Nacache Lacteur de Cinema
Transcript of Nacache Lacteur de Cinema
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
1/94
o.LI{*
)
Collection
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
2/94
Dans
la mme
collection
:
Franois
ALBERA,
L'Avant-Garde
au
cinma.
Vincent
AMIEL,
Esthtique
du montage.
Jacques
AuMoNT,
L' Image.
Jacques
AuMoNT,
Les Thories
des
cinastes.
Jacques
AuMoNT,
Alain
BenceI-R,
Michel
MARIE,
Marc VERNET,
Esthtique
dufilm.
Jacques
AuMoNT,
Michel
Manm,
L'Analyse
des
films.
Jacques
AuMoNT,
Michel
MaRrc, Dictionnaire
thorique
et
critique
du cinma.
Pierre
BEyI-or,
Le
Rcit audiovisuel.
Jean-Loup
BoURGET,
Hollywood.
La
norme
et la
marge.
Nol
Buncu,
Genevive
snr.LteR,
In
Drle
de
guerre
des
sexes
du cinmafranais
(19s0-19s6).
Francesco
CASETTI,
Les
Thories
du cinma
depuis
1945.
Dominique
Cnlrseu,
Cinma
et
philosophie.
Michel
CHIoN,
L'Audio-vision.
Image
et son
au cinma.
Michel
CHroN,
Le
Son.
Laurent
CRET0N,
conomie
du cinma.
Perspectives
stratgiques.
Jean-Pierre
EsqunNazr,
Godard
et
la
socit
franaise
des
annes 1960.
Guy
GlururBR,
Le Documentaire,
un
autre
cinma.
Guy GaurHtER,
Un Sicle
de documentaire
franais.
Martine
Jow,
L'Image
et
les signes.
Approche
smiologique
de
l,imagefixe.Martine Jot:", L'Image
et
son interprtation.
Ranois
Josr, Andr
GeuonnauLr,
Le
Rcit
cinmatographique.
Laurent
JULLIER,
L'Analyse
de squences.
Laurent
JULLIER,
Star
Wars.
Anatomie
d'une
saga.
Raphalle
MoINB,
Les
Genres
du
cinma.
Fabrice
MoNrBsrI-Lo,
Le
Cinma
en
France.
Yannick
MouRrN,
Le
Flash-Back.
Vincent
PINEL,
Vocabulaire
technique
du cinma.
Ren
Pnoar-,
Le
Jeune cinmafranais.
Franois
Sout-,q.cBs,
Esthtique
de
la
photographie.
Francis
VANoyE,
Rcit
crit,
rcitfilmique.
Francis
VRNoyg,
Scnarios
modles,
modles
de scnarios.
ce logo
a
pour
objet d'lerter
le lteur
sur la menace que
rep.sente pour
l'aveni.
de
l'crit,
tout
pmicurirement
dans
le domaine
universitaire,
le dveloppement
massifdu
photopillage
.
Cette
pratique
qui
s,est gnralise,
noment
dms
les tablis*mens
d'enignement,
povoque
une baiss botale
des
hats de lires,
au
point
que
la
posibilit
mme
pour
les
auteuft
de crer des
uvrcs nouvelles
et de
les
faire
diter conectement
est
aujourd,hui
menace.
Nous
mppelons
donc
que
la
rcproduction
et la vente
Mns utorisatior,
ainsi
que
le
recel,
snt
psibles
de pouNuites.
Les demandesd'autorisation
de
photopierdoiventtre
adrcsses
l'diteurou
au
Centre frdais
d,exploitation
du
droit
de
copie :
20, rue
des crmd-Augustins,
?5006
pais.
T1.
0t
44
O7 41 7O
@
Armand
Colin, 2005,
pour
la
prsente
impression.
@
Nathan
2003
ISBN
:
2-200-34173-3
Table
des matires
lntroduction
l3
t4
l5
15
15
I7
l8
t9
t9
20
2t
22
22
23
24
25
27
29
30
33
33
36
37
39
40
42
42
44
45
47
47
49
50
52
52
52
53
57
57
59
62
64
-
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3/94
L'acteur de
cinma
The
actor
is the
limit
Technologie
et
disparition
L'imagex.....
La
fantaisie
finale
Chapitre
4
:
L'acteur, le
cinaste : artistes
et
modles
La direction
d'acteurs
L'action
et
l'interprtation
. . .
Un
lien
occulte
Troupes,
duos et ftiches.
L'acteur comme matriau
Sternberg.
Hitchcock
Bresson
Pasolini
Harmonies
et
rencontres
La
famille
:
John Cassavetes.
L'
acteur-ralisateur.
hapitre
5
.'
Acteur et
personnage
Etats du
personnage.
Des personnages
en
qute
d'acteurs
Remakes et
sries
Dfaite
des
mythes
L'acteur-personnage
L'invitable
plnitude.
Un couple
signifiant-signffi
?
.
.
De
quelques
acteurs-personnages
Acteurs decomplment.
. . . . .
Supporting actors .
L'acteurdu
documentaire,
un
? . . . . .
Le figurant.
Loin
de
la
mimesis.
Une
garantie
de la
fiction
Les
prototypes
corporels
)>.
. . . . .
Chapitre 6
:
L'actnur
amricain
De Delsarte
I'AADA
Jouer
son
propre
rle
La
destine
de
la mtamorphose. .
.
Les transformations
du
jeu
hollywoodien
Des acteurs amricaniss
Une attnuation
du
jeu
Laligne de l'acteurphysique
. .
L'Actors Studio
.
Une
mthode.
Une
nouvelle
prsence
du corps
Une forme
idale
pour
le
jeu
de I'acteur.
Une
volution irrversible
Table des matires
Chapitre
7 :
Acteur vrai, non-acteur
'*n',"i:i""Jiiilli:....
.:.
:
'
Trop
de
vrai
tue
le vrai .
L'acteur
non
professionnel.
. .
L'acteur du noralisme
Paradoxes de la vrit
Les corps
vrais
sont
trompeurs
L'enfant
acteur.
Une vrit tenace.
Le child actor hollywoodien
Comment l'thique
vient
la
direction d'acteurs
Chapitre
8 .' L'acteur et I'analyse
Critique
: un discours d'amour.
Affect et
contemplation
Un
progrs
irrversible
L'acteur-auteur
Une
problmatique
:
la
star .
La star au centre du film . . .
La
prhistoire
des star studies
.
.
. . .
Le dveloppement
des
star studies . , .
Analyse textuelle : l'acteur comme texte introuvable . . . .
L'impossible smiologie du
geste.
Une
conception
de
I'image
Un moment de modration
Un chantier
en
cours.
Un
champ interdisciplinaire .
. . .
[,e domaine amricain.
Cinma
et thtre.
Perspectives
Rapports
d'acteurs.
Le retour aux
images.
Un
geste
: La Nuit du
chasseur
Conclusion
Bibliographie
. ..
.
lndex
des
flms.
Index des
noms
.
65
65
66
67
68
68
69
7t
72
73
74
76
79
80
80
81
83
86
86
87
89
90
90
9l
92
92
93
94
98
99
100
102
104
105
105
106
t07
107
108
110
t13
tt4
15
t7
20
I
I
5
123
r27
r28
t29
130
132
t32
135
135
137
138
157
t57
159
l6l
162
162
t63
164
166
167
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t72
140
140
t42
143
145
146
150
t52
t73
179
186
-
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4/94
Introduction
Actrices
et acteurs occupent en
volume la plus
grande
partie
de
la littra-
ture
cinmatographique,
mais sur des modes
qui
ne
varient
gure,
l'entre-
tien, l'album,
la
biographie
ou
les mmoires.
L'acteur
aime
se
montrer et
se
raconter
;
mme en coulisses,
il reste
du
ct du
spectacle et de
l'exhi-
bition,
du
glamour
et de
l'anecdote.
Il
intresselefan
et le
profane, mais le
spcialiste
ne
le
prend pas
au srieux
-
comment
considrer
srieusement
quelqu'un
qui
fait
du
fllm son
terrain
de
jeu
?
Et
s'il
va
jusqu'
inspirer
I'admiration,
c'est
pour
des raisons
vagues
et diffuses,
la
beaut,
l'aura,
l'nigme
d'une
prsence.
Il
n'en faut
pas plus pour
conclure
que
les
acteurs dans
le fllm
ne nous regardent
pas
(cela
leur
est d'ailleurs en
principe
interdit)
;
et
nous, tudiants,
universitaires,
critiques,
chercheurs,
nous
le
leur
rendons
bien
:
More
words and less sense
have
been
written
about
stars
than about any other
aspect
of
the
cinema
>>r.
