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l’actualité chimique - février 2008 - n° 316 II Le dossier La chimie sous rayonnement Des aspects fondamentaux aux applications dans les sciences des matériaux et les sciences de la vie Jacqueline Belloni, Mehran Mostafavi, Thierry Douki et MÈlanie Spotheim- Maurizot Ce dossier a été préparé à partir de l’ouvrage collectif « Radiation Chemistry – From basics to applications in material and life sciences » édité par EDP Sciences et L’Actualité Chimique [1-20], qui paraîtra le mois prochain dans la nouvelle collection « L’Actualité Chimique – Livres ». a chimie sous rayonnement englobe toutes les transformations chimiques d’un système qui a été soumis à un rayonnement ionisant [21-26]. Ce type de rayonnement possède une énergie bien plus élevée que celle des photons visibles ou même UV. Il inclut les rayons X ou γ et les particules animées d’une grande vitesse telles que les électrons, les rayons α (noyaux d’hélium), les ions accélérés ou les fragments de fission. Leur énergie (de quelques dizaines d’électron-volts (eV) à quelques MeV) est si élevée par rapport aux énergies d’excitation des molécules et de liaison des électrons (de quelques eV à quelques dizaines d’eV) que l’énergie communiquée aux électrons avec lesquels ils interagissent suffit à les éjecter et à ioniser les molécules (encadré 1). C’est d’ailleurs par leurs effets chimiques que les rayons X, puis les rayons α, β , γ, ou « uraniques », indétec- tables à l’œil, ont été découverts, respectivement par W. Roentgen [27] en 1895 et H. Becquerel [28] en 1896 : l’absorption de ces rayonnements à travers des écrans opa- ques avaient en effet provoqué le noircissement de plaques photographiques, c’est-à-dire la réduction d’ions d’argent en atomes. Cette action fut longtemps exploitée pour visualiser les trajectoires des rayonnements et l’est toujours en radio- graphie ou pour certains dosimètres. Les rayonnements peuvent aussi ioniser l’air autour de leur source. Très vite en 1898, Pierre et Marie Curie purent, grâce à l’électromètre à quadrants associé au quartz piézoélectrique mis au point par Pierre, mesurer précisément l’intensité de l’ionisation pro- duite et détecter ainsi le polonium et le radium, nouveaux éléments extrêmement dilués mais détectables par leur émission de rayonnement. Parallèlement, d’autres effets chimiques et biologiques étaient systématiquement étudiés [29]. Pierre et Marie Curie avaient observé en particulier la dissociation de l’eau, qu’ils comparaient à une « électrolyse sans électrodes », ainsi que la destruction de tissus vivants. Depuis, les mécanismes des réactions chimiques induites par un rayonnement ionisant sont devenus bien mieux connus dans le détail, notamment grâce aux techniques d’irradiation impulsionnelle. L’exemple de l’eau est représenté sur la figure 1 [1]. Les thèmes abordés par la Chimie sous Rayonnement [1-20] peuvent se classer en trois grands groupes. Le premier réunit les études sur les effets primaires de la radiolyse qui sont très complexes en raison du dépôt spatial spécifique de l’énergie, variable selon le type de rayonnement. Ils conditionnent la cinétique et le rendement énergétique des phénomènes qui en découlent. L’extension à d’autres solvants non aqueux doit permettre d’établir un modèle quantitatif très général de la radiolyse des liquides en fonction de leurs propriétés de densité, solvatation ou diélectriques. L Encadré 1 La chimie sous rayonnement La chimie sous rayonnement étudie les transformations chimiques résultant de l’absorption par un milieu de rayonnements de grande énergie. On limite la gamme d’énergie des photons ou des électrons à 9 MeV, car c’est le seuil auquel ils pourraient commencer à interagir avec les liaisons du noyau des atomes lourds et produire ainsi des isotopes radioactifs par des réactions nucléaires, phénomènes que l’on évite complètement tant au laboratoire que dans les applications industrielles ou en radiothérapie. Contrairement à certaines idées reçues, un matériau irradié de cette façon (liquide, solide, polymère, aliment, organisme vivant...) ne devient donc pas radioactif. Figure 1 - Schéma des réactions des espèces transitoires produites par irradiation de l’eau avec ou sans un soluté S dilué en fonction du temps. Sur la gauche, distribution spatiale initiale non-homogène des ionisations dans les grappes le long de la trace, et évolution par diffusion et réaction vers une distribution homogène à 10 -7 s. Au-delà, les espèces disparaissent progressivement [1].

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l’actualité chimique - février 2008 - n° 316II

Le dossier

La chimie sous rayonnementDes aspects fondamentaux aux applicationsdans les sciences des matériaux et les sciences de la vieJacqueline Belloni, Mehran Mostafavi, Thierry Douki et MÈlanie Spotheim-Maurizot

Ce dossier a été préparé à partir de l’ouvrage collectif « Radiation Chemistry – From basics to applicationsin material and life sciences » édité par EDP Sciences et L’Actualité Chimique [1-20], qui paraîtra le moisprochain dans la nouvelle collection « L’Actualité Chimique – Livres ».

a chimie sous rayonnement englobe toutes lestransformations chimiques d’un système qui a été soumis

à un rayonnement ionisant [21-26]. Ce type de rayonnementpossède une énergie bien plus élevée que celle des photonsvisibles ou même UV. Il inclut les rayons X ou γ et les particulesanimées d’une grande vitesse telles que les électrons, lesrayons α (noyaux d’hélium), les ions accélérés ou lesfragments de fission. Leur énergie (de quelques dizainesd’électron-volts (eV) à quelques MeV) est si élevée par rapportaux énergies d’excitation des molécules et de liaison desélectrons (de quelques eV à quelques dizaines d’eV) quel’énergie communiquée aux électrons avec lesquels ilsinteragissent suffit à les éjecter et à ioniser les molécules(encadré 1).

C’est d’ailleurs par leurs effets chimiques que lesrayons X, puis les rayons α, β, γ, ou « uraniques », indétec-tables à l’œil, ont été découverts, respectivement parW. Roentgen [27] en 1895 et H. Becquerel [28] en 1896 :l’absorption de ces rayonnements à travers des écrans opa-ques avaient en effet provoqué le noircissement de plaquesphotographiques, c’est-à-dire la réduction d’ions d’argent enatomes. Cette action fut longtemps exploitée pour visualiserles trajectoires des rayonnements et l’est toujours en radio-graphie ou pour certains dosimètres. Les rayonnementspeuvent aussi ioniser l’air autour de leur source. Très vite en1898, Pierre et Marie Curie purent, grâce à l’électromètre àquadrants associé au quartz piézoélectrique mis au point parPierre, mesurer précisément l’intensité de l’ionisation pro-duite et détecter ainsi le polonium et le radium, nouveauxéléments extrêmement dilués mais détectables par leurémission de rayonnement. Parallèlement, d’autres effets

chimiques et biologiques étaient systématiquement étudiés[29].

Pierre et Marie Curie avaient observé en particulier ladissociation de l’eau, qu’ils comparaient à une « électrolysesans électrodes », ainsi que la destruction de tissus vivants.

Depuis, les mécanismes des réactions chimiques induitespar un rayonnement ionisant sont devenus bien mieux connusdans le détail, notamment grâce aux techniques d’irradiationimpulsionnelle. L’exemple de l’eau est représenté sur lafigure 1 [1].

Les thèmes abordés par la Chimie sous Rayonnement[1-20] peuvent se classer en trois grands groupes. Le premierréunit les études sur les effets primaires de la radiolyse quisont très complexes en raison du dépôt spatial spécifique del’énergie, variable selon le type de rayonnement. Ilsconditionnent la cinétique et le rendement énergétique desphénomènes qui en découlent. L’extension à d’autressolvants non aqueux doit permettre d’établir un modèlequantitatif très général de la radiolyse des liquides en fonctionde leurs propriétés de densité, solvatation ou diélectriques.

L

Encadré 1

La chimie sous rayonnementLa chimie sous rayonnement étudie les transformations chimiquesrésultant de l’absorption par un milieu de rayonnements de grandeénergie. On limite la gamme d’énergie des photons ou desélectrons à 9 MeV, car c’est le seuil auquel ils pourraientcommencer à interagir avec les liaisons du noyau des atomeslourds et produire ainsi des isotopes radioactifs par des réactionsnucléaires, phénomènes que l’on évite complètement tant aulaboratoire que dans les applications industrielles ou enradiothérapie. Contrairement à certaines idées reçues, un matériauirradié de cette façon (liquide, solide, polymère, aliment, organismevivant...) ne devient donc pas radioactif.

Figure 1 - Schéma des réactions des espèces transitoires produitespar irradiation de l’eau avec ou sans un soluté S dilué en fonctiondu temps.Sur la gauche, distribution spatiale initiale non-homogène des ionisationsdans les grappes le long de la trace, et évolution par diffusion et réaction versune distribution homogène à ≈ 10-7 s. Au-delà, les espèces disparaissentprogressivement [1].

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IIIl’actualité chimique - février 2008 - n° 316

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Le deuxième thème concerne les mécanismeschimiques qui peuvent être déclenchés par les états excitéset les radicaux neutres ou ioniques primaires. Les étapesélémentaires de nombreux mécanismes réactionnels de lachimie et les propriétés spectrales et réactives desintermédiaires sont ainsi déterminées. Cette connaissancepermet aussi de sélectionner les conditions pour orienterefficacement une réaction en vue de certaines applicationsimportantes. Les applications directes de la radiolyse sontdes procédés chimiques très variés : des réactionsd’oxydation (encadré 2) comme la dépollution, ou deréduction comme la synthèse de nano-agrégats métalliquesalliés, ou bien encore des réactions radicalaires depolymérisation et de greffage de polymères.

Le dernier thème traite des très nombreux mécanismesmettant en jeu des biomolécules, au premier rang desquellesl’ADN. Comprendre sa sensibilité à l’action directe durayonnement ou indirecte des radicaux radiolytiques et saréparation est crucial pour la radiobiologie, la radioprotectionet la radiothérapie. La chimie sous rayonnement permet ausside décomposer les étapes des mécanismes de la chimie duvivant ou de ses dérèglements pathologiques, et de l’actionpharmacologique de certaines molécules.

Les techniques d’étude consistent à irradier le milieu selondeux régimes donnant des informations complémentaires.L’irradiation en régime stationnaire utilise des sources derayonnement continues, par exemple de 60Co ou 137Cs, quiémettent des rayonnements γ pénétrants : on analyse alorsen détail tous les produits stables, ce qui permet de suggérercertains mécanismes. En régime impulsionnel, l’irradiationest effectuée par une impulsion brève d’accélérateur departicules (électrons, protons, ions lourds) couplée à desdétections rapides résolues en temps : elles permettentde suivre, malgré leur existence éphémère, le sort desintermédiaires transitoires très réactifs qui sont libres dediffuser dans le milieu (états excités, radicaux libres…) [2].

D’après l’ensemble des informations cinétiquesrecueillies jusqu’à la formation des produits stables, on peutainsi construire, qualitativement et quantitativement, lemécanisme de la succession des événements provoqués parle passage du rayonnement. Le principe de la radiolyse pulséeconsiste donc à produire dans une impulsion courte (dequelques micro-, nano- ou picosecondes – soit 10-6, 10-9 ou10-12 s – suivant les avancées des techniques) une énergie derayonnement suffisamment grande pour que les espècestransitoires formées soient détectables et leur cinétique deréaction observable. Les plus réactives ne sont accessiblesque grâce à des impulsions très brèves et à des systèmes dedétection aux temps de réponse ultra-rapides. Aujourd’hui,les accélérateurs d’électrons de dernière génération commele LEAF (« Laser-Electron Accelerator Facility ») duLaboratoire national de Brookhaven (E.-U.) sont capables deproduire en seulement quelques picosecondes des

impulsions d’électrons de 9 MeV avec des courants dequelques nanocoulombs (figure 2) [2].

Des installations similaires fonctionnent au Japon, àl’Université d’Osaka, au Nuclear Energy Radiation Laboratoryde Tokai-Mura, à l’Université Waseda de Tokyo, et en Europe,tel l’accélérateur picoseconde ELYSE (pour « LYSE parElectrons »), situé sur le campus d’Orsay de l’Université Paris-Sud. D’autres sont en construction à l’Université technique deDelft (Pays-Bas), au Bhabha Atomic Research Center deMumbai (Inde) et à l’Institut de physique appliquée deShanghai (Chine). Les systèmes les plus rapides de détectionrésolue en temps couplés à ces instruments sont basés surla transmission ou l’émission de la lumière (UV, visible etproche infrarouge) (figure 3). Mais on peut aussi utiliserd’autres techniques temporelles comme la conductivité, larésonance paramagnétique électronique, la spectroscopie

Encadré 2

Oxydation et réductionL’oxydation consiste à enlever un ou plusieurs électrons à unemolécule, la réduction à les lui donner. Le potentiel de réductionmesure l’avidité d’une molécule ou d’un radical libre pourl’électron, sur une échelle dont l’origine correspond au potentiel del’électrode normale à hydrogène où des protons H+ donnent ½ H2.Pour que l’électron soit transféré, le potentiel de réduction de lamolécule donneur doit être inférieur à celui de l’accepteur.

Laser

Pilote81,6 MHz

PLL2856 MHz

Réglagede phase Klystron

AlimentationHF

Photocathode

h

Figure 2 - Les électrons sont générés par effet photoélectrique dansune impulsion très courte grâce à une impulsion laser subpico- oupicoseconde excitant une photocathode. Ils sont ensuite accélérésà travers les cavités micro-ondes jusqu’à 9 MeV [2].

Figure 3 - Schéma de détection spectrophotométrique synchroni-sée avec l’accélérateur d’électrons de résolution picoseconde.La source de lumière peut être une lampe blanche au xénon ou une impulsionde lumière blanche formée sur un saphir excité par une fraction de l’impulsionlaser (qui sert par ailleurs à générer les électrons, figure 2). Pour enregistrerla variation de l’absorbance en fonction du temps, cette impulsion sonde estdécalée en faisant varier le chemin optique parcouru. La lumière dansl’échantillon est colinéaire avec le faisceau d’électrons. La lumière transmiseest ensuite décomposée en longueur d’onde par un monochromateur etmesurée par une photodiode, une caméra CCD ou une caméra à balayagede fente [2].

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IV l’actualité chimique - février 2008 - n° 316

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Raman ou infrarouge qui permettent d’identifier lesintermédiaires réactionnels.

Mécanismes primaires de la radiolyse des liquides et des solutions

La première caractéristique de l’interaction d’unrayonnement de grande énergie est que tout électron lié à l’undes atomes du milieu irradié peut être éjecté, même s’ilappartient à une couche profonde fortement liée [1]. Dans unesolution diluée, la quasi-totalité de l’énergie est ainsi absorbéepar les électrons des molécules du solvant, qui sont les plusabondantes. Les phénomènes primaires sont par conséquentcommuns à toutes les solutions du même solvant, car lesoluté intervient seulement indirectement avec les espècesissues du solvant (figure 1) [1]. C’est une différence majeureavec l’action photochimique des photons visibles ou UV quisont absorbés en résonance par des molécules, en généralun soluté possédant les énergies de liaison correspondantes,alors que le solvant est choisi transparent. L’interaction d’unrayonnement de grande énergie avec un milieu dense a pourautre caractéristique très importante de produire desélectrons de grande vitesse qui à leur tour peuvent ioniser encascade les molécules auprès de leur trajectoire. La fractiond’énergie transférée croît lorsque l’électron secondaireralentit, c’est-à-dire majoritairement en fin de parcours où lesmolécules excitées et ionisées sont groupées en « grappes »,selon une distribution spatiale initiale très hétérogène(figure 1). La répartition elle-même de ces grappes est plusou moins dense le long de la trajectoire du rayonnementincident selon la nature du milieu et surtout le type derayonnement. Le transfert moyen d’énergie par unité delongueur (« transfert d’énergie linéique ou TEL) est bien plusfaible pour les rayons X, γ et les faisceaux d’électronsaccélérés que pour les faisceaux de particules ou d’ionslourds. À énergie incidente comparable, ces derniers sontdonc plus absorbés et par conséquent moins pénétrants.

