Pour une nouvelle définition du terme vocalese

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HAL Id: hal-01706331 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01706331 Submitted on 11 Feb 2018 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Pour une nouvelle définition du terme vocalese Eric Fardet To cite this version: Eric Fardet. Pour une nouvelle définition du terme vocalese. Acta Musicologica, Basel: International Musicological Society, 2015, 87 (1), pp.75-98. hal-01706331

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Submitted on 11 Feb 2018

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

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Pour une nouvelle définition du terme vocaleseEric Fardet

To cite this version:Eric Fardet. Pour une nouvelle définition du terme vocalese. Acta Musicologica, Basel : InternationalMusicological Society, 2015, 87 (1), pp.75-98. �hal-01706331�

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Sommaire

POUR UNE NOUVELLE DÉFINITION DU TERME VOCALESE .................................................................................... 3 

I.  LE CONTEXTE MUSICAL ............................................................................................................................... 3 

A.  UNE CULTURE FRANÇAISE REPOSANT SUR LA MUSIQUE SAVANTE, LE MUSIC‐HALL ET LE TRAVAIL EN STUDIO 4 B.  DES LIENS ENTRE CHANTEURS AMÉRICAINS ET FRANÇAIS  5 C.  LA MODERNISATION DU FRANÇAIS  6 

II.  REDÉFINIR LE TERME « VOCALESE » ............................................................................................................ 7 

A.  L’HISTOIRE DU TERME « VOCALESE » : DU CONTRE‐EMPLOI À LA POSTÉRITÉ  7 B.  VOCALESE ET ENSEMBLES VOCAUX  8 C.  QUELS SUPPORTS LINGUISTIQUES POUR LE VOCALESE ?  10 D.  LE TERME VOCALESE : DU QUALIFICATIF AU SUBSTANTIF  14 

III.  DEUX ÉCRITURES DE STYLE VOCALESE POUR ENSEMBLE VOCAL : DOUBLE SIX ET LAMBERT‐HENDRICKS & ROSS 16 

A.  LES ÉCRITURES FRANÇAISE ET ANGLAISE DE STYLE VOCALESE  16 1.  Techniques de prise de son...................................................................................................................... 17 2.  Vocabulaire ............................................................................................................................................. 19 3.  Deux esthétiques du vocalese ................................................................................................................. 21 

B.  ETUDE DU VOCALESE FRANÇAIS DE MIMI PERRIN  22  

Résumé Jazz vocal et jazz instrumental se sont constamment influencés durant leur évolution, comme en témoigne le développement des techniques particulières d’écriture et d’improvisation que sont le vocalese et le scat. A partir du contexte français dans lequel se développe l'école parisienne de vocalese, l'étude montre que le terme vocalese ne désigne plus seulement l’adjonction d’un texte à un solo de jazz mais doit également être retenu pour qualifier toute transcription vocale de jazz. La troisième partie, consacrée à l'analyse des premières applications de cette technique aux polyphonies vocales, compare les styles vocalese de Jon Hendricks pour le groupe Lambert-Hendricks & Ross et de Mimi Perrin pour les Double Six. L'auteur développe les contraintes rencontrées par les deux créateurs et décrit leurs choix esthétiques. Deux visions apparaissent : Jon Hendricks, comme poète, privilégie des textes engagés qui peuvent l’éloigner de l’enregistrement support ; Mimi Perrin, dans un travail proche de la traduction, vise l’adéquation systématique aux sonorités, aux tempi et aux phrasés instrumentaux originaux. Éric FARDET, docteur en musicologie, premier prix du conservatoire de Tours en guitare, chef de chœur et enseignant, a effectué des recherches universitaires sur la voix et les onomatopées dans la musique contemporaine. Il a soutenu son doctorat sur « le jazz et les groupes vocaux » à l’université de Strasbourg.

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Abstract Vocal jazz and instrumental jazz have constantly influenced each other during their evolution. We can note that in the way how vocalese and scat, particular writing and improvisation techniques, developed. From the French context in which develops the vocalese Parisian school, this study shows that the term vocalese does not designate any more the only addition of a text on jazz music but must be also retained to qualify all vocal jazz transcription. The last part is dedicated to the analysis of the two first applications of this technique to vocal polyphonies. It compares Jon Hendricks’s vocalese style (Lambert-Hendricks & Ross), and Mimi Perrin’s style (leader of the Double Six). The author develops the constraints met by both creators and explains their esthetic choices. Two visions appear: Jon Hendricks, as a poet, often favors committed texts that can take him away from the recording medium; Mimi Perrin, in a work close to translation, aims at systematic adequacy to tones, tempi and original instrumental phrasings. Éric FARDET, doctor in musicology, first guitar prize of Tours academy, choir conductor and teacher, made university researches about voice and onomatopoeias in contemporary music. He supported his doctorate about “jazz and vocal groups" at the University of Strasbourg.

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I. Le contexte musical Les groupes vocaux de jazz occupent une position périphérique non seulement dans le jazz mais aussi au sein même du jazz vocal et les ensembles qui centrent leur pratique sur la transcription demeurent marginaux :

Lambert-Hendricks&Ross (L.H.R. - 1958-1962)1 et les Double Six (transcriptions avec texte sur du jazz)

Swingle Singers (transcriptions avec onomatopées sur du baroque), Quire (transcriptions avec onomatopées sur du jazz), Manhattan Transfer (arrangements ou transcriptions, avec texte ou onomatopées,

sur du jazz), L.A. Voices (réductions/augmentations avec texte sur du jazz), Vox office (réductions avec paroles sur du jazz), …

Dans la seconde moitié du XXe siècle et durant quinze années, l’école française de vocalese qui comprend les Double Six, les Swingle Singers et l’ensemble Quire, décline pour un groupe assez homogène de chanteurs, trois pistes distinctes du vocalese :

la transcription de musique de jazz avec paroles (Double Six : six chanteurs, morceaux pour six ou douze parties vocales),

la transcription avec onomatopées de musique non jazz vers le jazz (Swingle Singers : huit chanteurs, quatre parties vocales),

la transcription avec onomatopées de musique de jazz pour piano (Quire : quatre chanteurs, de quatre à huit parties vocales).

L.H.R. et les Double Six, premiers ensembles de « vocalese-group », ont en commun l’interprétation de morceaux issus des grands ensembles instrumentaux et du répertoire bop, avec apport d’un texte discursif. Le groupe L.H.R. est composé de chanteurs boppers dont deux sont des paroliers (Jon Hendricks et Annie Ross qui écrit les paroles de Twisted). Aux États-Unis, leur travail pour ensemble vocal n’aura pas de suite avant les années 1980 :

1979 et 1985 : deux albums des Manhattan Transfer sont consacrés au vocalese (Extension et Vocalese ; le second verra la participation de Bobby McFerrin et de Jon Hendricks),

1982 : l’album Jon Hendricks & Company (avec Michele Hendricks), 1983 : premier des trois disques des L.A. Voices associant dans une même écriture

cinq saxophones et cinq voix.

1. Le groupe L.H.R. devient en 1963-1964 L.H.B., Annie Ross étant remplacée par Yolande Bavan puis Anne-Marie Moss ; ultérieurement la succession de Dave Lambert ne s’effectua que pour quelques concerts avant la dissolution du groupe.

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Les deux groupes de vocalese L.H.R. et Double Six élaborent les premières applications de « l’écriture vocalese » pour « chœur ». Ils expérimentent, en studio puis sur scène, les différentes formes de transcriptions dont la réduction, à partir d’un enregistrement ou d’une partition existante, en utilisant l’overdubbing. Cette technique sera usitée par les deux ensembles dans leur premier album en déclinant l’idée d’une reproduction à l’identique des douze parties d’un big band ainsi que de ses improvisations. Par la suite, la nécessité d’une prestation scénique les obligera à une réécriture de leur programme pour seulement trois ou six voix. Chaque groupe s’appuiera sur le travail antérieur d’un ensemble précurseur : les Blue Stars pour les Double Six et les Dave Lambert Singers pour L.H.R.

