Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

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HAL Id: tel-01481871 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01481871 Submitted on 3 Mar 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation traditionnelle : l’héritage océanien contenu dans les mots de la langue tahitienne Claude Teriierooiterai To cite this version: Claude Teriierooiterai. Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation traditionnelle : l’héritage océanien contenu dans les mots de la langue tahitienne. Littératures. Université de la Polynésie Française, 2013. Français. NNT: 2013POLF0003. tel-01481871

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Submitted on 3 Mar 2017

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Mythes, astronomie, découpage du temps et navigationtraditionnelle : l’héritage océanien contenu dans les mots

de la langue tahitienneClaude Teriierooiterai

To cite this version:Claude Teriierooiterai. Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation traditionnelle :l’héritage océanien contenu dans les mots de la langue tahitienne. Littératures. Université de laPolynésie Française, 2013. Français. �NNT : 2013POLF0003�. �tel-01481871�

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UNIVERSITÉ DE LA POLYNÉSIE FRANCAISE

ÉCOLE DOCTORALE : MILIEUX INSULAIRES ULTRA-MARINS

THÈSE de DOCTORAT

En langues et cultures océaniennes

Claude TERIIEROOITERAI

Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation traditionnelle :

l’héritage océanien contenu dans les mots de la langue tahitienne

Sous la direction de Claire MOYSE-FAURIE, Directrice de recherches au CNRS,

et de Monsieur Bruno SAURA, Professeur à l’Université de la Polynésie française

Présentée et soutenue le 09 décembre 2013

JURY :

Pr. Éric Conte (Université de la Polynésie française)

Mme Anne DI PIAZZA (CNRS, pré-rapporteur)

Pr. Patrick V. KIRCH (Université de Berkeley, pré-rapporteur)

Pr. Bruno SAURA (Directeur de thèse, Université de la Polynésie française)

Mme Claire MOYSE-FAURIE (co-directrice de thèse, CNRS)

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Itoito manu rere hau

« Courageux est l’oiseau au vol paisible »

(Teuira Henry)

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REMERCIEMENTS

Je tiens à exprimer ma reconnaissance à toutes celles et tous ceux qui m’ont encouragé et qui

ont contribué à la réalisation de la présente thèse. La recherche, dit-on, doit avant tout être un jeu et

un plaisir. Je n’ai pas vu passer les quatre dernières années, tellement elles furent riches en émotion,

car marquées par des rencontres fascinantes, des maîtres navigateurs polynésiens, des spécialistes de

la linguistique, de l’anthropologie et de l’archéologie océanienne.

En premier lieu, je tiens à remercier chaleureusement Bruno Saura, à qui je dois ce sujet de

recherche. Son dynamisme, son soutien moral et son ouverture d’esprit, pendant toutes ces années,

m’ont donné le courage d’aller jusqu’au bout.

J’adresse mes plus sincères remerciements à Claire Moyse-Faurie et à Eric Conte qui m’ont

éclairé de leurs conseils. Je tiens également à remercier Anne Di Piazza et Patrick V. Kirch, de leur

disponibilité, bien qu’ils soient très sollicités.

Ma thèse n’aurait pas pu voir le jour sans le patient travail de mes relecteurs. Christophe

Lassagne, pour ses précieuses remarques sur le fond, et Maître Frank Marchand, pour ses

commentaires syntaxiques et stylistiques.

Mes remerciements s’adressent aussi à mon ami navigateur, Henri Python, qui est sorti

momentanément de sa retraite bretonne, pour réaliser les illustrations, à Sébastien Buirette, pour ses

conseils en informatique dans la réalisation de la carte vectorisée du ciel tahitien et à Sylviane

Garçon, pour qui le fonctionnement de Word n’a pas de secret.

Je suis très reconnaissant à Michel Charpentier, mon professeur de linguistique, pendant les

années de master. C’est en entamant, sur ses conseils, un travail sur les mots tahitiens d’origines

océaniennes, que les concepts astronomiques tahitiens me sont apparus.

Qu’il me soit également permis de remercier mes amis Hawaiiens de la Polynesian Voyaging

Society, le maître-navigateur, Nainoa Thomson, qui m’a encouragé à aller jusqu’au bout, après avoir

pris connaissance des « rua » et des « pou » et ses compagnons navigateurs, Chad Baybayan, Bruce

Blankenfeld, Shantell De Silva, Catherine Fuller, ainsi que Tua Pittman, le maître navigateur de

Rarotonga.

Merci à mes amis de l’association culturelle Haururu, Urarii, Vetea, Christine, Mateata,

Doris, etc., au directeur John Doom, ainsi qu’à tous les membres du Fare Vana’a / Académie

Tahitienne, au président de Karuru Vanaga / Académie Pa’umotu, Jean Kape, au président de Tuhuna

o te Eo Enata / Académie marquisienne, Toti Teikiehuupoko.

Un grand merci enfin, à mon épouse, Diana, pour son soutien sans faille, sa compréhension et

sa grande patience, ce qui m’a permis de mener, en toute sérénité, ce projet, ainsi qu’à nos enfants et

petits-enfants.

A ma famille, à mes proches et à tous ceux que je n’ai pas cités, et qui ont eu une part dans ce

travail, un seul mot, māuruuru.

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MYTHES, ASTRONOMIE, DÉCOUPAGE DU TEMPS ET NAVIGATION

TRADITIONNELLE : L’HÉRITAGE OCÉANIEN CONTENU DANS LES MOTS DE

LA LANGUE TAHITIENNE

TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS .................................................................................................................. i

TABLE DES MATIÈRES ........................................................................................................ iii

ILLUSTRATIONS ................................................................................................................... vii

INTRODUCTION .................................................................................................................... 1

CHAPITRE I : AUX ORIGINES............................................................................................... 7

1. À la découverte de l’astronomie tahitienne .................................................................. 7

2. À la découverte des navigateurs Tahitiens ................................................................. 13

3. Aux sources austronésiennes ..................................................................................... 21

4. Les origines linguistiques ........................................................................................... 23

5. Les langues océaniennes ............................................................................................ 27

6. Les Océaniens « Lapita » ........................................................................................... 32

7. Les origines génétiques .............................................................................................. 34

8. Le tahitien, le bout d’un voyage commencé à Taiwan .............................................. 38

9. Les sources écrites ..................................................................................................... 39

CHAPITRE II : MYTHES ET RÉALITÉS ............................................................................. 43

1. Mythologie et cosmogonie ......................................................................................... 43

2. Astronomie traditionnelle et astrologie ...................................................................... 50

3. La rationalité du mythe .............................................................................................. 54

4. Linguistique et mythe ................................................................................................. 63

CHAPITRE III : COSMOGONIE ET COSMOLOGIE .......................................................... 71

1. État des connaissances au moment du contact ........................................................... 71

2. La coutume du pī ........................................................................................................ 89

3. Cosmogonie tahitienne ............................................................................................... 92

a. La création du monde ............................................................................................ 92

b. La séparation du ciel et de la terre ......................................................................... 99

c. L’apparition des corps célestes ............................................................................ 101

d. L’érection du dôme du ciel .................................................................................. 111

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iv

e. La répartition du dôme en dix « ciels » ............................................................... 114

4. La représentation du monde ..................................................................................... 117

CHAPITRE IV : ASTRONOMIE .......................................................................................... 127

1. Richesse des termes ................................................................................................. 127

a Les termes géographiques ................................................................................... 127

b Rua mata’i : compas et chemin des vents ........................................................... 129

2. Les termes astronomiques ........................................................................................ 137

3. Les astres : fetūhoro, ‘avei’a, ta’urua, ‘ana, pou .................................................... 140

a. Fetū-horo : planètes ............................................................................................. 140

b. ‘Avei’a : étoiles-guides zénithales ....................................................................... 142

c. Hui fetū ou hui tārava : constellations ................................................................ 143

d. Ta’u-rua : étoiles-guides à l’horizon, repères de rua .......................................... 146

e. Rua : chemin d’étoiles ......................................................................................... 148

f. Rua : Dans les autres îles polynésiennes ............................................................. 155

g. ‘Anā : repère de pou ............................................................................................ 156

h. Pou : pilier céleste - méridien .............................................................................. 160

4. Les étoiles et les constellations remarquables du ciel tahitien ................................. 166

CHAPITRE V : NAVIGATION ASTRONOMIQUE ........................................................... 171

1. Introduction .............................................................................................................. 171

2. Navigation par les Rua, les« chemins d’étoiles » .................................................... 172

a. Premier préalable : identifier les ’avei’a, les « étoiles zénithales », du point de

départ et de la cible ............................................................................................ 172

b. Deuxième préalable : repérer les rua, de l’île de départ et de l’île-cible ........... 177

c. Troisième préalable : prendre deux repères fixes au sol ..................................... 178

d. Principe de la navigation avec le rua .................................................................. 180

e. Les dix rua du firmament .................................................................................... 188

f. Naviguer en utilisant deux ta’urua ...................................................................... 191

3. Navigation par les pou,les « piliers célestes » ......................................................... 192

a. Principe ................................................................................................................ 192

b. Les problématiques liées à la navigation par les pou .......................................... 193

c. Pou et méridien ................................................................................................... 196

d. Les dix pou du firmament ................................................................................... 197

e. Navigation avec les pou dans l’hémisphère Sud ................................................. 198

f. Les pou, « oubliés » par les spécialistes .............................................................. 200

4. Comment naviguer à l’aide des Pou et des Rua ....................................................... 202

a. La méthode .......................................................................................................... 202

b. Exemples de navigation ....................................................................................... 204

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v

5. Conclusion ............................................................................................................... 209

CHAPITRE VI : NAVIGATION AVEC LES ELEMENTS NATURELS ........................... 211

1. Affiner la navigation astronomique par l’observation de l’environnement ............. 211

2. Viser la cible en tenant compte de la dérive ............................................................ 215

3. Choisir comme cible un groupe d’îles ..................................................................... 216

4. Utiliser la houle comme compas .............................................................................. 220

5. Utiliser les couleurs de la mer .................................................................................. 222

6. Les débris flottants ................................................................................................... 222

7. La houle à l’approche d’une île ................................................................................ 223

8. Paku : la coloration particulière des nuages au-dessus d’une île ............................. 226

9. Les cumulus accrochés aux montagnes des îles ....................................................... 228

10. Le vol des oiseaux et leur rayon d’action ............................................................... 230

11. Conclusion .............................................................................................................. 232

CHAPITRE VII : LE DÉCOUPAGE DU TEMPS ................................................................ 235

1. Concept et mesure du temps .................................................................................... 235

a Introduction ......................................................................................................... 235

b Conceptualisation du temps ................................................................................. 236

c Quantification du temps ...................................................................................... 240

d Le temps dans les sociétés traditionnelles ........................................................... 241

e Le temps chez les Tahitiens : une succession de moments présents ................... 243

f Conception généalogique du temps ..................................................................... 245

2. Tai’o-pō, le décompte des phases lunaires ............................................................... 247

3. Tai’o tau, le décompte des lunaisons ....................................................................... 256

a La durée de l’année lunaire ................................................................................. 256

b Les calendriers tahitiens du XVIIIe siècle. ......................................................... 258

c L’année calendaire à Tahiti : deux tau, ayant chacune, un début et une fin. ...... 263

d Le cas des mois intercalaires : Ta’ao’a et Firi’a ................................................. 265

e Synthèse sur les calendriers tahitiens .................................................................. 266

f Les limites du calendrier lunaire ......................................................................... 269

4. Tau-ma-te-tai’o, le décompte des saisons ................................................................ 270

a. Le soleil comme limite des saisons ..................................................................... 270

b. Matari’i comme repère des saisons ..................................................................... 272

c. L’unité de l’année ................................................................................................ 273

d. Les limites de l’année .......................................................................................... 274

e. L’année tahitienne : taumatetai’o ou matahiti ? ................................................. 275

f. Matahiti : le jour du lever de Matari’i ................................................................ 276

5. U’i, le décompte des générations ............................................................................. 278

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vi

a Le temps au-delà de l’année ................................................................................ 278

b U’i, unité de temps .............................................................................................. 279

c Le regroupement des années en u’i ..................................................................... 281

6. Les rituels fixés par les astres .................................................................................. 284

a Les rites du Pa’iatua et le rythme solaire ............................................................ 284

b Les rites agraires et le rythme de Matari’i .......................................................... 286

c Le calendrier des rituels ...................................................................................... 288

7. Conclusion ............................................................................................................... 297

CHAPITRE VIII : PRESCIENCE ......................................................................................... 299

1. Hi’ohi’o, taura, mana, tapu ..................................................................................... 299

2. Présages, augures, énigmes, songes, prophéties, ..................................................... 303

3. Astrologie ................................................................................................................. 306

4. Une astrologie basée sur les phases lunaires ............................................................ 309

CHAPITRE IX : HYPOTHESE SUR LA DECOUVERTE DES ÎLES ................................ 317

1. Voyages et peuplement des îles ............................................................................... 317

2. Les voyages programmés ......................................................................................... 318

3. Les voyages d’explorations ...................................................................................... 320

4. L’exploration par les indices de présence d’une île ................................................. 326

5. La découverte des pointes du triangle polynésien ................................................... 327

6. Conclusion ............................................................................................................... 330

ANNEXE 1 : La liste des étoiles et des constellations ........................................................... 333

ANNEXE 2 : La carte tahitienne du ciel ................................................................................ 365

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 367

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vii

ILLUSTRATIONS

Images :

1. Pirogue de pêche de Taïti. .................................................................................................. 14

Cartes :

1. Les zones biogéographiques majeures des îles du Sud-Est asiatique et du Pacifique ....... 22

2. Les limites géographiques des sous-familles austronésiennes ......................................... 266

3. Les limites géographiques de l’Océanie ............................................................................. 33

4. Un nouveau modèle sur les origines des Polynésiens ........................................................ 37

5. La carte de Tupaia ............................................................................................................ 136

Figures :

1. Arbre généalogique des langues austronésiennes selon Blust ........................................... 23

2. Arbre généalogique des langues austronésiennes selon Ross ............................................ 24

3. Arbre généalogique des langues austronésiennes, selon Pawley et Cie. ............................ 25

4. Arbre généalogique des langues océaniennes,selon Pawley et Cie. .................................. 28

5. Arbre généalogique des langues polynésiennes, selon Kirch et Green .............................. 31

6. Représentation du monde : les dix « ciels » ..................................................................... 122

7. La rose des vents de Puhoro. ............................................................................................ 133

8. Rua, une suite d’étoiles alignées qui émerge de l’horizon ............................................... 148

9. Rua-roa et Rua-poto ......................................................................................................... 152

10. Rua et ta’urua .................................................................................................................. 153

11. Les étoiles ‘anā se lèvent à l’horizon ............................................................................. 165

12. Les étoiles zénithales « ‘avei’a » .................................................................................... 174

13. Mesure de la hauteur de Tauhā (la Croix du Sud) .......................................................... 176

14. L’empreinte d’une étoile zénithale sur le sol et d’un rua ............................................... 178

15. Le navigateur s’aligne sur deux repères situés au sol ..................................................... 179

16. En zone tempérée, les étoiles se lèvent en biais .............................................................. 181

17. En zone tropicale, les étoiles se lèvent directement vers le sommet du ciel ................... 182

18. La navigation par la méthode des rua (1) ....................................................................... 186

19. La navigation par la méthode des rua (2) ....................................................................... 187

20. Plusieurs chemins d’étoiles rua parcourent le ciel d’Est en Ouest. ................................ 188

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viii

21. L’empreinte laissée par la trajectoire des Ta’urua. ......................................................... 189

22. Rua-fetū « compas d’étoiles » ......................................................................................... 190

23. La navigation par la méthode des deux ta’urua .............................................................. 191

24. Le problème d’une navigation Nord / Sud ...................................................................... 194

25. Vue de la sphère céleste, depuis l’Est, avec les pou ....................................................... 198

26. Vue de la sphère céleste, depuis le Sud, avec tous les pou ............................................. 199

27. Traversée Tahiti / Nuku-Hiva ......................................................................................... 205

28. Traversée Tahiti-Hawai’i ................................................................................................ 207

29. Traversée Tahiti-Rarotonga ............................................................................................. 209

30. Les zones de navigation .................................................................................................. 213

31. Navigation en tenant compte de la dérive ....................................................................... 216

32. Navigation en ciblant un bloc d’îles ................................................................................ 218

33. Naviguer avec la houle ................................................................................................... 221

34. Analyse des débris flottants............................................................................................. 223

35. Déformation de la houle au voisinage de la terre ............................................................ 224

36. Paku, les nuages colorés ................................................................................................. 226

37. Paku - La coloration particulière d’un nuage .................................................................. 228

38. Les terres montagneuses peuvent engendrer de gros nuages .......................................... 229

39. Le rayon d’action des oiseaux ......................................................................................... 231

40. L’axe du temps en Occident ............................................................................................ 236

41. L’axe du temps à Tahiti .................................................................................................... 246

42. Les vents dans l’océan Pacifique .................................................................................... 325

Tableaux :

1. Compas des vents rua-mata’i de Puhoro, ........................................................................ 130

2. La dimension des blocs formés, par les groupes d’îles .................................................. 2199

3. Les phases lunaires selon Banks, Solander, Forster et Henry. ......................................... 248

4. les phases lunaires selon Tati, l’Imprimerie Officielle et Mape Teihotaata. .................... 250

5. Les calendriers tahitiens à la fin du 18ème

siècle et du début du 19ème

siècle ................... 259

6. Tentatives de reconstitution de modèles de calendriers tahitiens. ................................... 267

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1

INTRODUCTION

Comment l’Univers a t-il commencé ? A cette question, la tradition universelle

apporte d’innombrables réponses sous forme de mythes. Tous les peuples y ont eu recours à

un moment ou à un autre de leur histoire. En l’absence de toute science, seul le mythe était

capable d’expliquer et de justifier l’existence de toute chose dans l’Univers.

Le soin de créer et d’organiser le monde y est confié à des entités aux capacités et aux

pouvoirs étonnants, comme Ta’aroa, le dieu créateur de l’Univers chez les Tahitiens. Ces

dieux ont naturellement accordé toute leur attention à la Terre, la raison d’être de tout le

cosmos. La Terre, sans rivale dans toute la création, s’étendait solide et massive sous les pieds

des hommes. C’est ainsi que les Tahitiens symbolisaient Papa (ou Te-papa), la Terre, la

fondation du monde.

Les mythes cosmiques peuvent séduire par leur beauté ou rester des vecteurs de la foi.

Opposés à la raison depuis les découvertes de Copernic, ils ne sont pas considérés comme des

solutions scientifiques, au sens moderne du mot. La formulation de la relativité générale, les

progrès de l'astronomie optique, puis de la radioastronomie confèrent aux théories qui ont

cours aujourd'hui, toutes les apparences du sérieux et de la rationalité qui laissent derrière eux

l’encombrant héritage des mythes poétiques des sociétés traditionnelles.

Pourtant, la cosmologie a commencé le jour où l'homme s'est posé la question : qu’y a-

t-il au-delà de l’horizon et que s’est-il passé, avant le tout premier événement dont nous

puissions nous souvenir ? Pour le savoir, la méthode consistait à interroger ceux qui avaient

voyagé très loin, et de conjecturer sur ce qu’ils avaient vu. De même, le grand-père évoquait

sa jeunesse et ce que son grand-père lui avait rapporté, et ainsi de suite. Mais plus les lieux et

les époques étaient éloignés, plus l’information devenait incertaine. Ceux qui partaient au loin

revenaient le plus souvent, avec leurs expériences, racontées sous forme d’aventures

extraordinaires, qui devinrent au fil du temps des mythes, lesquels étaient retransmis à leur

tour de génération en génération.

Page 15: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

2

À Tahiti, la demande et les questionnements de connaissances, sur les régions très

lointaines et les temps très anciens, étaient satisfaits par des personnes qui prétendaient

pouvoir donner des informations précises sur les contrées et les temps les plus reculés. Ce

savoir était transmis dans le cadre d’institutions établies, le fare ‘aira’a-‘upu, la « maison

d’imprégnation des invocations », ou, l’ana vaha-rau, la « grotte aux nombreux orifices »

(Henry, 1968 : 81), comme celle située à Ha’apape (aujourd’hui, la commune de Mahina),

tenue par un cercle d’érudits, les tahu’a, des initiés en charge des connaissances, et les ari’i,

les aînés des lignées généalogiques d’origine divine. A la question, comment ils pouvaient

savoir tout cela, alliant le savoir à la divination, ils répondaient qu’ils étaient en liaison avec

les dieux, et obtenaient des « révélations » sur les structures de l’univers et la manière dont il

avait été créé. Les mythes ayant trait à cette création et à cette structure devinrent partie

intégrante de la vie des Tahitiens.

Dans leurs plus anciennes mythologies, le monde apparaît comme éternel. Lorsque les

dieux le « créèrent », leur tâche consista essentiellement à apporter de l’ordre dans un chaos

originel. La contribution de l’astronomie à la cosmologie était indispensable. Le système

reposant sur l’idée que si les dieux ont créé le monde, nous devons retrouver une certaine

forme d’ordre que l’on pourrait qualifier de « sublime », dans la structure des objets célestes.

Or, la figure géométrique la plus « parfaite » que les Tahitiens avaient imaginée pour leurs

dieux, car la seule présente dans leur environnement, était le cercle, simple, concentrique, ou

en spirale, et, s’il prenait la forme d’un volume, c’était l’œuf.

Selon leurs croyances, le dieu suprême, Ta’aroa, était confiné à l’intérieur d’une

coquille en forme d’œuf, Rūmia1. Celui-ci tournoyait depuis le début des temps dans l’espace

ténébreux et infini. Un jour, s’ennuyant, il eut envie de sortir, il s’appuya sur une partie de sa

coquille, se tint debout sur une autre et contempla le vide. Décidant de le combler, il créa

alors le monde, en prenant pour fondement les deux coquilles. La première devint, au-dessus,

le dôme du ciel et la seconde, au-dessous, les fondations du monde2. Issus de ce principe, le

ciel et la Terre héritèrent de leurs formes sphéroïdales. Ainsi sera le monde.

1 L’Académie tahitienne écrit Rūmia, en allongeant la voyelle phonique /u/. Henry l’écrit sans l’allonger car elle

n’emploie pas le signe diacritique de l’allongement des voyelles / / inconnue chez elle. Elle le traduit par

« bouleversé ». Rū-mia, selon les découpages, peut être composé de la racine, rū« trembler, secouer », et du

suffixe de passivation polynésien mia, désuet en tahitien aujourd’hui mais toujours en vigueur dans certaines

langues polynésiennes comme le maori. Rū-mia pourrait donc signifier « qui a été secoué », ce qui confirme la

traduction proposée par Henry.

2 HENRY, 1968 : pp. 343-347 - « Chants de la création, la Création du Monde, première et deuxième version ».

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3

D’une certaine façon, la cosmologie tahitienne était en accord avec les observations :

les étoiles semblaient se mouvoir sur le dôme céleste à une vitesse constante, d’autres objets,

comme le soleil, la lune et les planètes avançaient sur des dômes invisibles, plus proches,

selon leurs allures. De ce constat, les Tahitiens tirèrent une réponse : il existerait plusieurs

sphères, superposées les unes sur les autres, chacune renfermant leurs propres objets : des

grandes ou des petites étoiles, des objets fixes, mobiles, brillants ou ternes... Ils identifièrent

une dizaine de « ciels », de Ra’i-tua-tahi « premier ciel », en bas, jusqu’à Ra’i-tua-tini

« dixième ciel » (Henry, 1968 : 428), au sommet, apportant ainsi, à leur manière, une réponse

au problème de la complexité des phénomènes célestes.

L’intérêt qu’ils manifestaient pour le ciel n’était pas qu’une exaltation face aux œuvres

divines : ils étaient à l’affût du moindre signe qui pouvait leur dévoiler les desseins des dieux,

afin de satisfaire leurs envies et pour s’assurer en retour, leurs bienfaits. La lune en particulier,

jouait un rôle capital dans le destin des hommes. Chacune de ses phases a vu naître une ou

plusieurs divinités. Elles influençaient la vie des humains. Mais il y avait des besoins encore

plus vitaux de vouloir découvrir les secrets du ciel, liés au milieu océanique dans lequel ils

vivaient : la localisation dans l’espace et la mesure du temps.

Les étoiles, les planètes, le soleil et la lune, combinés, étaient pour eux un gigantesque

compas céleste et un remarquable instrument pour régenter le temps. Sa lecture faisait partie

du travail quotidien du fa’atere3, du « maître navigateur » et du tahu’a

4, de l’« expert initié ».

Le premier avait la charge d’entretenir les circuits d’alliance entre les chefferies et de veiller à

l’approvisionnement de la société en biens et en objets, indispensables aux rituels et aux

échanges, comme les très prisées plumes rouges. Le second devait guetter l’approche des

saisons et des principaux événements, avec la plus grande précision, sous peine de voir des

tabous transgressés.

Les Tahitiens ont toujours su, exactement, où ils se trouvaient, que ce soit sur une île

ou sur une pirogue, ils avaient dans le ciel leurs outils astronomiques : les planètes, le soleil,

la lune et les étoiles. Ils formaient avec, un système de coordonnées géographiques, reposant

3Fa’atere : « pilote, timonier » (Davies) – Fa’atere va’a : « barreur » (Henry, 1968).

4Tahu’a : « Spécialiste, expert ». Il y avait des tahu’a pure « Prêtres » ; des tahu’a tahutahu « Sorciers » ; des

tahu’a rā’au « Guérisseurs par les remèdes à base de plantes », les tahu’a va’a « Constructeurs de pirogues,

etc. ». (Académie Tahitienne)

Page 17: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

4

sur des « chemins d’étoiles » et des « piliers célestes », tracés par les dieux, dans le ciel. Ces

concepts étaient basés sur quelques lois simples, accessibles à ceux qui étaient initiés aux

mythes et qui en avaient la clef.

Grâce aux études et aux voyages expérimentaux réalisés par la pirogue double

hawaiienne Hokule’a, des spécialistes, tels David Lewis5, Ben Finney

6, Will Kyselka

7 ou

Nainoa Thomson8, ont réussi, à force de persévérance et de patience, à percer les secrets de la

navigation astronomique polynésienne. Ils ont observé et étudié les derniers navigateurs

océaniens, en particulier le Micronésien Mau Pialug, le pilote du voyage inaugural de

Hokule’a en 1976. Il leur a révélé tout ce qu’il pouvait leur donner, son expérience et sa

technique, mais il restait une chose qu’il ne pouvait leur transmettre, me confia un jour

Nainoa Thomson, la conceptualisation du ciel pour en faire un outil de navigation

astronomique. La langue était une barrière. Derrière les récits mythologiques et le vocabulaire

astronomique de Satawal, se cache encore la vision océanienne du ciel. Nous ignorons donc

toujours, conclut Nainoa, comment des Océaniens ont conceptualisé et modélisé les astres,

pour en faire un instrument de navigation astronomique9.

Le présent projet de recherche se construit, de ce fait, autour de la notion dite de

« paléontologie linguistique », cela consiste à faire des déductions à partir de preuves

linguistiques fournies par la reconstitution d’une langue plus ancienne. Elle est fondée sur une

étude étymologique du corps lexical relatif au ciel, contenu dans les mythes et les lexiques

tahitiens, dans le but de retrouver les véritables définitions, et mettre ainsi en évidence des

concepts astronomiques. Il est nécessaire de passer par une recherche sémantique, pour

retrouver la signification des noms classificatoires des étoiles, et savoir pourquoi elles ont été

appelées ainsi. Leur décryptage permet de déterminer leur usage.

5 LEWIS, David, 1994, (1972). We, the navigators, The Ancient Art of Landfinding in the Pacific.

6 FINNEY, Ben, 1979. Hōkūle’a : The Way to Tahiti.

7 KYSELKA, Will, 1987. An Ocean in Mind.

8 THOMSON, Nainoa, site Internet de la Polynesian Voyaging Society - pvs.kcc.hawaii.edu

9 Dans les discussions que nous avons eues avec Nainoa Thomson, celui-ci nous fit part d’un regret, celui de ne

pas avoir pu échanger avec Mau Pialug dans la langue de Satawal. Toute sa science reposait en effet sur des

concepts micronésiens impossibles à expliquer en anglais sans une réelle compétence dans les deux langues.

Aujourd’hui, si nous savons naviguer comme il nous l’a enseigné, souligne-t-il, il nous reste encore à

comprendre les principes qui guidaient sa science.

Page 18: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

5

Selon le chant relatif à la « naissance des corps célestes » (Henry, 1928 : 359)10

, les

Tahitiens eurent la sagesse intuitive de classer les étoiles, non pas en fonction de leur

grandeur comme le fit Hipparque dans la Grèce Antique, classification dont a hérité

l’astronomie moderne, mais suivant leur utilisation en tant qu’instrument de localisation dans

l’espace. Ils les avaient ainsi répertoriées dans des classes distinctes, repérables grâce à leurs

noms. Une étude sémantique et comparative nous a permis de reconnaître leur fonction.

Le travail du linguiste est ici essentiel, les reconstructions ne sont pas des sortes de

matériaux dont chacun peut faire usage. Elles nécessitent, pour chaque utilisation, des

précisions de nature linguistique. Le texte de la naissance des étoiles ne relève pas seulement

de la culture poétique, mais également, d’un acquis scientifique, discernable au travers des

définitions. Les experts en astronomie et en navigation polynésienne, M. Makemson11

, K.

Akerblom12

, B. Finney, D. Lewis, E. Dodd13

, H. Kane14

, N. Thomson ou W. Kyselka, etc.,

l’ont parcouru maintes et maintes fois. Cependant, les ayant abordés prioritairement sous

l’angle de l’astronomie et de l’anthropologie, ils ne pouvaient objectivement pas approcher la

manière dont les anciens Tahitiens ont conceptualisé les astres pour en faire un outil de

localisation. Il leur manquait l’éclairage sémantique en diachronie.

Les réalités contenues dans les mythes cosmologiques tahitiens ne se dévoilent qu’au

regard des définitions. L’étude étymologique étant l’une de ses exigences.

10 La version française de la « Naissance des corps célestes », figurant dans l’ouvrage de T. Henry, Tahiti aux

temps anciens, comporte de nombreuses erreurs ou omissions. Il est nécessaire de recourir à la version anglaise

parue en 1928, Ancient Tahiti, pour avoir le texte complet en tahitien, ainsi que l’intégralité de la traduction en

anglais.

11 MAKEMSON, Maud, 1941, The Morning Star Rises.

12 AKERBLOM, Kjell, 1968, Astronomy and navigation in Polynesia and Micronesia.

13 DODD, Edward, 1972. Polynesian seafaring.

14 KANE, Herb, 1991. Voyagers.

Page 19: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

6

Page 20: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

7

CHAPITRE I : AUX ORIGINES

AUX ORIGINES

1. À la découverte de l’astronomie tahitienne

L’astronomie fut sans doute la discipline organisée la mieux objectivée chez les

Tahitiens. Leur maîtrise de l’art de la navigation hauturière durant plus d’un millénaire

réclamait une connaissance quasi-parfaite des mouvements des étoiles et des planètes. Nous

savons par exemple par les informations fournies par Tupaia, le Tahitien qui accompagna

James Cook sur l’Endeavour lors de son voyage de retour vers l’Angleterre, que les Tahitiens

avaient une grande expérience de la navigation et qu’ils connaissaient de nombreuses îles.

Voici ce que Banks1 nota à ce propos dans son journal, le 12 juillet 1769, à la veille de leur

départ de Tahiti :

« This morn Tupia came on board, he had renewed his resolves of going with us to

England, a circumstance which gives me much satisfaction. He is certainly a most proper

man, well born, chief Tahowa or preist of this Island, consequently skilled in the

mysteries of their religion; but what makes him more than anything else desireable is his

experience in the navigation of these people and knowledge of the Islands in these seas;

he has told us the names of above 70, the most of which he has himself been at. » (Bank’s

Journal: 12 July 1769)

« Ce matin Tupia (Tupaia) est venu à bord, il a renouvelé son souhait d'aller avec nous en

Angleterre, une occasion qui me donne beaucoup de satisfaction. Il est certainement

l'homme qu’il faut, bien né, chef Tahowa (Tahu’a) ou prêtre de cette île, par conséquent

compétent dans les mystères de leur religion ; mais ce qui le rend, plus que toute autre

chose, attrayant, c’est son expérience de la navigation que ces populations pratiquent, et

sa connaissance des îles de ces mers ; il nous a cité les noms de plus de 70 îles, où pour la

plupart, il est allé lui-même. » (Traduction personnelle)

1 BANKS, J., Banks’s Journal : Daily Entries : http://southseas.nla.gov.au/journals/banks/about.html

Page 21: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

8

Donc selon Banks, Tupaia était un tahu’a2, un « prêtre » en même temps qu’un

navigateur. Ces connaissances s’avéreront précieuses pour la suite du voyage du capitaine

Cook mais aussi pour nous aujourd’hui lorsqu’il nous faut jauger le niveau de science atteint

par les Tahitiens au XVIIIe siècle.

Cinq ans plus tard après ce voyage de Tupaia, Puhoro, un jeune Tahitien que le

capitaine Andia y Varela3 amena au Pérou en 1774 à bord du Jupiter, déconcerta les

Espagnols par ses connaissances des vents. Il a divisé l’horizon en seize secteurs portant

chacun un nom, chaque secteur à l’instar d’un compas correspond à une direction, comme l’a

témoigné le capitaine dans son journal :

« One of them named Puhoro came to Lima on this occasion in the frigate, and from him

and others, I was able to find out the method by wich they navigate on the high seas:

which is the following. They have no mariner’s compass, but divide the horizon into

sixteen parts, taking for the cardinal points those at which the sun rises and sets […] He

knows the direction in which his destination bears : he sees, also, whether he has the

wind aft, or on one or other beam, or on the quarter […] (Corney, 1913 : 284)

« L'un d'eux, nommé Puhoro est venu à Lima à cette occasion sur la frégate, et par lui et

ainsi que par d'autres, j'ai pu trouver la méthode par laquelle ils naviguent en haute mer :

qui est la suivante. Ils n'ont pas de compas de marine, mais ils divisent l'horizon en seize

parts, en prenant pour points cardinaux, ceux où le soleil se lève et se couche [...] Il

connaît la direction vers laquelle il se dirige : il voit, aussi, si le vent vient de l’arrière, ou

s’il vient de l’un ou l’autre rayon, ou d’un quartier. » (Traduction personnelle)

Il expliqua ensuite aux Espagnols que ses congénères se servaient des étoiles pour

naviguer la nuit, ils en connaissaient un grand nombre :

« When the night is a clear one, they steers by the stars ; and this is the easiest navigation

for them because, these being many [in number], not only do they note by them the

2 Tahu’a : Spécialiste, expert, le détenteur du savoir et de la connaissance. Par exemple, le tahu’a va’a est le

spécialiste pour la construction des pirogues ; le tahu’a fare est expert en construction de maison ; le tahu’a

tautai est celui qui étudie les saisons de pêche au moyen d’un calendrier ; le tahu’a rā’au est le « médecin »

spécialistes des plantes médicinales ; le tahu’a pure est l’expert pour réciter les prières et les incantations dans

les cérémonies religieuses ; le tahu’a marae dirige la construction de marae, les « édifices religieux » ; le tahu’a-

nui ou tahu’a-rahi est le grand prêtre qui dirige les cérémonies religieuses.

3 CORNEY, B., G., 1913. The Quest and Occupation of Tahiti by Emissaries of Spain.

Page 22: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

9

bearing on which the several islands with which they are in touch lie, but also the

harbours in them, so that, they make straight for the entrance by following the rhumb of

the particular star that rises or sets over it ; and they hit it off with as much precision as

the most expert navigator of civilized nations could achieve. » (Corney, 1913 : 284)

« Par nuit claire, ils s’orientent avec les étoiles. C'est la navigation la plus facile pour eux

car vu leur nombre, non seulement ils savent grâce à elles la direction de plusieurs îles

avec lesquelles ils maintiennent des contacts, mais aussi leurs ports, de sorte qu’ils se

dirigent droit vers leur entrée en suivant le rhumb4 d’une étoile particulière qui se lève ou

se couche au-dessus d’elle. Ils y parviennent avec autant de précision que pourrait le faire

la plupart des experts en navigation des nations civilisées. » (Traduction personnelle)

La science de la navigation donc le fait de maîtres-navigateurs appelés fa’atere

« pilote / navigateur » et ils étaient nombreux précise Andia y Varela un peu plus loin :

« There are many sailing-masters among the people, the term for whom is in their

language « fatere ».

« Il y a de nombreux maîtres-navigateurs parmi ce peuple, le terme par lequel ils sont

désignés dans leur langue est fa’atere. » (Traduction personnelle)

Le terme fa’atere ou fa’atere va’a apparaît plusieurs fois dans le récit de la naissance

des étoiles qui figure dans Tahiti aux Temps Anciens (Henry, 1968 : 368 – 373). Il est assimilé

à une étoile ou une planète devenue le pilote d’une constellation, laquelle symbolisait une

embarcation. Les fa’atere semblent être les détenteurs d’une science que les Tahitiens

semblent bien maîtriser à ce moment-là mais qui allait disparaître prématurément au tout

début du XIXe siècle sans qu’elle ait eu le temps d’être expertisée. Nous essayerons par le

présent travail de faire le point sur les connaissances acquises par les Tahitiens au moment du

contact.

Quelle pouvait être la nature de cette science si parfaitement maîtrisées par les fa’atere

selon les témoignages des premiers Européens qui ont eu la curiosité de les observer ?

Envoyé pour observer le passage de la planète Venus devant le disque du soleil en

1769, le plus « scientifique » des explorateurs anglais, James Cook, choisit de débarquer dans

4Rhumb ou rumb : Chacun des secteurs de la rose des vents.

Page 23: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

10

la baie de Matavai, là où deux ans plus tôt, en 1767, le commandant Wallis mouilla avec le

Dolphin. Il construisit son observatoire astronomique à la pointe Tefauroa, rebaptisée Pointe

Venus après son passage. Ce lieu est hautement symbolique pour ce qui concerne le savoir

ancien car c’est là justement que se trouvait une école d’initiation, Te ana-vaha-rau « La

grotte-aux-nombreux-orifices »5, le centre d’initiation à toutes les connaissances (1968 : 81).

On y apprenait la cosmogonie, la théogonie, les généalogies, les mythes, la musique,

l’histoire, l’éloquence, la géographie, l’astronomie, la médecine, la mesure du temps, la

climatologie, l’architecture navale, la navigation …

Elle y avait notamment accueilli l’un des plus fameux navigateurs tahitiens, Hiro

(Henry, 1968 : 81).

Le récit de ses exploits de navigateur est raconté dans toutes les îles de la Polynésie

orientale6. Il y a laissé des indices lors de ses passages. A Taha’a par exemple, se trouvent

plusieurs rochers appelés Te-‘ūri-a-Hiro « Le-chien-de-Hiro ». A Maupiti, il existe un caillou

de forme oblongue, Te-pahi-o-Hiro « Le-navire-de-Hiro », et une falaise, Te-tūturira’a-a-

Hiro « Le-support-des-genoux-de-Hiro ». À Borabora, nous pouvons visiter Te-timora’a-a-

Hiro « Le-jeu-de-timo-de-Hiro » et Te-ōe-a-Hiro « La-cloche-de-Hiro ». À Huahine, est

dessinée en relief sur une falaise « La-pagaie-de-Hiro », Te-hoe-a-Hiro et aussi bien dans

cette île qu’à Tahiti, dans la vallée de Papeno’o, un pic porte son nom, Te-ure-a-Hiro « Le-

phallus-de-Hiro ». A Ha’apape (Mahina), on trouve une dune de sable construit de sa main,

Te-Mou’a-a-Hiro, et un récif, To’a-Hiro. L’un des sommets de l’île de Ra’ivavae lui est

dédié, Te-mou’a-o-Hiro « La-montagne-de-Hiro ». A Rapanui (Ile de Pâques), il était le dieu

de la pluie. Il existe dans cette île une pierre avec une perforation naturelle que les indigènes

appellent la « trompe de Hiro » (Métraux, 1941 : 200).

Le nom de sa pirogue, Hōhōio « Intriguant », n’est pas fortuit, comme d’ailleurs tous

les noms donnés aux embarcations. Le jour de sa mise à l’eau, un vent envoyé par ‘Ana-muri

« Aster-arrière » (Antarès) l’a accueilli, c’est le signe qu’elle est sous la protection des dieux.

Imprégnée du mana dès son lancement, elle participera aux épreuves auxquelles se soumettra

Hiro, s’emparer des îles qu’il visite en les remorquant et en profitant du sommeil de leurs

5 Traduction de T. Henry.

6 La Polynésie orientale relève d’une partition culturo-linguistique de la Polynésie, distincte de la Polynésie

occidentale. Pour les linguistes, BLUST, BELWOOD, ROSS, PAWLEY, OSMOND, TRYON, etc. c’est la

partie de la Polynésie qui comprend : les îles Hawai’i, les Marquises, les Tuamotu, les îles de la Société, les

Cook, les Gambier, l’Ile de Pâques et la Nouvelle-Zélande.

Page 24: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

11

habitants. Heureusement pour ces derniers, à chacune de ses tentatives, un coq salvateur l’en

empêchera en chantant au moment opportun, ce qui fera fuir le héros. Il fit, avec Hōhōio, le

tour des archipels, rencontrant parfois d’autres héros comme Pai, l’Hercule tahitien (Henry,

1968 : 601). Henry précise en outre que Ta’urua-nui-e-horo-i-te-ahiahi « Grande-

réjouissance-qui-court-le-soir » (Venus en soirée) fut son guide au large (Henry, 1968 :369).

La barrière de la langue n’a pas permis au capitaine Cook, à ses compagnons

naturalistes et au capitaine Varela de collecter plus que des fragments de récits. Pour

comprendre comment les Tahitiens utilisaient les astres et pour saisir ce que Tupaia ou

Puhoro tentaient de leur expliquer, il leur fallait maîtriser la langue. C’est ce que Johann

Reinhold Forster déplora dans son journal en 1774, au deuxième voyage de Cook :

« There is among them in each district one or more Tātā-orrèro who knows their

Cosmogony and theogony, (which I could not learn, in so short time,) who knows their

Geography, History, Winds, Stars etc., Almanac. » (Forster, 1982 : 530)

« Il y a parmi eux dans chaque district un ou plusieurs Tata-orrèro (ta’ata ‘ōrero) qui

connaît leur cosmogonie et leur théogonie (ce que je ne pouvais apprendre en si peu de

temps), qui connaît leur géographie, l’histoire, les vents, les étoiles, etc., l’almanach. »

(Traduction personnelle)

La science tahitienne des étoiles n’a pas donc pu être recueillie et étudiée par les

explorateurs européens de la fin du XVIIIe siècle. Au début du XIXe siècle, elle disparaîtra

prématurément. Ce n’est qu’en 1941 qu’une astronome américaine, Maud Makemson, la

redécouvre lorsqu’elle étudia le texte de la « Naissance des étoiles » qui se trouve dans

Ancient Tahiti paru en 1928. Elle la fait découvrir au monde à la sortie de son livre The

Morning Star Rise, an account of Polynesian astronomy. C’était pendant la Seconde Guerre

mondiale. Les milieux scientifiques prennent connaissance de l’existence d’une science

astronomique élaborée en Océanie. Ils s’y intéresseront à la sortie de la guerre.

Lors de ses trois voyages dans le Pacifique, Cook était admiratif face aux pirogues

tahitiennes, il put admirer leur richesse et leur diversité. Pour notre bonheur, des artistes

peintres les ont immortalisées :

- les pūhoe, les petites pirogues à balancier taillées dans un seul tronc d’arbre,

Page 25: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

12

- les pahī, les pirogues doubles de voyage faites de planches cousues inspirées des

modèles pa’umotu7 et dotées de ‘ie, des voiles en feuilles de pandanus tressées,

- les va’a taurua, les pirogues doubles à voile destinées au cabotage à l’étrave

verticale appelées par la suite va’a tīpaepiti ou va’a tīpaerua, suite à un pī 8 qui frappa les

termes tau et rua.

- les pahī tama’i, les pirogues doubles de guerre manœuvrées parfois à la pagaie par

une centaine de guerriers,

- les va’a motu, les pirogues de lagon à balancier,

- et les va’a tira, les pirogues de pêche aux thonidés à double coque dotées d’une

longue canne à l’avant9.

Lors de la grande manœuvre navale organisée par l’Ari’i Tū dans la baie de Matavai

en 1774, Cook put admirer plus de trois-cents pirogues avec à leurs bords sept mille guerriers,

prêts à livrer bataille avec ceux de l’île voisine de Eimeo (Mo’orea).

Les gens du pays lui ont raconté que certaines de ces embarcations partaient parfois au

loin, dans des îles situées à plusieurs jours de mer et en ramenaient de la nacre, des perles et

des plumes rouges. En tant que marin, il comprit très vite que les Tahitiens maîtrisaient bien

la navigation et qu’en l’absence d’instrument, seules les étoiles pouvaient être leur guide. Il le

nota comme suit dans ses carnets:

« In their longer voyages, they steer by the sun in the day, and in the night by the stars;

all of which they distinguish separated by names, and know in what part of the heavens

they will appear in any of the months during which they are visible in their horizon; they

also know the time of their appearing and disappearing with more precision than will

easily be believed by an European astronomer. » (Hawkesworth, 1779 : 227)

« Dans leurs plus longs voyages, ils se dirigent sur le soleil pendant le jour et, pendant la

nuit, sur les étoiles, qu’ils distinguent par des noms ; ils connaissent dans quelle partie du

ciel elles paraissent dans les mois où elles sont visibles sur l’horizon ; ils savent aussi,

7Pa’umotu : nom donné par les Tahitiens aux habitants des îles Tuamotu.

8 Pī : Coutume qui interdisait l’usage d’une syllabe ou d’un mot devenu sacré parce qu’il entrait dans le nom

d’un roi. (Académie tahitienne)

9 NEYRET, J., 1974. Les Pirogues Océaniennes, 2 volumes. HADDON, A., and HORNELL, J., 1975,

Canoes of Oceania, 3 volumes. DODD, E., 1972, Polynesian seafaring.

Page 26: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

13

avec plus de précision peut-être qu’un astronome d’Europe, le temps de l’année où elles

commencent à paraître et à disparaître. » (Traduction de l’amiral Pâris10

)

Dans le sillage de Cook, le nombre de visiteurs ne cessa de croître et avec eux, une

autre vision du ciel se met en place. La planète Vénus au nom poétique de Ta’urua-nui-horo-

ahiahi « Grande-festivité-qui-court-le-soir »11

deviendra Venuti, son adaptation phonétique en

tahitien. Ta’urua-nui-i-tu’i-i-te-pōrou-o-te-ra’i « Grande-festivité-qui-frappe-le-zénith-du-

ciel » sera dorénavant Iupiti, une transposition de Jupiter. Ta’urua-faupapa, « Festivités-des-

premiers-grands-chefs », l’étoile Sirius si primordiale pour les Tahitiens car c’est celle qui

passe au zénith de l’île de Tahiti, disparaîtra tout simplement du vocabulaire et donc du ciel.

Les noms des étoiles, des constellations et des planètes, porteurs d’une longue tradition,

s’évanouiront, et avec ces noms, tous les concepts qu’elles renferment.

2. À la découverte des navigateurs Tahitiens

Entre 1822 et 1840, Duperrey12, Dumont d’Urville

13, l’amiral Pâris

14 et Lesson

15 ne

purent que déplorer le déclin de l’art de la navigation et la disparition totale de la flotte de

pirogues doubles de l’Ari’i Tū, tant admirée par Cook. L’amiral Pâris, qui faisait partie de

l’équipage de l’Astrolabe, commandé par Dumont d’Urville lors de son voyage autour du

monde, entre 1826 et 1829, réalisa à cette occasion un inventaire des pirogues océaniennes ; il

fit un constat amer :

10 PÂRIS, F., E., 1841. .Essai sur la construction navale des peuples extra-européens, ou collection des navires

et pirogues construits par les habitants de l'Asie, de la Malaisie, du grand Océan et de l'Amérique, dessinés et

mesurés par M. Pâris, capitaine de corvette pendant les voyages autour du monde de l'Astrolabe, la Favorite et

l'Artémise, publié par ordre du Roi sous les auspices de M. Le Ministre de la Marine.

11 Toutes les traductions des noms d’étoiles de ce chapitre sont de T. Henry. Nous apporterons des corrections,

quand nous aborderons la cosmogonie et l’astronomie.

12 DUPERREY, L., I., 1826. Voyage autour du monde : exécuté par ordre du roi, sur la corvette de Sa Majesté,

la Coquille, pendant les années 1822, 1823, 1824 et 1825.

13 DUMONT D’URVILLE, J., S., C., 1988. Voyage pittoresque autour du monde.

14PÂRIS, E., op. cit.

15 LESSON, R., P., 1839. Voyage autour du monde entrepris par ordre du Gouvernement sur la Corvette « La

Coquille ».

Page 27: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

14

« Le long séjour que nous fîmes parmi eux put être utilisé pour les pirogues ; toutes les

grandes ont disparu, mais nous sommes heureux d’en trouver un plan exact dans le

second voyage du capitaine Cook, qui vit réunie une flotte propre à donner une idée

avantageuse de ce qu’était alors Taïti (Tahiti) […] » (Pâris, 1841 : 32)

Le plan qu’il fit d’une embarcation tahitienne de l’époque révèle qu’elle n’avait plus

les caractéristiques des anciens va’a. C’était devenu un compromis entre la pirogue

traditionnelle et les barques européennes récemment introduites, comme nous le montre le

croquis ci-dessous réalisé à Tahiti en 1841. La voile à livarde a remplacé la voile triangulaire

à ailes d’oiseaux si caractéristique des va’a Tahitiens (Image n° 1).

Image N° 1 : Pirogue de pêche de Taïti, Pl. 124, Essai sur la construction navale des peuples extra-

européens, ou collection des navires et pirogues construits par les habitants de l'Asie, de la Malaisie, du

grand Océan et de l'Amérique, dessinés et mesurés par M. Pâris (sources : PÂRIS, 1841).

Quelques années plus tôt, R.P. Lesson, chirurgien à bord de la Coquille commandé par

Duperrey lors de son voyage de circumnavigation scientifique entre 1822 et 1825, déplora que

les Tahitiens négligeaient déjà l’art de la construction navale :

« Un des arts que les Tahitiens modernes semblent négliger est celui de l’architecture

nautique. La fertilité de leur sol leur a rendu moins nécessaires les navigations lointaines.

Ces insulaires, cependant, ont une parfaite connaissance des îles qui, de toutes parts, les

entourent, et qu’ils visitaient plus fréquemment autrefois, soit comme amis, soit comme

Page 28: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

15

ennemis. Nous voyons en effet, dans les gravures que nous ont laissées les premiers

navigateurs qui abordèrent aux îles de la Société, les pirogues ornées de sculptures

emblématiques très soignées, dont on ne découvre nulle trace en ce moment. » (Lesson,

1839 : 386 – 387)

Les déplacements entre les îles s’effectuaient alors sur des barques de type européen.

La boussole, le compas, le chronomètre, l’octant et le sextant avaient mis fin à une pratique

vieille de deux mille ans. Il ne restait aux Tahitiens que les glorieux souvenirs racontés sous

forme de mythes et de légendes retraçant l’épopée de leurs héros navigateurs, Rata, Tāfa’i,

Ta’ihia et Hiro.

Une autre conséquence regrettable de ce bouleversement fut la disparition de l’usage

du calendrier astral tahitien. Son intérêt résidait dans la manière dont les Tahitiens avaient su

résoudre le problème crucial du recadrage des mois lunaires avec les cycles naturels. Les

rituels en prévision de la première récolte de ‘uru16

et de la capture des premiers ‘auhopu17

en

dépendaient. Trois astres entraient successivement en jeu à divers moments de l’année pour

synchroniser les lunaisons avec les saisons : le soleil rā aux solstices et aux équinoxes, les

Pléiades Matari’i à leur lever héliaque du soir18

avant le début de l’été austral et à leur

coucher héliaque du soir19

avant le début de l’hiver austral et enfin, l’étoile Pollux Rehua, à

son coucher héliaque du soir (Moerenhout, 1837 II : 209). Ce qui laisse supposer de la part

des Tahitiens un raisonnement élaboré à propos du temps et des mouvements astraux. De ce

savoir, seul est resté en usage chez les pêcheurs et les agriculteurs, le calendrier lunaire.

La culture traditionnelle tahitienne s’est brutalement effondrée au début du XIXe

siècle et avec elle, l’astronomie. Les voyageurs européens se sont d’ailleurs demandé si cette

science avait réellement existé chez eux, car comment expliquer autrement leur présence au

milieu de l’océan, à six mille kilomètres du continent le plus proche. Jacques-Antoine

Moerenhout qui avait une piètre opinion des talents de marin des insulaires de cette époque,

incapables, écrit-il, de se rendre d’une île à l’autre sans l’aide des Européens, s’était tout de

16‘Uru : fruit de l’arbre à pain.

17‘Auhopu : bonite

18Le lever héliaque du soir ou le lever apparent du soir : premier jour où l'étoile est visible à l’Est à l'opposé de la

lueur du crépuscule juste après le coucher du Soleil. C'est le début de la période de visibilité du soir.

19Le coucher héliaque du soir ou le coucher apparent du soir : dernier jour où l'étoile est visible à l’Ouest dans la

lueur du crépuscule juste après le coucher du Soleil. C'est la fin de la période de visibilité du soir.

Page 29: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

16

même posé la question en 1830 de savoir s’ils n’étaient pas les survivants d’une civilisation

plus brillante :

« Je suis convaincu d’abord, que les peuples de la Polynésie étaient, à l’époque de leur

découverte par les Européens, dans un état de décadence absolue. Je crois en second lieu,

qu’antérieurement à cette même découverte, ils ont dû, pendant plus ou moins longtemps,

et, probablement depuis une époque déjà fort ancienne, connaître un état de civilisation et

de splendeur politique relativement très avancé. » (1837 II : 176)

Plus loin, il précise :

« Il me paraît donc certain qu’il y a eu une seconde époque pendant laquelle les

Polynésiens cultivaient jusqu’à un certain point les arts, les sciences, et se livraient à la

navigation. A cet ordre de choses, qui a dû se prolonger beaucoup dans quelques-unes des

îles, aura insensiblement succédé celui dont j’ai parlé. » (1837 II : 219)

Comme Ellis qui pensait que le mont Meru en Inde pouvait être le pays d’origine des

Tahitiens, Moerenhout était persuadé que leurs nobles ancêtres civilisés avaient pour patrie un

continent englouti (1837 II : 214). Les interlocuteurs qu’il avait en face de lui n’étaient que

les rescapés d’une culture en décadence.

Ce qui est resté du savoir ancien, nous le devons en partie à des explorateurs comme

Cook. Grâce à ses observations et à celles des naturalistes qui l’accompagnaient, nous

pouvons jauger le niveau de connaissance des Tahitiens au moment du contact. La carte que

fit Tupaia pendant le voyage de retour vers l’Angleterre fournit de nombreux indices. Pas

moins de quatre-vingt-quatre îles ont été identifiées par J. R. Forster20

qui chercha à les

localiser entre 1772 et 1774, lors du deuxième voyage de Cook. Elles s’étendent depuis les

îles Marquises jusqu’à Rotuma (Forster, 1996 : 311 – 316). Tupaia lui-même en énumère

cent-trente devant le capitaine Cook (Beaglehole, 1955 : 293 – 294). A tout moment, il

pouvait situer chaque île en pointant du doigt l’endroit du ciel (son étoile zénithale) où il se

trouvait et dire si elle était plus grande ou plus petite que Tahiti (Forster, 1996 : 310).

Deux versions de la carte nous sont parvenues, sur l’une d’elles sont dessinés des

vaisseaux européens. Ils révèlent des contacts passés entre les équipages de ces navires et les

Polynésiens. Tupaia signale que des bateaux européens furent reçus, soit comme des « amis »,

20 FORSTER, J., R., 1996, [1778]. Observations made during a Voyage Round the World.

Page 30: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

17

c’est-à-dire que la rencontre a eu lieu sans qu’il y ait d’incident, soit comme des « ennemis »,

ce qui signifie que le contact ne fut pas heureux. Il donne en outre la date de l’escale en

précisant qu’elle a eu lieu « à l’époque de son tupuna21

» ou « à l’époque du père de son

tupuna » ou encore « à son époque », c’est-à-dire, il y a « trois générations avant lui » ou

« deux générations avant lui » ou « qu’il était déjà né ».

En quittant Tahiti, souhaitant voir une dernière fois ses proches, Tupaia guida Cook

aux îles Sous-le-vent, ce fut la première « grande découverte » que l’Anglais mit à son actif. Il

comprit à cet instant qu’il pouvait lui être utile pour découvrir l’hypothétique continent austral

situé plus loin au Sud selon les géographes européens. Tupaia, de son côté, aurait préféré qu’il

mette le cap à l’Ouest, là où, à dix ou douze jours de navigation, s’étendent plusieurs îles qu’il

a lui-même visitées, peut-être les îles Sāmoa puisqu’il cite l’île de Manu’a située dans cet

archipel. En revanche pour le retour, tient-il à souligner, il faut trente jours à une pirogue

double de type pahī pour remonter les vents et les courants dominants. (Hawkesworth, 1773 :

282)

Mais n’écoutant que les ordres de l’Amirauté au lieu des conseils du Tahitien,

l’Anglais fit route vers le Sud. N’ayant rien découvert de notable mis à part l’île de Rurutu

connu par Tupaia sous le nom de Hitiroa, il se rangea à son avis et vira à l’Ouest pour

rejoindre la Nouvelle-Zélande.

Tout le temps où il était à bord de l’Endeavour, Tupaia pouvait, sans se tromper,

indiquer la direction de Tahiti. A la veille de sa mort à Batavia, il indiquait encore l’endroit du

ciel où se trouve Tahiti en montrant Faupapa (Sirius), l’étoile zénithale de son île qu’il

appelait aussi fièrement fetū roa « Grande étoile ». (Forster, 1996 : 309)

Un an avant Cook, Louis-Antoine de Bougainville22

avait déjà pris la mesure des

dispositions des Tahitiens pour la navigation :

« Au reste, les gens instruits de cette nation, sans être astronomes, comme l’ont prétendu

nos gazettes, ont une nomenclature des constellations les plus remarquables ; ils en

connaissaient le mouvement diurne, et ils s’en servent pour diriger leur route en pleine

mer d’une île à l’autre. Dans cette navigation, quelquefois de plus de trois cents lieues, ils

21Tupuna : « grands-parents ».

22 BOUGAINVILLE, L.-A.,1982. Voyage autour du monde par la frégate du Roi la Boudeuse et la flûte l’Etoile.

Page 31: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

18

perdent toute vue de terre. Leur boussole est le cours du soleil pendant le jour, et la

position des étoiles pendant les nuits, presque toujours belles entre les tropiques. »

(Bougainville, 1982 : 266)

Malgré ses capacités d’observateurs, Bougainville n’eut pas la curiosité de répondre

aux appels désespérés d’Aoutourou (Ahutoru), le jeune Tahitien qu’il prît sous sa protection.

Il insistât auprès du commandant pour le conduire à Ra’iatea, son île natale, afin de saluer une

dernière fois sa famille. L’explorateur français l’aurait tout simplement entendu, il aurait eu le

privilège d’inscrire sur son tableau d’honneur, la « découverte » des îles de Huahine, Ra’iatea,

Taha’a, Borabora et Maupiti, à la place de Cook.

À son second voyage en 1772, Cook accompagné cette fois-ci des naturalistes Johann

et Georg Forster put, pendant les deux années passées à sillonner le Pacifique, vérifier la

pertinence des indications portées sur la carte de Tupaia. Il visita toutes les îles qui y étaient

placées et qui s’étendent des îles Marquises à l’Est jusqu’aux îles Fidji à l’Ouest.

Le séjour de ces naturalistes parmi les Tahitiens fut plus long que celui réalisé par

leurs pairs lors du premier voyage. Ils firent notamment un lexique de sept cents entrées d’un

très grand intérêt pour nous aujourd’hui car le vocabulaire qu’ils ont recueilli est celui du

XVIIIe siècle23

. Ils firent de même partout où ils se rendirent. Ils constatèrent que sur l’espace

maritime exploré, long de 3.500 milles nautiques (6.500 km) et large de 1.200 milles

nautiques (2.200 km), les communautés qui peuplent ces archipels partagent des idiomes

appartenant à une famille. J. R. Forster parvint même à saisir les différences dialectales qui

existent entre les parlers polynésiens.

Il remarqua par exemple chez les Marquisiens, l’absence de la consonne vibrante

alvéolaire [r] : « They are strong and active, speak a language nearly related to that of

Otahaitee, however somewhat different and they especially seldom pronounce the [r]. » - « Ils

(les Marquisiens) sont forts et actifs, parlent une langue proche de celle de Otahaitee (Tahiti),

quelque peu différente cependant, ils ne prononcent surtout que rarement le [r]. (Foster,

1982, vol. 3 : 491). Il constata qu’aux îles de la Société, il existait une variante dialectale

entre le parler des Îles-du-vent (Tahiti) et celui des Îles-sous-le-vent. Dans ces dernières îles,

la consonne [t] est systématiquement remplacée par [k]. Cette distinction s’est peu à peu

23 RENSCH, K., H., 2000.The language of the noble savage, the linguistic fieldwork of Reinhold and George

Forster in Polynesia on Cook's second voyage to the Pacific 1772-1775.

Page 32: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

19

estompée au fil du temps jusqu’à disparaître aujourd’hui. Seuls ceux de Maupiti utilisent

encore le [k] à la place du [t].

Il constata aussi, à l’instar de Cook et de Banks que les coutumes des Maoris de

Nouvelle-Zélande étaient proches de celles des Tahitiens. Incontestablement concluent-il, des

échanges devaient avoir lieu entre les archipels. Or, ne disposant d’aucun instrument de

navigation, comment faisaient-ils pour se rendre dans des lieux aussi éloignés les uns des

autres ?

La tradition orale nous a légué peu d’indices. Certes il y a les généalogies, les mythes,

les contes et les légendes qui décrivent des voyages faits par des dieux et des demi-dieux,

elles n’ont cependant pas la rationalité qu’exige la science. Mais si nous les confrontons aux

témoignages des explorateurs et si nous les abordons d’un point de vue linguistique, cette

tradition orale pourrait livrer ses mystères.

C’est aux missionnaires de la London Missionary Society que nous devons la plupart

de nos connaissances en astronomie. En particulier au révérend Orsmond, dont les travaux de

recueil à partir de 1817, auprès du roi Pomare II et des derniers témoins de l’ancienne société

sont devenus notre source d’information principale. Le manuscrit original, remis au

gouverneur Lavaud, fut égaré et perdu à Paris. Mais sa petite-fille, Teuira Henry, a pu le

reconstituer partiellement. Il fut publié en 1928 sous le titre Ancient Tahiti en version

anglaise. La valeur de son œuvre repose sur la richesse de ses textes en tahitien. La première

version française est éditée en 1951 par la Société des Océanistes sous le titre, Tahiti aux

Temps Anciens. La censure imposée par Henry à son texte « choquée qu’elle fut des pratiques

païennes et en particulier par le polythéisme, l’infanticide, les sacrifices humains et

l’exubérance des mœurs de l’époque »24

, a heureusement épargné la partie relative à

l’astronomie et à la navigation.

En revanche, Jacques-Antoine Moerenhout, qui a côtoyé le révérend Orsmond et qui

s’est fortement appuyé sur ses manuscrits pour rédiger son œuvre, Voyage aux Iles du Grand

Océan, n’eut pas les mêmes scrupules qu’Henry. Même s’il n’avait pas la maîtrise de

l’écriture et de la langue tahitienne, ce que l’on peut regretter, et même si les textes en tahitien

pêchent par leur insuffisance, son interprétation de la vie à Tahiti ne souffre pas de l’influence

24 BABADZAN, 1993. Mythes Tahitiens, p. 10.

Page 33: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

20

religieuse et est, dans le domaine de la spiritualité ou des mœurs traditionnels, plus explicites

que ceux d’Henry25

. Par exemple sa description des rituels du calendrier tahitien est l’élément

de base sur lequel nous pouvons nous reposer pour comprendre comment les Tahitiens

divisaient l’année.

Les autres livres de la même époque sont d’une grande valeur certes, mais ils sont

relativement pauvres en textes tahitiens. Nous devons donc pour ces ouvrages nous en

remettre à la traduction faite par l’auteur. C’est fâcheux car une lecture détachée du filtre

religieux aurait été plus enrichissante. Par exemple l’ouvrage du révérend Ellis, paru en 1829

en anglais sous le titre Polynesian Researches et en 1972 sous sa version française, A la

recherche de la Polynésie d’autrefois, est une description certes très soignée des coutumes

tahitiennes, mais nous ne pouvons pas évaluer sa sincérité faute d’avoir sous la main les textes

tahitiens. Il fait cependant état d’une expérience personnelle, un voyage fort intéressant aux

étoiles entre Tahiti et Huahine en 1820, durant laquelle il put s’entretenir des méthodes

tahitiennes de navigation.

« Les indigènes des îles étaient cependant habitués, jusqu’à un certain point, à reconnaître

l’aspect et la position des étoiles. Principalement en mer, elles étaient leurs seules guides

pour diriger leurs embarcations au-dessus des abîmes. Quand ils partaient en voyage, ils

choisissaient une étoile ou une constellation particulière pour les guider durant la nuit. Ils

l’appelaient leur aveia [‘avei’a]26

et sous ce nom est maintenant désignée la boussole

parce qu’elle répond au même but. Les Pléiades étaient l’aveia favorite de leurs marins et

c’est d’après elles que nous nous dirigeâmes la nuit. » (Ellis, 1972 II : 567)

Cela se passait vers 1820, les Tahitiens lisaient encore les étoiles et les utilisaient pour

se rendre d’une île à l’autre de l’archipel de la Société. Cette aptitude ne semble pas relever

du simple instinct. Tous les témoignages sur le sujet montrent qu’ils maîtrisaient le

mouvement des astres, les cycles climatiques, écologiques et biologiques. Ce savoir, certes

empirique, suffit. Même s’ils n’avaient pas la science telle qu’on la définit aujourd’hui, ils

possédaient un raisonnement qui peut être considéré comme une démarche scientifique.

25Ibid. p. 11.

26‘Avei’a : « repère pour la navigation, tel que le soleil, la lune et les étoiles » (Fare Vāna’a)

Page 34: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

21

Les deux journaux, celui du séjour de dix mois de Maximo Rodriguez entre 1774 et

177527

, et celui de James Morrison entre 1789 et 179128, pour autant qu’ils aient une grande

valeur ethnographique, apportent peu de précision quant à la vision du ciel et aux méthodes de

navigation.

Les journaux des voyages de Wallis, Bougainville, Cook et Bligh, ne sont pas non plus

exempts de regrets. Revus par des éditeurs, ils ont été parfois dépouillés de ce qui aurait pu

être essentiel pour la redécouverte des connaissances traditionnelles. Heureusement, nous

pouvons consulter en ligne l’intégralité de leurs journaux de bord29

.

3. Aux sources austronésiennes

En termes linguistiques, les Tahitiens font partie du sous-groupe polynésien, un

rameau du groupe océanien, lui-même étant une branche de la famille austronésienne.

L'Océanie est un ensemble géographique qui regroupe la Nouvelle-Guinée, la

Mélanésie, la Micronésie et la Polynésie. Ce découpage ne reflète cependant pas la réalité

linguistique. Les langues d’Océanie se répartissent en deux grandes familles absolument

indépendantes : l’indopacifique et l’austronésienne.30

Le peuplement préhistorique de l'Océanie s'est réalisé en deux grandes vagues

migratoires. La première selon Belwood31

s'est produite au début de la seconde partie du

Pléistocène, il y a 45 à 50 000 ans, voire davantage. Elle a amené des chasseurs-cueilleurs à

peupler l'Insulinde puis une partie de l’Océanie, celle appelée « Océanie proche » (Near

Oceania), c'est-à-dire la zone qui couvre le Nord de la Nouvelle-Guinée, les grandes îles

situées à l’Est de celle-ci, celles du Nord de l’archipel des Salomon ainsi que l'Australie. Ils

ont profité d’une baisse importante du niveau de la mer provoquée par les grandes glaciations

27RODRIGUEZ, M., 1995. Les Espagnols à Tahiti (1772-1776).

28 MORRISON, J., 1981. Journal de James Morrison.

29 Les journaux de voyage suivants sont consultables en lignes :

- Banks's Journal, Daily Entries : http://southseas.nla.gov.au/journals/banks/about.html

- Cook's Endeavour Journal, Daily Entries : http://southseas.nla.gov.au/journals/cook/references1.html

- Parkinson's Journal : http://southseas.nla.gov.au/journals/parkinson/001.html

30 BELLWOOD, P., 1978. Man’s conquest of the Pacific.

31 Le Pléistocène couvre la période de -1,6 millions à -10 mille ans.

Page 35: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

22

du pléistocène. Elle était en effet à 100 mètres au-dessous du niveau actuel. Les îles

d’Indonésie étaient alors reliées à l’Asie et formaient un continent plus vaste appelé la Sunda.

La Nouvelle-Guinée ainsi que les îles du Nord des Salomon étaient de leur côté rattachées à

l’Australie et constituaient un autre grand continent, le Sahul. Un bras de mer d’une centaine

de kilomètres séparait ces deux continents.

Des hommes du néolithique ont réussi à le franchir, ce sont les premiers navigateurs

connus de l’histoire de l’humanité. Ils sont les ancêtres des Aborigènes d’Australie et des

populations Papoues qui occupent actuellement la plus grande partie de la Nouvelle-Guinée,

une partie des îles du Nord des Salomon ainsi que certaines îles du Sud de l’Indonésie. Ces

populations papoues sont classées dans une famille linguistique qui leur est propre. Les

Aborigènes d’Australie, font partie d’une autre famille, celle des Australiens.

Aujourd’hui, cette ligne de séparation entre les deux anciens continents est devenue

d’un point de vue biogéographique la ligne Wallace du nom de celui qui la traça pour la

première fois sur une carte. On parle aussi de Wallacea pour décrire cette zone qui constitue la

limite zoologique et faunique entre l’Asie et l’Australie (Carte n° 1).

Carte N° 1: Les zones biogéographiques majeures des îles du Sud-Est asiatique et du Pacifique, la Sunda,

la Wallacea et le Sahul. (Sources: ROSS, M., PAWLEY, A. & OSMOND, M., 2011, The Lexicon of Proto-

Oceanic)

Page 36: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

23

Une cinquantaine de milliers d’années plus tard, la mer monte à son niveau actuel.

Une seconde vague migratoire apparaît alors dans ces zones devenues désormais des îles.

Cela s’est passé il y a environ 5.000 ans. Des populations appartenant à la famille linguistique

austronésienne qui étaient déjà installées à Taiwan s’établirent dans l’Insulinde, c’est-à-dire

aux Philippines, en Malaisie, et en Indonésie. Elles pénètrent dans le Pacifique en suivant la

côte Nord de la Nouvelle Guinée. Un groupe, venant des îles Philippines, s’installe dans

certaines des îles Mariannes.

4. Les origines linguistiques

L’origine taiwanaise des Austronésiens a d’abord été démontrée grâce à la

linguistique. En effet, en reconstituant l'arbre généalogique des langues austronésiennes, il est

apparu que l’ancêtre (ou les ancêtres) de toutes les langues austronésiennes prend (prennent)

leur source à Taïwan. C’est sur cette île que nous trouvons la plus grande diversité

linguistique en termes de « groupes » ce qui induit une plus grande ancienneté.

Sur les dix groupes austronésiens existants, une seule se trouve à l’extérieur de

Taiwan, le Malayo-Polynésien, auquel appartient l’Océanien. Les neuf autres sont

géographiquement réparties sur l’île. Ce sont : l’Atayalic, le Formosan de l’Est, le Puyuma, le

Paiwan, le Rukai, le Tsouic, le Bunun, le Formosan des Plaines de l’Ouest, le Formosan du

Nord-Ouest (Blust, 2009 : p. 29). L’arbre généalogique ci-dessous a été établi par Blust, R. en

1977 (figure 1).

Figure N° 1: Arbre généalogique des langues austronésiennes selon Blust. (Sources: BELWOOD, P., FOX,

J., TRYON, D, 1995. The Austronesians: Historical and comparative perspectives)

(After Blust 1977)

Proto-Austronesian

Atayalic Tsouic Paiwanic Malayo-Polynesian

Page 37: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

24

Ce schéma n’a pas subi de modification, il a simplement été complété plus tard, en

1994, par Ross (figure n° 2).

Figure N° 2 : Arbre généalogique des langues austronésiennes selon Ross. (Sources: BELWOOD, P., FOX,

J., TRYON, D, 1995. The Austronesians: Historical and comparative perspectives)

Les descendants de ces premiers Austronésiens vivent encore aujourd'hui au milieu de

la population chinoise venue s’installer à Taiwan à partir du XVIe siècle. Mais le lien

linguistique mis en évidence implique-t-il un lien biologique entre les populations, c'est-à-dire

un transport important d'individus de Taiwan en Océanie ? Autrement dit, est-on sûr que la

linguistique révèle des vagues migratoires et non simplement, la diffusion d'une langue par

acculturation de populations sur une vaste aire géographique ?

Oui, si l'on en croit l'analyse de la variabilité génétique d’Helicobacter pylori32

, les

études réalisées au niveau de la variation de l’ADN mt33

et de l’ADN des animaux ayant

voyagé avec les Polynésiens34. Les résultats confirment le fait que l’ancêtre de toutes les

souches d’Océanie provient de Taïwan. La dispersion à partir de cette souche ancestrale s'est

produite il y a environ 5 000 ans. Sa propagation dans toute l'Asie du Sud-Est et en Océanie

32 GRAY, R., DRUMMOND, A. J., GREENHILL, S. J., 2009. « Language Phylogenies Reveal Expansion

Pulses and Pauses in Pacific Settlement »

33 SYKES B., LEIBOFF A., LOW-BEER J., TETZNER S., and RICHARDS M., TAN Jiazhen [contributed by],

1998. « Genetic relationship of populations in China ».

34DENNY, M., & MATISOO-SMITH, L., 2010. « Rethinking Polynesian Origins : Human Settlement of the

Pacific »,

(After Ross 1994)

Proto-Austronesian

Formosan dialect linkage Proto-Malayo-Polynesian

Atayalic dialect

linkage

Tsouic dialect

linkage

Paiwanicic dialect

linkage

Page 38: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

25

prend comme point de départ, l’île de Taiwan. C’est ce que nous verrons plus en détail au

sous-chapitre 7. Ce qui recoupe les conclusions fondées sur la linguistique, résumées sur

l’arbre généalogique ci-dessous (figure n° 3).

De fait, les traits culturels, propres aux Océaniens, prendront forme avec l’adaptation à

un nouvel environnement qu’ils partageront avec les Papous établis depuis une quarantaine de

millénaires au Sud de l’Indonésie et au Nord de la Mélanésie.

L'arbre des langues austronésiennes indique clairement que l’ordre chronologique et

géographique dans lequel les zones ont été colonisées, se développent de Taiwan vers

l’Océanie en passant par l’Insulinde. Pour Blust35

, le peuplement s'est fait en deux étapes

successives. D'abord un long arrêt d’au moins deux millénaires à Taïwan puis, sans doute

après avoir acquis sur l’île les techniques de la navigation puisqu’ils ont eu le temps

d’inventer la pirogue à balancier, ils ont franchi vers 1 000 av. J-C le bras de mer qui les

séparait des îles Philippines situées immédiatement au Sud. De là ils ont pu rejoindre sans

trop de difficultés les îles qui s’échelonnent de cet archipel vers l’Indonésie et la Malaisie.

Figure N° 3: Arbre généalogique des langues austronésiennes, du Proto-Austronésien jusqu’au Proto-

Océanien (Proto Oceanic) (Sources : ROSS, Malcolm, PAWLEY, Andrew & OSMOND, Meredith, 2011).

35 BLUST, R., 2009. The Austronesian Language.

Page 39: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

26

Vers -4 000 ou vers -3 500, ils entrent en Océanie en longeant la côte Nord de la

Nouvelle-Guinée et s’installent au Nord de la Mélanésie aux alentours de l’archipel des

Bismarck (Carte n° 2).

Carte N° 2 : Les limites géographiques des sous-groupes austronésiens : Taiwan, Malayo-polynésien-

occidental (Western Malayo-Polynesian : WMP), Malayo-polynésien-central (Central Malayo-Polynesian :

CMP), Halmahera du Sud / Nouvelle-Guinée occidentale (South Halmahera / West New Guinea : SH-

WNG) et l’Océanie (Oceanic) (Sources : ROSS, M., PAWLEY, A. & OSMOND, M., 2011, The Lexicon of

Proto-Oceanic)

A. Pawley, M. Ross et M. Osmond36

de l’Université de Canberra en reconstituant le

vocabulaire thématique des protolangues océaniennes relatif à la culture matérielle, à

l’environnement physique, aux plantes et au monde animal, ont démontré que l’habitat des

locuteurs de ces langues correspondait à celui des régions situées à l’Est de la Nouvelle-

Guinée et au Nord des îles Salomon.

36 ROSS, M., PAWLEY, A. & OSMOND, M., 1998. The Lexicon of Proto-Oceanic, The Culture and

Environment of Ancestral Oceanic Society, Vol. 1 : Material culture

- 2003. Vol. 2: The Physical Environment.

- 2008. Vol. 3: Plants.

- 2011. Vol. 4: Animals.

Page 40: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

27

« Il est un fait certain » d’après A. Pawley37

, « c’est que les cinq-cents langues

d’origine austronésienne présentes dans les îles du Pacifique appartiennent à un seul sous-

groupe, l’océanien, à l’exception d’une trentaine de langues parlée en Nouvelle-Guinée

occidentale et deux autres parlées à la limite occidentale de la Micronésie, le chamorro et le

palau. » (Pawley, 2007 : 9).

Un autre groupe d’Austronésiens issu de Bornéo a pris la route de l’Océan Indien et

s’est installé à Madagascar. Les dialectes malgaches font de ce fait, partie de la famille

austronésienne (Belwood, P., Fox, J. & Tryon, D., 1995 : 84-85).

Du côté de l’Océan Pacifique, le passage obligé par la Nouvelle-Guinée a mené à la

création d’un réseau complexe d’échanges matériels et symboliques significatifs entre les

Austronésiens et les Papous. Il n’a pas été démontré de métissage systématique entre les deux

groupes à cette époque, la souche culturelle commune aux Mélanésiens, aux Polynésiens et

aux Micronésiens, demeure en effet austronésienne. Le terme « océanien » est de ce fait

exclusivement réservé aux populations de souche austronésienne. L’autre groupe présent en

Mélanésie est appelé « Papou ».

Il est important de noter que selon ce schéma, les populations qui occupent l'aire

mélanésienne se répartiront désormais en deux familles linguistiques, celle papoues et celles

austronésiennes.

5. Les langues océaniennes

Les langues austronésiennes telles qu’elles sont actuellement classifiées par les

linguistes proposent un schéma des routes de migration suivies par les leurs locuteurs.

L'éclatement insulaire explique le grand nombre des langues recensées, soit 1 200 à 1 300.

Celles-ci se rassemblent en groupes ou sous-groupes, indiquant des déplacements migratoires

à partir de centres régionaux communs. Il est cependant important de noter que ces origines

linguistiques ne se recoupent pas forcément avec l'origine biologique, une même langue

37 PAWLEY, A., 2007. « Why do Polynesian island groups have one language and Melanesian island groups

have many ? Pattern of interaction and diversification in the Austronesian colonization of remote Oceania ».

Page 41: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

28

pouvant être adoptée par des groupes d'origines distinctes. Certaines ressemblances entre

langues austronésiennes peuvent être également aréales, c’est-à-dire acquises par un long

contact dans une aire commune, et non génétiquement, c’est-à-dire liées à une origine unique

au sein d'un sous-groupe récent. Pour ces raisons, les regroupements de langues en sous-

groupes au sein de la famille austronésienne font encore l'objet de débats nous fait remarquer

D. Tryon.38

Au niveau le plus fondamental, ces langues sont réparties en deux groupes : les

langues de Taïwan et les langues malayo-polynésiennes (Figure n° 1 & n° 2). Au sein du

groupe malayo-polynésien, les langues de l’Insulinde (Indonésie, Malaisie et Philippines) sont

les plus nombreuses. Les langues de Madagascar sont rattachées au sous-groupe des langues

Barito du Kalimantan (Indonésie) qui appartient à la branche Malayo-Polynésienne

occidentale (Western Malayo-Polynesian) donnant ainsi une bonne indication sur leur origine.

Figure N° 4 : Arbre généalogique des langues océaniennes, du Proto-Océanien, jusqu’au Proto-Polynésien.

(Sources : ROSS, M., PAWLEY, A. & OSMOND, M., 2011).

38 TRYON, D., 1995. « Chap. 1. The Austronesians in History : Common Origins and diverse Transformations »

in BELLWOOD, P., FOX, J., TRYON, D., 1995.

Yap Proto

Amirautés

Mussau

Tench

Lignée

Océanienne

Occidentale

Proto

Temotu

Proto Océanien

Lignée

Néo-

Guinéenne

du Nord

Lignée

Vanuatu

du Centre

Proto

Papuan Tip

Lignage

Océanien

Nucléaire du

Sud

Proto

Vanuatu

du Sud

Lignée

Vanuatu

du Nord

Lignée

Méso-

Mélanésienne

Langues des

Loyautés et

Nouvelle-

Calédonie

Proto

Salomon

Sud-Est

Lignée

Océaniennne

Sud-Est

Proto

Polynésien

Proto

Pacifique

Central

Langues

Fidjiennes

Orientales

Lignage

Pacifique

Centre-

Oriental

Lignée

Océanienne

Néo-

Guinéenne

Lignage

Pacifique

Centre-

Occidental

Rotuman Langues

Fidjiennes

Occidentales

Proto

Micronésien

Page 42: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

29

Les langues océaniennes sont une branche des langues malayo-polynésiennes (figure

n° 4). Elles se sont répandues en Mélanésie, en Micronésie et en Polynésie, ainsi que sur les

côtes Nord de la Nouvelle-Guinée, où certaines populations côtières parlent des langues

austronésiennes. Leurs plus proches parents sont les langues du groupe Halmahera du Sud, de

Nouvelle-Guinée occidentale (South Halmahera / West New Guinea : SH-WNG) dans les îles

orientales de l’Indonésie et en Irian-Jaya, une parenté permettant raisonnablement de définir

l'origine des locuteurs de l’océanien dans cette région de l’Insulinde. Le Proto-Océanien

compte neuf groupes principaux (Figure n° 4). L’un d’eux, le Proto-Pacifique Central (Proto-

Central Pacific) regroupe les langues fidjiennes et polynésiennes.

Le Proto-Pacifique Central (Proto Central Pacific) se subdivise à son tour en deux

groupes, le Pacifique Centre-Occidental (Western Central Pacific) et le Pacifique Centre-

Oriental (Eastern Central Pacific) dont sont issus les langues fidjiennes et le Proto-

polynésien. Ces répartitions montrent que les regroupements linguistiques correspondent peu

aux subdivisions géographiques classiques de l’Océanie : Micronésie, Mélanésie et Polynésie.

La Mélanésie, selon cet arbre généalogique (Figure n° 4) semble néanmoins assez

clairement la matrice des langues océaniennes. C’est dans cette région que se trouve le plus

grand nombre de langues et de groupes linguistiques. Cette diversification est un marqueur

significatif, elle tend à confirmer l’ancienneté des locuteurs du malayo-polynésien dans cette

zone39

. Mais attention fait remarquer Pawley, cette diversité est due également au fait que les

Austronésiens n’étaient pas seuls. Ils partageaient cette région avec les premiers colonisateurs

du Pacifique, les Papous. Des interactions, sous forme d’alliance et de mariage, liées au

développement de l’agriculture et à la croissance de la population, ont favorisé la divergence

linguistique en Mélanésie (Pawley, 2007 : 28).

Il s’agit d’une hypothèse déjà émise par lui en 198140. Elle fut l’objet d’une

controverse. Lynch, bien qu’il n’exclut pas cette hypothèse41

, car il admet que la présence des

Papous dans la région ait pu jouer un rôle déterminant au niveau de la diversité linguistique

mélanésienne, émet cependant des réserves sur le mécanisme de spéciation linguistique, car

39 PAWLEY, A., 2007. « Why do Polynesian island groups have one language and Melanesian island groups

have many? Patterns of interaction and diversification in the Austronesian colonization of Remote Oceania ».

40 PAWLEY, A., 1981. « Melanesian diversity and Polynesian homogeneity: a unified explanation for

language »,

41 LYNCH, J., 1981. « Melanesian Diversity and Polynesian Homogeneity: the other Side of the Coin ».

Page 43: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

30

cette diversité existe, également, au-delà des îles Salomon, au Vanuatu et en Nouvelle-

Calédonie où on ne rencontre aucun locuteur papou (Lynch, 1981 : 103).

Ces indices rejoignent toutefois les découvertes archéologiques, les premiers

cultivateurs Lapita (considérés, malgré tout, comme des Austronésiens) s’étant d’abord

installés dans cette région.

Les langues les plus proches de celles de Polynésie sont celles qui partagent avec elles

le groupe Pacifique Central (Central Pacific), les langues de Fidji et de Rotuma. La

linguistique permet ainsi de définir que, malgré les différences superficielles entre les

Polynésiens et les Fidjiens (ceux-ci étant généralement d’apparence et de culture

mélanésienne, c’est-à-dire, plus proche de celle du Vanuatu, des Salomon et de la Nouvelle-

Calédonie), leurs langues font partie d’un sous-groupe commun, ce qui signifie que les

Polynésiens ayant peuplé les îles situées à l’Est des îles Fidji viennent sans doute de cet

archipel.

Ce groupe fonctionne sur le modèle d’une « chaîne de dialectes » qui s’emboîtent de

proche en proche depuis les îles Fidji jusqu’aux îles Tonga et Samoa, en Polynésie

occidentale, là où le proto-polynésien (PPN) prend naissance. Puis, avant qu’il ne se ramifie à

son tour, il y a eu une longue période d’isolation durant laquelle un grand nombre

d’innovations aura conduit à façonner les caractéristiques linguistiques propres cette fois-ci au

sous-groupe polynésien.

Cette période a duré le temps qu’il faut pour que les différences régionales internes au

groupe polynésien amènent une nouvelle partition, celle qui interviendra entre le groupe

tongique et le groupe polynésien nucléaire. Le premier rameau donnera naissance aux langues

des îles Tonga et Niue, le second, aux langues polynésiennes nucléaires d’où seront issues les

langues élycéennes42

(PEC), puis polynésiennes orientales (Proto-East Polynesian : PEP)

(figure n° 5).

Le regroupement « classique » de la famille polynésienne a été préétabli il y a

plusieurs dizaines d’années. Les travaux de A. Pawley (1966, 1967) et de R. Green (1966)

42 Les langues élycéennes sont classées dans un groupe issu du proto-polynésien-nucléaire (KIRCH, P. &

GREEN, R , 2001). Elles sont à la source des langues des îles Samoa, des îles Tuvalu, des îles Tokelau, d’une

partie des langues polynésiennes extérieures (connues dans les ouvrages anglo-saxons sous le nom, d’outliers)

ainsi que des langues de Polynésie orientale, dont le tahitien, le hawaiien, le marquisien, le maori, le pascuan, le

pa’umotu, etc.

Page 44: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

31

furent déterminants dans la structure du schéma général. Howard (1981), J. Marck (1966,

2000) et P. Kirch & R. Green (2001), ont apporté des précisions concernant la distinction

qu’il y a lieu de faire, entre les langues « samoïques »43

et les langues dites « extérieures »,

rattachés à l’éllicéen (du nom des îles Ellice, l’actuel archipel des Tuvalu).

Figure N° 5 : Arbre généalogique des langues polynésiennes (Sources : KIRCH, P., & GREEN, R. 2001)

43 Samoïque : langues samoanes ou apparentées au samoan, comme les langues élycéennes et les langues

appartenant au proto-nucléaire polynésien (PNP).

900 AV-JC

An 0

600 AP-JC

1000 AP-JC

1800 AP-JC

Tonga (T

ON

)

Niu

e (N

IU)

Uvea E

st (E

UV

)

Futu

na E

st (E

FU

)

Anuta

(AN

U)

Rennell (R

EN

)

Tiko

pia

(TIK

)

Uvea O

uest (W

UV

)

Futu

na O

uest (W

FU

)

Mele

Fila

(MFA

)

Sam

oa (S

AM

)

PROTO-TAHITIQUE PROTO-MARQUESIQUE

PROTO-TONGIQUE(PTO)

PROTO-POLYNESIEN (PPN)

PRE-POLYNESIEN

Tuvalu

(TU

V)

Toke

lau (T

OK

)

Sika

iana (S

IK)

Langiu

a

Nuku

oro

(NU

K)

Kapin

gam

ara

ngi (K

AP)

Tahiti (T

AH

)

N-Z

Maori (M

AO

)

Raro

tonga (R

AR

)

Mangaia

(MIA

)

Tongare

va (P

EN

)

Haw

ai'i (H

AW

)

Marq

uis

es (M

AR

)

Mangare

va (M

VA

)

Rapanui (E

AS

)

PROTO CENTRALEST (PCE)

Tuam

otu

(TU

A)

(Non regroupées)

Polynésie orientalePolynésie occidentale

ELLICEENEXTERIEUR

PROTO-POLYNESIENNUCLEAIRE (PNP)

PROTO-POLYNESIENORIENTAL (PEP)

PROTO-ELLICEEN (PEC)

Page 45: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

32

Les méthodes de la linguistique historique permettent de mettre en évidence des

relations entre ces langues et une reconstitution partielle des mouvements de populations entre

les îles. Les méthodes comparatives fournissent aussi une photographie de la phonologie, de

la grammaire et du lexique des protolangues dont elles sont issues, de ses ramifications en

sous-familles et en sous-groupes.

6. Les Océaniens « Lapita »

Les Austronésiens qui s’installent au Nord de la Mélanésie seront à l’origine d’une

culture spécifiquement océanienne, la culture Lapita. Le père Otto Meyer est le premier à

découvrir des poteries en 1909, sur l'île de Watom, dans l'archipel Bismarck (actuellement en

Papouasie-Nouvelle-Guinée). En 1920, l’anthropologue W. C. McKern trouve des tessons à

Tongatabu. Les découvertes se succèdent par la suite jusqu’à ce qu’E. W. Gifford revendique

la découverte de poteries sur le site appelé « Lapita » en Nouvelle-Calédonie, en 1952. Ce

nom a été par la suite retenu par les archéologues pour désigner l'ensemble de ces poteries et

le complexe culturel qui y est associé qui caractérise une aire allant de l'archipel Bismarck à

l’Ouest jusqu’aux îles Tonga et aux îles Samoa à l’Est (Kirch, 1997 : 6).

Des chantiers de fouilles vont, tout au long du XXe siècle, mettre à jour d'autres

exemplaires de ces poteries, du Nord de la Nouvelle-Guinée jusqu’aux îles Samoa et Tonga

(Carte n° 3). L’archéologue Roger C. Green publie la première synthèse générale sur la

période Lapita en 197944

.

Il est généralement admis que les locuteurs de la culture Lapita étaient des

Austronésiens venus d'Asie, dans la mesure où toutes les populations occupant l’aire

« Lapita » parlent actuellement des langues austronésiennes (Carte n° 3). Les poteries sont

également considérées comme des indices prouvant que les Austronésiens ayant peuplé la

Polynésie occidentale ont d’abord longuement séjourné en Mélanésie, étant donné qu’elles

étaient communes aux deux ensembles, le peuplement de la Mélanésie étant plus ancien.

44GREEN, R., C., 1979.

Page 46: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

33

Le fait de savoir si ce type de poterie a directement été amené par des immigrants

depuis l’Asie ou s'il a été développé sur place fait encore l’objet de débats. Certains avancent

même l’idée d’une origine non austronésienne. Les poteries Lapita sont cependant à mettre en

relation avec un milieu agricole et des outils dont l’origine se trouve en Asie du Sud-Est, ce

qui milite toujours en faveur des locuteurs austronésiens (Belwood, P., Fox, J. & Tryon, D.,

1995 : 76).

Carte N° 3 : Les limites géographiques de l’Océanie incluant le Nord-Est de la Nouvelle-Guinée, la

Mélanésie, la Micronésie et la Polynésie, et les limites de l’aire Lapita (Sources : ROSS, M., PAWLEY, A.

& OSMOND, M., 2011, The Lexicon of Proto-Oceanic)

Grâce à ces pots-témoins, faciles à identifier, il est possible de localiser les Lapita aux

Samoa et aux Tonga, il y a environ 2900 ans. Ainsi, un peuple aux caractéristiques

océaniennes s'installa sur la plupart des îles comprises entre le Nord de l'archipel Bismarck et

les Samoa, en passant par les Salomon, le Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie, les Fidji, Wallis,

Futuna et Tonga. Cet espace maritime long de 4500 kilomètres est traversé en moins de 300

ans, une hypothèse qui fut qualifiée de « train express » (Pawley 2007 : 9).

Page 47: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

34

La chaîne d’îles qui s’y étend comporte pourtant une zone vide, de plus de 450 milles

nautiques et certainement plus en tirant des bords, située entre l'archipel du Vanuatu et les

Fidji. Il fallait donc être un bon marin pour la franchir. Au-delà de ce vide maritime, on ne

trouve pas de populations papoues. C’est pour cette raison que les spécialistes ont considéré

cette zone située au-delà des îles Salomon comme étant l’« Océanie éloignée » (Remote

Oceania : voir la carte n° 1).

L’une des interrogations concernant les poteries sont leur quasi-absence en Polynésie

orientale. L’archéologie a pu mettre en évidence quelques tessons aux îles Marquises et aux

îles Cook dont l’origine et l’ancienneté demeurent des sujets de débats et dont la faible

densité fait supposer qu’elles n’y étaient pas fabriquées, sauf peut-être à titre d’essai45

. Des

analyses aboutissent, en effet, à la conclusion surprenante qu’il s’agit d’expertiser que ces

poteries auraient pu être apportées par les premiers colonisateurs venus de Polynésie

occidentale, et même, des îles Fidji puisque la matière première utilisée viendraient de la

rivière Wairau, située dans l’île de Viti-Levu (Conte, 2000 : 119-125).

Des chercheurs ont évoqué l’idée que les habitants de l’Océanie éloignée ne seraient

pas passés (ou alors sans y être restés longtemps) par ce qu’on appelle traditionnellement, la

Mélanésie, mais auraient migré plus au Nord, par les Philippines et la Micronésie. Autrement

dit, les Austronésiens qui peuplèrent l’Océanie éloignée n’ont pas tous suivi la même voie.

C’est ce que laissent supposer des recherches en génétique sur les rats.46

7. Les origines génétiques

Les données génétiques jusqu’à présent suggèrent un long passage des Polynésiens par

les îles de la Mélanésie comme nous l’avons vu avec l’Helicobacter pylori, ce microbe

transporté par les Austronésiens de Taiwan jusqu’en Océanie.

La distinction par la suite entre Mélanésiens, Polynésiens et Micronésiens, fondée sur

la couleur de la peau et un degré de culture différencié a longtemps été une constante. Les

Polynésiens et les Micronésiens ont une apparence physique plus asiatique et les Mélanésiens,

45 CONTE, E., 2000, pp. 119 – 125.

46 DENNY, M., & MATISOO-SMITH, L., 2010. « Rethinking Polynesian Origins : Human Settlement of the

Pacific »,

Page 48: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

35

une morphologie proche des Papous, bien que dans plusieurs zones, des métissages anciens

ou plus récents sont régulièrement remarqués, réduisant la rupture entre ces deux zones. Les

langues parlées par les Mélanésiens, les Polynésiens et les Micronésiens sont austronésiennes,

et il n'existe pas de schisme linguistique entre ces trois ensembles47

.

Les anciennes divisions, entre les trois aires culturo-linguistiques, furent l’objet d’une

controverse. D’abord par les linguistes qui rassemblèrent les langues mélanésiennes de Fidji

et le groupe polynésien, dans un rameau spécifique de la famille Océanienne, le Pacifique

Central (Central Pacific) (Ross, M., Pawley, A. & Osmond, M., 2011). Ensuite par les

généticiens. Leurs travaux confirment cette hypothèse.

Ainsi, les analyses génétiques montrent que les Polynésiens avaient, certes, une

origine mélanésienne, mais, également, asiatique. Les ancêtres seraient venus de Taïwan et

même, du continent. Ils ont dû obligatoirement traverser la Mélanésie avant de parvenir en

Polynésie, en laissant sur leur route des traces de leurs gènes, et incorporant ceux des autres,

des Mélanésiens. Ces influences croisées ont effectivement été vérifiées et quantifiées. Le

chromosome Y, par exemple, est hérité du père, et renseigne donc sur l'origine génétique des

hommes fondateurs d'une population, tandis que l’ADN mitochondrial48

(ADN mt), hérité par

la mère, renseigne sur l’origine génétique des femmes fondatrices d’une population.

Ainsi, chez les Polynésiens, 65,8 % des chromosomes Y (masculins) sont mélanésiens,

28,3 % sont d’origine asiatique et 5,9 % sont indéterminés. De façon très inversée, l’ADN mt

(d’origine féminine) des populations polynésiennes est à 6 % d’origine mélanésienne, à 93,8

% d’origine asiatique, et à 0,2 % d’origine indéterminée.

Des études réalisées au niveau de la variation de l’ADN mt des populations indigènes

taiwanais ont montré que ces derniers étaient au début de la chaîne dans la propagation de

l’ADN mt dans toute l'Asie du Sud-Est et en Océanie49

, mais, l’identification de la patrie

d’origine des Proto-austronésiens reste à déterminer. L’analyse des lignées d’ADN mt, sur un

47 Sauf en Micronésie où certaines îles des Mariannes sont habitées par des locuteurs qui ne parlent pas des

langues du sous-groupe océanien mais des langues du sous-groupe malayo-polynésien.

48 L'ADN mitochondrial est une molécule d'ADN circulaire que l'on retrouve dans la mitochondrie. Cette

molécule d'ADN code pour une partie des protéines et des ARN spécifiques au fonctionnement de la

mitochondrie. L'avantage d'utiliser l'ADN mitochondrial pour l'analyse de la diversité génétique de nos ancêtres,

réside dans le fait que les mitochondries sont transmises uniquement par la mère. Cela permet donc de suivre des

populations en comparant le degré de similarité de leur ADN mitochondrial. http://www.futura-

sciences.com/magazines/sante/infos/dico/d/genetique-adn-mitochondrial-4449/

49 SYKES, B., 2001. Les Sept Filles d'Ève : Génétique et histoire de nos origines.

Page 49: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

36

échantillon de 1.178 personnes, originaires de Polynésie, de la zone Ouest du Pacifique, et de

Taiwan50, a montré que le peuplement préhistorique de la Polynésie occidentale s’est déroulé

d’Ouest en Est, et impliquèrent deux, voire trois populations génétiquement distinctes.

En Polynésie, la diversité génétique du groupe polynésien, caractérisé par 94% d’ADN

mt polynésien, est très réduite, alors qu’en Indonésie, aux Philippines et à Taiwan, elle est de

plus en plus importante. Cela signifie que l’expansion vers l’Est, ensuite vers la Polynésie, de

ce groupe porteur, est relativement récente et que, vraisemblablement, elle a débuté à Taiwan,

ce qui confirme les recherches archéologiques et linguistiques, et elle a eu affaire à un ou

plusieurs goulots d’étranglement (SYKES, et al : 1998).

L’étude du deuxième groupe de la lignée mitochondriale, caractérisé par 3,5%

d’haplotypes de l’ADN mt polynésien, montrent que les lignées polynésiennes faisaient partie

d’un groupe très diversifié, au Vanuatu et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. La très faible

diversité globale des deux groupes en Polynésie indique que les populations qui ont colonisé

l’Océanie éloignée (au-delà des îles Salomon, vers l’Est et le Sud) étaient très réduites.

(SYKES, et al. : 1998)

Un troisième groupe, représenté par quatre individus en Polynésie, mais, présents aussi

dans les îles Philippines, partage des variantes avec les deux autres groupes. En outre, deux

Polynésiens avaient des haplotypes indépendants, correspondant aux séquences

d’Amérindiens, ce qui pourrait être la première preuve génétique d’un contact humain

préhistorique entre la Polynésie et l’Amérique du Sud. (SYKES, et al. 1998)

Ces données, outre un long passage des locuteurs des langues austronésiennes en

provenance d’Asie par la Mélanésie avant de coloniser la Polynésie, suggèrent un fort

mélange chez les Polynésiens avec plus d’hommes que de femmes mélanésiennes, peut-être

en raison d’une résidence matrilocale ancestrale dans la société polynésienne, l’homme allait

habiter chez son épouse.

Le schéma général des migrations austronésiennes vers la Polynésie semble donc

établi : une migration vers la Mélanésie et les côtes de Nouvelle-Guinée où les populations

d’origines asiatiques et mélanésiennes se mélangent et s’acculturent, puis une migration de

50 SYKES B., LEIBOFF A., LOW-BEER J., TETZNER S., and RICHARDS M., TAN Jiazhen [contributed by],

1998. « Genetic relationship of populations in China ».

Page 50: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

37

groupes restés d’apparence plus asiatique vers l’Est et la Polynésie, selon le modèle du « train

express », ce qui confirmerait l’arbre généalogique des langues austronésiennes.

Certains chercheurs cependant, comme Michel Denny et Lisa Matisoo-Smith (2010),

prenant appui sur les études d’ADN des animaux ayant voyagé avec les Polynésiens, ont

collecté des échantillons de tissu sur des rats dans les îles du Pacifique ainsi qu’en Asie

continentale. Ils ont ensuite séquencé quelques brins de leur ADN mt. Les résultats ont

dévoilé l’existence de deux lignées distinctes de rats : l’une aux Philippines, en Nouvelle-

Guinée et dans d’autres îles du Pacifique Ouest, et l’autre dans des îles plus éloignées à l’Est.

Une telle diffusion ne saurait être le fruit d’une seule vague de migration humaine. Les

scientifiques ont alors conclu qu’il avait dû y avoir, au moins, deux vagues différentes de

colonisation. L’une, passant par la Mélanésie, et l’autre, par les îles de Micronésie (Carte n°

4).

Carte N° 4: Un nouveau modèle sur les origines des Polynésiens sur la base de l’ADN mitochondrial du rat

(Sources : DENNY, M., & MATISOO-SMITH, L. 2010)

Ce scénario pourrait expliquer la rupture linguistico-culturelle constatée, entre les îles

Fidji, demeurées mélanésiennes, et les îles Tonga et Samoa, devenues le foyer d’une nouvelle

branche, la famille polynésienne.

Page 51: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

38

8. Le tahitien, le bout d’un voyage commencé à Taiwan

La langue tahitienne est la langue polynésienne parlée dans les îles de la Société et

d’une manière plus récente, dans un groupe de huit îles du Nord-Ouest des îles Tuamotu,

l’aire Mihiroa, et dans les îles Australes, excepté Rapa.

L’expansion de nos jours du tahitien au-delà des frontières des îles de la Société est le

fruit d’un changement intervenu après l’arrivée des Européens en 1767. La conversion

massive des Tahitiens au christianisme à partir de 1815, aboutit à la création d’un royaume

théocratique, suivant le modèle absolu, le Royaume de Tahiti. Son influence s’étendra aux îles

Sous-Le-Vent, aux îles Tuamotu et à deux des îles Australes, Tubuai et Ra’ivavae. Le tahitien

devient par voie de conséquence le lien non seulement entre les îles du royaume, mais

également avec celles situées au-delà. Il fut pendant près d’une centaine d’années, la langue

d’évangélisation, la bible ayant été traduite en tahitien, il a servi de vecteur du commerce

entre les archipels (porc salé, nacre, perles, bois de santal, orange…), et a été utilisé par les

marins baleiniers polynésiens comme langue de communication.

Cette expansion de la langue tahitienne fut facilitée par sa proximité avec les autres

langues polynésiennes. Elles font toute partie d’une branche du groupe océanien. Son

introduction dans son aire historique paraît relativement récente, un peu plus d’un millier

d’années.

Les langues qui lui sont les plus proches sont le pa’umotu51

, le rarotongien52

, le

maori53

, le rakahanga, le manihiki et le tongareva (îles Cook du Nord). Elles font partie d’un

sous-groupe que les linguistes ont baptisé tahitique (de l’anglais Tahitic). Le hawaiien, le

marquisien, le mangarévien54

, bien que proches, forment un autre sous-groupe appelé

marquésique (de l’anglais Marquesic). Enfin le rapanui55

constitue, à lui seul, un sous-

51Langue des îles Tuamotu. Selon le découpage, elle est divisée en six ou neuf parlers, les parlers Pa’umotu.

L’un de ces parlers, le mihiroa, est du tahitien.

52 Langue des îles Cook du Sud

53 Langue des Māoris de Nouvelle-Zélande/Aotearoa

54 Langue de Mangareva

55 Langue de l’île de Pâques/Rapa Nui

Page 52: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

39

groupe, le Rapanui (Voir figure n° 5). Toutes ces langues font partie du groupe polynésien

oriental, qui se distingue nettement du polynésien nucléaire, un groupe auquel appartiennent

le samoan, le tokelau, le tuvalu, le wallisien, le futunien, et les langues des îles polynésiennes

extérieures 56

(Marck, J., 2009, Kirch, V., & Green, R., 2001).

Les relevés linguistiques effectués depuis la découverte de Tahiti montrent que le

vocabulaire a considérablement évolué, le système phonologique et la grammaire aussi. Le

contact avec les Anglais d’abord, puis avec les Français, furent les facteurs majeurs de ces

changements.

9. Les sources écrites

En 1767, bien avant les travaux linguistiques des missionnaires protestants, le

lieutenant Wallis avait fait un premier recueil de vocabulaire, ce fut le tout premier lexique

tahitien.57

Toutefois, la palme d’être la première langue polynésienne écrite revient à

Niuatoputapu, une île isolée au Nord des îles Tonga. Les relevés faits par Lemaire et

Schouten, en 1616, indiquent clairement qu’elle faisait partie du groupe Polynésien Nucléaire.

Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, puisque les habitants de cette île parlent le Tongien58

.

L’histoire de l’archipel confirme, en effet, que, soumise à l’origine à l’influence samoane,

l’île fut conquise, longtemps après le passage des Hollandais, par les Tongiens. Ses habitants

changèrent de langue.

Le futunien fut la deuxième langue polynésienne recueillie par Lemaire et Schouten

quelques jours après. Les relevés confirment son appartenance au sous-groupe polynésien

nucléaire, depuis cette époque, déjà.

56Les langues dites « extérieures », ou « Outliers » en anglais, sont des enclaves polynésiennes situées en

Mélanésie, en Papouasie ou en Micronésie.

57RENSCH, K., H., 2003. Early tahitian, the linguistic fieldwork of Joseph Banks, Carl Solander, Maximo

Rodriguez and Domingo Boenechea.

58 La langue des îles Tonga est, pour certains auteurs, le tongien, et pour d’autres, le tonguien. La première

dénomination est la plus utilisée en Polynésie française.

Page 53: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

40

Après Wallis, ce fut au tour de Bougainville de nous laisser un lexique. Ahutoru, le

jeune Tahitien que Bougainville ramena en France servit d’informateur pour les toutes

premières études du système linguistique du tahitien (Rensch, 1991 : 403 – 414)59

.

