Série de documents n° 12 - WMaker.net

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André Fazi, documents d’appoint au cours d’Introduction à la science politique 2020-2021 Série de documents n° 12 Document n° 1 : interview de Cesare Mattina, Marsactu, 3 septembre 2016. Comment peut-on définir le clientélisme ? Je ne le définis pas en tant que tel. Ce à quoi le terme renvoie le plus couramment, ce sont les relations clientélaires : des relations entre des patrons élus et des clients électeurs qui échangent des biens et des services contre des voix ou des soutiens politiques. Mais cela a de multiples aspects. Il faut une demande sociale de biens et de services personnalisés : très peu de gens s’adressent à un élu pour des question d’intérêt général. Il y aussi la question du métier d’élu qui implique nécessairement pour s’inscrire dans la durée la création d’une clientèle politique avec des obligés (famille, amis, petits élus) et des clientèles plus élargies comme pouvaient l’être les employés de la Socoma pour Charles-Émile Loo : on répond à la demande mais on crée aussi de l’offre. Il faut enfin une politique de redistribution, à savoir comment on multiplie les services, à qui on les donne et selon quelles motivations. En quoi Marseille représente-t-elle un cas typique ou atypique des relations clientélaires ? Les caractéristiques déjà décrites sont présentes partout. Plus ou moins. Certaines villes sont considérées comme n’étant pas clientélistes mais souvent, on n’en sait rien, faute de travail d’enquête. Par nature, il y a une difficulté à observer les relations clientélaires. Ce sont des relations personnelles, secrètes à l’échelle du chercheur. À Marseille, par les lettres de Gaston Defferre dans les archives, j’ai pu étudier sur le long terme la relation clientélaire. Ce sont des relations basées sur la confiance de long terme, suivies, amicales. Ce qui distingue Marseille est lié à des facteurs structurels et socio-historiques. C’est une ville où existe une demande sociale forte d’emplois publics dans les années 60 car l’emploi privé est déjà en difficulté. L’explosion démographique à Marseille dans les années 60/70 ne s’accompagne pas de création d’emplois privés dans les secteurs secondaire et tertiaire. Donc les gens s’adressent au secteur public. Dans les collectivités locales, dans les services de l’État où on rentre aussi au piston. En regard, des élus ont des choses à donner. Idem pour le logement social, on constate une carence absolue de logements sociaux qui commence à partir des années 60. Avec l’arrivée des rapatriés d’Algérie, il y a un afflux massif de demandes à Marseille. La troisième particularité concerne le niveau de dénonciation qui existe dans cette ville en terme de probité publique qui fait qu’on en parle beaucoup, tout le temps. C’est l’exemple de la lettre d’Arnaud Montebourg à Martine Aubry concernant le fonctionnement du parti socialiste des Bouches-du-Rhône et la gestion de Jean-Noël Guérini en 2011. Ce n’est pas un hasard s’il l’écrit sa lettre avant les primaires présidentielles. Marseille est un vrai théâtre de dénonciation puisque les choses marchent, sont reprises et ont de la portée. Si ça avait été à la fédération PS du Cantal, il ne l’aurait pas fait. Le clientélisme est-il aussi plus assumé par ceux qui le pratiquent ? Il y a effectivement des élus et des personnalités qui assument, qui se défendent en mettant en avant un rôle social : Jean-Noël Guérini (voire infra), [le secrétaire général national] Jean-Claude Mailly au sujet de Force ouvrière, [le député PS] Henri Jibrayel quand il a des ennuis judiciaires. Dans d’autres villes, les gens se cacheraient. A Besançon, s’il y a un scandale, à mon avis, ils vont plutôt se taire.

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André Fazi, documents d’appoint au cours d’Introduction à la science politiqueAndré Fazi, documents d’appoint au cours d’Introduction à la science politique 2020-2021
Série de documents n° 12
Document n° 1 : interview de Cesare Mattina, Marsactu, 3 septembre 2016.
Comment peut-on définir le clientélisme ?
Je ne le définis pas en tant que tel. Ce à quoi le terme renvoie le plus couramment, ce sont les relations clientélaires :
des relations entre des patrons élus et des clients électeurs qui échangent des biens et des services contre des voix
ou des soutiens politiques. Mais cela a de multiples aspects. Il faut une demande sociale de biens et de services
personnalisés : très peu de gens s’adressent à un élu pour des question d’intérêt général. Il y aussi la question du métier
d’élu qui implique nécessairement pour s’inscrire dans la durée la création d’une clientèle politique avec des obligés
(famille, amis, petits élus) et des clientèles plus élargies comme pouvaient l’être les employés de la Socoma pour
Charles-Émile Loo : on répond à la demande mais on crée aussi de l’offre. Il faut enfin une politique de redistribution,
à savoir comment on multiplie les services, à qui on les donne et selon quelles motivations.
En quoi Marseille représente-t-elle un cas typique ou atypique des relations clientélaires ?
