Points de contact physiques et virtuels et construction ...
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V A R I A
AURÉLIE KESSOUSPAULINE TESIO VIRGINIE DE BARNIER Aix Marseille Univ., IAE Aix Marseille, CERGAMGILLES PACHÉ
Aix Marseille Univ., CRET-LOGPoints de contactphysiques et virtuelset constructionidentitaire
Le cas de la mode vintageL’article s’intéresse au mariage a priori délicat de l’hyper-connexion et du vintage. Plus précisément, il vise à mieuxappréhender l’usage des points de contact physiques et virtuelsdans le parcours d’achat des consommateurs vintage. Unerecherche netnographique sur le Marché de la mode vintagede Lyon souligne que, sur le plan théorique, l’emploi des pointsde contacts virtuels des consommateurs de produits vintagecontribue au processus de construction identitaire. Sur le planmanagérial, elle indique que les pratiques diffèrent d’un réseausocial à l’autre et se complètent plutôt qu’elle ne s’opposent. Ladiscussion des résultats aboutit à une lecture originale per-mettant demieux anticiper et répondre sur la place qu’occupentde nouveaux types de points de contact dans le contexte étudié.
.3166/rfg.2019.00338 © 2019 Lavoisier
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« L e futur à portée demain… » est devenu leleitmotiv des distribu-
teurs qui voient en la révolution numériquele moyen de s’adapter aux parcours d’achatfragmentés des consommateurs. Les trajec-toires des clients se veulent cross-canal etcomplexes entre les différents canaux.R. Vanheems parle à cet effet « d’unenchevêtrement des deux mondes, réel etvirtuel, où le consommateur passe cons-tamment de l’un à l’autre via des micro-connections »1. Le mobile est ainsi l’un desgrands acteurs du changement qui offre desparcours d’achat décloisonnés et est utilisésur le point de vente comme outil dedialogue, d’interaction, de publication oude recherche d’information. Un nouveautype de consommateur voit ainsi le jour : leconsommateur connecté, en perpétuel mou-vement, qui exprime son identité au traversde ce qu’il est ou consomme. C’est dans cecontexte de quête d’authenticité que l’onvoit apparaître, depuis une vingtaine d’an-nées, « des formes alternatives de consom-mation » (Roux et Guiot, 2008), dont lavente d’occasion s’avère emblématique(Bauhain-Roux et Guiot, 2001 ; Roux,2005 ; Lemaître et de Barnier, 2015) ou,plus globalement, le commerce collaboratifoù s’enchevêtrent expériences d’achat réel-les et virtuelles sur des plateformes dédiéesà cette intention (Garcia-Bardidia, 2014 ;Benavent, 2016).La présente contribution s’intéresse à uneforme particulière de commerce collabora-tif : le marché du vintage. Initialementutilisé en œnologie, en référence à desmillésimes, vins et spiritueux, le mot
1. Intervention lors du « Petit-déjeuner du commerce 4.0 : leschaire E. Leclerc / ESCP Europe Prospective du commerce
« vintage » fait son entrée, dans les années1990, dans les secteurs de la mode, de ladécoration intérieure et de l’automobile,pour définir des pièces rares et authentiques(Gerval, 2008 ; Niemeyer, 2015 ; Sarial-Abi et al., 2017). Aujourd’hui, le vintageillustre davantage des pièces d’occasion,ayant un enracinement historique, affectif etculturel fort et représentatif d’un momentprécis du XXe siècle. S’ils ont de fait unancrage dans le passé, les marchés vintagesont néanmoins sensibles aux révolutionsdu numérique. Instrumentalisés par lesréseaux sociaux, et notamment Facebook,ils tendent de plus en plus souvent às’organiser et se structurer. À titre d’exem-ple, le cinquième Marché de la modevintage des années 1940, 1950 et 1960,organisé à Lyon en avril 2017, a réuni plusde 5 000 personnes et suscité près de600 commentaires sur la page Facebookde l’événement.Plus largement, une véritable communautévintage se crée et se retrouve sur Internet,comme en atteste la création du site LesVieilles Choses, en décembre 2014, quiconstitue la première plateforme commu-nautaire dédiée au vintage. Au-delà de lavente en ligne de produits vintage, le siteoffre la possibilité aux passionnés d’échan-ger sur ce sujet et de participer à desévénements liés au vintage en France. Pourautant, la présence du vintage sur Internetest pour le moins surprenante, tant lesconsommateurs de produits vintage serevendiquent « hors consommation »(Roux et Korchia, 2006). Rejetant les modesde consommation de masse caractérisés parla surproduction, la surconsommation et
enjeux de la cross-canalité à l’aune du commerce 4.0 »,dans la société 4.0, Paris, 4 janvier 2017.
