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ABSTRACT Psychosocial risks at work are increasingly related with work- related diseases. Effective pre- vention requires linkage between the general practitioner and the occupational health physician. Keywords : psychosocial risk,  burnout, occupational health. * Conseiller en Prévention/ Médecin du travail Directeur médical CESI 1200 Bruxelles [email protected] MG & MÉDECINE DU TRAVAIL Risques psychosociaux au travail (R.P.S.) : trois lettres, des chiffres et une législation par le D r Ricardo MUNIZ* Harcèlement moral, harcèlement sexuel et violence au travail. Cette triade de comportements abusifs ne recouvre que des formes extrêmes de souf- france au travail. Le concept de risques psychosociaux (R.P.S.) prend mieux en compte les autres dommages à la santé. Les entreprises doivent désormais intégrer les R.P.S. à leur politique glo- bale de prévention. Prétest Vrai Faux 1. La prise en charge d’une plainte pour harcèlement est réalisée par le conseiller en prévention pour les aspects psychosociaux. 2. Une attestation d’incapacité définitive de travail au poste de travail au sein de l’entreprise peut être rédigée par le médecin du patient. 3. Un patient recevant un C4 pour force majeure doit prester son préavis et perd ses droits au chômage. Réponses en page 27. Les risques psychosociaux (R.P.S.), initialement décrits dans les entreprises de services (Éducation, Santé, Communications, Horéca, Finances, Commerce), touchent tous les secteurs. Complexes à identifier, les R.P.S. prennent une part émergente dans les consul- tations de pathologie professionnelle et constituent un motif important de dé- claration de maladies professionnelles ainsi que d’inaptitudes professionnelles. Le tableau de la page suivante en montre la dispersion via le code NACE (Nomenclature statistique des Activités économiques dans la Communauté Européenne). On note une composante liée au statut du travailleur (surreprésentation dans l’administration). Les faibles possibilités de mobilité interne (mutation ou re- classement) et de rupture de contrat au sein de certaines entreprises publiques pourraient expliquer cette différence. Le nombre d’entreprises affiliées au CESI en 2014 était de 16 631. La base de données du CESI en 2014 comportait un effectif de 255 562 travailleurs. Limite d’interprétation du tableau : Ce tableau reflète le nombre et le type d’entreprises affiliées au CESI. Chaque Service de Prévention possède une structure de clientèle propre. Ce tableau ne RÉSUMÉ Les risques psychosociaux au travail prennent une impor- tance grandissante dans les pathologies liées au travail. Les conseillers en prévention Médecin du travail et psycholo- gues sont les interlocuteurs de choix du patient et du médecin généraliste. Mots-clés :   risques psychosociaux,  épuisement professionnel,  médecine du travail. 6 La Revue de la Médecine Générale n° 329 janvier 2016

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ABSTRACT

Psychosocial risks at work are increasingly related with work-related diseases. Effective pre-vention requires linkage between the general practitioner and the occupational health physician.

Keywords : psychosocial risk, burnout, occupational health.

* Conseiller en Prévention/ Médecin du travail Directeur médical CESI 1200 Bruxelles [email protected]

MG & MÉDECINE DU TRAVAIL

Risques psychosociaux au travail(R.P.S.) : trois lettres, des chiffres

et une législationpar le Dr Ricardo MUNIZ*

Harcèlement moral, harcèlement sexuel et violence au travail. Cette triade de comportements abusifs ne recouvre que des formes extrêmes de souf­france au travail. Le concept de risques psychosociaux (R.P.S.) prend mieux en compte les autres dommages à la santé. Les entreprises doivent désormais intégrer les R.P.S. à leur politique glo­bale de prévention.

Prétest Vrai Faux1. La prise en charge d’une plainte pour harcèlement

est réalisée par le conseiller en prévention pour les aspects psychosociaux.

2. Une attestation d’incapacité définitive de travail au poste de travail au sein de l’entreprise peut être rédigée par le médecin du patient.

3. Un patient recevant un C4 pour force majeure doit prester son préavis et perd ses droits au chômage.

Réponses en page 27.

Les risques psychosociaux (R.P.S.), initialement décrits dans les entreprises de services (Éducation, Santé, Communications, Horéca, Finances, Commerce), touchent tous les secteurs.

