POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production...

32
Souvenirs d’enfance POUR SE RACONTER I

Transcript of POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production...

Page 1: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

Souvenirs d’enfance

POUR SE RACONTER

I

Page 2: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

PourseraconterI_L.indb 2 2014-05-23 16:28

Page 3: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

POUR SE RACONTER I

PourseraconterI_L.indb 3 2014-05-23 16:28

Page 4: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

PourseraconterI_L.indb 4 2014-05-23 16:28

Page 5: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

Pour se raconter ISOUVENIRS D’ENFANCE

Collectif

PourseraconterI_L.indb 5 2014-05-23 16:28

Page 6: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

Les Éditions David remercient la Fondation Trillium de l’Ontario pour sa contribution financière à ce projet.

Les Éditions David 335-B, rue Cumberland, Ottawa (Ontario) K1N 7J3 Téléphone : 613-830-3336 | Télécopieur : 613-830-2819 [email protected] | www.editionsdavid.com

Tous droits réservés. Imprimé au Canada. Dépôt légal (Québec et Ottawa), 2e trimestre 2014

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Pour se raconter I : souvenirs d’enfance.

Nouvelles. Publié en formats imprimé(s) et électronique(s). ISBN 978-2-89597-430-7. — ISBN 978-2-89597-480-2 (pdf). — ISBN 978-2-89597-481-9 (epub)

1. Nouvelles canadiennes-françaises — Ontario. 2. Roman canadien-français — 21e siècle.

PS8329.5.O5P68 2014 C843’.010806 C2014-902907-1 C2014-902908-X

00-Préface.indd 6 2014-05-26 08:17

Page 7: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

7

PRÉFACE

Félicitations à tous les participants du concours

« Écrire pour se raconter ». Les Éditions David ont

reçu une centaine de textes provenant de partout en

Ontario. En retenir une quarantaine s’est révélé une

tâche délicate.

Le concours a été lancé dans plusieurs coins de la

province. Les participants se sont inscrits en ligne ou à

des ateliers d’écriture menés par un groupe d’auteurs-

animateurs. Pour certains, apprendre les subtilités

du processus d’écriture était tout nouveau et pour

d’autres, plus chevronnés, une façon de parfaire leur

apprentissage. Soutenus par des partenaires commu-

nautaires et accompagnés par des auteurs de talent, ils

ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur

production écrite.

Retrouver un souvenir d’enfance marquant et

tenter de le raconter mène, à n’en pas douter, à une

prise de conscience, une recherche intérieure, des

découvertes surprenantes, une panoplie de fous rires

et, parfois, quelques larmes. Tous se sont prêtés avec

enthousiasme au cheminement proposé, à l’exercice

PourseraconterI_L.indb 7 2014-05-23 16:28

Page 8: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

8

POUR SE RACONTER

du partage de moments inoubliables, du retour dans le passé et à la traduction de soi en paroles et en images.

Ces participants, originaires d’ici ou venus d’autres provinces et d’autres pays, ont su se tailler une iden-tité francophone en Ontario. Par la diversité de ses récits, le recueil Pour se raconter brosse un tableau de la richesse de l’expérience franco-ontarienne dans ses aspects aussi personnels que culturels, linguistiques et communautaires.

Pour leur soutien, de chaleureux remerciements sont adressés aux partenaires du concours et aux auteurs-animateurs qui se sont dévoués afin de mener ce projet à bon port et de faire profiter les participants de leurs connaissances d’écrivains de métier.

Je tiens à remercier Les Éditions David de leur invitation à agir comme auteure-conseil auprès des auteurs-animateurs, des partenaires et des partici-pants ainsi qu’à collaborer au comité éditorial, qui fut une enrichissante expérience littéraire et artistique.

Par ses concours en milieu scolaire et grand public, Les Éditions David encouragent l’Ontario français à se donner les instruments indispensables et les mots pour se raconter.

Bonne lecture !

