Solving logistic conflicts between Working Paper retailers ... · Solving logistic conflicts...
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Business School
W O R K I N G P A P E R S E R I E S
IPAG working papers are circulated for discussion and comments only. They have not been
peer-reviewed and may not be reproduced without permission of the authors.
Working Paper
2014-170
Solving logistic conflicts between
retailers and manufacturers: the role of
interpersonal relationships
Hicham ABBAD
Dominique BONET FERNANDEZ
http://www.ipag.fr/fr/accueil/la-recherche/publications-WP.html
IPAG Business School
184, Boulevard Saint-Germain
75006 Paris
France
Solving logistic conflicts between retailers and manufacturers: the
role of interpersonal relationships
Hicham ABBAD
University of Nantes, LEMNA
Dominique BONET FERNANDEZ IPAG Business School and CRET-LOG
Abtract:
The logistical service is perceived as a key factor for reducing product shipment costs from
factories to store shelves, while guaranteeing sufficient reactivity to satisfy unpredictable
consumer demand. Although this service is taken into account in the supply selection process,
large retailers in Morocco still remain confronted with the logistical failure of most of their
suppliers (no respect of delivery periods, increase in shortage rate…). This dissatisfaction in
terms of suppliers’ logistical skills is a major source of conflict. The aim of this paper is to
show how the relationship between major retailers and their local suppliers staff make it
possible to manage this type of conflict.
Keywords: interpersonal relationships, conflict, logistics, mass retailing, food industry,
Morocco.
1
Introduction
L’efficience des échanges entre les grands distributeurs alimentaires et leurs fournisseurs
repose sur un service logistique permettant de réduire les coûts d’acheminement des produits
depuis l’usine jusqu’aux points de vente tout en assurant une réactivité suffisante face aux
aléas de la demande finale. Bien que ce critère logistique soit pris en compte dans le processus
de choix des fournisseurs, les grands distributeurs au Maroc demeurent confrontés à la
défaillance logistique d’une grande partie de leurs fournisseurs (délais de livraison non
respectés, livraisons non-conformes, taux de rupture élevé dans les linéaires, etc.) (Abbad,
2008, 2009). Cette insatisfaction des distributeurs qui serait liée en partie aux compétences
logistiques mal maîtrisées des fournisseurs est souvent source de conflits et de tensions entre
les deux acteurs du canal de distribution.
Au travers d’une recherche exploratoire menée auprès d’un panel de fournisseurs et de
distributeurs marocains, nous tentons de montrer comment les relations interpersonnelles
entre le personnel des distributeurs et celui des industriels de l’agroalimentaire permettent de
gérer ce type de conflit.
Notre article est structuré en quatre parties. Nous présentons tout d’abord le cadre théorique
de cette recherche, le conflit, ses causes, ses modes de résolution et le rôle des relations
interpersonnelles puis la méthodologie adoptée, nos résultats et leur discussion.
I. Cadre théorique : types de conflit, causes et modes de résolution
1.1 Les différents types de conflit dans la littérature
Le conflit dans le contexte spécifique du canal de distribution se définit comme une situation
dans laquelle un membre du canal perçoit qu’un autre membre a adopté un comportement qui
l’empêche d’atteindre ses propres objectifs, Stern et El-Ansary (1996). L’existence du conflit
est liée essentiellement à l'interdépendance fonctionnelle entre deux membres du canal
(Rosenberg et Stern, 1971; Brown et Day, 1981). Le conflit est considéré essentiellement
comme un phénomène social (Pondy, 1967 ; Raven et Kruglanski, 1970). Pour ces derniers, le
conflit est une tension entre deux entités sociales ou plus (individus, groupes ou organisations
plus larges), qui résulte de l'incompatibilité des réponses réelles ou désirées.
Dans le cas du canal de distribution, Palamountain (1955) distingue le conflit horizontal
concernant celui entre les intermédiaires de même type (par exemple, deux grossistes), le
conflit inter-type lié à celui entre les intermédiaires au même niveau mais de différents types
(par exemple, un distributeur alimentaire et une franchise automobile) et le conflit vertical se
référant au conflit entre les membres du canal de différents niveaux.