Une fois de plus, c’est Cook et les naturalistes de l’Endeavour, J. Banks, C. Solander

et S. Parkinson, qui nous léguèrent une documentation nombreuse, les lexiques qu’ils ont

recueillis constituent véritablement le début de l’écriture du tahitien. En outre, ils ont

bénéficié de la présence de Tupaia, l’un des plus érudits de son époque. Ils passèrent plusieurs

mois en sa compagnie à bord de l’Endeavour, et eurent ainsi le temps d’apporter des

corrections. Les graphies utilisées, inspirées de l’anglais et du suédois (pour Solander), se

complètent, elles permettent parfois des corrections phonologiques par comparaison des

graphies.

Après les Anglais, ce fut au tour des Espagnols, entre 1772 et 1775, de réaliser des

lexiques60

.Celui qu’ils nous ont laissé est intéressant dans la mesure où, n’ayant pas eu

connaissance du travail des Anglais, ils le réitérèrent selon leur propre vision, ce qui permet

de cerner le système phonologique, ainsi que les définitions, par comparaison.

Au second voyage de Cook en 1774, J. Forster et G. Forster, père et fils, naturalistes,

firent un lexique fort instructif qui vient compléter ceux réalisés lors du premier voyage. Ils

passèrent plus de temps à Tahiti que tous les autres scientifiques. En outre, ils utilisèrent

abondamment les connaissances des deux Tahitiens qu’ils avaient à leur bord lorsqu’ils firent

le tour du Pacifique, puis de Ma’i (Omai) lors de leur voyage de retour en Angleterre. Ayant

eu en mains les relevés de leurs prédécesseurs, ils purent y apporter des corrections. Ils

utilisèrent toutefois une graphie inspirée de l’allemand, leur langue maternelle61

.

De ce travail important de collecte, effectué à l’occasion des voyages faits par les

Anglais, un volumineux dictionnaire fut réalisé, le Captain Cook’s South Sea Island

59RENSCH, K., 1991. The language of the noble savage : Early European perceptions of Tahitian.

60TUMAHAI, L., 2002. « Etat de la langue tahitienne entendue en 1772-74 et retranscrite dans un système

phonétique espagnol, d’après un dictionnaire espagnol recueilli à la fin du XVIIIè siècle », Papeete, in BSEO,

bul. N°294.

61RENSCH, K., 2000. The Language of the Noble Savage, the Linguistic Fieldwork of Reinhold and George

Forster in Polynesia on Cook's Second Voyage to the Pacific 1772-1775.

Page 54: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

41

Vocabularies62

, une compilation des lexiques relevés par Cook et par tous les naturalistes qui

l’accompagnèrent et qui a servi aux missionnaires de la London Missionary Society (LMS),

pour entreprendre l’évangélisation de Tahiti.

Le mérite des missionnaires, par la suite, fut de mettre au point une graphie adaptée à

la phonétique tahitienne. Après d’assez longs tâtonnements, ils parviennent à un système de

cinq voyelles et dix consonnes (contre neuf consonnes aujourd’hui), qu’ils utilisèrent pour

leurs premières impressions. Une fois l’écriture mise au point, il restait encore à l’enseigner.

Les premiers livres qu’ils sortirent de leur presse furent des abécédaires. Le vocabulaire

s’enrichit, par la suite, avec l'introduction de nouveaux mots issus de l’anglais, du latin, du

grec et de l’hébreu.

La première traduction de la Bible est imprimée vers 1817 par Henry Nott. Les

missionnaires réussirent à introduire l’écriture et la lecture dans quasiment toutes les familles

tahitiennes. Ils se mirent non seulement à lire et à écrire des textes religieux, mais aussi leur

propre histoire au travers des livres de famille, les puta fēti’i. Aujourd’hui encore, c’est dans

le milieu protestant, héritier de la London Missionary Society, que les Tahitiens apprennent à

parler et à écrire leur langue.

Le travail linguistique le plus réussi des missionnaires, hors la Bible, fut la mise au

point du dictionnaire du révérend John Davies, publié en 1851 (celui de Mgr Tepano Jaussen,

sorti en 1855, s’inspire de celui de Davies) et la sortie du livre de Teuira Henry en 1928, qui

reprend le travail de son grand-père, le révérend John Orsmond, et dont la valeur repose sur

les textes originaux en tahitien, en particulier ceux relatifs à la cosmogonie utilisés comme

base du présent travail de recherche.

62LANYON-ORGILL, P., 1979. Captain Cook’s South Sea Island Vocabularies.

Page 55: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...
Page 56: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

43

CHAPITRE II : MYTHES ET RÉALITÉS

MYTHES ET RÉALITÉS

1. Mythologie et cosmogonie

Quels que furent les lieux sur Terre où l’homme a vécu, les étoiles ne pouvaient

échapper à son regard et à sa curiosité. Elles sont là, perpétuellement au-dessus de sa tête. Les

Anciens ont sans doute cherché à comprendre pourquoi toutes les nuits, des petites lumières

scintillantes s’allumaient, puis le jour, s’éteignaient, laissant la place à une boule de feu

éblouissante, mais la raison de ces splendeurs leur échappait.

Mêlant science et croyance, les premières grandes civilisations qui ont émergé autour

de la Méditerranée, en Extrême-Orient ou en Amérique, ont attribué aux astres une influence

sur leurs destinées. Elles ont donc commencé à les regarder et à les identifier selon des

critères qui faisaient appel à leur propre imagination. C’est ainsi qu’elles esquissèrent avec

ces points lumineux des figures inspirées de leur environnement et de leur mythologie.

Les Européens, qui ont hérité leurs constellations des Egyptiens, des Mésopotamiens

ou des Grecs, dessinaient dans le ciel, un chien, un ours, un lion, un bélier, un scorpion, un

archer, un cheval ailé, une vierge... Les Chinois y voyaient un palais, un mur, un char, un

dragon azuré, une tortue noire, un tigre blanc, un oiseau de vermillon… Les Tahitiens

apercevaient un hameçon, un requin, une sterne blanche, une nasse à poisson, une étoile de

mer, une baliste, des piliers, des chemins…

Que ces dessins, unissant des étoiles sans lien aucun, ne soient identifiables que de la

Terre seule n’avait aucune importance aux yeux des hommes, puisque leur unique Univers

était leur planète. Ne pouvant avoir d’explications sur leur nature, ils s’en remirent aux dieux

en interprétant les mouvements qui les animent comme des indices de leurs plans divins. Ces

figures servaient aussi bien pour leur religion que pour mesurer le temps et se repérer sur terre

ou sur mer. L’astronomie et l’astrologie1 ne faisaient qu’un à ses débuts.

1 Astrologie : la science qui a pour objet l'observation et l'étude des corps célestes et plus généralement, de

l'univers sidéral, le mouvement des corps célestes et le système de référence permettant d'interpréter les

Page 57: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

44

Les étoiles ont longtemps tenu ce rôle d’intermédiaires entre le ciel et la terre. Jusqu’à

une époque récente, les uns pensaient qu’il s'agissait d’« ornements » accrochés sur une

sphère, les autres, de trous à travers la voûte céleste. Les Tahitiens quant à eux, imaginaient le

ciel comme un océan, les astres étaient des divinités qui se déplaçaient sur leurs pirogues pour

aller rejoindre leurs épouses, et qui, après leur union, mettaient au monde des « princes », des

ari’i2, lesquels partaient à leur tour à la recherche d’une épouse à bord de leurs pirogues, etc.

Les astres étaient déclinés selon une suite généalogique,3sous une forme qui rappelle celle des

humains : « Maunu-’ura (Mars) prépara sa pirogue appelée Te-ao-nui-e-rere-i-te-ra’i (astre

non identifié), il vogua vers le Sud et prit pour épouse Te-’apu-o-te-ra’i (Le dôme du ciel), il

eut pour enfant un ari’i, Tau’rua-nui-e-fa’atere-va’a-ia-atu-tahi (Poisson austral) qui

demeure au Sud durant ses nuits puis ‘Apa’apa-rua-manu (peut-être la Croix du Sud ?) ».

(Henry, 1968 : 369).

Au début de la généalogie, deux personnages divins, Rua-tupu-a-nui et

Atea-ta’o-nui, des émanations de Ta’aroa, s’unissent et donnent naissance aux premiers

astres. Deux d’entre eux, les astres-parents, voisins dans le ciel, s’unissent et donnent

naissance à un astre-enfant. Celui-ci, proche des deux premiers, deviendra à son tour un astre-

parent. Il embarque sur un astre-navire (pirogue) qui le conduit, parfois à l’autre bout du ciel,

vers une étoile-épouse. Ils donnent naissance à un astre-enfant, et l’histoire continue plus loin.

Tout en déclinant la généalogie des étoiles, nous pouvons donc visualiser leur position sur le

dôme du ciel.

Le fait de les décliner sur un arbre généalogique est astucieux et pratique, non

seulement pour mémoriser, mais aussi pour les identifier, le cas échéant. Teuira Henry cite

par exemple ‘Apa’apa-rua-manu « deux-ailes-d’oiseaux », une constellation qu’elle pense

être la Croix du Sud. Or celle-ci, appelée Tauhā « les-quatre-liées» apparaîtra plus loin dans

cette même généalogie. ‘Apa’apa-rua-manu, quant à elle, succède à Atutahi. Et, dans le ciel,

la Grue succède au Poisson austral. Nous pouvons donc conclure, sans peu de risque, que

‘Apa’apa-rua-manu est la constellation de la Grue.

mouvements des astres. Par extension, c’est l’ensemble des connaissances astronomiques d'un peuple ou d'un

savant, par exemple, Astronomie chaldéenne, aristotélicienne (CNRTL :http://www.cnrtl.fr/definition).

2 Ari’i : « chef » en tahitien – du PPN *qariki.

3 Henry, 1968, « Naissance des Corps Célestes », p. 369.

Page 58: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

45

Le scénario esquissé par les Tahitiens pour décrire le cosmos révèle tout son génie,

capable, à force d'observations, de suggérer et de fournir des réponses à ces interrogations.

L'astronomie traditionnelle4 est la science de l’observation par excellence fondée sur des

données fournies exclusivement par l’œil humain. C’est son atout. C’est ce qui l’a rendue

populaire dans le monde. Point besoin d’inventer des instruments sophistiqués pour s’y

adonner. Il suffit, pour nous en convaincre, de nous asseoir tranquillement au crépuscule du

soir sous une voûte étoilée, de lever les yeux au ciel et de contempler le firmament.

La belle constellation de Matau-a-Tafa’i (Scorpion) s’offre à nous, elle ne semble

animée d’aucun mouvement. Pourtant au milieu de la nuit, elle n’est plus, ni la même, ni à la

même place. D’une manière imperceptible, elle s’est déplacée, a traversé le ciel en pivotant et

se dirige vers l’Ouest. Le lendemain soir, à la même heure, nous reprenons rendez-vous avec

elle, nous constatons qu’elle a pris une légère avance sur nous. Le surlendemain, cette avance

s’est accentuée. Au bout de quelques mois, à l’heure du rendez-vous, elle n’est plus là, elle a

disparu sous l’horizon. Mais quelques mois après, elle réapparaît à nouveau soudain au point

exact où elle était à la même heure, au premier soir.

Il s’est passé exactement un an entre le premier et ce dernier rendez-vous, puis, le

cycle reprend à nouveau une autre année, puis l’année suivante, etc. Ce cycle semble ne

jamais vouloir s’arrêter. Cette régularité dans sa répétition paraît soumise à des lois, si bien

que nous arrivons, par une simple déduction, à anticiper sa prochaine réapparition et sa

prochaine disparition. C’est un éternel retour.

Avec l’arithmétique et la médecine, l’astronomie est sans doute la plus ancienne des

sciences. « Initialement, elle est la science des lois qui régissent les positions, les

mouvements, les relations réciproques des astres dans l’espace, avant d’être la science des

astres eux-mêmes »5. Ses origines se confondent avec les débuts de l’humanité. Elle fut

agrégée aux pratiques religieuses et aux mythes pour en être leur témoignage visible, une

science appelée la « cosmogonie »6 ou la science de la formation des objets célestes. Elle

4 L’astronomie traditionnelle se rattache aux sciences traditionnelles élaborées par les « savants » des sociétés

vivant d'après leur histoire et leur tradition propre avant toute modernité ou par certaines civilisations de

l'Antiquité et au-delà, même si actuellement ils ne sont plus considérés comme scientifiques.(CNRTL :

http://www.cnrtl.fr/definition).

5 Encyclopédie Quillet, 1984, tome IV.

6 Cosmogonie : (de kosmos, « monde », et gignomai, « naître »). Ensemble des doctrines à l'aide desquelles on

explique l'origine du monde. On désigne ainsi toute théorie de l'origine de l'univers (la cosmologie du bing bang

est en ce sens aussi une cosmogonie), et dans une acception qui tombe en désuétude toute théorie qui aborde

Page 59: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

46

constitue une partie des mythologies, celle qui raconte la naissance du monde et des hommes.

Elle se distingue de la « cosmologie »7 qui est la partie de l’astronomie qui étudie la structure,

l'origine et l'évolution de l'Univers.

Cette distinction est très artificielle. « Lorsqu’on observe le ciel, à un moment donné,

d’une part, on voit à la fois des étoiles jeunes, nées il y a quelques millions d’années, et des

étoiles vieilles, nées il y a plusieurs milliards d’années. D’autre part, on voit, au même

moment, de grands systèmes de galaxies, assez proches, tels qu’ils étaient il y a quelques

dizaines d’années, et d’autres systèmes de galaxies, très éloignés, tels qu’ils étaient il y a

plusieurs milliards d’années. Par le jeu des distances, et à cause de la vitesse de la lumière, qui

est finie, facteur durée et facteur évolution sont inextricablement associés. Cosmogonie et

cosmologie sont donc indissociables. »8

Sont regroupées également sous le terme « cosmogonie », les différentes croyances

liées à la création de l’Univers, son fonctionnement et la place de l’homme dans cette

création. Tous ces éléments nous renvoient aux mythes d’origines, ces récits visant à justifier

l’ordonnancement actuel du cosmos, mais aussi, l’état de la société, selon Eliade 9:

« Toute histoire mythique relatant l’origine de quelque chose présuppose et prolonge la

cosmogonie. Du point de vue de la structure, les mythes d’origine sont homologables au

mythe cosmogonique. La création du monde étant la création par excellence, la

cosmogonie devient le modèle exemplaire pour toute espèce de création ». (Eliade, 1963 :

35)

Tout comme l’astronomie, la cosmogonie étudie également les phénomènes célestes,

quoique son champ d’action soit aussi lié à la Terre. Le cosmos n’y est pas abordé

scientifiquement, comme le fait l’astronomie, mais religieusement. Les astres, les planètes et

l'origine du Système solaire. Le terme de cosmogonie renvoie plus couramment aux mythes qui racontent

l'origine du monde. Ces mythes, dits cosmogoniques donc, visent à justifier l'ordonnancement actuel du cosmos,

mais aussi l'état actuel de la société dans laquelle le mythe est pertinent. (Imago Mundi)

7Cosmologie : (de kosmos, « univers », et logos, « étude »). Science des grandes lois qui gouvernent l'univers

physique. On distingue, en cosmologie, deux sciences fondamentales, l'une, sous le nom général de physique,

étudie directement l'ensemble de l'ordre matériel. L'autre, plus simple et plus générale, justement qualifiée de

mathématique, sert de base nécessaire à celle-ci. (CNRTL : http://www.cnrtl.fr/definition)

8 Encyclopédie Quillet, op. cit. p. 34.

9 ELIADE, M., 1963. Aspects du mythe.

Page 60: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

47

autres comètes sont considérés comme des personnages divins, et leur interaction est le reflet

de leurs agissements.

Aussi ancienne que la culture elle-même, les explications sur l’origine du monde, son

processus de création, son devenir et parfois sa destruction, la question par là-même aussi de

l’espace et du temps, relèvent de ce fait des mythologies. Ce n’est que tardivement que la

cosmogonie s’est intégrée au discours scientifique même si déjà, au IVe siècle av. J.-C.,

Platon l’avait disqualifié au profit du raisonnement logique en instaurant l’idée d’une

suprématie du logos10

« science » vis-à-vis du muthos (ou mythos) 11

« récit ». Une idée, relève

Mircea Eliade, qui arrangea bien les Chrétiens :

« Tout le monde sait que depuis Xénophane (environ 565-470) qui, le premier, a critiqué

et rejeté les expressions « mythologiques » de la divinité utilisée par Homère et Hésiode,

les Grecs ont progressivement vidé le mythos de toute valeur religieuse et métaphysique.

Opposé aussi bien à logos que plus tard, à historia, mythos a fini par dénoter tout « ce qui

ne peut pas exister ». De son côté, le judéo-christianisme rejetait dans le domaine du

« mensonge » et de l’ « illusion » tout ce qui n’était pas justifié ou validé par un des deux

Testaments. » (Eliade, 1963 : 12)

Le muthos est assimilé, de façon péjorative, aux points de vue non-crédibles, aux

opinions fausses, aux traditions dont la plupart sont à rejeter parce que transmises sans

examen préalable, auxquelles doit se substituer le logos, le discours destiné à établir le vrai et

la raison. La construction rigoureuse de connaissances fondées sur l’observation, sur l’écrit,

sur la raison et sur des calculs mathématiques est celle sur laquelle se fondent les sociétés

occidentales. Le champ mythique ouvert à la poésie, à la superstition et à l’oralité caractérise

les sociétés primitives. Le mythe qui s’oppose au réel, comme la croyance à la science, ne

pourrait être pour Claude Meyer, qu’un alibi pour les nations et les religions dominantes, pour

vaincre l’obscurantisme partout dans le monde12

:

10Dans le grec classique, logos signifie une parole ou la parole, et tout rôle qu'elle assume : profane (proposition,

définition, exemple, science, opinion particulière, rumeur publique) ou sacré (réponse d'oracle, révélation d'en

haut). (Universalis)

11 Etymologiquement, Mythe vient du grec muthos, « récit ». (Larousse)

12 MEYER, C., 2007. Une histoire des représentations mentales, Contribution à une archéologie de la société de

la connaissance.

Page 61: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

48

« Cette incompatibilité entre logos et muthos restera l’un des fondements de la pensée

occidentale depuis plus de deux mille ans. Pendant des siècles, le mythe sera exclu de la

raison, réservé aux « primitifs ». On opposera classiquement la raison aux passions,

même si l’on sait depuis Blaise Pascal que « Le cœur a ses raisons que la raison ne

connaît pas ». Elle permettra, pendant des siècles, de marginaliser de la pensée

occidentale ce qui met en cause son hégémonie et échappe à sa compréhension,

cataloguée comme appartenant au domaine du mythe. A partir du XVIe siècle, cet

antagonisme justifiera bien des atrocités coloniales pour combattre les superstitions au

nom de la raison ou du « bon » Dieu. » (Meyer, 2007 : 23)

Un antagonisme s’exprime entre les peuples détenteurs du discours légitime qui

expliquent tout par la raison et les autres, les « gens du mythe », empêtrés dans leur dogme.

Depuis la nuit des temps, l’homme a toujours cherché à expliquer son existence et

celle des choses qui l'entourent, la raison de manifestations naturelles bénéfiques ou

destructrices, et sa place dans cet ensemble hétérogène. La contemplation de la voûte céleste

et la magie qu’elle exerce l’amena à situer dans le ciel ses mythes. Elle l’incita à forger une

conception du monde pour rendre compte des mouvements célestes et la structure générale de

l’Univers. Le ciel lui offrait tout, ou plus exactement ce qu’il lui était possible d’imaginer à

partir des manifestations physiques qui lui parvenaient. Ainsi, au gré des intuitions de

l’existence de mondes multiples, les cosmogonies anciennes crurent expliquer l’Univers.

Au cœur de toutes les mythologies, les dieux s’imposent, pour décrire à l’homme un

Monde inaccessible. La constance des cycles (équinoxes, solstices, cycle de la lune), comme

les signes inhabituels envoyés par le ciel (éclipse, foudre) contribuèrent à lui donner

définitivement son caractère divin. Aussi, l’histoire de l'astronomie, vue à travers les mythes

dans différentes cultures, reflète une vision du monde.

Les Tahitiens avaient leurs propres théories sur l’origine de l’univers13

. Celles-ci

s’accordent quelquefois avec les modèles égyptiens, mésopotamiens, grecs, hindous, chinois,

africains ou amérindiens, etc. Ce n’est pas surprenant, des constances sont universellement

observées dans les schémas de l’imaginaire humain. En effet, la majorité des cosmogonies

13 Il existe deux versions du chant de la création du monde. Le premier a été dicté en 1822 par Paora’i,

conseiller de Porapora (Bora-Bora) et confirmé plus tard par Vai’a, grand-prêtre de l’île, et par Pati’i, grand-

prêtre de Mo’orea. Le second a été récité en 1822 par Paoraro et en 1824, par Ra’itupu, grands prêtres de

Porapora et en 1833, par Tamera, grand-prêtre de Tahiti (Henry, T., 1928, pp. 343 – 347).

Page 62: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

49

traditionnelles évoquent un état primordial de l’Univers, soit un néant absolu au milieu duquel

surgit un œuf cosmique, soit des eaux indifférenciées, inorganisées et équivalentes au chaos,

qu’un élément organisateur, un créateur ou une divinité suprême, vient réguler pour lui

donner forme : il engendre le cosmos.

La notion de forme, qui traduit le fait d’exister, implique que nous pouvons décrire

l’Univers, et renvoie donc à l’idée d’un monde régi par des lois. Dans les chants tahitiens, il

est spécifié qu’au début préexistait dans l’obscurité permanente et l’espace infini, un œuf,

Rūmia14, dans lequel se trouvait confiné depuis la nuit des temps le dieu créateur, Ta’aroa. A

partir des éléments de la coquille de son œuf, il crée le cosmos qui hérite par voie de

conséquence de sa forme sphérique.

L’Œuf cosmique est un motif mythologique présent dans le récit de la création de

nombreuses cultures et civilisations. Les plus anciens textes évoquant un cosmos en forme

d’œuf sont les anciens écrits sanskrits.

La mythologie chinoise évoque également comme à Tahiti la naissance d’un dieu,

nommé Pan Kou, dans un œuf qu’il brise en deux moitiés : la partie supérieure devient le Ciel

et la moitié inférieure devient la Terre15

. En Egypte, le dieu Atoum (ou Râ) était dans un œuf

déposé sur un monticule par un oiseau céleste16

. Ces visions communes ne sont pas une

originalité, elles peuvent s’observer dans plusieurs cultures comme nous le fait remarquer

Claude Lévi-Strauss :

« Tout peut arriver dans un mythe ; il semble que la succession des événements n’y soit

subordonnée à aucune règle de logique ou de continuité. Tout sujet peut avoir un

quelconque prédicat ; toute relation concevable est possible. Pourtant, ces mythes, en

apparence arbitraires, se reproduisent avec les mêmes caractères, et souvent les mêmes

détails, dans diverses régions du monde. D’où le problème : si le contenu du mythe est

entièrement contingent, comment comprendre que d’un bout à l’autre de la terre, les

mythes se ressemblent tellement ? C’est seulement à la condition de prendre conscience

de cette antinomie fondamentale, qui relève de la nature du mythe, qu’on peut espérer la

résoudre. En effet, cette contradiction ressemble à celle qu’ont découverte les premiers

14 Rūmia : dans la cosmogonie tahitienne, c’est l’œuf primitif dans lequel se trouvait Ta’aroa (T. Henry).

15 HADAD, L., & CIROU, A., 2001. Clés de Voûte, Savoir l’Astronomie, p. 14.

16Ibid., p. 15.

Page 63: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

50

philosophes qui se sont intéressés au langage et, pour que la linguistique pût constituer

comme science. » (Lévi-Strauss, 2010 : 237)

Des linguistes, tel Émile Benveniste17

, ou des historiens comme Georges Dumézil18

sont parvenus à montrer que l’Inde ancienne, Rome, les Celtes, les Germains et les peuples

scandinaves disposaient d’institutions similaires. Les dieux du Panthéon indien ont leurs

correspondants en Irlande, en Italie ou en Allemagne. Certes tous ces ensembles font parti de

la grande famille indo-européenne. Peut-on l’extrapoler au monde océanien ?

2. Astronomie traditionnelle et astrologie

Les civilisations traditionnelles s’adonnaient déjà à l’astronomie. Plusieurs indices

nous révèlent que même les « astronomes-astrologues » tahitiens avaient compris le caractère

régulier des équinoxes et des solstices et leur relation avec les cycles naturels, en particulier

les saisons. Deux raisons à cela : le champ lexical exceptionnellement riche des Tahitiens

relatif à ces sujets et l’existence, chez eux, d’un calendrier luni-solaire extrêmement élaboré.

Convaincus de l’influence des astres sur la nature mais aussi sur les humains, ils y ont

puisé les informations qui leur permettraient de faire des prévisions et qui les amèneraient à

prophétiser des événements, ce qui est pour nous aujourd’hui du domaine de l’astrologie19

.

Tous les peuples confrontés à ce phénomène ont réussi à mettre en corrélation la lune avec la

marée. D’autres coïncidences mettant en jeu, cette fois-ci, les étoiles, ont été remarquées

ailleurs. Dans l’ancienne Egypte, dès que Sirius apparaissait dans le ciel, les Egyptiens

savaient que c’était la saison des crues du Nil. A Tahiti, quand les Pléiades disparaissaient du

ciel en soirée, les Tahitiens savaient qu’ils rentraient dans la période de pénurie. Les étoiles

étaient constamment épiées pour connaître le sort qui attendait les hommes.

17 BENVENISTE, É., 1990. « La sémantique dans le champ de la linguistique francophone jusqu’à 1916 ».

18 DUMEZIL, G., 1968, 1971, 1973. Mythe et Épopée.

19Astrologie : Science de certains astres (le Soleil et la Lune, appelés luminaires, et les planètes Mercure, Vénus,

Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton) considérés dans leurs relations entre eux, dans leurs positions

dans les signes du zodiaque ; art d'interpréter ces configurations particulières à une certaine date, établies dans

une carte du ciel, en vue de déterminer le caractère de quelqu'un, de prédire l'avenir. (CNRTL)

Page 64: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

51

Ces relations, entre des épisodes terrestres et les mouvements apparents des astres, ont

conduit l’homme à établir des liens et à assimiler les corps célestes à des divinités aux

pouvoirs phénoménaux capables d’influencer la nature et de leur allouer la faculté d’anticiper

les événements. Dès lors, un travail d’observation est mené de front avec un travail

d’interprétation, d’abord à partir du Soleil et de la Lune, puis à partir des planètes, des étoiles

et des constellations, en particulier celles du zodiac situées sur la trajectoire du Soleil.

Les types d’interprétation, références physiques et références humaines, ont coexisté

un certain temps, puis se sont scindés. Cette différentiation résume Jean-Claude Pecker20

,

professeur honoraire au collège de France et auteur d’une histoire sur l’astronomie, donnera

naissance à l’astronomie, qui s’en tient à l’observation, à la description et aux prédictions

calendaires, laissant à l’astrologie les aspects ésotériques de conjectures sur les liens entre le

ciel et les questions humaines :

« À mesure que s'éloignent les horizons et que s'agrandit l'espace exploré, l'homme

apprend à étudier le ciel sans y voir nécessairement un écho de ses préoccupations

quotidiennes. Astrologie et astronomie, sœurs jumelles des Anciens, se séparent sans

aménité. Et l'astrologie reste aujourd'hui une entreprise vaine, tandis que l'astronomie,

dotée de gigantesques instruments, apporte à l'homme tous les éléments nécessaires à la

compréhension de l'Univers. » (Pecker, 2003 : 13)

À ses débuts, l'astronomie consistait simplement en l'observation et la prédiction du

mouvement des objets célestes visibles à l'œil nu. Les anciens étaient aidés dans leur tâche par

l'absence de pollution industrielle et lumineuse, des conditions quasi-impossibles aujourd'hui

sauf à être au sommet des plus hautes montagnes. Ces observations relativement simples en

apparence, supposent déjà une bonne pratique et un système incluant un catalogue d’étoiles

avec leur position sur la voûte céleste.

La position la plus facile à reconnaître est celle du soleil. Les premiers hommes

plantèrent sans doute d’abord un bâton dans le sol et mesurèrent chaque jour la longueur de

l’ombre portée sur le sol. Ce procédé est suffisant pour déterminer des moments clés de la

journée (matin, midi, soir…) comme de l’année (équinoxes et solstices).

Certaines civilisations perfectionnèrent la méthode, elles dressèrent des pierres ou

érigèrent des cercles mégalithiques comme ceux situés sur les côtes d’Europe de l’Ouest que

20 PECKER, J., C., 2003. L’Univers exploré, peu à peu expliqué.

Page 65: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

52

certains considèrent comme des observatoires astronomiques servant à anticiper les phases

lunaires, les solstices ou les équinoxes. Les plus célèbres sont ceux de Stonehenge en

Angleterre. Il en existe d’autres, en France, en Belgique ou en Allemagne. Pour les

spécialistes, ces sites remarquables étaient aussi bien destinés à l’agriculture qu’à

l’astronomie ou l’astrologie.

À l’île de Pâques, Heyerdahl fait état « d’alignement de pierres formant une ligne de

mire correspondant exactement au côté de l’angle de l’azimut du Soleil le jour du solstice

d’été, c’est-à-dire le 21 décembre dans l’hémisphère austral. Cet alignement de trous

constitue incontestablement un petit observatoire solaire primitif », selon Louis Cruchet21

qui

cite également les travaux réalisés sur le terrain par l’archéologue Katherine Routledge entre

1914 et 1915. Elle eut le loisir d’examiner un rocher plat sur la péninsule de Poike, appelé

papa-ui-hetu’u « rocher-pour-interroger-les-étoiles », et une grotte, ana-ui-hetu’u « grotte-

pour-interroger-les-étoiles »22

, qui auraient été utilisés comme observatoire astronomique

(Cruchet, 2013 : 47).

En 1986, dans le cadre d’un projet de la NASA, l’archéologue Georgia Lee et

l’astronome William Liller firent la tournée de tous les ahu23

côtiers, ils arrivèrent à la

conclusion que ceux qui étaient alignés sur le soleil ont été faits intentionnellement par les

anciens Pascuans (Cruchet, 2013 : 48). A Mangaréva, le père Laval fait état d’un observatoire

appelé Rua-rā « chemin du soleil », constitué d’une pierre avec une rainure appelée

‘Akano’oga-rā « faire-asseoir-le-soleil ». L’observateur était assis sur une pierre plate en face

de la rainure et avait pour point de mire une grotte située sur l’îlot d’en face, Agakaui. Quand

le soleil est dans l’axe de la rainure et de la grotte, c’est le solstice d’hiver. Les pierres sont

toujours à leur place dans la localité de Atituiti à Mangaréva24

.

Des mesures effectuées par les archéologues sur les marae de Ra’ivavae et de

Taputapuatea à Ra’iatea, indiquent que leurs ahu étaient alignés selon l’axe du soleil

(Cruchet, 2005 :153-157). D’autres mesures réalisées à Tahiti et dans plusieurs îles de la

21 CRUCHET, L., 2005. Le ciel en Polynésie, Essai d'ethno astronomie en Polynésie orientale.

22Papa-ui-hetu’u. De papa « rocher », ui « interroger » et hetu’u « étoile » - Ana-ui-hetu’u. De ana « grotte », ui

« interroger » et hetu’u « étoile »

23Ahu : Edifice religieux en forme d’autel fait de pierres. Les Pascuans dressèrent leurs statues sur ces autels.

24 LAVAL, H., 1938. Mangareva, l’histoire ancienne d’un peuple polynésien.

Page 66: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

53

Société font état d’alignement sur le soleil ou sur deux étoiles opposées dans le ciel, toujours

les mêmes, Antarès et Aldébaran.

Pour mémoriser la position relative des astres, les Anciens les avaient regroupés en

motifs, des figures puisées dans leur environnement, plus facile à redessiner dans le ciel : les

constellations. Au gré des fantaisies, en s’inspirant des grands et petits faits de leur

mythologie, du monde animal ou des objets quotidiens, chaque peuple avait interprété à sa

guise les images suggérées par l’agencement particulier de certaines étoiles.

L’une d'elles évoquait pour les Grecs un de leurs animaux mythiques, elle est devenue

la constellation du Capricorne, alors que pour les Tahitiens, c’était un sentier tracé dans le

ciel, Rua-o-Mere « Chemin-de-Mere ». Un autre leur rappelait la forme du redoutable

Scorpion, les Tahitiens y voyaient un grand hameçon, Matau-nui, ou celui d’un de leur héros

navigateur, Matau-a-Tafa’i25

« hameçon-de-Tafa’i ». Les Egyptiens trouvaient que la

constellation, vue comme une Grande Ourse depuis les îles grecques, ressemblait à une Jambe

de Bœuf. Les Mésopotamiens l’appelaient le Chariot, les Sioux le Skunk (la moufette, un petit

mammifère à l’odeur infecte), les Chinois pensaient que c’était Wen-Chang, le dieu de la

Littérature, recevant en audience son ministre des affaires littéraires du monde et son escorte

divine. Les Tahitiens voyaient en elle par contre un pilier, Pou-fa’arava’aira’a, le « pilier

pour pêcher ». Les six étoiles qui forment le polygone de la constellation du Cocher ou

Auriga représentaient pour les Babyloniens un homme portant sur son épaule une chèvre,

elles symbolisaient pour les Tahitiens un vivier à poisson, Fa’a-nui, la « grande-nasse »26

. En

revanche, la rivière de lait qui traverse le ciel connue universellement sous le nom de Voie

Lactée, est, pour les Tahitiens, la « rivière-vivifiante » Vai-ora27

ou Vai-ora-a-Tāne28

« rivière-vivifiante-de-Tāne » ou encore, Vai-ora-a-Ta’aroa29

« rivière-vivifiante-de-

Ta’aroa », dans laquelle nage le requin bleu, Fa’arava-i-te-ra’i « couleur-du-ciel », l’étoile

Altaïr30

.

25Matau-a-tāfa’i : Le nom de la constellation du Scorpion à Tahiti.

26 HENRY traduit fa’a-nui par « grande-vallée », ce qui est en contradiction avec les autres noms d’objets

célestes, lesquels, rappellent le milieu marin (poissons, requin, baliste, canne à pêche, bonite, pirogue, océan…).

C’est pourquoi nous préférons « grande-nasse » à « grande-vallée »

27 HENRY, 1968, p. 378.

28Ibid., p. 370.

29Ibid., p. 416.

30Ibid., p. 370.

Page 67: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

54

Les textes de l’astronomie traditionnelle indienne, le Rig-Véda, mentionnent 27

constellations associées au mouvement du Soleil ainsi que 13 divisions zodiacales du ciel.

L'astronomie sumérienne et ses dérivées, les astronomies chaldéenne, mésopotamienne,

égyptienne et hébraïque, ont divisé le ciel en 12 signes zodiacaux, les mêmes que ceux utilisés

encore de nos jours par les astrologues.

Dans le Nouveau Monde, l’astronomie Maya, tout à fait originale dans sa complexité,

avait réussi à décrire avec précision les phases et les éclipses de Vénus. L’astronomie

tahitienne, telle qu’elle a été partiellement recueillie par Henry dans, Birth of heavenlies

bodies31

, nous révèle 50 constellations et près de 100 étoiles32. C’est beaucoup, au regard

d’une communauté réduite, en terme de population, et dénuée d’organisation étatique.

Rappelons que l’astronomie moderne, héritage de celle des Mésopotamiens, des

Egyptiens, des Grecs, des Latins, des Arabes, des Byzantins, des voyageurs européens des

cinq derniers siècles et des astronomes modernes, regroupe les étoiles en 88 constellations.

Ce mythe de la « naissance des corps célestes » traduit-il simplement une fable

superstitieuse sortie de l’imagination créative des Tahitiens ou une véritable entreprise de

mathématisation des objets célestes ?

3. La rationalité du mythe

En plus de son contenu accessible, le mythe emploie des formes charmantes, avec le

vers ou le chant. L’imaginaire collectif y trouve son compte, la tradition, puis le

conservatisme également, pour justifier le présent à partir du passé. Faut-il alors expulser à la

périphérie de la raison, ces mythes cosmogoniques, du fait qu’ils échappent à notre

compréhension et qu’ils mettent en cause la rationalité de notre pensée ?

Au fur et à mesure cependant que le temps passait, un obstacle de taille se mettait sur la

route du mythe, la science. Elle est venue perturber ce monde plein de fables, de contes, de

légendes et de féeries. Au départ pourtant le mythe relayait déjà une forme de rationalité qui

31 HENRY, T., 1928. Pour le texte de la « Naissance des objets célestes », la version française est incomplète.

Des mots ou des expressions entières se sont évaporées. Nous devons donc nous référer à la version originale

anglaise parue en 1928 sous le titre Birth of heavenlies bodies pour avoir le texte complet en tahitien.

32 Voir en annexe 1 p. 332, la liste complète des étoiles relevées dans les ouvrages tahitiens évoquant ce sujet.

Page 68: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

55

s’organisait autour d’un ensemble de règles et une logique rigoureuse. Toutes les civilisations

ont emprunté la voie mythique pour expliquer ce que la raison ne parvenait pas à saisir. La

structure objective des mythes ne serait que l’architecture de l’esprit qui les élabore,

synthétisée ainsi :

« Et si l’on demande à quel ultime signifié renvoient ces significations qui se signifient

l’une l’autre, mais dont il faut bien qu’en fin de compte et toutes ensembles, elles se

rapportent à quelque chose, l’unique réponse (...) est que les mythes signifient l’esprit, qui

les élabore au moyen du monde dont il fait lui-même partie. Ainsi peuvent être

simultanément engendrés, les mythes eux-mêmes par l’esprit qui les cause, et par les

mythes, une image du monde déjà inscrite dans l’architecture de l’esprit. » (Lévi-Strauss,

1998 : 346)

Le grec muthos, qui a donné « mythe », signifie certes « légende » à ceci près que le

mythe, contrairement à la légende, est fondateur. Il est du propre de l'homme de s'interroger

sur ses origines, sur la terre où il vit. Pour tenter de répondre à ces questions, on a pendant

longtemps utilisé le mythe qui justifiait des phénomènes naturels en mettant en scène des

dieux, des éléments surnaturels, jusqu'à ce que, progressivement en Occident, la philosophie

et le raisonnement scientifique soient privilégiés pour leur plus grande crédibilité et fiabilité.

Or, pour les Tahitiens et pour tous ceux qui vivent dans des milieux traditionnels, ces

personnages extraordinaires, dont l’histoire est racontée dans leurs mythes, sont réels. Ils ont

tous véritablement existé. Vous voulez des preuves ? Il y en a par centaines. Pai, par exemple,

a laissé l’empreinte de son pied sur un récif de la pointe Tata’a à Puna’auia quand il a lancé

son javelot sur le mont Mou’a-puta à Mo’orea. Celle du pied de Maui est sur un récif de

Vaira’o ; c’est là qu’il l’a posé quand il a voulu attraper le soleil. Le phallus de Hiro est sur

une montagne de Huahine. La chevelure blanche de Te’ura, la redoutable guerrière de Bora-

Bora, pend le long d’une montagne de Papeno’o (les cascades de Fare Ueue) ; son urine rouge

gicle d’une paroi rocheuse (la cascade, Te-mimi-a-Te’ura-vahine) et ses excréments se

mélangent à l’eau d’une source qui, dès qu’on l’affleure, rougit (les eaux sulfureuses de

Vai’ava’ava).

Si malgré tout, il arrive qu’il y ait encore des doutes, des arguments irréfutables seront,

cette fois-ci, fournies sous la forme de pehepehe, pāta’uta’u, fa’ateniteni ou fa’ataratara33

,

33Pehepehe, pāta’uta’u, fa’ateniteni, fa’ataratara : styles poétiques tahitiens.

Page 69: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

56

des récits et des chants relatant des faits légendaires. Le doute ne sera plus permis, nous

sommes maintenant dans la parole sacrée des sages, nous prévient Eliade :

« Un mythe est une histoire vraie qui s’est passée au commencement du Temps et qui

sert de modèle aux comportements des humains. En imitant les actes exemplaires d’un

dieu ou d'un héros mythique, ou simplement en racontant leurs aventures, l’homme des

sociétés archaïques se détache du temps profane et rejoint magiquement le Grand Temps,

le temps sacré. » (Eliade, 1957 : 22)

Le mythe met en scène des personnages, divins ou de parenté divine. Sa principale

caractéristique est l’irruption du sacré dans les récits de la création et ses explications. C’est

un moyen, pour ainsi dire, de donner un contenu aux mystères du monde, même s’il y a lieu

de ne pas systématiser comme le démontre Georges Dumézil34

à propos des récits sur les

premiers temps de Rome. Si l’épisode de Romulus était depuis longtemps considéré par les

historiens modernes comme une légende sans trop de fondement historique, ces mêmes

historiens considéraient néanmoins que, une fois passé cet épisode légendaire, les récits

faisaient rapidement écho à des événements réels. Il commença par démontrer qu’il était

possible d’établir des parallèles entre certains épisodes de ces récits et certains aspects de la

mythologie scandinave. Autrement dit, il révéla que des personnages et des événements qui

étaient en Scandinavie des morceaux de mythes divins se présentaient à Rome comme des

fragments de l’histoire nationale.

Faut-il accorder crédit à des légendes de ce type en Océanie ? En s’appuyant sur la

tradition orale, le professeur José Garanger effectue des fouilles archéologiques sur un îlot,

où, disaient les autochtones de l’île d’Efate au Vanuatu (ex-Nouvelles-Hébrides), a été enterré

un chef mythique, Roy Mata. L’archéologue met à jour, effectivement, au lieu indiqué, une

trentaine de sépultures, des femmes et des hommes, enterrés avec leur chef, conformément

aux données transmises par la tradition orale. La datation au carbone 14 montre que les

funérailles ont eu lieu il y a 500 ans. La réalité est donc conforme au mythe35

.

34 DUMEZIL, G., 1949. L'Héritage indo-européen à Rome.

35 GARANGER, J., 1976, pp. 137-161

Page 70: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

57

Faut-il, pour autant, prendre appui sur la tradition, pour établir des schémas ? Des

fouilles effectuées sur l’atoll de Tepoto dans l’archipel des Tuamotu, nous mettent en garde

contre ce raisonnement. Les données transmises par la tradition orale révèlent que la mémoire

peut également faillir. Sur un site sacré, destiné, selon la tradition, à la consommation

ritualisée des tortues, une trentaine de sépultures fut mise à jour, dont, probablement, celle

d’un chef important. Elles sont datées de 1850, donc, très récentes. Et pourtant, la mémoire

collective ignore tout de cet événement (Conte, 1996 : 75 – 89).

Les interrogations sur ses origines intriguaient l’homme. Ne pouvant y trouver une

explication scientifique, il crée un mythe :

« Le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps

primordial, le temps fabuleux des « commencements ». Autrement dit, le mythe raconte

comment, grâce aux exploits des Êtres Surnaturels, une réalité est venue à l’existence,

que ce soit la réalité totale, le Cosmos, ou seulement un fragment : une île, une espèce

végétale, un comportement humain, une intuition. C’est donc toujours le récit d’une

création : on rapporte comment quelque chose a été produit, a commencé à être. »

(Eliade, 1963 : 17)

Le mythe est donc loin d’être absurde car il donne du sens aux choses qui n’en ont pas.

Il permet d’éduquer la population et de lui inculquer des valeurs qu’elle considérera comme

naturelles. Pour les Romains, c’était de forger une nation. Pour les Grecs, comme dans le

mythe d’Œdipe, c’était de chercher à bannir l’inceste de la société en les faisant frémir

d’horreur pour qu’ils retiennent la leçon. Œdipe s’inflige le pire des supplices : il se crève les

yeux.

Ainsi le mythe s’intéresse à tout car les hommes ressentent un besoin continuel de tout

expliquer. De ce constat, quelle part de réalité y-a-t-il derrière les mythes historiques comme

le récit du Déluge ? Seuls quelques chrétiens fondamentalistes continuent à croire en la réalité

de l'épisode de l'arche de Noé. Pourtant selon une hypothèse récente36

, le Déluge biblique

correspondrait à la création soudaine de la mer Noire, suite à l'ouverture du détroit du

Bosphore, survenue il y a 8 000 ans environ. La montée du niveau de la Méditerranée, suite à

36 RYAN, W. & PITMAN, W., 1998. Noah's Flood: The New Scientific Discoveries About The Event That

Changed History.

Page 71: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

58

la fonte des glaciers, a provoqué la rupture de la chaîne montagneuse et le déversement de

millions de km cube d'eau, qui a inondé toute une région, noyant des milliers de personnes.

Hawaiki37

est-il le pays mythique d’où viendraient, selon leurs légendes, les ancêtres

des Polynésiens orientaux, ou simplement le groupe d’îles comprenant les îles Fidji, les îles

Tonga et les îles Samoa, qui a vu l’émergence en Océanie d’une culture spécifiquement

polynésienne dont ils seraient issus. C’est ce que proposent l’archéologue Patrick Kirch et

l’anthropologue Roger Green38

en se basant sur les reconstitutions linguistiques des termes

relatifs à la nourriture, la culture matérielle, l’organisation politique et sociale, la religion, les

saisons et les rituels ?

L’engloutissement de l’Atlantide est-elle une pure fiction politique née de

l’imagination de Platon mettant en garde la ville d’Athènes face à la corruption, ou le récit

rapporté des événements qui ont provoqué la destruction de la civilisation minoenne, suite à

un énorme tsunami généré par l’éruption du volcan de l’île Santorin, vers 1.650 Av-JC,

comme le suppose le commandant Cousteau39

, après une exploration maritime faisant suite

aux travaux de l’archéologue grec A. Galanopoulos40

?

Comme les Méditerranéens, les Polynésiens ont éprouvé le besoin d’expliquer que

leurs ancêtres venaient d’un pays où ils côtoyaient les dieux. Le fait de s’en éloigner les ont

réduits à la condition d’homme. Comment ont-ils perdu leur place auprès des dieux et

pourquoi ne comprennent-ils plus toutes ces lois imposées par eux et qui règlent l’Univers ?

Pourquoi, par exemple, le soleil se déplace-t-il plus lentement que la Lune ? Grâce à

Maui, prétendent leurs tahu’a, leurs prêtres-experts, il l’a menacé de l’étrangler avec son lasso

s’il ne ralentissait pas sa course, afin que ses parents aient le temps de cuire leurs aliments.

Pourquoi le ciel ne tombe-t-il pas ? C’est grâce aux dix piliers que les dieux, Tumu-nui

et Te-papa-raharaha, ont apportés pour fixer le dôme du ciel (Henry, 1968 : 350).

Pourquoi les astres, après une ascension à l’Est, tracent-ils une courbe dans le ciel

avant de redescendre à l’Ouest ? C’est parce qu’ils se déplacent sur la surface incurvée de la

37Hawaiki est le nom māori correspondant à Havai’i en tahitien, Hawai’i en hawaiien, Havieki en marquisien,

‘Avaiki en rarotongien, Savai’i en samoan et savaiki en Tongareva (île Penrhyn). Sa reconstitution en proto-

polynésien serait *Sawaiki (Pollex)

38 KIRCH, P., V., & GREEN, R., C., 2001. Hawaiki, ancestral Polynesia, an essay in historical anthropology.

39 COUSTEAU, J.-Y. & PACCALET, Y., 1981. A la recherche de l'Atlantide.

40 GALANOPOULOS, A., G. & BACON, E., 1969. L'Atlantide : la vérité derrière la légende.

Page 72: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

59

coquille Rūmia qui est ronde comme un œuf et qui a été utilisée par Ta’aroa pour en faire le

dôme du ciel, répondront les tahu’a (Henry, 1968 : 347).

Si les Tahitiens ont su donner une réponse imagée sans l’appui de la rationalité des

mathématiques, ce n’est pas en raison de l’absence de « science », mais au fait que leur

projection mythique se construit à l’aide d’images et non pas de concepts. Les réponses

apportées ne sont pas moins rationnelles d’un point de vue conceptuel, car en quoi se

différencient-elles de l’interprétation mythique du monde ? Ils ont leur propre

« compréhension », reposant sur une construction mentale, guidée par l’oralité et répondant à

leurs besoins : la survie dans un environnement maritime comme le leur, dépendait des

connaissances astronomiques gravées dans leurs mythes.

La logique de leur pensée n’est pas en cause, car leurs interrogations sous-tendent une

observation méthodique des phénomènes célestes, reposant sur une démarche qui inclut la

raison rejoignant en cela la fameuse citation : « le savant n'est pas l'homme qui fournit les

vraies réponses, c'est celui qui pose les vraies questions » (Lévi-Strauss, 1964 : 15).

Les Tahitiens ont eu cette logique de remarquer des phénomènes passés inaperçus car,

quotidiens et banals : vitesse du soleil et de la lune, toiture flottant dans le ciel, trajectoire

incurvée des astres... Ils se sont, à chaque fois, posés la question de savoir pourquoi de tels

phénomènes existaient.

Reprenons les trois remarques astronomiques relatées plus haut et attribuons à chacune

une question qui suggérerait les réponses précitées :

1° - Le Soleil se déplace plus lentement que la Lune. Quelle en est la cause ?

2° - Une force invisible maintient le dôme du ciel au-dessus. Quelle est cette force ?

3° - La voûte céleste possède une forme incurvée. D’où lui vient cette forme ?

Les réponses fournies par la science moderne à ces trois questions, nous les avons eues

grâce à Kepler, Galilée, Newton, Cassini, Kant…

Nous retrouvons cette même problématique avec les mythes géographiques. Quand les

Tahitiens se sont posé la question de savoir pourquoi il y a un bras de mer entre l’île de

Ra’iatea et de Taha’a, une explication plausible fut que les dieux ont déplacé la terre qui s’y

trouvait et qu’elle est devenue l’île de Tahiti. De même pourquoi y-a-t-il un trou qui traverse,

de part en part, le sommet de la montagne Mou’a-Puta à Mo’orea ? Il nous faut connaître

Page 73: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

60

l’histoire du guerrier Pai pour le comprendre. Il lança si fort son javelot que ce dernier

traversa la montagne avant de finir sur l’île de Ra’iatea.

Plus au Sud, les Maoris ont eu leur propre réponse quant à leur destin sur cette terre.

S’ils sont en Nouvelle-Zélande, c’est grâce à Kupe41

, le navigateur originaire de Hawaiki, qui

l'a découvert cinq-cents ans avant Abel Tasman42

, peut-être plus. Les premiers colons venus

par la suite, n’ayant pas pu acclimater une partie de leurs plantes tropicales dans ce pays froid,

ont chassé les moa (Dinornithidae), ces oiseaux géants qui ont perdu l’usage de voler, pour se

nourrir, jusqu’à leur extinction, trois-cents ou quatre-cents ans plus tard. Le moa est devenu

par la suite un animal légendaire intégré dans les mythes maoris. La réalité a rejoint les

mythes en 1839, le jour où des fossiles de cet oiseau disparu ont été retrouvés.43

Pour les Hawaiiens, Kaha’i44

un natif de Kahiki a exploré les îles Hawai’i, huit cents

ans avant James Cook45. Trouvant l’archipel inhabité, il est revenu à Kahiki convaincre sa

famille d’aller le coloniser.

Selon les Pascuans, Hotu Matua, un chef d’une contrée nommée Marae Renga et

Marae Tohio, située dans un pays appelé Maori ou Hiva46, sauva in extremis son peuple d’un

tsunami en le conduisant pour un voyage sans retour vers Te-pito-o-te-kainga « Le-nombril-

du-pays » ou Te-pito-o-te-fenua « Le-nombril-de-la-terre », l’île de Pâques, mille ans avant

Jacob Roggeveen. Il fut l’ancêtre d’une nouvelle lignée qui dut s’adapter aux dures conditions

climatiques de cette île minuscule. Ils ne purent repartir, faute d’arbres pour construire leurs

pirogues, ils les avaient surexploités jusqu’à leur disparition. Ils y édifièrent alors les plus

beaux et les plus grands monuments en pierre de Polynésie.

Quelle part de vérité y-a-t-il dans ces récits mythiques ? Ils partagent une trame

commune : un chef navigateur quitte sa terre d’origine avec des gens de son clan ou de sa

tribu, il les guide vers un nouveau pays pour y bâtir une nouvelle société. La population

épuise ses ressources, elle s’accroît, se ramifie et se développe sur de nouvelles bases. Ces

récits issus de la tradition orale rejoignent singulièrement les théories de peuplement des îles

du Pacifique telles que l’ont retracé les archéologues et que résume Eric Conte47

:

41 HENRY, T., & others, 1995. Voyaging Chiefs of Hawai’i, pp. 161-182.

42 Abel Tasman a découvert la Nouvelle-Zélande en 1642.

43 JOUAN, H., 1869. Essai sur la Faune de Nouvelle-Zélande.

44 HENRY, T, & others, op.cit., pp. 31-48.

45 James Cook a découvert Hawai’i en 1777.

46 HENRY, T, & others, op. cit. pp. 183-190.

47 CONTE, E., 2000. L’archéologie en Polynésie française, esquisse d’un bilan critique.

Page 74: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

61

« Arrivée sur une île vierge, une population réduite (une centaine d’individus) exploite

intensivement les ressources naturelles durant la phase de colonisation. Les installations

permanentes, en habitat groupé, se font dans les zones les plus favorables d’un point de

vue écologique (les secteurs au vent plus humide) et en bordure des côtes. L’organisation

sociale (« chefferie simple ») est fondée sur le lignage (donc la parenté), avec un chef

traditionnel héréditaire cumulant le pouvoir séculaire et sacré comme intercesseur entre

les vivants, les ancêtres et les dieux. Malgré l’existence de spécialistes (prêtres, artisans,

guerriers), la distance sociale entre le chef et le peuple demeure réduite. » (Conte, 2000 :

221)

Au départ, dans les couches les plus profondes et donc plus anciennes, ont été mises

en évidence l’existence d’une petite communauté dont l’origine peut dans quelques cas être

identifiée grâce aux outils retrouvés. Avec le temps, la communauté s’est accrue, a pris

possession de son environnement et l’exploita pleinement. Plusieurs générations plus tard, le

souvenir précis de la terre d’origine se dilue dans les mémoires tout en grandissant dans les

cœurs. La forme des outils change, les connaissances progressent, la langue se transforme et

se diversifie. Les indices de l’existence d’une terre d’origine, située au loin, ne sont conservés

que dans les mythes. Les décrypter nous renverrait au début de l’histoire, au moment où

l’homme était comme un dieu, où la langue était « pure », où les savoirs étaient supérieurs, et

où le souvenir du pays d’origine était plus précis.

Où se trouvent Hawaiki, Kahiki ou Hiva ? Sont-elles une réalité ou le fruit d’une

imagination ? Hawaiki est-elle l’île de Ra’iatea / Havai’i, comme le pense Sir Percy Smith,48

après avoir traduit des légendes et des généalogies maories (des traductions remises en cause

par les maoris aujourd’hui) ? Peut-être, mais ce qui est certain, c’est que la langue maorie fait

partie, avec le tahitien et le rarotongien, d’un sous-groupe du polynésien oriental, le tahitique.

Le Kahiki des récits hawaiiens semble bien être Tahiti49

car sur le plan linguistique, le

phonème /k/ du hawaiien correspond systématiquement au phonème /t/ du tahitien. Mais,

s’agissait-il vraiment, pour les Hawaiiens de l’époque où Cook visita l’archipel, de l’île de

Tahiti ? En effet, la langue hawaiienne appartient, avec le marquisien et le mangarévien, au

48 TE MATOROHANGA, (trans. By S. Percy SMITH), 1913. « The lore of the whare wananga ».

49 La légende de Tafa’i est racontée par Teuira Henry dans Tahiti aux Temps Anciens, (1968, p. 567-590). Elle

l’a complétée, pour ce qui concerne la partie hawaiienne, par des textes tirés de An Acount of the Polynesian

Race, its origins and Migration, (1890-95) d’Abraham Fornander.

Page 75: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

62

sous-groupe marquésique, ce qui laisse penser que le peuplement de Hawai’i a pu avoir pour

source les îles Marquises.

Cet archipel (Nuku-Hiva, Hiva-‘Oa, Fatu-Hiva…) est, également, un candidat sérieux

avec Mangaréva pour être le pays d’origine des Rapanui (Pascuans), non seulement à cause

du nom Hiva50, mais aussi en raison des aspects culturels. La coïncidence des noms n’est

peut-être pas due au hasard, compte tenu des rapprochements culturels possibles.

Que peuvent encore cacher ces indices ?

Selon les mythes fondateurs de l’île de Pâques, les ancêtres de ses habitants actuels,

après avoir quitté leur île d’origine, découvrirent l’île, après des milliers de milles de

navigation, guidés par le soleil, les étoiles et leur intuition. Ces récits, contés aux chercheurs

qui y ont séjourné, délaissent parfois des aspects jugés non essentiels. Une chercheuse

allemande, Herta Von Dechend,51

professeur de science à la Johann Wolfgang Goethe-

Universität à Francfort, se rendit compte, qu’à l’intérieur des mythes, un savoir scientifique

avancé a été codifié. Les anciens Pascuans par exemple, comme les grandes civilisations

antiques, connaissaient la précession des équinoxes. Ce phénomène ne pouvant être observé

que sur une longue échelle, sa manifestation visible étant le déplacement suivant un cercle,

des astres du pôle Sud et du pôle Nord célestes, cette découverte fut une surprise pour le

monde scientifique, elle est d’ailleurs toujours sujette à la controverse. Mais pour la

chercheuse allemande, ce n’en était pas une. Les mythes sont des métaphores qui véhiculent

un savoir astronomique, ils seraient en quelque sorte des codes pour se repérer dans les

constellations. Les mythes de l’île de Pâques en sont une preuve.

Pour les Occidentaux d’aujourd’hui, le fait que la Terre soit ronde est une certitude.

Quelle n’était pas la terreur des marins grecs lorsqu’ils s’éloignaient des côtes ! Un danger

mortel les guettait : celui de tomber dans le vide, puisque pour eux, la Terre « était plate ».

C’est d’ailleurs pour cela que le cabotage était la règle en Europe jusqu’à Christophe Colomb.

La vision de la Terre plate était une représentation géographique que partageraient, selon

William Bligh, les Tahitiens52

:

50 Alfred Métraux (1941) ne fait pas état du pays de Hiva, ce nom est mentionné par Katherine Routledge, 2007

(1919).

51 SANTILLANA, G. de & Von DECHEND, H., 2012 [1969]. Le Moulin d’Hamlet, La connaissance, origine et

transmission par les mythes.

52 BLIGH, W., 1792. A Voyage to the South Sea, undertaken by command of his Majesty, for conveying the

breadfruit tree to the West Indies, in his Majesty’s ship the Bounty.

Page 76: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

63

« Their ideas of geography are very simple: they believe the world to be a fixed plane of

great extend. » (1792 : 62)

« Leurs idées sur la géographie sont très simples : ils croient que le monde est une surface

plane fixe d’une grande étendue. » (Traduction personnelle)

William Ellis, releva les mêmes propos à Huahine53

:

« Ils imaginaient [les Tahitiens] que la mer qui entourait leur île était une surface plane et

qu’à l’horizon visible ou à quelque distance au-delà, le ciel, ou ra’i, rejoignant l’océan,

renfermant, comme dans une arche ou un cône creux, les îles qui se trouvaient dans le

voisinage immédiat. » (1972 : 567)

Il y a lieu cependant de tempérer ces deux témoignages, car, si la terre a été faite à

partir d’une coquille, elle aurait hérité de sa forme arrondie, comme le dôme du ciel a hérité

de celle de la coquille Rūmia (Henry, 1968 : 344). Mais, la même vision n’incite pas

forcément aux mêmes réflexes. Mêmes si les Tahitiens pensaient qu’à l’horizon existait un

gouffre, contrairement aux Grecs, ils y sont allés. Ils ont vu que l’horizon reculait à leur

approche et ils découvrirent d’autres terres, repoussant à chaque fois ses limites. Ils en ont

ramené une multitude d’anecdotes sous forme de mythe. Faute de pouvoir toutes les consigner

sur un registre, puisqu’ils n’avaient pas d’écriture, ils les ont intégrés à leurs traditions sous

forme de chants et de poésies. C’est ainsi qu’ils ont mémorisé et conservé sous forme de

mythes ce qu’ils ont vu.

Ce qui nous amène à penser que les savoirs, « scientifiques et techniques » des

Tahitiens, en particulier l’art de naviguer, ont pu être sauvegardés. Pour les appréhender, il

nous faut relayer les paroles de ces chansons et de ces poèmes, sans les trahir.

4. Linguistique et mythe

L’analyse des mythes consiste aujourd’hui à réduire la distance supposée qui existe

entre le muthos, la parole de la tradition, du sacré, la légende des dieux, et le logos, la parole

empreinte de sens, la raison. La linguistique peut-elle proposer ses méthodes en modèle au

53 ELLIS, W., 1972. A la recherche de la Polynésie d’autrefois.

Page 77: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

64

mythe ? Il est banal aujourd’hui de donner à cette question une réponse positive tant la

linguistique a fait des progrès considérables.

La sociologie, l'ethnographie, la psychanalyse se sont habituées à considérer une

institution, un mythe ou un rêve comme étant, dans une large mesure, des ensembles

signifiants dont il faut, avant tout, établir la signification. La linguistique, comme étude des

systèmes de signification, pourrait donc sans paradoxe prétendre être le paradigme du mythe.

C’est par le langage, à travers les mots, la syntaxe et le style, que le mythe existe,

pense Lévi-Strauss 54

:

« Le mythe est langage ; mais un langage qui travaille à un niveau très élevé, et où le sens

parvient, si l’on peut dire, à décoller du fondement linguistique sur lequel il a commencé

par rouler. » (Lévi-Strauss, 2010 : 240)

Pour étayer cette affirmation, il formule trois principes :

« 1. Si les mythes ont un sens, celui-ci ne peut tenir aux éléments isolés qui entrent dans

leur composition, mais à la manière dont ces éléments se trouvent combinés.

2. Le mythe relève de l’ordre du langage, il en fait partie intégrante ; néanmoins, le

langage, tel qu’il est utilisé dans le mythe, manifeste des propriétés spécifiques.

3. Ces propriétés ne peuvent être cherchées qu’au-dessus du niveau habituel de

l’expression linguistique ; autrement dit, elles sont de nature plus complexe que celles

qu’on rencontre dans une expression linguistique de type quelconque. »

Si l’on nous concède ces trois points, ne fût-ce comme hypothèses de travail, deux

conséquences importantes suivent :

1° comme tout être linguistique, le mythe est formé d’unités constitutives ;

2° ces unités constitutives impliquent la présence de celles qui interviennent normalement

dans la structure de la langue, à savoir les phonèmes, les morphèmes et les sémantèmes. »

(Lévi-Strauss, 2010 : 240-241)

Le langage du mythe est métaphorique, avec une mise en valeur de contenus

sémantiques. Ce que le mythe dit sur le cosmos, sur l’origine de l’homme, sur l’origine des

dieux est, comme tel, hors de question. Le mythe n’est pas à comprendre, mais à décoder, en

54 LEVI-STRAUSS, C., 2010 [1958]. Anthropologie structurale.

Page 78: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

65

entendant par-là l’opération inverse de celle que nous faisons quand, à partir d’un code connu,

nous interprétons un message. Ici nous extrayons du message connu, le code inconnu.

Comment situer le mythe d’abord par rapport à l’opposition langue-parole ?

Le mythe est du côté de la parole en tant qu’il est une sorte de récit dont les phases se

succèdent dans un temps irréversible. Il est aussi du côté de la langue par l’arrangement de ses

éléments. C’est la tâche de l’explication de passer du mythe raconté dans un temps successif

aux structures permanentes, qui régissent non seulement les unités successives du récit du

mythe dans une version donnée, mais aussi l’ensemble des versions et des variantes du même

mythe. La lecture du mythe fonctionne comme un réservoir de prédispositions signifiantes, un

mot accroche une image qui en appelle une autre. Pour Roland Barthes55

, « le mythe est une

parole », « un système de communication » (1957 : 193), c’est-à-dire un système

sémiologique (système de signes) et non un concept.

Le mythe ne se définit pas par l’objet de son message, mais par la façon dont il le

profère. Ainsi replacés sur le fond d’une explication structurale généralisée, quelques traits

importants de cette mythologique se trouvent renforcés : d’abord, l’appartenance du mythe,

en tant que récit, à l’ensemble des structures sémiologiques, ensuite, le caractère formel du

système des oppositions et des combinaisons qui règne sur l’ensemble du domaine

sémiologique, enfin et peut-être surtout, le fonctionnement absolument inconscient des

régularités qui assurent le caractère logique du système.

Le langage se construit sur deux systèmes d’unités et non pas sur un seul. Ces unités

sont, d’une part, les unités de langue, à savoir les phonèmes et les morphèmes (ou

sémantèmes), d’autre part, les unités de discours que sont les phrases.

Le deuxième pas en direction du problème spécifique du mythe repose sur

l’introduction d’un phénomène plus précis, celui du sens multiple, la polysémie. En effet, les

mots du langage ordinaire ont plus d’une signification. À la différence des langages

techniques reposant sur l’univocité, c’est-à-dire l’unicité de sens des mots, et sur

l’indépendance de ce sens par rapport au contexte, les mots du langage ordinaire ont plus

d’une signification et reçoivent du contexte la délimitation de leur valeur sémantique actuelle.

55 BARTHES, R., 2010 [1957]. Mythologies.

Page 79: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

66

Le contexte n’étant jamais absolument figé, avait remarqué Ferdinand de Saussure56

, les sens

des mots évoluent :

« La signification d’un mot change souvent en même temps qu’un peuple change de

résidence. On a cru voir aussi dans l’absence d’un mot la preuve que la civilisation

primitive ignorait la chose désignée par ce mot ; c’est une erreur. Ainsi le mot labourer

manque dans les idiomes asiatiques ; mais cela ne signifie pas que cette occupation fût

inconnue à l’origine : le labour a pu tout aussi bien tomber en désuétude ou se faire par

d’autres procédés, désignés par d’autres mots. » (2008 : 308)

Comment passons-nous de la polysémie de nos mots, au caractère symbolique de notre

discours ? Quand nous employons un mot qui a plusieurs significations, nous n’utilisons pas

toutes les potentialités du mot, nous choisissons seulement une partie de la signification. Mais

le reste de la signification n’a pas disparu, il est, si l’on peut dire, inhibé et flotte autour du

mot. Là est la possibilité du jeu de mot, de la poésie, du langage symbolique. Au lieu, en

effet, de ne retenir de l’amplitude sémantique des mots constitutifs d’une phrase que la seule

dimension renforcée par le «propos du discours», ce que l’on peut appeler son isotopie, nous

pouvons tirer de la richesse sémantique dont nous disposons des effets contextuels d’un autre

genre.

Ainsi, dans le langage poétique, toutes les dimensions de signification jouent ensemble

dans une sorte de polyphonie sémantique. Au lieu que le contexte crible une seule dimension

de sens, il est constitué de façon telle que la pluralité de sens des mots est non seulement

permise, mais préservée et sollicitée.

Il y a donc trois choses à distinguer dans le fonctionnement du langage symbolique : le

processus métaphorique général du langage, le phénomène de sens multiple, ou polysémie,

enfin la structure contextuelle qui, au lieu de fournir une sorte de crible, instaure la

polyphonie au niveau même du discours. Ainsi naît le langage poétique qui est très efficace

pour dire ce qui ne peut être atteint directement, mais seulement par le détour des

significations indirectes, remarque Lévi-Strauss57

.

« On pourrait définir le mythe comme ce mode du discours où la valeur de la formule

traduttore, tradirore tend pratiquement à zéro […] La poésie est une forme de langage

56 SAUSSURE, F., de, 2008 [1916].Cours de linguistique générale.

57 LEVI-STRAUSS, C., 2010 [1958]. Anthropologie structurale.

Page 80: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

67

extrêmement difficile à traduire dans une langue étrangère, et toute traduction entraîne de

multiples déformations », (2010 [1958] : 240).

En dépit de la pire traduction heureusement, le mythe reste perceptible quelle que soit

sa culture d’origine :

« Quelle que soit notre ignorance de la langue et de la culture de la population où on l’a

recueilli, un mythe est perçu comme un mythe par tout lecteur, dans le monde entier »

(2010 [1958] : 240).

Comment ce problème du sens multiple conduit-il à l’intelligence du langage

symbolique ? Parce que nos mots ont plus d’une signification, parce qu’ils sont des réalités

historiques et non de simples différences instantanées à l’intérieur d’un système

synchronique, ils sont le noyau d’un processus cumulatif à travers le temps, la polysémie

constitue la base du phénomène particulier de transfert de sens que nous appelons

«métaphore».

La métaphore est bien plus qu’un procédé rhétorique, il y a une «métaphorique»

fondamentale qui préside à la constitution des champs sémantiques. Une interprétation

métaphorique du mythe suppose qu’on ne s’adresse pas directement à la forme du récit, mais

qu’on s’attarde à la constitution symbolique des énonciations de base du discours mythique.

Les mythes sont une interprétation du monde.

Une fois admis qu’un mythe, par exemple, est un système de signification, il faut lui

reconnaître le schéma tridimensionnel, « un signifiant, un signifié et le signe », (Barthes, 2010

[1957] : 199). Or l’application la plus naturelle de la linguistique semblerait devoir porter sur

le signifiant. On peut facilement envisager, par exemple, qu’un procédé analogue à la

commutation phonologique permette de distinguer, parmi les événements qui composent le

récit mythique, ce qui est pertinent (ce qui contribue à véhiculer le sens) et ce qui n’est qu'une

variante dépourvue de valeur significative.

Mais les méthodes que propose Julien Greimas58

visent tout autre chose, c’est d’une

analyse du signifié, du contenu, qu’il s’agit. Il est facile de découper tout message linguistique

en une succession de signes : on en reconnaîtra autant qu'il y a de segments de l'expression

58 GREIMAS, J., 1966. . « Éléments pour une théorie de l'interprétation du récit mythique ».

Page 81: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

68

auxquels correspond un sens. Le mot peut ainsi être considéré comme un signe, et l'on

définira même des signes plus petits que le mot, les « monèmes » ou les « morphèmes », des

«traits pertinents » de signification auxquels ne correspond aucun signifiant, donc d’aucun

intérêt.

Le récit que présente le mythe doit se lire à deux niveaux. C’est certes une fable, mais

celle-ci est porteuse d'une leçon de portée générale, parce qu’elle structure le temps et

l’espace, classe les êtres et les choses et établit leur inégale valeur. Il existe un ordre signifiant

caché derrière le chaos apparent des choses ; c'est lui qui donne un sens à la vie des individus

et à celle de la collectivité dont ils font partie ; c’est lui qui assigne aux hommes la place qui

leur revient dans l’environnement où ils sont plongés et leur enseigne ce qu’ils doivent faire

pour se concilier la faveur des dieux ou des forces qui structurent le monde.

Il y a donc trois choses à distinguer dans le fonctionnement du langage symbolique : le

processus métaphorique général du langage, le phénomène de sens multiple, la polysémie,

enfin la structure contextuelle qui, au lieu de fournir une sorte de crible, instaure la

polyphonie au niveau même du discours. Ainsi naît le langage poétique qui est très efficace

pour dire ce qui ne peut être atteint directement. Il reste à montrer que la symbolique implicite

au mythe repose sur une telle architecture de significations dont seule peut rendre compte une

théorie du langage considéré comme discours et non seulement comme système de signes.

Cassirer59

note avec Humboldt que les astres sont quelquefois rangés dans la même

catégorie que les êtres animés ; Humboldt en concluait que dans ce cas, la langue prédisposait

à croire que les astres se meuvent par leur propre force (Cassirer, 1923, I : 271). « La langue,

lors de telles classifications, est encore immédiatement mêlée à la pensée et aux

représentations mythiques ». C'est sur cette question de la prédisposition linguistique à penser

de telle ou telle façon que la question du rapport entre langage et mythe est abordée. C'est

grâce au mythe qu'une vision cohérente du monde a été élaborée.

L’homme ne voit pas dans le mot un produit de sa propre création, mais trouve en lui

une réalité objective, qui existe et qui signifie par elle-même. Toutes les figures linguistiques

apparaissent en même temps comme des figures mythiques, douées de certaines forces

mythiques, voire que le mot du langage devient une sorte de puissance originelle d'où procède

59CASSIRER, Ernst, 1923-1929. La Philosophie des formes symboliques, 3 tomes, tome I : Le langage (1923),

tome II : La pensée mythique (1925), tome III : La phénoménologie de la connaissance (1929).

Page 82: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

69

tout être et tout événement. Dans toutes les cosmogonies mythiques, aussi loin que l'on puisse

remonter, on peut toujours déceler la position dominante du mot.

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71

CHAPITRE III : COSMOGONIE ET

COSMOLOGIE

COSMOGONIE ET COSMOLOGIE

1. État des connaissances au moment du contact

Le mythe, la raison, ou tout simplement, la spéculation philosophique, ont permis aux

Tahitiens d’élaborer, au cours des temps, des savoirs, en astronomie et dans les disciplines

dérivées, l’astrologie, la mesure du temps et l’art de la navigation. Mêlés aux chants de la

création et aux théogonies, ces savoirs n’ont pas toujours été compris comme une démarche

scientifique par les historiens. La poésie tahitienne ne saurait être que des récits populaires,

nés de la superstition et des croyances d’une société à tradition orale, restée à l’état de nature.

Sauf qu’au XVIIIe et XIXe siècle, nombreux furent ceux qui ont vu dans ces mythes, des

échos aux récits bibliques et aux fables grecques. Du coup, la mythologie tahitienne s’est vue

octroyer un privilège qui l’a hissée au niveau de celles des grandes civilisations de l’histoire.

Aborder leurs mythes sous l’angle de la science est un exercice fondamental pour

connaître le niveau de connaissance atteint dans le domaine le mieux maîtrisé par eux,

l’astronomie. Nous disposons, pour cela, des textes recueillis par les premiers explorateurs.

Certes, ils sont peu scientifiques. Leur ignorance de la langue fut un paramètre insurmontable

et leur séjour dans les îles, trop bref. Toutefois, leurs recueils complètent avantageusement

ceux faits cinquante ans plus tard par les missionnaires. Les explorateurs étaient, en effet,

confrontés aux érudits de l’époque, en pleine pratique de leur science, comme Tupaia, le

pilote de Cook, ou Puhoro, celui d’Andia y Varela.

Les missionnaires avaient affaire à leurs descendants, convertis au christianisme.

L’abandon des anciennes croyances et leur endoctrinement dans la nouvelle religion ont

forcément influencé leurs points de vue. De leur côté, les missionnaires avaient, comme

préoccupation première, de justifier en permanence leurs actes, escomptant, au passage,

décrypter dans les témoignages, une confirmation de leurs sermons, quitte à prendre quelques

libertés avec la traduction. Il n’était pas pensable que la Parole du seul vrai Dieu puisse être

remise en cause. Néanmoins, la splendeur des mythes et les prouesses maritimes des

Tahitiens, transparaissent au travers de leurs écrits.

Page 85: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

72

Les récits des explorateurs de la fin du XVIIIe siècle et des missionnaires du début du

XIXe siècle nous révèlent que la cosmologie tahitienne était profondément ancrée dans les

traditions.

Nous avons évoqué plus haut l’existence des écoles d’initiations, construites sur des

terrains sacrés et réservés aux élites de sexe masculin, les fare ‘aira’a-‘upu « maisons-pour-

absorber-les-invocations »1, dont l’une fut baptisée Ana-vaha-rau « grottes-aux-nombreuses-

orifices » ou « grande science » ou « savant »2, école que fréquenta Hiro le navigateur.

Henry cite deux écoles de ce type, la première était située à Ha’apape, là où se trouve

la baie de Matavai (dans l’actuelle commune de Mahina) et la seconde à Opoa, à Ra’iatea

(Henry, 1968 : 81). L’initié qui sortait de ces écoles avait un titre, il était tahu’a-parau-tumu-

fenua « créateur-de-la-connaissance-originale-terrestre », ou ana-vaha-rau « grotte-aux-

nombreuses-orifices » (Henry, 1968 : 161).

D’autres modèles d’écoles existaient et étaient fréquentées par les « hommes et les

femmes », ce sont les fare ha’api’ira’a « maisons d’instructions »3. La navigation, la

géographie, l’astronomie, l’astrologie, la mythologie, le temps, les nombres, les saisons, les

généalogies, l’étude des énigmes, l’art héraldique et l’histoire, y étaient enseignés (Henry,

1968 : 161).

Peut-être existait aussi comme à Mangaréva4, des lieux spécifiques pour observer des

phénomènes célestes, comme les solstices, même si pour l’instant, aucun « observatoire » de

ce genre n’a été signalé aux îles de la Société5, hormis les alignements de certains marae sur

des astres. En revanche, James Cook signala l’existence d’un corps de tahu’a spécialisé dans

l’astronomie. Ce qu’a confirmé Banks (Hawkesworth, 1773 : 242) :

1 Henry, 1968, p. 161.

2Ibid., p. 81.

3Ibid., p. 161.

4 Voir au § 1, au sujet de l’observatoire de Mangareva.

5 Dans les années soixante, dans le district de Papeno’o, les anciens nous affirmaient que la pierre

quadrangulaire, dressée sur le pavage intérieur du marae Te-tua-hitia’a « la-mer-au-large-à-l’Est », situé près de

l’embouchure de la rivière Vaitū’oru (le nom de la rivière de Papeno’o), était destinée à marquer la position du

soleil à son lever (sans préciser si c’était aux solstices ou aux équinoxes). Michel Orliac fit les relevés de ce

marae. Il a inscrit la position de la pierre sur son plan. Le marae a été entièrement détruit il y a une dizaine

d’années.

Page 86: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

73

« Outre la religion, la pratique de la physique et la connaissance de la navigation et de

l'astronomie sont du ressort des prêtres. Le nom des prêtres est tahu’a qui signifie homme

de connaissance, de sorte que, même ici, les prêtres ont le monopole de la plus grande

partie des enseignements dans le pays, de la même manière qu’ils le furent autrefois en

Europe. » 6(Traduction personnelle)

Henry signale aussi l’existence de unu-marae, des poteaux sculptés en bois de deux à

deux mètres et demi de long, sur vingt-cinq centimètres de largeur et cinq centimètres

d’épaisseur, surmontés de figurines représentant les dieux, disposés sur des murets, et portant

les noms des grandes étoiles du ciel, ‘Anā-mua (Antarès), ‘Anā-roto (Épi), ‘Anā-muri (Zuben-

Eschamali), etc. (Henry, 1968 : 141)

Ces étoiles spécifiques, dont les noms commencent par le préfixe ‘Anā, étaient

exclusivement réservées à la navigation. Le fait que des unu sacrés, portant des noms

d’étoiles, fassent partie des décors d’un marae, dénotent l’importance qui était accordée aux

astres dans les rituels.

En l’espace de trente ans, de l’arrivée du Dolphin en 1767, à celle du Duff, en 1797,

les témoignages montrent que les croyances ne restent pas figées. Ce que James Wilson, le

commandant du Duff, découvre, n’est déjà plus ce que le capitaine Samuel Wallis a vu. Ce

que le révérend John Muggeridge Orsmond recueille en 1820, n’est plus exactement ce que

les explorateurs ont relevé, un demi-siècle plus tôt. La cosmogonie tahitienne résulte d’un

long voyage qui a commencé il y a cinq mille ans, en Asie du Sud-Est, au voisinage d’un

continent grouillant de culture, et d’une adaptation permanente à un environnement de plus en

plus océanique et de plus en plus isolé. Il nous a donc paru utile de démêler d’abord, dans

l’ordre chronologique où ils furent recueillis, la multitude d’informations récoltée tout au long

du XVIIIe siècle par les explorateurs.

Bien que, sur l’une des cartes qu’il a dessinées à la demande de Cook, Tupaia, appelé

aussi Parua7par les Tahitiens, indique qu’un « navire européen avec des guerriers » (pahi toa),

6« Besides religion the Practise of Physics and the knowledge of Navigation and Astronomy is in the Possession

of the Preists. The name indeed of preist, Tahowa, signifies a Man of Knowledge, so that even here the Preists

Monopolize the greatest part of the learning of the Country in much the same manner as they formerly did in

Europe. » (Banks's Descriptions in the Journal of Places and Peoples encountered during the Endeavour

Voyage : http://southseas.nla.gov.au/journals/banks/about.html)

7 Selon Anders Sparrman, Tupaia portait comme autre nom, Parua. (Kroepelien, B., 1939, p. 39)

Page 87: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

74

a séjourné à Tahiti, au temps du « père de son grand-père » (Metua nō te tupuna nō Tupaia),

c’est-à-dire, trois générations avant lui, donc vers le début XVIIIe siècle. Les seuls navires

connus qui aient croisé dans les parages furent ceux de Roggeveen, en 1722, l’Arend et le

Thienhoven. Le troisième bateau de sa flottille, l’Afrikaansche Galey, venait de faire naufrage

sur le récif de Takapoto. Mais, l’explorateur hollandais, selon toute vraisemblance, a raté

Tahiti, il est passé au Nord des îles de la Société. Il a aperçu Borabora et Maupiti sans

toutefois s’y arrêter8. Il ne peut donc être le bateau hostile que le père de son grand-père a vu.

Samuel Wallis est donc, historiquement, le premier Européen à entrer directement en

relation avec les Tahitiens. Il jeta l’ancre de son bateau, le Dolphin, dans la baie de Matavai,

le 19 juin 1767. Il dut, pendant les quatre premiers jours, livrer un combat naval avec la flotte

de guerre de l’Ari’i Amo, qu’il anéantit. La paix conclue, il débarqua avec ses hommes et

noua des relations plus cordiales avec les habitants de l’île. Souffrant, il relata dans son

journal le bon accueil que lui fit l’Ari’i vahine Purea (la reine Oberea) et son séjour, devenu

inopinément idyllique. Il prêta peu d’attention à leurs croyances. Il reprit la mer, un mois

après, se contentant seulement de quelques remarques au sujet des pirogues (Hawkesworth,

1773 : 486) :

« Avec ces navires, ils naviguent jusqu’à perdre de vue la terre, probablement vers

d'autres îles, et en ramènent le plantain, la banane et l'igname, qui semblent, également,

être plus nombreux dans d'autres parties de l’île que dans celle-ci, où se trouve le

navire. »9(Traduction personnelle)

Louis-Antoine de Bougainville, qui mouilla à Hitia’a l’année suivante, le 7 avril 1768,

avec la Boussole et la Boudeuse, fut plus curieux. Il est le premier à s’apercevoir, par

exemple, que les Tahitiens avaient des qualités en astronomie. Faute de comprendre toutes les

explications, il prit soin de noter le nom de quelques objets célestes : « ils [les Tahitiens]

nomment les comètes evetou eave10, et n’attachent à leur apparition aucune idée sinistre. Il

n’en est pas de même de ces espèces de météores qu’ici le peuple croit être des étoiles qui

8 LAROCHE, M.-C., 1982.

9 « With these vessels they sail far beyond the sight of land, probably to other islands, and bring home plantains,

bananas, and yams, which seem also to be more plenty upon other parts of this island, than that off which the

ship lay. »

10Fetū ave : « comète » (Davies).

Page 88: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

75

filent. Les Taïtiens qui les nomment epao11

, les croient un génie malfaisant eatoua toa12

». Il

constate aussi qu’ils connaissaient de nombreuses constellations ainsi que leur mouvement :

« Au reste, les gens instruits de cette nation, sans être astronomes, comme l’ont prétendu nos

gazettes, ont une nomenclature des constellations les plus remarquables ; ils en connaissaient

le mouvement diurne, et ils s’en servent pour diriger leur route en pleine mer d’une île à

l’autre ». Il précise par ailleurs que ces astres leur servaient à naviguer : « Dans cette

navigation, quelquefois, de plus de trois cents lieues13

, ils perdent toute vue de terre. Leur

boussole est le cours du soleil pendant le jour, et la position des étoiles pendant les nuits,

presque toujours belles entre les tropiques » (Bougainville, 1982 : 266).

Ce fut probablement Ahutoru14

qui lui fournit ces indications, ainsi que les noms des

îles qui entourent Tahiti, depuis Meheti’a à l’Est, jusqu’à Maurua (Maupiti) à l’Ouest, c’est-à-

dire, toutes les îles de la Société, excepté les trois atolls situés à l’Ouest de Maupiti.

Au mois d’avril 1769, James Cook effectue sa première visite de Tahiti. Il était

accompagné, à bord de l’Endeavour, de plusieurs naturalistes dont, Joseph Banks, Parkinson

et Carl Solander. Ils feront un travail, ethnographique et linguistique, remarquable. Il jeta

l’ancre dans la baie de Matavai et l’escale dura trois mois. Il se rendit compte rapidement que

les Tahitiens étaient des voyageurs.

La curiosité de Cook fut, un jour, attirée par un individu dont le corps était couvert de

tatouages, d’un style différent de ceux des autres naturels, on lui affirma qu’il venait d’une île

lointaine appelée, Noouoora (nō ‘Au’ura, c’est-à-dire, « de Kaukura », un atoll des îles

Tuamotu)15

. La présence de ce pa’umotu16

dans l’île, suppose que les gens de cet archipel

faisaient le voyage jusqu’à Tahiti.

Il décrit, plus loin et en détail, plusieurs modèles de pirogues croisés dans la baie où

son navire mouillait. Il cite des ivahahs (va’a), dont les plus petites sont à balancier et les plus

11Pao : « météore » (Davies).

12Atua toa : « dieu guerrier ».

13 900 milles nautique ou 1660 km.

14 Ahutoru embarqua à bord de la Boussole au départ de Bougainville, le 15 avril 1768, et fit le voyage jusqu’en

France où le navire arriva le 16 mars 1769. Il y resta un an, avant d’entamer le voyage de retour. Il ne revint

jamais à Tahiti, car il succomba en mer le 7 novembre 1771.

15 HAWKESWORTH, J., 1773, vol. II – III, p.191.

16Pa’umotu : nom donné, tardivement, par les Tahitiens, aux habitants des îles Tuamotu. A l’époque de Cook, les

Tahitiens les appelaient, Papa’ā « étranger », un terme qui désigna, par la suite, un Européen (Davies).

Page 89: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

76

grandes, à double coque. Il existe des va’a de guerre, de pêche et de voyage. Puis il décrit

d’autres modèles de pirogue qu’il appelle pahies (pahī). Celles-ci sont, visiblement, d’origine

exogène, car elles sont rares à Tahiti, mais plus nombreuses aux îles Sous-le-vent. Elles sont

aussi mieux taillées, dans la mesure où elles possèdent une coque en « V », ce qui les rend

capables de remonter au vent. Elles sont destinées plus particulièrement au long voyage. Il en

existe des simples, comme des doubles, pour la pêche et pour la guerre. Il décrit et dessine

l’une d’elles. Elle est à double coque. Elle fait 50 pieds (15,5 mètres) de long, les coques étant

séparées de 11 pieds (3,35 mètres). Cook décrit ensuite les longs voyages que ces

pirogues pouvaient entreprendre (Hawkesworth, 1773 : 223) :

« Celles utilisées pour les voyages sont à double coques ; et les plus performantes, dit-on,

sont celles qui sont d’une taille moyenne. Elles sortent parfois ensemble pendant un mois,

voyageant d’île en île ; et selon des informations sérieuses, elles sortent une quinzaine ou

une vingtaine de jours en mer, et pouvaient tenir plus longtemps s’ils avaient de quoi

stocker des provisions et de l’eau fraîche.»17

(Traduction personnelle)

Il évoqua ensuite leur méthode de navigation et leur habileté à faire des prévisions

météorologiques. Tupaia fut, sans doute, son informateur. Il passa dix-sept mois sur

l’Endeavour, navigant avec les Anglais, de Tahiti jusqu’à Batavia, dans l’île de Java où il

mourut au mois de décembre 1770.

Au sujet des coutumes, les journaux de Cook et de Banks sont ressemblants pour ce

qui concerne la navigation, la climatologie et la cosmogonie. Ils ont échangé leurs

informations, que Hawkesworth a synthétisées, et dont un extrait est reproduit ci-dessous

(1773 : 227) :

« En rapport avec la navigation de ces gens, je vais parler de leur merveilleuse aptitude à

prévoir le temps ou, plus justement, le secteur d’où viendra le vent ; ils ont plusieurs

façons de le faire, j’en connais au moins une. Selon leurs dires, la voie lactée est toujours

inclinée, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, cette inclinaison est due au fait qu’elle

17 « Those that are used for sailing are generally double ; and the middle size are said to be the best sea-boats.

They are sometimes out a month together, going from island to island; and sometimes, as we were credibly

informed, they are a fortnight or twenty days at sea, and could keep it longer if they had more stowage for

provisions, and conveniencies to hold fresh water. »

Page 90: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

77

subit déjà l’emprise du vent, sa partie creuse lui faisant face ; en conséquence, si la même

inclinaison est observée une nuit de plus, le même vent soufflera le lendemain, c’est

certain. Je ne prétends pas juger leurs coutumes ; mais je sais que, par n’importe quel

moyen, ils peuvent prévoir le temps, du moins la direction du vent, avec plus de précision

que nous pouvons le faire. » 18

(Traduction personnelle).

Il termine par quelques précisions sur leur façon de naviguer, en utilisant les astres et

remarque leur qualité en astronomie :

« Dans leurs plus longs voyages, ils se dirigent par le soleil pendant le jour et, pendant la

nuit, par les étoiles, qu’ils distinguent par des noms ; ils connaissent dans quelle partie du

ciel elles paraissent dans les mois où elles sont visibles sur l’horizon ; ils savent aussi,

avec plus de précision peut-être qu’un astronome d’Europe, le temps de l’année où elles

commencent à paraître et à disparaître19. » (Traduction de l’amiral Pâris)

Il en vient ensuite à la cosmogonie. Il souligne l’existence d’un dieu suprême,

Ta’aroa-tahi-tumu et d’une seconde divinité, Te-papa, avec qui le dieu s’unit. Celle-ci donne

naissance à une fille appelée, Tau-mata-tai’o « saison-du-décompte ». Cette divinité préside

au temps (Hawkesworth, 1773 : 240) :

« La divinité suprême, l’une des deux premières qui existèrent, est appelée

Taroataihetoomoo (Ta’aroa-tahi-tumu), et l’autre, qu’ils supposent être un rocher, Te-

papa. Une fille naquit d’eux, Tettowmatatayo (Te-tau-mata-tai’o), l’année ou le

groupement de treize mois, ils l’appellent ainsi, uniquement dans ce cas-là, et, elle a, avec

son père, engendré les mois, puis les mois, en se combinant entre eux, les jours ; les

18« As connected with the navigation of these people, I shall mention their wonderful sagacity in foretelling the

weather, at least the quarter from which the wind shall blow at a future time; they have several ways of doing

this, of which however I know but one. They say, that the Milky-way is always curved laterally; but sometimes in

one direction, and sometimes in another: and that this curvature is the effect of its being already acted upon by

the wind, and its hollow part therefore towards it ; so that, if the same curvature continues a night, a

corresponding wind certainly blows the next day. Of their rules, I shall not pretend to judge; but I know that, by

whatever means, they can predict the weather, at least the wind, with much greater certainty than we can. »

19 « In their longer voyages, they steer by the sun in the day, and in the night by the stars ; all of which they

distinguish separated by names, and know in what part of the heavens they will appear in any of the monts

during which they are visible in their horizon ; they also know the time of their appearing and disappearing with

more precision than will easily be believed by an European astronomer. »

Page 91: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

78

étoiles, sont supposées, d’une part, être les descendantes directes du premier couple, et

d’autre part, avoir prospéré par elles-mêmes ; ils ont la même opinion en ce qui concerne

les différentes espèces de plantes. Parmi les autres descendants de Ta’aroa-tahi-tumu et

Te-papa, ils reconnaissent l’existence d’une catégorie inférieure de divinités qu’ils

appellent Eatuas (atua). »20

(Traduction personnelle)

Après avoir engendré les étoiles et les divinités inférieures, Cook fait état de

l’apparition du premier homme appelé Ti’i, issu de deux divinités inférieures qu’il ne cite pas.

L’humanité naîtra de l’union de Ti’i avec sa mère (Hawkesworth, 1773 : 242) :

« Deux de ces Eatuas (atua), il y a très longtemps, affirment-ils, habitèrent le monde, et

furent les parents du premier homme. Quand cet homme, leur ancêtre commun, naquit, il

était rond comme une boule, déclarèrent-ils, mais sa mère, avec le plus grand soin, étira

ses jambes, et le façonna jusqu’à ce qu’il acquiert la forme qu’il a, elle l’a appelé Eothe21

(Ti’i), ce qui signifie « fini ». Cela étant, poussé par l’instinct universel d’accroître son

espèce, et ne pouvant trouver une autre femme que sa mère, il engendra avec elle une

fille, et avec sa fille, d’autres filles, pendant plusieurs générations, avant qu’il y eut un

garçon ; un fils naquit enfin, avec ses sœurs, il peupla le monde. »22

(Traduction

personnelle)

20« The Supreme Deity, one of these two first beings, they call TAROATAIHETOOMOO, and the other, whom

they suppose to have been a rock, TEPAPA. A daughter of these was TETTOWMATATAYO, the year, or thirteen

months collectively, which they never name but upon this occasion, and she, by the common father, produced the

months, and the months, by conjunction with each other, the days ; the stars they suppose partly to be the

immediate offspring of the first pair, and partly to have increased among themselves; and they have the same

notion with respect to the different species of plants. Among other progeny of TAROATAIHETOOMOO and

TEPAPA, they suppose an inferior race of deities whom they call EATUAS. »

21Eothi : Ti’i. PPN *tiki « chercher », TAH : Ti’i « Le premier homme selon la tradition tahitienne, sa femme

s’appelait Hina » (Davies). Alors que « fini » est traduit par oti. Cook a confondu, o Ti’i « c’est Ti’i » avec oti

« fini ».

22« Two of these EATUAS, they say, at some remote period of time, inhabited the earth, and were the parents of

the first man. When this man, their common ancestor, was born, they say that he was round like a ball, but that

his mother, with great care, drew out his limbs, and having at length moulded him into his present form, she

called him EOTHE, which signifies finished. That being prompted by the universal instinct to propagate his kind,

and being able to find no female but his mother, he begot upon her a daughter, and upon the daughter other

daughters for several generations, before there was a son ; a son, however, being at length born, he, by the

assistance of his sisters, peopled the world. »

Page 92: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

79

Bien que fragmentaires, ces récits de la Création de l’Homme23

, complètent ceux

d’Henry, recueillis, cinquante ans plus tard. Par exemple, la divinité Te-tau-mata-tai’o,

reconnue par Banks et Cook comme étant l’année de treize mois, est citée par Henry, non pas

en tant que divinité, mais en tant que « période royale », c’est-à-dire, comme la durée

d’une année, te-tau-ari’i-ma-te-tai’o24

. Ces « périodes royales » étant l’addition des deux

périodes, plus courtes, de l’année, correspondant aux deux saisons, celle de l’abondance en

‘uru « fruit de l’arbre à pain », appelée tau ‘auhune, qui démarre au moment de la première

apparition des Pléiades (Matari’i) le soir, à l’Est. C’est la saison des Pléiades-à-l’Est,

Matari’i-i-ni’a. Et, celle de la pénurie en ‘uru, te tau o’e, qui commence au moment de la

disparition des Pléiades, le soir, à l’Ouest, Matari’i-i-raro « Pléiades-à-l’Ouest ».

Pour Cook, Te-tau-mata-tai’o est aussi bien le nom d’une divinité que celui de l’année

lunaire (qui comporte douze ou treize lunaisons selon les années), alors que pour Henry, Te-

tau-(ari’i)-ma-te-tai’o, est l’addition des deux saisons de l’année. Joseph Banks et Carl

Solander prirent soin de relever, pour compléter leurs observations, le calendrier lunaire

tahitien avec les noms des lunaisons et des phases lunaires25

. Nous reviendrons sur ces

calendriers au chapitre VI.

Après le départ de Cook, l’Espagnol Domingo Boenechea26

apparaît pour son premier

voyage. A l’inverse des Anglais, il choisit de mouiller dans la Presqu’île, à Tahiti-iti, dans la

baie d’Aiurua (ou Vaiurua), à Tautira. Nous sommes au mois de novembre 1772. Il est venu

enquêter sur la possibilité d’implanter une mission catholique dans l’île. Il repart au Pérou un

mois après, convaincu de revenir avec des missionnaires.

De ce premier voyage, rien de significatif, concernant la cosmogonie, l’astronomie et

la navigation, n’a été retenu par les Espagnols. Le deuxième voyage, réalisé en 1774, fut, en

revanche, prolifique, grâce à Maximo Rodriguez27

, qui a séjourné à Tahiti pendant un an, et a

tenu un journal. Mais aussi, grâce aux notes prises par le capitaine du Jupiter, Andia y

Varela28

.

23 HENRY, T., 1968, pp. 414 – 416.

24Ibid. p. 339.

25 RENSCH, K., 2003.

26 Domingo BOENECHEA séjourna à Tahiti, une première fois, du 8 novembre au 22 décembre 1772. Il

reviendra deux ans après.

27 RODRIGUEZ, M., 1995.

28 CORNEY B., G., 1913.

Page 93: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

80

Il eut le loisir de voir Puhoro, un fa’atere29

« pilote » originaire de Makatea, dans les

îles Tuamotu, à l’œuvre sur son bateau. Puhoro accompagna Varela, à bord du Jupiter, aux

îles Sous-le-vent, puis au Pérou, où il se fit remarquer par l’Espagnol pour ses connaissances

en navigation. Nous reviendrons sur les détails, plus loin.

L’année suivante, pour son deuxième voyage30

, Cook choisit, à nouveau, de mouiller

dans la baie de Matavai, après avoir passé quelques jours à Tautira où il apprit le passage des

Espagnols.

Il arriva au mois d’août 1773 et y resta un mois, avant de repartir pour une nouvelle

recherche du continent austral. Il ne réussit pas à le trouver, mais il fit un grand tour du

Pacifique, descendant loin au Sud, dans les mers entourant l’Antarctique, visitant au passage

les îles Tonga, la Nouvelle-Zélande, l’île de Pâques et les îles Marquises, puis, revint à Tahiti

au mois d’avril de l’année suivante pour une escale de trois semaines.

Il était accompagné par les naturalistes Johann et George Forster, père et fils. Les

journaux de ces derniers sont d’un grand intérêt. Ils vécurent, en effet, sept mois en mer,

d’abord avec le Tahitien Mahine (appelé par Cook Hitihiti), lors de leur tour du Pacifique à la

recherche du continent austral, puis, quatorze autres mois avec Ma’i (appelé par Cook Omai),

pour le voyage de retour vers l’Angleterre. Mahine et Ma’i n’étaient pas des érudits comme

Tupaia, mais ils furent utiles à Cook et à Johann et George Forster, pour compléter les divers

informations récoltées lors du premier voyage, et pour identifier les îles qui se trouvent sur la

carte de Tupaia.

Leurs observations ont fait l’objet d’un ouvrage de synthèse signé Johann Forster,

Observations made during a Voyage Round the World31

, où sont consignées ses propres

notes32

ainsi que celles faites par son fils33

.

Il prit connaissance, comme ses prédécesseurs, des dispositions des Tahitiens pour

l’astronomie, la géographie et la navigation. Ces qualités, selon lui, relevaient d’une nécessité,

compte tenu de l’isolement des populations au milieu de l’océan et de l’éparpillement des îles.

29Fa’atere : pilote de pirogue (Davies). Fa’atere va’a : barreur (Teuira Henry).

30 Lors de son deuxième voyage dans le Pacifique, James Cook fit une première escale à Tahiti, du 16 août au 17

septembre 1773, puis une deuxième, du 23 avril au 13 mai 1774.

31 FORSTER, J., R., 1996 (1778).

32 FORSTER, J., R., 1982.

33 FORSTER, G., 1777.

Page 94: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

81

Ces connaissances devaient être, absolument, transmises à la génération suivante, pour que

celle-ci en tire un avantage (Forster, 1996 [1778] : 303) :

« Et je crois aussi que, grâce à la navigation, ils ont tellement appris sur la géographie,

qu’ils la maîtrisent bien, et peut-être n'auraient-ils pas cherché à observer le ciel, si cela

n'avait pas été dans le but de pouvoir se diriger quand ils voyageaient dans les contrées

éloignées. [...] Ces hommes au milieu des insulaires, qui avaient des notions du ciel par

nécessité, et grâce à une longue expérience, ils les ont transmises à la nouvelle génération,

afin qu’elle tire un avantage de leurs expériences et des nombreuses nuits sans sommeil

passées à les étudier. »34

(Traduction personnelle)

Les Tahitiens admettent l’existence d’un être suprême appelé Eatoòa-rahi (atua-rahi)

« dieu-suprême ». Johann Forster note que chaque île possède son propre dieu. Il cite leurs

noms : Orùa-Hàttoo (Ruahatu) pour Tahiti, Tàne (Tāne) pour Huahine, Oròo (‘Oro) pour

Ra’iatea, Orra (Rua) pour Taha’a, Taòotoo (Tautu) pour Borabora, Otòo (Tū) pour Maurua,

Taròa (Ta’aroa) pour Tupua’i-Manu.

Les grand-prêtres de chaque île adressaient leurs prières sur les marae au dieu tutélaire

de leur île. Et, comme Cook au premier voyage, Forster note la présence du dieu suprême Ta-

roa-t’eay-etoòmoo (Ta’aroa-tahi-tumu) et de la déesse O-te-pàpa (Te-papa), les procréateurs

d’O-Heèna (Hina), laquelle à son tour, créé la lune et y réside dans le nuage noir que l’on

aperçoit sur cet astre. Te-whettoo-ma-tarài (Te-fetū-ma-te-ra’i), « les-astres-du-ciel », est le

procréateur des étoiles, Oomarrèe ( ?), celui des océans, et Orre-òrre ( ?), celui des vents.

Ta’aroa-tahi-tumu vivrait dans le soleil. Les Tahitiens le représentent sous l’aspect

d’un homme avec des longs cheveux fins qui arrivent jusqu’au sol, il est à l’origine des

tremblements de terre, dans ce rôle, il est nommé par les indigènes, O-maoùwe (Māui), il est

le créateur du soleil (Forster, 1996 : 324).

Excepté l’amalgame fait entre Ta’aroa et Māui, cette version du mythe de la création

des dieux rejoint, sur maints points, celle recueillie par Cook.

34« And I believe likewise, that by their navigation they learnt so much of geography as they are acquainted with,

and perhaps would not have attempted to observe the heavens, had it not been for the single purpose of directing

them in their navigations to remote parts […] Those men among these islanders, who had acquired some ideas

of the heavens, by necessity and a long experience, communicated them to the rising generation, in order to

enable them to profit by their toils, and the study of many nights passed without sleep. »

Page 95: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

82

Toutefois, l’une des contributions les plus remarquables de Forster à la connaissance

tahitienne, fut l’étude de la carte de Tupaia. Bien que la version qu’il eut en sa possession soit

une copie remaniée, par lui et par son fils, cela ne remet pas en cause l’objet de ses

recherches, l’identification de toutes les îles qui y figurent.

L’une d’elles, orthographiée O-Heavài35

(Savai’i), géographiquement positionnée à

l’Ouest de Tahiti, près d’une autre appelée Oooporroo 36(‘Upolu), serait selon Tupaia, le

« père de toutes les îles » the father of all the islands. Elle est plus grande que Tahiti précise-t-

il (Forster, 1996 : 316).

Elle a, aujourd’hui, été identifiée comme étant l’île de Savai’i située aux îles Sāmoa37

qui est deux fois plus grande que Tahiti. Cette île/parent pourrait-elle être le pays divin de la

mythologie, celle d’où viendraient les Tahitiens et les Polynésiens orientaux, située en

Polynésie occidentale, dans les îles où s’est forgée une identité polynésienne distincte de celle

du reste des Océaniens, là où leurs âmes retourneront après leur mort ?38

Nous retrouvons ses cognats dans toute la Polynésie orientale, Hawaiki, Hawai’i,

Havai’i, Havaiki ou ‘Avaiki. Le fait que Tupaia ait pris soin de préciser que cette île est le

père de toutes les îles et qu’il l’ait positionnée près d’Oooporroo (‘Upolu), l’autre grande île

de l’archipel des Sāmoa, plaiderait en faveur de Savai’i.

La base de données des langues polynésiennes, le Pollex39, propose à l’étape PNP

(polynésien nucléaire), de l’arbre généalogique des langues polynésiennes40

, le terme

reconstitué, PNP *Sawaiki « terre d’origine ».On ne lui connaît pas d’étymon proto-

polynésien (PPN) ou proto-océanien (PO). Sous cette définition, il ne se rencontre que dans

les mythes de Polynésie orientale.

En Polynésie occidentale, le mot n’existe pas, sauf aux îles Sāmoa, où c’est le nom de

la plus grande île de l’archipel (Savai’i), et à Futuna, le toponyme d’un lieu41

.

Pour les Polynésiens occidentaux (Samoa, Tonga, Wallis, etc.), leur « terre d’origine »

se trouve sous la terre, parfois, sous la mer, ou alors, à l’Ouest, c’est-à-dire, du côté des îles

35 O-Heavài : O Havai’i. En français : « c’est Havai’i ».

36 Oooporroo : O ‘Uporu « c’est ‘Uporu ».

37 PIAZZA, di, A., & PEARTHREE, E., 2007, p. 329.

38 TCHERKEZOFF, S., 2005.

39POLLEX. Polynesian Lexicon Project on line : http://pollex.org.nz

40Voir la Figure N° 5, chap. I.

41 MOYSE-FAURIE, 2006, p. 142.

Page 96: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

83

Fidji. Cette terre porte le nom de Pulotu. Ce pourrait être l’île de Burotu selon Paul Geraghty,

cité par Claire Moyse-Faurie.42

Autre fait qui revêt une importance particulière est l’existence d’une ligne Nord/Sud

appelée par Tupaia ea-wattèa43

, qui passe entre Tahiti et Huahine, et qui divise le monde en

deux parties. Ce qui impliquerait l’existence d’une notion fondamentale pour la navigation, la

ligne longitudinale qui passe au zénith d’un point géographique qui permet de visualiser l’axe

Nord/Sud, le méridien.

Le retour des Espagnols, six mois après le départ de Cook, marquera l’histoire de Tahiti,

car, pour la première fois, des Européens, deux prêtres, un aide et un matelot, vont séjourner

pendant un an parmi les Tahitiens. Le matelot, Maximo Rodriguez, relata ce séjour dans son

journal. Il décrit les intrigues politiques, les activités économiques et les relations sociales

tahitiennes. Il parcourt toute l’île, par terre et par mer. Si son journal nous est parvenu,

malheureusement, la description qu’il fit des mœurs et coutumes tahitiennes, relatée dans un

autre cahier, a été perdue.

Si Rodriguez ne parle pas d’astronomie ou de navigation, en revanche, il a laissé une

indication importante dans son journal au sujet des relations entre les îles Tuamotu et Tahiti.

Le 9 mai 1775, il se trouvait dans le district de To’ahotu quand il croisa un groupe de

pa’umotu originaire de Mataiva. Leur pirogue avait fait naufrage à Mo’orea. Ces gens

observent, d’après lui, les mêmes rites et idolâtrie que ceux de Tahiti. Leur langue et leur

danse sont un peu différentes. Ils sont entièrement tatoués. Leur terre est basse avec quelques

points d’eau. Il y a beaucoup de poissons et de belles perles. Ils souhaitent repartir chez eux

dès qu’ils le pourront. Et, pour cela, il faut qu’ils attendent des vents favorables, et le vent

favorable pour s’y rendre est celui qui souffle du secteur Ouest, le to’erau44

. Leur île est

située au Nord-Nord-Est, nous sommes au mois de mai, ce n’est pas la saison du to’erau. Le

vent dominant est le maoa’e, qui souffle de l’Est, il faudra naviguer au près pour rentrer, une

allure impossible pour un pahī. Ils doivent donc attendre un vent favorable.

