Symposium 2009

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–1– d u S u d s e l o p o r t é M M U I S O P M Y S 9 0 0 2 , Bernard DESMOULIN, Dominique CLAUDIUS-PETIT, Jean-Marc IBOS, Francis SOLER, João Luís CARRILHO DA GRACA

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Cycle de conférence organisé par les étudiants en Master Métropoles du Sud de l'Ecole Nationale et Supérieure d'Architecture de Montpellier

Transcript of Symposium 2009

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Bernard DESMOULIN, Dominique CLAUDIUS-PETIT, Jean-Marc IBOS, Francis SOLER, João Luís CARRILHO DA GRACA

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5_ Métropoles du Sud Jacques Brion, Laurent Duport, Elodie Nourrigat

8_ Introduction Jacques Brion, Philippe Saurel

13_ Bernard Desmoulin Répondant : Laurent Dufoix

27_ Dominique Claudius-Petit Répondant : Laurent Duport

43_ Jean-Marc Ibos Répondant : Julie Morel

53_ Francis Soler Répondant : Elodie Nourrigat 67_ João Luís Carrilho da Graça Répondant : Marie-Camille Lançon

77_ Clôture

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INDEX......................................................................

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Ce premier ouvrage « Métropoles du Sud 00 » pose les fondements d’une pédagogie réflexive et ouverte nécessaire à la formation de futurs architectes. Métropoles du Sud est un domaine d’études du Master de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier. Derrière ce titre aux airs de slogan, ce sont les conditions de vie de l’aire métropolitaine contemporaine qui sont interrogées. Le 20eme siècle a vu l’Humanité basculer du monde rural à l’urbain. Le 21eme siècle annonce la démultiplication de la dimension urbaine animée

par une mobilité exacerbée due à l’avènement massif des réseaux et des nouvelles technologies. L’urbanisation rapide des nouvelles métropoles tend souvent à déposer un voile unificateur en tout point du globe. Ce voile dénommé « normes environnementales», « certification ISO… », ou « image de marque » se labellise au nom du développement durable pour imposer une certaine technicité prévalant sur le bon sens et surtout sur le sens du lieu, sa singularité et la prise en compte de sa spécificité. Nous ne parlons plus des villes mais de la ville, d’une

Métropoles DU SUD

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Elodie NOURRIGAT architecte & enseignante à l’ENSAM

Laurent DUPORT architecte & enseignant à l’ENSAM

Jacques BRION architecte & enseignant à l’ENSAM

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car il développe une certaine conscience, il construit un esprit critique. Chaque année se structure autour d’une ville identifiée comme lieu d’expression des spécificités recherchées afin de construire le concept des Métropoles du Sud, mais aussi autour d’une thématique.

L’année 2008/2009 - considérée comme Année 00 - interroge la ville de Barcelone en Espagne autour du thème « Préserver et innover – Patrimoine et architecture contemporaine ». Le lieu d’investigation choisi est celui du quartier de PobleNou, ancien site industriel qui connaît aujourd’hui une reconversion exemplaire. L’année 2009/2010 – Année 01 – nous amènera à Gènes en Italie. Nous interrogerons alors les spécificités climatiques, se positionnant dans un refus des normes environnementales aujourd’hui imposées par une technicité élaborée dans le Nord de l’Europe et finalement très peu opérante ici dans le Sud. L’année 2010/2011 – Année 02 – ce sera Valence en Espagne. La question essentielle sera celle de la Culture et des cultures comme moteur d’un renouveau territorial. Dans une ville au croisement de multiples cultures, mais en même temps revendicatrice d’une identité culturelle, il sera intéressant de s’interroger sur sa capacité de structuration et de mise en réseau pour une nouvelle structure territoriale. L’année 2011/2012 – Année 03 – nous passerons la Méditerranée pour aller vers Beyrouth, ville en totale reconstruction. Ici, ce sont justement les fondements de la reconstruction d’une ville que nous identifierons. A partir de quoi se reconstruit–elle ? A partir de quelles cultures? Comment s’y pose la question du patrimoine? Mais aussi, vers quel modèle économique fonde-t-elle sont renouveau ? Car il ne faut pas l’oublier, la ville et la cité n’existent pas sans structures économiques, qui elles aussi peuvent être révélatrices d’une spécificité locale propre à la structuration de nouveaux territoires. Enfin l’année 2012/2013 – Année 04 – fort de nos recherches, nous attacherons notre étude

sur la ville de Montpellier, ville qui, au rythme de la progression de sa population, devrait alors avoir atteint le seuil de Métropole. De nouveaux enjeux y seront présents et c’est grâce aux années précédentes que nous pourrons y être force de proposition. Ce sera munis d’un regard nouveau que nous pourrons aborder cette ville que nous connaissons parfois trop bien pour en déceler les forces structurantes.

Métropoles du Sud propose, en tant que posture critique, l’ouverture vers un débat par la tenue annuelle d’un Symposium. La construction d’un savoir passe par le projet mais aussi par la mise en résonance de postures diversifiées visant à la construction d’une autonomie critique que chaque étudiant devra se forger. Le montage du symposium incombe aux étudiants du séminaire. Le symposium est construit comme un outil pédagogique visant à mettre les étudiants dans un cadre de réalité face auquel ils doivent développer une dimension critique et une posture personnelle.

Ce premier ouvrage « Métropoles du Sud 00 », retrace le contenu de ce premier symposium sur Le Patrimoine et l’Architecture Contemporaine, auquel ont pris part, Bernard Desmoulin, Architecte, Dominique Claudius-Petit, Président de l’Association des Amis de Le Corbusier, Jean Marc Ibos, Architecte, Francis Soler, Architecte, João Luís Carrilho da Graça, Architecte.

Elodie NOURRIGAT, Jacques BRION , Laurent DUPORT. Architectes et enseignants titulaires à l’ENSAM.

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ville générique multipliée et dupliquée au nom de la modernité. Refuser cette urbanisation rapide serait une erreur. Tenter de retrouver un monde rural, voire même prôner un retour aux villes du siècle dernier serait voué à l’échec et n’aurait que peu de sens. Nous ne reviendrons pas en arrière, par contre, nous pouvons nous donner les moyens de penser en bonne intelligence nos villes de demain. Telle est l’ambition du travail établi au sein du domaine d’étude Métropoles du Sud. La posture est simple, issue de la volonté affirmée d’un positionnement décalé. Nous croyons que c’est dans le Sud qu’il peut prendre naissance. Certes, le Sud c’est avant tout le pourtour méditerranéen, berceau des cultures occidentales, terre encore fertile d’où peut émerger une nouvelle modernité. Mais le Sud n’est pas une simple localisation géographique. Le Sud est un concept, celui qui privilégie la spécificité au regard de la norme, celui qui recherche la localité comme valeur d’ancrage face à la mondialisation. Et enfin celui qui va, au travers de la mise en avant de ces spécificités, valoriser la richesse des diversités de l’habiter face aux règles et modèles imposés à tous. Ce concept-là considère que pour agir sur un environnement global, nous devons travailler à la constitution d’environnements spécifiques respectueux des localités dans lesquelles ils s’inscrivent. Le Sud est empreint de localité. Par localité nous n’entendons pas évoquer une posture avilissante, expression de simples caractéristiques historiques, géographiques, inscrivant des bases revendicatrices, voire même identitaires. Non, la localité qui nous importe est celle d’un dispositif dynamique qui rassemble les spécificités liées à un territoire pour les transcender vers un nouvel ordre urbain, vers une nouvelle constitution de la cité, mettant l’Homme et l’Habiter en son centre. Ainsi au travers de Métropoles du Sud nous allons rechercher l’existence de dispositifs territoriaux, culturels, urbains, patrimoniaux, économiques et climatiques de l’espace des

Métropoles du Sud. Ces dispositifs visent à la prise en compte d’un véritable développement durable qui ne peut se réduire à une simple labellisation. L’hypothèse directrice de notre recherche et de notre pédagogie est que ces dispositifs ne peuvent être que spécifiques, et que seul le projet comme vecteur et producteur de connaissance peut en être le révélateur. Refusant la césure trop statique entre projet urbain et projet architectural, nous positionnons le projet à la croisée des échelles. C’est en inventant de nouveaux outils au projet que nous entendons croiser les échelles – physiques mais aussi temporelles – en partant du lieu où le projet prend place, en prenant en compte le patrimoine existant et en se projetant vers un avenir inscrit dans la métropole – l’architecture prenant place au centre et à la croisée des Métropoles du Sud.

Afin de bien cerner cette problématique des nouvelles conditions de la ville contemporaine, il est essentiel que dans le cursus d’enseignement les étudiants puissent se confronter à des expériences de contextes urbains différents. Il faut questionner des situations urbaines et architecturales autres, confronter sa vision à d’autres pensées, et ainsi découvrir d’autres conditions de « l’être ensemble ». Pour ce faire, nous devons décaler notre regard, nous nourrir de pensées diverses, mais aussi de conditions physiques et urbaines multiples que nous devons expérimenter. Comment questionner aujourd’hui les conditions de vie, que ce soit dans la dans la ville contemporaine, la ville classique, les métropoles ou les mégalopoles sans se confronter à des expériences urbaines différentes ? Ainsi, nous ne pouvons faire l’économie du déplacement du corps. Le voyage et l’apprentissage du regard sont des éléments essentiels à l’enseignement de l’architecture. Cette expérience d’un ailleurs doit apprendre à voir. C’est ce regard que nous devons enseigner,

métropoles du Sud

Vers un ai l leurs

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à saluer le travail collectif de tous les étudiants parce qu’il n’est pas toujours évident de travailler en si grand nombre – ils sont trente huit – et à saluer leur professionnalisme, leur envie de construire quelque chose autour de ce thème de l’architecture contemporaine et du patrimoine et de donner un contenu à une question. C’est dans un cadre pédagogique que nous avons voulu créer ce symposium hors de l’Ecole d’Architecture, et c’est avec une volonté de partage avec un public plus large qu’il s’agira de questionner l’architecture autrement, d’ouvrir un débat autour de la question de l’architecture contemporaine et du patrimoine en tant que spécificité permettant d’inscrire une localité.

J’en profite également pour remercier l’Ecole d’Architecture de Montpellier, et j’espère que son futur directeur continuera à nous soutenir dans cette action. Je tiens aussi à remercier Ariel Garcia-Valdès, le directeur du centre d’Art Dramatique qui nous reçoit aujourd’hui et qui a mis ce lieu magnifique au cœur de Montpellier à notre disposition pour la journée. Enfin, je tiens aussi et surtout à remercier tous les intervenants, que les répondants vont présenter plus précisémment : Bernard Desmoulin, Architecte, Dominique Claudius-Petit, Président de l’Association des Amis de Le Corbusier, Jean-Marc Ibos, Architecte, Francis Soler, Architecte, et João Luís Carrilho da Graça, Architecte qui nous vient de Lisbonne.

Vous l’avez donc compris, cette journée va être rythmée à la fois par les interventions des intervenants et celles des répondants. Le rôle du répondant est de poser les questions, d’être un modérateur, mais aussi d’animer un débat ouvert à tous. J’espère que tout le monde participera et que de ce fait, nous arriverons à avoir un beau débat.

Enfin n’oublions pas que l’architecture s’inscrit dans une ville, qu’ici nous sommes à Montpellier, et que la ville de Montpellier a toujours œuvré dans le sens de l’architecture et des architectes. Je vais laisser la parole à Philippe Saurel, adjoint à l’urbanisme et au développement durable de la ville de Montpellier, qui nous fait l’honneur d’être parmi nous aujourd’hui.

Merci à tous, et bon débat.

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Jacques Brion : C’est un grand plaisir pour moi d’introduire aujourd’hui ce premier symposium Métropoles du Sud sur la question de l’architecture contemporaine et du patrimoine. C’est un sujet d’actualité qui mérite un débat important, mais je tiens, avant de rentrer au cœur de la question, à vous présenter le cadre dans lequel s’inscrit et prend place ce symposium. Tout d’abord, il s’agit d’un cadre pédagogique. La création de ce symposium est l’objectif final d’un travail de séminaire des première et deuxième années de Master de

l’Ecole d’Architecture de Montpellier, inscrites dans le domaine d’études Métropoles du Sud, et encadrées par Elodie Nourrigat, Laurent Duport et moi-même. L’ensemble des étudiants de ce Master avait pour objectif de réaliser le cadre et le contenu de ce symposium, mais également la ligne graphique, les plaquettes ainsi que les panneaux d’exposition, et bien sûr, de prendre part au débat. À ce sujet je tiens à remercier particulièrement deux étudiantes qui vont jouer le difficile rôle de répondant : Marie-Camille Lançon et Julie Morel. Je tiens aussi

Introduction..........................................................

Jacques BRION architecte & enseignant à l’ENSAM

Philippe SAUREL adjoint à l’urbanisme et au développement durable de la ville de Montpellier

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phil ippe Saurel : Je vous remercie Jacques Brion, Elodie Nourrigat, Laurent Duport, l’ensemble des intervenants, et salue tous les grands professionnels présents ainsi que les étudiants de l’Ecole d’Architecture avec qui maintenant j’ai une longue expérience. Effectivement, Elodie et Jacques m’ont souvent convié à prendre part à des Ateliers sur différents domaines de la vie urbaine montpelliéraine et ainsi à confronter des expériences pédagogiques de l’enseignement de l’Ecole d’Architecture de Montpellier avec le pragmatisme, ce que nous avons nous, élus, à gérer dans notre quotidienneté.

Je représente l’agglomération de Montpellier, son président Georges Frêche, le maire Hélène Mandroux, et je vous remercie aussi d’avoir eu cette idée géniale de délocaliser votre symposium dans un lieu d’art, parce que pour moi l’architecture, c’est de l’art. L’urbanisme quelque part doit concevoir l’art et l’architecture bien en amont, dans la pensée. On ne peut pas aménager une ville en mettant des cubes autour des rues. Je crois qu’aujourd’hui les villes, outre la qualité architecturale, doivent concevoir très en amont le positionnement de l’art dans la ville. On aménage certes une ville avec des impératifs d’habitat, de mixité urbaine et sociale - et je souhaite personnellement, politiquement que cela se développe de plus en plus - mais aussi avec cette volonté de mettre en avant l’idée de la ville.

Dans ma tête, j’ai toujours le mot latin « urbs», c’est-à-dire « la ville », ce qui dépasse les hommes mais aussi ce qui les réunit pour la concevoir. Et aujourd’hui le sujet développé, patrimoine et modernité, est un sujet sur lequel nous avons nous, ville de Montpellier, beaucoup travaillé et sur lequel je vais vous dire quelques mots. Vous dire simplement que nous travaillons beaucoup sur ce thème et que l’idée que j’essaie de transmettre au travers des services et de l’équipe municipale est : Oui à la conservation du

patrimoine. Oui à la restauration du patrimoine. Oui à la valeur historique des lieux. Mais aussi: Soyons innovants. Soyons créateurs, et soyons capables d’impacter dans le patrimoine ancien des « îles de modernité », des « îles d’intentions» qui vont au-delà de la ville et qui nous poussent en avant. Alors, quand je dis ça c’est un peu philosophique, un peu éthéré, mais cela veut dire: Soyons capables aussi de modifier les règles pour permettre cela. Parce qu’on ne peut pas, dans une ville et dans un secteur sauvegardé, dans une ZPPAUP, faire ce que l’on veut si en amont nous n’avons pas réfléchi aux règles d’urbanisme qui nous permettent d’injecter de l’architecture contemporaine dans un centre ancien. Ici par exemple, nous sommes dans un secteur sauvegardé. Ces secteurs sont régis par des règles spécifiques, qui d’ailleurs vous le savez, ne dépendent pas des règles du plan d’urbanisme, puisque le « secteur sauvegardé» est un règlement à part, en dehors du PLU. Et bien soyons capables, s’il y a des règles particulières, de les adapter au monde, et de faire en sorte qu’elles soient assez permissives, tout en conservant l’aspect patrimonial et peut-être même la silhouette de la ville. Nous avons un exemple très précis ici, ce que nous appelons communément la servitude du Peyrou.

Nous avons une place royale hors les murs, extra-muros, la place du Peyrou, et cette place royale a donné lieu à deux actes de la monarchie, deux arrêtés du conseil du roi (de 1765 et de 1768) stipulant que l’on devait conserver les grands cônes de vision: l’un sur le Pic Saint Loup lorsqu’on regarde de la ville et l’autre sur la mer. Et au-delà de cette règle, point de salut. Nous avons ensuite le périmètre d’un monument historique, c’est-à-dire 500 mètres autour du bâtiment, ainsi qu’une deuxième servitude de 800 mètres, enfin… un système très compliqué qui règle les hauteurs. Et bien nous allons dire que - nous en avons convenu avec l’ensemble des acteurs de l’architecture à Montpellier, que ce soient les Bâtiments de France, la DRAC,

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mais aussi l’Ordre des architectes et tous les services d’architecture de la ville - nous sommes d’accord sur le fait de conserver les grands paysages lointains, mais qu’il faut aussi que nous soyons capables, sans rompre le grand paysage, d’injecter des constructions nouvelles. Il faut que nous soyons capables, dans des zones qui sont à l’extérieur du périmètre des 500 mètres - qui est incontournable - et dans le périmètre des 800 mètres, de modifier, en fonction des projets, la capacité que nous avons à faire du renouvellement urbain extrêmement perfectionné.

Si vous regardez le Forum à Rome, vous plongez les yeux dans les fouilles archéologiques, vous verrez qu’au-dessous des églises, il y a des temples romains. On a construit des églises au-dessus des temples… Et il en va ainsi partout dans l’humanité. La ville s’est toujours fabriquée couches par couches. C’est ce que Raymond Dugrand, urbaniste, professeur de géographie à l’Université Paul Valéry, adjoint à l’urbanisme sous la municipalité de Georges Frêche de 1977 à 2001, et qui a mis en place le plan d’urbanisme de la ville de Montpellier, appelait « l’affinage

urbain », avec des modulations en fonction des rues, en fonction des sites.

Je crois donc que nous devons garder complètement ouverte la discussion sur la modernité dans le patrimoine. Nous devons toujours être conscients qu’une ville s’est constituée dans des temps très larges, et qu’elle doit comporter aussi tout ce qui est idée, tout ce qui est créativité, tout ce qui est progrès techniques. Les villes, ce sont ce que les hommes en font. Soyons nous-mêmes porteurs de notre propre humanité lorsque nous construisons les villes. Et ne repoussons pas les capacités que nous avons à créer à nouveau la ville, et à l’entrevoir pour l’avenir. Je prône une discussion permanente sur ce thème, qui doit permettre de voir s’installer dans les centres anciens des créations tout à fait atypiques, que ce soit au niveau de la forme urbaine ou des matériaux, mais qui correspondent à des usages et à ce que nous sommes, c’est-à-dire à des hommes de notre temps.

Merci beaucoup.

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photos : 1 // Nécropole de Fréjus - 1992 - Fréjus - France. 2 // Centre culturel Français - 1998 - Mexico DF - Mexique. 3 // Ministère des Affaires Etrangères - 1995 - Paris - France. 4 // Musée du pays de Sarrebourg - 2003 - Sarrebourg - France. 5 // Musée des arts décoratifs - 2006 - Paris - France. 6 // Restauration du château de Versailles - en cours - Versailles - France.

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Laurent Dufoix : J’ai la grande chance de vous présenter Bernard Desmoulin. Je le ferai de manière personnelle, car le nom de Bernard Desmoulin évoque chez moi des choses très anciennes. Il évoque un site proche de Montpellier : « Ce toit tranquille, où marchent des colombes, Entre les pins palpite, entre les tombes ; Midi le juste y compose de feuxLa mer, la mer, toujours recommencée »...

Ce sont des vers de Paul Valéry. Je pense aussi souvent à quelque chose qui se passe à coté de Fréjus, qui s’est passé à Fréjus il y a une vingtaine d’années. Ce que je viens de dire décrit un lieu qui est beaucoup plus ancien, un lieu qui s’est constitué avec le temps. Là, en vingt ans, Bernard Desmoulin a su créer une ambiance et une alchimie.Cette nécropole à Fréjus, Bernard Desmoulin l’a réalisée pour les combattants d’Indochine et je

Bernard DESMOULIN

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Bernard DESmouLiN

Architecte - Equerre d’Argent 2009Agence Bernard Desmoulinwww.desmoulin-architectures.com

Répondant : Laurent Dufoix, architecte, président de la maison de l ’architecture du Languedoc-Roussi l lon.

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crois que les morts sont bien dans cette terre après tant de douleur.

A la fin de mes études en Ecole d’Architecture, j’ai eu la chance de découvrir ce projet de Fréjus qui allie patrimoine et modernité, patrimoine non seulement bâti, mais aussi patrimoine paysager. Ici, un architecte a su, avec une économie de moyens, réaliser quelque chose de magique et créer une réelle émotion... Quand je parle de ce lieu, je ressens toujours une émotion. Donc avant de préciser qui est Bernard Desmoulin, d’évoquer ses titres et tout ce qu’il fait, j’ai envie de lui dire merci pour l’émotion que j’éprouve toujours quand je pense à ce lieu. J’ai aussi envie de vous demander si vous avez le souvenir d’une émotion en architecture ? Avez-vous le souvenir du lieu de votre première émotion architecturale ? Est-ce celle qui vous a donné envie d’être architecte ?

Bernard Desmoulin : Je m’en souviens très bien. Il s’agit d’un bâtiment qui s’appelle le CNIT, à La Défense. Il a été réalisé dans les années 50 par les architectes Bernard Zehrfuss, Robert Camelot et Jean de Mailly avec l’ingénieur Nicolas Esquilan et Jean Prouvé pour les façades. Quand j’étais enfant, mon père m’y avait amené pour le salon nautique. En contemplant ces voûtes magnifiques, je me suis dit que c’était vraiment extraordinaire de pouvoir réaliser de telles choses. Je ne comprenais naturellement pas à quel point il pouvait être passionnant et difficile d’imaginer de couvrir par

une voûte une surface équivalente à celle de la place de la Concorde, en ne faisant reposer cette voûte gigantesque qui sur trois appuis. Enfant, sans connaître ces enjeux, cette voûte me faisait rêver.

Un peu plus tard, au moment où j’ai commencé à me demander ce que je pourrais faire dans la vie, revenant en arrière, je me suis rappelé de ces instants, sans en connaître bien sûr les difficultés.

Laurent Dufoix : Merci pour cette touche personnelle. Bernard Desmoulin, on ne le présente plus. Il est effectivement devenu architecte et, depuis, il a construit de nombreux bâtiments - je crois que c’est tout de même ce mémorial de Fréjus qui vous a révélé au grand public. Auparavant, il avait été pensionnaire à la villa Médicis. Plus tard, passé de l’autre côté de l’Atlantique, il a construit le Centre Culturel Français à Mexico. Il y a aussi d’autres bâtiments parmi lesquels le musée du Pays de Sarrebourg ou le restaurant du Ministère des Affaires étrangères à Paris... Le mieux est de vous laisser nous en parler sur des images...*

* Quelques mois après cette conférence, Bernard Desmoulin a reçu

l’Equerre d’Argent.

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Bernard Desmoulin : Merci en tout cas pour ces gentils mots. Quand Laurent Duport m’a téléphoné pour me demander de participer à ce symposium ayant pour thème « patrimoine et modernité » je me suis posé la question de savoir ce qu’était le patrimoine. Dans mon esprit, le patrimoine n’est pas un mot isolé. J’ai toujours considéré que le patrimoine était une sorte de paysage. C’était le site, c’était le lieu sur lequel on travaillait. A partir de là, je n’ai jamais cessé de m’intéresser au site. Qu’il soit prestigieux ou non, je suis sensible au lieu. Pour moi, la vraie question qui se pose est de savoir comment, sur un site donné, on peut faire mieux que ce qui existe. J’ai toujours considéré que le patrimoine n’était pas une contrainte mais qu’il générait un potentiel. Les quelques images que je vais vous montrer illustrent des réalisations qui ont toutes été inspirées par un site.

Le musée de Sarrebourg a été livré en 2003, dans une ZPPAUP ( Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager) à Sarrebourg en Moselle. C’est une ville de Lorraine de 15 000 habitants et voici qu’un jour, le maire décide de faire un projet de musée de 4 000m2. J’imaginais que la Lorraine était une région exclusivement industrielle, mais en réalité, Sarrebourg est une commune rurale plutôt riche et très peu touchée par la crise économique. Le maire lui-même est un maire particulier qui investit beaucoup dans la culture : il a créé entre autre un festival de musique baroque, et il poursuit une politique d’acquisition de dessins de Chagall depuis qu’André Malraux avait présenté le peintre à Pierre Mesmer, l’ancien maire de la ville. Quand j’ai gagné ce concours, le maire m’a dit : « Moi, vous savez, je fais un musée. Nous sommes en pleine campagne électorale et je fais un musée; pourtant si je faisais un terrain de football, je serais certain d’être réélu ».

La nécessité du musée s’explique par le fait que la ville possède plusieurs oeuvres de Chagall, mais aussi par le chantier du TGV Est

Paris-Strasbourg qui commence et entraîne des campagnes de fouilles extrêmement riches en découvertes archéologiques. Le concours d’architecture est lancé. Je le remporte, mais peu après le projet est bloqué car, inscrit dans une ZPPAUP, la zone est protégée par un ABF (Architecte des Bâtiments de France) qui affirme que le projet n’est pas conforme aux documents officiels. J’avoue ne pas avoir lu ce document, considérant qu’un équipement public peut exprimer autre chose que ce qui est écrit, c’est-à-dire une architecture purement domestique. Bien que le projet soit bloqué, le député maire a tenu bon et par miracle, nous avons changé d’ABF. Ce qui prouve que l’architecture est aussi une question de personnes. D’une certaine façon, un ABF peut bloquer un projet en disant : « Ce projet ne me plait pas. Il ne correspond pas à ce que j’imagine être un secteur protégé ». Mais l’histoire est assez drôle car le second ABF a adopté une position complètement inverse. Je vous rappelle que l’on est dans un environnement rural, où la culture architecturale est assez limitée, et dans une ville sans bâtiments remarquables. Le musée serait donc une exception et, à ce titre, pouvait être visible même dans une zone protégée. Il a également rappelé que Sarrebourg est la ville natale d’Anatole De Baudot, l’un des pionniers de la construction en béton. L’ABF s’est donc appuyé sur cet argument pour expliquer que ce projet pouvait se faire dès lors que je proposais moi-même de le construire en béton brut. Personnellement, j’avais quelques hésitations. Nous étions en pleine période électorale et j’étais un peu gêné vis-à-vis du maire. Etait-il opportun de construire un bâtiment en béton planche, qui n’était pas dans la culture des habitants ? Le soutien de l’ABF m’a conforté dans ce choix.