Pourtant,
rpter si rgulirement
qu'on
ne
parle pas assez
des
acteurs,
on finit
par
en parler, et
plus
qu'on ne
le
pense. De
fait,
depuis un
peu
plus
de
deux dcennies, des
commentateurs
de
plus
en
plus
nombreux
se
montrent attentifs
l'acteur
de cinma,
son
histoire, ses
pratiques,
ses
rapports
avec
la cration,le
spectateur, le champ artistique
et social. Mais
ces
efforts
semblent
infimes,
tant
le domaine
des tudes cinmatographi-
ques
est occup
par
ses objectifs
dominants;
l'approche
des uvres,
des
cinastes, des
influences,
des
styles
;
l'approche du
cinma comme
langage,
comme rcit,
comme art
visuel
et sonore. L'acteur
parat
avoir
peu
faire
dans
cette
aventure,
d'autant
plus
qu'il
hrite
d'un
handicap ancien, remon-
tant aux origines
mmes du
thtre
:
la rprobation
morale, sociale, esthti-
que,
qui
a
toujours
pes sur les
histrions.
Cette
rprobation, la
pense sur
le
cinma
l'a
reconduite comme elle
a
reconduit, en des
termes
parfois
peu
diffrents,
la
plupart
des
questions
souleves
avant elle
par
I'art
dramatique
;
elle
l'a mme
aggrave,
car
non
seulement
la dfense
des
acteurs ne sert
pas
la
qute
de lgitimation
(non
acheve
ce
jour)
de l'art
cinmatographique, mais elle
passe
souvent
pour la compromettre.
Rien d'tonnant
ce
que,
dans
un
tel
contexte, les recherches sur
l'acteur
manquent encore de visibilit.
Elles s'articulent
pourtant
sur
une
tradition
aussi
1.
C'est
autour des stars,
plus
qu'aucun
autre aspect du cinma,
qu'on
a
produit
le
plus
de
mots
et
le
moins
de sens
(Dyer,
1986)
-
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5/94
8
L'acteur
de
cinma
ancienne
que
le
cinma
lui-mme
;
depuis
que
cinastes
et
critiques ont
com-
menc,
voil
un
sicle,
rflchir
sur
le
septme art,
ce
sont eux
qui,
bien
plus
que
les thoriciens,
ont
observ,
apprci,
discut,
et
le
plus souvent
cart
facteur.
Ce
socle
de
parole, il
nous appartiendra
de
le
construire,
en
nous
rsignant
par
avance
fne
le
faire,
dans
l'espace
restreint
de
ce livre,
que
de
faon
trop
partielle.
Qu'en est-il
aujourd'h
?
Sommes-nous
assez
srs
du
cinma,
de
sa
phce
ans
I'art
et
dans
la
socit,
pour ne
plus
avoir
craindre
de
parler
des
cteurs
? Entendons-nous
;
il
n'est
pas question
de
rhabiliter
une
victime
de
l'histoire,
ni
de
plaider
pour l'importance
du
futile,
mais
simplement
de
rappe-
ler
que,
malgr1a
rsistance
ininterrompue
de
l'animation,
de
l'exprimental,
du
documentaire,
le
film
narratif
de fiction
comme
film
iou
reste
la
forme
cinmatographique
dominante.
Certes
les
comdiens
n'y
font
pas
tout,
et
il
serait
narf
d
s'arrter
leur opacit
;
mais
il
est
galement
illusoire
de
la
tra-
verser
colme
un
spectre,
tel
le
smiologue
qui, malicieusement
voqu
par
Andr
Gardies
(1980),
croise
Marylin
Monroe
longueur
de
plans sans
la
voir.
Pour
vaincre
cet
aveuglement,
il
s'agit
d'abord de
montrer
que l'acteur
de
cinma
n'a
pas
t
donn
au
film,
mais
forg,
gagn,
presque
invent
par
lui
:
cela
mrite
u
moins
une
enqute
dtaille,
au
fil
de
laquelle
appamtra
peut-
tre
une
auffe
certitude.
L-haut, sur
l'cran, des
tres
s'agitent,
femmes,
hom-
mes, enfants
(limitons-nous
l'humain,
pour
ce
livre
du
moins),
parlent
ou se
taisent,
mettent
ou
captent
des
rayons
lumineux,
circulent
dans
le champ,
l,agencent
et
l'animent,
se
prtent
des
couleurs,
des
personnages,
des
mo-
tions. Ce
ne sont
que
des
ombres,
bien sr,
prises
dans
la
toile
d'une
mise
en
scne, d'un
projet
formel
et
narratif,
et
on ne songerait
pas
les
en
sparer;
mais
on
,"
peot
nier
non
plus
qu'au
plan
qui
les encadre,
la
lumire
qui
les
cLure,
la mise
en scne
qui
les
organise, et
dans
leur
relation
avec
eux,
elles
apportent
des
effets
d'image,
de
son
et de sens
qui leur
sont
propres,
et affec-
t"rt
t"
film
de
multiple
faon.
Que
l'acteur
soit
actif
ou immobile,
qu'il
mas-
que
son
personnage
ou
soit masqu
par
lui,
que
la
camra
le
capte
dans
l'entier
ou
le
frgment,
tut
film
jou
dveloppe
des
formes
actorales
plus
ou moins
riches
etiignifiantes,
mais
pleinement inscrites
au sein
des
formes filmiques'
Pour
les
analyser,
ou
commencer
le
faire,
l'approche
du
jeu
parat
l'accs
le
plus simple.
Pourtant,
ds
ce stade,
se
pose en des
termes
cruciaux
la
question
de
h
mttrode.
Nicole
Brenez, dont
le
nom
reviendra
souvent
ici
parce
qu'elle
a
plus
d'une
fois
affront
cette difficult,
propose de
ne com-
*"nc"i
questinner
le
jeu
de
l'acteur
que lorsqu'on
a fini
d'analyser
tout
le
restel. Mais
quand commencer,
puisque toute
analyse
est
interminable
?
En
1. Nicole
Brenez,
1993,179.
Introduction
9
cette
affaire,
le
pragmatisme
s'impose,
ainsi
que
l'humilit.
Si
les
outils
rnan-
quent encore,
nous
travaillerons
avec
les moyens
du
bord.
Et
si
l'tude
des for-
rnes
actorales
est
sans
dbut,
sans
fin
et sans
limites, nous
pouvons
cependant
cn
poser
le cadre
et
proposer
I'ide,
travers
quelques
moments_du
cinma,
quelques
dclarations,
quelques
gestes
arrts,
que
le
corps
de
l'acteur
est,
*inon
."
que
Serge
Oaney'appe'iait
l'histoire vritable;
du
cinmal,
du
moins
sa
fce visible,
lisible,
et
mritant
ce
titre
notre
entire
attention.
Le
hut
de
ce
livre,
on
l'aura
compris,
sera
moins
d'tudier
des
prestations
de
comdiens
que de
constituer
autour
de
l'acteur
un terrain
lgitime
de
rf'lexion
;
il i'est
dsormais
crit et
pens assez
de
choses
pour
que
survienne
une
premire
pause,
accompagne
d'une
premire synthse'
Malgr
l,ambition
d'un
titre
vaste,
cette
tude
n'a
donc
aucune
vise
encyclop?dique
;
ses
zones
de
silence,
conscientes
et
assumes,
doivent
tre
pris cmm
un
encouragement
ce
que
chacun
occupe
le territoire
sa
iaon.
Oe
plus, le
discours
sur
l'acteur
exige
une
matrise
du
contexte
hiitorique,
conomique,
et esthtique
des
uvres
envisages,
et
plus encore
une
familiarit
culturelle
avec
les
objets
analyss,
ce
qui
nous conduira
privilgier
les
domaines
qui
nous
sont
le
plus
prochel
(pTPi
eux, au
premiei
rang,
des
films
amricains et
franais).
La proximit
linguistique
st
galemJnt
essentielle,
car
l'acteur
doubl
n'est
pas un ma/.s
deux
ucteuis;
Jean
Eustache,
avec
l'exaltation
propre
la cinphilie
classique,
dclarait
qu'il aimait
voir des
films
de
Mizoguchi
sans
sous-titres
pour ne
pas
avoir
.'o""rp".
de
la
justesse
du
jeu
des
acteurs,
mais
quel
analyste
e
films
prf&eriit
aujourd'hui
ne
pas
comprendre
les dialogues
de
La
Maman
et la
putain ?
Deux
prcisions
pour terminer.
