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LE MYSTÈRE D'ISRAËL DANS L'OEUVRE DE JACQUES MARITAIN Thérèse-Martine Andrevon Centre Sèvres | Recherches de Science Religieuse 2013/2 - Tome 101 pages 211 à 231 ISSN 0034-1258 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2013-2-page-211.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Andrevon Thérèse-Martine, « Le mystère d'Israël dans l'oeuvre de Jacques Maritain », Recherches de Science Religieuse, 2013/2 Tome 101, p. 211-231. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Centre Sèvres. © Centre Sèvres. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Pinot [email protected] - 84.253.152.53 - 19/11/2013 17h33. © Centre Sèvres Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Pinot [email protected] - 84.253.152.53 - 19/11/2013 17h33. © Centre Sèvres

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LE MYSTÈRE D'ISRAËL DANS L'OEUVRE DE JACQUES MARITAIN Thérèse-Martine Andrevon Centre Sèvres | Recherches de Science Religieuse 2013/2 - Tome 101pages 211 à 231

ISSN 0034-1258

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2013-2-page-211.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Andrevon Thérèse-Martine, « Le mystère d'Israël dans l'oeuvre de Jacques Maritain »,

Recherches de Science Religieuse, 2013/2 Tome 101, p. 211-231.

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lE MYStÈrE d’iSraËl daNS l’ŒUVrE dEJaCQUES MaritaiN

par thérèse-Martine andrevon Institut catholique de Paris – Faculté de théologie de Leuven

RSR 101/2 (2013) 211-231

Nous sommes entrés dans une période anniversaire du Concile Vatican II, occasion de se réapproprier davantage les fruits de cet événe-

ment. Parmi ses documents les plus commentés, le paragraphe 4 de la déclaration Nostra aetate tient une place de choix. En effet, le Magistère de l’église catholique s’y prononça pour la première fois sur son rapport avec le peuple juif. or, si inédit qu’eut été ce texte, il fut préparé grâce à la pensée de certains pionniers des années d’avant et après-guerre. Jacques Maritain en fait partie. dans les lignes qui suivent nous étudierons sa pen-sée sur ce qu’il nommait « le mystère d’Israël », après l’avoir situé dans son contexte, puis le mettant en dialogue avec des théologiens de son époque, nous verrons dans quelle mesure sa réflexion garde sa pertinence pour la théologie postconciliaire.

les liens de Jacques Maritain avec le monde juif

la biographie de Jacques Maritain éclaire son attrait pour Israël. Celui qui allait devenir une grande figure de la pensée catholique du XXe siècle est né à Paris en 1882 dans une famille protestante de tendance libérale. « Enfant j’entendis beaucoup parler du peuple juif »1 raconte-t-il, mais sans rapport avec une instruction religieuse qu’il ne reçut pas. Résolument socialiste depuis sa prime jeunesse, Maritain s’engage dans la lutte en faveur de la réhabilitation de dreyfus, aux côtés de ses amis Ernest Psichari et Charles Péguy. En 1904, au cours de ses études à la Sorbonne, il épouse

1. Jacques Maritain, « Récit de ma conversion », Cahiers Jacques Maritain, n° 7/8, p. 71, cité par Sylvain Guéna, « aux sources d’une pensée », Cahiers Jacques Maritain, n° 26, juin 1993, p. 35.

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une jeune juive émigrée de Russie, Raïssa oumançoff. Elle sera sa fidèle partenaire, et lui fera découvrir Saint thomas d’aquin. le jeune couple poussé au désespoir par les philosophies athées fait deux rencontres déter-minantes : Henri Bergson qui les ouvre à l’absolu, et léon Bloy qui donna un visage à cet absolu et les conduisit à la foi catholique. Ils sont baptisés en 1906. la lecture du livre de Bloy, Le salut par les Juifs2, joua un rôle important dans leur conversion, si bien que le « mystère d’Israël » fut inté-gré à leur foi à sa naissance. En 1912, Jacques Maritain devient professeur à l’Institut catholique de Paris, et acquiert peu à peu une renommée qui dépasse les frontières de l’Hexagone. À la montée du nazisme, Maritain perçoit très vite la catastrophe qui menace les Juifs d’Europe. Il donne une retentissante conférence au théâtre des ambassadeurs de Paris, le 5 février 1938. Mais en 1940, au cours d’un voyage aux états-Unis, les Maritain se trouvent dans l’impossibilité de revenir en France3. depuis son exil Jacques Maritain se tient au courant de la situation des Juifs d’Europe et continue sans relâche à faire retentir son cri d’alarme4.

À la fin du conflit, Maritain est nommé ambassadeur auprès du Vatican par le gouvernement provisoire du général de Gaulle, service qu’il rem-plira de 1945 à 1948, avant de reprendre ses activités de philosophe. Sa présence à Rome lui donne l’occasion de se lier d’amitié avec le Cardinal Montini, futur Paul VI. Il tente de faire jouer cette relation pour que le pape Pie XII se prononce au nom de l’église contre l’antisémitisme5. Il tra-vaille activement pour faire modifier les termes de la prière du Vendredi Saint sur les Juifs. Bien qu’étant président honorifique de l’International Council of Christians and Jews6, sa fonction diplomatique ne lui permet pas

2. léon Bloy, Le salut par les juifs, Mercure de France, Paris, 1906.3. l’abbé Journet « interdit » aux Maritain de rejoindre le sol français, où la Gestapo était

déjà venue à l’Institut catholique pour l’arrêter.4. Voir les informations précises qu’il donne sur l’extermination des Juifs en Europe, le 25

janvier 1943 dans un discours prononcé à l’école libre des Hautes études de New York, publié dans Le Mystère d’Israël, desclée de Brouwer, Paris, 1990, p.165-190.

5. Jacques Maritain envoie un courrier à Mgr Montini le 12 juillet 1946, « une supplique de mon cœur catholique ». Invoquant le fait que la guerre terminée, la parole du Saint Père est désormais libre, il supplie Pie XII : « Il me semble que le moment pour une telle déclaration souveraine de la pensée de l’église serait particulièrement opportun […] il me semble que si le Saint Père daignait porter directement sur la tragédie dont j’ai parlé ici les lumières de Son esprit et la force de Sa parole, témoigner de sa compassion pour le peuple d’Israël, renouve-ler les condamnations portées par l’église contre l’antisémitisme, et rappeler au monde la doctrine de saint Paul et les enseignements de la foi sur le mystère d’Israël, un tel acte aurait une importance extraordinaire pour préserver les âmes et la conscience chrétienne d’un péril spirituel toujours menaçant, et pour toucher le cœur de beaucoup d’Israélites, et préparer dans les profondeurs de l’histoire cette grande réconciliation que l’apôtre a annoncée et à laquelle l’église n’a jamais cessé d’aspirer » « Note adressée à Mgr Montini (1946) », Cahiers Jacques Maritain, no 23, 1991, p. 33.

6. Fondée en 1946, cette organisation regroupe les divers mouvements d’amitié judéo-chré-tienne dans le monde. Elle organisa la conférence d’oxford en 1946, puis celle de Seelisberg

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de se rendre à la conférence de Seelisberg, mais il y fait lire une lettre par son ami l’abbé Journet qui sera très remarquée7.

après la mort de Raïssa en 1960, Maritain se retire chez les Petits Frères de Jésus à toulouse. le pape Paul VI le consulte régulièrement à propos du Concile8. Jacques Maritain meurt en 1973.

