Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

22
La Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I (1627) sous la direction de Céline Bohnert et Rachel Darmon Volume 11

Transcript of Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

Page 1: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

La Mythologie de Natale Contieacutediteacutee par Jean Baudoin Livre I (1627)

sous la direction de Ceacuteline Bohnert et Rachel Darmon

Volume 11

Ce document est mis agrave disposition selon les termes de la licence Creative Commons attribution pas drsquoutilisation commerciale pas de modification 40 international

EacutePURE ndash Eacuteditions et presses universitaires de ReimsBibliothegraveque Robert de SorbonAvenue Franccedilois-MauriacCS4001951726 Reims Cedexwwwuniv-reimsfrepure

ISBN 978-2-37496-109-1ISSN 2257-4719

Diffusion FMSH ndash 18-20 rue Robert Schuman 94 220 Charenton-le-Pontwwwlcdpufrcollectionsheritagescritiques

Ouvrage publieacute avec le soutien financier du Centre de Recherche Interdisciplinaire sur les Modegraveles Estheacutetiques et Litteacuteraires (crimel ndash ea 3311) Universiteacute de Reims Champagne-Ardenne et de lrsquoInstitut de Recherche sur la Renaissance lrsquoacircge Classique et les Lumiegraveres (ircl ndash umr 5186) Universiteacute Paul-Valeacutery Montpellier 3

Illustration de couverture Deacutetail du frontispice de lrsquoeacutedition de 1627 de la Mythohologie de Natale Conti eacutediteacutee par Jean Baudoin (DR - Bibliothegraveque municipale de Dijon)

Document extrait de La Mythologie de Natale Conti eacutediteacutee par Jean Baudoin Livre I (1627) publieacute sous la direction de Ceacuteline Bohnert et Rachel Darmon dans la collection Heacuteritages Critiques (ndeg 11)

183

La reacuteputation sulfureuse de Natale Conti helleacuteniste faussaire1

Les Mythologiae libri de Natale Conti ont la particulariteacute de conte-nir de nombreuses citations drsquoauteurs grecs inconnues par ailleurs dont lrsquoinauthenticiteacute ne fut eacutetablie de maniegravere deacutefinitive qursquoau xixe siegravecle Un tel treacutesor de sources antiques ne manqua pas drsquoexci-ter la curiositeacute des lecteurs degraves la parution de lrsquoouvrage Apregraves avoir illustreacute agrave frais nouveaux les meacutethodes de ce faussaire habile il sera utile drsquoeacutetudier la maniegravere ambivalente dont son œuvre fut reccedilue parmi les philologues de son temps En effet srsquoil arriva bientocirct que les Mythologiae libri soient utiliseacutes dans le paratexte drsquoeacuteditions savantes comme celle des Meacutetamorphoses drsquoOvide publieacutee agrave Cambridge en 1584 ainsi que dans le Commentaire agrave certaines eacuteditions posthumes des Amours de Ronsard des voix aussi autoriseacutees que celles de Marc-Antoine Muret Friedrich Sylburg Joseph Juste Scaliger Isaac Casaubon et Pierre-Daniel Huet critiquegraverent leur auteur pour son manque de rigueur philologique qui srsquoest drsquoabord exprimeacute par des inexactitudes dans ses traductions puis par lrsquoinsertion deacutelibeacutereacutee de citations antiques inventeacutees de toutes piegraveces ou pourvues drsquoattri-butions fallacieuses Lrsquoeacutetude de cette reacuteception eacuterudite permettra notamment de mieux cerner par contraste la dynamique qui a permis le succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri sur la base de critegraveres heacuteteacuterogegravenes au registre philologique

Natale Conti helleacuteniste et faussaire

Depuis le xixe siegravecle crsquoest un fait solidement eacutetabli que Natale Conti a manipuleacute et inventeacute des sources grecques2 En cela il est

1 Cette contribution est neacutee en parallegravele de lrsquoeacutedition traduite et commenteacutee des fragments drsquoEudoxe de Cnide que lrsquoauteur de ces lignes preacutepare actuellement pour la Collection des Universiteacutes de France Que Ceacuteline Bohnert et Rachel Darmon soient ici remercieacutees de lrsquoavoir accueillie avec bienveillance et de srsquoecirctre ainsi precircteacutees agrave un dialogue interdisciplinaire dont nous espeacuterons qursquoil srsquoaveacutera feacutecond

2 Cf notamment A Naeke Opuscula philologica vol 2 Bonn E Weber 1845 p 218-225 R Dorschel Qualem in usurpandis veterum scriptorum testimoniis Natalis comes praestiterit fidem Greifswald FG Kunike 1862 id Adnota-tiones ad fragmenta historicorum graecorum Stargard H Zantz 1873 A Roos

184

comparable agrave drsquoautres helleacutenistes faussaires de son temps comme Constantin Paleacuteocappa et Arnoul Le Ferron3 Il nrsquoen est pas moins arriveacute agrave certains des plus grands philologues de se laisser duper4

laquo De fide Natalis Comitis raquo Mnemonsyne NS 45 1917 p 69-77J Mulryan et S Brown ont donc reacuteaffirmeacute agrave juste titre que laquo si Conti est la seule source pour un fragment de litteacuterature grecque il est trop peu fiable pour qursquoon accepte son autoriteacute et le fragment en question ne doit pas ecirctre inclus dans le canon de la litteacuterature grecque raquo ( Natale Contirsquos Mythologiae Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2006 vol 1 p xvi ndash nous traduisons) ndash et ce malgreacute des tentatives de reacutehabilitation qui comme celle de Maria Consuelo Aacutelvarez Moraacuten et Rosa Mariacutea Iglesias Montiel (cf Natale Conti Mitologiacutea traduction introduction notes et index eacutetablis par Rosa Maria Iglesias Montiel et Maria Consuelo Aacutelvarez Moraacuten Murcie Universidad de Murcia 1988 p 18-32 voir aussi laquo Natale Conti estudioso y transmisor de textos claacutesicos raquo dans Los humanistas espantildeoles y el humanismo europeo Murcia Editum 1990 p 33-47 ici p 39 sq) ne tiennent pas compte des eacutetudes ci-dessusPlus reacutecemment voir V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleat Ancora sui frammenti della storiografia greca tragravediti da Natale Conti raquo dans C Braidotti E Dettori et E Lanzillotta (dir) οὐ πᾶν ἐφήμερον Scritti in memoria di Roberto Pretagostini Rome Quasar 2009 p 915-925 Sur la base drsquoune eacutetude approfondie lrsquoauteur y exprime laquo la neacutecessiteacute drsquoexclure le Veacutenitien de toute eacutedition future drsquohistoriens fragmentaires raquo (p 924) reacutetractant ainsi le juge-ment en demi-teinte exprimeacute dans son preacuteceacutedent article laquo I frammenti di Filocoro tragravediti da Boccacio e da Natale Conti raquo dans E Lanzillotta (dir) Richerche di antichitagrave e tradizione classica Tivoli Tored 2004 p 117-147 ndash nous traduisons

3 Sur le premier A Pietrobelli laquo Le cardinal et le faussaire raquo dans J Balsamo T Nicklas et B Restif (dir) Un preacutelat franccedilais de la Renaissance Le cardinal de Lorraine entre Reims et lrsquoEurope Genegraveve Droz 2014 p 363-383 Sur le second D Blank laquo rsquoPlutarchrsquo and the sophistry of rsquoNoble Lineagersquo raquo dans J Martiacutenez (dir) Fakes and Forgers of Classical Literature Madrid Ediciones claacutesicas 2011 p 33-59 Pour une eacutetude geacuteneacuterale du pheacutenomegravene des faussaires eacuterudits A Grafton Forgers and Critics Creativity and Duplicity in Western Scholarship Princeton Princeton University Press 1990

4 Le cas le plus significatif est peut-ecirctre celui de Felix Jacoby dont les heacutesita-tions sur la fiabiliteacute de Conti dans ses Fragmente der griechischen Historiker ont pu comme le suggegravere V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleathellip raquo art cit p 917 semer le doute Ainsi agrave titre drsquoexemple crsquoest manifestement sous lrsquoinfluence de Jacoby que Franccedilois Lasserre inclut un fragment de Natale Conti dans ses Fragmente des Eudoxos von Knidos (Berlin W De Gruyter 1966) tout en signalant que lrsquoauteur laquo ne meacuterite qursquoune confiance limiteacutee raquo (p 266 avec renvoi agrave Jacoby) Il faut neacuteanmoins distinguer le cas relativement freacutequent ougrave des passages de Natale Conti sont inclus dans les eacuteditions de fragments antiques comme spuria laquo inauthentiques raquo ndash une convention fondeacutee en raison mais susceptible drsquoinduire en erreur les non-speacutecialistes (crsquoest le cas entre autres dans lrsquoeacutedition des Fragmenta hesiodea par R Merkelbach et M West Oxford Oxford University Press 1967)

185

Pour reprendre la description qursquoen a faite V Costa la meacutethode de ce faussaire consistait agrave se faire lrsquoauteur drsquoattributions laquo souvent plausibles et parfois sagaces5 [agrave fabriquer] des faux toujours ingeacute-nieux dont ce nrsquoest pas un hasard qursquoils aient reacutesisteacute agrave lrsquoexamen de geacuteneacuterations drsquohistoriens et de philologues et malgreacute tout [agrave jouer un rocircle central] pour la diffusion de la connaissance de la mytho-logie classique6 raquo

La vie de Natale Conti nrsquoest guegravere connue autrement que par ses propres eacutecrits7 Bien qursquoil se distingue par sa connaissance du grec laquelle est loin drsquoecirctre geacuteneacuteraliseacutee parmi les humanistes de son temps il ne paraicirct jouir ni drsquoun statut social eacuteleveacute ni drsquoune bonne insertion dans les reacuteseaux de philologues humanistes ndash lrsquoun ou lrsquoautre de ces traits auraient pu lui permettre drsquoacceacuteder agrave des manuscrits aujourdrsquohui perdus mais leur absence rend cette possibiliteacute drsquoembleacutee sujette agrave caution Drsquoautre part son œuvre ne contient guegravere de dis-cussions portant sur des problegravemes de critique textuelle Ainsi ses eacutecrits ne dessinent pas le portrait drsquoun philologue capable de deacutecou-vrir des textes ineacutedits

Agrave cet eacutegard il se situe agrave lrsquoopposeacute de Lilio Gregorio Giraldi eacutelegraveve de Deacutemeacutetrios Chalcocondylos qui aborde dans son De deis gentium historia les problegravemes de deacutechiffrement des manuscrits et drsquoeacutetablis-sement du texte Si Giraldi nrsquoa pas connu une fortune litteacuteraire eacutegale agrave celle de Conti ou encore de Vincenzo Cartari (Le Imagini con la spositione de i Dei degli antichi 1556) cela peut drsquoailleurs srsquoexpli-quer en partie par le fait que ces derniers avaient abondamment pilleacute le premier8 la comparaison montre en tout cas que le succegraves

5 Il est piquant de constater que Natale Conti avait eacutegalement traduit en latin le traiteacute pseudo-plutarcheacuteen Sur les fleuves paru en appendice de son De terminis rhetoricis Bacircle H Petri 1560 En effet ce traiteacute se distingue par les nom-breuses citations drsquoauteurs fictifs (Schwindelautoren) qursquoil contient Il serait inteacuteressant de savoir si Natale Conti avait conscience de cette particulariteacute et srsquoil srsquoen est inspireacute

6 V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleathellip raquo art cit p 924-9257 R Ricciardi sv laquo Conti (Comes Comitum De Comitibus) Natale

( Hieronymus) Dizionario biografico degli Italiani vol 28 Rome 1983 p 454-457 sur les attaches de Conti en Italie et en Cregravete voir aussi R Bancroft- Marcus laquo A Dainty Dish to set before the King Natale Conti and his Trans-lation of Athenaeusrsquo Deipnosophistae raquo dans D Braund et J Wilkins (dir) Athenaeus and his World Reading Greek Culture and the Roman Empire Exeter University of Exeter Press 2000 p 53-70

8 J Mulryan laquo Translations and Adaptations of Vincenzo Cartarirsquos Imagini and Natale Contirsquos Mythologiae The Mythographic Tradition in the Renaissance raquo

186

de textes de ce genre nrsquoest pas proportionnel agrave la fiabiliteacute du traitement des sources antiques

Pour illustrer le problegraveme des faux renseignements antiques dans les Mythologiae libri prenons le cas drsquoEudoxe de Cnide En effet Conti cite cet auteur agrave deux reprises pour donner des renseigne-ments sans parallegravele dans les sources antiques

Eudoxus Cnidius in libro secundo de ambitu terrae Ligyam Actoris Carystii filiam matrem Aeoli fuisse maluit 9

Eudoxe de Cnide dans le deuxiegraveme livre du Circuit de la Terre preacutefeacutera dire que la megravere drsquoEacuteole eacutetait Ligye fille drsquoActor de Carystos

Ce fragment souvent citeacute se retrouve encore au xixe siegravecle dans un ouvrage mythographique de reacutefeacuterence composeacute par le pasteur Eduard Jacobi10 Il fut eacutegalement inclus par Franccedilois Lasserre dans son eacutedition des fragments drsquoEudoxe de Cnide11 Gracircce aux progregraves de la philologie lrsquoattribution agrave Eudoxe paraicirct toutefois drsquoembleacutee suspecte car on sait depuis les travaux de Friedrich Gisinger que le deuxiegraveme livre du Circuit de la Terre eacutetait tout entier consacreacute agrave lrsquoEacutegypte12 reacutegion du monde avec laquelle aucun des trois person-nages citeacutes nrsquoa de rapport (agrave moins drsquoimaginer Eudoxe incluant dans ce livre un deacuteveloppement sur lrsquoeacutenigmatique laquo icircle drsquoEacuteole raquo eacutevoqueacutee au dixiegraveme livre de lrsquoOdysseacutee mais Carystos dont il est question dans le passage se trouve sur lrsquoicircle drsquoEubeacutee et non pas en Eacutegypte) Drsquoautre part la filiation drsquoEacuteole ne faisait guegravere deacutebat dans lrsquoAntiquiteacute il eacutetait geacuteneacuteralement consideacutereacute comme le fils drsquoHelleacutenos et de la nymphe Orseacuteis Enfin ni Ligye ni Actor de Carystos ne sont des personnages connus par ailleurs la forme Λιγύη nrsquoest guegravere expli-cable tandis que parmi la dizaine de personnages mythologiques deacutenommeacutes Actor aucun ne semble provenir de Carystos Conti paraicirct donc jouer sur la confusion possible par iotacisme entre cette nymphe et la siregravene Ligeia (shyΛιγεία) et sur lrsquoabondance des Actor et de leur progeacuteniture dans la mythologie grecque En somme

Canadian Review of Comparative Literature 8 1981 p 272-283 ici p 273 9 Conti 1581 Livre VIII chap 10 p 250 Nous traduisons de mecircme pour

toutes les citations suivantes10 E Jacobi Handwoumlrterbuch der griechischen und roumlmischen Mythologie Coburg-

Leipzig Sinner 1835 sv Aeolus p 4111 Voir supra n 412 F Gisinger Die Erdbeschreibung des Eudoxos von Knidos Leipzig Teubner

1921 p 35

187

un faisceau drsquoindices jette le doute sur lrsquoauthenticiteacute de cette premiegravere citation

Crsquoest eacutegalement le cas de la seconde reacutefeacuterence agrave Eudoxe dans les Mythologiae libri

Natale Conti Mythologies Livre VIII c 23 p 930 (ed aucta Francfort 1581) Memoriae proditum fuit etiam Carneum fuisse Iovis et huius Europae filium quem ab Apolline et Latona fuisse educatum memorarunt Huic fratrem Leotychidem nonnulli adiunxerunt sororesque Hydarnim Limeram et Alageniam qui omnes postea nomina civitatibus dederunt ut scripsit Eudoxus in ambitu terrae

Il a eacuteteacute transmis en outre que Carneacuteos fut le fils de Jupiter et de cette Europe lui dont on rapporta qursquoil fut eacuteleveacute par Apollon et Latone Certains lui ajoutegraverent Leotychidas comme fregravere et Hydarnis Limeacutera et Alagenia comme sœurs Et ils donnegraverent tous leur nom agrave des citeacutes comme lrsquoeacutecrivit Eudoxe dans le Circuit de la Terre

Ce fragment avait eacutechappeacute agrave Franccedilois Lasserre sans doute parce qursquoil nrsquoest preacutesent que dans la seconde eacutedition augmenteacutee des Mythologiae libri (1581) qui contient de nombreux ajouts et dont le savant suisse ignorait apparemment lrsquoexistence Le trait le plus saillant de la mythologie de Carneacuteos est son lien avec des fecirctes en lrsquohonneur drsquoApollon agrave Sparte les Carneacuteia Les indications sur la geacuteneacutealogie de Carneacuteos fournies par Conti eacutetaient geacuteneacuteralement admises dans lrsquoAntiquiteacute et celles sur ses rapports avec Apollon et Latone sont attesteacutees par Pausanias13 En revanche la suite de la notice regorge de difficulteacutes Leacuteotychidegraves est le nom de plusieurs rois de Sparte et il est difficile drsquoexpliquer qursquoaucune source antique nrsquoait documenteacute le lien geacuteneacutealogique alleacutegueacute entre Carneacuteos et ces rois Hydarnis est une variante (par iotacisme) de la forme bien attesteacutee Hydarnegraves helleacutenisation de lrsquoanthroponyme perse Vidarna dont le rapport avec la mythologie spartiate est douteux Limeacutera est un adjectif qui signifie laquo doteacutee drsquoun bon port raquo et qualifie notam-ment de maniegravere formulaire la citeacute laconienne drsquoEacutepidaure son emploi comme nom drsquoun hypotheacutetique personnage mythologique frise le non-sens Enfin si Alagenia semble ecirctre une variante drsquoAlagonia nom drsquoune citeacute laconienne bien attesteacutee aucun de ces quatre noms

13 Pausanias Description de la Gregravece III 13 5

188

propres nrsquoest attesteacute comme nom drsquoun personnage mythologique (agrave moins de consideacuterer Leacuteotychidegraves comme tel) Ainsi un faisceau drsquoindices jette eacutegalement le discreacutedit sur la deuxiegraveme moitieacute du pas-sage et notamment sur la reacutefeacuterence agrave Eudoxe

Dans le contexte drsquoune œuvre contenant de nombreuses citations inventeacutees14 lrsquoeacutediteur de fragments drsquoauteurs antiques et plus geacuteneacute-ralement lrsquohistorien sont tenus agrave la plus grande prudence face agrave des passages comme ceux eacutetudieacutes ci-dessus Ainsi il sera sage pour lrsquoeacutedi-teur de les inclure dans la cateacutegorie des spuria (fragments inauthen-tiques) tandis que lrsquohistorien de lrsquoAntiquiteacute se gardera de les utiliser comme sources Pour drsquoautres lecteurs toutefois la preacutesence de tels passages nrsquoocirctera rien agrave lrsquointeacuterecirct des Mythologiae libri voire accroicirctra son charme dans la mesure ougrave lrsquoinvention de citations pseudo-antiques participe indeacuteniablement de lrsquoart de Natale Conti

Crsquoest pourquoi le lecteur trouvera dans les notes agrave la traduction franccedilaise du livre I le signalement des passages ougrave Natale Conti a semblablement fabriqueacute de fausses sources antiques Dans le seul livre I on compte au moins seize citations qui semblent contenir des eacuteleacutements deacutelibeacutereacutement faux et notamment des attributions fal-lacieuses agrave des auteurs antiques connus seulement par un petit nombre de citations Dans la suite du preacutesent article nous appor-terons un eacuteclairage nouveau sur lrsquoambivalence de la reacuteception eacuteru-dite des Mythologiae libri Cette reacuteception contraste avec le choix positif de traduire lrsquoouvrage en franccedilais et plus geacuteneacuteralement avec le succegraves litteacuteraire et scolaire de lrsquoouvrage illustrant par lagrave mecircme la diversiteacute des milieux qui srsquoy sont inteacuteresseacutes

La reacuteputation sulfureuse de Natale Conti

Degraves avant la publication des Mythologiae libri Natale Conti qui avait certes acquis un certain renom pour sa traduction des Deipnosophistes drsquoAtheacuteneacutee (une entreprise dont il soulignait avec suffisance les difficulteacutes dans sa preacuteface15) fit lrsquoobjet de critiques de la part de Marc-Antoine Muret pour sa traduction du De elocutione du pseudo- Deacutemeacutetrios de Phalegravere parue en 1557 agrave Venise chez

14 Voir supra n 215 La preacuteface agrave la traduction des Deipnosophistes est reproduite par R Bancroft-Marcus

laquo A Dainty Dishhellip raquo art cit p 69-70

189

Santo Guerrino On lit en effet en appendice agrave la traduction lrsquoexplication suivante de Conti16

Cum nonnulla paulo negligentius ut ingenue fatear et quasi sopi-tus interpretarer me amicissime et admonuit et excitavit et incre-pavit prope vir peritissimus Marcus Antonius Muretus quare haec iam partim impressa recognovi errataque partim ob impressorum negligentiam partim etiam ob meam ita correxi

Apregraves que pour ecirctre honnecircte jrsquoeus traduit certains passages un peu neacutegligemment et comme dans mon sommeil le tregraves savant Marc-Antoine Muret tregraves amicalement mrsquoavertit mrsquoin-cita et me blacircma presque Crsquoest pourquoi je les relus alors qursquoils eacutetaient deacutejagrave partiellement imprimeacutes et corrigeai comme suit les erreurs dues pour partie agrave la neacutegligence des imprimeurs et pour partie agrave la mienne

Agrave la suite se trouvent quelques cent trente-cinq errata trouveacutes dans le deacutebut du traiteacute de Conti (pages 1 agrave 56) soit plus de deux erreurs par page au format in-12deg Lrsquoexplication cavaliegravere de Conti travestit fort mal une impatience dont le labeur philologique ne srsquoaccom-mode guegravere Cette premiegravere alerte ne devait pourtant pas suffire agrave le deacutetourner drsquoautres projets de traduction ni de lrsquoentreprise plus peacuterilleuse encore drsquoune vaste compilation mythographique censeacutee assurer sa gloire

Si la premiegravere eacutedition des Mythologiae libri (1567) fut publieacutee chez Comin da Trino un des imprimeurs les plus prolifiques de Venise la seconde en revanche fut imprimeacutee concomitamment par le mecircme eacutediteur agrave Venise et par Andreas Wechel agrave Francfort-sur-le-Main17 Wechel imprimeur connu pour la qualiteacute de ses eacuteditions critiques de textes latins et grecs confeacuterait drsquoautant plus drsquoautoriteacute au traiteacute de Conti qursquoil avait fait relire lrsquoeacutedition de Francfort par deux eacuterudits

16 R Ricciardi sv laquo Contihellip raquo art cit comprend agrave tort que Conti aurait publieacute cette traduction agrave lrsquoinstigation de Muret

17 Au sujet de la seconde eacutedition il serait inteacuteressant de systeacutematiser lrsquoobserva-tion faite par R Scott Smith agrave savoir qursquoon ne relegraveve qursquoun faux passage de Callimaque dans la premiegravere eacutedition auxquels srsquoen ajoutent quatre autres dans la seconde (voir son compte-rendu de J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit dans la Bryn Mawr Classical Review 20090469 consul-table en ligne lthttpbmcrbrynmawredu20092009-04-69htmlgt) Si cette tendance est confirmeacutee par une eacutetude systeacutematique elle pourrait srsquoexpliquer par la vaniteacute de Conti qui lrsquoaurait pousseacute agrave une fraude plus massive encore dans la seconde eacutedition que dans la premiegravere pour srsquoassurer un nouveau triomphe

190

de premier ordre Friedrich Sylburg et Johannes Opsopoeus18 Il srsquoengageait personnellement en ce sens dans une lettre au lecteur imprimeacutee agrave la fin du volume19

Andreas Wechelus candido lectori sCum ad iuvanda Germaniae commoda Mythologicos hosce libros in lucem edere statuissem multisque mendis esse foedatos cognovissem sedulo curandum mihi censui ut forma quidem minore at diligentia maiore prodirent Itaque a Friderico Sylburgio petii ut pro suo erga bonas literas studio Graecis quae hic citantur emendandis incumberet amp Ioannem Obsopoeum correctorem meum laborum multitudine pene fathiscentem aliqua saltem oneris parte sublevaret Non defuit ille petitioni meae sed tam accurate percurrit omnia ut aliquot erratorum centurias inde sustulerit ipsis etiam fontibus ubi vel fieri poterat vel opus erat inspectis ac restituit non modo literas amp syllabas si quae vel omissae essent vel commutatae verum etiam voces immo integros interdum versus Quae ne fingi a me putes ipse verissima esse comperies si hanc editionem cum Veneta conferes Ut exempla subiungam aliqua mendose illic invenies ὡς pro ὧν ἂν pro αὖ ἀπὸ pro ὑπὸ λέχος pro λέκος μάχαιρα pro μάκαιρα κριτῶν pro κριθῶν literis pariter amp significationibus confusis Invenies ibidem Θρήϊκος pro Θρήκιος φύλλα pro φῦλα θνητὰ pro θηητὰ ἐλάχιστε pro ἐλέγχιστε προσάγειν pro προστάττειν κύκλον pro καλόν denique etiam αὐτὸν pro οὐ τὸν amp similia quae hic singula recensere infinitum est amp minime necessarium Quinetiam scripturae varietates quas reperit annotavit idem Sylburgius ac coniecturas insuper de locis depravatis vel suspectis saltem adjecit Nec vero minori cura Obsopoeus suum tractavit pensum A vitiis enim typographicis Latina sedulo repurgavit praesertim suspecta loca e suis quaelibet autoribus emendavit Indice etiam in meliorem ordinem redacto tum operam adhibuit ut pari

18 Friedrich Sylburg (1536-1596) fut lrsquoauteur de nombreuses eacuteditions de textes grecs anciens qui firent longtemps reacutefeacuterence (entre autres Pausanias Heacuterodote Aristote Denys drsquoHalicarnasse Apollonios Dyscole) Il renonccedila agrave lrsquoenseigne-ment en 1583 pour pouvoir se consacrer inteacutegralement agrave cette activiteacute avec le soutien des heacuteritiers Wechel Agrave partir de 1591 il dirigea eacutegalement la Biblio-thegraveque palatine de Heidelberg dont il reacutedigea un catalogue Johannes Opsopoeus (1556-1598 nom de baptecircme Johannes Koch) meacutedecin et philologue fut chasseacute en 1576 de sa chaire agrave lrsquoUniversiteacute de Heidelberg en tant que calviniste et gagna sa vie pendant les anneacutees suivantes comme correcteur de Wechel Il procura notamment une eacutedition des Oracles sibyllins qui fit longtemps reacutefeacute-rence ainsi qursquoune seacutelection de traiteacutes hippocratiques

19 Cette lettre est imprimeacutee sans pagination agrave la suite des index de la Mythologie dans lrsquoeacuted Francfort 1581

191

fide amp diligentia omnia excuderetur Sed ne nimius sim in commendatione opus ipsum quid in hac editione praestitum sit abunde testabitur In tui ergo gratiam lector hunc laborem susceptum esse tibi persuadebis ac proinde aequo animo omnia accipies amp candide interpretaberis Vale

Andreas Wechel au bienveillant lecteur salutApregraves avoir deacutecideacute de publier ces livres de Mythologie pour accroicirctre les avantages de la Germanie et mrsquoecirctre aperccedilu qursquoils eacutetaient enlaidis de nombreuses erreurs je jugeai qursquoil fallait mettre le plus grand soin agrave ce qursquoils paraissent sous une forme certes plus petite mais avec un zegravele plus grand Crsquoest pourquoi je demandai agrave Friedrich Sylburg au nom de sa passion pour les belles-lettres de se pencher sur la correction des textes grecs qui y sont citeacutes et de soulager mon correcteur Iohannes Opsopoeus qui croulait quasiment sous la masse de travail drsquoune partie au moins de son fardeau Il ne se deacuteroba pas agrave ma demande et parcourut lrsquoensemble avec tant de soin qursquoil en supprima quelques centaines drsquoerreurs apregraves avoir consulteacute les sources mecircmes lagrave ougrave crsquoeacutetait possible ou neacutecessaire et restaura non seulement des lettres et des syllabes quand celles-ci avaient eacuteteacute omises ou inter-verties mais eacutegalement des mots voire parfois des vers entiers Cela pour eacuteviter que tu croies que je lrsquoinvente tu apprendras que crsquoest tregraves vrai si tu compares cette eacutedition avec celle de Venise [de 1567] Pour donner quelques exemples tu y trouveras les fautes ὡς pour ὧν ἂν pour αὖ ἀπὸ pour ὑπὸ λέχος pour λέκος μάχαιρα pour μάκαιρα κριτῶν pour κριθῶν ougrave sont en mecircme temps confondues les lettres et les significations Tu trouveras au mecircme endroit Θρήϊκος pour Θρήκιος φύλλα pour φῦλα θνητὰ pour θηητὰ ἐλάχιστε pour ἐλέγχιστε προσάγειν pour προστάττειν κύκλον pour καλόνshyenfinshyαὐτὸνshypourshyοὐ τὸνshyet des choses semblables qursquoil serait interminable drsquoeacutenumeacuterer ici et guegravere neacutecessaire En outre le mecircme Sylburg nota les variantes manuscrites qursquoil trouva et ajouta des conjectures sur les pas-sages corrompus ou du moins suspects Mais Opsopoeus nrsquoac-complit pas son travail avec moins de soin En effet il eacutelimina avec application les erreurs typographiques du texte latin et surtout il corrigea tous les passages suspects agrave partir des auteurs respectifs tout en ameacuteliorant le classement de lrsquoIndex puis il srsquoefforccedila que tout soit imprimeacute avec une fideacuteliteacute et un zegravele constants Mais pour eacuteviter que je sois excessif dans lrsquoeacuteloge crsquoest agrave lrsquoouvrage lui-mecircme qui est procureacute dans cette eacutedition drsquoen teacutemoigner abondamment Tu te convaincras cher lecteur que

192

ce travail a eacuteteacute entrepris pour te rendre service et ainsi tu com-prendras tout avec eacutequanimiteacute et lrsquointerpregraveteras avec bienveil-lance Adieu

La collation drsquoun bref chapitre (Livre I chap 9) permet de mesu-rer lrsquoeacutetendue du labeur accompli par Opsopoeus et Sylburg

Eacutedition de Venise 1567 Eacutedition de Francfort 1581odysseae Odysseae

ἀνδρῶντεshyθεῶντε ἀνδρῶνshyτεshyθεῶνshyτεΩshyβᾶσιλεῦ ὦshyβασιλεῦὀρέωνθ᾽ ὀρέωνshyθ᾽ὄχθοι ὄχθοιnata natashy

οὔρεσίshyφασι οὔρεσιshyφασὶAethii Aetiitertio quintosydus sidusΑῖ Αἱ

ἀλλήλωνshyαἰεὶ ἀλλήλωνshyαἰεὶshyδὲτετραμμέναι τετραμμέναικρήτηθεν κρήτηθενἐνκατέθεντο ἐγκατέθεντοannum annumσεῖω σεῖς