42Ibid., pp. 141-142.

43Ea-wattèa : E avatea « midi »

44 Le to’erau désignait, à l’époque, selon les indications fournies par Puhoro à Andia y Varela, un vent d’Ouest.

Pour Henry et Handy, c’est un vent du Nord-Ouest, et pour l’Académie Tahitienne, un vent du Nord, ce qui est

une erreur.

Page 97: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

84

Ces dernières remarques sont importantes, elles signifient que les Tahitiens (ou, dans

ce cas-ci, les pa’umotu) naviguent sous grand largue. Leur va’a et leur pahi n’étant pas

conçus pour des allures au près. Ensuite, ils attendent le vent favorable pour partir. C’est une

indication dont il faut tenir compte pour la navigation tahitienne.

En ce qui concerne les révélations faites par Puhoro à Andia y Varela, déjà citées au

chapitre 1, en page 8, il dévoila les noms des seize vents qui forment le compas45

tahitien des

vents. Dans son dictionnaire de la langue tahitienne, Davies donne un nom à ce compas, rua

mata’i. Aujourd’hui, les Tahitiens l’appellent ‘āpo’o mata’i. Conséquence d’un pī, une

interdiction de prononcer un mot ou les syllabes du mot, qui a affecté le mot rua, le nom porté

par un Ari’i à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, rua fut remplacé par ‘āpo’o, pour

désigner « trou » ou « compas », et par piti pour désigner « deux ».

L’Espagnol a reçu également les confidences des Tahitiens, au sujet de leurs origines.

Les premiers habitants de l’île seraient Hoitore, son épouse Teipo, et leur fils Teihiotua

(Teihotua) ; il y eut aussi Oaiya, son épouse Tetuaearo et leur fils Tamatahiapo ; puis, Oaeripo

et son épouse Tetuaura. Ils quittèrent Ra’iatea sur une pirogue et tentèrent de rejoindre une île

proche, mais, poussés par des forts vents d’Ouest, ils arrivèrent à Tahiti. Trouvant l’île

inhabitée, ils s’y installèrent. Une autre version raconte que la pirogue chavira au moment

d’accoster à Tahiti. Toutes les personnes à bord furent tuées, sauf Oirimiro et son épouse,

Oavahi. Ils eurent deux filles qui devinrent orphelines. Elles épousèrent deux jeunes hommes,

Taniuri et Ohanuitea, qui vinrent de Ra’iatea sur le dos d’un oiseau.

Après avoir déposé les deux prêtres et leurs deux aides, les Espagnols quittèrent Tahiti

le 28 janvier 1775. Domingo Boenechea, ayant succombé à une maladie, fut enterré à Tautira.

Son second, Thomas Gayangos, prit le commandement de l’Aguila pour le voyage de retour

vers le Pérou. Andia y Varela est demeuré aux commandes du Jupiter. Le Tahitien Puhoro

était avec lui.

Le dernier voyage des Espagnols, venu récupérer les quatre missionnaires, fut conduit

par Cayetano y Langara. Il arriva à Tahiti le 3 novembre 1775, et repartit le 12 novembre avec

les prêtres qui avaient décidé d’abandonner leur mission et avec Maximo Rodriguez.

Le 13 août 1777, deux ans après le dernier voyage des Espagnols, Cook mouille pour

la dernière fois dans la baie de Matavai. Il en est à son troisième voyage dans le Pacifique. Il

n’aborda plus guère les croyances et la navigation. Cependant, le hasard des vents l’ayant

poussé vers les îles Cook, il fit escale à Aitutaki. Cette île est située à 600 milles marins (1100

45 Le compas des vents de Puhoro est donné à la figure N° 7.

Page 98: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

85

km) à l’Ouest-Sud-Ouest de Tahiti. Ma’i (Omai) fut présenté à trois Tahitiens qui s’y

trouvaient. Ils lui racontèrent leur aventure.

Douze ans plus tôt, lors d’un voyage entre Ra’iatea et Tahiti, leur pirogue affronta une

tempête et chavira. Leur famille et leurs amis périrent. Après plusieurs jours de dérives,

accrochés à l’épave, sans nourriture et sans eau, seulement du poisson et de l’eau saumâtre, ils

furent recueillis, épuisés, par les habitants d’Aitutaki. Ils firent souches dans cette île, se

marièrent et fondèrent, chacun, une famille. Ils ne souhaitaient plus rentrer à Ra’iatea, comme

leur proposa Ma’i, n’ayant plus de famille dans cette île46

. Cet épisode rappelle celui de

Tava’e Ra’i’oa’oa, qui, en 2002, après un incident survenue à son bateau de pêche, dériva

pendant 118 jours, de Tahiti jusqu’à Aitutaki, dans des conditions similaires47

. Ces anecdotes,

sans doute fréquentes à l’époque pré-européenne, démontrent les capacités de survie des

Tahitiens, en mer, lors d’une dérive.

C’est pendant ce voyage que l’Ari’i Tū présenta, à nouveau, à Cook, sa flotte de guerre

composée de trois-cents pahi tama’i « pirogue-double de guerre », prêtes à combattre les

rebelles d’Eimeo. Après avoir quitté Tahiti et les îles de la Société, il navigua vers le Nord et

découvrit les îles Hawaii. Nous sommes au mois de janvier 1778. A sa grande surprise, les

habitants de cet archipel, situé à 2.500 milles marin de Tahiti (4.700 km), sont de la même

ethnie et de la même culture que les Tahitiens, les Maoris de Nouvelle-Zélande, les Pascuans

et les Tongiens48

. Les questions au sujet du peuplement du Pacifique vont commencer à se

poser et à susciter des interrogations parmi les historiens. Cook trouva la mort à Hawai’i.

Tahiti reçut, par la suite, la visite du capitaine Severs du Lady Penrhyn en 1788 puis

celle de William Bligh sur le Bounty. Celui-ci arrive le 26 octobre 1788. Il avait pour mission

de recueillir des plants de ‘uru et de les transporter jusqu’aux îles Caraïbes.

Bligh avait la réputation d’être un homme de rigueur. Il s’intéresse aux Tahitiens, à

leur connaissance en botanique bien entendu, il doit prendre soin des plants d’arbre à pain,

mais aussi, à leur géographie et à leur astronomie. « Leurs idées au sujet de la géographie est

46 COOK, J., 1782, pp. 151 – 152.

47 RAIOAOA, T., & DUROY L., 2003.

48 COOK, J., 1782, p. 306.

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86

très simple », écrit-il, « ils croient que le monde est une surface plane d’une grande étendue ;

et que le soleil, la lune et les étoiles se déplacent autour d’elle »49

(Bligh, 1792 : 62).

L’ari’i Tū, qui a pris le nom de Teina (Tinah, pour Bligh), lui explique, au sujet des

expéditions maritimes, que les gens de Tahiti n’osent pas s’aventurer à Tapuhoe (l’île d’Anaa

dans les îles Tuamotu), elle est habité par de féroces guerriers. Un jour, une pirogue de cette

île avait fait naufrage sur l’île de Me’etū (appelée Meheti’a, aujourd’hui). Son équipage fut

massacré. Seul un jeune homme eut la vie sauve, il vit maintenant à Tahiti (Bligh, 1792 :

173). Cet anecdote confirme le fait que de nombreux Pa’umotu se sont retrouvés à Tahiti à

cette époque : l’habitant de Kaukura rencontré par Cook, l’équipage de la pirogue de Mataiva

croisé par Rodriguez, le pilote Puhoro, originaire de Makatea et qui habite Tautira, et ce jeune

homme d’Anaa, rescapé d’un massacre à Meheti’a.

Concernant leur religion, Bligh remarque que le dieu de Tahiti est ‘Oro, au lieu de

Ruahatu, comme l’avait affirmé Forster, quinze ans plus tôt. Y-aurait-il eu un changement

religieux à cette époque, ou Forster avait-il mal compris ? Il apporte aussi une contribution

inattendue à la compréhension du calendrier lunaire tahitien. Il précise que leur année est

divisée en six périodes, chacune identifiée par une variété de ‘uru. Dans cette répartition, un

petit intervalle appelé Tawa (Ta’ao’a) vient s’intercaler entre les lunaisons, vers le mois de

février, au moment où le ‘uru ne produit plus (Bligh, 1792 : 74). Autrement, son calendrier est

identique à ceux de Banks, Solander et Forster.

Après son départ de Tahiti, il dut affronter une mutinerie. Il fut abandonné, avec les

marins qui lui sont restés fidèles, à bord du canot de sauvetage avec lequel il rallia l’île de

Timor. Ce périple fut l’un des plus grands exploits de l’histoire de la marine anglaise. L’autre

partie de l’équipage revint à Tahiti avec le Bounty, commandé par Fletcher Christian, le

meneur de la mutinerie. N’étant pas en sécurité dans l’île, ni à Tubuai (Tupua’i), où ils

pensèrent s’installer, car elles figurent sur les cartes de la marine anglaise, Christian, suivi de

quelques mutins et de quelques Tahitiennes et Tahitiens, décida de s’établir définitivement à

Pitcairn, une île isolée située plus au Sud, encore mal répertoriée.

Pendant ce temps-là, le reste de l’équipage s’installa à Tahiti. L’un des marins, James

Morrison, à l’instar de Rodriguez, relata leur séjour. Il a enrichi son journal d’une excellente

description des coutumes du pays, et de leur croyance religieuse où il arrive à voir une

« Sainte-trinité ». « Ils possèdent des images », écrit-il, « mais ne les adorent pas. Leurs

49Their ideas of geography are very simple : they believe the world to be a fixed plane of great extend ; and that

the sun, moon, and stars are all in motion roud it.

Page 100: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

87

divinités sont au nombre de trois : Tāne, le père des dieux, appelé Atua Nui « dieu suprême »,

Oromatua (‘Oromatua)50

, le fils, qui préside à la guerre et à la paix et Tipahoamanu (Tipa-

hoa-manu)51, l’ami des deux précédents et leur messager sur terre. Il existe de nombreux

autres dieux inférieurs » (Morrison, 1981 : 145).

Il a remarqué que les Tahitiens ont une vision assez philosophique de la cosmologie.

Ils pensent que tout ce qui a été créé disparaîtra inéluctablement, et que tout sera remplacé au

fur et à mesure (Morrison, 1981 : 146) :

« Ils croient que le soleil et la lune sont le père et la mère de toutes les étoiles et lorsqu’il

y a éclipse, c’est qu’ils sont en train de s’unir ; toutes choses sur terre sont produites de la

même manière et tout ce que créent les dieux, se désagrège et disparaît tandis que de

nouvelles choses prennent leur place, tout le système de la nature étant un changement

permanent. Pour étayer ces théories, ils disent que l’on voit bien des choses qui naissent

et meurent chaque jour, les rivières vont à la mer, les arbres pourrissent, les rochers

tombent des montagnes. Cela se passe ainsi depuis la création de la terre et sans

diminution, puisque tout se remplace. »

Il fait ensuite une allusion à leur astronomie dont les textes lui rappellent les fables

grecques :

« Certains récits concernant les étoiles ressemblent aux fables grecques. Ils ont des noms

pour la plupart des étoiles, dans lesquelles des femmes ont été envoyées en raison de leurs

bonnes ou mauvaises actions. »

S’il existe de nombreuses légendes relatives aux relations établies entre la divine Hina

et la lune, Marama52, Morrison est l’un des rares à parler d’une beauté portant le nom de

Ta’urua, et des liens existant entre elle et la planète Vénus, appelée aussi Ta’urua. La jeune

50 Morisson fait une confusion entre ‘Oro, le dieu, et ‘Oro-matua, l’âme des défunts. Ici il s’agit visiblement du

dieu ‘Oro, le fils de Ta’aroa et non de Tāne, comme il le stipule.

51 Tipa est le dieu guérisseur (Henry, 1968, p. 387)

52 Les langues du groupe tahitique utilisent le terme marama ou malama, pour désigner la « lune », alors que les

langues du groupe marquésique préfèrent, mahina (le hawaiien, classé dans le groupe marquésique, emploie les

deux termes, ce qui traduit deux origines différentes). En Polynésie occidentale, les langues du groupe samoïque

utilisent malama, et les langues du groupe tongique ou les langues qui ont subi l’influence du tongien, emploient,

mahina ou masina.

Page 101: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

88

beauté, une fille de très mauvaise vie, fut envoyée sur la planète pour avoir maudit Tāne, et

doit y demeurer pour sa punition (1981 : 147).

Il identifie, en outre, les deux étoiles appelées Pīpiri-mā, comme étant Castor et Pollux

(dans les Gémeaux). Ce sont deux frères qui supplièrent Tāne de les enlever à leurs parents

qui refusaient de leur donner un bon poisson. Ayant quitté leur maison, ils s’adressèrent au

dieu qui envoya un nuage blanc pour les emporter (1981 : 147). Cette information vient

contredire celle faite par Cuzent en 186053

, qui situait Pīpiri-mā dans la constellation du

Scorpion, et qui, d’après lui, sont les deux étoiles situées à l’extrémité de sa queue, Lesath (υ

Scorpii) et Schaula (λ Scorpii)

Morrison a remarqué que les voyages entre les îles se font par groupe de dix à douze

pirogues. Ils échangent les marchandises de Tahiti, avec les productions des îles, des perles,

des nacres. Certaines îles, dans lesquelles ils se rendent, sont éloignées de plus de 300 milles.

Pour se rendre à Meetia (Meheti’a), ils attendent le vent du Nord. Pour rejoindre les îles

situées plus loin encore, comme Tapuhoe (Anaa, dans les îles Tuamotu), ils attendent à

Meheti’a les vents favorables. De même, les Pa’umotu qui se rendent à Tahiti font escale à

Meheti’a. C’est par eux que les Tahitiens ont connu le fer pour la première fois. Les Pa’umotu

l’ont récupéré sur un bateau qui avait fait naufrage sur l’un de leurs atolls54

, et ils les

échangent à Tahiti. Les plus vieux Tahitiens, écrit-il, se souviennent encore de ce naufrage qui

leur a été raconté par les gens venus des îles Tuamotu. (Morrison, 1981 : 166)

Il est surpris par leur connaissance de l’astronomie, par leur habilité à prévoir le temps

et par leur technique de navigation :

« « […] leur expérience et leur connaissance du mouvement des corps célestes, du lever

et du coucher des étoiles est telle qu’un astronome européen se refuserait à le croire ;

c’est pourtant un fait et, ils sont également en mesure de prévoir avec une sûreté

étonnante, les changements de temps et de prendre leurs dispositions en conséquence.

Lorsqu’ils sont en mer ils se dirigent au moyen du soleil, de la lune et des étoiles, avec

une certaine exactitude. » (Morrison, 1981 : 167)

Grâce à James Morrison, nous avons une idée plus précise sur l’état des connaissances

des Tahitiens en astronomie et en navigation. Il sera repris et ramené en Angleterre avec tous

53 CUZENT, G., 1983, p. 163.

54 Il s’agit probablement de l’African Galley, l’un des navires de Jacob Roggewen, qui s’est échoué, en 1722, sur

le récif de Takapoto, après avoir quitté l’île de Pâques.

Page 102: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

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les marins du Bounty restés à Tahiti, par le capitaine Edwards, venu les capturer avec un

navire de la marine de guerre, la Pandora, en 1791.

La dernière contribution importante aux témoignages des explorateurs est à mettre à

mettre, à nouveau, sur le compte du capitaine Bligh, revenu à Tahiti en 1792, pour terminer sa

mission. Il y a bien eu, entre-temps, la visite d’une demi-douzaine d’autres navires ainsi que

le voyage de Vancouver en 1791, mais s’agissant de l’objet de notre étude, elles n’apportent

aucune indication supplémentaire.

2. La coutume du pī

Bligh mouille à nouveau à Matavai avec le Providence le 10 avril 1792, il retrouve son

ami Teina. Celui-ci a changé encore de nom. Il se fait maintenant appeler Pomare. Bligh,

curieux, se renseigne. Lors du troisième voyage de Cook en 1777, alors qu’il n’était que l’un

de ses officiers, Teina s’appelait Tū. A son retour avec le Bounty en 1788, il avait pris le nom

de Teina, sans compter qu’il a aussi porté entre-temps le nom de Mate. Il prend connaissance,

à ce moment-là, d’une coutume appelée pī. Cette coutume, explique Davies, interdit à toute

personne de prononcer le nom d’un ari’i ou les sons syllabiques que comportent son nom :

Pī : « La coutume d'interdire l'utilisation d'un mot ou d’une syllabe, car il est devenu

sacré parce qu’il a été adopté pour composer l'ensemble ou une partie du nom d'un chef,

un autre mot ou une autre syllabe ayant pris sa place, comme ru’i à la place de pō et hota

à la place de mare, ces deux mots formant le nom du défunt roi Pomare55

. » (Davies

Dictionary)

Bligh apprend, de Pomare lui-même, qu’il a décidé de prendre ce nom, un soir (pō en

tahitien), à la suite du décès de sa fille Terranaoroa (Tenavahoroa), après qu’elle eût

contractée une forte toux (mare, en tahitien)56

. Dès cet instant, pō et mare furent frappés d’un

interdit et remplacés successivement par ru’i et hota :

55Pī : the custom of prohibiting the use of a word or syllabe, wich is become sacred by its having been adopted

as the whole or part of the name of some chief, when another word or syllabe was substitued in its place ;

as « ru’i » for « pō », and « hota » for « mare », as these two words formed the name of the late king

Pomare.(Davies Dictionary)

56 LEE, I., 1920, p. 82.

Page 103: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

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« It is a very common custom to shift names in this country. A chief may take any name he

likes, and if it happens to be the name of a thing, or of day, or night, another is thought of

for it to be called by, and he retains the name ». (Lee, 1920 : 111)

C’est une coutume très répandue que de changer de noms dans ce pays. Un chef peut

prendre le nom qu’il désire, et s’il se trouve être le nom d’une chose, de la journée ou de

la nuit, un autre nom est envisagé pour le remplacer, et il conserve le nom. (Traduction

personnelle)

Une autre fois, il est invité à une fête appelée ‘upa’upa, il constate que c’est le

nouveau nom choisi pour remplacer le terme heiva qu’il connaissait, pour désigner des

spectacles de danse, de jeux, de théâtre, de pantomime, etc. L’ari’i Temari’i ou Teri’irere de

Papara ayant décidé de s’appeler Heiva, le terme devint pī, il a donc fallu le remplacer par un

autre, ce fut ‘upa’upa.

Bligh cite aussi l’exemple de l’ari’i Ari’ipaea qui a décidé de s’appeler apōpō57

« demain », on a dû prendre ananahi58

qui signifie « hier », pour remplacer apōpō. Résultat de

ce choix, « hier » et « demain » sont exprimés par le même terme, ananahi. Pour éviter toute

confusion, pour signifier « hier », les Tahitiens font suivre ananahi de la location temporelle

ra. « Hier » se traduit donc par ananahi ra et demain, par ananahi, tout court. Aujourd’hui,

d’une manière de plus en plus systématique, on préfère remplacer la première voyelle de a-

nanahi par le locatif temporel i pour signifier « hier », ce qui donne, i-nanahi. Pour ce qui

concerne « demain », le terme a été conservé, tel quel, a-nanahi.

L’ari’i Tū, quand il choisit de s’appeler Mate « mort », le terme pohe fut choisi pour le

remplacer. (1920 : 112).

Ces nouveaux termes sont encore utilisés de nos jours, ce qui fait que nombre de mots

du vocabulaire tahitien sont différents de ceux de leurs voisins. Cette particularité du tahitien,

mais aussi de certaines langues polynésiennes, est parfois ignorée par les linguistes qui

travaillent uniquement en synchronie59

. Par exemple, démontrer le degré de parenté entre les

57A-pōpō « demain ». Du PPN *Ɂa-poŋipoŋi « demain matin » →PEP *Ɂapōpō « demain » → PTA *apōpō

« demain ».

58Ana-nahi « hier ». Du PPN *Ɂana-afiafi « hier après-midi » →PNP *ana-nafi « hier » → PTA *ana-nahi

« hier ».

59 Synchronie : étude de la langue à un moment donné (CNRTL)

Page 104: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

91

langues polynésiennes, par la méthode Swadesh60

, en utilisant la forme moderne des cognats61

de ces langues, conduirait à des aberrations. De même que les études en glottochronologie

posent problème si nous négligeons cette coutume.

Pomare, avant de porter le nom de Tū, le titre héréditaire des ari’i de Pare62

,

s’appelait, quand il était jeune, Vai-ra’a-toa. Du fait du pī, ces trois racines furent remplacées

respectivement par pape, mo’a et ‘aito, « eau », « sacré » et « guerrier ». En devenant Tū, le

mot fut remplacé par ti’a. Par exemple, l’île de Te-tū-roa est devenue Te-ti’a-roa, l’île de

Me’e-tū, Me’e-ti’a (aujourd’hui, Mehe-ti’a), le district de Tū-rei, Ti’a-rei, etc.

Cette coutume du pī aura des répercussions importantes sur les noms des étoiles. Par

exemple, le pilier céleste appelé, Ti’a-ma-Ta’aroa, indiqué par l’étoile ‘Anā-roto (Épi), a été

traduit par Henry par « pilier de la pureté parfaite » (1968 : 371). Or, au moment où le

révérend Orsmond releva ce nom, en 1818, la syllabe orale ti’a avait déjà pris la place de tū

depuis au moins un demi-siècle. Ce changement avait été oublié. Il n’a donc pas décelé le pī

qui avait affecté tū. Il a donc traduit Ti’a-ma-Ta’aroa par « pureté-parfaite ». Ce qui est une

erreur, puisqu’il s’agissait de Tū-ma-Ta’aroa « Tū-et-Ta’aroa », les noms de deux grands

dieux tahitiens.

Au terme de ces témoignages qui couvrent une période de trente ans, faits par des

Européens et classés par Niel Gunson63

dans un groupe qu’il appelle les « témoins oculaires »,

car ces explorateurs ont vu les Tahitiens vivre leurs anciennes croyances, une autre ère

s’ouvre, celle des « enquêteurs à la source ». Ce sont ceux qui, sur le terrain, ont effectué des

relevés systématiques des mœurs et des coutumes : les missionnaires.

Après avoir converti toute la population de Tahiti et accompli leur mission, ils

prennent conscience qu’un patrimoine est en train de disparaître et qu’ils assistent à la

désintégration d’une culture, l’une des rares qui se soit développée en plein océan, au milieu

60 SWADESH, Morris, est un linguiste et anthropologue américain. Pionnier de la lexicostatistique, il est connu,

pour l’élaboration de la liste Swadesh et son application à la mesure du degré de parenté entre langues, et pour la

mise au point d’une technique d’Estimation du temps de divergence de deux langues apparentées, à partir de

cette liste,la glottochronologie. Ces méthodes sont, cependant, contestées par d’autres linguistes.

61 Cognat : Mot d’une langue ayant la même origine qu’un autre mot appartenant à une autre langue.

62 Le titre complet est, Tū-nui-e-a’a-i-te-atua.

63 GUNSON, N., 1963, pp. 415 – 416.

Page 105: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

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de nulle part. Trois d’entre eux, le révérend John Orsmond, le révérend John Davies64

et le

révérend William Ellis65, mettront tous leurs efforts à essayer de sauvegarder ce qui peut l’être

encore, avant leur disparition totale. Leurs interlocuteurs furent, en majorité, d’anciens tahu’a

convertis.

Ces « enquêteurs » utilisent le matériel traditionnel transmis, soit par voie orale, soit

par voie écrite, par les Tahitiens eux-mêmes ou par des Européens sensibilisés à l’histoire du

pays. Le révérend John Muggridge Orsmond, arrivé à Mo’orea en 1817, a recueilli des

données généalogiques, ethnologiques et historiques auprès de Pomare II, ainsi qu’auprès

d’anciens tahu’a, comme Mare de Moorea. Le manuscrit original, daté de 1848, a, hélas, été

perdu. Une partie de ces recueils et de ces notes ont été rassemblés par sa petite-fille, Teuira

Henry, et publiés, après sa mort, en 1928.

Les sources d’Orsmond proviennent de la voix même de ceux qui avaient participé

aux anciens rituels, il n’y a donc aucune raison de suspecter une éventuelle manipulation. Ce

matériel a donc été utilisé par d’autres historiens, le révérend William Ellis, qui avait lui-

même pris des notes dans les îles, et Jacques Antoine Moerenhout66

. Celui-ci a entretenu des

contacts étroits avec des gens versés dans l'histoire de Tahiti, avec le chef Tati de Papara en

particulier. Quant à John Davies, son dictionnaire bilingue constitue l’ouvrage de référence de

la langue tahitienne.

3. Cosmogonie tahitienne

a. La création du monde

Les Tahitiens connaissaient plusieurs cosmogonies, c’est-à-dire des récits relatant la

naissance et la mise en ordre progressive du cosmos. Nous avons vu des bouts de mythes

rapportés par les explorateurs européens. Ceux que recueillent les missionnaires sont d’un

tout autre ordre.

Les deux récits que nous connaissons le mieux, car ils nous sont parvenus en entier,

sont ceux qui figurent dans l’ouvrage de Teuira Henry, Tahiti aux Temps Anciens, sous le

64 DAVIES, J., 1861.

65 ELLIS, W., 1972.

66 MOERENHOUT, J.-A., 1837.

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titre, « Chants de la Création ». Ils ont été recueillis entre 1822 et 1824, à Borabora, à

Mo’orea et à Tahiti.

Selon ces « chants », au début, existait un œuf qui tournoyait dans les ténèbres. Dans

l’œuf, préexistait un être divin, Ta’aroa, qui, à sa sortie, crée le monde, mais, il y règne le

chaos. Le ciel et la terre étaient réunis. Il fait venir Tū, son artisan, pour l’aider à poursuivre

son labeur. Puis, il fait appel à Tumu-nui et Papa-raharaha, pour qu’ils l’aident à séparer le

ciel de la terre à l’aide de piliers.

Ta’aroa crée ensuite les dieux dont Atea et Papa-tū’oi pour qu’ils engendrent les autres

dieux, selon un processus généalogique, tandis que Ta’aroa, de son côté, en procrée d’autres.

Les différentes lignées donnant, peu à peu naissance, au fil des générations, à toutes les

divinités incarnant les aspects fondamentaux de la nature (Atea, Papa, Ra’a, Ta’ere…), aux

divinités souveraines (Tāne, Tū, Tumu-nui…), mais aussi, à des êtres surnaturels, les

messagers (Ro’o, Taiva, Horofana’e, Irinau, Ti’a-o-uri, Ti’a-o-atea…), les astres (Rā,

marama, fetū…), les monstres (Tinorua, les tuputupua67

, Tetea…), les esprits des gens morts

(Oromatua), les insectes, les animaux… L’ordre est définitivement établi lorsque les arbres

furent dressés.

Nous reproduisons, ci-dessous, les premiers vers de la première version du Chant de la

Création, recueilli par Orsmond, et qui figure dans la version anglaise de l’ouvrage de Teuira

Henry, Ancient Tahiti (1928). Nous devons la version au conseiller Paora’i de Porapora

(Borabora), au tahu’a Vai’ai de Porapora et au tahu’a Pati’i de Mo’orea, qui le récitèrent au

révérend Orsmond en 1822.

Ce chant cosmogonique relate la création du monde par Ta’aroa et comme dans les

cosmogonies chinoises ou égyptiennes, l’Univers tout entier était contenu dans un œuf.

Ta’aroa, en l’ouvrant, libère toute la matière qui le constituera (Henry, 1928 : 336 - 337).

Compte tenu des nombreuses omissions relevées dans la version française, nous avons

préféré utiliser le texte en tahitien qui figure dans la version anglaise. En revanche, nous

avons conservé la traduction française réalisée par Bertrand Jaunez, sauf s’il y a eu des

omissions ; dans ce cas-là, nous avons nous-même traduit :

67 HENRY, 1968, p. 433.

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« ‘O Ta’aroa te tupuna o te mau atua ato’a,

Nā na te mau mea ato’a i hāmani,

Mai tahito a ‘iu’iu mai o Ta’aroa-nui-tahi-tumu.

Nā Ta’aroa iho Ta’aroa i tupua tō’ivi noa,

‘O ia iho tō na metua,

‘Aore metua tāne, ‘aore metua vahine.

‘Ua mano te huru o Ta’aroa,

‘O Ta’aroa-i-ni’a, Ta’aroa-i-raro, Ta’aroa-

‘ōfa’i.

E fare atua Ta’aroa,

Tō na tuamo’o, ‘o te tāhuhu ia,

Nā ivi ‘ao’ao, ‘o te ta’ota’o ia.

Teie tā Ta’aroa :

Ta’aroa-nui-parau-mau-huri-fenua,

Ta’aroa-nui-fa’aoti-hara-‘e-te-‘ino,

Ta’aroa68

‘était l’ancêtre de tous les dieux,

Il créa tout,

Depuis des temps immémoriaux, existait Grand-

Ta’aroa-l’origine.

Ta’aroa se développa lui-même dans la solitude,

Il était son propre parent,

N’ayant ni père, n’ayant ni mère.

Les natures de Ta’aroa étaient innombrables,

Ta’aroa-au-dessus, Ta’aroa-au-dessous, Ta’aroa-

le-roc

Ta’aroa était une maison divine,69

Sa colonne vertébrale en était la poutre de faîte,

Ses côtes en étaient les poutres d’appui.

Voici les attributs de Ta’aroa :

Grand-Ta’aroa-la-vérité-qui-retourne-la-terre,

Grand-Ta’aroa-qui-met-fin-aux-transgressions-et-

aux-cruautés70

,

68 Ta’aroa : Henry traduit Ta’a-roa par « Unique » (de ta’a « être détaché, solitaire, séparé » [Davies] et roa

« complètement » [Davies]). Cette traduction pose un problème, car Ta’aroa est un reflet du PPN *Taŋaloa

« nom d’un dieu ». Nous le retrouvons dans bon nombre de langues polynésiennes : Tagaloa, Tangaloa,

Tangaroa, Tana’oa, Kanaloa. Il est risqué, comme l’a fait Henry, d’isoler les racines d’un mot dont l’origine

remonterait à plus de mille ans. La racine taŋa de taŋa-loa, vient du PPN *taŋa « mâchoire, libre de restriction

rituelle » [Pollex]. Elle diffère du PPN *taka « Tourner, rouler, célibataire, lâche, séparé, piétiner » [Pollex]. La

définition d’Henry de Ta’aroa, « unique » aurait conduit à avoir comme étymon en PPN *taka-loa, et non *taŋa-

loa. Etant donné que ce nom peut être reconstitué en proto-polynésien, lui octroyer une définition basée sur les

ressemblances actuelles est aléatoire. Pour notre part, le PPN *taŋa « libre de restriction rituelle », paraît

convenir pour un dieu, qui ne peut nullement être soumis à des restrictions, contrairement aux humains, dont les

activités sont réglées par des rituels. Ta’aroa serait donc, celui qui est « libre de tout restriction ».

69 Bertrand Jaunez a traduit E fare atua Ta’aroa par « la maison de Ta’aroa était une maison de dieu » or

Orsmond/Henry avait correctement traduit ce passage en anglais Ta’aroa was a god’s house, « Ta’aroa était une

maison de dieu ».

70 Orsmond/Henry a traduit hara par « faute » et ‘ino par « mal », ce qui trahit sa vision chrétienne des choses.

Dans un contexte plus ancien, hara est une transgression (d’un tabou par exemple). Quand à ‘ino, il faut plutôt le

prendre dans le sens de « cruel » au lieu de « mal ».

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95

Ta’aroa-nui-tumu-tahi,

Ta’aroa-nui-hiuhiu-‘ai’ai,

Ta’aroa-upu-tū,

Ta’aroa-ma-tū-ra’i,

Ta’aroa-ha’apurara,

Ta’aroa-tū-avaava,

Ta’aroa-ta’ahi-tumu,

Ta’aroa-nui-tuhi-mate.

E tuhi i te fenua, e mate,

E huri i te fenua, e pohe i te ma’i,

E tuhi i te moana, e riorio,

E tuhi i te rā’au, e oha haere.

E mano te huru o Ta’aroa,

Hō’ē roa ra Ta’aroa, i ni’a, i raro ‘e i te Pō

I parahi Ta’aroa i roto i tō na pa’a mai te pō ‘a

‘iu’iu mai,

Mai te huoro ra te pa’a i roto i te ‘aere ‘a ‘ohu

noa ai,

‘Aore ra’i, ‘aore fenua, ‘aore tai, ‘aore marama,

‘aore rā, ‘aore fetū,

E pō ana’e ia,

E pō tinitini ia ‘e te ta’ota’o.

‘O Rūmia te i’oa o taua pa’a o Ta’aroa ra,

Grand-Ta’aroa-le-fondement,

Grand-Ta’aroa-à-la-gloire-sans-limite,

Ta’aroa-au-commandement-sûr,

Ta’aroa-avec-ciel-soulevé,71

Ta’aroa-qui-propage,

Ta’aroa-qui-se-tient-au-dessus-de-la-passe,

Ta’aroa-l’extirpateur,

Grand-Ta’aroa-dont-la-malédiction-signifiait-la-

mort.

Quand il maudit la terre, elle meurt,

Quand il retourne la terre, elle est malade,

Quand il maudit l’océan, il s’assèche,

Quand il maudit les arbres, ils se mettent à

pencher.

Innombrable est la nature de Ta’aroa,

Il n’y a qu’un seul Ta’aroa, en haut, en bas et

dans le Pō72

.

Ta’aroa se tenait dans sa coquille depuis la nuit

des temps,

La coquille était tel un œuf tournoyant dans

l’espace,

Il n’y avait ni ciel, ni terre, ni mer, ni lune, ni

soleil, ni étoile,

Il n’y avait que les ténèbres,

C’était une obscurité permanente et profonde.

Rūmia73

était le nom de cette coquille de Ta’aroa,

71 Orsmond/Henry a traduit Ta’aroa-ma-tū-ra’i par « Ta’aroa-au-ciel-clair », ce qui est une erreur. Il a considéré

ma comme le qualificatif « clair ». Or, dans ce cas-ci, ma est la conjonction de coordination, « et », « avec ». En

outre, il n’a pas traduit le terme primordial, tū « être dressé ».

72Pō : L’obscurité, les ténèbres, le monde obscur, le domaine des dieux, le monde à l’origine avant que le ciel ne

soit écarté de force de la terre créant ainsi un espace qui pouvait alors se remplir de lumière (ao). (Tcherkézoff,

2005 : 116)

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‘O Ta’aroa ana’e iho i tō na pa’a,

‘Aore metua tāne, ‘aore metua vahine, ‘aore

tua’ana, ‘aore tuahine,‘aore ta’ata, ‘aore pua’a,

‘aore ‘ūrī,

‘O Ta’aroa rā, ‘o ia ana’e iho.

[…]

Ta’aroa était seul dans sa coquille,

Il n’avait ni père, ni mère, ni frère aîné, ni sœur,

ni être humain, ni cochon, ni chien,

Rien que Ta’aroa tout seul.

[…]

Le monde à l’origine fut donc obscur, il y régnait l’obscurité permanente, il n’y avait

rien, seulement une coquille (Rūmia) qui tournoyait (‘ohu) dans les ténèbres (pō).

Si nous pouvons appréhender le pō comme l’inexistant, l’émergence d’un élément

dans cet inexistant, implique que rien n’est créé à partir de rien. Il existait dans ce pō quelque

chose, un œuf (huero), tous les composants du monde ainsi qu’un être préexistant (Ta’aroa)

s’y trouvent enfermés.

Celui-ci donne un coup sur la coquille et provoque une fissure, il sort et se tient debout

dessus, il ne voit que l’obscurité et n’entend rien, il y a ni image ni son. Il appelle, seul l’écho

de sa voix lui répond. Il retourne, dépité, à l’intérieur de Rūmia. Y étant confiné, il se lasse et

sort à nouveau. Avec une nouvelle coquille, il établit la fondation du monde tumu-nui

« Grand-fondement » ou « Tronc-suprême », avec l’ancienne, Rūmia, il édifie le dôme du ciel

(’apu o te ra’i).

Le jeune Ta’aroa, grandit et mûrit dans le ciel toujours confiné. Il fit de Tumu-nui,

l’élément mâle dans lequel il fait entrer son esprit, qui devint, Ta’aroa-tumu-tahi « Ta’aroa-le-

premier-qui-fut-à-l’origine » et Papa-raharaha74

« Grand-rocher-plat», l’embasement

femelle.

73

Rūmia (Académie tahitienne) ou Rumia (Henry). Rūmia peut être décomposé de deux manières, Rū-mia ou

Rumi-a. Pour la première hypothèse, rū viendrait du PPN *luu « secouer, trembler » (Pollex) ; nous le retrouvons

en tahitien dans rū-rū« trembler, frissonner » (Académie tahitienne) ; -mia est un suffixe de passivation, il a

disparu du tahitien, mais est encore présent en maori ou en hawaiien ; si cette hypothèse est vérifiée, Rū-mia,

comme décrit dans le chant, est un objet qui « aurait été secoué », dans les ténèbres. Pour la seconde hypothèse,

rumi est un terme qui n’existe pas en tahitien, mais qui est présent en hawaiien, lumi « tournoyer » ; on ne lui

reconnaît cependant aucun cognat dans les autres langues polynésiennes ; en prenant comme hypothèse que -a

soit un suffixe de passivation, Rumi-a serait donc également un objet qui « tournoie » dans les ténèbres. En fin

de compte, les deux hypothèses conduisent au même résultat. Ce qui correspond à la version d’Henry (1968 :

423) dans le texte de « L’érection du ciel de Rumia » où elle traduit Rumia par « renversé ». Alors que dans les

textes des chants de la « Création du monde », elle le traduit par « bouleversé ».

74Raha-raha : « pellicules du cuir chevelu » ou « couvert de poils, de duvet ou de pellicules » (Davies –

Académie tahitienne) – « stratifié » (Henry). Il existe cependant une autre définition qui n’est pas mentionnée

Page 110: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

97

Cependant, Tumu-nui ne parvint pas à féconder Papa-raharaha. Il resta encore

plusieurs siècles dans le ciel confiné. Il créa alors les dieux. Pour cette raison, le ciel fut

appelé Te-ra’i-atua « le ciel des dieux ». L’homme sera créé plus tard, au moment où le dieu

Tū est avec Ta’aroa (Tū ma Ta’aroa).

Ta’aroa avait le corps couvert de plumes, quand il les secoua, elles devinrent de la

verdure sur la terre. Lorsque la terre devint une terre ferme, la pieuvre Tumu-ra’i-fenua,

« Fondation-du-ciel-et-de-la-terre » y était accrochée, un tentacule au Nord, un au Sud, un à

l’Est et un à l’Ouest. Ils maintenaient le ciel compressé contre la terre.

La seconde version du Chant de la Création fut récitée par Paoraro en 1822, par

Ra’itupu, un tahu’a de Porapora, en 1824, et par Tamera, un tahu’a de Tahiti en 183375

. Elle

ne diffère pas de la première, sauf sur la forme. La première partie de cette version est plus

courte que celle de la première version. En revanche, la conclusion, que nous reproduisons ci-

dessous, est plus importante, car elle nous renseigne sur la vision des Tahitiens sur le ciel et la

terre. La traduction que nous avons choisie est celle de Sylvia Vahi Richaud (Richaud, 2010 :

51).

[…]

E ahu atu ra te toto o Ta’aroa,

mareva atu ra ‘ei ra’i ‘ute’ute ‘e ‘ei anuanua

‘Are’a te uru o Ta’aroa ra,

vai mo’a noa atu ra ia, nō na iho.

[…]

Le sang de Ta’aroa s’échauffa,

et s’en fut rapidement là-haut pour être ciel rouge

et arc-en-ciel,

Mais la tête de Ta’aroa

resta sacrée pour lui-même.

dans les dictionnaires tahitiens, raharaha « plat ». Or, ce mot est connu ; les petits cailloux plats que l’on trouve,

uniquement, sur la plage du lieu-dit Tapahi, à la limite des districts de Mahina et de Papeno’o, sont appelés ‘ōfa’i

pā-raharaha « caillou aplatie ». C’est sous ce sens que raha-raha se rencontre dans de nombreuses langues

polynésiennes, en particulier en hawaiien et en maori, mais aussi, en futunien, en faka‘uvea, en tongien, en

samoan, etc., il vient du PPN *lapa-lapa « plat et/ou large ». Papa signifie, « surface plate et dure », comme un

roc par exemple, « assise », « fondation » ou « époux/épouse » (Papa-i-raro « épouse », papa-i-ni’a « époux »).

Construire sa maison sur un papa, signifie, construire sur une assise solide. Dans le présent contexte, où il

constitue l’un des deux premiers éléments du monde, traduire Papa-raharaha par « Assise-rocheuse-plate-et-

grande » serait logique, pour raccourcir, « Grand-rocher-plat ». Cependant, dans la mesure où Tumu-nui, le

« Tronc-suprême » est appelé à être planté dans Papa-raharaha pour la féconder et donner naissance aux

éléments de l’Univers, il est plus logique que ce soit dans le socle d’une épouse divine, c’est-à-dire, dans le pubis

couvert de poils de son épouse, Papa.

75 Henry, 1928, pp. 339 – 341

Page 111: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

98

Tē vai ora noa ra Ta’aroa,

i te hō’ē tino ‘ino ‘ore.

‘O ia te fatu o te mau mea ato’a,

teatea, tupura’a atu ra.

‘A rahu Ta’aroa i te atua,

‘a ria noa ra te ta’ata i rahua ia Tū ma Ta’aroa.

Mai tā Ta’aroa ra, e pa’a ia, ‘o ia ho’i te ‘apu,

e ‘apu ho’i tō te mea ato’a nei.

E ‘apu te ra’i, ‘o ia te a’eha’i i fa’anahohia e te

atua, te rā, te marama, te tua ta’a ‘e te hui tārava

a te atua.

E ‘apu te fenua nei nō te ‘ōfa’i, te vai ‘e te rā’au

o te tupu mai.

Tō te tāne nei ‘apu, ‘o te vahine ia, nō te mea, nā

reira mai ‘o ia i te ao nei.

E tō te vahine nei ‘apu, ‘o te vahine ia, nō te mea

nā te vahine ‘o ia i fānau.

E ‘ore e hope te tai’o i te ‘apu o te mau mea o te

ao nei.

Ta’aroa était en vie

dans un corps parfait.

Il était le maître de toutes choses,

Enfin libre, la croissance commença.

Lorsque Ta’aroa créa les dieux,

L’homme fut créé peu de temps après, par Tū et

Ta’aroa

Comme Ta’aroa qui a une coque qui lui sert de

coquille76

,

toute chose a une coquille.

Le ciel est une coquille, il est l’espace infini dans

lequel les dieux installèrent le soleil, la lune, les

sporades77

et les constellations des dieux.

La terre est une coquille pour les pierres, l’eau, et

les plantes qui y croissent.

La coquille de l’homme est la femme, parce qu’il

vient au monde par elle.

Et, la coquille de la femme est la femme, car c’est

la femme qui la met au monde.

Le nombre des coquilles des choses de ce monde

est infini.

Cette coquille est comme la valve d’un mollusque (‘apu). Un mollusque possède deux

valves, une au-dessus, une au-dessous. Le ciel est l’une des valves. Elle est renversée. Tous

les objets célestes y sont placés à l’intérieur, dans le creux de la valve, le soleil, la lune, les

sporades, les constellations. La coquille est la valve féminine que vient ensemencer des

76 Sylvia Richaud a traduit ‘apu par « enveloppe ». J’ai préféré conserver la traduction d’Orsmond/Henry

« coquille » car la forme en coquille du ciel et de la terre est primordiale dans le concept cosmologique, puis

astronomique tahitien.

77 Sporade : une étoile qui n’appartient à aucune constellation (CNRTL). Richaud l’a traduit par « groupe

d’étoiles ». Nous avons conservé la traduction d’Orsmond/Henry.

Page 112: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

99

concepts féconds, tels que la pierre, l’eau et les arbres pour la terre, l’homme pour la femme,

la femme pour la femme. Tout élément mâle a une coquille femelle.

b. La séparation du ciel et de la terre

Toutefois, le monde originel que Ta’aroa crée, demeure confiné dans le Pō (ténèbres)

où il règne un chaos absolu, la matière est complétement mélangée, elle est sans forme. Il

tente alors de corriger cela en organisant et en suscitant l’accroissement de la nature, et en

consolidant les soubassements. Il crée par des incantations (rahu) Havai’i, la première terre,

qui garde un visage irrégulier. Il tente sans succès d’ordonner le ciel et la terre, qui restent

confinés. Il fait alors apparaître Ta’ere « quille », dieu de la connaissance et de l’habileté et

Tū « stabilité », son artisan-expert qui l’aident à stabiliser le monde. Il fait appel à ses propres

émanations, Tumu-nui « Grande-fondation » et Papa-raharaha « roc-stratifié » pour qu’ils

apportent des piliers afin de soulever la coquille Rūmia, le dôme du ciel. Grâce aux piliers, les

cieux s’élèvent. Dès lors, la dilatation de l’espace fait apparaître Atea « espace » et « clarté »,

l’émanation de Ta’aroa dans l’espace ainsi créé. Voici comment est relaté cet épisode final

par Henry (1928 : 342-343)78

.

‘Ua ha’apāpū atu ra Ta’aroa i te ‘apu o te ra’i,

te pa’a ra ia Rūmia, nā ni’a i te pou.

‘Ua ta’o atu ra : « E te tumu-nui ‘e te papa-

raharaha e, ‘a to’īna mai ‘ei pou, ‘ei pou mua,

‘ei pou muri. »

‘Ua to’īna mai ra i te pou :

‘O Hotu-i-te-ra’i79

‘ei pou mua,

‘O ‘Anā-feo80

‘ei pou muri,

fa’aateatea atu ra Ta’aroa ia Atea nā ni’a iho ;

Rahu atu ra i te varua mana nō Atea ‘e ‘ati noa

Ta’aroa consolida le dôme du ciel, la coquille

Rūmia, sur des piliers.

Alors il s’écria : « Ô la grande-fondation, ô le

grand-rocher-plat, apportez pour qu’il y ait des

piliers, des piliers pour devant, des piliers pour

derrière. »

Ils apportèrent des piliers :

Hotu-i-te-ra’i comme pilier de devant,

‘Anā-feo comme pilier de derrière,

Ta’aroa éloigna Atea au-dessus,

Il invoqua un esprit pour Atea tout le reste.

78 Traduction de Sylvia Richaud (RICHAUD, 2010 : 57-59) :

79Hotu-i-te-ra’i : « fécondités du ciel » - Antarès.

80‘Anā-feo : « Astre de corail » - Zuben-eschamali.

Page 113: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

100

a’e.

‘Ua ta’o atu ra Ta’aroa : « E te Tumu-nui ‘e te

Papa-raharaha e, ‘a to’īna mai ‘ei pou tia’i tō

tāua fenua, ‘ei pou hia, e poupou hia. »

‘A ‘ite, ‘a fa’arire, ‘a toro.

Ti’a a’e ra o Hotu-i-te-ra’i ‘ei pou mua,

O ‘Anā-feo ‘ei pou muri,

Tū-ma-Ta’aroa ‘ei pou roto,

Te pou tia’i,81

Te pou ti’ara’a,

Te pou nohora’a,

Te pou fa’a’er’erera’a,

Te pou ‘ōrerorerora’a,

Te pou vāna’ana’ara’a,82

‘E te pou haerera’a.

‘A fa’aroa i te Tumu-nui,

‘A fa’aroa i te Papa-raharaha,

‘A fa’aroa i te piha,

‘A fa’aroa i te ‘opi-a-ra’i,

‘A toro te ra’i,

‘A ‘a’ano te ra’i

i te pou fenua nō Havai’i.

Te tupu o te pō, rara te pō

Te tupu o te mou’a, rara te mou’a.

Te tupu o te vai, rara te vai.

Te tupu o te moana, rara te moana.

Te tupu o te to’a, rara o te to’a.

Te tupu o te ra’i, rara o te ra’i, e tua tini atu ra.

Alors Ta’aroa dit : « O Tumu-nui et Papa-

raharaha, apportez des piliers de guet pour notre

terre, des piliers, beaucoup de piliers. »

Voyez, applaudissez, étendez.

Hotu-i-te-ra’i se dressa comme pilier avant,

‘Anā-feo, comme pilier arrière,

Tū-ma-Ta’aroa, comme pilier central,

Le pilier d’attente,

Le pilier pour se lever,

Le pilier pour s’asseoir,

Le pilier pour se farder,

Le pilier pour déclamer,

Le pilier pour l’éloquence,

Et, le pilier pour s’en aller.

Il y avait extension de Tumu-nui,

Il y avait extension de Papa-raharaha,

Il y avait extension des chambres,

Il y avait extension de l’horizon,

Le ciel s’étendit,

Le ciel s’élargit

grâce aux piliers du pays de Havai’i.

Ce fut la croissance de l’obscurité, elle se

répandit.

Les montagnes crûrent, les montagnes

s’étendirent.

L’eau douce crût, l’eau douce se répandit.

L’océan crût, l’océan s’étendit.

Les rochers crûrent, les rochers se multiplièrent.

Le ciel crût, le ciel s’étendit, il y en a eu dix.

81 Dans le texte d’Henry, une erreur de frappe s’est glissée, il est écrit pou hia’i à la place de pou tia’i.

82 Vāna’ana’a : éloquent speeches « discours éloquents » (Davies).

Page 114: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

101

Après l’érection du ciel, Ta’aroa créa les dieux avec l’aide de son artisan Tū. Des

divinités apparurent, Atea, Te-Fatu, Ra’i, Uru, Rimaroa, Ra’a, Tū-papa, Te-vā-nuhunuhu, Te-

muhumuhu, Rua-tupu-a-nui, etc. Le ciel et la terre s’étendirent, les ténèbres et l’obscurité

crûrent aussi. Pour ce qui est de la cosmologie, deux des divinités précédentes décident de

faire apparaître les astres.

Rua-tupu-a-nui prend pour épouse Atea-ta’o-nui. De leur étreinte, naîtront tous les

objets célestes.

c. L’apparition des corps célestes

Dans le récit de la Naissance des Corps Célestes83

, Henry décrit la naissance des astres

au fil de générations successives dont elle développe tour à tour les différentes branches. Les

premiers astres qui garniront le ciel, issus d’une reproduction sexuée entre Rua et Atea,

apparaissent spontanément : les étoiles filantes, la lune, le soleil, les comètes, ainsi que les

premières constellations, Persée, le Cocher, les Gémeaux, toutes situées dans l’hémisphère

Nord. La constellation du Cocher et la Chèvre, une étoile de cette même constellation,

s’unissent pour former le premier couple astral et donner naissance aux planètes, Vénus et

Mercure, ainsi qu’à une constellation non identifiée dans le texte, mais que nous pensons être

le Cancer (Matiti-tau « pendentif-accroché ») .

Pour la suite, Vénus embarque sur une étoile/pirogue, c’est-à-dire sur un astre (non

identifié), et file directement dans l’hémisphère Sud pour rejoindre son épouse, la

constellation du Capricorne. Ils engendrent la planète Mars.

Celui-ci embarque à son tour sur une autre étoile/pirogue pour rejoindre son épouse, le

Caveau (dôme) du ciel avec qui il a eu le Poisson Austral et, selon nous, la Grue. Les

générations se succèdent ainsi jusqu’à ce que le firmament soit entièrement garni d’étoiles, de

constellations, de nébuleuses, etc.

Soixante-treize noms d’objets célestes y ont été répertoriés (en caractère gras). Les

chants généalogiques sont appelés meremere hua’a (Académie tahitienne). Celui-ci est

décliné comme la généalogie d’une lignée. En raison des nombreuses omissions relevées dans

83 HENRY, T., 1928. Birth of Heavenly bodies. Du fait des nombreuses erreurs contenues dans la version

française, il faut, pour ce texte, utiliser la version anglaise.

Page 115: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

102

la version française, nous avons utilisé le texte en tahitien tiré d’Ancient Tahiti (Henry, 1928 :

359 – 363) :

‘0 Rua-tupu-a-nui84

te tumu,

‘A noho ‘o ia i te vahine iā Atea-ta’o-nui85

,

‘A fānau mai ra tā na ari'i :

- ‘o Fetūrere,

- he’e te tua, ‘o Marama,

- he’e te tua, ‘o te Rā mai ra,

- he’e te tua, ‘o Fetū-ave,

- he’e te tua : ‘o Fa’a-iti,86

‘o Fa’a-nui87

, ‘o

Fa’a-tā-potupotu88

, i te ari’i o Ma-ra’i-

re’a89

, hui tārava i te ‘apato’erau.

‘A noho Fa’anui i te vahine iā Tahi-ari’i90

,

‘A fānau a’e ra tā na ari’i :

- ‘o Ta’uruanui-e-horo-i-te-ahiahi91

, nā na e

vana’a i te pō ma te ao, i te fetū ma te

marama, ‘e te rā ma te ‘avei’a ‘ei arata’i i te

pahi o Hiro i tua,

- he’e te tua, ‘o Ta’ero92

i te pae o te rā,

- ‘e ‘o Mātititau93

.

‘A rara’o o Ta’urua-nui i tō na va’a, o te va’a

o Mata-taui-noa94

,

Rua-tupu-a-nui est l’origine,

Il prit pour épouse Atea-ta’o-nui,

Ainsi, ses ari’i naquirent :

- ce furent les Étoiles filantes,

- vint ensuite la Lune,

- vint ensuite le Soleil,

- vinrent ensuite les comètes,

- vinrent ensuite : Fa’a-iti, (Persée), Fa’a-nui,

(Cocher), Fa’a-tā-potupotu, (Gémaux), chez l’ari’i

Ma-ra’i-re’a (Vega ?), des constellations dans le

Nord

Fa’anui prit pour épouse Tahi-ari'i (la Chèvre),

Alors, ses ari’i naquirent :

- Ta’uruanui-e-horo-i-te-ahiahi (Vénus), qui

annonce la venue de la nuit et du jour, des étoiles et

de la lune, du soleil et des astres-guides pour guider

la pirogue de Hiro au large,

- Vint ensuite Ta’ero (Mercure) du côté du soleil,

- et Mātititau (Cancer ?).

Ta’urua-nui(Vénus) mit à l'eau sa pirogue, la

pirogue Mata-taui-noa,

84Rua-tupu-a-nui : « Rua-de-la-grande-croissance »

85Atea-ta’o-nui : « Atea-au-grand-commandement »

86Fa’a-iti : « petite-nasse »

87Fa’a-nui : « grande-nasse »

88Fa’a-tā-potupotu : « nasse-torsadée »

89Ma-ra’i-re’a : « ciel clair ouvert »

90Tahi-ari’i : « Premier-ari’i »

91Ta’urua-nui-e-horo-i-te-ahiahi : « Grand-Ta’urua-qui-se-déplace-le-soir »

92Ta’ero : « ivre » (Henry)

93Matiti-tau : « suspendu-temps » (Henry) ou Mātiti-tau « croître-temps » (Davies)

Page 116: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

103

‘A fano i te taha tō’o’a, i te Ari’i-o-‘apato’a,95

‘A noho i te vahine iā Rua-o-mere96

, te ‘avei’a

e vai ra i te paera’i i te ‘apato'a,

‘A fānau mai ra tā na ari'i

- ‘o Maunu-’ura97

; ‘o Maunu-’ura e hiti mai

i te ahiahi, e mata rua, e fetu ‘ura, e atua e

rere i Tara-te-feau98

i tō na ra tau.

‘A rara’o o Maunu-’ura i tō na va’a, ‘o Te-

ao-nui-e-rere-i-te-ra’i99

,

‘A fano nā te ‘apato’a,

‘A noho Maunu’ura i te vahine iā Te-‘apu-o-

te-ra’i100

‘A fānau a’e ra tā na ari’i :

- Ta’urua-nui, e fa’atere-va’a ia Atutahi ‘e, e

tū i ‘apato’a i tō na pō,

- ‘e ‘Apa’apa Rua-manu101

.

Fa’atupu rā i te iho o te ra’i o Atu-tahi102

, he’e

te tua,

- ‘o ia o Aro103

,

- ‘o ia o ‘Āra’a104

,

Il vogua du côté Ouest, chez l’Ari’i-o-‘apato’a

(Achernar)

Il prit pour épouse Rua-o-mere (Capricorne), l’astre-

guide situé sur l’horizon au Sud,

Ainsi, ses ari’i naquirent :

- Maunu-’ura (Mars) ; Maunu-’ura qui apparaît le

soir, il a un double visage, c’est un astre rouge,

c’est une divinité qui plane sur Tara-te-feau en sa

saison.

Maunu-’ura mit à l’eau sa pirogue, appelée Te-ao-

nui-e-rere-i-te-ra’i (?),

Il vogua par le Sud,

Maunu’ura prit pour épouse Te-‘apu-o-te-ra’i

Alors, ses ari’i naquirent :

- Ta’urua-nui, le pilote d’Atutahi (Fomalhaut), qui

se tient au Sud durant ses nuits,

- et ‘Apa’apa Rua-manu (Grue)

Le rôle céleste d’Atutahi (Poisson Austral) s’accrût,

vinrent ensuite :

- Aro,

- ‘Āra’a,

94

Mata-taui-noa : « visage-changeant » (Henry)

95Ari’i-o-‘apato’a : « Ari’i-du-Sud »

96Rua-o-Mere : « chemin-de-Mere » (traduction personnelle)

97Maunu-‘ura : « rougeur-instable » (Henry)

98Tarā « dire une prière » – feau, « pensée, hésiter » -Tara-te-feau : « présenter des offrandes pour une pensée »

(Henry).

99Te-ao-nui-e-rere-i-te-ra’i : « le-grand-nuage-qui-plane-dans-le-ciel » (traduction personnelle)

100Te-‘apu-o-te-ra’i : « le-dôme-du-ciel » (Henry)

101‘Apa’apa-rua-manu : ‘apa’apa « oiseaux » (Davies), rua-manu « chemin-des-oiseaux » (traduction

personnelle). Nous avons traduit ‘apa’apa par « oiseaux » car ce nom a remplacé manu au XIXe siècle, pour

désigner la 7ème

lunaison de l’année, dans le calendrier tahitien.

102Atu-tahi : « première-bonite »(traduction personnelle)

103Aro : « faire chemin » (Henry)

Page 117: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

104

- ‘o ia o ‘Āra’ara’a105

,

- ‘o ia o Ha’amaru106

.

Nō Atu-tahi te va’a, e hui fetū i te ‘Uti’uti107

,

tau ni'a o te aro o te ra’i i te ‘apato’a,

‘O Ta’urua-nui te fa’atere va’a,

- he’e te tua, ‘o Tauhā108

mai ra,

- he'e te tua, ‘o Ta’urua-nui-o-te-hiti

apato’a109

.

‘A fano o Atutahi i tō’o’a-o-te-rā,

‘A noho i te vahine iā Tū-i-te-moana-‘urifā110

,

‘A fānau mai ra :

- ‘o Metua-‘aipapa111

,

- he’e te tua, ‘o Moana-‘aere112

,

- he’e te tua, ‘o Moana-‘a’ano-huri-hara113

,

- ‘e ‘o Moana-‘ohu-noa-‘ei-ha’amo’e-

hara114

.

‘A noho o Metua-’ai-papa i te vahine iā Te-

ra’i-tū-roroa

‘A fānau a’e ra tā na ari’i :

- ‘o Fetū-tea115

, ‘ei hoa tau, i te tau rā ‘o ia e

hiti mai ai.

- ‘Āra’ara’a,

- Ha’amaru.

La pirogue appartient à Atutahi, une constellation de

‘Uti’uti, arrimé à la face du ciel dans le Sud,

Ta’urua-nui en est le pilote,

- vint ensuite Tauhā (Croix du Sud),

- vint ensuite Ta’urua-nui-o-te-hiti-‘apato’a

(Canopus)

Atutahi vogua vers l’Ouest,

Il prit pour épouse Tū-i-te-moana-‘urifā (Hydre),

Ainsi, naquirent :

- Metua-‘aipapa (Corbeau),

- vint ensuite Moana-‘aere (Ciel clair sous l’Hydre),

- vint ensuite Moana ‘a’ano-huri-hara,

- et Moana-‘ohu-noa-‘ei-ha’amo’e-hara (Coupe)

Metua-’ai-papa prit pour épouse Te-ra’i-tū-roroa

(Lion)

Alors, son ari’i naquit :

- Fetū-tea (Saturne), c’est un ami fidèle,

particulièrement dans les périodes où il est visible.

104

‘Āra’a : « clarté » (Henry)

105‘Āra’ara’a : « brillant » (Henry)

106Ha’amaru : « douceur » (Henry)

107‘Uti’uti : « ciel argenté » (Davies)

108Tauhā : « les-quatre-attachés)

109Ta’urua-nui-o-te-hiti-apato’a : « Grand-Ta’urua-à-la-limite-au-Sud »

110Tū-i-te-moana-‘urifā : « qui-se-tient-dans-l’océan-à-l’odeur-de-marée. » (Henry)

111Metua-‘aipapa : « « parent-mangeur-de-roc » (Henry)

112Moana-‘aere : « Océan-étendu » (Henry)

113Moana-‘a'ano-huri-hara : « Océan-large-qui-renverse-les-transgressions » (traduction personnelle)

114Moana-‘ohu-noa-‘ei-ha’amo’e-hara : « Océan-tourbillonnant-qui-fait-disparaître-les-fautes » (Henry)

115Fetū-tea : « étoile-blanche » (Henry)

Page 118: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

105

‘O Fetūtea te ari’i,

‘A noho i Te-tāpo’i-o-te-ra’i116

,

‘A fānau mai ra :

- te fetū hitihiti,

- te fetū ‘amo’amo nu’u nui,

- te fetū ‘ai’aia rū roa

- ‘e te fetū pura noa.

- he’e te tua, te Ma’ama’atai117

,

- ‘e Nā-‘ō’iri-‘ai-ata118

e rua e vai i roto i nā

‘āpo’o i te Vai-ora119

a Tāne, tei reira te ma’o

purotu, o Fa’a-rava-i-te-ra’i120

, te vai mai ra i

roto i tō na ‘āpo’o ; tei piha’i mai te Pira’e-

tea121

a Tāne, tei te Vai-ora a Tāne.

Te poupou o te ra’i iā Rūmia ra, ‘ua riro

ana’e ia ‘ei ‘anā ‘amo’amo nui i ni’a i te ra’i :

- ‘o ‘Anā-mua122

, e pou tomora’a atu i te ‘apu

‘o te ra’i, ‘oia o ‘Anā-hoa123

;

- ‘Anā -muri124

, ta’i Rio‘aitu, fa’arava’ai atu

‘e te ‘ā’ahi, ei pou fa’a’ere’erera’a ;

- ‘Anā-roto125

, e pou Tū-ma-Ta’aroa ;

- ‘Anā-tīpū126

, e pou hiti ni’a, e pou tia’ira'a ;

- ‘Anā-heuheupō pō127

, fetū ‘ura e fano i te

Fetūtea est l’ari’i,

Il prit pour épouse Te-tāpo’i-o-te-ra’i

Ainsi, naquirent :

- les étoiles brillantes,

- les étoiles scintillantes par myriades,

- les étoiles sporadiques très éphémères,

- et les étoiles qui étincellent,

- vint ensuite Ma’ama’atai,

- et les deux Nā-‘ō’iri-‘ai-ata, dans les deux trous de

Vai-ora (Voie-Lactée) de Tāne, là où se trouve le

magnifique requin, Fa’a-rava-i-te-ra’i (Altair ?),

dans son trou ; le Pira’e-tea (Déneb) de Tāne est

tout près, dans le Vai-ora de Tāne.

Les piliers du ciel de Rūmia sont devenus de grandes

étoiles scintillantes dans le ciel :

- ‘Anā-mua(Antarès), est le pilier d’entrée du dôme

du ciel, appelé aussi ‘Anā-hoa ;

- ‘Anā-muri, guide de Rio, dieu des pêcheurs de

bonite et de thon (Aldébaran), est le pilier pour se

farder ;

- ‘Anā-roto (Épi), est le pilier de Tū et Ta'aroa ;

- ‘Ana-tīpū (Dubhe), est le pilier qui se dresse au-

dessus, le pilier d’attente ;

- ‘Anā-heuheupō (Alphard), l’étoile rouge qui

116Te-tāpo’i-o-te-ra’i : « couverture-du-ciel » (Henry)

117Ma’ama’atai : « étoile de mer » (Henry)

118Nā-‘ō’iri-‘ai-ata : « les-deux-balistes-mangeuses-de-nuages »

119Vai-ora : « eau-vivifiante » (Henry)

120Fa’a-rava-i-te-ra’i : « Colore-le-ciel » (Henry)

121Pira’e-tea : « sterne-blanc »

122‘Anā-mua : « astre-étincelant-de-devant »

123‘Anā-hoa : « astre-étincelant-ami »

124‘Anā-muri : « astre-étincelant-de-derrière »

125‘Anā-roto : « astre-étincelant-d’intérieur »

126‘Anā-tīpū : « astre-étincelant-qui-dévie »

Page 119: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

106

‘aere ra’i i to’a, e pou hiti raro, e pou

‘ōrerorerora’a ;

- ‘Anā-tahu’a-ta’ata-metua-te-tupu-

mavae128

, e pou ti’ara’a ;

- ‘Anā-tahu’a-vahine-o-toa-te-manava129

, e

pou vāna’ana’ara’a ;

- ‘Anā-varu130

, e pou nohora’a ;

- ‘Anā-iva131

, e pou haerera’a ;

- ‘Anā-ni’a132

, e pou fa'arava’aira’a, i te ra’i

‘ōti’a.

‘Ei purotu ana’e tei te fare ‘eve’eve,

‘Ei to’īna a’e i te aro o Ta’urua, ‘avei’a e hiti

mai i te ahiahi,

‘Ei nuna’a a’e i te aro o Ta’ero133

ari’i.

‘A rara’o o ‘Anaheuheupō i te va’a, i te

Farau-a-maro134

,

‘E, fano atu ra i te Atu-ra’i-putuputu135

,

‘A noho i te vahine iā Tere-e-fa’ari’i-mai-i-te-

ra’i136

,

‘A fānau a’e ra tā na ari’i :

- ‘o Ta’urua-nui-i-tu’i-i-te-pōrou-o-te-ra’i137

,

te fetū e 'a'e i te tua-o-uru-po’i138

i tō na tau.

vogue dans l’espace au Sud, est le pilier qui se

dresse au-dessous, le pilier de la rhétorique ;

- ‘Anā-tahu’a-ta’ata-metua-te-tupu-mavae

(Arcturus), est le pilier pour se lever ;

- ‘Anā-tahu’a-vahine-o-toa-te-manava (Procyon),

est le pilier de l’éloquence ;

- ‘Anā-varu(Bételgeuse), est le pilier pour s’asseoir ;

- ‘Anā-iva (Phaet), est le pilier de sortie ;

- ‘Anā-ni’a (Polaris), est le pilier pour pêcher, aux

confins du ciel.

Que de merveilles dans la demeure inachevée,

Que d’offrandes devant Ta’urua (Venus), l’astre-

guide qui brille le soir,

Que de monde devant l’ari’i Ta’ero (Mercure).

'Anaheuheupō (Alphard) mit à l'eau la pirogue,

Farau-a-maro,

Et, il se dirigea vers Atu-ra’i-putuputu (Poissons),

Il prit pour épouse Tere-e-fa’ari’i-mai-i-te-ra’i,

Alors son ari’i naquit :

- Ta’urua-nui-i-tu’i-i-te-pōrou-o-te-ra’i, (Jupiter),

l’astre qui monte sur Tua-o-urupo’i en sa saison.

127

‘Anā-heuheupō : « Astre-étincelant-qui-rejette-les-ténèbres »

128‘Anā-tahu’a-ta’ata-metua-te-tupu-mavae : « astre-étincelant-qui-apprête-les-parents-qui-prospèrent-de-leur-

côté»

129‘Anā-tahu’a-vahine-o-toa-te-manava : «astre-étincelant-qui-apprête-les-femmes-accueillantes-des-guerriers»

130‘Anā-varu : « huitième-astre-étincelant »

131‘Anā-iva : « neuvième-astre-étincelant »

132‘Anā-ni’a : « astre-étincelant-de-dessus »

133Ta’ero : « ivre »

134Farau-a-maro : « hangar-à-pirogue-sec »

135Atu-ra’i-putuputu : « bonites-célestes-rassemblées »

136Tere-e-fa’ari’i-mai-i-te-ra’i : « aller-accueillir-au-ciel »

137Ta’urua-nui-i-tu’i-i-te-pōrou-o-te-ra’i : « Ta’urua-qui-passe-au-zénith »

138Tua-o-Uru-po’i : Tua « à l’arrière », uru « crâne », po’i « lier » (Davies) → « à-la-suite-du-soleil » (Henry)

Page 120: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

107

‘A rara'o o Ta’uruanui-i-tu’i-i-te-pōrou-o-te-

ra’i i tō na va’a o Marae-’oroua139

,

‘A fano e tīnai i te hi’u o te vero nui.

‘O te hara ia o Te-taha140

i reirei ai Ta’urua i

ni’a iā Ta’ero i mata piri i te rā ‘e e rere i te

‘ama’ama vera iā Atea.

‘A noho Ta’urua-nui-i-tu’i-i-te-pōrou-o-te-

ra’i i te vahine iā Te-’ura-taui-e-pā141

,

‘A fānau tā na ari'i :

- ‘o te hui tārava iā Mata-ri’i142

,

- ‘o Mere143

,

- ‘o te Uru-meremere144

.

- A he'e te tua, o Ta’urua-nui-i-te-amo-

‘aha145

.

‘A fā te fenua, e fenua pāro’o i te pa’urā.

E mou’a ho’i tō na, ‘o ‘Āfa’a-teniteni146

.

E 'outu ho’i tō na, ‘o Rave-a-tau147

.

E marae ho’i tō na, ‘o Tui-hana148

,

E paepae ho’i tō te marae Tui-hana,

‘e e fare tatai i te ‘aha-tui-hana.

Ta'uruanui-i-tu’i-i-te-pōrou-o-te-ra’i mit à l'eau sa

pirogue Marae-’oroua,

Il vogua réduire le feu à l’extrémité arrière de la

grande tourmente.

Une transgression commise par Te-taha, qui obligea

Ta’urua à frôler Ta’ero, proche du soleil et planant

près de la fournaise ardente d’Atea.

Ta’urua-nui-i-tu’i-i-te-pōrou-o-te-ra’i prit pour

épouse Te-’ura-taui-e-pā,

Ainsi naquirent ses ari’i :

- la constellation de Mata-ri’i (Pléiades),

- de Mere (Ceinture d’Orion),

- de Te-uru-meremere (Orion),

- vint ensuite Ta’urua-nui-i-te-amo-’aha (Sirius).

La terre parut, une terre d’apparence désolée.

Et pourtant, elle a une montagne, ‘Āfa’a-teniteni,

Et pourtant, elle a un cap, Rave-a-tau,

Et pourtant, elle a un marae, Tui-hana,

Et pourtant, le marae Tui-hana possède un pavage

Et une maison destinée à réciter avec la cordelette-à-

obituaires.

139Marae-’oroua : « Marae enchanté »(Henry)

140Te-taha : « le-couchant »

141Te-’ura-taui-e-pā : « La-rougeur-devenue-stérile »(Henry)

142Mata-ri’i : « petits-yeux »

143Mere : « affectueux »(Davies)

144Uru-meremere : « en-transe-affectueuse »

145Ta’urua-nui-i-te-amo-‘aha : « Grand-Ta’urua-qui-porte-la-corde-de-rituel »(Henry)

146‘Āfa’a-teniteni : « vallon-glorieux »(Henry)

147Rave-a-tau : « longue-période »(Henry)

148Tui-hana : « enfiler-les-obituaires »(Henry)

Page 121: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

108

‘A rara'o o Ta’uruanui-i-te-amo-‘aha i te

va’a, o Te-iri-o-hotu,

‘A fano nā te hiti’a-o-te-rā,

‘A noho i te vahine iā Horo149

,

‘A fānau a’e ra tā na ari'i :

- ‘o Mahu-ni’a150

,

- ‘e ‘o Mahu-raro151

.

‘O te ta’urua teie i fa’aari’i tahi pae iā Rupe-

a-nu’u152

, ‘e iā Rupe-a-ra’i153

tahi pae.

E ari’i ana’e to Fa’ahiti154

mai te pō mai,

Te ari’i ‘e tō na fetū.

I topahia i ni’a iā rātou te i’oa o taua mau fetū

ra,

‘E mau atu ra tāua mau i’oa ra i ni’a i te

marae o te ao nei

E moti taua mau fetū ra iā Tahiti-nui-

māre’are’a155

i te hiti’a o te rā :

- te marae ra o Nu’uroa156

i Mo’orea,

- te marae ra o Tahuea157

i Ra’iatea,

- nā marae ra o Avarau158

‘e o Vai-’otaha159

i

Porapora,

- ‘e te marae ra i te ‘outu ra o Manunu-i-te-

Ta’uruanui-i-te-amo-‘aha mit à l'eau la pirogue, Te-

iri-o-hotu,

Il vogua dans l’Est,

Il prit pour épouse Horo,

Ainsi naquirent ses ari’i :

- Mahu-ni’a (Grand Nuage de Magellan),

- et Mahu-raro (Petit Nuage de Magellan).

C’est cet astre-repère qui fit ari’i, d’un côté, Rupe-a-

nu’u, et Rupe-a-ra’i, de l’autre.

Que de ari’i à Fa’ahiti, depuis la nuit des temps,

Chaque ari’i avec son astre.

Tous ont été baptisés du nom de ces astres,

Ces noms se perpétuèrent ainsi sur les marae de ce

monde.

Ces étoiles prennent naissance à Tahiti-nui-à-la-

brume-dorée, à l’Est :

- le marae Nu’urua à Mo’orea,

- le marae Tahuea à Ra’iatea,

- les marae Avarau et Vai-‘otaha à Porapora,

- et le marae qui se situe sur une pointe, Manunu-i-

te-ra’i à Huahine.

149Horo : « se déplacer »

150Mahu-i-ni’a : « brume-de-l’Est »

151Mahu’i-raro : « brume-de-l’Ouest »

152Rupe-a-nu’u : « foule-prospère »(Henry)

153Rupe-a-ra’i : « ciel-prospère »(Henry)

154Fa’a-hiti : « limites »(Henry)

155Tahiti-nui-māre’are’a « Tahiti-à-la-brume-dorée » est le nom emblématique donné par les Tahitiens à l’île de

Tahiti. (1968, p. 76)

156Nu’u-roa : « grande-terre »

157Tahu-ea : « invoquer-pour-être-délivré »(Davies)

158Ava-rau : « nombreuses-passes »

159Vai-‘otaha : « esprit-de-la-frégate »

Page 122: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

109

ra’i i Huahine.

I faupepe160

te ari’i-maro-tea i te iho161

o te

pā162

i te marae o Vai-’otaha i Porapora,

‘e i faupepe te ari’i-maro’ura i te iho o te pā i

te marae o Taputapuatea i Opo’a i Ra’iatea.

Fa’a-ari’i i te iho o te pā.

O te pori o Fa’anui i Porapora, o te ‘a’e ia o

te pori o Opo’a i Ra’iatea

L’ari’i-maro-tea a reçu les attributs du pouvoir dans

la cour d’investiture du marae Vai-’otaha à Porapora,

et l’ari’i-maro’ura a reçu les attributs du pouvoir

dans la cour d’investiture du marae Taputapuatea

d’Opo’a à Ra’iatea.

Recevoir les attributs du pouvoir c’est être ari’i.

La grandeur de Fa’anui à Porapora, surhausse la

grandeur d’Opo’a à Ra’iatea.

Après avoir décliné toute la généalogie, Henry la complète par une liste d’étoiles dont

tous les noms commencent par le préfixe Ta’urua, suivie d’un qualificatif qui l’identifie. La

liste de ces étoiles est donnée ci-dessous avec la traduction d’Henry. Elle n’a pas trouvé utile

de donner la version originale en tahitien. Nous avons également ajouté le nom de l’étoile

quand elle a déjà été citée dans le chant de la naissance des corps célestes (Henry, 1928 : 363

– 364) :

o Venus : Ta’urua-nui-e-horo-i-te-ahiahi « Grand-Ta’urua-qui-se-déplace-le-soir » /

Ta’urua-nui-e-hiti-i-matavai « Grand-Ta’urua-qui-se-lève-à-Matavai » (ce nom semble

être une appellation locale, liée à l’ancien district de Matavai où Cook fit les observations

de la planète en 1769) / Ta’urua-nui-i-te-pati-fēti’a « Grand-Ta’urua-qui-conduit-les-

étoiles ».

o Fomalhaut : Ta’urua-i-te-i’a-o-te-no’o « Ta’urua-du-poisson-au-gouvernail » / Ta’urua-

nui-e-fa’atere-va’a- ia-atutahi « Grand-Ta’urua-qui-conduit-la-pirogue-d’Atutahi ».

o Ceinture d’Orion ou baudrier d’Orion ou Trois mages : Ta’urua-o-Mere-ma-Tūtahi

« Ta’urua-de-Mere-et-Tūtahi »163. Davies avance les noms, Mere et Hui-tārava, pour ces

trois étoiles.

o Alphard : Ta’urua-feufeu– Henry le traduit par « Festivité-rejetant » - Feufeu qui selon

Davies, signifie « renifler, gronder, grogner », ne semble pas convenir. En revanche,

160Fau-pepe : « mettre un habit de chef » ; fau « chef » (Davies), pepe « mettre un habit » (Davies)

161Iho-ari’i : « les titres et la fonction d’un ari’i »

162Pā : « une enceinte fermée sacrée pour le chef » (Davies)

163 Nous n’avons pas retenu la traduction d’Henry « Festivité-des-désirs-des-parents »

Page 123: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

110

l’étoile s’appelle également ‘Anā-heuheupō, il est donc probable que heuheu est un

synonyme de feufeu. Dans ce cas il signifie bien « rejeter » (Davies).

o Canopus : Ta’urua-e-tupu-tai-nanu « Ta’urua-qui-provoque-la-marée-montante » /

Ta’urua-nui-o-te-hiti-’apato’a « Grand-Ta’urua-à-la-frontière-du-Sud ».

o Bételgeuse : Ta’urua-nui-o-Mer e« Grand-Ta’urua-de-Mere » - Cette étoile porte

également le nom de ‘Anā-varu.

o Déneb : Ta’urua-i-te-ha’apāra’a-manu « Ta’urua-d’envol-d’oiseau ».

o Jupiter : Ta’urua-nui-i-tu’i-i-te-porou-o-te-ra’i « Grand-Ta’urua-qui-frappe-le-zénith » /

Ta’urua-o-ra’i-taetae’a-o-Havai’i-i-te-tua « Ta’urua-dans-le-ciel-avec-Havai’i-derrière » /

Ta’urua-e-hiti-i-ara-o-te-anuanua « Ta’urua-qui-s’élève-sur-le-chemin-de-l’arc-en-ciel ».

o Sirius : Ta’urua-nui-i-te-amo-’aha « Grand-Ta’urua-qui-porte-la-corde » / Ta’urua-fau-

papa « Ta’urua-du-roc-du-chef » / Ta’urua-e-hiti-i-tara-i-te-fei’ai « Ta’urua-qui-s’élève-

avec-des-prières ».

Que signifie donc Ta’urua ? Pourquoi des étoiles et des planètes sont-elles appelées

ainsi ?

Henry l’a traduit par « festivité », Davies également. Au regard de cette traduction,

nous aurions pu penser que cette classe d’étoiles serait des repères entrant dans le calcul du

calendrier, marqué par des festivités qui ont lieu à des moments précis de l’année. Ce n’est

pas le cas, semble-t-il.

Dans la plupart des langues polynésiennes orientales selon le Pollex, Ta’urua est le

nom d’une étoile, Altaïr (chez les Maoris), Sirius (à Tahiti et aux Marquises), ou d’une

planète, Jupiter/Vénus (à Tahiti et aux Tuamotu), ou d’une lunaison (à Hawai’i, aux

Marquises et chez les Maoris). Seul le tongien, en Polynésie occidentale, possède un cognat

de même origine, takulua, un nom d’étoile non identifiée.

Nous pouvons donc reconstituer un étymon PPN *takulua « nom d’étoile, nom de

lunaison ». Il est composé de deux racines, *taku et *lua. En PPN, comme dans de

nombreuses langues polynésiennes, taku signifie « mentionner, réciter », tandis que lua

indique, « deux, trou ». Mais il existe une autre définition.

En pa’umotu, rua hetika164

désigne « l’abîme d’une étoile (ou des étoiles), l’endroit au-

dessous de l’horizon à partir duquel les étoiles sont censés se lever ; une ligne d’étoiles se

164Hetika en pa’umotu correspond à feti’a en tahitien,« étoile »

Page 124: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

111

levant successivement au-dessus de l’horizon au même point du compas, provenant du même

rua »165

.

Il en est de même en maori où un rua est « un abîme dans lequel les corps célestes se

couchent, et à partir duquel ils se lèvent »166

. A partir de cette définition, si un rua désigne un

point du compas, nous pouvons convenir que la ligne d’étoiles qui se lève à partir de ce point

peut être assimilé à un « chemin d’étoiles ».

Davies ne le mentionne pas avec cette sémantique dans son dictionnaire tahitien. En

revanche, Teuira Henry parle à plusieurs reprises, d’un abîme dans l’Est (rua i te hiti’a-o-te-

rā) ou d’un abîme dans l’Ouest (rua i te tō’o’a-o-te-rā), vers lesquels le dieu Tāne se dirige

avec sa pirogue lors de son voyage vers Vavau (Henry, 1968 : 474 – 475).

De ce constat, ta’urua, est composé de ta’u « mentionner, compter, énumérer » et de

rua « chemin d’étoiles », et signifierait « mentionner ou indiquer un chemin d’étoiles ». Nous

préférons, « repère-de-rua ». Chaque étoile ou planète, citée par Teuira Henry et appelée

Ta’urua, serait donc un astre, situé près de l’horizon, qui permet de déterminer un rua

« abysse », et, de surcroît, l’alignement d’étoiles (rua) qui y émerge, à l’Est ou qui s’y

enfonce, à l’Ouest.

d. L’érection du dôme du ciel

Si Rūmia est séparé de Papa, rien n’est encore joué. L’espace est encore trop réduit

pour pouvoir laisser filtrer la lumière. La pieuvre Tumu-ra’i-fenua enserre solidement le ciel

et la terre. Tū tente, sans succès, de tuer la pieuvre. N’y arrivant pas, Rua-tupu-a-nui le

remplace et tente à son tour de se débarrasser d’elle. Il réussit enfin, la pieuvre est tuée, mais

ses tentacules restent en place. Il faut les découper en morceaux pour libérer le ciel et la terre.

Mais, l’exercice est dangereux, car elles enserrent Atea. Les taillader, c’est prendre le risque

de blesser la divinité. Elle se mettra en colère.

165Rua hetika : « The abyss of a star, or stars ; the place below the horizon from which the stars are said to rise ;

a line of stars rising successively above the horizon at the same point of the compass, coming from the same

rua. » (STIMSON, Tuamotuan dictionary)

166Rua : « an abyss into which the heavenly bodies set, and from which they rise. » (WILLIAMS, Maori

dictionary).

Page 125: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

112

Mais pour qu’il y ait de la lumière dans le monde, il faut tout de même le faire. Pour

ne pas le mettre en colère, on décide de séparer par la force, Papa et Atea, en soulevant ce

dernier. Tū et Ta’aroa donnèrent des instructions pour que cela soit fait. Tumu-nui et Ta’ere

ne trouvèrent cependant aucun artisan capable d’affronter Atea. Alors Ta’aroa et Papa-

raharaha mirent au monde d’autres divinités. Plusieurs générations plus tard, Maui-pū-fenua

naquit. Il est le sixième fils d’Uahea et de Hihi-rā.

L’obscurité étant totale, une autre divinité, Rū, prend courageusement la décision

d’accomplir le travail. (Henry, 1968 : p. 423) :

Tauto’o a’era o Rū i te ra’i iā Rūmia, nō tō na

ari’i o ‘Ānaiva o te ra’i. ’A tōto’o rā i te ra’i i

ni’a roa i Mou’a-raha i Porapora, ‘e i Mou’a-

‘āvarivari i Havai’i. Tauturu a’e ai i te pia, te

teve, te ‘auari’iroa pārahurahu ‘e i te farero

roroa o te pa’u tai.

I ‘āfa’i noa a’e ra o Rū i te ra’i i ni’a, ‘e ‘aore

i mara’a i tā na to’ora’a ra, pu’u iho ra te tua,

fera iho ra te mata, tōtoro iho ra te ‘a’au

mi’imi’i nō roto iā Rū, i rapae. Topa atu ra i

te pae o te ra’i i Porapora, riro atu ra ‘ei ata

o te ta’ohia e, o te Rua-nu’u-a-Rū i teie nei

tau.

Enfin, Rū éleva le ciel, Rūmia, pour son roi ‘Anā-

iva167du ciel. Il leva le ciel jusqu’à ce qu’il

atteignît le sommet de Mou’a-raha à Borabora, et

le sommet de Mou’a-‘āvarivari à Havai’i. Il fut

aidé par le pia168

, le teve169

, le ‘auari’iroa170

et le

grand corail arborescent des hauts fonds.

Rū ne fit que porter le ciel, il ne réussit pas dans sa

tentative, car il devint bossu, ses paupières se

retournèrent, les intestins jaillirent du corps de Rū

et vinrent se fixer sur l’horizon à Borabora, là ils

se transformèrent en nuages, connus jusqu’à ce

jour sous le nom de Rua-nu’u-a-Rū.

Ce fut pour Rū un cuisant échec et il devint bossu. Tinorua décida, à son tour, de

relever le défi. Ce fut à nouveau un échec.

167 Dans ce texte-ci, l’étoile ‘Anā-iva est Bételgeuse, comme dans le texte du Pa’iatua et vaere’a marae,alors

que dans la Naissance des Corps Célestes (dans la version de 1928), cette étoile est Phaet dans la colombe.

168 Pia : plante, Tacca pinnatifida.

169 Teve : plante, Amorphophallus campanulatus.

170 Auari’iroa : plante, Terminalia catappa.

Page 126: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

113

Māui, qui contemplait la scène, décide d’en finir avec la pieuvre, en allant, à son tour,

trancher les tentacules, quitte à affronter Atea. Il accomplit cette mission pour le compte de

son ari’i, l’étoile Rehua (Pollux) (Henry, 1968 : 424) :

Tāpū atu na i te ave fe’e, ha’amamae roa atu

na iā Atea, fa’ata’a iā Rūmia i te tua,

fa’ata’a iā Rūmia i te aro, fa’ata’a i te pou

mua, te pou roto, te pou muri, te pou rū, te

pou hāhaere ‘e ‘ia ta’a roa !

I tōto’o a’e ra Māui i te ra’i nō tō na ari’i o

Rehua i te ra’i, e, mana’a atu ra iā Māui, e,

huru teitei roa atu ra. O te mana’a noa ana’e

ra, ‘aore i oti te to’ora’a o te ra’i ia Rū ‘e ia

Tinorua, ‘aore ato’a ia Māui. Vaiiho noa atu

ra i te ra’i i vai iho pu’e haere noa. ‘Ua

tahuri haere noa te mou’a ‘e te uru rā’au

Trancher les tentacules de la pieuvre fait

franchement souffrir Atea, sépare Rūmia par

l’arrière, sépare Rūmia par l’avant, sépare le pilier

avant, le pilier central, le pilier arrière, le pilier de

l’impatience, le pilier pour s’en aller, de sorte qu’il

soit complétement séparé !

C’est ainsi que Māui lutta avec le ciel pour son

ari’i, Rehua-i-te-ra ’i (Pollux-du-ciel) et il réussit à

le soulever à une bonne hauteur. Mais il était

seulement soulevé et l’érection du ciel n’était pas

accomplie, ni par Rū ou Tinorua, ni par Māui. Ils

laissèrent le ciel en tas, bouleversé par des

montagnes et de vastes forêts.

Alors Māui décida d’aller à la recherche d’autres travailleurs pour creuser le ciel et

faire en sorte que l’obscurité soit chassée et que le ciel soit solidement placé en hauteur de

sorte que les dieux puissent y voler. Il arrive ainsi auprès de Tāne, après avoir traversé les dix

cieux et lui demande de l’aide (Henry, 1968 : 424) :

Te ‘apu o te ra’i tē pe’e mai nei i ni’a, te tau

tinana noa ra i ni’a i te mou’a o te fenua ‘e tē

vai poiri noa ra o roto. Tīpapa mai nei au i te

tahu’a ia ‘oe nei, e, ti’i a’e e ‘ō, e, fa’ata’a

roa atu i te ra’i piri i te fenua.

Le dôme du ciel monte, mais il s’accroche encore

de tout son corps, au sommet des montagnes de la

terre, à l’intérieur tout est encore obscurité. Je suis

venu à toi pour chercher des artisans qui

creuseront et sépareront tout à fait de la terre, le

ciel confiné.

Après l’avoir écouté, Tāne acquiesça. Il décida de faire lui-même le travail et

d’affronter, en fin de compte, Atea. A cette occasion, il libéra Pipiri-mā, les étoiles Castor et

Pollux, qu’Henry situe dans les Gémeaux (Henry, 1928 : 410)171

:

171 Les deux paragraphes suivants, de la version française, comportent de nombreuses erreurs. Il nous a fallu

donc, utiliser le texte en tahitien de la version anglaise de 1928, Ancient Tahiti.

Page 127: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

114

Fa’ati’a atu ra o Tāne, ‘o ‘o ia iho te haere e

fa’ata’a i tā na pūpū ha’a.

Reva atu ra Māui.

Pūpū ha’ari te pūpū i tō ‘ē ai te mataone o

Atea iā Ta’urua-po’ipo’i. Pūpū ha’ari te pūpū

i tō ‘ē ai te mataone o Atea iā Ta’urua-ahiahi.

E pūpū tohe roa te pūpū i tō ‘ē ai te mataone o

Atea iā Pipiri-mā. E pūpū fa’ahiti te pūpū i tō

‘ē ai te mataone o Atea iā Ta’ero.

Tāne accepta d’y aller, il choisit lui-même ses

coquillages pour le travail.

Māui s’en alla.

Ce fut la noix de coco qui fit surgir hors du sable

d’Atea, l’étoile du matin. Ce fut la turitelle172

qui

fit surgir hors du sable d’Atea, l’étoile du soir. Ce

fut le coquillage à l’arrière allongé qui fit surgir

hors du sable d’Atea, Pipiri-mā (Castor et Pollux).

Ce fut le coquillage dentelé qui fit surgir du sable

d’Atea, Mercure.

Tāne utilisa ensuite des grands troncs comme leviers afin de créer un entrebâillement

entre la terre et le ciel, et, à l’aide de ses coquillages, trancha les tentacules qui enserrent Atea.

En faisant ce travail, il blessa Atea qui se mit en colère. Il poursuivit sans y prêter attention

jusqu’à ce qu’il réussisse à trancher les tentacules. Dès qu’elles se détachèrent, la lumière

envahit brusquement le monde, mettant fin ainsi à des millions d’années d’obscurité. Les

dieux furent aussi libérés. Le corps de la pieuvre quant à lui tomba au Sud et il devint l’île de

Tupua’i (Tubuai)173

.

e. La répartition du dôme en dix « ciels »

Cet épisode est conté dans le texte, « Après l’Erection du Ciel » (1968 : 427 – 430).Ce

passage du mythe revêt un caractère particulier, dans la mesure où nous commençons à

appréhender la façon dont les Tahitiens ont conceptualisé le ciel. Selon eux, s’il existe un

dôme du ciel ‘Apu-o-te-ra’i, ce dôme renferme dix « ciels » empilés les uns sur les autres. Les

noms de chacun des « ciels » sont donnés, ainsi que ce qu’ils referment comme objets

célestes.

172Turitelle : (Turritella) un coquillage de forme conique très pointue.

173 Le récit ayant été recuelli aux Iles-sous-le-vent, il s’agirait plutôt de l’île de Tupai située au Nord de

Borabora.

Page 128: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

115

Ta’aroa ordonne à Māui de quérir Ra’i-tupua, qui habite le dixième ciel, pour que

celui-ci mette de l’ordre dans les autres « ciels », au-dessous (Henry, 1968 : 428) :

Te mata ra o Ra’i-tupua, ‘a nana ti’a i ni’a, ‘a

rere ai ‘o ia Ra’itupua, e, ma’iri mai ra o Ra’i

hāmama tua-tini a Tāne. ‘Ua ma’iri mai ra o

Ra’i tua-iva, o Ra’i tua-varu, o Ra’i tua-hitu,

o Ra’i tua-ono, o Ra’i tua-rima, o Ra’i tua hā,

o Ra’i tua toru, o Ra’i tua-rua. ‘A tū rā o

Ra’i-tupua i ni’a ia Ra’i tua-tahi, ‘a nana i te

pu’e ra’i heuia, nā ’ō atu ra : « ‘Aere heuia !

‘Aere ē ! » I nā rāpae roa te ra’i ‘e te mau

mea ato’a i roto. ‘A pau te fānau o Marama i

roto, ‘a pau te fānau o Rā i roto, ‘a pau te

fānau te feti’a i roto.

Les yeux de Ra’i-tupua regardait droit vers le haut,

pendant qu’il s’envolait et laissait derrière lui, le

Dixième ciel ouvert de Tāne. Il laissa derrière lui,

le Neuvième ciel, le Huitième ciel, le Septième

ciel, le Sixième ciel, le Cinquième ciel, le

Quatrième ciel, le Troisième ciel et le Deuxième

ciel. Enfin, Ra’i-tupua se tint sur le Premier ciel et

contemplait tous les cieux en désordre, il dit : « Ô

vaste désordre ! Ô Espace ! ». Les cieux et tout ce

qu’ils contenaient s’étendaient au loin. La lune fut

créée à l’intérieur, le soleil fut créé à l’intérieur,

les étoiles furent créées à l’intérieur.

Les dix « ciels » sont maintenant connus, mais nous ne savons pas ce que chacun

renferme. Ra’i-tupua s’était renseigné auprès des messagers de Māui, de l’état du ciel

inférieur (le premier ciel). Ils lui donnèrent une description qui nous donne des indications sur

ce qu’il renferme (Henry, 1968 : 428) :

–‘Ua fānau a’e ra o raro ra’i ?

– ‘Ua fānau.

– E aha ana’e ia ?

– E ata, e tuaivi mou’a, e mārari, e hue noa, e

‘āere rā’au tō te fenua. Tē vai heui noa mai ra

te ra’i i ni’a atu, te ‘āva’e, te rā ‘e te feti’a.

‘Ua pura ‘ē ana’e, nā ‘oe rā e fa’anaho ‘ia

nahonaho ?

– Le ciel inférieur est-il délivré de son fardeau ?

– Il l’Est.

– Et qu’en est-il résulté ?

– Il y a sur la terre, des nuages, des chaînes de

montagnes, des endroits clairs, du fouillis,

d’épaisses forêts. Les cieux au-dessus, la lune, le

soleil et les étoiles sont en pleine confusion. Ils

sont tous éparpillés, les remettras-tu en ordre ?

De ce constat, nous pouvons en conclure que le premier ciel renferme la terre (et sans

doute, la mer aussi), mais également, les montagnes qui s’élèvent au-dessus ainsi que les

nuages. Plus haut, à partir du deuxième ciel, sont logés les astres. Ces derniers étant dans un

état chaotique, Ra’i-tupua, décide d’y mettre de l’ordre.

Page 129: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

116

Dans le texte Le désordre chassé (1968 : 430 – 432), des explications sont données sur

la façon dont il procède. Après que Tāne ait mesuré l’espace qui s’étend entre chaque ciel, il y

fixe les astres avec l’aide de son artisan, Matohi, en veillant à les répartir en commençant par

le ciel du bas (Henry, 1968 : 432) :

Nā Tāne i faito maite i te ārea o te ra’i e tā na

tape-ra’i. Fa’anaho atu ra o Ra’i-tupua i te

marama, i te rā ‘e te feti’a, i te moana ‘ere’ere o

te ra’i mai raro atu nei, ma te fa’apāpū atu i tō

rātou mau vaira’a, o Matohi i ni’a roa

C’est Tāne qui mesura les espaces entre chaque

ciel avec sa mesure de ciel. Ra’i-tupua fixa par

en-dessous la lune, le soleil, et les étoiles dans les

profondeurs bleues du ciel, en les garantissant à

leur place, Matohi les fixait en-dessus.

Le positionnement des astres dans chaque ciel suit donc un ordre bien défini. La lune

est placée en-dessous (le deuxième ciel), lui succède au-dessus, le soleil (troisième ciel), puis,

les étoiles (dans les autres cieux).

Fa’anaho atu ra Ta’aroa i te mata ‘atau nō Atea,

o Ta’urua-e-horo-i-te-ahiahi, nā ‘ō atu ra

Ta’aroa : « ‘Ei ao fefe mua fenua, ‘ei tō, ‘ei

hauhau, ‘ei hau fenua noho, tō mata ‘atau, o

Ta’urua, e Atea ē. »

Fa’anaho atu ra Ta’aroa i te mata māui o Atea, o

Ta’ero, nā ‘ō atu ra : « ‘A hotu te riri, ‘a hotu te

tama’i i te ao nei, tō mata māuia, o Ta’ero, e

Atea ē. »

Ta’aroa installa pour œil droit d’Atea, l’Etoile du

soir et dit alors : « qu’il y ait une lumière

penchée vers la terre, qui rayonnera, qui portera

la paix, que le monde habité ait la paix. Ô Atea,

ton œil droit sera Ta’urua. »

Ta’aroa plaça pour œil gauche d’Atea, Mercure

et dit alors : « Que la colère soit attisée, que la

guerre fasse rage sur la terre : Ô Atea, ton œil

gauche sera Ta’ero. »

Vénus et Mercure étant respectivement l’œil droit et l’œil gauche d’Atea, ces planètes

partagent, de ce fait, avec le soleil, le même ciel (1968 : 432. Jupiter n’est pas mentionné dans

le récit. Cependant, Jupiter partage, avec Vénus, les mêmes noms, Ta’uru-horo-ahiahi et

Ta’urua-horo-po’ipo’i. Cette confusion des noms pourrait être une indication sur le fait que

les deux planètes partagent le même habitat : le troisième ciel. La seule planète qui ne peut

être positionnée est Saturne. Mais on suppose qu’elle partage le même ciel que les autres

planètes.

Quant à la répartition des étoiles, nous savons que les plus minuscules, celles qui

composent la Voie Lactée (Vai-ora), se trouvent dans le dixième ciel. Les autres sont réparties

Page 130: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

117

entre le quatrième et le neuvième ciel. Leur position n’a pas été donnée avec certitude,

néanmoins, nous pouvons en avoir une approche, par le texte de la Répartition de Propriété

(1968 : 432 – 434) :

Tei roto i te ‘apu nui o te ra’i, tei te moana

‘ere’ere, ‘o ia te aeha’i, ‘o ia o te ra’i

hāmama a Tāne, ‘o ia te ra’i tua-ta’a, te hui

tārava ‘e te fetū ta’a noa i te

fa’anahora’ahia mai te purotu e Tāne, atua o

te mau mea purotu. O te feti’a ‘amo’amo, te

feti’a nui o te ra’i, te ‘āva’e, te rā, o te ua, o

te mata’i, o te taputea, te tāpi’i, te anuanua,

o te ‘uti’uti, te tohu’ura, te mau pāti’i ato’a,

nā Ra’i-tupua ma Tāne i fa’anaho. Nā Tāne

ana’e ia i fa’apurotu, o tō Tāne ana’e ia

feti’i.

C’est dans le grand dôme du ciel, dans les abîmes

bleu sombre, c’est-à-dire l’espace infini, le ciel

ouvert de Tāne, le ciel décollé, que furent

disposées par Tāne, dieu de la beauté, les

constellations et les étoiles isolées. Les étoiles

scintillantes, les grandes étoiles du ciel, la lune,

le soleil, la pluie, le vent, l’arc-en-ciel lunaire, le

halo lunaire, l’arc-en-ciel, le ciel argenté, le

nuage rouge menaçant, tous les halos lunaires,

furent disposés en ordre par Ra’i-tupua et Tāne.

C’est Tāne seul qui les rendit magnifique ; tous

étaient de sa famille.

Nous remarquons que les étoiles scintillantes sont les plus hautes placées. Les grandes

étoiles sont situées au-dessous. La lune et le soleil sont plus bas, avec tous les phénomènes

nuageux et météorologiques.

La répartition suit de ce fait une logique. La lune est effectivement plus proche de

nous par rapport au soleil. Celui-ci et les planètes sont, à leur tour, plus proches de nous que

les étoiles. Les plus petites étoiles sont les plus éloignées.

4. La représentation du monde

La vision tahitienne du monde ne s’éloignait guère de celle des peuples du pourtour de

la Méditerranée jusqu’à la fin du Moyen-Âge. C’est ce que rapporte William Bligh dans son

journal lors de son premier voyage (Bligh, 1792 : 62) :

« Leurs idées sur la géographie sont très simples : ils croient que le monde est un disque

plat et fixe très étendu, et que le soleil, la lune et les étoiles tournent autour de lui. Ils

m’ont souvent demandé si je suis allé aussi loin que le soleil et la lune, car ils pensent que

Page 131: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

118

nous sommes de grands voyageurs et qu’aucune entreprise ne peut être au-delà de nos

capacités. »174

Ces informations sont pertinentes, car deux éléments confirment les récits

cosmogoniques transmis par Henry. Le premier est le fait que le monde est un disque plat,

comme le cercle du dôme du ciel, posé sur l’océan. Le second est relatif au mouvement des

astres qui, pour les Tahitiens, tourneraient autour de la terre. Quand bien même elle serait

plate.

Les témoignages de William Ellis, recueillis entre 1817 et 1822 viennent à l’appui de

ceux de Bligh réalisés en 1788. Il va même plus loin que lui, car il décrit la façon dont le ciel

recouvre la mer qui entoure leurs îles ; pour les Tahitiens, leurs îles et la mer qui les entoure

sont à l’abri d’une arche ou d’un cône creux ou, comme dans les mythes, à l’abri d’un dôme

‘Apu o te ra‘i, un bol géant renversé posé sur la surface de la Terre. Les autres pays, comme

l’Angleterre et l’Espagne sont à l’abri d’un autre ciel, différent de celui de Tahiti. Les

étrangers, Européens, seraient donc des gens qui habitent un autre ciel (Ellis, 1972 : II - 567) :

« […] les insulaires possédaient ce qu’on peut appeler, un système primitif d’astronomie.

Ils avaient plus d’une méthode pour évaluer le temps. Et leur grande habitude à se servir

des nombres est étonnante, lorsque nous savons que leurs calculs étaient de pures

opérations mentales effectuées sans l’aide de livres ou de chiffres.

Leurs idées, comme on pourrait naturellement s’y attendre, étaient fabuleuses à l’extrême.

Ils imaginaient que la mer qui entourait leur île était une surface plane et qu’à l’horizon

visible ou à quelque distance au-delà, le ciel, ou ra‘i, rejoignait l’océan, renfermant,

comme dans une arche ou un cône creux, les îles qui se trouvaient dans le voisinage

immédiat. Ils connaissaient d’autres îles telles que Nu’uhiva, ou les Marquises, Vaihi, ou

les îles Sandwich, Tongatabu ou les îles des Amis […]. »

Ellis confirme également les propos d’Henry sur l’existence « d’une série de couches

célestes ou tua, au nombre de dix, chaque couche étant la demeure d’esprits ou de dieux dont

l’élévation était réglée d’après leur rang et leur pouvoir : le dixième, ou dernier ciel, qui était

174« Their ideas of geography are very simple : they believe the world to be fixed plane of great extend ; and that

the sun, moon, and stars are all in motion round it. I have been frequently asked by them if I have not been as far

as the sun and moon ; for they think weare such great travellers that scarce any undertaking is beyond our

ability. »

Page 132: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

119

l’obscurité parfaite, étant appelée te ra’i hāmama de Tāne, et étant la demeure réservée de la

première classe » (Ellis, 1972 : II – 568).

Chaque ciel recouvre la terre, ainsi que la mer qui l’entoure, descend jusqu’à toucher

la surface de l’eau et recouvre le tout, comme sous un bol géant. En vertical, les dix « ciels »

se succèdent de bas en haut. En horizontal, ils se succèdent du plus proche au plus éloigné. La

rencontre du dôme avec l’eau constitue la « bordure » hiti, elle est matérialisée par un cercle

imaginaire à l’horizon. Chaque rencontre d’un ciel avec la mer, est un hiti, un horizon

distinct, précise Henry : i hiti tautau mai, e tae roa i hiti tautau atu, o tau ‘aha nei, e Tāne e –

« Vers l’horizon proche, jusqu’à l’horizon lointain, c’est ta propre corde O Tāne ».Il existerait

donc plusieurs cercles concentriques qui se succèdent, l’un après l’autre, qui sont autant

d’horizons qu’il y a de « ciels », c’est-à-dire, dix.

Les pays inconnus lointains, à la bordure du ciel, portent souvent le nom de Hiti, dans

les mythes reproduits par Henry. Hiti-ni’a ou Hiti-roa, pour les habitants des îles Sous-le-vent,

c’est la frontière où se trouve Tahiti. Hiti-raro, pour les habitants de Tahiti, c’est celle où se

trouvent les îles Sous-le-vent (1968 : 75). Nous trouvons ensuite les autres bordures de ciel :

Hiti-marama « Frontière de la lune » (1968 : 522), Hiti-poto « Frontière courte » (1968 : 75),

Hiti-tautau-mai « Frontière qui se rapproche » (1968 : 75), Hiti-Tautau-atu « Frontière qui

s’éloigne » (1968 : 75), Hiti-au-rereva « Bord de nuages qui passent »175

(1968 : 76). Toutes

ces frontières sont matérialisées par des îles situées aux Tuamotu de l’Est, aux îles Gambier

ou à Pitcairn.

Ces îles appelées Hiti figurent également sur la carte de Tupaia reproduite par JR

Forster : O-Hitte-ròa (Hiti-roa), O-Hitte-pòtto (Hiti-poto), O-Hitte-toutoua-atù (Hiti-tautau-

atu), O-Hitte-toutou-rèra (Hiti-tautau-reva), O-Hitte-Tamaro-eïree ( ?), O-Hitte-toutou-nèe

(Hiti-tautau-nui ? ), O-Hitte-taitèrre ( Hiti tai-tiri ?) (Forster, 1996 [1778] : 311-316).

En résumé de ce qui précède, voici, ci-dessous comment étaient répartis ces « ciels » :

Ra‘i tua-tahi « premier ciel » renferme toute la création, c’est l’espace qui est

accessible à l’homme, la terre, la mer, les rivières, les vallées, les montagnes, ainsi que

175Hiti-au-rereva, de hiti : « frontière », au : « fumée, vapeur », rereva : duel de reva « partir ». Hiti-au-rereva

pourrait se traduire par « frontière brumeuse ».

Page 133: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

120

tous les animaux y compris les oiseaux. Sa bordure est l’horizon, Paera’i « Du-côté-

du-ciel ».