La
prsence
enregistre
de
l'acteur,
grave
dani
la pellicul,
est
aussi
grave dans des
espaces,
des
poques,
des
Jomportementi
;
ce
titre
son
tude
prsente un
intrt
ethnographique,
socilogique,
anthropologique,
mais ce n'est
pas
ce
qui nous
retiendra ici,
gu
seulment
sur le
mode d'une
vocation
rapide. L'acteur
(c'est une des
tatalits
qui
psent sur
lui)
a
galement
le
don
de
nous entraner
sans cesse
hors
des
fiims,
dans
le
professionnel,
l'conomique,
le
tlvisuel,
le
psychologique,
le
politique. ces
questions
sont
importantes,
majeures
peut-
ti"
pou.i"rtains
lcteurs,
mais
nous
ne
prendrons
pas
non
plus
le
temps
de
norr
y
arrter,
tout
simplement
parce que l'urgence
est ailleurs,
et
qu'il
nous
faut faire des
choix.
Enfin,
dans
tous
les cas
o
l',on
parlera
ici
de
faon
gnrale
des
uctrices
et acteurs
de
cinma,
et dans
la
mesure
o
il n'existe
pas
de terme
l. serge
Daney,
kt
Rampe,
cir
par Jean-Louis
Leutrat,
l4
cinma
en
perspective:
une histoire'
Nathan
Universit, coll.
128
,1992,96.
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
6/94
l0 L'acteur
de cinma
piqne,
le
masculin
l'emportera pour
des
raisons pratiques.
Cette
incorrection
politique
est vite
de ns
jours
par
la plupart
ds ouvrages
anglo-saxons,
mais
la
langue
franaise,
hlas
pour
nous,
s,pargne
plus
dif-
ficilement
les injustices
grammaticales.
Remerciements
Tous
mes remerciements
vont
Michel
Marie pour
sa confiance,
ainsi
qu'
Francis
vanoye
pour
avoir
permis
ce livre
de natre,
et
en
avoir
accompagn
avec
viilance
les
premiers
tats.
Merci
aux collgues
qui
m'ont
conseille,
et
m'ont
signal
ou communiqu
des
articles et
ouvrag.es
:_Pierre
Beylot,
Rosemarie
Godier,
Herv
Joubert-Laureniin,
Tim
palmer,
Genevive
Sellier,
Gianluca
Sergi,
Christian
Viviani.
eJc-i l
nap lle
Moine pour
nos
stimulantes
conversations
;
Alain
Kleinberger,
Barbara
Le Matre
et Thierry
Tissot,
claire Nacache,
claudine
et Jennifer
Ruimi, pourleur
soutien
et
leurs
encouragements.
Merci
enfln
Jean
Roy pour
son aide
prcieuse,
Michal
et
Lucile
pour
leur
affectueuse
patience.
Chapitre
Naissance
d?un
acteur
Incarnation
du lien du
spectateur
au
film,
vecteur
privilgi de
l'imagi-
naire, l'acteur
de
film
reste
mystrieux,
et
la
question intacte
:
qu'est-ce
qu'un
acteur
de cinma
?
Autour
de
moi, on
s'tonne
que
je
me
le demande.
L'acteur
ne
serait-
il
pas ce
que
le cinma
montre avec
le
plus
de
complaisance
?
Ne saurais-je
pas
qui snt
ces
femmes, ces
hommes,
ces
enfants
qui habitent
les
films,
mobiles
ou
immobiles,
muets
ou
bavards,
ces
visages,
ces
regards, ces
corps
qui
s'exposent,
ces
voix
dont
le grain reconnaissable
sont
pour
moi la
voix
mme
a fim
? Ne suis-je
pas
assez
informe
sur
le
mtier:
feindre
d'tre
ce
qu'on
n'est
pas, de
vivre ce
qu'on ne
vit
pas,
en
rendant
l'illusion
la
plus
parfaite
possible
-
et sur
le rituel,
plateaux,
camras,
lumire,
rptitions,
moteur,
ction,
coupez
? Tout
porte
croire
que
l'acteur
est
le
tout
du film,
ce
qu'il renferme de
plus
dsirable,
mouvant,
ou
dtestable,
mais en
tout
cas d'humain;
que
l'cran
est
d'abord
un miroir
dans
lequel
nous recon-
naissons
ce
qui
nous
ressemble.
Mais
tant de
certitude
a de
quoi
inspirer
la
mfiance.
Au
thtre
il y
a
du corps
en
face de moi,
dont
le fonctionnement
me
fascine et
m'intrigue,
pris
dans
l'unit
d'un
temps et
d'un
espace.
De
I'acteur
de
thtre,
Valre
Novarina
peut souhaiter
qu'un
jour
il
livre
son
corps
vivant
la mdecine,
qu'on
ouvre,
qu'on
sache
enfin
ce
qui
se
passe
dedans,
quand
a
joue
>>.
(I-ettre
aux
acteurs).
Au
cinma,
pas
de
peau ni
de
chair
ni
de
dehors-dedans.
L'acteur
n'est
que
fantme,
analoSon
lectrique,
vestige
de
quelque
chose
qui
a
vcu,
boug,
souri,
pleur
devant
l: camra,
mais
dont
il ne
reste
presque
rien
;
image dans
laquelle
l'humain ne
pse
pas
lourd,
mais
qui ne laisse
pas
d'orienter,
de captiver
mon
regard.
Pourtant
cette
prsenc cgnotante
que
je
perois
sur l'cran
ne m'apparat
gure
comme
empreinte
d'un
moment
humain,
mais synthse
d'une
te:nporalit
multiple
et
clate.
i'acteur
n'est
pas,
en
principe, ce
qui
cote
cher
au
film,
c'est
mme
ce
qui peut
lui
coter
le moins
;
foyer essentiel
de
mouvement,
c'est
aussi
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
7/94
12 L'acteur
de
cinma
l'essentiel
de ce
qu'il y
a
de filmable,
ce
qu'on
peut
toujours
filmer
quand
bien
mme
rien d'autre
ne se laisserait attraper
pat
la
camra.
Mais
que
ce
visage
soit celui d'une star,
voici
qu'il
vaut une
fortune,
qu'il
relve
du
luxe
et clipse
tout ce
qui
autour de lui
a
un
prix.
L'acteur
n'est
pas
le
personnage
de
fiction
;
je
ne
peux
pas
les
confon-
dre, surtout s'il s'agit d'un visage connu, charg de vies antrieures.
En
mme temps,
il
ne se
propose pour
rien
d'autre
que
ce
personnage
: tel qu'il
m'est
donn
voir
dans
le
film,
tel
que
je
l'aperois
ds
le premier instant,
par
son vtement,
sa
posture,
le
dcor
dans
lequel
il se
trouve, il est dj
personnage
et
n'chappera
pas plus
cette
condition
qu'
celle
d'tre
lui-mme.
De ce corps illusoire, rien ne me
garantit
I'unit
;
tout
moment
il
peut
tre
spar
de
sa voix, ou
dot
d'une
voix d'emprunt
:
tout
moment
le
cadrage
peut
en isoler des fragments, courbe d'paule coupe
par
la ligne
du
cadre,
grossissement
inattendu
d'un
regard,
d'un sourire,
plans
d'chelle
vaie
que
le
montage
articule
en des combinaisons phmres. Ce corps,
je
n'ai mme
pas
l'assurance
qu'il
soit un et authentique
;
il
y a
peut-tre
l
du
composite,
un
plan
de mains ou de
pieds
qui vient d'ailleurs, une
doublure
pour
une scne impudique ou difficile. Mme si
l'acteur
m'est
familier,
je
ne sais
jamais
sous
quelle
surprenante
apparence
le
film
me le
rvlera, les effets les
plus
ralistes
pouvant
rehausser sa beaut, le
rendre
anonyme
ou
le
dfigurer,
le
faire
entrer
dans
le rgne du monstrueux,
voire
me
drober totalement son visage, homme invisible, femme-lopard,
homme-lphant.
Si
je
voulais
pour
me rassurer faire concider I'acteur dans
le film
avec
l'image
que
je
perois
de
lui
la tlvision, assurant la
promotion
de
ses
films, recevant des mdailles, l encore
j'en
serais empche. Comment
reconnatre
dans
cette
Sandrine
Bonnaire
avenante,
lgante, et
souriant sur
un
plateau
de
tlvision aux couleurs
vives, la
brutalit
de celle
queje
vois
l'uvre
dans
La
Crmonie
?
Si du
temps s'est coul
-
car
le drame
(ou
la
chance)
des
publics
de cinma est de
n'tre
pas
toujours
les contempo-
rains des acteurs
qu'ils
regardent
-,
le gouffre
qui
spare
les
deux
images
est
infranchissable. Il
faut
se
figurer
une
vie teinte
depuis
longtemps,
il
faut, avec
douleur,
superposer une Lauren Bacall ride aux images ternel-
lement
jeunes
de
Key
Largo.