Ἐριννὺες Ἐριννύεςἆρ᾽ ἂρἔστιν ἐστὶν

Ce sondage suffit agrave confirmer que lrsquoeacutedition de Francfort 1581 contient de nombreuses corrections par rapport agrave celle de Venise 1567 comme annonceacute dans la lettre drsquoAndreas Wechel Les corrections se limitent parfois agrave la ponctuation dans quels cas elles peuvent ecirctre importantes malgreacute tout (certaines variantes de ponctuation

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 2: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

Ce document est mis agrave disposition selon les termes de la licence Creative Commons attribution pas drsquoutilisation commerciale pas de modification 40 international

EacutePURE ndash Eacuteditions et presses universitaires de ReimsBibliothegraveque Robert de SorbonAvenue Franccedilois-MauriacCS4001951726 Reims Cedexwwwuniv-reimsfrepure

ISBN 978-2-37496-109-1ISSN 2257-4719

Diffusion FMSH ndash 18-20 rue Robert Schuman 94 220 Charenton-le-Pontwwwlcdpufrcollectionsheritagescritiques

Ouvrage publieacute avec le soutien financier du Centre de Recherche Interdisciplinaire sur les Modegraveles Estheacutetiques et Litteacuteraires (crimel ndash ea 3311) Universiteacute de Reims Champagne-Ardenne et de lrsquoInstitut de Recherche sur la Renaissance lrsquoacircge Classique et les Lumiegraveres (ircl ndash umr 5186) Universiteacute Paul-Valeacutery Montpellier 3

Illustration de couverture Deacutetail du frontispice de lrsquoeacutedition de 1627 de la Mythohologie de Natale Conti eacutediteacutee par Jean Baudoin (DR - Bibliothegraveque municipale de Dijon)

Document extrait de La Mythologie de Natale Conti eacutediteacutee par Jean Baudoin Livre I (1627) publieacute sous la direction de Ceacuteline Bohnert et Rachel Darmon dans la collection Heacuteritages Critiques (ndeg 11)

183

La reacuteputation sulfureuse de Natale Conti helleacuteniste faussaire1

Les Mythologiae libri de Natale Conti ont la particulariteacute de conte-nir de nombreuses citations drsquoauteurs grecs inconnues par ailleurs dont lrsquoinauthenticiteacute ne fut eacutetablie de maniegravere deacutefinitive qursquoau xixe siegravecle Un tel treacutesor de sources antiques ne manqua pas drsquoexci-ter la curiositeacute des lecteurs degraves la parution de lrsquoouvrage Apregraves avoir illustreacute agrave frais nouveaux les meacutethodes de ce faussaire habile il sera utile drsquoeacutetudier la maniegravere ambivalente dont son œuvre fut reccedilue parmi les philologues de son temps En effet srsquoil arriva bientocirct que les Mythologiae libri soient utiliseacutes dans le paratexte drsquoeacuteditions savantes comme celle des Meacutetamorphoses drsquoOvide publieacutee agrave Cambridge en 1584 ainsi que dans le Commentaire agrave certaines eacuteditions posthumes des Amours de Ronsard des voix aussi autoriseacutees que celles de Marc-Antoine Muret Friedrich Sylburg Joseph Juste Scaliger Isaac Casaubon et Pierre-Daniel Huet critiquegraverent leur auteur pour son manque de rigueur philologique qui srsquoest drsquoabord exprimeacute par des inexactitudes dans ses traductions puis par lrsquoinsertion deacutelibeacutereacutee de citations antiques inventeacutees de toutes piegraveces ou pourvues drsquoattri-butions fallacieuses Lrsquoeacutetude de cette reacuteception eacuterudite permettra notamment de mieux cerner par contraste la dynamique qui a permis le succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri sur la base de critegraveres heacuteteacuterogegravenes au registre philologique

Natale Conti helleacuteniste et faussaire

Depuis le xixe siegravecle crsquoest un fait solidement eacutetabli que Natale Conti a manipuleacute et inventeacute des sources grecques2 En cela il est

1 Cette contribution est neacutee en parallegravele de lrsquoeacutedition traduite et commenteacutee des fragments drsquoEudoxe de Cnide que lrsquoauteur de ces lignes preacutepare actuellement pour la Collection des Universiteacutes de France Que Ceacuteline Bohnert et Rachel Darmon soient ici remercieacutees de lrsquoavoir accueillie avec bienveillance et de srsquoecirctre ainsi precircteacutees agrave un dialogue interdisciplinaire dont nous espeacuterons qursquoil srsquoaveacutera feacutecond

2 Cf notamment A Naeke Opuscula philologica vol 2 Bonn E Weber 1845 p 218-225 R Dorschel Qualem in usurpandis veterum scriptorum testimoniis Natalis comes praestiterit fidem Greifswald FG Kunike 1862 id Adnota-tiones ad fragmenta historicorum graecorum Stargard H Zantz 1873 A Roos

184

comparable agrave drsquoautres helleacutenistes faussaires de son temps comme Constantin Paleacuteocappa et Arnoul Le Ferron3 Il nrsquoen est pas moins arriveacute agrave certains des plus grands philologues de se laisser duper4

laquo De fide Natalis Comitis raquo Mnemonsyne NS 45 1917 p 69-77J Mulryan et S Brown ont donc reacuteaffirmeacute agrave juste titre que laquo si Conti est la seule source pour un fragment de litteacuterature grecque il est trop peu fiable pour qursquoon accepte son autoriteacute et le fragment en question ne doit pas ecirctre inclus dans le canon de la litteacuterature grecque raquo ( Natale Contirsquos Mythologiae Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2006 vol 1 p xvi ndash nous traduisons) ndash et ce malgreacute des tentatives de reacutehabilitation qui comme celle de Maria Consuelo Aacutelvarez Moraacuten et Rosa Mariacutea Iglesias Montiel (cf Natale Conti Mitologiacutea traduction introduction notes et index eacutetablis par Rosa Maria Iglesias Montiel et Maria Consuelo Aacutelvarez Moraacuten Murcie Universidad de Murcia 1988 p 18-32 voir aussi laquo Natale Conti estudioso y transmisor de textos claacutesicos raquo dans Los humanistas espantildeoles y el humanismo europeo Murcia Editum 1990 p 33-47 ici p 39 sq) ne tiennent pas compte des eacutetudes ci-dessusPlus reacutecemment voir V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleat Ancora sui frammenti della storiografia greca tragravediti da Natale Conti raquo dans C Braidotti E Dettori et E Lanzillotta (dir) οὐ πᾶν ἐφήμερον Scritti in memoria di Roberto Pretagostini Rome Quasar 2009 p 915-925 Sur la base drsquoune eacutetude approfondie lrsquoauteur y exprime laquo la neacutecessiteacute drsquoexclure le Veacutenitien de toute eacutedition future drsquohistoriens fragmentaires raquo (p 924) reacutetractant ainsi le juge-ment en demi-teinte exprimeacute dans son preacuteceacutedent article laquo I frammenti di Filocoro tragravediti da Boccacio e da Natale Conti raquo dans E Lanzillotta (dir) Richerche di antichitagrave e tradizione classica Tivoli Tored 2004 p 117-147 ndash nous traduisons

3 Sur le premier A Pietrobelli laquo Le cardinal et le faussaire raquo dans J Balsamo T Nicklas et B Restif (dir) Un preacutelat franccedilais de la Renaissance Le cardinal de Lorraine entre Reims et lrsquoEurope Genegraveve Droz 2014 p 363-383 Sur le second D Blank laquo rsquoPlutarchrsquo and the sophistry of rsquoNoble Lineagersquo raquo dans J Martiacutenez (dir) Fakes and Forgers of Classical Literature Madrid Ediciones claacutesicas 2011 p 33-59 Pour une eacutetude geacuteneacuterale du pheacutenomegravene des faussaires eacuterudits A Grafton Forgers and Critics Creativity and Duplicity in Western Scholarship Princeton Princeton University Press 1990

4 Le cas le plus significatif est peut-ecirctre celui de Felix Jacoby dont les heacutesita-tions sur la fiabiliteacute de Conti dans ses Fragmente der griechischen Historiker ont pu comme le suggegravere V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleathellip raquo art cit p 917 semer le doute Ainsi agrave titre drsquoexemple crsquoest manifestement sous lrsquoinfluence de Jacoby que Franccedilois Lasserre inclut un fragment de Natale Conti dans ses Fragmente des Eudoxos von Knidos (Berlin W De Gruyter 1966) tout en signalant que lrsquoauteur laquo ne meacuterite qursquoune confiance limiteacutee raquo (p 266 avec renvoi agrave Jacoby) Il faut neacuteanmoins distinguer le cas relativement freacutequent ougrave des passages de Natale Conti sont inclus dans les eacuteditions de fragments antiques comme spuria laquo inauthentiques raquo ndash une convention fondeacutee en raison mais susceptible drsquoinduire en erreur les non-speacutecialistes (crsquoest le cas entre autres dans lrsquoeacutedition des Fragmenta hesiodea par R Merkelbach et M West Oxford Oxford University Press 1967)

185

Pour reprendre la description qursquoen a faite V Costa la meacutethode de ce faussaire consistait agrave se faire lrsquoauteur drsquoattributions laquo souvent plausibles et parfois sagaces5 [agrave fabriquer] des faux toujours ingeacute-nieux dont ce nrsquoest pas un hasard qursquoils aient reacutesisteacute agrave lrsquoexamen de geacuteneacuterations drsquohistoriens et de philologues et malgreacute tout [agrave jouer un rocircle central] pour la diffusion de la connaissance de la mytho-logie classique6 raquo

La vie de Natale Conti nrsquoest guegravere connue autrement que par ses propres eacutecrits7 Bien qursquoil se distingue par sa connaissance du grec laquelle est loin drsquoecirctre geacuteneacuteraliseacutee parmi les humanistes de son temps il ne paraicirct jouir ni drsquoun statut social eacuteleveacute ni drsquoune bonne insertion dans les reacuteseaux de philologues humanistes ndash lrsquoun ou lrsquoautre de ces traits auraient pu lui permettre drsquoacceacuteder agrave des manuscrits aujourdrsquohui perdus mais leur absence rend cette possibiliteacute drsquoembleacutee sujette agrave caution Drsquoautre part son œuvre ne contient guegravere de dis-cussions portant sur des problegravemes de critique textuelle Ainsi ses eacutecrits ne dessinent pas le portrait drsquoun philologue capable de deacutecou-vrir des textes ineacutedits

Agrave cet eacutegard il se situe agrave lrsquoopposeacute de Lilio Gregorio Giraldi eacutelegraveve de Deacutemeacutetrios Chalcocondylos qui aborde dans son De deis gentium historia les problegravemes de deacutechiffrement des manuscrits et drsquoeacutetablis-sement du texte Si Giraldi nrsquoa pas connu une fortune litteacuteraire eacutegale agrave celle de Conti ou encore de Vincenzo Cartari (Le Imagini con la spositione de i Dei degli antichi 1556) cela peut drsquoailleurs srsquoexpli-quer en partie par le fait que ces derniers avaient abondamment pilleacute le premier8 la comparaison montre en tout cas que le succegraves

5 Il est piquant de constater que Natale Conti avait eacutegalement traduit en latin le traiteacute pseudo-plutarcheacuteen Sur les fleuves paru en appendice de son De terminis rhetoricis Bacircle H Petri 1560 En effet ce traiteacute se distingue par les nom-breuses citations drsquoauteurs fictifs (Schwindelautoren) qursquoil contient Il serait inteacuteressant de savoir si Natale Conti avait conscience de cette particulariteacute et srsquoil srsquoen est inspireacute

6 V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleathellip raquo art cit p 924-9257 R Ricciardi sv laquo Conti (Comes Comitum De Comitibus) Natale

( Hieronymus) Dizionario biografico degli Italiani vol 28 Rome 1983 p 454-457 sur les attaches de Conti en Italie et en Cregravete voir aussi R Bancroft- Marcus laquo A Dainty Dish to set before the King Natale Conti and his Trans-lation of Athenaeusrsquo Deipnosophistae raquo dans D Braund et J Wilkins (dir) Athenaeus and his World Reading Greek Culture and the Roman Empire Exeter University of Exeter Press 2000 p 53-70

8 J Mulryan laquo Translations and Adaptations of Vincenzo Cartarirsquos Imagini and Natale Contirsquos Mythologiae The Mythographic Tradition in the Renaissance raquo

186

de textes de ce genre nrsquoest pas proportionnel agrave la fiabiliteacute du traitement des sources antiques

Pour illustrer le problegraveme des faux renseignements antiques dans les Mythologiae libri prenons le cas drsquoEudoxe de Cnide En effet Conti cite cet auteur agrave deux reprises pour donner des renseigne-ments sans parallegravele dans les sources antiques

Eudoxus Cnidius in libro secundo de ambitu terrae Ligyam Actoris Carystii filiam matrem Aeoli fuisse maluit 9

Eudoxe de Cnide dans le deuxiegraveme livre du Circuit de la Terre preacutefeacutera dire que la megravere drsquoEacuteole eacutetait Ligye fille drsquoActor de Carystos

Ce fragment souvent citeacute se retrouve encore au xixe siegravecle dans un ouvrage mythographique de reacutefeacuterence composeacute par le pasteur Eduard Jacobi10 Il fut eacutegalement inclus par Franccedilois Lasserre dans son eacutedition des fragments drsquoEudoxe de Cnide11 Gracircce aux progregraves de la philologie lrsquoattribution agrave Eudoxe paraicirct toutefois drsquoembleacutee suspecte car on sait depuis les travaux de Friedrich Gisinger que le deuxiegraveme livre du Circuit de la Terre eacutetait tout entier consacreacute agrave lrsquoEacutegypte12 reacutegion du monde avec laquelle aucun des trois person-nages citeacutes nrsquoa de rapport (agrave moins drsquoimaginer Eudoxe incluant dans ce livre un deacuteveloppement sur lrsquoeacutenigmatique laquo icircle drsquoEacuteole raquo eacutevoqueacutee au dixiegraveme livre de lrsquoOdysseacutee mais Carystos dont il est question dans le passage se trouve sur lrsquoicircle drsquoEubeacutee et non pas en Eacutegypte) Drsquoautre part la filiation drsquoEacuteole ne faisait guegravere deacutebat dans lrsquoAntiquiteacute il eacutetait geacuteneacuteralement consideacutereacute comme le fils drsquoHelleacutenos et de la nymphe Orseacuteis Enfin ni Ligye ni Actor de Carystos ne sont des personnages connus par ailleurs la forme Λιγύη nrsquoest guegravere expli-cable tandis que parmi la dizaine de personnages mythologiques deacutenommeacutes Actor aucun ne semble provenir de Carystos Conti paraicirct donc jouer sur la confusion possible par iotacisme entre cette nymphe et la siregravene Ligeia (shyΛιγεία) et sur lrsquoabondance des Actor et de leur progeacuteniture dans la mythologie grecque En somme

Canadian Review of Comparative Literature 8 1981 p 272-283 ici p 273 9 Conti 1581 Livre VIII chap 10 p 250 Nous traduisons de mecircme pour

toutes les citations suivantes10 E Jacobi Handwoumlrterbuch der griechischen und roumlmischen Mythologie Coburg-

Leipzig Sinner 1835 sv Aeolus p 4111 Voir supra n 412 F Gisinger Die Erdbeschreibung des Eudoxos von Knidos Leipzig Teubner

1921 p 35

187

un faisceau drsquoindices jette le doute sur lrsquoauthenticiteacute de cette premiegravere citation

Crsquoest eacutegalement le cas de la seconde reacutefeacuterence agrave Eudoxe dans les Mythologiae libri

Natale Conti Mythologies Livre VIII c 23 p 930 (ed aucta Francfort 1581) Memoriae proditum fuit etiam Carneum fuisse Iovis et huius Europae filium quem ab Apolline et Latona fuisse educatum memorarunt Huic fratrem Leotychidem nonnulli adiunxerunt sororesque Hydarnim Limeram et Alageniam qui omnes postea nomina civitatibus dederunt ut scripsit Eudoxus in ambitu terrae

Il a eacuteteacute transmis en outre que Carneacuteos fut le fils de Jupiter et de cette Europe lui dont on rapporta qursquoil fut eacuteleveacute par Apollon et Latone Certains lui ajoutegraverent Leotychidas comme fregravere et Hydarnis Limeacutera et Alagenia comme sœurs Et ils donnegraverent tous leur nom agrave des citeacutes comme lrsquoeacutecrivit Eudoxe dans le Circuit de la Terre

Ce fragment avait eacutechappeacute agrave Franccedilois Lasserre sans doute parce qursquoil nrsquoest preacutesent que dans la seconde eacutedition augmenteacutee des Mythologiae libri (1581) qui contient de nombreux ajouts et dont le savant suisse ignorait apparemment lrsquoexistence Le trait le plus saillant de la mythologie de Carneacuteos est son lien avec des fecirctes en lrsquohonneur drsquoApollon agrave Sparte les Carneacuteia Les indications sur la geacuteneacutealogie de Carneacuteos fournies par Conti eacutetaient geacuteneacuteralement admises dans lrsquoAntiquiteacute et celles sur ses rapports avec Apollon et Latone sont attesteacutees par Pausanias13 En revanche la suite de la notice regorge de difficulteacutes Leacuteotychidegraves est le nom de plusieurs rois de Sparte et il est difficile drsquoexpliquer qursquoaucune source antique nrsquoait documenteacute le lien geacuteneacutealogique alleacutegueacute entre Carneacuteos et ces rois Hydarnis est une variante (par iotacisme) de la forme bien attesteacutee Hydarnegraves helleacutenisation de lrsquoanthroponyme perse Vidarna dont le rapport avec la mythologie spartiate est douteux Limeacutera est un adjectif qui signifie laquo doteacutee drsquoun bon port raquo et qualifie notam-ment de maniegravere formulaire la citeacute laconienne drsquoEacutepidaure son emploi comme nom drsquoun hypotheacutetique personnage mythologique frise le non-sens Enfin si Alagenia semble ecirctre une variante drsquoAlagonia nom drsquoune citeacute laconienne bien attesteacutee aucun de ces quatre noms

13 Pausanias Description de la Gregravece III 13 5

188

propres nrsquoest attesteacute comme nom drsquoun personnage mythologique (agrave moins de consideacuterer Leacuteotychidegraves comme tel) Ainsi un faisceau drsquoindices jette eacutegalement le discreacutedit sur la deuxiegraveme moitieacute du pas-sage et notamment sur la reacutefeacuterence agrave Eudoxe

Dans le contexte drsquoune œuvre contenant de nombreuses citations inventeacutees14 lrsquoeacutediteur de fragments drsquoauteurs antiques et plus geacuteneacute-ralement lrsquohistorien sont tenus agrave la plus grande prudence face agrave des passages comme ceux eacutetudieacutes ci-dessus Ainsi il sera sage pour lrsquoeacutedi-teur de les inclure dans la cateacutegorie des spuria (fragments inauthen-tiques) tandis que lrsquohistorien de lrsquoAntiquiteacute se gardera de les utiliser comme sources Pour drsquoautres lecteurs toutefois la preacutesence de tels passages nrsquoocirctera rien agrave lrsquointeacuterecirct des Mythologiae libri voire accroicirctra son charme dans la mesure ougrave lrsquoinvention de citations pseudo-antiques participe indeacuteniablement de lrsquoart de Natale Conti

Crsquoest pourquoi le lecteur trouvera dans les notes agrave la traduction franccedilaise du livre I le signalement des passages ougrave Natale Conti a semblablement fabriqueacute de fausses sources antiques Dans le seul livre I on compte au moins seize citations qui semblent contenir des eacuteleacutements deacutelibeacutereacutement faux et notamment des attributions fal-lacieuses agrave des auteurs antiques connus seulement par un petit nombre de citations Dans la suite du preacutesent article nous appor-terons un eacuteclairage nouveau sur lrsquoambivalence de la reacuteception eacuteru-dite des Mythologiae libri Cette reacuteception contraste avec le choix positif de traduire lrsquoouvrage en franccedilais et plus geacuteneacuteralement avec le succegraves litteacuteraire et scolaire de lrsquoouvrage illustrant par lagrave mecircme la diversiteacute des milieux qui srsquoy sont inteacuteresseacutes

La reacuteputation sulfureuse de Natale Conti

Degraves avant la publication des Mythologiae libri Natale Conti qui avait certes acquis un certain renom pour sa traduction des Deipnosophistes drsquoAtheacuteneacutee (une entreprise dont il soulignait avec suffisance les difficulteacutes dans sa preacuteface15) fit lrsquoobjet de critiques de la part de Marc-Antoine Muret pour sa traduction du De elocutione du pseudo- Deacutemeacutetrios de Phalegravere parue en 1557 agrave Venise chez

14 Voir supra n 215 La preacuteface agrave la traduction des Deipnosophistes est reproduite par R Bancroft-Marcus

laquo A Dainty Dishhellip raquo art cit p 69-70

189

Santo Guerrino On lit en effet en appendice agrave la traduction lrsquoexplication suivante de Conti16

Cum nonnulla paulo negligentius ut ingenue fatear et quasi sopi-tus interpretarer me amicissime et admonuit et excitavit et incre-pavit prope vir peritissimus Marcus Antonius Muretus quare haec iam partim impressa recognovi errataque partim ob impressorum negligentiam partim etiam ob meam ita correxi

Apregraves que pour ecirctre honnecircte jrsquoeus traduit certains passages un peu neacutegligemment et comme dans mon sommeil le tregraves savant Marc-Antoine Muret tregraves amicalement mrsquoavertit mrsquoin-cita et me blacircma presque Crsquoest pourquoi je les relus alors qursquoils eacutetaient deacutejagrave partiellement imprimeacutes et corrigeai comme suit les erreurs dues pour partie agrave la neacutegligence des imprimeurs et pour partie agrave la mienne

Agrave la suite se trouvent quelques cent trente-cinq errata trouveacutes dans le deacutebut du traiteacute de Conti (pages 1 agrave 56) soit plus de deux erreurs par page au format in-12deg Lrsquoexplication cavaliegravere de Conti travestit fort mal une impatience dont le labeur philologique ne srsquoaccom-mode guegravere Cette premiegravere alerte ne devait pourtant pas suffire agrave le deacutetourner drsquoautres projets de traduction ni de lrsquoentreprise plus peacuterilleuse encore drsquoune vaste compilation mythographique censeacutee assurer sa gloire

Si la premiegravere eacutedition des Mythologiae libri (1567) fut publieacutee chez Comin da Trino un des imprimeurs les plus prolifiques de Venise la seconde en revanche fut imprimeacutee concomitamment par le mecircme eacutediteur agrave Venise et par Andreas Wechel agrave Francfort-sur-le-Main17 Wechel imprimeur connu pour la qualiteacute de ses eacuteditions critiques de textes latins et grecs confeacuterait drsquoautant plus drsquoautoriteacute au traiteacute de Conti qursquoil avait fait relire lrsquoeacutedition de Francfort par deux eacuterudits

16 R Ricciardi sv laquo Contihellip raquo art cit comprend agrave tort que Conti aurait publieacute cette traduction agrave lrsquoinstigation de Muret

17 Au sujet de la seconde eacutedition il serait inteacuteressant de systeacutematiser lrsquoobserva-tion faite par R Scott Smith agrave savoir qursquoon ne relegraveve qursquoun faux passage de Callimaque dans la premiegravere eacutedition auxquels srsquoen ajoutent quatre autres dans la seconde (voir son compte-rendu de J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit dans la Bryn Mawr Classical Review 20090469 consul-table en ligne lthttpbmcrbrynmawredu20092009-04-69htmlgt) Si cette tendance est confirmeacutee par une eacutetude systeacutematique elle pourrait srsquoexpliquer par la vaniteacute de Conti qui lrsquoaurait pousseacute agrave une fraude plus massive encore dans la seconde eacutedition que dans la premiegravere pour srsquoassurer un nouveau triomphe

190

de premier ordre Friedrich Sylburg et Johannes Opsopoeus18 Il srsquoengageait personnellement en ce sens dans une lettre au lecteur imprimeacutee agrave la fin du volume19

Andreas Wechelus candido lectori sCum ad iuvanda Germaniae commoda Mythologicos hosce libros in lucem edere statuissem multisque mendis esse foedatos cognovissem sedulo curandum mihi censui ut forma quidem minore at diligentia maiore prodirent Itaque a Friderico Sylburgio petii ut pro suo erga bonas literas studio Graecis quae hic citantur emendandis incumberet amp Ioannem Obsopoeum correctorem meum laborum multitudine pene fathiscentem aliqua saltem oneris parte sublevaret Non defuit ille petitioni meae sed tam accurate percurrit omnia ut aliquot erratorum centurias inde sustulerit ipsis etiam fontibus ubi vel fieri poterat vel opus erat inspectis ac restituit non modo literas amp syllabas si quae vel omissae essent vel commutatae verum etiam voces immo integros interdum versus Quae ne fingi a me putes ipse verissima esse comperies si hanc editionem cum Veneta conferes Ut exempla subiungam aliqua mendose illic invenies ὡς pro ὧν ἂν pro αὖ ἀπὸ pro ὑπὸ λέχος pro λέκος μάχαιρα pro μάκαιρα κριτῶν pro κριθῶν literis pariter amp significationibus confusis Invenies ibidem Θρήϊκος pro Θρήκιος φύλλα pro φῦλα θνητὰ pro θηητὰ ἐλάχιστε pro ἐλέγχιστε προσάγειν pro προστάττειν κύκλον pro καλόν denique etiam αὐτὸν pro οὐ τὸν amp similia quae hic singula recensere infinitum est amp minime necessarium Quinetiam scripturae varietates quas reperit annotavit idem Sylburgius ac coniecturas insuper de locis depravatis vel suspectis saltem adjecit Nec vero minori cura Obsopoeus suum tractavit pensum A vitiis enim typographicis Latina sedulo repurgavit praesertim suspecta loca e suis quaelibet autoribus emendavit Indice etiam in meliorem ordinem redacto tum operam adhibuit ut pari

18 Friedrich Sylburg (1536-1596) fut lrsquoauteur de nombreuses eacuteditions de textes grecs anciens qui firent longtemps reacutefeacuterence (entre autres Pausanias Heacuterodote Aristote Denys drsquoHalicarnasse Apollonios Dyscole) Il renonccedila agrave lrsquoenseigne-ment en 1583 pour pouvoir se consacrer inteacutegralement agrave cette activiteacute avec le soutien des heacuteritiers Wechel Agrave partir de 1591 il dirigea eacutegalement la Biblio-thegraveque palatine de Heidelberg dont il reacutedigea un catalogue Johannes Opsopoeus (1556-1598 nom de baptecircme Johannes Koch) meacutedecin et philologue fut chasseacute en 1576 de sa chaire agrave lrsquoUniversiteacute de Heidelberg en tant que calviniste et gagna sa vie pendant les anneacutees suivantes comme correcteur de Wechel Il procura notamment une eacutedition des Oracles sibyllins qui fit longtemps reacutefeacute-rence ainsi qursquoune seacutelection de traiteacutes hippocratiques

19 Cette lettre est imprimeacutee sans pagination agrave la suite des index de la Mythologie dans lrsquoeacuted Francfort 1581

191

fide amp diligentia omnia excuderetur Sed ne nimius sim in commendatione opus ipsum quid in hac editione praestitum sit abunde testabitur In tui ergo gratiam lector hunc laborem susceptum esse tibi persuadebis ac proinde aequo animo omnia accipies amp candide interpretaberis Vale

Andreas Wechel au bienveillant lecteur salutApregraves avoir deacutecideacute de publier ces livres de Mythologie pour accroicirctre les avantages de la Germanie et mrsquoecirctre aperccedilu qursquoils eacutetaient enlaidis de nombreuses erreurs je jugeai qursquoil fallait mettre le plus grand soin agrave ce qursquoils paraissent sous une forme certes plus petite mais avec un zegravele plus grand Crsquoest pourquoi je demandai agrave Friedrich Sylburg au nom de sa passion pour les belles-lettres de se pencher sur la correction des textes grecs qui y sont citeacutes et de soulager mon correcteur Iohannes Opsopoeus qui croulait quasiment sous la masse de travail drsquoune partie au moins de son fardeau Il ne se deacuteroba pas agrave ma demande et parcourut lrsquoensemble avec tant de soin qursquoil en supprima quelques centaines drsquoerreurs apregraves avoir consulteacute les sources mecircmes lagrave ougrave crsquoeacutetait possible ou neacutecessaire et restaura non seulement des lettres et des syllabes quand celles-ci avaient eacuteteacute omises ou inter-verties mais eacutegalement des mots voire parfois des vers entiers Cela pour eacuteviter que tu croies que je lrsquoinvente tu apprendras que crsquoest tregraves vrai si tu compares cette eacutedition avec celle de Venise [de 1567] Pour donner quelques exemples tu y trouveras les fautes ὡς pour ὧν ἂν pour αὖ ἀπὸ pour ὑπὸ λέχος pour λέκος μάχαιρα pour μάκαιρα κριτῶν pour κριθῶν ougrave sont en mecircme temps confondues les lettres et les significations Tu trouveras au mecircme endroit Θρήϊκος pour Θρήκιος φύλλα pour φῦλα θνητὰ pour θηητὰ ἐλάχιστε pour ἐλέγχιστε προσάγειν pour προστάττειν κύκλον pour καλόνshyenfinshyαὐτὸνshypourshyοὐ τὸνshyet des choses semblables qursquoil serait interminable drsquoeacutenumeacuterer ici et guegravere neacutecessaire En outre le mecircme Sylburg nota les variantes manuscrites qursquoil trouva et ajouta des conjectures sur les pas-sages corrompus ou du moins suspects Mais Opsopoeus nrsquoac-complit pas son travail avec moins de soin En effet il eacutelimina avec application les erreurs typographiques du texte latin et surtout il corrigea tous les passages suspects agrave partir des auteurs respectifs tout en ameacuteliorant le classement de lrsquoIndex puis il srsquoefforccedila que tout soit imprimeacute avec une fideacuteliteacute et un zegravele constants Mais pour eacuteviter que je sois excessif dans lrsquoeacuteloge crsquoest agrave lrsquoouvrage lui-mecircme qui est procureacute dans cette eacutedition drsquoen teacutemoigner abondamment Tu te convaincras cher lecteur que

192

ce travail a eacuteteacute entrepris pour te rendre service et ainsi tu com-prendras tout avec eacutequanimiteacute et lrsquointerpregraveteras avec bienveil-lance Adieu

La collation drsquoun bref chapitre (Livre I chap 9) permet de mesu-rer lrsquoeacutetendue du labeur accompli par Opsopoeus et Sylburg

Eacutedition de Venise 1567 Eacutedition de Francfort 1581odysseae Odysseae

ἀνδρῶντεshyθεῶντε ἀνδρῶνshyτεshyθεῶνshyτεΩshyβᾶσιλεῦ ὦshyβασιλεῦὀρέωνθ᾽ ὀρέωνshyθ᾽ὄχθοι ὄχθοιnata natashy

οὔρεσίshyφασι οὔρεσιshyφασὶAethii Aetiitertio quintosydus sidusΑῖ Αἱ

ἀλλήλωνshyαἰεὶ ἀλλήλωνshyαἰεὶshyδὲτετραμμέναι τετραμμέναικρήτηθεν κρήτηθενἐνκατέθεντο ἐγκατέθεντοannum annumσεῖω σεῖς