Ra‘i tua-rua « deuxième ciel » est l’espace où circule Marama, la lune, habitée par

Hina qui y travaille. Jacques-Antoine Moerenhout176

souligne que : « Les Tahitiens

pensaient qu’elle était habitée comme notre globe, et riche en productions analogues à

la Terre, sans parler même de l’idée qu’ils paraissaient avoir de la distance de ce

satellite à la Terre ». Ils lui ont raconté que : « La semence de l’arbre ‘ōrā ou ‘āoa

« banyan » leur avait été apportée de la lune par un pigeon blanc. Il lui avait fallu deux

lunes afin d’y aller, et deux pour en revenir, et il n’avait plus de plumes, lorsqu’il

retomba sur la terre. » (1837 : tome II, p. 205). Sa frontière à l’horizon est Hiti-

marama « Frontière de la lune ».

Ra‘i tua-toru « troisième ciel » est le domaine de Rā, le soleil ainsi que les planètes,

Venus, Mercure, Jupiter, Mars, Saturne. Même si les récits ne parlent pas des deux

dernières planètes, nous pouvons postuler qu’elles « vivent » toutes dans le même ciel.

Sa frontière à l’horizon pourrait être Hiti-poto « Frontière-courte ».

Ra‘i tua-hā « quatrième ciel » est le domaine des grandes étoiles, les plus lumineuses,

comme les étoiles Ta’urua, les astres-repères des rua « chemins-d’étoiles », ou les

étoiles ‘Anā, les astres repères des pou « piliers ». Ce sont des étoiles de première et

de deuxième grandeur ou de magnitude 1 et 2177. Sa frontière à l’horizon pourrait être

Hiti-tautau-mai « Frontière qui se rapproche ».

Ra‘i tua-rima « cinquième ciel », où se trouvent des étoiles moins brillantes que les

précédentes, mais plus grandes que les suivantes. Sa frontière à l’horizon pourrait être

Hiti-tautau-atu « Frontière qui s’éloigne ».

Ra‘i tua-ono « sixième ciel », où circulent des étoiles plus petites que les précédentes.

Sa frontière à l’horizon pourrait être Hiti-tautau-nui « Grande frontière ».

176 MOERENHOUT, Jacques-Antoine, 1837. Voyages aux îles du grand Océan.

177 En astronomie, la magnitude est la luminosité d'un astre. Elle peut être apparente ou absolue. Plus elle est

petite voire négative, plus l'astre est lumineux. Dans le cas de la magnitude apparente, celle du Soleil est de -

26,7. Celle de la Pleine Lune est de -12,9. Pour les étoiles visibles à l'œil nu, elle est comprise entre -1,5 et 6,5.

La magnitude des étoiles Ta’urua et ‘Āna sont comprises entre -1,5 et 2,00. Ce sont les étoiles les plus brillantes

du ciel, c’est-à-dire de première et de deuxième grandeur.

Page 134: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

121

Ra‘i tua-hitu « septième ciel »abrite des étoiles encore plus petites que les

précédentes. Sa frontière à l’horizon pourrait être Hiti-au-rereva

« Frontière brumeuse».

Ra‘i tua-varu « huitième ciel », où les étoiles sont de plus en plus minuscules. A partir

d’ici, il est plus difficile de donner un nom aux frontières sur l’horizon. Peut-être

s’agit-il de Hiti-roa « Frontière lointaine ».

Ra‘i tua-iva « neuvième ciel » recèle des étoiles insignifiantes. Nous sommes aux

confins des dix « ciels », vers Hiti-tai-tiri « Frontière-où-la-mer-se-jette-vers-le-bas ».

Ra‘i tua-tini « dixième ciel » est le domaine des dieux, où coule Vai-ora « Eau-

vivifiante » (Voie-Lactée). Ce ciel n’a pas de frontières, d’où son nom Ra’i-hāmama

« Ciel-ouvert ».

Autour de chaque île, en cercles concentriques, s’étendent les mers : tai, la mer proche

des côtes, tua, la mer au large, puis, moana la mer profonde. Les eaux se perdent à l’horizon

dans des abîmes appelés rua178

. De ces rua, jaillissent les vents et les astres. La rose des vents

est appelée rua mata’i179, et le compas d’étoiles, rua fetū

180.

Les astres, après s’être levés à l’Est, parcourent le dôme du ciel, s’enfoncent à

l’horizon dans les rua « abîmes, abysses » situés à l’Ouest. Ils empruntent ensuite un passage

situé sous terre pour revenir à l’Est, ressortir par le rua qui s’y trouve et reprendre leurs

ascensions dans le ciel (figure N° 6). Voici comment les Tahitiens ont décrit ce trajet à Ellis

(1972 : 568).

« En ce qui concerne l’origine du soleil qu’ils appelaient rā, et qu’ils nomment

maintenant mahana, certaines de leurs traditions affirment qu’il descendait des dieux et

qu’il était lui-même, un être vivant. D’autres versions veulent qu’il ait été créé par

Ta’aroa. Ce dernier était sensé être une substance semblable au feu. Les gens pensaient

qu’il plongeait tous les soirs dans la mer, passait durant la nuit par un couloir sous-marin

de l’Ouest à l’Est, et surgissait à nouveau de la mer chaque matin. Dans certaines îles,

pour exprimer le coucher du soleil, on dit « la chute du soleil dans la mer ».

178 HENRY, T., 1968, p. 352. – STIMSON, J., 2088.

179 DAVIES.J., 1851.

180 STIMSON, J., 2008 : Rua hetika.

Page 135: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

122

Figure N° 6. Représentation du monde : les dix « ciels »superposés, le premier contient la biosphère, le

second, la lune, le troisième, le soleil et les planètes, le quatrième, les astres ‘anā et ta’urua, du cinquième

jusqu’au huitième, nous trouvons les étoiles, et au dixième, la Voie-lactée. (Dessin personnel)

Les Tahitiens, par cette théorie, ont résolu à leur manière le problème de la disparition du

soleil tous les soirs à l’horizon à l’Ouest, et sa réapparition tous les matins dans la direction

diamétralement opposée. En conséquence, si le soleil emprunte un passage sous-marin pour revenir à

l’Est, il est logique que tous les astres en fassent de même. Ce qui voudrait dire que la courbe de

chaque ciel, une fois l’horizon atteint, se prolonge sous la terre.

Pour un habitant d’une île, ce chemin sera sous la mer, et emprunterait un tunnel qui le

reconduirait à l’Est, la lune, selon son propre couloir et les étoiles, selon les leurs. Le dixième ciel est

un « ciel ouvert », c’est-à-dire, qu’à partir de la bordure du neuvième ciel, elle s’étend à l’infini, dans

le pō, les « ténèbres », qui encercle le monde.

Ra'i tuatoru

Ra'i tuarima

Ra'i tuaono

Ra'i tuahitu

Ra'i tuavaru

Ra'i tuaiva

Ra'i tuatini

Ra'i tuahā

Hiti-m

ara

ma

Hiti-p

oto

Hiti-ta

uta

u-m

ai

Hiti-ta

uta

u-a

tu

Hit-a

u-re

re

va

Hiti-ta

i-tiri

Hiti-ro

a

Hiti-ta

uta

u-n

ui

Ra'i tuatahi

Ra'i tuarua

Pa

era

'i

Ouest Est

Page 136: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

123

Chaque corps céleste représente une divinité ou l’esprit d’un défunt. Rā, le Soleil, est

un personnage vivant qui descendrait des dieux. Mais il n’est pas vénéré, selon Ellis, tout

comme la lune. Chaque nuit, le soleil emprunte un couloir sous terre pour ressurgir, le matin,

de l’autre côté de la terre.

Quant à Marama, « la Lune », c’est un pays merveilleux, situé au-dessus, dans le ciel.

Un pays où poussent des banyans. Elle est tellement proche que nous pouvons entendre Hina

battre l’écorce de l’āoa « banyan », avec son i’e « battoir », pour fabriquer ses tapa. Étant

donné que Marama se déplace dans le deuxième ciel et Rā, dans le troisième, inévitablement,

un jour, le premier passera devant le second, nous assisterons alors à une éclipse de soleil,

appelée par les Tahitiens natua « pincé » (Ellis, 1972 : I - 210).

Les étoiles fixes, fetū, étaient distinguées des planètes mobiles, fetūhoro « étoile-qui-

court » ou simplement, horo.

Les cinq planètes connues des Tahitiens toutes situées dans le troisième ciel ont des

comportements parfois singuliers constatent-ils, comme Mercure Ta’ero qui, tantôt se trouve

à droite, tantôt à gauche du soleil181

. De son côté, Vénus, Ta’urua-horo-ahiahi quand elle est

visible le soir, ou Ta’urua-horo-po’ipo’i quand c’est le matin, n’arrive jamais à atteindre le

zénith du ciel contrairement à Jupiter. C’est pour cette raison que, bien que portant le même

nom, un autre a été attribué à Jupiter, Ta’urua-nui-i-tu’i-i-te-porou-o-te-ra’i « Grand-

Ta’urua-qui-frappe-le-zénith-du-ciel »182

car celle-ci traverse le ciel la nuit en passant par le

zénith.

Les étoiles sont situées au-dessus des planètes. Les plus petites sont les plus haut

placées, dans le dixième ciel, là où coule un fleuve d’étoiles minuscules assimilé à la rivière

du dieu Tāne, Vai ora « Eau vive » (Voie Lactée) dans laquelle nage Ma’o purotu, son beau

requin reconnu par l’étoile Fa’arava-i-te-ra’i « Qui-embellit-le-ciel » (Altaïr). Tandis que son

sterne blanc Pira’etea (Déneb) se repose prudemment sur la berge183

.

Il arrive que nous surprenions le déplacement des divinités, ce sont des étoiles filantes,

Fetūrere184

« étoiles volantes », ou des comètes, fetūave185

« étoiles à tentacules ». Leur

181 HENRY, 1968, p.432.

182Ibid., p. 371.

183Ibid., p. 370.

184 HENRY, T., 1968, p.368.

185 DAVIES Dictionary.

Page 137: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

124

trajectoire les conduit parfois à traverser comme un bolide les dix cieux et à foncer sur la

Terre, elles deviennent alors des météores, patau, pitau, ‘ōpūrei, pao186

.

Chaque île possède son étoile ‘avei‘a qui passe à son zénith appelé pōrou-a-ra’i. Celle

de Tahiti est Sirius, Ta’urua-nui-te-amo- ‘aha, appelée aussi Ta’urua-faupapa. Il ne faut

cependant pas confondre un ‘avei’a avec un ta’urua. Le premier est l’étoile zénithale d’une

île et le second, l’étoile-phare à l’horizon qui indique la position d’un rua.

La trajectoire du Soleil au solstice d’été porte le nom de Rua roa ou Rua maoro

« Chemin long », c’est la ligne moderne connue sous le nom de Tropique du Capricorne ;

l’autre, celle du Soleil au solstice d’hiver, porte le nom de Rua poto « Chemin court », la ligne

moderne du Tropique du Cancer187

. Ces chemins célestes sont connus aussi sous les noms de

Ara roa ou Ara maoro et Ara poto188

.

Lorsque nous observons le Soleil se coucher pendant toute l’année, nous constatons

qu’il se déplace sur l’horizon de Rua roa vers Rua poto, du « solstice d’été » vers le « solstice

d’hiver ». Lorsqu’il a fait un aller-retour sur l’horizon, il aura accompli un cycle en passant

deux fois par le milieu du segment qui relie Rua roa à Rua poto. Ce point central est appelé

Rāhiti189

« cycle solaire », nous sommes aux équinoxes. Le trajet du Soleil ce jour-là coïncide

avec la ligne de l’équateur céleste : les équinoxes sont les moments choisis dans le calendrier

tahitien pour recaler les lunaisons avec les saisons sur Terre.

A Hawai’i, l’équateur porte plusieurs noms dont ke-ala-o-ke-piko-o-wakea « le

chemin du nombril de Wakea ». Wakea étant le nom hawaiien d’Atea.190

Ce nom a été

emprunté il y a une dizaine d’années par les Tahitiens pour désigner l’équateur. L’Académie

tahitienne l’a enregistré dans son lexique thématique sous le nom « tahitianisé » de Te-pito-o-

atea.

Les Tahitiens avaient aussi remarqué que les planètes et la lune suivaient un tracé

analogue à celui du Soleil, c’est celui de l’écliptique. Son nom ne figure dans aucun

186 HUGUENIN, P., 1902, p.58.

187Ibid.

188 Informations fournies par Tehare OUTU, issu des familles FAAHU, TEMEHARO, RUA, né à Parea,

Huahine, le 03 juillet 1933. Selon OUTU,Ara roa ( ou Ara maoro) est le solstice d’été et Ara poto, le solstice

d’hiver.

189 DROLLET, A., 1989 (1922), p. 100.

190 NOYES, M., 2010, p. 28.

Page 138: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

125

dictionnaire. Il n’est pas non plus donné par Henry, mais en parlant de Jupiter dans le récit de

la « Naissance des Étoiles », il est précisé que la planète suit une trajectoire appelée, tua-o-

uru-po‘i, « sur le dos du soleil de l’aube »191, une description qui pourrait s’appliquer à

l’écliptique, la trajectoire du soleil le jour. La nuit, elle devient celle des planètes. Celle-ci est

repérée par deux d’entre-elles qui portent le nom de ta’urua, Vénus et Jupiter. Les Hawaiiens

appellent cette trajectoire ala-o-ke-ku‘uku‘u192

« chemin de l’araignée » et les Maoris, ara-

metua « chemin des parents » ou « chemin principal ».

Les Tahitiens semblent également avoir divisé le monde à l’aide d’une ligne Nord /

Sud qui passe par un zénith assimilable au méridien. Sur l’une de ces cartes, celle reproduite

dans l’ouvrage de J. R. Forster193

, Tupaia a clairement tracé une ligne méridienne qu’il a

baptisé Tera Eawattea (Te rā avatea) « Le soleil midi », elle passe à l’Est de Ra’iatea (Carte

n° 5, p. 136). Sur une autre carte, celle dite « de Banks » conservée à la British Library à

Londres, la ligne méridienne a été tracée à l’Ouest de Ra’iatea et a été appelée Eavatea (E

avatea) « midi ».

Cette notion de méridien chez les Tahitiens a également été évoquée par T. Henry

lorsqu’elle décrit le rôle joué à l’époque pré-européenne par le marae Taputapuatea de

Ra’iatea. Elle précise que les Tahitiens ont divisé le monde en deux à l’aide d’un méridien qui

traverse l’île de Ra’iatea du Nord au Sud à hauteur du marae Taputapuatea. A l’Ouest se

trouve Te-ao-tea « Le monde clair » qui comprend la mer Moana ‘urīfa « Océan

nauséabond » et à l’Est, Te-ao-uri « Le monde sombre » avec la mer Moana-o-marama

« Océan de la lune » ou « Océan de la clarté lunaire »194

(Henry, 1968 : 123).

191 HENRY, T., 1968, p. 371.

192 NOYES, M., 2010, p. 28.

193 FORSTER, J. R., 1778, p.

194 T. Henry a traduit Moana o marama par « océan clair », elle a tort car elle n’a pas tenu compte de la présence

du présentatif « o » devant marama. Le présentatif « o » introduit obligatoirement un nom commun ou un nom

propre.

Page 139: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...
Page 140: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

127

CHAPITRE IV : ASTRONOMIE

ASTRONOMIE

1. Richesse des termes

a Les termes géographiques

Les anciens Tahitiens avaient acquis des connaissances approfondies sur les

mouvements du Soleil, des planètes et des étoiles, afin d’explorer pleinement leur univers.

D’un point de vue philosophique et mythologique, le monde ne pouvait avoir, selon eux,

qu’une origine céleste. Son histoire s’inscrit de ce fait, dans le déplacement et l’allure des

astres. Ils influeraient la destinée des dieux et des hommes, et contribueraient à tisser entre

eux des relations.

A la lumière des observations astronomiques, ils avaient compris le caractère

périodique des équinoxes et des solstices ainsi que leurs relations avec le cycle des saisons.

Leur calendrier, accordé sur le lever et le coucher de certains astres, est élaboré et comparable

à ceux des grandes civilisations de la planète.

Ils avaient des repères naturels maritimes fort nombreux, leur sort en dépendait. Ils

avaient des catégories d’étoiles et des dessins spécifiques pour leurs constellations, différentes

de celles des Occidentaux ou agencées autrement, car ils les avaient dessinées à partir des

figures familières de leur environnement océanique. Ils étaient en outre soumis à des

exigences particulières en matière de prévision climatique, de repérage dans le temps et de

localisation dans l’espace.

Les Tahitiens n’avaient pas de nom pour traduire le concept « quatre points

cardinaux ». Leur vision de la géographie n’était pas celle des Européens. L’expression néo-

tahitienne nā poro e hā o te ao « les quatre coins du monde », utilisée aujourd’hui pour

traduire « quatre points cardinaux », est une simple transposition de l’expression française. Ils

n’ont pas jugé opportun de réduire à quatre directions, leur compas. Il existe une expression

Page 141: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

128

proche de cette idée, rara-varu « huit-branches ». Il s’agit d’une allusion aux huit tentacules

d’une pieuvre qui, une fois déployés, s’étendent dans huit directions, rappelant les tentacules

de la pieuvre Ra’i-tumu qui avait enserré le monde à l’origine. Cependant, rien n’indique

qu’elle fut une dénomination de directions. Le nom poétique de Mo’orea, Aimeo-i-te-rara-

varu, vient des huit chaînes de montagne de l’île, et non des directions géographiques (Henry,

1968 : 97).

Pour les Tahitiens, le compas se conjugue avant tout avec les vents. Le Nord, est

appelé, Apato’erau, « côté-du-vent-du-Nord », et le Sud, Apato’a « côté-du-vent-du-Sud.

Pour l’Est et l’Ouest, ils utilisent deux méthodes ; la première est en relation avec les vents

dominants qui soufflent du secteur Est la majeure partie de l’année et la seconde, en fonction

du lever et du coucher du soleil.

Le secteur Est, d’où vient le vent dominant est appelé ni’a « au-dessus, sur » (du PPN

*luŋa « haut, au-dessus », devenu en PTA : *ruŋa1→*ru’a →*nu’a

2 → TAH ni’a), et, le

secteur Ouest, où se dirige le vent dominant, est dénommé raro (du PPN *lalo « en-dessous »,

devenu en PTA : *raro). Aller vers ni’a, c’est se diriger vers l’Est pour remonter les vents

dominants. Le maoa’e (alizé de l’Est) et le mara’ai (alizé du Sud-Est) sont présents neuf mois

sur douze. Aller vers raro, c’est se diriger vers l’Ouest pour suivre les vents dominants. Ni’a

et raro sont utilisés comme des directionnels aussi bien en mer que sur terre.

Chaque point géographique s’organise donc au regard des vents dominants qui

soufflent de l’Est. Monter vers une localité, c’est remonter le vent en se dirigeant vers l’Est. A

l’inverse, descendre vers cette même localité, c’est suivre le vent qui conduit à l’Ouest. Dans

un archipel, les îles situées à l’Est sont situées du côté ni’a, et les îles situées à l’Ouest sont du

côté raro. Le Nord et le Sud se localisent donc par rapport à l’axe ni’a / raro.

Une deuxième méthode de repérage est réalisée en fonction de la position du soleil.

L’Est est alors appelé hiti’a-o-te-rā « lever-du-soleil », et l’Ouest, tō’o’a-o-te-rā « coucher-

du-soleil », en abrégé, hiti’a et tō’o’a. Comme avec les vents, le Nord et le Sud sont définis

par rapport à l’axe hiti’a / tō’o’a.

1Pollex on line.

2DAVIES, J., 1984 [1861]. A Tahitian an English dictionary

Page 142: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

129

Une troisième méthode de repérage, basée cette fois-ci sur la position d’une île, est en

usage à Tahiti. Lorsqu’on est proche d’une île ou à terre, se rendre du côté uta, c’est aller

dans la direction de l’île quand on est en mer, ou vers son centre géographique quand on est à

terre. Se rendre du côté tai, c’est se diriger vers le bord de mer quand on est à terre, et vers le

large quand on est en mer.

Il est intéressant de noter que uta est le reflet en tahitien du proto-austronésien (PAN)

*quCan « jachères, revenue à la nature sauvage », qui devenu en PMP *qutan « petites

plantes herbacées sauvages, garrigue, maquis », puis en PPN *Ɂuta « la côte, considérée

depuis la mer » ou« l’intérieur des terres, considéré depuis la côte »3. Tai est un dérivé du

PAN *tathi « mer », devenu en POC *tazig / ta(n)sik « mer », puis en PPN *tahi « mer »4.

Cette dernière forme proto-polynésienne a été conservée dans le mot tā-tahi « bord de mer ».

En résumé, les Tahitiens s’orientent donc par rapport au vent, par rapport au soleil et

par rapport au centre géographique d’une île.

b Rua mata’i : compas et chemin des vents

Si les Tahitiens n’ont pas de nom pour traduire « points cardinaux », ils ont par contre

une multitude de points à l’horizon qui leur offrent une bien meilleure précision pour

s’orienter, c’est le compas des vents rua mata’i5, basé sur leur provenance géographique. Il ne

s’agit pas simplement des vents dominants venant de l’Est, mais de la rose des vents dans son

intégralité. Les vents étaient un instrument d’orientation qui permettait de joindre tous les

azimuts. Les pêcheurs et les marins polynésiens l’emploient toujours aujourd’hui. Chez les

Pa’umotu6, le compas des vents porte le nom de rua hetika

7, le cadrant d’où souffle tokerau

est le rua tokerau, et celui d’où vient le vent toŋa, rua toŋa. Il en va ainsi de tous les vents de

leur compas.8 Le plus ancien compas relevé à Tahiti est celui que Puhoro a transmis à Andia y

3Pollex on line.

4Ibid.

5 DAVIES, J., 1984 [1861]. A Tahitian an English dictionary

6Pa’umotu : nom par lequel les Tahitiens appellent les habitants des îles Tuamotu.

7Rua hetika, correspond au tahitien, rua feti’a ou rua fetū.

8STIMSON J., MARSHALL D., 1964. A Dictionary of Some Tuamotu Dialects of the Polynesian language.

Page 143: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

130

Varela, en 17749. Seize vents y sont répertoriés. Ce sont autant de repères, selon l’Espagnol,

pour s’orienter en mer.

Ci-après, dans le tableau n° 1, la liste des vents donnée par Puhoro. Dans la première

colonne, figurent les noms des vents tels que les Espagnols les ont orthographiés, dans la

seconde, la traduction de ces vents selon la graphie tahitienne officielle, et dans la troisième,

sont indiquées leurs provenances :

Andia y Varela (Puhoro) Transcription Direction

E maoae Maoa’e Est

E apiti Ha’apiti Est-Nord-Est

E tauguarù Huatau (1) Nord-Est

E faarua Fa’arua Nord-Nord-Est

Paofaeti Pāfa’ite Nord

Moehio Mohio (2) Nord-Nord-Ouest

Arueroa ‘Ārueroa Nord-Ouest

Etaparay Matapārapu (3) Ouest-Nord-Ouest

E toerau To’erau Ouest

E rapatia Rapati’a Ouest-Sud-Ouest

E rayu Ra’i (4) Sud-Ouest

E tuituipapa Tuihana (5) Sud-Sud-Ouest

Tuamuri To’amuri Sud

Erahenua Arafenua Sud-Sud-Est

Maray Mara’ai Sud-Est

Tuauru Tuauru (6) Est-Sud-Est

Tableau N° 1 : Compas des vents rua mata’i de Puhoro transmise à Varela en 1774. (Corney, 1913)

Remarques sur le tableau n° 1 : Pour une dizaine de vents cités, leur identification

ne pose aucune difficulté, car ce sont des vents connus et déjà mentionnés par, Teuira

9 CORNEY, B., G., 1913. The Quest and Occupation of Tahiti by Emissaries of Spain, p. 286.

Page 144: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

131

Henry10

, Davies11

, Handy12

et Huguenin13. En revanche, six d’entre eux méritent des

explications :

(1) « E tauguarù » (e huatau rū) – Nord-Ouest. La lettre [e] au début est le présentatif

« c’est ». Le nom de ce vent est donc tauguarù. L’accent grave sur le « ù » traduit

une voyelle longue [ū]. Le problème se pose avec le graphe « g » et le graphème

« gu ». Les Espagnols les ont régulièrement employés pour noter le son [h]. Ils ont

aussi, souvent employé le graphème « gu » pour le son [Ɂ]14

. Ce qui revient à

remplacer « g », par « h » ou par « Ɂ », et à l’écrire tau-hua-rū ou tau-‘ua-rū. Aucun

vent ne porte ces noms. Mais, s’agissant d’un vent de secteur Nord, Davies et Henry

y ont répertorié un vent fort soufflant de ce secteur, Huatau. Il se peut donc que les

Espagnols aient commis une métathèse par inversion de syllabes comme cela arrive

fréquemment lorsqu’une personne est confrontée à une langue étrangère inconnue.

Hua-tau a été entendu comme Tau-hua. Quant au suffixe « rū », l’une des

définitions données par Davies pour cet adjectif est « violent ». Il est donc probable

que Puhoro ait cité ce vent en donnant sa qualité, « e tauguarù » e huatau rū « le

violent huatau ».

(2) « Moehio » (mohio) – Nord-Nord-Ouest. Ce vent a disparu des roses des vents

tahitiennes, en revanche, il apparaît toujours sur celles de Rarotonga (mo’io)15

et de

Mangaia (mo’io)16

.

(3) « E taparay » (e mata-pārapu) – Ouest-Nord-Ouest. Aucun vent n’est répertorié

sous le nom taparai (taparay). Davies et Huguenin signalent un vent du Nord-Ouest

10HENRY, T., 1968. Tahiti aux Temps Anciens, p. 373 & pp. 404 – 405.

11 DAVIES, J., 1861. A Tahitian an English dictionary.

12 HANDY, C., 1932. Houses, boats, and fishing in the Society Islands. p. 67.

13 HUGUENIN, P., 1902. Raiatea la sacrée, p. 53.

14 RENSCH, K., 2003. Early Tahitian, the linguistic fieldwork of Joseph Banks, Carl Solander, Maximo

Rodriguez and Domingo Boenechea, p. 139.

15 LEWIS, D., 1994 [1972]. We, the Navigators, p. 113.

16 GILL, W., 1876. Myths and Songs from the South Pacific, p. 139.

Page 145: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

132

appelé mata-pārapu. Pārapu est présent à Rarotonga17

et à Mangaia18

, ce vent

souffle du secteur Ouest.

(4) « Ray » (ra’i) – Sud-Ouest. Le terme est désuet à Tahiti, mais bien présent dans

plusieurs roses des vents polynésiens. A Pukapuka dans les îles Cook du Nord, ce

vent est dénommé laki, et dans les îles polynésiennes extérieures, à Anuta et à

Tikopia, raki19

.

(5) « Tuituipapa » (matapapa) – Sud-Sud-Ouest. Tuitui n’est pas répertorié en tahitien.

En revanche, Davies signale un vent du Sud appelé matapapa. Dordillon20

a

enregistré, aux îles Marquises, un vent baptisé tiu. Il souffle cependant du Nord et

non du Sud-Sud-Ouest. « Tuitui-papa » pourrait donc être un autre nom du vent

matapapa enregistré par Davies.

(6) « Tuauru » (tuauru) – Est-Sud-Est. Ce nom de vent est devenu désuet à Tahiti, mais

il est toujours présent à Tikopia et à Anuta21

. Huguenin22

cite pour Tahiti l’existence

d’un vent nommé uru qui souffle du Sud-Ouest et non de l’Est-Sud-Est. Il n’est

donc pas certain que ce soit un autre nom du vent appelé tuauru comme l’a suggéré

Corney dans ses notes de bas de page23

.

Il faut noter que le vent Fa’arua est, pour Puhoro, un vent distinct de Ha’apiti. Alors

que pour Henry, ils ne font qu’un seul et même vent. En tahitien, fa’a est souvent

interchangeable avec ha’a. Tandis que piti est le terme qui a remplacé rua suite à un pī à la fin

17 LEWIS, D., Op. Cit., p. 113.

18 GILL, W., Op. Cit., p. 139.

19 PYREK, C., 2011. The Vaeakau-Taumako Wind Compass: a Cognitive construct for Navigation in the Pacific,

pp. 64 – 66.

20 DORDILLON, R., 1931. Grammaire et dictionnaire de la Langue des Îles Marquises : Marquisien –

Français.

21 PYREK, C., Op. Cit.

22 HUGUENIN, P., Op. Cit., p. 53.

23 CORNEY B., G., 1913. The Quest and Occupation of Tahiti by Emissaries of Spain.

Page 146: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

133

du XVIIIe, au moment où un ari’i nommé Rua acquit une notoriété en défiant Pomare II. A

l’époque de Puhoro, rua et piti24

coexistaient et possédaient des significations différentes.

Ci-dessous, ces vents répertoriés sur la rose dite « de Puhoro » (figure n° 7).

Figure N° 7 : La rose des vents de Puhoro de 1774, identification selon les vents polynésiens connus.

Le compas des vents fut, pour les anciens Tahitiens, comme il l’Est toujours

aujourd’hui, un instrument d’orientation. Par rapport à un vent dont la direction est connue, il

est possible de tracer une route. Naviguer vers l’Ouest, par exemple, c’est suivre le vent

Maoa’e ; se diriger vers le Sud, c’est avoir le vent Pāfa’ite dans le dos, etc.

Pour compléter ces données climatiques, une liste de termes géographiques répertoriés

dans le dictionnaire de Davies est présentée ci-dessous. Elle démontre la richesse du

vocabulaire tahitien dans le domaine de la climatologie :

- Nord, Apa-to’erau.

- Sud, Apa-to’a.

24 Piti est tombé en désuétude. Il s’est conservé en composition avec le préfixe ā sous la forme ‘ā-piti « joindre,

unir ».

Maoa'e

Ha'apiti

Huatau

Fa'aruaPāfa'ite

Mohio

'Ārueroa

Matapārapu

To'erau

Rapati'a

Ra'i

MatapapaTo'amuri

Arafenua

Mara'ai

Tuauru

'APATO'ERAU

Nord

'APATO'A

Sud

HITI'A

Est

TO'O'A

Ouest

Page 147: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

134

- Est, Hiti’a ou Ni’a.

- Ouest, Tō’o’a ou Raro.

Les positions géographiques intermédiaires ont également leurs équivalents en

tahitien :

- Nord-Nord-Est, To’erau i To’erau i Hiti’a.

- Nord-Est, To’erau i Hiti’a.

- Est-Nord-Est, Hiti’a i To’erau i Hiti’a.

- Est-Sud-Est, Hiti’a i To’a i Hiti’a.

- Sud-Est, To’a i Hiti’a.

- Sud-Sud-Est, To’a i To’a i Hiti’a.

- Sud-Sud-Ouest, To’a i To’a i Hiti’a,

- Sud-Ouest, To’a i Tō’o’a,

- Ouest-Nord-Ouest, Tō’o’a i To’erau i Tō’o’a,

- Nord-Ouest, To’erau i Tō’o’a,

- Nord-Nord-Ouest, To’erau i To’erau i Tō’o’a.

Il existe deux noms pour désigner « horizon » et trois, pour « zénith » :

o Horizon, paera’i « du-côté-du-ciel » (Henry, 1968 : 339), et ‘iri-a-tai « surface-de-la-

mer » (Davies). Aujourd’hui, c’est le second terme qui est le plus utilisé.

o Zénith, pōrou-o-te-ra ’i (Henry, 1968 : 371), pōrou-ā-ra’i (Davies) et tānini-upo’o-te-

rā « le-soleil-à-la-verticale-de-la-tête » (Huguenin, 1902 : 58). La traduction de pōrou-

o-te-ra ‘i ou de pōrou-ā-ra’i est problématique en raison de la racine pōrou, absent de

tous les dictionnaires. Nous pouvons toutefois distinguer les deux syllabes pō-rou

« ténèbres-gaule » ou « pō-gaule », pō étant la partie supérieure des cieux, domaine

des dieux. Si cela est vrai, ce qui n’est pas sûr dans ce genre d’exercice, nous tenons

une explication : « la gaule pour le Pō », c’est-à-dire, une perche tendue verticalement

entre le sol et le sommet du ciel, ou, plus précisément, un pilier dont le sommet touche

le zénith.

o Entre le zénith et l’horizon, rā-tū-nu’u « soleil-rampant » (Huguenin, 1902 : 58).

Les positions extrêmes et intermédiaires du soleil ont été notées par Davies et Drollet :

o Solstice d’été, rua-roa « chemin-long » ou rua-maoro (Davies).

o Solstice d’hiver, rua-poto « chemin-court » (Davies).

Page 148: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

135

o Equinoxe, Rāhiti « cycle-solaire » (Drollet)25

.

Les notions de Tropique du Cancer, Tropique du Capricorne et Equateur, sont des

concepts modernes qui n’ont pas d’équivalent en tahitien. Ce sont des lignes virtuelles tracées

sur une carte qui représentent les positions du soleil, aux solstices et aux équinoxes.

La ligne du méridien est également une notion moderne. Toutefois, Tupaia a tracé sur

l’une de ses cartes un méridien. Aurait-il eu connaissance de la notion d’une ligne non visible

dans le ciel qui joindrait les deux pôles et qui passerait par son zénith ou alors, il l’a apprit des

Anglais ?

Le nom que Tupaia lui a donné, avatea ou rā-avatea, traduit par « soleil-midi »

rappelle le terme anglais midday sun. Mais, nous le verrons plus loin, le concept tahitien des

pou « piliers célestes » nous rapproche davantage de l’idée de méridien. Si le fait de tracer sur

sa carte cette ligne relève exclusivement de son initiative, alors cette notion n’était peut-être

pas si inconnue des Tahitiens.

Les latitudes et les longitudes sont des notions géographiques modernes. Leurs

équivalents à Tahiti ne pouvaient logiquement pas exister. Nous allons voir cependant avec

l’étude des rua et des pou qu’il est possible de faire un rapprochement entre les concepts

portés par ces deux termes et l’idée de latitude et de longitude.

Pour l’écliptique, c’est-à-dire la route parcourue par les planètes tout le long de

l’année et qui suit approximativement celle tracée par le soleil, nous avons retenu dans le

chapitre précédent un nom, tua-o-uru-po’i, relevé dans l’extrait suivant d’Henry (1928 :

363) : « Alors son ari’i naquit, Ta’urua-nui-i-tu’i-i-te-pōrou-o-te-ra’i (Jupiter), l’astre qui suit

tua-o-uru-po’i « l’écliptique » en sa saison. »

L’expression tua-o-uru-po’i convient à la description de l’écliptique, toutefois, Henry

ne l’a jamais confirmée. Elle ne donne, en outre, aucun nom pour cette trajectoire pourtant

importante, puisqu’elle est signalée par deux ta’urua qui sont les planètes Venus et Jupiter, et

par le soleil.

25 DROLLET, A., 1989 [1922]. « Rectifications à apporter à certains noms mal orthographiés en langue

tahitienne », BSEO, p. 100.

Page 149: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

136

Carte N° 5 : La carte de Tupaia sur laquelle figure le méridien tracé à l’Ouest de Tahiti qu’il nomme Te rā avatea [Tera Eawattea].

Page 150: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

137

2. Les termes astronomiques

Le soleil s’appelait rā. Ce mot tombé en désuétude avant même l’arrivée de Wallis a

été remplacé par mahana qui signifie « chaleur ». Il a été conservé en tahitien moderne pour

désigner l’Est, Hiti’a-o-te-rā. La lune était connue sous le nom de marama. Ce terme est

également tombé en désuétude en raison d’un pī et a été remplacé par ‘āva’e. Un ari’i de

Mo’orea a en effet porté ce nom. Toutefois, rā et marama sont régulièrement employés dans

les récits mythologiques ou à l’occasion des discours ritualisés comme les ‘ōrero.

L’éclipse de lune (ou de soleil) était connue des Tahitiens sous le nom de

natua « pincé » rapporte W. Ellis (1972 : 569).

Les autres objets célestes ont leur nom précédé du générique fetū, pour désigner aussi

bien les étoiles que les planètes. Le terme fetū a été remplacé à la fin du XVIIIe par feti’a

suite à un pī, une interdiction de prononcer le son /tū/ qui est devenu /tiɂa/, intervenu lorsque

Pomare 1er

portait le nom de Tū qui était en fait le titre du ari’i de Pare1. Fetū est un vieux

mot d’origine proto-austronésienne qui trouve son origine à Taiwan sous la forme reconstitué

PAN *bi(n)tluq-en ou *bituhen. Voir ci-dessous ses reconstitutions dans les protolangues

malayo-polynésiennes et ses reflets dans les autres langues polynésiennes d’après le Pollex2 :

.AN FETUQU: Star name

*3 PEO *pituɂu "star" (Bgs.1965).

*4 POC *pituqun "star" (Rss. 1988).

*5 PMP *bi[t]uhen "Stern" (Dpf. 1938).

*6 PAN *bi(n)t1uq-en "star" (Dhl. 1981), *bituhen (Rss. 1988).

*9 PBN *veitughu `star' (Lvy. 1979).

EAS Hetu`u. : Estrella (Bxn. l972).

ECE Fetuu. : Star, shine (of stars) (Rby).

EFU Fetu`u. : Star (Bgs).

EUV Fetu`u. : Étoile (Rch).

HAW Hookuu. : Star (Pki).

KAP Hetuu. : Star (Ebt).

KAP1 Heduu. : Star (Lbr).

1 Le titre porté par les ari’i de Pare était Tūnuie’a’aiteatua, en abrégé Tū.

2 GREENHILL, S. J. & CLARK R., 2011. POLLEX-Online: The Polynesian Lexicon Project Online. Internet :

http://pollex.org.nz/

Page 151: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

138

MAO Whetuu. : Star.

MQA Hetuu. : Star.

MQA1 Fetuu. : Star.

MQA2 Fettoe. : Star (Rbt).

NGR Hetu. : Star (Ths).

NIU Fetuu. : Star.

NKO Heduu. : Star.

OJA Hekuu. : Star (Smd).

OJA1 Heku. :Star (Hbn).

PEN Hetuu. : Star (Sta).

PIL Hetuu. : Star (Hvn).

PIL1 Fetu. : Star (Cme) (Ray).

PIL2 Hetu. : Star (Grn).

PUK Wetuu. : Star.

RAR `Eetuu. : Star (Bse).

REN Hetu`u. : Star, constellation (Ebt).

ROT Hefu. : Star (Cwd).

SAM Fetuu. : Star.

TAH Fetu. : A star (Dvs).

TAH1 Fetuu. : Étoile de mer (Linckia pacifica) (peu usité) (Mte).

TAH2- <Feti`a. : Étoile (Mte)>.

TAK Fetuu. : Star (Hwd).

TIK Fetuu. : Star, constellation (Fth).

TOK Fetuu. : Star (Sma).

TON Fetu`u. : Star.

TUA Fetuu. : Star.

TUA1 Hetuu. : Star.

TUP Hetu. : Star (Green J.L.).

WEV Fetuu. : Étoiles (Hmn).

WFU Fatu. : Star.

Il existe trois classes de fetū, chacune ayant une fonction précise liée à son utilisation :

1) ‘Avei’a : « astre-guide » - du PPN *kaweiŋa « ce qui guide (en l’occurence une

étoile) »

2) Ta’urua : « repère-de-rua » - du PPN *takulua « un nom d’étoiles et de mois »

Page 152: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

139

3) ‘Anā : « brillant » - du PPN *ŋana « brillant »

Les anciens Tahitiens comparaient la voûte céleste à une toiture monumentale qu’ils

baptisèrent Tāpo’i-o-te-ra’i « toiture-du-ciel » (Henry, 1968 : 370), comme celle d’un fare

pōte’e, une maison traditionnelle rectangulaire aux petites extrémités arrondies, portées par

dix pou « piliers » dont les emplacements sur la voûte sont représentés par dix étoiles de

première grandeur appelées ‘anā. Cette toiture, parsemée d’une multitude d’objets lumineux,

laisse transparaître le domaine des dieux situé plus haut, dans le dixième ciel appelé Ra’i-

hāmama-a-Tāne « Ciel-ouvert-de-Tāne », reconnaissable par la présence de la Voie Lactée

Vai-ora-a-Tāne « Eau-vivifiante-du-dieu-Tāne ». Certains de ces objets lumineux restent

fixes, ce sont les fetū. D’autres bougent et se faufilent entre les autres astres selon leur propre

allure, ce sont les planètes.

Ni Henry, ni Davies ne donnent de nom générique pour les planètes alors que les

Tahitiens différenciaient bien les étoiles fixes des planètes selon Andia y Varela (Corney,

1913 : 286) :

« They distinguish the planets from the fixed stars, by their movements; and give them

separate names. »

« Ils distinguent les planètes des étoiles fixes, grâce à leurs mouvements ; et ils leur

donnent des noms distincts. » (Traduction personnelle)

Les Pa’umotu disposent, de leur côté, d’un nom générique, hetika-horo « étoile-qui-

court » (Stimson). Ils ont eu le même souci avec hetika que les Tahitiens, en raison du pī qui a

frappé le son /tū/ devenu /tika/ en pa’umotu (ti’a en tahitien). Avant que tū ne fût remplacé

par tika, les planètes portaient le nom générique de hetū-horo (fetū-horo en tahitien). Les

Tahitiens ont appelés certaines planètes horo « courir ». Même si le terme fetūhoro n’a été

enregistré dans aucun dictionnaire tahitien, nous pouvons supposer que c’était celui employé

à Tahiti. Venus et Jupiter par exemple s’appellent Fetū-horo-po’ipo’i quand on les aperçoit le

matin et Fetū-horo-ahiahi quand elles sont visibles le soir

L’ensemble de l’édifice céleste, le tapis roulant géant portant les étoiles, semble

émerger des abysses situés à l’Est, qu’Henry appelle rua-i-hiti’a (1968 : 475). Il se déplace

ensuite inlassablement et d’une manière rectiligne vers les abîmes situés à l’Ouest rua-i-

tō’o’a (1968 : 475). Ces rua situés à l’Est et à l’Ouest ont servi de repère au dieu Tāne dans

ses voyages en pirogue. Certaines étoiles situées sur ce gigantesque tapis roulant ont été

Page 153: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

140

regroupées en constellations dénommées, selon le cas, hui-fetū « groupe-d’étoiles » ou hui-

tārava« groupe-étalé ».

Il y avait aussi un nom pour les nébuleuses, māhu « brume », comme Mahu-ni’a

(Grand Nuage de Magellan), et même pour les parties claires du ciel qu’ils nomment moana

« océan » (Henry, 1968 : 370).

Les étoiles filantes étaient des fetūrere « étoiles-volantes » (Henry, 1968 : 369), les

comètes, des fetū-ave « étoiles-à-tentacules » (Davies) et les météorites, pao « lacéré »

(Davies) ou ‘ōpūrei « corps-ventrus-étrangers » (Davies). Toutes ces dernières sont

considérées comme des signes de mauvais augures, des varua ‘ino « esprits malfaisants ».

3. Les astres : fetūhoro, ‘avei’a, ta’urua, ‘ana, pou

a. Fetūhoro : planètes

Les cinq planètes connues des Tahitiens sont celles qui sont visibles à l’œil nu. Deux

d’entre elles, Vénus et Jupiter, sont utilisées pour la navigation :

- Vénus. Selon le cas, les Tahitiens l’appellent Ta’urua-horo-po’ipo’i « repère-de-rua-qui-

court-le-matin », ou Ta’urua-horo-ahiahi « repère-de-rua-qui-court-le-soir ». Le fait que

Vénus possède deux noms ne signifie nullement que les Tahitiens y voyaient deux étoiles

distinctes. Dans toutes les cultures du monde, il est courant de parler de l’Étoile du matin et

de l’Étoile du soir, sans qu’il y ait confusion. Henry d’ailleurs, le précise, quand Vénus

apparaissait le matin, elle prenait le nom de Feti’a-po’ipo’i « Étoile du matin », et quand

elle était visible le soir, elle était baptisée, Feti’a-ahiahi « Étoile du soir ».

- Jupiter. Comme Vénus, elle s’appelle aussi, Ta’urua-horo-po’ipo’i ou Ta’urua-horo-

ahiahi « repère-de-rua-qui-court-le-soir ». Les Tahitiens confondaient-ils Jupiter avec

Vénus ? Assurément non. Il n’y a aucune confusion de leur part. Plusieurs nuits par an, ces

deux planètes sont visibles ensemble dans le ciel. En revanche, le fait qu’elles portent le

même nom indique qu’elles ont les mêmes fonctions. En effet, Vénus est utilisée comme

étoile-guide par les navigateurs (Henry, 1968 : 370). Ce sont tous deux des ta’urua, des

« repères-de-rua ». Jupiter, qui utilise la même trajectoire que Vénus joue, ainsi, le même

rôle qu’elle, quand celle-ci n’est pas présente ou quand elle est à l’opposé dans le ciel. Elle

Page 154: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

141

porte, en outre, un troisième nom qui précise ses propriétés, Ta’urua-nui-i-tu’i-te-pōrou-o-

te-ra’i « repère-de-rua-qui-frappe-le-zénith », c’est-à-dire que, contrairement à Vénus qui

n’y arrive jamais, elle passe au zénith du ciel.

- Mars. Cette planète possède deux noms, Maunu-’ura « rougeur-qui-disparaît » (Henry,

1968 : 369) et Fetū’ura « astre-rouge » (Davies). Cette planète est citée dans les récits

mythologiques, c’est le fils de Vénus et de la constellation du Capricorne. Il épouse « Le-

dôme-du-ciel » Te-‘apu-o-te-ra’i, autrement dit, Rūmia. Mars est un astre qui n’est pas

utilisé pour la navigation, contrairement à Vénus et Jupiter.

- Mercure. Le nom de cette planète, Ta’ero « ivre », paraît tellement voisin du nom de

l’étoile en grec, Bacchus, qu’il est suspecté d’être un emprunt. La présence de ce nom dans

plusieurs cultures polynésiennes atteste cependant de son ancienneté. Il n’indique pas

toujours Mercure. Pour les Pa’umotu, c’est la Ceinture d’Orion et pour les Hawaiiens,

Bételgeuse. Aux îles Tonga, il existe une étoile Ta-kelo « couleur vermeille ». Dans le

Pollex, nous avons une entrée PNP (proto-nucléaire-polynésien), *Kelo « mort, presque

mort ». Nous retrouvons cette définition dans les langues polynésiennes centre-orientales

(PCE) :

TA-’ERO

NP KELO : Dead, or nearly dead.

*7 Cf. *kore.1 “negative”.

EAS- <Kero. : To finish a job (Egt)>.

MAO Kero. : Dead, maimed.

MAO1 (Ke)kero. : Die, disappear (Wms).

MQA Ke`o.: Die (of a person), go out (of a light) (Dln).

MVA Aka/kero/. : That which disappears; not to be visible (Tgr).

MVA1 Kero/kero. : Said of a wide expanse of country, or of sea.

NIU- <Kelokelo. : Brink, edge>.

TIK Kero. : Nearly dead, in extremis; nearly empty (Fth).

TUA- <Kero. : Profound, deep, unfathomable>.

Il est donc probable que Ta’ero signifiait en astronomie « mourir, disparaître » et non

« ivre ». C’est une planète qui est en effet rarement visible, car elle est, soit cachée par le

Page 155: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

142

soleil soit sous l’horizon, que ce soit le matin ou le soir. Pendant tout le reste de la nuit elle

disparaît du firmament.

- Saturne. En tahitien, Fetūtea, qui signifie, « étoile-pâle » (Henry, 1968 : 370). Cette

« pâleur » de Saturne décrit bien ce que l’on observe, un astre peu brillant. Elle ne joue

aucun rôle dans la navigation. Dans la mythologie, Fetūtea est l’enfant né du mariage des

constellations, du Corbeau et du Lion. Il a épousé Tāpo’i-o-te-ra’i ’i, « Toiture-du-ciel »,

c’est-à-dire, Rūmia.

Quelle différence y-aurait-il donc, entre le « Dôme du ciel » ‘Apu-o-te-ra’i et la

« Toiture du ciel » Tāpo’i-o-te-ra‘i ? Tous les deux sont relatifs à l’enveloppe de la coquille

primitive, Rūmia, et pourtant, dans le texte, ils sont différenciés.

Le premier se trouve en compagnie des astres qui se trouvent dans la partie Sud du

ciel, et le second, avec des objets célestes situés dans la Voie-Lactée, dans le dixième ciel, et

donc, au-dessus de ‘Apu-o-te-ra’i. La confusion entre « dôme » et « toiture » semble venir de

la traduction faite par Henry. Si la traduction de Tāpo’i-o-te-ra‘i « Toiture du ciel », est

exacte, celle de ‘Apu-o-te-ra’i « Dôme-du-ciel », n’est pas correcte. La traduction exacte

serait, « Demi-coquille-du-ciel ». Le premier, la « toiture », circonscrit au dixième ciel, vient

recouvrir le second, la « demi-coquille », située au-dessous.

b. ‘Avei’a : étoiles-guides zénithales

Tous les objets célestes, le soleil, la lune, les planètes, les constellations, les

nébuleuses, les amas et les trous sombres, sont considérés comme des ‘avei’a des« étoiles-

guides », ou fetū-‘avei’a. Chaque île est repérée par son ‘avei’a, c’est-à-dire, par l’étoile qui

passe à son zénith. Les étoiles de la classe, ta’urua et ‘anā, peuvent donc également, entrer

dans la classe des ‘avei’a.

Le terme ’avei’a est d’origine proto-polynésienne, il est issu du PPN *kaweiŋa « qui

est guidé », c’est-à-dire, une étoile utilisée pour la navigation. Le Pollex propose les reflets

suivants, dans les langues polynésiennes :

.PN KAWEIŊA : That which is steered for (usually a star).

Page 156: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

143

ANU Kaavenga. : Guide star (Fbg).

EUV Kaveiga. : Groupe d’étoiles sur lequel on se dirige dans la navigation (Btn).

PUK Kaveinga. : Compass (Mta); a group of stars on the same declination, thought of as a

constellation (Bge); bearing (Sby).

RAR Kaveinga. : Direction, guide to direction, course, compass (Bse).

ROT- <Kavei. : Take as a mark to steer by (Cwd)>.

TAH Aveia. : A mark to steer by when at sea (Dvs).

TAH1 `Avei`a : Boussole, compas de marine; guide (Mte).

TIK Kavenga. : Guiding star.

TON Kaveinga. : That which is steered for.

TUA Kave(e)i9a. : Guiding star (used to steer by).

Le lexème PPN * kaweiŋa est composé de la racine *kawei « tentacule », et du suffixe

de substantivation *ŋa. Cette référence à un tentacule n’est pas sans rappeler les huit

tentacules de Ra’i-tumu-nui, la pieuvre qui enserra le monde à son origine.

Aujourd’hui, les Tahitiens désignent le compas et la boussole moderne par le terme

‘avei’a.

c. Hui fetū ou hui tārava : constellations

Comme les Égyptiens et les Grecs de l’antiquité, les Tahitiens ont cherché à

« cartographier » les étoiles, en les dénombrant et en les positionnant les unes par rapport aux

autres sur la voûte céleste. Ils se sont appuyés sur la meilleure méthode qui puisse convenir à

la mémoire humaine, créer à l’aide de ces étoiles des figures familières, réelles ou légendaires,

faciles à mémoriser : les constellations, hui-fetū et hui-tārava.

Les hui-fetū sont des figures dessinées par les étoiles. Les hui-tārava sont des étoiles

alignées, comme les trois étoiles du baudrier d’Orion, hui-tārava ia Mere, ou des étoiles

groupées sans qu’il n’y ait aucune figure dessinée, comme l’amas ouvert des Pléiades, hui-

tārava o Matari’i.

Pour retrouver une étoile dans le ciel, il suffit de localiser la constellation à laquelle

elle appartient, car elle est plus facile à reconnaître en raison de la figure qu’elle dessine, et,

d’identifier l’étoile recherchée à l’intérieur de la constellation. Par exemple l’étoile Tahi-ari’i

Page 157: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

144

« Roi-solitaire » (Capella) est plus facilement repérable, du fait qu’elle est située dans la

constellation de Fa’a-nui « Grande-nasse » (Constellation du Cocher ou Auriga) qui forme un

pentagone caractéristique au Sud de la Grande-Ourse.

L’étoile Antarès, Hotu-i-te-ra’i « qui-se-développe-dans-le-ciel » ou ‘Anā-mua

« Étoile-brillante-de-devant » devient facilement identifiable du fait qu’elle se trouve au

centre de la constellation de Matau-a-Tāfa’i « Hameçon-de-Tāfa’i »3 (Scorpion), qui dessine

une belle boucle en forme d’hameçon dans l’hémisphère Sud, alors qu’elle est, pour la plupart

des cultures, l’une des plus inquiétantes figures du ciel mythologique grecque.

Le plongeon de cet hameçon dans la mer, le soir, au mois de novembre, annonce la

levée du rāhui cyclique sur les bonites et le début des pêches rituelles de ce poisson

saisonnier. Il est suivi de la réapparition de Matari’i « petits yeux » (les Pléiades) le soir,

facilement repérable du fait de son appartenance à la constellation du taureau, qui annonce le

changement de saison. Il sera grand temps de troquer la grande nasse de Fa’a-nui pour

l’hameçon de Tāfa’i, et de transférer le rāhui cyclique sur les poissons de la côte et du lagon,

car le retour des grands poissons migrateurs annonce l’abondance en poissons du large.

La réapparition de l’hameçon, Matau-a-Tāfa’i, dans le ciel le soir, à la fin du mois de

mai, coïncidera avec le coucher de Matari’i et le changement de saison. Les bancs de bonites

auront disparu. C’est le signal du rāhui sur ce poisson nomade et donc, le retour à la pêche

côtière. Les conteurs et les poètes appelleront le Scorpion, dans leurs chants, pendant cette

période, ‘Uo-o-Hiro, « Cerf-volant-de-Hiro », pour rappeler la dure réalité de la saison de

pénurie, contée à travers la légende de Pipiri-mā. Cette paire astrale tahitienne est composée

de deux étoiles, Pīpiri et Rehua (Castor et Pollux), naturellement repérables grâce à leur

appartenance à la constellation de Fa’a-tā-potupotu (Gémeaux).

Malheureusement, de nombreux astres manquent à l’appel. Certaines étoiles, comme

Mariua « être coulé » (Épi dans la Vierge), Rio« canne à pêche » (Aldébaran dans le Taureau)

ou Nā-Mata-rua« les-deux-yeux » (Toliman & Agena dans le Centaure), sont situées dans des

constellations connues, comme la Vierge, le Taureau ou le Centaure, dont les noms n’ont pas

été préservés.

3 Cette constellation est plus connue aux îles Marquises, aux îles Hawai’i et en Nouvelle-Zélande sous le nom de

Matau-a-Maui « Hameçon de Maui ».

Page 158: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

145

A l’inverse, certaines constellations dont les noms ont été sauvegardés, comme Atu-

ra’i-putuputu « banc-de-bonites-célestes » (Poissons) et Fa’a-iti « petite-nasse » (Persée), ont

des étoiles sans nom.

Pourquoi ces oublis ? Tout simplement parce que les Tahitiens ne voyaient pas les

mêmes figures que les Occidentaux. Comment peuvent-ils voir une vierge, un taureau ou un

centaure dans le ciel quand ils ne savent pas ce que représentent ces figures ? Pour la

constellation du Taureau, par exemple, ils distinguaient les deux étoiles situées au Nord,

qu’ils appelaient Nā-‘ainanu « Les-deux-quémandeurs-de-nourriture » (Castor et Pollux), du

reste du groupe, qu’ils nommaient Fa’a-tā-potupotu « Nasse-ouverte » (les Gémeaux).

Pour Henry, le nom tahitien de la constellation de l’Hydre est Tū-i-te-moana-‘urifā

« Dressé-sur-la-mer-‘urifā », or, cette constellation couvre six longitudes et quatre parallèles,

il est peu probable que les Tahitiens l’aient considérée comme une seule figure. Tū-i-te-

moana-‘urifā n’est en fait qu’une partie de l’Hydre. Une autre partie est appelée Pou-hiti-raro

« pilier-qui-se-dresse-au-dessous » et une troisième, Rua-feufeu « Chemin-d’étoiles-pour-

scruter ». La constellation de l’Hydre serait, pour les Tahitiens, divisée en trois constellations.

Il existe des étoiles qui n’ont pas été regroupées dans des constellations dessinant des

figures, mais dans des constellations en forme de chemin dans le ciel. Ce sont des suites

d’étoiles qui forment des alignements appelés rua. Ces types de constellations sont inconnus

en Occident. Cette vision est propre aux Polynésiens, en particulier, aux Tahitiens. Edward

Dodd, qui a étudié le sujet, les a appelées Star-path « sentier des étoiles »4. Si, pour trouver

une étoile en Occident, il faut d’abord repérer la constellation à laquelle elle appartient, pour

découvrir un rua, en Polynésie, il faut d’abord chercher son ta’urua, son étoile la plus

brillante.

Enfin, d’autres étoiles ne forment ni constellation, ni chemin d’étoiles, mais un pilier

céleste, un pou. Cette fois-ci, il n’y a pas besoin d’avoir plusieurs étoiles. Une seule suffit.

Celle qui le matérialise dans le ciel, l’étoile ‘anā (Henry, 1928 : 361).

Ces deux types de « constellation » forment l’ossature du système d’orientation, que

nous allons analyser plus loin.

4 DODD, E., 1986. « L’art de la navigation dans la Polynésie d’autrefois ».

Page 159: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

146

d. Ta’urua : étoiles-guides à l’horizon, repères de rua

Ta’urua est d’origine proto-polynésienne. Dans les définitions ci-dessous, tirées du

Pollex5, nous trouvons des reflets de ce terme dans les langues de Polynésie orientale et, dans

un archipel de Polynésie occidentale, les îles Tonga :

.PN TAKULUA : A star and month name, probably Sirius, but the name is used for other

stars.

HAW Kaulua. : Month name, June-July or February-March; a star, Sirius (Pki).

MIA Takurua. : A feast, picnic (Chn).

MAO Takurua. : Season (winter); star name (Sirius).

MAO1 Takurua-whare-ana. : Altair (WD6).

MAO2 Takurua-pare-wai. : Altair (Best 1910:97-99).

MQA Taku`ua. : Star name, Sirius (Mkn); Month name, July.

NGR- <Taro. : Evening star.>

RAR Takurua. : A feast; a luxury food or delicacy.

RAR1 Takurua-rau. : An evening star, Jupiter (Sve).

TAH Te feti`a ta`urua. :La planète Vénus (Mte).

TAH1 Te ta`urua tiurai. :Les fêtes du juillet (Mte).

TAH2 Ta`urua-faupapa. :Sirius (Henry 1907:101-104).

TAH3 Ta`urua-e-tupu-tainaniu. :Canopus (Henry 1907:101-104).

TON Takulua-tua-`alofi, Takulua-tua-fanua. : Two large stars (Collocott).

TUA Takuruua. : Star name; it may be Venus, Jupiter or Saturn (Stimson).

La fréquence de Sirius dans les définitions indiquerait que Takulua fut le nom de

l’étoile en des temps reculés. Chez les Maoris, c’est aussi le nom de l’étoile Altair. La

traduction faite par Orsmond, par « festivité », est due au fait que le terme rua, en tant

qu’élément cosmologique, est tombé dans l’oubli au XIXe siècle en raison d’un pī, il fut

remplacé par piti. Ta’urua est donc devenu ta’upiti. Lorsque le mot fut à nouveau réutilisé,

seul le sens de « festivité » demeura.

Les deux planètes les plus lumineuses du ciel, Vénus et Jupiter, sont classées dans la

catégorie des ta’urua.

5Pollex on line.

Page 160: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

147

Que signifie exactement Ta’urua ? Nous pouvons mettre en évidence ses deux racines

ta’u et rua. Ta’u signifie « compter, invoquer » (Académie tahitienne), il est issu du PPN

*taku « mentionner, réciter ».Rua, en astronomie, désigne un chemin d’étoiles. « Mentionner

un rua » revient à l’énumérer, c’est-à-dire à le repérer. La traduction appropriée, s’agissant de

groupement d’étoiles, serait « repère-de-chemin-d’étoiles » ou en abrégé, « repère-de-rua ».

Dix ta’urua sont recensés par Henry, neuf étoiles matérialisant neuf déclinaisons

différentes, en termes de positionnement sur le globe terrestre, et deux planètes, qui

définissent l’écliptique :

1. Ta’urua-i-te-ha’apāra’a-manu : Déneb

2. Ta’urua-nui-o-mere : Bételgeuse

3. Ta’urua-o-mere-ma-tūtahi : Ceinture ou Baudrier d’Orion

4. Ta’urua-feufeu : Alphard

5. Ta’urua-faupapa : Sirius

6. Ta’urua-nui-fa’atereva’a-o-atu-tahi : Fomalhaut

7. Ta’urua-o-mere : Déneb Algedi

8. Ta’urua-manu : Alna’ir

9. Ta’urua-tupu-tai-nanu : Canopus

10. Ta’urua-nui-horo-po’ipo’i / Ta’urua-nui-horo-ahiahi : Jupiter & Vénus

Les ta’urua et les ‘anā ont fait l’objet de nombreuses recherches. Maints spécialistes

ont tenté de cerner leur utilisation. D. Lewis6, B. Finney

7 et E. Dodd, qui se sont penchés sur

ces deux listes d’étoiles, ont deviné qu’elles pouvaient être la clé de la méthode polynésienne

de navigation. Les astres de type ta’urua sont toutes des étoiles remarquables, y compris les

deux planètes qui entrent dans cette même catégorie et bien sûr, le soleil. Chaque étoile de la

classe ta’urua signale la présence d’une route céleste, rua (figure n° 8).

Chaque planète classée ta’urua matérialise également une route. Le soleil, le plus

remarquable d’entre tous, en indique deux, l’une à chaque solstice.

6 LEWIS, D. 1994 (1972), We, the navigators, The Ancient Art of Landfinding in the Pacific.

7 FINNEY, B., 1979, Hōkūle’a : The Way to Tahiti.

Page 161: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

148

Figure N° 8 : Rua, une suite d’étoiles alignées qui émerge de l’horizon ou qui s’y couche, matérialisant un

tracé dans le ciel. (Dessin personnel)

L’étoile ta’urua est censée être celle que remarque le navigateur dès qu’il lève les

yeux au ciel, la nuit. C’est celle qui est la plus brillante d’une série d’étoiles, celle qu’il a

préalablement mémorisée au milieu de la série, et qui lui permet de repérer la suite d’étoiles

qu’elle traîne derrière elle, vers le levant, ou, celle qui les précède, en direction du couchant,

sur laquelle il peut aligner son embarcation, pour se diriger vers l’Est ou vers l’Ouest.

En résumé, un ta’urua est un astre remarquable servant à repérer un rua, une série

d’étoiles alignées, selon un axe dirigé de l’Est vers l’Ouest.

e. Rua : chemin d’étoiles

Pour E. Dodd8, le concept des rua serait « une idée révolutionnaire », qui aurait permis

aux Polynésiens d’effectuer de longs parcours. Rua est un terme relatif au système

astronomique polynésien réservé pour la navigation. Ce sont des suites d’étoiles, issus de

puits situés à l’avant et à l’arrière de la pirogue, servant de guide aux navigateurs (Dodd,

8 DODD, E., 1986. « L’art de la navigation dans la Polynésie d’autrefois ».

Ta'urua

Ta'urua

Ta'urua

ESTNORD

SUD

Horizon

Page 162: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

149

1986 : 6). Pour un observateur placé sur une pirogue qui fait face à l’Est, les étoiles du rua,

telles des colonnes, émergent de l’horizon à l’Est et, dans leur déplacement vers l’Ouest, font

basculer l’horizon, de l’avant vers l’arrière de l’embarcation, comme si elles étaient sur un

tapis roulant géant. Les étoiles de ce type sont de ce fait, un véritable instrument de

navigation.

Que signifie exactement rua ? Au vu des interprétations relevées dans les dictionnaires

de Davies, Jaussen, Stimson, dans le Pollex et dans les textes d’Henry9 sur la création du

monde, rua apparaît, d’un côté, comme un concept cosmogonique destiné à expliquer la

formation de l’univers, et de l’autre, comme un principe astronomique permettant de décrire

le mouvement des astres, contribuant à la connaissance de la géographie et de la navigation.

Nous remarquons, dans les récits cosmogoniques, une multitude d’attributs octroyés

au dieu Rua. Elle semble traduire une volonté de dépeindre, avec force et puissance, les

énergies cosmiques mises en jeu pour créer l’univers. Les choix sémantiques ne manquent

pas pour le décrire : Rua « caverne, abîme », Rua-nu’u « sources-d’armées », Rua-tupu-a-nui

« source-de-grande-croissance », Rua-hatu-tinirau « source-de-myriades-fécondes »,Rua-te-

muhumuhu « Rua-qui-murmure », Rua-te-re’are’a « Rua-le-joyeux », Rua-fa’atupua « Rua-à-

l’air-maussade », Rua-o-te-tai-i-ni’a-i-te-ra’i « Rua-de-l’océan-du-ciel », Rua-o-te-tai-i-raro-

nei « Rua-de-l’océan-au-dessous » (Henry, 1968 : 366-368).

L’une des définitions de Rua, un héritage du proto-polynésien PPN /*lua/ est,

« vomissement »10

. Nous retrouvons la racine rua possédant cette même définition dans le

terme tahitien rua’ i « vomir » (Davies). Dans la cosmogonie tahitienne, il faut considérer

« vomir » et « vomissement » comme des images destinées à rendre par des vocables

familiers aux êtres humains, des idées qui relèvent d’une pensée abstraite, dans une tentative

d’explication de l’émergence de la matière dans l’univers, pour qu’il se développe et qu’il

croît. Aujourd’hui, à la place de « vomir » ou « vomissement », nous emploierons plus

volontiers, « émerger » et « matière ».

Dans le « Dictionary of the Māori language » de H.W. Williams, dont la première

édition date de 184411

: Rua : in poetry, abyss into which the heavenly bodies set, and, from

which they rise - « Rua : en poésie, un abysse où s’engouffrent les objets célestes et d’où ils

émergent ». Cette vision d’un trou abyssal correspond, chez les Maoris, à celle définie par

9 HENRY, T., 1968, Tahiti aux temps anciens, (p. 352 – pp. 366-368).

10 Pollex on line.

11 WILLIAM, H., W., 2006 [1844]. Dictionary of the Maori language.

Page 163: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

150

Henry, quand elle cite, rua-i-tō’o’a - « abîme-de-l’Ouest », et rua-i-te-hiti ’a - « abîme-de-

l’Est » (1968 : 475). Nous retrouvons ce concept d’un abysse chez les Pa’umotu, relevé par

Stimson12

: « Rua : The abyss of stars- « l’abysse des étoiles ».

Dans la mythologie, nous avons vu que Ta’aroa met en place, à partir des substances

de son corps et de sa coquille primitive, les fondements et les principes de base de l’univers.

L’œuvre lui paraît insurmontable. Pour l’aider, il fait appel à des divinités par lui-même

créées et portant toutes le patronyme de Rua (Henry, 1968 : 352 & 1968 : 366 - 368). Grâce à

leur aide, l’univers croît à nouveau et se développe. D’où les multiples métaphores pour

traduire ce tour de force cosmique.

Pour accomplir leur mission, ces divinités ne peuvent, à l’instar du dieu suprême,

Ta’aroa, utiliser les parties de leurs corps. Les « philosophes » tahitiens imaginent alors

l’existence de puits de matière et d’énergie, d’où émergent les éléments indispensables à la

poursuite de la construction de l’univers. La substance régurgitée (vomissement), comme une

source féconde, inonde la nature pour alimenter sa croissance. Ces puits abyssaux situés à

l’horizon sont appelés, rua.

Ces faits sont vérifiés chaque nuit et chaque jour. En portant leur regard à l’Est, les

Tahitiens voient surgir, d’au-delà de l’horizon, ces objets célestes : étoiles, planètes,

nébuleuses, soleil, lune et vents. L’imagination aidant, certains de ces astres en émergeant de

l’horizon, les uns à la suite des autres, finissent par tracer une trajectoire sur la voûte céleste,

avant de redescendre dans la direction opposée. Les explications fournies par Stimson sont

très explicites au sujet du fonctionnement d’un rua aux îles Tuamotu13

:

Rua: The abyss of stars; the place under the horizon from which the stars are said to

rise; a line of stars rising successively above the horizon at the same point of the

compass.

« Rua : L’abysse des étoiles ; le lieu au-dessous de l’horizon d’où émergent les étoiles ;

un alignement d’étoiles se levant successivement au-dessus de l’horizon au même point

du compas. »

Kenneth Emory14

a recueilli à Fangatau entre 1930 et 1934, les confidences de Fariua,

un pêcheur pa’umotu. Celui-ci souhaitait rejoindre, avec sa pirogue à voile, l’île de Raroia.

12 STIMSON, F., 1964. A Dictionary of Some Tuamotu Dialects of the polynesian language.

13 STIMSON, F., op. cit.

14 EMORY, K. P., 1975. Material Culture of the Tuamotu Archipelago.

Page 164: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

151

Pour y parvenir, il lui expliqua qu’il fallait rejoindre le rua de Raroia, qui est le même que

celui de Fangatau, indiqué par l’étoile Fanui. Un rua, explique-t-il, est une série d’étoiles

alignées qui apparaît à l’horizon à l’Est et qui trace dans le ciel un arc de cercle qui passe par

le zénith avant de descendre à l’Ouest. Il suffit à un navigateur de positionner convenablement

sa pirogue sur ce rua pour rejoindre l’île de Raroia située à une centaine de milles plus à

l’Ouest. (Emory, 1975 : 184-185) :

Les populations des îles Tuamotu et des îles de la Société sont suffisamment proches

pour que nous puissions considérer ce concept comme également tahitien. Rappelons que

Maximo Rodriguez et James Morrison ont fait état dans leurs récits, des relations qui

existaient entre les habitants des îles Tuamotu et des îles de la Société. Nous avons pu voir les

nombreux témoignages des explorateurs européens de la fin du XVIIIe siècle qui ont croisé

plusieurs Pa’umotu à Tahiti. Il n’est pas absurde de penser que le principe de la navigation à

l’aide des rua existaient également à Tahiti. Malheureusement, comme l’ont observé l’amiral

Pâris et R. Lesson, les Tahitiens avaient prématurément perdu leur technique de navigation,

au début du XIXe siècle15

.

D’un point de vue astronomique, un rua est une suite d’étoiles qui évoque un tracé

plus ou moins rectiligne. C’est le cas pour le soleil qui, au solstice d’été16

, trace son chemin le

plus long dans le ciel, le jour où la période diurne est la plus longue de l’année, d’où son nom,

rua-roa ou rua-maoro, et au solstice d’hiver17

, il trace son chemin le plus court, c’est le jour

où la période diurne est la plus courte de l’année, d’où son nom, rua-poto.

Ces deux trajectoires sont les frontières, au Nord et au Sud, d’un gigantesque tapis

roulant céleste, projection sur la voûte du ciel de la zone intertropicale. Le soleil, tout au long

de l’année, voyage d’une frontière à l’autre. Lorsqu’il est à mi-parcours, il est l’équinoxe18

,

Rāhiti, c’est-à-dire à l’équateur. Le jour et la nuit sont d’égale durée (figure n° 9).

Rua serait-il un chemin ? Nous avons le témoignage d’un agriculteur de Huahine19

.

Celui-ci utilise ara-poto et ara-roa à la place de rua-poto et rua-roa pour désigner le solstice

d’hiver et le solstice d’été. Pour planter ses ignames, précise-t-il, il attendait le jour où le

soleil effectue son chemin le plus long dans le ciel, c’est-à-dire à ara-roa, au solstice d’été, au

15 Voir les témoignages de ces deux explorateurs français, en pp. 7-8, au chapitre I.

16 Le solstice d’été a lieu, pour l’hémisphère Sud, le 21 décembre.

17 Le solstice d’hiver a lieu, pour l’hémisphère Sud, le 21 juin.

18 L’équinoxe du printemps a lieu aux environs du 21 septembre, et l’équinoxe d’automne, vers le 21 mars.

19OUTU, Tehare, est née en 1933 à Parea, et est installée en Nouvelle-Calédonie depuis quarante ans.

Page 165: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

152

mois de décembre. Pour Davis et Jaussen, ara désigne, une route ou un chemin sur terre. Rua

désignerait un chemin dans le ciel.

Figure N° 9 : Rua-roa, le soleil se trouve à sa limite extrême, au Sud, au Tropique du Capricorne, nous

sommes au solstice d’été et Rua-poto, le soleil, se trouve à sa limite extrême, au Nord, au Tropique du

Cancer, nous sommes au solstice d’hiver. (Dessin personnel)

Les Hawaiiens nomment la ligne tracée par le soleil au solstice d’été, dans

l’hémisphère Nord, au Tropique du Cancer ke alanui polohiwa a Kanaloa « le chemin aux

reflets noirs de Kanaloa ».Quant à la route du soleil au solstice d’hiver, dans l’hémisphère

Nord, au Tropique du Capricorne, ils l’ont baptisée ke alanui polohiwa a Kāne « la route aux

reflets noirs de Kane20

». Le terme hawaiien ala correspond au tahitien ara « route, chemin,

sentier ». Ala, en hawaiien, possède donc le même sens que le tahitien rua. Il n’existe pas de

reflet du terme rua en hawaiien en rapport avec l’astronomie. Il est également absent dans

toutes les langues polynésiennes, sauf, en pa’umotu et en maori.

En résumé, rua apparaît comme une résultante de la pensée tahitienne, soucieuse de

concilier ses mythes avec ses pratiques. Il traduit un triple concept qui relève à la fois de la

mythologie, de l’astronomie et de la géographie. Comme pour le concept de fiu21

dans le

domaine de la psychothérapie tahitienne, un seul mot ne suffirait pas pour traduire toute sa

20 MAKEMSON, M., 1941.The Morning Star Rise.

21Fiu : las, fatigué, rassasié, dégoûté, etc.

TahitiSUDNORD

EST

Soleil

au Solsticed'hiver

Soleil au Solstice

d'été

Soleil à l'équinoxe

Hawai'i

Page 166: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

153

sémiotique. La notion de Rua relève de l’imaginatif, il répond aux interrogations de l’homme,

sur l’émergence de la matière dans l’univers et sur les propriétés de cette matière. Elle a été

intégrée au domaine de l’astronomie dans la mesure où elle a permis d’expliquer l’apparition

et la disparition quotidienne des astres, et à celui de la géographie en fournissant un système

fiable de reconnaissance des directions azimutales.

Henry22

le cite abondamment dans ses textes, mais elle se contente d’exploiter son

contenu mythologique. Le champ astronomique et géographique ne trouvera des réponses que

grâce aux définitions que l’on trouve dans les dictionnaires de Stimson et de Williams. Ce

n’est que par ce biais que nous avons pu envisager le rua comme un concept fondamental de

la navigation astronomique (figure n° 10).

Figure N° 10: Rua et ta’urua. Les Tahitiens se représentent la mer comme une surface plane. Les suites

d’étoiles appelées rua, repérées par une étoile de première grandeur baptisée ta’urua se lèvent à l’horizon

à l’Est, atteignent le zénith, puis redescendent à l’Ouest jusqu’à l’horizon. Elles dessinent dans le ciel un

mouvement circulaire qui les fait ressembler aux parallèles de l’astronomie moderne (Dessin personnel)

En astronomie, les rua reflètent les trajectoires astrales tracées d’Est en Ouest dans le

ciel par des étoiles de première grandeur (magnitude ≤ 2) appelées ta’urua « repères-de-rua »,

22 HENRY, T., 1968.Tahiti aux temps anciens.

NORD SUD

Pôle

CélesteSud

OUEST

EST

Croix-du-Sud

Zénith

Ta'urua

Ta'urua

Ta'urua

Page 167: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

154

et par les étoiles moins importantes qui les suivent ou qui les précèdent. Leurs parcours d’Est

en Ouest les rendent assimilables aux latitudes sans que nous les confondions toutefois. La

latitude en géographie est une ligne imaginaire, rectiligne et parfaite, alors que le rua est une

ligne brisée constituée d’étoiles non nécessairement alignées.

Les noms des rua n’ont pas été répertoriés, ni par Henry, ni par Davies. Henry fait

bien allusion à une constellation dénommée ‘Apa’apa-Rua-manu23

« côté-rua-oiseaux », que

nous pensons être la constellation de la Grue.

Comment retrouver les noms des rua ?

La réponse est fournie par Henry, dans son texte de la Naissance des Corps Célestes,

au moment où elle évoque la naissance de l’étoile Fomalhaut nommée Ta’urua-nui-e-

fa’atere-va’a-ia-atutahi « Ta’urua-nui-le-pilote-d’atutahi » dont le passage est reproduit ci-

dessous (1928 : 360) :

Alors, ses ari’i naquirent :

- Ta’urua-nui le pilote d’Atutahi (Fomalhaut), qui se tient au Sud durant ses nuits,

- et ‘Apa’apa-rua-manu (Grue)

[…]

La pirogue appartient à Atutahi (Poisson Austral), une constellation de ‘Uti’uti, arrimée à

la face du ciel dans le Sud,

Ta’urua-nui en est le pilote,

- vint ensuite Tauhā (Croix du Sud),

- vint ensuite Ta’urua-nui-o-te-hiti-apato’a (Canopus)

Dans cet extrait, il est précisé que l’étoile Fomalhaut Ta’urua-nui est le pilote (l’étoile-

repère) de la constellation du Poisson Atutahi. Nous pouvons donc convenir que chaque étoile

Ta’urua porte en elle le nom de la constellation à laquelle elle appartient.

Un deuxième exemple que l’on peut citer est Ta’urua-nui-o-mere (Bételgeuse). Cette

étoile ta’urua est le repère de Mere, qui est un autre nom de la Ceinture d’ Orion. Nous

pouvons donc en conclure que la ceinture d’Orion et Bételgeuse faisaient partie d’une

constellation dénommée Mere. En outre, la Ceinture d’Orion est, elle-même, un ta’urua,

23‘Apa’apa-rua-manu : ‘apa’apa « oiseaux, battements d’ailes, côté » (Davies), rua-manu « chemin-des-

oiseaux » (traduction personnelle). Nous avons traduit ‘apa’apa par « oiseaux » car, ce nom a remplacé manu au

XIXe siècle, pour désigner la 7ème

lunaison de l’année, dans le calendrier tahitien. Ce sont des synonymes.

Page 168: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

155

puisqu’elle porte comme nom Ta’uru-nui-o-mere-ma-tūtahi. Mere-ma-tūtahi étant la

constellation formée par la Ceinture d’Orion et par l’étoile Rigel située plus au Sud.

De ces constats, nous pouvons convenir que chaque Ta’urua est l’étoile-repère d’une

constellation dont le nom est le qualificatif qui le caractérise.

Ces constellations, hui-fetū et hui-tārava, lorsqu’elles sont utilisées comme des

« chemins-dans-le-ciel », sont appelées, par les fa’atere (pilotes-navigateurs), rua. La

constellation du Poisson devient, de ce fait, Rua-nui-o-atutahi, celle d’Orion-Nord, Rua-nui-

o-mere, celle d’Orion-Sud, rua-nui-o-mere-ma-tūtahi.

Ci-dessous la liste des douze rua « chemin d’étoiles », correspondant à neuf

constellations, au tracé de l’écliptique et aux deux trajets extrêmes du soleil, et leurs étoiles-

repères ta’urua correspondant dont le soleil qui peut être considéré comme le « ta’urua » le

plus brillant du ciel :

1. Rua-i-te-ha’apāra’a-manu (Cygne), repéré par Ta’urua-i-te-ha’apāra’a-manu (Déneb).

2. Rua-nui-o-mere (Orion-Nord), repéré par Ta’urua-nui-o-mere (Bételgeuse).

3. Rua-o-mere-ma-tūtahi (Orion-Sud), repéré par Ta’urua-o-mere-ma-tūtahi (Ceinture d’Orion).

4. Rua-o-feufeu (Hydre-Nord), repéré par Ta’urua-feufeu (Alphard).

5. Rua-faupapa (Grand-Chien), repéré par Ta’urua-faupapa (Sirius).

6. Rua-nui-o-atutahi (Poisson), repéré par Ta’urua-nui-o-atutahi (Fomalhaut).

7. Rua-o-mere (Capricorne), repéré par Ta’urua-o-mere (Déneb Algedi).

8. Rua-manu (Grue), repéré par Ta’urua-manu (Alna’ir).

9. Rua-tupu-tai-nanu (Argo), repéré par Ta’urua-tupu-tai-nanu (Canopus).

10. Tua-o-uru-po’i (écliptique), repéré par Ta’urua-nui-horo-po’ipo’i / Ta’urua-nui-horo-ahiahi

(Jupiter et Vénus).

11. Rua-roa (solstice d’été), repéré par Rā (soleil)

12. Rua-poto (solstice d’hiver), repéré par Rā (soleil)

f. Rua : Dans les autres îles polynésiennes

Les Hawaiiens appellent le Tropique du Capricorne ke alanui polohiwa a Kanaloa et

le Tropique du Cancer ke alanui polohiwa a Kāne. A Pukapuka, les termes pour nommer les

solstices étaient Lua poto « abîme court » et Lua loa « abîme long. En maori, Mārua roa

s’applique aux deux solstices, ainsi qu’à l’équinoxe.

Page 169: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

156

Certaines communautés polynésiennes possèdent également un nom particulier pour

désigner l’écliptique. Les habitants de Pukapuka (aux îles Cook du Nord) appellent le chemin

du Soleil, te ala o te lā (te ara o te rā en tahitien). Les Hawaïens l’ont baptisé, ke ala ula o ke

ku’uku’u « le chemin mirifique de l'araignée » (te ara ‘ura o te tu’utu’u en tahitien).

Il semble que, parmi les Polynésiens, seuls les Tahitiens, les Pa’umotu et les Maoris

font usage du terme rua dans leur mythologie, en astronomie, en géographie et en navigation.

Ce serait, de ce fait, une innovation du sous-groupe tahitique, auquel les trois cultures

appartiennent.

Pour traduire ce concept incontournable de la navigation traditionnelle polynésienne,

les navigateurs de la Polynesian Voyaging Society utilisent le terme house pour désigner leur

rua. L’horizon, à l’Est est donc divisé en quinze houses, de largeur identique que l’on

retrouve à l’Ouest. Chaque house est reconnaissable par un nom qui lui est attribué selon un

choix indépendant des astres qui s’y trouvent.

g. ‘Anā : repère de pou

Donner une définition de ‘anā n’est pas aisé. D’abord, sur le plan phonologique, la

question se pose si nous devons l’écrire /Ɂanā/ (la dernière voyelle est allongée) ou /Ɂana/.

Henry l’écrit, anâ. L’accent-circonflexe sur la dernière voyelle indique, dans la graphie

d’Henry, que c’est une voyelle longue. Elle le traduit par « aster », c’est-à-dire, « astre ». Le

Pollex n’en fait pas état. Elle est pourtant présente dans les langues, hawaiienne, maorie et

pa’umotu :

- HAW nana : « nom d’une étoile, nom d’une lunaison », Nānā-mua

« Castor » (Pukui)24

.

- MAO ŋa-ŋana : « rutiler, rougeoyer, lueur, lumière, éclat, incandescence, feu »

(Williams)25

.

- TUA ŋana : « être impatient, prêt, être vaillant, intrépide, valeureux, vaillant

guerrier. » mais aussi, « le nom de deux étoiles, ŋana-tautua et ŋana-tauaro, ‘Castor

et Pollux’ » (Stimson).

24 PUKUI, M. K. & ELBERT, H. S., 1986. Hawaiian dictionary, revised and enlarged edition.

25 WILLIAMS, H. W., 2006, [First published 1844]. Dictionary of the Maori language.

Page 170: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

157

- TUA ŋanā : « le nom de deux étoiles, ŋanā-tautua, ŋanā-tauaro, ‘Castor et

Pollux’ »(Stimson).

Ces exemples nous ont conduits à mettre une occlusive glottale en début de lexème, et

à l’écrire, /Ɂanā/.

Les seules définitions qui conviennent, en se cantonnant au domaine de l’astronomie,

sont celles proposées par Williams, pour le maori, « rutilante et éclatante ». Ce qui convient

aux étoiles ‘anā, car elles sont parmi les étoiles les plus brillantes du ciel. Contrairement à

celles de la classe ta’urua, il n’y a aucune planète parmi elles.

Les ‘anā, d’après Henry, indiquent l’emplacement d’un pou, un pilier du ciel, devenu

une étoile scintillante (1968 : 370). Les étoiles ‘anā en astronomie, correspondent aux piliers

pou en mythologie. Nous pouvons donc conclure qu’un ‘anā est le repère d’un pou, alors

qu’un ta’urua est la marque d’un rua.

Dans sa description du déroulement de la cérémonie du pa’iatua, Henry nous fait part

des prières d’incantation, prononcées par le tahu’a, sur le marae, pour clôturer la cérémonie,

et pour que les gens commencent la fête. C’est au cours de ces prières d’incantations que sont

énumérés les dix ‘anā, représentés par des unu, plantés sur les murets du marae (1968 : 182) :

[…]

O ‘Anā-ni’a,

O ‘Anā-mua,

O ‘Anā-roto,

O ‘Anā-muri,

O ‘Anā-tīpū,

O ‘Anā-heuheu-pō,

O ‘Anā-tahu’a-ta’ata-metua,

O ‘Anā-tahu’a-vahine,

O ‘Anā-iva,

[…]

[…]

Polaris,

Antarès,

Régulus,

Zuberrel-Chamali, ou, Zuben Eschamali,

Dubhe,

Alphard,

Arcturus,

Procyon,

Bételgeuse,

[…]

Dans l’énumération ci-dessus, deux anomalies sont à relever. Elles ne sont pas dues à

la traduction en français, car elles existent déjà dans la version anglaise de 1928. Il manque

une étoile, sans doute un oubli, car ‘anā-varu est absente dans la colonne en tahitien. En

conséquence, il y a eu un décalage dans la colonne en français. Bételgeuse est devenue ‘Anā-

Page 171: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

158

iva, alors que dans le récit de la Naissance des corps célestes, elle porte le nom de ‘Anā-varu,

‘Anā-iva étant l’étoile Phaet ou Phact située dans la Colombe.

Les maisons de réunions des tahu’a et des ari’i, dans laquelle ils se réunissent d’une

manière ritualisée, avant et après les cérémonies sur le marae, et où sont entreposés tous les

objets sacrés, sont appelées fare-ia-mana-hā « maison-pour-insuffler-le-mana ». Ce sont des

fare pōte’e, des maisons de forme ovalisée, dont la caractéristique principale est d’avoir des

poteaux apparents, des pou, sur tout le pourtour ainsi qu’en son centre. Chaque participant au

rituel doit tenir sa place auprès du pou qui lui est attribué. Le rôle de chaque participant est

déterminé par le nom de son pou. A chaque pou, au nombre de dix, correspond une étoile

‘anā (Henry, 1928 : 361).

Ci-dessous, la liste des dix ‘anā, « étoiles brillantes », et des dix pou, « piliers »

correspondants, suivis de leurs noms respectifs en français (Henry, 1928 : 361) :

1) o ‘Anā-mua, e pou tomora’a atu i te ‘apu

o te ra’i, ‘oia o ‘Anā-hoa ;

2) ‘Anā -muri, ta’i Rio‘aitu, fa’arava’ai atu

‘e te ‘ā’ahi, ei pou fa’a’ere’erera’a ;

3) ‘Anā-roto, e pou Tū-ma-Ta’aroa ;

4) ‘Ana-tīpū, e pou hiti ni’a, e pou

tia’ira'a ;

5) ‘Anā-heuheupō, fetū ‘ura e fano i te

‘aere ra’i i to’a, e pou hiti raro, e pou

‘ōrerorerora’a ;

6) ‘Anā-tahu’a-ta’ata-metua-te-tupu-

mavae, e pou ti’ara’a ;

7) ‘Anā-tahu’a-vahine-o-toa-te-manava, e

pou vāna’ana’ara’a ;

8) ‘Anā-varu, e pou nohora’a ;

1) ‘Anā-mua (Antarès), est le pilier d’entrée du

dôme du ciel, appelé aussi ‘Anā-hoa ;

2) ‘Anā-muri26

, guide de Rio, dieu des pêcheurs de

bonite et de thon (Aldébaran), est le pilier pour

noircir ;

3) ‘Anā-roto (Épi), est le pilier de Tū et Ta'aroa ;

4) ‘Ana-tīpū (Dubhe), est le pilier qui se dresse au-

dessus, le pilier d’attente ;

5) ‘Anā-heuheupō (Alphard), l’étoile rouge qui

vogue dans l’espace au Sud, est le pilier qui se

dresse au-dessous, le pilier de la rhétorique ;

6) ‘Anā-tahu’a-ta’ata-metua-te-tupu-mavae

(Arcturus), est le pilier pour se lever ;

7) ‘Anā-tahu’a-vahine-o-toa-te-manava (Procyon),

est le pilier de l’éloquence ;

8) ‘Anā-varu (Bételgeuse), est le pilier pour

26HENRY a omis de donner le nom français (ou anglais) de ‘Anā-muri. D’où une confusion. L’étoile ‘Anā-muri

a été traduite par Aldébaran. Alors que celle-ci est appelée Rio ou Ta’i-rio, en tahitien. ‘Anā-muri

correspond à Zuben-Eschamali.

Page 172: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

159

9) ‘Anā-iva, e pou haerera’a ;

10) ‘Anā-ni’a, e pou fa'arava’aira’a, i te ra’i

‘ōti’a.

s’asseoir ;

9) ‘Anā-iva (Phaet), est le pilier de sortie ;

10) ‘Anā-ni’a (Polaris), est le pilier pour pêcher,

aux confins du ciel.

La version française de cette liste d’étoiles comporte de nombreuses erreurs. Nous

devons donc utiliser la version anglaise.

Il faut noter que tous les historiens et les chercheurs qui ont travaillé sur cette liste, ont

tous commis la même erreur, aux conséquences graves. Ils ont par exemple pris l’étoile

Aldébaran pour ‘Anā-muri alors que c’est l’étoile Rio, comme l’a bien noté Henry qui l’a notée

entre parenthèse juste après avoir cité Rio. Elle le confirme en outre à la page 413 dans le

texte de la Naissance de terres nouvelles, où elle cite Rio comme étant réellement Aldébaran.

La confusion vient du fait qu’elle a omis de donner la traduction d‘Anā-muri, immédiatement

après l’avoir citée, comme elle l’a fait avec les autres étoiles ‘Anā. Heureusement, elle avait

déjà fourni son nom dans son récit de la cérémonie du Pa’iatua (1968 : 182), ‘Anā-muri est

l’étoile Zuben-Eschamali, avait-elle précisé.

Les dix étoiles de la classe ‘anā sont donc : Antarès, Zuben-Eschamali, l’Épi, Dubhe,

Alphard, Arcturus, Procyon, Bételgeuse, Phaet, Polaris. Aucune n’est une planète et chacune

d’elles matérialise l’emplacement d’un pou.

A la différence des astres rua, les astres ‘anā ne sont pas liés à une suite d’étoiles. Ils

indiquent une position astronomique. Nous remarquons cependant que les ‘anā sont des

étoiles brillantes. Leur magnitude est inférieure à 2, sauf ‘Anā-iva (Phaet) et ‘Anā-muri

(Zuben-Eschamali) gradués à 2,6, donc, peu étincelante.

Page 173: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

160

h. Pou : pilier céleste - méridien

Pou signifie « poteau, pilier, pilotis, colonne » (dictionnaire du Fare Vāna’a /

Académie tahitienne). En mythologie, ce sont les piliers qui ont servi à soulever le dôme du

ciel et qui continuent de le maintenir au-dessus. Le pou de la mythologie est intimement lié à

un ‘anā, l’étoile qui symbolise son emplacement dans le ciel. En astronomie, un ‘anā est une

étoile de première grandeur.

Il existe dix pou qui soutiennent Tāpo’i-o-te-ra’i « Toiture-du-ciel », la demi-coquille

supérieure du bivalve primitif, Rūmia. En conséquence, nous comptabilisons dix ‘anā.

L’un des pou, Pou-fa’arava’aira’a, se trouve exactement au pôle Nord céleste,

puisqu’il est matérialisé sur la toiture du ciel par ‘Anā-ni’a, (l’Étoile polaire). Si la notion de

Pôle Nord existait chez eux, les Tahitiens l’auraient appelé Pou-fa’arava’aira’a. Les autres

pou /’anā couvrent l’ensemble du firmament.

Les dictionnaires de Davies et de Jaussen sont quasiment muets quant à la

signification d’un pou en astronomie. Nous devons nous en remettre exclusivement au propos

d’Henry. Or, celle-ci, comme pour les rua, mise à part l’indication, comme quoi, ce sont les

étoiles ‘anā, ne fournit pas d’autres informations qui puissent nous donner une idée du

concept. Elle nous donne la liste de ces pou, au moment où Tumu-nui et Papa-raharaha les

apportent pour les fixer (1968 : 350-351) :

1) Pou mua, Hotu-i-te-ra’i « pilier avant, Hotu-i-te-ra’i » ;

2) Pou muri, ‘Anā-feo « pilier arrière, ‘Anā-feo ;

3) Pou roto, Tū-ma-Ta’aroa27

« pilier central, Tū-ma-Ta’aroa » ;

4) Pou tia’i28

« pilier d’attente » ;

5) Pou ti’ara’a « pilier pour se lever » ;

6) Pou nohora’a « pilier pour s’asseoir » ;

7) Pou fa’a’ere’erera’a « pilier pour se farder » ;

8) Pou ‘ōrerorerora’a « pilier de la rhétorique » ;

9) Pou vāna’ana’ara’a « pilier de l’éloquence » ;

10) Pou haerera’a « pilier pour s’en aller ».

27 Dans le texte d’Henry, Ti’a-ma-Ta’aroa.

28 Une erreur de frappe s’est glissée dans le texte d’Henry, il est, en effet, écrit Pou-hia’i au lieu de Pou-tia’i.

Page 174: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

161

Cette liste de pou extraite des mythes de la création ne nous permet pas d’avoir une

approche de ce que pouvait être leur rôle en astronomie.

Étymologiquement, le terme est d’origine océanienne. Malcom Ross et l’équipe de

recherche de l’Université d’Australie29

ont reconstitué l’étymon proto-océanien, POC *bou

« poteaux principaux supportant le plancher surélevé ou la structure du toit, ou le poteau

central soutenant la poutre faîtière ». Les autres poteaux qui supportent la toiture et qui sont

placés autour, sont reconstruits en POC *turus, devenu en PPN *turu « poteau ». Nous

retrouvons son reflet en tahitien, turu « support, poteaux latéraux ». Il existerait en POC donc

une distinction entre les poteaux centraux et latéraux.

Le POC *bou donnera en proto-océanien oriental, PEO *mpou, et en fidjien, bou

« grand poteau d’une maison », puis en proto-polynésien PPN *pou « poteau », et enfin, dans

toutes les langues polynésiennes pou « poteau », c’est la définition que l’on trouve dans toutes

les langues polynésiennes.

Cependant, quelques-unes ont conservé la définition proto-océanienne. Comme le

marquisien, où pou signifie « grand poteau qui soutient le faîte d’une case (Dordillon)30

, ou en

faga'uvea et en futuna-aniwa, où pou est le « poteau central de la case » (Pollex).

Il semblerait donc qu’à l’origine, pou désignait le poteau central de la maison et turu,

les poteaux latéraux. Pour Davies, pou est un poteau, tandis que turu sont les poteaux

latéraux. S’il fait cette distinction, cela signifie-t-elle que pou, comme en marquisien, est le

poteau central ?

Pour en savoir plus, il nous faut investiguer dans la culture avec laquelle le Tahitien a

le plus échangé, celle des îles Tuamotu.

Nous avons vu qu’à l’époque de l’arrivée des premiers Européens, ils étaient

nombreux à Tahiti. L’un d’eux, Puhoro, originaire de Makatea, fut le pilote et l’informateur

d’Andia y Varela. Les modèles de pirogues appelés pahi sont d’origine pa’umotu. Sans

oublier que les Ari’i des Porionu’u, la famille Pomare, descendent également d’une branche

qui vient des îles Tuamotu.

29 ROSS, M., PAWLEY, A. & OSMOND, M., 1998. The Lexicon of Proto Oceanic, The Culture and

Environment of Ancestral Oceanic Society, Vol. 1 : Material culture.

30 DORDILLON, R. I., 1931. Grammaire et dictionnaire de la Langue des Îles Marquises : Marquisien –

Français,

Page 175: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

162

Dans son dictionnaire des dialectes pa’umotu, Stimson31

a noté pou « pilier, poteau »,

et turu « poteau ». Le poteau central est pou-roto ou pou-tumu. Mais en mythologie, pou-

tumu, est le « pilier originel de l’univers »32

.

Les dix piliers du ciel ne sont pas mentionnés. Cependant, Stimson cite la liste des

poteaux de maison, dont trois des noms rappellent ceux des piliers du ciel tahitiens : pou-mua,

pou-muri et pou-roto.

Il cite également les noms des étoiles ‘Anā, appelées aux Tuamotu, ŋana, au nombre

de dix, dont cinq sont identiques à ceux de Tahiti :

- Ŋana-heuheu (‘Anā-heuheupō à Tahiti).

- Ŋana-hoa (‘Anā-hoa à Tahiti).

- Ŋana-mua (‘Anā-mua à Tahiti).

- Ŋana-muri (‘Anā-muri à Tahiti).

- Ŋana-roto (‘Anā-roto à Tahiti)

Les cinq autres ŋana sont propres aux îles Tuamotu, nous ne trouvons pas leurs

équivalents dans la liste des ‘anā tahitiens. Ils connaissaient cependant deux d’entre elles,

citées par Henry, ‘Anā-tautua et ‘Anā-tauaro, ainsi qu’une troisième, ‘Anā-i-te-uhu-taramea,

le nom de l’île d’Anaa, selon Stimson (Ŋana-i-te-uhi-taramea). Ce sont les noms donnés aux

délégations des îles Tuamotu, qui venaient rendre hommage à l’ari’i Pomare (Henry, 1968 :

121) :

- Ŋana-ŋana-te-unu-mea (une étoile)

- Ŋana-tautua (une étoile)

- Ŋana-tauaro (une étoile)

- Ŋana-taha (une étoile)

- Ŋana-tua-rau (une planète).

Les ŋana des Pa’umotu symbolisent-elles des pou comme à Tahiti ? Stimson ne le

spécifie pas. Mais nous pouvons le supposer, du fait que nous trouvons, également, des pou

dans cette culture.

31 STIMSON J., MARSHALL D., 1964. A Dictionary of Some Tuamotu Dialects of the Polynesian language.

32Pou-tumu : The original pillar of the universe – (Stimson dictionary)

Page 176: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

163

Quelle définition les Pa’umotu donnent-ils au terme pou, d’un point de vue

astronomique ?

La définition du terme pou-nui, enregistrée par Stimson à Vahitahi, possède un

rapport, non seulement avec la mythologie, mais aussi avec l’astronomie. Voici ce qu’il a

noté:

Pou-nui: The name of the great central pilar of Raŋi-po or nether world which supports

the Raŋi-ao and the Raŋi-reva; erected by Kio. (Stimson)

« Le nom du grand pilier central de Raŋi-po ou monde inférieur qui soutient le Raŋi-ao33

et Raŋi-reva34

; érigé par Kio. (Traduction personnelle)

Pou-nui, « Grand-pilier », serait, selon cette définition, le pilier central qui soutient le

ciel. Pour les Pa’umotu, le ciel ne serait maintenu que par un seul pou. Il est unique, mais

central, c’est-à-dire qu’il est matérialisé au ciel, non pas par une étoile, mais par le zénith,

indépendamment des étoiles qui peuvent s’y trouver à un instant donné. Comme si toutes les

étoiles qui atteignent le zénith, devenaient, tour à tour, le pou-nui. Quant à Kio, parfois, Kiho,

Iho ou Io, il serait un dieu supérieur et mystérieux, connu que de quelques initiés. Son

existence ne paraît reposer sur aucune base historique sérieuse, et ne semble relever que des

fantasmes monothéistes de Stimson35

. Elle ne remet, toutefois, pas en cause l’existence de

Pou-nui.

Ces explications ne nous disent pas encore ce que sont, réellement, les piliers du ciel

en astronomie. Il nous faut citer le témoignage direct, recueilli en 2001 par Marie-Françoise

Peteuil à l’île de Pâques. Pour son informateur pascuan, l’étoile Sirius est nommée Te Pou,

« le Poteau »36

. Cela signifie que les Tahitiens n’étaient pas les seuls Polynésiens à considérer

un pou comme une étoile.

Le second dictionnaire polynésien qui possède une entrée, pou, en relation avec le ciel

est celui de Williams37

, le dictionnaire maori, dont la première version fut éditée en 1844.

33Raŋi-ao : monde de la lumière, c’est-à-dire le monde du dessus. (Stimson)

34Raŋi-reva : Firmament, ciel supérieur. (Stimson)

35 SAURA, B., 2004, La société tahitienne au miroir d’Israël, pp. 61-65.

36 PETEUIL, Marie-Françoise, 2003. « Ciel d’îles », p.14.

37 WILLIAMS, H. W., 2006, [First published 1844]. Dictionary of the Maori language.

Page 177: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

164

À l’entré pou, aucun terme n’est recensé qui intéresse l’astronomie. En revanche, nous

avons poupou, qu’Henry cite justement dans le récit de la Naissance des Corps Célestes : Te

poupou o te ra’i iā Rūmia ra, ‘ua riro ana’e ia ‘ei ‘anā ‘amo’amo nui i ni’a i te ra’i - « Les

piliers du ciel de Rūmia sont devenus de grandes étoiles scintillantes dans le ciel ». Elle

utilise, à la place de pou, son pluriel, le terme poupou.

Voici ce que nous révèle le Williams Dictionary au sujet de ce terme chez les Maoris,

en astronomie : Poupou : Aloft, on the meridian, of the sun. « En haut, sur le méridien, du soleil ».

(Traduction personnelle)

Si, pour les Pa’umotu, le pou est le zénith du ciel, pour les Maoris, il est le méridien

repéré par le soleil. Rappelons que le méridien du soleil est déterminé au moment où l’astre a

atteint son point culminant. Le méridien étant, par définition, la ligne qui, partant du Pôle Sud

céleste aboutit au Pôle Nord céleste, en passant par le soleil à son point culminant.

Le pou serait donc une ligne représentant le tracé du méridien que Tupaia avait baptisé

rā-avatea « soleil-de-midi » sur sa carte.

Dans le Reed Dictionary38

, il est indiqué que le comité chargé de travailler sur les

nouveaux termes, Te taura whiri i te Reo Māori, a préconisé d’appeler le Pôle Nord, Pou

Tokerau, et le Pôle Sud, Pou Tonga. Cette préconisation découle de la définition de pou, la

ligne droite qui relie les deux pôles en passant par le zénith : le méridien.

Ce rapport entre zénith et méridien dans les deux cultures les plus proches de celle des

Tahitiens, nous autorise-t-il à considérer le pou tahitien, en astronomie, comme la ligne du

méridien ? Les trois cultures font partie d’un point de vue linguistique, du sous-groupe

tahitique qui appartient à la branche polynésienne orientale de l’arbre généalogique des

langues polynésiennes. Leurs savoirs scientifiques enregistré au moment de l’arrivée des

Européens ont été, heureusement, partiellement préservées chez les uns et chez les autres.

C’est leur synthèse qui nous a permis d’approcher le concept d’une ligne virtuelle qui joint

sur la sphère céleste le pôle Nord au pôle Sud, le pou (figure n° 11).

38RYAN, P. M., 1997. The Reed dictionary of modern Māori,

Page 178: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

165

Figure N° 11: Les étoiles de classe ‘anā se lèvent à l’horizon à l’Est, et, une fois qu’elles atteignent le

zénith, elles s’alignent avec le Pôle Sud céleste et le Pôle Nord céleste, pour dessiner un pou, un

« méridien » (Dessin personnel)

Mais comment tracer un méridien pou, dans l’hémisphère Sud, quand l’Étoile polaire

n’est pas visible ?

Il est, en effet, laborieux de tracer un méridien entre une étoile ‘anā qui est au zénith et

le Pôle Sud céleste, celui-ci ne disposant pas d’étoile fixe comme c’est le cas pour le Pôle

Nord céleste avec Polaris (Étoile polaire). Il est donc nécessaire d’utiliser les étoiles voisines,

Croix du Sud, Toliman, Agena, Achernar ou Canopus, ou la zone sans étoile qui matérialise le

Pôle Sud céleste.

Il en est de même lorsque nous voulons tracer un méridien en utilisant une étoile située

au Pôle Nord céleste. L’Étoile polaire n’étant pas visible, pour tracer une ligne entre une

étoile ‘anā située à son zénith et le Pôle Nord céleste, il faut choisir une étoile voisine. Il se

trouve que l’étoile de première grandeur la plus proche du Pôle Nord et visible de

l’hémisphère Sud est ‘Anā-tīpū (Dubhe), un astre justement classé ‘anā.

PÔLE

NORDCÉLESTE

PÔLE

SUDCÉLESTE

ESTOUEST

'Anā 1

'Anā 2

'Anā 3

'Anā 4

'Anā 5'Anā-tīpū

Duhbe

MÉR

IDIE

N

ZÉNITH

Tau-hāCroix-du-Sud

PO

U(P

ilier

du

ciel

)'Anā 6

'Anā 7'Anā 8

'Anā 9

NADIR

Page 179: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

166

Un pou serait donc le méridien qui relie le Pôle Sud céleste au Pôle Nord céleste, en

passant par une étoile de classe ‘anā, au moment où celle-ci est à son zénith.

Les Pa’umotu et les Maoris ont conservés les définitions du terme pou, alors que les

Tahitiens semblent l’avoir perdu.