A. Une culture française reposant sur la musique savante, le music-hall et

le travail en studio

En France, la tendance à valoriser un jazz écrit se retrouve durant ces mêmes années à la fois dans les transcriptions de Jacques Loussier et dans les écritures d’André Hodeir. Souvent issus du monde académique de l’enseignement spécialisé des conservatoires2, ces musiciens partagent une « culture classique » avec le fondateur des Swingle Singers, Ward Swingle, lauréat en 1951 d’un master au conservatoire de Cincinnati. Leurs crossover musicaux influencés par d’autres styles (variété, music hall…) s’adossent largement à la musique savante. Les répertoires du music-hall et de la chanson de variété font partie de la pratique de ces musiciens de studio, comme les chansons de Broadway nourrissent les musiciens de jazz américains. Certains musiciens des Double Six, tel Claude Germain, ont aussi leur emploi dans les cabarets, au Moulin Rouge ou au Lido. Comme choristes, ils perçoivent des cachets en se retrouvant pour des « backgrounds3 » dans les studios parisiens. La place importante du music-hall se perçoit dans une interview de Mimi Perrin, interrogée l’issue d’un concert des Double Six à l’Olympia, en première partie de Georges Brassens. Jean Tronchot lui demande pourquoi certains thèmes du répertoire n’ont pas été interprétés (Boo’s Bloos, Stockholm Sweetin’). Mimi répond : « Ce ne sont pratiquement que des chorus. Ce genre n’est pas valable dans un music hall où les connaisseurs sont peu nombreux. Ce qui touche les gens ce sont les ensembles4 ». Ce mélange de styles illustre la réflexion d’André Hodeir. Pierre Fargeton dans Le jazz comme œuvre composée : le cas d'André Hodeir, s’interroge sur le « hiatus entre l'idée de spontanéité que l'on associe généralement au jazz (le jazzman étant en principe un improvisateur) et la préméditation d'une œuvre jusque dans ses moindres détails et prolongements, par un compositeur ». Ce questionnement s’applique au travail réalisé par

2. Christiane Legrand étudie le piano avec Lucette Descaves, Jean-Claude Briodin dispose d’un premier prix du CNSM Paris en saxophone, Jacques Danjean d’un premier prix de conservatoire en piano tout comme Claude Germain (prix de l’école de musique de Paris). Jeanette Baucomont obtient ses différents prix au conservatoire de Montpellier (piano, chant, harmonie), Bernard Lubat à son prix de percussion. 3. HUMAIR (Daniel), « Les Double Six », Jazz Hot, n° 155, juin 1960, p. 16. 4. TRONCHOT (Jean), « Jean Tronchot a interviewé Mimi Perrin sur… ce chant que jouent, cette musique que chantent les Double Six… cette bande de copains terribles », Jazz Hot, 171 (décembre 1961), p. 19.

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Mimi Perrin pour les Double Six et semble caractériser, autour des années 1960, l’état d’esprit d’une communauté de musiciens français, recherchant dans le jazz les liens nouveaux entre musique pour chœur et modernité du bop, écriture musicale et apport textuel. Le cadre structurant de « l’improvisation simulée », car écrite, proposé par Hodeir, permet d’englober à la fois les transcriptions de Dave Lambert et celles de l’école française de vocalese. Ces ensembles reprennent des arrangements instrumentaux (morceaux bop, œuvres instrumentales de Bach, morceaux de jazz pour piano), en s’éloignant des musiques habituellement interprétées par la voix.

B. Des liens entre chanteurs américains et français

Durant les années 1950-1960, la présence d’américains est régulière à Paris. La proximité culturelle entre les musiciens français et américains peut être illustrée par de nombreux exemples. Parmi les chanteurs citons les liens qui unissent Mimi Perrin et Quincy Jones, et qui participent au rayonnement des Double Six. Un chanteur californien, Robert « Bob » Smart, rejoint les Double Six dans leur version de 1964 en remplacement d’Eddy Louiss. A contrario, Jacques Danjean est, avant son passage dans les Double Six, l’arrangeur et le pianiste de June Richmond qu’il accompagne durant un an dans ses tournées aux États-Unis. La présence de Ward Swingle, américain de naissance, installé en France comme pianiste depuis 1956, travaillant comme chanteur et accompagnateur dans les studios parisiens et auprès de Roland Petit, puis comme ténor dans les différents groupes vocaux français à partir des Blue Stars, relève également de ces liens musicaux. Rappelons aussi les cinq années passées en France par Blossom Dearie qui connaît le succès avec Les Blue Stars, à Paris comme aux États-Unis, avec la version vocale « francisée » de Lullaby of Birdland. Une admiration profonde unit les chanteurs des Double Six et les musiciens américains dont ils utilisent les enregistrements (Dizzy Gillespie, Lalo Schifrin, Ray Charles et Quincy Jones). Cette reconnaissance est réciproque. Cependant, si les musiciens de jazz ne formulent aucun jugement négatif quant au travail réalisé par ces ensembles vocaux5, certains critiques, opposés aux transcriptions en jazz6, affichent largement qu’ils n’adhèrent pas plus aux prouesses de L.H.R. qu’à celles des Double Six.

5. CARRIERE (Claude), CULLAZ (Maurice), Cullaz (Maurice), « 2X6=MIMI ; Mimi Perrin », Jazz Hot, 345-346 (février 1978), p. 55. « Ce qui m’a beaucoup émue, beaucoup touchée, c’est que des gens comme Quincy Jones ou Dizzy Gillespie nous ont dit : « nous ne comprenons pas le français, nous ne comprenons pas les paroles. Mais nous entendons vraiment nos orchestres. Nous retrouvons absolument les sonorités les attaques, le phrasé de nos musiciens et les chorus de nos enregistrements ». Mulligan m’a téléphoné un jour pour me demander un rendez-vous. Il voulait absolument savoir comment nous avions réussi à reproduire le son de son Tentet. Et nous avons passé une soirée à parler du langage. » 6. - LAVERDURE (Michel), Jazz Magazine, « Spécial Antibes 64 », n° 110 (septembre 1964), p. 17-19. « On sait pourtant que je ne porte aucune affection particulière au procédé illustré par les célèbres L.H.R. et adopté par les Double Six, le jazz étant pour moi d’abord une création (ou tout au moins apparence de création) ». - J. W., article de présentation du nouveau disque Dizzy Gillespie - Double Six, Jazz Magazine, 110 (septembre 1964), p. 43. « Je me suis, jadis, assez longuement étendu sur ce qui me semblait être les limites de Double Six : dans le principe même de leur expérience, ils s’imposent de demeurer dans un registre second de l’univers jazzistique ».

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C. La modernisation du français

Du fait de la « guerre du jazz7 » qui voit s’affronter les modernistes (Charles Delaunay pour le bebop) aux traditionnalistes (Hugues Panassié), la France vit une tension qui ne se résoudra qu’après la révolution culturelle de 1968. Bien que les musiques savantes et le jazz s’adressent initialement à un auditoire restreint et plutôt cultivé, André Hodeir décrit le public français avec les mots suivants :

« Il semble […] que ce qu’il est convenu d’appeler l’élite […] n’accepte le jazz qu’avec une très grande réserve. Cette froideur du public cultivé est aisément explicable. Celui qui, abordant le jazz sans avoir assoupli ses habitudes artistiques européennes, tente de le placer dans la perspective de la culture occidentale, n’a guère de chance de le comprendre8 ».

Cette tension entre modernité et tradition se polarise sur la langue française, dont la transformation est un élément d’importance pour les paroliers au lendemain de la guerre. Matthew F. Jordan soutient que quelques auditeurs et critiques ont perçu le jazz comme une menace pour la culture française traditionnelle et que grâce à la modernisation de la France dans son identité, le jazz devint alors compatible avec le français. C’est dans ce contexte que le travail de Mimi Perrin inscrit sa nouveauté, tant dans l’emploi de la langue que dans ses choix thématiques (science fiction). Sa volonté d’effectuer un travail de création similaire à celui d’Hendricks aurait pu techniquement se réaliser en anglais car Mimi Perrin, bilingue anglais et français, poursuivra une carrière de traductrice. Elle rapproche d’ailleurs sa pratique de celle de la traduction9, dans la recherche d’une adéquation au sens et à la construction des phrases originelles, qu’elles soient musicales ou littéraires.

- CARLES (Philippe), Jazz Magazine, 116 (mars 1965), p. 51. « On connait bien maintenant les Double Six (au point que certains mauvais esprits se demandent si ce groupe n’est pas condamné par les limites qu’il s’est imposées à faire toujours double emploi..) », 7. HODEIR (André), Hommes et problèmes du jazz, Paris, Parenthèses, Epistrophie, 1981 (1e édition 1954), préface p. 9. 8. Ibid., p. 16. 9 -ANQUETIL (Pascal), « Mimi Perrin, Bernard Lubat et André Minvielle : le jazz à l’épreuve des mots », Le Kiosque, Notes, www.sacem.fr/notes/jmots/miminvielle.html ; consulté le 20 octobre 2001. « Pour développer plus avant ce sujet, il faudrait décortiquer, en regard et à l’écoute de la partition originale, chaque mot, chaque phrase, chaque texte de Mimi Perrin. Cela prouverait avec éclat l’extraordinaire travail de « traduction » qu’elle sut inventer. En pionnière, toute seule. « Traduttore, traditore ». - C. CARRIERE, art. cit., p. 56. Mimi Perrin : « Hier soir, par exemple j’ai commencé à traduire un poème splendide. Et la nuit dernière, alors que je me récitais l’une des strophes du poème, je me suis revue (l’effet était saisissant) écrivant des paroles pour les Double Six. […] Je faisais donc, une fois de plus, une traduction de sons correspondant à des images et à des idées. Ce sont là deux démarches tout à fait parallèles ».