Enfin, faute de
percevoir quelque
chose de
l'acteur
dans
le
flux
des
images
mouvantes,
je
puis
m'en
remettre
aux
photographies, qui
m'en
pro-
posent
des
images
sinon
stables, du moins fixes. Mais comment m'y fier ?
Le
portrait
de studio, sophistiqu et
intemporel,
ne
m'apprend rien,
sinon
une version romanesque et idalise de ces visages, comme Roland Barthes
l'crivait des
portraits
Harcourt
(Mythologies).
Mais il
n'est
pas plus
roma-
nesque, somme toute,
qu'un
instant
intime
en
famille
vol
par
lespaparazzi,
Naissance
d'un
acteur
13
0u
ce reportage
de
Life
qui me
promet
de voir
Elizabeth
Taylor
sans
rnaquillage.
Dtache
des
films
comme
de toute
alit,
morceau
de
fiction
irnmobil,
une
photo
d'acteur,
de
quelque
ct
qu'on
la
prenne,
eit
toujours
tle
la
mise
en
scne.
Llacteur,
ou
comment
s'en
dbarrasser
De
Platon
Shakespeare,
l'acteur
est
devenu
le
lieu
commun
d'une
invi-
table
analogie
entre
vie
et
thtre.
Quel
que
soit
le
metteur
en
scne
(Dieu,
le
destin,
l'histoire),
tout
tre
humain
peut
tre
tenu
pour
participant une
vaste
pice dont
la fln
n'est
que
trop
connue.Wlontaigne,
citant
Ptrone,
le
tlisaitn
Son
temps
:
Mundus
universus
exercet
histrionam
,
le
monde
cntier
joue
la
comdie.
Toute
action
est assimilable
au
reprsent,
et
donc
uu
jou
:
>),
mot
qui
a subi,
assez
tt
dans
son
histoire,
la
drive
morale
que
l'n
sait.
L'actor
latin
est
plus
simple
;
avant
de
dsigner
la
profession de
comdien, il signifie
trs
pragmatiquement
:
dont
le sens,
d'aprs
le
dictionnaire
Robert,
resta
longtemps
fluctuant
:
l'acteur
dramatique.
Chez
,ouJ,
la nuance
est
plus
llbre
comdien,
plus technique,
suscite
l'image
d'un
professionnel au service
de
son
rle et
du texte.
Le mot voque
la
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
8/94
14 L'acteur
de
cinma
scne
sans lui
tre exclusivement
rserv,
mais ne
s'impose
pas
l'cran
;
la
sphre de l'acteur inclut
des
conditions
et des statuts
plus
divers. Le
terme anglais
>,
enfin,
est de
plus
en
plus
souvent employ
au
thtre
pour
insister
>.
Du
reste, si Aristote
dfend la
tragdie, il
ne
se
prive
pas
de charger les
acteurs :
quand
le
thtre semble
contorsionn,
ce
n'est
pas
la faute
du
pote
1. Cf.
Jerome
Delamater,
Ritual,
Realism and
Abstraction:
Performnce
in the
Musical,
Zucker,199O.
2. Voir
ce sujet Jean-Marie
Schaeffer, Pourquoi
lafiction
7, Seuil, 1999.
Naissance
d'un acteur
15
mais
celle de
I'acteur.
Dclamant
l'pope,
le rhapsode
lui aussi
peut
se
montrer
mauvais
acteur, et
>.
[,e
mieux
est encore
d'liminer
la tentation
du
jeu,
la
>
(Potique,
t462
a).
Un
acteur
encombrant
Ce
n'est
que le dbut d'une
discussion
qui
se
prsentera de nouveau
sous
bien
des
formes
:
que
faire de
l'acteur
? Comment
s'en
dbarrasser
?
Il
encombre,
tous
points
de
vue,
notre civilisation
occidentale.
Lorsqu'au
xvlle
sicle
prend forme en
France
la
notion
d'acteur,
c'est
dans
l'espace
restreint
que lui assignent
la
socit,
l'Eglise,
et
la
rhtorique
classique:
lnventio,
dispositio,
elocutio,
et
la
quatrime
partie, l'actio oratoire,
cnsemble
de techniques
d'loquence
enseignes
notamment
par les
jsuites
aux
futurs
professionnels
de la
parole publique
(Chaouche,
2001).
Longtemps
les
lois
de
la dclamation
se
confondent
avec
l'art dramatique
;
puis, lorsque
celui-ci
va
de l'emphase
l'intriorit,
au ralisme
du
geste,
la
psychologie,
lorsque
le metteur
en
scne prend le
pas sur
l'acteur, c'est
tut
ce
qu'il y
a
d'humain
chez
l'acteur,
de non
rductible
par
la technique
du
jeu
et
la mise
en scne,
qui fait
encore
obstacle
la
perfection
thtrale,
Ct
plus
encore
la
rflexion.
Mme dans
le domaine
du
thtre,
o
l'acteur
u
suscit
infiniment
plus d'intrt
qu'au
cinma,
l'analyse
de sa
contri-
bUtion
au
spectacle
reste
un
terrain
mal
connu,
pour
lequel
on
en
est encore
proposer de
nouveaux
outils
(Pavis,
1996).
Vers
un
acteur
de cinma
Nouveau
mtier,
nouvelles rgles
l,c
cinma
devra lui
aussi,
on
le verra,
faire
face
l'encombrement
actoral.
Mais
son arrive
la n
du
xIf sicle
suspend
un temps
la
question
en'
transformant
brutalement
le mtier, le
statut,
le
contenu
du concept
d'acteur.
Ds
les premires vues
Lumire
apparaissent
sur l'cran
des
tigures
humaines
animes
auxquelles
ne convient
ni
le
titre
de comdien
ni
cetui
de
mime.
Auguste
Lumire,
sa
femme
et leur enfant
tiennent
la
vcdette
du
Djeuner
de bb,
Mme
Lumire
et ses deux
filles
celle de
La
Sortie
du
port.
Llacteur de
L'Arroseur
arros
est
M.
Clerc,
un vrai
jardi-
nier
au service
de
la
famille
Lumire, et
le
petit plaisantin est
un
apprenti
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
9/94
16
L'acteur
de cinma
de
l'usine.
Personnes
relles,
certes,
mais
dont ne
se
peroivent
que
des
ombres
mouvantes
et
silencieuses
;
hommes
et femmes
de
la
rue, loin
de
toute
scne, pris
sur le
vif d'une
situation
relle
ou
peine
fictionnante.
Ainsi,
ds
ses dbuts, le
cinma
utilise
le
corps d'une
faon
qui
n,a
pas
d'quivalent
au
thtre,
comme
lment
du
dcor
et donc du
monde. Il
n,y
a
pas
encore
de nuances
entre le
figurant
et
le protagoniste
dont les
actions
monopolisent
l'attention
de
la
camra
;
mais
c'est
l
ce
qui
est
prcieux.
En
un
temps
o
ni
le
montage
ni
l'chelle
des
plans ne peuvent
morceler
les
co{ps,
les
films primitifs
abordent
leur
faon
la
singulire
condition
de
l'acteur
de
film,
qui
est
l
sans
y
tre,
joue
sans
faire le
comdien,
>
en
mme
temps qu'il
se
laisse
agir, saisir par
la prise
de
vue
comme
par
ce
que
F.
Niney
(2000)
appelle,
parlant
du
documenture,we
prise
de vie.
Les
premiers
>
de Montreuil,
Georges
Mlis
construit,
ds 1897,
une vraie
scne,
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
10/94
18
L'acteur
de
cinma
remplacent l'embauche
pour
un
seul film;
l'industrie
du cinma
se
struc-
ture
en
professionnalisant
ses
acteurs.
Ceux-ci
demeurent
cependant
le
plus
souvent
dans
l'anonymat,
et n'en
sortent
qu'
partir
de 1910lorsque,
le
mtrage
des
films
s'allongeant
pour
rpondre la
demande
publique, des
producteurs
clairvoyants
se
tournent
de
nouveau
vers les
vedettes
du
thtre et
de
l'opra.
Asta
Nielsen
tourne
L'Abme,en
1910, Sarah
Bernh
ar;dt
In
neme lizabeth,
en
1912,leonoru
Duse
Cendres,
en
1913.
Le
jeu
de
Nielsen
dans
L'Abme
cherche aussitt
dans le cinma une
expression
pour son
rotisme
vibrant
(Aud,
1993).
Beaucoup
d'autres,
que
le
cinma
laisse
sans
voix, ne
lui
apportent
rien en
change;
de
Sarah Bernhardt,
Louis
Delluc disait,
en
revoyant
ses tout
premiers
films,
que
c'tait
>.