Il est superflu de souligner que l’origine juive de Raïssa fut un facteur important pour introduire Jacques Maritain dans la connaissance du Judaïsme, du monde juif, et du sionisme. l’histoire personnelle de sa femme lui fit approcher concrètement cette culture qu’il ignorait, et les souffrances des Juifs de Russie. le foyer paternel de Raïssa était un lieu de rencontre d’émigrés russes. C’est là que Maritain fit la connaissance d’avshalom Feinberg9, qui l’initia à la question du sionisme. toutefois, il serait inexact, de réduire l’amour de Jacques Maritain pour les Juifs, à l’amour de sa femme. l’amour de Jacques Maritain pour le peuple juif a eu plusieurs sources : le mariage, les amitiés – le juif imaginaire n’existe pas chez Maritain – le sens aigu de la justice et des droits de l’homme, la réflexion philosophique et théologique.

la place d’israël dans l’œuvre de Maritain

l’œuvre que Maritain a laissée derrière lui est considérable, car « ce disciple de St thomas s’est avancé sur tous les chemins où la pensée de l’homme peut s’aventurer. »10 Presque tous les domaines de la vie humaine

en 1947. Maritain sera aussi nommé président des amitiés judéo-chrétiennes de France avec Jules Isaac en 1949.

7. Conférence internationale, œcuménique et judéo-chrétienne, qui se tint en Suisse en 1947, en vue de réviser l’enseignement chrétien sur les Juifs. Il en sorti une charte communé-ment appelée les dix points de Seelisberg.

8. Paul VI a reçu un exemplaire du livre de Jacques Maritain, Le mystère d’Israël, publié en 1965.

9. avshalom Feinberg (1889-1917) issu d’une famille originaire de Crimée, émigrée en Palestine. Il vient faire ses études à Paris et a joué un rôle important pour introduire la culture française en Palestine. ardent amoureux de la terre d’Israël, il fait partie des figures héroïques et pionnières de l’état Israël. Il entretient une correspondance avec Jacques Maritain, jusqu’à ce qu’il soit tué dans le Sinaï en 1917. « Ce devait être la découverte d’un type d’homme qu’il [Maritain] n’avait jamais rencontré et dont, sans doute, il ne soupçonnait même pas l’exis-tence avant d’avoir rencontré avshalom » cité dans Neher-Bernheim « avshalom Feinberg et le cercle des Maritain », Cahiers Jacques Maritain, no 23, octobre 1991, p. 17.

10. M.-J. dubois, op. cité, p. 3. Marcel-Jacques dubois, « Jacques Maritain et le mystère d’Is-raël », revue Sens, 1976/5, p. 2. Nous avons posé le choix de recourir plus spécifiquement à cet article très complet du dominicain franco-israélien durant cet exposé, du fait que ce dernier était lui-même philosophe et théologien et que notre propos est la théologie de Maritain. Pour une étude plus historique, nous signalons les ouvrages de l’historien Sylvain Guéna, Regards de Jacques Maritain sur le peuple juif, Maîtrise d’Histoire, dir. M. tranvouez, Université de Bretagne occidentale, Faculté des lettres, 1992, ou encore « libres pro-

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ont été explorés par ce chercheur de sens et de vérité : art, littérature, poli-tique nationale ou internationale, science, éthique. Il est fondamental de comprendre la place que tient le mystère d’Israël dans ce champ d’inves-tigation si large.

le Père Marcel-Jacques dubois le définit ainsi, « le mystère d’Israël n’a pas été […] pour Jacques Maritain un objet de réflexion parmi d’autres, un chapitre de morale humanitaire, de philosophie politique ou de théologie de l’église. Israël, le Judaïsme, le peuple juif, se situent au cœur même de sa vision du monde, de l’homme, du dessein de dieu sur l’église […] le mystère d’Israël et son affleurement dans le destin juif ont été au cœur de sa réflexion philosophique et théologique, au creux de son angoisse de chrétien, au centre de son inlassable combat pour la vérité et la justice. »11

Histoire, philosophie et théologie sont intimement liées chez Maritain, pour qui le naturel et le surnaturel ne sont pas deux domaines disjoints de la vie des hommes. Ce philosophe et théologien chrétien, thomiste et méta-physicien, recherche la signification des événements de l’histoire à l’aune de l’histoire du Salut et dans une perspective eschatologique, à laquelle il a été sensibilisé par léon Bloy. Maritain estime que le monde se trouve au seuil d’un « nouveau Moyen Âge », qu’il nomme de préférence un « troi-sième âge », nouvelle étape dans le processus d’unification de l’humanité, qui l’achemine vers « un humanisme intégral ».12 les mutations et tragé-dies vécues par le peuple juif en son époque, ainsi que les signes de récon-ciliation entre l’église et Israël jouent pour le philosophe un rôle clef dans ce mouvement de maturation de l’histoire. on peut même dire que pour Maritain le mystère d’Israël est la clef de l’histoire et « la question juive est d’abord (je ne dis pas exclusivement) un mystère d’ordre théologique »,13 ou encore « un mystère d’ordre sacré ». Cette intuition ira en s’appro-fondissant, au spectacle des événements dont il fut témoin durant sa vie depuis l’affaire dreyfus, les pogroms d’une Russie encore tsariste, et les

pos sur le mystère d’Israël », Cahiers Jacques Maritain, n° 31, déc. 1995, p. 51-60, et Jacques Maritain un ami du peuple juif, éd. Cld., 2009. Par ailleurs Yves Chevalier a publié en 2005 un article dans le site Jewish-Christian relations sous le titre « le combat de Jacques Maritain contre l’antisémitisme », téléchargé en février 2011 dans http://www.jcrelations.net/le_combat_de_Jacques_Maritain_contre_l___antis__mitisme.3275.0.html?l=6.

Pour terminer sur cette note concernant la bibliographie, nous constatons que parmi la plé-thore de livres de Maritain ou sur Maritain peu d’ouvrages sont consacrés au mystère d’Israël chez Maritain. Cela ne veut pas dire que cela soit un sujet marginal, car il transparait à travers sa pensée et sa correspondance très fournie. Mais c’est la philosophie de Maritain qui occupe les chercheurs et il faut rappeler qu’il n’a écrit qu’un seul ouvrage sur le « mystère d’Israël ».

11. M.-J. dubois, op. cité, p. 3.12. l’humanisme intégral est le titre d’une de ses œuvres majeures. Voir son raisonnement

sur le « troisième Âge » dans le déroulement de l’histoire de l’humanité dans, Le mystère d’Israël, op. cité, p. 17-18, texte qui date de 1936, et qui est repris en 1943, p. 191-198.

13. Jacques Maritain, « Encore le mystère d’Israël » dans Le Mystère d’Israël, desclée de Brouwer, Paris, 1991, p. 121.

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balbutiements du Foyer national juif, jusqu’à la Shoah, le Concile Vatican II, et la création de l’état d’Israël. Pour penser la question juive Jacques Maritain puise dans les chapitres 9 à 11 de l’épître de Paul aux Romains et l’histoire concrète qui se déroule devant ses yeux14.

l’essentiel de la pensée de Maritain sur ce qu’il nomme le mystère d’Is-raël, a été écrit entre 1921 et 1942, sous forme d’articles, de conférences, de déclarations radiophoniques. Et si pour de nombreux théologiens, il y a eu un « avant-la-Shoah » et un « après-la-Shoah », Maritain lui, a une pensée unifiée de 1937 à 1965, date où il rassembla ses écrits et les publia sans les modifier sous le titre Le mystère d’Israël. tout au plus approfondit-il ou compléta-t-il son texte, ajoutant une introduction, des notes, ou une autre conférence.

la seule intervention que l’on ne retrouve pas dans son ouvrage est sa première allocution de 1921, intitulée « À propos de la question juive »15. C’est l’époque où Maritain était sous l’influence des idées de l’action fran-çaise – même s’il n’y adhéra pas formellement – période d’illusion qu’il se reprochera toute sa vie. Bien que dénonçant déjà fortement l’antisé-mitisme, et portant des intuitions reprises plus tard, l’ensemble de cette conférence laisse le sentiment qu’il y a davantage un problème juif contre lequel se prémunir, qu’un mystère à sonder. Maritain y est très attentif aux signes annonciateurs de la conversion d’Israël et certains clichés sur les Juifs laissent mal à l’aise. le Maritain de 1965 ne reprendra pas cette conférence dans la compilation de ses écrits. Nous laissons donc de côté cette référence, et passons à l’exposé de sa pensée.

le peuple élu et l’accomplissement de l’histoire

Refus d’Israël et réorientation de son statut

tout commence par cette énigme : Jésus, Messie d’Israël, n’a pas été accueilli par ce peuple qui pourtant est « marqué par une vision unique et exemplaire, blessé par dieu comme Jacob dans son combat avec l’ange, tendu dans l’attente d’un mystérieux accomplissement, témoin par toute son existence d’un appel et d’une promesse de dieu à l’humanité. »16

14. Pendant son exil américain, Jacques Maritain a rédigé un commentaire des chapitres neuf à onze de l’épître de Paul aux Romains, intitulé La pensée de saint Paul, éd. de la Maison Française, New York, 1941.