1.2 Les causes du conflit
Il existe, dans la littérature un consensus sur trois causes de conflit: l’incompatibilité des
objectifs, la dissension sur un domaine de décision et la différence de perception de la réalité.
Bowersox et al. (1980) définissent cinq catégories de causes du conflit dans le canal de
distribution : (1) l’incompatibilité d’objectifs ; (2) la non-congruence de rôle des membres du
canal ; (3) les différences de perception portant sur l’environnement et les parties en
2
présence ; (4) la rupture du processus de communication ; (5) les différences culturelles entre
les acteurs. Si les trois premières causes du conflit ont été développées dans des recherches
antérieures, comme celle de Rosenberg et Stern (1971), l’approche de Bowersox et al. (1980)
est plus complète et pertinente dans le cadre de notre recherche du fait qu’elle intègre la
communication et la culture comme causes possibles d’apparition des conflits.
Les sources de conflit sont nombreuses et variées. Selon Bonet (2000), ces sources tiennent à
deux catégories de causes : (1) les attitudes/attentes, qui correspondent aux différences dans le
processus d’échange d’informations entre membres du canal de distribution ; (2) la structure
et l’environnement, qui sont relatifs aux conflits d’intérêt (Stern et al., 1996). Alors que les
causes attitudinales sont liées à des divergences sur les attentes, rôles, perceptions et
communications des membres du canal (Etgar, 1979), les causes structurelles sont inhérentes
à une incompatibilité d’objectifs, à un désir de contrôle et d’autonomie et à une compétition
pour l’acquisition de ressources rares.
Les causes du conflit sont donc multiples et variées. Pour pouvoir gérer les nombreuses
situations conflictuelles, des méthodes de résolution sont proposées aux membres du canal de
distribution.
1.3. Les stratégies de gestion des conflits
De nombreux auteurs se sont intéressés aux mécanismes de résolution des conflits. La
littérature organisationnelle distingue deux principales approches du conflit :
comportementale et structurelle (Rahim, 1979). Dans l’approche comportementale, Thomas
(1976) définit cinq méthodes de résolution des conflits sur la base de deux dimensions : (1) le
degré de considération que les acteurs ont pour eux-mêmes ; (2) le degré de considération
qu’ils ont pour les autres acteurs impliqués dans le conflit. Ainsi, en croisant ces deux
dimensions, on obtient cinq modes distincts de résolution de conflits: la négligence, la
domination, l’accommodation, le compromis et la coopération.
Cette typologie proposée par Thomas (1976) fait apparaître deux méthodes de résolution des
conflits (Thomas, 1992 ; Ganesan, 1993). L’une, de type non coopératif, regroupe domination
et négligence et l’autre, de type coopératif, inclut accommodation, compromis et coopération.
Concernant la manière non coopérative, la domination est utilisée lorsque la partie disposant
du plus fort pouvoir impose ses décisions et ses solutions aux autres (comportement
autoritaire, oppressif, dépourvu de toute volonté de coopération) et la négligence est employée
dans des situations de conflits peu importants pour les parties engagées dans la crise
(comportement fondé sur l’indifférence et sur l’absence de coopération). Quant au mode
coopératif, on retrouve : l’accommodation, qui s’applique quand l’une des parties fait des
concessions pour maintenir sa relation avec son partenaire à l’échange ; le compromis, qui
signifie que les parties en situation conflictuelle sont disposées à sacrifier leurs propres
intérêts pour trouver une solution à l’amiable ; enfin, la coopération, le mode le plus
constructif, est utilisée par les protagonistes pour arriver à une solution satisfaisante pour
toutes les parties. Ce mode de résolution est probant et efficace dans la mesure où les
partenaires portent un certain intérêt à l’aboutissement de leur relation.