Quand on regarde le pignon du musée, on voit comment je travaille à la fois sur le site et sur la notion d’archétypes, images que je m’imagine appartenir à un lieu. Ici, je fais référence aux

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grandes fermes lorraines et, pour la première fois, je dois faire une toiture à pentes. Mais cette toiture, je ne la vois pas comme une contrainte parce que nous sommes dans une région où le climat est plutot rude et où une toiture terrasse serait totalement inadaptée. Par contre, elle me permet d’obtenir à l’intérieur de très grands volumes, de très beaux volumes qui correspondent parfaitement à l’idée du «hangar» que je me fais de ce musée. En effet, à mesure que l’on construit le musée, les campagnes de fouilles se poursuivent et l’on découvre sans cesse de nouvelles œuvres. La région de Sarrebourg, avec notamment la villa gallo romaine de Saint-Ulrich, est une région très riche sur le plan archéologique, au croisement des deux axes Nord-Sud et Est-Ouest. Dès que l’on creuse, on trouve des œuvres qui enrichissent en permanence les collections du musée. Cette idée de hangar fait donc sens, d’où l’image proposée. Ce bâtiment est constitué d’une partie basse, socle abritant les réserves, et d’une partie haute ouverte au public.

La première image offerte aux habitants est peut-être un peu brutale : c’est un volume composé de trois chais : deux recouverts de cuivre oxydé, et un troisième en béton. Le socle des réserves est également en béton. Cette image montre la façade dans le prolongement de la bibliothèque avec ses bow windows qui offrent des percées visuelles sur la ville tout au long du parcours. De l’autre côté, nous avons imaginé une petite placette, nouveau lieu public à l’échelle de la ville. On a donc ces trois chais, la placette avec son bassin et l’image du hall qui s’y reflète. Là aussi, la chance nous a aidé lorsque je montrais à l’ABF un dessin avec, devant le musée, une pelouse verte qui avait tourné au bleu. Se demandant s’il s’agissait d’un bassin et convaincu qu’une surface d’eau enrichirait ce lieu, il incita le maître d’ouvrage à trouver les financements pour le réaliser. On mesure donc à quel point l’attitude de cet ABF tranchait avec celle de son prédécesseur qui

avait bloqué le projet pendant plusieurs mois. Autre thème important dans ce musée : celui des matières. Travaillant à la fois sur un musée voué aux œuvres de Chagall, sur un musée des faïences et sur un musée d’archéologie, nous avons essayé d’exploiter le contraste entre le lisse des plaques de verre, de l’inox, de l’eau du bassin, et le rugueux du béton planche et du cuivre.

On ne saurait parler de patrimoine sans parler de mise en œuvre. A Sarrebourg, j’ai eu la chance d’être dans une ville près de la frontière Luxembourgeoise où l’on trouve encore des artisans et notamment des maçons italiens qui ont un savoir-faire extraordinaire. Dans l’Est de la France, il y a une tradition du béton planche. Il y a l’Ecole d’Architecture de Livio Vacchini à Nancy, construite par une entreprise qui, selon l’ABF, était la seule à pouvoir réaliser un béton parfait. Nous sommes donc allés voir cette école avec son entrepreneur. Le maire nous ayant donné son accord pour le béton, nous avions l’entreprise, il n’y avait plus aucune raison d’hésiter. Nous avons travaillé à Sarrebourg le détail jusque sur le soclage. Nous avons dessiné les socles et les vitrines de toutes les pièces et, notamment de chaque pièce archéologique. L’inscription urbaine du musée et le traitement du soclage relèvent selon moi d’une même cohérence. Nous intervenons dans le centre historique de la ville puis, nous mettons en valeur les collections que possède la ville à travers tout ce travail de présentation des oeuvres. La construction du musée et l’étude de la muséographie étant simultanées, 3000 pièces ont été positionnées une à une. La grande salle d’archéologie occupe l’un des chais. Nous avons un sol industriel sur lequel est posée une table en béton blanc qui supporte des vitrines. Là encore, avoir l’appui des élus était important. Initialement, cette salle devait être habillée de plâtre, mais en voyant la mise en œuvre du béton, j’ai préféré renoncer au plâtre pour préserver l’ambiance brute du béton, fond idéal pour les œuvres à montrer.

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Sarrebourg est d’ailleurs vraiment pour moi un projet extraordinaire. Du soclage à l’urbanisme, nous avons traité à peu près toutes les échelles en recherchant une même cohérence.

Autre projet : le restaurant de l’Ecole Nationale des Arts et Métiers dans l’enceinte de l’Abbaye de Cluny. C’est un site particulier où pratiquement rien n’a été construit pendant mille ans. Il est aujourd’hui occupé par l’ENSAM qui nous a demandé de réaliser un lieu pour accueillir convenablement les étudiants et les sponsors, car l’Ecole est sponsorisée par des fonds privés. On nous a donc proposé d’édifier à l’intérieur de l’enceinte un restaurant universitaire et un salon VIP. Le restaurant est tourné vers le centre ville, à 50 mètres de l’école de musique de Patrick Berger.

Je vais vous présenter un autre projet : le Centre Culturel Français à Mexico. C’était pour moi un projet très intéressant parce que cette villa porfirienne de la fin du 19ème siècle était l’ancienne ambassade de France à Mexico. C’est une grande demeure qui a résisté au tremblement de terre de 1983. Il y a à peu plus de dix ans, la France construit une nouvelle ambassade, une tour, et libère ce bâtiment sans trop savoir quoi en faire. Elle se propose d’abord de le réhabiliter, de le mettre aux normes sismiques et surtout de le conserver. Ce qui est extraordinaire est qu’au Mexique, la notion de protection ne semble pas exister. Nous sommes allés voir les services de la ville pour leur demander quelles étaient leurs prescriptions. Eux, étonnés de notre démarche, nous ont répondu que nous pouvions faire ce que l’on voulait à partir du moment où l’on était chez nous. On s’est dit ce que cela n’était pas acceptable car cette maison était l’un des derniers témoignages de l’architecture porfirienne à Mexico et que l’on avait peut-être un message à faire passer : comment peut évoluer cette bâtisse ? Il fallait évidemment réhabiliter cette maison, ce que l’on a fait en la mettant d’abord aux normes, mais surtout j’ai proposé

au Ministère - à l’époque les marchés publics étaient beaucoup plus souples - d’en faire un lieu plus qu’un simple bâtiment, c’est-à-dire quelque chose qui puisse correspondre au mode de vie mexicain. Nous avons donc dessiné une ceinture à ce bâtiment et intégré dans la maison le seul programme qui existait à l’époque, celui d’une bibliothèque pour abriter le fond Rivet, créé à l’époque par Jean-François Revel et Luis Bunuel, figures historiques de ce lieu culturel. Il y avait 30 000 ouvrages. J’ai aussi suggéré la création d’une salle d’exposition, d’une librairie française, d’un restaurant français et d’une agence de voyages. Cela s’appellerait la Casa de Francia avec sa demeure 19ème et sa galerie qui ceinture la maison. Ce qui m’intéressait était l’espace existant entre cette ceinture et la vieille demeure. Mexico étant une ville absolument chaotique, nous avons voulu créer un lieu calme et silencieux, une sorte d’oasis de paix où les mexicains pouvaient passer la journée. Ici, c’est une exposition ayant pour thème 50 ans de photographie française. Toute l’architecture tient compte de la végétation existante. On voit sur cette image l’œuvre d’un artiste mexicain posée sur un petit socle en porte à faux sur le bassin qui entoure le bâtiment, avec son auvent de cuivre oxydé. Tout cela est fait avec des choses très simples... On sentait bien que la simple mise en valeur du patrimoine ne suffisait pas et qu’il fallait une création contemporaine pour faire vivre le lieu. Depuis, c’est un lieu qui marche très bien. Là, c’est une petite stèle en corten qui marque l’entrée de la bibliothèque avec l’escalier et son garde corps dessiné en trois dimensions...

Laurent Dufoix : Vous me tendez la perche pour une question : tous ces projets, on le voit, sont liés à la mémoire, à la culture, au patrimoine, mais aussi à l’avenir. Est-ce qu’il y a une méthode, est-ce qu’il y a des constantes au niveau de la méthodologie par rapport à un édifice ou à un site. Comment procédez-vous ?

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Bernard Desmoulin : Je travaille uniquement avec le contexte, c’est-à-dire que je n’ai jamais d’a priori sur le projet. Je vais voir, je regarde. A Mexico, j’ai visité certains bâtiments pour voir ce qui avait été fait et connaître les artisans qui y avaient travaillé. J’ai passé beaucoup de temps dans cette ville pour comprendre le mode de vie de ses habitants. Au Mexique, il y a une économie ultra libérale. La plupart des équipements culturels sont privés, ce sont souvent des fondations qui s’organisent comme ça, autour d’une maison, et par mimétisme nous avons tenté d’imaginer un lieu un peu semblable avec une librairie française, un restaurant français et une petite galerie. Je l’ai dit, cela fonctionne plutôt bien. Je travaille sur le paysage et sur le contexte. J’ai eu la même démarche pour Fréjus. Je regarde, puis je travaille sur ce que l’on pourrait appeler les archétypes. Ce qui est surprenant, c’est qu’en dialoguant avec les architectes mexicains, je me suis aperçu que Luis Barragan était un architecte assez peu connu...alors qu’ici, on l’imagine figure nationale. Cette photo montre l’intérieur de la maison avec la salle de conférence.

Laurent Dufoix : Ces deux années que vous avez passé à Rome, à la villa Médicis, étaient aussi l’occasion de rencontrer d’autres cultures et d’autres arts : la photo, le théâtre, la musique, enfin... il y a beaucoup de noms prestigieux qui sont passés par là. Par rapport à votre formation avant Rome, est-ce que le fait d’être passé là-bas vous a finalement ouvert sur une culture classique, et que maintenant vous avez dans tous vos projets une démarche, entre guillemets, d’ancien pensionnaire ?

Bernard Desmoulin :Non, on ne reste pas ancien pensionnaire à vie. Ce n’était qu’une parenthèse mais, il est vrai que, hors sa formation, un architecte ne prend pas toujours le temps de réfléchir. Je travaillais dans une agence sur

des projets de plus de 70 000m2. J’étais chef de projet sans jamais avoir posé une brique sur une autre. A un certain moment, j’ai trouvé cela insupportable et j’ai dû arrêter. Par chance, j’ai pu aller à Rome simplement dans le but de réfléchir et de me promener, voir ce qu’était une perspective, une perspective baroque. Là-bas, je travaillais beaucoup. On m’a demandé, puisque j’étais architecte, de réaménager le salon d’honneur de la villa Médicis, espace magnifique recouvert des enduits du peintre Balthus qui ne voulait pas, a priori, que l’on y touche. J’ai proposé une structure simple et respectueuse, qu’il a acceptée. Il m’a simplement dit, au vu du résultat : «C’est très très beau, tu devrais faire des musées ». C’était vrai, je préférais travailler sur cette petite structure dans 100m2 plutôt que de revenir aux projets de 70 000m2 qui m’échappaient totalement. Plus tard, j’essayais de revenir sur de gros projets. Cela m’est toujours difficile car ce n’est pas le lieu ni l’échelle idéale pour ce genre de détails.

Laurent Dufoix : Comment choisissez-vous vos projets ?

Bernard Desmoulin : Bien sûr, ce n’est pas moi qui choisis mes projets... Mais, il est évident qu’au fur et à mesure que l’on accumule les références, il y a une sorte de couloir qui se dessine. Encore une fois, je me suis jamais posé la question du patrimoine, et même le mot est un mot que j’emploie très peu. Il est vrai qu’aujourd’hui, par exemple, je travaille sur le domaine du Château de Versailles, et c’est sans doute grâce à ces images...

Je vous présente mon premier travail. Ce n’est rien du tout, c’est un projet de 66m2 qui date de 1991. C’est une extension de la salle Pleyel à Paris, qui fait 5m sur 5m. Le directeur de la salle - la salle Pleyel est une grande salle de concert - était en concurrence avec le théâtre des

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champs Elysées et la salle Gaveau. Ils avaient un problème pour accueillir les divas qui réclament dans leurs contrats des conditions de confort qui rendent les salles en compétition non pas sur la qualité acoustique mais sur la qualité de confort et d’accueil des artistes. Il fallait donc créer plusieurs loges et travailler sur les services de l’orchestre de Paris. Le directeur de la salle Pleyel proposait simplement que l’on ré-avance de 5m la façade arrière. Je n’ai malheureusement pas de photos mais nous sommes face à l’église Russe, dans un jardin rue Daru qui est un lieu classé. Nous sommes en limite de propriété, et j’ai proposé au directeur un grand jour de souffrance qui donne sur cet espace cultuel Russe. Mon souci était de dessiner une sorte de tapis vertical. Le projet est une petite tour qui devait monter bien plus haut mais nous avons dû nous arrêter là, contraint par un chantier qui ne pouvait se faire qu’au mois d’août.

Je reviens quelque peu sur la villa Médicis. Le salon d’honneur de la villa Médicis, avec les enduits de Balthus qui m’avait dit : « Je ne veux pas que l’on touche à mes enduits». J’ai donc imaginé un système d’accroche très élaboré, puis sans plan, avec des artisans romains, nous avons réalisé cette structure suspendue. J’ai dessiné des petites lumières. Ce lieu était fermé aux romains et le directeur voulait l’ouvrir au public pour en faire une salle d’exposition.

Voilà un autre projet qui a plus de dix ans. Je reçois un coup de téléphone du Ministère des Affaires étrangères me disant que l’on a vu publiée la petite opération de la salle Pleyel et qu’ils ont un problème identique dans l’enceinte de l’hôtel de Roquelaure. On doit construire un restaurant administratif de 1100m2 en secteur sauvegardé là où, a priori, on ne peut pas construire. «On a vu votre travail salle Pleyel, nous avons une problématique identique, accepteriez vous de le faire dans un délai très court ?»... Le Ministère des Affaires étrangères venait de s’installer boulevard

Saint Germain dans un site sans restaurant du personnel. Ici, ce qui fut remarquable, c’est le rapport entre l’architecte et le maître d’ouvrage. Construire peut devenir un véritable parcours du combattant, même pour un tout petit projet. Nous avons contacté tous les services de la ville et les services de l’Etat. Nous étions dans un contexte particulier, parce que non seulement on se trouvait dans un PSMV (Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur) , mais on avait également sous nos fenêtres un ancien Premier ministre, Couve de Murville, la directrice du journal Les Echos, le philosophe Bernard Henry Lévy, et aucun d’entre eux ne supportait le moindre bruit. Il fallait donc faire un chantier là où on n’avait pas le droit de construire, sans faire de bruit, et bien sûr, dans un temps très limité... Il y avait déjà un bâtiment qui était là, dont on a changé la façade, et on a creusé un volume dans le jardin pour concevoir un restaurant sur deux niveaux : une partie supérieure qui existait plus ou moins et une partie souterraine. Le client me disait : «Je ne veux pas que l’on ait la sensation d’être en sous-sol». D’où cette verrière plate que l’on ne pourrait plus faire aujourd’hui. Le projet se réduit à une équerre de verre et l’idée du projet était celle d’un déjeuner au bord de l’eau. Les gens qui déjeunent dans la partie supérieure ont l’impression de manger au bord de l’eau, et la grande salle enterrée est sous une lumière zénithale.

Un projet très frustrant pour un architecte : les réserves et l’atelier de restauration du musée Rodin. Je suis dans un monument historique: la maison de Rodin, où a été tourné le film Camille Claudel. C’est la Villa des Brillants, où l’on doit construire 2 000m2 de réserves. Rien ne sera visible puisque tout est enterré. Ainsi, je pense que cette partie là était a priori inutile, mais j’ai tenu à la faire, simplement pour exister un peu. Ce qui m’intéressait était cette petite confrontation. Les réserves de Rodin sont invisitables ou alors il faut six ans pour obtenir une autorisation. Par testament Rodin interdisait

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de montrer certaines de ses œuvres, et ce projet est une sorte de coffre fort. Ici, nous sommes dans l’atelier de restauration. Comme j’avais eu des problèmes avec les assurances pour la verrière plate, je me suis dis ici, on va être plus calme.

Un autre projet : le musée des Arts Décoratifs à Paris, livré il y a deux ans. Nous sommes au Louvre, dans la dernière partie construite, celle du pavillon de Marsan. Il y avait quatre maîtrises d’œuvre, celle de l’architecte des monuments historiques qui s’occupait de toutes les parties communes, escaliers, ascenseurs... et les trois autres qui se partageaient géographiquement les espaces. Ce qui est extraordinaire, c’est que là aussi on ne s’est jamais posé la question du patrimoine. On a travaillé dans le Louvre sur plus de 2 000m2 sans se poser la question du patrimoine. Il fallait simplement qu’il y ait cohérence du lieu avec les contraintes des conservateurs. Je devais parler avec treize conservateurs. Ici aussi nous avons travaillé sur le bâtiment, sur sa restauration et sur la scénographie. Là, il s’agit de vitrines jouets qui font 5m de long et que l’on a suspendu au plafond. Le jour où nous avons présenté la vitrine au conservateur, il s’est demandé comment nous avions fait pour y placer les objets sachant qu’il n’ y a que les façades latérales ouvrantes. Voilà l’espace du peintre Dubuffet. Dubuffet avait légué ses œuvres au musée parce que c’était le seul musée pour lequel il avait une considération. Par obligation testamentaire, ce dernier se devait donc d’exposer ses œuvres. Nous avons dessiné un meuble de 9m de long qui permettait de montrer les dessins par rotation de six mois pour des raisons de fragilité, de façon souple et sure. Ici, c’est une petite salle de conférence, un auditorium de 80 places que l’on a réalisé sous le pavillon de Marsan. Nous avons modifié complètement la structure du sous-sol puisque l’on a creusé en dessous pour récupérer de la hauteur.

Je vous présente un dernier projet où l’on est vraiment dans le patrimoine, puisqu’il est situé aux grands communs du château de Versailles. Les grands communs sont les lieux de service. Il y avait à Versailles d’un coté le château, et de l’autre, ce que l’on appelait la petite cour où habitaient et où travaillaient tous les serviteurs, les cuisiniers, la garde et la petite cour. C’est un bâtiment de 20 000m2 dessiné par Mansart, un quadrilatère de 80m de côté qui est très peu connu alors qu’il a une présence incroyable dans le plan masse de Versailles. Il n’est simplement pas connu parce qu’il est à l’ombre du château le plus connu du monde. Ce bâtiment, occupé jusqu’il y a dix ans par l’ancien hôpital militaire Larret, a été restitué au Ministère de la Culture pour y accueillir les services de l’établissement public du Château de Versailles, c’est-à-dire des bureaux administratifs, une bibliothèque, un centre de documentation du 18ème siècle, un restaurant pour le personnel, les vestiaires, le service de communication du château de Versailles, la présidence, la régie et certaines réserves muséographiques. Le château de Versailles est ici et c’est ce grand carré que l’on aménage à l’intérieur. Le clos et le couvert est à la charge de l’ACMH (Architecte en Chef des Monuments Historiques). Nous, nous ne nous occupons que des aménagements intérieurs. Si le bâtiment est préservé de l’extérieur, avec ses façades rigoureuses et ordonnées, il ne s’agit en fait que d’une coquille vide. Quelques poutraisons parfois sont à conserver. Voilà dans quel état nous avons trouvé le bâtiment. C’est un chantier qui évolue tous les jours. La difficulté de cette opération tient au fait que l’on nous demande de réaliser, sous une hauteur de 6m, des espaces de bureaux alors qu’un bureau moyen c’est 2.70m de large et 3m de hauteur au maximum. Se pose alors la question du cloisonnement et de l’adaptation d’un tel bâtiment à de nouvelles fonctions. Ce qui est difficile dans ce genre d’exercice ce n’est pas d’introduire une nouvelle fonction mais d’introduire des nouvelles normes, comme par

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exemple les normes handicapés, les normes thermiques ou les normes acoustiques. S’engage à partir de là un véritable dialogue avec nos interlocuteurs, et je crois que la difficulté de travailler sur le patrimoine, ce n’est pas tellement d’avoir des idées sur la disposition des espaces, mais c’est d’arriver à convaincre. On a beau être sensibilisé aux questions du patrimoine, quand il s’agit de l’usage, la plupart des utilisateurs refusent de travailler dans les espaces paysagés. Ils veulent tous être cloisonnés et êtres isolés les uns par rapport aux autres.

Laurent Dufoix : À Versailles, les choses ont bien évolué depuis quelques temps. Dernièrement, des sculptures ont été mises dans des appartements royaux, un bâtiment d’entrée provisoire a été installé devant la grille d’entrée. Les choses sont en train d’évoluer, et sans doute les esprits aussi. Vous, qui finalement arrivez dans cette grande chaîne, pouvez-vous nous dire comment vous sentez les choses dans ce Ministère de la Culture, dans cette direction du Patrimoine ? Vous avez parlé de la force des ABF… Je disais tout à l’heure que les ABF ne sont pas les seuls, ils sont dans un système plus vaste d’architectes en chef, de conservateurs, de commissions supérieures. Quel regard portez-vous là-dessus, et comment verriez-vous les choses évoluer pour qu’on ne parle plus de patrimoine, mais pour que l’on parle d’architecture, tout simplement ?

Bernard Desmoulin : Moi je pense que de ce coté là, il n’y a pas de problème bien qu’il puisse y avoir des résistances individuelles. Il y a une réelle volonté de créer des espaces contemporains, c’est-à-dire que la notion de patrimoine n’intervient jamais, bien au contraire, le Ministère nous pousse, nous met même en avant pour convaincre les ACMH. Nous avons tous conscience que le statut d’ACMH ne peut pas rester en l’état. Le rôle d’un ACMH c’est

un rôle d’historien et de technicien, ce n’est pas un rôle de concepteur. Il est en quelque sorte le gardien du temple, il a une mission et cette mission, il la tient quelque soit la qualité du projet qu’on lui propose. Nous, derrière nous sommes des petits soldats qui essayons de négocier point par point avec eux. On est plutôt seul sur un projet comme celui-là... On jugera l’architecte à sa capacité à résister aux ACMH. La solution de facilité serait de dire oui à tout, et là, je pense que le maître d’ouvrage serait déçu. Je pense qu’il y a une réelle volonté politique de faire évoluer les choses et d’ailleurs la réglementation va dans ce sens. En même temps, je crois que l’art de la négociation fait partie de ce métier. C’est l’ACMH de Versailles qui m’a demandé de travailler sur Cluny, et ça se passe plutôt bien.

Imaginez ici un futur lieu de travail avec des murs de 1m50 d’épaisseur. Voilà l’Abbaye de Cluny avec pour ACMH Frédérique Didier. On voit ici les remparts. Bien sur, il y a eu un concours pour ce projet dont le programme était un centre de restauration universitaire s’appuyant sur l’enceinte. Ce qui était clair, c’est que personne ne voulait de pastiche. Il fallait un projet totalement contemporain, qui puisse se démarquer du reste. C’était la commande, sachant que plusieurs projets avaient déjà fait l’objet d’un refus de permis.

La porterie est ici dans un bâtiment 19eme. Puis voilà toute l’Abbaye et le cloître. Les étudiants sont dans ce site merveilleux, absolument extraordinaire. Et derrière notre structure d’accueil, il y a une petite résidence étudiante qui fait mal à la perspective. Voilà donc le projet. Il est un tout en corten et s’appuie sur les remparts avec deux anciens petits pignons là où il y avait d’anciens abattoirs. Là, il s’agit le mur d’enceinte avec sa tour. On nous avait simplement demandé pour que ce bâtiment ne soit pas trop visible de loin de le dissimuler en partie derrière un écran végétal qui atténuera

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le contraste entre la vieille pierre et la lumière provenant des vitrages.

Questions du public

Question : Est-ce que c’est vous qui êtes intervenu au château de Falaise ?

Bernard Desmoulin : Non c’est Bruno Decaris, je n’ai pas autorité à intervenir sur le patrimoine classé.

Question : Est-ce qu’il y a des mesures d’accompagnement de la part du maître d’ouvrage, dans des projets comme ça, vis-à-vis du public ?

Bernard Desmoulin : Toujours, parce qu’il y a tout un travail de communication et d’appui à l’architecte. Il y a des projets que l’on ne peut pas faire seul et je pense que les trois quarts des projets que j’ai pu réaliser se sont faits grâce à l’appui des maîtres d’ouvrage. Tous les projets coûtent cher, mais il faut l’accompagnement des maîtres d’ouvrages. On n’impose pas un projet à un client, on le fait avec lui. Donc, dans un premier temps, à nous de le convaincre, à nous de lui expliquer ce que l’on fait, à nous de prouver son intérêt. En tout cas, on ne le fait pas contre lui. A Cluny, c’était un peu différent parce que l’on n’avait pas l’appui de la ville. En effet, le maire était contre le projet en disant «Moi, à chaque fois que je mets une fenêtre en PVC, j’ai un procès verbal et vous, on vous autorise à construire un bâtiment en tôle rouillée ». Donc là, il faut expliquer. Même sur un projet comme celui de Sarrebourg, il faut convaincre, et ce n’est pas évident avec une population rurale, proche de la frontière allemande de proposer un projet en béton brut avec un maire en pleine campagne électorale très méchante. Ce qui est extraordinaire dans cet exemple, c’est que le maire au début n’aimait pas le projet. Il me

l’a dit lors de la première réunion. Mais, c’est quelqu’un qui a accepté la règle démocratique et qui peu à peu s’est approprié le projet jusqu’à en être aujourd’hui l’un des plus ardents défenseurs.

Question : J’ai une question plus générale par rapport au symposium et aux étudiants présents. Pour vous, qu’est ce que c’est que de construire avec le patrimoine ? Vous avez résumé un peu, mais eux vont bientôt sortir de l’école, et vont y être un jour ou l’autre confrontés. Je crois que souvent, le premier projet que l’on fait dans sa vie, c’est à partir de quelque chose. Que voudriez-vous leur dire ?

