mienne ?...¶

– Ah ! vous m’avez surpris faisant de l’espionnage !..., répondit le comte. Soit queje passe à pied ou en voiture et à telle heure que ce puisse être de la nuit, j’aperçois, depuisquelque temps, à une fenêtre du troisième étage de la maison d’où vous sortez, l’ombred’une personne qui paraît travailler avec un courage héroïque...¶ A ces mots le comte fitune pause, comme s’il eût senti unequelque douleur soudaine.¶ – J’ai pris pour ce grenier,continua-t-il promptementdit-il en continuant, autant d’intérêt qu’un bourgeois de Paris peuten porter à l’achèvement du Palais-Royal...¶

– HéHé ! bien, s’écria vivement le jeune hommeHorace en interrompant le comte, jepuis vous...¶

– Ne me dites rien !..., répliqua Grandville,Granville en coupant la parole à sonmédecin. Je ne donnerais pas un centime pour apprendre si l’ombre qui s’agite sur cesrideaux troués est celle d’un homme on d’une femme, et si l’habitant de ce grenier estheureux ou malheureux ! Si j’ai été surpris de ne plus voir personne travaillertravaillant cesoir, si je me suis arrêté, c’était uniquement pour avoir le plaisir de former des conjecturesaussi nombreuses et aussi niaises que toutesle sont celles que les flaneursflâneurs forment àl’aspect d’une construction subitement abandonnée... Depuis deux neuf ans, mon jeune...¶ Le comte parut hésiter à employer une expression ; mais il fit un geste et s’écria :¶ : – Non,je ne vous appellerai pas mon ami !... car, je déteste tout ce qui peut ressembler à unsentiment !. Depuis deux neuf ans donc, je ne m’étonne plus que les vieillards se plaisenttant à cultiver des fleurs, à planter des arbres... Les événemens ; les événements de la vieleur ont appris à ne plus croire aux affections humaines... ; et..., en peu de tempsjours, je

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suis devenu vieillard. Je ne veux plus m’attacher qu’à des animaux qui ne raisonnent pas, àdes plantes, enfin à tout ce qui est extérieur ; enfin je n’aime que les surfaces.. Je fais plusde cas des mouvemens de mademoiselle mouvements de la Taglioni que de tous lessentimenssentiments humains. – J’abhorre la vie et un monde où je suis seul. Rien, rien !...,ajouta le comte avec une expression qui fit tressaillir le jeune homme, non, rien ne m’émeutet rien ne m’intéresse !...¶

– Vous avez des enfans !...¶enfants ?¶– Mes enfans ?...enfants ! reprit-il avec un singulier accent d’amertume. Eh bien,

mes filles ne sont-elles pas toutes richement mariées ?... Elles aiment leurs maris et en sontaimées. Elles ont leurs ménages et doivent penser à leurs enfans et à mes gendres avanttout. – Eh ! bien, l’aînée de mes deux filles n’est-elle pas comtesse de Vandenesse ? Quantà l’autre, le mariage de son aînée lui prépare une belle alliance. Quant à mes deux fils... Ilsont tous , n’ont-ils pas très-bien réussi. – L’aîné sera même l’honneur de la magistrature ;mais ils ? le vicomte de Procureur-Général à Limoges, a passé premier président à Orléans,et le cadet est ici, procureur du Roi. Mes enfants ont leurs soins, leurs inquiétudes, leursaffaires... Si de tousparmi ces cœurs-là, il s’en était trouvé, un seul, qui se fût entièrementconsacré à moi, quis’il eût essayé, par son sou affection de me faire oublier toutcombler levide que je sens là !..., dit-il, en frappant sur son sein ;, eheh ! bien !, celui-là aurait manquésa vie, il me l’aurait sacrifiée. – Et pourquoi, après tout ? – Pour pour embellir quelquesannées qui me restent. – Y , y serait-il parvenu ? – N’aurais, n’aurais-je pas, peut-être,regardé ses soins généreux comme une dette ? mais, – et iciMais... Ici le vieillard se prit àsourire avec une profonde ironie, mais, monsieur. Mais, docteur, ce n’est pas en vain quenous leur apprenons l’arithmétique ! Et... – , et ils savent calculer... En ce moment, ilsattendent peut-être ma succession !¶.¶

– Oh ! monsieur le comte, comment cette idée peut-elle vous venir à vous, à vous sibon, si obligeant, si humain !? En vérité, si je n’étais pas moi-même une preuve vivante decette bienfaisance que vous concevez si belle et si large...¶

– Pour mon plaisir !..., reprit vivement le comte. Je payepaie une sensation commeje payeraispaierais demain d’un monceau d’or la plus puérile de toutes les des illusions, sielle pouvait qui me remuerremuait le cœur. Je secours mes semblables pour moi, et par lamême raison que je vais au jeu... Mais je ne compte ; aussi ne compté-je sur lareconnaissance de personne ; vous. Vous-même, je vous verrais mourir sans sourciller, etje vous demande le même sentiment pour moi. – Ah, ! jeune homme !..., lesévénemensévénements de la vie ont passé sur mon cœur comme les laves du Vésuve surHerculanum. La : la ville existe – , morte !...¶

– Ceux qui ont amené à ce point d’insensibilité, une âme aussi chaleureuse et aussivivante que l’était la vôtre, sont bien coupables...¶

– N’ajoutez pas un mot !..., reprit le comte avec un sentiment d’horreur.¶– Vous avez une maladie, dit le jeune médecin d’un son de voix plein d’émotion,

que vous devriez me permettre de guérir, dit Bianchon d’un son de voix plein d’émotion.¶– Mais connaissez-vous donc un remède à la mort... ? s’écria le comte impatienté.¶– HéHé ! bien, monsieur le comte, je gage ranimer ce cœur que vous croyez si

froid...¶– Valez-vous Talma ? demanda ironiquement Grandville.¶le premier président.¶

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– Non, monsieur le comte. Mais la nature est aussi supérieure à ce qu’était Talma,que Talma pouvait l’être à moi.m’être supérieur. Écoutez, le grenier qui vous intéresse esthabité par une femme d’une trentaine d’années. L’amour va , et, chez elle , l’amour vajusqu’au fanatisme. L’objet ; l’objet de son culte est un jeune homme d’une jolie figure,mais qu’une mauvaise fée a doué de tous les vices possibles. Il Ce garçon est joueur, et jene sais ce qu’il aime le mieux des femmes ou du vin. – Il ; il a fait, à ma connaissance, desbassesses dignes de la police correctionnelle...¶ Eh Eh ! bien !, cette malheureuse femme luia sacrifié une très-belle existence, un homme dont par qui elle était adorée, dont de qui elleavait des enfans...enfants. Mais qu’avez-vous, M.monsieur le comte ?...¶?¶

– Rien ! – , continuez...¶– Elle lui a laissé dévorer une fortune entière. Elle , elle lui donnerait, je crois, le

monde, si elle le tenait... Elle ; elle travaille nuit et jour... ; et, souvent elle a vu, sansmurmurer, ce monstre qu’elle adore lui ravir jusqu’à l’argent destiné à payer le vêtementlesvêtements dont manquent ses enfansenfants, jusqu’à l’espoir de laleur nourriture dulendemain !¶ . Il y a trois jours, elle a vendu ses cheveux, les plus beaux que j’aie jamaisvus !... Il : il est venu... Elle , elle n’avait pas pu cacher assez vitepromptement la pièce d’or.Il, il l’a demandée, et, ; pour un sourire, pour une caresse..., elle a livré le prix de quinzejours de vie et de tranquillité... C’est N’est-ce pas à la fois horrible et sublime. ? Mais letravail commence à lui creuser les joues... les Les cris de ses enfansenfants lui ont déchirél’âme... Elle, elle est tombée malade. Elle, elle gémit en ce moment sur un grabat !.... Cesoir, elle n’avait rien à manger, et ses enfansenfants n’avaient déjà plus la force de crier !Ils, ils se taisaient quand je suis arrivé !!!... Oh quel tableau !...¶

Le jeune médecinHorace Bianchon s’arrêta. En ce moment le comte deGrandvilleGranville avait, comme malgré lui, plongé la main dans la poche de son gilet.¶

– Je devine, mon jeune ami, dit le vieillard, comment elle peut vivre encore, si vousla soignez...¶

– AhAh ! la pauvre créature !..., s’écria le médecin. Qui , qui ne la secourrait pas... ?Je voudrais être plus riche ;, car j’espère la guérir de son amour.¶

– Mais, reprit le comte en retirant de sa poche la main qu’il y avait mise, sans que lemédecin la vîtvit pleine de l’argent des billets que son protecteur semblait y avoir cherchés,comment voulez-vous que je m’apitoyem’apitoie sur une misère dont j’achèterais lesplaisirs au prix dene me sembleraient pas payés trop cher par toute ma fortune. ! Elle sent,elle vit... cette femme... ! Louis XV n’aurait-il pas donné tout son royaume pour pouvoir serelever de son cercueil et avoir trois jours de jeunesse et de vie ? N’est-ce pas là l’histoired’un milliard de morts, d’un milliard de malades, d’un milliard de vieillards ?...¶?¶

– Pauvre Caroline !..., s’écria le médecin.¶AEn entendant ce nom, le comte de GrandvilleGranville tressaillit. Il , et saisit le

bras du médecin qui crut se sentir serré par les deux lèvres en fer d’un étau.¶– Elle se nomme Caroline Crochard ?..., demanda Grandville d’unele président d’un

son voix visiblement altérée.¶– Vous la connaissez donc ?... répondit le jeune hommedocteur avec étonnement.¶– Vous Et le misérable se nomme Solvet... Ah ! vous m’avez tenu parole !, s’écria

l’ancien magistrat ; carle président, vous avez agité mon cœur depar la plus terriblesensation qu’il éprouvera jusqu’à ce qu’il devienne poussière !.... Cette émotion est encoreun présent de l’enfer, et je sais toujours comment m’acquitter avec lui.¶

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En ce moment, le comte et le médecin étaient arrivés au coin de la rue de laChaussée-d’Antin. Là unUn de ces enfansenfants de la nuit, qui, le dos chargé d’une hotteen osier et marchant un crochet à la main, ont été plaisamment nommés, pendant larévolution, membres du comité des recherches, se trouvait auprès de la borne àdevantlaquelle Grandvillele président venait de s’arrêter. Ce chiffonnier avait une vieille figuredigne de celles que Charlet a immortalisées dans ses caricatures de l’école du balayeur.¶

– Rencontres-tu souvent des billets de mille francs ?..., lui demanda le comte.¶– Quelquefois, notre bourgeois...¶– Et les rends-tu ?...¶?¶– C’est selon la récompense promise...¶– Voilà mon homme !..., s’écria le comte en présentant au chiffonnier un billet de

mille francs. Prends ceci..., lui dit-il, mais songe que je te le donne à la condition de ledépenser au cabaret, de t’y enivrer, de t’y disputer, de battre ta femme, de crever les yeux àtes amis. Cela fera marcher la garde, les chirurgiens, les pharmaciens ; peut-être lesgendarmes, les procureurs du roi, les juges et les geoliers...geôliers. Ne change rien à ceprogramme ; car , ou le diable saurait tôt ou tard se venger de toi !...¶

Il faudrait qu’un même homme possédât à la fois les crayons de Charlet et ceux deCalotCallot, les pinceaux de Téniers et de Rembrandt, pour donner une idée vraie de cettescène nocturne. Elle appartient à la peinture.¶

– Voilà mon compte soldé avec l’enfer, et j’ai eu du plaisir pour mon argent !..., ditle comte d’un son de voix profond en montrant au médecin stupéfait la figure indescriptibledu chiffonnier béant.¶ – Quant à Caroline Crochard !..., reprit-il, elle peut mourir dans leshorreurs de la faim, et de la soif, en entendant les cris déchiransdéchirants de ses filsmourants, en reconnaissant la bassesse de celui qu’elle a épousé !...aime : je ne donneraispas un denier pour l’empêcher de souffrir, et je ne veux plus vous voir par cela seul quevous l’avez secourue...¶

Et le comte, laissant le médecinLe comte laissa Bianchon plus immobile qu’unestatue, et disparut avec une célérité fantasmagorique, en se dirigeant avec toute l’activité dela jeunesse, la précipitation d’un jeune homme vers la rue Saint-Lazare, où il atteignitpromptement le petit hôtel qu’il habitait. Il fut assez surpris de voir une voiture arrêtée et àsa la porte duquel il vit non sans surprise une voiture arrêtée.¶

– Monsieur le vicomteprocureur du Roi, dit un le valet de chambre à son maître, estarrivé il y a une heure pour parler à monsieur, et l’attend dans la sa chambre à coucher.¶

GrandvilleGranville fit signe à son domestique de se retirer, et, ouvrant la porte :¶.¶– Quel motif assez important vous oblige d’enfreindre l’ordre que j’ai donné à mes

enfansenfants de ne pas venir chez moi sans y être appelés ?... dit le vieillard à son fils enentrant.¶

– Mon père, répondit le jeune homme magistrat d’un son de voix tremblant et d’unair respectueux, j’ose espérer que vous me pardonnerez quand vous m’aurez entendu.¶

– Votre réponse est celle d’un magistrat !convenable, dit le comte. Asseyez-vous. Ilmontra un siègesiége au jeune homme. Mais, reprit-il, que je marche ou que je reste assis,ne vous occupez pas de moi.¶

– Mon père, reprit le vicomtebaron, ce soir à quatre heures, un très-petit jeunehomme, arrêté parchez un de mes amis au préjudice duquel il a commis un vol assezconsidérable, s’est réclamé de vous, il se prétendant votre fils...¶

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– Il se nomme ?..., demanda le comte en tremblant.¶– Charles Crochard !¶.¶– Assez !..., dit le père en faisant un geste à son fils.¶ Et Grandvilleimpératif.

Granville se promena dans la chambre, au milieu d’un profond silence que le vicomtesonfils se garda bien d’interrompre.¶ – Mon fils !... Ces paroles furent prononcées d’un ton sidoux et si paternel que le jeune magistrat en tressaillit.¶ – Charles Crochard, reprit le comte,vous a dit la vérité. Je suis content que tu sois venu ce soir, mon bon Eugène..., ajouta levieillard. Voici une somme d’argent assez forte. Il, dit-il en lui présentaprésentant unemasse de billets de banque. Tu , tu en feras l’usage que tu jugeras convenable dans cetteaffaire. Je me fie à toi, et j’approuve d’avance toutes tes dispositions, soit pour le présent,soit pour l’avenir.¶ – Eugène, mon boncher enfant, viens m’embrasser ; car, nous nousvoyons peut-être pour la dernière fois... demain Demain je demande au Roi un congé, jepars pour l’Italie. Florence sera le lieu de ma résidence, et je ne le quitterai pas. Si un pèrene doit pas compte de sa vie à ses enfansenfants, il doit leur léguer l’expérience que lui avendue le sort ; car c’est une , n’est-ce pas une partie de leur héritage.¶ ? Quand tu temarieras... A ce mot, reprit le comte laissa en laissant échapper un frissonnementinvolontaire ; – , n’accomplis pas légèrement cet acte..., le plus important de tous ceuxauxquels nous oblige la société.Société. Souviens-toi d’étudier long-temps le caractère decellela femme avec laquelle tu dois t’associer. ; mais consulte-moi, je veux la juger moi-même. Le défaut d’union entre les âmes de deux époux, par quelque cause qu’il soitproduit, amène d’effroyables malheurs, et : nous sommes, tôt ou tard, punis de n’avoir pasobéi aux lois sociales.¶ Je t’écrirai de Florence à ce sujet, : un père, surtout quand il al’honneur de présider une cour supérieure, ne doit pas rougir devant son fils... Adieu.¶

Paris, février 1830-janvier 1842.¶

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Comparaison entre La Paix du ménage de

1830 et le «  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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Comparaison entre La Paix du ménage de

1830 et le «  Furne corrigé  »

Dans cette comparaison l’édition de 1830 constitue le texte de base. Les mots, les phrases, les

passages rayés reflètent le texte de 1830. Les mots, les phrases, les passages non-rayés

indiquent la conformité entre le texte de 1830 et celui du « Furne corrigé ». Les mots, les

phrases, les passages en rouge constituent des substitutions introduites dans le « Furne

corrigé ».

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VI ME SCÈNE.¶ ¶LA PAIX DU MÉNAGE.¶

¶ DEDIE A MA CHERE NIECE, VALENTINE SURVILLE.¶

L’AVENTURE,L’aventure retracée par cette scène, eut lieu auScène se passa vers la findu mois de novembre 1809, moment où le fugitif empire de Napoléon atteignaitatteignit àl’apogée de sa splendeur et de sa puissance. On était à la fin du mois de novembre 1809.. Lescoups de canon et les fanfares de la célèbre bataillevictoire de Wagram retentissaient encore aucœurcoeur de la monarchie autrichienne. Alors, la La paix ayant été signéese signait entre laFrance et la coalition continentale, les Coalition. Les rois et les princes vinrent alors, comme desastres, accomplir leurs révolutions autour de Napoléon, qui se donna le plaisir d’entraînerl’Europe à sa suite, magnifique essai de la puissance qu’il devait déploya plus tard déployer àDresde.¶ Jamais, au dire des contemporains, Paris ne vit de plus belles fêtes que celles quiprécédèrent et suivirent le mariage de ce souverain avec une archiduchesse d’Autriche. Jamaisaux plus grands jours de l’ancienne monarchie, autant de têtes couronnées ne se pressèrent surles rives de la Seine, ni et jamais l’aristocratie française ne parut plus fut aussi riche et ni aussibrillante qu’elle le fut alors. Les diamans étaient diamants répandus avec tant de à profusion surles parures, l’or et l’argent brodaient tant d’uniformes, qu’après la récente indigence de larépublique, il les broderies d’or et d’argent des uniformes contrastaient si bien avec l’indigencerépublicaine, qu’il semblait voir toutes les richesses du globe roulerroulant dans les salons deParis.¶ Une ivresse générale avait comme saisi cet empire d’un jour, et. Tous les militaires, sansen excepter le maître, tous ces soldatsleur chef, jouissaient en parvenus des trésors conquis parun million d’hommes à épaulettes de laine qu’ils satisfaisaientdont les exigences étaientsatisfaites avec des rubans.¶ A cette époque, quelques aunes de ruban rouge. A cette époque, laplupart des femmes des hautes sphères sociales affichaient cette aisance de mœursmoeurs et cerelâchement de morale qui marquèrent jadis d’un sceau d’infamiesignalèrent le règne de LouisXV. Soit pour imiter l’ancien le ton de la monarchie écroulée, soit que certains membres de lafamille impériale eussent donné l’exemple, ainsi que le prétendaient les frondeurs du faubourgSt.Saint-Germain, il est certain que, hommes et femmes, tous se précipitaient vers les plaisirsdans le plaisir avec une intrépidité qui faisait croire àsemblait présager la fin du monde. Mais ilexistait alors une autre raison de cette licence. L’engouement des femmes pour les militaires étaitdevenu devint comme une sorte de frénésie. Cet enthousiasme, s’accordant avec les et concordatrop bien aux vues de Napoléon, n’était arrêté par aucun l’Empereur, pour qu’il y mît un frein.L’empereur, laissant rarement ses armées en repos, les prétendues passions de ce temps-là setrouvaient frappées d’une soudaineté assez explicable, et exposées à des dénouemens aussirapides que les décisions de ce chef suprême des kolbacs, des dolmans et des aiguillettes quiséduisaient toutes les femmes. Alors les cœurs étaientLes fréquentes prises d’armes qui firentressembler tous les traités conclus entre l’Europe et Napoléon à des armistices, exposaient lespassions à des dénoûments aussi rapides que les décisions du chef suprême de ces kolbacs, de cesdolmans et de ces aiguillettes qui plurent tant au beau sexe. Les coeurs furent donc alorsnomades comme les armées. Les fréquentes ruptures qui faisaient ressembler tous les traitésconclus entre l’Europe et Napoléon à des armistices, amenaient des absences, cruelles pour lesamours. Aussi, d’unrégiments. D’un premier à un cinquième bulletin de la grande arméeGrande-Armée, une femme se voyait-elle pouvait être successivement amante, épouse, mère et veuve.¶ Était-ce la perspective d’un prochain veuvage, celle d’une dotation, ou l’espoir de partager lagloire d’un porter un nom historiquepromis à l’Histoire, qui rendaientrendirent les militaires si

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séduisans aux yeux des femmes ? Le beau sexe était-il entraînéséduisants ? Les femmes furent-elles entraînées vers eux par la certitude que le secret de ses leurs passions serait bien gardé pardes morts ?enterré sur les champs de bataille, ou faut-il doit-on chercher la cause de ce douxfanatisme dans le noble attrait que le courage a pour les femmes ? Peut-elles ? peut-être cesraisons, que l’historien futur des mœursmoeurs impériales s’amusera sans doute à peser,entraient-elles toutes pour quelque chose dans la facilité avec laquelle les dames leur facilepromptitude à se livraient à l’hymen et à l’amour.¶ livrer aux amours. Quoi qu’il en fût, il doitsuffirepuisse être, avouons-le-nous ici de savoir que la gloire et ici : les laurierscouvraientcouvrirent alors bien des fautes ; que, les femmes recherchaientrecherchèrent avecardeur ces hardis aventuriers, qui leur paraissaient, en ces temps-là, de véritables sourcesd’honneurs, de richesses et ou de plaisirs ;, et qu’aux yeux des jeunes filles une épaulettesemblait être, aux yeux d’une jeune fille, un , cet hiéroglyphe qui signifiaitfutur, signifiabonheur et liberté.¶ Un trait qui caractérise de cette époque, unique dans nos annales, était unecertaine et qui la caractérise, fut une passion effrénée pour tout ce qui brillait. Jamais on nedonna tant de feux d’artifice. Jamais , jamais le diamant n’atteignit à une aussi grande valeur.Les hommes étaient aussi avides que les femmes de ces cailloux blancs dont ils ses’en paraientcomme elles. Peut-être l’obligation de mettre le butin sous la forme la plus facile à transporteravaitmit-elle mis les joyaux en honneur dans l’armée. Un homme n’était pas aussi ridicule qu’ille serait aujourd’hui, quand le jabot de sa chemise ou ses doigts offraient aux regards de grosdiamans ; etdiamants. Murat, homme tout méridional, avait donnéoriental, donna l’exemple d’unluxe absurde chez les militaires modernes.¶

Le comte de Gondreville, qui se nommait jadis le citoyen Malin et que son enlèvementrendit célèbre, devint l’un des Lucullus de ce Sénat conservateurConservateur qui ne conservarien, n’avait tant tardé à donner une retardé sa fête en l’honneur de la paix, que pour mieux fairesa cour à Napoléon en s’efforçant d’éclipser tous les flatteurs, par lesquels il avait été prévenu.¶ Les ambassadeurs de toutes les puissances amies de la France, sous bénéfice d’inventaire, lespersonnages les plus importans de l’empireimportants de l’Empire, quelques princes même,étaient en ce moment réunis dans les salons du somptueux hôtel de l’opulent sénateur. Si la Ladanse languissait, c’est que chacun attendait l’Empereur qui avait fait espérer sa dont laprésence, et il était promise par le comte. Napoléon aurait tenu parole, sans la scène qui éclata lesoir même entre lui et Joséphine et lui, scène qui fit prévoir un révéla le prochain divorce entreles de ces augustes époux.¶ La nouvelle de cette aventure, alors tenue fort secrète, mais quel’H istoirel’histoire recueillait, n’étantne parvint pas encore parvenu aux oreilles des courtisans,même les plus intimes, elle et n’influa pas autrement, que par l’absence de Napoléon, sur lagaieté de la fête donnée par ledu comte de Gondreville. Les plus jolies femmes de Paris s’étaientrendues, empressées de se rendre chez lui sur la foi des du ouï-dires, et, y faisaient en ce momentassaut de luxe, de coquetterie, de parure et de beauté.¶ La banque, orgueilleuse Orgueilleuse deses richesses, la banque y défiait ces éclatanséclatants généraux et ces Grands-Officiers del’Empire toutgrands-officiers de l’empire nouvellement gorgés de croix, de titres, et dedécorations ; car ces sortes de solennités . Ces grands bals étaient toujours des occasions saisiespar de riches familles pour y produire leurs héritières aux yeux des prétoriens de Napoléon, dansle fol espoir d’échanger leurs magnifiques dots contre une faveur incertaine.¶ Les femmes, quise croyaient assez fortes de leur seule beauté, y étaient venues venaient en essayer le pouvoir deleurs charmes. Alors, là . Là, comme ailleurs, le plaisir n’était qu’un masque. Les visages sereinset riansriants, les fronts calmes y couvraient d’odieux calculs. Les ; les témoignages d’amitiémentaient, et plus d’un personnage se défiait moins de ses ennemis que de ses amis.¶ ¶ Ces

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observations succinctes étant destinées à étaient nécessaires pour expliquer, non-seulement lesévénemens les événements du petit imbroglio de la scène qui va s’ouvrir, mais encore la fête ausein de laquelle ils se passèrent et même , sujet de cette Scène, et la peinture, toute quelqueadoucie qu’elle soit, du ton qui régnait à cette époque alors dans les salons de Paris, elles nedoivent être regardées que comme une espèce de préface ou prologue historique nécessité par lapruderie des mœurs actuelles.¶

¶ ¶ ___¶ – Tournez un peu les yeux vers cette colonne brisée, qui supporte un candelabre ?

Voyezcandélabre, apercevez-vous une jeune femme coiffée à la chinoise ? Làlà, dans le coin, àgauche ! Elle , elle a des clochettes bleues dans le bouquet de cheveux châtains qui retombe engerbes sur sa tête ? Vous ne . Ne voyez -vous pas ? Elle elle est si pâle qu’on la croiraitsouffrante. Elle , elle est mignonne et toute petite. Maintenant ; maintenant, elle tourne la têteprécisément vers nous. Ses ; ses yeux bleus, fendus en amande et doux à ravir, semblent faitsexprès pour pleurer. Mais, tenez donc ? Elle ! elle se baisse pour regarder madame deVaudremont à travers ce dédale de têtes toujours en mouvement et dont les hautes coiffures luiinterceptent la vue...¶

– Ah, ! j’y suis, mon cher !.. Mais tu . Tu n’avais qu’à me la désigner comme la plusblanche de toutes les femmes qui sont ici, je l’aurais reconnue ; car, je l’ai déjà bien remarquée.Elle ; elle a le plus beau teint que j’aie jamais admiré !. D’ici, je te défie de distinguer, sur lapeau blanche de son cou, les perles qui séparent chacun des saphirs de son collier. Ne croirais-tupas voir des turquoises semées sur de la neige ? Mais elle a des mœurs, Mais elle doit avoir oudes moeurs ou de la coquetterie ;, car c’est tout au plus si à peine les ruches de son jalouxcorsage permettent-elles de soupçonner la parfaite beauté des contours.... Quelles épaules !quelle blancheur de lys !... ¶!¶

– Mais quiQui est-ce ?, demanda celui qui avait parlé le premier. ¶.¶– AhAh ! je ne sais pas ! ¶.¶– Aristocrate ! vous Vous voulez donc, colonelMontcornet, les garder toutes pour

vous....¶– Cela te sied bien de me goguenarder ! reprit le militaire Montcornet en souriant. Te

crois-tu le droit d’insulter un pauvre colonelgénéral comme moi, parce que, rival heureux de cepauvre Soulanges, tu ne fais pas une seule pirouette qui n’alarme la tendre sollicitude demadame de Vaudremont ? Ou ou bien est-ce parce que je ne suis arrivé que depuis un mois dansla terre promise ?...... Etes Étés-vous insolensinsolents, vous autres administrateurs, qui restezcollés sur desvos chaises, pendant que nous mangeons sommes au milieu des obus ! Allons,monsieur le maître des requêtes, laissez-nous glaner dans le champ dont la possession précaire nevous ne restez le possesseur tranquille que quand nous partons. Que diablereste qu’au momentoù nous le quittons. Hé ! diantre, il faut que tout le monde vive ! et si tu savais, mon Mon ami,ce que sont si tu connaissais les Allemandes !..., tu me servirais, je crois, même auprès de laParisienne qui t’est chère......¶

– Colonel– Général, puisque vous avez honoré de votre attention cette belle inconnuefemme que j’aperçois ici pour la première fois, ayez donc la charité de me dire si vous l’avezvue danser ? ¶dansant.¶

– Eh ! mon cher Martial, d’où viens-tu ? Si l’on t’envoie en ambassade, j’augure bienmal de tes succès. Ne vois-tu pas trois rangées des plus intrépides coquettes de Paris, entre majolie dameelle et le brillant l’ essaim de danseurs qui bourdonne sous le lustre ? Et , et ne t’a-t-ilpas fallu toute la puissancel’aide de ton lorgnon pour la découvrir dans à l’angle de cette colonne

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où elle semble enterrée au sein d’une profonde obscurité en dépit des cinquante dans l’obscuritémalgré les bougies qui brillent au -dessus de sa blonde tête ; car il y a, entre? Entre elle et nous,tant de diamansdiamants et tant de regards qui scintillent, tant de plumes qui flottent, tant dedentelles, de fleurs, et de tresses ondoyantesondoient, que ce serait un vrai miracle si un quelquedanseur pouvait l’apercevoir au milieu de tous ces astres !... Comment, Martial, tu n’as pasdeviné que c’est la femme de quelque sous-préfet des Côtes-du-Nordde la Lippe ou de la Dylequi vient essayer de faire un préfet de son mari ?... ¶?¶

– Oh ! il le sera !..., dit vivement le maître des requêtes. ¶.¶– J’en doute !, reprit le colonel de cuirassiers en riant, car elle paraît aussi neuve en

intrigue que toitu l’es en diplomatie. Je gage, Martial, que tu ne sais pas comment elle se trouvelà ? ¶.¶

Le maître des requêtes regarda le colonel des cuirassiers de la Garde d’un air qui décelaitautant de dédain que de curiosité. ¶.¶

– EhEh ! bien, continua le colonel, la pauvre enfant dit Montcornet en continuant, ellesera sans doute arrivée ici à neuf heures bien précises. Elle sera venue, la première, peut-être ?...... Elle aura , et probablement aura fort embarrassé la comtesse de Gondreville, qui nesait pas coudre deux idées ; et alors, rebutée. Rebutée par la dame du logis, repoussée de chaiseen chaise par chaque arrivante jusquesnouvelle arrivée jusque dans les ténèbres lumineuses de cepetit coin, elle s’y sera laissé enfermer, victime de son humilité et de la jalousie de ces dames,qui n’auront pas demandé mieux que d’ensevelir ainsi cette dangereuse et ravissante figure. Ellen’aura pas eu d’ami pour l’encourager à défendre la place qu’elle a dû occuper d’abord sur lepremier plan ; et, chacune de ces perfides danseuses aura intimé l’ordre à tout homme,composant sa aux hommes de sa coterie, de ne pas engager notre belle pauvre amie, sous peinedes plus terribles punitions....... Et voilà Voilà, mon cher, comment ces jolies minois si tendres,si candides en apparence, auront formé uneleur coalition générale contre l’inconnue !..... Et ; etcela, sans qu’aucune de ces femmes-là se soit dit autre chose que : – Connaissez-vous, ma chère,cette petite dame bleue ? – Tiens, Martial, si tu veux être accablé en un quart d’heure, de plus deregards flatteurs et d’interrogations provocantes, que tu n’en recevras, peut-être, dans toute tavie, fais mineessaie de vouloir percer le triple rempart qui défend notre Andromède ?...la reinede la Dyle, de la Lippe ou de la Charente. Tu verras si la plus stupide de ces belles créatures-làfemmes ne saura pas inventer aussitôt une ruse capable d’arrêter l’homme le plus déterminé àmettre en lumière notre plaintive inconnue..... car, ne Ne trouves-tu pas qu’elle a un peu l’aird’une élégie ?¶ – Vous croyez, colonel ?.... ce Montcornet ? Ce serait donc une femmemariée ?... ¶?¶

– Mais elle est peut-être veuve. ¶ – Elle ne serait pas si triste !– Pourquoi ne serait-ellepas veuve.¶

– Elle serait plus active, dit en riant le maître des requêtes. ¶.¶– Mais c’est peutPeut-être est-ce une veuve dont le mari est vivant ?...joue à la bouillotte,

répliqua le colonel.¶beau cuirassier.¶– En effet, depuis la paix les dames font, il se fait tant de ces sortes de veuves-là... !

répondit Martial. Mais, colonelmon cher Montcornet, nous sommes deux imbécilles ! Il y a tropd’ingénuité dans cette niais. Cette tête-là pour que ce soit une femme. Il y a exprime encore tropd’ingénuité, il respire encore trop de jeunesse et de verdeur sur le front et autour des tempes !quels tons , pour que ce soit une femme. Quels vigoureux tons de carnation ! Rienrien n’est flétridans les méplats des narines, des du nez. Les lèvres et du , le menton :, tout en dans cette figureest frais comme un bouton de rose blanche ; mais aussi, tout est enveloppé des , quoique la

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physionomie en soit comme voilée par les nuages de la tristesse. Cette femme-là pleure....¶Quipeut faire pleurer cette jeune personne ?¶

– Quoi ?...Les femmes pleurent pour si peu de chose, dit le colonel.¶– Je ne sais, reprit Martial, mais elle ne pleure pas d’être là sans danser. Son , son chagrin

ne date pas d’aujourd’hui, et ; l’on voit qu’elle s’est faite belle, pour ce soir, par préméditation.Elle aime déjà..., je le parierais. ¶.¶

– Bah ! c’est peut-être est-ce la fille de quelque princillon d’Allemagne, car personne nelui parle ! dit le colonel. ¶, dit Montcornet.¶

– Ah ! qu’combien une pauvre fille, seule et isolée, est malheureuse !..., reprit Martial.A-t-on plus de grâce et de finesse que notre petite inconnue ?... elle est ravissante !... EhEh !bien, pas une des infernales et laides mégères qui l’entourent et qui se disent sensibles, ne luiadressera un seul petit mot ?...la parole. Si elle parlait, nous verrions au moins si sesdents !...¶dents sont belles.¶

– Ah çà ! tu t’emportes donc comme du le lait, à la moindre élévation detempérature !....? s’écria doucement le colonel un peu piqué de rencontrer si vitepromptement unrival dans un son ami. ¶.¶

– Comment, ! dit le maître des requêtes, sans s’apercevoir de l’interrogation ducolonel,général et en dirigeant son lorgnon sur tous les personnages dont ils étaient entourés ;quiles entouraient, comment, il n’y a ! personne ici qui puisse ne pourra nous nommer cette fleurexotique si récemment transplantée dans cette parterre !... ¶exotique ?¶

– Eh ! c’est quelque demoiselle de compagnie ?..., lui dit le colonel. ¶Montcornet.¶– Bon !.... Une une demoiselle de compagnie avec des parée de saphirs dignes d’une

reine, et une robe de Malines... à ? A d’autres, colonel !général ! Vous ne serez pas non plustrès-fort que moi en diplomatie, sisi dans vos évaluations vous prenez une passez en un momentde la princesse allemande pour une à la demoiselle de compagnie... ¶.¶

Le colonel, moins bavard et plus curieux,Le général Montcornet arrêta par le bras unpetit homme gras dont chacun apercevait au même instant les cheveux grisonnansgrisonnants etles yeux spirituels se voyaient à toutes les encoignures des de portes du salon. Ce personnage,, etqui semblait vouloir donner par sa prodigieuse activité, une nouvelle preuve de la multiplicationdes cinq pains, se mêlait sans cérémonie aux différensdifférents groupes que formaient leshommes, et il y était toujours reçu avec une sorte de déférence.¶où il était respectueusementaccueilli.¶

– Gondreville, mon cher ami ?.., lui dit le militaire !Montcornet, quelle est donc cettecharmante petite femme assise là-bas sous toncet immense candelabre doré ?...¶candélabre ?¶

– Le candelabre ?...– Le candélabre ? Ravrio, mon cher, et c’est Isabey qui en a donné ledessin.... ¶.¶

– OhOh ! j’ai déjà reconnu ton goût et ton faste dans le meuble... ; mais la dame, ladame !..¶femme ?¶

– Ah, ! je ne la connais pas !.... C’est sans doute une amie de ma femme. ¶.¶– Ou ta maîtresse, vieux sournois... ¶.¶– Non, parole d’honneur. Mais il n’y a vraiment que la ! La comtesse de Gondreville

pour savoir est la seule femme capable d’inviter des gens que personne ne connaît. ¶.¶Malgré cette observation pleine d’aigreur, le gros petit homme s’éloigna en

conservantconserva sur ses lèvres le sourire de satisfaction intérieure que la supposition ducolonel des cuirassiers y avait fait naître. Ce dernierCelui-ci rejoignit, dans un groupe voisin, lemaître des requêtes occupé alors à y chercher, mais en vain, des renseignemensrenseignements

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sur l’inconnue. Il le saisit par le bras et lui dit à l’oreille :¶ : – Mon cher Martial, prends garde àtoi..... ! Madame de Vaudremont te regarde depuis quelques minutes avec une attentiondésespérante. Elle, elle est femme à deviner au mouvement seul de tes lèvres ce que tu me dirais.Nos, nos yeux n’ont été déjà que trop significatifs. Elle, elle en a très -bien aperçu et suivi ladirection, et je la crois en ce moment plus occupée que nous-mêmes de la petite dame bleue. ¶.¶

– Vieille ruse de guerre, mon cher colonel !Montcornet ! Que m’importe d’ailleurs. ? Jesuis comme l’empereurl’Empereur, quand je fais des conquêtes, je les garde....¶

– Martial, ta fatuité cherche des leçons. Comment, faquin ! péquin, tu as le bonheurd’être le mari désigné de madame de Vaudremont, d’une veuve de vingt-deux ans, affligée dedeuxquatre mille doubles napoléons de rente ; et, d’une femme qui te passe au doigt desdiamants aussi beaux que celui-ci, ajouta-t-il (en prenant la main gauche du maître des requêtesqui la lui abandonna complaisamment), d’une femme qui te passe au doigt des diamans de troismille écus en guise d’arrhes à un aussi doux marché, et tu as encore la prétention de faire leLovelace, comme si tu étais colonel ou , et obligé de changer de garnison ?...soutenir laréputation militaire dans les garnisons ! fi !... Mais réfléchis donc à tout ce que tu peuxperdre ?.... ¶.¶