Complexes à identifier, les R.P.S. prennent une part émergente dans les consul-tations de pathologie professionnelle et constituent un motif important de dé-claration de maladies professionnelles ainsi que d’inaptitudes professionnelles.

Le tableau de la page suivante en montre la dispersion via le code NACE (Nomenclature statistique des Activités économiques dans la Communauté Européenne).

On note une composante liée au statut du travailleur (surreprésentation dans l’administration). Les faibles possibilités de mobilité interne (mutation ou re-classement) et de rupture de contrat au sein de certaines entreprises publiques pourraient expliquer cette différence.

Le nombre d’entreprises affiliées au CESI en 2014 était de 16 631.La base de données du CESI en 2014 comportait un effectif de 255 562 travailleurs.Limite d’interprétation du tableau :Ce tableau reflète le nombre et le type d’entreprises affiliées au CESI. Chaque Service de Prévention possède une structure de clientèle propre. Ce tableau ne

RÉSUMÉ

Les risques psychosociaux au travail prennent une impor-tance grandissante dans les pathologies liées au travail. Les conseillers en prévention Médecin du travail et psycholo-gues sont les interlocuteurs de choix du patient et du médecin généraliste.

Mots-clés :  risques psychosociaux, épuisement professionnel, médecine du travail.

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reflète donc pas l’ensemble des caractéristiques de tous les travailleurs en Belgique. En effet, les pro-portions du type d’entreprises et donc du type de tra-vailleurs peuvent différer d’un Service de Prévention à un autre.Un bonne dizaine de Service de Prévention se parta-gent le marché en Belgique.

Les répercussions néfastes de l’exposition aux R.P.S. ont un impact sur le travailleur mais également au ni-veau collectif, par exemple, à travers un climat conflic-tuel de travail. Une approche préventive ne peut donc se concentrer exclusivement sur un seul individu.

Cette exposition a également un cout pour l’entre-prise : accidents de travail, gestion de l’absentéisme ou du présentéisme ou encore, une diminution de la qualité de travail, de la productivité 1, 2.

Dites « R.P.S. » !La législation parle de « risques psychosociaux ». Rappelons ce que sont les comportements abusifs.

Il faut distinguer 3 types de comportements abusifs :

• le harcèlement moral ;• le harcèlement sexuel ;• la violence au travail. 3

Harcèlement moralLa législation définit le harcèlement moral comme un ensemble abusif de plusieurs conduites similaires ou différentes, externes ou internes à l’entreprise ou

l’institution, qui se produisent pendant un certain temps. Elles ont pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité psychique ou physique d’un travailleur lors de l’exécution de son travail. Elles mettent en péril son emploi, créent un environnement intimidant, hostile, dégradant, humi-liant ou offensant. Elles se manifestent notamment par des paroles, des intimidations, des actes, des gestes ou des écrits unilatéraux.

Le harcèlement moral représente 93 % des plaintes.

Harcèlement sexuelLe harcèlement sexuel au travail se définit comme tout comportement non désiré, verbal, non verbal ou corporel à connotation sexuelle qui a pour ob-jet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant 2.À la différence du harcèlement moral il est beau-coup moins fréquent.

Le harcèlement sexuel est à l’origine de 3,45 % des plaintes.

Violence au travailLa violence au travail est définie comme toute situa-tion de fait où une personne est menacée ou agres-sée psychiquement ou physiquement lors de l’exé-cution du travail. La violence au travail s’exprime principalement par des comportements instantanés de menaces, d’agression physique (ex : coups di-rects, mais aussi menaces lors d’une attaque à main armée…) ou d’agression verbale (ex : insultes, diffa-mation, plaisanteries, etc.) 3.

Nombredeplaintespour1000travailleurs 2014

Industries manufacturières 2,09

Construction 0,71

Commerce – réparation de véhicules automobiles et de motocycles 1,71

Transports et entreposage 2,07

Hébergement et restauration 1,67

Information et communication 1,21

Activité financières et d’assurances 0,47

Activités spécialisées, scientifiques et techniques 1,87

Activité de services administratifs et de soutien 2,42

Administration publique 6,86

Enseignement 3,36

Santé humaines et action sociale 4,15

Arts, spectacles et activités récréatives 5,83

Autres activités de services 4,14Tableau 1 : nombre de plaintes pour 1000 travailleurs par secteur d’activité NACE (les ratios ne sont pas calculés pour les codes NACE où le nombre de travailleurs n’atteint pas 1000).