Bernard Desmoulin : Ce que je voudrais leur dire, c’est ce que j’ai dit au début. Le patrimoine ce n’est pas quelque chose de spécifique. Pour moi c’est le site, c’est le « déjà là », le « faire avec ». Que cela s’appelle « vieilles pierres », «bâtiment remarquable », « site », ou simplement « lieu », j’ai l’impression que la démarche est la même. Le premier projet sur lequel j’ai travaillé était la nécropole de Fréjus. J’avais un terrain, avec des oliviers sur trois hectares face à la mer... On a trente ans, on est un peu intimidé. On regarde et on se dit voilà, ici, il y a tout, et je n’ai pas le droit à l’erreur. C’est surtout ça, on n’a pas le droit à l’erreur. On est conscient de sa responsabilité, de sa responsabilité d’architecte parce que ce que l’on fait reste, et que l’on n’est pas là pour construire nos propres fantasmes. Si ce n’est pas mieux après qu’avant, cela est grave. Voilà ce qu’est cette responsabilité... Actuellement, j’ai un autre projet extrêmement délicat à Port Royal des Champs. C’est un site magnifique, qui est dans la vallée de Chevreuse, un haut lieu du jansénisme. Il y a des associations extrêmement vigilantes et notre travail porte sur des interventions paysagères. Il y a un portail à dessiner, une signalétique et une petite tour d’accueil, ce n’est pas grand chose. Mais comme c’est un lieu fragile chargé d’histoire, la moindre erreur peut être dramatique. Alors évidemment

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il y a toujours cette possibilité de réversibilité et l’on peut toujours se dire : «Bon, on fait ça, mais dans dix ans, si ça ne va pas, on peut le casser». Mais enfin... ce n’est pas sérieux. Moi, c’est cette notion de responsabilité qui m’obsède. Je veux dire qu’il n’y a pas de lieux à délaisser, il y a une histoire et la plupart de ces lieux ont une histoire. Il faut y aller vraiment délicatement. Mais en même temps, il faut exister, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’être neutre, et je ne pense pas que ces images expriment une neutralité. Au contraire, je pense que dans le cas de Cluny, quand on me dit que l’on ne veut pas de pastiche, parce que c’est pour une école moderne, l’ENSAM, une école qui est tournée vers le patrimoine, vers les images de synthèse et que ses étudiants sont en train de réaliser des choses absolument incroyables avec le numérique, on veut correspondre à l’expression de leur travail, dans un lieu qui est extrêmement précis : on n’a donc pas le droit à l’erreur. Même quand on dessine des vitrines pour le Musée des Arts Déco, on les fait, au début, un peu contre les conservateurs. On sait que ce vocabulaire n’est pas dans leur culture, mais ceci ne nous empêche pas de douter. C’est cette responsabilité je crois. Les étudiants qui sont ici, pour la plupart, vont travailler un jour sur le patrimoine. Il faut savoir que l’on fera de moins en moins de bâtiments neufs et on en récupèrera de plus en plus. Ç’est une donnée d’aujourd’hui... Je le vois très bien, la plupart de nos concours, peut être trois sur quatre, portent sur de l’existant.

Question : Je voulais savoir comment vous inscrivez votre œuvre dans le temps, si vous projetez une image de vos œuvres dans cent ans par exemple. Comment vous projetez-vous dans le temps ?

Bernard Desmoulin : Cela dépend, quand je travaille sur les Arts Déco, on sait très bien que l’on fait une muséographie pour vingt ans, pas plus. Et encore... C’est beaucoup vingt ans.

Dans le cas d’un nouveau musée, j’espère que cela durera plus longtemps. Par contre, dans le cas d’une nécropole nationale, le bâtiment profite dès sa livraison. Mais l’avenir de ces réalisations ne me préoccupe pas forcément. A un moment donné, quand d’autres ont réhabilité la Salle Pleyel, ils ont gardé ce petit bâtiment. Moi, je pensais qu’ils l’avaient démoli. Je ne suis même pas allé voir et un jour, en passant devant, j’ai pu constater qu’il était encore là. Ce n’est pas un souci, je pense que les choses doivent évoluer, elles doivent passer. C’est l’avantage de la photo. On peut garder les images, en plus en l’état idéal, parce que l’architecture a son propre vieillissement. Donc ce n’est pas un souci.

Question : J’ai été très sensible à ce que vous disiez à propos de cette responsabilité que vous ressentez face au lieu, et je voulais attirer l’attention sur le fait que, dans le contenu du terme patrimoine, il y a aussi la notion de construction du regard des autres sur l’œuvre. Il n’y a pas que l’architecte lui-même qui va se poser la question, mais c’est la manière dont la société va porter un regard sur l’œuvre qui va lui donner ou non une importance, une valeur telle qu’on rentrera dans un processus de patrimonialisation. Ce qui me frappe dans le cadre du travail sur les grands communs, c’est que ces grands communs sont des éléments extrêmement forts, qui marquent l’espace puisqu’ils sont assez inscrits. D’une certaine manière, ils ont un très grand intérêt. La question est de voir comment le programme peut être défini avec le maître d’ouvrage et l’ACMH. Parce que, j’avais peur que vous présentiez la question du « c’est une position contre une autre ». Mais c’est dans le dialogue que se pose la question de l’évolution du bâtiment. Alors je voulais vous demander : finalement, qu’est ce qui a été conclu à propos de cette pièce que vous avez montrée?

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Bernard Desmoulin : Oui, j’ai montré cette pièce, mais j’aurais pu en montrer trois cents autres. D’abord, je me suis peut-être mal exprimé par rapport à l’ACMH. Je pense que chaque architecte a ses propres stratégies. Lui, il en a une, et elle est définie presque par la loi. La mienne est plutôt de le faire venir peu à peu à l’architecture contemporaine. C’est-à-dire que c’est à moi de le convaincre et je crois que c’est ce qu’il se passe. C’est un jeu subtil et en même temps passionnant, parce que d’abord c’est quelqu’un d’extrêmement intelligent et d’extrêmement cultivé. C’est comme ça que je vois les choses, c’est un dialogue qui se poursuit depuis trois ans et comme nous sommes toujours amis, tout va bien. Mais en même temps, personne ne lâche, ou, quand on lâche, on ne s’en aperçoit pas. Le projet se fait, nous avons eu le permis, aujourd’hui il est en chantier depuis six mois. Après, je pense qu’il a conscience qu’il y a des réseaux à faire passer, qu’il y a un confort à trouver pour les usagers, qu’il y a des contraintes qui n’existaient pas il y a deux cents ans. Ce travail, c’est à moi de l’expliquer pour qu’à la fin, il me dise : « Voilà, je suis convaincu ». Nous sommes également associés sur plusieurs concours. Cela prouve que cela se passe bien, mais le débat continue. Personne n’est totalement convaincu par la position de l’autre et c’est ça qui est intéressant, c’est une discussion qui se prolonge. En tout cas, ce n’est pas la guerre civile, c’est tout simplement un travail quotidien. C’est aussi un jeu, c’est passionnant. Je pense qu’on ne peut pas vous donner un lieu comme celui-là et que ce soit facile, ce serait très grave même. Il fait son travail et ce que j’apprécie en lui, c’est qu’il le fait vraiment bien. C’est ce qui m’oblige à chaque fois à trouver des arguments et à préciser ma pensée.

Francis Soler : Tu es contingenté dans le domaine du patrimoine, on voit des projets remarquables… Moi, en tant qu’architecte, j’ai juste une question à te poser : tu n’en as pas

marre ?

Bernard Desmoulin : Non, c’est une sélection de photos qui me donne une «coloration patrimoine». On va bientot livrer d’autres bâtiments qui n’ont rien à voir avec le patrimoine. Déjà, ce qui m’étonne c’est que de plus en plus on me croit ACMH... Tu as raison Francis, je vais arrêter maintenant de montrer cela, je vais montrer d’autres projets. Mais en même temps c’est ceux-là qu’il faut expliquer. Je travaille sur certains projets où effectivement il n’y a pas ces contraintes et je trouve que l’intérêt n’est pas le même. Quand j’ai en face de moi, quelqu’un comme Frédéric Didier, ACMH, je sais que nous n’avons pas la même culture.

Laurent Dufoix : Bernard, merci. Bernard Desmoulin est aussi enseignant, architecte conseil pour le Ministère, il est membre de l’Académie d’Architecture, et j’oublie encore sûrement d’autres choses… On peut dire simplement qu’il y a de nombreuses choses sur lui à découvrir. Je crois qu’il faudra qu’il revienne à Montpellier, et peut-être présenter d’autres projets. En tout cas, il sera toujours le bienvenu.

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photos : 1 // Eglise Saint Pierre - 1970-2006 - Firminy - France. 2 // Eglise Saint Pierre - 1970-2006 - Firminy - France. 3 // Musée - Archives - 1970-2006. 4 // Ronchamp - 1955 - Ronchamp - France. 5 // Notre-Dame-Du-Haut - 1955 - Ronchamp - France. 6 // Projet de Renzo Piano - 2008-2010.

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Laurent Duport : Dominique Claudius-Petit est le Président de l’Association des Amis de Le Corbusier (AALC), et en cela, il prolonge la démarche de son père Eugène Claudius Petit, qui était ancien Résistant, Ministre de la reconstruction, maire de Firminy et très grand ami de Le Corbusier. Si nous avons souhaité que Dominique vienne apporter son témoignage aujourd’hui, c’est qu’il a une position singulière en tant qu’ancien chef d’entreprise, fidèle à un certain nombre de valeurs que sont à la fois

l’architecture et l’amitié qu’avait son père pour Le Corbusier. Avec l’Association des Amis de Le Corbusier, il met tout en œuvre pour rassembler ceux qui vivent Le Corbusier au quotidien. Vivre Le Corbusier au quotidien, c’est habiter dans ses bâtiments, c’est essayer de porter un regard contemporain sur son architecture, interroger son évolution et sa réhabilitation. C’est tout ce travail que Dominique essaye de mener, dans l’idée de prolonger les choses. Prolonger, c’est aussi permettre l’achèvement de quelque chose.

Dominique CLAUDIUS-

PETIT..........................................................

Dominique CLAuDiuS-pETiT

président de l’Association des Amis de Le Corbusierwww.amis-de-le-corbusier.fr

Répondant : Laurent Duport , architecte, enseignant à l ’ENSAm

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Son ambition a été, au début de sa présidence de l’Association des Amis de Le Corbusier, de terminer l’église Saint Pierre de Firminy, en liaison étroite avec José Oubrerie, l’architecte à l’origine du projet avec Le Corbusier. Il a réussi ce tour de force de faire achever cette église, qui a été inaugurée en 2006.

Il est aujourd’hui impliqué dans une partie de la maîtrise d’ouvrage du portage de l’opération de l’aménagement de la colline de Ronchamp, projet architectural de Renzo Piano avec le paysagiste Michel Corajoud. Vous n’êtes pas sans savoir que ce projet a eu de nombreux détracteurs et l’idée aujourd’hui n’est pas de prendre position mais d’informer de la teneur de ce projet, qui a été remanié, à la demande de plusieurs instances. Et c’est aussi de faire prendre conscience que pour mener un projet, il faut un architecte, et qu’il n’y a de grands architectes qu’avec de bons maîtres d’ouvrages. C’est en ce sens que nous avons souhaité que Dominique apporte son témoignage.

Dominique Claudius-peti t : Je me sens très à l’aise après les propos de Bernard Desmoulin, qui a expliqué que l’architecte ne pouvait rien sans composer sa partition en harmonie avec celle de son commanditaire et maître d’ouvrage. Moi je suis, de tradition, de l’autre coté, du côté du maître d’ouvrage. De formation scientifique pour devenir ingénieur, j’ai fait le détour par les facultés des Sciences d’Orsay puis de Grenoble pour y cueillir une certification de physicien dans une dizaine de domaines fondamentaux entre 1963 et 1965. Il s’agissait alors de découvrir le monde par l’observation physique, d’en comprendre et d’en expliquer le fonctionnement par le raisonnement. C’est exactement ce que notre ami Bernard Desmoulin a expliqué, en disant qu’il n’a rien à imposer, qu’il doit faire l’éponge au milieu des autres. J’ai appris à faire l’éponge en essayant de comprendre comment fonctionne le monde et en imaginant comment, avec les découvertes scientifiques et techniques, il était possible de mettre en place des technologies modernes, puis de les assembler en un surprenant « meccano», exactement comme le fait un architecte en se battant avec les matériaux pour construire. Je me sens donc tout à fait contemporain du monde auquel vous vous préparez, et que les autres intervenants vont expliquer mieux que moi du point de vue de l’architecte.

Je n’avais pas de vocation particulière à m’impliquer dans ces deux projets, de Firminy et de Ronchamp, parce que dans ma famille, on ne devient pas ce que l’on est par héritage : chacun fait sa trace dans l’accomplissement de ce qui lui permettra de révéler sa dignité sociale dans le monde où il vit, en essayant de pratiquer le mieux possible son métier, en faisant « du bel ouvrage », comme le disait mon père.

J’ai appris à connaître le projet de Firminy quand j’avais seulement onze ans. Mon père a été ministre de la Reconstruction pendant cinq ans, et il était devenu une espèce d’entrepreneur

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qui entraînait les hommes à mettre leurs moyens et leurs compétences au service de la reconstruction de notre pays dévasté. On lui avait demandé de prendre la tête de la mairie de Firminy qui, après cinquante ans d’une gestion figée, conduisait, pensaient certains, la ville à sa perte. Mis par ses amis politiques en position de ne pas pouvoir refuser d’appliquer là ses convictions de bâtisseur au service de tous les hommes, assumant son engagement politique, il est passé sans transition de membre du gouvernement à maire de Firminy. À onze ans, le Certificat d’Etudes en poche, mon père commença son apprentissage pour devenir ébéniste. Il découvrit Le Corbusier lors des expositions de 1927 et de 1930. Le Corbusier, mais aussi Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret y exposaient un travail inédit sur la manière dont on pouvait s’intéresser, non plus seulement aux façades, mais au modelage des espaces de vie des hommes, à la création d’habitations susceptibles de permettre à ces femmes et à ces hommes de réussir leur existence. Il s’agissait d’un projet humaniste dans lequel mon père se sentait tout à fait impliqué. A l’âge de seize ans, il était devenu un ébéniste réputé, élu meilleur ouvrier de l’Anjou. Monté au faubourg Saint Antoine après son service militaire, il fut élève à l’école Boulle, puis suivit les cours du soir des Arts Déco pendant quelques années afin de perfectionner sa capacité à tracer sur bois tout ce qu’il devait réaliser. Ses camarades des Arts Déco le poussèrent à faire d’autres choses, mais lui continuait à regarder, au travers de ce que Le Corbusier, Charlotte Perriand et d’autres exposaient, en quoi il pouvait par son métier d’ébéniste, trouver une manière de mieux façonner les espaces de vie des habitants. Sautant le pas et devenant professeur de dessin, il a enseigné cinq ou six ans au lycée Ampère à Lyon, et c’est alors le professeur de dessin qui transmit à plusieurs de ses élèves, notamment Pierre Jomain et Charles Delfante, l’étincelle qui les fit choisir de devenir architectes et urbanistes. Engagé dès l’âge de seize ans

comme syndicaliste, il rencontra dès 1920 Marc Sangnier, son mouvement « Le Sillon » puis son parti, « La Jeune République», qui proposaient à leurs militants une vision chrétienne et moderne de la société. Durant l’occupation, il s’est naturellement retrouvé dans la Résistance, poursuivant ainsi un engagement naturel, semblable à celui qui lui avait fait rencontrer Le Corbusier. Dans toutes ces circonstances on le trouve toujours à la recherche de solutions qui, ne sacrifiant jamais l’essentiel, lui permettent de conduire sa vie au milieu et au service des autres. Je dis cela parce que soixante ans plus tard on ne pense à lui que comme l’ancien Ministre, copain de Le Corbusier, mais ce n’était là que le résultat d’une étonnante et respectueuse relation fraternelle.

Mon père était un manuel, qui a rencontré un autre manuel, Le Corbusier, qui a rencontré une autre manuelle, Charlotte Perriand, qui a rencontré un autre manuel, Jean Prouvé… Il a rencontré des gens qui parlaient le même langage que lui et qui savaient, par le trait, le dessin, les plans ou la photo, être plus prolixes et explicites que par n’importe quel autre langage intellectuel ou juridique. Il est devenu un homme politique comme on devient architecte, par sa capacité à s’imposer comme meneur de jeu et médiateur, à concilier l’inconciliable sans pour autant sacrifier l’essentiel. Lui qui était timide, qui ne savait pas parler en public, il s’est envolé en octobre 1943 pour Londres puis Alger rejoindre l’assemblée consultative et le gouvernement provisoire, et brutalement, en dix mois, il est devenu un homme public, un homme politique. Il y a avait rencontré des femmes et des hommes qui avaient été formés à cela, et lui, tel un papillon sorti de sa chrysalide, est devenu quelqu’un de totalement autre. En signant « Claudius » l’article que vous pouvez retrouver dans le premier numéro d’Architecture d’Aujourd’hui, il proclame de façon tonitruante quelle place l’architecte doit prendre dans la société moderne. Il s’est alors lié d’amitié sans

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concession avec Bernard Zehrfuss, Paul Herbé, Pierre Hémery, Pandrique de Maisonseul, Marcel Roux, Robert Bordaz, et avec tous ceux qui étaient à Alger. Entre 1943 et 1945, tout le monde à Alger pensait à la manière dont on allait reprendre les rênes du pays pour reconstruire la France. Mon père n’est pas devenu Ministre de la Reconstruction par hasard : c’est l’homme politique disposant d’un projet façonné avec l’aide de tous ceux qu’il avait côtoyé lorsqu’il était à Alger mais aussi lorsqu’il était ébéniste, professeur de dessin et Résistant, qui s’est trouvé prêt à agir. Il n’aurait rien pu faire sans eux. Il n’a été que le révélateur de leurs compétences, un porte-voix. C’est ce qu’il faut comprendre également de Le Corbusier, de sa pensée au travers de CIAM, de l’ASCORAL et de ses écrits. Le Corbusier a lui aussi été un porte-voix. C’est une manière de faire l’architecture, pour qu’elle ne soit pas morte, pour qu’elle serve la raison sociale du maître d’ouvrage qui veut construire quelque chose. Il a replacé l’architecte dans la position de locomotive exceptionnelle, tout en étant dans cette position d’éponge sans laquelle il n’y a pas de respect du projet.

Il n’existe pas de frontières entre un patrimoine qui serait à conserver ex abrupto, qui n’aurait plus de significations, et un projet contemporain, inscrit dans la ville d’aujourd’hui, au service des hommes d’aujourd’hui. Dire que l’on signe un plan pour que sa notoriété soit sanctifiée est une erreur. N’ayez pas cette admiration pour les ténors et les stars de l’architecture qui ne sont

que les vedettes des medias. J’ai été patron de presse pendant trente ans et je sais ce qu’est le monde de la communication sociale. Ne regardez pas la surface des choses, regardez la profondeur de vos actes personnels et de votre responsabilité.

Je me suis retrouvé embarqué dans tout cela par hasard. D’abord, parce que je fais l’éponge depuis que je suis gamin, ensuite, parce que mes parents n’aimaient pas le restaurant et recevaient tous les amis et invités dans notre maison. Tous ceux avec qui mon père réalisait ses projets venaient manger à la maison. Mes sœurs et moi disions bonjour poliment, sans savoir vraiment de qui il s’agissait. Mais aujourd’hui j’ai gardé une mémoire intense de ces moments, et avec Le Corbusier, c’était magique… J’habitais avec mes parents à deux cents mètres de la rue Nungesser et Coli, dans un petit pavillon. Nous étions lyonnais, et en 1945 nous avons suivi mon père à Paris où il exerçait l’essentiel de ses responsabilités à l’Assemblée nationale et dans les institutions publiques. On avait réquisitionné pour nous un petit pavillon dans lequel nous sommes restés jusqu’en 1953. Lorsque je me rendais à l’école communale du Parc des Princes, entre 8h15 et 8h30, je croisais tous les jours Monsieur Le Corbusier, en tenue de sport, qui faisait ses trois tours du stade Jean Bouin. Personne ne faisait cela à l’époque. Il n’y avait que lui, qui appliquait à la lettre des principes de la Charte d’Athènes : cultiver le corps et l’esprit. Tous les jours je disais : «Bonjour Mr. Le Corbusier», comme un gamin de six ou sept ans simplement content de voir un ami de ses parents. Je garde de lui le souvenir d’un homme comme les autres, bien différent de l’image d’un homme froid qu’on brosse toujours de lui. Je vais essayer de vous la faire partager en vous parlant des deux projets dans lesquels je me suis trouvé impliqué.

Firminy et Firminy-Vert. En 1953, Firminy était une ville complètement détruite, qui ne disposait

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ni des commodités ni du confort moderne qui lui aurait permis de s’insérer dans le grand tissu urbain futur. Le projet de Firminy-Vert ne consistait pas à créer un quartier extérieur, mais à profiter du développement de la ville pour construire un quartier complémentaire, associé au cœur de ville. Il s’agissait de permettre de vider progressivement certains quartiers du centre afin de restaurer la totalité du tissu urbain selon un plan directeur cohérent. Le nouveau quartier devait se comprendre comme le prolongement du cœur de la ville ainsi élargi, inscrit dans une volonté d’organisation de cette ville moyenne. Mon père accueillit alors comme urbaniste nommé pour ce projet son ancien élève, Charles Delfante. Le plan directeur de la ville et Firminy Vert fut son premier projet, et l’occasion pour lui de recevoir son premier prix d’urbanisme quelques années plus tard. Durant cinq années, de 1948 à 1953, le sociologue Chombart de Lauwe et son équipe de chercheurs, ainsi que nombre d’autres architectes et constructeurs avaient pris l’habitude de travailler en collégialité pour relancer la construction en France. Ils venaient de Paris à Firminy pour y travailler, la plupart du temps gratuitement. Cette ville qui disposait de moyens financiers modestes disposait en revanche d’une puissance héritée du travail poursuivi au Ministère durant les années précédentes. Il fallut intégrer les meilleures compétences extérieures pour qu’une ville en perdition soit si fortement relancée. Pour y parvenir, Firminy Vert témoigne d’une application fidèle et stricte de tous les principes de la Charte d’Athènes. Tous ceux qui étaient autour de mon père avaient côtoyé et travaillé avec Le Corbusier. Il partageait avec passion la création d’un quartier nouveau, avec mille cinq cents appartements et une nouvelle paroisse. La décision politique du maître d’ouvrage était de donner à la ville de Firminy un nouveau quartier doté de tous les attributs capables de constituer un centre civique complet, de l’équiper sur le plan culturel et sportif comme sur le plan scolaire, ouvrant les portes des

universités comme des meilleurs apprentissages professionnels. La particularité de Firminy tient de cette ambition de construire un cadre de vie complet en symbiose étroite avec le centre historique de la ville.

Cinquante ans plus tard, aucun des stigmates que l’on peut trouver dans des quartiers de même importance, comme à Vaulx-en-Velin par exemple, ne s’y manifeste. À Firminy, les dégradations et les graffitis sont remplacés de fait par la fierté des habitants qui se sentent chez eux, qui se sont appropriés progressivement l’architecture moderne mais aussi l’influence de Le Corbusier, cet architecte qu’ils craignaient de ne pas pouvoir supporter. Firminy Vert s’est réalisé selon un plan d’urbanisme conçu par les élèves de Le Corbusier.

L’église Saint-Pierre de Firminy-Vert. Concernant l’église, tout le monde dit qu’il s’agit de celle de Le Corbusier. Elle ne l’est pas tout à fait. Sa commande fut d’abord confiée à André Sive, qui fut emporté d’une leucémie huit mois plus tard. L’association paroissiale s’en trouva désemparée: il n’y avait plus de capitaine pour conduire le projet d’église. La paroisse était déjà créée, le curé Roger Tardy était nommé et il tenait ses réunion dans des locaux provisoires qui avaient été loués pour que l’activité paroissiale s’y développe. Le Corbusier venait de se voir confier la Maison de la Culture et le Stade. Il conseillait depuis 1953 l’équipe municipale et avait déjà proposé à la ville pour Firminy-Vert son formidable plan de « civic center » pour y rassembler ses deux premières commandes et y accueillir ensuite piscine, église et théâtre en plein air. Les conseillers municipaux allèrent voir mon père et lui dirent: «Claudius, écoutez, l’homme qu’il nous faut, c’est Le Corbusier. Mais est-ce qu’il va accepter de passer après André Sive ? ». Mon père est allé voir Le Corbusier, lui a expliqué la situation, et Le Corbusier lui a répondu : « Bien sûr. Je suis très honoré, j’accepte. Je rêve de construire

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une église paroissiale depuis longtemps… Je me mets au travail ». Le Corbusier dès lors demanda à José Oubrerie, qui s’était occupé du pavillon du Brésil, de travailler sur ce projet. La maîtrise d’œuvre de conception a été conduite par Le Corbusier et l’atelier de la rue de Sèvres perçut, jusqu’en 1965, les honoraires d’architecte pour cet ouvrage. José Oubrerie fut associé à ce travail de conception de 1960 à 1965, comme le fut André Maisonnier pour Ronchamp et Yannis Xenakis sur le pavillon Philips. L’organisation était toujours la même : Le Corbusier choisissait un collaborateur unique pour le suivi de chaque projet. Le projet de l’église devint très vite extrêmement délicat parce que les paroissiens, soit quatre cent cinquante familles de Firminy Vert et des paroisses alentours, avaient souscrit dès 1964 pour 650000 francs, soit les deux tiers du budget qui à l’époque était de 946000 francs. Il était donc possible de lancer le chantier, mais à la vieille de 1968, d’importantes distorsions sur l’art et la manière d’envisager les églises à construire ont vu le jour dans la communauté catholique. Une cabale très importante se développa en son sein, contre le projet, alors que Le Corbusier venait de mourir. Le Corbusier avait fait venir autour de lui depuis plusieurs mois Charlotte Perriand, mon père, José Luis Sert et tous ses anciens compagnons de la rue de Sèvres pour leur faire promettre d’achever le travail. Il avait conscience que ce projet serait son dernier travail d’importance. Il disait : « J’ai touché des honoraires, et vous devez tout faire pour que ce que j’ai conçu soit construit. Il n’y a plus qu’à ouvrir le chantier. Construisez l’église ».

