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    Peace and Conflict ImpactAssessment (PCIA)

    Madagascar

    Oliver Jtersonke et Moncef Kartasavec Isabelle Dauner, Julie Mandoyan et Christoph Spurk

    Traduction franaise de langlais

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    Peace and Conflict Impact Assessment (PCIA), Madagascar

    Publi par leCentre dtudes sur les Conflits, le Dveloppement et la Paix (CCDP)Institut de Hautes Etudes Internationales et du DveloppementRue de Lausanne 132, Case postale 1361211 Genve 21, SuisseCourriel : [email protected] web : http://www.graduateinstitute.ch/ccdp

    Remerciements : Les auteurs voudraient remercier tous leurs collgues qui ontcollabor sur ce projet ou offert des commentaires et un soutien prcieux notamment

    Victorine Andrianaivo, Lyna Comaty, Klaus Heimer, Keith Krause, Robert Muggah,Thania Paffenholz, Jeannot Ramiaramanana, Jean Claude Ramandimbiarison,Franois Randrianarivo, Lovamalala Randriatavy, Michel Razafiarivony,Marie Jeanne Razanamanana, Sandra Reimann, Dennis Rodgers et Achim Wennmann.Notre gratitude va galement la Dlgation InterCooperation (DIC) Tananarive pourleur assistance logistique, ainsi qu Dorothe Klaus (UNICEF), Bruno Maes (UNICEF),Christophe Legrand (PNUD) et les Ambassades de France et de Norvge pour avoir renducette analyse possible. Pour finir, nos remerciements vont toutes les parties prenantes quiont eu la patience de nous rencontrer et de prendre part des discussions fructueuses.

    Dessaisissement : Les dclarations contenues dans cette publication sont celles des auteurset ne refltent ni les politiques ni les points de vue de lUNICEF.

    Design: Latitudesign

    Droit dauteur : 2010, Centre dtudes sur les Conflits, le Dveloppement et la Paix (CCDP) lInstitut de Hautes Etudes Internationales et du Dveloppement, Genve.

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    Peace and Conflict ImpactAssessment (PCIA)

    Madagascar

    Mandate par lUNICEF pour le Bureau du Coordonnateur Rsident Madagascar

    Avec le soutien des Ambassades de Norvge et de France

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    Table des MatiresRsum Excutif. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

    1. Introduction : objectifs, dfinitions et mthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

    2. La dimension conomique des crises rcurrentes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 7

    3. Pouvoir et autorit Madagascar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 4

    4. Les mdias en tant que quatrime pouvoir du systme politique. . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 4

    5. La gouvernance du secteur de la scurit Madagascar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 3

    6. Les stratgies de dveloppement et les perspectives de paix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 4

    Appendice: les dates cl dans lhistoire de Madagascar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 0

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    Rsum Excutif

    L analyse PCIA sur Madagascar cherche tablir leffet de laide trangre et despolitiques de dveloppement sur les facteurs exacerbant le conflit ou soutenantla paix Madagascar. vitant des dclarations normatives au sujet de la crisepolitique courante, cette tude offre des conseils sur les principaux dfis faisant face auxprogrammes de dveloppement ainsi que les opportunits pour renforcer les structurespromouvant la paix. La recherche se concentre sur la comprhension des effets desstratgies de dveloppement passes, prsentes et futures sur la capacit institutionnelle ;la scurit tatique, socitale et humaine ; les structures et processus politiques etconomiques ; ainsi que sur la (re)construction et la responsabilisation sociale.

    Ce nest pas lobjectif du PCIA de suggrer des manires concrtes pour lamlioration delefficacit de laide Madagascar, ni dapporter des recommandations spcifiques lies laprogrammation oprationnelle. Au lieu de cela, ltude reprend cur le message principalde la Feuille de route 3C et observe comment un manque de cohrence, de coordinationet de complmentarit de la part de la communaut des donateurs internationaux a affectles dynamiques sociales, conomiques et politiques de Madagascar. Le but du PCIA nest pastant de fournir aux diffrentes parties prenantes des solutions, que de les inviter penser etaborder lenvironnement dans lequel ils oprent sous diffrents angles, et de leur fournir dela matire aux rflexions critiques porter sur la conception et la mise en uvre desprogrammes de dveloppement.

    Depuis son indpendance en 1960, Madagascar na pas connu de violence grande chelle,et le PCIA nest pas une valuation dimpact post-conflit. La prsente tude constitue pluttune analyse des tensions rsultant des aspirations au pouvoir des chefs politiques, desaspirations conomiques des entrepreneurs et dune varit dautres intrts poursuivis parune multitude de groupes et dindividus. De telles tensions sont une partie intrinsque de lapolitique, et le dfi pos lEtat et la socit est celui de dvelopper des institutions de tellemanire que les tensions mergeant normalement de la confrontation dintrts contradictoiressoient transformes en nergie positive et productive plutt que de devenir des facteurs dedsordre et de violence. La toile de fond de cette analyse nest pas le conflit ayant dj eu lieu,mais les signes inquitants que labsence dun appareil tatique fonctionnel depuis le dbut dela crise politique actuelle il y a 18 mois ait permis certains acteurs prdateurs de consoliderleur position sur lle. Les ressources naturelles abondantes du pays sont en train dtreexcessivement exploites aux dpens des Malgaches et de lcosystme fragile de lle.

    Le PCIA diffrencie entre les lignes de fractures socitales, les moteurs de conflits et lesamplificateurs de conflits. Ceux-ci ont t distills au moyen dun processus labor derecherche des donnes, de 150 entrevues dinformateurs cls, et dun choix dtudes debase commandites. Le but ntait pas dtablir et de vrifier une hypothse, mais desengager dans un dialogue critique avec des chercheurs indpendants, des responsables dedveloppement, des dcideurs malgaches, des acteurs de la socit civile et la communautdiplomatique. Pour mettre en place ce processus, il a fallu identifier et dconstruire dunil critique les discours communs mis en avant par nos interlocuteurs, sengageant de cefait dans la reformulation squentielle de nos arguments pendant cinq mois. Le PCIA estun processus participatif, et non un outil d'valuation. Lapprentissage commun amorcpar cette tude est autant le produit final que le document actuel.

    Les trois principales lignes de fractures identifies sont la division entre une culture oralede lautorit et les crits de ladministration tatique, la disjonction entre les centres

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    conomiques et la priphrie et la sparation concomitante entre une lite principalementurbaine et des rgions rurales dfavorises. Ces lignes de fractures entretiennent lesconditions pour une haute concentration du pouvoir et de linfluence conomique au niveaucentral, de ce fait affaiblissant paradoxalement la capacit de lEtat et son action sociale enpriphrie. Le cercle vicieux qui en rsulte accentue et aggrave continuellement ces troislignes de fractures.

    Bien que nentretenant pas ncessairement de relations causales avec elles, ces lignesde fractures sont lies une srie de moteurs de conflits, notamment lexclusion socialeet la dresponsabilisation, un manque de capacit au niveau du gouvernement localet ltat disparate du secteur de la scurit. Plus important encore, le manque de structuresdu gouvernement local permet des groupes dlites de demeurer non rprims. Dans lesluttes de pouvoir et dans les luttes pour des avantages conomiques auxquelles se livrent leslites, le mcontentement permanent parmi les exclus et les parties dresponsabilises de

    la socit fournit un rservoir certain de ressources utilisables pour dstabiliser et renverserun gouvernement central. Lincapacit totale des forces de scurit malgaches empcherle crime, assurer la scurit des communauts, et rprimer les meutes et le malaisesocial dune manire professionnelle alimente la dynamique de conflit et la volatilit delautorit gouvernementale.

    Ces moteurs de conflits sont leur tour amplifis par les faiblesses du secteur des mdias,caractriss par leur teneur superficielle, un manque de formation et de protection desjournalistes, et lincapacit dagir en tant quintermdiaire efficace entre les autoritstatiques et llectorat. De plus, la forte polarisation des mdias contribue activement linstrumentalisation par les lites des populations pauvres urbaines et rurales.

    On peut retracer les sources dautorit Madagascar dans la stratification cellulaire de lasocit malgache qui est le plus visiblement exprime dans le concept du ray amandreny,et dans le rle central dune culture orale de communication. Ces deux facteurs permettentdexpliquer un certain nombre dobservations. En premier, ils font la lumire sur lapersonnalisation extrme du pouvoir politique, au lieu de lidentification avec linstitutionquun individu reprsente. En second lieu, ils expliquent labsence de mouvements demasse, mme face un grave appauvrissement : se rvolter contre llite rgnante necorrespond pas la mentalit malgache. Troisimement, ils expliquent la dconnectionentre lapproche technocratique de lancien Prsident Marc Ravalomanana et lacommunaut internationale, et une lite politique et une fonction publique nonaccoutumes aux indicateurs, aux repres, et aux taux de russite.

    Les lignes de fractures entre lurbain et le rural dune part, et le centre et la priphrie

    dautre part, sont le rsultat dun dveloppement historique des structures institutionnelleset conomiques. Plus important encore, les politiques de libralisation et de privatisationdes annes 80 et 90 ont cr les conditions pour un changement dans les structures dellite de Madagascar. Les descendants des familles royales, de par leur hritage ancestral,continuent de constituer une autorit morale dans le sens classique du terme, mais entermes de puissance conomique, les intrts des investisseurs trangers jouent un rledterminant, puisque possdant ou du moins contrlant la grande majorit des avoirs dupays. De plus, les deux vagues de privatisation nont fait que transfrer les monopoles et lesoligopoles du secteur public au secteur priv, et la concurrence de march reste lexceptionplutt que la rgle. Ladministration de lEtat continue ainsi tre un partenaire importantprotgeant les intrts commerciaux ou vinant les concurrents, et dans une perspectivede conflit, le rel problme Madagascar nest pas la corruption quotidienne des officiels et

    des fonctionnaires, mais plutt le grand conflit dintrts entre ladministration tatique,les forces de scurit et les projets de capitaux grande chelle, dont une grande partiesemblerait contribuer laccroissement du secteur informel de Madagascar. Alors que les

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    enjeux conomiques et politiques sont fortement concentrs dans les rgions urbaines,ladministration centrale entre en comptition virtuelle et anticipe avec les structuresadministratives rgionales et communales. Cest pourquoi les efforts tant discuts dedcentralisation nont pas port leurs fruits : au lieu de rduire le contrle de lEtat,la dcentralisation rduirait linfluence des acteurs profitant de la course tenace verslaccaparement des ressources de Madagascar.