– Je ne perdrai pas, du moins, ma liberté..., répliqua Martial en riant forcément. ¶.¶Il jeta un regard passionné à madame de Vaudremont, qui n’y répondit que par un sourire

plein d’inquiétude, car elle avait vu le colonel examiner le diamantexaminant la bague du maîtredes requêtes. ¶.¶

– Ecoute– Écoute, Martial ?, reprit le colonel. Si , si tu voltiges autour de ma jeuneinconnue, j’entreprendrai la conquête de madame de Vaudremont. ¶.¶

– Permis à vous, séduisantcher cuirassier, mais vous n’obtiendrez pas cela.¶ Et , dit lejeune maître des requêtes en mettant l’ongle poli de son pouce gauche sous la plus brillante unede ses dents supérieures, en fit résonner l’ivoire sans en tirer autre chose qu’un de laquelle il tiraun petit bruit goguenard. ¶.¶

– Songe que je suis garçon, reprit le colonel ;, que mon épée est toute ma fortune, et queme défier ainsi, c’est asseoir Tantale devant un festin qui ne s’enfuira pas. ¶qu’il dévorera.¶

– Prrrr. ¶ !¶Cette railleuse accumulation de consonnes servit de réponse à la provocation du colonel,

général que son ami toisa plaisamment avant de le quitter.¶ Le colonel, homme de trente-cinqans environ, portait, selon la La mode de ce temps, obligeait un homme à porter au bal uneculotte de casimir blanc et des bas de soie qui trahissaient en lui une rare . Ce joli costumemettait en relief la perfection de des formes. Il avait de Montcornet, alors âgé de trente-cinq anset qui attirait le regard par cette haute taille qui distinguait exigée pour les cuirassiers de la gardeimpériale. Son habit d’ dont le bel uniforme rehaussait encore la grâce de son corps auquel saprestance, encore jeune malgré l’embonpoint qu’il devait à l’équitation n’avait fait contracterqu’un embonpoint nécessaire relativement à ses proportions. Deux . Ses moustaches noiresajoutaient à l’expression franche d’un visage vraiment militaire dont le front était large etdécouvert, le nez aquilin et la bouche vermeille. Les manières du colonelde Montcornet,empreintes d’une certaine noblesse due à l’habitude du commandement, pouvaient plaire à unefemme qui n’aurait pas voulu aurait eu le bon esprit de ne pas vouloir faire un esclave de sonmari.¶ Le colonel sourit en regardant le maître des requêtes, l’un de ses meilleurs amis decollége qui, par sa , et dont la petite taille moyenne quoique svelte, l’obligeait à l’obligea, pourrépondre à sa moquerie, de porter un peu bas vers lui, son coup d’œild’oeil amical. ¶.¶

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Le baron Martial de la Roche-Hugon était un jeune Provençal, âgé d’une trentained’années, sur lequel que Napoléon se plaisait en ce moment à verser des faveurs inouïes.Martialprotégeait et qui semblait promis à quelque fastueuse ambassade. Il possédait, à un hautdegré, , il avait séduit l’Empereur par une complaisance italienne, par le génie de l’intrigue, parcette éloquence de salon et cette science des manières qui remplacent si facilement les éminentesqualités peu brillantes d’un homme solide. Sa figure vive, dont le teint paraissait plus blanc sousles boucles épaisses d’une forêt de cheveux noirs, décelait beaucoup d’esprit et degrâce.¶Quoique vive et jeune, sa figure possédait déjà l’éclat immobile du fer-blanc, l’une desqualités indispensables aux diplomates et qui leur permet de cacher leurs émotions, de déguiserleurs sentiments, si toutefois cette impassibilité n’annonce pas en eux l’absence de toute émotionet la mort des sentiments. On peut regarder le coeur des diplomates comme un problèmeinsoluble, car les trois plus illustres ambassadeurs de l’époque se sont signalés par la persistancede la haine, et par des attachements romanesques. Néanmoins, Martial appartenait à cette classed’hommes capables de calculer leur avenir au milieu de leurs plus ardentes jouissances, il avaitdéjà jugé le monde et cachait son ambition sous la fatuité de l’homme à bonnes fortunes, endéguisant son talent sous les livrées de la médiocrité, après avoir remarqué la rapidité aveclaquelle s’avançaient les gens qui donnaient peu d’ombrage au maître.¶

Les deux amis furent obligés de se quitter en se donnant une cordiale poignée de main ;car les sons de l’orchestre en prévenant. La ritournelle qui prévenait les dames de former lesquadrilles de la quatrièmed’une nouvelle contredanse, chassaient tous chassa les hommes duvaste espace dont où ils s’étaient emparéscausaient au milieu du salon.¶ Cette conversationrapide, tenue dans l’intervalle de silence qui sépare toujours les contredanses, avait eueut lieudevant une la cheminée en marbre blanc sculpté, magnifique ornement du plus vaste des troissalonsgrand salon de l’hôtel Gondreville. La plupart desLes demandes et des répliqueslesréponses de ce bavardage assez commun au bal, avaient été comme soufflées par chacun desdeux interlocuteurs à l’oreille de son voisin. Malgré cette précaution,Néanmoins les girandoles etles flambeaux dont de la cheminée était profusément décorée, répandaient des torrens de lumièreune si abondans abondante lumière sur le colonel et sur le maître des requêtes,les deux amis queleurs figures, trop fortement éclairées, ne purent déguiser, en dépit d’une malgré leur discrétiondiplomatique, les expressions imperceptiblesl’imperceptible expression de leurs sentimens, auxyeux fins de madame de Vaudremont etsentiments, ni à ceux plus candides de la jeunefinecomtesse, ni à la candide inconnue assise auprès du candelabre.¶ . Cet espionnage de la penséeest, peut-être, chez les gens intéressés à découvrir les sentimens des autres,oisifs un des plaisirssecrets qu’ils trouvent dans les réunions du le monde, tandis que tant de niais dupés s’y ennuientsans oser en convenir. ¶.¶

Mais pourPour comprendre le secret d’intérêt renfermé dans la tout l’intérêt de cetteconversation par laquelle commence ce récit, il est nécessaire de se reporter par la penséeàraconter un événement, léger en apparence, mais qui, par d’invisibles liens, avait comme réuniallait réunir les personnages de ce petit drame, bien qu’ils fussentalors épars dans les salons oùretentissait l’éclat et le murmure de la fête.¶ Cet événement s’était passé quelques minutes avantque le colonel et le baron Martial causassent ensemble.. A onze heures du soir environ, etpendant que les au moment où les danseuses reprenaient leurs places, le peuple brillantla sociétéde l’hôtel Gondreville avait vu apparaître la plus belle femme de Paris, la reine de la mode, laseule qui manquât alors à cette splendide assemblée. Elle se faisait une loi de ne jamais arriverqu’à ce momentl’instant où les salons offraient le ce mouvement animé, le tourbillon gracieuxqui ne permet pas aux femmes de garder long-temps ni la fraîcheur de leurs figures ni celle de

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leurs toilettes. Ce moment rapide est comme le printemps d’un bal : une . Une heure après,quand le plaisir a passé, quand le plaisir a passé, que la fatigue arrive, tout y est flétri.¶ Alorsmadame Madame de Vaudremont ne commettait jamais la faute insigne de rester à une fête pours’y montrer avec des fleurs penchées, des boucles défrisées, des garnitures froissées, et avec unefigure semblable à toutes celles qui, sollicitées par le sommeil, ne le trompent pas toujours. Ellese gardait bien de laisser voir, comme ses rivales, sa beauté endormie. Elle ; elle savait soutenirhabilement sa réputation de coquetterie en se retirant toujours d’un bal aussi brillante qu’elle yétait entrée. Les femmes se disaient à l’oreille, avec un sentiment d’envie, qu’elle changeait deparures préparait et mettait autant de parures qu’elle avait de bals dans une soirée. Cette foisqu’elle avait de bals à parcourir dans une soirée. Mais, madame de Vaudremont ne devait pasêtre maîtresse, cette fois, de s’éloigner du de quitter à son gré le salon où elle arrivait alors entriomphe.¶ Un moment arrêtée sur le seuil de la porte, elle avait jeté jeta des regardsobservateurs, quoique rapides, sur toutes les femmes dont elle analysa les toilettes, furentaussitôt étudiées afin de se convaincre que sa parure la sienne les éclipserait toutes les autres.¶ .La célèbre et jolie coquette s’était offertes’offrit à l’admiration de l’assemblée, conduite par undes plus braves colonels de l’armée, et pour le moment, l’artillerie de la Garde, un favori del’empereur, de plus, jeune et riche. Il se nommait l’Empereur, le comte de Soulanges.¶ L’unionmomentanée et fortuite de ces deux personnages avaiteut sans doute quelque chose demystérieux, car en . En entendant annoncer M.monsieur de Soulanges et la comtesse deVaudremont, quelques femmes, placées en tapisserie, se levèrent ;, et des hommes, accourus dessalons voisins, se pressèrent aux portes du salon principal. Un de ces plaisansplaisants, qui nemanquent jamais à ces réunions nombreuses, dit en voyant entrer la comtesse et son chevalier :– « Que les dames avaient tout autant de curiosité à contempler un homme fidèle à sa passion,que les hommes à examiner une jolie femme difficile à fixer. »¶ Le » Quoique le comte deSoulanges était un, jeune homme d’environ trente-deux ans. Il semblait fluet, mais il était, fûtdoué de ce tempérament nerveux. Ses qui engendre chez l’homme les grandes qualités, sesformes grêles, et son teint pâle prévenaient peu en sa faveur. Quoique ; ses yeux noirs eussentune très-granannonçaient beaucoup de vivacité, mais dans le monde il était taciturne. Cependant,il passait pour un homme très-séduisant dans le , et rien en lui ne révélait l’un des talentsoratoires qui devaient briller à la Droite dans les assemblées législatives de la Restauration. Lacomtesse de Vaudremont, grande femme légèrement grasse, d’une peau éblouissante deblancheur, qui portait bien sa petite tête-à-tête ; et l’on s’accordait à reconnaître en lui, unegrande éloquence unie à beaucoup de capacité.¶ La comtesse de Vaudremont était une femmeassez grande, légèrement grasse, d’une peau éblouissante de blancheur, qui portait bien unepetite tête pleine de grâce, et possédait l’immense avantage d’inspirer l’amour par la gentillessede ses manières. On éprouvait toujours un plaisir nouveau à la regarder ou à lui parler. Elle, étaitde ces femmescréatures qui tiennent toutes les promesses que fait leur beauté.¶ Ce couplemystérieux et brillant, devenu pour quelques instansinstants l’objet de l’attention générale, nelaissa pas long-temps la curiosité s’exercer sur son compte ; car le. Le colonel et la damecomtesse semblèrent parfaitement comprendre que le hasard venait de les placer dans unesituation gênante.¶ En les voyant la comtesse et son cavalier s’avancer, le baron Martial s’étaitmêlé au Martial s’élança dans le groupe d’hommes qui occupait le poste de la cheminée ; et ,pour observer, à travers les têtes, qui qui lui formaient comme un rempart devant lui, il s’étaitmis à examiner, madame de Vaudremont avec toute l’attention jalouse que donne le premier feude la passion. Une : une voix secrète semblait lui dire que le succès dont il s’enorgueillissaitn’étaitserait peut-être que précaire. Mais ; mais le sourire de politesse froide par lequel la

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comtesse remercia M.monsieur de Soulanges, et le geste qu’elle fit pour le congédier ens’asseyant auprès de madame de Gondreville, détendirent tous les muscles que la jalousie avaitcontractés sur la jeunesa figure du maître des requêtes.¶ . Cependant quand le Provençal à têtevolcanique aperçut M. de Soulanges resterapercevant debout à deux pas du canapé sur lequelétait madame de Vaudremont, sans tenir aucun compte du Soulanges, qui parut ne pluscomprendre le regard par lequel la jeune coquette semblait dire à son amant trahi,lui avait ditqu’ils jouaient l’un et l’autre un rôle ridicule, il le Provençal à la tête volcanique fronça denouveau les noirs sourcils qui ombrageaient ses yeux bleus, il caressa, par maintien, les bouclesde ses cheveux bruns ;, et, sans trahir l’émotion qui lui faisait palpiter le cœurcoeur, il surveillala contenance de la comtesse et celle de M.monsieur de Soulanges. Le maître des requêtesparaissait badiner avec ses auditeurs ; mais le feu d’une violente passion enflammait son œilcapricieux. Ce fut alors que saisissant, tout en badinant avec ses voisins, il saisit alors la main ducolonel qui venait pour renouveler connaissance avec lui, il écouta l’odyssée militaire de son amimais il l’écouta sans l’entendre ; car il ne voyait que M. de, tant il était préoccupé. Soulanges.¶Ce dernier jetait des regards tranquilles sur la quadruple rangée de femmes qui encadraitl’immense salon du sénateur. Il semblait admirer, en admirant cette bordure dediamansdiamants, de rubis, de gerbes d’or et de têtes ravissantes,parées dont l’éclat faisaitpresque pâlir le feu des bougies, le cristal des lustres, la peinture des parois d’argent, et la doruredes bronzes. et les dorures. Le calme insouciant de son rival fit perdre contenance au maître desrequêtes, qui, incapable. Incapable de maîtriser la bouillante et secrète impatience dont il étaittransporté, qui le transportait, Martial s’avança vers madame de Vaudremont comme pour lasaluer. Quand le Provençal apparut, M. de Soulanges lui lança un regard terne et détourna la têteavec impertinence.¶ Un silence grave régnait dans le salon. La où la curiosité étaitfut à soncomble. Toutes les têtes tendues offraientoffrirent les expressions les plus bizarres, et chacuncraignait et attendaitchacun craignit et attendit un de ces éclats que les gens bien élevés segardent toujours de faire.¶ Tout- à- coup la pâle figure du comte devint aussi rouge quel’écarlate de ses paremensparements, et ses regards se baissèrent aussitôt vers le parquet, pour nepas laisser deviner le sujet de son trouble. Il venait de voir, comme par hasard,En voyantl’inconnue humblement placée au pied du candelabre. Tout-à-coup, vaincu par une sombrepensée, M. de Soulanges candélabre, il passa d’un air triste devant le maître des requêtes, et allase réfugierréfugia dans un des salons de jeu.¶ Le baron Martial crut, avec toute et l’assemblée,crurent que Soulanges lui cédait publiquement la place, par la crainte du ridicule qui s’attachetoujours aux amansamants détrônés ; et alors il . Le maître des requêtes releva fièrement la tête,regarda à son tour le prestigieux candelabre, aperçut l’inconnue, et ; puis quand il s’assit avecaisance auprès de madame de Vaudremont, il l’écouta d’un air si distrait qu’il ne retintn’entenditpas ces paroles prononcées, sous l’éventail, par la coquette.¶ : – Martial, vous me ferez plaisirde ne pas porter ce soir le diamantla bague que je vous ai donné.m’avez arrachée. J’ai mesraisons. Je , et vous les expliquerai, dans un moment...., quand nous nous retirerons ; car vous netarderez pas à. Vous me donnerdonnerez le bras pour aller chez la princesse de Wagram. ¶.¶

– Pourquoi donc avez-vous acceptépris la main de cet odieuxdu colonel ?, demanda lebaron. ¶.¶

– Je l’ai rencontré sous le péristyle..., répondit-elle ; mais, laissez-moi, onchacun nousregarde....observe.¶

– Et j’en suis fier !... dit Martial qui, néanmoins, se leva.¶ Il rejoignit le colonel decuirassiers, et ce fut alors que la. La petite dame bleue devint alors le lien commun del’i nquiétude qui agitait à la fois et si diversement l’esprit du beau colonel de cuirassiers, l’âme

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attristée du comte de Soulanges, le cœur volage du baronle cuirassier, Soulanges, Martial et lacomtesse de Vaudremont.¶ Quand les deux amis se séparèrent après s’être porté le défi quitermina leur longue conversation, le jeune maître des requêtes s’élança vers la belle madame deVaudremont , et sut la placer au milieu du plus brillant quadrille. A la faveur de cette espèced’enivrement dans lequel une femme est presque toujours plongée par une la danse animée et parle spectaclemouvement d’un bal où les hommes sont pour le moins aussi parés que les damessemontrent avec le charlatanisme de la toilette qui ne leur donne pas moins d’attraits qu’elle enprête aux femmes, Martial crut pouvoir s’abandonner impunément au charme qui attirait sesyeuxl’attirait vers le coin où l’inconnue était prisonnière. Il. S’il réussit à dérober les premiersregards qu’il jeta sur la dame bleue à l’inquiète activité des yeux de la comtesse le premier, lesecond regard qu’il jeta sur la dame bleue ; mais enfin, il fut bientôt surpris en flagrant délit. Il ;et s’il fit excuser une première préoccupation ; mais, il ne justifia pas l’impertinent silence parlequel il répondit plus tard à la plus séduisante des interrogations qu’une femme puissefaire.adresser à un homme : m’aimez-vous ce soir ? Plus il était rêveur, plus la comtesse semontrait pressante et taquine.¶ Pendant que Martial dansait à contre-cœur, le colonel allait allade groupe en groupe demandery quêtant des renseignemensrenseignements sur la jeuneinconnue. AyantAprès avoir épuisé la complaisance de toutes les personnes même indifférentes,il allait , et même celle des indifférents, il se déterminerdéterminait à profiter d’un moment oùmadame la comtesse de Gondreville paraissait libre, pour lui demander à elle-même le nom decette dame mystérieuse, quand il aperçut un léger vide existant entre la colonne brisée quisupportait le candelabre,candélabre et les deux divans qui venaient y aboutir.¶ L’intrépidecuirassier, profitant Le colonel profita du moment où la contredanse laissait vacante une grandepartie des chaises qui formaient troisplusieurs rangs de fortifications défendues par des mères oupar des femmes d’un certain âge, et entreprit de traverser cette palissade couverte de schalls auxmille couleurschâles et de mouchoirs brodés.¶ Il complimenta une ou deux . Il se mit àcomplimenter les douairières, et ; puis, de femme en femme, de politesse en politesse, il finit paratteindre auprès de l’inconnue la place qu’il y avait su deviner.vide. Au risque d’accrocher lesgriffons et les chimères de l’immense flambeau, il se maintint là sous le feu et la cire desbougies, au grand mécontentement de Martial. Le colonel était tropTrop adroit pour interpellerbrusquement la petite dame bleue, qu’il avait à sa droite ; mais il, le colonel commença par direà une grande dame assez laide, qui se trouvait assise à sa gauche :¶ : – Voilà, madame, un bienbeau bal ?! Quel luxe, que de ! quel mouvement ! D’honneur, les femmes y sont toutes jolies !Mais il n’y a que Si vous qui ne dansiez pas ?... C’est ne dansez pas, c’est sans doute mauvaisevolonté. ¶.¶

L’ Cette insipide conversation engagée par le colonel avait pour but de faire parler savoisine de droite, qui, silencieuse et préoccupée, ne lui accordait même pas la plus légèreattention. L’officier tenait en réserve une foule de phrases qui devaient se terminer par un : – etEt vous, madame ? sur lequel il comptait beaucoup ; mais . Mais il fut étrangement surpris envoyant l’inconnue livrée à une stupeur profonde. Il aperçut même des apercevant quelqueslarmes rouler dans le cristal bleu de ses yeux, et son étonnement n’eut pas de bornes quand ilremarqua que l’attention de la jeune affligée étaitdans les yeux de l’inconnue, que madame deVaudremont paraissait captiver entièrement captivée par madame de Vaudremont. ¶.¶

– Madame est sans doute mariée ?, demanda enfin le colonel Montcornet d’une voix malassurée. ¶.¶

– Oui, monsieur, répondit l’inconnue. ¶.¶– Monsieur votre mari est sans doute ici ?.. ¶?¶

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– Oui, monsieur. ¶.¶– Et pourquoi donc, madame, restez-vous à cette place ?.. est-ce par coquetterie ?...¶

L’inconnue L’affligée sourit tristement. ¶.¶– Accordez-moi l’honneur, madame, d’être votre cavalier pour la contredanse suivante.

Et , et je ne vous ramènerai certes pas ici ! Je vois près de la cheminée une gondole vide, et cesera votre place pour toute la soirée.venez-y. Quand tant de gens s’apprêtent à trôner, et que lafolie du jour est la royauté, je ne conçois pas que vous refusiez d’accepter le titre de reine du bal,qui semble promis à votre beauté. ¶.¶

– Monsieur, je ne danserai pas.. ¶.¶L’intonation douce quoique brève des réponses laconiques de l’inconnue,de cette femme

était si désespérante, que le colonel se vit forcé d’abandonner la place.¶ Martial ayant deviné,tout en dansant, et, qui devina la dernière demande du colonel et le refus qu’il essuyait, se mit àsourire et à se caresserse caressa le menton, en faisant briller le diamantla bague qu’il avait audoigt. ¶.¶

– De quoi riez-vous ?.. lui dit la comtesse de Vaudremont.¶– Du non-De l’insuccès de ce pauvre colonel. Il , qui vient de faire un pas de

clerc..... ¶...¶– Je vous avais prié d’ôter votre diamant ?bague, reprit la comtesse en l’interrompant. ¶– Je ne l’ai pas entendu.¶– MaisSi vous n’entendez donc rien ce soir, vous savez voir tout, monsieur le baron ?...,

répondit madame de Vaudremont d’un air piqué ! ¶.¶– Voilà un jeune homme qui a au doigtmontre un bien beau brillant, dit alors l’inconnue

au colonel prêt à faire retraite. ¶.¶– Magnifique !.., répondit-il. Ce jeune homme est le baron Martial de la Roche-Hugon,

un de mes plus intimes amis. ¶.¶– Je vous remercie de m’en avoir dit le son nom !..., reprit l’inconnue. Il -elle, il paraît

fort aimable ?... dit-elle. ¶.¶– Oui, mais il est un peu léger. ¶.¶– On pourrait croire qu’il est bien avec la comtesse de Vaudremont ?..., demanda la jeune

dame, en interrogeant des yeux le colonel. ¶.¶– Du dernier mieux.....¶ !¶L’inconnue pâlit. ¶.¶– Allons, pensa le joyeux militaire, elle aime ce diable de Martial !... ¶.¶– Je croyais madame de Vaudremont engagée depuis long-temps avec M.monsieur de

Soulanges ?.., reprit la jeune dame, femme un peu remise d’une de la souffrance intérieure quiavait, pour un moment, altérévenait d’altérer l’éclat surnaturel de son visage... ¶.¶

– Depuis huit jours, la comtesse le trompe..., répondit le colonel. Mais vous devez avoirvu ce pauvre Soulanges, quand il est entré... Il à son entrée ; il essaie encore de ne pas croire àson malheur...¶ – Je l’ai vu !, dit la dame, d’un son de voix profond. bleue. Puis elle ajouta un :– Monsieur, je vous remercie !, dont l’intonation équivalait à un congé. ¶.¶

En ce moment, la contredanse étant près de finir, le colonel, désappointé, n’eut que letemps de se retirer en se disant par manière de consolation : – elleElle est mariée !..¶

– EhEh ! bien, courageux cuirassier !, s’écria le baron en entraînant le colonel dansl’embrâsurel’embrasure d’une croisée pour y respirer l’air pur des jardins, où en êtes-vous ?... ¶?¶

– Elle est mariée...., mon cher. ¶.¶

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– Qu’est-ce que cela fait !¶?¶– Ah ! diablediantre, j’ai des mœurs !...moeurs, répondit le colonel. Je , je ne veux plus

m’adresser qu’à des femmes que je puisse épouser.... D’ailleurs, Martial, elle m’a formellementmanifesté la volonté de ne pas danser... ¶.¶

– Colonel, parions ton votre cheval gris pommelé contre cent napoléons, qu’elle dansera,ce soir, avec moi... ¶.¶

– C’est fait !...– Je veux bien ! dit le colonel en frappant dans la main du fat. Enattendant, je vais voir Soulanges, il connaît peut-être cette dame... car elle qui m’a semblé aufait de bien des choses.¶s’intéresser à lui.¶

– Mon brave, vous avez perdu !, dit Martial en riant ; mes. Mes yeux se sont rencontrésavec les siens, et – je m’y connais... Ah ! ça, Cher colonel, vous ne m’en voudrez pas de danseravec elle après le refus que vous en avez essuyé. ¶ ?¶

– Non, non, rira bien qui rira le dernier !... Au reste, Martial, je suis beau joueur et bonennemi, je te préviens qu’elle aime les diamans. ¶diamants.¶

Sur A ce propos, les deux amis se séparèrent de nouveau.. Le colonelgénéral Montcornetse dirigea vers le salon de jeu, et y où il aperçut le comte de Soulanges assis à une table debouillotte.¶ Quoiqu’il n’existât entre les deux colonels que cette amitié banale, établie par lespérils de la guerre et les devoirs d’un même du service, le colonel des cuirassiers futdouloureusement affecté de voir le comte de Soulangescolonel d’artillerie, qu’il connaissait pourun jeune homme sage, engagé dans une partie où il pouvait se ruiner. Les monceaux d’or et debillets, étalés sur le fatal tapis, attestaient la fureur du jeu. Un cercle d’hommes silencieuxentourait les joueurs mornes attablés à la bouillotte.. Quelques mots retentissaient ça et là, et bienparfois comme : Passe, jeu, tiens, mille louis, tenus ; mais il semblait, en regardant ces cinqpersonnages immobiles, qu’ils ne se parlassent que des yeux.¶ Quand le colonel, effrayé de lapâleur livide de Soulanges, s’approcha de lui, le comte était devenu le gagnant. L’ambassadeurautrichien etgagnait. Le Maréchal duc d’Isemberg, Keller, un banquier célèbre se levaientcomplètementcomplétement décavés de sommes considérables. Le comte de Soulanges devintencore plus sombre qu’il ne l’était avant le coup, en recueillant une masse énorme d’or et debillets. Il, il ne compta même pas. Un ; un amer dédain crispait ses lèvres. Il , il semblaitmenacer la fortune et la vie, au lieu de les la remercier comme tant d’autres l’eussent fait. ¶deses faveurs.¶

– Courage, lui dit le colonel, courage, Soulanges !...¶ Puis, croyant lui rendre un vraiservice en l’arrachant au jeu : – Venez, ajouta-t-il. J’ai , j’ai une bonne nouvelle à vousapprendre, mais à une condition ? ¶.¶

– Laquelle ?... demanda Soulanges. ¶.¶– Celle de me répondre à ce que je vous demanderai. ¶.¶Le comte de Soulanges se leva brusquement. Il , mit tout son gain, d’un air fort

insouciant, dans un mouchoir qu’il avait tourmenté d’une manière convulsive. Le , et son visagede M. de Soulanges était si farouche, qu’aucun joueur ne s’avisa de trouver mauvais qu’il fîtCharlemagne, et les . Les figures parurent même se dilater, quand cette tête maussade etchagrine ne fut plus dans le cercle moitié lumineux et moitié obscur que décrit, au-dessus d’unetable, un flambeau de bouillotte.¶

Cependant – Ces diables de militaires s’entendent comme des larrons en foire ! dit à voixbasse un diplomate qui était de la galerie, dit à voix basse en prenant la place du colonel :¶.¶

– Ces diables de militaires s’entendent comme des larrons en foire !¶ Une seule figureblême et fatiguée se tourna vers le rentrant, et lui dit en lui lançant un regard qui brilla et , mais

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s’éteignit comme le feu d’un diamant qu’on fait jouer. Cette figure était celle de M. le prince deBéné...t.¶diamant : – Qui dit militaire ne dit pas civil, monsieur le ministre.¶

– Mon cher, dit le colonelMontcornet à Soulanges, qu’il avait attiré en l’attirant dans uncoin ;, ce matin l’empereurl’Empereur a parlé de vous avec éloge, et votre promotion dans lagarde au maréchalat n’est pas douteuse. .¶

– Le patron a prétendu n’aime pas l’artillerie.¶– Oui, mais il adore la noblesse et vous êtes un ci-devant ! Le patron, reprit Montcornet,

a dit que ceux qui étaient restéss’étaient mariés à Paris pendant la campagne ne devaient pas êtreconsidérés comme en disgrâce... EhEh ! bien ?..¶?¶

Le comte de Soulanges semblait ne rien comprendre à ce discours. ¶.¶– Ah çà ! j’espère maintenant, reprit le colonel, que vous me direz si vous connaissez une

charmante petite femme charmante, assise au pied d’un candelabre... ¶candélabre...¶A ces mots, les yeux du comte brillèrent d’un éclat inusité ; et, saisissant s’animèrent, il

saisit avec une violence inouïe la main du colonel :¶ : – Mon brave camaradecher général, luidit-il d’une voix sensiblement altérée, si ce n’était pas vous... si un autre que vous me faisaitcette question ?.., je lui fendrais le crâne avec cette masse d’or... Laissez-moi, je vous ensupplie.. J’ai plus envie, ce soir, de me brûler la cervelle, que..... Je hais tout ce que je vois.....Aussi je, vais -je partir, car cette . Cette joie, cette musique, ces visages stupides qui rient,m’assassinent. ¶.¶

– Mon pauvre ami......, reprit d’une voix douce le colonel,Montcornet en frappantamicalement dans la main de Soulanges, vous êtes-vous passionné !.... Que diriez-vous donc sije vous apprenais que Martial songe si peu à madame de Vaudremont, qu’il s’est épris de cettepetite dame ? ¶?¶

– S’il lui parle !........, s’écria Soulanges en bégayant de fureur, je le rendrai aussi platque son portefeuille, quand même le fat serait dans le giron de l’empereur......¶l’Empereur.¶

Et le comte tomba, comme anéanti, sur la causeuse vers laquelle le colonel l’avait mené.Ce dernier se retira lentement, car il s’aperçut que M. de Soulanges était en proie à une colèretrop violente pour que des plaisanteries ou les soins d’une amitié superficielle pussent lecalmer.¶ Quand le beau cuirassiercolonel Montcornet rentra dans le grand salon de danse,madame de Vaudremont fut la première personne qui s’offrit à ses regards, et il remarqua sur safigure, ordinairement si calme, quelques traces d’une agitation secrète mal déguisée. Une chaiseétait vacante auprès d’elle, le colonel vint s’y élança. ¶asseoir.¶

– Je gage que vous êtes tourmentée ?...... dit-il. ¶.¶– Oh ! c’est une bagatelle, colonel.– Bagatelle, général. Je voudrais être déjà partie d’ici,

car j’ai promis d’être au bal de la grande-duchesse de Berg, et il faut que j’aille auparavant chezla princesse de Wagram. M.onsieur de la Roche-Hugon, qui le sait, s’amuse à conter fleurette àdes douairières. ¶.¶

– Ce n’est pas là tout- à- fait le sujet de votre inquiétude........ Et , et je gage cent louisque vous resterez ici ce soir.... ¶.¶

– Impertinent........¶ !¶– J’ai donc dit vrai ?.... ¶?¶– Méchant !....– Eh bien ! que pensé-je ? reprit la belle comtesse en donnant un coup

d’éventail sur les doigts du colonel. Eh bien ! que pensais-je ?.. Je suis capable de vousrécompenser si vous le devinez. ¶.¶

– Je n’accepterai pas le défi, car j’ai trop d’avantages.....¶– Présomptueux....¶ !¶

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– Eh bien ! vous Vous craignez de voir Martial aux pieds......... ¶...¶– De qui ?... demanda la comtesse en eu affectant la surprise. ¶.¶– De ce candelabre....candélabre, répondit le colonel en montrant le coin où était la belle

in- connue, et regardant la comtesse avec une attention gênante. ¶.¶– Eh bien ! vous Vous avez deviné !....., répondit la coquette en se cachant la figure sous

son éventail, avec lequel elle se mit à jouer.¶ – La vieille madame de MarignyLansac, qui, vousle savez, est maligne comme un vieux singe, reprit-elle après un moment de silence, vient de medire que M.monsieur de la Roche-Hugon courait quelques dangers à faire la cour àcourtiser cetteinconnue qui se trouve ce soir, ici, comme un trouble-fête. – J’aimerais mieux voir la mort quecette figure si cruellement belle, et aussi pâle, aussi immobile autant qu’une vision. C’est monmauvais génie.¶ – Madame de MarignyLansac, continua-t-elle, après avoir laissé échapper unsigne de dépit, qui ne va au bal que pour tout voir en faisant semblant de dormir, m’acruellement inquiétée. Certes, Martial me paiera cher le tour qu’il me joue..... Mais cependantCependant, engagez-le, colonelgénéral, puisque c’est votre ami, à ne pas me faire de la peine. ¶.¶

– Je viens de voir un homme qui ne se propose rien moins que de lui brûler la cervelle,s’il s’adresse à cette petite dame !.... Et cet. Cet homme-là, madame, est de parole. – Mais jeconnais Martial. Tous , ces périls sont autant d’encouragemens.d’encouragements. Il y a plus, ;nous avons parié...... Ici le colonel baissa la voix. ¶.¶

– Serait-ce vrai ?...., demanda la comtesse. ¶.¶– Sur mon honneur. ¶.¶– Merci, colonel....général, répondit madame de Vaudremont en lui lançant un regard

plein de coquetterie. ¶.¶– Me ferez-vous l’honneur de danser avec moi ?...... ¶?¶– Oui, mais la seconde contredanse ; car, pendant. Pendant celle-ci, je veux savoir ce que

peut devenir cette intrigue, et savoir qui est cettecelle petite dame bleue. Elle , elle a l’airspirituel. ¶.¶

Alors leLe colonel, devinant voyant que madame de Vaudremont voulait être seule,s’éloigna, satisfait d’avoir si bien commencé l’attaque qu’il méditait. ¶son attaque.¶

Il y a toujours,se rencontre dans les fêtes, des quelques dames qui, semblables à madamede MarignyLansac, sont là comme de vieux marins, occupés sur le bord de la mer à contemplerles tempêtes que combattent de jeunes matelots. Or, en aux prises avec les tempêtes. En cemoment, madame de MarignyLansac, qui paraissait s’intéresser aux personnages de cette scène,put facilement deviner la lutte cruelle qui se passait dans le cœur de à laquelle la comtesse. étaiten proie. La jeune coquette avait beau s’éventer gracieusement, sourire à des jeunes gens qui lasaluaient, et mettre en usage toutes les ruses de dont se sert une femme pour cacher son émotion,la douairière, l’une des plus savantesperspicaces et malicieuses duchesses de la cour de LouisXV, que le dix-huitième siècle avait léguées au dix-neuvième, savait lire dans son coeur et danssa pensée. La vieille dame semblait percer les mystères ensevelis sous les traits de la comtesse.¶La vieille dame savait y reconnaître ces mouvemensles mouvements imperceptibles de lapaupière ou de l’iris qui décèlent les affections de l’âme. Le pli le plus léger qui venait à rider cefront si blanc et si pur, le tressaillement le plus insensible des pommettes, le jeu des sourcilsaccusateurs, l’inflexion la moins visible des lèvres dont le corail mouvant ne pouvait lui riencacher, étaient pour la duchesse comme les caractères d’un livre. Aussi, duDu fond de la sabergère qu’elle , que sa robe remplissait entièrement, la coquette émérite, tout en causant avec undiplomate dont elle était recherchée pour qui la recherchait afin de recueillir les anecdotesqu’elle contait à merveille, s’admirasi bien, s’admirait elle-même dans cette la jeune coquette.