Michèle VinetAuteure-conseil

PourseraconterI_L.indb 8 2014-05-23 16:28

Page 9: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

L E BON V IEU X TEMPS

PourseraconterI_L.indb 9 2014-05-23 16:28

Page 10: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

PourseraconterI_L.indb 10 2014-05-23 16:28

Page 11: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

11

LE TRAPPEUR

Dès l’aube, par ce beau matin ensoleillé de printemps,

John arrive chez nous pour me chercher, moi la petite

fille de dix ans, maigrichonne, timide et haute comme

trois pommes. Le petit homme aux cheveux blancs,

le dos un peu courbé, une gibecière à l’épaule et son

fusil à la main, me fait signe de le rejoindre. Le vieux

chasseur demeure au village dans une petite maison

de planches de bois grisâtre, tout à fait mignonne. Je

lui rends visite de temps en temps lorsque ma mémère

m’envoie lui porter un chaudron de soupe qui sent

bon. Un petit repas tout chaud pour lui faire plaisir,

car il est seul, comme elle me dit. Le sol de terre battue

et le poêle à bois qui rend l’ambiance confortable me

mettent très à l’aise. La toute petite table et la chaise

empaillée dans cette minuscule cuisine ont été fabri-

quées de ses propres mains. Un banc-lit dans un coin

sombre, caché par un rideau défraîchi et tout troué,

me fait penser à une maison hantée, mais je n’ai pas

peur. Le vieil homme m’inspire confiance. Le bol en

granite bleu et l’essuie-main sale sont sur le comptoir

tout près de la lampe à l’huile. À l’extérieur, une mou-

fette morte à moitié débitée, me regarde. Je demande :

PourseraconterI_L.indb 11 2014-05-23 16:28

Page 12: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

12

POUR SE RACONTER

— Johnny, pourquoi tu tues des bêtes puantes ? Il me répond :— Coudonc, si t’as besoin de l’huile pour frotter

ton gant de baseball, l’huile de musk, c’est ce qu’il y a de mieux. Pis non, ça pue pas. Inquiète toi pas pour ça !

Ce trappeur, qui démontre un talent exceptionnel de coureur des bois, me rend tellement heureuse en me permettant de le suivre en ce samedi matin. Mon rêve depuis longtemps caressé se réalise : l’accom-pagner à la tournée des pièges à rats musqués. C’est aujourd’hui le grand jour. On part à travers les champs et je sautille à ses côtés. Quand nous arrivons près du cours d’eau, Johnny me fait signe de garder le silence. Il descend le long du fossé et on marche chacun de notre côté. L’atmosphère est si paisible… Mais tout à coup, l’eau se brouille et Johnny me dit en riant :

— Quessé ça ? Le rat a peur de toi et il se sauve.Voir un de ces petits animaux serait merveilleux,

mais non, je vois seulement de l’eau brouillée. Je suis déçue ! Tout à coup, j’aperçois devant moi une masse de poil brun, une petite bête raide comme une barre me fixe.

— Johnny, viens voir, il y en a un dans ce piège.Il saute par-dessus le fossé et m’aide à remonter le

piège qui est à moitié dans l’eau. Il m’apprend qu’il faut avoir de bons muscles pour ouvrir le piège. J’essaye, mais en vain, je ne peux l’ouvrir. De ses vieilles mains basanées par le soleil, il y arrive sans effort.

Il me dit :— Quelle belle prise ! Cinquante cennes pour celle-

là, zaudit elle est ben belle et de bonne qualité. Viens, on replace le tout pour en attraper d’autres demain. Avec ton pied, tu pousses fort sur le métal, tu ouvres

PourseraconterI_L.indb 12 2014-05-23 16:28

Page 13: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

13

LE TRAPPEUR

les deux côtés et tu descends la petite clanche entre les

deux. C’est bien difficile à manipuler. Assure-toi que

le piège est bien retenu par le piquet de bois, sinon le

rat d’eau risque de se sauver.