    Une des caractristiques les plus flagrantes de Madagascar aujourdhui est le gouffre bantentre 80% de la population qui vit dans une extrme pauvret sans accs aux servicespublics et aux infrastructures de base, et une lite urbaine tirant bnfice de la politiqueconomique du pays oriente vers lexportation. Lingalit qui en rsulte entre le centreet la priphrie, entre la production industrielle et lagriculture de subsistance inefficace,est lune des principales causes conduisant une hausse du taux de criminalit et uneinscurit grimpante. Les forces de scurit ne peuvent leur tour faire face la situation,

    ou sont alors elles-mmes impliques dans les activits illgales. De faon gnrale,la politisation des forces armes, la participation des dirigeants de haut rang dans lactivitconomique, et une administration sans ressources menant la corruption tous lesniveaux ont signifi que les prdateurs conomiques continuent piller lle volont.La population malgache, en revanche, continue mourir de faim. Sans une rforme urgenteet un renforcement de capacit pressant des forces armes et du systme judiciaire,conjointement avec ltablissement dun gouvernement reconnu, les droits souverains deMadagascar continueront tre en danger.

    Bien que beaucoup de donateurs multilatraux et bilatraux aient actuellement cessde financer leurs programmes Madagascar, on ne peut quesprer que suffisammentdimpulsion soit bientt donne pour trouver une fin la prsente crise politique. Lorsque

    le flot des dons reprendra, il est crucial que la communaut internationale ne reprenne pasles affaires comme si de rien ntait, comme ce fut le cas aprs les vnements de 2001-02.A cette priode, Madagascar assista ce qui fut probablement le plus grave pisode deviolence politique depuis son indpendance, et le pays fut au bord de la guerre civile.Les barrages routiers avaient physiquement scind le pays, les militaires taient diviss,et des milliers de fusils dassaut et de grenades avaient t distribus aux rservistes,aux civils et des milices douteuses. Pourtant, une fois que la prsidence de Ravalomananafut reconnue internationalement, la communaut internationale tourna rapidementla page et continua ses programmes de dveloppement comme avant. Peut-tre parce quela violence arme navait pas escalad, les processus daide ne basculrent pas duneapproche de dveloppement vers une approche centre sur la prvention de conflits etla consolidation de la paix, et aucune initiative politique majeure (collections darmes,efforts de rconciliation, etc.) pour adresser concrtement les fractions de cet pisode

    violent ne fut entreprise. Cette erreur ne devrait pas tre rpte. Il faut au contraireadopter une stratgie de dveloppement long terme centre sur des processus dirigspar les principes plutt que sur de la gestion lie des rsultats court terme.Cette stratgie doit la fois confronter les luttes entre lites ayant plusieurs reprisesmen la crise politique ainsi que la haute concentration du pouvoir et du capital Antananarivo. Donner la priorit aux structures locales offre une amorce pour des effortsde dveloppement cohrents qui seront vraiment bnfiques au peuple de Madagascar.

    Genve, Octobre 2010

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    1. Introduction : objectifs,dfinitions et mthodes

    Peace and Conflict Impact Assessement(PCIA) est fonde sur lobservation que les projets dedveloppement, de par la force de leur seule existence, ne gnrent, ni ne renforcent lesconditions pour la paix. Sans le degr ncessaire de contextualisation, les interventions dedveloppement peuvent tre en contradiction avec les systmes de valeur traditionnelset les structures dautorit, accrotre les enjeux de la comptition conomique, voirepolitique, et aggraver, plutt que de rduire, les tensions sociales. Cest le but du PCIAdlaborer une analyse long terme de lenvironnement gnral dans lequel les interventions

    de dveloppement ont eu lieu, avec une emphase particulire sur la manire dont lesinitiatives de dveloppement ont affect le contexte global, et comment, leur tour, de tellesinitiatives ont rpondu avec le temps lenvironnement quelles ont aid dvelopper.

    Comme indiqu juste titre, le terme PCIA couvre aujourdhui un large ventaildapproches diffrentes, qui ne sont pas toutes fondes sur le concept dorigine provenantdu contexte du gnocide rwandais.1 Nanmoins, il y a une certaine continuit en termes dubut de lanalyse, et comment elle se diffrencie dautres formes danalyse. Pour commencer,il est donc utile de dfinir brivement les termes en jeu.

    La paix est plus que seulement labsence de guerre, de conflit, et de violence arme.En effet, il est appropri ici de se rfrer au chercheur sur la paix Johan Galtung et

    son concept de paix positive , impliquant la justice sociale par lgalit des chances,une distribution quitable du pouvoir et des ressources matrielles, et une protection galepar et face lautorit de la loi. La paix, dans le contexte du PCIA, signifie la paix longterme. Cela implique de crer les conditions dans lesquelles les individus dans la socitpeuvent tirer bnfice de lordre public, de la stabilit politique, et des opportunitsconomiques. Consolidation de la paix se rapporte ainsi tous les efforts dveloppspour stimuler une paix durable par ltablissement dinstitutions favorisant et permettantla rsolution non-violente des tensions et des conflits.

    Contrairement ce que beaucoup de nos

    interlocuteurs croyaient au dpart, le PCIAnest pas une analyse dimpact post-confl it.

    Le conflit, alternativement, nest pas simplement le contraire de la paix, et cest plusque juste la guerre et la violence organise. Si ctait le cas, mettre en applicationun PCIA Madagascar aurait peu de sens vu que le pays na jamais t impliqu dansune confrontation entre Etats, ni connu de guerre civile depuis son indpendance.

    1 Thania Paffenholz , Third-generation PCIA: Introducing theAid for Peace Approach , Berghof Research Center

    for Constructive Conflict Management, 2005, p. 3.

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    Plutt, un PCIA est une analyse des tensions rsultant des aspirations de pouvoir des chefspolitiques, des aspirations conomiques des entrepreneurs, et dune varit dautres intrtspoursuivis par une multitude de groupes et dindividus. De telles tensions sont une partieintrinsque de la politique qui consiste, aprs tout, rsoudre des problmes dactioncollective. Les gens ont besoin de co-exister, et le dfi pos lEtat et la socit est celuide dvelopper des institutions de telle manire que les tensions mergeant naturellementde la confrontation dintrts contradictoires soient transformes en nergie positive etproductive plutt que de devenir des facteurs de dsordre et de violence.

    Le terme impact, comme utilis dans ce PCIA, se rapporte des changements plusgnraux, potentiellement long terme et causs, directement ou indirectement,intentionnellement ou involontairement, par une intervention de dveloppement.Il est ainsi important de diffrencier impact et rsultat , le dernier se rfrant seulementaux changements quun projet de dveloppement a initis dans son environnement

    immdiat.2 En effet, cette analyse PCIA, telle que mandate par lUNICEF pour le Bureaudu Coordonnateur Rsident des Nations Unies Madagascar, nest pas une valuation deprojet spcifique, mais une tude sur les rpercussions globales de lengagement longterme de la communaut internationale vis--vis sa volont promouvoir le dveloppementconomique, politique et social de Madagascar. Comme prcis plus haut, parler dimpactna de sens que pour des politiques de dveloppement ou des programmes dinterventionsau niveau macro, telles quun programme national de rduction de la pauvret (PRSP).3

    Reli au point prcdent, un PCIA est une analyse, et non une valuation. Le PCIAnest pas concern par des log frames et des outcome mappings conus pour contrleret valuer les rsultats noncs, les rendements et les objectifs comme dfini dans laproposition dun projet de dveloppement particulier. Un projet peut trs bien chouer

    selon des critres de dveloppement prdtermins et rigoureusement dfinis, etnanmoins russir en termes dimpact positif sur lenvironnement global. En revanche,un projet peut galement recevoir 100% de points en termes de ralisation de rsultats,de rendements et dobjectifs cits, mais simultanment savrer tre un dsastre completpour le contexte global et contribuer une exacerbation des tensions sociales, plutt qula consolidation de la paix en gnral.

    Ceci nous amne finalement dfinir ce que nous voulons dire par dveloppementdans le contexte de ce PCIA. Nous emploierons le terme de manire plutt libre afindenglober tous les projets et programmes financs par et/ou mis en uvre par desagents trangers, que ce soit des organismes et des agences multilatraux, des donateursbilatraux, des O.N.G internationales, ou des investisseurs du secteur priv (la constructionde routes ou la vaccination gratuite des enfants par une compagnie minire multinationale,

    par exemple, peut tre considre comme un projet de dveloppement). moins dedcrire les caractristiques dune intervention particulire, nous emploierons galementdes expressions telles que laide trangre , l assistance au dveloppement et l aideau dveloppement au cours de nos discussions. Dans des situations particulires,nous pourrons galement incorporer laide humanitaire (par exemple pour les famines,les tsunamis ou les cyclones) dans ltendue de notre analyse.

    2

    Ibid., p. 11.3 Thania Paffenholz et Luc Reychler,Aid for Peace: A Guide to Planning and Evaluation for Conflict Zones

    (Baden-Baden: Nomos, 2007), p. 112.