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Elle ; elle la prit en goût en lui voyant si bien déguiser son chagrin et les déchiremens de soncœur.¶ déchirements de son coeur. Madame de Vaudremont ressentait en effet autant de douleurqu’elle feignait de gaîté. Ellegaieté : elle avait cru rencontrer en dans Martial un homme detalent sur lequell’appui duquel elle comptait pour embellir sa vie de toutes les faveurs de courqu’elle ambitionnait. En ce momenttous les enchantements du pouvoir ; en ce moment, ellereconnaissait une erreur aussi cruelle pour sa réputation que pour son amour-propre. Chez elle,comme chez les autres femmes de cette époque, la soudaineté des passions ne pouvaitqu’augmenter la augmentait leur vivacité des sentimens.. Les âmes qui vivent beaucoup et vitene souffrent pas moins que celles qui se consument dans une seule affection. Plus d’un évantailcachait alors de courtes mais de terribles tortures. La prédilection de la comtesse pour Martialétait née de la veille, il est vrai ; mais le plus inepte des chirurgiens sait que la souffrance causéepar l’amputation d’un membre vivant est plus douloureuse que ne l’est celle d’un membremalade. Il y avait de l’avenir dans le goût de madame de Vaudremont pour Martial, tandis que sapassion précédente était sans espérance, et empoisonnée par les remords de Soulanges.¶ Lavieille duchesse sut tout deviner ; et alors elle s’empressa de congédier l’ambassadeur , quil’obsédaitépiait le moment opportun de parler à la comtesse, s’empressa de congédier sonambassadeur ; car , en présence de maîtresses et d’amansd’amants brouillés, tout intérêt pâlit,même chez une vieille femme. AussiPour engager la lutte, madame de MarignyLansac lança-t-elle, pour engager la lutte, un regard sardonique sur madame de Vaudremont. Ce un regardterrible sardonique qui fit craindre à la jeune coquette de voir son sort entre les mains de ladouairière. Il y a en effet est de ces regards de femme à femme qui sont comme des flambeauxtragiques amenés dans les dénouemens nocturnes.¶ Il faudrait connaître l’ex-dénouements detragédie. Il faut avoir connu cette duchesse pour apprécier la terreur que le jeu de saphysionomie inspirait à la comtesse. Madame de MarignyLansac était grande, ses traits faisaientdire d’elle : – voilà Voilà une femme qui a dû être jolie ! Elle se couvrait les rides de ses jouesde tant de couches de rouge qu’elles que ses rides ne paraissaient presque plus ; mais ses yeux,loin de recevoir un éclat factice de ce carmin foncé, ses yeux n’en étaient que plus ternes. Elleportait une grande quantité de diamansdiamants, et s’habillait avec assez de goût pour ne pasprêter au ridicule. Sa Son nez pointu annonçait l’épigramme. Un râtelier bien mis conservait à sabouche, enrichie d’un ratelier artistement posé, n’était pas ridée et conservait une grimaced’i ronie qui la faisait ressembler à rappelait celle de Voltaire. Son nez pointu annonçait uneépigramme, et cependantCependant l’exquise politesse de ses manières adoucissait si bien latournure malicieuse de ses idées qu’on ne pouvait l’accuser de méchanceté.¶ Un regardtriomphal anima les deux yeux gris de la vieille dame et sembla traverser Les yeux gris de lavieille dame s’animèrent, un regard triomphal accompagné d’un sourire qui disait : – Je vousl’avais bien promis ! traversa le salon pour aller répandre, et répandit l’incarnat de l’espérancesur les joues pâles de la petite dame jeune femme qui gémissait aux pieds du candelabre. Unsourire qui disait : – Je vous l’avais bien promis ! accompagna ce regard perçant.¶ au pied ducandélabre. Cette imprudente révélation de l’alliance existantalliance entre madame deMarignyLansac et l’inconnue, ne pouvait échapper à l’œill’oeil exercé de la comtesse deVaudremont. Elle , qui entrevit un mystère et le voulut le pénétrer. La curiosité atténua sadouleur passagère.¶ En ce moment, le baron de la Roche-Hugon avait après avoir achevé dequestionner toutes les douairières pour sans pouvoir apprendre le nom de la dame bleue ; mais,semblable à bien des antiquaires, il avait perdu tout son latin à cette malheureuse recherche. Ilvenait même de s’adresser, s’adressait en désespoir de cause, à la comtesse de Gondreville, etn’en avait reçu recevait que cette réponse peu satisfaisante :¶ : – C’est une dame que l’ancienne

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duchesse de MarignyLansac m’a présentée.......¶ Tout-à-coup le maître des requêtes, se tournant En se retournant par hasard vers la bergère occupée par la vieille dame, le maître des requêtes ensurprit le regard d’intelligence qu’elle jetait àlancé sur l’inconnue, objet de son caprice.¶ Lescouleurs qui nuancèrent les joues de cette solitaire personne lui donnèrent tant d’éclat que lemaître des requêtes, excité par l’aspect d’une beauté si puissante, résolut d’aborder madame deMarigny et quoiqu’il fût assez mal avec elle depuis quelque temps., il résolut de l’aborder. Envoyant le sémillant baron tournerrôdant autour de sa bergère, l’ex-l’ancienne duchesse souritavec une malignité sardonique, et regarda madame de Vaudremont d’un air de triomphe qui fitrire le colonel. ¶ Montcornet.¶

– ElleSi la vieille bohémienne prend un air d’amitié, la vieille bohémienne ! se dit en lui-même pensa le baron, elle va sans doute me jouer quelque méchant tour.¶ – Madame, lui dit-il,vous vous êtes chargée, me dit-on, de veiller sur un bien précieux trésor ! ¶!¶

– Me prenez-vous pour un dragon ?, demanda la vieille dame en jouissant un moment del’embarras du jeune homme. – . Mais de quoi qui parlez-vous ?.. ajouta-t-elle avec une douceurde voix qui rendit l’espérance à Martial. ¶.¶

– De cette petite dame inconnue, que la jalousie de toutes ces coquettes a confinée là-bas ?..... Vous connaissez sans doute sa famille ?....¶?¶

– Oui, dit la duchesse en souriant avec malice.¶ – Oui, dit la duchesse ; mais que voulez-vous faire d’une héritière de province, mariée depuis quelque temps, une fille bien née que vousne connaissez pas, vous autres, elle ne va nulle part. – Pourquoi ne danse-t-elle pas ? Elle est sibelle ! Voulez-vous que nous fassions un traité de paix ? Si vous daignez m’instruire de tout ceque j’ai intérêt à savoir, je vous jure ma parole d’honneur que votre qu’une demande enrestitution des bois de Marigny,Navarreins par le domaineDomaine extraordinaire, serachaudement appuyée auprès de l’empereur. ¶l’Empereur.¶

– M.La branche cadette de la maison de Navarreins écartelé de Lansac qui est d’azur aubâton écoté d’argent, flanqué de six fers de lance aussi d’argent mis en pals, et la liaison de lavieille dame avec Louis XV lui avait valu le barontitre de duchesse à brevet ; et, comme lesNavarreins n’étaient pas encore rentrés, le jeune maître des requêtes proposait tout uniment unelâcheté à la vieille dame en lui insinuant de redemander un bien appartenant à la branche aînée.¶

– Monsieur, répondit la vieille dame avec une gravité trompeuse, amenez-moi lacomtesse de Vaudremont. Je vous promets de lui révéler tout le mystère qui rend notre inconnuesi intéressante. Voyez ? Tous , tous les hommes du bal sont arrivés au même degré de curiositéque vous. – Les yeux se portent involontairement vers ce candelabrecandélabre où ma protégées’est modestement placée la pauvre enfant. Elle , elle recueille tous les hommages qu’on a voulului ravir. – Bienheureux celui qui dansera avec elle !....¶ Bienheureux celui qu’elle prendra pourdanseur ! Là, elle s’interrompit en fixant la comtesse de Vaudremont par un de ces regards quidisent si bien : – Nous parlons de vous !¶ . Puis elle ajouta : – Je pense que vous aimerez mieuxapprendre le nom de l’inconnue de la bouche de votre belle comtesse que de la mienne ?...¶?¶

L’attitude de la duchesse était si provocante, que madame de Vaudremont se leva, vintauprès d’elle, s’assit sur la chaise que lui offrit Martial ; et, sans faire attention à ce dernier :¶lui : – Je devine, madame, lui dit-elle en riant, que vous parlez de moi, ; mais j’avoue moninfériorité, et je ne sais si c’est en bien ou en mal ?¶.¶

Madame de MarignyLansac serra, de sa vieille main sèche et ridée, la jolie main de lajeune damefemme, et , d’un ton de compassion, elle lui répondit à voix basse :¶ : – Pauvrepetite !....¶!¶

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Les deux femmes se regardèrent. Madame de Vaudremont comprit que le baron Martialétait de trop, et alors elle le congédia par l’air impérieux avec lequel elle lui dit :¶ en lui disantd’un air impérieux : – Laissez-nous un moment ! ¶nous !¶

Le maître des requêtes, peu satisfait de voir la comtesse sous le charme de la dangereusesibylle qui l’avait attirée auprès d’elle, lui lança un de ces regards d’homme, si puissans sur uncœur aimantpuissants sur un coeur aveugle, mais qui paraissent si ridicules à une femme quandelle est arrivée à discuter commence à juger celui dontde qui elle s’est éprise. ¶.¶

– Auriez-vous la prétention de singer l’empereur ?..l’Empereur ? dit madame deVaudremont, en mettant sa tête de trois quarts, pour contempler le maître des requêtes d’un airironique. ¶.¶

IlMartial avait trop l’usage du monde, trop de finesse et de bon goûtcalcul pour s’exposerà rompre avec la jolie coquette ; une femme si bien en cour et que l’Empereur voulait marier ; ilcompta d’ailleurs, il compta sur la jalousie qu’il se proposait d’éveiller en elle, comme sur lemeilleur moyen de deviner le secret de sa froideur subite. Il , et s’éloigna d’autant plusvolontiers, qu’en cet instant, une nouvelle contredanse mettait tout le monde en mouvementtoutes les danseuses. Les joyeux accens de l’orchestre retentissaient, et l’on eût dit une nuée depapillons aux mille couleurs, venant dans le même parterre, au concert harmonieux des oiseauxd’un bocage.. Le baron eut l’air de céder la place aux quadrilles, et il alla s’appuyer sur lemarbre d’une console. Il , se croisa les bras sur la poitrine, et resta, à trois pas, tout occupé del’entretien secret des deux dames.¶ De temps en temps, il suivait les regards que, toutes deux, jetèrent à plusieurs reprises sur l’inconnue ; et . Comparant alors, en comparant la comtesse et àcette beauté nouvelle que le mystère rendait si riche de toutes les espérances données par lemystère dont elle s’enveloppaitattrayante, le baron étaitfut en proie à toutes les horreurs del’indécision. Ilaux odieux calculs habituels aux hommes à bonnes fortunes : il flottait entre saunefortune à faireprendre et unson caprice à contenter.¶ Le reflet des lumières faisait si bienressortir si puissamment sa figure soucieuse et sombre sur les draperies de moire blanchefroissées par ses cheveux noirs, qu’on aurait pu le comparer ainsi à un à quelque mauvais génie ;et de . De loin, plus d’un observateur dûtdut sans doute se dire : – voilà Voilà encore un pauvrediable qui paraît s’amuser beaucoup.¶ ! L’épaule droite légèrement appuyée sur le chambranledoré de la porte qui se trouvait entre la salle de jeu et le salon de danse et la salle de jeu, lecolonel pouvait rire incognito, grâce à l’ampleur de ses sous ses amples moustaches. Il , iljouissait du plaisir ineffable de contempler le tumulte enivrant du bal. Il ; il voyait cent joliestêtes tournoyertournoyant au gré des caprices de la danse. Il ; il lisait sur quelques figures,comme sur celles de la comtesse et de son ami Martial, les secrets de leur agitation. Puis ; puis,en détournant la tête, il comparait se demandait quel rapport existait entre l’air sombre du comtede Soulanges, toujours assis sur la causeuse où il l’avait laissé, à, et la physionomie douce etplaintive de la dame inconnue sur le visage de laquelle apparaissaient tour- à- tour les joies del’espérance et les angoisses d’une terreur involontaire. Il y avait, pour l’heureux cuirassier, desmystères à deviner, une fortune à espérer d’un amour naissant, les leçons que donne l’ambitieuxtourmenté à lire, le spectacle d’une passion violente à contempler, puis les sourires de cent joliesfemmes brillantes et parées à recueillir selon qu’il lui plaisait d’arrêter sa vue sur les quadrilles,sur Soulanges, sur Martial, sur la Montcornet était là comme le roi de la fête, il trouvait dans cetableau mouvant une vue complète du monde, et il en riait en recueillant les sourires intéressésde cent femmes brillantes et parées : un colonel de la garde impériale, poste qui comportait legrade de général de brigade, était certes un des plus beaux partis de l’armée. Il était minuitenviron. Les conversations, le jeu, la danse, la coquetterie, les intérêts, les malices et les projets,

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tout arrivait à ce degré de chaleur qui arrache à un jeune homme cette exclamation : – Le beaubal !¶

– Mon bon petit ange, disait madame de Lansac à la comtesse ou sur l’inconnue. Sapensée embrassait toutes ces idées en même temps, et il était là plein de gaîté comme le roi de lafête. Il avait dans ce tableau mouvant une vue complète du monde et de la vie humaine ; mais ilen riait sans chercher à s’en expliquer les ressorts. Il était minuit environ et les conversations, lejeu, la danse, la coquetterie, les intérêts, les malices et les projets, tout était arrivé à ce degré dechaleur qui arrache à un jeune homme cette exclamation : – C’est une belle chose qu’un bal !....¶– Mon bon petit ange, disait madame de Marigny à la comtesse, je suis bien plus vielle que je nele parais, car si j’ai soixante-cinq ans, j’ai vécu un siècle. Vous, vous êtes, ma chère, à un âge oùj’ai fait bien des fautes !.... et, en . En vous voyant souffrir tout à l’heure mille morts, j’ai eu lapensée de vous donner quelques avis charitables. Commettre des fautes à vingt-deux ans, c’estn’est-ce pas gâter son avenir ; c’est , n’est-ce pas déchirer la robe qu’on doit mettre. Ah, ma ?Ma chère, nous n’apprenons que bien tard à nous en servir sans la chiffonner..... Continuez, mabelle enfant, à vous fairemon coeur, à vous procurer des ennemis adroits et des amis sans espritde conduite, et vous verrez quelle jolie petite vie vous mènerez... un jour.¶

– Ah ! madame, on une femme a bien de la peine à être heureuse, n’est-ce pas ?... s’écrianaïvement la comtesse. ¶.¶

– Ma petite, c’est qu’il faut savoir choisir, à votre âge, entre les plaisirs et le bonheur.– Écoutez-moi ? – Vous voulez épouser Martial. Eh bien, il, qui n’est ni assez sot pourdevenirfaire un bon mari, ni assez bon pour vous rendre heureuse.passionné pour être un amant.Il a des dettes, ma chère !... Il , il est homme à dévorer votre fortune. C’est ; mais ce ne seraitrien s’il vous donnait le bonheur. Ne voyez-vous combien il est vieux ? Cet homme doit avoirété souvent malade, il jouit de son reste. Dans trois ans, ce sera un homme fini. L’ambitieuxcommencera, peut-être réussira-t-il. Je ne le crois pas. Qu’est-il ? un intrigant qui peut posséderà merveille l’esprit des affaires, et babiller agréablement ; mais il est trop avantageux pour avoirun vrai mérite. Il , il n’ira pas loin. D’ailleurs, tenez ?.. regardez-le ?..! Ne lit-on pas sur ce sonfront-là que, dans ce moment-ci, ce n’est pas une jeune et jolie femme qu’il voit en vous ;, maisbien les deux millions que vous possédez... ? Il ne vous aime pas, ma chère, il vous calculecomme s’il s’agissait d’une multiplication.affaire. Si vous voulez vous marier, prenez un hommeplus âgé, et qui ait de la considération., et qui soit à la moitié de son chemin. Une veuve ne doitpas faire de son mariage une affaire d’amourette. Est-ce qu’une Une souris s’attrape -t-elle deuxfois au même piègepiége ? Maintenant c’est , un nouveau contrat doit être une spéculation pourvous qu’un nouveau contrat, et il faut, en vous remariant, avoir au moins l’espoir de vousentendre nommer un jour : jour madame la maréchale. ¶.¶

En ce moment, les yeux des deux dames femmes se fixèrent naturellement sur la bellefigure du colonel. ¶ Montcornet.¶

– Si vous voulez jouer le rôle difficile d’une coquette et ne pas vous marier..., reprit laduchesse avec bonhomie ;, ah, ! ma pauvre petite, vous saurez, mieux que toute autre, amoncelerles nuages d’une tempête et la dissiper !... mais. Mais, je vous en conjure, ne vous faites jamaisun plaisir de troubler la paix des ménages, de détruire l’union des familles et le bonheur desfemmes qui sont heureuses.... Je l’ai joué, ma chère, ce rôle dangereux rôle... Et, j’ai appris unpeu trop tard que, suivant l’expression de je ne sais quel diplomate, un saumon vaut mieux quemille grenouilles ! Oui, ma belle. Hé, mon Dieu, pour un triomphe d’amour- propre, onassassine souvent de pauvres créatures vertueuses, ; car il y aexiste vraiment, ma chère, desfemmes vertueuses. Si vous saviez qu’, et l’on se crée des haines mortelles. Un peu trop tard, j’ai

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appris que, suivant l’expression du duc d’Albe, un saumon vaut mieux que mille grenouilles !Certes, un véritable amour donne mille fois plus de jouissances que les passions éphémèresqu’on excite. ! EhEh ! bien, je suis venue ici pour vous prêcher ?... Oui, c’est vous, mon bonpetit ange, qui êtes la cause de mon apparition dans ce salon qui pue le peuple. Ne viens-je pasd’y voir des acteurs ?... Autrefois, ma chère, on les recevait dans son boudoir, ; mais au salon, fidonc !... Oui, oui, ne Pourquoi me regardez pas -vous d’un air si étonné.¶ – Ecoutez ? Écoutez-moi ?! Si vous voulez vous jouer des hommes ?.., reprit la vieille dame, ne bouleversez lecœurcoeur que de ceux dont la vie n’est pas arrêtée, de ceux qui n’ont pas de devoirs à remplir...c’est une ; les autres ne nous pardonnent pas les désordres qui les ont rendus heureux. Profitezde cette maxime dûedue à ma vieille expérience : profitez-en.. Ce pauvre Soulanges, parexemple, auquel vous avez fait tourner la tête, et que, depuis quinze mois, vous avez enivré,Dieu sait comme !.... Eh eh ! bien, savez-vous sur quoi ont portéportaient vos coups ?..... – Sur sur sa vie tout entière !. Il est marié. Il depuis trente mois, il est adoré d’une chère petitecharmante créature qu’il aimait, et qu’il a trompée. Elle n’a vécu que de aime et qu’il trompe ;elle vit dans les larmes, et dans le silence le plus amer. Soulanges a eu des momensmoments deremords plus cruels que ses plaisirs n’étaient doux !. Et vous, – petite rusée, vous l’avez trahi !Hé. Eh ! bien, venez contempler votre ouvrage. ¶ La vieille duchesse prit la main de madame deVaudremont, et elles se levèrent. ¶ – Tenez ?, lui dit madame de MarignyLansac en lui montrantdes yeux l’inconnue pâle et tremblante sous les feux du lustre. Voilà, voilà ma petite nièce, lacomtesse de Soulanges !.. Elle, elle a enfin cédé aujourd’hui à mes instances, elle a consenti àquitter la chambre de douleur où la vue de son enfant ne lui apportait que de bien faiblesconsolations.... ; la voyez-vous ? Elle elle vous paraît charmante, : eheh ! bien ! ma petite, chèrebelle, jugez de ce qu’elle était devait être quand le bonheur et l’amour répandaient leur éclat surcette figure maintenant flétrie....¶ La comtesse détourna silencieusement la tête et parut en proieà de graves réflexions. La duchesse l’amena insensiblement jusqu’à la porte de la salle de jeu ;etpuis, après y avoir jeté un coup-d’œilles yeux, comme si elle eût voulu y chercher quelqu’un :¶: – Et voilà Soulanges !..., dit-elle à la jeune coquette d’un son de voix profond. ¶.¶

La jeune et brillante comtesse frissonna en apercevantquand elle aperçut, dans le coin lemoins éclairé de ce du salon une , la figure pâle et contractée. M. de Soulanges avait le dosappuyé sur une la causeuse. L’affaissement : l’affaissement de ses membres et l’immobilité deson front accusaient un haut degré detoute sa douleur. Il était seul, abandonné, et, les joueursallaient et venaient devant lui, sans y faire plus d’attention que s’il eût été mort. C’était plutôtune ombre qu’un homme.¶ Le spectacle deLe tableau que présentaient la femme en larmes et dule mari morne et sombre, séparés l’un de l’autre, au milieu de cette fête, comme les deux moitiésd’un arbre frappé par la foudre, eut peut-être quelque chose de terrible et de prophétique pour lacomtesse. Elle craignit d’y voir une image des vengeances que lui gardait l’avenir. Soncœurcoeur n’était pas encore assez flétri pour que la sensibilité et l’indulgence en fussententièrement bannies ; et alors, elle pressa la main de la duchesse en la remerciant par un de cesdoux sourires qui ont une certaine grâce enfantine. ¶.¶

– Mon cher enfant, lui dit la vieille femme à l’oreille, songez désormais que nous savonsaussi bien repousser les hommages des hommes que nous les attirer.... ¶.¶

– Elle est à vous, si vous n’êtes pas un niais....¶Ces dernières paroles furent soufflées par madame de Marigny,Lansac à l’oreille du

colonel, Montcornet pendant que la belle comtesse se livrait à toute la compassion que luiinspirait l’aspect de M. de Soulanges. Elle , car elle l’aimait encore assez sincèrement pour le

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vouloir le rendre au bonheur, et elle se promettait intérieurement d’employer l’irrésistiblepouvoir qu’exerçaient encore ses séductions sur lui, pour le renvoyer à sa femme. ¶.¶

– Oh ! comme je vais le prêcher !....., dit-elle à madame de Marigny. ¶Lansac.¶– Vous n’en ferezN’en faites rien, j’espère, ma bellechère ! s’écria la duchesse en

regagnant sa bergère. Mais vous vous choisirez , choisissez-vous un bon mari et vousfermerezfermez votre porte à mon neveu. Vous éviterez de le rencontrer dans le monde ; et,quand il sera guéri de sa maladie, vous lui offrirezNe lui offrez même pas votre amitié....Croyez-moi, mon angeenfant, une femme ne reçoit pas d’une autre femme le cœurcoeur de sonmari. Elle, elle est cent fois plus heureuse de croire qu’elle l’a reconquis elle-même, et je croisavoir donné à. En amenant ici ma nièce , je crois lui avoir donné un excellent moyen de regagnerl’affection de son mari en l’amenant ici..... Je ne vous demande, pour toute coopération, qued’agacer notre beau colonel de cuirassiers.... ¶le général.¶

Et, quand elle luila duchesse montra l’ami du maître des requêtes, la comtesse sourit. ¶.¶– Eh bien ! , madame, savez-vous enfin le nom de cette inconnue ?.. demanda le baron

d’un air piqué à la comtesse, quand elle se trouva seule.¶ – Oui, dit madame de Vaudremont enregardant le maître des requêtes. Il y avait dans sa figure.¶

Sa figure exprimait autant de finesse que de gaieté. Le sourire qui répandait la vie sur seslèvres et sur ses joues, la lumière humide de ses yeux étaient semblables à ces feux follets quiabusent le voyageur.¶ Martial , qui se crut toujours aimé. Prenant , prit alors cette attitudecoquette dans laquelle un homme se balance si complaisamment auprès de celle qu’il aime, il etdit avec fatuité :¶ : – Et ne m’en voudrez-vous pas si je parais attacher beaucoup de prix à savoirce nom..... ¶ ?¶

– Et ne m’en voudrez-vous pas, répliqua madame de Vaudremont, si, par un rested’amour, je ne vous le dis pas, et si je vous défends de faire la moindre avance à cette jeunedame. – ? Vous risqueriez votre vie, peut-être. ¶.¶

– Madame, perdre vos bonnes grâces, c’est n’est-ce pas perdre plus que la vie..... ¶ ?¶– Martial !..., dit sévèrement la comtesse, c’est madame de Soulanges ! . . . . et son . Le

mari vous brûlerait la cervelle, si vous en avez, toutefois.... ¶.¶– Ah ! ah ! répliqua le fat en riant ; de sorte que, le colonel laissera vivre en paix celui

qui lui a enlevé votre cœurcoeur et se battrait pour sa femme..... ? Quel renversement deprincipes !... Je vous en prie, permettez-moi de danser avec cette petite dame ?.... Vous pourrezainsi avoir la preuve du peu d’amour du cœurque renfermait pour vous ce coeur de neige quevous avez congédié ;, car, si le colonel trouve mauvais que je fasse danser sa femme, après avoirsouffert que je vous...¶

– Mais elle aime son mari....¶– C’est un obstacleObstacle de plus que... j’aurai le plaisir de vaincre.¶– Mais, elle est mariée..... ¶.¶– Plaisantes objections dans votre bouche.¶ – Plaisante objection !¶– Ah ! dit la comtesse avec un sourire amer, vous nous punissez également de nos fautes

et de nos repentirs !... Puis vous vous plaignez de notre légèreté !... C’est le maître qui reprochel’esclavage à son esclave. Êtes-vous injustes ! ¶.¶

– Ne vous fâchez pas !, dit vivement Martial. Oh ! je vous en supplie, pardonnez-moi !.Tenez, je ne pense plus à madame de Soulanges. ¶.¶

– Vous mériteriez bien que je vous envoyasse auprès d’elle. ¶.¶– J’y vais........, dit le baron en riant ; mais , et je reviendrai plus épris de vous que

jamais, et vous . Vous verrez que la plus jolie femme du monde ne peut pas s’emparer d’un cœur

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quand il coeur qui vous appartient.¶ – C’est-à-dire que vous voulez gagner le cheval ducolonel ?...¶

– Ah ! le traître !...., répondit-il en riant et menaçant du doigt son ami qui souriait. ¶.¶Alors le Le colonel arriva et, le baron lui céda la place auprès de la comtesse, à laquelle il

dit d’un air sardonique :¶ : – Madame, voici un homme qui s’est vanté de pouvoir gagner vosbonnes grâces dans une soirée ! ¶.¶

Il s’éloigna en s’applaudissantIl s’applaudit en s’éloignant d’avoir révolté l’amour-proprede la comtesse et desservi le colonelMontcornet ; mais, malgré sa finesse habituelle, il n’avaitpas deviné toute l’ironie dont étaient empreints les propos de madame de Vaudremont étaientempreints, ne s’apercevant même pas , et ne s’aperçut point qu’elle avait fait autant de pas versson ami que son ami vers elle, quoiqu’à l’insu l’un de l’autre.¶ Au moment où le maître desrequêtes s’approchait en papillonnant du brillant candelabrecandélabre sous lequel la comtessede Soulanges, pâle et craintive, semblait ne vivre que des yeux, son mari arriva près de la portedu salon, d’un air farouche en montrant deuxdes yeux étincelansétincelants de passion. La vieilleduchesse, attentive à tout, s’élança, avec la vivacité de la jeunesse, vers son neveu ; elle, luidemanda le son bras et sa voiture pour sortir, en prétextant un ennui mortel et se flattant deprévenir ainsi un éclat fâcheux. Elle fit, avant de partir, un singulier signe d’intelligence à sanièce, en lui désignant l’entreprenant cavalier qui se préparait à lui parler. Ce , et ce signeflamboyant semblait lui dire : – le Le voici, venge-toi. ¶.¶

Madame de Vaudremont surprit le regard de la tante et de la nièce. Une , une lueursoudaine illumina son âme, et la jeune coquetteelle craignit d’être la dupe de cette vieille dame sisavante et si rusée en intrigue.¶ – Cette perfide duchesse, se dit-elle, aura peut-être trouvéplaisant de me faire de la morale en me jouant quelque méchant tour de sa façon. ¶.¶

A cette pensée, l’amour-propre de madame de Vaudremont fut peut-être encore plusfortement intéressé que sa curiosité à démêler le fil de cette intrigue. La préoccupation intérieureà laquelle elle fut en proie ne la laissa pas maîtresse d’elle-même. Alors le Le colonel,interprétant à son avantage la gêne répandue dans les discours et les manières de la comtesse,n’en devint que plus ardent et plus pressant.¶ Ainsi, de nouveaux mystères, palpitans d’intérêt,vinrent animer cette mouvante scène. En effet les Les vieux diplomates blasés, qui s’amusaientà observer le jeu des physionomies, n’avaient jamais rencontré tant d’intrigues à suivre ou àdeviner. Les passions qui agitaient le double couple dont cette histoire retrace l’aventure, sediversifiaient à chaque pas dans ces salons animés en se représentant avec d’autres nuances surchaque figure d’homme et de femme.¶ Les vieux diplomates blâsés, qui s’amusaient à observerle jeu des physionomies et à deviner les intrigues, n’avaient jamais rencontré une aussi richemoisson de plaisirs. Néanmoins, le d’autres figures. Le spectacle de tant de passions vives, toutesces querelles d’amour, ces vengeances douces, ces faveurs cruelles, ces regards enflammés, toutecette vie brûlante répandue autour d’eux, ne leur faisait sentir que plus vivement leurimpuissance.¶ Enfin, le baron avait pu s’asseoir auprès de la comtesse de Soulanges. Ses yeuxerraient à la dérobée sur un cou frais comme la rosée, parfumé comme une fleur des champs. Iladmirait de près des beautés qui de loin l’avaient étonné. Il pouvait voir un petit pied bienchaussé et, mesurer de l’œill’oeil une taille souple et gracieuse. A cette époque, les femmesnouaient la ceinture de leurs robes précisément au -dessous de leur du sein, à l’imitation de cellesdes statues grecques. Cette , mode était impitoyable pour les femmes dont le corsage avaitquelque défaut. Martial,En jetant des regards furtifs sur ce sein, Martial resta ravi de laperfection des formes célestes de la comtesse. Il était ivre d’amour et d’espérance.¶

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– Vous n’avez pas dansé, une seule fois, ce soir, madame ?......, dit-il d’une voix douce etflatteuse ; ce n’est pas faute de cavalier, j’imagine ?...... ¶?¶

– Voilà près de deux ans que jeJe ne vais point dans le monde, et j’y suis inconnue....,répondit madame de Soulanges avec froideur ; car elle froideur madame de Soulanges quin’avait rien compris au regard par lequel sa tante venait de l’inviter à plaire au baron. ¶.¶

Celui-ci faisait Martial fit alors jouer par maintien le beau diamant qui ornait le doigtannulaire de sa main gauche. Les , les feux jetés par les facettes de la pierre, semblèrent fairepénétrer jeter une lueur subite dans l’âme de la jeune comtesse. Elle qui rougit et regarda lebaron avec une expression indéfinissable. ¶.¶

– Aimez-vous la danse ?..., demanda le Provençal, pour essayer de renouer laconversation. ¶.¶

– OhOh ! beaucoup, monsieur !... ¶.¶A cette étrange réponse, leurs regards se rencontrèrent, car le. Le jeune homme, surpris

de l’accent doux et pénétrant qui réveilla dans son cœurcoeur une vague espérance, avaitsubitement interrogé les yeux de la jeune femme. ¶.¶

– EhEh ! bien, madame, n’est-ce pas une témérité de ma part que de me proposer pourêtre votre partner à la première contredanse. ¶ ?¶

Une confusion naïve rougit les joues blanches de la comtesse. On eût dit des gouttes d’unvin généreux, versées dans une eau limpide.¶

– Mais, monsieur..., j’ai déjà refusé un danseur..., un militaire.... ¶....¶– Serait-ce ce grand colonel de cavalerie que vous voyez là-bas ? ¶?¶– Précisément. ¶.¶– EhEh ! c’est mon ami, ne craignez rien. M’accordez-vous la faveur que j’ose

espérer !.... ¶?¶– Oui, Monsieur.... ¶monsieur.¶Le timbre tremblant de cetteCette voix mélodieuse accusait une émotion si neuve et si

profonde, que l’âme blasée du maître des requêtes en fut ébranlée. Il se sentit envahi par unetimidité de lycéen. Il, perdit son assurance et, sa tête méridionale s’enflamma. Il , il voulutparler, mais ses expressions lui parurent sans grâce, comparées aux reparties spirituelles et finesde madame de Soulanges.¶ Il fut heureux pour lui, que la contredanse commençât ; car, debout.Debout près de sa belle danseuse, il se trouva plus à l’aise. Il y aPour beaucoup d’hommes pourlesquels, la danse est une manière d’être, et qui ; ils pensent, en déployant les grâces de leurcorps, agir plus puissamment que par l’esprit, sur le cœurcoeur des femmes. Le Provençalvoulait sans doute employer en ce moment tous ses moyens de séduction, à en juger par laprétention de tous ses mouvemensmouvements et de ses gestes. Il avait, par vanité, amené saconquête au quadrille où les femmes les plus brillantes du salon mettaient une chimériqueimportance à danser préférablement à tout autre.¶ Pendant que l’orchestre exécutait le préludede la première figure, le baron éprouvaéprouvait une incroyable satisfaction d’orgueil, quand,passant en revue les danseuses placées sur les lignes de ce brillant carré redoutable, il s’aperçutque madame de Soulanges était la plus jolie. Sa toilette de madame de Soulanges défiait mêmecelle de madame de Vaudremont qui, par un hasard cherché peut-être, faisait avec le colonel levis-à-vis du baron et de la dame bleue. Tous les Les regards des hommes se fixèrent un momentsur madame de Soulanges, et : un murmure flatteur annonça qu’elle était le sujet de laconversation de chaque partner avec sa danseuse.¶ Les œilladesoeillades d’envie et d’admirationse croisaient si vivement sur elle, que la jeune dame, commefemme, honteuse d’un triompheauquel elle semblait se refuser, baissa modestement les yeux, rougit, et n’en devint que plus

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charmante. Si elle releva ses blanches paupières, ce fut pour regarder son danseur enivré, commesi elle eût voulu lui reporter la gloire de ces hommages et lui dire qu’elle préférait le sien à tousles autres. Elle ; elle mit de l’innocence dans sa coquetterie, ou plutôt elle parut se livrer à unsentiment neuf, à unela naïve admiration naïve, par laquelle commence l’amour avec cette bonnefoi qui ne se rencontre que dans de jeunes cœurs.¶ coeurs. Quand elle dansa, les spectateurspurent facilement croire que les pièges des pas capricieux qu’elle exécuta d’une manièreravissante, n’étaient tendus que pour Martial, car cette créature aérienne savait, comme qu’ellene déployait ces grâces que pour Martial ; et, quoique modeste et neuve au manége des salons,elle sut, aussi bien que la plus savante coquette, lever à propos les yeux sur lui, ou les baisseravec une feinte modestie.¶ Quand les lois nouvelles de la d’une contredanse inventée par ledanseur Trénis, et à laquelle il donna son nom, amenèrent Martial devant le colonel :¶ : – J’aigagné ton cheval !.., lui dit-il en riant.¶ – Oui, mais tu as perdu quatre-vingt mille livres derente, lui répliqua le colonel en lui montrant la figure sévère de madame de Vaudremont. ¶.¶

– Et qu’est-ce que cela me fait, ! répondit Martial avec un petit geste mutin, madame deSoulanges vaut des millions !.... ¶.¶

A la fin de cette contredanse, plus d’un chuchottementchuchotement résonnait à plusd’une oreille. – Les femmes les moins jolies des femmes faisaient de la morale avec leursdanseurs, à propos de la naissante liaison du baronde Martial et de la comtesse de Soulanges.– Les plus belles s’étonnaient d’une telle facilité. – Les hommes ne concevaient pas le bonheurdu petit maître des requêtes, auquel ils ne trouvaient rien de bien séduisant. – Quelques femmes,plus indulgentes, disaient qu’il ne fallait pas se presser de juger ; et que juger la comtesse : lesjeunes personnes seraient bien malheureuses, si un regard expressif et une danse gracieuseouquelques pas gracieusement exécutés suffisaient pour établir des accusations aussi graves.¶compromettre une femme. Martial seul connaissait l’étendue de son bonheur. A la dernièrefigure, quand les dames du quadrille eurent à former le moulinet. Ses, ses doigts pressèrent alorsceux de la comtesse, et il crut sentir, à travers la peau fine et parfumée des gants, que les doigtsde la jeune femme répondaient à son amoureux appel. ¶.¶

– Madame, lui dit-il au moment où la contredanse se termina, ne retournez pas dans cetodieux coin où vous avez enseveli jusqu’ici votre figure et votre toilette. L’admiration est -elle leseul revenu que vous puissiez tirer des diamansdiamants qui parent votre cou si blanc et vosnattes si bien tressées. – ? Venez faire un petit voyage à travers les salons et une promenadedans les salons pour y jouir du coup-d’œil de la fête et de vous-même. ¶.¶

Madame de Soulanges suivit l’adroit son séducteur, qui pensait qu’elle lui appartiendraitplus sûrement, s’il parvenait à la compromettre ou à l’afficher. Ils Tous deux, ils firent alors undoux pèlerinagequelques tours à travers les groupes qui encombraient les salons magnifiques del’hôtel.¶ La comtesse de Soulanges, inquiète, s’arrêtait un instant avant d’entrer dans chaquesalon, et n’y pénétrait qu’après avoir tendu le cou pour jeter un regard perçant sur tous leshommes, et cette . Cette peur, qui comblait de joie le petit maître des requêtes, ne semblaitcalmée que quand il avait dit à sa tremblante compagne :¶ : – Rassurez-vous, il n’y est pas.¶ Ilsparvinrent ainsi jusqu’à une immense galerie de tableaux, située dans une aile de l’hôtel, et oùl’on jouissait par avance du magnifique aspect d’un ambigu préparé pour trois cents personnes.Le maître des requêtes, devinant queComme le repas allait commencer, Martial entraîna lacomtesse vers un boudoir qu’il avait remarqué.¶ C’était une pièce ovale donnant sur les jardins.Les , et où les fleurs les plus rares et quelques arbustes en faisaient comme un bocage où, àtravers les feuillages et les bouquets, l’œil apercevait formaient un bocage parfumé sous debrillantes draperies. bleues. Le murmure de la fête venait y mourir, comme le bruit du monde

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auprès d’un saint asile.. La comtesse tressaillit en y entrant, et refusa obstinément d’y suivre lejeune homme ; mais, après avoir jeté les yeux sur une glace, elle y vit sans doute desdéfenseurstémoins, car elle alla s’asseoir d’assez bonne grâce sur une voluptueuse ottomane. ¶.¶

– QuelleCette pièce est délicieuse !...., dit-elle en admirant une tenture bleu-de-ciel, quiétait relevée par des perles. ¶.¶

– Tout y est amour et volupté..., dit le jeune homme fortement ému. ¶.¶Puis àA la faveur de la mystérieuse clarté qui régnait dans cette suave retraite, il regarda

la comtesse, et surprit, sur sa figure doucement agitée, une expression de trouble, de pudeur, dedésir, qui l’enchanta. ElleLa jeune femme sourit, et ce sourire sembla mettre fin à la lutte de tousles sentimensdes sentiments qui se heurtaient dans son cœur : aussi, le baron fut-il ravi.¶Ellecoeur, elle prit de la manière la plus séduisante, la main gauche de son adorateur, et lui ôtadu doigt la bague sur laquelle elle avait fixé des yeux animés par tout l’éclat de laconvoitise. ¶ses yeux s’étaient arrêtés.¶

– Voilà un bienLe beau diamant !... s’écria-t-elle doucement et avec la naïve expressiond’une jeune fille qui laisse voir tous les chatouillemensles chatouillements d’une premièretentation. ¶.¶

Martial , ému de la caresse involontaire, mais enivrante que la comtesse lui avait faite endégageant le brillant, la regarda avecarrêta sur elle des yeux aussi étincelansétincelants que labague. ¶.¶

– Portez-la, lui dit-il, en souvenir de cette heure céleste et pour l’amour de..... ¶...¶Elle le contemplait avec tant d’extase qu’il n’acheva pas, il lui baisa la main. ¶.¶– Vous me la donnez ?... dit-elle, avec un air d’étonnement. ¶.¶– Je voudrais vous offrir le monde entier !..¶– Vous ne plaisantez pas ?.. reprit-elle d’une voix altérée par une satisfaction trop

vive. ¶.¶– N’acceptez-vous que mon diamant ?..... ¶?¶– Mais vous Vous ne me le reprendrez jamais ?.., demanda-t-elle. ¶.¶– Jamais !.....¶Elle mit la bague à son doigt.¶ Martial, comptant sur un prochain bonheur, fit un

mouvement ; mais la geste pour passer sa main sur la taille de la comtesse qui se leva tout- à-coup, et dit d’une voix claire qui n’accusait , sans aucune émotion :¶ : – Monsieur, j’accepte cediamant avec d’autant moins de scrupule qu’il m’appartient. ¶.¶

Le maître des requêtes interdit resta immobile, la bouche béante.¶ – M. de Soulanges leprit il y a six moistout interdit. – Monsieur de Soulages le prit dernièrement sur ma toilette et medit l’avoir perdu. ¶.¶

– Vous êtes dans l’erreur, madame, dit Martial d’un air piqué, car je le tiens de madamede Vaudremont. ¶.¶