Ἐριννὺες Ἐριννύεςἆρ᾽ ἂρἔστιν ἐστὶν

Ce sondage suffit agrave confirmer que lrsquoeacutedition de Francfort 1581 contient de nombreuses corrections par rapport agrave celle de Venise 1567 comme annonceacute dans la lettre drsquoAndreas Wechel Les corrections se limitent parfois agrave la ponctuation dans quels cas elles peuvent ecirctre importantes malgreacute tout (certaines variantes de ponctuation

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 3: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

183

La reacuteputation sulfureuse de Natale Conti helleacuteniste faussaire1

Les Mythologiae libri de Natale Conti ont la particulariteacute de conte-nir de nombreuses citations drsquoauteurs grecs inconnues par ailleurs dont lrsquoinauthenticiteacute ne fut eacutetablie de maniegravere deacutefinitive qursquoau xixe siegravecle Un tel treacutesor de sources antiques ne manqua pas drsquoexci-ter la curiositeacute des lecteurs degraves la parution de lrsquoouvrage Apregraves avoir illustreacute agrave frais nouveaux les meacutethodes de ce faussaire habile il sera utile drsquoeacutetudier la maniegravere ambivalente dont son œuvre fut reccedilue parmi les philologues de son temps En effet srsquoil arriva bientocirct que les Mythologiae libri soient utiliseacutes dans le paratexte drsquoeacuteditions savantes comme celle des Meacutetamorphoses drsquoOvide publieacutee agrave Cambridge en 1584 ainsi que dans le Commentaire agrave certaines eacuteditions posthumes des Amours de Ronsard des voix aussi autoriseacutees que celles de Marc-Antoine Muret Friedrich Sylburg Joseph Juste Scaliger Isaac Casaubon et Pierre-Daniel Huet critiquegraverent leur auteur pour son manque de rigueur philologique qui srsquoest drsquoabord exprimeacute par des inexactitudes dans ses traductions puis par lrsquoinsertion deacutelibeacutereacutee de citations antiques inventeacutees de toutes piegraveces ou pourvues drsquoattri-butions fallacieuses Lrsquoeacutetude de cette reacuteception eacuterudite permettra notamment de mieux cerner par contraste la dynamique qui a permis le succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri sur la base de critegraveres heacuteteacuterogegravenes au registre philologique

Natale Conti helleacuteniste et faussaire

Depuis le xixe siegravecle crsquoest un fait solidement eacutetabli que Natale Conti a manipuleacute et inventeacute des sources grecques2 En cela il est

1 Cette contribution est neacutee en parallegravele de lrsquoeacutedition traduite et commenteacutee des fragments drsquoEudoxe de Cnide que lrsquoauteur de ces lignes preacutepare actuellement pour la Collection des Universiteacutes de France Que Ceacuteline Bohnert et Rachel Darmon soient ici remercieacutees de lrsquoavoir accueillie avec bienveillance et de srsquoecirctre ainsi precircteacutees agrave un dialogue interdisciplinaire dont nous espeacuterons qursquoil srsquoaveacutera feacutecond

2 Cf notamment A Naeke Opuscula philologica vol 2 Bonn E Weber 1845 p 218-225 R Dorschel Qualem in usurpandis veterum scriptorum testimoniis Natalis comes praestiterit fidem Greifswald FG Kunike 1862 id Adnota-tiones ad fragmenta historicorum graecorum Stargard H Zantz 1873 A Roos

184

comparable agrave drsquoautres helleacutenistes faussaires de son temps comme Constantin Paleacuteocappa et Arnoul Le Ferron3 Il nrsquoen est pas moins arriveacute agrave certains des plus grands philologues de se laisser duper4

laquo De fide Natalis Comitis raquo Mnemonsyne NS 45 1917 p 69-77J Mulryan et S Brown ont donc reacuteaffirmeacute agrave juste titre que laquo si Conti est la seule source pour un fragment de litteacuterature grecque il est trop peu fiable pour qursquoon accepte son autoriteacute et le fragment en question ne doit pas ecirctre inclus dans le canon de la litteacuterature grecque raquo ( Natale Contirsquos Mythologiae Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2006 vol 1 p xvi ndash nous traduisons) ndash et ce malgreacute des tentatives de reacutehabilitation qui comme celle de Maria Consuelo Aacutelvarez Moraacuten et Rosa Mariacutea Iglesias Montiel (cf Natale Conti Mitologiacutea traduction introduction notes et index eacutetablis par Rosa Maria Iglesias Montiel et Maria Consuelo Aacutelvarez Moraacuten Murcie Universidad de Murcia 1988 p 18-32 voir aussi laquo Natale Conti estudioso y transmisor de textos claacutesicos raquo dans Los humanistas espantildeoles y el humanismo europeo Murcia Editum 1990 p 33-47 ici p 39 sq) ne tiennent pas compte des eacutetudes ci-dessusPlus reacutecemment voir V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleat Ancora sui frammenti della storiografia greca tragravediti da Natale Conti raquo dans C Braidotti E Dettori et E Lanzillotta (dir) οὐ πᾶν ἐφήμερον Scritti in memoria di Roberto Pretagostini Rome Quasar 2009 p 915-925 Sur la base drsquoune eacutetude approfondie lrsquoauteur y exprime laquo la neacutecessiteacute drsquoexclure le Veacutenitien de toute eacutedition future drsquohistoriens fragmentaires raquo (p 924) reacutetractant ainsi le juge-ment en demi-teinte exprimeacute dans son preacuteceacutedent article laquo I frammenti di Filocoro tragravediti da Boccacio e da Natale Conti raquo dans E Lanzillotta (dir) Richerche di antichitagrave e tradizione classica Tivoli Tored 2004 p 117-147 ndash nous traduisons

3 Sur le premier A Pietrobelli laquo Le cardinal et le faussaire raquo dans J Balsamo T Nicklas et B Restif (dir) Un preacutelat franccedilais de la Renaissance Le cardinal de Lorraine entre Reims et lrsquoEurope Genegraveve Droz 2014 p 363-383 Sur le second D Blank laquo rsquoPlutarchrsquo and the sophistry of rsquoNoble Lineagersquo raquo dans J Martiacutenez (dir) Fakes and Forgers of Classical Literature Madrid Ediciones claacutesicas 2011 p 33-59 Pour une eacutetude geacuteneacuterale du pheacutenomegravene des faussaires eacuterudits A Grafton Forgers and Critics Creativity and Duplicity in Western Scholarship Princeton Princeton University Press 1990

4 Le cas le plus significatif est peut-ecirctre celui de Felix Jacoby dont les heacutesita-tions sur la fiabiliteacute de Conti dans ses Fragmente der griechischen Historiker ont pu comme le suggegravere V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleathellip raquo art cit p 917 semer le doute Ainsi agrave titre drsquoexemple crsquoest manifestement sous lrsquoinfluence de Jacoby que Franccedilois Lasserre inclut un fragment de Natale Conti dans ses Fragmente des Eudoxos von Knidos (Berlin W De Gruyter 1966) tout en signalant que lrsquoauteur laquo ne meacuterite qursquoune confiance limiteacutee raquo (p 266 avec renvoi agrave Jacoby) Il faut neacuteanmoins distinguer le cas relativement freacutequent ougrave des passages de Natale Conti sont inclus dans les eacuteditions de fragments antiques comme spuria laquo inauthentiques raquo ndash une convention fondeacutee en raison mais susceptible drsquoinduire en erreur les non-speacutecialistes (crsquoest le cas entre autres dans lrsquoeacutedition des Fragmenta hesiodea par R Merkelbach et M West Oxford Oxford University Press 1967)

185

Pour reprendre la description qursquoen a faite V Costa la meacutethode de ce faussaire consistait agrave se faire lrsquoauteur drsquoattributions laquo souvent plausibles et parfois sagaces5 [agrave fabriquer] des faux toujours ingeacute-nieux dont ce nrsquoest pas un hasard qursquoils aient reacutesisteacute agrave lrsquoexamen de geacuteneacuterations drsquohistoriens et de philologues et malgreacute tout [agrave jouer un rocircle central] pour la diffusion de la connaissance de la mytho-logie classique6 raquo

La vie de Natale Conti nrsquoest guegravere connue autrement que par ses propres eacutecrits7 Bien qursquoil se distingue par sa connaissance du grec laquelle est loin drsquoecirctre geacuteneacuteraliseacutee parmi les humanistes de son temps il ne paraicirct jouir ni drsquoun statut social eacuteleveacute ni drsquoune bonne insertion dans les reacuteseaux de philologues humanistes ndash lrsquoun ou lrsquoautre de ces traits auraient pu lui permettre drsquoacceacuteder agrave des manuscrits aujourdrsquohui perdus mais leur absence rend cette possibiliteacute drsquoembleacutee sujette agrave caution Drsquoautre part son œuvre ne contient guegravere de dis-cussions portant sur des problegravemes de critique textuelle Ainsi ses eacutecrits ne dessinent pas le portrait drsquoun philologue capable de deacutecou-vrir des textes ineacutedits

Agrave cet eacutegard il se situe agrave lrsquoopposeacute de Lilio Gregorio Giraldi eacutelegraveve de Deacutemeacutetrios Chalcocondylos qui aborde dans son De deis gentium historia les problegravemes de deacutechiffrement des manuscrits et drsquoeacutetablis-sement du texte Si Giraldi nrsquoa pas connu une fortune litteacuteraire eacutegale agrave celle de Conti ou encore de Vincenzo Cartari (Le Imagini con la spositione de i Dei degli antichi 1556) cela peut drsquoailleurs srsquoexpli-quer en partie par le fait que ces derniers avaient abondamment pilleacute le premier8 la comparaison montre en tout cas que le succegraves

5 Il est piquant de constater que Natale Conti avait eacutegalement traduit en latin le traiteacute pseudo-plutarcheacuteen Sur les fleuves paru en appendice de son De terminis rhetoricis Bacircle H Petri 1560 En effet ce traiteacute se distingue par les nom-breuses citations drsquoauteurs fictifs (Schwindelautoren) qursquoil contient Il serait inteacuteressant de savoir si Natale Conti avait conscience de cette particulariteacute et srsquoil srsquoen est inspireacute

6 V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleathellip raquo art cit p 924-9257 R Ricciardi sv laquo Conti (Comes Comitum De Comitibus) Natale

( Hieronymus) Dizionario biografico degli Italiani vol 28 Rome 1983 p 454-457 sur les attaches de Conti en Italie et en Cregravete voir aussi R Bancroft- Marcus laquo A Dainty Dish to set before the King Natale Conti and his Trans-lation of Athenaeusrsquo Deipnosophistae raquo dans D Braund et J Wilkins (dir) Athenaeus and his World Reading Greek Culture and the Roman Empire Exeter University of Exeter Press 2000 p 53-70

8 J Mulryan laquo Translations and Adaptations of Vincenzo Cartarirsquos Imagini and Natale Contirsquos Mythologiae The Mythographic Tradition in the Renaissance raquo

186

de textes de ce genre nrsquoest pas proportionnel agrave la fiabiliteacute du traitement des sources antiques

Pour illustrer le problegraveme des faux renseignements antiques dans les Mythologiae libri prenons le cas drsquoEudoxe de Cnide En effet Conti cite cet auteur agrave deux reprises pour donner des renseigne-ments sans parallegravele dans les sources antiques

Eudoxus Cnidius in libro secundo de ambitu terrae Ligyam Actoris Carystii filiam matrem Aeoli fuisse maluit 9

Eudoxe de Cnide dans le deuxiegraveme livre du Circuit de la Terre preacutefeacutera dire que la megravere drsquoEacuteole eacutetait Ligye fille drsquoActor de Carystos

Ce fragment souvent citeacute se retrouve encore au xixe siegravecle dans un ouvrage mythographique de reacutefeacuterence composeacute par le pasteur Eduard Jacobi10 Il fut eacutegalement inclus par Franccedilois Lasserre dans son eacutedition des fragments drsquoEudoxe de Cnide11 Gracircce aux progregraves de la philologie lrsquoattribution agrave Eudoxe paraicirct toutefois drsquoembleacutee suspecte car on sait depuis les travaux de Friedrich Gisinger que le deuxiegraveme livre du Circuit de la Terre eacutetait tout entier consacreacute agrave lrsquoEacutegypte12 reacutegion du monde avec laquelle aucun des trois person-nages citeacutes nrsquoa de rapport (agrave moins drsquoimaginer Eudoxe incluant dans ce livre un deacuteveloppement sur lrsquoeacutenigmatique laquo icircle drsquoEacuteole raquo eacutevoqueacutee au dixiegraveme livre de lrsquoOdysseacutee mais Carystos dont il est question dans le passage se trouve sur lrsquoicircle drsquoEubeacutee et non pas en Eacutegypte) Drsquoautre part la filiation drsquoEacuteole ne faisait guegravere deacutebat dans lrsquoAntiquiteacute il eacutetait geacuteneacuteralement consideacutereacute comme le fils drsquoHelleacutenos et de la nymphe Orseacuteis Enfin ni Ligye ni Actor de Carystos ne sont des personnages connus par ailleurs la forme Λιγύη nrsquoest guegravere expli-cable tandis que parmi la dizaine de personnages mythologiques deacutenommeacutes Actor aucun ne semble provenir de Carystos Conti paraicirct donc jouer sur la confusion possible par iotacisme entre cette nymphe et la siregravene Ligeia (shyΛιγεία) et sur lrsquoabondance des Actor et de leur progeacuteniture dans la mythologie grecque En somme

Canadian Review of Comparative Literature 8 1981 p 272-283 ici p 273 9 Conti 1581 Livre VIII chap 10 p 250 Nous traduisons de mecircme pour

toutes les citations suivantes10 E Jacobi Handwoumlrterbuch der griechischen und roumlmischen Mythologie Coburg-

Leipzig Sinner 1835 sv Aeolus p 4111 Voir supra n 412 F Gisinger Die Erdbeschreibung des Eudoxos von Knidos Leipzig Teubner

1921 p 35

187

un faisceau drsquoindices jette le doute sur lrsquoauthenticiteacute de cette premiegravere citation

Crsquoest eacutegalement le cas de la seconde reacutefeacuterence agrave Eudoxe dans les Mythologiae libri

Natale Conti Mythologies Livre VIII c 23 p 930 (ed aucta Francfort 1581) Memoriae proditum fuit etiam Carneum fuisse Iovis et huius Europae filium quem ab Apolline et Latona fuisse educatum memorarunt Huic fratrem Leotychidem nonnulli adiunxerunt sororesque Hydarnim Limeram et Alageniam qui omnes postea nomina civitatibus dederunt ut scripsit Eudoxus in ambitu terrae

Il a eacuteteacute transmis en outre que Carneacuteos fut le fils de Jupiter et de cette Europe lui dont on rapporta qursquoil fut eacuteleveacute par Apollon et Latone Certains lui ajoutegraverent Leotychidas comme fregravere et Hydarnis Limeacutera et Alagenia comme sœurs Et ils donnegraverent tous leur nom agrave des citeacutes comme lrsquoeacutecrivit Eudoxe dans le Circuit de la Terre

Ce fragment avait eacutechappeacute agrave Franccedilois Lasserre sans doute parce qursquoil nrsquoest preacutesent que dans la seconde eacutedition augmenteacutee des Mythologiae libri (1581) qui contient de nombreux ajouts et dont le savant suisse ignorait apparemment lrsquoexistence Le trait le plus saillant de la mythologie de Carneacuteos est son lien avec des fecirctes en lrsquohonneur drsquoApollon agrave Sparte les Carneacuteia Les indications sur la geacuteneacutealogie de Carneacuteos fournies par Conti eacutetaient geacuteneacuteralement admises dans lrsquoAntiquiteacute et celles sur ses rapports avec Apollon et Latone sont attesteacutees par Pausanias13 En revanche la suite de la notice regorge de difficulteacutes Leacuteotychidegraves est le nom de plusieurs rois de Sparte et il est difficile drsquoexpliquer qursquoaucune source antique nrsquoait documenteacute le lien geacuteneacutealogique alleacutegueacute entre Carneacuteos et ces rois Hydarnis est une variante (par iotacisme) de la forme bien attesteacutee Hydarnegraves helleacutenisation de lrsquoanthroponyme perse Vidarna dont le rapport avec la mythologie spartiate est douteux Limeacutera est un adjectif qui signifie laquo doteacutee drsquoun bon port raquo et qualifie notam-ment de maniegravere formulaire la citeacute laconienne drsquoEacutepidaure son emploi comme nom drsquoun hypotheacutetique personnage mythologique frise le non-sens Enfin si Alagenia semble ecirctre une variante drsquoAlagonia nom drsquoune citeacute laconienne bien attesteacutee aucun de ces quatre noms

13 Pausanias Description de la Gregravece III 13 5

188

propres nrsquoest attesteacute comme nom drsquoun personnage mythologique (agrave moins de consideacuterer Leacuteotychidegraves comme tel) Ainsi un faisceau drsquoindices jette eacutegalement le discreacutedit sur la deuxiegraveme moitieacute du pas-sage et notamment sur la reacutefeacuterence agrave Eudoxe

Dans le contexte drsquoune œuvre contenant de nombreuses citations inventeacutees14 lrsquoeacutediteur de fragments drsquoauteurs antiques et plus geacuteneacute-ralement lrsquohistorien sont tenus agrave la plus grande prudence face agrave des passages comme ceux eacutetudieacutes ci-dessus Ainsi il sera sage pour lrsquoeacutedi-teur de les inclure dans la cateacutegorie des spuria (fragments inauthen-tiques) tandis que lrsquohistorien de lrsquoAntiquiteacute se gardera de les utiliser comme sources Pour drsquoautres lecteurs toutefois la preacutesence de tels passages nrsquoocirctera rien agrave lrsquointeacuterecirct des Mythologiae libri voire accroicirctra son charme dans la mesure ougrave lrsquoinvention de citations pseudo-antiques participe indeacuteniablement de lrsquoart de Natale Conti

Crsquoest pourquoi le lecteur trouvera dans les notes agrave la traduction franccedilaise du livre I le signalement des passages ougrave Natale Conti a semblablement fabriqueacute de fausses sources antiques Dans le seul livre I on compte au moins seize citations qui semblent contenir des eacuteleacutements deacutelibeacutereacutement faux et notamment des attributions fal-lacieuses agrave des auteurs antiques connus seulement par un petit nombre de citations Dans la suite du preacutesent article nous appor-terons un eacuteclairage nouveau sur lrsquoambivalence de la reacuteception eacuteru-dite des Mythologiae libri Cette reacuteception contraste avec le choix positif de traduire lrsquoouvrage en franccedilais et plus geacuteneacuteralement avec le succegraves litteacuteraire et scolaire de lrsquoouvrage illustrant par lagrave mecircme la diversiteacute des milieux qui srsquoy sont inteacuteresseacutes

La reacuteputation sulfureuse de Natale Conti

Degraves avant la publication des Mythologiae libri Natale Conti qui avait certes acquis un certain renom pour sa traduction des Deipnosophistes drsquoAtheacuteneacutee (une entreprise dont il soulignait avec suffisance les difficulteacutes dans sa preacuteface15) fit lrsquoobjet de critiques de la part de Marc-Antoine Muret pour sa traduction du De elocutione du pseudo- Deacutemeacutetrios de Phalegravere parue en 1557 agrave Venise chez

14 Voir supra n 215 La preacuteface agrave la traduction des Deipnosophistes est reproduite par R Bancroft-Marcus

laquo A Dainty Dishhellip raquo art cit p 69-70

189

Santo Guerrino On lit en effet en appendice agrave la traduction lrsquoexplication suivante de Conti16

Cum nonnulla paulo negligentius ut ingenue fatear et quasi sopi-tus interpretarer me amicissime et admonuit et excitavit et incre-pavit prope vir peritissimus Marcus Antonius Muretus quare haec iam partim impressa recognovi errataque partim ob impressorum negligentiam partim etiam ob meam ita correxi

Apregraves que pour ecirctre honnecircte jrsquoeus traduit certains passages un peu neacutegligemment et comme dans mon sommeil le tregraves savant Marc-Antoine Muret tregraves amicalement mrsquoavertit mrsquoin-cita et me blacircma presque Crsquoest pourquoi je les relus alors qursquoils eacutetaient deacutejagrave partiellement imprimeacutes et corrigeai comme suit les erreurs dues pour partie agrave la neacutegligence des imprimeurs et pour partie agrave la mienne

Agrave la suite se trouvent quelques cent trente-cinq errata trouveacutes dans le deacutebut du traiteacute de Conti (pages 1 agrave 56) soit plus de deux erreurs par page au format in-12deg Lrsquoexplication cavaliegravere de Conti travestit fort mal une impatience dont le labeur philologique ne srsquoaccom-mode guegravere Cette premiegravere alerte ne devait pourtant pas suffire agrave le deacutetourner drsquoautres projets de traduction ni de lrsquoentreprise plus peacuterilleuse encore drsquoune vaste compilation mythographique censeacutee assurer sa gloire

Si la premiegravere eacutedition des Mythologiae libri (1567) fut publieacutee chez Comin da Trino un des imprimeurs les plus prolifiques de Venise la seconde en revanche fut imprimeacutee concomitamment par le mecircme eacutediteur agrave Venise et par Andreas Wechel agrave Francfort-sur-le-Main17 Wechel imprimeur connu pour la qualiteacute de ses eacuteditions critiques de textes latins et grecs confeacuterait drsquoautant plus drsquoautoriteacute au traiteacute de Conti qursquoil avait fait relire lrsquoeacutedition de Francfort par deux eacuterudits

16 R Ricciardi sv laquo Contihellip raquo art cit comprend agrave tort que Conti aurait publieacute cette traduction agrave lrsquoinstigation de Muret

17 Au sujet de la seconde eacutedition il serait inteacuteressant de systeacutematiser lrsquoobserva-tion faite par R Scott Smith agrave savoir qursquoon ne relegraveve qursquoun faux passage de Callimaque dans la premiegravere eacutedition auxquels srsquoen ajoutent quatre autres dans la seconde (voir son compte-rendu de J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit dans la Bryn Mawr Classical Review 20090469 consul-table en ligne lthttpbmcrbrynmawredu20092009-04-69htmlgt) Si cette tendance est confirmeacutee par une eacutetude systeacutematique elle pourrait srsquoexpliquer par la vaniteacute de Conti qui lrsquoaurait pousseacute agrave une fraude plus massive encore dans la seconde eacutedition que dans la premiegravere pour srsquoassurer un nouveau triomphe

190

de premier ordre Friedrich Sylburg et Johannes Opsopoeus18 Il srsquoengageait personnellement en ce sens dans une lettre au lecteur imprimeacutee agrave la fin du volume19

Andreas Wechelus candido lectori sCum ad iuvanda Germaniae commoda Mythologicos hosce libros in lucem edere statuissem multisque mendis esse foedatos cognovissem sedulo curandum mihi censui ut forma quidem minore at diligentia maiore prodirent Itaque a Friderico Sylburgio petii ut pro suo erga bonas literas studio Graecis quae hic citantur emendandis incumberet amp Ioannem Obsopoeum correctorem meum laborum multitudine pene fathiscentem aliqua saltem oneris parte sublevaret Non defuit ille petitioni meae sed tam accurate percurrit omnia ut aliquot erratorum centurias inde sustulerit ipsis etiam fontibus ubi vel fieri poterat vel opus erat inspectis ac restituit non modo literas amp syllabas si quae vel omissae essent vel commutatae verum etiam voces immo integros interdum versus Quae ne fingi a me putes ipse verissima esse comperies si hanc editionem cum Veneta conferes Ut exempla subiungam aliqua mendose illic invenies ὡς pro ὧν ἂν pro αὖ ἀπὸ pro ὑπὸ λέχος pro λέκος μάχαιρα pro μάκαιρα κριτῶν pro κριθῶν literis pariter amp significationibus confusis Invenies ibidem Θρήϊκος pro Θρήκιος φύλλα pro φῦλα θνητὰ pro θηητὰ ἐλάχιστε pro ἐλέγχιστε προσάγειν pro προστάττειν κύκλον pro καλόν denique etiam αὐτὸν pro οὐ τὸν amp similia quae hic singula recensere infinitum est amp minime necessarium Quinetiam scripturae varietates quas reperit annotavit idem Sylburgius ac coniecturas insuper de locis depravatis vel suspectis saltem adjecit Nec vero minori cura Obsopoeus suum tractavit pensum A vitiis enim typographicis Latina sedulo repurgavit praesertim suspecta loca e suis quaelibet autoribus emendavit Indice etiam in meliorem ordinem redacto tum operam adhibuit ut pari

18 Friedrich Sylburg (1536-1596) fut lrsquoauteur de nombreuses eacuteditions de textes grecs anciens qui firent longtemps reacutefeacuterence (entre autres Pausanias Heacuterodote Aristote Denys drsquoHalicarnasse Apollonios Dyscole) Il renonccedila agrave lrsquoenseigne-ment en 1583 pour pouvoir se consacrer inteacutegralement agrave cette activiteacute avec le soutien des heacuteritiers Wechel Agrave partir de 1591 il dirigea eacutegalement la Biblio-thegraveque palatine de Heidelberg dont il reacutedigea un catalogue Johannes Opsopoeus (1556-1598 nom de baptecircme Johannes Koch) meacutedecin et philologue fut chasseacute en 1576 de sa chaire agrave lrsquoUniversiteacute de Heidelberg en tant que calviniste et gagna sa vie pendant les anneacutees suivantes comme correcteur de Wechel Il procura notamment une eacutedition des Oracles sibyllins qui fit longtemps reacutefeacute-rence ainsi qursquoune seacutelection de traiteacutes hippocratiques

19 Cette lettre est imprimeacutee sans pagination agrave la suite des index de la Mythologie dans lrsquoeacuted Francfort 1581

191

fide amp diligentia omnia excuderetur Sed ne nimius sim in commendatione opus ipsum quid in hac editione praestitum sit abunde testabitur In tui ergo gratiam lector hunc laborem susceptum esse tibi persuadebis ac proinde aequo animo omnia accipies amp candide interpretaberis Vale

Andreas Wechel au bienveillant lecteur salutApregraves avoir deacutecideacute de publier ces livres de Mythologie pour accroicirctre les avantages de la Germanie et mrsquoecirctre aperccedilu qursquoils eacutetaient enlaidis de nombreuses erreurs je jugeai qursquoil fallait mettre le plus grand soin agrave ce qursquoils paraissent sous une forme certes plus petite mais avec un zegravele plus grand Crsquoest pourquoi je demandai agrave Friedrich Sylburg au nom de sa passion pour les belles-lettres de se pencher sur la correction des textes grecs qui y sont citeacutes et de soulager mon correcteur Iohannes Opsopoeus qui croulait quasiment sous la masse de travail drsquoune partie au moins de son fardeau Il ne se deacuteroba pas agrave ma demande et parcourut lrsquoensemble avec tant de soin qursquoil en supprima quelques centaines drsquoerreurs apregraves avoir consulteacute les sources mecircmes lagrave ougrave crsquoeacutetait possible ou neacutecessaire et restaura non seulement des lettres et des syllabes quand celles-ci avaient eacuteteacute omises ou inter-verties mais eacutegalement des mots voire parfois des vers entiers Cela pour eacuteviter que tu croies que je lrsquoinvente tu apprendras que crsquoest tregraves vrai si tu compares cette eacutedition avec celle de Venise [de 1567] Pour donner quelques exemples tu y trouveras les fautes ὡς pour ὧν ἂν pour αὖ ἀπὸ pour ὑπὸ λέχος pour λέκος μάχαιρα pour μάκαιρα κριτῶν pour κριθῶν ougrave sont en mecircme temps confondues les lettres et les significations Tu trouveras au mecircme endroit Θρήϊκος pour Θρήκιος φύλλα pour φῦλα θνητὰ pour θηητὰ ἐλάχιστε pour ἐλέγχιστε προσάγειν pour προστάττειν κύκλον pour καλόνshyenfinshyαὐτὸνshypourshyοὐ τὸνshyet des choses semblables qursquoil serait interminable drsquoeacutenumeacuterer ici et guegravere neacutecessaire En outre le mecircme Sylburg nota les variantes manuscrites qursquoil trouva et ajouta des conjectures sur les pas-sages corrompus ou du moins suspects Mais Opsopoeus nrsquoac-complit pas son travail avec moins de soin En effet il eacutelimina avec application les erreurs typographiques du texte latin et surtout il corrigea tous les passages suspects agrave partir des auteurs respectifs tout en ameacuteliorant le classement de lrsquoIndex puis il srsquoefforccedila que tout soit imprimeacute avec une fideacuteliteacute et un zegravele constants Mais pour eacuteviter que je sois excessif dans lrsquoeacuteloge crsquoest agrave lrsquoouvrage lui-mecircme qui est procureacute dans cette eacutedition drsquoen teacutemoigner abondamment Tu te convaincras cher lecteur que

192

ce travail a eacuteteacute entrepris pour te rendre service et ainsi tu com-prendras tout avec eacutequanimiteacute et lrsquointerpregraveteras avec bienveil-lance Adieu

La collation drsquoun bref chapitre (Livre I chap 9) permet de mesu-rer lrsquoeacutetendue du labeur accompli par Opsopoeus et Sylburg

Eacutedition de Venise 1567 Eacutedition de Francfort 1581odysseae Odysseae

ἀνδρῶντεshyθεῶντε ἀνδρῶνshyτεshyθεῶνshyτεΩshyβᾶσιλεῦ ὦshyβασιλεῦὀρέωνθ᾽ ὀρέωνshyθ᾽ὄχθοι ὄχθοιnata natashy

οὔρεσίshyφασι οὔρεσιshyφασὶAethii Aetiitertio quintosydus sidusΑῖ Αἱ

ἀλλήλωνshyαἰεὶ ἀλλήλωνshyαἰεὶshyδὲτετραμμέναι τετραμμέναικρήτηθεν κρήτηθενἐνκατέθεντο ἐγκατέθεντοannum annumσεῖω σεῖς

Ἐριννὺες Ἐριννύεςἆρ᾽ ἂρἔστιν ἐστὶν

Ce sondage suffit agrave confirmer que lrsquoeacutedition de Francfort 1581 contient de nombreuses corrections par rapport agrave celle de Venise 1567 comme annonceacute dans la lettre drsquoAndreas Wechel Les corrections se limitent parfois agrave la ponctuation dans quels cas elles peuvent ecirctre importantes malgreacute tout (certaines variantes de ponctuation

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 4: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