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l’uniformisation, ils encouragent aucontraire les comportements de consomma-tion alternatifs. Véritables acteurs-résistantsà la société de grande consommation, ilsn’en demeurent pas moins des individusconnectés, désireux de faire part de leursacquisitions au plus grand nombre. Nousqualifions de « paradoxale » l’allianceapparemment surprenante de l’hyper-connexion et du vintage.La diversité des points de vente physiques(brocantes, antiquaires, marchés aux puces,vide-greniers, friperies, etc.) et virtuels (sitesde vente aux enchères, sites de vente entreparticuliers, sites de revente spécialisés, etc.),auquel s’ajoute une multitude de codes et depratiques liés à l’art de chiner, rendentdifficile le décryptage des parcours d’achatet des logiques commerciales propres à cettecommunauté. L’objectif de l’article est decombler le vide en la matière, et de mieuxappréhender l’usage et le rôle des points decontact physiques et virtuels dans le parcoursd’achat des consommateurs vintage. Plusprécisément, il tente de répondre aux pro-blématiques managériales suivantes : quelssont les réseaux sociaux qu’utilisent lesconsommateurs de vintage ? Comment sont-ils mobilisés lors du parcours d’achat ?Quelles sont les raisons présidant au recoursd’un réseau plutôt qu’un autre ? Le « flou »qui entoure le parcours d’achat des consom-mateurs apparaît donc comme un défi àrelever, autant pour les praticiens du market-ing que pour les chercheurs. Satisfaisant unequête de sens (Cervellon et al., 2012 ;Amatulli et al., 2018), l’achat de produitsvintage devrait permettre au consommateur,via l’usage des points de contact physiques et
2. Les auteurs remercient chaleureusement deux évaluateursremarques et suggestions qui ont permis de largement améli
virtuels, d’affirmer et de communiquer sonidentité à autrui (Belk, 2013). Ainsi, sur leplan théorique, l’article vise à apporter unediscussion argumentée à la question derecherche suivante : quelle est la contributiondes points de contact physiques et virtuels auprocessus de construction identitaire desconsommateurs de produits vintage ?Pour mener à bien la démarche, une analysenetnographique a été conduite. Elle s’inté-resse aux rôles et à l’usage des réseauxsociaux par les consommateurs dans leursparcours d’achat. Il en résulte une contribu-tion structurée en trois sections. Dans unepremière section, nous positionnons lemarché du vintage en référence aux logiquescross-canal et nous mettons en relation lemode de consommation qui en résulte et leprocessus de construction identitaire desindividus. Dans une deuxième section, nousanalysons les parcours d’achat virtuel etphysique des consommateurs connectés ausein de la communauté vintage. Unetroisième section conclusive expose lesrésultats obtenus et propose une lecturecomparative des réseaux sociaux utilisésdurant le parcours d’achat des consomma-teurs de produits vintage, ce qui ouvre selonnous des perspectives de recherchestimulantes2.
I – MARCHÉ DU VINTAGE : LACROSS-CANALITÉ AU SERVICE DELA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
Si, par le passé, les canaux de distributionétaient gérés de façon autonome pour évitertout risque de cannibalisation (Rosenbloom,2007), tel n’est plus le cas aujourd’hui avec
anonymes de la Revue française de gestion pour leursorer des versions antérieures de l’article.
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l’utilisation croissante d’Internet par lesconsommateurs, même s’ils fréquentent enparallèle des points de vente physiques.Ainsi, nombre d’observateurs reconnaissentqu’Internet a révolutionné en profondeur lepaysage de la distribution, en soulignantl’impérieuse nécessité d’une vision cohé-rente et coordonnée dans la gestion descanaux (Poirel et Fernandez-Bonet, 2008).Les plus grandes enseignes françaises n’hé-sitent plus à lancer leur site Internetmarchandet leur application afin d’exposer au mieuxleur offre au client, s’inscrivant ainsi dansune stratégie multi-canal intégrative, qued’aucuns dénomment stratégie cross-canal(Collin-Lachaud etVanheems, 2016 ;Zenteset al., 2017), stratégie omni-canal (Bryn-jolfsson et al., 2013 ; Beck et Rygl, 2015),voire stratégie « phygitale » (Belghiti et al.,2017). L’arbitrage que les consommateursdoivent faire entre les différents canauxfait émerger de nouveaux comportementsd’achat.