Les caractéristiques déjà décrites sont présentes partout. Plus ou moins. Certaines villes sont considérées comme
n’étant pas clientélistes mais souvent, on n’en sait rien, faute de travail d’enquête. Par nature, il y a une difficulté à
observer les relations clientélaires. Ce sont des relations personnelles, secrètes à l’échelle du chercheur. À Marseille,
par les lettres de Gaston Defferre dans les archives, j’ai pu étudier sur le long terme la relation clientélaire. Ce sont
des relations basées sur la confiance de long terme, suivies, amicales.
Ce qui distingue Marseille est lié à des facteurs structurels et socio-historiques. C’est une ville où existe une demande
sociale forte d’emplois publics dans les années 60 car l’emploi privé est déjà en difficulté. L’explosion démographique
à Marseille dans les années 60/70 ne s’accompagne pas de création d’emplois privés dans les secteurs secondaire et
tertiaire. Donc les gens s’adressent au secteur public. Dans les collectivités locales, dans les services de l’État où on
rentre aussi au piston. En regard, des élus ont des choses à donner.
Idem pour le logement social, on constate une carence absolue de logements sociaux qui commence à partir des
années 60. Avec l’arrivée des rapatriés d’Algérie, il y a un afflux massif de demandes à Marseille. La troisième
particularité concerne le niveau de dénonciation qui existe dans cette ville en terme de probité publique qui fait qu’on
en parle beaucoup, tout le temps. C’est l’exemple de la lettre d’Arnaud Montebourg à Martine Aubry concernant le
fonctionnement du parti socialiste des Bouches-du-Rhône et la gestion de Jean-Noël Guérini en 2011. Ce n’est pas un
hasard s’il l’écrit sa lettre avant les primaires présidentielles. Marseille est un vrai théâtre de dénonciation puisque les
choses marchent, sont reprises et ont de la portée. Si ça avait été à la fédération PS du Cantal, il ne l’aurait pas fait.
Le clientélisme est-il aussi plus assumé par ceux qui le pratiquent ?
Il y a effectivement des élus et des personnalités qui assument, qui se défendent en mettant en avant un rôle social :
Jean-Noël Guérini (voire infra), [le secrétaire général national] Jean-Claude Mailly au sujet de Force ouvrière, [le député
PS] Henri Jibrayel quand il a des ennuis judiciaires. Dans d’autres villes, les gens se cacheraient. A Besançon, s’il y a un
scandale, à mon avis, ils vont plutôt se taire.
André Fazi, documents d’appoint au cours d’Introduction à la science politique 2020-2021
Pourquoi ?
Parce qu’à Marseille, c’est assumé depuis longtemps. Parce que dans les années 60/70, il y a aussi une petite fraction
du prolétariat qui a profité de l’ascension sociale. Un emploi municipal, un habitat dans un nouveau quartier avec un
autre voisinage, ça change une vie. Mais ce n’est pas aux classes populaires que le système profite. Mais aux classes
moyennes et même moyennes hautes.
Qui sont-elles ?
Les professions libérales (médecins, avocats, pharmaciens) se mettent souvent en situation d’intermédiaires. D’ailleurs,
c’est intéressant de remarquer, pour les médecins par exemple ou avec les avocats, les liens de fidélité dans leur métier
sont très forts : on a un médecin de famille, l’avocat gère des choses intimes comme les divorces. Clientèles politiques
et professionnelles se mélangent. C’est flagrant avec [le médecin] Robert Vigouroux avant qu’il ne devienne maire de
Marseille.
Et il y a plein d’employés municipaux ou autres qui jouent des rôles d’intermédiaires électoraux. Ils ont fait leur
ascension sociale grâce à ça et ils reproduisent le système. Toutes les strates des classes moyennes se retrouvent.
C’est la « famille municipale » que vous évoquez souvent. Quelles sont ses caractéristiques ?
Déjà, c’est un terme qui revient très souvent dans les archives. Cela inclut tous les employés municipaux et leur famille,
les structures rattachées à la mairie (RTM, Marins-pompiers, AP-HM…) tous les salariés du Provençal et leur famille.
Ils sont les premiers bénéficiaires de la distribution des ressources. Cela renvoie à une conception patronale très forte
de l’exercice du pouvoir matérialisée par les deux hommes à la pointe du système marseillais : Gaston Defferre et
Charles-Emile Loo. L’un est à la tête du Provençal, l’autre de la Socoma. Ils gèrent tout en patron. Les relations
clientélaires sont donc doublées par une relation de patronage et cela renforce la relation à long terme, de fidélité.
Dans la mairie, on pratique ainsi l’embauche de père en fils. On renforce encore le lien et on met la filiation comme
critère de nouvelle embauche. Je prends ton fils parce que j’ai confiance en toi. Le système FO, c’est ça : “Toi tu n’as
[…]
Votre travail se concentre sur des archives datant de l’époque Defferre. Diriez-vous que cela a perduré depuis ?