15. documentation catholique, juillet-août 1921, no 116, col. 80-82.16. M.-J. dubois, op. cité, p. 3.

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Maritain s’attarde peu sur le « pourquoi » du refus de Jésus par Israël ; il s’intéresse au processus du refus et ses conséquences. tout d’abord, il en déplace le moment irréversible : le faux-pas d’Israël ne se situe pas au moment de la Passion, parce que la Cause première de cette mort était la volonté de Jésus de faire don de sa vie. Ceci évacue automatiquement le concept de déicide17. le vrai point de départ du refus d’Israël se situe après la résurrection, lors du rejet de la prédication des apôtres. de ce refus découle une modification d’ordre métaphysique du statut d’Israël et de sa place dans l’histoire du salut. « le Corps mystique d’Israël est une église infidèle et répudiée […] répudiée comme église, non comme peuple. Et toujours attendue de l’époux, qui n’a cessé de l’aimer. »18 le plan de salut pour le monde s’accomplit désormais par l’église, mais Israël n’est pas rejeté ; il est mis à l’écart, « c’est, je pense une mise à l’écart dans l’ordre de la rédemption. »19 Ce point de départ amène immanquable-ment à revisiter l’idée équivoque de faute collective du peuple juif et de châtiment divin20. Si Maritain rejette l’idée de culpabilité collective, il ne renonce pas au concept de châtiment divin parce qu’il est présent dans la Bible. Cependant il le dégage de la notion de punition pour lui don-ner un sens plus circonstanciel. Jacques Maritain illustre sa pensée par un exemple analogique. Si un chef entraîne son peuple dans une guerre, « la faute en question est une faute “nationale”, une faute du corps social ou du tout social comme tel, qui dépend de la faute des chefs comme le corps dépend de la tête. Ses conséquences atteindront sans doute les individus eux-mêmes, mais en tant que parties de la communauté et parce qu’ils sont membres d’un tout qui comme tel, a mal fait […] »21 Maritain montre alors qu’après le châtiment-événement22 qui correspond à la souffrance immédiate du peuple en guerre vient le châtiment-état qui est la souffrance due aux modifications du statut du peuple à cause de la

17. « Il est manifeste […], quand on lit les actes et les épîtres de saint Paul, que le grand reproche adressé aux Juifs par les apôtres n’était point tant la crucifixion que le refus de croire en ce même Christ que leurs prêtres avaient crucifié, et qui était ressuscité des morts. », Le mys-tère d’Israël, « l’enseignement chrétien de l’histoire de la crucifixion » (1944), op. cité., p. 215.

18. Ibid.19. Ibid., « l’inique sort fait aux Juifs dans la chrétienté » (1970), p. 260.20. « Ce serait un stupide blasphème d’imaginer que toutes les persécutions, les humilia-

tions, les infamies subies par les Juifs depuis la ruine du temple, et les pogroms, et les camps d’extermination, sont les châtiments qu’un dieu de colère ne se lasserait pas d’envoyer pour venger le mort de son Fils ! », ibid., p. 37.

21. Ibid., p. 34. l’article « le mystère d’Israël » qui donnera le nom à tout le livre, est une reprise de « l’impossible antisémitisme », conférence donnée en 1937. la citation que nous venons de donner ne figure pas dans le texte originel, mais a été rajouté par Maritain. En 1965, il a éprouvé le besoin d’expliquer plus avant ce qu’il a déjà dit dans la conférence de 1937, à cause de la Shoah.

22. les italiques sont utilisés par l’auteur lorsqu’il emploie ces mots.

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guerre.23 analogiquement pour Maritain le peuple juif est dans une situa-tion de châtiment-état car « par la faute de ses chefs [il] a renoncé à ce qu’il aurait pu être, et que dieu lui avait offert d’être, – le noyau, le centre ici-bas de ce royaume de dieu qui pérégrinant et souffrant sur terre, est le Corps mystère du Christ Rédempteur. »24 En refusant la rédemption, Israël préféra le monde – idée récurrente chez Jacques Maritain – et « allait, toujours aimé à cause de ses pères, faire son chemin dans la nuit du monde. état qui durera jusqu’à sa réintégration. »25 Cet amour du monde n’est pas à interpréter comme un choix matérialiste, un refus de la vie spirituelle, ou une dégénérescence morale, mais il signifie qu’« Israël espère passionnément, attend, l’avènement de dieu dans le monde, le royaume de dieu ici-bas. Il veut d’une volonté éternelle, d’une volonté surnaturelle et déraisonnable la justice dans le temps, dans la nature, dans la cité. »26 or, quand le peuple juif veut de toutes ses forces faire advenir le salut dans ce monde qu’il considère comme le lieu où doit se réaliser la justice de dieu, le monde ne veut pas de lui parce que, « les Juifs ne sont pas et ne seront jamais du monde […] parce que séparés pour dieu par leur vocation messianique, ils restent, même après leur faux-pas séparés du monde par leur passion d’une justice dont le monde ne veut pas. »27

Maritain fait d’ailleurs remarquer que l’amour de la justice dans le monde est souvent ce qui manque au chrétien, et « par une sorte d’indif-férence mystérieuse aux exigences de l’évangile à l’égard de la cité d’ici-bas et de l’histoire temporelle, la masse collective du monde chrétien, à force de consentements à l’injustice accumulés de siècle en siècle, a laissé les structures sociales et politiques du monde […] échapper à la loi vivifi-catrice de Jésus-Christ. »28

Le plan de Dieu a-t-il failli ?

Maritain pense qu’il y a donc une sagesse divine derrière le faux-pas d’Israël, puisqu’il est impensable que dieu ait failli dans son plan. dieu a donc permis – voire voulu – qu’Israël soit mis à part, preuve en est que le faux-pas du peuple élu s’est révélé une richesse pour le monde païen et le cosmos comme l’affirme déjà à la suite de thomas d’aquin, Erik Peterson, et le Père lagrange : « […] Il faut dire que l’incrédulité des Juifs a été la

23. Par exemple la perte de territoire ou de souveraineté.24. Ibid. p. 37.25. Ibid.26. Ibid., p. 40.27. Ibid., p. 126.28. J. Maritain, Impossible antisémitisme, précédé de : P. vidal-naquet, Jacques Maritain et les

Juifs, desclée de Brouwer, Paris, 2003, p. 82.