– Précisément, répliqua-t-elle en souriant, mon. Mon mari m’a emprunté cette bague, lalui a donnée, elle vous en a fait présent. Eh monsieur, ma bague a voyagé, voilà tout. Cettebague me dira peut-être tout ce que j’ignore, et m’apprendra le secret de toujours plaire.Monsieur, reprit-elle, si elle n’eût pas été à moi, soyez sûr que je ne me serais pas hasardée à laracheter au même prix que la comtesse.....¶ – payer si cher, car une jeune femme est, dit-on, enpéril près de vous. Mais, tenez, ajouta-t-elle en faisant jouer un ressort caché sous la pierre, lescheveux de M.monsieur de Soulanges y sont encore......¶

Elle poussa un rire éclatant et railleur, puis elle s’élança dans les jardins salons avec unetelle prestesse, qu’il paraissait inutile d’essayer de la rejoindre. D’ailleurs ; et, d’ailleurs, Martial,

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confondu, ne se trouva pas d’humeur à tenter l’aventure. En effet, leLe rire de madame deSoulanges avait trouvé un écho dans le boudoir, et où le jeune fat venait d’apercevoir,aperçutentre deux arbustes, le colonel et madame de Vaudremont, qui riaient de tout cœur. ¶coeur.¶

– Veux-tu mon cheval pour courir après cette malicieuse personne ?.......ta conquête ? luidit le colonel. ¶.¶

Le baron se mit à rire, car c’était le parti le plus prudent qu’il eût à prendre. Il acheta leprofond silence des deux spectateurs de cette scène par la La bonne grâce avec laquelle il lebaron supporta les plaisanteries dont il fut accablé par la future épouse du colonel et le colonellui-même qui, dans l’accablèrent madame de Vaudremont et Montcornet, lui valut leur discrétionsur cette soirée, où son ami troqua son cheval de bataille pourcontre une jeune, une riche et joliefemme. ¶.¶

¶ ___¶ LaPendant que la comtesse de Soulanges ayant fait, non sans peine, avancer son

équipage, retourna chez elle sur les deux heures du matin, et pendant qu’elle franchissaitl’intervalle qui sépare la Chaussée-d’Antin du faubourg St.Saint-Germain où elle demeurait, sonâme fut en proie aux plus vives inquiétudes.¶ Avant de quitter l’hôtel de Gondreville, elle enavait parcouru les salons sans y rencontrer ni sa tante ni son mari, dont elle ignorait le départ.Alors d’affreux pressentimens vinrent partis sans elle. D’affreux pressentiments vinrent alorstourmenter son âme ingénue. Témoin discret des souffrances éprouvées par son mari depuis lejour où madame de Vaudremont l’avait attaché à son char, elle espérait avec confiance qu’unprochain repentir lui ramènerait son époux. Aussi était-ce avec une incroyable répugnancequ’elle avait consenti au plan formé par sa tante, madame de MarignyLansac, et en ce momentelle craignait d’avoir commis une faute.¶ Cette soirée avait attristé sa jeuneson âme candide.Effrayée d’abord de l’air souffrant et sombre du comte de Soulanges, elle l’avait étéle fut encoreplus depar la beauté de sa rivale. Puis , et la corruption du monde lui avait serré le cœur.¶ coeur.En passant sur le Pont-Royal, elle jeta les cheveux profanés qui se trouvaient sous le diamant,jadis offert comme le gage brillant d’un amour pur. Elle pleura en songeant aux se rappelant lesvives souffrances dontauxquelles elle était depuis si long-temps laen proie, et frémit plus d’unefois elle frémit en pensant que le devoir des femmes qui veulent obtenir la paix en ménage, lesobligeait à ensevelir au fond du cœurcoeur, et sans se plaindre, des angoisses aussi cruelles queles siennes. ¶ – Hélas ! se dit-elle, comment peuvent faire les femmes qui n’aiment pas ? – Oùoù est la source de leur indulgence ? – Je ne saurais croire, comme le dit ma tante, que la raisonsuffise pour les soutenir dans de tels dévouemens. ¶ dévouements. Elle soupirait encore quandson chasseur abaissa l’élégant marchepied d’où elle s’élança sous le vestibule de son hôtel. Ellemonta l’escalier avec précipitation, et quand elle arriva dans sa chambre, elle tressaillit de terreuren y voyant son mari, assis sur une chaise auprès de la cheminée. Il lui montra un visage irrité.¶

– Depuis quand, ma chère, allez-vous au bal sans moi ?.. , sans me prévenir ?.. demanda-t-il d’une voix altérée. – Sachez qu’une femme est toujours déplacée sans son mari..... Vous étiezsingulièrement compromise dans le coin obscur où vous vous étiez nichée ?.... ¶.¶

– OO ! mon bon Léon !, dit elle d’une voix caressante, je n’ai pu résister au bonheur dete voir sans que tu me visses... C’est ma Ma tante qui m’a menée à ce bal, et j’y ai été bienheureuse.....¶ !¶

Ces accensaccents désarmèrent tout-à-coup les regards du comte de la leur sévéritéfactice qu’ils annonçaient. Il était facile de deviner qu’, car il venait de se faire de vifs reprochesà lui-même, qu’il appréhendaiten appréhendant le retour de sa femme, sans doute instruite dansleau bal d’une infidélité qu’il espérait lui avoir cachée. Alors, , et selon la coutume des

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amansamants qui se sentent coupables, il essayait, en querellant la comtesse le premier, d’évitersa trop juste colère. Tout surpris, il Il regarda silencieusement sa femme. Elle , qui dans sabrillante parure lui sembla plus belle que jamais dans la brillante parure qui rehaussait en cemoment ses attraits.¶ Pour elle, heureuse. Heureuse de voir son mari sourire, souriant, et de letrouver à cette heure dans une chambre où il était venu, depuis quelque temps, il était venumoins fréquemment, la comtesse le regarda si tendrement qu’elle rougit, lui jeta des regardsfurtifs, pleins d’amour et d’espérance. – Soulanges, transporté, et et baissa les yeux. Cetteclémence enivra d’autant plus ivre de bonheur et d’amour, Soulanges que cette scène succédaitaux tourmenstourments qu’il avait ressentis pendant le bal, ; il saisit la main de sa femme et labaisa par reconnaissance ; car il y a quelquefois: ne se rencontre-t-il pas souvent de lareconnaissance dans l’amour.¶ ? – Hortense, qu’as-tu donc au doigt qui m’a fait tant de mal auxlèvres ? demanda-t-il en riant. ¶.¶

– C’est mon diamant, que tu disais perdu, et que j’ai retrouvé ce soir dans un tiroir de matoilette. ¶.¶

Le comte admira tant d’indulgence ; et le lendemain matin, madame de Soulanges avaitpu replacer, sous le diamant reconquis, de nouveaux cheveux, qui ne devaient plus voyagercomme ceux qu’elle avait jetés la veille.¶Le général Montcornet n’épousa point madame deVaudremont, malgré la bonne intelligence dans laquelle tous deux vécurent pendant quelquesinstants, car elle fut une des victimes de l’épouvantable incendie qui rendit à jamais célèbre lebal donné par l’ambassadeur d’Autriche, à l’occasion du mariage de l’Empereur Napoléon avecla fille de l’Empereur François II.¶

Juillet 1829.¶

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VI ME SCÈNE.¶ ¶LA PAIX DU MÉNAGE.¶

¶ DÉDIÉ A MA CHÈRE NIÈCE, VALENTINE SURVILLE.¶

L’AVENTURE,L’aventure retracée par cette scène, eut lieu auScène se passa vers la findu mois de novembre 1809, moment où le fugitif empire de Napoléon atteignaitatteignit àl’apogée de sa splendeur et de sa puissance. On était à la fin du mois de novembre 1809.. Lescoups de canon et les fanfares de la célèbre bataillevictoire de Wagram retentissaient encore aucœurcoeur de la monarchie autrichienne. Alors, la La paix ayant été signéese signait entre laFrance et la coalition continentale, les Coalition. Les rois et les princes vinrent alors, comme desastres, accomplir leurs révolutions autour de Napoléon, qui se donna le plaisir d’entraînerl’Europe à sa suite, magnifique essai de la puissance qu’il devait déploya plus tard déployer àDresde.¶ Jamais, au dire des contemporains, Paris ne vit de plus belles fêtes que celles quiprécédèrent et suivirent le mariage de ce souverain avec une archiduchesse d’Autriche. Jamaisaux plus grands jours de l’ancienne monarchie, autant de têtes couronnées ne se pressèrent surles rives de la Seine, ni et jamais l’aristocratie française ne parut plus fut aussi riche et ni aussibrillante qu’elle le fut alors. Les diamans étaient diamants répandus avec tant de à profusion surles parures, l’or et l’argent brodaient tant d’uniformes, qu’après la récente indigence de larépublique, il les broderies d’or et d’argent des uniformes contrastaient si bien avec l’indigencerépublicaine, qu’il semblait voir toutes les richesses du globe roulerroulant dans les salons deParis.¶ Une ivresse générale avait comme saisi cet empire d’un jour, et. Tous les militaires, sansen excepter le maître, tous ces soldatsleur chef, jouissaient en parvenus des trésors conquis parun million d’hommes à épaulettes de laine qu’ils satisfaisaientdont les exigences étaientsatisfaites avec des rubans.¶ A cette époque, quelques aunes de ruban rouge. A cette époque, laplupart des femmes des hautes sphères sociales affichaient cette aisance de mœursmoeurs et cerelâchement de morale qui marquèrent jadis d’un sceau d’infamiesignalèrent le règne de LouisXV. Soit pour imiter l’ancien le ton de la monarchie écroulée, soit que certains membres de lafamille impériale eussent donné l’exemple, ainsi que le prétendaient les frondeurs du faubourgSt.Saint-Germain, il est certain que, hommes et femmes, tous se précipitaient vers les plaisirsdans le plaisir avec une intrépidité qui faisait croire àsemblait présager la fin du monde. Mais ilexistait alors une autre raison de cette licence. L’engouement des femmes pour les militaires étaitdevenu devint comme une sorte de frénésie. Cet enthousiasme, s’accordant avec les et concordatrop bien aux vues de Napoléon, n’était arrêté par aucun l’Empereur, pour qu’il y mît un frein.L’empereur, laissant rarement ses armées en repos, les prétendues passions de ce temps-là setrouvaient frappées d’une soudaineté assez explicable, et exposées à des dénouemens aussirapides que les décisions de ce chef suprême des kolbacs, des dolmans et des aiguillettes quiséduisaient toutes les femmes. Alors les cœurs étaientLes fréquentes prises d’armes qui firentressembler tous les traités conclus entre l’Europe et Napoléon à des armistices, exposaient lespassions à des dénoûments aussi rapides que les décisions du chef suprême de ces kolbacs, de cesdolmans et de ces aiguillettes qui plurent tant au beau sexe. Les coeurs furent donc alorsnomades comme les armées. Les fréquentes ruptures qui faisaient ressembler tous les traitésconclus entre l’Europe et Napoléon à des armistices, amenaient des absences, cruelles pour lesamours. Aussi, d’unrégiments. D’un premier à un cinquième bulletin de la grande arméeGrande-Armée, une femme se voyait-elle pouvait être successivement amante, épouse, mère et veuve.¶ Était-ce la perspective d’un prochain veuvage, celle d’une dotation, ou l’espoir de partager lagloire d’un porter un nom historiquepromis à l’Histoire, qui rendaientrendirent les militaires si

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séduisans aux yeux des femmes ? Le beau sexe était-il entraînéséduisants ? Les femmes furent-elles entraînées vers eux par la certitude que le secret de ses leurs passions serait bien gardé pardes morts ?enterré sur les champs de bataille, ou faut-il doit-on chercher la cause de ce douxfanatisme dans le noble attrait que le courage a pour les femmes ? Peut-elles ? peut-être cesraisons, que l’historien futur des mœursmoeurs impériales s’amusera sans doute à peser,entraient-elles toutes pour quelque chose dans la facilité avec laquelle les dames leur facilepromptitude à se livraient à l’hymen et à l’amour.¶ livrer aux amours. Quoi qu’il en fût, il doitsuffirepuisse être, avouons-le-nous ici de savoir que la gloire et ici : les laurierscouvraientcouvrirent alors bien des fautes ; que, les femmes recherchaientrecherchèrent avecardeur ces hardis aventuriers, qui leur paraissaient, en ces temps-là, de véritables sourcesd’honneurs, de richesses et ou de plaisirs ;, et qu’aux yeux des jeunes filles une épaulettesemblait être, aux yeux d’une jeune fille, un , cet hiéroglyphe qui signifiaitfutur, signifiabonheur et liberté.¶ Un trait qui caractérise de cette époque, unique dans nos annales, était unecertaine et qui la caractérise, fut une passion effrénée pour tout ce qui brillait. Jamais on nedonna tant de feux d’artifice. Jamais , jamais le diamant n’atteignit à une aussi grande valeur.Les hommes étaient aussi avides que les femmes de ces cailloux blancs dont ils ses’en paraientcomme elles. Peut-être l’obligation de mettre le butin sous la forme la plus facile à transporteravaitmit-elle mis les joyaux en honneur dans l’armée. Un homme n’était pas aussi ridicule qu’ille serait aujourd’hui, quand le jabot de sa chemise ou ses doigts offraient aux regards de grosdiamans ; etdiamants. Murat, homme tout méridional, avait donnéoriental, donna l’exemple d’unluxe absurde chez les militaires modernes.¶

Le comte de Gondreville, qui se nommait jadis le citoyen Malin et que son enlèvementrendit célèbre, devint l’un des Lucullus de ce Sénat conservateurConservateur qui ne conservarien, n’avait tant tardé à donner une retardé sa fête en l’honneur de la paix, que pour mieux fairesa cour à Napoléon en s’efforçant d’éclipser tous les flatteurs, par lesquels il avait été prévenu.¶ Les ambassadeurs de toutes les puissances amies de la France, sous bénéfice d’inventaire, lespersonnages les plus importans de l’empireimportants de l’Empire, quelques princes même,étaient en ce moment réunis dans les salons du somptueux hôtel de l’opulent sénateur. Si la Ladanse languissait, c’est que chacun attendait l’Empereur qui avait fait espérer sa dont laprésence, et il était promise par le comte. Napoléon aurait tenu parole, sans la scène qui éclata lesoir même entre lui et Joséphine et lui, scène qui fit prévoir un révéla le prochain divorce entreles de ces augustes époux.¶ La nouvelle de cette aventure, alors tenue fort secrète, mais quel’H istoirel’histoire recueillait, n’étantne parvint pas encore parvenu aux oreilles des courtisans,même les plus intimes, elle et n’influa pas autrement, que par l’absence de Napoléon, sur lagaieté de la fête donnée par ledu comte de Gondreville. Les plus jolies femmes de Paris s’étaientrendues, empressées de se rendre chez lui sur la foi des du ouï-dires, et, y faisaient en ce momentassaut de luxe, de coquetterie, de parure et de beauté.¶ La banque, orgueilleuse Orgueilleuse deses richesses, la banque y défiait ces éclatanséclatants généraux et ces Grands-Officiers del’Empire toutgrands-officiers de l’empire nouvellement gorgés de croix, de titres, et dedécorations ; car ces sortes de solennités . Ces grands bals étaient toujours des occasions saisiespar de riches familles pour y produire leurs héritières aux yeux des prétoriens de Napoléon, dansle fol espoir d’échanger leurs magnifiques dots contre une faveur incertaine.¶ Les femmes, quise croyaient assez fortes de leur seule beauté, y étaient venues venaient en essayer le pouvoir deleurs charmes. Alors, là . Là, comme ailleurs, le plaisir n’était qu’un masque. Les visages sereinset riansriants, les fronts calmes y couvraient d’odieux calculs. Les ; les témoignages d’amitiémentaient, et plus d’un personnage se défiait moins de ses ennemis que de ses amis.¶ ¶ Ces

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observations succinctes étant destinées à étaient nécessaires pour expliquer, non-seulement lesévénemens les événements du petit imbroglio de la scène qui va s’ouvrir, mais encore la fête ausein de laquelle ils se passèrent et même , sujet de cette Scène, et la peinture, toute quelqueadoucie qu’elle soit, du ton qui régnait à cette époque alors dans les salons de Paris, elles nedoivent être regardées que comme une espèce de préface ou prologue historique nécessité par lapruderie des mœurs actuelles.¶

¶ ¶ ___¶ – Tournez un peu les yeux vers cette colonne brisée, qui supporte un candelabre ?

Voyezcandélabre, apercevez-vous une jeune femme coiffée à la chinoise ? Làlà, dans le coin, àgauche ! Elle , elle a des clochettes bleues dans le bouquet de cheveux châtains qui retombe engerbes sur sa tête ? Vous ne . Ne voyez -vous pas ? Elle elle est si pâle qu’on la croiraitsouffrante. Elle , elle est mignonne et toute petite. Maintenant ; maintenant, elle tourne la têteprécisément vers nous. Ses ; ses yeux bleus, fendus en amande et doux à ravir, semblent faitsexprès pour pleurer. Mais, tenez donc ? Elle ! elle se baisse pour regarder madame deVaudremont à travers ce dédale de têtes toujours en mouvement et dont les hautes coiffures luiinterceptent la vue...¶

– Ah, ! j’y suis, mon cher !.. Mais tu . Tu n’avais qu’à me la désigner comme la plusblanche de toutes les femmes qui sont ici, je l’aurais reconnue ; car, je l’ai déjà bien remarquée.Elle ; elle a le plus beau teint que j’aie jamais admiré !. D’ici, je te défie de distinguer, sur lapeau blanche de son cou, les perles qui séparent chacun des saphirs de son collier. Ne croirais-tupas voir des turquoises semées sur de la neige ? Mais elle a des mœurs, Mais elle doit avoir oudes moeurs ou de la coquetterie ;, car c’est tout au plus si à peine les ruches de son jalouxcorsage permettent-elles de soupçonner la parfaite beauté des contours.... Quelles épaules !quelle blancheur de lys !... ¶!¶

– Mais quiQui est-ce ?, demanda celui qui avait parlé le premier. ¶.¶– AhAh ! je ne sais pas ! ¶.¶– Aristocrate ! vous Vous voulez donc, colonelMontcornet, les garder toutes pour

vous....¶– Cela te sied bien de me goguenarder ! reprit le militaire Montcornet en souriant. Te

crois-tu le droit d’insulter un pauvre colonelgénéral comme moi, parce que, rival heureux de cepauvre Soulanges, tu ne fais pas une seule pirouette qui n’alarme la tendre sollicitude demadame de Vaudremont ? Ou ou bien est-ce parce que je ne suis arrivé que depuis un mois dansla terre promise ?...... Etes Étés-vous insolensinsolents, vous autres administrateurs, qui restezcollés sur desvos chaises, pendant que nous mangeons sommes au milieu des obus ! Allons,monsieur le maître des requêtes, laissez-nous glaner dans le champ dont la possession précaire nevous ne restez le possesseur tranquille que quand nous partons. Que diablereste qu’au momentoù nous le quittons. Hé ! diantre, il faut que tout le monde vive ! et si tu savais, mon Mon ami,ce que sont si tu connaissais les Allemandes !..., tu me servirais, je crois, même auprès de laParisienne qui t’est chère......¶

– Colonel– Général, puisque vous avez honoré de votre attention cette belle inconnuefemme que j’aperçois ici pour la première fois, ayez donc la charité de me dire si vous l’avezvue danser ? ¶dansant.¶

– Eh ! mon cher Martial, d’où viens-tu ? Si l’on t’envoie en ambassade, j’augure bienmal de tes succès. Ne vois-tu pas trois rangées des plus intrépides coquettes de Paris, entre majolie dameelle et le brillant l’ essaim de danseurs qui bourdonne sous le lustre ? Et , et ne t’a-t-ilpas fallu toute la puissancel’aide de ton lorgnon pour la découvrir dans à l’angle de cette colonne

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où elle semble enterrée au sein d’une profonde obscurité en dépit des cinquante dans l’obscuritémalgré les bougies qui brillent au -dessus de sa blonde tête ; car il y a, entre? Entre elle et nous,tant de diamansdiamants et tant de regards qui scintillent, tant de plumes qui flottent, tant dedentelles, de fleurs, et de tresses ondoyantesondoient, que ce serait un vrai miracle si un quelquedanseur pouvait l’apercevoir au milieu de tous ces astres !... Comment, Martial, tu n’as pasdeviné que c’est la femme de quelque sous-préfet des Côtes-du-Nordde la Lippe ou de la Dylequi vient essayer de faire un préfet de son mari ?... ¶?¶

– Oh ! il le sera !..., dit vivement le maître des requêtes. ¶.¶– J’en doute !, reprit le colonel de cuirassiers en riant, car elle paraît aussi neuve en

intrigue que toitu l’es en diplomatie. Je gage, Martial, que tu ne sais pas comment elle se trouvelà ? ¶.¶

Le maître des requêtes regarda le colonel des cuirassiers de la Garde d’un air qui décelaitautant de dédain que de curiosité. ¶.¶

– EhEh ! bien, continua le colonel, la pauvre enfant dit Montcornet en continuant, ellesera sans doute arrivée ici à neuf heures bien précises. Elle sera venue, la première, peut-être ?...... Elle aura , et probablement aura fort embarrassé la comtesse de Gondreville, qui nesait pas coudre deux idées ; et alors, rebutée. Rebutée par la dame du logis, repoussée de chaiseen chaise par chaque arrivante jusquesnouvelle arrivée jusque dans les ténèbres lumineuses de cepetit coin, elle s’y sera laissé enfermer, victime de son humilité et de la jalousie de ces dames,qui n’auront pas demandé mieux que d’ensevelir ainsi cette dangereuse et ravissante figure. Ellen’aura pas eu d’ami pour l’encourager à défendre la place qu’elle a dû occuper d’abord sur lepremier plan ; et, chacune de ces perfides danseuses aura intimé l’ordre à tout homme,composant sa aux hommes de sa coterie, de ne pas engager notre belle pauvre amie, sous peinedes plus terribles punitions....... Et voilà Voilà, mon cher, comment ces jolies minois si tendres,si candides en apparence, auront formé uneleur coalition générale contre l’inconnue !..... Et ; etcela, sans qu’aucune de ces femmes-là se soit dit autre chose que : – Connaissez-vous, ma chère,cette petite dame bleue ? – Tiens, Martial, si tu veux être accablé en un quart d’heure, de plus deregards flatteurs et d’interrogations provocantes, que tu n’en recevras, peut-être, dans toute tavie, fais mineessaie de vouloir percer le triple rempart qui défend notre Andromède ?...la reinede la Dyle, de la Lippe ou de la Charente. Tu verras si la plus stupide de ces belles créatures-làfemmes ne saura pas inventer aussitôt une ruse capable d’arrêter l’homme le plus déterminé àmettre en lumière notre plaintive inconnue..... car, ne Ne trouves-tu pas qu’elle a un peu l’aird’une élégie ?¶ – Vous croyez, colonel ?.... ce Montcornet ? Ce serait donc une femmemariée ?... ¶?¶

– Mais elle est peut-être veuve. ¶ – Elle ne serait pas si triste !– Pourquoi ne serait-ellepas veuve.¶

– Elle serait plus active, dit en riant le maître des requêtes. ¶.¶– Mais c’est peutPeut-être est-ce une veuve dont le mari est vivant ?...joue à la bouillotte,

répliqua le colonel.¶beau cuirassier.¶– En effet, depuis la paix les dames font, il se fait tant de ces sortes de veuves-là... !

répondit Martial. Mais, colonelmon cher Montcornet, nous sommes deux imbécilles ! Il y a tropd’ingénuité dans cette niais. Cette tête-là pour que ce soit une femme. Il y a exprime encore tropd’ingénuité, il respire encore trop de jeunesse et de verdeur sur le front et autour des tempes !quels tons , pour que ce soit une femme. Quels vigoureux tons de carnation ! Rienrien n’est flétridans les méplats des narines, des du nez. Les lèvres et du , le menton :, tout en dans cette figureest frais comme un bouton de rose blanche ; mais aussi, tout est enveloppé des , quoique la

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physionomie en soit comme voilée par les nuages de la tristesse. Cette femme-là pleure....¶Quipeut faire pleurer cette jeune personne ?¶

– Quoi ?...Les femmes pleurent pour si peu de chose, dit le colonel.¶– Je ne sais, reprit Martial, mais elle ne pleure pas d’être là sans danser. Son , son chagrin

ne date pas d’aujourd’hui, et ; l’on voit qu’elle s’est faite belle, pour ce soir, par préméditation.Elle aime déjà..., je le parierais. ¶.¶

– Bah ! c’est peut-être est-ce la fille de quelque princillon d’Allemagne, car personne nelui parle ! dit le colonel. ¶, dit Montcornet.¶

– Ah ! qu’combien une pauvre fille, seule et isolée, est malheureuse !..., reprit Martial.A-t-on plus de grâce et de finesse que notre petite inconnue ?... elle est ravissante !... EhEh !bien, pas une des infernales et laides mégères qui l’entourent et qui se disent sensibles, ne luiadressera un seul petit mot ?...la parole. Si elle parlait, nous verrions au moins si sesdents !...¶dents sont belles.¶

– Ah çà ! tu t’emportes donc comme du le lait, à la moindre élévation detempérature !....? s’écria doucement le colonel un peu piqué de rencontrer si vitepromptement unrival dans un son ami. ¶.¶

– Comment, ! dit le maître des requêtes, sans s’apercevoir de l’interrogation ducolonel,général et en dirigeant son lorgnon sur tous les personnages dont ils étaient entourés ;quiles entouraient, comment, il n’y a ! personne ici qui puisse ne pourra nous nommer cette fleurexotique si récemment transplantée dans cette parterre !... ¶exotique ?¶

– Eh ! c’est quelque demoiselle de compagnie ?..., lui dit le colonel. ¶Montcornet.¶– Bon !.... Une une demoiselle de compagnie avec des parée de saphirs dignes d’une

reine, et une robe de Malines... à ? A d’autres, colonel !général ! Vous ne serez pas non plustrès-fort que moi en diplomatie, sisi dans vos évaluations vous prenez une passez en un momentde la princesse allemande pour une à la demoiselle de compagnie... ¶.¶

Le colonel, moins bavard et plus curieux,Le général Montcornet arrêta par le bras unpetit homme gras dont chacun apercevait au même instant les cheveux grisonnansgrisonnants etles yeux spirituels se voyaient à toutes les encoignures des de portes du salon. Ce personnage,, etqui semblait vouloir donner par sa prodigieuse activité, une nouvelle preuve de la multiplicationdes cinq pains, se mêlait sans cérémonie aux différensdifférents groupes que formaient leshommes, et il y était toujours reçu avec une sorte de déférence.¶où il était respectueusementaccueilli.¶

– Gondreville, mon cher ami ?.., lui dit le militaire !Montcornet, quelle est donc cettecharmante petite femme assise là-bas sous toncet immense candelabre doré ?...¶candélabre ?¶

– Le candelabre ?...– Le candélabre ? Ravrio, mon cher, et c’est Isabey qui en a donné ledessin.... ¶.¶

– OhOh ! j’ai déjà reconnu ton goût et ton faste dans le meuble... ; mais la dame, ladame !..¶femme ?¶

– Ah, ! je ne la connais pas !.... C’est sans doute une amie de ma femme. ¶.¶– Ou ta maîtresse, vieux sournois... ¶.¶– Non, parole d’honneur. Mais il n’y a vraiment que la ! La comtesse de Gondreville

pour savoir est la seule femme capable d’inviter des gens que personne ne connaît. ¶.¶Malgré cette observation pleine d’aigreur, le gros petit homme s’éloigna en

conservantconserva sur ses lèvres le sourire de satisfaction intérieure que la supposition ducolonel des cuirassiers y avait fait naître. Ce dernierCelui-ci rejoignit, dans un groupe voisin, lemaître des requêtes occupé alors à y chercher, mais en vain, des renseignemensrenseignements

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sur l’inconnue. Il le saisit par le bras et lui dit à l’oreille :¶ : – Mon cher Martial, prends garde àtoi..... ! Madame de Vaudremont te regarde depuis quelques minutes avec une attentiondésespérante. Elle, elle est femme à deviner au mouvement seul de tes lèvres ce que tu me dirais.Nos, nos yeux n’ont été déjà que trop significatifs. Elle, elle en a très -bien aperçu et suivi ladirection, et je la crois en ce moment plus occupée que nous-mêmes de la petite dame bleue. ¶.¶

– Vieille ruse de guerre, mon cher colonel !Montcornet ! Que m’importe d’ailleurs. ? Jesuis comme l’empereurl’Empereur, quand je fais des conquêtes, je les garde....¶

– Martial, ta fatuité cherche des leçons. Comment, faquin ! péquin, tu as le bonheurd’être le mari désigné de madame de Vaudremont, d’une veuve de vingt-deux ans, affligée dedeuxquatre mille doubles napoléons de rente ; et, d’une femme qui te passe au doigt desdiamants aussi beaux que celui-ci, ajouta-t-il (en prenant la main gauche du maître des requêtesqui la lui abandonna complaisamment), d’une femme qui te passe au doigt des diamans de troismille écus en guise d’arrhes à un aussi doux marché, et tu as encore la prétention de faire leLovelace, comme si tu étais colonel ou , et obligé de changer de garnison ?...soutenir laréputation militaire dans les garnisons ! fi !... Mais réfléchis donc à tout ce que tu peuxperdre ?.... ¶.¶

– Je ne perdrai pas, du moins, ma liberté..., répliqua Martial en riant forcément. ¶.¶Il jeta un regard passionné à madame de Vaudremont, qui n’y répondit que par un sourire

plein d’inquiétude, car elle avait vu le colonel examiner le diamantexaminant la bague du maîtredes requêtes. ¶.¶

– Ecoute– Écoute, Martial ?, reprit le colonel. Si , si tu voltiges autour de ma jeuneinconnue, j’entreprendrai la conquête de madame de Vaudremont. ¶.¶

– Permis à vous, séduisantcher cuirassier, mais vous n’obtiendrez pas cela.¶ Et , dit lejeune maître des requêtes en mettant l’ongle poli de son pouce gauche sous la plus brillante unede ses dents supérieures, en fit résonner l’ivoire sans en tirer autre chose qu’un de laquelle il tiraun petit bruit goguenard. ¶.¶

– Songe que je suis garçon, reprit le colonel ;, que mon épée est toute ma fortune, et queme défier ainsi, c’est asseoir Tantale devant un festin qui ne s’enfuira pas. ¶qu’il dévorera.¶

– Prrrr. ¶ !¶Cette railleuse accumulation de consonnes servit de réponse à la provocation du colonel,

général que son ami toisa plaisamment avant de le quitter.¶ Le colonel, homme de trente-cinqans environ, portait, selon la La mode de ce temps, obligeait un homme à porter au bal uneculotte de casimir blanc et des bas de soie qui trahissaient en lui une rare . Ce joli costumemettait en relief la perfection de des formes. Il avait de Montcornet, alors âgé de trente-cinq anset qui attirait le regard par cette haute taille qui distinguait exigée pour les cuirassiers de la gardeimpériale. Son habit d’ dont le bel uniforme rehaussait encore la grâce de son corps auquel saprestance, encore jeune malgré l’embonpoint qu’il devait à l’équitation n’avait fait contracterqu’un embonpoint nécessaire relativement à ses proportions. Deux . Ses moustaches noiresajoutaient à l’expression franche d’un visage vraiment militaire dont le front était large etdécouvert, le nez aquilin et la bouche vermeille. Les manières du colonelde Montcornet,empreintes d’une certaine noblesse due à l’habitude du commandement, pouvaient plaire à unefemme qui n’aurait pas voulu aurait eu le bon esprit de ne pas vouloir faire un esclave de sonmari.¶ Le colonel sourit en regardant le maître des requêtes, l’un de ses meilleurs amis decollége qui, par sa , et dont la petite taille moyenne quoique svelte, l’obligeait à l’obligea, pourrépondre à sa moquerie, de porter un peu bas vers lui, son coup d’œild’oeil amical. ¶.¶

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Le baron Martial de la Roche-Hugon était un jeune Provençal, âgé d’une trentained’années, sur lequel que Napoléon se plaisait en ce moment à verser des faveurs inouïes.Martialprotégeait et qui semblait promis à quelque fastueuse ambassade. Il possédait, à un hautdegré, , il avait séduit l’Empereur par une complaisance italienne, par le génie de l’intrigue, parcette éloquence de salon et cette science des manières qui remplacent si facilement les éminentesqualités peu brillantes d’un homme solide. Sa figure vive, dont le teint paraissait plus blanc sousles boucles épaisses d’une forêt de cheveux noirs, décelait beaucoup d’esprit et degrâce.¶Quoique vive et jeune, sa figure possédait déjà l’éclat immobile du fer-blanc, l’une desqualités indispensables aux diplomates et qui leur permet de cacher leurs émotions, de déguiserleurs sentiments, si toutefois cette impassibilité n’annonce pas en eux l’absence de toute émotionet la mort des sentiments. On peut regarder le coeur des diplomates comme un problèmeinsoluble, car les trois plus illustres ambassadeurs de l’époque se sont signalés par la persistancede la haine, et par des attachements romanesques. Néanmoins, Martial appartenait à cette classed’hommes capables de calculer leur avenir au milieu de leurs plus ardentes jouissances, il avaitdéjà jugé le monde et cachait son ambition sous la fatuité de l’homme à bonnes fortunes, endéguisant son talent sous les livrées de la médiocrité, après avoir remarqué la rapidité aveclaquelle s’avançaient les gens qui donnaient peu d’ombrage au maître.¶

Les deux amis furent obligés de se quitter en se donnant une cordiale poignée de main ;car les sons de l’orchestre en prévenant. La ritournelle qui prévenait les dames de former lesquadrilles de la quatrièmed’une nouvelle contredanse, chassaient tous chassa les hommes duvaste espace dont où ils s’étaient emparéscausaient au milieu du salon.¶ Cette conversationrapide, tenue dans l’intervalle de silence qui sépare toujours les contredanses, avait eueut lieudevant une la cheminée en marbre blanc sculpté, magnifique ornement du plus vaste des troissalonsgrand salon de l’hôtel Gondreville. La plupart desLes demandes et des répliqueslesréponses de ce bavardage assez commun au bal, avaient été comme soufflées par chacun desdeux interlocuteurs à l’oreille de son voisin. Malgré cette précaution,Néanmoins les girandoles etles flambeaux dont de la cheminée était profusément décorée, répandaient des torrens de lumièreune si abondans abondante lumière sur le colonel et sur le maître des requêtes,les deux amis queleurs figures, trop fortement éclairées, ne purent déguiser, en dépit d’une malgré leur discrétiondiplomatique, les expressions imperceptiblesl’imperceptible expression de leurs sentimens, auxyeux fins de madame de Vaudremont etsentiments, ni à ceux plus candides de la jeunefinecomtesse, ni à la candide inconnue assise auprès du candelabre.¶ . Cet espionnage de la penséeest, peut-être, chez les gens intéressés à découvrir les sentimens des autres,oisifs un des plaisirssecrets qu’ils trouvent dans les réunions du le monde, tandis que tant de niais dupés s’y ennuientsans oser en convenir. ¶.¶

Mais pourPour comprendre le secret d’intérêt renfermé dans la tout l’intérêt de cetteconversation par laquelle commence ce récit, il est nécessaire de se reporter par la penséeàraconter un événement, léger en apparence, mais qui, par d’invisibles liens, avait comme réuniallait réunir les personnages de ce petit drame, bien qu’ils fussentalors épars dans les salons oùretentissait l’éclat et le murmure de la fête.¶ Cet événement s’était passé quelques minutes avantque le colonel et le baron Martial causassent ensemble.. A onze heures du soir environ, etpendant que les au moment où les danseuses reprenaient leurs places, le peuple brillantla sociétéde l’hôtel Gondreville avait vu apparaître la plus belle femme de Paris, la reine de la mode, laseule qui manquât alors à cette splendide assemblée. Elle se faisait une loi de ne jamais arriverqu’à ce momentl’instant où les salons offraient le ce mouvement animé, le tourbillon gracieuxqui ne permet pas aux femmes de garder long-temps ni la fraîcheur de leurs figures ni celle de

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leurs toilettes. Ce moment rapide est comme le printemps d’un bal : une . Une heure après,quand le plaisir a passé, quand le plaisir a passé, que la fatigue arrive, tout y est flétri.¶ Alorsmadame Madame de Vaudremont ne commettait jamais la faute insigne de rester à une fête pours’y montrer avec des fleurs penchées, des boucles défrisées, des garnitures froissées, et avec unefigure semblable à toutes celles qui, sollicitées par le sommeil, ne le trompent pas toujours. Ellese gardait bien de laisser voir, comme ses rivales, sa beauté endormie. Elle ; elle savait soutenirhabilement sa réputation de coquetterie en se retirant toujours d’un bal aussi brillante qu’elle yétait entrée. Les femmes se disaient à l’oreille, avec un sentiment d’envie, qu’elle changeait deparures préparait et mettait autant de parures qu’elle avait de bals dans une soirée. Cette foisqu’elle avait de bals à parcourir dans une soirée. Mais, madame de Vaudremont ne devait pasêtre maîtresse, cette fois, de s’éloigner du de quitter à son gré le salon où elle arrivait alors entriomphe.¶ Un moment arrêtée sur le seuil de la porte, elle avait jeté jeta des regardsobservateurs, quoique rapides, sur toutes les femmes dont elle analysa les toilettes, furentaussitôt étudiées afin de se convaincre que sa parure la sienne les éclipserait toutes les autres.¶ .La célèbre et jolie coquette s’était offertes’offrit à l’admiration de l’assemblée, conduite par undes plus braves colonels de l’armée, et pour le moment, l’artillerie de la Garde, un favori del’empereur, de plus, jeune et riche. Il se nommait l’Empereur, le comte de Soulanges.¶ L’unionmomentanée et fortuite de ces deux personnages avaiteut sans doute quelque chose demystérieux, car en . En entendant annoncer M.monsieur de Soulanges et la comtesse deVaudremont, quelques femmes, placées en tapisserie, se levèrent ;, et des hommes, accourus dessalons voisins, se pressèrent aux portes du salon principal. Un de ces plaisansplaisants, qui nemanquent jamais à ces réunions nombreuses, dit en voyant entrer la comtesse et son chevalier :– « Que les dames avaient tout autant de curiosité à contempler un homme fidèle à sa passion,que les hommes à examiner une jolie femme difficile à fixer. »¶ Le » Quoique le comte deSoulanges était un, jeune homme d’environ trente-deux ans. Il semblait fluet, mais il était, fûtdoué de ce tempérament nerveux. Ses qui engendre chez l’homme les grandes qualités, sesformes grêles, et son teint pâle prévenaient peu en sa faveur. Quoique ; ses yeux noirs eussentune très-granannonçaient beaucoup de vivacité, mais dans le monde il était taciturne. Cependant,il passait pour un homme très-séduisant dans le , et rien en lui ne révélait l’un des talentsoratoires qui devaient briller à la Droite dans les assemblées législatives de la Restauration. Lacomtesse de Vaudremont, grande femme légèrement grasse, d’une peau éblouissante deblancheur, qui portait bien sa petite tête-à-tête ; et l’on s’accordait à reconnaître en lui, unegrande éloquence unie à beaucoup de capacité.¶ La comtesse de Vaudremont était une femmeassez grande, légèrement grasse, d’une peau éblouissante de blancheur, qui portait bien unepetite tête pleine de grâce, et possédait l’immense avantage d’inspirer l’amour par la gentillessede ses manières. On éprouvait toujours un plaisir nouveau à la regarder ou à lui parler. Elle, étaitde ces femmescréatures qui tiennent toutes les promesses que fait leur beauté.¶ Ce couplemystérieux et brillant, devenu pour quelques instansinstants l’objet de l’attention générale, nelaissa pas long-temps la curiosité s’exercer sur son compte ; car le. Le colonel et la damecomtesse semblèrent parfaitement comprendre que le hasard venait de les placer dans unesituation gênante.¶ En les voyant la comtesse et son cavalier s’avancer, le baron Martial s’étaitmêlé au Martial s’élança dans le groupe d’hommes qui occupait le poste de la cheminée ; et ,pour observer, à travers les têtes, qui qui lui formaient comme un rempart devant lui, il s’étaitmis à examiner, madame de Vaudremont avec toute l’attention jalouse que donne le premier feude la passion. Une : une voix secrète semblait lui dire que le succès dont il s’enorgueillissaitn’étaitserait peut-être que précaire. Mais ; mais le sourire de politesse froide par lequel la