En raison de leur confinement, les ions et radicaux issusdes grappes ont une plus grande probabilité de réagirmutuellement. Là encore, ceci diffère des espèces produitespar l’absorption de photons visibles-UV par un soluté qui sontréparties uniformément dans la solution. Comme le montre lafigure 1 [1], après le dépôt spatial initial hétérogène del’énergie, par exemple dans l’eau, les molécules excitéesH2O* et les paires d’ions (H2O+, e-) sont très proches durantles étapes primaires de la radiolyse, et les radicaux qui ensont issus réagissent selon une cinétique non homogèneintragrappe. Progressivement, ces espèces diffusent aussi,se répartissent uniformément et finissent par se recombinerselon une cinétique homogène. Dans l’eau très pure, ellesreforment H2O. Dans une solution aqueuse contenant unsoluté S, les étapes primaires sont les mêmes que dans l’eau.Puis, selon sa concentration, le soluté S entre aussi encompétition pour réagir avec les espèces issues de l’eau. Lesprincipales sont le radical OH., qui est très oxydant et à ce titrejoue un rôle important dans l’oxydation, notamment desbiomolécules, et l’électron hydraté eaq

- ou l’atome H. en milieuacide, qui sont tous deux très réducteurs (figure 1). Lesréactions avec S donnent des produits transitoires, puisfinalement des molécules stables. L’oxygène est un solutéparticulier car il est omniprésent en condition aérée et réagitactivement avec eaq

- et H. pour donner respectivement lesradicaux O2

-. et HO2. qui sont au contraire oxydants. Dans

l’eau aérée pure, les produits stables sont H2 et H2O2. Dans

les solvants autres que l’eau, les mécanismes primaires de laradiolyse sont homologues.

Le rendement énergétique de l’irradiation estparticulièrement élevé car la conversion chimique, effectuéeà température ambiante, est ciblée pour donner directementles espèces très réactives souhaitées, et par ailleurs, lesdéperditions thermiques dues à la thermalisation desélectrons ou aux recombinaisons des radicaux sont faibles enprésence du soluté capteur. C’est également la raison pourlaquelle ces processus donnent lieu à des applicationsindustrielles en nombre croissant. L’unité de dose absorbéeest le Gray (1 Gy = 1 J.kg-1). Le rendement radiolytique, quiest le rapport entre le nombre de moles transformées(produites ou détruites) et la dose absorbée est mesurée parl’unité G en mol.J-1. Par exemple, à faible TEL, le rendementd’ionisation initiale de l’eau dans la figure 1 est proche deG0

ion ≈ 4,5 × 10-7 mol.J-1 et le rendement d’excitation initialede G0

exc ≈ 3 × 10-7 mol.J-1. L’énergie du rayonnement estdonc transformée sous forme chimique à environ 60 %.

L’un des processus primaires importants est l’ionisationde molécules du solvant et l’éjection d’un électron secondairequi se solvate [3]. La découverte de l’électron solvaté remonteaux études par C. Kraus en 1904 dans des solutionsmétastables de métaux alcalins dans l’ammoniac liquide dontla conductivité excédait de beaucoup celle qu’il avait déjàétablie pour les sels alcalins correspondants (tout en restantnéanmoins bien plus faible que celle d’un électron dansun métal !).

L’interprétation audacieuse de Kraus fut d’imaginer quele métal alcalin se dissociait en solution en un cation et unélectron de grande mobilité qui, par analogie avec les autresions chargés, pouvait orienter les dipôles du solvant autourde lui, c’est-à-dire se solvater. Cette espèce chimiquesingulière possède un volume comparable à celui d’un anioncar sa charge est assez délocalisée sur les molécules desolvatation. En tant qu’électron célibataire, il se comportecomme un radical très réducteur et les solutions de métalalcalin sont encore souvent utilisées pour réduire descomposés organiques. Mais l’intérêt pour l’électron solvatéfut activement relancé lorsqu’il apparut que certainesréactions pouvaient lui être imputées après l’ionisation d’unliquide par un rayonnement de grande énergie. Malgré sesréactions rapides avec diverses autres espèces (figure 1), laformation de l’électron solvaté fut mise en évidence parradiolyse pulsée grâce à son spectre d’absorption optiquedans le proche infrarouge, d’abord dans l’eau puis dans unetrès longue liste de liquides plus ou moins polaires (figure 4)[3]. C’est aujourd’hui l’espèce chimique dont on peutcomparer les propriétés dans le plus grand nombre de milieuxet les plus divers. Ceci peut nous renseigner sur les transfertsd’électron qu’il peut y induire et sur les interactions desolvatation avec les molécules environnantes, et parextension sur celles de tous les autres ions. Sa structure dansl’eau est suffisamment bien modélisée (figure 5) [30] pourrendre compte de la plupart de ses propriétés, notamment deson large et très intense spectre d’absorption optiqueasymétrique et de ses variations avec le solvant, latempérature ou la pression. La dynamique de la solvatationd’un électron étant en général ultrarapide, elle ne fut d’abordobservée que par radiolyse pulsée d’alcools visqueux à bassetempérature où la solvatation peut durer quelques dizaines denanosecondes. En fin d’impulsion, peu après la création del’électron lorsque les interactions avec le solvant sont encorefaibles, le spectre d’absorption a son maximum loin dansl’infrarouge et il évolue progressivement jusqu’à un spectre

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déplacé vers le bleu où il ne change plus de forme. Cetteévolution est interprétée comme une interaction de plus enplus forte entre l’électron éjecté et les dipôles du solvant(figures 6 et 7) [3].

Pour des solvants peu visqueux comme l’eau, il fallutattendre le développement vers 1985 des lasers puissants àimpulsion de quelques dizaines de femtosecondes (10-15 s)pour pouvoir exciter très rapidement une molécule au-dessusdu seuil d’ionisation grâce à l’absorption de deux photons UV[31]. Les phénomènes ressemblent aux précédents mais enbeaucoup plus rapide puisqu’à 20 °C la solvatation dans l’eauest achevée en 200 fs (figure 6) [31] et dans l’éthane 1-2-diolen 40 ps (figure 7) [3]. La similitude entre l’évolution continuede la forme des spectres de l’électron solvaté dans l’éthane1-2 diol lorsque le temps augmente (figure 7) et l’évolutionquand la température décroît (figure 8) suggère que lasolvatation débute dans un environnement localement pluschaud, qui se refroidit ensuite [3].

L’électron solvaté est un état relaxé, appelé fondamental.Mais en raison de sa très grande réactivité, ne serait-ce quedans la recombinaison géminée avec les cations forméssimultanément (figure 1), sa concentration décline rapide-ment (figure 9). Le déclin est d’autant plus marqué que laconstante diélectrique du solvant est faible. Toutes les étudessur l’électron solvaté sont donc effectuées en régime pulsépendant leur brève période d’existence, de même que pourles autres espèces instables, radicaux libres ou états excités.

Les modèles de la radiolyse de l’eau [4], pourtant trèsélaborés, ne sont pas encore assez complets pour prédirequantitativement ce que provoquerait l’irradiation de l’eau pardes rayonnements de fort TEL, ou dans des conditions detempérature ou de pression très élevées comme celles desfuturs réacteurs refroidis à l’eau supercritique. Les études ontdonc été étendues à plus haute température et pression grâce

Figure 4 - Spectres d’absorption optique de l’électron solvaté dansdivers solvants à température ambiante (sauf dans quelques casspécifiés).La figure de Dorfman et Jou [33] a été complétée par des données plus récen-tes [3]. GLY : glycol ; PD : propane diol ; EG : éthylène glycol ; MeOH :méthanol ; EtOH : éthanol ; PrOH : propanol ; EDA : éthane-1,2-diamine ;DEA : diéthanolamine ; 13PDA : propane-1,3-diamine ; THF :tétrahydrofurane ; DME : diméthyléther ; DEE : diéthyléther ; Diglyme : bis(2-méthoxyéthyl)éther ; R4NNTf2 : méthyl-tributyl-ammonium bis[trifluoromé-thyl-sulfonyl]imide.

Figure 5 - Représentation schématique de l’électron hydraté àl’équilibre (simulations moléculaires par C. Nicolas et coll. [30]).La charge négative délocalisée de l’électron en jaune est entourée demolécules d’eau créant une cavité d’environ 2,5 Å de rayon.

∆A [1

0-3]

λ [nm]

Figure 6 - Évolution temporelle du spectre d’absorption optiqued’électrons en excès formés dans l’eau après l’ionisationbiphotonique (impulsions de 200 fs).Le spectre de l’électron préhydraté, observé pour la première fois, se trouvedans l’infrarouge. Les caractéristiques particulières de l’électron hydratésont déjà présentes après quelques ps [31].

Figure 7 - Évolution temporelle du spectre d’absorption optiqued’électrons en excès formés dans l’éthane 1-2 diol liquide aprèsl’ionisation biphotonique (impulsions de 200 fs à 263 nm).En insert : après son éjection d’une molécule lors de l’ionisation, l’électronperd progressivement son excès d’énergie et se thermalise par collisions avecle solvant. Puis il se localise dans un site du solvant et devient solvaté quandles molécules du solvant ont atteint leur configuration d’équilibre (expériencesELYSE) [3].

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à des cellules adaptées. En particulier, les réactions derecombinaison de l’électron solvaté avec les radicaux parentsOH. ou les protons H3O+ (figure 1) s’accélèrent fortement,mais au-delà de 250 °C, la loi d’Arrhenius n’est plus suffisantepour prédire les constantes de vitesse. La notion de TEL estune grandeur moyenne mesurant le dépôt d’énergie le longd’une trace, mais les effets locaux dépendent aussi de lamasse et de l’énergie de la particule incidente. On étudie leseffets des rayonnements de TEL très élevé grâce à desfaisceaux d’ions lourds accélérés [4]. Le dépôt d’énergie étantplus dense dans ces traces, de nouveaux radicaux quirésultent de l’oxydation de H2O2 par OH. sont formés tels queHO2

. ou O2-.. Ils se recombinent en donnant H2O2 + O2 : c’est

la source de l’oxygène moléculaire (figure 1). Le rôle dufacteur TEL sur le rendement de ces espèces doit donc êtredéterminé précisément, en faisant varier par exemplel’énergie initiale des ions carbone (12C dans la figure 10) [32],ou en changeant la nature de l’ion (36S et 40Ar) [4]. Un modèleélaboré du dépôt de l’énergie des rayonnements de TELélevé, prenant en compte ces données [33], est donc d’une

grande importance. En effet, ces conditions se trouventréunies non seulement dans les réacteurs, mais égalementdans l’espace où ces rayonnements sont bien plus intensesque sur Terre, et en radiothérapie qui fait parfois appel à cesrayonnements pour leur absorption très localisée dans lessystèmes biologiques.

Mécanismes déclenchéspar les espèces radiolytiques primaires

Le second grand groupe de travaux abordés par la chimiesous rayonnement exploite justement la connaissanceprécise acquise sur les rendements radiolytiques en ions etradicaux libres primaires sous rayonnement à faible TEL(rayons X, γ, électrons accélérés) pour amorcer dansdifférents milieux des mécanismes réactionnels importantssur le plan fondamental ou appliqué [1].

La compréhension du mode d’action des radicaux libresproduits dans la radiolyse de l’eau permet aussi de guiderle choix des conditions pour favoriser l’une des voies encompétition [1]. On peut en particulier orienter les réactionspour générer des radicaux uniquement oxydants ouréducteurs.

Les propriétés spectrales et les rendements des espècesradiolytiques primaires sont connus et leur distributionspatiale devient homogène au plus tard vers 10-7 s après ledépôt d’énergie dans le milieu. Il est alors possible d’observerleurs réactions avec une grande variété de solutés S selon leslois de la cinétique homogène (figure 1), d’établir à leur tourles propriétés spectrales et réactives des radicaux libressecondaires, neutres ou chargés, issus de S, et de construirede proche en proche toute une chimie très riche desintermédiaires réactionnels, au plus près des étapesélémentaires du mécanisme. Les constantes de vitesseabsolues sont déterminées. De même que les composésstables, les radicaux peuvent présenter des formes acides oubasiques et leur pK peut être établi. Grâce aux réactions detransfert d’électron avec des composés de potentiel de

Figure 8 - Spectres d’absorption optique d’électrons solvatésdans l’éthane 1-2-diol à différentes températures.On remarque que le maximum est dans l’infrarouge d’autant plus lointain quela température est élevée (expériences sur l’accélérateur de Tokai-Mura,Japon) [3].

Figure 9 - Déclins de l’électron solvaté dans l’eau et dans THF dusaux réactions dans les grappes.Le déclin est d’autant plus rapide que le solvant est moins polaire (expériencesELYSE) [3].

Figure 10 - Rendement radiolytique G(HO2. + O2

-.) du radical HO2.

dans sa forme neutre et dans sa forme basique O2-. en fonction du

TEL [4].Les résultats avec l’ion 12C d’énergie incidente variable sont représentés parla courbe noire [35]. Deux points expérimentaux se réfèrent au seul rendementG(HO2

.) produit par les ions du soufre 36S et de l’argon 40Ar, à comparer avecles courbes rouges résultant d’un modèle de simulation pour G(HO2

. + O2-.)

en ligne continue et G(HO2.) en ligne pointillée [36]. En insert : trace calculée

d’un rayonnement α de quelques MeV. Chaque point est l’ionisation d’unemolécule d’eau (expériences à GANIL) [4].

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réduction connu, le potentiel de réduction de ces espècestransitoires peut être également évalué. L’ensemble de cespropriétés (constantes de vitesse, pK, spectres d’absorptionoptique ou RPE, potentiel de réduction, mobilité), consignéesdans des tables constamment enrichies [34], permetd’identifier un radical libre, pourtant éphémère, aussisûrement qu’un composé stable auquel diverses analyseschimiques pourraient être appliquées. Naturellement, cespropriétés ne dépendent pas du mode de production etrestent applicables dans tout autre processus chimique,photochimique, électrochimique… où ces radicaux seraientsusceptibles de se former. Ces études permettent ainsi devalider les modèles des théories cinétiques, notammentcelles sur le transfert d’électron.