1. Comportement d’achat cross-canalet extension de soi
Les synergies mises en place par lesenseignes entre leurs points de ventephysiques et virtuels incitent les clients àmigrer d’un canal à un autre pour résoudreleurs problèmes de consommation. Cesallers-retours entre physique et virtuelcontribuent à une forte imbrication desexpériences d’achat online et offline pourla même enseigne (Collin-Lachaud et Van-heems, 2016). Les parcours d’achat sontmorcelés et occupés par des consommateursautonomes et créatifs (Cova et Cova, 2009),que les distributeurs doivent prendre en
3. Ainsi que l’indique le site Internet du Salon : http://www
considération dans leurs stratégies du fait deleur liberté d’achat et d’expression surInternet. Les sitesmarchands, les plateformescommunautaires, les réseaux sociaux ou lestechnologies mobiles sont autant de terrainsd’expression et d’exposition pour ces indi-vidus, qui s’affranchissent des offres stan-dard imposées, créant ainsi leur propreexpérience d’achat (Antéblian et al., 2013).L’ensemble des changements technologi-ques a bouleversé la façon de consommer, decommuniquer et se présenter à autrui (Belk,2013). Ainsi, le parcours d’achat cross-canal, à travers sa dimension physique etnumérique, favorise l’extension de soi etinfluence le processus de constructionidentitaire.Même s’il est clairement inscrit dans une« mouvance passéiste », le marché duvintage n’échappe pas au parcours d’achatcross-canal. Suscitant l’intérêt de particu-liers, d’experts, ou encore de leadersd’opinion, le marché du vintage est forte-ment représenté aujourd’hui sur Internet.Photographies, partages de trouvailles et depièces rares par ses adeptes, sont postésrégulièrement sur la « toile », et l’onretrouve finalement autant d’adeptes duvintage flânant dans les allées d’unebrocante ou d’une friperie que surfant surles pages de réseaux sociaux. Pour leséquipes du Marché de la mode vintage,organisé chaque année à Lyon, la présencesur Internet constitue explicitement unmoyen de rester connecté à la communautévintage partout dans le monde, en sepositionnant comme un événement popu-laire ouvert à tous3. Nulle surprise, dans detelles conditions, que les enseignes deproduits vintage se mettent à l’heure de la
.marchemodevintage.com/ (consulté le 11 mars 2019).
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cross-canalité, conscientes des compétencesdigitales de consommateurs connectés qui,via l’emploi de multiples points de contact,définissent et affichent publiquement leuridentité.
2. Consommation vintageet construction identitaire
La consommation vintage se présentecomme une source d’expression de soi(Amatulli et al., 2018), symbolisant à la foisl’appropriation de figures culturelles d’uneépoque donnée (Cervellon et al., 2012), etune volonté de consommer de façon respon-sable (Ryding et al., 2017), en se rapprochantici d’une consommation nostalgique sanspouvoir y être totalement assimilée. Laconsommation vintage incarne des repèresauxquels on peut faire confiance, et constitueune solution à la consommation actuelle,visant à lutter contre la crise contemporaine(Beyaert-Geslin, 2012). Les adeptes duvintage forment de fait une communautédont les modes de consommation – expres-sions de besoins de reconnaissance etd’appartenance – peuvent être appréhendésvia la théorie de l’identité sociale (Tajfel etTurner, 1986 ; Licata, 2007). Celle-ci sedéfinit comme « cette partie du concept desoi qui provient de la conscience qu’al’individu d’appartenir à un groupe social,ainsi que la valeur et la significationémotionnelle qu’il attache à cette apparte-nance » (Tajfel et Turner, 1986).L’identité d’un individu repose sur sonaffiliation à son/ses groupe(s) d’apparte-nance (l’endogroupe), et sur sa distanciationdes groupes auxquels il n’appartient pas (lesexogroupes). Pour être reconnus commeappartenant à la communauté, les fansde vintage se doivent d’observer, faire
connaître et partager un ensemble depratiques et de codes. Les différentssupports de connexions à Internet (tablettes,ordinateurs portables, smartphones ouobjets connectés) sont autant d’outils d’in-fluence quant à la décision d’achat desmembres de la communauté vintage.Comme bon nombre d’adeptes de laconsommation communautaire, le consom-mateur vintage est un consommateurconnecté dont le parcours d’achat peutdébuter sur un ordinateur, continuer sur unsmartphone ou une tablette, puis s’acheverpar la visite d’un lieu d’échange spécifique(brocantes, vide-greniers, marchés auxpuces, etc.) (Roux et Guiot, 2001 ; Cervel-lon et al., 2012).Enfin, si les réseaux et outils mobilesdevraient permettre une communicationciblée et personnalisée vis-à-vis des consom-mateurs vintage, leur usage n’est pas sansrisque pour les points de vente dédiés auvintage qui laissent entre leurs mains unpouvoir d’appropriation et de détournementéventuel de leurs marques. Il appartient auxmarques et enseignes de se réinventer face àun consommateur connecté, utilisant régu-lièrement de multiples appareils électro-niques et numériques, mais ne négligeantpas pour autant la fréquentation de points devente physiques. Afin d’apporter des élé-ments de réponse aux défis préalablementposés, une étude qualitative a été conduite.Celle-ci vise à mieux appréhender l’usagedes réseaux sociaux dans le parcours d’achatdes consommateurs vintage et leur impact surle processus de construction identitaire.L’encadré ci-après présente rapidementla méthodologie utilisée lors de notreinvestigation de terrain, à la fois en matièrede choix du terrain et de méthode derecherche.