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comtesse remercia M.monsieur de Soulanges, et le geste qu’elle fit pour le congédier ens’asseyant auprès de madame de Gondreville, détendirent tous les muscles que la jalousie avaitcontractés sur la jeunesa figure du maître des requêtes.¶ . Cependant quand le Provençal à têtevolcanique aperçut M. de Soulanges resterapercevant debout à deux pas du canapé sur lequelétait madame de Vaudremont, sans tenir aucun compte du Soulanges, qui parut ne pluscomprendre le regard par lequel la jeune coquette semblait dire à son amant trahi,lui avait ditqu’ils jouaient l’un et l’autre un rôle ridicule, il le Provençal à la tête volcanique fronça denouveau les noirs sourcils qui ombrageaient ses yeux bleus, il caressa, par maintien, les bouclesde ses cheveux bruns ;, et, sans trahir l’émotion qui lui faisait palpiter le cœurcoeur, il surveillala contenance de la comtesse et celle de M.monsieur de Soulanges. Le maître des requêtesparaissait badiner avec ses auditeurs ; mais le feu d’une violente passion enflammait son œilcapricieux. Ce fut alors que saisissant, tout en badinant avec ses voisins, il saisit alors la main ducolonel qui venait pour renouveler connaissance avec lui, il écouta l’odyssée militaire de son amimais il l’écouta sans l’entendre ; car il ne voyait que M. de, tant il était préoccupé. Soulanges.¶Ce dernier jetait des regards tranquilles sur la quadruple rangée de femmes qui encadraitl’immense salon du sénateur. Il semblait admirer, en admirant cette bordure dediamansdiamants, de rubis, de gerbes d’or et de têtes ravissantes,parées dont l’éclat faisaitpresque pâlir le feu des bougies, le cristal des lustres, la peinture des parois d’argent, et la doruredes bronzes. et les dorures. Le calme insouciant de son rival fit perdre contenance au maître desrequêtes, qui, incapable. Incapable de maîtriser la bouillante et secrète impatience dont il étaittransporté, qui le transportait, Martial s’avança vers madame de Vaudremont comme pour lasaluer. Quand le Provençal apparut, M. de Soulanges lui lança un regard terne et détourna la têteavec impertinence.¶ Un silence grave régnait dans le salon. La où la curiosité étaitfut à soncomble. Toutes les têtes tendues offraientoffrirent les expressions les plus bizarres, et chacuncraignait et attendaitchacun craignit et attendit un de ces éclats que les gens bien élevés segardent toujours de faire.¶ Tout- à- coup la pâle figure du comte devint aussi rouge quel’écarlate de ses paremensparements, et ses regards se baissèrent aussitôt vers le parquet, pour nepas laisser deviner le sujet de son trouble. Il venait de voir, comme par hasard,En voyantl’inconnue humblement placée au pied du candelabre. Tout-à-coup, vaincu par une sombrepensée, M. de Soulanges candélabre, il passa d’un air triste devant le maître des requêtes, et allase réfugierréfugia dans un des salons de jeu.¶ Le baron Martial crut, avec toute et l’assemblée,crurent que Soulanges lui cédait publiquement la place, par la crainte du ridicule qui s’attachetoujours aux amansamants détrônés ; et alors il . Le maître des requêtes releva fièrement la tête,regarda à son tour le prestigieux candelabre, aperçut l’inconnue, et ; puis quand il s’assit avecaisance auprès de madame de Vaudremont, il l’écouta d’un air si distrait qu’il ne retintn’entenditpas ces paroles prononcées, sous l’éventail, par la coquette.¶ : – Martial, vous me ferez plaisirde ne pas porter ce soir le diamantla bague que je vous ai donné.m’avez arrachée. J’ai mesraisons. Je , et vous les expliquerai, dans un moment...., quand nous nous retirerons ; car vous netarderez pas à. Vous me donnerdonnerez le bras pour aller chez la princesse de Wagram. ¶.¶

– Pourquoi donc avez-vous acceptépris la main de cet odieuxdu colonel ?, demanda lebaron. ¶.¶

– Je l’ai rencontré sous le péristyle..., répondit-elle ; mais, laissez-moi, onchacun nousregarde....observe.¶

– Et j’en suis fier !... dit Martial qui, néanmoins, se leva.¶ Il rejoignit le colonel decuirassiers, et ce fut alors que la. La petite dame bleue devint alors le lien commun del’i nquiétude qui agitait à la fois et si diversement l’esprit du beau colonel de cuirassiers, l’âme

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attristée du comte de Soulanges, le cœur volage du baronle cuirassier, Soulanges, Martial et lacomtesse de Vaudremont.¶ Quand les deux amis se séparèrent après s’être porté le défi quitermina leur longue conversation, le jeune maître des requêtes s’élança vers la belle madame deVaudremont , et sut la placer au milieu du plus brillant quadrille. A la faveur de cette espèced’enivrement dans lequel une femme est presque toujours plongée par une la danse animée et parle spectaclemouvement d’un bal où les hommes sont pour le moins aussi parés que les damessemontrent avec le charlatanisme de la toilette qui ne leur donne pas moins d’attraits qu’elle enprête aux femmes, Martial crut pouvoir s’abandonner impunément au charme qui attirait sesyeuxl’attirait vers le coin où l’inconnue était prisonnière. Il. S’il réussit à dérober les premiersregards qu’il jeta sur la dame bleue à l’inquiète activité des yeux de la comtesse le premier, lesecond regard qu’il jeta sur la dame bleue ; mais enfin, il fut bientôt surpris en flagrant délit. Il ;et s’il fit excuser une première préoccupation ; mais, il ne justifia pas l’impertinent silence parlequel il répondit plus tard à la plus séduisante des interrogations qu’une femme puissefaire.adresser à un homme : m’aimez-vous ce soir ? Plus il était rêveur, plus la comtesse semontrait pressante et taquine.¶ Pendant que Martial dansait à contre-cœur, le colonel allait allade groupe en groupe demandery quêtant des renseignemensrenseignements sur la jeuneinconnue. AyantAprès avoir épuisé la complaisance de toutes les personnes même indifférentes,il allait , et même celle des indifférents, il se déterminerdéterminait à profiter d’un moment oùmadame la comtesse de Gondreville paraissait libre, pour lui demander à elle-même le nom decette dame mystérieuse, quand il aperçut un léger vide existant entre la colonne brisée quisupportait le candelabre,candélabre et les deux divans qui venaient y aboutir.¶ L’intrépidecuirassier, profitant Le colonel profita du moment où la contredanse laissait vacante une grandepartie des chaises qui formaient troisplusieurs rangs de fortifications défendues par des mères oupar des femmes d’un certain âge, et entreprit de traverser cette palissade couverte de schalls auxmille couleurschâles et de mouchoirs brodés.¶ Il complimenta une ou deux . Il se mit àcomplimenter les douairières, et ; puis, de femme en femme, de politesse en politesse, il finit paratteindre auprès de l’inconnue la place qu’il y avait su deviner.vide. Au risque d’accrocher lesgriffons et les chimères de l’immense flambeau, il se maintint là sous le feu et la cire desbougies, au grand mécontentement de Martial. Le colonel était tropTrop adroit pour interpellerbrusquement la petite dame bleue, qu’il avait à sa droite ; mais il, le colonel commença par direà une grande dame assez laide, qui se trouvait assise à sa gauche :¶ : – Voilà, madame, un bienbeau bal ?! Quel luxe, que de ! quel mouvement ! D’honneur, les femmes y sont toutes jolies !Mais il n’y a que Si vous qui ne dansiez pas ?... C’est ne dansez pas, c’est sans doute mauvaisevolonté. ¶.¶

L’ Cette insipide conversation engagée par le colonel avait pour but de faire parler savoisine de droite, qui, silencieuse et préoccupée, ne lui accordait même pas la plus légèreattention. L’officier tenait en réserve une foule de phrases qui devaient se terminer par un : – etEt vous, madame ? sur lequel il comptait beaucoup ; mais . Mais il fut étrangement surpris envoyant l’inconnue livrée à une stupeur profonde. Il aperçut même des apercevant quelqueslarmes rouler dans le cristal bleu de ses yeux, et son étonnement n’eut pas de bornes quand ilremarqua que l’attention de la jeune affligée étaitdans les yeux de l’inconnue, que madame deVaudremont paraissait captiver entièrement captivée par madame de Vaudremont. ¶.¶

– Madame est sans doute mariée ?, demanda enfin le colonel Montcornet d’une voix malassurée. ¶.¶

– Oui, monsieur, répondit l’inconnue. ¶.¶– Monsieur votre mari est sans doute ici ?.. ¶?¶

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– Oui, monsieur. ¶.¶– Et pourquoi donc, madame, restez-vous à cette place ?.. est-ce par coquetterie ?...¶

L’inconnue L’affligée sourit tristement. ¶.¶– Accordez-moi l’honneur, madame, d’être votre cavalier pour la contredanse suivante.

Et , et je ne vous ramènerai certes pas ici ! Je vois près de la cheminée une gondole vide, et cesera votre place pour toute la soirée.venez-y. Quand tant de gens s’apprêtent à trôner, et que lafolie du jour est la royauté, je ne conçois pas que vous refusiez d’accepter le titre de reine du bal,qui semble promis à votre beauté. ¶.¶

– Monsieur, je ne danserai pas.. ¶.¶L’intonation douce quoique brève des réponses laconiques de l’inconnue,de cette femme

était si désespérante, que le colonel se vit forcé d’abandonner la place.¶ Martial ayant deviné,tout en dansant, et, qui devina la dernière demande du colonel et le refus qu’il essuyait, se mit àsourire et à se caresserse caressa le menton, en faisant briller le diamantla bague qu’il avait audoigt. ¶.¶

– De quoi riez-vous ?.. lui dit la comtesse de Vaudremont.¶– Du non-De l’insuccès de ce pauvre colonel. Il , qui vient de faire un pas de

clerc..... ¶...¶– Je vous avais prié d’ôter votre diamant ?bague, reprit la comtesse en l’interrompant. ¶– Je ne l’ai pas entendu.¶– MaisSi vous n’entendez donc rien ce soir, vous savez voir tout, monsieur le baron ?...,

répondit madame de Vaudremont d’un air piqué ! ¶.¶– Voilà un jeune homme qui a au doigtmontre un bien beau brillant, dit alors l’inconnue

au colonel prêt à faire retraite. ¶.¶– Magnifique !.., répondit-il. Ce jeune homme est le baron Martial de la Roche-Hugon,

un de mes plus intimes amis. ¶.¶– Je vous remercie de m’en avoir dit le son nom !..., reprit l’inconnue. Il -elle, il paraît

fort aimable ?... dit-elle. ¶.¶– Oui, mais il est un peu léger. ¶.¶– On pourrait croire qu’il est bien avec la comtesse de Vaudremont ?..., demanda la jeune

dame, en interrogeant des yeux le colonel. ¶.¶– Du dernier mieux.....¶ !¶L’inconnue pâlit. ¶.¶– Allons, pensa le joyeux militaire, elle aime ce diable de Martial !... ¶.¶– Je croyais madame de Vaudremont engagée depuis long-temps avec M.monsieur de

Soulanges ?.., reprit la jeune dame, femme un peu remise d’une de la souffrance intérieure quiavait, pour un moment, altérévenait d’altérer l’éclat surnaturel de son visage... ¶.¶

– Depuis huit jours, la comtesse le trompe..., répondit le colonel. Mais vous devez avoirvu ce pauvre Soulanges, quand il est entré... Il à son entrée ; il essaie encore de ne pas croire àson malheur...¶ – Je l’ai vu !, dit la dame, d’un son de voix profond. bleue. Puis elle ajouta un :– Monsieur, je vous remercie !, dont l’intonation équivalait à un congé. ¶.¶

En ce moment, la contredanse étant près de finir, le colonel, désappointé, n’eut que letemps de se retirer en se disant par manière de consolation : – elleElle est mariée !..¶

– EhEh ! bien, courageux cuirassier !, s’écria le baron en entraînant le colonel dansl’embrâsurel’embrasure d’une croisée pour y respirer l’air pur des jardins, où en êtes-vous ?... ¶?¶

– Elle est mariée...., mon cher. ¶.¶

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– Qu’est-ce que cela fait !¶?¶– Ah ! diablediantre, j’ai des mœurs !...moeurs, répondit le colonel. Je , je ne veux plus

m’adresser qu’à des femmes que je puisse épouser.... D’ailleurs, Martial, elle m’a formellementmanifesté la volonté de ne pas danser... ¶.¶

– Colonel, parions ton votre cheval gris pommelé contre cent napoléons, qu’elle dansera,ce soir, avec moi... ¶.¶

– C’est fait !...– Je veux bien ! dit le colonel en frappant dans la main du fat. Enattendant, je vais voir Soulanges, il connaît peut-être cette dame... car elle qui m’a semblé aufait de bien des choses.¶s’intéresser à lui.¶

– Mon brave, vous avez perdu !, dit Martial en riant ; mes. Mes yeux se sont rencontrésavec les siens, et – je m’y connais... Ah ! ça, Cher colonel, vous ne m’en voudrez pas de danseravec elle après le refus que vous en avez essuyé. ¶ ?¶

– Non, non, rira bien qui rira le dernier !... Au reste, Martial, je suis beau joueur et bonennemi, je te préviens qu’elle aime les diamans. ¶diamants.¶

Sur A ce propos, les deux amis se séparèrent de nouveau.. Le colonelgénéral Montcornetse dirigea vers le salon de jeu, et y où il aperçut le comte de Soulanges assis à une table debouillotte.¶ Quoiqu’il n’existât entre les deux colonels que cette amitié banale, établie par lespérils de la guerre et les devoirs d’un même du service, le colonel des cuirassiers futdouloureusement affecté de voir le comte de Soulangescolonel d’artillerie, qu’il connaissait pourun jeune homme sage, engagé dans une partie où il pouvait se ruiner. Les monceaux d’or et debillets, étalés sur le fatal tapis, attestaient la fureur du jeu. Un cercle d’hommes silencieuxentourait les joueurs mornes attablés à la bouillotte.. Quelques mots retentissaient ça et là, et bienparfois comme : Passe, jeu, tiens, mille louis, tenus ; mais il semblait, en regardant ces cinqpersonnages immobiles, qu’ils ne se parlassent que des yeux.¶ Quand le colonel, effrayé de lapâleur livide de Soulanges, s’approcha de lui, le comte était devenu le gagnant. L’ambassadeurautrichien etgagnait. Le Maréchal duc d’Isemberg, Keller, un banquier célèbre se levaientcomplètementcomplétement décavés de sommes considérables. Le comte de Soulanges devintencore plus sombre qu’il ne l’était avant le coup, en recueillant une masse énorme d’or et debillets. Il, il ne compta même pas. Un ; un amer dédain crispait ses lèvres. Il , il semblaitmenacer la fortune et la vie, au lieu de les la remercier comme tant d’autres l’eussent fait. ¶deses faveurs.¶

– Courage, lui dit le colonel, courage, Soulanges !...¶ Puis, croyant lui rendre un vraiservice en l’arrachant au jeu : – Venez, ajouta-t-il. J’ai , j’ai une bonne nouvelle à vousapprendre, mais à une condition ? ¶.¶

– Laquelle ?... demanda Soulanges. ¶.¶– Celle de me répondre à ce que je vous demanderai. ¶.¶Le comte de Soulanges se leva brusquement. Il , mit tout son gain, d’un air fort

insouciant, dans un mouchoir qu’il avait tourmenté d’une manière convulsive. Le , et son visagede M. de Soulanges était si farouche, qu’aucun joueur ne s’avisa de trouver mauvais qu’il fîtCharlemagne, et les . Les figures parurent même se dilater, quand cette tête maussade etchagrine ne fut plus dans le cercle moitié lumineux et moitié obscur que décrit, au-dessus d’unetable, un flambeau de bouillotte.¶

Cependant – Ces diables de militaires s’entendent comme des larrons en foire ! dit à voixbasse un diplomate qui était de la galerie, dit à voix basse en prenant la place du colonel :¶.¶

– Ces diables de militaires s’entendent comme des larrons en foire !¶ Une seule figureblême et fatiguée se tourna vers le rentrant, et lui dit en lui lançant un regard qui brilla et , mais

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s’éteignit comme le feu d’un diamant qu’on fait jouer. Cette figure était celle de M. le prince deBéné...t.¶diamant : – Qui dit militaire ne dit pas civil, monsieur le ministre.¶

– Mon cher, dit le colonelMontcornet à Soulanges, qu’il avait attiré en l’attirant dans uncoin ;, ce matin l’empereurl’Empereur a parlé de vous avec éloge, et votre promotion dans lagarde au maréchalat n’est pas douteuse. .¶

– Le patron a prétendu n’aime pas l’artillerie.¶– Oui, mais il adore la noblesse et vous êtes un ci-devant ! Le patron, reprit Montcornet,

a dit que ceux qui étaient restéss’étaient mariés à Paris pendant la campagne ne devaient pas êtreconsidérés comme en disgrâce... EhEh ! bien ?..¶?¶

Le comte de Soulanges semblait ne rien comprendre à ce discours. ¶.¶– Ah çà ! j’espère maintenant, reprit le colonel, que vous me direz si vous connaissez une

charmante petite femme charmante, assise au pied d’un candelabre... ¶candélabre...¶A ces mots, les yeux du comte brillèrent d’un éclat inusité ; et, saisissant s’animèrent, il

saisit avec une violence inouïe la main du colonel :¶ : – Mon brave camaradecher général, luidit-il d’une voix sensiblement altérée, si ce n’était pas vous... si un autre que vous me faisaitcette question ?.., je lui fendrais le crâne avec cette masse d’or... Laissez-moi, je vous ensupplie.. J’ai plus envie, ce soir, de me brûler la cervelle, que..... Je hais tout ce que je vois.....Aussi je, vais -je partir, car cette . Cette joie, cette musique, ces visages stupides qui rient,m’assassinent. ¶.¶

– Mon pauvre ami......, reprit d’une voix douce le colonel,Montcornet en frappantamicalement dans la main de Soulanges, vous êtes-vous passionné !.... Que diriez-vous donc sije vous apprenais que Martial songe si peu à madame de Vaudremont, qu’il s’est épris de cettepetite dame ? ¶?¶

– S’il lui parle !........, s’écria Soulanges en bégayant de fureur, je le rendrai aussi platque son portefeuille, quand même le fat serait dans le giron de l’empereur......¶l’Empereur.¶

Et le comte tomba, comme anéanti, sur la causeuse vers laquelle le colonel l’avait mené.Ce dernier se retira lentement, car il s’aperçut que M. de Soulanges était en proie à une colèretrop violente pour que des plaisanteries ou les soins d’une amitié superficielle pussent lecalmer.¶ Quand le beau cuirassiercolonel Montcornet rentra dans le grand salon de danse,madame de Vaudremont fut la première personne qui s’offrit à ses regards, et il remarqua sur safigure, ordinairement si calme, quelques traces d’une agitation secrète mal déguisée. Une chaiseétait vacante auprès d’elle, le colonel vint s’y élança. ¶asseoir.¶

– Je gage que vous êtes tourmentée ?...... dit-il. ¶.¶– Oh ! c’est une bagatelle, colonel.– Bagatelle, général. Je voudrais être déjà partie d’ici,

car j’ai promis d’être au bal de la grande-duchesse de Berg, et il faut que j’aille auparavant chezla princesse de Wagram. M.onsieur de la Roche-Hugon, qui le sait, s’amuse à conter fleurette àdes douairières. ¶.¶

– Ce n’est pas là tout- à- fait le sujet de votre inquiétude........ Et , et je gage cent louisque vous resterez ici ce soir.... ¶.¶

– Impertinent........¶ !¶– J’ai donc dit vrai ?.... ¶?¶– Méchant !....– Eh bien ! que pensé-je ? reprit la belle comtesse en donnant un coup

d’éventail sur les doigts du colonel. Eh bien ! que pensais-je ?.. Je suis capable de vousrécompenser si vous le devinez. ¶.¶

– Je n’accepterai pas le défi, car j’ai trop d’avantages.....¶– Présomptueux....¶ !¶

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– Eh bien ! vous Vous craignez de voir Martial aux pieds......... ¶...¶– De qui ?... demanda la comtesse en eu affectant la surprise. ¶.¶– De ce candelabre....candélabre, répondit le colonel en montrant le coin où était la belle

in- connue, et regardant la comtesse avec une attention gênante. ¶.¶– Eh bien ! vous Vous avez deviné !....., répondit la coquette en se cachant la figure sous

son éventail, avec lequel elle se mit à jouer.¶ – La vieille madame de MarignyLansac, qui, vousle savez, est maligne comme un vieux singe, reprit-elle après un moment de silence, vient de medire que M.monsieur de la Roche-Hugon courait quelques dangers à faire la cour àcourtiser cetteinconnue qui se trouve ce soir, ici, comme un trouble-fête. – J’aimerais mieux voir la mort quecette figure si cruellement belle, et aussi pâle, aussi immobile autant qu’une vision. C’est monmauvais génie.¶ – Madame de MarignyLansac, continua-t-elle, après avoir laissé échapper unsigne de dépit, qui ne va au bal que pour tout voir en faisant semblant de dormir, m’acruellement inquiétée. Certes, Martial me paiera cher le tour qu’il me joue..... Mais cependantCependant, engagez-le, colonelgénéral, puisque c’est votre ami, à ne pas me faire de la peine. ¶.¶

– Je viens de voir un homme qui ne se propose rien moins que de lui brûler la cervelle,s’il s’adresse à cette petite dame !.... Et cet. Cet homme-là, madame, est de parole. – Mais jeconnais Martial. Tous , ces périls sont autant d’encouragemens.d’encouragements. Il y a plus, ;nous avons parié...... Ici le colonel baissa la voix. ¶.¶

– Serait-ce vrai ?...., demanda la comtesse. ¶.¶– Sur mon honneur. ¶.¶– Merci, colonel....général, répondit madame de Vaudremont en lui lançant un regard

plein de coquetterie. ¶.¶– Me ferez-vous l’honneur de danser avec moi ?...... ¶?¶– Oui, mais la seconde contredanse ; car, pendant. Pendant celle-ci, je veux savoir ce que

peut devenir cette intrigue, et savoir qui est cettecelle petite dame bleue. Elle , elle a l’airspirituel. ¶.¶

Alors leLe colonel, devinant voyant que madame de Vaudremont voulait être seule,s’éloigna, satisfait d’avoir si bien commencé l’attaque qu’il méditait. ¶son attaque.¶

Il y a toujours,se rencontre dans les fêtes, des quelques dames qui, semblables à madamede MarignyLansac, sont là comme de vieux marins, occupés sur le bord de la mer à contemplerles tempêtes que combattent de jeunes matelots. Or, en aux prises avec les tempêtes. En cemoment, madame de MarignyLansac, qui paraissait s’intéresser aux personnages de cette scène,put facilement deviner la lutte cruelle qui se passait dans le cœur de à laquelle la comtesse. étaiten proie. La jeune coquette avait beau s’éventer gracieusement, sourire à des jeunes gens qui lasaluaient, et mettre en usage toutes les ruses de dont se sert une femme pour cacher son émotion,la douairière, l’une des plus savantesperspicaces et malicieuses duchesses de la cour de LouisXV, que le dix-huitième siècle avait léguées au dix-neuvième, savait lire dans son coeur et danssa pensée. La vieille dame semblait percer les mystères ensevelis sous les traits de la comtesse.¶La vieille dame savait y reconnaître ces mouvemensles mouvements imperceptibles de lapaupière ou de l’iris qui décèlent les affections de l’âme. Le pli le plus léger qui venait à rider cefront si blanc et si pur, le tressaillement le plus insensible des pommettes, le jeu des sourcilsaccusateurs, l’inflexion la moins visible des lèvres dont le corail mouvant ne pouvait lui riencacher, étaient pour la duchesse comme les caractères d’un livre. Aussi, duDu fond de la sabergère qu’elle , que sa robe remplissait entièrement, la coquette émérite, tout en causant avec undiplomate dont elle était recherchée pour qui la recherchait afin de recueillir les anecdotesqu’elle contait à merveille, s’admirasi bien, s’admirait elle-même dans cette la jeune coquette.

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Elle ; elle la prit en goût en lui voyant si bien déguiser son chagrin et les déchiremens de soncœur.¶ déchirements de son coeur. Madame de Vaudremont ressentait en effet autant de douleurqu’elle feignait de gaîté. Ellegaieté : elle avait cru rencontrer en dans Martial un homme detalent sur lequell’appui duquel elle comptait pour embellir sa vie de toutes les faveurs de courqu’elle ambitionnait. En ce momenttous les enchantements du pouvoir ; en ce moment, ellereconnaissait une erreur aussi cruelle pour sa réputation que pour son amour-propre. Chez elle,comme chez les autres femmes de cette époque, la soudaineté des passions ne pouvaitqu’augmenter la augmentait leur vivacité des sentimens.. Les âmes qui vivent beaucoup et vitene souffrent pas moins que celles qui se consument dans une seule affection. Plus d’un évantailcachait alors de courtes mais de terribles tortures. La prédilection de la comtesse pour Martialétait née de la veille, il est vrai ; mais le plus inepte des chirurgiens sait que la souffrance causéepar l’amputation d’un membre vivant est plus douloureuse que ne l’est celle d’un membremalade. Il y avait de l’avenir dans le goût de madame de Vaudremont pour Martial, tandis que sapassion précédente était sans espérance, et empoisonnée par les remords de Soulanges.¶ Lavieille duchesse sut tout deviner ; et alors elle s’empressa de congédier l’ambassadeur , quil’obsédaitépiait le moment opportun de parler à la comtesse, s’empressa de congédier sonambassadeur ; car , en présence de maîtresses et d’amansd’amants brouillés, tout intérêt pâlit,même chez une vieille femme. AussiPour engager la lutte, madame de MarignyLansac lança-t-elle, pour engager la lutte, un regard sardonique sur madame de Vaudremont. Ce un regardterrible sardonique qui fit craindre à la jeune coquette de voir son sort entre les mains de ladouairière. Il y a en effet est de ces regards de femme à femme qui sont comme des flambeauxtragiques amenés dans les dénouemens nocturnes.¶ Il faudrait connaître l’ex-dénouements detragédie. Il faut avoir connu cette duchesse pour apprécier la terreur que le jeu de saphysionomie inspirait à la comtesse. Madame de MarignyLansac était grande, ses traits faisaientdire d’elle : – voilà Voilà une femme qui a dû être jolie ! Elle se couvrait les rides de ses jouesde tant de couches de rouge qu’elles que ses rides ne paraissaient presque plus ; mais ses yeux,loin de recevoir un éclat factice de ce carmin foncé, ses yeux n’en étaient que plus ternes. Elleportait une grande quantité de diamansdiamants, et s’habillait avec assez de goût pour ne pasprêter au ridicule. Sa Son nez pointu annonçait l’épigramme. Un râtelier bien mis conservait à sabouche, enrichie d’un ratelier artistement posé, n’était pas ridée et conservait une grimaced’i ronie qui la faisait ressembler à rappelait celle de Voltaire. Son nez pointu annonçait uneépigramme, et cependantCependant l’exquise politesse de ses manières adoucissait si bien latournure malicieuse de ses idées qu’on ne pouvait l’accuser de méchanceté.¶ Un regardtriomphal anima les deux yeux gris de la vieille dame et sembla traverser Les yeux gris de lavieille dame s’animèrent, un regard triomphal accompagné d’un sourire qui disait : – Je vousl’avais bien promis ! traversa le salon pour aller répandre, et répandit l’incarnat de l’espérancesur les joues pâles de la petite dame jeune femme qui gémissait aux pieds du candelabre. Unsourire qui disait : – Je vous l’avais bien promis ! accompagna ce regard perçant.¶ au pied ducandélabre. Cette imprudente révélation de l’alliance existantalliance entre madame deMarignyLansac et l’inconnue, ne pouvait échapper à l’œill’oeil exercé de la comtesse deVaudremont. Elle , qui entrevit un mystère et le voulut le pénétrer. La curiosité atténua sadouleur passagère.¶ En ce moment, le baron de la Roche-Hugon avait après avoir achevé dequestionner toutes les douairières pour sans pouvoir apprendre le nom de la dame bleue ; mais,semblable à bien des antiquaires, il avait perdu tout son latin à cette malheureuse recherche. Ilvenait même de s’adresser, s’adressait en désespoir de cause, à la comtesse de Gondreville, etn’en avait reçu recevait que cette réponse peu satisfaisante :¶ : – C’est une dame que l’ancienne

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duchesse de MarignyLansac m’a présentée.......¶ Tout-à-coup le maître des requêtes, se tournant En se retournant par hasard vers la bergère occupée par la vieille dame, le maître des requêtes ensurprit le regard d’intelligence qu’elle jetait àlancé sur l’inconnue, objet de son caprice.¶ Lescouleurs qui nuancèrent les joues de cette solitaire personne lui donnèrent tant d’éclat que lemaître des requêtes, excité par l’aspect d’une beauté si puissante, résolut d’aborder madame deMarigny et quoiqu’il fût assez mal avec elle depuis quelque temps., il résolut de l’aborder. Envoyant le sémillant baron tournerrôdant autour de sa bergère, l’ex-l’ancienne duchesse souritavec une malignité sardonique, et regarda madame de Vaudremont d’un air de triomphe qui fitrire le colonel. ¶ Montcornet.¶

– ElleSi la vieille bohémienne prend un air d’amitié, la vieille bohémienne ! se dit en lui-même pensa le baron, elle va sans doute me jouer quelque méchant tour.¶ – Madame, lui dit-il,vous vous êtes chargée, me dit-on, de veiller sur un bien précieux trésor ! ¶!¶

– Me prenez-vous pour un dragon ?, demanda la vieille dame en jouissant un moment del’embarras du jeune homme. – . Mais de quoi qui parlez-vous ?.. ajouta-t-elle avec une douceurde voix qui rendit l’espérance à Martial. ¶.¶

– De cette petite dame inconnue, que la jalousie de toutes ces coquettes a confinée là-bas ?..... Vous connaissez sans doute sa famille ?....¶?¶

– Oui, dit la duchesse en souriant avec malice.¶ – Oui, dit la duchesse ; mais que voulez-vous faire d’une héritière de province, mariée depuis quelque temps, une fille bien née que vousne connaissez pas, vous autres, elle ne va nulle part. – Pourquoi ne danse-t-elle pas ? Elle est sibelle ! Voulez-vous que nous fassions un traité de paix ? Si vous daignez m’instruire de tout ceque j’ai intérêt à savoir, je vous jure ma parole d’honneur que votre qu’une demande enrestitution des bois de Marigny,Navarreins par le domaineDomaine extraordinaire, serachaudement appuyée auprès de l’empereur. ¶l’Empereur.¶

– M.La branche cadette de la maison de Navarreins écartelé de Lansac qui est d’azur aubâton écoté d’argent, flanqué de six fers de lance aussi d’argent mis en pals, et la liaison de lavieille dame avec Louis XV lui avait valu le barontitre de duchesse à brevet ; et, comme lesNavarreins n’étaient pas encore rentrés, le jeune maître des requêtes proposait tout uniment unelâcheté à la vieille dame en lui insinuant de redemander un bien appartenant à la branche aînée.¶

– Monsieur, répondit la vieille dame avec une gravité trompeuse, amenez-moi lacomtesse de Vaudremont. Je vous promets de lui révéler tout le mystère qui rend notre inconnuesi intéressante. Voyez ? Tous , tous les hommes du bal sont arrivés au même degré de curiositéque vous. – Les yeux se portent involontairement vers ce candelabrecandélabre où ma protégées’est modestement placée la pauvre enfant. Elle , elle recueille tous les hommages qu’on a voulului ravir. – Bienheureux celui qui dansera avec elle !....¶ Bienheureux celui qu’elle prendra pourdanseur ! Là, elle s’interrompit en fixant la comtesse de Vaudremont par un de ces regards quidisent si bien : – Nous parlons de vous !¶ . Puis elle ajouta : – Je pense que vous aimerez mieuxapprendre le nom de l’inconnue de la bouche de votre belle comtesse que de la mienne ?...¶?¶

L’attitude de la duchesse était si provocante, que madame de Vaudremont se leva, vintauprès d’elle, s’assit sur la chaise que lui offrit Martial ; et, sans faire attention à ce dernier :¶lui : – Je devine, madame, lui dit-elle en riant, que vous parlez de moi, ; mais j’avoue moninfériorité, et je ne sais si c’est en bien ou en mal ?¶.¶

Madame de MarignyLansac serra, de sa vieille main sèche et ridée, la jolie main de lajeune damefemme, et , d’un ton de compassion, elle lui répondit à voix basse :¶ : – Pauvrepetite !....¶!¶

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Les deux femmes se regardèrent. Madame de Vaudremont comprit que le baron Martialétait de trop, et alors elle le congédia par l’air impérieux avec lequel elle lui dit :¶ en lui disantd’un air impérieux : – Laissez-nous un moment ! ¶nous !¶

Le maître des requêtes, peu satisfait de voir la comtesse sous le charme de la dangereusesibylle qui l’avait attirée auprès d’elle, lui lança un de ces regards d’homme, si puissans sur uncœur aimantpuissants sur un coeur aveugle, mais qui paraissent si ridicules à une femme quandelle est arrivée à discuter commence à juger celui dontde qui elle s’est éprise. ¶.¶

– Auriez-vous la prétention de singer l’empereur ?..l’Empereur ? dit madame deVaudremont, en mettant sa tête de trois quarts, pour contempler le maître des requêtes d’un airironique. ¶.¶

IlMartial avait trop l’usage du monde, trop de finesse et de bon goûtcalcul pour s’exposerà rompre avec la jolie coquette ; une femme si bien en cour et que l’Empereur voulait marier ; ilcompta d’ailleurs, il compta sur la jalousie qu’il se proposait d’éveiller en elle, comme sur lemeilleur moyen de deviner le secret de sa froideur subite. Il , et s’éloigna d’autant plusvolontiers, qu’en cet instant, une nouvelle contredanse mettait tout le monde en mouvementtoutes les danseuses. Les joyeux accens de l’orchestre retentissaient, et l’on eût dit une nuée depapillons aux mille couleurs, venant dans le même parterre, au concert harmonieux des oiseauxd’un bocage.. Le baron eut l’air de céder la place aux quadrilles, et il alla s’appuyer sur lemarbre d’une console. Il , se croisa les bras sur la poitrine, et resta, à trois pas, tout occupé del’entretien secret des deux dames.¶ De temps en temps, il suivait les regards que, toutes deux, jetèrent à plusieurs reprises sur l’inconnue ; et . Comparant alors, en comparant la comtesse et àcette beauté nouvelle que le mystère rendait si riche de toutes les espérances données par lemystère dont elle s’enveloppaitattrayante, le baron étaitfut en proie à toutes les horreurs del’indécision. Ilaux odieux calculs habituels aux hommes à bonnes fortunes : il flottait entre saunefortune à faireprendre et unson caprice à contenter.¶ Le reflet des lumières faisait si bienressortir si puissamment sa figure soucieuse et sombre sur les draperies de moire blanchefroissées par ses cheveux noirs, qu’on aurait pu le comparer ainsi à un à quelque mauvais génie ;et de . De loin, plus d’un observateur dûtdut sans doute se dire : – voilà Voilà encore un pauvrediable qui paraît s’amuser beaucoup.¶ ! L’épaule droite légèrement appuyée sur le chambranledoré de la porte qui se trouvait entre la salle de jeu et le salon de danse et la salle de jeu, lecolonel pouvait rire incognito, grâce à l’ampleur de ses sous ses amples moustaches. Il , iljouissait du plaisir ineffable de contempler le tumulte enivrant du bal. Il ; il voyait cent joliestêtes tournoyertournoyant au gré des caprices de la danse. Il ; il lisait sur quelques figures,comme sur celles de la comtesse et de son ami Martial, les secrets de leur agitation. Puis ; puis,en détournant la tête, il comparait se demandait quel rapport existait entre l’air sombre du comtede Soulanges, toujours assis sur la causeuse où il l’avait laissé, à, et la physionomie douce etplaintive de la dame inconnue sur le visage de laquelle apparaissaient tour- à- tour les joies del’espérance et les angoisses d’une terreur involontaire. Il y avait, pour l’heureux cuirassier, desmystères à deviner, une fortune à espérer d’un amour naissant, les leçons que donne l’ambitieuxtourmenté à lire, le spectacle d’une passion violente à contempler, puis les sourires de cent joliesfemmes brillantes et parées à recueillir selon qu’il lui plaisait d’arrêter sa vue sur les quadrilles,sur Soulanges, sur Martial, sur la Montcornet était là comme le roi de la fête, il trouvait dans cetableau mouvant une vue complète du monde, et il en riait en recueillant les sourires intéressésde cent femmes brillantes et parées : un colonel de la garde impériale, poste qui comportait legrade de général de brigade, était certes un des plus beaux partis de l’armée. Il était minuitenviron. Les conversations, le jeu, la danse, la coquetterie, les intérêts, les malices et les projets,