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    Efficacit de laide et lapproche 3C

    Comme soulign dans la dclaration de Paris de lOCDE-CAD et par une srie dinitiativespolitiques rcentes, lefficacit de laide est tout aussi importante voire encore plus que la quantit relle dassistance distribue. Les tudes ont prouv que limpact positif debeaucoup dassistance tait bien infrieur celui prvu lorigine, soit parce que beaucoupde ressources ont t utilises par le systme de distribution daide lui-mme, ou parceque le manque dune stratgie globale de dveloppement cohrente a men lexcutionsimultane de projets pouvant tre contradictoires. En consquence, les effets positifsdu dveloppement peuvent tre srieusement rduits, et peuvent mme, dans certainscas, aggraver la situation et renforcer les moteurs de conflit et les mcanismes dedclenchement de la violence. Il a t ainsi correctement argument quen raison deprmisses sous-jacentes rarement explicites lors dinterventions de dveloppement(concernant des valuations internes de possibles influences et effets positifs et ngatifs),

    des projets hypothtiquement utiles sont souvent choisis (parce quils ont t appliqus avec succs ailleurs). Cependant, dans le contexte actuel, ces projets desserventseulement les intrts particuliers du donateur ou de lagence responsable de la mise enoeuvre plutt quune stratgie de dveloppement global.4 Cest prcisment avec cettetoile de fond que le PCIA cherche situer son analyse.

    Une initiative rcente du gouvernement fdral suisse, labore en collaboration avec laBanque mondiale, lOCDE, les Nations Unies et lOTAN, servira aussi de rfrence utile pourcette tude. En mars 2009, lors dune confrence de haut niveau Genve, les participantsont approuv une Feuille de Route 3C qui cherche se focaliser sur la ncessit duneapproche cohrente, coordonne et complmentaire dans les Etats fragiles.5 Le messageimportant de linitiative 3C est que laide trangre exige une plus grande cohrence dans

    la programmation de ses interventions et un langage commun parmi les diverses entitstravaillant au dveloppement des diffrentes politiques. Il faut galement une coordinationaccrue entre les donateurs bilatraux ainsi quavec les acteurs locaux -- des autoritstatiques centrales et locales que la socit civile ou le secteur priv. Dailleurs, chacundes donateurs et des agences chargs de la mise en uvre des interventions doit misersur ses avantages comparatifs afin dviter la duplication et loprationnalisation simultanede projets qui pourraient se neutraliser ou savrer prjudiciable la situation globale.

    Le PCIA naura aucun effet sil ne remet en question

    et change notre faon de travailler.

    Kenneth Bush, 2003

    Le dbat actuel sur lefficacit de laide, illustre par linitiative 3C, prpare le terrain pource PCIA. Il prsente le contexte actuel au niveau global dans lequel se dveloppe cette

    4 Voir la discussion par Angelika Spelken, Kurzeinfhrung: Peace and Conflict Impact Assessment.

    Thematische Einfhrung zu einem Workshop , Gruppe-Friedensentwicklung (FriEnt), 2006.5 Pour un aperu de lapproche 3C, voir http://www.3c-conference2009.ch/ et le rapport de la confrence

    produit par le Centre dtudes sur les conflits, le dveloppement et la paix (CCDP).

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    analyse, et agit en tant que guide en spcifiant le type de questions et de dfis que ltudedevrait soulever afin dtre utile aux parties prenantes oprant Madagascar. Il faudraitpourtant souligner que ce nest pas le but de ce PCIA de donner des recommandationssur la faon dont laide Madagascar pourrait tre rendue plus efficace. Cette tudeessayera plutt de provoquer ses lecteurs penser et aborder lenvironnement dans lequelils oprent sous diffrents angles, et de leur fournir de la matire aux rflexions cruciales porter sur la conception et la mise en uvre des programmes de dveloppement.

    Cadre conceptuel

    La recherche entreprise dans le contexte de ce PCIA visait tablir les rpercussions delaide trangre et des politiques de dveloppement sur les facteurs menant au conflit ou

    renforant la paix Madagascar. vitant des dclarations normatives au sujet de la crisepolitique actuelle, ltude propose des lignes directrices vis--vis des dfis principauxauxquels font face les programmes de dveloppement et explore les opportunits quipeuvent renforcer les structures contribuant amliorer la paix. La recherche a ainsi adoptun cadre historique plus large dans lequel la prsente crise sert principalement dindicateurde certaines dimensions plus profondes et plus structurelles des conflits. Cest pourquoi,le cadre fut sujet une adaptation et une amlioration continues tout au long de lapriode principale de recherches (fvrier mai 2010) au moyen de collaboration avecdes chercheurs locaux, de discussions avec le personnel international sur le terrain,et de plus de 150 entrevues avec les parties prenantes cls.6

    Cette tude est guide par lobservation exprime par Kenneth Bush, la personne lorigine

    du PCIA, que le dveloppement est invitablement conflictuel, dstabilisant et subversifparce quil dfie les structures politiques, conomiques, et de pouvoir social existantes quiempchent les individus et les groupes datteindre leur plein potentiel .7 Notre recherchesest ainsi concentre sur la comprhension des effets des stratgies de dveloppementpasses, prsentes et possiblement futures sur la capacit institutionnelle; la scurittatique, sociale et humaine; les structures et les processus politiques et conomiques; et la(re)construction sociale et la responsabilisation. Un certain nombre dtudes contextuellesont t commissionnes une douzaine dexperts et universitaires internationaux etnationaux, dont beaucoup souhaitent rester anonymes. Ces tudes ont t accompagnesdune intense recherche de donnes et de six semaines dentrevues avec des informateurscls Antananarivo et dans diffrentes rgions du pays, aussi bien urbaines que rurales.

    Ce PCIA est ainsi plus quune simple analyse contextuelle. Elle prend ce qui a t appel

    une perspective transcendante de projet (project transcending perspective), impliquant undialogue critique entre chercheurs indpendants, acteurs et dcideurs des politiques de

    6 Sans aller dans des dtails acadmiques ici, la recherche entreprise appliqua ce qui est gnralement appel

    grounded theory , ou la reformulation squentielle des tentatives darguments. Contrairement aux approches

    positivistes communes, nous navons pas utilis de thorie existante pour dvelopper une hypothse qui tait

    ensuite teste au moyen danalyse empirique. Nous nous sommes plutt engags dans plusieurs sries dtudes

    de la documentation existante, de la recherche commandite, et des entretiens avec des informateurs cls dans

    une tentative didentifier des rcits communs et de rgulirement peaufiner nos arguments centraux en des

    sries de boucles de feedbacks rvlateurs.7 Kenneth Bush, Hands-on PCIA: A Handbook for Peace and Conflict Impact Assessment (PCIA),

    authors version, published under the auspices of the Federation of Canadian Municipalities , 2003, p. 4.

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    dveloppement.8 Au travers de 150 entrevues dtailles, nous avons essay dinciterlinterlocuteur raconter son exprience dune intervention spcifique de dveloppementou de la stratgie globale de dveloppement dans le cadre socital et politique gnralmalgache. Des entrevues ont t galement tenues dans diffrentes villes dEurope oupar tlphone avec des experts et conseillers ayant travaill pour le gouvernement ou desagences de dveloppement Madagascar. Finalement, un certain nombre dentrevues avecdes universitaires, des historiens et des chercheurs malgaches ont aid contre vrifier outrianguler linformation et tester rgulirement nos propres ides.

    Le cadre heuristique appliqu dans cette tude diffrencie entre les lignes de fracturessocitales, les moteurs de conflits, et les amplificateurs de conflits :

    UneW ligne de fracture ( fault line ) est une division socitale empiriquement observeou subjectivement perue sur laquelle les tensions entre individus et groupes sont

    structures et les intrts sont dfinis. Les principales lignes de fractures identifiesdans ce PCIA se divisent entre une culture orale et le mot crit, entre le centre et lapriphrie, et entre les parties urbaines et rurales de lle.UnW moteur de conflit(conflict driver ) est une condition ayant le potentiel pourproduire un malaise social, une oppression ou une confrontation ouverte. La violencersultante peut par la suite tre structure sur des lignes de fractures spcifiques maissans ncessairement avoir un rapport causal avec elles. Les moteurs de conflit distillspar cette tude sont lexploitation sociale et la dresponsabilisation, un manque destructures gouvernementales locales, et un secteur de scurit disparate.UnW amplificateur ( amplifier ) est un facteur qui peut prcipiter le dbut ou lescaladede la violence en intensifiant limpulsion donne par un moteur de conflit. Encoreune fois, il y a habituellement un lien entre un amplificateur et les lignes de fractures

    structurelles dans la socit, mais le rapport na pas besoin dtre causal. Ce PCIA seconcentre sur le secteur faible des mdias comme constituant le principal amplificateurde conflits dans lenvironnement politique actuel.

    Cette diffrentiation permet dviter la catgorisation de paix et conflit en termesabsolus, statiques et apodictiques (voir ci-dessus les dfinitions des deux termes). Au lieude cela, une conceptualisation dynamique situe les facteurs consolidant la paix dans uncadre politique et socital malgache plus large, allant au-del des institutions formelles delEtat. Notre recherche se concentre nanmoins sur la capacit de ces institutions au niveaunational et local. Une manire utile dvaluer cette capacit est de se rfrer aux fonctionsessentielles de lEtat moderne en tant que garant de la scurit, des services sociaux de baseet de la reprsentation pour les individus rsidant sur son territoire.9 De cette perspective,limpact gnral de laide au dveloppement peut tre valu selon si et dans quelle mesure

    une telle assistance produit une augmentation de la scurit (scurit publique et rformedu secteur de la scurit), de la cohsion sociale (prestation de services de base tels queleau propre et la sant, et un secteur priv offrant des opportunits de march comptitif)et de la reprsentation (des lections libres et quitables, un systme judiciaire quifonctionne, un secteur des mdias indpendant, etc.).

    Il est crucial de ne pas amalgamer la capacit ou non dun Etat assurer des services publicsavec une catgorisation binaire dun appareil tatique fort contre faible , mais plutt de

    8 Hans Gsnger et Christoph Feyen, PCIA Methodology: A Development Practitioners Perspective ,

    Berghof Research Center, 2003, p. 72.9 Voir la section spciale du la priodique Security Dialogue, Vol. 36: 4-5 (2005), dit par Oliver Jtersonke

    et Rolf Schwarz.