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II. Redéfinir le terme « vocalese » Comme l’écrit Charles Beale10, le jazz instrumental a utilisé, depuis ses origines, la transcription comme un moyen reconnu d’apprentissage :

« Apprendre à partir de transcriptions écrites de solos, et directement à partir de disques est une autre approche établie très tôt dans l’histoire de l’enseignement du jazz. Les transcriptions des solos de Louis Armstrong, par exemple, ont été publiées sous la forme de 50 chorus pour cornet et 125 breaks de jazz pour cornet dès 1927 […] L’imitation directe des enregistrements est reconnue comme étant un moyen vital d’apprendre des éléments de style jazz importants et souvent impossibles à noter, ce qui inclut le « feeling », le phrasé, les dynamiques internes et le son. »

Bien que le sujet traité par Charles Beale soit l’éducation, on peut admettre que cette technique d’apprentissage est partagée par les professionnels du jazz, instrumental ou vocal, et que l’art de la réinterprétation peut être considéré comme indissociable de cette pratique musicale.

A. L’histoire du terme « vocalese » : du contre-emploi à la postérité

Les premières apparitions du style vocalese, identifiées dès la fin des années 1920, sont l’apanage de chanteurs solistes. La technique est attestée comme procédé de composition en 1938 puis reprise par un ensemble vocal en 195411. La première utilisation du terme « vocalese » apparaît en 1953 dans un article de Down Beat consacré au disque d’Annie Ross, Twisted :

« Faute de meilleur terme, baptisons-le « vocalese » (du français vocalise, exercice vocal)12. »

Il demeure étonnant, aujourd’hui encore, que Leonard Feather ait pensé à ce mot français dont le sens semble plus approprié pour décrire les sonorités du scat et les phénomènes onomatopéiques que pour baptiser la réinterprétation vocale, avec paroles, d’un solo de jazz. Ce terme ne s’est d’ailleurs pas imposé immédiatement. Plusieurs critiques de jazz ont proposé d’autres vocables pour qualifier une des caractéristiques de cette prouesse vocale, la « mise en parole. » Bernard Niquet dans un article intitulé « King Pleasure13 » déclare en 1970 :

10. BEALE (Charles), “Jazz education”, The Oxford Companion to Jazz (Oxford University Press, New York, 2000), p. 759. 11. En novembre 1954, après avoir suggéré à Jon Hendricks d’utiliser le procédé du vocalese sur le répertoire de Count Basie, Dave Lambert poursuit l’adaptation vocale du Four Brothers de Woody Herman (séances d’enregistrements d’un disque ABC Paramount avec les Dave Lambert Singers sur la rythmique de l’orchestre de Count Basie : Freddie Green, Sony Payne, Eddie Jones, Nat Pierce.) 12. FEATHER (Leonard), “Feather’s Nest-News”, Down Beat (28 janvier 1953), p. 17. 13. NIQUET (Bernard), « King Pleasure », Jazz Magazine, 264 (septembre 1970), p. 29.

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« Ira Gilter a mille fois raison de rectifier le qualificatif de « vocalese » proposé par Feather par celui de « blowing » ou mieux de « cooking. » Ce fut un confluent musical. »

Contrairement au terme vocalese qui conserve, en plus de la connotation vocale, le rapport au langage, les deux qualificatifs « blowing » et « cooking » (qui ne sont d’ailleurs pas passés à la postérité) présentaient l’inconvénient de ne posséder ni la dimension d’écriture, indissociable du concept de vocalese, ni celle de transcription. Feather affirme donc qu’un langage neuf est né avec cette nouvelle ramification du jazz vocal. Par l’utilisation du suffixe anglais « ese », ajouté à la fin du mot « vocal », il le baptise désormais de son nom propre de langue. Malgré les approximations sémantiques soulevées, l’emploi du terme vocalese s’est imposé aujourd’hui pour identifier l’ensemble des phénomènes de transcription vers la voix en jazz.

B. Vocalese et ensembles vocaux

Dès 1954, en élaborant une méthode particulière d’enregistrement pour groupe vocal en re-recording14, Lambert-Hendricks & Ross reproduisent à trois chanteurs les douze parties instrumentales du big band et construisent un modèle qui sera repris pour six chanteurs par les Double Six15. Les albums ultérieurs de Lambert-Hendricks & Ross n’utilisent qu’une réduction des arrangements d’orchestre pour trois voix, ne conservant que les improvisations originales et les schémas d’harmonisation. Deux variations différentes du style vocalese apparaissent déjà, l’une étant une transcription à l’identique instrument/voix, l’autre une réduction.

Année Interprète Événement

1938 Eddie Jefferson Écriture de style vocalese des premiers solos de Basie, Nancy Stomp et Every Tub16, Taxi War Dance17 (1939)

1951 Eddie Jefferson Cotton Club de Cincinnati : Clarence Beeks (King Pleasure) est présent pour écouter I’m In The Mood For Love

1952 King Pleasure Enregistrement chez Prestige de I’m In The Mood For Love sur le même solo de James Moody

1952 Annie Ross Enregistrement de Twisted (solo de Wardell Gray) et Farmer’s Market d’Art Farmer

14. L’ordre des pistes à enregistrer est particulier : début par la rythmique puis les accompagnements, fin par les solistes… 15. SOKOLOWSKI (Nicolas), « Entretien avec Jon Hendricks », Jazz Hot, 407 (1984), p. 20 :

-Nicolas Sokolowski : « Quel est votre lien de parenté avec les Double Six de Paris ? » -Jon Hendricks : « Père et fils. »

16. NASTOS (Michael), entretien d’Eddy Jefferson en 1977, “Eddy Jefferson/Richie Cole”, Coda Magazine (Canada), The Journal of Jazz and Improvised Music, issue 203 (août-septembre 1985), p. 5. 17. Information issue de la pochette du disque The Jazz Singer Eddie Jefferson (Inner City Records IC 1016, 1976.)

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Année Interprète Événement

1953 Hendricks Enregistrements de Charlie Parker with Voices

1955 Lambert-Hendricks

Premiers enregistrements polyphoniques avec Dave Lambert

1957 Lambert-Hendricks & Ross

Enregistrement de Sing A Song of Basie, 1er disque de L.H.R.

1958 Lambert-Hendricks & Ross

Enregistrement de Sing Along with Basie

1959 Double Six Début des enregistrements de Evenin’ In Paris, Cout’em ; L’album 33T sort en 1962

1979 Manhattan Transfer

Album Extension dédié à Eddie Jefferson : Body and Soul, Birdland

1985 Manhattan Transfer

Album Vocalese : Airegin, Another Night In Tunisia, Oh Yes, I Remember Clifford, Sing Joy Spring, Move…

Figure 1Principales dates de l’évolution du style vocalese

Jon Hendricks indique que le style vocalese est la reprise par un ensemble vocal, avec paroles, d’un enregistrement ou d’une partition de jazz orchestrée à l’origine pour instruments. L’avancée qu’il réalise est l’extension de cette technique, d’un soliste chanteur à une polyphonie vocale. Ses transcriptions adoptent soit la forme d’une copie fidèle à l’arrangement original (Sing a Song of Basie) soit celle d’une réduction pour ensemble vocal (The Swingers). Entre ces deux productions, Jon Hendricks, en compagnie du grand orchestre de Count Basie, propose une troisième déclinaison du vocalese. Les voix y reprennent essentiellement les soli instrumentaux, l’accompagnement étant joué par le big band. Contrairement à ce qu’affirme Jon Hendricks dans l’entretien accordé à Nicolas Sokolowski (« Quant aux arrangements nous ne prenons aucune liberté avec l’arrangement original de l’orchestre18 »), la réduction d’une orchestration originale est une première liberté, une déviance à cette règle. Une autre variante peut être identifiée dans l’enregistrement des morceaux de Louis Armstrong présents dans l’album Freddie Freeloader (1990), Stardust (novembre 1931) et Swing That Music (mai 1936), où Jon et Judith Hendricks « vocalesent19 » à la fois le solo de trompette d’Armstrong et son improvisation vocale. Il s’agit là d’un second « degré » du vocalese, appliqué à une partie vocale originellement en scat, c’est-à-dire à une voix « instrumentalisée. » Le vocalese est utilisé non seulement pour transcrire une ligne musicale interprétée instrumentalement mais aussi pour réécrire un chant en le traitant à la manière d’une partie instrumentale. La « nouvelle » mélodie vocale est retravaillée en tant que phrase instrumentale : transcription puis adjonction de paroles.