En
Italie,
l'art
des
grands
comdiens
de
la fin
du
XIxe sicle, la
Duse,
Zacconi,
Novelli,
est dj sur
le dclin,
et
l'cran
ils
se contentent
de
rpter leur
jeu
thtral, moins
pour se mettre
l'preuve du
cinma
que
pour
enregistrer
leur
prestation
(Farinelli,
2000,
108)'
A
Hollywood,
Adolph
Zlkor,
la Famous
Players,
devient
le
plus rput des
promoteurs
dt star
system;
V/illiam
Fox transforrne
une
comdienne de
thtre, la
brave
Theodosia
Goodman de
Cincinatti,
en
une
femme fatale
au
regard
charbonneux,
pare
de
toutes
les
dangereuses
sductions
de
I'Orient.
Le
pseudonyme de cette
mangeuse d'hommes
est
Theda Bara,
l'anagramme
sulfureux de
>
et
,
et
son
personnage de
vamp
se dveloppe
entre 1915 et
1919, avant de
tomber dans l'oubli.
Les
aues acteurs
sont
recruts dans
tous
les
milieux
-
au cabaret,
au
vau-
deville, au cirque
-
et
souvent
pour
accomplir
bien
autre chose
qu'un
travail
de
comdien.
Soit
que
le cinma
les
emploie
pour leur apparence
fortement type,
comme
ces
figurants
chinois ou
mexicains
qui,
dans
les dbuts d'Hollywood,
espraient
toujours
trouver
du travail
en
rdant
autour
des compagnies
de
cinma
nouvellement
installes
;
soit
qu'on
leur demande
surtout
des comp-
tences
physiques,
cofilme
ce
fut
le cas
ds
les courts-mtrages
Path,
et
plus
encore avec
le
dveloppement
du
cinma burlesque.
L'acteur du
burlesque
muet, tel
que
le consacrent
en
France
Jean
Durand,
ses Calino
etZigoto,l'l'
g*""
,orpl, de
Max
Linder, Mack
Sennett
et
ses
du
thtre
sudois
donne
les
mcilleurs
rsultats dans les
films
de
Victor
Sjstrom
ou
de
Stiller,
tous
deux
vnus
cle
l'art
dramatique.
Aux
tats-Unis,
la
scne
continue fournir
beau-
eoup
d'acteurs,
mme
s'il faut les rompre
aux
exigences de
l'cran; et,
qu'ils
f'assent
leur
carrire
en
Angletelre
ou
outre-Atlantique,
rares
seront,
0u
long du
sicle,
les
acteurs britanniques
qui n'ont
pas
commenc
sur les
plunches.
En
Chine,
le
cinma
est
tiraill
entre
la
copie
des films
occi-
dentaux
et
les
genres
thtraux traditionnels
;
il
faudra attendre
les
annes
trente,
et
le
>
avant
l'heure des
Anges
du boulevard
(Yuan
Muzhi,
1937)
pour
qu'merge
ce
que le
grand acteur
chinois
Zhao
Dan
uppelle
un
venu
d'Occident.
Et
l'on
verra bientt
qu'cn
URSS,
les modles
thoriques
proposs pour
l'acteur
de cinma
se
ilont
tous
articuls
sur
des
rvolutions
thtrales.
t
Un
acteur
sans
aura
Ibut
joue
dans
Ie film
i
I'acteur
de
film
est
diff,cile
concevoir,
c'est
que,
contrairement
ce
qui
se
passe
sur scne,
tout
joue
dans
le
film.
Tout
y
a
une me
-
un
arbre,
un
objet,
un
paysage.
Le
cinma
>
du Dictionnaire du
cinmafranais des
annes
lirrxt
(
I t|95, n'
33,
2001),
sous
la direction
de
Franois Albera
et Jean Gili.
,1,
Voir
Jacqueline
Nacache,
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
11/94
20 L'acteur
de cinma
mondes du cinma. Fntz
Lang,
rappelle J.-L.
Leutrat,
>
Rebecca,
dans
une
scne du film de
Hitchcock, comme si elle tait
prsentel
;
elle
l'est, actrice
absente,
personnage
qui
n'aspire
pas, pour
exister,
l'incarna-
tion. Face cette rude et multiple concurrence, l'acteur est secondaire,
priphrique,
marqu en tout
cas par
un dflcit
de
prsence.
Ds I'appari-
tion
du
cinma,
c'est
l'homme
qui
tonne
le moins
;
aprs
tout,
remarque
Iouri Lotman,
la mobilit
des
personnages
n'avait
rien
de nouveau, alors
que
la
locomotive
et
le
feuillage
derrire
le
repas
de Bb
meuvent
et
surprennent,
pil
> (Lotman,
1977).
[,lacteur n'est
pas
l'affaire
du
cinma
Si
l'acteur est le tout
du thtre,
il
n'est
donc
pas
celui
du
cinma, dont,
bien
au-del de
l'homme,
la matire
inflnie
est le
flux
des
phnomnes
visibles
(S.
Kracauer).
Une
porte qui
bat, une feuille
dans le
vent, les
vagues
qui
lchent une
plage
peuvent
accder la
puissance
dramatique
,
dit
Bazin.
Quelques-uns
des chefs-d'uvre du cinma
n'utilisent
l'homme
qu'accessoirement
;
comme
un
comparse,
ou en contrepoint
de
la
nature qui
constitue
le
vritable
personnage
central.
Mme si
dans Nanouk ot
Man
of
Aran
la lutte de l'homme et de la nature est le sujet du film, elle ne saurait tre com-
pare
une action thtrale, le
point
d'appui du levier dramatique n'est
pas
dans
l'homme mais dans les choses. Comme l'a dit,
je
crois, Jean-Paul Sartre,
au
thtre le drame
part
de
l'acteur,
au cinma il va du dcor
l'homme.
,2
Justement,
partir
de
I'acteur
>>
devient
ceci mme
par quoi
le
thtre
se
dfend, rsiste l'invasion du cinma. Un lieu commun de la critique thtrale,
selon
Bazin,
est
>,
sur
la
scne de thtre,
prsence physique
jusqu'alors
parfaitement
banale, et
laquelle
le
cinma con-
fre
par
contecoup un immense
prestige.
[,e
thffe est le sanctuaire de
l'acteur
;
le
bruit,
le
souffle,
la matrialit
de son
corps
sur
la
scne
attestent
qu'il
n'est nulle
part
ailleurs
en mme temps, que
l'instant
thtral est
phmre,
unique,
irrpetable,
et
digne
ce
titre du
plus grand
respect.
C'est
donc
pour
Walter
Benjamin la
seule condition
possible
d'ne
aura
du comdien
:
>.
Ils sont,
rclun
le
mot
de
Luigi
Pirandello
que
cite Benjamin:
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
12/94
22 L'acleur de
cinma
exigences du
cinma
moins dformantes
que
celles du
thre
>>,
et se
laisse
mouvoir
plus
que
tout
par
les
performances
physiques,
comrne
celles
de
Douglas
Fafubanks,
>,
il
faudra
pour
cela envisager
>,
dont
pas plus
d'une
douzaine
ne seraient
gards.
Pour injuste et
excessif
que
semble
ce
discours,
il aduit
le dsir
de
comprendre
et
si
possible
de
codifler
la spciflcit
de
l'acteur
de film. Mais
ce dsir
n'aboutit,
pour
le
moment,
qu'
une volont
d'attnuer, sur
deux modes
rcurrents,
la
prsence
trop massive
de l'acteur
: soit
qu'on le
tenne
pour
un
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
13/94
24
L'acteur
de cinma
cration
d'un
,
QU
sa luxu-
riance protge
de
tout
excs smantique.
Longtemps
aprs
la
fin
du muet, les
thoriciens
consacreront
encore
la
supriorit
artistique
du non-verbal
(avantage
culturel
confirm,
de nos
jours,
par
le
fait
que
le muet
soit
plus
connu
des
lites
cinphiles
que
du
grand
public).
Pour
Rudolf Arnheim (1989,
115),
c'est
dans
le muet
que
la
signication
nous
parvient
de la faon
la
plus
artistique,
par
le
jeu
des
muscles
du
visage,
des
membres,
du
corps.
La
qualit
motionnelle de
la
conversation
est
rendue
vidente,
avec une
clart
et une
exactitude qui
sont
inaccessibles
au langage.
Les
choses
sont
pourtant
moins
simples
qu'elles
ne le semblent,
et
l'acteur
du
muet doit,
tout en liminant
la surexpressivit
thtrale, pro-
mouvoir
le
geste
comme
fondement d'un langage
expressif. Son
jeu
sera
donc
pris
dans
une
srie
de
tensions,
entre
surjeu
et
sous-jeu,
humain et
inhumain,
emphase
et
dpouillement.