METHODOLOGIE
Choix du terrain de la recherche
Le terrain de cette étude est le marché de la mode vintage de Lyon. Créé en 2001, cet
événement est l’un des plus célèbres dans l’univers vintage et réunit chaque année plusieurs
milliers de personnes, et plus de 150 exposants. Ce terrain a été choisi car le mariage vintage/
hyper-connexion est a priori paradoxal. En effet, la consommation vintage est une réfutation
de la consommation de masse, alliant un désir nostalgique de retour vers le passé et une
adhésion à un mode de consommation raisonné. Pour autant, les marchés de la mode vintage
sont touchés par la prégnance des réseaux sociaux. L’emploi du réseau social Facebook est, à
titre d’exemple, très fréquent sur ces marchés car il permet de prolonger les échanges initiés en
leur sein, et de créer, notamment en devenant « ami », un lien social durable et tangible (Duffy
et al., 2012). Outre sa capacité à relayer plus d’informations et commercialiser les événements
du marché, Facebook apparaît comme un véritable coordinateur du marché du vintage et de ses
adeptes (Duffy et al., 2012). Le Marché de la mode vintage invite ainsi ses adeptes à se rendre
sur ses pages de réseaux sociaux (18 620 abonnés Facebook, 2 077 abonnés Instagram,
1 500 followers Twitter), ainsi que sur son site Internet. Le marché s’organise également
autour d’une chaîne YouTube marchemodevintage, comptant plus de 60 abonnés et une
vingtaine de vidéos.
Méthode de recherche
L’étude se fonde sur une approche netnographique et prend pour cas d’application un
événement annuel d’envergure, le Marché de la mode vintage à Lyon. La netnographie,
comme le notent Benghozi et Bergadaà (2012), se présente désormais comme une méthode
ethnographique particulièrement adaptée à l’étude de communautés virtuelles ; elle permet en
effet de mieux comprendre la symbolique de comportements et les tendances d’évolution de
groupes sociaux. L’objet étant ici de mieux appréhender l’usage que font les consommateurs
des réseaux sociaux lors de leur parcours d’achat, seules trois plateformes sur lesquelles les
internautes ont un rôle actif ont été considérées : Facebook, Twitter et Instagram (les
publications des autres réseaux utilisés par les consommateurs – Pinterest, YouTube, Snapchat
– étant très marginales). Un examen approfondi des 196 commentaires des consommateurs
postés lors des trois derniers marchés de la mode vintage, représentant un volume de 17 pages,
permet d’identifier les réseaux sociaux utilisés et les types de commentaires publiés à chaque
étape du parcours d’achat.
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II – DE L’USAGE DES RÉSEAUXSOCIAUX DANS LE PARCOURSD’ACHAT DES CONSOMMATEURSVINTAGE
Les travaux en marketing s’intéressent àl’influence des points de contact de lamarque sur le parcours d’achat du consom-mateur, l’objectif étant de reconnaître unecombinaison optimale de points de contactpour guider le client dans son parcoursd’achat (Bothorel et al., 2017). Peu derecherches ont néanmoins appréhendél’usage que font les consommateurs deréseaux sociaux au cours du parcoursd’achat et l’impact qu’ils peuvent avoirsur la relation consommateur/marque ouconsommateur/enseigne. La multiplicationdes points de contact physiques et digitaux aprofondément modifié le comportement duconsommateur connecté, qui fait voler enéclat les frontières online/offline et devientlui-même un média de communication.L’étude prend pour champ d’investigationle Marché de la mode vintage car sesconnotations nostalgiques paraissent anti-nomiques avec la modernité qu’imposentInternet et les applications mobiles. Elles’intéresse à l’usage que font les consom-mateurs des réseaux sociaux tout au long duparcours d’achat, de son stimulus à la phasepost-achat.
1. Stimulus
Le stimulus de l’achat est peut-être l’étape lamoins « contrôlable » par lesmarques, celle-ci pouvant émerger d’une discussion entreamis, d’une publicité ou de la lecture d’unarticle. Lorsque les marques choisissent del’instrumentaliser via un point de contactvirtuel, les réseaux sociaux utilisés sontgénéralement ceux mettant l’accent sur
l’émotionnel, le divertissement et l’éphémèrecomme Instagram, dont les photographies lesplus récentes sont les plus visibles. Lecompte pouvant être associé à Facebook, lapublication est généralement partagée avecun descriptif plus étayé du produit. À cetteétape, l’usage du hashtag (ici #vintage ;#popfashion) est important pour indexer laphotographie à une thématique et solliciterdes commentaires intéressants des internau-tes, que l’enseigne pourra utiliser dans sesfutures campagnes de communication.Les enseignes présentes sur Instagrammettent généralement en scène des produitshédoniques et préconisent ainsi des heuresde publication durant lesquelles le consom-mateur est « détendu » et libre (fin dejournée, heures de sortie des bureaux).Néanmoins, il est important de publierrégulièrement du contenu original pourrester visible sur la toile et un texte minimesur un ton décalé (voir dans la figure 1 : « Jecherche une combinaison de garagiste, maiscocktail »). Nous retrouvons ici l’idée dedématérialisation des possessions de Belk(2013). Les produits hédoniques et lescontenus originaux que proposent lesmarques et les enseignes apparaissentd’abord sous forme virtuelle. Ces stimuliimmatériels sont le point de départ duparcours d’achat du consommateur qui vales intégrer comme une partie de sonidentité.