4. Les étoiles et les constellations remarquables du ciel tahitien

Si nous sommes parvenus à connaître la définition des nombreux termes relatifs aux

astres comme, fetū, fetūhoro, ‘āvei’a, ta’urua, ‘anā et pou, avant d’aborder leur usage en

navigation, pour la mesure du temps et pour les présages, voici ci-dessous une liste exhaustive

de ces astres, la liste complète est en annexe 1 du présent travail.

a) Fetū « étoiles » n’appartenant à aucune classe :

- Pīpiri « avare » : Castor

- Rehua « cendré » : Pollux

- Matari’i « petits yeux » : Pléiades

- Tahi-ari’i « ari’i solitaire » : Capella

- Rio « canne à pêche » : Aldébaran

- Nā-Mata-rua « les deux yeux » : Toliman & Agena (α and β Centauri)

- Mariua « chaviré » : Épi

- Fa’a-rava-i-te-ra’i « couleur-du-ciel » : Altaïr

- Pira’e-tea « sterne blanc » : Déneb

- Tauhā « quatre attachés » : Croix du Sud

- Ari’i-o-ma-ra’i-re’a « ari’i-du-ciel-blanc » : Véga

- Ari’i-o-’apa-to’a « ari’i-du-Sud » : Achernar

b) Étoiles de classe ta’urua :

- Ta’urua-i-te-ha’apāra’a-manu « Ta’urua-de-l’ascension-des-oiseaux» : Déneb

- Ta’urua-nui-o-mere « Ta’urua-des-désirs » : Bételgeuse

- Ta’urua-o-mere-ma-tūtahi « Ta’urua-de-Mere-et-Tūtahi » : Ceinture d’Orion

Page 180: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

167

- Ta’urua-feufeu « Ta’urua-qui-rejette » : Alphard

- Ta’urua-faupapa « Ta’urua-des-chefs » : Sirius

- Ta’urua-nui-fa’atereva’a-o-atu-tahi « Ta’urua-nui-le-pilote-de-Atutahi » :

Fomalhaut

- Ta’urua-o-mere « Ta’urua-de-Mere » : Déneb Algedi

- Ta’urua-manu « Ta’urua-de-l’oiseau » : Alnaïr

- Ta’urua-tupu-tai-nanu « Ta’urua-de-la-mer-houleuse » : Canopus

- Ta’urua-nui-horo-po’ipo’i / Ta’urua-nui-horo-ahiahi « Ta’urua-nui-qui-se-

déplace-le-soir » / « Ta’urua-nui-qui-se-déplace-le-matin » : Jupiter & Venus

c) Étoiles de classe ‘Anā :

- ‘Ana-mua « Etoile-brillante-de-devant » : Antarès

- 'Ana-muri « Etoile-brillante-de-derrière » : Zuben-Eschamali

- 'Ana-roto « Etoile-brillante-centrale : Régulus

- 'Ana-tīpū « Etoile-brillante-qui-dévie » : Dubhe

- 'Anā-heuheupō « Etoile-brillante-qui-cherche-dans-la-nuit » : Alphard

- 'Ana-tahu'a-ta'ata-metua-te-tupu-mavae « Etoile-brillante-du-prêtre-parent-

qui-se-développe-séparément » : Arcturus

- 'Ana-tahu'a-vahine-o-toa-te-manava « Etoile-brillante-de-la-prêtresse-des-

guerriers-accueillants » : Procyon

- 'Ana-varu « Huitième-étoile-brillante » : Bételgeuse

- 'Ana-iva « Neuvième-étoile-brillante » : Phaet

- 'Ana-ni'a « Étoile-du-dessus » : Polaris

d) Hui fetū ou hui tārava « Constellations » :

- Matau-nui « Grand-hameçon » : Scorpion, pendant la période de matari’i-i-

ni’a

- ‘Uo « Cerf-volant » : Scorpion, durant la période de matari’i-i-raro

- Fa’a-nui « Grande-nasse » : Cocher (Auriga)

- Fa’a-iti « Petite-nasse » : Persée

- Ma’o-roa « Grand-requin » : Aigle

- Atu-tahi « Première-bonite » : Poisson Austral

Page 181: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

168

- Atu-ra’i-putuputu « Banc-de-bonites-célestes » : Poissons

- ‘Apa’apa « Battement-d’ailes » : Grue

- Ha’apāra’a-manu « L’envol-de-l’oiseau » : Cygne

- Ma’ama’atai « Étoile-de-mer » : Corbeau

- Hui-tārava-ia-Mere « Groupe-d’étoiles-de-Mere » : Ceinture d’Orion

- Nā-‘ō’iri « Les-deux-balistes » : Sac-à-charbon

- Vai-ora « Eau-vivifiante » : Voie-Lactée

- Moana-’ohu-noa-’ei-ha’amoe-hara « l’Océan-tourbillonant-pour-faire-

disparaître-les-fautes » : Coupe

- Pīpiri-mā « Les-avares » » : Castor & Pollux

- Nā-‘ainanu « Les-deux-qui-désirent-la-nourriture » : Castor & Pollux

- Fa’a-tā-potupotu « Nasse-ouverte » : Gémeaux

e) Rua « chemins d’étoiles » :

- Rua-i-te-ha’apāra’a-manu « Chemin-d’étoiles-de-l’envol-de-l’oiseau » :

Cygne

- Rua-nui-o-Mere « Grand-Chemin-d’étoiles-de-Mere » : Orion-Nord

- Rua-o-mere-ma-tūtahi « Chemin-d’étoiles-de-mere-et-de-tūtahi » : Orion-

Centre

- Rua-feufeu « Chemin-d’étoiles-qui-rejettent » : Hydre-Nord

- Rua-faupapa « Chemin-d’étoiles-des-premiers-chefs » : Grand-Chien

- Rua-o-atutahi « Chemin-d’étoiles-de-la-première-bonite » : Poisson Austral

- Rua-o-Mere « Chemin-d’étoiles-de-Mere » : Capricorne ou Rua-roa « Chemin-

d’étoiles-long » : route du soleil au Solstice d’été

- Rua-manu « Chemin-d’étoiles-de-l’oiseau » : Grue

- Rua-tupu-tai-nanu « Chemin-d’étoiles-de-la-mer-houleuse » : Argo

- Rua-poto (Rā) « Chemin-d’étoiles-court » : route du soleil au solstice d’hiver

f) Pou « piliers du ciel » :

- Pou-mua « Pilier-de-devant » : Antarès - Scorpion

- Pou-muri « Pilier-qui-suit » : Zuben-Eschamali - Balance

- Pou-roto « Pilier-central » : Regulus - Lion

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169

- Pou-tia’ira’a « Pilier-de-guet » : Dubhe – Grande Ourse

- Pou-’ōrerorerora’a « Pilier-pour-déclamer » : Alphard - Hydre

- Pou-vāna’ana’ara’a « Pilier-de-l’éloquence » : Arcturus - Bouvier

- Pou-ti’ara’a « Pilier-pour-se-lever » : Procyon – Grand Chien

- Pou-nohora’a « Pilier-pour-s’asseoir » : Bételgeuse - Orion

- Pou-haerera’a « Pilier-pour-sortir » : Phaet - Colombe

- Pou-fa’arava’aira’a « Pilier-pour-pêcher » : Étoile polaire – Petite Ourse

A partir de cette vision du ciel, de la catégorisation en classe ta’urua et en classe ‘anā,

des astres, de l’agencement en rua et en pou des étoiles et des définitions de ces quatre termes

en astronomie, nous pouvons, en découvrant la raison de ces classements, enfin appréhender

la méthode traditionnelle de navigation astronomique des Tahitiens.

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171

CHAPITRE V

NAVIGATION TAHITIENNE AUX ÉTOILES

1. Introduction

Comment les Polynésiens ont-ils pu, à partir du centre de la Polynésie orientale, sans

instruments, réaliser à travers l’Océan Pacifique de grandes traversées et atteindre des îles

comme Hawai’i ou Aotearoa (Nouvelle-Zélande), situées à plus de 2.400 milles nautiques

(4.500 km) de leur point de départ ? Furent-elles accidentelles ou possédaient-ils un système

de navigation leur permettant de retrouver volontairement une île sur l'océan ?

Pour Ben Finney1, spécialiste de la navigation traditionnelle polynésienne, la question

des voyages accidentels est à mettre au compte de l’ethnocentrisme européen :

“Doubts about the accuracy of traditional Oceanic navigation have been expressed

intermittently over the past four centuries by ethnocentric writers who have questioned

whether it was possible to intentionally navigate to distant islands without the magnetic

compass and other aids.”(Finney, 1998: 460)

« Des doutes quant à la précision de la navigation océanienne traditionnelle ont été

exprimés, de façon intermittente, au cours des quatre derniers siècles par des écrivains

ethnocentriques, qui se sont demandés s’il était possible de naviguer intentionnellement

vers les îles lointaines sans compas magnétique et sans autres aides. »

Il s’adressait à Andrew Sharp2, le défenseur des voyages accidentels, qui excluait

techniquement que des traversées de plus de 300 milles nautiques puissent se faire sans l’aide

1 Ben FINNEY : anthropologue américain, spécialiste de l’histoire, de la culture, du surf, de la navigation

traditionnellepolynésienne. Il fut également expert du programme de colonisation humaine de l’espace. Il a

également été l’un des moteurs du projet de construction de la pirogue hawaiienne, Hokule’a, qui fitle voyage de

Hawai’i à Tahiti en 1976. A ce titre, il a joué un rôle clé dans la Renaissance de la culture hawaïenne. Il fut co-

fondateur de la Polynesian Voyaging Society.

2SHARP, Andrew, 1956. Ancient Voyagers in the Pacific.

Page 185: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

172

d’instruments. Ben Finney réfute ces propos. Il donne pour preuves les voyages sans

instrument et sans carte réalisés en 1970 par des Micronésiens, entre les îles Carolines et les

îles Mariannes, distantes de 400 milles nautiques, et la traversée Hawai’i / Tahiti effectuée par

l’équipage de la pirogue Hokule’a dont il faisait lui-même partie (Finney, 1998 : 461).

Pour notre part, nous adhérons à cet avis, car les Polynésiens ne voyageaient pas au

hasard des vents, mais en fonction de coordonnées fournies grâce à l’agencement de certaines

étoiles utilisées comme instrument de navigation.

Nous avons mis l’accent dans les chapitres précédents sur l’étendue des connaissances

des Tahitiens, au regard d’une lecture attentive des mythes, et ciblée sur leurs connaissances

en astronomie et en géographie. A la lumière de cet inventaire, nous avons mis en évidence

des arguments qui procèdent en faveur de notions « scientifiques » inédites, partagées en

partie ou en totalité, par les Pa’umotu et par les Maoris : le concept des rua et des pou, les

« chemins d’étoiles » qui matérialisent des latitudes, et les « piliers » qui s’alignent sur un

méridien.

Comment dès lors naviguaient-ils selon cette hypothèse ?

2. Navigation par les Rua, les « chemins d’étoiles »

a. Premier préalable : identifier les ’avei’a, les « étoiles zénithales », du point

de départ et de la cible

L’étoile zénithale3 d’une île est celle qui passe au-dessus d’elle ou sur un point

quelconque situé sur la même latitude. Chaque étoile du firmament est donc potentiellement

un ’avei’a. Ce peut être une simple étoile, petite ou grande, une étoile de la classe ta’urua,

une de la classe ‘anā, ou une constellation, hui fetū ou hui tārava.

L’étoile zénithale a pour avantage, en zone intertropicale, de donner la position en

latitude d’une île. C’est sa signature. Te ‘avei’a o Ra’iroa signifie, l’étoile-guide de Rangiroa,

te ‘avei’a o Anaa, l’étoile-guide d’Anaa, etc.

3 Zénith : [Par opposition à nadir] Point de la sphère céleste situé à la verticale au-dessus de la tête d'un

observateur. Le point opposé est le nadir. C’est également le point le plus haut de la course apparente d'un astre.

(CNRTL)

Page 186: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

173

David Lewis4 qui étudia ce concept dans toutes les îles du Pacifique donne, pour

« étoile zénithale », la définition suivante :

« A star’s declination is its celestial latitude. It passes directly above all places whose

latitude equals its declination as it progresses from east to west across the sky. Thus if

Sirius traverses the zenith of Vanua-Levu, a navigator, noting that this star was directly

overhead, could deduce that he was in the same latitude as the island. (The latitude of

Vanua-Levu and the declination of Sirius are both about 17° S.) He would, however, have

no means of knowing by the zenith star whether, or by how much, he was east or west of

the island. » (Lewis, 1972: 278)

« La déclinaison d’une étoile est sa latitude céleste. Celle-ci passe directement à la

verticale de tous les lieux, dont la position en latitude est la même que sa déclinaison,

quand elle progresse de l’Est vers l’Ouest dans le ciel. Ainsi, si Sirius passe au zénith de

Vanua-Levu, un navigateur, qui remarquerait qu’elle est à sa verticale, peut en déduire

qu’il est à la même latitude que l’île. (La latitude de Vanua-Levu et la déclinaison de

Sirius sont, tous deux, à environ 17 ° S). Il n’aurait, toutefois, aucun moyen de savoir, par

l’étoile zénithale, s’il est à l’Est ou à l’Ouest de l’île. »

Avant d’entamer un voyage, il est impératif de connaître l’étoile zénithale, aussi bien

de l’île de départ que de l’île d’arrivée. Pour rejoindre par exemple Nuku-Hiva aux îles

Marquises ou O’ahu aux îles Hawai’i en partant de Tahiti, il faut, connaissant l’étoile

zénithale de Tahiti, Ta’urua-faupapa (Sirius dans le Grand Chien), mémoriser celle de Nuku-

Hiha, Ta’urua-feufeu (Alphard dans la constellation de l’Hydre) ou celle de Hawai’i, ‘Anā-

tahu’a-ta’ata-te-tupu-mavae (Arcturus dans la constellation du Bouvier). Ces étoiles

traversent la voûte céleste en passant à la verticale de ces îles. Pour les rejoindre, il suffit de

suivre ces étoiles (Voir la figure n° 12).

4David Henry Lewis était un marin aventurier anglais, médecin de profession et passionné par la navigation

polynésienne. Il fut surtout connu pour ses études sur les systèmes traditionnels de navigation utilisés dans les

îles du Pacifique. Ses travaux furent publiés dans un ouvrage, qui rencontra un vif succès, We, The Navigators. Il

a fait connaître, au grand public, ces méthodes de navigation et a contribué à inspirer un renouveau de la

navigation traditionnelle dans le Pacifique. Il était l’un de ceux qui furent à l’origine de la construction de la

pirogue Hokūle’a.

Page 187: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

174

Figure N° 12: Les étoiles zénithales « ‘avei’a » de Tahiti, Ta’urua-faupapa (Sirius), de Nuku-Hiva Ta’urua-

feufeu (Alphard) et de Hawai’i ‘Anā-tahu’a-ta’ata-metua-te-tupu-mavae (Arcturus), arrivent de l’Est,

passent à la verticale des îles et continuent leur chemin vers l’Ouest. (Dessin Henri Python)

En revanche, l’étoile zénithale commun de Ra’iatea et de Huahine étant Ta’urua-

faupapa, la navigation pose moins de difficulté quand il faut se rendre de Tahiti vers ces îles.

Il suffit, comme l’a raconté William Ellis qui fit cette traversée avec les Tahitiens en 1820, de

suivre la direction de cette étoile-guide ‘avei’a (Ellis, 1972 II: 567).

L’étoile-guide dont parle Ellis, Ta’urua-faupapa, est Sirius qui passe au zénith de

Tahiti, Huahine et Ra’iatea.

La chance d’Ellis et des marins qui l’accompagnaient fut de n’avoir qu’un seul chemin

d’étoiles à emprunter. Mais, quand il faut aller chercher l’étoile-guide, plus au Nord ou plus

au Sud, il n’est pas aisé de déterminer sur mer, l’aplomb de l’étoile.

Par exemple, s’il faut aller chercher à 500 milles nautiques au Nord de Tahiti, la

verticale de Ta’urua-feufeu, l’étoile zénithale de Nuku-Hiva, nous avons peu de chance de

parvenir à l’aplomb d’un point minuscule qui matérialise le reflet sur la mer d’une étoile qui

se trouve à une distance infinie au-dessus de nous.

Comment les Polynésiens faisaient-ils ?

Plusieurs théories sont avancées. David Lewis pense, après avoir observé des

pêcheurs-navigateurs de Tikopia, une île de langue polynésienne située dans les îles Santa-

Cruz, au Sud des îles Salomon, que les Polynésiens utilisaient le mât de leur pirogue comme

Page 188: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

175

instrument de mesure. Ils se couchent au fond de leur embarcation, au pied du mât et

attendent patiemment que l’étoile zénithale soit dans son prolongement pour déterminer la

verticale au sol de l’étoile. Il a lui-même expérimenté la méthode (Lewis, 1972 : 282).

Will Kyselka5 juge pourtant la méthode peu probante, car, même sur la terre ferme où

tout est immobile, il est difficile de déterminer l’aplomb au sol d’une étoile6. Il pense plutôt

que la mesure était faite par rapport à la hauteur de l’Étoile polaire (dans l’hémisphère Nord),

ou de la Croix du Sud, dans l’hémisphère Sud (voir figure n° 13).

Lorsque nous nous trouvons à la verticale de l’Étoile polaire, par exemple, nous

sommes à 90° de latitude Nord. A la latitude de Hawai’i, nous sommes entre 16° N et 23° N.

En revanche, dans l’hémisphère Sud, à la verticale de la Croix du Sud, nous sommes entre 55°

S et 64° S. Tahiti étant située à 17°31’ S.

Une méthode de mesure de la latitude, sans instrument, a été mise au point et mise en

pratique par Nainoa Thomson7, membre de la Polynesian Voyaging Society

8 et maître

5 Will Kyselka était un géologue, professeur agrégé de l'Université de Hawai’i. Il fut conférencier au Planétarium

du Bishop Museum de Honolulu lorsqu’il fut approché par Nainoa Thompson en 1978, pour des leçons puis, la

recherche sur la navigation astronomique. Il publia en 1985 un ouvrage devenu une référence dans le milieu de la

navigation traditionnelle polynésienne, An Ocean in mind (1985), où il développa des procédés qui permirent de

résoudre de nombreuses questions. Ils mirent au point avec Nainoa Thomson des techniques de navigation sans

instrument, en alliant les méthodes occidentales avec les systèmes traditionnels, appris auprès de Mau Pialug, le

maître-navigateur micronésien, originaire de l’île de Satawal, dans les îles Caroline, qui fut le pilote de Hokūle’a

lors de son premier voyage, entre Hawai’i et Tahiti.

6KYSELKA, Will, 1987. An Ocean in Mind, (pp. 42-44)

7 Charles Nainoa Thompson est maître-navigateur. Il est le directeur de la Polynesian Voyaging Society. Il est

surtout connu pour avoir été le premier hawaïen à pratiquer l'antique art polynésien de la navigation. Il a navigué

sur deux pirogues traditionnelles à double coque (Hokule'a et Hawai'iloa) entre Hawai’i et de nombreuses autres

îles du Pacifique, sans l'aide d’instruments modernes. Il a été formé par le maître navigateur micronésien, Mau

Pialug, originaire de Satawal, avec qui il fit de nombreux voyages. Il réalisa son premier voyage en solo entre

Hawai’i et Tahiti en 1980. Depuis lors, il a été le principal navigateur des voyages ultérieurs de Hokule'a, en

particulier, le voyage de redécouverte entrepris entre 1985 et 1987. Le 18 Mars 2007, avec quatre autres

navigateurs natifs d'Hawai’i, il fut intronisé comme Pwo, c’est-à-dire, comme maître-navigateur lors d’une

cérémonie rituelle menée par Mau Pialug dans l’île de Satawal.

8 La Polynesian Voyaging Society (PVS) est une société à but non lucratif, basée à Honolulu, Hawaii. Elle a été

créée pour effectuer des recherches et pour perpétuer les méthodes traditionnelles de navigation au moyen de

répliques de pirogues à double coques traditionnelles. Elle a entrepris des voyages, sans instruments, dans le

Pacifique. Elle a été fondée en 1973 par l'anthropologue Ben Finney, l’artiste hawaïen Herb Kawainui Kane et le

marin Charles Tommy Holmes. Ils voulurent démontrer que les Polynésiens ont effectué des voyages

intentionnels sans instrument. Leur premier projet fut de construire une réplique d'une pirogue double. Elle fut

Page 189: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

176

navigateur de la pirogue Hokule’a9. Il consiste à tendre le bras en direction de l’horizon, vers

le Nord ou vers le Sud, et à mesurer, à l’aide de la longueur de la main, la hauteur de l’Étoile

polaire ou de la Croix du Sud, à son apogée, par rapport à la ligne d’horizon. Plus cette

hauteur est grande, plus nous nous rapprochons du Pôle Nord si nous sommes dans

l’hémisphère Nord, ou du Pôle Sud si nous sommes dans l’hémisphère Sud. La hauteur, entre

la ligne d’horizon et la Croix du Sud, mesurée à Tahiti, est égale à deux mains et demie ; à

Tubuai, aux îles Australes situées plus au Sud, cette hauteur fait trois mains (figure n° 13).

Figure N° 13: Mesure de la hauteur de Tauhā (la Croix du Sud), d’après la méthode de Nainoa Thomson,

entre l’étoile la plus au Sud, quand celle-ci se trouve à son apogée, et la ligne d’horizon. A Tahiti, la

hauteur de la Croix du Sud à son apogée fait environ deux mains et demie, à Hawai’i, située dans

l’hémisphère Nord, elle fait la largeur du pouce, à Tubuai, elle mesure trois mains. (Dessin Henri Python)

Lorsque Ben Finney10

évoque cette méthode, c’est pour citer les expériences de Lewis,

capable d’apprécier la latitude d’une île à 30 milles nautiques près, soit 55 km (Finney, 1979 :

214). Mau Pialug, le navigateur de Hokule’a, n’utilise pas cette méthode qu’il juge comme un

divertissement de Blancs comme le témoigne Nainoa Thomson : « Il ne se soucie pas des

lancée le 8 Mars 1975. Baptisée Hokule’a, elle a quitté Hawai’i, le 1er mai 1976, pour Tahiti. Le Micronésien

navigateur Mau Pialug, sans l'aide d'aucun instrument, rallia la pirogue à Tahiti le 3 Juin 1976.

9Ibid.

10FINNEY, B., 1979. Hōkūle’a: The Way to Tahiti.

Page 190: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

177

étoiles zénithales. Il considère ça comme une distraction. Le concept d’étoile zénithale n'a pas

de sens pour lui.11

» (Traduction personnelle)

Il est cependant un fait, chaque île est référencée par son ‘avei’a, son étoile-guide

zénithale. Mais ce n’est qu’une référence qui permet de la distinguer parmi d’autres îles

identifiées par leurs propres étoiles zénithales.

Il fut question également d’un instrument qui permettait aux Polynésiens de mesurer la

latitude. Il s’agit de la « calebasse sacrée ». Nous devons cette histoire au contre-amiral Hugh

Rodman12

, qui, un jour, visita le palais du roi Kalakaua à Honolulu. Celui-ci lui montra

l’instrument, une gourde décorée avec des bandes dorées percées de trous. Cette histoire

s’entremêle avec celle du compas-gourde, un autre instrument qui permet d’apprécier la

hauteur de l’Étoile polaire. Pour « mesurer », il faut observer par l’un des trous, la réflexion

de l’image de l’étoile sur l’eau contenu dans la gourde. Son usage comme instrument

d’orientation est très controversé. Les calebasses, à bord des pirogues hawaiiennes, étaient

plutôt destinées au transport de l’eau et non à la mesure des latitudes. G. Boulinier13

a relevé

que, « déjà en 1928, Stokes émettait des doutes quant à l'emploi effectif de cet « instrument »

et qu’Éric de Bishop est allé jusqu'à dire qu'il s'agissait d'une véritable supercherie de la part

de Rodman » (Boulinier, 1972 : 277).

b. Deuxième préalable : repérer les rua, de l’île de départ et de l’île-cible

De notre côté, nous pensons que la détermination de l’aplomb d’une île par rapport à

son étoile zénithale se mesurait sur la terre ferme. Il n’était pas utile de le faire à bord d’une

pirogue, car en navigation, cette donnée n’est plus nécessaire. En revanche, déterminer le rua

d’une île est primordial et, heureusement, relativement aisé. Se trouver à la verticale d’un rua

est à la portée d’un navigateur, la trace de sa trajectoire sur le firmament est plus large. En

conséquence sa projection au sol l’est aussi.

11« He doesn't care about zenith stars. He considers that playing around. The concept of zenith star has no

meaning for him. » (KYSELKA, W., 1987, p. 173)

12 RODMAN, H., 1928. « The sacred calabash ».

13 BOULINIER, G. & G., 1972. « Les Polynésiens et la navigation astronomique ».

Page 191: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

178

La largeur d’un rua au sol varie entre 100 et 150 milles nautiques alors que la

visualisation de l’aplomb d’une étoile est un point. Être à la verticale d’un rua ne demande

pas la même précision que d’être à l’aplomb d’une étoile (figure n° 14).

Figure N° 14: L’empreinte d’une étoile zénithale sur le sol est un point alors que l’empreinte d’un rua est

une bande couvrant d’Est en Ouest une largeur de 100 à 150 milles nautiques, plus facile à cerner. (Dessin

personnel)

Déterminer le rua d’une île revient à identifier son ta’urua. Celui-ci n’est pas

obligatoirement un ‘avei’a, une « étoile zénithale ». Par exemple, Tūtahi (Rigel) est l’étoile

zénithale de l’île de Hiva-’Oa alors que son ta’urua est Ta’urua-feufeu (Alphard). Certes ces

deux étoiles transitent par le zénith de l’île, mais c’est la seconde qui est le repère à l’horizon

de la suite d’étoiles qui va constituer le rua. Dans ce cas-ci, l’étoile Ta’urua-feufeu est

l’étoile-phare à l’horizon qui va indiquer rua-feufeu, le « chemin-d’étoiles-de-feufeu ».

c. Troisième préalable : prendre deux repères fixes au sol

La direction de chaque île-cible est matérialisée au sol par l’alignement de deux

repères, pics de montagne, rochers, îlots, promontoires, récifs, etc. L’île de Tahiti est

Étoile zénithale'avei'a

Trajectoire de l'étoile zénithale

Trajectoire du rua

Trajectoire du rua

Rua

Rua

NORD

SUD

EST

OUEST

Aplomb de l'étoile zénithale

Page 192: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

179

parsemée de repères de ce type utilisés encore de nos jours par les pêcheurs. Ils leur

permettent, lorsqu’ils sont allés trop au loin, en naviguant parallèlement à la côte, de savoir

exactement à quel moment ils doivent virer d’un angle de 90° pour revenir à leur point de

départ sur le littoral (figure n° 15).

Lors d’une traversée entre Mataiva et Tikehau, nous avons nous-mêmes observé le

pilote de notre kau « barque pa’umotu », prendre des repères au sol, un bloc de corail situé

dans l’eau et le cocotier le plus haut de cette partie de l’île. Nous avons également assisté à la

même scène lorsque nous avons quitté Hiva-’Oa pour nous rendre à Fatu-hiva. Le capitaine

de notre bonitier avait pris comme repères, le pic central de l’île de Mohotani et l’un des

sommets de Hiva-’Oa.

Figure N° 15: Le navigateur s’aligne sur deux repères situés au sol, par exemple, deux pics de montagnes,

le premier, en bord de mer et le second, au centre de l’île. Le départ s’effectue avant le coucher du soleil, il

repère ensuite, dans le prolongement de l’axe ainsi tracé, une étoile, qui fait partie d’un pou ou d’un rua,

qui va être son nouveau repère, aussitôt la nuit tombée. (Dessin Henri Python)

A Hawai’i, il existe un chenal entre les îles de Kaho’olawe et de Lana’i, baptisé Ke-

ala-i-kahiki « la-route-de-tahiti ». L’axe de ce chenal indique la direction de Tahiti14

.

14LOW, S., 2013. Hawaiki rising, Hōkule’a, Nainoa Thomson and the Hawaiian Renaissance, p. 138-140.

Page 193: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

180

Pour de longs parcours, il est parfois nécessaire d’aller chercher des repères sur une île

voisine. Aujourd’hui toujours, pour se rendre à Meheti’a, les pêcheurs vont chercher des

repères qui se trouvent au Pari, aux falaises qui se trouvent au Sud-Est de Tahiti qui donnent

la direction de l’île. Pour aller plus loin, à Anaa par exemple, située à l’Est de Tahiti, il faut

d’abord gagner l’île de Meheti’a avant d’ajuster sa course en direction d’Anaa.

La navigation vers une destination lointaine se fait donc par des petits sauts de puce.

Les départs s’effectuent toujours avant le coucher du soleil, ce qui permet :

1° D’avoir la direction de l’île-cible donnée par les repères au sol.

2° De choisir, dès la nuit venue, les étoiles dont on a besoin pour la navigation

astronomique.

Ces étoiles sont, d’abord, l’’avei’a « étoile-guide » de l’île, le ‘anā « étoile-repère » du

pou, et enfin le ta’urua « étoile-repère » du rua. La navigation aux étoiles peut alors

commencer.

d. Principe de la navigation avec le rua

Le mérite de la découverte du principe de la navigation à l’aide des rua revient à

Edward Dodd15

. Celui-ci publia en 1986, un article paru dans le Bulletin de la Société des

Études Océaniennes, où il présente une hypothèse, les Polynésiens disposaient d’une méthode

de navigation et d’un instrument astronomique : le rua16

. Ses affirmations s’appuient sur une

théorie proposée par un professeur d’astronomie de l’université de Colgate, Anthony Aveni17

.

15 Edward DODD était un grand voyageur, passionné par la culture polynésienne et par la navigation. Diplômé

de l'Université de Yale, il entreprit, avec quatre camarades de classe, un voyage dans le Pacifique, à bord d’une

goélette. Il raconta ce périple dans un livre, « Great Dipper to Southern Cross » (1930). Ce voyage a suscité son

intérêt pour les îles du Pacifique. Il étudia notamment les méthodes polynésiennes de navigation. Il publia cinq

ouvrages, « Tales of Maui » (1964), « Polynesian Art » (1967), « Polynesian Seafaring » (1972), « Polynesia's

Sacred Isle » (1976) and « The Rape of Tahiti » (1983). Mais son travail le plus intéressant pour ce qui nous

concerne fut la publication d’un article traduit en français, dans le Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes,

où il fournit un nom au procédé de navigation par les « sentiers du ciel », les rua

16 DODD, E., 1986. « L’art de la navigation dans la Polynésie d’autrefois ».

17Anthony F.AVENI était professeur d'astronomie et d'anthropologie à l'Université Colgate. Il était en charge

depuis 1963, de deux départements, celui de physique et d'astronomie et celui de sociologie et d'anthropologie.

Le docteur Aveni développa la recherche dans le domaine de l’archéoastronomie. Il fut considéré comme l'un

des fondateurs de l’archéoastronomie méso-américaine, en raison de ses travaux de recherche sur l'histoire de

Page 194: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

181

Elle fut publiée dans la revue américaine Science, au mois de juillet 1981. Celui-ci s’est

attaché à l’étude du système astronomique Maya. Sa particularité repose sur les trajectoires

des astres vus depuis leur territoire d’habitation, situé dans la zone intertropicale. Elles leur

ont permis d’élaborer un système très subtil d’orientation, basé sur le fait que le parcours des

astres dans le ciel, n’est pas le même qu’en Europe. A partir de ce constat, il émit l’hypothèse

que les traversées effectuées par les Polynésiens, furent favorisées par cette singularité :

« Il existe une différence frappante entre l’astronomie de la zone tropicale et celle de la

zone tempérée […] Notre conception traditionnelle (l’occidentale) de la navigation

traditionnelle de la navigation à l’aide d’étoiles dans l’hémisphère Nord (basée sur

l’écliptique et les coordonnées géographiques) n’avait aucune signification pour le

Polynésien qui naviguait, lui, dans la zone équatoriale. » (Dodd, 1986 : 5 – 6)

Figure N° 16 : En zone tempérée, les étoiles se lèvent en biais. Les cultures de ces régions se représentent le

ciel comme le lieu d’un mouvement circulaire dont l’étoile polaire est le pivot. L’astronomie occidentale

est basée sur ces particularités. (Dessin personnel)

l’astronomie des Indiens Mayas du Mexique. Le docteur Aveni est l’auteur de plus de deux douzaines de livres

sur l'astronomie ancienne.

'Apa to'erau

Nord'Apa to'a

Sud

Hiti'a

Est

To'o'a

Ouest

zénith

zénith

zénith

Étoile

Polaire

Page 195: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

182

En zone tempérée, les astres ne montent jamais très haut dans le ciel. Ils décrivent un

arc de cercle centré sur l’Étoile polaire (figure n° 16). Au contraire, en zone intertropicale, ils

montent très haut vers le zénith (figure n° 17). Voici comment il l’explique :

« En raison de la différence remarquable dans les positions et les mouvements des corps

célestes tels qu’ils peuvent être aperçus dans les zones tropicales et tempérées, nous

pouvons supposer que des systèmes astronomiques différents ont pu se développer dans

ces régions […] Presque toutes les civilisations tropicales qui ont développé des systèmes

indigènes, quel qu’en soit le motif, pratique ou religieux, ont créé des modèles qui

tournaient autour du zénith ou du nadir considérés comme des pôles, et de l’horizon

comme le cercle de référence fondamental. Une telle conception s’oppose de manière

remarquable à celle des anciennes civilisations de zones tempérées dont les systèmes sont

centrés sur le pôle céleste et l’équateur, ou l’écliptique. » (Dodd, 1985 : 6)

Figure N° 17 : En zone tropicale, les étoiles se lèvent directement vers le sommet du ciel, atteignent le

zénith puis redescendent jusqu’à l’horizon. Leur mouvement est vertical. Les Polynésiens ont mis à profit

ce phénomène. Ils ont imaginé les rua. (Dessin personnel)

De ce constat, il en tire des conséquences pour les habitants des îles du Pacifique qui,

d’une manière astucieuse, utilisèrent cette particularité de l’astronomie au voisinage de

l’équateur :

'Apa to'erau

Nord'Apa to'a

Sud

Hiti'a

Est

To'o'a

Ouest

zénith

zénith

zénith

Étoile

Polaire

Croix-

du-sud

Page 196: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

183

« Les peuples de l’Océanie caractérisés par la seule pratique prirent un élément de la

géographie et en tirèrent parti à leur avantage. Leur astronomie se basait sur l’horizon et

le zénith parce que, aux latitudes équatoriales, ce système a des avantages évidents

lorsqu’il s’agit d’intégrer les mouvements des cieux…Il suffit au marin de mémoriser une

constellation, c’est-à-dire une longue suite d’étoiles, qu’il associe à l’île où il veut se

rendre, puis se dirige vers elle. » (Dodd, 1985 : 6)

Le docteur Aveni n’a sans doute jamais pris connaissance des définitions des rua qui

figurent dans les dictionnaires de Stimson et de Williams, ou des observations faites à ce sujet

à Fangatau par Kenneth Emory. Mais son étude sur l’astronomie en zone tropicale expliquait,

pour la première fois, et de façon scientifique, ce que pouvait être cette notion de route céleste

que les Polynésiens avaient, depuis plusieurs siècles, déjà intégrée. Grâce à cette ingéniosité,

les Océaniens avaient, à leur disposition, un instrument de navigation. Ils leur suffisaient de

lever les yeux au ciel selon le docteur Aveni, cité par Dodd :

« L’orientation du ciel dans les tropiques rend la navigation précise par cette méthode,

une technique qui évite le compas magnétique et d’autres appareils de navigation propres

à notre culture. » (Dodd, 1985 : 6)

« Se diriger vers une chaîne d’étoiles, comme le suggère le docteur Aveni, semble à

priori assez simple », poursuit Dodd, « mais pour s’en retourner vers l’île du point de départ,

le navigateur a dû sauvegarder dans sa mémoire une autre chaîne d’étoiles qui puisse l’y

ramener. »

Cette méthode suppose, en effet, que les îles-cibles soient connues à l’avance. Nous ne

sommes pas, en effet, dans le domaine de l’exploration, que nous aborderons plus loin, mais

dans celui des voyages intentionnels, selon des parcours préalablement reconnus.

Fort à propos et comme pour confirmer les théories émises par A. Aveni et E. Dodd,

l’archéologue Kenneth Emory, témoin d’un préparatif de voyage dans les années trente aux

îles Tuamotu, a décrit avec maints détails comment Fariua a Makitua, le marin pêcheur de

Fangatau, s’oriente lorsqu’il fait la traversée entre son île et l’atoll de Raroia situé à une

centaine de milles de là. Il expliqua à l’archéologue qu’il avait des repères dans le ciel.

D’abord l’étoile Fanui, puis la suite d’étoiles qui le suit qu’il appelle rua. Comme l’a deviné à

juste titre le docteur Aveni, les Pa’umotu utilisaient les principes astronomiques de la zone

intertropicale basés sur l’ascension verticale des astres à l’Est, leurs montées jusqu’au zénith,

Page 197: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

184

puis leur descente à l’Ouest. Il suffit à Fariua de suivre ce chemin tracé par les étoiles dans le

ciel18

:

« I gathered from Fariua of Fangatau that the Tuamotuan navigator was aware that all

the fixed stars which rose from the same point on the eastern horizon describe the same

arc through the heavens and set at one point on the western horizon. He spoke of these

stars as belonging the same « pit » (rua). He knew that as long as remained at one point

on earth’s surface, the arc never changed. In becoming familiar with the stars and their

names, he learned several alignments of stars belonging to the same rua – in other

words, following the same arc across the heavens. How did he utilize this knowledge in

his navigation ? » (Emory, 1975 : 184)

« J'ai appris auprès de Fariua de Fangatau que le navigateur pa’umotu est au fait que

toutes les étoiles fixes qui s'élèvent du même point de l'horizon à l’Est, décrivent le même

arc de cercle dans le ciel, et se couchent en un point de l'horizon à l’Ouest. Il dit que ces

étoiles appartiennent au même «puits» (rua). Il sait qu'aussi longtemps qu’il est sur un

point de la surface de la terre, l'arc ne change jamais. En se familiarisant avec les étoiles

et avec leurs noms, il a appris à connaître plusieurs alignements d'étoiles appartenant au

même rua, en d'autres termes, qui suivent le même arc dans le ciel. Comment utilise-t-il

ces connaissances, dans sa navigation ? »

K. Emory explique clairement ce qu’est un rua : un alignement d’étoiles qui s’élèvent

d’un « puits » situé à l’horizon et qui décrit dans le ciel un arc de cercle. Il précise comme le

docteur Aveni l’avait fait remarquer, que l’arc ne change jamais d’aspect. Nous sommes en

effet, en plein milieu de la zone intertropicale Sud. Il fait ensuite une description détaillée de

la méthode de navigation avec un rua :

« At the island of Fangatau, for example, Fanui was the guiding star from Fangatau to

Raroia, or vice versa. That meant that it, or any star from the same rua could be used as

a guiding star. When a voyage was contemplated between Fangatau and Raroia, the

navigator had only to familiarize himself with the stars of this belt, then visible through

the night, a few nights in advance, to have them well in mind before setting out. Then, in

keeping on the course, he simply needed to guide on a bright star of the series on the

western horizon, on the road to Raroia, and as this star sank into the horizon haze, to

transfer to a star of the same series closely following it. » (Emory, 1975: 184 - 185)

18 EMORY, K. P., 1975. Material Culture of the Tuamotu Archipelago, pp. 184-185.

Page 198: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

185

« Dans l'île de Fangatau par exemple, Fanui était l’étoile-guide pour se rendre de

Fangatau à Raroia ou vice versa. Cela signifie que n'importe quelle étoile du même rua

peut être utilisée comme étoile-guide. Lorsque le voyage entre Fangatau et Raroia fut

projeté, le navigateur n’avait plus qu’à se familiariser avec les étoiles de cette ceinture

visibles toute la nuit, quelques nuits à l’avance, afin de les avoir bien à l'esprit avant de

partir. Puis pour maintenir son cap, il a simplement besoin de se guider sur une étoile

brillante de la série située sur l'horizon à l’Ouest, dans la direction de Raroia, et dès que

cette étoile s'enfonce sous la brume de l'horizon, de se reporter sur une étoile de la même

série qui suit immédiatement. »

Le fonctionnement du rua est parfaitement décrit. Il faut d’abord choisir une étoile-

guide, c’est-à-dire une étoile de la classe ta’urua. Dans ce cas-ci, Fanui. Emory et Stimson,

ne l’ont pas identifiée. Raroia étant située à la latitude de 16° Sud, il peut s’agir de Déneb

Algedi, Ta’urua-o-mere, l’étoile la plus brillante de Rua-o-mere (Capricorne), dont la

déclinaison est de -16°. D’après Emory, Fariua s’est exercé pendant toutes les nuits qui

précédaient le départ afin de se familiariser avec les étoiles du rua qu’il doit utiliser pour se

rendre à Raroia, son île-cible. Pendant toute la durée de la navigation, il doit toujours avoir

comme étoile-repère, celle qui est la plus proche de l’horizon. Dès qu’elle disparaît sous la

brume, il reporte son attention sur celle qui est la plus proche derrière elle.

Pour le voyage de retour, il emprunte le même rua en sens inverse. Les étoiles-repères

qu’il avait à l’avant de la pirogue, se retrouvent maintenant à l’arrière :

« On the way back to Fangatau, he could use these same stars as guides by keeping a

back sight from the front of the canoe. Thus the forward guiding star and its series used

in the outward voyage were used as rear guides on the return. » (Emory, 1975: 185)

« Sur le chemin du retour vers Fangatau, il pourra utiliser ces mêmes étoiles comme

guides en regardant vers l’arrière, depuis l'avant de la pirogue. Ainsi, l'étoile-guide à

l’avant, et la série qui le suivait, utilisées pour le voyage aller, servent comme guide à

l’arrière, pour le retour. »

Le navigateur procède de la même manière qu’à l’aller, sauf que l’étoile-guide étant

maintenant à l’arrière, le navigateur doit se mettre à l’avant de la pirogue et se retourner vers

l’arrière pour la voir. Il doit, en effet, veiller à positionner le corps de la pirogue sur l’axe du

rua. Pour ce faire, il doit être à l’opposé de l’étoile-guide. A l’aller, le problème ne se posait

Page 199: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

186

pas, puisqu’il était au gouvernail, l’étoile-guide était à l’avant, face à lui et dans le

prolongement de l’axe de la pirogue.

« With a point fixed on the eastern horizon and another on the west, to guide their course,

they could not go far wrong if they had knowledge of the stars. If they were south of their

course, they knew they must sail north to get back into alignment. » (Emory, 1975 : 185)

« Avec un point fixe à l'horizon à l’Est, et un autre à l’Ouest, ils gardaient leur cap, ils ne

pouvaient pas s’égarer s'ils avaient une connaissance des étoiles. S'ils étaient au Sud de

leur parcours, ils savaient qu'ils devaient naviguer vers le Nord pour revenir dans

l'alignement. »

Figure N° 18 : La navigation par la méthode des rua (1). Une étoile ta’urua se lève à l’horizon, elle est

suivie d’une suite d’étoiles qui forment une sorte d’alignement appelé rua. La pirogue s’aligne sur l’axe

formé par les étoiles qui forment ce rua pour naviguer d’Ouest en Est. (Dessin Henri Python)

Le principe étant de ne jamais s’écarter de l’axe du rua. Mais, précise Emory, s’il

arrive qu’on s’écarte vers le Nord, par exemple, il suffit de revenir vers l’axe. Les étoiles-

repères restant toujours dans l’axe du rua et de l’embarcation. (Figure n° 18)

Ta'urua

Page 200: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

187

En résumé, pour effectuer un voyage d’une longue durée de l’Est vers l’Ouest ou vice-

versa, il faut donc préalablement identifier le Ta’urua de l’île-cible. Une fois celle-ci repéré, il

faut suivre son rua, son « chemin d’étoiles » composé de la série d’étoiles qui le suit ou qui le

précède, située sur la même latitude.

Pour arriver à suivre la série d’étoiles du rua sans dévier de son trajet, il y a lieu de

positionner impérativement le ta’urua ainsi que l’axe du rua dans le prolongement du corps

de la pirogue. Pour y parvenir, il faut obligatoirement que le ta’urua choisi soit proche de la

ligne d’horizon. S’il s’éloigne vers le haut ou s’il s’enfonce sous l’horizon, les autres étoiles

de la série les plus proches deviennent à leur tour l’étoile-cible de référence et ainsi de suite

(figure n° 19).

Figure N° 19 : La navigation par la méthode des rua (2). Pour qu’il fonctionne, il faut que le ta’urua choisi

soit proche de l’horizon. S’il s’écarte vers le haut (longueur de la paume de la main) ou s’il s’enfonce sous

l’horizon, les autres étoiles de la série deviennent à leur tour le repère du rua. (Dessin Henri Python)

Choisir comme étoiles-cibles celles qui sont proches de l’horizon est une obligation.

Pour celles qui se lèvent à l’Est, il faut les délaisser aussitôt qu’elles franchissent une hauteur

équivalente approximativement à celle de la longueur de la paume d’une main (ce qui

représente environ 20 degrés) et pour celles qui s’enfoncent à l’Ouest sous l’horizon, il faut

Page 201: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

188

choisir les étoiles qui les suivent immédiatement. Si elles sont trop hautes, l’alignement de la

pirogue sur l’axe du rua est impossible, car l’axe du rua ne serait plus dans le prolongement

de l’axe de la pirogue, mais au-dessus. Dans le concept tahitien, la pirogue est elle–même un

instrument de navigation.

e. Les dix rua du firmament

Nous avons vu que le dôme du ciel est divisé en plusieurs rua, offrant la possibilité

aux navigateurs de choisir le trajet en latitude dont ils ont besoin pour atteindre l’île-cible

(figure n° 20). La largeur théorique d’un rua est variable. Dans la zone tropicale Sud, où

naviguent les Tahitiens et où le nombre de rua est plus important, elle varie entre 3° et 7°,

c’est-à-dire, entre 180 milles nautiques (350 km) et 240 milles nautiques (450 km). C’est

l’ordre de précision d’une navigation astronomique. Ce sont des distances phénoménales mais

ce n’est qu’une première amorce qui mènera le navigateur dans les parages d’une île. C’est à

partir de cet instant que la navigation astronomique est délaissée au profit d’autres méthodes

plus fines, qui rapprocheront le navigateur de sa cible.

Figure N° 20 : Les 10 rua - plusieurs chemins d’étoiles rua parcourent le ciel d’Est en Ouest. Ils sont

répartis, en fonction de leurs positions en latitude. Naviguer en utilisant un rua revient à choisir un

chemin d’étoiles, qui conduira l’embarcation vers l’Est ou vers l’Ouest. (Dessin personnel)

NORD SUD

OUEST

EST

Page 202: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

189

Sur la figure ci-dessous sont représentées les empreintes laissées par les ta’urua sur

l’océan Pacifique, montrant leur répartition. Nous remarquons une densité de trajectoire, au

Sud de l’équateur, la zone de navigation des Tahitiens. Le triangle polynésien est « quadrillé »

par des chemins d’étoiles qui offrent la possibilité aux Polynésiens d’avoir plusieurs choix de

parcours. Les deux rua qui sont aux extrémités, Rua-ha’apāra’a-manu (repéré par Déneb), au

Nord, et Rua-tai-nanu, au Sud (repéré par Canopus), sont en dehors du triangle polynésien

(figure n° 21).

Figure N° 21 : L’empreinte laissée par la trajectoire des Ta’urua, les étoiles-repères de rua, sur la carte de

l’Océan Pacifique. (Dessin personnel)

L’expression tai-nanu « mer haute et houleuse » désigne ces contrées au Sud où

règnent en permanence de fortes houles.

La répartition des rua, du Nord au Sud, permet d’établir le compas d’étoiles que

Stimson a enregistré dans son dictionnaire des langues pa’umotu sous l’expression rua-hetika

« compas-d’étoiles ». Le terme n’a pas été répertorié, ni par Davies ni par Jaussen, dans leurs

dictionnaires, alors que celui des vents ‘āpo’o-mata’i y figure. Le terme ‘āpo’o ayant

remplacé rua quand celui-ci fut affecté par un pī.

Hawai'i

Marquises

Cook s.

P-N-G

Palau

Aotearoa

Nouvelle-Zélande

Fidji TahitiSamoa

Tokelau

Caroline

Marshall

Vanuatu

Nelle-CalédonieNiue .

Wallis & Futuna. . Cook n.

Sibérie Alaska

ChineJapon

Australie

Etats-Unis

Canada

Amériquedu Sud

Phi l lipines

Indonésie

Malaisie

Mexique

Tasmanie

Ta'urua-i-te-ha'apara'a-manu (Déneb)

Rua-poto (Soleil au solstice)

Ta'urua-nui-o-mere (Bételgeuse)

Ta'urua-nui-o-mere-ma-tutahi (Ceinture d'Orion)

Ta'urua-feufeu (Alphard)

Ta'urua-faupapa (Sirius)

Rua-o-mere (Capricorne) Rapa nui

Ta'urua-o-atu-tahi (Fomalhaut)

Ta'urua-manu (Alnaïr)

Ta'urua-tai-nanu (Canopus)

45°3

23°3

07°4

-01°3

-08°4

-16°7

-23°3

-29°6

-47°0

-52°7

Taiwan

ASIERussie

Tropique du Cancer

Tropique du Capricorne

Equateur - Rāhiti

Page 203: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

190

Le rua de Tahiti est Rua-faupapa. Celui de Hawai’i est Rua-poto, la trace laissée par

le soleil au solstice d’Hiver. En effet, l’étoile qui passe au zénith de Hawai’i, Acturus

(Hokūle’a), n’est pas un ta’urua, mais un ‘anā, ‘Anā-tahu’a-ta’ata-metua-te-tupu-mavae

c’est-à-dire un pilier dont la fonction n’est pas de signaler la présence d’un rua mais celle

d’un pou.

Le chemin d’étoiles Rua-o-mere se confond avec le tracé du soleil au solstice d’été,

Rua-roa. C’est la raison pour laquelle Henry a attribué le nom de Rua-roa au solstice d’été.

Ci-dessous le compas d’étoiles tahitien, rua-fetū, représenté sur un disque symbolisant

le globe terrestre (figure n° 190).

Figure N° 22 : Rua-fetū « compas d’étoiles ». (Dessin personnel)

Page 204: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

191

f. Naviguer en utilisant deux ta’urua

Il est également possible de naviguer en utilisant simultanément deux Ta’urua situés à

l’horizon, l’un à l’avant et l’autre à l’arrière, situés dans le prolongement de l’axe de la

pirogue. Il suffit ensuite d’aligner l’axe de la pirogue sur l’axe virtuel tracé entre les deux

étoiles-repères, la proue sur l’étoile située devant et la poupe sur celle située à l’arrière, pour

bénéficier d’une direction (figure n° 23).

Figure N° 23 : La navigation par la méthode des deux ta’urua. Une étoile ta’urua se lève à l’horizon à

l’Est, une seconde étoile ta’urua se trouve à l’horizon à l’Ouest. L’axe de la pirogue est aligné sur la droite

qui joint les deux étoiles. (Dessin Henri Python)

Cette méthode permet, le cas échéant, une navigation autre que celle est / Ouest le

long d’un rua. Le navigateur choisit, par exemple, pour étoile-repère à l’avant, un ta’urua

Page 205: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

192

appartenant à un rua, et pour étoile-repère à l’arrière, une étoile appartenant à un autre rua. Il

tire un axe entre les deux étoiles, comme un fil tendu. Il n’a plus qu’à suivre ce fil d’Ariane.

Cette méthode est relativement sûre affirme Dodd : « Il est évident maintenant que les

Polynésiens n’ont plus besoin de retrouver une position perdue. Leur seul souci, après une

tempête ou un ciel bouché, sera de retrouver leur direction, leur fil imaginaire tendu entre ces

deux points à l’horizon. » (1986 : 11)

3. Navigation par les pou

a. Principe

Les rua permettent d’assurer une navigation relativement fiable d’Est en Ouest ou

vice-versa. Cela ne suffit pas pour atteindre une cible. Les navigateurs ne peuvent, en effet, se

contenter d’effectuer des allers retours sur un parallèle, c’est-à-dire de demeurer entre les

limites d’une bande virtuelle projetée sur l’océan, de 180 à 240 milles nautiques de large qui

fait tout le tour de la terre et qui est l’image du rua céleste. Il leur faut un jour, aller plus au

Nord ou se rendre plus au Sud, pour rejoindre une île. Ce qui signifie pour les fa’atere de

passer d’un rua à un autre.

Si nous sommes dans l’hémisphère Nord et que nous désirons aller encore plus au

Nord, il suffit de nous diriger vers ‘Anā-ni’a (Étoile polaire) qui est fixe, exactement comme

un ta’urua, une étoile-repère de rua, sauf qu’il n’existe aucune suite d’étoiles alignées à

l’arrière ou à l’avant puisque toutes les étoiles qui l’entourent pivotent autour d’elle. En outre,

elle ne disparaît jamais sous l’horizon comme un ta’urua, en entraînant derrière elle sa suite

d’étoiles. Le problème d’une navigation Nord / Sud ne se pose donc pas dans l’hémisphère

Nord.

Etant toujours au Nord et que nous faisons demi-tour pour revenir à l’équateur, nous

avons toujours l’Étoile polaire comme guide, mais cette fois-ci, à l’arrière. Nous procédons

alors, comme Fariua l’a fait pour le voyage retour de Raroia à Fangatau, nous nous installons

à l’avant et nous alignons l’axe de notre embarcation sur ‘Anā-ni’a, jusqu’à ce que nous

soyons à l’équateur. Une fois qu’elle est franchie, l’Étoile polaire disparaît sous l’horizon,

Page 206: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

193

nous perdons alors notre repère fixe au Nord. Etant donné que dans l’hémisphère Sud, il

n’existe aucune étoile fixe, nos repères deviennent donc Tauhā (Croix du Sud), les deux

étoiles qui l’accompagnent, Nā-mata-rua (α et β du Centaure) ainsi qu’Achernar et Canopus.

Ce sont les astres brillants les plus proches du Pôle Sud céleste. Bien qu’elles fassent des

ronds dans le ciel autour du Pôle Sud céleste, elles sont malgré tout, visibles, une bonne partie

de l’année. Les deux étoiles qui forment Nā-mata-rua sont utilisées par les Tahitiens, d’après

Davies, comme ‘aveia’ « étoile-guide »19. Au Nord, l’étoile de référence qui remplace l’Etoile

polaire est Dubhe ‘Anā-tīpū.

La menace qui guette continuellement une navigation Nord-Sud, est la dérive. Nous

avons vu qu’avec un rua, cela avait peu d’importance, car dès que le navigateur s’aperçoit

qu’il n’est plus dans l’axe, il vire de bord et reprend sa place. L’étoile-repère n’a pas changé

de position, elle est toujours là, au même endroit, dans le prolongement de sa route. Le risque,

pour lui est réduit. En revanche, s’écarter de sa route en raison d’une dérive, quand on se

dirige au Nord ou au Sud, c’est, à coup sûr, se perdre.

b. Les problématiques liées à la navigation par les pou

Supposons qu’en quittant Tahiti, nous décidions de nous rendre à Tupua’i (Tubuai),

une île située à 345 milles nautiques (640 km), droit au Sud, à la latitude de 23° S, et que nous

choisissions comme « étoile-guide », Tauhā (Croix du Sud), dont la déclinaison est de 64° S.

Nous aurons trois problèmes à solutionner (figure n° 24) :

1°- La première problématique réside dans la mobilité de la Croix-du Sud. Elle se

meut continuellement de bâbord à tribord par rapport à l’axe du parcours, en décrivant un arc

de cercle autour du pôle céleste Sud, une zone sans étoile fixe visible (contrairement à ce qui

se passe avec l’étoile polaire au Nord). Son déplacement est quasi-perpendiculaire par rapport

au parcours. Toutes les étoiles qui l’entourent bougent également de façon similaire. Par voie

de conséquence, si, malgré tout, nous avons réussi à maintenir un cap au Sud, il n’y a aucune

certitude que ce soit sur le bon axe.

2°- La seconde problématique résulte de la déclinaison de la Croix du Sud. Elle est à

64° S. A Tahiti, sa mesure est l’équivalent de deux mains et demie (soit un angle de 43°), elle

19 Davies, 1851.

Page 207: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

194

est déjà trop haute. À Tubuai, elle est de trois mains (soit un angle de 69°), elle est

pratiquement au-dessus de nos têtes. Elle est donc quasi-inexploitable. En la prenant comme

repère, nous savons seulement que nous allons quelque part vers le Sud, c’est tout. Il est

impossible de viser une cible.

3°- La troisième problématique vient de l’impossibilité de déterminer notre position en

longitude20, au cas où nous parvenions à la latitude de Tubuai. C’est-à-dire, de savoir avec

certitude, si la dérive, conjuguée aux corrections pour le compenser, nous ont conduits à l’Est

ou à l’Ouest de l’île, si toutefois, le hasard ne nous avait pas conduits en plein cœur de la

cible. En effet, comme pour la première difficulté susmentionnée, quand la dérive nous

pousse hors de la route de navigation, nous n’avons pas les moyens de nous en apercevoir,

faute de repère fixe dans le ciel, à l’avant.

Figure N° 24 : Le problème d’une navigation Nord / Sud. La pirogue se dirige droit au Sud. Les vents et

les courants poussent l’embarcation vers l’Ouest. Il n’y a aucun repère fixe au Sud pour apprécier sa

20 La longitude est l’angle formé par le méridien d'un lieu avec le méridien de Greenwich et compté jusqu'à 180°

vers l’Ouest et jusqu'à -180° vers l’Est. Bien entendu, cette notion était inconnue chez les Tahitiens. Mais

comme il leur fallait résoudre le problème lié à cette notion, à savoir, connaître sa position, Est / Ouest, par

rapport à une île, nous l’avons emprunté.

Page 208: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

195

dérive. Toutes les étoiles, en effet, comme la Croix du Sud, décrivent un arc de cercle, d’Est en Ouest,

autour du Pôle céleste Sud. (Dessin Henri Python)

Ces trois problématiques rendent la navigation Nord / Sud hasardeuse. Même si nous

arrivons à tenir un cap, les forces conjuguées, du vent, du courant et de la houle nous font

irrémédiablement dériver. S’obstiner, en tentant de compenser la dérive, c’est confier au

hasard la suite du voyage.

Ce souci majeur fut celui de tous les navigateurs, tout autour du globe, à toutes les

époques, jusqu’à l’invention des horloges de précisions, au milieu du XVIIe siècle. Ce n’est

qu’à partir de ce moment-là que les longitudes purent être déterminées avec précision et que

les explorateurs purent inscrire avec précisions, sur leur carte, les coordonnées exactes des

îles.

Sans horloge mécanique, comment les Tahitiens ont-ils fait pour trouver ou retrouver

une île préalablement explorée ?

La grande difficulté fut de trouver des réponses aux trois problèmes précédentes. Ils

les solutionneront en deux temps.

D’abord, il leur fallut surmonter un obstacle de taille, trouver un repère stable dans le

ciel, que ce soit au Nord ou au Sud, qui permette de corriger l’absence d’étoile fixe, et, par

voie de conséquence, de disposer d’un repère fiable, proche de l’horizon, solutionnant, d’un

seul coup, les deux premières difficultés. Les Tahitiens trouvèrent la réponse en adaptant à la

navigation le principe astronomique des pou, les « piliers d’étoiles » de la mythologie.

Ensuite, s’attaquant au problème crucial de la longitude, liée aux incertitudes de la

dérive, les Tahitiens parviendront à une solution : établir des priorités de navigations, entre le

principe de navigation par les pou, et celui par les rua. Ils firent apparemment les bons choix,

car ils purent s’aventurer au-delà des limites de leur zone habituelle, normalement comprise

entre l’équateur et le Tropique du Capricorne, pour explorer l’hémisphère Nord et pour

découvrir d’autres terres, au-delà de Rua-roa, de la limite extrême du parcours du soleil au

Sud.

Page 209: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

196

c. Pou et méridien

Nous avons démontré au chapitre précédent, concernant l’astronomie tahitienne, que le

pou est le méridien qui relie le Pôle Sud céleste, au Pôle Nord céleste, en passant par une

étoile de classe ‘anā, au moment où celle-ci est à son apogée, c’est-à-dire, à son point

culminant. Cette démonstration fut basée sur les définitions données par deux dictionnaires.

D’abord, celui de Stimson, pour les dialectes des îles Tuamotu. Dans cet archipel, pou-nui

« pilier-géant », est le pilier central qui soutient le ciel en son milieu. Le milieu du ciel étant

au zénith. Ensuite, le dictionnaire maori, édité par Williams, qui donne, de son côté, la

définition de poupou « piliers » : une ligne tracée par le méridien du soleil. Le méridien du

soleil étant la ligne de la sphère céleste, tracée entre le Pôle Nord et le Pôle Sud célestes en

passant par le soleil quand cet astre est à son point culminant dans le ciel. La nuit, le soleil est

remplacé par une étoile quand elle est à son apogée dans le ciel.

Cette ligne est le méridien que Tuapaia a nommé eavatea (avatea) « midi » sur sa

carte repéré par le soleil au zénith et que Henry a appelé Poupou « piliers », le méridien que

matérialise une étoile ‘anā à son apogée.

Avoir le méridien comme référence facilite grandement, pour les marins, la navigation

Nord/Sud. Il suffit de suivre cette ligne virtuelle dans un sens ou dans l’autre, pour aller au

Nord ou au Sud. Pour un marin qui dispose d’une carte, d’une montre et d’une boussole, c’est

d’une grande simplicité. Mais pour celui qui n’a ni carte, ni instrument d’orientation, c’est

plus complexe, aucune ligne n’étant dessinée dans le ciel, il lui faut une aide. C’est là que

rentre en jeu les étoiles de la classe ‘anā.

Joindre par une ligne, le pôle Nord céleste et le pôle Sud céleste, nécessite d’avoir une

étoile repère au Nord et une au Sud. Pour l’hémisphère Nord, dès que nous franchissons

l’équateur, nous avons ‘Anā-ni’a (l’Étoile polaire) comme repère qui, en outre, est fixe. La

navigation est donc relativement aisée. Il suffit de relier virtuellement l’un des neuf autres

‘anā à elle, pour obtenir une trajectoire Nord / Sud ou vice-versa, un pou, un « pilier » de

navigation.

Page 210: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

197

Pour pouvoir naviguer en toute sécurité, nous attendons que l’un de ces ‘anā soit au

méridien. Le passage d’une étoile au méridien ou à son voisinage peut durer une heure à une

heure et demie, cela donne au navigateur du temps pour faire un parcours de même durée. Dès

que l’étoile s’éloigne à l’Ouest, un autre ‘anā arrive depuis l’Est pour prendre le relais du

précédent, et procurer au navigateur un autre repère pour tracer, à nouveau, son pou, son

méridien, et naviguer, à nouveau, en toute sécurité. Ainsi, pendant toute la nuit, neuf ‘anā se

succèdent au zénith et viennent s’aligner avec ‘Anā-ni’a (l’Étoile polaire) pour tracer un pou-

méridien.

d. Les dix pou du firmament

Ci-dessous, la liste des dix piliers pou utilisés pour former un méridien et, entre-

parenthèses, les étoiles ‘anā qui les identifient, suivies de la constellation à laquelle ils

appartiennent 21

:

POU-MUA (‘Anā-mua) : PILIER-AVANT (Antarès) dans le Scorpion.

POU-MURI (‘Anā-muri) : PILIER-ARRIÈRE (Zuben-Eschamali) dans la Balance.

POU-ROTO (‘Anā-roto) : PILIER-INTÉRIEUR (Régulus) dans le Lion.

POU-TIA’IRA’A (‘Anā-tīpū) : PILIER-D’ATTENTE (Dubhe) dans la Grande-Ourse.

POU ’ŌRERORERORA’A (‘Anā-heuheupō) : PILIER-DE-LA-RHÉTORIQUE (Alphard) dans

l’Hydre.

POU-VĀNA’ANA’ARA’A (‘Anā-tahu’a-ta’ata-metua-te-tupu-mavae) : PILIER-DE-

L’ELOQUENCE (Arcturus) dans le Bouvier.

POU-TI’ARA’A (‘Anā-tahu’a-vahine-e-toa-te-manava) : PILIER-POUR-SE-LEVER

(Procyon) dans le Grand Chien.

POU-NOHORA’A (‘Anā-varu) : PILIER-POUR-S’ASSEOIR (Bételgeuse) dans Orion.

POU-HAERERA’A (‘Anā-iva) : PILIER-POUR-PARTIR (Phaet) dans la Colombe.

POU-FA’ARAVA’AIRA’A (‘Anā-ni’a) : PILIER-POUR-PÊCHER (Polaris) dans la Petite-

Ourse.

Ces dix pou circulent sur la sphère céleste en y faisant le tour et en se succédant à tour

de rôle au méridien (figure n° 25).

21 HENRY, T., 1968.

Page 211: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

198

Figure N° 25 : Vue de la sphère céleste, depuis l’Est, avec les pou. L’Étoile polaire est à l’horizon. La ligne

qui joint l’Étoile polaire à l’une des étoiles ‘anā et à la Croix du Sud est assimilable à une longitude.

Lorsqu’au cours de leur ascension, les ‘anā parviennent, à tour de rôle, au méridien, elles deviennent le

pou de navigation utilisé pour suivre un axe Nord / Sud. (Dessin personnel)

e. Navigation avec les pou dans l’hémisphère Sud

Dans l’hémisphère Sud, l’histoire se complique, l’Étoile polaire est sous l’horizon. Il

n’y a aucune étoile fixe. Il faut donc trouver une astuce.

Nous remarquons qu’une constellation au Nord, la Grande Ourse, Pou-tia’ira’a

« pilier d’attente », exécute des cercles dans le ciel comme si justement, elle attendait. Or, son

étoile repère ‘Anā-tīpū (Dubhe), est proche du Nord géographique et n’est visible que pendant

quatre mois, du mois d’avril au mois de juillet. Certes, cette étoile « dévie ou penche » (tīpū)

vers l’Est ou vers l’Ouest, par rapport au Pôle Nord géographique, mais sa faible hauteur au-

dessus de l’horizon la rend parfaitement exploitable. Elle peut donc jouer l’affaire et

remplacer ‘Anā-ni’a (l’Étoile polaire) dans l’hémisphère Sud. Si nous relions par une ligne

virtuelle les huit autres étoiles ‘anā, quand elles sont successivement au zénith, avec ‘Anā-

tīpū, nous obtenons une trajectoire assimilable à la ligne virtuelle du méridien, donc à un pou,

ce qui convient parfaitement à un voyage sécurisant (figure n° 26).

NordSud

Ouest

Est

Antarès - 'Anā-mua

Regulus-'Anā-roto

Dubhe-'Anā-tipu

Étoile-polaire-'Anā-ni'a

Alphard-'Anā-heuheu-pō

Phact-'Anā-iva

Tauhā-Croix-du-

POU-MUA

POU-MURI

POU-VĀNA'ANA'ARA'A

POU-ROTOPOU-'ŌREORERORA'A

POU-TI'ARA'A

POU-NOHORA'A

POU-HAERERA'A

POU-FA'ARAVA'AIRA'A

POU-TIA'IRA'A

MéridienEq

uate

ur

Zuben-Eschamali - 'Anā-muri

Bételgeuse-'Anā-varu

Procyon-'Anā-tahu'a-vahineArcturus-'Anā-tahu'a-ta'ata

Page 212: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

199

Nous pouvons à ce moment-là effectuer le parcours Nord/Sud, à partir du mois d’avril

jusqu’au mois de juillet. C’est cette période que les navigateurs de Hokūle’a choisissent

habituellement pour effectuer la traversée entre Hawai’i au Nord, et Tahiti au Sud, ils avaient

déjà remarqué que c’est la seule étoile qui peut convenir, une fois franchie la ligne de

l’équateur.

Figure N° 26 : Vue de la sphère céleste, depuis le Sud, avec tous les pou. Dans l’hémisphère Sud, Polaris

n’est pas visible. L’étoile « fixe » de référence devient Dubhe. La ligne qui joint Dubhe à une étoile ‘anā et

à la Croix du Sud est assimilable à une longitude. En rejoignant le méridien, elle devient un pou, l’axe de

navigation Nord / Sud. (Dessin personnel)

Nous avons pu relever une preuve, dans les légendes, de l’usage des pou dans la

navigation, elle est dans le récit du voyage de Rata le navigateur.

Au moment où, en plein océan, il dut affronter un oiseau terrifiant, il se mit debout sur

la pagaie qui lui sert de gouvernail, ce qui lui permettait d’avoir une meilleure position pour

combattre le monstre ailé. Il ordonna au tupua22

qui l’accompagnait de tenir la pagaie,

pendant l’affrontement, il se mit alors à chanter (Henry, 1968 : 521) :

22Tupua : Enchanteur, quelqu’un qui peut se défendre contre les maléfices des sorciers (Académie – Davies).

Pour Henry, ce sont de petits personnages surnaturels (Henry parle de lutins) qui règnent sur les forêts et qui

veillent à leur équilibre.

Regulus'Anā-roto

Antarès 'Anā-mua

Zuben-Eschamali'Anā-muri

Dubhe'Anā-tipu

Arcturus'Anā-tahu'a-ta'ata

Polaris'Anā-ni'a

Procyon'Anā-tahu'a-vahine

Bételgeuse'Anā-varu

Alphard'Anā-heuheu-pō

Phact'Anā-iva

Nord

Sud

EstOuest

POU-TIA'IRA'A

POUFA'ARAVA'AIRA'A

TauhāCroix-du-sud

Page 213: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

200

Te pou nō mua, te pou nō mua,

Te pou nō muri, te pou nō muri,

Te pou nō roto, te pou nō roto.

‘Āhani, e huri e !

‘A huri mai i te pō ra,

‘Ia tū iho ai o Rata,

I muri i tenā hoe, i tenā hoe,

E ū ra tei iāna, e ū ra tei iāna,

E manu rere hau, e itoito,

Itoito manu rere hau, rere hau e,

‘A oeoe, oeoe pō,

E manu rere hau e.

Le pilier de devant, le pilier de devant,

Le pilier de derrière, le pilier de derrière,

Le pilier du centre, le pilier du centre.

Si, tu virais !

Vire vers l’obscurité,

Que Rata soit bien stable,

A l’arrière sur cette pagaie, sur cette pagaie,

L’affrontement, il l’aura, l’affrontement, il l’aura,

Un oiseau au vol paisible est courageux,

Courageux est l’oiseau au vol paisible, au vol

paisible,

Fais résonner tes cris, fais résonner dans la nuit,

Ô oiseau au vol paisible.

Nous avons, grâce à la légende de Rata, une preuve de l’utilisation par les anciens

Tahitiens des piliers célestes pour se guider. Dans ses notes de bas de page, Henry pense que

les trois piliers cités sont les mâts de sa pirogue. Elle commet une erreur, car les pirogues

polynésiennes n’ont jamais plus de deux mâts. En outre, le terme tahitien pour « mât » est

tira, et non, pou.

Nous avons en outre le récit de Henry du départ du navigateur, Hiro, il a suivi l’étoile

‘Anamua (Antarès) qui est bien le repère du pilier de devant (Pou-mua) souligne-t-elle, et non

le mâte de devant.

f. Les pou, « oubliés » par les spécialistes

Le système de navigation par les pou, pensé par les Tahitiens a échappé à la sagacité

des spécialistes de l’astronomie et de la navigation traditionnelle polynésienne.

Maud Makemson23

a été la première à citer les étoiles ‘anā, mais elle les a cantonnées

dans un rôle exclusivement cosmogonique. L’étude qu’elle a réalisée est sortie en 1941. Elle

23MAKEMSON, M., 1941, The Morning Star Rises, an account of Polynesian astronomy,

Page 214: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

201

s’est inspirée de l’ouvrage de Henry Ancient Tahiti, comme celle-ci, elle a considéré les pou

uniquement d’un point de vue mythologique, elle en a fait autant. Elle n’a pas eu accès à

l’étude des langues pa’umotu de Stimson, puisque le dictionnaire de celui-ci n’a paru qu’en

1964. Enfin, bien qu’elle ait détaillé l’astronomie maorie en se reposant sur l’étude d’Edson

Best, elle a omis de consulter le dictionnaire de Williams qui aurait pu la guider vers le

concept astronomique des pou et des rua.

David Lewis24

, de son côté, a cru voir dans les piliers du ciel, des étoiles zénithales,

qui indiqueraient la position des îles il y a mille ans, au moment où, pense-t-on, les voyages

en Polynésie étaient à leur apogée (1972 : 284). Il donne en annexe un tableau de la

déclinaison des étoiles ‘anā, où elles se trouvaient il y a mille ans, avec la liste des îles dont

elles étaient les étoiles zénithales. (1972 : 372). A l’instar de Makemson, le concept des rua et

des pou lui a également échappé.

Edward Dodd25

cite bien l’existence du principe des rua à Tahiti, en décrivant

exactement leur rôle, il n’est cependant pas parvenu à reconnaître les ta’urua, les étoiles qui

permettaient de les repérer. Il n’a pas non plus eu connaissance de l’existence des pou.

Tous les autres spécialistes qui ont travaillé sur la navigation traditionnelle

polynésienne et qui ont essayé de comprendre le système de navigation au travers des textes

de la « Naissance des objets célestes » d’Henry, n’y sont pas parvenus, car aucune définition

des termes se rapportant au repérage dans l’espace ne leur a été proposée. La navigation

tahitienne par les pou et par les rua a donc échappé à tous les spécialistes, malgré le fait que

certains d’entre eux aient attiré l’attention sur la navigation Nord / Sud qui posait un réel

problème en l’absence de chronomètre inconnu chez les Polynésiens. Leur solution passait

par une évidence, si au Nord il faut suivre l’Étoile polaire, au Sud, la Croix du Sud. Or, on

oublie que la cible n’est nullement située au Pôle Nord, ni une située au Pôle Sud, mais une

île située à plusieurs milliers de milles nautiques de ces points.

24 LEWIS, D., 1972. We, the navigators.

25DODD, E., 1986. « L’art de la navigation dans la Polynésie d’autrefois ».

Page 215: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

202

Or la navigation par les pou est primordiale. Son objectif n’étant pas d’atterrir pile sur

la cible, ce qui relèverait du miracle, mais de viser volontairement à l’Est ou à l’Ouest de

celle-ci, pour être sûr de connaître sa position par rapport à l’île une fois le rua franchit.

Considérons par exemple une embarcation qui rejoindrait Hawai’i en partant de

l’équateur (à 2.500 km au Sud de Hawai’i). Si elle prend l’Étoile polaire comme repère, sous

l’effet de la dérive, elle sera déportée à l’Ouest. Elle prend le risque de dépassera les îles

Hawai’i par l’Ouest, sans pouvoir apercevoir leurs sommets. La difficulté est encore plus

grande dans l’hémisphère Sud où aucun repère fixe n’existe. Il faut donc compter

successivement sur les étoiles qui avoisinent le pôle Sud céleste, Croix du Sud Tauhā, Alpha

et Beta du Centaure Nā-matarua, Achernar Ari’i-o-‘apato’a, les deux Nuages de Magellan

Mahu-i-ni’a et Mahu-i-raro et le Sac-à-Charbon, le trou noir situé près de la Croix du Sud

Nā-‘ō’iri-‘ai-ata.

4. Comment naviguer à l’aide des Pou et des Rua

a. La méthode

En résumé, le concept tahitien de navigation repose sur deux notions, le rua « chemin

d’étoiles », quand nous naviguons le long d’un parallèle, au voisinage de l’équateur (entre les

deux Tropiques), et le pou « pilier du ciel », lorsque nous naviguons perpendiculairement à un

rua.

En empruntant un rua, nous ne prenons aucun risque. Même si nous nous écartons de

notre route, nous pouvons la réintégrer, le repère et la cible sont toujours là, présents dans

l’axe. Mais si nous suivons un pou, il n’y a pas besoin de s’en écarter pour s’égarer. Même en

restant sur son axe, nous pouvons nous perdre.

Comment résoudre ce problème ?

Ce phénomène n'est pas facile à visualiser, mais il est crucial dans toute notre

argumentation. Dodd a donné une image pour l’illustrer26

.

26 DODD, E., 1972. Polynesian seafaring.

Page 216: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

203

Considérons nos deux repères, l’Étoile polaire à l’avant et la Croix du Sud à l’arrière,

et notre trajet, depuis l’île de départ à l’arrière jusqu’à l’île cible à l’avant. Imaginons que

nous tendons un fil entre les deux étoiles et une corde entre les deux îles, l’axe du fil (le pou)

et l’axe de la corde (le trajet) se trouvent donc confondus. En quittant notre île de départ pour

nous rendre sur l’île-cible, nous nous alignons sur cet axe. Si rien ne vient nous troubler, le fil

étant confondu avec la corde, nous irons tout droit sur la cible.

Imaginons maintenant que nous dérivons, que se passe-t-il ? Le fil tendu entre les

étoiles repères s’écarte de la corde tendue entre les deux îles. En conséquence, tout en

demeurant sur notre fil, nous nous éloignons de la corde donc de notre trajet. Cela signifie en

clair que, tout en suivant notre pou, nos deux étoiles repères étant toujours à l’avant et à

l’arrière, nous sommes sur le point de nous égarer.

La problématique ayant maintenant été posée, la question maintenant est de savoir

comment les Tahitiens l’ont résolue. Or, trouver la solution c’est apporter une réponse au

troisième point soulevé précédemment.

Les Tahitiens avaient remarqué par expérience que la navigation par les rua ne pose

pas de problème. Une fois qu’on est aligné, on est sur la bonne trajectoire, on est sûr d’arriver

sur la cible. Alors que celle basée sur le pou demeure incertaine. Même si on suit

scrupuleusement la ligne tracée par un pou, on n’est pas certain d’être sur la bonne trajectoire,

car, une fois parvenu à sa latitude, on ne sait pas si on est à l’Ouest ou à l’Est de l’île-cible.

Il est en effet plus aisé de se perdre sur l’immensité de l’océan que d’atteindre un point

minuscule situé en son milieu.

La seule solution serait donc de choisir d’aller volontairement, soit à l’Ouest soit à

l’Est de l’île-cible. Pourquoi ?

Si nous choisissons d’aller à l’Est, une fois arrivé à la latitude de l’île-cible, c’est-à-

dire, au niveau de son rua, nous savons pertinemment que nous sommes à l’Est de l’île. Il

suffit alors de virer à l’Ouest et suivre le rua de l’île pour y parvenir. Si nous choisissons

d’aller à l’Ouest, ayant eu la certitude d’être réellement à l’Ouest de l’île, il nous suffit alors

de virer à l’Est pour atteindre l’île. Dans les deux cas, sachant à tout moment où nous nous

Page 217: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

204

sommes par rapport à l’île-cible, nous pouvons terminer note navigation en suivant, sans

risque, son rua.

b. Exemples de navigation

o de Tahiti vers Nuku-Hiva

Pour avoir une idée de la méthode traditionnelle de navigation à Tahiti, le plus

judicieux serait de donner des exemples. Celui d’abord, d’un voyage entre Tahiti et Nuku-

Hiva.

Avant de quitter Tahiti, l’île de départ, le navigateur, connaissant au préalable la

position de l’île-cible, Nuku-Hiva, située au Nord-est, dont le rua est Rua-feufeu repéré par

son étoile-repère, Ta’urua-feufeu, choisit de s’y rendre en prenant préalablement soin de

s’aligner sur des repères au sol, pour juger la direction réelle de l’île-cible. Sur la carte de

Tupaia, les repères au sol qui donnent la direction des îles Marquises se trouvent sur l’île

voisine de Meheti’a, selon Anne Di Piazza et Eric Pearthree27

.

Pour être certain de toucher sa cible, il choisira volontairement de prendre un cap plus

au Nord en visant ‘Ana-tīpū « Dubhe » le repère du Pou-tia’ira’a, qui indique la ligne du

méridien. Pour cela, il doit attendre qu’une autre étoile ‘anā arrive à son apogée, pour former

avec ‘Anā-tīpū la ligne du méridien, le pou. A ce moment-là, il s’engage vers le Nord, en

veillant, grâce aux repères au sol, à laisser l’île-cible à l’Est. Il sera alors certain, au moment

d’atteindre Rua-feufeu, « chemin-d’étoiles-de-feufeu », qu’il est à l’Ouest de Nuku-Hiva. Il

n’a plus qu’à virer vers l’Est à cet instant, et faire une navigation par la méthode rua, jusqu’à

atteindre le groupe d’îles des Marquises, une cible plus grande qui fait 360 km du Nord au

Sud alors que l’île de Nuku-Hiva ne fait que 30 km de long (figure n° 27).

27DI PIAZZA, A., PEARTHREE, E., 2007. « A new reading of Tupaia’s chart »,

Page 218: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

205

Figure N° 27: Traversée Tahiti / Nuku-Hiva : naviguer au Nord vers Rua-feufeu, en suivant le Pou indiqué

par ‘Anā-tīpū / Pou-tia'ira'a (Dubhe de la Grande-Ourse) et une autre étoile ‘anā situé sur le même

méridien plus au Sud. Une fois le chemin d’étoiles Rua-Feufeu franchi, virer vers l’Est en direction des

îles Marquises. (Dessin personnel)

A l’approche de l’archipel, il guettera la houle, les oiseaux et les cumulus qui sont

accrochés aux montagnes des îles hautes. Dès qu’il a atteint une île de l’archipel, il saura

comment rejoindre l’île-cible.

Les vents et la houle étant du secteur Sud-est, le navigateur sait que s’il vise

directement Nuku-Hiva, les imprévus de la dérive risquent de le faire rater sa cible. Il peut

soit, passer plus à l’Est soit, passer plus à l’Ouest de l’île-cible. Il sera impossible pour lui de

connaître sa position par rapport à l’objectif.

Pour le voyage retour, il faut d’abord suivre un pou pour naviguer vers le Sud, en

choisissant les mêmes étoiles repères : ‘Anā-tīpū, alignées avec un autre ‘anā. Dès que rua-

faupapa est atteint, virer vers l’Ouest pour rejoindre les îles de la Société, puis Tahiti.

Page 219: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

206

o de Tahiti vers Hawai’i

Le deuxième exemple est celui d’un trajet de Tahiti vers Hawai’i, celui effectué

plusieurs fois par la pirogue hawaiienne Hokule’a. Nous choisissons comme cible, l’île de

Kaua’i, située à l’extrême Ouest de l’archipel.

Avant de quitter Tahiti, trois voies sont envisageables. Soit se diriger directement sur

l’île-cible, soit aller vers l’Ouest de l’île, soit vers l’Est.

Comme nous l’avons démontré, viser directement la cible c’est prendre le risque de ne

pas savoir si nous sommes à l’Est ou à l’Ouest de celle-ci, au moment où nous allons atteindre

Rua-poto, le chemin d’étoiles situé à la latitude de Hawai’i (dans ce cas-ci, ce serait plus

exactement le chemin du soleil).

Il est donc plus judicieux de choisir l’une des deux autres options. Le choix doit se

faire en fonction des vents et de la houle dominants, qui ne viennent pas de la même direction,

dans l’hémisphère Sud et dans l’hémisphère Nord. Mis à part au niveau de l’équateur où les

régimes des vents s’inversent, dans l’hémisphère Sud, ils viennent du secteur Sud-est, et dans

l’hémisphère Nord, de secteur Nord-est. Cela signifie qu’aller à l’Ouest de la cible, c’est

naviguer avec le vent de face au moment de revenir à l’Est, sur la cible. Ce qui n’est pas facile

pour les pirogues doubles polynésiennes, conçues pour fonctionner avec du vent arrière. Il ne

reste donc plus que la dernière option, viser l’Est de l’archipel hawaiien.

Pour ce faire, en quittant Tahiti, il faut choisir un pou pour se diriger vers le Nord, vers

le rua de Hawai’i, vers Rua poto, dirons-nous maintenant. L’idéal est d’aligner ‘Anā-tīpū

(Dubhe dans la Grande Ourse) avec une autre étoile ‘anā pour former un pou. La navigation

va être facilitée par tous les ‘anā qui vont se succéder au méridien pour constituer, avec ‘Anā-

tīpū, le pou central du ciel, nous offrant la possibilité de naviguer pendant toute la nuit.

Sur le trajet vers Hawai’i, nous allons laisser derrière nous Rua-faupapa (le chemin

d’étoiles repéré par Sirius, Ta’urua-faupapa) puis croiser quatre autres rua : Rua-feufeu (le

chemin d’étoiles repéré par Alphard, Ta’urua-feufeu), Rua-o-mere-ma-tūtahi (le chemin

d’étoiles repéré par les trois étoiles alignées de la Ceinture d’Orion, Ta’urua-o-mere-ma-

tūtahi), Rua-nui-o-mere (le chemin d’étoiles repéré par Bételgeuse, Ta’urua-nui-o-mere), et

Rua-poto (le chemin d’étoiles repéré par le soleil au solstice d’hiver).

Une fois que l’équateur est franchie, l’Étoile polaire ‘Anā-ni’a apparaît, offrant un

meilleur repère que ‘Anā-tīpū car elle est fixe. Nous viserons, à ce moment-là la zone située à

l’Est de l’Étoile polaire, pour que, volontairement, une fois arrivé à la latitude de Hawai’i, au

niveau de Rua-poto, nous soyons certain d’être à l’Est de l’archipel (figure n° 28).

Page 220: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

207

Figure N° 28 : Traversée Tahiti-Hawai’i : naviguer au Nord vers Rua-poto, en suivant le Pou tracé entre

‘Anā-tīpū / Pou-tia'ira'a (Dubhe de la Grande-Ourse) et une autre étoile ‘anā. Une fois franchi l’équateur,

il y a lieu de remplacer ‘Anā-tīpū par ‘Anā-ni’a / Pou-fa’arava’aira’a (Polaris de la Petite Ourse). Une fois

Rua-poto franchi, virer à l’Ouest vers les îles Hawai’i. (Dessin personnel)

Dès que nous atteignons Rua-poto, il y a lieu, maintenant, de virer à l’Ouest, tout en

veillant à rester aligné sur l’axe du rua afin de rejoindre l’archipel de Hawai’i. Les hautes

montagnes de cet archipel le rendent visible pour un navigateur exercé à plus de 100 milles

nautiques.

Arrivé au milieu de l’archipel, il est facile de se rendre à Kaua’i, l’île-cible.

Pour le voyage de retour, il est préférable de rejoindre le rua de Tahiti, Rua-faupapa,

en veillant à arriver à l’Est de l’île, et profiter des vents et de la houle dominants venant de

l’Est pour gagner Tahiti.

En 1976, les navigateurs de Hokule’a ont choisi pour cible, non pas l’île de Tahiti ou

l’archipel de la Société, mais l’archipel des Tuamotu, beaucoup plus vaste. Il couvre 1 800 km

de long et 600 km de large. Ils ont abordé l’archipel par le Nord.

Page 221: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

208

o de Tahiti vers Rarotonga

L’île de Rarotonga est située à 600 milles nautiques au Sud-Ouest de Tahiti. Il faut

donc choisir un pou qui conduira notre embarcation, d’abord, vers le Sud, vers le rua de

Rarotonga. Ce pou pourrait être le méridien tracé entre une étoile située au Nord, ‘Anā-tīpū

(Dubhe) par exemple, encore visible à cette latitude, et une autre étoile ‘anā qui viendrait se

positionner à l’apogée de la voûte céleste, ou la Croix du Sud (figure n° 29).

La dérive et la rotation de la terre auront peu d’importance dans ce cas-ci, du fait de

l’éloignement à l’Ouest de Rarotonga. Le voyage vers le Sud en suivant le pou ne posera donc

pas de problème.

Arrivé à la latitude de Rarotonga, selon la saison, il est possible de suivre Rua-roa, le

rua repéré par le soleil au solstice d’été, ou Rua-o-mere, le rua signalé par les étoiles qui

composent la constellation du Capricorne, pour gagner les îles Cook du Sud. Dès que nous

sommes au milieu de l’archipel, il est plus aisé de rejoindre l’île-cible.

Le voyage retour se fera en gagnant d’abord le Nord. Une fois à la hauteur de

l’archipel de la Société, virer à l’Est en suivant Rua-faupapa.

Les étoiles Ta’urua comme Sirius, ne sont parfois aucunement visibles la nuit. Ce qui

pose des problèmes. Les Tahitiens ne pouvaient donc pas voyager à n’importe quel moment

de l’année. Chaque voyage a lieu à des dates précises, liées à la présence d’un ta’urua. En

revanche, toute l’année, il y a au moins trois à six ‘anā présents, au rendez-vous, au méridien.

Page 222: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

209

Figure N° 29 : Traversée Tahiti-Rarotonga : naviguer au Sud vers Rua-roa ou Rua-o-mere en suivant le

Pou, le méridien indiqué par une ligne virtuelle tracée entre ‘Anā-tīpū / Pou-tia'ira'a (Dubhe de la Grande-

Ourse) et une autre étoile ‘anā ou la Croix du Sud. Une fois que Rua-roa est franchi, il faut virer à l’Ouest

vers les îles Cook du Sud. (Dessin personnel)

5. Conclusion

Les problèmes de la navigation sans instruments furent résolus par les Tahitiens à

l’aide des notions de puits et de piliers, incluses dans leur mythologie.

Les étoiles qui émergent sans fin de dessous de l’horizon deviennent visibles aussitôt

qu’elles franchissent le bord des puits appelé rua. Du coup, elles ont pris ce nom pour la suite

de leur voyage, d’Est en Ouest dans le ciel, en traçant une trajectoire qui rappelle les latitudes.

Il existe une dizaine de puits répartis tout le long de l’horizon, que repère la dizaine d’étoiles

lumineuses, appelées ta’urua, « repères-de-rua ».

Rua-faupapa

Rua-roa / Rua-o-mere

'Anā-tipu (Dubhe)

Tauhā (Croix-du-sud)

'Anā

Po

u

Trajet choisi

Page 223: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

210

Une dizaine d’autres étoiles aussi lumineuses, appelées ‘anā, viennent successivement

se positionner au zénith du ciel, pour tracer, à tour de rôle, avec l’Étoile polaire ou sa

doublure, Dubhe, un pou « pilier-méridien ». L’alignement de ce méridien, est confirmé grâce

à une troisième étoile située au Sud, la Croix du Sud ou ses doublures, les deux étoiles

Toliman et Agena (alpha et béta du Centaure).

Ses deux concepts ont permis aux Polynésiens de ne pas se perdre sur mer et de

pouvoir toucher quasiment toutes les îles du Pacifique, et surtout de pouvoir y retourner

quand ils le voulaient, car ils avaient mémorisé leur position par rapport à leur pou et à leur

rua, et son ‘avei’a qui permettra de les identifier à partir de tous les lieux de la Terre, comme

Tupaia l’a démontré aux Anglais.

Il est clair que la navigation astronomique est approximative. Elle permet d’approcher

à environ 60 ou 120 milles nautiques d’une cible, soit 110 à 220 km, selon les tests faits par

Ben Finney à bord de Hokule’a. David Lewis, plus expérimenté, arrive à des précisions de

l’ordre de 30 milles nautiques (55 km).28

Ce n’est pas suffisant pour atteindre une cible. Mais les Océaniens possèdent toute une

panoplie de méthodes qui permet d’affiner la navigation et de s’approcher encore plus de

l’objectif. Ces méthodes ont fait l’objet d’expérimentations depuis une quarantaine d’années,

par la Polynesian Voyaging Society. Elles sont basées sur les études menées par David Lewis

en Polynésie, en Mélanésie et en Micronésie29

, par les expériences faites par Ben Finney et

Nainoa Thomson à bord des répliques des pirogues traditionnelles, et surtout, grâce aux

informations transmises par Mau Pialug, le maître navigateur de Satawal.30

Il nous reste donc à voir comment, après avoir navigué pendant des centaines, voire

des milliers de milles nautiques, et être arrivés à une centaine de milles d’une île, les

Polynésiens vont, enfin, parvenir à la dénicher.

28 FINNEY, B., 1979, Hokule’a, The Way to Tahiti, pp. 213-216.

29 LEWIS, D., 1972, We, the Navigators.

30 FINNEY, B., op. cit.

Page 224: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

211

CHAPITRE VI : NAVIGATION AVEC LES

ELEMENTS NATURELS

NAVIGATION AVEC LES ELEMENTS NATURELS

1. Affiner la navigation astronomique par l’observation de l’environnement

La navigation astronomique à l’aide des rua et des pou, pour autant qu’elle soit

efficace, n’est, toutefois, pas suffisante. Approcher à 120 milles nautiques d’une île (222 km),

c’est voguer du côté de l’île de Makatea aux îles Tuamotu, alors qu’on envisageait de se

rendre à Tahiti. Autant dire que les chances sont très réduites pour celui qui se repose

exclusivement sur cette méthode. Il faut donc passer à d’autres moyens, plus fins et plus

méthodiques, mais aussi beaucoup plus instinctifs, afin de combler la marge d’erreur de la

navigation astronomique.

Les solutions existent et sont multiples. Elles font toutes appels au sens de

l’observation. En effet, cette fois-ci, ce ne sont plus les astres qui sont sollicités, car ils ne

peuvent plus servir, mais l’écosystème naturel. Ce changement de stratégie induit un

changement d’attitude, il faut, à partir de maintenant, porter toute son attention sur les indices

environnementaux, n’en laisser échapper aucun, pour ne pas faire des va-et-vient

interminables à 120 milles nautiques de l’arrivée.

Dans une navigation à l’Estime, pour mettre toutes les chances de son côté, il y a un

préalable, restructurer mentalement notre vision de l’objectif afin de la rendre plus accessible.

Nous avons l’habitude de concevoir une navigation comme un déplacement de point à point,

et d’effectuer nos calculs, lesquels requièrent une grande précision, vu la taille minuscule de

la cible. C’est cette taille, justement, qui pose un problème. Cela revient à chercher une

aiguille dans une botte de foin. La tâche est impossible. En revanche, si l’aiguille était à

l’intérieur d’une boîte à couture cachée au milieu de la botte de foin, il serait plus facile de

trouver l’aiguille, il suffit de mettre la main sur la boîte. C’est cette opération intellectuelle

Page 225: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

212

qui est à la base d’un des concepts les plus fondamentaux de la navigation océanienne, la

méthode, appelée par David Lewis, de « l’élargissement de la cible d’atterrage », expanded

target lanfall1 (1972 : 262).

Un simple calcul de probabilité nous montre qu’il est plus facile d’atteindre avec une

flèche, un point quelconque des cercles concentriques de cette cible, que le centre. Les

Océaniens, avec la navigation astronomique, ne cherchent nullement à atteindre directement

la cible, mais à arriver dans un des cercles concentriques qui entourent celle-ci. Une fois

qu’ils ont franchi le premier cercle extérieur, ils essayent de rejoindre le suivant, ainsi de

suite, jusqu’au milieu de la cible.

Pour la mesure du rayon, si nous sommes au niveau de l’eau, l’horizon est à 3 milles

nautiques (5 km). C’est le rayon de visibilité de l’horizon. Un homme debout sur l’endroit le

plus haut d’une pirogue (5 mètres de haut), pourrait apercevoir les cocotiers d’un atoll (20

mètres de haut), à partir de 13 milles nautiques (24 km). Il agrandit ainsi son rayon de

visibilité. S’il grimpe au sommet du mât (15 mètres), il les verra de plus loin, de 16 milles

nautiques (30 km). L’île aurait des montagnes de 2.200 mètres de haut, elle serait visible de

95 milles nautiques (175 km). C’est la distance entre Tahiti et Huahine.

Un habitant de Huahine aura pourtant bien du mal s’il est au niveau de la mer à

apercevoir le sommet de l’Orohena, le point culminant de Tahiti, en raison de plusieurs

facteurs, dont la réverbération et la brume. En revanche, s’il grimpe sur une montagne, il aura

une chance de voir les sommets de l’île de Tahiti, au lever du jour, au moment où les

conditions atmosphériques sont plus favorables.

Pour qu’il puisse voir les cocotiers de l’atoll de Tetiaroa, situé à 80 milles nautiques

(148 km), il lui faudra grimper à 1.370 mètres d’altitude. Les montagnes de Huahine

culminant à 660 mètres, il ne verra donc jamais l’atoll, depuis son île.

De ce constat, nous pouvons tirer une conclusion, si on arrivait à étirer une cible située

à l’horizon, en l’élevant, par exemple, de 20 à 2.200 mètres, nous la verrions de plus loin car

nous agrandissons son rayon de visibilité. Dans ces conditions, la limite des 120 milles

nautiques d’imprécision d’une navigation astronomique ne posera plus de problème. Une île

n’est cependant pas extensible en hauteur. Comment la rendre visible ?

Comme un phare qui diffuse un rayon lumineux à l’horizon pour signaler sa présence,

une île envoie de multiples signaux autour d’elle, y compris au-delà de son rayon de visibilité,

révélant ainsi son existence. Ces signaux, visibles pour ceux qui ont appris à les décrypter,

1LEWIS, D. 1994, (1972). We, the navigators, The Ancient Art of Landfinding in the Pacific.

Page 226: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

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sont diffusés dans les trois dimensions au sein d’un écosystème confiné à l’intérieur d’une

sorte de dôme fictif qui la recouvre et dont l’île en est le centre. L’extrémité du rayon de ce

dôme part du sommet des nuages et balaie le ciel jusqu’au-delà de l’horizon, à l’image de

celui de Rūmia ‘Apu-o-te-ra’i dont le rayon balaie l’intérieur de Ra’i-tua-tahi, le « premier-

ciel ».

Figure N° 30 : Les zones de navigation. Tant que la pirogue se trouve dans la « zone de navigation

astronomique », loin de toute terre, il navigue aux étoiles. Quand il franchit le périmètre, d’un rayon

d’environ 120 milles nautiques, centré sur l’île-cible, il entre dans la « zone de navigation avec les éléments

naturels », son ciel, Ra’i-tua-tahi, il délaisse celle aux étoiles pour se concentrer sur son environnement.

(Schéma personnel)

L’île n’est donc plus réduite à un point minuscule au milieu de l’océan, bien au

contraire, elle s’est ballonnée pour devenir une immense bulle dont les rayons font maintenant

plusieurs dizaines de milles nautiques (figure n° 30).

Ce qui n’est plus qu’une question de temps que d’atteindre la boîte à couture qui a été

dissimulée au milieu de la botte de foin. C’est le principe de « l’élargissement de la cible

d’atterrage » que les derniers navigateurs Océaniens ont su nous transmettre2.

2 LEWIS, D., 1994, p. 262.

Page 227: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

214

Ils ont dû développer milles astuces, souvent inédites, pour prolonger, mentalement, le

rayon lumineux du phare, afin de le rendre visible, au moment où ils abandonnent la méthode

de navigation astronomique et s’engagent dans celle, plus instinctive, de la navigation avec

les éléments de la nature.

David Lewis a effectué un recensement de toutes les techniques développées en

Océanie, après avoir observé et interrogé les navigateurs des îles Tonga, des îles Santa-Cruz

et de Micronésie. Il les a lui-même expérimentées en naviguant en leur compagnie pendant

plusieurs années, ainsi qu’en collaborant avec Mau Pialug durant les voyages expérimentaux

menés ensemble. Ces techniques sont, aujourd’hui, maîtrisées et enseignées par les maîtres

navigateurs de la Polynesian Voyaging Society. Nainoa Thomson, le président de la société,

est devenu la référence mondiale en matière de navigation océanienne traditionnelle.

En revenant à Lewis, celui-ci a pu noter le travail intellectuel et ininterrompu des

navigateurs, au moment où ils pressentent la présence d’une île. Toute leur attention est

occupée à pister, à capter et à décrypter les infimes signaux envoyés par la terre, alors même

qu’ils sont complétement dilués dans l’ensemble de l’écosystème contenu dans la bulle. Avec

ces savoirs, la navigation est devenue pour les Océaniens, non seulement une science, mais un

art (1994 [1972] : 195) :

« The objectives towards which, Polynesian and Micronesian navigators, have to steer

are tiny in relation to the vast areas of sea that surround them. It has therefore been

crucial for them to develop, as an adjunct to their systems of star steering and dead

reckoning, techniques for "expanding" their targets into sizable objectives. »

« Les objectifs vers lesquels les navigateurs polynésiens et micronésiens, doivent se

diriger sont minuscules par rapport à la vaste étendue de l’océan qui les entourent. Il était

donc crucial pour eux de développer, en sus de leurs systèmes de pilotage par les étoiles

ou à l’Estime, des techniques pour « redimensionner » leurs cibles afin d’en faire des

objectifs accessibles. »

Pour agrandir un objectif, il faut passer par une lecture mieux ciblée de la biosphère.

Ce travail est « facilité » par une particularité intéressante rencontrée sur tous les océans, une

île est rarement isolée. En effet, une cible est composée, non seulement d’une terre ferme et

de son extension dans les limites de ses propres indices biosphériques contenus dans sa bulle,

mais aussi, des terres environnantes qui possèdent leurs propres signatures et leurs propres

bulles. Toutes ces bulles additionnées en forment une autre, plus grande, avec un plus grand

Page 228: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

215

rayon, qui englobe toutes les autres. C’est le cas d’un archipel. Par l’addition des écosystèmes

spécifiques à chaque île, nous parvenons à configurer celui de l’archipel entier, qui devient, à

cet instant, la cible (Lewis, 1994 [1972] : 195) :

« The expansion technique applies to two situations. In the first, an isolated atoll is

appreciated as being surrounded, far beyond the range of sight of the navigator, by a

zone of land indicators. In the second, the gaps between the islands of a group are

"bridged" by overlapping zones round individual islands, so that the whole archipelago

becomes a target for the landfall. Both applications depend on the observation of such

land signs as homing birds, clouds, or wave patterns. »

« La technique d’expansion s’applique à deux situations. Premièrement, un atoll isolé est

assimilé à un espace encerclé, jusqu’au-delà du champ de vision d’un navigateur, par une

zone où l’on discerne les indices de la présence d’une terre. Deuxièmement, les distances

entre les îles appartenant à un groupe sont« comblées », grâce au chevauchement de ces

zones entourant chacune des îles, de sorte que l'ensemble de l’archipel devient la cible

d’atterrage. Ces deux critères dépendent des observations faites de ces signes venus de la

terre, comme les oiseaux, les nuages ou la forme de la houle. » (Traduction personnelle)

Une fois que nous avons agrandi mentalement notre cible, il reste encore à décrypter

les signaux émis par l’île qui signalent son existence. Il faut ensuite déterminer en fonction

des indices sa position et évaluer le temps qu’il reste à parcourir. Ces signes peuvent être : les

vents, les courants, la houle, les oiseaux, les nuages, les débris flottants, etc.

2. Viser la cible en tenant compte de la dérive

Voyager avec les pirogues polynésiennes réclame un préalable. Ce sont des

multicoques dotés d’un balancier ou des double-coques. Que ce soit l’un ou l’autre, leur

qualité principale réside dans leur vitesse au vent portant en raison de leur faible tirant d’eau.

Mais cette qualité est aussi un défaut car par grand largue, elles dérivent. La correction de la

dérive ne peut se faire qu’à l’aide de la pagaie de gouvernail. Ce qui n’est pas suffisant

compte tenu de la poussée conjointe du vent et du courant.

Au près, nous avons eu l’occasion de l’expérimenter en naviguant avec des répliques

de pirogues traditionnelles, outre le fait qu’elle remonte difficilement au vent, la dérive a

tendance à s’accentuer, il est alors quasiment impossible de progresser.

Page 229: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

216

Figure N° 31 : Navigation en tenant compte de la dérive. La pirogue se dirige vers l’étoile-cible du rua 1

située à l’Est. Pour compenser les vents et les courants soufflant du secteur Nord, elle vise l’une des étoiles

du rua 2 située plus au Nord. (Dessin Henri Python)

Pour y remédier, les Océaniens utilisaient une technique que Ben Finney3 avait

remarqué chez les Micronésiens : viser, non pas l’étoile-cible mais celle qui se situe près

d’elle, du côté d’où souffle le vent et d’où vient le courant. En dirigeant son embarcation, sur

une étoile située plus à l’Est, la dérive provoquée par le vent et le courant la poussera vers

l’île (figure n° 31).

3. Choisir comme cible un groupe d’îles

La navigation entre les îles ne nécessite pas forcément de réaliser des prouesses en

navigation comme le relève Serge Dunis, « Peu d’îles sont isolées. La plupart s’égrènent en

archipels ou chapelets sur des centaines de kilomètres. Il est possible de voguer d’une île à

l’autre du Pacifique, depuis l’Asie du Sud-Est, sans jamais effectuer une traversée de plus de

3 FINNEY, B., 1998. « Traditional Navigation and Nautical Cartography in Oceania », p. 458.

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575 km sans rencontrer une terre. La distance moyenne entre les îles ou archipels oscille en

effet entre 90 et 370 km. » (Dunis, 1990 : 24).

Trois exceptions de taille sont à relever cependant, la distance entre l’Île de Pâques et

la terre la plus proche, l’île Ducie, est de 1.550 km, celle entre Hawai’i et l’atoll le plus

proche, Palmyra, 1.600 km, et celle entre la Nouvelle-Zélande et Rarotonga, 2.900

km. Franchir de telles distances en pirogue réclame une grande maîtrise de la navigation mais

également le recours à des astuces.

David Lewis et Ben Finney ont estimé qu’au-delà de 25 ou 30 milles nautiques de

moyenne, une île haute n’est plus visible du large. Ils ne comptent pas les îles dont les

montagnes dépassent 1.000 mètres, comme Tahiti, et dont le rayon de visibilité s’étend au-

delà de 80 milles nautiques. Dans les groupes insulaires, ces périmètres de 25 ou 30 milles se

chevauchent souvent, formant de grands blocs de terres. Pour atteindre une île située au sein

d’un groupe d’îles, il vaut mieux cibler le groupe, puis, une fois le groupe atteint, rejoindre

l’île cible. (Lewis, 1972 (1994 : 197)

Quand on est au milieu d’un archipel, on devine facilement la présence des autres îles,

par les turbulences de la mer générées par la houle.

Pour rejoindre, par exemple, une île telle que Nuku-Hiva en partant de Tahiti, il est

plus sûr de viser l’archipel des Marquises qui forme un bloc compact de plusieurs centaines

de kilomètres. La distance entre l’île la plus au Nord, Eiao, et celle la plus au Sud, Fatu-hiva,

est de 210 milles nautiques, soit 390 km. Ce qui est considérable au regard de la plus grande

longueur de Nuku-Hiva qui n’est que de 30 km. En prenant comme cible l’archipel des îles

Marquises et non l’île de Nuku-Hiva, nous l’agrandissons de dix fois. Elle est donc plus facile

à repérer et lorsqu’on se trouve au milieu de l’archipel, cela devient un jeu d’enfant que de

rejoindre une île (figure n° 32).

Certains archipels, comme les îles Tuamotu, s’étendent sur plus de 1.000 km du Nord

au Sud, ou comme les îles Hawai’i qui forment une chaîne volcanique de près de 2.500 km de

long s’étirant du Sud-est vers le Nord-Ouest. Ce sont de véritables écrans tirés au milieu de

l’océan et au travers du parcours des navires. Ils sont parfois très dangereux, s’agissant des

archipels formés d’atolls, lorsqu’il faut les traverser pendant la nuit.

Page 231: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

218

Figure N° 32 : Navigation en ciblant un bloc d’îles. Au-delà de 25 ou 30 milles de rayon, une île n’est plus

visible du large – Dans les groupes insulaires ces périmètres de 25 ou 30 milles se chevauchent souvent,

formant des cibles plus grandes – Pour atteindre une île située au sein d’un groupe d’îles, il vaut mieux

cibler le groupe, puis, une fois le groupe atteint, rejoindre l’île cible. (Dessin Henri Python)

Prenons le cas des îles Tuamotu. Si, sur une carte, nous tirons plusieurs traits,

traversant de part en part cet archipel, aucun n’arriverait à éviter une île. La dangerosité de ces

atolls était connue depuis leur découverte. Les Hollandais et, sans doute avant eux, les

Espagnols ont en fait les frais.

Comme nous le fait remarquer Dunis, qui cite Bougainville (Dunis, 1990 : 24) :

« Mais les archipels rendent la navigation nocturne dangereuse. J’ai nommé l’Archipel

Dangereux cet amas d’îles dont nous avons vu onze (les Tuamotu), et qui sont

probablement en plus grand nombre. La navigation est extrêmement périlleuse au milieu

de ces terres basses, hérissées de brisants et semées d’écueils, où il convient d’user la nuit

surtout, des plus grandes précautions ».

Page 232: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

219

Ci-dessous le tableau montrant la dimension des archipels, les distances sont données

en milles nautiques (MN) (Lewis, 1972 : 197) :

Nom du bloc d’îles Dimension Nord-Sud (MN) Dimension Est-Ouest (MN)

Tonga 260 140

Fidji 370 330

Samoa 110 260

Tuamotu 550 500

Société 160 310

Marquises 210 180

Cook du Sud 120 200

Tuvalu 250 200

Tableau N° 2 : la dimension des blocs formés par les groupes d’îles permet d’agrandir la cible. (David

Lewis, 1994 (1972) : 197)

La chaîne des îles Hawai’i s’étend de l’Est à l’Ouest sur près de 1.000 milles nautiques

(1.852 km), avec des sommets de 4.000 mètres, un véritable mur face à une pirogue qui lui

arrive dessus, depuis le Sud en suivant un pou. Ce qui peut, sans doute, expliquer en partie sa

découverte par des Polynésiens arrivant du Sud.