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condition grâce à laquelle l’église a pu, dès sa naissance, surgir comme indépendante d’Israël lui-même selon la chair, de ses destinées tempo-relles et de sa théocratie, et paraître au monde avec son caractère d’uni-versalité absolue et supra-temporelle et supranationale […]“les doctes de nos jours sont parfaitement d’accord avec Paul pour constater que le refus des Juifs a facilité l’accès de l’entrée des Gentils”. »29

Il y a deux aspects dans cette réponse ; un aspect, que l’on pourrait qua-lifier de circonstancié : les païens ont bénéficié de la Bonne Nouvelle refu-sée par les Juifs. le second aspect touche à la tension entre universalité et particularité. En accord avec lagrange Maritain note que probablement sans le faux-pas d’Israël Jésus serait resté le Messie d’Israël, cantonné dans les limites de l’identité du peuple juif définie par la loi. le refus d’Israël a donc permis à l’église de s’affranchir de la loi et de partir à la rencontre des Nations. on peut discuter cette thèse puisque, selon ce que luc relate dans les actes des apôtres, appelé communément le Concile de Jérusalem, une solution avait été trouvée pour permettre l’universalité, sans dénoncer pour autant la particularité des Juifs croyants30. toujours est-il que pour Maritain, « cette incorporation des Gentils n’est pas un moins grand mys-tère, c’est la phase complémentaire du mystère du faux-pas d’Israël ».31 En conséquence, ce n’est pas forcer sa pensée que de lui prêter le raisonne-ment suivant : de même que la Cause première de la Passion du Christ fut la volonté de Jésus de donner sa vie, la Cause providentielle du refus d’Israël est la diffusion du salut à toutes les nations, mission dont l’église est chargée. Israël aurait dû être au cœur, voire être le cœur de cette église – et c’est ici que se joue le faux pas, – mais l’histoire n’est pas finie. la mise à l’écart temporaire d’Israël devient une mise en attente. Et Maritain, citant son maître Saint thomas, de reprendre un commentaire de l’évan-gile de la résurrection dans Jean, « Ils couraient simultanément à travers les âges : les Gentils par leur loi naturelle, les Juifs par leur loi écrite. les Gentils, comme Pierre, qui arrive le second au tombeau, parviennent plus tardivement à la connaissance de Jésus-Christ ; mais, comme Pierre, ils entrent les premiers. le peuple juif, le premier à connaître le mystère de la Rédemption, ne sera que le dernier converti à la foi du Christ. »32

29. Le mystère d’Israël, « Encore le mystère d’Israël » (1939), p. 128-129, op. cité. Maritain se réfère à Erik Peterson, Le mystère des Juifs et des Gentils, desclée de Brouwer, Paris, 1935 et aux travaux exégétiques du Père M.-J. lagrange comme son Saint Paul. Épître aux Romains, J. Gabalda, Paris, 1922.

30. Voir actes 15, 1-31.31. Le mystère d’Israël, « l’enseignement de saint Paul » (1941), p. 152, op. cité.32. Ibid., p.155, citation tirée de Saint thomas d’aquin, In Joan., XVIII, lect. I.

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Israël, l’Église et le monde : la vocation du peuple juif dans le temps de l’Église

l’originalité de la pensée de Maritain est dans sa manière de concevoir le rôle d’Israël dans le monde, analogiquement avec celui de l’église33. l’histoire a trois acteurs : l’église, Israël et le monde. « Israël est un mys-tère. du même ordre que le mystère du monde et le mystère de l’église. au cœur, comme eux, de la Rédemption. »34 le rapport établi par Maritain entre l’église et Israël n’est donc pas un face à face, mais il passe par un tiers, qui est le monde. « Il y a une relation supra-humaine d’Israël au monde comme de l’église au monde. C’est seulement en considérant ces trois termes qu’on peut, fut-ce énigmatiquement, se faire quelque idée du mystère d’Israël. Une sorte d’analogie renversée avec l’église est ici, croyons-nous, l’unique fil conducteur. »35 Israël et l’église sont liés au ser-vice de l’accomplissement définitif de l’histoire, quoique d’une manière différente. tandis que l’église est au service du salut du monde et de son rachat, Israël demeure dans le monde comme un corps étranger affamé de ce royaume et il exaspère le monde parce qu’il « lui apprend à être mécontent et inquiet tant qu’il n’a pas dieu, il stimule le mouvement de l’histoire. »36 dans leur rapport au monde, la vocation de l’église et d’Israël « […] s’interfèrent dans un étrange chassé-croisé. l’église est une réalité surnaturelle paradoxalement présente au monde sans être du monde. Israël est une réalité de ce monde, temporelle et terrestre, dotée d’une vocation surnaturelle. »37

Pour pouvoir raisonner ainsi il fallait que Maritain considère Israël comme une réalité de type ecclésial et non racial ou national38. dans l’article « l’im-possible antisémitisme »39 , il s’était penché sur cette question de l’identité d’Israël. « le lien qui fait l’unité d’Israël n’est pas seulement la chair et le sang, ou la communauté ethnico-historique ; et ce n’est pas cependant le lien de la communion des saints, celui qui fait l’unité de l’église, dans la

33. Nous ne nous arrêtons pas sur l’argument traditionnel de la vocation d’Israël que rap-pelle Maritain à savoir que : « tout le long des temps [il est] une vivante et indestructible archive des promesses de dieu », dans Impossible antisémitisme, op. cité, p. 80.

34. Ibid.35. Ibid. p. 76.36. Ibid. p. 81.37. M.-J. dubois, op. cité, p. 7.38. « les Juifs ne sont en aucun cas une race biologique, mais une race au sens ethnico-

historique, c’est-à-dire une communauté de structures mentales et morales, d’expériences ancestrales. les Juifs ne sont pas une nation, ou un peuple parce qu’ils ne vivent pas une vie politique commune sur une aire géographique déterminée et une langue commune. Et quand bien même il y aurait un état pour les Juifs, il y aura toujours le phénomène de la Galouth. », L’impossible antisémitisme, p. 72, op. cité.

39. Nous citons généralement l’article dans sa version la plus ancienne (1937), et mais par-fois avons recours à la version de 1965, appelée « le mystère d’Israël », s’il y a une différence.

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foi au dieu incarné, dans la possession de l’héritage. C’est un lien sacré et supra-historique, mais de promesse, non de possession, de nostalgie non de sainteté »40 et il arriva à la conclusion que les Juifs sont le peuple de dieu et que « Race, peuple, tribu, tous ses mots pour les désigner doivent être sacralisés. »41 Israël est donc, tout comme l’église, bien que sous un autre mode, un corpus mysticum, c’est ce qui permet le raisonnement par analogie. dans leur relation dialectique, l’église bénéficie d’un statut nettement supé-rieur en tant que Verus Israël. En revanche, il y a une solidarité qui lie Israël et l’église car les deux font l’objet de la persécution du monde : l’église à cause du Christ et de l’évangile, Israël à cause de Moïse, des Patriarches et de l’ancien testament. Seulement les souffrances d’Israël sont celles du bouc émissaire, « quand le monde se venge des plaies de son histoire sur celui qui active son histoire », tandis que les souffrances de l’église sont co-rédemptrices, achevant ce qui manque à la Passion du Christ.

Impossible antisémitisme

au terme de ce raisonnement nous comprenons la raison la plus fon-damentale de la lutte de Maritain contre l’antisémitisme. la permanence d’Israël dans l’histoire est pour lui une nécessité, ainsi aborder Israël sous l’angle d’un problème à résoudre est une impasse et un danger. l’irréductible tension entre Israël et son dieu, entre Israël et l’église, entre Israël et le monde ne se résoudra que par la réconciliation finale entre Israël et l’église, quand le temps des nations aura abouti, et ce sera une résurrection pour le cosmos. En attendant la réalisation totale des prophéties, il faut trouver des solutions partielles et provisoires afin de donner sa place au peuple juif au milieu des nations, mais supprimer Israël d’une manière ou d’une autre42, revient pour Maritain à interfé-rer dans le plan de dieu, à la manière de l’antéchrist. C’est ainsi que le nazisme est une œuvre diabolique idolâtre, voulant détruire tout corps mystique qui participe à l’histoire et l’édification du monde43. d’ailleurs, pour Maritain le déchaînement antisémite nazi a inauguré le crépuscule d’une civilisation, inoculant un poison dont l’humanité aura du mal à se remettre. « N’oublions pas [dit-il] qu’après la guerre les germes spirituels qui sont la cause profonde du mal resteront encore dans le monde. »44

40. Ibid., p. 73.41. Ibid., p. 77.42. Par exemple par l’assimilation que Maritain considère comme une fausse réponse à

l’antisémitisme.43. Maritain a très vite vu que le nazisme voulait supprimer totalement le peuple juif, car la

« solution finale » mettait fin à la présence contradictoire d’Israël dans le monde.44. Le mystère d’Israël, « le droit raciste », (1943), p. 190, op. cité.