En 1969, la paroisse et le diocèse se sont défaits de leur engagement de maître d’ouvrage et ils en ont transféré la responsabilité à la charge de l’association Le Corbusier pour l’église de Firminy-Vert, selon un pacte qui fut signé alors. Une SCI fut constituée. Mon père m’avait dit : «Tu commences à travailler, tu te prends des parts de la SCI, on porte à cinquante la

responsabilité de la maîtrise d’ouvrage ». Le préambule de l’Association des Amis de Le Corbusier, c’est de tout mettre en œuvre pour construire sa dernière œuvre, et ensuite de s’assurer de sa notoriété au travers de tout ce qu’il a apporté à la communauté des hommes, pour le meilleur de la vie sociale. Le diocèse s’est dessaisi de la maîtrise d’ouvrage au profit de l’Association des Amis de Le Corbusier pour l’église de Firminy Vert. Nous sommes donc devenus pleinement maîtres d’ouvrage. Nous avons confirmé immédiatement à José Oubrerie le contrat de maîtrise d’œuvre, puisqu’il était celui qui avait porté la conception pour le compte de Le Corbusier. Cette continuité, il n’a pas à la revendiquer. José Oubrerie a été payé d’honoraires, nous avons en permanence renouvelé pour lui notre confiance, dès la mort de Le Corbusier, et avons confirmé juridiquement le contrat entre un maître d’ouvrage et son maître d’oeuvre en 1968. Il n’y a donc pas eu de cassure de responsabilité entre le projet commandé en 1960 et le projet qu’il a accompli et remis en 2006. Le projet a été inauguré en tant que bâtiment en 2006 mais inauguré dans sa double raison sociale en 2007. En juin 2007, afin que l’autel soit dédicacé – c’est le langage canonique – l’évêque l’a poli à l’huile Sainte, dans un cérémonial selon les traditions ancestrales des lieux sacrés. Voilà ce que je peux vous dire : il y a eu continuité de la maîtrise d’ouvrage, et continuité de la maîtrise d’œuvre.

Laurent Duport : Serait-il possible d’apporter quelques précisions, notamment sur la question de la maîtrise d’ouvrage qui a changé le programme du bâtiment ?

Dominique Claudius-peti t : Il s’agit d’un autre problème qui s’est posé du fait qu’entre la commande et la recette de l’achèvement, les besoins de la paroisse avaient changé car une maison paroissiale a été édifiée entre temps...

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La première pierre de l’église fut posée en 1970. La Fondation Le Corbusier avait été constituée en juillet 1968. Son conseil était composé aux trois quarts par les membres fondateurs de l’Association des Amis de Le Corbusier, et ceci, conformément aux volontés testamentaires de Le Corbusier. A propos de la FLC, Le Corbusier, qui avait accueilli André Malraux alors Ministre des Affaires Culturelles deux jours durant à Chandigarh, avait été complètement envoûté par sa qualité de discours. Le Corbusier lui avait dit: « Monsieur le Ministre, je n’ai qu’un problème, c’est celui de ne pas avoir d’enfants. Je veux que tout ce que nous avons fait ensemble, moi et les amis qui m’ont accompagné dans cette recherche, tout ce que j’ai créé par moi-même ne soit pas dispersé : pour cela, je veux créer une fondation. Aidez-moi ». Malraux lui suggéra alors d’entrer en contact avec son directeur de cabinet, Bernard Anthonioz, qui s’attacha à mettre en place les statuts d’une fondation : au conseil de la FLC, le Ministre et le Ministère furent représentés de droit par quatre personnes nommées, et l’Association des Amis de Le Corbusier dont il avait imposé la constitution à ses proches, disposa de trois représentants selon un droit statutaire identique. Le conseil fut complété par plusieurs personnes cooptées par le conseil lui-même. Craignant que des esprits académiques de l’architecture prennent le pas sur ceux qui préfèrent vivre l’architecture au quotidien, Le Corbusier voulait mettre en place un système de régulation entre maîtrise d’ouvrage proche de ses clients et maîtrise d’œuvre proche des architectes.

En 1970, le conseil était très proche des amis historiques, et aux côtés des anciens compagnons de route de Corbu. Roger Aujame, José Oubrerie et Françoise de Franclieu étaient encore « des petits jeunes » heureux de les côtoyer à la FLC. Mon père réussit en 1971 à faire accepter que la Fondation finance 20% de l’église. Pour cela, elle vendit pour 400 000 francs de biens pour financer le démarrage du chantier. Le budget était passé de 950 000 francs en 1962 à deux millions de francs en 1970. Il y eut deux étapes dans la construction : elle

commença en 1973, puis le chantier fut arrêté au début des années 1980. Par une mobilisation extraordinaire d’architectes, notamment Claude Parent, et de l’Ordre des Architectes qui les a suivi, en France comme à l’étranger, afin de recouvrir les dettes de l’Association. Un ami de mon père, banquier, souscrivit alors un prêt sous leurs garanties personnelles à tous les deux afin de payer le solde restant. Le chantier sera immobilisé pendant vingt ans.

Mon père mourut le 24 octobre 1989. Quinze jours après, je fus invité à déjeuner par Charlotte Perriand. Je me suis retrouvé rue Montalambert, dans son nid d’aigle en compagnie de Roger Aujame. C’était un endroit magique : 46m2 regroupant deux chambres de bonnes transformées en appartement, avec vue sur les toits. Et tranquillement, après un repas frugal, elle est entrée dans le vif du sujet. L’entrepreneur, l’homme en jupons qu’elle était, m’a fixé de ses yeux perçants : « Parlons sérieusement, il faut que l’on aille vite. J’ai quatre-vingt et quelques années, comme les amis avec lesquels nous avons fait beaucoup de choses avec ton père. Nous avons tout réussi, sauf à finir l’église. Nous n’avons pas tenu la promesse faite à Le Corbusier. Or, tu as des parts dans la SCI de l’église de Firminy-Vert, tu hérites de celles de ton père, tu connais tous les autres associés, tu connais le projet depuis son origine… Tu ne t’es jamais impliqué dans ce projet jusqu’à présent, et c’est bien normal, puisqu’on ne peut pas être deux dans le même marigot». Elle avait raison. Je n’avais jamais touché à l’architecture. Et brusquement elle m’a dit : « Il n’a y plus de Président à l’Association des Amis de Le Corbusier. On a décidé qu’il fallait que tu deviennes Président et que tu nous représentes à la Fondation ». Je ne savais même pas ce qu’était la maîtrise d’ouvrage, je n’y connaissais absolument rien, mais il m’était impossible de dire non. Alors j’ai dit oui, et je me suis retrouvé embarqué dans cette épopée. Je me suis alors attelé à la tâche avec Roger Aujame,

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avec Jean Dubuisson, président de l’Association Le Corbusier pour l’église de Firminy-Vert depuis sa création en mai 1968 jusqu’en 2006, et Jean Foscoso, gendre de Pierre Emery. Nous avons repris le projet de A à Z. Il nous fallait tout d’abord récolter des fonds, ce que nous avons fait entre 1989 et 1992. A ce sujet nous avons reçu d’un anonyme suisse, admirateur de Le Corbusier, un virement d’un million de francs. Nous avons engagé et payé les études nécessaires et déposé un deuxième permis de construire après avoir tout remis aux normes de 1990. J’ai sollicité l’aide de M. Philippe Douste-Blazy, alors Ministre de la Culture. Avec l’aide de son conseiller, Alain Seban, nous avons mis tout en œuvre pour que l’église inachevée soit classée en l’état. Ce bâtiment a été classé en juin 1996, et nous avons alors rejoint le monde de la patrimonialité. Avant, nous n’avions pas à surmonter trop de contraintes puisque seul le site était classé. Une fois l’église classée, il fallait, pour l’achever, obtenir l’autorisation de construire en étant adossé à elle. Ce sont exactement les mêmes contraintes que celles que peut connaître Bernard Desmoulin dans son travail. En 1990, avant de réaliser cette opération, nos étions allés voir le Père Evêque, Pierre Joatton, et je lui avais demandé : « Mon Père, est-ce que vous confirmez le pacte que vos prédécesseurs ont signé en 1970 et par lequel le Diocèse de Saint-Etienne a accepté de nous transmettre la maîtrise d’ouvrage ? Si nous avons la force financière de finir l’église, accepterez-vous, comme cet engagement le précise, de la consacrer afin qu’elle remplisse le rôle social pour laquelle nous l’avons construite? Dans le cas contraire, nous serions obligés de détruire ce site car il n’aurait plus aucun sens. Le bâtiment n’aurait plus de significations, il ne resterait que quelques pierres que l’on viendrait voir pour rien. C’est un ouvrage dont Le Corbusier a accepté la commande et qu’il a conçu pour que l’on vienne y prier, dans une communauté paroissiale ». Le Père Evêque nous a confirmé les termes du pacte, en précisant toutefois que

vingt ans s’étaient écoulés et qu’entre temps, la paroisse de Firminy s’était dotée d’une maison paroissiale, ce qui rendait inutile tout ce que le projet prévoyait à l’origine d’associer à l’église: les appartements des prêtres, les salles de catéchisme et l’amphithéâtre. Nous étions en 1994, et avec Aline Duverger et Yves Perret, architectes à Saint-Etienne, nous venions de terminer les plans de remise aux normes. Nous étions exténués par une solide journée de travail, lorsqu’Aline Duverger me dit : « On va se reposer. Je suis invitée par Bernard Ceysson, le directeur du musée d’Art Moderne de Saint Etienne, à visiter l’exposition qu’il est en train d’accrocher ». Quand nous nous y sommes rendus, j’avais nos plans sous le bras. Au terme de la visite, dans son bureau, je lui ai dit en étalant ces plans devant lui : « Excusez-moi, je vous provoque mais… si nous vous donnions l’espace initialement dédié à la vie paroissiale pour en faire un espace muséographique, un espace où l’on exposerait par exemple la genèse de la contribution de Le Corbusier à l’art sacré contemporain, qu’est-ce que vous en feriez ? ». Il a levé la tête en souriant, et m’a répondu : « Si vous me donnez cet espace, je le prends plutôt trois fois qu’une ! ». Ce jour-là, sans même savoir qui exploiterait ce musée ni comment, nous avons inscrit dans le permis de construire que l’objet social des premiers niveaux du bâtiment n’était plus une maison paroissiale mais un espace muséographique consacré à l’art contemporain et à l’art sacré en particulier.

En faisant cela, nous avons commis un acte politique invraisemblable puisque lorsque nous sommes passés devant la commission nationale des Monuments Historiques en 2000, nous nous sommes alors rendus compte que nous venions de donner à l’ensemble des professionnels du Ministère de la Culture le seul espace muséographique conçu par Le Corbusier et construit en France. L’autorisation d’achever l’église en construisant « un adossé

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à un monument historique » nous a été donnée à l’unanimité par la commission nationale des Monuments Historiques. Ce furent des rencontres invraisemblables, des moments magiques… J’entends par là qu’il n’y a pas de hiatus entre le métier d’architecte et la responsabilité du maître d’ouvrage. S’il n’y a pas de symbiose complète entre les deux, il n’y a rien. Si l’on ne travaille pas pour le quotidien et pour la postérité à un siècle, notre métier et notre responsabilité n’ont aucun sens. Le Corbusier rappelait toujours à tout le monde : « Faites bien votre métier, et le travail sera accompli ».

Dans les quelques photos du chantier de l’église que je vous montre, on voit qu’il suffit qu’un ouvrier prenne en mains les plans de ce projet pour qu’il sente immédiatement qu’il participe à la construction d’un chef-d’œuvre. Le grutier qui avait travaillé au début du chantier en 1970, en commençant sa carrière, est revenu de lui-même sur les lieux en apprenant que le chantier allait reprendre. Il est allé voir l’entreprise Chazelle de Saint-Etienne et leur a dit : « Je termine ma carrière dans deux ans, je veux consacrer le temps qu’il me reste à la fin de ce chantier. Je veux reprendre mon poste dans la grue du chantier de l’église Saint-Pierre ». En avril 2005, nous avions terminé la coque jusqu’au faîte, et nous nous apprêtions à accrocher sur le bâtiment deux pièces monumentales préfabriquées. Le travail de conception et de préfabrication des éléments a été absolument considérable. L’entreprise Chazelle a mené les travaux avec les ingénieurs de son bureau d’étude, et elle a réalisé quelque chose d’exceptionnel en faisant un objet unique à l’aide des technologies du béton et de la préfabrication les plus récentes. Certaines pièces pesaient treize tonnes. Pour être mises en place, elles ont été soulevées par une grue unique en région Rhône-Alpes. L’échafaudage était présent sur le chantier depuis 1970. À la fin du chantier, tous les ouvriers étaient heureux et voulaient monter sur le clocher. Une manifestation regroupant

l’équipe des architectes et des ouvriers a été organisée. Tous s’étaient mis derrière une maquette datant de 1973 pour que l’on prenne une photo. Bien qu’un grand nombre d’ouvriers ait été de confession musulmane, ils étaient tous extrêmement fiers d’avoir construit un bâtiment d’une telle puissance spirituelle. Lors d’un banquet de clôture, au rendez-vous des Bâtisseurs de Saint-Pierre qui ont porté le projet pendant quarante six ans, nous avons remis aux bâtisseurs présents, et parmi eux les membres des entreprises et cabinets présents, deux lithographies numérotées : l’une de Le Corbusier et l’autre de mon père. C’était un grand jour pour nous tous.

Lors du chantier, il y a eu un débat patrimonial. Comme le bâtiment était classé, certains spécialistes ont suggéré : « Il faut absolument que l’on voie la différence entre ce qui est vieux, coulé avant 1980, et ce qui vient d’être construit depuis 2003. Vous comprenez bien que ce qui a été coulé après ne peut pas être considéré comme étant la même œuvre ». Ils n’avaient pas compris qu’il s’agissait pourtant du même architecte d’exécution et que seules les technologies du béton différaient. De plus, les essais que nous avions faits avaient révélé que le béton qui avait été coulé dans les années 1970 était beaucoup plus résistant que le neuf. Pour reprendre le chantier, il a donc fallu augmenter les épaisseurs de voile, et traiter les raccords entre la partie neuve et l’ancienne. L’entreprise Spie Batignolles a mis en place des techniques pour que l’apparence des deux bétons soit uniforme.

Vous auriez sans doute aimé que je vous montre d’autres photos, mais je tiens à vous monter comment le bâtiment vit aujourd’hui. Il y a parfois une magie que l’on ne prévoit pas. Les plans prévoyaient que la coque soit percée d’un constellation de trous, mais pour éviter les infiltrations d’eau, on y a logé des cylindres transparents. C’est un matériau composite que

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l’on peut moduler, qui a été glissé dans les 15 cm d’épaisseur du voile pour boucher les trous. Le phénomène de diffraction a provoqué un jeu de lumière absolument merveilleux. Il y a de grands rais de lumière sur la coque. C’est un véritable enchantement…

Laurent Duport : Je souhaiterais que tu nous parles de Ronchamp…

Dominique Claudius-peti t : Oui, je vais quand même vous parler de Ronchamp… J’ai eu la chance de participer à la journée inaugurale de Ronchamp. Enfant, je voyais la maquette du projet dans le bureau de mon père au Ministère de la Reconstruction. À côté de son bureau, il y avait toujours deux ou trois maquettes qui permettaient d’expliquer à ceux qui venaient lui rendre visite qu’il n’était pas là pour plaisanter mais pour construire. Il expliquait ainsi qu’il fallait construire avec des architectes, et que ces derniers étaient capables de réaliser des maquettes pour que tout à chacun, initié ou non à l’architecture, puisse dire : « C’est formidable, ça va exister ». Ronchamp a été construite, entre autre, grâce à un réexamen des dommages de guerre auxquels l’association propriétaire de la chapelle détruite avait droit. Les promoteurs de l’opération, le Père Lucien Ledeur et François Mathey, qui devint conservateur général du Musée des Arts Décoratifs, en avaient fait la demande au Ministère de la Reconstruction.

Mon père a ainsi pu autoriser, comme pour d’autres opérations, une certaine revalorisation de ces dommages de guerre. Normalement, tout se déroulait bien à Ronchamp depuis 1955, mais il est apparu quelque chose du même ordre que ce qu’expliquait Bernard Desmoulin précédemment. L’équilibre du site a changé du fait qu’il reçoit désormais quatre fois plus d’affluence pour le rayonnement culturel de la chapelle que pour les manifestations religieuses qu’elle accueille. Mais rien ne sert de s’arc-bouter sur une notion de patrimoine. L’important est que l’architecture contemporaine serve les raisons sociales vivantes de son existence. Ce problème se pose pour l’architecture contemporaine, mais également pour les lieux sacrés historiques, comme Vézelay ou le Mont-Saint-Michel.

Il se trouve que j’appartiens au monde des catholiques, mais je ne suis pas un activiste des mouvements d’action catholique. Ma vie consiste à mettre mes idées au service de mon métier, à être en harmonie avec ce que je fais. Je perçois que nous les catholiques, nous sommes aujourd’hui devenus minoritaires dans notre propre pays. Mais nous sommes majoritaires au plan de la culture chrétienne, et nous impulsons fortement l’organisation de la culture française par l’imprégnation de cette culture chrétienne. Vous pouvez interroger les gens sur le sens biblique de tel ou tel fronton de cathédrale, et vous verrez qu’une grande majorité d’entre eux n’est plus capable de répondre… Nous sommes en train de perdre les racines que nos parents, grands-parents et arrières grands-parents possédaient d’instinct. Nous ne sommes plus capables d’expliquer les sculptures des frontons parce que nous vivons dans l’instant. Nous vivons toujours dans la précipitation, sans prendre le temps de réfléchir, et nous en payons le prix par la perte de nos racines. Et aujourd’hui, on s’arc-boute sur l’apparence des vieilles pierres sans même savoir pourquoi…

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À Ronchamp comme à Vézelay, on se retrouve cette situation nouvelle particulière : est-ce qu’un endroit comme Vézelay pourrait rayonner comme il rayonne aujourd’hui s’il ne portait pas de puissantes valeurs cultuelles et sociales ? C’est-à-dire, qu’il accueille des chrétiens pour des moments de prière, et des non-croyants pour de simples moments de réflexion… C’est la même chose au Mont-Saint-Michel. C’est la raison pour laquelle depuis une vingtaine d’années, on peut voir s’installer à côté de ces sites de toutes petites communautés monastiques. Il ne s’agit pas de grands couvents de deux cents personnes, mais de petites équipes de cinq à douze membres. Les frères de Jérusalem sont présents au Mont-Saint-Michel de même qu’à Vézelay, ainsi qu’une petite communauté de franciscains. Ainsi le lieu sacré est totalement intégré au lieu de vie. Mais ce n’est pas le cas à Ronchamp. À Vézelay ou au Mont-Saint-Michel, preuve est donnée que la spiritualité des lieux est conservée sans que le prosélytisme religieux ne gène ceux qui y viennent pour d’autres raisons, mais ces lieux disposaient de bâtiments anciens, inhabités, qui ont pu à nouveau prendre du service. À Ronchamp, il y a une petite communauté de Clarisses, un ordre mendiants qui ne travaille que pour subvenir à ses besoins alimentaires. Comme nombre de communautés religieuses, elle accueille éventuellement des visiteurs dans des chambres d’hôtes en échange de ce qu’ils voudront bien leur donner, mais elles ne sont propriétaires de rien. Elles ont une association, qui est propriétaire du couvent de Besançon, avec laquelle nous avons travaillé pour réfléchir à la construction d’un petit monastère au pied de la colline de Ronchamp, puisque aucun bâtiment n’était capable de les accueillir sur place. Le mode de vie des Clarisses est bien adapté au silence des lieux. Les Clarisses ont expliqué leur programme à Renzo Piano, qui par la suite a proposé un projet extrêmement délicat et respectueux. Le projet de Ronchamp n’est pas uniquement de faire un bâtiment de

Renzo Piano, mais de faire en sorte que le site garde une permanence spirituelle sans laquelle il deviendrait un lieu mort. Le problème n’est pas d’opposer Renzo Piano à Le Corbusier, ni d’opposer Le Corbusier à qui que ce soit, mais de respecter le travail de Le Corbusier et les valeurs qu’il témoigne. Comme pour Firminy, les propriétaires sont des privés. L’association Notre-Dame-du-Haut n’est pas le diocèse mais une association de familles privées de Ronchamp, devenue propriétaire de l’église en 1791, d’un bien confisqué comme bien d’Eglise par la Révolution puis revendu par la suite en 1990 par la Constituante. Aujourd’hui, je suis chargé par l’association propriétaire de Notre-Dame-du-Haut de coordonner l’ensemble du projet Ronchamp 2008-2010 et de développer un plan d’entreprise notamment pour que la filiale d’accueil, qui faisait en 2008 un chiffre d’affaires annuel de 350 000 €, puisse s’élever au niveau d’une PME capable d’offrir la qualité d’accueil que les 90 000 visiteurs sont en droit d’attendre aujourd’hui d’un site classé de renommée mondiale. Ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui. En y parvenant nous donnerons à l’association propriétaire, Œuvre Notre-Dame-du-Haut, les moyens de rembourser les six millions d’euros nécessaires au financement de l’ensemble du projet. Il s’agit là d’une affaire d’entrepreneurs… Nos anciens ont été capables de rembourser les emprunts qui furent nécessaire pour payer la reconstruction de la chapelle par Le Corbusier ; nous devons être capables de faire l’effort de donner à Notre-Dame-du-Haut la présence spirituelle essentielle pour que ce sanctuaire garde sa pérennité au cœur de la société moderne. C’est pourquoi nous avons mis le projet de Ronchamp en chantier.

Questions du public

Question : Vous avez dit à deux reprises qu’il n’y avait pas de patrimoine. L’architecture doit être à l’image de son temps. Par rapport

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à l’œuvre de Le Corbusier, je vais prendre un exemple que nous avons étudié avec Laurent Duport à l’Ecole d’Architecture, la cité Frugès de Pessac. Elle a pendant longtemps été à l’abandon, et chaque propriétaire a apporté sa touche personnelle. Aujourd’hui, chaque modification est contrôlée. Finalement, est-ce que l’on peut modifier l’œuvre de Le Corbusier?

Dominique Claudius-peti t : À Firminy, il y a un cas d’école identique à celui de la Cité Frugès. L’office publique d’HLM, dans les années 1970 à 2000, a décidé d’abandonner les appartements les plus récents de l’unité d’habitation. Mon point de vue aurait été laisser l’unité, réalisation la plus récente du patrimoine immobilier de l’OPHLM, poursuivre sa mission et de rénover les immeubles de Firminy-Vert qui dataient de 1957. Ce n’est pas ce choix qui a été fait, et l’OPHLM a délibérément fermé un tiers de l’unité. J’ai ensuite été impliqué en tant que président de l’AALC, aux côtés d’Henri Ciriani qui en était le vice président à l’époque, et à qui a été confié un projet pour trouver de quelle façon on pourrait changer la raison sociale de l’unité de Firminy afin qu’elle retrouve sa pleine utilité. La question que nous nous sommes posée était : Est-ce que l’on peut changer quoi que ce soit d’une œuvre conçue trente ans plus

tôt par Corbu? Cette étude d’Henri Ciriani a provoqué des réactions d’une brutalité terrible de la part de certains membres de la Fondation Le Corbusier dont nous étions membres tous les deux. Ce problème est donc permanent…

Quand il s’agit d’adapter une œuvre contemporaine à l’évolution des besoins, doit-on donner la primauté au point de vue des historiens de l’architecture, ou à celle de la société contemporaine afin que les constructions de Le Corbusier continuent à servir la communauté des hommes ?

Je vous rappelle les grands principes de la charte d’Athènes : modeler l’organisation des lieux, des villes qui rassemblent les individus et façonnent leurs conditions de vie, de travail, de circulation et d’habitation, afin qu’ils puissent se réaliser dans leur dignité d’homme… Nous n’avons pas le droit, me semble-t-il, de considérer que l’architecture contemporaine puisse ne plus contribuer à la raison sociale pour laquelle elle a été construite simplement parce qu’elle s’inscrirait parmi les chefs-d’œuvre classés et protégés. Nous vivons tous parmi des milliers de chefs d’œuvres. La ville de Paris toute entière est un site protégé. Mais Paris n’est pas un lieu classé, mais un site inscrit. S’il était classé, vous seriez obligés de demander l’autorisation conjointe du Ministre de la Culture et du Ministre de l’Environnement pour obtenir le droit de faire une modification d’un bouton de porte… La France est un pays béni des dieux. Nous avons un territoire qui offre toutes les raisons de considérer que telle et telle chose est patrimonialement importante. La tour Eiffel, par exemple, n’a été édifiée que parce que les calciques de l’époque ne s’étaient pas montrés assez costauds pour empêcher l’imagination de se mettre en marche. La décision de construire la tour Eiffel a été votée à une voix de majorité. Vous voyez bien que tout cela n’est pas lié à l’architecte… La question est de savoir si l’on est moderne ou passéiste. Si l’on est passéiste, on

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regarde dans le rétroviseur. Si l’on est moderne, on se dit que l’on peut contribuer à l’évolution de la société des hommes sur la terre.

Bernard Desmoulin : Dominique, juste une précision : c’est la décision de ne pas détruire la tour Eiffel qui a été votée à une voix de majorité. Elle devait être détruite… Dominique Claudius-peti t : Merci Bernard, c’est vrai. Ce n’était pas pour qu’elle soit construite mais pour qu’elle soit conservée.

Francis Soler : J’ai toujours un doute sur la capacité des hommes à poursuivre l’œuvre de quelqu’un qui a disparu. Nous savons bien que les architectes finissent leurs projets, les modifient, les font évoluer pendant la construction. Personne ne sait si Le Corbusier aurait réalisé Firminy tel qu’il l’a été. De même, tu disais qu’il s’agissait d’un cas unique, mais je pense qu’il y a un autre cas, celui de la Sagrada Familia de Antonio Gaudi à Barcelone. J’aurais voulu connaître ton sentiment sur cette comparaison entre la continuité de l’œuvre de Le Corbusier et celle de Gaudi. Il semblerait, a priori, que l’œuvre de Gaudi ait été tellement détournée du projet original qu’elle en serait totalement détruite. Est-ce qu’en ce sens nous sommes réellement dans une continuité de l’œuvre ? Est-ce qu’il est nécessaire de poursuivre ces œuvres ?

Dominique Claudius-peti t : Le problème qui s’est posé à Firminy ne me semble pas tout à fait identique à celui de la Sagrada Familia. À Firminy, nous avons réalisé le projet dans la continuité de la maîtrise d’œuvre confiée à José Oubrerie. Le projet est en ce sens respectueux des conditions dans lesquelles il aurait été amené à fonctionner si Le Corbusier avait été encore vivant. Il faut savoir que pour un grand nombre de projets, Le Corbusier avait délégué le travail à Maisonnier, à Xenakis, ou encore à Pierre Jeanneret à Chandigarh.

Le Corbusier avait des centres d’intérêts aussi diversifiés que ceux des architectes contemporains qui travaillent sur l’échiquier international. Il ne pouvait pas assurer un même degré de présence en phase de réalisation qu’en phase de conception. Renzo Piano a remis cinq fois le projet sur la table, sans que l’on ait à lui demander quoi que ce soit. Il assure une formidable présence sur le projet, identique à celle que l’on avait connue de Le Corbusier sur ses projet. Un an avant sa mort, en 1964, Le Corbusier avait obtenu du Père Cocagnac qu’il assure mon père qu’un numéro spécial de l’Art Sacré soit publié en décembre : ce numéro témoigne de l’authenticité de ses décisions et de ses actes concernant la conception achevée de l’église Saint-Pierre de Firminy-Vert. Tout y est écrit. Tout ce que j’ai pu vous montrer, réalisé à titre posthume, y est dessiné. La solution au problème d’une réalisation posthume «fidèle» a résidé dans la manière de travailler, puisque les technologies n’étaient plus les mêmes. Nous avons pris toutes les précautions, et José Oubrerie est un homme de droit. Quand vous regardez les signatures des œuvres appartenant au patrimoine national, vous découvrez qu’elles sont souvent les œuvres d’une succession d’architectes.