Il fait beau mais mes mains sont gelées comme des

glaçons. Il y a encore des bancs de neige à quelques

endroits et le temps est froid avec ce vent glacial. La

passion, la liberté, la beauté de la nature et l’honneur

d’apprendre des mains d’un maître : je suis au septième

ciel. Ce matin a été très profitable : une vingtaine de

beaux rats. Dans ma tête, Johnny va être très riche. De

mes doigts glacés, je lui donne un coup de main pour

transporter les petits animaux à la remise… Comme

c’est lourd ! Johnny me dit :

— Aie-toi ! je t’amène tous les jours, t’apportes la

bonne fortune.

Mon cœur bat de fierté.

Dans la remise, assis sur une bûche de bois dur, le

canif à la main, le vieillard me fait signe de m’asseoir.

Grelottant de froid, j’écoute attentivement les conseils

pour le pleumage. Ça me captive. Entre mes doigts, je

tiens les pattes d’en arrière écartées et, avec son cou-

teau, il fait une incision de bord en bord. Comme par

magie, il tire la peau vers le bas. Alors, devant mes

yeux, se tient un corps de rat tout nu comme un ver

d’un côté et, de l’autre, une belle peau toute douce.

Mon cœur bat très vite. Je vais chercher de l’eau frette

dans une chaudière à la pompe, près de l’étable, pour y

déposer la carcasse fraîche. Près du trappeur, il y a une

planche de bois en forme de triangle. Astheure, il enfile

la peau sur le moule de bois, la fourrure à l’intérieur

pour le séchage. Tout ce que je vois est une espèce de

PourseraconterI_L.indb 13 2014-05-23 16:28

Page 14: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

14

POUR SE RACONTER

chair rosée gluante. Je lui demande pourquoi c’est

comme ça. Il répond :

— On les pend pendant un certain temps pour les

sécher avant de les envoyer par la malle à North Bay

où elles seront vendues à l’encan. Si ce n’est pas bien

séché, la vermine dévore toute la peau.

— Mon doux Seigneur, j’en ai la chair de poule.

Mais c’est bien long tout ça et quand est-ce qu’ils te

payent ?

— Après les enchères, je recevrai un chèque par

la malle.

Je me lève et ce vieux monsieur me dit :

— Aye là ! la petite ! Ce n’est pas fini, il faut le vider.

On retire les trippes et ce sera le diner de demain.

— Ah oui ? que je lui réponds avec un regard

curieux. Est-ce bon à manger ? Ma mère ne voudra

jamais faire cuire le rat, elle ne cuisine même pas les

lièvres que tu nous apportes. C’est papa qui nous fait

une bouillie de lièvre et c’est bon en pas pour rire. Est-

ce loin North Bay ?

— Peut-être, je ne sais pas, au yable vert. Tant

qu’ils m’envoient mon argent.

Le lendemain, mon père cuisina la petite bête

avec des patates, des carottes et des oignons. Comme

ça sent bon dans la maison ! Au dîner, fièrement, je

m’assois à côté de mon invité. Même si son grand

nez qui traîne dans la bouillie nous fait rire, je l’aime

mon Johnny. La viande est rouge et a un goût très

différent, un peu comme du poisson, comme un ani-

mal… succulent. Ma mère ne veut même pas goûter

à ce repas si appétissant. Après cette journée, chaque

printemps, Johnny nous rapporte un rat musqué pour

PourseraconterI_L.indb 14 2014-05-23 16:28

Page 15: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

15

LE TRAPPEUR

notre fricot. Encore aujourd’hui, j’adore marcher le long du fossé. J’ai ça dans le sang. Ça me rappelle de bons vieux souvenirs.

Carmelle Lalonde Hagen est née à Glen Robertson dans l’Est Ontarien. Elle obtient son diplôme en bibliotechnique pour ensuite travailler pendant plusieurs années pour un conseil scolaire. En 2010, elle prend sa retraite afin de continuer son travail sur la ferme familiale, jouir de la vie et prendre le temps de profiter de ses petits-enfants.