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Selon, un rapport canadien, la profession « person-nel de la santé » est la plus affectée par des lésions attribuables à la violence en milieu de travail. On retrouve ensuite les professions « enseignants » et « personnel administratif » 5. Il semble que les tra-vailleurs âgés soient moins exposés à la violence physique que les jeunes travailleurs 6. Quant aux étrangers, ils déclarent nettement plus de compor-tements hostiles quand ils sont ressortissants de pays extérieurs à l’Union européenne (29 % contre 23 % des étrangers issus de l’UE et 22 % de l’en-semble des salariés). Les étrangers hors UE indi-quent subir plus d’atteintes dégradantes que les autres salariés (8 % contre 3 %), mais pas significati-vement plus de dénis de reconnaissance ni de com-portements méprisants 7.

La violence peut être le fait de travailleurs internes à l’entreprise ou le fait de tiers (clientèle ou autres). Il faut inciter les personnes victimes de violence à en parler à la hiérarchie ou à la personne de confiance. Un « registre des faits de tiers » (anonyme) est obliga-toire dans chaque entreprise. Ce registre vise à inci-ter l’employeur à prendre des mesures préventives.

La violence au travail est à l’origine de 3,45 % des plaintes.

Qu’est-ce qu’un risque psychosocial ?L’Arrêté Royal du 10 avril 2014 relatif aux Risques psychosociaux (Moniteur Belge, 28.04.2014) 1 nous propose la définition suivante :

Un risque psycho-social est la probabilité qu’un tra-vailleur subisse un dommage psychique pouvant éga-lement s’accompagner d’un dommage physique suite à l’exposition d’une des cinq composantes suivantes :

1. l’organisation du travail ;2. le contenu du travail ;3. les conditions de travail ;4. les conditions de vie au travail ;5. les relations interpersonnelles au travail.

Il faut en plus que l’employeur ait un impact sur ces composantes et qu’elles comportent objectivement un danger.

Le législateur n’a pas quantifié cette probabilité de dommage, le laissant à l’appréciation des conseillers en prévention.

Les risques psychosociaux sont donc appréhendés comme complexes de par leurs origines multifac-torielles mais leur définition est peu précise et cela fragilise le sujet d’étude 8.

Formes cliniques« Les situations à risques pour la santé sont celles où le salarié est confronté à une forte demande psychologique mais dispose d’une faible latitude décisionnelle. Le risque est encore aggravé si le travailleur bénéficie d’un faible soutien social. Les pathologies liées aux R.P.S. sont essentiellement des troubles musculo-squelettiques, cardiovascu-laires et psychiques » 9.

Il n’existe pas à proprement parler de signes d’ap-pel spécifiques pouvant faire suspecter un état pa-thologique lié à l’exposition à des R.P.S. Cela peut se manifester par des symptômes de fatigue, d’an-goisse, un état dépressif ou des pensées suici-daires. On peut retrouver des problèmes de som-meil, des palpitations, des problèmes gastriques et intestinaux 10. Une personne en burnout pourra même parfois être dans le déni total de ses symp-tômes et de sa maladie. En Belgique, le syndrome d’épuisement professionnel (burnout) est un syn-drome corrélé au travail mais n’est pas à ce jour re-connu comme maladie professionnelle par le Fonds des Maladies Professionnelles.

Les travailleurs évoquent souvent le facteur stress lié au travail.La définition du « stress » est une bouteille à encre. Néanmoins, on sait que les situations stressantes vont stimuler l’amygdale qui va agir sur l’hippo-campe de façon chronique en perturbant nos capa-cités mnésiques et notre orientation spatiotempo-relle. Le stress augmente les taux d’adrénaline et du cortisol sanguin. Si le stress est chronique, il y aura des effets délétères de ce dernier au travers d’un mécanisme neuro-hormonal 13.

Facteurs étiologiquesLes causes de l’apparition de ces nouveaux « risques professionnels » sont à trouver dans la profonde mutation de nos sociétés. Nous sommes passés d’une société industrielle, reposant sur l’industrie et l’agriculture, à une société postindustrielle basée sur le secteur tertiaire.

Nous vivons actuellement une ère de Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). De nombreux postes de travail sont devenus des postes de travail sur écran (ordinateurs, tablettes et autres smartphones) interconnectés. Leur utilisation in-contournable entraine une accélération des rythmes de vie 11.