À Notre-Dame de Chartes, les façades et les sculptures ont été refaites plusieurs fois. Mais cette chaîne s’est effectuée dans le respect des traditions des tailleurs de pierre et des sculpteurs. Sans ce respect de la tradition, ces

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métiers n’existeraient plus. Pour Firminy, il a bien fallu être tolérant, accepter que plusieurs personnes participent à la réalisation du projet, même s’il n’y a qu’un seul créateur. Nous avons veillé à ce que José Oubrerie ne commette pas d’impairs. J’ai obtenu de Jean Dubuisson qu’il reste à la présidence de l’Association des Amis de Le Corbusier et de Roger Aujame qu’il soit toujours présent aux côtés de José Oubrerie, parce que ces derniers avaient accompagné Le Corbusier dans les moments les plus critiques.

À Barcelone, je pense que la question est différente parce que la conception même de Barcelone n’est pas achevée. Puisqu’il n’y a pas de vision achevée de la Sagrada Familia, on ne peut pas dire de quelle manière il faut la finir. Elle est en construction permanente, je ne vois donc pas pourquoi on ne pourrait pas achever la construction de la Sagrada Familia.

Pour en revenir à Le Corbusier, je tiens seulement à vous dire que José Oubrerie est capable de faire du « Le Corbusier », comme beaucoup d’autres sont capables de le faire en littérature, avec un respect profond de son enseignement. Il s’agira seulement d’un « Le Corbusier » selon José Oubrerie.

J’ai eu la chance d’aller à Chandigarh. C’est une ville d’un million d’habitants, tracée sur un plateau où il n’y avait rien, d’après un programme qui avait été décidé par Nehru pour donner à la partie du Penjab restée indienne une capitale qui remplace Lahore restée pakistanaise. Vous vous promenez dans cette ville, vous marchez, vous déambulez et vous avez soudain l’impression de marcher dans une « ville Corbu ». Mais qu’est donc cette architecture ? C’est simplement la trace de Pierre Jeanneret, qui a passé dix ans de sa vie en tant qu’architecte d’exécution de Le Corbusier, et qui a souvent réalisé des œuvres signées Le Corbusier. Il n’y avait pas de fax à l’époque, le courrier n’arrivait pas rapidement, le chantier était en retard, il fallait donc que

Pierre Jeanneret prenne des décisions. Le Corbusier venait trois mois plus tard, et il lui disait : « Bravo Pierre. Merci Pierre ».

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photos : 1 // Médiathèque André Malraux - 2008 - Strasbourg - France. 2 // Archives départementales d’Ille et Vilaine - 2006 - Rennes - France. 3 // Entrepôt C40 - 2006 - Gennevillier - France. 4 // Maison des Adolescents - 2004 - Paris 14e - France. 5 // Centre de secours - 2004 - Nanterre - France. 6 // Palais des Beaux-Arts - 1997 - Lille - France.

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Jul ie morel : Nous allons maintenant écouter Jean-Marc Ibos. Pour le présenter brièvement, Jean-Marc Ibos a été l’un des fondateurs de l’agence Jean Nouvel et Associés, au sein de laquelle il a travaillé sur d’importants projets, de 1985 à 1990. Il a ensuite créé sa propre agence avec l’architecte Myrto Vitart en 1989. Son travail a été particulièrement remarqué au travers de l’exposition « 40 architectes de moins de 40 ans » en 1991, l’obtention de l’Equerre d’Argent en 1997 pour la rénovation du Palais

des Beaux-Arts à Lille et le prix international du Pont Benedictus en 1998. Il va aujourd’hui essentiellement nous présenter deux de ses projets : la réhabilitation et l’extension du palais des Beaux-Arts de Lille, achevé en 1997, et la Médiathèque André Malraux de Strasbourg, achevée l’année dernière.

Merci de votre venue, je vous laisse la parole.

Jean-Marc IBOS

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Jean-marc iBoS

Architecte - Equerre d’Argent 1997Agence ibos & Vitartwww.ibosvitart.com

Répondant : Jul ie morel, étudiante à l ’ENSAm

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Jean-marc ibos : En fait, je vais vous présenter quatre projets ; les deux cités, auxquels j’ajouterai le projet de réaménagement des quais à Bordeaux, et je dirai quelques mots à propos d’un concours international gagné à Rome en 2003, qui malheureusement ne se fera jamais. Ce sont deux projets qui traitent aussi du patrimoine et de notre rapport à l’histoire. J’aimerais vous parler, au travers de notre travail, du regard que nous portons sur les choses. Première image… Vous la reconnaissez tous (vue de la coupole du Panthéon à Rome).

Ce matin, l’un des intervenants a cité Paul Valéry, qui a donné, avec cette phrase, une belle définition de l’architecture : « Il y a des lieux muets, des lieux qui parlent et d’autres qui chantent ». Entre des lieux muets et des lieux qui parlent, mais plus encore entre des lieux muets et des lieux qui chantent, la frontière est excessivement ténue. Ce sont ces lieux qui chantent, si rares, qui retiennent notre attention.

Comment faire chanter les lieux ? Quelque soit la situation, en pleine « brousse » ou dans un site patrimonial, c’est l’objectif, en tant qu’architecte, qui nous est assigné. D’une certaine manière, ce matin, Bernard Desmoulin, en a également parlé. A partir d’une situation précise, comment donner plus, comment révéler les choses et faire en sorte que, par notre

intervention, nous apportions une plus value au déjà là ? C’est cette plus value qu’il nous revient de faire émerger au travers des projets que l’on propose. Dans cet ordre d’idée, Francis Ponge mieux que personne, dans ses descriptions de choses banales, ordinaires, nous fait découvrir que par le regard que l’on porte, de l’ordinaire peut surgir l’extraordinaire.

Nous sommes confrontés, en tant qu’architectes, à la pesanteur du réel. Notre travail d’architecte sera de la transcender, d’aller au-delà… des simples contingences, d’en dépasser les limites et d’en définir de nouvelles. C’est cet entre deux, cette plus value, qu’il nous revient de trouver et d’exprimer. Le projet, qu’il soit dans un site patrimonial ou non, n’a de ce fait que peu d’importance. Pour atteindre l’objectif, nous commençons donc par nous abstraire des contraintes ou incitations diverses et à interroger librement les lieux en tant que tels, et tentons d’en dégager la part de vérité qui les caractérise.

Premier exemple : Lille, concours gagné en 1990. Il s’agissait, à la fois, de rénover le bâtiment existant du 19ème siècle et de l’étendre pour répondre à la saturation de l’espace. La stratégie a consisté, en premier lieu, à faire en sorte de redonner une lisibilité au bâtiment du 19ème siècle. Nous connaissions quelque peu la nature des collections mais pas le bâtiment qui les abritait. Il est toujours révélateur de faire un micro trottoir lorsqu’on arrive sur un lieu, et ainsi de s’apercevoir que pour certains lillois, la préfecture, bâtiment également de la fin du siècle passé, qui fait face au musée, pouvait être confondue avec le musée. À l’évidence, une question d’identité et d’image du musée dans la ville se posait. La nature même du bâtiment, par son architecture emphatique, posait la question de la relecture que nous pouvions en faire.Ce qui nous a immédiatement frappé, ce n’est pas tant la qualité même de l’architecture – ne s’agissant clairement pas d’un grand exemple

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d’architecture néoclassique – mais plutôt ce qu’elle induisait, un luxe d’espace et de volume aujourd’hui disparu. Restituer ces qualités liées à l’emphase des perspectives, des enfilades, des transversalités, restaurer les grandes hauteurs sous plafond, les profondeurs de champs, retrouver la lumière naturelle fut donc le deuxième volet de notre stratégie. L’extension du musée va s’appuyer sur cette de lecture de l’existant. Elle consistera donc à exacerber ce qui fait les qualités du lieu. Nous imaginons l’extension comme un dispositif à même de mettre en abîme le lieu. Ainsi, l’extension est repoussée en fond de parcelle ; le bâtiment nouveau est dissocié de l’ancien. Dans le champ créé par l’attraction mutuelle des deux bâtiments au travers du vide et du reflet, la ville interfère. Nous chercherons alors à tirer parti de la nouvelle visibilité du musée que lui confère le vide en jouant de la façade dégagée pour exprimer, au travers de l’image de la peinture, la fonction du lieu. Le musée dorénavant s’inscrit dans la ville. Quelques images pour illustrer le propos : le rez-de-chaussée est entièrement libéré. Les perspectives, les transversalités, les volumes sont restitués. Par le dispositif urbain, nous transformons aussi l’usage des lieux ; le rez-de-chaussée devient traversant et gratuit. On peut dorénavant parcourir le musée de part en part, aller librement au restaurant, s’arrêter à la cafétéria, se donner rendez-vous dans l’atrium… Tout ici incite à entrer, à la visite.

Autre situation urbaine… De notre point de vue, la question n’est pas de définir arbitrairement, au sens strict du terme, si un lieu ou un bâtiment a une valeur patrimoniale. A Strasbourg par exemple, les bâtiments n’ont pas une réelle valeur architecturale, mais ils font partie de l’histoire de la ville… Ce lieu industriel est un pan de l’histoire des strasbourgeois. Le patrimoine est une question de regard que nous portons sur les choses ; il est de ce fait et doit

être, dans sa définition, à « géométrie variable». A Bordeaux, au travers du réaménagement des quais, il s’agissait avant tout de rendre à cet ensemble néoclassique de cinq kilomètres, unique en France, une nouvelle lisibilité.

Comme d’autres villes portuaires, à un moment, pour des raisons économiques, le port de Bordeaux s’est déplacé pour rejoindre un site plus favorable à son extension. De lien qu’il était au cœur de la ville, le fleuve est devenu une coupure. Le politique ayant horreur du vide, la question du réaménagement des quais nous fut posée, avant tout, en termes programmatiques et quantitatifs, seules solutions, semblait-il, à même de combler la vacuité des lieux et de redynamiser les bords du fleuve. La stratégie, pour nous, fut très simple. Les quais appellent le vide. Le vide dans la ville est un luxe ; il ne s’agissait donc pas d’aménager les quais, mais plutôt de leur rendre leur qualité d’origine. Pour ce faire, nous avons proposé que les éléments programmatiques soient ailleurs, sur l’eau. Le fleuve redevenait ainsi le lien entre les deux rives. Vides, espaces de tous les possibles, les quais constitueraient dorénavant l’espace scénographique de mise en perspective des lieux.

Ce concours était aussi un projet d’aménagement urbain. Nous avions comme demande de proposer des mobiliers urbains, des kiosques… Ron Arad a travaillé sur quelques éléments particuliers qui rythmeraient les cinq kilomètres de quais, et en particulier à la conception d’un garde corps visant à sécuriser le bord du quai. Nous avons proposé un garde corps réversible qui permette à la fois de contempler le fleuve et la façade historique.

Autre projet. Nous sommes à Rome, et plus précisément dans sa banlieue, à l’EUR, quartier périphérique édifié sous Mussolini. Le concours portait sur la transformation du Palais de la Civilta Italiana de Lapadula, icône de l’architecture

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rationaliste italienne, en musée de l’audiovisuel. La question sous jacente au programme était de faire cohabiter deux échelles : l’échelle de l’objet d’une hypothétique collection et l’échelle du bâtiment, un cube de 65 m de haut, constitué de salles périphériques surdimensionnées de 8.50 m sous plafond. Comment préserver la majesté du lieu, la beauté de cette architecture qui repose sur la monumentalité générée par la déclinaison inexorable de l’arc, cinquante quatre par faces? Notre proposition a été de concentrer tous les usages en cœur de bâtiment, en lieu et place d’une cour ouverte. Nous stratifions, de manière très dense, sur une quinzaine de niveaux, tous les trois mètres, des planchers de verre support des scénographies liées aux dispositifs muséographiques. Nous libérons la périphérie de toute contingence liée aux aménagements internes. La couronne extérieure au noyau reste vide. La peau externe du noyau retransmet la densité contenue dans le cœur. Par le vide périphérique, l’espace de résonance ainsi créé offre les conditions nécessaires à l’expression de la monumentalité des lieux et à la lisibilité de sa nouvelle vocation.

A Strasbourg, il y avait, au Sud du centre ville, un port de commerce. Comme à Bordeaux, le port s’est déplacé, sur le Rhin, vers Kehl, laissant une langue de terre avec des entrepôts qui fonctionneront jusque dans le milieu des années soixante dix. Après plus de vingt années de déshérence, la municipalité décide de réinvestir le môle Seegmuller et de créer une grande bibliothèque en tête de presqu’île. Ce qui nous a intéressé ici, ce n’est pas tant, encore une fois, les bâtiments en eux-mêmes, des entrepôts en béton et briques, que le paysage dans lequel ils s’inscrivent et qu’ils composent. Une étroite langue de terre entre canal et canal où sont implantés, successivement, trois entrepôts parfaitement alignés. La beauté du paysage tient au fait qu’ici, tout s’inscrit dans une même dynamique, celle du cours d’eau : linéarité des berges plantées, étirement du môle, alignement

des entrepôts en parallèle aux quais avec pour seul événement dans l’horizontalité du paysage, la ponctuation verticale des silos. Le projet de bibliothèque qui, outre la réhabilitation de l’entrepôt existant, nécessitait d’en doubler la surface, va s’inscrire dans la logique du lieu. Nous nous inscrivons dans la parfaite régularité de l’organisation existante, en jouant l’extension comme un strict prolongement horizontal des gabarits existants.

Chacun de nos projets est issu d’une analyse du contexte au sens large du terme, analyse qui nous conduit à formuler un diagnostic puis une stratégie. Le projet, à toutes les échelles, en sera la déclinaison. Au-delà de la stratégie, si pertinente soit-elle, il faut aussi fabriquer les choses. L’architecture est l’expression de cette confrontation permanente entre la pensée et la mise en œuvre de la matière. Le plus difficile, bien sur, réside dans le fait de tenir la cohérence du général au particulier. La pertinence du projet d’architecture réside, pour nous, dans la capacité à maitriser cet incessant aller et retour entre concept et détail. (Perspective de la bibliothèque de Strasbourg au stade du permis de construire qui illustre l’inscription du projet dans cette logique de situation). Dominique Boudet, qui connaît bien notre travail, compare nos bâtiments à des Ferrari, pour leur clarté fonctionnelle et la précision de leur réalisation. Que veut-il signifier ? Qu’est-ce qui différencie une Ferrari d’une autre voiture fonctionnelle, précisément construite, comme il en existe tant

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d’autres ? N’est-ce pas, qu’au-delà des qualités évoquées – fonctionnelle, bien construite – la Ferrari suscite le rêve, dépasse la fonction et la forme pour incarner au travers de la vitesse et de la puissance qu’elle exprime, l’idée même de voiture jusqu’à la fiction ? La Ferrari est de toute évidence une voiture qui chante. Sans clarté fonctionnelle et sans perfection dans la réalisation, elle ne pourrait atteindre ce but. Si la fonction seule ou la réalisation seule ne suffisent à caractériser l’objet, l’idée déconnectée de la fonction et de la réalisation est tout aussi impuissante à s’exprimer en tant que telle. La Ferrari est une synthèse sublime où tous les éléments concourent au même objectif.C’est cette forme de cohérence qui nous intéresse dans le parallèle qui est fait. Lorsque j’enseignais à Berlin, lors d’un après midi de liberté pour cause de grève à l’école, j’ai profité du moment pour visiter deux bâtiments très médiatisés : l’ambassade des Pays Bas de OMA et le musée de l’histoire allemande réalisé par Pei. Deux bâtiments diamétralement opposés : le premier est un projet d’une grande intelligence, surprenant, mais réalisé très approximativement, ce qui, d’une certaine manière, gâche un peu tout ; le second est, au contraire, exemplaire dans sa mise en œuvre, tout y est parfait, mais n’évoque rien, ne procure aucune émotion. C’est très exactement là que réside la grande difficulté de l’architecture : concilier intelligence du propos, générosité et savoir-faire.

Mais revenons à Lille. Vous avez compris que ce qui était important, dans ce projet, se situait au-delà de la rénovation, de la muséographie… Il s’agissait de proposer une nouvelle image des lieux, une image qui parle du sujet, de la peinture, mais qui parle aussi du temps présent. Il ne suffit pas cependant de dire les choses pour qu’elles se réalisent. Que préconiser pour arriver à nos fins tout en satisfaisant à des contraintes techniques, réglementaires, financières ? Ici, la façade sera plane, constituée par deux plans

superposés, l’un vitré en premier plan, l’autre, en retrait, un voile en béton sur lequel sont appliqués des monochromes or sur fond rouge ; deux couleurs qui évoquent la peinture, le cadre du tableau, le rouge servant classiquement à révéler la profondeur et la brillance d’une dorure. Dans l’intervalle, entre les deux plans, nous logeons les circulations du bâtiment, de manière à ce que les utilisateurs, dans leurs déplacements, rentrent dans l’espace du tableau et participent à sa composition. Les refends des murs en limite verticale ainsi que l’acrotère sont biaisés à la manière d’un cadre. Ils s’effacent pour laisser la lumière jouer sans ombre portée. Les poteaux porteurs de la façade sont arrondis et traités en surface polie miroir de manière à également disparaître dans la lumière. L’atelier de restauration des tableaux est donné à lire dans la composition. A la manière du peintre qui apparaît dans le coin d’un tableau, on y lit le vrai tableau sur son chevalet, en cours de restauration, inclus dans l’image. Toute la technique nécessaire à la portée et, d’une manière générale, toutes les contingences liées à l’exécution mais aussi au fonctionnement du bâtiment sont ainsi soit mises en retrait, soit mises à profit pour atteindre l’objectif fixé. Créer une image qui parle de la peinture, du passé, avec le reflet immobile du Palais des Beaux Arts qui s’imprime dans le miroir, du présent, avec le mouvement des nuages captés par le reflet, des personnages qui évoluent dans les limites du cadre depuis l’intérieur ou ceux qui, depuis l’extérieur, rentrent dans le champ du tableau et de regardeurs deviennent regardés. L’illusion ainsi créée était à tel point parfaite qu’un journaliste du Guardian, qui n’avait surement pas visité le bâtiment, a pu écrire au moment de son inauguration que le fait de mettre le bâtiment du 19ème sous une cloche de verre était du plus bel effet.

Quelques images de la médiathèque de Strasbourg… Contrairement à Lille, le bâtiment à Strasbourg était sans inscription ou classement

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patrimonial, mais l’inscription du lieu dans la mémoire collective avait tout autant de valeur. Ici avant de construire, il a fallu déconstruire… Nous avons commencé par totalement désosser le bâtiment. En accord avec la stratégie globale énoncée précédemment, les gabarits existants sont donc prolongés. Mais contrairement à la vocation d’origine du bâtiment – un entrepôt – une bibliothèque appelle la lumière naturelle. La façade en briques est donc démolie et une nouvelle façade en verre, de part et d’autre, vient réunir l’ancien et le nouveau et met en relation les deux rives du canal. Le volume conservé du silo est magnifié dans sa verticalité.

On y lit dès l’entrée la stratification des espaces intérieurs. Les planchers existants de la halle sont prolongés. Ils déterminent des hauteurs sous plafond très faibles ; alors, pour optimiser le volume, tout l’équipement technique se fait en apparent, clim, éclairage...et tout se décline linéairement, parallèlement au cours d’eau. Les espaces intérieurs sont traversants, constamment en relation avec le paysage qui se découpe à l’horizontale. La lumière se propage par réflexion sur le sol tandis que le canal se reflète dans les miroirs. Le bâtiment entre en résonnance avec le lieu. Ici, pas de conservatisme architectural exacerbé. La brique des façades du silo a été conservée mais décalée par la couleur pour signifier le changement de destination du lieu. Le gris métallisé, au moment de sa réalisation, nous a d’ailleurs valu une campagne de presse assez violente au prétexte que l’on dénaturait ce patrimoine industriel. L’ancien président de la CUS, Robert Grossmann, avait lui parfaitement compris notre propos qui, au travers de ce projet, ne consistait pas à la préservation, au cas par cas, d’un édifice, mais à révéler les qualités fondamentales d’un paysage et se faisant, à terme, dans sa mutation, était à même de supporter des esthétiques architecturales singulières.

L’aboutissement d’un projet s’appuie

nécessairement sur des connivences indispensables pour nous permettre d’aller au bout du propos. Cette confiance ne nous est malheureusement pas toujours manifestée et nous conduit de fait, très souvent, à faire les choses en partie contre, dans une sorte d’indifférence générale. Quelques images : la structure existante est conservée, magnifiée. Dans la logique des poteaux champignon, le bâtiment est étendu sur une trame inexorablement répétitive. Tout est décliné à partir de l’existant. Les façades ré-ouvertes donnent à lire le paysage linéaire. Des variations, dans les volumes internes créés, accentuent ce rapport au paysage. La lumière naturelle et le jeu des miroirs transfigurent le lieu. Pas d’expressionisme formel ; tout est contenu, densifié au maximum. Le fait que nous ayons pu choisir le raking, dessiner ou sélectionner tous les mobiliers participe fortement à la cohérence du projet. Enfin, quelques mots, sur l’intervention de Ruedi Baur, qui par le texte support de la signalétique, à la manière des tags qui pendant un temps envahirent le bâtiment, poétise le lieu et en prolonge son histoire.

Merci de votre attention.

Jul ie morel : Merci pour cette intervention. Ce qui est extrêmement intéressant dans votre travail est cette inscription très profonde dans une réalité, un contexte immédiat. Mais en même temps, cette réalité est réinvestie, elle est regardée sous un nouvel angle, et réinterprétée de manière à donner à voir autre chose. L’importance du regard que l’on peut porter sur les choses, mais également une analyse très fine des problématiques du site ou des éléments programmatiques sont des caractéristiques récurrentes de votre démarche d’architecte. Mais dans ce rapport au patrimoine, comme par exemple pour le projet de réhabilitation et d’extension du palais des Beaux-Arts de Lille, comment définiriez-vous la limite de la prise en

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compte de l’existant, de la conservation ?

Jean-marc ibos : A la base, nous essayons de tirer parti de ce qui nous est donné. Dans le cas du palais des Beaux Arts de Lille, il est clair que cette architecture pompier du 19eme siècle ce n’était pas trop notre truc. Nous avons essayé, et il s’agit bien là d’une question de regard, d’aborder cette architecture sans a priori, sans préjugés. Quelque soit le contexte, la situation, l’objet, nous devons, en premier lieu, faire l’effort de trouver les qualités intrinsèques des choses. C’est cette logique de situation qu’il nous apparait important de révéler avant toute intervention.

Questions du public

Question : Vous parlez beaucoup de cette question de l’image. Sur les projets de Lille et de Strasbourg, vous travaillez les façades avec du verre, et j’aurais aimé savoir comment vous pensez la relation entre la lumière et la matière dans vos projets. Est-ce que l’utilisation de façades en verre vise uniquement à refléter un contexte, ou permet-elle également d’exprimer une dualité, une transparence du programme ?

Jean-marc ibos : Dans les deux cas la lumière est une des composantes essentielles du projet. A Lille, plus fortement encore, la lumière fait exister l’illusion, l’image que l’on veut mettre en scène dans la ville, une image qui parle de la peinture et qui soit la nouvelle enseigne du musée. Nous utilisons la lumière ou la matière par rapport à cette volonté. L’utilisation de la lumière, de l’inox, du verre ne sont que des moyens pour atteindre notre objectif.

Question : Il me semble que vous êtes co-auteur d’un projet qui s’appelle Nemausus à Nîmes. Ce projet a une vingtaine d’années, mais se pose aujourd’hui la question du devenir de ce patrimoine contemporain. Ce bâtiment révèle un

certain nombre de problèmes, de réponses à des usages notamment. Quel est votre sentiment?

Jean-marc ibos : J’ai un regard un peu distancié par rapport à cette époque. Je n’avais pas trente ans quand nous avons réalisé Nemausus. C’était une aventure absolument magnifique, qui s’est faite un peu par hasard… A cette époque nous avions fait, à l’agence, plusieurs concours remarqués, classés second et à chaque fois, on nous promettait une compensation comme lors du concours Tête Défense remporté par Speckelsen. La compensation nous ne l’avons, évidemment, jamais eue. Suite à notre proposition pour le Carré d’art de Nîmes, le maire Jean Bousquet, là encore, nous avait dit qu’il ferait en sorte de nous donner une compensation. Nous n’y avions évidemment pas cru. Entre temps j’étais parti aux Etats Unis, chez Gehry, où quelques mois plus tard, j’ai reçu un appel de Jean Nouvel me demandant de rentrer à Paris afin de rencontrer le maire qui souhaitait nous faire construire un projet de logements à Nîmes. Ce fut le départ de cette belle aventure dont je garde un très bon souvenir. Il me semble qu’aujourd’hui ce projet reste essentiel. Il faut le resituer dans son contexte. Rappelons-nous de la production du logement de masse, sans qualité, construite depuis les années soixante. Hormis Renaudie et quelques autres, ou Walden 7 à Barcelone, la production du logement social était indigente tant en termes de typologie, d’inscription urbaine que de qualité des appartements. Cette opération fut la concrétisation d’une volonté visant à affirmer que la production du logement social n’était pas une fatalité, qu’il pouvait exister une alternative en utilisant autrement les seuls moyens mis, comme pour tous, à notre disposition. Les logements de la rue Emile Durkheim à Paris, de Francis Soler, sont dans cette filiation : une économie de moyens au service d’une qualité de vie et d’habitat. Je sais qu’il y a eu certains problèmes à Nemausus, essentiellement de gestion et d’entretien des

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bâtiments, mais je ne suis pas suffisamment au fait des choses pour en parler… Je ne peux vous donner qu’un témoignage relatant la petite histoire du projet étant donné que depuis bien longtemps, je n’y suis plus du tout impliqué… Et vous le savez parfaitement, d’autant que ces questions liées à la gestion d’un patrimoine échappent totalement à l’architecte.

Laurent Duport : Il est quand même important de préciser que Nemausus a été le premier bâtiment labellisé patrimoine du 20eme siècle en Languedoc-Roussillon.