18. Jazz Hot, 407 (1984), p. 20. 19. Dans le sens de « mettent des paroles sur la musique de… »

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C. Quels supports linguistiques pour le vocalese ?

En 1965, dans un article consacré aux Swingle Singers, Claude Lenissois propose un autre vocable pour nommer les transcriptions avec onomatopées :

« Ward Swingle nous offre son deuxième volume de « transadaptation » d’œuvres des XVIe et XVIIe siècles20. »

Le terme « transadaptation » possède l’avantage d’incarner à la fois l’idée de transcription et celle de changement de style, Ward Swingle choisissant des musiques d’époque baroque puis classique pour les faire sonner comme du jazz. Ces arrangements n’ont jamais été classés comme étant de style vocalese. A l’origine, le vocalese consiste à écrire un texte sur une musique préexistante, en opérant en amont une transcription (ou la mémorisation du morceau) puis en aval une réinterprétation. La caractéristique principale du vocalese est-elle l’interprétation jazz et la transcription pour voix d’une œuvre instrumentale préexistante ou la « parolification21 » de celle-ci ? Peut-on appliquer le terme de vocalese à la transcription d’un chant qui utilise des onomatopées en lieu et place de texte narratif ? Le groupe vocal français Quire illustre cette nouvelle variante du vocalese. Il interprète des reprises de morceaux de jazz avec leurs improvisations, sans écriture de texte narratif mais en utilisant des onomatopées. Sous cette forme, le résultat sonore allie les deux techniques du vocalese et du scat. L’effet auditif du scat est présent car l’apparence d’une ligne onomatopéique improvisée est conservée, mais l’acte d’improvisation est simulé : il s’agit de l’interprétation d’une musique transcrite donc préexistante. Le terme de scat-syllabe paraît approprié pour décrire ces transcriptions. Le mot scat renvoie à l’onomatopée/son, le terme syllabe à la notion de texte. Le scat-syllabe devient alors une branche du vocalese. Le choix d’un texte onomatopéique peut s’analyser comme celui d’un « possible de parole », même si l’aspect phonétique renvoie aux sonorités du scat-singing. Ce dernier se différencie du scat-syllabe en désignant une ligne improvisée avec onomatopées.

Technique Support linguistique Exemples

Vocalese

Texte (poème-histoire) Lambert-Hendricks & Ross, Every Day

Onomatopée (scat-syllabe) - NOVI Singers, Brownie - Quire, Blue rondo à la turc - Swingle Singers, J.S. Bach Fugue en Ré m.

Scat-singing Onomatopée Tout morceau onomatopéique ne s’appuyant pas sur une transcription

Figure 2 Scat-singing, scat-syllabe et vocalese

20. LENISSOIS (Claude), « Swingle Singers - Going baroque », Jazz Hot, 203 (novembre 1964), p. 45. 21. ADLER (Philippe), « à propos de Sing Along With Basie », Jazz Magazine, 53 (novembre 1959), p. 57 : « Les vocalistes ne sont que quatre (alors que par le procédé du re-recording ils se retrouvaient douze) ; ils s’intègrent difficilement aux différentes sections et le tout souffre d’un défaut d’homogénéité ; […] Mais cette critique ne se justifie plus pour les solos « parolifiés » ; là, les chanteurs retrouvent toute leur verve et leur allant… ».

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Nous avons évoqué cet exemple d’une transcription de Jon Hendricks où le texte vient se substituer aux onomatopées du morceau original. Le travail du « compositeur » y est identique à celui réalisé pour tout morceau de vocalese. Il consiste en une transcription en vue d’une interprétation vocale de jazz : il s’agit donc bien de vocalese. Qu’en est-il des morceaux dont les rendus musicaux s’apparentent aux sonorités du jazz mais pour lesquels les partitions premières n’appartiennent pas au répertoire du jazz ? C’est le cas des transcriptions du répertoire savant effectuées pour les Swingle Singers et les NOVI Singers. Sans pour autant devenir des « morceaux de jazz », les transcriptions de Ward Swingle, plus encore que celles des NOVI Singers, en acquièrent le rendu sonore. En considérant que ce sont avant tout des transcriptions de jazz pour la voix - ces morceaux utilisent l’onomatopée comme élément linguistique - elles sont une variante du vocalese pouvant également être qualifiée de scat-syllabe.

Évolution des techniques du vocalese

1e Transcription à l’identique avec paroles pour une voix d’un solo instrumental de jazz (Eddy Jefferson)

2nde Transcription à l’identique avec paroles pour groupe vocal d’un morceau orchestré pour big band (Lambert-Hendricks & Ross)

3e Réduction avec paroles pour groupe vocal d’un arrangement de big band (Lambert-Hendricks & Ross)

4e Transcription à l’identique avec paroles d’un solo vocal de jazz en scat (Jon Hendricks)

5e Transcription harmonisée avec paroles de soli de jazz (Manhattan Transfer, L.A. Voices)

6e Transcription sans paroles de musique d’un répertoire autre que le jazz (NOVI Singers, Swingle Singers)

Figure 3 Vocalese : tableau de l’évolution des différentes techniques de composition

Notamment au travers des variations apportées par le groupe Lambert-Hendricks & Ross, nous observons l’évolution du style vocalese. A partir de son origine de transcription avec paroles d’un solo instrumental de jazz pour/par un chanteur de jazz, le vocalese se diversifie vers la transcription avec paroles/onomatopées pour/par un chanteur/groupe vocal de jazz, d’un solo/morceau instrumental/vocal de style jazz/autre. Nous aboutissons aujourd’hui à une définition plus large du terme vocalese (transcription vocale de style jazz) qui permet d’identifier la technique de transcription vocale en jazz comme étant sa particularité stylistique, caractérisée avant tout par la notion d’écriture. Ses manifestations peuvent être déclinées comme suit :

Œuvre de style jazz transcrite pour voix à l’identique ou par arrangement avec paroles ou avec onomatopées

Page 13: Pour une nouvelle définition du terme vocalese

12

à partir d’une œuvre instrumentale ou vocale à partir d’une œuvre appartenant ou pas au corpus du jazz.

Ce style s’inscrit dans un cadre musical plus large, celui de l’improvisation simulée :

L’arborescence des possibilités est proposée ci-dessous pour l’écriture vocale polyphonique. Un exemple est donné pour chaque variante, dans la mesure de son existence et de son identification.

Jazz

Improvisation

Vocale

Avec onomatopée

Scat‐singing

Improvisation simulée

(vocale ou instrumentale)

Composition originale

Ex : André Hodeir Bitter Ending/ Anna Livia 

Plurabelle

Transcription

(pour voix = vocalese)

A l’identiqueArrangement /

Réduction

Page 14: Pour une nouvelle définition du terme vocalese

13

Style vocalese : en jazz, transcription pour polyphonie vocale22

transcription à l’identique

avec paroles

à partir d’une œuvre instrumentale

appartenant à l’origine au corpus du jazz (1)

Double Six : Rat Race

n’appartenant pas à l’origine au corpus du jazz (2)

exemple non identifié dans notre corpus

à partir d’une œuvre vocale

(1) exemple non identifié dans notre corpus (2) exemple non identifié dans notre corpus

avec onomatopées (scat syllabe)

à partir d’une œuvre instrumentale

(1) Quire : Blue rondo à la turc (2) Swingle Singers : Clavier bien tempéré, fugue en ré M.

à partir d’une œuvre vocale

(1) exemple non identifié dans notre corpus (2) exemple non identifié dans notre corpus

Arrangement / réduction

avec paroles

à partir d’une œuvre instrumentale

(1) Lambert-Hendricks & Bavan : Doodlin’ (2) Modernaires : Song of India

à partir d’une œuvre vocale

(1) Swingle Singers : Joshua Fought the Battle of Jericho (2) + 4db I Wish You Love

avec onomatopées (scat syllabe)

à partir d’une œuvre instrumentale

(1) L.A. Voices : The Sing Is You (2) Singers Unlimited : Gymnopédie n° 1

à partir d’une œuvre vocale

(1) Swingle Singers : Porgy and Bess Suite (2) Swingle Singers : Ouverture des Noces de Figaro

Figure 4 Les variantes du vocalese pour ensemble vocal de jazz

22. La définition retenue dans le cadre d’un élargissement de notre propos et d’une généralisation à l’ensemble des compositions pour voix serait : « en jazz, transcription pour voix ». Cette technique d’écriture du jazz s’inscrit elle-même dans le cadre musical plus général de « l’improvisation simulée » (cf. André Hodeir).