Partant d’une analyse multidisciplinaire de la littérature sur le conflit, Dant et Schul (1992)
constatent qu’il y a, généralement, deux modes de résolution des conflits : le premier se fonde
sur des mécanismes dits « institutionnalisés », mis en œuvre par les membres leaders du canal
pour gérer le conflit de façon systématique et continue (adhésion à des associations
3
professionnelles, échange de personnel, etc.) ; la seconde s’appuie sur des mécanismes plus
informels utilisés par les parties prenantes et qui pourraient rendre possible l’établissement
des mécanismes institutionnalisés de résolution des conflits. Afin d’opérationnaliser le
processus de résolution des conflits dans le canal de distribution, Dant et Schul (1992)
proposent, à partir des travaux de March et Simon (1958), quatre stratégies de gestion du
conflit : (1) la résolution conjointe des problèmes ; (2) la persuasion ; (3) la négociation et (4)
l’usage de la politique ou le recours à la médiation d’un tiers. La résolution des problèmes et
la persuasion sont des stratégies menées par des parties qui évoluent dans un climat de
confiance en raison de l’échange régulier d’informations. La négociation et l’intervention
d’un tiers sont employées par les membres du canal de distribution lorsqu’existe un climat de
méfiance dû à une rétention d’informations (Stern et al., 1996).
Alors que la typologie proposée par Thomas (1976) met en relief les considérations pour soi
et pour l’autre, et les modes coopératifs ou non de résolution des différends, celle de Dant et
Schul (1992) fait le lien entre la gestion des conflits et le climat des transactions. Que peut-on
dire maintenant du rôle des rapports interpersonnels dans la résolution des conflits de nature
logistique ?
2. LA RESOLUTION DES CONFLITS LOGISTIQUES : LE ROLE DES RELATIONS
INTERPERSONNELLES
Les travaux antérieurs en sociologie (Granovetter, 1985), en science politique (Axelrod,
1984), en économie (Klein et Leffler, 1981), en théorie de l'organisation (Ouchi, 1980) et
récemment en marketing (Morgan et Hunt, 1994 ; Weitz et Jap, 1995 ; Wilson, 1995 ; Murry
et Heide, 1998) identifient les relations interpersonnelles comme un important mécanisme
pour structurer les relations entre des parties motivées par leurs propres intérêts. La notion de
relations interpersonnelles ne s’applique pas seulement aux rapports de parenté ou d'amitié
mais peut également être utilisée dans le cadre des relations sociales entre les membres de
deux ou plusieurs organisations. Dans les relations dyadiques retenues pour cette recherche,
elle fait référence à l'existence de liens entretenus et développés entre les individus des
entreprises impliquées dans une relation d'échange, managers des distributeurs et
représentants des fabricants.
Ce type de relations est créé et développé grâce aux contacts interpersonnels. Ceux-ci
touchent un certain nombre de fonctions, peuvent concerner différents niveaux hiérarchiques
des deux côtés et impliquent des visites et des réunions dont la fréquence est variable. Dans
les relations client-fournisseur, les relations « restreintes » autour d’un petit nombre de sujets
commerciaux doivent être distinguées des relations « étendues » où des managers des deux
parties échangent sur les domaines commercial, technique, marketing, ou sur des problèmes
logistiques, de procédures de contrôle qualité, de situation du marché... Ainsi, les contacts
entre clients et fournisseurs peuvent concerner plusieurs fonctions de part et d’autre (achats,
marketing, recherche et développement, logistique, etc.).
L’examen des contacts interpersonnels du point de vue hiérarchique souligne l’existence de
dissymétries fonctionnelles dues à des disparités structurelles des deux côtés. Dans certaines
Petites et Moyennes Industries (PMI) travaillant avec la grande distribution, le chef
d’entreprise représente le seul interlocuteur de toutes les fonctions de la firme de distribution.
Les PMI se caractérisent par une structure de direction embryonnaire où le chef d’entreprise
assure, seul, les fonctions de dirigeant, de directeur technique, de responsable administratif et
financier, de responsable commercial, (Allali, 2003). La fréquence permet de mesurer la
4
quantité des contacts mais pas forcément la qualité des échanges. Dans les relations client-
fournisseur, une certaine fréquence des contacts est nécessaire pour assurer le suivi des
performances, résoudre les conflits, démontrer l’engagement réciproque, échanger de
l’information et favoriser le développement des liens sociaux (relations interpersonnelles).