Remarque du public : Lorsque j’étais étudiant en première année d’architecture à Rouen, j’avais visité la Grand-Mare avec Marcel Lods en personne qui nous présentait son projet. Nous sommes ensuite allés voir les personnes qui y logeaient, et bien évidemment, ce n’était pas Marcel Lods qui décidait des habitants de son projet. Il y avait dans un appartement une paysanne normande, avec son armoire traditionnelle, alors que l’appartement avait été conçu pour permettre une grande souplesse d’aménagement, de la même manière qu’à Nemausus. L’office HLM qui gérait l’immeuble ne se préoccupait pas de cela. D’une certaine manière, le projet échappe totalement à l’architecte puisque ce n’est pas lui qui le gère par la suite. Par comparaison, le problème de Firminy n’est pas tant la forme architecturale ou urbaine que la manière dont le projet est géré.

Jean-marc ibos : La gestion, effectivement, ne nous incombe pas…

Jul ie morel : Jean-Marc Ibos, je vous remercie pour votre intervention qui nous a offert un autre regard sur votre travail.

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photos : 1 // Philharmonie - concours - 2007 - Paris - France. 2 // Halle de Béthune - concours - 2005 - Béthune - France. 3 // Ministère de la Culture - 2001 - Paris - France. 4 // Logements - 2001 - Clichy - France. 5 // Musée du Quai Branly - concours 1999 - Paris - France. 6 // Lycée Polyvalent - concours 1994 - Nouméa - Nouvelle Calédonie.

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Elodie Nourrigat : Nous allons maintenant écouter Francis Soler. Il est possible de présenter Francis Soler de différentes manières, mais il est tout d’abord l’architecte de ces bâtiments emblématiques, comme le Ministère de la Culture et de la Communication à Paris qu’il a livré en 2000, ou encore les logements de la rue Durkheim, un projet important qui a permis de porter un autre regard sur la question du logement social. Le travail de Francis est aussi reconnu au travers de nombreux projets qui

n’ont certes pas vu le jour, mais qui restent pour tous les architectes des projets extrêmement importants. Son travail a été récompensé par différents prix. Il a reçu le Grand Prix d’architecture en 1990, il a été promu Chevalier de l’Ordre du Mérite et Commandeur des Arts et des Lettres en 2005. C’est une véritable reconnaissance pour toute sa création. Francis Soler est aussi quelqu’un qui défend la liberté de parole, la liberté d’idées, et qui est très présent dans tous les débats sur l’architecture.

Francis SOLER

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Francis SoLER

Architecte - Grand prix national d’architecture 1990Agence Francis Solerwww.soler.fr

Répondant : Elodie Nourrigat , architecte, enseignante à l ’ENSAm

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Cette liberté qu’il prône, il l’a souvent payée très cher, mais nous le remercions de nous aider à avancer dans ce sens. Enfin, il faut dire que Francis Soler œuvre beaucoup pour les jeunes générations d’architectes. Il est présent pour les aider, les mettre en contexte, il se transforme parfois en véritable VRP de certaines agences pour leur mettre le pied à l’étrier, leur permettre de construire. Il fait souvent abstraction de lui-même, et en ce sens, il n’en est que plus respecté. C’est quelqu’un d’extrêmement généreux, et je pense qu’il est important de le souligner.

Francis, merci de ta venue, je te laisse la parole.

Francis Soler : Merci Elodie, toujours aussi aimable, toujours aussi charmante et toujours aussi courageuse. Car, si je m’agite pour que l’architecture évolue et pour que les jeunes architectes aient une véritable chance, Elodie, je peux vous le dire, ne reste pas, non plus, « les deux pieds dans le même sabot». Effectivement, j’ai présidé l’an dernier les Albums de la jeune architecture, et nous avons fait, avec un jury formidable, émerger à l’occasion de cette session une génération extrêmement «bigarrée», prise dans un spectre extrêmement large de tout ce que l’on peut imaginer des architectures nouvelles. Jacques et Elodie m’ont demandé d’aborder le thème du « Patrimoine ». Je m’y attacherai donc en priorité. «Patrimoine», pour moi, ça date de l’époque où je revenais de Quito en Equateur, dans les années 90, et où j’avais pris conscience que l’on ne pouvait plus travailler dans une ville dotée d’un patrimoine extraordinaire de la façon dont on y travaillait jusque là, de manière totalement abstraite et hors contexte. Quand je suis rentré à Paris, j’ai fait un rapport, «Patrimoine et modernité », que j’ai présenté à François Barré, qui venait juste d’être nommé à la tête de la Direction de l’architecture. Le budget du patrimoine et celui de l’architecture contemporaine étaient, avant lui, distincts l’un de l’autre au Ministère de la Culture. François Barré devait réunir les deux, pour une question de confort pour l’architecture contemporaine qui souffrait alors du rejet complet de la considération des attentions budgétaires portées au seul Patrimoine.

J’ai donc sélectionné, dans mon travail, quelques projets en ce sens. Il y aura le Ministère de la Culture, bâtiment livré en 2005, concours gagné en 1995, qui aura été, à peine livré, projeté dans les valeurs actives du patrimoine sachant qu’il faut dix ans aujourd’hui pour réaliser un projet public en France, avec cinq ans réservés pour le financer. Le Ministère de la Culture s’est trouvé au croisement de tous les recours possibles... enfin, de tout ce que l’on peut imaginer quand

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on commence à toucher à l’image fermée de Paris. Un enfer, en quelque sorte...

Aussi, pour simplifier mon intitulé sur le patrimoine, j’ai deux mots qui me viennent à l’esprit. Ils se placent dans le rapport que l’architecte peut entretenir avec lui, et ça commence par la « complicité ». Ce qui compte, c’est vraiment le regard que l’on porte sur les choses avant de les transformer. Le deuxième mot, c’est « fusion ». La fusion, c’est lorsqu’il y a accord entre les idées de l’architecte et les paramètres du bâtiment auquel on s’attaque. Je remercie d’ailleurs Jean-Marc Ibos d’avoir présenté ici les projets qu’il partage avec Myrto Vitart, emblématiques et réussis. Et, je me demande encore, en voyant leur œuvre, comment ces deux là n’ont pas eu le Grand prix National d’Architecture l’an dernier alors qu’ils tirent toute l’architecture, qu’elle soit contemporaine ou patrimoniale, vers le haut, pendant qu’on le donne, sans discernement et justification, à ceux qui tirent l’architecture vers le bas, tout en prétendant faire de « la misère constructive» un raisonnement pédagogique. La « civilité » disait Bernard Desmoulin tout à l’heure, c’est la première des attitudes qu’il faut avoir. Observer, regarder, bousculer… La première dimension du patrimoine, on le sait, c’est le paysage. La version du viaduc de Millau que j’avais proposé n’a pas été réalisée. Il y a une obscénité, dans la manière de faire des ingénieurs, à dessiner des ouvrages d’art et à traverser nos paysages sans s’en préoccuper le moindre du monde. Je poursuis un peu plus loin dans la présentation que j’avais faite pour Millau. C’était un travail sur les rapports entre la présence d’éléments issus de la préhistoire (ceux que l’on avait trouvés sur site) et la décomposition de la lumière du Causse noir et du Causse rouge… J’avais travaillé sur une matière précieuse comme l’acier, qui permettait cette décomposition. Un ouvrage de 3km de long et de 300 m de haut, sur sa pile la plus haute ( c’est la hauteur de la tour Eiffel), qui pouvait se défaire

de toute sa matière et s’effacer progressivement dans le paysage, jusqu’à disparaître. La seule chose qui me paraissait intéressant à atteindre, c’était la nécessaire «Prédominance du paysage sur l’ouvrage, quand le 18eme siècle s’était, à l’inverse, bâti sur la prédominance de l’ouvrage sur le paysage». Au cours du 18eme siècle, la technologie tirait la société vers le haut. Il eut donc été raisonnable et logique, à ce moment-là, que l’on puisse réaliser des viaducs tel que Millau l’est aujourd’hui, au moment précis où la priorité d’une présence de l’ouvrage sur le paysage signifiait quelque chose. Une politique complètement absurde s’y est substituée au moment où le viaduc a été fait. Rien dans cet ouvrage n’est cohérent avec le discours ambiant. Ce pont est « idiot » ai-je écrit au Président Jacques Chirac. Sans effet. Vous n’êtes pas surpris…. Ah bon ! Notre travail allait très loin. Avec Michel Desvigne, nous avions travaillé dans ce que l’on appelait « la mémoire des sols ». L’essentiel, pour Michel, était de dire : « On prend le paysage tel qu’il est, et on le reconstitue dans sa configuration d’origine en le surdessinant ». Au moment où le viaduc passe par-dessus le paysage, il se régénère naturellement. Un travail sur chantier et une réviviscence des parcelles meurtries. On rehausse les sols après avoir rebroussé les terres. On reconstitue des lieux qui reviennent à des formes préexistantes, considérées par le passage du viaduc. Voilà ce que pouvait rendre le viaduc dans le paysage : installation légère, complicité entre le site et l’ouvrage.

Autre point. Une fois que l’on a mis de côté les paysages, on peut s’intéresser aux vides. Exemple : un musée, où j’obtiens la mention spéciale du jury. C’est à Salzburg, dans la ville où tout se joue autour de Mozart, et là, triste souvenir, deuxième essai sur le quai Branly à Paris, musée des Arts premiers. Et puis là, un endroit tout près de Paris, bois classé de Chessy à Marne-la-Vallée, avec la construction de petites maisons. Dans le rapport à la ville,

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il y a toujours cette attention permanente aux sujets croisés et au fait que l’on ne construit pas le même projet à Munich, dans un site historique, qu’à Chessy, près d’un village, qu’à Florence, sur l’Arno, ou encore qu’à Paris, sur la Seine. Les attitudes sont à chaque fois spécifiques et distinctes, et elles me permettent de travailler différemment sur les choses. Voilà le registre de tout ce qui forme mon travail sur le patrimoine: un pont que l’on essaie de réaliser en Italie, à Florence, en pleine Toscane, du logement à la Porte d’Auteuil, les Arts de l’Islam à Paris et puis la Philharmonie. D’autres espaces aussi, qui parlent de théâtre, l’histoire d’une société banale, de Zola… Enfin la transposition moderne d’une maison close présentée au Pavillon d’Arsenal. Là, une planche importante sur ce que je désigne par « l’arrogance et la délicatesse ». Une forme de pensée particulière comme La Cité du design à Saint-Étienne de Finn Geipel ou le Masséna de Anne Démians, à Paris. Je vous invite à suivre ces projets qui seront certainement, chacun dans sa thématique, parmi les plus beaux projets qui bâtiront le 21ème siècle. En cours de réalisation ou en projet, ils marqueront le territoire pour qui sait regarder hors le champ des médias incultes et compromis.

Deux projets qui font rire les vaches : un de Zaha Hadid, que vous connaissez bien puisqu’elle essaie de vous en refiler un, aussi stupide, ici à Montpellier, et l’autre, mensonger, laid et arrogant de Jean Nouvel à la Défense, que l’économie de marché, je l’espère, ruinera. En matière de patrimoine, ces deux projets ne se préoccupent aucunement de leur environnement, qu’il soit classé ou non. Le patrimoine, pour ces gens-là, ce n’est rien d’autre qu’eux... La Tour sans fin était autrement plus élégante et savante , tellement plus attentive à la Défense, tellement plus complémentaire, alors que celle-là reste une insulte grossière au travail de Otto Von Speckelsen. Les Japonais travaillent beaucoup sur le paysage… On le voit dans les œuvres de Kengo Kuma, qui sont des oeuvres

qui s’intègrent dans le paysage, où la discrétion et l’humilité sont de rigueur, où la sobriété est là, et où l’idée du patrimoine peut s’installer. Deux exemples qui s’installent, l’un, au centre de la Place de Béthune, commandé par Jacques Mellick, l’autre, sur l’Arno près de Florence, un pont que nous essayons de construire en Toscane, véritable paysage qui «est » le patrimoine de l’Italie. Nous avons gagné ce projet parce que nous avons été les seuls à ne rien faire de démonstratif. Juste un pont qui ressemblait à un pont en Toscane, dénué de câbles inutiles pour le sol italien.

Pour Béthune, nous avions l’accord des ABF. Ils nous ont même aidé à passer devant les Monuments Historiques. Et même l’UNESCO nous avait donné son accord pour un projet contemporain au pied d’un beffroi construit au 12eme siècle, classé au rang du Patrimoine de l’humanité. Toutes les autorisations avaient été obtenues. C’était sans compter sur les élections et l’imbécillité des élus revanchards. Un maire socialiste/réactionnaire, trentenaire et crétin de puissance dix arrête définitivement l’opération. L’arrêt de la Halle était dans son programme. Vaste programme ! Tout ceci pose le problème du rapport entre le patrimoine et l’architecture contemporaine quand ce rapport est relayé par des élus irresponsables et jeté en pâture aux populations enragées. Car il est parfois plus facile de remporter les élections quand on dit que l’on ne veut pas être moderne. On a vu récemment ceux, parmi les élus courageux, qui ont essayé de proposer des tours ou des dispositions ambitieuses et modernes : ils se sont tous ramassés... Vendre de la nostalgie en la faisant passer « pour » une démarche politique et sociale, voilà comment on crée «une crise de société ». Et là, ça devient compliqué, car on n’est pas capable d’assumer des confrontations positives, des juxtapositions intelligentes, comme François Mitterand l’avait fait au Louvre avec I. Pei. J’avais proposé un projet très abstrait. C’était une lentille, avec

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une double coque d’acier et de verre, qui devait accueillir un marché. Çela s’inscrivait dans l’idée de « réversibilité ». L’espace était flexible. Les générations passent, le patrimoine perdure, tout se succède, s’additionne. On peut enlever, remettre, corriger, et le bâtiment pouvait même devenir autre chose qu’un marché couvert : une médiathèque, une bibliothèque, un restaurant, une salle de concert de musique de chambre...Peu importe la destination, pourvu que la transformation soit possible. Les choses restent « enlevables ». Le Maire m’avait demandé d’implanter des cellules photovoltaïques sur le toit. Le projet permettait d’alimenter tous les espaces du centre ville, y compris le parking qui se situait juste en dessous. Donc, avec un projet extrêmement contemporain, nous pouvions changer les choses sans en bousculer l’ordre. Excuse-moi Jean-Marc, mais là, on touche au problème de la finalité des ouvrages. Némausus, on ne lui reproche pas grand chose pour ce qu’il est, mais ce qu’il est devenu pose problème. Sa dégradation, rendue irréversible par les matières mises en œuvre, jette une suspicion sur sa qualité fondamentale. Toi qui vantes les valeurs de la constructibilité, de la construction, de la pérennité des ouvrages, tu admettras que les fondements du Patrimoine commencent par l’attention que l’on porte à la manière de bâtir, avant celle d’exposer des « concepts » isolés.

Autre chose, le Département des Arts de l’Islam, que devait remporter Rudy Ricciotti avec son fameux « flying carpet ». Un concours de musée qui se situait dans la cour Visconti, dans l’aile sud du Louvre. C’était la seule cour qui n’était pas encore occupée, ni restaurée. On devait y installer les Arts de l’Islam, projet cher à Jacques Chirac. Quatre façades classiques fermaient l’espace. L’idée était de prétendre que l’on pouvait ériger, à l’intérieur de la cour et sur toute sa hauteur, une plateforme, sans toucher aux façades existantes, et d’installer un intérieur en construisant la demande du programme. Une plateforme permettait de

développer scénographiquement les Arts de l’Islam verticalement, en pleine lumière. Voilà ce que çela pouvait rendre à terme (image), une fois l’espace couvert par une immense verrière. Au niveau de la scénographie, le travail consista à trouver une écriture spécifique, qui provenait des éléments inclus dans la destination de l’ouvrage. La structure du bâtiment fait référence à une mosquée en Turquie, avec un système de piliers pris en exemple pour dessiner une structure où l’on ne conservait que quatre piliers, au centre de la cour… Voilà des images où l’on montre effectivement comment la pierre, l’acier, l’aluminium, pouvaient s’assembler utilement. Les éléments se rapprochent, s’effleurent, mais ne se touchent pas et ne se contraignent pas mutuellement. Faire en sorte que l’on ne puisse pas considérer que le patrimoine et la modernité soient incompatibles. Ceci est un espace moderne, construit de manière autonome, dans la juxtaposition des genres. Les ouvrages sont côte à côte, sur quelques connections fonctionnelles, mais physiquement ne se touchent pas. Nous sommes juste dans la complicité, dans la conversation, sur un registre d’émotions partagées. Voilà donc une structure réduite à sa plus simple expression, avec quatre poteaux, posés au centre, qui portent une résille rigide en parapluie… L’idée étant, bien évidemment, de ne pas toucher au bâtiment existant. Cela offrait l’occasion de reconstituer les visions frontales de l’architecture classique, telles qu’elles avaient été dessinées à l’époque du dessin du Louvre. Le fait de ramener au cœur de l’espace des plateaux de présentation des œuvres permettait de retrouver le dessin d’origine des architectes. On redonnait à voir et à toucher une élévation 2D de l’espace, sans aucune distance entre le dessin et la réalité. Pas d’effets de perspectives, juste l’idée de les enlever. Ces éléments qui touchaient presque à des effets archéologiques montraient qu’effectivement, on peut approcher des éléments sans les

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connecter, les rapprocher sans qu’il y ait de nuisance portée par l’un sur l’autre. On ne posait pas nos structures sur les façades du Louvre, parce que le Louvre est un bâtiment qui paradoxalement n’est pas fondé : il n’y a que des grosses pierres. Tous ces assemblages étaient sophistiqués et se construisaient à l’intérieur de trois couches fermées et successives, sous les reflets du ciel.

Avec le Ministère de la Culture, rue Saint Honoré à Paris, on entre dans la figure de la « superposition », c’est-à-dire dans des interventions successives que l’architecte porte non seulement sur les bâtiments existants, mais aussi sur des parties d’ouvrages rapportées. On va le couvrir, intervenir sur les façades, les modifier et s’installer dessus. Il faut admettre la fusion entre les éléments présents et la nécessaire construction d’ouvrages plus techniques et plus efficaces. Un matin, en arrivant sur le site, nous avons pu voir qu’un artiste non déclaré était passé dans la nuit et avait écrit à la peinture sur les existants : «Tu es ma raison de vivre, mon amour ». C’est comme si ce bâtiment portait soudainement des stigmates qui nous rappelaient qu’il avait été là avant nous. J’ai trouvé cela tellement beau que je l’ai laissé très longtemps, puis nous avons dû fermer cette façade. Bâtiment de la rue Saint Honoré, 1920 : intervention sur les anciens entrepôts des magasins du Louvre. Ici, une intervention récente, collée sur les structures poteaux/poutres de Lahalle. Il s’agit de trois interventions successives : 1920, 1950, 1980. Des assemblages incohérents et affligeants, de partout sur la rue, du Zola, au point que l’on s’est demandé comment on avait pu en arriver là ! Le concours a été gagné en 1995, sous l’autorité de Philippe Douste-Blazy, et financé en 2000 par Catherine Trautmann. Ce sont six ministres de la Culture qui se sont succédés entre 1995 et 2005, date de la livraison du bâtiment. Grâce à la complicité qu’elle entretenait avec Lionel Jospin, Catherine Trautmann avait obtenu que

le Ministère de la Culture puisse revendiquer un financement de l’ordre de deux cents millions de francs (à l’époque), pour réaliser cet ouvrage. La bataille fut rude, car Dominique Strauss Kahn, Ministre des Finances du moment, était poussé au refus par son administration. Jean-Jacques Aillagon fut celui qui aida énormément le projet parce qu’il possède et dispense une culture qui permet de porter de tels projets auprès des associations. C’était un projet extrêmement menacé par les riverains, d’autant plus que nous étions en secteur sauvegardé, à moins de 150m du Louvre… Il fut inauguré par Renaud Donnedieu de Vabres qui le porta jusqu’au bout, avec une énorme conviction et beaucoup d’enthousiasme. Je dois dire, parce que cela n’a pas encore été évoqué, que le patrimoine et la modernité se trouvent toujours confrontés prioritairement aux paramètres du budget. Personne ici n’a encore évoqué cette dimension, mais il faut savoir que ce sont, contrairement à ce qui est véhiculé, des projets qui ne sont pas dotés de budgets importants. Nous avons réalisé cette restructuration complexe et lourde sur la base d’un plafond à 1460€HT pour un m2 fini. Cela signifie que nous n’avions ni plus ni moins que l’équivalent d’un financement pour logement social… L’idée était de réaliser, après transformations, un bâtiment représentatif de son contenu, et homogène malgré la différence de ses supports. L’idée était de recouvrir d’un voile, un peu à la Christo, l’ensemble des parties du bâtiment d’origine, de façon à ce qu’à terme, il apparaisse homogène et unique, qu’il n’y ait pas « un bâtiment de devant », plein Sud, sur Saint Honoré, et « un bâtiment de derrière », rue Montesquieu. Toute l’idée était là : donner à chacun le sentiment d’être bien partout, sans hiérarchie ni expression des pouvoirs. Restructuration et rénovation, bien évidemment. Des sols en résine pour rendre le tout homogène et transformable. Un sol générique de 30 000m2, monolithique. Des murs, des plafonds très simplement faits avec du plâtre et des subtilités de géométrie, parce que

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nous avions très peu d’espace pour reconstruire à l’intérieur des planchers existants, distants les uns des autres de 2m80. Voilà donc le bâtiment placé dans son environnement, à côté de la Banque de France, elle aussi en rénovation au même moment.

Ces images pour vous montrer ce qu’était le bâtiment avant notre intervention. Images intéressantes parce que l’on aperçoit les trois typologies. Envelopper l’ensemble avec un seul élément qui aurait permis de réguler le tout semblait une des solutions possibles. Comme l’ont fait Jean-Marc Ibos et Myrto Vitart à Strasbourg, il a fallu tout nettoyer, tout enlever, pour pouvoir ensuite effectuer une restructuration efficace. L’autre idée était que, par les façades, à l’intérieur du bâtiment, on puisse ramener toute la lumière possible. Cette photo a été prise en fin de mâtinée, dans les couloirs du Ministère : personne n’allume, «parce qu’il y fait jour ». Il s’agit d’une recherche du confort maximum au travers des façades qui, si elles sont partiellement fermées par la résille métallique, n’en sont pas moins rapporteuses de jour. La résille n’est pas décorative. Elle est à la fois garde-corps, construite autour de l’accessibilité des pompiers, occultation partielle (confidentialité) et, par sa matérialité en inox, elle offre une pérennité globale pour un entretien minimal, comme le demandent les institutions privées de tout budget de maintenance.

Question : Est- ce que la résille est éclairée la nuit ? Depuis l’intérieur ?

Francis Soler : Non, même pas… nous n’avons pas réussi, malgré nos efforts et nos propositions pour aboutir. Nous, un peu cinglés, nous avions proposé à EDF de nous aider à financer, par l’intermédiaire d’un mécénat, l’éclairage de la résille. J’avais obtenu une dotation importante pour réaliser les travaux d’éclairage. Mais l’Etat qui ne sait pas « administrativement » accepter

un mécénat de cette nature, m’a demandé d’abandonner cette idée, pourtant aboutie et financée. C’est comme ça ! Toutefois, dans le même type de démarches parallèles et hors de nos compétences supposées, j’ai réussi le pari de faire réaliser la résille en inox pour le prix de celle qui, dans le marché de travaux, était constituée d’aluminium. Le risque de défaillance de pérennité m’inquiétait, mais le Ministère n’avait pas de budget à y consacrer. Comment donc, payer la différence entre l’aluminium et l’inox? Francis Mer était, à ce moment là, président du Groupe Arcelor (il deviendra, quelques années plus tard, Ministre des Finances). Grâce à son intervention nous avons pu réaliser en inox ce que nous aurions dû bâtir en alu, à prix constant. C’est tellement compliqué de régler des échanges « transparents » entre l’Etat et les sociétés privées que nous sommes condamnés soit à abandonner (c’est le cas de l’éclairage) , soit à monter des conventions « complexes » (c’est la cas de la résille).

Nous héritions du bâtiment Vaudoyer et du bâtiment Lahalle en 2000 : deux bâtiments qui se refermaient sur la rue des Bons Enfants et qui projetaient une ombre portée très longue dans la cour. Et comme nous devions réunir plus de huit cents agents dans le Ministère, je souhaitais que chacun d’entre eux puisse revendiquer le droit à la lumière et à l’ensoleillement de son espace de travail. Je me suis donc acharné, dans un premier temps, à évacuer le bâtiment qui fermait l’espace sur la rue des Bons Enfants afin que la lumière de l’Ouest pénètre l’intérieur du projet et redonne à l’ensemble du bâtiment une homogénéité qu’il avait perdu depuis longtemps.