Mais alors, que faisaient-ils dans les parages ?

Il se peut que quelques pêcheurs aient fréquenté les atolls qui se trouvent au niveau de

l’équateur, dans les îles appelées aujourd’hui, de la Ligne. Elles étaient désertes à l’arrivée des

Européens, mais des vestiges archéologiques y ont été mis au jour sur l’atoll de Christmas,

située à 2° Nord, qui prouvent qu’elles furent ponctuellement fréquentées par des Tahitiens.

Nous pouvons facilement imaginer que leur curiosité fut attirée par l’Étoile polaire, la seule

étoile fixe du ciel, non visible de chez eux. Ils l’ont appelée ‘Anā-ni’a, « l’Étoile brillante-de-

dessus », située sur le pilier baptisé te Pou fa’arava’aira’a, « le pilier pour pêcher », sans

doute en raison de leur activité dans les parages. Curieux de découvrir la terre, forcément

merveilleuse, qui doit se trouver à la verticale d’un tel ‘avei’a « étoile-guide », le seul au

monde qui soit immobile, ils ont suivi ce nouveau pou, ils ne pouvaient arriver qu’en plein

milieu de l’archipel hawaiien. Ces îles forment un véritable écran de 1.852 km de large sur

leur passage.

La Nouvelle-Zélande, quant à elle, forme un bloc compact de plus de 1.600 km du

Nord au Sud, sans compter les îles situées plus au Sud, avec un sommet qui atteint 3.700

Page 233: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

220

mètres visible de loin. Pour un marin polynésien qui naviguerait le long de sa latitude, en

suivant d’Est en Ouest le chemin d’étoiles de rua-o-manu (Grue), il tomberait en plein milieu

du chenal séparant l’île du Nord de l’île du Sud. Cela aurait pu être de cette manière qu’elle

fut découverte.

4. Utiliser la houle comme compas

En naviguant avec des natifs de Tikopia, de Papouasie, de Tonga et des îles Carolines,

David Lewis enregistra une manière originale de repérer les points cardinaux : utiliser la

houle comme boussole.

Il existe deux types de houle que les Océaniens parviennent à distinguer, comme il

l’explique4 :

« Quelques remarques non techniques sur la nature de la houle peuvent nous aider à

expliquer leur rôle dans l'orientation. En premier lieu, le mot «houle» indique des ondes

qui voyagent, au-delà des systèmes de vent qui les ont générés, ou qui demeurent encore,

après que le vent soit tombé. "Les vagues", à proprement parler, sont produites par des

vents contemporains. Les deux termes sont souvent pris pour synonymes, en effet, il est

souvent impossible de les distinguer. » (Traduction personnelle)

Les houles longues qui balaient en permanence le Pacifique, pendant plusieurs mois,

proviennent des régions situées au Sud et sont générées par les tempêtes de l’océan qui

encercle l’Antarctique5 :

4 LEWIS, D., 1972, pp. 125 – 126 : « A few nontechnical comments about the nature of ocean swells may help to

explain their role in orientation. In the first place, the word "swells" denotes waves that have traveled beyond

the wind systems that generated them, or that remain after the wind has died away. "Waves", strictly speaking,

are produced by contemporary winds. The two terms are frequently used as synonyms, and indeed it is often

impossible to distinguish one from the other at sea. »

5 Ibid. p. 126 : « For swells remain perceptible after traveling hundreds of miles, they must have their origin in

regions of strong and persistent winds, the more important swell originating in permanent weather systems, such

as the trades. Trade-wind-generated swells tend to be from east, northeast, or southeast, depending on the

latitude and season. The other main source is the Southern Ocean belt of strong westerlies, from which, long

southerly swells sweep even beyond the equator. Largely seasonal swells originate in the monsoons of the

western Pacific, and others, more temporary still, are caused by tropical revolving storms. »

Page 234: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

221

« Pour que la houle soit perceptible, même après avoir parcouru des centaines de milles,

elle doit avoir pour origine des régions où les vents sont puissants et permanents, les

houles les plus importantes sont générées par des systèmes météorologiques constants, tels

les vents dominants. La houle générée par les alizés a tendance à venir de l’Est, du Nord-

est, Sud-est, en fonction de la latitude et de la saison. L'autre origine principale de la houle

se trouve au niveau de la ceinture de l'Océan Austral, où soufflent des vents forts d’Ouest,

et d’où partent les longues houles du Sud, qui balaient l’océan jusqu’au-delà de l'équateur.

La houle saisonnière, quant à elle, est, en grande partie, générée par la mousson du

Pacifique occidental, et, d’une manière ponctuelle, par des cyclones tropicaux. »

Cette longue houle permanente, quand elle s’établit selon une direction déterminée,

demeure active pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines, voire, plusieurs mois. Ce

régime constant est un indicateur efficace, car la direction de la houle donne un cap. Elle peut

servir de compas. Par exemple, si la houle vient de l’Est, un marin saura que, s’il la remonte,

il se dirigera vers l’Est et, s’il la suit, il ira vers l’Ouest. De même, s’il laisse la houle à

bâbord, il descendra au Sud, et s’il la laisse à tribord, il naviguera au Nord (figure n° 33).

Figure N° 33 : Naviguer avec la houle. Les vents dominants ou les tempêtes génèrent la houle à travers

l'océan et sur de grandes distances. Sous un ciel couvert, le fa’atere va’a garde son cap en maintenant un

angle constant entre la houle et son va’a, jusqu'à ce que les astres redeviennent visibles (Dessin Polynesian

Voyaging Society).

L’avantage de cette méthode de navigation réside dans le fait que par temps couvert,

en l’absence de repère astral, soleil, lune, étoiles, etc., il est toujours possible de s’orienter en

utilisant la houle comme une boussole. Celle-ci change rarement de direction. Pour que cela

arrive, il faut une tempête. La houle de tempête est différente.

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222

5. Utiliser les couleurs de la mer

La couleur de la mer varie en fonction de sa profondeur. Les hauts fonds colorés au

milieu des océans constituent d’excellents repères pour la navigation. S’ils sont, par exemple,

situés à mi-distance entre deux îles, le fait de les croiser confirme le cap choisi et fournit une

idée sur le temps qui reste à parcourir.

6. Les débris flottants

En pleine mer, les débris flottants signalent la présence d’une terre à proximité. La

direction d’où viennent les débris portés par le courant indique la direction de cette terre. Le

degré de putréfaction de certains plantes ou fruits, ayant séjourné dans l’eau, peut donner des

indications sur le temps qu’ils y ont passé et, en fonction de la vitesse du courant, on peut

estimer le temps qui reste à parcourir pour atteindre l’île (figure n° 34).

Une noix de coco sec flottant au gré du courant est un bon indicateur. L’état de sa

bourre et le degré de putréfaction de l’eau permettent d’Estimer le temps qu’elle est restée

dans l’eau, c’est-à-dire, le temps qui sépare le moment où elle s’est détachée du tronc de celui

où elle est tombée dans l’eau.

Certains fruits dont les arbres poussent en bord de mer comme le hutu, résistent

également à un séjour dans l’eau et peuvent être entraînés par des courants, très loin au large,

et leur examen fournira des indications sur la distance où se trouve l’île d’où ils proviennent.

Les débris permettent également de déterminer si l’île qui est dans les parages est un

atoll ou une île haute. Les plantes des montagnes et des vallées, arrachées par les cours d’eau

et qui se retrouvent en mer, sont différentes de celles des terrains coralliens des atolls. Si les

débris sont des détritus, l’île est habitée.

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223

Figure N° 34 : Analyse des débris flottants. En pleine mer, les débris flottants indiquent, en fonction du

courant qui les transporte, la direction d’une terre et, selon leur degré de putréfaction, le temps qui reste à

parcourir. (Dessin Henri Python)

Les débris qui dérivent dans le Pacifique suivent les courants. Dans la zone

intertropicale, ils se dirigent vers l’Ouest portés par les vents et les courants dominants qui

viennent de l’Est. C’est ainsi qu’ils échouent sur les plages situées à l’Est des îles. L’arrivée

de ces détritus sur cette partie des îles témoigne de la présence d’une terre située plus loin à

l’Est, au-delà de l’horizon. C’est sans doute la raison pour laquelle les navigateurs des îles

situées à l’Ouest du Pacifique ont cherché à remonter ces vents et ces courants avec la

certitude de découvrir une terre. C’est l’une des raisons plausibles pour expliquer le

déplacement des populations du Pacifique de l’Ouest vers l’Est.

7. La houle à l’approche d’une île

Une houle, si elle ne rencontre pas d’obstacle, comme nous l’avons vu, reste régulière

pendant plusieurs jours. En pleine mer, elle peut se déplacer sur plusieurs centaines de

kilomètres, voire plus, sans subir d’altération autre que la diminution de son amplitude en

fonction de la distance parcourue.

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224

En revanche, la présence d’un obstacle comme une île provoque une déformation. Elle

crée, selon Lewis, deux effets distincts, une déformation de la houle principale et la formation

d’une houle réfléchie (figure n° 35).

Figure N° 35 : Déformation de la houle au voisinage de la terre. Une houle, si elle ne rencontre pas

d’obstacle, reste régulière. La présence d’un obstacle crée une houle secondaire ou déforme la houle

principale et provoque des turbulences. L’image ci-dessus indique en (A) la houle principale ; en (B) la

houle réfléchie par l’île ; en (C) la houle freinée par l’île ; en (D) les houles croisées à l’arrière de l’île.

(Dessin Henri Python)

La houle, en heurtant l’île, la contourne en se déformant et crée des turbulences à

l’arrière 6 :

« Les houles se déforment lorsque le frottement des terres entrave et ralentit les

extrémités en contact avec le rivage, qui se courbent jusqu'à ce qu'elles soient alignées

avec la côte. La houle de l’océan étant coupée en deux par l'île, les parties déformées se

déplacent de part et d’autre pour se réunir à l’arrière où elles se croisent pour donner

naissance à une zone où, comme le disent les gens des îles Gilbert, les vagues "se

déplacent de haut en bas". » (Traduction personnelle)

6 LEWIS, D., 1972 (1994), p. 9. Swells are refracted, when land friction, impedes and slows their inshore ends,

which bend more until they are in line with the coast. The ocean swell being divided by the island, these

refracted portions, move around both sides to meet in its lee and there cross each other and give rise to an area

where, as the Gilberteses say, the waves "move up and down."

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225

Ou alors, en heurtant l’île, elle engendre une houle réfléchie7 :

« L'autre procédé implique la houle qui heurte directement la côte au vent et qui est

réfléchie dans la direction d’où elle est venue. Etant donné que la houle réfléchie

diffère, en termes de longueur d'onde et pour d'autres caractéristiques encore, de la houle

principale, du fait de son déplacement dans la direction opposée, elle peut être détectée

très au loin. » (Traduction personnelle)

Un navigateur qui serait dans la zone (A) sait que la houle n’a rencontré aucun

obstacle car la houle principale n’a subi aucune perturbation. Quand il arrive dans la zone (B),

s’il remarque une houle plus petite avec une longueur d’onde différente qui vient d’an face, il

devinera que cette houle réfléchie est provoquée par un obstacle, peut-être une île, qui se

trouve sur son parcours. Si cette elle heurte sa pirogue par bâbord, il conclura que l’île est

dans cette direction. Si au contraire, elle frappe la coque sur son tribord, l’île se trouve sur sa

droite.

Quand il sera dans la zone (C), s’il voit la courbure de la houle, qu’elle soit vers

bâbord ou vers tribord, à l’avant de sa pirogue, il saura que l’île se trouve sur son trajet. Si la

courbure est à bâbord, elle se situe du même côté, et si elle est à tribord, elle est de ce côté.

Quand il sera dans la zone (D), s’il discerne une houle réfléchie qui vient se mélanger

à la houle principale à l’avant de sa pirogue, il peut être certain qu’une île ou un récif est

devant lui. Si elle est à bâbord, l’île s’y trouve également, et si elle est à tribord, l’île aussi.

Selon les informateurs micronésiens de Lewis, par cette méthode, ils peuvent détecter

une île à environ 13 ou 20 milles nautiques de distance (24 ou 37 km).

Certains archipels sont même de véritables murs face à la houle. Lewis et Finney ont

observé que l’immense archipel des Tuamotu empêche la houle venant du Sud de le traverser.

Au Nord de l’archipel, la houle décroît fortement, en effet. Ce phénomène a déjà été observé

par le capitaine Cook lorsqu’il passa au Nord de l’archipel, ainsi que par les surfeurs

hawaiiens qui ne voient pas la houle du Sud arriver sur leurs plages, alors qu’elle le devrait.

En 1976, lors du premier voyage de Hokule’a, de Hawai’i vers Tahiti, Lewis et Finney

détectèrent la présence de l’archipel des Tuamotu, à une distance de 400 milles nautiques soit,

7 LEWIS, D., 1972 (1994), p. 10. The other process involves waves that impinge directly onto a weather coast,

and are reflected back, the way they came. Since the reflected waves differ, in wavelength and other

characteristics, from the primary swell, besides moving in the opposite direction, they can be detected far out.

Page 239: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

226

à 740 km au Nord de cet archipel, en raison de la diminution soudaine de la houle. Ils étaient

alors, en termes de latitude, au niveau des îles Marquises (Lewis, 1972 : 226)

8. Paku : la coloration particulière des nuages au-dessus d’une île

Les nuages sont de bons indicateurs de présence d’îles, comme le souligne Serge

Dunis, citant Lewis : « Les nuages ralentissent au-dessus d’une île, puis reprennent leurs

cours. A une trentaine de kilomètres d’une terre, il est possible de discerner de vives couleurs

que les nuages n’ont pas en pleine mer. Un nuage plus foncé et plus épais, ou

l’assombrissement du couvert nuageux trahit la présence d’une île. Le nuage est vert au-

dessus de l’eau peu profonde du lagon, lumineux sur le sable ou les brisants, sombre sur la

verdure. Il est teinté de rose au-dessus des récifs, de rouge sur les îles sans lagon, brillant au-

dessus des récifs à sec et des palétuviers. » (Dunis, 1990 : 33)

Figure N° 36 : Paku, les nuages colorés. Le lagon peu profond réfléchit la lumière du soleil et teinte le

nuage au-dessus de la couleur du lagon (Dessin Klaus Hympendahl)

Le phénomène de la coloration des nuages au-dessus d’un lagon était bien connu des

Pa’umotu, les habitants des îles Tuamotu. Ils appelaient ce phénomène paku (figure n° 36).

"PAKU" NUAGES COLORÉS

Paku : Les nuages au-dessus d'un atoll

réfléchissent la couleur

bleue turquoise du lagon

Page 240: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

227

Pa’u-motu était le nom que les Tahitiens attribuèrent autrefois à l’archipel des

Tuamotu. Son équivalent en reo pa’umotu est pakumotu. Il fut changé en Tuamotu en 1852

par l’administration française à la demande d’une délégation de ressortissant de cet archipel

venue en audience rencontrer le gouverneur à ce sujet. Les Pa’umotu contestaient ce nom qui

signifierait selon eux, « îles conquises ». Ils préconisaient à la place Tuamotu « îles en plein

océan » (Emory, 1975 : 1-2).

Par contre, leurs habitants continuent d’être des Pa’umotu.

Le terme pa’u en tahitien est l’équivalent de paku en pa’umotu. Si l’une des

significations de pa’u en tahitien est, effectivement, « conquis », ce n’est pas le cas de paku

en pa’umotu. Dans cette langue, il désigne selon le dictionnaire de Stimson, un phénomène

particulier à ces îles, le « nuage brillant noir situé à la verticale d’un atoll ». C’est d’ailleurs

sous le nom des îles Pa’umotu que les missionnaires l’ont enregistré au début du XIXe siècle.

Leurs habitants étant appelés par les Tahitiens, papa’ā (Davies)8 « corps – brûlé » allusion à

leur teint plus foncée en raison de leur exposition au soleil.

Paku vient d’une racine proto-polynésien nucléaire (PNP : Proto Nuclear Polynesian),

il n’existe pas de dérivé en tahitien. On le rencontre dans de nombreuses autres langues

polynésiennes. Il n’y a qu’aux îles Tuamotu et aux îles Gambier cependant où il est fait

allusion aux nuages (Pollex) :

.NP PAKU. : Dark in colour.

HAW Pa`u.: Smudge, soot, to soil; ink (Pki).

MFA Paku. : Black.

MQA <Paku. : Suc de quelques plantes avec lequel se frottent les indigènes (Dln)>.

MVA Paku. : Ciel nuageux (Jnu).

PIL Paku. : Dirty (Hvn).

TUA Paku. : Shining black cloud, glistening black (Stn).

WFU Paku. : Dirty; a blot (Cpl).

8 Papa’ā [papa – ‘ā] « corps – brûlé ». Aujourd’hui papa’ā (ou popa’a) est le nom attribué aux étrangers

d’origine européenne puis, par la suite, à tous les étrangers.

Page 241: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

228

Figure N° 37 : Paku - La coloration particulière d’un nuage signale la présence d’une terre au-dessous, à

la verticale du nuage (Dessin Henri Python)

Les nuages au-dessus des lagons des îles Tuamotu possèdent une coloration

particulière, ils peuvent être brillants, sombres ou colorés. « Le vert des lagons se réfractant

dans les nuages, les marins polynésiens sont, par exemple, encore capables de reconnaître au

loin celui de l’atoll de Anaa, à l’intensité incomparable. » (Conte, 1992 : 22)

Les nuages colorés se voient de fort loin, alors même que les cocotiers ne sont pas

encore visibles (figure n° 37). Selon Lewis, les natifs des îles Gilbert arrivent à détecter un

atoll de cette manière à 18 milles nautiques de distance (33 km).

9. Les cumulus accrochés aux montagnes des îles

Lorsque le vent chargé d’humidité rencontre un relief, l’eau contenue s’élève au fur et

à mesure que la température décroît avec l’altitude ; arrivée à son point de rosée, elle

condense, formant un nuage. Ces nuages demeurent immobiles, alors que les nuages aux

Page 242: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

229

alentours se déplacent en permanence. La présence d’un cumulus stable au milieu de nuages

en mouvement signale la position d’une île (figure n° 38).

Figure N° 38 : Les terres montagneuses peuvent engendrer de gros nuages. Ils semblent immobiles au-

dessus des îles, ce sont les cumulus. La présence d’un cumulus stable au milieu de nuages en mouvement

signale la position probable d’une île. (Dessin Henri Python)

Pour arriver à détecter le phénomène, il faut, parfois, un long moment d’observation.

En général, le nuage, qui marque la position d’une île, peut rester en place toute la journée. Le

processus de formation nuageuse étant continuel, même si le cumulus se dissipe, le nuage se

régénère en permanence.

Ces formations nuageuses concernent également les atolls. David Lewis put recevoir

des explications auprès d’un habitant des îles Gilbert (aujourd’hui, les îles Kiribati). Son

interlocuteur lui expliqua que9 :

9 LEWIS, D., 1972 (1994), p. 217. As you approach a land from a distance, the land cloud at first, lies on the

horizon like other clouds, but as the hours go by, you notice that it stays in the same place, or else reforms

continually over that place. This process, which was to be demonstrated at sea by Iotieba, brings out the

importance of prolonged observation. For it is the movement of clouds, their formation and breakup, that counts

as much or more than their static appearance.

Page 243: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

230

« Lorsque vous vous approchez d'une terre de loin, le nuage terrestre se trouve au début, à

l'horizon comme les autres nuages ; le temps passe, vous remarquerez qu'il reste à la

même place, ou alors, qu’il se régénère sans cesse sur place. Ce processus que Iotieba

nous avait montré en mer, fait ressortir l'importance d’une observation prolongée. Car

c'est le mouvement des nuages, leur formation et leur dispersion, qui compte autant, sinon

plus, que leur aspect statique. »

Les formations nuageuses au-dessus des îles montagneuses et des atolls participent

d’une manière importante à l’amoncellement d’indices mis à disposition du fa’atere pour

qu’il détecte la présence d’une terre. Cette technique est encore employée actuellement dans

les îles. Nous l’avons maintes fois observée lors des déplacements entre les îles de l’archipel

des Marquises où ce phénomène est bien visible.

10. Le vol des oiseaux et leur rayon d’action

Les oiseaux de mer dorment et nichent à terre, mais ils doivent chaque jour aller

pêcher de petits poissons pour se nourrir, et surtout, nourrir leurs petits. Ils quittent leurs nids

pour se rendre sur les lieux de pêche et y retournent tous les jours, de sorte que leurs vols

peuvent être utilisés comme des indices permettant d’indiquer la direction de la terre. En

effectuant un travail d’observation, on s’aperçoit que la plupart d’entre eux quittent leurs îles

le matin, et volent vers le large, tandis qu’à la nuit tombée, ils regagnent la terre, et se dirigent

donc vers la direction opposée.

En observant leur vol à ces deux moments de la journée, il est possible de situer la

position de l’île où nichent les oiseaux. Il suffit, le matin, de se diriger vers l’endroit d’où ils

viennent et l’après-midi, de les suivre.

Certaines espèces pêchent près des côtes, certaines vont plus loin au large, et d’autres

peuvent parcourir des dizaines de milles nautiques pour se rendre sur leurs lieux de pêche.

Guetter les oiseaux à l’approche de l’objectif est l’un des exercices favoris du fa’atere, car,

selon les espèces observées, il peut déterminer sa position par rapport à son objectif. Il est

donc important de connaître le rayon d’action de chaque espèce d’oiseaux.

Lors du voyage de Hokule’a en 1976, à l’approche des Tuamotu, le premier oiseau

aperçu par Rodo Williams, le Tahitien qui a fait le voyage et qui connaissait bien cet archipel,

fut un ‘itata’e« sterne blanche », son rayon d’action est d’environ 20 à 25 milles nautiques

Page 244: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

231

(37 à 46 km) selon ses observations. Ils étaient donc près d’une île de l’archipel. Ils

l’aperçurent en effet peu après, c’était l’atoll de Mataiva (Finney, 1979 : 223).

Figure N° 33 : Le rayon d’action des oiseaux. Les oiseaux de mer quittent la terre le matin pour aller

pêcher plus ou moins loin selon les espèces, ce qui permet d’évaluer la distance de l’île. Ils regagnent la

terre à la tombée de la nuit. Leur vol, le matin et le soir, indique la direction de l’île. (Dessin personnel)

La figure ci-dessus (figure n° 39) recense le rayon d’action de différentes espèces

d’oiseaux de Tahiti, il reprend celui reproduit par Ben Finney sur la base des informations

transmises par Rodo Williams (Finney, 1979 : 224)10

. Ce sont les oiseaux que les pêcheurs

tahitiens utilisent comme indicateurs et que l’équipage de Hokule’a observa à son approche

des îles Tuamotu.

Le rayon d’action du tava’e (Paille-en-queue ou Phaëton) n’est pas dans la liste des

pêcheurs tahitiens. Néanmoins, nous l’avons mis sur la figure n° 33 à titre indicatif car son

rayon d’action est impressionnant, 110 milles nautiques soit 175 km. Selon Jean Kape, le

10 FINNEY, B., 1979. Hōkūle’a : The Way to Tahiti

175 km110 mi

75 km50 mi

55 km35 mi

45 km30 mi

30 km20 miîle

Tāva'ePaille-en-queue

Ua'aoFou de Bassan

'OtahaFrégate

'ŌioNoddi

'OāNoddi brun

TarāpapaSterne huppée

Pira'e / 'itata'eSterne blanche

Page 245: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

232

président de l’association Manu, cet oiseau ne vole pas d’une manière régulière et rectiligne à

l’aller ou au retour de sa zone de chasse. Le suivre peut nous induire en erreur. Apercevoir cet

oiseau en mer signifie simplement qu’une terre existe dans un rayon maximal de 110 milles

nautiques.

11. Conclusion

Les fa’atere ont pu sillonner l’océan Pacifique grâce aux rua et aux pou. Les chemins

d’étoiles qui émergent des abysses à l’horizon, signalés par leur étoile-phare ta’urua, sont

leurs guides pour naviguer d’Est en Ouest. Lorsque les étoiles du rua sont trop hautes dans le

ciel ou descendent sous la ligne d’horizon, celles qui suivent prennent le relais et ainsi de

suite pendant toute la nuit. Les planètes, Venus et Jupiter, ainsi que le soleil, font également

partie des ta’urua repères de rua. Le jour, les navigateurs ayant noté la position de leur

pirogue par rapport à la trajectoire du soleil, continuent leur route en suivant l’astre du jour.

Quand il fallait changer de rua, parce qu’ils devaient s’aligner sur un autre chemin

d’étoiles afin de rejoindre une île, ils empruntaient le chemin tracé par un pou, un pilier

céleste qui trace une ligne Nord/Sud comme celle d’un méridien, signalé par l’alignement

d’un ‘anā avec l’étoile Dubhe ou avec l’Etoile polaire et s’il le faut, avec la Croix du Sud,

Alpha et Beta du Centaure, Canopus ou Achernar. Lorsque l’étoile ‘anā quitte sa position sur

la ligne du méridien pour voguer vers l’Ouest, elle est remplacée par un autre ‘anā et ainsi de

suite.

Lorsque le ciel se couvrait et que le soleil, la lune, les planètes et les étoiles deviennent

inutilisables, la houle devient leur guide. Celle générée au niveau de l’Antarctique, de secteur

Sud-Est, balaie l’océan Pacifique pendant une longue période, elle devient leur instrument de

navigation.

A l’approche d’une terre, au moment où ils franchissent la frontière du dôme virtuel à

l’intérieur duquel les fa’atere « sentent » la présence d’une île, ils laissent de côté les astres et

se mettent à la recherche de la cible. Ils décryptent des indices envoyés par l’île, son « parfum

de terre », la déformation de la houle, les oiseaux qu’elle envoie comme des messagers, les

cumulus qu’elle génère jusqu’à plusieurs milliers de mètres d’altitude, la couleur des nuages

et les débris flottants. Si ces derniers sont des détritus, c’est certain, la terre qu’ils atteindront

est habitée.

Page 246: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

233

La mer leur fournissait des marqueurs supplémentaires comme les changements de

couleur, la présence de certaines espèces de poissons et de mammifères marins, les courants

océaniques et l’apparition de tourbillons.

Le vol des oiseaux migrateurs ont peut-être aidé les Polynésiens à découvrir des terres.

La migration annuelle du pigeon en Polynésie occidentale était connue et suivie par les

navigateurs des îles Tonga et Samoa. Les ancêtres des Maoris ont pu suivre le coucou à

longue queue ‘arevareva (Urodynamis taitensis) et le coucou éclatant (Chrysococcyx lucidus)

qui passent l’été en Nouvelle-Zélande et l’hiver en Polynésie centrale ou en Mélanésie. Ils ont

peut-être suivi la migration des baleines vers le Sud pendant l’été austral. Elles nagent à la

même allure que leurs pirogues.

Il existe encore de nombreuses autres méthodes pour suppléer à la navigation

astronomique. Citons la surbrillance du ciel à l’horizon qui indique la présence d’un atoll ;

nous avons, en plusieurs occasions, observé ce phénomène depuis Tahiti, au-dessus de

Teti’aroa, située à 30 milles nautiques au Nord (55 km).

Une autre particularité fut remarquée dans certains archipels. « Les habitants des îles

des Reef dans l’archipel de Santa-Cruz appellent te lapa « les stries », les éclairs ou les

plaques d’eau qui luisent à une certaine profondeur ». Ce phénomène se déclenche à 80 ou

100 milles nautiques d’une île. Elle est appelée te mata à Kiribati. A Tonga, les lueurs

profondes s’appellent ulo aetahi : la gloire des mers. (Dunis, 1990 :36)

Pour le vice-amiral Emmanuel Desclèves, il est clair que les navigateurs du Pacifique

possédaient une démarche scientifique, mais dans un tout autre registre et avec d’autres

références. « Toutes ces données », souligne-t-il, « physiques, animales et végétales, sont

prises en compte dans le cerveau et la mémoire attentive de notre navigateur polynésien,

puisqu’il n’a aucun instrument de mesure et qu’il ne connaît pas l’écriture, apportée par les

premiers équipages occidentaux. » (Desclèves, 2010 : 135)

Il ne connaissait pas l’écriture, mais il savait lire la nature.

Page 247: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...
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235

CHAPITRE VII : LE DÉCOUPAGE DU TEMPS

LE DÉCOUPAGE DU TEMPS

1. Concept et mesure du temps

a Introduction

Pour des raisons liées aux changements de saisons, à l’agriculture, à la pêche, à la

navigation et aux rituels marquant des moments charnières, les Tahitiens furent amenés à

porter une plus grande attention aux cycles astronomiques et écologiques. Pour cette raison, il

leur a fallu explorer le domaine du temps. Non pas que sa maîtrise relève d’une compétence

détenue exclusivement par des experts-astronomes dont c’était le métier, mais parce que

chaque composante de la société se devait pour ses tâches quotidiennes, connaître les

éléments de base de cette science.

Il n’est pas imaginable qu’un agriculteur puisse mettre en terre un mo’o taro « rejet de

taro », sans moyen de mesurer la période d’épaississement qui doit être de neuf mois pour

certaines espèces, faute de quoi, il ne sera pas assez mature s’il est récolté trop tôt ou il sera

avarié s’il est récolté trop tard. Il serait vain pour un pêcheur de sortir sa pirogue et ses filets

pour aller capturer des ature « Selar crumenophtalmus » pendant la période où ce poisson

migrateur est en train de barboter dans les eaux de l’Alaska. Il serait même risqué pour un

tahu’a nui « grand-prêtre » d’annoncer le début des festivités du matahiti1 en pleine période

de pénurie de ‘uru « fruit de l’arbre à pain ». La cohésion de la communauté dépendait de ses

prévisions qu’il marquait par des rituels religieux.

On devine que ce n’était guère supportable pour les agriculteurs-pêcheurs ainsi que

pour les prêtres de se retrouver dans de telles situations. Trouver une solution fut donc le

travail des tahu’a « créateurs » de calendriers. Dans toutes les grandes civilisations, c’est du

ciel que viendra la solution.

1Parara’a matahiti ou maoara’a matahiti : « une fête nationale au moment de la récolte des premiers fruits de la

terre. » (Henry, 1968, p. 180)

Page 249: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

236

Mais avant de les aborder, il est nécessaire de comprendre comment les Tahitiens

voyaient le temps.

Le temps est culturel, il n’est donc pas vécu de la même manière dans différente partie

du monde, en particulier en Europe et en Océanie. Pourquoi, par exemple, une maman

tahitienne qui attend depuis sept heures du matin son rendez-vous de huit heures, alors qu’il

est déjà neuf heures passées, ne fait preuve d’aucun signe de lassitude, alors que sa voisine

papa’ā2, qui est arrivée il y a à peine un quart-d’heure pour son rendez-vous prévu à neuf

heures, fait preuve déjà d’impatience en s’apitoyant sur son sort.

La première n’est pas plus polie que la seconde. Ce n’est pas non plus dû à sa timidité.

C’est simplement que le temps n’a pas eu le même impact sur elle, non pas qu’elle ne l’a pas

vu passer, mais elle ne l’a pas vécu, physiologiquement, de la même manière. En revanche, la

seconde a bien vu les aiguilles de sa montre défiler. Elle a ressenti, à l’instant même du

rendez-vous manqué (au présent), les angoisses du temps qui s’écoule inexorablement depuis

qu’elle est entrée dans la salle d’attente il y a un quart-d’heure (au passé) et qui la pénalisera

(au futur). Elle a une vision du temps qui va du passé jusqu’au futur en passant par le présent

(figure n° 40).

Figure N° 340 : L’axe du temps en Occident. Les Occidentaux voient le temps défiler, du passé jusqu’au

futur. Ce n’est, semble-t-il, pas le cas du Tahitien.

Au-delà de leur caractère personnel, les deux femmes n’ont pas la même perception du

temps. Comment les Tahitiens vivent-ils donc le temps ? Eux qui n’ont pas de mots pour le

nommer, et qui ont dû emprunter « time » à l’anglais pour en faire taime, « temps ».

b Conceptualisation du temps

L’Univers n’est jamais figé, les éléments qui le composent bougent, se transforment et

évoluent. Ce qu’il fut, ce qu’il est et ce qu’il sera, autrement dit ses états, passés, présent et

2 Papa’ā : étranger d’origine européenne

Page 250: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

237

futurs, nous contraignent à localiser correctement, les unes par rapport aux autres, des

situations dans le temps. De ce constat, nous pouvons en tirer une généralité, la notion de

temps serait un corollaire de la notion de mouvement. Le mouvement se faisant dans la durée,

s’il venait à s’arrêter plus rien ne bougerait.

Le temps se répartit donc en un « antérieur » et en un « postérieur » ou en un « avant »

et un « après ». Son étude fait également apparaître deux notions essentielles : la simultanéité

et la succession. De ces deux considérations, on apprend déjà que le temps, si difficile à

imaginer et à conceptualiser, peut être examiné sous trois angles liés à notre propre

expérience universelle : l’avant, l’après et l’en même temps.

Ces trois notions font appel à la mémoire : le classement des événements dans un ordre

quelconque ne peut se faire que si l’on se souvient. De façon opposée, la mémoire se construit

grâce au fait que certains événements se répètent, autorisant ainsi leur intégration. Il apparaît

donc que le temps puisse être considéré sous deux aspects :

l’aspect cyclique : cycle des jours, des lunaisons, des saisons, de la vie…

l’aspect linéaire : évolution, transformation irréversible, passage de la

naissance à la mort…

Néanmoins, du concept de la succession ou de la simultanéité, on ne peut en déduire la

durée. Pour ce faire, il nous faut quantifier le temps, c’est-à-dire lui associer un nombre et une

unité pour en effectuer une mesure. Cette opération ne peut être exprimé qu’au travers du

discours et donc, de la dimension linguistique comme le souligne M. Lalonde3 :

« Le temps ne conquerra une certaine autonomie à l’égard de l’intégration des purs

moments sensori-moteurs que dans la mesure où le langage en fixera des moments en des

phases et des ordres de successions. Le temps n’apparaîtra dans la communauté de culture

que dans les catégories linguistiques. C’est en autant que la langue naturelle reconnaîtra à

travers ses modalités de fonctionnement cette dimension temporelle immanente à tout

rapport au monde qu’elle surgira dans la société archaïque comme objet (non unifié)

d’orientation. C’est dans la parole révélatrice de sens que le temps surgira comme objet

de discours et paramètre d’orientation de l’action. Le langage sera le creuset où la société

primitive reconnaîtra (implicitement) le repérage du temps comme constitutif de

l’orientation de ses pratiques. »

3LALONDE M., 1996. La Reconnaissance du Temps, Des Sociétés Archaïques à la Société moderne, p. 43.

Page 251: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

238

Il faut donc distinguer la problématique de la représentation du temps de sa

conceptualisation par la parole, tout comme il faut établir ce que nous savons du temps par

l’expérience. Le concept de temps n’est nullement sa mesure. Le concept relève de la

perception culturelle par l’homme de la notion de temps et la mesure, de la quantification par

une unité, de la durée de son écoulement.

On oppose souvent la vision linéaire du temps, prévalant en Occident et la vision

cyclique, prévalant en Orient. La croyance en une succession d’un même temps se retrouve

dans l’Hindouisme et le Brahmanisme. Le monde serait assujetti à un renouvellement

cyclique et infini, où périodes de destruction et de reconstruction se succèdent pour donner

naissance au même Univers. C’est une renaissance et un retour éternel. Cette vision cyclique

sera reportée à l’homme dans le Bouddhisme, à travers la réincarnation. Une opinion que

partagent de nombreuses cultures à travers le monde, affirme C. Lombardini4:

« Toutes les cultures ont cette conception circulaire, car le temps se mesure d’abord au

retour périodique, plus ou moins régulier de phénomènes naturels (retour de saisons,

alternance jour-nuit…). C’est une question qui a été examinée, entre autre, par Emile

Benveniste : « Toutes les sociétés humaines ont institué un comput ou une division du

temps chronique fondé sur la récurrence de phénomènes naturels : alternance du jour et

de la nuit, trajet visible du soleil, phases de la lune, mouvement des marées, saisons du

climat et de la végétation, etc. »

A l’inverse, en Occident, inspiré de la tradition judéo-chrétienne, le temps est

complétement borné par la Création du monde par Dieu qui en offre l’usage aux hommes et

par sa destruction à la fin des temps, suivie du retour des hommes vers le divin. La conception

devient dynamique, à partir de l’instant où on prend un événement important pour marque

commune, comme le souligne C. Lombardini 5 :

« Le temps s’organisera alors à partir de ce point, tout en gardant la mesure circulaire.

Ainsi en est-il de l’organisation des événements en deux parties, suivant qu’ils ont eu lieu

avant ou après la naissance du Christ. Citons là encore, E. Benveniste évoquant les

calendriers qui « procèdent d’un moment axial qui fournit le point zéro du comput : un

4 LOMBARDINI, Christian, 1994. « A la recherche du temps inversé », pp. 100-101.

5Ibid., p. 101.

Page 252: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

239

événement si important qu’il est censé donner aux choses un cours nouveau (naissance du

Christ ou du Bouddha ; avènement de tel souverain, etc.) c’est la première condition que

nous appelons stative ».

Les mythes auront une influence non négligeable sur le développement du concept de

temps. Elles manifestent les croyances d’un peuple à une époque donnée, et la façon dont ces

croyances traduisent, par l’imaginaire, le ressenti et l’expérience. Comme le souligne M.

Lalonde : « L’interprétation se distend dans le temps. A la coprésence de la configuration

significative du monde se superpose l’axe temporel du mythe d’origine6. »

Pour l’homme, le temps est essentiellement un support, et à ce titre il est orienté : il

« coule » du passé au futur. Grâce au profond sentiment de durée, l’homme peut agir, se

souvenir, imaginer, mettre en perspective, si bien que le temps lui est essentiel, et par-

là…banal. Le niveau de complexité du rapport au temps est assez bien traduit par le langage.

Par exemple, selon les linguistes Jean-Marius Raapoto7 et Edgard Tetahiotupa

8, pour

les Tahitiens (et les Polynésiens), le futur, non connu, serait « derrière » - muri, dans le dos,

donc, non encore visible, et le passé, connu, est placé « devant » - mua, en face des yeux,

donc, déjà vu. Les Tahitiens sont tournés vers le passé et les Occidentaux vers l’avenir. Mais,

précisent-ils, dès lors que cette conception fut « corrompue » par la vision occidentale du

temps, plus enclin à regarder l’avenir, cet ordre intuitif s’inverse, ce qui constituerait une

confusion entre temps et mouvement9 (ou espace, ce qui revient au même) précise, Jean-

Marius Raapoto 10

:

« […] on ne s’est pas contenté de poser le problème de savoir si par le passé, le reo maòhi

a pu connaître ou non une autre conception du temps que d’aucuns ont appelée, la

conception spiralée, différente de la conception occidentale, et qui situerait le futur

derrière « muri », et le passé, l’expérience vécue, devant « mua ». Bien plus, il semble

qu’on ait voulu dépasser ce stade hypothétique de la réflexion pour aller jusqu’à vouloir

démontrer purement et simplement que la chose ne pouvait pas exister […] »

6 LALONDE M., Ibid., pp. 39-42.

7 RAAPOTO, J.-M., 2005. « La projection temporelle en reo maòhi ».

8 TETAHIOTUPA, Edgar, 2005. « Mua, muri ou comment représenter l’avenir ? ».

9SAURA, Bruno, 1996. « Langue, représentation du temps- mua/muri-et vision du monde à Tahiti »,

10 RAAPOTO, J.-M., Ibid., p. 247.

Page 253: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

240

Cependant, la simplicité de ce raisonnement s’estompe rapidement, car les mots sont

trompeurs et ne nous disent pas ce qu’est le temps. Pire, ils viennent nous dicter notre pensée

et l’encombrer de préjugés sémantiques. Le temps n’est ni la durée, ni le mouvement et ni le

phénomène temporel en lui-même. Ce n’est pas parce que des événements se répètent que le

temps est nécessairement cyclique. Cette distinction entre temps et phénomène temporel est

souvent victime des apparences sémantiques dont il faut se méfier.

En outre, ils n’ont pas jugé opportun de faire une analyse en diachronie, car leurs

énoncés dogmatiques viennent en contradiction avec les écrits officiels du XIXe siècle à

Tahiti. En effet, dans l’annuaire officiel des Etablissements Français de l’Océanie, de 188511

,

les interprètes officiels, ont traduit les expressions, « mars prochain », par, māti i mua « mars

devant » (BSEO n° 231 : 118), « octobre prochain », par, ‘atopa i mua « octobre devant »

(BSEO n° 231 : 209), et « année prochaine », par, matahiti i mua « année devant » (BSEO n°

231 : 215). La vision occidentale aurait-elle déjà, au XIXe siècle, pervertie les visions

tahitiennes, au point d’induire les meilleurs experts en langue tahitienne de l’époque en

erreur ?

Dans les recueils tahitiens du XIXe siècle, mythes, contes, légendes, poésie, etc., nulle

part, nous rencontrons des formes comme, « jour prochain », « lunaison prochaine », « année

prochaine ». Ces notions occidentales apparaîtront au moment où la société tahitienne

s’occidentalise, et où il fallait trouver des mots pour traduire des nouveaux concepts.

Mais alors, dans quelle réalité faut-il placer ces phénomènes ? Beaucoup parmi nous

sur le banc de l’école l’ont figurée dans leurs cahiers par une droite fléchée. Autrement dit,

par l’idée de mouvement que traduit par la flèche, le « cours du temps ». Cette « flèche du

temps », illustrant la sensation de chronologie, est l’une des propriétés du temps. Elle

modélise les transformations par une visualisation du « cours du temps ».

c Quantification du temps

Que la perception du temps soit cyclique ou linéaire, le problème de sa mesure

demeure. Lorsque l’homme imagine des concepts pour le définir, il a simplement l’intuition

d’un temps qui s’écoule, comme l’eau d’une rivière. Or, la quantification d’un flux qui circule

peut faire l’objet d’une mesure très simple si on le schématise par une droite, c’est-à-dire par

11 BSEO, N°231, Tome XIX – N°8 Juin 1985, Annuaire EFO, 1885, p.118, p. 209 et p. 215.

Page 254: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

241

un axe vectoriel comme celui de notre « flèche du temps ». Ce qui induit une représentation

linéaire du temps, indépendante du fait qu’il nous paraît cyclique.

La façon la plus élémentaire de le mesurer consiste tout simplement à compter. Pour ce

faire, la manière la plus évidente serait de séquencer le cours du temps par des intervalles

réguliers. On peut, comme lorsqu’on compte, créer des points de repères, c’est-à-dire,

matérialiser des moments en utilisant des unités de temps. Si nous marquons notre « flèche du

temps » par des intervalles représentant des unités de temps, nous pouvons considérer avoir

affaire, comme en mathématiques, à un segment vectoriel. Ainsi, comme les grains d’un

chapelet entre les doigts d’une personne récitant son rosaire, il suffit alors de l’égrener pour

compter, sans erreur, le nombre de prières récitées. Nous disposons de ce fait d’une valeur en

grain, proportionnel à une durée. Plus les grains sont nombreux, plus les prières récitées

furent nombreuses et plus le temps passé à prier fut long.

Le tout maintenant, est de savoir comment les Tahitiens ont quantifié le temps. Ont-ils

eu cette notion d’ « unité de temps », à positionner sur un axe ?

d Le temps dans les sociétés traditionnelles

Toutes les sociétés traditionnelles ont apporté de nombreuses réponses au

questionnement sur le temps, et la plupart d’entre elles tournent autour des mêmes thèmes,

dictés par la condition humaine : l’immortalité des dieux ou l’éternité de Dieu, la permanence

du cosmos et la vie fugace de l’homme. Ce sont autant de dimensions temporelles partagées

par la plupart des peuples de la terre. Elles s’expriment dans le langage, dans les arts…

Pourtant, toutes ne portent pas la même vision intime du temps.

Pour réfléchir au concept du temps, l’homme s’appuie sur son langage. La dimension

paradoxale du langage n’est pas très complexe. Elle arrive toujours à rendre les notions de

temps comme le précise Lalonde :

« Une objectivation linguistique (du temps) de même type (symbolique ou linguistique)

est naturellement présente dans l’ensemble des sociétés humaines dans la mesure où le

langage doit prendre en charge des dimensions constitutives de tout procès de

connaissance et plus généralement de l’action. Les langues naturelles intègrent toujours

Page 255: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

242

selon des modalités lexicales, morphologiques et syntaxiques fort diverses l’ordre de

succession des événements, l’orientation dans le passé, le présent et le futur, la durée des

phénomènes, les périodes de temps, etc. » (1996 : 46)

Mais, ajoute-il, même s’il reconnaît aux sociétés primitives la faculté d’avoir su

appréhender des phénomènes temporels, celles-ci n’ont pas abouti à une conceptualisation et

à une mesure, niveau que seules des sociétés mieux organisées parviendront à atteindre,

exprimant ainsi sa pensée :

« Cependant, comme on l’a soutenu au chapitre précédent, les sociétés primitives,

comprises comme communauté de culture, représentent de façon exemplaire une

appréhension de la temporalité qui ne parvient pas à sa conceptualisation et à sa mesure,

traits qui définiront spécifiquement l’appréhension propre aux sociétés politiques. »

(1996 : 46)

Cependant, le problème qui nous préoccupe n’est pas la conceptualisation, mais la

modélisation cognitive. La question n’est pas de savoir ce que le cerveau parvient à

conceptualiser, mais de comprendre les moyens que les hommes mettent en œuvre pour le

faire et les procédés qu’ils utilisent pour communiquer à propos du temps.

Un premier constat que fait Lalonde : « chaque communauté de culture découpera le

temps selon des catégories linguistiques qui sont elles-mêmes objectivations d’un contexte

naturel particulier. » Autrement dit, les hommes se servent de leur environnement immédiat,

de leur propre expérience ou de leur propre personne pour signifier des

catégories temporelles :

« Toute société archaïque est en présence d’un contexte naturel et social donné ; mais ce

monde-ci qu’elle saisit en sa plénitude de sens, elle l’appréhende comme le monde selon

un ethnocentrisme tendanciel absolu. Mais ce « le monde » n’en est pas moins un monde

parmi d’autres, et notamment un contexte écologique qui a sa consistance propre, sa

végétation, sa faune, sa configuration géographique et bien sûr ses rythmes. Telle plante

fournissant l’essentiel du régime alimentaire sera la nourriture en général. L’orientation

générale de la topographie pourra fournir la désignation des grands axes spatiaux. Le

cycle local des saisons sera le rythme même de toute vie humaine, etc. » (1996 : 46)

Page 256: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

243

En d’autres termes, certains cycles naturels fourniront à l’homme des procédés utiles

pour appréhender le « cours du temps ».

« […] Le découpage des parties du temps, journées, lunaisons, saisons, années, sera

constitué selon les catégorisations linguistiques de ce contexte écologique. […] Pour telle

société agraire, les phases des travaux agricoles fourniront la substance du repérage

temporel dans l’année. Pour une société pastorale, les rythmes de la transhumance seront

cruciaux. Pour telle autre société de chasseurs-cueilleurs, la succession saisonnière des

diverses sources d’alimentation fournira les indicateurs principaux. » (1996 : 46)

La conséquence est que, confrontées aux mêmes phénomènes naturels, les

communautés culturelles auront tendance à organiser les données temporelles selon des

inspirations similaires comme les cycles solaires, les phases lunaires, l’alternance des saisons,

succession des nuits et des jours etc. C’est ce que nous avons constaté chez les Tahitiens, pour

qui la périodicité des phénomènes astronomiques les ont conduits à puiser dans la nature les

unités constituantes du temps.

e Le temps chez les Tahitiens : une succession de moments présents

Les Tahitiens n’ont pas été les auteurs du chapelet de prières qui demeure le propre des

religions, catholique ou musulmane. Mais ils ont inventé des objets semblables. Ils

disposaient, pour leurs prières sur les marae, d’une longue feuille de cocotier, une sorte de

rosaire, appelée viriviri (Henry, 1968 : 168), qu’ils nouaient à chaque fois qu’une prière était

récitée, ce qui leur permettait de les comptabiliser. Ils avaient un autre outil apparenté,

constitué de cordelettes en fibre de coco parsemées de nœuds pré noués, qu’ils faisaient

défiler entre les doigts, lorsqu’ils récitaient des généalogies, les ‘aha tui hana12

.

12 TEUIRA Henry traduit ‘aha-tui- hana par « obit » (1968 : .372). Selon le Petit Larousse (1978), un obit est un

« service anniversaire pour le repos de l’âme d’un mort ». Nous pouvons cependant décomposer l’expression

comme suit, ‘Aha : « cordelette faite avec de la fibre de la noix de coco » ; tui : « enfiler » ; hana (hanahana) :

« glorieux » (Académie tahitienne Fa’atoro parau, 1999) – ‘Aha-tui-hana pourrait donc se traduire par « la

cordelette-à-enfiler-les-faits-glorieux » ou, selon Henry, « la-cordelette-à-enfiler-les-anniversaires (des âmes des

morts) ». Chaque âme morte correspond à un individu décédé, donc à une génération. ‘Aha-tui- hana serait aussi

« la-cordelette-à-enfiler-les-générations ».

Page 257: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

244

Plusieurs dizaines de cordelettes étaient nouées, ensemble, à l’une de leurs extrémités,

produisant un gros nœud qui la faisait ressembler à une pieuvre. L’autre extrémité de ces

cordelettes rayonnait comme des tentacules, à partir de la tête. Sur chacune d’elles, les nœuds

étaient ordonnancés d’une manière régulière. Chaque « cordelette-tentacule » représentait une

lignée, chaque nœud, une génération et la longueur de chaque cordelette, le temps (en termes

de génération) qui sépare la première de la dernière.

Quelquefois des cordelettes secondaires, symbolisant des lignées dérivées, étaient liées

à la lignée principale, signifiant qu’une sous-branche familiale s’en était détachée. Certaines

de ces sous-branches étaient plus longues que d’autres, parfois, de manières démesurées,

preuve de la profondeur « historique » de la lignée et de son statut plus prestigieux.

Les ’aihua’a13

ou les firifiri-‘aufau14, en égrenant ces nœuds entre les doigts, comme

le font les Catholiques ou les Musulmans avec leurs chapelets, étaient capables de réciter des

généalogies entières, mémorisées dans leur cerveau et pouvant comporter plusieurs dizaines

de générations. Ils pouvaient ainsi « lire », sur la cordelette, l’histoire de leurs lignées et sur

chaque nœud, l’histoire de la personne qui y est représentée. L’intervalle, situé entre deux

nœuds, symbolise le temps qui s’est écoulé entre deux générations. Chaque génération-nœud

est un moment. Toute la cordelette est donc une succession de moments posés sur l’axe du

temps, un vecteur-temps.

Ce vecteur-temps comportait un début, symbolisé par un tupuna15

, personnage

mythique, fondateur de la lignée, matérialisé par le premier nœud. Complétement fondu à

l’intérieur de la tête de la pieuvre, il ne fait plus qu’un avec les autres tupuna des autres

lignées. Ils sont devenus avec le temps, des divinités, des atua16

.

Le nœud suivant, qui représente le successeur du précédent, attendait son tour pour

suivre le premier à l’intérieur de la tête de la pieuvre pour avoir l’honneur, avec le temps, de

passer du statut de tupuna à celui de atua-tupuna « dieu-ancêtre ». Se succèdent ensuite sur la

cordelette toutes les générations jusqu’à aujourd’hui. Autant dire que le tressage des

cordelettes ne se termine jamais, puisque le temps est sensé ne jamais s’arrêter, et que les

13‘Aihua’a : personne qui connaît les généalogies (Académie tahitienne – Fa’atoro parau, 1999).

14Firifiri-‘aufau : généalogiste (Henry, 1968, p. 431)

15Tupuna : ancêtre (Académie tahitienne – Fa’atoro parau, 1999).

16Atua : dieu, divinité (Académie tahitienne – Fa’atoro parau, 1999).

Page 258: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

245

générations futures continueront à se succéder indéfiniment, sous forme de nœuds sur cette

cordelette, la prolongeant jusqu’à l’infini.

f Conception généalogique du temps

Les Tahitiens voyaient donc le temps, non pas comme une rivière qui s’écoule, mais

comme une succession de repères, posés sur un cordon. Selon T. Henry, les dieux ont créé le

monde selon un processus sexué dont le déroulement est conté comme un récit généalogique.

Les dieux se succèdent selon un mode généalogique. Les astres apparaissent au firmament au

rythme d’une suite généalogique, les marae se répartissent conformément aux lignées

généalogiques, la nature se développe telle une généalogie, les hommes enfin, sont issus de

l’accouplement de tupuna, premiers de leur généalogie17

.

La généalogie ne serait que le flux ininterrompu d’une rivière qui possède sa propre

source mais dont les flots n’atteindront jamais l’océan, conception somme toute très proche

de celle de la vision judéo-chrétienne.

En conséquence de cette propriété, est introduite la notion de grain (comme celui de

notre chapelet plus haut). Réciter une généalogie implique l’action de susciter une succession

d’événements au fil du temps, en égrenant une cordelette à nœuds. Celle-ci est constituée

d’un premier grain, symbolisant le fondateur de la lignée, érigé au rang d’atua-tupuna18

et de

grains secondaires se succédant à l’infini, comme une suite chronologique, à l’image d’une

série arithmétique, et pouvant être appréhendée selon cette logique.

Considérant maintenant notre flèche du temps, représentée par un segment vectoriel

sur lequel sont repérées des divisions symbolisant une chronologie (générations, jours,

semaines, mois, années, etc.). L’origine de l’axe vectoriel se trouvera être le temps zéro de

référence, c’est-à-dire le commencement, mātā-mua19

. Le morphème spatio-temporel, mātā

« bord », fixe une limite, située à l’avant, - i mua20

. La division qui suit mātāmua ne peut

17 HENRY, 1968. La généalogie des dieux, de la terre, des vents, des corps célestes etc.

18Atua-tupuna : ancêtre fondateur de la lignée, devenu avec le temps une divinité.

19Mātāmua : de mātā, « commencement, bord » et mua, » premier, devant, autrefois » (Académie tahitienne –

Fa’atoro parau, 1999).

20I mua : » devant » (Académie tahitienne – Fa’atoro parau, 1999).

Page 259: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

246

venir qu’à sa suite, muri. L’égrenage des unités qui suivent n’engagent que des éléments de

type i muri21

, suivis parfois des variations directionnelles de type mai, iho, a’e, atu.

A l’autre bout du vecteur, nous avons constaté que notre flèche du temps n’était pas

bornée par le morphème spatio-temporel, mātā, « bord ». Nous ne pouvons donc pas lui

attribuer une limite marquant sa fin, un mātā-muri équivalent à la fin d’un mātā-mua, car

l’axe est censé ne jamais se terminer. Les Tahitiens qualifient, de ce fait, ce bout de flèche qui

se prolonge interminablement dans le futur par, ‘a-muri, que nous pouvons traduire par, « qui

se prolonge indéfiniment ».

Le temps, n’est pas un fluide qui s’écoule, du « passé » jusqu’au « futur » en passant

par le « présent », mais des grains que l’on compte. Le premier apparaît à un instant donné, à

l’avant, et le reste se succède à l’arrière, à l’infini. Le passé comme le futur ne sont donc plus

des éléments pertinents, seule compte la succession des moments. Chaque grain agit donc

comme une succession de moments ou d’unités de temps (figure n° 41).

Figure N° 351. L’axe du temps à Tahiti. Les Tahitiens voient le temps comme une succession de repères

(grains = unités de temps), comme les générations sur une lignée généalogique. Le premier grain est

devant, i mua, le deuxième, le troisième, le quatrième, etc., viennent à la suite du premier, i muri, et ainsi

de suite, jusqu’à l’infini, ‘a-muri. Il n’existe pas de « passé », de « présent » et de « futur », comme en

Occident, mais, de « premier », d’ « ensuite » (ou d’ « après ») et « indéfiniment ».

21I muri : « derrière », il peut également signifier, « vient ensuite » (Académie tahitienne – Fa’atoro parau,

1999).

Page 260: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

247

2. Tai’o-pō, le décompte des phases lunaires22

Comme tous les peuples qui vivaient au contact de la nature, les Tahitiens auront tôt

fait de lier leur sort à celui de la Lune. Cette vie en symbiose avec l’astre vaudra à chaque

phase lunaire une attention particulière.

L’imagination très prolifique des Tahitiens dans ce domaine se traduira par une

dénomination propre à chaque « nuit », liée à l’apparence quotidienne de l’astre. Ceci n’est

pas propre aux Tahitiens. Depuis l’origine de l’humanité, de nombreuses sociétés usent ainsi

des figures de l’astre pour séquencer les nuits. Le mois lunaire traditionnel se modèle sur

l’apparence visible de la Lune.

Nous avons reproduit ci-dessous, huit calendriers lunaires tahitiens suivis du nom de

leurs auteurs :

- Le calendrier de Teuira Henry, 1968, Tahiti aux temps anciens. pp. 337 – 338.

- Le calendrier de Mape Teihotaata et Rere de Moorea, édité chaque année par Ia Ora Te

Natura.

- Le calendrier de l’Imprimerie Officielle, édité chaque année.

- Le Calendrier de Tati Salmon, publié dans Le Ciel de Tahiti, de M. Graindorge.23

- Le calendrier de Joseph Banks, publié par K. Rensch.24

- Le calendrier de Carl Solander, publié par K. Rensch.25

- Le calendrier de Reinhold et Georg Forster, publié par K. Rensch.26

- Le calendrier de William Bligh, publié par Douglas Oliver.27

Celui de Solander est particulièrement intéressant. Celui-ci a reproduit dans ces

carnets un véritable calendrier lunaire qui couvre sept mois de l’année, d’août 1769 à février

1770. Il permet aujourd’hui d’avoir une meilleure idée de la façon dont les Tahitiens

appréhendaient l’épineux problème de la demi-journée supplémentaire du mois lunaire, qui,

22Tai’o-pō, « décompte des nuits ». Pour Henry, tai’o-nō-te-mau-pō« ordre des nuits » (1968 : 337)

23 GRAINDORGE, Maurice, 2007. Le Ciel de Tahiti et des Mers du Sud,

24 RENSCH, K., 2003. Early Tahitians, p. 68.

25Ibid., RENSCH, K., p. 132.

26 RENSCH, K., 2000. The Language of the Noble Savage, p. 92.

27 OLIVER, D., 1974. Ancient Tahitian Society, vol. 1, p. 268.

Page 261: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

248

rappelons-le, comporte 29,5 jours. Pour plus de lisibilité, nous allons d’abord analyser les

phases lunaires relevées par les naturalistes qui ont accompagné le Capitaine Cook, lors du

premier voyage en 1769 (Banks et Solander) et du deuxième voyage en 1774 (Forster). Nous

les comparons avec celles d’Henry recueillies en 1818, par le révérend Orsmond (Tableau 3).

Banks

(1769)

Solander

(1769)

Forster

(1774)

Henry

(1818)

1 …………….. ……………. Tirrèo Tireo (Nouvelle lune)

2 Hoerohete Ohirohiti Tirrohìddee (Hoee-whìdee) Hiro-hiti

3 Owhatta H’oata O hātta (Hå-òttā) Hoata-tino-rua

4 Ameama tahai O’hameama tahi Ammee-àmmā Mua-Hamiama

5 Ameame roto O’hameama rotho …………………….. Roto-Hamiama

6 Ameame aawte O’hameama haoti Ammee-àmmā-whaottee Fa’aoti-Hamiama

7 Oure oure tahai Olhe olhe Orre-orre atahai ‘Ore’ore-mua (1er

quart)

8 Oure oure aawte Olhe haoti Orre-orre-rotto ‘Ore’ore-muri

9 Tamitea Tomatea Tāmātèā Tama-tea

10 Hoona Ohuna Hòonā Huna

11 Orapoo Olabu Oràboo Rapu ou ‘Ari

12 Maharru Mahalu Māhằrroo Ma haru

13 Ohoa Ohua Ohòoā ‘Ohua

14 Mitu Omaithu Māìddoo Mai-tû-fei-roa

15 Hootoo Ohotu Ohòddoo Hotu

16 Marai Malai Mārằi Ma-ra’i (pleine lune)

17 Turu Otu’rhu Otòoroo Turu

18 Ouraaw tahie O’rhaao tahi Ràou Mua-ra’au

19 Ouraaw roto O’rhaao rotho Ràou-rotto Roto-ra’au

20 Ouraaw aawte O’rhaao haoti Ràou-whàddee Fa’aoti-ra’au

21 Oure oure tahai Olhe olhe tahi Orròro-tāhằi ‘Ore’ore-tahi

22 Oure oure roto Olhe olhe rotho Orròro-rotto ‘Ore’ore-roto

23 Our oure aawte Olhe olhe haoti Orròro- whàddee ‘Ore’ore-fa’aoti

24 Taroa tahai Talhoa tahi Tārròā- tāhài (3d of June) Ta’aroa-tahi

25 Taroa roto Talhoa rotho Tārròā-ròtto Ro’o-Ta’aroa

26 Taroa aawte Talhoa haoti Tārròā- whàddee Fa’aoti-Ta’aroa

27 Tane o’Tane Tàne Tane-roa-te-ao

28 Orounue Orhoo nui Oronòoee Ro’o-nui-te-ao

29 Oroumowre Orhoo mauri Oro-mòuree (matte) Ro’o-mauri

30 Motu e Motu Omòoddoo (matte) Motu (sans lune)

Tableau N° 3 : les phases lunaires selon Banks, Solander, Forster et Henry, avec les dates de leurs recueils.

Page 262: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

249

Remarques à propos du tableau n° 3 :

La nuit de Tireo n’est pas mentionnée par Banks et Solander. Très souvent cette

première phase n’est pas visible en raison de la position du mince croissant de lune à

l’horizon qui est, soit cachée par la lueur aveuglante du soleil, soit dissimulée sous la

bande nuageuse qui voile l’horizon.

Forster a omis de mentionner la 5ème

nuit, celle de Roto-hamiama. C’est sans doute un

oubli car il avait en main les copies des carnets de Banks et Solander.

Les qualifiants mua et muri sont interchangeables avec les numérateurs tahi et fa’aoti.

Pour la 25ème

nuit du calendrier d’Henry, il faut lire Roto-Ta’aroa à la place de Ro’o-

Ta’aroa.

Nous disposons également du calendrier d'Ellis28

, en tout point identique à celui de

Henry. Ce qui permet de confirmer l’erreur signalée au point précédent.

Nous pouvons constater qu’il n’y a pas eu de déperditions entre 1769 et aujourd’hui,

entre ceux de Banks et Solander, et ceux de l’Imprimerie officielle et Ia Ora Te Natura. Ce qui

prouve qu’ils ont fait l’objet d’un usage ininterrompu depuis deux siècles, malgré l’adoption

du calendrier Grégorien. Considérons maintenant le calendrier de Tati enregistré par

Stimson29, celui de l’Imprimerie Officielle et celui de Papa Mape - Ia Ora Te Natura.

Tati

(1928)

Imprimerie Off.

(aujourd’hui)

Mape Teihota’ata

(aujourd’hui)

Phases

1 Tireo Tireo Tireo Nouvelle lune

2 Hirohiti Hirohiti Hirohiti

3 Hoata Hoata Hoàta

4 Hamiama mua Hamiama Hamiama mua

5 Hamiama roto Erotohamiama Hamiama roto

6 Hamiama muri Efaaotihamiama Hamiama muri

7 ‘Ore’ore mua Oreoretahi Òreòre mua 1er

quartier

8 ‘Ore’ore muri Efaaotioreore Òreòre roto

9 Tamatea Tamatea Tamatea

10 Huna Huna Huna

11 Rapu Rapu Rapu

28In ELLIS, W., 1972, A la recherche de la Polynésie d’autrefois.

29 STIMSON, J., Frank, 1928. Tahitian Names for the Nights of the Moon.

Page 263: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

250

12 Maharu Maharu Maharu

13 Hu’a Hua Hua

14 Maitu Maitu Maitû

15 Hotu Hotu Hotu Pleine lune

16 Marai Marai Mâraì

17 Turu Turu Turu

18 Ara’au mua Raauhoê Râau mua

19 Ara’au roto Raauroto Râau roto

20 Ara’au muri Raaufaaoti Râau muri

21 ‘Ore’ore mua Oreoretahipiti Òreòre mua

22 ‘Ore’ore roto Erotooreore Òreòre roto dernier quartier

23 ‘Ore’ore muri Efaaotioreorepiti Òreòre muri

24 Ta’aroa mua Etahitaaroa Taaroa mua

25 Ta’aroa roto Erototaaroa Taaroa roto

26 Ta’aroa muri Ehaaotitaaroa Taaroa muri

27 Tane Tane Tane

28 Ro’o nui Roonui Roonui

29 Ro’o mauri Mauri Roo mauri sans lune

30 Mutu Môtu Mutu sans lune

Tableau N° 4 : les phases lunaires selon Tati, l’Imprimerie Officielle et Mape Teihotaata.

Remarques à propos du tableau n° 4 :

Les trois calendriers sont identiques entre eux et avec ceux du tableau n° 3. En usage à

Tahiti aujourd’hui, ils sont analogues à ceux utilisés au XVIIIe siècle.

La bonne conservation de ces calendriers est liée à son utilisation ininterrompue pour

les activités quotidiennes des populations, la pêche et l’agriculture.

Chaque « nuit » constitue une unité identifiée par un nom distinct. Il y a trente noms

de « nuit ». Chaque lunaison comprend donc trente phases lunaires appelées pō

identifiées son nom.

De l’analyse comparée de ces sept calendriers, nous pouvons sans difficulté reproduire

un modèle type auquel nous joindrons les commentaires faits par leurs auteurs. Au préalable,

nous allons, avec les indications recueillies, analyser chaque terminologie. Il faut également

prendre garde au terme « pō » dans le calendrier lunaire. Tantôt il couvre la période de 24

Page 264: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

251

heures quand il s’agit de décompte, tantôt il désigne la nuit quand il s’agit d’une activité

nocturne comme la pêche. Ci-dessous les précisions apportées par Ellis30

:

« Les indigènes ont des noms distincts pour chaque jour et chaque nuit du mois

lunaire. Remarquons toutefois qu’ils ne comptent pas le temps par jours, mais par

nuits. D’où, pour dire : depuis combien de jours ?, ils demanderont : Depuis combien

de nuits ? ».

- 1ère

nuit : Tireo, orthographié Tīreo par l’Académie Tahitienne, est présenté par

Henry comme l’astre « apparaissant ». Ce qui ne l’éloigne pas trop des significations des

dictionnaires de Davies et de l’Académie tahitienne, « jeune surgeon » (sous-entendu, qui

apparaît) ou « dernier enfant d’une femme ». La lune se présente comme une mince lueur qui

ne dure que quelques secondes, souvent cachée par les rayons du soleil couchant.

Toutes sortes de poissons sont montées à la surface. C’est un jour favorable pour

planter l’ananas et le manioc (Mape Teihotaata - Ia Ora Te Natura). Remarquons toutefois

que ces deux plantes ont été introduites par les Européens.

- 2ème

nuit : Hirohiti ou simplement Hiro, « bord tordu » selon Henry. Le terme hiro

possède une origine PPN, *filo qui signifie « torsader, mélanger ». C’est la figure que nous

offre l’astre ce soir-là. L’explication d’Henry est donc exacte.

C’est une nuit propice pour la pêche et pour planter la patate douce et l’igname selon

Mape Teihotaata - Ia Ora Te Natura.

- 3ème

nuit : Hoata [hoata] ou Ho’ata [hoʔata] ou encore Hō’ata [ho:ʔata]. Les

commentaires faits par Henry, « bouffon », font pencher pour la deuxième ou la troisième

graphie. En effet, la lune offre, cette nuit-là, son premier sourire, qui aurait pu être celui d’un

bouffon. Cet avis est partagé par le dictionnaire de l’Académie tahitienne. Cependant, les

Hawaiiens disposent dans leur calendrier d’une nuit appelée Hoaka (sans l’occlusive glottale

sourde /Ɂ/), signifiant « lumière faible » ou « projeter une ombre ». C’est également le nom de

la 3ème

nuit pour les Maoris (Hoata), avec une définition identique. Il s’agit donc bien de

Hoata [hoata] (sans occlusive glottale) « lumière faible » et non de Hō’ata [ho:ʔata] (avec

occlusive glottale) « faire rire » ou « bouffon » en tahitien, cela aurait donné en maori Hō-

30 Voir A la recherche de la Polynésie d’autrefois, (1972).

Page 265: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

252

kata. Le nom de cette nuit a pu être reconstitué en PPN, *Soqata, « la 3ème

nuit » qui signifie

« briller » et qui a donné son reflet en tahitien, en maori et en hawaiien, Hoata, Hoaka. Selon

toute logique, la 3ème

nuit à Tahiti, devrait donc se noter Hoata.

C’est une nuit poissonneuse s’agissant de certaines variétés.

- 4ème

, 5ème

et 6ème

nuits : Hamiami (Henry) ou Hāmiami (Académie Tahitienne).

Henry traduit Hamiami par « émergence ». Les dictionnaires tahitiens ne fournissent aucune

définition. Mua, roto et muri, qualifient chacune des 3 nuits.

Ces trois nuits sont excellentes pour la pêche.

- 7ème

et 8ème

nuits :‘Ore’ore « qui ne cède pas » selon Henry. ‘Ore’ore veut

également dire, « rien ». Selon l’Académie tahitienne ces nuits portent également le nom de

Tamatea, sans citer la source. ‘Ore’ore mua et ‘Ore’ore muri correspondent au premier

quartier.

Il n’y pas de poissons ces deux nuits - là. D’où la terminologie ‘Ore’ore.

- 9ème

nuit : Tamatea, « enfant clair ». Allusion à lune qui devient gibbeuse.

Cette nuit est bonne pour capturer les poissons de haute mer.

- 10ème

nuit : Huna, « caché ». Il se peut que cela vienne du fait qu’une partie de la

lune soit cachée. Mais elle l’Est depuis la 1ère

nuit. La traduction suggérée par Henry est

relative à la disparition des poissons cette nuit-là. Car, cette nuit-là, ils se cachent.

- 11ème

nuit : Rapu ou ‘Ari, « confluant » selon Henry, « être mêlé » ou « dans la

confusion » selon les dictionnaires tahitiens.

Les poissons continuent de se cacher pendant cette nuit.

- 12ème

nuit : Maharu, « clair saisissant » selon Henry. Ce terme ne figure dans aucun

dictionnaire tahitien.

Il n’y a toujours pas de poissons. C’est une nuit à grains (de pluie).

- 13ème

nuit : ‘Ohua, ‘Ōhua, « devenant circulaire ou presque ronde ». Si ‘O est un

identificateur, Hua, pourrait signifier « fruit » ou « œuf ». ‘Ō-hua serait alors un objet qui

prend la forme d’un « œuf ». C’est effectivement la figure que prend la lune cette nuit-là.

Page 266: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

253

La nuit est poissonneuse. C’est encore une nuit à grains.

- 14ème

nuit : Mai-tū-fei-roa ou Māitu pour l’Académie tahitienne. Ce terme signifie

selon Henry, « debout pour longue prière ». Cependant, si fei est un terme relatif à une action

religieuse, il devrait s’écrire fai31

. Tū signifie certes « debout », mais il peut désigner

également le dieu du même nom. Comme c’est la 1ère

nuit de pleine lune, elle pourrait être

une nuit d’offrande au dieu Tū, dieu majeur au même titre que Ta’aroa, Tāne et Ro’o, à qui

sont dédiées les dernières nuits du calendrier tahitien.

Les poissons sont abondants. Il est bon de planter le lendemain de cette nuit.

- 15ème

nuit : Hotu, « fécondité ». C’est la 2ème

nuit de pleine lune.

C’est une nuit poissonneuse. Les enfants qui naissent cette nuit – là ont de grands yeux

selon le calendrier de Tati.

- 16ème

nuit : Māra’i, « ciel clair ». C’est la 3ème

nuit de pleine lune. Te marama ‘ati

« la pleine lune » selon Ellis.

Il n’y a pas de poisson d’après le calendrier de l’Imprimerie officielle, en contradiction

avec ceux de Tati et de Ia ora te natura qui considèrent qu’ils sont nombreux. La nuit est

favorable pour planter pour Mape Teihotaata - Ia ora te natura.

- 17ème

nui t : Turu, « commotion » d’après Henry. Les dictionnaires tahitiens

traduisent turu par « appui », « support », « étai ».

La nuit est favorable pour pêcher les crabes. Cette nuit est également bonne pour

planter les bananiers, les plantains et les cocotiers.

De beaux enfants sont conçus cette nuit-là d’après Tati.

- 18ème

, 19ème

et 20ème

nuits : Rā’au, « plante », suivi de mua, roto et muri pour la 1ère

,

la 2ème

et les 3ème

nuits. Les revenants rôdent pendant ces trois nuits. Nuits propices à la

capture des voleurs d’après Ellis.

Les plantes germent ces jours-là. La nuit est mauvaise pour la pêche.

31Fai : partie de l’offrande qui était mangée par les prêtres au Marae (Académie tahitienne).

Page 267: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

254

- 21ème

, 22ème

et 23ème

nuits :‘Ore’ore, « qui ne cède pas » ou « rien », suivi des

morphèmes, mua, roto et muri, pour chacune des trois nuits.

Les deux premières sont sans poisson, alors qu’à la dernière, ils abondent. La première

nuit est recommandée pour planter la variété de banane appelée puro’ini selon Mape

Teihotaata - Ia ora te natura.

- 24ème

, 25ème

et 26ème

nuits : Ta’aroa, suivi de mua, roto ou muri. Henry traduit

ta’aroa par « coupure ». Il aurait été plus logique de dédier ces trois nuits au dieu Ta’aroa,

compte tenu que les nuits qui suivent sont celles attribuées à deux autres divinités majeures,

Tāne et Ro’o.

Ce sont des nuits poissonneuses pour Tati. Pour le calendrier de l’Imprimerie

officielle, seule la 2ème

nuit est poissonneuse. Beaucoup d’enfants naissent cette nuit-là

d’après Henry.

- 27ème

nuit : Tāne-roa-i-te-ao ou Tāne, traduit par Henry par « le grand dieu Tāne,

par le monde ».

Poissonneux. Favorable pour planter tous les tubercules.

- 28ème

nuit : Ro’o-nui-i-te-ao ou Ro’onui, littéralement, « le grand dieu Ro’o, par le

monde ». Pour Henry, « dépassé par plein jour ». Elle ne veut pas voir dans le terme Ro’o, le

dieu qui porte ce nom.

C’est une nuit poissonneuse pour le calendrier de Tati et pour celui de l’Imprimerie

officielle. En revanche pour Henry, les poissons deviennent rares.

- 29ème

nuit : Ro’o Mauri, « l’esprit du dieu Ro’o ». Mais « dépassé par l’oubli » selon

Henry qui ne voit toujours pas le dieu Ro’o dans le nom de cette phase lunaire. C’est une nuit

sans lune.

Pas de poisson pour tous les calendriers.

- 30ème

nuit : Motu ou Mutu, « coupé ». C’est la fin du cycle. La nuit est sans lune.

Pas de poisson pour tous les calendriers.

Au-delà des qualités attribuées à chaque phase lunaire, ce qu’il y a lieu de retenir avant

tout, c’est le fait qu’elles sont vues comme des unités de temps. Elles se manifestent au

Page 268: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

255

travers des 30 appellations. Elles peuvent être égrenées, comme les nœuds sur une cordelette.

Au bout de 30 nuits, nous tenons une autre unité de temps, le mois lunaire ou marama.

Ce qui apparaît fondamental, c’est le fait que les Tahitiens ont conçu la journée de 24

heures comme unité de temps appelée pō, reconnaissable aux 30 noms attribués à chaque

phase lunaire (tableau n° 3 & n° 4). Ces journées-nœuds de 24 heures peuvent être comptées.

Quand nous parvenons à 30 pō, nous obtenons une deuxième unité de temps appelée marama

« lunaison ». Si nous comptons à nouveau un cycle de 30 pō, nous arriverons alors à deux

marama, deux « lunaisons » et ainsi de suite. Au bout d’un cycle de 12 ou 13 marama, nous

obtenons une troisième unité de temps, dénommée tau-ma-te-tai’o « l’année ».

Les Tahitiens ont donc pu concevoir leur calendrier grâce à ces trois unités de temps

qu’ils sont parvenus à mettre en évidence :

- Pō, « journée de 24 heures ».

- Marama, « lunaison de 29 ou 30 pō ».

- Taumatetai’o, appelé parfois tai’otau « année de 12 ou 13 marama ».

Nous savons aujourd’hui qu’une lunaison totalise en moyenne 29,5 jours. Au bout de

deux lunaisons, entre le mois culturel « tahitien » de 30 pō (journée de 24 heures) et le mois

synodique de 29,5 jours, on est confronté à un décalage qui peut être d’une demi-journée.

Pour harmoniser le mois culturel avec le mois synodique, les Tahitiens, comme de

nombreuses autres cultures qui ont eu affaire au calendrier lunaire, retiraient quand il le

fallait, une nuit de leur calendrier. Quelle nuit retiraient-ils ?

Aucune précision n’est donnée à ce sujet. Dans le calendrier de Ia ora te natura, la

nuit mutu est omise, cinq mois sur douze. Tregear, cité par Babadzan32

, pense qu’il en était

ainsi autrefois. Cette affirmation n’est pas confirmée par Banks et Solander qui ont, de leur

côté, retiré la nuit Tīreo comme nous l’avons vu dans le tableau n° 3.

Solander a même réalisé un calendrier s’étalant sur 7 mois. Il démarre le 4 août 1769

et prend fin le 22 février 1770. La terminologie de chaque nuit et de chaque mois lunaire est

indiquée. La nuit Tīreo est systématiquement omise. Il est vrai que la lune, ce soir-là, est

extrêmement difficile à apercevoir, car très éphémère (de l’ordre de quelques secondes ou

quelques minutes) ; elle est, en outre, confondue avec les rayons du soleil couchant.

32 BABADZAN, A., 1993, Les dépouilles de dieux, Essai sur la religion tahitienne à l’époque de la découverte,

note 2, p. 225.

Page 269: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

256

Dans toutes les sociétés qui se sont basées, comme les Tahitiens sur l’apparition du

premier croissant de lune pour commencer l’énumération des nuits, la perception de cette

« première » nuit a toujours posé un problème. Dans le calendrier musulman, le premier jour

du mois est celui où le fin croissant qui suit la nouvelle lune est aperçu au coucher du Soleil,

deux jours environ après la disparition de l’astre (la nuit Tīreo des Tahitiens). Si, pour cause

de ciel couvert, par exemple, le croissant n’est pas vu, alors le début du mois est reporté d’un

jour. Ce genre de calendrier demande des cieux particulièrement cléments, sous peine de voir

les mois s’allonger indéfiniment33

.

Dans leurs calendriers, les Maoris retirent la nuit Huna et les Hawaiiens, celle de

Muku, l’équivalent tahitien de Mutu. Après cette première articulation cyclique du temps,

nous allons aborder la seconde, celle des lunaisons prises comme des unités de mois lunaires.

3. Taumatetai’o ou Tai’o tau34

le décompte des lunaisons : l’année lunaire

a La durée de l’année lunaire

Avant d’aborder l’étude des calendriers, il est utile de comprendre la différence entre

l’année lunaire et l’année solaire.

Nous avons vu dans les paragraphes précédents que, d’une part, la durée moyenne du

passage du soleil en un même point est de 365 jours, 5 heures et 49 minutes (ou 365 jours et

quart), que nous arrondissons à 365 jours. C’est la durée de l’année solaire ou de l’année des

saisons. D’autre part, chaque lunaison, nous l’avons vu, dure en moyenne 29,5 jours. Si nous

multiplions ce dernier chiffre par 12, le nombre de lunaisons, nous trouvons 354 jours. Il nous

manque environ 11 jours pour terminer l’année (365 – 354 = 11 jours). Ces 11 jours sont

d’une importance capitale. S’ils ne sont pas aussitôt rattrapés, nous verrons le premier mois de

l’année suivante commencer 11 jours plus tôt. Au bout de 3 ans, cela fera 33 jours, soit un

mois lunaire complet. Les mois ne correspondraient plus aux saisons.

Pour rattraper ce décalage, certaines sociétés ont choisi d’établir un calendrier de 12

mois, basé sur une alternance de mois de 30 et de 31 jours. C’est le principe du calendrier

julien, puis, du calendrier grégorien qui lui a succédé. Les mois de ces calendriers sont, de ce

33 HADDAD, L., & CIROU, A., 2001, Clés de Voûte, Savoir l’Astronomie, Voir le Ciel, p. 85.

34Tai’o i te tau (Henry, 1968, p. 339)

Page 270: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

257

fait, indépendants des cycles lunaires. D’autres comme les Egyptiens anciens, les Ethiopiens

ou les Coptes ont choisi de mettre en place des années de 12 ou 13 mois de 29 ou 30 jours, les

cinq ou six jours restants étaient compensés par un mois intercalaire d’autant de jours.

Certaines communautés ont opté pour une troisième solution, une année de 13

lunaisons complètes de 29,5 jours de moyenne. Certes, à la fin, l’année comptera 383,5 jours

(13 x 29,5 = 383,5 jours). Irrémédiablement, le treizième mois débordera de 18,5 jours sur

l’année suivante (383,5 – 365 = 18,5 jours). Il est donc obligatoire de retrancher un mois,

l’année ou les deux années suivantes, afin de ne pas accentuer le décalage entre l’année

culturelle et l’année tropique35. C’est ce que semble considérer Henry en parlant du calendrier

tahitien. Voici ce qui a été rapporté au pasteur Orsmond en 1818 :

« […] C’est ainsi que chaque royaume ou communauté avait son système approximatif de

calcul des saisons, mais tous étaient d’accord sur la durée de l’année, d’après les mois

lunaires. Lorsque dans le développement des saisons, il n’y avait que douze phases

lunaires complètes, on sautait le mois qui était en trop. » [Henry, 1968 : 339]

Ce qui semble indiquer que l’année comporterait normalement 13 mois, et que, de

temps à autre, selon les circonstances, on retirerait un mois. Pour sa part, Ellis est encore plus

explicite, puisqu’il indique les mois qu’il faut omettre :

« Leurs calculs cependant, n’étaient pas absolument exacts. Treize mois lunaires

dépassent la durée de l’année solaire. Mais afin d’adapter les mêmes lunes aux mêmes

saisons, dans leur ordre successif, la lune correspondant généralement à mars, ou celle

des environs de juillet, est la plus souvent omise, et, durant certaines années, on compte

seulement douze lunes. » [Ellis, 1972, Vol. 1 : 76]

Si on considère douze phases lunaires de 29,5 jours en moyenne, cela fait, 354 jours

(12 x 29,5 = 354). L’année solaire faisant en moyenne 365 jours, « sauter le mois en trop »

réduirait l’année à 354 jours. L’année comptera de ce fait 11 jours de moins (365 – 354 = 11

jours). L’année de treize lunes compte, de son côté, 383,5 jours (13 x 29,5 = 383,5). Elle

35 L’année tropique compte 365 jours. L’année culturelle tahitienne compte environ 383 jours (29,5 jours x 13

lunaisons = 383,5 jours). Chaque année, l’année culturelle prendra donc une avance de 18 jours (383 – 365 =

18). Au bout de 2 ans l’avance sera de 36 jours (18 jours x 2 = 36). Il faut donc réduire l’année culturelle en

supprimant une lunaison dès la troisième année.

Page 271: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

258

prend chaque année 18,5 jours de retard (383,5 – 365 = 18,5), au bout de deux ans cela fait 36

jours. Dans ces conditions, il faut au moins trois années de 12 lunes (3 x 11 jours = 33 jours)

pour rattraper deux années de treize lunes. Il resterait encore 4 jours (37 – 33 = 4) que l’on

peut négliger. Logiquement, les Tahitiens devraient faire alterner deux années de 13 lunes

avec trois années de 12 lunes, pour rattraper le retard.

Qu’en est-il réellement dans les calendriers recueillis au XVIIème

et au XIXème

siècle ?

b Les calendriers tahitiens du XVIIIe siècle.

Nous disposons pour notre analyse de 9 calendriers tahitiens que nous avons résumés

dans le tableau 6. Il s’agit des calendriers de Banks et Solander, relevés en 1769 (Rensch,

2003 : 66 & 134), de celui de Forster, en 1774 (Rensch, 2000 : 91), de celui de Bligh, en

178936

, des deux de Henry, en 1818 (1968 : 340-341), de celui d’Ellis (1972, I : 76), de celui

de Moerenhout (1835 II : 179 ), et enfin, celui de Lesson (1839 : 396).

Précisions à propos du tableau n° 5 :

La graphie utilisée par chaque auteur a été conservée. Celle d’Henry nous servira de

référence dans la suite du texte.

Les terminologies des lunaisons de chaque calendrier ont été inscrites sur une même

ligne, indépendamment de leur correspondance avec le calendrier grégorien.

La chronologie de chaque calendrier a été respectée. Le premier mois, indiqué par les

auteurs de chaque calendrier, est en caractères gras et souligné.

Les mois du calendrier grégorien annotés par chaque auteur sont entre parenthèses.

En tête de chaque colonne, le nom de chaque auteur est noté, suivi de l’année

d’enregistrement et du nombre de mois que comporte le calendrier.

36 OLIVER, D., 1974. Ancient Tahitian Society, vol. 1, p. 268.

Page 272: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

259

Tableau N° 5 – Les calendriers tahitiens à la fin du 18ème

siècle et du début du 19ème

siècle

Page 273: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

260

Remarques sur les calendriers du tableau n° 5 :

Banks (13 mois) : son calendrier comporte 13 mois et commence par le mois de

Ta’ao’a, proche de l’équinoxe de printemps.

Solander (13 mois, mais un « oubli ») : son calendrier est identique à celui de Banks.

De précieux commentaires accompagnent cependant certains mois : yams planted, « les

ignames sont plantées » au mois de Teta’i [Tetai], avee begin to ripen, « les pommes cythères

commencent à mûrir1 » au mois de Manu [Manu], stormy, rainy, « tempête, pluvieux » au

mois de Te’eri [Otháli]. Des renseignements d’ordre historique sont également notés : spanish

ships there, « présence de bateaux espagnols au mois de Pipiri [Pipirhi] (janvier-février)2 » ou

the Endeavour came, « arrivée de l’Endeavour » au mois de Manu (avril)3. Il manque le mois

Paroro mua. Ce qui est sûrement un oubli car Solander se trouvait à Tahiti en même temps

que Banks. Mis à part cet « oubli », les deux calendriers sont rigoureusement identiques. On

peut considérer que le modèle de Banks est équivalent à celui de Solander. On parlera

désormais du calendrier de Banks/Solander.

Forster (13 mois + 1 terminologie supplémentaire) : le calendrier de Forster

comporte 13 mois, mais il a noté 14 terminologies. Il précise dans une note qui

semblerait absurde si on n’y prête aucune attention4 : « 7 mois constituent une saison

de ‘uru ou fruit de l’arbre à pain, 7 autres mois constituent une autre saison de fruit de

l’arbre à pain [Poya-Oòroo]5. Ils ont 13 mois ou Lunaisons ». Autrement dit, les

Tahitiens distingueraient deux saisons de 7 mois chacune. Ce qui ferait 14 mois pour

l’année entière. Mais, précise-t-il plus loin, leur année ne possède que 13 mois. Il

1 Ceci est encore observable de nos jours.

2 Les Espagnols arrivent à Tahiti, pour la première fois, 1772. Il s’agit sans doute des bateaux français de

Bougainville qui ont séjourné à Tahiti du 6 au 15 avril 1768.

3 L’Endeavour arriva à Tahiti le 13 avril 1769.

4 RENSCH K., The Language of the Noble Savage, (2000 : 92). « 7 months make an Oòroo or Breadfruit

Season, 7 other Month make another Breadfruit-Season Poya- Oòroo. They have 13 months or Lunations ».

5 Poya-Oòroo = po’i a ‘uru, « saison du fruit de l’arbre à pain ». Allusion à la saison d’abondance en ‘uru.

Page 274: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

261

énumère séquentiellement les 14 terminologies lunaires sans toutefois indiquer leur

réalisation sur un calendrier de 13 mois.

Curieusement, il fait une inversion, par rapport à Banks/Solander, Bligh et Henry. Il

positionne Huriama [Owhìrree-åmà] avant Ta’ao’a [Taåa]. Il introduit ensuite un

nouveau mois, Firi’ari’ari [Owhìrree-erre-erre] ou Firi’a (Davies), qui succède à

Ta’ao’a. Il apporte cependant une précision importante au sujet du changement de

saison qu’il situe au mois Aunuunu (juin), où il a noté [hằre-te-tow] (haere te tau), « la

saison est passée » ou « terminée ».

Selon ces explications, l’année tahitienne serait divisée en deux périodes calendaires

recouvrant les deux saisons de fructification du ‘uru et délimitées par le mois de

Aunuunu. Chacune de ces deux saisons, pouvant s’étaler sur 7 lunaisons. Il est clair

que, astronomiquement parlant, si l’année comporte 13 lunaisons, lorsque la première

période s’étale sur 7 lunaisons, obligatoirement, la seconde n’en possède que six, et

vice-versa.

Bligh (12 mois + 1 mois supplémentaire) : il présente un calendrier ne comportant

que 12 mois. Cependant il cite, en supplément, le mois de Ta’a’oa [Tawa] confondu

avec Fa’ahu [Wahahoo] et précédant Pipiri [Peepeeree]. Cette prudence vis-à-vis de

Ta’ao’a indique sans doute un embarras de sa part. Ce mois possède, en effet, un

statut particulier. C’est un mois flottant qui n’apparaît pas tous les ans et qui fluctue

entre le mois de mars (Henry/Ellis 13 mois, Moerenhout) et celui d’août (Henry/Ellis

12 mois, Banks/Solander 13 mois).

Il cite comme Forster le mois Firi’ari’ari ou Firi’a [Weeree-areearee], qui prend la

place de Ta’a’oa des calendriers de Banks/Solander.

Il omet par contre le mois de Manu.

Henry et Ellis (12 mois) : ce calendrier est identique à celui de Banks/Solander, mis à

part le fait que ‘Apa’apa6 est remplacé par Manu, ces deux termes désignant une seule

et même lunaison. Il lui a été transmis indirectement par Ari’itaimai, grande cheffesse

6 Le mois de Tema se substitue à celui de Huriama dans le calendrier de 12 lunes de Henry, (1968 : 341). Le

mois ‘Apa’apa à celui de Manu. Dans le récit généalogique de la naissance des étoiles, Henry cite l’étoile de

‘Apa’apa rua manu qu’elle traduit par « deux côtés d’oiseaux ». Pourtant ‘apa’apa signifie tout simplement

« battre des ailes ». Ce qui est le propre des oiseaux.

Page 275: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

262

de Papara, en 1891. Il commence son énumération à partir de Paroro mua qui succède

à Aunuunu.

Henry (13 mois) : Ce calendrier est comparable à celui de Banks/Solander, sauf sur

un point : Ta’a’oa qui était au mois d’août dans son calendrier de 12 mois, a migré

vers mars/avril. Ce calendrier est celui de Pomare II, transmis à Orsmond en 1818.

Ellis (13 mois) : Son calendrier est rigoureusement similaire à celui de 13 mois

d’Henry. C’est une copie faite en 1819 des notes de Davies, directement inspirée de

celui de la famille Pomare. D’où, peut-être, sa similitude avec le précédent. Il apporte

cependant des précisions importantes dans ses commentaires quant au calage des mois

tahitiens avec le calendrier grégorien (1972 : 76) :

o L’année commence au mois Avarehu, « à la nouvelle lune qui apparaît vers le

solstice d’été de Tahiti et correspond aux dix derniers jours de décembre ou au

début de janvier ». Si cette information est confirmée, on détiendrait l’une des

clés autorisant le classement chronologique des lunaisons. Le solstice d’été

étant situé aux environs du 21 décembre, la nouvelle lune en question est celle

qui apparaîtrait entre cette date et le trentième jour suivant, soit entre le 21

décembre et le 19 janvier.

o Dans le calendrier de 12 mois, Ellis souligne que « la lune correspondant

généralement à celle de mars, ou celle des environs de juillet, est la plus

souvent omise ». Il s’agit vraisemblablement du mois de Ta’a’oa pour le

premier, et de celui de ‘Apa’apa/Manu pour le second (c’est ce que font

justement Henry et Bligh avec le calendrier de 12 mois). Le premier est le

mois relatif à l’équinoxe de printemps (21 mars) et le second, au solstice

d’hiver (21 juin) qui est, selon un autre décompte, le début de l’année.

Moerenhout (13 mois) : Son calendrier est identique à celui de 13 mois d’Henry et

d’Ellis. Bien qu’il démarre l’énumération des mois par Varehu [Avarehu], comme les

deux auteurs précédents, il souligne l’imprécision quant au commencement de l’année

qu’il situe soit au mois de Paroro mua lequel suit ‘Apa’apa/Manu [Apa’apa], le

Page 276: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

263

dernier mois de l’année, soit le 30 novembre, « quand l’étoile rehua7se montre le

soir » (1837 II : 209.

Lesson (13 mois) : Sa singularité par rapport aux autres auteurs rend son calendrier

peu exploitable. Il apporte, néanmoins, une précision quant au mois de Firi’a, dont

l’apparition fait reculer d’une lunaison l’apparition de ‘Apa’apa/Manu et de

Huriama/Tema. C’est ce que l’on constate, également, dans le calendrier de Forster.

c L’année calendaire à Tahiti : deux tau ayant chacune un début et une fin.

Chacun des auteurs est porteur d’un bout de vérité. Retrouver l’exact calendrier de 12

mois et de 13 mois utilisé à Tahiti avant l’arrivée des Européens, c’est faire une synthèse de

ces calendriers, tel n’est pas l’objet du présent mémoire. Néanmoins, nous posons le principe

de ce calendrier pour mieux appréhender la suite de ce travail.

L’année tropique, de 12 mois de notre calendrier grégorien, constitue pour nos sociétés

modernes une unité de temps qui commence le 1er

janvier et se termine au 1er

janvier suivant

(soit 365,25 jours). Si les Tahitiens reconnaissaient l’existence d’une année d’une durée

semblable, grâce au mouvement cyclique du soleil, en observant les solstices et les saisons qui

y sont relatives, ils divisaient par contre l’année en deux périodes, correspondant chacune à

une moitié de calendrier.

Pour un Européen, l’année est un tout, un segment temporel de 12 mois, ou de 365

jours, possédant un début et une fin, le 1er

janvier à 00H00. Pour les Tahitiens, l’année est

constituée, certes, de 12 ou 13 lunaisons, mais ces dernières se répartissent sur deux périodes,

correspondant aux deux saisons majeures, occupant chacune la moitié de l’année. Cela

implique que les deux périodes du calendrier lunaire recouvrent les deux périodes du

7 L’étoile Rehua est relative à la légende de Piripirimā (G. Cuzent, Archipels de Tahiti, 1983). Selon Cuzent G.,

il existe deux étoiles portant le nom de Rehua, l’une est la dernière étoile située à la « queue » de la constellation

du Scorpion (la petite fille), l’autre est la plus brillante, elle est située à l’avant, il s’agit d’Antarès (la mère). Le

lever héliaque de cette étoile se situe le 30 novembre. Ces affirmations sont contredites par J. Morrison, T. Henry

et W. Ellis, pour qui Piripirimā sont les deux étoiles, Castor et Pollux, Pipiri et Rehua. Au regard de l’antériorité

des relevés faits par Morrison et les missionnaires, ils nous paraissent plus crédibles.

Page 277: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

264

calendrier des saisons (ou agraires). Chacune des périodes calendaires (lunaires et agraires)

comporte 6 ou 7 mois selon les années et porte le nom de Tau8.

Ce qui implique que chacun des deux calendriers posséderait un début et une fin. De

ce fait, il y aurait deux débuts et deux fins de Tau, donc, deux débuts et deux fins d’années.

D’où l’ennui de certains auteurs à ce sujet, incapables d’avoir de leurs interlocuteurs tahitiens,

la date exacte du jour de l’an.

Considérons d’abord le calendrier agraire. La première saison (tau ‘auhune)

commence au lever héliaque du soir9 de Matari’i, la constellation des Pléiades, vers le 20

novembre, au début de la saison d’abondance. Elle se termine au coucher héliaque du soir de

cette même constellation, vers le 20 mai, à la fin de la saison d’abondance et au début de la

saison de pénurie (tau o’e), et finit le 20 novembre suivant. Puis le cycle recommence.

(Henry, 1968 : 339)

Examinons maintenant le calendrier lunaire. La première période de ce calendrier

commence, selon Moerenhout, quand Rehua se montre au mois d’octobre. Le lever héliaque

du soir de cette étoile a lieu, en réalité, autour du 15 janvier. Elle est l’étoile qui marque la

lunaison de Varehu (ou Rehu, Orehu, Avarehu).

Henry, Ellis et Moerenhout entament leur calendrier de 13 mois par cette lunaison. Et,

suivant une note d’Ellis, Avarehu serait le premier mois du calendrier lunaire. Il débuterait à

la nouvelle lune qui suit le solstice d’été, soit entre le 21 décembre et le 19 janvier (1972 I :

76). Ce qui est en totale contradiction avec le calendrier de Solander. Celui-ci a reproduit un

calendrier s’étalant sur 7 lunaisons, entre 1769 et 1770, entre le mois Ta’a’oa (août) et Pipiri

(février). Dans ce calendrier, la lunaison Varehu commence le 28 novembre 1769, à la

8 Pour Henry, il existe le Tau ‘auhune et le Tau o’e (ou tau poai), la saison d’abondance et la saison de pénurie.

Ellis et Moerenhout confirment ces propos.

9 Les anciennes sociétés étaient très attentives au lever et au coucher héliaques des étoiles. Ci-dessous les

définitions à ce propos :

- Le lever héliaque du matin ou le lever apparent du matin : premier jour où l'étoile est visible à l’Est dans la

lueur de l'aube juste avant le lever du soleil. C'est le début de la période de visibilité du matin.

- Le coucher héliaque du soir ou le coucher apparent du soir : dernier jour où l'étoile est visible à l’Ouest dans la

lueur du crépuscule juste après le coucher du soleil. C'est la fin de la période de visibilité du soir.

- Le lever héliaque du soir ou le lever apparent du soir : premier jour où l'étoile est visible à l’Est à l'opposé de la

lueur du crépuscule juste après le coucher du soleil. C'est le début de la période de visibilité du soir.

- Le coucher héliaque du matin ou le coucher apparent du matin : dernier jour où l'étoile est visible à l’Ouest à

l'opposé de la lueur de l'aube juste avant le lever du soleil. C'est la fin de la période de visibilité du matin.

Page 278: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

265

nouvelle lune qui précède (et non qui suit) le solstice d’été (21 décembre) et qui suit le lever

héliaque du soir des Pléiades, le 20 novembre ou le 21 décembre.

Quoiqu’il en soit, cette première période calendaire et lunaire se termine selon Forster

à la lunaison d’Aunuunu. Le mois suivant, celui de Paroro mua, inaugure la seconde période

calendaire, vers le mois de mai ou juin, selon Ellis10

, Moerenhout11

et Forster12

, juste à la fin

de la saison d’abondance. Ce mois lunaire ainsi que celui qui suit, Paroro muri, seraient donc

celui du solstice d’hiver (21 juin). Signalons qu’Henry pour son calendrier de 12 lunaisons, et

Forster dans le sien qui en fait 13, font démarrer leur année à la lunaison de Paroro mua.

Banks et Solander commencent à séquencer le leur, à la lunaison de Ta’a’oa, le mois

intercalaire de l’équinoxe du printemps austral qui a lieu aux environs du 22 septembre, tandis

que Bligh, inaugure le sien par la lunaison de Firi’a, en septembre également.

Pour notre part, à fin de démonstration, nous allons démarrer la première période,

comme le suggère Moerenhout, au lever de Rehua, à la lunaison de Te’eri, le début de la

saison d’abondance, et la seconde, comme nous l’avons écrit plus haut, à celle de Paroro

mua, au début de la saison de pénurie.

d Le cas des mois intercalaires : Ta’ao’a et Firi’a

Nous avons donc affaire à deux demi - années, correspondant chacune à une série de

six ou de sept lunaisons, en alternance, selon des conjonctures liées au lever et au coucher

acronymique des Pléiades, au lever héliaque d’Antarès, aux équinoxes et aux nouvelles lunes

qui accompagnent les solstices. De sorte qu’au bout d’un cycle solaire, l’année totalise 12 ou

13 lunaisons.

Voilà sans doute la raison pour laquelle Forster rapporte que, « 7 mois constituent une

saison […] et que 7 autres mois constituent une autre saison ». Et, qu’au total, l’année ne

comporte que 13 lunaisons (alors que 7 + 7 = 14). Voici comment on pourrait comprendre les

affirmations de Forster : « il existe 7 terminologies de mois pour une saison […] et 7 autres

10 ELLIS W., A la recherche de la Polynésie d’autrefois (1972, p. 77) : « Un autre calcul faisait commencer

l’année au mois de ‘Apa’apa, vers la mi-mai et donnait des noms différents à certains mois. »

11 MOERENHOUT J.A., Voyages aux îles du Grand Océan, (1959, p.179) : « Il paraîtrait qu’en général ils

commençaient à compter leur année vers juin ».

12 Lorsque Forster signale dans son calendrier qu’au mois de Auunuunu (juin), la période est terminée, « Haere

te tau ». Il indique que la saison (tau) se termine ce mois-là.

Page 279: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

266

terminologies pour une autre saison. Mais ne sont utilisées pour l’année que 13

terminologies ». Tantôt on utilise 7 terminologies pour la première saison et 6 pour la

seconde, ce qui fait 13 lunaisons, et tantôt on emploie 6 terminologies pour la première saison

et 7 pour la seconde, ce qui fait toujours 13 lunaisons, au bout du compte. Il arrive enfin que

12 terminologies suffisent, 6 pour la première et 6 pour la seconde.

C’est ainsi qu’on pourrait expliquer l’emploi de la lunaison de Ta’a’oa, tantôt il

complète le premier segment temporel (Henry-Ellis/13 mois, Moerenhout, Bligh) en

s’intercalant entre Pipiri et Aunuunu, et tantôt il s’insère dans le second (Henry/12 mois,

Banks/Solander, Forster), s’interposant entre Hâtai et Huriama/Tema. Ta’a’oa serait en fait,

un mois flottant.

Le cas de Firi’a ou Firi’ari’ari est plus complexe. Il n’est présent que dans trois

calendriers sur neuf. Il est cité par Lesson, à une position, certes, fantaisiste par rapport au

calendrier grégorien, mais positionné chronologiquement avant le mois de Huriama (ou

Tema). Il semblerait que son apparition soit liée à la présence du mois de Ta’a’oa dans la

première période calendaire (Bligh). Ne pouvant être de nouveau présent dans la seconde

période, s’il était nécessaire d’ajouter un mois supplémentaire, le mois de Ta’a’oa est alors

remplacé par celui de Firi’a.

Cependant, Forster, dans son calendrier, fait succéder Ta’a’oa par Firi’a, pour cette

seconde période de l’année. Mais nous avons vu que celui-ci a cité dans son calendrier

quatorze terminologies, alors que selon ses propres dires, l’année ne possède que treize

lunaisons.

e Synthèse sur les calendriers tahitiens

Sur le tableau n° 6, nous avons fait la synthèse des remarques et des observations, en

tenant compte des concordances et des contradictions relevées dans les annotations. Ces

éléments permettront à l’avenir des investigations plus exhaustives pour résoudre l’épineux

problème de la synchronisation du calendrier des lunaisons tahitiennes, avec le soleil.

Page 280: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

267

Type 1 Type 2 Type 3 Type 4 Type 5 Type 6

12 mois

(6 + 6)

Henry, Ellis

13 mois

(6 + 7)

Lesson

13 mois

(7 + 6)

Henry, Ellis, Moerenh.

13 mois

(6 + 7)

Forster

13 mois

(7 + 6)

Bligh

13 mois

(6 + 7)

Banks, Solander

1ère

période calendaire : te tau ‘auhune « période d’abondance »

Te’eri (oct) Te’eri Te’eri (oct-nov) Te’eri Te’eri (nov) Te’eri (oct)

Teta’i (nov) Teta’i Teta’i (déc) Teta’i Teta’i (déc) Teta’i (oct-nov)

Varehu (déc) Varehu Varehu (déc-jan) Varehu Varehu (jan) Varehu (nov-déc)

Fa’ahu (jan) Fa’ahu Fa’ahu (jan-fév) Fa’ahu Fa’ahu (fév) Fa’ahu (déc-jan)

Pipiri (fév) Pipiri Pipiri (fév-mars) Pipiri Pipiri (fév-mars) Pipiri (jan-fév)

Ta’a’oa (mars-avr) Ta’a’oa ?

Aunuunu (mars) Aunuunu Aunuunu (avr-mai) Aunuunu Aunuunu (avr) Aunuunu (avr-mai)

2nd

période calendaire : te tau o’e « période de pénurie »

Manu Manu (mai-juin) Manu Manu (avr)

Paroro-mua (avr) Paroro mua Paroro mua (juin-juil) Paroro mua Paroro mua (mai) Paroro mua

Paroro muri (mai) Paroro muri Paroro muri (jui-août) Paroro muri Paroro muri (juin) Paroro muri

Muriaha (juin) Muriaha Muriaha (août-sept) Muriaha Muriaha (juil) Muriaha

Hia’ia (juil) Hia’ia Hia’ia (sept-oct) Hia’ia Hia’ia (août) Hia’ia

Ta’a’oa (août) Ta’a’oa ? Ta’a’oa (août)

Firi’a Firi’a ? Firi’a (sept)

Huriama (sept) Huriama Huriama (oct-nov) Huriama Huriama (oct) Huriama (sept)

Tableau N° 6 : Tentatives de reconstitution de modèles de calendriers tahitiens.

Afin d’ajuster l’année lunaire avec le cycle des saisons, les Tahitiens utilisent les

repères suivants :

- Apparition le soir de l’étoile Rehua, [en octobre selon Moerenhout]

- Inflorescence de l’arbre à pain et disparition de la Croix du Sud au mois de Te’eri (vers le

30 octobre) [Ellis, Henry]

- Lever héliaque du soir des Pléiades (le 20 novembre) [Henry, Ellis, Moerenhout]

- Ajustement du mois Varehu : à la nouvelle lune qui suit le solstice d’été (21 décembre)

[Ellis]. En conséquence, Teta’i est le mois du solstice d’été.

- Eclosion de la fleur du Pua13

au mois de Teta’i [Henry]

13Fagraea berterania, in Cuzent, 1983, Archipel de Tahiti.

Page 281: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

268

- La tortue et l’oiseau Upo’a14

mènent leurs petits à la mer au mois de Pipiri [Henry]

- Maturité des pommes-cythères (spondias dulcis) au mois de Manu (en avril) [Solander]

- Coucher héliaque du soir des Pléiades (le 20 mai) [Henry, Ellis, Moerenhout]

- Le gingembre sauvage et le curcuma meurent au mois de Paroro mua (calendrier de 13

mois) ou Hi'aia (calendrier de 12 mois) [Henry]

- Les jours s’allongent au mois de Huriama (après l’équinoxe de septembre) [Henry]

- La tortue et l’oiseau Upo’a pondent au mois de Ta’a’oa vers l’équinoxe de printemps (le

22 septembre) [Henry]

A partir de l’analyse des tableaux précédents, nous pouvons, pour le moment,

tirer 15 règles fondamentales pour mettre en œuvre un calendrier tahitien :

1. L’année est composée de 12 ou de 13 lunaisons. On dispose, pour les énumérer, de

quatorze terminologies [Forster].

