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I I I KERSHAW (Greet) - Mau Mau from Below. - Oxford-Nairobi-Athens, James Currey-East African Publishing House-Ohio University Press, 1997, 354 p. Les spĂ©cialistes du mouvement mau mau (Kenya, 1952-1956) ont attendu ce livre pendant plus de 30 ans. On savait en effet que Greet Kershaw avait eu l’occasion - privilĂšge abso- lument unique - d’effectuer, en 1956-1957, alors que la rĂ©volte mau mau Ă©tait encore active, une longue Ă©tude de terrain parmi deux commu- nautĂ©s lukuyu dans le district de IGambu. On savait Ă©galement qu’elle s’était de nouveau rendue sur place en 1962 pour complĂ©ter son enquĂȘte et qu’elle dĂ©tenait ainsi des donnĂ©es dĂ©tail- lĂ©es et chiffrĂ©es concernant des centai- nes d’informateurs. Cependant, la publication de l’ensemble de son travail se faisait attendre parce que certaines de ses informations Ă©taient tellement sensi- bles qu’une publication trop prĂ©cipitĂ©e pouvait mettre en danger quelques-uns de ses informateurs. Aujourd:hui, le dĂ©lai de (e prescrip- tion I) Ă©rant rĂ©volu, nous pouvons enfin nous rendre compte de ce qu’une Ă©tude anthropologique faite (e Ă  chaud I) peut apporter Ă  la comprĂ©hension d’un mou- vement contestataire armĂ©. On peut d’abord constater que l’apport de Greet Kershaw est fondamental. DĂ©sormais, on ne pourra plus Ă©crire sur le mouve- ment mau mau sans se rĂ©fĂ©rer Ă  son tra- vail. On s’était dĂ©jĂ  rendu compte, plus ou moins confusĂ©ment, qu’il n’y a pas eu un seul mouvement mau mau, mais plusieurs. On soupçonnait Ă©galement que la dimension inteme, le caractĂšre de guerre civile qui s’appuyait sur certains conflits fonciers prenant leur origine au XM’ siĂšcle, Ă©tait essentielle pour com- prendre le mouvement, ou les mouve- ment mau mau. GrĂące Ă  ses donnĂ©es chiffrĂ©es, Greet Kershaw nous le dĂ©montre de façon presque mathĂ©mati- que. Les traditions orales rĂ©coltĂ©es sur le terrain lui permettent en effet de remonter jusqu’à environ 1835 pour sui- vre l’évolution de la situation fonciĂšre dans les deux communautĂ©s Ă©tudiĂ©es et de dĂ©celer l’opposition entre paysans (e aisĂ©s n, cultivateurs de subsistance et (( mĂ©tayers )) sans terre (uhoi), opposition rendue plus aiguĂ« par les (( vols D de terre du dĂ©but du xrsiĂšcle au profit de colons europĂ©ens. Notons au passage la profondeur historique absolument uni- que de l’enquĂȘte. De mĂȘme, Greet Kershaw nous montre que l’adhĂ©sion au mouvement mau mau, qui se faisait en prĂȘtant serment, n’avait pas le mĂȘme sens selon la date de la cĂ©rĂ©monie et le lieu ou elle s’effectuait. Tous ces ser- ments ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©s par l’adminis- tration coloniale comme des actes sub- versifs et agressifs, alors qu’une bonne partie d’entre eux ne I’étaient pas, ou moins qu’on ne le pensait Ă  l’époque. Tout cela est essentiel pour com- prendre le mouvement mau mau, et on voit ici l’importance des Ă©tudes du genre cc politique par le bas)) telles que les appelaient de leurs vƓux les fondateurs de Politique aficaine. Pour une fois, nous 157

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I I

KERSHAW (Greet) - Mau Mau from Below. - Oxford-Nairobi-Athens, James Currey-East African Publishing House-Ohio University Press, 1997, 354 p.

Les spĂ©cialistes du mouvement mau mau (Kenya, 1952-1956) ont attendu ce livre pendant plus de 30 ans. On savait en effet que Greet Kershaw avait eu l’occasion - privilĂšge abso- lument unique - d’effectuer, en 1956-1957, alors que la rĂ©volte mau mau Ă©tait encore active, une longue Ă©tude de terrain parmi deux commu- nautĂ©s lukuyu dans le district de IGambu. On savait Ă©galement qu’elle s’était de nouveau rendue sur place en 1962 pour complĂ©ter son enquĂȘte et qu’elle dĂ©tenait ainsi des donnĂ©es dĂ©tail- lĂ©es et chiffrĂ©es concernant des centai- nes d’informateurs. Cependant, la publication de l’ensemble de son travail se faisait attendre parce que certaines de ses informations Ă©taient tellement sensi- bles qu’une publication trop prĂ©cipitĂ©e pouvait mettre en danger quelques-uns de ses informateurs.

Aujourd:hui, le dĂ©lai de (e prescrip- tion I) Ă©rant rĂ©volu, nous pouvons enfin nous rendre compte de ce qu’une Ă©tude anthropologique faite (e Ă  chaud I) peut apporter Ă  la comprĂ©hension d’un mou- vement contestataire armĂ©. On peut d’abord constater que l’apport de Greet Kershaw est fondamental. DĂ©sormais, on ne pourra plus Ă©crire sur le mouve- ment mau mau sans se rĂ©fĂ©rer Ă  son tra- vail. On s’était dĂ©jĂ  rendu compte, plus

ou moins confusĂ©ment, qu’il n’y a pas eu un seul mouvement mau mau, mais plusieurs. On soupçonnait Ă©galement que la dimension inteme, le caractĂšre de guerre civile qui s’appuyait sur certains conflits fonciers prenant leur origine au XM’ siĂšcle, Ă©tait essentielle pour com- prendre le mouvement, ou les mouve- ment mau mau. GrĂące Ă  ses donnĂ©es chiffrĂ©es, Greet Kershaw nous le dĂ©montre de façon presque mathĂ©mati- que. Les traditions orales rĂ©coltĂ©es sur le terrain lui permettent en effet de remonter jusqu’à environ 1835 pour sui- vre l’évolution de la situation fonciĂšre dans les deux communautĂ©s Ă©tudiĂ©es et de dĂ©celer l’opposition entre paysans (e aisĂ©s n, cultivateurs de subsistance et (( mĂ©tayers )) sans terre (uhoi), opposition rendue plus aiguĂ« par les (( vols D de terre du dĂ©but du xrsiĂšcle au profit de colons europĂ©ens. Notons au passage la profondeur historique absolument uni- que de l’enquĂȘte. De mĂȘme, Greet Kershaw nous montre que l’adhĂ©sion au mouvement mau mau, qui se faisait en prĂȘtant serment, n’avait pas le mĂȘme sens selon la date de la cĂ©rĂ©monie et le lieu ou elle s’effectuait. Tous ces ser- ments ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©s par l’adminis- tration coloniale comme des actes sub- versifs et agressifs, alors qu’une bonne partie d’entre eux ne I’étaient pas, ou moins qu’on ne le pensait Ă  l’époque.

Tout cela est essentiel pour com- prendre le mouvement mau mau, et on voit ici l’importance des Ă©tudes du genre cc politique par le bas)) telles que les appelaient de leurs vƓux les fondateurs de Politique aficaine. Pour une fois, nous

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sommes vraiment (( servis D. A cet Ă©gard, l’ouvrage de Greet ICershaw est exem- plaire pour d’autres raisons aussi. D’une part, il s’agit d’une Ă©tude ((transpa- rente )) abondant d‘informations sur la façon de travailler et d’enquĂȘter de l’auteur, et que l’on pourrait presque refaire pour vĂ©rification, chose assez rare dans le domaine des publications anthropologiques. D’autre part, l’auteur nous montre qu’il est possible de (( sym- pathiser D avec les enquĂȘtĂ©s (sa solidaritĂ© avec les villageois transpire Ă  chaque pape du livre), sans tomber dans les tra- vet9 de la recherche militante. La encore, ce livre a valeur d’exemple.