Comme quoi, il faut toujours des maîtres d’ouvrages surprenants pour faire de grandes choses, même si elles ne sont que « urbaines ». Je profite de cet instant pour nous rappeler à la mémoire de Claudie George François qui nous a quitté le 25 décembre dernier. C’était une

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« grande » dame, et il est certain que sans sa ténacité et son entêtement, ce projet ne se serait jamais fait. Un homme important aussi, Jean-Pierre Duport, à l’époque Préfet de Paris, ancien directeur de l’Architecture, qui aura fait beaucoup pour que les choses se concrétisent. Nous étions pourtant dans l’interprétation des attributions et des redistributions de surfaces, dans la limite du droit. Le permis fut accordé par ses soins. Lorsque nous avons hérité du bâtiment, il exposait ses 30 000 m2. Comme il était impossible de les reconstituer après démolition de l’un des bâtiments, j’ai proposé de les « déplacer » à l’intérieur de l’emprise en épaississant les bâtiments existants. Ce transfert de surfaces fut exceptionnellement autorisé. Nous améliorions le rendement du projet tout en proposant plus de confort. C’est la première fois qu’une telle application aura pu se faire, juste sur l’idée d’un transfert de surfaces, traduit par un transfert de matière et d’espaces. Du coup, on développe un immeuble de bureaux presque traditionnel, dans sa structure, ses épaisseurs et ses rendements. On voit, sur ces images, les anciennes structures et sa nouvelle application avec moins de couloirs et plus d’espace utile. Voilà la cour intérieure, qui ne présente pas de résille en façade mais qui ouvre sur un jardin intérieur dessiné par Michel Desvignes et Patrick Blanc, vous savez, ce paysagiste généreux et ce botaniste savant et sophistiqué qui fait pousser toutes sortes d’essences étranges, de partout, sur les murs... Là, l’espace intérieur, avec le dessin de la résille repris sur les banques d’accueil. Un travail conséquent que j’ai conduit avec Frédéric Druot sur tous les espaces intérieurs du Ministère. Aux éléments qui existaient nous avons ajouté des portions de bâtiment pour les épaissir, puis nous sommes venus les fermer avec des façades en aluminium laqué, dans un gris très chaud et très parisien. Voilà donc : avant, après, entité, identité, dispersion, additions... je ne sais plus ! C’est un bâtiment qui concentre des paramètres opposés, qui empile les histoires, qui additionne

les réponses et qui, finalement, nous renvoie vers une abstraction graphique et morphologique. Ce projet appartient au patrimoine de Paris, mais il reste fondamentalement contemporain… Avant, là, c’était le trou, l’endroit où on a enlevé un bâtiment. On aperçoit la trace de ce qu’il reste, comme coupée net par une scie. Madrid 2000, une recherche sur du logement. Il y a le patrimoine qui se positionne derrière nous et puis il y a le patrimoine qui tire tout devant nous. Nous sommes souvent dans des endroits où l’on donne à des individus des architectures sans acquis ou sans racines. Les gens ne s’y sentent pas bien : pas d’histoire à raconter, pas de raisons indissociables. Ils ne se sentent pas chez eux, ils sont peu impliqués dans cette affaire moderne, bâtie pour eux mais sans vraies convictions. Avec la Rue Durkheim à Paris, 1997, j’ai au contraire essayé de recréer des histoires imaginaires qui appartiennent à notre culture graphique et sociétale. Ces débuts d’histoires sont récupérés par les gens. Expérience : j’ai habité vingt ans dans une cité, Sarcelles, au Nord de Paris. La modernité a trouvé là ses limites. Le projet de Madrid est très simple. C’est un plan d’étage courant où la flexibilité s’annonce comme permanente, faite sur une stratégie simple qui va certainement à l’encontre du raisonnement des entrepreneurs: dispenser le moins de matière possible sur le chantier, pour pouvoir tout modifier à la demande et dans le temps. L’évolutivité, c’est faire en sorte que l’on puisse donner à votre génération des plans libres qui puissent, à tout moment, être aménagés ou modifiés. C’est une chose récurrente chez moi depuis que je construis, et le projet de la rue Durkheim en est le meilleur exemple.

Madrid, un projet que nous n’avons pas gagné. Le patrimoine s’inscrit avec des reproductions en sérigraphies d’oeuvres de Fra Angelico. Le Prado, Fra Angelico, le Messager, une des œuvres les plus importantes de Fra Angelico,

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L’ange Gabriel… L’Espagne que l’on mélange aux messagers, la constitution d’un tableau abstrait dans l’ensemble, figuratif dans le détail. «Toutes ces choses ne sont valables», disait Jean-Marc, «qu’à partir du moment où ces idées, nous savons les construire ». Sérigraphie sur verre, système climatique adapté, double paroi spécifique, climat maîtrisé et adapté, solidité et répétitions industrielles. Nous sommes à Madrid, pas à Copenhague, ni à Paris. La rue Durkheim fonctionne très bien à Paris. Je suis convaincu de la pertinence du propos et du dispositif pour Madrid. Ce n’est rien d’autre, au fond, qu’un parking de superstructure sous l’application d’une histoire peinte, provenant du Palais du Té à Mantoue, qui en fait, reste la première oeuvre qui brise la censure de la peinture classique. Pour la toute première fois, on oublie le Christ, la Vierge, on oublie tout ça… On y croise des femmes qui jouent avec des diables, des espaces et des scènes considérées comme obscènes à l’époque. Je vous laisse imaginer ce que cela pouvait être. À l’époque on construisait à 900€ au m2 à Paris, ni plus ni moins. Le même tarif pour tous les projets de même nature. Il nous fallait imaginer des dispositifs constructifs et des méthodes qui puissent être à la fois économiques et immédiates. Rouen, c’est un concours gagné pour une tour dans le quartier difficile des hauts de la Grand’Mare. Là, changement de maire, changement d’objectif et annulation du projet, à peine gagné. C’est comme ça, à chaque fois qu’un nouveau maire arrive, nous sommes priés de dégager... Pourtant, au-delà de l’image négative qu’ont laissé les tours des années 70, certaines reprises sont possibles. Ce sont des modèles et des figures qui appartiennent au Patrimoine de l’architecture contemporaine. Les tours sont utiles pour certaines planifications urbaines.

Là, c’est un plan que nous avions dessiné et proposé l’an dernier avec Finn Geipel, pour

Orly. C’est une implantation de tours, des reprises possibles… Il y a aussi « les mémoires additionnées », ou comment partir d’un projet qui isole des bâtiments, puis sur un patrimoine, celui de la ville de Shibam, au Yémen, avec une grande densité ponctuelle et des grands vides autour. On ne travaille pas à Shibam, mais on prend l’image de Shibam, on la récupère pour la réintroduire dans le patrimoine moderne et dans une analyse contemporaine de la ville.

Une autre façon d’aborder le sujet du patrimoine : un concours gagné à Munich, près du stade olympique, où l’on utilise la première partie construite sur le site (qui est, en fait une ancienne caserne militaire) pour explorer un plan d’urbanisme pour lequel on nous demandait de produire le double de la surface existante, sur place. L’idée est simple: on crée un axe central Nord-Sud, on fait un «miroir » de la figure existante (la caserne) puis on étire jusqu’à atteindre la surface (stretch). L’informatique autorise ce type d’action qui peut produire un acte créatif, tiré de la méthode plus que de la créativité, au sens où on la considère habituellement. On étire les bâtiments doublés. On s’étonne que cela marche, par simple duplication d’un patrimoine en place. C’est une œuvre qui raconte quelque chose, qui raconte quelque chose à partir de l’outil de fabrication du projet. Il n’y a pas d’autre idée que celle-là. Ce n’est rien de plus que ce que vous voyez : ça se reproduit à l’identique, en symétrie et ça s’étire… Reproduites, les matières changent.

Le Palais de Justice de Point à Pitre, en Guadeloupe, concours rendu en 2005. On s’installe dans le Pointe à Pitre traditionnel. Là, le patrimoine à considérer est le « climat ». C’est l’idée de réfléchir avec le climat en guise de patrimoine, statuant sur l’économie d’énergie. On construisait un piège à chaleur, quelque chose qui permettait de modifier la température de l’air avant qu’il ne soit capturé pour refroidir et ventiler le bâtiment. La température, très

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haute à l’extérieure, de 30 à 40 °, passait à 20°. L’air était mis « à l’ombre » d’une immense pergola pour être ensuite aspiré et transformé au moyen de systèmes de rafraîchissement, postés à l’intérieur. Ensuite, « les paradis végétaux »de Guadeloupe, joyaux végétaux métamorphosés, transposés, à la manière d’un René Magritte dans ses peintures, pour faire en sorte que ce bâtiment, bien qu’incontestablement contemporain, soit réellement un bâtiment attaché à son patrimoine climatique et végétal. L’architecture n’est pas, là, considérée comme patrimoniale. C’est l’atmosphère, le climat qui la remplacent, captés et modernisés pour une culture des choses, très simplement accessible.

« Le paradoxe des désespérances » est le regard que l’on peut avoir sur l’avenir à travers un passé. Les gens sont habillés à la mode de 1910. Leur rêve se traduit dans les « dirigeables» qu’ils regardent comme des valeurs de l’extrême modernité. Le décalage se fait entre leur manière de s’habiller et ce qui se projette devant eux. En 1965, il y a Françoise Hardy avec Paco Rabane qui rejoint le panthéon du futurisme actif. Nous sommes dans les années 60, dans l’association définitive d’un patrimoine architectural et sensuel. Tout est cohérent : contexte social et dimension philosophique de la vie. 2008, nous sommes dans les aventures cohérentes et mythiques du 5eme élément de Luc Besson. Mais, 2009, c’est aussi ce village gaulois de Neuilly sur Seine, où habitent tant de gens modernes… Retour en arrière, totalement réactionnaire, protecteur des valeurs sures de la « pierre » et toutes les images qui vont avec.

Elodie Nourrigat : Merci Francis pour ton intervention. Je parlais en introduction de ton engagement. On a pu le suivre dans ton intervention. Dans ton travail, il y a une grande qualité sur la matière, une attention à la recherche. Avec tes recherches sur la matière, dans tous les cas, tu as toujours avancé tes

projets très loin dans le détail, avec cette manière particulière que tu as d’aborder l’architecture. Pour toi, l’architecture n’est certainement pas une image. C’est vraiment quelque chose qui est profondément pensé, travaillé et dessiné… Il y a aussi une grande poésie. Une poésie maîtrisée mais une poésie qui a la capacité de se transcrire dans la technicité. Tu nous parlais de « rêves » justement dans ta dernière diapositive et tu nous montrais les rêves que l’on pouvait avoir en terme d’architecture suivant les époques que l’on croisait. Malheureusement, l’état dans lequel nous sommes aujourd’hui m’interroge. Quels seraient donc, aujourd’hui, pour toi, les chemins vers lesquels nous devrions tendre ? Et quel serait ton rêve sur l’évolution de l’architecture, pour dépasser ceux de Buckminster Fuller ?

Francis Soler : C’est compliqué de répondre à cette question, parce que nous sommes pris de plein fouet par la crise, et je crois que le rêve n’a plus du tout aujourd’hui le même sens qu’il y a un an. Nous pouvons continuer à nous jouer des utopies, à rêver, à construire des projets comme nous le faisions encore dans les années 80, mais tout cela est révolu. Il faut davantage rentrer dans une « rêverie opérationnelle ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Simplement, faire de l’architecture en passant obligatoirement par un raisonnement rigoureux, de crise, une analyse extrêmement sophistiquée des moyens que nous avons à disposition. Ensuite, c’est chacun qui, avec sa propre sensibilité, essaye d’apporter quelque chose de plus, sorte de rêveries personnelles. Tout l’inverse de projets bling-blings comme ceux de Zaha Hadid, Jean Nouvel ou Coop Himmelblau qui n’ont plus aucun sens, ni aucun avenir dans une société raisonnée. Beaucoup d’argent pour rien, flagorneries et architecture discriminatoire. Ce n’est pas le sujet, ce n’est plus le sujet… Pour autant, ne pas considérer que les enjeux sont loin et que cette crise aura raison de nous. Les bons architectes seront ceux qui arriveront à

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tout associer et à synthétiser tout ce qui pourra être technique pour des réalisations à coût donné, avec possibilité de les réaliser tout de suite. Les plus doués apporteront quelque chose en plus. C’est sur ce terrain-là que se fera la différence.

Questions du public

Question : Je partage assez votre point de vue sur le projet de pierresvives de Zaha Hadid, mais j’ai envie de vous poser une question très provocatrice. On a changé de maire à Béthune. Le projet que vous avez fait, je ne le connais pas, donc ce n’est pas une critique a priori. Est-ce qu’il reste valable aujourd’hui, malgré la crise ? Parce que le problème, c’est qu’il y a un contentieux avec le nouveau maire, puisque l’ancien a signé les marchés, les entreprises ont été désignées… Avec le projet de Zaha Hadid à Montpellier, quelque soit sa valeur, on est dans la même situation. Le président a lancé ça il y a plusieurs années, il y a eu un concours, Zaha Hadid a gagné, les entreprises ont été désignées - ce qui n’a pas été sans mal d’ailleurs - et on va démarrer. La comparaison est peut-être osée, mais je pense que ce projet s’inscrit dans le développement urbain de Montpellier. Quand on a lancé l’hôtel du département en 1980, l’idée était de faire en sorte qu’il fasse la jonction avec ce qu’on appelle la Paillade en précisant que le grand carrefour, ce grand « plat de nouilles » qui a été fait à côté du lycée Jean Monet ne devait pas exister. C’était complètement différent… La question est celle de l’évolution dans le temps par rapport à cette crise qui est quand même récente. A Béthune aujourd’hui, vous êtes en conflit, si demain on décide de tout arrêter - ce qui ne se fera pas, je tiens à le dire - on voit la comparaison que l’on peut se permettre. Mais encore une fois je ne compare pas les projets…

Francis Soler : Mais, ce ne sont pas les

mêmes enjeux. Béthune ce sont 3 000 000€ et Montpellier, ce sont 30 ou 40 000 000€. Ce que je veux dire, c’est qu’à Béthune, c’est presque rien qui est en jeu. Nous avons travaillé pendant des mois avec un maire soucieux des impôts de ses contribuables. Avec le bail emphytéotique qu’il avait monté, cela ne revenait pas à imposer aux habitants de Béthune des charges vraiment lourdes et immédiatement dues. Il y avait une maîtrise totale du financement de cette opération, sans le moindre dépassement, ni débordement public. Je crois que ce n’est pas le cas à Montpellier en ce qui concerne les archives de Zaha Hadid, en total dépassement, comme la Philharmonie. Il s’agit de la même irresponsabilité politique. Il nous faut des gens compétents tout autour de nous, des gens capables d’annoncer qu’un projet ou un autre n’ira pas jusqu’au bout dans le contexte économique dans lequel il est programmé. Ne pas faire comme au Musée des Confluences à Lyon, par exemple, ou au Quai Branly. Et si nous sommes en mesure de pouvoir le dire, alors là, peut-être que l’architecture atteindra ses nouvelles lettres de noblesse. Etre utile pour l’architecture, c’est de se situer à l’endroit où je l’ai vue ce matin, cet après-midi, c’est-à-dire développée à partir de choses qui sont faites dans des coûts raisonnés et avec une qualité qui tire « à la dignité ».

Remarque : Je voudrais rajouter que le bâtiment des archives de Montpellier est là pour remplacer un autre bâtiment des archives qui a été construit il y a trente ans et qui a déjà coûté cher au contribuable. Ça commence à faire beaucoup je trouve...

Francis Soler : C’est ça, après je ne sais pas… Ce que je peux dire c’est que, pour revenir à la fabrication de l’architecture, il faut éviter les flambeurs. «Revenir au fond, en faisant attention à la forme » disait tout à l’heure Dominique Claudius Petit… Et il a raison. Nous sommes aujourd’hui, tous, dans un registre de

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production où le fond importe plus que la forme. Nous avons eu pendant dix ans une production cosmétique, avec poudre de perlimpinpin, y compris les tours de la Défense. Et si elles ne se font pas, ce sera un progrès dans l’arrêt des formes négatives de l’architecture. Car quand on laisse croire que la mixité se réalise avec des appartements de 400 m2, qui vont coûter des fortunes, qui ne seront accessibles qu’aux nantis de haut vol, qu’on ne me raconte pas que l’on fait de la mixité. Ce sont de faux discours, de faux concepts, et ça ne marche pas, sauf pour les crétins.

Dominique Claudius-peti t : Francis, pour faire très court, je crois que ce que tu dis est très important, et qu’il n’y a pas de frontière entre public et privé. C’est la même chose, c’est l’honnêteté d’un contrat par rapport au service que l’on veut rendre et à la capacité financière dont on dispose. On n’a pas à tricher. L’utilisation médiatique fait du flou autour de la réalité du projet, et à Ronchamp par exemple, on en souffre. Tout le monde a cru que tout le monde pouvait parler de Ronchamp. Il n’y a qu’un seul donneur d’ordre, c’est l’association Notre-Dame-du-Haut et les Clarisses. On nous a poussés au crime, le projet a été modifié deux ou trois fois moyennant quoi celui-ci a augmenté de trois millions, passant de neuf millions hors taxes à douze millions hors taxes… C’est cela la vérité des choses. C’est un langage vrai entre celui qui donne l’ordre de construire et celui qui réalise.

Francis Soler : On ne peut qu’être d’accord avec toi, car, comme tu le dis, on est tous pour l’apaisement et ce n’est pas nouveau. Nous avons travaillé avec des financements publics et des financements privés. Dans le registre des équipements publics, il n’y a plus de projet… Palais de justice d’Aix-en-Provence : projet déprogrammé… Et pourquoi ? Un projet de cinquante millions, lancé en concours pour s’apercevoir six mois plus tard que nous ne

disposerions que de vingt millions pour le faire. Voilà ce que fait l’Etat français d’un projet lancé un an auparavant, avec pas moins de cinq Grands Prix nationaux d’architecture invités à concourir. La lutte armée, il n’y aurait donc plus que cela pour combattre cette indigence ambiante ?

Question : Vous avez gagné des concours aussi à l’étranger, comme Monsieur Desmoulin. J’aimerais juste savoir s’il est aussi difficile d’intervenir en France que dans d’autres pays ?

Francis Soler : Le concours que nous avons gagné pour réaliser le Pont de Vallina, près de Florence : voilà deux ans et demi que nous essayons de bâtir un contrat avec les autorités italiennes. La corruption est telle en Italie qu’il faut passer devant des dizaines de commissions pour éviter les malversations financières qui pourraient plomber ce projet. Il s’agit de l’argent de l’Etat... Nous en sommes à la 7eme ou 8eme commission, qui analyse ce que les six commissions précédentes auraient accordé. En Allemagne ce n’est pas pareil. Ça va beaucoup plus vite. Les intervenants sont mieux organisés que dans les pays latins, mais tout est différent. En Amérique du Sud, vous faites des études, c’est plus compliqué : vous n’êtes jamais payé. En France, les concours sont rémunérés, c’est exceptionnel. « Vous êtes payé pour réfléchir». C’est ce que je redis souvent aux architectes qui ont peut-être tendance à se plaindre. Il suffirait juste que les architectes français, parmi les meilleurs en Europe et au monde, puissent être considérés par les commanditaires à la valeur de leur talent et qu’on arrête de laisser croire que sans Hadid, Herzog, de Meuron, Kuma, Foster, Prix ou Winnie Mas, la France et Paris seraient à cours d’architectures…

Elodie Nourrigat : Merci Francis pour cette intervention.

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photos : 1 // Extension du Palais de Belém - 2002 - Lisbonne - Portugal. 2 // Pavillon de la connaissance des mers pour l’exposition 1998 - 1998 - Lisbonne - Portugal. 3 // Théâtre et auditorium - 2008 - Poitiers - France. 4 // Centre d’information - 2004 - Caravelos - Portugal. 5 // Eglise san Antonio - 2008 - Portalegre - Portugal. 6 // Reconversion du monastère de Flor da Rosa - 1995 - Crato - Portugal.

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marie-Camil le Lançon : Nous avons beaucoup parlé d’architecture franco-française aujourd’hui, et nous allons terminer avec l’intervention de João Luís Carrilho da Graça. Vous êtes un architecte portugais, vous avez depuis 1977 une agence à Lisbonne qui s’appelle JLCG Arquitectos – vous aviez à peu près mon âge quand vous l’avez ouverte. Vous avez beaucoup construit au Portugal et vous nous livrez en septembre 2008 le théâtre et l’auditorium de Poitiers, votre premier projet en France. Vous

avez peu enseigné, mais vous dirigez des écoles au Portugal et donnez des conférences partout dans le monde. Vous avez reçu de nombreux prix pour l’ensemble de votre œuvre, et aussi pour le Pavillon de la connaissance des mers, en 1999. C’est donc avec un grand intérêt que nous allons vous écouter ce soir.

João LuísCARRILHO DA GRACA

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João Luís CARRILHO DA GRACA

ArchitecteAgence JLCG Arquitectos, 1997www.jlcg.pt

Répondant : marie-Camil le Lançon, étudiante à l ’ENSAm

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manuela Corga, architecte à Nîmes : Je voulais rajouter que João Luís Carrilho da Graça vient de recevoir un prix extrêmement prestigieux au Portugal, qui s’appelle le prix Fernando Pessoa, qui lui a été dédié début décembre. C’est un prix qui a la particularité d’être donné à un personnage artistique ou culturel, et pas forcément à un architecte. La première fois que ce prix a été décerné, c’était à Eduardo Souto de Moura, et le deuxième architecte qui a reçu ce prix est donc João Luís Carrilho da Graça. Je précise que cette reconnaissance est une sorte de Pritzker portugais.

João Luís Carri lho da Graça : Bonsoir. Je vais vous montrer quelques projets et réalisations, mais j’aimerais beaucoup que cette intervention soit l’occasion pour nous tous de discuter, de parler d’architecture. J’aimerais que vous me donniez vos réactions, savoir ce que vous pensez des projets que je vais vous présenter. J’en ai sélectionné six, dont quatre qui n’ont pas forcément de relation directe avec le patrimoine.

Je vais commencer avec le Palais de Belém, le palais du siège de la Présidence de la République au Portugal. Le sujet du concours auquel nous avons répondu était la construction d’un bâtiment permettant d’offrir des espaces supplémentaires à la présidence, avec une cafétéria, des espaces de travail pour les adjoints, et une bibliothèque. J’ai proposé de créer une plateforme, un jardin, et de loger les espaces du programme dans un volume plein et horizontal, dans de belles dimensions. Il est vrai que le Palais a une petite échelle, mais il a une architecture forte. C’est ce qui le rend intéressant. Je vous présente la maquette du concours. Vous pouvez y voir les plateformes, leur relation avec le Palais, le restaurant, les espaces de travail… Ce sont des choses très simples. Il était très étonnant de voir, lorsque nous avons commencé à construire, que ces choses très élémentaires – un plan, une pelouse, une façade blanche linéaire – nous offraient une relecture de tout que qu’il y avait autour : le Palais et les bâtiments annexes. Nous avons utilisé le calcaire, pierre utilisée dans toute la vieille ville de Lisbonne.

Je vais maintenant vous présenter le projet du théâtre et de l’auditorium de Poitiers. Le concours a été lancé en 2000, sur un site à proximité de la Banque de France. C’est un plateau, au bord du centre historique, entouré par deux vallées : la première, celle de la gare TGV, la seconde, un massif calcaire très poreux, est celle qui supporte la ville. Parfois, la ville laisse

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apparaître cette pierre brute, ce calcaire, et je trouve que cette interaction entre le matériau à l’état brut et le matériau de construction est très intéressante. Le concept du projet est de créer un espace urbain de transition entre le centre historique et la gare, en prolongeant un plateau, qui j’imagine au commencement, devait avoir une constitution calcaire très similaire à ce qui existe dans la ville. Nous avons proposé deux volumes élémentaires, contenant un auditorium de 1 100 places et un théâtre. Ces deux volumes ont une histoire, et c’est peut-être en cela qu’ils peuvent se raccrocher au patrimoine. Il y avait d’une part le rôle de la Banque de France, qui jouait le rôle de référence volumétrique. De l’autre, il y avait ce que nous ont appris les fouilles archéologiques réalisées pendant le chantier. Elles nous ont permis de découvrir qu’à la période Gallo-romaine, ce site était une esplanade pour deux temples construits l’un à côté de l’autre. Cela m’a beaucoup inspiré de comprendre ce qu’était le site : un espace libre, avec deux présences unitaires. Le directeur du théâtre racontait qu’il était très intéressant de voir à quel point, au fur et à mesure de l’avancement du chantier, les habitants comprenaient que ce bâtiment serait très important pour eux et pour la ville.

Je vous montre une des maquettes initiales. Nous avons eu la possibilité de faire un travail artistique au rez-de-chaussée, tout autour d’un patio, et de penser les espaces liés au fonctionnement quotidien du théâtre au niveau de la scène. Cela nous a donné une gestion très fonctionnelle du bâtiment. Nous avions fait une autre maquette, pour une réunion à Paris, avec trois artistes que je voulais faire intervenir dans le projet. Au final, cela n’a pas été possible, mais ce travail m’a vraiment permis de réfléchir, d’avancer dans la compréhension de ce que je voulais faire. C’est à partir de là que nous avons pensé ces « deux volumes élémentaires» comme des parallélépipèdes en verre sablé. Le choix de ce matériau était une manière de répondre à la très forte présence de l’ardoise sur les

toits, en faisant des façades plus neutres. Et sur cette façade en verre sablé, il est possible de projeter des images, de créer un certain nombre de choses, à la fois pratiques et artistiques. Je vous montre les premières photos du site que j’ai prises. Ce sont les images que je préfère : on a des formes un peu abstraites, des arbres, au final, une grande simplicité. Et cette simplicité, c’est quelque chose que j’ai essayé d’atteindre durant tout le projet. Cette simplicité se conçoit au travers de la destination même du bâtiment, qui, une fois fini, devait accueillir différentes formes de communication et différentes disciplines artistiques. Tout ceci devait se traduire par une certaine neutralité.

La couleur jaune du bâtiment a une histoire. J’ai commencé à l’utiliser lorsque je travaillais pour une école de musique à Lisbonne. Le graphiste m’avait suggéré de mettre du jaune. Je lui ai bien sûr demandé pourquoi. Et il m’a juste répondu que c’était la couleur à la mode cette année. J’ai adoré sa remarque ! Et depuis, le jaune a toujours une certaine résonance chez moi. J’aime beaucoup les bâtiments de la vieille ville de Lisbonne : ils ont des parties en pierres apparentes, et d’autres en enduits, peints de différentes couleurs. C’est comme un renouvellement de l’image de la ville, bien que l’architecture soit toujours la même. Je suis très attaché à cette idée que certains aspects d’un bâtiment soient plus éphémères, plus superficiels, et que d’autres au contraire soient plus consistants, qu’ils ne laissent aucune place à l’erreur. Avec les façades en verre sablé, c’est par les reflets du ciel et des bâtiments qui sont autour que le bâtiment revêt un caractère plus inconsistant.

Je reviens à l’explication du projet. Le théâtre a la capacité d’un théâtre lyrique, avec une fosse d’orchestre qui correspond plus ou moins aux conditions, d’un point de vue technique, d’une salle de ce genre. Pour l’auditorium, nous avons proposé au concours une autre possibilité que

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celle qui avait été initialement prévue : celle d’avoir tout le public à plat. Ce n’est certes pas quelque chose de très original, sans être commun non plus, mais cette solution présente des aspects très intéressants du point de vue acoustique.

Le graphiste avait fait des photomontages pendant le déroulement du chantier. Pour expliquer le choix du jaune, il illustrait les photos de chantier avec ces jeunes filles (des photos de mannequins en train de défiler). Je dis toujours que ce sont des jeunes filles de Poitiers qui venaient visiter le chantier, comme ça, avec une énorme élégance…(rires) Il est vrai que le jaune fonctionne très bien, surtout en hiver, quand le ciel est sombre. Ce jaune qui change de couleur avec la lumière fonctionne de façon inespérée. Et après…c’est triste…parce que quand le bâtiment est fini, les mannequins ne viennent plus, il n’y a plus que les gens normaux…(rires). Le jour de l’inauguration, 12000 personnes ont été accueillies, pendant 12 heures, avec des spectacles divers en tous points du bâtiment. L’idée, dès le commencement du projet, était que le foyer général puisse aussi fonctionner comme un espace de spectacle. Les gens peuvent s’asseoir dans les escaliers. La signalétique a été faite par un artiste portugais qui travaille avec moi. Il m’a suggéré le jaune et le noir, et même si le noir était pour moi une couleur plus commune, cette proposition m’a beaucoup plue.