PourseraconterI_L.indb 15 2014-05-23 16:28

Page 16: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

16

DRÔLES DE BIGOUDIS

Pauline Plante a eu de la chance… oui, pour elle, c’est

une chance que d’être élevée sur une terre, comme disait

son père. Elle aurait pu naître, Dieu seul sait où, mais

le hasard a décidé que c’est à Uno Park qu’elle verrait

le jour. Elle était, dès lors, marquée du sceau de la

francophonie, car Maurice avait acheté sa modeste

ferme sur le rang des Canayens. À cette époque, le

rang de la concession 5 était habité par les Loranger,

les Berthelette, les Miron, les Godmaire, les Blain, les

Chartrand, les Gervais, les Lemieux, les Gauvreau, les

Gaboury et eux, les Plante.

Cette chance lui apporte vite de grands bonheurs.

Pauline se souvient encore du climat de fraternité qui

régnait entre les voisins de ce rang. Les enfants ont

ainsi eu des oncles et des tantes qui n’avaient aucun

lien de parenté avec eux. Madame Blain est deve-

nue ma tante Annette, Mme Miron, ma tante « Toi-

nette » et sa mère, ma tante Clara. Tous s’entraidaient

et à l’occasion s’improvisaient hommes et femmes de

métier pour mieux rendre service. Théode devenait

le soudeur chevronné du rang et même du village ;

Mme Lemieux, la couturière aux doigts de fée qui

PourseraconterI_L.indb 16 2014-05-23 16:28

Page 17: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

17

DRÔLES DE BIGOUDIS

confectionnait des chefs-d’œuvre à partir de patrons

tracés sur du papier journal, et Mme Plante, la coif-

feuse pour dames et le barbier pour hommes.

Quand sa maman annonçait la venue d’une

voisine pour sa permanente-maison, Pauline jubi-

lait. Encore aujourd’hui, à y penser, tous ses sens se

réveillent. Ses narines se gonflent comme si, par ce

simple geste, elle pouvait encore humer cette odeur

de Prom (ancêtre du Toni*). Cette forte senteur très

particulière se répandait vite dans toute la cuisine.

Une grande serviette, la boîte de bigoudis, un

petit bol peu profond, une boule d’ouate, un peigne

à queue, une paire de ciseaux, d’immenses pinces

à cheveux dentelées et un verre d’eau étaient fière-

ment disposés sur la table dans l’attente de la voisine.

Madame Chose arrivait avec sa boîte de Prom. Après

les salutations habituelles, maman Clara ouvrait méti-

culeusement la fameuse boîte et en ressortait quelques

objets. S’ajoutaient alors à tous les articles étalés deux

bouteilles en verre : l’une qui contenait un liquide

laiteux et l’autre remplie d’un liquide rosâtre. Il y avait

un paquet de bandelettes de papier vélin ainsi qu’une

très grande feuille qui illustrait et décrivait toute la

marche à suivre pour s’assurer que la permanente

prenne. Pauline aimait regarder les indications illus-

trées. C’est bien la seule chose qu’elle pouvait faire,

car elle ne savait pas encore lire. Son entrée à l’école

était prévue pour septembre. Qu’elle sache lire ou non

n’avait aucune importance, car tout était rédigé en

* « Prom » et « Toni » sont les marques de commerce des permanentes- maison de l’époque. Dans le langage populaire, on utilisait ces noms de marques pour identifier le produit.