Selon le cadre sociologique néo-institutionnel, le succès des relations transactionnelles peut
être facilité par des mécanismes autres que ceux du marché ou de la hiérarchie. Le contexte
social apparaît ainsi comme un moyen efficace de régulation et de coordination entre les
parties de l’échange (Gulati, 1995 ; Håkansson et Snehota, 1995). Ce contexte renvoie au
concept de socially embedded relationships (Granovetter, 1985 ; Frenzen et Davis, 1990) et
plus précisément à la notion de réseau. De façon générale, un réseau se définit comme une
structure de liens entre des points. Ces points peuvent être des objets, des individus ou des
organisations, ce qui amène les chercheurs à distinguer trois types de réseaux : le réseau
technique, qui relie des terminaux (technologie de l’information), le réseau interpersonnel, qui
relie des individus et le réseau inter-organisationnel, qui relie des personnes morales. Ces trois
types de réseaux sont intégrés dans le cadre des relations inter-entreprises.
Partant de l’idée du réseau social, des auteurs comme Gulati (1998), ou encore Jones et al.
(1997) soulignent l’incidence des liens personnels sur la stabilité de la relation. Selon ces
auteurs, la structure sociale dans laquelle se trouvent les deux parties, et qui intègre
notamment les relations personnelles développées au fil du temps, peut permettre de réduire le
risque de conflits et de comportements opportunistes, d’accroître la confiance et d’améliorer
ainsi la performance de la relation. L'argument clé de la littérature sur le réseau social est que
l'existence d'un lien interpersonnel fort reflète des processus antérieurs de choix et/ou de
socialisation entre les parties (Chatman, 1991). L'effet de tels processus permet d’aligner les
objectifs des parties en question et de réduire le risque d'opportunisme (Murry et Heide,
1998).
Les chercheurs en marketing relationnel et logistique commencent de plus en plus à
reconnaître l'impact des facteurs interpersonnels sur les résultats obtenus dans les relations
inter-entreprises (Morgan et Hunt, 1994 ; Murry et Heide, 1998 ; Weitz et Jap, 1995 ; Wilson,
1995). Pour Jap (1999), les liens interpersonnels entre le personnel des deux parties de
l'échange représentent des micro-conditions qui peuvent potentiellement influencer
positivement la décision de la dyade à exploiter des particularités de la relation et réaliser des
investissements spécifiques. Larson (1992) note que les relations personnelles et les
réputations de chacune des deux parties constituent un contexte favorable pour un nouvel
échange en réduisant les risques de conflits et les incertitudes. Dans le même ordre d'idée,
d'autres auteurs insistent sur l'intérêt croissant de l'utilisation des normes sociales et des
mécanismes bilatéraux de la gouvernance relationnelle en tant que moyens d'atténuer les
incertitudes inhérentes à l'échange inter-organisationnel (Heide, 1994 ; Heide et John, 1992).
Ring et Van de Ven (1992, 1994) précisent le rôle important des relations interpersonnelles
dans la réussite des relations et l’augmentation du niveau de la confiance entre les deux
parties.
3. METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
Afin de répondre à notre problématique -rôle des relations interpersonnelles dans la résolution
des conflits portant sur le service logistique du fournisseur-, nous avons réalisé une enquête
exploratoire auprès d’un panel de 30 répondants. Le recueil des données a reposé sur des
entretiens semi-directifs réalisés auprès de responsables de la grande distribution et
5
d’industriels et d’experts (Cf tableau 1). Les entretiens ont été complétés par le dépouillement
des principales revues professionnelles et économiques. Evrard et al. (2009) soulignent que
les entretiens comme la documentation constituent les principales sources d’information,
c’est-à-dire, pour obtenir directement une description d’une situation managériale construite
pour rendre compte du contexte situationnel dans lequel le comportement s’inscrit. Pour ce
qui est de la méthode d'analyse de données qualitatives collectées à l’aide des guides
d’entretiens, l'analyse de contenu a été utilisée comme principal instrument d'investigation
pour dépouiller, classer et analyser les informations contenues dans les entretiens et les
documents (Bardin, 2007).