Page 15: Pour une nouvelle définition du terme vocalese

14

D. Le terme vocalese : du qualificatif au substantif

Nous constatons que le terme vocalese définit une technique d’arrangement qui a évolué et s’est s’épanouie dans des cadres beaucoup plus larges que ceux de son contexte initial (transcription avec paroles d’un solo de jazz par un chanteur de jazz.) Nous avons montré que cette technique d’écriture s’est développée au point de s’affranchir des différentes limites qui la caractérisaient initialement, à savoir :

être réinterprétée par un chanteur soliste, être issue d’une musique instrumentale, être réinterprétée avec des paroles, être issue du jazz.

Au terme de cette étude concernant les supports sur lesquels s’est appuyé le style vocalese, il est possible de donner une dimension nouvelle à ce qualificatif en le substantivant, afin de lui permettre de devenir une technique d’écriture à part entière, un outil d’écriture du jazz vocal. « Le vocalese » devient alors le terme retenu pour désigner la transcription, pour voix ou pour groupe vocal, de morceaux de jazz ou « tendant » vers le jazz. Nous retrouvons cette utilisation, en tant que substantif, dans de nombreuses revues internationales. Dès 1958 nous lisons, à propos de la sortie du disque King Pleasure and Annie Ross Sing (Prestige 7128), le commentaire suivant :

« Vous devriez prendre en compte plusieurs plages de ce disque qui sont de remarquables représentations de ce qu’un soliste peut penser quand il joue, ce qui est un talent particulier à la fois de Pleasure et Hendricks et, dans une moindre mesure, d’Annie. Écoutez cependant son charmant vocalese sur sa version du thème Lament 23. »

Utilisée au même titre que les termes « contrepoint » ou « fugue », la construction syntaxique montre que le mot vocalese est assimilé à une forme d’écriture, reconnue dans sa spécificité. Plusieurs ouvrages et titres d’articles consacrés au sujet reprennent cette utilisation lexicale :

- Feather (Leonard), “Lambert-Hendricks-Ross album review. An explanation of Vocalese”, Jazz A quarterly of American Music, été 1959. - Crawford (Carol), “Woodshed: Eddy Jefferson, Vocalese Giant”, Jazz (Jazz Magazine U.S.A.) n° 1, volume 3, automne 1978. - Lupi (Vladimiro), Vocal Groups in Modern Jazz Vocalese, Ferrara, 1986. - Schaal (Hans Jürgen), „Jazz speaks, vorläufiges zum Phänomen des Vocalizing“, Jazz Podium (Allemagne), juin 1988. - Grant (Barry Keith), “Purple Passages or Fiestas in Blue? Note toward an Aesthetic of Vocalese”, Representing Jazz, Gabbard (Krin), Duke University Press, Durham & London, 1995. - Coen de Jonge (Door), “Vocalese wacht op vernieuwing. De tong als lasso”, Jazz Nu n° 216, mai 1997.

23. Metronome (juillet 1958), p. 27.

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15

- Federighi (Luciano), “Il vocalese”, Musica Jazz n° 8-9, année 53, août-septembre 1997, pp. 38-47. - Anquetil (Pascal), Allumés. « Vocalese : sous les mots, les solos », Jazzman n° 46, avril 1999, pp. 20-21. - Sutherland (Greg), “King of Vocalese- A Profile of Jon Hendricks”, Jazz Report, automne 1999. - Lupi (Vladimiro), “Qui parlamo di... “Vocalese” ”, Ritmo n° 773, octobre 2002, pp.15-16.

Ces différents repères bibliographiques, publiés entre 1959 et 2002, renforcent l’idée selon laquelle il existe une représentation partagée du terme « vocalese » en tant que technique d’écriture. Dans son article de janvier 1953, Leonard Feather s’exprimait de la façon suivante :

« Le vocalese est le descendant direct du chant bop24 » Il donnait déjà à cette écriture une existence comparable à celle d’un courant musical. Nous avons retrouvé dans ce processus de naissance, avec le suffixe « ese » ajouté en anglais pour identifier les noms de langue, la volonté de définir un langage. Le vocalese est donc, en jazz, un langage de la voix ou des voix. Il peut alors devenir une langue parlée par les vocalistes, qui scattent ou vocalesent. L'allégation qui opposait vocalese-écrit à scat-improvisation devient caduque, le scat-syllabe utilisant l’un des supports linguistiques possibles dans une transcription. Celle-ci devient la caractéristique qui permet de différencier le vocalese de tout autre mode de composition vocale en jazz.

24. L. FEATHER, art. cit.

Page 17: Pour une nouvelle définition du terme vocalese

16

III. Deux écritures de style vocalese pour ensemble vocal : Double Six et Lambert-Hendricks & Ross

Afin d’illustrer ce mode de composition du jazz vocal, nous observerons les deux techniques de transcription des Double Six et de L.H.R. Nous découvrirons l’écriture de chaque auteur, Mimi Perrin pour les Double Six et Jon Hendricks pour L.H.R, ainsi que leurs partis pris esthétiques. Nous aborderons différentes questions liées à la transcription, comme l’utilisation d’un vocabulaire spécifique, les différences de prise de son et d’arrangements puis nous comparerons leurs propositions de mise en texte d’une musique de jazz préexistante avant d’étudier le processus créatif de Mimi Perrin.

A. Les écritures française et anglaise de style vocalese

Les caractéristiques du français qui ne dispose pas des accentuations de l’anglais, obligent à trouver un élément nouveau, dans un jeu verbal souple, permettant de reconquérir le phrasé et la rythmique du support musical original. Le groupe de vocalese français utilise l’aspect oral de la langue, plus précisément un reflet écrit de cette oralité :

« -Tiens, tiens dis donc, toi, t’as pris l’coup d’printemps d’Paris […] - Tiens dis. T’as été prév’nu qu’v’là l’printemps, qu’v’là l’printemps, dis l’printemps là dans Paris, qu’tient tant d’atouts, tourne toutes les têtes, dis, t’as plus l’temps d’t’en aller toi25… »

En 1959, le style vocalese français est l’un des rares pendants au style vocalese américain. Il est travaillé comme un mode de composition où l’adéquation aux sonorités instrumentales est beaucoup plus visible que celui de son prédécesseur américain. Cette particularité de l’œuvre de Mimi Perrin par rapport à celle de Jon Hendricks, tient dans le fait que la priorité est donnée à la reproduction exacte du support musical, tant dans ses couleurs que dans ses phrasés. Le but est d’opérer une traduction poétique reprenant l’arrangement original en conservant la sonorité et le phrasé des instrumentistes :

-« Mimi Perrin : Au début je pensais écrire en anglais puis j’ai constaté que, si l’on ne prend pas la peine de respecter un français académique et si l’on se permet des phrases d’argot et des élisions, le français est presque mieux. Par exemple un thème commun aux deux groupes, Moanin’ : nous faisons « T’as pas peur… » au début tandis que L.H.R. chante « Every morning… » -Jean Tronchot : Every morning, ce sont des paroles de chanson, il n’y a pas d’attaque là-dedans.» -Mimi Perrin : Le L.H.R. cherche moins à reproduire les sonorités que nous, John26 me l’a dit, car la langue anglaise swingue d’elle-même27. »

25. Double Six, For Lena and Lennie – En flânant dans Paris ; paroles et solo de Mimi sur le solo de Joe Newman. 26. Nous reprenons ici l'orthographe du prénom fournie par l’auteur. 27. J. TRONCHOT, art. cit., p. 18.

Page 18: Pour une nouvelle définition du terme vocalese

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Page 20: Pour une nouvelle définition du terme vocalese

19

l’interprétation par des chanteurs d’un morceau existant. L’adéquation au modèle n’est pas ici un but. Le support instrumental est un prétexte pour faire entendre un poème. Dans le cas de Tickle Toe, si nous ne savions pas que ce morceau est de style vocalese, nous pourrions l’assimiler à une simple interprétation d’un thème par des chanteurs accompagnés d’un big band.