2. Recherche d’information
L’étape suivante relève traditionnellementde la recherche d’information sur l’enseigneet ses offres ou sur un produit/servicespécifique. Cette recherche d’informationpeut se faire par l’intermédiaire de blogsd’experts, individus dotés d’une véritable
Figure 1 – Posts représentant les étapes du parcours d’achat
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identité numérique, reconnus pour leurscompétences et suivis parfois par desdizaines de milliers d’internautes. Ons’expose ici à l’étape de réincarnation ausens de Belk (2013) durant laquelle leconsommateur prend la forme d’un avatar etsélectionne les facettes de son identité qu’ilsouhaite dévoiler. Celles-ci évolueront pro-bablement compte tenu de ses échangesavec les internautes. L’intérêt de la consul-tation du blog réside dans la possibilité debénéficier d’information pertinente et detisser une relation de confiance avec unexpert. La recherche d’information répond àune tendance à la responsabilisation desconsommateurs, soucieux de savoir en quoiun produit/service peut améliorer leurquotidien, et à une tendance à la socialisa-tion, car ils bénéficient de l’avis de leurspairs et font part des leurs, jouant à leur tourun rôle d’influenceur. Il s’agit d’une étapecruciale sur Internet compte tenu du boucheà oreille qu’elle engendre et de la viralité desposts qu’elle peut susciter.Lorsque le besoin en information se doitd’être rapide, les internautes vont préférerquestionner un réseau social comme Twit-ter. Le caractère synthétique des messagespubliés, les tweets, permet de relayer trèsvite de l’information (voir sur la figure 1 letweet posté le jour de l’ouverture du Marchéde la mode vintage : « Des gens sont allésau marché de la mode vintage ? #mmv17. Jeme demandais si ça valait le coup d’yaller »). Des hashtags sont souvent créés etutilisés pour des événements : ici, le Marchéde la mode vintage de 2017 fut d’abordannoncé via le hashtag #mmv17, ce quisouligne la nécessaire complémentaritéonline/offline. Mais si les tweets sont trèsviraux, ils peuvent également disparaîtredans le flux des publications des autres
utilisateurs et rester dénués de réponse. Untel encombrement numérique peut entraînerle risque que nos mémoires deviennentéphémères (Belk, 2013). Compte tenu deson audience massive, et d’une absence delimitation du nombre de caractères dans lesmessages postés, bon nombre d’internautesrecourent au réseau social des « amis »Facebook, notamment pour rechercher del’information exhaustive.Au-delà d’un registre sensoriel plus dense,permettant un descriptif produit étayé, lesystème de discussion instantanée permetun engagement fort des internautes quiéchangent en direct avec les autres membresde la communauté. On retrouve ici l’étapede partage d’information de Belk (2013) aucours de laquelle le lien social et lesentiment d’appartenance communautairese développent. L’information relative auproduit recherché ou au Marché du vintageétant partagée sur les réseaux sociaux, unsentiment de possessions numériquescommunes se crée et renforce l’extensionde soi (ibid.). Le partage d’information surdes forums ou des réseaux sociaux favorisel’émergence d’une identité de groupe, quiconstitue une facette du soi global (ibid.).