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tout arrivait à ce degré de chaleur qui arrache à un jeune homme cette exclamation : – Le beaubal !¶

– Mon bon petit ange, disait madame de Lansac à la comtesse ou sur l’inconnue. Sapensée embrassait toutes ces idées en même temps, et il était là plein de gaîté comme le roi de lafête. Il avait dans ce tableau mouvant une vue complète du monde et de la vie humaine ; mais ilen riait sans chercher à s’en expliquer les ressorts. Il était minuit environ et les conversations, lejeu, la danse, la coquetterie, les intérêts, les malices et les projets, tout était arrivé à ce degré dechaleur qui arrache à un jeune homme cette exclamation : – C’est une belle chose qu’un bal !....¶– Mon bon petit ange, disait madame de Marigny à la comtesse, je suis bien plus vielle que je nele parais, car si j’ai soixante-cinq ans, j’ai vécu un siècle. Vous, vous êtes, ma chère, à un âge oùj’ai fait bien des fautes !.... et, en . En vous voyant souffrir tout à l’heure mille morts, j’ai eu lapensée de vous donner quelques avis charitables. Commettre des fautes à vingt-deux ans, c’estn’est-ce pas gâter son avenir ; c’est , n’est-ce pas déchirer la robe qu’on doit mettre. Ah, ma ?Ma chère, nous n’apprenons que bien tard à nous en servir sans la chiffonner..... Continuez, mabelle enfant, à vous fairemon coeur, à vous procurer des ennemis adroits et des amis sans espritde conduite, et vous verrez quelle jolie petite vie vous mènerez... un jour.¶

– Ah ! madame, on une femme a bien de la peine à être heureuse, n’est-ce pas ?... s’écrianaïvement la comtesse. ¶.¶

– Ma petite, c’est qu’il faut savoir choisir, à votre âge, entre les plaisirs et le bonheur.– Écoutez-moi ? – Vous voulez épouser Martial. Eh bien, il, qui n’est ni assez sot pourdevenirfaire un bon mari, ni assez bon pour vous rendre heureuse.passionné pour être un amant.Il a des dettes, ma chère !... Il , il est homme à dévorer votre fortune. C’est ; mais ce ne seraitrien s’il vous donnait le bonheur. Ne voyez-vous combien il est vieux ? Cet homme doit avoirété souvent malade, il jouit de son reste. Dans trois ans, ce sera un homme fini. L’ambitieuxcommencera, peut-être réussira-t-il. Je ne le crois pas. Qu’est-il ? un intrigant qui peut posséderà merveille l’esprit des affaires, et babiller agréablement ; mais il est trop avantageux pour avoirun vrai mérite. Il , il n’ira pas loin. D’ailleurs, tenez ?.. regardez-le ?..! Ne lit-on pas sur ce sonfront-là que, dans ce moment-ci, ce n’est pas une jeune et jolie femme qu’il voit en vous ;, maisbien les deux millions que vous possédez... ? Il ne vous aime pas, ma chère, il vous calculecomme s’il s’agissait d’une multiplication.affaire. Si vous voulez vous marier, prenez un hommeplus âgé, et qui ait de la considération., et qui soit à la moitié de son chemin. Une veuve ne doitpas faire de son mariage une affaire d’amourette. Est-ce qu’une Une souris s’attrape -t-elle deuxfois au même piègepiége ? Maintenant c’est , un nouveau contrat doit être une spéculation pourvous qu’un nouveau contrat, et il faut, en vous remariant, avoir au moins l’espoir de vousentendre nommer un jour : jour madame la maréchale. ¶.¶

En ce moment, les yeux des deux dames femmes se fixèrent naturellement sur la bellefigure du colonel. ¶ Montcornet.¶

– Si vous voulez jouer le rôle difficile d’une coquette et ne pas vous marier..., reprit laduchesse avec bonhomie ;, ah, ! ma pauvre petite, vous saurez, mieux que toute autre, amoncelerles nuages d’une tempête et la dissiper !... mais. Mais, je vous en conjure, ne vous faites jamaisun plaisir de troubler la paix des ménages, de détruire l’union des familles et le bonheur desfemmes qui sont heureuses.... Je l’ai joué, ma chère, ce rôle dangereux rôle... Et, j’ai appris unpeu trop tard que, suivant l’expression de je ne sais quel diplomate, un saumon vaut mieux quemille grenouilles ! Oui, ma belle. Hé, mon Dieu, pour un triomphe d’amour- propre, onassassine souvent de pauvres créatures vertueuses, ; car il y aexiste vraiment, ma chère, desfemmes vertueuses. Si vous saviez qu’, et l’on se crée des haines mortelles. Un peu trop tard, j’ai

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appris que, suivant l’expression du duc d’Albe, un saumon vaut mieux que mille grenouilles !Certes, un véritable amour donne mille fois plus de jouissances que les passions éphémèresqu’on excite. ! EhEh ! bien, je suis venue ici pour vous prêcher ?... Oui, c’est vous, mon bonpetit ange, qui êtes la cause de mon apparition dans ce salon qui pue le peuple. Ne viens-je pasd’y voir des acteurs ?... Autrefois, ma chère, on les recevait dans son boudoir, ; mais au salon, fidonc !... Oui, oui, ne Pourquoi me regardez pas -vous d’un air si étonné.¶ – Ecoutez ? Écoutez-moi ?! Si vous voulez vous jouer des hommes ?.., reprit la vieille dame, ne bouleversez lecœurcoeur que de ceux dont la vie n’est pas arrêtée, de ceux qui n’ont pas de devoirs à remplir...c’est une ; les autres ne nous pardonnent pas les désordres qui les ont rendus heureux. Profitezde cette maxime dûedue à ma vieille expérience : profitez-en.. Ce pauvre Soulanges, parexemple, auquel vous avez fait tourner la tête, et que, depuis quinze mois, vous avez enivré,Dieu sait comme !.... Eh eh ! bien, savez-vous sur quoi ont portéportaient vos coups ?..... – Sur sur sa vie tout entière !. Il est marié. Il depuis trente mois, il est adoré d’une chère petitecharmante créature qu’il aimait, et qu’il a trompée. Elle n’a vécu que de aime et qu’il trompe ;elle vit dans les larmes, et dans le silence le plus amer. Soulanges a eu des momensmoments deremords plus cruels que ses plaisirs n’étaient doux !. Et vous, – petite rusée, vous l’avez trahi !Hé. Eh ! bien, venez contempler votre ouvrage. ¶ La vieille duchesse prit la main de madame deVaudremont, et elles se levèrent. ¶ – Tenez ?, lui dit madame de MarignyLansac en lui montrantdes yeux l’inconnue pâle et tremblante sous les feux du lustre. Voilà, voilà ma petite nièce, lacomtesse de Soulanges !.. Elle, elle a enfin cédé aujourd’hui à mes instances, elle a consenti àquitter la chambre de douleur où la vue de son enfant ne lui apportait que de bien faiblesconsolations.... ; la voyez-vous ? Elle elle vous paraît charmante, : eheh ! bien ! ma petite, chèrebelle, jugez de ce qu’elle était devait être quand le bonheur et l’amour répandaient leur éclat surcette figure maintenant flétrie....¶ La comtesse détourna silencieusement la tête et parut en proieà de graves réflexions. La duchesse l’amena insensiblement jusqu’à la porte de la salle de jeu ;etpuis, après y avoir jeté un coup-d’œilles yeux, comme si elle eût voulu y chercher quelqu’un :¶: – Et voilà Soulanges !..., dit-elle à la jeune coquette d’un son de voix profond. ¶.¶

La jeune et brillante comtesse frissonna en apercevantquand elle aperçut, dans le coin lemoins éclairé de ce du salon une , la figure pâle et contractée. M. de Soulanges avait le dosappuyé sur une la causeuse. L’affaissement : l’affaissement de ses membres et l’immobilité deson front accusaient un haut degré detoute sa douleur. Il était seul, abandonné, et, les joueursallaient et venaient devant lui, sans y faire plus d’attention que s’il eût été mort. C’était plutôtune ombre qu’un homme.¶ Le spectacle deLe tableau que présentaient la femme en larmes et dule mari morne et sombre, séparés l’un de l’autre, au milieu de cette fête, comme les deux moitiésd’un arbre frappé par la foudre, eut peut-être quelque chose de terrible et de prophétique pour lacomtesse. Elle craignit d’y voir une image des vengeances que lui gardait l’avenir. Soncœurcoeur n’était pas encore assez flétri pour que la sensibilité et l’indulgence en fussententièrement bannies ; et alors, elle pressa la main de la duchesse en la remerciant par un de cesdoux sourires qui ont une certaine grâce enfantine. ¶.¶

– Mon cher enfant, lui dit la vieille femme à l’oreille, songez désormais que nous savonsaussi bien repousser les hommages des hommes que nous les attirer.... ¶.¶

– Elle est à vous, si vous n’êtes pas un niais....¶Ces dernières paroles furent soufflées par madame de Marigny,Lansac à l’oreille du

colonel, Montcornet pendant que la belle comtesse se livrait à toute la compassion que luiinspirait l’aspect de M. de Soulanges. Elle , car elle l’aimait encore assez sincèrement pour le

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vouloir le rendre au bonheur, et elle se promettait intérieurement d’employer l’irrésistiblepouvoir qu’exerçaient encore ses séductions sur lui, pour le renvoyer à sa femme. ¶.¶

– Oh ! comme je vais le prêcher !....., dit-elle à madame de Marigny. ¶Lansac.¶– Vous n’en ferezN’en faites rien, j’espère, ma bellechère ! s’écria la duchesse en

regagnant sa bergère. Mais vous vous choisirez , choisissez-vous un bon mari et vousfermerezfermez votre porte à mon neveu. Vous éviterez de le rencontrer dans le monde ; et,quand il sera guéri de sa maladie, vous lui offrirezNe lui offrez même pas votre amitié....Croyez-moi, mon angeenfant, une femme ne reçoit pas d’une autre femme le cœurcoeur de sonmari. Elle, elle est cent fois plus heureuse de croire qu’elle l’a reconquis elle-même, et je croisavoir donné à. En amenant ici ma nièce , je crois lui avoir donné un excellent moyen de regagnerl’affection de son mari en l’amenant ici..... Je ne vous demande, pour toute coopération, qued’agacer notre beau colonel de cuirassiers.... ¶le général.¶

Et, quand elle luila duchesse montra l’ami du maître des requêtes, la comtesse sourit. ¶.¶– Eh bien ! , madame, savez-vous enfin le nom de cette inconnue ?.. demanda le baron

d’un air piqué à la comtesse, quand elle se trouva seule.¶ – Oui, dit madame de Vaudremont enregardant le maître des requêtes. Il y avait dans sa figure.¶

Sa figure exprimait autant de finesse que de gaieté. Le sourire qui répandait la vie sur seslèvres et sur ses joues, la lumière humide de ses yeux étaient semblables à ces feux follets quiabusent le voyageur.¶ Martial , qui se crut toujours aimé. Prenant , prit alors cette attitudecoquette dans laquelle un homme se balance si complaisamment auprès de celle qu’il aime, il etdit avec fatuité :¶ : – Et ne m’en voudrez-vous pas si je parais attacher beaucoup de prix à savoirce nom..... ¶ ?¶

– Et ne m’en voudrez-vous pas, répliqua madame de Vaudremont, si, par un rested’amour, je ne vous le dis pas, et si je vous défends de faire la moindre avance à cette jeunedame. – ? Vous risqueriez votre vie, peut-être. ¶.¶

– Madame, perdre vos bonnes grâces, c’est n’est-ce pas perdre plus que la vie..... ¶ ?¶– Martial !..., dit sévèrement la comtesse, c’est madame de Soulanges ! . . . . et son . Le

mari vous brûlerait la cervelle, si vous en avez, toutefois.... ¶.¶– Ah ! ah ! répliqua le fat en riant ; de sorte que, le colonel laissera vivre en paix celui

qui lui a enlevé votre cœurcoeur et se battrait pour sa femme..... ? Quel renversement deprincipes !... Je vous en prie, permettez-moi de danser avec cette petite dame ?.... Vous pourrezainsi avoir la preuve du peu d’amour du cœurque renfermait pour vous ce coeur de neige quevous avez congédié ;, car, si le colonel trouve mauvais que je fasse danser sa femme, après avoirsouffert que je vous...¶

– Mais elle aime son mari....¶– C’est un obstacleObstacle de plus que... j’aurai le plaisir de vaincre.¶– Mais, elle est mariée..... ¶.¶– Plaisantes objections dans votre bouche.¶ – Plaisante objection !¶– Ah ! dit la comtesse avec un sourire amer, vous nous punissez également de nos fautes

et de nos repentirs !... Puis vous vous plaignez de notre légèreté !... C’est le maître qui reprochel’esclavage à son esclave. Êtes-vous injustes ! ¶.¶

– Ne vous fâchez pas !, dit vivement Martial. Oh ! je vous en supplie, pardonnez-moi !.Tenez, je ne pense plus à madame de Soulanges. ¶.¶

– Vous mériteriez bien que je vous envoyasse auprès d’elle. ¶.¶– J’y vais........, dit le baron en riant ; mais , et je reviendrai plus épris de vous que

jamais, et vous . Vous verrez que la plus jolie femme du monde ne peut pas s’emparer d’un cœur

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quand il coeur qui vous appartient.¶ – C’est-à-dire que vous voulez gagner le cheval ducolonel ?...¶

– Ah ! le traître !...., répondit-il en riant et menaçant du doigt son ami qui souriait. ¶.¶Alors le Le colonel arriva et, le baron lui céda la place auprès de la comtesse, à laquelle il

dit d’un air sardonique :¶ : – Madame, voici un homme qui s’est vanté de pouvoir gagner vosbonnes grâces dans une soirée ! ¶.¶

Il s’éloigna en s’applaudissantIl s’applaudit en s’éloignant d’avoir révolté l’amour-proprede la comtesse et desservi le colonelMontcornet ; mais, malgré sa finesse habituelle, il n’avaitpas deviné toute l’ironie dont étaient empreints les propos de madame de Vaudremont étaientempreints, ne s’apercevant même pas , et ne s’aperçut point qu’elle avait fait autant de pas versson ami que son ami vers elle, quoiqu’à l’insu l’un de l’autre.¶ Au moment où le maître desrequêtes s’approchait en papillonnant du brillant candelabrecandélabre sous lequel la comtessede Soulanges, pâle et craintive, semblait ne vivre que des yeux, son mari arriva près de la portedu salon, d’un air farouche en montrant deuxdes yeux étincelansétincelants de passion. La vieilleduchesse, attentive à tout, s’élança, avec la vivacité de la jeunesse, vers son neveu ; elle, luidemanda le son bras et sa voiture pour sortir, en prétextant un ennui mortel et se flattant deprévenir ainsi un éclat fâcheux. Elle fit, avant de partir, un singulier signe d’intelligence à sanièce, en lui désignant l’entreprenant cavalier qui se préparait à lui parler. Ce , et ce signeflamboyant semblait lui dire : – le Le voici, venge-toi. ¶.¶

Madame de Vaudremont surprit le regard de la tante et de la nièce. Une , une lueursoudaine illumina son âme, et la jeune coquetteelle craignit d’être la dupe de cette vieille dame sisavante et si rusée en intrigue.¶ – Cette perfide duchesse, se dit-elle, aura peut-être trouvéplaisant de me faire de la morale en me jouant quelque méchant tour de sa façon. ¶.¶

A cette pensée, l’amour-propre de madame de Vaudremont fut peut-être encore plusfortement intéressé que sa curiosité à démêler le fil de cette intrigue. La préoccupation intérieureà laquelle elle fut en proie ne la laissa pas maîtresse d’elle-même. Alors le Le colonel,interprétant à son avantage la gêne répandue dans les discours et les manières de la comtesse,n’en devint que plus ardent et plus pressant.¶ Ainsi, de nouveaux mystères, palpitans d’intérêt,vinrent animer cette mouvante scène. En effet les Les vieux diplomates blasés, qui s’amusaientà observer le jeu des physionomies, n’avaient jamais rencontré tant d’intrigues à suivre ou àdeviner. Les passions qui agitaient le double couple dont cette histoire retrace l’aventure, sediversifiaient à chaque pas dans ces salons animés en se représentant avec d’autres nuances surchaque figure d’homme et de femme.¶ Les vieux diplomates blâsés, qui s’amusaient à observerle jeu des physionomies et à deviner les intrigues, n’avaient jamais rencontré une aussi richemoisson de plaisirs. Néanmoins, le d’autres figures. Le spectacle de tant de passions vives, toutesces querelles d’amour, ces vengeances douces, ces faveurs cruelles, ces regards enflammés, toutecette vie brûlante répandue autour d’eux, ne leur faisait sentir que plus vivement leurimpuissance.¶ Enfin, le baron avait pu s’asseoir auprès de la comtesse de Soulanges. Ses yeuxerraient à la dérobée sur un cou frais comme la rosée, parfumé comme une fleur des champs. Iladmirait de près des beautés qui de loin l’avaient étonné. Il pouvait voir un petit pied bienchaussé et, mesurer de l’œill’oeil une taille souple et gracieuse. A cette époque, les femmesnouaient la ceinture de leurs robes précisément au -dessous de leur du sein, à l’imitation de cellesdes statues grecques. Cette , mode était impitoyable pour les femmes dont le corsage avaitquelque défaut. Martial,En jetant des regards furtifs sur ce sein, Martial resta ravi de laperfection des formes célestes de la comtesse. Il était ivre d’amour et d’espérance.¶

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– Vous n’avez pas dansé, une seule fois, ce soir, madame ?......, dit-il d’une voix douce etflatteuse ; ce n’est pas faute de cavalier, j’imagine ?...... ¶?¶

– Voilà près de deux ans que jeJe ne vais point dans le monde, et j’y suis inconnue....,répondit madame de Soulanges avec froideur ; car elle froideur madame de Soulanges quin’avait rien compris au regard par lequel sa tante venait de l’inviter à plaire au baron. ¶.¶

Celui-ci faisait Martial fit alors jouer par maintien le beau diamant qui ornait le doigtannulaire de sa main gauche. Les , les feux jetés par les facettes de la pierre, semblèrent fairepénétrer jeter une lueur subite dans l’âme de la jeune comtesse. Elle qui rougit et regarda lebaron avec une expression indéfinissable. ¶.¶

– Aimez-vous la danse ?..., demanda le Provençal, pour essayer de renouer laconversation. ¶.¶

– OhOh ! beaucoup, monsieur !... ¶.¶A cette étrange réponse, leurs regards se rencontrèrent, car le. Le jeune homme, surpris

de l’accent doux et pénétrant qui réveilla dans son cœurcoeur une vague espérance, avaitsubitement interrogé les yeux de la jeune femme. ¶.¶

– EhEh ! bien, madame, n’est-ce pas une témérité de ma part que de me proposer pourêtre votre partner à la première contredanse. ¶ ?¶

Une confusion naïve rougit les joues blanches de la comtesse. On eût dit des gouttes d’unvin généreux, versées dans une eau limpide.¶

– Mais, monsieur..., j’ai déjà refusé un danseur..., un militaire.... ¶....¶– Serait-ce ce grand colonel de cavalerie que vous voyez là-bas ? ¶?¶– Précisément. ¶.¶– EhEh ! c’est mon ami, ne craignez rien. M’accordez-vous la faveur que j’ose

espérer !.... ¶?¶– Oui, Monsieur.... ¶monsieur.¶Le timbre tremblant de cetteCette voix mélodieuse accusait une émotion si neuve et si

profonde, que l’âme blasée du maître des requêtes en fut ébranlée. Il se sentit envahi par unetimidité de lycéen. Il, perdit son assurance et, sa tête méridionale s’enflamma. Il , il voulutparler, mais ses expressions lui parurent sans grâce, comparées aux reparties spirituelles et finesde madame de Soulanges.¶ Il fut heureux pour lui, que la contredanse commençât ; car, debout.Debout près de sa belle danseuse, il se trouva plus à l’aise. Il y aPour beaucoup d’hommes pourlesquels, la danse est une manière d’être, et qui ; ils pensent, en déployant les grâces de leurcorps, agir plus puissamment que par l’esprit, sur le cœurcoeur des femmes. Le Provençalvoulait sans doute employer en ce moment tous ses moyens de séduction, à en juger par laprétention de tous ses mouvemensmouvements et de ses gestes. Il avait, par vanité, amené saconquête au quadrille où les femmes les plus brillantes du salon mettaient une chimériqueimportance à danser préférablement à tout autre.¶ Pendant que l’orchestre exécutait le préludede la première figure, le baron éprouvaéprouvait une incroyable satisfaction d’orgueil, quand,passant en revue les danseuses placées sur les lignes de ce brillant carré redoutable, il s’aperçutque madame de Soulanges était la plus jolie. Sa toilette de madame de Soulanges défiait mêmecelle de madame de Vaudremont qui, par un hasard cherché peut-être, faisait avec le colonel levis-à-vis du baron et de la dame bleue. Tous les Les regards des hommes se fixèrent un momentsur madame de Soulanges, et : un murmure flatteur annonça qu’elle était le sujet de laconversation de chaque partner avec sa danseuse.¶ Les œilladesoeillades d’envie et d’admirationse croisaient si vivement sur elle, que la jeune dame, commefemme, honteuse d’un triompheauquel elle semblait se refuser, baissa modestement les yeux, rougit, et n’en devint que plus

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charmante. Si elle releva ses blanches paupières, ce fut pour regarder son danseur enivré, commesi elle eût voulu lui reporter la gloire de ces hommages et lui dire qu’elle préférait le sien à tousles autres. Elle ; elle mit de l’innocence dans sa coquetterie, ou plutôt elle parut se livrer à unsentiment neuf, à unela naïve admiration naïve, par laquelle commence l’amour avec cette bonnefoi qui ne se rencontre que dans de jeunes cœurs.¶ coeurs. Quand elle dansa, les spectateurspurent facilement croire que les pièges des pas capricieux qu’elle exécuta d’une manièreravissante, n’étaient tendus que pour Martial, car cette créature aérienne savait, comme qu’ellene déployait ces grâces que pour Martial ; et, quoique modeste et neuve au manége des salons,elle sut, aussi bien que la plus savante coquette, lever à propos les yeux sur lui, ou les baisseravec une feinte modestie.¶ Quand les lois nouvelles de la d’une contredanse inventée par ledanseur Trénis, et à laquelle il donna son nom, amenèrent Martial devant le colonel :¶ : – J’aigagné ton cheval !.., lui dit-il en riant.¶ – Oui, mais tu as perdu quatre-vingt mille livres derente, lui répliqua le colonel en lui montrant la figure sévère de madame de Vaudremont. ¶.¶

– Et qu’est-ce que cela me fait, ! répondit Martial avec un petit geste mutin, madame deSoulanges vaut des millions !.... ¶.¶

A la fin de cette contredanse, plus d’un chuchottementchuchotement résonnait à plusd’une oreille. – Les femmes les moins jolies des femmes faisaient de la morale avec leursdanseurs, à propos de la naissante liaison du baronde Martial et de la comtesse de Soulanges.– Les plus belles s’étonnaient d’une telle facilité. – Les hommes ne concevaient pas le bonheurdu petit maître des requêtes, auquel ils ne trouvaient rien de bien séduisant. – Quelques femmes,plus indulgentes, disaient qu’il ne fallait pas se presser de juger ; et que juger la comtesse : lesjeunes personnes seraient bien malheureuses, si un regard expressif et une danse gracieuseouquelques pas gracieusement exécutés suffisaient pour établir des accusations aussi graves.¶compromettre une femme. Martial seul connaissait l’étendue de son bonheur. A la dernièrefigure, quand les dames du quadrille eurent à former le moulinet. Ses, ses doigts pressèrent alorsceux de la comtesse, et il crut sentir, à travers la peau fine et parfumée des gants, que les doigtsde la jeune femme répondaient à son amoureux appel. ¶.¶

– Madame, lui dit-il au moment où la contredanse se termina, ne retournez pas dans cetodieux coin où vous avez enseveli jusqu’ici votre figure et votre toilette. L’admiration est -elle leseul revenu que vous puissiez tirer des diamansdiamants qui parent votre cou si blanc et vosnattes si bien tressées. – ? Venez faire un petit voyage à travers les salons et une promenadedans les salons pour y jouir du coup-d’œil de la fête et de vous-même. ¶.¶

Madame de Soulanges suivit l’adroit son séducteur, qui pensait qu’elle lui appartiendraitplus sûrement, s’il parvenait à la compromettre ou à l’afficher. Ils Tous deux, ils firent alors undoux pèlerinagequelques tours à travers les groupes qui encombraient les salons magnifiques del’hôtel.¶ La comtesse de Soulanges, inquiète, s’arrêtait un instant avant d’entrer dans chaquesalon, et n’y pénétrait qu’après avoir tendu le cou pour jeter un regard perçant sur tous leshommes, et cette . Cette peur, qui comblait de joie le petit maître des requêtes, ne semblaitcalmée que quand il avait dit à sa tremblante compagne :¶ : – Rassurez-vous, il n’y est pas.¶ Ilsparvinrent ainsi jusqu’à une immense galerie de tableaux, située dans une aile de l’hôtel, et oùl’on jouissait par avance du magnifique aspect d’un ambigu préparé pour trois cents personnes.Le maître des requêtes, devinant queComme le repas allait commencer, Martial entraîna lacomtesse vers un boudoir qu’il avait remarqué.¶ C’était une pièce ovale donnant sur les jardins.Les , et où les fleurs les plus rares et quelques arbustes en faisaient comme un bocage où, àtravers les feuillages et les bouquets, l’œil apercevait formaient un bocage parfumé sous debrillantes draperies. bleues. Le murmure de la fête venait y mourir, comme le bruit du monde

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auprès d’un saint asile.. La comtesse tressaillit en y entrant, et refusa obstinément d’y suivre lejeune homme ; mais, après avoir jeté les yeux sur une glace, elle y vit sans doute desdéfenseurstémoins, car elle alla s’asseoir d’assez bonne grâce sur une voluptueuse ottomane. ¶.¶

– QuelleCette pièce est délicieuse !...., dit-elle en admirant une tenture bleu-de-ciel, quiétait relevée par des perles. ¶.¶

– Tout y est amour et volupté..., dit le jeune homme fortement ému. ¶.¶Puis àA la faveur de la mystérieuse clarté qui régnait dans cette suave retraite, il regarda

la comtesse, et surprit, sur sa figure doucement agitée, une expression de trouble, de pudeur, dedésir, qui l’enchanta. ElleLa jeune femme sourit, et ce sourire sembla mettre fin à la lutte de tousles sentimensdes sentiments qui se heurtaient dans son cœur : aussi, le baron fut-il ravi.¶Ellecoeur, elle prit de la manière la plus séduisante, la main gauche de son adorateur, et lui ôtadu doigt la bague sur laquelle elle avait fixé des yeux animés par tout l’éclat de laconvoitise. ¶ses yeux s’étaient arrêtés.¶

– Voilà un bienLe beau diamant !... s’écria-t-elle doucement et avec la naïve expressiond’une jeune fille qui laisse voir tous les chatouillemensles chatouillements d’une premièretentation. ¶.¶

Martial , ému de la caresse involontaire, mais enivrante que la comtesse lui avait faite endégageant le brillant, la regarda avecarrêta sur elle des yeux aussi étincelansétincelants que labague. ¶.¶

– Portez-la, lui dit-il, en souvenir de cette heure céleste et pour l’amour de..... ¶...¶Elle le contemplait avec tant d’extase qu’il n’acheva pas, il lui baisa la main. ¶.¶– Vous me la donnez ?... dit-elle, avec un air d’étonnement. ¶.¶– Je voudrais vous offrir le monde entier !..¶– Vous ne plaisantez pas ?.. reprit-elle d’une voix altérée par une satisfaction trop

vive. ¶.¶– N’acceptez-vous que mon diamant ?..... ¶?¶– Mais vous Vous ne me le reprendrez jamais ?.., demanda-t-elle. ¶.¶– Jamais !.....¶Elle mit la bague à son doigt.¶ Martial, comptant sur un prochain bonheur, fit un

mouvement ; mais la geste pour passer sa main sur la taille de la comtesse qui se leva tout- à-coup, et dit d’une voix claire qui n’accusait , sans aucune émotion :¶ : – Monsieur, j’accepte cediamant avec d’autant moins de scrupule qu’il m’appartient. ¶.¶

Le maître des requêtes interdit resta immobile, la bouche béante.¶ – M. de Soulanges leprit il y a six moistout interdit. – Monsieur de Soulages le prit dernièrement sur ma toilette et medit l’avoir perdu. ¶.¶

– Vous êtes dans l’erreur, madame, dit Martial d’un air piqué, car je le tiens de madamede Vaudremont. ¶.¶

– Précisément, répliqua-t-elle en souriant, mon. Mon mari m’a emprunté cette bague, lalui a donnée, elle vous en a fait présent. Eh monsieur, ma bague a voyagé, voilà tout. Cettebague me dira peut-être tout ce que j’ignore, et m’apprendra le secret de toujours plaire.Monsieur, reprit-elle, si elle n’eût pas été à moi, soyez sûr que je ne me serais pas hasardée à laracheter au même prix que la comtesse.....¶ – payer si cher, car une jeune femme est, dit-on, enpéril près de vous. Mais, tenez, ajouta-t-elle en faisant jouer un ressort caché sous la pierre, lescheveux de M.monsieur de Soulanges y sont encore......¶

Elle poussa un rire éclatant et railleur, puis elle s’élança dans les jardins salons avec unetelle prestesse, qu’il paraissait inutile d’essayer de la rejoindre. D’ailleurs ; et, d’ailleurs, Martial,

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confondu, ne se trouva pas d’humeur à tenter l’aventure. En effet, leLe rire de madame deSoulanges avait trouvé un écho dans le boudoir, et où le jeune fat venait d’apercevoir,aperçutentre deux arbustes, le colonel et madame de Vaudremont, qui riaient de tout cœur. ¶coeur.¶

– Veux-tu mon cheval pour courir après cette malicieuse personne ?.......ta conquête ? luidit le colonel. ¶.¶

Le baron se mit à rire, car c’était le parti le plus prudent qu’il eût à prendre. Il acheta leprofond silence des deux spectateurs de cette scène par la La bonne grâce avec laquelle il lebaron supporta les plaisanteries dont il fut accablé par la future épouse du colonel et le colonellui-même qui, dans l’accablèrent madame de Vaudremont et Montcornet, lui valut leur discrétionsur cette soirée, où son ami troqua son cheval de bataille pourcontre une jeune, une riche et joliefemme. ¶.¶

¶ ___¶ LaPendant que la comtesse de Soulanges ayant fait, non sans peine, avancer son

équipage, retourna chez elle sur les deux heures du matin, et pendant qu’elle franchissaitl’intervalle qui sépare la Chaussée-d’Antin du faubourg St.Saint-Germain où elle demeurait, sonâme fut en proie aux plus vives inquiétudes.¶ Avant de quitter l’hôtel de Gondreville, elle enavait parcouru les salons sans y rencontrer ni sa tante ni son mari, dont elle ignorait le départ.Alors d’affreux pressentimens vinrent partis sans elle. D’affreux pressentiments vinrent alorstourmenter son âme ingénue. Témoin discret des souffrances éprouvées par son mari depuis lejour où madame de Vaudremont l’avait attaché à son char, elle espérait avec confiance qu’unprochain repentir lui ramènerait son époux. Aussi était-ce avec une incroyable répugnancequ’elle avait consenti au plan formé par sa tante, madame de MarignyLansac, et en ce momentelle craignait d’avoir commis une faute.¶ Cette soirée avait attristé sa jeuneson âme candide.Effrayée d’abord de l’air souffrant et sombre du comte de Soulanges, elle l’avait étéle fut encoreplus depar la beauté de sa rivale. Puis , et la corruption du monde lui avait serré le cœur.¶ coeur.En passant sur le Pont-Royal, elle jeta les cheveux profanés qui se trouvaient sous le diamant,jadis offert comme le gage brillant d’un amour pur. Elle pleura en songeant aux se rappelant lesvives souffrances dontauxquelles elle était depuis si long-temps laen proie, et frémit plus d’unefois elle frémit en pensant que le devoir des femmes qui veulent obtenir la paix en ménage, lesobligeait à ensevelir au fond du cœurcoeur, et sans se plaindre, des angoisses aussi cruelles queles siennes. ¶ – Hélas ! se dit-elle, comment peuvent faire les femmes qui n’aiment pas ? – Oùoù est la source de leur indulgence ? – Je ne saurais croire, comme le dit ma tante, que la raisonsuffise pour les soutenir dans de tels dévouemens. ¶ dévouements. Elle soupirait encore quandson chasseur abaissa l’élégant marchepied d’où elle s’élança sous le vestibule de son hôtel. Ellemonta l’escalier avec précipitation, et quand elle arriva dans sa chambre, elle tressaillit de terreuren y voyant son mari, assis sur une chaise auprès de la cheminée. Il lui montra un visage irrité.¶

– Depuis quand, ma chère, allez-vous au bal sans moi ?.. , sans me prévenir ?.. demanda-t-il d’une voix altérée. – Sachez qu’une femme est toujours déplacée sans son mari..... Vous étiezsingulièrement compromise dans le coin obscur où vous vous étiez nichée ?.... ¶.¶

– OO ! mon bon Léon !, dit elle d’une voix caressante, je n’ai pu résister au bonheur dete voir sans que tu me visses... C’est ma Ma tante qui m’a menée à ce bal, et j’y ai été bienheureuse.....¶ !¶

Ces accensaccents désarmèrent tout-à-coup les regards du comte de la leur sévéritéfactice qu’ils annonçaient. Il était facile de deviner qu’, car il venait de se faire de vifs reprochesà lui-même, qu’il appréhendaiten appréhendant le retour de sa femme, sans doute instruite dansleau bal d’une infidélité qu’il espérait lui avoir cachée. Alors, , et selon la coutume des

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amansamants qui se sentent coupables, il essayait, en querellant la comtesse le premier, d’évitersa trop juste colère. Tout surpris, il Il regarda silencieusement sa femme. Elle , qui dans sabrillante parure lui sembla plus belle que jamais dans la brillante parure qui rehaussait en cemoment ses attraits.¶ Pour elle, heureuse. Heureuse de voir son mari sourire, souriant, et de letrouver à cette heure dans une chambre où il était venu, depuis quelque temps, il était venumoins fréquemment, la comtesse le regarda si tendrement qu’elle rougit, lui jeta des regardsfurtifs, pleins d’amour et d’espérance. – Soulanges, transporté, et et baissa les yeux. Cetteclémence enivra d’autant plus ivre de bonheur et d’amour, Soulanges que cette scène succédaitaux tourmenstourments qu’il avait ressentis pendant le bal, ; il saisit la main de sa femme et labaisa par reconnaissance ; car il y a quelquefois: ne se rencontre-t-il pas souvent de lareconnaissance dans l’amour.¶ ? – Hortense, qu’as-tu donc au doigt qui m’a fait tant de mal auxlèvres ? demanda-t-il en riant. ¶.¶

– C’est mon diamant, que tu disais perdu, et que j’ai retrouvé ce soir dans un tiroir de matoilette. ¶.¶

Le comte admira tant d’indulgence ; et le lendemain matin, madame de Soulanges avaitpu replacer, sous le diamant reconquis, de nouveaux cheveux, qui ne devaient plus voyagercomme ceux qu’elle avait jetés la veille.¶Le général Montcornet n’épousa point madame deVaudremont, malgré la bonne intelligence dans laquelle tous deux vécurent pendant quelquesinstants, car elle fut une des victimes de l’épouvantable incendie qui rendit à jamais célèbre lebal donné par l’ambassadeur d’Autriche, à l’occasion du mariage de l’Empereur Napoléon avecla fille de l’Empereur François II.¶

Juillet 1829.¶

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BIBLIOGRAPHIE

manuscrits, pré- et co-publications

La Vendettamsde 56 ff. reliés avec la préface desScènes de la vie privée

(Lov. A239, Bibliothèque de l’Institut).« L’Atelier » par « l’auteur de laPhysiologie du mariage», La

Silhouette, 1er avril 1830.extrait dansLe Courrier des électeurs, 9 mai 1830.

Les Dangers de l’inconduitems incomplet composé de la deuxième partie, moins la fin, et

l’intégralité de la troisième partie (Lov. A54, Bibliothèquede l’Institut).

« L’Usurier » par H. de Balzac,La Mode, 6 mars 1830 (t. II,pp. 222-31) ; reproduit dansLe Voleur, 10 août 1830.

Le Bal de Sceauxms complet composé de 45 ff. (Lov. A87, Bibliothèque de

l’Institut).Un fragment de la nouvelle paraît, sans nom d’auteur, sous le

titreScènes de la vie privéedansLe Cabinet de lecture, 4 jan-vier 1830.

Gloire et malheurms complet composé de 35 ff. (Lov. A89, Bibliothèque de

l’Institut).

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Scènes de la vie privéepar M. de Balzac [extrait deGloire etmalheur], La Silhouette, 15 avril 1830.

La Femme vertueusems à peu près complet composé de 36 ff. (Lov. A231, Biblio-

thèque de l’Institut).« La Grisette parvenue » « extrait inédit desScènes de la vie

privée, par M. de Balzac »,Le Voleur, 5 avril 1830.« Le Dimanche d’une ouvrière »« extrait inédit desScènes de

la vie privée, par M. de Balzac »,Le Voleur, 15 avril 1830.

La Paix du ménagems complet composé de 21 ff. et fragments d’épreuves (Lov.