L’apparition de l’informatique pour les plus anciens, le changement de logiciel pour d’autres, additionnés à des exigences de production, des changements de techniques de management entrainent chez cer-taines personnes une souffrance importante et un malêtre sévère.

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Le temps informationnel s’est accéléré mais nos capacités cérébrales de traitement de l’information restent limitées à ce que nos circuits neuronaux sont capables de traiter. Nous commençons à intégrer que nous devons réguler les flux informationnels et communicationnels qui nous inondent.Admettre cette limitation « neuronale » est le fon-dement d’une approche préventive ainsi que thérapeutique 12, 13.

De récents travaux confirment par exemple que le sommeil est bien réparateur, puisqu’il permet au li-quide interstitiel de « nettoyer » le cerveau, grâce à l’action de pompes (les aquaporines 4) situées sur les terminaisons des cellules gliales, contribuant ainsi à son bon fonctionnement 14.Le retraitement de l’information (oubli, sélection) durant le sommeil est donc capital et conditionne la qualité des prestations des journées de travail sui-vantes. Le dérèglement de l’horloge biologique peut induire des conséquences comme la dépression, des troubles de l’humeur, des perturbations au niveau des cycles veille/sommeil 13, 14.

Si le malêtre devient collectif, le rôle du médecin du travail (CP-MT) et du conseiller en prévention-as-pects psychosociaux (CP-AP) consiste à le relayer auprès de l’employeur afin d’objectiver ses causes et de trouver des moyens de prévention 15, 16, 17, 18.

Prise en charge des R.P.S.

Au cœur de la prévention globale de l’entrepriseSelon le constat effectué par nos conseillers en pré-vention, lorsque les travailleurs évoquent des si-tuations de comportements abusifs, il s’agit le plus souvent de situations qui sont l’aboutissement et la manifestation rare – mais extrême – de l’exposition aux R.P.S. et, plus particulièrement, à un ou plu-sieurs des cinq facteurs évoqués ci-dessus.

L’apport positif de la législation du 10 avril 2014 est que les entreprises ne focalisent plus sur l’angle restrictif de ces comportements abusifs mais intè-grent les R.P.S. au cœur de leur politique de pré-vention globale 19. Désormais, ces risques sont mis quasi sur le même plan que les risques dits clas-siques (radiations ionisantes, risques chimiques, risques physiques, etc.).

Dans cette optique et comme déjà évoqué, l’em-ployeur doit prendre en compte au niveau collectif les incidents survenus au niveau individuel 17, 20.

Prise en charge des R.P.S. : au niveau individuelAvant que la législation ne change, lorsqu’une per-sonne s’estimait victime de violence ou de harcè-lement sur son lieu de travail, elle pouvait déposer une plainte formelle, dite motivée, bénéficiant par la même occasion d’une protection contre le licen-ciement 21. Cette procédure engendrait certaines conséquences juridiques dans le traitement de la plainte. Sans contester le vécu des personnes portant plainte, ceci était extrêmement traumati-sant pour les personnes parfois indument mises en cause 22.

Aujourd’hui, la procédure est assez complexe mais, suivant ce que désire le travailleur en souffrance, plusieurs solutions s’offrent à lui.

Soit il fait une demande d’intervention psycho sociale informelle (= l’employeur n’est pas au courant, c’est anonyme) et, de façon assez surprenante (voir chiffres plus loin), après un ou plusieurs entretiens informels avec le CP-AP, beaucoup de travailleurs n’estiment pas ou plus nécessaire d’entamer une procédure formelle (plainte)

Soit le travailleur effectue une demande d’interven-tion psychosociale formelle à caractère principale-ment collectif : • dans ce cas l’anonymat du demandeur est

conservé ;• la prise en charge se fait au niveau collectif par

l’employeur.

Soit il effectue une demande d’intervention psycho-sociale formelle à caractère individuel :• dans ce cas l’identité du travailleur est connue de

l’employeur ;• la situation est prise en charge par le CP-AP.

Soit il effectue une demande d’intervention psycho-sociale formelle pour faits de violence ou de harcè-lement moral ou sexuel au travail :• l’identité du demandeur est connue de l’employeur

mais il bénéficie de la protection contre le licencie-ment abusif (12 mois) ;

• la gestion se fait par le CP-AP et il y a suivi des me-sures prises par l’employeur.