PourseraconterI_L.indb 17 2014-05-23 16:28

Page 18: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

18

POUR SE RACONTER

anglais. Mais elle ne se lassait pas de suivre à la lettre toutes les étapes comme si elle voulait évaluer sa mère et s’assurer qu’elle demeure fidèle aux consignes. De plus, sa mère faisait de son aînée son apprentie, elle l’ accompagnait dans cette modeste tâche. Elle deve-nait alors responsable des p’tits rouleaux et des p’tits papiers. Elle devait donner un papier vélin sur lequel sa maman déposait soigneusement une large et mince mèche de cheveux enduite de ce liquide blanc. Une fois plié en deux, ce précieux papier retenait la mèche que sa mère enroulait sur un bigoudi jusqu’au cuir che-velu pour le fixer à l’aide d’une étroite bande élastique bleue, jaune, verte ou rouge insérée dans les fentes des deux extrémités. Ce geste était répété quelques dizaines de fois, toujours avec la même minutie et la même exactitude. Ainsi les bigoudis s’alignaient en rangées très droites sur la tête de sa cliente.

Pauline jouissait de ces doux moments passés en présence de sa maman coiffeuse. « Regarde bien, un jour ce sera ton tour », lui disait-elle ; et elle rêvait du jour où elle pourrait, elle aussi, en faire autant. Sans le savoir, ce jour n’était pas si loin…

Par un bel après-midi, son jeune frère Édouard, sa sœur Madeleine et elle décident d’aller jouer au petit sous-bois derrière la grange comme il leur arri-vait si souvent. Il fallait alors transporter tout le nécessaire pour « jouer à la madame ». Dans la voitu-rette, ils installaient tout ce dont ils avaient besoin : petites chaises, poupées, peignes, vêtements, vaisselle et autant de choses que pouvait contenir la voiture. Ils passaient des heures à s’amuser à cet endroit, car ils avaient l’avantage d’être à l’abri des oreilles et des regards indiscrets ; d’être à l’ombre et sur un plancher

PourseraconterI_L.indb 18 2014-05-23 16:28

Page 19: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

19

DRÔLES DE BIGOUDIS

de terre argileuse, battue par le va-et-vient du troupeau de vaches qui allait au pâturage et en revenait soir et matin. Maman n’était jamais inquiète lorsqu’ils s’y rendaient, car les enfants étaient sous la surveillance de papa qui vaquait, non loin d’eux, à ses occupations dans l’étable ou dans la grange.

Tout en s’affairant à débarrasser leur wagon de leurs jouets, Pauline remarque cette plante à la lisière du champ cultivé qui présente de fort jolies caboches d’un violet rosé. Eh ! Ce sont des pépiques* ! Elle sait que cette belle fleur possède de petites épines munies de minuscules crochets : qui s’y frôle, s’y pique ! Le chien s’est souvent présenté à la maison avec ces petites boules bien fixées à son poil. Eureka ! Quelle trou-vaille ! Mais oui, elle venait de découvrir ce qui pou-vait instantanément faire d’elle une coiffeuse comme sa maman. Tout excitée, elle s’empresse de faire une généreuse cueillette de chardons.

Elle installe Édouard devant elle sur une chaise, et toute fière, elle commence à friser les courts cheveux de son frère. C’était une tâche facile, car il portait ses cheveux en brosse, donc elle n’avait qu’à déposer les petites boules sur sa tête et celles-ci se fixaient au cuir chevelu sans aucun effort. Elle les lui laissait quelques instants comme le faisait sa maman, qui respectait la durée recommandée sur cette fameuse grande feuille. Entretemps, elle invitait sa sœur à s’installer. C’était beaucoup plus agréable avec elle. Elle pouvait mieux mettre en pratique son apprentissage. Et elle n’avait sûrement pas besoin de tout l’équipement dont dispo-sait sa mère. Madeleine avait de longs cheveux blonds

* Mot enfantin pour désigner les chardons.

PourseraconterI_L.indb 19 2014-05-23 16:28

Page 20: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

20

POUR SE RACONTER

bouclés. Elle prit donc un chardon qu’elle déposa soi-

gneusement sur le bout de la mèche de cheveux et

elle l’enroula avec précaution jusqu’à son cuir che-

velu. Elle en mit une bonne dizaine, car elle voulait

s’assurer, elle aussi, que sa permanente prenne. Elle

devait attendre comme les autres afin que cette étape

magique produise son effet. Avec de tels bigoudis,

elle était privilégiée, car elle n’avait pas à appliquer

le fameux rince rose qui assurait l’efficacité du Prom.