En Italie, les
poses
et
la
lenteur
hiratique
des
divas coexistent
avec la
gesticulation
des
acteurs de
Cabiria
(19t4);
le burlesque
ne peut
se concevoir que
dans
un
rappofi dialectique
entre
la
dpense
chaplinienne (F. Bordat) et l'conomie
keatonienne
;
l'impassibilit
du
Japonais
Sessue
Hayakawa
dans Forfaiture
(1915)
sou-
lve
l'admiration
de
la
critique intellectuelle. A
la lgendaire
inexpressivit
de
Mosjoukine dans le
rcit
de
l'effet
Koulechov,
s'oppose
un
cinma muet
o
l'acteur,
ne comptant que
sur
lui-mme,
continue
de
rouler des
yeux,
de
rire,
pleurer,
grimacer,
retrouvant,
cofitme
l'c/rt
Sylvie Pierre,
r1.
Prsence,
pril
et
combustion
Ce
qui
est
en
jeu
dans
cette tension
n'est rien
de
moins
que
le
statut
de
la
prsence
cinmatographique.
Longtemps
aprs, il
reviendra
la
critique
et
la thorie commenante
de
remettre
la
question
au
centre
des dbats
sur
les
diffrences
entre thtre
et
cinma.
Il
est faux,
critBazin,
de
dire
que
l'cran
soit absolument
impuissant
nous mettre
>
de
I'acteur.
Il
le
fait
la
manire d'un
miroir
(dont
on
accordera
qu'il
relaie
la
prsence
de ce
qui
s'y
reflte),
mais
d'un
miroir
au reflet
diffr,
dont le
tain
retiendrait l'image.
Il est vrai
qu'au
thtre
Molire peut
agoniser sur la
scne et
que rous
avons
le
privilge
de
vivre
dans le temps
biographique
de
l'acteur;
l. Sylvie Pierre
(1992-1993).
Naissance
d'unacteur 25
mais
nous
assistons
bien dans
le film
Manolete
la
mort
authentique
du clbre
torero,
et si
notre motion
n'est
pas
tout
fait
aussi
forte
que
si
nou-s
avions t
clans I'arne en
cet
instant historique, elle
est
pourtant
de
mme nattire.l
L'motion
comme
preuve
d'une
prsence
:
l'argument a
quelque
chose
d'incontestable
mais narl
plein
de
foi dans
le
>
de
I'image
cinmatographique. Un
peu
plus
tard encore
Christian
Metz, dans
Ufl
article
fondateur,
mettra
de
l'ordre
dans
ces
impressions,
en
distinguant
prsence
et
ralit.
la
suite de plusieurs filmologues,
il
indique
que le
dlspositif
thtral,
acteurs compris, compromet l'impression
de
ralit
plus
qu'il
ne
la
favorise
: les entractes,
le rituel
social,
la
prsence
de l'acteur
sur
ffne,
ne
permettent
pas que
soit
ressentie
comme
relle la fiction
dve-
loppe
par la
pice.
En
revanche,
continue
Metz, c'est
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
14/94
26 L'acteur de cinma
vide
parfois,
on
n'exprime
rien
pour que
le
visage
reste
masque
propice
contenir
toutes
les motionso
on se rsigne
facilement
n'avoir
aucun
aperu d'ensemble sur son travail.
On arrive
sur
un
plateau,
et
quelques
heures
plus
tard
on a des
relations intimes
avec un
parfait
inconnu,
sous
l'il
attentif de
l'quipe.
Sternberg
persifle:
pour
se soumettre
un
tel
traitement, il vaut mieux ne
pas
avoir l'intelligence
trop dveloppe, dix ans
d'ge
mental
tout au
plus.
Partout la
phrase
revient comme un
refrain
:
pour
des cinastes
toujours stupfaits
d'avoir
besoin
d'un
matriau
si
inepte,
l'acteur
de cinma est irresponsable,
angoiss
par
sa
propre
nullit. Pour
Jerry
Lewis
(Quand
je
fais
du
cinma), les
acteurs
ont tous neuf
ans,
c'est
l'ge
auquel ils s'arrtent
de
grandir.
Pour Godard, ils
sont
non
seulement
purils
mais vaniteux,
paresseux,
et
pleins
de
prjugs.
Il
faut
dire
que
tout le monde
s'en mle, commencer
par
les
acteurs
eux-mmes.
Une
journaliste
interroge un
jour
Isabelle
Huppert :
venir
au
thtre,
ne
serait-ce
pas
accder l'ge adulte ? L'actrice
s'engage dans
la
facile
dialectique
ainsi ouverte
:
le
thtre, o l'on travaille
sans
filet,
sous
les
yeux
de tous, est
videmment
plus
prilleux.
Pourtant n'est-ce
pas
au
cinma
qu'il
faut
tre
vrai
et
jouer
parfois
au
thtre, la rciproque n'tant
pas
vraie : l'acteur ou l'actrice
de thtre,
en visite l'cran, honore
un
film
de sa
prsence.
Le
thtre continue
de
bnficier d'une forte
plus-value
culturelle, et un tapage mdiatique
accom-
pagne
les
acteurs de film
qui
montent sur
les
planches
(voir,
pour
Isabelle
Huppert, le
bruit
qui
a entour ses
prestations
thtrales dans
Orlando
ou
dans Mde,
au
festival
d'Avignon).
On
y
admire
alors
ce
que
Roland
Barthes
rangeait nagure
parmi
les
mythes du
Jeune
Thtre
hritant
eux-mmes
des
mythes
de
I'ancien
:
la
d'un
acteur
dvor
par
son
personnage >>,
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
15/94
t
i
I
I
t
t'
I
28
L'acteur
de cinma
mdiocre de
la
sensibilit
au
bon
acteur
du
jugement.
Celui-ci
n'a
pas
la
folie
de chercher prouver
les
motions
qu'il
communique
(>
L'acteur
sensible est soumis aux caprices
de
l'humeur et de l'instinct
;
ce
qu'il
obtient un soir sur scne, dans
le feu
du
moment,
il
n'est
pas
sr de le russir un autre :
le
comdien de
nature est
souvent
dtestable,
quelquefois
excellent
.
Lejeu
doit
se
fonder
sur
l'art
et
l'tude,
et
non
sur
I'improvisation hasardeuse
du sentiment
;
l'acteur est le
(>
de
sa
propre
cration,
,
Diderot
rpond :
lfio
lu
posie dramatique).
"Le
public
absent,
ignor,
I'actrice doit se
gllrc
scule,
sa
vrit
est
ce
pix"
(I-ettres
Mlle Jodin)
Ce
repli de
la
mlne
sur
elle-mme,
du
groupe
de comdiens sur
son
organicit
propre.
fifelt
par
la
suite
un des
fondements du
naturalisme
thtral et,
dans
son
rlllugc.
d'un
jeu
cinmatographique
qui
y
trouverait
une
formule
par
avance
thoriser,
Ainsi,
ds
Diderot
et
malgr le
>
du
Paradoxe,les deux
ver-
tRtH
du
jeu
thtral
se
rejoignent
plus
qu'ils
ne
s'opposent.
Ce
qui
se
joue
ll,
e
n'est
pas
la raison
contre
le cur,
le
froid
contre
le
chaud,
mais
une
lnorgie
qui
s'alimente
toutes
les
sources.
Il
y
a, dans
l'acteur
pens
par
Dltlertx,
et dans
la
tension de
ses
crits,
le rve
d'une
synthse
entre
nature
It
lechnique
que
raliserait
en
partie,
bien
plus
tard,
le
inma.
Ltart
du
comdien
[,en
discussions
du
XVrue
sicle
ont
remis en
chantier la
question
dtt
geste,
fnvoynt
une
primitivit
perdue
du
langage,
une
puret
d'avant
la
psrole,
voque
avec
nostalgie
par
les
philosophes.
Depuis
que
nous avons
appris
gesticuler, nous avons
oubli
I'art des
panto-
tnimes...
Ce
que
les
Anciens disaient
le
plus
vivement,
ils
ne
I'exprimaient
pas
pur des mots,
mais
par
des
signes
;
ils nele
disaient
pas,
ils le moniraient
,2.
C'est
au cours
du
xtxe sicle
que
cette
nouvelle attention
porte
au
lontc
inspirera
des tentatives
de thorisation
de la
pantomime
et du
mouvement.
Convaincu,
comme
plusieurs
de
ses contemporains
d'une
pnxible
adquation
entre
un
geste
et
sa signification,
l'locutionniste
ilrunois
Delsarte
(1811-1871)
fut le
premier
parler
d'une
>
tlu
gcste,
et
proposer
une
codification
trs
complte de
l'art de l'acteur,
un
pertoire
de
poses
et attitudes
expressives
correspondant
une
large
gamme
d
"
tnessages
>>.