Ceci dir, il convient aussi de signa- ler les limites de cette Ă©tude. D’une part - pĂ©chĂ© vĂ©niel - le rĂ©cit est parfois dif- ficile Ă  suivre, parce que la matiĂšre trai- tĂ©e est complexe, mais aussi parce que l’auteur a parfois du mal Ă bien structu- rer ses donnĂ©es. C’est notamment le cas des premiers chapitres historiques oÙ l’on doit s’accrocher pour ne pas perdre le fil du raisonnement. D’autre part - et c’est un problĂšme plus fondamental - l’auteur se refuse de sortir du cadre de l’étude par le bas, comme elle l’admet d’ailleurs elle-mĂȘme [p. 7). Elle ne nous parle que de ce qu’elle connaĂźt bien, c’est-Ă -dire du phĂ©nomĂšne mau mau dans les deux communautĂ©s Ă©tudiĂ©es, sans se rĂ©fĂ©rer au contexte plus large, et som livre ne reflĂšte donc que l’expĂ©rience vĂ©cue Ă  ce niveau. Or, cette approche extrĂȘmement locale ne rend pas compte de tous les aspects du mouvement mau mau, et ceci d’autant plus que les deux communautĂ©s Ă©tudiĂ©es, tout en ayant participĂ© (pour certains de ses membres) au mozivement (par le biais du serment), sont restĂ©es en dehors de la rĂ©volte. Aucun de ses informateurs, en effet, n’a fait partie des (( combattants de la forĂȘt )) qui ont luttĂ© pendant quatre ans contre l’armĂ©e coloniale britannique.

Le livre de Greet Kershaw, tout en Ă©tant dĂ©sormais incontournable, ne rend donc pas pour autant obsolĂšte l’ensem- ble de la littĂ©rature existante. Pour com- prendre le phĂ©nomĂšne mau mau, on doit aussi tenir compte de la lutte armĂ©e dans la forĂȘt, dimension d’ailleurs occul- tĂ©e ou nĂ©gligĂ©e par la plupart des publi- cations plus rĂ©centes (Throup, Lons-

dale, Furedi, et, dans une moindre mesure, Kanogo et Tamarkin). On doit aussi sortir de la perspective extrCme- ment Ă©clatĂ©e du mouvement telle que l’ont vĂ©cu les informateurs de Kershaw. Cette perspective est salutaire, car, comme le souligne John Lonsdale dans sa prĂ©face, une optique trop unitaire, inspirĂ©e par l’administration coloniale, a longtemps prĂ©valu dans la littĂ©rature, mais on ne doit pas aller trop loin dans l’autre sens non plus. A notre avis, il est peut-ĂȘtre temps d’essayer une nouvelle synthĂšse qui tiendrait compte de l’apport essentiel de Greet ICershaw, tout en gardant Ă  l’esprit que le mouve- ment mau mau, Ă  d’autres niveaux (celui de Nairobi notamment), Ă©tait quand mĂȘme moins Ă©clatĂ© que ne le sug- gĂšre une monographie villageoise. On demande des volontaires. [Robert Buijtenhuijs]

(Collectifj -Terrain no 28, miroirs du colonialisme. - Paris, ministĂšre de la Culture, 1997, 174p.

A l’heure oÙ les anthropologues, historiens, politologues redĂ©couvrent l’intĂ©rĂȘt de travaux aficanistes ou orien- talistes produits par certains coloniaux (M. Delafosse, R. Montagne...), on ne peut que saluer ce numĂ©ro spĂ©cial que Terrain consacre aux rapports entre anthropologie et colonialisme. On ne peut que souligner Ă©galement la volontĂ© clairement exprimĂ©e par les contribu- teurs de ce numĂ©ro de dĂ©passer la littĂ©- rature (( culpabilisante et auto- flagĂ©latrice )) (J.C. Muller, p. 60) qui prĂ©sente la colonisation des Blancs comme un mal absolu et un processus Ă  sens unique dans lequel les colonisĂ©s n’auraient fait que subir la domination coloniale, en spectateurs infortunĂ©s d‘un destin qu’.ils ne pouvaient inflĂ©chir. Comme le rappelle en introduction, G. Lenclud, l’europĂ©ocentrisme a mal- heureusement survĂ©cu Ă  la dĂ©colonisa- tion et, sur fond de mauvaise conscience, a souvent biaisĂ© l’interprĂ©- tation d’un passĂ© que l’on dĂ©sirait rĂ©pu- dier. C’est Ă  rompre avec cette tradition

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que vise ce numĂ©ro spĂ©cial de Terrain : il s’agit de prĂ©senter un portrait de nous- mĂȘmes, EuropĂ©ens, Ă  travers cet Ă©pisode encore proche, voire inachevĂ© de notre histoire, que fut la colonisation, en fai- sant notamment appel au regard que les colonisĂ©s ont portĂ© sur les colonisateurs, seule maniĂšre peut-ĂȘtre de (( dĂ©coloniser le nĂŽtre propre )) (G. Lenclud, p. 6 ) 6 . . et premier pas sans doute vers une rĂ©habi- litation des peuples dominĂ©s comme acteurs de leur propre histoire ...

Les contributions de ce numĂ©ro Ă©tant particuliĂšrement riches et diverses, nous n’en retiendrons que quel- ques-unes susceptibles d’intĂ©resser plus spĂ©cifiquement les politologues. Avec les articles de B. de l’Estoile ((1 Au nom des vrais Afiicains 8 ) et P. Centlivres (((Julius Lips et la riposte du sauvage o), nous avons deux exemples opposĂ©s de rapport entre colonialisme et anthropo- logie, plus largement entre savoir et pou- voir. Le premier insiste sur la façon dont les anthropologues fonctionnalistes anglais ont, dans les annĂ©es 1930, appuyĂ© la politique lugardienne d’Indi- rect Rule, c’est-Ă -dire de gouvernement Ă  travers les chefs indigĂšnes : en caution- nant l’idĂ©e selon laquelle 1’AfĂŹique authentique ne pouvait ĂȘtre que l’Afri- que traditionnelle, leur analyse a large- ment confortĂ© un systĂšme dans lequel les chefs traditionnels Ă©taient considĂ©rĂ©s comme les seuls reprĂ©sentants sociaux et politiques des sociĂ©tĂ©s indigĂšnes, les seuls interlocuteurs valables et lĂ©gitimes de l’administration coloniale. Elle devait renforcer par lĂ  mĂȘme les critiques des Ă©lites Ă©duquĂ©es, ou plutĂŽt selon la ter- minologie fonctionnaliste, (( dĂ©raci- nĂ©es o, vis-Ă -vis d’un systĂšme qu’elles considĂ©raient alors comme une tentative dĂ©libĂ©rĂ©e de la part de la nation coloni- satrice de les Ă©carter des processus dĂ©cisionnels et de bloquer un dĂ©velop- pement politique et social qui dĂ©bou- cherait inĂ©vitablement sur l’autonomie, voire l’indĂ©pendance politique des colo- nies. L’anthropologie, complice d’une domination par trop endurĂ©e? C’est ainsi que semblent l’avoir conçue bon nombre de ces Africains europĂ©anisĂ©s dont la reprĂ©sentativitĂ© et les revendica- tions politiques n’étaient peut ĂȘtre pas plus lĂ©gitimes que celles des Ă©lites tradi-

tionnelles ... mais dont le regard critique rappelait certainement qu’une Afkique nouvelle Ă©tait en train de naĂźtre. Leur mĂ©fiance Ă  l’égard des anthropologues pouvait ĂȘtre justifiĂ©e, elle Ă©tait d’ailleurs largement rĂ©ciproque. Mais il est Ă  noter que, de par leur analyse, ces derniers ont tout autant servi les intĂ©rĂȘts de certains colonisĂ©s - en l’occurrence les Ă©lites tra- ditionnelles - que ceux du colonisateur.