184

comparable agrave drsquoautres helleacutenistes faussaires de son temps comme Constantin Paleacuteocappa et Arnoul Le Ferron3 Il nrsquoen est pas moins arriveacute agrave certains des plus grands philologues de se laisser duper4

laquo De fide Natalis Comitis raquo Mnemonsyne NS 45 1917 p 69-77J Mulryan et S Brown ont donc reacuteaffirmeacute agrave juste titre que laquo si Conti est la seule source pour un fragment de litteacuterature grecque il est trop peu fiable pour qursquoon accepte son autoriteacute et le fragment en question ne doit pas ecirctre inclus dans le canon de la litteacuterature grecque raquo ( Natale Contirsquos Mythologiae Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2006 vol 1 p xvi ndash nous traduisons) ndash et ce malgreacute des tentatives de reacutehabilitation qui comme celle de Maria Consuelo Aacutelvarez Moraacuten et Rosa Mariacutea Iglesias Montiel (cf Natale Conti Mitologiacutea traduction introduction notes et index eacutetablis par Rosa Maria Iglesias Montiel et Maria Consuelo Aacutelvarez Moraacuten Murcie Universidad de Murcia 1988 p 18-32 voir aussi laquo Natale Conti estudioso y transmisor de textos claacutesicos raquo dans Los humanistas espantildeoles y el humanismo europeo Murcia Editum 1990 p 33-47 ici p 39 sq) ne tiennent pas compte des eacutetudes ci-dessusPlus reacutecemment voir V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleat Ancora sui frammenti della storiografia greca tragravediti da Natale Conti raquo dans C Braidotti E Dettori et E Lanzillotta (dir) οὐ πᾶν ἐφήμερον Scritti in memoria di Roberto Pretagostini Rome Quasar 2009 p 915-925 Sur la base drsquoune eacutetude approfondie lrsquoauteur y exprime laquo la neacutecessiteacute drsquoexclure le Veacutenitien de toute eacutedition future drsquohistoriens fragmentaires raquo (p 924) reacutetractant ainsi le juge-ment en demi-teinte exprimeacute dans son preacuteceacutedent article laquo I frammenti di Filocoro tragravediti da Boccacio e da Natale Conti raquo dans E Lanzillotta (dir) Richerche di antichitagrave e tradizione classica Tivoli Tored 2004 p 117-147 ndash nous traduisons

3 Sur le premier A Pietrobelli laquo Le cardinal et le faussaire raquo dans J Balsamo T Nicklas et B Restif (dir) Un preacutelat franccedilais de la Renaissance Le cardinal de Lorraine entre Reims et lrsquoEurope Genegraveve Droz 2014 p 363-383 Sur le second D Blank laquo rsquoPlutarchrsquo and the sophistry of rsquoNoble Lineagersquo raquo dans J Martiacutenez (dir) Fakes and Forgers of Classical Literature Madrid Ediciones claacutesicas 2011 p 33-59 Pour une eacutetude geacuteneacuterale du pheacutenomegravene des faussaires eacuterudits A Grafton Forgers and Critics Creativity and Duplicity in Western Scholarship Princeton Princeton University Press 1990

4 Le cas le plus significatif est peut-ecirctre celui de Felix Jacoby dont les heacutesita-tions sur la fiabiliteacute de Conti dans ses Fragmente der griechischen Historiker ont pu comme le suggegravere V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleathellip raquo art cit p 917 semer le doute Ainsi agrave titre drsquoexemple crsquoest manifestement sous lrsquoinfluence de Jacoby que Franccedilois Lasserre inclut un fragment de Natale Conti dans ses Fragmente des Eudoxos von Knidos (Berlin W De Gruyter 1966) tout en signalant que lrsquoauteur laquo ne meacuterite qursquoune confiance limiteacutee raquo (p 266 avec renvoi agrave Jacoby) Il faut neacuteanmoins distinguer le cas relativement freacutequent ougrave des passages de Natale Conti sont inclus dans les eacuteditions de fragments antiques comme spuria laquo inauthentiques raquo ndash une convention fondeacutee en raison mais susceptible drsquoinduire en erreur les non-speacutecialistes (crsquoest le cas entre autres dans lrsquoeacutedition des Fragmenta hesiodea par R Merkelbach et M West Oxford Oxford University Press 1967)

185

Pour reprendre la description qursquoen a faite V Costa la meacutethode de ce faussaire consistait agrave se faire lrsquoauteur drsquoattributions laquo souvent plausibles et parfois sagaces5 [agrave fabriquer] des faux toujours ingeacute-nieux dont ce nrsquoest pas un hasard qursquoils aient reacutesisteacute agrave lrsquoexamen de geacuteneacuterations drsquohistoriens et de philologues et malgreacute tout [agrave jouer un rocircle central] pour la diffusion de la connaissance de la mytho-logie classique6 raquo

La vie de Natale Conti nrsquoest guegravere connue autrement que par ses propres eacutecrits7 Bien qursquoil se distingue par sa connaissance du grec laquelle est loin drsquoecirctre geacuteneacuteraliseacutee parmi les humanistes de son temps il ne paraicirct jouir ni drsquoun statut social eacuteleveacute ni drsquoune bonne insertion dans les reacuteseaux de philologues humanistes ndash lrsquoun ou lrsquoautre de ces traits auraient pu lui permettre drsquoacceacuteder agrave des manuscrits aujourdrsquohui perdus mais leur absence rend cette possibiliteacute drsquoembleacutee sujette agrave caution Drsquoautre part son œuvre ne contient guegravere de dis-cussions portant sur des problegravemes de critique textuelle Ainsi ses eacutecrits ne dessinent pas le portrait drsquoun philologue capable de deacutecou-vrir des textes ineacutedits

Agrave cet eacutegard il se situe agrave lrsquoopposeacute de Lilio Gregorio Giraldi eacutelegraveve de Deacutemeacutetrios Chalcocondylos qui aborde dans son De deis gentium historia les problegravemes de deacutechiffrement des manuscrits et drsquoeacutetablis-sement du texte Si Giraldi nrsquoa pas connu une fortune litteacuteraire eacutegale agrave celle de Conti ou encore de Vincenzo Cartari (Le Imagini con la spositione de i Dei degli antichi 1556) cela peut drsquoailleurs srsquoexpli-quer en partie par le fait que ces derniers avaient abondamment pilleacute le premier8 la comparaison montre en tout cas que le succegraves

5 Il est piquant de constater que Natale Conti avait eacutegalement traduit en latin le traiteacute pseudo-plutarcheacuteen Sur les fleuves paru en appendice de son De terminis rhetoricis Bacircle H Petri 1560 En effet ce traiteacute se distingue par les nom-breuses citations drsquoauteurs fictifs (Schwindelautoren) qursquoil contient Il serait inteacuteressant de savoir si Natale Conti avait conscience de cette particulariteacute et srsquoil srsquoen est inspireacute

6 V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleathellip raquo art cit p 924-9257 R Ricciardi sv laquo Conti (Comes Comitum De Comitibus) Natale

( Hieronymus) Dizionario biografico degli Italiani vol 28 Rome 1983 p 454-457 sur les attaches de Conti en Italie et en Cregravete voir aussi R Bancroft- Marcus laquo A Dainty Dish to set before the King Natale Conti and his Trans-lation of Athenaeusrsquo Deipnosophistae raquo dans D Braund et J Wilkins (dir) Athenaeus and his World Reading Greek Culture and the Roman Empire Exeter University of Exeter Press 2000 p 53-70

8 J Mulryan laquo Translations and Adaptations of Vincenzo Cartarirsquos Imagini and Natale Contirsquos Mythologiae The Mythographic Tradition in the Renaissance raquo

186

de textes de ce genre nrsquoest pas proportionnel agrave la fiabiliteacute du traitement des sources antiques

Pour illustrer le problegraveme des faux renseignements antiques dans les Mythologiae libri prenons le cas drsquoEudoxe de Cnide En effet Conti cite cet auteur agrave deux reprises pour donner des renseigne-ments sans parallegravele dans les sources antiques

Eudoxus Cnidius in libro secundo de ambitu terrae Ligyam Actoris Carystii filiam matrem Aeoli fuisse maluit 9

Eudoxe de Cnide dans le deuxiegraveme livre du Circuit de la Terre preacutefeacutera dire que la megravere drsquoEacuteole eacutetait Ligye fille drsquoActor de Carystos

Ce fragment souvent citeacute se retrouve encore au xixe siegravecle dans un ouvrage mythographique de reacutefeacuterence composeacute par le pasteur Eduard Jacobi10 Il fut eacutegalement inclus par Franccedilois Lasserre dans son eacutedition des fragments drsquoEudoxe de Cnide11 Gracircce aux progregraves de la philologie lrsquoattribution agrave Eudoxe paraicirct toutefois drsquoembleacutee suspecte car on sait depuis les travaux de Friedrich Gisinger que le deuxiegraveme livre du Circuit de la Terre eacutetait tout entier consacreacute agrave lrsquoEacutegypte12 reacutegion du monde avec laquelle aucun des trois person-nages citeacutes nrsquoa de rapport (agrave moins drsquoimaginer Eudoxe incluant dans ce livre un deacuteveloppement sur lrsquoeacutenigmatique laquo icircle drsquoEacuteole raquo eacutevoqueacutee au dixiegraveme livre de lrsquoOdysseacutee mais Carystos dont il est question dans le passage se trouve sur lrsquoicircle drsquoEubeacutee et non pas en Eacutegypte) Drsquoautre part la filiation drsquoEacuteole ne faisait guegravere deacutebat dans lrsquoAntiquiteacute il eacutetait geacuteneacuteralement consideacutereacute comme le fils drsquoHelleacutenos et de la nymphe Orseacuteis Enfin ni Ligye ni Actor de Carystos ne sont des personnages connus par ailleurs la forme Λιγύη nrsquoest guegravere expli-cable tandis que parmi la dizaine de personnages mythologiques deacutenommeacutes Actor aucun ne semble provenir de Carystos Conti paraicirct donc jouer sur la confusion possible par iotacisme entre cette nymphe et la siregravene Ligeia (shyΛιγεία) et sur lrsquoabondance des Actor et de leur progeacuteniture dans la mythologie grecque En somme

Canadian Review of Comparative Literature 8 1981 p 272-283 ici p 273 9 Conti 1581 Livre VIII chap 10 p 250 Nous traduisons de mecircme pour

toutes les citations suivantes10 E Jacobi Handwoumlrterbuch der griechischen und roumlmischen Mythologie Coburg-

Leipzig Sinner 1835 sv Aeolus p 4111 Voir supra n 412 F Gisinger Die Erdbeschreibung des Eudoxos von Knidos Leipzig Teubner

1921 p 35

187

un faisceau drsquoindices jette le doute sur lrsquoauthenticiteacute de cette premiegravere citation

Crsquoest eacutegalement le cas de la seconde reacutefeacuterence agrave Eudoxe dans les Mythologiae libri

Natale Conti Mythologies Livre VIII c 23 p 930 (ed aucta Francfort 1581) Memoriae proditum fuit etiam Carneum fuisse Iovis et huius Europae filium quem ab Apolline et Latona fuisse educatum memorarunt Huic fratrem Leotychidem nonnulli adiunxerunt sororesque Hydarnim Limeram et Alageniam qui omnes postea nomina civitatibus dederunt ut scripsit Eudoxus in ambitu terrae

Il a eacuteteacute transmis en outre que Carneacuteos fut le fils de Jupiter et de cette Europe lui dont on rapporta qursquoil fut eacuteleveacute par Apollon et Latone Certains lui ajoutegraverent Leotychidas comme fregravere et Hydarnis Limeacutera et Alagenia comme sœurs Et ils donnegraverent tous leur nom agrave des citeacutes comme lrsquoeacutecrivit Eudoxe dans le Circuit de la Terre

Ce fragment avait eacutechappeacute agrave Franccedilois Lasserre sans doute parce qursquoil nrsquoest preacutesent que dans la seconde eacutedition augmenteacutee des Mythologiae libri (1581) qui contient de nombreux ajouts et dont le savant suisse ignorait apparemment lrsquoexistence Le trait le plus saillant de la mythologie de Carneacuteos est son lien avec des fecirctes en lrsquohonneur drsquoApollon agrave Sparte les Carneacuteia Les indications sur la geacuteneacutealogie de Carneacuteos fournies par Conti eacutetaient geacuteneacuteralement admises dans lrsquoAntiquiteacute et celles sur ses rapports avec Apollon et Latone sont attesteacutees par Pausanias13 En revanche la suite de la notice regorge de difficulteacutes Leacuteotychidegraves est le nom de plusieurs rois de Sparte et il est difficile drsquoexpliquer qursquoaucune source antique nrsquoait documenteacute le lien geacuteneacutealogique alleacutegueacute entre Carneacuteos et ces rois Hydarnis est une variante (par iotacisme) de la forme bien attesteacutee Hydarnegraves helleacutenisation de lrsquoanthroponyme perse Vidarna dont le rapport avec la mythologie spartiate est douteux Limeacutera est un adjectif qui signifie laquo doteacutee drsquoun bon port raquo et qualifie notam-ment de maniegravere formulaire la citeacute laconienne drsquoEacutepidaure son emploi comme nom drsquoun hypotheacutetique personnage mythologique frise le non-sens Enfin si Alagenia semble ecirctre une variante drsquoAlagonia nom drsquoune citeacute laconienne bien attesteacutee aucun de ces quatre noms

13 Pausanias Description de la Gregravece III 13 5

188

propres nrsquoest attesteacute comme nom drsquoun personnage mythologique (agrave moins de consideacuterer Leacuteotychidegraves comme tel) Ainsi un faisceau drsquoindices jette eacutegalement le discreacutedit sur la deuxiegraveme moitieacute du pas-sage et notamment sur la reacutefeacuterence agrave Eudoxe

Dans le contexte drsquoune œuvre contenant de nombreuses citations inventeacutees14 lrsquoeacutediteur de fragments drsquoauteurs antiques et plus geacuteneacute-ralement lrsquohistorien sont tenus agrave la plus grande prudence face agrave des passages comme ceux eacutetudieacutes ci-dessus Ainsi il sera sage pour lrsquoeacutedi-teur de les inclure dans la cateacutegorie des spuria (fragments inauthen-tiques) tandis que lrsquohistorien de lrsquoAntiquiteacute se gardera de les utiliser comme sources Pour drsquoautres lecteurs toutefois la preacutesence de tels passages nrsquoocirctera rien agrave lrsquointeacuterecirct des Mythologiae libri voire accroicirctra son charme dans la mesure ougrave lrsquoinvention de citations pseudo-antiques participe indeacuteniablement de lrsquoart de Natale Conti

Crsquoest pourquoi le lecteur trouvera dans les notes agrave la traduction franccedilaise du livre I le signalement des passages ougrave Natale Conti a semblablement fabriqueacute de fausses sources antiques Dans le seul livre I on compte au moins seize citations qui semblent contenir des eacuteleacutements deacutelibeacutereacutement faux et notamment des attributions fal-lacieuses agrave des auteurs antiques connus seulement par un petit nombre de citations Dans la suite du preacutesent article nous appor-terons un eacuteclairage nouveau sur lrsquoambivalence de la reacuteception eacuteru-dite des Mythologiae libri Cette reacuteception contraste avec le choix positif de traduire lrsquoouvrage en franccedilais et plus geacuteneacuteralement avec le succegraves litteacuteraire et scolaire de lrsquoouvrage illustrant par lagrave mecircme la diversiteacute des milieux qui srsquoy sont inteacuteresseacutes

La reacuteputation sulfureuse de Natale Conti

Degraves avant la publication des Mythologiae libri Natale Conti qui avait certes acquis un certain renom pour sa traduction des Deipnosophistes drsquoAtheacuteneacutee (une entreprise dont il soulignait avec suffisance les difficulteacutes dans sa preacuteface15) fit lrsquoobjet de critiques de la part de Marc-Antoine Muret pour sa traduction du De elocutione du pseudo- Deacutemeacutetrios de Phalegravere parue en 1557 agrave Venise chez

14 Voir supra n 215 La preacuteface agrave la traduction des Deipnosophistes est reproduite par R Bancroft-Marcus

laquo A Dainty Dishhellip raquo art cit p 69-70

189

Santo Guerrino On lit en effet en appendice agrave la traduction lrsquoexplication suivante de Conti16

Cum nonnulla paulo negligentius ut ingenue fatear et quasi sopi-tus interpretarer me amicissime et admonuit et excitavit et incre-pavit prope vir peritissimus Marcus Antonius Muretus quare haec iam partim impressa recognovi errataque partim ob impressorum negligentiam partim etiam ob meam ita correxi

Apregraves que pour ecirctre honnecircte jrsquoeus traduit certains passages un peu neacutegligemment et comme dans mon sommeil le tregraves savant Marc-Antoine Muret tregraves amicalement mrsquoavertit mrsquoin-cita et me blacircma presque Crsquoest pourquoi je les relus alors qursquoils eacutetaient deacutejagrave partiellement imprimeacutes et corrigeai comme suit les erreurs dues pour partie agrave la neacutegligence des imprimeurs et pour partie agrave la mienne

Agrave la suite se trouvent quelques cent trente-cinq errata trouveacutes dans le deacutebut du traiteacute de Conti (pages 1 agrave 56) soit plus de deux erreurs par page au format in-12deg Lrsquoexplication cavaliegravere de Conti travestit fort mal une impatience dont le labeur philologique ne srsquoaccom-mode guegravere Cette premiegravere alerte ne devait pourtant pas suffire agrave le deacutetourner drsquoautres projets de traduction ni de lrsquoentreprise plus peacuterilleuse encore drsquoune vaste compilation mythographique censeacutee assurer sa gloire

Si la premiegravere eacutedition des Mythologiae libri (1567) fut publieacutee chez Comin da Trino un des imprimeurs les plus prolifiques de Venise la seconde en revanche fut imprimeacutee concomitamment par le mecircme eacutediteur agrave Venise et par Andreas Wechel agrave Francfort-sur-le-Main17 Wechel imprimeur connu pour la qualiteacute de ses eacuteditions critiques de textes latins et grecs confeacuterait drsquoautant plus drsquoautoriteacute au traiteacute de Conti qursquoil avait fait relire lrsquoeacutedition de Francfort par deux eacuterudits

16 R Ricciardi sv laquo Contihellip raquo art cit comprend agrave tort que Conti aurait publieacute cette traduction agrave lrsquoinstigation de Muret

17 Au sujet de la seconde eacutedition il serait inteacuteressant de systeacutematiser lrsquoobserva-tion faite par R Scott Smith agrave savoir qursquoon ne relegraveve qursquoun faux passage de Callimaque dans la premiegravere eacutedition auxquels srsquoen ajoutent quatre autres dans la seconde (voir son compte-rendu de J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit dans la Bryn Mawr Classical Review 20090469 consul-table en ligne lthttpbmcrbrynmawredu20092009-04-69htmlgt) Si cette tendance est confirmeacutee par une eacutetude systeacutematique elle pourrait srsquoexpliquer par la vaniteacute de Conti qui lrsquoaurait pousseacute agrave une fraude plus massive encore dans la seconde eacutedition que dans la premiegravere pour srsquoassurer un nouveau triomphe

190

de premier ordre Friedrich Sylburg et Johannes Opsopoeus18 Il srsquoengageait personnellement en ce sens dans une lettre au lecteur imprimeacutee agrave la fin du volume19

Andreas Wechelus candido lectori sCum ad iuvanda Germaniae commoda Mythologicos hosce libros in lucem edere statuissem multisque mendis esse foedatos cognovissem sedulo curandum mihi censui ut forma quidem minore at diligentia maiore prodirent Itaque a Friderico Sylburgio petii ut pro suo erga bonas literas studio Graecis quae hic citantur emendandis incumberet amp Ioannem Obsopoeum correctorem meum laborum multitudine pene fathiscentem aliqua saltem oneris parte sublevaret Non defuit ille petitioni meae sed tam accurate percurrit omnia ut aliquot erratorum centurias inde sustulerit ipsis etiam fontibus ubi vel fieri poterat vel opus erat inspectis ac restituit non modo literas amp syllabas si quae vel omissae essent vel commutatae verum etiam voces immo integros interdum versus Quae ne fingi a me putes ipse verissima esse comperies si hanc editionem cum Veneta conferes Ut exempla subiungam aliqua mendose illic invenies ὡς pro ὧν ἂν pro αὖ ἀπὸ pro ὑπὸ λέχος pro λέκος μάχαιρα pro μάκαιρα κριτῶν pro κριθῶν literis pariter amp significationibus confusis Invenies ibidem Θρήϊκος pro Θρήκιος φύλλα pro φῦλα θνητὰ pro θηητὰ ἐλάχιστε pro ἐλέγχιστε προσάγειν pro προστάττειν κύκλον pro καλόν denique etiam αὐτὸν pro οὐ τὸν amp similia quae hic singula recensere infinitum est amp minime necessarium Quinetiam scripturae varietates quas reperit annotavit idem Sylburgius ac coniecturas insuper de locis depravatis vel suspectis saltem adjecit Nec vero minori cura Obsopoeus suum tractavit pensum A vitiis enim typographicis Latina sedulo repurgavit praesertim suspecta loca e suis quaelibet autoribus emendavit Indice etiam in meliorem ordinem redacto tum operam adhibuit ut pari

18 Friedrich Sylburg (1536-1596) fut lrsquoauteur de nombreuses eacuteditions de textes grecs anciens qui firent longtemps reacutefeacuterence (entre autres Pausanias Heacuterodote Aristote Denys drsquoHalicarnasse Apollonios Dyscole) Il renonccedila agrave lrsquoenseigne-ment en 1583 pour pouvoir se consacrer inteacutegralement agrave cette activiteacute avec le soutien des heacuteritiers Wechel Agrave partir de 1591 il dirigea eacutegalement la Biblio-thegraveque palatine de Heidelberg dont il reacutedigea un catalogue Johannes Opsopoeus (1556-1598 nom de baptecircme Johannes Koch) meacutedecin et philologue fut chasseacute en 1576 de sa chaire agrave lrsquoUniversiteacute de Heidelberg en tant que calviniste et gagna sa vie pendant les anneacutees suivantes comme correcteur de Wechel Il procura notamment une eacutedition des Oracles sibyllins qui fit longtemps reacutefeacute-rence ainsi qursquoune seacutelection de traiteacutes hippocratiques

19 Cette lettre est imprimeacutee sans pagination agrave la suite des index de la Mythologie dans lrsquoeacuted Francfort 1581

191

fide amp diligentia omnia excuderetur Sed ne nimius sim in commendatione opus ipsum quid in hac editione praestitum sit abunde testabitur In tui ergo gratiam lector hunc laborem susceptum esse tibi persuadebis ac proinde aequo animo omnia accipies amp candide interpretaberis Vale

Andreas Wechel au bienveillant lecteur salutApregraves avoir deacutecideacute de publier ces livres de Mythologie pour accroicirctre les avantages de la Germanie et mrsquoecirctre aperccedilu qursquoils eacutetaient enlaidis de nombreuses erreurs je jugeai qursquoil fallait mettre le plus grand soin agrave ce qursquoils paraissent sous une forme certes plus petite mais avec un zegravele plus grand Crsquoest pourquoi je demandai agrave Friedrich Sylburg au nom de sa passion pour les belles-lettres de se pencher sur la correction des textes grecs qui y sont citeacutes et de soulager mon correcteur Iohannes Opsopoeus qui croulait quasiment sous la masse de travail drsquoune partie au moins de son fardeau Il ne se deacuteroba pas agrave ma demande et parcourut lrsquoensemble avec tant de soin qursquoil en supprima quelques centaines drsquoerreurs apregraves avoir consulteacute les sources mecircmes lagrave ougrave crsquoeacutetait possible ou neacutecessaire et restaura non seulement des lettres et des syllabes quand celles-ci avaient eacuteteacute omises ou inter-verties mais eacutegalement des mots voire parfois des vers entiers Cela pour eacuteviter que tu croies que je lrsquoinvente tu apprendras que crsquoest tregraves vrai si tu compares cette eacutedition avec celle de Venise [de 1567] Pour donner quelques exemples tu y trouveras les fautes ὡς pour ὧν ἂν pour αὖ ἀπὸ pour ὑπὸ λέχος pour λέκος μάχαιρα pour μάκαιρα κριτῶν pour κριθῶν ougrave sont en mecircme temps confondues les lettres et les significations Tu trouveras au mecircme endroit Θρήϊκος pour Θρήκιος φύλλα pour φῦλα θνητὰ pour θηητὰ ἐλάχιστε pour ἐλέγχιστε προσάγειν pour προστάττειν κύκλον pour καλόνshyenfinshyαὐτὸνshypourshyοὐ τὸνshyet des choses semblables qursquoil serait interminable drsquoeacutenumeacuterer ici et guegravere neacutecessaire En outre le mecircme Sylburg nota les variantes manuscrites qursquoil trouva et ajouta des conjectures sur les pas-sages corrompus ou du moins suspects Mais Opsopoeus nrsquoac-complit pas son travail avec moins de soin En effet il eacutelimina avec application les erreurs typographiques du texte latin et surtout il corrigea tous les passages suspects agrave partir des auteurs respectifs tout en ameacuteliorant le classement de lrsquoIndex puis il srsquoefforccedila que tout soit imprimeacute avec une fideacuteliteacute et un zegravele constants Mais pour eacuteviter que je sois excessif dans lrsquoeacuteloge crsquoest agrave lrsquoouvrage lui-mecircme qui est procureacute dans cette eacutedition drsquoen teacutemoigner abondamment Tu te convaincras cher lecteur que

192

ce travail a eacuteteacute entrepris pour te rendre service et ainsi tu com-prendras tout avec eacutequanimiteacute et lrsquointerpregraveteras avec bienveil-lance Adieu

La collation drsquoun bref chapitre (Livre I chap 9) permet de mesu-rer lrsquoeacutetendue du labeur accompli par Opsopoeus et Sylburg

Eacutedition de Venise 1567 Eacutedition de Francfort 1581odysseae Odysseae

ἀνδρῶντεshyθεῶντε ἀνδρῶνshyτεshyθεῶνshyτεΩshyβᾶσιλεῦ ὦshyβασιλεῦὀρέωνθ᾽ ὀρέωνshyθ᾽ὄχθοι ὄχθοιnata natashy

οὔρεσίshyφασι οὔρεσιshyφασὶAethii Aetiitertio quintosydus sidusΑῖ Αἱ

ἀλλήλωνshyαἰεὶ ἀλλήλωνshyαἰεὶshyδὲτετραμμέναι τετραμμέναικρήτηθεν κρήτηθενἐνκατέθεντο ἐγκατέθεντοannum annumσεῖω σεῖς

Ἐριννὺες Ἐριννύεςἆρ᾽ ἂρἔστιν ἐστὶν

Ce sondage suffit agrave confirmer que lrsquoeacutedition de Francfort 1581 contient de nombreuses corrections par rapport agrave celle de Venise 1567 comme annonceacute dans la lettre drsquoAndreas Wechel Les corrections se limitent parfois agrave la ponctuation dans quels cas elles peuvent ecirctre importantes malgreacute tout (certaines variantes de ponctuation

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 5: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

185

Pour reprendre la description qursquoen a faite V Costa la meacutethode de ce faussaire consistait agrave se faire lrsquoauteur drsquoattributions laquo souvent plausibles et parfois sagaces5 [agrave fabriquer] des faux toujours ingeacute-nieux dont ce nrsquoest pas un hasard qursquoils aient reacutesisteacute agrave lrsquoexamen de geacuteneacuterations drsquohistoriens et de philologues et malgreacute tout [agrave jouer un rocircle central] pour la diffusion de la connaissance de la mytho-logie classique6 raquo

La vie de Natale Conti nrsquoest guegravere connue autrement que par ses propres eacutecrits7 Bien qursquoil se distingue par sa connaissance du grec laquelle est loin drsquoecirctre geacuteneacuteraliseacutee parmi les humanistes de son temps il ne paraicirct jouir ni drsquoun statut social eacuteleveacute ni drsquoune bonne insertion dans les reacuteseaux de philologues humanistes ndash lrsquoun ou lrsquoautre de ces traits auraient pu lui permettre drsquoacceacuteder agrave des manuscrits aujourdrsquohui perdus mais leur absence rend cette possibiliteacute drsquoembleacutee sujette agrave caution Drsquoautre part son œuvre ne contient guegravere de dis-cussions portant sur des problegravemes de critique textuelle Ainsi ses eacutecrits ne dessinent pas le portrait drsquoun philologue capable de deacutecou-vrir des textes ineacutedits

Agrave cet eacutegard il se situe agrave lrsquoopposeacute de Lilio Gregorio Giraldi eacutelegraveve de Deacutemeacutetrios Chalcocondylos qui aborde dans son De deis gentium historia les problegravemes de deacutechiffrement des manuscrits et drsquoeacutetablis-sement du texte Si Giraldi nrsquoa pas connu une fortune litteacuteraire eacutegale agrave celle de Conti ou encore de Vincenzo Cartari (Le Imagini con la spositione de i Dei degli antichi 1556) cela peut drsquoailleurs srsquoexpli-quer en partie par le fait que ces derniers avaient abondamment pilleacute le premier8 la comparaison montre en tout cas que le succegraves

5 Il est piquant de constater que Natale Conti avait eacutegalement traduit en latin le traiteacute pseudo-plutarcheacuteen Sur les fleuves paru en appendice de son De terminis rhetoricis Bacircle H Petri 1560 En effet ce traiteacute se distingue par les nom-breuses citations drsquoauteurs fictifs (Schwindelautoren) qursquoil contient Il serait inteacuteressant de savoir si Natale Conti avait conscience de cette particulariteacute et srsquoil srsquoen est inspireacute

6 V Costa laquo Quum mendaciis fallere soleathellip raquo art cit p 924-9257 R Ricciardi sv laquo Conti (Comes Comitum De Comitibus) Natale

( Hieronymus) Dizionario biografico degli Italiani vol 28 Rome 1983 p 454-457 sur les attaches de Conti en Italie et en Cregravete voir aussi R Bancroft- Marcus laquo A Dainty Dish to set before the King Natale Conti and his Trans-lation of Athenaeusrsquo Deipnosophistae raquo dans D Braund et J Wilkins (dir) Athenaeus and his World Reading Greek Culture and the Roman Empire Exeter University of Exeter Press 2000 p 53-70

8 J Mulryan laquo Translations and Adaptations of Vincenzo Cartarirsquos Imagini and Natale Contirsquos Mythologiae The Mythographic Tradition in the Renaissance raquo

186

de textes de ce genre nrsquoest pas proportionnel agrave la fiabiliteacute du traitement des sources antiques

Pour illustrer le problegraveme des faux renseignements antiques dans les Mythologiae libri prenons le cas drsquoEudoxe de Cnide En effet Conti cite cet auteur agrave deux reprises pour donner des renseigne-ments sans parallegravele dans les sources antiques

Eudoxus Cnidius in libro secundo de ambitu terrae Ligyam Actoris Carystii filiam matrem Aeoli fuisse maluit 9

Eudoxe de Cnide dans le deuxiegraveme livre du Circuit de la Terre preacutefeacutera dire que la megravere drsquoEacuteole eacutetait Ligye fille drsquoActor de Carystos