Le temps était venu de retirer les bigoudis des che-

veux de son frère. Avec un gros peigne, elle réussit à

lui extirper les chardons du fond de la tête. Il a bien

eu quelques petits couinements de douleur accompa-

gnés de quelques grimaces, mais rien de plus. Elle était

fière ! La jeune coiffeuse venait de réussir sa première

permanente-maison. Elle avait tellement hâte de faire

part de la bonne nouvelle avec sa mère.

Ce fut au tour de Madeleine… Ouf ! Comment

faire pour dérouler ? La tâche lui semblait plus ardue.

Elle avait beau y aller délicatement, c’était peine per-

due. Peut-être qu’en y insérant le gros peigne, elle

réussirait, car c’est bien ce qu’utilisait sa maman pour

démêler les cheveux. Malheur ! Madeleine se mit à

hurler. Pauline ne comprenait pas. Que se passait-il ?

La pauvre enfant ne voulait plus que sa grande sœur

s’approche d’elle. Pourtant elle essayait de se faire ras-

surante en lui parlant doucement, mais rien à faire.

Elle demeurait impuissante. La coiffeuse en herbe

n’avait certainement pas envisagé un tel dénouement.

En entendant ces cris stridents, son père, craignant le

pire, arrive en courant. En apercevant Madeleine, il

a tout compris. Il l’a prise dans ses bras et de sa voix

PourseraconterI_L.indb 20 2014-05-23 16:28

Page 21: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

21

DRÔLES DE BIGOUDIS

toujours si calme et rassurante, lui dit : « Vous autres,

ramassez vos affaires et suivez-moi à la maison. »

Pauline traînait le pas, car les cris et les pleurs de

sa sœur devenaient de plus en plus intenses à mesure

que son frère et elles s’approchaient de la maison. Elle

n’avait pas le goût d’entrer, mais elle n’en avait pas

le choix. Elle s’attendait au pire même si elle n’avait

jamais connu la fessée, ni les cris ni les disputes. Elle

devait, tôt ou tard, braver la tempête. Ses parents

étaient douceur et patience. Elle prit son courage de six

ans à deux mains et elle entra en sanglotant, regret-

tant amèrement son geste. Son regard s’arrêta sur sa

sœur qui était assise sur la table, à l’endroit même où

sa maman s’installait pour mettre gratuitement son

talent au service des voisines. Sa mère la regarda avec

des yeux remplis de tendresse et lui dit sans hausser le

ton : « Tu as mal agi et pour ta punition tu vas t’asseoir

à côté de moi et regarder ta sœur pendant que j’enlève

ces fameux pépiques. »

Oui, c’est avec une patience d’ange et avec douceur

qu’elle a réussi à détacher chacun de ces chardons que

Pauline avait précautionneusement enroulés dans les

cheveux longs, blonds et bouclés de sa sœur.

Elle avait eu sa leçon. Elle continua à jouir de ses

séances d’apprentie-coiffeuse et à rêver du jour où elle

deviendrait à son tour la coiffeuse du rang. Aux per-

sonnes qui lui demandaient « Que feras-tu quand tu

seras grande ? », elle répondait fièrement « Coiffeuse ».

Et puis, un jour, elle n’a plus eu ce désir. Elle vou-

lait être maîtresse d’école… encore pour être comme

maman… une vraie pédagogue, bien qu’elle n’était

pas enseignante.