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    diffrencier entre lefficacit administrative dune part et les lments constitutifsspcifiques du pouvoir et de lautorit du rgime malgache dautre part. En dautres termes,notre cadre heuristique met laccent sur limportance de dlimiter des lignes de fractures,moteurs et amplificateurs de conflits cls qui se nichent dans les dynamiques politiqueset socio-conomiques relles de la politique Madagascar et non en termes de dviancevis--vis des types institutionnels idaux de lEtat moderne. Conceptuellement, nousnous focalisons ainsi sur les quivalents fonctionnels des services tatiques essentiels,possiblement galement fournis par des groupes et forces politiques sociaux et alternatifs(et fragments), qui potentiellement rsistent et dfient les structures gouvernementales.Exprim diffremment, le cadre danalyse affirme que les structures de consolidation de lapaix ne dpendent pas principalement de qui fournit les services requis pour le bien-treindividuel et lordre public, mais de si et comment ces services sont fournis.

    Les organismes multilatraux, les donateurs bilatraux, les O.N.G et les compagnies

    multinationales sont les principaux acteurs externes dont le rle doit tre analys. Il estparticulirement important dtudier tous ces acteurs de manire combine car laide audveloppement a un impact significatif sur la prestation de services publics fonctionnellementquivalents (par exemple, en renforant involontairement les structures et les forces quirsistent ladministration tatique. Se concentrer sur des quivalents fonctionnels rpondainsi aux tudes rcentes de mthode mixte, qui dmontrent que les effets des moteurs deconflits ne sont pas universels, mais dpendent beaucoup du contexte local spcifique.10De cette faon, le PCIA sattaque aux frustrations rcentes rsultant de lobservation queles mmes moteurs de conflit peuvent tre trouvs dans presque tous les conflits civils,mais que leurs effets causaux diffrent de manire significative au cas par cas.

    Lintention du PCIA est de responsabiliser lesindividus et les institutions pour quils comprennent

    mieux leur travail, et plus important encore,

    pour quils dclenchent aussi les changements

    ncessaires afi n damplifi er les impacts positifs et de

    minimiser les impacts ngatifs sur lenvironnement

    de la paix et des confl its.

    Kenneth Bush, 1998

    Si le dveloppement pro-pauvre est en fait une entreprise subversive, comme le suggreKenneth Bush, dfiant les structures contribuant lexclusion sociale et conomique dunegrande partie de la population, nous ne pouvons donc pas le concevoir uniquement entermes dassistance technique. Ainsi, laide au dveloppement est par dfinition uneentreprise fortement politique, et pour beaucoup de gouvernements, recevoir de laidetrangre est un enjeu politique important. Il confre leurs politiques une reconnaissanceet une lgitimit externes, et leur donne au niveau national le capital politique ncessaire

    10 James Fearon et David Laitin, Civil War Narratives , Theory and Research in Comparative Social Analysis

    Working Paper Series, 27, Department of Sociology, UCLA, 2005, http://repositories.cdlib.org/uclasoc/trcsa/27.

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    face llectorat. Nous concevons donc les stratgies et les programmes de dveloppementen tant quactions ayant lieu dans un champ politique et paralllement les acteurs dedveloppement en tant que players politiques.

    Discours communs

    Lorsquon cherche comprendre les moteurs de conflits et dinstabilit, il faut toujoursprendre du recul critique par rapport ce qui est considr comme vident: prsuppositionset hypothses qui sont rarement, si jamais, remises en cause et qui font maintenantpartie de la mentalit de ceux impliqus. Les notions de luttes didentit antagonisteshabituellement fondes sur un certain mythe historique et subsumes sous les notions de haine et de grief sont une manire favorise de percevoir les conflits. Les mentalitsoccidentales, construites autour de lexprience historique des grandes guerres intertatiques,

    ont eu comme consquence une notion plutt troite et binaire de conflit en tant queviolence arme et guerre. De mme, les guerres contemporaines lintrieur des Etats sontconsidres sur la base de lexprience historique des guerres civiles et des rvolutions.Ces guerres ont jou des rles importants dans les processus de construction de lEtat et dela nation, processus qui ont dur plusieurs sicles parfois, et linstrumentalisation politiquede tels conflits a men au type de diffrenciations binaires et trop simplifies qui continuent faire partie de nos rflexes mentaux.

    Sans sengager dans les dbats universitaires courants, ceci reste lune des principalesraisons pour laquelle la comprhension commune que les conflits sont des guerres entredes groupes clairement dfinis, diviss selon des lignes de fractures videntes et visibles.Pendant la Guerre Froide, beaucoup de conflits en Afrique, en Amrique latine et en Asie

    du Sud-Est, chacun ayant une dynamique bien diffrente, furent dpeints comme desextensions de la confrontation des blocs entre lEst et lOuest. Encore une fois, comprendreces conflits uniquement comme une guerre dextension rduit les niveaux et dynamiques deviolence politique et de conflit socital, qui sont nombreux et diffrents. Plusieurs tudessociologiques, anthropologiques et criminologiques rcentes sur la violence politique mettentlaccent sur le fait que les lignes de fractures principales au niveau national interagissentavec les querelles locales, communales, interfamiliales et entre les lites, cet aperu doitencore tre intrioris par les parties concernes en dehors du milieu acadmique.

    Ceci ne veut pas pour autant dire que de tels rcits simplifis au sujet des conflits et des crisespolitiques doivent tre mis de ct. Il est plutt important denregistrer les principaux rcitscaractrisant et caricaturant les luttes politiques dun pays et de les utiliser comme point dedpart pour tre vrifis et soumis une enqute critique. Les rcits sont fallacieux car ils

    propagent une certaine connaissance sur une question, fonctionnant ainsi comme des lunettes travers lesquelles la ralit sociale est perue et les donnes concrtes interprtes.En dautres termes, en appliquant une grille danalyse prconue dun conflit, les rcitscontribuent occlure des moteurs de conflit et des structures alternatifs. videmment,le choix de la dfinition de conflit peut dj compromettre lanalyse, en courant le risquede fournir une comprhension strotype des processus socitaux. Cest une raison de pluspour laquelle une dfinition sociologique globale du terme conflit est utilise dans ce PCIA.

    Dans les paragraphes suivants, nous nous baserons sur des aperus dentrevues et uncertain nombre de documents officiels des organisations internationales pour distiller lesprincipaux rcits et, plus expressment, les strotypes formant la perception dtenuepar la communaut internationale sur les lignes de politique et de conflit Madagascar.

    La remise en question de ces narratives (souvent polmiques) constituera par la suitela base dune analyse plus dtaille de lenvironnement conomique, politique et socitaldans lequel les interventions de dveloppement sont opres.

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    Au cours des premires entrevues avec des reprsentants de la communaut internationale etbeaucoup dexpatris, deux discours sur la politique malgache cristallisrent immdiatementce qui constituait les perceptions dominantes des sources de crise et de conflit dans le pays.En fait, dans toutes les entrevues, la premire matrice dinterprtation applique Madagascardfinissait explicitement les lignes de fractures politiques et socitales comme tant ethniques,les interviews ne manquant souvent pas de mentionner la suppose division de la populationmalgache en divers et nombreux groupes ethniques (18 tant le chiffre communment cit).En effet, le recours spontan cet argument permet de dclarer que les divisions ethniques ettribales sont devenues lexplication la plus populaire des causes dinstabilit Madagascar.

    Il nest pas ncessaire dgratigner longtemps la surface avant quun certain nombredanomalies srieuses apparaissent soulevant des doutes significatifs sur ladquation de cetteinterprtation courante pour commencer, il est plutt difficile dtablir des lignes ethniquesclaires lintrieur du groupe reprsentant les acteurs principaux des crises politiques

    actuelles. Encore une fois, aprs avoir gentiment et quelque peu superficiellement remis encause la validit de lexplication offerte, tous les interviews ont alors rduit la segmentationdun des multiples groupes ethniques la division binaire entre les Merinas comprenant defaon imprcise les deux principaux groupes ethniques de la rgion des hautes terres et duplateau et les Ctiers, regroupant les huit communauts diffrentes dans un mme groupe.

    Comme labor dans le chapitre 3 ci-dessous, ces divisions ont t en fait imposes auxhabitants de la Grande Ile par des trangers. En effet, la catgorisation anthropologique de lleprovient des premiers travaux ethnographiques franais bass sur les ides danthropologievolutionnaire.11 La division binaire entre Merina et Ctiers fut, en raction un nationalismemalgache mergeant, le rsultat dune politique coloniale base sur une simplificationpragmatique du contexte autochtone. videmment, le fait que ces classifications furent

    imposes par lextrieur nexclut pas pour autant leur efficacit ; ce quil souligne est quelles nesont ni naturelles ni profondment enracines dans la conscience culturelle et historique desMalgaches. Comme nous le verrons, la division Merina-Ctiers joue un rle significatif dans lapolitique malgache, mais elle ne correspond pas la matrice des lignes de fractures ethniques.

    Quand nous procdmes alors remettre en cause la validit de la dichotomie des MerinaCtiers comme la source de conflit Madagascar aprs tout, les deux figures centralesdes crises courantes, du Prsident vinc Marc Ravalomanana et du Prsident actuel delautorit de transition (HAT), Andry Rajoelina, sont Merina un changement surprenantdes explications se produisit de la part des personnes interviewes. Il fut alors affirmquon doit se rappeler que Madagascar tait une le isole, culturellement et historiquementspare du reste de lAfrique. Il constitue ainsi un cas exceptionnel, bien trop compliqupour que des trangers puissent valuer et comprendre. En effet, nous tions frquemment

    avertis de ce quun fonctionnaire tranger appelait le complex Malagasy brew .