3. Décision d’achat
Le Marché de la mode vintage est reconnucomme un lieu de visite incontournable enmatière de consommation vintage, ce quiincite les consommateurs à se géolocaliseren son sein et être identifiés par leur réseaud’amis. Préalablement à la décision d’achat,le consommateur peut choisir d’indiquer,via son smartphone, sa présence sur un pointde vente et l’enseigne peut alors bénéficierd’une promotion virtuelle (même si elle nedispose que de points de vente physiques),
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surveiller sa réputation et mieux appréhen-der l’identité de ses clients et prospects. Onvoit ici l’intérêt managérial de ces points devente qui, en invitant le mobinaute à segéolocaliser en son sein, moyennant l’at-tribution d’une offre spéciale (coupon deréduction, par exemple), peut gagner envisibilité et en notoriété. Il est courantégalement que les mobinautes publient unephotographie de produits géolocalisée afinde solliciter l’avis de leurs pairs, jugénécessaire à la décision d’achat. On retrouveici l’étape de co-construction de soi et plusprécisément, l’affirmation des identitésdistinctives via les publications et lescommentaires des pairs (Belk, 2013).Compte tenu des filtres qu’ils proposent,Instagram reste le réseau social favori enmatière de photographies. Les photographiessont géolocalisées et bien souvent partagéessur Facebook comme l’atteste la figure 1. Surce dernier réseau social, les boutons deréaction (« J’aime », « J’adore » et« Waouah ») permettent d’appréhender lesréponses des mobinautes de façon plusnuancée et de guider le consommateur danssa décision d’achat. À noter qu’il est del’intérêt de l’entreprise de connaître avecprécision les avis « des amis » de son clientet de dresser unprofil détaillé de leurs goûts etpersonnalité, élargissant ainsi sa cible poten-tielle. La prise de décision en tant que telle estgénéralement très rapide et ne dure quequelques secondes. Elle est alors biensouvent publiée tel un exutoire au traversde messages courts et synthétiques surTwitter (voir la figure 1 : « Premièretrouvaille du jour ! » ; « J’ai fait l’affairedu siècle auMarchéde lamode vintage »), enlien parfois avec Instagram et Facebooklorsqu’une photographie vient sacraliserl’achat.
4. Post-achat
L’étape post-achat a trait à l’expérienced’achat (l’utilisation du produit ou duservice) et le degré de satisfaction qu’elleengendre. Sur le plan managérial, cetteétape est importante car c’est ici même quele consommateur va exprimer son degré desatisfaction et son influence sur ses pairs.L’impact du consommateur sur la e-réputa-tion de la marque ou de l’enseigne estparticulièrement significatif, sachant que lesclients satisfaits ont généralement moinstendance à se manifester que les autres.C’est la raison pour laquelle, les retoursd’expérience positifs font souvent l’objet deposts très courts et synthétiques publiés surTwitter (voir dans la figure 1 : « Je me suisacheté une veste d’officier trop belle, je faisdeux trois retouches et je vous la montre#MarcheModeVintage » ; « Après les par-tiels de ce matin, je suis passée au Marchéde la mode vintage, c’était cool, je me suisacheté une robe anglaise rétro »).À l’inverse, les manifestations de mécon-tentement sont plus exhaustives et s’expri-ment bien souvent sur Facebook comptetenu de sa plus grande visibilité et del’absence de limitation de caractères (voirdans la figure 1 : « Je n’ai rien trouvé, les prixdes pièces ayant attiré mon attention étaientlargement trop élevés et souvent un peuinjustifiés… »). Ces posts s’apparentent àdes récits narratifs identitaires permettant auxindividus de relater leur expérience deconsommation. Il s’agit plus précisément dece que Belk (2013) nomme la mémoiredistribuée. Afin de conserver les images etsignifications des biens acquis le plus long-temps possible, les consommateurs de produitsvintage utilisent les réseaux sociaux commeune archive de leur expérience (Belk, 2013).
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Au-delà de l’impact que le consommateurpeut avoir sur la e-réputation de la marqueou de l’enseigne, se pose ici la question desa fidélisation et des bases du recrutemententre pairs. Dans la mesure où il est difficilede convaincre avec un nombre limité decaractères, et tellement plus aisé de faireconfiance à « un ami », les recommanda-tions sont majoritairement publiées surFacebook (voir dans l’encadré : « SarahLaBelette ! Trop bien ! Je viendrai vousvoir ! Pour ceux qui ne connaissent pas c’estla meilleure boutique vintage que j’ai puvoir (et j’en ai vu !) »). La figure 1 proposeen synthèse une illustration imagée desposts préalablement cités en lien avec lesdifférentes phases du parcours d’achat.Cette illustration souligne au concret lesimpacts de l’hyper-connexion sur un mar-ché du vintage que d’aucuns auraienttendance à limiter un peu brutalement, età tort, dans une simple mouvance de « horsconsommation » et de paracommercialismedésuet.