Ce fragment souvent citeacute se retrouve encore au xixe siegravecle dans un ouvrage mythographique de reacutefeacuterence composeacute par le pasteur Eduard Jacobi10 Il fut eacutegalement inclus par Franccedilois Lasserre dans son eacutedition des fragments drsquoEudoxe de Cnide11 Gracircce aux progregraves de la philologie lrsquoattribution agrave Eudoxe paraicirct toutefois drsquoembleacutee suspecte car on sait depuis les travaux de Friedrich Gisinger que le deuxiegraveme livre du Circuit de la Terre eacutetait tout entier consacreacute agrave lrsquoEacutegypte12 reacutegion du monde avec laquelle aucun des trois person-nages citeacutes nrsquoa de rapport (agrave moins drsquoimaginer Eudoxe incluant dans ce livre un deacuteveloppement sur lrsquoeacutenigmatique laquo icircle drsquoEacuteole raquo eacutevoqueacutee au dixiegraveme livre de lrsquoOdysseacutee mais Carystos dont il est question dans le passage se trouve sur lrsquoicircle drsquoEubeacutee et non pas en Eacutegypte) Drsquoautre part la filiation drsquoEacuteole ne faisait guegravere deacutebat dans lrsquoAntiquiteacute il eacutetait geacuteneacuteralement consideacutereacute comme le fils drsquoHelleacutenos et de la nymphe Orseacuteis Enfin ni Ligye ni Actor de Carystos ne sont des personnages connus par ailleurs la forme Λιγύη nrsquoest guegravere expli-cable tandis que parmi la dizaine de personnages mythologiques deacutenommeacutes Actor aucun ne semble provenir de Carystos Conti paraicirct donc jouer sur la confusion possible par iotacisme entre cette nymphe et la siregravene Ligeia (shyΛιγεία) et sur lrsquoabondance des Actor et de leur progeacuteniture dans la mythologie grecque En somme

Canadian Review of Comparative Literature 8 1981 p 272-283 ici p 273 9 Conti 1581 Livre VIII chap 10 p 250 Nous traduisons de mecircme pour

toutes les citations suivantes10 E Jacobi Handwoumlrterbuch der griechischen und roumlmischen Mythologie Coburg-

Leipzig Sinner 1835 sv Aeolus p 4111 Voir supra n 412 F Gisinger Die Erdbeschreibung des Eudoxos von Knidos Leipzig Teubner

1921 p 35

187

un faisceau drsquoindices jette le doute sur lrsquoauthenticiteacute de cette premiegravere citation

Crsquoest eacutegalement le cas de la seconde reacutefeacuterence agrave Eudoxe dans les Mythologiae libri

Natale Conti Mythologies Livre VIII c 23 p 930 (ed aucta Francfort 1581) Memoriae proditum fuit etiam Carneum fuisse Iovis et huius Europae filium quem ab Apolline et Latona fuisse educatum memorarunt Huic fratrem Leotychidem nonnulli adiunxerunt sororesque Hydarnim Limeram et Alageniam qui omnes postea nomina civitatibus dederunt ut scripsit Eudoxus in ambitu terrae

Il a eacuteteacute transmis en outre que Carneacuteos fut le fils de Jupiter et de cette Europe lui dont on rapporta qursquoil fut eacuteleveacute par Apollon et Latone Certains lui ajoutegraverent Leotychidas comme fregravere et Hydarnis Limeacutera et Alagenia comme sœurs Et ils donnegraverent tous leur nom agrave des citeacutes comme lrsquoeacutecrivit Eudoxe dans le Circuit de la Terre

Ce fragment avait eacutechappeacute agrave Franccedilois Lasserre sans doute parce qursquoil nrsquoest preacutesent que dans la seconde eacutedition augmenteacutee des Mythologiae libri (1581) qui contient de nombreux ajouts et dont le savant suisse ignorait apparemment lrsquoexistence Le trait le plus saillant de la mythologie de Carneacuteos est son lien avec des fecirctes en lrsquohonneur drsquoApollon agrave Sparte les Carneacuteia Les indications sur la geacuteneacutealogie de Carneacuteos fournies par Conti eacutetaient geacuteneacuteralement admises dans lrsquoAntiquiteacute et celles sur ses rapports avec Apollon et Latone sont attesteacutees par Pausanias13 En revanche la suite de la notice regorge de difficulteacutes Leacuteotychidegraves est le nom de plusieurs rois de Sparte et il est difficile drsquoexpliquer qursquoaucune source antique nrsquoait documenteacute le lien geacuteneacutealogique alleacutegueacute entre Carneacuteos et ces rois Hydarnis est une variante (par iotacisme) de la forme bien attesteacutee Hydarnegraves helleacutenisation de lrsquoanthroponyme perse Vidarna dont le rapport avec la mythologie spartiate est douteux Limeacutera est un adjectif qui signifie laquo doteacutee drsquoun bon port raquo et qualifie notam-ment de maniegravere formulaire la citeacute laconienne drsquoEacutepidaure son emploi comme nom drsquoun hypotheacutetique personnage mythologique frise le non-sens Enfin si Alagenia semble ecirctre une variante drsquoAlagonia nom drsquoune citeacute laconienne bien attesteacutee aucun de ces quatre noms

13 Pausanias Description de la Gregravece III 13 5

188

propres nrsquoest attesteacute comme nom drsquoun personnage mythologique (agrave moins de consideacuterer Leacuteotychidegraves comme tel) Ainsi un faisceau drsquoindices jette eacutegalement le discreacutedit sur la deuxiegraveme moitieacute du pas-sage et notamment sur la reacutefeacuterence agrave Eudoxe

Dans le contexte drsquoune œuvre contenant de nombreuses citations inventeacutees14 lrsquoeacutediteur de fragments drsquoauteurs antiques et plus geacuteneacute-ralement lrsquohistorien sont tenus agrave la plus grande prudence face agrave des passages comme ceux eacutetudieacutes ci-dessus Ainsi il sera sage pour lrsquoeacutedi-teur de les inclure dans la cateacutegorie des spuria (fragments inauthen-tiques) tandis que lrsquohistorien de lrsquoAntiquiteacute se gardera de les utiliser comme sources Pour drsquoautres lecteurs toutefois la preacutesence de tels passages nrsquoocirctera rien agrave lrsquointeacuterecirct des Mythologiae libri voire accroicirctra son charme dans la mesure ougrave lrsquoinvention de citations pseudo-antiques participe indeacuteniablement de lrsquoart de Natale Conti

Crsquoest pourquoi le lecteur trouvera dans les notes agrave la traduction franccedilaise du livre I le signalement des passages ougrave Natale Conti a semblablement fabriqueacute de fausses sources antiques Dans le seul livre I on compte au moins seize citations qui semblent contenir des eacuteleacutements deacutelibeacutereacutement faux et notamment des attributions fal-lacieuses agrave des auteurs antiques connus seulement par un petit nombre de citations Dans la suite du preacutesent article nous appor-terons un eacuteclairage nouveau sur lrsquoambivalence de la reacuteception eacuteru-dite des Mythologiae libri Cette reacuteception contraste avec le choix positif de traduire lrsquoouvrage en franccedilais et plus geacuteneacuteralement avec le succegraves litteacuteraire et scolaire de lrsquoouvrage illustrant par lagrave mecircme la diversiteacute des milieux qui srsquoy sont inteacuteresseacutes

La reacuteputation sulfureuse de Natale Conti

Degraves avant la publication des Mythologiae libri Natale Conti qui avait certes acquis un certain renom pour sa traduction des Deipnosophistes drsquoAtheacuteneacutee (une entreprise dont il soulignait avec suffisance les difficulteacutes dans sa preacuteface15) fit lrsquoobjet de critiques de la part de Marc-Antoine Muret pour sa traduction du De elocutione du pseudo- Deacutemeacutetrios de Phalegravere parue en 1557 agrave Venise chez

14 Voir supra n 215 La preacuteface agrave la traduction des Deipnosophistes est reproduite par R Bancroft-Marcus

laquo A Dainty Dishhellip raquo art cit p 69-70

189

Santo Guerrino On lit en effet en appendice agrave la traduction lrsquoexplication suivante de Conti16

Cum nonnulla paulo negligentius ut ingenue fatear et quasi sopi-tus interpretarer me amicissime et admonuit et excitavit et incre-pavit prope vir peritissimus Marcus Antonius Muretus quare haec iam partim impressa recognovi errataque partim ob impressorum negligentiam partim etiam ob meam ita correxi

Apregraves que pour ecirctre honnecircte jrsquoeus traduit certains passages un peu neacutegligemment et comme dans mon sommeil le tregraves savant Marc-Antoine Muret tregraves amicalement mrsquoavertit mrsquoin-cita et me blacircma presque Crsquoest pourquoi je les relus alors qursquoils eacutetaient deacutejagrave partiellement imprimeacutes et corrigeai comme suit les erreurs dues pour partie agrave la neacutegligence des imprimeurs et pour partie agrave la mienne

Agrave la suite se trouvent quelques cent trente-cinq errata trouveacutes dans le deacutebut du traiteacute de Conti (pages 1 agrave 56) soit plus de deux erreurs par page au format in-12deg Lrsquoexplication cavaliegravere de Conti travestit fort mal une impatience dont le labeur philologique ne srsquoaccom-mode guegravere Cette premiegravere alerte ne devait pourtant pas suffire agrave le deacutetourner drsquoautres projets de traduction ni de lrsquoentreprise plus peacuterilleuse encore drsquoune vaste compilation mythographique censeacutee assurer sa gloire

Si la premiegravere eacutedition des Mythologiae libri (1567) fut publieacutee chez Comin da Trino un des imprimeurs les plus prolifiques de Venise la seconde en revanche fut imprimeacutee concomitamment par le mecircme eacutediteur agrave Venise et par Andreas Wechel agrave Francfort-sur-le-Main17 Wechel imprimeur connu pour la qualiteacute de ses eacuteditions critiques de textes latins et grecs confeacuterait drsquoautant plus drsquoautoriteacute au traiteacute de Conti qursquoil avait fait relire lrsquoeacutedition de Francfort par deux eacuterudits

16 R Ricciardi sv laquo Contihellip raquo art cit comprend agrave tort que Conti aurait publieacute cette traduction agrave lrsquoinstigation de Muret

17 Au sujet de la seconde eacutedition il serait inteacuteressant de systeacutematiser lrsquoobserva-tion faite par R Scott Smith agrave savoir qursquoon ne relegraveve qursquoun faux passage de Callimaque dans la premiegravere eacutedition auxquels srsquoen ajoutent quatre autres dans la seconde (voir son compte-rendu de J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit dans la Bryn Mawr Classical Review 20090469 consul-table en ligne lthttpbmcrbrynmawredu20092009-04-69htmlgt) Si cette tendance est confirmeacutee par une eacutetude systeacutematique elle pourrait srsquoexpliquer par la vaniteacute de Conti qui lrsquoaurait pousseacute agrave une fraude plus massive encore dans la seconde eacutedition que dans la premiegravere pour srsquoassurer un nouveau triomphe

190

de premier ordre Friedrich Sylburg et Johannes Opsopoeus18 Il srsquoengageait personnellement en ce sens dans une lettre au lecteur imprimeacutee agrave la fin du volume19

Andreas Wechelus candido lectori sCum ad iuvanda Germaniae commoda Mythologicos hosce libros in lucem edere statuissem multisque mendis esse foedatos cognovissem sedulo curandum mihi censui ut forma quidem minore at diligentia maiore prodirent Itaque a Friderico Sylburgio petii ut pro suo erga bonas literas studio Graecis quae hic citantur emendandis incumberet amp Ioannem Obsopoeum correctorem meum laborum multitudine pene fathiscentem aliqua saltem oneris parte sublevaret Non defuit ille petitioni meae sed tam accurate percurrit omnia ut aliquot erratorum centurias inde sustulerit ipsis etiam fontibus ubi vel fieri poterat vel opus erat inspectis ac restituit non modo literas amp syllabas si quae vel omissae essent vel commutatae verum etiam voces immo integros interdum versus Quae ne fingi a me putes ipse verissima esse comperies si hanc editionem cum Veneta conferes Ut exempla subiungam aliqua mendose illic invenies ὡς pro ὧν ἂν pro αὖ ἀπὸ pro ὑπὸ λέχος pro λέκος μάχαιρα pro μάκαιρα κριτῶν pro κριθῶν literis pariter amp significationibus confusis Invenies ibidem Θρήϊκος pro Θρήκιος φύλλα pro φῦλα θνητὰ pro θηητὰ ἐλάχιστε pro ἐλέγχιστε προσάγειν pro προστάττειν κύκλον pro καλόν denique etiam αὐτὸν pro οὐ τὸν amp similia quae hic singula recensere infinitum est amp minime necessarium Quinetiam scripturae varietates quas reperit annotavit idem Sylburgius ac coniecturas insuper de locis depravatis vel suspectis saltem adjecit Nec vero minori cura Obsopoeus suum tractavit pensum A vitiis enim typographicis Latina sedulo repurgavit praesertim suspecta loca e suis quaelibet autoribus emendavit Indice etiam in meliorem ordinem redacto tum operam adhibuit ut pari

18 Friedrich Sylburg (1536-1596) fut lrsquoauteur de nombreuses eacuteditions de textes grecs anciens qui firent longtemps reacutefeacuterence (entre autres Pausanias Heacuterodote Aristote Denys drsquoHalicarnasse Apollonios Dyscole) Il renonccedila agrave lrsquoenseigne-ment en 1583 pour pouvoir se consacrer inteacutegralement agrave cette activiteacute avec le soutien des heacuteritiers Wechel Agrave partir de 1591 il dirigea eacutegalement la Biblio-thegraveque palatine de Heidelberg dont il reacutedigea un catalogue Johannes Opsopoeus (1556-1598 nom de baptecircme Johannes Koch) meacutedecin et philologue fut chasseacute en 1576 de sa chaire agrave lrsquoUniversiteacute de Heidelberg en tant que calviniste et gagna sa vie pendant les anneacutees suivantes comme correcteur de Wechel Il procura notamment une eacutedition des Oracles sibyllins qui fit longtemps reacutefeacute-rence ainsi qursquoune seacutelection de traiteacutes hippocratiques

19 Cette lettre est imprimeacutee sans pagination agrave la suite des index de la Mythologie dans lrsquoeacuted Francfort 1581

191

fide amp diligentia omnia excuderetur Sed ne nimius sim in commendatione opus ipsum quid in hac editione praestitum sit abunde testabitur In tui ergo gratiam lector hunc laborem susceptum esse tibi persuadebis ac proinde aequo animo omnia accipies amp candide interpretaberis Vale

Andreas Wechel au bienveillant lecteur salutApregraves avoir deacutecideacute de publier ces livres de Mythologie pour accroicirctre les avantages de la Germanie et mrsquoecirctre aperccedilu qursquoils eacutetaient enlaidis de nombreuses erreurs je jugeai qursquoil fallait mettre le plus grand soin agrave ce qursquoils paraissent sous une forme certes plus petite mais avec un zegravele plus grand Crsquoest pourquoi je demandai agrave Friedrich Sylburg au nom de sa passion pour les belles-lettres de se pencher sur la correction des textes grecs qui y sont citeacutes et de soulager mon correcteur Iohannes Opsopoeus qui croulait quasiment sous la masse de travail drsquoune partie au moins de son fardeau Il ne se deacuteroba pas agrave ma demande et parcourut lrsquoensemble avec tant de soin qursquoil en supprima quelques centaines drsquoerreurs apregraves avoir consulteacute les sources mecircmes lagrave ougrave crsquoeacutetait possible ou neacutecessaire et restaura non seulement des lettres et des syllabes quand celles-ci avaient eacuteteacute omises ou inter-verties mais eacutegalement des mots voire parfois des vers entiers Cela pour eacuteviter que tu croies que je lrsquoinvente tu apprendras que crsquoest tregraves vrai si tu compares cette eacutedition avec celle de Venise [de 1567] Pour donner quelques exemples tu y trouveras les fautes ὡς pour ὧν ἂν pour αὖ ἀπὸ pour ὑπὸ λέχος pour λέκος μάχαιρα pour μάκαιρα κριτῶν pour κριθῶν ougrave sont en mecircme temps confondues les lettres et les significations Tu trouveras au mecircme endroit Θρήϊκος pour Θρήκιος φύλλα pour φῦλα θνητὰ pour θηητὰ ἐλάχιστε pour ἐλέγχιστε προσάγειν pour προστάττειν κύκλον pour καλόνshyenfinshyαὐτὸνshypourshyοὐ τὸνshyet des choses semblables qursquoil serait interminable drsquoeacutenumeacuterer ici et guegravere neacutecessaire En outre le mecircme Sylburg nota les variantes manuscrites qursquoil trouva et ajouta des conjectures sur les pas-sages corrompus ou du moins suspects Mais Opsopoeus nrsquoac-complit pas son travail avec moins de soin En effet il eacutelimina avec application les erreurs typographiques du texte latin et surtout il corrigea tous les passages suspects agrave partir des auteurs respectifs tout en ameacuteliorant le classement de lrsquoIndex puis il srsquoefforccedila que tout soit imprimeacute avec une fideacuteliteacute et un zegravele constants Mais pour eacuteviter que je sois excessif dans lrsquoeacuteloge crsquoest agrave lrsquoouvrage lui-mecircme qui est procureacute dans cette eacutedition drsquoen teacutemoigner abondamment Tu te convaincras cher lecteur que

192

ce travail a eacuteteacute entrepris pour te rendre service et ainsi tu com-prendras tout avec eacutequanimiteacute et lrsquointerpregraveteras avec bienveil-lance Adieu

La collation drsquoun bref chapitre (Livre I chap 9) permet de mesu-rer lrsquoeacutetendue du labeur accompli par Opsopoeus et Sylburg

Eacutedition de Venise 1567 Eacutedition de Francfort 1581odysseae Odysseae

ἀνδρῶντεshyθεῶντε ἀνδρῶνshyτεshyθεῶνshyτεΩshyβᾶσιλεῦ ὦshyβασιλεῦὀρέωνθ᾽ ὀρέωνshyθ᾽ὄχθοι ὄχθοιnata natashy

οὔρεσίshyφασι οὔρεσιshyφασὶAethii Aetiitertio quintosydus sidusΑῖ Αἱ

ἀλλήλωνshyαἰεὶ ἀλλήλωνshyαἰεὶshyδὲτετραμμέναι τετραμμέναικρήτηθεν κρήτηθενἐνκατέθεντο ἐγκατέθεντοannum annumσεῖω σεῖς

Ἐριννὺες Ἐριννύεςἆρ᾽ ἂρἔστιν ἐστὶν

Ce sondage suffit agrave confirmer que lrsquoeacutedition de Francfort 1581 contient de nombreuses corrections par rapport agrave celle de Venise 1567 comme annonceacute dans la lettre drsquoAndreas Wechel Les corrections se limitent parfois agrave la ponctuation dans quels cas elles peuvent ecirctre importantes malgreacute tout (certaines variantes de ponctuation

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 6: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

186

de textes de ce genre nrsquoest pas proportionnel agrave la fiabiliteacute du traitement des sources antiques

Pour illustrer le problegraveme des faux renseignements antiques dans les Mythologiae libri prenons le cas drsquoEudoxe de Cnide En effet Conti cite cet auteur agrave deux reprises pour donner des renseigne-ments sans parallegravele dans les sources antiques

Eudoxus Cnidius in libro secundo de ambitu terrae Ligyam Actoris Carystii filiam matrem Aeoli fuisse maluit 9

Eudoxe de Cnide dans le deuxiegraveme livre du Circuit de la Terre preacutefeacutera dire que la megravere drsquoEacuteole eacutetait Ligye fille drsquoActor de Carystos

Ce fragment souvent citeacute se retrouve encore au xixe siegravecle dans un ouvrage mythographique de reacutefeacuterence composeacute par le pasteur Eduard Jacobi10 Il fut eacutegalement inclus par Franccedilois Lasserre dans son eacutedition des fragments drsquoEudoxe de Cnide11 Gracircce aux progregraves de la philologie lrsquoattribution agrave Eudoxe paraicirct toutefois drsquoembleacutee suspecte car on sait depuis les travaux de Friedrich Gisinger que le deuxiegraveme livre du Circuit de la Terre eacutetait tout entier consacreacute agrave lrsquoEacutegypte12 reacutegion du monde avec laquelle aucun des trois person-nages citeacutes nrsquoa de rapport (agrave moins drsquoimaginer Eudoxe incluant dans ce livre un deacuteveloppement sur lrsquoeacutenigmatique laquo icircle drsquoEacuteole raquo eacutevoqueacutee au dixiegraveme livre de lrsquoOdysseacutee mais Carystos dont il est question dans le passage se trouve sur lrsquoicircle drsquoEubeacutee et non pas en Eacutegypte) Drsquoautre part la filiation drsquoEacuteole ne faisait guegravere deacutebat dans lrsquoAntiquiteacute il eacutetait geacuteneacuteralement consideacutereacute comme le fils drsquoHelleacutenos et de la nymphe Orseacuteis Enfin ni Ligye ni Actor de Carystos ne sont des personnages connus par ailleurs la forme Λιγύη nrsquoest guegravere expli-cable tandis que parmi la dizaine de personnages mythologiques deacutenommeacutes Actor aucun ne semble provenir de Carystos Conti paraicirct donc jouer sur la confusion possible par iotacisme entre cette nymphe et la siregravene Ligeia (shyΛιγεία) et sur lrsquoabondance des Actor et de leur progeacuteniture dans la mythologie grecque En somme

Canadian Review of Comparative Literature 8 1981 p 272-283 ici p 273 9 Conti 1581 Livre VIII chap 10 p 250 Nous traduisons de mecircme pour

toutes les citations suivantes10 E Jacobi Handwoumlrterbuch der griechischen und roumlmischen Mythologie Coburg-

Leipzig Sinner 1835 sv Aeolus p 4111 Voir supra n 412 F Gisinger Die Erdbeschreibung des Eudoxos von Knidos Leipzig Teubner

1921 p 35

187

un faisceau drsquoindices jette le doute sur lrsquoauthenticiteacute de cette premiegravere citation

Crsquoest eacutegalement le cas de la seconde reacutefeacuterence agrave Eudoxe dans les Mythologiae libri

Natale Conti Mythologies Livre VIII c 23 p 930 (ed aucta Francfort 1581) Memoriae proditum fuit etiam Carneum fuisse Iovis et huius Europae filium quem ab Apolline et Latona fuisse educatum memorarunt Huic fratrem Leotychidem nonnulli adiunxerunt sororesque Hydarnim Limeram et Alageniam qui omnes postea nomina civitatibus dederunt ut scripsit Eudoxus in ambitu terrae

Il a eacuteteacute transmis en outre que Carneacuteos fut le fils de Jupiter et de cette Europe lui dont on rapporta qursquoil fut eacuteleveacute par Apollon et Latone Certains lui ajoutegraverent Leotychidas comme fregravere et Hydarnis Limeacutera et Alagenia comme sœurs Et ils donnegraverent tous leur nom agrave des citeacutes comme lrsquoeacutecrivit Eudoxe dans le Circuit de la Terre

Ce fragment avait eacutechappeacute agrave Franccedilois Lasserre sans doute parce qursquoil nrsquoest preacutesent que dans la seconde eacutedition augmenteacutee des Mythologiae libri (1581) qui contient de nombreux ajouts et dont le savant suisse ignorait apparemment lrsquoexistence Le trait le plus saillant de la mythologie de Carneacuteos est son lien avec des fecirctes en lrsquohonneur drsquoApollon agrave Sparte les Carneacuteia Les indications sur la geacuteneacutealogie de Carneacuteos fournies par Conti eacutetaient geacuteneacuteralement admises dans lrsquoAntiquiteacute et celles sur ses rapports avec Apollon et Latone sont attesteacutees par Pausanias13 En revanche la suite de la notice regorge de difficulteacutes Leacuteotychidegraves est le nom de plusieurs rois de Sparte et il est difficile drsquoexpliquer qursquoaucune source antique nrsquoait documenteacute le lien geacuteneacutealogique alleacutegueacute entre Carneacuteos et ces rois Hydarnis est une variante (par iotacisme) de la forme bien attesteacutee Hydarnegraves helleacutenisation de lrsquoanthroponyme perse Vidarna dont le rapport avec la mythologie spartiate est douteux Limeacutera est un adjectif qui signifie laquo doteacutee drsquoun bon port raquo et qualifie notam-ment de maniegravere formulaire la citeacute laconienne drsquoEacutepidaure son emploi comme nom drsquoun hypotheacutetique personnage mythologique frise le non-sens Enfin si Alagenia semble ecirctre une variante drsquoAlagonia nom drsquoune citeacute laconienne bien attesteacutee aucun de ces quatre noms

13 Pausanias Description de la Gregravece III 13 5

188

propres nrsquoest attesteacute comme nom drsquoun personnage mythologique (agrave moins de consideacuterer Leacuteotychidegraves comme tel) Ainsi un faisceau drsquoindices jette eacutegalement le discreacutedit sur la deuxiegraveme moitieacute du pas-sage et notamment sur la reacutefeacuterence agrave Eudoxe

Dans le contexte drsquoune œuvre contenant de nombreuses citations inventeacutees14 lrsquoeacutediteur de fragments drsquoauteurs antiques et plus geacuteneacute-ralement lrsquohistorien sont tenus agrave la plus grande prudence face agrave des passages comme ceux eacutetudieacutes ci-dessus Ainsi il sera sage pour lrsquoeacutedi-teur de les inclure dans la cateacutegorie des spuria (fragments inauthen-tiques) tandis que lrsquohistorien de lrsquoAntiquiteacute se gardera de les utiliser comme sources Pour drsquoautres lecteurs toutefois la preacutesence de tels passages nrsquoocirctera rien agrave lrsquointeacuterecirct des Mythologiae libri voire accroicirctra son charme dans la mesure ougrave lrsquoinvention de citations pseudo-antiques participe indeacuteniablement de lrsquoart de Natale Conti

Crsquoest pourquoi le lecteur trouvera dans les notes agrave la traduction franccedilaise du livre I le signalement des passages ougrave Natale Conti a semblablement fabriqueacute de fausses sources antiques Dans le seul livre I on compte au moins seize citations qui semblent contenir des eacuteleacutements deacutelibeacutereacutement faux et notamment des attributions fal-lacieuses agrave des auteurs antiques connus seulement par un petit nombre de citations Dans la suite du preacutesent article nous appor-terons un eacuteclairage nouveau sur lrsquoambivalence de la reacuteception eacuteru-dite des Mythologiae libri Cette reacuteception contraste avec le choix positif de traduire lrsquoouvrage en franccedilais et plus geacuteneacuteralement avec le succegraves litteacuteraire et scolaire de lrsquoouvrage illustrant par lagrave mecircme la diversiteacute des milieux qui srsquoy sont inteacuteresseacutes

La reacuteputation sulfureuse de Natale Conti

Degraves avant la publication des Mythologiae libri Natale Conti qui avait certes acquis un certain renom pour sa traduction des Deipnosophistes drsquoAtheacuteneacutee (une entreprise dont il soulignait avec suffisance les difficulteacutes dans sa preacuteface15) fit lrsquoobjet de critiques de la part de Marc-Antoine Muret pour sa traduction du De elocutione du pseudo- Deacutemeacutetrios de Phalegravere parue en 1557 agrave Venise chez

14 Voir supra n 215 La preacuteface agrave la traduction des Deipnosophistes est reproduite par R Bancroft-Marcus

laquo A Dainty Dishhellip raquo art cit p 69-70

189

Santo Guerrino On lit en effet en appendice agrave la traduction lrsquoexplication suivante de Conti16

Cum nonnulla paulo negligentius ut ingenue fatear et quasi sopi-tus interpretarer me amicissime et admonuit et excitavit et incre-pavit prope vir peritissimus Marcus Antonius Muretus quare haec iam partim impressa recognovi errataque partim ob impressorum negligentiam partim etiam ob meam ita correxi

Apregraves que pour ecirctre honnecircte jrsquoeus traduit certains passages un peu neacutegligemment et comme dans mon sommeil le tregraves savant Marc-Antoine Muret tregraves amicalement mrsquoavertit mrsquoin-cita et me blacircma presque Crsquoest pourquoi je les relus alors qursquoils eacutetaient deacutejagrave partiellement imprimeacutes et corrigeai comme suit les erreurs dues pour partie agrave la neacutegligence des imprimeurs et pour partie agrave la mienne

Agrave la suite se trouvent quelques cent trente-cinq errata trouveacutes dans le deacutebut du traiteacute de Conti (pages 1 agrave 56) soit plus de deux erreurs par page au format in-12deg Lrsquoexplication cavaliegravere de Conti travestit fort mal une impatience dont le labeur philologique ne srsquoaccom-mode guegravere Cette premiegravere alerte ne devait pourtant pas suffire agrave le deacutetourner drsquoautres projets de traduction ni de lrsquoentreprise plus peacuterilleuse encore drsquoune vaste compilation mythographique censeacutee assurer sa gloire

Si la premiegravere eacutedition des Mythologiae libri (1567) fut publieacutee chez Comin da Trino un des imprimeurs les plus prolifiques de Venise la seconde en revanche fut imprimeacutee concomitamment par le mecircme eacutediteur agrave Venise et par Andreas Wechel agrave Francfort-sur-le-Main17 Wechel imprimeur connu pour la qualiteacute de ses eacuteditions critiques de textes latins et grecs confeacuterait drsquoautant plus drsquoautoriteacute au traiteacute de Conti qursquoil avait fait relire lrsquoeacutedition de Francfort par deux eacuterudits

16 R Ricciardi sv laquo Contihellip raquo art cit comprend agrave tort que Conti aurait publieacute cette traduction agrave lrsquoinstigation de Muret

17 Au sujet de la seconde eacutedition il serait inteacuteressant de systeacutematiser lrsquoobserva-tion faite par R Scott Smith agrave savoir qursquoon ne relegraveve qursquoun faux passage de Callimaque dans la premiegravere eacutedition auxquels srsquoen ajoutent quatre autres dans la seconde (voir son compte-rendu de J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit dans la Bryn Mawr Classical Review 20090469 consul-table en ligne lthttpbmcrbrynmawredu20092009-04-69htmlgt) Si cette tendance est confirmeacutee par une eacutetude systeacutematique elle pourrait srsquoexpliquer par la vaniteacute de Conti qui lrsquoaurait pousseacute agrave une fraude plus massive encore dans la seconde eacutedition que dans la premiegravere pour srsquoassurer un nouveau triomphe

190

de premier ordre Friedrich Sylburg et Johannes Opsopoeus18 Il srsquoengageait personnellement en ce sens dans une lettre au lecteur imprimeacutee agrave la fin du volume19

Andreas Wechelus candido lectori sCum ad iuvanda Germaniae commoda Mythologicos hosce libros in lucem edere statuissem multisque mendis esse foedatos cognovissem sedulo curandum mihi censui ut forma quidem minore at diligentia maiore prodirent Itaque a Friderico Sylburgio petii ut pro suo erga bonas literas studio Graecis quae hic citantur emendandis incumberet amp Ioannem Obsopoeum correctorem meum laborum multitudine pene fathiscentem aliqua saltem oneris parte sublevaret Non defuit ille petitioni meae sed tam accurate percurrit omnia ut aliquot erratorum centurias inde sustulerit ipsis etiam fontibus ubi vel fieri poterat vel opus erat inspectis ac restituit non modo literas amp syllabas si quae vel omissae essent vel commutatae verum etiam voces immo integros interdum versus Quae ne fingi a me putes ipse verissima esse comperies si hanc editionem cum Veneta conferes Ut exempla subiungam aliqua mendose illic invenies ὡς pro ὧν ἂν pro αὖ ἀπὸ pro ὑπὸ λέχος pro λέκος μάχαιρα pro μάκαιρα κριτῶν pro κριθῶν literis pariter amp significationibus confusis Invenies ibidem Θρήϊκος pro Θρήκιος φύλλα pro φῦλα θνητὰ pro θηητὰ ἐλάχιστε pro ἐλέγχιστε προσάγειν pro προστάττειν κύκλον pro καλόν denique etiam αὐτὸν pro οὐ τὸν amp similia quae hic singula recensere infinitum est amp minime necessarium Quinetiam scripturae varietates quas reperit annotavit idem Sylburgius ac coniecturas insuper de locis depravatis vel suspectis saltem adjecit Nec vero minori cura Obsopoeus suum tractavit pensum A vitiis enim typographicis Latina sedulo repurgavit praesertim suspecta loca e suis quaelibet autoribus emendavit Indice etiam in meliorem ordinem redacto tum operam adhibuit ut pari