Intermédiaires réactionnels dans l’espace

Un exemple très intéressant où les mécanismes radioly-tiques pourraient avoir joué un rôle important dans le passé,et peut-être aujourd’hui dans d’autres galaxies, est celui del’origine de la vie sur Terre [5]. Dans leurs célèbres expérien-ces en 1950, S. Miller et H. Urey soumirent un mélange deméthane, ammoniac, hydrogène et eau à des courants élec-triques pour simuler les conditions supposées alors sur Terreet trouvèrent du carbone et des acides aminés. On penseaujourd’hui que l’énergie pour former les radicaux précur-seurs provenait plutôt des rayonnements UV des étoiles, desX et γ émis par les étoiles à neutrons et des rayons cosmiquescomposés de protons et d’ions lourds émis lors d’explosionsde supernovas. Quant à la synthèse de molécules de la vie,de nombreuses autres hypothèses furent émises. Il ne suffitpas en effet que des molécules prébiotiques soient formées(plusieurs ont été détectées dans l’espace interstellaire), maisfaut-il encore que les probabilités de rencontre soient appré-ciables pour amorcer un processus chimique, ce qui est peuprobable compte tenu des très basses conditions de pressionrégnant dans ce milieu. Les zones les plus favorables à de tel-les réactions seraient la surface de poussières interstellairessur laquelle les molécules seraient plus concentrées et, à cestempératures, sous forme de couches de glace (figure 11).Des expériences à 10 K d’irradiation UV sur des glaces deH2O:CH3OH:NH3:HCN par le groupe de M.P. Bernstein(NASA AMES Laboratory) ou de H2O:CH3OH:NH3:CO:CO2par le groupe de G.M. Munoz-Caro (Université de Leiden) ontproduit en effet plusieurs aminoacides, et des irradiations parélectrons de CO2:CH3CN ou CO2:NH3 ont produit principa-lement de la glycine [5]. Ces poussières abritant les acidesaminés pourraient ultérieurement coalescer en comètes etmétéorites qui de fait contiennent souvent ces constituantsdes molécules biologiques et viendraient ainsi ensemencer laTerre (hypothèse de la « panspermie »).

Processus d’oxydation

On peut rendre le milieu totalement oxydant en saturantune solution aqueuse avec le gaz N2O. Les électrons hydratése-

aq sont captés par N2O en donnant les radicauxsecondaires O-., aussitôt remplacés par réaction avec lesprotons par des radicaux OH., très oxydants, qui s’ajoutentaux radicaux OH. formés primairement (figure 12).

De même, l’addition de H2O2 qui réagit avec lesréducteurs H. et e-

aq permet de leur substituer les radicauxtrès oxydants OH.. Avec l’oxygène O2, on forme, outre OH.,les radicaux assez oxydants HO2

./O2-.. Cette méthode est

largement employée pour étudier le comportement de

molécules d’intérêt biologique qui se trouvent en général enmilieu oxygéné [12-20].

Un autre problème majeur actuel est de préserver pournotre environnement des eaux de qualité sûre, alors qu’ellesse voient menacées par leur utilisation intensive dansl’habitation, l’urbanisme, l’agriculture, l’élevage et l’industrie.Elles contiennent de plus en plus de polluants très variés dontbeaucoup résistent à l’oxydation conventionnelle ou à ladégradation biologique (justement à cause de leur toxicité) [6].Citons parmi les plus courants les composés chlorés issusdes produits de désinfection ou de traitement du bois, desdioxines, des biphényles polychlorés (PCB), des dérivés dubenzofurane, des pesticides comme le carbofurane...

De même, les colorants et les pigments, largement utilisésdans l’industrie, sont une source importante de pollution quidoit être traitée avant rejet dans l’environnement. Des étudespar radiolyse γ ou pulsée permettent de définir les conditionsoptimales et les mécanismes de dégradation [6]. À l’échelleindustrielle, l’irradiation par faisceau d’électrons accélérés(en anglais « E-beam ») est l’un des processus avancésd’oxydation (PAO) qui permet d’oxyder efficacement lesmolécules toxiques car elle produit des radicaux libres OH.

dont le potentiel oxydant est le plus élevé (figure 12). Enparticulier, les coupures du noyau aromatique et ladécomposition en chaîne grâce à la formation de radicauxperoxyde en milieu oxygéné rendent le procédé trèsperformant. L’oxydation sous faisceau d’électrons (figure 13)offre en outre les avantages d’un traitement physico-chimique à température et pression ambiantes, qui nenécessite pas d’additifs, et qui est capable de pénétrerprofondément dans l’eau, même colorée ou turbide. Il peutdépolluer, localement à la source des effluents, des volumesassez importants venant d’usines, hôpitaux, réseauxmunicipaux ou élevages. La puissance de l’installation estrapidement ajustable en fonction des besoins en contrôlantle courant des électrons. Les polluants peuvent être détruitsjusqu’à complète minéralisation, mais il suffit le plus souventqu’ils soient partiellement oxydés en composantsdégradables biologiquement. Le traitement élimine en outre

Figure 11 - Formation moléculaire sur des grains de poussièreinterstellaire.1. Couche de glace formée par accrétion sur des grains de poussière. 2. La couchede glace est exposée à l’irradiation venant du milieu interstellaire. 3. De la glace estensuite accumulée sur les couches irradiées. 4. Du matériau et des molécules geléssont éjectés dans la phase gazeuse au cours d’évènements de réchauffementtels que des chocs et des collisions grain-grain [5].

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les virus et bactéries. Enfin, la conversion chimique del’énergie du faisceau absorbée étant particulièrementefficace, le traitement est très compétitif sur le planéconomique ainsi que le montrent des installations pourdépolluer des eaux municipales, des effluents d’usinestextiles utilisant des colorants avec recyclage des eaux aprèsdépollution comme en Corée du Sud (figure 13), ou deseffluents d’usines de gomme synthétique comme en Russie.

Processus de réduction

Symétriquement, on peut rendre un milieu totalementréducteur sous irradiation grâce à la présence d’alcoolsprimaires et secondaires (méthanol, éthanol, 2-propanol…)ou de l’anion formiate (HCO2

-) qui captent OH. et H. et dontles radicaux respectifs .CH2OH, CH3

.CHOH, (CH3)2.CHOH et

CO2-. sont très réducteurs [1]. Par exemple, les ions

métalliques, éventuellement complexés, sont ainsi réduits àune valence inférieure par réaction avec e-

solv ou les radicauxci-dessus, issus de la capture de OH. et H.. Par radiolysepulsée, on peut observer des valences instables jamaisobservées jusque-là, comme AuII, Ni+, Cd+, Co+, Zn+… qui

sont de fait les intermédiaires de la réduction, et déterminerleurs constantes de vitesse de formation ou de réactionavec divers composés [34].

La dernière étape de réduction aboutit aux atomes dumétal qui coalescent en dimères, trimères… et finalement enpetits agrégats de quelques atomes, appelés aussi clusters(figure 14) [7].

Grâce à cette méthode radiolytique qui permet deconnaître l’avancement précis de la réduction, il est apparuen 1973 que les atomes naissants et les premiers agrégatsprésentaient des propriétés chimiques singulières, propicesà l’oxydation, par conséquent très différentes du métal massifcorrespondant, surtout s’il est noble comme l’or, l’argent… Ilfallut donc introduire un concept nouveau qui attribue auxagrégats un potentiel de réduction distinct du métal massifet d’autant plus faible que l’agrégat contenait moinsd’atomes. On parvient à mesurer le potentiel d’un agrégat,pendant le bref temps de son existence, comme pour unradical. On déclenche par une impulsion la cascade decoalescence des atomes en présence d’un donneurd’électrons D de potentiel connu agissant comme unmoniteur de seuil (figure 15). Le temps d’induction nécessairepour qu’à partir d’atomes, Ag° par exemple, des agrégatssurcritiques Agn

+ de même potentiel soient formés etcommencent à accepter un électron du donneur nous informesur la valeur de n à ce potentiel. L’agrégat réduit Agn fixe àson tour un ion Ag+, et Agn+1

+ formé peut accepter à nouveauun électron de D, et ainsi de suite comme dans undéveloppement chimique en chaîne. Une série de donneursdifférents permet d’établir l’ensemble des valeurs réuniessur la figure 16.

Une telle variation permet d’abord de comprendre lesmécanismes de nucléation et de croissance des agrégats,qu’ils soient formés par radiolyse ou par un réducteurchimique D. En effet, dans les synthèses « bottom-up »partant des atomes, le potentiel des ions monovalents M+/M°en solution est si négatif qu’il constitue une barrièrethermodynamique opposée à la réduction homogène de

Accélérateurd’électrons

Figure 12 - Systèmes aqueux homogènes ou hétérogènes utilisésdans des processus avancés d’oxydation (AOP) déclenchés parirradiation par faisceau d’électrons pour produire OH. et autresradicaux oxydants. En particulier, les électrons hydratés réducteurseaq

- sont captés pour être remplacés par des radicaux oxydants [6].

Figure 13 - Installation de traitement des eaux polluées combinantirradiation par faisceau d’électrons et réacteur chimique/biologique(d’après Bumsoo Han, EB-TECH Co Ltd, Daeduk Tech-Valley,Corée du Sud) [6].

Impulsionde 3 ns

Figure 14 - Évolution en fonction du temps (en échellelogarithmique), après une impulsion d’électrons de 3 ns, desspectres d’absorption optique des espèces transitoires forméesdans une solution aqueuse d’ions d’argent.La première est l’électron hydraté qui réduit les ions en atomes Ag1, eux-mêmes remplacés par les dimères chargés Ag2

+, les tétramères Ag42+

jusqu’aux clusters stables Agn. Les réactions de ces espèces transitoires, parexemple avec un donneur D, peuvent être étudiées de même en observant lavariation du spectre de D et les changements de cinétique sur la coalescencede Agn [7].

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M+ en M° par D (seul e-solv est un réducteur suffisamment

puissant pour y parvenir) et donc à la formation de Mn. Enoutre, à débit de dose élevé, tous les ions sont réduitssoudainement par e-

solv en atomes isolés, empêchant qu’ilspuissent se fixer sur des atomes ou agrégats, contrairementau cas du débit de dose faible (figure 15) [7].

La coalescence après impulsion d’irradiation aboutit ainsiaux agrégats les plus petits (< 2 nm). À l’extrême, la réductionpar D d’agrégats déjà formés servant de germes aboutit à detrès gros clusters (n augmente comme le cube du diamètre).

De même, la réduction radiolytique rapide d’un mélanged’ions à haut débit de dose conduit à des nano-agrégatsparfaitement alliés, car elle évite la réaction parasite du

transfert d’électron de l’atome de métal le moins noble à union du plus noble. Ce phénomène, qui favoriserait d’abord laréduction du dernier et la formation d’une structure d’agrégatbimétallique ségrégé en couches, est au contraire le plusfréquent à faible débit de dose ou par voie chimique.

La méthode de réduction induite par radiolyse des ionsmétalliques à température ambiante permet d’éviter toutadditif et ses sous-produits, de limiter la taille finale desagrégats et, grâce à la pénétration des rayonnements, de lesgénérer en surface ou à l’intérieur de pores de supportsmicrohétérogènes très divers, même opaques (oxydes,carbone, silice, zéolithes…), y compris de systèmespolymères thermosensibles (figure 17). Selon les conditions,on peut guider aussi la croissance de ces nanomatériauxvers des formes finales très variées. Les structuresmésophasiques de symétrie hexagonale, cubique oulamellaire, contenant les ions précurseurs dans leur phaseaqueuse, peuvent servir de matrices temporaires pendantl’irradiation puis, après la réduction des ions, être dissoutesdans l’alcool. Ceci conduit à la synthèse de nanofils dequelques µm de longueur ou de lamelles de métal dequelques nm d’épaisseur et dizaines de nm de largeur. Lesions de platine adsorbés sur la mésophase hexagonale deCPCl (chlorure de cétyl pyrimidium) forment après réductiondes nanotubes de 10 nm de diamètre et de quelquescentaines de nm de long. La croissance peut être orientéeégalement par certains tensioactifs comme le CTAB (bromurede cétyl-méthyl ammonium) vers des structures en fils deplatine monocristallin (3-4 nm de diamètre et 20-40 nm delong), ou par un ligand comme EDTA (éthylène diaminotétracétate) qui, à partir d’un cluster sphérique de 10-15 nm,fait croître préférentiellement la face 111 par réductionchimique lente et produit des paillettes de même épaisseuret de 150 nm de large (figure 17) [7].

Débit de dose élevé< 2 nm

Débit de dose faible

< 10 nm

Développement chimique m

Figure 15 - Nucléation et croissance de clusters générés parréduction des ions métalliques (en rouge) en atomes (en bleu) parles radicaux radiolytiques (dont es

-) à haut (a) et à faible (b) débitde dose, sans ou avec donneur d’électron D (en jaune) (c).L’effet stabilisant des polymères (non représentés) empêche exclusivementla coalescence au-delà d’une certaine limite de nucléarité comme dans laréduction soudaine (a), mais il ne peut pas éviter à faible débit de dosel’adsorption d’ions sur les atomes et clusters. Les ions sont donc réduits insitu par les électrons (venant des radicaux et du donneur D), entraînant undéveloppement chimique du cluster jusqu’à de bien plus grandes tailles [7].

Figure 16 - Variation du potentiel redox d’un agrégat d’argentE°(Agn

+/Agn) dans l’eau en fonction du nombre n d’atomes qu’ilcontient (l, ordonnées de gauche), et potentiel d’ionisation PI dumême agrégat Agn en phase gazeuse (∆, ordonnées de droite).Les variations sont en sens opposés car l’énergie de solvatation de l’ion Agn

+

facilite l’ionisation [7].

0 1.00 µm 0 1.4 nm 0 0.30 µm

Agn (PVA) Ag73+ (PA) Agn (EDTA)

0 2 .2 µm 0 50 100 150 •m

Nin (PVA) Aun (PVA)

Ptn (CPCl)0 200 •m

a

ed

cb

f

g

Ptn (CTAB)

0 140 •m

Figure 17 - Exemples de clusters métalliques produits par irradiation.a) Image AFM de nanoclusters d’argent stabilisés par l’alcool polyvinylique PVA (lasolution aqueuse est jaune) (10 nm). b) Image STM d’un oligomère d’argent Ag7

3+

« bleu » stabilisé par le polyacrylate (la solution de ces oligomères est bleue) (n =4 atomes réduits). c) Clusters Agn plats partiellement réduits par irradiation puisdéveloppés chimiquement par EDTA (150 nm de large et 15 nm d’épaisseur). d) ImageTEM de clusters Nin stabilisés par PVA (5 nm). e) Image AFM d’un réseaubidimensionnel de clusters d’or (PVA) déposés sur mica, et auto-assemblés grâce àleur taille remarquablement homodisperse (5 nm). f) Image TEM de nanotubes deplatine synthétisés dans des mésophases hexagonales avec le surfactant CPCl.g) Image TEM de nanofils monocristallins de platine obtenus par irradiation decomplexes PtII/CTAB [7].