2. Vocabulaire

Le vocalese repose sur un vocabulaire particulier employé par les deux paroliers. Ce constat est particulièrement évident dans le cas de Jon Hendricks, qui reprend une forme déjà présente chez des auteurs antérieurs, celle d’une composition généralement dialoguée constituée d’expressions issues du « slang. » Cet argot des musiciens de jazz n’est compris que par un public averti d’amateurs du style bop :

« Le processus d’auto-ségrégation est évident dans certaines expressions symboliques, en particulier dans l’usage d’un argot de métier qui permet d’identifier rapidement l’utilisateur compétent comme n’étant pas un « cave », et de reconnaître aussi rapidement « l’étranger » qui l’utilise de manière incorrecte ou pas du tout. Certaines expressions ont fini par s’appliquer aux attitudes et aux problèmes professionnels particuliers des musiciens30. »

A titre d’exemple, voici dans Airegin31 (qui est le mot « Nigeria » écrit à l’envers) les termes que nous identifions :

« Dig (1, 10), cat (17, 68, 73, 82), jive (22), take five (25), soul (26, 34), biz (28), crib (35), jib (37), fib (38), meddlin’ around’ ’n fussin’ (44), fella (44) follow-the-leader (46), spot (48), hot (49), feelin’(52), come on home (65), blew (66). »

Nous retrouvons déjà ce même registre dans le Twisted d’Annie Ross d’octobre 1952 avec des mots comme « jive « (4), « crazy » (5-10-17-17-27), « I was nuts » (8), « wizard » (12), « a-frantic » (16) et « swinging » (18). Si l’emploi d’un vocabulaire propre aux musiciens de jazz est moins présent chez les Double Six, nous y trouvons l’usage d’un registre de langage familier ou argotique mêlé, pour des raisons de longueur de mots, à des termes plus anciens (« oyez ».) Nous constatons que ce besoin de disposer d’un répertoire de mots courts conduit Mimi Perrin à recourir à ces registres en plus des termes apocopés :

- « C’est pas du tout cuit sans nos gars », - « Moi j’connais des tas d’bonnets d’la bande du midi, qui m’ont permis de donner le relais… », - « Tout devient bonnard dans la vie », - « Nos quatre hommes à toute allure se sont taillés vers le bar ».

30. BECKER (Howard S.), Outsiders, (édition Métailié, Paris, 1985), p. 124. 31. Les paroles sont de Jon Hendricks. Les chiffres entre parenthèses indiquent le numéro du vers cité.

Page 21: Pour une nouvelle définition du terme vocalese

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À bâtons rompus (Scrapple from The Apple) L’influence du bop sur la phrase de vocalese est visible par la recherche de cette souplesse qui bouleverse le langage écrit. Celui-ci se rapproche de l’élocution orale, élément qui modifie le vocabulaire utilisé. En anglais, l’oralité se traduit par une rythmique de phrase faisant disparaître systématiquement les consonnes en fin de mot :

- “Livin’ in the middle ‘n’ relaxin’… (1)”, - “Callin’ al t’pray aroun’ the closing o’ the day (10).”

Cette situation est particulièrement évidente dans les morceaux au tempo rapide, où la nécessaire adhésion à la phrase instrumentale oblige à l’élision des consonnes non indispensables à la compréhension, celles-ci ralentissant le débit de la parole. En regardant les mises en page de Jon Hendricks et de Mimi Perrin nous découvrons que la structure des textes revêt la même disposition. Les dialogues sont précisés par des retours à la ligne après chaque phrase ainsi que la présence du nom de chaque intervenant. Les différents instruments et solistes sont identifiés par des personnes différentes, les transcriptions de l’orchestre devenant le chœur. Le morceau se présente alors comme une saynète prenant l’allure d’une opérette ou d’une pièce de boulevard. Cette particularité du vocalese fera dire à Jon Hendricks qu’il crée du « bopéra », un équivalent bop du travail effectué par un librettiste. La forme dialoguée fait accéder à une fluidité orale caractéristique du style :

- « Saxes : Faufile-toi voyou viens dans la foule et tout ira, va. - Trompettes : Perds pas d’temps - Saxes : Cours à toute allure mon ami sur la pointe des pieds tu t’en iras là32. »

« Classiquement les deux traits prédominants des paroles de vocalese sont les récits et les hommages. Ces derniers sont peut-être les plus perceptibles ; on évoque fréquemment, dans les paroles, la considération due au musicien qui, à l’origine, a enregistré le thème repris. […] Il n’est pas rare de rencontrer une autre tendance, qui consiste à raconter une histoire par le biais d’un solo. Those Clouds Are Heavy, You Dig? de Kurt Elling est une adaptation de l’histoire écrite par Rainer Maria Rilke "How the Thimble Came to be God", placée sur un solo de Paul Desmond. Le Cottontail de Jon Hendricks reprend le célèbre conte pour enfants intitulé "Peter Cottontail", mis en musique sur l’air de Duke Ellington33. »

C’est à ce dernier modèle que Mimi Perrin aura plus régulièrement recours. Elle empruntera largement aux thèmes de la science-fiction, notamment dans l’album en compagnie de Dizzy Gillespie.

32. Les Double Six : Tickle Toe (Le racket et les balles.) Les indications en gras ainsi que la mise en forme sont la stricte reproduction de celles inscrites sur la pochette (réédition Open – OMD/CD 1518, 1989.) 33. www.harmonyware.com/JonHendricks/vocalese.html ; consulté le 30 décembre 2014.

Page 22: Pour une nouvelle définition du terme vocalese

21

3. Deux esthétiques du vocalese

La différence de style entre Mimi Perrin et Jon Hendricks tient donc essentiellement au rapport entretenu avec l’œuvre préexistante. Pour Jon Hendricks, la musique demeure un simple support de l’idée poétique, l’improvisation du soliste instrumentiste a pour mission de porter le message, ce qu’il reformule avec ces mots :

« Je suis purement et simplement un poète, pour toujours et à jamais. Je ne suis pas musicien. Je ne lis même pas la musique. Je suis un poète contemporain. Je ne suis même pas non plus un bon parolier. Je suis un poète34. »

L’argument littéraire devient l’élément central de sa poésie. La philosophie et les idées véhiculées prennent le pas sur l’adéquation sonore à l’œuvre support dont elles ne gardent que l’esprit. Jon Hendricks, en tant que parolier engagé, fait passer son discours de poète avant l’adéquation à la sonorité du morceau original. Le vocabulaire ne sert pas à retrouver les sonorités de l’œuvre instrumentale mais à transmettre une idée à partir d’un texte composé sur un environnement extra-musical (titre, auteur…) :

« Je pense au titre de la chanson parce qu’il est devenu le sujet de l’histoire que j’avais à construire. Comme dans Jumpin’ at the Woodside, j’ai découvert, en posant des questions à Basie et aux mecs de son orchestre que le Woodside était un hôtel des quartiers résidentiels de New York où ils séjournaient quand le groupe jouait en ville. […] En fait, il y avait toujours une petite sauterie au Woodside. J’avais donc trouvé ce vers [il le chante] et commencé à parler de leurs sentiments à propos de leur séjour, les raisons pour lesquelles ils vivaient là et la philosophie du lieu qu’à mon sens chaque musicien transcrivait en jouant35. »

Les poèmes chantés de Jon Hendricks deviennent des œuvres vocales dans lesquelles le chant et l’histoire se présentent comme objets principaux de l’œuvre. Ils s’émancipent de la musique dont ils s’inspirent. A contrario, Mimi Perrin, dans une approche reposant sur la puissance musicale de l’œuvre instrumentale, recherche ce jeu sonore qui ne s’autorise aucune distance entre le phrasé retenu et la sonorité de l’œuvre originale. Nous entendons le reflet fidèle d’un morceau instrumental, son image vocale, alors qu’Hendricks en recherche l’esprit sans pour autant en garder l’exacte apparence. Les poèmes de Mimi Perrin servent de faire-valoir aux interprétations, son écriture favorisant invariablement l’adéquation aux sonorités instrumentales préexistantes.

34. B. S. PAGE, art. cit. 35. HINELY (Patrick W.), “Jon Hendricks: poet laureate of jazz”, part I, Jazz Forum, 94 (mars 1985), p. 31-32.

Page 23: Pour une nouvelle définition du terme vocalese

22

Lambert-Hendricks & Ross Double Six

- Ev’ry mornin’ find me moanin’; -Yes Lord! - T’as pas peur de t’évader d’là ; -Moi pas !

- ’Cause of all the trouble I’ve seen; - Yes Lord!

- Tu n’crois pas qu’tu n’y arriv’ras pas ; - Moi pas !

Figure 6 Incise de Moanin’’ (La complainte du bagnard) interprétée par L.H.R. et les Double Six

Dans les exemples ci-dessus, l’exclamation de fin de phrase illustre l’effet recherché d’un son qui s’élargit : une sonorité sans attaque allant crescendo, imitant la sonorité d’une trompette avec sourdine wa-wa. Les voyelles longues et les diphtongues sont abondamment utilisées afin de reproduire les consonances instrumentales. Mimi Perrin articule son refrain sur les occlusives sourdes et l'emploi généralisé de plosives :

- T p p d tv d d’l / moi p, - T n’cr p qt.