Du reste, vis-Ă -vis du pouvoir colo- nial, la discipline a souvent entretenu des rapports ambigus. Elle s’est mĂȘme parfois retournĂ©e contre lui, comme le rappelle P. Centlivres Ă  travers l’exem- ple de Julius Lips et son intĂ©rĂȘt pour les arts indigĂšnes dĂ©peignant, caricaturant le colonisateur. I1 est vrai qu’en confĂ©- rant Ă  l’art et au regard indigĂšnes une valeur de plus en plus Ă©gale Ă  l’art et au regard europĂ©ens, ce dernier en venait Ă  saper l’un des fondements de la domi- nation coloniale : l’idĂ©e d’une supĂ©rio- ritĂ© culturelle de l’occident. ReconnaĂź- tre que les peuples colonisĂ©s ont su mettre Ă  nu le roi, c’est reconnaĂźtre Ă©ga- lement qu’ils n’ont pas Ă©tĂ© ces enfants passifs dĂ©peints par le colonisateur ... et les analystes post-coloniaux Du reste c’est ce que confirme l’article de J.C. Muller sur le Cameroun colonial (o Merci Ă  vous les Blancs de nous avoir libĂ©rĂ©s n) : les populations colonisĂ©es n’ont pas fait que subir passivement la domination coloniale ; elles ont su Ă©ga- lement l’utiliser Ă  leurs propres desseins et se la rĂ©approprier dans leurs stratĂ©gies de pouvoirs. C’est ainsi que profitant d‘une politique coloniale fi-ançaise tour- nĂ©e vers le plus ou moins grand respect des institutions traditionnelles, certaines tribus se sont dĂ©barrassĂ©es de leurs anciens maĂźtres peuls, de mĂȘme que cer- tains chefs peuls ont rĂ©ussi inversement Ă  conserver leurs pouvoirs et leurs fiefs. Ce qui ne serait pas sans expliquer la persistance aujourd’hui encore au Cameroun de vĂ©ritables Etats dans l’Etat. Si la colonisation fut une rencon- tre, cette rencontre a donc pu dans cer- tains cas se retourner au profit du peu- ple colonisĂ©. Dans d’autres, elle a pu avoir des effets plus traumatisants, lais- sant dans la mĂ©moire collective certains rĂ©flexes, systĂšmes de reprĂ©sentations qui continuent Ă  conditionner l’attitude

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politique de certains peuples. C’est la conclusion que l’on pourra tirer de la contribution de J. Cole (((Quand la mĂ©moire resurgit n), portant sur la rĂ©ac- tion plutĂŽt mĂ©fiante de certaines parties de la population malgache Ă  l’égard du processus de dĂ©mocratisation et notam- ment des elections de 1992. Parce que l’élection proprement dite est encore associĂ©e Ă  la rĂ©pression sanglante de 1947 ayant suivi les premiĂšres conces- sions politiques françaises, parce que dans l’esprit des paysans betsimisar?kas toute activitĂ© politique dĂ©finie par l’Etat est synonyme de rĂ©pressions, troubles sociaux, insurrection et souffrances, elle ne peut que gĂ©nĂ©rer peur, voire mĂȘme refus de participation. Dans ce cas prĂ©- cis la population considĂ©rĂ©e s’est d‘une certaine façon rĂ©appropriĂ©e l’évĂ©ne- ment, l’a interprĂ©tĂ© Ă  sa maniĂšre et s’en est servi bien des gĂ©nĂ©rations plus tard comme sys;Ăšme de rĂ©fĂ©rence dans sa relation Ă  1’Etat et plus gĂ©nĂ©ralement au politique. Exemple supplĂ©mentaire qui prouve que la rĂ©fĂ©rence au passĂ© colo- nial peut parfois aider Ă  la comprĂ©hen- sion du prĂ©sent politique et social. Mais ce passĂ© est plus complexe et moins dichotomique qu’on ne l’a laissĂ© suppo- ser, Qu’il y ait eu des dominants et des dominĂ©s, cela va de soi, mais les seconds n’ont pas toujours subi une histoire imposĂ©e par d’autres ... il faudra bien un jour l’admettre. vĂ©ronique Dimiez]

BLANCEL (Nicolas), DELABARRE (Francis) (dirs) - Images d’Empire. 1930-1960 : trente ans de photogra- phies officielles sur l ’ e q u e fian- çaise. - Paris, Ă©d. de La MartinitreLa Documentation française, 1997, 336 p. (Collectif) - Imaginaire colonial et figures de l’immigrĂ©. - Hommes et Migrations, no 1207, mai-juin 1997, 167 p.

La rĂ©flexion iconographique sur les images coloniales est actuellement fort Ă  la mode. Des expositions se multiplient, en France et ailleurs en Europe, qui exhibent des clichĂ©s tirĂ©s d’archives pri-

vĂ©es ou publiques. Le superbe ouvrage (( Images d’Empire )), dont nous rendons compte ici est publiĂ© sous l’égide de res- ponsables de l’Association Connais- sance de l’Histoire de l’Afrique Contemporaine. I1 prĂ©sente une sĂ©lec- tion de photographies officielles, dont a hĂ©ritĂ© la Documentation française au lendemain des indĂ©pendances. Le remarquable agencement des images, d’articles de grande qualitĂ© et de notules fort pertinentes contribue Ă  la rĂ©ussite de ce projet trĂšs maĂźtrisĂ©. A travers les nombreux thĂšmes et sous-thĂšmes abor- dĂ©s (de ((l’Afrique dĂ©couverte)) Ă  la dĂ©colonisation et aux images postcolo- niales de l’immigration) se trouve fort bien soulignĂ©e une dynamique des reprĂ©sentations liĂ©e Ă  l’évolution des rapports entretenus entre colonisateurs et colonisĂ©s : du hĂ©ros casquĂ© de blanc au technicien qui assiste, de l’indigĂšne disciplinĂ© Ă  la thĂ©Ăątralisation des rĂ©for- mes politiques. En echo au compte rendu prĂ©cĂ©dent, soulignons que si les techniques de propagande, les logiques de mises en scĂšne de l’ordre colonial ou de la ((mission civilisatrice )) sont bril- lamment dĂ©montĂ©esldĂ©montrĂ©es, les commentaires relatifs aux imaginaires, aux stĂ©rĂ©otypes coloniaux Ă©vitent le piĂšge de la dĂ©nonciation systĂ©matique. MĂȘme si dans sa prĂ©face (par ailleurs plutĂŽt nuancĂ©e), Albert Memmi nous met en garde contre les dangers du (I rĂ©visionnisme )) apologĂ©tique, il est Ă©crit plus loin, en introduction au cha- pitre intitulĂ© o Portrait de l’autre o, qu’il ((s’agit au fond dâ€˜Ă©tablir, Ă  partir de documents iconographiques officiels, une sorte d‘archĂ©ologie de la psychologie coloniale en ce qu’elle a de profondĂ©ment humain, et non pas seulement, comme c’est souvent le cas dans de telles Ă©tudes, de distribuer des satisfecit ou des condamnations )) (p. 103). Bref, ce tra- vail sur les clichĂ©s sait se doter du recul indispensable Ă  ce genre d’entreprise.

Notre rĂ©daction a Ă©galement reçu, en complĂ©ment, une livraison de la revue Hommes et Migrations, consacrĂ©e Ă  une tentative de mise en regard de l’ima- ginaire colonial et des figures contem- poraines de l’immigrĂ©. Entretiens et arti- cles se succĂšdent, qui s’efforcent de traiter de cette thĂ©matique fort dĂ©licate.

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Le ton est ici souvent plus incisif et l’on se demande Ă  la lecture de certains arti- cles s’il est possible de dĂ©noncer certai- nes attitudes persistantes sans sombrer dans le (( politiquement correct D le plus saugrenu. Une illustration parmi d’autres : le passage sur (I la bande des- sinĂ©e comme vecteur privilĂ©giĂ© de diffu- sion des stĂ©rĂ©otypes (p. 37 et suivan- tes) se rĂ©vĂšle surtout obnubilĂ© par l’idĂ©e de rĂ©clamer que Tintin au Congo soit prĂ©cĂ©dĂ© d’une (( prĂ©face prĂ©cisant qu’il s’agit d’une vision dâ€˜Ă©poque influencĂ©e par l’idĂ©ologie coloniale B. C’est faire bien peu de cas des excellentes B.D. apparues depuis quelques annĂ©es (citons par exemple les sĂ©ries ((Jimmy Tousseul )) ou (( Alice et LĂ©opold )) pour rester dans le domaine belge) qui prĂ©- sentent une image rĂ©aliste et fonciĂšre- ment antimanichĂ©enne de l’Afrique cen- trale (avec des Blancs et des Noirs alternativement bons, mĂ©chants, sym- pathiques, ridicules). D’une certaine maniĂšre toute l’Ɠuvre d’HergĂ© est datĂ©e, caricaturale et maintes catĂ©gories (Ă  commencer par les Femmes ou les Japonais) seraient fondĂ©es Ă  se plaindre de la maniĂšre dont elles sont traitĂ©es. Faudrait-il donc annoter toute la littĂ©ra- ture dont les personnages et les compor- tements ne seraient plus dans l’air du temps ? Imagine-t-on des syndicats de policiers, ou des sociĂ©tĂ©s savantes s’offusquer de l’image qui est donnĂ©e d’eux par l’intermĂ©diaire des Dupondt ou de notre cher professeur Tournesol ? Dean-Pascal Daloz]

CONSTANTIN (François), COULON (Christian) (dirs) - Religion et transi- tion démocratique en Afrique. - Paris, Karthala, 1997, 387 p.