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De tels agrégats – mono-, bi- ou multimétalliques alliés –sont d’un très grand intérêt pour les applications magnétiquesou d’optique non linéaire (pour ceux dont le spectred’absorption optique se situe dans le visible comme lesagrégats d’or, d’argent ou de cuivre). En catalyse hétérogène,leur très grande réactivité est classiquement attribuée à leurgrande aire spécifique qui facilite l’accès des réactants. Maisil est clair qu’elle dépend aussi de leur potentiel de réductionqui décroît avec n et qui, dans la catalyse de transfertd’électron, doit se situer impérativement entre ceux dudonneur et de l’accepteur pour assurer le relais. Enphotographie ou radiographie argentiques, les agrégatsd’argent sont la base de l’image. La mise en évidence parradiolyse pulsée de la variation du potentiel de réduction avecn (figure 16) a permis de comprendre pourquoi un nombrecritique minimum d’atomes produits par la lumière dansun cristal de AgBr était requis pour permettre sondéveloppement, c’est-à-dire sa réduction ou non par lerévélateur, et assurer ainsi le contraste entre cristaux desplages exposées et insuffisamment exposées. De même,dans la figure 15c, seuls les agrégats de potentiel supérieurà celui de D peuvent être réduits et bénéficier de la cascadedes électrons jusqu’à réduction complète du cristal de AgBr.Enfin, la sensibilité des émulsions tient beaucoup à la vitesserespective avec laquelle les électrons formés par la lumièredonnent des atomes ou au contraire se recombinent avec letrou (ou lacune d’électron) formé simultanément. Par analogieavec les mécanismes de réduction radiolytique des ions ensolution, cette recombinaison a pu être totalement suppriméepar dopage des cristaux de AgBr par les ions formiate quicaptent les trous et produisent le radical réducteur CO2

-.,portant le rendement à 2 atomes par photon absorbé(au lieu de 0,20) et multipliant ainsi la sensibilité par unfacteur 10 [7].

La compréhension des mécanismes de la radiolyse estd’une importance également primordiale pour pouvoirminimiser ses effets sur des systèmes comme les matériauxcimentaires [8], car ceux-ci sont utilisés en écrans deradioprotection ou comme bétons de structure (puits de cuvede réacteurs nucléaires, casemates d’entreposage decombustibles usés) ou d’enrobage en conteneurs de déchetsradioactifs. Ce sont des milieux microhétérogènes complexesdont l’intégrité et la durabilité requièrent essentiellementd’inhiber la décomposition des eaux résiduelles interstitielles.Dans cet état de confinement au contact des ciments, parfoisdes armatures d’acier, l’eau est très basique (pH 13) avec uneforce ionique de 0,2 mol/kg et un pouvoir tampon élevé. Lesespèces radiolytiques primaires (figure 1) sont sous leurforme basique (H./eaq

-, OH./O-., H2O2/HO2-, HO2

./O2-.).

Comme en système clos à l’abri de l’oxygène de l’air,l’ensemble des réactions consomme autant de H2 qu’il nes’en forme primairement par radiolyse, une concentrationstationnaire faible est établie. Le peroxyde d’hydrogèneproduit sous sa forme basique HO2

- tend à réagir avec laportlandite Ca(OH)2 pour donner un nouveau composé solidetrès peu soluble, le peroxyde de calcium octahydrateCaO2,8H2O, qui contrôle les concentrations en calcium etperoxyde d’hydrogène et stabilise ainsi celle de O2. Si lespores sont ouverts sur l’atmosphère, la productionradiolytique de H2 est continue et en s’échappant, ce gaz estéchangé en partie par l’oxygène de l’air. L’étude de systèmesporeux modèles (verres à porosité monodisperse) permetde préciser le rôle du confinement sur les rendementsradiolytiques de l’eau, particulièrement lorsque la dimensiondes pores est plus faible que le libre parcours moyen de

diffusion des radicaux et qu’ils donnent alors parrecombinaison plus de H2 et H2O2.

Matériaux polymères

De très nombreuses molécules organiques monomèrescomportant des doubles ou triples liaisons carbone-carboneont la propriété de produire (en particulier sous irradiation) desradicaux neutres ou chargés qui s’additionnent ensuite sur ladouble ou triple liaison d’une seconde molécule, donnant unradical dimère [9]. Cette réaction amorce un processus enchaîne car le radical dimère s’additionne à son tour sur uneautre double ou triple liaison et ainsi de suite. Ce processusde propagation est très efficace puisqu’un seul radical peutcauser la polymérisation de nombreux monomères. Laterminaison survient par réaction radical + radical. L’avantagetrès important du procédé d’irradiation, généralement par γou par électrons accélérés, est d’éviter tout autre additifsouvent allergène, d’être très efficace même à températureambiante, et d’assurer grâce à la pénétration du rayonnementun amorçage homogène de la polymérisation en profondeur[9].

Si l’on part de polymères déjà formés, divers types deréaction peuvent prendre place, selon la nature du polymèreet les conditions d’irradiation (figure 18). Notons d’abord queles polymères sont très peu dégradés à faibles doses alorsque celles-ci suffisent à tuer virus et bactéries [10]. Cela donneun avantage considérable aux matériaux polymères dans lesutilisations nécessitant une stérilisation (matériel médical), quijustement est souvent réalisée par irradiation. À doses plusélevées, les radicaux de deux polymères peuvent constituerune liaison covalente de réticulation, processus qui, tout enmaintenant la forme du matériau, lui confère des propriétésde rigidité à plus haute température. Mais les chaînes despolymères peuvent aussi se couper (scission), ce qui amorceune dégradation en fragments plus petits. Les rendementsrespectifs de réticulation et scission dépendent de la naturechimique du polymère. Certains polymères, tel le poly(méthylméthacrylate), sont particulièrement sensibles à la scissionsous irradiation. La formation de peroxydes en présence

Figure 18 - Applications industrielles de l’irradiation de monomèreset de polymères [9].

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d’oxygène moléculaire amorce une dégradation en chaîne,qui est mise à profit par exemple pour graver par faisceaud’électrons les masques de nanolithographie utilisés dansla production des puces électroniques [9].

Les polymères tels que les thermoplastiques (polyéthy-lène, polyvinylchlorure, polyamides…) ou les élastomères(caoutchouc naturel, silicones...) sont au contraire essentiel-lement réticulés en un réseau tridimensionnel homogènedans la masse. L’amélioration de leurs performances consti-tue l’application commerciale la plus importante desprocédés par irradiation, comme pour l’isolation des câblesélectriques, les films multicouches des poches de cuisson, lesemballages alimentaires avec film multicouche métal-poly-mère, les tubes à mémoire de forme, les tuyaux résistant à lapression, les mousses, les éléments de moteur de voitureexposés à la température… La réticulation permet de stabi-liser aussi des mélanges homogènes de polymères quisubiraient sinon une séparation de phase. Le traitement parirradiation des encres, émulsions pour peintures et des revê-tements est une application très prometteuse sur le plan deséconomies d’énergie et de protection de l’environnement, carelle ne nécessite aucun solvant et évite de produire des com-posés organiques volatils (COV). Les composés, comme desdérivés acryliques ou des vinyl-aromatiques..., sont appli-qués à l’état liquide ou visqueux et deviennent solides grâceà la réticulation radiolytique, les pigments et additifs éventuelsétant retenus dans ce revêtement. La réticulation se produitjusqu’à l’interface avec le substrat, ce qui assure en outre uneforte adhésion du revêtement. Le traitement par irradiation dematériaux composites en polymère renforcé par des fibrespermet de fabriquer des éléments très performants pour lesvéhicules spatiaux, terrestres, ou les bateaux (figure 19) [9].

La préservation d’objets archéologiques fragiles, en boisou en matériau poreux, peut être aussi obtenue parréticulation de résines imprégnées dans la masse de l’objet[9]. En outre, le traitement éradique en profondeur lesinsectes et les moisissures.

Le greffage consiste à produire par irradiation desradicaux libres sur un substrat polymère de formequelconque, de préférence en présence d’oxygène, puis deles faire réagir avec les monomères ou polymères à grefferpour créer la liaison. L’ensemble substrat-monomères peut

être également irradié directement. L’industrie textile aadopté le procédé pour faciliter la teinture des fibres (greffagede polymères polaires), pour réduire leur caractère hydrophileet comme traitement antitaches (greffage de polymèresfluorés), ou pour rendre stériles des textiles médicaux(greffage d’antiseptiques). Des super-absorbants sontobtenus en greffant des polymères hydrophiles sur lacellulose ou l’amidon. Des appareils biomédicaux à base deplastiques sont modifiés avec des couches hydrophiles pouraccroître leur biocompatibilité (prothèses), ou pour réduire lesrisques d’hémostase (cathéters, reins artificiels, appareilsde circulation extracorporelle). De nouvelles membraneséchangeuses d’ions permettent de mieux décontaminer leseaux polluées. La palette des applications industrielles de laradiopolymérisation est donc extrêmement large (figure 18) etne cesse de s’élargir grâce à une grande spécificité desréactions et au développement d’installations très adaptées.

Traitement des médicaments et des aliments

C’est une application directe de la grande sensibilité desorganismes vivants à l’irradiation. Le traitement est destinésoit à supprimer la présence de germes pathogènes dans despréparations médicamenteuses, des composants alimen-taires fragiles à la contamination, soit à faciliter leurconservation par élimination des micro-organismes, sporesde moisissures, insectes… L’utilisation du procédé impliquede connaître comment se transforment les molécules chimi-ques en parallèle, notamment de savoir si de nouvellesmolécules nocives ne sont pas formées, enfin d’être capabled’identifier les stocks qui ont été soumis au rayonnementet à quelle dose.• Les médicaments sont des systèmes très complexes, dontle traitement par irradiation γ ou par électrons doit conserverle contenu en principes actifs, assurer la stérilité en micro-organismes pathogènes, et éviter la création de moléculestoxiques [18]. La concentration des micro-organismes encoreactifs après irradiation décroît exponentiellement avec ladose mais ne peut jamais être totale. La dose D10 est cellequi permet d’abaisser leur population à 1/10 de laconcentration initiale. Le facteur SAL (niveau d’assurance desécurité) est alors de 10-1. Il atteint la valeur de 10-6, qui estrequise pour un médicament injectable, pour une dose six foisplus grande, correspondant à environ 25 kGy. L’analyse desproduits de la radiolyse est d’autant plus difficile que lesquantités sont justement très faibles, surtout pour lesmédicaments à l’état solide qui sont radio-résistants. Maisdepuis 1990, la résonance paramagnétique électronique(RPE) et la chromatographie à haute performance (HPLC)couplée avec divers détecteurs permettent de doser lesproduits en ultra-traces. Le traitement de stérilisation parirradiation n’est pas indispensable pour tous lesmédicaments. Il concerne essentiellement les préparationsophtalmiques et tout produit stérile, les solutions injectablesqu’elles soient intramusculaires, intraveineuses ou sous-cutanées. Il est particulièrement bien adapté aux substancesthermolabiles, telles celles, en nombre croissant, quicontiennent des protéines. La stérilisation par irradiationprésente l’avantage de pouvoir être appliquée en fin deproduction dans leur emballage final, et d’éviter le traitementpar gaz toxiques comme l’oxyde d’éthylène. Il est facile decontrôler le traitement en fixant la dose absorbée dans lamasse. Mais vis-à-vis de la législation, elle fait classer lemédicament irradié comme nouveau. La Conférenceinternationale sur l’harmonisation des exigences techniques

Figure 19 - Coque de bateau de 10 m de long en polyester renforcéde fibres de verre traité par polymérisation induite par faisceaud’électrons et rayons X.La sortie des électrons du canon à gauche est entourée d’un rectangle rouge(photo : Intermarine and Astrium Space Transportation) [9].

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pour l’enregistrement des produits pharmaceutiques à usagehumain (ICH) donne ses recommandations aux États-Unis,Japon et Europe, où elles sont diffusées par l’Agenceeuropéenne pour l’évaluation des produits médicaux (EMEA)sous forme d’arbre de décision incluant le procédé del’irradiation (figure 20). Aujourd’hui, des médicamentsprovenant de plusieurs laboratoires pharmaceutiques et ainsistérilisés sont disponibles sur le marché. Les médicamentssolides sont peu dégradés car les espèces radicalairesformées ne diffusent pas et se recombinent en généralréversiblement en donnant à nouveau la molécule de départ(effet cage). De même, les solutions aqueuses gelées à bassetempérature sont moins sensibles que les liquides. Dans cesdernières, l’attaque des principes actifs par les radicaux dusolvant peut être évitée en choisissant un excipient capteurde ces radicaux, qui joue ainsi un rôle de radioprotecteur [10].• Le traitement des aliments par irradiation [11], appelé aussiionisation, est un procédé alternatif à des traitementschimiques prohibés pour leur toxicité ou les dommages àl’environnement. Il permet, sans additif de conservation et àtempérature ambiante, d’éliminer en profondeur des germesdangereux de virus et bactéries (1 à 7 kGy), de moisissureset des larves de parasites (0,15 à 0,5 kGy suffisent à bloquerleur reproduction). Selon les produits et la dose, on peut ainsigarantir l’absence des très dangereuses salmonelles, ousimplement allonger la conservation pendant le transport etle stockage. L’irradiation est effectuée aisément à traversl’emballage étanche qui garantit l’aliment contre unecontamination ultérieure. Comme pour tout produit àconsommer par l’homme, les études sont strictementvalidées par des organisations internationales telles que

l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation desNations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO),l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA)… quiseules délivrent finalement les autorisations de traitement.Les recherches sont de deux types : les unes doiventdémontrer que le traitement n’introduit aucune moléculetoxique, que les changements de goût ou d’aspect ne sontpas perceptibles, les autres doivent établir des tests fiablespour reconnaître qu’un produit a été irradié et à quelle dose.

Les recherches sur une éventuelle toxicité du traitementdes aliments par irradiation ont été menées sous les auspicesdu Projet international d’irradiation des aliments (IFIP) sur desanimaux nourris à très long terme avec ces aliments [11].Aucune de ces études en douze ans n’a pu établir la présencede produit toxique ou carcinogène. Un Comité conjointd’experts OMS/FAO/AIEA a conclu en 1980 que « l’irradiationde tout aliment jusqu’à une dose moyenne totale de 10 kGyne présente aucun risque toxicologique ; par conséquent, lestests toxicologiques ne sont plus exigés », et en 1997 que « lesaliments traités avec des doses de plus de 10 kGy peuventêtre considérés comme sains et adéquats sur le plannutritionnel s’ils étaient produits selon les bonnes pratiquesindustrielles établies. » Le Parlement européen a voté en1999 une nouvelle directive sur les protocoles acceptésque chaque pays doit adapter à sa législation.

Les composés induits par irradiation sont en effet trèsdilués (moins de 10 ppm à 10 kGy). Ce sont les mêmes quedans les autres types de traitement tels que l’appertisationou simplement dans l’auto-oxydation naturelle.

L’irradiation n’a pratiquement aucun effet sur lesprotéines dans les conditions typiques d’irradiation desaliments. Le seul effet marquant est la dépolymérisation despolysaccharides qui produit une meilleure digestibilité etdemande une moindre cuisson, mais peut parfois altérer lafermeté d’un fruit (tel que la fraise si la dose excède 3 kGy).Les lipides insaturés peuvent acquérir une saveur indésirable,qui peut être évitée à basse température. De même que dansles traitements thermiques, les vitamines peuvent être enpartie détruites mais faiblement aux doses employées. Ellesle sont davantage dans les aliments stérilisés destinésaux malades immunologiquement déficients.