Les statistiques du CESI montrent que le nombre de demandes d’intervention informelles est de 2,45 plaintes pour 1 000 travailleurs en moyenne.Ces demandes informelles sont celles ancienne-ment appelées plaintes informelles. Ces plaintes informelles n’arrivent pas chez l’employeur.

Le nombre de demandes d’intervention formelles (= anciennement plaintes formelles) est en moyenne de 0,43  pour  1000  travailleurs. Ces plaintes for-melles arrivent chez l’employeur. La procédure formelle est particulièrement indiquée lorsque la

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situation est devenue insupportable pour le tra-vailleur car des mesures conservatoires doivent être prises par l’employeur.

Seulement 13 % de toutes les interventions sont d’emblée des interventions formelles.Seulement 9 % des demandes d’intervention infor-melles passent au stade formel.

Les chiffres qui précédent suggèrent donc que bon nombre de problématiques se résolvent après inter-vention informelle et de façon non conflictuelle au sein de l’entreprise. Il s’agit de données 2014 et 2013 montre la même tendance.

Le rôle du Conseiller en Prévention-Aspects PsychosociauxIl réalise des analyses générales préalables ou bien spécifiques à posteriori (situation de travail spéci-fique, par exemple un service). Il reçoit et examine les demandes d’intervention informelles, formelles et tient les dossiers individuels. Il se concerte éga-lement avec le CP-MT ou la personne de confiance. La personne de confiance est une personne occu-pée au sein de l’entreprise. Elle ne peut être ni le médecin du travail ni le spécialiste des aspects psy-chosociaux ni un représentant de l’employeur ni un délégué syndical.Avec l’accord du travailleur qui dépose une demande d’intervention formelle, il peut donner son avis au médecin du travail.

Son rôle est d’analyser la problématique dans un cadre global et multicausal afin d’aider l’em-ployeur à trouver des améliorations ou des solu-tions structurelles. Il peut participer à l’élaboration des procédures.

Important à savoir : Le CP-AP n’est pas un « juge », il ne dira donc pas qui à tort et qui à raison, il rendra un avis.

Ce qui est le plus important, c’est la finalité poursui-vie par le travailleur :• si son objectif est que la situation s’améliore, le

cheminement via le CP-AP est vivement conseillé ;• si la volonté du travailleur est de se faire recon-

naitre comme victime ou de nommer des respon-sables, il sera souvent déçu car la finalité de l’in-tervention du CP-AP n’est pas celle-là.

Certains considèrent cette étape comme un préa-lable. Il y a donc parfois un regrettable risque de« judiciarisation » du rôle du CP-AP.

En tant que médecin généraliste, que faire ?Le médecin généraliste peut directement prendre contact avec le CP-AP ou avec le médecin du tra-vail. Le généraliste ne doit donc pas hésiter à en-tamer cette démarche. Cette démarche est ex-plicitement prévue par la législation. Il ne faut pas attendre des signes cliniques inquiétants, la simple suspicion suffit et permettra une interven-tion précoce.En pratique, il suffit de demander à l’employeur ou à son service du personnel (Ressources Humaines) quel est le service de « médecine du travail. » de l’employeur. Il peut le faire sans citer le nom de son patient.

Si le patient se plaint de « harcèlement » ou de faits de « violence » ou simplement d’anxiété, de stress ou de dépression qu’il attribue à son travail, le mé-decin généraliste peut soit s’adresser au CP-MT ou demander au patient de prendre contact avec le CP-AP de l’entreprise. Le patient peut le faire anonymement.

Toute entreprise grande ou petite dispose d’un CP-AP. Il s’agit souvent de psychologues qui sont obligatoirement formés à la prévention.