Ce volume, fruit d’une rĂ©flexion collective de treize chercheurs africanis- tes entre 1992 et 1995, dĂ©passe en fait trĂšs largement les limites du titre. I1 s’agit - et il faut s’en fĂ©liciter - d’une sĂ©rie d‘analyses sur la relation entre poli- tique et religion en Afrique contempo- raine - champ de travail autrement plus vaste que celui qui concerne les transi-

tions dites dĂ©mocratiques. A l’heure o Ù l’on se pose la question de savoir dans quelle mesure il y a eu effectivement transition (I dĂ©mocratique en Mique, il est impĂ©ratif de ne pas perdre de vue que, quelle que soit la nature des chan- gements politiques en cours, la question du rĂŽle du religieux pour le politique est de plus en plus pertinente. Comme le disent Ă  juste titre Constantin et Coulon dans l’introduction : (( L’étude des faits religieux apparaĂźt de plus en plus nette- ment aujourd‘hui comme analyse des dynamiques sociales et politiques de la “modernitĂ©â€, conçue non comme “modernisation” Ă  l’occidentale mais comme “mouvement historique” du changement (p. 17). . . (( Les faits reli- gieux africains sont bien marquĂ©s par le changement qu’ils contribuent expri- mer, Ă  formuler, 21 organiser D (p. 18). Premier point donc, et non des moin- dres : le religieux en Afrique participe de la modernitĂ© du continent. Qu’il s’agisse des religions universelles monothĂ©istes ou des religions soi-disant traditionnel- les, cet ouvrage montre bien que l’importance considĂ©rable que joue le religieux dans les rapports entre pouvoir et sociĂ©tĂ© ne saurait s’expliquer sans prendre en compte la religiositĂ© dans la vie de l’Afrique contemporaine. DeuxiĂšme point, mais qui n’apparaĂźt qu’en filigrane dans ce volume : les for- mes du religieux africain n’Ɠuvrent pas forcĂ©ment Ă  la transition dĂ©mocratique. En effet, au-delĂ  du rĂŽle ponctuel qu’ont pu jouer certains hommes de reli- gion dans ce processus de ((transition dĂ©mocratique )), notamment les confĂ©- rences nationales, il n’est pas certain que les faits religieux et mĂȘme les institu- tions religieuses favorisent la dĂ©mocra- tie, du moins dans sa variante occiden- tale. Et ceci pour la bien simple raison que la religiositĂ© en &que ne se disso- cie pas facilement de la sociĂ©tĂ© africaine. Or cette sociĂ©tĂ©, pour pluraliste qu’elle soit, n’en est pas moins compatible avec une forme de dĂ©mocratie occidentale qui reflĂšte, bien Ă©videmment la sociĂ©tĂ© occidentale. Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir de l’avenir de ces (I transitions dĂ©mocratiques I), ce volume - et c’est lĂ  tout son intĂ©rĂȘt - nous per- met pour le moins de cerner plus aisĂ©-

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ment et, oserions-nous le dire, de façon plus scientifique, l’importance du reli- gieux en Afrque contemporaine. Or cette importance est beaucoup plus considĂ©rable que ce que l’analyse (1 clas- sique r) du politique en Aii-ique laisse entehdre. Non seulement, il s’avĂšre que le monde de la croyance (religion ou sor- cellerie) est vĂ©cu au quotidien mais il est probable qu’il influe fortement sur les pratiques poliuques qui rĂ©gissent les rapports entre Etat et sociĂ©tĂ© (civile).

La premiĂšre partie du livre est prĂ©- cisĂ©ment axĂ©e sur la question de ce rap- port entre le politique et la sociĂ©tĂ© civile. I1 s’agit ici d’une sĂ©rie d’études de cas sur le Ghana, le Nigeria, le Kenya, le BĂ©nin et la Somalie, oÙ les auteurs s’efforcent de mettre en Ă©vidence le rĂŽle politique du religieux. Les six chapitres ici prĂ©sentĂ©s sont tous dignes d’intĂ©rĂ©t au niveau de l’analyse ponctuelle mais l’on retiendra peut-Ă©tre surtout le mes- sage Ă©quivoque qu’ils transmettent quant au potentiel (I dĂ©mocratique )) des faits religieux en question. La seconde partie, elle, se penche plus directement sur le rĂŽle des Eglises et de leurs clergĂ©s dans le passage au politique. Ici, des Ă©tu- des de cas sur le Cameroun, le Burkina Faso, le Congo, la Zambie, le Kenya et la Tanzanie, ainsi que le Burundi, mon- trent bien toute l’ambiguĂŻtĂ© de l’action politique des institutions religieuses, chrĂ©tiennes et musulmanes. Car ce qui ressort de ces chapitres, Ă©tayĂ©s par une recherche solide et fort bien pr;Ă©sentĂ©e, est que la dialectique entre Eg!ise et pouvoir est fort complexe. Les Eglises etant des corps constituĂ©s de la sociĂ©tĂ© civile, leurs interventions politiques rĂ©pondent autant Ă  un dĂ©sir d’Ɠuvrer au changement politique qu’à leurs soucis corporatistes. Par ailleurs, il apparaĂźt clairement que les clergĂ©s et autres hiĂ©- rarchies religieuses ne rĂ©pondent pas forcĂ©ment aux dĂ©sirs des communautĂ©s religieuses qu’ils sont censĂ©s reprĂ©sen- ter.

On ne peut en fin de compte que rejoindre l’opinion Ă©mise par Guy Her- met en conclusion de ce volume pas- sionnant : (I &]’idĂ©e s’impose donc que I’Afrque n’illustre que marginalement l’engagement des acteurs religieux dans- le dĂ©bat dĂ©mocratique de ce temps.

Mais dans ce domaine comme dans les autres, il est patent, Ă©galement, qu’elle ne prĂ©sente aucune unitĂ© en raison mĂ©me de sa fragmentation multiforme. Et dans ce domaine encore, on peut conjecturer sans risquer trop le dĂ©menti qu’elle demeurera aussi peu conforme aux schĂ©mas reçus dans le cas oÙ une consolidation dĂ©mocratique de grande envergure s’y rĂ©aliserait )) @. 369). L’intĂ©rĂȘt de ce volume est, Ă  mon sens, qu’il suscite plus de questions que de rĂ©ponses, ce qui, au stade oĂč nous en sommes de la comprĂ©hension du rap- port entre religieux et politique en &- que contemporaine, est tout Ă  fait sain. Religion et mansition dĂ©mocratique en Afn- que ouvre donc un dossier fondamental et qui, rĂ©pĂ©tons-le, dĂ©passe trĂšs large- ment les pĂ©ripĂ©ties actuelles des Ă©lec- tions multipartisanes que l’on associe trop facilement Ă  des transitions dĂ©mo- cratiques durables. I1 est d’espĂ©rer que ce recueil suscitera d’autres recherches sur le rĂŽle que peut jouer le cĂŽtĂ© plus occulte (dont entre autres la sorcellerie) du religieux en Afrique. Mais pour l’heure, il faut saluer la publication de cet ouvrage collectif qui dĂ©montre bien l’importance que l’analyse du religieux a pour le politiste africaniste. [Patrick Chabal]

MANE (Ibrahima) (dir.) -État, dĂ©mo- cratie, sociĂ©tĂ©s et culture en Afri- que. - Dakar, DĂ©mocraties Africaines, 1996, 213 p.

Cet ouvrage reprend les communi- cations prĂ©sentĂ©es lors d’un colloque organisĂ© par l’UNESCO et l’Institut africain pour la dĂ©mocratie (IAD). La douzaine de textes rassemblĂ©s tĂ©moigne de l’éclatement de la recherche africa- niste dans ses efforts pour traiter les pro- cessus de dĂ©mocratisation. Cette libertĂ© amĂšne des ouvertures originales sous la plume d’Achille Mbembe qui tire un texte dense d’une rĂ©flexion sur les (I rap- ports entre la disette, la pĂ©nurie et la dĂ©mocratie 1). Encore, l’auteur prend-il soin de rappeler, in $ne, qu’il a (( volon- tairement laissĂ© en suspens la question

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des liens entre I’économique, le politi- que et le culturel B (p. 62). D’autres auteurs, en circonscrivant leur recher- che Ă  un terrain particulier et Ă  la connexion du politique avec une seule autre dimension, font aussi des dĂ©mons- trations probantes. Ainsi procĂšdent Luc Sindjoun pour (I l’exploitation de la rente identitaire “anglophone” par les entrepreneurs politiques o camerounais ou encore Henri OssĂ©bi qui pose des jalons pour une Ă©tude des enjeux sociaux dans la transition congolaise.