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l’antisémitisme est donc pour Maritain l’autre face du mystère d’Israël ; il a une racine spirituelle. Il est par conséquent impossible d’être chrétien et antisémite, car être antisémite c’est se mettre du côté du monde, obéir à l’esprit du monde, qui combat Israël et l’église. Vouloir détruire Israël est une manière déguisée et détournée de vouloir supprimer le Christ dans le monde. Maritain souscrit à l’écrit du juif Maurice Samuel qui démontre que « nous ne comprendrons jamais […] l’immense et démente portée de l’antisémitisme qu’à condition d’en transposer les termes. C’est du Christ que les Nazis-Fascistes ont peur ; c’est en sa toute-puissance qu’ils croient ; c’est lui qu’ils sont follement décidés à anéantir. Mais les mots mêmes “Christ” et “christianisme” sont trop écrasants et l’habitude de les respec-ter trop profondément enracinée depuis des siècles. Il faut donc porter leur attaque sur ceux qui sont responsables de la naissance et de l’expan-sion du christianisme. Il faut cracher sur les Juifs comme ayant mis à mort le Christ (as Christ-killers), parce qu’ils sont obsédés par le désir de cracher sur les Juifs comme ayant donné le Christ au monde (as Christ-givers). »45

aussi problématique que puisse être cette idée, elle montre le lien que Maritain établit entre Jésus-Christ et son peuple. Pour lui « Jésus souffre dans la passion d’Israël »46 et « dans la passion d’Israël le Christ souffre et agit comme pasteur de Sion et Messie d’Israël, pour conformer peu à peu son peuple à lui-même » 47. on sait combien associer la Shoah au Golgotha fit de l’ombre au dialogue judéo-chrétien et demande une réflexion théo-logique affinée48. Nous retenons seulement ici la solidarité profonde et sans compromis que Jacques Maritain établit entre le peuple juif et les chrétiens, qui passe par Jésus-Christ, juif.

« Conversion, réintégration, plénitude d’Israël »

la « conversion d’Israël » fut l’horizon de l’espérance de Maritain jusqu’à la fin de sa vie. Pour comprendre le zèle missionnaire du couple Maritain, qui mena beaucoup de personnes sur les fonts baptismaux, il faut se souvenir des circonstances de la conversion de ces deux jeunes

45. Ibid., p. 23, citation de Maurice Samuel, The great Hatred, Knopf, New York, 1940.46. Ibid., « la passion d’Israël » (1944), p. 202.47. Ibid.48. Résumons succinctement la problématique : le peuple juif refuse catégoriquement ce

rapprochement, qu’il considère comme une tentative de « baptiser » la Shoah pour deux rai-sons fondamentales. la première touche à la mémoire blessée des Juifs du fait des souffrances vécues dans l’histoire par eux au nom de la croix du Christ. l’autre touche à une raison plus théologique, qui est celle de la permanence de l’élection du peuple juif dans le temps de l’église. Israël revendique le droit d’avoir souffert à cause de son élection laquelle demeure valide, au nom de sa foi dans le dieu d’abraham, Isaac et Jacob et non pas à cause d’une sorte de rapport caché qu’il entretiendrait avec l’événement du Christ.

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étudiants du début du XXe siècle : la foi ne fut pas pour eux un supplé-ment à leur vie, un confort intellectuel ou spirituel ; ils n’ont pas seule-ment changé de vie, ils ont été arrachés à un désespoir existentiel, alors qu’ils étaient à deux doigts du suicide. En d’autres termes, pour eux vie et foi au Christ coïncident étroitement. leur prosélytisme ressemble à celui de Saint Paul après l’expérience brûlante de damas et leur attente de la conversion d’Israël est à traiter en premier lieu à partir de l’amour porté à ce peuple et du désir qu’Israël rencontre son Messie. Il est vrai que pour Jacques et Raïssa le christianisme est l’accomplissement du judaïsme, qui est un régime périmé49 . Ils voient dans le juif un chrétien en puissance, qui porte « la livrée du Messie » avant même de le reconnaître. Mais par ailleurs ils ne peuvent concevoir un juif baptisé qui renierait son peuple.

Ce préambule étant posé, il nous faut suivre l’évolution de la pensée de Maritain sur cette question. tout d’abord, la conversion au Christ est une promesse et non une victoire, parce que les Juifs ont droit plus que quiconque à prendre possession de leur héritage. Cette rencontre d’Israël avec le Christ, que Maritain attend dans l’histoire et non pas à l’heure de la Parousie, sera donc une consolation pour le peuple juif, une réhabilita-tion de l’épouse infidèle, mais c’est aussi une puissance que le peuple juif détient dans ses mains et dont le monde dépend. « […] Quant à l’extra-ordinaire promesse concernant la conversion finale de l’Israël selon la chair, est-ce qu’elle ne marque pas pour celui-ci comme peuple de dieu, une étonnante et permanente prérogative ? Qu’Israël cesse de s’obstiner et le cours du monde est changé, une richesse inénarrable fait la joie des Gentils. En ce sens, Israël tient dans ses mains, dans la puissance d’un acte de son libre arbitre, la “fortune des Gentils”. »50

Par ailleurs, si on lit de manière chronologique les articles compilés dans l’ouvrage Le mystère d’Israël, on constate une évolution du langage de Maritain en ce qui concerne la conversion d’Israël. Jusqu’en 1941, le mot « conversion » est dominant, et il se résume au retrait du voile posé sur le cœur du peuple juif, selon l’expression paulinienne51. tout semble devoir se faire au niveau du peuple juif seul et Maritain est attentif aux signes avant-coureurs de cet événement : il recense le nombre des conversions de Juifs, remarque que bien des Juifs s’intéressent à la personne du Christ. Il voit dans le sionisme l’annonce d’un terreau favorable possible pour la « pénétration de la foi au Christ » et il demande au pape Pie XI de soute-nir le mouvement pour cette raison.

la Shoah fait évoluer la pensée de Maritain et modifier son vocabulaire.

49. J. Maritain, « le mystère d’Israël » dans La pensée de Saint Paul, p.130, op. cité.50. Le mystère d’Israël, p. 129, op. cité.51. Voir 2 Corinthiens 3, 15-16.

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l’antisémitisme nazi met un terme à une étape de l’histoire de l’huma-nité. aussi, de même que la Passion de Jésus a été l’étape ultime de sa vie débouchant sur la Résurrection, qui fit basculer l’histoire de l’humanité, analogiquement la passion sans précédent d’Israël pourrait bien consti-tuer un point ultime de son histoire comme peuple mis à l’écart, après lequel doit s’ouvrir un nouvel âge, dont la conversion d’Israël au Christ constitue l’élément pivot. le signe pour Maritain que la réintégration d’Is-raël approche est que Juifs et chrétiens ont marché ensemble durant la persécution nazie52, ce qui est à interpréter du point de vue « de la philo-sophie de l’histoire, et des destinées du genre humain » 53. « […] du point de vue chrétien, ce rapprochement apparaîtrait comme une première étape historique vers cet état final de réconciliation, qui selon Cornélius a lapide, grand commentateur de saint Paul, ne doit pas être appelé la conversion d’Israël mais bien sa plénitude, non conversio, sed plenitudo – tout ensemble la plénitude d’Israël et celle de l’église, qui est décrite par saint Paul comme l’inexprimable richesse et vivification du monde, un merveilleux renouveau de la foi. » 54