2. Les mois lunaires comportent 29 ou 30 jours. Il n’y aurait pas de mois intercalaire

d’une durée inférieure à 29 jours [Solander].

3. Il existe onze mois lunaires stables, que l’on trouve aussi bien dans les calendriers de

12 lunaisons, que dans ceux de 13 : Te’eri, Teta’i, Varehu, Fa’ahu, Pipiri, Aunuunu,

Paroro mua, Paroro muri, Muriaha, Hi’aia et Huriama/Tema et trois mois

flottants : Ta’a’oa, Manu/’Apa’apa et Firi’a.

4. Le calendrier est divisé en deux périodes calendaires pouvant, chacune, comporter 6

ou 7 lunaisons, recouvrant en partie les deux saisons de l’année, tau ‘auhune et tau

o’e, [Forster, Henry, Ellis, Moerenhout].

5. L’apparition de l’étoile Rehua annonce la lunaison de Rehu ou Varehu

[Moerenhout], ainsi que la disparition de la Croix du Sud [Henry].

6. La lunaison de Varehu qui fait partie de cette première période est celle qui

commence à la première nouvelle lune qui suit le solstice d’été (vers le 21

décembre) [Ellis] ou qui suit le lever de Matari’i [Solander]. [C’est le premier mois

des calendriers de 13 mois de Henry, Ellis et Moerenhout].

7. La lunaison du solstice d’été (vers le 21 décembre) est celui de Varehu.

8. La lunaison de Te’eri est celle qui inaugure la première période calendaire

[Moerenhout] et Aunuunu, la dernière [Forster].

14Pterodroma arminjoniana (heraldica), ou Pétrel de Hérald, in Manu, oiseaux de Polynésie, 1999.

Page 282: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

269

9. La lunaison de Paroro mua est la première de la seconde période [Forster, Henry,

Ellis].

10. Au cas où Matari’i se couche en même temps que le soleil, disparaissant ainsi du

ciel la nuit (vers le 20 mai), à la lunaison de Aunuunu, un mois flottant portant le

nom de Manu ou ’Apa’apa est ajouté et lui succède. Celui-ci devient, à la place de

Paroro mua, la première lunaison de la seconde période [Ellis].

11. La lunaison du solstice d’hiver (21 juin) est celle de Paroro muri, sauf si la première

période comporte 7 mois. Alors Paroro mua devient la lunaison du solstice.

12. Lorsque l’année comporte 12 lunaisons, celle de Manu/‘Apa’apa est omise, [Bligh,

Henry, Ellis].

13. Lorsqu’à la première période calendaire, la lunaison de Pipiri n’arrive pas jusqu’à

l’équinoxe de l’automne austral (vers le 21 mars), un mois flottant, dont le nom est

Ta’a’oa, lui succède, devenant de ce fait, le mois de l’équinoxe. Cette première

période comporterait ainsi 7 lunaisons, la seconde compterait 6, l’année comptera

alors au total 13 lunaisons [Henry, Moerenhout, Ellis].

14. Lorsqu’à la seconde période calendaire, la lunaison de Hi’aia n’atteint pas

l’équinoxe du printemps austral (vers le 22 septembre), un mois flottant dont le nom

est, également, Ta’a’oa, lui succède, devenant de ce fait le mois de l’équinoxe. Cette

seconde période comporterait de ce fait, 7 lunaisons, la première en ayant compté 6,

l’année comptera au total, 13 lunaisons [Banks/Solander, Forster].

15. En aucun cas, le mois de Ta’a’oa n’est présent deux fois, la même année, aux deux

périodes.

16. Lorsqu’à la seconde période calendaire, ni la lunaison de Hi’aia, ni celle de Ta’a’oa,

n’arrive à l’équinoxe de printemps austral (vers le 22 septembre), un second mois

flottant appelé Firi’a succède alors à Ta’a’oa, devenant de ce fait la lunaison de

l’équinoxe.

f Les limites du calendrier lunaire

Bien qu’il paraisse complexe, le calendrier tahitien est en fait d’une singulière

simplicité. Des mois complets de 29 ou de 30 jours se succèdent sans fin. Lorsque ces mois

sont en avance ou en retard par rapport à l’année tropique, des événements astraux

(apparitions de Matari’i, de Rehua, de Tauhā (Croix du Sud), lunaires (Nouvelle lune après

Page 283: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

270

l’apparition de Matari’i), solaires (équinoxes), naturels, liés à la flore (curcuma, gingembre,

pommes cythères, Pua) ou à la faune (tortue et ‘Upo’a), viennent nous rappeler qu’un

réajustement devient indispensable. Il s’effectue aux équinoxes, soit à la première période

calendaire, soit à la seconde, par l’ajout ou le retrait d’un mois dénommé Ta’a’oa (d’où son

apparition, tantôt vers le mois de mars, tantôt vers le mois d’août), parfois d’un autre mois

appelé Firi’a, à l’équinoxe de printemps austral, au cas où l’ajout de Ta’a’oa ne suffit pas à

combler l’avance, ou au solstice d’hiver austral, par l’ajout ou le retrait du mois ‘Apa’apa.

Comme dans le cas de la journée par rapport au mois lunaire, nous tenons une seconde

articulation cyclique pour élaborer notre calendrier : le mois, pris comme une unité de temps.

Nous pouvons dès lors aborder la troisième unité qui est celle de l’année.

Comme nous l’avons constaté, le mois lunaire n’a qu’un défaut : il ne compte pas un

nombre entier de jours. Le temps qui sépare deux nouvelles lunes consécutives oscille entre

29 jours et 6 heures, et 29 jours et 20 heures. En moyenne, il vaut 29 jours et demi. De ce fait,

l’année lunaire contient douze ou treize lunaisons de 29 ou de 30 jours. Résultat, à la fin de

chaque cycle, il devient urgent d’apporter des corrections, soit en ajoutant des mois

intercalaires, soit en les retirant, si on ne veut pas que le décalage, entre le cycle des saisons et

les cycles des lunaisons, soit de plus en plus important.

Pour des sociétés primitives, dont les rythmes de vie étaient réglés par les cycles

naturels, ces écarts devaient absolument être contenus sous peine de mettre en péril l’équilibre

de leur communauté. A Rome, où un calendrier lunaire était en usage, un préposé au temps

était chargé de surveiller l’apparition du croissant de la nouvelle lune et de proclamer le début

du mois, les calendes.

4. Matari’i ou Matahiti, le décompte des saisons : l’année solaire

a. Le soleil comme limite des saisons

Dans toutes les régions où l’agriculture, inventée il y a plus de douze mille ans, était

devenue la principale ressource des hommes, l’écoulement du temps était rythmé par la

succession des saisons. En schématisant à l’extrême, il y avait d’abord le temps des labours,

puis venait celui des semailles, et ensuite celui des récoltes. Ce cycle, comme celui de la lune,

se répétait sans fin : la végétation naît au printemps, croît en été, mûrit en automne et meurt

en hiver.

Page 284: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

271

Sous les climats tropicaux comme à Tahiti, les saisons sont réduites à deux. La saison

chaude et pluvieuse, te tau ‘auhune, à laquelle succède la saison fraîche et sèche, te tau o’e.

Selon Ellis et Moerenhout, les Tahitiens subdivisaient de nouveau ces deux saisons en

trois :

- La première est la saison d’abondance, c’est celle de la moisson du ‘uru appelée te

tau tout simplement. Elle commence à la lunaison de Teta’i (décembre) et se termine deux

lunaisons plus tard, à celle de Fa’ahu (janvier ou février pour Ellis). Pour Moerenhout, elle

dure de mi-février à mi-juin.

- La deuxième est la saison de la mer houleuse, te tau miti rahi, qui commence à la

lunaison de Te’eri (novembre) et se termine à celle de Varehu (janvier), pour Ellis, et au mois

de février, pour Moerenhout.

- La troisième est celle de la disette, te tau poai, elle commence à la lunaison de

Paroro mua (juillet) et se termine à celle de Huriama / Tema (octobre).

Chaque plante, cultivée pour l’alimentation comme le ufi « igname » et le ‘umara

« patate douce » ou pour satisfaire d’autres besoins comme le aute « mûrier à papier » ou le

‘ava « piper methysticum », a sa propre spécificité : les unes doivent être plantées au milieu

de la saison pluvieuse, les autres taillées ou arrachées à la saison sèche et repiquées aussitôt.

L’agriculteur avait intérêt à faire le bon geste au bon moment, sous peine de rater sa saison

agricole.

Pour ces cultures spécifiques, le calendrier des phases lunaires dont l’usage était bien

maîtrisé par les Tahitiens ne suffisait pas. Ils avaient besoin d’autres marques temps, autre

que l’apparence lunaire, dont les apparitions coïncident toujours avec le début ou la fin de

chaque saison.

Le soleil, nous l’avons vu dans les chapitres précédents, offre une marque temps

remarquable. Nous avons pu examiner comment les solstices et les équinoxes sont devenus

des repères très pratiques pour délimiter les saisons.

Les Tahitiens connaissaient parfaitement ces phénomènes astronomiques. Le solstice

d’été était appelé rua maoro ou rua roa et le solstice d’hiver rua poto. Même s’ils n’avaient

Page 285: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

272

pas de nom générique pour l’équinoxe15

les Tahitiens savaient que ce jour-là, la durée de la

nuit et du jour était égale16

.

Ils ont su exploiter les mouvements de l’astre du jour pour fixer leur calendrier lunaire.

Ils ont choisi la nouvelle lune, qui suit l’apparition, le soir, de Matari’i (20 novembre) et qui

précède le solstice d’été (21 décembre) comme marqueur de temps pour le démarrage de leur

séquence lunaire. Ce fait est à rapprocher du jour de l’an chinois qui démarre à la seconde

lune qui suit ce même solstice (d’hiver, pour la Chine qui se trouve dans l’hémisphère Nord).

Les Chinois, comme les Tahitiens utilisaient donc un calendrier luni-solaire.

b. Matari’i comme repère des saisons

Les étoiles et les constellations font de bien meilleurs repères. L’aspect du ciel change

considérablement d’une saison à une autre. La magnifique constellation du Scorpion, Te

matau-a-Tāfa’i « l’hameçon de Tāfa’i » ou Matau-Nui « grand hameçon », par exemple, est

une constellation de la saison fraîche. Son apparition dans le ciel, à la mi-mai, n’est pas de

bon augure, elle annonce le début des restrictions. Elle disparaît heureusement à la fin du

mois de novembre, en plein milieu des festivités de l’abondance. A l’inverse, Matari’i ne

dévoile sa splendeur qu’en période d’abondance et hiberne ensuite pendant l’hiver austral.

Son apparition dans le ciel est le prélude à des rituels suivis, célébrés avec fastes, les plus

grands de l’année selon Henry.

La réapparition au crépuscule du soir, des étoiles remarquables, coïncidait souvent

avec le retour des beaux et des mauvais jours, et servait de signal aux agriculteurs. Les

Tahitiens disposaient de récits qui reliaient les saisons au lever de certaines étoiles et

constellations. Le plus célèbre de ces récits est la légende de Pipirimā, rapportée par

Morrison, Ellis, Henry et Gilbert Cuzent, qui séjourna à Tahiti de 1854 à 1858. Elle raconte

comment un frère et sa sœur, Pipiri et Rehua, blessés du fait de n’avoir pas été conviés à

15Notons que la lunaison qui indique que les journées s’allongent est appelée Huriama, « le balancier renversé »,

allusion au fait que le soleil, à l’horizon, passe d’un bord à l’autre de l’axe central.

16 Sur le site archéologique de Fare Hape, se trouve une plate-forme de tir à l’arc dont l’axe de tir est dans la

direction d’un pic rocheux où semble se poser le Soleil au couchant au moment du solstice d’été. Ce jour-là, les

membres de l’association culturelle Haururu, célèbrent le solstice d’été en y décochant des flèches en direction

du pic et de l’astre.

Page 286: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

273

partager le repas de leurs parents, Rehua et Taua, s’enfuirent. Encouragés par un esprit

trompeur ou par le dieu Tāne, selon les versions, et malgré les suppliques de leurs parents, les

deux enfants furent emportés par un cerf-volant ou par le dieu, dans le firmament. Ils

devinrent les étoiles Pipirimā, les étoiles Castor et Pollux.

c. L’unité de l’année

Au temps linéaire qui marque l’histoire des hommes et leur vie individuelle, le

calendrier substitue un temps cyclique de la répétition des choses. Le calendrier doit son

existence au fait que certains phénomènes se répètent d’une manière régulière. Le Soleil

n’existerait pas, les lunaisons se succéderaient sans fin. Les événements passés seraient

définitivement oubliés ou revécus sur le seul mode du souvenir : une chronologie sans

repères, ouverte sur les incertitudes de l’avenir. Une succession de périodes ne crée pas un

calendrier. Pour arrêter la série, c’est-à-dire convenir qu’il y a « un retour des choses », la

fréquence du mouvement de la lune doit recouper la fréquence d’un autre mouvement astral.

Or les hommes, par l’observation des rythmes de la nature, ont mesuré un autre temps,

cosmologique celui-là, qui éloigne, puis ramène immanquablement à eux, le Soleil, la Lune,

les étoiles, les saisons, avec une précision remarquable. Il leur était alors aisé de conjoindre le

temps accidenté de l’histoire et celui des cycles naturels, aux signes si rassurants comme le

remarque Lalonde M. :

« Tout repérage temporel primitif au-delà du mois s’inscrit dans le contexte des saisons et

des activités saisonnières et s’appuie sur celui-ci pour tracer une succession irréversible

de périodes qui deviendront les repères concrets pour situer les événements […] Comme

toutes les unités modernes de temps, elle s’inscrit dans une structure d’emboîtement. »

[1996 : 70].

Nous avons vu, l’année est une somme de 365 jours (mesurable grâce aux solstices ou

aux équinoxes) et de 12 ou 13 lunaisons d’une durée, certes, inégale, mais évaluable

numériquement (en comptant le nombre de jours qui sépare deux nouvelles lunes). Elle

devient de ce fait, une structure temporelle ayant sa propre identité, pouvant servir de mesure

pour évaluer une autre grandeur, précise M. Lalonde :

Page 287: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

274

« A son tour, l’année apparaît donc comme une unité de compte pour des périodes de plus

longue durée, décennies, siècles et millénaires. L’année moderne surgit alors sous un

double jour : comme durée fixe obtenue par sommation d’unités inférieures et comme

unité de compte pour la longue durée. Dans le cadre du système moderne de mesure du

temps, les limites de l’année ne sont pas ambiguës et ont un caractère quasi ponctuel.

L’année finit le 31 décembre à 24h00 et commence le 1er janvier à 00h00. Les limites de

l’année sont parfaitement déterminées. » [1996 : 70]

De ce constat, l’année devient pour l’homme une durée quantifiable, tout comme le

mois, la journée et les moments de la journée. Certes pour l’homme primitif, elle reste

indissociable des cycles naturels. Mais aujourd’hui, nos sociétés modernes font abstraction de

ces liens avec ces rythmes et conçoivent l’année comme une entité indépendante.

d. Les limites de l’année

À Tahiti, comme nous l’avons constaté dans le chapitre précédent, l’idée d’une année,

perçue comme une unité de temps, était établie. Mais il nous était difficile de cerner ses

limites. Les témoignages anciens, rapportés par Henry, Ellis et Moerenhout, faisaient

démarrer l’année au lever des Pléiades (20 novembre), au lever d’Antarès (30 novembre), à la

première nouvelle lune qui suit le solstice d’été, au coucher des Pléiades (20 mai), vers le

mois de mai, au mois de Manu/’Apa’apa, vers le mois de juin. En conséquence, la fin de

l’année variait d’autant. Et pour cause, les Tahitiens concevaient l’année comme deux

périodes correspondant aux deux saisons majeures qu’ils appellent tau. Etait-il primordial de

regrouper ces deux tau en un seul, avec un début et une fin ? Pas nécessairement d’après

Lalonde M.

« […] un compte des années par un segment saisonnier n’a même pas besoin d’un début

(ou d’une fin) d’année, puisqu’il se contente d’indexer la partie la plus significative de

l’année tropique. De la mention d’un début d’année dans une société, on ne peut conclure

à un synchronisme de la frontière entre deux années successives et de l’origine des phases

de l’année.

En soi, le cycle annuel des saisons n’a ni début, ni fin. C’est seulement dans la mesure où

une action orientée vers une fin s’y déploie que la notion début d’année peut prendre

sens. » [1996 : 72].

Page 288: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

275

Ce n’est pas pour autant que l’année, en tant qu’unité homogène, n’était pas perçue

par les Tahitiens. Car pour énumérer des durées supérieures à l’année, ils utilisaient

effectivement l’année comme unité.

Il importe donc d’attribuer une limite, même vague, et un nom à cette unité. Chez de

nombreux peuples, aucun mot ne désigne le cycle annuel indépendamment de ses phases

constituantes. Il est fréquent dans certaines sociétés que le mode de comptage des années

s’effectue par le biais d’un de ses segments, par exemple une saison, comme dans « il y a

quatre hivers », significatif d’une absence de terme. Dans cette perspective, l’alternance de la

saison sèche et de la saison des pluies est l’année.

e. L’année tahitienne : taumatetai’o ou matahiti ?

Si nous n’avons pas de certitude quant au début et à la fin de l’année tahitienne, nous

savons par contre qu’un nom lui était attribué.

Aussi loin que nous pouvons remonter, c’est Banks17

qui, le premier, témoigne de

l’existence d’une notion d’année en tant qu’unité de temps. Dans son lexique, nous avons à

l’entrée « year », l’existence du terme tahitien « tetoumatataio » dans lequel on peut

reconnaître te tau, qui signifie aussi bien « saison » que « période ». Il est suivi de mata-taio,

où l’on reconnaît mata, présent dans le terme plus habituel de matahiti, et qui signifie,

« début », « extrémité » ou « yeux ». Quant à « taio », il peut s’agir de tai’o, « compter », ce

qui fait que le terme pourrait s’écrire te tau mata-tai’o, « la période où l’on commence à

compter », à compter le temps plus précisément.

Henry dans son ouvrage, Tahiti aux Temps anciens, traduit « année » par matahiti,

terme que l’on utilise encore aujourd’hui. Dans le dictionnaire dit de Davies, nous trouvons

également matahiti pour désigner l’année. Cependant, Henry, citant Pomare, fait allusion à

tau. Voici ce qu’elle écrit : « Teie te tau ari’i ma te tai’o18

na tō Tahiti nei, ‘oia o Matari’i i

ni’a ‘e o Matari’i i raro ». Qu’elle traduit comme suit : « Voici les périodes royales observées

17 RENSCH, K. 2003, Early Tahitian .

18 Remarquons que le terme « tetaumatataio » de Banks est à rapprocher de te tau (ari’i) ma te tai’o de Henry. Il

se pourrait donc que cette dernière expression soit un seul nom : te-tau-ma-te-tai’o, ou te-tau-mata-tai’o, comme

l’a suggéré Banks, « la période où l’on commence le décompte ».

Page 289: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

276

par les Tahitiens. Ce sont les Pléiades au-dessus et les Pléiades en dessous ». On peut

également traduire cette phrase en mettant les quatre premières expressions au singulier et en

précisant le sens de tai’o19

. Ce qui donnerait : « Voici la période royale et la façon dont les

gens de Tahiti le calcule, par les Pléiades à l’Est et par les Pléiades à l’Ouest ». Autrement dit,

tau-ari’i-ma-te-tai’o pourrait désigner l’année.

Dans tous les archipels polynésiens, l’année est rendue par tau ou ta’u, des reflets du

proto-polynésien *taqu20

qui désigne selon Kirch et Green, aussi bien « saison » que « cycle

de l’igname ». La période de croissance de l’igname s’étale sur une période de sept à neuf

mois. En Polynésie occidentale où cette plante est précieusement cultivée, tau désignait la

saison de l’igname, c’est-à-dire, un segment de l’année. Ce segment fut utilisé par la suite

pour nommer l’année en tant qu’unité de compte. Il n’y aurait pas, selon les deux auteurs, de

terme polynésien pouvant traduire le concept occidental d’« année »

En passant de la partie occidentale à la partie orientale de la Polynésie, tau conservera

tout son sens originel. Il désignera les deux saisons, fraîche et sèche d’une part, chaude et

humide d’autre part. Ellis lui donnera un synonyme, Matari’i. Il gardera en outre sa fonction

d’unité de compte pour désigner, « année ».

Mais aussi bien à Tahiti qu’à Hawai’i, et seulement dans ces deux ensembles, le terme

de matahiti (makahiki à Hawai’i) viendra se substituer à tau pour traduire un concept plus

proche de l’« année », tel qu’on le conçoit de nos jours. Tau étant, de ce fait, réservé pour

désigner une demi-année, c’est-à-dire à une période recouvrant une saison de six mois.

Pourquoi utilise-t-on, aujourd’hui, matahiti pour désigner l’année ?

f. Matahiti : le jour du lever de Matari’i

Matahiti est relatif à la fête des prémices, « la plus extraordinaire de leurs

cérémonies » d’après Ellis, « la saison de fête et d’abondance » selon Moerenhout, « une fête

nationale » pour Henry. Cette fête porte le nom de maoara’a matahiti ou parara’a matahiti,

et signifie maturité de l’année. Elle était déterminée par la floraison des ‘ā’eho « roseaux »

(erianthus floridulus). Elle se place selon Henry, entre la fin décembre et le début de janvier.

19Tai’o : lire, compter (Académie tahitienne).

20 POLLEX 94, Bruce Biggs.

Page 290: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

277

La fête commence par l’ouverture de la pêche à la bonite à la lunaison de Teta’i

(novembre – décembre) suivie de l’offrande des premiers poissons aux dieux, aux ari’i puis

aux prêtres. Elle est suivie de l’offrande des prémices de l’agriculture aux mêmes personnes.

Puis du rassemblement et de la distribution des récoltes, préludes à des festivités qui dureront

deux mois et demi selon Henry21

.

Or Teta’i est la lunaison du solstice d’été (21 décembre). Le signal du début du

parara’a matahiti est donc déterminé par la position du soleil, en même temps que la

floraison des ‘ā’eho.

Pour la réussite de la fête, il faut d’abord « réveiller » les ‘arioi, les maîtres et les

acteurs des cérémonies, dont le « retour » est signalé par l’équinoxe de printemps. Il faut

ensuite guetter l’arrivée de la saison d’abondance (tau ‘auhune) annoncée par le lever des

Pléiades, vers le 20 novembre. L’apparition de cette constellation donnera le signal des

premiers rituels auxquels les ‘arioi prendront part, l’ouverture de la pêche rituelle et

l’offrande des premières prises aux dieux (entre novembre et décembre selon Moerenhout).

Puis l’arrivée du solstice donnera le signal de l’offrande des prémices des récoltes, le

parara’a matahiti ou Matahiti.

Il est donc significatif que le lever des Pléiades (Matari’i) est déterminant pour le

déclenchement des rituels marquant la période d’abondance. Mata-hiti pourrait d’ailleurs

signifier, « début-cycle ».

De quel cycle ? De celui de Matari’i « les petits yeux »22

, selon Henry. La période de

la fête de l’abondance et des prémices, réglée sur le cycle de Matari’i, commence le jour où

elle débute un nouveau cycle. Elle est signalée par le lever héliaque du soir des Pléiades23

.

21 Voir Alain Babadzan, Les Dépouilles des Dieux (Paris, 1993).

22 « Les yeux de l’ari’i » : En proto-polynésien, *Mata-qariki - En tongien, Mata-’eiki – En marquisien, Mata-

e’iki (ancien) et Mata-haka’iki ≠ « Les petits yeux » : En proto-polynésien, *Mata-liki – En tongien, Mata-liki –

En marquisien, Mata’iki.

23Pour les Tahitiens, Matari’i indique l’amas d’étoiles, au nombre de six ou sept à l’œil nu, appelé les Pléiades.

Dans toute l’aire polynésienne, c’est sous ce même nom ou l’un de ses reflets qu’il est également connu. Ci-après

quelques-unes de ses déclinaisons dans les langues polynésiennes : Matari’i (Société et Australes), Mata’iki ou

Mata’i’i (Marquises), Matariki (Tuamotu /Mangareva/ Ile de Pâques/ Cook du Nord et du Sud /Nouvelle-

Zélande /Kapingamarangi), Makali’i (Hawai’i), Matali’i (Samoa), Mataliki (Tonga

/Wallis/Futuna/Tokelau/Tuvalu/Niue /Tokelau /Pukapuka /Sikaiana), Matagiki (Rennel), etc. Les linguistes

Bruce Biggs et Ross Clark, de l’Université d’Auckland, ont reconstitué à partir de leur base de données des

langues polynésiennes, le POLLEX23

, son étymon proto-polynésien : *Mataliki.

Page 291: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

278

Le Matahiti inaugure la fête de la première pêche à la bonite, suivie, au solstice, par

celle des prémices des fruits, parara’a matahiti. Cette fête revenant chaque année, ce

segment, qui va durer deux mois et demi à partir du solstice, donnera son nom à l’année.

Matahiti prendra donc la place de tau-ma-te-tai’o, « année de douze mois ».

C’est exactement le même processus qui a eu lieu à Hawai’i. Les fêtes du Makahiki,

qui débutent à la première nouvelle lune qui suit le lever des Pléiades (Makali’i) sont les plus

importantes de l’archipel. Makahiki finira par désigner l’année, comme à Tahiti.

Nous disposons maintenant, avec Matahiti, d’une nouvelle unité de temps qui va nous

permettre d’égrener notre cordelette à nœuds pour une échelle qui s’étend maintenant au-delà

de l’année.

5. U’i, le décompte des générations

a Le temps au-delà de l’année

La difficulté première rencontrée lorsqu’il s’agit de modéliser l’aptitude humaine à

mémoriser le temps qui s’égrène au-delà de l’année réside dans l’absence de repères cycliques

naturels, comme la journée, les phases lunaires ou l’année, vue au travers des lunaisons, de la

course du Soleil et des saisons. « Elle ne s’inscrit plus dans le rythme familier de l’année

tropique et aborde des rivages qu’aucun cycle supra annuel ne vient baliser a priori », précise

M. Lalonde (199 : 75).

Au-delà de l’année, le seul moyen de repérage consiste à énumérer en utilisant l’année

comme unité de compte. Mais comme nous l’avons vu dans les premiers chapitres, tracer des

marques sur un support, pour mémoriser des unités de temps, demeure un exercice risqué. De

même, nouer des nœuds indéfiniment sur une cordelette, s’il permet de conter l’histoire du

clan et déterminer le nombre d’unités de temps écoulé depuis la naissance d’un personnage de

haut rang par exemple, c’est prendre le risque de multiplier les repères. Car ces événements

Nous pouvons remarquer ses cognats dans les langues micronésiennes : mwakereker (Pnopeh), m’akarikari

(TK), mweeriker (Truk), mwariker (Pul), ma’a’riker (Satawal), mwegariger (Wolua), mai’ru’ker (Luk), makiara

(Kiribati). A partir de ces dérivés, David Stampe a reconstitué un étymon proto-micronésien : *m’akarikari. Le

linguiste Ross Clark a pu ainsi établir sa racine proto-océanienne, *mwariker « Pléiades ».

Page 292: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

279

repères varient évidemment en fonction des interlocuteurs et du groupe de référence. En

outre, ils ne concerneraient que des événements entrant dans un cadre domestique, excluant

une trame unique qui offrirait un cadre usuel pour toute la société.

b U’i, unité de temps

En 1769, James Cook accepta, à la demande de Banks, d’embarquer à bord de

l’Endeavour, Tupaia, le tahu’a « grand prêtre » tahitien, un des détenteurs de la science de

son époque. Il réalisa, comme nous l’avons vu, une carte du Pacifique. Sur celle-ci, l’île de

Tahiti a été placée au centre. De nombreuses autres îles l’entourent. Elles sont connues de lui.

Non pas qu’il les ait toutes visitées, mais, leur existence lui a été transmise et il les a

mémorisées. Ceux qui l’ont initié étaient avant lui les dépositaires de toutes les connaissances

de la société.

Parmi la multitude d’îles esquissées, certaines sont aujourd’hui parfaitement

identifiables grâce aux noms donnés par Tupaia. Quatre îles, cependant, bénéficient d’une

remarque particulière et sont accompagnées d’une légende et d’une illustration. Il s’agit de

Tahiti, Ra’iatea, Anaa et, vraisemblablement, Tahuata, l’une des îles Marquises. Les

illustrations qui y figurent représentent des navires européens, ayant probablement visité ces

îles. Les commentaires semblent être des données qui situent l’anecdote dans le temps et qui

décrivent succinctement les événements relatifs à la rencontre.

Voici ce qu’on peut y lire :

- Pour Tahiti : Metua no te tupuna no Tupaia, pahi toa - « (au temps) des parents

des grands-parents de Tupaia, (c’était) un bateau hostile ».

- Pour Ra’iatea : Tupuna no Tupaia, pahi taio – « (au temps) des grands-parents de

Tupaia, (c’était) un bateau ami ».

- Pour Anaa : Tupaia, ta’ata no pahi, mate – « (au temps) de Tupaia, les hommes du

bateau, étaient morts (ou furent tués) ».24

24Koenig traduit comme suit : « Tupaia (dit), les hommes du bateau furent tués », au lieu de « (au temps) de

Tupaia, les hommes du bateau furent tués » comme il l’a fait pour les deux commentaires précédents.

Page 293: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

280

- Pour Tahuata : Maa te ta’ata25

, pahi rahi, iti te pahi no Brittane – « [nombreux

étaient-ils (à bord), le bateau était grand, en comparaison, les bateaux des Anglais

sont plus petits».

Ce qui retient notre attention dans ces commentaires, c’est la façon dont Tupaia

mesure le temps qui sépare son époque, des événements. Il dit par exemple, « au temps des

parents des grands parents de Tupaia », c’est-à-dire, trois générations avant lui ; ou, « au

temps des grands-parents de Tupaia », deux générations avant lui.

Tout porte à croire qu’il mesurait le temps en comptant les générations. Le groupement

des années en génération n’est pas propre aux Tahitiens. L’homme s’en est souvent servi

comme outil de mesure, d’après M. Lalonde :

Le rappel des étapes extraordinaires de l’histoire du groupe n’est pas le seul procédé

possible pour dater les événements dans la longue durée. Une autre dimension de la vie

sociale dessine une irréversibilité dans le temps : l’écoulement de la vie humaine et la

succession des générations […] On ne s’étonnera guère de voir ces sociétés porter une

grande attention à la succession de générations et à la place de l’individu dans la société.

(1996 : 78)

Il est un fait, remarqué par tous les voyageurs de la fin du XVIIIe siècle et du début du

XIXe siècle chez les Tahitiens, c’est leur inaptitude à pouvoir donner leur âge, même

approximativement. Cette remarque est simpliste car, si les Tahitiens ne comptaient pas les

ans, c’est qu’ils n’en avaient pas l’utilité. Ce qui importait, ce n’était pas l’âge d’un individu,

mais sa lignée, les ancêtres qui y figurent et le lien qui l’y rattache. Sa relation avec ses

ancêtres est déterminante pour sa position dans la communauté.

25Maa te taata. Si la traduction de te taata, « l’homme » ou « les hommes » ne pose aucune difficulté, par contre,

la traduction de maa n’est pas évidente. Maa /ma :ɂa/ pourrait signifier « nourriture », c’est ce que suggère

Koenig. Les hommes du bateau serait venu dans l’île chercher de la nourriture. Mais, on peut aussi supposer

qu’ils ont servi de nourriture aux habitants de l’île. Maa /maɂa/, signifie également « fronde », auquel cas, les

marins étaient porteurs d’armes et des affrontements ont pu avoir lieu. Enfin, maa taata pourrait faire allusion à

un « nombre considérable » de personnes embarquées sur le navire :(e) ma’a ta’ata( tō ni’a i te) pahi rahi, « il y

avait du monde sur le grand bateau ».

Page 294: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

281

Néanmoins, si le Tahitien ne donnait aucune importance à l’âge, il pouvait caser

n’importe quel individu dans une classe d’âge : ‘aru’aru (nouveau-né), ‘a’aru (jeune enfant

qui ne marche pas), ‘aiū (nourrisson), tamari’i (petit enfant), taure’are’a (adolescence), poti’i

(jeune fille), tamahine (jeune fille), vahine (femme), pahari (adulte), moi (âgé), rā’au (vieux),

rūhiruhia (vieillard, sénile). Des étapes de la vie perçues comme des témoignages de la

succession du temps.

c Le regroupement des années en u’i

Ainsi, apprécier le temps s’écoulant au-delà de l'année constituait-il pour les

populations anciennes ainsi que pour les Tahitiens un véritable casse-tête. Ils ne pouvaient, en

effet compter ni sur les cycles de la nature ni sur celui des astres, répétitifs par période d’un

jour, d’un mois ou d'un an. La seule indication qui permettait de comptabiliser l’écoulement

des ans était d’ordre biologique : le vieillissement et la mort des êtres vivants, en particulier

de l’homme. L’outrage du temps permet sa mesure.

Comment les Tahitiens vont-ils s’y prendre ?

Comme dans beaucoup de sociétés, ils ont regroupé les années en générations appelées

u’i. Voici comment, selon T. Henry, ils appréhendaient cette mesure :

« L’année était observée et s’appelait matahiti, mais comme la langue n’avait pas de

forme écrite, elle n’était pas utilisée dans un but chronologique, les Tahitiens oubliaient

rapidement l’âge de leurs enfants. Aucun adulte n’était capable de dire l’âge qu’il avait ;

grâce aux généalogies, ils divisaient les périodes en générations appelées u’i. Les noms de

leurs rois et de leurs reines, marquaient vaguement la succession de ces u’i. » (1968 :

334)

Par rapport à un individu déterminé, on pouvait par exemple, comme Tupaia l’a fait

avec sa carte, dire que son metua tupuna (grand-père) a aperçu un navire européen il y a deux

u’i au large de Ra’iatea. Compte tenu du fait que les Polynésiennes pouvaient très bien

engendrer, à l’âge de la puberté, à partir de douze ans, et compte tenu du fait que la régulation

des naissances se pratiquaient d’une manière généralisée dans les classes supérieures, par

Page 295: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

282

élimination des nouveaux nés26

. On peut considérer que les femmes tahitiennes pouvaient

avoir leur premier enfant (celui qu’elles ont choisi de laisser en vie) entre vingt et vingt-cinq

ans. Deux u'i peuvent approximativement valoir quarante ans ou cinquante ans. Nous sommes

en 1769, son metua tupuna a vu le bateau européen, entre 1719 et 1729. Il ne s’est pas trompé,

Jacob Roggeveen, après la découverte de l’île de Pâques, et le naufrage d’un de ses bateaux

aux Tuamotu, est passé au large de Ra’iatea en 1722.

Par cette approche, il est possible de déterminer le nombre de u'i, c'est-à-dire de

paquets de vingt ans (ou vingt-cinq ans), qui séparent un individu de son ancêtre situé sur la

généalogie. Comme celle-ci était mémorisée et préservée précieusement à l’intérieur de

chaque groupe, les anciens Tahitiens pouvaient situer dans le temps un événement, en le

rapprochant d’un ancêtre situé sur la lignée et vivant à l'époque des faits. On pouvait, par

exemple dire que tel épisode marquante de l’histoire du clan s’est déroulé à l’époque de tel ou

tel ari’i X (i te tau o te ari’i ra X). La position de cet ancêtre sur l’arbre généalogique

indiquait le nombre de u'i, et par déduction, le nombre approximatif d’années (à vingt ou

vingt-cinq ans près) qui nous sépare de l'événement.

Cette astuce permettait de donner une date d’origine. Par exemple, si en égrenant un

‘aha tui hana, on avait comptabilisé trente nœuds entre l’ancêtre fondateur et nous, chaque

nœud correspondant à un u’i, on pouvait considérer que l’ancêtre a vécu il y a 600 ans (30

nœuds x 20 ans) ou 750 ans (30 nœuds x 25 ans). Chaque lignée pouvait être considérée

comme un compteur de temps, un calendrier, dont l’origine, l’an zéro, était la génération de

l’ancêtre fondateur, située au début (mātā-mua).

Pour ne pas multiplier à l'infini les « calendriers », tous les clans et toutes les familles

faisaient remonter leur lignée à un ancêtre mythique. Ces clans et ces familles se

reconnaissaient au travers d’un ‘ati. Une lignée, inaugurée par un fondateur qui se trouvait

être l’ancêtre divinisé ou un dieu. La cosmogonie tahitienne comportait une infinité de

divinités, quelques-unes d'entre elles figurent à l'origine des généalogies des ‘ati. Les noms

des grands dieux Ta'aroa, Tāne, Tū, Ro’o, etc., reviennent assez souvent chez celles des ari’i,

devenant la référence fixe, située en première position sur la lignée, l'an zéro du "calendrier"

tahitien, comme l’Est l’année de naissance de Jésus Christ dans le calendrier grégorien.

Chaque Tahitien peut, selon cette structuration, déterminer le nombre de u'i qui le sépare d'un

ancêtre quelconque et estimer approximativement l'époque où ce dernier a vécu.

26 L’élimination des nouveaux-nés était une pratique imposée par la société Arioi à l’ensemble de ses membres.

Page 296: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

283

L'importance des généalogies était telle qu’il y avait une variété de termes pour les

désigner : 'aufaufēti'i – ihotata'u – firifiri'aufau – meremere hua'a – papahua'a – ta'i – ta'u –

naumai – papatupuna.

Pour les réciter plus facilement, certaines comportant plusieurs dizaines de u'i, les

Tahitiens se servaient de chants spéciaux pour les mémoriser. Ces chants sont appelés mere,

meremere ou meremere hua’a. En outre, pour n’oublier aucune génération, les ‘aihua’a les

chantaient, tout en égrenant le ‘aha tui hana, la cordelette à nœuds. Ces chants étaient

déclinés selon un code bien établi.

Voici par exemple celui de la lignée Ta’ihia, ari’i des Oropa’a27

:

O Ta’ihia-i-te-’aru-nui-fa’atomo-a-va’a nō Ari’itū, a moe i te vahine ra nō Tūteahura’i, ia

Tea’atoro i raro i Tūteahura’i, fanau a’e ra tā rāua :

O Tūteahura’i tāne,

A he’e te tua o Ari’itū tāne,

A he’e te tua o Te’aruto’a,

A he’e te tua o Te’aruto’erau.

O Tūteahura’i, a moe te vahine ra ia Tetuanuivahine i Puna’auia, fanau a’e ra tā rāua :

O Tetuanuivahine i Puna’auia,

A he’e te tua o Tūturuari’i tāne,

A he’e te tua o Tūteahura’i tāne.

O Tetuanuivahine i Puna’auia, a moe i te tāne ra ia Ro’oao a Nu’u, fanau a’e ra tā rāua :

O Ta’ihia tāne,

A he’e te tua o Mā,

A he’e te tua o Ro’o,

A he’e te tua o Te’ōtahi tāne.

O Ta’ihia, a moe i te vahine ra ia Poutini nō Tamaro’ura, fanau a’e ra tā rāua :

O Ta’ihia tāne,

A he’e te tua o Poutini,

A he’e te tua o Tetuanuiiourumuanu tāne.

O Ta’ihia,…

27 Extrait du livre de famille « Puta tupuna » de Teriieroo a Teriierooiterai.

Page 297: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

284

Quatre générations séparent le premier cité, Ta’ihia-i-te-’aru-nui-fa’atomo-a-va’a, du

dernier, Ta’ihia. On peut supposer que ce dernier est né 80 ou 100 ans après le premier. On

remarquera également qu’à la deuxième génération, un événement important a eu lieu, c’est

l’alliance avec une personne du marae de Puna’auia (i Puna’auia). Alliance qui vient

renforcer le prestige de la lignée. Et, qu’à la troisième, on indique le nom du père de l’époux,

le fils de Nu’u (a Nu’u). Le fait de citer ce dernier indiquerait son importance. En effet, Nu’u

serait l’un des ari’i les plus renommés de la chefferie de Manotahi, l’actuel commune de

Puna’auia.

Plus le nombre de u'i est important, plus la lignée est illustre et le marae prestigieux.

Dans le concept tahitien, tout est affaire de généalogie : les dieux, les astres, la nature, les

hommes, etc.

En tout cas, après pō, marama et matahiti, nous avons entre les mains une nouvelle

unité de temps, u’i, qui a permis aux Tahitiens de disposer d’un véritable calendrier. Même si

ce concept leur était inconnu et qu’ils n’étaient pas conscients d’avoir en leur possession un

outil remarquable pour mesurer le temps, ils étaient, néanmoins, capables de programmer à

l’avance des événements et de préparer en conséquence les rituels qui annonceraient ces

événements, renforçant à cette occasion le mana du tahu’a et du ari’i.

6. Les rituels guidés par les astres

a Les rites du Pa’iatua et le rythme solaire

Le calendrier qui a présidé aux activités quotidiennes des Tahitiens, nous l’avons vu, a

été le calendrier lunaire. Ses transformations spectaculaires sur un cycle régulier offraient

chaque nuit un instrument providentiel pour situer les événements de notre existence dans la

dérive inexorable du temps. Cependant, le calendrier lunaire a cette particularité fâcheuse,

d’avoir des lunaisons dont la durée n’est pas un multiple exact de 365 jours ¼. Il fallait donc

le compenser en jonglant avec des années de douze ou de treize mois. Comme dans de

nombreuses sociétés ayant la lune comme référence pour la mesure du temps, les astres vont

jouer le rôle de régulateur28

. Souvent, le soleil, aux solstices et aux équinoxes, jouera ce rôle.

28 Les Chinois se basent sur le Soleil, au solstice d’hiver boréal (21 décembre), pour calculer le 1

er jour de leur

calendrier qui doit intervenir à la seconde nouvelle lune qui suit ce jour.

Page 298: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

285

Il faut y ajouter, chez les Polynésiens, l’amas des Pléiades, au moment de son lever héliaque

le soir (le 20 novembre) et de son coucher héliaque le soir (le 20 mai), ainsi que l’étoile

Rehua.

Le retour régulier de ces jours particuliers, devenus de surcroît des marqueurs de

saisons, sera marqué par des rituels, suivis parfois de festivités. Il s’inscrira à l’intérieur d’un

calendrier spécifique : le calendrier des rituels.

Nous devons à Moerenhout d’avoir le détail de ce calendrier qu’il appellera le

« calendrier des fêtes des saisons tahitiennes » :

« Il y avait, par an, quatre fêtes trimestrielles ou célébrées tous les trois mois, au

renouvellement de chaque saison, et dont chacune, à ce qu’il paraît, était précédée d’une

cérémonie dont on pourrait conjecturer le but, quoique les Indiens n’en donnent aucun, se

bornant à dire que c’était le paa atoua, le renouvellement de la coquille du corps ou de ce

qui couvre les dieux. » [1837, I, 514-515]

Le « paa atoua » (pa’iatua) était, selon Henry « la plus grande de toutes les

cérémonies du marae ». Elle consistait au préalable à remplacer et à réparer « tout ce qui se

trouvait au marae » (les pirogues de cérémonie, les espaces de culte, les costumes

cérémoniels, les garnitures des to’o29

, etc.)

Les dates avancées par Moerenhout (…tous les trois mois, au renouvellement de

chaque saison), paraissaient correspondre au rythme solaire, au moment des solstices et des

équinoxes. Un pa’iatua est célébré à ce moment-là.

Ainsi, un tahu’a, expert en astronomie, peut aisément prévoir à l’avance le jour de ces

rituels et préparer les gens à ces cérémonies.

S’inspirant des écrits d’Henry, de Moerenhout et d’Ellis, Babadzan a mené une

réflexion à propos de ces quatre « fêtes », célébrées tous les trois mois. Les dates annoncées

correspondraient effectivement aux solstices et aux équinoxes30

:

« Moerenhout distingue tout d’abord ‘‘quatre fêtes célébrées tous les trois mois, au

renouvellement de chaque saison’’, chacune étant précédée par un pa’iatua [1837 : I, pp.

29To’o : Figure anthropoforme représentant le plus souvent le dieu ‘Oro, faite d’une tige de bois sur lequel est

enroulée une cordelette et garnies de plumes.

30 BABADZAN, A., 1993, Les dépouilles de dieux, Essai sur la religion tahitienne à l’époque de la découverte

Page 299: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

286

514-515]. Ellis confirme ce dernier point : selon lui, le pa’iatua était célébré tous les trois

mois [1829 : II, p. 217]. On notera que cette cérémonie ne comportait pas de sacrifices

humains, qui n’étaient apparemment pas offerts lors des rites du cycle annuel, pendant

lesquels d’ailleurs la guerre était interdite [Moerenhout, 1837 : I, p. 503]. Les fêtes des

quatre saisons, selon l’expression de Moerenhout, avaient lieu, au commencement

d’octobre, vers décembre ou janvier, vers mars et avril, et en juin, celle de l’hiver, la

saison du deuil ou du départ des dieux. [Moerenhout 1837 : I, p. 515]

Autrement dit, les rituels commencent à l’équinoxe du printemps (21 septembre), se

poursuivent au solstice qui suit (21 décembre) et à l’équinoxe d’automne (21 mars) et

marquent une pause après le solstice d’hiver (21 juin).

Examinons maintenant plus en détails ces rituels.

b Les rites agraires et le rythme de Matari’i

C’est Forster qui le premier a noté que les Tahitiens divisaient l’année en deux saisons

agraires, basées sur la fructification du ‘uru, le fruit de l’arbre à pain. Il a également signalé

que les Tahitiens appelaient la constellation des Pléiades, fetu ‘ōfa’a, « nid d’étoiles »,

allusion, selon lui, à la figure dessinée par ces étoiles la nuit. Elle ressemble à un nid31

.

W. Ellis et T. Henry clarifieront le rôle des Pléiades comme marqueurs de temps

servant à distinguer les deux périodes de l’année, Matari’i i ni’a et Matari’i i raro, les

Pléiades à l’Est (au coucher du soleil) et les Pléiades à l’Ouest (au coucher du soleil). C’est

dans les écrits de T. Henry que l’importance du lien entre les Pléiades et le cycle agraire du

‘uru sera démontrée. Babadzan le résume ainsi :

« A Tahiti comme dans toute l’Océanie (et bien au-delà), le calendrier rituel et agricole

était déterminé par l’observation des phases de la lune, du cycle solaire, et par

l’apparition ou la disparition de certaines constellations. Parmi ces constellations, les

Pléiades jouaient un rôle primordial. Leur « arrivée » était liée à la fois au début de la

saison d’abondance, au retour des morts et au début des grands rites annuels ; leur

départ, au départ des morts, à la fin des festivités ’arioi et au début de la période de

disette. L’année tahitienne se trouvait ainsi divisée en deux saisons de six mois chacune

31 RENSCH, K., 2000, (p. 215).

Page 300: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

287

approximativement. La période de visibilité des Pléiades, allant à quelques jours près (à

la fin du 18ème

siècle) du 20 novembre au 20 mai, correspondant également à la saison

humide et chaude, alors que l’autre moitié de l’année, sans pouvoir être qualifiée de

« saison sèche », est nettement moins humide et plus froide. » [1993, p. 223]

Se basant sur les écrits de Henry T. qui rapporte les propos de Pomare II, H. Babadzan

précise que les rites agraires étaient réglés par un cycle rituel. Ces rites étaient basés sur la

fructification de l’arbre à pain dans les îles de la Société. En Nouvelle - Zélande, des rites

semblables sont observés, mais ils concernent la patate douce qui a pris la place de l’arbre à

pain sous le climat subtropical et tempéré de ce pays :

« ‘Pénurie’ et ‘abondance’ se rapportent aux variations saisonnières du rendement de

l’arbre à pain (‘uru). Le cycle rituel de l’année agricole est centré aux îles de la Société

sur la fructification de l’arbre à pain, Artocarpus altilis (Parkinson), alors qu’en

Nouvelle - Zélande il se règle sur celui de la patate douce. Curieusement, arboriculteurs

tahitiens et planteurs de tubercules maoris célébraient, on va le voir, des rites agraires

comparables à des périodes identiques de l’année. » [Babadzan, 1993, p. 224]

Dans une note en bas de page, l’auteur souligne que « le rôle des Pléiades dans les

calendriers agraires est loin d’être propre à Tahiti. Il semble bien s’agir d’un universel […]

Les Pléiades sont symbolisées de manière souvent très voisine, sous toutes les latitudes, dans

les sociétés pratiquant l’agriculture ou l’élevage, indépendamment de leur mode de

production et de leur niveau technique».

Ci-dessous, les propos de Pomare II, tenus devant le pasteur Orsmond et rapportés par

T. Henry, qui situent le lever des Pléiades et donc, le début de la saison d’abondance au 20

novembre (au mois de Tema) et le coucher des Pléiades au 20 mai (au mois de Aunuunu), au

début de la saison de pénurie :

« Voici les périodes royales observées par les Tahitiens. Ce sont Matari’i-i-ni’a (Pléiades

au-dessus) et Matari’i’-i-raro (Pléiades en dessous). Lorsque les Pléiades brillent pour la

première fois à l’horizon vers la constellation d’Orion (Hui Tārava, Mere) dans le

crépuscule du soir, dans le mois de Tema (Eclaircissement), le 20 novembre, elles sont

les signes avant-coureurs d’une saison d’abondance. Matari’i-i-ni’a est alors la saison

(tau), jusqu’à ce que les petites étoiles descendent au-dessous de l’horizon dans le

Page 301: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

288

crépuscule du soir, dans le mois de Au-unuunu (Suspension), le 20 mai. C’est la fin de la

saison d’abondance (tau ‘auhune).

Matari’i-i-raro est la saison qui commence dans le mois de Au-ununu (Suspension) en

mai, quand ces petites étoiles disparaissent à l’horizon dans le crépuscule du soir jusqu’à

ce qu’elles brillent à nouveau au-dessus de l’horizon dans le crépuscule du mois de Tema

en novembre. C’est la saison de pénurie (tau o te o’e). » [Henry 1968, p. 339]

Indéniablement, la constellation des Pléiades être le marqueur du changement de

saison. Il détermine le début de chaque tau, du tau ‘auhune et du tau o’e. Il est impératif

donc que son cycle soit lié d’une part, à celui du Soleil et donc, à celui des saisons, sous

peine de voir les rythmes solaires (période chaude et période fraîche) ne plus correspondre

aux deux saisons de l’année (saisons d’abondance et saison de pénurie) et, d’autre part, à

celui du calendrier lunaire, qui partage l’année, comme on l’a vu, en deux tau également de

six ou de sept lunaisons.

c Le calendrier des rituels

Le début du cycle

Avant de déterminer un début d’année32

ou plus précisément un début de cycle, il faut

avant tout savoir de quel cycle parle-t-on. S’agit-il des phases de la lune et donc, du calendrier

lunaire, de la course du soleil et des astres et donc, du calendrier solaire, du rythme des

saisons et donc, de son calendrier, des rythmes agraires et donc, du calendrier agricole, ou,

des cycles rituels et donc, du calendrier s’y afférant.

Selon Moerenhout, le début du calendrier lunaire a lieu, soit à l’apparition le soir de

Rehua, c’est-à-dire au mois de janvier, à la lunaison de Varehu, soit au mois de

‘Apa’apa/Manu, vers le mois d’avril/mai/juin. Compte tenu qu’il s’agit, pour la première

hypothèse, d’une étoile, c’est donc un repère astronomique qui donne le signal de démarrage

du calendrier lunaire. Pour la seconde, il s’agit d’une lunaison, sans doute celle qui marque la

fin de la première période de six lunaisons, et le début de la seconde. Elle est omise dans les

32 Le début d’année comme nous l’entendons aujourd’hui, le 1

er janvier, est une conception relativement récente

due aux rois de France, soucieux d’unifier les différents calendriers en usage dans le Royaume.

Page 302: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

289

calendriers de Bligh et d’Ellis, qui ne comportent que 12 mois, et dans celui de 12 mois

d’Henry.

Pour Ellis, le début du calendrier a lieu à la nouvelle lune qui suit le solstice d’été (21

décembre) ou alors, au mois de ‘Apa’apa / Manu (vers le mois de juin). Henry, quant à elle,

n’évoque que le lever des Pléiades (20 novembre) et son coucher (20 mai), comme marqueur

de début du cycle des saisons, et par conséquent, du calendrier solaire. Puisque les saisons

sont liées au soleil.

Les dates avancées par les auteurs précités correspondent en fait à trois cycles bien

distincts. Ils conduisent à une division de l’année en deux tau, d’où les deux dates de début

d’année avancé par chaque auteur, et la confusion qui en est résulté.

Enfin, il conviendrait d’ajouter aux deux calendriers précédents (lunaire et agraire), le

calendrier des rituels, rythmés, selon Moerenhout, par les solstices et les équinoxes.

Voici ci-dessous résumées les étapes marquantes du calendrier tahitien :

1. Moerenhout fait débuter le calendrier des événements par « la première fête, au

commencement d’octobre, celle du printemps33

» (à l’équinoxe, vers le 21

septembre) ;

2. Pour Ellis et Henry, le cycle de Matari’i-i-ni’a « Pléiades à l’Est » commence au

lever héliaque du soir de cet amas, vers le 20 novembre. Moerenhout le confirme.

3. Moerenhout note également que l’année tahitienne commence quand l’étoile

Rehua (Pollux) se montre le soir, vers octobre. S’il s’agit bien de Pollux, le

phénomène a plutôt lieu vers le 15 janvier. Ce qui est logique, puisque cela

correspond à la lunaison de Varehu ou Rehu, la lunaison qui a hérité du nom de

cette étoile.

4. Moerenhout évoque et décrit la grande fête des Tahitiens, « vers décembre ou

janvier » (le solstice d’été, vers le 21 décembre). Henry décrit également cette

fête, mais, elle ne serait, selon elle, que le prolongement de celle qui débute au

lever des Pléiades, le 20 novembre.

5. Ellis, apporte une précision quant au début du calendrier lunaire. Il aurait lieu à la

première nouvelle lune qui suit le solstice d’été, donc entre le 21 décembre et le

33 MOERENHOUT, J., A., 1837, Voyages aux Iles du Grand Océan, (p. 515).

Page 303: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

290

19 janvier. Mais Solander le contredit, pour lui, il démarre à la nouvelle lune qui

suit l’apparition de Matari’i.

6. Moerenhout fait état de « la troisième [fête] des saisons, vers mars et avril » (à

l’équinoxe, vers le 21 mars).

7. Ellis, Moerenhout et Henry indiquent que le jour du coucher héliaque du soir des

Pléiades, Matari’i i raro (vers le 20 mai), constitue la fin de la saison d’abondance

et le début de la saison de pénurie. Ellis signale, en outre, qu’un « autre compte

faisait commencer l’année au mois d’Apa’apa, vers la mi-mai… ».

8. Moerenhout quant à lui, décrit la quatrième fête des saisons qui a lieu en juin.

C’est « celle de l’hiver » (au solstice, vers le 21 juin). Une grande fête clôturerait

le cycle qui, selon lui, marquerait le début de l’année (différent du début d’année

signalé par Rehua au point 3).

Au vu des constats précédents, nous pouvons établir le calendrier des rituels tahitiens,

rythmé par les astres :

Rāhiti « équinoxe du printemps » (≈ 21 septembre) : Le retour des ‘arioi

Le calendrier des rituels semble avoir pour seul dessein l’arrivée des festivités liées à

la période d’abondance, le parara’a matahiti34

, la « fête nationale tahitienne » selon Henry.

Toutes les célébrations qui ont lieu tout au long de l’année, aux solstices et aux équinoxes, ont

pour but de préparer les populations à l’arrivée de cet événement.

Les étapes de ces rituels, qui ont lieu aux solstices et aux équinoxes, étaient toujours

précédées de la cérémonie du Pa’iatua. L’équinoxe du printemps était le signal du « réveil »

des ‘arioi et des préparatifs des fêtes de la période d’abondance (tau ‘auhune). Ces derniers

étaient en « sommeil » depuis le solstice d’hiver (vers le 21 juin) [J. A. Moerenhout]. Les

tortues et les oiseaux ‘ūpoa arrivent pour la ponte. Nous sommes encore en pleine saison de

pénurie (tau o’e).

Ce sont autant d’occasions qui mèneront les humains et les esprits à s’apprêter à jouir

des bienfaits de la nature lors des festivités du matahiti.

34Parara’a matahiti : « maturité de l’année ». L’expression est relative au fruit de l’arbre à pain, en pleine

production à partir du mois de novembre.

Page 304: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

291

Selon Moerenhout, la première de ces étapes, à l’équinoxe du printemps, consistait à

sortir les ‘arioi de la retraite où ils étaient depuis le solstice de juin, pour « recommencer les

réjouissances ». Le prêtre célébrait à cette occasion le retour de Maui et du soleil, en allumant

le feu sur le marae avec le Maro ‘ura35. C’était le retour du tau ‘auhune (la saison

d’abondance). Mais cette fête n’acquiert son véritable caractère, précise-t-il, qu’au mois de

décembre. Il s’oppose en cela à Henry, qui fait démarrer le tau ‘auhune le 20 novembre, au

lever héliaque du soir des Pléiades.

Cette fête se terminait par des prières et des sacrifices, puis, un festin suivait. Il était

donné en l’honneur des assistants, dans l’enceinte du marae. Cette première fête était, d’après

Moerenhout, « insignifiante, car on y était encore dans la disette. »

Ni Henry, ni Ellis ne font mention de cette première fête. Pourtant, ce jour semble,

pour Moerenhout, être le premier du calendrier des rituels.

Le mois de l’équinoxe doit être celui de la lunaison de hi’aia (du Proto Polynésien :

PPN *siŋaia) et celui qui suit, huriama, le mois où le soleil au coucher, bascule sur l’horizon,

du Sud vers le Nord, à l’image du balancier d’une pirogue que l’on retourne [T. Henry,

calendrier de 12 lunes]. C’est le moment de corriger si nécessaire le calendrier lunaire en

ajustant la lune avec le soleil par l’ajout d’une lunaison appelée Ta’ao’a. L’année comportera

de ce fait 13 mois lunaires. Le décalage entre la lune, les astres et les saisons ayant été

constaté depuis trois lunaisons au moins et par deux fois, au moment du lever héliaque du

matin de Matari’i ainsi qu’au solstice d’hiver qui le suit.

Matahiti, le premier jour du cycle des Pléiades (≈ 20 novembre) : Matari’i i ni’a

« lever des Pléiades »

Le second événement du calendrier des rituels se déroule au lever héliaque du soir des

Pléiades (Matari’i i ni’a). Le phénomène a lieu le 20 novembre d’après le témoignage de

Pomare II, en 1818. Aujourd’hui, presque deux cents ans après, les Pléiades se lèvent toujours

à cette même date36. La dérive entre cette date et le lever des Pléiades n’interviendra que dans

plusieurs centaines d’années.

35Maro ‘ura : « la ceinture de plumes rouges », l’un des emblèmes de la souveraineté à Tahiti.

36Les dates de lever de Matari’i fournies par l’observatoire astronomique de Fa’a’a :20/11/2004, 20/11/2005,

20/11/2006, 21/11/2007, 20/11/2008, 20/11/2009, 20/11/2010, 21/11/2011, 20/11/2012, 20/11/2013.

Page 305: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

292

Henry, qui le relate, ne dit rien à propos d’une éventuelle cérémonie qui marquerait

cette journée. Les Pléiades sont par contre, selon elle, « les signes avant-coureurs d’une saison

d’abondance » (tau ‘auhune).

Moerenhout par contre, fait part de la cérémonie célébrée à cette date-là. Babadzan l’a

résumée ainsi37

: « elle a lieu au mois de Teta’i, en novembre-décembre, un mois avant

l’offrande générale des prémices (parara’a matahiti), autour du solstice de décembre. Il est

vraisemblable que ce premier rite de l’année soit lié à l’arrivée des Pléiades (le 20

novembre) » (Babadzan, 1993 : 243).

Pour ce dernier, ce jour constitue l’ouverture du cycle des rites agraires. Ces rites étant

liés au culte du dieu ‘Oro38

. Il est possible aussi, que ce soit à cette occasion que les ‘Arioi

« sortent de leur retraite » après leur longue période de « deuil » (ce qui n’est pas l’avis de

Moerenhout qui situe cette épisode à l’équinoxe de printemps).

« Le rite », continue-t-il, « est une levée d’interdits sur la pêche à la bonite. Des trois

cérémonies du cycle, c’est celle qui semble la plus hautement dramatisée. Elle est la seule à

comporter un tapu général sur toute activité humaine (et pas seulement sur la pêche). Ce n’est

qu’après l’offrande des prémices aux dieux, puis au chef le lendemain, que le troisième jour,

l’interdit est levé, apparemment sans aucune manifestation festive ‘arioi. » [1993 : 243-244]

Morrison39

a fait une description assez fournie du rituel organisé pour permettre le

lever de l’interdit (rāhui) « les premiers poissons pêchés vont toujours au marae où ils sont

offerts par le prêtre avec des prières, puis aux prêtres, ensuite au chef et enfin au seigneur du

lieu ou au propriétaire de la terre ; il (le pêcheur) ne peut jouir des fruits de son travail avant

que ceux-ci n’aient été tous servis.» [1981, p. 151]

Il semble donc que le lever des Pléiades s’inscrit dans un cycle agraire sans cérémonie

religieuse importante comme le pa’iatua. Par contre, les restrictions imposées par les ari’i et

les tahu’a, depuis le solstice de juin ou l’équinoxe d’automne, nous le verrons plus loin, sont

levées. Ce qui donne l’occasion pour les pêcheurs qui vont reprendre leur activité, de faire des

37 BABADZAN, 1993. Les Dépouilles des dieux.

38 Le dieu ‘Oro, fils de Ta’aroa, est le dieu prépondérant à Tahiti et aux Iles de la Société au moment de l’arrivée

des Européens. Sa suprématie sur les autres dieux a donné lieu à des luttes de pouvoir dont les ‘arioi semblent

avoir été partie prenante. Les nombreux marae qui lui sont dédiés et qui porte le nom de Taputapuatea

témoignent de la vivacité de ses partisans dans les districts de Tahiti.

39 MORRISON J., 1981. Journal de James Morrison.

Page 306: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

293

offrandes avec leur première prise rituelle. Cet acte va permettre de mettre un terme au rāhui,

à l’interdit sur tous les produits de la mer.

Plus que le début de la saison d’abondance, l’importance du lever des Pléiades, pour

les populations, réside dans le fait que les restrictions soient terminées et que les interdits

soient levés.

Ce jour marque le début du calendrier agraire.

Tīreo nō Varehu « Nouvelle lune de la lunaison de Varehu » (entre Matahiti et

Rua-roa, « entre l’apparition des Pléiades et le solstice d’été ») : première

lunaison du calendrier lunaire

A l’apparition de la première nouvelle lune appelée Tīreo, qui suit le matahiti, le lever

de Matari’i, commence le décompte du calendrier lunaire. Ce premier mois correspond à la

lunaison de Varehu, Rehu ou Avarehu. Aucun rituel ne marque ce jour. Les bananes sont en

pleine inflorescence. La lunaison qui suit est celle de Fa’ahu, c’est la pleine abondance.

Matau Nui : le coucher de la constellation du Scorpion.

Le jour où toute la constellation Matau Nui (Scorpion) plonge dans la mer, vers le 30

novembre, commence la pêche rituelle à la bonite et l’offrande des prémices de cette pêche,

de son succès dépendra la levée du rāhui sur les thonidés et le début du poropa, la « récolte

des fruits sauvages ».

Le pua et le ‘uru sont en pleine floraison au mois de Te’eri (Ellis – Forster – Henry).

L’igname doit être plantée (Solander). La pluie s’installe (Henry).

Dans son texte relatif à la division de l’année, l’apparition de Matari’i a lieu, d’après

Henry, à la lunaison de Tema, [1968 : 339]. Mais elle se contredit immédiatement deux pages

plus loin [1968 : 340-341] où elle donne les tableaux des calendriers de 13 et de 12 lunes,

et où le 20 novembre survient à la lunaison de Te’eri (calendrier de 13 lunes) ou à celle de

Teta’i (calendrier de 12 lunes).

Page 307: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

294

Rua-roa « solstice d’été » (vers le 21 décembre) : Les prémices des récoltes et les

festivités du Parara’a matahiti

On doit à Moerenhout et Henry des récits détaillés des cérémonies en question. Je cite

Babadzan : «…ce sont les prémices ‘‘de tous les fruits, de tous les comestibles et même ceux

de l’industrie’’ qui sont offertes ‘‘aux dieux’’ (Moerenhout, 1837, I : 518), c’est-à-dire, pour

Tahiti, à ‘Oro. Nommé parara’a (ou maoara’a) matahiti, ce rite a lieu entre la fin décembre

et le début janvier» (Henry, 1968 : 185), et était « réglé sur la floraison des roseaux » (Ellis,

1829, II : 218). La cérémonie commençait en un jour fixé à l’avance… « La population

entière des districts » convergeait en un lieu unique pour toute l’île…, apportant en quantité

toutes sortes de produits…, des nattes, beaucoup d’étoffes, des fruits à pain, des bananes, des

noix de coco, des cochons, des chiens, de la volaille […] le temps se passait en banquets,

danses, courses, assauts, combats, etc. ; et l’on ne songeait à se séparer que lorsque les

provisions baissaient. » (Moerenhout, 1837, I : 520 - 521.)

Henry semble enthousiaste lorsqu’elle décrit ces festivités, où les dieux, les esprits et

les défunts sont conviés :

« Chaque année, dans tout l’archipel de la Société, était célébrée une fête nationale au

moment de la récolte des premiers fruits de la terre. Cette fête s’appelait le parara’a

matahiti (maturité de l’année) [ou plutôt, maturité du matahiti]. Cette saison se place en

général entre la fin décembre et le début janvier. A cette occasion, les chefs et les

populations des districts apportaient des offrandes de nourriture qu’ils déposaient sur le

terrain de réunion en un tas immense appelé poropa et en faisaient des parts. Avec des

discours appropriés prononcés par les orateurs officiels, ils les présentaient aux dieux et

aux gardiens du marae royal, à la famille royale et au clergé et, se partageaient le reste

entre eux. Pendant plusieurs jours des fêtes et réjouissances avaient lieu et à cette

occasion les gens de toutes classes s’oignaient d’huile parfumée et s’ornaient de

couronnes et de guirlandes de fleurs. Ils demandaient à Romatane, dieu du Paradis, de

venir partager leurs joies avec leurs esprits et leurs amis défunts. Certaines familles –

particulièrement à Huahine – étendaient dans leurs maisons des tapa destinés à ces hôtes

invisibles. Cette fête de la récolte continua, sous une forme moderne, longtemps après

l’arrivée du Christianisme. Il a toujours été la coutume d’organiser une fête appelée

fa’a’amu’a (nourrir) pour les invités venant d’une autre région ; des présents appelés ō

(qui souhaite la bienvenue) sont échangés entre les hôtes et leurs invités. » (Henry, 1968 :

185 – 186.)

Page 308: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

295

Morrison, qui a été un témoin direct de ces événements, décrit la cérémonie comme

suit : « Les premiers fruits de toutes sortes sont offerts au dieu puis au chef et au Seigneur du

lieu avant d’être consommés et il en est de même pour les poissons ». [1981 : 151]

Le partage des récoltes se déroulait d’une manière mouvementé et violente. Des

banquets s’ensuivaient, dans laquelle les ‘arioi « prenaient une part décisive dans

l’organisation des jeux, des danses (‘upa’upa), où il faut voir naturellement bien plus que de

simples divertissements, mais de véritables rites ». [Babadzan, 1993 : 248]

Les fêtes se terminaient au bout de plusieurs jours, lorsque les provisions s’épuisaient.

L’apparition de Rehua (Pollux) : la première lunaison (vers le 15 janvier)

Seul Moerenhout mentionne cette date dans une note accompagnant le récit

généalogique de la naissance des étoiles : « leur année commençait quand cette étoile se

montrait le soir. C’était vers octobre » [1837, II : 209]. Si cette étoile est bien Pollux comme

l’affirme Morrison, Ellis et Henry, l’événement se situerait aux environs du 15 janvier. Elle

correspond à la lunaison de Varehu ou Rehu, la première du calendrier lunaire.

Compte tenu du rapport entre le rythme astral et solaire, le lever de Rehua pourrait

aussi constituer un repère supplémentaire pour recaler le calendrier lunaire.

Rāhiti « L’équinoxe d’automne » (21 mars) : la fin des festivités du parara’a

matahiti

La troisième fête périodique marquée par un pa’iatua que signale Moerenhout a lieu

en mars/avril, à l’équinoxe. Aucune fête ne semble marquer cette journée. Mais nous savons

que cette date est d’une grande importance pour le recadrage du calendrier lunaire. Lorsque la

fin de la lunaison de Pīpiri intervient avant l’équinoxe, un mois supplémentaire est ajouté,

celui appelé Ta’ao’a.

Les petits des honu « tortues » et des ‘ūpoa gagnent la mer. L’arrivée à maturité du vī

tahiti, la pomme cythère, à la lunaison d’Aunuunu (Solander), prévient que les oursins sont

gras.

Page 309: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

296

Un autre événement majeur est annoncé au moment de l’équinoxe, la fin prochaine de

la période d’abondance (Matari’i-i-raro), qui interviendra dans deux lunaisons.

Matari’i-i-raro « Le coucher héliaque du soir des Pléiades » (≈ le 17 mai) : La fin

de la saison d’abondance

Ce rite marque la fin de la période d’abondance (tau ‘auhune) et le début de la période

de pénurie (tau o’e). Il se déroulait «en mai, au coucher des Pléiades» (Henry, 1968, p. 339).

Babadzan, citant Moerenhout, décrit une fête marquée par des jeux et des banquets,

précédée d’une cérémonie au marae et se terminant par le départ des dieux. Or, il semble bien

que les fêtes décrites correspondent à celles du solstice d’hiver comme nous le verrons plus

loin. On peut supposer que les banquets doivent prendre fin à cette date. Maximo Rodriguez

fait part dans son journal d’un Heiva auquel il est convié avec le Père Geronimo dans la vallée

de Tautira, le 19 mai 177540

. Il se peut qu’ils aient assisté à un heiva rituel qui marque la

cérémonie religieuse du pa’iatua.

Matau - Nui (Scorpion) apparaît à nouveau dans le ciel. Il sort de l’océan. Un rāhui est

établi sur la pêche à la bonite. Rehua et Pipiri sont les étoiles relatives à la légende de

Pipirimā, leur retour annonce les restrictions comme le suggère la légende.

Comme pour le lever, le coucher héliaque du soir des Pléiades constitue un repère,

celui de la fin de l’abondance et du début de la pénurie marqué par des restrictions.

Rua-poto « Le solstice d’hiver » (≈ 21 juin) : la clôture du cycle, le départ des

ancêtres, des ‘arioi et des dieux

Cette cérémonie, la quatrième selon Moerenhout, clôturerait l’année rituelle. Elle

commence par l’ouverture des cérémonies au marae (pa’iatua). La fête qui suivait était

marquée par des jeux et des danses que Moerenhout rapproche « des jeux olympiques et des

mystères d’Herta, des anciens Germains » ; « car ainsi que dans ces derniers, presque toutes

les îles suspendaient leurs hostilités pour la célébrer. Des banquets, des courses, des jeux, des

combats en étaient presque le seul objectif […] ». (Moerenhout, 1837, II : 521-522).

40 RODRIGUEZ, M., Les Espagnols à Tahiti(1772-1776), (pp. 117-118).

Page 310: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

297

Un précieux témoignage des réjouissances qui ont lieu au solstice d’hiver nous est

fourni par Maximo Rodriguez. Il note pour le 18 et le 20 juin un heiva donné en l’honneur de

l’ari’i Vehiatua. Le 21 juin, « une fête de danse » est exécutée devant ce même ari’i. Une

compétition de lutte (ta’urua ma’ona) est organisée le 22 juin, suivie d’une « fête de danse »

le 23 juin et de combats de coqs le lendemain. Le 24 juin, les danses reprennent et une

compétition de tir à l’arc a lieu le 28 du même mois (Rodriguez, 1995 : 159-162).

Après ces ultimes «festivités», l’esprit des morts, les dieux et les ‘arioi se retirent,

jusqu’à l’équinoxe de printemps, vers le 21 septembre. Et un nouveau cycle reprend.

7. Conclusion

Lorsqu’on examine les noms des lunaisons tahitiennes, la grande difficulté est de

donner un sens à chaque mot. Certains ne figurent dans aucun dictionnaire. Seule Henry, à qui

on peut reconnaître des qualités de traductrice, s’est avancée à donner une définition à chaque

mois lunaires.

On remarque tout d’abord que toutes les notes qui accompagnent la traduction sont

relatives à des rythmes agraires et, au moins une fois, au temps qu’il y fait en cette saison. Par

exemple, Rehu, est « quand la récolte arrive », Fa’ahunui, « le paisible sommeil de

l’abondance », Pipiri « époque à laquelle commence la pénurie », Ta’a’oa « le fruit de l’arbre

à pain est rare », Au-unuunu « les pagaies du pêcheur sont rangées à cette époque » (allusion

au rāhui sur la pêche) ; c’est une période orageuse […], etc.

L’interprétation sémantique faite par T. Henry reste sujette à débats, en outre, ni le

dictionnaire de Davis, ni celui de Tepano Jaussen, ne permettent d’apporter des réponses.

Lorsqu’on considère par exemple Rehu, Henry le traduit par « nivellement ». Mais

dans la note qui suit, elle parle de « quand la récolte arrive ». Cette information n’a aucune

corrélation avec la traduction. Il en est de même de Fa’ahunui, traduit par « grand repos »

alors que la note qui suit l’identifie comme « le paisible sommeil de l’abondance ». Et ces

deux termes sont absents des dictionnaires.

Pour les treize terminologies des lunaisons, nous trouvons peu de corrélation entre la

traduction proposée et leur étymologie.

Page 311: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

298

En résumé, le calendrier tahitien relevait de mesures astronomiques, du calcul des

phases lunaires et des lunaisons, et de leur synchronisation avec le soleil, les Pléiades

Matari’i et l’étoile Pollux Rehua afin que les lunaisons correspondent aux saisons sur terre.

Nous avons donc affaire à un compromis entre deux calendriers :

1. Le calendrier de décompte des lunaisons, Taumatetai’o ou Tai’o-tau : c’est un

calendrier purement lunaire de douze ou de treize lunaisons selon les années, commençant à

la nouvelle lune qui suit le jour du Matahiti, synchronisé sur l’année solaire au moment des

équinoxes et des solstices.

2. Le calendrier solaire, Matahiti ou Matari’i : il correspond à un cycle annuel qui est

la somme de deux tau, le tau ‘auhune (saison d’abondance) et le tau o’e (la saison de

pénurie), délimité par le lever héliaque du soir des Pléiades, Matari’i i ni’a, au mois de

novembre, le jour du Matahiti « début du cycle », et de son coucher héliaque du soir, Matari’i

i raro, au mois de mai.

Un calendrier des rituels vient se caler sur les deux calendriers précédents. Il permet

d’intercaler des mois supplémentaires au moment des équinoxes, pour maintenir l’harmonie

entre le calendrier lunaire et solaire (ou tropicale). Il est ponctué par les cérémonies

religieuses du pa’iatua au moment des équinoxes (Rāhiti) et des solstices (Rua-roa et Rua-

poto), et au moment du lever et du coucher héliaques des Pléiades (Matari’i).

Le génie du Tahitien se situe au niveau de l’attribution d’un nom à chaque phase

lunaire pour permettre d’identifier chaque nuit. Il n’avait donc aucune raison, dans ces

conditions, de regrouper les jours en semaine pour faciliter leur décompte, comme l’ont fait

les Juifs.

Les Tahitiens ont décidé d’allier les rythmes de la nature avec les mouvements des

astres et de leur confier leur sort, aussi bien sur terre que sur mer. Cela leur a demandé une

bonne maîtrise du mouvement des astres.

Page 312: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

299

CHAPITRE VIII : PRESCIENCE

PRESCIENCE

1. Hi’ohi’o, taura, mana, tapu

Dans l’ancienne société tahitienne des spécialistes existaient chargés des augures et des

prophéties. Ils se répartissaient en deux catégories, les hi’ohi’o « devins » lisaient les signes

de la nature pour faire des pronostics et les taura, les «prêtres / prophètes » qui avaient pour

rôle religieux de traduire en parole compréhensible par tous, la volonté des dieux.

Ces deux catégories de personnages sont réputés avoir su mana, le pouvoir surnaturel.

Nous ne pouvons donc évoquer la divination et l’astrologie tahitienne sans en parler au

préalable.

Le mana ne peut se définir en une phrase et être dissocié du contexte dans lequel il est

utilisé et qui concerne aussi bien les objets inanimés que les choses animées. Dans la légende

de Pai par exemple, on raconte qu’il fabriqua une lance de combat à laquelle il attribua un

nom Ru-fau-tumu « arbres-bourao-transplantés »509, car avoir un nom c’est exister. Elle

portait, à chaque extrémité, un os du bras des sorcières qu’il venait de tuer, acquérant ainsi le

mana le « pouvoir magique » des deux femmes. Cette arme fut très efficace dans les combats

qu’il livra par la suite avec les tribus voisines pour le compte de son ari’i, preuve que le mana

transmis à la lance était d’origine divine. C’est à l’aide de cette même arme qu’il transperça,

en la lançant depuis la pointe de Tata’a à Fa’a’a, le Mont Mou’a-Puta, la montagne percée de

Mo’orea (Henry, 1968 :592 – 602).

Dans de nombreux autres récits, il est fait état d’objets que les hommes considéraient

comme vivants. C’est par exemple le cas d’artisans qui, la veille d’exécuter un travail,

déposaient leurs outils dans l’enceinte du marae pour qu’ils acquièrent le mana, la force de

509 Bourao : Hibiscus tiliaceus. Du tahitien, purau. On le trouve également dans les récits ou les textes anciens,

ou dans les autres langues polynésiennes, sous la forme, hau ou fau.

Page 313: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

300

travailler. Cet épisode est abondamment raconté dans la légende du héros navigateur Rata

(Henry, 1968 : 488 – 513).

C’est également le cas des pirogues de voyage. Selon Henry, leurs propriétaires leur

donnaient un nom sensé leur procurer le pouvoir d’affronter les risques en mer. C’est ainsi

que Te-apori « La-coque » était le nom de la pirogue de Rū et Hina (1968 : 479), ‘Are-ma-te-

roroa « Longue-vague » (1968 : 490), celle du roi Tū-i-hiti, Va’a-i-‘ama « Pirogue-qui-

brûla » (1968 : 507), puis Tua-o-Rata « Compagnie-de-Rata » (1968 : 519), celle du héros

navigateur Rata, Fa’atere-apu « Piloter-en-tanguant » (1968 : 473), celle de Tāne, Anuanua

« Arc-en-ciel » (1968 : 571), puis Niu « Cocotier » (1968 : 574), celles d’un autre héros

navigateur Tāfa’i, et Hōhōio « Intriguant » (1968 : 565), celle de Hiro. En cas d’échec ou de

problème durant leur voyage, leurs propriétaires n’hésitaient pas à changer le nom de leur

pirogue pour qu’elle retrouve une nouvelle vie et acquiert, à nouveau, du mana.

Les objets inanimés acquiert le mana en raison de leur proximité avec des personnes

qui en ont ou parce qu'ils ont été associés à des événements importants, tels les rituels

religieux. Le ti’i par exemple, la statue anthropomorphe en bois ou en pierre des Tahitiens,

étaient sensé renfermer le mana de l’ancêtre défunt, du tupuna510

qui a rejoint le monde des

divinités. Par sa mort, il transmettait son mana au ti’i qui devient par cet acte le protecteur de

la famille. Il peut infliger la maladie et la mort aux personnes qui se risqueraient à vouloir lui

nuire.

Le mana peut concerner autant l’individu que le groupe. Pour ce faire, il faut être en

lien direct avec le tupuna qui le lui transmet et avoir une compétence reconnue par la

communauté. Le mana est lié à l’Estime qu’un individu ou groupe porte à soi-même mais

reflète aussi la façon dont les autres le perçoivent. Il peut interagir entre l’individu et le

groupe en se renforçant ou en se volatilisant en raison des actes commis par les uns ou par les

autres. La perte par exemple du mana d’un ari’i aura des conséquences désastreuses sur la

communauté. L’inverse est vrai aussi. Il est donc vital que le groupe et son chef puisse

mutuellement le préserver.

510Tupuna : « ancêtre, grand-parent » (Davies). Dans les textes de T. Henry, le tupuna est plus précisément un

parent décédé et vénéré par ses descendants.

Page 314: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

301

Dans les sociétés traditionnelles comme la société tahitienne, le profane et le sacré

n’étaient pas séparés, toutes les activités de la vie sont donc en rapport avec le mana.

Le mana peut aussi s’attacher aux ressources naturelles. Pour les anciens Tahitiens, les

relations entre les individus, le groupe et leur environnement, relèvent d’une relation

généalogique. Les rapports qui lient l’homme à la « terre » au travers des droits fonciers, de

son identité et de son rang social sont d’ordre héréditaire. C’est par ascendance que les

Tahitiens se rattachent à toutes choses dans l'Univers, animés ou inanimés, car toutes

procèdent d’une généalogie.

Cette relation est basée sur un concept créationniste. Le dieu créateur, Ta’aroa, ayant

préexisté avant toute chose, tout doit remonter à lui à travers une multitude de dieux, chaque

chose ayant son dieu. En conséquence, la nature et tout ce qu’elle contient, la terre, la mer, le

ciel, les animaux, les plantes, les rivières, les montagnes et les étoiles sont, soit parents, soit

rattachés à un ancêtre commun et exigent de ce fait que le traitement qui leur est accordé soit

semblable à celui consenti pour les êtres humains. L’homme n’est pas dissocié de son milieu.

A son plus haut niveau, la divination ouvre la voie à la connaissance intuitive de soi-même et

de son environnement.

Pour les Tahitiens, la matière dont est faite la nature est habitée de volonté, de

puissance et d’intelligence, c’est le mana transmis généalogiquement par les dieux. A la

lecture des signes que leur renvoient la nature, les hi’ohi’o avaient la capacité de déceler ces

volontés divines et de faire des présages.

Lorsqu’une bourrasque par exemple enleva le sommet d’un arbre à la fin de la

cérémonie religieuse du pa’iatua à Taputapuatea dans l’île de Ra’iatea, un tahu’a du nom de

Vaitā l’interprétât, selon Henry, comme une rupture dans la vie et les coutumes tahitiennes511

.

« Des blancs arriveront sur des navires sans balanciers et prendront toutes les terres »,

annonça-t-il. Pour preuve de ce qu’il avança, il mit à l’eau un ‘umete, un récipient ovale en

bois, et y déposa dans le fond quelques pierres. Il ne chavira pas contrairement aux pronostics

de deux spécialistes, prêtres comme lui. Ils n’imaginèrent pas un seul instant qu’une

511 Une autre version de ce récit figure dans l’ouvrage d’Ellis (1972), le prêtre s’appelle Maui, le lieu est le

même, Ra’iatea.

Page 315: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

302

embarcation puisse tenir sur l’eau sans aucun balancier. La foule fut stupéfaite et convaincue.

La prédiction se réalisa peu de temps après avec l’arrivée de Wallis et de ses compagnons. Ils

essayèrent de les repousser. Ils n’y parvinrent pas, Vaitā avait du mana (Henry, 1968 : p. 16-

17).

Quelque chose qui est tapu est inviolable en raison de son caractère sacré. Il peut

même être interdit de le mentionner. Un lieu tapu ne doit pas être approché. Une personne

tapu, généralement un chef de haut rang, ne doit pas être touchée, et ce qu'elle touche devient

également tapu. Les tombes des ancêtres sont tapu.

Le rāhui est une forme de tapu prononcé par un ari’i ou un tahu’a, et qui jette un

interdit, généralement temporaire, sur l'exploitation d'un certain type de ressources naturelles.

Il peut s’agir, par exemple, d’interdire l’utilisation du bois d’arbres rares pour des raisons très

spécifiques, ou d’interdire la pêche dans une zone, soit pour laisser aux poissons le temps de

se reproduire, soit parce qu’une personne s’y est noyée, rendant ainsi l’endroit tapu.

Le rāhui est une disposition réglementaire traditionnelle destinée à régénérer et à gérer

les ressources alimentaires et économiques. Il existe deux formes de rāhui :

- Le rāhui événementiel décrété par une autorité pour une période déterminée (si elle

est définitive, s’agissant par exemple d’une sanctuarisation, ce serait un tapu). C’est

une forme de tapu scellée par un rituel et rendue publique par une marque visible, une

feuille de bananier ou de cocotier, un poteau, simple ou anthropomorphe, un arbuste

érigé sur terre ou sur un récif, pour délimiter une zone à ne pas franchir, en raison du

tapu placé sur tout ou partie, d’une forêt, d’une rivière, d’une zone maritime ou sur les

ressources alimentaires, dans le but d’en disposer suffisamment au moment souhaité

:fêtes, cérémonies, etc.

Un rāhui est aussi imposé à la mort d’un ari’i, sur tout ou partie d’un district, d’une île

d’un archipel. La marque visible est une pierre dressée, sculptée ou non, une touffe de

cheveux, un poteau, simple ou sculpté, un bout de tissu attaché à un arbre. La fin du

rāhui est soumise à un autre rituel, signal de l’enlèvement des marques.

- Le rāhui cyclique imposé par les rythmes biologiques naturels, gouvernés par les

cycles astraux. C’est une forme de gestion des ressources naturelles, imposée par les

Page 316: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

303

rythmes naturels et gouvernée par l’apparition cyclique de certains astres, à certaines

lunaisons, dont Matari’i (les Pléiades). Son apparition à l’Est (Matari’i i ni’a) au

moment où le soleil se couche, annonce l’interdiction de consommer les crustacés et

certains poissons du lagon (vers la fin du mois de novembre). Cette interdiction est

levée au moment où Matari’i se trouve à l’Ouest (Matari’i i raro) quand le soleil se

couche (vers la fin du mois de mai). En revanche, le rāhui sur les thonidés et les

tortues est établi à Matari’i i raro, et est levé à Matari’i i ni’a (Henry, 1968 : 340 –

342).

Violer un tapu, entraîne un châtiment de l’ordre du surnaturel, une personne ayant

pêché dans un lieu tapu tomberait malade ou mourrait, mais aussi, temporel, infligé par le

ari’i qui punissait de mort celui qui’ la transgressé.

2. Présages, augures, énigmes, songes, prophéties,

Dans cette façon de voir les choses, il ne peut y avoir pour les Tahitiens de séparation

absolue entre sujet et objet, entre observateur et la chose observée, entre âme humaine et

intelligence de la nature. Leur imagination poétique, à l’œuvre dans leur cosmogonie, les met

en relation et en harmonie avec l’univers qui les entoure. Ce rapport intime est à la base de ces

phénomènes culturels que l’on retrouve dans toutes les civilisations, et en particulier à Tahiti,

que sont l’interprétation des oracles et les systèmes de divination.

Selon Ellis, les Tahitiens se livraient à l’examen des entrailles des porcs, sacrifiés selon

un rituel préétabli, pour connaître le plan des dieux et l’avenir. Ces porcs sacrifiés prenaient

pour l’occasion le nom de pua’a tapena « porc-pour-les-offrandes ». Voici comment ils

interprétaient ces signes :

« […] il (le cochon) était éventré, et si les mouvements des entrailles, une fois

sorties, étaient rapides ou saccadés, on considérait le fait comme un gage de

succès. On avait généralement recours à cette manière de consulter le dieu avant

de déclarer la guerre ou voire même au cours des hostilités. Le cochon était alors

baigné dans son propre sang et le prêtre récitait des prières sur son corps puis

l’enveloppait d’une feuille de cocotier sacrée comme un tapa’au, ou un médium

Page 317: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

304

dans lequel le dieu pouvait entrer et manifester sa volonté à la suite de ce

sacrifice. » (Ellis, 1972 I : 232)

Les Tahitiens considéraient les oiseaux comme des messagers des dieux, ils les

appelaient ‘arere, alors que leur nom profane était manu et les vols d’oiseaux comme des

signes divinatoires. Si les augures recherchaient des présages dans le vol des oiseaux, c’est

parce que tout ce qui se passait dans le ciel était considéré comme relevant du divin. Avant

chaque cérémonie religieuse, les tahu’a pure, les « prêtres-prieurs », les appelaient en imitant

leurs cris puis leur confiaient la mission d’aller convoquer les dieux dans leur demeure

céleste, le Pō.

Cette croyance est certainement liée, soit au fait qu’ils pouvaient voler aux limites du

Ra’i-tua-tahi « premier-ciel », soit en raison des migrations d’oiseaux qui annonçaient des

changements de saisons. Les tahu’a guettaient, en effet, leur arrivée pour prédire le passage à

la nouvelle saison. L’arrivée des oiseaux ‘ūpoa512

pour la ponte, à la lunaison de Ta’ao’a vers

le mois d’août annonçait la fin prochaine de la période de pénurie (Henry, 1968 : 341). Il ne

fallait pas rater les cérémonies préparatoires pour marquer la fin de cette période qui

commence, come nous l’avons vu au chapitre précédent, par le « réveil » des ‘arioi le jour de

l’équinoxe, Rāhiti513

. Manquer cette cérémonie pourrait avoir des conséquences néfastes pour

la suite des préparatifs des fêtes du Matahiti514

qui marquait le retour de l’abondance et qui

débute avec le lever héliaque du soir de Matari’i515

, deux mois après le « réveil ».

Dans toutes les sociétés traditionnelles, prophètes et devins interprétaient les présages

pour obtenir les réponses des dieux à des questions posées sur l’avenir. Nous trouvons

également à Tahiti des systèmes de divination issus d’une longue suite d’observations et

d’études des astres. Dans les systèmes astrologiques les plus élaborés, les relations entre les

caractères, le destin et le ciel sont à la fois simples et subtiles, exprimant non pas l’ingérence

de forces extérieures, mais une harmonie complexe et totale.

512‘Upoa : puffin du Pacifique.

513Rā-hiti « cycle-du-soleil » : l’équinoxe (A. Drollet, 1924)

514Mata-hiti « début-du-cycle » : le premier jour de l’apparition des Pléiades.

515Mata-ri’i « Petits-yeux » : l’amas des Pléiades.

Page 318: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

305

Si l’étude des astres était le fait des prophètes et des devins car il fallait bien connaître

les étoiles et les constellations ainsi que leur mouvement, l’étude des formes complexes des

nuages peut relever, non pas d’un champ d’étude réservé à une élite, mais de pronostics

météorologiques pratiqués par tout le monde, pêcheur, agriculteur, charpentier, artisan, ari’i,

tahu’a, guerrier, etc., pour convenir d’une attitude à adopter, comme le note Henry :

« Si les nuages entourant le soleil couchant étaient en spirale, cela présageait désaccord et

disputes dans les réunions […].Un grand nuage isolé au-dessus du soleil couchant

annonçait la mort d’un grand chef. Si le nuage était très rouge, le chef était déjà mort

[…]. Des nuages ramifiés comme des branches entourant le soleil couchant s’appelaient

fā et indiquaient que la guerre allait venir d’où venaient les nuages [...]. Dans un groupe

de nuages, l’un d’eux avait la forme d’une ou de plusieurs lances, la guerre était proche,

et comme la direction du nuage indiquait le côté du vainqueur, sa marche était observée

avec la plus grande attention.» (Henry, 1968 : 233).

Dans toutes les cultures, l’arc-en-ciel, anuanua, apparaît comme un pont entre le

monde des humains et le monde des dieux. Pour les Tahitiens, c’est tantôt un signe favorable,

tantôt, rempli de maléfices :

« Si un arc-en-ciel brisé ou de petites dimensions apparaissait alors que la flotte de guerre

se rassemblait, c’était un signe favorable qui remplissait de courage le cœur des guerriers

[…]. Un arc-en-ciel se formant directement au-dessus d’une personne signifiait qu’il

fallait refuser tout cadeau de poisson multicolore appelé tū-anuanua (arc-en-ciel-debout),

qui serait rempli de maléfices d’un sorcier. » (Henry, 1968 : 233)

Les présages que l’on pouvait lire dans le tonnerre et les éclairs étaient marqués du

sceau de Ta’aroa. Il est intéressant de remarquer que les signes divinatoires n’avaient pas tous

le même statut. Ceux qui apparaissaient dans le ciel étaient considérés comme supérieurs à

ceux qui se produisaient au sol, tout comme les prodiges de Ta’aroa, Tāne et ‘Oro avaient

davantage de force et de signification que ceux d’une divinité liée à la Terre.

Dès lors, on comprend mieux pourquoi l’astrologie a pris le pas, dans la culture

tahitienne, sur toutes les autres formes d’art divinatoire. La connaissance de plus en plus

précise du mouvement cyclique des planètes et des étoiles, qui représentaient les dieux du

ciel, donnait à ses détenteurs l’illusion de maîtriser le destin lui-même. Ils situaient d’ailleurs

Page 319: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

306

sous la Voie-Lactée, le ciel des prophètes de Hiro, te ra’i taura mai a Hiro (Henry, 1968 : p.

365).

3. Astrologie

L’utilisation divinatoire des astres était bien présente à Tahiti comme dans plusieurs

cultures et civilisations : maya, arabe, égyptienne, babylonienne ou chinoise…Toutes ont

laissé un héritage astrologique riche. L’astrologie tahitienne n’a pas fait l’objet de relevés de

la part des missionnaires, sans doute était-elle considérée comme démoniaque.

Dès l’antiquité, l’homme a appris que le mouvement des astres est lié à certains

événements terrestres. Il a découvert l'existence d'une relation entre leur mouvement apparent

et le changement des saisons. Il a ensuite établi un rapport subjectif entre les observations et

leur interprétation. L’idée était que le mouvement des astres était la cause du changement des

saisons, il a donc focalisé son étude sur l'interprétation météorologique et sur la mesure du

temps avant d’élargir son champ d'intervention aux événements humains.

Il a ainsi établi une relation entre les astres et les affaires du monde terrestre, c’est ce

qui a donné naissance à l’astrologie.

Selon l’astronome Makemson516

, un rôle important était attribué aux astrologues en

Polynésie :

La fonction de l’astrologue polynésien semble avoir été triple: premièrement, il doit lire

dans le ciel et annoncer à la population les bonnes périodes pour la préparation du sol,

pour planter et pour récolter. D’autre part, il doit prédire si la saison à venir sera fertile et

516 MAKEMSON, M., 1941. The Morning Star Rises, p. 116 : « The function of the Polynesian astrologer

appears to have been threefold : first, he must read in the sky and make known to the populace the correct times

for preparing the soil, planting and harvesting crops, and various types of hunting and fishing ; second, he must

foretell whether the approaching season will be productive of abundant food and make suitable offering to

propriate the celestial beings if omens are unfavorable ; and finally, he must predict the outcome of battles,

expeditions, and other important undertakings from his nightly survey of the stars, planets, and atmospheric

phenomena. »

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307

si la nourriture sera abondante, et faire les offrandes convenables, aux créatures célestes

appropriées, si les présages sont défavorables, et enfin, il doit prévoir l’issue des batailles,

des expéditions et des entreprises importantes, à partir de ses études nocturnes des étoiles

et des planètes et des phénomènes atmosphériques.

Au XVIIIe siècle, les Tahitiens voyaient les pronostics astrologiques comme un

prolongement des présages atmosphériques :

« Lorsque Vénus et Jupiter apparaissent ensemble, au coucher de soleil, plusieurs

fois de suite, cela signifie que deux chefs conspirent l'un contre l'autre [...].

Lorsque les cornes du croissant lunaire étaient tournées vers le haut, cela signifie

que deux tribus hostiles vont envahir le pays [...]. Une éclipse de soleil ou de lune

était attribuée à la colère du dieu Ra’a-mau-riri « Sainteté-qui-tient-la-colère »

[…]. Une comète était un dieu indiquant guerre et maladie, un météore était un

méchant esprit qui rôdait. » (Henry, 1968 : 234)

Selon Ellis517

, « durant une éclipse de lune, on disait qu’elle était natua, mordue,

pincée, aussi bien qu’engloutie ». Les éclipses étaient considérées comme une manifestation

de la mauvaise humeur des dieux. Les gens se précipitaient sur les marae pour faire des

prières et des offrandes pour les calmer.

Les prêtres-astrologues tahitiens étaient simplement des spécialistes en astronomie, des

tahu’a, connaissant admirablement le mouvement des planètes et l’enchaînement des phases

lunaires dont avaient besoin les pêcheurs et les agriculteurs, pour connaître le succès dans leur

travail.

En ce qui concerne le soleil et les planètes, les sources attestent que ce sont tous des

divinités :

Soleil – Rā: Contrairement à plusieurs cultures, cet astre n’était pas vénéré à Tahiti.

Cependant, il est représentatif de la déesse Atea. Celle-ci changera de sexe par la suite et

deviendra un dieu. Or, Atea est la divinité la plus sacrée du Panthéon tahitien, elle est

517 Ellis, 1972 : tome II, p. 569.

Page 321: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

308

tellement sacrée que nul autre dieu ne peut poser son regard sur elle sans mourir, comme

nul être humain ne peut regarder Rā le soleil sans être aveuglé. Rā et Atea sont donc

intimement liés, le premier est l’astre proprement dit, le second, sa représentation divine

et mythologique.

Lune – Marama : Elle n’est pas vénérée selon Ellis. Certains disaient qu’elle était

l’épouse du soleil. C’est un pays merveilleux dans lequel poussait le ‘āoa le « banyan »

dont l’écorce était utilisée par la déesse Hina pour faire son tapa. Certains soirs, si on

tendait bien l’oreille, on l’entendait même battre son tissu. Lorsque les cornes du

croissant de la lune étaient tournées vers le haut, cela signifiait que deux tribus hostiles

allaient envahir le pays (T. Henry, 1968 : 233). Elle est la fille du dieu Rua-tupu-a-nui, le

père des étoiles, et de Atea-ta’o-nui, la déesse du ciel.

Venus – Ta’urua-horo-ahiahi 518

(quand la planète est visible le soir) et Ta’urua-horo-

po’ipo’i519

(quand elle apparaît le matin) : Elle constitue l’œil droit d’Atea, quand elle se

couche le soir. Contrairement aux mythes méditerranéens, cet astre est de sexe mâle à

Tahiti. Il est le fils de Fa’a-nui, la constellation du Chariot et de l’étoile Tahi-ari’i, la

Chèvre, située dans la constellation du Cocher.

Jupiter - Ta’urua-horo-ahiahi (le soir) et Ta’urua-horo-po’ipo’i (le matin). Lorsque

Venus et Jupiter apparaissaient plusieurs fois de suite au coucher de soleil, cela signifiait

que deux chefs conspiraient l’un contre l’autre. Il est le fils de l’étoile Ta’urua-feufeu,

Alphard dans l’Hydre.

Mercure – Ta’ero520

: Cette planète constitue l’œil gauche d’Atea quand elle se couche

le soir. Elle est tellement proche du soleil, qu’elle porte également le nom de Mata-piri-i-

te-rā « œil-collé-au-soleil ».

518Ta’urua-horo-ahiahi : « festivités-qui-se-déplacent-le-soir ».

519Ta’urua-horo-po’ipo’i : « festivités-qui-se-déplacent-le-matin ».

520Henry traduit Ta’ero par « Ivre ». Mais nous avons vu au chapitre IV.3.a, qu’il faut plutôt traduire par

« disparaissant ».

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309

Mars – Maunu’ura521

: Cette planète figure en bonne place dans tous les mythes du

monde. A Tahiti, son rôle demeure, paradoxalement, insignifiant. Il est simplement le fils

de Venus et de la constellation du Capricorne, Rua-o-mere.

4. Une astrologie basée sur les phases lunaires

L’astrologie est une croyance selon laquelle les phénomènes célestes peuvent fournir

des informations permettant d’analyser ou de prédire des événements. Le principe de

l’astrologie occidentale est basé sur la prédiction ou les prévisions pour une période donnée

en accord avec la date de naissance de chacun. Celui-ci se retrouve alors dans une catégorie,

son signe zodiacal522, qui s’appuie sur la position des planètes et du soleil au milieu des

étoiles et des constellations en des périodes précises de l’année. Cette méthode est un héritage

légué par les Babyloniens au monde occidental.

L’astrologie chinoise est une étude caractérologique en même temps qu’une

détermination de la destinée, basée certes, sur les astres et les constellations, mais qui

combine les données astrales de la naissance avec les cinq éléments de la nature, le bois, le

feu, la terre, le métal et l’eau.

Ces deux méthodes n’étaient pas celles de l’astrologie tahitienne. Celle-ci repose sur

une interprétation des phases de la lune qui agissent sur les éléments de la nature et qui

déterminent le caractère des individus.

Chaque nuit était soumise à l’influence d’un ou de plusieurs dieux qui naquirent cette

nuit-là. Celui qui naissait ce jour là, subissait l’influence de ces divinités et acquérait leurs

caractères. Les Tahitiens disposaient de trente phases lunaires, les dieux influençaient le

destin du monde pour dix-sept de ces nuits.

521Maunu-‘ura « Rougeur-qui-disparaît » : Mars

522 Signe zodiacal : Taureau, Gémeaux, Cancer, Lion, Vierge, Balance, Scorpion, Sagittaire, Capricorne,

Verseau, Poissons.

Page 323: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

310

Nous avons recensé ci-dessous les commentaires sur ces nuits faits par Henry523

(TH),

par l’Imprimerie officielle dans le calendrier qu’elle édite chaque année (IO), par Tati

Salmon524

(TS) et par Mape Teihota’ata525

(MT). Nous suivons l’ordre des nuits à partir de la

première lune :

TĪREO (1ère

nuit) :

- Nouvelle lune. (IO)

- Une nuit pour créer les dieux. Hirivari, le dieu du développement et Ta’ivarua,

le dieu de paix naquirent. Tama-teina, dieu de la chirurgie, et Punua-moe-vai,

dieu des averses lors des cérémonies irrégulièrement conduites, naquirent.

Naissance de Pōti’i-tarire, déesse du sorcier et Tōtoro-pota’a, dieu de la

coiffure. (TH)

HIROHITI (2ème

nuit) :

- Aucune divinité n’est née ce soir-là. Il est sans influence sur les êtres humains.

HOATA (3ème

nuit) :

- Le dieu Hoa-tapu, le fils de ‘Oro, naquit. Naissance de Atoro-i-ra’i, dieu du

travail, de Tumu-‘oteoteo, dieu du printemps, Taha-uru, dieu des côtes

maritimes, Mata-tini, dieu des faiseurs de filets et des pêcheurs. (TH)

- La lune souriante se montre mieux. (IO)

MUA-HAMIAMA (4ème

nuit) :

- La lune grandit. (IO)

- Ta’aroa créa le dieu Tipa, le dieu des guérisseurs. (TH)

- Ce jour serait donc favorable à la guérison.

ROTO-HAMIAMA (5ème

nuit) :

523Henry, 1968 : p. 386 – 39.

524 Le calendrier de Tati Salmon a été publié dans « Le ciel de Tahiti » de Maurice Graindorge, 2007, Haere Po.

525 Le calendrier de Mape Teihota’a est publié chaque année par l’association Ia Ora Te Natura et la société Les

Jus De Fruits De Moorea.

Page 324: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

311

- La lune grandit par le dedans. (IO)

- Naissance de Temeharo, le dieu de la strangulation (TH).

- Malheur pour celui qui viendra au monde cette nuit-là.

FA’AOTI-HAMIAMA (6ème

nuit) :

- Les deux cornes de la lune sont au diamètre. (IO)

- Naissance de Te-fatu-tiri, le dieu du tonnerre et des éclairs. (TH)

‘ORE’ORE MUA (7ème

nuit)

- Aucune divinité n’est née ce soir-là. Il est sans influence sur les êtres humains.

‘ORE’ORE MURI (8ème

nuit)

- Aucune divinité n’est née ce soir-là. Il est sans influence sur les êtres humains.

TAMATEA (9ème

nuit)

- Aucune divinité n’est née ce soir-là. Il est sans influence sur les êtres humains.

HUNA (10ème

nuit)

- Aucune divinité n’est née ce soir-là. Il est sans influence sur les êtres humains.

RAPU (11ème

nuit)

- Aucune divinité n’est née ce soir-là. Il est sans influence sur les êtres humains.

MAHARU (12ème

nuit)

- Aucune divinité n’est née ce soir-là. Il est sans influence sur les êtres humains.

'OHUA (13ème

nuit) :

- La déesse To’imata naquit, puis Vave’a qui transformait les vagues en brisants,

Vero-hū-i-te-ra’i, producteur d’orage, et Tohu qui peignait les poissons.

Mahuni’a « Nuage de Magellan » donna naissance à To’ahiti-mata-nui,

protecteur des vallées et des navigateurs (TH).

- Celui qui naît ce jour-là sera un courageux en même temps qu’un virtuose.

MAITŪ (14ème

nuit) :

Page 325: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

312

- Pleine lune. (IO)

- Le dieu ‘Aitupua’i naquit, puis Rua-puna, un dieu de l’Océan, puis Fa’atupu,

Moe-hau et Fa’a-ipo, des dieux lares. (TH)

- Celui qui naît ce soir-là saura veiller sur son foyer.

HOTU (15ème

nuit) :

- Le dieu Mahu-fatu-rau naquit. Naissance de Vahine-mau-ni’a qui soutenait

toute chose sur terre, de Vahine-mau-raro qui maintenait tout ce qui poussait,

de Vahine-reureu-‘amo’a qui faisait des jupes en fougères, de Vahine-mau-i-

te-pae-fenua qui protégeait les terrains en bord de mer, et de ‘Ura-taetae,

déesse de la musique, de la danse, des divertissements et des enchantements

(TH).

- Celui qui naît ce jour-là saura apprécier les jouissances de la vie.

- Les enfants qui naissent à ce moment ont de grands yeux.

- De beaux enfants sont conçus cette nuit-là. Quiconque naît ce jour-là sera

prospère, affectueux et aimé de tous.

MARA’I (16ème

nuit)

- Aucune divinité n’est née ce soir-là. Il est sans influence sur les êtres humains.

TURU (17ème

nuit)

- Aucune divinité n’est née ce soir-là. Il est sans influence sur les êtres humains.

MUA-RĀ’AU (18ème

nuit) :

- Matahi, un dieu avec un seul œil, et Ta-muri, un dieu qui suivait les hommes

pour les protéger, naquirent. Tuete, le dieu de la licence, Ta’i-iti-te-araara, dieu

des guerriers sur mer, Matua, dieu des vigoureux, naquirent également. Les

fantômes se promènent cette nuit-là (TH). La nuit est courte. Les revenants

rôdent. (IO)

- Les tūpapa’u et les heva rôdent pendant cette nuit. Il ne faut donc pas sortir

pendant la nuit. (TS)

- Un homme né ce jour-là sera un guerrier combatif mais clément.

ROTO-RĀ’AU (19ème

nuit) :

Page 326: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

313

- Aucune divinité n’est née ce soir-là. Il est sans influence sur les êtres humains.

- Les tūpapa’u et les heva rôdent pendant cette nuit. Il ne faut donc pas sortir

pendant la nuit. (TS)

FA’AOTI-RĀ’AU (20ème

nuit) :

- Naissance du dieu Te-hei-‘ura, il habite le halo qui entoure le soleil et la lune.