18 Friedrich Sylburg (1536-1596) fut lrsquoauteur de nombreuses eacuteditions de textes grecs anciens qui firent longtemps reacutefeacuterence (entre autres Pausanias Heacuterodote Aristote Denys drsquoHalicarnasse Apollonios Dyscole) Il renonccedila agrave lrsquoenseigne-ment en 1583 pour pouvoir se consacrer inteacutegralement agrave cette activiteacute avec le soutien des heacuteritiers Wechel Agrave partir de 1591 il dirigea eacutegalement la Biblio-thegraveque palatine de Heidelberg dont il reacutedigea un catalogue Johannes Opsopoeus (1556-1598 nom de baptecircme Johannes Koch) meacutedecin et philologue fut chasseacute en 1576 de sa chaire agrave lrsquoUniversiteacute de Heidelberg en tant que calviniste et gagna sa vie pendant les anneacutees suivantes comme correcteur de Wechel Il procura notamment une eacutedition des Oracles sibyllins qui fit longtemps reacutefeacute-rence ainsi qursquoune seacutelection de traiteacutes hippocratiques

19 Cette lettre est imprimeacutee sans pagination agrave la suite des index de la Mythologie dans lrsquoeacuted Francfort 1581

191

fide amp diligentia omnia excuderetur Sed ne nimius sim in commendatione opus ipsum quid in hac editione praestitum sit abunde testabitur In tui ergo gratiam lector hunc laborem susceptum esse tibi persuadebis ac proinde aequo animo omnia accipies amp candide interpretaberis Vale

Andreas Wechel au bienveillant lecteur salutApregraves avoir deacutecideacute de publier ces livres de Mythologie pour accroicirctre les avantages de la Germanie et mrsquoecirctre aperccedilu qursquoils eacutetaient enlaidis de nombreuses erreurs je jugeai qursquoil fallait mettre le plus grand soin agrave ce qursquoils paraissent sous une forme certes plus petite mais avec un zegravele plus grand Crsquoest pourquoi je demandai agrave Friedrich Sylburg au nom de sa passion pour les belles-lettres de se pencher sur la correction des textes grecs qui y sont citeacutes et de soulager mon correcteur Iohannes Opsopoeus qui croulait quasiment sous la masse de travail drsquoune partie au moins de son fardeau Il ne se deacuteroba pas agrave ma demande et parcourut lrsquoensemble avec tant de soin qursquoil en supprima quelques centaines drsquoerreurs apregraves avoir consulteacute les sources mecircmes lagrave ougrave crsquoeacutetait possible ou neacutecessaire et restaura non seulement des lettres et des syllabes quand celles-ci avaient eacuteteacute omises ou inter-verties mais eacutegalement des mots voire parfois des vers entiers Cela pour eacuteviter que tu croies que je lrsquoinvente tu apprendras que crsquoest tregraves vrai si tu compares cette eacutedition avec celle de Venise [de 1567] Pour donner quelques exemples tu y trouveras les fautes ὡς pour ὧν ἂν pour αὖ ἀπὸ pour ὑπὸ λέχος pour λέκος μάχαιρα pour μάκαιρα κριτῶν pour κριθῶν ougrave sont en mecircme temps confondues les lettres et les significations Tu trouveras au mecircme endroit Θρήϊκος pour Θρήκιος φύλλα pour φῦλα θνητὰ pour θηητὰ ἐλάχιστε pour ἐλέγχιστε προσάγειν pour προστάττειν κύκλον pour καλόνshyenfinshyαὐτὸνshypourshyοὐ τὸνshyet des choses semblables qursquoil serait interminable drsquoeacutenumeacuterer ici et guegravere neacutecessaire En outre le mecircme Sylburg nota les variantes manuscrites qursquoil trouva et ajouta des conjectures sur les pas-sages corrompus ou du moins suspects Mais Opsopoeus nrsquoac-complit pas son travail avec moins de soin En effet il eacutelimina avec application les erreurs typographiques du texte latin et surtout il corrigea tous les passages suspects agrave partir des auteurs respectifs tout en ameacuteliorant le classement de lrsquoIndex puis il srsquoefforccedila que tout soit imprimeacute avec une fideacuteliteacute et un zegravele constants Mais pour eacuteviter que je sois excessif dans lrsquoeacuteloge crsquoest agrave lrsquoouvrage lui-mecircme qui est procureacute dans cette eacutedition drsquoen teacutemoigner abondamment Tu te convaincras cher lecteur que

192

ce travail a eacuteteacute entrepris pour te rendre service et ainsi tu com-prendras tout avec eacutequanimiteacute et lrsquointerpregraveteras avec bienveil-lance Adieu

La collation drsquoun bref chapitre (Livre I chap 9) permet de mesu-rer lrsquoeacutetendue du labeur accompli par Opsopoeus et Sylburg

Eacutedition de Venise 1567 Eacutedition de Francfort 1581odysseae Odysseae

ἀνδρῶντεshyθεῶντε ἀνδρῶνshyτεshyθεῶνshyτεΩshyβᾶσιλεῦ ὦshyβασιλεῦὀρέωνθ᾽ ὀρέωνshyθ᾽ὄχθοι ὄχθοιnata natashy

οὔρεσίshyφασι οὔρεσιshyφασὶAethii Aetiitertio quintosydus sidusΑῖ Αἱ

ἀλλήλωνshyαἰεὶ ἀλλήλωνshyαἰεὶshyδὲτετραμμέναι τετραμμέναικρήτηθεν κρήτηθενἐνκατέθεντο ἐγκατέθεντοannum annumσεῖω σεῖς

Ἐριννὺες Ἐριννύεςἆρ᾽ ἂρἔστιν ἐστὶν

Ce sondage suffit agrave confirmer que lrsquoeacutedition de Francfort 1581 contient de nombreuses corrections par rapport agrave celle de Venise 1567 comme annonceacute dans la lettre drsquoAndreas Wechel Les corrections se limitent parfois agrave la ponctuation dans quels cas elles peuvent ecirctre importantes malgreacute tout (certaines variantes de ponctuation

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 7: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

187

un faisceau drsquoindices jette le doute sur lrsquoauthenticiteacute de cette premiegravere citation

Crsquoest eacutegalement le cas de la seconde reacutefeacuterence agrave Eudoxe dans les Mythologiae libri

Natale Conti Mythologies Livre VIII c 23 p 930 (ed aucta Francfort 1581) Memoriae proditum fuit etiam Carneum fuisse Iovis et huius Europae filium quem ab Apolline et Latona fuisse educatum memorarunt Huic fratrem Leotychidem nonnulli adiunxerunt sororesque Hydarnim Limeram et Alageniam qui omnes postea nomina civitatibus dederunt ut scripsit Eudoxus in ambitu terrae

Il a eacuteteacute transmis en outre que Carneacuteos fut le fils de Jupiter et de cette Europe lui dont on rapporta qursquoil fut eacuteleveacute par Apollon et Latone Certains lui ajoutegraverent Leotychidas comme fregravere et Hydarnis Limeacutera et Alagenia comme sœurs Et ils donnegraverent tous leur nom agrave des citeacutes comme lrsquoeacutecrivit Eudoxe dans le Circuit de la Terre

Ce fragment avait eacutechappeacute agrave Franccedilois Lasserre sans doute parce qursquoil nrsquoest preacutesent que dans la seconde eacutedition augmenteacutee des Mythologiae libri (1581) qui contient de nombreux ajouts et dont le savant suisse ignorait apparemment lrsquoexistence Le trait le plus saillant de la mythologie de Carneacuteos est son lien avec des fecirctes en lrsquohonneur drsquoApollon agrave Sparte les Carneacuteia Les indications sur la geacuteneacutealogie de Carneacuteos fournies par Conti eacutetaient geacuteneacuteralement admises dans lrsquoAntiquiteacute et celles sur ses rapports avec Apollon et Latone sont attesteacutees par Pausanias13 En revanche la suite de la notice regorge de difficulteacutes Leacuteotychidegraves est le nom de plusieurs rois de Sparte et il est difficile drsquoexpliquer qursquoaucune source antique nrsquoait documenteacute le lien geacuteneacutealogique alleacutegueacute entre Carneacuteos et ces rois Hydarnis est une variante (par iotacisme) de la forme bien attesteacutee Hydarnegraves helleacutenisation de lrsquoanthroponyme perse Vidarna dont le rapport avec la mythologie spartiate est douteux Limeacutera est un adjectif qui signifie laquo doteacutee drsquoun bon port raquo et qualifie notam-ment de maniegravere formulaire la citeacute laconienne drsquoEacutepidaure son emploi comme nom drsquoun hypotheacutetique personnage mythologique frise le non-sens Enfin si Alagenia semble ecirctre une variante drsquoAlagonia nom drsquoune citeacute laconienne bien attesteacutee aucun de ces quatre noms

13 Pausanias Description de la Gregravece III 13 5

188

propres nrsquoest attesteacute comme nom drsquoun personnage mythologique (agrave moins de consideacuterer Leacuteotychidegraves comme tel) Ainsi un faisceau drsquoindices jette eacutegalement le discreacutedit sur la deuxiegraveme moitieacute du pas-sage et notamment sur la reacutefeacuterence agrave Eudoxe

Dans le contexte drsquoune œuvre contenant de nombreuses citations inventeacutees14 lrsquoeacutediteur de fragments drsquoauteurs antiques et plus geacuteneacute-ralement lrsquohistorien sont tenus agrave la plus grande prudence face agrave des passages comme ceux eacutetudieacutes ci-dessus Ainsi il sera sage pour lrsquoeacutedi-teur de les inclure dans la cateacutegorie des spuria (fragments inauthen-tiques) tandis que lrsquohistorien de lrsquoAntiquiteacute se gardera de les utiliser comme sources Pour drsquoautres lecteurs toutefois la preacutesence de tels passages nrsquoocirctera rien agrave lrsquointeacuterecirct des Mythologiae libri voire accroicirctra son charme dans la mesure ougrave lrsquoinvention de citations pseudo-antiques participe indeacuteniablement de lrsquoart de Natale Conti

Crsquoest pourquoi le lecteur trouvera dans les notes agrave la traduction franccedilaise du livre I le signalement des passages ougrave Natale Conti a semblablement fabriqueacute de fausses sources antiques Dans le seul livre I on compte au moins seize citations qui semblent contenir des eacuteleacutements deacutelibeacutereacutement faux et notamment des attributions fal-lacieuses agrave des auteurs antiques connus seulement par un petit nombre de citations Dans la suite du preacutesent article nous appor-terons un eacuteclairage nouveau sur lrsquoambivalence de la reacuteception eacuteru-dite des Mythologiae libri Cette reacuteception contraste avec le choix positif de traduire lrsquoouvrage en franccedilais et plus geacuteneacuteralement avec le succegraves litteacuteraire et scolaire de lrsquoouvrage illustrant par lagrave mecircme la diversiteacute des milieux qui srsquoy sont inteacuteresseacutes

La reacuteputation sulfureuse de Natale Conti

Degraves avant la publication des Mythologiae libri Natale Conti qui avait certes acquis un certain renom pour sa traduction des Deipnosophistes drsquoAtheacuteneacutee (une entreprise dont il soulignait avec suffisance les difficulteacutes dans sa preacuteface15) fit lrsquoobjet de critiques de la part de Marc-Antoine Muret pour sa traduction du De elocutione du pseudo- Deacutemeacutetrios de Phalegravere parue en 1557 agrave Venise chez

14 Voir supra n 215 La preacuteface agrave la traduction des Deipnosophistes est reproduite par R Bancroft-Marcus

laquo A Dainty Dishhellip raquo art cit p 69-70

189

Santo Guerrino On lit en effet en appendice agrave la traduction lrsquoexplication suivante de Conti16

Cum nonnulla paulo negligentius ut ingenue fatear et quasi sopi-tus interpretarer me amicissime et admonuit et excitavit et incre-pavit prope vir peritissimus Marcus Antonius Muretus quare haec iam partim impressa recognovi errataque partim ob impressorum negligentiam partim etiam ob meam ita correxi

Apregraves que pour ecirctre honnecircte jrsquoeus traduit certains passages un peu neacutegligemment et comme dans mon sommeil le tregraves savant Marc-Antoine Muret tregraves amicalement mrsquoavertit mrsquoin-cita et me blacircma presque Crsquoest pourquoi je les relus alors qursquoils eacutetaient deacutejagrave partiellement imprimeacutes et corrigeai comme suit les erreurs dues pour partie agrave la neacutegligence des imprimeurs et pour partie agrave la mienne

Agrave la suite se trouvent quelques cent trente-cinq errata trouveacutes dans le deacutebut du traiteacute de Conti (pages 1 agrave 56) soit plus de deux erreurs par page au format in-12deg Lrsquoexplication cavaliegravere de Conti travestit fort mal une impatience dont le labeur philologique ne srsquoaccom-mode guegravere Cette premiegravere alerte ne devait pourtant pas suffire agrave le deacutetourner drsquoautres projets de traduction ni de lrsquoentreprise plus peacuterilleuse encore drsquoune vaste compilation mythographique censeacutee assurer sa gloire

Si la premiegravere eacutedition des Mythologiae libri (1567) fut publieacutee chez Comin da Trino un des imprimeurs les plus prolifiques de Venise la seconde en revanche fut imprimeacutee concomitamment par le mecircme eacutediteur agrave Venise et par Andreas Wechel agrave Francfort-sur-le-Main17 Wechel imprimeur connu pour la qualiteacute de ses eacuteditions critiques de textes latins et grecs confeacuterait drsquoautant plus drsquoautoriteacute au traiteacute de Conti qursquoil avait fait relire lrsquoeacutedition de Francfort par deux eacuterudits

16 R Ricciardi sv laquo Contihellip raquo art cit comprend agrave tort que Conti aurait publieacute cette traduction agrave lrsquoinstigation de Muret

17 Au sujet de la seconde eacutedition il serait inteacuteressant de systeacutematiser lrsquoobserva-tion faite par R Scott Smith agrave savoir qursquoon ne relegraveve qursquoun faux passage de Callimaque dans la premiegravere eacutedition auxquels srsquoen ajoutent quatre autres dans la seconde (voir son compte-rendu de J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit dans la Bryn Mawr Classical Review 20090469 consul-table en ligne lthttpbmcrbrynmawredu20092009-04-69htmlgt) Si cette tendance est confirmeacutee par une eacutetude systeacutematique elle pourrait srsquoexpliquer par la vaniteacute de Conti qui lrsquoaurait pousseacute agrave une fraude plus massive encore dans la seconde eacutedition que dans la premiegravere pour srsquoassurer un nouveau triomphe

190

de premier ordre Friedrich Sylburg et Johannes Opsopoeus18 Il srsquoengageait personnellement en ce sens dans une lettre au lecteur imprimeacutee agrave la fin du volume19

Andreas Wechelus candido lectori sCum ad iuvanda Germaniae commoda Mythologicos hosce libros in lucem edere statuissem multisque mendis esse foedatos cognovissem sedulo curandum mihi censui ut forma quidem minore at diligentia maiore prodirent Itaque a Friderico Sylburgio petii ut pro suo erga bonas literas studio Graecis quae hic citantur emendandis incumberet amp Ioannem Obsopoeum correctorem meum laborum multitudine pene fathiscentem aliqua saltem oneris parte sublevaret Non defuit ille petitioni meae sed tam accurate percurrit omnia ut aliquot erratorum centurias inde sustulerit ipsis etiam fontibus ubi vel fieri poterat vel opus erat inspectis ac restituit non modo literas amp syllabas si quae vel omissae essent vel commutatae verum etiam voces immo integros interdum versus Quae ne fingi a me putes ipse verissima esse comperies si hanc editionem cum Veneta conferes Ut exempla subiungam aliqua mendose illic invenies ὡς pro ὧν ἂν pro αὖ ἀπὸ pro ὑπὸ λέχος pro λέκος μάχαιρα pro μάκαιρα κριτῶν pro κριθῶν literis pariter amp significationibus confusis Invenies ibidem Θρήϊκος pro Θρήκιος φύλλα pro φῦλα θνητὰ pro θηητὰ ἐλάχιστε pro ἐλέγχιστε προσάγειν pro προστάττειν κύκλον pro καλόν denique etiam αὐτὸν pro οὐ τὸν amp similia quae hic singula recensere infinitum est amp minime necessarium Quinetiam scripturae varietates quas reperit annotavit idem Sylburgius ac coniecturas insuper de locis depravatis vel suspectis saltem adjecit Nec vero minori cura Obsopoeus suum tractavit pensum A vitiis enim typographicis Latina sedulo repurgavit praesertim suspecta loca e suis quaelibet autoribus emendavit Indice etiam in meliorem ordinem redacto tum operam adhibuit ut pari

18 Friedrich Sylburg (1536-1596) fut lrsquoauteur de nombreuses eacuteditions de textes grecs anciens qui firent longtemps reacutefeacuterence (entre autres Pausanias Heacuterodote Aristote Denys drsquoHalicarnasse Apollonios Dyscole) Il renonccedila agrave lrsquoenseigne-ment en 1583 pour pouvoir se consacrer inteacutegralement agrave cette activiteacute avec le soutien des heacuteritiers Wechel Agrave partir de 1591 il dirigea eacutegalement la Biblio-thegraveque palatine de Heidelberg dont il reacutedigea un catalogue Johannes Opsopoeus (1556-1598 nom de baptecircme Johannes Koch) meacutedecin et philologue fut chasseacute en 1576 de sa chaire agrave lrsquoUniversiteacute de Heidelberg en tant que calviniste et gagna sa vie pendant les anneacutees suivantes comme correcteur de Wechel Il procura notamment une eacutedition des Oracles sibyllins qui fit longtemps reacutefeacute-rence ainsi qursquoune seacutelection de traiteacutes hippocratiques

19 Cette lettre est imprimeacutee sans pagination agrave la suite des index de la Mythologie dans lrsquoeacuted Francfort 1581

191

fide amp diligentia omnia excuderetur Sed ne nimius sim in commendatione opus ipsum quid in hac editione praestitum sit abunde testabitur In tui ergo gratiam lector hunc laborem susceptum esse tibi persuadebis ac proinde aequo animo omnia accipies amp candide interpretaberis Vale

Andreas Wechel au bienveillant lecteur salutApregraves avoir deacutecideacute de publier ces livres de Mythologie pour accroicirctre les avantages de la Germanie et mrsquoecirctre aperccedilu qursquoils eacutetaient enlaidis de nombreuses erreurs je jugeai qursquoil fallait mettre le plus grand soin agrave ce qursquoils paraissent sous une forme certes plus petite mais avec un zegravele plus grand Crsquoest pourquoi je demandai agrave Friedrich Sylburg au nom de sa passion pour les belles-lettres de se pencher sur la correction des textes grecs qui y sont citeacutes et de soulager mon correcteur Iohannes Opsopoeus qui croulait quasiment sous la masse de travail drsquoune partie au moins de son fardeau Il ne se deacuteroba pas agrave ma demande et parcourut lrsquoensemble avec tant de soin qursquoil en supprima quelques centaines drsquoerreurs apregraves avoir consulteacute les sources mecircmes lagrave ougrave crsquoeacutetait possible ou neacutecessaire et restaura non seulement des lettres et des syllabes quand celles-ci avaient eacuteteacute omises ou inter-verties mais eacutegalement des mots voire parfois des vers entiers Cela pour eacuteviter que tu croies que je lrsquoinvente tu apprendras que crsquoest tregraves vrai si tu compares cette eacutedition avec celle de Venise [de 1567] Pour donner quelques exemples tu y trouveras les fautes ὡς pour ὧν ἂν pour αὖ ἀπὸ pour ὑπὸ λέχος pour λέκος μάχαιρα pour μάκαιρα κριτῶν pour κριθῶν ougrave sont en mecircme temps confondues les lettres et les significations Tu trouveras au mecircme endroit Θρήϊκος pour Θρήκιος φύλλα pour φῦλα θνητὰ pour θηητὰ ἐλάχιστε pour ἐλέγχιστε προσάγειν pour προστάττειν κύκλον pour καλόνshyenfinshyαὐτὸνshypourshyοὐ τὸνshyet des choses semblables qursquoil serait interminable drsquoeacutenumeacuterer ici et guegravere neacutecessaire En outre le mecircme Sylburg nota les variantes manuscrites qursquoil trouva et ajouta des conjectures sur les pas-sages corrompus ou du moins suspects Mais Opsopoeus nrsquoac-complit pas son travail avec moins de soin En effet il eacutelimina avec application les erreurs typographiques du texte latin et surtout il corrigea tous les passages suspects agrave partir des auteurs respectifs tout en ameacuteliorant le classement de lrsquoIndex puis il srsquoefforccedila que tout soit imprimeacute avec une fideacuteliteacute et un zegravele constants Mais pour eacuteviter que je sois excessif dans lrsquoeacuteloge crsquoest agrave lrsquoouvrage lui-mecircme qui est procureacute dans cette eacutedition drsquoen teacutemoigner abondamment Tu te convaincras cher lecteur que

192

ce travail a eacuteteacute entrepris pour te rendre service et ainsi tu com-prendras tout avec eacutequanimiteacute et lrsquointerpregraveteras avec bienveil-lance Adieu

La collation drsquoun bref chapitre (Livre I chap 9) permet de mesu-rer lrsquoeacutetendue du labeur accompli par Opsopoeus et Sylburg

Eacutedition de Venise 1567 Eacutedition de Francfort 1581odysseae Odysseae

ἀνδρῶντεshyθεῶντε ἀνδρῶνshyτεshyθεῶνshyτεΩshyβᾶσιλεῦ ὦshyβασιλεῦὀρέωνθ᾽ ὀρέωνshyθ᾽ὄχθοι ὄχθοιnata natashy

οὔρεσίshyφασι οὔρεσιshyφασὶAethii Aetiitertio quintosydus sidusΑῖ Αἱ

ἀλλήλωνshyαἰεὶ ἀλλήλωνshyαἰεὶshyδὲτετραμμέναι τετραμμέναικρήτηθεν κρήτηθενἐνκατέθεντο ἐγκατέθεντοannum annumσεῖω σεῖς

Ἐριννὺες Ἐριννύεςἆρ᾽ ἂρἔστιν ἐστὶν

Ce sondage suffit agrave confirmer que lrsquoeacutedition de Francfort 1581 contient de nombreuses corrections par rapport agrave celle de Venise 1567 comme annonceacute dans la lettre drsquoAndreas Wechel Les corrections se limitent parfois agrave la ponctuation dans quels cas elles peuvent ecirctre importantes malgreacute tout (certaines variantes de ponctuation

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 8: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

188

propres nrsquoest attesteacute comme nom drsquoun personnage mythologique (agrave moins de consideacuterer Leacuteotychidegraves comme tel) Ainsi un faisceau drsquoindices jette eacutegalement le discreacutedit sur la deuxiegraveme moitieacute du pas-sage et notamment sur la reacutefeacuterence agrave Eudoxe

Dans le contexte drsquoune œuvre contenant de nombreuses citations inventeacutees14 lrsquoeacutediteur de fragments drsquoauteurs antiques et plus geacuteneacute-ralement lrsquohistorien sont tenus agrave la plus grande prudence face agrave des passages comme ceux eacutetudieacutes ci-dessus Ainsi il sera sage pour lrsquoeacutedi-teur de les inclure dans la cateacutegorie des spuria (fragments inauthen-tiques) tandis que lrsquohistorien de lrsquoAntiquiteacute se gardera de les utiliser comme sources Pour drsquoautres lecteurs toutefois la preacutesence de tels passages nrsquoocirctera rien agrave lrsquointeacuterecirct des Mythologiae libri voire accroicirctra son charme dans la mesure ougrave lrsquoinvention de citations pseudo-antiques participe indeacuteniablement de lrsquoart de Natale Conti

Crsquoest pourquoi le lecteur trouvera dans les notes agrave la traduction franccedilaise du livre I le signalement des passages ougrave Natale Conti a semblablement fabriqueacute de fausses sources antiques Dans le seul livre I on compte au moins seize citations qui semblent contenir des eacuteleacutements deacutelibeacutereacutement faux et notamment des attributions fal-lacieuses agrave des auteurs antiques connus seulement par un petit nombre de citations Dans la suite du preacutesent article nous appor-terons un eacuteclairage nouveau sur lrsquoambivalence de la reacuteception eacuteru-dite des Mythologiae libri Cette reacuteception contraste avec le choix positif de traduire lrsquoouvrage en franccedilais et plus geacuteneacuteralement avec le succegraves litteacuteraire et scolaire de lrsquoouvrage illustrant par lagrave mecircme la diversiteacute des milieux qui srsquoy sont inteacuteresseacutes

La reacuteputation sulfureuse de Natale Conti

Degraves avant la publication des Mythologiae libri Natale Conti qui avait certes acquis un certain renom pour sa traduction des Deipnosophistes drsquoAtheacuteneacutee (une entreprise dont il soulignait avec suffisance les difficulteacutes dans sa preacuteface15) fit lrsquoobjet de critiques de la part de Marc-Antoine Muret pour sa traduction du De elocutione du pseudo- Deacutemeacutetrios de Phalegravere parue en 1557 agrave Venise chez

14 Voir supra n 215 La preacuteface agrave la traduction des Deipnosophistes est reproduite par R Bancroft-Marcus

laquo A Dainty Dishhellip raquo art cit p 69-70

189

Santo Guerrino On lit en effet en appendice agrave la traduction lrsquoexplication suivante de Conti16

Cum nonnulla paulo negligentius ut ingenue fatear et quasi sopi-tus interpretarer me amicissime et admonuit et excitavit et incre-pavit prope vir peritissimus Marcus Antonius Muretus quare haec iam partim impressa recognovi errataque partim ob impressorum negligentiam partim etiam ob meam ita correxi

Apregraves que pour ecirctre honnecircte jrsquoeus traduit certains passages un peu neacutegligemment et comme dans mon sommeil le tregraves savant Marc-Antoine Muret tregraves amicalement mrsquoavertit mrsquoin-cita et me blacircma presque Crsquoest pourquoi je les relus alors qursquoils eacutetaient deacutejagrave partiellement imprimeacutes et corrigeai comme suit les erreurs dues pour partie agrave la neacutegligence des imprimeurs et pour partie agrave la mienne

Agrave la suite se trouvent quelques cent trente-cinq errata trouveacutes dans le deacutebut du traiteacute de Conti (pages 1 agrave 56) soit plus de deux erreurs par page au format in-12deg Lrsquoexplication cavaliegravere de Conti travestit fort mal une impatience dont le labeur philologique ne srsquoaccom-mode guegravere Cette premiegravere alerte ne devait pourtant pas suffire agrave le deacutetourner drsquoautres projets de traduction ni de lrsquoentreprise plus peacuterilleuse encore drsquoune vaste compilation mythographique censeacutee assurer sa gloire

Si la premiegravere eacutedition des Mythologiae libri (1567) fut publieacutee chez Comin da Trino un des imprimeurs les plus prolifiques de Venise la seconde en revanche fut imprimeacutee concomitamment par le mecircme eacutediteur agrave Venise et par Andreas Wechel agrave Francfort-sur-le-Main17 Wechel imprimeur connu pour la qualiteacute de ses eacuteditions critiques de textes latins et grecs confeacuterait drsquoautant plus drsquoautoriteacute au traiteacute de Conti qursquoil avait fait relire lrsquoeacutedition de Francfort par deux eacuterudits

16 R Ricciardi sv laquo Contihellip raquo art cit comprend agrave tort que Conti aurait publieacute cette traduction agrave lrsquoinstigation de Muret

17 Au sujet de la seconde eacutedition il serait inteacuteressant de systeacutematiser lrsquoobserva-tion faite par R Scott Smith agrave savoir qursquoon ne relegraveve qursquoun faux passage de Callimaque dans la premiegravere eacutedition auxquels srsquoen ajoutent quatre autres dans la seconde (voir son compte-rendu de J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit dans la Bryn Mawr Classical Review 20090469 consul-table en ligne lthttpbmcrbrynmawredu20092009-04-69htmlgt) Si cette tendance est confirmeacutee par une eacutetude systeacutematique elle pourrait srsquoexpliquer par la vaniteacute de Conti qui lrsquoaurait pousseacute agrave une fraude plus massive encore dans la seconde eacutedition que dans la premiegravere pour srsquoassurer un nouveau triomphe

190

de premier ordre Friedrich Sylburg et Johannes Opsopoeus18 Il srsquoengageait personnellement en ce sens dans une lettre au lecteur imprimeacutee agrave la fin du volume19

Andreas Wechelus candido lectori sCum ad iuvanda Germaniae commoda Mythologicos hosce libros in lucem edere statuissem multisque mendis esse foedatos cognovissem sedulo curandum mihi censui ut forma quidem minore at diligentia maiore prodirent Itaque a Friderico Sylburgio petii ut pro suo erga bonas literas studio Graecis quae hic citantur emendandis incumberet amp Ioannem Obsopoeum correctorem meum laborum multitudine pene fathiscentem aliqua saltem oneris parte sublevaret Non defuit ille petitioni meae sed tam accurate percurrit omnia ut aliquot erratorum centurias inde sustulerit ipsis etiam fontibus ubi vel fieri poterat vel opus erat inspectis ac restituit non modo literas amp syllabas si quae vel omissae essent vel commutatae verum etiam voces immo integros interdum versus Quae ne fingi a me putes ipse verissima esse comperies si hanc editionem cum Veneta conferes Ut exempla subiungam aliqua mendose illic invenies ὡς pro ὧν ἂν pro αὖ ἀπὸ pro ὑπὸ λέχος pro λέκος μάχαιρα pro μάκαιρα κριτῶν pro κριθῶν literis pariter amp significationibus confusis Invenies ibidem Θρήϊκος pro Θρήκιος φύλλα pro φῦλα θνητὰ pro θηητὰ ἐλάχιστε pro ἐλέγχιστε προσάγειν pro προστάττειν κύκλον pro καλόν denique etiam αὐτὸν pro οὐ τὸν amp similia quae hic singula recensere infinitum est amp minime necessarium Quinetiam scripturae varietates quas reperit annotavit idem Sylburgius ac coniecturas insuper de locis depravatis vel suspectis saltem adjecit Nec vero minori cura Obsopoeus suum tractavit pensum A vitiis enim typographicis Latina sedulo repurgavit praesertim suspecta loca e suis quaelibet autoribus emendavit Indice etiam in meliorem ordinem redacto tum operam adhibuit ut pari