Le Maroc connaît une transformation rapide de son appareil commercial depuis une dizaine
d’années dans les principales villes du Royaume, (Abbad, 2008). Actuellement, cinq
entreprises se partagent l’industrie de la distribution moderne : Marjane, Metro (ex-Makro),
Aswak Assalam, Label’ Vie et Acima. Les segments sur lesquels interviennent ces entreprises
sont toutefois distincts. Metro s’est positionné dans le domaine de la vente aux détaillants
(cash & carry), en opposition aux autres entreprises, spécialisées dans la vente au
consommateur dans de grandes surfaces (Aswak Assalam et Marjane) ou dans de moyennes
surfaces (Label’ Vie et Acima). Précisons ici que Label’Vie, en partenariat avec le groupe
français Carrefour (contrat de franchise), étend son activité à d’autres types de magasins en
ouvrant le premier hypermarché Carrefour à Salé. Le plan de développement de Best
Financière, le propriétaire de l’enseigne, prévoit l’ouverture de 6 hypermarchés à l’horizon
2012.
Tableau 1 : Composition de l’échantillon de l’enquête
Distributeurs
Président de Directoire
Directeur général
Directeur Logistique
2 Directeurs Achats
3 responsables achats
8 acheteurs professionnels
Industriels
10 PMI du secteur agroalimentaire (6 dirigeants et 4 responsables commerciaux)
Experts
Un expert universitaire en relation industrie/commerce
Responsable communication à la Fédération Nationale de l’agroalimentaire
(FENAGRI)
Président de la Fédération des PME/PMI (FPME)
Expert à la Mission Economique Française de Casablanca
4. RESULTATS ET DISCUSSION
Avant de mettre en exergue le rôle des relations interpersonnelles dans la gestion des conflits
logistiques entre distributeurs et fabricants, il est nécessaire de dresser un état des lieux de la
logistique dans le secteur de la grande distribution. Si la logistique de distribution présente
d’importantes zones de collaboration entre industriels et distributeurs en France, qu’il s’agisse
des flux de produits ou d’informations associées (Bonet, 2000), dans le contexte marocain
6
actuel, c’est seulement sur la partie physique des flux que les deux membres du canal
coordonnent leurs actions.
Caractéristiques des flux physiques et d’informations au Maroc
Le système actuel est caractérisé par l’absence de toute interconnexion informatique pour
échanger des informations. Cette situation ne concerne pas seulement les relations des
distributeurs avec les PME mais également celles avec les grands industriels marocains et les
filiales des multinationales implantées au Maroc. Elle peut s’expliquer par « les réticences des
grands fournisseurs à ouvrir leur base de données », estime Phillippe Pillaud, directeur
général d’Africa Logistique Process, un cabinet de conseil spécialisé dans la logistique. « On
en est encore à transmettre des commandes par fax », avance Philippe Le Grignou, l’ex
directeur général de Marjane Holding.
Contrairement aux distributeurs qui ont réussi à l’aide de techniques modernes à réorganiser
rapidement leur activité logistique, de nombreux fournisseurs sont dépourvus de moyens
informatiques pour gérer les flux physiques de leurs produits. Actuellement, le
réapprovisionnement des points de vente des quatre distributeurs opérant dans le grand
commerce de détail est organisé des deux manières illustrées par la figure 1.
Figure 1 : Evolution des flux dans la distribution marocaine
Source : Elaboration personnelle
Le passage de la première partie « relation fabricant-magasin » à la deuxième « relation
fabricant-plate-forme-magasin » de la figure constitue une importante étape pour éviter les
conflits dans la gestion des flux et donc la voie pour une véritable coopération logistique entre
distributeurs et industriels. La construction d’une plate-forme propre ou le recours à un
intermédiaire logistique témoigne d’une réelle volonté des grands distributeurs de coopérer
avec leurs fournisseurs de produits alimentaires. La mise en place des plates-formes a permis
de réduire les coûts de transport, d’accélérer les délais de livraison, de baisser les ruptures en
linéaire et de réaliser des gains de productivité. La distribution moderne sera le levier du
développement des plates-formes logistiques, « car elle aura sans cesse le souci d’acheter
aux prix les plus bas », estime un des experts interviewés.