La difficulté de détecter un traitement par irradiation vientprécisément du fait que les changements chimiques sont trèsfaibles et semblables aux autres traitements ou au simplepourrissement par auto-oxydation. Deux spécificités existentnéanmoins qui permettent ces tests et donc les contrôles.Dans les lipides irradiés, la proportion des hydrocarburesvolatils, des aldéhydes et des butanones est directement liéeà la composition chimique des lipides (figure 21), alors que cen’est pas le cas pour le traitement par la chaleur. Lesbutanones semblent aussi caractéristiques de l’irradiation.Des radicaux libres stables (cations et électrons) sont produitsdans les parties solides ou sèches des aliments telles que lesos, arêtes, noyaux et akènes de fruits, particules solidesadhérant aux épices et herbes, cristaux de sucre… et sontdétectables par résonance paramagnétique électroniqueavec une grande sensibilité. On peut aussi détecter cesradicaux par thermoluminescence lorsque sous un chauffagerapide ils diffusent et se recombinent en émettant de lalumière.

Mais en dépit de leurs avantages démontrés d’innocuité,efficacité, sûreté et faible coût, l’utilisation des traitementsdes aliments par irradiation est très contrastée selon les pays.L’extension future dépendra sans doute beaucoup del’information des consommateurs.

Figure 20 - Arbre de décision pour le choix du mode de stérilisationpour des produits liquides non aqueux, semi-solides oupulvérulents, recommandé par la Conférence internationale surl’harmonisation des exigences techniques pour l’enregistrementdes produits pharmaceutiques à usage humain [10].

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Action du rayonnementsur les biomolécules

L’acide désoxyribonucléique (ADN) est la moléculeessentielle de la vie puisqu’il contient toute l’informationgénétique et qu’il assure sa transmission de génération engénération à chaque division cellulaire. L’ADN se trouveprincipalement dans le noyau des cellules, en interactiondirecte avec des protéines (histones) avec lesquelles il formeune structure appelée chromatine, élément constitutif deschromosomes. C’est pourquoi l’attaque de l’ADN par lerayonnement ionisant peut avoir de sévères effetsmutagènes, cancérigènes et létaux sur les organismesvivants. D’autres biomolécules comme les protéines ou leslipides peuvent subir également des modifications graves deconséquence. L’évolution a tenté de répondre à d’éventuelsprocessus de dégradation du précieux ADN en développantdes systèmes de réparation qu’il est important decomprendre, tandis que très peu de mécanismes deréparation sont connus pour les protéines. À l’inverse, onessaye d’optimiser dans la radiothérapie les conditions, aussisélectives que possible, de destruction par le rayonnementdes cellules malignes des tumeurs.

Dommages causés à l’ADNpar l’irradiation et mécanismes de réparation

L’ADN est une macromolécule en forme de double hélice(figure 22) en interaction avec des molécules d’eau. L’actiondu rayonnement peut donc être directe par absorption del’énergie par des composants de la double hélice, ou indirectepar leur réaction avec des espèces radiolytiques forméesdans l’eau de voisinage [12]. Dans le passé, les réactions desradicaux de la radiolyse de l’eau avec les divers composantsde l’ADN pris individuellement, dont les bases adénine (A),guanine (G), thymine (T) et cytosine (C), ou les sucres(désoxyriboses), ont été largement étudiées.

Aujourd’hui, les techniques de spectroscopie (absorptionoptique, fluorescence, dichroïsme circulaire, RPE), la chimieanalytique (chromatographie, spectrométrie de masse) et les

techniques fines issues de la biologie moléculaire, commel’électrophorèse, permettent d’examiner les dommagescausés à l’ADN lui-même dans son ensemble, isolé ensolution dans l’eau où les effets indirects sont prédominants,ou directement dans son milieu cellulaire.• Parmi les effets indirects des radicaux issus de la radiolysede l’eau sur l’ADN, le radical OH. est le plus oxydant [1].L’attaque des sucres par OH. se traduit par l’abstraction deH du 2-désoxyribose qui provoque la rupture du brin d’ADNen ce point, appellée coupure franche (parce qu’elle préexisteà tout traitement chimique) [12]. Les réactions de OH. avecles quatre bases libres sont toutes très rapides. Les sitesréactifs sont essentiellement les doubles liaisons de leurshétérocycles sur lesquels OH. s’additionne. On observeégalement des arrachements d’atome d’hydrogène commepar exemple sur le groupement méthyle de la thymine. Tousces radicaux initiaux subissent diverses réactions chimiques,impliquant souvent l’oxygène moléculaire, et donnent lieu àdes produits stables qui sont des bases dégradées. Certainesd’entre elles sont instables en milieu basique et induisentalors une cassure de la chaîne d’ADN : on parle de sitesalcali-labiles. Des résultats récents montrent égalementl’importance des lésions dites lésions tandem pour lesquellesl’attaque initiale d’un seul radical OH. conduit à la dégradationde deux bases adjacentes. Un exemple d’un tel mécanismeest l’addition du radical OH. sur la thymine qui en présenced’oxygène conduit à un radical peroxyle capable d’oxyderune guanine voisine.

Les dommages causés à l’ADN cellulaire peuvent provo-quer des coupures simple brin (SSB) appelées coupuresfranches, des coupures double brin (DSB) ou des altérationsde bases. La distribution de ces dommages au long de lamolécule d’ADN dépend fortement de l’accessibilité des sitesréactifs des sucres et des bases pour le radical OH.. L’acces-sibilité dépend de la structure tridimensionnelle de lamolécule d’ADN, qui à son tour dépend de la séquencede l’ADN (arrangement des quatre types de bases, A, G, T,C, dans des enchaînements comme par exempleAATTCGCG…) et des facteurs environnementaux (concen-tration en ions métalliques, etc.).

Avec des rayonnements comme les ions lourds, de TELplus élevé que pour les rayons X et γ et les électrons, lescoupures SSB et DSB à dose égale sont moins nombreuseset la quantité des bases endommagées est moindre, ce quipeut s’expliquer par un rendement en OH. en effet inférieur,en raison de la recombinaison des radicaux OH. dans lesgrappes denses d’ionisations situées le long de la trace des

Figure 21 - Les lipides en CN : M (contenant dans la molécule Natomes de carbone et M doubles liaisons), donnent naissance sousirradiation à deux séries d’hydrocarbures en CN -1 : M et CN-2 :M+1 dont les proportions respectives reflètent presqueidentiquement la proportion dans les lipides d’origine, ce qui n’estpas le cas pour d’autres traitements.L’exemple concerne ici des avocats. Cette spécificité est l’un des tests mis àprofit pour distinguer les produits ayant été irradiés et sous quelle dose [11].

Figure 22 - Effets directs et indirects de l’irradiation sur l’ADN [12].

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ions lourds [1]. En revanche, ces résultats ne peuvent pasrendre compte des effets délétères bien plus marqués par lesrayonnements de haut TEL. La gravité des dommages induitspar ce dernier type de rayonnement peut néanmoinss’expliquer par l’apparition de lésions groupées dans lesrégions de l’ADN atteintes par ces grappes (figure 22). Ceslésions groupées dans des sites de dommages multiples(MDS, « multiple damages sites ») sont constituées parexemple de plusieurs bases proches modifiées, d’unecoupure simple brin plus une base oxydée, de deux coupuressimple brin situées face-à-face et entraînant une coupuredouble brin, ou d’autres combinaisons multiples de ceslésions localisées sur un ou sur les deux brins de l’ADN. Ellessont bien moins efficacement réparées par les enzymes etconduisent finalement à la mutagenèse ou à la mort cellulaireprogrammée (apoptose).• Les effets directs de l’absorption du rayonnement par l’ADNdépendent de la température, du TEL, mais aussi de laconformation de l’ADN [13]. Comme dans tout système irra-dié, l’ionisation initiale produit des électrons et des radicauxcations de l’ADN (ou trous) qui sont répartis environ par moitiédans le squelette phosphate-sucre de l’ADN et dans lesbases, conformément à la densité électronique dans la molé-cule. À 77 K, on peut détecter directement par RPE les radi-caux formés, ce qui permet de connaître les sites les plus fra-giles de l’irradiation. Les radicaux oxydés issus de la capturedes trous sont surtout ceux de la guanine et un peu de l’adé-nine, alors que les électrons sont captés par la thymine ou lacytosine. La figure 23 indique ces deux voies de réduction(+e-) et d’oxydation (-e-), avec les radicaux principalementobservés par RPE et leur pourcentage. Les mécanismes con-duisant aux produits stables de dégradation sont décrits.

Compte tenu qu’initialement les ionisations se sontproduites au hasard sur tous les sites, la distribution desradicaux observée ne peut s’expliquer que par un transfert desite en site des électrons (t.e-) vers T et C pour produire les

radicaux anions correspondants Cyt-. et Thy-., ainsi que destrous (t.(-e-)) vers G où se forme G+. (très peu de Ade+.). Lavitesse de transfert de charge est d’autant plus faible que ladistance entre les deux sites augmente. Des calculsd’orbitales moléculaires confirment d’ailleurs que ces effetscorrespondent aux valeurs respectives des potentielsd’ionisation (G < A < C,T) et des affinités électroniques desbases (C,T >> A > G). Les dimères GG ou les trimères GGGont des potentiels d’ionision encore plus faibles que lemonomère G. On admet que la distance limite à laquelle cetransfert se produit est d’une dizaine de paires de bases à77 K et d’une centaine à température ambiante. Du fait dutransfert de charge aux bases, le rendement de dégradationdes sucres-phosphates est environ la moitié de la répartitioninitiale des ionisations. Les sucres-phosphates peuvent êtreoxydés ou réduits et dans les deux cas entraînent unecoupure SSB. Les mécanismes sont résumés sur la figure 23[13]. Pourtant, le rendement en coupures SSB est plus élevéque la dégradation des sucres, ce qui suppose un modesupplémentaire de coupure. Des expériences effectuéesavec des électrons de très faible énergie (< 15 eV) (LEE pour« low energy electrons ») ont montré qu’ils pouvaient êtrecaptés en résonance par l’ADN en donnant un radical oxydéet un radical peroxydé à partir d’un seul site de formation del’état anionique de transition qui fragilise le brin [32].

Le transfert des charges le long des brins et entre les brinsde l’ADN est facilité par l’empilement des bases en forteinteraction. On l’étudie expérimentalement en intercalantdeux molécules connues comme donneur et accepteurd’électron à des distances variables et en observant si letransfert se produit, et théoriquement en calculant laprobabilité du transfert [14]. Les niveaux d’énergie relatifs desradicaux anions ou cations des bases de la séquence(figure 24) ou de leurs polymères et l’influence des basescontiguës suggèrent que deux mécanismes distincts detransfert de charge coexistent [14].

Figure 23 - Mécanismes de dégradation de l’ADN double brin après ionisation par irradiation de faible TEL et formation d’un électron et d’untrou [13].Par transfert d’électron (t.e-), les bases sont réduites, et par transfert de trou (t.(-e-)), elles sont oxydées. Les positions des atomes C ou N sur les radicaux libres(.) perdant ou gagnant des H et des OH sont indiquées ainsi que l’importance relative (en %) des différentes voies dans le cas d’irradiation à faible TEL et 77 K.Les électrons de très faible énergie (LEE) provoquent l’excitation de l’ADN (*) et la rupture en deux radicaux pour un seul site.Ade : adénine ; Gua : guanine ; Thy : thymine ; Cyt : cytosine ; DH : dihydro ; DHUra : dihydro-uracil ; FapyGua : 2,6-diamino-4-hydroxy-5-formamidopyrimidine ;dRib : désoxyribose.

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L’un consiste en un saut de proche en prochethermiquement assisté dans la mesure où les niveauxd’énergie sont proches. Le transfert s’achève par le piégeagesur le niveau le plus bas. La constante de vitesse de transfertk est alors inversement proportionnelle au nombre de sitesfranchis. La distance parcourue peut atteindre plusieursdizaines de nanomètres.

L’autre mécanisme, appelé super-échange de charge, seproduit en une seule étape entre deux bases dont la différenceentre les niveaux d’énergie est favorable mais qui sontséparées par une ou plusieurs bases de niveau plus élevé (ou« pont ») constituant une barrière thermodynamique. Lefranchissement de cette barrière est néanmoins possible parun effet tunnel, mais la constante de vitesse diminueexponentiellement avec la distance (ou le nombre de basesintermédiaires) et devient négligeable au-delà de 1,4 nm ou3-4 bases (figure 25) [14].

Les mobilités calculées des charges pour desempilements de bases G-C ou A-T approchent celles depolymères désordonnés et on peut envisager d’utiliser l’ADNdans des systèmes électroniques à base de moléculesorganiques [14].

Même sans irradiation, l’ADN subit à tout moment desdommages par l’attaque de métabolites endogènes. Or lemaintien de l’intégrité de l’ADN est essentiel pour minimiserles mutations transmissibles et assurer une survie saine desorganismes [15]. L’évolution a très tôt mis en place desprocessus multi-étapes de réparation de cet ADN lorsqu’il estendommagé, permettant de conserver au mieux l’intégritédu génome et d’éviter que les lésions non réparées neconduisent à la mort cellulaire ou à la mutagenèse quicontribue à la carcinogenèse. On estime le nombre deslésions endogènes par cellule à 10 000-55 000 coupuressimple brin/jour (au lieu de 1 000/Gy par irradiation), à 3 200bases oxydées/jour (2 000/Gy), 12 600 sites abasiques/jour(25/Gy), et huit coupures double brin/jour (40/Gy). Les lésionsmultiples en cluster (150/Gy) et les réticulations entre l’ADNet une protéine (150/Gy) sont plus spécifiques de l’irradiation.La première étape est un signal en réponse à un dommagereconnu sur l’ADN qui est transmis par une cascade deréactions vers des protéines chargées de stopper la

réplication de l’ADN jusqu’à sa réparation, ou sa mort si ledommage est irréparable. Les dommages de base, qui sontd’une très grande variété, qu’ils résultent d’oxydations ou del’irradiation, et les coupures simple brin sont réparés par desmécanismes d’excision de base (BER) [15]. Pour chaque typeprécis de lésion, le dommage est d’abord détecté par uneprotéine spécifique (une ADN-glycosylase) qui se liesélectivement à la base altérée et permet par hydrolyse del’exciser. Une autre activité protéique est ensuite en charged’éliminer le résidu sucre/phosphate restant, laissant unezone simple brin qui est comblée par une polymérase utilisantle brin complémentaire non modifié comme support. Enfin,une ligase restitue la continuité du brin. Les pontages ADN-protéines et les lésions de bases volumineuses sont pris encharge par le mécanisme de réparation par excision dunucléotide concerné (NER). Le fragment altéré d’ADN excisécomprend 29-32 nucléotides et est remplacé de la mêmefaçon qu’après une excision de base.

Les coupures double brin sont réparées soit parrecombinaison homologue (HR) (processus fidèle), soit parsuture non homologue (NHEJ pour « non-homologous endjoining ») (processus infidèle) (figure 26). Dans certainessituations (phase de réplication par exemple, ou présence decopies du même gène sur un chromosome), une copie dugène se trouve à proximité du double brin rompu et peut servirde guide à une réparation fidèle par recombinaisonhomologue. Chaque brin rompu est restauré face au brinintact complémentaire, puis les brins réparés se réunissent.En l’absence de copie, des protéines Ku70/80 se fixent surles quatre extrémités séparées des deux brins rompus puisd’autres protéines fixées sur Ku70/80 assurent par leur forteinteraction le rapprochement des brins opposés. Enfin, uneligase spécifique les reconnecte. Mais les brins rompus parl’irradiation sont, tels quels, souvent incapables de fixerKu70/80 : d’autres protéines détruisent d’abord quelquesnucléotides jusqu’à retrouver des groupes chimiques defixation adéquats. Ce mécanisme, qui est le plus fréquentchez les mammifères, entraîne néanmoins une perte dematériel génétique et ne répare donc pas fidèlement ledommage. Suivant sa localisation, là encore lesconséquences de la mutation sont plus ou moins graves

Figure 24 - Fragment d’une structure d’ADN en double hélice (A) etniveaux d’énergie respectifs des bases qui conditionnent, le long del’empilement des bases, le transfert du trou (B) ou de l’électron (C)formés par l’irradiation. Les « ponts » représentent les séries debases ne comportant pas de piège G pour le trou ou de piège T/Cpour l’électron [14].