Tout
le
corps
et
le visage de
l'acteur sont
mis au
service
de
ee
lungage
non-verbal,
qui
repose
sur
une
psychologie
rudimentaire,
ell'ectant
une attitude
chaque
sentiment
sans
nulle
prise
en
compte
du
(llllcxte3.
l,es
principes delsartiens
se
retrouvent,
consciemment
ou
non,
dans
plusicurs
traits d'art
dramatique
de
la
fin
du
xlxe sicle
;
pour Gustave
Uurcia,
auteur
d'un
trait
paru
en
1882,
le
jeu
de
l'acteur
peut
tre
I
Voil
lc
chapitre
6 sur
1'acteur
amricain,
p.
1 17.
J,
Jcrrrr-Jacques
Rousseau,
Essai sur l'origine
des langues,
cit
par Patrick Pavis,
2000, 1
I
l.
l.
('1,
Alain Porte,
1992.
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
16/94
30
L'acteur
dc
cinma
enseign,
comme
la
grammaire,
au
moyen d'une
srie
de rgles
1.
En Frnce,
certains
comdiens
se
rfrent
au
comdien
crbtal
dt
Para-
doxe
pour
affirmer
leur
professionnalisme,
car
l'esthtique
de
la distancia-
tion
lorise
la techniqu
: on
le
voit dans
L'Art
et
le
comdien
(1880),
un
trait
de Coquelin
l'an,
interprte
historique
de
Cyrano
dans
la
pice de
Rostand.
Mais
c,est aux
tats-Unis
que
Delsarte
exercerait
la
plus
grande
influence,
par
I'intermdiaire du directeur du Madison
Square Theater
de
New
York, Steele
MacKaye,
et
sa technique
de
>
directement
inspire
de
Delsarte.
Celui-ci
eut
par ailleurs
un
continuateur
intressant
en
Charles
Aubert,
auteur
d'un
A
rt
du
Mime
(
1901,
rvis
en
1920)
dans
lequel
sont
voqus,
pour
la
premire
fois
dans un
trait
de
cette
nature,
les
problmes
spcifiques
de
l'acteur
de cinma.
Aubert afne
le
lexique
gestuel
et
expressif
de
Delsarte
et
s'appuie
sur
une
smiotique
encore
pls
pcise,
tablissant
un
long
catalogue,
accompagn
de
croquis,
pour
touts
lei
positions
du corps
et les
mimiques
faciales.
Il
se
conentri
sur
le visage
et
propose des systmes
binaires
d'expression,
autour
de
la
position
des sourcils
ntamment
: ainsi,
pour toutes
les
mimiques
lies la
voiont et
l,intelligence
(rflexion,
mpris,
dgot...)
des
sourcils
bas,
froncs, provoquant
ds
rides verticales
la
naissance
du
front, et
une
tension
musculaiie
dans
tout le
corps
;
pour
toutes
les
attitudes
o
intelligence
et
volont
sont inactives
(admiration, gaiet,
peur,
souffrance.'.)
des sourcils
hauts,
carts,
provoquant
sur
le front
des rides
horizontales,
et
un
relchement
musculaire
giral.2
Dans
des
domaines
voisins
du thtre
se
dvelopperont
un
peu
plus
tard
des
systmes
quivalents
de
notation
gestuelle;
pour
la danse,
la
,.
cintogrphie
rr,
un systme
d'criture
du
mouvement
propos
par
Rudolph-
vbn Laban
(i879-1958)
;
pour
la
musique,
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
17/94
32
L'acteur
de
cinma
elle
n'a
pas
une
raison
intrieure.
[...]
C'est
le
processus normal
et logique:
l'exprience
intrieure
vient en
premier,
puis
elle
revt une forme
extrieure.
l,a
Formation
de l'acteur
152.
Si
Stanislavski
recommande
galement
une
formation
physique de
l'acteur, toujours
attentif
au
rythme
et
la
plasticit
de
ses
mouvements,
c'est
cet
aspect
que Meyerhold
met
le
plus
en
lumire''
Il
ne
faut
cependant
pas
figer
les
oppositions:
les deux hommes
partageaient
une
immense
volont
de
recherche,
et ont
toujours
remis
en
question leurs
ides
dans
le sens
de
I'exprimentation.
Meyerhold
commena
sa carrire
d'acteur
auprs de
Stanislavski
au Thtre
d'Art
de
Moscou,
laboratoire
d'art
dramati-
qu d"
l'poque,
puis
le
quitta, considrant
qu'avec
le
ralisme
son
matre
rltuit
",
quelque
sorte
rendu
la
mdiocrit
du
got
bourgeois'.
Ce
qui
ne
l'empcha
pas
de
travailler
avec
lui
plusieurs reprises,
et
de
toujours
lui
garder
son
amiti
et un
immense
respect.
Meyerhold
fut
excut
par
le
rgime
stalinien
en
1940, deux
ans aprs
la
mort de
Stanislavski,
qui
l'avait
ptotg
jusqu'au
bout.
Chez
Meyerhold,
la
distance
entre
l'acteur et
le
personnage
qu'il
incarne
est
totale.
Une
recherche
essentiellement
plastique
privilgie le
corps
et
le
geste
sur
la
mimique et l'motion,
le
travail minutieux d'un
actur
qui
s'observe,
conscient
chaque
instant
de
ce
qu'il
construit.
En
effet, si
Meyerhold,
comme
Reinhardt,
et
par
la
suite
Piscator,
Brecht,
propose un
systme
thtral
global
-
prnant l'clatement
de
la
"
bote scnique
du
thtre
l'italienne,
et de
nouveaux
types de
relation
entre
le spectateur
et
le
spectacle
-
c'est
l'acteur
qui
est au
cceur
de
cette
conception.
Un
acteur
form
par la biomcanique
chre
Meyerhold;
force d'entranement
rigoureux,
le comdien
acquiert
la
matrise
de chacun
de ses
mouvements,
et
fait
de
son
corps
une
parfaite machine
au
service de
sa
crativit.
L'exercice
du
corps
ne dispense
pas
de
celui
de
la
pense; I'acteur
de
Meyerhold
n'est
ni
une marionnette,
ni
la
simple
adaptation
au
thtre du
modle constructiviste.
Il s'enrichit
au contraire
de toutes
les
sources
o
Meyerhold
a
puis,
la
commedia
dell'arte
surtout,
le
cirque,
la
foire,
le
n,
partir
desquels
il
propose sa
vision
dt
grotesque,
qui,
comique
ou tragique,
t e.itart
d'Hoffmann
comme
du sculpteur
Jacques
Callot,
implique
le
triomphe
de
la
forme sur
le
fond.
1. Batrice
Picon-Vallin,
matre
d'oeuvre
des
crits sur
Ie
thtre
de
Meyerhold,
rappelle
que
Stanislavski
a laiss
huit
volumes d'crits
soigneusement
composs,
alors
qu'on
n'a de
Meyerhold
qu'un
monceau
de
lettres, de
discouls,
de
fragments,
de
notes de
mise
en
scne,
le tout n'ayant
t
que
tardivement
rendu
public.
2.
La
solitude
de
Stanislavski
in
Meyerhold,
1980'
62.
Unmoment
thorique
33
ll
r'cnrichit
aussi
du cinma,
dont Meyerhold
pensait que
la scne
devait s'ins-
plrcr,
pour
renouer
par-del le
vieux
thtre
>>
avec la
vitalit
de Shakespeare,
Cgltlcrtln,
Lope
de
Vega.
Il voit le rapport entre
cinma
et thtre enltermes
de
flvtlit
fructueuse
:
Seul
le
thtre
qui
se
cinf,e
soutient
la comparaison
avec
lo
cinma
(1928).
Il faut
que
le thtre
assimile
les meilleures
acquisitions
du
elnma;
pour
le
jeu
de
l'acteur,
cela exclut
la recherche
des
finesses
psy-
ehlques,
mais
non
l'emprunt des
techniques
propres l'acteur de
cinma,
omme
les raccourcis,
le
jeu
mimique,
I'habilet exprimer
une
intention
tnr
parole
,.
ce
dtre,
il
admire
Chaplin
et
peroit un lien
trs
fort
entre
ce
qu'il
appelle
le
chaplinisme
et
1'un des
principes
du
jeu
biomcanique,
selon
lor;ucl
"
le
jeu
de l'acteur
a ncessairement
besoin
d'un
entranement
de
type
ocrobutique
.
(1980,
217
-221).
Lcs
thories
conomiques
inspirent encore
Meyerhold,
qui prne une
tuylorisation
thtrale
>>
en
empruntant
au
productivisme
de
F.W. Taylor
le
principe de l'conomie
des
mouvements
inutiles.