Cependant, tous les textes ne sont pas aussi novateurs. Certaines rĂ©flexions individuelles prĂ©sentĂ©es dans cet ouvrage ont tendance Ă  s’installer dans les gĂ©nĂ©ralitĂ©s ou encore Ă  mĂȘler les registres du descriptif, de l’explicatif et du normatif. Traiter de la dĂ©mocratie comme processus global, sans distinguer les logiques d’actions et les rĂ©pertoires de reprĂ©sentations, pousser la pluridis- ciplinaritĂ© dans ses derniers retranche- ments, conduit, souvent, Ă  une perte de sens plutĂŽt qu’à un gain de connais- sance. En effet, Ă  suivre certains des auteurs les moins inspirĂ©s de ce livre, la dĂ©mocratisation n’a pas de sens sans rĂ©fĂ©rence aux problĂšmes sociaux ; ceux-ci ne peuvent ĂȘtre rĂ©solus sans changement Ă©conomique ; lequel ne peut pas ĂȘtre abordĂ© en termes vulgai- rement utilitaristes mais doit tenir compte de Ia culture qui elle-mĂȘme dĂ©pend du religieux, etc. Bref, comment ne pas aboutir Ă  un complet dĂ©senchan- tement face Ă  des expĂ©riences de dĂ©mo- cratisation quant on affecte aprioriĂ  cel- les-ci le statut de potion magique ?

Enfin, on est tentĂ© de s’interroger sur la fonction de la rĂ©fĂ©rence Ă  la (( dĂ©mocratie dans des travaux d’une valeur indiscutable mais dont l’ambition semble plutĂŽt rĂ©sider dans la formula- tion d’un mode de domination lĂ©gitime dont les fondements seraient radicale- ment daĂ©rents de ceux qui ont prĂ©sidĂ© Ă  Emergence des modĂšles occidentaux. Le texte consacrĂ© Ă  la Somalie par M.A. Mohamed illustre bien cette diffi- cultĂ© puisque son plaidoyer pour la rĂ©ha- bilitation du systĂšme politique prĂ©valant antĂ©rieurement Ă  Ia pĂ©riode de Siyad Barre prendrait une toute autre force s’il allait jusqu’au bout de sa logique. I1

serait intĂ©ressant en effet d’évaluer les coĂ»ts du rĂ©tablissement d’un systĂšme qu’il dĂ©crit comme un ((modĂšle d’une tradition dĂ©mocratique af?icaine 1)

(p. 159) et qui prĂ©sente un caractĂšre cla- nique equilibrĂ©, comportant (( des castes et des marginaux)) (p. 159), ((segmen- taire et hiĂ©rarchisĂ©)) (p. 169), ne connaissant pas d‘exĂ©cutif au niveau national et dont ((chaque segment est dirigĂ© par un conseil de sages et un roi (ou chef) (p. 159).

On ne contestera pas Ă  l’auteur le caractĂšre authentiquement somali de ce modĂšle, ni le droit, pour les Somaliens, d’en revendiquer l’invention et d’en regretter l’érosion. Toutefois, si la dĂ©fi- nition des appartenances de clan, de caste, l’accession Ă  la notabilitĂ© et Ă  la royautĂ©, constituent bien un contexte social idĂ©al (ou idĂ©alisĂ©) que l’auteur peut estimer plus apte Ă  assurer la paix sociale que l’autoritarisme et la corrup- tion qui se sont dĂ©veloppĂ©s sous Siyad Barre, on prĂ©fĂ©rerait que la rĂ©fĂ©rence Ă  la dĂ©mocratie soit reservĂ©e Ă  des expĂ©- riences qui ne s’appuient pas sur l’inĂ©- galitĂ© des sujets et des groupes ni sur l’hĂ©rĂ©ditĂ© et la sĂ©nioritĂ© des positions de pouvoir. Le vocabulaire de la sociologie historique pourrait ĂȘtre utilement solli- citĂ© pour trouver une qualification com- parative plus crĂ©dible. Patrick Quantin]

WAUTHIER (Claude) - Quatre prĂ©si- dents et l’Afrique : de Gaulle, Pom- pidou, Giscard d’Estaing, Mtter- rand. - Paris, Le Seuil, 1995, 723 p.

Longtemps dĂ©laissĂ©e par l’analyse, la politique africaine de la France occupe aujourd’hui une place centrale dans la recherche africaniste. Au milieu de cette littĂ©rature en expansion, l’ouvrage de Claude Wauthier fait partie des contri- butions majeures. L‘auteur ne prĂ©tend pas rĂ©volutionner la perspective. Entre les tenants d’un neocolonialisme fran- çais, manifestation particuliĂšre de l’impĂ©rialisme Ă©conomique occidental, et les adeptes d’une approche plus spĂ©- cifiquement politique fondĂ©e SUT la connivence des Ă©lites, des rĂ©seaux et

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l’imbrication d’intĂ©rĂȘts croisĂ©s, Claude Wauthier a prĂ©fĂ©rĂ© opter pour le mode narratif, loin de la prĂ©occupation conceptuelle ou thĂ©orique. Son propos n’est pas de nourrir telle ou telle thĂšse gĂ©nĂ©rale mais de restituer la trame des relations franco-africaines sous les prĂ©- sidents successifs de la Ve RĂ©publique. AdossĂ© depuis 1953 au poste d’observa- tion privilĂ©giĂ© du journaliste, Claude Wauthier reprend le fil d’une relation ancienne, tissĂ©e par le gĂ©nĂ©ral de Gaulle sur les dĂ©combres de 1940 et prolongĂ©e jusqu’au Mitterrand des annĂ©es 90. Scrupuleusement, l’auteur s’attache Ă  dissĂ©quer les episodes les plus marquants d’une histoire tourmentĂ©e. Combinant les vertus du clinicien et de l’homme de presse, Claude Wauthier relate sans complaisance les heurs et malheurs des r,apports complexes entre la France et les Etats subsahariens. Servi par un style dĂ©pouillĂ©, par une connaissance prĂ©cise, et souvent vĂ©cue de prĂšs, des Ă©vĂ©nements et des hommes, il comble un vide dans la connaissance des relations franco- africaines. Evitant les facilitĂ©s du dis- cours moralisateur, l’auteur conduit le lecteur dans les mĂ©andres, souvent trou- bles, de la politique africaine de la France.

Bien que journaliste, Claude Wau- thier n’est pas un adepte du scoop. Son genre est celui du chroniqueur, accumu- lant quotidiennement l’information, sachant que de celle-ci surgit progressi- vement une rĂ©alitĂ© moins simple que celle Ă  laquelle la passion mal maĂźtrisĂ©e peut conduire. Chacun des prĂ©sidents français est successivement passĂ© au cri- ble, Ă  travers un dĂ©coupage en chapitres qui scandent, de façon souvent impitoya- ble, l’action menĂ©e par la France en direction de l’Afrique. La grande politi- que y apparaĂźt comme nĂ©cessairement habitĂ©e par des pratiques et des person- nages qui façonnent la singularitĂ© de la politique africaine. Certes, seule la naĂŻ- vetĂ© peut conduire Ă  penser que la poli- tique Ă©trangĂšre Ă©chapperait aux brouets confectionnĂ©s dans certaines (i arriĂšre- cuisines D selon l’expression d’un ancien Premier ministre. Encore existe-t-il des degrĂ©s dans l’interpĂ©nĂ©tration des gen- res.