Figure 25 - Efficacité du transfert de trou (-e-) entre G+ et un tripletGGG à travers des séquences A :T de longueur variable.Les points sont des mesures et la courbe est calculée. La ligne verticalepointillée correspond à la distance où les vitesses des mécanismes pareffet tunnel et par activation thermique deviennent égales [14].

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et elles peuvent même, après bien des étapes, induire uncancer [15].

Une mutation peut en effet apparaître si, au lieu de bloquerla réplication de l’ADN endommagé jusqu’à sa réparation,l’ADN-polymérase poursuit le processus, ce qui provoquel’insertion d’une base incorrecte face à une lésion ou la perte/gain de quelques nucléotides. Selon le gène muté et laprotéine qu’il est chargé de coder, les conséquencesbiologiques sont très variées en nature et gravité.

Chimie sous rayonnementdes protéines et des lipides

• Les protéines sont des polymères d’acides aminés danslesquelles la fonction acide carboxylique de l’un est liée à lafonction amine du suivant avec élimination de H2O (liaisonspeptidiques, les polymères les plus petits étant des peptides).L’ADN mis à part, ce sont les biomolécules les plusimportantes du vivant. Les processus radicalaires desprotéines interviennent en effet dans toutes les étapes de lavie, notamment dans la défense contre le stress oxydant,contre les bactéries et les virus, comme sites actifs pour les

enzymes (protéines au rôle essentiellement catalytique etspécifique d’une réaction donnée), et aussi commeresponsables dans des maladies neurodégénératives. Leurétude par la radiolyse pulsée ou stationnaire permet de formerles mêmes radicaux qui sont à l’œuvre dans le vivant et doncde comprendre leur mode d’action, et aussi commentl’éventuelle dégradation des protéines par le rayonnementpeut avoir les conséquences biologiques les plus graves.Comme dans l’ADN, le transfert de charge à longue distancele long d’une protéine cible certains sites pour la réduction oul’oxydation. On peut comparer ainsi le comportement deprotéines naturelles et mutantes et l’influence de leur liaisoncovalente avec des complexes de métaux de transition [16].

Le radical-anion superoxyde O2-. est moins oxydant que

OH., mais il joue un rôle majeur dans le stress oxydant encausant la formation du peroxynitrite par réaction avec lemonoxyde d’azote NO. Le radical O2

-. est aussi le précurseurin vivo du peroxyde d’hydrogène, qui peut à son tour produireOH. en présence d’ions de métaux de transition (réaction deFenton). Le mécanisme très important de régulation de laconcentration stationnaire de O2

-., par dismutation catalyséepar les métalloenzymes super-oxydismutases, a été établien détail par radiolyse pulsée.

Il a été montré que les radicaux thiyle –S. centrés sur lesoufre de la cystéine d’un peptide et obtenus par oxydationde –SH par OH. peuvent s’additionner intramoléculairementsur le cycle aromatique d’une phénylalanine voisine du mêmepeptide. Les radicaux thiyle réagissent aussi très facilementavec le site –SH d’une autre protéine, si bien qu’un radicaldisulfure protéine–S-S-.–protéine est formé. Au contraire deOH. qui a initié leur formation, ils sont réducteurs et leur actionpeut contrebalancer celle des radicaux libres oxydants. Lastabilisation du pont disulfure dépend de sa localisation dansla structure environnante de la protéine. En se protonant, leradical –S-S-.– se fragmente en retour en protéine–SH etradical thiyle S.–protéine, si bien que l’équilibre de protonationcontrôle le basculement des propriétés oxydantes/réductrices. C’est pourquoi la thiorédoxine de pK = 3 estparticulièrement protectrice contre le stress oxydant [16].

Les molécules comme la méthionine, dont le site sulfureest substitué, s’oxydent en MetS+.. Ces radicaux formentfacilement avec des hétéroatomes voisins du même peptidedes liaisons stables à trois électrons de type –S...S–, –S...O–et –S...N– (figure 27) [16]. Si à la longue, par transfertd’électron, le radical se trouve centré sur un carbone en α dupeptide, il est rapidement peroxydé par O2 et amorce uneoxydation en chaîne très efficace de la protéine. En revanche,si MetS+. est peroxydé en MetSOO+., il est réduit en retourpar l’enzyme méthionine sulfoxyde réductase, ce mécanismeconstituant une protection efficace contre l’oxydation de laprotéine. Dans la maladie neurodégénérative d’Alzheimer,les plaques amyloïdes autour des neurones et lesenchevêtrements neurofibrillaires du cerveau sont constituésdu peptide amyloïde β, formé de 39 à 43 acides aminés, dontMet35 qui joue un rôle important dans l’évolution de la plaquesénile. La radiolyse pulsée montre que Met35 est la cibleprincipale de l’oxydation en Met35S+. car celle-ci est facilitéedans cette structure par le voisinage d’un atome d’oxygène.De même, la stabilisation de MetS+. joue un rôle-clé dansla maladie dégénérative de Creutzfeldt-Jakob [16].• Les membranes biologiques sont composées de troisclasses de lipides [17] :- les acides gras sont des acides carboxyliques à longuechaîne de 14-20 atomes de carbone comportant des doublesliaisons (acides gras polyinsaturés),

Figure 26 - Étapes de réparation des cassures double brin (CDB) del’ADN par suture non homologue (NHEJ, processus infidèle) et parrecombinaison homologue à partir d’un gène intact (HR , processusfidèle). La flèche en pointillé indique que cette voie n’est pasessentielle [15].

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- les glycérophospholipides dérivent du glycérol dont deuxfonctions alcool sont estérifiées par des acides gras et latroisième est substituée par un groupe phosphorylé,- les sphingolipides dérivent de diols aminés à longuechaîne alkyle.

Par ailleurs, le cholestérol est un composant majeur desmembranes plasmiques auxquelles il confère une granderigidité. Estérifié par les acides gras, il forme deslipoprotéines.

Tous ces lipides ont une structure amphiphile trèsparticulière qui les fait spontanément s’agréger dans l’eau enorientant leurs têtes polaires vers l’eau et en rassemblant leurschaînes non polaires à l’intérieur de micelles ou en bicouchescomme membranes de vésicules, unilamellaires (vésicules)ou multilamellaires (liposomes) (figure 28). Les lipoprotéinesde faible densité (LDL) du plasma humain sont composéesd’une seule grande protéine entourée de lipides contenantdes anti-oxydants [17].

Sous irradiation, les radicaux formés dans la phaseaqueuse en présence d’air (OH., HO2

. et O2-.) oxydent les

lipides en arrachant un atome H. sur le carbone entre deuxdoubles liaisons C=C conjuguées. Le radical lipidique seperoxyde avec l’oxygène et arrache à son tour un atome Hsur un nouveau lipide, amorçant ainsi une réaction en chaînequi amplifie énormément l’attaque initiale par chaque radical.Les hydroperoxydes des lipides sont peu stables et sefragmentent en produits très divers (aldéhydes, époxydes,alcanes…). Mais les radicaux oxydants attaquent aussi lestêtes polaires des glycérophospholipides et les radicauxformés semblent jouer un rôle important dans le vivantcomme molécules signal et pour réguler les fonctions de lacellule [17].

Modélisation des dommagescausés aux biomolécules par irradiation

Pour prédire la fréquence et la distribution des dommagesprovoqués par le rayonnement aux biomolécules, ADN ouprotéines, les modèles doivent tenir compte de la grandevariété des types d’attaque, des fragilités relatives des

liaisons et de la structure tridimensionnelle de la moléculecible [18]. En outre, l’ADN peut être lié par des liaisonsélectrostatiques ou covalentes à des molécules qui masquentet ainsi protègent des sites radiosensibles. Le radioprotecteurcommercial de l’ADN, l’éthyol (Amistofine®), utilisé pourprotéger les tissus sains lors d’une radiothérapieantitumorale, est basé en partie sur l’interactionélectrostatique favorable de cette molécule avec l’ADN. Lesligands naturels qui protègent l’ADN sont des protéines.L’effet protecteur est mutuel, de l’ADN par la protéine et dela protéine par l’ADN.

Le modèle RADACK (pour « RADiation-induced attACK »)tient compte de la distribution spatiale initiale du dépôtd’énergie dans la trace du rayonnement et donc des radicauxoxydants OH. formés dans l’eau environnante, de la structureatomique et de la conformation tridimensionnelle de labiomolécule : ADN sous ses différentes formes, protéines,complexes ADN-protéines [18].

La sensibilité relative des atomes attaqués par lesradicaux OH. dont la diffusion est simulée par la méthode deMonte Carlo est prise en compte en adjoignant à chaqueatome un volume de réaction de rayon proportionnel à saréactivité qui est connue pour les entités isolées en solution.Des coefficients sont ensuite appliqués pour tenir compte dela probabilité que la réaction conduise à une lésion observéeen incluant tous les mécanismes connus, dont le transfertde charge, et la conformation globale particulière de labiomolécule. Si le radical OH. entre dans le volume d’unatome réactif, une réaction est effectivement décomptée ;sinon, il diffuse jusqu’à échapper sans réagir. Les valeurscalculées sont en très bon accord avec les valeurs decoupures franches trouvées expérimentalement pourdiverses conformations d’ADN, à double, triple ou quadruplebrin. De même, l’efficacité radioprotectrice peut être préditepour les molécules liées à l’ADN. Ainsi, les « empreintesradiolytiques » (régions où aucune coupure franche ne seproduit), grâce à la présence d’une protéine liée à uneséquence spécifique de l’ADN, peuvent être prédites quandla structure du complexe ADN-protéine est déjà établie parRMN ou cristallographie. Les figures 29 et 30 présentent

Figure 28 - Agrégats de lipides.A : micelle d’acide gras à une seule chaîne. B : bicouche deglycérophospholipides ou sphingolipides à deux chaînes. C : liposome,vésicule sphéroïde emplie d’eau. D : agrégat de LDL, lipides/protéine/antioxydant porteur du cholestérol dans le plasma sanguin [17].

Figure 27 - Structures du peptide N-Ac-Gly-Met-Gly montrantl’interaction intramoléculaire de l’atome S (jaune) avec l’atome O(rouge) (en A) ou N (bleu) (en B) conduisant à des radicaux auxliaisons –S...O– et –S...N–, respectivement.En cyan : atomes de carbone [16].

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le très bon accord obtenu dans la comparaison entreexpériences et calculs des probabilités d’attaque dudésoxyribonucléose, respectivement pour le complexeADN-répresseur lactose et le complexe ADN-histones. Cettevalidation du modèle RADACK permet d’étendre sonapplication à bien d’autres complexes biologiques, pourvuque leur structure soit connue [18].

Radioprotection et radiothérapie

Depuis les années 1950, on sait que certaines molécules– comme la cystéine, la thiourée et davantage encore lacystéamine – ont un rôle radioprotecteur et sont capables delimiter l’inactivation des enzymes irradiées qui ne peuventplus jouer leur rôle catalytique spécifique et vital [19]. Depuis,de nombreux autres composés, le plus souvent soufrés, sesont révélés efficaces pour protéger les cellules vivantes desdommages de l’irradiation. Ce sont en général des moléculesaux propriétés anti-oxydantes. Le mécanisme d’action estdouble. Elles peuvent capter très vite les radicaux oxydantsde l’eau induits par le rayonnement, empêchant ainsi l’attaqueinitiale. Elles peuvent en outre restaurer les moléculesbiologiques à partir de leur forme oxydée radicalaire, forméepar effet direct ou par effet indirect du rayonnement, entransférant l’électron ou l’atome H manquant depuis le sitesulfure vers le radical. Le but consiste cependant à rechercherdes radioprotecteurs qui ne soient pas par eux-mêmestoxiques, hypotenseurs, ou incompatibles avec d’autresmédicaments. Ils devraient permettre par exemple de mieuxprotéger des organismes en cas d’exposition accidentelleaux rayonnements sans écran physique de protection,

ou protéger sélectivement les tissus sains par rapport auxtumeurs. Le protocole des expériences sur l’animal (sourisSwiss CD1) consiste à comparer les taux de survie, après unemême dose d’irradiation, d’un organisme auquel a étéadministrée une certaine concentration du radioprotecteur etd’un autre non traité. De nombreux dérivés de la cystéamineet méthylcystéamine, dont un atome C est substitué danscertains cas par un atome Si ou Ge, ont été essayés, commeles métallathiazolidines. Ces composés produisent de lacystéamine par hydrolyse et leur efficacité radioprotectricecroît comme la fragilité de la liaison de cet atome : Si-L >Ge-L > C-L. Les métalladithio- (ou séléno-) acétals sontefficaces grâce à leur caractère lipophile. Certainsphosporothioates ont l’avantage d’être moins toxiques etd’une bien meilleure efficacité radioprotectrice [19].

La radiothérapie consiste à irradier des tumeurs avec desrayonnements ionisants pour détruire les cellules malignes ouau moins stopper leur multiplication. Elle est appliquée à laplupart des 250 000 nouveaux cas annuels de cancers enFrance, dont près de la moitié sont traités par une associationchimio-radiothérapie. Mais les cellules qui prolifèrent sont parnature les plus radiorésistantes. Il est assez difficile en outrede préserver complètement les tissus sains environnants. Lesstratégies récentes tentent de répondre à ces deux pointspour accentuer la différenciation de la sensibilité des cellulessaines et malignes à l’irradiation [20]. L’approche est double :il s’agit à la fois de détruire sélectivement l’ADN des tumeurset de bloquer sa réparation.

Un progrès majeur pour atteindre une irradiation sélectivedes tissus tumoraux est de réaliser une image tridimension-nelle numérisée de la tumeur avec une précision jamais égaléejusqu’ici. C’est la radiothérapie conformationnelle 3D. Latumeur doit être attaquée par des faisceaux d’irradiation suc-cessivement croisés (la source est mobile autour du patient)avec des collimateurs de forme modulable tenant compte dela géométrie 3D et avec des intensités et des temps d’expo-sition adaptés à chaque angle, ce qui minimise la doseabsorbée par les tissus sains. Dans cette radiothérapie

Figure 29 - Probabilité relative mesurée et probabilité calculée parle modèle RADACK des coupures franches de brin issues del’attaque des désoxyriboses sur le complexe ADN-répresseurlactose en fonction de la séquence des nucléotides.En haut : structure tridimensionnelle du complexe (le répresseur tétramère esten bleu et vert et les brins d’ADN en rouge et jaune) et autoradiographied’électrophorèse séquentielle sur gel : 1. fragment d’ADN seul ; 2. complexeADN-répresseur ; 3. séquençage des purines [18].

Figure 30 - Probabilité relative calculée par RADACK et probabilitémesurée par l’électrophorèse des coupures franches du brin d’ADNdans le complexe formé avec un octamère d’histones (chromatinedu poulet).En haut : structure du complexe (les histones sont en bleu et magenta,et les brins d’ADN en jaune et vert) [18].