18 Friedrich Sylburg (1536-1596) fut lrsquoauteur de nombreuses eacuteditions de textes grecs anciens qui firent longtemps reacutefeacuterence (entre autres Pausanias Heacuterodote Aristote Denys drsquoHalicarnasse Apollonios Dyscole) Il renonccedila agrave lrsquoenseigne-ment en 1583 pour pouvoir se consacrer inteacutegralement agrave cette activiteacute avec le soutien des heacuteritiers Wechel Agrave partir de 1591 il dirigea eacutegalement la Biblio-thegraveque palatine de Heidelberg dont il reacutedigea un catalogue Johannes Opsopoeus (1556-1598 nom de baptecircme Johannes Koch) meacutedecin et philologue fut chasseacute en 1576 de sa chaire agrave lrsquoUniversiteacute de Heidelberg en tant que calviniste et gagna sa vie pendant les anneacutees suivantes comme correcteur de Wechel Il procura notamment une eacutedition des Oracles sibyllins qui fit longtemps reacutefeacute-rence ainsi qursquoune seacutelection de traiteacutes hippocratiques

19 Cette lettre est imprimeacutee sans pagination agrave la suite des index de la Mythologie dans lrsquoeacuted Francfort 1581

191

fide amp diligentia omnia excuderetur Sed ne nimius sim in commendatione opus ipsum quid in hac editione praestitum sit abunde testabitur In tui ergo gratiam lector hunc laborem susceptum esse tibi persuadebis ac proinde aequo animo omnia accipies amp candide interpretaberis Vale

Andreas Wechel au bienveillant lecteur salutApregraves avoir deacutecideacute de publier ces livres de Mythologie pour accroicirctre les avantages de la Germanie et mrsquoecirctre aperccedilu qursquoils eacutetaient enlaidis de nombreuses erreurs je jugeai qursquoil fallait mettre le plus grand soin agrave ce qursquoils paraissent sous une forme certes plus petite mais avec un zegravele plus grand Crsquoest pourquoi je demandai agrave Friedrich Sylburg au nom de sa passion pour les belles-lettres de se pencher sur la correction des textes grecs qui y sont citeacutes et de soulager mon correcteur Iohannes Opsopoeus qui croulait quasiment sous la masse de travail drsquoune partie au moins de son fardeau Il ne se deacuteroba pas agrave ma demande et parcourut lrsquoensemble avec tant de soin qursquoil en supprima quelques centaines drsquoerreurs apregraves avoir consulteacute les sources mecircmes lagrave ougrave crsquoeacutetait possible ou neacutecessaire et restaura non seulement des lettres et des syllabes quand celles-ci avaient eacuteteacute omises ou inter-verties mais eacutegalement des mots voire parfois des vers entiers Cela pour eacuteviter que tu croies que je lrsquoinvente tu apprendras que crsquoest tregraves vrai si tu compares cette eacutedition avec celle de Venise [de 1567] Pour donner quelques exemples tu y trouveras les fautes ὡς pour ὧν ἂν pour αὖ ἀπὸ pour ὑπὸ λέχος pour λέκος μάχαιρα pour μάκαιρα κριτῶν pour κριθῶν ougrave sont en mecircme temps confondues les lettres et les significations Tu trouveras au mecircme endroit Θρήϊκος pour Θρήκιος φύλλα pour φῦλα θνητὰ pour θηητὰ ἐλάχιστε pour ἐλέγχιστε προσάγειν pour προστάττειν κύκλον pour καλόνshyenfinshyαὐτὸνshypourshyοὐ τὸνshyet des choses semblables qursquoil serait interminable drsquoeacutenumeacuterer ici et guegravere neacutecessaire En outre le mecircme Sylburg nota les variantes manuscrites qursquoil trouva et ajouta des conjectures sur les pas-sages corrompus ou du moins suspects Mais Opsopoeus nrsquoac-complit pas son travail avec moins de soin En effet il eacutelimina avec application les erreurs typographiques du texte latin et surtout il corrigea tous les passages suspects agrave partir des auteurs respectifs tout en ameacuteliorant le classement de lrsquoIndex puis il srsquoefforccedila que tout soit imprimeacute avec une fideacuteliteacute et un zegravele constants Mais pour eacuteviter que je sois excessif dans lrsquoeacuteloge crsquoest agrave lrsquoouvrage lui-mecircme qui est procureacute dans cette eacutedition drsquoen teacutemoigner abondamment Tu te convaincras cher lecteur que

192

ce travail a eacuteteacute entrepris pour te rendre service et ainsi tu com-prendras tout avec eacutequanimiteacute et lrsquointerpregraveteras avec bienveil-lance Adieu

La collation drsquoun bref chapitre (Livre I chap 9) permet de mesu-rer lrsquoeacutetendue du labeur accompli par Opsopoeus et Sylburg

Eacutedition de Venise 1567 Eacutedition de Francfort 1581odysseae Odysseae

ἀνδρῶντεshyθεῶντε ἀνδρῶνshyτεshyθεῶνshyτεΩshyβᾶσιλεῦ ὦshyβασιλεῦὀρέωνθ᾽ ὀρέωνshyθ᾽ὄχθοι ὄχθοιnata natashy

οὔρεσίshyφασι οὔρεσιshyφασὶAethii Aetiitertio quintosydus sidusΑῖ Αἱ

ἀλλήλωνshyαἰεὶ ἀλλήλωνshyαἰεὶshyδὲτετραμμέναι τετραμμέναικρήτηθεν κρήτηθενἐνκατέθεντο ἐγκατέθεντοannum annumσεῖω σεῖς

Ἐριννὺες Ἐριννύεςἆρ᾽ ἂρἔστιν ἐστὶν

Ce sondage suffit agrave confirmer que lrsquoeacutedition de Francfort 1581 contient de nombreuses corrections par rapport agrave celle de Venise 1567 comme annonceacute dans la lettre drsquoAndreas Wechel Les corrections se limitent parfois agrave la ponctuation dans quels cas elles peuvent ecirctre importantes malgreacute tout (certaines variantes de ponctuation

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 9: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

189

Santo Guerrino On lit en effet en appendice agrave la traduction lrsquoexplication suivante de Conti16

Cum nonnulla paulo negligentius ut ingenue fatear et quasi sopi-tus interpretarer me amicissime et admonuit et excitavit et incre-pavit prope vir peritissimus Marcus Antonius Muretus quare haec iam partim impressa recognovi errataque partim ob impressorum negligentiam partim etiam ob meam ita correxi

Apregraves que pour ecirctre honnecircte jrsquoeus traduit certains passages un peu neacutegligemment et comme dans mon sommeil le tregraves savant Marc-Antoine Muret tregraves amicalement mrsquoavertit mrsquoin-cita et me blacircma presque Crsquoest pourquoi je les relus alors qursquoils eacutetaient deacutejagrave partiellement imprimeacutes et corrigeai comme suit les erreurs dues pour partie agrave la neacutegligence des imprimeurs et pour partie agrave la mienne

Agrave la suite se trouvent quelques cent trente-cinq errata trouveacutes dans le deacutebut du traiteacute de Conti (pages 1 agrave 56) soit plus de deux erreurs par page au format in-12deg Lrsquoexplication cavaliegravere de Conti travestit fort mal une impatience dont le labeur philologique ne srsquoaccom-mode guegravere Cette premiegravere alerte ne devait pourtant pas suffire agrave le deacutetourner drsquoautres projets de traduction ni de lrsquoentreprise plus peacuterilleuse encore drsquoune vaste compilation mythographique censeacutee assurer sa gloire

Si la premiegravere eacutedition des Mythologiae libri (1567) fut publieacutee chez Comin da Trino un des imprimeurs les plus prolifiques de Venise la seconde en revanche fut imprimeacutee concomitamment par le mecircme eacutediteur agrave Venise et par Andreas Wechel agrave Francfort-sur-le-Main17 Wechel imprimeur connu pour la qualiteacute de ses eacuteditions critiques de textes latins et grecs confeacuterait drsquoautant plus drsquoautoriteacute au traiteacute de Conti qursquoil avait fait relire lrsquoeacutedition de Francfort par deux eacuterudits

16 R Ricciardi sv laquo Contihellip raquo art cit comprend agrave tort que Conti aurait publieacute cette traduction agrave lrsquoinstigation de Muret

17 Au sujet de la seconde eacutedition il serait inteacuteressant de systeacutematiser lrsquoobserva-tion faite par R Scott Smith agrave savoir qursquoon ne relegraveve qursquoun faux passage de Callimaque dans la premiegravere eacutedition auxquels srsquoen ajoutent quatre autres dans la seconde (voir son compte-rendu de J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit dans la Bryn Mawr Classical Review 20090469 consul-table en ligne lthttpbmcrbrynmawredu20092009-04-69htmlgt) Si cette tendance est confirmeacutee par une eacutetude systeacutematique elle pourrait srsquoexpliquer par la vaniteacute de Conti qui lrsquoaurait pousseacute agrave une fraude plus massive encore dans la seconde eacutedition que dans la premiegravere pour srsquoassurer un nouveau triomphe

190

de premier ordre Friedrich Sylburg et Johannes Opsopoeus18 Il srsquoengageait personnellement en ce sens dans une lettre au lecteur imprimeacutee agrave la fin du volume19

Andreas Wechelus candido lectori sCum ad iuvanda Germaniae commoda Mythologicos hosce libros in lucem edere statuissem multisque mendis esse foedatos cognovissem sedulo curandum mihi censui ut forma quidem minore at diligentia maiore prodirent Itaque a Friderico Sylburgio petii ut pro suo erga bonas literas studio Graecis quae hic citantur emendandis incumberet amp Ioannem Obsopoeum correctorem meum laborum multitudine pene fathiscentem aliqua saltem oneris parte sublevaret Non defuit ille petitioni meae sed tam accurate percurrit omnia ut aliquot erratorum centurias inde sustulerit ipsis etiam fontibus ubi vel fieri poterat vel opus erat inspectis ac restituit non modo literas amp syllabas si quae vel omissae essent vel commutatae verum etiam voces immo integros interdum versus Quae ne fingi a me putes ipse verissima esse comperies si hanc editionem cum Veneta conferes Ut exempla subiungam aliqua mendose illic invenies ὡς pro ὧν ἂν pro αὖ ἀπὸ pro ὑπὸ λέχος pro λέκος μάχαιρα pro μάκαιρα κριτῶν pro κριθῶν literis pariter amp significationibus confusis Invenies ibidem Θρήϊκος pro Θρήκιος φύλλα pro φῦλα θνητὰ pro θηητὰ ἐλάχιστε pro ἐλέγχιστε προσάγειν pro προστάττειν κύκλον pro καλόν denique etiam αὐτὸν pro οὐ τὸν amp similia quae hic singula recensere infinitum est amp minime necessarium Quinetiam scripturae varietates quas reperit annotavit idem Sylburgius ac coniecturas insuper de locis depravatis vel suspectis saltem adjecit Nec vero minori cura Obsopoeus suum tractavit pensum A vitiis enim typographicis Latina sedulo repurgavit praesertim suspecta loca e suis quaelibet autoribus emendavit Indice etiam in meliorem ordinem redacto tum operam adhibuit ut pari

18 Friedrich Sylburg (1536-1596) fut lrsquoauteur de nombreuses eacuteditions de textes grecs anciens qui firent longtemps reacutefeacuterence (entre autres Pausanias Heacuterodote Aristote Denys drsquoHalicarnasse Apollonios Dyscole) Il renonccedila agrave lrsquoenseigne-ment en 1583 pour pouvoir se consacrer inteacutegralement agrave cette activiteacute avec le soutien des heacuteritiers Wechel Agrave partir de 1591 il dirigea eacutegalement la Biblio-thegraveque palatine de Heidelberg dont il reacutedigea un catalogue Johannes Opsopoeus (1556-1598 nom de baptecircme Johannes Koch) meacutedecin et philologue fut chasseacute en 1576 de sa chaire agrave lrsquoUniversiteacute de Heidelberg en tant que calviniste et gagna sa vie pendant les anneacutees suivantes comme correcteur de Wechel Il procura notamment une eacutedition des Oracles sibyllins qui fit longtemps reacutefeacute-rence ainsi qursquoune seacutelection de traiteacutes hippocratiques

19 Cette lettre est imprimeacutee sans pagination agrave la suite des index de la Mythologie dans lrsquoeacuted Francfort 1581

191

fide amp diligentia omnia excuderetur Sed ne nimius sim in commendatione opus ipsum quid in hac editione praestitum sit abunde testabitur In tui ergo gratiam lector hunc laborem susceptum esse tibi persuadebis ac proinde aequo animo omnia accipies amp candide interpretaberis Vale

Andreas Wechel au bienveillant lecteur salutApregraves avoir deacutecideacute de publier ces livres de Mythologie pour accroicirctre les avantages de la Germanie et mrsquoecirctre aperccedilu qursquoils eacutetaient enlaidis de nombreuses erreurs je jugeai qursquoil fallait mettre le plus grand soin agrave ce qursquoils paraissent sous une forme certes plus petite mais avec un zegravele plus grand Crsquoest pourquoi je demandai agrave Friedrich Sylburg au nom de sa passion pour les belles-lettres de se pencher sur la correction des textes grecs qui y sont citeacutes et de soulager mon correcteur Iohannes Opsopoeus qui croulait quasiment sous la masse de travail drsquoune partie au moins de son fardeau Il ne se deacuteroba pas agrave ma demande et parcourut lrsquoensemble avec tant de soin qursquoil en supprima quelques centaines drsquoerreurs apregraves avoir consulteacute les sources mecircmes lagrave ougrave crsquoeacutetait possible ou neacutecessaire et restaura non seulement des lettres et des syllabes quand celles-ci avaient eacuteteacute omises ou inter-verties mais eacutegalement des mots voire parfois des vers entiers Cela pour eacuteviter que tu croies que je lrsquoinvente tu apprendras que crsquoest tregraves vrai si tu compares cette eacutedition avec celle de Venise [de 1567] Pour donner quelques exemples tu y trouveras les fautes ὡς pour ὧν ἂν pour αὖ ἀπὸ pour ὑπὸ λέχος pour λέκος μάχαιρα pour μάκαιρα κριτῶν pour κριθῶν ougrave sont en mecircme temps confondues les lettres et les significations Tu trouveras au mecircme endroit Θρήϊκος pour Θρήκιος φύλλα pour φῦλα θνητὰ pour θηητὰ ἐλάχιστε pour ἐλέγχιστε προσάγειν pour προστάττειν κύκλον pour καλόνshyenfinshyαὐτὸνshypourshyοὐ τὸνshyet des choses semblables qursquoil serait interminable drsquoeacutenumeacuterer ici et guegravere neacutecessaire En outre le mecircme Sylburg nota les variantes manuscrites qursquoil trouva et ajouta des conjectures sur les pas-sages corrompus ou du moins suspects Mais Opsopoeus nrsquoac-complit pas son travail avec moins de soin En effet il eacutelimina avec application les erreurs typographiques du texte latin et surtout il corrigea tous les passages suspects agrave partir des auteurs respectifs tout en ameacuteliorant le classement de lrsquoIndex puis il srsquoefforccedila que tout soit imprimeacute avec une fideacuteliteacute et un zegravele constants Mais pour eacuteviter que je sois excessif dans lrsquoeacuteloge crsquoest agrave lrsquoouvrage lui-mecircme qui est procureacute dans cette eacutedition drsquoen teacutemoigner abondamment Tu te convaincras cher lecteur que

192

ce travail a eacuteteacute entrepris pour te rendre service et ainsi tu com-prendras tout avec eacutequanimiteacute et lrsquointerpregraveteras avec bienveil-lance Adieu

La collation drsquoun bref chapitre (Livre I chap 9) permet de mesu-rer lrsquoeacutetendue du labeur accompli par Opsopoeus et Sylburg

Eacutedition de Venise 1567 Eacutedition de Francfort 1581odysseae Odysseae

ἀνδρῶντεshyθεῶντε ἀνδρῶνshyτεshyθεῶνshyτεΩshyβᾶσιλεῦ ὦshyβασιλεῦὀρέωνθ᾽ ὀρέωνshyθ᾽ὄχθοι ὄχθοιnata natashy

οὔρεσίshyφασι οὔρεσιshyφασὶAethii Aetiitertio quintosydus sidusΑῖ Αἱ

ἀλλήλωνshyαἰεὶ ἀλλήλωνshyαἰεὶshyδὲτετραμμέναι τετραμμέναικρήτηθεν κρήτηθενἐνκατέθεντο ἐγκατέθεντοannum annumσεῖω σεῖς

Ἐριννὺες Ἐριννύεςἆρ᾽ ἂρἔστιν ἐστὶν

Ce sondage suffit agrave confirmer que lrsquoeacutedition de Francfort 1581 contient de nombreuses corrections par rapport agrave celle de Venise 1567 comme annonceacute dans la lettre drsquoAndreas Wechel Les corrections se limitent parfois agrave la ponctuation dans quels cas elles peuvent ecirctre importantes malgreacute tout (certaines variantes de ponctuation

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 10: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

190

de premier ordre Friedrich Sylburg et Johannes Opsopoeus18 Il srsquoengageait personnellement en ce sens dans une lettre au lecteur imprimeacutee agrave la fin du volume19

Andreas Wechelus candido lectori sCum ad iuvanda Germaniae commoda Mythologicos hosce libros in lucem edere statuissem multisque mendis esse foedatos cognovissem sedulo curandum mihi censui ut forma quidem minore at diligentia maiore prodirent Itaque a Friderico Sylburgio petii ut pro suo erga bonas literas studio Graecis quae hic citantur emendandis incumberet amp Ioannem Obsopoeum correctorem meum laborum multitudine pene fathiscentem aliqua saltem oneris parte sublevaret Non defuit ille petitioni meae sed tam accurate percurrit omnia ut aliquot erratorum centurias inde sustulerit ipsis etiam fontibus ubi vel fieri poterat vel opus erat inspectis ac restituit non modo literas amp syllabas si quae vel omissae essent vel commutatae verum etiam voces immo integros interdum versus Quae ne fingi a me putes ipse verissima esse comperies si hanc editionem cum Veneta conferes Ut exempla subiungam aliqua mendose illic invenies ὡς pro ὧν ἂν pro αὖ ἀπὸ pro ὑπὸ λέχος pro λέκος μάχαιρα pro μάκαιρα κριτῶν pro κριθῶν literis pariter amp significationibus confusis Invenies ibidem Θρήϊκος pro Θρήκιος φύλλα pro φῦλα θνητὰ pro θηητὰ ἐλάχιστε pro ἐλέγχιστε προσάγειν pro προστάττειν κύκλον pro καλόν denique etiam αὐτὸν pro οὐ τὸν amp similia quae hic singula recensere infinitum est amp minime necessarium Quinetiam scripturae varietates quas reperit annotavit idem Sylburgius ac coniecturas insuper de locis depravatis vel suspectis saltem adjecit Nec vero minori cura Obsopoeus suum tractavit pensum A vitiis enim typographicis Latina sedulo repurgavit praesertim suspecta loca e suis quaelibet autoribus emendavit Indice etiam in meliorem ordinem redacto tum operam adhibuit ut pari

18 Friedrich Sylburg (1536-1596) fut lrsquoauteur de nombreuses eacuteditions de textes grecs anciens qui firent longtemps reacutefeacuterence (entre autres Pausanias Heacuterodote Aristote Denys drsquoHalicarnasse Apollonios Dyscole) Il renonccedila agrave lrsquoenseigne-ment en 1583 pour pouvoir se consacrer inteacutegralement agrave cette activiteacute avec le soutien des heacuteritiers Wechel Agrave partir de 1591 il dirigea eacutegalement la Biblio-thegraveque palatine de Heidelberg dont il reacutedigea un catalogue Johannes Opsopoeus (1556-1598 nom de baptecircme Johannes Koch) meacutedecin et philologue fut chasseacute en 1576 de sa chaire agrave lrsquoUniversiteacute de Heidelberg en tant que calviniste et gagna sa vie pendant les anneacutees suivantes comme correcteur de Wechel Il procura notamment une eacutedition des Oracles sibyllins qui fit longtemps reacutefeacute-rence ainsi qursquoune seacutelection de traiteacutes hippocratiques

19 Cette lettre est imprimeacutee sans pagination agrave la suite des index de la Mythologie dans lrsquoeacuted Francfort 1581

191

fide amp diligentia omnia excuderetur Sed ne nimius sim in commendatione opus ipsum quid in hac editione praestitum sit abunde testabitur In tui ergo gratiam lector hunc laborem susceptum esse tibi persuadebis ac proinde aequo animo omnia accipies amp candide interpretaberis Vale

Andreas Wechel au bienveillant lecteur salutApregraves avoir deacutecideacute de publier ces livres de Mythologie pour accroicirctre les avantages de la Germanie et mrsquoecirctre aperccedilu qursquoils eacutetaient enlaidis de nombreuses erreurs je jugeai qursquoil fallait mettre le plus grand soin agrave ce qursquoils paraissent sous une forme certes plus petite mais avec un zegravele plus grand Crsquoest pourquoi je demandai agrave Friedrich Sylburg au nom de sa passion pour les belles-lettres de se pencher sur la correction des textes grecs qui y sont citeacutes et de soulager mon correcteur Iohannes Opsopoeus qui croulait quasiment sous la masse de travail drsquoune partie au moins de son fardeau Il ne se deacuteroba pas agrave ma demande et parcourut lrsquoensemble avec tant de soin qursquoil en supprima quelques centaines drsquoerreurs apregraves avoir consulteacute les sources mecircmes lagrave ougrave crsquoeacutetait possible ou neacutecessaire et restaura non seulement des lettres et des syllabes quand celles-ci avaient eacuteteacute omises ou inter-verties mais eacutegalement des mots voire parfois des vers entiers Cela pour eacuteviter que tu croies que je lrsquoinvente tu apprendras que crsquoest tregraves vrai si tu compares cette eacutedition avec celle de Venise [de 1567] Pour donner quelques exemples tu y trouveras les fautes ὡς pour ὧν ἂν pour αὖ ἀπὸ pour ὑπὸ λέχος pour λέκος μάχαιρα pour μάκαιρα κριτῶν pour κριθῶν ougrave sont en mecircme temps confondues les lettres et les significations Tu trouveras au mecircme endroit Θρήϊκος pour Θρήκιος φύλλα pour φῦλα θνητὰ pour θηητὰ ἐλάχιστε pour ἐλέγχιστε προσάγειν pour προστάττειν κύκλον pour καλόνshyenfinshyαὐτὸνshypourshyοὐ τὸνshyet des choses semblables qursquoil serait interminable drsquoeacutenumeacuterer ici et guegravere neacutecessaire En outre le mecircme Sylburg nota les variantes manuscrites qursquoil trouva et ajouta des conjectures sur les pas-sages corrompus ou du moins suspects Mais Opsopoeus nrsquoac-complit pas son travail avec moins de soin En effet il eacutelimina avec application les erreurs typographiques du texte latin et surtout il corrigea tous les passages suspects agrave partir des auteurs respectifs tout en ameacuteliorant le classement de lrsquoIndex puis il srsquoefforccedila que tout soit imprimeacute avec une fideacuteliteacute et un zegravele constants Mais pour eacuteviter que je sois excessif dans lrsquoeacuteloge crsquoest agrave lrsquoouvrage lui-mecircme qui est procureacute dans cette eacutedition drsquoen teacutemoigner abondamment Tu te convaincras cher lecteur que

192

ce travail a eacuteteacute entrepris pour te rendre service et ainsi tu com-prendras tout avec eacutequanimiteacute et lrsquointerpregraveteras avec bienveil-lance Adieu

La collation drsquoun bref chapitre (Livre I chap 9) permet de mesu-rer lrsquoeacutetendue du labeur accompli par Opsopoeus et Sylburg

Eacutedition de Venise 1567 Eacutedition de Francfort 1581odysseae Odysseae

ἀνδρῶντεshyθεῶντε ἀνδρῶνshyτεshyθεῶνshyτεΩshyβᾶσιλεῦ ὦshyβασιλεῦὀρέωνθ᾽ ὀρέωνshyθ᾽ὄχθοι ὄχθοιnata natashy

οὔρεσίshyφασι οὔρεσιshyφασὶAethii Aetiitertio quintosydus sidusΑῖ Αἱ

ἀλλήλωνshyαἰεὶ ἀλλήλωνshyαἰεὶshyδὲτετραμμέναι τετραμμέναικρήτηθεν κρήτηθενἐνκατέθεντο ἐγκατέθεντοannum annumσεῖω σεῖς

Ἐριννὺες Ἐριννύεςἆρ᾽ ἂρἔστιν ἐστὶν

Ce sondage suffit agrave confirmer que lrsquoeacutedition de Francfort 1581 contient de nombreuses corrections par rapport agrave celle de Venise 1567 comme annonceacute dans la lettre drsquoAndreas Wechel Les corrections se limitent parfois agrave la ponctuation dans quels cas elles peuvent ecirctre importantes malgreacute tout (certaines variantes de ponctuation

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 11: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

191

fide amp diligentia omnia excuderetur Sed ne nimius sim in commendatione opus ipsum quid in hac editione praestitum sit abunde testabitur In tui ergo gratiam lector hunc laborem susceptum esse tibi persuadebis ac proinde aequo animo omnia accipies amp candide interpretaberis Vale

Andreas Wechel au bienveillant lecteur salutApregraves avoir deacutecideacute de publier ces livres de Mythologie pour accroicirctre les avantages de la Germanie et mrsquoecirctre aperccedilu qursquoils eacutetaient enlaidis de nombreuses erreurs je jugeai qursquoil fallait mettre le plus grand soin agrave ce qursquoils paraissent sous une forme certes plus petite mais avec un zegravele plus grand Crsquoest pourquoi je demandai agrave Friedrich Sylburg au nom de sa passion pour les belles-lettres de se pencher sur la correction des textes grecs qui y sont citeacutes et de soulager mon correcteur Iohannes Opsopoeus qui croulait quasiment sous la masse de travail drsquoune partie au moins de son fardeau Il ne se deacuteroba pas agrave ma demande et parcourut lrsquoensemble avec tant de soin qursquoil en supprima quelques centaines drsquoerreurs apregraves avoir consulteacute les sources mecircmes lagrave ougrave crsquoeacutetait possible ou neacutecessaire et restaura non seulement des lettres et des syllabes quand celles-ci avaient eacuteteacute omises ou inter-verties mais eacutegalement des mots voire parfois des vers entiers Cela pour eacuteviter que tu croies que je lrsquoinvente tu apprendras que crsquoest tregraves vrai si tu compares cette eacutedition avec celle de Venise [de 1567] Pour donner quelques exemples tu y trouveras les fautes ὡς pour ὧν ἂν pour αὖ ἀπὸ pour ὑπὸ λέχος pour λέκος μάχαιρα pour μάκαιρα κριτῶν pour κριθῶν ougrave sont en mecircme temps confondues les lettres et les significations Tu trouveras au mecircme endroit Θρήϊκος pour Θρήκιος φύλλα pour φῦλα θνητὰ pour θηητὰ ἐλάχιστε pour ἐλέγχιστε προσάγειν pour προστάττειν κύκλον pour καλόνshyenfinshyαὐτὸνshypourshyοὐ τὸνshyet des choses semblables qursquoil serait interminable drsquoeacutenumeacuterer ici et guegravere neacutecessaire En outre le mecircme Sylburg nota les variantes manuscrites qursquoil trouva et ajouta des conjectures sur les pas-sages corrompus ou du moins suspects Mais Opsopoeus nrsquoac-complit pas son travail avec moins de soin En effet il eacutelimina avec application les erreurs typographiques du texte latin et surtout il corrigea tous les passages suspects agrave partir des auteurs respectifs tout en ameacuteliorant le classement de lrsquoIndex puis il srsquoefforccedila que tout soit imprimeacute avec une fideacuteliteacute et un zegravele constants Mais pour eacuteviter que je sois excessif dans lrsquoeacuteloge crsquoest agrave lrsquoouvrage lui-mecircme qui est procureacute dans cette eacutedition drsquoen teacutemoigner abondamment Tu te convaincras cher lecteur que

192

ce travail a eacuteteacute entrepris pour te rendre service et ainsi tu com-prendras tout avec eacutequanimiteacute et lrsquointerpregraveteras avec bienveil-lance Adieu

La collation drsquoun bref chapitre (Livre I chap 9) permet de mesu-rer lrsquoeacutetendue du labeur accompli par Opsopoeus et Sylburg

Eacutedition de Venise 1567 Eacutedition de Francfort 1581odysseae Odysseae

ἀνδρῶντεshyθεῶντε ἀνδρῶνshyτεshyθεῶνshyτεΩshyβᾶσιλεῦ ὦshyβασιλεῦὀρέωνθ᾽ ὀρέωνshyθ᾽ὄχθοι ὄχθοιnata natashy

οὔρεσίshyφασι οὔρεσιshyφασὶAethii Aetiitertio quintosydus sidusΑῖ Αἱ

ἀλλήλωνshyαἰεὶ ἀλλήλωνshyαἰεὶshyδὲτετραμμέναι τετραμμέναικρήτηθεν κρήτηθενἐνκατέθεντο ἐγκατέθεντοannum annumσεῖω σεῖς

Ἐριννὺες Ἐριννύεςἆρ᾽ ἂρἔστιν ἐστὶν

Ce sondage suffit agrave confirmer que lrsquoeacutedition de Francfort 1581 contient de nombreuses corrections par rapport agrave celle de Venise 1567 comme annonceacute dans la lettre drsquoAndreas Wechel Les corrections se limitent parfois agrave la ponctuation dans quels cas elles peuvent ecirctre importantes malgreacute tout (certaines variantes de ponctuation

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 12: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

192

ce travail a eacuteteacute entrepris pour te rendre service et ainsi tu com-prendras tout avec eacutequanimiteacute et lrsquointerpregraveteras avec bienveil-lance Adieu

La collation drsquoun bref chapitre (Livre I chap 9) permet de mesu-rer lrsquoeacutetendue du labeur accompli par Opsopoeus et Sylburg

Eacutedition de Venise 1567 Eacutedition de Francfort 1581odysseae Odysseae

ἀνδρῶντεshyθεῶντε ἀνδρῶνshyτεshyθεῶνshyτεΩshyβᾶσιλεῦ ὦshyβασιλεῦὀρέωνθ᾽ ὀρέωνshyθ᾽ὄχθοι ὄχθοιnata natashy

οὔρεσίshyφασι οὔρεσιshyφασὶAethii Aetiitertio quintosydus sidusΑῖ Αἱ

ἀλλήλωνshyαἰεὶ ἀλλήλωνshyαἰεὶshyδὲτετραμμέναι τετραμμέναικρήτηθεν κρήτηθενἐνκατέθεντο ἐγκατέθεντοannum annumσεῖω σεῖς

Ἐριννὺες Ἐριννύεςἆρ᾽ ἂρἔστιν ἐστὶν

Ce sondage suffit agrave confirmer que lrsquoeacutedition de Francfort 1581 contient de nombreuses corrections par rapport agrave celle de Venise 1567 comme annonceacute dans la lettre drsquoAndreas Wechel Les corrections se limitent parfois agrave la ponctuation dans quels cas elles peuvent ecirctre importantes malgreacute tout (certaines variantes de ponctuation

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 13: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