Fabricant
Magasin
Fabricant
Magasin Plate-forme
Livraisons cadencées
Livraisons
cadencées
PUSH
Commandes Ordres de
réapprovisionnement
Ordres de
réapprovisionnement HIER
AUJOURD’HUI
7
Selon nos répondants, le contrôle direct de l’approvisionnement des magasins est une étape
préalable avant de déléguer à l’industriel les flux de l’entrepôt. Or, une telle évolution
nécessite une prise de conscience de l’importance de la logistique et un changement des
mentalités. Le président du directoire d’un des distributeur de notre panel résume bien l’état
actuel de la logistique dans les entreprises marocaines : « C’est un problème aujourd’hui de la
culture logistique qui n’est pas encore entrée dans les mœurs des industriels. (…) toute la
question amène à l’appréhension de la logistique dans notre culture ». Comme la grande
distribution ne représente que 10% du commerce et que les rapports de force n’atteignent pas
encore le diktat qu’imposent les grandes surfaces aux fournisseurs en Europe, le changement
de mentalités des PME devrait passer par les hommes et plus précisément par une forte et
durable implication de la direction, nous explique un responsable distributeur. Si nous
mobilisons la typologie développée par Bowersox et al. (1980), les différences de perception
quant à l’importance du service logistique et l’absence d’un véritable processus de
communication (absence des interconnexions informatiques) demeurent les principales causes
d’apparition du conflit dans les relations logistiques entre fabricants et distributeurs.
Cependant, il faut noter que les choses évoluent rapidement, puisque certains de nos
interlocuteurs distributeurs précisent que la logistique progresse à grande vitesse.
Contrairement aux détaillants de la distribution moderne où la commande informatisée est
encore inexistante, Metro Maroc (unique enseigne de cash and carry) a initié une expérience
avec Unilever Best Foods Maghreb. « Il est temps, pour la grande distribution marocaine,
d’informatiser les échanges de ses données », indique la direction de Metro Maroc. Certains
de nos interlocuteurs impliqués dans la stratégie de leur enseigne s’accordent sur l’importance
de l’EDI dans le développement du secteur de la distribution moderne et celui de leurs
relations avec les fournisseurs. L’introduction de l’EDI et sa généralisation à toutes les
relations devraient assurer, dans le futur, le passage incontournable - devenu, par là même,
universel (modèle logistique du distributeur américain Wal-Mart) - des flux poussés ou push
(c'est-à-dire que le point de vente est réapprovisionné en fonction de la capacité de production
du fournisseur) à des flux tirés ou pull (c'est-à-dire que le point de vente est réapprovisionné
en fonction de ses besoins, voire ceux du consommateur final).
La stratégie de certains distributeurs, sur le modèle des détaillants en Europe, est de mettre en
place des centres de distribution régionaux qui sont responsables de l’approvisionnement des
magasins. Pour l’ensemble des fournisseurs y compris les PME, l’interface logistique sera
donc constituée de plus en plus systématiquement d’un seul point de livraison (les centres de
distribution régionaux), même si l’approvisionnement direct des magasins reste encore
présent, comme le confirme l’étude de Arning et al. (2009). L’approvisionnement direct peut
s’expliquer par deux raisons essentielles : (1) l’absence de plates-formes dans l’organisation
logistique des distributeurs gérant des hypermarchés (la taille critique en termes de nombre de
magasins n’est pas encore atteinte) et (2) le refus de certains fournisseurs à passer par les
centres de distribution compte tenu de l’importance de la participation financière exigée par
les distributeurs dans le contrat logistique.
Outre les compétences limitées des fabricants dans le domaine logistique, la présence de
rapports conflictuels s’explique également par le poids relativement faible des critères de
qualité de service logistique dans l’évaluation préalable des fournisseurs par le grand
commerce. Des entretiens semi-directifs menés dans le cadre d’une recherche relativement
récente indiquent que ce critère n’est pas ignoré par les grands distributeurs lors du processus
de sélection, mais son impact demeure assez faible comparativement à des critères marketing
8
et financiers (prix de vente, qualité du produit, campagne publicitaire de lancement,
organisation d’opérations promotionnelles, etc.) (Abbad, 2009), ce qui confirme la méta-
analyse conduite par Nilsson and Höst (1987) et l’étude de Paché (1995) sur le cas français et
de Hansen (2001) sur le cas chinois. Les critères de qualité de service logistique sont certes
discutés par les distributeurs lors du processus de négociation avec le fabricant mais avec un
objectif minimal : s’assurer que le fournisseur est capable de mettre en place un système de
livraison réduisant les ruptures à un niveau jugé « acceptable ».