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modulée en intensité (IMRT), il s’agit à la fois d’améliorer laprécision avec laquelle l’énergie sera déposée dans le volumespécifique de la tumeur et d’y augmenter l’effet des domma-ges à l’ADN en diminuant leur réparation [20].

La chimio-radiothérapie consiste à rendre les cellulesmalignes sélectivement plus vulnérables à l’irradiation touten protégeant les tissus sains. On connaissait déjà enchimiothérapie des molécules actives, comme descomplexes organométalliques du platine bivalent : cis-platine(platine dichloro diamine), carbo-platine, oxali-platine, qui ontla propriété de cibler spécifiquement les cellules proliféranteset de bien pénétrer dans la cellule. Dans le cadre d’uneassociation entre radiothérapie classique (figure 31a) etchimiothérapie, ces complexes métalliques sont utilisés pourcréer des adduits dans l’ADN (figure 31b) qui ont la propriétéde bloquer stériquement la translocation de la protéine Ku 70/80 et d’empêcher ainsi l’initiation de la réparation par suturenon homologue des cassures double brin produites par lerayonnement ionisant. Dans un type de traitement plusrécent, le rayonnement ionisant est utilisé pour exciterspécifiquement les couches d’électrons K au seuild’ionisation des atomes de platine (figure 31c). Ces électrons(contrairement aux électrons secondaires émis par desrayonnements plus énergétiques à partir d’un atomequelconque) ont des parcours faibles et leur énergietotalement absorbée localement peut provoquer desdommages irréparables aux biomolécules immédiatementvoisines. Non seulement les complexes empêchent lesréparations, mais ils deviennent en outre la source principaledes électrons émis, qui peuvent donc attaquer d’une façontrès ciblée et irréparable les brins d’ADN voisins appartenant

aux cellules malignes. Les sources de rayons X très intensesles mieux adaptées sont des synchrotrons (jusqu’à 100 keV,par ex. 78,4 keV pour le seuil K de Pt). Cependant, le faisceauest fixe dans le plan horizontal et c’est la cible qui doit pouvoirêtre mobilisée avec précision.

L’expérimentation en est au stade des essais trèsprometteurs sur l’animal, et les essais cliniques sur l’hommesont programmés dans un futur proche [20].

En conclusion, la chimie sous rayonnement concerne desdomaines très variés, depuis les phénomènes primairesprovoqués par l’absorption de l’énergie, jusqu’aux trèsnombreux mécanismes chimiques qu’elle permet d’élucideret aux applications à la synthèse de matériaux performants,ou aux traitements physico-chimiques très efficaces qu’ellea pu susciter (figure 32). La compréhension des mécanismesbiochimiques, sains ou pathogènes, est un enjeu crucialauquel la chimie sous rayonnement apporte une contributiondécisive pour la santé, et qui est essentielle, en particulierpour utiliser au mieux l’outil de la chimio-radiothérapie dansle traitement des cancers.

Références

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DNA, ibid., Chapitre 13.

RADIOTHÉRAPIE(induit des cassures)

Réparation par suture

Multiples cassuresRéparation difficile

électrons électrons

PHOTOACTIVATION du platinePAR SYNCHROTRON

Cis-platine

CHIMIOTHÉRAPIE Cis-Pt(induit des adduits)

Réparation par recombinaison

Cis-platinea b

c

Figure 31 - La radiothérapie classique induit des cassures dansl’ADN des tumeurs. La chimiothérapie impliquant le cis-platinegénère quant à elle des adduits volumineux, surtout dans les cellulestumorales. Cependant, ces deux types de lésions peuvent encoreêtre pris en charge partiellement par des systèmes de réparation etces réparations atténuent l’efficacité du traitement. Lorsque l’oncombine les deux approches en utilisant des rayons X synchrotroncorrespondant à l’énergie de photoactivation du platine, desélectrons sont produits autour de l’adduit. Ils induisent alors demultiples cassures de l’ADN qui sont difficilement réparées. Cetteapproche combinée est donc plus efficace [20].

Figure 32 - Domaines dans lesquels la chimie sous rayonnement a apportédes contributions décisives, sur le plan des mécanismes réactionnels ousur celui de la santé et des applications industrielles.

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radiation, ibid., Chapitre 19.[20] Foray N., Balosso J., Advances in radiotherapy: new concepts, ibid.,

Chapitre 20.[21] Radiation Chemistry: Principles and applications, Farhataziz,

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Jacqueline Belloniest directeur de rechercheémérite au CNRS, Laboratoirede Chimie Physique, ELYSE,Université Paris-Sud1.Mehran Mostafaviest professeur et dirige leLaboratoire de Chimie Phy-sique, Centre ELYSE-CLIO1.Thierry Doukiest chercheur au CEA et dirigele laboratoire Lésions desacides nucléiques, CEAGrenoble2.Mélanie Spotheim-Maurizotest chargée de recherche àl’Inserm et responsable del’équipe Radiobiologie molé-culaire du Centre de Biophy-sique Moléculaire à Orléans3.

1 Laboratoire de Chimie Physique, Centre ELYSE-CLIO, UMRCNRS/UPS, b‚t. 349, UniversitÈ Paris-Sud, 91405 Orsay.Courriels : [email protected],[email protected]

2 Laboratoire LÈsions des acides nuclÈiques, Service de chimieinorganique et biologique UMR-E 3 CEA/UJF, CEA/DSM/DÈpartement de Recherche Fondamentale sur la MatiËreCondensÈe, CEA Grenoble; 38054 Grenoble Cedex 9.Courriel : [email protected]

3 Centre de Biophysique MolÈculaire, CNRS, rue Charles Sadron,45071 OrlÈans Cedex 2.Courriel : [email protected]

J. Belloni

M. Mostafavi

T. Douki

M. Spotheim-Maurizot

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Recherche et développementPrix Jeune chercheur DCP

La radiolyse comme outil de vieillissementaccéléré des électrolytes utilisés dans lesbatteries lithium-ionSophie Le Caër

Résumé Les électrolytes des batteries lithium-ion se dégradent au fur et à mesure de leur utilisation. Cettedégradation entraîne une baisse de la durée de vie du système ainsi que de son efficacité, voire même desproblèmes de sécurité. La compréhension des mécanismes réactionnels correspondants est donc cruciale.Or les études électrochimiques sont longues et coûteuses car elles nécessitent de répéter des cycles decharge/décharge durant plusieurs semaines/mois. Dans ce contexte, des études récentes ont montré quela radiolyse permettait d’étudier le vieillissement des électrolytes utilisés dans les batteries lithium-ion demanière accélérée (minutes/heures). Par ailleurs, la radiolyse permet d’étudier séparément chaque solvantd’un mélange complexe et de réaliser des études résolues en temps, donnant accès à des donnéescinétiques et au mécanisme.

Mots-clés Batterie lithium-ion, Li-ion, électrolyte, dégradation, radiolyse, mécanismes de réaction.

Abstract Radiolysis as an accelerated ageing tool for electrolytes used in lithium-ion batteriesElectrolytes of lithium-ion batteries degrade with their use. This degradation leads to a decrease of thelifetime of the device as well as of its efficiency, or even to safety problems. That is why the understandingof the corresponding reaction mechanisms is crucial. However, the electrochemical aging studies are longand costly because they require several weeks/months of charge/discharge cycles. In this context, recentstudies have shown that radiolysis allowed studying the aging of the electrolytes used in lithium-ion batteriesin an accelerated manner (minutes/hours). In addition, radiolysis allows studying separately each solventof a complex mixture and performing time-resolved studies, providing thus access to kinetic data andmechanism.

Keywords Lithium-ion battery, Li-ion, electrolyte, degradation, radiolysis, reaction mechanisms.

es batteries au lithium sont de plus en plus utilisées :électronique mobile pour les téléphones et les ordina-

teurs portables, équipement des véhicules hybrides et électri-ques, mais aussi dans les sondes spatiales comme Galileo(figure 1 ). Cependant, leurs performances déclinent au fur età mesure de leur utilisation. La compréhension des phéno-mènes de vieillissement au sein des batteries constitue doncun défi important. Par ailleurs, afin que les systèmes futurssoient en mesure de stocker encore plus d’énergie, des pro-blèmes majeurs dans l’évolution des batteries doivent êtrerésolus, et le problème du vieillissement n’est pas l’un desmoindres. D’autres difficultés existent actuellement : il fautaugmenter la tensionde fonctionnement, notammentdans lesvéhicules électriques, tout en prolongeant la durée de vie dessystèmes. Or, la lente décomposition de l’électrolyte consti-tue un obstacle à ces avancées. En raison de la complexité

de l’ensemble de la batterie, de nombreux facteurs peuventinduire des problèmes de sécurité, mais un facteur clé est lastabilité de l’électrolyte, qui, souvent, ne peut être étudiée pardes méthodes classiques de vieillissement thermique accé-léré. Les études de vieillissement peuvent ainsi être longues,coûteuses et généralement rester seulement qualitatives.Se posent donc les questions suivantes : comment étudier unprocessus qui exigerait normalement des années ? Commentcribler un grand nombre de systèmes d’électrolytes potentiels(etdescentainesd’entreeuxsortent tous les jours)poursélec-tionner celui qui présenterait les meilleures propriétés anti-vieillissement ? Dans ce contexte, l’utilisation des rayonne-ments ionisants permet d’apporter des réponses à cesproblèmes car ils constituent un très bon outil pour simuler,et ensuite comprendre, la physico-chimie des phénomènesde vieillissement. En effet, la radiolyse [1] (voir encadré 1 ),

L

Figure 1 - Quelques systèmes fonctionnant avec des batteries lithium-ion.

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Recherche et développement

qui fait également intervenir des transferts d’électrons à tem-pérature ambiante mais à intensité plus grande, permetnon seulement d’obtenir en quelques minutes/heures ce quiauparavant prenait en fonctionnement de batterie des mois,voire des années, mais elle rend également possible uneétude quantitative et mécanistique des processus de vieillis-sement. Les travaux décrits ici font partie d’un programmede recherche associant plusieurs laboratoires de radiolyse(NIMBE, CEA/Saclay ; LRMO, CEA/Saclay ; Laboratoire deChimie Physique, Université Paris Sud) et d’électrochimie(CEA/Grenoble, LITEN/DEHT/SCGE) afin de comparer lesproduits de vieillissement après absorption des deux typesd’énergie,etdedéduire lesmécanismesàpartirdesévolutionsdes réactions en temps réel étudiées par les techniques impul-sionnelles. Par ailleurs, ces études permettent de connaîtrele vieillissement spécifique de batteries utilisées dans unenvironnement irradiant, notamment dans l’espace [2].

Les électrolytes utilisés dans les batteries lithium-ion sontgénéralement constitués d’un sel de lithium (LiPF6, à uneconcentration de 1 mol L-1) dissous dans un mélange de sol-vants organiques comme les carbonates d’alkyles (figure 2 )[3]. Le mélange utilisé dans les batteries comporte des car-bonates linéaires (DEC, DMC, EMC), cycliques (EC) et unadditif (composé présent à moins de 5 % en masse, et quiassure une fonction particulière, comme FEC qui est un car-bonate fluoré). En effet, les propriétés requises de l’électro-lyte, telles que la conductivité ou la viscosité, peuvent êtreoptimisées en combinant des solvants de natures différentes.

Ces électrolytes sont théoriquement assez stables jusqu’àun potentiel élevé. Mais en pratique, l’électrolyte peut s’oxy-der au contact de l’électrode positive à haut potentiel (ainsiLiFePO4 a un potentiel de 3,45 V par rapport au coupleLi+/Li, et LiMn2O4 a un potentiel de 4,1 V par rapport àLi+/Li), et également se réduire au contact de l’électrodenégative si celle-ci est à bas potentiel (ainsi le graphite a unpotentiel très proche de celui du couple Li+/Li). Ces réactionsparasites qui dégradent le sel de lithium et également lesolvant diminuent le transport des ions lithium, et posentpar ailleurs des problèmes de sécurité.

Vieillissement radiolytiqueAfin de valider l’utilisation de la radiolyse dans le domaine

du vieillissement des électrolytes des batteries lithium-ion,il est nécessaire de comparer les molécules finalement for-mées sous irradiation à celles qui sont produites par électro-lyse [4]. Notons qu’ici le vieillissement est accéléré, car l’irra-diation est réalisée en utilisant des rayonnements gamma oudes faisceaux d’électrons accélérés, pour lesquels les dosesd’irradiation utilisées (de quelques kGy à la centaine de kGy)sont atteintes en des temps caractéristiques allant dequelques minutes à quelques heures (voire une journée). Cesdurées d’irradiation sont notablement plus courtes que lessemaines/mois nécessaires en électrolyse pour étudier unvieillissement. Sur la figure 3 (à gauche) sont comparés lesgaz détectés dans le cas de l’irradiation d’un carbonatereprésentatif des solvants utilisés, le carbonate de diéthyle(DEC), et les gaz reportés dans des travaux précédentseffectués en cycles de charge/décharge avec des cellules debatteries. Même si les solvants couramment étudiés dans ledomaine des batteries lithium-ion sont généralement com-posés de mélanges de carbonates linéaires et cycliques,les principaux gaz détectés dans DEC par radiolyse (H2, CO,CO2, CH4, alcanes, alcènes) sont les mêmes que ceux obte-nus par électrolyse [5-6]. Par ailleurs, les résultats obtenussous irradiation montrent aussi la présence de composésoxygénés mineurs (ester, éther...) (figure 3 , à gauche) prove-nant, comme les composés majoritaires, de la voie réduc-trice (due à la formation de l’électron) ou oxydante (due à laformation du radical cation DEC+•), ou de la décompositiondu carbonate de diéthyle excité. Cette observation est liée aufait que les rayonnements ionisants délivrent une quantitéimportante d’énergie en un intervalle de temps relativementcourt, ce qui permet de mettre en évidence la formation demolécules présentes en faible quantité. Ceci n’est pas facile-ment accessible dans les études durant lesquelles de très

Encadré 1

La radiolyse, une « électrolyse sans électrodes »(Marie Curie)

La radiolyse représente la décomposition de la matière par lesrayonnements ionisants [1]. Ces rayonnements peuvent être soitd’origine naturelle (rayons cosmiques provenant de l’espace etdu Soleil, et rayonnements provenant de radioéléments naturels),soit d’origine artificielle (venant de radioéléments produits enréacteurs nucléaires).Un rayonnement ionisant est un rayonnement qui possèdesuffisamment d’énergie pour arracher des électrons à la matière.On distingue plusieurs types de rayonnement :• Les particules α : ce sont des noyaux d’hélium. Ces particulessont très lourdes et chargées électriquement ; elles sontfacilement arrêtées, par exemple par une feuille de papier.• Les particules β : les β- sont des électrons et les β+ despositrons. Une feuille d’aluminium de quelques centimètres lesarrête.• Rayons X et γ : ce sont des rayonnements neutres électromagné-tiques (photons), très pénétrants. Leur origine diffère. Les rayons Xsont produits par des transitions électroniques et les rayonnementsgamma sont générés lors de la désintégration radioactive denoyaux d’atomes (60Co, 137Cs…). Pendant les expériencesd’irradiation, le manipulateur s’en protège par des écrans enplomb ou en béton.La première étape de l’interaction d’un rayonnement ionisantavec une molécule M consiste en une ionisation (avec productiond’un électron e- et d’un radical cation oxydé M+•, comme auxélectrodes de la batterie), ou une excitation de la molécule en M* :

M → M*, M+•, e-

La dose (D) correspond à l’énergie cédée par les rayonnementsau milieu qu’ils traversent. Cette dose s’exprime en gray (Gy),qui correspond à l’énergie transférée au système étudié par unitéde masse : 1 Gy = 1 J kg-1.Enfin, le rendement radiolytique, exprimé en mol J-1, correspondà la quantité de molécules transformées sous irradiation par unitéd’énergie absorbée.