La salle du théâtre exprime une certaine neutralité. Le directeur du théâtre a beaucoup insisté sur le fait qu’il était très important de donner toute l’importance à la scène, et que tout ce qui se passait à côté devait être plus neutre. Tout est en bois. Les portes sont cachées des deux côtés, les rangs sont continus. L’idée était de construire une sorte de barque, dans laquelle l’orchestre et le public voyageraient ensemble. L’acousticien, Daniel Commins, a fait un travail incroyable. C’est un

système de résonance quadratique, qui donne aux sons un mélange particulier. Nous avons construit la salle avec deux entreprises, une entreprise portugaise qui a construit les murs et les plafonds, et une entreprise française spécialisée dans la construction navale, qui a fait le plancher et l’estrade avec un système de liaison pour les éléments bois, sans vis ni clous. Tout l’espace vibre avec la musique. Il est vraiment isolé comme un grand bateau, et se comporte de façon très particulière avec la musique. L’acousticien avait interdit que l’ont ait des éléments métalliques dans la salle. Lorsque l’on regarde les photos, on voit que tout est presque toujours en plâtre ou en bois.

Je vais maintenant vous présenter l’église de Santo Antonio de Portalegre. C’est la deuxième fois que je construis une église. J’ai fait une toute petite crypte à Macao, qui était une restauration de l’église Sao Paulo. Et ici, Portalegre, c’est la ville où je suis né. J’ai commencé le projet en 1993, et aujourd’hui, il n’est toujours pas complètement fini. L’endroit est très peu patrimonial. La photo que je vous montre est très ancienne. Maintenant, il y a des arbres et le quartier semble un peu plus normal… même s’il reste affreux ! Quand je suis allé visiter le site de l’église pour la première fois, je me suis rendu compte que l’on pouvait voir des pierres un peu partout, et je me suis dit que si l’on excavait, on

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pourrait trouver des pierres. Nous avons donc fait des sondages, et effectivement, la pierre apparaissait.

Sur la maquette que je vous montre, on peut voir le patio avec la pierre, l’espace de l’église et les deux ailes qui forment le centre paroissial. La pose de la première pierre a été un moment très drôle. Les paroissiens ont organisé une procession avec des chants et de la musique. Ils ont apporté la maquette de l’église et l’ont mise dans la position de sa future construction. L’idée de cette église était de concevoir un espace carré, afin que tout le monde puisse être au même niveau pendant les cérémonies. La forme de l’église est donc très simple. C’est également une manière de se défendre, de contraster avec les bâtiments qui sont autour. Il faut dire aussi que nous avions un budget très limité, et qu’il fallait construire avec peu de moyens. Depuis la rue, on voit le patio d’entrée avec ses rampes, avec un vide dans la masse qui permet à la vue de traverser l’espace de l’église pour arriver jusqu’à la pierre.

Voici à présent l’école supérieure de musique de Lisbonne, un projet que j’ai réalisé avec le même acousticien que celui de Poitiers. Cette zone au Sud de Lisbonne est très bruyante. Le site de l’école supérieure de musique est dans une petite vallée. L’idée était de créer un grand patio, un espace extérieur protégé autour duquel on viendrait disposer des salles de classe. Comme nous devions nous protéger du bruit sur tout un côté, nous avons crée une forme en spirale qui permet d’avoir des salles de classe de différentes dimensions et de différentes hauteurs, organisées par groupes d’instruments. Au rez-de-chaussée, nous avons les espaces publics et sociaux de l’école : l’espace d’entrée, le foyer, l’auditorium, la bibliothèque, la cafétéria ainsi que l’administration. Sur cette photo de Lisbonne, on comprend ce que peut être le chaos suburbain de la ville, et par là même, l’importance et la présence de cette

forme en spirale, comme pour se défendre de l’espace extérieur.

Nous avons essayé de pousser toutes ces limites pour arriver à un bâtiment qui permettrait de s’isoler, mais aussi de créer des relations entre les personnes de façon très naturelle. Un bâtiment qui se protègerait, mais qui laisserait aussi apparaître des points de vue très forts sur l’extérieur. Les couloirs desservent des espaces divisés en fonction des groupes d’instruments. Ils ont une entrée de lumière zénithale, ils sont en liaison avec le patio intérieur, et quelquefois même avec l’extérieur. Les espaces qui ont des exigences acoustiques plus importantes sont très bien traités, avec une certaine simplicité et une économie. Nous avons le même système qu’à Poitiers, mais réalisé avec un matériau plus économique. Les salles orientées vers le patio ont une ambiance très calme, et on peut y moduler l’absorption acoustique en fonction des besoins.

Je vais maintenant vous présenter un autre projet, qui traite de la question du patrimoine de façon explicite. C’est le musée de l’Orient à Lisbonne, qui a récemment été inauguré. Le bâtiment était à l’origine un entrepôt frigorifique pour cabillauds. Quand je l’ai visité pour la première fois, il était déjà en chantier. Au début, j’ai été sollicité pour organiser les deux niveaux de l’exposition, mais finalement, nous sommes intervenus sur tout le bâtiment. Une des idées premières était de réhabiliter la façade avec des éléments de dorure. Ce sont de vraies feuilles d’or, très fines, comme celles que l’on appliquait pendant la période baroque à l’intérieur des églises. A l’extérieur, les interventions sont très simples. Ce sont ces applications d’or et la construction d’une entrée de musée. Le bâtiment est très fermé sur l’extérieur, et on y a rencontré les mêmes problèmes que ceux que l’on a vu tout à l’heure sur la bibliothèque André Malraux à Strasbourg, c’est-à-dire une hauteur sous plafond très faible. Sur cette photo, qui

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a été prise pendant les démolitions qui se déroulaient quand j’ai commencé le travail, on voit l’ambiance intérieure du bâtiment. C’est l’un des premiers bâtiments que l’on a construit en béton armé au Portugal, et il y a beaucoup de poteaux. Quelques-uns de ces poteaux avaient déjà été retirés et remplacés par des systèmes de support de charge. En plan, il est aisé de comprendre ce que pouvait donner cette « forêt de poteaux ». Au niveau de l’entrée, ce n’était pas très gênant, mais pour les autres niveaux, la faible hauteur sous plafond et cette forêt de poteaux étaient difficiles à gérer. Nous avons pensé à insérer tous les poteaux ou les systèmes de support charge à l’intérieur même des vitrines d’exposition. Cela nous a permis d’avoir des couloirs fluides et de fabriquer en même temps une scénographie pour l’exposition. Les espaces d’exposition sont très sombres et seules les œuvres exposées sont éclairées. Cela donne une ambiance de grotte ou de caverne qui me rappelle celle j’ai pu trouver quand j’ai visité le bâtiment pour la première fois. Nous avons aussi essayé d’utiliser les vitrines comme des scènes de théâtre. Il y a à l’intérieur des choses que l’on ne doit pas voir, et, comme au théâtre, il faut que le public accepte cette convention.

Je vous présente un projet, les villas « alta de Lisboa », où la seule relation que l’on peut voir avec le patrimoine, c’est avec le patrimoine de Le Corbusier. C’est « l’immeuble-villa », qui n’a jamais été construit, sauf une des cellules au « Pavillon de l’Esprit Nouveau ». Le site est proche de l’aéroport, et il est vrai que c’est un espace très ingrat. Le Maître d’Ouvrage avait demandé à Eduardo Souto de Moura de penser la réhabilitation d’une ancienne ferme, à Alvaro Siza de concevoir des bâtiments, et il m’a été demandé de traiter un espace situé à côté du parc. J’ai proposé de fermer l’îlot et d’avoir des espaces libres en façade, creusés dans la masse de façon aléatoire. On accède aux logements par des coursives, et au rez-de-chaussée, nous avons aménagé des bureaux et des commerces.

Il y a un jardin à l’intérieur et un parc à l’extérieur. L’organisation des logements est très simple, en référence à Le Corbusier.

Le dernier projet, c’est le musée ibérique d’art et d’archéologie dont le chantier vient de démarrer. Il se situe dans un site patrimonial, une petite ville du Portugal nommée Abrantes, où passe le fleuve Tejo (le Tage). La ville ancienne est très belle, mais elle s’est étendue de façon très discutable, avec notamment un grand hôpital et des constructions très étranges… Dans ce projet, il doit y avoir une collection très importante d’archéologie du Sud du Portugal et d’Espagne. C’est une collection étonnante qui va aider à repenser l’histoire de cette partie de la péninsule Ibérique. J’ai traversé le fleuve et vu un paysage magnifique. Je me disais que ça serait incroyable si on pouvait faire un court-circuit entre le paysage et la collection. Je suis ensuite allé visiter le château au Nord de la ville, qui possède une petite tour depuis laquelle on a une vue incroyable à 360°. Sur la maquette de site que nous avons réalisée, on voit l’hôpital, le fleuve, le château avec sa tour, et l’emplacement du futur musée, à côté d’un petit couvent entouré par une muraille. Pour abriter le musée, nous avons proposé une petite tour, avec des ouvertures sur le paysage - en évitant les vues les moins intéressantes - qui essayerait de faire ce court-circuit entre la collection et le paysage. Nous avons choisi d’implanter la tour le plus loin possible du couvent, et j’ai reconstitué la

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muraille existante. Nous avons fait des essais pour les ouvertures, avec des vues dirigées sur le paysage, et d’autres avec des vues sur le centre historique. La tour sera enveloppée d’un tissu blanc pour en donner une image très diaphane. L’idée de la tour est d’avoir un espace vide à l’intérieur, un peu comme au Guggenheim. Les planchers sont percés d’un grand vide qui coupe tous les niveaux. Nous avons déformé ces vides afin d’alterner les niveaux des différents étages, et surtout de travailler les systèmes de connexion entre les niveaux pour scénographier le parcours.

marie-Camil le Lançon : Merci beaucoup pour cette intervention. Votre travail est fascinant. Vous prônez une architecture de la neutralité, vous employez souvent les mots « neutre », « simple », « élémentaire », « banc » et pourtant, ce qui caractérise aussi votre travail, c’est un dialogue réfléchi et très complexe avec le site. Cette complexité, on peut la lire à différentes échelles. A grande échelle, par exemple lorsque l’on prend le projet de l’église de Portalegre. Vous avez un site qui n’est pas forcément beau, qui n’est pas forcément intéressant et votre projet vient révéler et magnifier le lieu. C’est un dialogue que l’on retrouve aussi à l’échelle du projet. Vous venez parfois soutenir le lourd par le vide, vous laissez entrer l’extérieur à l’intérieur du projet, à l’intérieur de l’église. C’est vraiment fascinant, ce rapport que vous avez entre la simplicité, la neutralité que vous prônez, et cette complexité, ce travail que vous faites sur le lien avec le site. Peut-être pourriez-vous préciser ce qui guide vos choix.

João Luís Carri lho da Graça : C’est vrai que pour moi, le site est très important, même d’une façon presque physique, géographique ou topographique. Parce que je regarde souvent avec plus d’intérêt la forme du territoire que la

ville qui est construite sur le territoire. Cela me donne une certaine liberté - mais après, on doit comprendre exactement où est cette liberté. Le territoire, c’est le point de départ que j’utilise le plus fréquemment, ainsi que le programme. Les bâtiments se construisent peu à peu avec ces idées : le site, le territoire et le programme.

Questions du public

Question : En parlant de cette simplicité, de cette neutralité, vous avez réalisé un autre projet dont vous n’avez pas parlé mais qui me semblait également très intéressant sur la question du patrimoine, c’est le monastère Flor da Rosa à Crato. Vous êtes intervenu dans un bâtiment à très forte connotation historique et pourtant, vous êtes intervenu de manière très minimaliste. On a vraiment le strict nécessaire. Il semblerait pourtant qu’au Portugal, les restrictions sont beaucoup moins fortes qu’en France lorsque l’on intervient dans un lieu à connotation historique. Et j’aurais voulu savoir si vous vous posiez vos propres limites quant à l’intervention ?

João Luís Carri lho da Graça : Les réglementations sont peut-être moins strictes au Portugal qu’en France. Mais par exemple, quand j’ai fait le projet de Flor da Rosa, mon nom a été proposé par le Patrimoine parce que l’entreprise qui fait les posadas (bâtiments historiques convertis en hôtels) et qui est en partie gérée par l’Etat, a demandé au Patrimoine quels seraient les architectes pour faire les posadas. Alors quand on commence le projet, on est déjà un peu en confiance, et s’ils sont d’accord avec ce que je propose, les choses peuvent avancer. Je parle de neutralité pour le projet de Flor da Rosa parce que l’on pouvait discuter sur la question de faire ou non une addition au bâtiment existant. Ma stratégie a été de laisser le bâtiment existant le plus libre possible d’espaces privés, de chambres. J’ai

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proposé que l’on ait la possibilité de visiter tout le monument. J’ai décidé de mettre dehors une partie des chambres pour ne pas trop intervenir sur le bâtiment lui-même. Et j’ai essayé de le faire de la façon la plus simple, de créer une sorte d’écran vers lequel les images du bâtiment ancien pouvaient se référer d’une façon neutre. J’ai été un peu surpris, parce que pendant le projet et le chantier de Poitiers, j’ai beaucoup parlé de simplicité et de neutralité, j’ai beaucoup insisté là-dessus. A la fin, il y a eu un reportage, et le critique disait - et je pense qu’il avait raison- que je parlais toujours de neutralité, mais que c’était peut-être un processus de défense par rapport aux exigences, aux règlements et à tout ce que l’on doit accepter pendant un processus de construction comme celui de ce théâtre. Et je pense qu’il avait raison… Je ne pouvais pas dire que je voulais faire des choses simplement parce que je voulais les faire. Je veux toujours les rationaliser, les expliquer, refaire une cinquantaine de fois le projet pour laisser passer les handicapés, pour laisser passer les pompiers, pour laisser passer tout le monde… A chaque fois que je réalisais une phase ou que j’améliorais le projet, les règlements changeaient, les exigences changeaient… Je pense que cette idée de neutralité, que je n’ai pas tellement quand je travaille au Portugal, est née de cette expérience un peu difficile en France…

marie-Camil le Lançon : S’il n’y a pas d’autres questions, nous allons remercier João Luís Carrilho da Graça pour son intervention.

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Laurent Duport :Puisque nous en sommes déjà aux remerciements, je voudrais encore remercier Ariel Garcia-Valdès, le directeur du conservatoire d’Art Dramatique, pour nous avoir accueilli toute la journée, l’Ecole d’Architecture de Montpellier bien sûr, et les partenaires qui nous ont également bien aidés : la MAF, la société Technal, la société Gerflor et la société RBC.

Elodie Nourrigat : Je voulais à mon tour remercier les cinq intervenants avec qui nous avons eu le plaisir de débattre aujourd’hui. En reprenant l’ordre depuis ce matin : Bernard Desmoulin, ensuite, Dominique Claudius-Petit. Je pense qu’il était extrêmement important de vous avoir parmi nous aujourd’hui et de recueillir vos témoignages. Un grand merci à vous Jean-Marc Ibos pour votre présence. Beaucoup de vos projets font la une de la presse, et même si la surmédiatisation peut parfois sembler néfaste, en ce qui nous concerne, nous sommes

Clôture ..........................................................

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Elodie NOURRIGAT architecte & enseignante à l’ENSAM

Laurent DUPORT architecte & enseignant à l’ENSAM

Jacques BRION architecte & enseignant à l’ENSAM

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ravis que vous soyez surmédiatisé car cela nous permet de profiter de vos réalisations. Un grand merci à Francis Soler également. Nous n’avons pas encore levé une armée cette fois-ci, mais on s’y prépare. Nous allons essayer de former nos étudiants à ce sens critique qui vous est si cher. J’espère que le travail qu’ils ont fourni aujourd’hui en fera partie. Et enfin, João Luís Carrilho da Graça, merci encore, parce que les projets que vous nous avez présentés, je pense que beaucoup d’étudiants ne les connaissaient pas forcément. Cela a été un grand plaisir de vous recevoir, je vous remercie encore d’avoir fait ce déplacement, parce qu’on sait qu’hier après midi encore, vous étiez à Madrid pour un oral de concours. J’espère qu’il sera fructueux pour vous. Merci à vous tous, et je laisse la parole au dernier d’entre nous.

Jacques Brion : Je n’ai pas grand-chose à dire. Je voudrais juste remercier plusieurs personnes : les étudiants…

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À la question « Qu’est ce que le patrimoine ?», Bernard Desmoulin trouve réponse dans une nécessaire sensibilité aux lieux. Au travers de la présentation de projets variés comme le musée de Sarrebourg, le restaurant du Ministère des Affaires Etrangères ou encore le centre culturel français à Mexico, Bernard Desmoulin témoigne d’une acception du patrimoine qui se comprend au-delà du simple bâti pour se fonder dans le paysage, le site, le lieu à interroger dans ses potentialités. Le patrimoine ne se comprend plus comme un élément spécifique dès lors

que la démarche architecturale fait preuve du respect nécessaire, permettant à l’architecture contemporaine de se départir de toute forme de neutralité et d’exister. Est-il possible de faire mieux que ce qui existe ? C’est au travers de la notion de responsabilité de l’architecte que Bernard Desmoulins pose un regard singulier sur l’intervention contemporaine dans un contexte patrimonial, tout en soulignant l’importance de sa réversibilité.

RésumésABSTRACT

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Bernard DESmouLiN

Architecte

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To the question «What is the heritage?» Bernard Desmoulin finds his answer in a necessary sensibility to places. Through the presentation of various projects like the museum at Sarrebourg, the restaurant at the Ministry of Foreign Affairs or the French Cultural Centre in Mexico City, Bernard Desmoulin witnesses a sense of heritage that includes more than the simple building to blends into the landscape, the site, the place to be assessed for its potential. Heritage is no longer considered a specific element when the architectural approach shows the necessary respect, allowing the contemporary architecture to abandon any form of neutrality and to exist. Is it possible to make better that which exists? It is through the notion of responsibility of the architect that Bernard Desmoulins takes a singular look at the contemporary intervention in a heritage context, underlining the importance of its reversibility.

Dominique Claudius-Petit, président de l’Association des Amis de Le Corbusier, adopte dans cette conférence une position particulière, celle de la fidélité à un certain nombre de valeurs tout en questionnant l’évolution de l’architecture. Comment prolonger les choses, en permettre l’achèvement ? Ou encore, comment donner sens à l’aménagement de Ronchamp, projet aujourd’hui confié à l’architecte Renzo Piano et au paysagiste Michel Corajoud ? Dominique Claudius-Petit revendique ici une nécessaire remise en cause de l’autorité du patrimoine. Il n’y a pas de patrimoine, si ce n’est de patrimoine à réinventer dans une forme de mise en service du

bâtiment au monde d’aujourd’hui. L’achèvement de l’église Saint Pierre de Firminy se conçoit en toute légitimité, voire même en toute nécessité. L’architecture contemporaine devient alors porteuse d’une identité culturelle vivante. C’est en ce sens qu’il se trouve impliqué au sein de la maîtrise d’ouvrage « Ronchamp 2008-2010 », projet qui se propose d’assurer la permanence de la vie spirituelle du site, d’en actualiser les significations.

Dominique Claudius-Petit, President of the ‘Association des Amis de Le Corbusier’ adopts a particular stance in this debate; one of loyalty to certain values, while questioning the evolution of the architecture; how to prolong things, whilst allowing (their) completion? Or, furthermore, how to give meaning to the development of Ronchamp, a project now entrusted to the architect Renzo Piano and to the landscape architect Michel Corajoud? Dominique Claudius-Petit claims here a necessary questioning of the authority of heritage. There is no heritage, unless it is in a form of adapting buildings to today’s world. The completion of the church of ‘Saint Pierre de Firminy’ is conceived completely legitimately, indeed, necessarily. Contemporary architecture becomes then, the ‘vehicle’ of a live cultural identity. It is in this way that he becomes involved with the management of the ‘Ronchamp 2008-2010’ project, which aims to ensure the permanence of the spiritual life of the site, by reviving its significance.

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Dominique CLAuDiuS-pETiT

président de l’Association des Amis de Le Corbusier

Au travers de la présentation de quatre projets, la réhabilitation et l’extension du palais des Beaux-Arts de Lille, la médiathèque André Malraux à Strasbourg, le concours sur le Palazzo de la Civilita Italia na à Rome, ainsi que le concours de réaménagement des quais de Bordeaux, Jean-Marc Ibos fait état de sa démarche d’architecte, qui pose la création comme capacité à comprendre et à analyser le réel de manière à en tirer une nouvelle matière pour donner à voir autre chose. Sa stratégie passe par la prise en compte de l’ensemble des paramètres nécessaires à l’élaboration du projet afin de le faire reposer sur une intelligence de la situation. Plus que le projet en lui-même, c’est cette situation du projet qu’il s’agit avant tout de mettre en architecture. Il en résulte une extrême lisibilité du parti et une grande simplicité formelle qui se donnent pour tâche de proposer un nouveau regard sur les choses, de dépasser l’ordinaire pour révéler l’extraordinaire qu’elles contiennent en germe.

Through the presentation of four projects - the rehabilitation and the extension of the ‘Palais des Beaux-Arts’ at Lille’, the André Malraux media library at Strasbourg, the concourse on the ‘Palazzo de la Civilita Italiana’ at Rome as well as the competition for the redevelopment of the quays at Bordeaux - Jean-Marc stresses his approach as an architect, who puts creation as the capacity to understand and to analyze the real in a such a way as to take a new material and make it appear as something else. His strategy works by taking account of all the necessary parameters for the elaboration of the project in order to make it rest on a (complete)

understanding of the situation. More than the project per se, it is this aspect of the project, above all else, which requires structuring. Resulting from this is an extreme clarity of the matter and a great, formal simplicity, which requires a new look at things, to exceed the ordinary, to reveal the extraordinary that are its germ.

Francis Soler propose ici deux approches distinctes d’intervention sur le patrimoine. La première, dite de juxtaposition, trouve exemple dans les projets de la Halle de Béthune et du concours sur le département des Arts de l’Islam de la cour Visconti au Louvre. Dans cette figure de composition, les éléments patrimoniaux et contemporains s’approchent sans se toucher pour se révéler dans un nouveau dialogue. Le projet du Ministère de la Culture relève quant à lui d’une démarche dite de superposition. Au caractère hétérogène du bâtiment, accumulant des éléments de différentes époques se substitue une nouvelle cohérence par le travail sur l’enveloppe. Sa présentation tend néanmoins à esquisser de nouvelles relations au patrimoine, en le comprenant dans des acceptions plus larges. Il s’agit dès lors d’ouvrir le débat sur le patrimoine au-delà de son sens commun pour y entrevoir le patrimoine climatique, le patrimoine comme paysage, le patrimoine des mémoires additionnés, ou encore le patrimoine à réintégrer.

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Jean marc iBoS

Architecte

Francis SoLER

Architecte

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Francis Soler proposes here two different approaches for dealing with heritage. The first, in juxtaposition, finds example in the projects of the ‘Halle of Béthune’ and the concourse in the Department of Islamic Arts at the ‘Cour Visconti’ in the Louvre. In this figurative example, the patrimonial and contemporary elements approach without contacting to show themselves in a new way. Whereas, the project at the Ministry of Culture reveals an ‘overlay’. With the heterogeneous nature of the building, comprising elements of various periods, a new cohesion takes place by the work on the ‘envelope’. His presentation tends, nevertheless, to outline a new relationship to heritage, by understanding it in the broader sense. It gives rise to the debate on heritage beyond its usual sense, to foresee the climatic heritage, heritage as a landscape, the heritage of accumulated memories, or even for heritage to reintegrate.

L’architecte pose ici un regard contemporain sur la question patrimoniale, affirmant la nécessité de respecter l’existant, de le mettre en valeur tout en proposant une architecture forte qui se départit de toute volonté conflictuelle. De ce respect des éléments du site naît une architecture aux formes simples, prônant l’élégance, l’efficacité et la pureté. Cette simplicité ne se comprend alors pas comme tentative de dilution de l’architecture dans le site mais comme manière de lui donner une nouvelle dignité, de le magnifier. Les différents projets présentés (l’école de musique de Lisbonne, l’église San Antonio de Portalegre,

le théâtre et l’auditorium de Poitiers) marquent ce même souci du détail dans le travail sur les percements, générant des cadrages de vues et une mise en scène du paysage environnant. Le travail sur la lumière, comprise comme élément prédominant de son architecture, vient alors enrichir le dialogue entre le bâtiment et son site.

The architect takes here a contemporary look at the patrimonial question, asserting the necessity of respecting that which exists, to emphasize it while proposing a strong architecture which abandons any desire to conflict. Of this respect for the elements of the site is born an architecture with simple forms, extolling the virtues of elegance, efficiency and purity. This simplicity is not considered an attempt at diluting the architecture of the site but as way of giving it a new dignity, of glorifying it. The various projects presented (the Lisbon School of Music, the Church of San Antonio de Portalegre, the theatre and the auditorium of Poitiers) mark this same importance of the detail in the work on the buildings, generating the framing of views and direction of the surrounding landscape. The work on the light, included as a dominant element of his architecture, then comes to enrich the dialogue between the building and its site.

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João Luís CARRiLHo DA GRACA

Architecte

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Ecole Nationale Supérieured’ Architecture de montpellier:::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::

// Remerciements

à Monsieur Ariel GARCIA VALDES, Directeur du Conservatoire d’Art Dramatique

// Enseignants Jacques BRION, Elodie NOURRIGAT, Laurent DUPORT

// étudiantsMathieu ANNE / Benjamin BAYON / Mourad BENSAL / Yan-nick BRUNEAU / Ambroise BRUNEL / Loïc CANAUD / Cyril CAVALIER / Aldo CUSUMANO / Maïté DENAVIT / Julie DE-HAUT / Quentin DEVOYER / Claire DUCAMP / Clément FABRE / Yohann FLORENTIN / Julien FOLCHER / Lauriane GAU / Johanna GRANCHI / Antoine GUY / Myriam LAM-BERT / Marie-Camille LANCON / Caroline LEMPIRE / Amé-lie LOUBERE / Romain MARCHAL / Agnès MAZOYER / Julie MOREL / Maëlis NIBOUREL / Sophie OLIVARES / Carine OLIVE / Mathieu PALMA / Emilie PELADAN / Isabelle PETIT BISSON / Benoît RACLE / Fanny STEINER / Raphael SUA-REZ CASTILLO / Gwénael TRIPODI / Vanessa VERGNAULT / Sébastien VERNETTE / Gabrielle VINSON

// Editeur : Editions de l’Espérou

// Graphisme : Federation of ideas

// Photographies : leurs auteurs

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