Maritain avait toujours envisagé la conversion d’Israël comme un événe-ment historique déterminant mais il affine sa pensée et son vocabulaire après la guerre. la conversion d’Israël – qui prend le nom de plénitude – doit être précédée d’un travail de réconciliation entre Juifs et chrétiens, dont la responsabilité repose tout autant sur l’église que sur Israël. C’est pourquoi Maritain s’engagera dans le dialogue judéo-chrétien après la guerre participant activement au redressement de l’enseignement tradi-tionnel sur les Juifs. Il écrit aux membres de la conférence de Seelisberg, en 1947, « tant que le monde qui se réclame de la civilisation chrétienne ne sera pas guéri de l’antisémitisme il traînera un péché qui fera obstacle

52. Maritain emploie cette expression générale et non pas « certains chrétiens ». Cela peut étonner car ce ne fut pas l’unanimité des chrétiens qui se solidarisèrent avec les Juifs durant la Shoah et Maritain le sait. Son intention ici n’est pas de dire que tous les chrétiens ont mar-ché avec les Juifs durant la guerre, mais il s’intéresse au signe que représente le fait que les chrétiens et les Juifs se sont trouvés englobés dans un même destin, et une haine commune de la part des nazis. on retrouvera cette expression dans le rapport d’appedoorn envoyés au Secrétariat pour l’unité des chrétiens chargé de préparer le texte sur les Juifs pour le Concile. Voir « Rapport d’une étude sur l’attitude catholique envers le peuple juif » apeldoorn, 28-31 août 1960, archivio Segreto Vaticano, Concile. Vat. II boîte no 1452, chemise Gennaio-dicembre 1960, p. 1.

53. Nous remarquons que le mot « réconciliation » désigne chez Maritain tantôt une frater-nité spirituelle retrouvée entre Juifs et chrétiens, tantôt cela signifie la réintégration d’Israël dans l’église.

54. Le mystère d’Israël, « Un nouvel âge du monde » (1943), p. 198, op. cité. Cornélius a lapide (1567-1637) est un jésuite belge, théologien et bibliste. Il commenta quasiment toute la Bible et ses travaux connurent un grand succès entre autre dans le cadre de la réception du Concile de trente. Maritain se réfère au commentaire des épitres de Paul, Commentaria in omnes D. Pauli Epistolas, anvers, 1614.

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à son relèvement. »55 la réconciliation et l’amitié entre la Synagogue et l’église deviennent alors prépondérantes dans son discours.

Le sionisme et l’État d’Israël

Jacques Maritain est connu pour être un « catholique sioniste », et de fait, il fut un ardent sympathisant du mouvement sioniste, puis de l’état d’Israël. Il ne se départit jamais de cet amour, y compris après la guerre des six jours qui marqua le début d’une défection importante des admirateurs de l’état hébreu56. dès 1925 Maritain entrevoit comme inéluctable et légitime la renaissance nationale d’Israël. Il considère cette perspective comme « un accomplissement remarquable des prophéties qui commande le respect et la plus grande attention »57. Maritain considère qu’un catholique ne peut se désintéresser de ce mouvement et cherche à attirer l’attention des autori-tés catholiques sur l’importance de cet « événement historique de premier plan ».

Son amour pour Sion n’est ni un engouement de jeunesse, ni un reste de ses aspirations socialistes, ni une lecture fondamentaliste de la Bible. « Jacques Maritain avait perçu que le lien du peuple juif avec sa terre est beaucoup plus profond que le sionisme politique et qu’il est tout autre chose que le naturalisme conquérant en lequel on le caricature. »58 Fidèle à sa méthode de lecture, il pose la question du sens du sionisme – et plus tard de la signification de l’état d’Israël – dans l’histoire. Jusqu’à la guerre, Maritain parle du sionisme dans le cadre de la « question juive », et sans doute à la lumière de ce que le sionisme dit de lui-même : comme une réponse à l’échec de l’assimilation des Juifs en Europe de l’ouest et à la persécution des Juifs de Russie. de l’avis du philosophe, ce rassem-blement des Juifs sur la terre de leurs pères ne peut être la réponse au problème des Juifs dans le monde, parce que tous les Juifs du monde ne peuvent y trouver leur place, mais aussi parce que l’exil d’Israël au milieu des nations fait partie de son mystère. « l’état sioniste ne peut abolir la loi du désert, et de la Galuth, qui n’est pas consubstantielle au peuple juif, non ! Car elle aura une fin, mais qui est essentielle au corps mystique et à

55. Le mystère d’Israël, « lettre à la conférence de Seelisberg » (1947), p. 224, op. cité.56. durant la guerre des six jours (juin 1967) l’armée israélienne envahit la partie du ter-

ritoire qui aurait dû constituer un état arabe selon le partage de l’oNU de 1947, et qui avait été occupé par la Jordanie au lendemain de la guerre d’Indépendance de 1948. l’échec des négociations de paix contre la restitution de ces territoires aboutit à l’occupation de ceux-ci par Israël et marque le début de la baisse de popularité de l’état hébreu.

57.« Rapport sur le sionisme adressé à Pie XI, (1925) », Cahiers de Jacques Maritain, n° 23, oct. 1991, p. 29.

58. M.-J. dubois, op. cité, p.13.

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la vocation d’Israël dans l’état de séparation. »59 toutefois, l’état sioniste pourrait constituer un prélude à la délivrance de l’exil du peuple juif.

À partir de 1943, Maritain réfléchit à ce que pourrait être l’état d’Israël. le peuple juif réuni sur la terre de Palestine ne peut pas se contenter d’être un état au milieu des autres états de la planète, mais doit tendre à garder les traits distinctifs liés à sa vocation spirituelle. En restant dans sa logique de comparaison entre Israël et l’église, Maritain assigne à la future nation la fonction que l’église joue – ou devrait jouer – dans le monde de manière supranationale. Si Maritain n’a jamais été un politicien, il a tou-jours estimé que la vocation chrétienne doit être influente dans la cité – et pour lui l’église a failli à cette mission. Il réclame la même chose pour le futur état juif et cela rapprocherait l’église et les Juifs. « […] dans nos civi-lisations judéo-chrétiennes, les routes historiques suivies dans le monde par le christianisme et par le peuple d’Israël deviendraient en quelque sorte similaires. Qu’on comprenne clairement ce que je veux dire […] Je parle d’un rapprochement dans les attitudes pratiques en ce qui concerne le monde et l’histoire du monde. »60

Maritain ne considère pas l’état d’Israël comme étant de droit divin, comme son ami le cardinal Journet le lui a reproché, mais il ne doute pas « […] que l’événement, si énigmatique qu’il soit pour les Juifs comme pour les chrétiens, porte en lui la marque du fidèle amour et de la pitié de dieu pour son peuple qui est toujours le sien.61 » Il cherche à comprendre ce que la Providence place devant ses yeux et c’est dans son article intitulé « Post-scriptum » rédigé en 1964, très critiqué après la guerre des six jours, qu’il livre sa méditation la plus complète sur ce que peut apporter l’état d’Israël dans le monde contemporain, toujours dans l’optique de l’activa-tion de l’histoire. l’existence de l’état d’Israël redonne une centralité à la judéité, 62 et introduit une bipolarité au sein du peuple juif : la population de la diaspora et les juifs d’Israël. la tension entre les Juifs et le monde se voit donc doublée d’une tension fraternelle entre la diaspora et les juifs israéliens qui, bien que liés, ont des besoins et une destinée distincts. Cette disjonction qui s’instaure dans le peuple juif – qui selon Maritain prendra certainement dans l’avenir l’aspect d’une crise de la conscience religieuse juive – oblige à traiter à frais nouveaux le lien entre particulier et univer-sel. le Père dubois explique : « Comme l’église étendue au monde entier,

59. Le mystère d’Israël, p. 59, op. cité. Ce texte date de 1937. on peut se demander si Maritain ne garde pas l’idée classique de la dispersion des Juifs coïncidant avec de leur faux-pas, alors que l’exil est une expérience bien antérieure dans l’histoire du peuple juif.

60. Ibid., « Un nouvel âge du monde » (1943), p.198.

61. Ibid., p.285.

62. la renaissance d’un état concret est d’un tout autre ordre que la présence symbolique perpétuée de juifs en terre d’Israël et le souvenir constant de Jérusalem dans la prière.