    En fonction de combien nos interlocuteurs taient renseigns, ce complex brew taitcompos dun certain nombre dlments diffrents. Cependant le dnominateur communde ce rcit tait laffirmation que les crises politiques de Madagascar navaient pas leursorigines dans de larges mouvements populaires. Les soulvements politiques dans le paysne sont pas rvolutionnaires, mais refltent la place une forme de lutte dlites au stylebyzantin ou mme de querelles locales. Une personne interviewe et appartenant lacommunaut diplomatique, aprs avoir soulign que les crises taient fondamentalement

    11

    Sur les lments de base ethnographiques des ides et travaux de Grandidier, Le Bon, Gautier, Lyautey, etGallieni, voir Paul Rabinow,French modern: norms and forms of the social environment(Chicago: University of

    Chicago Press, 1995), chapitre 5.

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    ethniques, sur la base de la division Merina-Ctiers, conclut finalement sur une divisionplutt axe sur les luttes de familles lintrieur des Merina quelle qualifia de jeux depatriciens ou , comme un autre interlocuteur exprima avec loquence, un jeu dethtre dombres .12 En adoptant cette perspective, les raisons de ces luttes sontimpntrables pour ltranger et encore plus pour ltranger de passage. Intervenir Madagascar ncessite en fin de compte un ttonnement dans lobscurit parmi toutes sortesde rivalits internes axes sur la fiert, le respect, la proprit, le mariage, et la vanit. Deplus, ces rivalits sont joues entre un nombre restreint denviron 20 familles dlites quivraisemblablement montrent peu dintrt pour le bien-tre de la population largie.

    Selon ce discours, ce complex brew rend la politique malgache imprvisible et incertaine,et comme exprim par un autre diplomate Antananarivo, les amis et allis daujourdhuipeuvent tre les ennemis de demain et vice-versa. La Banque mondiale observe ainsicorrectement dans un de ses documents dorientation (avec un ton plus prudent,

    naturellement) que la crise actuelle de gouvernance est surtout une crise de llitemalgache.13 Inutile de dire que le rcit de complex brew contredit la notion de divisionethnique. La carte de la division ethnique peut se jouer la campagne ou dans les centresurbains ctiers, mais lide de querelles familiales reflte la structure politique, conomiqueet administrative fortement centralise de Madagascar. Le jeu politique prend ainsi placeexclusivement dans la capitale dAntananarivo, avec la population rurale compltementloigne de celui-ci.

    Un autre discours que nous avons rgulirement rencontr met lemphase sur la naturecyclique des crises politiques Madagascar (1972, 1991, 2001 et 2009). Ce discours combinelide dune roue de lhistoire avec une explication conomique des conflits. Il suggrequavant chaque crise, Madagascar connat une augmentation du PIB, indiquant le dbut

    potentiel de priodes plus prospres. Dpendant de linterlocuteur, un des deux lienscausaux est alors prsent :

    Le premier est prsent principalement par les ressortissants malgaches, qui croientWque la France continue maintenir son treinte sur la Grande Ile. Ils argumententquune augmentation de la croissance conomique est un indicateur de louverture deMadagascar sur dautres pays, et de ce fait laffirmation de son indpendance de sesanciens matres coloniaux.La deuxime explication concernant le lien entre la croissance conomique et le dbutWdes crises politiques offre un regard plus dtaill sur les donnes conomiques et dplorequen dpit de laugmentation de la production, les revenus ne soient pas quitablementdistribus. Ce rcit sappuie ainsi sur le principe du malaise populaire commedclencheur des crises. Largument avance ainsi qu chaque phase de la croissance

    conomique, la fragmentation entre les lites et les pauvres augmente encore plus.

    Comme il sera labor dans le prochain chapitre, les deux rcits sont imparfaits.Ils reprsentent pourtant des lments importants du discours commun, exprims tantpar le public malgache que par les membres de la communaut internationale. Parconsquent, ils forment un lment important pour le type danalyse offert part ce PCIA.

    12 Un autre membre du corps diplomatique parlait de clans de familles et dfinissait les luttes comme

    des guerres de familles , dans lesquelles la solidarit familiale joue un rle majeur.13

    Jacques Morisset, Pour que la terre tourne.aussi Madagascar : Vers un agenda de relance conomique ,Banque mondiale, 7 dcembre 2009, (http://blogs.worldbank.org/africacan/pour-que-la-terre-tourne-aussi-a-

    madagascar-vers-un-agenda-de-relance-economique).

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    Notre utilisation des discours communs est un point de dpart pour une approchesceptique et rflchie afin de comprendre les tensions socitales et les moteurs de conflit Madagascar. La position critique choisie ne constitue en aucun cas une accusation dela vision de la communaut internationale dans sa lecture ou son discours sur Madagascaret son peuple. En fait, nous avons not lors de nos entrevues que beaucoup de malgachescommencent par prsenter des arguments (au moins nous, les chercheurs trangersvazaha ) trs semblables aux discours communs identifis auprs des donateursinternationaux et des agences oprationnelles. Nous avons pourtant galement not,quau fur et mesure que les entrevues progressaient, nos interlocuteurs malgachesont vite apprci notre questionnement critique du discours standard et ont montrun degr tonnant denthousiasme grandissant pour le PCIA et notre approche. En effet,nous avons souvent t confronts la dplaisante situation davoir interrompreles discussions inities, qui le plus souvent duraient plusieurs heures, en raison dunmanque de temps.

    La vision que nous dveloppons dun pays, la manire dont nous questionnons sa situationproblmatique guide la stratgie que nous appliquons dans laide au dveloppement etdans les programmes de promotion de la paix. Les simplifications sont un outil invitable etncessaire pour saisir notre environnement complexe, mais elles devraient tre manipulesavec un degr lev dattention et de prise de conscience.

    Audience

    Ce PCIA est destin une varit daudiences. Il est en premier lieu prvu pour la

    communaut de donateurs internationaux multilatraux et bilatraux engage danslaide au dveloppement Madagascar, aussi bien que pour les responsables de la miseen uvre dune telle aide. Comme Kenneth Bush crit au sujet du PCIA en gnral : Les donateurs internationaux pourraient compter dessus pour guider leur choix de projet,les dcisions de financement et le suivi, tandis que les agences responsables de la mise enuvre ou agences oprationnelles pourraient bien lutiliser dans la conception des projets etpour guider les prises de dcisions oprationnelles .14 Le PCIA sera galement utile ceuxbnficiant de telles interventions de dveloppement, des autorits tatiques ou locales auxacteurs de la socit civile et mme les entreprises prives. Pour citer Kenneth Bush encoreune fois, ces acteurs peuvent utiliser cette valuation, comme un moyen dvaluer lutilit,la pertinence et lefficacit des initiatives de dveloppement finances par lextrieur ,leur permettant ainsi de sengager plus efficacement avec les acteurs officiels dudveloppement dans le processus de la promotion de la paix en fournissant un cadre

    commun pour le dialogue et la coopration .15

    En conclusion, il mrite de souligner encore une fois que le PCIA est un processus participatif,et non un outil dvaluation. Comme Kenneth Bush a lui-mme not, lemphase dans lacommunaut des donateurs semble stre dplace dune perception du PCIA comme unprocessus dapprentissage au contexte spcifique, organique et initi par le Sud ce quilnomme une recherche mcaniste initie par le Nord pour les produits traditionnels(outils, cadres de travail et danalyse, manuels, indicateurs en particulier les indicateurs

    14

    Kenneth Bush, A Measure of Peace: Peace and Conflict Impact Assessment (PCIA) Of DevelopmentProjects in Conflict Zones , Working Paper 1, International Development Research Centre (IDRC), 1998, p. 9.

    15 Ibid.

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    etcetera) .16 La contribution une telle recherche manant du Nord ntait certainementpas notre objectif, de mme que lappel la spcificit du contexte pour obtenir un portraitexhaustif ne pouvait non plus ltre.

    Plutt, ce document prsente une observation isole et synthtique dune partie des messagesgnrs par les centaines de conversations que nous avons tenues dans les mois prcdents.La majorit des parties intresses lisant ce rapport relveront donc que certaines problmatiquesde fond auront t omises ou insuffisamment traites. En effet, bien quune analyse plusexhaustive (historiquement ou thmatiquement) aurait t possible, elle aurait t nanmoinshors de ce mandat court terme. En lieu de cela, nous esprons que le prsent texte continuerade stimuler une rflexion critique parmi les parties intresses tant au niveau nationalquinternational. Dans ce sens, ce document nest galement que le dbut du processus,et peut-tre une contribution modeste au dveloppement long terme de Madagascar.

    Structure

    Les chapitres suivants de ce PCIA sont crits dans lesprit de lapproche thorique baseempirique (grounded theory approach) dcrite ci-dessus. Ils sont organiss thmatiquement,plutt que selon les principaux dispositifs heuristiques de notre cadre conceptuel : lignes defractures, moteurs de conflits et amplificateurs. Le raisonnement pour cette dcision estdouble. Cette structure permet tout dabord loigner le lecteur de la prsuppositionque les facteurs cls identifis sont causalement lis entre eux ou avec le secteur dudveloppement. Au lieu daborder chaque ligne de fracture et moteur de conflit tour derle, nous essayons de prsenter les complexits identifies derrire les discours communs,

    chacune delles pouvant impliquer une rfrence implicite ou explicite aux multiples lignesde fractures et aux conducteurs. En second lieu, lorganisation thmatique est galement plusapproprie parce quelle accentue le processus de reformulation squentielle : par exemple,une analyse des moteurs de conflit est possible sans valuation simultane des lignes defractures apparentes. Structurer les chapitres de faon plus conceptuelle risquerait docclureles complexits de lanalyse prsente et dformer le tissu analytique de notre approche.