A172, Bibliothèque de l’Institut)

éditions

Scènes de la vie privéepubliées par M. Balzac, auteur duDer-nier Chouan, ou la Bretagne en 1800(Paris, Mame et Delau-nay-Vallée, libraires, Levavasseur, libraire, 1830), 2 vol. in-8º: t. I, Préface,La Vendetta, Les Dangers de l’inconduite,Le Bal de Sceaux; t. II, Gloire et malheur, La Femme ver-tueuse, La Paix du ménage, Note. Publication annoncée parla Bibliographie de la Francele 10 avril 1830. C.R.LeSylphe, 29 avril 1830 ;Le Mercure de France au XIXe siècle,29 avril 1830 ; Feuilleton des journaux politiques,5 mai1830 ; L’Universel, 8 mai 1830 ;Le Corsaire, 8 mai 1830 ;Le Figaro, 23 mai 1830 ;Le Globe, 5 Juin 1830.

Scènes de la vie privéepubliées par M. de Balzac (Paris,Librairie Mame-Delaunay, 1832), 4 vol. in-8º: t. I, Préface,La Vendetta, Les Dangers de l’inconduite, Le Bal deSceaux; t. II, Gloire et malheur, La Femme vertueuse, LaPaix du ménage; t. III, Le Conseil, La Bourse, Le Devoird’une femme, Les Célibataires; t. IV, Le Rendez-vous, La

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Femme de trente ans, Le Doigt de Dieu, Les Deux rencon-tres, L’Expiation.

Scènes de la vie privéein Études de mœurs au XIXe siècleparM. de Balzac (Paris, Mme Charles Béchet, 1835), 2 vol. in-8º:t. I, Le Bal de Sceaux, Gloire et malheur, La Vendetta.

Scènes de la vie parisiennein Études de mœurs au XIXe sièclepar M. de Balzac (Paris, Mme Charles Béchet, 1835), 2 vol.in-8º: t. I, La Femme Vertueuse, La Bourse, Le Papa Gob-seck; t. II, La Fleur des pois, La Paix du ménage.

Scènes de la vie privéepubliées par M. de Balzac, « nouvelleédition revue et corrigée, 1re et 2e séries » (Paris, Charpentier,1839), 2 vol. in-18 : t. I,Le Bal de Sceaux, Gloire et malheur,La Fleur des pois, La Paix du ménage; t. II, La Vendetta,Même Histoire.

Scènes de la vie parisiennepubliées par M. de Balzac, « nou-velle édition revue et corrigée, 1re et 2e séries » (Paris, Char-pentier, 1839), 2 vol. in-18 : t. I,La Comtesse à deux maris,Madame Firmiani, Sarrasine, Le Papa Gobseck, La Bourse;t. II, La Femme vertueuse, Profil de marquise, L’Interdic-tion, Les Marana.

La Comédie humaine, Œuvres complètes de M. de Balzac,« Première partie :Études de mœurs. Premier livre :Scènesde la vie privée» (Paris, Furne, Dubochet et Cie, Hetzel etPaulin, 1842), t. I,La Maison du chat qui pelote, Le Bal deSceaux, La Bourse, La Vendetta, Madame Firmiani, UneDouble famille, La Paix du ménage, La Fausse Maîtresse,Étude de femme, Albert Savarus; t. II, Mémoires de deuxjeunes mariées, Une fille d’Ève, La Femme abandonnée, LaGrenadière, Le Message, Gobseck, Autre étude de femme.

BALZAC , La Comédie humaine, Études de mœurs: Scènes de lavie privée, édition publiée sous la direction de Pierre-Geor-ges CASTEX (Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de laPléiade », 1976, t. I et t. II. Le t. I contient :La Maison duchat qui pelote(texte présenté, établi et annoté par Anne-Marie MEININGER), Le Bal de Sceaux(texte présenté, établiet annoté par Anne-Marie MEININGER), Mémoires de deux

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jeunes mariées(texte présenté, établi et annoté par RogerPIERROT), La Bourse(texte présenté, établi et annoté parJean-Louis TRITTER), Modeste Mignon(texte présenté, éta-bli et annoté par Maurice REGARD), Un Début dans la vie(texte présenté, établi et annoté par Pierre BARBÉRIS),Albert Savarus(texte présenté, établi et annoté par Anne-Marie MEININGER), La Vendetta(texte présenté, établi etannoté par Anne-Marie MEININGER) ; le t. II contient : UneDouble famille (texte présenté, établi et annoté par Anne-Marie MEININGER), La Paix du ménage(texte présenté, éta-bli et annoté par Anne-Marie MEININGER), La Fausse Maî-tresse(texte présenté, établi et annoté par René GUISE), UneFille d’Ève (texte présenté, établi et annoté par RogerPIERROT), Le Message(texte présenté, établi et annoté parNicole MOZET), La Grenadière(texte présenté, établi etannoté par Anne-Marie MEININGER), La Femme aban-donnée (texte présenté, établi et annoté par MadeleineFARGEAUD), Honorine(texte présenté, établi et annoté parPierre CITRON), Béatrix (texte présenté, établi et annoté parMadeleine FARGEAUD), Gobseck(texte présenté, établi etannoté par Pierre CITRON), La Femme de trente ans(texteprésenté, établi et annoté par Bernard GAGNEBIN et RenéGUISE).

Note : il existe bon nombre d’autres éditions modernes denouvelles individuelles ou de groupes de nouvelles, maisqui ne cherchent pas à présenter lesScènes de la vie privéecomme receuil cohérent. Pour cette raison elles ne sont pasrépertoriées ici.

études surScènes de la vie privée

BARBÉRIS, Pierre, « L’accueil de la critique aux premièresgrandes œuvres de Balzac (1829-1830) »,L’Année balza-

cienne 1967, pp. 51-72.

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BARON, Anne-Marie, « LesScènes de la vie privéeou le regardinterdit », Orbis litterarum, vol. 55, n° 6, novembre-décembre 2000, pp. 434-46.

BARON, Anne-Marie, « LesScènes de la vie privéeou le spec-tacle de l’interdit »,L'École des lettres, nº 9, 15 janvier 2001.

BUI ,Véronique,« Scénographie de la mort dans lesScènes dela vie privée», L’Année balzacienne 2000, pp. 331-46.

CASTEX, Pierre-Georges,Nouvelles et contes de Balzac.I. Scè-nes de la vie privée(Paris, Centre de documentation univer-sitaire, 1961).

CLARK , Roger J.B., « Encore Balzac et ‘La Pandore’ »,L’ Année balzacienne 1973, pp. 371-4.

DUPUIS, Danielle,« Spécificité et rôle du décor dans lesScè-nes de la vie privée», L’Année balzacienne 1994, pp. 139-53.

EBGUY, Jean-Jacques, « Pour une esthétique du personnage:Balzac et le problème de la représentation dans lesScènes dela vie privée» (Thèse préparée sous la direction de Jean-Yves Tadié et soutenue à l’Université de Paris IV le 5novembre 2002).

EBGUY, Jacques-David, « Pour une esthétique du personnage.Balzac et le problème de la représentation dans lesScènes dela vie privée », Dix-Neuvième Siècle, n° 35, juin 2002,pp. 98-9.

EBGUY, Jacques-David, « Un “autre lieu”: territoires-carre-fours et personnages mobiles dans quelquesScènes de la vieprivée» in Philippe DUFOURet Nicole MOZET, éds.,Balzacgéographe : territoires (Saint-Cyr-sur-Loire, ChristianPirot, 2004), pp. 199-210.

FARRANT, Tim, « Le privé, espace menacé ? Des premièresScènes de la vie privéeauxSecrets de la princesse de Cadi-gnan», L’Année balzacienne 1994, pp. 121-38.

GRODENT, Christine, « L’Enfant dans lesScènes de la vieprivéede Balzac » (Mémoire de licence sous la direction deGeorges Jacques, Université Catholique de Louvain [Lou-vain-la-Neuve], 1985).

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HERSCHBERGER, Eve Anne, « Theme and Structure in Bal-zac’s Scènes de la vie privée(1830) » (Thèse sous la direc-tion de Wayne Conner, Université de Floride, 1975).

MARTONYI, Eva, éd.La construction du texte dans quelquesrécits desScènes de la vie privéed’Honoré de Balzac(Sze-ged, Hongrie, Acta Romanica, 1986). C.R. par ArletteM ICHEL, L’Année balzacienne 1988,p. 413.

McCLELLAND , John,« A Reading of Balzac’sScènes de la vieprivée», Travaux du cercle méthodologique, Dép. d’Étudesfrançaises, Université de Toronto, 1979, 32 p.

MEININGER, Anne-Marie,« Théodore. Quelques scènes de lavie privée. Documents inédits »,L’Année balzacienne 1964,pp. 67-81.

M ICHEL, Arlette,« La Femme et le Code Civil dans laPhysio-logie du mariageet lesScènes de la vie privéede 1830 » inLeRéel et le texte(Centre des recherches dix-neuviémistes del’Université de Lille) (Paris, A. Colin, 1974), pp. 135-45.

M ICHEL, Arlette, « A propos desScènes de la vie privée: ima-ges balzaciennes de la jeunesse »,L’Année balzacienne1994, pp. 103-20.

NISHIKAWA , Yûko,« La signification de la “jeunesse” dans lesScènes de la vie privée», Francia, n° 8, 1964 [Université deKyoto].

NISHIOKA, Noriaki, « Sur les espaces desScènes de la vieprivée», Studies in Literature[Japon] 1983.

PREISS, Nathalie, « LesScènes de la vie privée: scènes origi-naires ? Autour du lexique de la vie privée »,L’Année balza-cienne 1996, pp. 355-66.

LE YAOUANC, Moïse,Nosographie de l’humanité balzacienne(Paris, Maloine, 1960).

LAROCHE-GISSEROT, Florence, « Pratiques de la dot en Franceau XIX e siècle », Annales. Economies..., novembre-décembre 1988, pp. 1433-52.

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études surLa Vendetta

BARDÈCHE, Maurice, « Introduction » àLa Vendetta inŒuvres complètes de Balzac(Paris, Club de l’honnêtehomme, 1958), t. II, pp. 271-6.

CASTEX, Pierre-Georges, « Introduction » in BALZAC , La Mai-son du chat-qui-pelote, Le Bal de Sceaux, La Vendetta(Paris, Garnier, 1963).

DAOUST, Isabelle, « La problématique de l’origine dansLaVendetta», L’École des Lettres,2001, pp. 21-6.

DOUMENS, Laure, « Un feuillet rescapé d’une édition corrigéedeLa Vendetta», Histoires littéraires, n° 15, 2003, pp. 200-1.

JEOFFROY-FAGGIANELLI , Pierrette, « De ‘Paoli’ àLa Vendet-ta », L’Année balzacienne 1975, pp. 307-12.

JEOFFROY-FAGGIANELLI, Pierrette,L’Image de la Corse dansla littérature romantique française: le mythe Corse(Paris,PUF, 1978). [Sur Balzac etLa Vendetta, pp. 223-36 etpas-sim].

MEININGER, Anne-Marie, « Théâtre et petis faits vrais »,L’Année balzacienne 1968.

MEININGER, Anne-Marie,« André Campi. DuCentenaireàUne ténébreuse affaire», L’Année balzacienne 1969.

SAMUELS, Maurice, « L’érotique de l’Histoire :La Vendettaetl’image de Napoléon au XIXe siècle » in L. FRAPPIER-MAZUR et J.-M. ROULIN, éds., L’Érotique balzacienne(Paris, SEDES, 2002), pp. 105-16.

VACHON, Stéphane, « Note sur deux pages corrigées deLaVendetta», Histoires littéraires, n° 15, 2003, pp. 202-3.

études surLesDangers de l’inconduite [Gobseck]

CHAGUINIAN , P. et TONYCHEVA, I., « Gobseck, conte de Bal-zac »,Travaux de l’Université de Samarkand, fasc. 361,1978, pp. 81-90.

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CHERRY, Rufus A.,Balzac and three of his anti-social charac-ters (Gobseck, Vautrin, Madame Marneffe)(Thèse sous ladirection de T. C. Walker, University of Kentucky).

CLARK , R.J.B., «Gobseck: structure, images et significationd’une nouvelle de Balzac »,Symposium, no. 31, 1978,pp. 290-301.

DERNOVSEK, Véra, « “La morale en peinture”: Bourgeois andFeminist Discourses in the Paintings of Jean-BaptisteGreuze » (Thèse sous la direction de Jean-Joseph Goux,Rice University, 2000).

FLORENTINO, Francesco, « Le Figure di stornamento in un rac-conti di Balzac »,Strumenti critici, 1975, pp. 31-49.

FERNANDEZ-CIFUENTES, Luis, « Entre Gobseck y Torquema-da», Anales Galdosianos, no. 17, 1982, pp. 71-84.

FRAPPIER-MAZUR, Lucienne, « Fortune et filiation dansquatre nouvelles de Balzac »,Littérature, n° 29, 1978,pp. 53-62.

GOLDEN, John Joseph,A Neo-Aristotelian Approach to the« Novelle »(Thèse, Cornell University, 1989) [consacre unchapitre àGobseck].

KHMARSKY, I., « La Position idéologique de Balzac dansGob-seck », Annales scientifiques de l’Institut pédagogique deOulianovsk, vol. XXVII, fasc. 2, 1971, pp. 80-90.

KNIGHT, Diana, « From Gobseck’s Chamber to Dervilles’sChambers: Retention in Balzac’s Gobseck »,NineteenthCentury French Studies, Spring-Summer, 2005.

LALANDE , Bernard, « Les états successifs d’une nouvelle deBalzac :Gobseck», Revue d’histoire littéraire de la France,vol. 46, nº 2, juillet-décembre 1939, pp. 180-200 ; vol. 47,nº 1, janvier-mars 1947, pp. 69-89.

LE CALVEZ , Éric, « Gobseck and Grandet: semes, themes,intertext »,Romance Studies, Spring 1994, pp. 43-60.

MORINO, Yumiko, « Le développement du texte deGobseck»,Revue de la Société des Sciences humaines, n° 22, 1991[Université de Musahi, Japon].

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NATHAN, Michel, « Pensées protestantes deLa Comédiehumaine» in Civilisation chrétienne: approche historiqued’une idéologie, XIIe-XXe siècle (Paris, Éditions Beau-chesne, 1975), pp. 229-53.

OYA , Takayasu, «Gobseck ou la femme après la faute »,L’École des lettres, n° 13, juillet 2003, pp. 55-61.

PASCO, Allan H., « Nouveau ou ancien roman : open structuresand Balzac’s Gobseck», Texas Studies in Literature andLanguages,vol. 20, no. 1, Spring 1978, pp. 15-35.

PASCO, Allan H., « Descriptive narration in Balzac’sGob-seck», The Virginia Quarterly Review, 1980, pp. 99-108.

PASCO, Allan H., « Balzac’sGobseckand Image Structure » inNovel Configurations: A Study of French Fiction(Birming-ham, Ala., Summa Publications, 1987), pp. 51-71.

SANO, Eiichi, « SurGobseck. Le changement du “bourgeoi-sisme” balzacien »,Bulletin, n° 27, 1985 [Université Aoya-ma-Sukutoku, Japon].

SCHRÖDER, Achim, « Geld und Gesellschaft in BalzacsErzählung Gobseck, Germanisch-romanische Monats-schrift, vol. XLIX, 1999, pp. 161-90.

TAMANTSEV, N., « Les Dangers de l’inconduite » inLes pro-blèmes de la création littéraire(Leningrad, Éditions del’Université de Leningrad, 1964).

TCHITCHÉRINE, A. Les Romans d’H. de BalzacGobsecket lesIllusions perdues (Moscou, 1985).

YON, Jean-Claude, « Balzac et Scribe. “Scènes de la vie théâ-trale” », L’Année balzacienne 1999, pp. 439-49.

ZACIMOVA , A., « La Fonction et la particularité des détailsdansGobseck», Bulletin de l’Institut pédagogique de Voro-nèje, vol. 117, 1972, pp. 96-105.

ZITO, Marina, « La Metafora estetica diGobseck» in GianCarlo MENICHELLI e Gian Carlo ROSCIONI, éds.,Studi ericerche di letteratura e linguistica francese(Napoli, Istitu-to universitario orientale, 1980), pp. 87-102.

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études surLe Bal de Sceaux

BARDÈCHE, Maurice, « Introduction » auBal de SceauxinŒuvres complètes de Balzac(Paris, Club de l’honnêtehomme, 1958), t. I, pp. 145-9.

CASTEX, Pierre-Georges, « Introduction » in BALZAC , La Mai-son du chat-qui-pelote, Le Bal de Sceaux, La Vendetta(Paris, Garnier, 1963).

CORDOVA, Sarah Davies, « Squarring it. The Narrator’s Dance.LeBal de Sceaux» in S. D. CORDOVA, Paris Dances. TextualChoreographies in the Nineteenth-Century French Novel(San Francisco, International Scholars Publications, 1999),pp. 115-38.

DELHAISE, Jean-Marie,Unelecture d’une nouvelle de Balzac:Le Bal de Sceaux (Thèse, Université de Louvain, 1975).

DONNARD, J.-H.,Balzac. Les Réalités économiques et socia-les dansLa Comédie humaine (Paris, Armand Colin, 1961),pp. 71-7.

EBGUY, Jacques-David, « Pour un nouveau romanesque : laproblématique esthétique duBal de Sceaux», L’Année bal-zacienne 1999, pp. 541-66.

FOUCART, Claude, « La Partie de campagne: esquisse d’uneanalyse » inMissions et démarches de la critique: mélangesofferts au professeur J.-A. Vier(Paris, Klincksieck, 1973),pp. 795-805.

FRAPPIER-MAZUR, Lucienne, « Idéologie et modèles greimas-siens : le double drame duBal de Sceaux, Incidences, nos 1-3,1977, pp. 50-60.

FRAPPIER-MAZUR, Lucienne, « Le double drame duBal deSceaux»,L’École des Lettres, n° 13, juillet 2003, pp. 21-33.

GOTO, Manabu, « Opéra en tant que miroir -Le Bal de Sceauxet “Le Mariage secret” de Cimarosa »,Uriika , décembre1994 [Tokyo, Japon].

GUICHARDET, Jeannine, «Le Bal de Sceauxde Balzac, unespace sociopoétique et ses enjeux » in Alain MONTANDON,

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éd., Sociopoétique de la danse(Paris, Anthropos, 1998),pp. 255-70.

HORLEBEIN, Birgit, « Einblicke in Balzacs erzählte Welt.Strukturelle un stilistische Untersuchungen anLe Bal deSceaux, La Maison du chat-qui-peloteund Une doublefamille », Studia Romanica, no. 100, 1999.

JORGENSEN, Catherine, « Deux nouvelles de Balzac »,LeFrançais aujourd’hui, 1989, pp. 47-50.

KASHIWAGI, Takao, « LireLeBal de Sceauxd’Honoré de Bal-zac »,Gallia, n° 31, 1991, pp. 110-19 [Osaka, Japon].

KASHIWAGI, Takao, « L’échec de la Reine de coeur. Un hommeet une femme dansLe Bal de Sceaux» in Balzac, loin denous, près de nous(Tokyo, Société japonaise d’études bal-zaciennes, Editions Surugadai-Shuppan, 2001).

KATO, Naohiro, « SurLeBal des Sceaux: le cas d’Émilie »,Lit-térature française[Université Waseda, Japon], 1988.

MASSOL-BEDOIN, Chantal, « Le livre énigmatique: analyse dequelques aspects duBal de Sceauxde Balzac »,Les Cahiersde Fontenay, nos 44-45, 1986, pp. 193-209.

PICON, Gaëtan, « Introduction » auBal de Sceauxin L’Œuvrede Balzac(Paris, Club français du Livre, 1950), t. II,pp. 717-21.

SASSON,Sarah Juliette, « Du manteau de la pairie au drap de laroture: les préjugés nobiliaires dansLe Bal de Sceaux»,TheRomanic Review, vol. 93, no. 3, 2002, pp. 295-305.

études surGloire et malheur [La Maison du chatqui pelote]

AMAR, Muriel, « Autour deLa Maison du Chat-qui-pelote.Essai de déchiffrage d’une enseigne »,L’Année balzacienne1993, pp. 141-55.

ANDRÉOLI, Max, « Une nouvelle de Balzac:La Maison duChat-qui-pelote. Ébauche d’une lecture totale »,L’Annéebalzacienne 1972, pp. 43-80.

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BARDÈCHE, Maurice, « Introduction » àLa Maison du chat quipelotein Œuvres complètes de Balzac(Paris, Club de l’hon-nête homme, 1958), t. I, pp. 87-9.

BONARD, Olivier, La Peinture dans la création balzacienne.Invention et vision picturale deLa Maison du Chat-qui-peloteauPère Goriot (Genève, Droz, 1969).C.R. par RolandCHOLLET, L’Année balzacienne 1971, p. 334 ; C.R. par Her-bert J. HUNT, French Studies, April 1971, pp. 216-8.

CASTEX, Pierre-Georges, « Introduction » in BALZAC , La Mai-son du chat-qui-pelote, Le Bal de Sceaux, La Vendetta(Paris, Garnier, 1963).

CROPPER, Corry L., « Playing at Monarchy: Le Jeu de Paumein Literature of Nineteenth-century France »,The FrenchReview, vol. 75, no. 4, March 2002, pp. 720-9.

ESCOBAR, Flaminia, « La casa del gato, opera giovanile di Bal-zac», L’Osservatore romano, 1984, p. 3.

FARGEAUD, Madeleine, « Laurence la mal-aimée »,L’ Annéebalzacienne 1961.

FESTA, Diana, « Linguistic intricacies in Balzac’sLa Maisondu chat-qui-pelote», Nineteenth-Century French Studies,Fall-Winter 1988-1989, pp. 30-43.

HAVARD DE LA MONTAGNE, Ph., « Un beau-frère de Balzac :A.-D. Michaut de Saint-Pierre de Montzaigle »,L’Annéebalzacienne 1964.

HAVARD DE LA MONTAGNE, Ph., « Oncle et cousins Sallam-bier », L’Année balzacienne 1966.

HAVARD DE LA MONTAGNE,Ph., « Sur les pas de Charles Sédil-lot », L’Année balzacienne 1968.

HORLEBEIN, Birgit, « Einblicke in Balzacs erzählte Welt.Strukturelle un stilistische Untersuchungen anLe Bal deSceaux, La Maison du chat-qui-peloteund Une doublefamille », Studia Romanica, no. 100, 1999.

JUNG, Willi, « “L’effet des tableaux”: lecture picturale deLaMaison du chat-qui-pelote», L’Année balzacienne 2004,pp. 211-28.

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LAFORGUE, Pierre, «La Maison du chat-qui-pelote, une tex-tualisation du détail » in B. DEGOTT, P. NOBEL etP. LAFORGUE, éds.,Images du mythe, images du moi(Besan-çon, Presses Universitaires franc-comtoises, 2002), pp. 182-7.

LASCAR, Alex, « La première ébauche deLa Maison du Chat-qui-pelote», L’Année balzacienne 1988, pp. 89-105.

LASCAR, Alex, « Le début deLa Maison du Chat-qui-pelote:de la seconde ébauche à l’édition Furne »,L’Année balza-cienne 1989, pp. 43-59.

PICON, Gaëtan, « Introduction » àLa Maison du chat-qui-pelotein L’Œuvre de Balzac(Paris, Club français du Livre,1949), t. I, pp. 159-63.

VANONCINI, André, « L’écriture de l’artiste dansLaMaison duchat-qui-pelote», Romantisme, n° 54, 1986, pp. 58-66.

WETTLAUFER, Alexandra K.,Pen vs. Paintsbrush: Girodet,Balzac and the Myth of Pygmalion in Post-revolutionaryFrance(New York, Palgrave, 2001).

études surLa Femme vertueuse [Une doublefamille]

BARDÈCHE, Maurice, « Introduction » àUnedouble familleinŒuvres complètes de Balzac(Paris, Club de l’honnêtehomme, 1958), t. II, pp. 341-5.

BAUDRY, Jean, « En relisantUne double famille», L’Annéebalzacienne 1976, pp. 187-99.

GÉLY-GHÉDIRA, Véronique, « Une double Psyché face à unDon Juan. Balzac et la mythologie du mariage dansUnedouble famillein Isis, Narcisse, Psyché(Clermont-Ferrand,Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2000), pp. 335-48.

HENRY, Alain, «Une double famille: aliénation et invention »in C. DUCHET et J. NEEFS, éds.,Balzac: l’invention duroman(Paris, Belfond, 1982), pp. 121-38.

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HORLEBEIN, Birgit, « Einblicke in Balzacs erzählte Welt.Strukturelle un stilistische Untersuchungen anLe Bal deSceaux, La Maison du chat-qui-peloteund Une doublefamille », Studia Romanica, no. 100, 1999.

KATO, Naohiro, « SurUnedouble famille, bis »,Bulletin de lasection des études littéraires, n° 39, 1993 [Université deWaseda, Japon].

MAGNY, Claude-Edmonde, « Introduction » àUne doublefamille in L’Œuvre de Balzac(Paris, Club français du Livre,1949), t. I, pp. 677-88.

MAHIEU, Raymond, « Genèses et engendrements :Unedoublefamille, L’Interdiction » in Lucienne FRAPPIER-MAZUR,éd., Genèses du roman : Balzac, Sand(Amsterdam, Rodopi,2004) pp. 131-45.

études surLa Paix du ménage

ANDRÉOLI, Max, « Quelques perspectives de lecture sur unenouvelle de Balzac:La Paix du ménage », L’Année balza-cienne 1981, pp. 65-119.

BARDÈCHE, Maurice, « Introduction » àLa Paix du ménageinŒuvres complètes de Balzac(Paris, Club de l’honnêtehomme, 1958), t. II, pp. 411-3.

HEATHCOTE, Owen N., « History, Narrative Position and theSubject in Balzac: the example ofLa Paix du ménage» inHarry COCKERHAM and Esther EHRMAN, éds.,Ideology andReligion in French Literature : Essays in Honour of BrianJuden(Camberley, Porphyrogenitus, 1989), pp. 181-99.

LABOURET, Mireille, « Pavane pour une marquise défunte »,L’ Année balzacienne 1997, pp. 235-50.

MAGNY, Claude-Edmonde, « Introduction » àLa Paix duménagein L’Œuvre de Balzac(Paris, Club français du Livre,1952), t. XII, pp. 37-45.

RIFFATERRE, Michael, « The Reader’s Perception of Narrative:Balzac’sLa Paix du Ménage» in Mario VALDÈS et Owen

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M ILLER, éds.,Interpretation of Narrative(Toronto, Univer-sity of Toronto Press, 1978).

ROUSSEAUX, Henri, « Quelques précisions sur la duchessed’A brantès et Balzac »,L’Année balzacienne 1968, pp. 47-58.

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LA VENDETTAFAUX DÉPARTS

On trouve au verso de plusieurs feuillets du manuscrit (A239 de la collection Lovenjoul) plusieurs tentatives de réécri-ture du début de certaines parties de la nouvelle –L’Atelier,La Désobéissance, Le Mariage.Pierre-Georges Castex le pre-mier a publié des extraits de ces faux départs qui sont repro-duits dans leur intégralité dans l’édition de la Pléiade1.

Première version[verso du f. 30] Le second retour des Bourbons en juillet 1815troubla bien des amitiés qui avaient résisté au mouvement dela première restauration. En 1814 le pays tressaillait d’Espé-rance, en 1815 il appréhendait la vengeance. Le premier retoursemblait une délivrance, le second était une réaction. Lesfamilles mêmes furent divisées d’opinion. Alors le fana-tisme politique renouvela ces déplorables scènes qui, à tou-tes les époques de guerre civile ou religieuse, enlaidissentl’histoire des hommes. Les enfans, les jeunes filles, lesvieillards éprouvaient la fièvre monarchique à laquelle legouvernement était en proie et la discorde se glissa soustous les toits. La défiance teignit de sa couleur sombre lesdiscours et les actions.

1

1. Voir l’édition de P.-G. CASTEX, pp. 363, var. a, 365-6, var. d, ainsi quel’édition d’Anne-Marie MEININGER (Bibliothèque de la Pléiade, t. I),pp. 1539-46.

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Un peintre distingué, M. Servin, avait ouvert chez lui, ate-l ier pour les femmes ou les jeunes personnes qui, par goût, parluxe ou par nécessité

Deuxième version[verso des ff. 23, 24, 18 et 19] M. Servin, l’un de nos artistesles plus distingués avait ouvert chez lui un atelier pour lesjeunes personnes, qui soit par goût, luxe ou nécessité, vou-laient apprendre à peindre. M. Servin était un homme d’unequarantaine d’années, de mœurs pures, doux, d’un com-merce agréable, et entièrement livré à son art. Il avait fait unmariage d’artiste : Sa femme qu’il aimait passionnémentn’avait pas de fortune. Elle était la fille unique d’un vieuxgénéral qui, même sous l’empire, avait été fidèle au désinté-ressement républicain. L’âge du peintre, la considérationque lui attiraient ses vertus privées, le talent particulier dontil était doué pour l’enseignement et la prudence aveclaquelle il initiait ses élèves aux mystères de son art, luiavaient mérité la confiance de beaucoup de mères.

L’atelier où M. Servin travaillait à ses tableaux et où iladmettait des jeunes gens était situé rue Guénégaud; maisl’atelier destiné à ses écolières avait été pratiqué dans le gre-nier d’une maison qu’il habitait rue du Colombier.

Presque toutes les mères commençaient par amener elles-mêmes leurs filles chez le professeur mais, après avoir reconnules soins extrêmes que Madame Servin prodiguait aux jeunespersonnes confiées à son mari, et la sévérité de la consigne quiassurait l’inviolabilité de l’atelier, toutes ne tardèrent pas àenvoyer soit en voiture, soit sous la conduite d’une femme deconfiance leurs filles prendre leçon les jours où l’atelier desdames était ouvert.

Il était entré dans le plan du peintre de n’accepter pour éco-lières que des jeunes personnes appartenant à des famillesriches, et considérées, afin de ne pas avoir à subir de reprochessur la composition de sa classe. Alors la certitude qu’une mèreavait de savoir sa fille en bonne compagnie, ajoutée à la sécuri-

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té qu’inspiraient le caractère, les moeurs, le talent et la femmede M. Servin, avait valu, dans plus d’un salon une flatteuserenommée à l’atelier de cet estimable artiste. Quand une jeunepersonne voulait apprendre à peindre ou à dessiner, –« envoyez-la chez Servin » était la réponse de tous les amateursconsultés, comme de toutes les mères. Servin était une nécessi-té, une autorité, une spécialité pour la peinture fémininecomme Herbault pour les chapeaux, Leroy pour les modes, etChevet pour les comestibles. Il suffisait aux exigences del’aristocratie en fait de beaux arts. Une jeune fille sortait dechez lui avec le droit de juger en dernier ressort tous lestableaux du musée, il ne tenait qu’à elle de s’y faire un jolitalent d’amateur pour le portrait, le tableau de genre, ou le des-sin, et de pouvoir copier en perfection la toile d’un maître !

Quant aux jeunes personnes qui voulaient devenir artistesconsommées, elles devaient nécessairement aller prendre desleçons chez Girodet, ou chez M.M. Gérard ou Gros ; car M.Servin refusait formellement de donner certains enseignemenssans lesquels il n’y a point de talent possible en peinture.

La chasteté du peintre achève d’expliquer la faveur dont iljouissait auprès des familles riches, titrées ou bourgeoises quilui confiaient leurs filles. En effet, une femme artiste est uneexception rare. Elle se met en dehors de son sexe et se faithomme. Telle n’est pas la destinée d’une jeune fille. En lais-sant son enfant étudier un art, une mère a toujours un dessein :ou elle obéit au caprice d’un enfant qui prend un désir pour unevocation ; ou elle cherche à tromper l’espèce de vide qu’unejeune personne sent dans son existence ; ou elle veut perfec-tionner une éducation brillante ; mais elle serait criminelled’oublier que sa fille doit être femme et mère

L’atelier de M. Servin se trouvait au dessus de son apparte-ment. On y montait par un escalier assez incommode que leprofesseur avait fait pratiquer dans un cabinet noir qui se trou-vait entre son antichambre et son salon ; il avait fait supprimerl’escalier

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M. Servin avait poussé le scrupule de ses précautions jusquedans la disposition du local où se tenait son école féminine.L’entrée du grenier qui régnait au dessus de ses appartemensavait été condamnée par un mur et pour parvenir à cette retraiteaussi sacrée qu’un harem, il fallait monter un escalier construitdans un cabinet noir qui se trouvait à un bout de son salon. Àl’exception d’une petite pièce obscure et mansardée où M. Ser-vin mettait du bois, des platres brisés et des vieilleries, l’atelieroccupait tout le comble de la maison. Il avait ces proportionsénormes qui surprennent toujours les curieux, quand arrivés àsoixante pieds de terre, ils s’attendent à trouver les artisteslogés dans une gouttière. Cette espèce de galerie était profusé-ment éclairée par deux ou trois chassis immenses d’où pen-daient les grandes toiles vertes à l’aide desquelles les peintresdisposent de la lumière. Les murs de l’atelier étaient couvertsd’une couche de peinture grise ; mais à hauteur d’appui, unefoule de caricatures et de têtes faites au trait avec la pointe d’uncouteau, prouvaient que les jeunes filles les plus distinguéesn’ont pas moins de folie dans l’esprit, que les hommes, sauf ladifférence de l’expression. Un petit poêle et de grands tuyauxqui s’élançaient en zig-zag jusqu’à la haute région du toit étaitl’infaillible

M. Servin, l’un de nosM. Servin

Troisième versionM. Servin, l’un de nos artistes les plus distingués avaitouvert chez lui, un atelier pour les jeunes personnes qui vou-laient prendre des leçons de peinture. C’était un hommed’une quarantaine d’années, de mœurs pures, et entièrementlivré à son art. Il avait épousé par inclination, la fille d’ungénéral qui, malgré l’Empire, était resté fidèle au désinté-ressement républicain des Hoche ou des Dugommier.

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D’abord les mères amenèrent elles-mêmes leurs filles chezle professeur; mais elles les y envoyèrent bientôt après s’êtreassuré

LA DÉSOBÉISSANCE

|Il fut un moment sous le règne de Napoléon où les maisonsde Paris n’obtinrent pas une grande valeur. Considéréescomme propriété [deux mots illisibles] nationale avait pro-bablement produit cette baisse. Ce fut à cette époque que lebaron de Piombo réalisa la prédiction du premier Consul enachetant un petit hôtel pour une modique somme. Le grandjardin qui dépendait de cet hôtel fut la raison déterminantede l’achat. C’était l’ancienne demeure¬ La prophétie deNapoléon s’était réalisée. Piombo avait acheté une bellemaison pourmoyennant une somme assez modique et legrand jardin qui dépendait de cet hôtel se trouvaitl’hôteldes Comtes de Givry.| Le Baron Bartholomeo di Piombo,récemment créé Baron par l’Empereur, n’en avait pas chan-gé les distributions. Les grands appartemens, les larges gla-ces encadrées dans de vieilles bordures dorées et presquenoires étaient merveilleusement en rapport avec Piombo etsa femme qui étaient des personnages véritablement anti-ques. Suivant l’habitude des gens simples et de haute vertu,ils ne demandaient rien au faste extérieur. Chez eux les meu-bles étaient vieux et la plupart provenaient de l’ancienameublement de l’hotel. Sous l’Empire et pendant les Centjours, Bartholomeo, dont les appointemens s’élevaient àune trentaine de mille francs, avait eu un grand train de mai-son ; c’était plutôt dans le but de remplir sa place avec hon-neur que dans le dessein de briller. Sa probité était si sévèreque, malgré les missions délicates dont il avait été chargé etqui eussent été lucratives pour tout autre, il ne possédait pasplus de dix à douze mille livres de rente en inscriptions surle grand livre. Or, si l’on vient à songer au bon marché desrentes sous l’Empire et à la libéralité de Napoléon pour ceux

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de ses fidèles serviteurs qui savaient parler, il est facile devoir que le Baron di Piombo était un homme d’une trempepeu commune. Il n’avait jamais rien demandé. Il ne devaitmême son plumage de Baron¬|Les perles dont les couron-nes de l’ancienne noblesse sont composées furent rempla-cées par des plumes dans les armoiries des nobles del’Empire| qu’à la nécessité dans laquelle Napoléon s’étaittrouvé de revêtir d’un titre honorifique son envoyé secretauprès d’une cour étrangère. Bartholomeo était incorrup-tible et fidèle. Il portait une haine implacable aux traitres etaux faux amis dont Napoléon était entouré. Ce fut lui qui,dit-on, fit dix pas vers la porte du cabinet de l’Empereuraprès lui avoir donné le conseil de se débarrasser de cinqtrois hommes en France, la veille du jour où Napoléon partitpour sa célèbre et admirable campagne de 1814. La vie dePiombo et de sa femme était si simple, si unie, si frugale, ilsavaient si peu de besoins que leur modeste fortune était plusque suffisante pour leurs désirs. Ginevra, leur fille, c’étaittout leur bonheur.