A mon sens, le defferrisme est toujours là. C’est tellement ancré ! Le defferrisme, c’est une alliance entre des socialistes
defferriens, le centre et une bonne partie de la droite. Gaudin qui était de cette majorité s’appuie aujourd’hui sur les
mêmes groupes sociaux que Gaston Defferre, les mêmes arrondissements. Auparavant dominés par les communistes,
ensuite par les socialistes, les quartiers Nord restent dans l’opposition. Les quartiers Nord n’ont été qu’une fois au
pouvoir et encore, dans dans un contexte particulier, quand Vigouroux a remporté tous les secteurs de la ville. Quant
au système Guérini, c’est à peu près le même que Defferre sauf que Guérini a joué le département et les quartiers
Nord. Mais je suis un sociologue très proche des historiens. Je ne peux pas raisonner sur le temps présent. Je dis que
tous les indices sont là pour qu’il y ait une continuité. Je ne peux dire les choses avec des preuves que sur les années
60/70/80.
André Fazi, documents d’appoint au cours d’Introduction à la science politique 2020-2021
Document n° 2 : La participation de la population en âge de voter aux élections présidentielles
américaines, 1828-2020, http://www.electproject.org/
Opinion and Political Parties in Advanced Industrial Democracies, 2006, p. 178)
Facteurs de long terme Facteurs de court terme
Document n° 4 : L’abstention lors des différents scrutins en France et en Corse – 1974-2019.
France – 1er tour Corse – 1er tour Différence
Présidentielles 1974 15,87% 32,86% +16,99%
Présidentielles 1981 19,84% 35,86% + 16,02%
Présidentielles 1988 18,6% 32,35% + 13,75%
Législatives 1988 33,86% 39,6% + 5,74%
Cantonales 1988 50,9% 33,07% - 17,83%
Structure
économique
Campagne
électorale
Conditions
Contexte
historique
André Fazi, documents d’appoint au cours d’Introduction à la science politique 2020-2021
Européennes 1989 50,32% 61,5% + 11,18%
Cantonales 1992 30% 22,9% - 7,1%
Régionales 1992 31% 17% - 14%
Référendum 1992 30,3% 44,65% + 14,35%
Législatives 1993 30,8% 34,8% + 4%
Cantonales 1994 39,6% 31,6% - 8%
Européennes 1994 47,29 % 59,66% + 12,37%
Municipales 1995 30,6% 20,7% - 10,1%
Présidentielles 1995 22% 33% + 11%
Législatives 1997 31,7% 37,9% + 8,2%
Cantonales 1998 39,5% 26,1% - 13,4%
Régionales 1998 41,9% 31,53% - 10,37%
Européennes 1999 52,9% 68,29% + 15,39%
Référendum 2000 69,68% 76,62% + 6,94%
Municipales 2001 32,7% 21,72% - 9,98%
Cantonales 2001 37,6% 22,73% - 14,87%
Présidentielles 2002 28,4% 41,38% + 12,98%
Législatives 2002 35,59% 37,48% + 1,89%
Cantonales 2004 36,09% 25,31% - 10,78%
Régionales 2004 37,88% 27,49% - 10,39%
Européennes 2004 56,9% 72,34% + 15,44%
Référendum 2005 30,26% 43,87% + 13,61%
Présidentielles 2007 16,23% 24,5% + 8,27%
Législatives 2007 39,56% 39,22% - 0,34%
Municipales 2008 33,5% 20,04% - 13,31%
Cantonales 2008 35,11% 24,56% - 10,55%
Régionales 2010 48,8% 36,5% - 12,3%
Présidentielles 2012 20,5% 25,7% + 5,2%
Législatives 2012 44,6% 39,64% - 5%
Régionales 2015 50,09% 40,34% - 9,75%
Présidentielles 2017 22,23% 31,96% + 9,73%
Législatives 2017 51,30% 50,66% - 0,64%
Européennes 2019 49,88% 61,99% + 12,11%
André Fazi, documents d’appoint au cours d’Introduction à la science politique 2020-2021
Document n° 5 : Résultats des élections présidentielles dans les 100 comtés américains où le
revenu médian est le plus élevé, « How the 2020 Election Deepened America’s White-
Collar/Blue-Collar Split », The Wall Street Journal, 24 novembre 2020.
André Fazi, documents d’appoint au cours d’Introduction à la science politique 2020-2021
Document n° 6 : Catégories sociales et préférences politiques (source : Le Panel Électoral
Français 2007, CEVIPOF - Ministère de l’Intérieur, Enquête post-électorale présidentielle)
Ségolène Royal Nicolas Sarkozy
18-24 ans 55% 32%
Agriculteur 20% 71%
Enseignant 65% 25%
Ouvrier 39% 43%
Travaillant à son compte 26% 63%
Salarié du secteur public 44% 40%
Document n° 7 : L’orientation du vote lors des présidentielles américaines de 2016, sondage
sortie des urnes, https://www.nytimes.com/interactive/2020/11/03/us/elections/exit-polls-