Il est souvent souligné dans la littérature académique que les défaillances de la logistique ont
des impacts dramatiques pour le grand distributeur, menacé de perdre des clients et donc des
parts de marché lorsque les ruptures deviennent récurrentes (Fernie et Sparks, 2009). Sans
oublier l’altération durable de l’image du distributeur lorsque les ruptures génèrent une forte
discontinuité dans la gestion de l’assortiment (Filser et Paché, 2006). Le paradoxe que
soulèvent les résultats de notre recherche en est d’autant plus remarquable. En effet, le
distributeur étudié n’accorde pas de poids significatif à la performance logistique lors du
processus de sélection des PME (Abbad, 2009). Le contexte d’un pays émergent qui découvre
la distribution moderne, et des consommateurs habitués jusqu’alors à un faible niveau de
service, pourraient expliquer les raisons de ce constat. Or, nos résultats confirment un certain
nombre de recherches conduites dans d’autres contextes nationaux (Hansen, 2001), y compris
là où la maturité des entreprises de la distribution alimentaire ne peut être contestée.
Modes relationnels et de résolution des conflits
Les relations interpersonnelles sont une variable nuançant la définition et l’explication de son
développement dans le contexte marocain. En effet, quand nous interrogeons les répondants
sur le rôle des relations interpersonnelles dans l’échange en général, et dans la résolution des
différends en particulier, ceux-ci insistent immédiatement sur l’inexistence de relations
privilégiées de type clientéliste. La plupart des interviewés a une mauvaise compréhension de
la définition des relations interpersonnelles et une représentation spécifique de leur rôle dans
le maintien des rapports. Au Maroc, dans le discours des deux parties de l’échange, nous
avons décelé une certaine confusion entre les relations interpersonnelles qui sont nouées suite
à des interactions affairistes et sociales et les relations clientélistes qui sont dépourvues de
tous raisonnement et choix rationnels (appartenance à une famille, à un groupe social, à un
groupe ethnique, etc.). Cet état de fait emprunte une importante part de sa substance à un
espace socio-économique marocain, traditionnel et spécifique (Brown, 1976 ; Geertz, 1986 ;
Tangeaoui, 1993 ; d’Iribarne, 2002 ; Abbad, 2008). Pour dégager le rôle des relations
interpersonnelles dans la gestion des crises et éviter toute ambiguïté, nous avons donné aux
interviewés, à titre d’illustration, l’exemple des relations connues en Chine et à Hong Kong
sous l’appellation de « Guanxi » (Hwang, 1987 ; Kipnis, 1997 ; Lee et Dawes, 2005). Les
personnes interrogées, industriels et distributeurs, affirment ensemble que le fait de connaître
personnellement les interlocuteurs facilite la communication (principalement orale) et permet
ainsi d’améliorer le déroulement des échanges en offrant plus de possibilités dans la gestion
des conflits, « Le relationnel dans le commerce est très important. (…) quand on a en face
deux personnes qui œuvrent dans le même sens et qui arrivent à s’entendre, je pense qu’on
arrive plus facilement à débloquer des situations et à faire avancer les choses. L’existence de
liens personnels apparaît, dans le contexte marocain, comme un facteur qui facilite
l’établissement de la confiance et un garant de l’engagement des parties dans la relation.
Notons ici qu’une grande partie des conflits inhérents au service logistique du fournisseur est
réglée à l’amiable. L’accommodation (quand le fournisseur fait des concessions pour
maintenir sa relation avec son client) et, à un degré moindre, le compromis (les parties en
situation conflictuelle sont disposées à sacrifier leurs propres intérêts pour trouver une
9
solution à l’amiable) demeurent les méthodes les plus utilisées pour résoudre les problèmes
dans la chaîne logistique.