Quand en mai 1814 Piombo quitta sa place, congédia sesgens, et ferma son écurie, Ginevra n’eut aucun regret. Elle étaitsimple et sans faste comme son pèreses parens. Elle mettait, àl ’ exemple des grandes âmes, tout son luxe dans la force de sessentimens, et le bonheur dans la solitude et le travail. Puis l’af-fection qu’elle portait à son père allait jusqu’au fanatisme, etcet amour était réciproque. Souvent depuis la chute de l’Empe-reur surtout, Bartholomeo et sa femme, passaient des soiréesdélicieuses à entendre leur Ginevra toucher du piano ou chan-ter. Il y avait pour eux un immense secret plaisir dans la pré-sence, dans la moindre parole de leur fille. Ils la suivaient desyeux avec une tendre inquiétude. Ce sentiment était leur vie,elle animait toutes leurs pensées. Quelques fois le souvenir desbienfaits et du malheur de Napoléon, la politique du momenttriomphait de cette constante sollicitude, mais c’était parceque Ginevra partageait tous leurs sentimens politiques. L’ar-deur avec laquelle ils se réfugiaient dans le riche cœur de leur

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unique enfant était chez eux bien naturelle. Jusqu’alors lesoccupations de la vie publique avaient absorbé l’énergie dePiombo; mais en quittant les emplois du gouvernement, leCorse eut besoin de rejetter le luxe de son énergie dans le der-nier sentiment qui lui restât. L’enfant qui l’avait jusques làcharmé, qui répandait tant de bonheur sur les ennuis et les soinsde ses hautes fonctions devait naturellement devenir le mondeentier pour lui. Puis à part les liens naturels qui unissent unpère à sa fille, Ginevra répondait à toutes les passions de Bar-tholomeo. Elle était d’une fidélité rare dans ses affections. Sondévoument pour ses parens était de toutes les minutes. Sem-blable à des amans, ils pouvaient rester des heures entières,silencieux tous trois, entendant l’éloquence de leurs âmesmuettes mieux que des paroles. Ginevra était entière dans sesvolontés, passionnée comme Bartholomeo l’avait été pendantsa jeunesse. Il avait devellopé en elle ses sentimens sauvagesabsolument comme un lion apprend à ses lionceaux à fondresur sa proie. Mais cet apprentissage de la vengeance ne pouvaiten quelque sorte se faire qu’au logis; ainsi Ginevra ne pardon-nait rien à son père qui ne voyait dans ses querelles factices,que des enfantillages. Au milieu de ses tempêtes que Bartholo-meo se plaisait à exciter, un mot tendre, un regard appaisaitleurs âmes; et ils n’étaient jamais si près de s’embrasser qu’aumoment où ils se haissaient. Cependant, depuis cinq années,Ginevra était devenue plus sage que son père et ces sortes descènes n’existaient plus que dans leur souvenir et comme untexte de plaisanterie. Il en était résulté un mal bien grave. Gine-vra vivait avec son père et sa mère sur le pied de l’Égalité. LeBaron de Piombo et sa femme avaient peu d’instruction ; desorte que Ginevra s’était faite elle-même, étudiant au gré deses fantaisies. Elle avait tout appris et tout laissé, jusqu’à ceque la peinture devint sa passion dominante. C’eût été la plusparfaite des créatures si elle avait rencontré dans sa mère unefemme capable de l’élever; mais ses défauts ne venaient pasd’elle.

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Vers le milieu du mois d’aout, un soir, sur les six heures,Bartholomeo et sa femme étaient assis devant une des croiséesde leur salon. Ils aspiraient l’air frais du jardin où ils venaientde faire leur promenade habituelle en attendant le retour deGinevra.

– il est bien tard! dit la Baronne.Piombo se leva, il alla voir la pendule.– six heures dix minutes ! s’écria-t-il, jamais elle n’est

rentrée si tard !Puis Bartholomeo revint lentement vers la fenêtre. Le corse

était peu changé. Malgré son âge, il avait au moins soixante etquinze ans, il se tenait encore droit; mais ses cheveux étaientdevenus blancs. Son visage avait pris beaucoup de largeur, sonfront entièrement découvert et ridé permettait de voir uneassez grande partie de son crâne. Il était pâle. Ce grand vieil-lard inspirait d’autant plus de respect que la conscience d’unevie sans reproche donnait un air de majesté à ce visage tran-quille. Il était sévère, mais il avait le droit de l’être. Les pas-sions régnaient encore dans le feu surnaturel de ses yeux dontles sourcils n’avaient pas entièrement blanchi et qui se con-tractaient facilement. Il était toujours vêtu de drap bleu. Jamaishomme n’offrit une plus belle image de ces vieux républicainsqui servirent l’empire et qui restent aujourd’hui comme devivans débris de deux gouvernemens les plus énergiques dumonde. Bartholomeo avait une sorte de majesté. Sa douceur, sabonté n’étaient connues que de sa fille et de sa femme, car dansses fonctions ou devant les étrangers, il avait une habitude defroncer ses sourcils, de plisser son front et une fixité dans leregard qui lui donnaient un air terrible. On le craignait involon-tairement. Il passait aussi pour peu sociable; mais les Daru, lesDrouot, les gens de probité et d’honneur le regardaient commeun homme solide et avaient pour lui une respectueuse amitié.Quant à l’opinion des autres personnes de la cour et de la ville,Bartholomeo s’en souciait comme de la fumée qu’il tirait de sapipe. Sa femme était grande, sèche, pale, silencieuse et assezsemblable à Madame Shandy pour le caractère, sauf les senti-

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mens qui, chez elle, avaient toutes les fraîcheurs de la jeunesse.Son visage était fortement ridé. Elle n’avait plus de coquet-terie, et ses vétemens manquaient souvent même de propreté.Elle restait habituellement dans une bergère au coin du feu,passive et admirant sa Ginevra. Elle avait plus de soixante ans.

[mise au net des premières lignes] La prophétie de Napo-léon s’était accomplie et Piombo avait acquis moyennantune somme assez modique, l’ancien hôtel des comtes deGivry

LE MARIAGEPremière versionLe jour où Ginevra quitta la maison de son père, elle alla seréfugier chez M. Servin comptant y attendre l’époque fixéepar la loi pour son mariage avec Luigi Porta. La générositéde son caractère lui faisait croire que le service qu’elleréclamait était une chose toute simple. Mais M. Servin setrouva dans l’impossibilité de lui donner l’hospitalité pourplus d’un jour. Sa femme le gouvernait despotiquement etMadame Servin était profondément affligée du tort quel’aventure de Ginevra faisait à son mari. Elle reçut doncsévèrement la fugitive, ne lui permit pas de voir longtemsson ancien maître, et ses paroles circonspectes et polies luiapprirent qu’elle ne devait pas compter sur son appui. Gine-vra était trop fière pour ne pas comprendre sur le champ celangage égoïste et ce fut son premier apprentissage de la viesociale.

Le lendemain elle sortit de bonne heure après avoir remer-cié M. Servin, et elle loua une chambre dans un hotel garni leplus voisin de la maison où demeurait Luigi.

Enfin le jour de son mariage arriva. Le matin, un inconnu luiapporta un paquet assez volumineux qui contenait du linge etdes étoffes. Elle reconnut dans cet envoi la bonté de sa mère;car elle trouva parmi ces présens, une bourse qui contenait lasomme dont elle était la légitime maîtresse, et quelques billets

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de mille francs, provenant sans doute des économies de samère. Elle la remercia du fond de son cœur.

Deuxième versionLe jour où Ginevra quitta la maison de son père elle allademander à M. Servin de lui donner asile dans sa maison jus-qu’à l’époque fixée par la loi pour son mariage avec LuigiPorta.

[nouveau fragment]Elle la priait de ne pas l’accuser de dureté si par la suite, ellela laissait dans l’abandon parce que son père avait pris desmesures pour l’empêcher de l’assister. Elle lui envoyait sabénédiction en assurant sa fille chérie qu’elle ne pensaitqu’à elle.

– Oh ! ma mère ! ma mère !... s’écria Ginevra tout attendrie.Elle éprouvait le besoin de se jetter à ses pieds. Elle allait

courir à la maison paternelle, quand Luigi entra. Elle le regar-da, tout s’évanouit et ne se sentit pas la force d’abandonner unhomme aussi malheureux. Puis il y a dans l’amour une indiffé-rence qui va jusqu’à la férocité pour tout le reste des hommes etde

Le jour du mariage arriva. Ginevra ne vit personne autourd’ elle. Elle s’habilla modestement et comme si elle devait allerfaire une visite, car pourquoi se serait-elle parée ?... Elle restalongtems seule dans sa chambre. Luigi courait tout Paris pourse procurer des témoins. Il connaissait un maréchal des logis dehussards auquel il avait rendu quelques services, qui s’étaitmis entrepreneur de voitures. Ce vieux soldat et le propriétairede la maison où demeurait Luigi servirent donc de témoins

[nouveau fragment]Ginevra marchait en silence, elle était abymée dans ses pen-

sées

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LE BAL DE SCEAUXFAUX DÉPART

Le texte qui suit est rédigé au verso des feuillets du manus-crit (A 87 de la collection Lovenjoul) numérotés par Balzac 2 à10. Le premier feuillet manque1.

fauteuil au Conseil d’État; et le Roi daigna lui donner enoutre une place fort lucrative dans l’administration desbiens de la Couronne, et l’affection du Monarque pour luifut si durable que le nom du vendéen se trouva toujours surles lPvres du prince toutes les fois qu’il y avait lieu de créerune commission quelconque.

Malgré les avantages pécuniaires qui résultaient du cumuldes places, M. de Fontaine avait une trop nombreuse famillepour rétablir facilement sa fortune. Le séjourB Paris, l’obliga-tion de représenter, le faste tardif d’une femme qui n’avaitvécu que de privations au fonds de la Vendée, trois fils et troisfilles B pourvoir, absorbaient la plus grande partie de son reve-nu budgétaire. Cependant grâces aux bontés du Monarque,l’aîné de ses fils parvintB une place éminente de la magistra-ture amovible, le second obtint un avancement rapide dans lacarriPre militaire et le cadet eut une sous-préfecture.

Vers l’année 1816, M. de Fontaine avait déjB marié l’une deses fillesB un receveur-général qui n’était pas noble mais quipossédait d’anciennes terres seigneuriales trPs-productives et

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1. Texte reproduit dans l’édition d’Anne-Marie MEININGER (Biblio-thèque de la Pléiade, t. I), pp. 1210-18.

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la seconde venait d’épouser un jeune magistrat plein de talentdont le nom n’était pas précédé de cette particuleB laquelle letrône dut tant de défenseurs.

Ce changement dans les idées d’un noble vendéen qui attei-gnait alors l’âge de cinquante ans, époqueB laquelle les hom-mes quittent rarement leurs croyances, était du en partie auxconseils etB la politique du Monarque que M. de Fontainedevait bientôt perdre.

Le conseiller d’État était devenu un des chefs les plus sageset les plus influens de ce parti qui désirait vivement la fusion detoutes les différences d’opinion et soit que M. de Fontaine seflattait d’arriver B la pairie, par un de ces coups de vent poli-tique dont il avait vu de si étonnans effets, un de ses principesles plus fixes consistaitB ne plus reconnaître d’autre noblesseen France que la Pairie. Il entreprenait avec ardeur la reconci-liation générale, aussi éloigné du parti de Manuel que du partide La Bourdonnaye, il prechait aux familles chez lesquelles ilavait accPs de lancer leurs enfans dans les carriPres industriel-les et indépendantes, en donnantB entendre que les placesadministratives, les emplois militaires finiraient par apparte-nir aux familles nobles de la Pairie et que la Nation avait unepart assez large dans le gouvernement par son assemblée et saMagistrature qui, de tout tems devaitLtre l’apanage des notabi-lités de la Bourgeoisie.

Telles étaient les idées du chef de la famille de Fontaine quipar ses alliances et son honorable conduite et la faveur royaletenait un rang distingué dans l’administration. Madame deFontaine avait été plus opiniâtre que son mari dans ses croyan-ces aristocratiques parce qu’elle appartenait aux Montmoren-cy du côté de sa mPre. Elle s’était entiPrement emparée del’esprit de sa derniPre fille, Émilie de Fontaine, âgée dedix-huit ans et d’une beauté remarquable, élevée grâceB sessoins, dotée de plusieurs talens qui faisaient croireB la voirparler que, comme dit Mascarille, les gens de qualité viennentau monde en sachant tout, qui lui faisait pour elle espérer unmariage oj se trouveraitB la fois noblesse et fortune. Elle por-

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tait mLme ses regards sur les jeunes gens destinés aux honneursde la Pairie et elle commençait, dans cette espérance,B thésau-riser afin de pouvoir constituer une dotB Émilie qu’elle main-tenait dans un état de luxe et d’élégance jadis inconnuB sessÉurs avant qu’elles quittassent la maison paternelle.

Émilie de Fontaine avait été l’objet d’une adoration com-mune dans les familles pour le dernier enfant ; étant chérie deses frPres et de ses deux sÉurs, chose un peu plus rare, elleavait été gâtée par son pPre et sa mPre. Ayant passé son enfanceB la terre de Fontaine, elle était arrivéeB l’âge de raisonprécisement au moment oj la fortune vint répandre ses faveurssur la famille et l’on pouvait dire qu’elle n’avait jamais connuque le luxe. N’éprouvant dans son enfance aucune contrariétédans ses désirs, elle continuaB les satisfaire facilement lorsqueB l’âge de douze ans elle commençaB souhaiter les avantagesde la parure et les jouissances que donne la fortune.

Émilie atteignait sa dix-neuviPme année sans avoir fait unchoix parmi les nombreux jeunes gens que la politique de M.de Fontaine avait attirés chez lui. Accoutumée par sa mPreB unsecret mépris pour tout ce qui n’était pas noble, elle partageaitplus vivement encore, eu égardB sa jeunesse, le déplaisirrenaissant que les mariages de ses deux sÉurs causaientB samPre. Aussi rien n’était-il plus ironique que la maniPre dontelle jugeait le mérite de chacun de ses adorateurs. Tantôt elleobjectaitB son pPre que l’un avait les jambes bien maigres,qu’un autre était myope, que celui-lB s’appelaitDurand, etl’impertinence de ses jugemens était le moindre chagrinqu’elle faisaitB son pPre. M. de Fontaine voyait avec une peineprofonde l’opulence superficielle qu’il devaitB ses emplois.C’était B force de soins et de manÉuvres pénibles qu’il avaitassuré, par l’acquisition de quelques fermes aux environs de saterre, l’avenir de sa femme. Satisfait de voir la fortune de sesdeux premiPres filles assurée par leurs mariages, et celle de sesfils ne plus dépendre que de leur mérite, et peu inquiet d’euxdans la situation brillante oj ils étaient arrivés car le dernieravait obtenu une préfecture, ce pauvre pPre faisait tous ses

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efforts pour conclure un mariage qui laissâtB son orgueilleusefille la jouissance d’une fortune considérable et alors leproblPme difficile de l’établissement de sa famille étaitcomplPtement résolu. Sfr de conserver l’opulence qui lui étaitpersonnelle et ayantB l’insu de sa femme établi un revenu suf-fisantB sa terre en cas qu’il mourut le premier, ce pauvre pPrene se rebutait pas dans ses présentations de prétendus, tant ilavaitB cÉur d’adoucir pour lui le lit du cercueil.

Les personnes qui portent dans le monde unÉil observateursavent qu’il est peu de familles aisées qui soient parfaitementunies et combien l’apparence de la concorde si parlante au pre-mier coup d’Éil, en général est trompeuse. Certes M. et Madme

de Fontaine avaient fait succéderB l’ amour des premiers joursde leur union ce respect et cette tendresse calme qui forment labase de tous les ménages heureux, et il était difficile de voirune famille oj l’amour des enfans pour leur pPre et la bonneunion de tous soient plus entiers que chez M. de Fontaine, maisil y avait comme partout un petit levain de discorde. Émilie etsa mPre n’avaient pas pour les deux gendres de M. de Fontaineune grande affection ; elles absorbaientB elles seules les reve-nus de la maison, elles les dissipaient en vaines et folles dépen-ses pour maintenir leur maison sur un pied d’opulence dignedes familles aristocratiques oj elles voulaient chercher l’uneun gendre l’autre un mari. M. de Fontaine avait trop tarddécouvert que l’éducation de la fille qu’il aimait le plus avaitété faussée par la tendresse générale de la famille. Émilie, fiPrede sa beauté, avait contracté un orgueil et une opiniâtretéincroyables. La bonté de tous laissa naître un égoVsme que cou-vrait alors la grâce de la jeunesse et le talent. HabituéeB n’ad-mirer qu’elle, sa mPre mLme justifiait souvent de ces défautscommunsB tous les enfans gâtés. Émilie avait un air de candeurdouce alors qu’elle se livraitB quelques caresses. Elle daignaitavoir des égards pour son pPre, ou de la tendresse. Souventdans ses caprices soudains qui sont inexplicables chez les jeu-nes filles, elle s’isolait et rendait ses apparitions moinsfréquentes chez son pPre et sa mPre. Nulle autre jeune personne

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ne savait mieux qu’elle prendre un air de hauteur en recevant lesalut d’un jeune homme qui n’avait que du mérite, déployercette politesse insultante pour les personnes qu’elle regardaitcomme au-dessous d’elle, et verser les trésors de son imperti-nence sur celles qu’elle apercevait sur la mLme ligne qu’elle.

La nature lui avait donné avec profusion tous les avantagesnécessaires pour jouer le rôle qu’elle avait choisi. Grande etsvelte, bien faite, elle avait une démarche imposante. Son colun peu long lui permettait de donnerB sa tLte de merveilleusesattitudes de dédain, de gracieux airs de légPreté et d’imperti-nence. Elle avait un fécond répertoire de ces gestes fémininsqui expliquent si cruellement et si heureusement les paroles.De longs cheveux noirs, des sourcils trPs-fournis et fortementarqués prLtaientB sa physionomie une expression de fierté quela coquetterie lui avait apprisB rendre terrible ouB tempérerpar la fixité ou la douceur de son regard, par l’immobilité deses belles lPvres ou leur gracieux sourire. Sa voix, pure et car-ressante lorsqu’elle parlaitB une personne aimée, avait unesorte de clarté brPve qui arrLtait la langue indiscrPte d’un cava-lier. Bref elle semblait, partout oj elle se trouvait, recevoirplutôt des hommages que des complimens et, mLme chez uneprincesse, sa tournure et ses airs auraient converti le fauteuilsur lequel elle se serait assise en un trône impérial.

Rien n’est plus commun que cette secrPte fierté qui naît aucÉur des jeunes personnes que la nature a douées de la beauté,lorsqu’elles appartiennentB une famille qui occupe un ranghonorable dans le monde. Presque toutes se composent unthPme pour leur existence et leur jeune imagination a soin de laparer de ce qui flatte leur amour-propre. Ainsi elles résolventsecrPtement et dans leurs longues et sages méditations de nedonner leur main qu’B un homme qui ait tel ou tel avantage.Elles dessinent dans leur mémoire un type auquel il faut, bongré mal gré, que leur mari ressemble et ce n’est qu’avec lesannées et les réflexions, l’aspect du monde etB force d’exem-ples que les brillantes couleurs de leur figure idéale s’abolis-

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sent et qu’elles se trouvent un beau jour tout étonnées d’LtreheureusesB moins.

Émilie de Fontaine avait arrLté dans sa petite sagesse unprogramme de qualités auquel devait se conformer celuiqu’elle aimerait.

– Avant tout, avait-elle dit, il sera pair de France, parce qu’ilme serait insupportable de ne pas voir mes armes peintes surma voiture avec ce manteau bleu qui sert de passe-portB Long-champ pour parcourir l’allée du milieu comme les princes.Mon mari devraitLtre donc militaire et décoré, et tout cela nesera rien s’il n’est pas trPs-aimable, jeune, jeune surtout, spiri-tuel et svelte.

Cette derniPre condition était de rigueur. Elle avait une cer-taine mesure idéale et le jeune homme qui ne remplissait pasles conditions de maigreur voulue par son espPce de prospec-tus était rejetté comme indigne. « Est-il gras ! » était le dernierterme du mépris dans sa bouche.

Ce préambule était nécessaireB l’intelligence d’une scPnequi eut lieu un matin dans le Cabinet de monsieur de Fontaine.

Pendant qu’un valet de chambre dessinait artistement sur lefront du conseiller d’État le delta de poudre qui complétaitavec les ailes de pigeon pendantes la coiffure du vénérablepPre d’Émilie, ce dernier donnaitB un vieux domestiquel’ordre d’avertir Mademoiselle que son pPre désirait la voir.

M. de Fontaine venait de s’asseoir dans son fauteuil et,connaissant sa fille, examinait avec soin la blancheur de sarobe de chambre, le foyer de sa cheminée, et s’assurait quedans son cabinet rien ne pourrait donner lieuB quelques-unesde ces remarques impertinentes par lesquelles sa fille chérieabusant de sa tendresse paternelle avait l’habitude de répondreB ses sages avis, lorsque Émilie entra en fredonnant un air del’opéradel Barbiere.

– Bonjour, mon pPre, que me voulez-vous donc ce matin?Et aprPs ces paroles jettées comme la ritournelle de l’air

qu’elle chantait, elle embrassa son pPre, non pas avec le res-

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pect voulu par le sentiment filial, mais avec une légPreté qui nelaissait pas d’Ltre gracieuse.

– Ma chPre enfant, dit gravement M. de Fontaine [feuilletdéchiré]

– Il me semble que l’armistice entre moi et mes prétendusn’est pas encore expiré.

– Émilie, cessons de badiner, car l’affaire dont j’aiB t’entre-tenir est importante.

A ce mot, la jeune fille alla prendre un fauteuil, l’apportaelle-mLme en silence de l’autre côté de la cheminée de maniPreB se trouver devant son pPre, et prenant une attitude grave, ellecroisa ses beaux bras sur la riche garniture d’une pélerinequ’elle froissa et aprPs avoir regardé son vieux pPre d’unemaniPre équivoque, elle lui dit : « Il me semble, mon pPre, quelorsque le gouvernement fait des communications importan-tes, il n’est pas en robe de chambre, et elle se mitB rire en ajou-tant : n’importe, voyons vos projets de loi.

– N’as-tu pas vu des jeunes gens riches et aimables, depuisle commencement de l’hiver ? Quelle est la maison de Paris oj

se rencontre une réunion plus nombreuse de fils de familleréunissant autant des conditions que tu imposesB tes pré-tendus? Il faut faire un choix, mon Émilie, car tu n’auras pastoujours ton pauvre pPre, et mon intention n’est pas de recruterplus longtems ce régiment que tu mets en dérouteB chaqueprintems et je n’ai pas envie de continuerB me brouiller avecdes familles entiPres. Voyons, que dis-tu de monsieur de Mon-talant? – Il n’est pas noble, mon pPre.

– Monsieur de Sérizy? – Il est mal fait, il faudrait que cesdeux messieurs s’accordassent entr’eux le premierB donnerson corpsB l’autre ou le second son nom au premier, et alors...peut-Ltre...

– Le jeune de Saluces – Oh! mon pPre, il s’est fait com-merçant. – Monsieur de Commines – Il a les genoux cagneux,et d’ailleurs aucun de ces gens-lB n’a de titres. – Ma fille, ditmonsieur de Fontaine en se levant, Dieu m’est témoin que j’aifait tout au monde pour présenterB tes yeux les personnes que

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je croyais les plus dignes de ton choix. Désormais, je ne feraiplus aucun effort, ma tâche est remplie, tu seras toi-mLme l’ar-bitre de ton sort, mon aveu est acquisB celui que tu aimeras,mais songes, ma chPre et pauvre enfant, que si un jour tu deve-nais malheureuse, de ne pas accuser ton pPre. Tu me déchargesaujourd’hui d’une bien lourde et bien pénible obligation.

Émilie étonnée d’abord du ton solennel que son pPre mit Bcette allocution, finit par enLtre fortement touchée, mais elledissimula son attendrissement et sautant sur les genoux de sonpPre elle lui dit : « – Oh, mon pPre, je choisirai bien, vous verrezvotre Émilie heureuse

– Je le souhaite bien vivement, répondit monsieur de Fon-taine avec mélancolie.

Le matin mLme Mme deBonneval, sÉur aînée d’Émilie,vint lui proposer de recevoir le fils d’un premier président deCour royale en lui faisant un portrait flatteur du caractPre de cejeune homme auquel Émilie avait paru faire attention dans unbal ministériel, mais elle répondit, avec un sourire qui blessaMme Mallet son autre sÉur, – Vois-tu ma chPre Eugénie, jeveuxLtre seuleB porter la robe dans mon ménage. Il y a assez demagistrats dans notre famille, il faut nous allierB quelque autrepuissance de l’état.

– Il me semble Émilie, répondit Mme Mallet que la CarriPrequ’un mari embrasse n’est pas la seule chose qu’il failleconsidérer et qu’il faut penser un peu aux qualités morales, carni les honneurs, ni l’éclat, ni la fortune ne nous rendent vérita-blement heureuses.

– Moi, ma chPre, je suis comme madame Louis, je neconçois pas un paradis oj l’on ne soit pas en berline et au galop.– Votre sÉur, mesdames, dit Madame de Fontaine, suivra lesavis de sa mPre comme vous avez suivi ceux de votre pPre ; ilest bien naturel que sur trois filles, il y en ait une que je marieB

mon gré.– Ma chPre mPre, reprit Émilie, mon pPre m’a donné ce

matin tout pouvoir de me marier comme bon me semblera etl’avenir vous confirmera cette permission. J’espPre prouver un

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jour B Eugénie et Anna qu’il n’était pas inutile que leur jeunesÉur eut un mari comme elle le rLve.

– Soit, mon enfant, te voilB maîtresse de ton sort.Mme Mallet dont le mari venait d’Ltre nommé avocat

général, proposaB Émilie de venir passer le mois de maiB

Sceaux oj elle avait acheté une maison de campagne et la jeunefille y consentit. Un dimanche Émilie, ayant entendu parler dubal champLtre qui fait les délices de bon nombre de parisiensfit la partie d’aller voir cette singuliPre réunion. La brillantesociété se mit en route par une des plus belles soirées du moisde mai et arriva dans le beau jardin oj est située cette immenserotonde sous laquelle se rassemblent les danseurs. Les envi-rons de Sceaux sont habités par des parisiens riches et les villa-ges voisins recPlent des habitations charmantes dont lespropriétaires émigrent souvent en troupes et en cavalcadesbrillantes vers le bal de Sceaux, et la belle Émilie ne s’était paspromis peu de plaisirsB se trouver au milieu de cette cohue,B

recueillir les hommages des quelques citadins,B épier lesdames des environs,B laisser un souvenir et un regard commeun trait dans le cÉur des petits jeunes gens sans conséquencequi employent les économies d’un moisB paraître lB tout autrechose que ce qu’ils sont et elle moissonnait hardiment dans cevaste champ, lorsqu’elle aperçut, s’il est permis de continuercette métaphore commencée, une fleur dont l’éclat et les cou-leurs agirent sur son imagination avec tous les prestiges d’unenouveauté.

Elle était assise au milieu de sa famille sur ces chaises gros-siPres qui forment l’enceinte obligée de cette salle ouverteB

tous les vents, lorsqu’B quelques pas du groupe formé par sasociété, elle aperçut un jeune homme debout et appuyé contreune des colonnes qui supportent le plafond [illis .] de la salle. Ilavait les bras croisés et tenait d’une main une petite cravache.Le saisir et l’analyser fut l’affaire d’un coup d’Éil. L’inconnuétait grand, svelte et bien fait, ses gants frais, son linge blanc,son habit simple et propre sansLtre neuf, son pied merveilleu-sement chaussé dans une botte fine, aucun de ces brimborions

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de cachets, de chaînes, ignobles, une attitude pleine de grâce etde force, de beaux cheveux noirs, de légers favoris, un nezaquilin, des yeux bleus qui lançaient des éclairs, un front demarbre, une bouche gracieuse, un menton semblableB celui del’Empereur, un teint pâle et un fond de mélancolie répandudans l’ensemble. Tout fut admiré en un instant et complPte-ment examiné en une minute.

Cette masse d’observation qui coute tant de motsB la plumen’exigea pas deux regards d’Émilie. L’inconnu n’avait pasencore tourné la tLte vers le groupe formé par la famille deMelle de Fontaine et il paraissait entiPrement occupé d’unejeune dame qui dansait. Émilie examina avec attention la dan-seuse et crut reconnaître une riche duchesse étrangPre qui habi-tait alors un village voisin. Sur le champ, l’imagination de lajeune fille remplit la lacune qui existait entre le rang de l’in-connu qu’elle ignorait et le costume, les maniPres qu’elleappréciait. Bientôt elle désira attirer son attention et éprouvaune sorte de dépit de ne pasLtre l’objet de ses regards. Cequ’elle voulait, arriva, ses yeux rencontrPrent ceux de l’incon-nu et la flamme de leur regard sembla rivaliser de force etd’éclat, les yeux du jeune homme prirent une singuliPreexpression de douceur et ses longs cils se baissPrent commepour défendreB tout autre image de se réfléchir désormais et ilsdessinPrent sur sa joue une large trace de bonheur semblableB

ces fumées grises et noires du sein desquelles sort le feu d’unearme meurtriPre.

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GLOIRE ET MALHEURFAUX DÉPARTS

Première version rédigée au verso des feuillets 6, 8 et 5 dumanuscrit (A 89, collection Lovenjoul)1

Aujourd’hui le niveau léguéB la Charte par la Révolution apassé sa ligne d’égalité sur tous les rangs, etB l’exception dequelques maisons historiques ou des familles investies de laPairie, les diverses professions et les états ont contractéB peuprPs les mLmes habitudes, un habillement uniforme donne aupremier coup d’Éil une mLme tournure aux individus, et laplus heureuse de toutes les libertés, fruit du rétablissement dusystPme constitutionnel, a réellement fait de la France, unemLme famille. Alors chaque jour a vu se perdre ces nuances quijadis distinguaient si fortement les classes de la société et quecertain ÉvLque de Cambray voulait numéroter dans son utopiepar des bandes brunes ou rouges et le nombre des franges per-mises aux habillemens, de peur de voir l’ambition mettre letrouble dans l’État. Maintenant il n’existe pas trois femmesd’apothicaires qui n’ayent pas de collier de perles orné d’une[ illis. ] ou d’une croix en diamans pour mettre au bal ; le plusmince épicierB Paris voit l’acajou décorer sa chambre nup-tiale, et le dimanche, un étranger ne reconnaîtrait guPre dansleur élégant tilbury ou sur leurs chevaux, l’agent de change quila veille lui a vendu un coupon de rente, le carrossier qui luiloue son landau, le tapissier qui lui a livré un meuble, le mar-

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1. Texte reproduit dans l'édition d'Anne-Marie MEININGER (Biblio-thèque de la Pléiade, t. I), pp. 1180-3.

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chand de bois auquel il a soldé un mémoire. Un pair de Francesalue son libraire et quelques fois déjeune chez lui, un avoué vaau bal d’un noble duc, la plus fiPre et la plus élégante princessevoit sa robe portée par une riche modiste. Les anciennes satur-nales de Rome sont devenues une conquLte de nos lois dfe B

notre longue tempLte et avant qu’elles s’établissent pluscomplPtement dans les départemens, elles rPgnent B Parisd’une maniPre despotique. On ne voit plus que de loin en loin etcomme clairsemées dans la civilisation ces vieilles famillesqui ont conservé les mÉurs et les costumes caractéristiques deleurs professions. Le flâneur dont les jouissances ont été doub-lées par le plaisir difficile qui se rencontre dans l’investigationphysiognomique des passans depuis l’Pre de la liberté, regardeavec étonnement ces anciens débris de l’ancien monde. M.Cuvier ne fut pas plus surpris d’apprendre qu’un homme fos-sile existait à Moret que ne le sont les Parisiens de voir marcherd’un pas lent l’équipage à marche-pied fixe et à un cheval d’unvieux docteur dont la tête octogénaire garde une étroite per-ruque [illis .] et qui porte cet air niais et grave immortalisé parMoli Pre. Qui ne s’est pas arrLté souvent en voyant quelquesrentiers du Marais, quelques anciens procureurs conservantsous leur bras le chapeau plat avec trois cornes, et ayant auxpieds de vénérables souliers à boucles et mettant au jour lesderniers mollets qu’il sera permis de contempler à la géné-ration actuelle. Intrépides lecteurs de la Quotidienne, ce sontces judicieux champions de l’ancien ordre des choses qui s’envont criant que tout est monstrueux en France, qu’il a falluvivre jusqu’aujourd’hui pour voir un petit tanneur faire unefaillite de vingt millions, tandis qu’avant la Révolution il eutfallu que Maître Grimau de ReyniPre s’en mêlat pour voir unepareille chose, que le luxe gagne et perd tous les commerces,que jadis un marchand ne payait pas cinq cents francs uneenseigne, et ne dépensait pas mille écus pour asseoir Madamedans son comptoir d’acajou, mais qu’il avait dans sa cave desécus amassés et du bon vin, qu’il le buvait en se retirant ducommerce et que les écus servaientB faire mettre son fils au

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Parlement, que c’était à cette sage maniPre de vivre que laFrance devait les de Thou, les Brissot, les Pasquier, les Lamoi-gnon, les d’Orvilliers, et un grand nombre de noms histori-ques, qu’une famille mettait cent ansB parvenir et queaujourd’hui on voulait avoir la fortune trop vite et que voilàcomment tant de petits marchands et de gens d’affaires se cas-saient le nez, que chacun devait trouver le bonheur dans saclasse. Puis à cela, quand un gros homme en chapeau gris setrouve au café Turc, il quitte quelquefois son Courrier Françaiset défenseur du tems présent, il répond que les faillites payentdes droits au gouvernement, que le budjet est comme le cÉurpar où passe tout le sang souillé et qui aprPs l’avoir attiré lerépand, que nous n’avons plus besoin de vivre pour nos petits-neveux, mais pour nous, que les maisons historiques sont despréjugés, qu’il n’y a plus besoin de distinctions dans un paysoj tout est libre, que le luxe et l’aisance sont un signe deprospérité, que la Révolution a eu plus de généraux célèbres, etde gens de génie qu’en deux siècles de la vieille monarchie, etachevant sa bouteille de biPrre, il sort en murmurant le mot deganaches.

L’Ordre des choses a eu une influence énorme sur la des-tinée des femmes. Il a aboli sans retour ces barriPres quiséparaient les familles. Une jeune fille a une plus grandeétendue pour jetter ses filets, et, la distinction des femmesmariées en dames et mademoiselles sont de ces idées fabuleu-ses qui font passer le savant qui en parle comme un [illis .]. Lebonheur conjugal et la sainteté des mÉurs de la famille sont nésde la liberté qui prélude aux choix d’une femme ou d’un maribeaucoup mieux qu’autrefois, le bonheur restant menacéd’écueils sociaux : mais le sujet de l’aventure dont il s’agit icisignalera peut-Ltre les dangers des faciles mésalliances quiseraientB craindre aujourd’hui.

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Deuxième versionDans la rue St Denis et presqu’au coin de la rue du petit lion

il existait encore en 1808, une de ces anciennes maisons cons-truites en bois, dont les murs menaçans semblaient chargésd’hiéroglyphes. En effet quel nom donnerB ces X etB ces Ydessinés an profusion par les pièces de bois transversales dontla couleur tranchait d’autant plus sur la chemise jaunatrepassée par le badigeonneur à ce vieux mur que les poutrellespeintes paraissaient isolées par de petites lézardes qui dispa-raissaient de chaque côté des lignes paralPlles taillées en dentsde scie. Le toit triangulaire s’avançait de deux pieds afin deprotéger par cette saillie la fenLtre d’une lucarne et un grenierqui pour ne pas charger la maison étaient construits par desplanches élevées l’une sur l’autre comme des ardoises légPreset larges. Quatre fenLtres basses et bien rapprochées l’une del’autre se répétaientB trois étages avec des différences quiauraient pu exercer le génie d’un observateur. Au 1er étage lescarreaux inférieurs du vitrage étaient en bois. Au second, lesfenLtres possédaient des jalousies vertes et de grandes vitres àrideaux trPs-claires. Au troisième las croisées à petits carreauxs’ouvraient et se fermaient par le moyen de ces ingénieusescoulisses par lesquelles nos pères faisaient remonter la partieinférieure du vitrage vers le haut, en l’arrLtant à un tourniquetcapricieux. Une pièce de bois formidable horizontalementappuyée sur quatre jambages de pierres rongées et qui avaientreçu autant de couches de peinture que la joue d’une vieilleduchesse avait épuisé de pots de rouge, surplombait le rez-de-chaussée. Au milieu de la large poutre était accroché unantique tableau représentant un chat qui pelotait.A droite dutableau et sur le champ d’azur vieilli qui déguisait impar<faite-ment> la pourriture du bois, on lisaitGuillaumeet à gauchesuccesseur de Chevrelen belles lettres dorées dont le temsavait rongé une partie de l’or moulu parcimonieusementrépandu sur cette antique enseigne dont les U étaient des V etles V des U salon les lois d’une orthographe immémoriale.Afin de rabattre l’orgueil des gens qui vantent le charlatanisme

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des commerces modernes, il convient de faire observer ici queces enseignes dont l’ethymologie semble bizarre à plus d’unnégociant qui étale de belles marchandises et n’a rien dans sonmagasin, étaient le tableau mort d’un ancien tableau vivant àl’aide duquel nos espiègles ancêtres avaient réussi à achalan-der leur maison quand alla était fournie de maniPre à soutenircette réputation singulière. Ainsi la truie qui filait, le chat quipelote, étaient des animaux vivans qui emmerveillaient lespassans et prouvaient la patience et l’industrie du 15esiPcle, etlui donnaient une grande supériorité sur les bonne foi, les pro-vidence, et les grâce de dieu qui se voyaient encore dans la rueSt Denis.A l’exception de la porte par laquelle on entrait, laboutique du chat qui pelota était soigneusement défendue parde gros barreaux de fer, et il eut été difficile au passant de devi-ner le genre de commerce de M. Guillaume, car on ne voyait àtravers les barreaux de fer du magasin que les sombres rayonsen chLne dans lesquels étaient empilés des paquets de toilebrune aussi nombreux qu’une cohorte de harengs qui traverseles mers. Cependant malgré l’apparente simplicité pour ne pasdire plus de cette vieille façade et le dénfment de cette bou-tique profonde, froide et silencieuse comme la maison d’unusurier, il n’existait pas à Paris de marchand drapier dont lesmagasins fussent plus fournis que ceux de M. Guillaume. Tousles matins sur les six heures, il veillait lui-mLme à l’enlPve-ment des immenses volets ferrés auquel procédait un vieuxdomestique de confiance ; il assistait à l’arrivée de ses troiscommis et ses deux petits yeux gris qui semblaient avoir étépratiqués sous son front jaune avec une vrille, scrutait leursvisages et leurs mouvemens de maniPre à les faire tremblerquand ils avaient commis quelqu’escapade. C’étaient des jeu-nes gens confiés à ses soins par leurs pères, riches manufactu-riers d’Elbeuf et de Louviers ou de Sedan et il croyait de sondevoir de les maintenir dans les bornes de cette rigide éduca-tion que les négocians de l’ancienne roche donnaientB leursenfans. Malgré les cent mille écus qui attendaient chacun deses trois apprentis, aucun d’eux n’eut osé rester à la table du

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patron au moment où le dessert apparaissait. Il ne leur donnaitaucune relâche. L’un recevait les draps et les visitait au moyend’un rouleau placé en haut de la boutique, sur lequel glissaientles pièces, l’autre était chargé du détail de la vente journaliPreet la troisième devenu par degrés le confident du maître

Troisième version (vite abandonnée)Il existait en 1808, dans la rue St Denis presqu’au coin de la

|rue de la Tabletterie, une maison, asseztrPs | |[rayé] | rue dupetit lion

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