Figure 2 - Représentation des différents carbonates courammentutilisés comme électrolytes.DMC : carbonate de diméthyle ; EMC : carbonate d’éthyle et deméthyle ; DEC : carbonate de diéthyle ; EC : carbonate d’éthylène ;PC : carbonate de propylène ; FEC : carbonate de fluoroéthylène.

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Recherche et développement

nombreux cycles de charge et de décharge doivent êtreaccumulés. D’autres comparaisons entre les produits forméssous radiolyse et ceux issus du vieillissement électrochi-mique dans les batteries lithium-ion ont été réalisées, et met-tent toutes systématiquement en évidence la bonne cohé-rence entre les résultats obtenus [7-8]. Le tableau présentésur la figure 3 , à droite, donne les espèces formées en phaseliquide après irradiation ou cyclage de DEC/LiPF6 1 mol L-1,et dues à la présence de LiPF6. La comparaison des espècesproduites par radiolyse et par électrolyse (essentiellementdivers oxydes de phosphine) fait ainsi ressortir l’excellentaccord entre les deux méthodes. En effet, les processusmettent en jeu les mêmes intermédiaires redox en radiolyseet en électrolyse, comme illustré sur la figure 4 . Cependant,en radiolyse, le liquide est irradié en volume (figure 4 , en bas),alors qu’en électrolyse, les processus de réduction etd’oxydation sont séparés et ont lieu au niveau de chaqueélectrode (figure 4 , en haut). Dans les deux cas, il se formeautant d’espèces par voie réductrice que par voie oxydante.Cependant, en électrolyse, les phénomènes aux interfacesjouent évidement un rôle important, ce qui explique que, si lanature des produits formés par les deux techniques est lamême, ils sont générés en quantités relatives différentes [7].

Des études résolues en temps…La radiolyse offre également l’avantage, essentiel pour

l’étude du mécanisme, de pouvoir réaliser des mesures réso-lues en temps : grâce aux expériences radiolyse pulsée, lesétapes successives des réactions peuvent être observées(voir encadré 2 ). Comme l’électrolyte contient un sel à uneconcentration élevée (typiquement LiPF6 à 1 mol L-1), lesréactions le mettant en jeu vont avoir lieu à des temps trèscourts. La radiolyse pulsée à l’échelle picoseconde, dispo-nible avec l’accélérateur ELYSE du Laboratoire de ChimiePhysique (Université Paris Sud, Orsay) permet la réalisationde telles expériences [9]. Ces cinétiques à de telles échelles

de temps ne sont pas possibles dans le domaine des batte-ries. Cependant, elles donnent des renseignements précieuxsur les mécanismes de réaction. Une comparaison descaractéristiques des expériences réalisées par électrochimieet par radiolyse est donnée dans le tableau I.

Figure 3 - À gauche : produits de décomposition en phase gazeuse du carbonate de diéthyle (DEC), mesurés par chromatographie en phasegazeuse/spectrométrie de masse après irradiation. Sauf DEC lui-même, la partie en bleu correspond aux pics les plus intenses, et celle enrouge aux petits signaux. Les molécules en haut à droite (H2, CH4, CO) sont identifiées par des expériences de chromatographie en phasegazeuse. Les composés marqués d’un losange sont identifiés dans les travaux de Yoshida et Kumai [5-6] effectués sur des mélanges decarbonates dans les batteries. D’après [4].À droite : tableau indiquant les principales espèces détectées, par spectrométrie de masse haute résolution avec une ionisation de typeélectrospray, dans le mélange DEC/LiPF6 (1 mol L-1) et spécifiquement dues à la présence du sel. Le cercle indique si les composés sontdétectés par radiolyse ou par électrolyse du même mélange DEC/LiPF6. Tableau issu de [7], reproduit avec l’autorisation de John Wiley andSons ©.

Figure 4 - Illustration des phénomènes primaires ayant lieu lorsqu’unsolvant-type utilisé dans les batteries lithium-ion (ici le carbonate dediéthyle, ou DEC) et le sel LiPF6 sont soumis à des cycles de charge/décharge aux électrodes (en haut) ou à une irradiation dans le volume(en bas).D’après [7], figure reproduite avec l’autorisation de John Wiley and Sons ©.

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Recherche et développement

Cas d’un carbonate linéaire,le carbonate de diéthyle

La radiolyse pulsée à l’échelle picoseconde du carbonatede diéthyle (DEC), dans lequel différentes concentrations desel LiPF6 sont présentes, a ainsi été étudiée (figure 5 ). Lespectre d’absorption optique transitoire se compose princi-palement d’une bande dont l’intensité augmente de manièremonotone jusqu’à la limite de détection (1 400 nm). Cettebande est attribuée à la formation d’électrons solvatés dansDEC, e-

DEC [10]. En étudiant l’évolution de l’absorbance enfonction du temps (figure 5 ), la cinétique de déclin de l’élec-tron solvaté est ainsi révélée [7]. Il apparait clairement que ledéclin des électrons devient plus rapide lorsque la concen-tration en sel augmente, ce qui démontre que l’électron sol-vaté réagit avec PF6

- engagé dans une paire d’ions avec Li+,car le carbonate de diéthyle est un solvant particulièrementpeu dissociant (constante diélectrique de 2,8), selon laréaction :

e-DEC + (Li+, PF6

-) → F- + (Li+, PF5•-)

dont la constante de vitesse vaut k = 3,2 × 1010 L mol-1 s-1

(figure 5 ) [7].La formation de l’anion fluorure conduit à long terme à la

formation d’une poudre blanche LiF(s), après réaction avecles cations Li+ présents en solution, en cohérence avec ce

qui est connu dans le domaine des batteries (figure 6, voieverte). En présence de sel, le radical cation DEC+• libèredes atomes de fluor qui sont très réactifs et qui formerontensuite des espèces fluorées (figure 6, voie rouge), telles queC2H5F, HF... pour lesquelles des questions de sécurité seposent nécessairement [11-12]. Ces composés fluorés sonten effet bien connus comme étant des espèces dangereusesproduites au cours des cycles de charge/décharge desbatteries. De plus, l’espèce PF5 (figure 6, voie violette) réagitavec les molécules d’eau présentes sous forme de tracesdans le milieu pour former POF3. Cette dernière espèce,mise en contact avec le carbonate de diéthyle, formePOF2(OCO2C2H5). Divers oxydes de phosphine vont alorsapparaitre et évoluer avec le temps ; des oligomères vontégalement se former (figure 6, voie violette). Ces différentesréactions vont être responsables du brunissement de lasolution. Par conséquent, les expériences de radiolysepulsée apportent également un éclairage sur l’évolution àlong terme des solutions du solvant DEC contenant LiPF6.

Cas d’un carbonate cyclique,le carbonate de propylène

Il est connu que les carbonates linéaires et cycliques pré-sentent une réactivité différente. Il était donc intéressant des’intéresser au comportement aux temps courts d’un carbo-nate cyclique, ici le carbonate de propylène, PC (constantediélectrique : 66). Des mesures de radiolyse pulsée à l’échellede la picoseconde ont ainsi été réalisées sur ce solvant seul[13]. En fin d’impulsion, nous observons une bande d’absorp-tion avec un maximum à 1 360 nm qui se décale à 1 310 nm

Tableau I - Comparaison entre les études menées par électrolyse et par radiolyse.

Électrolyse Radiolyse

Système étudié Batterie Mélange de solvants, électrolyte

Où se produisent les phénomènes d’intérêt ? Au niveau des électrodes Au sein du liquide

Temps caractéristiques de vieillissement Semaines, mois… Minutes, heures…

Possibilité de réaliser des études cinétiques pourétudier les premières étapes des mécanismesréactionnels

Non Oui

Encadré 2

La radiolyse pulsée

La durée de vie des espèces radicalaires qui sont desintermédiaires dans les réactions chimiques peut être très courte(microseconde, nanoseconde, picoseconde…). La radiolysepulsée permet de les produire en quantité, et en un intervalle detemps plus bref que leur durée de vie. Grâce à des détectionstrès rapides, synchronisées avec l’impulsion, ces espèces à viebrève peuvent être identifiées en temps réel et leurs constantesde vitesse déterminées.La source d’irradiation est un faisceau de particules accélérées,ici des électrons, issues d’un accélérateur portant leur éner-gie cinétique à quelques MeV, et qui sont émises au coursd’impulsions dont la durée est typiquement comprise entrequelques picosecondes et quelques nanosecondes. La méthodede détection transitoire la plus utilisée est la spectroscopied’absorption optique, pour laquelle l’absorbance est, comme onle sait, proportionnelle à la concentration des espèces. Au coursde ce travail, la résolution temporelle est la picoseconde et lesgammes spectrales des lumières sondes vont de l’ultraviolet auproche infrarouge. Les espèces radicalaires, même très fugaces,peuvent être ainsi identifiées grâce à leur spectre d’absorptionoptique. En outre, grâce à l’énergie absorbée connue, la variationau cours du temps de la concentration des différents radicauxsuccessifs est mesurée quantitativement, ce qui permet d’établirles étapes du mécanisme de réaction et d’en mesurer lesconstantes de vitesse.

Figure 5 - Cinétique de déclin après l’impulsion de l’électronsolvaté à 1 200 nm dans du carbonate de diéthyle (DEC) et dansdes solutions DEC/LiPF6 à des concentrations croissantes deLiPF6. Ces expériences permettent de déterminer la constantede vitesse entre eDEC

- et la paire d’ions (Li+,PF6-) (insert).

D’après [7], figure reproduite avec l’autorisation de John Wiley and Sons ©.

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Recherche et développement

en 50 ps (figure 7 , à gauche). Ces processus sont la signatured’un électron qui finit de se solvater, e-

PC. De manière très sur-prenante, l’électron solvaté e-

PC disparait ultra rapidementdans ce solvant dissociant, avec un temps de demi-vie de360 ps. Ceci est illustré sur la figure 7 (à droite) où les ciné-tiques de déclin de l’électron solvaté dans PC et dans d’autressolvants sont comparées. Dans ces autres solvants, e-

solvdécline par recombinaison avec le cation parent, notammente-

DEC avec DEC•+ dans DEC. Mais la disparition ultra-rapidede e-

PC ne peut être attribuée qu’à une réaction d’attache-ment de l’électron sur le propylène carbonate afin de formerle radical anion PC•- (figure 8, voie verte). D’ailleurs on observesimultanément dans l’ultraviolet la formation d’une banded’absorption attribuée à PC•- pour lequel le spectre a pu êtrecalibré en coefficient d’extinction molaire [14]. Ces résultatsmettent donc en évidence la différence de réactivité qui existeentre carbonates linéaires et cycliques dès les premièresétapes [13].

Influence de la nature du selL’influence de la nature et de la présence du sel dans des

mélanges sel/propylène carbonate a pu être étudiée grâceaux outils de la radiolyse, pour laquelle la présence du seln’est pas indispensable. Les expériences réalisées sans etavec différents sels montrent clairement que LiPF6 a une forteinfluence sur la réactivité sous irradiation, puisqu’il double laquantité de dioxyde de carbone produite par rapport à celleformée dans PC seul, ce que les autres sels étudiés (LiClO4,LiBF4…) ne font pas. Ce comportement spécifique de LiPF6est démontré aux échelles de temps picoseconde, puisquel’électron réagit rapidement avec LiPF6, alors que les autressels étudiés sont connus pour être inertes vis-à-vis des

Figure 6 - Quelques réactions spécifiques à la présence de LiPF6 ayantlieu dans le carbonate de diéthyle.

Figure 7 - À gauche, spectres de l’électron solvaté dans le carbonate de propylène à différents temps après l’impulsion d’irradiation. À droite,comparaison de la cinétique de déclin de l’électron solvaté dans PC et dans d’autres solvants : eau, éthylène glycol (EG), carbonatede diéthyle (DEC) et tétrahydrofurane (THF). Le déclin de l’électron dans PC est clairement beaucoup plus rapide que dans les autres solvants.D’après [13], figure reproduite avec l’autorisation de l’American Chemical Society ©.

Figure 8 - Mécanismes réactionnels proposés pour rendre comptede la formation du dioxyde et du monoxyde de carbone dans PCirradié, selon la présence ou l’absence de LiPF6. La voie oxydativeest en bleu, la voie réductrice en vert. La réactivité due à LiPF6 estreprésentée en rouge. En présence de LiPF6, la quantité de dioxydede carbone est le double de celle produite dans PC seul.D’après [8], figure reproduite avec l’autorisation de Elsevier ©.

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Recherche et développement

électrons solvatés [8]. Des mécanismes de réaction rendantcompte des rendements de formation en dioxyde et enmonoxyde de carbone (le premier étant doublé en présencede LiPF6) peuvent ainsi être proposés (figure 8) [8]. En effet,l’espèce PF5

•- réagit avec PC pour former PF5 et PC•-. Unevoie supplémentaire de formation du dioxyde de carboneapparait donc (figure 8, voie rouge).

La radiolyse peut ainsi être utilisée pour reproduire rapi-dement les effets de l’électrolyse. Comme les réactions redoxjouent un rôle important dans les deux types de dégradation,elles conduisent à des ensembles similaires de molécules. Enoutre, la méthode par radiolyse comporte trois avantagesimportants :• La durée nécessaire pour dégrader le solvant ou l’électrolyteest notablement raccourcie par rapport aux cycles de charge/décharge dans les batteries grâce à de plus grands débitsd’énergie absorbée. De plus, des molécules présentes enquantités mineures peuvent être détectées.• Les processus peuvent être étudiés à la fois après desimpulsions d’irradiation très courtes (ps-µs) et des duréeslongues (seconde, minute, journée), offrant ainsi une meilleurecompréhension de la réactivité et des mécanismes sur deséchelles temporelles variant sur une douzaine d’ordres degrandeur.• La possibilité d’étudier séparément la réactivité de chaquesolvant, avec et sans sel (la présence du sel étant nécessairedans le fonctionnement d’une batterie), permettant ainsi decomprendre à la fois le rôle du solvant seul et de celui du seldans les mécanismes de dégradation.

Cela signifie également que les électrolytes résistant lemieux aux rayonnements ionisants peuvent présenter demeilleures performances à long terme dans les batteries.Cette méthode ouvre donc la voie à un criblage massif desélectrolytes émergents dans le domaine des batteries.

Références

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Sophie Le Caërest chargée de recherche CNRS au NIMBE, CEA,Université Paris-Saclay*.Elle a reçu en 2016 le prix Jeune Chercheurde la division de Chimie Physique de laSCF/SFP.

* LIONS, NIMBE, UMR 3685, CNRS, CEA, Bât. 546,Université Paris-Saclay, F-91191 Gif-sur-YvetteCedex.Courriel : [email protected]