Les voyelles font alterner les sonorités ouvertes et intermédiaires (a/e). Sur les fins de phrases (moi pas ! - yes Lord!), les diphtongues sont utilisées pour rendre le mouvement d’ouverture : de « o » vers « a » pour Mimi Perrin, de « i » à « è » pour Jon Hendricks. L’on retrouve chez les deux paroliers l’absence d’attaque réelle (« m » pour les Double Six, « y » pour Lambert-Hendricks & Ross), mais la composante « voix » reste chez L.H.R. au premier plan par l’importance accordée au texte, tandis que le vocalese des Double Six continue de privilégier l’identification aux attaques instrumentales qu’il désire épouser.

B. Etude du vocalese français de Mimi Perrin

Les entretiens publiés de Mimi Perrin nous précisent le processus de création littéraire qui est le sien. Elle s’appuie sur la notion de sonorité, point commun aux mondes des sciences du langage et de la musique, pour doubler à l’identique la mélodie qu’elle a choisie. Son effort porte sur l’assimilation de l’objet sonore. Quand la structure devient visible, quand les appuis, les respirations et l’architecture des phrases sont acquis, la phrase musicale est associée à des éléments phonétiques servant de base à la mise en place de mots :

« Je suis partie de ce que j’appellerai des pointes. […] Ces pointes que je repérais correspondaient pour moi à des sonorités vocales, des consonnes, des syllabes, des « i » ou des « a », des « che » ou des « ffe » suivant les instrumentistes ou les solistes. […] De là j’obtenais des syllabes, les syllabes me donnaient des mots36. »

36. P. ANQUETIL, art.cit..

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23

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Figure 7 Stockholm Sweetin’ : audiogrammes de la version des Double Six (haut) et

de l’enregistrement original de Quincy Jones (bas)

L’exemple ci-dessus permet de visualiser ces pointes qui servent d’amorces à la création d’une histoire. C’est ce travail sur les onomatopées syntaxiques qui oblige Mimi Perrin à

Page 25: Pour une nouvelle définition du terme vocalese

24

trouver un support linguistique approprié, le français écrit cédant le pas à un français oral afin de renforcer ses appuis rythmiques :

« Le seul moyen de faire « swinguer » le français, c’était de briser complètement l’émission, la prononciation normale du français, et de lui imprimer des accentuations (remplaçant, dans une certaine mesure, l’accent tonique pour ainsi dire inexistant.) Cela nous a amené à faire sauter des syllabes, à les contracter ou à les prolonger, à les étirer, à faire des élisions, à nous rapprocher dans certains cas, du langage populaire […]37 »

Consonnes Exemple Consonnes Exemple

D + L d’l’étang L + TR l’troubadour

D + M d’malin L + V l’voudrait

D + P d’pitié M + R m’rendez

D + Q d’quoi M + T m’tailler

D + T d’tapis N + CR n’crois pas

D + TR d’trouver N + D n’demander

F + P f’pas N + L n’le

J + V j’vais N + P n’partez pas

L + B l’baryton P + T p’tit

L + BR l’bras Q + J qu’j’me

L + C l’coup R + G r’garde

L + D l’dis R + T r’tour

L + P l’pavé T + E t’en

L + T l’temps T + N t’nez

Figure 8 Exemples d’élisions chez les Double Six38

La constatation de Mimi Perrin est que le français ne peut « swinguer » dans son état originel. Il a besoin de développer un axe rythmique, propriété indispensable pour « coller » au phrasé du jazz. Van Lier39 oppose ainsi l’anglais, comme langue privilégiant le corps et le

37. C. CARRIERE, art. cit., p. 54. 38. FARDET (Éric), Approche des phénomènes onomatopéiques dans leurs aspects phono-stylistiques et leurs utilisations poético-musicales, (mémoire de Maîtrise, Nice, octobre 1987), p. 44. 39. VAN LIER (Henri), « L’Europe c’est Babel ; l’anglais », Le temps stratégique, 42 (1992) ; article disponible à l’adresse www.fxm.ch/FichiersCommuns/ArtLanguesEU_index.htm.

Page 26: Pour une nouvelle définition du terme vocalese

25

bruit, au français, lisse, transparent et désincarné. Cette caractéristique oblige les paroliers français à renforcer et à enrichir le côté sonore de la langue par des élisions de voyelles. Cette « incarnation » s’effectue par l’accentuation, se découvre dans les occlusives prononcées explosives et dans les voyelles sonnant double. Ces techniques permettent de modifier l’accentuation naturelle du mot en s’appuyant sur la langue orale :

-« Pourquoi ne pas d’mander aux musiciens », Crazeology, Boppin’ in French, Vox Office. -« D’puis qu’tu parles de nous, nous tentons de te croire. » -« Terriens, parions qu’tout à priori n’peut rien donner », Four Brothers, Boppin’ in French, Vox Office. -« T’es bon qu’au blabla toi ! » -« Pipeau mon gars, pipeau tout ça, blabla », Sister Sadie, Un peu de ménage, Voice Messengers.

Dans cette oralité recherchée, où le texte est un phénomène perçu et non lu, l’effet

mot-son accentue sa prégnance au travers d’une insistance sur les consonnes et les bruits de bouche. Par l’utilisation dynamique de l’accentuation, des assonances, des apocopes et des élisions, puis par une recherche de la fusion entre sonorité instrumentale et sonorité vocale, le parolier renforce la densité sonore des mots. Il la développe jusqu’à ce que la couleur vocale se confonde avec la sonorité instrumentale.

Les procédés prosodiques du français subissent ainsi, depuis l’arrivée du jazz en Europe entre les deux guerres mondiales, une lente mutation qui permet à la langue d’acquérir une plus grande fluidité dans le chant, par l’assimilation de la syncope puis de l’enjambement40.

« On constate, bien évidemment, un déplacement très important des appuis musicaux par rapport à l’accent tonique, les premiers se faisant essentiellement sur l’avant-dernière syllabe des mots ou des expressions, […] allégeant d’autant le final des vers qui se trouve chanté non plus sur le temps, mais en l’air. Ainsi le chant est-il rendu beaucoup plus souple, non seulement par l’utilisation de ces syncopes dès l’écriture, mais aussi par les nouvelles possibilités d’interprétation musicale qui lui sont offertes, à savoir l’utilisation d’une ligne mélodique plus ou moins legato. On arrive à l’idée essentielle que la partition, même exacte, devient insuffisante pour l’analyse des chansons ; l’écoute devient prépondérante : ce qui ne se note pas pour le swing, plus encore que l’accentuation, c’est la manière de détacher les sons les uns des autres, de donner à chaque note une imperceptible respiration41 ».

En 1965, Mimi Perrin entrevoit des perspectives inédites avec la formation de son nouveau groupe vocal. En dehors de la reprise d’arrangements de Duke Ellington transcrits

40. JOUBREL (Bruno), « Approche des principaux procédés prosodiques dans la chanson française », Musurgia, Analyse et pratique musicales, Musiques populaires modernes, volume IX/2, (Édition ESKA, février 2003), p. 39. 41. Ibid.

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par Yvan Jullien, d’arrangements de Jef Gilson (The Mooche, Dancer in Love, Blues in hot flat, In a sentimental Mood) et des compositions de ce même musicien (Modalité), Mimi rêve d’improvisations avec paroles :

« Je voudrais, explique-t-elle, improviser des paroles sur scène. Mais il faudrait tout de même qu’elles soient parfaitement assimilées aux diverses sonorités d’instruments. Au début nous ne prononcerions que des mots (pas d’onomatopées surtout) sans suite, mais petit à petit nous arriverions certainement à construire de petites phrases sur un thème choisi en un dixième de seconde, selon l’inspiration. Une sorte de scat parlé42. »

Si les termes choisis de « scat parlé » peuvent sembler inappropriés, le scat étant lié aux phénomènes onomatopéiques, l’idée d’improvisation qui lui est attachée reste neuve. Ni dans les Circle Songs et les Vocabularies de Bobby McFerrin, ni dans les Exercices de styles des Grandes Gueules ne se trouvent cette perspective d’un « rap » chanté en jazz. Bernard Lubat avec André Minvielle s’y sont essayé, en se remémorant le travail de Mimi Perrin, dans une verve gasconne qui rappelle que les paroles du vocalese se rapprochent plus, par leur puissance sonore, de la poésie que de la prose. Le vocalese est alors un métadiscours, à la fois chant de jazz et chant sur le jazz43.

« Le vocalese est une forme d’expression verbale qui, comme la Beat poésie, insuffle une qualité esthétique à la parole du quotidien. […] Nous ne manquons pas de prendre plaisir à découvrir tout d’un coup le potentiel musical inhérent aux expressions terre-à-terre quand elles sont chantées plutôt que parlées44 ».