Sur ce plan, la lecture de l’ouvrage

ne laisse planer aucune ambiguĂŻtĂ© quant Ă  la spĂ©cificitĂ© de l’Afrique dans la poli- tique extĂ©rieure de la France. De façon permanente surgissent sur scĂšne, pĂ©le- mĂȘme, les services de renseignements, officiels et officieux, les mercenaires, les conseillers, les affairistes (dont Bernard Tapie, convoitant dĂšs 1979 les chĂąteaux de Bokassa...). ,Les relations entre la France et les Etats africains relĂšvent d‘un genre radicalement diffĂ©rent et le sentiment prĂ©vaut d’une impossibilitĂ© quasi structurelle Ă  les organiser sur le mode diplomatico-stratĂ©gique classi- que. C’est pourquoi les prĂ©sidents fran- çais apparaissent presque comme des personnages secondaires, impuissants Ă  façonner les rĂšgles d‘un jeu dont il leur faut Ă©pouser les contours sous peine d’exclusion. Le poids de la contrainte crĂ©e l’impression d’une quasi-similitude entre les quatre prĂ©sidents au point qu’ils semblent interchangeables. Cha- que prĂ©sidence est Ă la fois singuliĂšre par les Ă©vĂ©nements qui la caractĂ©risent et, dans une moindre mesure, par les acteurs. Mais toutes se ressemblent par les mĂ©thodes utilisĂ©es. La violence par exemple, y compris l’assassinat, de FĂ©lix MoumiĂ© et de l’amant de JosĂ©phine Bongo, fait partie de la trame normale des relations franco-africaines de mĂȘme que la corruption et les barbouzes ...

Étrange tableau dont l’auteur se refuse pourtant Ă  systĂ©matiser les rĂ©gu- laritĂ©s. Faut-il y voir la simple convic- tion que toutes ces manƓuvres, comme l’écrit lui-mĂȘme l’auteur, (i rĂ©pondaient Ă  celles non moins tortueuses de Mos- cou, de Washington, de Londres, de PrĂ©toria et de Lisbonne )) ? Auquel cas, les diffĂ©rents acteurs ne feraient qu’interprĂ©ter une partition nĂ©cessaire au nom de la raison d’Etat. L‘interroga- tion demeure. Claude Wauthier a prĂ©- fĂ©rĂ© arrĂȘter sa plume au stade de la chro- nique, sĂšche et lucide. I1 le fallait. Reste Ă  rĂ©pondre Ă  la question jamais pleine- ment traitĂ©e, y compris dans les cercles acadĂ©miques : la France pouvait-elle conduire au sud du Sahara une politique conforme Ă  ses principes sans remettre en cause ses intĂ©rĂ©ts ? Pouvait-elle, et peut-elle aujourd’hui plus qu’hier, com- biner morale et rĂ©alisme ? [Daniel Bour- maud]

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OTAYER (RenĂ©), SAWADOGO (Filiga Michel), GUINGANÉ (Jean-Pierre) (dirs) - Le Burkina entre rĂ©volution et dĂ©mocratie (1983-1993), Ordre politique et changement social en Afrique sub-saharienne. -Paris, Icar- thala, 1996, 387 p.

Depuis la rĂ©volution du 4 aoĂ»t 1984, le Burkina nous a fourni un excep- tionnel laboratoire tant sur le plan des innovations institutionnelles que de la crĂ©ativitĂ© sociale, au point qu’on pour- rait intervertir la place des qualificatifs du sous-titre et parler Ă©galement N d’ordre social et de changement poli- tique B tant il est vrai qu’une quinzaine d’annĂ©es aprĂšs le grand chambardement des annĂ©es sankaristes, la sociĂ©tĂ© paraĂźt avoir digĂ©rĂ© les innovations et trouvĂ© une sorte d’équilibre, prĂ©caire, entre les diverses tensions qui la façonnent.

Au dĂ©but des annĂ©es quatre-vingt et malgrĂ© une vie active, un pluripar- tisme et la prĂ©sence de plus en plus forte des militaires dans les affaires politiques, malgrĂ© (mais aussi Ă  cause d’) une bureaucratie aussi nombreuse qu’ineffi- cace, il n’existait pas #Etat en Haute Volta. Ce qui en tenait lieu s’exprimait bien dans la figure bonhomme de Lami- zana. C’est Thomas Sankara qui a accouchĂ© l’Etat burkinabĂ©, aux forceps. Quinze ans aprĂšs, c’est un pays inven- tant une voie capitaliste et dĂ©mocratique originale, pragmatique, Ă©conome de grands sentiments (une ((culture de la sobriĂ©tĂ© I) dit-on dans l’introduction) mais efficace, qui fait du (I pays des hom- mes intĂšgres i), et avec l’Afrique du sud, un des phares de l ’a ique en transition vers le XXI‘ siĂšcle.

Le colloque organisĂ© Ă  Talence par le CEAN et l’universitĂ© de Ouagadou- gou en juillet 1994 avait donc pour objet non seulement d’éclairer cette dĂ©cennie d’un point de vue politique et juridique mais aussi de combler le vide des Ă©tudes pluridisciplinaires sur ce pays. La publi- cation de ces travaux, loin d’ĂȘtre exhaus- tive nous indiquent les Ă©diteurs scienti- fiques, est construite autour de trois thĂšmes, Q IdentitĂ©s et reprĂ©sentations )), (( Dynamiques socio-Ă©conomiques D et a Vers un nouvel ordre politique D.

Comme le reconnaissent les Ă©diteurs, c’est la deuxiĂšme partie qui se rĂ©vtle la plus passionnante, non seulement parce qu’elle traite d’un de mes thĂšmes de recherche, l’impact de la rĂ©forme fon- ciĂšre du 4aoĂ»t 1984 et de son Ă©chec, mais aussi parce qu’elle met en lumiĂšre la confrontation entre forces de change- ments et permanences en tentant de rĂ©pondre Ă  deux questions : - (( la contrainte n’est-elle pas inhĂ©rente au changement ? - Q la dĂ©mocratie est-elle un luxe pour les pays pauvres ? o (p. 9).

Si l’ouvrage a tendance Ă  rĂ©pondre oui Ă  la premiĂšre et non Ă  la seconde question, ce n’est de maniĂšre ni explicite ni uniforme. Car prĂ©cisĂ©ment, un des intkrĂȘts majeurs de l’ouvrage est de nous faire dĂ©couvrir (ou redĂ©couvrir) les ver- tus du pluralisme derriĂšre la prise en compte de la diversitĂ© rĂ©elle des compo- santes de la nation burkinabĂ©. Un autre intĂ©rĂȘt est de nous donner Ă  penser, B travers ces multiples (( petits riens D qui font la quotidiennetĂ© et la routinisation, cette invention d’une voie capitaliste, ce que P. ZagrĂ© appelle la new wzoney. Ce nouvel argent qui circule, doit-on ajou- ter, n’est plus seulement liĂ© aux flux financiers intemationaux mais aussi au rapatriement de l’argent des plantations ivoiriennes soldĂ©es par leurs auteurs pour cause d’insĂ©curitĂ© politique. Un dernier intĂ©rĂȘt, enfin, de cette publica- tion est de faire reconnaĂźtre intematio- nalement la recherche en sciences poli- tiques et juridiques burkinabĂ©, capable, ce n’est pas si frĂ©quent, de pratiquer fort opportunĂ©ment la pluridisciplinaritĂ© et de rĂ©cuser le provincialisme scientifique. Trois raisons, donc, de dĂ©couvrir der- riĂšre un ouvrage une facette de l’Afrique en mutation. Etienne le Roy]

ADISA Uinmi) - The Comfort of Strangers. The impact of Rwandan Refugees on Neighbouring Coun- tries. - Nairobi UNCHS (Habitat)/ Ibadan, IFRA, 1996, Xii-101 p.

Parmi les innombrables livres sur le Rwanda, celui de cet enseignant en

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science politique de l’universitĂ© d’Iba- dan, expert auprĂšs d’organisations inter- nationales, tranche par son originalitĂ©. Certes, au dĂ©but de son Ă©tude, il s’inter- roge - une fois de plus - sur les causes lointaines et rĂ©centes du gĂ©nocide mais en s’appuyant surtout sur des sources en anglais, tout en citant les principaux tex- tes en fiançais (voir les notes et la biblio- graphie).

Les chapitres suivants sont les plus intĂ©ressants : Ă  l’aide d’enquĂȘtes, d’interviews, de rapports peu connus du public francophone, le Dr Jinmi Adisa fait une synthĂšse de la situation des rĂ©fu- giĂ©s pays par pays : Tanzanie, Ouganda, Burundi et ZaĂŻre. I1 Ă©tudie les diffĂ©rents mouvements et leurs consĂ©quences. Si l’Ouganda s’est vidĂ© de ses Q Rwandais o, si le Burundi a connu des allers et venues au grĂ© des Ă©vĂ©nements politiques, la Tanzanie et le ZaĂŻre se sont remplis au point que dans certaines rĂ©gions on a comptĂ© deux rĂ©fugiĂ©s pour un Tanza- nien.