PourseraconterI_L.indb 21 2014-05-23 16:28

Page 22: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

22

POUR SE RACONTER

Pendant longtemps l’histoire de la coiffeuse du sous-bois passa aux oubliettes, mais depuis qu’ils ont vieilli, son frère, sa sœur et elle la racontent souvent. Elle fait maintenant partie des histoires de la famille qu’ils gardent bien vivantes et qu’ils racontent aux petits-enfants lors des veillées, avec preuves à l’ appui. Pauline a toujours en sa possession, soixante ans plus tard, les bigoudis, papiers vélins, bandes élastiques et pinces dentelées. C’est le plus bel héritage qu’elle garde précieusement dans son chiffonnier. Elle n’a qu’à ouvrir le tiroir et le film de cet épisode se déroule et déclenche chez elle le plus radieux sourire qui soit.

Pauline Plante-Boucher, aînée d’une famille de dix enfants, est née en 1946 à Uno Park dans le Nord de l’Ontario. Elle a enseigné pendant 36 ans. Maintenant à la retraite, elle est plus occupée que jamais : le bénévolat, la marche, la lecture, l’écriture, la généalogie, les voyages et l’artisanat. Elle profite du temps qu’elle passe avec son mari, ses enfants et petits-enfants.

PourseraconterI_L.indb 22 2014-05-23 16:28

Page 23: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

235

REMERCIEMENTS

Les Éditions David aimeraient remercier plusieurs par-tenaires grâce auxquels elles ont pu mener ce projet avec succès :

• La Fondation Trillium de l’Ontario, pour son importante participation financière au projet.

• Les bibliothèques publiques et les organismes qui ont collaboré à la présentation des ateliers de création littéraire en région, nommément : les bibliothèques publiques de Casselman, de Hawkesbury, de Kapuskasing, d’Ottawa, de Russell, de Sudbury et de Toronto, l’organisme Estario ainsi que les centres culturels Les Trois P’tits points d’Alexandria et La Clé d’la Baie de Penetanguishene.

• Le Centre FORA, pour avoir appuyé la direction du projet et mis sur pied un volet parallèle du concours destiné à la population apprenante. Les textes écrits dans le cadre de ce concours, réunis dans un numéro spécial de la revue Expressions (Hiver 2014), sont accessibles sur le site Internet du Centre à l’adresse suivante :

<www.centrefora.on.ca>.

PourseraconterI_L.indb 235 2014-05-23 16:28

Page 24: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

PourseraconterI_L.indb 236 2014-05-23 16:28

Page 25: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE ....................................................................... 7

Le bon vieux temps

Le trappeur ............................................................. 11Carmelle Lalonde Hagen

Drôles de bigoudis .............................................. 16Pauline Plante-Boucher

Le présentoir à biscuits .................................... 23Alice Saint-Denis Ladouceur

Le magasin de timbres ....................................... 27Susan Spier

Sur la galerie ........................................................ 31Monique Poulin

La jolie brebis ........................................................ 35Cécile Boudreau Pagé

L’École

Rentrée scolaire à Bucarest.......................... 43Corina Vasilescu

Les jumeaux ............................................................ 49Chantal Fournier

PourseraconterI_L.indb 237 2014-05-23 16:28

Page 26: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

En Angleterre ....................................................... 54Daniel Pokorn

La bibitte .................................................................. 58Michelle Robichaud

Vaincre l’intimidation ....................................... 62Mélanie Couture

Le chemin de la gloire ...................................... 67Eugénie Ducatel

Le souffre-douleur ........................................... 71Sophie Antoine

Premières expériences

La cigarette ........................................................... 77Marc Henoud

Au volant ................................................................ 80Martin Lalonde

Putain ! ...................................................................... 84Sergine Rachelle Bouchard

Le bal ......................................................................... 88Julia Poulin

Le premier livre .................................................... 93Aurélie Emma Kamayah

Vie communautaire

Le but mémorable ................................................ 99Robert Renaud

La bibliothèque .................................................. 104Janine Lafontaine

La partie de baseball ........................................ 109Pierre Belcourt

PourseraconterI_L.indb 238 2014-05-23 16:28

Page 27: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

Le gardien de but ................................................116Pierre L. Séguin