- Les esprits rôdent cette nuit-là. (TH)

- Les tūpapa’u et les heva rôdent pendant cette nuit. Il ne faut donc pas sortir

pendant la nuit. (TS)

FA’AOTI-‘ORE’ORE (23ème

nuit) :

- Naissance de Heima, dieu de l’hiver. (TH)

MUA-TA’AROA/ TA’AROA-TAHI (24ème

nuit) :

- Les prières, cette nuit-là, sont adressées au dieu Ta’aroa (MT).

- ‘Oro, dieu de l’Air et de la Terre, fils de Ta’aroa, naquit cette nuit-là. C’est le

dieu des sacrifices humains et des ‘arioi. Naissance de Maunu-te-a’a, dieu de

la destruction des plantes (TH).

- C’est une nuit divine et sacrée (IO).

- Le dieu Ta’aroa reste éveillé cette nuit-là (TS).

- Le destin de celui qui naîtra cette nuit-là sera marqué par la destruction.

ROTO-TA’AROA (25ème

nuit) :

- Les prières, cette nuit-là, sont adressées au dieu Ta’aroa (MT).

- Papa-ra’i, dieu des récoltes, Tumu-horo-rire, dieu de l’automne, Rua-i-te-

fa’atoa, dieu de la force et des combats de coq, naquirent (TH). Un homme qui

naît ce jour-là sera donc fort et verra son travail récompensé, il sera favorisé et

prospère, il aura cependant à affronter des adversaires.

- Les gens auront une pensée spéciale pour le dieu Ta’aroa (IO).

FA’AOTI-TA’AROA (26ème

nuit) :

- Les prières, cette nuit-là, sont adressées au dieu Ta’aroa (MT).

- Naissance de Tautu, le dieu de la cuisson des aliments à la maison et au

combat (TH). Ceux qui naîtront cette nuit-là feront de bons cuisiniers.

Page 327: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

314

- La pensée des gens se détourneront de Ta’aroa (IO).

TĀNE (27ème

nuit) :

- Les prières, cette nuit-là, sont adressées au dieu Tāne (MT).

- Naissance de Mau’u, le dieu dont la présence est signalée par un bruit sourd, et

de Ito, le dieu qui surveillait la terre pendant la période sans lune. C’est la

dernière fois où la lune est visible. (TH)

- Cette nuit est fructueuse en beaucoup de choses, en particulier pour concevoir

des enfants. (IO)

- C’est une nuit propice au jeu de l’amour puisqu’il est recommandé que les

hommes et les femmes s’enlacent. (TS)

RO’O-NUI (28ème

nuit) :

- Nuit sans lune.

- Les prières, cette nuit-là, sont adressées au dieu Ro’o. (MT)

- Naissance de O’a-hī-vari, le dieu des fondrières. (TH)

- Les phases sont interrompues, lorsque la lune réapparaîtra deux jours après, ce

sera la nuit de Tīreo. (IO)

RO’O MAURI (29ème

nuit) :

- Nuit sans lune.

- L’esprit de Ro’o (mauri) est parti (MT).

- Naissance des divinités simples d’esprit : de Ti’ipa dieu de la stérilité chez les

femmes sans enfant ou n’en ayant qu’un, de Mo’ouri le lézard noir qui se

montrait le long de l’horizon et de Teohiumaeva (TH).

- Les femmes qui naissent ce jour-là seront stériles.

MOTU ou MUTU (30ème

nuit) :

- Nuit sans lune.

- Le temps est rompu (MT).

- Naissance des dieux de deuil : Ta-iti, Tara-pa’a, Tāne-te-hoe, Te-fa’anaunau,

Pautu-roa et ‘Oviri-moe-’aihere. Puis Tū-tahoroa naquit, dieu qui gardait les

deux chemins de Rohutu-no’ano’a, puis Ro-ma-tāne, gardien du Paradis (TH).

Page 328: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

315

Le calendrier lunaire tahitien attribue pratiquement à chaque lunaison une influence

astrologique, influence très proche de celle de l’« horoscope », du moins en ce qui concerne

les naissances. Il est regrettable que dans les calendriers qui sont parvenus jusqu’à nous, les

questions relatives à l’astrologie tahitienne n’aient pas été suffisamment prises en compte.

Sans doute faut-il l’attribuer aux missionnaires qui craignaient un retour de la superstition.

Lorsqu’ils se mirent à faire des relevés plus ethnographiques, l’astrologie, comme

l’astronomie, n’avait déjà plus court au quotidien. Seul le calendrier des phases lunaires a

survécu de l’oubli, parce que les Tahitiens ne pouvaient pas s’en passer pour la pêche et

l’agriculture.

Page 329: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...
Page 330: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

317

CHAPITRE IX : HYPOTHESE SUR LA

DECOUVERTE DES ÎLES

CONCLUSION : HYPOTHESE SUR LA DECOUVERTE DES ÎLES

1. Voyages et peuplement des îles

Dans les chapitres précédents, grâce au décryptage des mythes cosmogoniques, aux

récits des explorateurs, aux témoignages des tahu’a et des fa’atere et aux définitions

contenues dans les dictionnaires polynésiens du XIXe siècle, nous avons tenté d’expliquer les

méthodes tahitiennes de navigation aux étoiles. Puis, en récapitulant les études et les

expériences réalisées par David Lewis, Ben Finney, Will Kyselka, Nainoa Thomson, etc.,

nous avons vu comment, en passant de la méthode astronomique à celle avec les éléments

naturels, les Polynésiens sont parvenus à affiner leur navigation pour mieux cerner leur

objectif.

Au-delà de leur ingénieux système basé sur les concepts des rua, les « chemins

d’étoiles », et des pou, les « piliers célestes », précieusement mémorisés dans les chants

mythologiques, il importe maintenant de savoir ce qui pu conduire les Polynésiens à explorer,

d’une manière systématique, le moindre recoin de l’océan Pacifique. Ils le quadrillèrent en

effet systématiquement, au point de ne laisser échapper à leur curiosité aucun affleurement

rocheux ou sablonneux, depuis l’île de Norfolk526

à l’Ouest, près de l’Australie, jusqu’à l’île

de Sala y Gomez527

à l’Est entre l’île de Pâques et le Chili ; depuis l’île Necker528

au Nord-

Ouest de l’île de Kaua’i, jusqu’à l’île Campbell529

, au Sud de la Nouvelle-Zélande, aux

confins de l’Antarctique.

526ANDERSON, A., & WHITE, P., 2006. « Prehistoric Settlement on Norfolk Island and its Oceanic Context »,

527IRWIN, G., 1996 [1992]. The Prehistoric Exploration and Colonization of the Pacific, p.178

528BELWOOD, P., 1978. Man’s conquest of the Pacific, p. 356.

529TE ARA ENCYCLOPEDIA OF NEW ZEALAND. Early human settlement – Subantarctic islands.

Page 331: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

318

Jusqu’à présent, nous nous sommes attachés à élucider la méthode tahitienne de

navigation astronomique. Nous avons vu que les Tahitiens ne prenaient pas la mer sans avoir

prudemment et au préalable pris des repères, la position de l’île de départ, de l’île-cible, du

tracé entre les deux points pour pouvoir rebrousser chemin le cas échéant. Leur maîtrise de la

méthode s’inscrit à l’intérieur d’un réseau de communications déjà connu et déjà exploré. La

question qui se pose maintenant est, comment ont-ils fait pour trouver des terres dont ils

ignoraient l’existence ? Allaient-ils, au gré des vents et des courants, en bourlinguant de-ci de-

là sur l’océan et lorsqu’ils tombaient sur une île, celle-ci devenait leur prison comme l’a

supputé Andrew Sharp530

. Dans ces conditions, les pertes devaient être phénoménales et

chaque traversée était un exploit impossible à reproduire. Ou alors, s’engageaient-ils sur

l’océan en ayant eu en main tous les atouts nécessaires et en sachant, à tout moment, qu’ils

pouvaient sans risque revenir à leur point de départ ?

Dans les récits des voyages légendaires de Rū et de sa sœur Hina, de Rata, de Tafa’i et

de Hiro, nous remarquons que les navigateurs polynésiens étaient certes animés du courage

des héros, car ils partaient accomplir des exploits et affronter des monstres, mais ils prenaient

soin, avant de s’engager, d’accomplir avec prudence les cérémonies et les rituels requis, faute

de quoi, c’était l’échec assuré. Nous pouvons donc envisager qu’ils agissaient comme leurs

héros, et qu’ils mettaient un soin particulier à préparer leurs voyages en accomplissant mêmes

Rituels que dans leurs récits.

Mais quelles furent leurs motivations, pendant plusieurs centaines d’années, voire

deux millénaires et sans relâche, pour qu’ils quittent ainsi leur île et aller s’installer ailleurs ?

2. Les voyages programmés

Il est intéressant de noter que les voyages « commerciaux » programmés, entre Tahiti

et les îles Tuamotu, sont tout aussi nombreux que ceux entre Tahiti et les îles Sous-le-vent.

Comme le note Morrison531

, « Grâce à ces voyages, les objets de fer distribués à Tahiti sont

répartis dans les îles qu’ils connaissent ; en échange, ils reçoivent des perles, des nacres, etc.

530SHARP, A., 1956. Ancient Voyagers in the Pacific.

531 MORRISON, J., 1981. Journal de James Morrison.

Page 332: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

319

Certaines îles dans lesquelles ils se rendent sont éloignées de plus de 300 milles (550 km) »

(1981 : 166). Une telle distance aurait conduit les Tahitiens au centre de l’archipel des

Tuamotu ou à l’île de Rurutu, au Nord des îles Australes. Sans compter que les Pa’umotu

effectuaient le même trajet, en sens inverse, en faisant escale à Meheti’a, relate Morrison dans

son journal. Ce fut sans doute une pirogue de Rurutu, que le capitaine Cook croisa à Mo’orea,

dans la baie d’Opunohu en 1777. Le dessin qui a été réalisé montre en effet qu’elle était d’un

modèle différent de celle des îles de la Société et qu’elle ressemble aux pirogues des îles

Australes.

Morrison apporte également des précisions à propos de ces voyages : « ils vont

souvent d’île en île dans ces pirogues, en groupe de 10 ou 12 voiles » (1981 : 166). Le

volume des échanges paraît donc relativement important. Si par exemple chaque pirogue

embarquait 200 kg de marchandise, le poids de deux personnes, ce qui était nettement au-

dessous de ce que peut embarquer un va’a tipaerua (ou va’a taurua), une pirogue double

destinée au cabotage, ou un pahi, une embarcation plus grande, cela représente plus de deux

tonnes de produits qui circulaient entre les archipels. Ce qui n’est nullement étonnant, puisque

Morrison précise qu’ils embarquaient, « outre les perles et les nacres, des petits sièges, des

repose-têtes, des plateaux en tamanu (Calophyllum inophyllum), ainsi que des plats du même

bois, des nattes, des tissus, de l’huile, des cochons, etc. » (1981 : 166)

Au retour, elles n’étaient pas moins chargées, car elles devaient embarquer des outils

en pierre, nécessaires dans les îles coralliennes dépourvues de basalte.

La flotte de « commerce » de l’ari’i Tū, stationnée à Teti’aroa, chargée de le ravitailler

en poisson, et qui faisait régulièrement la navette entre les deux îles, comportait 40 pirogues

(Morrison, 1981 : 166). Il n’y avait pas que les « commerçants » qui circulaient d’île en île, il

y avait également des passagers, comme l’ont relaté les premiers explorateurs Européens qui

ont croisé à Tahiti des gens originaires de Ra’iatea, dont le tahu’a Tuapaia et Ahutoru, l’ami

de Bougainville, les originaires de Mataiva, rencontrés par Rodriguez à la Presqu’île, ou

Puhoro, le pilote d’Andia y Varela, originaire de Makatea.

Plus impressionnants encore sont les voyages des groupes d’artistes. « Les arioi532

se

déplaçaient d’une île à l’autre avec des flottilles de pirogues aussi somptueuses que celles de

532Arioi : « secte de comédiens…C’étaient des lettrés et des acteurs de grand talent choisis dans toutes les classes

et tenus en haute estime par tous ». (Henry, 1968 : 237)

Page 333: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

320

la royauté. On aura une idée de l’ampleur de ces expéditions dans la description, par le

capitaine Cook, d’une flottille de soixante-dix pirogues, remplies d’arioi partant de Huahine

[…] » (Henry, 1968 : 237). Les arioi se déplaçaient entre toutes les îles de l’archipel de la

Société et les archipels avoisinantes (Henry, 1968 : 237). Si chaque pirogue embarquait une

dizaine de passagers, ce qui est relativement peu, ce serait 700 artistes qui se baladaient d’île

en île.

Il arrivait que les pirogues chavirent durant les traversées. Morrison évoque le cas « de

quelques-uns qui, ont été démâtés. Ils sont restés 9, 12 et même 15 jours en mer avec

d’infimes provisions et sans eau, car pour toutes provisions, ils prennent seulement quelques

noix de coco et un ou deux ‘uru (fruit de l’arbre à pain) pour la durée de leur pêche, comptant

sur la providence pour leur fournir du poisson » (Morrison, 1981 : 170).

Ils ont dérivé jusqu’à Huahine ou Ra’iatea. Nous avons vu également le cas des trois

Tahitiens rencontrés par Cook et Ma’i (Omai) aux îles Cook. Ils avaient été pris dans une

tempête lors d’une traversée entre Ra’iatea et Tahiti, et ont dérivé jusqu’à Aitutaki. Leur

dérive a duré deux mois.

Ces exemples nous montrent que les Tahitiens ne craignaient pas la dérive, car ils

arrivaient à reconstruire une embarcation de secours avec les débris de la première. S’ils

démâtaient, ils pagayaient. S’ils n’avaient plus de nourriture, ils pêchaient. En outre, le

manque d’eau ne semblait pas leur poser un problème.

3. Les voyages d’exploration

Pour un voyage d’exploration, la difficulté est toute autre car la cible n’est pas connue

d’avance. Le risque est plus grand, il faut donc le minimiser. L’utilisation de grandes flottes

est exclue. Il faut donc des pirogues plus petites mais rapides.

Toutes les hypothèses possibles ont été avancées pour expliquer pourquoi les

Polynésiens ont colonisé des îles très éloignées, situées au-delà de l’horizon, et non visibles

depuis chez eux. De l’Indonésie, jusqu’au Sud des îles Salomon, il était logique que la

curiosité ait conduit les Austronésiens puis les premiers Océaniens, à aller explorer une terre

qu’ils aperçoivent depuis les collines au-dessus de chez eux. Mais au-delà des îles Santa-Cruz,

les distances ne permettent plus de voir des terres, même en grimpant sur les plus hautes

Page 334: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

321

montagnes. Il faut donc se rendre à l’horizon, tout en veillant à ne pas perdre de vue son île,

ou alors, acquérir une maîtrise plus grande de la navigation. Pour cela, il faut une motivation.

Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer les départs : le surpeuplement, le

manque de ressources des petites îles, la famine, les guerres claniques, les conquêtes

guerrières, les révoltes, les transgressions de tabou ou de rituels, les bannissements, les

maladies, les catastrophes naturelles comme les tsunamis, les éruptions volcaniques, les

cyclones, les tremblements de terre, la montée des eaux, la désertification, etc.

Tout cela fut sans doute réel par intermittences à des moments précis. Mais comment

explique des fuites régulières vers des terres inconnues dont l’existence n’est pas prouvée ?

Pourquoi ne se réfugiaient-ils pas dans des îles connues d’eux, où leurs ascendants sont déjà

passés ? Le risque aurait été moindre.

Il n’est certes pas exclu que des migrations aient pu être causées par des événements

de cette nature. Nous avons connaissance dans l’histoire récente, de réfugiés fuyant leur île

pour aller s’installer ailleurs avec toute leur famille. Nous avons le cas des ancêtres des

polynésiens d’Ouvéa (îles Loyauté), de Langiua, de Rennell et Bellona, ou de Tikopia (îles

Salomon), etc. qui ont dû quitter leur pays pour aller s’établir de gré ou de force dans ces îles

déjà habitées. Mais cela n’a jamais suscité des grands mouvements migratoires de retour vers

l’Ouest qui s’étendent sur une période deux millénaires. S’ils ont eu lieu, ce fut d’une manière

ponctuelle et cela n’impliquait que peu de gens comme le souligne Jean Guiart533

: « Tout le

monde se plaît à affirmer l’existence de migrations successives dans le Pacifique Sud. Il s’agit

là d’hypothèses que rien ne vient confirmer, du moins si l’on pose au départ qu’il se soit agi

de migrations de masse (exemple : la célèbre flotte de pirogues, the fleet, qui aurait quitté

Tahiti et Ra’iatea pour peupler la Nouvelle-Zélande) ».

D’autres raisons, plus sérieuses ont été proposées par Belwood, cité par Pawley534

:

1. le surpeuplement dû à la croissance continue de la population, en raison d’une

offre de produits agricoles en constante augmentation, qui permet, de

533 GUIART, J., 2002. Découverte de l’Océanie, II : Connaissance des hommes, p. 229.

534 PAWLEY, A., 2007. « Why do Polynesian island groups have one language and Melanesian island groups

have many ? Patterns of interaction and diversification in the Austronesian colonization of Remote Oceania »,

p. 12

Page 335: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

322

génération en génération, l’établissement de nouvelles familles sur de

nouvelles terres.

2. Une facilité de transport, inhérente à l’économie agricole même, qui permet sa

propagation rapide sur de longues distances.

3. La présence de pays « vierges » dans l’environnement, vides de population, ou

faiblement peuplés.

4. Une disposition pour les voyages et pour l’exploration rapide le long des côtes,

probablement pour trouver des terrains plus favorables pour l’agriculture et des

lieux de pêche abrités. Elle encouragea un modèle de colonisation à grande

échelle, pendant plusieurs siècles, pour occuper des territoires.

5. Le développement de la construction navale et de la navigation à voile. Pour

coloniser une si grande surface rapidement, cela requérait des embarcations

sophistiquées et une habilité en navigation.

6. Une exigence culturelle qui pousse à fonder de nouvelles colonies, dans le but

de devenir un ancêtre vénéré (ou même déifié), dans les généalogies des

générations futures.

7. Le désir de trouver de nouvelles sources de matières premières pour les

réseaux d'échanges de marchandises prestigieuses.

Toutes les hypothèses proposées par Belwood sont valables mais non déterminantes à

notre avis. L’une d’elles cependant, celle qu’il a effleurée au point 6, nous paraît pertinente,

c’est celle du départ systématique pour fonder des colonies. Celui qui en est le leader devient

le chef et deviendra un jour l’ancêtre vénéré. Il s’agit d’une hypothèse de travail que feu le

professeur Darrell Tryon nous soumit en cours de master à l’Université de la Polynésie

Française sur la base d’une hypothèse linguistique basée sur les travaux de reconstruction du

lexique proto-austronésien.

Le terme qui désigne « chef » en proto-polynésien est PPN *qariki, « le mâle le plus

âgé, le chef d’un groupe social, probablement celui du kai-nanga (devenu mata-‘eina’a, en

tahitien) » (Kirch, Green, 2001 : 231). Ce qui a donné le terme ari’i en tahitien, ali’i en

hawaiien et en samoan, ‘eiki en tongien, haka’iki en marquisien, aliki ou ariki dans les autres

langues polynésiennes, etc.

Page 336: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

323

Le PPN *qariki dérive d’un étymon proto-océanien, POC *qa-diki qui signifie « le fils

premier-né d’un chef », alors que pour désigner « chef », un autre terme est utilisé, le POC

*qa-lapas (Kirch, Green, 2001 : 226).

De ce constat, nous pouvons en tirer une conclusion, à l’étape POC de l’arbre

généalogique des langues austronésiennes, les sociétés océaniennes employaient *qalapas

pour « chef », et *qadiki pour « premier-né du chef ». Or, à partir du POC, l’arbre

généalogique va se scinder en plusieurs branches, les rameaux sédentaires conserveront à leur

tête le *qalapas, alors que les rameaux migrateurs, dont la branche polynésienne, auront, à sa

place, un *qadiki.

Cette évolution au niveau linguistique implique-t-elle une changement de la structure

de la société ? Si cela se vérifie, cela constitue une véritable révolution culturelle, car elle

signifie que le fils aîné du chef, le *qadiki, s’est substitué au père, le *qalapas, chez les

rameaux migrateurs. Ceux qui vont choisir pour chef le *qadiki, sont ceux qui ont pris le

chemin du centre du Pacifique et qui ont donné naissance à un nouveau rameau culturo-

linguistique, le Pacifique Central (voir la figure n° 4, p. 28). Ce groupe comporte les langues

fidjiennes, occidentales et orientales, le rotumien et les langues polynésiennes. Leurs frères

restés à l’Ouest ont conservé le *qalapas à leur tête.

Ce fait linguistique conduit à l’hypothèse suivante, si le fils premier-né est, pour une

raison ou pour une autre, tenu de construire une nouvelle existence, ailleurs, hors du périmètre

du père, il existerait alors un motif sérieux pour qu’il y ait eu des départs réguliers et

organisés sur plusieurs générations et sur plusieurs milliers d’années. Cela suppose, pour ceux

qui partent, de se préparer à cette éventualité, c’est-à-dire, d’anticiper en allant à la recherche

d’un lieu d’accueil, si possible vierge, de construire des embarcations appropriées et le

moment venu, d’embarquer tout ce qui est nécessaire, ustensiles, nourriture, outils, plantes,

animaux, etc., afin de disposer de tous les atouts nécessaires pour bâtir une nouvelle société.

Une fois installé dans leur nouvelle patrie, la vie reprendra comme elle était sur la terre

d’origine, dont le souvenir s’estompera peu à peu, et qui deviendra le pays mythique

d’origine, celui des ancêtres qui finiront par être divinisés. Au bout de quelques années, la

famille du *qadiki sera une communauté hiérarchisée dont il sera le *qalapas. Se posera alors,

à nouveau, la question du fils aîné suivant, qui doit chercher, à son tour, une terre d’accueil.

Le terme *qadiki voyagera donc très loin. Devenu phonologiquement, ɂariki, en Polynésie, il

finira par se substituer au terme *qalapas, qui disparaîtra. A Tahiti, le fils aîné de l’ari’i (PPN

*ɂariki), va devenir le mata-hiapo, il hérite des droits du père, à sa maturité, et non à sa

Page 337: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

324

naissance comme il a été relaté, après une cérémonie de consécration (Henry, 1968 : 193). Le

père laissera la place au fils. Les Tahitiens régleront par cette façon l’épineux problème de la

cohabitation. Bien leur en a pris, car, au-delà des Tuamotu, il n’y a plus de terres à coloniser,

avant l’Amérique.

Nous sommes donc loin des départs précipités, de personnes sous-alimentées ou

terrorisées, cherchant une terre fertile ou fuyant un chef tyrannique. Ce n’est pas ainsi que le

peuplement du Pacifique aurait pu se faire, même si, ponctuellement, des événements de ce

type se sont produits. Il n’est cependant pas réaliste de penser que des marins expérimentés,

comme les Polynésiens, qui connaissent bien la mer, aient pu sillonner l’Océan Pacifique

pendant des milliers d’années sur des milliers de kilomètres, et coloniser toutes les îles, dans

la fuite et la précipitation.

Mais peu importe les raisons de ces départs, notre problématique est de découvrir

comment ce sont fait les voyages d’exploration. Est-ce d’une manière hasardeuse comme l’a

prétendu A. Sharp (1956) ou est-ce d’une manière intentionnelle comme le pense la majorité

des spécialistes ?

Pour Peter Belwood535

, « les principaux problèmes surgissent quand nous nous

demandons comment les Polynésiens colonisèrent les îles perdues dans des eaux inconnues,

durant les premières années de leur expansion ». En excluant d’emblée la théorie de la dérive

suggérée par Andrew Sharp, qui n’a guère survécu face aux expériences menées par la

Polynesian Voyaging Society et Hokule’a, plusieurs pistes s’imposent à nous. Ce qui est

incontestable, souligne l’archéologue Patrick V. Kirch536

, c’est que la colonisation s’est faite

d’Ouest en Est537

: « Le cadre général en terme de temps et d’espace, concernant la dispersion

des Polynésiens, depuis le foyer situé aux Fidji et en Polynésie occidentale, est relativement

bien établi, grâce aux fouilles stratigraphiques réalisées durant trois décennies ». De ce fait, la

théorie controversée du peuplement d’Est en Ouest de Thor Heyerdahl538

est définitivement

rejetée. Les dates d’occupation humaines les plus anciennes se trouvent aux Fidji, ensuite en

Polynésie occidentale, et les plus récentes, en Polynésie orientale. Ce qui signifie que le

535 BELWOOD, P., 1983, Les Polynésiens, archéologie et histoire, p. 43.

536 KIRCH, P., V., 1996 (1984), The evolution of the Polynesian chiefdoms, pp. 71 – 72.

537 « The broad time-and-space framework for the dispersal of Polynesian peoples out of the Fiji-West

Polynesian hearth is reasonably well established thanks to three decades of stratigraphic excavations. »

538HEYERDAHL, Thor, 1966, L’expédition du Kon Tiki sur un radeau à travers le Pacifique.

Page 338: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

325

peuplement des îles polynésiennes s’est faite contre les vents (figure n° 42) et les courants

dominants, à l’intérieur des limites de la zone intertropicale où se situent toutes les îles

polynésiennes, exceptées celles des sommets de son triangle, l’île de Pâques, Hawai’i et la

Nouvelle-Zélande / Aotearoa.

Le problème qu’il faut résoudre maintenant, c’est pourquoi, avec leurs pirogues, ont-

ils remonté le vent, pour aller à la recherche de terres nouvelles ?

Figure N° 362 : Les vents dans l’océan Pacifique. Ils soufflent de l’Est vers l’Ouest, dans le sens opposé

aux mouvements migratoires des Polynésiens, qui vont de l’Ouest vers l’Est. (JPS : jps.auckland.ac.nz)

Nous avons pris connaissance, dans les chapitres précédents, du récit de James

Morrison, au sujet des traversées océaniques effectuées par les Tahitiens, entre Tahiti, à

l’Ouest, et les îles Tuamotu, à l’Est. Le temps comptait peu, ils attendaient tout simplement, à

l’abri de l’île de Meheti’a, que les vents tournent à l’Ouest, pour filer droit sur Anaa. Cela

arrive en certaines périodes de l’année, pendant deux mois, entre les mois d’octobre et de

décembre, c’était peu, mais suffisant. Cependant, nous restons toujours dans un cadre

programmé, vers une destination connue.

Comment trouver une île dont on ignore l’existence ?

Page 339: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

326

4. L’exploration par les indices de présence d’une île

Admettons maintenant que les Tahitiens ne connaissaient pas l’existence des îles

Tuamotu (ou que les Samoans et les Tongiens ne connaissaient pas l’existence des îles de

Polynésie orientale), comment peuvent-ils savoir que des îles se trouvent à quatre ou six jours

de voiles à l’Ouest ? Il leur faut des indices de présence d’une île. Or les trouver, c’est tout

simplement faire de la navigation avec les éléments naturels, telle que nous l’avons décrite au

chapitre VI.

Toutes les îles, nous avons vu, diffusent autour d’elles, à l’intérieur de son dôme

biosphérique, Ra’i-tua-tahi « premier-ciel », dans un rayon de 120 milles nautiques environ,

les indices de son existence. Or, l’atoll d’Anaa est à 150 milles nautiques de Meheti’a et

Makatea, à 100 milles nautiques de Teti’aroa. Un pêcheur qui suivrait un banc de poissons à

30 milles nautiques à l’Est de Meheti’a, ou à quelques milles au Nord-est de Teti’aroa, se

trouve, de ce fait, dans le périmètre d’indices diffusés par les deux îles des Tuamotu : oiseaux,

houle réfractée, nuages, débris végétaux, etc. Par cette méthode, non seulement les Tuamotu

auraient été à la portée des Tahitiens, mais, les Fidjiens auraient pu découvrir les îles Tonga et

les îles Samoa. Puis, à partir de l’île la plus orientale de Polynésie occidentale, l’île de

Pukapuka539

, dans les îles Cook du Nord, les explorateurs auraient pu atteindre l’île la plus

proche de Polynésie orientale, Manihiki, à 285 milles nautiques plus à l’Est, et ainsi de suite,

jusqu’aux îles de la Société, aux Tuamotu et aux Marquises.

Parmi les indices, les débris transportés par les courants semblent être ceux qui sont les

plus pertinents. Ils ne s’échouent que sur les côtes situées au vent. Trouver des débris

exogènes sur une plage suppose la présence d’une île, plus loin au large à l’Est. Pour le

vérifier, un explorateur dispose de deux stratégies : soit il attend que les vents tournent à

l’Ouest, pour partir. Il minimise ainsi les risques, car s’il ne trouve aucune terre, ou aucun

autre indice, il sait que les vents d’Ouest ne durent que quelques jours, il suffit d’attendre

qu’ils reviennent à l’Est, pour rentrer. Soit il part en remontant le vent, certes il ira à faible

allure, trois nœuds, car il doit tirer des grands bords, sa pirogue avance mal avec un vent de

face. Il doit repérer une suite d’étoiles qui se trouve à l’horizon, qui pourrait être pour lui l’axe

539 L’île de Pukapuka fait partie, des îles Cook du Nord, d’un point de vue administratif, mais, de la Polynésie

occidentale d’un point de vue culturel.

Page 340: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

327

d’un rua, afin de ne pas s’écarter du trajet. S’il ne voit aucune île au bout de 10 jours ou s’il

ne trouve aucun indice susceptible de le mener à son but, il fait demi-tour, et par vent portant,

avec dix nœuds de moyenne, il regagne son point de départ en trois jours.

Si par bonheur, il détecte des indices, oiseaux, cumulus fixe, nuages colorés ou

sombres, luminosité intense à l’horizon, déformation de la houle, etc., ce n’est plus, pour lui,

qu’une question de temps pour dénicher l’île. A ce moment-là, il repère son rua, son « chemin

d’étoiles » et son ta’urua, son « étoile-repère » à l’horizon. Il prend soin d’identifier l’île en

mesurant (une fois à terre), son étoile zénithale (‘avei’a). Il peut ainsi, à tout moment, la situer

de n’importe quel endroit de l’océan. Tout cela est envisageable, tant qu’il croise dans la zone

intertropicale.

Mais comment a-t-on découvert les îles excentrées, comme Hawai’i, situées à 2.200

milles marins au Nord de Tahiti, la Nouvelle-Zélande-Aotearoa, à 2.000 milles marins au

Sud-Ouest, et l’île de Pâques, à 1.400 milles nautiques à l’Est des îles Gambier ?

5. La découverte des pointes du triangle polynésien

Découverte de Hawai’i

La découverte des îles situées dans la zone intertropicale est, d’une manière relative, à

la portée des Polynésiens, puisque les indices de présence des îles se chevauchent, la rendant

ainsi « familière », comme s’il s’agissait d’une mer intérieure. En revanche, la découverte de

Hawai’i n’aurait pas été possible sans l’utilisation des pou, des « piliers célestes », et celle de

la Nouvelle-Zélande et de l’île de Pâques, sans l’aide des rua.

Nous avons vu au chapitre V comment les Tahitiens naviguaient à l’aide des pou.

Cette méthode qui leur permettait de naviguer sur l’axe Nord / Sud, a pu conduire les

Tahitiens dans les parages des îles de la Ligne, une série de huit atolls qui s’étale de 12° S à

7° N, à cheval sur l’équateur. Ces atolls recèlent des vestiges archéologiques qui prouvent

qu’ils furent temporairement fréquentés. Ce sont des escales indiquées sur le chemin de

Hawai’i.

Page 341: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

328

L’atoll le plus au Sud, Flint, est à 290 milles nautiques au Nord de Bora-b. C’est-à-

dire, à la limite des périmètres d’indices de présence des deux îles. Pour s’y rendre, il faut

suivre le méridien, tracé par Pou Hiti-raro, repéré par ‘Anā-heuheupō(Alphard) et Pou

Tia’ira’a repéré par ‘Anā-tīpū (Dubhe). Sur place, ils ont pu déterminer son étoile-repère à

l’horizon, Ta’urua-feufeu et son chemin d’étoiles Rua-feufeu. Ce qui leur a permis de le

retrouver plus facilement par la suite. A partir de Flint, le reste des îles de l’archipel est à leur

portée. Du coup, naviguer dans ces îles fut, pour les Polynésiens, l’opportunité d’apercevoir

l’Étoile polaire, ‘Anā-ni’a, car pour se rendre au Nord de l’archipel, il faut franchir l’équateur.

Et, dès qu’ils l’ont dépassé, ‘Anā-ni’a se trouve face à eux, à l’horizon, fixe et mystérieuse.

Les découvreurs tahitiens, certainement des pêcheurs, ont fait de cette étoile fixe l’un

de leurs piliers célestes, puisqu’ils l’ont appelée Pou fa’arava’aira’a, le « Pilier de la pêche ».

A partir de ce moment-là, la méthode de navigation astronomique par les pou devient plus

aisée, car l’Etoile polaire ‘Anā-ni’a, plus fiable, va remplacer Dubhe ‘Anā-tīpū, comme repère

de pou, au Nord de l’équateur. Suivre ce méridien, à partir de cet instant, les conduit

directement sur l’archipel de Hawai’i. Celui-ci étant un bel exemple de cible élargie, ils

avaient toutes les chances d’y arriver. La découverte de Hawai’i fut donc, selon cette

hypothèse, motivée par la curiosité de connaître l’île, située sous la seule étoile fixe de la

voûte céleste.

Cela explique également pourquoi l’étoile zénithale (‘avei’a) de Hawai’i, Arcturus

(Hokule’a), n’est pas un ta’urua, une étoile-repère de rua, mais un ‘anā, une étoile-repère de

pou, contrairement à toutes les grandes étoiles servant à repérer les îles de l’hémisphère Sud.

Le rua de Hawai’i est Rua-poto, le soleil au solstice d’hiver pour les Tahitiens qui habitent

l’hémisphère Sud.

Découverte de la Nouvelle-Zélande

La découverte de la Nouvelle-Zélande / Aotearoa, dans les légendes, fut l’œuvre de

Kupe, un navigateur originaire des îles de Polynésie orientale. Une pieuvre géante le guida, de

son île, jusqu’à Aotearoa540

.

540EVANS, Jeff, 1998. The discovery of Aotearoa, Foreword by Francis Cowan, p. 33.

Page 342: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

329

Certains scientifiques pensent que les Polynésiens l’ont découverte en suivant le

Cuckoo (Urodynamis taitensis), un oiseau migrateur.

Francis Cowan, qui fit le trajet de Tahiti à Aotearoa au mois d’octobre et novembre

1985, utilisa comme guide la planète Venus, visible à tribord-avant, pendant trois heures, le

soir, à son coucher, ainsi que la Croix du Sud, perpendiculaire à la marche de sa pirogue, à

bâbord. Le jour, il a utilisé le soleil (Evans, 1998 : 105).

Pour les Tahitiens, Aotearoa se trouve sur un chemin d’étoiles, Rua-manu, repéré par

Ta’urua-manu (Alnaïr). Si les Tahitiens ont suivi Rua-manu pour explorer les îles situées sur

son chemin (47° S), ils n’auraient pas pu éviter la grande masse de terre de la Nouvelle-

Zélande qui forme un mur de 810 milles marins (1.500 km).

Il existe également un archipel situé au deux tiers du parcours, les îles Kermadec, qui

furent également occupées temporairement par des Polynésiens, et qui auraient pu servir de

relais.

Découverte de l’île de Pâques

La troisième île excentrée est l’île de Pâques / Rapanui. Son chemin d’étoiles est Rua-

o-atutahi (30° S), repéré par Ta’urua-o-atutahi (Fomalhaut). Elle est certes à 1.400 milles

nautiques de Mangareva, mais à seulement 840 milles nautiques de l’île Ducie, la dernière

d’une série de quatre îles qui s’échelonne d’Ouest en est, entre les îles Gambier et Rapanui.

Ces îles furent habitées ponctuellement par des Polynésiens, peut-être par ceux qui y

firent escale sur le chemin de Rapanui. A trois ou cinq nœuds de moyenne, nous ne sommes

pas assez au Sud pour bénéficier des vents d’Ouest, il faut 7 à 11 jours pour rallier Rapanui, à

partir de Ducie, ce qui est à la portée de n’importe quelle va’a. Il n’est donc pas obligatoire, à

chaque fois, de réaliser un exploit, quand on souhaite se rendre à Rapanui.

En partant de Mangaréva, la traversée entre chaque île de l’archipel des Gambier et de

Pitcairn (Mangareva, Temoe, Oeno, Pitcairn, Henderson, Ducie) dure deux à trois jours. La

plus longue étape qui est la plus difficile est la dernière, entre Ducie et Rapanui. En outre, la

cible n’est pas un archipel comme ailleurs en Polynésie, mais une île isolée. Il faut s’en

remettre aux seuls indices de présence d’une terre pour pouvoir la détecter. Ils y sont

parvenus.

Sont-ils revenus sur leur pas pour raconter leur exploit ? Sans doute, si l’on en croit la

cosmogonie tahitienne, car Ta’urua-o-Atutahi ou Ta’urua-fa’atere-va’a-ia-atutahi

Page 343: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

330

(Fomalhaut) est bien l’étoile zénithale, ‘avei’a, en même temps que le Ta’urua de Rapanui.

Aucune île du triangle polynésien, autre que Rapanui, n’est repérée par cette étoile. Les

Tahitiens ne l’ont pas mémorisé au hasard, ils ont eu connaissance de son existence,

indirectement sans doute.

Ont-ils pu recommencer leur exploit en retournant à Rapanui ? Peu probable, car sur le

plan linguistique, la langue rapanui est isolée dans son groupe. C’est la seule langue de

Polynésie orientale qui a conservé l’occlusive glottale /Ɂ/ proto-polynésienne (à ne pas

confondre avec l’occlusive glottale du polynésien-nucléaire et du polynésien-oriental). Et, sur

le plan culturel, l’île s’est singularisée en évoluant isolément par rapport aux autres archipels

de Polynésie orientale, preuve que les contacts furent interrompus ou considérablement

limités.

6. Conclusion

Les voyages réalisés par les Tahitiens durent, tout au plus, une quinzaine de jours. Les

grands périples, d’un à deux mois, de type, Tahiti / Hawai’i, Tahiti / Nouvelle-Zélande ou

Mangareva / Rapanui, devaient être exceptionnels, et en définitive, ils ne sont pas utiles. La

prudence était la règle chez les marins polynésiens.

Si nous acceptons ce postulat, nous pouvons soutenir que le peuplement du Pacifique,

et en particulier, du triangle polynésien, s’est fait dans un climat de sérénité et non, sous la

pression d’un événement imprévu. D’abord, les départs se renouvellent de génération en

génération pendant des millénaires, de génération en génération, sans jamais vouloir

s’interrompre, devenant à force pour les personnes concernées, prévisible. Ensuite, parce que

les voyages de peuplement ne peuvent guère être improvisés, même s’ils ne concernent qu’un

très faible nombre d’individus. Ils demandent du temps et réclament, au préalable, la

construction d’un bon navire, une exploration minutieuse de l’océan et une préparation des

communautés en vue d’un long voyage et de la colonisation d’une terre vierge. L’exploration

du large ne commence que quand des indices sont suffisamment réunis, rendant vains des

raids inutiles au-delà de l’horizon. Pendant le voyage, l’orientation et le positionnement sont

assurés grâce aux pou et aux rua préalablement repérés pendant la phase d’exploration. La

nouvelle île repérée aura été repérée par son étoile zénithale (‘avei’a), ce qui permettra de le

retrouver à tout moment.

Page 344: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

331

Lorsque l’explorateur reviendra sur l’île pour chercher les candidats au voyage, il

n’aura plus qu’à suivre les repères astronomiques.

A l’époque pré-européenne, des idées ou des techniques particulières de navigation ont

été développées dans chaque archipel, en fonction de facteurs géographiques sociaux et

locaux. Cependant, les méthodes utilisées étaient singulièrement homogènes. L’irruption des

Européens a rapidement provoqué la disparition de ces techniques ainsi que des grandes

pirogues doubles de voyage. Ils ont apporté un nouveau système de navigation basé sur des

instruments et ont introduits de nouveaux types de navires. Les connaissances en navigation

astronomique se sont prématurément éteintes pour plusieurs générations. La transmission

orale fut interrompue et la nouvelle religion s’employa à faire disparaître les rituels religieux

et les chants qui les accompagnaient dont les mots portaient des concepts astronomiques qui

permettaient de mémoriser des routes de navigation.

Nulle part des fragments de ces savoirs n’ont survécu. A tel point qu’aujourd’hui, les

Tahitiens ignorent leur existence et ne croient pas un seul instant que les Anciens aient pu

atteindre un tel niveau de connaissance, et aient eu, en astronomie, en navigation et en matière

de division du temps, une démarche scientifique si avancée. La méthode moderne de

navigation aux étoiles, qui nécessite l’emploi d’un sextant, la mesure des angles et

l’utilisation d’éphémérides, a rendu les méthodes de navigation traditionnelles, suspectes. La

facilité d’utilisation des calendriers occidentaux et l’imposition par les religions chrétiennes

d’un calendrier sur la base des journées bibliques de six jours, ont mis définitivement un

terme au calendrier tahitien basé sur les lunaisons et le cycle solaire.

La navigation par les pou et les rua fait l’objet d’une expérimentation par les maîtres

navigateurs hawaiiens. Elle sera testée durant leur voyage. L’objectif étant de la restituer un

jour aux Tahitiens.

Page 345: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...
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333

ANNEXE 1 : La liste des étoiles et des constellations

LES ÉTOILES DE TAHITI - Te mau fetū i Tahiti

ANNEXE 1 : La liste des étoiles et des constellations

Avant-propos :

Le premier tableau se divise en trois colonnes :

o 1ère

colonne « tahitien » : la liste alphabétique des noms des objets célestes ou des

termes astronomiques, en tahitien ;

o 2ème

colonne « traduction » : la traduction selon l’auteur de la source, ou, selon celui

dont les initiales du nom sont entre-parenthèses ;

o 3ème

colonne « français » : le nom français correspondant de l’astre et, entre

parenthèses, son nom anglais, s’il y a lieu ;

o 4ème

colonne « sources » : les initiales de l’auteur de l’ouvrage d’où sont extraites les

sources ou, s’il s’agit d’une hypothèse, celles de son auteur.

Les étoiles sont transcrites en minuscule et les constellations en majuscule.

Les cellules en jaune signalent les noms des étoiles classées ‘ana et pou.

Les cellules en mauve signalent les noms des étoiles classées ta’urua et rua.

Les cellules en bleu signalent les noms des planètes.

Dans le second tableau, la 1ère

colonne correspond au nom français (ou anglais) de l’étoile

ou du terme astronomique.

Le point d’interrogation « ? » après un terme, signifie que l’objet céleste n’a pas été

identifié.

Définitions :

Pou, n. c. (du POC *bou ; POE *mpou : poteau, pilier).

- Tahiti, pou, poupou : Piliers sur lesquels est fixé le dôme du ciel (Henry, 1928,

p. 342) ;

- Tuamotu, pou nui – pou tumu : pilier central qui supporte le monde

(Stimson) ;

- Māori, poupou : sur le méridien du soleil (Williams) - Pou tokerau : Pôle

Nord (Reed) - Pou tonga : Pôle Sud (Reed).

‘Anā, n.c. (du PCE *ƞana : brillant, très lumineux).

- Tahiti, ‘anā : Aster, astéroïde, un pilier devenu une grande étoile scintillante

(Henry, 1928, p. 361).

- Tuamotu, ƞana : préfixe nominal entrant dans la composition de plusieurs

noms d’étoiles (Stimson);

- Māori, ƞana : éclatant (Williams);

Page 347: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

334

- Hawaii, nana : préfixe nominal de plusieurs noms d’étoiles (Pukui).

Rua, n. c. (du PMP *luvaƞ, POC *luaƞ ; PPN*lua : trou, fosse, vomir, cracher).

- Tahiti, rua : Trou, fosse, ouverture, fosse marine (Fare Vāna’a) – Abîme

(Henry, 1928, p. 344) ;

- Tuamotu, rua : Abîme à l’horizon, alignement d’étoiles se levant

successivement au-dessus de l’horizon au même point du compas (Stimson) –

Chemin d’étoiles (Emory, 1975, p. 184-185).

Ta’urua, n.c. (du PPN *takulua, de *taku « réciter, compter, décompter », et *lua

« abysse »).

- Tahiti, ta’urua : Grande réjouissance (Henry, 1928, p. 359-364) - racine

nominale de plusieurs noms d’étoiles - Préfixe nominal entrant dans la

composition de plusieurs noms d’étoiles – Nom donné à plusieurs étoiles,

accompagné d’un mot ou d’une phrase précisant l’étoile dont il s’agit (Henry,

1928, p. 359-364) ;

- Tuamotu, takurua : racine nominale de plusieurs noms d’étoiles. Préfixe

nominal entrant dans la composition de plusieurs noms d’étoiles – Nom donné

à plusieurs étoiles, accompagné d’un mot ou d’une phrase précisant l’étoile

dont il s’agit –– Nom de planètes et d’une étoile, festival ; grande célébration

par une tribu, un groupe, une localité ; célébration formelle par ou pour un

ariki (Stimson) ;

- Māori, takurua : Sirius (Williams) ;

- Hawaii, ka’ulua : Sirius (Pukui) ;

- Marquises, taku’ua : Sirius (Lecleac’h)

Sources :

A propos des sources, nous avons établi nos choix en fonction de leur crédibilité.

Compte tenu du fait que la population de Tahiti et des îles s’est massivement convertie au

christianisme à partir de 1815, que les initiations aux savoirs anciens ont pris fin autour de

cette date, nous avons considéré que plus nous nous éloignions de cette date, moins les

sources sont fiables. Confronté à plusieurs sources, nous avons considéré la plus ancienne

comme la mieux fondée. Nous avons par exemple estimé, concernant les étoiles Pīpirimā, que

les données de T. Henry (J. Orsmond) et W. Ellis datant de 1817 ou 1820, et de J. Morrison

qui a séjourné à Tahiti, de 1789 à 1791, sont plus fiables que celles de Cuzent qui datent de

1854. Toutefois, sa version fut retenue par le grand public car son ouvrage fut publié en 1860,

alors que celui en français de T. Henry ne fut édité qu’en 1952. Elle comporte, en outre, de

nombreuses omissions dont, justement, Pīpirimā, alors que cet amas est bien présent dans la

version anglaise qui a paru en 1928. Celles qui ont notre préférence sont suivies d’un

astérisque (*). En revanche, lorsque nous ne possédions qu’une seule source, même récente,

nous l’avons retenue.

Les sources les plus anciennes sont les suivantes :

Page 348: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

335

- DAVIES, John (An English and Tahitian dictionary, 1861 – A history of the Tahitian

mission, 1959), arrive à Tahiti en 1801 et y mourut en 1855. Son dictionnaire bilingue

est le plus complet.

- ELLIS, William (A la recherche de la Polynésie d’autrefois, 1972), fut missionnaire à

Tahiti et dans les îles de 1816 à 1822.

- HENRY, Teuira (Ancient tahiti, 1928) dont les sources proviennent pour la majeure

partie des relevés faits par le révérend John Murggridge ORSMOND, entre 1817, date

de son arrivée à Tahiti et 1876, date de son décès. L’avantage de cet ouvrage réside

dans les textes relevés en tahitien qui permettent d’effectuer une nouvelle lecture et dans

le nom de l’interlocuteur tahitien qui les a récités. [En raison des nombreuses omissions

relevées dans la version française, 1952, nous avons préféré retenir la version anglaise,

« Ancient Tahiti, 1928. »]

- JAUSSEN, Tepano (Dictionnaire de la Langue Tahitienne, 1861). Évêque, il arriva à

Tahiti en 1849 et y mourut en 1891.

- MOERENHOUT, Jacques Antoine (Voyages aux îles du grand Océan, 1837). Il fit

plusieurs séjours à Tahiti entre 1829 et 1845.

- MORRISON, James, 1981. (Journal de James Morrison, 1981). Il séjourna à Tubuai

puis, à Tahiti, de 1789 à 1791.

- RENSCH, Karl (The language of the noble savage, the linguistic fieldwork of Reinhold

and George Forster in Polynesia on Cook's second voyage to the Pacific 1772-1775 -

Early tahitian, the linguistic fieldwork of J. Banks, C. Solander, M. Rodriguez and D.

Boenechea, 1769). Les lexiques tahitiens issus des manuscrits de John Reinhold Forster,

Joseph Banks, Maximo Rodriguez et Domingo Boenechea, publiés par Karl Rensch.

Les sources les plus récentes qui ont permis de compléter la liste sont les suivantes :

- CAILLOT, Eugène (Mythes, légendes et traditions des Polynésiens, 1910). Voyageur et

historien, il fit un premier séjour de cinq mois aux îles Marquises et aux îles Tuamotu

en 1900 et un second séjour à Tahiti entre 1912 et 1913.

- CUZENT, Gilbert, (Archipel de Tahiti, recherches sur les productions végétales, 1983).

Pharmacien de la marine, il fit un séjour à Tahiti entre 1854 et 1858.

- DROLLET, Alexandre (Rectifications à apporter à certains noms mal orthographiés en

langue tahitienne, 1922). Il est né en 1871 à Papeete et y décéda en 1963. Expert en

langue tahitienne, il fut l’interprète officiel de l’administration et du Parquet.

- HUGUENIN, Paul, (Raiatea la sacrée, 1902). Il séjourna à Ra’iatea comme moniteur et

instituteur de 1896 à 1899.

- LAGUESSE, Janine (A propos des connaissances astronomiques des anciens Tahitiens,

1945). Elle est née en 1921 à Papeete. Elle devient membre du bureau de la Société des

Etudes Océaniennes de 1947 jusqu’à son décès en 2007.

- STIMSON John, (A Dictionary of Some Tuamotu Dialects of the Polynesian language,

1964). Il arrive à Tahiti en 1912 et y décède en 1958. Son dictionnaire de la langue

Pa’umotu édité en 1964 fait référence.

Page 349: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

336

- Nous avons également reçu des informations de Tehare OUTU, issu des familles

FAAHU, TEMEHARO, RUA, né à Parea, Huahine, le 03 juillet 1933, au sujet des

solstices, connus par lui sous les noms de Ara roa (Ara maoro) pour le solstice d’été, à

la place de Rua roa (Rua maoro), et Ara poto, pour le solstice d’hiver, à la place de Rua

poto.

- Quand l’interprétation ou la traduction relève d’un tiers, ses initiales sont entre

parenthèses. Exemple : Jean-Claude Teriierooiterai (JCT).

- Certaines interprétations relèvent de l’usage populaire comme ‘Anamuri pour Aldébaran

ou Pīpirimā pour les Pléiades.

Les abréviations employées :

- Alexandre Drollet (AD),

- Eugène Caillot (EC),

- Académie Tahitienne – Fare Vāna’a (FV)

- Gilbert Cuzent (GC),

- Jacques-Antoine Moerenhout (JAM)

- Janine Laguesse (JL),

- John Davies (JD),

- John Reinhold Forster (JRF),

- John Stimson (JS).

- Paul Huguenin (PH),

- Tepano Jaussen (TJ),

- Teuira Henry (TH),

- William Ellis (WE).

Page 350: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

337

tahitien – français (anglais)

tahitien traduction français (anglais) sources

1 ? ? ERIDAN (voir Achernar)

2 Pou-fa’a’ere’erera’a « Pilier pour noircir » (TH) TAUREAU (TAURUS) TH, p. 361

3 ‘A’aia « Etoile de mer » (FV) Venus TJ

4 ‘A-fa'a-teniteni « Sois vantard » (TH) ? TH, p. 372

5 ‘Ai’aia « Name of a star » (JD) ? TH, p. 361, JD

6 ‘AINANU (cf. Pipirima / Na ‘Ainanau /

Pipiri ‘e Rehia)

« Displeased » (JD)

« Déplaisir, mécontentement résultant d’un mal fait »

(TJ)

« Constellation consisting of two stars » (JD)

« Nom des deux étoiles Pipiri et Rehia » (TJ)

JD,

TJ

7 ‘Ainanu-i-ni’a « Désirer de la nourriture – Est » (WE) Pollux WE, p. 569

8 ‘Ainanu-i-raro « Désirer de la nourriture – Ouest » (WE) Castor WE, p. 569

9 ‘Ana-heuheu-pō « Aster rejetant les ténèbres » (TH)

« Etoile-brillante qui scrute la nuit » (JCT)

Alphard TH, p. 361

11 ‘Ana-i-te-uhu-taramea « Aster-of-the-parrot-fish-and-star-fish » ? TH, p. 114

12a ‘Ana-iva ? « Neuvième aster » (TH) Bételgeuse ? TH, p. 174, p. 409

12b ‘Ana-iva* « Neuvième aster » (TH) Phaet* TH, p. 361

13 ‘Ana-mua « Aster de devant » (TH) Antares TH, p. 174, p. 361, p. 5 51

Page 351: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

338

13a ‘Ana-hoa « Aster ami » Antares TH, P. 361

14 ‘Ana-muri « Aster de derrière » (TH) Zuben-Eschamali TH, p. 174

14a ‘Ana-feo « Aster de corail » (TH) Zuben-Eschamali TH, p. 343

14b ‘Ana-muri ? « Aster de derrière » (TH) Aldébaran ? Usage populaire

15 ‘Ana-ni’a « Aster au-dessus » (TH) Étoile polaire - Polaris TH, p. 361

16 ‘Ana-roto ? « Aster intérieur » (TH) Épi TH, p. 361

16 b ‘Ana-roto* « Aster intérieur » (TH) Régulus* TH, p. 174

17 ‘Ana-tahu'a-ta'ata-metua-te-tupu-mavae

« Aster le prêtre paternel de l’homme qui grandit dans

l’espace » (TH)

« Etoile-brillante du spécialiste qui vit à l’écart » (JCT)

Arcturus TH, p. 361

18 ‘Ana-tahu'a-vahine-o-toa-te-manava

« Aster la prêtresse au cœur brave » (TH)

« Etoile-brillante des femmes spécialistes des guerriers

braves » (JCT)

Procyon TH, p. 174, p. 361

19 ‘Ana-tau-aro « Aster de devant » ? TH, p. 114

20 ‘Ana-tau-tua « Aster de derrière » ? TH, p. 114

21 ‘Ana-tīpū

« Aster qui dévie » (TH)

« Etoile-brillante inclinée »

Dubhe TH, p. 174, p. 361

22 ‘Ana-varu * « Huitième aster » (TH) Bételgeuse* TH, p. 361

23 ‘APA’APA - RUA-MANU

(VOIR RUA – (‘APA’APA) MANU)

« Deux côtés d’oiseaux »

« Battements d’ailes – Rua – Oiseau » (JCT)

CROIX DU SUD ? (VOIR TAUHĀ)

CHEMIN D’ÉTOILES DE LA GRUE

TH, p. 360

JCT

24 ‘Apu-o-tera'i (cf. Tāpo’i-o-te-ra’i) « Caveau du ciel » (TH) Voûte céleste Nord (JCT) ? TH, p. 360

25 ‘Ara'a « Clarté » (TH) ? TH, p. 360

Page 352: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

339

26 ‘Ara'ara'a « Brillant » (TH) ? TH, p. 360

27 A’e’ū’ere « étoffe noir d’offrande » (TH) VIERGE TH, p. 399, ED, p. 115

28 Ari'i-o-'apato'a « Roi-du-Sud » (TH) Achernar (JCT) TH, p. 360

29 Ari'i-o-Mara'ire'a « Roi-ciel-clair ouvert » (TH) Véga (JCT) TH, p. 360

30 Aro « Faire chemin » (TH) ? TH, p. 360

31 Atouahi ? (Atuahi ?ou Atutahi) ? Venus JAM II, p. 210

32 ATU-RA'I-PUTUPUTU

« Nombreux poissons célestes » (TH)

« Banc de bonites célestes » (JCT)

POISSONS TH, p. 361

33 ATU-TAHI

(Voir RUA – ATU – TAHI)

« Bonite-unique » (HT)

« Premières-bonites » (JCT)

CONSTELLATION DU POISSON AUSTRAL TH, p. 360

34 Fa'a - hiti « Vallée limitrophe » (TH) ? TH, p. 362

35 FA'A-ITI

« Petite vallée » (TH)

« Petite nasse » (JCT)

PERSEE - PERSEUS TH, p. 360

36 FA'A-NUI

« Grande-vallée » (TH)

« Grande-nasse » (JCT)

COCHER -AURIGA TH, p. 359

37 Fa'a - rava-i-te-ra'i* (cf. Ire) « Couleur de ciel – Nom de Ire dans le ciel » (TH) Altaïr* TH, p. 361, p. 403

38 FA'A-TĀ-POTUPOTU

« Vallée ouverte » (TH)

« Nasse ouverte » (JCT)

GÉMEAUX - GEMINI TH, p. 360

39 Faiti ? (Fa’a-iti) ? ? Venus (soir) JAM II, p. 207

41 Fauroua ? ? Venus (matin) JAM II, p. 206

42 Feti’a-ao « Etoile du jour » Venus (matin) WE, p. 569

43 Feti’a-e-hiti-i-te-ahiahi « Etoile qui se lève le soir » Venus (soir) WE, P. 569

Page 353: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

340

44 Feti’a-po’ipo’i « Etoile du matin » Jupiter (matin) PH, p. 58

Feti’a-po’ipo’i « Étoile du matin » Venus (matin) JD, TJ, PH p. 58

Feti’a-taiao « Etoile de l’aurore » Jupiter (matin) PH p. 58

Feti’a-taiao « Etoile de l’aurore » Venus (matin) JD, TJ, PH, p. 58

Fetū (Feti’a) « Etoile » Etoile, Planète JD, TJ, FV

45 Fetū-‘ōfa’a « Etoiles pondeuses » Pléiades JRF, p. 194

46 Fetū-‘ura / feti’a- ‘ura « Etoile rouge » Mars JD, TJ

47 Fetū-'ai'aia « Etoile – mangé au-dedans » (TH) ? TH, p. 361

48 Fetū-'amo'amo « Etoile scintillante » (TH) ? TH, P. 361

49 Fetū-ave / Feti’a-ave « Etoile à tentacule » Comète JD, JAM II, p. 181

50 Fetū-hitihiti «Etoile brillante » (TH) ? TH, p. 361

51 Fetūhoro / Feti’ahoro « Etoile-qui-se-déplace » (JCT) Planète JCT

52 Fetū-mahu « Étoile brumeuse » (JCT) Ceinture d’Orion JRF, p. 215

53 Fetū-pura-noa « Etoile clignotante » Nébuleuse TH, p. 361

54 Fetū-rere « Etoile qui vole » Étoile filante TH, p. 360

55 Fetū-roa « Grande étoile » Sirius JRF, p. 215

56 Fetū-tea « Etoile blanche » Saturne TH, p. 360

57 Fetū-vera « Etoile brûlante » Comète JRF, p. 309

58 Ha'amaru « Douceur » (TH) Les 5 étoiles les plus petites TH, p. 360

59 Horo « Avalanche » (TH) ? TH, p. 362

60 Horo-po’ipo’i « Qui court le matin » Jupiter (matin) PH p. 58, JD

Page 354: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

341

61 Horo-po’ipo’i « Qui court le matin » Venus (matin) JD, TJ, WE p. 569

62 Hotu-i-te-ra’i « Fécondité du ciel » (TH) Antares TH, p. 343

Hui fetū /hui feti’a « Groupe d’étoiles » Constellation TH, p. 360

Hui tārava « Groupe étalé » Constellation d’étoiles alignées TH, p. 361

63 Hui-tārava

« Constellation » (TH)

« Constellation avec les étoiles alignées » (JCT)

Ceinture d’Orion JD

Ire (cf. Fa’a-rava-i-te-ra’i) « Requin de Tāne dans la mer» (TH) Altaïr TH, p. 356, p. 369, p. 403

64 MA’O-PUROTU « Beau requin » AIGLE - AQUILA (JCT) TH, p. 356, p. 369, p. 403

64 b MA’O-ROA « Grand requin » AIGLE - AQUILA (JCT) JRF, p. 106

65 Ma'ama'atai « Etoile de mer » ? TH, p. 361

Mahu « Brume »(FV) Nuages de Magellan WE, p. 569

66 Mahu-i-ni'a « Brume de l’Est » Grand Nuage de Magellan TH, p. 362, p. 369

67 Mahu-i-raro « Brume de l’Ouest » Petit Nuage de Magellan TH, p. 362

68 MARA’IRE’A (JCT) « Ciel-clair ouvert » (TH) LYRE (voir Vega) (JCT) TH, p. 360

69 Marae-'oroua « Marae enchanté » (TH) ? TH, p. 362

70 Marama, ‘Āva’e « lueur » Lune TH, p. 360, JD, TJ

71 Mariua « Être coulé, être brisé » (FV) Épi TH, p. 340, p. 399

72 MATARI’I

« Petits yeux » (TH) PLEIADES JAM, p. 178, WE, p. 569, TH, p.

362, JD, TJ

73 Mata-taui-noa « Visage toujours changeant » (TH) ? TH, p. 360

74 MATAU-A-TĀFA’I « L’hameçon de Tāfa’i » SCORPION TH, p. 401

Page 355: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

342

74a MATAU-NUI « Le grand hameçon » SCORPION TH, p. 401

74b MATAU-A-MAUI

« L’hameçon de Maui » SCORPION - SCORPIO Hawaii, Marquises, Aotearoa /

NZ

76 MĀ-TITI-TAU « Qui pend » (TH) CANCER (JCT) TH, p. 360

77 Maunu-‘ura « Rougeur qui disparaît » (TH) Mars TH, p. 360, p. 401

78 Mere « Tendresse des parents » (TH) Rigel AD cité par JL, p. 146, FV

79 Mere

« The name of a star Hui Tārava » (JD)

« Tendresse des parents » (TH)

Ceinture d’Orion JD

80 METUA-'AI-PAPA « Parent mangeur de roc » (TH) CORBEAU TH, p. 361

81 Moana-'a'ano-huri-hara « Vaste océan pour y jeter le crime » (TH) Plus de ciel près de Moana’aere TH, p. 361

82 Moana'aere « Océan sans chemin » (TH) Ciel clair au-dessous de l’Hydre TH, p. 361

83 MOANA-'OHU-NOA-'EI-HA'AMO'E-

HARA

« Océan tourbillon pour y perdre le crime » (TH) COUPE TH, p. 361

84 NĀ-‘AINANU (cf. Pipirima / Pipiri ‘e

Rehua/ ‘Ainanu)

« Désirer ou convoiter une certaine sorte de nourriture »

(WE)

GÉMEAUX WE, p. 569

84a NĀ-‘AINANU (cf. Pipirima / Pipiri ‘e

Rehia / ‘Ainanu)

« Désirer de la nourriture » (JD) ? JD

85 Nā-hui-hu’a « Les deux minuscules » (JCT) ? JD

86 Nā-hui-tārava-iā-Mere

Nā-tau-toru

« The stars of Orion » (JD)

« Les-trois-alignés » (JCT)

Ceinture d’Orion JD

JD

87 Nā-matarua « Les deux yeux doubles » (JCT) Rigil Centaurus (α Centauri ) + Toliman, Hadar (β Centauri ) JD, PH, p. 58

88 Nā-'ō'iri-'ai-ata « Les deux balistes mangeuses de nuage » (TH) Sac à charbon TH, p. 361

Page 356: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

343

89 Na-tau-ihe « Les saisons des aiguillettes » (JCT) Saturne JD, JRF

89 Nati-ma'a « Qui lie la nourriture » (JCT) ? JD

90 Natua « Pincé » (TJ) Eclipse WE, p. 569

91 ‘Ō’iri « Baliste » Sac à charbon PH, p. 58

92 ‘Ōpūrei « Météore » Météore JD, PH p. 58

93 Paera’i « Du côté du ciel » Horizon JD

94 a Pao « fendre » Étoile filante PH, p. 58

94 b Pao « fendre » Météore JD, JRF, p. 310

95 Pāta’u « Chanter » Étoile filante PH, p. 58

96 Pipiri « Avare » (FV) ? JD, TJ, FV

96a Pipiri* « Avare » (FV) Castor WE, p. 569

96b Pipiri « Avare » (FV) Schaula GC, p.

97 PIPIRIMĀ*(cf. Na ‘Ainanu / ‘Ainanu)

« Avares » Castor & Pollux - GÉMEAUX – GEMINI TH, p. 409, EC, p. 116,

JAM II, p. 210, EC, p. 116, JS,

97a PIPIRIMĀ (Tuamotu) « Avares » Zeta & Theta – SCORPION - SCORPIO JS

97b PIPIRIMĀ « Avares » PLEIADES Usage populaire

98 Pira’e-tea « Sterne-blanc » Déneb TH, p. 361, p. 369, p. 401

99 Pitau ? Étoile filante PH, p. 58

100 Porohīnere « Name of a star » ? JD

101 Porou-a-ra’i « zénith » Zénith JD

102 POU-‘ORERORERORA’A (voir Rua

feufeu)

« Pilier de délibération » (TH) PILIER DE L’HYDRE-NORD (JCT) TH, p. 343, p. 361

Page 357: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

344

102a POU-HITI-RARO « Pilier au-dessous » PILIER DE L’HYDRE (JCT) TH, p. 343, p. 361

103 POU-FA’ARAVA’AIRA’A « Pilier auprès duquel on pêche » (TH) PILIER DE LA PETITE OURSE (JCT) TH, p. 361

104 POU-HAERERA’A « Pilier de sortie » (TH) PILIER DE LA COLOMBE (JCT) TH,p. 361

105 POU-MUA « Pilier de devant » (TH) PILIER DU SCORPION (JCT) TH, p. 343

106 POU-MURI « Pilier de derrière » (TH) PILIER DE LA BALANCE (JCT) TH, p. 343

107 POU-NOHORA’A (voir Rua-nui-o-mere) « Pilier pour s’asseoir »(TH) PILIER D’ORION-NORD (JCT) TH, p. 343, p. 361

108 POU-ROTO « Pilier de l’intérieur » (TH) PILIER DE LA VIERGE (JCT) TH, p. 343

108a POU-FA’A-‘ERE’ERERA’A « Pilier pour noircir » (TH) PILIER DU TAUREAU (JCT) TH, p. 343, p. 361

108b POU-TU-MA-TA’AROA « Pilier-des-dieux-Tu-et-Ta’aroa » PILIER DU LION (JCT) TH, p. 343, p. 361

109 POU-TI’ARA’A « Pilier pour se lever » (TH) PILIER DU BOUVIER (JCT) TH, p. 174, p. 361

110 POU-TIA’IRA’A « Pilier pour monter la garde » (TH) PILIER DE LA GRANDE OURSE (JCT) TH, p. 361

110a POU-HITI-NI’A « Pilier au-dessus » (TH) PILIER DE LA GRANDE OURSE (JCT) TH, p. 361

111 POU-VĀNA’ANA’ARA’A « Pilier de l’élocution » (TH) PILIER DU PETIT CHIEN (JCT) TH, p. 343, p. 3 61

POU (māori) « Pilier » Méridien Williams

POU TOKERAU (māori) « Pilier Nord » Pôle Nord Reed

POU TONGA (māori) « Pilier Sud » Pôle Sud Reed

112 Rā, Mahana « Soleil », »chaleur » Soleil TH, p. 360, JD, TJ

# Avatea « Soleil-midi »(JCT) Méridien Carte de Tupaia

# Rā-hiti « Soleil-cycle » (AD) Équinoxe, Équateur AD, p. 100

113 Rave-a-tau « Prendre pour des années » (TH) ? TH, p. 362

114 Rehia ? ? JD, TJ

Page 358: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

345

115 Rehua ? « cette étoile se montre le soir vers octobre » (JAM) JAM II, p. 209

116 Rehua ? Lesath GC, p.

117 Rehua* (‘Ainanu-i-ni’a) ? Pollux* WE, p. 569

117a Rehua-i-te-ra’i* « Rehua dans le ciel » Pollux* TH, p. 401

118 Rio*, Rio-‘aitu, Ta’i-rio-‘aitu « Dieu de la pêche aux thonidés » (TH) Aldébaran* TH, p. 361, p. 374

# RUA

« Chemin d’étoiles » (K. Emory)

« Abîme » (TH)

Chemin d’étoiles K. Emory

TH, p. 474

RUA HETIKA (Pa’umotu)

RUA FETI’A, RUA FETŪ (Tahiti)

« Alignement d’étoiles se levant successivement au-

dessus de l’horizon au même point du compas (Line of

stars rising successively above the horizon at the same

point of the compass) » (JS)

« Chemin d’étoiles » (JCT)

CHEMIN D’ÉTOILES

JS, p. 467

RUA MATA’I « The point from wich the wind blows » (JD) ROSE DES VENTS JD, FV

119 RUA I TE-HITI’A-O-TE-RĀ

RUA I TE-HITI’A

Abîme dans L’Est - Abyss On East (TH)

Abîme dans L’Est - Abyss On East

CHEMIN D’ETOILES A L’EST (JCT)

CHEMIN D’ETOILES A L’EST (JCT)

TH, p. 474

120 RUA ITE-TŌ’O’A-O-TE-RĀ

RUA I TŌ’O’A

Abîme Dans L’Ouest - Abyss On West(TH)

Abîme Dans L’Ouest - Abyss On West

CHEMIN D’ETOILES A L’OUEST (JCT)

CHEMIN D’ETOILES A L’OUEST (JCT)

TH, p. 474

TH, p. 475

121 RUA-FAUPAPA (JCT) « Rua- des premiers grands chefs » (JCT) CHEMIN D’ÉTOILES GRAND (JCT) JCT

122 RUA-FEUFEU (JCT) « Rua-pour-scruter » (JCT) CHEMIN D’ETOILES HYDRE NORD (JCT) JCT

123 RUA-HA’APĀRA’A-MANU « Rua-de l’envol d’oiseaux » (JCT) CHEMIN D’ÉTOILES CYGNE (JCT) JCT

124 RUA-NUI-O-MERE (Cf. POU-

NOHORA’A)

« Grand-Rua-désirs des parents » (JCT) CHEMIN D’ÉTOILES ORION-NORD (JCT) JCT

125 RUA-NUI-O-TE-HITI-‘APATO’A « Grand-Rua-du-Sud » (JCT) CHEMIN D’ÉTOILES ARGO –JCT) JCT

Page 359: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

346

126 RUA-ATU-TAHI

(Cf. ATU – TAHI)

« Rua-des-premières-bonites » (JCT) CHEMIN D’ÉTOILES POISSON AUSTRAL (JCT) JCT

127 RUA – (‘APA’APA) MANU

(Cf. ‘APA’APA – RUA – MANU)

« Rua – des battements d’ailes d’oiseaux » CHEMIN D’ETOILES GRUE TH, p. 360

128 RUA-O-MERE

« Caverne-des-désirs-des-parents » (TH)

« Rua-de-Mere » (JCT)

CHEMIN D’ÉTOILES DU CAPRICORNE TH, p. 360

129 RUA-O-MERE-MA-TŪTAHI (JCT) « Rua-de-Bételgeuse-et-Rigel » (JCT) CHEMIN D’ÉTOILES DE LA CEINTURE D’ORION JCT

130

RUA-POTO

ARA-POTO

« Chemin court »

« Chemin court »

SOLSTICE D’HIVER

SOLSTICE D’HIVER

JD, TJ, JS

Tehare Outu, Parea Huahine

131

RUA-ROA (RUA MAORO)

ARA-ROA

« Chemin long »

« Chemin long »

SOLSTICE D’ÉTÉ

SOLSTICE D’ÉTÉ

JD, TJ, JS

Tehare Outu, Parea Huahine

1 32 RUA-TUPU-TAI-NANU « Rua-des-mers-houleuses » (JCT) CHEMIN D’ÉTOILES D’ARGO JCT

133 Rupe-a-nu'u « Chefs-des-foules-terrestres » (TH) ? TH, p. 362

134 Rupe-a-ra'i « Chefs-des-cieux » (TH) ? TH, p. 362

135 Ta’urua-‘apa’apa-manu (JCT) « Etoile-repère – battements d’ailes » (TH) Alnaïr (JCT) JCT

136 Ta’urua-ahiahi « Festivité du soir » (TH) Venus (soir) TH, p. 411

137 Ta’urua-e-hiti-i-ara-o-te-anuanua « Festivité qui s’élève sur le chemin de l’arc-en-ciel »

(TH)

Jupiter TH, p. 363

138 Ta’urua-e-hiti-i-matavai « Festivité s’élevant au-dessus de Matavai » (TH) Venus TH, p. 363

139 Ta’urua-e-hiti-i-tara-te-feia’i

« Festivité qui s’élèvent avec prières et cérémonies

religieuses » (TH)

Sirius TH, p. 363

140 Ta’urua-e-tupu-tai-nanu « Festivité-d’où-vient-le-flux-de-la-mer » (TH) Canopus TH, p. 363

Page 360: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

347

« Étoile-repère-des-mers-houleuses » (JCT)

141 Ta’urua-fau-papa «Festivités des premiers grands chefs » (TH) Sirius TH, p. 363

143 Ta’urua-feufeu « Festivité rejetant » (TH)

« Etoile-repère qui scrute » (JCT)

Alphard TH, p. 363

144 Ta'urua-i-te-ha'apāra'a-manu « Festivité de l’ascension des oiseaux » (TH) Déneb TH, p. 363

145 Ta’urua-i-te-i’a-o-te-no’o « Festivité-du-poisson-au-gouvernail » (TH) Fomalhaut TH, p. 363

146 Ta’urua-i-te-pati-feti’a « Festivité qui conduit les étoiles » (TH) Venus TH, p. 363

147 Ta’urua-nui « Grande festivité » (TH) Jupiter TH, p. 361

148 Ta'urua-nui-e-fa'atere-va'a-iā-Atutahi « Festivité qui conduit la pirogue d’Atutahi » (TH) Fomalhaut TH, p. 360

149 Ta'urua-nui-e-horo-i-te-ahiahi « Grande réjouissance qui court le soir » Venus (soir) TH, p. 360

150 Ta'urua-nui-i-te-amo-'aha « Grande festivité corde tressée porteur » (TH) Sirius TH, p. 362

151 Ta'urua-nui-i-tu'i-i-te-porou-o-te-ra'i « Grande festivité-qui-frappa-le-zénith-du-ciel » (TH)

« Grande étoile-repère qui passe au zénith » (JCT)

Jupiter TH, p. 361

152 Ta'urua-nui-o-Mere

« Grande festivité – désirs des parents » (TH)

« Grande - étoile-repère – de Mere » (JCT)

Bételgeuse TH, p. 363

153 Ta'urua-nui-o-te-hiti-'apato'a

« Grande-festivité-à-la-frontière-du-Sud » (TH)

« Grande-étoile-repère-du-Sud » (JCT)

Canopus

TH, P. 363

JCT

154 Ta’urua-o-Mere? (JCT) « Étoile-repère-de-Mere » (JCT) Déneb Algedi - δ Capricorni ? (JCT) JCT

155 Ta’urua-o-Mere-ma-Tūtahi

« Festivité des désirs réunis des parents » (TH)

« Étoile-repère-de-Mere-et-Tūtahi » (JCT)

Ceinture d’Orion TH, p. 363

156 Ta’urua-po’ipo’i « Festivité du matin » (TH) Venus (matin) TH, p. 411

157 Ta’uru-o-ra’i-taetae’a-o-havai’i-i-te-tua « Festivité de confusion dans le ciel avec Havai’i Jupiter TH, p. 363

Page 361: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

348

derrière » (TH)

158 Tae-fei-‘aitu (Oiseaux messagers de Tāne) « Arrivée de pétitions aux dieux » (TH) ? TH, p. 369

159 Ta'ero « Ivre » (TH) Mercure TH, p. 360, p. 362

160 Tahi-ari’i « Souverain-unique » (TH) La Chèvre TH, p. 360

161 Tāne « Dieu » Hercule (JCT) ? TH, p. 411

162 TĀNE (Epaule de Tāne) « Dieu Tāne » CYGNE (JCT) TH, p. 411

163 Tāne-manu « Oiseaux rouges dans la Voie lactée » ? TH, p. 369

164 Tāpo'i-o-tera'i (Voir ‘Apu-o-te-ra’i) « Dôme du ciel – Sky dome » Hémisphère céleste Nord (JCT) TH, p. 361

165 Tara-te-feau « Offrandes pour la pensée » (TH) Écliptique ? (voir Tua-o-urupo’i) JCT

166 Tau-hā « Les quatre attachés » (JCT) Croix du Sud TH, p. 360

167 Tā-vahi « Côté extérieur d’une coupe faite de noix de coco » (FV) ? JD

168 Te-ao-nui-e-rere-i-te-ra'i « Grand-jour-qui-vole-à-travers-le-ciel » (TH) ? TH, p. 360

169 Te-iri-o-hotu « Écorce-féconde » (TH) ? TH, p. 362

170 Te-ra'i-tu-roroa « Ciel-longuement-prolongé » (TH) Ciel entre Hydre et Lion TH, p. 361

171 Tere-e-fāri'i-mai-i-te-ra'i « Voyage-d ‘accueil-du-ciel » (JCT) ? TH, p. 361

172 Te-taha

« Déviation » (TH)

« l’Ouest » (JCT)

? TH, p. 361

173 Te-’ura-taui-e-pā « Rougeur-échangée-et-quittée » (TH) ? TH, p. 361

174 Te-vero-nui « Grand-orage » (TH) ? TH, p. 362

175 Tua-o-uru-po’i*(JCT)

« Sur le dos de l’aube à son début » (TH)

« Suivant le soleil » (JCT)

Écliptique (JCT) ? (voir Tara-te- feau) TH, p. 362

Page 362: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

349

176 Tui-hana « Enfiler les obits »(TH) ? TH, p. 362

177 TŪ-I-TE-MOANA-’URIFĀ « Debout sur la mer à l’odeur infecte » (TH)

« Qui se tient sur la Mer ‘Urifā » (JCT)

L’HYDRE TH, P. 361

178 Tūtahi « Réunis » (TH Rigel JCT

179 ‘UO (PAUMA) « Le cerf-volant » QUEUE DU SCORPION B. Saura, p. 224

180 ‘UO-A-HIRO (PAUMA-A-HIRO) « Le cerf-volant de Hiro » SCORPION Populaire Tahaa (D. Carlson)

181 URU-MEREMERE

« Forêt de tendresse des parents» (TH)

« Transe causée par un chant généalogique » (JCT)

ORION TH, p. 362, p. 401

182 VAI

VAI ORA

VAI ORA Ā TĀNE

VAI ORA Ā TA’AROA

VAI ORA Ā TE ATUA

« Eau » (TH)

« Eau vivifiante » (TH)

« Eau vivifiante de Tāne » (TH)

« Eau vivifiante de Ta’aroa »(TH)

« Eau vivifiante des dieux » (TH)

VOIE LACTÉE

VOIE LACTÉE

VOIE LACTÉE

VOIE LACTÉE

VOIE LACTÉE

JRF, p. 215

TH, p. 368, p. 369

TH, p. 365, p. 361, p. 411, p. 414

TH, p. 403, p. 404

TH, p. 369

183 Vero-nu’u « Lance sur les armées » (TH) « 1ère traînée noire le long de la Voie Lactée » TH, P. 368

184 Vero-ra’ai « Lance d’attaque » (TH) « 2ème traînée noire le long de la Voie Lactée » TH, p. 368

Page 363: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

350

français (anglais) – tahitien

français (anglais) tahitien traduction sources

4 ? ‘A-fa'a-teniteni « Sois vantard » (TH) TH, p. 372

5 ? ‘Ai’aia « Nom d’une étoile » TH, p. 361, JD

11 ? ‘Ana-i-te-uhu-taramea « Aster-du poisson perroquet et de l’étoile de mer » TH, p. 114

19 ? ‘Ana-tau-aro « Aster devant » TH, p. 114

20 ? ‘Ana-tau-tua « Aster derrière » TH, p. 114

25 ? ‘Ara'a « Clarté » (TH) TH, p. 360

26 ? ‘Ara'ara'a « Brillant » (TH) TH, p. 360

30 ? Aro « Faire chemin » (TH) TH, p. 360

34 ? Fa'a - hiti « Vallée limitrophe » (TH) TH, p. 362

47 ? Fetū-'ai'aia « Etoile – mangé au-dedans » (TH) TH, p. 361

48 ? Fetū-'amo'amo « Etoile scintillante » (TH) TH, P. 361

50 ? Fetū-hitihiti «Etoile brillante » (TH) TH, p. 361

59 ? Horo « Avalanche » (TH) TH, p. 362

Page 364: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

351

65 ? Ma'ama'atai « Etoile de mer » TH, p. 361

69 ? Marae-'oroua « Marae enchanté » (TH) TH, p. 362

73 ? Mata-taui-noa « Visage toujours changeant » (TH) TH, p. 360

81b ? NĀ-‘AINANU (cf. Pipirima / Pipiri ‘e

Rehia / ‘Ainanu)

« Désirer de la nourriture » (JD) JD

82 ? Nā-hui-hu’a « Les deux minuscules » (JCT) JD

87 ? Nati-ma'a « Qui lie la nourriture » (JCT) JD

94 a ? Pipiri « Avare » (FV) JD, TJ, FV

98 ? Porohīnere « Nom d’une étoile » JD

111 ? Rave-a-tau « Prendre pour des années » (TH) TH, p. 362

113 ? Rehia ? JD, TJ

130 ? Rupe-a-nu'u « Chefs-des-foules-terrestres » (TH) TH, p. 362

131 ? Rupe-a-ra'i « Chefs-des-cieux » (TH) TH, p. 362

154 ? Tae-fei-‘aitu (Oiseaux messagers de Tāne) « Arrivée de pétitions aux dieux » (TH) TH, p. 369

159 ? Tāne-manu

« Oiseaux rouges dans la Voie lactée TH, p. 369

163 ? Tā-vahi

« Le côté extérieur d’une coupe faite de noix de coco » (FV) JD

165 ? Te-ao-nui-e-rere-i-te-ra'i « Grand-jour-qui-vole-à-travers-le-ciel » (TH) TH, p. 360

166 ? Te-iri-o-hotu « Écorce-féconde » (TH) TH, p. 362

170 ? Tere-e-fāri'i-mai-i-te-ra'i « Voyage-d ‘accueil-du-ciel » (JCT) TH, p. 361

171 ? Te-taha « Déviation » (TH) TH, p. 361

Page 365: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

352

« l’Ouest » (JCT)

172 ? Te'ura-taui-e-pā

« Rougeur-échangée-et-quittée » (TH)

« Te’ura-qui-se-change-en-banc-de-poisson » (JCT)

TH, p. 361

174 ? Te-vero-nui « Grand-orage » (TH) TH, p. 362

176 ? Tui-hana « Enfiler les obits »(TH) TH, p. 362

114 « cette étoile se montre le soir vers octobre » (JAM) Rehua ? JAM II, p. 209

6 « Constellation consisting of two stars » (JD)

« Nom des deux étoiles Pipiri et Rehia » (TJ)

‘AINANU (cf. Pipirima / Na ‘Ainanau /

Pipiri ‘e Rehia)

« Displeased » (JD)

« Déplaisir, mécontentement résultant d’un mal fait »

JD,

TJ

181 « Trainée noire le long de la Voie Lactée » Vero-nu’u « Lance sur les armées » (TH) TH, P. 368

182 « Trainée noire le long de la Voie Lactée » Vero-ra’ai « Lance d’attaque » (TH) TH, p. 368

28 Achernar (JCT) Ari'i-o-'apato'a « Roi-du-Sud » (TH) TH, p. 360

64 AIGLE - AQUILA (JCT) MA’O-PUROTU « Beau requin » TH, p. 356, p. 369, p. 403

64 b AIGLE - AQUILA (JCT) MA’O-ROA « Grand requin » JRR, p. 106

14b Aldebaran ? ‘Ana-muri ? « Aster de derrière » (TH) Usage populaire

115 Aldebaran* Rio-aitu* « Dieu de la pêche aux thonidés » (TH) TH, p. 361, p. 374

132 Alnaïr Ta’urua-‘apa’apa-manu (JCT) « Etoile-repère – battements d’ailes » (TH) JCT

9 Alphard ‘Ana-heuheu-pō « Aster rejetant les ténèbres » (TH)

« Etoile-brillante qui scrute la nuit » (JCT)

TH, p. 361

139 Alphard Ta’urua-feufeu « Festivité rejetant » (TH)

« Etoile-repère qui scrute » (JCT)

TH, p. 363

Altaïr Ire (cf. Fa’a-rava-i-te-ra’i) « Requin de Tāne dans la mer» (TH) TH, p. 356, p. 369, p. 403

Page 366: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

353

37 Altaïr* Fa'a-rava-i-te-ra'i* (cf. Ire) « Couleur de ciel – Nom de Ire dans le ciel » (TH) TH, p. 361, p. 403

13 Antares ‘Ana-mua « Aster de devant » (TH) TH, p. 174, p. 361, p. 551

62 Antares Hotu-i-te-ra’i « Fécondité du ciel » (TH) TH, p. 343

17 Arcturus ‘Ana-tahu'a-ta'ata-metua-te-tupu-mavae

« Aster le prêtre paternel de l’homme qui grandit dans l’espace »

(TH)

« Etoile-brillante du spécialiste qui vit à l’écart » (JCT)

TH, p. 361

148 Bételgeuse Ta'urua-nui-o-Mere

« Grande festivité – désirs des parents » (TH)

« Grande - étoile-repère – de Mere » (JCT)

TH, p. 363

12a Bételgeuse ? ‘Ana-iva ? « Neuvième aster » (TH) TH, p. 174, p. 409

22 Bételgeuse* ‘Ana-varu * « Huitième aster » (TH) TH, p. 361

74 CANCER (JCT) MĀ-TITI-TAU « Qui pend » (TH) TH, p. 360

137 Canopus Ta’urua-e-tupu-tai-nanu

« Festivité-d’où-vient-le-flux-de-la-mer » (TH)

« Étoile-repère-des-mers-houleuses » (JCT)

TH, p. 363

149 Canopus

Ta'urua-nui-o-te-hiti-'apato'a

« Grande-festivité-à-la-frontière-du-Sud » (TH)

« Grande-étoile-repère-du-Sud » (JCT)

TH, P. 363

JCT

8 Castor ‘Ainanu-i-raro « Désirer de la nourriture – 0uest » (WE) WE, p. 569

94 b Castor Pipiri* « Avare » (FV) WE, p. 569

95a Castor & Pollux - GÉMEAUX

PIPIRIMA*(cf. Na ‘Ainanu / ‘Ainanu)

« Les avares » TH, p. 411, EC, p. 116,

JAM II, p. 210, EC, p. 116, JS

52 Ceinture d’Orion Fetū-mahu « Étoile brumeuse » (JCT) JRF, p. 215

63 Ceinture d’Orion Hui-tārava

« Constellation » (TH)

« Constellation avec les étoiles alignées » (JCT)

JD

Page 367: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

354

Ceinture d’Orion Mere

« The name of a star Hui Tārava » (JD)

« Tendresse des parents » (TH)

JD

83 Ceinture d’Orion Nā-hui-tārava-iā-Mere

« The stars of Orion » (JD)

« Les étoiles alignées de Mere » (JCT)

JD

151 Ceinture d’Orion Ta’urua-o-Mere-ma-Tūtahi

« Festivité des désirs réunis des parents » (TH)

« Étoile-repère-de-Bételgeuse-et-Rigel» (JCT)

TH, p. 363

CHEMIN D’ÉTOILES

CHEMIN D’ETOILES, COMPAS D’ETOILES

RUA HETIKA (Pa’umotu)

RUA FETŪ (JCT)

« Alignement d’étoiles se levant successivement au-dessus de

l’horizon au même point du compas (Line of stars rising

successively above the horizon at the same point of the

compass) » (JS)

« Chemin et compas d’étoiles » (JCT)

JS, p. 467

JCT

116 CHEMIN D’ETOILES A L’EST (JCT)

CHEMIN D’ETOILES A L’EST (JCT)

RUA I TE-HITI’A-O-TE-RĀ

RUA I TE-HITI’A

Abîme dans L’Est - Abyss On East (TH)

Abîme dans L’Est - Abyss On East

TH, p. 474

117 CHEMIN D’ETOILES A L’OUEST (JCT)

CHEMIN D’ETOILES A L’OUEST (JCT)

RUA ITE-TŌ’O’A-O-TE-RĀ

RUA I TŌ’O’A

Abîme Dans L’Ouest - Abyss On West(TH)

Abîme Dans L’Ouest - Abyss On West

TH, p. 474

TH, p.475

122 CHEMIN D’ÉTOILES ARGO RUA-NUI-O-TE-HITI-‘APATO’A « Grand-Rua-du-Sud » (JCT) JCT

120 CHEMIN D’ÉTOILES CYGNE RUA-HA’APĀRA’A-MANU « Rua-de l’envol d’oiseaux » (JCT) JCT

129 CHEMIN D’ÉTOILES D’ARGO RUA-TUPU-TAI-NANU « Rua-des-mers-houleuses » (JCT) JCT

126 CHEMIN D’ÉTOILES DE LA CEINTURE

D’ORION

RUA-O-MERE-MA-TŪTAHI (JCT)

« Rua-de-Bételgeuse-et-Rigel » (JCT) JCT

125 CHEMIN D’ÉTOILES DU CAPRICORNE

RUA-O-MERE

« Caverne-des-désirs-des-parents » (TH)

« Rua-de-Mere » (JCT)

TH, p. 360

Page 368: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

355

118 CHEMIN D’ÉTOILES GRAND CHIEN RUA-FAUPAPA (JCT) « Rua- des premiers grands chefs » (JCT) JCT

124 CHEMIN D’ETOILES GRUE RUA – (‘APA’APA) MANU

(Cf. ‘APA’APA – RUA – MANU)

« Rua – des battements d’ailes d’oiseaux » TH, p. 360

119 CHEMIN D’ETOILES HYDRE NORD RUA-FEUFEU (JCT) « Rua-scruteur » (JCT) JCT

121 CHEMIN D’ÉTOILES ORION- RUA-NUI-O-MERE (Cf. POU-

NOHORA’A)

« Grand-Rua-désirs des parents » (JCT) JCT

123 CHEMIN D’ÉTOILES POISSON RUA-ATU-TAHI

(Cf. ATU – TAHI)

« Rua-des-premières-bonites » (JCT) JCT

79 Ciel clair au-dessous de l’Hydre Moana'aere « Océan sans chemin » (TH) TH, p. 361

169 Ciel entre Hydre et Lion Te-ra'i-tu-roroa « Ciel-longuement-prolongé » (TH) TH, p. 361

36 COCHER -AURIGA FA'A-NUI

« Grande-vallée » (TH)

« Grande-nasse » (JCT)

TH, p. 359

23 CROIX-DU-SUD ? (VOIR TAUHĀ)

CHEMIN D’ÉTOILES DE LA GRUE

‘APA’APA - RUA-MANU

(VOIR RUA – (‘APA’APA) MANU

« Deux côtés d’oiseaux »

« Battements d’ailes – Rua – Oiseau » (JCT)

TH, p. 360

JCT

49 Comète Fetū-ave / Feti’a-ave « Etoile à tentacule » JD, JAM II, p. 181

57 Comète Fetū-vera « Etoile brûlante » JRF, p. 309

Constellation Hui fetū /hui feti’a « Groupe d’étoiles » TH, p. 360

Constellation d’étoiles alignées Hui tārava « Groupe étalé » TH, p. 361

33 CONSTELLATION DU POISSON AUSTRAL ATU-TAHI

(Voir RUA – ATU – TAHI)

« Bonite-unique » (HT)

« Premières-bonites » (JCT)

TH, p. 360

77 CORBEAU METUA-'AI-PAPA « Parent mangeur de roc » (TH) TH, p. 361

80 COUPE MOANA-'OHU-NOA-'EI-HA'AMO'E-

« Océan tourbillon pour y perdre le crime » (TH) TH, p. 361

Page 369: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

356

HARA

162 Croix du Sud Tau-hā « Les quatre attachés » (JCT) TH, p. 360

158 CYGNE (JCT) TĀNE (Epaule de Tāne ) « Dieu Tāne » TH, p. 411

96 Deneb Pira’e-tea « Sterne-blanc » TH, p. 361, p. 369, p. 401

140 Deneb

Ta'urua-i-te-ha'apāra'a-manu « Festivité de l’ascension des oiseaux » (TH)

« Etoile-repère de l’envol d’oiseaux » (JCT)

TH, p. 363

150 Deneb Algedi - δ Capricorni ? Ta’urua-o-Mere? « Étoile-repère-de-Mere » (JCT) JCT

21 Dubhe ‘Ana-tīpū

« Aster qui dévie » (TH)

« Etoile-brillante inclinée »

TH, p. 174, p. 361

88 Eclipse Natua « Pincé » (TJ) WE, p. 569

175 Écliptique (JCT) ? (voir Tara-te- feau) Tua-o-urupo’i*(JCT)

« Sur le dos de l’aube à son début » (TH)

« Suivant le soleil » (JCT)

TH, p. 362

161 Écliptique? (voir Tua-o-urupo’i) Tara-te-feau « Offrandes pour la pensée » (TH) JCT

71 Épi Mariua « Être coulé, être brisé » (FV) TH, p. 340, p. 399

16 Épi? ‘Ana-roto ? « Aster intérieur » (TH) TH, p. 361

112 Équinoxe, Équateur Rāhiti « Soleil-cycle » (AD) AD, p. 100

1 ERIDAN (voir Achernar) ? ? TH, P. 359

Etoile, Planète Fetū (Feti’a) « Etoile » JD, TJ, FV

54 Étoile filante Fetū-rere « Etoile qui vole » TH, p. 360

92 a Étoile filante Pao « fendre » PH, p. 58

93 Étoile filante Patau ? PH, p. 58

Page 370: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

357

97 Étoile filante - Shooting star Pitau ? PH, p. 58

15 Étoile polaire - Polaris ‘Ana-ni’a « Aster au-dessus » (TH) TH, p. 361

141 Fomalhaut Ta’urua-i-te-i’a-o-te-no’o

« Festivité-du-poisson-au-gouvernail » (TH)

« Étoile-repère-des-poissons-à-la-poupe » (JCT)

TH, p. 363

144 Fomalhaut Ta'urua-nui-e-fa'atere-va'a-iā-Atutahi « Festivité qui conduit la pirogue d’Atutahi » (TH)

« Etoile-repère pour partir à la rencontre de la première bonite »

(JCT)

TH, p. 360

38 GÉMEAUX FA'A-TA-POTUPOTU

« Vallée ouverte » (TH)

« Nasse ouverte » (JCT)

TH, p. 360

81a GÉMEAUX (Castor & Pollux) NĀ-‘AINANU ( cf. Pipirima / Pipiri ‘e

Rehua/ ‘Ainanu)

« Désirer ou convoiter une certaine sorte de nourriture » (WE) WE, p. 569

66 Grand Nuage de Magellan Mahu-i-ni'a « Brume de l’Est » TH, p. 362, p. 369

160 Hémisphère céleste Nord (JCT) Tāpo'i-o-tera'i (Voir ‘Apu-o-te-ra’i) « Dôme du ciel – Sky dome » TH, p. 361

157 Hercules (JCT) ? Tāne « Dieu » TH, p. 411

91 Horizon Paera’i « Du côté du ciel » JD

134 Jupiter Ta’urua-e-hiti-i-ara-o-te-anuanua « Festivité qui s’élève sur le chemin de l’arc-en-ciel » (TH) TH, p. 363

143 Jupiter Ta’urua-nui « Grande festivité » (TH) TH, p. 361

147 Jupiter Ta'urua-nui-i-tu'i-i-te-porou-o-te-ra'i « Grande festivité-qui-frappa-le-zénith-du-ciel » (TH)

« Grande étoile-repère qui passe au zénith » (JCT)

TH, p. 361

153 Jupiter Ta’uru-o-ra’i-taetae’a-o-havai’i-i-te-tua « Festivité de confusion dans le ciel avec Havai’i derrière » (TH) TH, p. 363

44 Jupiter (matin) Feti’a-po’ipo’i « Etoile du matin » PH, p. 58

Jupiter (matin) Feti’a-taiao « Etoile de l’aurore » PH, p. 58

Page 371: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

358

60 Jupiter (matin - morning) Horo-po’ipo’i « Qui court le matin » PH, p. 58, JD

177 L’HYDRE - HYDRA TU-I-TE-MOANA-‘URI-FA « Debout sur la mer à l’odeur infecte » (TH)

« Qui se tient sur la Mer Urifa » (JCT)

TH, P. 361

156 La Chèvre Tahi-ari’i « Souverain-unique » (TH) TH, p. 360

58 Les 5 étoiles les plus petites Ha'amaru « Douceur » (TH) TH, p. 360

114b Lesath Rehua ? GC, p.

70 Lune Marama, ‘Āva’e « lueur » TH, p. 360, JD, TJ

68 LYRE (voir Vega) (JCT) MARA’IRE’A (JCT) « Ciel-clair ouvert » (TH) TH, p. 360

46 Mars Fetū-‘ura / feti’a- ‘ura « Etoile rouge » JD, TJ

75 Mars Maunu-‘ura « Rougeur qui disparaît » (TH) TH, p. 360, p. 401

155 Mercure Ta'ero « Ivre » (TH) TH, p. 360, p. 362

Méridien Pou (māori) « Pilier » Williams

111 Méridien Rā-avatea « Soleil-midi »(JCT) Carte de Tupaia

90 Météore ‘Ōpūrei « Météore » JD, Huguenin p. 58

92 b Météore Pao « fendre » JD, JRF, p. 310

53 Nébuleuse Fetū-pura-noa « Etoile clignotante » TH, p. 361

Nuages de Magellan Mahu « Brume »(FV) WE, p. 569

179 ORION URU-MEREMERE

« Forêt de tendresse des parents» (TH)

« Transe causée par un chant généalogique » (JCT

TH, p. 362, p. 401

35 PERSEE FA'A-ITI

« Petite vallée » (TH)

« Petite nasse » (JCT)

TH, p. 360

Page 372: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

359

67 Petit Nuage de Magellan Mahu-i-raro « Brume de l’Ouest » TH, p. 362

12b Phaet* ‘Ana-iva* « Neuvième aster » (TH) TH, p. 361

105 PILIER D’ORION-NORD (JCT) POU-NOHORA’A (voir Rua-nui-o-mere) « Pilier pour s’asseoir »(TH) TH, p. 343, p. 361

100 PILIER DE L’HYDRE-NORD (JCT) POU-‘ORERORERORA’A (voir Rua

feufeu)

« Pilier de délibération » (TH) TH, p. 343, p. 361

100b PILIER DE L’HYDRE (JCT) POU-HITIRARO « Pilier au-dessous » (TH) TH, p. 343, p. 361

104 PILIER DE LA BALANCE (JCT) POU-MURI « Pilier de derrière » (TH) TH, p. 343

102 PILIER DE LA COLOMBE (JCT) POU-HAERERA’A « Pilier de sortie » (TH) TH,p. 343, p. 361

108 PILIER DE LA GRANDE OURSE (JCT) POU-TIA’IRA’A « Pilier pour monter la garde » (TH) TH, p. 361

108b PILIER DE LA GRANDE OURSE (JCT) POU-HITINI’A « Pilier au-dessus » (TH) TH, p. 361

101 PILIER DE LA PETITE OURSE (JCT) POU-FA’ARAVA’AIRA’A « Pilier auprès duquel on pêche » (TH) TH, p. 361

107 PILIER DU BOUVIER (JCT) POU-TI’ARA’A « Pilier pour se lever » (TH) TH, p. 174, p. 361

106 PILIER DU LION (JCT) POU-ROTO « Pilier de l’intérieur » (TH) TH, p. 343

106b PILIER DU LION (JCT) POU-TŪ-MA-TA’AROA « Pilier des dieux Tū et Ta’aroa » (JCT) TH, p. 343, p. 361

109 PILIER DU PETIT CHIEN (JCT) POU-VĀNA’ANA’ARA’A « Pilier de l’élocution » (TH) TH, p. 343, p. 361

103 PILIER DU SCORPION (JCT) POU-MUA « Pilier de devant » (TH) TH, p. 343

103b PILIER DU TAUREAU (JCT) POU FA’A’ERE’ERERA’A « Pilier pour noircir » (TH) TH, p. 361

51 Planète Fetūhoro / Feti’ahoro « Etoile-qui-se-déplace » (JCT) JCT

45 PLEIADES FETU-‘ŌFA’A « Etoiles pondeuses » JRF, p. 194

72 PLEIADES MATARI’I

« Petits yeux » (TH) JAM, p. 178, WE, p. 569, TH, p.

362, JD, TJ

97b PLEIADES PIPIRIMĀ « Avares » Usage populaire

Page 373: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

360

78 Plus de ciel près de Moana-'a'ano-huri-hara « Vaste océan pour y jeter le crime » (TH) TH, p. 361

32 POISSONS ATU-RA'I-PUTUPUTU

« Nombreux poissons célestes » (TH)

« Banc de bonites célestes » (JCT)

TH, p. 361

Pôle Nord Pou tokerau (māori) « Pilier Nord » Reed

Pôle Sud Pou tonga (māori) « Pilier Sud » Reed

7 Pollux ‘Ainanu-i-ni’a « Désirer de la nourriture – Est » (WE) WE, p. 569

114c Pollux* Rehua* (‘Ainanu-i-ni’a) ? WE, p. 569

114d Pollux* Rehua-i-te-ra’i* « Rehua dans le ciel » TH, p. 401

18 Procyon ‘Ana-tahu'a-vahine-o-toa-te-manava

« Aster la prêtresse au cœur brave » (TH)

« Etoile-brillante de la femme spécialiste des braves guerriers »

(JCT)

TH, p. 174, p. 361

164 QUEUE DU SCORPION - TAIL OF SCORPIO TE-‘UO (TE PAUMA) « Le cerf-volant » B. Saura, p. 224

16 b Regulus* ‘Ana-roto* « Aster intérieur » (TH) TH, p. 174

76 Rigel Mere « Tendresse des parents » (TH) AD cité par JL, p. 146, FV

178 Rigel Tūtahi « Réunis » (TH JCT

84 Rigil Centaurus (α Centauri ) + Toliman, Hadar (β

Centauri ) Nā-matarua

« Les deux yeux doubles » (JCT) JD, PH, p. 58

ROSE DES VENTS - WINDS COMPASS : RUA MATA’I « The point from wich the wind blows » (JD) JD, FV

85 Sac à charbon Nā-'ō'iri-'ai-ata « Les deux balistes mangeuses de nuage » (TH) TH, p. 361

89 Sac à charbon ‘Ō’iri « Baliste » Huguenin, p. 58

56 Saturne Fetū-tea « Etoile blanche » TH, p. 360

86 Saturne Na-tau-ihe « La saison des aiguillettes » (JCT) JD, JRF

Page 374: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

361

94 c Schaula Pipiri « Avare » (FV) GC, p.

167 SCORPION * TE-MATAU-A-TĀFA’I* « L’hameçon de Tāfa’i » TH, p. 401

168 SCORPION * TE-MATAU-NUI* « Le grand hameçon » TH, p. 401

173 SCORPION TE-‘UO-A-HIRO « Le cerf-volant de Hiro » Populaire Tahaa (D. Carlson)

74b SCORPION–SCORPIO

MATAU-A-MAUI

« L’hameçon de Maui » Usage populaire (Hawaii, Marquises,

Aotearoa)

55 Sirius Fetū-roa « Grande étoile » JRF, p. 215

136 Sirius Ta’urua-e-hiti-i-tara-te-feia’i

« Festivité qui s’élèvent avec prières et cérémonies religieuses »

(TH)

« Etoile-repère des prières et cérémonies » (JCT)

TH, p. 363

138 Sirius Ta’urua-fau-papa

«Festivités des premiers grands chefs » (TH)

« Etoile-repère des premiers grands chefs » (JCT)

TH, p. 363

146 Sirius Ta'urua-nui-i-te-amo-'aha « Grande festivité corde tressée porteur » (TH)

« Etoile-repère pour accompagner la tresse sacrée » (JCT)

TH, p. 362

110 Soleil - Sun Rā, Mahana « Soleil », »chaleur » TH, p. 360, JD, TJ

128 SOLSTICE D’ÉTÉ RUA-ROA (RUA MAORO)

ARA-ROA

« Chemin long » JD, TJ, JS

Tehare Outu, Parea Huahine

127 SOLSTICE D’HIVER RUA-POTO

ARA-POTO

« Chemin court » JD, TJ, JS

Tehare Outu, Parea Huahine

2 TAUREAU (TAURUS) POU-FA’A’ERE’ERERA’A « Pilier-pour-noircir » TH, p. 361

29 Vega (JCT) Ari'i-o-Mara'ire'a « Roi-ciel-clair ouvert » (TH) TH, p. 360

3 Venus ‘A’aia « Etoile de mer » (FV) TJ

Page 375: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...

362

31 Venus Atouahi ? (Atuahi ?ou Atutahi) ? JAM II, p. 210

135 Venus Ta’urua-e-hiti-i-matavai « Festivité s’élevant au-dessus de Matavai » (TH) TH, p. 363

142 Venus Ta’urua-i-te-pati-feti’a « Festivité qui conduit les étoiles » (TH) TH, p. 363

41 Venus (matin) Fauroua ? ? JAM II, p. 206

145 Venus (soir) Ta'urua-nui-e-horo-i-te-ahiahi « Grande réjouissance qui court le soir »

« Etoile-repère qui se déplace le soir » (JCT)

TH, p. 360

42 Venus (matin) Feti’a-ao « Etoile du jour » WE, p. 569

Venus (matin) Feti’a-po’ipo’i « Etoile du matin » JD, TJ, PH p. 58

Venus (matin) Feti’a-taiao « Etoile de l’aurore » JD, TJ, PH. 58

61 Venus (matin) Horo-po’ipo’i « Qui court le matin » JD, TJ, WE p. 569

152 Venus (matin) Ta’urua-po’ipo’i « Festivité du matin » (TH)

Etoile-repère du matin » (JCT)

TH, p. 411

39 Venus (soir) Faiti ? (Fa’a-iti) ? ? JAM II, p. 207

43 Venus (soir) Feti’a-e-hiti-i-te-ahiahi « Etoile qui se lève le soir » WE, P. 569

133 Venus (soir) Ta’urua-ahiahi « Festivité du soir » (TH)

« Etoile-repère du soir »(JCT)

TH, p .411

27 VIERGE A’e’ū’ere « étoffe noir d’offrande » (TH) TH, p. 399, ED, p. 115

180 VOIE LACTÉE

VOIE LACTÉE

VOIE LACTÉE

VOIE LACTÉE

VOIE LACTÉE

VAI

VAI ORA

VAI ORA Ā TĀNE

VAI ORA Ā TA’AROA

VAI ORA Ā TE ATUA

« Eau » (TH)

« Eau vivifiante » (TH)

« Eau vivifiante de Tane » (TH)

« Eau vivifiante de Ta’aroa »(TH)

« Eau vivifiante des dieux » (TH)

JR FORSTER, p. 215

TH, p. 368, p. 369

TH, p. 365, p. 361, p. 411, p. 414

TH, p. 403, p. 404

TH, p. 369

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363

24 Voûte céleste Nord (JCT) ? ‘Apu-o-tera'i (cf. Tāpo’i-o-te-ra’i) « Caveau du ciel » (TH) TH, p. 360

99 Zénith Porou-a-ra’i « zénith » JD

95b Zeta & Theta – SCORPION PIPIRIMA(Tuamotu) JS

14a Zuben-Eschamali ‘Ana-muri « Aster de derrière » (TH) TH, p. 174

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365

ANNEXE 2 : La carte tahitienne du ciel

Page 379: Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation ...
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