    Lanalyse conomique du chapitre 2 se concentrera sur un des trois conducteurs principauxde conflit, savoir lexclusion sociale et la dresponsabilisation. En faisant ainsi, elleaccentuera galement une des lignes de fractures socitales identifies, celle entre le centre(conomique) et la priphrie dfavorise. Lanalyse politique du chapitre 3 laborera alorsune autre ligne de fracture: la disparit entre une culture orale dautorit et les crits desinstitutions politiques occidentales . Une analyse des rpercussions de cette disparit

    mnera alors la formulation du deuxime moteur de conflit : le manque de capacit auniveau du gouvernement local qui, son tour, est troitement li la troisime lignede fracture entre urbain et rural. Le chapitre 4 compltera lanalyse politique avec uneanalyse du domaine des mdias, dont les faiblesses constituent lamplificateur principaldes trois moteurs de conflits au centre de cette tude. Le chapitre 5, qui value le secteurde scurit et ltat disparate des forces armes, reprsente le point culminant de notreanalyse des lignes de fractures et des conducteurs. A la fin de ce cinquime chapitre, nousaurons termin le portrait analytique du potentiel pour de possibles violences auxquellesMadagascar est confront aujourdhui. Un sixime chapitre final suivra alors une logiqueet une approche diffrentes en essayant de transposer ce portrait des stratgies dedveloppement du pays rcemment dveloppes par la communaut internationale.

    16 Cit dans Gsngen et Feyen, PCIA Methodology , p. 68.

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    2. La dimension conomiquedes crises rcurrentes

    Pour immdiatement renouer avec la discussion des discours communs du chapitreprcdent, un exemple utile de la manire dont des tentatives bien fondes mais purementconomiques dexpliquer le puzzle Madagascar peut tre trouv dans un documentstratgique de la Banque mondiale datant de 1995 :

    De lindpendance au milieu des annes 80, la politique conomique et

    lenvironnement rglementaire de Madagascar taient caractriss par : (a) despolitiques de taux de change et de commerce fortement restrictives et repliessur elles-mmes, avec une forte tendance contre la production dexportation ;(b) une domination tatique des secteurs de production, avec une rglementationconsidrable du gouvernement, y compris le march intrieur et les contrles desprix, laissant peu de place pour linitiative prive et linvestissement (qui sontdemeurs trs bas dans le PIB) ; (c) un large secteur dentreprises publiquesinefficaces dominant pratiquement tous les secteurs de lconomie, y compris lecommerce et les services ; (d) un systme dimposition inefficace et mal administr ;(e) un systme faible et dmod des lois daffaires ; et (f) un systme financierrprim, domin par quelques institutions financires dtenues par lEtat.17

    Bien qu premire vue plausible, un examen plus approfondi de ce rapport indique un certainnombre de questions fondamentales que les auteurs du rapport semblent avoir ngliges.Pour commencer, aucune diffrentiation nest faite entre la structure conomique de laPremire Rpublique et celle tablie aprs les vnements de 1972. De plus, lhritage colonialde la Premire Rpublique nest pas pris en considration, sinon les auteurs nauraient pusuggrer que lconomie dans lre (pas cite) de la zone franc ait t replie sur elle-mme etdfavorable la production dexportation. En fait, lconomie de traite avait cr une conomiede march base sur lexportation de produits de base et limportation de marchandisestransformes. Et en dpit de lappui du gouvernement pour lindustrie dimportation desubstitution, le gouvernement ne possdait que trs peu dentreprises publiques.

    Dans les sections suivantes, nous essayerons dlaborer plus longuement sur ces points afin

    de plaider quun certain nombre dlments sont occlus du discours commun qui cherche tablir un lien causal entre certaines tendances conomiques et les crises politiquesrcurrentes. Cela vaut la peine de souligner encore une fois que le but nest pas de fournirune histoire de lconomie dtaille de Madagascar post-indpendance, ni de contesterles solides analyses conomiques fournies par les principaux acteurs internationaux,notamment la Banque mondiale. Le but de ce chapitre, dans lesprit global du PCIA,est plutt de complter de telles analyses avec une perspective qui sort de la mentalitmacro-conomique et dessayer de lier les indicateurs conomiques lexclusion socialeet la dresponsabilisation rsultant dune stratgie conomique favorisant une petite lite etle march dexportation au dtriment de la vaste proportion de la population malgache.

    17 Banque mondiale, Madagascar: New Horizons Building a Strategy for Private-Sector, Export-Led Growth:

    A Private Sector Assessment , Report No. 14385.MAG (Mai 1995), p. 1.

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    La Premire Rpublique et lhritage colonial de la mise en valeur

    Lorsque les institutions Bretton Woods furent cres aprs la Deuxime Guerre Mondiale,leur fonction primaire tait de soutenir les efforts de reconstruction de ses Etatsmembres. Pourtant la capacit de la Banque Internationale pour la Reconstruction etle Dveloppement (BIRD) pouvait peine rpondre aux besoins des pays europens.Craignant lexpansion de linfluence sovitique en Europe de lOuest, le gouvernement desEtats-Unis a ainsi dvelopp le Plan Marshall, rendant de ce fait laide la reconstruction deBIRD caduque. Le centre dintrt se dplaa, et avec la plupart des pays africains toujourssous le rgne colonial, les premiers prts de la Banque mondiale spcifiquement conuspour laide au dveloppement visrent principalement lAmrique latine.

    Les annes 20 avaient prcdemment vu la Grande-Bretagne et la France reformuler leurpolitique de dveloppement colonial. En France, ceci prit la forme de la notion plutt no-

    mercantile de mise en valeur , formule par le Ministre franais des Colonies de lpoque,Albert Sarraut.18 Fait intressant, ces premires rflexions sur le dveloppement colonialnont pas considr que la croissance conomique tait la clef du dveloppement. Plutt,la thorie tait quavec lamlioration des conditions sociales et sanitaires des populationsindignes, les capacits de production des colonies augmenteraient et de nouveaux marchspour la consommation des marchandises occidentales soutiendraient les marchs du travail.

    Sous la pression anti-colonialiste des Etats-Unis et avec la nouvelle possibilit de tirer bnficedu financement de la Banque mondiale, la Grande-Bretagne et la France remodelrent denouveau leurs politiques de dveloppement colonial durant les annes 40. En consquence,quelques colonies reurent en effet des prts de la Banque mondiale par lintermdiaire deleurs patrons coloniaux, bien que ce ft plus lexception que la rgle. Madagascar ne figurait pas

    parmi eux, et mme aprs lindpendance en 1960, laide multilatrale ne fut pas disponible.La Premire Rpublique continua appartenir la zone Franc et la plupart de ses exportationstaient toujours destines aux mtropoles. Ce fut seulement dans les annes 70 quune partiede sa dette bilatrale fut finalement restructure par la Banque mondiale.

    La Premire Rpublique de Madagascar fut proclame et Philibert Tsiranana lu Prsident,mais les structures coloniales conomiques demeurrent en grande partie inchanges,tout comme elle continua dpendre de la France. Les structures socitales restrentgalement assez similaires, mme la clbre taxe de capitation fut maintenue, quoiquesous un concept lgal diffrent, et la main-duvre force continua tre une ralit.19

    Une grande partie des facilits productives taient sous possession trangre et lesprincipaux bnficiaires de lorganisation politique et conomique du jeune pays taientdes entreprises franaises. Celles-ci firent bonne utilisation de ces structures de march

    monopolistiques et oligopolistiques pour exporter les ressources naturelles de Madagascaravec lappui des secteurs franais des finances et de lassurance.20

    18 Albert Sarraut,La Mise en valeur des colonies franaises (Paris: Payot, 1923).19 La taxe de capitation fut initialement introduite par le Gouverneur Gnral Gallieni au dix-neuvime sicle comme

    faisant partie de la politique de pacification. Bien que le travail forc pour payer la taxe ft aboli en 1920,

    techniquement la taxe continua obliger la population rurale travailler. Le prlvement de la capitation

    tait combin avec une vritable prsence de lEtat pour assurer le recouvrement de limpt, pour donner

    des instructions sur la production agricole, et pour soutenir la distribution et les services de transport.

    Voir Solofo Randrianja, Socit et luttes anticoloniales Madagascar: de 1896 1946 (Paris: Karthala, 2001), p. 18.20

    Voir Philippe Hugon, Conjoncture et politiques conomiques depuis lindpendance , Annuaire des Pays de lOcanIndien, volume I, 1974 dans Jean Benoist et Centre dtudes de gographie tropicale (Talence, Gironde), La Deuxime

    Rpublique malgache (Aix-en-Provence: CEGET; Presses universitaires dAix-Marseille, 1989), pp. 53-72, 53.

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    Lconomie de traite de Madagascar, caractrise par de vastes plantations franaises et deplus petites entreprises rgionales aux mains des chinois et des Karana (de descendanceindienne), resta intacte jusquen 1966. Il va sans dire que llite malgache dalors pouvait peine tre compare la bourgeoisie industrielle et financire dEurope, ni auxbarons du caf et aux propritaires de grands domaines dAmrique latine. La majoritcrasante au moins 80% de la population vivait de lagriculture de subsistance et lapche. Un autre 17% tait compos demploys et de travailleurs bas salaire dans lescentres urbains.

    La priode prcoloniale avait favoris lesAndriana (la royaut) et lesHova, un groupede prestige compos de conseillers et de guerriers au service des dirigeants royaux.Cette partialit demeura en grande partie durant toute la colonisation franaise et jusqula Premire Rpublique, avec les opportunits conomiques et lavancement social parlaccs une ducation suprieure demeurant aux mains dun petit groupe de personnes

    provenant de ce cnacle.21 Pour les autres couches sociales, le systme dducation franaisoffrit principalement un choix de carrire dans la fonction publique do lapparitiondune petite bourgeoisie ou classe moyenne drivant sa force politique des institutionstatiques. Les opportunits conomiques pour ce groupe se ralisrent principalement sousforme de rentes plutt que dans la production. Les Karana et les communauts chinoisestaient lautre lite entrepreneuriale, dont le rle en politique et dans la socit demeureinsuffisamment document. Nanmoins, il semblerait que leur influence politique etconomique ft marginale dans les annes suivant lindpendance de Madagascar.