La première neige ............................................... 122Kalinka Petrova Krasteva

La famille

Le septième frère ............................................... 129Nicole Roy

Les nageuses du ruisseau ............................... 133Pauline A. Ouellette

La surprise du Père Noël................................. 138Lorraine M. M. Jeansonne

Juliane .................................................................... 144Mireille Piché

Noël en Haïti ........................................................ 148Marie-Eugénie Lubin

La FAMEUSE joute de baseball ....................... 152Marie-Josée Larocque

Les grands-parents

Le gros poisson ................................................... 159Cédrick Jeanpierre

Petit-Faon et Grand-Ours .............................. 164Michèle Villegas-Kerlinger

Les oreilles de Grand-Papa ............................ 171Mélanie Tremblay

Le concert de Chopin ....................................... 177Micheline Babinski

La pièce de cinq cennes ................................... 181Carole Larocque

PourseraconterI_L.indb 239 2014-05-23 16:28

Page 28: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

La boîte de vers ................................................... 185Roxane Babinska

Au cimetière ......................................................... 190Julien Dupont

Drames et déracinements

La nuit des loups ............................................... 197Annette Génier-Sturgeon

Le destin ................................................................ 203Louise Brunelle

La jupe rouge à plis ........................................... 207Jocelyne Lachance

Le coup d’État ...................................................... 212Kenza Bouchaara

La Grande Aventure ......................................... 218Élianne Laberge-Marquis

De Malartic à Spragge ..................................... 223Rachel Hamelin

La rue d’Entraigues .......................................... 229Valérie Lecomte

Remerciements ................................................... 235

PourseraconterI_L.indb 240 2014-05-23 16:28

Page 29: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

PourseraconterI_L.indb 241 2014-05-23 16:28

Page 30: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

Photographie : Gilles Asselin Jeannine Asselin : mon univers dans l’rang Charlotte,

chez ma grand-mère maternelle à Saint-Simon.

Coordination : Quentin CorzaniMaquette et mise en pages : Anne-Marie Berthiaume

Achevé d’imprimer en juin 2014 sur les presses d’imprimerie GAuvin

GAtineAu (Québec) cAnAdA

imprimé sur pApier 100 % fibres postconsommAtion certifiées fsc

certifié écoloGo, procédé sAns chlore et fsc recyclé

fAbriQué à pArtir d’énerGie bioGAz.

couverture 30 % de fibres postconsommAtion certifié fsc®

fAbriQué à l’Aide d’énerGie renouvelAble, sAns chlore élémentAire, sAns Acide.

08-TDM.indd 242 2014-05-27 15:35

Page 31: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

PourseraconterI_L.indb 1 2014-05-23 16:28

Page 32: POUR SE I RACONTER...ont su identifier et utiliser les outils nécessaires à leur production écrite. Retrouver un souvenir d’enfance marquant et tenter de le raconter mène, à

Parties de hockey mémorables, premiers Noëls, démé-nagements vers de nouveaux territoires, anecdotes croustillantes sur les bancs d’école, bêtises enfantines… autant d’histoires qui évoquent l’importance de certains moments, petits ou grands, qui peuvent parfois marquer notre enfance.

Quarante-trois écrivains amateurs, dont les souvenirs prennent place dans différents coins de l’Ontario, mais aussi du Québec, d’Haïti, de France et d’autres pays du monde, composent ce recueil de textes aussi tendres qu’amusants, dramatiques parfois, et souvent nostalgiques du temps passé.

Grâce à eux et à elles, nous voilà plongés à notre tour dans notre propre enfance et invités peut-être à prendre aussi la plume pour en raconter des souvenirs ou des exploits.

Pour se raconter est le résultat d’un concours de création littéraire initié par les Éditions David à l’automne 2013 dans le but d’inciter la population francophone de l’Ontario à prendre plaisir à lire et à écrire en français. Il s’agit là du premier recueil d’une série qui devrait en compter plusieurs autres.

www.editionsdavid.com