193

sans importance ont eacuteteacute omises dans le releveacute ci-dessus) Les interventions sont plus freacutequentes en grec ( Sylburg) qursquoen latin ( Opsopoeus)20 Neacuteanmoins certaines corrections drsquoOpsopoeus sont remarquables par lrsquoeacuterudition qursquoelles reacutevegravelent comme celle portant sur le nom du meacutedecin Aetius semblablement la correction de tertio en quinto montre qursquoOpsopoeus a su identifier le passage drsquoOvide en question malgreacute le renvoi erroneacute au troisiegraveme livre des Fastes plutocirct qursquoau cinquiegraveme

Sylburg ne se contenta pas drsquoune relecture typographique mais publia dans la mecircme eacutedition des Notes critiques contenant de nom-breuses conjectures aux textes grecs21 Le choix de reacuteserver agrave ces notes une place agrave part montre bien qursquoil les consideacuterait comme relevant de la critique textuelle et leur attribuait un statut supeacuterieur aux simples corrections introduites au fil du texte Lrsquoeffort ainsi consenti traduit lrsquointeacuterecirct qursquoil nourrissait pour lrsquoouvrage de Conti Neacuteanmoins degraves cette publication qui devait marquer la conseacutecration des Mythologiae libri aux yeux de toute lrsquoEurope savante Sylburg expri-mait ses doutes quant agrave lrsquoorigine des citations grecques que Conti preacutetendait avoir deacutecouvertes22

Haec sunt quae in Graecis autorum verbis recognoscendis animadverti De quibus perlubenter cum ipso Natale per literas lubentius coram si fieri potuisset contulissem oculosque meos amp animum pavissem variorum autorum intuitu quos Natali videre nobis audire tantum contigit Sed quum amp temporis brevitas amp viae longitudo hanc mihi foelicitatem inviderit oro amp ipsum D Natalem amp aeligquos lectores ut quod amore reip factum a me est in bonam partem interpretentur simul etiam ignoscant ubi me Lynceum acumen amp Chironia manus defecit

20 Le grec dans lrsquoeacutedition de 1567 est drsquoun niveau bien infeacuterieur au latin comme le montrent notamment les innombrables fautes drsquoaccentuation et les quelques barbarismes

21 Les conjectures de Sylburg sont imprimeacutees sans pagination dans lrsquoeacuted Francfort 1581 agrave la suite de la lettre de Wechel transcrite et traduite ci-dessus Elles ne sont pas reproduites dans les eacuteditions ulteacuterieures mais certaines des plus eacuteleacutemen-taires drsquoentre elles ont eacuteteacute transposeacutees dans le texte des Mythologiae libri degraves lrsquoeacuted Venise 1581 (alors que ce nrsquoeacutetait pas le cas dans lrsquoeacuted Francfort 1581) Ainsi on trouve dans cette derniegravere p 38 l 16 δεδάασιν au lieu de δεδάσινshy p 78 l 27 ἐκεῖν᾽ pour ἐκεῖν p 159 l 17 τριόδους pour τριόδου etc Certaines conjectures de Sylburg restent drsquoun inteacuterecirct certain pour la critique des textes et meacuteriteraient un examen plus approfondi

22 Lrsquoorthographe est celle de lrsquoeacuted Francfort 1581

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 14: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

194

Voilagrave ce que jrsquoai remarqueacute en prenant connaissance des textes grecs des auteurs Jrsquoaurais bien volontiers eacutechangeacute agrave ce sujet avec Natale lui-mecircme par correspondance et de preacutefeacuterence publi-quement si cela eucirct eacuteteacute possible et mes yeux et mon esprit eussent eacuteteacute eacutemus de consideacuterer les diffeacuterents auteurs que Natale a eu lrsquoheur de voir mais nous seulement drsquoentendre Mais comme le manque de temps et la longueur du chemin qui nous seacutepare mrsquoont refuseacute ce bonheur je prie Monsieur Natale lui-mecircme ainsi que les bienveillants lecteurs drsquointerpreacuteter en bonne part ce que jrsquoai fait par amour de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et drsquoecirctre indul-gents lagrave ougrave mrsquoont manqueacute lrsquoœil de Lynceacutee et la main de Chiron

Il nrsquoest pas exclu qursquoun eacuterudit ait pu au siegravecle de Conti trouver un manuscrit grec drsquoun texte qursquoon croyait perdu23 Mais quelle devait ecirctre la bonne fortune de Conti pour pouvoir citer autant de matiegravere nouvelle sans que jamais aucun de ses contemporains ne puisse veacuterifier ses deacutecouvertes Il nrsquoest donc guegravere eacutetonnant que dans sa lettre agrave A Wechel dateacutee du 3 deacutecembre 1581 et imprimeacutee pour la premiegravere fois dans lrsquoeacutedition de Francfort 1584 Natale Conti nrsquoait pas reacutepondu aux interrogations de Sylburg sur ses sources24 Dans cette lettre il insiste en revanche sur lrsquoeacuterudition et lrsquointelli-gence de Sylburg avant de le deacutesigner comme laquo parrain raquo (compater) des Mythologiae libri employant ainsi une rheacutetorique habile pour parer sa propre œuvre de lrsquoautoriteacute de ce savant (laquelle se tradui-sait au mecircme moment par lrsquoinvitation que lui adressegraverent les landgraves de Hesse pour qursquoil enseigne le grec comme professeur ordinaire agrave lrsquouniversiteacute de Marbourg) La lettre de Conti fut drsquoailleurs rempla-ceacutee agrave partir de lrsquoeacutedition de Francfort 1587 par une lettre adresseacutee au lecteur par les heacuteritiers de Wechel

Sylburg entretint neacuteanmoins lrsquoambiguiumlteacute au sujet de Conti en lui deacutediant en 1583 lrsquoeacutedition commenteacutee des poeacutesies de Virgile reacute imprimeacutee drsquoapregraves celle de Nicolaus Erythraeus par les heacuteritiers de Wechel agrave Francfort25 Drsquoapregraves ses propres dires Sylburg fit le choix du Veacutenitien

23 Voir par exemple V Gysembergh laquo Source et valeur des fragments antiques sans parallegravele dans le Livre de lrsquoamour drsquoAgostino Nifo raquo Revue de philologie de litteacuterature et drsquohistoire anciennes 90 2018 p 29-45

24 Eacuted Francfort 1584 8v sur cette lettre voir deacutejagrave F Guichard-Tesson laquo Natale Conti et les Mythologiae sive explicationum fabularum libri decem (1583) Lrsquoancrage meacutedieacuteval drsquoune œuvre renaissante raquo Figura 29 2001 p 151-186 ici p 160-161

25 P Virgilii Maronis Bucolica Georgica et Aeneis Francfort-sur-le-Main Haeredes A Wecheli 1583 p 3-5

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 15: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

195

Conti comme deacutedicataire parce que celui-ci lui avait fait lrsquohonneur (dans sa lettre du 3 deacutecembre 1581 mentionneacutee ci-dessus) de lui reconnaicirctre la copaterniteacute des Mythologiae libri Dans son eacutepicirctre Sylburg demandait en retour agrave Conti de parrainer lrsquoouvrage agrave Venise citeacute drsquoorigine de Nicolaus Erythraeus et de se renseigner sur des ouvrages drsquoeacuterudition annonceacutes par Erythraeus mais jamais parus Srsquoil faisait reacutefeacuterence agrave la ceacuteleacutebriteacute (vir clarissime) de Conti et agrave son laquo humaniteacute raquo (pro tua humanitate) qui constituent neacuteanmoins des formules consacreacutees il ne prononccedilait pas un mot drsquoeacuteloge sur ses qualiteacutes drsquoeacuterudit ou de philologue et indiquait ainsi entre les lignes que la deacutedicace agrave Conti eacutetait le fruit drsquoune strateacutegie commerciale plutocirct que de son estime ou de son admiration

Une telle deacutedicace ne pouvait neacuteanmoins qursquoaccroicirctre la notorieacuteteacute de Conti dans la mesure ougrave elle passait sous silence lrsquoeacutepineuse ques-tion de ses sources Lrsquoeffet de son inclusion parmi les auteurs de la maison Wechel ne se fit pas attendre degraves 1584 les premiers cha-pitres de la Mythologie de Conti contenant des reacuteflexions originales sur lrsquoutiliteacute de la Fable (mais tregraves peu de citations antiques) furent imprimeacutees agrave la suite du commentaire de G Sabinus aux Meacutetamorphoses drsquoOvide26 Ce choix eacuteditorial ducirc au mysteacuterieux Thomas Thomas premier imprimeur de lrsquoUniversiteacute de Cambridge illustre la diffu-sion fulgurante de lrsquoœuvre de Conti Il fut suivi par de nombreuses eacuteditions ulteacuterieures des Meacutetamorphoses apportant ainsi une caution suppleacutementaire agrave lrsquoouvrage27

Malgreacute les critiques de Muret lui-mecircme eacutevoqueacutees ci-dessus et le fait que lrsquoœuvre de Natale Conti ne fut pas utiliseacutee par les poegravetes de la Pleacuteiade28 la Mythologie fut citeacutee agrave trois reprises dans le Commentaire au premier livre des Amours de Ronsard publieacute en de nombreuses eacuteditions sous le nom de Marc-Antoine Muret Cela pourrait sembler constituer une forme de conseacutecration philologique pour le sulfureux ouvrage mythographique29 Toutefois les reacutefeacute-rences agrave Conti dans ce Commentaire ne sont pas anteacuterieures agrave

26 Fabularum Ovidii interpretatio ethica physica et historica tradita in Academia Regiomontana a Georgio Sabino Cambridge Ex officina Thomae Thomae 1584

27 Voir ci-dessous annexe p 323-32428 P Ford laquo The Mythologiae of Natale Conti and the Pleacuteiade raquo dans R Schnur

(dir) Acta conventus Neo-Latini Bariensis Tempe (AZ) Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies 2009 p 243-250

29 F Guichard-Tesson laquo Natale Contihellip raquo art cit p 183 n 122

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 16: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

196

lrsquoeacutedition de 159730 Largement posteacuterieurs aux deacutecegraves de Muret et de Ronsard ces ajouts sont neacutecessairement drsquoun autre auteur lequel nrsquoa pu ecirctre identifieacute agrave ce jour31 Par ailleurs Conti y est citeacute par lrsquoin-termeacutediaire de la traduction franccedilaise de Montlyard comme lrsquoin-dique lrsquoemploi de la forme franciseacutee laquo Noel le Comte raquo et la deacutesi-gnation du traiteacute comme laquo Mythologie Franccediloise32 raquo Neacuteanmoins cet exemple montre que la traduction de Montlyard avait acheveacute de faire de la Mythologie une reacutefeacuterence de premier plan pour les savants franccedilais

Le succegraves des Mythologiae libri eacutetait deacutejagrave exceptionnel quand une poleacutemique contre Conti affleura sous la plume des deux helleacutenistes les plus ceacutelegravebres de leur temps Joseph Juste Scaliger et Isaac Casaubon Les eacutetudes sur Conti rappellent souvent qursquoil fut qualifieacute drsquohomo futilissimus par Scaliger mais sans restituer le contexte de cette condamnation se privant ainsi drsquoen mesurer la porteacutee exacte33 En 1606 Isaac Casaubon lui adressa une lettre dans laquelle il reprochait agrave Sethus Calvisius que Scaliger avait soutenu et qui avait publieacute un traiteacute de chronographie fort remarqueacute drsquoutiliser les eacutecrits de Natale Conti

30 J Chomarat M-M Fragonard et G Mathieu-Castellani (eacuted) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo de Ronsard Genegraveve Droz 1985 p 45-46 les reacutefeacuterences agrave Natale Conti agrave la p 5B (laquo Voyez la Mythologie Franccediloise de Noel le Comte aux chap 11 12 amp 18 du 7 liv raquo) et agrave la p 8D (laquo N le Comte descrit amp expose excellemment bien cette histoire au 4 ch du 9 liv de sa Mythologie raquo) sont des ajouts de 1597 La reacutefeacuterence au mecircme auteur agrave la p 9D (laquo Voyez le 1 chap du 9 livre de la Mythologie raquo sans le nom de lrsquoauteur) constitue eacutegalement un ajout dont la date nrsquoest pas indiqueacutee dans lrsquoeacutedition critique Nous avons pu veacuterifier dans les eacuteditions successives que lrsquoajout date de 1604 (eacutetant entendu que lrsquoeacutedition de 1597 ne comprenait pas le poegraveme I xvi)

31 Sur les auteurs du commentaire attribueacute agrave Muret voir I Silver Three Ronsard Studies Genegraveve Droz 1978 p 109-167 G Mathieu-Castellani dans J Chomarat et al (dir) Commentaires au premier livre des laquo Amours raquo op cit p XXVII-XXIX

32 La premiegravere eacutedition connue de la traduction de Montlyard est parue agrave Lyon chez Paul Frellon en 1600 avec privilegravege royal en date du 28 juin 1597 et deacutedi-cace en date du 25 novembre 1599 Les citations du pseudo- Muret montrent donc incidemment que cette traduction circulait sous une forme ou une autre degraves 1597

33 Voir par exemple J Mulryan et S Brown Natale Contirsquos Mythologiae op cit vol 1 p xv

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 17: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

197

Isaac Casaubon agrave JJ Scaliger Lettre du 30 mai 160634 Vidi superioribus diebus recentem scriptorem cuius nomen ex tuis literis primum mihi innotuit Sethum Calvisium Miratus sum et magis magisque miror indies qui potuerit hactenus tantum ingenium in tenebris delitere [hellip] Sunt tamen nonnulla in eius divino opere de quo velim a te ipsum moneri Nam quid attinebat Natalem a Comitibus et reliquos id genus nuperos scriptores quorum pars etiamnum vivit toties laudari Hoc nos iniquo animo ferebamus in tam erudito viro et tam reconditae doctrinae qui si nobis esset notus per literas cum ipso ageremus ut in proxima editione hoc ἀβλέπτημα emendaret

Jrsquoai vu ces derniers jours un jeune eacutecrivain dont je connus drsquoabord le nom par tes lettres Sethus Calvisius Je lrsquoai admireacute et je lrsquoad-mire de plus en plus chaque jour lui qui nrsquoa su que jusqursquoagrave preacute-sent cacher tant de geacutenie dans les teacutenegravebres [hellip] Il y a pourtant certains aspects de son œuvre divine au sujet desquels je vou-drais que tu le mettes en garde En effet quel inteacuterecirct de citer aussi souvent Natale Conti et drsquoautres eacutecrivains reacutecents de ce genre dont une partie sont encore en vie Nous ne lrsquoavons endureacute qursquoavec peine chez un homme aussi eacuterudit et doteacute drsquoun savoir aussi difficile drsquoaccegraves srsquoil nous eacutetait connu nous corres-pondrions avec lui-mecircme pour que dans la prochaine eacutedition il corrige cette beacutevue

JJ Scaliger fit part agrave Calvisius du jugement de son ami Casaubon et de la neacutecessiteacute de retirer les reacutefeacuterences agrave Natale Conti en des termes qui nrsquoadmettaient aucun compromis

JJ Scaliger agrave Sethus Calvisius Lettre du 19 juin 160635 Iam summis viris de praestantia Chronologiae tuae ita movi salivam ut nemo ex illis ad me scripserit (scribunt autem non raro) quin summis laudibus efferant At scin quos viros Qui ducunt familiam

34 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondence of Joseph Justus Scaliger vol VI Genegraveve Droz 2012 p 422-425

35 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 440-442 Cette lettre a eacuteteacute publieacutee pour la premiegravere fois dans S Calvisius Examen hypothesium chronologicarum a Davide Pareohellip propositarum et evulgatarumhellip Inserta est ex Ptolomeo perspicua ratio allegandi annos a conditio mundo numeratos ad annum primum aerae Christianae [Leipzig] curante Iacobo Apelio 1606 f 1r-2r Elle a ensuite eacuteteacute reacuteimprimeacutee par AT Siberus Dialexeon academica-rum 2e eacuted Wittenberg G Muumlller 1614 vol 2 p 476-7 ainsi que dans le recueil de la correspondance de Scaliger eacutediteacute par D Heinsius Epistolae omnes quae reperiri potuerunt Leyde B et A Elzevier 1627 ndeg 309

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 18: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

198

in literis unum a te petunt et ego una cum illis ut abstineas mentione quorundam scriptorum minorum gentium qualis Natalis Comes homo futilissimus Dolet enim magnis viris illos pannos tuae purpurae assui Tu haec in secunda editione curabis quam certo scio te propediem adornaturum postquam omnes ad parandum sibi opus tuum eadem caussa quae alios invitabit fructus qui ex eo percipitur et commendatio nostra et eorum qui primi legerunt

Jrsquoai deacutejagrave fait venir lrsquoeau agrave la bouche de grands hommes au sujet de lrsquoexcellence de ta Chronologie de sorte que personne drsquoentre eux ne mrsquoa eacutecrit (et ce nrsquoest pas rare qursquoils mrsquoeacutecrivent) sans pro-noncer de grands eacuteloges Mais sais-tu quels hommes Ceux qui sont au premier rang des lettres ils te demandent une seule chose et je la demande avec eux crsquoest que tu trsquoabstiennes de mentionner certains eacutecrivains mineurs comme Natale Conti cet individu on ne peut plus deacutepourvu de seacuterieux Les hommes drsquoimportance sont peineacutes que ces haillons soient cousus agrave ta pourpre Tu y veilleras dans ta seconde eacutedition dont je suis cer-tain que tu la preacutepareras bientocirct apregraves que tous auront eacuteteacute invi-teacutes agrave se procurer ton ouvrage pour la mecircme raison que drsquoautres par le fruit qui en est reacutecolteacute ainsi que notre eacuteloge et celui des premiers lecteurs

En effet dans la premiegravere eacutedition de son Opus chronologicum parue en 1605 chez Jacobus Apelius agrave Leipzig Calvisius citait la Mythologie de Natale Conti agrave de nombreuses reprises par exemple pour les indications sur la chronologie des premiers Jeux olympiques donneacutees par Conti (V 1 il cite sans le nommer Pausanias Description de la Gregravece V 8 6 et suiv)36 Il apparaicirct ainsi que la condamnation de Conti par Scaliger portait preacuteciseacutement sur la fiabiliteacute de sa Mythologie comme source relative agrave lrsquoAntiquiteacute

Dans ce qui eacutetait vraisemblablement le brouillon de sa reacuteponse agrave Scaliger Calvisius eacutecrivit qursquoil suivrait les recommandations du maicirctre

Sethus Calvisius agrave JJ Scaliger [1606 07] 00 (brouillon drsquoune lettre accompagnant lrsquoenvoi de sa chronologie)37 Caetera de quibus mones in chronologicis curabuntur

36 Voir les entreacutees annus mundi 3226 = ante Christum natum 722 annus mundi 3262 = ante Christum natum 686 annus mundi 3270 = ante Christum natum 678 etc

37 Eacuted P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 449-450

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 19: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

199

On veillera aux autres sujets sur lesquels tu attires lrsquoattention dans le domaine de la chronologie

Conformeacutement agrave cet engagement dans la seconde eacutedition de lrsquo Opus chronologicum parue en 1620 chez Johannes Thiem agrave Francfort-sur-le-Main les mentions de Natale Conti furent rem-placeacutees par des reacutefeacuterences eacutequivalentes aux sources antiques Une telle affaire rendue publique degraves 1606 par Calvisius38 ne pouvait passer inaperccedilue aupregraves des philologues

Crsquoest peut-ecirctre de cette correspondance eacuterudite que deacutecoule le jugement de Pierre-Daniel Huet un autre grand philologue En effet lors de son retour de Stockholm en 1653 Huet avait connu Heinsius lrsquoeacutelegraveve de Scaliger qui avait eacutediteacute la correspondance de son maicirctre (et notamment la lettre agrave Calvisius citeacutee ci-dessus)39 Il est eacutegalement possible qursquoHuet se soit forgeacute sa propre opinion ou qursquoil ait eacuteteacute averti par drsquoautres canaux Quoi qursquoil en soit il se mon-tra seacutevegravere avec lrsquoauteur des Mythologiae libri40

38 Voir supra n 35 Le brouillon drsquoune autre lettre adresseacutee par Calvisius agrave Scaliger nous apprend que certains de ses amis lrsquoavaient encourageacute agrave publier la lettre voir P Botley et D van Miert The Correspondencehellip op cit p 446-448

39 A Shelford Transforming the Republic of Letters Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life 1650-1720 Rochester (NY) University of Rochester Press p 38-39 Il revenait de Suegravede couronneacute de la gloire drsquoavoir deacutecouvert dans un manuscrit grec de la Bibliothegraveque royale des fragments du commen-taire drsquoOrigegravene aux Eacutevangiles de Matthieu Agrave son retour agrave Paris il se consacra agrave des eacutetudes eacuterudites qui donnegraverent notamment lieu agrave un important volume drsquoOrigeniana sur la vie la doctrine et lrsquoœuvre drsquoOrigegravene ainsi qursquoune eacutedition traduite en latin de ses œuvres exeacutegeacutetiques (H Crouzel Bibliographie critique drsquoOrigegravene vol 1 La Haye M Nijhoff 1971 p 114-116) mais aussi entre autres agrave son ouvrage sur la traduction (De interpretatione Paris S Cramoisy 1661 voir lrsquoeacutetude de A Del Prete laquo Le De interpretatione de Pierre-Daniel Huet entre tradition humaniste et critique scripturaire raquo dans C Le Blanc et L Simonutti (dir) Le Masque de lrsquoeacutecriture Philosophie et traduction de la Renaissance aux Lumiegraveres Genegraveve Droz 2015 p 187-202)

40 Le De interpretatione se caracteacuterise par une exigence de grande fideacuteliteacute de la part du traducteur Huet y deacutefinit le meilleur genre de traduction comme ceci (p 13 dans lrsquoeacutedition de Paris 1661) Optimum ergo illum esse dico interpretandi modum quum Auctoris sententiae primum deinde ipsis etiam si ita fert utriusque linguae facultas verbis arctissime adhaeret Interpres et nativum postremo Auctoris characterem quoad ejus fieri potest adumbrat idque unum studet ut nulla eum detractione imminutum nullo additamento auctum sed integrum suique omni ex parte simillimum perquam fideliter exhibeat laquo Je dis que la meilleure maniegravere de traduire est que le traducteur srsquoattache drsquoabord tregraves eacutetroitement agrave la penseacutee de lrsquoauteur puis aux mots mecircmes si le geacutenie de chacune des deux langues le permet et qursquoenfin il esquisse le caractegravere de lrsquoAuteur dans la mesure du

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 20: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

200

Pierre-Daniel Huet De interpretatione livre 2 p 167 (eacuted Rouen 1661) In hac etiam disciplina quid posset expertus est Natalis Comes et nisi φιλαυτίας vitio fuit occoecatus se in aliis fortasse aliquem in ea exercitatione nullum admodum esse pervidit verborum quippe et characteris securus vix obtinet sententias

Natale Conti a fait la preuve de ce dont il eacutetait capable dans cette discipline et srsquoil nrsquoavait eacuteteacute aveugleacute par le vice de lrsquoamour-propre il aurait ducirc srsquoapercevoir qursquoil eacutetait peut-ecirctre quelqursquoun en drsquoautres domaines mais qursquoil nrsquoeacutetait personne dans ce genre drsquoexercice Sans se soucier des mots ni du caractegravere il possegravede rarement la penseacutee [sc de lrsquoauteur]

Aux yeux des philologues les Mythologiae libri de Conti furent deacutefinitivement remplaceacutes agrave la parution du De theologia gentili somme mythographique de Gerardus Vossius parue pour la premiegravere fois en 1641 chez Joannes Blaeu agrave Amsterdam Crsquoest ce qursquoindique par exemple le jugement porteacute par Johann Heinrich Boekler dans sa Bibliographia historico-politico-philologica curiosa parue agrave Leipzig en 1677 (p 616)

Quae Natalis Comes in Mythologia sua tradidit nec scopo nec per-fectione cum Vossianis curis comparari possuntCe que Natale Conti a transmis dans sa Mythologie ne saurait ecirctre compareacute ni pour sa viseacutee ni pour sa perfection avec les labeurs de Voss

possible Il nrsquoaspire qursquoagrave une chose ne le montrer ni diminueacute par aucune sup-pression ni augmenteacute drsquoaucun ajout mais entier tregraves semblable agrave lui-mecircme en toute part et de maniegravere tout agrave fait fidegravele raquo Dans le Livre 2 consacreacute aux traducteurs ceacutelegravebres il range la matiegravere traiteacutee par Natale Conti dans le genre historique pour les exigences propres au traducteur de ce genre voir Livre I p 27 laquo Historici quoque ne interpolentur cautio est veritas quippe illecebris sermonis infuscatur quam Interpres praestare integram debet Auctorum praeterea omnium uti supra docuimus sed Historicorum praesertim characterem ita retineri decet ut in interpretatione etiam eluceat quem vel minima inducet et obliterabit discrepantia raquo laquo Les historiens aussi il faut faire attention de ne pas les alteacuterer car la veacuteriteacute est souvent ternie par les appas du langage elle que le traducteur doit livrer entiegravere Au reste il convient pour tous les auteurs comme nous lrsquoavons enseigneacute ci-dessus mais en particulier pour les historiens de conser-ver leur caractegravere pour qursquoil eacuteclate mecircme dans la traduction que le moindre deacutecalage effacera et obliteacuterera raquo

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 21: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

201

Au moment de conclure on pourrait srsquoeacutetonner du choix qui a eacuteteacute fait par Jean de Montlyard suivi par Jean Baudoin de traduire un ouvrage si vivement critiqueacute Pourtant Montlyard comme la plu-part de ses contemporains ne traduisait pas en philologue41 ainsi pour sa traduction de lrsquoAcircne drsquoor drsquoApuleacutee il ne semble avoir connu qursquoune des traductions franccedilaises parues avant la sienne agrave savoir celle de J Louveau qursquoil jugeait drsquoailleurs tregraves durement42 Pour jus-tifier sa traduction des Eacutethiopiques drsquoHeacuteliodore il eacutecrit seulement qursquoelle est laquo conforme au langage du temps43 raquo ndash un critegravere stylis-tique qui lui eacutevite de srsquointerroger sur la valeur philologique des tra-ductions preacuteceacutedentes notamment celle de Jacques Amyot (Les Vies des hommes illustres Paris Michel de Vascosan 1559)

Qui plus est peut-ecirctre agrave cause de lrsquoabsence drsquoune reacutefutation publique en bonne et due forme lrsquoouvrage de Conti fut abondam-ment utiliseacute dans les eacutecoles jusqursquoau xviiie siegravecle comme lrsquoatteste par exemple Georg Nicolaus Kriegk dans sa Constitutio rei scholasticae Ilfeldensis parue agrave Nordhausen en 1716 (p 285)

In scholis frequentior nullus est quam Natalis Comes Mythologiae libri X

Dans les eacutecoles aucun [sc manuel de mythologie] nrsquoest plus souvent preacutesent que les dix livres de la Mythologie de Natale Conti

Kriegk recteur de lrsquoimportante eacutecole monastique drsquoIlfeld a beau citer et recommander le manuel de Voss il est forceacute de constater la persistance de celui de Conti dans le systegraveme scolaire alors mecircme que la derniegravere eacutedition connue date de 1653 Plus encore des fragments inventeacutes par Conti se frayegraverent un chemin jusque dans

41 Sur la meacutethode de traduction de Jean de Montlyard voir dans cet ouvrage lrsquoarticle de R Darmon p 203-243

42 J de Montlyard LrsquoAsne drsquoor ou les Meacutetamorphoses de Luce Apuleacutee Paris Abel Langelier 1602 ici f e4v (dans la laquo Preacuteface raquo) Il semble ignorer notam-ment celles de Guillaume Michel (1522) et de George de La Bouthiegravere (1553) Sur cette preacuteface voir en outre C Primot laquo ldquoUne rature depuis la premiegravere page jusqursquoagrave la derniegravererdquo la leccedilon de traduction de Jean de Montlyard raquo pre-mier Congregraves Mondial de Traductologie Nanterre 11 avril 2017 agrave paraicirctre dans Preacutesences du traducteur laquo Translatio raquo eacuted Garnier

43 J de Montlyard Les Amours de Theacuteagegravene et Charicleacutee Histoire eacutethiopique drsquoHeacuteliodore 2e eacuted Paris chez Samuel Thiboult 1626 ici f a2v Sur la reacutecep-tion des Eacutethiopiques voir notamment L Plazenet laquo Romances sans images Le Roman grec et ses deacuteriveacutes en France aux seiziegraveme et dix-septiegraveme siegravecles raquo dans Nathalie Ferrand (dir) Traduire et illustrer le roman au xviiie siegravecle Oxford Voltaire Foundation 2011 p 37-63

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh
Page 22: Mythologie de Natale Conti éditée par Jean Baudoin Livre I ...

202

certains manuels du xixe siegravecle comme le montre lrsquoexemple drsquoEduard Jacobi citeacute plus haut44 Plutocirct que de srsquoen deacutesoler il faut peut-ecirctre mieux voir dans lrsquoinfluence durable qursquoexercegraverent les Mythologiae libri de Conti ndash en deacutepit de sa mauvaise reacuteputation drsquohelleacuteniste faussaire ndash lrsquoindice de remarquables qualiteacutes litteacuteraires qui ne sont pas agrave chercher du cocircteacute de lrsquoexactitude philologique Pro captu lectoris habent sua fata libelli

Agrave une eacutepoque ougrave il pouvait arriver qursquoun helleacuteniste deacutecouvre le manuscrit drsquoun texte grec jusqursquoalors perdu ou ignoreacute Conti vou-lut faire accroire qursquoil exploitait dans ses Mythologiae libri un gise-ment fabuleux regorgeant de tels textes et connu de lui seul Cependant pour en convaincre ses contemporains les plus aviseacutes il eucirct fallu qursquoil leur permette de controcircler agrave la source une deacutecou-verte qui tenait du miracle ndash comme lrsquoy invita notamment Sylburg dans sa lettre ouverte demeureacutee sans reacuteponse Lrsquoambivalence conseacute-cutive des eacuterudits nrsquoempecirccha pas les Mythologiae libri de connaicirctre degraves leur parution et plus encore agrave partir de la seconde eacutedition de 1581 un succegraves sans appel dans les milieux litteacuteraires et scolaires au point de deacutecourager peut-ecirctre les auteurs qui comme Scaliger auraient pu deacutemasquer complegravetement le faussaire Face agrave drsquoincon-testables qualiteacutes encyclopeacutediques et litteacuteraires la question de lrsquoexac-titude philologique loin drsquoecirctre une pierre de touche parmi les lettreacutes et les peacutedagogues pouvait passer pour secondaire Il apparaicirct ainsi que les traductions de Montlyard et Baudoin srsquoinscrivent dans la dialectique drsquoune reacuteception qui repose drsquoune part sur lrsquoampleur de la documentation reacuteunie par Conti et ses talents de compilateur et joue drsquoautre part sur sa reacuteputation sulfureuse drsquoeacuterudit geacutenial jamais entiegraverement deacutemasqueacute si bien que lrsquoodeur de soufre perccedilue par certains des plus grands eacuterudits de son temps ne fit en rien obstacle au succegraves litteacuteraire et scolaire des Mythologiae libri

Victor Gysembergh

44 Cf supra n 10

  • EPURE-HC_11_A_00a Garde
  • EPURE-HC_11_D_06 Eacutetude 01 Gysembergh