Quoi qu’il en soit, partout ces migrations ont apportĂ© des permrba- tions socio-Ă©conomiques (fuite des cer- veaux en Ouganda et au Burundi, pĂ©nu- rie de bĂ©tail en Ouganda, dĂ©rĂ©gulation des prix partout, etc.), politiques (par exemple utilisation des rĂ©fugiĂ©s par les extrĂ©mistes au Burundi) et plus encore Ă©cologiques. L’auteur, dans chacun des chapitres rĂ©gionaux, Ă©numĂšre les innombrables atteintes, irrkmĂ©diables, Ă  l’environnement : dĂ©forestation massive et systkmatique, pollution des eaux, Ă©pi- dĂ©mies ...

En conclusion, il analyse, une Ă  une, les solutions prĂ©conisĂ©es. I1 ne voit d’issue que dans un retour progressif et contrĂŽlĂ© du million et demi ou des deux millions -environ - de rĂ©fugiĂ©s dans leur patrie. L’ouvrage a Ă©tĂ© publiĂ© en 1996 et ignore, par la force des choses, les retours massifs au pays. Cependant, cette limite ne nuit pas Ă  la pertinence des renseignements et des tĂ©moignages consignĂ©s. [Annie Lenoble-Bart]

Hw (Margaret), YOUNG (Tom) - Co&onting Leviathan : Mozambi- que since independence. - Londres, Hurst, 1997, 262 p.

Voici un livre trĂšs attendu que l’édi- teur annonce depuis fort longtemps. I1 est vrai que ces derniĂšres annĂ©es ont Ă©tĂ© riches en Ă©vĂ©nements et que l’historien du Mozambique contemporain aurait eu du mal Ă  conclure un tel volume sans pouvoir s’assurer que l’accord de 1992 entre Frelimo et Renamo allait tenir, que les elections promises allaient avoir lieu et que l’aprĂšs-Ă©lection allait enfin permettre au pays de vivre en paix. I1 Ă©tait donc peut Ă©tre sage de ne publier ce livre qu’aujourd’hui. Mais le pro- blĂšme est que l’histoire avance trĂšs vite et que depuis 1994, date limite des Ă©vĂ©- nements dont le livre traite, il s’est passĂ© bien des choses. De plus, il esr paru beaucoup de travaux rĂ©cents sur ce pays. Alors, l’attente valait-elle la peine ? La question n’est en fait guĂšre de savoir si ce livre nous livre l’information la plus utile sur les tous demiers Ă©vĂ©nements mais plutĂŽt de voir en quoi l’interprĂ©ta- tion qu’il nous propose de l’histoire du Mozambique depuis l’indkpendance se dĂ©marque de ce qui se publie depuis quelques annĂ©es. Disons-le tout de suite, Confronting Leviathail, s’acquitte honnĂȘtement de sa tĂąche. I1 s’agit ici d’une des meilleures synthĂšses de l’his- toire contemporaine du Mozambique que l’on puisse consulter. Les deux auteurs ont su allier intelligemment leurs compĂ©tences respectives et nous proposent une analyse Ă©quilibrĂ©e sur les bases d’une recherche fouillĂ©e. On trou- vera dans ce livre un rĂ©sumĂ© concis mais complet de l’évolution du Mozambique depuis l’indĂ©pendance que l’on pourra recommander sans ambages Ă tous ceux qui cherchent Ă  s’instruire.

Toutefois, l’histoire du Mozambi- que est fort complexe et l’on peut se poser la question de savoir dans quelle mesure les auteurs ont rĂ©ussi Ă  rendre compte de cette complexitĂ©. Vu la bibliographie importante que l’on pos- sĂšde sur cette ancienne colonie portu- gaise - et en particulier le livre magistral de Newitt (A History of Mozambique) -

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par rapport Ă  l’Angola, Confronting LeviuthuTi nous laisse sur notre faim. Ce livre souffÏe, Ă  mon sens, de trois caren- ces importantes. I1 ne fait presque aucun lien avec l’histoire coloniale et prĂ©colo- niale du Mozambique, histoire pourtant capitale pour une comprĂ©hension des Ă©vĂ©nements rĂ©cents. I1 ne fait pratique- ment aucun cas de la littĂ©rature scienti- fique sur l’Afrique post-coloniale, littĂ©- rature qui rend compte de l’évolution comparative des pays africains depuis leur indĂ©pendance. Enfin, il exhibe des carences notoires sur l’analyse politique africaniste, analyse qui aurait sans doute permis d’éclairer le parcours du pays de façon plus nette. Illustrons notre pro- pos. L’histoire d’abord. I1 est indĂ©nia- ble, comme le montre bien Newitt, que la guerre civile au Mozambique trouve en partie ses racines dans l’histoire du XM’ siĂšcle de la partie centrale du pays -zone oĂč d’ailleurs la Renamo a obtenu la majoritĂ© aux Ă©lections rĂ©centes. D’oÙ la faiblesse de l’analyse de Hall et Young qui ne conçoivent cette guerre civile qu’à partir de la crĂ©ation de la Renamo. LittĂ©rature scientifique ensuite. L’échec de la tentative de (( villagisauon )) forcĂ©e aurait Ă©tĂ© mieux comprise si les auteurs avaient pu prendre en compte des tra- vaux ayant trait aux tentatives faites ail- leurs en Afrique pour (( capturer )) la pay- sannerie et, en particulier, tout ce qui a Ă©tĂ© Ă©crit sur la faillite de l’expĂ©rience tanzanienne. Analyse politique enfin. I1 aurait Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rable, voire indispensa- ble, d’asseoir l’analyse de l’échec socia- liste au Mozambique sur des bases plus comparatives, et en particulier de relier l’histoire de ce pays Ă  la trajectoire du modĂšle dĂ©veloppementaliste/parti uni- que en Afrique post-coloniale.

Ceci Ă©tant prĂ©cisĂ©, Confronti~ig Leviutlzun demeure un bon livre sur le Mozambique depuis l’indĂ©pendance, complet au niveau de la recherche effec- tuĂ©e et relativement mesurĂ© dans les conclusions qu’il fournit. Mais ce n’est pas un ouvrage qui s’inscrit dans la recherche afi-caniste actuelle, dont les auteurs ne font pratiquement aucun cas. En consĂ©quence, le lecteur n’y trouvera ni le contexte historique qui Ă©clairerait plus utilement le devenir du Mozambi- que, ni l’analyse politique qui permet-

trait de situer l’expĂ©rience de ce pays par rapport Ă  l’évolution de I’Mque contemporaine. Saluons tout de mĂȘme la parution d’un volume sur un pays afri- cain lusophone - domaine dans lequel il se publie encore trop peu. [Patrick Cha- bal]

ALDEN (Chris), DALO2 aean-Pascal) (eds.) -Paris, Pretoria and the íU%- can Continent: the International Relations of States and Societies in Transition. - Londres/Macmillan, New YorWSaint Martin’s Press, 1996, xiii-240 p.

Ce livre, fruit d’une confĂ©rence tenue en Afrique du Sud, s’emploie Ă  rĂ©examiner le rĂŽle de la France et de l’&que du Sud post-apartheid - et par la mĂȘme leurs relations - en Afrique contemporaine. A l’heure oh la nouvelle Afrique du Sud redĂ©finit sa politique Ă©trangĂšre et la France cherche 1 se faire une raison au-delĂ  de son ciprĂ© carrĂ©)) habituel, il n’était pas inutile d’affermir un dialogue entre les deux. Quels sont les intĂ©rĂȘts français en Afrique du Sud, quel sera le rĂŽle de l’Afrique du Sud au sein d’une Afrique en crise, dans quelle mesure Paris et Pretoria s’avĂ©reront par- tenaires ou rivaux ? Autant de questions que ce volume cherche Ă  dĂ©broussailler. Le livre est divisĂ© en quatre parties : la France et l'Afrique ; la France et l’&i- que australe ; I’AtÌique du Sud et l’Afri- que francophone ; nouveau contexte, nouvelles directions ? Les articles qui forment ces diffĂ©rentes sections sont d‘ordre trĂšs divers - de l’analyse histo- rique rigoureuse au rapport d’activitĂ©s - et donnent Ă  ce volume un ton d’actua- litĂ© qui sied aux sujets abordĂ©s. I1 faut cependant lui reconnaĂźtre une diversitĂ© un peu dĂ©concertante, le thĂšme mĂȘme de l’ouvrage ne se prĂȘtant d’ailleurs guĂšre Ă  l’uniformisation.