III – DISCUSSION ET CONCLUSION
La présente recherche met en relation unprofil de consommateur et un terraina priori antinomiques : le client connectéet le marché du vintage. Son objet vise àcomprendre l’usage que les consommateursconnectés font des réseaux sociaux au coursde leur parcours d’achat, le but final étant demieux comprendre les codes, pratiques etlogiques marchandes propres à cettecommunauté. Sur le plan managérial,l’étude conduite sur le Marché de la modevintage de Lyon indique que les pratiquesdiffèrent d’un réseau social à l’autre et secomplètent plutôt que de s’opposer, et dontle tableau 1 propose une synthèse :
– Facebook, par son caractère généraliste, ettouchant une large population en bénéficiantd’un effet d’ancienneté, est de loin le réseaule plus largement utilisé tout au long duprocessus d’achat, depuis la recherchejusqu’à l’acquisition du produit vintage. Ilest utilisé dans toutes ses fonctionnalités(publication d’images, de texte, messagerieinstantanée, etc.) par toutes les catégories deconsommateurs vintage identifiées, qu’ils’agisse d’experts, d’amateurs et de débu-tants. Ceci tend à confirmer la pertinence deposition de Balagué et Fayon (2012), quisoulignent combien Facebook peut générerdes usages professionnels performants enjouant sur les quatre i : implication, inter-action, intimité et influence.– Twitter est également utilisé sur un modesérieux et professionnel mais son caractèrefugace et sa capacité d’information limitéele rendent moins populaire que Facebook.Les consommateurs qui le choisissent sontsurtout des experts voulant suivre unetendance, accéder rapidement à une infor-mation ou lancer des sujets et des forumsauprès d’un cercle relationnel restreint,professionnel et compétent. Twitter estprésent durant tout le parcours d’achat,jusqu’au service après-vente, permettantmême de poster une réclamation ou unerecommandation en fonction du niveau desatisfaction.– En revanche, la situation est différentepour Instagram. Comme il permet l’instan-tanéité de l’image et de la vidéo, il estprincipalement choisi dans deux cas : larecherche d’un objet, et la sollicitation del’avis de pairs. Le consommateur, souventune femme, publie une photographie ou unevidéo de l’objet recherché avant son achatéventuel et recueille les avis et conseils deses amis sur cet objet avant l’achat, dans un
Tab
leau
1–Avantages,inconvénientset
modes
d’actio
nrespectifsdesprincipaux
réseauxsociaux
Instag
ram
Présentation
Définitio
nLeréseau
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Leader,populaire,
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Dynam
isme
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Con
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Contenu
Généraliste,communautaire
Sérieux,professionnel
Émotionnel,divertissement,
éphémère
Fon
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(article,photographie,vidéo)
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«Qui
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Points de contact physique et virtuel et construction identitaire 23
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but de réassurance. Instagram complèteainsi le registre cognitif de Facebook parun registre plus affectif, de l’ordre dudivertissement et de la scénarisation del’achat. Le consommateur participe ainsi auretailtainment en théâtralisant son achat, enencourageant ses amis à vivre une expé-rience d’achat similaire dans le même lieu eten créant une connexion émotionnelle quipermet auxdits amis de s’immerger dansl’univers du vintage.
1. Apports théoriques et managériaux
L’un des constats majeurs de la présenterecherche est que les trois réseaux sociauxévoqués sont utilisés pour connecter lemagasin ou le vendeur à l’acheteur, enreliant intimement le physique au numé-rique grâce à la géolocalisation. Ainsi, levendeur connecte tous ses réseaux sociauxet accompagne le client dans ses achats, desa prospection à l’acquisition effective,jusqu’à la phase post-achat permettant unservice après-vente personnalisé. Paradoxa-lement, alors que les consommateurs devintage tentent parfois de résister à la sociétéde grande consommation en achetant desobjets qui ne sont pas neufs, voire en jouantle jeu du recyclage et de la réparation pourrevendiquer un comportement frugal, ilsn’hésitent pas à recourir à des réseauxsociaux de dernière génération, sont hyper-connectés et veulent souvent faire connaîtreleurs acquisitions au plus grand nombre.Sur le plan théorique, un tel paradoxeapparent peut être expliqué à la fois par lathéorie de l’identité sociale (Tajfel etTurner, 1986 ; Licata, 2007), et par le
4. Les 5 changements technologiques affectant le concept de sconstruction de soi, 4) la réincarnation et 5) la mémoire dist
concept de soi (Belk, 2013). Notre recher-che identifie ainsi les cinq modificationsimportantes affectant le concept de soi selonBelk (2013)4. Les objets vintage sontdématérialisés afin de pouvoir les chercher,puis les trouver en ligne. L’information surle marché du vintage est partagée sur lesréseaux sociaux, l’acquisition du bienparticipe à la co-construction du soi, l’objetacquis permet de se réincarner en affichantsur les réseaux sociaux un idéal de soi ou unmoi « aspirationnel », et la mémoire dis-tribuée permet de publier et conserver desimages des biens acquis (sauf pour Twitter,qui est fugace par nature). Qui plus est, ilapparaît nettement que le concept de soi estaffecté par l’appartenance groupale. Cetteidée s’inscrit totalement dans les attendus dela théorie de l’identité sociale (Tajfel etTurner, 1986), qui mettent l’accent sur laconscience d’appartenance à un groupe et lasignification émotionnelle de cette apparte-nance. L’identité du consommateur dépendde son groupe d’appartenance et de ladifférenciation qui existe entre son groupesocial et les autres groupes sociaux (Licata,2007). Le point de contact physique apparaîtici comme le lieu de rassemblement de lacommunauté où l’achat de produit vintagepermet de maintenir une identité socialepositive.Si le marché de la mode vintage de Lyonapparaît comme un lieu de comparaisonsociale entre la communauté vintage et lesautres groupes sociaux, l’espace virtuelqu’il offre permet également l’expressiond’une identité sociale positive. Les consom-mateurs de produits vintage se réunissentautour d’un ensemble de pratiques virtuelles
oi sont : 1) la dématérialisation, 2) le partage, 3) la co-ribuée (Belk, 2013).