42. LESINGE (Jacques), « Les nouveaux Double Six », Jazz Hot, 211 (juillet-aout 1965), p.30. 43. GRANT (Barry Keith), “Purple Passages or Fiestas in Blue? Note toward an Aesthetic of Vocalese”, Representing Jazz, Gabbard (Krin), (Duke University Press, Durham & London, 1995), p. 298. 44 Ibid., p. 295.

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Conclusion Dans la seconde moitié du XXe siècle, la transcription vocale en jazz a connu un essor important symbolisé par la création concomitante du terme vocalese (1953). Historiquement, le terme vocalese renvoie à la performance d’Annie Ross et sa « mise en paroles45 » d’un morceau de jazz préexistant. Cette écriture du jazz vocal connaît un rayonnement important entre 1955 et 1985, grâce à l’impulsion et la pratique durable de Jon Hendricks, la diversité stylistique dont témoignent les groupes vocaux de l’école parisienne de vocalese (Double Six, Swingle Singers, Quire) et le succès des Manhattan Transfer. Stylistiquement, le vocalese regroupe différentes écritures qui s’intègrent au cadre générique de l’improvisation simulée (A. Hodeir). Le terme vocalese désigne aujourd’hui toute transcription pour voix en jazz, sans restriction quant à l’origine du répertoire musical (musique savante, jazz…). Concernant la déclinaison spécifique des transcriptions avec onomatopées, nous retenons la dénomination de « scat syllabe ». Cette précision permet de distinguer l’acte d’improvisation (scat singing) de celui d’écriture (scat syllabe) tout en notifiant la proximité sonore des deux pratiques. Ce travail de création qu’est le collage d’un texte sur une transcription vocale en jazz, est illustré par une analyse comparative des compositions dialoguées de deux musiciens-paroliers de style bop, Jon Hendricks (LHR) et Mimi Perrin (Double Six). Ils écrivent pour ensemble vocal des textes dans un style proche de l’oralité, l’un en anglais l’autre en français, dans une volonté d’adéquation entre musique et texte. Autour des années 1960, leur volonté d’interpréter vocalement des musiques instrumentales s’incarne dans deux esthétiques singulières : Jon Hendricks, en tant que parolier engagé utilise l’œuvre originelle comme support de ses textes, là où Mimi Perrin vise la fusion entre la prosodie musicale initiale et sa traduction chantée. Le vocalese demeure un lieu particulier de confluence entre les routes vocales et instrumentales du jazz. Dans une mise en abyme, un jeu de miroir et de virtuosité, il s’affiche comme une performance d’écriture et d’interprétation qui laisse une place significative aux ensembles vocaux, formations peu mentionnées dans l’histoire du jazz.

45 Expression construite par symétrie : « mise en musique » d’un texte versus « mise en paroles » d’une musique.

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Conclusion in English Vocal jazz transcription grew significantly during the second half of the 20th century (Jon Hendricks, Mimi Perrin, Ward Swingle), as reflected in the creation of the technical term vocalese (1953). Historically, the term vocalese refers to Annie Ross’ performance and her “setting of lyrics” to a preexisting piece of jazz. The application of this writing technique to vocal jazz spread widely between 1955 and 1985, thanks to Jon Hendricks’ impetus and long lasting practice, the stylistic diversity emanating from the Paris school of vocalese vocal groups (Double Six, Swingle Singers, Quire) as well as the success of Manhattan Transfer. Stylistically, vocalese combines different writing techniques, which all fall within the generic framework of simulated improvisation (A. Hodeir). Today, the term vocalese refers to all voice transcription in jazz, irrespective of its original musical repertoire (classical music, jazz…). For the specific type of transcription based on onomatopoeia, the term “scat syllable” is used. This specification allows to distinguish between the acts of improvisation (scat singing) and writing (scat syllable) while at the same time highlighting the tonal proximity of the two practices. The creative act of applying a text to a vocal jazz transcription is illustrated by a comparative analysis of the dialogised compositions of two bop musicians/songwriters, Jon Hendricks (LHR) and Mimi Perrin (Double Six). They write texts for vocal ensembles in a style resembling speech, one of them in English, the other in French, aiming to equate music and text. In the 1960’s, their intention to interpret instrumental music vocally finds its expression in two unique esthetics: Jon Hendricks, as a committed lyricist, uses the original piece as support for his texts while Mimi Perrin aims to fuse initial musical prosody with her sung translation. Vocalese remains the point of convergence for the vocal and instrumental strands of jazz. In a mise en abyme, in a game of mirrors and virtuosity, it appears as a writing and interpretation performance offering a significant place to vocal ensembles, groups rarely mentioned in jazz history.

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+ 4db .......................... 13 Airegin .................... 9, 19 André Hodeir ..... 4, 6, 13 André Minvielle ..... 6, 26 Anne-Marie Moss ........ 3 Annie Ross3, 7, 8, 14, 19 Another Night In Tunisia ..................................... 9 Bach ....................... 5, 10 Beat poésie ................. 26 Bernard Lubat ........ 6, 26 Birdland ....................... 9 Blossom Dearie ............ 5 Blue Stars ................. 4, 5 Blues in hot flat .......... 26 Bobby McFerrin ..... 3, 26 Body and Soul .............. 9 Boo’s Bloos .................. 4 Brownie ...................... 10 Charles Delaunay ......... 6 Charlie Parker ........ 9, 16 Christiane Legrand ....... 4 Circle Songs ............... 26 Claude Germain ........... 4 Claudine Barge ........... 18 Cottontail ................... 20 Count Basie .............. 7, 9 Count’em ...................... 9 Crazeology ................. 25 crossover ...................... 4 Dancer in Love ........... 26 Dave Lambert3, 4, 5, 7, 9, 18 Dave Lambert Singers .. 4 Dizzy Gillespie ... 5, 6, 20 Doodlin’ ..................... 13 Double Six1, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 13, 16, 17, 18, 19, 20, 22, 23, 24 Duke Ellington ..... 20, 25 Eddy Jefferson . 8, 11, 14 Eddy Louiss ........... 5, 18 Evening In Paris .......... 9 Every Day ................... 10

Every Tub ..................... 8 Farmer’s Market .......... 8 Four Brothers ......... 7, 25 Freddie Freeloader ...... 9 Grandes Gueules ........ 26 Gymnopédie n° 1 ........ 13 Hugues Panassié ........... 6 I Remember Clifford .... 9 I’m In The Mood For Love ............................. 8 In a sentimental Mood 26 Jacques Danjean ....... 4, 5 Jacques Loussier .......... 4 James Moody ............... 8 Jean-Claude Briodin ..... 4 Jef Gilson ................... 26 Jon Hendricks1, 3, 7, 8, 9, 11, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 Judith Hendricks .......... 9 Jumpin’ at the Woodside ................................... 21 King Pleasure ..... 7, 8, 14 L.A. Voices ...... 3, 11, 13 Lalo Schifrin ................ 5 Lambert-Hendricks & Bavan ......................... 13 Lambert-Hendricks & Ross8, 9, 10, 11, 14, 16, 17, 18, 22 Lester Young .............. 17 Manhattan Transfer3, 9, 11 Michele Hendricks ....... 3 Mimi Perrin1, 4, 5, 6, 16, 17, 19, 20, 21, 22, 23, 24 Moanin’ ................ 16, 22 Modalité ..................... 26 Modernaires ............... 13 Moody’s Mood For Love ..................................... 8 Move ............................. 9 Nancy Stomp ................ 8 NOVI Singers ....... 10, 11

onomatopée ................ 10 onomatopées10, 11, 13, 23 Quincy Jones .......... 5, 23 Quire .................... 10, 13 Rat Race ..................... 13 Ray Charles .................. 5 Robert « Bob » Smart .. 5 scat ..... 1, 7, 9, 10, 11, 15 scat-singing ................ 10 scat-syllabe ..... 10, 11, 15 Scrapple from The Apple ................................... 20 Sing A Song of Basie ... 9 Sing Along with Basie . 9 Sing Joy Spring ............ 9 Singers Unlimited .. 4, 13 Sister Sadie................. 25 Song of India .............. 13 Stardust ........................ 9 Stockholm Sweetin’ 4, 23 Swing That Music ......... 9 Swingle Singers3, 10, 11, 13 Taxi War Dance ........... 8 The Mooche ................ 26 Those Clouds Are Heavy, You Dig? ........ 20 Tickle Toe . 17, 18, 19, 20 transcription1, 3, 7, 8, 9, 10, 11, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 21 Twisted ........... 3, 7, 8, 19 Vocabularies .............. 26 vocalese1, 7, 8, 9, 10, 11, 13, 14, 15, 16, 17, 19, 20, 22, 26 Voice Messengers ...... 25 Vox Office ................. 25 Ward Swingle4, 5, 10, 11 Woody Herman ............ 7 Yvan Jullien ............... 26