L‘on retiendra de ce livre toute une sĂ©rie de prĂ©sentations utiles mais, peut- ĂȘtre plus particuliĂšrement, une excel- lente introduction de Chris Alden sur l’évolution du rĂŽle de la France en Afri- que, une Ă©tude sĂ©rieuse de Chantal

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Cuddumbey sur la France et l’Afrique du Sud, un article intĂ©ressant d’Emeka Nwokedi sur la politique Ă©trangĂšre de la France en Afrique de l’Ouest Ă  l’aune du nouvel ordre intemational et un sti- mulant papier de Jean-Pascal Daloz sur la marginalisation intellectuelle de l’AfXque. Pans, Pretoria and the African Continent est l’un des premiers livres en anglais sur ce sujet et le lecteur de lan- gue anglaise y trouvera certainement une somme d’informations sur la com- plexitĂ© des rapports entre la France et Y a q u e du Sud qui n’est disponible nulle part ailleurs. [Patrick Chabal]

excellent outil pour approcher Ă  la fois la pĂ©riode de l’aparrheid et la nouvelle Afrique du Sud. I1 faut regretter que la typographie, la mise en page et la cou- verture soient des plus modestes; en souhaitant que cela qe dĂ©courage pas de nombreux lecteurs potentiels. On ne peut manquer de laisser briĂšvement la parole Ă  l’auteur e ... PlutĂŽt que de faire un portrait biographique, j’ai essayĂ© de cer- ner la dimension politique et l’ombre lĂ©gen- daire que l’homnze projette sur son envirotz- nement immĂ©diat et sur la sociĂ©tĂ© sud-africaine.. . u. Wean-Christophe Simon]

BOSCH (Alfred) -NelsonMandela : le JOHNSTON (Deborah) - Lesotho. - dernier titan. - Paris, L’Harmattan, Oxford, Clio, nouvelle Ă©dition 1996, 1996, 214 p. xvi-199 p.

Cet ouvrage trĂšs recommandable apporte Ă  la fois une information dense et une analyse rĂ©digĂ©e dans un style ori- ginal. Le premier aspect fait de ce livre un travail de sciences politiques tout autant qu’une biographie de celui qui fut un des piliers de 1’African National Congress sous l’apartheid avant de devenir un des prisonniers politiques les plus cĂ©lĂšbres, pour terminer comme l’homme d’Etat le plus en vue et le plus estimĂ© de la prĂ©sente dĂ©cennie, Co-Prix Nobel de la Paix en 1993. Le style de l’ouvrage est probablement redevable autant Ă  la personnalitĂ© de l’auteur, enseignant et journaliste Ă  Barcelone (bien Ă©voquĂ©e par le prĂ©facier, C. Cou- lon) qu’à la traduction du catalan - dont nous ne pouvons bien sĂ»r juger de la valeur. I1 prĂ©sente une analyse socio- politique solide, oĂč se mĂȘlent heureuse- ment des remarques critiques et des tou- ches d’illustrations baroques. I1 apporte Ă  l’ouvrage une authenticitĂ© qui renou- velle les Ă©crits universitaires et contraste avec la mĂ©diocritĂ© de maintes biogra- phies journalistiques ou Ă©crites sur com- mande. Les lecteurs bĂ©nĂ©ficieront d’une analyse serrĂ©e du parcours politique de Mandela (avec une excellente - et fort Ă©difiante - confrontation des thĂšses et des analyses des principaux auteurs sud- africains). La bibliographie constitue un

La ((World Bibliographical Series )) couvre maintenant plus de 193 pays et s’est enrichie d’une nouvelle Ă©dition sur le Lesotho sĂ©lectionnĂ©e et commentĂ©e. I1 s’agit de l’édition rĂ©visĂ©e de la biblio- graphie de David Punbrose et Shelagh Willet parue en 1980 dans la mĂȘme col- lection, et c’est la plus, rĂ©cente bibliogra- phie sur ce pays. Son auteur, Deborah Johnston y a effectuĂ© de nombreuses recherches depuis 1989. Elle propose, par rapport Ă  l’édition prĂ©cĂ©dente, des entrĂ©es thĂ©matiques diErentes comme par exemple (1 Constitution, Legal Sys- tem and human Rights i), (( International Relationsr ou encore {(Women and Gender Issues 1). Elle a pour intĂ©rĂȘt de prĂ©senter les titres parus aprĂšs 1950 et aussi de complĂ©ter l’édition de David Ambrose et Shelagh Willet en rĂ©parant ses oublis pour les ouvrages antĂ©rieurs, en abordant un certain type d’ouvrages jusque-lĂ  nĂ©gligĂ©s comme par exemple les autobiographies et mĂ©moires. De plus, l’édition de Deborah Johnston insiste sur le thĂšme des conditions de vie dans ce pays : les conditions sociales (enquĂȘtes de pauvret,Ă©, etc.), les services sociaux (santĂ©, etc.), ressources humai- nes et emploi, ripondant ainsi Ă  la voca- tion de cette collection qui se veut plus axĂ©e sur une thĂ©matique de la vie quo- tidienne.

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I

LA REVUE DES LIVRES

Toutefois il est Ă  noter que cette bibliographie ne mentionne pas celle publiĂ©e par 1’0 Institute of African Stu- dies o de l’universitĂ© du Lesotho, en 7volumes. Entreprise sous l’égide de David Ambrose, d’aoĂ»t 1982 fĂ©vrier 1984, il s’agissait dĂ©jĂ  d’une mise 1 jour de sa prĂ©cĂ©dente publication qui prenait par exemple en compte des rapports non publiĂ©s, des thĂšses, sĂ©minaires, aupara- vant laissĂ©s de cĂŽtĂ©, et mettait l’accent sur les ouvrages en fiançais alors que la bibliographie de Deborah Johnston s’adresse au lecteur anglophone exclusi- vement. [Caroline Abela]

DU BOIS DE GAUDUSSON (Jean), CONAC (Gérard), DESOUCHES (Christine) (dirs) - Les constitutions africaines publiées en langue &an- çaise (tome 1). - Paris, La Documen- tation française, 1997, 456 p.

On pourra regretter l’absence de commentaire des constitutions prĂ©sen- tĂ©es, les textes Ă©tant seulement encadrĂ©s par une chronologie politique et des orientations bibliographiques. On apprĂ©ciera que ces textes de plus en plus difficiles Ă  trouver soient ainsi mis Ă  dis- position en espĂ©rant qu’au moins le tome 3 sera consacrĂ© aux constitutions

des pays anglophones et lusophones. La nĂ©cessitĂ© de publier un recueil de texte constitutionnel relance Ă  nouveau la question de l’absence du droit en Afri- que. [Dominique Darbon]

(Collectif) - Pétrole et développe- ment dans le golfe de Guinée. - Ren- nes, Bulletin du CRIDEV no 4, 1996.

D’emblĂ©e est posĂ©e la problĂ©mati- que, Ă  savoir que les richesses pĂ©troljĂšres n’ont pas profitĂ© pleinement Ă  ces Etats et Ă  toutes les couches sociales des sociĂ©- tĂ©s qui y vivent. A cela les auteurs s’efforcent de rĂ©pondre. L’ouvrage n’est pas dĂ©nuĂ© d‘intĂ©rĂȘt, car on y glane, au fil des pages des renseignements trĂšs prĂ©cieux, tel ce passage consacrĂ© au futur olĂ©oduc permettant d’amener le pĂ©trole tchadien au littoral du Came- roun. Mais ce n’est qu’une sĂ©rie de six monographies construites toutes s,ur le mĂȘme plan (histoire rĂ©cente des Etats, bilan pĂ©trolier, consĂ©quences). Enfin et surtout n’est pas faite la dĂ©monstration scientifique, que le lecteur attendait, sur l’importance des revenus pĂ©troliers et le pourcentage rĂ©ellement utilisĂ© (et par voie de consĂ©quence celui qui est dĂ©tournĂ©) de ces revenus. C’est dom- mage. [Serge Lerat]

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