Points de contact physique et virtuel et construction identitaire 25
qui suscitent leur appartenance à la commu-nauté vintage. À titre d’exemple, l’usage deshashtags #vintage et #MarchéModeVintageest une façon de montrer son appartenance,tout comme la recherche d’informationsvia des blogs d’experts dans le vintage,reconnus au sein de la communauté.
2. Limites et perspectives
Au terme de ce travail, deux limitesméthodologiques doivent être soulignées.La première limite tient à l’analyse déployéeafin d’approfondir et de mieux cerner lesphénomènes complexes régissant le marchédu vintage. Même si la netnographie estdésormais reconnue comme une méthodepertinente pour étudier des communautésvirtuelles (Benghozi et Bergadaà, 2012),elle présente certaines limites en matière degénéralisation : d’une part, peu d’informa-tions sont disponibles sur les membres de lacommunauté, dissimulés derrière des pseu-donymes ; d’autre part, les données recueil-lies sont propres à un comportement donné,dans un contexte donné, sans préjuger d’uneapplicabilité à tous les comportements(Sayarh, 2013 ; Kozinets, 2015). Il seraitpar conséquent pertinent de compléter lesrésultats obtenus par des études quantitati-ves afin de vérifier les phénomènes observéssur une grande échelle et d’en mesurerl’importance par-delà le cas singulier étudié(celui du Marché de la mode vintage àLyon).La seconde limite relève de la question de lagénéralisation des résultats issus de l’étudenetnographique. Si les résultats mis enévidence semblent contingents au terrainsingulier de la recherche, il est probablequ’ils soient généralisables à la consomma-tion de produits hédoniques comme
l’alimentaire ou les cosmétiques, maiségalement aux produits d’achat impliquantset socialement visibles comme l’automobileou les produits de luxe. Ces produitsapparaissent d’ailleurs comme de véritablesvecteurs identitaires pour les consomma-teurs, ainsi que des recherches antérieuresont pu l’indiquer (Badaoui et al., 2015 ;Kessous et al., 2016). Une perspectiveintéressante serait dès l’instant de répliquerl’étude conduite et d’analyser le parcoursd’achat cross-canal pour les produitshédoniques et les produits d’achat impli-quants, largement mis en exergue sur lesréseaux sociaux compte tenu de leuresthétisme.Des voies de recherche supplémentaires enlien avec les fondements théoriques mobi-lisés dans l’article sont envisageables. Il estpossible d’en identifier au moins deuxprincipales. La première voie de rechercheconcerne les enjeux de la fidélisation. Lesconsommateurs qui souhaitent échapper à laconsommation se placent, paradoxalement,pleinement dans une perspective deconsommation, voire d’hyperconsomma-tion assumée, quand ils utilisent les réseauxsociaux pour communiquer autour de leurexpérience d’achat. Ainsi, il serait inté-ressant d’étudier comment la fidélités’opère : si la fidélité comportementale estdifficilement observable chez ce type deconsommateurs, qui ne rachètent pas lamême marque ou ne fréquentent pas lamême enseigne, une fidélité attitudinalepeut être observée et développée. Plusieursconséquences positives de cette fidélitéattitudinale pourraient faire l’objet derecherches futures : le bouche à oreille, larecommandation, le parrainage, etc.Une seconde voie de recherche concerne lamanière qu’ont les consommateurs de
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produits vintage d’affirmer leur identité ausein de leur endogroupe par rapport auxexogroupes. Une étude comparative desgroupes, de leurs points communs et deleurs oppositions, permettrait de mieuxcomprendre les relations inter et intra-groupes et d’offrir la possibilité à ces lieuxd’échanges marchands spécifiques d’adap-ter leurs communications à chacun desgroupes identifiés. À l’heure où les ensei-gnes tentent de se réinventer face à un
consommateur volatil, connecté à outrance,et particulièrement exigeant, explorer enprofondeur les liens et tensions qui existententre les groupes de consommateur repré-sente sans nul doute un enjeu importantpour lesdites enseignes. Plus que jamais,l’univers de l’hyper-connexion et de lamulti-canalité réclame des investigationsapprofondies pour en saisir toutes lesimplications en termes stratégiques etorganisationnels.
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