    Comme dj mentionn, les structures conomiques du dveloppement colonialfranais prdominrent pendant la priode de la Premire Rpublique, en particulierd ladhrence du pays la zone Franc. Ces annes furent caractrises par un

    dsquilibre significatif entre linvestissement social et ducatif, et une politiquedinfrastructure au bnfice des compagnies franaises et la promotion du commerce :les infrastructures taient fortement centralises et principalement destines relier lesusines, les plantations, les mines et les ports.22 Linfrastructure communale, avec unavantage immdiat pour la population rurale largie, joua uniquement un rle marginal,soutenant de ce fait une reproduction constante dune conomie de subsistance fortementvulnrable des paysans et la cration de laboureurs agricoles plutt quun secteur agricoleprospre des fermiers. Le gouvernement rompit le dsquilibre en donnant la priorit lindustrialisation de substitution au dtriment de la production agricole, augmentant parconsquent la dpendance du pays sur limportation des biens de consommation de baseet des ressources primaires. Par consquent, non seulement les termes extrieurs ducommerce se dtriorrent, mais les termes intrieurs entre les centres urbains et le monderural furent aussi ngativement affects.

    En dpit des efforts allgus de la France minimiser la dominance dAntananarivopendant la priode coloniale, ladministration hautement centralise et le secteur dducationdans la capitale continurent renforcer la prminence rgionale des hautes terres.En fait, lavantage structurel dAntananarivo tait alors dj crasant, et il surpassait de cefait constamment leffet des investissements dans les rgions ctires. En consquence,

    21 La compagnie pharmaceutique fonde par la famille Ramaroson en est un exemple.22 Comme expliqu par Didier Galibert: lespace insulaire sembote dans le champ de pouvoir dfini par lempire

    colonial franais. Enfin, la bureaucratisation suscite par les nouvelles ncessits administratives et

    conomiques fonctionne comme une pompe aspirante et refoulante partir du centre tananarivien . Galibert,Les gens du pouvoir Madagascar: tat postcolonial, lgitimits et territoire (1956-2002) (Paris, Saint-Denis: Karthala;

    CRESOI Universit de la Runion, 2009), p. 27.

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    aucune des politiques de la Premire Rpublique na pu transformer dcisivement lesstructures conomiques et administratives existantes. Lavantage comptitif des litestrangres et des hautes terres, dj bien tablies, resta en grande partie intact.

    Les larges masses ont continu accepter leur exclusion du pouvoir, les croyances,la foi et les traditions sociales malgaches contribuant cette tolrance des asymtriesdu pouvoir et de linjustice sociale.23 Lindpendance acclra cependant le dveloppementdune classe moyenne instruite qui, en dpit de son importance dans le fonctionnementdune bureaucratie moderne et dune cration dentreprises prives, tait confronte auxinstitutions post-coloniales dmodes.24 Avec la fin du colonialisme, les investissementsdans lducation secondaire augmentrent, et 1961 vit ltablissement de luniversitdAntananarivo, largissant ainsi efficacement les possibilits dune ducation suprieure.La rvolte de 1972, base sur des mouvements dtudiants, tmoigne de lessor dunenouvelle classe moyenne. Nanmoins, alors que les investissements dans lducation

    secondaire craient galement de nouvelles opportunits pour les centres urbains sur lacte, le centre continua progresser en importance comparative.

    Le programme de dveloppement tabli en 1966 combina une politique montaire et fiscaleconservatrice (due la zone Franc) avec un niveau trs bas de dettes et daide extrieure.Cependant, le plan se concentra principalement sur linvestissement dans le secteurindustriel, tandis que les prix demeuraient stables jusquen 1970 avant que linflation negrimpe dramatiquement en 1971-72. Le secteur rural fut encore plus pnalis avec la fixationdes prix un niveau trs bas ainsi quune stagnation des prix du riz depuis lindpendance.Lappauvrissement consquent des rgions rurales fut pris en considration aussi longtempsquun excdent suffisant tait cr pour les villes et pour lexportation, et que lordre taitmaintenu. Une transformation sociale significative du secteur rural neut pas lieu.25

    Les taux de croissance relativement performants et orients vers lexport des annes 60de Madagascar sont quelque peu trompeurs, tant donn que le march intrieur ne sedveloppait que graduellement. Ainsi, alors que la Premire Rpublique tait tmoin duneaugmentation moyenne de 3% du PIB annuel, le revenu par habitant dans les secteursruraux diminua de 30%.26 En somme, la croissance ne profita qu un relativement petitgroupe, les excdents tant transfrs ltranger, et les lites trangres rinvestissant peine leurs gains dans lconomie malgache. La consommation Madagascar demeurabasse et principalement non productive (dans le sens quune structure sociale traditionnellemotivait les politiques dinvestissement : les ans favorisaient les investissementsdmontrant le prestige social et la puissance plutt que ceux encourageant la croissanceconomique),27 et les influx conomiques arrivrent de lextrieur avec plus de 90%du secteur priv dtenu par des trangers. En 1970, le malaise social dans les rgions

    rurales et sur la cte commena grandir. Le nombre dtudiants augmenta fortement,particulirement Antananarivo, et sous linfluence duZeitgeistcritiquede 68, le souci denavoir aucune perspective de carrire en dehors de la promotion dans la fonction publiquefut exprim. Dailleurs, les lites urbaines nationales et la classe moyenne ont t frustrespar la dominance trangre et les avantages relativement maigres accumuls lors de lacroissance conomique des secteurs modernes. Ces lignes de rupture socitales ont fourniles conditions pour le mouvement populaire de mai 1972.

    23 Cette question sera labore dans le Chapitre 3 ci-dessous.24 La rforme de lducation de 1951 mit fin la sgrgation entre les coles indignes et europennes.25

    Voir Philippe Hugon, 1972-1974: Conjoncture et politiques conomiques depuis lindpendance, p. 57.26 Ibid.27 Ibid., p. 60.

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    La deuxime indpendance et la Malgachisation

    Les vnements de 1972 et la nouvelle Rpublique de 1975 qui sensuivit refltent les aspirationspour une deuxime indpendance qui annoncerait la cassure avec la France. On pensait quele dpart des techniciens franais crerait de la place pour une nouvelle gnration dtudiantsmalgaches, et un nouveau modle de dveloppement centr sur la promotion de lagriculture etde lindustrie fut propos. Avec la croissance conomique prvue, les conditions de la populationen gnral et la productivit agricole seraient amliores. Pourtant, la premire crise ptrolirede 1972 diminua svrement ces efforts car lindustrie de substitution aux importations,le principal moteur conomique, fut durement touche par la rcession globale.

    Le gouvernement militaire intrimaire de 1972, dirig par le Gnral Gabriel Ramanantsoa,rechercha galement une indpendance conomique accrue et dcida de quitter la zone Francen 1973, ngociant un trait de coopration la place. Cette dcision eut des consquences

    importantes sur lconomie. Les dficits de la balance des paiements ntaient pas problmatiques lintrieur de la zone Franc et les investissements de capital tranger taient garantis derendements srs. Ce ntait brusquement plus le cas, et la sortie prcipite de la zone Franc futincontestablement mal prpare et pas soigneusement rflchie : le taux de rinvestissement Madagascar tait trs bas, alors que laccumulation dun capital national devenait essentielle afindassurer une croissance durable et moins dpendante de la mtropole . Quitter la zone Francconduisit ainsi un choc conomique important : il y eut une rduction considrable du capitalcommercial et du revenu national provenant des trangers, et lactivit conomique chutadramatiquement. Les taux demploi seffondrrent et les importations diminurent.

    Le deuxime changement important fut labolition complte de la taxe de capitation ,qui non seulement rduisit les revenus de lEtat, mais contribua galement rendre impossible

    le financement de structures bureaucratiques concomitantes. Au lieu de cela, des structurespopulaires pour le dveloppement furent tablies sous la forme desFokonolona mais enlabsence de la puissance coercitive de limpt local, la population rurale nen tira pas beaucoupprofit. Les objectifs principaux duFokonolona, une institution villageoise traditionnelle, taientdaugmenter la production et la valeur du produit agricole par la transformation locale et lacommercialisation. Simultanment, on a pens que leFokonolona prparerait le terrain pour ladcentralisation et la dmocratisation du pays en organisant les communes locales. Mais enralit, la politique ne russit pas amliorer la production agricole ni les conditions de vierurale, mais au contraire affaiblit la proximit du gouvernement.

    En aot 1973, Ramanantsoa proclama un nouveau programme de dveloppement se concentrantsur la nationalisation du capital et des socits dtenues par les Franais. Le plan divisafondamentalement lconomie entre secteur public et priv, mais ce dernier devant suivre les

    conditions fixes par lEtat. Laccent fut mis sur lindustrialisation comme substitution auximportations, avec les secteurs agricoles et miniers agissant comme moteurs principaux.La nationalisation des entreprises dappartenance trangre fut surnomme Malgachisation ,et ctait par dfinition le but de lopration : pas une nationalisation socialiste dans le sensstrict impliquant le transfert du capital la proprit dEtat, mais le remplacement desactionnaires, des directeurs trangers et la haute direction par des quivalents malgaches.

    Augmenter le taux de rinvestissement des bnfices tait galement un objectif.