Conscients de l’importance des relations interpersonnelles entre leur personnel et celui de
leurs clients, certains fabricants proposent à des acheteurs professionnels des postes de
responsabilité (responsable commercial et/ou logistique) avec des conditions de rémunération
plus avantageuses que celles proposées par les entreprises de la grande distribution à
dominante alimentaire. Nous avons eu l’occasion de rencontrer deux responsables
commerciaux qui ont travaillé pendant de nombreuses années comme des acheteurs
professionnels. Ce type de recrutement permet aux industriels « visionnaires » de gérer plus
facilement les crises et de stabiliser ainsi leurs relations avec un client représentant une part de
plus en plus importante dans leurs chiffres d’affaires. Il correspond à un mécanisme informel
employé par le fabricant en vue de rendre possible l’établissement des mécanismes
institutionnalisés de résolution des conflits relatifs au service logistique (Dant et Schul, 1992).
Les conditions particulières de résolution des conflits
Il est nécessaire de préciser que les relations interpersonnelles sont importantes dans le
processus de résolution des conflits logistiques seulement lorsque la défaillance logistique du
fournisseur est acceptable, c'est-à-dire que le taux de rupture ne dépasse pas le seuil toléré par
le client. Les fabricants défaillants sur le plan logistique se retrouvent face à un ensemble de
sanctions financières. Le système de pénalité ne se traduit pas nécessairement par un
déréférencement, mais conduit plutôt au versement d’une indemnité compensatoire estimée en
pourcentage de la valeur de la marchandise non livrée à temps (Abbad, 2008, 2009).
Malgré ce système de pénalité et les participations financières imposées aux fournisseurs,
notamment dans le cadre de contrats de coopération commerciale, nombre de fournisseurs ne
pense qu’au maintien de leurs échanges avec la grande distribution. Les acheteurs
professionnels interrogés affirment tous que si les fabricants continuent à travailler avec la
grande distribution, c’est parce qu’ils sont satisfaits financièrement de leurs relations avec
elle. « Les fournisseurs ont toujours tendance à dire qu’ils ne gagnent rien, que c’est
catastrophique, etc. mais bon, s’ils ne trouvaient pas leur compte, ils ne travailleraient pas
avec nous ». Dans le même ordre d’idées, un autre interlocuteur précise : « aujourd’hui,
l’industriel trouve également son compte à travailler avec nous parce qu’au moins il y a la
certitude de toucher le consommateur directement chez nous et de voir le chiffre d’affaires se
développer. Il a la chance d’être présent dans un créneau qui est en plein développement, la
grande distribution » et « Le juste prix c’est important parce que sinon le fournisseur ne va
pas travailler avec nous. Mais, c’est sûr qu’un fournisseur ne livrera jamais un produit s’il ne
gagne pas ».
Conclusion
Cette recherche a eu pour objet de comprendre les modes de résolution des conflits logistiques
dans le contexte spécifique des relations industriels-grands distributeurs au Maroc. Nous
nous sommes attachés à montrer le rôle des relations interpersonnelles dans la résolution de ce
type de conflit.
10
Les résultats de notre enquête auprès de 30 répondants (industriels, distributeurs et experts)
indiquent qu’en l’absence d’une véritable infrastructure logistique moderne (sites et flux
d’informations) optimisant les échanges, la qualité du service logistique n’est pas un critère
principal de référencement et qu’en cas de défaillance, elle ne constitue pas un facteur de
déréférencement. Nous avons pu observer que les relations interpersonnelles de qualité, la
confiance, la communication qui s’instaurent entre les personnels des partenaires
commerciaux dans le contexte spécifique du Maroc permettent de maintenir néanmoins des
échanges et un climat stable des relations en assurant la mise en place de mode de résolution
des conflits logistiques acceptables.
En prolongement de cette recherche exploratoire, nous prévoyons d’étendre nos observations
à d’autres pays de Maghreb et du Proche-Orient, étant donné que notre recherche est limitée
géographiquement au contexte marocain. Une démarche comparative serait pertinente dans la
mesure où les pays de la rive sud du bassin méditerranéen (Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte)
partagent, certes, un fond culturel commun (appartenance géographique, histoire, langue,
coutumes, religion, etc.) mais présentent également des points de divergences,
particulièrement au niveau de l’influence du politique sur les sphères économique et sociale
(Perrin, 2002).
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