Plusieurs
des
principes
de
Meyerhold
se
retrouvent,
peu
ou
prou,
dans
hr
onthtiques
thtrales de
Brecht, d'Artaud,
de Grotowski
;
voire
(avec
des
iltnccs
importantes)
dans les
propositions
de
son contemporain
britannique
ordon
Craig,
qui
voyait
l'acteur
idal
comme
une
),
lp'uucune
autonomie
gnante
n'empcherait
de manipuler
au seul
service
dU
tcxte
thtral
;
ou
plus simplement
dans le
jeu d'un
Jouvet qui avait
pour
Moycrhold
la
plus grande admiration. En
URSS
mme,
Koulechov,
Kozint-
llV
et
Trauberg,
Eisenstein,
s'inscrivaient
tous
dans
le
sillage
de
Meyerhold,
ont
I'influence
s'exera
de faon considrable
surle
cinma
de son poque'
Lcs
cinastes-thoriciens
Koulechov
Du
cinaste
Lev Koulechov,
on
a
retenu
la
clbre
>
:
trois
plnns identiques
du
visage
impassible de
l'acteur
Ivan Mosjoukine, dont
l'cxpression
semblait
pourtant
se
modifier selon
qu'on le mettait en
regard
tl'9b.iets
suscitant
la
joie,
la convoitise,
la tristesse.
Que
ce
rcit ait
avant
Iout
valeur de
mythe
fondateur,
renvoyant des
faits
impossibles
recons-
lllucr
historiquement,
qu'il
ait t
la base d'une
rflexion
sur le
montage,
Iout
cela
u
de3a
fait l;objet
de nombreuses
discussionsl,
qui
n'ont
pas
I,
Sur
I'effet-Koulechov,
laali,
le
mythe,
et
les usages
hasardeux
qu'en a fait la
critique,
voir
llllrnment
B. Amengual,
>
(Du
ralisme au
cinma,Natbaf:
1998), Iris,
vrrl,4
n"
1,
l"'semestre 1986
(
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
18/94
34 L'acteur
de
cinma
toutes
pour motif central, tant
s'en faut,
la
question
de
l'acteur. Or
c'est
bien sa
contribution
qu'il
semble s'agir
de
rduire a minima
;
raction
poli-
tique, certes,
au cinma
d'acteurs de
la Russie tsariste,
dont
Mosjoukine
est
l'incarnation
;
raction, galement,
d'artiste
vigilant,
attentif
la nou-
veaut d'un
moyen d'expression
qui
balaie
les vieilles
catgories
thtra-
les. Dans de
prcises
et
prcieuses
mises au
point, Franois Albra
a
souli-
gn que
la fameuse
exprience,
ft-elle authentique,
aurait
eu
moins
pour
but
de
promouvoir le
montage que
de
remettre en question
le
jeu
thtral,
ses conventions,
sa conception
de
l'expressivit.
Dire
que
>
revient dire
qu'au
cinma
l'intriorit
n'a
pas
de sens :
tout
se
passe
l'extrieur,
dans
le
geste, le
comportement,
la
mobilit
des
traits
du visage.
Le travail
de Koulechov
va
donc
vers une thorie
de
l'acteur, dont
la
cl de
vote est
la
notion de
modle
>> (naturchik).
La technique
d'un
acteur de
thtre tant
considre
comme oppose
celle
de
l'acteur de
cinma,
Koulechov entendait
former des
comdiens
spcifiquement
pour
le
cinma.
Le terme de
modle
>>
est
ambigu,
parce que
dj
employ
dans
son
sens
pictural
;
Vera
Kholodnaia,
la
plus grande
star fminine
d'avant
la
Rvolution,
tait surnomme'
>,
rappelle
Natalia Noussinova, qui
voit
l
du
reste
une
possible
source
pour
Koulechov
(Farinelli-Passek,
2000)
;
d'autre
part,
le texte
le plus
connu
du
>,
Poetika
Kino,
sous la
plume de
Boris
Kazanski,
reprend
la
notion
de
modle dans
le mme
sens, d'une
faon moins
ddaigneuse
pour
l'acteur
qu'on
ne
pourrait
le
penser
-
puisque Kazanski
propose
d'abord
une
sorte
de rhabilitation
du
rle du modle
en
peinture
-
mais avec
l'intention
de
nier
tout vritable
art
dramatique
chez l'acteur
de film :
Le
rle de l'interprte
au
cinma
n'exige
nullement
les
facults et
les talents
qui
constituent
l'art de
l'acteur sur scne.
Ce
n'est
pas
I'art dramatique
qui,
ici,
a une
grande
importance,
mais
la
),
c'est--dire
la facult
de
prendre
telle
ou telle
position,
d'excuter
tel mouvement
[...]
Ce
talent
est
si loign
de
celui
de
l'acteur
et
il est,
par
essence,
si
proche
du modle,
qu'il
conviendrait
mieux
de
I'appeler
art de la pose
,.1
Tout
est si troitement
li
cette
priode
-l'a11,la
politique, le cinma
et
le
thtre,
mais
aussi
les
hommes eux-mmes,
qui
avaient
tous diverses
occasions
de
travailler
ensemble,
comme
acteurs,
ralisateurs,
thoriciens
-
qu'il
est
difficile
de
rattacher,
sans schmatiser,
les
expriences
russes
chaque
courant
de
pense
thtrale.
Koulechov,
parlant
de
I'atelier
expri-
mental
(o
il eut
pour
lves,
entre
autres,
Poudovkine
et
Boris
Barnet),
dit
1. BorisKazanski,
Poetika
Kino, cit
par
FranoisAlbera,
Zes Formalistes
russes
et le cinma,
Nathan,
1996, 117.
Un
moment thorique 35
$'ll
y
truvaillait
en
parallle
avec Stanislavski,
mais en
tenant
compte de
Utsr
lcs
particularits
du cinma
(entretien
de
1962). Mais-
il rcuse
dilttmcnt
les mthodes
du
thtre raliste
et
se
montre cet
gard
plus
[Coho
le
Meyerhold:
loin
de
la recherche d'un
quelconque naturel, le
inonnugt
esi
affaire
de construction et
de synthse.l
Modle,
certes, l'acteur
est
pourtant
loin de
et
r
onrerver
toute
la force expressive de
son
physique
quelles que
soient
hl
lttltudes
qu'on
lui
fait
prendre
;
il doit
tout
moment
tre
conscient
de
il
qu'il
thit,
>.
l,c
visage, ce
qui
en
principe
chappe
la
prcision
et la signification
du
Icste,
est voulu aussi contrlable
que
le corps
;
c'est un visage-machine
(M.
lnnrpolski),
qui
doit lui aussi s'entraner
des exercices
limits
et
prcis,
ce
pourquoi
Koulechov voque
le
systme
d'expression de
Franois Delsarte, mais
n
uniquement
pour
rendre compte des
modifications
possibles
du
mcanisme
Irurnain
>>
:
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
19/94
36
L'acteur
de cinma
L'utopie
que reprsente
cette volont
de contrle
total
ne
peut
que
se
limiter
t
thrie.
Quant
aux films,
les acteurs
y
oubliaient
heureusement
qu'ils taient
des
modles
>>,
c1rt
la
critique
Nea
Zorkaa,
laquelle
&po."
les
contradictions
de Koulechov
: le
fait
que
>,
son
atelier
ft
la
premire
tentative
pour former
des comdiens
professionnels
;
le
fait
que,
malsr
ses
thoriei,
tous
ses
films
>
soient
des
o
fifms
d'acteurs
,r1.
La
thorie
n'en
existe pas
moins,
ambitieuse et
utile
dans
son
intention
mme
-
ctet
l'acteur
nouveau
qu'attend
encore
le
film'
Peut-tre
est-ce
l'un
des sens
possible
de
la
fameuse
phrase de
Poudovkine
prfaant
en
1929
L',Art
du
cinma
de Koulechov
:
>'
La
FEKS
Paralllement
l'atelier
de
Koulechov
se
dveloppent
des
thories
voisi-
nes,
excluant
toutes
des titres
divers
l'acteur
traditionnel
du
thtre.
Il
ne
peut
avoir
aucune
place dans
le rve
de
gomtrie
dynamique
>>
de
Dziga
^V"rtou,
dans
sa
vision
du cinma comme
>
montrer
>
dans
Verdone-Amengual,
1970.
-
5/21/2018 Nacache Lacteur de Cinema
20/94
38
L'acteur
de cinma
Avant de
partir
la recherche
des
interprtes, il faut
nettement
sentir
-
sinon
voir
et
entendre
-
les
personnages que
vous voyez
poindre
en structurant votre