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le peuple juif répandu à travers le monde joue un rôle universel, la tension entre l’état d’Israël et les Juifs du monde entier ne peut être que féconde. on voit que Jacques Maritain est fidèle à son intuition originelle. Il applique ici encore le parallèle qui lui semble si éclairant entre la situation d’Israël et celle de l’église par rapport au monde. »63 Et de remarquer que le rapport de l’église et d’Israël au monde se sont modifiés, car l’église n’exerce plus de pouvoir temporel et tandis qu’Israël en recouvre un. Maritain consi-dère donc que le Concile Vatican II, qui repense son rapport au monde, ainsi que la création de l’état d’Israël sont deux événements de très grande portée, deux « affleurements du don de dieu en ce XXe siècle. »64, qui « marquent, chacun à sa façon, une réorientation de l’histoire »65.

la dialectique d’opposition entre Juifs et chrétiens se resserre et devient une dialectique dans l’amitié, au service de la mise au monde du “nou-vel-âge” cher à Maritain. Ce nouvel-âge autrefois rêvé par lui comme une restauration du passé, est désormais envisagée par lui dans la contingence historique et politique qui est celle de la démocratie et de la distinction entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Maritain pose ainsi le pari que si l’état d’Israël réussit dans sa recherche propre d’identité religieuse et profane à la fois, il pourrait constituer un exemple, pour l’équilibre difficile de toute politique d’inspiration chrétienne en ce monde. « Et qui sait, d’autre part, si le problème d’un état démocratique “séculier” ou “profane” mais authentiquement “chrétien” par son inspiration, ce n’est pas l’état d’Israël qui aura à montrer d’abord, analogiquement, comment peut être résolu, s’il parvient effectivement à être ce qu’il est appelé à être : un état démocratique “séculier” ou “profane” mais authentiquement “juif” par son inspiration ? » 66 de fait, quarante ans plus tard, cette ques-tion de l’identité d’Israël, état juif mais séculier, est devenue une des plus brûlantes de la société israélienne.

les pistes théologiques ouvertes par Maritain pour la théologie du judaïsme

dans cette partie conclusive nous allons relever, pour l’écarter, ce qui nous apparaît encore trop marqué chez Maritain par la théologie de la substitution, afin de dégager l’originalité de sa pensée qui garde une per-tinence, pour l’avancée d’une théologie catholique du judaïsme.

63. M.- J. dubois, op. cité, p. 15.64. Ibid., p. 12.65. Le mystère d’Israël, « l’inique sort fait aux Juifs dans la chrétienté » (1970), p. 291, op. cité.66. Ibid., « Post-scriptum » (1964), p. 251.

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Les scories de la théologie de la substitution

Une lecture superficielle de Maritain peut laisser penser qu’il est encore très imprégné de la théologie de la substitution. on a même parlé de Maritain antisémite67. de fait certaines phrases, trouvées sous sa plume jusqu’en 1970 peuvent choquer et on ne peut nier que Maritain garde certains clichés sur les Juifs, tels leur amour de l’argent, ou l’at-tente d’un Messie trop terrestre. Pour saisir Maritain il faut comprendre que sa pensée est construite selon « […] des catégories chrétiennes et scolastiques, sur la différence entre spirituel et temporel, entre naturel et surnaturel, dans la présence de l’église au monde. » 68 Ces catégo-ries ont parfois le défaut de produire une réflexion trop dualiste, où Israël est toujours du côté de l’ombre et de la nuit, tandis que l’église est du côté de la lumière, Israël du côté de la terre et l’église du côté du Royaume. Et Maritain ne prend peut-être pas toujours assez la mesure des termes qu’il emploie dans le cadre du développement d’une pensée spéculative69.

Par ailleurs, il a de la difficulté à concevoir la permanence de la reli-gion juive, autrement que comme un régime périmé, bien qu’il ait une profonde estime pour les Juifs qu’il côtoie70. Conséquemment, il eut de la difficulté à se dégager de l’idée de la conversion d’Israël, qui devait surgir du libre arbitre du peuple juif, quand bien même une réconciliation et un sérieux travail du côté chrétien devaient en être le prélude. on peut se demander comment un peuple peut disposer d’un libre arbitre.

Jacques Maritain ne dit pas non plus ce que deviendra selon lui le peuple juif lors de cette réintégration, d’autant qu’il la voit se réaliser dans l’his-toire. Prendra-t-il sa place au cœur de l’église en tant que peuple, ou bien sera-t-il dissout dans l’église ? Car il y a une sorte de contradiction dans la pensée de Maritain, qui réussit le tour de force de nier à Israël le statut d’église tout en lui conservant un statut de peuple de dieu, de type ecclé-

67. C’est la pensée tout à fait marginale que J. Hellman a développé au cours du colloque américain, Jacques Maritain and the Jews, cité par Sylvain Guena, dans « libres propos sur le mys-tère d’Israël », Cahiers Jacques Maritain, n° 31, déc. 1995, p. 55. lors d’une correspondance avec Sylvain Guéna en mai 2011, il a qualifié ce discours de « pas sérieux ». de fait on a plus souvent accusé Maritain d’être « enjuivé ».

68. M.-J. dubois, op. cité, p. 8.69. À titre d’exemple il écrit « Saint Paul ne prévoyait pas toute l’horreur des longues persé-

cutions que son peuple allait souffrir. […] Il est odieux de dire, mais je crois que cela est vrai : il a eu ce qu’il a voulu, ce peuple que dieu chérit toujours à cause de ses pères. » dans Le mystère d’Israël, « l’inique sort fait aux Juifs dans la chrétienté » (1970), op. cité, p. 261. Cette phrase maladroite, ne reflète pourtant ni cet article ni la personne.

70. Maritain ne parle jamais du rapport entre le judaïsme et le christianisme ; ce n’est pas son souci.

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sial et sacerdotal71. Cette contradiction est surmontée en partie du fait des fonctions distinctes que Maritain attribue à l’église et à Israël : l’église est seul instrument du salut, tandis qu’Israël active l’histoire. ainsi est préser-vée une certaine supériorité de l’église sans discréditer Israël.

Enfin, la question de la souffrance du peuple juif gagnerait à être traitée sous l’aspect de la vocation prophétique continuée d’Israël, plutôt que sous celle du bouc émissaire qui est plus une réalité psychologique que spirituelle. Cela permettrait de mieux qualifier la solidarité entre Juifs et chrétiens dans leur vocation commune, bien que sous des modalités diffé-rentes, comme signe de contradiction au milieu du monde.

au-delà de ces critiques il faut redire qu’au cœur du raisonnement de Maritain se trouve l’amour de dieu pour Israël, qu’il ne voit jamais comme reporté sur l’église mais partagé avec elle. « Est-ce que son amour pour l’église et son amour pour le peuple juif sont deux amours différents ? Non, c’est le même et unique amour, parce que dans l’éternelle vision divine Israël et l’église ne sont qu’un même et unique peuple de dieu, ainsi qu’il apparaîtra dans les derniers temps de l’histoire […] ».72

Nous allons voir maintenant quels échos eut le travail de Maritain chez ses contemporains, comment il s’inscrit dans l’esprit du Concile mais aussi quelle piste a été ouverte après Nostra aetate pour penser la théologie dans le cadre de la pluralité des religions.

Une ouverture ecclésiologique annonciatrice de Vatican II

durant la période de l’entre-deux-guerres les théologiens avec qui Maritain était en dialogue à propos d’Israël furent principalement le père Bonsirven73, son ami Charles Journet74, le père de Sion Paul démann75, Henri de lubac et les jésuites de lyon76. Puis durant son exil aux états-Unis

71. C’est seulement à cette condition qu’il peut faire jouer l’analogie entre Israël et l’église, et leur rapport dialectique face au monde.