    Le 17 juin 1975, deux jours aprs que Didier Ratsiraka fut proclam Chef dEtat, la premiregrande vague de nationalisation dbuta avec lappropriation de 51% des parts de grandes etmoyennes entreprises, en particulier dans les secteurs bancaires et de lassurance. Tout endevenant lactionnaire principal, lEtat nintervint pas dans la gestion des entreprises ce

    moment-l bien que lOffice militaire national pour les industries stratgiques (OMNIS) futcr en 1976 dans un effort de donner aux hauts membres de lappareil militaire (mal pays)un morceau du gteau conomique. Ratsiraka et son AREMA (Alliance pour le Renouveau de

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    Madagascar) furent proccups par la campagne des lections lgislatives de 1977,considres comme dcisives dans la consolidation de son pouvoir et pour la prparationdune nouvelle vague de socialisme. Puis, en 1978, lEtat prolongea son contrle sur lesecteur conomique avec la promulgation dune charte dentreprise socialiste . De plus,Ratsiraka plaa tous ses paris sur une immense srie dinvestissements publics dans lessecteurs industriels et agricoles, menant une dette externe norme. La crise ptrolire en1979 et le fait que les prix des produits de base tombrent entre 1979 et 1981 contriburent une pression additionnelle sur un dficit dj croissant de la balance des paiements.

    Contrairement beaucoup dautres pays moins dvelopps, Madagascar russit jusquau milieudes annes 70 garder sa dette externe un niveau plutt bas, environ 4,5% des recettesdexportation. Ratsiraka voulut pourtant donner lconomie malgache une grande impulsionpour produire de la croissance durable, et dnormes investissements furent simultanmentprojets dans les secteurs de lagriculture, du transport et de lindustrie. Et contrairement ce

    quon peut supposer, tant donn les prfrences politiques de Ratsiraka, les Etats communistesntaient pas les seuls associs techniques et financiers de Madagascar ce stade. En effet,lassistance de la sphre dinfluence sovitique est plutt venue sous forme dquipements etdengrais. La France demeura lassoci conomique principal, et la Banque mondiale fournit delaide pour de grands projets sur la production du soja et linfrastructure, particulirement pourla modernisation du systme ferroviaire. Des fonds nord-amricains, arabes et franais furentinvestis dans une station dnergie hydrolectrique Andekaleka, et une compagnie amricainetransnationale construisit une usine dengrais Toamasina avec largent du Canada et delAutriche. Dautres pays tels que le Japon, lEspagne et lAllemagne participrent galement cequi tait en train de devenir le plus grand programme dinvestissements de Madagascar depuislindpendance. En fait, en contraste beaucoup dautres expriences socialistes ailleurs,la majorit des prts provenait de banques occidentales semi prives et prives.28

    Les annes 70 furent le tmoin dune volution stratgique dans la communaut daideinternationale, qui augmenta le volume de circulation de laide en cooprant avec le secteurbancaire priv. En consquence, la France perdit sa position en tant que donateur principalde Madagascar et fut dpasse par laide multilatrale, provenant en premier lieu de laBanque mondiale. Les investissements grande chelle mentionns ci-dessus ont tconduits en coopration avec des donateurs internationaux, qui ont prlev 100 milliardsde francs malgaches pour la priode 1977-79. Le retard consquent entre les dsquilibresfinanciers immdiats et les retours sur linvestissement tait vident et reconnu. En effet,le Plan 1978-80 prsenta une stratgie long terme socialiste visant lanne 2000.Pourtant, dj en 1979, le dficit budgtaire avait atteint 18%. Laide bilatrale etmultilatrale tait peine motive par une politique conomique saine, mais pluttpar des efforts de maintenir des liens troits avec Madagascar vu son importante position

    stratgique dans la Guerre Froide (en vue de sa proximit avec la cte mozambicaine).29

    28 Philippe Hugon, Les orientations conomiques ,Annuaire des Pays de lOcan Indien, Volume V, 1978, dans

    Jean Benoist et Centre dtudes de gographie tropicale (Talence, Gironde),La Deuxime Rpublique malgache

    (Aix-en-Provence: CEGET; Presses universitaires dAix-Marseille, 1989), p. 179.29 La position stratgique de Madagascar dans les annes 70 et 80 rsulte de deux facteurs gostratgiques

    entrecroiss: 1) La longue ligne ctire de Madagascar offrait une position privilgie pour la reconnaissance

    militaire, notamment pour les sous-marins. Des bases sovitiques sur lle auraient constitu une menace

    srieuse pour les forces navales occidentales. 2) Avec la fin du colonialisme portugais en 197476, et la monte

    concomitante des rgimes socialistes, nationalistes au Mozambique et en Angola, la zone tampon anti-

    communiste entre lAfrique centrale et mridionale disparaissait. Les ports du Mozambique taient un pointdaccs important pour la fourniture darmes dans les Etats de Premire Ligne soutenant les mouvements

    nationalistes tels que la SWAPO en Namibie, lANC en Afrique du Sud et les deux factions ZANU au Zimbabwe.

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    De 1979 1980, la dette tripla. En 1982, elle atteignit 51.8% du PIB avec les servicesatteignant 42%. Plus inquitant encore, la production du riz avait stagn de 1975 1982tandis que la population augmentait par 30%. La valeur des importations de riz en 1975reprsentait approximativement 31% de la production commerciale de riz ; en 1982 leniveau avait atteint 83.2%. Dj en 1980, Madagascar ne pouvait pas grer la dettesans lappui du FMI, bas sur des accords de prt et de rchelonnement des dettes,et lutilisation des accords Standby pour appliquer les ajustements structuraux exigs.En 1980-81, lexprience socialiste de Madagascar tait effectivement termine.

    Ajustements structuraux et la premire vague de privatisation

    Madagascar subit son premier Programme dAjustement Structurel (PAS) par le FMI et

    la Banque mondiale en 1981. Le programme consistait en des politiques montaires etbudgtaires restrictives visant abaisser les dficits budgtaires et de la balance despaiements. Les principales mesures taient axes sur le retrait du contrle des prix surles biens agricoles, la dvaluation de la devise locale afin de lapporter plus prs de sa valeur relle et la rduction de lappareil dEtat. En consquence, le prix desmarchandises de premire ncessit grimpa sensiblement et la pression sur la populationrurale, les employs de bas salaire et la classe moyenne augmenta de nouveau. Lesprincipaux bnficiaires des mesures imposes furent les industries orientes vers lexport,mais les exportations ne connurent pas de hausse sensible (voir le graphe ci-dessous).Lespoir gnral tait que la libralisation des prix revigorerait lconomie prive.

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    Exportations de biens (US$ courants, millions)

    Importations de biens (US$ courants, millions)

    Source: INSTAT

    Depuis 1983, les institutions financires internationales (IFI) ont exig la libralisationdes offices de commercialisation des principaux produits agricoles (le riz en 1985, la vanilleen 1995). Il fut soutenu que bien que les circuits de distribution tatiquement contrlsassuraient une certaine stabilit des prix pour les producteurs, ces derniers taientcaractriss par la recherche de rentes, linefficacit et la corruption. Une autre mesure

    incluse dans le PAS consistait en des rductions radicales des dpenses de lEtat, ncessitantde ce fait la ncessit dune diminution des salaires des fonctionnaires et une rduction desservices offerts.

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    De faon gnrale, il savre que le succs du PAS a t assez limit. Le programme dedveloppement pour la priode 1986-90 visait promouvoir une croissance soutenue et une libralisation progressive de lconomie, mais les importations augmentrentplus rapidement que les exportations, accroissant de ce fait le dficit de la balance despaiements. La dette extrieure passa de 180 millions de dollars amricains en 1975 3.4 milliards de dollars en 1989.30

    Le PAS a requis de nouvelles mesures en 1986, lanant la premire vague de privatisationdes entreprises publiques, un processus qui fut ensuite brusquement arrt en 1993avec larrive de la Troisime Rpublique. En 1986, seulement 10% du volumedinvestissements de lconomie provenait de particuliers ou dentits prives, alors quilexistait autour de 300 entreprises entirement publiques ou participation mixte publiqueprive. Peu dinformations existent sur ce processus de privatisation. Il ntait pastransparent, contrl par le Comit de privatisation sous le Ministre responsable de la

    privatisation, et la valeur de ces entreprises ne semble avoir jamais t correctement tablieavant quelles naient t vendues. En tout, 93 socits subirent une privatisation totale oupartielle entre 1986 et 1993, pour un montant total de 150 milliards de francs malgaches.

    Cette priode de privatisation est indiscutablement lun des pisodes les plus importantsdans lhistoire rcente de Madagascar. Elle est pourtant galement celle qui a reu le moinsdattention. Par exemple le document de stratgie de la Banque mondiale en 95, cit audbut de ce chapitre, ne mentionne la privatisation quen passant, dclarant :

    Un important programme de privatisation a t lanc, comportant des dessaisissementsaussi bien que des liquidations dentreprises publiques, bien que limplmentation

    se soit avre lente, incomplte et manquant de transparence ; un programme derestructuration du secteur financier a t entrepris, y compris la libralisation des tauxdintrt (aux niveaux dtermins par le march), le renforcement de la surveillanceattentive des banques, la restructuration (et privatisation) de deux banques dEtat,et le permis doprer de deux nouvelles banques prives.31

    Pourtant la premire vague de privatisation tait bien plus quune simple questiontechnique. Ctait une affaire fortement politique, une qui aurait un impact durable surles structures socitales de Madagascar. En effet, une tude connue de la Banque mondialesur la privatisation en Afrique note correctement:

    Dans beaucoup de cas, le processus a t motiv par ncessit conomique et a favoris leschangements politiques se produisant travers lAfrique. Bien que la rduction des dficitsfiscaux soit gnralement cite comme objectif principal, le choix des entreprises pour laprivatisation indique que les motivations primaires pour la privatisation aient t le besoindaide financire de la Banque mondiale, du Fonds Montaire International (FMI), et desdonateurs ainsi que la ncessit de produire des recettes et de dsinvestir quelquesentreprises dEtat en situation difficile tout en minimisant les retombes politiques.32

    30 Serge Zafimahova, Privatisation Madagascar: Jeux et enjeux ,LExpress, 20 aot 2004

    (http://www.malagasy.org/article.php3?id_article=1545).31

    Banque mondiale, Madagascar: New Horizons , p. 1.32 Oliver Campbell White et Anita Bhatia,Privatization in Africa (Banque mondiale, 1998), p. 1 (assignation de

    litalique au texte original).

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