Si l’entreprise ne dispose pas en interne d’un CP-AP (souvent une petite PME), alors c’est le Service Externe de Prévention et de Protection au Travail (S.E.P.P.) qui le met à dispositionAprès avoir épuisé toutes les possibilités d’actions collectives et individuelles il ne reste plus que l’op-tion de la « déclaration  d’inaptitude  définitive  au poste de travail dans l’entreprise ». Cette inaptitude est prononcée par le médecin du travail sur base d’un dossier médical et psychosocial complet. Cette inaptitude est prononcée sur un document dont le canevas est déterminé légalement. Il est appelé F.E.S. (Formulaire d’Évaluation de Santé).Une des pièces maitresses de ce dossier est le certi-ficat d’inaptitude définitive au poste de travail que le médecin généraliste peut établir.Le généraliste doit néanmoins être bien conscient que cette « inaptitude définitive » entraine des conséquences graves.Le travailleur inapte définitif sera licencié (C4) et l’employeur ne sera pas tenu de lui payer ses in-demnités de préavis si l’employeur invoque le cas de « force majeure ».Attention, la notion de force majeure est une notion juridique à ne pas confondre avec l’inaptitude médi-cale. Le médecin se prononce sur l’inaptitude et pas sur la force majeure.Le travailleur ne perd pas ses droits et émarge im-médiatement au chômage.

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1111MG & MÉDECINE DU TRAVAIL

ConclusionsLes plaintes sont-elles un phénomène rare ou fréquent ?Pour répondre à cette question il faut d’abord définir un référentiel de fréquence.Par analogie avec ce que l’on considère comme rare ou fréquent pour une maladie donnée, on pose comme référentiel pour les plaintes une occurrence élevée à 5 %, une occurrence moyenne à 0,5 % et une occurrence rare à 0,05 %. Il faut donc conclure que, malgré la forte prégnance du sujet, l’étude de nos données statistiques ne montre qu’une occurrence rare à moyenne des plaintes prises globalement.De plus, ces données illustrent que bon nombre de pro-blématiques se résolvent après intervention informelle et de façon non conflictuelle au sein de l’entreprise.

Depuis la parution de l’Arrêté Royal de 2014, les R.P.S. doivent faire pleinement partie de la politique de prévention globale de l’entreprise. Cette législa-tion bien comprise peut faire en sorte que la prise en charge multifactorielle mène à d’avantage de bien-être au travail.

Le certificat d’inaptitude définitive au poste de tra-vail que le médecin généraliste établit est une pièce maitresse. Le généraliste doit néanmoins être bien conscient que cette « inaptitude définitive » en-traine des conséquences financières et sociales graves pour son patient.

Bibliographie1. Arrêté Royal du 10 avril 2014 relatif aux Risques psycho-

sociaux (Moniteur Belge, 28.04.2014). http//www.moniteur.be2. SPF EMPLOI – Risques psychosociaux au travail

(Site Internet, dernière consultation : 21.10.15). http://www.emploi.belgique.be/defaultTab.aspx?id=564

3. SPF EMPLOI (s.d.). Violence et harcèlement moral ou sexuel au travail – jurisprudence, 127 pages.

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5. COMMISSION DE LA SANTE ET DE LA SECURITE DU TRAVAIL DU QUEBEC (2013) Statistiques sur les lésions attribuables à la violence en milieu de travail : 2008-2011 (dernière consul-tation : 21.10.15). http://www.csst.qc.ca/publications/300/Documents/DC300_255web.pdf

6. Workplace violence and harassment : a european picture (OSHA, 2009).

7. Subir un comportement hostile dans le cadre du travail : plus de 20 % des salariés s’estiment concernés in DARES 2014.

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19. Poucet Valérie Les RPS au travail – Actualités législatives – Journées Nationales de Médecine du Travail Bruxelles 2014.

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Remerciements Je remercie Monsieur Gautier Dumont, Junior Busi-ness Analyst au CESI pour la récolte et la synthèse des données originales 2014 extraites de la Base de Données du CESI, Service Externe de Prévention et de Protection au Travail ainsi que Madame Nathalie Boonen, documentaliste au CESI.

EN PRATIQUE, NOUS RETIENDRONS1. Les risques psychosociaux prennent une

place grandissante dans les pathologies liées au travail.

2. Les R.P.S. ont non seulement une influence sur la santé du travailleur mais également au ni-veau collectif. Ils sont aussi pourvoyeurs d’ac-cidents de travail avec des conséquences éco-nomiques importantes.

3. Les conseillers en prévention médecins du tra-vail et psychologues sont au cœur de la prise en charge. Ils sont les interlocuteurs privilé-giés du patient et du médecin généraliste.

4. La déclaration « d’inaptitude définitive au poste de travail dans l’entreprise donnée » est la so-lution de derniers recours, entrainant la perte d’emploi avec conservation du droit au chô-mage mais sans indemnité de préavis.

La Rédaction