72. Ibid. p. 287.73. Voir t.-M. andrevon, « Joseph Bonsirven et le mystère d’Israël » dans NRT 133 (2011),

p. 547-567.74. Voir Charles Journet, Destinées d’Israël, à propos du Salut par les Juifs, Elgoff, Paris, 1945.75. Paul démann (1912-2005) Juif hongrois devenu prêtre à la Congrégation Notre dame

de Sion, il fut rédacteur en chef de la revue les Cahiers Sioniens, participa à la rencontre de Seelisberg, et au groupe de travail apeldoorn. Ses écrits étaient connus du cardinal Bea. avec sa collaboratrice Renée Bloch, ils menèrent une enquête sur environ cinq mille manuels de formation chrétienne dont il sortit un ouvrage cité souvent dans les travaux préconciliaires : « la catéchèse chrétienne et le peuple de la Bible » numéro spécial des Cahiers Sioniens, 1952, n° 3-4. Son départ de la congrégation juste avant le Concile le fit oublier mais il reste sans doute un des pionniers les plus importants du nouveau regard de foi sur le peuple juif.

76. C’est surtout dans le cadre de l’antisémitisme que Maritain dialogua avec eux. les jésuites de lyon sont à l’origine de Témoignage Chrétien, journal clandestin qui éveilla les consciences

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il fut en lien avec Johannes oesterreicher, qui devint periti au Concile77. Mis à part le père Bonsirven qui s’intéressait aux origines du christianisme et avait le souci d’enseigner le judaïsme aux chrétiens, c’est massivement sous l’angle ecclésiologique que fut abordée la question d’Israël par les théologiens du début du XXe siècle. tout d’abord parce que la lecture de Paul aux Romains, à laquelle tous se réfèrent, invite à réfléchir sur le destin d’Israël, et non sur le judaïsme. au fond, la théologie de la substitution était elle-même une position ecclésiologique, et donc dès que l’on voulut prendre son contre-pied, il était assez logique que cela se fasse sur ce même terrain. affirmer que le peuple juif n’était pas rejeté aboutissait inévitable-ment à devoir « faire de la place à Israël » au lieu de « prendre sa place ».

Pour Paul démann, qui rejoint Maritain sur le caractère providentiel du faux-pas d’Israël, le secret ou le mystère d’Israël réside dans son élection, et « la faute est tout aussi mystérieuse que l’élection »78. C’est pourquoi le rapport entre l’église et Israël, « est intimement lié à l’Histoire Sainte, au drame évangélique, à la théologie du peuple de dieu, l’église. C’est là, en même temps, que la division du peuple de dieu est la plus fonda-mentale, la plus douloureuse, la plus complexe et psychologiquement la plus durcie, et là aussi que la réunion sera, d’après la Révélation même, la plus essentielle aux ultimes achèvements de l’œuvre rédemptrice. »79 P. démann établit un rapport étroit entre le mystère d’Israël et les efforts œcuméniques, alors que Maritain est plus axé sur l’acheminement de l’hu-manité vers son unité. Ces deux thèmes occuperont le Concile Vatican II, en constituant même le fil directeur.

de fait le concile prendra une orientation résolument ecclésiologique en introduisant Nostra aetate (§ 4) par ces mots « Scrutant le mystère de l’église, le Concile rappelle le lien qui relie spirituellement le peuple du Nouveau testament avec la lignée abraham. »

L’apport de la lecture dialectique de l’histoire

le grand apport de Maritain reste sans doute cette vision dynamique et dialectique de l’Histoire du Salut, avec ses trois acteurs que sont, le monde, l’église et Israël. En opérant constamment un chassé-croisé entre Israël et l’église, Maritain respecte la cohérence de chaque alliance, tout en préservant une unité fondamentale entre les deux. Si l’on s’affranchit

sur la perversité du nazisme et le mensonge du régime de Vichy.77. Juif converti ayant fui l’autriche, oesterreicher se lia avec Maritain qui préfaça son livre

Racisme, antisémitisme, antichristianisme, traduit de l’allemand, éd. de la Maison Française, New York, 1942.

78. Paul demann, « Quel mystère d’Israël ? », Cahiers Sioniens, 1952, no 1, p. 7.79. P. demann, « la catéchèse chrétienne et le peuple de la Bible », p. 6., op. cité.

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du ton de supériorité qu’il accorde à l’église, on trouve une théologie qui n’est pas celle de deux voies de salut, mais deux fonctions dans la réalisa-tion du salut. la déclaration Nostra aetate (§ 4) ne dit rien de la mission qui peut encore incomber à Israël dans le temps de l’église. la dialectique de Maritain fournit une piste où le rapport entre Israël et l’église gagne en profondeur. déjà Gaston Fessard écrivait « l’opposition qui apparaît ici au premier plan – celle d’Israël, peuple élu, et des peuples païens, fils de la colère – n’est pas aux yeux de Paul un fait quelconque, sans signification universelle. Elle est au centre de l’histoire, le type de tous les autres conflits qui divisent les hommes. »80 Paul démann de son côté montrait que si l’église est le signe du dépassement de la première dialectique entre Israël et les nations, du fait qu’elle est le rassemblement de juifs et de païens, elle se trouve cependant face à Israël resté fidèle à la première alliance81. or, ce vis-à-vis s’est transformé en un dualisme et une farouche opposition. la théologie doit redonner vie à cette dialectique, qu’il nomme dialectique de la fidélité, et ce dans une perspective eschatologique.

Maritain montrait qu’Israël et l’église doivent être au service du monde. Claude Geffré reprend cette idée dans le cadre du dialogue interreligieux « en démontrant que “le face à face du juif et du grec” tel que l’envisage Paul est devenu au fil des siècles le face à face du juif et du chrétien ». Mais à l’âge du pluralisme religieux, nous avons de plus en plus conscience que ce face-à-face risque de devenir stérile s’il ne prend pas en compte un tertium, l’autre ou le tiers absent qui n’est ni juif, ni grec, qu’il s’agit de cet homme nouveau qu’est le grec de la modernité […] ou qu’il s’agisse de tous les non-grecs qui appartiennent à d’autres cultures et d’autres tradi-tions religieuses […] de même que l’évangile, selon sa vocation à l’univer-sel a surmonté la dualité du juif et du grec, il doit encore faire tomber le mur de la séparation entre le grec et le barbare. »82

***

lors de la clôture de Vatican II, le 8 décembre 1965, Jacques Maritain fut choisi pour recevoir le message du Concile aux intellectuels des mains de Paul VI. C’était une manière d’honorer sa pensée et son engagement, comme étant parfaitement fidèles à la foi de l’église. À l’approche du

80. Gaston Fessard, Pax Nostra, examen de conscience international, Grasset, Paris, 1936, chapitre VI, 3 : « destinée et mission négatrice du peuple juif », p. XI-XII.

81. P. demann, « Israël et l’église. Essai de dialectique » Cahiers Sioniens n° 9, mars 1950 ; une grande partie de son article est une analyse critique de la position de Karl Barth.

82. Claude Geffré, « Révision chrétienne de la théologie du judaïsme ? » dans Le judéo-chris-tianisme dans tous ses états, actes du colloque de Jérusalem 6-10 juillet 1998, sous la direction de Simon C. Mimouni, Cerf, Paris, 2001, p. 392.

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cinquantenaire du Concile, à l’heure où l’ombre du conflit israélo-pales-tinien ranime l’antisémitisme et risque d’embrouiller le discours théolo-gique, il n’est pas inutile de reprendre la réflexion de Jacques Maritain. Car l’église « ne peut oublier qu’elle a reçu la révélation de l’ancien testament par ce peuple avec lequel dieu, dans sa miséricorde indicible, a daigné conclure l’antique alliance, et qu’elle se nourrit de la racine de l’olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l’olivier sauvage que sont les Gentils. »83 l’église n’a pas encore terminé de se pencher sur ce mystère d’Israël, si cher à Maritain et d’en tirer toutes les conséquences vivifiantes pour la théologie de demain.

83. Nostra aetate §4, 1ère partie.

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